LE COMMENTAIRE DE TOUTE LA LOGIQUE
D'ARISTOTE
SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE
L'ÉGLISE
OPUSCULE 47
Traduction Abbé Védrine, Editions Louis Vivès, 1857
TABLE AUTOMATIQUE
TRAITE I: LES
CINQ UNIVERSAUX EN LOGIQUE
CHAPITRE I: Ce que c’est que
l’universel et d’où il tire son origine.
CHAPITRE II: Ce que c’est que le
genre et d’où il tire son origine.
CHAPITRE III: Ce que c’est que
l’espèce et d’où elle tire son origine.
CHAPITRE IV: De l’origine de la
différence et ce que c’est suivant la chose et l’intention.
CHAPITRE V: Du genre le plus général
et du genre subalterne; un être ne peut pas être genre.
CHAPITRE VII: Le propre est inhérent
à la seule espèce, et se dit d’elle réciproquement.
CHAPITRE VIII: De l’origine de
l’accident et exposition de sa cause.
TRAITE II:
DES DIX PRÉDICAMENTS.
CHAPITRE I: Des divers modes de
prédication.
CHAPITRE II: Ce que c’est que la
substance suivant l’intention logique.
CHAPITRE III: De la première et de la
seconde substance; ce que c’est; de l’ordre de la substance.
TRAITÉ III:
LE PRÉDICAMENT DE LA QUANTITÉ.
CHAPITRE I: Du nombre qui est une
quantité discrète.
CHAPITRE II: De la seconde espèce de
la quantité discrète, c’est-à-dire du langage.
CHAPITRE III: De la quantité continue
en commun suivant l’intention logique.
CHAPITRE V: Des espèces de la
quantité continue, et d'abord de la ligne.
CHAPITRE VI: Du lieu qui est une
espèce de la quantité continue.
CHAPITRE VII: Du temps, comment c’est
une quantité successive.
TRAITÉ IV: Du
PRÉDICAMENT DE LA QUALITÉ.
CHAPITRE I: Ce que c’est que la
qualité en général.
CHAPITRE II: De la première espèce de
qualité, qui est l’habitude et la disposition.
CHAPITRE III: De la seconde espèce de
la qualité qui est la puissance ou l’impuissance naturelle.
CHAPITRE IV: De la troisième espèce
de la qualité, qui est la passion ou la qualité passible.
CHAPITRE VI: De la qualité et de ses
conditions d’après ses trois modes.
CHAPITRE VII: Des communautés et des
propriétés de la qualité.
TRAITÉ V: DU
PRÉDICAMENT ALIQUID ET DES AUTRES PREDICAMENTS.
CHAPITRE I: Ce qu’est ad aliquid,
suivant l’intention logique.
CHAPITRE III: Que la relation ne
diffère de son fondement que par la réalité extrinsèque.
CHAPITRE IV: Que l’entité des
relatifs se tire des fondements.
CHAPITRE V: Des communautés et des
propriétés des relatifs.
CHAPITRE VI: Des six autres
prédicaments et de leur prédication en commun.
CHAPITRE VII: Ce que c'est que
l’action suivant la raison prédicamentale dans le deux opinions.
CHAPITRE IX: Le propre de l’action
est de produire la passion par soi.
CHAPITRE X: Ce que c’est que la
passion formellement, comme prédicament.
CHAPITRE XI: Que la dénomination de
la passion se fait formellement ab extrinseco.
CHAPITRE XIII: Que quando n’est pas
le rapport de la chose mesurée au temps, mais tout le contraire.
CHAPITRE I: Du prédicament Ubi, ce
que c’est formellement, et en quoi il se trouve subjectivement.
CHAPITRE I: Du prédicament de
position; est-il quelque chose suivant la raison formelle?
CHAPITRE I: De l’habitus en tant que
prédicament, ce que c’est formellement.
CHAPITRE II: L’habitus peut se loader
immédiatement dans la substance.
CHAPITRE I: Ce que c’est que le nom
suivant l’intention logique.
CHAPITRE II: Ce que c’est
formellement que le verbe suivant la description logique.
CHAPITRE III: Ce que c’est que le
discours, et quelles sont ses espèces.
CHAPITRE IV: Ce que c’est que
l’énonciation, ce que c’est que le vrai et le faux.
CHAPITRE V: La vérité et la fausseté
ne sont que dans l’énonciation, et pourquoi?
CHAPITRE VI: De l’énonciation catégorique,
hypothétique, affirmative ou négative.
CHAPITRE IX: Des équipollences des
énonciations catégoriques de inesse.
CHAPITRE XI: Ce que c’est que la
proposition modale et de sa quantité.
CHAPITRE XII: De la qualité des
propositions modales quant à l’affirmation et à la négation.
CHAPITRE XIII: De l’opposition et de
l’équipollence des énonciations modales.
CHAPITRE XIV: De l’énonciation
hypothétique et de ses trois espèces.
TRAITE X: DU
SYLLOGISME SIMPLICITER.
CHAPITRE I: Ce que c’est que le syllogisme,
ce qui doit entrer dans sa constitution.
CHAPITRE II: De la conversion des
propositions de inesse, et de ses espèces.
CHAPITRE III: Des conversions des
propositions modales et de leur différent mode.
CHAPITRE IV: Des syllogismes
ostensifs de inesse relativement au mode et au signe.
CHAPITRE V: Des syllogismes inutiles
dans toute figure
CHAPITRE VIII: Des syllogismes à
conclusion indirecte et de leur réduction.
CHAPITRE X: De la différence qui ex
entre le syllogisme ad impossibile et le syllogisme ostensif.
CHAPITRE XL: Dans quels modes et dans
quelles figures se font les syllogismes ad impossibile
CHAPITRE XII: Comment les syllogismes
ad impossibile se ramènent aux syllogismes ostensifs.
CHAPITRE XIII: Des syllogismes à
propositions modales, relativement aux propositions de necessario.
CHAPITRE XIV: Des syllogismes
contingents.
CHAPITRE XV: De la combinaison du
contingent et du nécessaire dans trois figures de syllogismes.
CHAPITRE XVI: Des syllogismes
conditionnels des propositions simples.
CHAPITRE XVII: De syllogismes
conditionnels avec des propositions hypothétiques composées.
TRAITÉ XI: DU
SYLLOGISME DÉMONSTRATIF
CHAPITRE I: Ce que c’est que le
syllogisme démonstratif
CHAPITRE II: Ce que c’est que dici de
omni premièrement de soi, ou universellement.
CHAPITRE III: Que la démonstration
procède de choses vraies et nécessaires.
CHAPITRE IV: Que la démonstration
procède de prémisses où elle se trouve per se et non per accidens.
CHAPITRE V: Que la d procède de
choses premières et immédiates.
CHAPITRE VI: Que la démonstration
procède de choses propres, et non d’étrangères, ni de communes.
CHAPITRE VII: Que la démonstration
procède de choses connues par elles-mêmes.
CHAPITRE VIII: Que la démonstration
procède des causes de la conclusion.
Tous les hommes sont naturellement désireux de savoir. Or savoir est le résultat de la démonstration, car la démonstration est le syllogisme qui produit le savoir. Pour satisfaire ce désir naturel dans l’homme, la démonstration devient nécessaire; car l’effet, comme tel, ne peut pas exister sans la cause. Et comme, ainsi que nous l’avons dit, la démonstration est le syllogisme, pour la connaître il faut préalablement connaître le syllogisme. Or, le syllogisme étant nu certain tout formé de parties, on ne pourra le connaître, si l’on ne commît pas les parties. Donc, pour connaître le syllogisme, il faut d’abord connaître ses parties. Or des parties du syllogisme quelques-unes sont prochaines, comme les propositions et la conclusion, qui toutes sont appelées énonciations. D’autres sont éloignées, comme les termes qui sont les parties de l’énonciation. Il faut donc traiter de ces choses, à savoir de l’énonciation et des termes, avant de parler du syllogisme. Or tout terme qui se dit sans complexion signifie la substance, ou la quantité, ou la qualité, ou quelque chose des autres prédicaments; c’est pourquoi, avant de traiter de l’énonciation, il faut s’occuper des prédicaments. Et parce que le prédicament, dans le sens que nous entendons ici, n’est autre chose que la disposition des choses prédicables dans l’ordre prédicamental, pour connaître les prédicaments, il faut d’abord connaître les choses prédicables. Donc, pour parvenir à la science qui est l’objet des désirs de tous, tel doit être l’ordre que nous garderons avec le secours de Dieu; nous traiterons d’abord des cinq choses prédicables, secondement des dix prédicaments, troisièmement de l’énonciation, quatrièmement du syllogisme simpticiter, cinquièmement du syllogisme appliqué à la matière démonstrative ou de la démonstration. Quant au syllogisme appliqué à la matière probable, lequel appartient à la partie de la logique appelée dialectique, dont il est question dans le livre des Topiques, et au syllogisme appliqué à la matière sophistique, qui est opposé au syllogisme dialectique dont on parle dans le livre Elenchorum, je n’ai pas intention de m’en occuper pour le moment.
Pour connaître les cinq universaux ou prédicables qu’établit Porphyre, il faut savoir que, notre intellect étant séparé de la matière (car ce n’est pas une puissance attachée à un organe corporel ou matériel, et tout ce qui est reçu en une chose y est reçu par le mode de récipient), il faut en conséquence que ce qui est i objectivement à l’intellect par un acte droit soit dégagé de la matière et des conditions de la matière qui existent présentement. Et quand je dis dégagé de la matière, ce n’est pas simplement de toute matière, w ais de la matière spécialisée. En effet, tes choses naturelles sont conçues avec la matière, c’est pour cela qu’on dit que cet objet doit être dégagé des conditions de la matière; par exemple, dans notre imagination il y a l'imagination ou forme représentant tel homme, sui vaut ce qu’il a été extérieurement, laquelle forme, par la vertu de l’intellect actif, agit sur l’intellect possible, comme les couleurs, en vertu de la lumière, agissent sur la puissance visuelle, et alors il se produit dans l’intellect possible une certaine forme, qui est appelée espèce intelligible, ou suivant les autres actes d’intellection, ou la parole, et cette forme représente l’homme, non cependant tel qu’il est présentement, mais abstrait de telles conditions, c’est là ce qu’on appelle être universel. C’est pourquoi il y a deux choses à con sidérer dans l’homme ainsi conçu, à savoir, la nature humaine elle-même ou ce qui la possède, et l’universalité ou abstraction des susdites conditions de la matière. Quant au premier rapport, homme dit la chose, à l’égard du second, il dit l’intention. Car dans la réalité, il ne se trouve pas d’homme qui ne soit pas hic et nunc, et la nature dans ce sens est dite être la première intention. Mais comme l’intellect se réfléchit sur lui-même et sur les choses qui sont en lui soit subjectivement, soit objectivement, il considère encore l’homme ainsi conçu par lui en dehors des conditions de la matière, et voit que cette nature conçue avec une telle universalité ou abstraction, peut être attribuée à tel ou tel individu, et qu’elle est réellement dans tel ou tel individu, il forme en conséquence une seconde intention sur une telle nature, et il l’appelle universelle ou prédicable, ou quelque chose de semblable. Donc, suivant ce que nous venons de dire, une chose en tant que conçue est dite universelle, mais en tant que l’intellect considère cette universalité eu quoi il s’attribue quelque chose suivant l’être en plusieurs, ou l’attribution à plusieurs, et ainsi elle est dite seconde intention. Nous allons parler maintenant de ces secondes intentions, ou des cinq universaux ou prédicables qui sont appelés universaux en tant que l’intellect leur attribue l’être en plu sieurs; ils sont appelés prédicables, à raison de ce que l’intellect les fait appliquer à plusieurs. Ce sont le genre, la différence, l’espèce, le propre et l’accident.
Le genre, tel que nous l’entendons ici, est ce qui est affirmé de plusieurs choses différentes en espèces in eo quod quid. Or, pour comprendre les divers points de cette description, il faut savoir que le genre se dit de plusieurs espèces, ou se divise et plusieurs espèces. Mais comme il n’est pas un être en réalité, mais seulement suivant la raison, sa division ne s’opère pas en réalité. Et comme encore le genre n’est pas quelque chose de réel, les parties subjectives ou les espèces en lesquelles il se divise, sont réellement diverses et distinctes entre e]les, il faut en conséquence qu’elles aient en elles quelque chose de réel, par quoi l’une est différente de l’autre. Il faut remarquer ici qu’une même chose a, par son essence avec l’essence d’une autre chose, quelque conformité ou convenance et quelque difformité réelle, laquelle conformité ou difformité peut être plus grande ou plus petite par comparaison à diverses choses, par exemple: Sortès, par son essence qui est de telle âme et de tel corps, est conforme à Platon, à ce cheval et à cette plante. En effet, Sortès par son essence est raisonnable, sensible et vivant; dans ces trois choses il est conforme à Platon. Il est conforme à ce cheval en deux choses, à savoir dans le sensible et dans le vivant, et il est difforme en une chose, parce qu’il est réellement raisonnable, ce qui n’est pas dans le cheval; il est conforme à la plante, à savoir dans le vivant. Mais comme notre intellect peut distinguer les choses qui sont unies en réalité, quand une de ces choses ne tombe pas sous la raison de l’autre, et lorsque le raisonnable, considéré en soi, n’est point de la raison du sensible, et le sensible de la raison du vivant, c’est pour cela qu’il prend ces choses dans Sortès, sous différents rapports, comme nous l’avons dit. Donc, quand l’intellect considère en réalité ce en quoi une chose con vient à d’autres choses, il attribue à cette chose conçue une intention d’universalité. Et comme dans chaque chose singulière il faut considérer quelque chose, qui est le propre de cette chose, en tant qu’elle est cette chose, de même que dans Sortès il faut considérer quelque chose qui est tellement le propre de Sortès, en tant qu’il est tel homme, qu’il ne convient à nul autre. Donc l’intellect attribue à une chose ainsi conçue une intention de singularité, et il appelle cela singulier ou individuel, et ces secondes intentions sont l’universalité et la singularité. Aussi, bien qu’on ait dit plus haut que les intentions sont le produit de l’intellect, il faut néanmoins qu’elles aient quelque fondement dans les choses extérieures. Car il répond à l’intention de singularité en dehors de ce qui est le propre de Sortès, en tant qu’il est tel homme, et à l’intention d’universalité extérieurement, comme le fondement dans lequel Sortès est conforme aux autres choses. Donc, comme le choses qui sont conformes en une chose sont difformes en une autre, pourvu qu’une telle difformité soit selon la forme et non selon la matière caractérisée, ou selon ce qui est propre à tel individu, en tant que tel, l’intellect attribue l’intention de genre à ce en quoi ces Choses s’accordent, et l’appelle genre. Il faut remarquer ici, suivant Avicenne, qu’il y a deux formes; l’une qui est partie du composé, comme l’âme est la forme de l’homme, car l’homme se compose de corps et d’âme. Pour l’autre, elle suit tout le composé, comme l’humanité, qui est aussi la forme de l’homme, et prise dans ce sens la forme s’appelle quiddité, et elle est ce que l’intellect conçoit de la chose. Donc, quand l’intellect conçoit la forme susdite ou la quiddité, comme celle-ci est déterminée à cette matière, à savoir l’humanité, comme elle se trouve dans cette matière spéciale, dans cette chair, dans ces ossements, et autre chose de ce genre, alors en produisant le concret, à savoir un tel homme, il conçoit le singulier et lui attribue une intention de singularité. Mais s’il conçoit cette forme non comme déterminée à telle matière, parce que toute forme pareille est de soi plurificable à telle ou telle matière, l’intellect attribue à ce qui a une telle forme une intention d’universalité, par laquelle l’homme est un universel. Et si les choses qui s’accordent dans cette forme n’ont pas entre elles la difformité qui regarde la susdite forme, mais si elles sont seule ment difformes par la matière spéciale de telle ou telle chose, dans laquelle ladite forme déterminée est dans telle ou telle chose, suivant le mode dont il sera parlé dans le traité sur l’espèce, ces choses sont dites ne différer que numériquement, et le substantif concret de cette forme reçue, en tant qu’il peut être plurifié, par exemple, l’homme est appelé une espèce très spéciale. Mais si les choses qui s’accordent dans quelque forme plurifiable, comme on u dit, sont difformes entre elles, non seulement quant à la matière caractérisée, comme on l’a dit, mais quant à la difformité spécifique, par exemple, parce qu’ telle forme est l’animalité en laquelle s’accordent Sortès et tel cheval, qui sont difformes entre eux, non seulement quant à la chair et les os, mais en ce que cet homme a la forme d’humanité, et ce cheval celle d’équinité; de telles choses sont dites différer en espèce, et telle forme en laquelle elle s’accorde est prise en concret, par exemple animal et genre; et parce que, ainsi que nous l’avons dit, une telle nature, prise en concret, peut se dire de plusieurs choses formellement différentes qui sont dans diverses espèces, il s’ensuit qu’une intention de genre peut être attribuée à une telle nature. C’est pour cela qu’on dit que le genre s’affirme, c’est-à-dire est prédicable de plusieurs choses différentes d’espèce, ou qu’il se divise en plu sieurs espèces. Et ce que nous venons de dire, pris au concret, ne s’entend que dans le prédicament de la substance; dans les autres prédicaments, et surtout dans les absolus, le genre et l’espèce se prennent abstractivement. Or le genre s’affirme substantivement, suivant les grammairiens, en ce qui constitue une chose, comme animal, qui se dit de l’homme et du cheval, est substantif et non adjectif. Car le sensible qui se dit de l’animal, quoique étant de l’essence de l’animal, ne se dit pas sous le rapport de la quiddité, mais de la qualité, et c’est la raison pour laquelle il est adjectif. Or il faut savoir que les choses qui se disent sous le rapport de la quiddité sont de l’essence ou de la quiddité des choses desquelles elles sont affirmées, par conséquent s’affirmer sous le rapport de la quiddité, non seulement peut s’appeler mode de signification, comme on l’a dit, mais il désigne encore la quiddité de l’objet de l’affirmation, et il est évident que c’est le genre.
L’espèce est ce qui se dit de plusieurs choses différentes numériquement in eo quod quid. Quoique cette définition de l’espèce puisse être conçue d’après ce que nous avons dit, néanmoins pour pins de développement il faut savoir que, bien que le principe d’individuation propre provienne de la matière spécifiée, il ne faut pourtant pas entendre qu’il ne vient pas de la forme sous quelque rapport. Remarquez que la distinction d’une chose d’une autre par la forme peut se faire de deux manières. Premièrement, quand une telle distinction se fait par la forme à raison de la forme, suivant qu’il y différents de grés dans les formes, et les choses qui sont distinguées de cette manière doivent nécessairement différer d’espèce, comme il a été dit. Secondement, une chose peut être distinguée d’une autre par la forme, non suivant la raison absolue de la forme, mais suivant qu’elle est telle forme, et c’est ainsi que diffèrent en nombre deux quantités séparées, soit qu’elles soient séparées par l’intellect, comme en mathématique, soit qu’elles soient séparées de la matière quant à la chose par la puissance divine, comme la quantité de deux hosties consacrées. Car la quantité est une certaine forme; et c’est encore ainsi que diffèrent les âmes séparé es numériquement. En effet, elles ne diffèrent pas par la matière qu’elles n’ont pas et à laquelle elles rie sont pas unies, ni par relation à la matière à laquelle elles sont susceptibles d’être unies, puisque la relation est postérieure à son objet. Remarquez que toute forme qui renferme plusieurs choses en soi, c’est-à-dire qui est prise universellement, a une certaine latitude; car elle se trouve en plusieurs, et se dit de plusieurs. Or, il peut y avoir dans les formes une double latitude. L’une suivant les degrés formels, dont l’un est en soi plus noble et plus parfait que l’autre, et cette latitude est, comme nous l’avons dit, une latitude de genre sous lequel il y a différents degrés formels spécifiquement différents. Il y a une autre latitude suivant la plurification numérale dans le même degré; et parce que cette latitude n’est pas suivant la raison absolue de la forme, il faut que la forme en laquelle est une telle latitude importe dans sa raison quelque chose par quoi une telle latitude lui convienne et qui soit différent de la raison absolue de la forme. Et si nous parlons de cette forme qui est une partie du composé, par exemple, de l'âme raisonnable, ce par quoi une telle latitude lui convient, est une certaine imperfection, en raison de ce qu’elle est destinée à avoir le caractère de partie d’un tout quelconque, non seulement comme partie suivant la raison, parce que les formes spécifiques elles-mêmes sont parties suivant la raison, mais comme partie suivant la chose. Car l’âme raisonnable est une partie réelle de l’homme, et la blancheur est une partie réelle de l’homme blanc. C’est pourquoi, afin que de telles formes se multiplient sous l’espèce, il faut qu’elles aient cette potentialité qui fait des parties réelles, et à raison de cela cette potentialité, par le moyen de laquelle l’âme raisonnable est destinée par son essence à faire partie d’un composé, lui confère une certaine latitude de multiplication suivant le même degré, quoiqu’elle soit séparée, et qu’elle n’informe pas en acte la matière. Et parce qu’une telle potentialité ne convient pas à l’essence des anges, les anges pour cette raison ne diffèrent pas numériquement entre eux, mais chaque ange fait une espèce par lui-même. Car la nature ou l’essence de l’ange n’a pas une aptitude naturelle à faire partie d’un composé, qui lui donne l’espèce, comme l’âme humaine. Donc la potentialité de forme que possède la forme pour se joindre à la matière, produit en elle la multiplication des individus, et c’est ainsi que l’on doit en tendre ce qui a été dit plus haut, que l’humanité qui est la forme qui suit un tout composé, si on la considère sous le rapport de sa détermination à telle matière spécifiée, produit le singulier. Car humanité, comme on l’a dit, dit âme et corps, d’où il suit qu’en disant tel corps, telle âme, elle énonce un singulier. Et parce que l’urne existant dans le même degré ne peut être divisée en plusieurs, comme il a été dit, si ce n’est à raison de la potentialité qu’elle possède pour l’union à une matière spécifiée, il faut dire par conséquent que la matière spécifiée est un principe d’individuation, tandis que la forme ne l’est que par la matière pour laquelle elle a une puissance naturelle d’union, et l’on voit ainsi ce que c’est que l’espèce. Il faut savoir néanmoins que, bien que la forme spécifique, comme on l’a dit, soit plurificable de soi à cause de la potentialité qu’elle a pour s’unir à la matière, cette plurification est cependant empêchée quelquefois accidentellement, par exemple si tous les hommes venaient à mourir et qu’il n’en restât qu’un seul, l’humanité alors n’existerait pas dans plusieurs matières. Elle peut aussi être empêchée par la condition de la matière, comme il n’y a présentement qu’un seul soleil, non qu’il répugne à la nature solaire de se trouver dans plusieurs sous le rap port de la forme, mais parce qu’il y a une autre matière qui n’est pas susceptible d’une telle forme. C’est pourquoi le soleil est une espèce en un seul individu.
La différence, dans le sens où elle est prise ici, se définit de deux manières, dont voici la première. La différence est celle qui se dit de plusieurs choses différentes en espèce in eo quod quale. La seconde est la différence qui abonde du genre. Pour comprendre la première disposition, il faut savoir que, comme il a été dit plus haut, dans quelques formes il peut y avoir une latitude dans les mêmes formes suivant les degrés formels dont l’un en soi est plus noble et plus parfait qu’un autre, et c’est de cette forme que se tire le genre. Remarquez que dans les êtres il y a différents degrés d’existence, soit que ce soit des degrés substantiels ou accidentels. Quoique ces degrés soient dispersés dans quelques êtres, il se trouve néanmoins quelquefois quelque chose d’un qui renferme plusieurs degrés de perfection substantiels ou accidentels, par exemple végétative, sensible, raisonnable, sont des degrés substantiels d’êtres. Car une plante substantiellement végétative, un chien substantiellement sensible, et l’homme substantiellement raisonnable, et ces degrés dispersés dans plusieurs se trouvent quelquefois dans un seul, par exemple, dans l’homme. Car l’homme, par sa forme substantielle qui est dans une, possède ces trois perfections, il est végétatif, sensible et raisonnable. C’est pour quoi Sortès, par son essence, est conforme à la plante, au chien et à Platon, comme il a été dit. Or cette conformité de Sortès avec la plante peut être une des deux. Comme en effet la similitude de deux choses noires est une des deux, de l’une comme sujet, de l’autre comme terme, de même aussi est la conformité de Sortès comme sujet, et de la plante comme terme. Je ne dis pas pour cela qu telle conformité soit une relation suivant l’être, mais elle est une relation suivant l’application comme fondement de la relation suivant l’être. Or une telle conformité qui est réellement une, comme il a été dit, meut notre intellect à une idée, vivant, par exemple, de laquelle idée se tire le genre, ou quelquefois l’espèce, comme on peut l’induire de ce qui a été dit plus haut; c’est pourquoi cette conformité se rapporte au genre comme fondement éloigné. Mais l’idée de vivant à laquelle une telle conformité porte l’intellect, se rapporte au genre comme fondement prochain, et ainsi, quoique l’unité de genre soit l’unité de raison, néanmoins elle doit se fonder en quelque manière sur une chose suivant la réalité. Quant à la difformité qui existe entre Sortès et la plante, elle consiste en ce que Sortès a le sentiment et non la plante, et de cette difformité se tire la différence qui sépare la chose qui est commune à l’homme et à la plante. D’où l’on voit par cette différence que la qualité de vivant se trouve dans un sujet qui possède quelque autre perfection qui n’est pas dans la plante. Et parce que dans cette perfection, à savoir la sensibilité, Sortès est en convenance avec le chien, il y a de même entre eux une conformité qui porte à une idée de laquelle, si on la prend au concret substantive ment, de telle sorte que ce concret dise explicitement de ce qu’il signifie et vivant et sensible, se tire un autre genre, à savoir animal. Si, au contraire, elle est prise au concret adjectivement, de telle sorte qu’elle dise explicitement de la chose qu’elle signifie cette seule perfection, à savoir sensible, il s’en tire la différence, à savoir, en tant qu’elle est dite sensible, et ainsi des autres jusqu’à la dernière différence spécifique, au-dessous de laquelle il. n’y a point de perfection for melle. Donc, comme on peut dire sensible tout ce qui est dit animal, et que animal, qui est le genre, se dit de plusieurs choses différentes en espèce, de même sensible, qui est la différence, se dit de plusieurs choses différentes dans l’espèce. Il faut remarquer que la forme substantielle a un double être; l’un objectivement dans l’intellect, et en raison de cet être l’intellect s’attribue un nom abstrait. Car l’intellect la considère, non pas en observant la matière où elle se trouve, et à cause de cela il se donne un nom abstrait, comme humanité. Elle a un autre être dans la matière, pour laquelle elle a une double habitude. La première c’est qu’elle lui adhère comme sauvée en elle, et ainsi elle a, en quelque sorte, le mode d’accident, et ainsi l’intellect lui donne un nom concret adjectif, tel qu’un nom d’accident, comme humain. La seconde est la comparaison qu’elle a avec la matière, comme la complétant et la perfectionnant, et ainsi elle n’a pas le mode d’accident, mais bien le mode de substance, et ainsi l’intellect lui donne un nom concret substantif, comme homme. Il faut noter que animai diffère de sensible, parce que animal provient d’âme sensible, et sensible se dit à raison de la sensibilité. Et parce que l’âme par rapport à la sensibilité est comme la puissance à l’acte, conséquemment la différence est plus actuelle que ce dont elle est la différence, quoique se trouvant dans le même cercle l’un et l’autre. Or on dit que la différence s’applique à la qualité, c’est-à-dire adjective ni En voici la raison: Comme on l’a dit, en effet, la différence divisive de quelque genre se tire de la perfection que n’ont pas toutes les choses qui sont sous le genre, laquelle perfection, comparée à ce d’où se tire le genre, se montre comme quelque chose de parfait, et par conséquent comme formel, et parce que les adjectifs se tirent communément des formes, obligés qu’ils sont de s’adjoindre à la forme; conséquemment pour désigner que la différence se tire d seul formel, et ne dit explicitement que cela seul, la différence est parfaite par le mode adjectif dans son attribution. Pour connaître de même la seconde définition de la différence, il faut savoir qu’il est impossible que la partie se dise du tout, niais que ce qui se dit en toute vérité d’une autre chose doit dire le tout. Lorsqu’on dit de Sortès qu’il est homme, et animal, et raisonnable, homme doit dire le tout formel qui est dans Pierre; je dis formel, parlant de la forme qui suit le tout composé. Il faut de même qu’animal dise le tout formel, de même aussi raisonnable le tout formel, mais de différentes manières. Car raisonnable dit tout ce que dit homme, non pas cependant explicitement, mais implicitement. Raisonnable dit, en effet, ayant ra raison; c’est pourquoi il dit seulement raison de la chose principale qu’il signifie; mais parce qu’il dit ayant la raison, en disant ayant, on comprend implicitement l’homme quel qu’il soit, et il dit ainsi tout ce que dit homme, quelque chose cependant explicitement, et quelque chose implicitement. De même aussi animal dit tout ce que dit homme, non pas cependant explicitement, car animal dit ayant la vie et la sensibilité: c’est pourquoi il ne dit du principal objet qu’il signifie que la vie et la sensibilité, mais dans ce qu’il dit on entend implicitement l’homme. Homme, au contraire, dit explicitement le tout formel qui est dans Sortès; car il dit ayant l’humanité, laquelle humanité dit explicitement le mouvement et la sensibilité que dit animal, et la raison que dit raisonnable, ce qui fait que homme dit de l’objet principal qu’il signifie animal raisonnable; car en comparant les objets qu’ils signifient explicitement, le genre et la différence ne signifiant qu’une partie de chacun d’eux, et l’espèce signifiant explicitement ce qu’elle signifie, il s’ensuit que les deux choses signifiées explicitement par l’espèce excèdent l’objet signifié explicitement du genre dans l’objet signifié explicitement de la différence. Il excède de même l’objet signifié de la différence dans l’objet signifié du genre. C’est donc à bon droit que l’on dit dans la susdite définition que la différence est ce par quoi l’espèce surabonde du genre, parce que l’espèce abonde, c’est-à-dire excède dans l’objet qu’elle signifie, même ce que l’espérance signifie explicitement, et l’on voit ainsi ce que c’est que la différence dans son caractère propre.
Le genre se divise en genre très générai et genre subalterne. Le genre le plus général est celui en qui ne survient pas un autre genre; ce qui doit être entendu de cette manière. Ainsi que nous l’avons dit, en effet, le genre se tire de l’idée de conformité de certaines choses qui sont difformes dans certaines autres perfections formelles, desquelles se tirent les différences. Comme animal est genre, parce qu’il dit mouvement et sensibilité, en quoi l’homme et le cheval sont conformes, tout en étant difformes dans d’autres perfections, par la raison, par exemple, qu’il y a dans l’homme la raison qui n’est pas dans le cheval, d’où se tire la différence, à savoir le raisonnable. L’homme est aussi conforme à la plante dans le vivant; de cette conformité se tire un autre genre, à savoir le corps animé, et cette conformité est moindre que la première, parce que corps animé s’étend à plus de choses qu’animal, aussi c’est un genre supérieur. Il est encore conforme à la pierre dans la corporéité, d’où se tire un autre genre supérieur, à savoir le corps. Il est conforme à l’ange dans la substance, qui est une conformité plus éloignée, d’où se tire encore un autre genre, à savoir la substance. Si l’homme était difforme vis-à-vis d’une chose en substance, il ne resterait entre eux d’autre conformité que l’entité. Or l’être ne pouvant pas être genre, comme on le dira, la substance doit être le genre le plus général. Quant aux autres genres que nous avons dit être sous la substance, à savoir corps, corps animé et animal, sont des genres subalternes qui quelquefois sont regardés comme genres, d’autres fois comme espèces. Chacun d’en effet, est espèce relativement au genre supérieur, et genre relativement à l’espèce inférieure. On peut voir par là comment une seule et même différence est divisive et constitutive. Si, en effet, animé qui est différence est ajouté à corps, comme ce qui signifie corps se trouve dans les choses qui n’ont pas cette perfection qui est animé, cette différence divise corps qui toutefois est genre et constitue une espèce, qui n’ont pas cette perfection qui est animé. D’où il arrive que cette différence animé est tantôt divisive du genre et tantôt constitutive de l’espèce, et c’est aussi ce qui doit se faire dans les autres genres jusqu’aux espèces les plus spéciales, dont il n’y a pas de différences divisives. Mais quelles sont les espèces les plus spéciales, on peut le connaître d’après ce qui a été dit. Qu’un être ne puisse pas être genre, le voici; en effet, ainsi qu’on l’a dit, cela est genre qui est dans cette condition par rapport à sa différence divisive, que la différence signifie quelque chose explicitement que ne signifie pas le genre lui-même, quoique implicitement les deux disent le tout, c’est pourquoi le genre se trouve en dehors de l’intellect des différences; en voici un exemple dans les choses composées de matière et de forme. Le feu et l’eau sont en convenance dans la matière première, mais diffèrent dans la forme, parce que la forme substantielle du feu est différente de celle de l’eau; d’où il suit que le feu et l’eau sont en convenance dans la matière, parce que la matière est leur partie essentielle, mais la forme du feu et l’eau s’accordent dans la matière, comme dans quelque chose différent de leur essence, mais déterminable par elles. C’est ainsi que les espèces ont dans le genre un mode de convenance que n’ont pas les différences. Car les espèces s’accordent dans le genre comme dans ce qui est contenant dans leur condition et dans leur principal objet signifié, car dans la raison de l’homme et dans son principal objet signifié, se trouve renfermé animal. Les différences, au contraire, s’accordent dans le genre comme dans quelque chose de déterminable par elles rationnellement, qui est en dehors de leur intellect, comme raisonnable et irraisonnable s’accordent dans animal. Donc comme il ne peut rien se trouver en dehors de l’intellect de quoi il y ait être, rien ne pourra être la différence de l’être, et par conséquent l’être ne pourra pas non plus être genre. On donne aussi une autre raison pourquoi l’être n’est pas genre, c’est parce qu’il ne peut pas être univoque à l’égard de la substance et de l’accident. Il faut remarquer que dans l’exemple proposé ci-dessus la matière est prise dans un autre sens qu’on la prenait d’abord, quand on a dit que les individus sont distingués par la matière, et que la matière est un principe d’individuation. Il y a, cri effet, la matière première et la matière spécifique, à savoir celle qui est caractérisée par la quantité et par les autres accidents qui opèrent l’individuation. Or, on appelle matière première ce qui est en puissance à l’égard de toutes les formes substantielles, et qui n’est considérée que dans sa pure potentialité, qui est appelée une par l’éloigne ment de toutes les formes en tant qu’on considère une nature potentielle perfectible par les formes, abstraction faite de ce qu’elle est parfaite par l’acte, et c’est de cette matière que nous parlions dans l’exemple mentionné plus haut. Quant à la matière spécifique, elle est ainsi appelée, suivant qu’elle a l’être avec telle quantité, telle qua lité, et avec tels accidents, et sous ce rapport elle n’est pas une pour tout, mais elle est divisée par des individus quelconques, comme sont divisés les accidents susdits de chaque individu. Et parce que tous les individus et chacun a une partie de la matière première, en considérant cette partie, non en tant que caractérisée par tels ou tels accidents, on dit que l’eau et le feu s’accordent dans une matière, comme dans l’exemple ci-dessus. 11 est donc évident à l’égard des trois prédicables essentiels qui concourent à ordonner un prédicament, sa voir: le genre, l’espèce et la différence qui sont appelés essentiels, qu’ils sont de l’essence des choses auxquelles ils sont appliqués.
Nous allons parler maintenant des deux prédicables accidentels, à savoir du propre et de l’accident. Ils sont appelés accidents, parce qu’ils ne sont pas de la substance ou de l’essence des sujets auxquels ils sont appliqués. Il faut observer que l’être réel se divise en substance et accident, c’est pourquoi en prenant ainsi l’accident en tant qu’il se divise d’avec la substance, le propre est accident, et se compte parmi les accidents; car il n’est pas de la substance de ce dont il est le propre, et ne peut pas se trouver dans le prédicament de la substance. L’accident est pris dans un autre sens, non en tant qu’il se divise d’avec la substance, mais comme étant l’un des cinq prédicables, et dans ce sens le propre n’est pas accident, bien plus il en est séparé. Or, le propre se définit ainsi: le propre est ce qui se trouve dans une seule chose, et toujours, et se dit réciproquement de la chose. Or pour bien connaître les points de cette définition, parce qu’il nous est grandement nécessaire de connaître le propre, qu’Aristote appelle une passion propre, parce que dans une démonstration on ne conclut rien autre chose du sujet que la propre passion, il faut savoir qu’il arrive qu’une chose est dite d’une autre ou appliquée à une autre de deux manières, à savoir, par soi et par accident. La prédication par accident peut se faire de trois manières; la première quand l’accident se dit du sujet, comme l’homme est blanc; la seconde quand le sujet se dit de l’accident, comme le blanc est homme; La troisième, quand l’accident se dit de l’accident, comme le blanc est harmonieux. Par soi la prédication se fait de plusieurs manières, ainsi qu’on le verra dans le traité de la démonstration. Le second de ces modes de prédication par soi a lieu quand le propre se dit de ce dont il est propre, comme, l’homme est risible. Donc comme le propre se dit du sujet, parce que ce n’est pas par accident, comme on l’a dit des accidents à l’égard de leurs sujets, il a par soi vis-à-vis de son sujet une autre habitude que n’ont pas les accidents communs. Car ceux-ci n’ont d’habitude à l’égard de leurs sujets que comme à la cause matérielle, en prenant cette matière pour sujet, qui est en puissance par rapport aux accidents, comme à certains actes qui lui sont inhérents. D’où il suit que si le propre n’avait que cette habitude à l’égard du sujet, à savoir que le sujet fût seulement passif et son réceptif, dans ce cas, comme ce qui n’est que le réceptif d’une chose, n’impose pas la nécessité d’être à la chose vis-à-vis de laquelle il est dans un tel rapport, il s’ensuit que le propre ne suit pas nécessairement le sujet, et que par conséquent par soi il ne pourrait être appliqué, et cependant nous avons vu le contraire. Nous voyons, en effet, dans les choses naturelles certaines opérations qui conviennent toujours à toutes les choses qui sont de la même espèce, comme attirer le fer convient toujours à l’aimant quel qu’il soit, c’est pourquoi il faut que ces opérations suivent quelque principe intrinsèque permanent dans ces corps. Néanmoins ce principe est appelé puissance en vertu, parce que la vertu est la puissance qui est portée à la dernière chose qui peut se faire. Donc un tel principe tient la puissance d’être de la forme spécifique de cette chose. Et on ne peut pas dire que le sujet n’impose pas à une pareille vertu la nécessité d’être, mais un générateur, parce que si le sujet n’a aucune habitude nécessaire à un tel propre, quelque grand générateur que le sujet produise avec cette passion, cette passion propre cependant serait par accident par rapport au sujet, et non par soi, et de cette manière elle ne pourrait être démontrée, le contraire se verra plus bas. Il reste donc maintenant que le sujet ait à l’égard de son propre l’habitude de cause efficiente, ce que l’on peut établir ainsi. En effet, les qualités propres agissent comme instruments de formes substantielles, car elles agissent pour produire les formes substantielles, comme la chaleur du feu agit sur le bois pour produire le feu, ce qu’elle ne pourrait pas faire, si elle n’était l’instrument de la forme substantielle de cet agent. Il en est ainsi, parce qu’elles reçoivent des formes substantielles la vertu de produire un tel effet, et ces qualités ne reçoivent pas des formes substantielles une vertu quelconque différente d’elles; elles ne reçoivent donc rien de plus qu’elles-mêmes; donc les formes substantielles des sujets sont la cause effective de leurs propres. Mais il s’élève à cet égard un grand doute, car il s’ensuit que le même sujet est sous le même rapport agent et patient et cause d’action et de passion, au moins dans les substances séparées, qui n’ont pas une partie en dehors de la partie; c’est pourquoi la même substance de l’ange, comme indivisible, serait sous le même rapport effective de la passion propre, et réceptive en même temps, ce qui ne paraît pas convenable. Pour l’intelligence de cela il faut savoir qu’une chose se produit à sa manière dans l’action ainsi que dans la passion; or, dans la passion on appelle passif non seule ment ce qui reçoit, mais encore ce qui dispose à recevoir, par exemple: la cire qui reçoit la figure est appelée passive à l’égard de la figure, et non seulement la cire est dans un état passif par rapport à la figure, mais aussi la mollesse qui dispose la cire à recevoir une semblable impression est également un état passif par rapport à la figure; car, quoique ce ne soit point la mollesse qui reçoive la figure comme étant la condition réceptive, cette disposition est néanmoins en quel que façon une condition susceptive, et encore à sa manière un principe donnant naissance à quelque chose dans un certain ordre, et par une certaine connexion nécessaire par le moyen de quelque autre chose, produit quelque chose, et ce qui est produit est dans un état actif par rapport au principe producteur. Comme un clou enfoncé dans une poutre, si le mouvement était toujours imprimé à la poutre u moyen du clou, quoique tout le mouvement vint effectivement de l’homme vivant qui imprimerait le mouvement, à savoir à la poutre et a clou, cependant le clou serait dans une disposition active au mouvement par rapport à la poutre, il se montre de même à l’égard du sujet par rapport à sa propre passion. Car le sujet est comme le clou, la passion comme la poutre, produisant et faisant mouvoir l’un et l’autre, et donnant l’être à l’un et à l’autre, à savoir au sujet et à la passion, comme le mouvement est imprimé par, le moteur dans le clou et dans la poutre. De cette manière les deux opinions sont sauvegardées, et tout doute est résolu. Ce que nous venons de dire peut donc établir deux points de la définition du propre. Savoir que le propre se trouve dans tout et toujours. En effet, si le propre a une connexion nécessaire et naturelle avec la forme spécifique, comme il a té dit, il doit se trouver nécessairement dans toutes lés choses qui ont une forme spécifique, mais la forme spécifique se trouve dans tous les individus de la même espèce; donc le propre convient à tout ce qui est contenu dans l’espèce, et il se convient toujours, tant qu’il participe à la forme spécifique; ainsi se trouvent établis deux points de la définition du propre, etc.
Pour concevoir un autre point de la définition du propre, à savoir comment il à une seule espèce, il faut savoir, ainsi que nous l’avons dit, qu’il y a différents degrés de perfection dans les êtres qu’Aristote compare aux nombres, dans le livre VIII de la Métaph. C’est ce qui lui fait dire que les espèces des choses sont comme les nombres, et en con comme les nombres par rapport à l’unité ont divers degrés formels, comme le degré du quaternaire est différent de celui du quinaire et ainsi des autres: de même les degrés formels des espèces des choses sont différents par rapport à tout premier principe incomposé, et on ne peut pas trouver deux espèces dans le même degré pas plus que deux nombres d’espèce différente. Donc dans toute espèce il y a une forme spécifique n’existant en aucune manière dans le degré d’être ou d’opération de la forme spécifique d’une autre espèce. Or, ainsi que nous l’avons dit, le propre, sui tant les principes propres de l’espèce, ne peut être que dans une espèce, c pour cela qu’on dit dans la définition qu’il est inhérent à une seule chose. Mais il faut savoir que le propre pris dans le sens le plus étroit, bien qu’il ne conviennent qu’à une espèce très spéciale, néanmoins rien n’empêche, dans un sens plus large, que le propre convienne aussi à une espèce subalterne, qui peut être un genre, par exemple. Nous disons, en effet, que le propre du triangle est d’avoir trois angles égaux à deux droits, et cependant le triangle renferme en soi plusieurs espèces. On comprend par là ce que dit Porphyre, que le propre convient d’abord à l’espèce et ensuite aux individus, ce qui est le contraire dans l’accident commun. Car si le propre regarde les individus, en tant qu’ils participent à la forme spécifique, il se vérifie donc relativement à l’espèce qu’il regarde d’abord antérieurement aux individus, et par conséquent il convient aux individus parce qu’il convient à l’espèce; l’accident, au contraire, ne regardant le sujet qu’à raison de l’inhérence, doit, selon les convenances, se manifester dans les individus avant de le faire dans les secondes substances, comme on le dira plus bas; donc l’accident con vient à l’espèce à raison de l’individu. Ensuite, dans la définition du propre on met cette particularité, à savoir, qu’il se dit de la chose par mode de conversion. Remarquez bien, comme nous le dirons plus bas, qu’il y a une certaine différence entre la prédication par soi et la prédication de prime abord. La prédication par soi s’effectue à l’égard des choses qui ont une connexion nécessaire avec les sujets dont elles sont affinées, tandis que la prédication première se fait à l’égard des choses qui sont l’objet de la prédication dont nous avons parlé, et où le prédicat a la même étendue que le sujet. C’est pourquoi, quoique risible se dise par soi de Sortès, ce n’est pas néanmoins de prime abord, parce que le propre, comme il a été dit, regarde l’espèce avant l’individu; et le propre ayant la même étendue que les espèces est dit s’affirmant d’abord ois par mode de conversion de l’espèce. Il est à remarquer que, quoique le propre convienne à une espèce, rien n’empêche néanmoins que le propre d’une espèce par participation convienne à plusieurs autres espèces, comme il est propre au feu d’être chaud, et néanmoins cette qualité convient à beaucoup d’autres espèces, en tant qu’elles tirent du feu la participation à cette qualité. Il faut aussi savoir, que le propre d’une espèce quelconque se prend quelquefois sous un seul nom et dans un seul objet signifié, comme risible est le propre de l’homme; quelquefois, au contraire, sous deux Opposés av disjonction, comme c’est le propre du nombre d’être pair ou impair, il en est évidemment de même du propre, etc.
C’est un accident qu’il arrive d’être et de ne pas être dans la même chose sans la corruption du sujet. Pour l’intelligence de cela il faut savoir qu’une chose peut dépendre de l’autre de deux manières; la première c’est d’en dépendre comme d’une chose qui lui est antérieure au moins en nature, et dans ce sens une chose dépend de l’autre de quatre manières encore, et sous ce rapport il y a quatre causes. Dans l’homme, le corps dépend de l’âme comme de la forme, et l’âme et du corps comme de la matière, et l’homme de Dieu comme de la cause efficiente, et de la béatitude comme de la cause finale. Secondement, une chose peut dépendre d’une antre comme de ce qui se rapporte à elle consécutivement, comme le corps dépend de la figure, et la ligne de la rectitude ou de la courbure. Car on ne peut pas trouver de corps où il n’y ait pas de figure, ni une ligne où il n’y ait pas de rectitude ou de courbure, et dans ce sens tout sujet dépend de sa propre passion. C’est pourquoi quelque dépendance qu’il y ait dans les choses, soit causale, soit consécutive, et une chose dépend d’une autre de telle manière que son être rie peut se conserver ni en acte, ni en aptitude sans une telle chose, il est certain que cette chose sans cette autre dont elle dépend ainsi ne peut être conçue existante; car on ne pourrait pas concevoir que la matière exister sans la forme. Il faut remarquer à ce sujet qu’il peut arriver de deux manières que l’on conçoit une chose sans une autre; premièrement, dans la première opération de l’intellect dans laquelle l’intellect conçoit l’objet signifié du terme; secondement, dans la seconde opération de l’intellect dans laquelle il conçoit en composant ou en divisant par l’être et par le non être, comme lorsque je conçois que pierre est ou n’est pas blanc. Or, dans la première intellection je puis concevoir un corps sans figure, et tout sujet sans sa passion propre, car la figure n’est pas de l’essence du corps, puisque le corps est dans le genre de la quantité, et la figure dans le genre de la qualité; c’est pourquoi l’intellect peut concevoir un corps sans concevoir la figure. Il ne pourrait pas néanmoins concevoir un corps de cette manière sans concevoir le continu, parce que le continu est de l’essence du corps. Mais dans la seconde opération de l’intellect je ne puis pas concevoir qu’un corps soit sans figure, parce qu’un corps ne peut jamais être sans figure, ni un sujet sans sa passion propre, comme il a été dit. Or, le sujet n’a pas une pareille dépendance de l’accident commun; car il ne suit pas nécessairement le sujet comme la figure suit les principes essentiels du corps, car s’il est corps il a nécessairement une position des parties dans le tout, comme on le dira plus loin, parce que la position est la différence de la quantité. Or, celle-ci entraîne nécessairement la figure, ce qui n’arrive pas à l’égard de l’accident commun, par rapport à son objet. Donc le sujet peut être conçu sans concevoir l’accident commun, et il peut être conçu existant sans concevoir l’accident commun. Mais il ne peut pas être conçu existant sans l’accident propre, puisqu’il ne peut exister sans l’accident propre, car si on enlève la figure il n’y a plus de situation de parties, et par conséquent plus de corps; donc, il ne pourra donc pas être conçu sans lui existant. Donc l’accident peut s’y trouver et ne pas s’y trouver en dehors de la corruption du sujet, parce que l'être du sujet ne dépend pas en quelque manière de son être, ainsi qu’il a été dit. Ainsi se trouve expliquée la susdite description du sujet. Il faut néanmoins savoir qu’il peut se trouver quelque accident commun qui est dans un tel rapport avec ce sujet singulier qu'il provient de ses principes essentiels, comme, par exemple, la noirceur du corbeau, qui est nécessairement produite par cette matière caractérisée du corbeau. En parlant donc d’un semblable accident, je dis que l’on ne pourrait pas concevoir que ce sujet existât sans lui, et c’est ce qu’on appelle un accident inséparable qui est au principe singulier comme l’accident propre au principe de l’espèce. Et comme la matière caractérisée est en dehors de l’intellect de l’espèce, car cela est de l’intellect de l’homme qu’il a l’humanité, et pas davantage. Mais qu’une pareille chose soit telle ou telle chose caractérisée, cela n’est pas de l’intellect explicite de l’homme, comme les différences sont en dehors de l’intellect du genre, ainsi qu’il a été dit plus haut, c’est pour cela qu’on peut concevoir que le corbeau ou l’espèce du corbeau soit sans noirceur, et même avec la blancheur; c’est pourquoi l’accident inséparable est classé avec l’accident commun et non avec le propre, quoique dans un sens il convienne à l’un et à l’autre, comme nous l’avons dit. Ainsi donc il y a des accidents inséparables et des accidents séparables. A l’accident inséparable convient la susdite définition de l’accident, à savoir que le sujet peut être conçu existant sans lui, s’il est pris pour l’espèce, et non pour le singulier. Or, il faut savoir que quoique le sujet puisse être séparé d’un autre accident, comme il a été dit, l’accident néanmoins ne peut pas être séparé du sujet en acte ou en aptitude, je dis en aptitude, car quoique Dieu puisse séparer un accident du sujet, comme on l’enseigne communément des accidents de l’hostie consacrée, il est néanmoins impossible que ces accidents n’aient pas une aptitude au sujet. Car ce qui appartient à la raison propre d’une chose ne peut pas en être séparé, mais être en acte ou en aptitude dans le sujet, est de la raison propre de l’accident, car l’être de l’accident est l’inêtre, donc il ne peut pas en être séparé. Tout cela peut recevoir un nouveau jour de ce qui a été dit relativement à l’espèce. En effet, les accidents et toutes les formes substantielles n’étant pas un acte pur, lequel de soi n’est pas plurificable, s’ils sont plurifiés numériquement, c’est à raison de la potentialité qu’ils possèdent essentiellement de manière à être une partie réelle d’un composé substantiel ou accidentel. D’où il résulte que, comme la matière et la forme sont des parties substantielles de la chose, de même les accidents sont des parties accidentelles de la chose, comme la blancheur qui est une partie de ce composé qui est un homme blanc. Or, tous les accidents étant tels, il faut nécessairement qu’ils adhèrent au sujet en acte ou en aptitude. Voilà ce qui concerne l’accident et les cinq prédicables, etc.
Fin du premier traité des cinq
universaux relativement à la chose et à l’intention logique.
Nous allons nous occuper maintenant des prédicaments; comme le
prédicament s’entend de quelques prédicables disposés dans un ordre
prédicamentel, il faut examiner de combien de manières s’opère la prédication.
Notez qu’une chose se dit d’une autre de trois façons univoquement, équivoquement
et dénominativement.
On dit que la prédication se fait d’une manière univoque pour les choses qui conviennent à celles dont elles se disent non seulement quant au nom, mais encore quant à la raison des essences; et j’appelle ici raison ce qui est dit par la définition ou est signifié par elle, ou par quelque chose prie à la place de la définition, comme animal se dit de Platon et du boeuf. D’où il résulte que non seulement ce mot animal convient à l’homme et au boeuf, mais encore sa définition essentielle, qui est corps animé sensible. En effet, non seulement il est vrai de dire que l’homme est animal, mais encore que l’homme est un corps animé, sensible, et il en est de même du boeuf.
On dit, au contraire, que la prédication se fait d’une manière équivoque pour les choses qui, se disent de plusieurs, quant au même mot, mais non cependant sous la même raison, et de cette manière le chien se dit de celui qui aboie et de celui qui est marin. Quoique, en effet, le chien se dise de l’un et de l’autre sous le rapport du même, c’est néanmoins pour une raison qu’il convient au chien aboyant et au marin. Car la raison du chien aboyant, qui est d’être un animal à quatre pieds marchant, ne convient pas au marin. Or, il est bon de savoir que les analogues sont compris sous la désignation des équivoques. Effectivement les analogues se disent de plusieurs, en tant qu’ils se rapportent à un homme sain se dit de l’animal primairement et proprement Car le sain est adéquate dans les humeurs, ce qui ne peut être que dans l’animal. Sain se dit néanmoins de l’urine et de la médecine Nous disons effectivement cette urine est saine, parce qu’elle est le signe de la sanité qui est dans l’animal; on dit aussi, cette médecine est saine, parce qu’elle est la cause de la santé qui est dans l’animal. D’où il suit que, bien que ce mot sain se dise de l’animal et de l’urine, néanmoins la raison de sain ne peut se dire de l’urine. Car l’urine n’est pas adéquate dans les humeurs, mais elle est un signe de cette adéquation, et de cette manière la prédication analogue s’accorde avec l’équivoque, comme on l’a dit, en quelque façon, et de même avec l’univoque. En effet, quoique sain, qui se dit de l’urine, n’exprime pas sa raison suivant l’adéquation des humeurs dans l’urine, il n’en exprime pas cependant une autre, mais il exprime la même adéquation des humeurs dont l’urine est le signe.
On dit enfin que la prédication s’opère dénominativement pour les choses qui sont concrètes adjectivement et reçoivent leur dénomination de certains accidents abstraits ou en dérivent, comme blanc se dit dénominativement de l’homme et du cheval; parce que blanc dérive de cette chose abstraite, qui est la blancheur, laquelle est dans l’homme, et qui, prise ainsi abstractivement ne pourrait pas se dire de l’homme. Car, ainsi que nous l’avons dit, nulle partie ne peut se dire du tout. Et la blancheur est une certaine partie accidentelle de l’homme blanc qui, pour cette raison, ne pourrait se dire de lui. Or elle devient concrète, et elle est appelée blanc, ce qui est la même chose qu’ayant la blancheur, et ainsi elle peut se dire de l’homme. Pour concevoir les prédicaments, il faut savoir que le prédicament, ou le genre le plus général, peut se prendre de deux manières. La première pour l’intention prédicamentelle elle-même ou d’universalité; la seconde, pour la chose elle-même sur laquelle une telle intention se fonde, comme il a été dit. Dans le premier cas, le prédicament est un être de raison; dans le second, c’est un être réel. Or, pour mieux comprendre cela, il est bon de savoir que l’être, dans la plus grande universalité, se divise en métaphysique, en être par accident, et en être par soi. L’être par accident se divise d’autant de manières qu’une chose se dit d’une autre par accident, comme nous avons dit plus haut. L’être par soi se divise aussi, parce qu’il y a quelque chose dans l’âme et hors de l’âme. Pour savoir ce que c’est que l’être dans l’âme, il faut remarquer qu’une chose peut être dans l’âme de trois manières; la première effectivement, comme nous disons que l’édifice est dans l’esprit de l’architecte avant qu’il soit fait; la seconde subjectivement, comme nous disons que la science est dans l'âme, ou l’acte de l’intellection, ou le verbe qui sont dans rame, comme l’accident dans le sujet. Troisièmement, on dit qu’une chose est objectivement dans l’âme, comme le bois, objet de l’intellect, est dit être dans l’âme objectivement. Bans les deux premiers cas, l’être dans l’âme est un être réel, et je dis réel non en tant que le mot res vient de reor, reris, mais bien de ratus, rata, ratum, c’e positif. Dans l’être pris de la troisième manière, c’est-à-dire comme étant objectivement dans l’âme, nous pouvons considérer deux choses, à savoir, ce qui est objectivement dans l’intellect, comme le bois, et cela est encore une chose, ou ce qui convient seulement au bois, comme étant objectivement dans l’intellect, et ne lui convient pas suivant l’être réel, à savoir l’être abstrait de tel ou tel bois, et, dans ce cas, l’être dans l’âme n’est pas une chose, mais une intention à laquelle, en dehors de l’âme, rien ne correspond, si en n’est pour le fondement éloigné, et c’est ainsi que l’être est attribué au non être. Car nous disons que la cécité est dans l’oeil. Or la cécité étant un non être, comment a-t-elle l’être qui nous fait dire, c’est la cécité? Il est certain que ce n’est que l’être d’intention qui n’a rien à faire avec l’être réel, mais est en opposition manifeste avec lui. Et si on demande où se trouve subjectivement un tel être, on répond qu’il n’est nulle part. Si, en effet, il était en quelque chose subjectivement, ce serait un accident, et par conséquent un être réel, mais il n’a l’être qu’objectivement. L’être réel se divise en dix prédicaments, qui sont les dix genres des choses. Et comme une chose est le fonde ment éloigné de l’intention, les prédicaments peuvent néanmoins être pris de deux manières, suivant cette double division. Mais pour bien connaître les prédicaments, il faut diviser l’être réel. Il faut observer ici que, quoique l’être ne puisse pas être genre, parce qu’il ne se trouve pas de différence contractive, il est néanmoins contracté par les modes d’être. Or, le mode d’être d’une chose peut se prendre de deux manières. Premièrement, en tant qu’il est la propriété réelle de quelque chose différente de lui, comme nous disons de quelqu’un, cet homme a un bon caractère, parce qu’il est doux et conciliant. Or, il est constant que la douceur et la concorde, que nous appelons des modes, sont des choses différentes de celui auquel elles appartiennent. Secondement, le mode est dit la chose conçue, en tant qu’elle est conçue sous un rapport relativement à elle-même, et dans un autre sens que les divers modes à considérer ne se prennent pas dans les modifications diverses qui se trouvent dans une chose, mais de l’habitude à diverses choses sous laquelle la chose est comprise. Par exemple la substance, en tant qu’elle est le sujet des accidents, est signifiée par le mode de substance, parce que substance vient de substare; mais en tant qu’elle ne dépend de rien d’antécédent sur quoi elle s’appuie, elle se comprend comme un être par soi, et ces modes sont ce qu’est la substance ne différant que par la seule raison de l’âme qui la conçoit suivant les diverses habitudes; cette raison n’est pas fictive, mais elle est prise de la chose, car elle est ainsi dans la chose. La substance, en effet, est supposée aux accidents et ne s’appuie sur aucun, néanmoins ce ne sont pas deux choses distinctes, il n’y a qu’une distinction de raison. C’est ce qui fait que ces modes sont un être réel, à savoir la substance, laquelle est supposée aux accidents sans s’appuyer sur aucun, la distinction néanmoins est toute de raison. D’un autre côté, l’être se contracte par les modes, non que le mode soit quelque différence qui le contracte, mais parce que dans l’être réel, pris communément, se trouvent quelques êtres ayant entre eux divers modes d’être auxquels ne répond pas une seule et même chose, si ce n’est peut-être l’être en général. Or, les premiers modes par les quels l’être est contracté sont, être par soi et être dans un autre. Etre par soi est le mode de prédicament de la substance, et être dans un autre est le mode des neuf autres prédicaments. L’être se contracte encore d’une autre manière par deux modes, dont l’un est d’être pour être, et ce mode comprend les trois prédicaments absolus, à savoir la substance, la quantité et la qualité. Le second est d’être pour autre chose, et ce mode comprend les sept prédicaments respectifs, à savoir, la relation, l’action, la passion, l’époque, le lieu, la situation et la possession, toutes choses dont nous déterminerons plus bas les différences. Or, il faut observer que la division de l’être en dix prédicaments n’est pas une division d’univoque, mais d’analogie. En effet, l’être se dit analogiquement de ceux-ci, car il se dit per prius de la substance qui sauvegarde surtout sa réalité, tandis qu’il ne se dit des autres qu’en tant qu’ils sont quelque chose de la substance même; la quantité est effectivement la matière étendue ou l’extension de la substance, et la qualité en est l’affection, c’est-à-dire la disposition, et ainsi des autres. C’est pourquoi l’être se dit d’eux, comme sain se dit de l’animal, de l’urine, de la médecine. L’être se divise donc en dix prédicaments, qui sont la substance, la quantité, la qualité, la relation, l’action, la passion, l’époque, le lieu, la situation et l’habitude, dont nous allons parler succinctement. Nous commencerons par la substance.
La substance est un être existant par soi. Pour concevoir ce qu’il y a de spécial dans cette définition, il est bon de savoir que, malgré tout ce qui a été dit de l’être, c’est néanmoins ce qui se présente tout d’abord à notre intelligence. Car nous sommes raisonnables, c’est-à-dire discoureurs, et c’est presque toujours par le mode discursif que se forment les conceptions dans notre intellect. Ce sont d’abord des choses confuses qui se présentent à notre intelligence. En effet, nous sommes conduits de la puissance à l’acte par un moyen, c’est- à par un acte imparfait, par lequel l’intellect ne conçoit pas une chose déterminée et se détermine en discourant à la perfection, comme il est possible qu’une chose soit comprise; Aristote tire à ce sujet un exemple des choses sensibles dans le livre I de la Phys. En apercevant quelque chose à une grande distance, je reconnais d’a bord que c’est un corps, ensuite, en approchant je vois que c’est autre chose, je reconnais plus tard que c’est un homme, enfin que c’est Pierre. C’est ainsi que discourt notre intellect dans l’opération intellective. D’abord il conçoit que la chose est un être, ensuite qu’elle est une substance, plus tard qu’elle est un corps, et ainsi jus qu’à l’espèce la plus spéciale; mais ce qui est conçu le plus confusément, c’est l’être. Donc l’être est ce qui s’offre de prime-abord à notre intelligence. Et l’on voit ainsi de quelle manière se prend l’être dans la définition susdite de la substance. Mais comme on a dit que la substance est un être par soi, il faut observer qu’elle se divise au con traire par accident, comme nous disons que l’homme est animal par soi; or il est blanc par accident, et de cette matière il est pris présentement par soi; car la quantité et la qualité ne sont pas des êtres par accident, mais par soi, comme il a été dit, parce que l’être par soi se divise en dix prédicaments, l’être par soi se divise d’une autre manière par opposition à l’être dans un autre. Ce n’est que de cette seconde manière que l’être par soi convient à la substance, et c’est là son mode propre. Encore on peut dire que la substance est un être existant par soi, parce qu’il lui convient proprement d’exister, tandis qu’il convient aux autres accidents d’exister par elle. Comme le feu est chaud par soi, parce que toutes choses deviennent chaudes par lui, car sa propriété est d’être chaud. Mais il faut savoir que la substance se divise en matière, forme et composé On ne dit pas proprement de la matière qu’elle est par elle-même, puisqu’elle n’a l‘être que par la forme. De même on ne dit pas de 1g forme qu’elle est par soi, puisqu’elle n’a l’être que dans la matière. On dit au contraire du composé qu’il est par soi, je dis le composé avec toutes ses parties, car, quoique les parties intégrales soient composées, on ne dit pas néanmoins qu’elles sont par soi. Le composé est directement dans le prédicament, comme le dit Boèce dans le commentaire des prédicaments, malgré même qu’on puisse dire que la forme, la n et les parties intégrales sont par soi, parce qu’elles ne sont pas dans un autre, comme l’accident dans un sujet. Il faut observer que quoique on décrive ici la substance composée, la substance peut cependant être composée de deux manières, à savoir, la nature et le suppôt. Or, j’appelle cela nature, comme l’humanité, quant au suppôt, je ne le prends pas ici pour le singulier dans le genre de la substance, mais pour le concret de la nature, comme est l’homme. L’humanité, quoiqu’elle soit appelée forme, est cependant composée de matière et de forme, comme il a été dit plus haut; car l’humanité dit corps et âme. Cependant l’humanité ou une nature quelconque dit forme substantielle et matière, de sorte que, relativement à l’objet principal qu’elle signifie, elle écarte toute autre chose de la forme susdite et de la matière; mais il n’en est pas de même du suppôt qui est homme. L’homme, en effet, relativement à l’objet principal qu’il signifie, dit ayant l’humanité, ou ayant une telle forme et une telle matière que signifie l’humanité. Et comme ce qui a l’humanité peut être un suppôt non humain, comme on le voit de l’humanité du Christ, qui est fondée sur le suppôt divin, ou avoir d’autres choses, par exemple des accidents que l’humanité sépare complètement; c’est pourquoi le suppôt et la nature sont différents dans les créatures. Et comme la nature, par exemple l’humanité, est quelque chose de spécial existant dans celui qui l’a, quoiqu’elle soit composée, il ne lui convient pas cependant d’être par soi. C’est donc proprement qu’est dite être par soi la substance composée qui est suppôt, et celle-là est la cause pourquoi les genres et les espèces de la substance sont pris au concret et non abstractivement, tandis qu’il n’en est pas de même des autres prédicaments. Mais la forme substantielle, qui est une partie du composé, ne soutient pas de soi les accidents, mais bien le composé; au contraire la forme, qui est nature, essence et humanité, quoiqu’elle soit composée de matière et de forme, se suppose cependant aux accidents dans l’objet qu’elle caractérise. Les autres accidents sont tels que leurs genres et leurs espèces sont des formes, quoiqu’elles ne forment pas avec le sujet une unité par soi. C’est dit ensuite quelque chose d’existant. Il faut observer ici que, dans les créatures, l’être de l’essence et l’être de l’existence actuelle diffèrent réellement, comme deux choses diverses. En voici la preuve ce qui est en dehors de l’essence de la chose en diffère réellement; or l’être de l’existence actuelle est en dehors de l’existence de la chose, car la définition indique toute l’essence de la chose; or l’être de l’existence actuelle est en dehors de la définition, car dans la définition on ne met que le genre et la doctrine, et l’on ne dit nullement si la chose définie existe ou n’existe pas. La chose devient encore plus évidente. Il est impossible de concevoir quelque chose sans concevoir les choses qui sont de son essence. Cependant il est constant que je conçois une rose sans concevoir si elle est ou non actuellement. Donc être eu acte ou l’être de l’existence actuelle diffère réellement de l’essence. C’est pourquoi, sous le premier rapport, il y a une composition de l’être et de l’essence, qui n’est pas la composition de la matière et de la forme, mais bien la composition de deux principes du suppôt dont l’essence est la puissance, et l’être l’acte, d’où l’être, par rapport à l’essence, est dit accident, parce qu’il est en dehors de l’essence de la chose, et est appelé substance, parce qu’il est dans le genre de la substance, comme principe du suppôt, et il est simplement acte, parce que, dans le genre de la substance, quoiqu’il ne soit point forme, laquelle est acte de la matière et un acte secundum quid, parce que l’essence en laquelle il survient n’est pas une pure puissance comme est la pure matière. Néanmoins il est bon de savoir que l’être de l’essence convient à priori aux espèces, parce que, comme il a été dit, la seule espèce est définie, et la définition signifie l’être de l’essence, et se dit à posteriori de l’individu, ou autrement lui convient. Or l’être de l’existence convient à priori aux individus. En effet, si l’on enlève l’être des individus, il est impossible qu’il reste autre chose, comme le dit Aristote dans le livre des Prédicaments; il convient à posteriori aux espèces elles-mêmes. C’est pourquoi exister se dit du genre et de l’espèce, comme des accidents communs. De même, en effet, qu’on dit, l’homme existe, parce que Pierre existe, de même aussi l’homme court, parce que Pierre court.
La substance se divise en première et seconde. La substance première est celle qui est dite subsister proprement, principalement et dans la plus grande compréhension, qui n’est pas dans le sujet et ne se dit pas de lui. Pour comprendre cette définition, il faut savoir que subsister se dit en deux sens, à savoir, subsister sous les accidents, ainsi que nous le disons, parce que la substance subsiste sous les accidents, et subsister sous les universaux, comme nous disons que ce qu est moins universel subsiste sous ce qui est plus universel; car cette subsistance est dans l’ordre prédicamentel. Si l’on prend le mot subsister dans le premier sens, la substance première subsiste proprement. Eu effet, ainsi que nous l’avons dit plus haut, une chose est proprement inhérente à une autre qui lui est inhérente par soi, et non par une autre, comme la chaleur est proprement inhérente au feu, de même il est inhérent à la substance première de subsister sous les accidents. Car, quoique la superficie subsiste sous la couleur, la ligne sous la courbure, elle n’a point une telle manière de subsister par soi, mais bien par une autre, à savoir la substance première. En enlevant, en effet, à la superficie et à la ligne l’inhérence qu’elle a relativement à la substance en acte et en aptitude, il n’y aura plus ni superficie, ni ligne. Elles subsistent donc sous les accidents, parce que la substance première leur est subsistante. Donc le propre de la substance première est de subsister sous les accidents. D’où il suit que subsister sous les accidents est une qualité qui convient principalement et avant tout à la substance première. En effet, une chose convient avant tout à une autre qui lui convient à elle-même et non par une autre. Car il ne convient pas primairement à Pierre d’être risible, parce que cela lui convient par autre chose, c’est-à-dire par homme, d’où il convient à l’homme primairement d’avoir la faculté de rire. Ainsi, quoique subsister sous les accidents convienne à la substance première et à la seconde, cela néanmoins ne convient que secondairement aux substances secondes, à savoir aux genres et aux espèces, parce que cela leur convient par des individus, qui sont les substances premières. En effet, l’homme ne court que parce que Pierre ou Sortès court, et l’on voit par là de quelle manière la substance première subsiste proprement et principalement. Mais on dit qu’elle subsiste surtout, et l’on prend subsister dans le second sens, c’est-à-dire pour être sous une autre, comme ce qui est moins universel sous ce qui est plus universel. Or, comme les substances premières sont soumises à toutes les espèces et à tous les genres qui sont au-dessus d’elles, et comme les espèces et les genres ne subissent pas une subjection égale, il s’ensuit que les substances premières sont dites dans ce sens subsister, surtout par rapport aux substances secondes. On dit ensuite qu’elles ne se disent pas du sujet, parce qu’elles ne sont pas prédicables des autres, comme les espèces et les genres, et ne sont pas dans le sujet, parce qu’elles ne sont pas des accidents. Car les accidents seuls sont dans le sujet, dans le sens que l’on prend être dans le sujet, et c’est ainsi que s’explique la définition de la substance première ou de l’individu. On appelle substances secondes les espèces et les genres qui sont dans le prédicament de la substance. Quant aux différences qui tombent de côté, on ne les nomme pas proprement des substances, parce qu’elles ne sont pas proprement dites existant dans le prédicament, si ce n’est peut-être d’une façon réductive. Elles sont appelées substances secondes, parce qu’elles subsistent secondairement sous les accidents, comme il a été dit. Or, parmi les substances secondes, les espèces sont regardées comme possédant la qualité de substance plus que les genres, non que la substance reçoive plus et moins, comme il sera dit plus loin, mais bien parce que les espèces sont plus subsistantes que les genres dans l’un et l’autre mode de subsistance, comme on peut le déduire de ce qui a été dit. Pour les espèces les plus spéciales, elles sont également dites substances, parce qu’elles ont une subsistance égale pour tout; tel est l’enseignement relativement aux premières et aux secondes substances. Quant à l’ordre qui existe dans le prédicament de la substance, on peut le voir dans l’arbre de Porphyre que nous plaçons ici, quoique nous ne l’estimions pas d’une vérité complète, car animal raisonnable n’est pas genre, comme il le suppose, et les dieux ne sont pas raison nables, ainsi qu’il le dit.
Il reste maintenant à parler des communautés et des propriétés de la substance. La substance a deux choses communes avec quelques accidents, elle ne prend pas de contrariété, ni le plus et le moins. Pour comprendre cela, il faut savoir que certaines formes ont en soi de la latitude, tandis qu’il en est d’autres qui n’en ont pas, et ces formes qui ont de la latitude ont par là même la contrariété, quoique cela ne soit pas toujours vrai eu toutes. Pour connaître cette latitude, il faut remarquer que dans les choses spirituelles l’augment se transfère de la quantité corporelle; or on appelle grand dans la quantité corporelle ce qui conduit à la perfection normale de la quantité. C’est pour cela qu’une quantité est réputée grande dans l’homme, tandis qu’elle ne l’est pas dans l’éléphant. De même dans les formes on appelle une chose grande en raison de la perfection. Or, on peut considérer de deux manières la perfection d’une forme, ou par rapport à la forme elle-même, ou par rapport à la participation du sujet. Sous le premier rapport, la forme est dite petite ou grande, comme une petite blancheur. Sous le second rapport elle, est dite plus ou moins, comme plus ou moins blanc. Donc les formes qui sont d’elles-mêmes indéterminées; comme étant plus ou moins, plus parfaitement ou moins parfaitement dans le sujet, ces formes sont dites avoir la latitude dont nous avons parlé, et les degrés d’intention ou de rémission que nous avons dit. Pour savoir quelles sont ces formes, remarquez bien qu’on peut considérer trois choses dans une forme; d’abord, si l’agent peut avoir différents rapports avec elle; secondement, si le sujet qui la reçoit a parfois plus ou moins de dispositions pour elle; troisième ment, la manière dont cette forme participe au sujet. C’est pourquoi les formes dans lesquelles l’agent n’a pas divers rapports, et dans lesquelles le sujet est quelquefois plus, d’autres fois moins disposé, ces formes, dis-je, n’ont point la latitude susdite; mais elles sont toujours reçues dans le sujet dans la dernière perfection de leur espèce, par exemple: si l’air était toujours disposé de la même manière à recevoir la lumière et si l’agent qui illumine l’air était toujours dans le même état, l’air ne recevrait jamais plus ou moins de lumière et ne serait jamais plus ou moins illuminé; mais comme il y a des variations dans ces deux choses, il y en a aussi dans la lumière. Or, comme dans les formes substantielles l’agent est toujours dans le même état, et le sujet qui est la matière première dans des dispositions identiques, la forme substantielle n’a point la latitude susdite. Il n’est pas nécessaire de prouver que la matière première est toujours également disposée, parce que c’est évident. C’est également évident pour l'agent ou producteur de la forme substantielle. En effet, quoique cet agent se produise sous différents rapports en écartant les dispositions contraires de la matière elle-même, et qu’il le fasse en vertu des formes accidentelles ou qualités, il introduit néanmoins la forme substantielle en vertu de sa forme substantielle qui est toujours uniforme dans toutes les choses générales de la même espèce. On peut déduire la même chose et de la même manière relativement aux passions propres qui se produisent toujours avec le sujet; et à leur égard le sujet revêt une certaine activité, comme il a été dit plus haut. Telles sont donc les formes tant substantielles que les propres passions, parce que l’agent ne change pas d’état pour les produire, et parce que le sujet qui les reçoit est toujours disposé de la même manière relativement à la forme, quand même l’agent serait dans des rapports différents, il faut considérer la troisième chose qui a été dite, à savoir quelle est la participation de la forme avec le sujet. Car si la participation s’opère sous le rapport de l’indivisibilité, cette forme ne recevra ni le plus ni le moins, comme il est évident à l’égard des espèces du nombre qui consistent dans une indivisible unité, et à l’égard des espèces de la quantité suivant les nombres, comme la double, la triple coudée, de quelques relations, comme le double, la moitié, des figures, comme le trigone, le tétragone; et comme toutes les quantités et figures sont reçues de cette manière le sujet, il s’ensuit que la quantité, les figures et ces relations ne reçoivent ni le plus, ni le moins. Et ce n’est pas seulement des quantités ainsi considérées, mais lotit simplement de la quantité, comme la ligne, la surface et le corps qu’il est vrai de dire qu’elle ne reçoit ni le plus, ni le moins. La raison en est que la perfection et l’imperfection de la quantité se prend suivant l’extension plus ou moins grande, en vertu de laquelle une chose est dite plus ou moins; or, le plus ou le moins de grandeur de l’extension ne suffit pas pour faire dire qu’une chose est plus ou moins, parce qu’on ne le dit pas suivant l’extension, ainsi qu’on le voit dans les autres formes dans lesquelles il y a extension et non intention, comme dans les formes des êtres inanimés et des brutes dont les formes ont de l’extension, et ne se disent pas suivant le plus elle moins. On voit donc quelles sont les formes qui reçoivent le plus et le moins et celles qui rie le reçoivent pas, parce que ce sont celles qui, ayant la latitude sus dite, reçoivent le plus et le moins. On connaît de suite par là quelles sont les formes qui reçoivent la contrariété et celles qui ne la reçoivent pas, car nulle forme ne reçoit la contrariété si elle ne reçoit le plus et le moins. Sur quoi il faut remarquer que parmi les formes qui ont la latitude susdite, quelques-unes ne l’ont qu’en conservant la même espèce, et d’autres dans le genre et l’espèce. Car les degrés de latitude sont tels jusqu’au dernier où la forme se conserve; si la forme dépasse ce degré elle changera l’espèce, et le genre restera le même; dans cette espèce aussi elle a un degré, jusqu’à ce qu’elle arrive au dernier, et si elle venait à le dépasser, elle ne serait plus dans la même espèce. Par exemple, il y a des degrés dans la couleur jaune, qui peut devenir de plus en plus jaune jusqu’à ce qu’elle arrive au rouge, et quoique le rouge soit d’une espèce différente du jaune, ces deux couleurs sont néanmoins du même genre. Elles s’accordent en ce qu’elles participent de la lumière incorporée, et du rouge on passe au noir jusqu’au dernier degré de noir, lequel ne peut être dépassé dans le même genre. Si l’on affaiblit la couleur jaune, elle devient pâle, puis blanche, et ces formes de ces deux degrés, à savoir la blancheur et la noirceur, sont contraires. Remarquez que plusieurs modernes pensent que deux degrés font une contrariété, comme la blancheur et la rougeur, le blanc et le plus blanc. Suivant eux il y a deux sortes de contrariété, à savoir la complète et l’incomplète. La première existe entre les extrêmes les plus éloignés, à savoir la plus grande blancheur et la plus grande noirceur; la seconde se trouve entre les degrés mitoyens, parce que deux degrés numériquement distincts ne sont pas compatibles ensemble et dénominativement dans la même partie du sujet, comme les degrés de dualité et les degrés de trinité, et ainsi de chacun des autres. C’est pourquoi cette latitude, qui consiste à participer au sujet plus ou moins parfaitement, suit les formes ou à raison de la forme, ou à raison du sujet. A raison de la forme, ainsi qu’on le voit dans les couleurs, car la lumière incorporée produit les espèces contraires par le plus ou le moins de participation. Car l’espèce c participe le plus à cette lumière, comme la blancheur, est contraire à l’espèce qui y participe plus imparfaitement, comme la noirceur, et ici il y a contrariété. Quand elle ne participe pas dans cette latitude à raison de la forme, mais seulement à raison du sujet, comme on le voit dans ce qui est plus ou moins illuminé, une telle forme alors, quoique recevant le plus et le moins, n’a néanmoins rien de contraire, parce que rien n’est contraire à la lumière, et pourtant ii est constant que l’air est parfois plus et parfois moins illuminé. Car partout où il y a contrariété, il y a plus et moins, avec la latitude susdite dans les formes. Partout où cette latitude ne se trouve pas, il n’y a pas de vraie contrariété; je dis de vraie contrariété, parce qu’on appelle contraires certaines choses qui sont opposées suivant l’état et la privation, comme raisonnable et irraisonnable, pair et impair, ainsi que nous l’avons dit, et dans chaque genre il y a une première contrariété, qui n’est pas vraiment une contrariété, mais bien plutôt habitude et privation; ce que je dis là, je le dis aussi de tous les contraires immédiats, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas une opposition de contrariété, quoiqu’ils soient l’habitude et la privation C’est de cette manière que la santé et la maladie sont opposées, car si la santé est l’équilibre des humeurs, et la maladie l’absence de cet équilibre, comme il y a opposition de privation entre ce qui est égal et ce qui est inégal, il serait plus juste de dire que la santé et la maladie sont opposées par manière d’état et de privation que par contrariété; c’est pour cela qu’ait ne leur reconnaît pas de moyen terme.
Il est bon de savoir que bien que, comme il a été dit, on trouve en quelques choses la latitude et le degré, il ne faut pas néanmoins comprendre que lorsqu’une forme prend de l’intensité, cet accroissement se fait par l’addition d’un degré à un autre, de manière qu’il y ait deux degrés distincts, dont l’un est ajouté à l’autre et pourrait être distinctement désigné, tandis que cet accroissement s dans ce sens qu’une forme imparfaite devient parfaite, de sorte que cette forme parfaite a quelque chose de plus qu’avant, non quant aux parties susceptibles de désignations distinctes, mais virtuellement, de manière que le premier degré est contenu dans le second virtuellement, comme l’imparfait est contenu dans le degré parfait. On voit par là que, comme la substance ne reçoit pas le plus ou le moins, ainsi qu’il a été dit, il n’y a rien de contraire à la substance. Ainsi se connaissent les communautés de la substance. Le propre de la substance est d’être susceptible des contraires suivant son changement. Or, on dit que c’est à le propre de la substance parce que cela ne convient qu’à elle seule par soi. Car s’il est certaines choses auxquelles on attribue cette qualité de recevoir les contraires, comme la ligne est appelée droite ou courbe, néanmoins la ligne ne reçoit ces modifications qu’à raison de la substance. On allègue encore le langage et l’opinion qui sont vrais quelquefois et d’autres fois faux. A cela Aristote répond que cela n’arrive pas à raison du changement du langage ou de l’opinion, parce que le langage et l’opinion ne changent pas, si Socrate étant assis, vient à se lever, mais bien la chose, car ce n’est pas par un changement opéré en elle que la substance est dite susceptible des contraires, mais par un changement de la chose significative. Une semblable propriété ne convient donc qu’à la substance, et si elle convient à d’autres choses, c’est à raison de la substance dans laquelle elles ont leur être, comme on le voit par rapport à la superficie qui est susceptible de blancheur et de noirceur, à l’essence de laquelle il appartient d’être dans la substance en acte ou en aptitude, ainsi qu’on l’a dit plus haut; tel est le prédicament de la substance.
La quantité se divise en continue et en discrète. On appelle discrète la quantité dont les parties soi séparées et ne sont pas unies pour un but commun. En effet, les parties du nombre dix ne sont unies pour aucun but commun. Car dans le nombre dix il ne se trouve aucune particule en vue de laquelle les autres soient unies, puisqu’elles sont toutes séparées l’une de l’autre. On appelle, au contraire, continue la quantité dont les parties sont unies pour un but commun, parce qu’elles sont toutes unies entre elles, et ne sont pas actuelle ment séparées, mais sont susceptibles de l’être, comme on le dira plus bas. La quantité discrète se divise en nombre et langage, or le nombre est la réunion de plusieurs unités. Le nombre se définit encore d’une autre manière le nombre est une collection mesurée par l’unité. Pour comprendre ces définitions il faut savoir que l’unité se prend pour l’être, et l’unité est le principe du nombre. Or l’unité prise dans la première acception n’est autre chose que l’être indivis. L’unité ajoute à l’être la négation ou la privation de division, et comme tout être est une unité dans ce sens, l’unité en conséquence prise dans ce sens, est non seulement dans le genre de la quantité, mais aussi dans tous les genres comme l’être, c’est pourquoi l’unité se rapporte aux transcendants, comme la collection produite par l’unité dans ce sens n’est pas le nombre qui est une espèce de quantité, mais se rapporte aux transcendants. Nous disons, en effet, qu’il y a quatre anges ou trois personnes en Dieu, et cependant il n’y a de quantité ni dans les anges, ni en Dieu. L’unité, qui est le principe du nombre, ajoute à l’unité qui se prend pour l’être non par une chose quelconque, mais elle l’affecte en lui ajoutant deux rapports, parce qu’elle exprime non toute indivision, c’est-à-dire qu’elle n’ex prime pas tout être en tant qu’indivis, mais bien l’être indivis de la quantité continue; elle exprime aussi le rapport de la mesure discrète. Comme le nombre qui est une espèce de la quantité, est produit par la diction du continu, supposons une ligne divisée en plusieurs parties, chaque partie de la ligne ainsi divisée étant indivise, la ligne ainsi considérée est une unité; c’est pourquoi la ligne n’est autre chose que le continu indivis. Donc l’unité qui est convertie avec l’être, signifie un être indivis quel qu’il soit. Or, l’unité qui est le principe du nombre, dit u être continu indivis, et le nombre se compose de semblables unités, lorsqu’il y a plusieurs continus séparés entre eux et indivis en eux-mêmes. Le second rapport qu’ajoute l’unité, principe du nombre, à l’unité qui admet la conversion avec l’être, est le rap port de mesure discrète, en quoi il faut remarquer que la mensuration discrète peut se prendre de deux manières. La première c’est la même chose que de s’assurer intellectuellement du nombre de certaines choses, connaissance qui s’acquiert en redoublant une unité un certain nombre de fois, et prise dans ce sens la mesure est une propriété accidentelle du nombre lui-même, et elle convient aussi à l’unité qui se convertit avec l’être. De la seconde manière mesurer se prend pour produire formellement tarit de choses, comme la blancheur produit formellement le blanc, et cette mesure appartient au rapport de l’unité ou du nombre. Nous savons donc ce que c’est que l’unité dont l’assemblage forme le nombre, et ce qu’est la mesure essentiellement et accidentellement. Pour comprendre ce qu’est la multitude il faut savoir, ainsi que nous l’avons dit plus haut, que ce que notre intellect conçoit d’abord c’est l’être, et secondairement la négation de l’être, lorsqu’on comprend qu’une chose n’est pas tel être. On conçoit tout de suite d’après cela une division, d’où il résulte que la division est la distinction par l’être et le non-être. En troisième lieu, on conçoit une unité qui ne comporte pas la division. Il y a, en effet, un être en qui ne se rencontre pas la division susdite, et ainsi l’idée de l’unité est postérieure à celle de la division, comme l’idée de la privation est postérieure à celle de l’habitude qui subit la privation. Quatrième ment, on conçoit la multitude, qui dit deux négations, dont l’une consiste en ce que telle chose n’est pas telle autre, et l’autre en ce que chacune de ces choses n’est pas divisée; c’est pourquoi la multitude se définit par l’unité, parce qu’il n’y a jamais multitude, sans que chacune des choses qui composent cette multitude ne soit une unité ou un être indivis. Et il faut prendre dans la quantité comme nous avons pris dans les transcendants, l’être, la division, l’unité et la multitude, de sorte que nous prenions le continu de la même manière que nous prenions l’être, quoiqu’il y ait entre eux quelque différence, comme nous l’avons dit. Il faut savoir que cette multitude, qui est dans la quantité, est l’assemblage de plusieurs continus, dont l’un n’est pas l’autre et dont chacun est indivis en soi ou un, ce qui est la même chose, et ainsi s’explique la première définition du nombre, le nombre est un assemblage de plusieurs unités, aussi bien que la seconde, le nombre est une multitude mesurée par l’unité, parce que l’unité plusieurs fois redoublée, produit la multitude, et nous constatons par là la grandeur discrète de la multitude, c’est ainsi que l’unité est la mesure de la multitude, c’est évident pour le nombre, etc.
Le discours est un mot formé de syllabes distinctes qui le mesurent et qui n’a point de permanence dans ses parties. Pour comprendre cette définition, il faut savoir que mot n’est pas pris ici pour la qua lité, car le mot est dans la troisième espèce de la qualité, comme on le verra par la suite, mais pour quelque chose qui a été dans le mot, parce que dans tel mot ily a plusieurs dictions et syllabes, qui, quoi que indivisibles, sont néanmoins successives, car l’une succède à l’autre; c’est pourquoi il y a deux choses à considérer dans ces syllabes, à savoir leur indivisibilité et leur succession. Cette indivisibilité n'est pas une indivisibilité d’unité, autrement le discours serait un nombre, mais une indivisibilité qui mesure la durée, suivant que plu sieurs syllabes indivisibles durent plus qu’une; c’est pourquoi si dans le discours nous considérons l’indivisibilité des syllabes nous trouvons que par là il y à convenance avec le nombre. D’un autre côté, si nous considérons la mesure de la durée, qui cependant n’est pas permanente, mais successive, nous voyons qu’en cela elle s’accorde avec le temps qui est une mesure successive, aussi bien que des choses successives, comme il sera démontré plus loin. Néanmoins le discours n’est pas un nombre simplement, mais un nombre appartenant à la mesure de la durée; ce n’est pas non plus un temps continu, lequel n’est autre chose qu’une succession continue, toujours divisible, mais c'est encore la succession de quelques indivisibles, des syllabes. Or, il faut savoir qu’Aristote, dans son livre des Prédicaments, dit, Que le discours se mesure par la syllabe brève et la syllabe longue. Un autre texte porte que la syllabe brève et la syllabe longue se mesurent par le discours. Or, le discours se mesure par la syllabe de la même manière, comme nous l’avons dit, que le nombre est mesuré par l’unité, qui comme telle est indivisible. Quand on dit qu’une telle syllabe est brève ou longue, il ne faut pas regarder cette brièveté ou cette longueur comme appartenant au temps continu, de telle sorte que le discours soit un assemblage de temps continus, autrement ce ne serait pas une espèce différente du temps; car les parties du temps produisent une espèce différente du temps; mais le temps continu coexiste quelquefois avec la durée indivisible d’une syllabe, c’est-à-dire qu’il y a existence simultanée, parce que le temps est quelquefois court et d’autres fois long; c’est pourquoi le temps continu est la mesure des successifs dans le mouvement. Mais les syllabes existent dans quelque chose d’indivisible et sans mouvement, quoiqu’elles admettent le change ment et la succession, dans une certaine mesure toutefois, comme il a été dit. D’où il suit que la mesure qui est le temps et la mesure de la syllabe, quoique des mesures diverses de la durée ou des choses durables, peuvent néanmoins coexister, et ainsi la syllabe sera dite brève ou longue, non d’une longueur ou d’une brièveté continue existant en elle, puisqu’elle est indivisible, mais de la longueur ou de la brièveté du temps continu, qui lui est coexistant. Néanmoins il en est qui disent que les syllabes, sans être le mouvement, s’opèrent par le mouvement, et comme tout mouvement se mesure par le temps continu, c’est pour cela que les syllabes sont appelées longues ou brèves, de la longueur ou de la brièveté du temps continu mesurant les mouvements qui les produisent. D’autres tiennent un langage différent. Suivant eux, le nombre étant produit par la division du continu, et n’ajoutant au continu rien autre chose que la division en la quelle chaque chose est indivise, il est néanmoins une espèce de la quantité différente de la continue; il en est de même du discours relativement au temps. Car le discours est l’assemblage de plusieurs temps divisés, dont chacun est indivis, et néanmoins c’est une espèce différente du temps, telle est la quantité discrète, etc.
La quantité continue est celle dont les parties sont liées pour un but commun. Il faut observer qu’il en est qui conçoivent la chose dans ce sens que les parties du continu sont liées pour un but commun. Car les parties de la ligne se terminent au point qui la limite en acte, et non au point en puissance; de même les parties de la surface sont liées pour former la ligne qui la termine en acte, et les parties du corps pour la superficie qui le limite. Pour comprendre ceci, il faut savoir que nous devons imaginer un point indivisible dans la ligne comme étant eu mouvement, lequel produit la ligne par son mouvement, que la ligne soumise au mouvement produit la surface, que la surface soumise au mouvement produit le corps, et que le mouvement ensuite produit le temps. Par cette supposition de causes agissant de cette manière, quoiqu’il n’en soit pas réellement ainsi, nous comprendrons cette définition. En effet, si le point soumis au mouvement produit la ligne, toutes les parties de la ligne sont liées par le point, et comme dans toute partie de la ligne, comme nous venons de le dire, il faut imaginer un point auquel se rapporte une autre particule sans autre déviation, il résulte que la ligne est dite continue. Il en est de même de la superficie par rapport à la ligne que nous Supposons la produire par le mouvement qu’elle subit. Il en est aussi de même du corps par rapport à la surface, et comme le lieu est une espèce de surface, il a un terme commun pour ses particules de la même manière que la superficie. Il est bon pourtant de savoir qu’Aristote dit, dans ses Prédicaments, que les parties du lieu sont liées par le même terme qui est le but de la liaison des parties du corps, ce qui ne se comprend pas très bien, si le lieu est une surface d’un corps de capacité. En effet, la superficie étant le terme commun des parties d’un corps, il s’ensuit que le terme d’un lieu est la superficie, et ainsi le terme de la superficie sera le terme de la superficie. En quoi il faut observer que le lieu peut se considérer de deux manières; première ment, pour la surface du corps contenant, et alors le terme de ses parties est appelé ligne, ainsi qu’il a été dit; secondement, le lieu se prend pour tout le corps locatif, comme l’air est dit le lieu de l’eau, et le feu le lieu de l’air et c’est dans ce sens qu’Aristote dit que les parties d’un lieu sont liées en vue du même terme que les parties du corps. Or, les parties du temps sont liées pour le moment présent, telle est l’explication de la quantité continue.
La quantité continue a une position, quoiqu’il s’en trouve qui n’en ont pas. Il faut observer que la position est la même chose que l’ordre des parties dans un lieu, et c’est là un des dix prédicaments qui est aussi appelé situation; il en sera question plus loin. On dit aussi que la position est l’ordre des parties dans le tout, et dans ce sens la position est la différence de la quantité. Pour que la quantité ait une position, trois choses sont requises. Il faut d’abord qu’elle ait ses parties continues marquées et non marquées; secondement, qu’en vertu de cette désignation, elle ait ses parties coordonnées entre elles, c’est-à-dire l’une après l’autre; troisièmement, que ces parties possèdent la permanence. Relativement à la première qualité, le nombre dont les parties ne sont pas signables mais désignées, quel que soit leur ordre, comme deux après un, trois après deux et ainsi de suite, n’a pas de position. Relativement à la troisième qualité, quoique le temps ait des parties signables et non marquées et ordonnées, comme néanmoins elles n'ont pas de permanence, elles n’ont pas pour cette raison de position entre elles. Le discours, d’autre part, dont les parties ne sont ni continues, ni permanentes, comme il a été dit, n’a pas à cause de cela de position dans ses parties. Donc les espèces de la quantité qui ont une position sont la ligne, la surface, le corps, le lieu; et quoique le point ne soit pas une quantité, parce qu’il est quelque chose d’indivisible et le principe de la quantité, parce qu’il est le principe de la ligne et qu’il est ordonné pour les parties de la ligne, il est dit avoir une position. Car, comme on dit communément, le point est quelque chose d’indivisible ayant une position, puisqu’il est la fin de la première partie et le commencement de la seconde, tandis que l’unité est quelque chose d’indivisible et n’a pas de position, on voit ainsi quelles sont les quantités qui ont une position et celles qui n’en ont pas.
Nous allons maintenant parler de ces espèces de la quantité continue, et d’abord de la ligne. Or la ligne est une longueur sans largeur ni profondeur terminée par deux points. Pour comprendre cela, il faut savoir que la quantité étant une mesure, ou extension de la substance, comme il a été dit, une substance corporelle, comme telle, peut être mesurée ou étendue de trois manières sans plus, suivant la façon dont s’opère l’interjection des diamètres dans les angles droits. Car si l’un doit couper l’autre à angles droits, ce doit être en former de croix, suivant la figure suivante, dans laquelle se trouvent deux angles droits dans la partie supérieure et deux dans la partie inférieure.
On appelle angle droit celui qui se forme en tirant une ligne perpendiculaire sur une ligne droite, de sorte que si cette ligne tombe sur le milieu, elle forme deux angles droits, comme il a été dit. Nous avons donc deux diamètres qui se coupent à angles droits dans la forme de la croix. Pour qu’un troisième diamètre coupe les deux premiers à angles droits, il faut qu’il passe par le point où se réunissent les quatre angles droits. Un quatrième diamètre ne peut couper les trois autres sans former un angle droit. L’un de ces diamètres s’appelle longueur, le second largeur, le troisième profondeur, que l’on nomme les trois dimensions. De sorte qu’en considérant la longueur sans les autres deux dimensions, elle s’appelle ligne. Les extrémités de la ligne, si elle en ce que je dis à cause de la ligne circulaire qui n’en a pas, sont deux points, car ils terminent la ligne jusqu’à l’indivisibilité suivant cette dimension. En effet, si la division était toujours possible dans cette dimension, cette dimension étant une ligne, dans ce cas la ligne serait sans limites. La surface contient deux des susdites dimensions, à savoir la longueur et la largeur, dont les extrémités sont deux lignes, ou une, je dis cela à cause de la sur face circulaire qui est limitée par une seule ligne. En effet, ainsi que nous l’avons dit, pour borner une ligne il faut que la limite atteigne l’indivisibilité dans cette dimension, de sorte que la limite de la surface doit aller à l’indivisibilité en largeur, ce qui est la ligne. Un corps renferme les trois dimensions ci-dessus, ou en d’autres termes, un corps est une triple dimension, comme la surface est une double dimension, et la ligne une seule. Or, le corps se termine à la surface qui est indivisible en profondeur, ou à la ligne qui l’est en largeur. Il faut observer que quoique le corps soit une triple dimension, à savoir, longueur, largeur et profondeur, le corps ne tient son caractère de perfection que de la profondeur. De même, quoique la surface con tienne deux dimensions, la longueur et la largeur, néanmoins sa raison spécifique n’est complétée que par la largeur, comme la rai son spécifique de l’homme n’est complétée que par la rationalité, quoiqu’il soit doué de la sensibilité et de la vie. La raison spécifique de la brute est complétée par la sensibilité, quoiqu’elle jouisse aussi de la vie. Quant à la ligne, c’est la longueur qui fait la perfection spécifique. Et comme la quantité continue a la propriété d’être toujours divisible, si le corps, tant que corps, doit se terminer à l’indivisible, ce sera à la surface, laquelle, quoique divisible, ne l’est pas cependant en profondeur en quoi consiste la raison spécifique du corps, comme il a été dit, il en est de même de la surface par rapport à la ligne. Telles sont les trois espèces de la quantité continue.
Nous passons au lieu. Le lieu est la surface d’un corps contenant immobile. En effet, quoique le lieu soit une surface, il ne s’ensuit pas qu’il soit dans le genre de la surface, mais c’est un autre genre de quantité à raison d’une autre différence spécifique surajoutée qui ne convient pas à la surface, en tant que surface, et n’est pas disparate à son égard, quoiqu’il soit immobile. ll savoir que, comme il n’y a point de vide dans la nature, il fait qu’un corps soit enveloppé d’un autre corps. Laissons pour le moment la dernière sphère. C’est pour quoi la surface du corps, qui enveloppe celle qui est contiguë au corps enveloppé, est appelée lieu. Néanmoins cette surface n’est pas appelée lieu par la raison qu’elle enveloppe, autrement le vaisseau qui suit le cours du fleuve étant toujours entouré de la surface de la même eau, parce qu’il suit le courant de l’eau, pourrait être regardé comme restant dans le même lieu, ce qui est faux. De même aussi le vaisseau amarré au bord du fleuve, changeant continuellement de surface par le flux de l’eau, changerait à chaque instant de lieu dans ce cas, ce qui est également faux. Donc la nature du lieu n’est pas celle de la surface, ni réciproquement; la nature du lieu consiste en ce qu’il est immobile par rapport à l’univers; c’est pourquoi, en supposant que le monde fût vide, qu’il n’y eût que le ciel pour contenir le vide et qu’une pierre fût au centre, quand bien même elle ne serait pas enveloppée par la surface d’un corps contenant, elle serait malgré cela dans un lieu, parce qu’elle serait dans une place qui, par rapport à l’univers ou le ciel, serait immobile. Ainsi s’explique le lieu.
Le temps est le nombre du mouvement du premier mobile suivant la priorité et la postériorité. Pour comprendre cette définition, il faut savoir qu’il y a deux sortes de nombres, l’un qui sert à la numération, comme deux, trois et ainsi de suite, et c’est là la première espèce de la quantité discrète dont nous avons parlé. La seconde espèce st ce qu’on appelle nombre nombré, ce sont les choses auxquelles nous appliquons ce nombre dans la numération, comme deux Chiens, trois lignes, et c’est dans ce sens que nous prenons ici le nombre. Il faut savoir aussi que dans tout mouvement il y a une quantité successive qui le produit formellement, sous le rapport de quantité successive, laquelle quantité successive n’est pas le mouvement, mais un de ces accidents. Or, le mouvement du premier mobile, à savoir du dernier ciel, étant le plus régulier et le plus simple de tous les mouvements, il s’ensuit que sa quantité successive est la plus régulière et lia plus simple de toutes les autres quantités successives; c’est pour quoi, en l’appliquant à tous les autres mouvements, lesquels, comme on l’a dit, sont successifs, nous nous assurons de leur durée, c’est ce que nous avons appelé mesurer. Mais comme l’âme, dans cette suc cession du mouvement du premier mobile, considère la priorité et la postériorité, cette succession ainsi nombrée ou mesurée par l’âme par le moyen de l’antériorité et de la postériorité, est ce qu’on appelle le temps. De même que nous appelons jour la succession d’une partie du mouvement du premier mobile, en tant que ses parties se meuvent d’Orient en Occident. C’est pourquoi cette antériorité dans la succession suivant qu’une partie du premier mobile avait son mouvement vers l’Orient, et cette postériorité selon que cette partie était en mouvement vers l’Occident, considérées par l’âme, produisent le temps ci savoir le jour, et ainsi des autres. Et en appliquant ce temps, comme nous l’avons dit, à toutes les choses successives, nous constatons leur durée dans la succession. On voit donc de quelle manière le temps est le nombre du mouvement suivant l’antériorité et la postériorité. Il faut observer, qu’ainsi que nous l’avons dit, comme le temps est subjectivement dans le mouvement du premier mobile, de même que la passion dans son sujet, nous disons de certaines choses qu’elles sont dans le tem suivant qu’elles sont dans ce n C’est pourquoi il saut considérer dans le mouvement le mobile et l’indivisible du mouvement, qui s’a changement, et qui est au mouvement comme le point est à la ligne; et comme dans toute partie de la ligne il faut imaginer un point, de même dans chaque partie du mouvement il faut considérer une mutation; car tout mouvement terminable se termine à la mutation, comme à un terme intérieur, comme la ligne au point. D’où il résulte que le temps répond à ce mouvement de deux manières, comme sa passion, puisqu’il en est la succession, et comme sa mesure. Car le temps ne mesure pas seulement les autres mouvements, il mesure encore les parties du mouvement du premier mobile. Nous di sons, en effet, qu’une révolution s’est opérée en un jour. Quant à la mutation d’être qui est l’indivisible dans le mouvement, ce qui lui répond c’est dans le temps le présent qui est l’indivisible du temps, ou le même en réalité, quoiqu’il pût y avoir une différence de raison, et dans tout temps il faut noter le présent, et si le temps avait un terme, il se terminerait au présent. Voilà ce qui regarde le temps.
Toutes les quantités ont cela de commun qu’elles ne reçoivent pas le plus et le moins, pas pins que la contrariété. Nous avons dit comment il faut l’entendre en parlant du prédicament de la substance. Or il faut savoir qu’Aristote, dans son livre des Prédicaments, fait une objection relativement à la grandeur et à la petitesse qui semblent être dans la quantité, et qui paraissent être contraires. Il répond d’a bord que la grandeur et la petitesse ne sont pas dans le genre de la quantité, bien qu’elles en soient des passions, mais dans le genre de la relation. Car une chose n’est pas appelée grande d’une manière absolue, autrement on ne dirait pas un grand arbre et une petite montagne, si ce n’est par rapport à un autre arbre ou à mie grande montagne. Il répond en second lieu qu’en accordant que le grand et le petit sont dans le genre de la quantité, ils ne seraient pas néanmoins contraires. Car la même chose ne pourrait pas être contraire à soi-même, et cependant une seule et même quantité est dite grande par rapport à une plus petite, et petite par rapport à une plus grande. Or le propre de la quantité est qu’une chose soit dite égale ou inégale par rap à elle. Pour comprendre cela, il faut savoir qu’une quantité peut se prendre de deux manières; d’abord pour la grandeur de la masse, en second lieu pour la grandeur de la perfection. Dans le premier sens elle appartient à ce prédicament, car c’est là la première et la plus connue acception de la quantité. Dans le second sens la quantité appartient aux transcendants, car elle se trouve dans plusieurs genres, comme le parfait. Nous disons, en effet, cet homme est un grand médecin, c’est-à-dire un médecin parfait, et c’est là une grande similitude; une chose est dite aussi égale ou inégale suivant la quantité prise dans les deux sens. Nous disons, en effet, que deux lignes Sont égales et deux blancheurs aussi, et parce que la quantité dans le premier sens est plus connue et plus propre. Dans le second sens elle est dite transumptivement, et c’est pourquoi l’égalité ou l’inégalité se disent proprement de la quantité dans le premier sens. Il faut observer que l’unité se convertit avec l’être, et ainsi tout ce qui est être est, un. Or la substance, la quantité, la qua lité étant des êtres, il faut que chacun d’eux soit un; et comme dans a substance, la quantité et la qualité, il peut y avoir plusieurs êtres, il peut donc y avoir en elles plusieurs choses, dont chacune est une, et qui présentent la multiplicité. Donc dans chacun de ces prédicaments il y a unité et multiplicité. Dans la substance c’est sur l’unité qu’est fondée la relation qui s’appelle identité, dans la quantité c’est la relation qui est appelée similitude, mais néanmoins d’une façon différente. Car l’unité se prend en trois sens différents, l’unité numérique, comme Socrate, Platon, chacun est effectivement numériquement un. L’unité d’espèce, comme Socrate et Platon sont un dans l’homme. L’unité de genre, comme l’homme et le cheval sont un dans l’animal. Or, l’identité qui est fondée sur l’unité dans la substance, n’est pas fondée sur l’unité dans le genre, ni dans l’espèce, mais bien dans le nombre, comme s’il y avait deux substances. Ce qui est un numériquement est identique à soi-même, dans le sens où nous prenons ici l’identité, quoiqu’on puisse le dire identique dans la substance et dans le genre; ce n’est pas néanmoins dans ce sens que nous venons de prendre l’identité. C’est pourquoi une semblable identité n’est pas une relation réelle, mais bien une relation de rai- son, comme on le dira plus loin. L’égalité et la similitude ne se fondent pas sur l’unité suivant le nombre, parce que rien n’est égal ou semblable à soi-même, mais elles se fondent sur l’unité suivant 1’espè parce que nous disons que deux lignes sont égales, et deux blancheurs semblables. Il faut observer que l’égalité et la similitude se prennent communément pour les deux fondements de l’égalité comme pour ses deux termes. En effet, l’égalité se rapporte à deux choses, à l’une fondamentalement, à l’autre comme terme, et vice versa; pour la similitude, elle est multiple dans les termes. Car il suffit à la similitude de la participation de la qualité suivant la même espèce. En effet, les choses qui sont blanches sont semblables, et celles qui participent à diverses qualités quant à l’espèce sont dissemblables, comme le blanc et le noir; il n’en est pas de même de l’égalité. Il ne suffit pas, en effet, pour l’égalité, qu’il y ait deux quantités de même espèce, autrement toutes les lignes, qui sont de même espèce, seraient égales, ce qui est néanmoins faux; il faut, au contraire, qu’il y ait deux quantités de même espèce avec l’exclusion d’une plus grande ou d’une plus petite, de telle sorte que l’une ne soit en aucune manière ni plus grande ni plus petite que l’autre. Mais l’inégalité ne se prend pas suivant les diverses espèces de quantités, comme on l’a dit de la similitude en quantité, mais bien dans les choses qui sont de la même espèce sans l’exclusion d’une plus grande ou d’une plus petite. On voit de cette manière ce que c’est que l’identité, l’égalité et la similitude. Il faut savoir que bien que la substance soit le fonde ment de l’identité, comme il a été dit, elle peut néanmoins se dire des autres prédicaments et se fonder sur eux. Nous disons, en effet, que cette blancheur est identique à elle-même, cette ligne identique à elle-même, c’est pourquoi ce n’est pas le propre de la substance que l’identité et la diversité se disent d’elle, puisque ces qualités conviennent aux autres prédicaments, quoiqu’ils conviennent principalement à la substance. La première propriété de la quantité est donc que l’égalité ou l’inégalité se disent d’elle, car on n’appelle égal ou inégal que ce qui est suivant elle; le propre, au contraire, de la qualité est que la similitude ou la dissemblance se disent suivant elle. Tel est le prédicament de la quantité.
Nous allons parler maintenant du prédicament de la qualité. On dé finit ainsi la qualité: la qualité est ce qui sert à qualifier. Il faut sa voir que les prédicaments ne peuvent pas être définis. En effet, comme on met dans la définition le genre et la différence de la chose définie, et que les genres les plus généraux, tels que la substance, la quantité, la qualité, n’ont pas de genre au-dessus d’eux, comme on l’a dit, il s’ensuit qu’ils ne peuvent pas être définis. Ils peuvent néanmoins être décrits et expliqués par le moyen de certaines choses qui nous sont plus connues. Il faut observer, ainsi qu’on peut le déduire de ce qui a été dit, que notre intelligence abstrait non seulement l’universel du particulier, mais encore la forme du sujet de cette forme. Car il conçoit l’humanité sans concevoir précisément l’être revêtu de l’humanité, c’est-à-dire l’homme, en qui se trouve non seulement l’humanité, mais encore plusieurs autres êtres, tels que la blancheur et autres. Il conçoit de la même manière la blancheur en l’abstrayant de son sujet que nous appelons blanc. C’est pourquoi, bien que la blancheur ne se rencontre pas sans sujet, l’intellect la conçoit néanmoins en l’abs trayant du sujet, qui reste en dehors de la conception, et c’est pour cela qu’elle appartient plutôt à l’intellect agissant dans l’abstrait que dans le concret, et comme nos connaissances nous viennent des sens, les choses les moins sensibles nous sont aussi les moins connues. Or, les choses abstraites, comme on l’a dit, sont moins sensibles, c’est donc avec convenance que nous arrivons à en acquérir la connaissance par les choses concrètes comme étant connues antérieurement. On a donc bien donné la notion de la qualité qui est abstraite par l’être qualifié, en disant: la qualité est ce qui sert à qualifier. Il faut savoir qu’il existe une différence entre la qualité et les autres accidents, car le concret s’y dit de l’abstrait. En effet, nous disons: cette ligne est grande ce qui n’arrive pas dans les autres prédicaments des accidents; car on ne peut pas dire cette blancheur a telle qualité, c’est pour cela que la quantité dans l’abstrait n’est pas définie, mais décrite par le concret. Car si une chose se dit de l’autre et réciproque- ment, il y aura une chose mal connue comme le reste. Telle est la description de la qualité.
Il y a quatre espèces de qualités qui sont les genres subalternes. La première est l’habitude ou la disposition. Sur quoi il faut savoir que la disposition est le genre par rapport à l’habitude. Car toute habitude est disposition, mais toute disposition n’est pas habitude, parce que la qualité facilement mobile est disposition, et non pour tant habitude. C’est pourquoi si l’on prend la disposition pour la qua lité qui est facilement mobile, elle est alors une espèce de qualité condivise avec l’habitude. Si, au contraire, la disposition est prise en tant qu’elle se dit soit de la qualité facilement mobile ou de celle qui est difficilement mobile, alors elle est genre relativement à l’habitude et à la disposition qui se divise avec l’habitude. Or, l’habitude se définit ainsi, V Métaph.: "L’habitude est une disposition par laquelle on est disposé bien ou mal, soit par rapport à soi, soit par rapport à autre chose. » Pour comprendre cette définition, il faut sa voir que la disposition est l’ordre d’une chose qui a des parties non seulement quantitatives, mais encore essentielles ou potentielles. C’est pourquoi l’ordre de ces parties entre elles, ou relativement à autre chose, s’appelle disposition. Plusieurs choses sont requises pour l’habitude, soit que ce soit des parties, des puissances ou des actes qui sont respectivement commensurables de diverses manières, de sorte qu’on puisse trouver en elles un certain moyen de commensuration mitoyen, et un tel moyen s’appelle habitude. Par exemple, la santé est la mesure des humeurs respectivement et diversement commensurables, lesquelles néanmoins sont ramenées à la santé comme à un moyen déterminé de commensuration, et c’est pour cela que la santé est une habitude. Car comme les qualités élémentatives se mesurent dans les éléments suivant un seul mode et non suivant plusieurs, il n’y a pas pour cette raison en eux habitude. C’est donc avec raison que l’on dit que l’habitude est une disposition ou un ordre des parties diversement commensurables bien ou mal, c’est-à-dire suivant un mode mitoyen déterminé. Mais, comme on dit par rapport à soi ou à quelque autre chose, il faut savoir qu’il y a une double habitude; l’une, qui est la disposition de la chose suivant le mode et la nature de la chose intrinsèquement, suivant que les parties naturelles se me surent respectivement suivant un mode mitoyen, comme on l’a dit de la santé, qui est la mesure légitime dans quatre humeurs. De même la beauté qui est la légitime commensuration des membres, et c’est là ce qui est appelé dans la définition, habitude par rapport à soi. Le se- coud mode d’habitude est la disposition de la chose relativement à la fin; et comme la fin des puissances se trouve être les opérations, le mode mitoyen se détermine suivant qu’elles sont bien ou mal ordonnées à l’égard de leurs opérations, comme sont les vertus et les vices; et c’est pour cela que dans la définition de l’habitude on dit, soit par rapport à autre chose, c’est-à-dire, la fin, et ces habitudes sont difficilement mobiles. En effet, une habitude vertueuse qui se contracte par la répétition des actes, n’est pas pour cette raison facilement mobile, tandis que celui qui n’aurait contracté que par un petit nombre d’actes un commencement de disposition ou d’habitude pour la vertu, serait dit avoir une disposition facilement mobile en parlant de la dis position non en tant qu’elle est genre par rapport à l’habitude, mais suivant qu’elle est une espèce condivise à elle-même; c’est là la première espèce de la qualité, etc.
La seconde espèce de la qualité est la puissance ou l’impuissance naturelle de faire ou de souffrir facilement quelque chose. Pour concevoir cette espèce de la qualité, il faut savoir que la puissance peut se prendre de deux manières. La première comme étant des transcendants. En effet, la puissance et l’acte se partagent tout l’être, comme on le voit, V de la Métaph., et dans le genre où il y a acte il y a aussi puissance. Car si la ligne en acte est dans le genre de la quantité, elle est aussi en puissance dans ce même genre. Ce n’est pas de cette puissance que nous voulons parler pour le moment. La puissance se prend dans un autre sens suivant qu’elle est le principe de transmutation d’une chose comme telle, ou le principe de transmutation d’un état en un autre. Il faut remarquer que de même qu’un agent artificiel a besoin d’un instrument pour agir, et ne peut à raison des bornes de sa force avoir en même temps ce qui en lui et dans l’instrument est nécessaire pour agir, ainsi nulle substance créée ne peut être par soi un principe suffisant d’action et d’être; c’est pourquoi il faut en elle un autre principe qui ait immédiatement trait à l’opération, et c’est ce principe que nous appelons puissance. S’il est actif comme sont les puissances nutritives dans l’être animé, il est appelé puissance active, laquelle est le principe de transmutation d’une chose en tant que telle. Et je dis en tant que telle, car rien ne peut être en même temps actif et passif à l’égard d’une même chose. Si, au con traire, ce principe est passif, comme sont les puissances sensitives dans l’animal, il est alors le principe de transmutation d’une chose en tant qu’elle est autre chose; à cette espèce de la qualité appartiennent le dur, le mou, l’athlète, le coureur et autres choses semblables. De sorte que l’athlète n’est pas pris de l’art du pugilat, parce que alors il serait dans la première espèce de la qualité, mais bien pour la puissance naturelle; telle est la seconde espèce de la qualité.
La troisième espèce de la qualité s’appelle passion, ou qualité passible. Il faut observer que la passion, étant dans le mouvement, est un des dix prédicaments, et de cette manière elle n’est pas prise pour une passion, mais elle est appelée passion ou qualité passible, parce qu’elle est occasionnée par quelque passion prise dans le premier sens, ou parce qu’elle en produit quelqu’une. Par exemple, la chaleur et le froid sont appelés des qualités passibles, parce qu’ils produisent dans le sens du tact une certaine passion. Mais la blancheur et la noirceur sont appelées qualités passibles, parce qu’elles sont produites par quelques passions accidentelles. En effet, les Ethiopiens sont noirs à cause de l’intensité de la chaleur qui agit sur leurs corps, et les Germains sont blancs à raison du froid, quoiqu’on puisse appeler qualités passibles la blancheur et la noirceur, parce qu’elles produisent une passion dans le sens de la vue, car voir c’est supporter quelque chose. Sur quoi il faut observer que, bien que certains êtres ne soient pas constitués quat à l’espèce par quelque chose d’extrinsèque, ce n’est pas de leur essence et ils sont distingués par eux-mêmes, comme on le voit dans les choses simples. La blancheur, en effet, se distingue réellement par elle-même de la noirceur ou de toute autre partie intrinsèque à elle-même, comme l’homme se distingue du cheval et réciproquement par leurs formes; car rien d’extrinsèque, qui soit un caractère de l’essence de la chose, ne constitue ou ne distingue spécifiquement une chose d’une autre. Rien néanmoins n’empêche que quelquefois certaines choses soient distinguées par des causes extrinsèque, à savoir par la cause filiale ou efficiente. Comme nous disons que les puissances sont distinguées par les actes -comme par des fins, et les actes par les objets, comme par les causes efficientes, et quoique de cette manière les choses extrinsèques qui opèrent la distinction ne soient pas de l’essence des choses distinguées, néanmoins leur raison spécifique se connaît par ces distinctions. En effet, la puissance est définie par les actes, parce qu’elle est un principe de transmutation, ainsi qu’il a été dit, comme par la manifestation de sa raison spécifique, et les actes sont définis par les objets ainsi que nous le disons, parce que voir c’est avoir la vue mue par la couleur. Il en est ainsi dans l’exemple proposé. Quoique, en effet, la passion et la qualité passible, comme formes simples, soient par elles-mêmes dans l’être spécifique, certaines néanmoins sont définies par les actes comme par des fins, parce qu’elles doivent produire la passion dans le sens, quelquefois, il est vrai, par les causes efficientes, parce qu’elles doivent être produites par les passions. Or la passion et la qualité passible diffèrent en ce que la passion passe vite; comme la rougeur produite par la pudeur, et la pâleur qui provient de la crainte sont appelées passions, parce qu’elles passent vite; on n’appelle pas rouge ou pâle dans la langue grecque a raison de cette rougeur ou de cette pâleur, quoi que peut-être il n’en soit pas ainsi dans la nôtre, mais dans le moment présent on appelle rouge celui qui est sous l’impression de la honte, et pâle celui qui éprouve de la crainte; et comme la colère, l’amour, la haine et autres sentiments semblables, qu’Aristote appelle des passions, se produisent avec quelque passion et une certaine transmutation du corps et durent peu, elles sont classées dans cette catégorie de passions. On appelle, au contraire, qualité passible celle qui ne passe pas rapidement, comme il a été dit du froid et de la chaleur. Mais si la colère, l’amour, la haine et tout ce qu’Aristote appelle passions relativement à l’âme, duraient longtemps, on les nommerait qualités passibles.
La quatrième espèce de la qualité est la forme ou figure constante d’une chose. Il faut savoir que la forme peut se prendre de deux manières. La première comme un acte, et ainsi elle appartient aux transcendants, parce qu’elle se trouve dans plusieurs prédicaments. La forme est encore des transcendants, parce qu’elle se trouve dans le prédicament de la substance, de la quantité et de la qualité et autres, et ce n’est pas dans ce sens qu’elle se prend ici. Pour comprendre ce qui provient ici de la forme, occupons-nous d’abord de la figure qui nous est plus connue. Sur ce il faut savoir, qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, le propre de tout le prédicament de la quantité est l’affirmation de l’égalité ou de l’inégalité à son égard. D’où elle-même d’abord, et secondairement toute chose est affectée de grandeur. La raison de cela c’est que l’on appelle le propre d’une chose ce qui est produit immédiatement par les principes de son essence; mais comme, en supposant deux quantités de même espèce, il s’ensuit immédiate ment qu’elles sont égales ou inégales, cette conséquence se manifeste comme l’effet immédiat des principes essentiels. Donc l’égalité ou l’inégalité de la quantité, à quelque degré qu’elles se produisent dans le genre de la relation, sont néanmoins le propre de la quantité. Il en est donc ainsi de la figure par rapport à la quantité continue ayant une position, telles que la ligne, la surface, le corps et le lieu. Car il est de la ligne d’être droite, courbe; de la surface d’être triangulaire, quadrangulaire, ainsi de suite; du corps d’être pyramidal, cubique et ainsi de suite; pour le lieu pris matériellement, sa figure change suivant ce qu’il contient. Or, toutes ces choses sont des figures qui appartiennent à la quatrième espèce de la qualité. Car la figure n’est pas une quantité, mais une qualité produite immédiatement par les espèces ci-dessus de la quantité. C’est pour cela que la figure nous fait mieux connaître la substance tant individuelle que spécifique, que tout autre accident. Or, la quantité, quoique le fondement des autres accidents, suit néanmoins la matière, et comme la matière par elle-même n'est pas une cause de cognition, mais bien la seule forme, il s’ensuit que la quantité ne nous fait pas bien connaître la substance où elle se trouve. Mais comme la figure est quelque chose de formel, et comme la forme a trait d’une manière absolue et immédiate à la quantité qui ne peut être complétée par elle-même, ainsi qu’il a été dit, ce qui n’a pas lieu pour les autres espèces de la quantité, il en résulte que la figure nous fait plus parfaitement connaître la substance, comme on le voit clairement dans les figures sculptées des hommes et des animaux; tel est ce qui concerne la figure; pour ce qui est de la forme dans le sens où elle est prise ici, elle diffère de la figure, quoiqu’elles appartiennent l’une et l’autre au même genre. Car, ainsi que nous l’avons dit, la figure suit la quantité continue ayant une position, tandis que la forme suit l’âme dans certains sacrements. En effet, il y a un caractère imprimé dans l’essence de l’âme par la réception de certains sacrements, lequel sert à distinguer ceux qui ont reçu et ceux qui n’ont pas reçu ce sacrement; ainsi la forme qui est dans la quatrième espèce de la qualité, ne pourrait pas être appelée figure, parce qu’il n’y a pas de quantité continue. Il en est néanmoins qui disent que toute figure peut être appelée forme, et que ces deux choses sont comme synonymes.
Quel vient de qualité. Pour comprendre ceci il faut savoir que dans tous les prédicaments il y a deux modes d’intellection et de signification, l’un abstrait et l’autre concret. Car tout ce que nous concevons ou connaissons ut quo est, est habitude, ou, ut quod est, est l’être qui en est revêtu. En effet, l’humanité se comprend comme une chose par quoi est quelque chose, c’est par l’humanité que l’homme est homme. Il en est de même de la blancheur; en effet, c’est par l blancheur qu’une chose est blanche, et l’homme et la blancheur se conçoivent ut quod est, et comme ayant l’humanité et comme ayant la blancheur. Le quale s’explique ainsi: le quale est ce qui est dénommé suivant la qualité. Il faut savoir que logiquement blanc est dénommé par la blancheur, mais non vice versa, car les choses vraiment dénominatives doivent avoir trois propriétés, la première c’est de s’accorder dans les termes avec la chose qui les dénomme, comme dans le principe, la seconde de différer dans la fin, la troisième de signifier la même chose, l’une cependant ut quo aliquid est, l’autre ut quod est, et comme possédant, ainsi qu’il y a lieu pour la blancheur. En effet, blancheur et blanc s’accordent dans le principe quant au terme, et diffèrent à la fin, et signifient la même chose, quoique de différentes manières. II faut savoir que certaines choses qualia possèdent parfaitement ces trois propriétés, comme blanc, et d’autres qui diffèrent des choses qui les dénomment dans la signification, comme coureur, athlète, en tant qu’elles sont dans la seconde espèce de la qualité. En effet, le coureur et l’athlète sont dénommés par la course et le pugilat et non par la puissance, car une telle puissance n’a pas de nom, ou ils sont dénommés par la course et le combat qui ne sont pas dans la seconde espèce de la qualité, c’est pour cela qu’ils ne s’accordent pas dans la signification avec les choses qui servent à les dé nommer. Il est d’autres qualia qui sont appelés dénominatifs, lesquels ne- s’accordent avec les choses qui les dénomment, ni dans le terme, ni dans le principe, ni dans la fin, ni dans la signification, comme quand on dit studieux à raison de la vertu. Ainsi ces deux derniers modes du qualis sont appelés diminutifs, parce qu’ils ne se disent pas dénominativement d’une manière parfaite; voilà ce qui regarde la qualité.
Il y a contrariété dans la qualité, mais non dans toute. Nous avons dit dans le prédicament de la substance comment il faut entendre ceci. Or, Aristote dit que l’on doute si la qualité prend le plus et le moins, mais il n’en est pas de même du qualis, car on doute si la justice est quelque chose de plus ou de moins, mais on n’a pas ce doute sur le juste, qui est appelé justior ou plus juste. Nous avons dit au même endroit comment il faut l’entendre. Le propre de la qua lité consiste à être dit par rapport à elle semblable ou dissemblable, ce que nous avons expliqué dans le prédicament de la quantité, etc.
Après avoir traité des prédicaments absolus, il faut parier des prédicaments relatifs, et d’abord de la relation. Il faut observer que, comme la relation a peu de chose de l’entité, Aristote ne s’en occupe pas, mais seulement des relatifs qui, à raison de leur concrétion, sont susceptibles d’être mieux connus de nous, car il les appelle relatifs à quelque chose et les définit ainsi: Ad aliquid talia dicuntur, quaeumque hoc ipsum quod sunt, aliorum clicuntur, vel quomodolibet aliter ad aliud. Pour comprendre cette définition il faut savoir qu’il y a certaines choses relatives suivant l’attribution, d’autres suivant l’être; d’autres sont relatives réellement, d’autres suivant la raison. On appelle relative suivant l’attribution les choses qui disent de l’objet principal qu’elles signifient ce qui concerne un autre prédicament, et secondairement la relation ou le rapport. Comme la science dit l’habitude de l’âme du principal sujet qu’elle désigne, et elle se trouve ainsi dans la première espèce de la qualité; secondairement, elle dit le rapport à ce qui est susceptible d’être appris, et les sens relative ment au sensible, c’est une certaine puissance dans la seconde espèce de la qualité, tels sont les relatifs suivant la signification. Les relatifs suivant l’être sont ceux qui à l’égard de l’objet principal qu’elles dé signent signifient le rapport à un autre. Les relatifs réels sont ceux qui doivent réellement être rapportés par tout acte circonscrit de l’intelligence, comme le père, le fils. En effet, le père est rapporté au fils et le fils au père par tout acte circonscrit de l’intelligence, parce que le père a réellement engendré le fils, et le fils a réellement été engendré par le père. Il faut observer que, pour que la relation soit réê1le, choses sont requises, deux du côté du sujet, deux du côté du terme, et une du côté des choses qui sont l’objet de la relation. Et d’abord du côté du sujet, il faut que la relation suppose quelque fondement réel en ce qui lui appartient comme sujet. Ainsi le non être ne peut pas avoir de relation réelle. La seconde chose du côté du sujet, c’est qu’il y ait en lui une raison fondamentale, cause et motif de la relation, de sorte que l’objet de la relation renferme quelque chose de réel, comme le moteur dans ce qu’il fait mouvoir renferme une puissance active en vertu de laquelle il peut agir. D’où il suit; qu’à raison du défaut de cette condition la chose comprise n’est pas rapportée réellement à celui qui comprend, parce que la chose comprise en ce qui le concerne est dénommée par l’acte de l’intellection qui ne met réellement rien dans la chose comprise, mais bien dans celui qui comprend. La troisième chose requise, la première du côté du terme, c’est que le terme qui est l’objet de la relation soit une chose quelconque. La quatrième, c’est que le terme soit réellement différent d’un autre corrélatif, car il n’y a pas de relation réelle d’une chose à elle- même. La cinquième, qui regarde les corrélatifs, c’est qu’ils soient du même ordre, c’est-à-dire qu’ils soient tous deux limités au genre et à l’espèce, ou qu’ils soient l’un et l’autre hors du genre, de sorte que la raison du genre et de l’espèce réponde également à tous deux. Quelle que soit celle de ces conditions qui manque dans tout relatif, il n’y aura pas de relatif réel, mais seulement un relatif de raison. C’est pourquoi il n’y a pas de relation réelle de Dieu à la créature, parce que tout ce qui est en Dieu n’est pas dans le genre de relation. D’où il résulte que, bien que Dieu soit réellement le maître de toutes les créatures, et les créatures ses sujettes, néanmoins le maître n’est pas en Dieu un relatif réel, parce que ce domaine n’est pas dans le genre de la relation ex ce quo comme l’espèce opposée correspondante à la servitude de la créature. Il a été traité, fort au long des autres quatre conditions. Il faut remarquer que le domaine du côté de Dieu est quelque chose d’infini, à quoi ne peut pas correspondre d’une manière adéquate la servitude de la créature qui est bornée. Or, l’infini ne correspond pas au fini, parce qu’il est plus étendu. Donc le domaine de Dieu est une relation de raison, tandis que la servitude de la créature est bien une relation réelle; ainsi s’explique ce qui regarde les corrélatifs mentionnés plus haut. En effet, la formule renferme ‘tous les relatifs, tant les relatifs suivant l’attribution, que les relatifs suivant l’être, les relatifs réels comme les relatifs de raison. Car ils sont tous dits ad alia, c’est-à-dire aux corrélatifs, soit dans l’habitude du cas appelé génitif, comme le père est père du fils, soit de toute autre manière, c’est-à-dire dans l’habitude de toute espèce de cas, comme le semblable est semblable au semblable, soit du géni tif, comme une grande montagne relativement à une petite, soit de l’ablatif, comme le supérieur est plus grand que le supérieur. Telle est la première définition.
Voici secondement la définition de ad aliquic. On appelle ad ah quid les choses dont l’être est de se rapporter en quelque manière à une autre chose. Cette définition ne convient qu’aux relatifs suivant l’être, et aux relatifs réels. Car leur être cor à se rapporter à une autre chose. Il faut remarquer que pour constituer une relation deux choses sont requises, l’une comme fondement, l’autre comme terme, sans lesquelles la relation non seulement ne pourrait pas exister, mais ne pourrait pas même être conçue. Par exemple: La similitude demande deux objets blancs réels, dont l’un est fondement et l’autre terme. En effet, la ressemblance de Socrate blanc avec Platon blanc est dans la blancheur de Socrate en fondement, et comme en terme dans la blancheur de Platon. Il en est réciproquement de même de la ressemblance de Platon avec Socrate, car dans deux choses semblables il y a deux ressemblances, l’une comme le fondement de l’autre, et comme terme de l’autre, il en est ainsi réciproquement de la seconde. Or, quand je dis que la ressemblance de Socrate a sa blancheur comme fondement, il ne faut pas entendre que la ressemblance de Socrate soit en lui quelque chose de différent de la blancheur elle-même; ce n’est que la blancheur en tant qu’elle se rapporte à la blancheur de Platon comme au terme. Si, en effet, la similitude ajoutait quelque chose à la blancheur de Socrate, personne ne pourrait ressembler à un autre sans subir un changement dans sa personne; or on peut ressembler à un autre sans subir aucun changement, la chose est évidente, car si un Indien devenait blanc, il deviendrait semblable à moi, et moi à lui, sans éprouver aucun changement. En effet, la similitude n’ajoute en moi à la blancheur rien qui y soit réellement, comme on le voit évidemment.
Il se produit ici un doute. En effet, les dix prédicaments étant dix genres de choses réellement différents entre eux, si la relation n’a joute rien au fondement, il s’ensuivra qu’elle n’est pas différente du fondement, et de cette manière la similitude et la blancheur ne seront pas dans un fondement différent, ce qui est complètement faux. Il faut dire que la division de l’être en dix prédicaments est une division en dix choses différentes réellement, ou quant à ce qu’ils signifient différentes choses intrinsèquement et réellement, comme la substance, la quantité, la qualité qui se comparent entre elles comme choses différentes, ou quant à ce qu’ils signifient diverses choses extrinsèque- ment, parce que l’un importe une chose différente qui est étrangère au reste, et ainsi la relation diffère de son fondement parce qu’elle importe une opposition de relatif. En effet, de même que nous disons que le tout est diffèrent de sa partie, non pas comme une chose d’une autre, mais comme quelque chose qui importe plus que la partie, car l'homme diffère de l’âme, parce qu’il importe la matière, ce que ne fait pas l’âme, ainsi la relation diffère de son fondement, parce qu’elle signifie une chose de fondement, et un terme opposé que n’exprime pas le fondement. Tel est l’exposé de la seconde définition des relatifs. Si, en effet, le véritable être des relatifs consiste en cela qu’ils importent quelque chose comme fondement et quelque chose de plus, à savoir un terme, il s’ensuit que leur être consiste dans des rapports ad aliud.
Et comme l’entité des relatifs vient en quelque sorte toute des fondements, il faut donc examiner en quoi la relation peut se fonder. Il faut observer, ainsi qu’on le dit communément, que les relatifs se fondent sur trois choses, à savoir, l’action et la passion, la mesure et l’objet mesuré, et l’unité; rien néanmoins n’empêche que la relation ne puisse se fonder immédiatement sur la substance, puisque la matière selon son essence et non pas quelque chose qui lui soit ajouté se rapporte à la forme, et de même la créature au Créateur; mais communément la relation est fondée sur les trois choses que nous venons de dire. En effet, le fondement de la paternité est une action, c’est-à-dire la génération par laquelle un homme engendre un fils; et le fondement de la filiation est une passion ou une génération passive, par laquelle un être est engendré. Il en est de même du maître et du serviteur. D’autre partie double, la moitié, le triple, le quadruple, ainsi de suite sont fondés sur la mesure et sur l’objet mesuré. Il eu est de même de la relation qui existe entre le sens et le sensible, la science et son objet, laquelle est fondée sur la mesure et l’objet mesuré. En effet, l’objet de la science se rapporte à la science, ce qui est sensible au sens comme la mesure à l’objet mesuré. Dans la substance c’est sur l’unité qu’est fondée l’identité, de même que l’égalité dans la quantité, et la similitude dans la qualité, ainsi qu’il a été dit, c’est pourquoi on peut établir diverses espèces de relatifs suivant ces divers fondements. On peut aussi assigner différemment leurs espèces, sur la position, par exemple, comme le père et le maître, sur la supposition, comme le fils et le serviteur, sur l’équivalant, comme égal et semblable, etc.
Pour ce qui est des relatifs qui reçoivent le plus et le moins et la
contrariété, et ceux qui ne reçoivent rien de tout cela, il faut savoir que les
relatifs reçoivent le plus et le moins et la contrariété quand leurs fondements
et leurs termes le reçoivent, et que ceux dont les fondements et les termes ne
reçoivent rien de cela, n’en reçoivent pas non plus. Il faut observer que
certains relatifs qui sont fondés sur l’unité reçoivent le plus et le moins, comme
plus inégal, ainsi qu’il a été dit, à quelque degré que leurs fondements se
refusent à le recevoir, et ils sont ainsi fondés sur l’unité quant à l’espèce, et
cela s’a joutant avec la privation de plus grand ou de plus petit, et cette
privation ne consistant pas dans le divisible et pouvant recevoir intention ou
rémission, il s’ensuit que égal reçoit plus ou moins et ainsi des autres. Tous
les relatifs se disent en conversion, comme le père, père du fils, le fils, fils
du père, et cela convient à tous les relatifs, et il n’est pas nécessaire que
la conversion se fasse toujours dans tous les cas semblables. En effet, la
science est dite scibilis scientia, et scibile scientia scibile, et non
scientiœ. Peur cette conversion, il faut qu’elle se fasse ad aliud
et suivant le nom à raison duquel elle est dite ad aliud, car la tête ne
se dit pas par conversion par rapport à l’animal. En effet, si la tête de
l’animal est dite tête, l’animal ne peut pas néanmoins être dit l’animal de la
tête, parce que la tête ne se rapporte pas à l’animal suivant le nom qui e
animal, mais suivant un autre qui est muni de tête. C’est pourquoi on dit pour
la conversion, caput capitati caput, et capitatum capite capitatum.
Aussi quand on ne trouve pas de terme semblable, il est permis de le forger, comme
remus ne se dit pas navis renius, hé bien inventons un mot et
nous dirons remus rei remitoe remus, et c’est ainsi que se traitent tous
les relatifs pour la conversion. Or tous les relatifs sont vrais de leur
nature; en effet, si l’être du relatif est de se rapporter ad aliud, comme
il a été dit, en établissant un relatif ou établit immédiatement son corrélatif,
et par conséquent posita se ponunt, et perempta se perimunt. Le propre
des relatifs est qu’en connaissant définitivement une chose, on sache
définitivement le reste. Car si la définition est un discours expliquant ce
qu’est l’être de la chose, et il faut nécessairement un corrélatif à l’être
d’un relatif, celui qui connaît l’être d’un relatif, doit nécessairement connaître
l’être de son corrélatif. Tel est le prédicament ad aliquid.
Nous allons nous occuper maintenant des six autres prédicaments qui sont appelés principes. Il est à remarquer que comme les prédicaments sont les ordonnances des prédicables, ainsi qu’il a été dit, ils sont conséquemment connus par la prédication ou dénomination; or, une chose peut se dire d’une autre de deux manières dénominative- ment, ou la dénommer. La première manière, c’est que cette prédication ou dénomination se fasse par quelque chose qui soit intrinsèque à ce qui est l’objet de cette prédication ou dénomination, c’est-à-dire qui le complète soit par identité, soit par inhérence, et cela encore arrive de deux façons. Premièrement, lorsque cette dénomination se fait d’une manière absolue et en elle-même, et c’est ainsi que dénomment les trois prédicaments absolus, à savoir, la substance, la quantité et la qualité. C’est pourquoi nous disons Socrate est une substance par identité, ou il est quantus et qualis par inhérence; secondement, quand cette dénomination est ab intrinseco, en important néanmoins quelque chose d’extrinsèque, comme le terme auquel se rapporte ce qui est dénommé, c’est de cette manière que dénomme la relation; comme lorsque nous disons Socrate est égal ou semblable à Platon. La seconde manière, lorsque la dénomination se fait ab extrinseco, c’est-à-dire par ce qui n’est pas dans le dénommé formel, mais qui est quelque chose d’absolu extrinsèque par quoi la dénomination se fait; comme lorsqu’on dit Socrate est agent, cette dénomination vient de la forme fluente qui est acquise dans l’être passif; car la chaleur produite dans l’être passif a l’effet de dénommer quelque chose de chaud, laquelle dénomination est extrinsèque, ne demande rien autre chose pour en être dénommée que le sujet lui-même en qui elle existe. Mais pour la dénomination de telle chose, comme celui qui se chauffe, une autre chose est requise du sujet de toute nécessité, à savoir la cause effective de la chaleur, parce qu’il faut aussi l’être j en qui se fait l’échauffement. Il en est aussi de même du lieu qui est une superficie, une superficie en effet pour dénommer ce dont elle est la superficie ne demande que le sujet en qui elle existe savoir un corps contenant, mais pour dénommer quelque chose, comme le lieu locatum, elle demande autre chose différent du sujet de la surface. C’est de cette manière que dénomment les six prédicaments dont nous nous occupons, et ces prédicament qui dénoniment d’une dénomination extrinsèque importent une réalité différente de la chose dénommée, que n’importent pas les autres prédicaments qui dénomment extrinsèquement, quoique les choses d’où se tire cette dénomination soient les mêmes, et cette différence suffit pour distinguer les prédicaments; c’est aussi de cette manière que ces six prédicaments sont distingués des quatre premiers, c’est-à-dire par les choses extrinsèques qu’ils dénomment, ce que ne font pas les quatre premiers. Or, il faut!savoir que la dénomination ab extrinseco, demande quelque rapport par soi entre l’extrinsèque dénommant et l’être dénommé par lui, parce qu’il est nécessaire que par soi et par la condition des choses, ce mode de dénomination atteigne les choses, c’est pour cela qu’il faut que ce qui opère cette dénomination soit par soi le fondement de quelque habitude. Et comme l’habitude des choses n’est point par soi le fondement d’une habitude, autrement on irait jusqu’à l’infini, aussi cette dénomination ne se fait point par le rapport. Car avoir quelque chose de produit par soi qui appartient à l’action, signifie un certain rapport, et avoir un lieu, et ainsi de suite. Cependant ces prédicaments ne disent pas ces rapports, parce que ce rapport appartient au genre de la relation. Mais les prédicaments sus dits ne disent que l’absolu, comme ce qui dénomme extrinsèquement. En effet, l’échauffement qui est une action dit la chaleur, qui est la forme absolue et dénomme la cause efficiente, à savoir celui qui se chauffe et ainsi de suite. Il en est qui sont d’un autre avis. Car, suivant eux, le rapport est des transcendants, et tout rapport n’est pas dans le genre de la relation, mais le rapport se dit de sept prédicaments, sa voir de la relation et des six principes. C’est là la différence qui existe entre le rapport qui est dans les relatifs et celui qui est dans les six principes. Car dans les relatifs tout rapport exige en même temps dans le terme ad quem un autre rapport qui lui corresponde, je dis dans les vrais relatifs, tandis que dans les six principes le rapport ne demande pas dans le terme ad quem un rapport quelconque qui lui corresponde. En effet, l’action, comme un des six principes, d le rapport dans le mouvement relativement à l’agent. C’est pourquoi ce qui s’effectue entre l’agent et le patient, c’est-à-dire le mouvement s’appelle raison à l’égard de l’agent, et passion à l’égard du patient; néanmoins ce n’est ni dans l’agent ni dans le patient un rapport au mouvement susdit, quoique ce soit un rapport de l’agent au patient, et réciproquement, ces rapports ne sont pas action et passion, mais bien deux relations, c’est-à-dire deux passifs et actifs. Il en est de même dans le rapport du temps à la chose temporelle, et ainsi de suite.
L’action est la forme suivant laquelle nous sommes dits agir dans ce qui nous est Soumis. Pour comprendre cela il faut savoir qu’il y a deux actions. L’une qui est appelée action immanente, comme être chaud. L’autre qui est appelée transitoire, comme échauffer. L’action immanente n’est pas la cause effective d’une chose qui la mette en acte, mais c’est la même chose qu’être en acte. En effet, être chaud c’est la même chose qu’être dans l’acte de la chaleur, et en vertu de cette action il est dit que l’on fait quelque chose qui est formellement tel, comme la chaleur fait ou rend formellement chaud ce en quoi elle se trouve. Car être chaud se compare à la chaleur comme l’acte second au premier. Il est bon de remarquer que l’on peut prendre de trois manières l’acte second et l’acte premier. La première manière c’est que l’acte premier est une forme quelconque et l’acte second l’action transitoire qui en diffère réellement, dans le même rapport que la chaleur du feu et l’échauffement qu’elle produit; et dans ce sens être chaud n’est pas l’acte second de la chaleur. Dans le second sens l’acte premier est dit la forme qui est subordonnée, et acte second l’acte qui lui est inhérent, comme sont la surface et la chaleur; dans ce sens être chaud n’est pas non plus l’acte second de la chaleur. Dans le troisième sens l’acte premier et second sont pris suivant qu’un seul et même acte peut être pris diversement selon qu’il est considéré en lui-même ou dans quelqu’un où il existe actuellement, comme l’on considère la chaleur suivant qu’elle est une certaine forme en elle-même; mais être chaud importe la même forme dans l’habitude relativement à quelque chose qui en est affecté, parce que être chaud c’est avoir la chaleur, ou être dans la chaleur. Pareillement, concevoir et sentir sont des actions immanentes, parce qu’elles ex priment l’acte de la conception ou de la sensation, l’être en acte dans celui qui conçoit ou qui sent. Or cette action immanente n’est pas directement dans le prédicament de l’action, c’est pourquoi nous nous en tiendrons là pour ce qui la concerne. La seconde notion qui est appelée transitoire constitue le prédicament de l’action. Il faut remarquer qu’ainsi qu’il est dit dans le livre III de la Phys., l’action, la passion et le mouvement sont une seule et même chose. C’est pour quoi l’échauffement n’est autre chose que la chaleur en écoulement, c’est-à-dire en tant qu’elle est un acte de ce qui existe en puissance, ce qui est la même chose que le mouvement. Par exemple: supposons de l’eau réchauffée par le feu, il est certain qu’il y a en elle une chaleur produite par la chaleur du feu, laquelle chaleur considérée suivant son être est une forme, qui est la qualité dans la troisième espèce de la qualité. Suivant qu’elle est en écoulement elle est appelée mouvement parce qu’elle entre de plus en plus en participation avec l’eau. Elle est appelée action en tant qu’elle dénomme le feu qui réchauffe. Car le feu à raison de la chaleur est dit réchauffant dans la première opinion, et en tant qu’elle a un rapport avec le feu, comme à la cause efficiente, c’est une action suivant la seconde opinion, et l’échauffe ment est dit action. Mais l’échauffement est dit passion en tant qu’il dénomme ou importe un rapport à quelque chose qui reçoit en comparaison avec ce dont elle reçoit. C’est pourquoi la raison de l’action, comme prédicament, consiste en ce que action dit forme en mouvement, ou un changement, ainsi qu’il y a lieu par la cause efficiente. Aussi la cause efficiente qu’elle dénomme ou à laquelle elle se rap porte est de la nature de l’action. Il s’ensuit de là que l’action, quoi que la même fondamentalement que la chaleur, étant dans le même prédicament avec l’échauffement, comme elle est une passion, ainsi qu’il a été dit plus haut dans le prédicament de la relation, quoique la similitude soit la même chose que la blancheur, néanmoins comme la similitude importe quelque chose que n’importe pas la blancheur, à savoir un terme ad quem, elle se trouve dans un autre prédicament que la blancheur; de même dans le cas proposé, quoique échauffement comme action dise chaleur en mouvement, parce qu’elle se dit action en tant qu’elle dénomme l’agent dans la première opinion, ou exprime le rapport à l’agent, suivant la seconde opinion, auquel n’ont aucun rapport la chaleur ni l’échauffement comme passion, il s’ensuit que l’échauffement action se trouve dans un autre prédicament que la chaleur ou l’échauffement passion. Ainsi s’explique cette description de l’action; l’action est la forme suivant laquelle nous sommes dits faire ce qui est soumis. C’est, en effet, la forme, qui est n mouvement ou en mutation, suivant laquelle nous sommes désignés ou dénommés comme agents dans la première opinion, ou qui a un rapport avec nous qui agissons comme à la cause efficiente, par la raison que nous agissons sur la chose qui nous est soumise, c’est-à-dire la chose qui subit la passion suivant la seconde opinion; on voit ainsi ce que c’est que l’action. Il faut savoir que l’auteur des six principes dit quelque chose de l’action corporelle ou incorporelle que je regarde purement et simplement comme faux, ou demandant quel que explication à raison de son ambiguïté. Il dit, en effet, que l’action corporelle se trouve nécessairement avec le mouvement de l’a gent, ce que je ne crois pas vrai dans toutes les actions des corps, car l’aimant, sans avoir aucune espèce de mouvement, attire le fer; on pourrait observer la même chose à l’égard d’une multitude d’autres agents, c’est pourquoi je ne dirai rien des autres raisons de même va leur qui sont alléguées.
L’action reçoit le plus et le moins avec la contrariété, mais il n’en est pas ainsi de toute action. Il faut observer que ou l’action exprime la forme qui est en mouvement, comme l’échauffement, qui ne signifie que la chaleur en mouvement, comme dénommant l’agent ou pré sentant un rapport ad aliud; ou elle exprime la forme qui est en mutation et non en mouvement, comme la génération de la substance, et la création. Et comme, ainsi qu’il a été dit, l’action n’ajoute rien à la forme qu’elle exprime, et ne fait que dénommer, suivant la première opinion, ou exprimer le rapport à l’agent suivant la seconde, si la forme qu’elle exprime est en mouvement, on dit que l’action reçoit plus ou moins, ou l’agent qui est concret, comme on a dit dans le prédicament de la qualité que les choses abstraites ne reçoivent pas le plus et le moins, mais bien les concrètes; on dit de même dans celui-ci que quelque chose, c’est-à-dire la caléfaction reçoit le plus ou le moins, parce qu’elle échauffe plus ou moins. Si, au contraire, la forme qu’exprime l’action n’est pas en mouvement mais seulement en mutation, une telle forme n’étant pas propre à recevoir le pius ou le moins, ni par conséquent la contrariété, en prenant la contrariété dans un sens propre, cette action ne reçoit pas non plus le plus et le moins, ni par conséquent la contrariété, en la prenant dans le sens propre. C’est pourquoi celui qui engendre ou qui crée n’est pas dit engendrant ou créant plus ou moins, ainsi s’explique, etc.
C’est le propre de l’action de produire d’elle-même la passion. Il faut observer que, bien que l’action et la passion et les formes, cause du mouvement d’une chose, soient une seule chose, elles sont néanmoins des prédicaments différents à raison de la dénomination diverse ou à cause du divers rapport importé. Voici l’ordre qui existe entre l’action et la passion, car la passion suit l’action qui se produit au-dehors. En effet, si agir n’est autre chose qu’occasionner dans le sujet passif la forme avec le mouvement, et éprouver la passion rien autre chose que recevoir une telle forme, il en résulte nécessairement que toute action est suivie de la passion et que agir est suivi de sentir la passion. On a donc eu raison de dire que le propre de l’action est de produire la passion dans le sujet passif. Voilà ce qui concerne l’action.
La passion est l’effet et le produit de l’action. Il faut remarquer que l’action et la passion sont une seule et même chose, à savoir la forme qui est en flux ou in fieri, c’est pourquoi on ne voit pas que la passion un effet de l’action. En effet, si on les considère comme étant une forme, dans ce cas comme la même chose ne peut être cause et e d’elle-même, la passion ne sera pas l’effet de l’action. Si au contraire on les considère comme deux choses, parce que l’action dé- nomme l’agent et la passion le patient, il ne s’en suit pas encore que la passion soit un effet de l’agent. Donc la passion n’est pas l’effet de l’action même. Il faut savoir qu’une chose peut être dite effet d’une autre de deux manières, la première proprement, en tant qu’elle est ou a été produite par elle, et dans ce sens la passion n’est pas l’effet de l’action. La seconde manière c’est quand ces deux choses se font, elles se produisent simultanément de telle sorte que l’on comprenne par une connexion nécessaire que l’une vient après l’autre. D’où il résulte que la première est dite en quelque façon cause efficiente à l’égard de la seconde, comme dans le traité du propre on a dit du clou et du bois dans lequel il est enfoncé quel est leur rapport avec le mouvement, il en est ainsi dans son espèce de la passion par rapport à l’action. Car l’action et la passion sont constituées par l’agent dans un certain ordre nécessaire. Car on conçoit l’agent agissant avant de concevoir ce qu’il fait subir, et ainsi la passion est dite effet de l’action.
Il s’élève un doute au sujet de ce qui a été dit, à savoir que ces six principes dénomment extrinsèquement la substance. Nous avons dit, en effet, que l’action, qui est subjectivement dans le patient, dé nomme l’agent; cela ne semble pas vrai à l’égard de la passion, car elle dénomme le sujet passif en qui elle est formellement et subjectivement. Il faut dire que la forme en flux, qui est le mouvement lui- même, prise en elle-même, est dans le prédicament absolu, la chaleur, par exemple, qui se produit dans l’eau comme étant en flux, se trouve dans le prédicament de la qualité, parce que le mouvement est dans le prédicament de son terme ad quem et il est dit mouvement comme étant en flux. Mais en tant qu’il a telle chaleur, c’est-à-dire que l’eau qui se réchauffe est transmuée par le feu, cette dénomination appartient à la passion comme prédicament. On ne dit pas, en effet, que l’eau devient chaude, parce qu’il y a de la chaleur en elle, mais parce que cette chaleur lui vient de l’agent qui l’échauffe. C’est pourquoi s’il n’y avait pas d’agent échauffant, quelque chaleur qu’il y eût dans l’eau, on ne dirait pas pour cela qu’elle devient chaude, ou subit une passion, mais on dit qu’elle s’échauffe et subit une passion, en tant que cette chaleur est produite par un agent échauffant. Donc cette dénomination ou rapport du sujet passif vient formellement ab extrinseco, par la raison qu’elle importe un agent qu est extrinsèque. Ainsi donc la passion dénomme extrinsèquement le sujet, ou exprime un rapport ab extrinseco. Or la passion reçoit le plus et le moins avec la contrariété de la même manière que nous avons dite de l’action. Ce qu’il faut comprendre suivant ce qui a é exposé plus haut de l’action; tel est le prédicament de la passion, etc.
Quando est ce qui reste de l’adjacence di temps. Or on appelle ici adjacence du temps sa mesure, suivant que le temps est la mesure des choses temporelles. Pour comprendre les termes de cette définition et ce que c’est que quando, il faut observer qu’il est de la nature de la mesure de donner d’une manière certaine la quantité des choses m lorsqu’on l’applique à ces choses par l’opération de l’intellect, et comme il y a deux quantités, à savoir l’extension et la perfection, il y a aussi une mesure pour l’une et l’autre. Nous disons, en effet, que la blancheur est la mesure de toutes les couleurs; car la blancheur contenant plus de perfection et de participation à la lumière que les autres couleurs, en l’appliquant par l’intellect aux autres couleurs, nous acquérons d’une manière certaine la connaissance de la quantité de perfection qui est en eux, mais non de la quantité d’extension. Do même en appliquant au drap une règle de deux coudées, nous connaissons la quantité de son extension. D’un autre côté le temps n’étant autre chose qu’une quantité successive du mouvement, peut être pris à raison de cela en deux sens. Premièrement dans un sens large pour toute quantité successive du mouvement; il y a autant de temps que de mouvements, parce que tout mouvement a une quantité successive qui le constitue formellement en extension de quantité successive, et cette quantité n’est pas un mouvement, mais un accident du mouvement qui le constitue formellement en extension, ou c’est un accident du mobile qui existe en lui par le moyen du mouvement, comme une qualité quelconque, ainsi la couleur se trouve dans la substance par le moyen de la superficie, comme il a été dit plus haut, et c’est à cause de cette succession qu’Aristote, au livre V de la Métaphysique a mis le mouvement dans le genre de la quantité, c’est pourquoi le mouvement n’est dans les autres genres que par la raison du terme du mouvement, suivant ce que nous disons que l’augmentation et la décroissance sont dans la quantité non par la raison qu’elles sont mouvement, mais par la raison du terme auquel elles se rapportent. Mais la succession s’appelle temps dans un sens large, et par ce temps, comme une mesure intrinsèque mesure tous les mouvements, parce que le mouvement est tel que ses successions, elle donne la connaissance certaine de sa quantité, et comme parfois cette suc cession nous est plus connue, nous mesurons par son moyen la succession du premier mobile, comme le dit Aristote, livre IV de la Physique, nous mesurons le temps par nos actions, et notre vie s’écoule par une aussi grande voie, donc il s’est écoulé tant d’heures de temps.
Le temps se prend dans un autre sens plus strict et plus propre pour la quantité successive du premier mouvement, ou pour le mouvement du premier mobile, et cette succession est la plus uniforme et la plus simple, et par conséquent elle est apte à nous faire connaître ce qui concerne les autres quantités successives en la leur appliquant, suivant ce que nous avons dit qu’une chose a duré une heure, un jour; et comme cette succession est une numériquement, il n’y a par conséquent, pour toutes les choses temporelles numériquement, qu’un temps par lequel sont mesurés les autres mouvements en tant que successifs, comme par une mesure extrinsèque. Il faut savoir que tous les autres mouvements sont mesurés par cette succession du premier mouvement comme par une mesure extrinsèque, aussi bien que les parties du mouvement du premier mobile, de sorte qu’une partie de ce mouvement est mesurée par une partie du temps, par une me sure intrinsèque, comme nous disons, cette évolution céleste s’est opérée tel jour, celle-là tel autre, et ainsi des autres mouvements qui sont mesurés dans leurs successions par une mesure intrinsèque. Il faut savoir que la mesure de chaque chose peut se considérer de deux manières. Premièrement dans un sens absolu, c’est-à-dire selon qu’elle est applicable, secondement en tant qu’elle est appliquée à la chose susceptible d’être mesurée. Or, le temps étant une certaine mesure, pourra être considéré de deux manières, absolument, et dans ce sens il s’appelle temps, et dans le second sens, appliqué aux mouvements successifs, soit qu’ils soient des parties du mouvement du premier mobile, soit qu’ils soient d’autres mouvements, ou aux choses mobiles en tant que mobiles. Et comme ces choses ainsi mesurées par le temps sont appelées mesurées, comme nous disons une promenade d’aujourd’hui, c’est en conséquence de cet absolu, c’est-à-dire le temps ainsi dénommant, que se tire le prédicament quando, suivant la première opinion; dans la seconde opinion, c’est lorsqu’il est le rapport du temps comme mesure à la chose temporelle, c’est pour cela que l’on dit que quando est ce qui reste de l’adjacence ou de la mesure du temps. Car le temps, en tant que mesurant une chose temporelle, la dénomme d’une dénomination extrinsèque, et c’est cela qu’il laisse, cela qui est appelé quando dans la première opinion. Pans la seconde, au contraire, quando reste de l’adjacence du temps, car il reste de la mensuration qui s’opère par le temps le rapport du temps qui mesure à la chose mesurée, lequel est appelé quando, et de même que le temps a des parties comme le présent, le passé et le futur, de même aussi quando a des parties, parce que les choses temporelles sont dénommées par toutes ces parties. Nous disons en effet, voilà ce que nous avons fait aujourd’hui, hier, ce que nous ferons demain. On voit ainsi ce que c’est que quando, ce n’est autre chose qu’une forme absolue, qui est le temps dénommant une chose temporelle. Ou bien, suivant la seconde opinion, quando n’est autre chose que le rapport absolu de la forme susdite aux choses temporelles qu’il mesure.
Il faut savoir qu’il y en a qui disent que quando n’est pas le rapport du temps qui mesure à la chose temporelle, mais, au contraire, le rapport de la chose mesurée au temps lui-même. Je ne regarde pas cela comme vrai, parce que, suivant ces philosophes, quando rie serait pas une dénomination extrinsèque, mais intrinsèque, et de cette manière il ne serait pas un des six principes qui dénomment extrinsèquement, comme nous l’avons dit plus haut, et il s’ensuivroit, suivant la seconde opinion, que quando serait une relation, parce qu’il serait un rapport ab extrinseco, ce qui est faux. Il faut savoir que la succession du premier mouvement, qui est appelé temps, peut être la mesure des parties du mouvement du premier mobile, de cette manière elle est une mesure intrinsèque, et c’est d’après une telle mesure que se fait la dénomination qui appartient au prédicament quando, comme quand nous disons que telle évolution s’est faite hier ou se fait aujourd’hui. De cette manière, quando se trouve en ce en quoi est le temps; parce que le temps est subjectivement dans le mouvement du premier mobile, et, par conséquent, cette dénomination est dans ses parties qui sont dénommées par les parties du mouvement, comme il a été dit, ou suivant la première opinion, le temps est dans le premier mouvement, quant au fondement du rapport qui est quando. Il y a aussi là le terme du rapport lui-même, c’est-à-dire les parties mesurées du mouvement qui sont le ter de ce rapport, et c’est là ce que veut dire l’auteur des six principes, quand il dit que quando se trouve dans ce en quoi est le temps. Dans un autre sens, le temps peut être la mesure extrinsèque des autres mouvements, et alors c’est d’après lui que se fait la dénomination qui appartient au prédicament quando; c’est ainsi que nous disons, cette promenade s’est faite hier, et de cette manière quando ne se trouve pas dans ce en quoi est le temps, parce que le temps est subjectivement dans le mouvement du premier mobile, et la dénomination qui provient de lui se trouve dans la promenade. Ou bien, suivant la seconde opinion, quando est le rapport fondé dans le temps, dont néanmoins le terme est dans la promenade, et ainsi, en quelque façon, il rie se trouve pas dans ce en quoi est le temps, etc.
Quando ne reçoit ni le plus ni le moins, ‘ et n’a pas de contraire. Car ce prédicament se tire de la forme absolue dénominative, ou il est le rapport de cette forme, et comme le temps d’où se tire quando ne reçoit pas le plus ou le moins, et n’a pas de contraire, il en sera par conséquent de même de quando. Mais c’est le propre de quando de se trouver dans tout ce qui commence d’être. Il faut remarquer qu’une chose commence d’être de quatre manières. 11 y en a qui commencent par le mouvement seul, comme la chaleur dans l’eau qui se réchauffe commence d’être par le mouvement de la caléfaction, bien plus le mouvement est placé dans le genre de ces choses. En effet, l’altération se trouve dans le genre de la qualité dans laquelle se rencontre l’altération. D’autres commencent d’être par le changement qui suit nécessairement le mouvement, comme la forme substantielle est introduite dans la matière par la génération qui suit l’altération dont elle est le terme au moins extrinsèque. D’autres, au contraire, commencent d’être par la mutation ‘qui suit le mouvement, mais non pas de nécessité, comme le matin l’illumination de notre hémisphère qui est précédée du mouvement local du soleil par le moyen duquel elle s’offre à nous, mais ce changement n’est pas nécessaire ment précédé du mouvement, car dès le premier instant de la création du soleil, l’air fut illuminé par le soleil sans aucun mouvement précédent de cet astre. II y en a qui commencent d’être par une simple émanation et non par mouvement ou par mutation, comme les choses qui sont créées. Or, il faut savoir que le temps, soit continu, soit partagé, ou l’oevum (durée intérieure) , constitue certaines mesures par lesquelles certains actes sont destinés à être mesurés, parce qu’ils doivent avoir telle ou telle durée. Or il est des actes dans lesquels, existant numériquement dans l’unité, se trouve une succession, et leur durée consiste à prendre une partie après l’autre; tels sont ceux dont j’ai dit qu’ils commencent d’être par le mouvement seul, et ces actes, lorsqu’ils se font ou lorsqu’ils ont été faits, c’est-à-dire lorsqu’ils sont en repos, sont mesurés par le temps continu. Car, par rapport à eux, le fieri est le mouvement, et le factuni esse est le repos. Or le mouvement et le repos se mesurent par le temps continu, et quando se trouve dans tout acte semblable, comme dans le temps, ainsi qu’il a été dit. Et c’est le propre de quando de se trouver dans tout acte semblable qui commence ainsi d’être. Car cet acte étant proprement mesuré par le temps, il en résulte que la dénomination est aussi proprement prise du temps, de sorte qu’on dit de la promenade qu’elle s’est faite hier ou aujourd’hui, et c’est là quando, comme nous l’avons dit. Ou, suivant la seconde opinion, le temps, comme mesure propre, a un rapport à ces actes, et ce rapport est quando. Donc le propre de quando est de se trouver dans tout acte semblable qui commence d’être ainsi comme dans un terme. Il est d’autres actes dont la durée ne consiste pas à prendre successivement une partie après l’autre, mais en ce que le même indivisible reste permanent, et cet acte est double En effet, il y a certains actes indivisibles dans lesquels il ne se trouve aucune succession, il y a néanmoins d’autres actes destinés à leur succéder, et ces actes eux-mêmes sont destiné à succéder à d’autres, comme les formes substantielles corruptibles, les pensées et les volitions successives des anges. Chacun de ces actes est indivisible, et l’un succède à l’autre. Car une forme succède à l’autre dans la matière première, et néanmoins l’être de cette forme est dans l’in- divisible, et il en est ainsi des pensées et des volitions des anges dont nous venons de parler. D’où il résulte que ces actes sont mesurés par le temps discret. Car chacun de ces actes est mesuré par le moment présent du temps discret, et la succession qui existe entre ces actes est mesurée par le temps discret; or le temps discret se trouve dans le genre de la quantité discrète où l’on place le discours. Car le dis cours n’est pas pris ici pour le son, puisque le son est une qualité, ni pour le nombre des syllabes, parce qu’ainsi il ne serait pas une espèce différente du nombre, ni pour plusieurs temps continus de syllabes, parce que, de cette manière, il ne serait pas une espèce différente du temps continu. En effet, plusieurs parties de temps ne font pas une espèce différente du temps, comme il a été dit; mais il se prend pour la mesure de la prolation de ce son. Car ici il ne s’agit pas seulement de donner plusieurs choses, mais de produire une plus longue durée, suivant que plusieurs choses indivisibles durent plus qu’une seule; c’est pourquoi il faut établir si un nombre appartenant à la mesure de durée quelconque; or, c’est une chose discrète dans ce qui commence d’être ainsi. Et ce qui a ainsi l’être, ce n’est pas quando en tant qu’il est pris ici comme testant de, l'adjacence du temps continu, et si on y trouvait quando de l’adjacence du présent du temps discret, il serait d’une autre nature que quando dont il s’agit ici. Il y a d’autres actes indivisibles qui ne sont pas propres à succéder à d’autres, ni réciproquement, comme l’acte d’être des anges, de l’âme raisonnable et des corps célestes, et l’intellection de l’ange par laquelle il se comprend, laquelle n’est pas successive, la vision béatifique des anges et des âmes. Ces actes sont mesurés par l'œvum, qui est tout à la fois. D’où il suit qùe, bien que ces actes aient commencé d’être par une simple émanation, quando n’est pas cependant en eux, car ils ne se mesurent pas par le temps. Or, nous pouvons dire que quando se trouve dans tous ces actes par une certaine coexistence du temps continu avec leur durée. Nous disons, en effet, quand fut l’ange, hier ou aujourd’hui, non pas néanmoins que l’auge, quant à son être, soit mesuré par le jour d’hier ou le jour d’aujourd’hui, mais parce que le jour d’hier ou le jour d’aujourd’hui a existé en même temps que la durée de l’ange, c’est-à-dire avec son oevum (durée intérieure) , ou parce que son oevum a coexisté avec le temps d’hier ou d’aujourd’hui, et ainsi de suite. Tel est le prédicament quando.
Ubi est la circonscription d’un corps provenant de la circonscription de lieu. Pour comprendre cette définition et ce que c’est que ubi, il faut savoir que le lieu est la surface d’un corps contenant immobile; or une chose peut être dans un lieu de deux manières, à savoir, définitivement et descriptivement. Des choses sont définitivement dans un lieu quand, sans être douées de vastes dimensions, ni par elles- mêmes, ni par accident, elles ne se trouvent pas néanmoins partout, mais sont dans une partie du monde, de telle sorte qu’elles ne sont pas dans une autre, comme les anges et les âmes séparées, d’où l’on dit qu’elles sont dans un lieu définitivement, c’est-à-dire déterminativement, parce qu’elles ont une position tellement déterminée dans une partie du monde, qu’elles ne sont pas alors dans une autre partie, et par rapport à elles on ne peut pas dire proprement de ubi qu’il est in, parce que les choses qui sont en ubi sont contenues dans un lieu. Mais ces choses contiennent bien plutôt le lieu qu’elles ne sont conte nues dans le lieu, elles ne sont donc pas proprement dans ubi. On dit de toutes les choses qui ont une dimension qu’elles sont circonscriptivement dans un lieu. Ne disons rien pour le moment de la manière dont la dernière sphère est dans le lieu. Il résulte de là que la quantité qui rend formellement subjective la matière étendue, la constitue en un lieu comme cause efficiente; c’est pourquoi un corps localisé par sa surface touche la surface du corps qui contient, et comme la sur face du corps localisé est déterminée, il en est de même de la surfa du lieu contenant. Or on peut considérer sous deux rapports la sur face du corps qui renferme; premièrement, comme étant dans le corps contenant et le dénommant, telle la quantité; secondement, comme dénommant le corps localisé, et elle constitue, ainsi le prédicament ubi qui n’est réellement autre chose que le lieu en tant qu’affectant la chose localisée d’une dénomination extrinsèque, comme on dit citoyen de cité, Praguéen de Prague. Ou suivant la seconde opinion, le prédicament ubi est un rapport du lieu qui circonscrit la chose localisée. On voit par ce qui précède que le mouvement local n’est pas dans un lieu comme tel, mais il est dans le prédicament ubi; or le mouvement se trouve subjectivement dans ce qui est mù, c’est-à-dire dans ce qui est mobile. On dit que le mouvement est dans le genre de la forme qui s’acquiert par le mouvement, laquelle est le terme du mouvement; mais le lieu ne se meut pas, puisqu’il est le ferme du contenant immobile, tandis que la chose localisée se meut. Or le lieu comme tel n’est pas la forme qui s’acquiert dans la chose localisée, mais bien la forme du contenant. Rien ne s’acquiert donc dans la chose mobile, si ce n’est ubi, qui est le rapport du lieu à la chose localisée, comme la circonscrivant. Ou bien c’est la domination supposant le susdit rapport dans la première opinion. Or ce rapport se trouve terminativement dans la chose localisée, suivant l’extension du lieu dont il est le rapport, de même que le fondement s’acquiert dans la chose tendant vers des ubi successifs, jusqu’au terme du mouvement. On voit par là que dans les autres espèces du mouvement dans le mobile lui-même, il s’acquiert une forme intrinsèque. Car dans l’altération qui se fait du froid à la chaleur, la chaleur, qui est la forme intrinsèque inhérente à l’objet échauffé, se trouve acquise. Dans l’augmentation et la décroissance, il s’acquiert une certaine quantité qui est aussi la forme intrinsèque inhérente; mais dans le mouvement local, ce qui s’acquiert, c’est ubi qui dénomme extrinsèquement. Ou bien, suivant la seconde opinion, c’est un rapport extrinsèque fondé sur le contenant et terminé dans la chose localisée, comme il a été dit. On comprend donc la définition de ubi, c’est-à-dire que C’est la circonscription d’un corps, ou la dénomination d’un corps localisé circonscrit, provenant de la circonscription du lieu, c’est-à-dire du lieu qui circonscrit. Ou suivant la seconde opinion, c’est la circonscription d’un corps localisé, c’est-à-dire le rap port terminé dans un corps circonscrit, provenant de la circonscription du lieu, ou fondé dans le lieu, comme circonscrivant la chose localisée.
Ubi ne reçoit ni le plus, ni le moins, ni la contrariété. Car, ainsi que nous l’avons dit, ubi n’est autre chose que le lieu comme dénommant la chose localisée qu’il circonscrit. Ou bien, suivant la seconde opinion, c’est un rapport extrinsèque fondé dans le lieu qui circonscrit, et terminé dans la chose localisée. Ce rapport n’ajoute rien de réel au fondement, si ce n’est le terme ad quem, comme il a été dit plus haut au sujet de la relation. C’est pourquoi il ne signifie rien de différent du lieu. Mais le lieu ne reçoit ni le pins, ni le moins, et il n’y a rien de contraire au lieu, comme on l’a dit. Donc ubi ne reçoit ni le plus, ni le moins, ni la contrariété. Or le propre de ubi, c’est d’être dans tout corps terminé ou dénominativement, ou dans la 3econde opinion terminativement, bien qu’il y ait dans un corps cer tains autres accidents, comme la chaleur, la douceur, etc., et que cer tains rapports se terminent au corps, comme l’égalité et l’inégalité, néanmoins ils ne conviennent pas au corps aussi proprement qu’à ubi; car le corps est ce qui est limité par une surface- ou par des sur faces, et c’est là la nature du corps en tant que corps. Mais comme la nature a horreur du vide, il faut nécessairement qu’elle s’adjoigne immédiatement une autre superficie qui, comme immobile, est appelée lieu et le circonscrit, c’est ubi. C’est pourquoi ubi est propre ment dans le corps, parce qu’il suit immédiatement le corps comme tel. Je dis que le propre de ubi est d’être dans tout corps, ajoutez et non dans une autre chose, parce qu’il n’est pas dû de lieu à l’indivisible comme tel. Si, en effet, le lieu est une quantité continue, il doit être indivisible. Or la chose localisée et le lieu sont dans un rapport adéquat, d’où il résulte que si quelque indivisible était lieu, il s’en- suivrait que ce lieu serait indivisible. Remarquez qu’on peut prendre l’indivisible sous deux rapports. D’abord mathématiquement, et sous ce rapport le point seul est indivisible, et, comme il a été dit, il ne lui est pas proprement- dû de lieu. En second lieu, l’indivisible se prend naturellement, car on peut arriver à la plus petite parcelle de chair, laquelle étant divisée, il n’y aura plus de chair. Néanmoins cet indivisible est étendu, tandis que le point ne l’est pas, et rien n’empêche que cette sorte d’indivisible soit dans un lieu; il admet donc ubi. Je dis aussi que ubi est dans un corps terminé; si, en effet, il y avait un corps infini, comme les anciens philosophes supposaient qu’il y en avait un hors du ciel, ce corps ne serait pas dans ubi. Tel est ce qui concerne ubi.
La position est l’ordre ou la disposition des parties dans le lieu. Pour comprendre cela, il faut savoir que la partie est prise comme le tout d’une manière multiple. En effet, il y a un triple tout, le tout universel, potentiel et intégral, et lorsqu’on parle d’un autre tout, comme le tout dans la quantité, le tout dans le temps, le tout dans le lieu, ils se rapportent à ces trois premiers. Or on appelle tout universel un genre dont les parties subjectives sont des espèces; le tout potentiel est quelque chose où il y a des puissances qui ne peuvent être appelées ni parties intégrales, ni parties subjectives, comme l'âme est un tout potentiel par rapport à ses puissances, et chacune de ses puissances est appelée force potentielle. Le tout intégral est de deux sortes. L’un qui est constitué par les parties intégrantes de l’essence de la chose composée. Chacune de ces parties, prise en elle- même, n’est pas destinée à e naturellement sans l’autre, comme la forme et la matière. Il y a un autre tout intégral dont les parties séparé du tout peuvent naturellement exister par elles-mêmes, comme un morceau de bois étant divisé en deux fragments, chacune des parts peut exister par elle-même, et c’est là, comme on dit en métaphysique, passio quanti in eo quod quantum est. Et comme ces parties sont divisibles, elles peuvent être déterminées par l’intellect, quoiqu’elles ne soient pas séparées, et parce que, considérées en elles-mêmes, elles ont un certain ordre dans le tout, l’une étant con sidérée proprement comme étant le centre du tout, une autre comme venant ensuite, et ainsi des autres, un tel ordre est appelé puissance, laquelle est la différence de la quantité, comme il a été dit. Il ne faut pas croire cependant qu’un pareil ordre, qui est appelé puissance, soit une relation, parce que la différence de la quantité ne peut pas être dans un prédicament différent de la quantité, mais elle peut être une relation secundum dici, comme nous disons que la science est une relation ou un relativus secunduin dici. Car la science est dans la première espèce de la qualité par antériorité, et secondairement elle désigne un certain rapport à ce qui est susceptible d’être connu par la science. On peut aussi considérer sous un autre point de vue les parties intégrales dont nous venons de parler dans leur comparaison avec le lieu, en tant, par exemple, qu’une partie du lieu correspond à chacune des parties ainsi coordonnées dans le tout; et cet ordre ou disposition des parties dans le lieu s’appelle position, qui est le prédicament situs. Il faut remarquer que le tout localisé et tout le lieu restant les mêmes, les diverses parties de la chose localisée peuvent être appliquées aux différentes parties du lieu, il y a par conséquent quelque différence entre la comparaison du tout localisé avec le tout localisé, et la comparaison des parties avec les parties, et ainsi la puissance qui désigne l’ordre des parties de la chose localisée, relativement aux différentes parties du lieu, est un prédicament différent du prédicament ubi, qui signifie la circonscription de la chose localisée par le lieu. Il faut observer que la superficie du corps contenant, qui est appelé lieu, et la superficie du corps contenu coexistent simultanément, et telle est la figure du corps contenu, telle est aussi la figure du lieu ou la superficie du corps contenant, et par conséquent il faut que le lieu ait une habitude différente par rapport à la chose localisée, suivant la situation des parties et sa différence dans le corps localisé. C’est pourquoi du lieu contenant ainsi diversement les parties de la chose localisée on dénomme cette chose même à raison de ses parties. Le prédicament de situation ou de position est ainsi appelé, comme on dit un homme assis, parce que les parties du lieu circonscrivent de cette manière les parties de la chose localisée. Ou, suivant la seconde opinion, le rapport fondé sur la chose localisée, à raison de ses parties, est la position ou situation. On voit donc par là ce que c’est.
Il faut savoir qu’il en est qui disent que la situation ou position n’est pas la dénomination ou le rapport tiré des parties du lieu à raison des parties de la chose localisée, mais bien plutôt un rapport tiré des parties de la chose localisée relativement aux parties du lieu. Si on leur objecte que s’il en était ainsi, il s’ensuivrait que cette nomination ne serait pas ab extrinseco, parce que le rapport fondé sur les parties de la chose localisée, suivant la première opinion, laquelle est le prédicament de situation, ne se trouve pas en dehors du tout localisé, d’où il suivrait que la situation serait une relation. Ils répondent à cela qu’il arrive pour la situation ce que nous avons dit plus haut pour la passion, laquelle, quoique étant subjectivement dans l’objet qui la subit, dénomme néanmoins le patient d’une dénomination extrinsèque, parce qu’elle ne le dénomme qu’à raison de l’agent, qui est extérieur, et ainsi ils disent que les parties de la chose localisée ainsi coordonnées, ne dénomment le tout dans ce prédicament qu’à raison des parties du lieu auxquelles elles se rapportent. Et comme, ainsi que nous l’avons dit plus haut, Aristote n’a point établi ces prédicaments, et que celui qui l’a fait n’a pas une grande autorité, ni un partisan de quelque valeur, il en résulte qu chacun aujourd’hui peut en penser et en dire ce qui lui plaît. Néanmoins les deux opinions pourraient se soutenir, mais la première a plutôt pour but d’établir que ce prédicament signifie la forme survenant extrinsèquement, tandis que la seconde paraît se fonder sur la signification des locations qui importent la position. Car sessio et cubatio semblent signifier plutôt la disposition des parties de la chose localisée par rapport aux parties du lieu, que vice versa. Il en est de même de âpre et doux, car cela est âpre dont les parties se présentent égale ment. Quelle est la plus probable de ces opinions, j’en laisse le jugement au lecteur.
Le situs ou position ne reçoit ni le plus, ni le moins, soit qu’elfe soit le rapport des parties du lieu aux parties de la chose localisée ou vice versa, parce que ni les parties du lieu, ni les parties de la chose localisée ne reçoivent le plus et le moins, par conséquent ni le situs non plus. De même ce situs ne reçoit pas la contrariété, comme on peut le déduire de ce qui a été dit. C’est le propre du situs d’assister d’une manière prochaine à la substance matérielle. Pour comprendre cela, il faut savoir qu’assister, dans 1e sens où on prend ici ce mot, c’est être en rapport. Il faut noter que la quantité affecte la chose matérielle avant aucun accident. C’est pourquoi la forme substantielle qui donne l’être informe la matière première avant la nature. Pour cette information, la quantité passe naturellement avant quelque autre accident; or, comme on l’a dit, la passion propre de la quantité, c’est d’être divisible en parties intégrales; c’est pourquoi, dans le chap. V de la Métaph, Aristote en donne cette définition. Quantum est ce qui est divisible en parties toujours divisibles. Le situs, qui est un certain rapport, se termine à ses parties intégrales, quoiqu’il soit fondé sur le lieu, ou, suivant d’autres, sur les parties de la quantité, et se termine aux parties du lieu, lequel rapport est suivi de la dénomination qui constitue le prédicament situs, suivant la première opinion. Donc le plus prochain rapport de la substance matérielle, soit terminativement, soit fondamentalement, c’est le situs ou position.
L’habitus est l’adjacence des corps et de ce qui les environne. Pour comprendre ceci, il faut savoir que avoir quelque chose signifie un certain rapport. On dit que certains sujets ont certaines choses, mais entre le sujet qui a ces choses et les choses elles-mêmes, il n’y a qu’un rapport de raison, comme quand on dit que quelque chose a une substance ou une partie de substance, le pied, la main, ou qu’elle a une quantité ou une qualité; et cependant entre le sujet et la chose possédée, il n’y a aucun rapport réel, mais seulement un rapport de raison. C’est pourquoi cette manière d’avoir appartient aux prédicaments absolus. Il y a d’autres sujets qui sont. dits avoir certaines choses, de manière qu’entre le sujet et ces choses il existe un rapport réel et conversif, comme le père est dit avoir un fils, et le fils un père, le maître un esclave ou un domaine, et l’esclave et le domaine un maître. Or du père au fils et du fils au père, il y a un rap port réel; il en est de même du maître et de l’esclave, et cette manière d’avoir appartient au prédicament de relation. D’autres sujets sont dits avoir certaines choses; et entre ces sujets et les choses possédées, il y a un rapport réel, mais non conversif, mais bien un rapport du sujet à la chose, et c’est dans ce sens qu’on dit que le temps a les choses temporelles, le lieu l’objet localisé, les parties du lieu les parties de l’objet localisé, et le contenant le contenu; et cette manière d’avoir appartient aux prédicaments quando, ubi et situs. Car on dit que ce qui possède de cette manière a le contenu, ce qui revient au prédicament quando et la chose située, ce qui revient au prédicament situs. Le vase en effet est un lieu mobile, et le lieu est un vase immobile, comme il est au livre IV de la Phys. D’autres sujets sont dits avoir certaines choses, et entre ces sujets et ces choses, il existe un rapport réel, non conversif, de manière qu’un tel rapport est le rapport de la chose possédée au sujet qui la possède, comme ou dit que l’homme a une tunique, et le rapport est de la tunique à l’homme qui la possède, mais non réciproquement. Cette manière d’avoir appartient à ce prédicament, je veux dire l’habitus. Remarquez, ainsi que le dit Aristote, chap. XV des Animaux, que la nature a pourvu de vêtements et d’armes les autres animaux.
Quelques-uns ont pour vêtement des poils, d’autres un cuir épais, ou$ne carapace, ou quelque chose de ce genre. De même elle a donné à quelques-uns pour armes des dents, aux autres des cornes, aux autres des griffes et autres choses semblables; pour l’homme, elle ne lui a rien donné de tout cela, mais en revanche elle lui a donné l’intelligence et des mains, afin que par ce moyen il pût se pourvoir de ce qui lui est nécessaire et se faire avec les choses extérieures des vêtements et des armes. C’est pourquoi dans les animaux, les vêtements comme les armes sont des parties substantielles de ces mêmes animaux; et entre les sujets qui possèdent et les objets possédés, il n’y a pas de rapport réel, mais un rapport de raison, comme il a été dit. C’est pourquoi la dénomination qui se fait par rapport à eux, à raison de leurs vêtements ou de leurs armes naturelles, n’appartient pas à ce prédicament. Mais entre notre vêtement, nos armes et nous, il y a un rapport réel, aussi nos vêtements et nos armes, en tant qu’ils nous dénomment comme les possédant, sont le prédicament habitus. Ou bien, suivant la seconde opinion, leur rap port à nous est le prédicament habitus. C’est pour cela que ce prédicament ne convient qu’aux hommes. Il est vrai aussi que nous revêtons et armons certains animaux avec des vêtements et des armes qui leur sont étrangers; en effet, nous habillons les singes et nous harnachons un cheval, et sous ce rapport ce prédicament peut leur appartenir. Tel est ce prédicament.
On n’est pas certain si ce prédicament est la dénomination qui suit le rapport, ou dans la seconde opinion le rapport lui-même, comment il peut appartenir aux genres des accidents. Il est en effet constant que les vêtements comme les armes sont dans le genre de la substance. Or la dénomination prise de la substance ne se met pas dans un genre différent de la substance, ou, suivant la seconde opinion, comment le rapport sera-t-il fondé dans la substance immédiatement, puisqu’il n’ajoute rien de réel au fondement, comme il a été dit; il s’ensuit donc ou que la substance sera accident, ou que l’habitus ne sera pas accident. Il faut dire, ce qui ne répugne pas, que le rapport réel est fondé dans la substance. En effet, la substance créée comme telle se rapporte réellement au créateur, et ce rapport est immédiatement fondé en elle, et la substance n’est pas pour cela rapport ou accident. Notez que l’accidentalité de la quantité et de la qualité, qui sont des accidents absolus, est différente de l’accidentalité des sept autres prédicaments. Car l’accidentalité des absolus consiste en ce qu’ils surviennent dans l’être en acte par inhérence, et de cette manière la substance ne peut pas être accident, au contraire, l’accidentalité des sept autres prédicaments consiste en ce qu’il arrive à la forme ou au sujet de la forme d’avoir un terme ad quem. Et comme une forme substantielle, ou une substance composée peut avoir un semblable terme, rien n’empêche que de cette manière elle soit un accident, de sorte qu’ elle se produise accidentellement dans un sujet, d’où il arrive au vêtement de devenir adjacent au corps et d’avoir un tel rapport avec lui: Et de cette ma fière, soit que le vêtement soit pris comme dénommant, il lui arrive de dénommer ainsi, et il est accident: ou dans la seconde opinion il arrive au vêtement d’avoir le corps pour terme auquel il se rapporte comme adjacent. Ou on peut dire qu’on ne fait pas indifféremment des vêtements et des armes de toute espèce de substance, mais que pour faire des armes on prend une substance qui a une certaine qualité, comme la dureté. De même, on rie fait pas indifféremment des vêtements avec toute espèce de substance, mais on prend une substance qui a telle qualité, comme la mollesse, la facilité de se plier, etc., et le rapport qui est l’habitus se fonde sur ces quantités, ou à raison de ces substances, en tant qu’elles ont ces qualités. Donc l’habitus est l’adjacence des corps et des choses qui les environnent, ce qui se conçoit ainsi: l’habitus est l’adjacence, c’est-à-dire la dénomination des corps comme choses qui sont dénommées, et des choses qui environnent le corps, c’est-à-dire des choses qui opèrent une semblable dénomination, comme l’homme vêtu est désigné et dénommé par les vêtements qui l’enveloppent. Ou bien, suivant la seconde opinion, l’habitus est l’adjacence ou le rapport des corps terminativement. Car ce rapport, c’est-à-dire le rapport du vêtement se termine au corps vêtu, et il appartient aux choses qui sont fondamentalement autour du corps. En effet, le fondement de ce rapport est le vêtement lui-même, comme on l’a dit; ainsi s’explique l’habitus. Il faut observer que, quoique cette dénomination appartienne au tout de ce qui a cet habitus, car on dit que l’homme est vêtu et chaussé, néanmoins elle convient à elle- même à raison de l’habitus qui est adjacent à la partie. Car, quoique l’homme soit dit chaussé, c’est néanmoins à raison de la chaussure qui est adjacente au pied, lequel est une partie intégrante de l’homme, puisque tout le corps n’est pas vêtu, c’est à raison de la partie à laquelle le vêtement est adjacent, voilà ce qui concerne l’habitus.
L’habitus reçoit le plus et le moins, mais il y a des exceptions. Mais ne soit pas parfaitement quel est celui qui reçoit le plus et le moins. En effet, si les rapports reçoivent le plus et le moins dans la même proportion que les fondements reçoivent l’intension et la rémission, et vivant ces rapports les termes sont appelés rapports plus ou moins. Comme on dit qu’une chose échauffe plus ou moins selon la chaleur plus ou moins grande qu’elle produit. Mais le fondement de l’habitus étant la substance, comme on l’a dit, laquelle ne reçoit ni le plus, ni moins, il s’ensuit que l’habitus ne reçoit ni le plus, ni le moins. Pour comprendre cela il faut savoir que, comme il a été dit, ces six prédicaments ne désignent que l’absolu en tant qu’il dénomme quelque chose d’extrinsèque, laquelle dénomination suit quelque rapport réel qui existe entre la chose qui dénomme et la chose dénommée et qui a cependant un rapport dans le genre de la relation. Ou l’on désigne rapport suivant la seconde opinion, et il est commun aux six principes susdits. C’est pourquoi telle chose dénommée est dite plus ou moins d’après l’intension ou la rémission de l’absolu qui dénomme, ainsi qu’on l’a dit. Quelquefois la dénomination plus ou moins ne se fait pas d’après l’intension ou la rémission du sujet dénominateur, mais par la présence de plusieurs dénominateurs de même nature par lesquels l’objet dénommé se trouve l’être par ce qui est respectif à chacun; comme nous disons que le feu qui échauffe trois morceaux de bois les échauffe plus que s’il n’en échauffait que deux du même degré de chaleur. Il est sûr, en effet, que ces trois caléfactions sont de même nature et que le feu agit sur elles suivant une seule puissance caléfactive, et de cette manière la caléfaction peut se dire plus ou moins, quoique dans les caléfactions comme dans quelques autres actions que ce soit on n’ait pas l’habitude de dire plus ou moins dans ce sens; il en est de même dans la seconde opinion, car si plusieurs rapports de même nature auxquels répond un seul terme dénomment le terme plus, tandis qu’un plus petit nombre le dénomment moins, l’habitus ne reçoit point le plus ou le moins de la première manière. En effet, on ne dira jamais que quelqu’un est plus ou moins vêtu ou plus ou moins chaussé à raison d’une seule chaussure ou d’un seul vêtement, et on conçoit par là que tout habitus ne reçoit pas le plus ou le moins, parce que le vêtement, ni la chaussure ne reçoivent ni intension, ni rémission. Mais l’habitus reçoit le plus et le moins de la seconde manière, car on peut dire d’un homme qu’il est plus vêtu, s’il a plusieurs vêtements, et moins vêtu, s’il en a moins, et ainsi de suite. Cela ne convient pas au prédicament quantum, puisque le temps qui dénomme est l’unique parmi les choses temporelles. Cela ne con vient pas non plus au prédicament ubi, puisqu’il n’y a qu’un lieu pour un corps, pas plus qu’au prédicament situs, puisqu’il n’y a qu’une partie du lieu qui réponde à chaque partie de la chose localisée. Mais cette manière de désigner le plus ou le moins pourrait convenir à quelque relatif, ou a quelque agent, ou à quelque patient; on voit par là comment l’habitus reçoit ou ne reçoit pas le plus ou le moins, ou bien il faut dire que le rapport habitus n’est pas fondé immédiatement dans la substance, comme il a été dit, que par le moyen de quelque qualité, comme la dureté, la mollesse et autres pareilles, lesquelles qualités sont le fondement de ce rapport. Or, comme les susdites qualités reçoivent le plus et le moins, il en est par conséquent de même de l’habitus. Il ne reçoit pas néanmoins la contrariété. En effet, c’est par la réception du plus et du moins que s’effectue la contrariété quand Je plus et le moins se trouve suivant un certain degré d’intension et de rémission dans les espèces d’un genre, comme on le voit pour le blanc et le noir, or cette intension ne se trouve pas dans l’habitus, comme nous l’avons dit. Donc il n’y a pas de contrariété dans l’habitus.
Il faut savoir que le propre de l’habitus est d’exister tant dans le corps que dans les choses qui enveloppent le corps en plusieurs suivant la division des parties. Nous avons dit de quelle manière il faut l’entendre. Une chose est dénommée par l’habitus par cela que l’habitus est adjacent à quelque partie intégrale déterminée, comme l’homme est dit chaussé par les pieds, coiffé par la tête et ainsi de suite; or cela ne convient à aucun autre des prédicaments. En effet, quoique dans le prédicament de situs la dénomination du tout se fasse à raison des parties auxquelles sont adjacentes les parties du lieu, non pas néanmoins à raison de quelque partie déterminée, mais bien à raison de toutes auxquelles sont adjacentes les parties du lieu, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Mais dans le prédicament habitus la dénomination du tout se fait par une partie déterminée à laquelle est adja cent un habitus particulier. Et parce que, comme l’on considère dans ce prédicament le corps ayant un habitus relativement à ses parties organiques déterminées, de même les habitus des parties déterminées sont différents et séparés, car dans l’habitus d’un homme la partie du vêtement est différente de la chaussure, et ainsi de chacun. C’est pourquoi on dit que le propre de l’habitus est d’exister suivant la division des parties du corps qui en est revêtu, et suivant la division des choses qui enveloppent le corps relativement à la division de l’habitus: tel est ce prédicament, comme les autres également. Notez que les prédicaments appartiennent à la première opération de l’intellect, dans la quelle il ne se fait aucune composition par l’être, ni aucune division par le non être. Or on peut considérer de deux manières les choses qui appartiennent à cette opération première. D’abord, relativement aux choses conçues, et nous en avons déjà parlé. Toutes les choses qui appartiennent à cette opération première sont signifiées par les dix prédicaments, comme on le voit par ce qui a été dit. La seconde manière dont on peut les considérer, est relative au mouvement de signification, en tant qu’elle est signifiée par les noms, par les paroles et par les autres parties du discours, nous allons nous en occuper tout à l’heure. C’est pourquoi la logique n’est pas seulement une science rationnelle, comme lorsqu’il s’agit du syllogisme qui appartient au discours de la raison, mais c’est aussi une science argumentative. Elle traite en effet syllogisme et de ses parties, relativement au mode de signification, en établissant ce que c’est que le nom, ce que c’est que la parole, et en établissant les signes universels et particuliers, qui appartiennent tous au mode de signification, dont nous allons parler bientôt.
Fin du traité des dix prédicaments qui
sont appelés les genres des choses.
TRAITE IX: DE L’INTERPRÉTATION OU
ÉNONCIATION.
Après avoir parlé des choses qui, quant à l’objet de la signification, appartiennent à l’opération première de l’intellect, laquelle est l’intelligence des choses indivisibles, comme il est dit dans le liv. III de l’âme: "Parce qu’une chose est connue par sa quiddité; n nous allons traiter maintenant des choses qui appartiennent à la seconde opération de l’intellect, laquelle est appelée ici composition ou division, et par le moyen de laquelle notre intellect compose une chose avec une autre, ou la sépare d’une autre par l’être ou le non être. Ce traité est appelé de l’énonciation ou de la proposition prise dans un sens large; car si elle était prise dans un sens strict, l‘énonciation serait son genre. En effet, la proposition ne se dit que des prémisses du syllogisme, tandis que l’énonciation se dit tant des prémisses que de la pré-conclusion. Pour connaître ce que c’est que l’énonciation il faut parler d’abord avec Aristote de ses parties, à savoir du nom, du verbe et de son genre, qui est le discours. Le nom est une voix intentionnellement significative sans mesure de temps, dont aucune partie ne signifie des choses séparées, limitées et droites. Dans cette définition du nom le mot voix est mis pour le genre. Il faut observer, ainsi qu’il est dit dans le liv. II de la Métaphysique, que c’est là la différence qui existe entre la définition des suppôts et la définition des formes soit substantielles, soit accidentelles. Car dans la définition des suppôts on ne met rien qui soit eh dehors de l’essence du défini, et toutes les particules de la définition sont de l’essence de la chose définie. Les formes ne pouvant exister par elles-mêmes, mais bien dans un sujet ou dans la matière, demandent dans leur définition un sujet ou de la matière, lesquels néanmoins ne sont pas de l’essence des choses, aussi leurs définitions sont dites faites par additamenta, c’est pourquoi les formes accidentelles veulent un sujet dans leurs définitions, c’est là la différence qui se trouve dans leurs définitions. Car les formes abstraites demandent un sujet dans leurs définitions d’une autre manière que les formes prises au concret, les formes abstraites veulent un sujet à la place de la différence, comme lorsque nous disons: La crépitude est la contraction des cheveux, définition où les cheveux, qui sont le sujet de la crépitude, sont mis à la place de la différence; au concret, au contraire, elles veulent le sujet à la place du genre, comme lorsque nous disons, crépu, c’est le cheveu contracté. Cela posé, il faut savoir que le nom, le verbe et le discours sont des choses artificielles, et par conséquent des accidents; leur sujet est la voix qui est quelque chose de na En effet, l’art dans la voix comme dans un sujet forme les noms, les verbes et les discours, c’est pourquoi dans leurs définitions on doit mettre la voix comme sujet; et comme ce sont des êtres concrets on doit mettre la voix pour le genre. Or la voix est dite significative pour la distinguer des voix non significatives, quelles qu’elles soient, qui sont proférées pour rien. On dit intentionnellement, à l’en contre des voix significatives naturellement, comme sont les aboiements des chiens, qui signifient la colère, d’après l’impulsion de la nature, parce qu’ils ne sont pas significatifs par institution humaine.
On dit sans mesure de temps pour faire connaître le verbe et le participe. Remarquez ici, comme nous l’avons dit dans un autre traité, que l’action, la passion et le mouvement sont une seule chose; or le verbe signifie par manière d’action ou de passion, et par conséquent par manière de mutation. Or la première chose à mesurer par le temps c’est le mouvement, mais le v signifie avec mesure de temps. Il faut savoir que l’action et la passion peuvent être signifiées de deux manières, ou par un mode abstrait, comme sont certaines choses, e-t alors elles ne signifient pas avec mesure de temps, car elles signifient par mode d’habitus, de repos, c’est-à-dire sans mouvement, et ainsi elles sont signifiées par le nom. Elles sont signifiées d’une autre manière par mode d’action en tant qu’elles sortent du sujet, et elles sont signifiées comme mouvements ou mutations et par conséquent comme étant mesurées par le temps, et elles le sont par les verbes pris formellement et non matériellement et même par les participes, mais non par le nom; donc le nom signifie sans mesure de temps. On dit ensuite qu’aucune partie du nom n’est significative séparément pour faire connaître le discours dont les parties sont significative séparément. Remarquez que la signification est au nom comme sa forme, tandis que la lettre ou les syllabes en sont la matière ou les parties intégrales. Mais comme il n’y a dans le tout aucune partie qui ait la forme du tout, aussi nulle partie séparée n’aura d’autre signification par elle-même que celle du tout. C’est pourquoi dans les noms composés, comme terre-neuve, contra-Joannis, si la chose signifiée était divisée, si par exemple on entendait de la terre qu’elle est neuve, ce ne serait plus alors un nom, mais un discours; mais si la chose signifiée était une seule chose, comme une villa ou autre chose semblable, alors ce sera des noms. On dit ensuite limitée, à la différence des noms infinis, comme le nom homme. Sur quoi il faut observer que tout nom, en prenant même le pronom pour le nom, ou signifie une nature déterminée, comme l’homme, ou une personne déterminée, comme vous et moi, ou une nature déterminée et un personne, comme Socrate, Platon. Or comme le nom infini ne signifie rien, de tout cela, il ne pourra pas vraiment être appelé nom. Qu’il ne signifie rien de tout cela, c’est évident, car le nom qui est imposé par la privation demande au moins un sujet existant, car aveugle ne se dit du nom d’animal, mais suppose que ce qui est aveugle possède l’aptitude à avoir des yeux. Mais le nom infini étant imposé par la négation, ne suppose rien, car il peut se dire de l’être comme du non être. Nous disons que la chimère est un non homme, comme le cheval est un non homme; d’où il résulte que ces choses ne signifient que par mode de nom, parce que c’est au moins un suppôt en compréhension. On dit ensuite droite à la différence des cas obliques qui viennent du droit ou nominatif par une certaine origine de déclinaison. Car le nominatif seul est appelé nom principalement, parce que c’est par lui que s’est faite l’imposition du nom pour une autre signification. Or les cas obliques n’appartiennent pas directement à la logique qui s’occupe du vrai et du faux, parce que ces cas avec le verbe je suis, tu es, il est, dans lequel tous les autres se confondent, ne disent pas le vrai et le faux. Rien n’empêche cependant de les joindre avec quelques autres verbes impersonnels et ils signifieront alors ou la vérité ou la fausseté, comme je m’ennuie de la lecture; telle est l’explication du nom, etc.
Le verbe est une voix significative intentionnellement, dont aucune partie ne signifie des choses séparées, limitées et droites; il est toujours significatif des choses affirmées d choses. La première partie de cette définition est entendue dans le même sens que pour le nom. Elle est appelée limitée à la différence des verbes infinis, comme sont, il ne court pas, il n’aime pas, qui ne sont pas proprement des verbes. Sur quoi il faut observer que c’est le propre du verbe de signifier quelque chose par manière d’action et de passion, comme il a été dit. Or les locutions susdites ne le sont pas, bien plus elles écartent l’action ou la passion, plutôt qu’elles signifient quelque action ou passion déterminée; donc ce ne sont pas proprement des verbes. Il faut savoir que bien que ce ne soit pas proprement des verbes, cependant il y a quelque chose dans la définition du verbe qui leur convient, d’abord parce qu’elles signifient avec mesure de temps. Comme agir et souffrir sont dans le temps, il en est de même de la privation de l’action et de la passion, d’où il résulte que le repos est mesuré par le temps; or ces locutions signifient la privation d’action et de passion, comme on l’a dit. Secondement, parce qu’il y a dans la définition du verbe e qui se trouve toujours du côté du prédicat, d’être significatif des choses qui s’affirment d’autres choses, ce qui s’entend ainsi. Comme, en effet, le sujet de l’énonciation est signifié, comme une chose à laquelle une autre chose est inhérente, et que le verbe signifie l’action par manière d’action dont la nature est d’être inhérente; il s’ensuit qu’on le trouve toujours du côté du prédicat, parce que même il faut qu’il y ait un verbe dans toute prédication, puisque le verbe emporte la composition u moyen de laquelle le prédicat se combine avec le sujet. C’est pourquoi, comme les verbes en signifiant l’action ou la passion, signifient quelque chose comme existant dans une autre, en raison de quoi ils sont toujours placés du côté du prédicat, de même aussi les susdits verbes indéfinis, signifiant exclusion d’action ou de passion, sont toujours mis du côté du prédicat. Car la négation se ramène au genre d’affirmation. Il faut savoir que les verbes du mode infinitif sont quelquefois mis du côté du sujet, comme lorsque nous disons courir c’est se mouvoir, et la raison de cela c’est qu’ils ont la force d’un nom. C’est pourquoi les Grecs leur adjoignent des articles comme aux noms, ce que nous faisons nous aussi dans la logique vulgaire. Car nous disons, el corere mio ou el est article pour ly. En effet, notre intelligence saisit la manifestation de l’action ou de la passion ou son inhérence dans le sujet, et elle la produit comme étant une chose quel-. conque, ce qui lui donne la force d’un nom. Mais si les verbes des autres modes sont mis quelquefois du côté du sujet, comme lorsque nous disons, je cours, est un verbe, le v alors n’est pas pris formellement, mais matériellement en tant qu’il signifie la voix elle- même qui est prise comme une certaine chose; c’est pourquoi les verbes, le discours et toutes les parties du discours, ainsi posés matériellement, se prennent dans la force du nom. On dit ensuite dans la définition droite, à cause de la différence des verbes obliques, c’est-à-dire, du prétérit et du futur, qui ne sont pas simplement des verbe En effet, les verbes proprement dits, signifiant l’action ou la passion, il n’y aura proprement de verbe que ce qui signifie l’action ou la passion en acte, ce qui est agir ou souffrir simplement; c’est là la signification des verbes du temps présent, tandis que agir ou souffrir dans le passé ou dans le futur ce n'est que secundum quid, aussi les verbes du passé ou du futur ne sont pas simplement des verbes, mais bien secundum quid. Mais ils sont dits des cas du verbe du présent, parce qu’ils signifient en quelque manière le temps présent. Car on dit le prétérit et le futur par rapport au présent, car le passé est ce qui a été présent et le futur ce qui sera présent, et de même les verbes des autres modes, tout en étant des verbes du mode indicatif, sont appelés les cas du verbe, parce que leur variation regarde l’action ou la passion, comme la différence des temps; et comme la variation des verbes dans le nombre et la personne ne regarde ni l’action, ni la passion, mais seulement le sujet auquel est inhérente l’action ou la passion, c’est pour cela qu’ils ne font pas des cas du verbe, etc.
Le discours est une voix intentionnellement significative dont les parties sont significatives séparément. Nous avons dit dans la définition du nom comment il faut entendre les parties de cette définition. Le discours se divise en parfait et imparfait. On appelle discours imparfait celui qui ne produit qu’un sens imparfait dans l’esprit de l’auditeur, sur quoi il faut remarquer, comme il est dit de la Métaphysique: « Cela est parfait à quoi il ne manque rien dans son genre.
Or, il manque quelque chose au sens que le discours imparfait pro duit dans l’esprit de l’auditeur, la composition ou la division. En effet, si je dis, l’homme blanc, ce qui est un discours imparfait, je ne dis pas qu’il a ou qu’il n’a pas quelque chose, et par conséquent le sens de ce discours tient l’esprit en suspens, parce qu’il lui manque quelque chose, c’est pour cela qu’il est imparfait. Il faut savoir cependant que ce n’est pas sans raison qu’on détermine la perfection ou l’imperfection du discours par la production d’un sens. Sur quoi il faut observer que, bien que le discours et chacune de ses parties soient des choses artificielles et non quelque chose de naturel, ils ne sont pas non plus des instruments de la vertu interprétative, comme disait Platon. Car les instruments naturels de cette vertu sont le poumon, le gosier, le palais, la langue, les dents et les lèvres, ce sont cependant les instruments de l’intellect lui-même, qui n’est pas une force matérielle, mais bien au-dessus de toute nature corporelle. Or l’instrument se définit par fin, laquelle est l’usage, et l’usage de la. voix significative est de faire connaître à celui qui écoute les conceptions de l’intelligence de celui qui parle. C’est donc à bon droit qu’on définit le discours par fait et le discours imparfait par la production d’un sens ou par la signification. C’est pourquoi on appelle parfait le discours qui produit un sens parfait dans l’esprit de l’auditeur à cause de la complexion qu’il exprime. Or, il y a cinq espèces de discours parfaits, à savoir l’espèce énonciative, la vocative, l’interrogative, l’impérative et la déprécative. Il faut savoir que non seulement la raison conçoit les choses elles-mêmes, mais qu’elle dirige et ordonne autre chose par sa conception; en concevant les choses en elles-mêmes elle forme le discours indicatif ou énonciatif, en ordonnant les autres choses, elle forme les autres discours. On est dirigé et coordonné par quelqu’un à trois choses d’abord à appliquer son esprit, et à cela appartient le discours vocatif; secondement, à répondre de la voix, et à cela appartient le discours interrogatif; troisièmement, à faire une oeuvre, et à cela appartient, pour les inférieurs, le discours impératif, et pour les supé rieurs le discours déprécatif, auquel se rapporte le discours optatif, car l’homme n’a point de force naturelle vis-à-vis de son supérieur, si ce n’est par l’expression de son désir le discours suppositif, c’est dire conditionnel, et le dubitatif rentrent dans l’interrogatif. Et comme ces quatre espèces de discours ne signifient pas le vrai et le faux, mais un certain ordre qui y tend, elles n’appartiennent point par conséquent au sujet présent qui a un rapport direct avec la science démonstrative, dans laquelle l’oreille de l’homme est amenée à considérer le vrai d’après ce qui est propre à la chose. Elles appartiennent plutôt à la rhétorique ou à la poétique qui produisent l’as sentiment par la disposition de l’auditeur. Il n’y a que le discours énonciatif qui signifie le vrai ou le faux, qui appartienne à l’objet qui nous occupe, aussi bien que les autres discours qui peuvent s’y rattacher.
L’énonciation est un discours qui signifie le vrai et le faux. Pour comprendre cette définition il faut d’abord considérer ce que c’est que le vrai et le faux, en second lieu pourquoi il ne convient qu’à l’énonciation de signifier le vrai et le faux. Relativement au premier point, il faut savoir que, comme l’on dit communément, la vérité est l’adéquation de la chose à l’intellect, suivant Isaac, le vrai est dit adéquat, et le faux inadéquat. Or cette adéquation, ou conformité, ne peut pas être une relation réelle, autrement le vrai ne pourrait se convertir avec l’être. Car ce qui n’est que dans un prédicament n’appartient pas aux transcendantaux. C’est donc une relation de raison, et ainsi le vrai est relatif suivant la raison, ce qui n’empêche pas qu’il soit dans plusieurs prédicaments et même dans tous, pour ce qui est de cette conformité, je dis que certaines choses sont subjectivement dans l’intellect, comme les actes de l’intellection et autres de ce genre; d’autres choses y sont objectivement, comme celles que conçoit l’intellect, Donc, quand la chose qui se trouve objectivement dans l’intellect est conforme à elle-même, suivant ce qu’elle est dans la nature des choses, alors cette conformité s’appelle vérité. C’est pourquoi la vérité consiste en ce qu’une chose est perçue par l’intellect telle qu’elle est dans la nature des chose et au contraire la fausseté consiste dans la non conformité de la chose telle qu’elle est conçue par l’intellect dans sa nature, e c’est pour cela qu’Aristote dit dans le liv. IV de la Métaphysique, « que le vrai consiste à être ce qu’il est et à ne pas être ce qu’il n’est pas, le faux à être ce qu’ pas et âne pas être ce qu’il est. Aussi quand l’intellect comprend qu’une chose est ce qu’elle est réellement dans la nature des choses, ou qu’elle n’est pas ce qu’elle n’est réellement pas, cette conformité c’est la vérité. Quand au contraire, l’intellect conçoit qu’une chose est ce qu’elle n’est pas ou n’est pas ce qu’elle est, c’est la fausseté. Il faut savoir que dans cette conformité qui s’appelle vérité, il y a quatre choses à considérer, la chose telle qu’elle est conçue ou telle qu’elle est objectivement dans l’intellect, et l’intellect qui la conçoit et l’acte de l’intellection qui est subjectivement dans l’intellect et la chose telle qu’elle est dans sa nature. Or la vérité se trouve dans la chose telle qu’elle est conçue ou telle qu’elle est objectivement dans l’intellect avant d’être dans l’intellect, ou dans l’acte de l’intellection ou dans la chose telle qu’elle est dans sa nature. Car l’intellect et l’acte de l’intellection ne sont dits vrais qu’en tant qu’ils s’appliquent à un objet vrai. En effet, l’intellect est appelé vrai, parce qu’il saisit le vrai, et l’acte de l’intellection est appelé vrai, parce qu’il est la conception de quelque vérité, et une chose dans sa nature est appelée vraie, parce qu’elle est propre à déterminer dans l’intellect une conception conforme à son entité. Remarquez que cette conformité d’une chose en tant que conçue relativement à elle-même et telle qu’elle est dans sa nature, peut se trouver ou dans un intellect pratique ou dans un intellect spéculatif. Dans un intellect pratique, quand la chose est réellement par sa forme telle que l’artisan l’a conçue dans son art. Or, comme toutes les choses naturelles sont par leurs formes conformes à elles-mêmes et qu’elles ont été conçues par l’art divin, en conséquence chaque chose est appelée vraie, suivant qu’elle a sa forme propre, et c’est ainsi que le vrai et l’être se convertissent réciproquement. Cette conformité se trouve dans l’intellect spéculatif, parce que l’intellect conçoit la chose telle qu’elle est. Car l’intellect ne conçoit pas la chose comme elle est dans l’intellect pratique, mais il la conçoit telle qu’elle est réellement; c’est pourquoi l’intellect pratique se compare aux choses artificielles, comme la mesure à la chose mesurée au contraire l’intellect spéculatif se compare aux choses qu’il conçoit comme la chose mesurée à la me sure. Il faut observer qu’il en a qui pensent que la vérité est la conformité de la chose avec l’intellect informé par la similitude de la chose; la fausseté au contraire est la non conformité de l’intellect ainsi informé avec la chose. Cette opinion est probable. Voilà ce que c’est que la vérité et la fausseté.
Pour ce qui est du second point, c’est-à-dire, pourquoi la vérité et la fausseté ne sont que dans l'énonciation, il faut savoir que la vérité n’est dans une voix significative, soit que ce soit un nom, un verbe ou un discours, que comme dans n signe; or il y a de ces signes des conceptions de l’intellect. Donc, suivant que le vrai ou le faux se trouveront dans les conceptions de l’intellect, on dira qu’ils sont dans les signes eux-mêmes, Il faut savoir, comme on le dit en troisième lieu l’âme, qu’il y a deux opérations de l’intellect, à savoir l’intelligence des indivisibles, quand l’intellect conçoit la quiddité d’une chose en elle-même, et la composition et la division, c’est-à-dire quand il compose par l’être une chose conçue, ou la division quand il la divise par le non être, et la vérité se trouve dans l’une et l’autre de ces opérations de l’intellect. Sur quoi il faut remarquer, ainsi qu’il a été dit, que la Vérité est une relation de raison; or les êtres de raison ne se trouvent jamais subjectivement, si ce n’est dans un sens large, suivant ce à quoi la rai attribue ce rapport de raison; donc la vérité n’a l’être qu’objectivement, j’en dis autant de la fausseté. Donc si nous considérons ce qui est vrai en premier lieu, c’est-à-dire la chose telle qu’elle est conçue, et que nous l’appelions vrai, je dis que ce vrai peut se trouver dans la première opération de l’intellect. Car l’intellect conçoit la chose même telle qu’elle est en soi, et il conçoit ainsi le vrai: or l’intellect ne conçoit point le vrai dans sou opération première, parce que, ou il atteint la nature de la chose, et alors il conçoit le vrai, ou il ne l’atteint pas, et alors il l’ignore, et il n’y a pas là proprement une non conformité de la chose conçue avec sa nature, parce que cette chose n’a pas été conçue, mais bien quelque autre; c’est pourquoi il n’y a point là la fausseté qui emporte proprement la déception et non pas l’ignorance seule. C’est la raison pour laquelle Aristote dit dans le livre Tu de l’âme, que l’intellect qui comprend la quiddité d’une chose est toujours vrai. Or ce n’est pas là comprendre parfaitement la Vérité qui est la conformité de l’une et l’autre choie, à savoir, de la chose telle qu’elle a été conçue et de la chose dans sa nature, mais c connaître une chose conforme ou vraie. Mais objectivement la vérité se trouve parfaitement et complétivement dans la seconde opération de l’intellect. Car saisir la vérité, c’est saisir la conformité de la chose conçue avec elle-même, suivant sa nature, comme on l’a dit. Or cela se fait en comparant une chose à l’autre, ou la même chose à elle-même, suivant une autre chose et un autre être, ce qui ne peut se faire que par la seconde opération de l’intellect. Donc la vérité ne se trouve parfaitement que dans l’intellect composant ou divisant, j’en dis autant de la fausseté. Mais les choses seront plus claires en suivant la seconde opinion dont nous avons parlé. Car si la vérité est la conformité de la chose avec l’intellect informé par la similitude de cette chose, le vrai se trouvera dans la première opération de l’intellect, parce qu’il s’y trouvera cette conformité, mais alors le vrai ne sera pas dans l’intellect comme dans un sujet connaissant le vrai. En effet l’intellect ne connaît le vrai qu’en composant ou en divisant, suivant son jugement, et si ce juge ment est d’accord avec les choses, il sera vrai, c’est-à-dire, lorsque l’intellect juge qu’il est informé par la similitude de la chose telle qu’elle est. C’est tout le contraire par rapport au faux, et tout cela appartient à la seconde opération de l’intellect, et non à la première. D’après ce que nous venons de dire, on peut voir clairement que la vérité ou la fausseté ne se trouvent que dans l’énonciation, comme dans un signe. En effet, si la seule énonciation est le signe des choses qui sont objectivement dans la seconde opération de l’intellect, et si le vrai et le faux ne sont que là, le vrai ou le faux ne se trouveront que dans l’énonciation, et non dans toute autre voix, soit locution, soit discours. Telle est l’énonciation.
Aristote divise l’énonciation de trois manières, d’abord comme l’analogue dans son analogue. Car il dit qu’il y a une énonciation simplement une, et une autre une par conjonction. L’énonciation simple ment une est l’énonciation catégorique ou prédicative. L’énonciation catégorique est celle qui a un sujet et un prédicat comme principales parties d’elle-même, comme l’homme est un animal, homme est sujet, animal est prédicat, comme le troisième adjacent est affirmé, ce verbe est appelé conjonction ou copule verbale. L’énonciation hypothétique ou suppositive est appelée une par conjonction, comme si l’homme est il est animal. Cette division de l’énonciation se fait aussi de l’ana logue en son analogue, dont il est dit par priorité ou par postériorité, car une chose est simplement antérieure à une autre par conjonction. Secondement il divise l’énonciation comme un genre en ses espèces; car il la divise en affirmation et négation, qui sont des espèces de l’énonciation. En effet, quoique l’affirmation soit antérieure à la négation, ce n’est pas néanmoins pour cela que l’énonciation se dit d’elles analogiquement, comme il a été dit qu’elle s’affirme d’une chose simplement une, et d’une chose une par conjonction. li faut observer qu’une des choses qui divisent quelque chose de commun peut être antérieure à l’autre de deux manières. La première, suivant les caractères ou natures propres des diviseurs, la seconde suivant la majeure partie de l’objet commun qui est divisé en elle. Or la première n’enlève pas l’univocation de genre, comme c’est évident dans les nombres dans lesquels le nombre deux est naturellement, suivant sa propre nature, antérieur au nombre trois, néanmoins ils participent également à la nature commune, c’est-à-dire à la nature du nombre. Car ainsi le nombre trois comme le nombre deux, c’est la multiplicité mesurée par l’unité. Or la seconde priorité empêche l’univocation de genre, et à cause de cela l’être ne peut pas être le genre de la substance ni de l’accident, car la substance qui est l’être par soi a, dans la nature de l’être, l’existence avant l’accident qui est l’être dans un autre ou dans une autre chose. De même dans la proposition; quoique l’affirmation de la première manière, c’est-à-dire suivant sa nature, soit antérieure à la négation, il n’en est pas de même de la seconde manière, bien plus, elles participent également à la nature de l’énonciation, car l’une et l’autre est un discours signifiant le vrai ou le faux. Or, suivant sa nature, l’affirmation est antérieure à la négation Car l’affirmation est l’énonciation d’une chose à l’égard d’une autre, comme l’homme est un animal et la négation est l’énonciation d’une chose par une autre, comme l’homme n’est pas une pierre. Or l’énonciation, ainsi qu’il a été dit, étant une voix significative, ne signifie pas une chose immédiatement, mais au moyen de la conception de l’intelligence. C’est pourquoi il faut considérer trois choses dans toute énonciation, à savoir, la voix elle-même, qui est le signe de la conception de l’intelligence, et la conception elle-même de l’intelligence, qui est la similitude de la chose, et enfin la chose même. Relativement à la voix, l’affirmation est antérieure à la négation, parce qu’elle a moins de la composition que la négation; car il y a plus de mots dans Socrate ne court pas, qu dans Socrate court, et, par conséquent, elle est plus composée. Du côté de l’intellect, l’affirmation qui signifie composition est antérieure à la négation qui signifie division. Car la division est postérieure à la composition comme il n’y a de corruption que dans les êtres engendrés, il n’y a de division que dans les êtres composés. Du côté même de la chose, l’affirmation qui signifie l’être est antérieure à la négation qui signifie le non être, comme l’habitus est naturellement antérieur à la négation. La troisième division de l’énonciation se fait en universelle, particulière, indéfinie et singulière. Or la suffisance de ces divisions peut être prise ainsi. En effet, dans l’énonciation il faut considérer toute son entité qui vient du sujet et du prédicat avec leur conjonction. Et comme tout ce qui est existe, parce que c’est un numériquement’, c’est pour cela que l’on considère si elle est simplement une, ou une par conjonction, et on dit que cette division appartient à la substance de l’énonciation. Secondement, il faut considérer en elle le prédicat, en tant qu’il est combiné avec le sujet sans négation ou avec négation; et comme le prédicat est la partie formelle de l’énonciation, c’est pour cela qu’on dit que cette division appartient à la qualité de l’énonciation, qualité essentielle, suivant que la différence signifie quale quid, comme il a été dit. En troisième lieu, il faut considérer en elle le sujet lui-même, en tant que prédicable de plusieurs choses ou d’une, et ainsi se fait la troisième division, que l’on dit appartenir à la quantité de l’énonciation, car la quantité suit la matière. D’où le vers:
Quae vel hyp. qualis, ne. vel aff. u.
quanta par. in sin.
Ce vers s’explique ainsi. Il y a trois noms interrogatifs, à savoir, quœ, qui questionne sur la substance, qualis, qui le fait de la qualité, et quanta, qui interroge sur la quantité. C’est pourquoi quand l’interrogation se fait par quœ, en s’informant de la substance de l’énonciation, on répond par la catégorique ou l’hypothétique. Quand l’interrogation se fait par qualis, la réponse est négative ou affirmative; quand elle se fait par quanta, la réponse est universelle, parti culière, indéfinie ou singulière. Nous parlerons de la première division de l’énonciation dans le traité des énonciations hypothétiques. Nous avons assez parlé de sa seconde division.
Il nous reste à parler de la troisième division qui est suivant la quantité. Remarquez bien que parmi les énonciations catégoriques, il y en a qui sont de inesse, et d’autres modales. L’énonciation est dite de inesse, lorsqu’elle offre une simple inhérence du prédicat au sujet; comme l’homme est un animal. L’énonciation modale est celle dans laquelle l’inhérence du prédicat au sujet est modifiée, comme, il est possible que Socrate coure, l’homme est nécessairement un animal. C’est pourquoi nous allons parler d’abord de la quantité, des équipollences, des oppositions qui suivent la quantité dans les énonciations de inesse, et secondement dans les énonciations modales. Pour connaître la qualité de ces énonciations de inesse, il faut savoir que dans les choses que l’intellect conçoit, il en est d’universelles, c’est-à-dire, qui sont propres à se trouver dans plusieurs, d’autres singulières, qui ne peuvent se trouver que dans une seule chose. Or on peut considérer ce est universel de deux manières; première ment, comme séparé des choses singulières, c’est-à-dire, suivant l’être qu’il a objectivement dans l’intellect, secondement, suivant l'être qu’il a dans les choses singulières. L’universel étant considéré sous le premier point de vue, une chose peut être énoncée de lui de deux manières encore; la première, quand on lui attribue quelque chose qui n’appartient qu’à l’action de l’intellect, comme lorsque nous disons, l’homme est prédicable de plusieurs, ou l’homme est universel, ou l’homme est une espèce. Car l’intellect forme ces sortes d’intentions et les attribue à la nature conçue, comme à l’homme, suivant qu’il la compare aux choses qui sont hors de l’âme. En second lieu, on énonce quelque chose de l’universel ainsi pris, quand on lui ‘attribue quelque chose, selon que la nature conçue est saisie par l’intellect comme une unité, néanmoins ce qui lui est attribué n’appartient pas à l’acte de l’intellect, mais à l’être qu’a la nature conçue elle-même dans ]es choses qui sont hors de l’âme, comme si l’on disoit, l’homme est la plus digne des créatures, car cela convient à la nature humaine en tant qu’elle se trouve dans les singuliers. Chaque homme en particulier est en effet plus digne que les autres créatures privées de raison néanmoins tous les hommes en particulier ne sont pas un homme hors de l’âme, comme il est dit dans la précédente énonciation, l’homme est la plus digne des créatures, dans laquelle homme est pris pour chacun en particulier; mais il n’est qu’un dans l’acception de l’intellect. Et comme on ne comprend pas communément que les universels subsistent hors des singuliers, le langage commun n’a pas de terme ou de signe pour l’ajouter à l’universel, suivant les différents modes par lesquels une chose est affirmée de lui. Mais Platon qui a enseigné que les universels subsistaient hors des singuliers, imagine certains termes, qu’il appliquait aux universels dans ces modes de prédication. Car il disoit, par soi l’homme est une espèce, ou l’homme prédicable est une espèce. Secondement, une chose est énoncée de l’universel, suivant qu’il se trouve dans les singuliers, et cela de deux façons; la première, quand on lui attribue quelque chose à raison de l’universel lui-même, laquelle chose appartient à son essence, ou suit ses principes essentiels, comme lorsqu’on dit, l’homme est un animal, ou l’homme est risible; la seconde manière, c’est quand on lui attribue quelque chose à raison du singulier où il se trouve, c’est-à-dire quand on lui attribue quelque accident individuel, comme lorsqu’on dit, il ne se promène pas. Et comme cette manière d’énoncer quelque chose de l’universel est à la portée de l’intelligence de tous les hommes, on a imaginé certains ternies pour désigner la manière d’attribuer quelque chose à l’universel ainsi pris. C’est pourquoi si on lui attribue quelque chose de la première manière, c’est-à-dire à raison de lui-même en tant qu’universel, parce que c’est lui attribuer quelque chose universellement, on a trouvé ce signe tout, qui exprime que le prédicat est attribué universellement au sujet, suivant tout ce qui est contenu dans le sujet. Dans les prédications négatives, on a inventé pour la même fin ce terme nul, qui signifie que le prédicat est exclu du sujet universellement, suivant tout ce qui est contenu en lui. Si, au contraire, on lui attribue quelque chose de la seconde manière, c’est-à-dire à raison du singulier, pour le désigner dans les affirmatives, on a trouvé un signe particulier, à savoir, quelque, qui désigne que le prédicat est attribué universellement au sujet, à raison du particulier. Mais comme il désigne d’une manière indéterminée la forme d’un singulier il désigne de même l’universel avec un sorte d’indétermination. Aussi s’appelle-t-il un individu vague. Pour les négations, on n’a pas trouvé d’autre terme ou d’autre signe, mais nous disons, quelque homme ne court pas. Ainsi donc, il y a trois genres d’affirmations dans lesquelles une chose se dit de l’universel; l’une par laquelle une chose se dit universellement de l’universel, comme tout homme est animal; la seconde par laquelle une chose se dit en parti culier de l’universel, comme quelque homme est blanc. La troisième par laquelle quelque chose se dit de l’universel sans détermination universelle ou particulière, comme l’homme est animal. La première énonciation s’appelle universelle, la seconde particulière, la troisième indéfinie; si à ces trois on ajoute la singulière, par laquelle une chose se dit d singulier, comme Socrate court, il y aura quatre modes d’énonciations, susceptibles d’être négatives comme elles sont affirmatives. Tel est, etc.
Nous allons dire maintenant quelle est l’opposition de ces énonciations, universelles, particulières et indéfinies. Remarquez qu’une chose peut être opposée à une autre de quatre manières, 1° relative ment, comme le père et le fils; 2° contradictoirement, comme Socrate court, Socrate ne court pas; 3° privativement, comme la vue et la cécité; 4° contrairement, comme la blancheur et la noirceur. Nous avons parlé des oppositions relatives dans le prédicament de relation. La contradiction est une opposition qui n’admet par elle-même aucun milieu. Pour qu’il y ait contradiction entre certaines choses, sept conditions sont requises.
1° D’abord il faut deux propositions opposées, dont l’une affirmative et l’autre négative;
2° que ces énonciations regardent le même sujet;
3° qu’elles se rapportent au même prédicament;
4° que la prédication ne se fasse pas par rapport à diverses parties du sujet, comme quand on dit, Socrate a les dents blanches, et Socrate n’a pas la main blanche;
5° qu’il n’y ait pas une manière différente du côté du prédicat, comme lorsqu’on dit, Socrate court lentement et Socrate ne court pas rapidement;
6° qu’il n’y ait pas de différence du côté de la mesure du lieu et du temps;
7° qu’il n’y ait pas de diversité dans l’habitus, relativement à quelque chose d’extrinsèque, comme lorsqu’on dit, dix hommes font un grand nombre dans une maison, et ne font pas un grand nombre dans un théâtre. La privation est négative dans un sujet doué d’une aptitude propre. En effet, quoique la cécité exclue la vision, elle ne le fait pas simplement, mais bien dans un sujet susceptible naturellement de voir. Car on dit bien un animal aveugle, mais non pas une pierre aveugle. Il y a contrariété d’opposition dans les choses qui, placées dans le même genre, sont très éloignées les unes des autres, et se trouvent tour-à-tour dans le même sujet. Car la blancheur n’est pas opposée à la blancheur, mais bien la noirceur, choses qui sont très distantes l’une de l’autre. Il faut savoir que l’opposition ne se dit pas des susdites oppositions, comme le genre de ses espèces, mais bien comme l’analogue de son analogue. La vraie opposition, en effet, est l’opposition simpliciter, qui s’appelle contradiction. Les autres oppositions sont des oppositions secundum, quid, et ne sont des oppositions qu’en tant qu’elles expriment en quelque sorte contradiction, à savoir, l’être et le non être. Il faut savoir aussi que dans la contradiction la négation est opposée à l’affirmation, de telle sorte qu’elle ne suppose rien. Mais dans la privation, la privation est opposée à l’habitus, de manière à supposer le sujet. Dans la contrariété, l’opposition est telle qu’il y a supposition du sujet et de quelque forme; en effet, la blancheur est opposée à la noirceur, de telle manière qu’elle suppose quelque sujet à raison de quoi l’on dit qu’elles se succèdent tour à tour, et la blancheur produit une forme que ne constituent ni la négation, ni la privation. Il faut savoir que l’universelle affirmative est opposée à l’universelle négative du même sujet et prédicat contrairement. C’est pourquoi, tout homme est blanc et nul homme n’est blanc, sont des propositions contraires. La raison en est en ce que les choses très distantes entre elles ont une opposition contraire. Car on n’appelle pas mie chose noire par cela seul qu’elle n’est pas blanche, mais parce qu’à la privation de blancheur qui exprime l’exclusion du blanc, elle ajoute le noir, suprême exclusion du blanc. Donc ce qui est affirmé par cette énonciation, tout homme court, doit être exclu par cette négation, tout homme ne court pas; car il faut que la négation écarte le mode dont le prédicat se dit du sujet désigné par ce signe tout; mais à cette exclusion cette proposition, nul homme ne court, ajoute l’exclusion la plus extrême. C’est donc à bon droit qu’on appelle contraires ces propositions, tout homme court, nul homme ne court. La particulière affirmative et la particulière négative ne sont nullement opposées contrairement, c’est-à-dire d’une opposition contraire. Car les choses contraires sont séparées par une grande distance, et la particulière affirmative et la particulière négative se trouvent être des milieux entre les contraires; or les milieux ne sont pas contraires, et n’offrent même pas une opposition contradictoire. En effet, ainsi qu’il a été dit, ce signe quelque, qui constitue une proposition parti culière, désigne l’universel ou le terme commun d’une manière in déterminée; c’est pourquoi il ne le détermine pas à telle ou telle chose singulière. Et pour cette raison l’affirmation et la négation ne se trouveront pas dans le même sujet singulier, ce qui est requis, comme on l’a dit plus haut; aussi il n’y aucune opposition. Elles s’appellent cependant sous-contraires, parce qu’elles sont renfermées sous des contraires. L’universelle affirmative et la particulière négative, l’universelle négative et la particulière affirmative sont opposées contradictoirement. La raison en est que la contradiction consiste dans la exclusion de l’affirmation par la négation; or l’universelle affirmative est exclue par la seule négation particulière, et il ne faut rien de plus. Comme par cette proposition, quelque homme ne court pas, est exclue celle-ci, tout homme court. Mais la particulière affirmative ne peut être exclue par la particulière négative, parce qu’elle ne lui est pas opposée, comme il a été dit; il faut donc qu’elle le soit par l’universelle négative. Ainsi donc ces propositions, tout homme court, quelque homme ne court pas, et nul homme ne court, quelque homme court, sont contradictoires. Toute particulière est subalterne de son universelle. Telles sont les oppositions des propositions, où se trouvent des signes et des singulières. Les indéfinies suivent la règle des particulières.
Il nous reste maintenant à parler des équipollences de ces énonciations, en quoi il faut observer que la négation mise avant le signe et par conséquent avant toute l’énonciation, est équivalente à sa contradictoire, placée au contraire après le signe dans la composition de l’énonciation, elle la rend équivalente à sa contraire, avant et après elle la rend équivalente à sa subalterne; voici la cause de ces équipollences. En effet, dans les énonciations il faut considérer la quantité, c’est-à-dire, l’univers la particularité et la qualité, c’est-à-dire, la négation et l’affirmation; il est de la nature de la négation de nier et d’exclure tout ce qui se trouve après elle. Ainsi donc cette énonciation, tout homme court, est universelle et affirmative, si on la fait précéder par la négation, c’est tout homme ne court pas, cette négation détruit l’universalité et ainsi elle reste particulière ou indéfinie, c’est-à-dire sans signe, elle équivaut à la particulière, elle enlève l’affirmation et par conséquent reste négative. Elle est donc équivalente à celle-ci, quelque homme ne court pas, qui était sa contradictoire. De même soit cette énonciation, nul homme ne court, il est certain que si à cette proposition universelle et négative on ajoute la négation et on dit, quelque homme court, la négation détruit l’universalité; ce sera donc une particulière: elle détruit aussi la négation et elle sera ainsi affirmative, quelque homme court, ce qui était sa contradictoire, il en sera de même des particulières. En effet, cette proposition, non quidam homo currit, équivaut à celle-ci, nullus homo currit, et pour la même raison celle-ci, non quidam homo non currit, équivaut à celle-ci, quilibet homo currit. De même en prenant cette énonciation, munis homo currit, et mettant la négation après le signe universel de cette manière, omnis homo non currit, la négation ne trouvant pas le signe après elle, ne le nie pas, et par conséquent l’énon ciation reste universelle: niais la négation détruit l’affirmation et de cette façon l’énonciation devient négative et universelle, elle équivaut donc à sa contraire, c’est-à-dire à celle-ci, nullus homo currit. De même celle-ci, nullus homo currit, est universelle et négative, car le signe négatif nie la composition de l’énonciation.
Que l’on mette donc après la négation et qu’on dise, nullus homo non currit, la négation n’ayant pas de signe après elle reste une énonciation universelle, et comme elle était négative dans la composition, elle détruit la négation et reste affirmative, omnis homo currit, ce qui était sa contraire. Qu’on prenne également celle-ci, omnis homo currit, qui est universelle et affirmative, qu’on la fasse précéder et suivre de la négation, de cette manière, non omnis homo non currit, il est certain que la seconde négation nie sa composition. C’est pourquoi en supposant qu’elle fût négative, omnis homo non currit, il s’ensuit que la négation précédente trouve après elle l’universalité qu’elle détruit et la rend ainsi particulière, elle trouve également la négation qu’elle détruit et la rend affirmative, et elle devient celle-ci, quidam homo currit, qui était sa subalterne. Il en est de même de toutes les autres en les faisant précéder et suivre de la négation, parce qu’elles équivalent à leur subalterne qu’il soit universel ou particulier. Il faut observer qu’il arrive quelquefois qu’il se rencontre dans la même énonciation deux signes universels négatifs, l’un dans le sujet et l’autre dans le prédicat, comme dans celle-ci, nullus homo nullum animal est, je dis que cette proposition équivaut à cette autre, omnis homo aliquod animal est. La raison en est que chacun de ces signes est universel et renferme en soi la négation; et comme la négation ne précède pas le pr&nier signe, l’énonciation reste universelle. Donc la négation renfermée dans le premier signe qui est un signe universel et négatif précède la négation ou le second signe qui est un signe universel et un signe négatif; et comme elle trouve l’universalité, il s’ensuit qu’elle détruit cette universalité et reste particulière; elle détruit aussi la négation et de cette manière elle reste une énonciation affirmative, omnis homo aliquod animal est. Que l’on dise, comme on le fait communé ment, que nullus non équivaut à omnis, et je dis que non est la négation renfermée dans le second signe, tandis que non nullus équivaut à quoddam, et je prends nullus non pour la négation qui est dans le premier signe, et il reste ainsi cette proposition, omnis homo aliquod animal est. On fait de toutes ces équipollences le vers suivant
Prœ contradic. post contra. prae postque
subalter.
lequel s’explique ainsi; prœ, c’est-à-dire la négation précédente, le contradic., fait équivaloir à son contradictoire; post, la négation mise après fait équivaloir à son contraire, prœ post que, la négation qui précède et qui suit fait équivaloir à son subalterne. Telles sont les équipollences des énonciations catégoriques.
Nous allons dire maintenant quels sont les rapports de ces énonciations à la vérité et à la fausseté. Remarquez bien, ainsi qu’il a été dit, qu’une chose peut-être énoncée de l’universel en tant qu’il se trouve dans les singuliers de deux manières, affirmativement, et être écartée négativement, la première quand on lui attribue quelque chose à raison de l’universel même, soit que cela appartienne à son essence ou suive ses principes essentiels, comme lorsqu’on dit homo est animal risibile, et c’est ce qu’on appelle la matière naturelle ou nécessaire. Ce qui est exclu de l’universel de cette manière à raison de la nature même, c’est-à-dire de l’universel, est appelé matière éloignée ou impossible, comme homo est asinus. En second lieu, quand on lui attribue quelque chose à raison de quelque singulier où se trouve cette nature de l’universel, comme lorsqu’on dit, homo currit, et c’est ce qu’on appelle matière contingente. Il faut savoir que dans la matière naturelle et dans la matière éloignée, si une des contraires est vraie, l’autre est fausse et réciproquement. La raison en est que si la matière qui se trouve en rapport avec la nature de l’universel est appelée matière naturelle, il s’ensuit qu’elle convient à tout ce qui est contenu en lui, de telle façon que l’universelle affirmative sera vraie, et l’universelle négative qui exclut cette matière de tout ce qui est contenu en lui, sera nécessairement fausse. Car elle dit que ce qui est n’est pas, et c’est là la fausseté, dire que ce qui est n’est pas ou que ce qui n’est pas est. De même dans la matière éloignée l’universelle négative est vraie, parce qu’elle écarte tel prédicat de tout ce qui est contenu sous tel universel. Donc l’universelle affirmative sera aussi alors dite fausse, parce qu’elle dit que ce qui n’est pas est, et il en sera de même par rapport à elle pour ses subalternes particulières. Comme en effet, la matière naturelle convient à tout ce qui est contenu sous l’universel, il en résulte que dans cette matière la particulière affirmative sera vraie, et la négative fausse le contraire aura lieu dans la matière éloignée, au contraire dans la matière contingente les deux contraires peuvent être fausses; on peut en trouver la raison dans ce que nous avons dit. Si, en effet, dans cette matière on n’attribue quelque chose à l’universel qu’à raison de quelque particulier contenu en lui, il est faux de l’affirmer de tous les particuliers, parce qu’on dit être ce qui n’est pas; il est également faux de le nier de tous les particuliers ou singuliers, parce qu’on dit que ce qui est n’est pas. Elles sont donc toutes deux fausses, les particulières, au Contraire, sont toutes deux vraies, parce que chacune peut se conserver dans une singulière. Aristote en donne une autre raison Les contraires, dit-il, s’excluent mutuellement. Ces deux contraires ne pourront donc pas subsister ensemble, ce qui est vrai, néanmoins rien n’empêche que leurs exclusions subsistent ensemble; de même que le blanc et le noir ne peu vent subsister ensemble, cependant rien n’empêche que leurs exclusions subsistent ensemble, carie faux est l’exclusion des deux qualités. Dans toute matière soit naturelle, soit éloignée, soit contingente, si une des contradictoires est vraie, l’autre est fausse et réciproquement. En effet, ou les énonciations contradictoires sont singulières, comme il a été dit, ou l'une est universelle et l’autre particulière et sont telles que l’une exclue l’autre. C’est pourquoi si l’une est négative, l’autre est affirmative, et si l’affirmative est vraie, elle dit que "ce qui est" est réellement, ce qui est le vrai, comme il est dit au liv. IV de la Métaphysique: Car le vrai est que ce qui est soit réellement, et que ce qui n’est pas ne soit réellement pas. Le faux, au contraire, est que ce qui est ne soit pas, et que ce qui n’est pas soit. La négative contradictoire sera fausse parce qu’elle dit que ce qui est n’est pas, pareille ment si la négative est vraie, elle dit que ce qui est n’est pas, et l’affirmative dit alors que ce qui n’est pas est réellement, ce qui est faux. Et comme il n’y a pas de milieu entre être et ne pas être et que l’un exclut l’autre, parce qu’on ne peut dire du même sujet des choses impossibles et que l’être et le non être ne peuvent être vrais en même temps, il en est de même des contradictoires, parce que l’une attribue l’être et l’autre le non être au même sujet; c’est pour cela que l’une exclut toujours l’autre. Comme le vrai et le faux consistent dans cet être et ce non être, comme il a été dit, il n’y a donc pas de milieu, si l’une est vraie, l’autre est fausse et réciproquement. Voilà en quoi consiste la vérité ou la fausseté des propositions de inesse, etc.
Nous allons parler maintenant des propositions modales. Le mode, dans le sens Où il est pris ici, est une détermination adjacente à la chose, c’est-à-dire une détermination faite par un adjectif. Or il y a deux sortes d’adjectif, l’adjectif de nom, comme blanc et noir, et l’adjectif de verbe, tels que les adverbes. Comme l’adverbe est joint au verbe et s’appuie toujours sur lui, il s’appelle pour cette raison adjectif du verbe. Il y aura donc ainsi deux modes, le mode nominal, comme lorsqu’on dit une course rapide; et le mode adverbial, comme lorsqu’on dit il court rapidement. Il faut observer que les adverbes peuvent déterminer les verbes de plusieurs manières: quelques-uns les déterminent à raison de l’action ou de la passion qui signifie le verbe, comme je cours rapidement, ou j’agis courageusement, et t’est ce que font les adverbes qualificatifs. Quelques-uns à raison du temps, comme les adverbes temporaux; d’autres à raison du mode, comme les adverbes vocatifs ou optatifs. D’autres déterminent le verbe à raison de la composition qu’il opère dans le discours, et ceux-ci sont au nombre de six, à savoir: necessario, impossibiliter, possibiliter, contingenter, vero et falso. En effet, lorsqu’on dit: Socrate court rapidement, on exprime que sa course est rapide; mais lorsqu’on dit: Socrate court nécessairement, on ne veut pas dire que sa course soit nécessaire, mais bien que cette composition, Socrate court, est nécessaire, et de même des cinq autres adverbes précités. II faut savoir que ces six adverbes sont de vraies énonciations modales, parce qu’ils peuvent faire des propositions modales pris adverbialement, comme lorsqu’on dit: Socrate court nécessairement, et nominalement, comme lorsqu’on dit qu’il est nécessaire que Socrate coure, et ainsi des autres. Il est vrai que deux de ces modes, à savoir: vero et falso ne diversifient pas l’énonciation relativement aux oppositions, aux équipollences et autres choses de ce genre, mais ils ont les mêmes rapports ou sont pris ici comme dans les catégoriques de inesse, aussi nous n’en dirons rien. Mais nous allons parler des quatre autres ad verbes, à savoir: possibiliter, impossibiliter, necessario, contingenter, parce qu’ils diversifient les susdites énonciations. Nous nous occuperons pour le, moment de quatre choses à ce sujet, de la quantité, de la qualité, des oppositions et équipollences, parce qu’il sera question de leur conversion dans le traité des syllogismes où l’on parlera égale ment de la conversion des énonciations de inesse. Or, pour connaître leur quantité, il faut observer qu’il y a des propositions modales de diction, comme Sortem currere est necesse, dans lesquelles la diction est sousajoutée et le mode énoncé: et celles-ci sont vraiment modales, parce qu’ici le mode détermine le verbe à raison de la composition, comme il a été dit plus haut. Il en est d’autres qui sont modales de re, dans lesquelles le mode est interposé à la diction, comme Sortem necesse est currere. En effet, le sens n’est pas que cette diction est nécessaire, je veux dire sortem currere, mais le sens est qu’il y a dans Socrate la nécessité de courir. La chose est plus claire dans le possible, car lorsqu’on dit Sortem currere est possibile, le sens est que cette diction Sortem currere est possible; mais lorsqu’on dit Sortem possibile est currere, le sens est qu’il y a dans Socrate la possibilité de courir. Il y a encore d’autres énonciations qui paraissent modales et qui ne le sont pas, quand le mode est sous-ajouté et la diction énoncée, comme possibile est Sortem currere. La raison en est que la dénomination doit se tirer de la forme; or dans l’énonciation le formel est le prédicat et doit par conséquent être dénommé par le prédicat: donc, quand dans l’énonciation la prédication tombe sur le mode, elle est modale, quand c’est sur la diction, elle ne l’est pas. Il faut savoir que toutes les énonciations modales de dicto sont singulières, quel que soit en elles le signe universel. C’est pour celle-ci, omnem hominem currere, est singulière, et ainsi de toutes les autres. La raison, c’est que, comme il a été dit, l’énonciation est appelée singulière, parce qu’il y a en elle un singulier, ou un terme singulier comme Socrate court. Mais dans ces énonciations ou insère cette diction déterminée, omnem hominem currere, qui est prise tout entière pour un terme dé terminé. Donc touts ces énonciations sont singulières. Mais dans les modales de re et dans celles qui paroissent modales sans l’être, la quantité est prise suivant qu’il y a dans la diction des termes et des signes. C’est pourquoi celle-ci, possibile est omnem hominem currere, est universelle; et celle-ci, possibile est aliquem hominem currere, est particulière; ainsi en est-il des modales de re. Telle est leur quantité.
Quant à leur qualité, il faut noter que dans les énonciations d'inesse, il y a trois choses à considérer, à savoir, le sujet, le prédicat et la combinaison de l’un et de l’autre, qui quelquefois ont des rap ports, comme dans les choses naturelles. Dans l’homme il faut considérer le corps, l’âme et l’humanité. Le corps est la matière, l’âme est la forme qui est une partie du composé, c’est pourquoi elle est forme par rapport au corps, et l’humanité est forme par rapport à l’un et à l’autre, c’est-à-dire au corps et à l’âme. Ainsi, dans la proposition ci-dessus, clans l’énonciation, le sujet est comme la matière, le prédicat comme la forme qui est une partie du composé. C’est pourquoi il est comme forme à l’égard du sujet, tandis que la composition est forme à l’égard de l’un et de l’autre. Aussi l’affirmation et la négation y sont-elles prises suivant la compo ou la division, lorsqu’il y a négation. C’est pourquoi lorsqu’il n’y a pas de négation dans la composition, l’énonciation est affirmative, mais s’il y a négation, l’énonciation est négative. Le mode est pour les modales ce qu’est le prédicat pour celles de inesse, parce qu’il est comme la forme par rapport à la diction; aussi, si le mode se combine avec la phrase d’une manière affirmative, la modale sera affirmative, si c’est négativement, la pro position sera négative. Celle-ci, en effet, Sortem non currere est pos- sibile, est affirmative, parce que la combinaison est quelque peu affirmée par la phrase. Mais cette autre, Sortem currere non est possibile, est négative parce que cette composition est niée. On le voit clairement dans leur Vérité et leur fausseté. En effet, l’affirmation sur le même singulier est opposée contradictoirement à la négation, et par conséquent, si l’une est vraie, l’autre est fausse. Mais celles-ci, Sortem currere est possibile, Sortem non currere est possibile, sont toutes deux vraies, parce que Socrate peut courir et peut ne pas courir, et la possibilité est vraie à l’égard de l’une et l’autre phrase. Donc l’une n’est pas affirmative et l’autre négative. Il faut savoir que, bien que l’énonciation modale soit dite affirmative ou négative du mode affirmé et nié, chacune peut néanmoins se diversifier de quatre manières, parce qu’elle aura et la diction affirmée, comme, Sortem currere est possibile, ou l’un et l’autre nié, comme, Sortem non currere non est possibile, ou la diction niée et le mode affirmé, comme, Sortem non currere est possibile, ou la diction affirmée et le mode nié, comme, Sortem currere non est possibile. Telle est la qualité.
Nous allons parler maintenant de leur opposition. Notez bien que les modales de cette espèce sont différentes suivant l’affirmation et la négation dans la diction et dans le mode comme on vient de le dire, et c’est ainsi qu’elles produisent des oppositions entre elles. Mais comme les différents modes sont opposés les uns aux autres, nous allons d’abord nous occuper des oppositions des modales suivant les différents modes, ensuite nous ramènerons un mode à un autre, et l’on verra ainsi clairement les oppositions. Il faut observer que le possible peut se prendre de deux manières; ou dans son tout signifié, et alors il comprend le nécessaire et le contingent, et ainsi ce qui a la nécessité d’être a la possibilité d’être, et ce qui est contingent dans l’être a la possibilité d’être. De la seconde manière il n’est pris que pour le contingent, et c’est ainsi qu’il est pris dans ces oppositions. C’est pourquoi, quoiqu’il y ait quatre énonciations modales, il n’y en a que trois qui opèrent une diversité dans les oppositions et les équipollences, parce qu’on prend pour la même une chose du contingent, et une autre chose du possible. Disons donc quelque chose de ces trois modes, à savoir, le nécessaire, le possible, l’impossible. Et quoique, quand la prédication se fait substantiellement de la diction et du mode, l’énonciation ne soit point modale, elle est néanmoins ramenée promptement à la modale, et c’est ainsi que nous nous servirons bientôt de ces énonciations. Il faut savoir que, comme ou l’a dit dans les énonciations de inesse, ce signe tout signifie que le prédicat de l’énonciation est attribué au sujet, suivant tout ce qui est contenu en lui. Au contraire, ce signe nul exclut du sujet tout ce qui est contenu en lui, et c’est pour cela que l’universelle affirmative et l’universelle négative sont contraires. De même, dans ces énonciations modales, ce mode necesse fait signifier toute l’inhérence du sujet au prédicat, parce que ce qui est nécessairement inhérent est inhérent à telle chose tout entière, et tient par conséquent la même place, c’est-à-dire la modale affirmative de necessario, et l’universelle affirmative de inesse. Et comme aucun n’exclut le tout, il en est de même de l’impossible, parce que ce qui inest impossibiliter, nuili tali inest, et par conséquent la proposition de l’impossible tient lieu de l’universelle négative. Et comme en affirmant on ne met pas toute l’inhérence, de même en niant on n’exclut pas tout ce qui est contenu sous le sujet; ainsi ce mode possibile, parce que ce qui possibiliter inest, n’est pas inhérent à tout, et ce qui possibiliter non inest, non inest nulli, aussi le possible en affirmant tient la place de la particulière affirmative, et le possible eu niant tient lieu de la particulière négative. Donc, suivant ce que nous venons de dire, ces énonciations, il est nécessaire d’être, et il est impossible d’être sont contraires; - il est nécessaire d’être et il est possible de ne pas être sont contradictoires; - il est impossible d’être et il est possible d’être sont contradictoires; il est possible d’être et il est possible de ne pas être sont sous-contraires; il est nécessaire d’être et il est possible d’être sont subalternes; - il est impossible d’être et il est possible de ne pas être sont subalternes, comme on le voit dans la figure suivante:
rer par les négations placées dans la diction ou dans le mode. Car les équipollences des modales s’opèrent de la même manière que dans les énonciations de inesse, suivant ce vers
Prae contradic. Post contra, prae
postque subalter
En effet la négation préposée au mode le rend équipollent à son contradictoire, d’où cette proposition, non necesse est esse, est équivalente à celle-ci, possibite est non esse, et cette autre, non impossibile est esse, est équivalente à celle-ci, possibile est esse. Mais la négation placée après le mode le rend équipollent à son contraire, d’où cette proposition necesse est non esse, équivaut à celle-ci, impossibile est esse; et cette autre, impossibile est non esse, équivant à celle-ci, necesse est esse, prae post que subalter, c’est-à-dire, la négation placée avant et après le mode le rend équipollent à son subalterne. D’où cette proposition, non necesse est non esse, équivaut à celle-ci, possibile est esse, et de même cette autre, non impossibile est non esse, équivant à celle-ci, possibile est non esse. D’après ce que l’on vient de dire on peut voir de quelle manière les oppositions des propositions de même mode sontvariées par les négations. Par exemple dans les énonciations de neeessario, celle-ci, necesse est esse, et cette autre, non necesse est esse, sont contradictoires: et celle-ci, non necesse est non esse, et, necesse est esse, sont subalternes, et il en est de même de chacune des autres énonciations modales, par ce vers
Amabimus edentuli:
illiace, purpurea.
Il nous reste maintenant à parler des énonciations hypothétiques ou suppositives, ce qui est la même chose. L’énonciation hypothétique se définit ainsi: L’énonciation hypothétique est celle qui a deux de ses parties principales catégoriques comme si l’homme court, l’homme se meut; il est évident que celle-ci, l’homme court, est une énonciation catégorique, et celle-là, l’homme se meut, en est une autre. Je dis parties principales, parce que les termes
sont les parties principales de la proposition catégorique, et ne sont pas cependant les parties principales de la proposition hypothétique, mais des parties éloignées, comme les pierres sont les parties éloignées de la maison, et c’est en quoi l’énonciation hypothétique diffère de l’énonciation catégorique. Car les parties principales de l’énonciation catégorique sont les termes, et les parties principales de l’hypothétique sont les deux catégoriques. Il y a aussi une autre différence entre les propositions catégoriques et les propositions hypothétiques. Car dans la proposition catégorique le sujet prend le nom de prédicat. En effet lorsqu’on dit, l’homme est un animal, l’homme reçoit le nom d’animal, puisque on dit que l’homme est un animal. Il n’en est pas de même dans les hypothétiques, parce que l’un ne se dit pas de l’autre, on dit seulement qu’une chose est si une autre chose est également. Par exemple, lorsqu’on dit, si elle a enfanté, elle a eu des relations avec un homme; le sens n’est pas que, enfanter c’est avoir des relations avec un homme, mais bien que l’enfantement n’aurait pu avoir lien, s’il n’y avait pas eu de relations avec un homme.
De même lorsque nous disons, s’il est homme, il est animal, le sens n’est pas que l’homme est animal, mais bien que si une chose est h il est nécessaire que cette chose soit animal. Or la proposition hypothétique se divise en trois espèces, l’une conditionnelle, l’autre disjonctive et la troisième copulative. La conditionnelle est celle dans laquelle deux propositions catégoriques sont unies par cette conjonction si, comme, s’il est homme, il est animal; or cette conditionnelle peut s’opérer tant du côté du sujet que du côté du prédicat. Du côté du sujet, comme si l’on dit, si l’homme ne court pas, et du côté du prédicat, comme si l’on dit, si l’homme court, l’homme se meut. La première proposition ou énonciation catégorique qui se trouve dans ces énonciations hypothétiques, s’appelle antécédent; la seconde con séquent, et pour cette raison, conséquence. Les rationnelles sont amenées à la conditionnelle, comme, Socrate est homme, donc Socrate est animal. Il en est de même de la causale, comme, parce que Socrate est homme, Socrate est animal; de toute proposition temporelle, comme, quand Socrate est homme, Socrate est animal, et toutes les autres de ce genre. Il faut observer que Hamonius établit une double hypothèse, l’une quand on suppose quelque chose d’impossible, laquelle entraîne nécessairement quelque autre chose impossible. Par exemple, supposé que quatre soit trois, le nombre quatre sera un nombre impair. Il est constant, en effet, que l’hypothèse suppose l’impossible, et amène l’impossible, et l’impossible est une conséquence nécessaire pendant la durée de l’hypothèse. On peut comprendre par là que la conditionnelle peut être vraie et ses deux parties fausses néanmoins. C’est pour quoi cette proposition est vraie, si l’homme est un âne, l’homme est susceptible de braire, cependant chacune des catégoriques est fausse. La seconde hypothèse a lieu quand on dit qu’une chose est ou n’est pas, si une autre chose a été ou n’a pas été, comme s’il est homme, il est animal ou s’il est homme, il n’est pas une pierre. Ou peut comprendre par ce que nous venons de dire que la vérité de l’énonciation hypothétique se trouve dans la conséquence des termes qui sont dans le conséquent, relativement aux termes qui sont dans l’antécédent, parce que en effet animal suit nécessairement de l’homme: il est certain que tout ce qui sera homme sera animal. Et si se mouvoir est une suite de courir, il s’ensuit que tout ce qui court se meut. Si donc il est homme, il est animal, et s’il court, il se meut. Donc le mouvement sera attribué à tout ce à quoi on attribuera la course avec vérité ou avec fausseté. C’est pourquoi cette proposition est vraie, si l’immobile court, l’immobile se meut. C’est pour cela que l’on dit que pour qu’elle soit vraie il faut que l’antécédent ne puisse être vrai sans le conséquent, parce qu’il y a des rapports tellement nécessaires entre l’antécédent et le conséquent, qu’il en est du conséquent comme de l’antécédent. S’il en était autrement, si par exemple l’antécédent était vrai et le conséquent faux, la conséquence serait fausse, parce que le terme placé dans le conséquent n’aurait pas une liaison nécessaire avec le terme placé dans l’antécédent, comme ici, si l’homme est blanc, l’homme est musicien, il est certain que cette proposition est fausse; car la qualité de musicien ne suit pas de la qualité de blanc, Il s’en suit de là que toute conditionnelle vraie est nécessaire, et que toute conditionnelle fausse est impossible, parce que, comme il a été dit, le terme du conséquent suit nécessairement le terme de l’antécédent. Nous dirons de quelle manière la conditionnelle est diversifiée par l’affirmation et la négation, lorsque nous traiterons des syllogismes hypothétiques. La distinctive est celle dans laquelle deux énonciations catégoriques sont unies par les conjonctions de l’espèce distinctive, comme ici, l’animal ou est sain, ou il est malade. La vérité de cette énonciation consiste en ce que si on met une chose, il faut exclure l’autre, et que si l’on exclut une chose on prenne l’autre. D’où l’on voit que cette proposition, ou il est malade, a la même valeur que cette conditionnelle, s’il n’est pas sain il est malade. Et quoique ce soit vrai dans la matière précédente, -ces deux propositions ne sont pas également vraies dans toute matière, car la conditionnelle niée d’une part et affirmée de l’autre se trouve sauve dans les contradictoires, les contraires et les disparates, et elle sera toujours vraie. En effet, celle-ci est vraie, s’il est blanc, il n’est pas noir, néanmoins celle-ci est fausse, ou il est blanc ou il est noir, car il pourrait y avoir quel que chose qui ne serait ni blanc ni noir. Il en est de même des propositions disparates. En effet la disjonctive diffère de telle conditionnelle; c’est pourquoi afin que la disjonctive soit vraie, il faut qu’elle soit de telle matière dans laquelle une chose est posée d’une manière absolue et une autre exclue de la même manière, ou vice ver c’est pour cela qu’il est nécessaire pour qu’elle soit vraie que son autre partie soit vraie. Et si l’une et l’autre de ces deux parties était vraie, ou fausse, l’énonciation disjonctive serait fausse. L’énonciation copulative est celle dans laquelle deux énonciations catégoriques sont unies par la conjonction copulative, comme Socrate court et se meut; dans cette énonciation il n’est mis aucune condition, mais seulement une conjonction de l’énonciation; et comme une conjonction copulative doit toujours unir des choses semblables, si l’antécédent est vrai, il faut nécessairement que le conséquent le soit, et réciproquement. On voit ainsi quels sont les rapports des énonciations hypothétiques à la vérité. Car la conditionnelle peut être vraie quoique ses deux parties soient fausses. La disjonctive est vraie quoique une de ses parties soit fausse. Quant à la copulative, par cela même qu’elle est vraie, ses deux parties doivent l’être nécessairement; tel est ce qui regarde les énonciations hypothétiques. On parlera en traitant des syllogismes hypothétiques de ce qui aura été omis à leur sujet.
Fin du traité de l’énonciation.
Nous allons parler maintenant de la troisième partie, c’est-à-dire des choses qui appartiennent à la troisième opération de l’intellect. Quoique en effet, comme l’a dit Socrate, on suppose deux opérations de l’intellect, à savoir, l’intelligence des choses simples et l’opposition ou division, on en ajoute néanmoins une troisième qui est le discours d’une chose composée ou divisée à une autre, ce qui se fait par l’argumentation. Or l’argumentation est l’expression significative de l’opération discursive de la raison allant du connu à J ou du plus connu au moins connu. Il y a quatre espèces d’argumentation, à savoir, le syllogisme, l’euthymème, l’induction et l’exemple. Peu importe que cette division soit du genre en ses espèces, ou de l’analogue en ses analogues. Et comme la plus parfaite est le Syllogisme auquel se ramènent les autres espèces d’argumentation c’est de lui que nous all parler. Voici la définition du syllogisme. Le syllogisme est un discours dans lequel certains principes étant posés et accordés, il doit Suivre un résultat par ce qui a é posé et accordé. Discours ici est le genre du syllogisme, car, comme il a été dit dans le traité de l’énonciation, rien n’empêche qu’il y ait pluralité dans le discours et unité comme dans le syllogisme. En disant, certains principes posés, elle touche les propositions du syllogisme lui-même; en disant qu’il doit nécessairement s’ensuivre un résultat, elle touche la conclusion. C’est pourquoi il faut savoir ce que c’est que la proposition. La proposition, dans le sens ou elle se prend ici, est une énonciation qui, étant posée, en entraîne une autre. Car toute énonciation n’est pas une proposition, il n’y a de telle que celle qui est posée dans quelque espèce d’argumentation, de laquelle dérive une conclusion. Par exemple, lorsqu’on dit, tout homme est animal, tout ce qui est susceptible de rire est homme, donc tout ce qui est susceptible de rire est animal. Ces mots, tout homme est animal, sont une proposition, de même ceux-ci, tout ce qui est susceptible de rire est homme; elles sont posées pour en déduire celle-ci, tout ce quai est susceptible de rire est animal. Celle-ci, tout ce qui est susceptible de rire est animal, quoiqu’elle soit une énonciation, puisqu’elle a des termes, n’est cependant pas une proposition. Or le terme est ce en quoi se résout la proposition, comme le sujet et le prédicat. En effet, lorsque je dis, l’homme est animal, homme est le terme qui est appelé sujet, animal est le terme qui est appelé prédicat. Il est bon de savoir que, bien que la proposition soit composée de termes en lesquels elle se résout, ce n’est pas néanmoins dans la définition, du terme que se place la composition de la proposition, mais bien la résolution dont elle est cause. Car, comme le dit Boèce dans sa Topique, la logique a deux parties, à savoir, la partie inventive et la partie judicative. L’invention est l’imagination des choses vraies ou vraisemblables, qui rendent probable l’autre partie de la contradiction. Le probable est ce qui est regardé comme tel par tous les hommes, ou par un grand nombre, ou par les sages, et sur tout par ceux qui. sont les plus connus. Cette partie de la logique a deux livres, à savoir, Topicorum et Elenchorum. Le jugement, dans le sens où il est pris ici, est la juste détermination de la raison dans les choses auxquelles se rapporte le jugement. Or la raison opère une détermination juste, quand elle résout les principes en principiata, et par conséquent la science, qui est la juste détermination des choses susceptibles d’être sues, s’effectue par les causes, c’est-à-dire lorsque la raison résout causata in causas; aussi cette partie de la logique, c’est-à-dire la partie judicative, est appelée analytique ou résolutive, parce qu’elle résout principiata in principia. Cette partie de la logique a aussi deux livres, à savoir, priorum et posteriorum. Et parce que nous avons en vue ici la matière du livre priorum, nous définissons le terme par la résolution de la proposition. Or le sujet est ce dont on affirme quelque chose. Le prédicat est ce qui est affirmé d’une autre chose, soit que ce soit une affirmation de l’esprit, de la raison, de la bouche ou de la voix. Le terme est ainsi appelé, parce qu’il termine la proposition de telle sorte qu’elle ne va pas plus loin. Nous ne parlerons dans ce traité que du syllogisme simpliciter. Or le syllogisme simpliciter est celui dans lequel on ne considère pas la matière dans laquelle s’effectue tel ou tel syllogisme, c’est-à-dire si telle matière est probable ou nécessaire, mais où l’on considère seulement le syllogisme relativement à son ordination, or dans toute matière, quand les prémisses sont vraies ou Probables la conclusion est toujours vraie ou probable. Que cet ordre soit bon, on le prouve par deux principes connus par eux. J’appelle principes ici des propositions comme par elles-mêmes Or ces principes sont dici de omni et dici de nullo, c’est ne rien prendre dans le sujet qui ne reçoive l’affirmation du prédicat. dici de nullo, c’est ne rien prendre dans le sujet qui n’exclue le prédicat; mais nous en parlerons plus tard plus au long. Il faut savoir que, comme les syllogismes sont variés par diverses figures, ainsi qu’on le dira plus bas, il s’ensuit que quelques syllogismes ne peuvent pas se prouver immédiatement par les deux principes susdits, et en conséquence ces syllogismes ont besoin d’un autre principe par lequel ils Puissent être ramenés à dici de onmi, ou à dici de nullo. Voici ce principe. Quand de l’opposé du conséquent on déduit l’opposé de l’antécédent de la première conclusion, alors la première conséquence a été bonne. C’est pourquoi tous les syllogismes où l’on ne peut pas exactement conserver dici de omni ou dici de nullo, sont ramenés par ce troisième principe à la forme dans laquelle se conserve dici de omni ou dici de nullo. Cette réduction est appelée par quelques Philosophes par l’impossible; Aristote la désigne par le syllogisme conversif. Ces syllogismes sont aussi ramenés aux deux principes dont flous avons parlé par la conversion des propositions Mais comme on ne peut prouver la bonté de ces conversions que par Je troisième Principe, il faut donc dire que ces syllogismes ne sont ramenés aux deux principes qu’en vertu du troisième principe. Nous allons dire comment se font ces Conversions, et comment leur bonté se prouve par le troisième principe: nous nous occuperons d’abord des propositions de inesse, et ensuite des propositions modales.
La conversion des propositions, comme on l’entend ici, consiste à faire du sujet le prédicat, et du prédicat le sujet, de telle sorte que la proposition convertie étant vraie, celle en laquelle elle a été convertie se trouve également vraie. Par exemple, cette proposition, tout homme est animal, si on la convertit en cette autre, tout animal est homme, on fait bien du prédicat le sujet, et du sujet le prédicat, néanmoins la première proposition est vraie et la seconde fausse, par conséquent cette conversion n’est pas bonne. Or il y a dans les propositions des termes finis dont nous nous occupons ici une double con version, à savoir, une conversion simple et une conversion per accidens. On appelle conversion simple celle dans laquelle on fait du prédicat le sujet, et du sujet le prédicat, la seconde proposition restant dans la même qualité et quantité que la première. Il y a conversion par accident quand du sujet on fait le prédicat et réciproquement, la qualité de la proposition restant la mémo, tandis que la quantité est changée. C’est de la première manière que se convertissent les propositions universelle négative et particulière affirmative. L’universelle affirmative et, suivant quelques philosophes, l’universelle négative se convertissent de la seconde manière, il n’ pas néanmoins nécessaire de l’établir. Si en effet de cette proposition, nul homme n’est pierre, découle cette autre, nulle pierre n’est homme, et qu’elle soit vraie, il s’ensuit nécessairement que celle-ci, quelque pierre n’est pas homme, est vraie également. Car, comme nous l’avons dit plus haut, les universelles étant vraies, les particulières sont toujours vraies, mais non vice versa. Commençons parla conversion simpliciter des universelles d’abord. Comme, ainsi que nous l’avons dit, pour ces sortes de syllogismes et leurs propositions, on ne s’occupe pas de la matière, nous nous servirons de termes transcendant à la place desquels on peut mettre quelques termes que ce soit. Soit à convertir cette proposition: aucun B n’est A. il faut toujours Supposer que pour B et A on prend des termes significatifs de manière à varier la proposition, comme si pour B on prend homme et pierre pour A; je dis donc que cette proposition se convertit en cette autre: aucun A n’est B, ce que je prouve ainsi par le troisième principe. Quand de l’opposé du conséquent se déduit l’opposé de l’antécédent, la première conséquence a été bonne, mais il en est ainsi dans l’exemple proposé. Donc etc. Lors donc que je dis, aucun B n’est A, donc aucun A n’est Il, je tire une Conséquence dont l’antécédent est aucun B n’est A, et le conséquent aucun A n’est B. Voyons maintenant si de l’opposé du conséquent se déduit vraiment l’opposé de l’antécédent. Cette pro position, nul A n’est B qui est conséquent, peut avoir un double opposé, à savoir le contraire et le contradictoire. Prenons donc son contradictoire C’est-à-dire quelque A est B, car la particulière affirmative et l’universelle négative sont contradictoires: or cette proposition, quelque A est B, est Suivie de celle-ci, quelque B est A, ainsi que je le prouverai. Mais cette proposition, quelque B est A, et celle qui était antécédent, à savoir aucun B n’est A, sont opposées contradictoires. Donc de l’opposé du conséquent suit l’opposé de l’antécédent. Donc la conséquence que nous appelons conversion était bonne.
Maintenant il faut prouver comment cette proposition, quelque A est B, est suivie de cette autre, quelque B est A, et on le prouve par le syllogisme expositoire. Mettons donc les propositions dont nous venons de parler en termes significatifs; et comme nous disons quelque A est B, disons quelque homme est animal, et comme nous disons quelque B est A, disons quelque animal est homme. Prenons la première, à savoir quelque homme est animal. Désignons cet homme et cet animal, car si celle-ci, quelque homme est animal, est vraie, elle doit être nécessairement vraie dans un homme désigné, comme Socrate, Platon, et si elle n’est vraie dans aucun homme désigné, elle ne sera vraie en aucune manière. Désignons donc la chose qui renferme l’animalité et l’humanité, et appelons-la Socrate, et établissons ainsi le syllogisme expositoire: Socrate est cet homme, Socrate est cet animal, donc cet animal est cet homme, et par conséquent quelque animal est homme, donc cette proposition quelque animal est homme, qui remplaçait celle-ci, quelque B est A, est suivie de celle-ci, quelque A est B, donc la proposition quelque A est B est suivie de celle-ci, quelque B est A, et c’est précisément ce que nous voulions dire. On voit ainsi comment se fait la conversion de l’universelle négative. La particulière affirmative se convertit simplement, comme quelque B est A, donc quelque A est B, et se prouve par le même principe. Donc de l’opposé du conséquent se déduit l’opposé de l’antécédent. Donc la première conséquence ou la conversion a été bonne. Cette conversion peut se prouver par le syllogisme expositoire, comme on l’a dit. L’universelle affirmative se convertit per accidens, de cette manière: tout B est A, quelque A est B, et se prouve de la même manière. En effet, l’opposé de cette proposition quelque A est B est celui-ci, aucun A n’est B, qui se convertit en cette autre, aucun B n’est A; or cette dernière est contraire à la première, qui était tout B est A; donc de l’opposé du conséquent se déduit l’opposé de l’antécédent, donc la première conséquence ou la conversion était bonne. La particulière négative ne se convertit pas, parce que l’opposé de l’antécédent ne se déduit pas de l’opposé du conséquent. Par exemple, soit cette proposition à convertir, quelque B n’est pas A, qu’on la convertisse donc; il faut qu’elle le soit ou en universelle négative, ou en particulière négative. En universelle négative, de cette manière, quelque B n’est pas A, donc aucun A n’est B: son opposé est ou tout A est B, ou quelque A est B, mais l’une et l’autre de ces deux pro positions, à savoir, tout A est B ou quelque A est B se convertit en cette autre, quelque B est A, laquelle n’est pas l’opposé de l’antécédent qui était quelque B n’est pas A, parce que la sous-contrariété n’est pas une opposition, comme on l’a vu plus haut, donc cette conversion rie vaut rien. La même chose arrivera si on la convertit en particulière, à savoir en celle-ci, quelque A n’est pas B, dont l’opposé est tout A est B, laquelle se convertit en cette autre, quelque B est A, qui n’est pas proprement opposée, comme on l’a dit. Or il est évident que cette conversion ne vaut rien, car elle n’embrasse pas toute la matière, et peut être exposée en termes significatifs. En effet, quoiqu’il suive quelque pierre n’est pas homme, donc quelque homme n’est pas pierre, néanmoins il ne s’ensuit pas quelque animal n’est pas homme, donc quelque homme n’est pas animal, bien plus, tout homme est animal. On a fait le vers suivant au sujet de ces conversions:
Feci simpliciter
convertitur, eva per accid.
par A on entend ici l’universelle affirmative, par E l’universelle négative, par lia particulière affirmative, par O la particulière négative. Le vers se construit ainsi: fE, c’est-à-dire l’universelle négative, cI, c’est-à-dire la particulière affirmative, se convertissent simpliciter. E, c’est-à-dire l’universelle négative, vA, c’est-à-dire l’universelle affirmative, se convertissent per accidens. Telle est la conversion des propositions de inesse.
Nous allons parler maintenant des conversions des, propositions modales. Il faut savoir que les propositions de necessario et impossibili se convertissent de la même manière que les propositions de inesse, et se prouvent de l même manière par le même principe. Au contraire, les propositions de possibili et contingenti ne se convertissent pas de la même manière. Mais comme les oppositions ne se prennent pas dans les propositions modales de la même manière que dans les propositions de inesse, il est bon conséquemment de faire connaître les preuves de ces propositions; et ce que nous avons fait pour les propositions de necessario, nous le ferons pour les propositions de impossibili. Soit donc à convertir cette proposition: il est nécessaire que nul B ne soit A qui se convertit en cette autre, il est nécessaire que nul A ne soit B, parce que de l’opposé de la seconde proposition se déduit l’opposé dé la précédente; en effet, l’opposé de celle-ci, il est nécessaire que nul A ne soit R, est celui-là, il n’est pas nécessaire que nul A ne soit B; mais cette proposition équivaut à celle-ci, il est possible que quelque A soit B. Car n’être pas nécessaire de ne pas être équivaut à, il est possible d’être, parce que non-nullus équivaut à aliquis. Donc cette proposition, il n’est pas nécessaire que nul A ne soit B, est équivalente à celle-ci, il est possible que quelque A soit B. Cette dernière proposition est suivie de cette autre, il est possible que quelque B soit A, qui peut se prouver par le syllogisme expositoire comme on l’a dit plus haut de la particulière affirmative. Mais celle-ci, il est possible que quelque B soit A, est la contradictoire de la précédente qui était, il est nécessaire que nul B ne soit A; donc de l’opposé du conséquent se déduit l’opposé de l’antécédent, donc la première conséquence ou la conversion a été bonne. La particulière affirmative se convertit de la même manière et se prouve par le même principe, de cette façon. Il es nécessaire que quelque B soit A, donc il est nécessaire que quelque A soit B, dont l’opposé est, il n’est pas nécessaire que quelque A soit B, ce qui équivaut à cette proposition, il est possible que nul A ne soit B. Car possible ne se prend pas ici comme étant la nième chose que contingent, parce qu’il ne se convertit pas, ainsi qu’on le verra plus bas; mais possible se prend dans tout ce qu’il signifie, comme comprenant le nécessaire et le contingent, ainsi qu’on l’a dit dans un autre traité. Or cette proposition, il est possible que nul B ne soit A, est la contradictoire de celle-ci, il est nécessaire que quelque B soit A, laquelle était l’antécédent. C’est tout comme la première conversion de l’universelle affirmative per aceidens, c’est-à-dire par conversion faite per accidens. Remarquez que c’est la différence qui existe entre les concrets accidentels affirmés, et les substantiels ou leurs sujets, car du côté du prédicat ils disent la forme, et du côté du sujet ils disent ce qui a cette forme. En effet, lorsque je dis Socrate est blanc, blanc dit la forme seule’ de blancheur; mais lorsque je dis, quelque blanc est Socrate, blanc dit ce qui a la blancheur. Donc dans cette matière la conversion des propositions modales est défectueuse; car cette pro position, il est nécessaire que quelque blanc soit corps, et néanmoins celle-ci est fausse, il est nécessaire que quelque corps soit blanc, parce qu’elle est contingente. Telles sont les propositions de necessario. C’est le même mode pour celles de in dans leur tout signifié. Les conversions des propositions de contingenti et de possibili, en tant que la même chose que le contingent, se font dans les termes, comme par exemple, il est contingent que nul B n’est À, cette pro position se convertit en cette autre, il est contingent que tout B est A, d’où ces conversions se rapportent d’une manière différente et opposée aux conversions des propositions de inesse et des propositions modales dont nous avons parlé; car dans ces propositions le prédicat se fait toujours du sujet, et vice versa, et la même qualité se conserve toujours, quoiqu’il n’en soit pas de même de la quantité. Mais dans celles-ci, ce qui a été sujet ou prédicat reste le même, et la qualité est changée. La raison de cela, c’est que, comme il a été dit, cette conversion est bonne dans laquelle la vérité, qui était dans la proposition convertie, se retrouve dans celle en laquelle elle est convertie. Mais si la proposition de contingenti se couver tissoit de telle sorte que du sujet l’on fît le prédicat, et du prédicat le sujet, elle ne se trouverait pas vraie en toute matière, mais dans certaine matière l’antécédent serait vrai et le conséquent faux, donc la conversion serait mauvaise. Par exemple En termes significatifs, il arrive que nul homme n’est blanc, cette proposition est vraie, , parce que cela pourrait arriver; si elle est convertie de cette manière, il arrive que nul blanc n’est homme, elle est fausse. Supposons donc maintenant que Socrate soit blanc, parce qu’il est blanc il ne pourra jamais arriver que Socrate ne soit pas homme. Or cette conversion se fait dans une qua lité différente. Il y a un triple contingent, ad utrum libet, comme il est contingent que l’homme ait deux yeux, ut in pluribus, comme il est contingent que l’homme ait deux yeux, ut in paucioribus, comme il est contingent que l’homme n’ait qu’un oeil. Le contingent ad utrum libet s’appelle ainsi, parce que tout ce qui peut se trouver présent peut aussi être exclu, donc les affirmatives et les négatives sont simultanément vraies. Le contingent ut in pluribus ne se convertit pas en contingent ut in pluribus, mais bien en contingent ut in paucioribus. C’est pourquoi cette proposition, il est contingent que nul homme n’est aveugle, se convertit en celle-ci, il est contingent que tout homme est aveugle. La première, en effet, est un contingent ut in pluribus, la seconde ut in paucioribus. Le contingent ut in paucioribus se convertit comme le contingent ut in pluribus, et leur con version se prend, comme nous l’avons dit, des contingents ad utrum libet. Car s’il y a contingence in pluribus, il y a défection in paucio ribus, et s’il y a contingence in paucioribus, il y a défection in pluribus; telles sont les con versions des modales. Il faut observer qu’il se rencontre des propositions qui manquent de conversion, puis qu’elles ne font rien pour le but proposé, aucunes d’elles ne pouvant se placer dans quelqu’un des syllogismes qui doivent être réduits, de telle manière qu’elles aient besoin de conversion, et ainsi il est inutile d’en parler.
Cela posé, nous allons parler maintenant des syllogismes, et d’abord des syllogismes de inesse, secondement de modalibus, troisièmement des hypothétiques. Parmi les syllogismes de inesse quelques uns sont ostensifs, quelques autres ad impossibile, c’est pourquoi nous allons parler d’abord des syllogismes ostensifs. Il faut savoir que tout syllogisme ostensif se compose de trois parties dont deux sont appelées propositions ou prémisses, et la dernière conclusion. Par exemple Tout animal est une substance, tout homme est animal, donc tout homme est substance. Ces deux, tout animal est une substance, et tout homme est animal, sont deux propositions dont la première, c’est-à-dire, tout animal est une substance, s’appelle majeure, la seconde s’appelle mineure ou assumpta, la troisième, c’est-à-dire, tout homme est substance, s’appelle conclusion. Quoique ces trois phrases soient parfaites, ayant un sujet et un prédicat, elles n’ont cependant que trois termes qui sont homme, animal et substance. La cause en est que tous ces termes sont pris deux fois, d’où le terme pris deux fois dans les prémisses s’appelle moyen. Le terme pris dans la proposition majeure avec le moyen s’appelle grand extrême; le terme pris dans la proposition mineure avec le moyen s’appelle petit extrême. Dans la conclusion le grand extrême est pris de nouveau avec le petit extrême, de manière que si la conclusion est directe, le grand extrême se dit du petit; c’est le contraire si elle est indirecte. Aussi le moyen terme ne se trouve jamais dans la conclusion. Pour connaître la raison de ces termes, il faut savoir que l’homme est raisonnable.
Il est appelé raisonnable et non intellectuel parce que l’intellect saisit sans discourir tout ce qui tombe sous son action. Au contraire la raison, quoiqu’elle rie soit pas une puissance différente de l’intellect, est néanmoins appelée raison, parce que ce n’est qu’en discourant qu’elle s’approprie ce qu’elle saisit. Aussi né parvient-elle à posséder parfaitement la connaissance d’une chose qu’en allant du plus connu au moins connu. Par exemple, pour connaître parfaitement ce que c’est que l’homme, nous concevons d’abord ce que c’est que l’être, ensuite ce que c’est que la substance, puis ce que c’est que le corps, ensuite ce que c’est que le corps animé, ensuite ce que c’est que l’âme, ce que c’est que raisonnable, et nous arrivons ainsi en discourant à la connaissance de l’homme. Or si cette discursion se fait, sans complexion, c’est-à-dire en concevant l’être substance corps, en n’ajoutant pas le mot est, comme si l’on ne dit pas cela est homme, ou si elle se fait avec complexion, peu importe, il suffit que l’on conçoive en dis courant, et cette discursion se fait du plus connu au moins connu. Or ce qui nous est plus connu est plus universel, comme on dit dans le premier livre de la Physique, parce que c’est plus confus; en con séquence notre action discursive dans notre cognition va donc des plus universels aux moins universels. C’est pourquoi nous connaissons mieux et plutôt l’être que la substance, la substance mieux que le corps, le corps mieux que le corps animé, le corps animé mieux que l’animal et l’animal mieux que l’homme. C’est sur cette discursion que roule le syllogisme qui n’est autre chose qu’un discours ou un assemblage de discours, comme dit Boèce, sur lesquelles s’effectue la discursion. Bien que dans cette discursion il puisse se trouver plu sieurs moyens et plusieurs prémisses tendant à la même conclusion par exemple, toute substance est un être, tout homme est une substance, qui est le corps, lequel est animal, donc tout homme est un être, néanmoins comme le moyen est toujours moyen de deux extrêmes, nous comprenons plusieurs syllogismes dans cette discursion. Il n’y a donc qu’un syllogisme avec un moyen et deux extrêmes. Comme dans la précédente discursion, le premier des termes qui est le plus universel et par conséquent le plus connu se présente d’abord à l’intellect, il est appelé grand extrême il est appelé extrême parce qu’il se présente d’abord à l’intellect, et grand parce qu’il est plus universel et plus connu. Le second terme qui se présente à l’intelligence est celui qui n’est pas aussi universel, mais qui tient néanmoins la seconde place après le premier dans l’universalité, comme le corps après la substance; nous savons déjà que dans ce second terme se trouve le premier, et cette proposition s’appelle majeure, parce qu’elle est antérieure dans la cognition. Mais comme nous ne savons pas encore que le second terme se trouve dans un autre moins universel, la raison continue de discourir et reconnaît que le corps se trouve dans l’animal, elle s’y arrête et c’est là la mineure, et immédiatement elle reconnaît que la substance se trouve dans l’animal, et voilà la conclusion. Certainement dans ces termes le moyen c’est le corps, et il a été la cause qui nous a amenés à connaître que la substance se trouve dans l’animal. Le dernier terme dans la discursion précédente c’est animal, la raison s’y est arrêtée, et c’est pour cela qu’il s’appelle petit extrême. Il est appelé extrême, parce que l’action discursive de la raison s’est arrêtée là, et petit extrême parce qu’il est moins universel et par conséquent moins connu de nous. Nous connaissons donc la cause de ces noms et les raisons des termes, des prémisses et de la conclusion. On peut comprendre d’après cela ce que dit Aristote dans le premier livre Posteriorum que la proposition majeure se connaît d’abord par la conclusion, la nature, et le temps. Par la nature, parce que ses termes sont plus universels, comme on l’a dit; par le temps, parce que dans l’action discursive de la raison j’ai plutôt connu que la substance est dans le corps que dans l’animal. La proposition mineure se connaît d’abord par la nature, mais non par le temps. Par la nature, parce que la cause est antérieure à la chose causée; or les propositions sont la cause de la conclusion, et même parce que l’action discursive de la raison s'est exercée d’abord du moyen au petit extrême, elle n’est pas cependant connue d’abord par le temps. En effet en connaissant que la substance est dans le corps, j’ai connu au même instant que la substance est dans l’animal; tel est ce qui regarde les parties du syllogisme et leurs noms.
Les syllogismes ont des figures et des modes. On appelle figure l’ordre de trois termes suivant la subjection et la prédication. En effet, comme les termes des lignes en mathématique placés de telle ou telle manière varient les espèces des figures, car trois points disposés en triangle et placés à une égale distance respective formeront une espèce de triangle appelé équilatéral ou hysopleure; s’il y en a deux également, distants entre eux et dont la distance respective soit plus ou moins grande relativement au troisième, c’est une espèce de triangle appelée isocèle; si tous les points e trouvent inégalement distants, c’est une espèce de triangle que l’on appelle gradué ou scalène. De même suivant la variété de ces termes dans la subjection ou la prédication, il s’opère trois figures de syllogismes, quoique d’une autre manière que dans les figures de surface dont nous avons parlé. En effet si le moyen se trouve par subjection dans une proposition et par prédication dans l’autre, on dit qu’il est dans la première figure, et avec raison: parce qu’alors le moyen est vraiment moyen, ayant la nature des deux extrêmes, du sujet et du prédicat: car il y a par rapport à lui prédication et subjection. Si au contraire le moyen est affirmé dans les deux propositions, on dit que c’est la seconde figure, parce que, bien que le moyen ne soit pas véritablement un moyen ayant la nature de la subjection et de la prédication, néanmoins, comme il est plus digne de prédication que de subjection, cette figure occupe la seconde place. Si le moyen est en subjection clans les deux propositions, c’est la troisième et dernière figure, parce que ici le moyen n’est pas au milieu comme dans la première et se trouve toujours en subjection, ce qui est plus indigne. Il ne peut pas y avoir plusieurs figures, parce que dans les propositions les trois termes ne peuvent offrir plusieurs variations, d’où l’on a fait le vers suivant:
Sub prae prima, bis
prae secunda, tertia sub bis.
Lequel s’explique ainsi; prima, c’est-à-dire dans la première figure il se fait pour le moyen sué, subjection et prœ prédication; secunda, c’est-à-dire dans la seconde figure, il y a deux fois prœ prédication pour le moyen dans chacune des prémisses; tertia, c’est-à-dire dans la troisième figure, il y a deux fois subjection pour le moyen dans chacune des prémisses. Pour ce qui est du mode dans le sens où on le prend ici, c’est l’ordre de deux propositions dans une certaine qualité et quantité, et il est appelé mode, parce que c’est une certaine détermination accidentelle des propositions du syllogisme, etc.
Il reste à parler maintenant des syllogismes en eux-mêmes Remarquez bien, comme nous l’avons dit plus haut, que l’on s’occupe dans ce traité du syllogisme simpliciter, c’est-à-dire de la forme du syllogisme lui-même, en tant que syllogisme, sans l’appliquer à une matière quelconque, par conséquent la vraie forme du syllogisme sera celle qui étant appliquée à toute matière aura pour résultat d’offrir une conclusion vraie si le prémisses le sont. Mais si dans quelque matière les prémisses étant vraies il s’ensuit une conclusion fausse, quoique dans quelque autre matière il s’en soit suivi une conclusion vraie, ce ne sera plus alors un vrai syllogisme, on l’appelle un enchaînement inutile. De ces assemblages inutiles quelques uns peuvent se faire dans toutes les figures, d’autres dans deux seulement ou en une. Ceux qui se font dans toutes les figures nombre de quatre. Le premier, lorsque les deux prémisses sont négatives, le second, lorsque les cieux prémisses sont particulières; le troisième, lorsqu’elles sont toutes deux indéfinies; le quatrième, quand elles sont toutes deux singulières, lin effet, ces syllogismes, quelle que soit la figure, peuvent avoir dans certaine matière une conclusion vraie, et en une autre une conclusion fausse, c’est pour cela qu’ils sont appelés inutiles. Par exemples de deux négatives dans la même il résulte quelquefois une conclusion vraie de cette manière: nul homme n’est pierre, nul âne n’est homme, donc nul âne n’est pierre. D’autres fois la conclusion est fausse, de cette manière: nul homme n’est pierre, nulle perle n’est homme, donc nulle perle n’est pierre. Cette conclusion est fausse, parce que toute perle est pierre. La même chose peut se rencontrer dans la seconde et la troisième figure. De cet assemblage et des trois autres inutiles on déduit cette règle générale. Dans toute figure, de trois pures négatives particulières indéfinies et singulières il ne résulte aucune conséquence. Les ssemb1ages inutiles qui parfois ne se trouvent pas dans toutes les figures, mais seulement dans quelques-unes, sont au nombre de deux. Il y en a un qui convient à la première et à la troisième figure, quand la mineure est négative. Le second convient à la première et à la seconde figure, quand la majeure est particulière, et il s’en déduit deux règles générales savoir dans la première et la troisième figure, quand la mineure est négative, il n’y a aucune conséquence. Il faut observer que dans la première figure on doit entendre ici les syllogismes directement concluants. Car il y a dans cette figure deux modes de syllogismes concluants indirectement, dans lesquels la mineure est négative, et ce ne sont pas néanmoins des assemblages inutiles. Seconde règle. Dans la première et la seconde règle, quand la majeure est particulière, il n’y a aucune conséquence. De même dans la première figure on entend les syllogismes directement concluants. Il y a encore deux autres règles générales dont voici la première: si l’une des prémisses est négative, la conclusion est aussi négative. La seconde est celle-ci: si l’une des prémisses est particulière, la conclusion est aussi particulière. La raison de cela c’est que, comme il a été dit, le grand extrême se trouve dans le petit dans la conclusion en vertu du moyen, c’est-à-dire en tant qu’il se trouve dans le moyen dans la majeure et que le moyen se trouve dans le petit extrême dans la mineure, soit que l'on prenne d’une autre manière l’inhérence de ces termes, comme il se fait dans les autres figures, de telle manière que le moyen se trouve dans quelqu’un des extrêmes, ou vice versa, un des extrêmes se trouvera dans l’autre mais si l’une des prémisses est particulière, le moyen doit se trouver dans l’extrême ou l’extrême dans le moyen d’une manière particulière Donc la conclusion qui dit que l’extrême doit se trouver dans l’extrême sera particulière. Cela suffit pour les syllogismes affirmatifs relative ment à la seconde règle. Quant aux syllogismes négatifs, la conclusion se fait de la même manière en vertu du moyen. En effet, si le moyen se trouve dans un des extrêmes, et s’il est exclu de l’antre, il faut nécessairement que l’extrême soit exclu de l’extrême, et de cette manière la conclusion sera négative: voilà pour la première règle. Dans les mêmes syllogismes, si le moyen se trouve d’une manière particulière dans un extrême ou en est exclu de la même manière, il s’ensuit nécessairement que l’extrême est exclu de l’extrême d’une manière particulière, et ainsi la conclusion Sera particulière, négative, Donc les règles qui ont été établies sont vraies.
Nous allons parler maintenant des syllogismes utiles, et d’abord de ceux qui sont dans la première figure au nombre de quatre. Le premier a lieu lorsque la majeure et la mineure sont universelles affirmatives, et qu’il suit une conclusion universelle affirmative de cette manière en nous servant de termes transcendants. Tout B est A, tout C est B, donc tout C est A. Ce syllogisme se prouve par ce principe dici de omni. Ainsi que nous l’avons dit, dici de omni a lieu quand il n’y a rien à prendre dans le sujet dont ne se dise pas le prédicat. Or il en est ainsi dans l’exemple proposé, donc, etc. Etablissons maintenant en termes significatifs, soit animal pour B, substance pour A, homme pour C, posons ainsi le syllogisme: Tout animal est substance, tout homme est animal, donc tout homme est substance; il est certain que si cette proposition est vraie, tout animal est substance, il n’y a rien à prendre dans animal dont ne se dise pas substance: si donc tout homme est animal, tout homme se trouve alors dans animal; il doit donc être pris ainsi, comme substance se dit d’animal, et dira de même de l’homme. Le second mode a lieu quand d’une majeure universelle négative et d’une mineure universelle affirmative on tire une conclusion universelle affirmative, de cette manière: Nul B n’est A, tout C est B, donc nul C n’est A, on le prouve par l’autre principe dici de nullo. On le met ainsi en termes significatifs: soit B animal, A pierre, C homme; si en effet nul animal n’est pierre, il n’y aura rien à prendre dans animal dont pierre ne soit pas exclu. En effet comme tout qui est un signe universel affirmatif est distributif, et distribue affirmativement pour chaque chose contenue dans ce à quoi il est joint, de même aussi nullus, nul distribue négativement pour chacune de ces choses. Le troisième mode c’est quand d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure particulière affirmative on tire une conclusion particulière affirmative de cette manière: tout B est A, quelque C est B, donc quelque C est A, on le prouve par dici de omni. Le quatrième mode se présente quand d’une majeure universelle négative et d’une mineure particulière affirmative on tire une conclusion particulière négative, de cette manière: nul B n’est A, quelque C est B, donc quelque C n’est pas A, on le prouve par dici de nullo. Il faut savoir que quoique ces deux derniers syllogismes puissent se prouver par dici de omni et par dici de nullo, comme il a été dit, néanmoins Aristote dans son livre I Priorum les ramène aux deux premiers modes où se conservent plus véritablement dici de omni et dici de nullo à cause de l’universalité de leur mineure, et c’est ce que nous ferons à la fin de tous. La seconde figure a quatre modes. Le premier se forme d’une majeure universelle négative et d’une mineure universelle affirmative, d’où l’on tire une conclusion universelle négative, de cette manière: nul B n’est A, tout C est A, donc uni C n’est B. On ne peut montrer dans ce syllogisme dici de nullo, parce que dans B auquel est joint le signe universel nul on ne prend rien d’où le sujet puisse être exclu, et par conséquent pour qu’il soit prouvé par dici de nullo, il faut le ramener au second mode de la première figure, ce qui peut se faire de deux manières, ou par la simple con version de la majeure en disant, nul A n’est B, tout C est A, donc nul C n’est B. Et aussi par le troisième principe dont nous avons parlé qui était que lorsque de l’opposé du conséquent se déduit l’opposé de l’antécédent, la première conséquence est bonne, Il faut savoir que tout syllogisme est une certaine conséquence dans laquelle les deux prémisses sont l’antécédent et la conclusion le conséquent d’où il suit que si de l’opposition de la conclusion avec l’une des prémisses on déduit l’opposition de l’autre prémisse dans l’ordre où se conserve dici de omni ou dici de nullo, la première conséquence ou le syllogisme seront bons. Car dans l’exemple proposé, le conséquent ou la Conclusion est, nul C n’est B, où il y a deux opposés, à savoir le con traire et la contradiction. Prenons son contraire, tout C est B, prenons aussi la majeure du susdit syllogisme, nul B n’est A, et que l’opposée contraire de la conclusion devienne la mineure de cette manière nul B n’est A, tout C est B, donc nul C n’est A, ce syllogisme est dans le second mode de la première figure, et de l’opposé du conséquent ou de la conclusion se déduit celle-ci, nul C n’est A qui est l’opposée de l’une des prémisses, c’est-à-dire de la mineure, parce qu’elle est contraire à la mineure du premier syllogisme qui était tout C est A; donc de l’opposé du conséquent avec une des prémisses se déduit l’opposé de l’autre prémisse, donc la première conséquence ou le syllogisme était bon. Le second mode a lieu quand de la majeure universelle affirma et d’une mineure universelle négative ou tire une conclusion universelle négative, de cette manière tout B est A, nul C n’est A, donc nul C n’est B; ce syllogisme se ramène au second mode de la première figure par la simple conversion de la mineure et par la transposition des prémisses, de façon que celle qui était la majeure devienne la mineure de cette manière. Nul A n’est C, tout B est A, donc nul B n’est C. La majeure de ce syllogisme est celle en la quelle a été convertie la mineure du premier syllogisme qui était, nul C n’est A. Par le troisième principe, c’est-à-dire par le syllogisme conversif on peut ramener cette argumentation au premier mode de la première figure de cette manière. Prenons la proposition contraire à la conclusion qui est, tout C est B et faisons ainsi la mineure, tout B est A, tout C est B, donc tout C est A. La conclusion de se second syllogisme, tout C est A est contraire à celle-ci, nul C n’est A, qui était la mineure de l’opposé du conséquent. Le troisième mode se reconnaît quand d’une majeure universelle négative, et d’une mineure parti culière affirmative on tire une conclusion particulière négative, de la manière suivante: nul B n’est A, quelque C est A, donc quelque C n’est pas B. Le syllogisme se ramène au quatrième mode de la première figure par la simple conversion de la majeure. Nul A n’est B, quelque C est A, donc quelque C n’est pas B. 11 se ramène par le syllogisme conversif au second mode de la première figure. En effet, l’opposé de la conclusion qui est, quelque C n’est pas B, et celui-ci tout C est B. On fera donc la mineure de cette manière, nul B n’est A, tout C est B, donc nul C n’est A, laquelle est l’opposée de la mineure du premier syllogisme qui était quelque C est A. Le quatrième mode a lieu quand d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure particulière négative on tire une conclusion particulière négative de cette manière: tout B est A, quelque C n’est pas A, donc quelque C n’est pas B. Ce syllogisme peut être ramené par la conversion des prémisses, car la majeure, qui est universelle affirmative, ne peut se convertir qu’en une particulière affirmative, et la mineure est parti culière. Or, comme nous l’avons dit, il n’y a pas de conséquence de plusieurs particulières. Il se ramène donc par le syllogisme appelé quelquefois per impossibile comme ont été réduits les trois autres syllogismes exposés plus haut, et il se ramène au premier mode de la première figure. En effet, l’opposé de la conclusion qui était, quel que C n’est pas B, est celui-ci tout C est B, qu’on fasse donc ainsi la mineure; tout B est A, tout C est B, donc tout C est A. Or c’est là l’opposée de la mineure qui était, quelque C n’est pas A. Tel est ce qui concerne le syllogisme de la première et de la seconde figure.
La troisième figure a six modes. Le premier a lieu lorsque d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure universelle affirmative on déduit une conclusion particulière affirmative de cette manière; Tout B est A, tout B est C, donc quelque C est A. Ce syllogisme se ramène de cette manière au troisième mode de la première figure par la conversion per accidens de la mineure: Tout B est A, quelque C est B, donc quelque C est A. On le ramène au second mode de la première figure par le syllogisme conversif. Prenons, en effet, l’opposé de la conclusion qui est, nul C n’est A, et faisons ainsi la majeure Nul C n’est A, tout B est C, donc nul B n’est A; or c’est là la con traire de la majeure du premier syllogisme, qui était, tout B est A. Il faut savoir que dans la réduction par le syllogisme conversif il y a cette différence entre les syllogismes de la seconde et de la troisième figure dans les syllogismes de la seconde figure, de l’opposé de la conclusion on fait la mineure et on déduit l’opposé de la mineure, tau dis que dans les syllogismes de la troisième figure, de l’opposé de la conclusion on fait la majeure et on déduit l’opposé de la majeure. Le second mode se connaît lorsque d’une majeure universelle négative e t d’une mineure universelle affirmative découle une conclusion particulière négative de la manière suivante nul B n’est A, tout B est C, donc quelque C n’est pas A. On ramène ainsi cette argumentation au quatrième mode de la première figure par la conversion per accidens de la mineure; nul B n’est A, quelque C est B, donc quelque C n’est pas A. Mais parle syllogisme conversif on la ramène au premier ‘ de la première figure en prenant l’opposé de la conclusion et en faisant ainsi la majeure: tout C est A, tout B est C, donc tout B est A. Cette conclusion est contraire à la majeure du premier syllogisme. Le troisième mode se compose d’une majeure particulière affirmative et d’une mineure universelle affirmative d’où découle une conclusion particulière affirmative, de cette manière quelque B est A, tout B est C, donc quelque C est A. On ramène cela par conversion au troisième mode de la première figure en convertissant simplement la majeure et en transportant les propositions de la manière suivante: tout B est C, quelque A est B, donc quelque A est C; on le ramène ainsi au second mode de la première figure par le syllogisme conversif nul C r? est A, tout B est C, donc nul B n’est A; cette conclusion est la contradictoire de la majeure, qui était quelque B est A. Le quatrième mode vient d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure particulière affirmative suivies de cette manière d’une conclusion particulière affirmative tout B est A, quelque B est C, donc quelque C est A. On ramène ainsi cette argumentation au troisième mode de la première figure par la conversion de la mineure: tout B est A, quelque C est B, donc quelque C est A. Par le syllogisme conversif oui la ramène au quatrième mode de la première figure de cette manière: nul C n’est A, quelque B est C, donc quelque B n’est pas A. Cette conclusion est la contradictoire de la majeure du premier syllogisme, qui était, tout B est A. Le cinquième mode provient d’une majeure particulière négative et d’une mineure universelle affirmative suivies de cette manière d’une conclusion particulière négative. Quel- que B n’est pas A, tout B est C, donc quelque C n’est pas A. Cette argumentation ne peut se ramener par conversion, parce que sa majeure étant particulière négative ne peut se Convertir, et la mineure se convertit en particulière. Or on ne peut rien conclure de simples particulières. Mais par le syllogisme conversif on la ramène ainsi au premier mode de la première figure tout C est À, tout B est C, doue tout B est A, et c’est là la contradictoire de la majeure du premier syllogisme qui était, quelque B n’est pas A. Le sixième mode provient d’une majeure universelle négative et d’une mineure particulière affirmative suivies d’une conclusion particulière négative, de cette manière: Nul B n’est A, quelque B est C, donc quelque C n’est pas A. Cette argumentation se ramène ainsi par la conversion de la mineure au quatrième degré de la première figure, uni B n’est A, quelque C est B, donc quelque C n’est pas A. Elle se ramène par le syllogisme conversif au troisième mode de la première figure. Tout C est A, quel que B est C, donc quelque B est A, et c’est là la contradictoire de la majeure du premier syllogisme qui était nul B n’est A. Tel est l’ex posé des syllogismes à conclusion directe dans toutes les figures et de leurs preuves. Aristote ramène tous les syllogismes à deux universels de la première figure. C’est pourquoi par le syllogisme conversif il ramène le troisième mode de la première figure au second mode de la seconde figure, et le quatrième mode de la même première figure au premier de la seconde, or ceux-ci sont ramenés à deux modes universels de la première figure, comme il a été dit. Donc tous sont ramenés à deux modes universels de la première figure dans les quels se conservent parfaitement dici de omni et dici de nullo. Que ces deux modes de la première figure soient ramenés aux universels de la seconde, comme au troisième de la première figure, on le prouve de cette manière: tout B est À, quelque C est B, donc quelque C est X. L’opposé de la conclusion est, nul C n’est A, qu’on en fasse la mi I et qu’on établisse le syllogisme dans le second mode de la se- ç figure de cette manière: tout B est A, nul C n’est A, donc nul C n’est B, ce qui est l’opposée de la mineure qui était, quelque C est B. Le quatrième se ramène au premier; voici en effet le quatrième mode, nul B n’est A, quelque C est B, donc quelque C n’est pas A. L’opposé de la conclusion est, tout C est A; qu’on en fasse la mineure, et qu’on construise le syllogisme dans le premier degré de la seconde figure de cette manière, nul B n’est A, tout C est A, donc nul C n’est B. On voit donc de quelle manière tous les syllogismes se ramènent à deux modes universels de la première figure.
Il nous reste maintenant à parler des syllogismes à conclusion in directe. Il y a conclusion indirecte quand le petit extrême se dit du grand dans la conclusion. Ces syllogismes sont au nombre de dix; cinq sont dans la première figure, deux dans la seconde et trois dans la troisième. Il faut savoir que tout syllogisme qui présente une conclusion par laquelle il peut être converti, peut également en avoir une autre en laquelle il Soit converti. Toutes les conclusions de ces syllogismes étant susceptibles d’être converties, l’exception des particulières négatives, il s’ensuit que tous ces syllogismes pourront avoir une conclusion indirecte. Il y en a trois de ce genre dans la première figure, à savoir, le premier, le second et le troisième mode; il y en a deux dans la seconde, à savoir, le premier et le second; il y en a trois dans la troisième, à savoir, le premier, le troisième et le quatrième. Qu’on introduise dans la première figure deux modes, qui sont contre les deux principes ou les règles données dans la première figure. Car ils ont tous deux la mineure négative, ce qui est contraire à cette règle. Dans la première figure, quand la mineure est négative, il n’y a pas de conclusion, et l’un des deux a la majeure particulière contre l’autre règle. Or les savants modernes, entre autres Boèce, en omettant cinq, c’est-à-dire ceux de la seconde et de la troisième figure, n’ont parlé que des cinq de la première figure. Le premier est formé d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure universelle affirmative, suivies d’une conclusion indirecte particulière affirmative, de cette manière, tout B est A, tout C est B, donc quelque A est C. Or il se ramène au premier mode de la première figure, en convertissant la conclusion particulière en universelle. Le second est formé d’une majeure universelle négative et d’une mineure universelle affirmative, suivies d’une conclusion indirecte universelle négative, de cette manière: nul B n’est A, tout C est B, donc nul A n’est C. Il se ramène au second mode de la première figure par une conversion simple de la conclusion. Le troisième mode se forme d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure particulière affirmative, suivies d’une conclusion indirecte particulière affirmative, de cette manière: tout B est A, quelque C est B, donc quelque A est C; il se ramène au troisième mode de la première figure par une simple conversion de la conclusion. Le quatrième mode se forme d’une majeure universelle affirmative et d’une mineure universelle négative, suivies d’une conclusion indirecte particulière négative, de cette manière, tout B est A, nul C n’est B, donc quelque A n’est pas C. Il se ramène au quatrième mode de la première figure par la conversion de la mineure par accident, et de la i simplement, et par la transposition des propositions, de sorte que de la mineure se fasse la majeure, et vice versa de cette manière: nul B n’est C, quelque A est B, donc quelque A n’est pas C. Le cinquième mode se forme d’une majeure particulière affirmative et d’une mineure universelle négative, suivies d’une conclusion indirecte particulière négative, de cette façon: quelque B est A, nul C n’est B, donc quelque A n’est pas C. Il se ramène au quatrième mode de la première figure par la conversion simple de chacune des propositions, et par leur transposition de la manière suivante: nul B n’est C, quelque A est B, donc quelque A n’est pas C. Voilà ce qui concerne les syllogismes à conclusion indirecte. Pour mieux se ressouvenir de ces syllogismes, on a imaginé les vers suivants:
Barbara, ce1arent,
darii, ferio, baralipton,
Celantes, dabitis,
fapesmo, frisesomorum,
Caesare, Camestres,
festino, baroco, darapti
Felapton, disamis,
datisi, bocardo, ferison.
On les explique ainsi. Il y a dans ces vers dix-neuf manières de dire dix- neuf ou mots qui se rapportent à dix-neuf modes de syllogismes suivant leur ordre respectif, à savoir, neuf modes de la première figure, dont quatre sont à conclusion directe et cinq à conclusion indirecte, quatre de la seconde figure, et six de la troisième figure. Tous ces mots sont des trissylabes dont la première syllabe désigne la majeure, la seconde la mineure, la troisième la conclusion. Les syllabes de plus qui se trouvent dans quelques mots ne sont pas nécessaires, elles ne sont là que pour la mesure. Or, dans ces syllogismes il y a quatre voyelles, A, E, I, O, qui signifient A l’universelle affirmative, E l’universelle négative, I la particulière affirmative, O la particulière négative.
C’est pourquoi barbara, qui se rapporte au premier mode de la première figure, a un A dans toutes ses syllabes, parce que toutes ses propositions sont universelles affirmatives. Tous ces mots commencent par ces quatre consonnes B, C, D, F. Or les quatre premiers mots qui répondent aux quatre modes de la première figure à conclusion indirecte, commencent par ces quatre consonnes. C’est pourquoi si quelques autres mots commencent par quelqu’une de c consonnes, cela veut dire que ces syllogismes doivent être ramenés au mode de la première figure, à laquelle répond le mot qui commence par cette consonne. Par exemple: Coesare, qui répond au premier mode de la seconde figure, commence par cette consonne C, et signifie que ce mode se ramène, par la conversion de la majeure, au second mode de la première figure à laquelle répond le mot qui commence par C, c’est-à-dire celarent, et ainsi des autres. Dans ces syllogismes on rencontre aussi quelquefois la lettre S après la voyelle, ce qui signifie que cette proposition ou conclusion à laquelle répond la syllabe doit se convertir simplement. D’autres fois on trouve P, et cela signifie que la proposition ou la conclusion à laquelle répond la syllabe, doit se convertir per accidens. Quelquefois on trouve la lettre M, et cela veut dire que les prémisses de ce syllogisme doivent être transposées de manière à faire la mineure de la majeure, et réciproquement. Quelquefois on trouve C, ce qui veut dire que ce syllogisme ne peut être réduit par conversion, mais seulement par le syllogisme conversif, et cela n’arrive que dans deux syllogismes, à savoir, baroco et bocardo, comme on l’a dit. Il faut savoir que toutes ces règles, à l’exception de celle sur la lettre C, ne s’entendent que de la réduction des syllogisme par conversion, et non de celle qui se fait par le syllogisme conversif. Tel est ce qui regarde le syllogisme conversif de inesse.
Cela Connu, pour pouvoir plus facilement tirer une conclusion et argumenter, il est bon de savoir que toute conclusion renferme les deux extrêmes comme il a été dit. Or tout syllogisme se compose de trois termes. Lors donc que l’on a une conclusion à tirer, pour compléter le syllogisme il faut un autre terme qu’on appelle moyen terme. Voyons comment on troupe ce moyen terme. Sur cela il faut remarquer qu’Aristote dans son livre I. Priorum se sert de trois dénominations de termes, à savoir l’antécédent, le conséquent et le neutre. On appelle antécédent le terme susceptible de subjectivité, comme homme est antécédent d’animal. On appelle conséquent le terme qui peut se dire d’une autre chose, et ainsi animal est conséquent d’homme Et comme les termes susceptibles de conversion peuvent échanger entre eux la subjectivité et la prédication comme le propre qui peut se dire de l’espèce et l’espèce du propre, il en est de même de la définition et du défini, il s’ensuit que l’un, par rapport à l’autre, est appelé antécédent et conséquent réciproquement Le terme neutre est celui qui n’est susceptible a l’égard d’un autre, ni de subjectivité ni de prédication comme homme et âne qui se trouvent réciproquement dans ce cas. Il faut savoir que les modes des syllogismes à conclusion directe, comme nous l’avons dit, sont au nombre de quatorze, à savoir, quatre dans la première figure, quatre dans la seconde, et six dans la troisième, car je ne m’occupe pas ici de ceux qui sont à conclusion indirecte. Il y a donc dans la première figure deux modes affirmatifs à conclusion directe, à savoir, le premier et le troisième, et deux négatifs, à savoir, le second et le quatrième. Pour trouver le moyen terme dans les modes affirmatifs, il faut considérer un terme qui soit antécédent par rapport au prédicat, et conséquent par rapport au sujet. Par exemple, si l’on veut mettre en forme cette proposition tout homme est substance, on a déjà le grand et le petit extrême. Le conséquent par rapport au sujet, et l’antécédent par rapport au prédicat, c’est animal. Donc il est moyen terme par ce syllogisme dans le premier mode de la première figure, de cette manière: tout animal est substance, tout homme est animal, donc tout homme est substance. Mais si la conclusion doit être celle-ci, quelque homme est substance, animal sera moyen terme dans le troisième mode de la même figure, et on fera ainsi le syllogisme tout animal est substance, quelque homme est animal, donc quelque homme est substance. Dans les syllogismes négatifs de la même figure, on prend pour moyen terme celui qui est neutre à l’égard du prédicat, et qui est conséquent par rapport au sujet. Par exemple, si la conclusion doit être celle-ci: nul homme n’est pierre, ou quelque homme n’est pas pierre, on prendra animal pour moyen terme; car il y a répugnance entre animal et pierre, tandis qu’animal peut se dire de l’homme; on fera donc le syllogisme dans le second mode de la première figure, de cette manière, nul animal n’est pierre, tout homme est animal, donc nul homme n’est pierre. Dans le quatrième, on procédera ainsi, nul animal n’est pierre, quelque homme est animal, donc quelque homme n’est pas pierre. Voilà comment se trouve le moyen terme dans la première figure. Dans la seconde figure, il y a quatre modes tous négatifs, dont le premier et le troisième ont la majeure négative et la mineure affirmative. C’est tout le contraire pour le second et le quatrième qui ont la majeure affirmative et la mineure négative, aussi le moyen terme se prend différemment de part et d’autre. C’est pourquoi dans le premier et le troisième on prend pour moyen le terme qui répugne au prédicat et qui est conséquent par rapport au sujet. Par exemple, si l’on doit avoir cette conclusion, nul homme n’est pierre, ou celle-là, quelque homme n’est pas pierre, on prendra l’un pour moyen terme, et on établira le syllogisme dans le premier mode de la seconde figure, de cette manière: nulle pierre n’est animal, tout homme est animal, donc nul homme n’est pierre. Dans le troisième mode on fera ainsi, nulle pierre n’est animal, quelque homme est animal, donc quelque homme n’est pas pierre. Dans le second et le quatrième mode on prendra pour moyen terme le conséquent ou prédicat, et ce qui répugne au sujet. Par exemple, si on veut avoir cette conclusion, nul homme n’est pierre ou celle-ci, quelque homme n’est pas pierre, on prendra pour moyen inanimé qui peut se dire de la pierre et qui répugne à l’homme, et on établira ainsi le syllogisme dans le second mode, toute pierre est inanimée, nul homme n’est in5njmé donc nul homme n’est pierre. Dans le quatrième mode on fera de cette manière: toute pierre est inanimée, quelque homme n’est pas inanimé,. donc quelque homme n’est pas pierre. On voit ainsi comment se prend le moyen terme dans la seconde figure. Dans la troisième figure, il y a six modes tous à conclusion particulière, dont trois sont affirmatifs trois négatifs. Dans les affirmatifs, à savoir, le premier, le troisième et le quatrième, on prend pour moyen celui qui est l’antécédent des deux autres. Par exemple, si l’on doit conclure dans le premier mode, quelque animal est substance, on prendra pour moyen homme dont peuvent se dire animal et substance, et on raisonnera ainsi: tout homme est substance, tout homme est animal, donc quelque animal est substance; on raisonnera ainsi le quatrième: tout homme est substance, quelque homme est animal, donc quelque animal est substance. Dans les trois négatifs on prend pour moyen le terme qui répugne au prédicat et qui est antécédent du sujet. Par exemple, si l’on doit conclure, quelque animal n’est pas pierre, on prendra pour moyen homme qui répugne à pierre et duquel se dit animal, et on fera le syllogisme dans le second mode de cette manière: nul homme n’est pierre, tout homme est animal, donc quelque animal n’est pas pierre. Dans le cinquième on procédera ainsi: quelque homme n’est pas pierre, tout homme est animal, donc quelque animal n’est pas pierre. On voit par là comment se trouve le moyen dans la troisième figure. Remarquez que pour trouver tout d’abord l’antécédent et le conséquent, les termes convertibles peuvent être indifféremment antécédent ou conséquent, parce que définition, description et interprétation sont des termes qui se convertissent avec défini, décrit et interprété. Prenez le terme dont vous voulez trouver l’antécédent et le conséquent, dé finissez-le, décrivez-le ou interprétez-le, employez ensuite les règles dont nous avons parlé. Par exemple, si vous voulez avoir dans le premier mode de la première figure cette conclusion, tout ce qui court se meut, dans laquelle vous devez prendre l’antécédent du prédicat, définissez, ou décrivez, ou interprétez se mouvoir de cette manière: se mouvoir, c’est changer de lieu dans le temps; mais tout ce qui court change de lieu dans le temps, donc tout ce qui court se meut. On pourra en faire autant à l de la définition et de l’interprétation. Voilà comment se trouve le moyen dans les syllogismes ostensifs de inesse.
Après avoir parlé des syllogismes ostensifs et de la manière de trouver leur moyen terme, nous allons traiter des syllogismes ad impossibile. Le syllogisme ad impossibile diffère de l’ostensif. Car le syllogisme ostensif tire Une conclusion vraie de deux prémisses vraies; tandis que le syllogisme ad impossibile ne fait pas ainsi, mais d’une prémisse fausse tire une conclusion évidemment fausse; ensuite, par la contradiction de la conclusion fausse, il tire de nouveau une conclusion contradictoire à la prémisse fausse. Par exemple: Supposons qu’un adversaire émette cette proposition fausse, tout homme court, l’argument contre cette proposition par le syllogisme ostensif de cette manière, en prenant deux prémisses vraies et en tirant une conclusion contradictoire à la proposition susdite: Celui qui est en repos ne court pas, quelque homme est en repos, donc quelque homme ne court pas. Cette conclusion contredit la proposition de l’adversaire qui était, tout homme court, et comme la sienne est fausse, la mienne se trouve vraie, et vice versa. Si d’un autre côté je veux la réfuter par le syllogisme ad impossibile je la prends avec une autre proposition vraie, et j’en fais les prémisses d’un syllogisme d’où je tire une conclusion évidemment fausse, je prends ensuite la contradictoire de cette conclusion fausse, et j’en déduis une autre conclusion contradictoire de la prémisse fausse, de cette manière: tout ce qui court se meut, tout homme court donc tout homme se meut, mais quelque homme ne se meut pas, donc quelque homme ne court pas. De cette manière, par la fausseté de cette prémisse, je démontre la vérité de ma proposition, et par 1a vérité de celle-ci je démontre la fausseté de l’autre. La raison pour laquelle cette dernière conclusion du syllogisme ad impossibile est vraie, c’est que dans les syllogismes ordonnés dans le mode et la pire, la conclusion n’est jamais fausse, à moins que quelqu’une des prémisses ne le soit. Or on tire d’abord ostensivement une conclusion fausse, à savoir, tout homme se meut. Donc la proposition de adversaire, tout homme court, est fausse, donc sa contradictoire, quelque homme ne court pas, qui est la dernière conclusion du syllogisme ad impossibile différent de l’ostensif, est vraie.
Nous allons dire maintenant dans quelles figures et dans quels modes peuvent se faire les syllogismes ad impossibile. Il faut savoir d’abord, comme on l’a dit, que la conclusion du syllogisme ad impossibile n’est pas la conclusion fausse qui se tire d’abord par le syllogisme ostensif, mais bien la dernière, c’est-à-dire celle qui est la contradictoire de la prémisse fausse de l’adversaire. Elle doit toujours être contradictoire et non pas contraire, parce que, comme on l’a dit plus haut dans un autre traité, la loi des contradictoires est telle que, si l’une est vraie, l’autre est fausse, mais non pas vice versa. C’est pourquoi si la prémisse citée de l’adversaire est fausse, il s’ensuit toujours qu’elle est vraie si la conclusion du syllogisme ad impossibile est sa contradictoire. Mais si c’était le contraire, quelque fausse que fût celle-ci, il ne s’ensuivrait pas nécessairement que l’autre est vraie. Car deux contraires peuvent être fausses en même temps. Donc suivant ce que nous avons dit, comme il n’y a dans la première figure aucun syllogisme qui ait une de ses prémisses particulière négatives, il ne pourra pas y avoir dans la première figure une conclusion per impossibile, mais une conclusion universelle. Mais comme dans le premier mode de la première figure les deux prémisses sont des universelles affirmatives dont les opposées sont des particulières négatives, il ne peut conséquemment y avoir qu’une particulière négative, si on prend d’abord une majeure fausse, par exemple, tout homme est pierre, tout ce qui est susceptible de rire est homme, donc tout ce qui est susceptible de rire est pierre; mais il y quelque chose susceptible de rire qui n’est pas pierre, donc quelque homme n’est pas pierre. Si l’on prend une mineure fausse, la conséquence est la même. Exemple: Tout ce qui est susceptible de rire est homme; toute pierre est susceptible de rire. Donc toute pierre est homme, mais quelque pierre n’est pas homme, donc quelque pierre n’est pas susceptible de rire. Au contraire dans le second mode de la première figure on peut tirer une conclusion particulière affirmative, et une particulière négative de cette manière: nul homme n’est animal, tout ce qui est susceptible de rire est homme, donc rien de ce qui est susceptible de rire n'est animal; mais il y a quelque chose susceptible de rire qui est animal, donc quelque homme est animal. La particulière négative se tire ainsi: nul homme n’est pierre, toute perle est homme, donc nulle perle n’est pierre, mais quelque perle est pierre, donc quelque perle n’est pas homme. Dans le troisième mode de la première figure on tire per impossibile une conclusion particulière négative, et une universelle négative. La particulière négative se tire ainsi: tout homme est pierre, quelque chose susceptible de rire est homme, donc quelque chose susceptible de rire est pierre; mais rien de ce qui est susceptible de rire n’est pierre, donc quelque homme n’est pas pierre. L’universelle négative de cette manière tout homme est animal, quelque pierre est homme, donc quelque pierre est animal; mais nulle pierre n’est animal, donc nulle pierre n’est homme. Dans le quatrième mode on tire une conclusion particulière affirmative de cette manière; nul animal n’est substance, quelque perle est animai, donc quelque perle n’est pas pierre; mais toute perle est pierre, donc nulle perle n’est animal. Tels sont les syllogismes ad impossibile qui peuvent se faire dans la première figure. ils peuvent se faire de la même manière dans les deux autres figures, de sorte que de l’opposé de la fausse conclusion se déduise l’opposé de la fausse prémisse c’est-à-dire l’opposé de la prémisse fausse qui est on contradictoire. C’est pourquoi, comme dans le premier mode et le second de la seconde figure les prémisses sont une universelle affirmative et une universelle négative, dont les opposées sont la particulière négative et la particulière affirmative, il s’ensuit que l’on y peut tirer par le syllogisme ad impossibile une conclusion particulière affirmative, et une conclusion particulière négative; une particulière affirmative, en prenant une majeure fausse; une particulière négative, en prenant une mineure fausse. Il faut faire ainsi dans tous les autres modes tant de la seconde que de la troisième figure. Il faut savoir que l’universelle affirmative per impossibile ne peut avoir de con6lusion que dans le quatrième mode de la seconde figure et dans le cinquième de la troisième, c’est-à-dire dans les modes dont on a dit plus haut qu’ils ne pouvaient se ramener aux modes de la première figure par les con versions des propositions. La raison de cela, c’est que ces deux modes seuls ont une prémisse particulière négative, je veux parler des syllogismes à conclusion directe. Nous allons donner un exemple des deux manières dont on tire dans ces syllogismes une conclusion per impossibile universelle affirmative dans le quatrième mode de la seconde figure. Tout homme est animal, quelque chose susceptible de rire n’est pas animal, donc quelque chose susceptible de rire n’est pas homme; mais tout ce qui est susceptible de rire est homme, donc tout ce qui est susceptible de rire est animal. Pour le cinquième mode de la troisième figure. Quelque homme n’est pas animal, tout homme est susceptible de rire, donc quelque chose susceptible de rire n’est pas animal; mais tout ce qui est susceptible de rire est donc tout homme est animal. Il faut remarquer qu’Aristote dans son livre secundo Prioruni ne fait qu’une prémisse fausse dans tout mode de toute figure, et ne déduit dans chacun qu’une seule conclusion par le syllogisme ad impossibile, tandis que nous nous prenons dans chacun deux prémisses fausses, et nous tirons per impossibile la conclusion opposée à chacune. Notez bien qu’il est mieux de prendre une mineure fausse dans la première et la seconde figure, parce que ce qui se trouve par subjection dans l’opposé de la conclusion fausse se trouve de la même manière ensuite dans la conclusion du syllogisme ad impossibile. Par exemple dans la première figure tout homme est animal, toute pierre est homme, donc toute pierre est animal, mais quelque pierre n’est pas animal, donc quelque pierre n’est pas homme; de cette manière pierre est sujet dans l’opposé de la conclusion fausse, et dans la dernière conclusion. Mais si on prend une majeure fausse, on peut la colorer, comme nous l’avons dit, et c’est ce qui se fait communément. On voit donc ce que c’est que les syllogismes ad impossibile, et dans quels modes et quelles figures ils se font.
Comme tous les syllogismes ad impossibile se ramènent aux syllogismes
ostensifs, nous allons voir comment cela se fait. Il faut savoir que les
syllogismes qui se font ad impossibile dans la première figure, sont
ostensifs dans la seconde et la troisième figure. En effet si la conclusion est
l’opposée de la majeure fausse, il se fait un syllogisme ostensif dans la
troisième figure de cette manière; comme par exemple dans le premier mode de la
première figure lorsqu’on tire une conclusion qui est l’opposé de la majeure.
Tout homme est pierre, tout ce qui rit est homme, donc tout ce qui rit est
pierre; mais quel que chose qui rit n’est pas pierre, donc quelque homme n’est
pas pierre. Cette conclusion, quelque homme n’est pas pierre, a été pré cédée
de quatre énonciations, dont deux étaient fausses, à savoir la majeure, et la
conclusion de ce syllogisme ostensif: deux étaient vraies, à savoir la mineure
de ce syllogisme, et l’opposée de la conclusion de ces deux vraies dans la
troisième figure se déduit la conclusion susdite, quelque homme n’est pas
pierre, de telle façon que l’opposée de la conclusion devienne la majeure, et
que la mineure du syllogisme ostensif reste mineure de cette manière: Quelque
chose qui rit n’est pas pierre, tout ce qui rit est homme, donc quelque homme
n’est pas pierre; c’est là le cinquième mode de la troisième figure. Quand la
conclusion est per impossibile l’opposé de la mineure, on fait un
syllogisme ostensif dans la seconde figure. Par exemple, soit ce syllogisme ad
impossibile, tout homme est animal, toute pierre est homme, donc toute
pierre est animal; mais quelque pierre n’est pas animal, donc quelque pierre
n’est pas homme. Retranchons les deux propositions fausses, à savoir la mineure
et la conclusion du syllogisme ostensif, et construisons le syllogisme dans le
quatrième mode de la seconde figure de cette manière: Tout homme est animal, quelque
pierre n’est pas animal, donc quelque pierre n’est pas homme. On fait de même
dans les autres modes de la première figure, de telle sorte que si dans le
syllogisme ad impossibile la conclusion est l’opposé de la majeure, il
se ramène à la troisième figure, l’opposée de la conclusion étant la majeure
avec une mineure vraie. Si au contraire la conclusion est l’opposée de la
mineure, c’est un syllogisme ostensif dans la seconde figure, de manière que
l’opposé de la conclusion soit la mineure, et que la majeure vraie reste
majeure. Les syllogismes ad impossibile qui se font dans la seconde figure
sont ostensifs dans la première et la troisième. En effet si la conclusion per
impossibile est l’opposé de la majeure, c’est un syllogisme ostensif dans
la troisième figure. Par exemple soit ce syllogisme ostensif: nul homme n’est
animal, tout ce qui rit est animal, donc rien de ce qui rit n’est homme; mais
quelque chose qui rit est homme, donc quelque homme est animal. Retranchons les
propositions fausses, et faisons un syllogisme dans le quatrième mode de la
troisième figure. Tout ce qui rit est animal, quelque chose qui rit st homme, donc
quelque homme est animal. Il faut savoir que quand dans la première figure le
syllogisme avait pour conclusion l’opposé de la majeure, il était réduit et
devenait un syllogisme ostensif dans la troisième figure, et l’opposé de la
conclusion du premier syllogisme ostensif devenait majeure dans le second
syllogisme, et la mineure de ce même syllogisme restait mineure dans le second
sy1lo Mais il n’en est pas de même, la mineure du premier syllogisme devient
majeure dans le second. Mais si la conclusion per impossibile est
l’opposé de la mineure, on fait un syllogisme ostensif dans la première figure
de cette manière: nul homme n'est pierre, tout ce qui rit est pierre, donc rien
de ce qui rit n’est homme; mais quelque chose qui rit est homme, donc quelque
chose qui rit n’est pas pierre. Retranchons toutes les fausses propositions, et
faisons un syllogisme dans le quatrième mode de la première figure de cette
manière: nul homme n’est pierre, quelque chose qui rit est homme, donc quelque
chose qui rit n’est pas pierre. On procède de la même manière pour les
syllogismes ostensifs des autres modes de la seconde figure. C’est pourquoi si
la majeure est fausse et la mineure vraie, alors la mineure devient majeure, et
l’opposé de la conclusion devient mineure. Si au contraire la majeure est \raie
et la mineure fausse, alors la majeure reste majeure, et l’opposé de la
conclusion devient mineure. Les syllogismes ad impossibile, qui sont
dans la troisième figure, sont ostensifs dans la première et la seconde. C’est
pourquoi si la conclusion per impossibile est l’opposé de la majeure, il
y a un syllogisme ostensif dans la première figure, de manière que l’opposé de
la conclusion du premier syllogisme devienne la majeure dans le second syllogisme,
et la mineure qui était vraie reste mineure de cette manière: tout homme est
pierre, tout homme rit, donc quelque chose qui rit est pierre; ruais rien de ce
qui rit n’est pierre, donc quelque homme n’est pas pierre. Faisons un
syllogisme ostensif dans la première figure de cette manière: rien de ce qui
rit n’est pierre, tout homme rit, donc nul homme n’est pierre. L’universelle
vraie est bien suivie de sa particulière vraie. C’est pourquoi si cette
proposition est vraie, nul homme n’est pierre, laquelle est la conclusion de ce
second syllogisme, cette autre sera vraie aussi, quelque homme n’est pas pierre,
laquelle é tait la conclusion du syllogisme ad impossibile. Mais si la
conclusion per impossibile est l’opposée de la majeure, on fera un syllogisme
ostensif dans la seconde figure, de telle sorte que l’opposée de la conclusion
du premier syllogisme devienne majeure dans le second, et la majeure du premier
syllogisme mineure de cette manière: tout homme est animal, tout homme est
pierre, donc quelque pierre est animal; mais nulle pierre n’est animal: donc
quelque homme n’est pas pierre; on fera donc un syllogisme ostensif de cette
manière: nulle pierre n’est animal, tout homme est animal, donc nul homme n’est
pierre. Cette proposition est suivie de cette autre, quelque homme n’est pas
pierre. Il faut procéder de la même manière dans les autres modes de la
troisième figure. Tel est ce qui regarde les syllogismes ad impossibile.
Il faut savoir qu’Aristote dans son livre Priorum expose plusieurs autres
genres de syllogismes, à savoir les irréguliers, les conversifs, ceux ex
oppositis, etc. Mais comme il n’y a en usage parmi les modernes que ces
deux sortes de syllogismes de inesse,
je ne m’occuperai pas des autres. Voilà donc ce qui concerne les syllogismes de
inesse.
Nous allons parler maintenant des syllogismes modaux. Sur cela il faut
savoir que les propositions de necessario
et impossibili et celles de possibili et contingenti se prenant
de la même manière, comme on l’a dit plus haut dans le traité des conversions, il
y a deux manières différentes dont se font les syllogismes modaux. Nous
parlerons d’a bord des syllogismes de necessario
auxquels peuvent se ramener ceux ad impossibile: Secondement nous nous
occuperons des syllogismes de contingenti auxquels se ramènent ceux de
possibili pris d’une manière contingente. Il faut savoir que les
syllogismes de necessario ont
quelques-uns deux propositions nécessaires, et alors dans quelque figure ou
modes qu’ils le fassent, la conclusion est toujours nécessaire. Par exemple, il
est nécessaire que tout homme soit animal, il est nécessaire que tout ce qui
rit soit homme, donc il est nécessaire que tout ce qui rit soit animal, et
ainsi des autres. Remarquez qu’il y a nécessaire de deux mai le nécessaire
simplement, quand une chose se trouve dans une autre simplement et non suivant
un temps, un lieu et autres choses de ce genre, comme il est nécessaire que
l’homme soit animal. Il y a un autre nécessaire secundum quid, ou
suivant le temps, comme nous disons que tout ce qui existe doit nécessairement
exister quand cela existe, ou suivant le lieu, ou tout autre chose de ce genre.
Et ce n’est pas de cette manière que se prend la proposition nécessaire. Car
quand Socrate court, il court nécessairement, et cependant cette proposition
Socrate court, n’est pas nécessaire mais contingente. Si les syllogismes de necessario ont une proposition
nécessaire, et une autre de inesse, quoiqu’ils
concluent toujours que le grand extrême se trouve dans la mineure, la
conclusion n’est pas toujours nécessaire; mais bien quelquefois oui, et
quelquefois non. Sur quoi il faut observer que dans la première figure la
majeure étant nécessaire et la mineure de
inesse, il s’ensuivra toujours une conclusion nécessaire. Mais si la
majeure est de inesse quelque
nécessaire que soit la mineure, la conclusion ne sera pas nécessaire, car il se
trouve des termes où elle l’est et d’autres où elle ne l’est pas. Par exemple:
tout homme est animal, tout ce qui rit est nécessairement homme, donc tout ce
qui rit est nécessairement animal. Voilà des termes où il en est ainsi, en
voilà d’autres où ce n’est pas de même. Tout homme est blanc, tout ce qui rit
est nécessaire ment homme, donc tout ce qui rit est nécessairement blanc. Cette
conclusion n’est pas nécessaire simplement. Il en est ainsi des autres modes de
la première figure, tant affirmatifs, que négatifs. Dans la seconde figure, dans
les trois premiers modes négatifs, la majeure ou la mineure étant nécessaire, la
conclusion sera nécessaire. Mais l’affirmative étant nécessaire, et la négative
de inesse, il ne s’ensuit pas une conclusion nécessaire. On peut le voir
fort clairement en ra menant ces syllogismes aux modes de la première figure, car
dans les syllogismes réduits, la majeure est négative. Mais dans la première
figure, comme il a été dit, si la majeure est nécessaire, la conclusion l’est
aussi; si elle ne l’est pas, ni la conclusion non plus. Dans le quatrième, mode
de la seconde figure, quelle que soit la pro position nécessaire, soit l’affirmative,
soit la négative, pourvu que l’une ou l’autre soit de inesse, il ne s’ensuit pas toujours une conclusion nécessaire.
Car si l’universelle affirmative n’est pas nécessaire, on fera un syllogisme
dans les mêmes termes que le second mode de la même figure, l’universelle
affirmative étant nécessaire. Mais, comme il a été dit, si l’affirmative est
nécessaire, il ne s’ensuit pas une conclusion nécessaire, ce qui se voit par la
réduction au second mode de la première figure; donc il n’y en a pas ici non
plus. Mais si la particulière négative est nécessaire, il ne s’ensuit pas
toujours une conclusion nécessaire, comme on le voit dans ces termes; tout
blanc est homme, quelque âne nécessairement n’est pas homme, on ne peut cependant
pas conclure quelque âne nécessairement n’est pas blanc. Dans la troisième
figure il y a des syllogismes affirmatifs, il y en a de négatifs. Parmi les
affirmatifs quelques-uns ont leurs deux propositions universelles, et d’autres
n’ont que l’une ou l’autre. Ceux qui ont les deux propositions universelles, quelle
que soit celle des deux qui est universelle, majeure ou mineure, ceux-là ont
une conclusion nécessaire, ce que l’on voit en les réduisant à la première
figure. Ceux qui n’ont que l’une des deux universelle, celle-ci étant
nécessaire, majeure ou mineure, ceux-là ont une conclusion nécessaire. Si la
particulière est nécessaire, il ne résulte pas une conclusion nécessaire, parce
que en la ramenant à la première figure, la majeure se trouve être de inesse, ou, comme on l’a dit, il n’y
a pas de conclusion nécessaire. Parmi les syllogismes négatifs quelques-uns ont
une proposition négative universelle, quelques autres en ont une particulière.
C’est pourquoi ceux qui ont une proposition négative universelle, celle-ci
étant nécessaire, il ne s’ensuit pas une conclusion nécessaire. Ceux qui ont
une particulière négative et une universelle affirmative, quelle que soit celle
des deux qui est nécessaire, il ne s’ensuit pas une conclusion nécessaire. Par
exemple quelque homme ne veille pas, tout homme nécessairement est animal, donc
quelque animal nécessairement ne veille pas, et c’est là avec l’affirmative
nécessaire. On procède ainsi avec la négative nécessaire quelque blanc
nécessairement n’est pas animal, tout blanc veille, il ne s’ensuit pas, donc
quelque chose qui veille nécessairement n’est pas animal, puis que tout ce qui
veille est nécessairement animal. Tel est ce qui concerne les syllogismes
modaux de necessario.
Nous allons traiter des syllogismes contingents. Remarquez ici qu’il y a un double contingent, à savoir le contingent quod inest et le contingent qui peut inesse. On appelle ici contingent quod inest lorsque le prédicat, sans être de l’essence du sujet ou son propre, est néanmoins le terme qui peut être affirmé et nié du sujet, quoiqu’il soit affirmé présentement actu. Et cette proposition, quoique de matière contingente, est néanmoins dite du contingent quod inest, D’un autre côté, on dit qu’il y a contingent qui peut inesse, lorsque le prédicat est du contingent, comme blanc par rapport à homme, cependant dans la proposition il n’est pas dit actu inesse, mais d’une manière possible, .comme lorsque je dis, il arrive que l’homme est blanc, le sens n’est pas que l’homme soit blanc, mais qu’il peut être blanc, Il faut savoir que dans la première figure, lorsque les deux propositions sont de contingenti, la conclusion l’est aussi, de cette manière il arrive que tout blanc est musicien, il arrive que tout homme est blanc, donc il arrive que tout homme est musicien, et il en est ainsi des autres modes. Dans la seconde figure, si les deux propositions sont de contingenti, soit qu’elles soient affirmatives ou l’une négative soit qu’elles soient universelles, ou l’une particulière la conclusion ne sera jamais de contingenti, Par exemple: il arrive que nul homme n’est blanc, il arrive que tout ce qui rit est blanc, donc il arrive que rien de ce qui rit n’est homme; ou ne peut pas tirer cette conclusion, parce que nécessairement tout ce qui rit est homme, et ainsi de tous les autres.
Dans la troisième figure, quand les prémisses sont de contingenti, soit qu’elles soient affirmatives, ou l’une négative, soit qu’elles soient universelles ou particulières, il s’ensuit toujours une proposition de contingenti, comme il arrive que tout homme est blanc, il arrive que tout homme est musicien, donc il arrive que tout musicien est blanc, et il en est de même dans tous les autres modes. Si au con traire une des prémisses est de contingenti et de l’autre de inesse, il ne s’ensuit pas toujours une conclusion de contingenti. C’est pour quoi dans la première figure, quand la majeure est de contingenti, soit qu’elle soit affirmative ou négative, et la mineure simplement de inesse, il suit touj ours une conclusion de contingenti, comme, il arrive que tout homme est blanc, tout ce qui rit est homme, donc il arrive crue tout ce qui rit est blanc. Mais quand la majeure est de inesse, et la mineure de contingenti, il ne suit pas toujours une conclusion de contingenti pour que le syllogisme soit bon de cette manière: tout ce qui est sain est animal, il arrive que tout cheval est animal. Il faut savoir que dans toute proposition de contingenti on peut conserver de deux manières dici de omni suivant son double sens exposé plus haut. C’est pourquoi lorsque je dis: il arrive que tout homme est blanc, je prends l’homme par rapport à tout ce dont il peut être dit ou suivant l’être du blanc lui-même, de manière que le sens soit, il arrive que tout ce qui est homme est blanc actu; ou suivant l’inhérence possible, de façon que le sens soit celui-ci, il arrive que tout ce qui est homme peut être blanc. La proposition de inesse n’a qu’un seul dici de omni, c’est-à-dire suivant la comparaison de sujet à inférieurs selon l’inhérence actuelle du prédicat, et il s’ensuit que en vertu de dici de omni, la proposition de inesse peut se prendre sous celle de contingenti, car il y a un dici de omni sous deux, parce que la conséquence est au moins en un. Mais la proposition de contingenti ne peut se prendre sous celle de inesse; car deux dici de omni ne se trouvent pas contenus sous un. Et c’est là la raison pourquoi, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de inesse, il ne s’ensuit pas une proposition de contingenti par la force syllogitique, quoique cela arrive à la faveur de la matière. Il faut savoir qu’il y a deux sortes de propositions de inesse, l’une de inesse ut nunc, quand le prédicat ne se trouve dans le sujet que ut nunc, comme Socrate court, et l’autre de inesse simpliciter. Aussi pour qu’il résulte une conclusion de contingenti, quand la mineure est de inesse, elle doit être de inesse simpliciter, parce que le prédicat suit toujours le sujet; il s’ensuit conséquemment que tout ce qui est contingent dans le prédicat, l’est aussi dans le sujet. Mais comme dans la proposition de inesse ut nunc le prédicat ne suit pas toujours le sujet, il ne sera pas toujours vrai que tout ce qui est contingent dans le prédicat l’est aussi dans le sujet. Il ne servirait de rien de dire que si la mineure était de contingenti, laquelle aurait la même valeur que celle de inesse ut nunc, et si la majeure était de contingenti, il y aurait une conclusion car si la mineure était de contingenti, le prédicat est toujours contingent dans le sujet, parce que cette proposition: il arrive que l’homme court, est toujours vraie, parce qu’il est toujours contingent que l’homme court, celle-ci cependant, l’homme ne court pas, n’est pas toujours vraie; aussi il en est tout différemment de l’une et de l’autre. Dans la seconde figure, dans les trois premières modes, lorsque la négative est de contingenti et l’affirmative de inesse; on ne finit pas de syllogisme. La raison en est que le syllogisme n’ont de conclusion qu’en tant qu’ils sont ramenés à la première figure où se trouve dici de omni et dici de nullo; or ces syllogismes ne peuvent se ramener à a première figure. Car on ne convertit pas l’universelle négative de contingenti de manière à faire du sujet le prédicat, et du prédicat le sujet, comme on l’a dit, mais la conversion se fait dans les termes. C’est pourquoi celle-ci, il arrive que nul homme n’est blanc, se convertit en celle-ci, il arrive que tout homme est blanc. D’où il résulte en conséquence que lorsque l’universelle négative est de contingenti dans ces trois modes, on ne fait pas de syllogisme, parce qu’on ne peut pas prouver par dici de omni. Au contraire, lorsque l’affirmative est de cor et la négative de inesse, on fait un syllogisme, parce que ce syllogisme peut se ramener à la première figure par la proposition négative également convertie, il n’y aura pas cependant de conclusion de contingenti, comme il a été dit. Dans le quatrième mode, on ne fait de syllogisme en aucune façon, soit que la majeure ou la mineure soient de contingenti. Ce syllogisme, en effet, ne peut se ramener à la première figure par conversion, mais par le syllogisme conversif, quelle que soit la proposition de contingenti et celle de inesse, cette réduction ne peut se faire, il ne s’ensuit donc rien. Que cette réduction ne puisse se faire quand la majeure est de contingenti, c’est évident: soit ce syllogisme, il arrive que tout homme est blanc, quelque pierre n’est pas blanche, donc quelque pierre n’est pas homme, dont l’opposé est, toute pierre est homme. Faisons donc un syllogisme dans la première figure de cette manière il arrive que tout homme est blanc, toute pierre est homme, donc il arrive que toute pierre est blanche. Mais celle-ci n’est pas opposée à cette autre, quelque pierre n’est pas blanche, qui était la mineure. Car, comme il a été dit dans la proposition de contingenti, on conserve dici de omni suivant toute l’inhérence possible; il pourrait en effet être vrai dans l’avenir que toute pierre devînt blanche comme maintenant quelque pierre n’est pas blanche et de cette manière l’enchaînement ne vaut rien. On voit également qu’un semblable syllogisme ne vaut rien. Car de propositions vraies il suit quelquefois une conclusion fausse de cette manière: il arrive que tout homme est blanc, quelque chose qui rit n’est pas blanc, il suit, donc il arrive que quelque chose qui rit n’est pas homme, ce qui se fait simpliciter. De même, si la mineure est de contingenti ne s’ensuit rien et on fait le syllogisme de cette manière: tout homme est animal, il arrive que quelque chose de blanc n’est pas animal donc il arrive que quelque chose de blanc n'est pas homme; un œuf par exemple qui est blanc, il arrive que quelquefois il sera animal et d’autres fois non, lorsque suit cette proposition de inesse, quelque blanc n’est pas homme, il n’y a rien; car son opposée est, tout blanc est homme, donc tout blanc est animal, laquelle n’est pas opposé à celle-ci, il arrive que quelque blanc n’est pas animal; comme on l’a dit plus haut. Si au contraire on prend une conclusion de contingenti par exemple, il arrive que quelque blanc n’est pas animal, dont l’opposée est, il est nécessaire que tout blanc soit animal, la conclusion est la même, et on fera le syllogisme dans la première figure de cette manière: tout homme est animal, il est nécessaire que tout blanc soit homme, il suit, donc tout blanc est animal, comme on l’a dit plus haut des combinaisons du nécessaire et de inesse, laquelle n’est pas opposée à cette mineure, il arrive que quelque blanc n'est pas animal, et de cette façon cet assemblage est inutile. Dans la troisième figure, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de inesse, il en résulte une conclusion de contingenti; car la mineure étant convertie dans les cinq modes des syllogismes, ou fait la réduction à la première figure. Par exemple, faisons ainsi un syllogisme: Il arrive que tout homme est blanc; tout homme est animal, donc il arrive que quelque animal est blanc; la mineure étant changée per accidens, le troisième mode de la troisième figure devient ceci: Il arrive que tout homme est blanc; tout homme est animal, donc il arrive que quelque animal est blanc, et ainsi des autres quatre modes. Le cinquième mode de la troisième figure se ramène à la première par le syllogisme conversif de cette manière: il arrive que quelque homme n pas blanc, tout homme est animal, donc il arrive que quelque animal n’est pas blanc, dont l’opposé est, il est nécessaire que tout animal soit blanc; plaçons-là la juin cure du premier syllogisme, c’est-à-dire, tout homme est animal, il suit, donc il est nécessaire que tout homme soit blanc, laquelle proposition est la contradictoire de la majeure du premier syllogisme. Telle est la combinaison des propositions de contingenti et de inesse dans trois figures.
Nous allons parler de la combinaison du contingent et du nécessaire. Il faut observer que dans la première figure selon les modes affirmatifs, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de necessario, il y a un syllogisme parfait, et la conclusion doit être de contingenti. Par exemple, il arrive que tout animal est blanc, il est nécessaire que tout homme soit animal, donc il arrive que tout homme est blanc. Mais si c’est le contraire, c’est-à-dire, si la majeure est de necessario et la mineure de contingenti, il n’y aura pas de syllogisme. La raison en est que la proposition nécessaire aurait un dici de omni suivant l’inhérence actuelle du prédicat au sujet et à ce qu’il renferme; mais celle de contingenti a un double dici de omni, comme il a été dit; celle-ci ne peut donc pas être prise en l’autre de necessario par la vertu du principe qui est dici de omni. Il faut savoir que dans ce syllogisme, quoique la conclusion se tire par dici de omni, on peut néanmoins tirer une conclusion de contingenti de possibile, lequel se rapporte communément au nécessaire et au contingent eu vertu de cette règle, lorsqu’un sujet se trouve essentiellement dans un prédicat, tout ce qui est contingent dans ce sujet l’est aussi dans le prédicat. Mais dans les syllogismes négatifs, lorsque la proposition affirmative est nécessaire et la négative de contingenti, il en résulte une conclusion de contingenti, de cette manière il arrive que nul homme n’est blanc, il est nécessaire que tout ce qui rit soit homme, il suit, donc il arrive que rien de ce qui rit n’est blanc. Si, au contraire, la proposition négative est nécessaire, et l’affirmative contingente, il en résulte deux conclusions, quelquefois de contingenti, et d’autres fois de inesse, ce qu’il est facile de voir Car de l’opposé de la conclusion avec une prémisse on déduit l’opposé de l’autre pré misse. La raison pour laquelle il y a deux conclusions à une négative de necessario, c’est que non seulement le prédicat n’est pas dit inhérent au sujet, mais qu’il ne peut même pas l’être. Aussi le syllogisme signifie que le sujet n’est pas dans le prédicat et ne peut y être. C’est pourquoi lorsqu’on met quelque chose d’une manière contingente en un tel sujet, cela veut dire que ce prédicat est exclu actu de tout ce qui est contingent dans le sujet, et de cette manière la conclusion sera de contingenti, parce que ce qui est exclu d’une manière contingente fait une énonciation contingente ce qui signifie qu’il ne peut s’y trouver en aucune manière, et ainsi non seulement il n’y est pas d’une manière contingente, mais il n’y est en aucune manière, si c’est une énonciation de inesse. Dans la seconde figure dans les trais premiers modes, lorsque la négative est de necessario et l’affirmative de contingenti, il suit aussi une double conclusion, l’une de contingenti et d’autre de inesse, parce qu’il y a réduction à la première figure par la conversion de la proposition. Dans le quatrième mode, lorsque l’affirmative est de contingenti et la négative de necessario, ou vice versa, l’assemblage ne produira rien. Dans la troisième figure, pour les syllogismes affirmatifs ayant des propositions universelles ou quelqu’une universelle, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de necessario, il suit une conclusion de contingenti. En convertissant donc la mineure, on fait un syllogisme dans la première figure. Si au contraire la majeure est de necessario et la mineure de contingenti possibili, comme les propositions de contingenti possibili peuvent se convertir, de même que celles de necessario, en convertissant la mineure on fait la première figure, comme il a été dit, parce que lorsque la majeure est de necessario et la mineure de contingenti, il suit une conclusion de contingenti possibili, quoique ce ne soit point par dici de ornni, mais bien par la première règle. Quant aux syllogismes affirmatifs qui ont une prémisse particulière, si la majeure est universelle, elle suit les règles dont nous avons parlé; mais si la majeure est particulière, elle suit la seconde règle. Pour ce qui est des syllogismes négatifs, je dis que quant aux deux modes qui ont une majeure universelle négative, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de necessario, il suit une conclusion de contingenti, et on les ramène à la première figure par la conversion de la mineure. Si au contraire la majeure est de necessario et la mineure de contingenti, on ne peut faire de syllogisme car il ne pourrait être ramené à la première figure. Mais si la mineure était de contingenti possibili, pouvant être convertie comme celle de neces on ferait un syllogisme dans la première figure, ou il y aurait une double conclusion, de inesse et de contingenti, comme il a été dit plus haut. Bans le syllogisme négatif dont la majeure est particulière négative, quand celle-ci est de contingenti et la mineure de necessario, il suit une conclusion de contingenti, et il se ramène à la première figure par lç syllogisme conversif; mais lorsque la majeure est de necessario, ou ne peut faire de syllogisme. Tels sont les syllogismes modaux.
Après avoir parlé des syllogismes catégoriques, nous allons traiter des syllogismes hypothétiques. Il y a donc, comme il a été dit, trois espèces de propositions hypothétiques, à savoir, la conditionnelle, la copulative et la disjonctive. Les syllogismes qui sont formés de positions copulatives procèdent comme les syllogismes catégoriques, aussi nous ne dirons rien. Mais comme les syllogismes avec des propositions conditionnelles et disjonctives se font autrement qu’avec des propositions catégoriques, nous nous en occuperons, et nous commencerons par les conditionnels. Il faut remarquer que les propositions conditionnelles sont simples ou composées. J’appelle simples celles qui ne sont formées que de deux catégoriques, comme celle-ci, s’il est homme, puisqu’il est animal, il est substance. Cette composition peut se faire de trois manières; ou ce sera une proposition composée de deux, la conditionnelle et la catégorique, comme, celui-ci, s’il est homme, puisqu’il est animal, il est substance; ou vice versa elle sera composée d’une catégorique et d’une conditionnelle, de cette manière: si tu es animé, tu es homme ou tu es animal; ou elle sera composée de deux comme, celui-ci, s’il est homme, il est animé, s’il est animal. Et comme les syllogismes qui se font de propositions simples se comprennent mieux que ceux qui se font avec des propositions composées, nous nous occuperons d’abord des syllogismes simples, nous montrerons ensuite en peu de mots, suivant leur similitude, de quelle manière se font les syllogismes avec des propositions composées. Il faut savoir que les propositions simples conditionnelles sont au nombre de quatre. En effet, ou elles ont leurs deux parties affirmatives, à savoir l’antécédent et le conséquent, comme celle-ci, s’il est homme, il est animal; ou l’antécédent est affirmatif et le con séquent négatif, comme celle-ci, s’il est homme, il n’est pas pierre; ou le conséquent est affirmatif et l’antécédent négatif, comme celle-ci, si l’animal n’est pas bien portant, il est malade; ou les deux sont négatifs, comme celle-ci, s’il n’est pas animal, il n’est pas homme. Or il faut que les syllogismes qui se font avec ces propositions soient certaines conséquences, comme dit Aristote, II. Topic., il y a une double conséquence, à savoir dans la position, quand on procède selon la position de l’antécédent, et dans le contraire, quand on procède par la destruction du conséquent. Donc, en conséquence de cela, les figures qui se font avec ces propositions, dans l’une de on procède de la position de l’antécédent, et dans l’autre de la destruction du conséquent, ont chacune quatre modes, suivant quoi il y a quatre propositions, comme nous l’avons dit. Le premier mode de la première figure est, s’il e homme, il est animal, mais il est homme, donc il est animal. Le second est, s’il est homme, il n’est pas pierre, mais il est homme, donc il n’est pas pierre. Le troisième est, si l’animal n’est pas bien portant, il est malade, mais l’animal n’est pas bien portant, donc il est malade. Le quatrième est, s’il n’est pas animal, il n’est pas homme, mais il n’est pas animal, donc il n’est pas homme. Il faut savoir que ces syllogismes se font avec ce relatif qvi, ou avec ce pronom quiconque, car ces mots produisent l’opposition de l’antécédent, de cette manière: tout homme qui court se meut, mais Pierre court, donc Pierre se meut, ou quiconque, etc., par la destruction du conséquent, de cette manière: tout homme qui ‘court, ou quiconque court se meut, mais Sortès ne se meut pas, donc Sortès ne court pas. Il en est de même dans tous les autres modes de ces figures. Tels sont les syllogismes conditionnels dans les propositions simples.
Voici les syllogismes conditionnels composés, dont deux parties, comme il a été dit, se composent de trois catégoriques; la troisième de quatre. Mais les trois propositions catégoriques peuvent varier de huit manières suivant l’affirmation ou la négation. Premièrement, elles peuvent être ton tes affirmatives; secondement, toutes négatives; troisièmement, les deux premières affirmatives et la troisième négative; quatrièmement, les deux premières peuvent être négatives et la troisième affirmative; cinquièmement, la première affirmative et les deux dernières négatives; sixièmement, la première négative et les deux dernières affirmatives; septièmement, la première et la dernière affirmatives et la moyenne négative; huitièmement, la première et la dernière négatives et la moyenne affirmative; il peut donc opérer une variante dans chacune, et ces variantes sont au nombre de huit. La troisième conditionnelle composée de deux conditionnelles qui ont quatre catégoriques, peuvent varier de différentes manières. J’ai parlé fort au long de toutes ces propositions composées el de leurs différences dans les syllogismes qui en sont formés, dans mon livre sur les syllogismes hypothétiques, je m’abstiendrai donc de m’en occuper ici, et je parlerai uniquement des modes d’argumentation dans chacune d’elles. Or suivant chacune de ces propositions il se fait deux figures, dans l’une desquelles on procède de la position de l’antécédent, et dans l’autre de la destruction du conséquent. En effet, la première proposition, comme il a été dit, se compose d’une condition et d’une catégorique, de cette manière s’il est homme, puisqu’il est animé, il est animal; mais il est homme, donc puisqu’il est animé, il est animal. Ce syllogisme se construira de la même manière, si quelqu’une dé se parties ou toutes sont négatives de cette manière s’il est homme, comme il n’est pas inanimé, il est sensible; mais il est homme, donc comme il n’est pas inanimé, il est sensible. Par la destruction du conséquent on procède ainsi: s’il est homme, comme il est animé, il n’est pas sensible, donc il n’est pas homme. Dans la négative de cette manière: s’il est homme, comme il n’est pas inanimé, il est sensible; mais comme il n’est pas quelque chose d’inanimé, il n’est pas quelque chose de sensible, donc il n’est pas homme. La seconde proposition est composée d’une catégorique et d’une conditionnelle de cette manière, si comme il est quelque chose d’animé, il est animal, il est homme. On fait ainsi les syllogismes de trois propositions par la position de l’antécédent, si comme il M quelque chose d’animé, il est homme, il est animal; mais comme il est quelque chose d’animé, il e homme, donc il est animal. En i une partie, on fait ainsi: si comme il est quelque chose d’animé, il est homme, il n’est pas cheval. On procède ainsi par le destruction du conséquent, si comme il est quelque chose d’animé, il est homme, il est animal; mais il n’est pas animal, donc comme il est quelque chose d’animé, il n’est pas homme. Avec une partie négative de cette manière, si comme il est quelque chose d’animé, il est homme, il n’est pds cheval; mais il est cheval, donc comme il est quelque chose d’animé, il n’est pas homme. Et comme, ainsi que nous l’avons dit, chacune de ces propositions peut admettre huit variantes, on peut faire avec chacune d’elle seize syllogismes, huit par la position de l’antécédent et huit par la destruction du conséquent. La troisième proposition, e6rnme il a été dit, est composée de deux conditionnelles de cette manière: s’il est homme, il est animal, s’il est animal, il est substance. Cette proposition peut offrir trois variantes suivant les variations de termes; car il y a en elle un terme pris deux fois; or comme il y a deux conditionnelles, ce terme est quelquefois antécédent dans l’une et l’autre de cette manière: s’il est homme, il est animal, s’il n’est, pas homme, il est insensible. Quelquefois il est conséquent dans l’une et l’autre de cette manière: s’il est homme, il est animal, s est pierre, il n’est pas animal. D’autres fois il est conséquent dans l’une et antécédent dans l’autre de cette manière, s’il est homme, il il est animal, s’il est animal, il est substance. En conséquence de cela il y a trois variations dans les syllogismes qui se font avec ces sortes de propositions et néanmoins chacune de ces propositions se diversifie de huit manières suivant les affirmations ou les négations de ses parties, et il en résulte seize modes de syllogismes. Mais quand le même terme est conséquent dans une et antécédent dans l’autre, on construit les syllogismes de cette manière s est homme il est animal, s’il est animal, il est substance; mais il est homme, donc il est substance, et ces sortes de syllogismes se fout par la position de l’antécédent. Par la destruction du conséquent de cette manière s’il est homme, il est animal, s’il est animal, il est substance; mais il n’est pas substance, donc il n’est pas homme. Et Boèce appelle cette figure la première de ces propositions. La seconde figure a lieu quand l’antécédent est le même dans les cieux propositions, dans quel cas on fait un syllogisme de cette manière par la position de l’antécédent: s’il est homme, il est animal, s’il n’est pas homme, il est insensible; mais il est homme, donc il n’est pas insensible; ou de cette manière, s’il est homme il est animal, s’il n’est pas homme, il n’est pas raisonnable; mais il est homme, donc il est raisonnable. Par la destruction du conséquent on procède ainsi: s’il est homme il est animal, s’il n’est pas homme il est insensible; mais il n’est pas animal, donc il est insensible; ou de cette manière, s’il est homme il est animal, s’il n’est pas raisonnable, il n’est pas homme; mais il n’est pas animal, donc il n’est pas raisonnable. En effet, en détruisant animal, on détruit homme dont la destruction entraîne celle de raisonnable. La troisième figure se conduit quand on n’argumente pas par la destruction du conséquent, mais seulement par la position de l’antécédent de cette manière: s’il est homme, il est animal, s’il est pierre il n’est pas animal; mais il est homme, donc il n’est pas pierre. Tels sont les syllogismes conditionnels.
Nous allons parler des syllogismes disjonctifs. Remarquez que comme une proposition conditionnelle se multiplie suivant l’affirmation ou la négation de ses parties, quoique au nombre de quatre, il en est de même de la proposition disjonctive, parce que, ou les deux parties sont affirmatives, comme ou il est sain, ou il est malade, ou les deux parties sont négatives, comme ou il n’est pas sain, ou il n’est pas malade, ou la première est affirmative et la seconde négative, comme ou il est sain, ou il n’est pas malade, ou la première est négative et la seconde affirmative, comme ou il n’est pas sain, ou il est malade. Pour faire des syllogismes de ces propositions, il faut examiner d’abord laquelle de ces propositions équivaut à une simple conditionnelle, ensuite il faut faire le syllogisme avec cette disjonctive dans le même sens qu’on le faisait avec la conditionnelle comme il a été dit. Pour reconnaître cela, il faut supposer qu’afin que la proposition disjonctive soit vraie, il faut toujours que l’autre partie soit fausse, de telle sorte que la première partie soit fausse et la seconde vraie. Et comme pour vérifier toute proposition fausse il faut le faire par son opposée, par exemple, si celle-ci, il n’est pas homme, est fausse, elle se vérifie par celle-ci, il est homme, et vice versa, il faut pour cette raison examiner la première partie dans la proposition disjonctive et voir si elle est affirmative ou négative. Si la première partie est affirmative elle équivaut à l’antécédent nié de la conditionnelle. Car comme on suppose que l’antécédent de la conditionnelle doit être vrai pour que toute la conditionnelle soit vraie, de même la première proposition catégorique, que nous appelons antécédent dans la disjonctive, doit toujours être fausse. Afin que ces deux antécédents soient équipollents, il faut que si l’un est affirmé, l’autre soit nié, parce que dans les deux propositions, conditionnelle et disjonctive, le conséquent est vrai. C’est pourquoi, afin qu’il y ait équipollence entre eux, il faut que si l’un est affirmé, l’autre le soit, si l’un est nié, l’autre le soit aussi. Par exemple, soit cette disjonctive, ou il est sain, ou il est malade, dont l’antécédent et le conséquent sont affirmatifs, pour qu’elle soit équivalente à une conditionnelle vraie, la conditionnelle doit avoir un antécédent nié et un conséquent affirmé de cette manière: s’il n’est pas sain, il est malade, et ainsi des autres. Ceci posé, il est facile de connaître les syllogismes disjonctifs, car, comme il a été dit, quatre syllogismes conditionnels se font par la position de l’antécédent, et quatre par la destruction du conséquent. C’est la même chose dans ces propositions. En effet, la première pro position conditionnelle d’où se tirait le premier mode, était celle-ci s’il est homme, il est animal; suifant donc ce que nous avons dit elle pour équivalente celle-ci: ou il n’est pas homme, ou il est animal. Faisons donc un syllogisme disjonctif de cette manière: ou il n’est pas homme, ou il est animal; mais il est homme, donc il est animal. La seconde proposition du second mode était celle-ci, s’il est homme il n’est pas pierre, laquelle a pour équivalente cette autre, ou il n’e pas homme, ou il n’est pas pierre; et faisons un syllogisme disjonctif de cette r: ou il n’est pas homme, ou il n’est pas pierre; mais il est homme, donc il n’est pas pierre. La troisième proposition était celle-ci: si l’animal n’est pas bien portant, il est malade, à laquelle équivaut cette autre: ou il est bien portant, ou il est malade, et faisons un syllogisme disjonctif de cette manière: ou il est sain, ou il est malade; mais il n’est pas sain, donc il est malade. La quatrième proposition était celle-ci: s’il n’est pas animal, il n’est pas homme, laquelle a pour équivalente celle-ci: ou il est animal, ou il est homme, et faisons un syllogisme disjonctif de cette manière: ou il est animal, ou il est homme; mais il 1’est pas animal, donc il n’est pas homme. Dans la seconde figure on procède par la destruction du conséquent et l’on fait de cette manière le premier syllogisme: Ou il n’est pas homme, ou il n’est pas animal; mais il n’est pas animal, donc il n’est pas homme; on fait ainsi le second: ou il n’est pas homme, ou il n’est pas pierre; mais il est pierre, donc il n’est pas homme; on fait ainsi le troisième: ou il est bien portant, ou il est malade; mais il n’est pas malade, donc il est bien portant. Le quatrième se fait ainsi: ou il est animal, ou il n’est pas homme; mais il est homme, donc il est animal. Tels sont les syllogismes disjonctifs. Tenons-nous en donc là pour ces syllogismes. Je ne m’occuperai pas des autres espèces d’argumentation. Il faut observer qu’afin que la proposition réduplicative soit vraie, il faut que les quatre propositions qui l’exposent trois catégoriques et une hypothétique, soient vraies, et si l’une d’elles était fausse, elle serait fausse elle-même. Et comme ces propositions se font quelquefois à raison de la concomitance, comme si on disait, l’homme est coloré en tant que corporel: quelquefois à raison de la cause, comme, le feu est échauffant en tant que chaud. C’est pourquoi la proposition réduplicative à raison de la cause requiert pour être vraie, que les quatre qui l’exposent soient vraies, mais encore que ce sur quoi tombe le redoublement exprime la cause de ce qui est emporté par le prédicat, ou soit ce en quoi réside d’abord le prédicat principal. Par exemple pour l’une et l’autre des susdites propositions. En effet, pour que cette proposition, l’homme est coloré en tant que corporel, soit vraie, il faut que celles-ci soient également vraies, l’homme est coloré, l’homme est corporel, et tout ce qui est corporel est coloré, et si quelque chose est corporel c’est en effet coloré. De même pour la vérité de celle-ci, le feu est échauffant en tant que chaud, il est vrai que le feu est échauffant, que le feu est chaud, que tout ce qui est chaud est échauffant, s’il y a quelque chose de chaud c’est échauffant, et le chaud est la cause de la caléfaction. La réduplicative se convertit de cette manière: le feu est échauffant en tant que chaud, une chose qui est échauffante en tant que chaude c’est le feu, et non de cette manière: ce qui est échauffant en tant que chaud est le feu. Il faut observer que la proposition universelle affirmative se convertit simplement en changeant les termes finis en termes infinis; Il en est de même de la particulière négative. La raison en est que la proposition universelle affirmative en termes finis ne se convertit pas simplement, parce que il se trouve des termes où elle est comme, tout homme est susceptible de rire, et tout ce qui est susceptible de rire est homme. Il se trouve aussi des termes contraires comme, tout homme est animal, il ne s’ensuit pas donc tout animal est homme, car animal dit plus qu’homme; mais comme le terme qui dit plus que l’autre terme, si on le rend infinitésimal, dira plus ensuite que l’autre qui disait moins d’abord. Car non animal se dit de moins de choses que non homme, parce que non animal se dit de tous les êtres excepté des animaux. Non homme se dit de tous les êtres et des animaux, excepté de l’homme; la conversion’ peut donc se faire. Mais il n’y a pas de conversion dans la particulière négative en termes finis, parce qu’il se trouve des tel où il y négation, quand par exemple une espèce se dit négative de son genre, comme quelque animal n’est pas homme, mais non vice versa; mais si l’on vérifie les termes, à savoir l’homme n’est pas blanc, non blanc dit plus que non homme, donc on peut faire la conversion à savoir quelque chose non blanc n’est pas non homme. Tels sont les syllogismes etc.
Fin du traité du syllogisme simpliciter
Nous allons parler maintenant de la démonstration En effet, la science étant l’habitude de la conclusion démontrée acquise par la spéculation pour savoir ce que c’est que la science et comment on l’acquiers, il est nécessaire de savoir ce que c’est que la démonstration. Or la démonstration est un syllogisme procédant de choses vraies, nécessaires, première de soi, propres, connues par elles-mêmes immédiates et causes de la conclusion. Il faut savoir que parmi les démonstrations il y en a une propter quid, et une quia c’est pourquoi la définition précédente ne convient qu’à la démonstration propter quid. Dans cette définition il y a des choses qui appartiennent à la forme de la démonstration, en ce qui est dit être le syllogisme, d’autres qui appartiennent à la matière de la démonstration, c’est-à-dire qu’il procède de choses vraies, nécessaires, etc. C’est pourquoi j’exposerai d’abord les particules qui appartiennent à la matière objet de la démonstration; secondement j’établirai ce qui appartient à sa forme, c’est-à-dire dans quelle figure et dans quel mode ce syllogisme doit être fait. Que la démonstration procède de choses vraies, nécessaires, etc., on peut le voir clairement par sa fin, qui est de savoir, puisque savoir n’est autre chose que connaître la cause d’une chose quelconque, et non seulement la cause en tant que cause, mais en tant que cause actu de cette chose. En effet, connaître la cause d’une chose, et ne pas connaître l’effet de son être en acte, c’est connaître l’effet virtuellement: or ce n’est pas là connaître l’effet simpliciter, c’est le connaître seulement secundum quid. De plus, comme savoir c’est connaître d’une manière certaine, il faut que cet effet suive nécessairement cette cause. Donc la conclusion de la démonstration, dont l’habitude est la science, ou de savoir habitualiter, doit procéder nécessairement de prémisses qui soient les causes vraies et nécessaires de la conclusion.
Pour explorer les susdites particules de la définition de la démonstration qui appartiennent à la matière objet de la démonstration, il est nécessaire de faire quelques observations préliminaires comme les prémisses de la démonstration sont universelles, il faut savoir par conséquent ce que c’est que dici de omni, et comme le prédicat s’y dit par soi du st il faut savoir ce que c’est que per se et primo. Dici de omni, dans le sens où on le prend ici, c’est lorsqu’il n’y arien à prendre dans le sujet dont le prédicat ne se dise pas, ni un temps dans lequel le prédicat ne convienne pas à ce sujet. La différence qui existe entre dici de omni dont on parle ici et celui dont on a parlé dans le traité du syllogisme, c’est qu’on le prenait dans le premier cas pour toutes les fois qu’une chose se dit universellement de quelque sujet, soit que le prédicat soit inhérent au sujet nécessairement et en tout temps, soit qu’il ne Je soit que d’une manière contingente, pomme ici. C’est pour quoi dans cette proposition tout homme court, dici de omni se con serve de cette manière. Mais ici dici de omni se prend pour ce qui est toujours inhérent au sujet, comme tout homme est anima: car il ne peut pas y avoir de temps où l’homme ne soit pas animal; on voit donc ce que c’est que dici de omni. per se se dit de quatre manières; premièrement quand le prédicat est la définition ou quelque partie de la définition du sujet, comme, tout homme est un animal raisonnable mortel, ou tout homme est animal; secondement quand le prédicat est la propre passion du sujet, dans laquelle définition se trouve le sujet, comme, tout homme est susceptible de rire. En effet homme se trouve dans la définition susceptible de rire non comme partie essentielle, mais comme quelque chose hors de son essence, sans quoi il ne pourrait être connu. Car l’être de l’accident dépendant du sujet, il faut que la définition qui signifie son être, contienne le sujet en elle. Troisièmement on dit qu’une chose est par soi quand elle signifie quelque chose de solitaire, comme le singulier dans le genre de la substance, tel que Sortès, Platon; blanc ou ambulant de cette manière n’est pas dit per se, puisque on n’entend pas quelque chose de solitaire existant par soi. Car en disant blanc, je dis l’accident et le sujet; mais quand je dis Sortès je dis quelque chose de solitaire, et c’est ainsi dit per se. Or il faut savoir que ce mode n’est pas un mode de prédication per se, mais c’est un mode d’être. La quatrième manière de prédication per se, c’est lorsqu’on dit d’une chose une autre chose qui en est la cause immédiate et nécessaire, comme quand nous disons que l’assassiné est mort par l’assassinat. C’est là ce qu’on appelle per se. On dit que la prédication se fait primo quand le prédicat et le sujet sont tellement adéquats que le prédicat ne peut se trouver hors du sujet, ni le sujet hors du prédicat, comme lorsque nous disons, l’homme est susceptible de rire. En effet la faculté de rire est tellement attachée à l’homme que l’on peut appeler homme tout ce que l’on peut dire susceptible de rire et réciproquement. C’est pourquoi en disant: Sortès a la faculté de rire, quoique susceptible de rire se dise de Sortès dans le second mode de prédication per se, on ne le dit pas néanmoins dans le premier, parce que susceptible de rire se dit d’un plus grand nombre que de Sortès. Néanmoins Aristote appelle universel, ce que l’on dit primo, non pas dans le sens où ou a pris ce mot dans le premier traité, mais bien parce que le prédicat peut se dire universellement du sujet, et le sujet du prédicat. On voit par là ce que signifient ces trois choses, dici de omni, perse et universale. Tout ce qui se dit primo et universaliter, ne se dit pas per se, mais non réciproquement. En effet, susceptible de rire se dit primo per se de l’homme, quoique cela se dise per se de Sortès, ce n’est pas néanmoins De même aussi ce qui se dit per se, se dit de omni, cependant tout ce qui se dit de omni ne se dit pas per se; car en disant, tout animal est homme, c’est une prédication de omni et non pas néanmoins per se.
Voyons maintenant les parties de la définition de la démonstration que nous avons énumérées. On dit en effet que la démonstration pro cède de prémisses vraies. Nous avons dit plus haut ce que c’est que le vrai. Or pour que la conclusion soit vraiment déduite des prémisses comme de ses causes, il faut que les prémisses soient vraies; car quoi que l’on puisse tirer une conclusion vraie de prémisses fausses, néanmoins la vérité de la conclusion provient des prémisses. Nous disons, en effet, tout homme est pierre, toute perle est homme, donc toute perle est pierre; cette conclusion est vraie, quoique les prémisses soient fausses. Et comme toute cause s’assimile son effet, la fausseté de ces propositions ne peut pas être la cause de la vérité de la conclusion; c’est pourquoi dans le I° Priorum Aristote dit qu’une conclusion vraie de prémisses fausses se produit non propter quid, mais quia. On voit donc que la démonstration procède de choses vraies. On dit ensuite que la démonstration procède de prémisses nécessaires; or nous avons dit dans le traité des syllogismes ce que c’est qu’une pro position nécessaire. Il faut noter qu’une proposition démontrée doit être nécessaire. Car si science dit une certitude qui ne peut venir de contingents en tant que contingents, mais seulement de choses nécessaires, la conclusion dont l’habitude est la science, doit être nécessaire. Cela posé, il faut savoir que, bien qu’on puisse avoir une conclusion nécessaire de prémisses contingentes, ou au moins d’une, comme il a été dit, on ne peut néanmoins pas avoir la science avec des prémisses contingentes, mais bien avec des prémisses nécessaires. En effet, si savoir, comme nous l’avons dit, c’est connaître la cause nécessaire d’une chose, et si le moyen terme se rapporte aux extrêmes d’une manière contingente, il ne sera pas nécessaire, et par conséquent il pourra être exclu de la conclusion qui restera nécessaire; il ne sera donc pas la cause de la conclusion. Donc pour qu’il soit la cause de la conclusion, il doit avoir un rapport nécessaire avec les deux extrêmes, et de cette manière les deux prémisses seront nécessaires. On voit donc que la démonstration procède de prémisses nécessaires.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses qui sont per se et non per accidens. Il faut savoir que dans la démonstration affirmative principale le moyen est la définition du sujet en même temps que la définition de la passion. C’est pourquoi dans la majeure la passion se dit de la définition du sujet, dans laquelle sont exprimés les principes de la passion même. En effet, comme il a été dit dans le premier traité, le sujet est comparé à la première passion, non seulement en raison de la cause matérielle, mais même en raison de la cause efficiente. Donc la définition du sujet, prise en même temps que la définition de la passion, exprime la cause efficiente immédiate et nécessaire de la passion même; or c’est là le quatrième mode de dire per se, comme on l’a dit plus h Dans la mineure, la définition se dit du sujet, et c’est le premier mode de dire per se. Dans la conclusion, la propre passion se dit de son sujet, et c’est le second mode de dire per se. Par exemple: si nous voulions démontrer que tout nombre quatre est pair, nous le ferions ainsi tout assemblage mesuré par l’unité, qui n’a pas de moyen per se, est pair; mais tout nombre quatre est un assemblage de ce genre, donc tout nombre quatre est pair. Ici le sujet est le nombre quatre, sa passion est pair ou parité, et le moyen qui a été pris dit la définition du nombre, qui est un assemblage mesuré par l’unité, et dit aussi la définition de pair, parce que pair n’a pas de moyeu suivant soi. Dans la majeure, la passion se dit de- la définition du sujet dans laquelle est exprimée s propre définition, et c’est là le quatrième mode de dire perse. Dans la mineure, la définition du sujet se dit de son sujet, et c’est le premier mode de dire per se. Dans la conclusion, la propre passion se dit de son sujet, et c’est le second mode de dire per se. On voit donc quo la démonstration procède de choses qui sont per se. La raison commune de cela s’établit ainsi. Le syllogisme qui procède de choses nécessaires, ne procède pas de choses qui sont per accidens, mais de choses qui sont per se; mais, ainsi que nous l’avons dit, la démonstration procède de choses nécessaires, donc la démonstration procède de choses qui sont per se.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses premières. Remarquez que dans la démonstration principale la propre passion se dit du sujet dans la conclusion. Dans les prémisses où la prédication le la définition se fait du sujet, ou celle de la propre passion se fait de la définition du sujet ou de la sienne. Or toutes ces choses sont convertibles, et c’est là la prédication première, comme il a été dit. Et à raison de cela la démonstration établie plus haut n’est pas principale; en effet, on conclut du nombre quatre qu’il est pair, mais le mot pair a plus d’étendue que le nombre quatre, puisqu’il se dit du nombre six, du nombre huit et des autres. Pair convient d’une manière adéquate à quelque nombre commun qui est innommé, et s’il avait un nom, la prédication serait per se et primo; et on pourrait faire à son égard une démonstration principale. C’est ainsi que nous disons qu’avoir trois angles égaux à deux droits convient per se primo au triangle, parce qu’il y a conversion. Car tout triangle a trois angles, et tout ce qui a trois angles est triangle. Mais cela ne convient pas primo à l’isocèle, parce que tout ce qui a trois angles n’est pas isocèle. Ces propositions de démonstrations sont immédiates. En effet, une proposition médiate est celle dans laquelle le prédicat est inhérent au sujet à raison de quelque affirmation qui convient antérieurement au sujet, comme la faculté de rire à Sortès, parce que cette qualité con vient antérieurement à l’homme. La proposition immédiate est celle dans laquelle le prédicat ne convient pas au sujet à raison d’une autre, comme la faculté de rire convient à la définition de l’homme, et toute propre passion à la définition de son sujet et à la sienne. Il est donc évident que la démonstration procède de principes premiers et immédiats. Il faut savoir qu’il y a une différence entre premier et immédiat; car tout ce qui est primairement inhérent n’est pas dit immédiat. Effectivement, la qualité de rire est primairement inhérente à l’homme, mais non immédiatement, parce qu’elle est inhérente per prius à la définition de l’homme et à la sienne, autrement la définition ne serait pas un moyen pour attribuer par voie de conclusion la qualité de rire à l’homme. De même tout ce qui est inhérent immédiatement ne l’est pas primairement. En effet, homme est immédiatement inhérent à Sortès, mais non primairement; car homme s’applique à un plus grand nombre d’individus que Sortès; c’est pourquoi les prémisses démonstratives doivent renfermer l’un et l’autre. Il faut savoir aussi que les premiers principes dans la démonstration étant quelquefois médiats, parce qu’ils peuvent être démontrés par quelque moyen, l’argumentateur néanmoins les prend comme immédiats et indémontrables. En effet, ils ne sont pas démontrables dans la science où s’opère la dé monstration, mais dans une science supérieure; et conséquemment, quoiqu’ils aient un moyen, ils sont cependant pris comme immédiats.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses propres. Remarquez qu’on appelle quelquefois une chose propre lorsqu’elle n’est pas étrangère, et quelquefois parce qu’elle n’est pas commune. Or la démonstration procède des deux manières de choses propres, parce qu’elle ne le fait pas de choses étrangères, ni de choses communes. Pour comprendre qu’elle ne procède pas de choses étrangères, il faut savoir qu’il y a trois termes dans la démonstration comme dans tout syllogisme, à savoir, le grand extrême, qui est la passion propre, le petit extrême, qui est le sujet, et le moyen terme, qui est la définition du sujet avec la définition de la passion. Or, si le moyen terme était étranger au grand extrême ou au petit extrême, qui ne serait pas la définition renfermant l’un et l’autre, le grand extrême alors ne serait pas dit de lui per se, et il ne serait pas dit lui-même du sujet per se; mais on a prouvé que dans la majeure le grand extrême se dit per se du moyen dans le quatrième mode de dire per se, et que dans la mineure le moyen se dit du petit extrême per se dans le premier mode de dire per se; donc la démonstration ne procède en aucune manière de choses étrangères, mais bien de choses propres. Il faut savoir que, bien que dans les démonstrations il n’y ait pas transition d’un genre à un genre étranger, néanmoins rien n’empêche que quelquefois le sujet d’une démonstration ne soit contenu sous le sujet d’une autre démonstration et le contracte. Par exemple: supposons que l’on démontre cette passion, à savoir le sensitif, par la définition d’animal appliquée à l’animal même, si cette môme passion était démontrée relativement à l’homme par le même moyen terme, ou par un moyen contracté dans la définition de l’homme, il se ferait alors une démonstration sous une autre, et ce serait un sujet sous un autre sujet. Il faut aussi savoir qu’une semblable contraction est quelquefois dans le même genre simpliciter, comme on l’a dit de l’animal et de l’homme, parce qu’elle s’opère quelquefois dans l’homme par quelque différence étrangère. Quelquefois cette contraction ou transition s’opère dans le même genre secundum quid, parce que le sujet se contracte par une différence étrangère, comme visuel est étranger au genre de la ligne, et le son est étranger au genre du nombre. C’est pourquoi la ligne qui est simplement un sujet de géométrie, et la ligne visuelle qui est un sujet de perspective ne sont pas simplement du même genre, mais seulement secundum quid, il en est de même du nombre qui est un sujet de l’Arithmétique et du nombre sonore qui est un sujet de la musique. C’est pourquoi quand les choses qui appartiennent simplement à la ligne sont appliquées à la ligne visuelle, il se fait en quelque sorte une transition à un autre genre. Aussi dans la démonstration qui s’effectue dans la science de la perspective et dans la musique, on procède en quelque façon de principes étrangers. On voit donc de quelle manière la démonstration procède de principes ou prémisses propres et non étrangères. Pour concevoir qu’elle procède aussi de choses propres et non communes, il faut savoir que dans la démonstration certains principes concourent actuellement, et d’autres virtuellement. Il y a certains principes qui sont la formule des communes conceptions de l’âme, parce que notre intellect est naturellement porté par sa lumière à les connaître, par la raison que les termes étant connus, il connaît immédiatement ces principes, comme, le tout est plus grand que sa partie. Car aussitôt que la raison connaît ce que c’est qu’un tout et ce que c’est qu’une partie, elle reconnaît la vérité de ce principe que le tout est plus grand que le partie. Or ces principes ou propositions premières sont plus et moins communs. C’est pourquoi ce principe commun, l’être ou le non être se dit de toutes choses, est commun dans tout être; mais celui-ci, le tout est plus grand que sa partie, ne convient qu’à l’être corporel, et non aux substances séparées qui n’ont ni tout, ni parties, et ainsi de plusieurs autres. C’est pourquoi les principes ci dessus n’entrent pas actuellement, mais bien virtuellement dans les démonstrations qui se font dans les sciences. Car dans toute proposition que je fais, il y a tout d’abord introduction virtuelle. En effet, lorsque je dis Pierre court, il est certain ou qu’il y a un homme, ou qu’il n’y en a pas. Donc ce principe, l’être ou le non être se dit de toute chose, se trouve virtuellement dans chacune des prémisses de la démonstration; il en est de même des autres principes moins communs, par rapport aux démonstrations dans lesquelles ils se trouvent virtuellement. C’est pourquoi dire que les démonstrations ne pro cèdent pas virtuellement de ces principes, c’est une fausseté. Mais je dis que ces principes communs n’entrent pas actuellement dans la démonstration. En conséquence celui qui voudrait démontrer la quadrature du cercle par les principes communs de cette manière, là où se trouve le plus et le moins se trouve aussi l’égal; mais il se trouve un carré plus grand que le cercle et moindre que le cercle, donc on trouve aussi l’égal; celui-là ferait une mauvaise démonstration. La raison en est, ainsi qu’on l’a prouvé plus haut, que la démonstration procède de choses premières et immédiates; mais en usant de ces principes, les deux propositions de la démonstration ne seront pas immédiates et premières, parce que être plus grand ou plus petit que le cercle convient non seulement au carré, mais encore au triangle et à plusieurs autres figures; il n’y a donc pas dans cette proposition ce qui est premier, ou ce qui est inhérent primairement. Elle pas non plus immédiate, parce pie cela pourrait se prouver par plusieurs moyens termes; donc ce n’est pas de là que procède la démonstration. Il y a d’autres principes de démonstration qui entrent actu dans la démonstration, lesquels sont aussi appelés positions, suppositions et définitions. Pour comprendre ces termes, il faut observer que tout ce qui est placé dans la démonstration avant la conclusion, est appelé position, parce que c’est placé avant la conclusion. Il est certaines positions qui ne prennent point l’être ou le non être, telle est la définition. Car ceci n’est pas une définition, l’homme est un animal raisonnable mortel; la définition n’est que cela, animal raisonnable mortel, c’est-à-dire ce qui ajoute l’être ou le non être, et cette définition est une position. Quelquefois la position prend l’être ou le non être, comme lorsque nous disons, l’homme est un animal raisonnable mortel, et c’est ce qu’on appelle une supposition. Il faut savoir que ce n’est pas sans cause que ces suppositions sont appelées suppositions. Remarquez qu’on appelle proposition connue per se celle dans la quelle le prédicat est de la nature du sujet; telles doivent être les prémisses des démonstrations, comme nous le dirons plus loin. Il faut savoir que les termes de quelques propositions ont une notoriété commune; tels que être, vrai, bien, un, chose, et autres semblables qui appartiennent aux premières conceptions de l’intellect, et sont connus au premier mot. C’est pourquoi les propositions dont ces choses sont la matière non seulement sont connues par elles-mêmes en elles-mêmes, mais encore par rapport à nous, comme être et non être se dit de toute chose; aussi ces propositions ne sont pas appelées suppositions. Il y a d’autres propositions où, quoique le prédicat soit de la définition du sujet, cette définition du sujet n’est pas néanmoins connue à tout le monde, et par conséquent il n’est pas connu de tout le monde que le prédicat est de sa définition, comme celle-ci: tous les angles droits sont égaux, car égal est de la définition d’angle droit. En effet, l’angle droit est celui qui est produit par une ligne droite tombant perpendiculairement sur une autre ligne droite, de manière qu’il y ait des deux côtés des angles égaux. En conséquence, comme tout le mondé ne soit pas cela, c’est-à-dire que égal appartient à la définition d’angle droit, on le suppose, et pour cette raison on l’appelle supposition. La proposition de la démonstration peut être appelée supposition dans un autre sens, car il y a certaines propositions qui se prouvent par les principes d’une science supérieure, comme on le montrera plus bas, et par conséquent il faut supposer la science inférieure. Et comme c’est de pareils principes ou prémisses propres que procède la démonstration, parce qu’entrent en elle actu, elle pro cède conséquemment de choses propres et non communes. On voit donc comment la démonstration procède de choses propres, etc.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes. On appelle propositions connues par elles-mêmes celles où le prédicat appartient à la définition du sujet ou vient immédiatement de ses principes. Mais les choses d’où procède la démonstration sont de ce genre. Car dans la majeure la propre passion se dit de la définition du sujet et de la science, qui est sa cause immédiate, ou exprime ses principes immédiats; dans la mineure au contraire la définition se dit du sujet. Donc la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes. Il faut savoir qu’il y a certaines propositions connues par elles-mêmes en elles-mêmes, et non par rapport à nous, comme celle-ci: quiconque a la fièvre a le pouls accéléré. En effet, quoique cela soit connu en soi, par ce que la fièvre est une cause de l’accélération du pouls, néanmoins ce n’est pas connu par rapport à nous, au contraire nous connaissons la fièvre par l’accélération du pouls. Ce n’est pas de semblables choses connues par elles-mêmes que procède la démonstration. Car si la raison d’une chose est plus claire que cette chose, les conclusions nous sont connues à cause des prémisses, il faut donc que les prémisses nous soient plus connues. C’est pourquoi nous ne pourrions connaître les conclusions en aucune manière, si les prémisses ne nous étaient pas plus connues. Or on fait des démonstrations afin d’arriver à la connaissance des conclusions; donc les démonstrations procèdent de choses plus connues par rapport à nous. Il y a certaines propositions connues par elles-mêmes et en elles-mêmes et par rapport à nous, comme tout nombre qui n’a pas de moyen par soi est pair, parce que tout nombre qui n’a point par soi de moyens est appelé pair et vice versa, c’est de telles choses que procède la démonstration. Il est donc évident que la démonstration procède de choses connues par soi et qui nous sont plus connues. On peut conclure de ce qui précède que la démonstration et la science, qui est l’habitude d’une conclusion démontrée, roule toujours sur des choses incorruptibles et sempiternelles. En effet, il faut que ce qui conserve dici de omni soit incorruptible et sempiternel. Car, comme il a été dit plus haut, on appelle dici de omni quod non aliquando inest, et aliquando non inest, sed semper inest. Or les choses corruptibles ne sont pas toujours en cela, donc dici de omni ne se conserve que dans les choses sempiternelles. Mais dans la démonstration principale qui a ses deux propositions universelles, dici de omni se conserve dans toutes. Donc la démonstration roule sur les choses incorruptible et sempiternelles. Il semble aussi que la définition appartient aux sempiternelles. En effet, Quoique les choses corruptibles soient définies, elles ne sont pas définies néanmoins entant que corruptibles. Il n’y a de corruptibles que les choses particulières, or le particulier ne se définit pas. C’est pourquoi la définition roule per accidens sur les choses corruptibles, et per se sur les choses sempiternelles. Il faut savoir que certaines choses sempiternelles ou éternelles, comme il appartient au but de la démonstration, ne sont pas toujours telles suivant le temps, elles le sont par comparaison à la cause; parce que il n’y a jamais de défection sans qu’en posant une telle cause on ne pose l’effet, comme la défection du soleil ne s’opère jamais sans que la lune s’interpose entre lui et nous; cependant cette défection du soleil ne dure pas toujours, mais seulement dans ce moment. Quelques autres ne sont sempiternelles, ni par comparaison au temps, ni par comparaison à la cause, lesquelles peuvent être naturalisées. En effet la semence humaine ne produit pas toujours un homme avec deux yeux, il y a quelquefois une défectuosité à raison de quelque obstacle du côté de la cause agissante ou de l matière. Dans les deux cas, il faut ordonner les démonstrations de manière qu’elles roulent sur les sempiternelles, et de sorte qu’on tire une conclusion universelle de propositions universelles, en écartant les choses où il peut y avoir défectuosité, soit du côté du temps, soit du côté de la cause. On voit donc que la démonstration roule sur des choses sempiternelles tant dans les prémisses que dans la conclusion. Donc la science qui est l’habitude de la conclusion démonstrative roule sur des choses sempiternelles.
On dit ensuite que la démonstration procède des causes de la conclusion, ce qui peut s’entendre de deux manières. Premièrement que les prémisses sont cause que le grand extrême se trouve dans le petit, et cela est vrai non seulement dans la démonstration, mais encore dans tout syllogisme où on conclut la vérité de choses vraies. Par exemple, dans ce syllogisme: tout homme court, Sortés est homme, donc Sortès court, en. supposant qu’il soit vrai que tout homme court, et que Sortès soit homme, il s’ensuit nécessairement, comme effet, que Sortès court. Secondement on peut entendre que les prémisses sont la cause de la conclusion, parce qu’elles contiennent la cause tant du sujet que du prédicat de la conclusion, et dans ce sens cela ne convient qu’à la démonstration. Il faut remarquer, ainsi qu’il a été dit, que savoir étant connaître la cause d’une chose, le moyen qui appartient à la démonstration et qui. est un syllogisme produisant la science, est la définition du sujet et de la passion. Or toute bonne définition se donne par une cause quelconque, donc le moyen qui se trouve dans les prémisses, est la cause du sujet et de la passion, d’une manière différente néanmoins. Sur quoi il faut savoir que, comme il y a quatre causes, à savoir: la finale, l’efficiente, la formelle et la matérielle, la définition peut se tirer de laquelle que ce soit, par exemple, en disant la maison est un abri formé de pierres, de ciment et de bois, c’est une définition par la cause matérielle; si l’on dit, la maison est un abri long et haut, c’est une définition par la cause formelle; en disant, la maison est un abri construit par un artisan avec de marteaux des tuiles, et du plomb, c’est une définition par la cause efficiente; si l’on dit, la maison est un abri qui nous garantit de la pluie, du froid et du chaud, c’est une définition par la cause finale. Donc le sujet pouvant être défini par tant de causes, le moyen qui est sa définition, comme il a été dit, sera en rapport avec lui dans l’habitude de toutes ses causes. A l’égard de la passion, le rapport du moyen est dans l’habitude de deux causes, à savoir la cause matérielle et la cause efficiente. En effet, comme nous l’avons dit, le sujet compare à la passion propre, et comme sujet, et comme sujet, et comme efficient; il en est de même de la définition du sujet à l’égard de la passion. Il faut savoir que les causes ayant un ordre entre elles, la raison de l’une se tire de l’autre. De la forme on tire la raison de la matière parce que la matière doit être telle que le demande la forme. L’efficiente est la raison de la forme; comme en effet tout agent produit quelque chose de semblable à lui, le mode de la forme qui provient de l’action doit être conforme au mode de l’agent. De la fin se tire la raison de l’efficient; parce que tout agent agissant pour une fin, il faut conséquemment que la définition qui se tire de la fin soit la raison et la cause probante des autres définitions tirées des autres causes, laquelle est tirée de l’agent des deux autres, qui est tiré de sa forme, laquelle est tirée de la matière. En conséquence la définition qui se tire de la matière peut être démontrée par la cause finale, et ainsi des autres. C’est pour cela qu’Aristote dit, dans le I° livre Posteriorum, que la définition est ou la conclusion de la démonstration, c’est-à-dire quand elle se fait par une cause de telle sorte qu'on peut conclure de la définition ce qui se fait par une autre cause, ou le principe de la démonstration, à savoir quand elle se fait au contraire par la cause qui est la raison et la cause probante d’une autre, ou c'est une démonstration différant seulement par la position ou l’ordre c’est-à-dire quand elle renferme ces deux causes. Ainsi s’explique ce qui con cerne les parties de la définition de la démonstration que contient sa matière.
Il nous reste à parler maintenant de la forme; car dans sa définition nous avons dit qu’elle est un syllogisme. Sur quoi il faut remarquer que la démonstration est quelquefois affirmative et quelquefois négative. Parmi les démonstrations tant affirmatives que négatives, quelques-unes sont principales, d’autres ne le sont pas. On appelle principales celles dans lesquelles on observe sans rien omettre tout ce qui été dit de la démonstration; si en effet on omettait quelque chose, ce ne serait plus une démonstration principale. C’est pourquoi il faut considérer dans quelles figures se font les démonstrations principales et d’abord les affirmatives. Il faut savoir que la démonstration principale affirmative ne doit se faire que dans la première figure et dans son premier mode, ce que l’on peut rendre évident de cette manière. En effet cette figure et dans son mode, la démonstration doit se faire en raison de ce qui présente un moyen qui est la cause de la passion du sujet, de sorte que les prémisses soient per se telles que le moyen qui y être assigné comme cause de la passion et du sujet mais cela ne peut se faire que dans la première figure. Car dans la seconde figure il n’y a pas de conclusion affirmative; dans la troisième figure, quoiqu'il puisse y avoir une conclusion affirmative, néanmoins comme le moyen des deux propositions est une subjection dans la mineure ou le sujet se dirait de sa définition il ne pourrait y ayoir de prédication dans quelque mode de dire per se, ce qui n’arrive pas dans la première figure où, comme nous l’avons dit, la définition se dit du sujet dans la mineure. Donc ce n’est que dans la première figure que se fait la démonstration principale affirmative. Elle doit aussi se faire dans son premier mode, car, comme noue l’avons dit dans la démonstration principale dici de omni se conserve tant dans les prémisses que dans la conclusion, comme aussi le primum, ce qui ne pourrait se faire sans qu’elles fussent toutes universelles; mais cela ne se fait que dans le premier mode de la première figure. Donc ce n'est que dans ce mode que peut se faire la démonstration principale. Quant à celles qui ne sont pas principales, elles peuvent se faire et dans le troisième mode de la première figure, et dans la troisième figure dans les modes qui concluent affirmativement. On voit donc dans quel mode et dans quelle figure peut se faire la démonstration principale affirmative.
Pour savoir comment doit se faire la démonstration principale négative, il faut considérer si cette démonstration peut exister. Je dis que, bien que dans la démonstration négative il ne puisse y avoir ni se conserver tout ce qui a été dit de la démonstration, (car il ne peut y avoir de prédication per se dans la proposition négative puisque dici per se appartient à l'affirmative), il suffit cependant que dans cette démonstration les prémisses soient nécessaires et immédiates. Comment les affirmatives et les négatives sont nécessaires, nous l’avons dit dans le Traité des syllogismes, et nous avons dit plus haut comment l’affirmative est immédiate. Il reste donc à dire comment elle est médiate ou immédiate. Il faut observer que lorsque une chose est niée d’une autre et vice versa et que l’on peut dire universellement d’un terme ce qui peut être nié de l’autre, alors la proposition universelle négative formée des deux premiers termes peut se démontrer par le moyen de celui qui se dit universellement affirmativement de l’autre terme. Par exemple, l'homme peut se nier de la pierre et vice versa, comme, nul homme n’est pierre, et comme quelque chose peut se dire universellement de l’homme, c’est animal, car nous disons, tout homme est animal, pierre peut être niée de l’animal, donc cette proposition, à savoir nul homme n’est pierre, est médiate. Elle peut en effet se prouver ainsi par le moyen terme; nul animal n’est pierre, tout homme est animal, donc nul homme n’est pierre. Il en résulte la même conséquence si l’on peut dire universellement de la pierre quelque chose qui puisse être nié de l’homme, ou de quoi homme puisse être nié, ce sera donc une proposition négative immédiate, quand deux termes niés l’un de l’autre seront tels que aucun d’eux n’aura quelque chose qui se dise de lui universellement et qui puisse être nié de l’autre terme ou de quoi l’autre terme puisse être nié. Par exemple, nulle substance n’est quantité; cette proposition est immédiate, car aucun terme ne peut se dire universellement de la substance tout en étant nié de la quantité, car être se dit universellement de la substance et n’est cependant pas nié de la quantité. De même aussi deux définitions de deux espèces contenues immédiatement sous un genre quelconque font une proposition négative immédiate, comme celle-ci nul animal raisonnable mortel n’est animal irraisonnable mortel, car animal raisonnable mortel est la définition de l’homme, tandis que animal irraisonnable mortel est la définition de la brute, or la brute et l’homme se trouvent immédiatement dans animal. Il en sera de même de deux différences opposées divisant le même genre comme, rien de raisonnable n’est irraisonnable. Il en est tout autrement des espèces constituées par ces différences, comme, nul homme n’est brute, parce qu’il y a au-dessus de l’homme quelque chose qui pourrait être nié de la brute, à savoir raisonnable, et au dessus de la brute, il y a quelque chose qui pourrait être nié de l’homme, à savoir irraisonnable; c’est pourquoi elles sont immédiates, quoique à proprement parler on ne puisse pas dire que raisonnable est au-dessus de l’homme, et irraisonnable au-dessus de la brute, aussi ne sont-elles pas proprement immédiates. Ceci reconnu, on peut savoir tout d’abord comment se fait la démonstration négative, et dans quelle figure. Cette démonstration principale ne peut se faire dans la troisième figure, parce qu’il n’y a pas de conclusion universelle négative. C’est pourquoi, comme dans la première et la seconde figure il peut y avoir une conclusion universelle négative, on peut faire dans l’une et l’autre une démonstration avec une conclusion semblable; mais il n’y a que la principale qui puisse se faire dans le second mode de la seconde figure. La raison en est que, quoique la science soit du vrai, elle n’est pas néanmoins de tout le vrai, quelque argumentation que l’on fasse de propositions immédiates. C’est pourquoi en disant, toute habitude est une qualité, toute vertu est habitude, donc toute vertu est une qualité; quoique cette conclusion soit vraie, et formée de propositions immédiates, nécessaires et per se, néanmoins cette science ne sera pas produite per se. Il n’y a que dans les démonstrations affirmatives que la science est produite par des conclusions vraies, dont les prémisses sont vraies et immédiates, et de telle sorte, comme nous avons dit, que dans leurs conclusions la propre passion se dise du propre sujet. De même aussi dans la démonstration négative la science ne sera pas produite par l’habitude de sa conclusion, supposé que la conclusion soit vraie et se tire de propositions immédiates, à moins que la propre passion ne soit vraiment niée de ce qui n’est pas son sujet, ou par ce qui n’exprime pas sa cause, comme l’exprime la définition du propre, et ce sera vraiment là une démonstration principale mais elle ne pourra être formée de propositions immédiates que dans le second mode de la seconde figure de cette manière tout ce qui a la faculté de rire est un animal aspirant et ouvrant la bouche pour respirer et saisir ce qui lui convient, mais rien de ce qui est irraisonnable n’est un tel animal pour l’appréhension, donc rien de ce qui est raisonnable n’a la faculté de rire. Il est certain que la majeure est immédiate, car la définition de la passion et du sujet s’y dit de la passion même. La mineure est immédiate aussi, comme nous l’avons dit. Dans la conclusion la passion est écartée de ce qui n’est pas son sujet. Or cela ne pourrait pas se faire dans la première figure, ni dans le premier mode de la seconde figure. En effet, si on disait dans la première figure, rien de ce qui est irraisonnable n’a la faculté de rire, toute brute est irraisonnable, donc nulle brute n’a la faculté de rire, la majeure ne serait pas immédiate. Et si on faisait un syllogisme dans le premier mode de la seconde figure, quoique les prémisses puissent être immédiates, la conclusion ne se ferait pas néanmoins en écartant la passion du sujet, mais bien dans un sens contraire de cette manière: rien d’irraisonnable n’est un animal raisonnable, mais tout ce qui a la faculté de rire est un animal raisonnable, donc rien de ce qui n la faculté de rire n’est un animal déraisonnable. On peut faire aussi une démonstration particulière négative dans le quatrième mode de la seconde figure. Voilà quelle est la forme de la démonstration, dans quelles figures et dans quels modes elle doit se faire. Tel est ce qui concerne la démonstration propter quod.
Nous allons parler maintenant de la démonstration quia. Il faut d’abord examiner ce que l’on veut dire par ces mots propter quid, et par celui-ci quia. Il faut remarquer que nous pouvons savoir quatre choses d’une chose à savoir, ce qu’elle est, si elle est, parce qu’elle est, pourquoi elle est. Pour comprendre cela, il faut savoir que la science ne se composant que de vérités, il y a conversion entre la vrai et l’être, la science roulera donc sur l’être. Or, ainsi que nous l’avons dit dans les prédicaments, on trouve dans les choses un double être, à savoir les essences, et l’être de l’existence actuelle, et comme l’être de l’essence s’appelle quiddité, ou ce qu’est la chose, aussi lorsque nous connaissons l’être de l’essence d’une chose, nous disons que nous savons ce qui en est de cette chose: l’être de l’existence actuelle est tout autre dans la substance que dans l’accident. En effet comme l’être de l’accident est l’inesse, connaître l’être de l’existence actuelle du sujet, c’est savoir seulement qu’il est actu, et c’est savoir de lui s'il est; mais connaître l’être de l’existence actuelle d’un accident, c'est savoir de lui quia est, d’où savoir qui est n’est autre chose que savoir que telle chose est inhérente à telle autre. Et comme une chose est inhérente à une autre pour quelque cause, connaître cette cause c’est savoir propter quid. On voit donc que savoir d’une chose quia est, c’est savoir que cette chose est inhérente à une autre tout en ignorant la cause; savoir propter quid c’est savoir qu’une chose est inhérente à une autre, en même temps qu’on en connaît la cause. Donc la démonstration propter quid est celle où l’on manifeste la cause pour laquelle le prédicat est inhérent au sujet dans la conclusion. Quoi que l’on dise que cette démonstration est celle où l’on conclut qu’une chose est inhérente à quelque sujet, ou n’en assigne pas néanmoins la raison. Or, comme on l'a dit plus haut, il est requis pour la démonstration propter quid qu’elle procède de causes et de choses immédiates; il ne suffit pas; en effet, de connaître une cause, il faut encore savoir quelle est la cause de ce que l’on fait, si elle est cause immédiate. La démonstration quia sera donc telle ou parce qu’elle ne procède pas de causes, ou parce qu’elle ne procède pas de choses immédiates, .mais de causes éloignées. Quant au premier point il faut savoir, ainsi que nous l’avons dit, que la démonstration est une cause de cognition, c’est-à-dire un moyen de connaître une conclusion par les prémisses: or cela ne pourrait avoir lieu si les prémisses ne nous étaient pas plus connues, il est en conséquence nécessaire que la démonstration procède de choses plus connues par rapport à nous. Il arrive que l’effet immédiat nous est plus connu que la cause, c’est pourquoi en pareil cas il est nécessaire que la démonstration procède de l’effet à la cause. Par exemple, se mouvoir et sentir c’est un effet immédiat de tout être qui a une âme sensitive, et il nous est plus connu qu’une chose ait le mouvement et le sentiment, parce que nous le sentons, que le fait d’avoir une âme sensitive; par conséquent, en procédant ainsi, tout ce qui se meut et sent a une âme sensitive, mais tout animal se meut et sent, donc tout animal a une âme sensitive, on conclut de l’animal qu’il a une âme sensitive, non cependant par la cause, mais par l’effet qui est de se mouvoir et de sentir. Mais si l’on faisait une démonstration et une conclusion, ce serait une démonstration propter quid de cette manière: tout ce qui a une âme sensitive se meut et sent, mais tout animal a une âme sensitive, donc tout animal se meut et sent. Il faut savoir que ces démonstrations quia sont quelquefois dans des termes tels qu’elles sont convertibles entre elles, comme le moyen terme, le grand extrême et le petit extrême, ainsi que dans les termes précédents. Car tout animal se meut, sent et a une âme sensitive, et tout ce qui se meut et sent et à une âme sensitive est animal, et tout ce qui a une âme sensitive est animal, se meut et sent, et c’est dans ces termes que se font les démonstrations universelles. D’autres fois il arrive que le moyen terme, à savoir l’effet se mouvoir et sentir ont plus d’extension que le petit extrême et néanmoins on fait encore un syllogisme ou une démonstration convenable de cette manière, tout ce qui se meut et sent a une âme sensitive, mai tout homme se meut et sent, donc tout homme a une âme sensitive, homme en effet a moins d’extension que tout ce qui se meut et sent. Mais si le moyen terme a moins d’extension que le petit extrême, il n’y a pas de démonstration de cette manière; tout ce qui se meut et sent a une âme sensitive, tout corps se meut et sent; cette démonstration est fausse. Au contraire, si le moyen terme a moins d’étendue que le grand extrême, la démonstration se fait de cette manière: tout ce qui se meut et sent est corps; tout animal se meut et sent, donc tout animal est corps. Mais si le moyen terme a plus d’étendue que le grand extrême, il n’y a pas de démonstration. Effectivement, d’un effet qui se trouve dans plusieurs causes on n’en peut pas conclure pour une seule; du mouvement et de la sensibilité ne peut conclure la rationalité, On voit donc ce que c’est que la démonstration quia qui procède de l’effet pour conclure la cause. La démonstration quia procède de causes éloignées dans la même science et dans diverses choses. Dans la même comme la démonstration d’Anacharsis ainsi conçue: où il n’y à pas de vignes, il n’y a pas d’histrions et de chanteurs; or les Scythes il n’y a pas de vignes, donc il n’y a chez les Scythes ni histrions ni chanteurs. Certes, quoique les vignes soient la cause du chant, c’est cependant une cause bien éloignée. Car les vignes sont la cause des raisins, les raisins la cause du vin, le vin la cause de la joie, et la joie la cause du chant; il est certain que cette démonstration est une démonstration quia. En effet, en démontrant de cette manière nous ne pouvons pas connaître par une cause immédiate pourquoi les Scythes ne chantent pas, mais par le moyen de plusieurs autres démonstrations intermédiaires, de cette manière par cette démonstration on ne fait pas propter quid, mais bien quia, etc.
Pour comprendre comment la démonstration quia se fait dans les autres sciences, il faut savoir que dans toute démonstration, quelle que soit la science où elle se fait, avant que la conclusion soit tirée, il y a quelque chose que nous savons d’avance, et quelque chose que nous ne savons qu’après. En effet, ainsi que nous l’avons dit, il y a trois termes dans la démonstration, à savoir le sujet, la passion et la définition de l’un et de l’autre, laquelle est le moyen terme; il y a en elle les premiers principes ou les dignités en vertu. C’est pourquoi avant de démontrer nous savons d’abord à l’égard des dignités qu’elles sont vraies. Les choses complexes ne peuvent se définir, or les dignités étant complexes ne peuvent se définir; nous ne pouvons donc pas savoir ce qu’elles sont, ni par conséquent ce qu’il en est d’elles avant la démonstration. Mais nous savons d’elles qu’elles sont; elles doivent en effet être tenues pour. vraies, car elles sont tellement connues par la lumière de la raison naturelle que, les termes connus, nous connaissons qu’elles sont vraies, comme il a té dit; mais nous ne savons pas relativement à elles propter quid, puisqu’elles sont les premières conceptions de l’esprit. Quant à la passion, nous savons d’avance ce quelle est, parce qu’elle a une définition qu’il faut connaître préalablement avant de faire la démonstration. En effet, si celui qui démontre ne connaît d’abord le moyen terme, il ne pourra jamais argumenter; or dans la démonstration le moyen est la définition du sujet et de la passion. Pour la passion, nous ne pouvons pas savoir d’avance quia est, c’est-à-dire l’être de son existence actuelle. Effectivement, l’être de l’accident étant l’inesse, à savoir d’avance qu’elle inhère, c’est connaître l’être de son existence actuelle, et ainsi, avant de la démontrer, nous connaîtrions sa démonstration. Car la démonstration ne démontre autre chose, sinon que la passion est inhérente au sujet, comme il a été dit: or cela est faux. Donc nous ne savons pas d’abord à son égard quia est. Pour ce qui est du sujet, nous savons d’avance ce qu’il est; car par rapport à lui, ce qui n’est pas encore actu peut être connu, je dis actu tant en lui-même que dans ses causes. En effet, quoique la rose n’existe pas encore actu, comme néanmoins elle existe dans sa cause, nous pouvons démontrer quelque passion à son sujet. On voit donc ce qui est préalablement connu dans la démonstration, et ce que nous savons d’elle après qu’elle a été faite. Pour le concevoir clairement, il faut observer que dans la démonstration il y a des prémisses et une conclusion. Or ou les prémisses sont premières dans la science, ou secondaires. Par exemple, dans la science des animaux, le premier principe est, tout corps animé sensible se meut et sent; il n’y a rien d’antérieur à ce principe, et l’universalité dans la même science, si ce n’est les dignités, lesquelles, comme il a été dit, n’entrent pas actu dans la démonstration; aussi ne sont-elles pas contenues dans la même science, mais dans une science commune. Les principes secondaires sont ceux qui sont démontrés par les premiers; ce sont d’abord des conclusions, ensuite ils sont pris pour principes dans la même science, pour démontrer d’autres choses. Par exemple, j'en fais d'une première démonstration de cette manière: tout corps animé sensible se meut et sent, tout animal est un corps de ce genre, donc tout animal se meut et sent. Ensuite, je prends cette conclusion et j’en fais une prémisse de cette manière tout animal se meut et sent, tout homme est animal, donc tout homme se meut et sent. C’est là un principe secondaire. Relativement aux premiers principes dans la science, on sait seulement qu’ils existent. Car si ou savait propter quid sunt, il faudrait le démontrer, ce qui ne pourrait se faire que par des principes antérieurs, ce qui prouverait qu’ils n’étaient pas premiers principes. Mais en supposant qu’ils étaient premiers principes, il s’ensuit qu’on ne peut savoir d’eux dans cette science propter quod sunt. En conséquence, on dit communément qu’aucune science ne prouve ses principes; mais s’ils doivent être prouvés, on le fait par une science supérieure, comme la science naturelle prouve les principes de la science des animaux. Car la science naturelle traite de tout corps mobile. Tout au moins on peut les prouver par la science mathématique ou par la dialectique qui sont sciences communes à tout, et qui prouvent les principes de toutes les sciences; mais la science mathématique prouve démonstrativement, la dialectique d’une manière probable ou opinative. Relativement aux principes secondaires, dans la science on connaît le propter quid, car ces principes sont prouvés ailleurs, ainsi qu’on l’a dit. On voit donc ce que nous savons des principes dans la démonstration. Pour la conclusion dans la démonstration propter quid, nous connaissons le propter quid. Mais dans la démonstration quia, nous ignorons propter quid, parce que ou le moyen terme n’est pas la cause, mais l’effet de la conclusion, comme on l’a dit, ou porte qu’il en est la cause éloignée. Remarquez que deux sciences peuvent s’occuper du même sujet, l’une formellement et l’autre naturellement, comme la traite de la ligne formellement, et la perspective traite de la ligne, non comme ligne, mais comme visuelle. C’est pourquoi en démontrant quelque chose de la ligne visuelle par les principes de la ligne en tant que ligne, pour cette conclusion le géomètre connaîtrait le propter quid, et le dessinateur saurait seulement quia. Par exemple, faisons cette démonstration: toute longueur sans largeur où le milieu est semblable aux extrémités est droite, mais une ligne qui passe par une table carrée est une longueur de ce genre, donc la ligne des tables carrées est droite. Dans cette conclusion le géomètre connaît le propter quid, parce qu’il sait la cause de la rectitude des lignes; mais le dessinateur la suppose, parce qu’il en ignore la cause, et par conséquent il connaît le quia et non le propter quid, et ainsi des autres. Alors la science inférieure s’appelle subalterne, parce qu’elle est matérielle, et la science supérieure subalternante, parce qu’elle est formelle. Il faut savoir qu’il arrive quelquefois qu’une science subalternée par rapport à une autre est subalternante, comme la perspective par rapport à la géométrie est subalternée, et subalternante par rapport à l’optique. En effet, la science de l’optique étant une partie de la science naturelle, elle prend les principes de la perspective pour prouver quelque conclusion, et ainsi elle ne connaît sur cette conclusion que le quia, tandis que la perspective en connaît le propter quid. Il faut savoir qu’il y a des sciences qui n’ont pas de sujet pris matériellement sous le formel, et cependant on prend les principes d’une autre science dans quelque conclusion, et on sait sur cette conclusion le quia et non le propter quid. Par exemple c’est une conclusion en médecine que les blessures circulaires sont longues à guérir; le sujet de cette conclusion ne se trouve pas sous le sujet de la géométrie, et néanmoins cette conclusion se prouve par les principes de la géométrie, qui sont que les parties d’un cercle n’ayant point d’angles sont plus distantes les unes des autres, il s’ensuit que ces blessures sont plus longues à guérir. Voilà ce qui concerne les démonstrations propter quid et quia.
Après avoir parlé des démonstrations, nous allons dire quelque chose des sciences qui en sont les effets. Sur cela il faut considérer deux choses: premièrement, ce qui est requis pour qu’une science soit certaine, secondement, ce qui est requis pour qu’elle soit une. A l’égard du premier point, il faut savoir qu’on appelle simplement plus certaine la science qui procède de choses simplement plus connues, et plus connues par rapport à nous. Or une chose peut être plus connue qu’une autre simplement de deux manières; suivant la première, la cause est simplement plus connue que l'effet; suivant la seconde, la forme est simplement plus connue que la matière. En effet, le principe pour connaître la matière vient de la forme; donc les sciences qui disent la cause et propter quid, comme nous l’avons dit des sciences subalternantes, sont plus certaines que celles qui disent la matière. C’est pourquoi la géométrie, qui traite de la ligne par rapport à ses principes formels, est plus certaine que la perspective qui traite de la ligne visuelle, ou la science du triangle que celle qui traite du triangle d’airain. Et comme, ainsi qu’il est du dans le liv. VII de la Métaphysique, il y a une double matière, à savoir la matière sensible ou la matière naturelle, et la matière intelligible, comme la continuité, il s’ensuit que la science qui forme abstraction des deux matières est plus certaine que celle qui ne fait abstraction que d’une. En effet, la géométrie fait abstraction de la matière sensible, et quoique elle traite du corps comme la science naturelle, elle est néanmoins plus certaine que la science naturelle qui ne fait pas abstraction de la matière sensible. De son côté l’arithmétique, qui fait abstraction de la matière sensible et de la continuité, laquelle, comme nous l’avons dit, est la matière intelligible, est conséquemment plus certaine que la géométrie. Il y a trois genres de sciences certaines. D’abord, celles qui disent la cause et propter quid sont plus certaines que celles qui disent l’effet et quia. Secondement, celles qui disent la forme sont plus certaines que celles qui concernent la matière sensible. Troisièmement, celles qui disent la forme de telle sorte qu’elles ne concernent même pas la matière intelligible sont plus certaines que celles qui concernent une semblable matière. Tel est ce qui regarde la certitude des sciences etc.
Pour ce qui est du second point, c'est-à-dire l’unité de la science, il faut savoir qu’il y a deux choses considérer dans la science, le sujet même objet de la passion, et les principes au moyen desquels se fait la démonstration pour conclure la passion du sujet. Or pour que le sujet soit susceptible d’être connu par nous, il doit avoir des parties antérieures à lui-même. Remarquez bien ici que le procédé de la science est comme un certain mouvement de la raison Or il y a deux choses à considérer dans le mouvement, le principe et la fin: le terme qui limite la science est le sujet sur lequel roule la science, parce que dans les sciences spéculatives on ne cherche autre chose que la connaissance du sujet; ainsi dans la géométrie on ne cherche autre chose que la connaissance de la grandeur. Dans les sciences pratiques on ne cherche que la construction du sujet lui-même; comme dans la science de l’architecture on n’a en vue que la construction du bâtiment Le sujet est donc le terme de ce mouvement: le principe de ce mouvement se tire des premiers principes du sujet, qui sont ses propres parties, comme le principe du procédé de la science naturelle vient de la matière et de la forme. C’est pourquoi s’il se trouve une chose qui n’a pas ces principes antérieurs d’où la raison puisse procéder, il n’existe pas de science de cette chose dans le sens où nous la prenons ici, en tant qu’effet de la démonstration. Aussi il ne peut pas y avoir de science prise dans ce sens relativement aux choses séparées, parce que nous ne pouvons pas connaître leurs quiddités par le moyen des sciences démonstratives. En effet, quoique les substances séparées soient par elles-mêmes accessibles à l’intellect proportionné à cet acte, néanmoins on ne peut pas recueillir par quelque chose d’antérieur les notions qui font connaître leur quiddité, mais on peut bien, par le moyen des sciences spéculatives, à savoir si elles existent et ce qu’elles ne sont pas suivant la similitude trouvée dans les choses inférieures, et alors nous nous servons pour arriver à leur connaissance des choses postérieures et antérieures, lesquelles, quoique postérieures par rapport à la nature, sont néanmoins antérieures par rapport à nous. Donc le sujet de la science, dans le sens où elle est prise ici, doit avoir des parties antérieures d’où l’on procède pour le connaître et ceci doit se comprendre des parties intégrales du sujet, comme les lettres et les syllabes sont les parties du discours, qui est le sujet de la grammaire. Il faut savoir que, quoiqu’il ait été dit que le terme qui limite le procédé de la science est sujet, il ne faut pas néanmoins entendre que ce soit le dernier terme, mais le dernier terme où s’arrête l’examen de la science, pour manifester la passion du sujet. Ces considérations faites, il faut savoir que cette science est une qui est du même genre du sujet formellement pris auquel appartiennent les parties et les passions, et qui a les mêmes premiers principes, non pas simplement, mais dans la science car les choses qui ont des principes divers sont elles-mêmes diverses. On peut déduire de ce que nous avons dit que l’unité de la science doit se tirer de l’unité du sujet: en effet, l’unité du mouvement se tire du terme; or le sujet est le terme du mouvement de la raison dans le procédé de la science, comme on l’a déjà dit; le sujet doit être un formellement en tant que tel. Remarquez que quant à cela, le sujet est par rapport à la science comme l’objet à la puissance; or ce n’est point la diversité matérielle de l’objet qui diversifie la puissance, mais bien la diversité formelle. Ainsi la diversité matérielle des choses susceptibles d’être apprises ne diversifie pas la science, mais bien la diversité formelle. Or la raison formelle de l’objet de la science se prend de la même manière que la raison formelle de ce qui est visible. La raison formelle de ce qui est visible se tire de la lumière, par le moyen de laquelle on voit tout; de même la raison formelle de l’objet de la science se tire conformément aux principes qui produisent la science. C’est pourquoi quelque divers que soient les objets de la science suivant leur nature, pourvu que la connaissance en soit acquise par le moyen de ces mêmes principes, ils appartiennent à la même science, par la raison qu’ils ne sont pas divers en tant qu’objets de la science, car ils sont susceptibles d’être appris par le moyen de leurs principes: comme il est évident que les voix humaines diffèrent matériellement beaucoup des sons des corps inanimés, néanmoins, comme c’est suivant les mêmes principes que l’on considère en elles la Consonance, aussi la musique, qui appartient aux deux ordres de sujets, est la même. Au contraire, si les objets de la science sont les mêmes en nature et si on les considère suivant différents principes, ils appartiennent à des sciences diverses, comme un corps mathématique n’est pas séparé du sujet par un corps naturel; néanmoins, comme un corps mathématique est connu par les principes de la quantité, et le naturel par les principes du mouvement, la science mathématique et la science naturelle ne sont pas pour cette raison une même science. Donc l’unité et la diversité des sciences viennent de l’unité et de la diversité formelle du sujet, laquelle formalité se prend d’après la nature de l’objet de la science, c’est-à-dire suivant l’identité et la diversité des principes. Pour cette raison c’est la même chose d’avoir le même sujet formel et les mêmes principes, et de différer suivant les principes que d’avoir des sujets formellement divers. Or il faut savoir que les principes dont nous parlons, sont les principes qui sont les premiers dans la science, et les sciences sont plus ou moins communes suivant la communauté de ces principes. Les premiers principes se connaissent dans le genre de l’objet de la science suivant la définition du sujet, comme on l’a dit. Tel est ce qui concerne l’unité des sciences.
Grâces soient rendues à Dieu auteur de tout bien.
Fin du dernier traité
de la démonstration qui complète la logique le saint Thomas d’Aquin, de l’ordre
des frères prêcheurs.