Commentaire du Livre des causes[1]
Par saint Thomas d’Aquin
Traduction reprise par Serge Pronovost, 2019
Les œuvres complètes de saint thomas d’Aquin
https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
2019
Cette traduction par Serge Pronovost du commentaire de Saint-Thomas sur
le Livre des Causes, avec les réserves suivantes:
1e Toute cause première influe plus sur son
effet que la cause universelle seconde
4) La première des choses créées est l'être et avant lui
il n'y a pas d’autre crée
7) L’intelligence est une substance qui n’est pas divisée
13) Toute intelligence intellige sa
propre essence.
17) Toute puissance unifiée est plus
infinie qu'une puissance multiple
20) « La cause première régit toutes
les choses créées, sans qu'elle soit mêlée à elles ».
21) Le premier est riche par
soi-même et il est plus riche.
26) Aucune substance se tenant par
elle-même ne tombe sous la corruption.
28) Toute substance se tenant par
son essence est simple et n'est pas divisée.
29) Toute substance simple se tient
par elle-même, c'est-à-dire par sa propre essence.
Prooemium [84235]
Super De causis, pr. Sicut philosophus dicit in
X Ethicorum, ultima felicitas hominis consistit in optima hominis operatione
quae est supremae potentiae, scilicet intellectus, respectu optimi
intelligibilis. Quia vero effectus per causam cognoscitur, manifestum est
quod causa secundum sui naturam est magis intelligibilis quam effectus, etsi
aliquando quoad nos effectus sint notiores causis propter hoc quod ex
particularibus sub sensu cadentibus universalium et intelligibilium causarum
cognitionem accipimus. Oportet igitur quod simpliciter loquendo primae rerum
causae sint secundum se maxima et optima intelligibilia, eo quod sunt maxime
entia et maxime vera cum sint aliis essentiae et veritatis causa, ut patet
per philosophum in II metaphysicae, quamvis huiusmodi primae causae sint
minus et posterius notae quoad nos: habet enim se ad ea intellectus noster
sicut oculus noctuae ad lucem solis quam propter excedentem claritatem
perfecte percipere non potest. Oportet igitur quod ultima felicitas hominis
quae in hac vita haberi potest, consistat in consideratione primarum
causarum, quia illud modicum quod de eis sciri potest, est magis amabile et
nobilius omnibus his quae de rebus inferioribus cognosci possunt, ut patet
per philosophum in I de partibus animalium; secundum autem quod haec cognitio
in nobis perficitur post hanc vitam, homo perfecte beatus constituitur
secundum illud Evangelii: haec est vita aeterna ut cognoscant te Deum
verum unum. Et inde est quod philosophorum intentio ad hoc principaliter
erat ut, per omnia quae in rebus considerabant, ad cognitionem primarum
causarum pervenirent. Unde scientiam de primis causis ultimo ordinabant,
cuius considerationi ultimum tempus suae vitae deputarent: primo quidem
incipientes a logica quae modum scientiarum tradit, secundo procedentes ad
mathematicam cuius etiam pueri possunt esse capaces, tertio ad naturalem
philosophiam quae propter experientiam tempore indiget, quarto autem ad
moralem philosophiam cuius iuvenis esse conveniens auditor non potest, ultimo
autem scientiae divinae insistebant quae considerat primas entium causas.
Inveniuntur igitur quaedam de primis principiis conscripta, per diversas
propositiones distincta, quasi per modum sigillatim considerantium aliquas
veritates. Et in Graeco quidem invenitur sic traditus liber Procli Platonici,
continens CCXI propositiones, qui intitulatur elementatio theologica; in
Arabico vero invenitur hic liber qui apud Latinos de causis dicitur, quem
constat de Arabico esse translatum et in Graeco penitus non haberi: unde
videtur ab aliquo philosophorum Arabum ex praedicto libro Procli excerptus, praesertim
quia omnia quae in hoc libro continentur, multo plenius et diffusius
continentur in illo. Intentio igitur huius libri qui de causis dicitur, est
determinare de primis causis rerum. Et, quia nomen causae ordinem quemdam
importat et in causis ordo ad invicem invenitur, praemittit, quasi quoddam
principium totius sequentis operis, quamdam propositionem ad ordinem causarum
pertinentem, quae talis est. |
Proème :
Comme l’affirme le Philosophe au
livre X de son Ethique, la félicité ultime de l’homme consiste dans l’opération
humaine la plus noble qui est celle de sa puissance la plus élevée, à savoir l’intelligence, par rapport à
l’intelligible par excellence. Mais parce qu’un effet est connu par sa cause, il est
évident que la cause est par nature plus intelligible que l’effet, même
si parfois les effets, quant à nous, sont plus connus que leurs causes :
la raison en est que nous acquérons la connaissance des causes universelles
et intelligible à partir des cas particulieurs perçus par nos sens. Il faut donc, à parler absolument, que les
causes premières
des choses soient en elles-mêmes les intelligibles par
excellence du fait qu’elles sont ce qui possède le plus d’être et de vérité
puisqu’elles sont la cause de l’essence et de la vérité des autres choses,
ainsi qu’on le voit chez le Philosophe au deuxième livre de sa Métaphysique, bien que, quant à nous,
ces causes premières soient moins connues et viennent à notre connaissance
postérieurement dans le temps: en effet, notre intelligence est à ces causes
ce que l’œil de la chouette est à la lumière du soleil qu’elle ne peut
parfaitement percevoir en raison de son excessive clarté. Il faut donc que la félicité ultime à laquelle
l’homme peut parvenir en cette vie consiste en la considération des causes premières, car le peu qu’il puisse en
connaître est encore plus désirable et plus digne d’intérêt que la totalité
de ce qu’il peut connaître des choses inférieures, ainsi qu’on le voit chez
le Philosophe au premier livre de son traité intitulé Des Parties des Animaux. Mais selon que c’est après la vie d’ici-bas que cette
connaissance trouve en nous son achèvement, c’est alors que l’homme parvient
à la félicité parfaite d’après cette parole de l’Évangile de Jean : «La vie
éternelle consiste à te connaître, toi le seul véritable Dieu.¨. Et c’est pour cette
raison que l’intention des philosophes était principalement de parvenir à la
connaissance des causes premières au moyen de tout ce qu’ils considéraient
dans les choses. Il résulte de là qu’ils rangeaient à la fin la science des
causes premières, et destinaient à la considération de cette science la
dernière période de leur vie. En premier lieu certes ils commençaient par la
logique qui enseigne la manière même d’aborder les sciences ; en
deuxième lieu ils procédaient à l’étude des mathématiques pour laquelle même
les jeunes manifestent des capacités ; troisièmement ils passaient à
l’étude de la philosophie de la nature qui exige du temps en raison de
l’expérience; quatrièmement ils en venaient à la philosophie morale pour
laquelle les jeunes gens ne peuvent être des auditeurs appropriés ; c’est
à la fin seulement qu’ils s’arrêtaient à la science divine qui considère les
causes premières des êtres. On retrouve donc certains écrits au sujet des
premiers principes, répartis en différentes propositions comme à la manière
de ceux qui considèrent séparément certaines vérités. C’est ainsi que nous a
été transmis, écrit en grec, un livre du platonicien Proclus, lequel contient
deux cents onze propositions et est intitulé Éléments de Théologie. Mais
on retrouve aussi ce livre écrit en
arabe et que les Latins appellent le De Causis, qui a certainement été traduit de l'arabe et qu'on
ne retrouve pas en grec. Aussi semble-t-il avoir été tiré par quelque
philosophe arabe du livre que nous avons mentionné de Proclus, pour cette
raison surtout que tout ce qui est contenu dans ce livre se trouve à être
expliqué de façon plus complète et plus développée dans les Eléments de
Théologie. Donc l'intention de ce
livre qu’on appelle le De Causis est de traiter des causes premières
des choses. Et parce que le nom de cause implique un certain ordre et qu’on
retrouve un ordre entre les causes dans leurs rapports mutuels, l’auteur commence, comme à titre de principe pour
tout le reste de l’œuvre, par la présentation de cette proposition qui se
rapporte à l’ordre des causes : |
Lectio 1 [84236]
Super De causis, l. 1 Omnis causa primaria plus
est influens super suum causatum quam causa secunda universalis. Ad cuius
manifestationem unum corollarium inducit, per quod manifestatur primum sicut
per quoddam signum; unde subdit: cum ergo removet causa secunda
universalis virtutem suam a re, causa universalis prima non aufert virtutem
suam ab ea. Et ad huius probationem inducit tertium, dicens: quod est
quia universalis causa prima agit in causatum causae secundae antequam agat
in ipsum causa universalis secunda. Et
ex hoc concludit quod secundo positum est, et convenienter. Necesse est enim id quod prius advenit
ultimo abscedere; videmus enim ea quae sunt priora in compositione esse
ultima in resolutione. Sic igitur intentio huius propositionis in his tribus
consistit, quorum primum est quod causa prima plus influit in effectum quam
secunda, secundum est quod impressio causae primae tardius recedit ab effectu,
tertium est quod prius ei advenit. Quae quidem tria
Proclus proponit in duabus propositionibus, primum in LVI propositione sui
libri, quae talis est: omne quod a secundis producitur, et a prioribus et
causalioribus producitur eminentius, a quibus et secunda producebantur;
alia vero proponit in sequenti propositione quae talis est: omnis causa et
ante causatum operatur et post ipsum plurium est substitutiva. His autem
tribus praemissis ad ea manifestanda procedit, primo quidem per exemplum,
secundo per rationem, ibi: et causa prima adiuvat. Exemplum autem videtur
pertinere ad causas formales in quibus quanto forma est universalior tanto
prior esse videtur. Si igitur accipiamus aliquem hominem, forma quidem
specifica eius attenditur in hoc quod est rationalis, forma autem generis
eius attenditur in hoc quod est vivum vel animal; ulterius autem id quod est
omnibus commune est esse. Manifestum est autem in generatione unius
particularis hominis quod in materiali subiecto primo invenitur esse, deinde
invenitur vivum, postmodum autem est homo; prius enim ipse est animal quam
homo, ut dicitur in II de generatione animalium. Rursumque in via
corruptionis primo amittit usum rationis et remanet vivum et spirans, secundo
amittit vitam et remanet ipsum ens, quia non corrumpitur in nihilum. Et sic
potest intelligi hoc exemplum secundum viam generationis et corruptionis
alicuius individui. Et haec est eius intentio, quod patet ex hoc quod dicit: cum
ergo individuum non est homo, id est secundum actum proprium hominis, est
animal, quia adhuc remanet in eo operatio animalis quae consistit in motu
et sensu; et, cum non est animal, est esse tantum, quia remanet
corpus penitus inanimatum. Verificatur hoc exemplum in ipso rerum ordine: nam
priora sunt existentia viventibus et viventia hominibus, quia remoto homine
non removetur animal secundum continentiam, sed e converso quia, si non est
animal, non est homo. Et eadem ratio est de animali et esse. Deinde cum
dicit: et causa prima etc., probat tria praedicta per rationem. Primum autem,
scilicet quod causa prima plus influat quam secunda, sic probat: eminentius
convenit aliquid causae quam causato; sed operatio qua causa secunda causat
effectum, causatur a causa prima, nam causa prima adiuvat causam secundam
faciens eam operari; ergo huius operationis secundum quam effectus producitur
a causa secunda, magis est causa causa prima quam causa secunda. Proclus autem expressius hoc sic probat:
causa enim secunda, cum sit effectus causae primae, substantiam suam habet a
causa prima; sed a quo habet aliquid substantiam, ab eo habet potentiam sive
virtutem operandi; ergo causa secunda habet potentiam sive virtutem operandi
a causa prima. Sed causa secunda per suam potentiam vel virtutem est causa
effectus; ergo hoc ipsum quod causa secunda sit causa effectus, habet a prima
causa. Esse ergo causam effectus inest primo causae primae, secundo autem
causae secundae; quod autem est prius in omnibus, est magis, quia perfectiora
sunt priora naturaliter. Ergo prima causa est magis
causa effectus quam causa secunda. Secundum, scilicet quod impressio causae
primae tardius recedat ab effectu, probat ibi: et quando removetur causa
secunda et cetera. Et inducit talem rationem: quod vehementius inest, magis
inhaeret; sed prima causa vehementius imprimit in effectu quam causa secunda,
ut probatum est; ergo eius impressio magis inhaeret; ergo tardius recedit.
Tertium, scilicet quod prius adveniat, probat ibi: et non est causatum causae
secundae etc., tali ratione. Causa secunda non agit in causatum suum nisi
virtute causae primae; ergo et causatum non procedit a causa secunda nisi per
virtutem causae primae; sic igitur virtus causae primae dat effectui ut
attingatur a virtute causae secundae; prius ergo attingitur a virtute causae
primae. Hoc autem uno medio Proclus sic probat. Causa prima est magis causa
quam secunda; ergo est perfectioris virtutis. Sed quanto virtus alicuius
causae est perfectior, tanto ad plura se extendit; ergo virtus causae primae
ad plura se extendit quam virtus causae secundae. Sed id quod in pluribus
est, prius est in adveniendo et ultimum in recedendo; ergo impressio causae
primae primo advenit et ultimo recedit. Est autem considerandum in quibus
causis haec propositio habeat veritatem. Et siquidem ad genera causarum
quaestio referatur, manifestum est quod habet veritatem in quolibet causarum
genere suo modo. Et in causis quidem formalibus exemplum inductum est. In
causis autem materialibus similis ratio invenitur; nam id quod primo
substernitur ut materia, causa est propinquioris materiae ut et ipsa
materialiter substet, sicut materia prima elementis, quae sunt quodammodo
materia mixtorum corporum. Utrumque autem horum ostendit idem esse in
efficientibus causis. Manifestum est enim quod, quanto aliqua causa efficiens
est prior, tanto eius virtus ad plura se extendit; unde oportet ut proprius
effectus eius communior sit. Causae vero secundae proprius effectus in
paucioribus invenitur; unde et particularior est. Ipsa enim causa prima
producit vel movet causam secundo agentem, et sic fit ei causa ut agat.
Inveniuntur igitur praedicta tria quae tacta sunt, primordialiter quidem in
causis efficientibus et ex hoc manifestum est quod derivatur ad causas
formales: unde et hic ponitur verbum influendi et Proclus utitur verbo
productionis quae exprimit causalitatem causae efficientis. Quod autem ex
causis efficientibus derivetur ad causas materiales, non est adeo manifestum,
eo quod causae efficientes quae sunt apud nos, non producunt materiam sed
formam; sed, si consideremus causas universales a quibus procedunt et
materialia rerum principia, necesse est quod hic ordo derivetur et ad
materiales causas ex causis efficientibus. Quia enim primae et supremae
causae efficacia seu causalitas ad plura se extendit, necesse est quod id
quod primo subsistit in omnibus sit a prima omnium causa. Deinde a causis
secundis adduntur dispositiones quibus materiae appropriantur singulis rebus.
Quod etiam utcumque in his quae apud nos sunt, apparet: nam omnibus
artificialibus materiam primam exhibet natura; deinde per artes quasdam
priores materia naturalis disponitur ut congruat particularioribus
artificiis; comparatur autem prima omnium causa ad totam naturam sicut natura
ad artem; unde id quod primo subsistit in tota natura est a prima omnium
causa, quod appropriatur singulis rebus officio causarum secundarum. In
causis etiam finalibus manifestum est verificari omnia praedicta, nam propter
ultimum finem, qui est universalis, alii fines appetuntur, quorum appetitus
advenit post appetitum ultimi finis et ante ipsum cessat; sed et huius
ordinis ratio ad genus causae efficientis reducitur, nam finis in tantum est
causa in quantum movet efficientem ad agendum, et sic, prout habet rationem
moventis, pertinet quodammodo ad causae efficientis genus. Si autem quaeratur
in unoquoque causarum genere utrum praedicta verificentur in omnibus causis
quomodolibet ordinatis, manifestum est quod non. Invenimus enim causas ordinari dupliciter: uno modo
per se, alio modo per accidens. Per se quidem quando intentio primae causae
respicit usque ad ultimum effectum per omnes medias causas, sicut cum ars
fabrilis movet manum, manus martellum qui ferrum percussura extendit, ad quod
fertur intentio artis. Per accidens autem quando intentio causae non procedit
nisi ad proximum effectum; quod autem ab illo effectu efficiatur iterum
aliud, est praeter intentionem primi efficientis, sicut cum aliquis accendit
candelam, praeter intentionem eius est quod iterum accensa candela accendat
aliam et illa aliam; quod autem praeter intentionem est, dicimus esse per
accidens. In causis igitur per se ordinatis haec propositio habet veritatem,
in quibus causa prima movet omnes causas medias ad effectum; in causis autem
ordinatis per accidens est e converso, nam effectus qui per se producitur a
causa proxima, per accidens producitur a causa prima, praeter intentionem
eius existens. Quod autem est per se potius est eo
quod est per accidens, et propter hoc signanter dicit: causa universalis,
quae est causa per se. |
1)
Toute cause première influe plus sur son
effet que la cause universelle seconde
Pour le manifester,
l'auteur introduit un corollaire au moyen duquel cette première proposition
se trouve à être manifestée comme par un signe : « Donc, lorsque la cause seconde universelle retire sa puissance d’une
chose, la cause première universelle n’en retire pas la sienne ». Et pour
le prouver, il
amène une troisième proposition, en disant : «Il en est
ainsi parce que la cause première universelle agit sur l’effet de la cause seconde
universelle avant même que cette dernière agisse sur lui ». Et il conclut de là ce qu’il a posé à juste titre en second
lieu. Il est nécessaire en effet que ce qui arrive en premier se retire en
dernier; nous voyons en effet que ce qui est premier dans la composition est
dernier dans la résolution. Ainsi donc l'intention de cette proposition
consiste à manifester ces trois points : premièrement que la cause
première agit davantage sur l’effet que la cause seconde ; deuxièmement
que l’action de la cause première se retire plus tardivement de l’effet ;
troisièmement qu’elle lui advient antérieurement à l’impression de la cause
seconde. Et ces trois points, Proclus les présente dans deux propositions
dont la première, à savoir la proposition 56 de son livre dit : « Tout ce qui est produit par des causes
secondes est produit aussi d’une manière plus excellente par ce qui est
premier et qui a davantage raison de cause et d’où procèdent les causes
secondes elles-mêmes.». Et la deuxième[2] est
présentée dans la proposition qui suivante qui dit : « Toute cause agit avant son effet et en produit après lui
davantage.¨des effets plus nombreux que les siens <supplée au plus grand nombre d’autres
causes[3] >
». Il procède à la manifestation de ces trois propositions et il le fait
d’abord au moyen d’un exemple, deuxièmement par un raisonnement là où il
dit : la cause première assiste la
cause seconde etc. L’exemple semble cependant se rapporter aux causes
formelles dans lesquelles la cause est d’autant plus première qu’elle est
plus universelle. Supposons donc un homme dont la forme spécifique se vérifie
en ceci qu’il est rationnel et la forme générique en ceci qu’il est un vivant
ou un animal ; si on procède au-delà, ce qui est commun à tous est
l’être. Il est manifeste cependant que dans la génération d’un homme particulier
qu’on retrouve d’abord l’être dans un sujet matériel, puis la vie et enfin
l’homme ; ce sujet est en effet un animal avant d’être un homme comme le
dit le Philosophe au deuxième livre de la Génération
des Animaux. Et à l’inverse dans le processus de la corruption c’est
l’usage de la raison qui fait défaut en premier et la vie et la respiration
demeurent, puis en deuxième lieu disparaît la vie et il ne reste plus que
l’être car ce qui est corrompu n’est pas réduit au néant. Et ainsi cet
exemple peut s’entendre suivant l’ordre de génération et de corruption d’un
individu. Et telle est son intention qui devient évidente à partir de ce
qu’il dit : donc, lorsque
l’individu n’est plus un homme, c’est-à-dire conformément à l’opération
propre de l’homme, il est un animal
parce que l’opération de l’animal, qui consiste dans le mouvement et la sensation,
demeure encore en lui ; et
lorsqu’il n’est plus un animal, il
est seulement un être, car ce qui demeure, c’est un corps totalement
inanimé. Cet exemple se vérifie dans l’ordre même des choses : car les
êtres sont antérieurs aux vivants et les vivants aux hommes car si on enlève
l’homme, on n’enlève pas l’animal quant à sa conservation mais c’est plutôt
l’inverse qui est vrai car si on enlève l’animal, l’homme disparaît. Et le
même raisonnement vaut pour le rapport de l’animal à l’être. Ensuite lorsqu'il dit : « Et la cause première assiste la cause seconde etc. » il prouve au moyen du
raisonnement les trois propositions dont nous avons parlé précédemment. Et
premièrement il prouve de la manière qui suit que la cause première est
davantage présente dans l’effet que la cause seconde ne l’est : ce qui
convient à l’effet convient à la cause d’une manière qui est
supérieure ; mais l’opération par laquelle la cause seconde produit son
effet est elle-même causée par la cause première car la cause première
assiste la cause seconde en la faisant agir ; donc la cause de cette
opération selon laquelle l’effet est produit par la cause seconde est
davantage la cause première que la cause seconde. Proclus cependant prouve
cela d’une manière plus claire par ce qui suit : la cause seconde en
effet, puisqu’elle est un effet de la cause première, tient sa substance de
la cause première ; mais ce qui tient sa substance d’un autre, c’est de
cet autre aussi qu’il tient sa puissance ou sa force d’opération ; donc,
la cause seconde tient sa puissance ou sa force d’opération de la cause
première. Mais c’est par sa puissance ou sa force que la cause seconde est la
cause de son effet. Donc, le fait même d’être la cause de son effet, la cause
seconde le tient de la cause première. C’est donc premièrement à la cause
première, puis secondairement à la cause seconde, qu’il appartient d’être la
cause d’un effet ; mais dans tout genre de choses, ce qui est premier à
être tel l’est davantage car ce qui est premier est plus parfait par nature. Donc, la cause première
est davantage cause de l’effet que ne l’est la cause seconde. Puis il prouve la
deuxième proposition, à savoir que l’action de la cause première se retire
plus tardivement de l’effet que celle de la cause seconde, là où il
dit : et lorsque se retire la
cause seconde etc. Et il introduit le raisonnement suivant : ce
qui appartient à une chose avec plus de puissance lui appartient davantage ;
mais la cause première agit avec plus de puissance sur l’effet que ne le fait
la cause seconde ainsi que nous l’avons prouvé ; donc son action est
plus présente dans l’effet et s’en retire donc plus tardivement. Il prouve enfin la
troisième proposition, à savoir que l’action de la cause première survient en
premier, là où il dit : et il n’y
a pas d’effet de la cause seconde si ce n’est par la cause première etc.,
et il le fait par ce raisonnement. La cause seconde n’agit sur son effet que
par la puissance de la cause première ; il est donc également vrai de
dire que l’effet ne procède de la cause seconde que par la puissance de la
cause première. Ainsi donc la puissance de la cause première donne à l’effet
d’être atteint par la puissance de la cause seconde ; il est donc
atteint en premier lieu par la puissance de la cause première. Proclus prouve
cependant cela par un moyen terme de la manière qui suit. La cause première
est davantage cause que la cause seconde ; elle est donc d’une puissance
plus parfaite. La puissance d’une cause a d’autant plus d’extension qu’elle
est plus parfaite ; donc la puissance de la cause première a plus
d’extension que celle de la cause seconde. Mais puisque ce qui se retrouve
dans un plus grand nombre de choses est le premier à survenir et le dernier à
se retirer, il s’ensuit que l’action de la cause première est la première à
survenir et la dernière à se retirer. Mais il faut considérer
dans quelles sortes de cause cette proposition conserve sa vérité. Et si la question se
rapporte aux différents genres de cause, il est clair que cette
proposition conserve sa vérité pour chaque genre de cause suivant sa modalité
causale respective. L’exemple dont on se sert ici est certes pris dans les
causes formelles mais le même raisonnement s’applique aussi aux causes
matérielles; en effet, ce qui est premier à se tenir sous tout le reste en tant que
matière est cause d’une matière prochaine qui devient elle-même à son tour
substrat, comme la matière première l’est pour les éléments qui à leur tour
sont la matière des corps mixtes. Et
il montre qu’il en est encore de même pour les causes efficientes. Il est évident en
effet que la puissance d’une cause possède d’autant plus d’entension que
cette même cause est première. Il résulte de là que son effet propre doit
être plus universel. Mais l’effet propre de la cause seconde se retrouve de
son côté dans un plus petit nombre de cas; il est donc plus particulier. En
effet, la cause première elle-même produit ou meut la cause efficiente
seconde et devient ainsi pour elle la cause de son efficience. Les trois points de
cette question se trouvent donc à être examinés principalement à travers
les causes efficientes et à partir de là il est clair qu’il y a extension aux
causes formelles ; c’est la raison pour laquelle le verbe influer se
trouve à être placé ici et Proclus utilise le terme de production, ces termes
exprimant la causalité de la cause efficiente. Il n’est cependant pas à ce
point évident que ce qu’on observe à partir des causes efficientes s’applique
aux causes matérielles du fait que les causes efficientes qui nous entourent
ne produisent pas la matière mais la forme. Mais si nous considérions les
causes universelles d’où procèdent aussi les principes matériels des choses,
nous verrions qu’il est nécessaire que cet ordre s’étende des causes
efficientes aux causes matérielles. En effet, parce que la puissance ou la
causalité de la cause première et suprême a plus d’extension ou s’applique à
un plus grand nombre de choses, il est nécessaire que ce qui subsiste en
premier dans toutes les choses vienne de la cause première de tout ce qui
existe. Par la suite des dispositions sont ajoutées par les causes secondes
par lesquelles les matières sont appropriées aux choses individuelles. Et il est évident que
cela se vérifie aussi d’une certaine manière dans les choses qui nous sont
familières, car la nature fournit une matière première à toutes les choses
artificielles ; puis, au moyen de certains arts qui sont premiers la
matière naturelle est disposée de manière à convenir à des métiers plus
particuliers. Mais le rapport de la cause première de tout ce qui existe à
l’égard de la nature est le même que celui de la nature à l’égard de l’art.
Il résulte de là que ce qui subsiste en premier dans toute la nature et qui
est approprié aux choses individuelles par la fonction des causes secondes
vient de la cause première de tout ce qui existe. Et il est évident que tout
ce que nous venons de dire se vérifie aussi des causes finales car c’est en
vue de la fin ultime universelle que les autres fins sont désirées et on voit
bien que ces appétits suviennent après l’appétit de la fin ultime et cessent
avant elle ; mais la raison de cet ordre se ramène au genre de la cause efficiente
car la fin est cause pour autant qu’elle meut l’agent à agir; et en ce sens, selon
qu’elle a raison de moteur, elle relève d’une certaine manière du genre de la
cause efficiente. Cependant, lorsqu’on demande si ce que nous avons dit pour
chaque genre de cause se vérifie pour toutes les causes d’après n’importe
quel ordre, il est évident que la réponse est non. Les causes en effet se
trouvent à être ordonnées de deux manières : par soi et par accident. Il y a certes un ordre
par soi quand l’intention de la cause première parvient à l’effet ultime au
moyen de toutes les causes intermédiaires, comme lorsque l’art du forgeron
meut la main, puis la main meut le marteau qui par son coup étale le fer, et
c’est cet étalement que visait dès le départ l’intention de l’artisan. L’ordre n’est cependant
que par accident quant l’intention de la cause ne porte que sur un effet
prochain et que tout autre effet résultant de cet effet prochain échappe à
l’intention de l’agent premier : par exemple, si quelqu’un allume une
chandelle, s’il se trouve que cette chandelle en allume une autre et que
cette dernière à son tour en allume une autre, cela n’était pas intentionnel.
Mais ce qui échappe à l’intention, nous l’appelons par accident ou
accidentel. Donc, pour les causes
qui sont ordonnées par soi et dans lesquelles la cause première conduit
toutes les causes intermédiaires à l’effet visé, la proposition que nous
examinons conserve sa vérité. Mais pour les causes qui sont ordonnées par
accident, c’est l’inverse car l’effet qui est produit par soi par la cause prochaine
est produit par accident par la cause première et son existence échappe ainsi
à son intention. Cependant, ce qui est
par soi est préférable à ce qui est par accident et c’est pour cette raison
que l’auteur dit avec insistance : ¨cause
universelle¨, laquelle cause est une cause par soi. |
Lectio 2 [84237]
Super De causis, l. 2 Praemissa prima
propositione sicut quodam principio ad totum tractatum sequentem, incipit hic
agere de primis causis rerum. Et dividitur in partes duas: in prima agit de
distinctione primarum causarum; in secunda de coordinatione sive dependentia
earum ad invicem, in 16 propositione, ibi: omnes virtutes quibus non est
finis et cetera. Prima dividitur in partes duas: in prima distinguit causas
primas; in secunda determinat de singulis, in 6 propositione, ibi: causa
prima superior est, et cetera. Causae autem universales rerum sunt trium
generum, scilicet causa prima quae est Deus, intelligentiae et animae, unde
circa primum tria facit: primo enim distinguit haec tria genera quorum primum
est indivisum, quia causa prima est una tantum; secundo distinguit
intelligentias, ibi 4 propositione: prima rerum creatarum etc.; in tertia
distinguit animas, 5 propositione, ibi: intelligentiae superiores et cetera.
Circa primum duo facit: primo distinguit tria praedicta genera; secundo
ostendit quomodo uniuntur per participationem quamdam in ultimo, in 3
propositione, ibi: omnis anima nobilis et cetera. Circa primum ponit talem
propositionem: omne esse superius aut est superius aeternitate et ante
ipsam, aut est cum aeternitate, aut post aeternitatem et supra tempus. Ad
cuius propositionis intellectum oportet primo videre quid sit aeternitas,
deinde quomodo praedicta propositio habeat veritatem. Nomen igitur
aeternitatis indeficientiam quamdam sive interminabilitatem importat: dicitur
enim aeternum quasi extra terminos existens; sed, quia, ut philosophus dicit
in VIII physicorum, in omni motu est quaedam corruptio et generatio in
quantum aliquid esse incipit et aliquid esse desinit, necesse est quod in
quolibet motu sit quaedam deficientia; unde omnis motus aeternitati repugnat.
Vera igitur aeternitas cum indeficientia essendi etiam immobilitatem
importat. Et, quia prius et posterius in duratione temporis provenit ex motu,
ut patet in IV physicorum, ideo tertio oportet quod sit aeternitas absque
priori et posteriori tota simul existens, secundum quod Boethius definit eam
in fine de consolatione, dicens: aeternitas est interminabilis vitae tota
simul et perfecta possessio. Quaecumque igitur res cum indeficientia
essendi habet immobilitatem et est absque temporali successione, potest dici
aeterna, et secundum hunc modum substantias immateriales separatas Platonici
et Peripatetici aeternas dicebant, superaddentes ad rationem aeternitatis
quod semper esse habuit, quod fidei Christianae non est consonum. Sic enim
aeternitas soli Deo convenit. Dicimus autem eas aeternas tamquam incipientes
obtinere a Deo esse perpetuum et indeficiens sine motu et temporis
successione, unde et Dionysius dicit X capitulo de divinis nominibus quod non
simpliciter sunt coaeterna Deo quae in Scripturis aeterna dicuntur; unde
aeternitatem sic acceptam quidam nominant aevum, quod ab aeternitate primo
modo accepta distinguunt. Sed, si quis recte consideret, aevum et aeternitas
non differunt nisi sicut anthropos et homo. In Graeco enim evon aeternitas
dicitur sicut et anthropos homo. His igitur praemissis sciendum est quod haec
propositio in libro Procli LXXXVIII invenitur sub his verbis: omne enter,
vel existenter, ens aut ante aeternitatem est, aut in aeternitate, aut
participans aeternitate. Dicitur autem enter ens per oppositum ad
mobiliter ens, sicut esse stans dicitur per oppositum ad moveri; per quod
datur intelligi quid est quod in hoc libro dicitur omne esse superius,
quia scilicet est supra motum et tempus. Huiusmodi enim esse secundum
utrumque auctorem in utroque libro in tres gradus distinguitur; non tamen est
eadem omnino ratio utrobique. Proclus enim hanc propositionem inducit
secundum Platonicorum suppositiones, qui, universalium abstractionem
ponentes, quanto aliquid est abstractius et universalius tanto prius esse
ponebant. Manifestum est enim quod haec dictio aeternitas abstractius est
quam aeternum; nam nomine aeternitatis ipsa aeternitatis essentia designatur,
nomine autem aeterni id quod aeternitatem participat. Rursumque ipsum esse
communius est quam aeternitas: omne enim aeternum ens est, non autem omne
ens est aeternum; unde secundum praedicta ipsum esse separatum est ante
aeternitatem, id autem quod est cum aeternitate est ipsum esse sempiternum,
id autem quod est aeternitatem participans et quasi post aeternitatem est
omne id quod esse aeternum participat. Sed huius libri auctor in primo quidem
aliqualiter cum praedictis positionibus concordat. Unde exponit quod esse
quod est ante aeternitatem est causa prima, quoniam est causa aeternitati.
Et ad hoc probandum inducit quod in ipsa, id est aeternitate, est
esse acquisitum, id est participatum. Et hoc probat quia ea quae sunt
minus communia participant ea quae sunt magis communia; aeternitas autem est
minus commune quam esse; unde subdit: et dico quod omnis aeternitas est
esse sed non omne esse est aeternitas; ergo esse est plus commune quam
aeternitas. Sic igitur probat auctor quod aeternitas participat esse;
ipsum autem esse abstractum est causa prima cuius substantia est suum esse;
unde relinquitur quod causa prima est causa a qua acquiritur esse sempiternum
cuicumque rei semper existenti. Sed in aliis duobus membris divisionis
recedit auctor huius libri ab intentione Procli et magis accedit ad communes
sententias et Platonicorum et Peripateticorum. Exponit enim secundum gradum
quod esse cum aeternitate est intelligentia. Quia enim aeternitas, ut
dictum est, importat indeficientiam cum immobilitate, illud quod secundum
omnia est indeficiens et immobile, totaliter attingit aeternitatem; ponitur
autem secundum praedictos philosophos quod intelligentia sive intellectus
separatus habet indeficientiam et immobilitatem et quantum ad esse et quantum
ad virtutem et quantum ad operationem; unde CLXIX propositio Procli est: omnis
intellectus in aeternitate substantiam habet et potentiam et operationem.
Et secundum hoc probatur hic quod intelligentia est cum aeternitate, quia est
omnino secundum habitudinem unam ita quod non patitur aliquam alteritatem nec
virtutis nec operationis neque etiam destruitur secundum substantiam. Et
propter hoc etiam postea dicit quod parificatur aeternitati, quoniam
extenditur cum ea et non alteratur, quia scilicet ad omne id quod est
intelligentiae aeternitas se extendit. Tertium vero gradum exponit de anima
quae habet esse superius, scilicet supra motum et tempus. Huiusmodi enim
anima magis appropinquat ad motum quam intelligentia, quia videlicet
intelligentia non attingitur a motu neque secundum substantiam neque secundum
operationem. Anima autem
secundum substantiam quidem excedit tempus et motum et attingit aeternitatem,
sed secundum operationem attingit motum quia, ut philosophi probant, oportet
omne quod movetur ab alio reduci in aliquod primum quod seipsum movet. Hoc
autem secundum Platonem quidem est anima quae seipsam movet, secundum
Aristotelem autem est corpus animatum cuius motus principium est anima; et
sic utroque modo oportet quod primum principium motus sit anima, et ideo
motus est ipsius animae operatio. Et, quia motus est in tempore, tempus
attingit operationem ipsius animae; unde et Proclus dicit CXCI propositione: omnis
anima participabilis substantiam quidem aeternalem habet, operationem autem
secundum tempus. Et ideo hic dicitur quod connexa est cum aeternitate
inferius, connexa quidem aeternitati quantum ad substantiam, sed inferius
quia inferiori modo participat aeternitatem quam intelligentia. Quod probat
per hoc quia est susceptibilior impressionis quam intelligentia. Anima
enim non solum recipit impressionem causae primae sicut intelligentia, sed
etiam suscipit impressionem intelligentiae; quanto autem aliquid magis est
remotum a primo quod est aeternitatis causa, tanto debilius aeternitatem
participat. Et, quamvis anima attingat ad infimum gradum aeternitatis, tamen
est supra tempus sicut causa supra causatum; est enim causa temporis in
quantum est causa motus ad quem sequitur tempus. Loquitur enim hic de anima
quam attribuunt philosophi corpori caelesti, et propter hoc dicit quod est
in horizonte aeternitatis inferius et supra tempus. Horizon enim est
circulus terminans visum, et est infimus terminus superioris hemispherii,
principium autem inferioris; et similiter anima est ultimus terminus
aeternitatis et principium temporis. Huic autem sententiae etiam Dionysius
concordat X capitulo de divinis nominibus, hoc excepto quod non asserit
caelum habere animam, quia hoc Catholica fides non asserit. Dicit enim quod
Deus est ante aeternum et quod, secundum Scripturas, dicuntur aliqua aeterna
et temporalia, quod est intelligendum secundum modos positos in sacra
Scriptura; media autem existentium et factorum, id est generabilium, sunt
quaecumque secundum aliquid quidem aeternum, secundum aliquid vero tempus
participant. |
2) Tout être supérieur est ou bien
au-dessus de l'éternité et avant elle, ou bien avec elle, ou bien après elle
et au-dessus du temps
Cette première
proposition ayant été présentée à titre de principe pour tout le traité qui
suit, l’auteur commence à traiter ici des causes premières des choses, et il
divise cet examen en deux parties : dans la première il traite de la
distinction des causes premières ; dans la deuxième de leur coordination
ou de leur interdépendance dans la proposition 16 là où il dit : toutes les puissances pour lesquelles il
n’y a pas de limite etc. La première partie se divise elle-même en deux
sections : dans la première il distingue les causes premières ;
dans la deuxième il traite de chacune d’elles séparément dans la proposition
6 là où il dit : la cause première
est supérieure etc. Mais les genres des causes universelles des choses
sont au nombre de trois, à savoir la cause première qui est Dieu, les
intelligences et les âmes. C’est pourquoi il fait trois choses dans la
première partie : en premier lieu en effet il distingue ces trois genres
dont le premier est indivisé car il n’y a qu’une seule cause première ;
en deuxième lieu il distingue les intelligences entre elles dans la
proposition 4 là où il dit : la
première des choses créées etc. ; en troisième lieu il distingue les
âmes dans la proposition 5 là où il dit : les intelligences supérieures etc. Relativement au premier
point il fait deux choses : en premier lieu il distingue les trois
genres dont nous avons parlé ; en deuxième lieu il montre, dans la
proposition 3, comment ils sont unis par une certaine participation à un
principe ultime, là où il dit : mais
toute âme supérieure etc. Au sujet du premier point il présente cette
proposition : Tout être supérieur
est ou bien au-dessus de l'éternité et antérieur à elle, ou bien avec elle,
ou bien lui est postérieur et au-dessus du temps. Pour avoir l’évidence
de cette proposition, il faut premièrement saisir ce qu’est l’éternité, puis
chercher à comprendre comment cette proposition est vraie. Donc le nom
d’éternité implique une certaine perpétuité ou une absence de limite dans la
durée : on appelle en effet éternel ce qui existe en dehors des limites.
Mais parce que, comme le dit le Philosophe au huitième livre de la Physique, il y a dans tout mouvement
corruption et génération dans la mesure où quelque chose commence ou cesse
d’exister, il est nécessaire qu’on retrouve en tout mouvement une certaine
fragilité ; il résulte de là que tout mouvement répugne à l’éternité.
Donc la véritable éternité implique, en plus d’une existence perpétuelle,
l’immutabilité. Et, parce que l’avant et l’après dans la durée du temps
provient du mouvement, comme on le voit au quatrième livre de la Physique, c’est pourquoi il faut en
troisième lieu que l’éternité consiste dans une existence complète et
simultanée, au-delà de l’avant et de
l’après, conformément à la définition qu’en donne Boèce à la fin de la Consolation de la Philosophie,
lorsqu’il dit : l’éternité est la
possession complète, simultanée et parfaite d’une vie sans fin. On peut donc dire de tout
être qui se présente comme étant achevé quant à son être, étant immuable et
n’étant sujet à aucune succession temporelle, qu’il est éternel ; et
c’est en ce sens que les Platoniciens et les Péripatéticiens disaient que les
substances immatérielles séparées sont éternelles, ajoutant à la notion
d’éternité la possession de l’existence de toute éternité, ce qui ne
s’accorde pas avec la foi chrétienne. Prise en ce sens en effet l’éternité ne
convient qu’à Dieu. Nous disons cependant qu’elles sont éternelles parce que,
leur existence ayant un commencement, elles ont reçu de Dieu une existence
perpétuelle et indéfectible, indépendante du mouvement et de la succession
temporelle ; c’est pourquoi Denys dit au chapitre 10 de son livre, Les Noms Divins, que les réalités qui
sont appelées éternelles dans les Écritures
ne sont pas purement et simplement coéternelles de Dieu et c’est pourquoi
certains appellent ¨aevum¨ l’éternité prise en ce sens pour la distinguer de
l’éternité telle qu’entendue dans le premier sens. Mais si on considère les
choses comme il se doit, ces deux termes, à savoir ¨aevum¨ et ¨aeternitas¨,
dont l’un est grec et l’autre latin et qui signifient tous deux ¨éternité¨ ne
diffèrent entre eux que comme ¨anthropos¨ diffère de ¨homo¨, lesquels termes,
dont l’un est grec et l’autre latin, signifient ¨homme¨. Donc, ceci étant dit,
il faut savoir que cette deuxième proposition se présente en ces termes dans
le livre de Proclus à la proposition 88 : ¨Sous le rapport de l’éternité, tout être
véritable lui est soit antérieur, soit intérieur, soit participant¨. Mais Proclus parle
ici d’être véritable par opposition à l’être mobile, et il dit intérieur ou
se tient en elle par opposition à ce qui est mû; ces expressions donnent à
comprendre ce qu’on appelle dans ce livre tout
être supérieur, c’est-à-dire ce qui existe au-delà du mouvement et du
temps. En effet, une telle forme d’existence se trouve à être distinguée en
trois degrés par les deux auteurs dans chacun des livres mais la
signification n’est pas totalement la même dans les deux cas. Proclus en
effet introduit cette proposition en suivant les principes des Platoniciens
qui, en posant la séparation des universels, affirmaient que ce qui est
davantage séparé et universel est davantage premier. Il est manifeste en
effet que le terme d’éternité est plus abstrait que le terme ¨éternel¨ car
c’est l’essence même de l’éternité qui est signifiée par le nom ¨éternité¨
alors que le terme éternel signifie celui qui participe de l’éternité. Et en
outre, l’être lui-même est plus commun que l’éternité car tout ce qui est éternel est de l’être,
mais tout être n’est pas éternel; et conformément à ces principes, l’être
séparé lui-même est antérieur à l’éternité alors que l’être éternel lui-même
est avec l’éternité et que tout ce qui participe de l’éternité et lui est
postérieur est tout ce qui participe de l’être éternel. Mais l’auteur de ce
livre, quant au premier membre de la proposition, s’accorde certes d’une
certaine manière avec les positions qui précèdent et c’est pourquoi il
affirme que ¨l’être qui est antérieur à
l’éternité est la cause première puisqu’il est la cause de l’éternité¨.
Et pour le prouver il dit que c’est en
elle, c’est-à-dire dans l’éternité, qu’existe
l’être acquis, c’est-à-dire
l’être participé. Et il le prouve par ceci que ce qui est moins commun
participe de ce qui est plus commun. Or l’éternité est moins commune que
l’être ; c’est pourquoi il ajoute : ¨Et je dis que l’éternité est de l’être, tandis que tout être n’est pas éternité; donc
l’être est plus commun que l’éternité¨. C’est donc ainsi que
notre auteur prouve que l'éternité participe de l'être; mais l’être séparé lui-même
est la cause première dont la substance est son existence; c’est pourquoi il découle de là que la cause
première est celle par laquelle l’existence éternelle est acquise chez tout
être qui existe toujours. Mais pour ce qui est
des deux autres membres de la division, l’auteur de ce livre s’éloigne de
l’intention de Proclus et se rapproche
davantage des opinions communes aux Platoniciens et aux
Péripatéticiens. Il explique en effet que le deuxième degré de l’être
supérieur, celui qui est l’être qui est avec l’éternité ou lui est intérieur,
c’est l’intelligence. En effet, puisque
l’éternité, ainsi que nous l’avons dit, implique indéfectibilité et
immutabilité, ce qui sera indéfectible et immuable sous tous les rapports accomplira
parfaitement l’éternité. Or, ces philosophes posent que l’intelligence ou
l’intellect séparé possède
l’indéfectibilité et l’immutabilité à la fois quant à l’être, à la puissance
et à l’opération. C’est pourquoi la proposition 169 de Proclus dit : ¨Tout intellect possède sa substance, sa
puissance et son opération dans l’éternité.¨ Et c’est d’après cette
proposition qu’il est ici prouvé que l’intelligence est avec l’éternité parce
qu’elle se présente dans sa totalité sous un seul rapport de telle manière
qu’elle ne souffre aucune altérité ni quant à la puissance ni quant à
l’opération et elle n’est pas détruite quant à sa substance. Et c’est pour
cette raison qu’il ajoute aussi par la suite qu’¨elle est rendue égale à l’éternité puisqu’elle lui est coextensive et
n’est pas sujette à altération¨, parce que l’éternité en effet s’applique
à tout ce qui est le propre de l’intelligence. Et en troisième lieu
enfin il présente le troisième degré de l’être supérieur, à savoir l’âme, qui
possède une existence qui transcende le mouvement et le temps. Ce genre qui
est celui de l’âme s’approche davantage du mouvement que l’intelligence car
cette dernière n’est atteinte par le mouvement ni quant à sa substance ni
quant à son opération. L’âme transcende certes le mouvement et le temps quant
à sa substance et atteint l’éternité mais elle est atteinte par le mouvement
quant à son opération car, comme les philosophes le prouvent, tout ce qui est
mû par un autre doit se ramener à quelque chose de premier qui se meut
soi-même. Mais cela d’après Platon est l’âme qui se meut par elle-même alors
que pour Aristote c’est le corps animé dont le principe du mouvement est
l’âme ; et ainsi dans les deux cas il faut que le principe du mouvement
soit l’âme de sorte que le mouvement est l’opération de l’âme elle-même. Et
parce que le mouvement se déroule dans le temps, le temps atteint l’opération
de l’âme elle-même et c’est pourquoi Proclus dit dans sa proposition
191 : ¨Toute âme qui participe de
l’éternité possède certes une substance éternelle, mais son opération
s’effectue dans le temps¨. Et c’est pourquoi l’auteur dit ici que ¨l’âme est rattachée plus faiblement à
l’éternité¨ : elle est certes unie à l’éternité quant à sa
substance, mais plus faiblement parce qu’elle participe de l’éternité selon
une modalité qui est inférieure à celle de l’intelligence. Et il prouve cela
en ajoutant qu’elle est plus susceptible
d’impression que ne l’est l’intelligence¨. L'âme en effet ne reçoit
pas seulement l'impression
de la cause première comme c’est le cas pour l'intelligence, mais elle reçoit aussi
l'impression de l'intelligence;
or, un être participe d’autant plus faiblement de l’éternité qu’il est
davantage éloigné du principe premier qui est la cause de l’éternité. Et
bien que l’âme effleure l’éternité à un degré infime, elle reste cependant
au-dessus du temps comme la cause est au-dessus de l’effet; l’âme est en
effet la cause du temps dans la mesure où elle est la cause du mouvement d’où
découle le temps. On parle en effet ici de l’âme que ces philosophes
attribuent aux corps célestes et c’est pour cette raison qu’il dit de cette
âme qu’elle ¨est dans la partie
inférieure de l’horizon de l’éternité et au-dessus du temps¨. L'horizon
en effet est comme un cercle qui est la limite du visible : il est la limite
dernière de l’hémisphère supérieur, et le commencement de l’hémisphère
inférieur; et de la même manière, l’âme est la fin de l’éternité et le début du temps. Même
Denys, au chapitre X des Noms divins, s'accorde avec cette opinion sauf qu’il n'affirme pas que le
ciel a une âme, parce que la foi catholique ne l’affirme pas. Il dit en effet que « Dieu est
antérieur à l’éternité
» et que si, d’après les Écritures certaines choses sont dites éternelles et temporelles, cela doit s’entendre
selon le sens que leur donne ces mêmes Ecritures : ¨parmi les réalités existantes et produites, c’est-à-dire les
réalités engendrées, il y a celles qui sont éternelles sous
un rapport et qui participent du temps sous un autre rapport.¨ |
Lectio 3 [84238]
Super De causis, l. 3 Quia ea quae sunt
superiorum, inferioribus insunt secundum aliqualem participationem, postquam
divisit tres gradus superiorum entium, quorum unum est superius aeternitate,
quod est Deus, aliud autem est cum aeternitate, quod est intelligentia,
tertium autem post aeternitatem, quod est anima, nunc intendit ostendere
quomodo tertium participat et quod est primi et quod est secundi, dicens: omnis
anima nobilis tres habet operationes; nam ex operationibus eius est operatio
animalis et intelligibilis et operatio divina. Quae autem dicatur anima
nobilis intelligi potest ex verbis Procli qui hanc propositionem ponit CCI,
sub his verbis: omnes divinae animae triplices habent operationes: has
quidem ut animae, has autem ut suscipientes intellectum divinum, has autem ut
diis extraiunctae. Ex quo patet quod anima nobilis dicitur hic anima
divina. Ad cuius evidentiam sciendum est quod Plato posuit universales rerum
formas separatas per se subsistentes. Et, quia huiusmodi formae universales
universalem quamdam causalitatem, secundum ipsum, habent supra particularia
entia quae ipsas participant, ideo omnes huiusmodi formas sic subsistentes
deos vocabat; nam hoc nomen Deus universalem quamdam providentiam et
causalitatem importat. Inter has autem formas hunc ordinem ponebat quod
quanto aliqua forma est universalior, tanto est magis simplex et prior causa;
participatur enim a posterioribus formis, sicut si ponamus animal participari
ab homine et vitam ab animali et sic inde; ultimum autem quod ab omnibus
participatur et ipsum nihil aliud participat, est ipsum unum et bonum
separatum quod dicebat summum Deum et primam omnium causam. Unde et in libro
Procli inducitur propositio CXVI, talis: omnis Deus participabilis est,
id est participat, excepto uno. Et, quia huiusmodi formae quas deos
dicebant sunt secundum se intelligibiles, intellectus autem fit actu
intelligens per speciem intelligibilem, sub ordine deorum, id est
praedictarum formarum, posuerunt ordinem intellectuum qui participant formas
praedictas ad hoc quod sint intelligentes, inter quas formas est etiam
intellectus idealis. Sed intellectus praedicti participant praedictas formas
secundum modum immobilem, in quantum intelligunt eas. Unde sub ordine
intellectuum ponebant tertium ordinem animarum quae mediantibus intellectibus
participant formas praedictas secundum motum, in quantum scilicet sunt
principia corporalium motuum per quos superiores formae participantur in
materia corporali. Et sic quartus ordo rerum est ordo corporum. Inter
intellectus autem, superiores quidem dicebant esse divinos intellectus,
inferiores autem intellectus quidem sed non divinos, quia intellectus idealis
qui est per se Deus, secundum eos, participatur quidem a superioribus
intellectibus secundum utrumque, scilicet secundum quod est intellectus et
secundum quod est Deus, ab inferioribus vero intellectibus secundum quod est
intellectus tantum, et ideo non sunt intellectus divini; sortiuntur enim
intellectus superiores non solum quod sint intellectus sed etiam quod sint
divini. Similiter etiam cum animae applicentur diis mediantibus intellectibus
quasi propinquioribus, ipsae etiam animae superiores sunt divinae propter
intellectus divinos quibus applicantur vel quos participant; inferiores autem
animae veluti applicatae intellectibus non divinis sunt non divinae. Et, quia
corpora recipiunt motum per animam, consequens etiam est ut superiora corpora
sint divina, secundum eos, et inferiora corpora non divina. Unde Proclus
dicit CXXIX propositione: omne corpus divinum per animam deificatam est
divinum, omnis autem anima divina propter divinum intellectum, omnis autem
intellectus divinus secundum participationem divinae unitatis. Et, quia
deos appellabant primas formas separatas in quantum sunt secundum se
universales, consequenter et intellectus divinos et animas divinas et corpora
divina dicebant secundum quod habent quamdam universalem influentiam et
causalitatem super subsequentia sui generis et inferiorum generum. Hanc autem
positionem corrigit Dionysius quantum ad hoc quod ponebant ordinatim diversas
formas separatas quas deos dicebant, ut scilicet aliud esset per se bonitas
et aliud per se esse et aliud per se vita et sic de aliis. Oportet enim
dicere quod omnia ista sunt essentialiter ipsa prima omnium causa a qua res
participant omnes huiusmodi perfectiones, et sic non ponemus multos deos sed
unum. Et hoc est quod dicit V capitulo de divinis nominibus: non autem
aliud esse bonum dicit, scilicet sacra Scriptura, et aliud existens et
aliud vitam aut sapientiam neque multas causas et aliorum alias productivas
deitates excedentes et subiectas, sed unius esse omnes bonos processus.
Quomodo autem hoc esse possit, ex hoc ostendit consequenter quia, cum Deus
sit ipsum esse et ipsa essentia bonitatis, quidquid pertinet ad perfectionem
bonitatis et esse, totum ei essentialiter convenit, ut scilicet ipse sit
essentia vitae et sapientiae et virtutis et ceterorum. Unde post aliqua
subdit: etenim Deus non quodammodo est existens, sed simpliciter et
incircumscripte totum in seipso esse praeaccepit. Et hoc sequitur auctor
huius libri. Non enim invenitur inducere aliquam multitudinem deitatis, sed
unitatem in Deo constituit, distinctionem autem in ordine intellectuum et
animarum et corporum. Secundum hoc igitur dicitur anima nobilis, id
est divina anima caelestis corporis, secundum opinionem philosophorum qui
posuerunt caelum animatum; haec enim anima, secundum eos, habet aliquam
influentiam universalem super res per motum, et ex hoc divina dicitur eo modo
loquendi quo etiam apud homines qui universalem curam rei publicae habent
divi dicuntur. De hac ergo anima nobilissime divina dicit quod habet
operationem divinam, et exponens dicit quod operatio divina eius est quia
ipsa praeparat naturam, in quantum scilicet est principium primi motus
cui tota natura subiicitur. Et hoc habet per virtutem participatam a causa
prima quae est universalis omnium causa ex qua sortitur quamdam universalem
causalitatem in res naturales. Et ideo assignans rationem huius operationis
divinae animae convenientis dicit quod ipsa est exemplum, id est
imago, virtutis superioris, id est divinae. Exemplificatur enim in
praedicta anima universalitas divinae virtutis, quod scilicet, sicut Deus est
universalis causa omnium entium, ita praedicta anima est universalis causa
naturalium rerum quae moventur. Secundam autem operationem animae nobilis seu
divinae ponit intelligibilem, quae quidem, sicut ipse exponit, est in hoc
quod ipsa cognoscit res in quantum participat virtutem intelligentiae. Quare
autem virtutem intelligentiae participat, ostendit per hoc quod anima est
creata a causa prima mediante intelligentia; unde anima est a Deo sicut a
causa prima, ab intelligentia autem sicut a causa secunda. Effectus autem
omnis participat aliquid de virtute suae causae; unde relinquitur quod anima,
sicut facit operationem divinam in quantum est a causa prima, ita facit
operationem intelligentiae in quantum est ab ea, participans eius virtutem.
Hoc autem quod hic dicitur quod causa prima creavit esse animae mediante
intelligentia quidam male intelligentes, existimaverunt secundum auctorem
istius libri quod intelligentiae essent creatrices substantiae animarum. Sed
hoc est contra positiones Platonicas. Huiusmodi enim causalitates simplicium
entium ponebant secundum participationem; participatur autem non quidem id
quod est participans, sed id quod est primum per essentiam suam tale: puta,
si albedo esset separata, ipsa albedo simplex esset causa omnium alborum in
quantum sunt alba, non autem aliquid albedinem participans. Secundum hoc ergo
Platonici ponebant quod id quod est ipsum esse est causa existendi omnibus,
id autem quod est ipsa vita est causa vivendi omnibus, id autem quod est ipsa
intelligentia est causa intelligendi omnibus; unde Proclus dicit XVIII
propositione sui libri: omne derivans esse aliis, ipsum prime est hoc quod
tradit recipientibus derivationem. Cui sententiae concordat quod
Aristoteles dicit in II metaphysicae quod id quod est primum et maxime ens
est causa subsequentium. Est ergo intelligendum quod ipsa essentia animae,
secundum praedicta, creata est a causa prima quae est suum ipsum esse, sed
consequentes participationes habet ab aliquibus posterioribus principiis, ita
scilicet quod vivere habet a prima vita et intelligere a prima intelligentia;
unde et in 18 propositione huius libri dicitur: res omnes habent essentiam
per ens primum, et res vivae sunt per vitam primam, et res intelligibiles
habent scientiam propter intelligentiam primam. Sic ergo intelligit quod prima
causa creavit esse animae mediante intelligentia quod causa prima sola
creavit essentiam animae; sed, quod anima sit intelligibilis, hoc habet ex
operatione intelligentiae. Et hic sensus ostenditur manifeste per verba quae
sequuntur: postquam ergo, inquit, creavit causa prima esse animae,
posuit eam sicut stramentum intelligentiae, id est substravit eam
operationi intelligentiae, ut scilicet intelligentia agat in ipsam
operationem suam, dans ei ut sit intelligibilis. Unde concludit quod propter
hoc anima intelligibilis efficit operationem intelligibilem. Et hoc etiam
concordat cum eo quod dictum est in 1 propositione quod effectus causae
primae praeexistit effectui causae secundae et universalius diffunditur: esse
enim quod est communissimum, diffunditur in omnia a causa prima; sed
intelligere non communicatur omnibus ab intelligentia, sed quibusdam,
praesupponendo esse quod habent a primo. Sed etiam haec positio, si non sane
intelligatur, repugnat veritati et sententiae Aristotelis qui arguit in III
metaphysicae contra Platonicos ponentes huiusmodi ordinem causarum
separatarum secundum ea quae de individuis praedicantur. Quia sequitur quod
Socrates erit multa animalia, scilicet ipse Socrates et homo separatus et
etiam animal separatum: homo enim separatus participat animal et ita est
animal; Socrates autem participat utrumque, unde et est homo et est animal;
non igitur Socrates esset vere unum si ab alio haberet quod esset animal et
ab alio quod esset homo. Unde, cum esse intelligibile pertineat ad ipsam
naturam animae utpote essentialis differentia eius, si ab alio haberet esse
et ab alio naturam intellectivam sequeretur quod non esset unum simpliciter;
oportet ergo dicere quod, a prima causa a qua habet essentiam, habet etiam
intellectualitatem. Et hoc concordat sententiae Dionysii supra positae,
scilicet quod non aliud sit ipsum bonum, ipsum esse et ipsa vita et ipsa
sapientia, sed unum et idem quod est Deus, a quo derivatur in res et quod sint
et quod vivant et quod intelligant, ut ipse ibidem ostendit. Unde et
Aristoteles, in XII metaphysicae, signanter Deo attribuit et intelligere et
vivere, dicens quod ipse est vita et intelligentia, ut excludat praedictas
Platonicas positiones. Aliquo tamen modo potest hoc habere veritatem, si
referatur non ad naturam intellectualem, sed ad formas intelligibiles quas
animae intellectivae recipiunt per operationem intelligentiarum; unde et
Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus quod animae per Angelos
fiunt participes illuminationum a Deo emanantium. Tertiam vero
operationem animae nobilis sive divinae ponit animalem. Et exponit quod animalis
operatio est in hoc quod ipsa movet corpus primum et per
consequens omnia corpora naturalia; ipsa enim est causa motus
in rebus. Et huius rationem postea assignat. Quia enim anima est inferior
quam intelligentia utpote suscipiens intelligentiae impressionem,
consequens est ut inferiori modo operetur in ea quae sunt sub ipsa
quam intelligentia imprimat in subiecta sibi, quia causa primaria plus
influit quam secunda, ut ex 1 propositione patet. Intelligentia autem
imprimit in animas sine motu, in quantum scilicet facit animam cognoscere,
quod est sine motu; sed anima imprimit in corpora per motum, et id quod est
sub ea, scilicet corpus, non recipit impressionem animae nisi in quantum
movetur ab ipsa. Et consequenter assignat causam quare dicendum sit quod
motus corporum naturalium sit ab anima; videmus enim omnia corpora naturalia
directe pervenire per suas operationes et motus ad debitos fines, quod non
posset fieri nisi ab aliquo intelligente dirigerentur. Ex quo videtur quod motus corporum sit ab
anima quae influit virtutem suam super corpora, movendo ea. Haec etiam
positio non est rata in fide, scilicet quod motus caeli sit ab anima; sed
Augustinus hoc sub dubio relinquit in II super Genesim ad litteram. Quod
autem sit a Deo dirigente totam naturam et quod corporalis creatura moveatur
a Deo mediantibus intelligentiis sive Angelis, hoc asserit Augustinus in III de
Trinitate et Gregorius in IV dialogorum. Ultimo autem concludit propositum,
scilicet quod anima nobilis habeat tres praedictas operationes. Ei autem quod
dictum est de intellectu divino et anima divina concordat sententia Dionysii
qui, in IV capitulo de divinis nominibus, superiores Angelos vocat divinas
mentes, id est intellectus, per quos etiam animae deiformi dono participant
secundum suam virtutem; sed divinitatem accipit secundum coniunctionem ad
Deum, non autem secundum universalem influentiam in creata. Illud enim est magis divinum, quia et in ipso Deo maius est id
quod ipse est quam id quod in aliis causat. |
3) Toute âme noble a trois opérations; en
effet, parmi ses opérations, il y a une opération animale, une opération
intelligible et une opération divine
Parce que les
propriétés qui appartiennent aux êtres supérieurs se retrouvent dans les
êtres inférieurs selon une certaine participation, après avoir distingué les
trois degrés des êtres supérieurs dont le premier, qui est Dieu, est
au-dessus de l’éternité, le second, qui est l’intelligence, est avec
l’éternité, et le troisième, qui est l’âme, est postérieur à l’éternité,
l’auteur cherche maintenant à montrer de quelle manière le troisième degré
participe à la fois de ce qui appartient au premier et de ce qui appartient au second en disant : ¨Toute âme supérieure possède trois
opérations car parmi ses opérations il y en a
une qui est animale, une qui est intelligible et une autre qui est divine¨. Ce qu'il appelle
¨âme supérieure¨ peut se comprendre à partir des mots mêmes de Proclus qui,
dans ses Éléments, présente cette
proposition 201 en ces termes : ¨Toutes
les âmes divines possèdent trois sortes d’opérations : celles qu’elles
possèdent en tant qu’elles sont des âmes, celles qu’elles ont en tant
qu’elles reçoivent l’intelligence divine et celles qu’elles possèdent en tant
qu’elles sont rattachées aux dieux¨. À partir de ce passage il est
clair que l’âme supérieure est appelée ici ¨âme divine¨. Et pour comprendre ce
passage, il faut savoir que Platon posait une existence séparée et
subsistante par elle-même de formes universelles des choses. Et parce que selon lui
de telles formes universelles possèdent une certaine causalité universelle
sur les êtres particuliers qui en participent, c’est pourquoi il appelait
¨dieux¨ toutes ces formes subsistantes ; ce nom de « dieu », en effet,
implique une providence et une causalité universelles. Et parmi ces formes, Platon établissait l’ordre suivant, à savoir
que plus une forme est
universelle, plus elle est simple et plus sa causalité est première; en effet, elle est participée par
les formes qui sont secondes, comme par exemple lorsqu’on affirme que la forme
animale est participée par la forme humaine et que la forme de la vie est
participée par la forme animale et ainsi de suite ; mais la forme ultime
qui est participée par toutes les autres formes et qui ne participe elle-même
d’aucune autre forme est l’un et le bien séparé lui-même qu’il appelait le ¨Dieu
suprême¨ et la cause première de tous les êtres. Et c’est pourquoi, cette
proposition 116 est présentée dans le livre de Proclus : ¨Tout dieu
est participable - c'est-à-dire participe - excepté l’Un¨. Et parce que ces formes
qu'ils appelaient ¨dieux¨ sont en elles-mêmes
intelligibles et que
l'intellect n’intellige en acte qu’au moyen de l'espèce intelligible, ils
rangeaient sous l’ordre des dieux, c’est-à-dire des formes dont nous avons parlé,
un ordre des intellects qui participent de ces formes pour intelliger, formes parmi
lesquelles se trouve aussi une intelligence idéale. Mais ces intelligences participent de ces formes
selon un mode immobile en tant qu'elles les
intelligent.
Et c’est pourquoi, sous cet ordre des intelligences, ils posaient aussi un
troisième ordre, à savoir celui des âmes qui, par l’intermédiaires des
intelligences, participent des formes selon le mouvement, c’est-à-dire en
tant qu’elles sont les principes des mouvements corporels au moyen desquels
la matière corporelle participe des formes supérieures. Et c’est de là que
découle le quatrième ordre de réalités qui est celui des corps. Mais parmi
les intelligences, ils appelaient divines celles qui sont supérieures alors
que les inférieures étainet certes appelées intelligences mais non pas
divines, parce que l’intelligence idéale qui est le Dieu par soi, selon eux,
était certes participé par les intelligences supérieures sous les deux
rapports, à savoir en tant qu’il est intelligence et en tant qu’il est Dieu,
mais par les intelligences inférieures seulement en tant qu’il est intelligence
et c’est pourquoi ces dernières n’étaient pas appelées intelligences divines. Les intelligences
supérieures reçoivent en effet en partage non seulement d’être des
intelligences mais aussi d’être divins. De même encore puisque les âmes supérieures
s’approchent des dieux par l’intermédiaire d’intelligences plus rapporchées,
ces âmes supérieures elles-mêmes sont en quelque sorte divines à cause des
intelligences divines auxquelles elles s’attachent ou dont elles participent;
les âmes inférieures cependant, comme attachées à des intelligences qui ne
sont pas divines, ne sont pas non plus divines et parce que c’est par l’âme
que les corps reçoivent le mouvement, il s’ensuit selon eux que les corps
supérieurs sont divins et que les corps inférieurs ne le sont pas. Et c’est
pourquoi Proclus dit à la proposition 129 : ¨C’est par l’intermédiaire de l’âme divinisée que tout corps divin est
divin, c’est à cause d’une intelligence divine que toute âme est divine mais
c’est du fait qu’il participe de l’Un divin que tout intellect est divin¨. Et parce que ces
philosophes appelaient ¨dieux¨ les premières formes séparées selon qu’elles
sont en elles-mêmes universelles, il en résulte que les intelligences, les
âmes et les corps étaient appelés ¨divins¨ du fait qu’elles exercent une
influence et une causalité universelles sur ce qui leur est subordonné dans
leur genre ou dans les genres inférieurs. Denys corrige cette position quant à ceci
qu’ils affirmaient l’existence d’une succession de formes séparées distinctes
qu’ils appelaient ¨dieux¨, c’est-à-dire de telle manière qu’autre était la
bonté par soi, autre l’être par soi, autre la vie par soi et ainsi de suite
et il en était de même pour les autres formes.Il faut dire en effet que toutes ces formes
sont essentiellement la cause première de tout ce qui existe et par laquelle
les choses participent de toutes les perfections de ce genre; ainsi, nous n’affirmerons pas
l’existence de plusieurs dieux, mais d’un seul. Et c’est exactement ce que Denys dit au chapitre
V des Noms Divins:¨Elle, à savoir la sainte
Ecriture, dit que le bien n’est
pas autre, que l'être n’est pas autre, que la vie n’est pas autre, ni la sagesse, mais elle dit plutôt qu'il n'y
a pas de multiples causes et qu’il n’y a pas non plus de divinités supérieures qui
seraient productrices des autres ni d’autres qui seraient subordonnées, mais qu'il n'y a qu’un seul Dieu
d'où procèdent tous les biens¨. Et Denys montre par la suite comment cela
est possible à partir de ceci que puisque Dieu est l’être même et l’essence
même de la bonté, tout ce qui se rapporte à la perfection de l’être et de la
bonté lui convient essentiellement et en totalité de telle manière que
Lui-même est l’essence même de la vie, de la sagesse, de la puissance et de
tout le reste. Et c’est pourquoi il ajoute ceci par la suite : ¨Dieu en effet n'existe pas d’après une modalité particulière et limitée,
mais il contient à l’avance en lui la totalité de l’être d’une manière
absolue et infinie. L’auteur de ce livre
donne son assentiment à ce que dit ici Denys. Il ne se trouve pas en
effet à introduire une multiplicité de dieux, mais il pose qu’il n’y a qu’un seul Dieu,
n’établissant de distinction
que dans l’ordre des intelligences, des âmes et des corps. C’est donc en
demeurant cohérent avec cette position qu’il parle d’âme supérieure,
c’est-à-dire de l’âme divine du corps céleste, conformément à l’opinion des
philosophes qui ont posé que le ciel est animé. Selon eux en effet, cette âme
exerce, par le mouvement qu’elle leur imprime, une influence universelle sur
les choses. Et c’est pour cette raison qu’elle est appelée ¨divine¨, à la manière dont sont appelés ¨divins¨ parmi les hommes ceux qui ont un intérêt
universel pour la chose publique. L’auteur dit donc au sujet de cette âme
supérieurement divine
qu’elle a une opération divine, et il s’explique en
disant que son opération est divine parce que c’est elle-même qui prépare la nature, c’est-à-dire dans la
mesure où c’est elle-même qui est le principe du premier mouvement auquel
toute la nature est soumise ; et cette opération, elle la possède parce
qu’elle participe de la puissance de la cause première qui est la cause
universelle de tout ce qui existe et d’où cette âme partage une certaine
causalité universelle dans les choses naturelles. Et c’est pourquoi, lorsqu’il assigne la raison de cette opération
convenant à l'âme divine, l’auteur dit qu' ¨elle est un
exemplaire¨, c’est-à-dire une image, ¨de la puissance supérieure¨, c’est-à-dire de la puissance divine.
L’universalité de la puissance divine se trouve en effet à être imitée par
cette âme, c’est-à-dire de telle manière que tout comme Dieu est la cause
universelle de tous les êtres, de même cette âme est la cause universelle de
toutes les choses naturelles qui sont en mouvement. Il pose que la deuxième
opération de l’âme supérieure ou divine est intellectuelle, laquelle est
certes intellectuelle, comme il l’explique lui-même, en ceci qu’elle connaît
les choses parce qu’elle participe de la puissance de l’intelligence. Mais il
montre pourquoi elle participe de la puissance de l’intelligence : c’est
parce que cette âme est créée par la cause première par l’intermédiaire de
l’intelligence. Il résulte de là que l’âme vient de Dieu comme de sa cause
première et de l’intelligence comme de sa cause seconde. Tout effet cependant
participe sous un rapport de la puissance de sa cause ; d’où il suit que
l’âme, tout comme elle pose l’opération divine selon qu’elle vient de la
cause première, de même elle pose l’opération de l’intelligence selon qu’elle
vient d’elle en particicpant de sa puissance. Mais ce qui est dit ici, à
savoir que la cause première a créé
l’être de l’âme par l’intermédiaire de l’intelligence, certains l’ont mal
interprété, croyant que selon l’auteur de ce livre les intelligences créent
la substance de l’âme. Mais cela est contraire aux positions
platoniciennes : celles-ci en effet soutenaient que ces causalités des
êtres simples sont des causalités de participation ; mais l’être qui est
participé n’est certes pas celui qui participe, mais c’est plutôt celui qui
est premier de par son essence qui est tel : par exemple, si la
blancheur existait séparément, ce serait la blancheur elle-même dans sa
simplicitié qui serait la cause de toutes les choses blanches en tant
qu’elles sont blanches et non pas quelque chose qui participe de la
blancheur. À partir de là, les Platoniciens soutenaient que celui qui est
l’être même est cause d’existence pour tout ce qui existe, que ce qui est la
vie même est cause de vie pour tout ce qui vit, que ce qui est l’intelligence
même est cause d’intellection pour tout ce qui intellige. C’est pourquoi
Proclus dit à la proposition 18 de son livre : ¨Tout ce qui transmet l’être aux autres est lui-même le
premier à être ce qu’il transmet à ceux qui bénéficient de sa transmission¨. Et Aristote est
d’accord avec cette opinion lorsqu’il dit au livre 11 de sa Métaphysique que celui qui est l’être
premier et le plus excellent est la cause de tout ce qui suit. Il faut donc
comprendre par là, d’après ce qui a été dit, que l’essence même de l’âme est
créée par la cause première qui est son être même, mais qu’elle tient ses
participations ultérieures de quelques principes seconds, c’est-à-dire qu’elle
tient la vie de la vie première et l’intellection de l’intelligence
première ; et c’est pourquoi l’auteur de ce livre dit à la proposition 18 : ¨Toutes
les choses tiennent leur être de l’être premier, les choses sont vivantes par
la vie première et les réalités intellectuelles possèdent la science par
l’intelligence première. Ainsi donc il entend, en disant que la cause première a créé l’être de l’âme
par l’intermédiaire de l’intelligence, que la cause première seule a créé
l’essence de l’âme ; mais que l’âme soit intellectuelle, elle tient cela
de l’opération de l’intelligence. Et les paroles qui suivent montrent que
cette interprétation est juste : Donc,
dit-il, après que la cause première ait
créé l’être de l’âme, elle la posa comme une matière pour l’intelligence,
c’est-à-dire qu’elle la soumit à l’opération de l’intelligence, c’est-à-dire
de telle manière que l’intelligence agisse sur son opération elle-même, lui
donnant d’être intellectuelle. C’est pourquoi il conclut que c’est pour cette raison que l’âme intellectuelle
produit une opération intellectuelle. Et cela s’accorde aussi avec ce
qu’il a dit dans la proposition 1, à savoir que l’effet de la cause première
préexiste à l’effet de la cause seconde et se répand plus universellement que
lui. L’être en effet est ce qu’il y a de plus commun et la cause première le
prodigue à tout ; mais l’intelligence ne communique pas à tous
l’intellection, mais à certains en présupposant l’être qu’ils tiennent de la
cause première. Mais il reste encore que cette position, si elle n’est pas
interprétée correctement, répugne à la vérité et à la position d’Aristote qui
argumente contre les Platoniciens au livre 3 de sa Métaphysique, lesquels soutenaient un ordre des causes séparées
qui était conforme à ce qu’on attribue aux individus. Car il découle de cet
ordre que Socrate soit plusieurs animaux, à savoir Socrate lui-même, l’homme
séparé et l’animal séparé : en effet, puisque l’homme séparé participe
de l’animal, il est lui-même un animal. Mais puisqu’il participe des deux, il
résulte de là que Socrate est à la fois homme et animal. Donc Socrate ne serait
pas véritablement un s’il tenait de l’un d’être animal et de l’autre d’être
homme. Il résulte de là que puisque l’être intellectuel appartient à l’âme
comme à titre de différence essentielle, si celle-ci tenait de l’un l’être et
de l’autre sa nature intellectuelle, il s’ensuivrait que l’âme ne serait pas
tout à fait une. Il faut donc dire que c’est de la cause première, d’où elle
tient son essence, que l’âme tient aussi son intellectualité. Et cela
s’accorde avec la position de Denys présentée plus haut, à savoir que ce ne
sont pas des êtres autres qui sont tantôt le bien lui-même, tantôt l’être
même, tantôt la vie même, tantôt la sagesse même, mais c’est d’un seul et
même être, à savoir Dieu, que procèdent dans les choses à la fois l’être la
vie et l’intellection, comme il le dit lui-même au même endroit. Et c’est
pourquoi C’est pourquoi Aristote aussi, au douzième livre de sa Métaphysique, attribue à Dieu avec
insistance l’intellection et la vie en disant que Dieu lui-même est vie et
intelligence pour écartes les positions précédentes des Platoniciens. Cette
proposition peut cependant se montrer vraie si on l’applique non pas à la
nature intellectuelle, mais aux formes intelligibles que les âmes
intellectuelles reçoivent par l’opération
des intelligences. C’est ainsi que Denys dit, au chapitre 1V des Noms Divins, que les âmes, par l’intermédiaire des Anges, deviennent participantes des
illuminations qui émanent de Dieu. Mais notre auteur
affirme que la troisième opération de l’âme supérieure ou divine est
l’opération animale. Et il explique que l’opération de l’animal consiste en
ceci qu’elle est celle qui meut le corps premier et par conséquent tous les
corps naturels. C’est elle en effet qui est la cause du mouvement dans les
choses. Et il en donne la raison par la suite. En effet, parce que l’âme est
une substance inférieure à
l’intelligence, vu qu’elle reçoit une
impression de l’intelligence, il s’ensuit qu’elle opère sur les choses qui lui sont subordonnées
d’après une manière qui est inférieure à celle de l’intelligence agissant sur
ce qui lui est soumis, car la cause première agit davantage que la cause
seconde ainsi que nous l’avons vu dans la proposition 1. Mais l’intelligence
produit sur les âmes une impression sans y provoquer un mouvement en tant
qu’elle fait en sorte que l’âme connaisse, ce qui se fait sans mouvement. Mais l’âme produit sur
les corps une impression au moyen du mouvement et ce qui lui est soumis, à
savoir le corps, ne reçoit l’impression de l’âme que dans la mesure où il est
mû par elle. Et par la suite il donne la cause pour laquelle il faut dire que
le mouvement des corps naturels vient de l’âme. Nous voyons en effet que tous
les corps naturels parviennent directement, au moyen de leurs opérations et
de leurs mouvements, aux fins attendues qui leur sont propres, ce qui ne
pourrait se produire s’ils n’étaient pas dirigés dans leurs actes par un
principe intelligent. Il apparaît à partir de là que le mouvement des corps
vient de l’âme qui répand sur eux sa puissance en les mettant en mouvement.
Mais cette position, à savoir que le mouvement du ciel vienne de l’âme, n’est
pas confirmée par la foi ; mais Saint-Augustin laisse cette question en
suspens au deuxième livre de La Genèse
au sens littéral. Cependant, Saint-Augustin affirme au troisième livre De la Trinité et Saint-Grégoire
au quatrième livre de ses Dialogues
que toute la nature est dirigée par Dieu et que le mouvement de la créature
corporelle vient de Dieu par l’intermédiaire des intelligences ou des Anges. Et l’auteur termine à
la fin son propos en disant que l’âme supérieure possède ces trois
opérations. Et la position de Denys s’accorde avec ce qui a été dit au sujet
de l’intelligence divine et de l’âme divine, lui qui, au chapitre 1V des Noms Divins, appelle esprits divins,
c’est-à-dire intellects, les Anges supérieurs par lesquels les âmes
participent du don déiforme selon leurs capacités ; mais cette divinité
de l’Ange, Denys l’entend selon que l’Ange la reçoit de par son union à Dieu
et non pas d’après une influence universelle qu’il exercerait sur les
réalités créées. Cette union à Dieu est en effet plus divine car ce que
l’Ange lui-même est en Dieu est plus grand que ce qu’il cause dans les autres
êtres. |
Lectio 4 [84239]
Super De causis, l. 4 Postquam auctor huius libri
distinxit triplicem gradum superioris esse et ostendit quomodo participative
invenitur totum in infimo eorum, nunc intendit ostendere distinctionem
secundi gradus, scilicet ipsius esse quod est cum aeternitate; nam primum
gradum qui est causae primae ante aeternitatem existentis, praetermittit
quasi indivisum, ut dictum est. In hoc tamen aliter procedit quam in aliis;
nam in omnibus aliis praemittit propositionem et posita expositione
propositionem praemissam probat, hic autem more dividentium primo praemittit
quod commune est, secundo illud dividit, ibi: et esse creatum quamvis sit
unum etc., tertio inter partes divisionis differentiam assignat, ibi: et omne
quod ex eo sequitur et cetera. Id autem quod est commune omnibus
intelligentiis distinctis est esse creatum primum, de quo quidem praemittit
talem propositionem: prima rerum creatarum est esse et non est ante ipsam
creatum aliud. Et hanc etiam propositionem Proclus in suo libro ponit
CXXXVIII, sub his verbis: omnium participantium divina proprietate et
deificatorum primum est et supremum ens. Cuius quidem ratio est, secundum
positiones Platonicas, quia, sicut supra dictum est, quanto aliquid est
communius, tanto ponebant illud esse magis separatum et quasi prius a
posterioribus participatum, et sic esse posteriorum causam. In ordine autem
eorum quae de rebus dicuntur, communissimum ponebant unum et bonum, et
communius etiam quam ens, quia bonum vel unum de aliquo invenitur praedicari
de quo non praedicatur ens, secundum eos, scilicet de materia prima quam
Plato coniungebat cum non ente, non distinguens inter materiam et
privationem, ut habetur in I physicorum, et tamen materiae attribuebat
unitatem et bonitatem, in quantum habet ordinem ad formam; bonum enim non
solum dicitur de fine sed de eo quod est ad finem. Sic igitur summum et
primum rerum principium ponebant Platonici ipsum unum et ipsum bonum
separatum, sed post unum et bonum nihil invenitur ita commune sicut ens; et
ideo ipsum ens separatum ponebant quidem creatum, utpote participans bonitatem
et unitatem, tamen ponebant ipsum primum inter omnia creata. Dionysius autem
ordinem quidem separatorum abstulit, sicut supra dictum est, ponens eumdem
ordinem quem et Platonici in perfectionibus quae ceterae res participant ab
uno principio, quod est Deus; unde in IV capitulo de divinis nominibus,
praeordinat nomen boni in Deo omnibus divinis nominibus, et ostendit quod
eius participatio usque ad non ens extenditur, intelligens per non ens
materiam primam. Dicit enim: et, si est fas dicere, bonum quod est super
omnia existentia et ipsum non existens desiderat. Sed inter ceteras
perfectiones a Deo participatas in rebus, primo ponit esse; sic enim dicit V
capitulo de divinis nominibus: ante alias Dei participationes esse
propositum est, et est ipsum secundum se esse senius, eo quod est per se
vitam esse, et eo quod est per se sapientiam esse, et eo quod est per se
divinam similitudinem esse. Secundum quem modum etiam auctor huius libri
hoc intelligere videtur. Dicit enim quod hoc ideo est quia esse est supra
sensum et supra animam et supra intelligentiam. Et quomodo sit supra
ista, ostendit subdens: et non est post causam primam latius, id est
aliquid communius, et per consequens neque prius causatum ipso; causa
autem prima est latior quia extendit etiam se ad non entia secundum
praedicta. Et ex hoc concludit quod, propter illud quod dictum est,
ipsum esse factum est superius omnibus rebus creatis, quia scilicet
inter ceteros Dei effectus communius est, et est etiam vehementius
unitum, id est magis simplex; nam ea quae sunt minus communia videntur se
habere ad magis communia per modum additionis cuiusdam. Videtur tamen non
esse eius intentio ut loquatur de aliquo esse separato, sicut Platonici
loquebantur, neque de esse participato communiter in omnibus existentibus,
sicut loquitur Dionysius, sed de esse participato in primo gradu entis
creati, quod est esse superius. Et, quamvis esse superius sit et in
intelligentia et in anima, tamen in ipsa intelligentia prius consideratur
ipsum esse quam intelligentiae ratio, et similiter est in anima; et propter
hoc praemisit quod est supra animam et supra intelligentiam. De hoc igitur
esse in intelligentiis participato, rationem assignat quare sit maxime
unitum. Dicit enim quod hoc contingit propter propinquitatem suam
primae causae quae est esse purum subsistens et est vere unum
non participatum in quo non potest aliqua multitudo inveniri
differentium secundum essentiam; quod autem est propinquius ei quod est per
se unum, est magis unitum quasi magis participans unitatem; unde
intelligentia quae est propinquissima causae primae habet esse maxime unitum.
Deinde cum dicit: et ipsum quidem non est factum multa etc., ostendit
rationem distinctionis quae potest esse in intelligentiis secundum essentiam.
Ubi considerandum est quod, si aliqua forma vel natura sit omnino separata et
simplex, non potest in ea cadere multitudo, sicut, si aliqua albedo esset
separata, non esset nisi una: nunc autem inveniuntur multae albedines
diversae quae participant albedinem. Sic igitur, si esse creatum primum esset
esse abstractum, ut Platonici posuerunt, tale esse non posset multiplicari,
sed esset unum tantum. Sed, quia esse creatum primum est esse participatum in
natura intelligentiae, multiplicabile est secundum diversitatem
participantium. Et hoc est quod dicit: et ipsum quidem, scilicet esse
creatum primum, non est factum multa, id est distinctum in multas
intelligentias, nisi quia, licet ipsum sit simplex et non sit in creatis
aliquid simplicius eo, tamen est compositum ex finito et infinito. Quam
quidem compositionem etiam Proclus ponit LXXXIX propositione, dicens: omne
enter ens ex fine est et infinito. Quod quidem secundum ipsum sic
exponitur: omne enim immobiliter ens infinitum est secundum potentiam
essendi; si enim quod potest magis durare in esse est maioris potentiae, quod
potest in infinitum durare in esse est, quantum ad hoc, infinitae potentiae.
Unde ipse praemisit in LXXXVI propositione: omne enter ens infinitum est,
non secundum multitudinem, neque secundum magnitudinem, sed secundum potentiam
solam, scilicet existendi, ut ipse exponit. Si autem aliquid sic haberet
infinitam virtutem essendi quod non participaret esse ab alio, tunc esset
solum infinitum; et tale est Deus, ut dicitur infra in 16 propositione. Sed,
si sit aliquid quod habeat infinitam virtutem ad essendum secundum esse
participatum ab alio, secundum hoc quod esse participat est finitum, quia
quod participatur non recipitur in participante secundum totam suam
infinitatem sed particulariter. In tantum igitur intelligentia est composita
in suo esse ex finito et infinito, in quantum natura intelligentiae infinita
dicitur secundum potentiam essendi; et ipsum esse quod recipit, est finitum.
Et ex hoc sequitur quod esse intelligentiae multiplicari possit in quantum
est esse participatum: hoc enim significat compositio ex finito et infinito.
Deinde cum dicit: et omne quod ex eo sequitur etc., ostendit differentiam
inter membra divisionis, id est inter intelligentias multiplicatas, et hoc
tripliciter: primo quidem quantum ad diversam perfectionem earum, secundo
quantum ad influentiam quarumdam super alias, ibi: et intelligentiae primae
etc., tertio quantum ad effectum intelligentiarum in animabus et hoc in
sequenti propositione quae in quibusdam libris invenitur coniuncta cum isto commento,
et incipit: intelligentiae superiores et cetera. Circa primum duo facit:
primo ostendit differentiam, secundo excludit quamdam dubitationem, ibi: et
quia diversificatur et cetera. Circa primum ergo considerandum est quod
duplicem differentiam intelligentiarum assignat, unam quidem quantum ad
naturam ipsarum, aliam vero quantum ad species intelligibiles per quas
intelligunt. Quantum autem ad naturas ipsarum, necesse est quod naturae earum
diversificentur secundum ordinem quemdam. Non enim est in eis materialis
differentia sed formalis; non enim sunt compositae ex materia et forma, sed
ex natura, quae est forma, et esse participato, ut dictum est. In his autem
quae materialiter differunt nihil prohibet inveniri multa ex aequo se habere,
nam in substantiis individua unius speciei aequaliter speciei rationem
participant; in accidentibus etiam possibile est diversa subiecta aequaliter
participare albedinem. Sed
in his quae formaliter differunt, semper quidam ordo invenitur. Si quis enim
diligenter consideret, in omnibus speciebus unius generis semper inveniet
unam alia perfectiorem, sicut in coloribus albedinem et in animalibus
hominem. Et hoc ideo quia quae formaliter differunt, secundum aliquam
contrarietatem differunt; est enim contrarietas differentia secundum formam,
ut philosophus dicit in X metaphysicae. In
contrariis autem semper est unum nobilius et aliud vilius, ut dicitur in I
physicorum, et hoc ideo quia prima contrarietas est privatio et habitus, ut
dicitur in X metaphysicae. Et
propter hoc in VIII metaphysicae philosophus dicit quod species rerum sunt
sicut numeri, qui specie diversificantur secundum additionem unius super
alterum. Manifestum est autem quod quanto aliquid est perfectius, tanto
propinquius est uni perfectissimo; unde hanc differentiam ponit quantum ad
intelligentiarum naturam, quod illud esse intellectuale quod immediate
assequitur causam primam, est intelligentia completa ultima completione
quantum ad esse creatum in potentia essendi et in reliquis bonitatibus
consequentibus, illud vero esse intellectuale quod est inferius in ordine
intelligentiarum, retinet quidem naturam et rationem intelligentiae, sed
tamen est sub superiori intelligentia in complemento naturae et in virtute
essendi et operandi et in omnibus bonitatibus sive perfectionibus. Quantum autem ad secundam differentiam quae est ex speciebus
intelligibilibus, supponit quod intelligentiae per quasdam species
intelligibiles intelligant et quod huiusmodi intelligibiles species maiorem
habeant amplitudinem et universalitatem quam in inferioribus intelligentiis,
et hoc quidem nunc indiscussum dimittatur; manifestabitur enim infra in 10
propositione quae tota super hoc procedit. Deinde cum dicit: et quia
diversificatur intelligentia etc., removet quamdam dubitationem. Quia enim
dixerat species intelligibiles in superioribus et inferioribus intelligentiis
esse differentes, posset hoc alicui falsum videri propter hoc quod res
intellecta est una; et ideo ostendit quomodo huiusmodi species intelligibiles
diversificentur. Et primo inducit ad hoc quoddam exemplum; secundo ostendit
differentiam, ibi: verumtamen quamvis diversificentur et cetera. Circa primum
considerandum est quod, sicut supra dictum est, Platonici ponebant formas
rerum separatas per quarum participationem intellectus fierent intelligentes
actu, sicut per earum participationem materia corporalis constituitur in hac
vel illa specie. Et idem sequitur si non ponamus plures formas separatas,
sed, loco omnium illarum, ponamus unam primam formam ex qua omnia deriventur,
sicut supra dictum est secundum sententiam Dionysii, quam videtur sequi
auctor huius libri nullam distinctionem ponens in esse divino. Sic igitur cum
intelligentiae sint diversae secundum essentiam, ut supra dictum est, oportet
quod formae intelligibiles participatae sint diversae et differentes in
diversis intelligentiis, sicut etiam diversae formae participatae in hoc
mundo sensibili inveniuntur secundum diversitatem individuorum participantium
formas praedictas. Deinde cum dicit: verumtamen quamvis diversificentur etc.,
ostendit diversitatem in praedicto exemplo. Formae enim sensibiles
participatae in diversis individuis sunt formae individuatae et ab invicem
seiunguntur ea seiunctione qua unum individuum seiungitur ab alio, ita quod
ambae formae non pertinent ad existentiam unius rei sed diversarum. Non sic
autem seiunguntur formae intelligibiles ex eo quod sunt in diversis
intelligentiis sive intellectibus, quia non efficiuntur per hoc formae
individuales, sed retinent vim suae universalitatis in quantum quaelibet
earum in intellectu cui inest causat universalem cognitionem eiusdem rei
intellectae. Et huius ratio ex supra dictis apparet. Cum enim formae rerum,
sive sint divisim per se stantes, sive uniantur in uno primo, habeant esse
universalissimum et divinum, manifestum est quod, quanto magis
appropinquantur ad hoc universalissimum esse formarum, tanto formae sunt
universaliores; et secundum hoc dixit quod formae participatae in
superioribus intellectibus sunt universaliores. Id autem quod est infimum in
rebus est materia corporalis, unde recipit huiusmodi formas ut particulares
absque omni universalitate. Et hoc est quod dicit quod, quamvis formae
intelligibiles diversificentur in diversis intelligentiis, tamen non hoc modo
dividuntur ab invicem sicut dividuntur diversa individua in rebus
sensibilibus, quia simul habent unum cum multitudine, unum quidem ex parte
universalitatis, multitudinem autem secundum diversum modum participationis
in diversis intellectibus. Et per hoc totaliter excluditur ratio Averrois
volentis probare unitatem intellectus per unitatem intelligibilis formae;
existimavit enim quod, si formae intelligibiles sunt diversae in diversis
intellectibus, (quod) sint individuatae et intelligibiles in potentia, non in
actu: quod per praemissa frivolum esse patet. Deinde cum dicit: et
intelligentiae primae etc., ponit secundam differentiam quae sequitur ex
prima. Invenimus enim in quolibet rerum ordine
quod id quod est in actu agit in id quod est in potentia; semper autem quod
est perfectius comparatur ad minus perfectum ut actus ad potentiam; et ideo
perfectiora in quolibet genere nata sunt agere in imperfectiora. Cum igitur
superiores intelligentiae sint completiores in virtute et reliquis
bonitatibus intelligentiis inferioribus, consequens est quod, sicut prima
causa influit in superiores intelligentias, ita superiores intelligentiae
influant in inferiores et sic usque ad ultima. |
4) La première des choses créées est
l'être et avant lui il n'y a pas d’autre chose qui soit créée.
Après avoir distingué les trois
degrés de l'être supérieur et montré comment tout se retrouve par
participation dans le dernier degré, l’auteur de ce livre cherche à
manifester en quoi se distingue le deuxième degré, à savoir ¨l’être qui est avec l’éternité¨ et il
passe sous silence, parce qu’il est indivisé ainsi qu’il a été dit, le
premier degré qui est celui de la cause première qui existe avant l’éternité. Ce faisant, il procède cependant
différemment qu'il ne le fait ailleurs car dans tous les autres cas il
présente la proposition et l’ayant expliquée il la démontre, alors qu’ici,
par mode de division, il présente d’abord ce qui est commun puis en deuxième
lieu il le divise là où il dit : et
bien que l’être créé soit un etc. ; en troisième lieu il assigne une
différence entre les parties de la division, là où il dit : et tout ce qui suit de là etc. Mais ce
qui est commun à toutes les intelligences distinctes, c’est l’être créé
premier, au sujet duquel il présente cette proposition : la première des choses créées est l’être
et rien d’autre n’est créé antérieurement à lui. Proclus aussi présente
cette même vérité dans son livre à la proposition 138, et il le fait en ces
termes : ¨L’être est ce qu’il y a de
premier et de plus excellent chez ceux qui participent de la divinité et qui
en sont ainsi divinisés. La raison en est, selon les positions des
Platoniciens dont nous avons parlé plus haut, que plus quelque chose est
commun, plus il est séparé et comme participé antérieurement par ce qui est second,
et en est ainsi la cause. Mais dans l’ordre de ce qui est attribué aux choses,
ils affirmaient que l’un et le bien sont ce qu’il y a de plus commun et plus
commun même que l’être car selon eux le bien et l’un se trouvent à être
attribués même à ce qui ne reçoit pas l’attribution de l’être, à savoir à la
matière première que Platon confondait avec le non-être puisqu’il ne
distinguait pas la matière première de la privation, comme on l’établit au
premier livre de la Physique, et il
attribuait cependant l’unité et la bonté à la matière première selon qu’elle
est ordonnée à la forme ; le bien en effet ne se dit pas seulement de la
fin mais aussi de ce qui est en vue de la fin. Ainsi donc les Platoniciens
soutenaient que le plus grand et le premier principe des choses est l’un-bien
séparé. Mais après l'un-bien, rien ne se trouve à être plus
commun que l’être ; et c’est pourquoi ils affirmaient que l’être séparé
lui-même est créé, comme participant de la bonté et de l’unité, mais au
premier rang parmi tout ce qui est créé. Denys supprima l’ordre de toutes ces
réalités séparées, comme on l’a dit plus haut, en affirmant que ce même ordre que les
Platoniciens posaient dans les perfections dont les autres choses participent,
provient d’un seul et mêm principe qui est Dieu ; c’est pourquoi, au
chapitre 1V des Noms Divins, parmi tous les noms divins atribués à Dieu, il
privilégie le nom de Bien et il montre que la participation du bien s’étend
jusqu’au non-être, entendant par non-être la matière première. Il dit en
effet : ¨Et, s’il est permis de parler ainsi, elle, qui n’existe pas, désire le bien qui est
au-dessus de tout ce qui existe¨. Mais parmi toutes les autres perfections que les
choses participent de Dieu, Denys pose d'abord l’être. C’est ainsi en effet
qu’il parle au chapitre V des Noms
Divins : ¨L’être est la première de
toutes les participations de Dieu, et elle est en
elle-même plus ancienne que la vie par soi, que la sagesse par soi,
que la similitude divine par soi¨. Et voici la manière
selon laquelle l’auteur de ce livre semble entendre ce qu’il vient de dire :
Il dit en effet qu’il en est ainsi
parce que l’être transcende le sens, l’âme et l’intelligence. Et comment
il les transcende, il le montre en ajoutant : ¨et après la cause première, il n’y a rien de plus vaste¨,
c’est-à-dire rien de plus commun et par conséquent aucun effet n’est antérieur à lui ; la cause première est plus vaste
que lui parce qu’elle s’applique même au non-être, conformément à ce qui a
été dit. Et il conclut à partir
de là que, à cause de ce qui a été dit, l’être lui-même ¨a été fait au-dessus de toutes les choses créées¨, c’est-à-dire parce que parmi tous les effets de Dieu
il est le plus commun, et qu’il est
aussi ce qu’il y a de plus puissamment
un, c’est-à-dire de plus simple ; car ce qui est moins commun semble
se rapporter à ce qui est plus commun à la manière d’une addition. Il semble cependanat
que son intention ne soit pas de parler d’un être séparé comme le faisaient
les Platoniciens, ni d’un être commun participé universellement dans tout ce
qui existe comme le fait Denys, mais de l’être participé dans le premier
degré de l’être crée, à savoir l’être
supérieur. Et bien que l’être
supérieur se retrouve dans l'intelligence et dans l’âme, cependant l’être même
est considéré dans l'intelligence, tout comme dans l’âme, antérieurement à la
notion d'intelligence. Et c'est
pour cette raison qu’il place l’être au-dessus de l’intelligence et de l’âme.
Puis il donne la raison
pour laquelle l'être participé dans les intelligences est suprêmement un. Il
dit en effet qu’il en est ainsi pour cet être en raison de sa proximité de la
cause première qui est l’être pur subsistant, c’est-à-dire l’un véritable non
participé dans lequel on ne peut retrouver une multiplicité de différences
selon l’essence ; or ce qui est le plus rapproché de l’un par soi est
lui-même davantage un car il participe davantage de l’unité; il résulte de là
que l’intelligence, qui est la plus proche de la casue première, possède une
existence qui est suprêmement une. Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Et lui-même n’a pas été fait multiple
etc.¨, il manifeste la raison de la distinction essentielle qui peut exister
entre les intelligences. Il faut considérer ici que s’il existait une forme
ou une nature entièrement séparée et simple, on ne pourrait retrouver en elle
une multiplicité tout comme, s’il existait une blancheur séparée, il n’y en
aurait qu’une seule alors que se présente maintenant sous nos yeux de
nombreuses et différentes blancheurs qui participent de la blancheur. Ainsi
donc, si le premier être créé était un être séparé, comme les Platoniciens le
soutenaient, un tel être ne pourrait être multiplié et il n’y en aurait qu’un
seul. Mais parce que le premier être créé est un être qui est participé dans
la nature de l’intelligence, il est multipliable selon la diversité de ceux
qui en participent. Et c’est là ce que l’auteur dit : ¨Et lui-même certes¨, à savoir l’être
créé premier ¨n'a pas été fait multiple¨,
c'est-à-dire n’a pas été différencié en de nombreuses intelligences, ¨si ce n’est que, bien qu’il soit simple en
lui-même et qu'il n'y ait rien dans la nature créée qui soit plus simple que
lui, il est cependant composé de fini et d'infini¨. Proclus aussi présente cette composition dans la
proposition 89 des Eléments lorsqu’il dit : ¨Tout être véritable est formé de fini et d'infini¨. Et voici
comment il explique cela : tout ce qui existe de manière immobile est infini
selon sa puissance d’exister; si en effet ce qui peut durer davantage dans
l'existence est d'une plus grande puissance, ce qui peut durer à l’infini
dans l’existence est d'une puissance infinie1. D'où l’énoncé que
lui-même présente dans la proposition 86 : ¨Tout être véritable est infini, non pas selon la multiplicité ou selon
la grandeur, mais selon une seule puissance, à savoir celle d’exister¨, ainsi
qu’il l’explique lui-même. Mais si un être possédait une telle puissance infinie
d’exister sans la participer d’un autre, il serait alors le seul être à être
infini; et
tel est Dieu, comme on le dit plus loin à la proposition 16. Mais s’il existe
un être qui possède une puissance infinie à exister d’après une existence
qu’il participe d’un autre, il est
fini en tant qu’il participe de cette existence, car ce n’est pas selon toute
son infinité que ce qui est participé est reçu dans celui qui en participe,
mais partiellement. Donc, l’intelligence est d’autant plus composée dans son
existence de fini et d’infini que la nature de l’intelligence est dite
infinie selon sa puissance d’exister et que son existence même est dite finie
en tant qu’elle est reçue d’un autre. Et il découle de là que l’existence de
l’intelligence est multipliée selon qu’elle est une existence
participée : c’est ce que signifie en effet la composition du fini et de
l’infini. Ensuite lorsqu’il
dit : ¨Et tout ce qui découle de
lui etc.¨, il manifeste la
différence qui existe entre les membres de la division, c’est-à-dire entre les
intelligences multipliées, et il le fait de trois manières : quant à
leurs différentes perfections, quant l’influence qu’elles exercent sur les
autres intelligences, là où il dit : ¨Et les intelligences premières exercent une influence etc.¨, et
enfin quant à aux effets que ces mêmes intelligences produisent sur les âmes. Ce dernier point est
traité dans la proposition suivante qui dans certains livres se trouve à être
rattachée à ce commentaire et qui commence ainsi : ¨Et les intelligences supérieures etc.¨. Au sujet du premier point il
fait deux choses : premièrement il montre la différence quant aux
perfections possédées par les intelligences ; deuxièmement il écarte une
difficulté là où il dit : ¨Et parce
que l'intelligence se diversifie etc.¨. Au sujet du premier
point, il faut donc considérer qu'il donne deux différences entre les
intelligences : la première quant à la nature de celles-ci; la deuxième quant
aux espèces intelligibles par lesquelles elles intelligent. Quant à leur nature cependant,
il est nécessaire que les intelligences se différencient selon un certain ordre. Il
n’y a pas entre elles en effet une différence matérielle, mais une différence
formelle ; en effet, elles ne sont pas composées de matière et de forme,
mais d’une nature, qui est une forme, et d’une existence participée, ainsi
que nous l’avons dit. Mais dans les choses
qui diffèrent par la matière, rien n’empêche de trouver une multiplicité
d’individus égaux car dans le genre des substances matérielles; dans l’ordre
des accidents par ailleurs, il est aussi possible que divers sujets
participent également de la blancheur par exemple. Cependant, dans les choses qui
différent formellement, on trouve toujours un certain ordre. Si on examine attentivement la
chose, parmi toutes les espèces d’un même genre on en retrouve toujours une
qui est plus parfaite qu’une autre, comme c’est le cas pour la blancheur par
rapport aux couleurs et pour l’homme par rapport aux animaux. Et il en est
ainsi parce que les choses qui différent formellement différent selon quelque
contrariété : la contrariété est une différence formelle, comme le dit le
philosophe au livre X de sa Métaphysique. Mais parmi les contraires, il y en a toujours
un qui est supérieur et l’autre inférieur, comme le Philosophe le dit au
premier livre de la Physique et il
en est ainsi parce que la première des contrariétés est celle de la privation
et de la possession comme on le dit au livre X de la Métaphysique. Et c'est pour cette raison que le Philosophe dit au
huitième livre de la Métaphysique que les espèces des choses sont comme les
nombres qui différent d’espèce par l’addition d’une unité à un autre nombre.
Il est cependant manifeste que plus un être est parfait, plus il est proche
de l’un qui est le plus parfait. D’où l’auteur pose cette différence quant à la nature des
intelligences, à savoir que l’être intellectuel qui suit immédiatement « la cause première, est
une intelligence d’un achèvement accompli par excellence, quant à son
existence créée, à la fois dans sa puissance d’exister, et dans les autres perfections
qui en découlent; mais pour ce qui est de l’être intellectuel qui est
inférieur dans l’ordre des intelligences, il conserve certes la nature de
l'intelligence, mais
demeure subordonné à l’intelligence supérieure à la fois quant à l’achèvement de sa
nature, quant à la puissance d’exister et d’opérer, et quant aux autres biens
ou perfections. Pour ce qui est de la
deuxième différence tirée des espèces intelligibles, elle suppose que les intelligences intelligent
au moyen de certaines espèces intelligibles et que ces dernières possèdent
une plus grande extension et une plus grande universalité dans les intelligences
supérieures que dans les intelligences inférieures. L'auteur reporte à plus tard l’étude
de ce point qui n’est pas examiné ici mais qui sera manifesté plus loin à la
proposition 10 qui est entièrement consacrée à ce sujet. Ensuite, lorsqu'il dit
: ¨Et parce que les intelligences se
différencient etc.¨, il écarte une difficulté. En effet, parce qu’il avait dit
que les espèces intelligibles sont différentes dans les intelligences qui
sont supérieures et dans celles qui sont inférieures, cela pourrait sembler
faux à certains du fait que la réalité intelligée demeure une. Et c’est
pourquoi il manifeste la manière selon laquelle ces espèces
intelligibles se trouvent à différer
dans des intelligences différentes. Et pour le montrer, il introduit en premier
lieu un exemple, puis en deuxième lieu il manifeste la différence là où il
dit : ¨Il est cependant vrai que
bien qu’elles soient différentes etc.¨. Au sujet du premier point il faut considérer, comme
nous l’avons dit plus haut, que les Platoniciens affirmaient que les formes
des choses sont séparées et que c’est en participant de ces formes que les
intelligences en viennent à intelliger en acte, tout comme c’est en
participant de ces formes que la matière corporelle en vient à être
constituée en telle ou telle autre espèce. Et la conséquence est la même si,
au lieu de poser une multiplicité de formes séparées, nous posons une seule
forme première et séparée de laquelle découlent toutes les autres, comme nous
l’avons dit plus haut conformément à la position de Denys que semble suivre l’auteur
de ce livre qui ne pose aucune distinction dans l’être divin. Ainsi donc, puisque les
intelligences diffèrent par l’essence comme on l’a dit plus haut, il faut
que les formes intelligibles participées soient diverses et différentes dans
les intelligences différentes tout comme les différentes formes participées
se rencontrent en ce monde conformément à la diversité des individus qui
participent de ces formes. Ensuite, lorsqu'il dit : ¨Il est cependant vrai, bien qu’elles diffèrent etc. », il manifeste cette diversité
dans l’exemple précédent. En effet, les formes sensibles dont participent les différents individus
sont des formes individuées qui se distinguent les unes des autres par cette même
distinction par laquelle un individu se distingue d’un autre de telle manière
que deux formes ne se rapportent pas à l’existence d’une seule et même chose,
mais à celle de choses différentes. Ce n’est cependant pas ainsi que les
formes intelligibles se distinguent, c’est-à-dire
du fait qu'elles sont dans des intelligences ou des intellects différents car elles ne
deviennent pas à cause de cela individuelles; mais elles retiennent la
puissance de leur universalité dans la mesure où chacune d’elles cause, dans
l’intelligence à laquelle elle appartient, une connaissance universelle de la
même chose intelligée. Et la raison de cela devient évidente à partir de ce
que nous avons dit plus haut. En effet, puisque les formes des choses, qu’elles se
tiennent d’elles-mêmes séparément ou qu’elles soient unies dans le seul
premier Principe, possèdent l’existence la plus universelle et divine, il est
clair que plus les formes s’approchent de cette existence la plus universelle
des formes, plus elles sont universelles. C’est en ce sens qu’il a dit plus
haut que les formes qui sont participées par les intelligences supérieures
sont plus universelles. Mais la matière corporelle est ce qui est dernier dans l’ordre des
choses et
c’est pourquoi elle reçoit les formes sans aucune universalité, en tant qu’elles
sont particulières. Et c’est cela que l’auteur dit, à savoir que bien que les formes
intelligibles se distinguent dans les différentes intelligences, elles ne se
distinguent pas les unes des autres de la même manière que le font les
différents individus dans les choses sensibles car elles possèdent
simultanément l’unité et la multiplicité : l’unité bien sûr du côté de
l’universalité et la multiplicité d’après une modalité différente de
participation propre à chaque intelligence différente. Et en disant cela,
l’auteur exclut totalement le raisonnement d’Averroès qui voulait prouver
l’unité de l’intelligence en s’appuyant sur l’unité de la forme intelligible.
Ce dernier en effet croyait que si les formes intelligibles sont différentes
dans les différentes intelligences, elles sont alors individuées et
intelligibles en puissance seulement et non en acte, ce qui apparaît léger au
moyen de ce qui a été dit. Ensuite lorsqu’il dit : ¨Et les intelligences
premières etc.¨, il présente la
deuxième différence qui découle de la
première.
Dans tout ordre de choses en effet nous voyons que ce qui est en acte agit
sur ce qui est en puissance ; or, ce qui est plus parfait se compare
toujours à ce qui est moins parfait comme l’acte se compare à la
puissance ; c’est pourquoi, en tout genre, les réalités plus parfaites
agissent par nature sur celles qui sont plus imparfaites. Donc, puisque les
intelligences supérieures sont plus accomplies que les inférieures en
puissances et autres biens, il s’ensuit que tout comme la cause première
répand son influence bienveillante sur les intelligences supérieures, ces
dernières font de même pour les intelligences inférieures et il en est ainsi
jusqu’à la dernière intelligence. |
Lectio 5 [84240]
Super De causis, l. 5 Postquam in praecedenti
propositione manifestavit auctor distinctionem intelligentiarum, hic agit de
distinctione animarum, quam quidem assignat secundum differentiam
intelligentiarum eas quodammodo causantium secundum eius positionem. Unde
quod hic agitur de distinctione animarum potest referri ad distinctionem
intelligentiarum secundum quod distinctio causarum manifestatur per
distinctionem effectuum. Unde et in quibusdam libris haec non ponitur
propositio per se, sed adiungitur commento praecedentis propositionis; quod
etiam apparet ex epilogo quod hic ponitur, quod commune est utrique
propositioni. Est autem propositio talis: intelligentiae superiores primae
imprimunt formas secundas, stantes, quae non destruuntur ita ut sit
necessarium iterare eas vice alia. Intelligentiae autem secundae imprimunt
formas declines, separabiles, sicut est anima. Huic autem propositioni
Proclus ponit duas propositiones correspondentes, scilicet CLXXXII, quae
talis est: omnis divinus intellectus ab animabus divinis participatur,
et CLXXXIII, quae talis est: omnis intellectus participatus quidem
intellectualis autem solum, participatur ab animabus neque divinis neque
factis in transmutatione intellectus et ignorantiae. Ad evidentiam autem
huius propositionis tria oportet considerare: primo quidem de impressione
animae, secundo de distinctione animarum, tertio de differentia animarum
distinctarum. Circa impressionem vero animae primo oportet considerare
quomodo animae conveniat imprimi, secundo a quo imprimatur. Quod autem animae
conveniat imprimi, manifeste apparet si quis impressionis rationem
consideret, ad quam duo requiruntur: primo quidem ut quod est impressum sit
in aliquo existens, secundo ut non sit in eo superficialiter secundum
extrinsecum contactum solum, sed sit intimum quasi penetrans in profundum. Et
haec duo conveniunt animae secundum propriam eius rationem. Dictum est enim
supra in 3 propositione quod operatio propria animae est ut moveat corpus, eo
quod operatio ipsius animae est infra operationem propriam intelligentiae,
cuius est cognoscere res absque motu; oportet autem principium motus
applicari mobili quia, ut probatur in VII physicorum, movens et motum sunt
simul; unde animae secundum propriam rationem convenit in corpore mobili
esse. Motus autem quo anima movet corpus est motus viventis corporis, qui
quidem non est a movente extrinseco, sicut motus violentus vel sicut motus
levium et gravium a generante, sed est a movente intrinseco; unde res vivae
dicuntur seipsas movere. Et ideo oportet animam quae movet corpus, esse in corpore
intrinsecus ei unitam, et propter hoc dicitur esse impressa. Si autem
quaeratur a quo sit impressa, secundum opinionem auctoris huius libri
impressa est ab intelligentia. Dicit enim: ipsa namque, scilicet anima
inferior, est ex impressione intelligentiae secundae, id est secundi
ordinis intelligentiarum, quae, scilicet intelligentia secunda, sequitur
esse creatum inferius, id est in inferiori parte ipsius esse primi creati
quod est esse intelligentiarum; vel, hoc quod dicit: quae sequitur esse
etc., potest referri ad animam, quae est infra aeternitatem intelligentiae,
ut in 2 propositione dictum est. Sed haec sententia non est usquequaque rata.
Possumus enim loqui de animae impressione dupliciter: uno modo ex parte
ipsius animae impressae, alio modo ex parte materiae cui imprimitur. Et haec
quidem distinctio locum habet in qualibet anima per se stante, qualis est
quaelibet anima intelligens, ut infra patebit, quia esse substantiae eius non
totaliter consistit in unione sui ad materiam corporalem, sicut esse animae
non subsistentis quales sunt animae brutorum et plantarum, unde in his
praedicta distinctio necessaria non est, quia simul consideratur esse talium
animarum et ex parte materiae recipientis et ex parte ipsius animae. Si ergo
loquamur de anima per se stante scilicet intellectuali quacumque, sive
caelesti si ponantur corpora caelestia animata secundum quod auctor huius
libri supponit, sive de anima humana ex parte ipsius animae, tunc secundum
radices positionum Platonicarum, quas in multis auctor huius libri sequitur,
talis anima est ex impressione intelligentiae quia, sicut supra dictum est in
3 propositione, Platonici posuerunt quod ab alio principio causatur in aliqua
re id quod est commune, et ab alio inferiori principio id quod est magis proprium.
Secundum hoc igitur anima per se stans suum esse habet a prima causa, quod
autem sit intellectualis et quod sit anima habet a secundis causis quae sunt
intelligentiae; unde, cum ad rationem animae pertineat quod sit corpori
impressa, consequens erit quod haec anima ab intelligentia habeat scilicet
quod sit corpori impressa. Sed, quia, sicut supra ostendimus, praedicta
positio veritatem non habet et contrariatur sententiae Aristotelis, oportet
dicere quod a prima causa a qua talis anima habet suum esse habeat etiam quod
sit intellectualis et quod sit anima et per consequens quod sit corpori
impressa; est ergo secundum hoc anima non ex impressione intelligentiae sed
ex impressione causae primae. Si vero loquamur de anima huiusmodi ex parte
susceptibilis cui imprimitur, sic quantum ad animam caelestem, si caelum
haberet animam, esset similis ratio; non enim natura caelestium corporum
aliquo modo ab intelligentiis causatur, sed a causa prima a qua habent esse.
Sed, si loquamur de anima humana ex parte susceptibilis, sic aliquo modo est
ex impressione intelligentiae, in quantum scilicet ipsum corpus humanum
disponitur ad hoc quod sit susceptivum talis animae per virtutem caelestis
corporis operantem in semine, ratione cuius dicitur quod homo generat hominem
et sol; corpora autem caelestia, etiam secundum doctores fidei Christianae,
scilicet Augustinum et Gregorium, ponuntur a creaturis spiritualibus moveri,
quae dicuntur Angeli sive intelligentiae vel intellectus separati; et ex hoc
sequitur quod intelligentiae aliquid operentur ad hoc quod anima humana
corpori imprimatur ex parte susceptibilis. Et per hunc modum potest dici quod
aliae animae quae non sunt per se stantes, sunt ex impressione
intelligentiarum et caelestium corporum. Deinde restat considerandum de
secundo, scilicet de distinctione animarum. Et ponit eamdem rationem
distinctionis sive multiplicationis in animabus quam in intelligentiis
posuerat: sicut enim esse intelligentiae compositum est ex infinito et
finito, in quantum esse eius non est subsistens sed participatum ab aliqua
natura ratione cuius potest distingui in multa, ita etiam est et de esse
animae. Et hoc est quod dicit: et non multiplicantur animae nisi per modum
quo multiplicantur intelligentiae, quod est quia esse animae iterum habet finem,
sed quod ex eo est inferius est infinitum. Inferius autem dicit ipsam
naturam participantem esse, quam vocat infinitum propter virtutem ad durandum
in esse in infinitum; ipsum autem esse participatum vocat finitum quia non
participatur secundum totam infinitatem suae universalitatis sed secundum
modum naturae participantis. Est tamen advertendum quod, quia natura
intelligentiae est penitus absoluta a corpore, distinctio intelligentiarum
attenditur secundum gradum naturae propriae absque comparatione ad aliqua
corpora. De ratione vero animae est quod sit corpori impressa, et ideo
distinctio animarum attenditur secundum comparationem ad corpora animata.
Unde, si corpora animata sunt diversarum specierum, animae eis impressae
erunt diversae secundum speciem, sicut oporteret dicere si corpora caelestia
essent animata; si autem corpora animata sunt unius speciei, animae etiam
impressae sunt unius speciei multiplicatae numero solo, sicut patet de
animabus humanis. Deinde considerandum est tertium, scilicet differentia
animarum distinctarum. Et ponit tres differentias, quarum prima accipitur
secundum diversam perfectionem animarum. Dicit enim quod animae,
scilicet superiores sicut sunt caelestium corporum, quae sequuntur
intelligentiam, quasi immediate post eam ordinatae, sunt completae,
scilicet in perfectione naturae animalis. Et signum perfectionis ostendit,
subdens: paucae declinationis et separationis. Dictum est enim supra
in 2 propositione, quod anima in quantum deficit a complemento intelligentiae
appropinquat ad motum; et ideo, quanto animae fuerint altiores et
intelligentiae propinquiores, tanto minus habent de motu. Animae enim
inferiores habent motum non solum quantum ad hoc quod movent corpus, sed
etiam quantum ad hoc quod non semper sunt coniunctae suis corporibus et quod
non semper intelligunt; sed animae superiores semper sunt coniunctae suis
corporibus et semper sunt intelligentes, habent tamen de motu hoc quod movent
caelestia corpora. Et ideo dicit quod sunt paucae declinationis, quia
parum declinant ab immobilitate intelligentiae, et paucae separationis,
quia parum in diversa separantur, ut quandoque in hoc quandoque in illo
inveniantur scilicet quantum ad solum motum localem caelestium corporum. Inferiores vero animae deficiunt in
complemento et paucitate declinationis seu separationis a superioribus
animabus. Secunda differentia sumitur penes influentiam animarum in invicem.
Sicut enim supra dixit quod intelligentiae primae influunt supra secundas
bonitates quas recipiunt a causa prima, ita nunc dicit quod superiores
animae influunt bonitates quas recipiunt ab intelligentia super animas
inferiores. Et utrobique est ratio eadem: quia quod
est imperfectius natum est perfici a completiori, sicut potentia ab actu.
Tertia differentia sumitur ex parte effectus. Sicut enim de intelligentiis
dixit quod superiores imprimunt nobiliores animas, ita nunc dicit de animabus
quod anima superior recipiens virtutem immediate ab
intelligentia habet fortiorem impressionem, quia semper causa
superior vehementius agit, ut in 1 propositione dictum est; et ideo id quod
imprimitur a superiori anima in suo corpore est fixum, stans, id est firmum
et immobile, et motus eius est aequalis, id est uniformis, et continuus, ut
patet in corpore caelesti. Anima vero inferior ad quam pertinet virtus
intelligentiae, mediante superiori anima, habet debiliorem impressionem in
suum corpus sicut causa inferior; et ideo id quod imprimit corpori sicut vita
et huiusmodi est debile, propter passibilitatem corporis ab exteriori agente,
evanescens, a principio interiori transmutatum, destructibile, quia finaliter
totaliter desinit esse id quod ab anima in corpore efficitur. Et tamen corpus
quodammodo participat sempiternitatem, scilicet secundum speciem, et hoc per
generationem. In hoc autem melius sensit auctor huius libri attribuens
corruptibilitatem humanorum corporum debilitati impressionis ipsius animae,
quam Platonici qui posuerunt etiam animam humanam habere quoddam corpus
incorruptibile sibi semper unitum. Patet etiam quod, secundum sententiam huius auctoris, quando anima
humana fuerit perfecta per coniunctionem ad causam primam, poterit corpori
suo imprimere vitam perpetuam; et secundum hoc fides Catholica confitetur
futuram vitam aeternam non solum in animabus sed etiam in corporibus post
resurrectionem. Ultimo epilogat quae in duabus propositionibus dicta sunt.
Quae autem diximus de animabus caelorum non asserendo diximus, sed aliorum
opiniones recitando. |
5) Les intelligences supérieures
premières voisines de la cause première impriment[4] des formes secondes, stables qui ne périssent pas de
sorte qu'il n’est pas nécessaire de les faire à nouveau. Pour leur part, les
intelligences secondes impriment des formes déclinantes et séparables, comme
celle de l’âme.
Après avoir manifesté
la distinction des intelligences dans la proposition précédente, l’auteur traite ici de la
distinction des âmes qu’il assigne en s’appuyant sur la distinction des
intelligences qui les causent en quelque sorte suivant son opinion. C’est
pourquoi ce qu’on traite ici au sujet de la distinction des âmes peut se
rapporter à la distinction des intelligences selon que la distionction des
causes se manifeste par la distinction des effets. Et c’est pourquoi dans
certains livres cette proposition n’est pas présentée à part mais rattachée
au commentaire de la proposition précédente, ce qui devient évident si on
considère l’épilogue qui est commun aux deux propositions. Mais voici comment se
présente cette proposition : ¨Les
intelligences supérieures premières impriment des formes secondes stables qui ne
périssent pas de sorte qu'il n’est pas nécessaire de les renouveler. Pour
leur part, les intelligences secondes impriment des formes qui, comme l’âme,
sont déclinantes et séparables¨. Proclus cependant présente deux propositions qui
correspondent à celle-là, dont voici la première, à savoir la proposition
182 : ¨Tout intellect divin est
participé par des âmes divines¨, et la seconde, la
proposition 183 qui dit : ¨Tout intellect participé mais qui est seulement
intellect, est participe
par des âmes qui ne sont ni divines ni sujettes à passer de l’intelligence à l'ignorance¨. Pour avoir
l’évidence de cette proposition, il faut porter son attention sur trois
choses : d'abord sur l'impression
de l'âme; puis sur la distinction
des âmes; enfin sur la différence des âmes distinctes. Mais au sujet de l’impression
de l'âme, il faut considérer en
premier lieu comment il convient à l’âme de recevoir une impression, puis en deuxième lieu d’où elle la
reçoit. Mais il est manifeste qu’il convient à l’âme de recevoir une
impression si on considère la notion même d’impression qui implique
obligatoirement deux attributs : il faut certes en premier lieu que ce
qui est imprimé soit dans quelque chose qui existe et deuxièmement qu’il n’y
soit pas présent d’une manière superficielle selon un contact extérieur
seulement, mais intimement et comme le pénétrant en profondeur. Et ces deux
attributs conviennent à l’âme selon la définition qui lui est propre. Nous
avons dit en effet plus haut dans la proposition 3 que l’opération propre de
l’âme consiste à mouvoir le corps du fait que son opération est inférieure à
l’opération propre de l’intelligence à laquelle il appartient de connaître
les choses sans que s’opère un mouvement en elle ; or il faut qu’un principe
de mouvement s’applique au mobile car comme le Philosophe le prouve au livre
7 de la Physique, le moteur et le
mobile sont simultanés ; il suit de là qu’il convient à l’âme selon sa
définition propre d’exister dans un corps en mouvement. Mais le mouvement par
lequel l’âme meut le corps est le mouvement du corps vivant qui ne vient
certes pas d’un moteur extérieur comme c’est le cas pour le mouvement violent
ou pour le mouvement des corps lourds ou légers provoqué par celui qui le
produit, mais plutôt d’un moteur intérieur ; c’est pourquoi on dit des
êtres vivants qu’ils se meuvent par eux-mêmes. Et c’est pourquoi il faut que
l’âme qui meut le corps soit à l’intérieur du corps auquel elle est
unie et c’est pour cette raison qu’on dit qu’elle lui est imprimée. Mais
si on demandait d’où procède cette impression, il faut répondre que, d’après
l’opinion de cet auteur, elle vient d’une intelligence. C’est lui-même en
effet qui dit : car elle-même,
à savoir l’âme inférieure, procède
d’une impression d’une intelligence seconde, c’est-à-dire du deuxième
ordre des intelligences, laquelle,
à savoir l’intelligence seconde, découle
de l’être créé inférieur, c’est-à-dire de celui qui se trouve dans la
partie inférieure de l’être créé premier lui-même qui est l’être des
intelligences ; ou bien encore lorsqu’il dit ceci, à savoir qui suit l’être etc., cela peut se
rapporter à l’âme qui se range sous l’éternité de l’intelligence comme nous
l’avons dit à la proposition 2. Mais cette position
n’est pas tout à fait confirmée. En effet, il existe deux manières selon
lesquelles il nous est possible de parler de l’impression de l’âme :
premièrement du côté de l’âme elle-même qui reçoit l’impression ;
deuxièmement du côté de la matière à laquelle l’âme s’imprime. Et cette
distinction vaut certes pour toute âme qui subsiste par elle-même,
c’est-à-dire pour toute âme intellectuelle comme nous le verrons plus loin,
car l’existence de sa substance subsistante ne se réduit pas totalement à son
union à la matière corporelle contrairement à l’existence des substances
non-subsistantes que sont les âmes des brutes et des plantes et c’est
pourquoi dans ce dernier cas la distinction qui précède ne tient plus puisque
l’existence de telles âmes se considère simultanément, à la fois du côté de la
matière qui reçoit et de celui de l’âme elle-même. Si donc nous parlons de
l’âme subsistante, c’est-à-dire de toute âme intellectuelle, qu’il s’agisse
de l’âme céleste si on pose, comme le suppose l’auteur de ce livre, que les
corps célestes sont animés, ou de l’âme humaine du côté de l’âme elle-même,
alors, d’après les fondements des positions platoniciennes que l’auteur de ce
livre suit en plusieurs points, cette âme intellectuelle procède de
l’impression d’une intelligence car comme nous l’avons dit plus haut dans la
proposition 3, les Platoniciens ont soutenu que ce qu’il y a de commun dans
une chose est causé par un principe qui est autre que le principe inférieur
par lequel ce qu’il y a de plus propre y est causé. Conformément à cette
position l’âme qui subsiste par elle-même tient son être de la cause
première, mais son intellectualité et le fait d’être une âme, elle le doit
aux causes secondes que sont les intelligences ; il résulte de là que
puisqu’il appartient à la définition de l’âme d’être imprimée ou unie à un
corps, il s’ensuit que cette âme tient de l’intelligence d’être unie à un
corps. Mais parce que, comme nous l’avons dit, la position qui précède n’a
pas pour elle la vérité et qu’elle s’oppose à la pensée d’Aristote, il faut
dire que c’est de la cause première d’où elle tient son existence qu’une
telle âme tient aussi d’être intellectuelle et d’être une âme, et par
conséquent aussi d’être imprimée ou unie à un corps. Suite à cela, l’âme ne procède donc
pas de l'impression de l'intelligence mais de l'impression de la cause
première. Mais si nous parlons d’une telle âme du côté de la matière
réceptrice à laquelle elle s’imprime, alors, quant à l’âme céleste, si le
ciel possédait une âme, le raisonnement serait le même. En effet, la nature
des corps célestes n’est pas causée de quelque manière par les intelligences,
mais par la cause première de laquelle elle tient son existence. Mais si nous
parlons de l’âme humaine du côté de ce qui la reçoit, alors d’une certaine
manière elle procède de l’impression d’une intelligence, c’est-à-dire dans la
mesure où le corps humain lui-même est disposé à recevoir une telle âme par
la puissance du corps céleste qui opère dans la semence, en raison de quoi on
dit que c’est à la fois l’homme et le soleil qui engendrent un homme.
Certains posent cependant, même des docteurs de la foi chrétienne comme
Saint-Augustin et Saint-Grégoire, que les corps célestes sont mus par des
créatures spirituelles qu’on appelle Anges, Intelligences ou intellects
séparés ; et il suit de là que les Intelligences posent une opération
pour que l’âme humaine soit imprimée au corps du côté de ce qui reçoit. Et en
ce sens on peut dire que les autres âmes, celles qui ne subsistent pas par
elles-mêmes, procèdent d’une impression des intelligences et des corps
célestes. Il reste ensuite à
considérer le deuxième point, à savoir la distinction des âmes. Et il
présente la même cause de distinction et de multiplication pour les âmes que
celle qu’il avait présentée pour les intelligences : en effet, tout
comme l’existence d’une intelligence est composée d’infini et de fini selon
que son existence n’est pas subsistante mais participée d’une certaine nature
en raison de quoi elle peut se distinguer en une multiplicité, il en est
aussi de même pour l’existence de l’âme. Et c’est cela qu’il dit en ces
termes : ¨les âmes ne se
multiplient qu’à la manière dont les intelligences se multiplient et il en
est ainsi parce que l’existence de l’âme a
de son côté une fin, mais aussi parce que ce qui provient de là et est
inférieur est sans limite¨. Il dit cependant que la
nature même qui participe de l’existence est inférieure et il l’appelle
infinie en raison de sa puissance de durer à l’infini dans l’existence ;
ce qu’il appelle cependant finie, c’est l’existence participée elle-même
parce que l’existence n’est pas participée selon toute l’infinité de son
universalité mais à la manière de la nature qui participe. Il faut cependant
remarquer que parce que la nature de l’intelligence est tout à fait séparée
de la nature corporelle, la distinction des intelligences se vérifie d’après
le degré de leur nature propre sans aucune référence à quelque chose de
corporel. Mais il appartient à la nature même de l’âme d’être imprimée à un
corps et c’est pourquoi la distinction des âmes se vérifie par référence aux
corps animés. Il suit de là que si les corps animés sont d’espèces
différentes, les âmes qui leur sont imprimées seront d’espèces différentes,
et c’est là ce qu’il faudrait dire aussi des corps célestes s’ils étaient des
corps animés ; mais si les corps animés sont de même espèce, les âmes
qui leur sont imprimées seront elles aussi de même espèce et ne seront
multipliées que par le nombre comme c’est le cas pour les âmes humaines. Il faut ensuite
examiner le troisième point, à savoir la différence entre les âmes
distinctes. Et l’auteur présente trois différences dont la première se prend
d’après la différence de perfection qu'il y a entre les âmes. Il dit en effet
que les âmes, à savoir entendons
celles qui sont supérieures comme celles des corps célestes, lesquelles suivent l’intelligence, c’est-à-dire qui se rangent
immédiatement après elle, sont
accomplies, c’est-à-dire quant à la perfection de la nature animale. Et il
donne un signe de cette perfection lorsqu’il ajoute : peu portées à se détourner et à se séparer. Nous avons dit en
effet plus haut à la proposition 2 que l’âme, en tant qu'elle s’écarte de la
perfection de l’intelligence,
se rapproche du mouvement et c’est pourquoi les âmes participent d’autant moins
du mouvement qu’elles sont plus élevées et plus proches de l’intelligence. Les âmes inférieures en
effet participent du mouvement non seulement en tant qu'elles meuvent le corps,
mais aussi en tant qu’elles ne sont pas toujours
unies à leur corps et qu’elles ne posent pas toujours l’acte d’intellection.
Mais les âmes supérieures, à l’inverse, sont toujours unies à leur corps et sont
toujours en acte d'intellection. Elles ont cependant part au mouvement en tant
qu’elles meuvent les corps célestes. C’est pourquoi, il dit qu'elles sont peu portées à se détourner, parce qu’elles s’écartent très peu de
l'immobilité de l’intelligence, et peu
portées à se séparer, parce qu’elles sont peu portées à adopter des états
différents, de telle manière qu’on les retrouve tantôt ici et tantôt là,
c’est-à-dire changées quant au seul mouvement local des corps célestes. Mais
les âmes inférieures quant à elles s’éloignent de l’achèvement et des rares
manquements et changements qui caractérisent les âmes supérieures. La deuxième différence
se tire de l’influence des âmes les unes sur les autres. En effet, tout comme
il disait plus haut que les
intelligences premières répandent sur les intelligences secondes les
bienfaits qu’elles reçoivent de la cause première, de même il dit maintenant
que les âmes supérieures répandent sur
les âmes inférieures les bienfaits qu’elles reçoivent de l’intelligence.
Et dans les deux cas le raisonnement est le même, car ce qui est plus
imparfait est fait par nature pour être achevé par ce qui plus parfait, comme
la puissance l’est par l’acte. La troisième différence
se tire du côté de l’effet. Tout comme il a dit en effet au sujet des
intelligences que celles qui sont supérieures exercent une impression sur les
âmes supérieures, de même il dit maintenant au sujet des âmes que l’âme supérieure qui reçoit sa puissance immédiatement de l’intelligence possède une
impression plus forte car une cause supérieure agit toujours avec plus de
force, comme on l’a dit à la proposition 1 et c’est pourquoi ce qui est imprimé
à son corps par une âme supérieure y est posé comme étant fixe et stable,
c’est-à-dire avec fermeté et immobilité, et son mouvement est égal,
c’est-à-dire uniforme et continu ainsi qu’on le voit chez les corps célestes. Mais pour ce qui est de l’âme inférieure à laquelle parvient
la puissance de l’intelligence par l’intermédiaire de l'âme supérieure, elle
garde quant à elle une impression plus faible sur son corps en tant qu’elle
est une cause inférieure ; et c’est pourquoi ce qu’elle imprime au corps
y est établi faiblement, en raison de la passibilité de ce dernier à l’égard
des agents extérieurs, de manière fugitive en raison du principe intérieur de
changement, et y est soumis à la destruction, car ce que l’âme produit dans
le corps doit, à la fin, cesser d’exister en totalité. Et le corps participe
cependant d’une certaine manière de l’éternité, c’est-à-dire quant à l’espèce
grâce à la génération. Et sur ce point l’auteur de ce livre, lorsqu’il
attribue la corruptibilité des corps humains à la faiblesse de l’impression
de l’âme elle-même, fait preuve d’un meilleur jugement que les Platoniciens qui soutenaient encore
que l’âme humaine possède un corps incorruptible qui lui est toujours uni. Il
est clair aussi, d’après la position de cet auteur, que lorsque l’âme humaine
aura été rendue parfaite par son union à la cause première, elle pourra
imprimer à son corps une vie éternelle ; et conformément à cela la foi
catholique confesse une vie future éternelle non seulement pour les âmes mais
aussi pour les corps suite à la résurrection. Notre auteur termine
enfin en résumant ce qui a été dit dans les deux propositions 4 et 5. Il
précise cependant que ce qui a été dit au sujet des âmes des corps célestes
ne doit pas être pris comme une affirmation de sa part, mais seulement comme
étant la mention d’une opinion provenant d’autres auteurs. |
Lectio 6 [84241]
Super De causis, l. 6 Postquam auctor huius libri
distinxit esse superius generaliter in tres gradus quorum primus est supra
aeternitatem, quod convenit causae primae, secundus cum aeternitate, quod
convenit intelligentiae, tertius est infra aeternitatem et supra tempus, quod
convenit animae, hic incipit prosequi de singulis gradibus, et primo de causa
prima, secundo de intelligentia, in 7 propositione, ibi: intelligentia est
substantia etc., tertio de anima, 14 propositione, ibi: in omni anima et
cetera. De causa autem prima hoc est quod potissime scire possumus quod omnem
scientiam et locutionem nostram excedit; ille enim perfectissime Deum
cognoscit qui hoc de ipso tenet quod, quidquid cogitari vel dici de eo
potest, minus est eo quod Deus est. Unde Dionysius dicit I capitulo mysticae
theologiae, quod homo secundum melius suae cognitionis unitur Deo sicut
omnino ignoto, eo quod nihil de eo cognoscit, cognoscens ipsum esse supra
omnem mentem. Et ad hoc ostendendum inducitur haec propositio: causa prima
superior est narratione. Per narrationem autem oportet affirmationem
intelligi, quia quidquid de Deo affirmamus non convenit ei secundum quod a
nobis significatur; nomina enim a nobis imposita significant per modum quo
nos intelligimus, quem quidem modum esse divinum transcendit. Unde Dionysius
dicit II capitulo caelestis hierarchiae quod negationes in divinis sunt
verae, affirmationes vero incompactae vel inconvenientes. Hanc etiam
propositionem Proclus ponit CXXIII sui libri, sub his verbis: omne quod
ens ipsum quidem propter supersubstantialem unionem indicibile est et
incognoscibile omnibus secundis, a participantibus autem capabile est et
cognoscibile: propter quod solum primum penitus ignotum tamquam amethectum
ens. Per hoc autem quod dicit quod ens, intelligit omnem formam
idealem secundum Platonicorum positiones, puta per se hominem, per se vitam
et cetera huiusmodi, quae deos dicebant, ut supradictum est; huiusmodi autem
habent unitatem, secundum ipsos, supersubstantialem, quia excedunt omnia
subiecta participantia; et ideo dicit quod neque dici neque cognosci potest
unumquodque eorum ab inferioribus, sed a superioribus cognosci possunt, puta
idea vitae cognosci potest ab idea entis. Et, quamvis non possint perfecte
cognosci vel dici ab inferioribus, aliqualiter tamen capi et cognosci possunt
a participantibus, id est per participantia, sicut per ea quae participant
vitam aliquid cognoscitur de ipsa vita. Sed illud quod est primum
simpliciter, quod, secundum Platonicos, est ipsa essentia bonitatis, est
penitus ignotum, quia non habet aliquid supra se quod possit ipsum
cognoscere; et hoc significat quod dicitur amethectum, id est non post
existens alicui. Et, quia auctor huius libri non concordat cum Platonicis in
positione aliarum naturarum separatarum idealium, sed ponit solum primum, ut
supra dictum est, ideo praetermissis aliis de hac causa prima dicit quod est
superior narratione. Et causam assignat propter suam
supersubstantialitatem, sicut et Proclus, et hoc est quod subdit in
propositione: et non deficiunt linguae a narratione eius nisi propter
narrationem ipsius, quoniam ipsa est super omnem causam. Qualiter autem
narretur, ostendit subdens: et non narratur nisi per causas secundas quae
illuminantur lumine causae primae; et hoc est idem ei quod Proclus dixit
quod a participantibus capabile est et cognoscibile. Hoc autem quod dictum est in propositione
probatur per hunc modum; tripliciter enim aliquid cognoscitur: uno modo sicut
effectus per causam, alio modo per seipsum, tertio modo per effectum. Primo ergo ostendit quod causa prima non cognoscitur primo modo,
scilicet per causam, cum dicit quod causa prima non cessat illuminare
causatum suum, et ipsa non illuminatur lumine alio, quoniam ipsa est lumen
purum supra quod non est lumen. Ad cuius intellectum considerandum est
quod per lumen corporale visibilia sensibiliter cognoscuntur, unde illud per
quod aliquid cognoscitur, per similitudinem lumen dici potest; probat autem
philosophus in IX metaphysicae quod unumquodque cognoscitur per id quod est
in actu; et ideo ipsa actualitas rei est quoddam lumen ipsius et, quia
effectus habet quod sit in actu per suam causam, inde est quod illuminatur et
cognoscitur per suam causam. Causa autem prima est actus purus, nihil habens
potentialitatis adiunctum; et ideo ipsa est lumen purum a quo omnia alia
illuminantur et cognoscibilia redduntur. Et ex hoc concludit ulterius quod
sola causa prima sic est prima quod non potest narrari, quia non habet causam
superiorem per quam narretur; res enim consueverunt narrari per suas causas.
Et, quia a cognitione processit ad narrationem, ostendit consequenter quod
causa prima, cum sit supra cognitionem, oportet quod sit supra narrationem:
et hoc ideo quia narratio, id est affirmatio, fit per loquelam,
id est per aliquem sermonem significativum, loquela autem est per
intelligentiam, quia voces significativae sunt signa intellectuum, intelligentia
autem fit per cogitationem, id est per rationem,- et hoc est verum in
hominibus, qui ratiocinando perveniunt ad intellectum veritatis,- et
cogitatio per meditationem, id est per imaginationem et ceteras vires
sensitivas interiores quae deserviunt rationi humanae, et meditatio
fit per sensum, quia phantasia est motus factus a sensu secundum actum
ut dicitur in libro de anima; unde, cum causa prima sit super omnes res,
excedit omnia praedicta. Et hoc etiam Dionysius ponit I capitulo de divinis
nominibus, dicens: et neque sensus est eius, neque fantasia, quod iste
nominat meditationem, neque opinio, quod iste nominat rationem,
neque nomen, quod iste nominat loquelam, neque sermo, quod iste
nominat narrationem, neque scientia, quod iste nominat intelligentiam.
Secundo vero ostendit quod non cognoscitur secundo modo, scilicet per
seipsam. Et hoc probat per diversos modos cognitionum: eorum enim quae per se
cognoscuntur, quaedam cognoscuntur sensu, sicut res sensibiles, quaedam
meditatione sive imaginatione, sicut res imaginabiles quae sensui non subiacent,
quaedam vero intellectu, sicut res necessariae et immobiles, quaedam vero
ratione sive cogitatione, sicut res generabiles et corruptibiles, secundum
quem modum philosophus in VI Ethicorum dicit quod ratiocinativum est circa ea
quae contingit aliter se habere; unde, cum causa prima sit supra omne
huiusmodi genus rerum, nullo istorum modorum cognosci potest. Hanc etiam
probationem inducit Proclus nisi quod meditationem ponit loco cogitationis et
opinionem loco meditationis. Et quidem circa hanc rationem manifestum est
quod causa prima est supra res sensibiles et imaginabiles et corruptibiles;
sed, quod sit supra res intelligibiles sempiternas, non est manifestum. Et
haec probatio hic praetermittitur, sed Proclus probat per hoc quod omnis
cognitio intellectualis vel rationalis est entium: illud enim quod primo
acquiritur ab intellectu est ens, et id in quo non invenitur ratio entis non
est capabile ab intellectu; unde, cum causa prima sit supra ens, consequens
est quod causa prima sit supra res intelligibiles sempiternas. Causa autem
prima, secundum Platonicos quidem, est supra ens in quantum essentia
bonitatis et unitatis, quae est causa prima, excedit etiam ipsum ens
separatum, sicut supra dictum est. Sed secundum rei veritatem causa prima est
supra ens in quantum est ipsum esse infinitum, ens autem dicitur id quod
finite participat esse, et hoc est proportionatum intellectui nostro cuius
obiectum est quod quid est ut dicitur in III de anima, unde illud solum est
capabile ab intellectu nostro quod habet quidditatem participantem esse; sed
Dei quidditas est ipsum esse, unde est supra intellectum. Et per hunc modum
inducit hanc rationem Dionysius I capitulo de divinis nominibus, sic dicens: si
cognitiones omnes existentium sunt, et si existentia finem habent, in
quantum scilicet finite participant esse, qui est supra omnem substantiam
ab omni cognitione est segregatus. Tertio ostendit quomodo causa prima
cognoscitur per effectum. Et dicit quod causa prima non significatur
in his quae de ipsa dicuntur, nisi ex causa secunda quae est intelligentia:
sic enim loquimur de Deo quasi de quadam substantia intelligente; et hoc ideo
quia intelligentia est suum causatum primum, unde est Deo simillima et
per ipsam maxime cognosci potest. Sed tamen non sufficienter cognoscitur per
eam, quia illud quod est intelligentia est in causa prima altiori modo,
causa autem excedens effectum non sufficienter cognosci potest per suum
effectum. Sic ergo patet quod causa prima superior est narratione,
quia neque per causam, neque per seipsam, neque per effectum sufficienter
cognosci aut dici potest. |
6) La Cause première est supérieure au
discours, et les langues échouent à discourir d'elle, du moins à discourir
sur son être, car elle est au-dessus de toute cause ; et on en peut
discourir seulement par les causes secondes, qui sont illuminées par la
lumière de la cause première.
Après avoir distingué
l’être supérieur dans son ensemble en trois degrés dont le premier, propre à
la cause première, est
au-dessus de l’éternité, le second, attribué à l’intelligence, est avec l’éternité,
et le troisième, appartenant à l’âme, est au-dessous de l’éternité et au-dessus du temps,
l’auteur de ce livre commence
ici à traiter de chacun de ces degrés séparément en commençant d’abord par la
cause première, puis en examinant en deuxième lieu l’intelligence à la
proposition 7 là où il dit : l’intelligence
est la substance etc. Enfin en troisième lieu il traite de l’âme à la
proposition 14 là où il dit : en
toute âme etc. Au sujet de la cause
première cependant, ce que nous pouvons savoir de meilleur c’est qu’elle
dépasse toute science et tout discours humains. En effet, celui qui connait le plus
parfaitement Dieu est celui qui tient de lui ceci, à savoir que tout ce qui
peut être pensé
et dit de Lui est bien en-deça de ce que Dieu est en réalité. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 1
de sa Théologie mystique que
l’homme, d’après la meilleure connaissance qu’il peut avoir de Dieu, est uni à
Lui comme à ce qui lui est absolument inconnu du fait qu’il ne connaît rien
de lui en reconnaissant que son être transcende tout esprit. Et pour le
montrer il présente cette proposition : la cause première dépasse tout discours. Mais par discours il
faut entendre affirmation car tout ce que nous affirmons de Dieu ne lui
convient pas dans le sens où cela est signifié par nous ; en effet, les
noms qui sont imposés par nous signifient selon le mode par lequel nous
connaissons alors que l’être divin transcende ce mode. C’est pourquoi Denys
dit au chapitre 2 de La Hiérarchie
Céleste qu’en ce qui concerne Dieu, les
négations sont vraies alors que les affirmations sont inconvenantes.
Aussi, c’est en ces termes que Proclus présente cette
proposition 123 : ¨tout ce
qui est de l’être par soi est indicible et inconnaissable par tout ce qui lui
est inférieur en raison de son unité suprasubstantielle mais peut être saisi
et connu par ce qui en participe : c’est pour cette raison que seul
Celui qui est premier est totalement
inconnu du fait qu’il est imparticipable ou que rien ne peut en participer.¨
En parlant d’¨être¨, il entend
toute forme idéale conformément aux positions des Platoniciens, par exemple
l’homme par soi, la vie par soi, et les autres formes de cette sorte qu’ils
appelaient des dieux ainsi que nous l’avons dit plus haut ; et selon eux
de telles formes possèdent une unité suprasubstantielle parce qu’elles
transcendent tous les sujets qui en participent ; et c’est pourquoi il
dit qu’aucune d’elle ne peut être nommée ou connue par ce qui lui est
inférieur, mais seulement par ce qui lui est supérieur : par exemple,
l’idée de vie peut être connue par l’idée d’être. Et bien que ces formes ne
peuvent être parfaitement connues et nommées par les formes inférieures,
elles peuvent cependant être saisies et connues en quelque sorte par ceux qui
en participent, c’est-à-dire au moyen de ceux qui y prennent part, tout comme
quelque chose peut être connu au sujet de la vie au moyen de ceux qui
participent de la vie. Mais ce qui est premier absolument, c’est-à-dire
l’essence même du bien selon les Platoniciens, cela demeure totalement ignoré
car il n’y a rien au-dessus de lui qui puisse Le connaître ; et c’est là
ce que l’auteur veut signifier lorsqu’il dit ¨imparticipable¨, c’est-à-dire qu’il n’existe pas suite à un
autre. Et parce que l’auteur de ce livre ne partage pas ce point de vue avec
les Platoniciens qui consiste à poser d’autres natures séparées idéales alors
que lui-même n’en pose qu’une seule ainsi que nous l’avons déjà dit, c’est
pourquoi, mettant de côté ces autres formes, il dit au sujet de cette cause
première qu’elle est supérieure à tout
discours. Et il en donne la cause en disant, tout comme Proclus, que
c’est en raison de suprasubstantialité, et c’est ce qu’il ajoute par cette
proposition : ¨Et les langues ne
sont impuissantes à discourir sur la cause première qu’en raison du sujet
même sur lequel porte le discours, à savoir elle-même, puisqu’elle est
elle-même au-dessus de toute cause¨. Et il montre par la suite de quelle
manière il est possible de discourir à son sujet en ajoutant : et on ne peut en discourir qu’au moyen des
causes secondes qui sont illuminées par la lumière de la cause première.
Et cela est identique à ce que Proclus a dit, à savoir qu’elle peut être saisie et connu par ce qui en participe. Et ce qui est dit dans
cette proposition est prouvé de cette façon. C’est de trois manières en effet
que quelque chose peut être connu. Premièrement à la manière dont un effet
est connu par sa cause ; deuxièmement comme une chose est connue par
elle-même ; troisièmement comme lorsque quelque chose est connu au moyen
de son effet. Il montre donc en premier lieu que la cause première ne peut
être connue de la première façon, c’est-à-dire par sa cause lorsqu’il dit que
la cause première ne cesse d’éclairer
ses effets et qu’elle-même n’est éclairée par aucune lumière car elle est
elle-même une pure lumière au-dessus de laquelle il n’y a aucune autre
lumière. Et pour comprendre cela il faut considérer que c’est au moyen de
la lumière corporelle que ce qui est visible devient connu par les sens et
c’est pourquoi ce qui sert à faire connaître quelque chose peut être appelé
¨lumière¨ par analogie. Mais le Philosophe prouve au neuvière livre de la Métaphysique que tout est connu au
moyen de ce qui existe en acte et c’est pourquoi l’actualité même d’une chose
est en un sens sa lumière et parce que c’est par sa cause qu’un effet tient
d’être en acte, il suit de là qu’il est illuminé et connu par sa cause. Mais
la cause première est acte pur sans aucun mélange avec de la potentialité et
c’est pourquoi elle est une pure lumière par laquelle tous les autres êtres
sont éclairés et deviennent connaissables. Et à partir de là il conclut par
la suite que seule la cause première est première à ce point qu’on ne puisse
en former aucun discours car il n’existe pas de cause qui lui soit supérieure
et au moyen de laquelle on pourrait en discourir ; on a l’habitude en
effet de discourir des choses au moyen de leurs causes. Et parce que c’est
par la connaissance qu’on procède à un discours, il montre par la suite que
la cause première, parce qu’elle est au-dessus de la connaissance, est aussi
au-dessus de tout discours : et il en est ainsi parce que le discours, c’est-à-dire l’affirmation,
est produit au moyen de la parole,
c’est-à-dire par un langage qui porte une signification, et que la parole est l’effet de l’intelligence puisque les sons de
voix significatifs sont les signes des concepts, et que l’acte d’intelligence est le résultat de la pensée, c’est-à-dire qu’il est produit
par la raison, et cela est vrai chez les hommes qui parviennent à
l’intelligence de la vérité par le raisonnement, et que la pensée est
produite par la méditation, c’est-à-dire par l’imagination et les autres
puissances sensibles intérieures qui sont au service de la raison humaine, et
que la méditation s’effectue par le sens car l’image est un mouvement produit
par le sens en acte ainsi qu’on le dit dans le livre intitulé de l’Âme, il résulte de là, puisque la
cause première transcende toute réalité, qu’elle transcende aussi tout ce que
nous venons d’énumérer. Et c’est aussi ce qu’affirme Denys au chapitre 1 des Noms Divins lorsqu’il dit : et à son sujet il ne peut exister aucune
sensation ni aucune image, ni
aucune opinion, ni aucun nom, ni aucun discours, ni aucune science, termes que notre
auteur remplace respectivement par méditation, raison, parole, langage et
intelligence. Mais en deuxième
lieu l’auteur montre que la cause
première ne peut être connue de la deuxième manière, c’est-à-dire par
elle-même et il le prouve par différentes sortes de connaissances : en
effet, parmi les choses qui peuvent être connues par elles-mêmes, il y a
celles qui sont connues par les sens, comme les réalités sensibles, d’autres
sont connues par la méditation ou l’imagination, comme les choses qu’on peut
imaginer et qui ne sont pas soumises à la sensation, d’autres par
l’intelligence, comme ce qui est nécessaire et immobile, d’autres par la raison ou la pensée, comme
les réalités qui sont sujettes à la génération et à la corruption et c’est au
sujet de cette modalité de connaissance que le Philosophe dit au livre 6 de l’Éthique que le raisonnement porte
sur les réalités qui peuvent être autrement ; il résulte de là, puisque
la cause première transcende tous ces genres de choses, qu’elle ne peut être
connue par aucune de ces formes de connaissance. C’est cette même preuve qui
est introduite par Proclus, sauf qu’il parle de méditation au lieu de pensée,
d’opinion au lieu de méditation. Et suivant ce raisonnement il est certes
évident que la cause première transcende les réalités sensibles imaginables
et corruptibles, mais qu’elle transcende les réalités intelligibles
éternelles, cela l’est moins. Et cette preuve est ici omise mais Proclus le
prouve par ceci que toute connaissance intellectuelle ou rationnelle est
relative aux êtres : en effet, ce qui est saisi en premier par
l’intelligence, c’est l’être et ce en quoi ne se retrouve pas la notion
d’être ne peut être saisi par l’intelligence ; il résulte de là que
puisque la cause première transcende l’être, que la cause première transcende
même les réalités intelligibles éternelles. Mais la cause première selon les
Platoniciens transcende l’être selon que l’essence même de la bonté et de
l’unité, qui est la cause première, transcende aussi l’être séparé lui-même
ainsi que nous l’avons dit plus haut. Mais en vérité la cause première
transcende tout ce qui existe en tant qu’elle est l’être même dans son
infinité alors qu’on appelle ¨êtres¨ ceux qui participent de l’être d’une
manière qui est limitée et la connaissance qui est proportionnée à notre
intelligence est celle dont l’objet est ¨ce qu’est la chose¨ ainsi qu’on le
dit au troisième livre de l’Âme d’où il résulte que seul ce qui possède une
quiddité qui participe de l’être peut être saisi par notre intelligence ;
mais la quiddité de Dieu est son être même et c’est pourquoi il transcende
toute intelligence. Et c’est de cette manière que Denys introduit ce
raisonnement au chapitre 1 des Noms
Divins lorsqu’il dit : si
toutes les connaissances se rapportent à ce qui existe et si tout ce qui
existe a une fin, c’est-à-dire selon qu’ils participent de l’être d’une
manière finie, celui qui transcende
toute substance est en-dehors ou inaccessible à toute connaissance. En troisième lieu il
montre comment la cause première est connue par ses effets. Et il dit que la
cause première n’est pas signifiée
dans les choses qui lui sont attribuées, si
ce n’est à partir de la cause seconde qui est l’intelligence : c’est
ainsi en effet que nous parlons de Dieu comme d’une certaine intelligence et
il en est ainsi parce que l’intelligence est son premier effet, ce qui explique qu’elle est ce qui Lui est le
plus semblable et que c’est par elle qu’Il peut le mieux être connu.
Cependant la cause première n’est pas suffisamment bien connue par elle parce
que la nature de l’intelligence existe dans la cause première d’une manière plus excellente encore
qu’elle n’existe en elle-même et que la cause qui dépasse l’effet ne peut
être suffisamment bien être connue par son effet. Ainsi donc il est clair que
la cause première transcende tout
discours parce qu’elle ne peut être connue ni par une cause, ni par
elle-même, et qu’elle ne peut pas même être connue et exprimée suffisamment
bien par ses effets. |
Lectio 7 [84242]
Super De causis, l. 7 Postquam primum gradum
superioris esse, scilicet primam causam, dixit inenarrabilem esse, nunc
accedit ad secundum gradum, scilicet ad intelligentias; et primo determinat
de intelligentia quantum ad sui substantiam, secundo quantum ad eius
cognitionem, in 8 propositione, ibi: omnis intelligentia scit et cetera.
Circa primum sciendum est quod ea quae sunt superioris ordinis cognosci non
possunt sufficienter per ea quae sunt ordinis inferioris, eo quod superiora
excedunt inferiorum modum et virtutem. Quia vero humana cognitio a sensu
initium sumit, ea quae nostris sensibus offeruntur, cognoscere sufficienter
possumus; sed ex his in superiorum cognitionem pervenire non possumus, nisi
secundum ea quae cum sensibilibus nobis notis habent communia. Ea vero quae
totaliter nostris sensibus offeruntur, sunt inferiora corpora cum quibus
superiora corpora in essentiae specie non conveniunt nec in naturae
conditione; conveniunt autem in ratione quantitatis et luminis et eorum quae
ad haec sequuntur, et ideo pertingere possumus ad cognoscendum de
superioribus corporibus et claritatem ipsorum, secundum quam sunt nobis
visibilia, et quantitatem magnitudinis et motus ipsorum, et figuram, et etiam
genus ipsorum secundum modum quo conveniunt in genere cum inferioribus corporibus;
propriam autem naturam ipsorum secundum rationem speciei scire non possumus,
nisi per negationem in quantum transcendit inferiorum corporum naturam, unde
Aristoteles in I de caelo probat caeleste corpus non esse neque grave, neque
leve, neque generabile, neque corruptibile. Similiter etiam intelligentia
transcendit totum ordinem corporalium rerum. Quia tamen sua quidditas vel
essentia non est ipsum suum esse, sed est res subsistens in suo esse
participato, ideo quodammodo convenit in genere cum corporibus quae etiam in
suo esse subsistunt; et sic secundum logicam intentionem utrumque ponitur in
genere substantiae. Et ideo intelligentia quidem notificari potest enarrative
sive affirmative quantum ad suum genus, ut dicatur esse substantia; sed
quantum ad differentiam specificam enarrari non potest, sed oportet quod per
negationem nobis notificetur in quantum transcendit totum ordinem corporalium
rerum quibus convenit divisibilitas. Et ideo, notificans intelligentiae
essentiam prout a nobis notificari potest, proponit hanc propositionem: intelligentia
est substantia quae non dividitur. Causa autem prima non est natura
subsistens in suo esse quasi participato, sed potius est ipsum esse
subsistens, et ideo est supersubstantialis et simpliciter inenarrabilis.
Ponit autem et Proclus in suo libro hanc propositionem CLXXI, sub his verbis:
omnis intellectus impartibilis est substantia. Quod autem dictum est
probatur per divisionem et, quantum ex verbis hic positis apparet,
praemittitur duplex divisio. Quarum prima est ex parte ipsius rei dividendae
quae habet magnitudinem stantem et quantitatem fluentem, sicut est in tempore
et motu; et hoc est quod dicit: quod est quia si non est cum magnitudine
neque corpus neque movetur, tunc procul dubio non dividitur. Per hoc enim
quod dicit: si non est cum magnitudine neque corpus, excludit
magnitudinem stantem, id est habentem situm; et dicit: neque cum
magnitudine neque corpus, quia corpus est magnitudo completa divisibilis
secundum omnem dimensionem, superficies autem et linea sunt magnitudines
incompletae secundum unam vel duas partes; vel, hoc quod dicit: si non est
cum magnitudine, ponitur ad excludendum ea quae sunt quanta per accidens,
sicut albedo et similia. Aliam divisionem ponit ex parte ipsius divisionis;
et dicit quod omne quod dividitur, vel dividitur secundum multitudinem, id
est secundum quantitatem discretam, vel secundum magnitudinem, quae est
divisio secundum quantitatem continuam habentem situm, vel secundum motum,
quae est divisio quantitatis continuae non habentis situm. Eadem enim est
divisio temporis et motus, ut probatur in VI physicorum. In prima autem
divisione praetermisit de multitudine, quia divisio quae est secundum numerum
consequitur divisionem continui, ut patet in III physicorum; et ideo in quibus
non est divisio secundum magnitudinem, non est divisio secundum multitudinem.
His autem divisionibus positis, ostendit quod nullo praedictorum modorum
intelligentia dividitur. Et videtur esse probatio talis: omne quod dividitur,
dividitur in tempore; est enim divisio quidam motus ab unitatem in
multitudinem; sed intelligentia non est in tempore, sed est in aeternitate
totaliter, ut supra habitum est in 2 propositione; ergo excedit omnem
praedictum divisionis modum. Et haec quidem est expositio huius propositionis
secundum quod ex verbis hic positis apparet. Sed sciendum est verba hic
posita ex vitio translationis esse corrupta, ut patet per litteram Procli,
quae talis est: si enim est sine magnitudine et incorporeus et immobilis,
impartibilis est. Quod vero sequitur, non inducitur per modum alterius
divisionis, sed per modum probationis; sic enim subdit: omne enim
qualitercumque partibile aut secundum multitudinem, aut secundum
magnitudinem, aut secundum operationes est partibile. Et statim probat
quod non sit partibile secundum operationes, nam addit: in tempore latas,
quasi dicat: omnes operationes partibiles sunt in tempore. Et subdit: intellectus
autem secundum omnia est aeternalis et ultra corpora, et unita est quae in
ipso multitudo; impartibilis ergo est. Singulum praedictorum supra
positorum ostendit. Et primo prosequitur de incorporeitate, sic dicens: quod
quidem igitur incorporeus sit intellectus, quae ad seipsum conversio
manifestat, est autem conversio intellectus ad seipsum in hoc quod
seipsum intelligit; corporum enim nullum ad seipsum convertitur. Et
hoc quidem supra probaverat, praemittens XV propositionem talem: omne quod
ad seipsum conversivum est, incorporeum est. Quod sic probat: nullum
enim corporum ad seipsum natum est converti. Si enim quod convertitur ad
aliquid copulatur illi ad quod convertitur, palam itaque quia et omnes partes
corporis, eius quod ad seipsum convertitur, ad omnes copulabuntur. Quod est
impossibile in omnibus partibilibus, propter partium separationem, aliis
earum alibi iacentibus. Et haec quidem probatio hic subditur satis
confuse, cum dicitur: et significatio quidem illius, scilicet quod
intelligentia non sit corpus, est reditio super essentiam suam, id est
quia convertitur supra seipsam intelligendo se, quod convenit sibi quia non
est corpus vel magnitudo habens unam partem ab alia distantem. Et hoc est
quod subdit: scilicet quia non extenditur, extentione scilicet
magnitudinis, cum re extensa, id est magnitudinem habente, ita
quod sit una suarum extremitatum secunda ab alia, id est ordine situs
ab alia distincta. Et, quia posset aliquis credere quod intelligentia
extenderetur intelligendo corpora quasi contingendo ipsa, hoc excludit
subdens: quod est quia quando vult scientiam rei corporalis, non
extenditur cum ea, ut scilicet sua magnitudine magnitudinem intelligat,
sicut Empedocles voluit, sed ipsa stat fixa secundum suam dispositionem,
id est non distrahitur in diversas partes. Et hoc probat per hoc quod subdit:
quoniam est forma a qua non pertransit aliquid. Magnitudo enim non est
nisi in materia, sed intelligentia est forma immaterialis a qua aliquid non
pertransit, vel quia una pars eius non distat ab alia, vel quia, licet sit
indivisibilis, nihil de re habente magnitudinem praeterit eius cognitionem;
subdit autem: et corpora quidem non sunt ita. Ex quo concludi potest
quod intelligentia non sit corpus. Deinde, secundum quod apparet ex verbis
hic positis, inducitur alia probatio ad ostendendum quod intelligentia non
sit corpus, quia scilicet tam eius substantia quam eius
operatio est indivisibilis, et utrumque habet unitatem indivisibilitatis
quod in corporibus esse non potest; nam corpus et secundum substantiam suam
dividitur divisione magnitudinis et secundum operationem suam dividitur
divisione temporis, quorum neutrum convenit intelligentiae. Sed in libro
Procli inducitur hoc ad probandum aliud membrum, scilicet ad ostendendum quod
intelligentia non dividitur secundum motum; dicit enim sic: quod autem
intellectus sit aeternalis, manifestat operationis ad substantiam identitas.
Et est virtus probationis huius quia res illa cui sua operatio accidentaliter
advenit, secundum illam operationem variationem recipit, ut quandoque
operetur et quandoque non operetur, vel quandoque magis quandoque minus
operetur; res autem illa cui convenit sua operatio secundum suam essentiam,
invariabiliter operatur, et talis est intelligentia cui convenit
intellectualis operatio secundum naturam suae essentiae. Deinde ostendit
tertium membrum, scilicet quod intelligentia non dividatur secundum
multitudinem, et ad hoc manifestandum inducit quod oportet aliquam
multitudinem in intelligentia ponere. Proveniunt enim bonitates multae a
causa prima, cuius multiplicationis ratio est quia intelligentia non potest
attingere ad simplicitatem unitatis primae causae, et ideo perfectio
bonitatis quae in prima causa est unita et simplex, multiplicatur in
intelligentia in plures bonitates. Et tamen, quamvis sit multitudo bonitatum
in intelligentia, tamen ista multa indivisibiliter sibi invicem cohaerent;
non enim potest esse quod retineat esse et amittat vitam, vel quod retineat
vitam et amittat cognitionem, sicut accidit in istis inferioribus. Et hoc
ideo quia, cum intelligentia sit primum creatum, propinquissima est primae
causae; et ideo, quae sunt in intelligentia, nobilissimo modo conveniunt ei
post primam causam, unitas autem et indivisibilitas nobilior est quam
divisio; unde intelligentia indivisibiliter habet multitudinem bonitatum quas
participat a causa prima. Et ad idem etiam redit probatio quam Proclus
inducit. Ultimo autem concludit propositum, quasi iam probatum, cum dicit:
iam ergo verificatum est et cetera. |
7) L’intelligence est une substance qui
n’est pas divisée
Après avoir dit que le
premier degré de l’être supérieur, à savoir la cause première, est indicible, l’auteur en vient à
traiter du second degré, c’est-à-dire des intelligences ; et en premier lieu il
traite de l’intelligence
quant à sa substance, deuxièmement quant à sa connaissance à la proposition 8
où il dit : ¨toute intelligence sait
etc. ». Au sujet du premier
point, il faut savoir que les
êtres qui sont d'un ordre supérieur ne peuvent
être suffisamment connus par ceux qui sont d'un ordre inférieur, du fait que
ceux qui sont supérieurs transcendent la manière d’être et la puissance de
ceux qui sont inférieurs. Mais parce que la connaissance humaine tire son
commencement de la sensation, nous pouvons suffisamment connaître les
réalités qui s’offrent à nos sens; mais à partir d’elles nous ne pouvons
parvenir à la connaissance des réalités supérieures que selon ce qu’elles ont
en commun avec les réalités sensibles connues de nous. Or les réalités qui s'offrent
totalement à nos sens sont les corps inférieurs avec lesquels les corps
supérieurs ne se rencontrent ni par l’espèce de l’essence ni par la condition de nature. Ils ont cependant du commun
avec eux sous le rapport de la quantité, de la lumière et des autres
attributs qui en découlent et c’est pourquoi nous pouvons parvenir à
connaître au sujet des corps supérieurs à la fois leur clarté du fait que
nous pouvons les voir, la quantité de leur grandeur et de leur mouvement,
leur figure et même leur genre d’après la manière par laquelle ils entrent
dans le même genre que les corps inférieurs ; mais nous ne pouvons connaître la
nature propre de ces corps sous le rapport de l’espèce que par la négation
pour autant qu’elle transcende la nature des corps inférieurs, d’où Aristote
prouve au premier livre du traité intitulé Du Ciel et du Monde que le corps céleste n’est ni léger ni lourd
et qu’il n’est soumis ni à la génération ni à la corruption. De la même manière aussi
l’intelligence transcende tout l’ordre des choses corporelles. Cependant, parce que sa
quiddité ou son essence n’est pas son être même mais qu’elle est une chose
subsistante dans son existence qui est participée, c’est pourquoi elle
ressemble en un sens au genre des corps qui subsistent eux aussi dans une
existence participée et c’est ainsi que les deux sont rangés, sous le rapport
de l’intention logique, dans le genre de la substance. Il suit de là que l’intelligence
peut certes faire l’objet d’une connaissance sous la forme d’un discours
explicatif par l’affirmation quant à son genre, comme lorsqu’on dit qu’elle
est une substance ; mais elle ne peut faire l’objet d’un tel discours
quant à sa différence spécifique et c’est plutôt par la négation qu’il faut
qu’elle nous soit alors connue en tant qu’elle transcende tout l’ordre des
choses corporelles auxquelles convient la divisibilité. Et c’est
pourquoi, pour nous faire connaître l’essence de l’intelligence dans la
mesure où elle peut nous être connue, l’auteur présente cette
proposition : l’intelligence est
la substance qui n’est pas divisée. Mais la cause première n’est pas une
nature qui subsiste dans une existence qui est participée mais elle est plutôt
l’être subsistant lui-même et c'est pourquoi elle est suprasubstantielle et absolument indicible. De son côté
Proclus se trouve à dire la même chose par cette proposition 171 dans son
livre : toute intelligence est une
substance indivisible. Et ce qui a été dit,
l’auteur le prouve par une division et, quant à ce qu’il semble à partir des
termes utilisés, c’est une double division qui est avancée, dont la première
se tient du côté de la chose même à diviser qui a une grandeur fixe et une
quantité changeante, comme c’est le cas pour ce qui est dans le temps et le
mouvement.
Et c'est
ce qu'il dit en ces termes: ¨Il en est
ainsi parce que si elle n'a ni grandeur, ni corps, ni mouvement, sans aucun
doute l’intelligence n'est pas divisée¨. En effet, en disant : si elle n’a ni grandeur ni corps, il
écarte la grandeur fixe, c’est-à-dire celle qui possède une position ;
et il dit : ni grandeur ni corps,
parce que le corps est une grandeur complète qui est divisible selon toutes ses
dimensions alors
que les
surfaces et les lignes sont des grandeurs incomplètes selon une ou deux
dimensions ; ou bien encore, lorsqu’il dit: ¨si elle est sans grandeur¨, il l’affirme aussi pour écarter ce
qui n’est quantité que par accident, comme la blancheur et les accidents de
cette sorte. La deuxième division est posée à partir de la division elle-même
alors qu’il dit que tout ce qui est divisé est divisé ou bien selon la
multiplicité, c’est-à-dire selon la quantité discrète, ou bien selon la
grandeur, ce qui constitue une division selon la quantité continue qui
possède une position, ou bien selon le mouvement, à savoir une division de la
quantité continue qui ne possède pas une position. La division du temps et
celle du mouvement ne sont en effet qu’une seule et même division comme le
prouve le Philosophe au sixième livre de la Physique. Mais dans la première division il a omis de parler de
la multiplicité parce que la division selon le nombre suit celle du continu comme
on le voit au troisième livre de la Physique et c’est pourquoi, là où il n’y a par de division selon la grandeur,
il n’y a pas non plus de division selon la multiplicité. Ayant
présenté ces divisions, l’auteur montre que l’intelligence n’est divisée
selon aucune de ces modalités. En voici la preuve : tout ce qui est divisé
est divisé dans le temps; toute division en effet est un certain mouvement de
l’unité vers la multiplicité. Or l’intelligence n’est pas dans le temps mais
elle est plutôt en totalité dans l’éternité comme nous l’avons montré dans la
proposition 2 ; elle transcende donc toutes les
sortes de division dont nous avons parlé. Telle est certes l’explication
de cette proposition telle qu’elle se manifeste à nous à partir des termes
mêmes qui ont été utilisés ici. Mais il faut savoir que les termes présentés ici ont
été altérés par un vice de transcription comme on le voit par le texte de
Proclus que voici : si en effet
elle est sans dimension, incorporelle et immobile, elle est indivisible.
Et ce qui suit n’est pas introduit à la manière d’une autre division mais à
la manière d’une preuve ; et c’est ainsi qu’il ajoute : en effet, tout ce qui est divisible de
quelque manière que ce soit est divisible ou bien par la multiplicité, ou
bien par la grandeur, ou bien par les opérations. Et tout de suite après, Proclus
prouve que l’intelligence n’est pas divisible selon ses opérations, car il ajoute : répandues dans le temps, comme s’il
disait que toutes les opérations
sont divisibles dans le temps. Et il ajoute : ¨L'intelligence cependant est éternelle et au-delà des corps sous tous
les rapports, et la multiplicité qui est en elle est unifiée ; elle est
donc indivisible¨. Puis il manifeste chacun des points qu’il vient de
présenter et
le premier
qu’il examine est celui qui se rapporte à l’incorporéité de
l’intelligence : Ce qui manifeste certes que l'intelligence soit incorporelle, c’est ce que manifeste le retour
qu’elle fait sur elle-même et il y a retour de l’intelligence sur elle-même
en ce sens qu’elle se saisit elle-même par son intellection alors qu’aucun
corps n’est capable d’un tel retour sur lui-même Et il avait certes prouvé
cela plus haut à la proposition 15 où il dit : tout ce qui a la capacité de faire un retour sur soi-même est
incorporel, ce qu’il prouve de la manière qui suit : rien de corporel ne possède l’aptitude à
faire un retour sur soi-même ; si en effet ce qui se tourne vers quelque
chose doit s’unir à ce vers quoi il se tourne, il est clair que toutes les
parties du corps de celui qui fait un retour sur lui-même seront unies à
toutes ses parties : ce qui est impossible pour tout ce qui est
divisible en raison de la séparation des parties, les parties différentes
occupant un endroit différent. Et certes cette preuve est ajoutée ici d’une manière
assez confuse puisqu’il dit : et
certes la signification de cela, à savoir que l’intelligence n’est pas un
corps, c’est le retour qu’elle fait sur
son essence, c’est-à-dire qu’elle fait un retour sur elle-même en se
saisissant elle-même par son acte d’intellection, ce qui lui convient parce
qu’elle n’est pas un corps ou une grandeur ayant des parties éloignées les
unes des autres. Et c’est là ce qu’il ajoute : à savoir parce qu’elle n’est pas coextensive, c’est-à-dire par
une extension de la grandeur, à la chose étendue, à savoir à celle qui a une
grandeur, de telle manière qu’une de
ses extrémités soit après l’autre, c’est-à-dire distincte de l’autre dans
l’ordre de la position. Et parce qu’on pourrait croire que l’intelligence
prendrait de l’extension en intelligeant les choses corporelles et comme en
les atteignant, il écarte cela en ajoutant : et il en est ainsi parce que lorsqu’elle veut la science des choses
corporelles, elle ne lui devient pas coextensive de telle manière qu’elle
saisirait la grandeur par la grandeur comme le voulait Empédocle, mais elle-même demeure la même suivant sa
disposition, c’est-à-dire qu’elle ne se répand pas en différentes
parties. Et il le prouve au moyen de ce qu’il ajoute : parce qu’elle n’est pas une forme de
laquelle s’écoule quelque chose. La grandeur en effet n’existe que dans
la matière mais l’intelligence est une forme immatérielle d’où rien ne s’écoule
soit parce que ses parties ne sont pas distantes les unes des autres, soit
parce que, bien qu’elle soit indivisible, rien de ce qui appartient à la
chose qui possède de la grandeur n’est inaccessible à sa connaissance ;
il ajoute cependant : mais il n’en
est certes pas ainsi pour les corps. Il résulte de là qu’on peut conclure
que l’intelligence n’est pas un corps. Ensuite, d’après ce qui semble en
s’appuyant sur les termes utilisés ici, une autre preuve est introduite pour
montrer que l'intelligence n’est pas un
corps, c’est-à-dire puisque sa
substance, tout comme son opération,
est indivisible et que les deux possèdent une unité d’indivisibilité qu’on ne
peut retrouver dans les corps ; car le corps est divisé à la fois selon
sa substance par une division de la grandeur et selon son opération par une
division du temps et aucune de ces divisions ne convient à l’intelligence.
Mais voici ce qui est introduit dans le livre de Proclus pour prouver un
autre membre de la division, à savoir pour montrer que l’intelligence n’est
pas divisée selon le mouvement, lorsqu’il parle ainsi : mais ce qui manifeste que l’intelligence
soit éternelle, c’est l’identité de l’opération et de la substance. Et la
puissance de cette preuve consiste en ceci que cette réalité à laquelle
l’opération advient accidentellement reçoit un changement suivant cette
opération puisque parfois elle pose une opération et parfois non, ou qu’elle
la pose parfois davantage et parfois moins ; mais au contraire cette
réalité, à savoir celle à laquelle son opération convient selon son essence,
pose son opération d’une manière invariable et c’est le cas de l’intelligence
à laquelle l’opération intellectuelle convient selon la nature de son
essence. Il manifeste ensuite le troisième membre de la division, à savoir
que l’intelligence n’est pas divisée selon la multiplicité, et pour le
manifester il avance qu’il faut poser une certaine multiplicité dans
l’intelligence. Il y a en effet une multiplicité de biens qui procèdent de la
cause première et la raison en est que l’intelligence ne peut parvenir à la
simplicité de l’unité de la cause première et c’est pourquoi la perfection du
bien qu’on retrouve dans la cause première est unifiée et simple, alors que
dans l’intelligence elle se trouve à être multipliée en de nombreux biens.
Cependant, bien qu’il y ait une multiplicité de biens dans l’intelligence,
ces derniers forment en elle un tout indivisible ; il ne lui est pas
possible en effet de retenir l’existence sans la vie et la vie sans la
connaissance comme cela est possible chez les réalités inférieures. Et il en
est ainsi parce que, puisque l’intelligence est le premier être créé, elle est
l’être qui est le plus proche de la cause première et c’est pourquoi, vu que
l’indivisibilité est supérieure à la division, les biens qui se trouvent dans
l’intelligence lui conviennent selon une modalité qui, après celle de la
cause première, est la plus élevée ; d’où il résulte que l’intelligence
possède de manière indivisible cette multiplicité de biens qu’elle tient grâce
à une participation de la cause première. Et la preuve que Proclus introduit
revient au même. Et finalement il termine son propos comme ayant déjà été
prouvé lorsqu’il dit : ¨nous avons
donc déjà manifesté la vérité de cette proposition etc.¨ |
Lectio 8 [84243]
Super De causis, l. 8 Posita notificatione
intelligentiae quantum ad eius substantiam, hic incipit manifestare
cognitionem ipsius. Et primo declarat modum quomodo cognoscat alia a se,
secundo quomodo cognoscat seipsam et hoc 13 propositione, ibi: omnis
intelligentia intelligit essentiam suam et cetera. Circa primum tria facit.
Primo declarat modum quomodo cognoscit intelligentia et superiora et
inferiora; secundo ostendit quid sit ea superius, 9 propositione, ibi: omnis
intelligentiae fixio etc.; tertio ostendit quomodo se habeat in cognitionem
inferiorum, ibi: omnis intelligentia est plena formis, 10 propositione. Ad
declarandum igitur modum quomodo intelligentia cognoscat et superiora et
inferiora, ponit talem propositionem: omnis intelligentia scit quod est
supra se et quod est sub se: verumtamen scit quod est sub se quoniam est
causa ei, et scit quod est supra se quia acquirit bonitates ab eo. Cuius
quidem propositionis intellectus quantum ad superficiem videtur esse quod
causalitas sit intelligentiae ratio intelligendi. Et hoc quidem, si recte
consideretur, non habet veritatem, neque quantum ad id a quo causatur
intelligentia, neque quantum ad ea quae causat: non enim causatur a sua causa
per suam scientiam, sed potius per scientiam causae causantis ipsam; ea vero
quae sub se sunt, quamvis intelligentia causet per suam scientiam, non tamen
ideo scit ea quia causat ea, sed potius ideo causat ea quia scit ea. Verus
autem intellectus huius propositionis est sic accipiendus. Manifestum est
enim quod in ordine rerum causa altiorem gradum obtinet quam causatum; si
igitur aliquid sit et causa et causatum, medium gradum obtinet inter utrumque,
et huiusmodi est intelligentia, nam ipsa causatur a causa prima et est infra
eam, causat autem quodammodo ea quae sunt sub ipsa, ut in 3 propositione est
expositum, et ita est supra ea. Vult ergo dicere quod, secundum gradum suum
quo est causa et causatum, medio modo se habet in intelligendo, nam
intelligit id quod est supra se inferiori modo quam illud sit in seipso, quae
autem sunt infra se intelligit altiori modo quam sint in seipsis. Et in hoc
etiam sensu inducitur in libro Procli CLXXIII propositione, quae talis est: omnis
intellectus intellectualiter est et quae ante ipsum et quae post ipsum;
quia scilicet tam superiora quam inferiora sunt in intellectu secundum modum
eius, id est intellectualiter. Et ad hunc etiam sensum inducitur haec
probatio. Dicit enim quod intelligentia quidem est substantia
intelligibilis, quia scilicet esse intelligibile convenit ei ratione suae
essentiae; ergo secundum modum suae substantiae scit res quas acquirit
desuper et res quibus est causa. Et huius ratio est quia unaquaeque res
operatur secundum modum formae suae quae est operationis principium, sicut
calidum calefacit secundum modum sui caloris; unde oportet quod omne
cognoscens cognoscat secundum formam quae est cognitionis principium,
scilicet secundum similitudinem rei cognitae, quae quidem est in cognoscente
secundum modum substantiae eius; unde oportet quod omne cognoscens secundum
modum suae substantiae cognoscat quidquid cognoscit. Cum ergo intelligentia
secundum modum suae substantiae sit causa et causatum, erit ipsa quasi quidam
terminus vel limes determinans sive distinguens superiora ab inferioribus,
ita scilicet quod superiora cognoscit per modum suae substantiae inferiori
modo quam res superior sit in seipsa, inferiora vero cognoscit altiori modo
quam sint in seipsis. Quod quidem est intelligendum ut modus cognitionis
accipiatur ex parte cognoscentis, quia scilicet, quamvis causa prima sit
superintellectualis, intelligentia non cognoscit eam superintellectualiter
sed intellectualiter, et similiter, quamvis corpora sint materialia et
sensibilia in seipsis, intelligentia tamen non cognoscit ea sensibiliter et
materialiter sed intellectualiter. Si vero accipiatur modus cognitionis ex
parte rei cognitae, sic cognoscit unumquodque prout est in seipso: cognoscit
enim intelligentia quod causa prima est superintellectualiter in seipsa et
quod res corporales habent in seipsis esse materiale et sensibile. Et ex his
patet intellectus omnium eorum quae hic dicuntur. |
8) « Toute intelligence connaît ce qui
est au-dessus d’elle et ce qui est au-dessous d'elle : mais elle connaît ce
qui est au-dessous d'elle parce qu'elle en est la cause, et elle connaît ce
qui est au-dessus d'elle parce qu’elle en reçoit les bontés »
Ayant avoir manifesté
ce qu'est l’intelligence quant à
sa substance, l’auteur commence ici à en traiter sous le
rapport de sa connaissance. Et en premier lieu annonce le mode selon lequel elle connait les choses qui sont autres qu’elle; en deuxième lieu, à la
proposition 13, comment
elle se connaît elle-même, où il dit : ¨Toute
intelligence saisit son essence par son intellection etc¨. Au sujet du premier point, il fait trois choses. En premier lieu
il signifie le mode selon lequel l’intelligence connait à la fois ce qui lui est supérieur
et ce qui lui est inférieur; en deuxième lieu il montre à la proposition 9 ce
qui lui est supérieur, là où il dit : ¨La stabilité de toute intelligence etc.¨; il montre enfin en
troisième lieu, à la proposition 10, comment elle connaît ce qui lui est
inférieur, là où il dit : ¨toute
intelligence est pleine de formes etc.¨ Donc, pour signifier le
mode selon lequel l’intelligence connaît à la fois ce qui lui est supérieur
et ce qui lui est inférieur, il présente cette proposition : ¨toute intelligence connaît ce qui est
au-dessus d’elle et ce qui est au-dessous d’elle mais cependant elle connaît
ce qui est au-dessous d’elle parce qu’elle en est la cause alors qu’elle
connaît ce qui est au-dessus d’elle parce que c’est de là qu’elle tient ses
biens.¨ Certes, le sens de cette proposition semble être au premier coup
d’œil que la causalité de l’intelligence soit la raison de son intellection.
Mais si on considère attentivement et correctement cette interprétation, elle
n’est vraie ni quant à ce par quoi l’intelligence est causée, ni quant aux
choses qu’elle cause : en effet, ce n’est pas au moyen de sa science à
elle qu’elle est causée par sa cause mais c’est plutôt au moyen de la science
de la cause qui la cause ; mais pour ce qui est des choses qui sont sous
elle, bien que l’intelligence les cause par sa science, ce n’est cependant
pas parce qu’elle les cause qu’elle les connaît, mais plutôt parce qu’elle
les connaît qu’elle les cause. C’est ainsi que doit se prendre la vraie
interprétation de cette proposition. Il est manifeste en effet que dans
l’ordre des choses la cause tient un rang plus élevé que l’effet. Si donc il
existe un être qui est à la fois cause et effet, il tient un rang intermédiaire entre l’un et l’autre, et l’intelligence est un être
de cette sorte car elle se trouve à être causée par la cause première et lui
est inférieure mais elle cause en quelque sorte les choses qui sont sous
elle, ainsi que nous l’avons expliqué à la proposition 3, et elle leur est
par conséquent supérieure. L’auteur veut donc dire ici que d’après son rang par
lequel l’intelligence est cause et effet, elle intellige d’une manière
intermédiaire ; car elle intellige ce qui est au-dessus d’elle d’une
manière qui est inférieure à la manière dont cet Être existe en lui-même,
mais elle intellige les choses qui sont sous elle d’une manière qui est
supérieure à la manière dont ces choses existent en elles-mêmes. Et c’est
pour signifier la même chose que Proclus introduit l’énoncé suivant à la
proposition 173 de son livre : ¨toute
intelligence est intellectuellement à la fois ce qui lui est antérieur et ce
qui lui est postérieur¨, c’est-à-dire parce que les réalités supérieures,
tout comme celles qui sont inférieures, existent dans l’intelligence selon le
mode qui lui est propre, c’est-à-dire d’une manière intellectuelle. Et c’est
aussi à cette signification qu’il faut ramener cette preuve de la proposition
8. L’auteur dit en effet que l’intelligence
est certes une substance intelligible, c’est-à-dire parce que
l’intelligibilité lui convient en raison de son essence ; c’est donc suivant le mode de sa substance
qu’elle connaît les choses qu’elle acquiert d’en haut et celles dont elle est
la cause. Et la raison en est que toute réalité opère suivant la modalité
de sa forme qui est le principe de l’opération tout comme le chaud réchauffe
suivant la modalité de sa chaleur ; c’est pourquoi il faut que tout être
connaissant connaisse selon la forme qui et le principe de la connaissance, à
savoir d’après une similitude de la chose connue, laquelle chose existe certes
dans celui qui connaît suivant le mode de sa substance à lui ; il
résulte de là qu’il faut que tout être connaissant connaisse tout ce qu’il
connaît suivant le mode de sa substance. Donc, puisque c’est suivant le mode
de sa substance que l’intelligence est cause et effet, elle sera elle-même
comme un certain terme ou une limite qui détermine ou distingue les réalités
supérieures de celles qui sont inférieures, c’est-à-dire de telle manière que,
suivant le mode de sa substance, elle connaisse celles qui sont supérieures
d’une manière qui est inférieure à celle par laquelle ces dernières existent
en elles-mêmes, mais les réalités inférieures d’une manière qui est
supérieure à celle par laquelle ces réalités existent en elles-mêmes. Et cela
doit certes s’entendre de telle manière que le mode de connaissance doit se
prendre du côté de celui qui connaît, c’est-à-dire que bien que la cause
première soit supra-intellectuelle, l’intelligence ne la connaît pas
supra-intellectuellement, mais intellectuellement et de la même manière, bien
que les corps soient matériels et sensibles en eux-mêmes, cependant
l’intelligence ne les connaît pas d’une manière sensible et matérielle, mais
intellectuellement. Mais si on considère le mode de connaissance du côté de
la chose connue, l’intelligence connaît alors chaque chose selon ce qu’elle
est en elle-même : l’intelligence connaît en effet que la cause première
existe supra-intellectuellement en elle-même et que les choses corporelles
possèdent en elles-mêmes une existence matérielle et sensible. Et c’est
ainsi, suite à tout ce que nous avons dit ici, que cette proposition devient
claire. |
Lectio 9 [84244]
Super De causis, l. 9 Postquam posuit modum quo
intelligentia cognoscit quod supra se est et id quod sub ipsa est, hic
ostendit quid sit supra ipsam, inducens propositionem ad manifestandum quod
intelligentia dependet ex causa prima, quae talis est: omnis
intelligentiae fixio et essentia est per bonitatem puram quae est per causam
primam. Hanc autem propositionem Proclus ponit sed universalius, dicens
XII propositione sui libri: omnium entium principium et causa prima bonum
est. Idem autem significatur in hac propositione quod dicitur bonitas
pura et quod in propositione Procli dicitur bonum. Bonitas enim
pura dicitur bonitas non participata, sed ipsa essentia bonitatis subsistens,
quam Platonici vocabant ipsum bonum; quod quidem essentialiter et pure
et prime bonum oportet quod sit prima causa omnium, quia, ut Proclus probat,
semper causa est melior causato, unde oportet id quod est prima causa esse
optimum; hoc autem est id quod est ipsa bonitatis essentia, unde oportet id
quod est essentialiter bonum esse primam omnium causam. Et hoc est quod
Dionysius dicit I capitulo de divinis nominibus: quoniam autem Deus est
ipsa bonitatis essentia per ipsum suum esse, omnium est existentium causa.
Unde et intelligentiae quae habent esse et bonitatem participatam, oportet
quod dependeant a bonitate pura sicut effectus a causa; et hoc est quod dicit
quod intelligentiae fixio et essentia est per bonitatem puram, quia
scilicet intelligentia ex prima bonitate habet esse fixum, id est immobiliter
permanens. Hoc autem probat dupliciter, primo quidem per effectum ipsius
intelligentiae. Et consistit vis suae probationis in hoc quia, si alicuius
rei propria operatio inveniatur in re alia, oportet ex necessitate quod res
illa habeat ex participatione alterius hanc operationem sicut effectus habet
aliquid a causa: puta, si ferrum ignitum faciat propriam operationem ignis
adurendo, oportet dicere quod hoc ferrum habeat ab igne sicut effectus a
causa. Est autem propria operatio ipsius Dei quod sit universalis causa
regitiva omnium, ut in 3 propositione habitum est; unde ad hanc operationem
nihil pertingere potest nisi in quantum participat illud a prima causa sicut
effectus eius. Quia vero causa prima est maxime una, quanto aliqua res fuerit
magis simplex et una, tanto magis appropinquat ad causam primam et magis
participat propriam operationem ipsius. Intelligentiae vero sunt maioris
unitatis et simplicitatis quam res inferiores; cuius signum est quia
quaecumque sunt infra intelligentiam habentia cognoscitivam virtutem, non
possunt attingere ad cognoscendum intelligentiae substantiam propter excessum
simplicitatis ipsius, per quam etiam rationem sensus corporeus deficit a
cognitione rei intelligibilis. Et quod sit simplicior ex hoc manifestatur
quia est causa rerum inferiorum per modum quod supra dictum est in 3
propositione; et hoc manifestatur per id quod subsequitur quia intelligentia
regit omnes res quae sunt sub ea per virtutem divinam quae est in ea,
intelligitur autem in regimine ordinatio et motio inferiorum ad finem, et per
huiusmodi virtutem divinam in se existentem retinet, id est conservat, res ab
impedimentis sui regiminis,- haec enim duo, scilicet regere et retinere, sunt
propria causae in comparatione ad effectum,- ideo intelligentia per
virtutem divinam regit res et retinet eas, quia per ipsam est causa rerum.
Quomodo autem retineat res inferiores manifestat per hoc quod subdit quod ipsa
retinet causas omnes quae sunt sub ea, et comprehendit eas, imprimendo
scilicet eis virtutem suam; non enim est causa omnium inferiorum immediate,
nisi mediantibus causis inferioribus. Hoc autem quod dixerat probat
consequenter per hoc quia omne quod est primum in rebus et causa eis,
retinet illas res et regit eas, ut dictum est. Et nihil eorum quae
subsunt alicui causae, possunt eximi a regimine et retentione suae causae per
aliquam virtutem extraneam. Et ideo cum intelligentia sit prima respectu
inferiorum, et per consequens causa eorum per modum praemissum, consequens
est quod habeat respectu inferiorum quasi officium principis in retinendo et
regendo. Sic enim videmus quod etiam ea quae sunt infra intelligentiam habent
virtutem regitivam per virtutem intelligentiae, sicut per naturam,
quae est principium motus in rebus naturalibus, reguntur et retinentur ea
quae subsunt naturae; unde similiter intelligentia regit naturam et
alia quae sibi subsunt per virtutem divinam. Sic igitur ex
superioribus probatum est quod intelligentia quasi princeps regit et retinet
inferiora per virtutem superioris causae, et hoc ideo quia ipsa est causa
earum; et quod sit causa procedit ex hoc quod est vehementioris unitatis. Sed
quomodo ex hoc quod est causa, sequatur quod retineat causata et regat,
nondum erat probatum. Et ideo huius probationem subdit: et intelligentia
quidem non est facta retinens res quae sunt post ipsam et regens eas et
suspendens virtutem suam super eas, nisi quoniam ipsae non sunt virtus
substantialis ipsi, immo ipsa est virtus virtutum substantialium, quoniam est
causa eis. Cuius probationis haec virtus est quia unaquaeque res regitur
et conservatur per aliquam virtutem suam, per quam aliquid operatur ad finem
et impedimentis resistit; sed virtus causati dependet ex virtute causae et
non e converso. Cum enim virtus sit operandi principium in unoquoque, necesse
est quod illud sit virtus virtutis alicuius rei a quo habet quod sit operandi
principium. Dictum est autem in 1 propositione quod causa inferior operatur
per virtutem causae superioris, unde virtus causae superioris est virtus
virtutis causae inferioris; et per hunc modum dicit quod virtus
intelligentiae est virtus virtutum substantialium, id est virtutum
quae sunt propriae substantiis inferiorum rerum. Sic igitur patet quod
intelligentia regit et retinet res inferiores, virtutem suam expandens super
eas, ex hoc quod est causa eis. Quae autem sint inferiora quae regit,
ostendit subdens quod intelligentia comprehendit generata, id est
continet sub se sicut effectus quos regit et retinet, res generabiles et
corruptibiles, et naturam, quae est principium motus in ipsis et invenitur
primo in primo corporum; comprehendit etiam horizontem naturae, scilicet
animam - dictum est enim supra in 2 propositione quod anima est in horizonte
aeternitatis et temporis, existens infra aeternitatem et supra tempus - quia ipsa
est supra naturam, quae est principium motus qui tempore mensuratur. Quod
autem intelligentia comprehendat omnia supradicta, probat per hoc quod natura
continet generationem, id est res generatas, tamquam principium
generationis existens: particularis quidem natura generationis particularis;
universalis autem natura quae est in corpore caelesti comprehendit
universaliter omnem generationem sicut suum effectum. Anima vero continet
naturam, quia secundum opinionem ponentium corpora caelestia animata,
quam auctor huius libri supponit, anima est principium motus primi corporis
et consequenter omnium motuum naturalium, ut in 3 propositione habitum est.
Et iterum intelligentia continet animam, quia anima ab intelligentia
participat intelligibilem operationem, sicut in eadem propositione dictum
est. Unde concludit quod intelligentia continet omnes res, quia
quidquid continetur a contento continetur a continente, et repetit causam
quare hoc conveniat intelligentiae, scilicet propter virtutem causae primae
cuius est proprium supereminere omnibus, non per virtutem alterius, sed per
propriam virtutem; ipsa enim per suam virtutem divinam est causa
intelligentiae et animae et naturae et reliquarum rerum scilicet
generabilium et corruptibilium. Sic igitur ostensum est quod intelligentia
dependet a causa prima per hoc quod ab ea habet virtutem universalem
continendi inferiora. Deinde cum dicit: et causa quidem prima etc., ostendit
idem ex conditione causae primae, quasi demonstratione ostendente propter
quid; nam praemissa probatio fuit magis per signum. Et primo ponit
probationem, secundo excludit obiectionem, ibi: quod si dixerit aliquis et
cetera. Dicit ergo primo, quasi proponens quod probare intendit, quod causa
prima neque est intelligentia neque anima neque natura, sed est supra omnia
ista, quasi creatrix eorum cum quodam ordine, nam intelligentiam creat
immediate, animam vero et naturam et reliquas res mediante intelligentia.
Quod intelligendum est, sicut supra dictum est in 3 propositione, non quod
esse eorum sit creatum ab intelligentia, sed quia ista secundum suam
essentiam sunt creata solum a causa prima, per intelligentiam vero sortiuntur
quasdam perfectiones superadditas. Hoc autem quod causa prima creet omnia
praedicta, incipit probare, ibi: et scientia quidem divina et cetera. Ad
cuius probationis intellectum sciendum est quod perfectionum provenientium in
rebus a causa prima aliquid est quod pervenit ad omnia etiam usque ad
generabilia et corruptibilia, scilicet esse; aliquid autem est quod non
pervenit ad effectus in quantum sunt effectus, sed solum ad causas in quantum
sunt causae, scilicet virtus, unde participatio virtutis pervenit usque ad
naturam quae habet rationem principii; aliquid vero est quod pervenit usque
ad animam intellectualem, scilicet scientia, quae tamen inferiori modo est in
anima quam in intelligentia, nam intelligentiae convenit sine motu in quantum
statim apprehendit veritatem, animae vero convenit cum quodam motu prout ex
uno procedit ad aliud. Sic igitur ad intelligentiam et animam pervenit et
esse et virtus et scientia, ad naturam esse et virtus, ad generata esse
tantum. Si igitur causa prima est causa omnis scientiae et virtutis et totius
esse, consequens est quod ab ipsa omnia creentur. Quod autem sit omnium horum
causa probat per hoc quod id quod est primum et excellentissimum in unoquoque
ordine est causa omnium consequentium in ordine illo; sed causa prima habet
scientiam excellentiorem omni scientia, et virtutem excellentiorem omni
virtute, et esse excellentius omni ente: est igitur causa omnis scientiae et
virtutis et esse. Et ex hoc sequitur quod sit creatrix et intelligentiae et
animae et naturae et reliquorum. Primo ergo manifestat de scientia, et dicit
quod scientia divina non est sicut scientia intelligibilis, quia
scientia intelligentiae est per participationem rei intellectae, et multo
minus est sicut scientia animalis, quae non solum est per
participationem rei intellectae sed etiam per participationem luminis
intellectualis ab intelligentia mobiliter se habens circa scientiam. Immo
scientia divina est supra scientiam intelligentiae et supra scientiam animae,
quia immobiliter et absque omni participatione intelligibilis luminis vel rei
intellectae habet scientiam essentialem, per suam essentiam cognoscens res,
et hoc ideo est quia ipsa est creatrix omnis scientiae; unde oportet quod sit
omni scientia superior. Idem autem prosequitur de virtute, et dicit quod virtus
divina est supra omnem virtutem intelligibilem et animalem et naturalem,
quia et intelligentia et anima et natura habent virtutem participatam ab
alio, sicut virtus causae secundae participatur a virtute causae primae quae
non est participata ab alio, sed ipsa est causa omnis virtutis.
Similiter etiam prosequitur quantum ad esse, ostendens quod causa prima habet
altiori modo esse quam omnia alia. Nam intelligentia habet yliatim, id
est aliquid materiale vel ad modum materiae se habens; dicitur enim yliatim
ab yle, quod est materia. Et quomodo hoc sit, exponit subdens: quoniam est
esse et forma. Quidditas enim et substantia ipsius intelligentiae est
quaedam forma subsistens immaterialis, sed quia ipsa non est suum esse, sed
est subsistens in esse participato, comparatur ipsa forma subsistens ad esse
participatum sicut potentia ad actum aut materia ad formam. Et similiter
etiam anima est habens yliatim, non solum ipsam formam subsistentem sed
etiam ipsum corpus cuius est forma. Similiter etiam natura est habens
yliatim, quia corpus naturale est vere compositum ex materia et forma.
Causa autem prima nullo modo habet yliatim, quia non habet esse participatum,
sed ipsa est esse purum et per consequens bonitas pura quia unumquodque in
quantum est ens est bonum; oportet autem quod omne participatum derivetur ab
eo quod pure subsistit per essentiam suam; unde relinquitur quod essentia
intelligentiae et omnium entium sit a bonitate pura causae primae. Sic igitur
patet ratio quare supra dixit quod causa prima non est intelligentia neque
anima neque natura, quia eius scientia excedit scientiam intelligentiae
et animae, et eius virtus excedit omnem virtutem, et eius esse omne esse.
Deinde cum dicit: quod si dixerit aliquis etc., excludit quamdam obiectionem.
Posset enim aliquis dicere quod, si causa prima sit esse tantum, videtur quod
sit esse commune quod de omnibus praedicatur et quod non sit aliquid
individualiter ens ab aliis distinctum; id enim quod est commune non
individuatur nisi per hoc quod in aliquo recipitur. Causa autem prima est
aliquid individuale distinctum ab omnibus aliis, alioquin non haberet
operationem aliquam; universalium enim non est neque agere neque pati. Ergo
videtur quod necesse sit dicere causam primam habere yliatim, id est aliquid
recipiens esse. Sed ad hoc respondet quod ipsa infinitas divini esse, in
quantum scilicet non est terminatum per aliquod recipiens, habet in causa
prima vicem yliatim quod est in aliis rebus. Et hoc ideo quia, sicut in aliis
rebus fit individuatio rei communis receptae per id quod est recipiens, ita
divina bonitas et esse individuatur ex ipsa sui puritate per hoc scilicet
quod ipsa non est recepta in aliquo; et ex hoc quod est sic individuata sui
puritate, habet quod possit influere bonitates super intelligentiam et
alias res. Ad cuius evidentiam considerandum est quod aliquid dicitur
esse individuum ex hoc quod non est natum esse in multis; nam universale est
quod est natum esse in multis. Quod autem aliquid non sit natum esse in
multis hoc potest contingere dupliciter. Uno modo per hoc quod est
determinatum ad aliquid unum in quo est, sicut albedo per rationem suae
speciei nata est esse in multis, sed haec albedo quae est recepta in hoc
subiecto, non potest esse nisi in hoc. Iste autem modus non potest procedere
in infinitum, quia non est procedere in causis formalibus et materialibus in
infinitum, ut probatur in II metaphysicae; unde oportet devenire ad aliquid
quod non est natum recipi in aliquo et ex hoc habet individuationem, sicut
materia prima in rebus corporalibus quae est principium singularitatis. Unde
oportet quod omne illud quod non est natum esse in aliquo, ex hoc ipso sit
individuum; et hic est secundus modus quo aliquid non est natum esse in
multis, quia scilicet non est natum esse in aliquo, sicut, si albedo esset
separata sine subiecto existens, esset per hunc modum individua. Et hoc modo
est individuatio in substantiis separatis quae sunt formae habentes esse, et
in ipsa causa prima quae est ipsum esse subsistens. |
9) La stabilité et l’essence de toute
intelligence lui viennent du bien pur qui est la cause première.
Après avoir présenté le mode par
lequel l'intelligence connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui
est en dessous d'elle,
l’auteur montre ici ce qui est au-dessus d'elle, en introduisant cette proposition destinée à manifester que l’intelligence dépend de la cause
première : ¨La stabilité et l’essence de toute
intelligence lui viennent de la
pure bonté qui procède de la cause
première¨. Cependant Proclus présentte cette proposition, mais plus universellement, lorsqu’il
dit à la proposition 12 de son livre : ¨Le principe et la
cause première de tous les êtres est le bien¨. Mais ce que notre auteur appelle pure
bonté dans cette proposition signifie la même chose que ce que Proclus appelle bien. Ce qu’on appelle ¨bonté pure¨, c'est la bonté non participée, l’essence subsistante même de la bonté que les Platoniciens
appellaient ¨le bien en soi¨. Mais il faut que le bien pris essentiellement,
absolument et dans son origine soit la cause première de tous les êtres car,
comme le prouve Proclus, la cause est toujours supérieure à son effet, d’où
il s’ensuit que la cause première soit ce qu’il y a de plus parfait ; or
ce qu’il y a de plus parfait est précisément l’essence même de la bonté ou du
bien ; d’où il faut que ce qui est le bien pris dans son essence même
soit la cause première de tous les êtres. Et c’est justement ce que dit Denys au
livre I des Noms Divins[5] : ¨Mais puisque Dieu est l’essence même de la bonté par son existence même, il est
la cause de tout ce qui existe¨. Et c'est pourquoi il faut que les intelligences qui possèdent
une existence et une bonté participées dépendent de la bonté pure à la
manière dont un effet dépend de sa cause. Et c’est ce que dit notre auteur, à savoir que la stabilité et l’essence de l’intelligence procède de la bonté pure, c’est-à-dire
que l’intelligence tient de la bonté première son existence stable et
toujours immobile. Mais l’auteur prouve ceci de deux manières, et
premièrement au moyen de l’effet de l’intelligence. Et la force de sa preuve
consiste en ceci que si l’opération propre d'une chose se retrouve dans
une autre, il faut nécessairement que cette chose possède cette opération par
une participation de la première à la manière dont un effet tient quelque
chose de sa cause : par exemple, si le fer enflammé pose l’opération
propre du feu en brûlant, il faut dire que le fer tient cela du feu comme
l’effet qui le tient de sa cause. Mais l’opération propre de Dieu est qu’il
soit la cause universelle qui gouverne tous les êtres comme nous l’avons
établi à la proposition 3 ; il résulte de là qu’aucun être ne peut
parvenir à poser cette opération que par une participation de la cause
première dont il est l’effet. Mais parce que la cause première est suprêmement une, une réalité s’approchera
davantage de la cause première et participera davantage de son opération
propre qu’elle sera davantage simple et une. Mais l’unité et la simplicité
des intelligences est plus grande que celle des réalités inférieures, et le
signe en est que toutes les choses qui sont inférieures à l'intelligence et qui possèdent une
puissance cognitive ne peuvent parvenir à connaitre la substance de l’intelligence
en raison de la transcendance de sa simplicité, et c’est pour la même raison
que le sens corporel est impuissant à connaître la réalité intelligible. Et
il est manifeste que l’intelligence possède une plus grande simplicité parce
qu’elle est la cause des réalités inférieures à la manière que nous avons
dite à la proposition 3 ; et cela est manifesté par ce qui suit : l’intelligence gouverne toutes les
réalités qui sont sous elle par la puissance divine qui est en elle ; mais par gouvernement on entend l’ordonnance et
la motion des réalités inférieures vers leur fin, et c’est par cette
puissance divine qui existe en elle qu’elle conserve, c’est-à-dire qu’elle
protège les choses de ce qui fait obstacle à son gouvernement ; et ces
deux opérations, à
savoir gouverner et conserver, sont propres à la cause par
rapport à l’effet, et c’est
pourquoi l'intelligence gouverne les
choses et les conserve parce que c’est par la puissance divine qu’elle est cause des choses. Mais l’auteur
manifeste de quelle manière l’intelligence conserve les choses inférieures au
moyen de ce qu’il ajoute : ¨l’intelligence
elle-même conserve toutes les causes qui sont sous elle et les contient¨,
c’est-à-dire en leur imprimant sa puissance; en effet, ce n’est pas d’une
manière immédiate qu’elle est la cause de toutes les réalités inférieures,
mais par l’intermédiaire des causes inférieures. Mais il prouve par la suite
ce qu’il a dit par ceci que tout ce qui est premier pour les choses et qui les cause est aussi ce qui
les conserve et les gouverne, comme nous l’avons dit. Et rien de ce qui est subordonné à
une cause ne peut se soustraire au gouvernement et à la conservation de sa
cause au moyen d’une puissance étrangère. C’est pourquoi, puisquie l’intelligence est
première par rapport aux réalités inférieures et qu’elle est par conséquent
leur cause de la manière que nous avons dite, il s’ensuit qu’elle tient comme
le rôle d’un chef par rapport aux réalités inférieures en les conservant et
en les gouvernant. Nous
voyons en effet que même les réalités qui sont sous l’intelligence ont un
pouvoir de gouverner par la puissance
de l'intelligence, tout comme c’est par
la nature, laquelle est un principe de mouvement dans les choses naturelles,
que les choses qui sont soumises à la nature sont gouvernées et
conservées ; de la même manière, il
résulte de là que c’est par la
puissance divine que l’intelligence gouverne la nature et les autres
choses qui sont sous elle. Ainsi donc, il a été prouvé que
l'intelligence, un peu à la manière d’un prince, gouverne et conserve les
réalités inférieures par la puissance de la cause supérieure et il en est
ainsi parce qu’elle est leur cause. Et que l’intelligence soit cause, cela
lui vient de ce qu’elle est plus profondément unifiée. Mais comment il
découle, du fait qu’elle soit cause, que l’intelligence conserve ses effets
et les gouverne, cela n’a pas encore été
prouvé et c’est pourquoi l’auteur en ajoute ici la preuve : et l’intelligence n’a certes été faite
pour conserver les réalités qui viennent à sa suite, les gouverner et
répandre au-dessus d’elles sa puissance que parce qu’elles ne sont pas pour
elle une puissance substantielle, et qu’au contraire c’est elle qui est la
puissance des puissances substantielles puisqu’elle est leur cause. Et la puissance de
cette preuve tient à ceci que chaque chose est gouvernée et conservée par sa
puissance par laquelle cette chose agit en vue de sa fin et résiste aux
obstacles ; mais la puissance de l’effet dépend de la puissance de la
cause et non inversement. En effet puisqu’en chaque chose la puissance est
principe d’opération, il est nécessaire que cela même d’où une puissance
tient d’être un principe d’opération soit la puissance de cette puissance. Mais nous avons dit à la proposition 1 que
la cause inférieure agit par la puissance de la cause supérieure et
c’est pourquoi la puissance de la cause supérieure est la puissance de la
puissance de la cause inférieure et c’est en ce sens que l’auteur dit que la
puissance de l’intelligence est la
puissance des puissances substantielles, c’est-à-dire des puissances qui
sont propres aux substances des réalités inférieures. Ainsi donc il apparaît que l’intelligence gouverne et
conserve les réalités inférieures en déployant sur elles sa puissance du fait
qu’elle en est la cause. Mais il manifeste quelles sont ces réalités
inférieures que l’intelligence gouverne en ajouant que l’intelligence embrasse les réalités qui sont engendrées,
c’est-à-dire qu’elle contient sous elles, comme des effets qu’elle gouverne
et protège, les choses qui sont soumises à la génération et à la corruption,
ainsi que la nature, laquelle est le principe de mouvement dans ces choses et
qu’on retrouve en premier lieu dans le premier des corps ; elle embrasse aussi l’horizon de la
nature, c’est-à-dire l’âme ; nous avons dit en effet à la
proposition 2 que l’âme est dans l’horizon de l’éternité et du temps, et
qu’elle existe sous l’éternité et au-dessus du temps, laquelle est le
principe du mouvement qui est mesuré par le temps. Mais que l’intelligence
embrasse tout ce qui précède, il le prouve par ceci que la nature, à titre de principe de la génération, contient la génération, c’est-à-dire
les choses engendrées : certes la nature particulière est principe d’une
génération particulière alors que la nature universelle qui est dans le corps
céleste embrasse universellement toute génération comme son effet propre. Mais l’âme embrasse la nature, car
selon l’opinion de ceux qui soutenaient que les corps célestes sont animés,
ce que l’auteur de ce livre suppose, l’âme est le principe du mouvement du
premier corps et par conséquent de tous les mouvements naturels, ainsi
que cela a été établi à la proposition 3. Et en outre l’intelligence embrasse ou contient
l’âme, parce que l’âme tient de l’intelligence sa participation de
l’opération intelligible, ainsi que cela a été dit dans la même proposition.
D’où il conclut que l’intelligence
contient toutes les réalités, car tout ce qui est contenu par ce qui est
aussi contenu est soi-même contenu par ce qui le contient et il rappelle la
raison pour laquelle cela convient à l’intelligence, à savoir la puissance de
la cause première à laquelle il est propre de dominer toute autre réalité,
non pas par la puissance d’un autre, mais par sa puissance propre ; en
effet, la cause première elle-même, par sa puissance divine, est cause à la fois de l’intelligence, de
l’âme, de la nature et de toutes les autres réalités, à savoir de celles
qui sont sujettes à la génération et à la corruption. Ainsi donc il a été
montré que l’intelligence dépend de la cause première par ceci que c’est
d’elle qu’elle tient sa puissance universelle de contenir les réalités
inférieures. Ensuite lorsqu’il dit : et
la cause première n’est certes pas
etc., il montre la même chose à partir de la condition de la cause première comme
par une démonstration procédant par la cause ; car la preuve précédente
procédait davantage d’un signe. Et en premier lieu il présente la
preuve et en deuxième lieu il écarte une objection où il dit : mais si on disait etc. Il dit donc en
premier lieu, comme en présentant ce qu’il cherche à prouver, que la cause première n’est ni l’intelligence,
ni l’âme, ni la nature, mais, comme à titre de créatrice, elle les transcende toutes en
suivant un ordre car elle crée l’intelligence de façon
immédiate, mais elle crée l’âme, la nature et le reste des choses par
l’intermédiaire de l’intelligence. Et il faut entendre cela de la manière
que nous avons dite à la proposition 3, c’est-à-dire non pas dans le sens où
leur existence serait créée par l’intelligence, car ces réalités, sous le
rapport de leur essence, ne sont créées que par la cause première, mais elles
reçoivent en partage des perfections supplémentaires par l’intermédiaire des
intelligences. Mais il commence à prouver que la cause première crée toutes
les réalités dont nous venons de parler où il dit : et la science divine etc. Mais pour comprendre cette preuve
il faut savoir que parmi les perfections qui procèdent de la cause première
vers ces choses, il y en a une qui parvient à toutes ces réalités et même à
celles qui sont sujettes à la génération et à la corruption, à savoir
l'existence ; il y en a une autre qui ne parvient pas à des effets en
tant qu’ils sont effets, mais seulement à des causes en tant que causes,
comme la puissance et c’est pourquoi la participation de la vertu parvient
jusqu’à la nature qui a raison de principe ; il y en a une autre qui
parvient jusqu’à l’âme intellectuelle , à savoir la science, laquelle existe
cependant dans l’âme selon une modalité qui est inférieure à celle qu’on
retrouve dans l’intelligence, car il convient à l’intelligence d’appréhender
la vérité de manière immédiate et sans aucun mouvement alors qu'il convient à
l’âme d’appréhender la vérité d’après un certain mouvement selon qu’elle
procède d’un point à un autre. Ainsi donc l’existence, la puissance et la
science parviennent à l’intelligence et à l’âme, l’existence et la puissance
à la nature mais l’existence seulement aux choses engendrées. Ainsi donc la
cause première est la cause de toute science, de toute puissance et de toute
existence et il découle de là que toutes les réalités sont créées par elle.
Mais il prouve que la cause première est la cause de toutes ces réalités par
ceci que tout ce qui est premier et le plus excellent dans un tout ordre
donné est la cause de tout ce qui est second dans cet ordre ; mais la
cause première possède une science qui est plus excellente que toute autre
science, une puissance qui est plus excellente que toute autre puissance, et
une existence qui est plus excellente que toute autre existence : elle
est donc la cause de toute science, de toute puissance et de toute existence.
Et il découle de là que c’est elle, la cause première, qui est la cause de
l’intelligence, de l’âme, de la nature et de tout le reste. Il le manifeste donc en premier lieu au
sujet de la science, et il dit que la
science divine n’est pas comme la science intelligible, car la science de l’intelligence a lieu par
une participation de la chose intelligée, et elle est encore moins comme la science de l’animal, laquelle
a lieu non seulement par une participation de la chose intelligée, mais aussi par une participation de la
lumière intellectuelle qui procède de l’intelligence, lumière qui se présente
avec mouvement par rapport à cette science. Au contraire la science divine transcende à la fois la science de
l’intelligence et la science de l’âme, parce qu’elle possède une science
essentielle sans aucun mouvement et sans aucune participation de la lumière
intelligible ou de la chose intelligée, connaissant la chose par sa seule
essence, et il en est ainsi parce qu’elle est elle-même créatrice de toute science ;
d’où il faut qu’elle soit supérieure à toute science. Et il poursuit le même objectif au sujet de
la puissance, et il dit que la
puissance divine transcende toute puissance, qu’elle soit intelligible,
animale ou naturelle car l’intelligence, l’âme et la nature possèdent une
puissance qu’elles participent d’une autre, tout comme la puissance de la
cause seconde participe de la puissance de la cause première, laquelle ne
participe pas d’une autre, mais elle est
la cause de toute puissance. Et il continue de la même manière au sujet
de l’existence en montrant que la cause première possède l’existence selon
une modalité qui est plus excellente que celle de tous les autres êtres. Car l’intelligence possède une yliatin, c’est-à-dire quelque chose de
matériel ou qui se présente à la manière d’une matière. Le nom yliatin vient de ylè qui signifie matière en grec. Et notre auteur explique
comment cela est possible en ajoutant : puisqu’elle est à la fois existence et forme. En effet, la
quiddité ou la substance de l’intelligence est une certaine forme
immatérielle subsistante, mais parce qu’elle n’est pas son existence même, mais
qu’elle est subsistante dans une existence qui est participée, la forme
subsistante elle-même se compare à l’existence participée comme une puissance
à un acte ou comme une matière à une forme. Et de la même manière encore l’âme possède une yliatin, à savoir
non seulement la forme susbistante elle-même mais aussi le corps dont elle
est la forme. Et il en est encore de même pour la nature qui possède une yliatin, car le corps naturel est
véritablement composé de matière et de forme. Mais la cause première est
absolument séparée de toute yliatin, car son existence n’est pas participée
mais elle est pure existence et par conséquent pure bonté car toute chose est
bonne en tant qu’elle est un être ou qu’elle existe ; mais il faut que
tout ce qui est participé dérive de ce qui subsiste de la façon la plus pure
de par son essence même. D’où il s’ensuit que l’essence de l’intelligence et
de tous les êtres procède de la pure bonté de la cause première. On voit donc
ainsi la raison pour laquelle il a dit plus haut que la cause première n’est ni l’intelligence, ni l’âme, ni la nature,
car sa science transcende la science de l’intelligence et celle de l’âme, sa
puissance transcende toute puissance et son existence est infiniment élevée
au-dessus de toute existence. Ensuite lorsqu’il dit : mais si quelqu’un disait etc., il
écarte une objection. Quelqu’un pourrait dire en effet que, si la cause
première est seulement existence, elle apparaîtra comme étant l’être commun
qui est attribué à tout ce qui existe et non pas comme un être individuel
distinct de tous les autres ; en effet, ce qui est commun n’est
individué que par ceci qu’il est reçu dans quelque chose. Mais la cause
première est quelque chose d’individuel qui est distinct de tous les autres
êtres, autrement elle ne posséderait aucune opération ; l’action et la
passion ne se trouvent en effet à être attribuées en aucune manière à
l’universel. Il semble donc nécessaire de dire que la cause première possède
une yliatin, c’est-à-dire quelque
chose qui reçoit l’existence. Mais il répond à cela que l’infinité même de
l’existence divine, c’est-à-dire en tant qu’elle n’est pas limitée par
quelque chose qui la reçoit, tient la place de l’yliatin qui se trouve dans
les autres choses. Et il en est ainsi parce que tout comme dans les autres
choses il y a individuation de l’être commun reçu par quelque chose qui le
reçoit, de même la bonté ou l’existence divine tient son individuation de sa
propre pureté, c’est-à-dire par ceci qu’elle n’est reçue en rien ; et du
fait qu’elle soit individuée par sa seule pureté, elle tient sa capacité de répandre ses bontés sur l’intelligence et
les autres réalités. Et pour en avoir l’évidence il faut considérer
qu’une réalité est dite individuée du fait qu’elle n’est pas apte par nature
à se retrouver dans une multiplicité, contrairement à l’universel qui est
apte par nature à se retrouver dans une multiplicité. Mais il peut y avoir
deux façons pour un être de ne pas être apte à se retrouver dans une
multiplicité. Premièrement par ceci qu’il est déterminé à se trouver dans
quelque chose d’unique : par exemple si la blancheur est apte à se
trouver dans une multiplicité de par la nature de son espèce, cependant telle
blancheur qui est reçue dans un sujet ne peut se retrouver qu’en lui. Mais on
ne peut procéder à l’infini dans cette modalité car on ne peut procéder à
l’infini dans les causes formelles et matérielles comme le Philosophe le
prouve au onzième livre de la Métaphysique ;
c’est pourquoi il faut en venir à quelque chose qui n’est pas apte par nature
à être reçu en autre chose et qui tient de cela même son individuation, comme
la matière première qui est principe d’individuation pour les choses
corporelles. C’est pourquoi il faut que tout ce qui n’est pas apte par nature
à se retrouver dans quelque chose d’autre tienne de cela même son
individuation. Et c’est là la deuxième manière pour un être de ne pas pouvoir
se retrouver dans une multiplicité, c’est-à-dire parce qu’il n’est pas apte à
se retrouver dans quelque chose, comme ce serait le cas par exemple si la
blancheur existait séparément et indépendamment de tout sujet, elle serait du
coup individuée de cette manière. Et c’est de cette manière qu’il y a
individuation chez les substances séparées qui sont des formes possédant
l’existence et chez la cause première elle-même qui est l’existence
subsistante. |
Lectio 10 [84245]
Super De causis, l. 10 Postquam auctor huius libri
ostendit qualiter scit intelligentia quod est supra se et quod est sub se, et
quod est supra ipsam, nunc incipit ostendere qualiter intelligat alia a se
praeter causam primam. Et primo ostendit communiter qualiter cognoscat omnia
alia a se, secundo specialiter quomodo cognoscit res sempiternas, in 11
propositione, ibi: omnis intelligentia et cetera. Primo ergo praemittit talem
propositionem: omnis intelligentia est plena formis: verumtamen ex
intelligentiis sunt quae continent formas plus universales, et ex eis sunt
quae continent formas minus universales. Et hoc etiam invenitur in libro
Procli, CLXXVII propositione, sub his verbis: omnis intellectus plenitudo
ens specierum, hic quidem universaliorum, hic autem particulariorum est
contentivus specierum. Circa hanc igitur propositionem duo oportet
considerare: primo id quod est commune omnibus intelligentiis vel
intellectibus separatis, scilicet plenitudo formarum vel intelligibilium
specierum, secundo differentiam universalitatis et particularitatis in ipsis.
Circa primum igitur considerandum est quod, sicut supra iam diximus,
Platonici, ponentes formas rerum separatas, sub harum formarum ordine
ponebant ordinem intellectuum. Quia enim omnis cognitio fit per
assimilationem intellectus ad rem intellectam, necesse erat quod intellectus
separati ad intelligendum participarent formas abstractas; et huiusmodi
participationes formarum sunt istae formae vel species intelligibiles de
quibus hic dicitur. Sed quia, secundum sententiam Aristotelis quae circa hoc
est magis consona fidei Christianae, non ponimus alias formas separatas supra
intellectuum ordinem, sed ipsum bonum separatum ad quod totum universum
ordinatur sicut ad bonum extrinsecum, ut dicitur in XII metaphysicae, oportet
nos dicere quod, sicut Platonici dicebant intellectus separatos ex
participatione diversarum formarum separatarum diversas intelligibiles
species consequi, ita nos dicamus quod consequuntur huiusmodi intelligibiles
species ex participatione primae formae separatae, quae est bonitas pura, scilicet
Dei. Ipse enim Deus est ipsa bonitas et ipsum esse, in seipso virtualiter
comprehendens omnium entium perfectiones. Nam ipse solus per essentiam suam
omnia cognoscit absque participatione alicuius alterius formae; inferiores
vero intellectus, cum eorum substantiae sint finitae, non possunt per suam
essentiam omnia cognoscere, sed ad habendum rerum cognitionem necesse est
quod, ex participatione causae primae, speciebus intelligibilibus receptis
res intelligant. Unde Dionysius dicit VII capitulo de divinis nominibus, quod
ex ipsa divina sapientia intelligibiles et intellectuales angelicarum
mentium virtutes, simplices et beatos habent intellectus. Et est
considerandum, sicut Augustinus dicit II super Genesim ad litteram, quod
sicut ex verbo Dei procedunt formae in materiam corporalem ad rerum
constitutionem, ita ab eodem, scilicet verbo, in Angelis fit rerum cognitio
per huiusmodi specierum intelligibilium receptionem; quia et Platonici
ponebant secundum participationem idearum, et intellectus separatos res
cognoscere, et materiam corporalem secundum diversas species variari. Sed sciendum est quod eadem diversitas
participationis invenitur in intellectibus et in materia corporali. Materia
enim inferiorum corporum participat quidem formam aliquam ad esse specificum,
sed tamen illa forma non repletur materiae potentia, quae adhuc ad alias
formas se extendit; materia vero caelestium corporum repletur forma quam
participat, quia non remanet in ea potentia ad aliam formam. Similiter etiam
intellectus inferiores humani non replentur intelligibilibus speciebus; sed a
principio quidem intellectus possibilis humanus est sicut tabula in qua nihil
est scriptum, ut dicitur in III de anima; postmodum autem ordine quodam
species recipit, nec tamen in hac vita repletur. Sed intellectus separati
statim a principio sunt repleti speciebus intelligibilibus ad cognoscendum
omnia ad quae se extendit naturalis facultas ipsorum. Unde Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus, quod intellectus
supermundane intelligunt et illuminantur secundum existentium rationes.
Et hoc est quod dicitur quod intelligentia est plena formis vel, sicut
Proclus expressius dicit, est plenitudo formarum quia ipsa
intellectualitas ad propriam naturam intelligentiae vel intellectus separati
pertinet. Circa differentiam universalitatis et particularitatis specierum
intelligibilium, hoc primo attendendum est quod, sicut hic dicitur et in
libro Procli, superiores habent formas magis universales, inferiores vero
minus universales. Et hoc etiam Dionysius dicit XII capitulo caelestis
hierarchiae, ubi dicit quod Cherubim ordo participat sapientia et
cognitione altiori, sed inferiores substantiae participant sapientia
et scientia particulariori. Quae quidem universalitas et particularitas
non est referenda ad res cognitas, sicut aliqui male intellexerunt
existimantes quod Deus non cognosceret nisi universalem naturam entis; cui
consequens esset quod in inferioribus intellectibus tanto uniuscuiusque
cognitio magis in universali sisteret, quanto esset altior; puta quod unus
intellectus cognosceret solum naturam substantiae, inferior vero naturam
corporis, et sic usque ad individuas species. Quae quidem estimatio aperte
continet falsitatem: cognitio enim qua cognoscitur aliquid solum in
universali, est cognitio imperfecta, cognitio vero qua cognoscitur aliquid in
propria specie, est cognitio perfecta; cognitio enim speciei includit
cognitionem generis, sed non e converso; sequeretur igitur quod, quanto
intellectus esset superior, tanto esset eius cognitio imperfectior. Est ergo
haec differentia universalitatis et particularitatis attendenda solum
secundum id quo intellectus intelligit. Quanto enim aliquis intellectus est
superior, tanto id quo intelligit est universalius, ita tamen quod illo
universali eius cognitio extendatur etiam ad propria cognoscenda multo magis
quam cognitio inferioris intellectus qui per aliquid magis particulare
cognoscit. Et hoc etiam experimento in nobis percipimus: videmus enim quod
illi qui sunt excellentioris intellectus ex paucioribus auditis vel cognitis
totam veritatem alicuius quaestionis vel negotii comprehendunt, quod alii,
grossioris intellectus existentes, percipere non possunt nisi manifestetur
eis per singula; ratione cuius oportet frequenter inducere. Et ideo Deus
cuius intellectus est excellentissimus, uno solo, scilicet essentia sua,
omnia comprehendit; aliorum vero intellectuum separatorum, tanto unusquisque
paucioribus speciebus et ad plura se extendentibus rerum notitiam habet,
quanto est altior, ita quod intellectus humanus qui est infimus, rerum
scientiam habere non potest nisi singulis speciebus singularum rerum naturas
cognoscat; materia vero corporalis et sensus corporeus omnino ab universali
participatione specierum deficere invenitur. Huius igitur differentiae, quae
est secundum universalitatem et particularitatem specierum, probatio eadem
ponitur hic et in Proclo, et est sumpta ex effectu. Sicut enim intelligentiae
per intelligibiles formas cognoscunt, ita et per intelligibiles formas suos
effectus producunt, quia omnis intellectus intelligendo operatur, ut infra
dicetur. Superiorum autem intelligentiarum sunt maiores virtutes; et hoc ideo
quia sunt magis simplices et minoris quantitatis, id est compositionis,
utpote uni primo propinquiores; ergo oportet quod virtutes operativae ipsarum
ad plura se extendant, et tamen ipsae virtutes sint magis simplices; et ex
hoc apparet quod formae superiorum intelligentiarum sunt universaliores.
Quomodo autem formae quae sunt in superioribus intelligentiis unitae,
multiplicentur in intelligentiis secundis, manifestat consequenter rationem
huius assignans, sicut et Proclus, ex parte intelligentiarum inferiorum.
Intelligentiae enim inferiores consequuntur intelligibiles species ex
superioribus intelligentiis quodammodo ad eas respiciendo, quia
intelligentia, sicut omne quod agit intelligendo agit, ita omne quod recipit
intelligibiliter recipit, secundum modum scilicet propriae naturae. Et quia
natura inferioris intelligentiae non est tantae simplicitatis et unitatis
quantae natura superioris intelligentiae, ideo nec formae intelligibiles
recipiuntur in intelligentia inferiori in illa unitate in qua sunt in
superioribus intelligentiis. Et propter hoc formae intelligibiles magis
multiplicantur in inferioribus intelligentiis quam in superioribus; ita quod
ea quae intelliguntur a superiori intelligentia per unam speciem
intelligibilem, inferior intelligentia intelligit per plures. Sed, quia,
sicut dictum est, intelligentia quidquid operatur intelligendo operatur,
sicut et intelligendo recipit quod recipit, potest ratio huius
multiplicationis specierum assignari, non solum ex parte intelligentiae
recipientis, sed etiam ex parte intelligentiae imprimentis, cuius provisione
multiplicantur species in inferiori intelligentia secundum suam capacitatem.
Unde Dionysius dicit XV capitulo caelestis hierarchiae: unaquaeque
essentia intellectualis, donatam sibi a diviniore uniformem intelligentiam,
provida virtute dividit et multiplicat ad inferioris ductricem analogiam,
id est secundum proportionem inferioris substantiae. |
10) Toute intelligence est pleine
de formes; pourtant, parmi les intelligences il y en a qui contiennent des
formes moins universelles et d'autres qui contiennent des formes plus
universelles
Après avoir
montré de quelle manière l'intelligence
connaît ce qui est au-dessus d’elle et ce qui est sous elle, ainsi que la
nature de ce qui est au-dessus d'elle, l'auteur de ce livre commence
maintenant à montrer de quelle manière l'intelligence intellige les choses
qui sont autres qu’elle, à l'exception de la cause première. Et en premier
lieu il montre de quelle manière elle connaît en général les choses qui sont
autres qu’elle, et en deuxième lieu, à la proposition 11, comment elle
connaît en particulier les réalités éternelles, où il dit : toute intelligence pense etc. En
premier lieu il fait donc précéder cette proposition : toute intelligence est pleine de
formes : cependant parmi elles il y a celles qui contiennent des formes
plus universelles et celles qui contiennent des formes moins universelles.
Et on retrouve aussi la même pensée dans le livre de Proclus à la proposition
177, formulée en ces termes : l’être
de tout intellect est une plénitude d’espèces, mais celui-ci contient des
espèces plus universelles, celui-là des espèces plus particulières. Il y
a deux choses à considérer dans cette proposition : premièrement ce
qu’il y a de commun à toutes les intelligences ou à tous les intellects
séparés, à savoir la plénitude ou l’abondance des formes ou des espèces
intelligibles et deuxièmement la différence d’universalité et de
particularité qu’on retrouve en elles. Au sujet du
premier point il faut donc considérer que, comme nous l’avons déjà dit, les
Platoniciens, en soutenant que les formes des choses existent séparément, posaient,
sous l’ordre de ces formes, un ordre des intelligences. En effet, parce que
toute connaissance se réalise par une assimilation de l’intellect à la chose
intelligée, il était nécessaire que les intellects séparés, pour poser leur
acte d’intellection, participent des formes séparées ; et ce sont ces
participations des formes qui sont ces formes ou ces espèces intelligibles
dont on parle ici. Mais parce que, conformément à la pensée d’Aristote qui
s’accorde davantage avec la foi chrétienne à ce sujet, nous ne posons pas d’autres
formes séparées au-dessus de l’ordre des intelligences mais seulement le bien
séparé lui-même auquel l’univers est ordonné dans sa totalité comme à un bien
extérieur, comme le Philosophe le dit au douzième livre de la Métaphysique, il nous faut dire que
bien que les Platoniciens disaient que les intellects séparés parviennent à
saisir les différentes espèces intelligibles par une participation des
différentes formes séparées, de même nous disons par ailleurs que les
intellects séparés parviennent à saisir ces espèces intelligibles par la
seule participation de la forme séparée première qui est la bonté pure, à
savoir Dieu. En effet, c’est Dieu lui-même qui est la bonté même et l’être
même qui contient virtuellement en lui les perfections de tous les êtres. Car
il est le seul à connaître par son essence tous les êtres sans participer
d’aucune autre forme ; mais puisque les intelligences inférieures ont
une substance finie, elles ne peuvent connaître tous les êtres par leur
essence mais pour acquérir la connaissance des choses il leur est nécessaire
des les intelliger après avoir reçu les espèces intelligibles par une
participation de la cause première. C’est pourquoi Denys dit au chapitre
septième des Noms Divins que c’est de la sagesse divine elle-même que les
puissances intelligibles et intellectuelles des esprits angéliques tiennent
leur intelligence simple et bienheureuse. Et il faut
considérer, comme le dit Saint-Augustin dans son deuxième livre Sur la Genèse au sens littéral, que
tout comme c’est du verbe de Dieu que procèdent les formes dans la matière
pour la constitution des choses, de même c’est de Lui, c’est-à-dire du verbe
que se réalise la connaissance des choses chez les Anges par la réception de
telles espèces intelligibles ; car les Platoniciens soutenaient que
c’est par la participation des idées que les intellects séparés connaissent
les choses et que la matière corporelle se différencie suivant différentes
espèces. Mais il faut savoir que c’est la même différence de participation
qu’on retrouve dans les intelligences et dans la matière corporelle. En
effet, la matière des corps inférieurs participe certes d’une certaine forme
en vue d’une existence spécifique et cependant la puissance de la matière
n’est pas comblée par cette même forme puisqu’elle s’étend en outre à
d’autres formes ; mais la matière des corps célestes est comblée par la
forme dont elle participe parce qu’il ne demeure pas en elle une puissance à
l’égard d’une autre forme. De la même manière encore les intelligences inférieures
des humains ne sont pas remplies d’espèces intelligibles mais au début
l’intellect possible humain est certes comme une table dénudée sur laquelle
rien n’est écrit comme le dit le Philosophe au troisième livre de L’Âme ; par la suite cependant
il reçoit les espèces suivant un certain ordre sans en être cependant
rempli en cette vie. Mais les intelligences séparées au contraire sont
aussitôt remplies d’espèces intelligibles dès le début pour connaître tout ce
qui est accessible à leur faculté naturelle de connaissance. C’est pourquoi
Denys dit au chapitre quatrième des Noms
Divins que les intelligences
intelligent et sont illuminées sur les notions des êtres d’une manière qui
est au-delà du monde. Et c’est ce que dit notre auteur lorsqu’il affirme que l’intelligence est pleine de formes, tout
comme Proclus lorsqu’il dit plus clairement qu’elle est une plénitude de formes car l’intellectualité appartient en
propre à la nature de l’intelligence ou de l’intellect séparé. Mais sur la
différence de l’universalité et de la particularité des espèces
intelligibles, il faut en premier lieu remarquer que tout comme on le dit ici
et dans le livre de Proclus, les intelligences supérieures possèdent des
espèces intelligibles plus universelles alors que celles qui sont inférieures en
possèdent des moins universelles. Et c’est aussi ce que dit Denys au livre 12
de La Hiérarchie Céleste où il
affirme que l’ordre des Chérubins
participe d’une sagesse et d’une connaissance supérieures mais que les
substances inférieures participent
d’une sagesse et d’une science plus particulière. Mais cette universalité
et cette particularité ne doivent certes pas se rapporter aux choses connues
elles-mêmes comme l’ont pensé à tort ceux qui ont cru que Dieu ne connaîtrait
que la nature universelle de l’être, d’où il s’ensuivrait que chez les
intellects inférieurs la connaissance de chacun se tiendrait d’autant plus
dans l’universel que cette intelligence serait plus élevée : par
exemple, un intellect connaîtrait seulement la nature de la substance, un
intellect inférieur seulement la nature du corps, et d’autres plus
inférieures encore seulement les espèces individuelles. Ce jugement contient
certes une fausseté évidente : en effet, la connaissance par laquelle
quelque chose n’est connu que dans l’universel est une connaissance
imparfaite alors que celle par laquelle une chose est connue dans l’espèce
qui lui est propre est une connaissance parfaite ; en effet, la
connaissance inclut la connaissance du genre mais non inversement ;
donc, d’après cette position, il s’ensuivrait que plus une intelligence est
supérieure, plus sa connaissance est imparfaite. Il s’ensuit donc que la
différence d’universalité et de particularité doit se vérifier uniquement
d’après ce par quoi l’intelligence intellige. En effet, plus une intelligence
est supérieure, plus ce par quoi elle intellige est universel, de telle manière cependant
que par cet universel sa connaissance s’étende même à ce qui doit être connu
en propre et bien davantage que la connaissance de l’intelligence inférieure
qui connaît au moyen d’espèces plus particulières. Et cela, nous le percevons chez nous par
l’expérience : nous voyons en effet que ceux qui possèdent une
intelligence plus excellente saisissent toute la vérité d’une question ou d’une
affaire à partir d’un petit nombre de choses entendues ou connues, vérité que
d’autres, doués d’une intelligence moins fine, n’arrivent à saisir que si elle leur est manifestée par une
multiplicité de cas particuliers, en raison de quoi il faut souvent produire
des inductions. Et c’est pourquoi Dieu, dont l’intelligence est la plus
excellente, comprend tous les êtres dans l’unicité, c’est-à-dire par sa seule
essence ; mais pour les autres intelligences séparées, plus chacune
d’elles acquiert la connaissance des choses par un petit nombre d’espèces qui
s’appliquent à un plus grand nombre de choses, plus elle est supérieure, de
telle manière que l’intelligence humaine, laquelle est la dernière des
intelligences, ne peut acquérir la science des choses que si elle connaît les
natures des choses individuelles par leurs espèces individuelles ; mais
la matière corporelle et le sens corporel se trouvent à être totalement
écartés d’une participation universelle des espèces. Donc la preuve de cette
différence relative à l’universalité et à la particularité des espèces, à
savoir celle qui est présentée ici et celle que présente Proclus, est
véritablement la même et elle est tirée de l’effet. En effet, tout comme les
intelligences connaissent au moyen des formes intelligibles, de même c’est
par les formes intelligibles qu’elles produisent leurs effets car tout
intellect opère par son acte d’intellection comme on le dira plus loin. Mais
les puissances des intelligences supérieures sont plus grandes ; et il
en est ainsi parce qu’elles sont plus simples et d’une moindre quantité,
c’est-à-dire parce qu’elles sont moins composées vu qu’elles sont plus
proches de l’un premier ; il faut donc que leurs puissances d’opération
s’étendre à une plus grande multiplicité bien que leurs puissances
elles-mêmes soient plus simples ; et c’est à partir de là qu’il devient
clair que les formes des intelligences supérieures sont plus universelles. Mais de quelle
manière les formes qui sont unes dans les intelligences supérieures se trouvent
à se multiplier dans les intelligences secondes, il en manifeste par la suite
la raison en l’identifiant, tout comme le fait Proclus, du côté des
intelligences inférieures. En effet, les intelligences inférieures acquièrent
les espèces intelligibles à partir des
intelligences supérieures, en ayant le regard tourné vers elles d’une
certaine manière car l’intelligence, tout comme elle fait tout ce qu’elle
fait en intelligeant, de même elle reçoit tout ce qu’elle reçoit d’une
manière intelligible, c’est-à-dire selon le mode de sa nature propre. Et
parce que la nature d’une intelligence inférieure ne possède pas autant de
simplicité et d’unité que la nature de l’intelligence supérieure, c’est
pourquoi les formes intelligibles reçues dans l’intelligence inférieure ne
présentent pas cette unité qu’elles ont dans les intelligences supérieures.
Et c’est pour cette raison que les formes intelligibles se multiplient
davantage dans les intelligences inférieures que dans celles qui sont
supérieures, de telle manière que ce qui est saisi par une intelligence
supérieure au moyen d’une seule espèce intelligible est saisi au moyen d’une
multiplicité d’espèces par une intelligence inférieure. Mais parce que, comme
nous l’avons dit, tout ce qu’une intelligence opère, elle l’opère par son
acte d’intellection, tout comme c’est par le même acte qu’elle reçoit ce
qu’elle reçoit, la raison de cette multiplication des espèces peut être
assignée non seulement du côté de
l’intelligence qui reçoit mais aussi du côté de l’intelligence qui imprime,
par la prévoyance de laquelle les espèces se multiplient dans l’intelligence
inférieure selon sa capacité. C’est pourquoi Denys dit au chapitre 15 de La Hiérarchie céleste : toute essence intellectuelle divise et
multiplie par une prévoyante puissance
l’intelligence uniforme qui lui a été donnée par une intelligence plus
divine pour la conduire par analogie à une intelligence inférieure,
c’est-à-dire proportionnellement aux capacités de la substance inférieure. |
Lectio 11 [84246]
Super De causis, l. 11 Ostenso quomodo
intelligentia intelligat alia a se, quia per formas intelligibiles quibus est
plena, hic specialiter agitur de cognitione qua intelligentia cognoscit res
aeternas. Et primo ostendit quod cognoscit res aeternas sive incorruptibiles,
secundo ostendit modum quo eas cognoscit, ibi: primorum omnium quaedam sunt
et cetera. Circa primum proponit talem propositionem: omnis intelligentia
intelligit res sempiternas quae non destruuntur neque cadunt sub tempore.
Et intelligit per res sempiternas, ea quae sunt supra tempus et motum,
ut expositum est in 2 propositione; signanter autem dicit quae non
destruuntur neque cadunt sub tempore: quaedam enim cadunt sub tempore
quae tamen non destruuntur, sicut motus caeli qui, cum tempore mensuretur,
non destruetur nec cessabit secundum philosophorum positionem. Videtur ergo
secundum superficiem intellectus huius propositionis esse quod intelligentia
non cognoscat res corruptibiles et cadentes sub tempore, sed solum res
incorruptibiles supra tempus existentes. Sed quod non sit hic intellectus
propositionis patet ex probatione quae subditur, in qua non probatur quod
intelligentia cognoscat sempiterna et non corruptibilia, sed quod non causet
immediate nisi sempiterna; unde exponendum est: omnis intelligentia
intelligit, id est intelligendo causat res sempiternas. Et hoc patet ex
libro Procli qui ad hoc inducit duas propositiones. Quarum una est CLXXII: omnis
intellectus perpetuorum est proxime et intransmutabilium secundum substantiam
substitutor. Alia est CLXXIV: omnis intellectus intelligendo instituit
quae post ipsum. Ex quibus duabus propositionibus auctor huius libri
conflavit unam; et dum brevitati studuit, obscuritatem induxit. Probat autem
sub hoc sensu hanc propositionem eo modo quo et Proclus, et in hac probatione
duo facit: primo enim ostendit quod intelligentia non producit immediate res
corruptibiles vel cadentes sub tempore, sed solum res sempiternas, secundo
unde veniat corruptibilitas in rebus. Primum autem ostendit sic:
intelligentia producit suum effectum secundum suum esse; et hoc ideo quia
suum intelligere est sibi connaturale et essentiale, nihil autem producit
nisi intelligendo, ut supra manifestavimus; unde relinquitur quod quidquid
producit producat per suum esse. Sed esse intelligentiae est incorruptibile
et supra tempus aeternitati parificatum, ut in 2 propositione habitum est.
Ergo immediatus intelligentiae effectus est sempiternus, non cadens sub
corruptione vel tempore. Secundum autem manifestat dicens quod, cum
intelligentia immediate non causet res corruptibiles, sequitur quod res
corruptibiles non sunt immediate ab intelligentia, sed sunt ab aliqua causa
corporea temporali; nam corruptio et generatio in his inferioribus rebus
causantur per motum caeli, ipse autem motus caeli non est immediate ab
intelligentia sed ab anima, sicut supra dictum est in 3 propositione. Si quis
autem hunc processum reducere velit ad intellectum qui superficialiter ex
propositione apparet, poterit dicere ulterius quod res corruptibiles
cognoscuntur ab intelligentia ut sempiternae; sunt enim in intelligentia
sicut non materialiter, quamvis in se sint materiales, ita nec temporaliter
sed sempiterne. Quod manifestatur per effectum: quia immediatus effectus
intelligentiae est sempiternus; id enim quo intelligentia cognoscit, est
principium factivum in ipsa, sicut et artifex per formam artis operatur. Haec
autem probatio quae hic inducitur, etsi a quibusdam philosophis concedatur,
non tamen necessitatem habet. Hac enim probatione suscepta, multa fundamenta Catholicae
fidei tollerentur: sequeretur enim quod Angeli nihil de novo in his
inferioribus immediate facere possent, et multo minus Deus qui non solum est
aeternus, sed ante aeternitatem, ut supra dictum est, et sequeretur ulterius
mundum semper fuisse. Haec enim videtur esse efficacissima ratio ponentium
aeternitatem mundi, quae sumitur ex immobilitate factoris. Non enim videtur
posse contingere quod aliquod agens nunc incipiat operari, cum prius non
operatus fuerit, si omnino immobiliter se habeat, nisi forte aliqua exteriori
mutatione praesupposita, quia, ut Averroes in commento VIII physicorum
prosequitur, si aliquod agens voluntarium vult aliquid facere post et non
prius, ad minus oportet quod imaginetur tempus, quod est numerus motus. Et
ideo concludit impossibile esse quod, ex voluntate immobili et aeterna,
proveniat effectus novus, nisi praesupposito motu. Et quia haec videtur esse
efficacior ratio qua utuntur ad probandum aeternitatem mundi, diligenter est
huius rationis solutio attendenda. Considerandum est igitur aliter loquendum
esse de agente quod producit aliquid in tempore, atque aliter de agente quod
producit tempus simul cum re quae in tempore producitur. Cum enim aliquid in
tempore producitur, oportet accipere aliquam proportionem ad tempus, vel
solum eius quod producitur, vel etiam producentis ipsius; quandoque enim
actio est in tempore, non solum ex
parte eius quod agitur, sed etiam ex parte agentis; in tempore enim est
aliquid secundum quod est in motu, cuius numerus tempus est. Quando igitur
aliqua mutatio invenitur ex parte eius quod agitur et ex parte agentis, tunc
actio secundum utrumque est in tempore; puta cum aliquis alteratus a frigore,
de novo sibi venit in mentem ut ignem accendat ad frigus pellendum. Hoc autem
non semper contingit: est enim aliquid cuius substantia non est in tempore,
sed operatio in tempore est, ut infra dicetur. Huiusmodi ergo agens, absque
aliqua sui mutatione, effectum producit in tempore, qui prius non fuerat. Et
sic etiam Deus aliquid potest producere in tempore de novo, quod prius non
fuerat, secundum certam proportionem huius effectus ad hoc tempus, sicut
contingit in omnibus miraculosis effectibus qui fiunt immediate a Deo. Nec
obstat quod dicitur quod producit per suum esse, quia suum esse est suum intelligere;
et, sicut suum esse est unum, intelligit tamen multa, et propter hoc potest
multa producere, quamvis eius intelligere unum et simplex remaneat, ita,
quamvis sit suum esse aeternum et immobile, potest tamen intelligere aliquod
esse temporale et mobile, et ideo, etsi suum intelligere sit sempiternum, per
ipsum tamen producere potest effectum novum in tempore. Cuius indicium
aliqualiter in nobis apparet: potest enim homo, voluntate immobili
permanente, opus suum in futurum differre, ut faciat illud determinato
tempore. Sed si tu dicas quod, quotiens hoc contingit, oportet
praeintelligere alium motum ex quo contingat quod aliquid prius non fuerit
conveniens fieri, postmodum indicatur ut conveniens ad fiendum, ad minus
ipsum temporis decursum qui sine motu intelligi non potest, dicemus hoc
quidem verum esse in particularibus Dei effectibus quos in tempore operatur.
Quod enim Lazarum suscitavit quarta die et non prius, habito respectu ad
aliquam rerum mutationem praecedentem hoc fecit. Sed in universi productione
hoc locum non habet, quia simul cum mundo fit etiam tempus et totus
universaliter motus; non est ergo aliud tempus praecedens vel motus, ad quem
oporteat novitatem huius effectus proportionari, sed solum ad rationem
facientis prout intellexit et voluit hunc effectum ab aeterno non fore, sed
incipere post non esse. Sic enim tempus est mensura operationis vel motus,
sicut dimensio est mensura magnitudinis corporalis. Si igitur quaeramus de
aliquo particulari corpore, puta de terra, quare infra hos magnitudinis
limites coercetur et non extenditur ultra, potest eius ratio esse ex
proportione ipsius ad totum mundum. Sed si rursum quaeramus de tota corporum
universitate, quare huiusmodi determinatae magnitudinis terminos non excedat,
non potest huius ratio esse ex proportione eius ad aliquam aliam
magnitudinem, sed vel oportet dicere magnitudinem corporalem esse infinitam,
sicut antiqui naturales posuerunt, vel oportet huiusmodi determinatae
magnitudinis rationem accipi ex sola intelligentia et voluntate facientis.
Sicut igitur infinitus Deus finitum universum produxit secundum suae
sapientiae rationem, ita aeternus Deus potuit novum mundum producere secundum
eamdem sapientiae rationem. |
11) Toute intelligence pense les
choses perpétuelles qui ne sont pas détruites et ne tombent pas sous le
temps.
Ayant montré comment
l'intelligence comprend les êtres qui sont autres qu'elle, à savoir par les
formes intelligibles dont elle est pleine, l'auteur traite ici de façon plus
spéciale de la connaissance par laquelle l’intelligence connaît les réalités
éternelles. Et en premier lieu il montre qu’elle connaît les réalités
éternelles ou incorruptibles, deuxièmement il montre la manière par laquelle
elle les connaît, là où il dit : ¨Parmi
tous les êtres premiers certains sont etc.¨ Au sujet du premier point il
présente cette proposition : toute
intelligence saisit les réalités éternelles qui ne peuvent être détruites et
qui ne sont pas soumises au temps. Et par réalités éternelles, il entend celles qui transcendent le temps
et le mouvement ainsi qu’on l’explique dans la proposition 2 ; c’est
avec insistance cependant qu’il dit : qui ne peuvent être détruites et ne sont pas soumises au temps ;
en effet, il y a des réalités qui sont soumises au temps sans être détruites,
comme le mouvement du ciel qui, bien qu’il soit mesuré par le temps, ne sera
pas détruit et ne cessera pas selon ce qu’en pensent les philosophes. Il
semble donc, d’après un examen superficiel, que cette proposition signifie que
l’intelligence ne connaît pas les choses corruptibles et qui sont soumises au
temps mais seulement les réalités incorruptibles dont l’existence transcende
le temps. Mais il est clair, à partir de la preuve qui est ajoutée et dans
laquelle on ne prouve pas que l’intelligence connaisse les réalités
éternelles sans connaître celles qui sont corruptibles mais plutôt qu’elle ne
cause immédiatement que les réalités éternelles, que ce n’est pas là ce
qu’entend cette proposition ; c’est pourquoi il faut expliquer la
signification de ces termes : toute
intelligence intellige, qui est que c’est par son acte d’intellection que
l’intelligence cause les réalités éternelles. Et cela devient clair si on
s’appuie sur le livre de Proclus qui introduit deux propositions pour le
montrer dont la première est la proposition 172 : tout intellect, de par sa substance, est le fondateur des êtres perpétuels et immuables
de façon immédiate ; la deuxième est la proposition 174 : c’est par son acte d’intellection que tout
intellect établit les réalités qui viennent de lui. Et à partir de ces
deux propositions l’auteur de ce livre en forme une seule, mais alors qu’il
recherche la brièveté, il introduit une obscurité. Il prouve cependant cette
proposition avec cette signification de la même manière que le fait Proclus et
dans cette preuve il fait deux choses : premièrement en effet il montre
que l’intelligence ne produit pas immédiatement les réalités corruptibles ou
qui sont soumises au temps mais seulement les réalités éternelles ;
deuxièmement il montre d’où vient la corruptibilité dans les choses. Mais
c’est de la manière suivante qu’il prouve le premier point :
l’intelligence produit son effet conformément à son existence à elle ;
et il en est ainsi parce que son acte d’intellection lui est connaturel et
essentiel, et que tout ce qu’elle produit, elle ne le produit que par cet
acte comme nous l’avons manifesté plus haut ; d’où il s’ensuit que
c’est par son existence qu’elle produit tout ce qu’elle produit. Mais
l’existence de l’intelligence est incorruptible et, transcendant le temps,
est rendue égale à l’éternité comme nous l’avons établi à la proposition 2.
Donc l’effet immédiat de l’intelligence est éternel et n’est pas soumis à la
corruption ou au temps. Mais il manifeste le
deuxième point en disant que, puisque l’intelligence ne cause pas
immédiatement les réalités corruptibles, il s’ensuit que les réalités
corruptibles ne procèdent pas immédiatement de l’intelligence mais d’une
cause corporelle et temporelle ; car la corruption et la génération dans
les réalités inférieures sont causées par le mouvement du ciel alors que ce
même mouvement du ciel n’est pas causé immédiatement par l’intelligence mais
par l’âme ainsi que nous l’avons dit plus haut dans la proposition 3. Mais si
on voulait ramener ce processus à l’intelligence d’après le sens superficiel
de la proposition, on pourrait dire à la fin que les réalités corruptibles
sont connues par l’intelligence en tant qu’elles sont éternelles ; ces
réalités en effet, bien qu’elles soient matérielles en elles-mêmes, n’existent
pas matériellement dans l’intelligence de telle manière qu’elles n’y existent
pas d’une manière temporelle mais éternelle. Et cela est manifesté par
l’effet : car l’effet immédiat de l’intelligence est éternel ; en
effet, ce par quoi l’intelligence connaît est en elle un principe efficient,
tout comme l’artisan pose son opération par la forme de l’art. Mais cette
preuve qui est introduite ici, bien qu’elle soit concédée par certains
philosophes, ne contient pas en elle-même une nécessité. En effet, si on
admettait cette preuve, de nombreux principes fondamentaux de la foi
catholiques seraient détruits : il s’ensuivrait en effet que les Anges
ne pourraient rien faire de nouveau de façon immédiate dans les réalités
inférieures, et encore moins Dieu qui non seulement est éternel, mais
antérieur à l’éternité comme on l’a dit plus haut, et il s’ensuivrait
ultimement que le monde a toujours existé. En effet, ce raisonnement qui
s’appuie sur l’immutabilité de l’Artiste semble avoir été le meilleur pour
ceux qui veulent conclure que le monde est éternel. En effet, il ne semble
pas possible qu’un agent commence maintenant à agir alors qu’il n’agissait
pas avant s’il est absolument immobile, à moins peut-être qu’on ne présuppose un changement extérieur car, comme l’avance Averroes dans son Commentaire au huitième livre de la
Physique, si un agent volontaire veut faire quelque chose après et non
avant il faut au moins imaginer un temps qui est le nombre du mouvement. Et
c’est pourquoi il conclut qu’il est impossible, à moins de présupposer le
mouvement, qu’un effet nouveau procède d’une volonté immobile et éternelle. Et
parce que tel semble être le raisonnement le plus efficace dont ils se
servent pour prouver l’éternité du monde, il faut rechercher avec soin la
solution de ce raisonnement. Il faut donc considérer qu’il faut parler
autrement de l’agent qui produit quelque chose dans le temps et autrement de
l’agent qui produit un temps simultanément avec la chose qui est produite
dans le temps. En effet, lorsqu’une chose est produite dans le temps, il faut
prendre quelque rapport au temps, soit seulement du côté de ce qui est
produit, soit aussi du côté de de celui-là même qui produit. Parfois en effet
l’action est dans le temps non seulement du côté de ce qui est fait, mais
aussi du côté de celui qui fait ; une chose en effet est dans le temps
selon qu’elle est en mouvement dont le nombre est le temps. Donc, quand un
changement se retrouve à la fois du côté de ce qui est fait et du côté de
celui qui fait, alors l’action est dans le temps des deux côtés ; par
exemple, lorsque quelqu’un est altéré par le froid, il lui vient aussitôt à
l’esprit d’allumer un feu pour repousser le froid. Mais il n’en est pas
toujours ainsi : il y a en effet un être dont la substance n’est pas
dans le temps mais son opération est dans le temps comme on le dira plus
loin. Donc un tel agent, sans subir lui-même aucun changement, produit dans
le temps un effet qui n’existait pas avant. Et en ce sens Dieu aussi peut
produire dans le temps quelque chose de nouveau qui n’existait pas avant
selon un certain rapport de cet effet à ce temps, comme cela se produit pour
tous les effets miraculeux qui sont produits immédiatement par Dieu. Et il
n’y a pas de difficulté à dire qu’Il produit son effet par son existence car
son existence est son intellection ; et, tout comme son existence est
une et qu’il saisi cependant une multiplicité par son intellection et que
pour cette raison il peut produire une multiplicité de choses bien que son
intellection demeure une et simple, de même, bien que son existence soit
éternelle et immobile, il peut cependant concevoir une existence temporelle
et mobile et c’est pourquoi, bien que son intellection soit éternelle, elle
peut cependant produire un effet nouveau dans le temps. Et on peut en voir un
indice en nous : l’homme peut en effet, par une volonté immobile et
durable, reporter son ouvrage pour le faire à un moment déterminé dans le
futur. Mais si tu dis que, toutes les fois que cela se produit, il faut
concevoir à l’avance un autre mouvement à partir duquel il soit possible à la
chose à laquelle il ne convenait pas en premier lieu de devenir, se révèle
par la suite comme devant être fait,
au moins le cours du temps qui ne peut être conçu sans le mouvement, nous dirons
que cela est certes vrai en ce qui concerne les effets particuliers que Dieu
opère dans le temps. Il ressuscita en effet Lazare le quatrième jour et non
avant, et il fit cela en tenant compte d’un certain changement des choses qui
a précédé. Mais dans la production de l’univers cela n’a pas lieu car c’est
en même temps que l’univers que Dieu produisit aussi le temps et tout
mouvement de l’univers universellement ; il n’y a donc pas à rechercher
un autre temps ou une autre mouvement qui précéderait et à l’égard
duquel il faudrait que la nouveauté de
cet effet soit proportionné mais seulement à l’égard de la raison de l’Agent
en tant qu’il a conçu et voulu que cet effet n’existe pas de toute éternité
mais commence à exister après n’avoir pas existé. Ainsi en effet le temps est
la mesure de l’opération ou du mouvement tout comme la dimension est la
mesure de la grandeur corporelle. Si donc nous nous demandons au sujet d’un
corps particulier, par exemple la terre, pourquoi il est contenu à
l’intérieur de ces limites de la grandeur et ne s’étend pas au-delà, la
raison de cela peut se tirer de son rapport à l’ensemble de l’univers. Mais
si à l’inverse la question porte sur la totalité de la nature corporelle, à
savoir pourquoi elle ne dépasse pas les termes de cette grandeur déterminée,
la raison ne peut s’en tirer de son rapport à une autre grandeur, mais ou
bien il faut dire que la grandeur corporelle est infinie, comme les anciens
physiciens l’ont soutenu, ou bien il faut tirer la raison de cette grandeur déterminé
uniquement du côté de l’intelligence et de la volonté de l’Agent. Donc, tout
comme Dieu qui est infini a produit un univers fini conformément à la nature
de sa sagesse, de même le Dieu éternel a pu produire un univers nouveau
conformément à cette même nature de sa sagesse. |
Lectio 12 [84247]
Super De causis, l. 12 Postquam ostendit quod
intelligentia intelligit res sempiternas, hic inducit propositionem ad
manifestandum qualiter intelligentiae, quae sunt res sempiternae, mutuo se
intelligant. Per hoc autem aliquid intelligitur quod est in intelligente, et
ideo ostendit in hac propositione quomodo unum de entibus superioribus sit in
alio. Et est propositio talis: primorum omnium sunt quaedam in quibusdam
per modum quo licet ut sit unum eorum in alio. Haec etiam propositio
proponitur CIII in libro Procli sub his verbis: omnia in omnibus, proprie
autem in unoquoque. Idem autem est quod Proclus dicit: proprie autem
in unoquoque, et quod hic dicitur: per modum quo licet ut sit unum
eorum in alio; utrobique enim significatur quod unum est in alio secundum
convenientem modum ei in quo est. Sed a Proclo quidem inducitur haec
propositio secundum positiones Platonicas quibus ponuntur formae separatae
subsistentes quarum, ut supra dictum est, unaquaeque tanto est altior quanto
est universalior et ad plura suam participationem extendens; et, secundum
hoc, ipsum esse est superius quam ipsa vita, et haec quam ipse intellectus.
Et ideo Proclus hoc determinans in sua propositione addit: et enim in ente
vita et intellectus, et in vita esse et intelligere, et in intellectu esse et
vivere. Et sic etiam videtur auctor huius libri loqui huiusmodi separata
prima nominans. Subdit enim quasi exponens: quod est quia in esse sunt
vita et intelligentia, et in vita sunt esse et intelligentia, et in
intelligentia sunt esse et vita, quod est omnino idem cum verbis Procli.
Addit autem Proclus in sua propositione expositionem modi quo unum horum sit
in alio, dicens: sed alicubi quidem intellectualiter, alicubi autem
vitaliter, alicubi vero enter (id est per modum entis) entia omnia;
quasi dicat quod omnia tria praedicta sunt in intellectu intellectualiter, in
vita vitaliter, in esse essentialiter. Sed hoc quod ponitur loco huius in hoc
libro, videtur esse corruptum et malum intellectum habere. Sequitur enim: verumtamen
esse et vita in intelligentia sunt duae intelligentiae, debet enim
intelligi quod ista duo, scilicet esse et vita, sunt in intelligentia
intellectualiter; et esse et intelligentia in vita sunt duae vitae, id
est ambo sunt in vita vitaliter; et intelligentia et vita in esse sunt duo
esse, id est ambo sunt in ipso esse essentialiter. Si autem intelligatur
secundum quod verba sonant, falsum continent intellectum: vivere enim
viventis est ipsum esse eius, ut dicitur in II de anima et ipsum intelligere
primi intelligentis est vita eius et esse ipsius, ut in XII metaphysicae
dicitur; unde et hoc Proclus excludens dicit quod esse intellectus est
cognitivum et vita eius est cognitio. Alioquin sequeretur inconveniens
quod Aristoteles inducit in III metaphysicae contra Platonicos, quod scilicet
Socrates esset tria animalia, quia et ipse est animal, et de eo praedicatur
idea animalis communis quam participat, et similiter idea hominis qui item
est animal; sequeretur enim quod unumquodque istorum trium esset non unum sed
multa. Apponit autem Proclus probationem manifestam ad ea quae dicta sunt,
distinguens quod tripliciter aliquid de aliquo dicitur: uno modo causaliter,
sicut calor de sole, alio modo essentialiter sive naturaliter, sicut calor de
igne, tertio modo secundum quamdam posthabitionem, id est consecutionem sive
participationem, quando scilicet aliquid non plene habetur sed posteriori
modo et particulariter, sicut calor invenitur in corporibus elementatis non
in ea plenitudine secundum quam est in igne. Sic igitur illud quod est
essentialiter in primo, est participative in secundo et tertio; quod autem
est essentialiter in secundo, est in primo quidem causaliter et in ultimo
participative; quod vero est in tertio essentialiter, est causaliter in primo
et in secundo. Et per hunc modum omnia sunt in omnibus. Sed quia auctor huius
libri non videtur ponere formas separatas, quod hic dicitur esse et vitam et
intelligentiam in se invicem esse, est intelligendum secundum quod inveniuntur
in habentibus esse, vivere et intelligere; quia in ipso esse secundum
propriam rationem invenitur causaliter vivere et intelligere, secundum illum
modum quo in 1 propositione dictum est quod esse est causa prima, vivere et
intelligere posteriores causae. Non tamen ita est intelligendum sicut verba
sonant, quod intelligentia et vita sint in ipso esse duo esse, sed
quia haec duo, prout sunt in ipso esse, non sunt aliud quam esse, et
similiter esse, prout est in vita, est ipsa vita, cum vita nihil addat supra esse
nisi determinatum modum essendi seu determinatam naturam entis. Et idem
intelligendum est in aliis comparationibus secundum quas unum istorum dicitur
esse in alio. Sed quia, secundum intellectum huius auctoris, haec tria non
sunt quaedam res subsistentes, sicut dictum est, consequenter applicat istam
propositionem ad res quae per se subsistunt, quae sunt: esse primum quod est
Deus, intelligentia, anima intellectiva et anima sensitiva. Et dicit quod hoc
modo causa est in effectu et e converso, secundum quod causa agit in effectum
et effectus recipit actionem causae; causa autem agit in effectum per modum
ipsius causae, effectus autem recipit actionem causae per modum suum; unde
oportet quod causa sit in effectu per modum effectus et effectus sit in
causa per modum causae. Sic igitur ea quae sunt in sensu sensibiliter,
sunt in anima intellectiva per modum ei convenientem, et ea quae sunt in
anima per modum animalem, sunt in intellectu per modum proprium, et quae sunt
in intelligentia intelligibiliter, sunt in causa prima essentialiter,
secundum modum suum; et e converso priora sunt in posterioribus secundum
modum posteriorum. Ex quo accipi potest qualiter intelligentiae se invicem
intelligant et causam primam: unaquaeque enim intelligit aliam secundum quod alia
est in ipsa, per modum eius in quo est; quia etiam in superioribus sunt
inferiores secundum quasdam excellentiores similitudines seu species,
superiores vero in inferioribus secundum quasdam deficientiores similitudines
et species. |
12) Tous les êtres premiers sont
les uns dans les autres selon qu'il est possible à chacun d'être en un autre
Après avoir montré que
l'intelligence pense les réalités perpétuelles, l'auteur introduit ici une
proposition en vue de manifester comment les intelligences, qui sont des
réalités éternelles, se pensent mutuellement les unes les autres. Mais
quelque chose est intelligé du fait qu’il est dans l'intelligence, et c’est
pourquoi l'auteur montre dans cette proposition comment un des êtres
supérieurs est dans un autre. Et telle est cette proposition : pour tous les êtres premiers, les uns sont
dans les autres suivant la manière qui convient à chacun d’être dans un autre.
Cette proposition est aussi présentée en ces termes dans le livre de Proclus
à la proposition 103 : Tout est
dans tout, mais de la manière qui est propre à chacun. Mais ce que dit
Proclus, à savoir mais de la manière
qui est propre à chacun, est identique
à ce que dit ici notre
auteur : suivant la manière qui
convient à chacun d’être dans un autre ; dans les deux cas en effet on
signifie que l’un est dans l’autre suivant le mode de celui dans lequel il
est. Mais cette proposition est certes introduite par Proclus conformément
aux opinions platoniciennes qui posent des formes séparées subsistantes dont
chacune, comme nous l’avons dit, est d’autant plus supérieure qu’elle est
plus universelle et qu’elle étend sa participation à un plus grand
nombre ; et, d’après cette position, l’être lui-même est supérieur à la
vie elle-même et cette dernière est supérieure à l’intelligence lui-même. Et
c’est pourquoi Proclus, précisant cela, ajoute dans sa proposition : et en effet la vie et l’intelligence sont
dans l’être, et l’être et l’intellection dans la vie, et l’être et la vie
sont dans l’intelligence. Et c’est ainsi aussi que l’auteur de ce livre
semble parler lorsqu’il nomme les premiers êtres séparés. Il ajoute en effet
comme à titre d’explication : il
en est ainsi parce que la vie et l’intelligence sont dans l’être, que l’être
et l’intelligence sont dans la vie et que l’être et la vie sont dans
l’intelligence, ce qui est tout à fait identique aux paroles de Proclus. Mais dans sa
proposition Proclus ajoute une explication sur la manière par laquelle l’un
de ces êtres est dans l’autre en disant : mais dans un cas tous les êtres sont dans un autre à la manière de
l’intelligence, dans un autre à la manière de la vie et dans un autre encore
véritablement, (c’est-à-dire à la manière de l’être) ; c’est comme
s’il disait que les formes qui précèdent sont toutes les trois dans l’intelligence
à la manière de l’intelligence, dans la vie à la manière de la vie et dans
l’être essentiellement, c’est-à-dire à la manière de l’être. Mais ce qui est
affirmé dans ce livre à la place de cela semble être altéré et mal compris.
En effet, ce qui suit, à savoir : il
est cependant vrai que l’être et la vie dans l’intelligence sont deux
intelligences, cela doit en effet s’entendre dans le sens où ces deux
formes, à savoir l’être et la vie, sont dans l’intelligence à la manière de
l’intelligence ; et l’être et
l’intelligence dans la vie sont deux vies, cela soit s’entendre dans le
sens où les deux sont dans la vie à la manière de la vie ; et l’intelligence et la vie dans l’être
sont deux êtres, dans le sens où les deux sont dans l’être essentiellement.
Mais si on entend ces énoncés d’une façon purement littérale, ils contiennent
une fausseté : en effet, la vie est l’être même du vivant comme le dit
le Philosophe au deuxième livre de
l’Âme, et l’intellection même de la première Intelligence est sa vie même
et son être même comme le dit encore le Philosophe au douzième livre de la Métaphysique ; c’est pourquoi
Proclus, pour écarter cette fausse interprétation, dit que l’être de l’intellect est cognitif et que
sa vie est une connaissance. Autrement, s’il n’en était pas ainsi, il
s’ensuivrait une difficulté qu’Aristote présente contre les Platoniciens au
troisième livre de la Métaphysique,
à savoir que dans ce cas Socrate serait trois animaux, car il est d’abord
lui-même un animal, puis on lui attribue l’idée commune d’animal dont il
participe, et enfin l’idée d’homme à laquelle s’attribue aussi l’idée
d’animal ; il s’ensuivrait en effet que chacune de ces trois formes ne
formerait pas une unité mais constituerait une multiplicité. Proclus ajoute
cependant une preuve claire de ce qui a été dit en faisant la distinction
suivante, à savoir qu’il y a trois façons pour un prédicat de s’attribuer à
un sujet : premièrement à la manière d’une cause, comme la chaleur
s’attribue au soleil ; deuxièmement d’une manière essentielle ou
naturelle, comme la chaleur s’attribue au feu ; troisièmement d’après
une possession secondaire, c’est-à-dire d’après une consécution ou une
participation, c’est-à-dire lorsque quelque chose n’est pas possédé dans sa
plénitude mais comme secondairement et partiellement, tout comme la chaleur
se retrouve dans les corps élémentaires et non dans cette plénitude selon
laquelle on la retrouve dans le feu. Ainsi donc ce qui existe essentiellement
dans ce qui est premier existe par participation dans ce qui est second et ce
qui est troisième ; mais ce qui existe essentiellement dans ce qui est
second se retrouve certes à la manière d’une cause dans ce qui est premier et
par participation dans ce qui est troisième ; mais se qui se retrouve
essentiellement dans ce qui est troisième se retrouve à la manière d’une
cause à la fois dans ce qui est premier et dans ce qui est second. Et c’est
en ce sens qu’on peut dire que tout est en tout. Mais parce que l’auteur de
ce livre ne semble pas affirmer l’existence de formes séparées, ce qui est
dit ici, à savoir que l’être, la vie et l’intelligence sont l’un dans
l’autre, cela doit s’entendre pour autant qu’on les retrouve dans les sujets
qui possèdent l’être, la vie et l’intelligence ; car c’est dans l’être
même selon sa définition propre que se retrouvent comme dans une cause la vie
et l’intelligence, selon ce mode par lequel nous avons dit à la proposition 1
que l’être est la cause première et
que la vie et l’intelligence sont des causes secondes. Mais cela ne doit
certes pas s’entendre d’une manière purement littérale, au sens où la vie et l’intelligence sont, dans l’être
lui-même, deux êtres, mais parce que ces deux formes, en tant qu’elles
sont dans l’être lui-même, ne sont pas autres que l’être ; et de la même
manière l’être, en tant qu’il est dans la vie, est la vie elle-même puisque
la vie n’ajoute à l’être qu’une modalité déterminée d’être ou une nature
déterminée de l’être. Et il faut l’entendre de la même manière pour les
autres rapports selon lesquels selon lesquels on dit de l’un qu’il est dans
un autre. Mais parce que, selon l’intention de cet auteur, ces trois formes
ne sont pas des réalités subsistantes, comme nous l’avons dit, c’est pourquoi
il applique par conséquent cette proposition aux réalités qui subsistent par
elles-mêmes à savoir : l’être premier qui est Dieu, l’intelligence,
l’âme intellectuelle et l’âme sensible. Et il dit que c’est de cette manière
que la cause est dans l’effet et inversement, à savoir en ce sens que la
cause agit sur son effet et que l’effet reçoit l’action de la cause ;
mais la cause agit sur son effet à la manière de la cause elle-même alors que
l’effet reçoit l’action de la cause selon sa modalité à lui ; d’où il
faut que la cause soit dans l’effet selon la modalité de l’effet et que
l’effet soit dans la cause selon la
modalité de la cause. Ainsi donc ce qui se retrouve dans le sens selon le
mode du sens existe dans l’âme
intellectuelle de la manière qui convient à celle-ci, ce qui se retrouve dans
l’âme selon le mode de l’animal existe
dans l’intelligence suivant le mode propre à cette dernière et ce qui se
retrouve dans l’intelligence selon un mode intellectuel existe dans la cause
première selon le mode qui lui est propre, c’est-à-dire
essentiellement ; et inversement ce qui est premier se retrouve dans ce
qui est second selon son mode à lui, c’est-à-dire suivant le mode de ce qui
est second ; et c’est à partir de là qu’on peut saisir comment les
intelligences s’intelliger mutuellement et intelliger la cause première :
chacune en effet intellige l’autre selon que l’autre est en elle, selon le
mode de celui dans lequel elle est ; car les intelligences inférieures
sont dans les intelligences supérieures selon des similitudes ou des espèces
plus excellentes alors que les intelligences supérieures sont dans les
inférieures d’après certaines similitudes ou espèces plus faibles. |
Lectio 13 [84248]
Super De causis, l. 13 Ostenso quomodo
intelligentia intelligat alia, nunc ad ostendendum quomodo intelligat seipsam
inducitur haec propositio quae etiam invenitur CLXVII in libro Procli, sub
his verbis: omnis intellectus seipsum intelligit. Sed huius
propositionis et probationis eius intellectum oportet nos accipere ex his
quae Proclus dicit. Ut enim supra dictum est, secundum opiniones Platonicas
ordo intellectuum ponitur sub ordine formarum separatarum ex quarum
participatione fiunt intelligentes in actu; unde formae separatae comparantur
ad eos sicut intelligibile ad intellectum. Sicut autem aliarum rerum ponebant
quasdam ideas, ita et ipsorum intellectuum, quam vocabant primum intellectum.
Iste ergo intellectus idealis in quantum est intellectus intelligit, et in
quantum est forma idealis est forma intellecta; sic igitur in eo unitur
omnino intellectus et intellectum, et per hoc perfecte seipsum intelligit,
quia essentia sua totaliter est intelligibile non solum intelligens. Omnis
autem intellectus secundum Platonicos habet intellectum participatum; sed
superiores intellectus participant ipsum intellectum perfectius, unde participant
de ipso non solum quod sint intellectus sed etiam quod sint intelligibiles et
quodammodo formales intellectus; sic igitur coniungitur in eis secundum eorum
substantiam quodammodo intelligens et intellectum, et ideo etiam ipsi
intelligunt suam essentiam, sed diversimode a primo intellectu. Nam primus
intellectus idealis non participat aliquam priorem formam intellectualitatis,
sed ipsemet est prima forma intellectualitatis: unde suum intelligibile non
est aliud quam ipse. Posteriores vero intellectus sic habent aliquid de forma
intellectualitatis in sua substantia quod tamen illud derivatur a superiori
intellectu ideali; sic ergo intelligunt suam essentiam quod etiam intelligunt
superiorem intellectum quem participant. Et hoc est quod Proclus addit in
praedicta propositione: sed primus quidem seipsum solum, et unum secundum
numerum in hoc intellectus et intelligibile. Unusquisque autem consequentium
seipsum simul et quae ante ipsum, et intelligibile huic hoc quidem quod est,
hoc autem a quo est. Quia vero secundum sententiam Aristotelis, quae in
hoc magis Catholicae doctrinae concordat, non ponimus multas formas supra
intellectus sed unam solam quae est causa prima, oportet dicere quod, sicut
ipsa est ipsum esse, ita est ipsa vita et ipse intellectus primus. Unde et
Aristoteles in XII metaphysicae probat quod intelligit seipsum tantum, non
ita quod desit ei cognitio aliarum rerum, sed quia intellectus eius non
informatur ad intelligendum alia specie intelligibili nisi seipso. Sic igitur
superiores intellectus separati, tanquam ei propinqui, intelligunt seipsos et
per suam essentiam et per participationem superioris naturae. Et ideo ad
probandum hanc propositionem, primo hic inducitur quod intelligens et
intellectum in intellectibus separatis sunt simul, in quantum
scilicet secundum substantiam suam non solum sunt intellectus sed
intelligibiles, utpote propinquissime participantes primum intellectum. Unde
concludit quod intelligentia intelligit essentiam suam; et quia
essentia sua est essentia intelligentis, sequitur quod, intelligendo
essentiam suam, intelligat se intelligere essentiam suam. Consequenter autem
ostendit quomodo, per hoc quod intelligit essentiam suam, intelligat etiam
alia. Habetur enim ex praemissa propositione quod omnes aliae res sunt in intelligentia
per modum intelligibilem, et ita sunt unum intelligentia et res
intellectae secundum quod in intelligentia, et ideo quando intelligit
essentiam suam, intelligit res alias; et eadem ratione quandocumque
intelligentia intelligit res alias, intelligit seipsam. Sed utrum haec
conveniant animae intellectuali, infra considerabimus. |
13) Toute intelligence intellige
sa propre essence.
Ayant montré comment
une intelligence saisit les autres par son intellection, l'auteur, afin de
montrer comment l'intelligence se saisit elle-même, introduit cette
proposition qu'on retrouve aussi en ces termes à la proposition 167 du livre
de Proclus : Tout intellect se saisit
lui-même par son intellection. Mais ces des termes mêmes de Proclus qu’il
nous faut tirer la compréhension de cette proposition et de sa preuve. En effet, comme nous
l’avons dit plus haut conformément aux positions des Platoniciens, l’ordre
des intelligences est posé sous l’ordre des formes séparées par la
participation desquelles elles deviennent intelligeantes en acte ; c’est
pourquoi les formes séparées se comparent à elles comme l’intelligible se
compare à l’intellect. Cependant, tout comme ils posaient des Idées pour les
autres choses, de même ils en posaient une pour les intelligences elles-mêmes,
Idée qu’ils appelaient intellect premier. Donc cet intellect idéal intellige
en tant qu’il est intellect et une forme intelligée ou un concept en tant
qu’il est une forme idéale ; ainsi donc en lui l’intellect et le concept
sont tout à fait unis et à cause de cela il s’intellige parfaitement parce
que son essence est totalement intelligible et non seulement intelligeante.
Mais selon les Platoniciens tout
intellect possède un intellect participé, mais les intellects supérieurs
participent plus parfaitement de l’intellect lui-même et c’est pourquoi ils
participent de lui non seulement le fait d’être des intellects, mais aussi
d’être intelligibles et en quelque sorte des intellects formels ; ainsi
donc en eux l’intelligibilité et l’intellectualité se trouvent en quelque
sorte à être unis substantiellement et c’est pourquoi encore ces intellects
intelligent leur essence mais différemment de l’intellect premier. Car
l’intellect premier et idéal ne participe pas d’une forme d’intellectualité
qui lui serait antérieure mais il est lui-même la forme première
d’intellectualité : d’où il suit que son intelligible n’est pas autre
que lui-même. Mais les intellects seconds possèdent dans leur essence quelque
chose de l’intellectualité de telle manière cependant que cela dérive de
l’intellect supérieur idéal ; ainsi donc ils intelligent leur essence en
intelligeant aussi l’intellect supérieur dont ils participent. Et c’est cela
que Proclus ajoute dans la proposition qui précède : mais l’Intellect premier n’intellige que
lui-même et en cela l’intelligible et l’intellect ne font qu’un par le
nombre. Cependant chacun de ceux qui suivent intellige simultanément soi-même
et les intellects qui lui sont antérieurs et alors son intelligible est à la
fois ce qu’il est et ce par quoi il est. Mais parce que,
conformément à la pensée d’Aristote qui en cela s’accorde davantage avec la
doctrine catholique, nous ne posons
pas une multiplicité de formes au-dessus des intellects mais une seule qui
est la cause première, il faut dire que tout comme cette dernière est l’être
même, de même elle est aussi la vie même et l’intellect premier lui-même. Et
c’est pourquoi Aristote prouve au douzième livre de la Métaphysique que cette
cause première n’intellige qu’elle-même, non pas de telle manière que la
connaissance des autres choses lui ferait défaut mais parce que son intellect
pour intelliger n’est pas informé par une espèce intelligible qui serait
autre qu’elle-même. Ainsi donc, les intellects supérieurs séparés, parce
qu’ils sont plus rapprochés de l’intellect premier, s’intelligent eux-mêmes à
la fois par leur essence et par participation de la nature supérieure. Et
c’est pourquoi, pour prouver cette proposition, l’auteur avance d’abord ici
que chez les intellects séparés l’intelligence
et l’intelligible sont simultanés, c’est-à-dire dans la mesure où selon
leur substance ils ne sont pas seulement des intellects mais aussi des
intelligibles en tant qu’ils participent le plus prochainement du premier
intellect. L’auteur conclut de là
que l’intelligence intellige son
essence ; et parce que son essence est l’essence de l’intelligence
il s’ensuit qu’en intelligeant son essence, elle intellige qu’elle intellige
son essence. Il montre cependant par la suite de quelle manière, par ceci qu’elle
intellige son essence, elle intellige aussi tout le reste. Il a été établi en
effet à partir de la proposition qui précède que toutes les autres choses
sont dans l’intelligence à la manière
de l’intelligible et qu’ainsi l’intelligence
et la chose intelligée, en tant qu’elle est dans l’intelligence, ne font qu’un ; et c’est pourquoi
l’intelligence, quand elle intellige son essence, intellige aussi les autres
choses ; et pour la même raison, à chaque fois qu’elle intellige les
autres choses, l’intelligence s’intellige elle-même. Mais nous examinerons
plus loin si cela convient aussi à l’âme intellectuelle. |
Lectio 14 [84249]
Super De causis, l. 14 Postquam determinavit de
causa prima et de intelligentia, hic determinat de anima. Et primo determinat
de ea secundum habitudinem quam habet ad res alias, secundo determinat de ea
secundum seipsam, ibi: omnis sciens et cetera. Circa primum ponit talem
propositionem: in omni anima res sensibiles sunt per hoc quod est exemplum
eis, et res intelligibiles in ea sunt quia scit eas. Ad intellectum autem
huius propositionis, videamus id quod scribitur in libro Procli circa hoc.
Ponitur enim ibi CXCV propositio talis: omnis anima est omnes res,
exemplariter quidem sensibilia, yconice autem intelligibilia. Et dicitur yconice
id est per modum imaginis: imago enim est quod fit ad similitudinem alterius,
sicut exemplar est id ad cuius similitudinem fit aliud. Haec autem propositio probatur tam hic
quam in libro Procli hoc modo. Anima enim, ut habitum est
in 2 propositione, media est inter res intelligibiles quae sunt omnino
separatae a motu et per hoc parificantur aeternitati, et inter res
sensibiles quae moventur et cadunt sub tempore; et quia priora sunt causa
posteriorum, sequitur quod anima sit causa corporum et intelligentia
sit causa animae per modum supra expositum. Manifestum est autem quod oportet
effectus praeexistere in causis exemplariter, quia causae producunt effectus
secundum suam similitudinem; et e converso causata habent imaginem suarum
causarum, ut etiam Dionysius dicit II capitulo de divinis nominibus. Sic
igitur res sensibiles quae causantur ex anima sunt in ea per modum exempli,
ita scilicet quod huiusmodi res quae sunt infra animam causantur ad exemplum
et similitudinem animae, res autem quae sunt supra animam sunt in anima
per modum acquisitum, id est per quamdam participationem, ita scilicet
quod comparantur ad animam sicut exemplaria, et anima ad ipsa quodammodo
sicut imago: sic igitur patet quod sensibilia praeexistunt in anima sicut in
causa quae quodammodo est exemplar effectuum. Exponit autem consequenter de
qua anima intelligat, dicens: intelligo per animam virtutem agentem res
sensibiles. Secundum illos enim qui ponunt corpora caelestia animata,
anima caeli est causa omnium sensibilium corporum; sicut inferiorum animarum
unaquaeque est causa proprii corporis. Nulla ergo inferior anima habet
universalem causalitatem respectu sensibilium; et ideo sensibilia non sunt in
ea per modum causae, sed solum in anima caeli quae supra sensibilia habet
universalem causalitatem; et hanc hic appellat: virtutem agentem res
sensibiles. Unaquaeque vero animarum quae sunt hic habet quidem
causalitatem respectu proprii corporis, sed non causat ipsum neque per sensum
neque per intellectum; unde non praehabet sui corporis intelligibiles et
exemplares rationes, causat autem ipsum per virtutem naturalem. Unde et in II
de anima dicitur quod anima est efficiens causa corporis, tale autem agens
non agit per aliquam rationem exemplarem proprie sumptam nisi ipsam naturam
per quam agit dicamus exemplar effectus qui ad eius similitudinem producitur
aliquo modo; et per hunc modum in natura animae virtute praeexistunt omnes
partes sensibiles sui corporis, coaptantur enim potentiis animae quae ex eius
natura procedunt. Et quamvis res sensibiles sint in anima quae est causa
earum, non tamen sunt in ea per modum quo sunt in seipsis. Nam virtus animae
est immaterialis, quamvis sit causa materialium, et est spiritualis, quamvis
sit causa corporum, et est sine dimensione corporea, quamvis sit causa rerum
habentium dimensionem. Et quia effectus sunt in causa secundum virtutem
causae, oportet quod corpora sensibilia sint in anima indivisibiliter et
immaterialiter et incorporaliter. Et sicut res inferiores anima sunt in ea
altiori modo quam in seipsis, ita res superiores, scilicet intelligentiae,
sunt in anima inferiori modo quam in seipsis, scilicet yconice vel per modum
imaginis, ut Proclus dicit; loco cuius hic dicitur: per modum accidentalem,
id est per quemdam inferiorem modum participationis, ita scilicet quod res
intelligibiles quae sunt in seipsis indivisae et unitae et immobiles, sunt in
anima divisibiliter et multipliciter et mobiliter per comparationem ad
intelligentiam,- sunt enim ad hoc proportionatae ut sint causae multitudinis
et divisionis et motus rerum sensibilium,- vel dicit quod res immobiles sunt
in anima per modum motus, quia, secundum Platonicos, animae proprium est
quod sit movens seipsam, secundum Aristotelem autem est principium motus rei
moventis seipsam. Ultimo autem epilogando concludit propositum, et est
manifestum ex praemissis. Et ex his quae dicta sunt apparere potest qualiter
superiores animae caelorum, si caeli sunt animati, possint cognoscere
sensibilia et intelligibilia: sic enim cognoscunt ea secundum quod sunt in
eis. |
14) Les choses sensibles sont en
toute âme parce qu'elle en est le modèle, et les choses intelligibles sont en
elle parce qu'elle les connaît.
L'âme en effet, comme
nous l’avons établi à la proposition 2, est
intermédiaire entre les réalités intelligibles qui sont totalement séparées
du mouvement et par là rendues égales à l’éternité, et les choses sensibles qui sont en mouvement et sont soumises
au temps ; et parce que ce qui est premier est la cause de ce qui est
second, il s’ensuit que l’âme est la cause des corps et que l’intelligence
est la cause de l’âme de la manière que nous avons expliquée plus haut. Il
est cependant évident qu’il faut que l’effet existe dans la cause comme dans
un modèle car c’est à leur ressemblance que les causes produisent leurs
effets ; et inversement les effets
contiennent comme une image de leur cause comme le dit aussi Denys au
chapitre 2 des Noms Divins. Ainsi donc les réalités sensibles qui
sont causées par l’âme sont en elle comme dans un modèle, c’est-à-dire de
telle manière que ces réalités qui sont inférieures à l’âme sont causées à sa ressemblance et en se référant
à elle comme à un modèle, mais les
réalités qui sont supérieures à l’âme sont en elle à la manière de ce qui est
acquis, c’est-à-dire par une
certaine participation, c’est-à-dire qu’elles se comparent à l’âme comme
des modèles alors que l’âme se compare à elles comme une image en quelque
sorte : ainsi donc il est clair que les réalités sensibles préexistent
dans l’âme comme dans leur cause qui est d’une certaine manière comme le
modèle de ses effets. Il explique par la suite à quelle âme il pense en disant
cela lorsqu’il dit : j’entends par
âme la puissance qui produit les réalités sensibles. En effet, d’après
ceux qui posent que les corps célestes sont animés, l’âme du ciel est la cause
de tous les corps sensibles, tout comme chacune des âmes inférieures ou
particulières est la cause du corps qui lui est propre. Donc, aucune âme
inférieure ne possède une causalité universelle à l’égard des réalités
sensibles et c’est pourquoi ces dernières ne sont pas en chacune des
âmes particulières comme dans une cause, mais c’est seulement dans l’âme du
ciel, qui possède une causalité universelle sur les réalités sensibles,
qu’elles se trouvent suivant cette modalité, et c’est pour cette raison que
notre auteur l’appelle ici : la
puissance qui produit les réalités sensibles. Mais chacune des âmes qui
sont ici-bas possède certes une causalité à l’égard du corps qui lui est
propre mais elle ne le cause lui-même ni par le sens ni par l’intelligence ;
c’est pourquoi elle ne contient pas à l’avance en elle les notions intelligibles
et exemplaires de son corps mais elle le cause plutôt par une puissance
naturelle. Et c’est pourquoi on dit au deuxième livre de l’Âme que l’âme est la cause efficiente du corps mais qu’un
tel agent n’agit pas par une notion exemplaire prise au sens propre mais par
la nature même par laquelle il agit et que nous appelons à cause de cela le
modèle de l’effet qui est produit en quelque sorte à sa ressemblance ;
et c’est de cette manière que toutes les parties de son corps préexistent
virtuellement dans la nature de l’âme alors qu’elles sont en effet rattachées
aux puissances qui procèdent de la nature de l’âme. Et bien que les réalités
sensibles soient dans l’âme qui en est la cause, elles ne s’y trouvent
cependant pas de la manière par laquelle elles sont en elles-mêmes. Car la
puissance de l’âme, bien qu’elle soit la cause des réalités matérielles, est
immatérielle, et elle est spirituelle bien qu’elle soit la cause des corps,
et elle existe sans aucune dimension corporelle bien qu’elle soit la cause
des réalités qui possèdent une dimension. Et parce que les effets existent
dans la cause conformément à la puissance de la cause, il faut que les corps
sensibles existent dans l’âme d’une manière indivisible, immatérielle et
incorporelle. Et comme les réalités qui sont inférieures à l’âme existent en
elle selon un mode qui est supérieur à celui qu’elles possèdent en
elles-mêmes, de même les réalités qui lui sont supérieurs, à savoir les
intelligences, existent en elle selon
un mode inférieur à celui qu’elles possèdent en elles-mêmes, c’est-à-dire yconice où selon le mode de l’image,
comme le dit Proclus ; au lieu de cela notre auteur dit ici : par un mode accidentel, c’est-à-dire
d’après un mode inférieur de participation, c’est-à-dire de telle manière que
les réalités intelligibles qui en elles-mêmes sont indivisée, une et
immobiles, se retrouvent dans l’âme selon le mode de la division, de la
multiplicité et du mouvement, par opposition au mode de l’intelligence, et y trouvent la proportion nécessaire à être les
causes de la multiplicité, de la division et du mouvement des corps
sensibles ; ou bien il dit que les réalités immobiles sont dans l’âme selon le mode du mouvement,
car selon les Platoniciens, le propre de l’âme est de se mouvoir elle-même
alors que pour Aristote l’âme est le principe du mouvement de la chose qui se
meut elle-même. Et à la fin, comme par un résumé, il termine son propos qui
est évident suite à ce qui a été dit. Et à partir de ce qui
a été dit, on peut voir de quelle manière les âmes supérieures des cieux, si
les cieux possèdent une âme, peuvent connaître les réalités sensibles et
intelligibles qui leur sont inférieures : elles les connaissent en effet
suivant le mode d’existence qu’elles possèdent dans ces mêmes âmes
supérieures. |
Lectio 15 [84250]
Super De causis, l. 15 Ostenso qualiter anima se
habeat ad alia, hic ostendit qualiter anima se habeat ad seipsam; et
proponitur talis propositio: omnis sciens scit essentiam suam, ergo est
rediens ad essentiam suam reditione completa. Et ad huius propositionis
intellectum considerandae sunt quaedam propositiones quae in libro Procli
ponuntur. Quarum una est XV libri eius, quae talis est: omne quod ad
seipsum conversivum est incorporeum est. Et hanc propositionem supra
manifestavit in 7 propositione libri huius. Secundam propositionem sumamus
quae est XVI in libro Procli, quae talis est: omne ad seipsum conversivum
habet substantiam separabilem ab omni corpore. Et huius probatio est
quia, cum corpus ad seipsum converti non possit, ut ex praemissa propositione
habetur, sequitur quod conversio ad seipsum sit operatio separata a corpore;
cuius autem operatio est a corpore separabilis, necesse est quod et
substantia sit separabilis; unde omne quod ad seipsum converti potest, est a
corpore separabile. Tertiam propositionem sumamus XLIII libri eius, quae
talis est: omne quod ad seipsum conversivum est, authypostaton est, id est
per se subsistens. Quod probatur per hoc quod unumquodque convertitur ad
id per quod substantificatur; unde, si aliquid ad seipsum convertitur
secundum suum esse, oportet quod in seipso subsistat. Quartam propositionem
sumamus XLIV (propositionem) libri eius: omne quod secundum operationem ad
seipsum est conversivum, et secundum substantiam est ad se conversum. Et hoc probatur per hoc quod, cum
converti ad seipsum sit perfectionis, si secundum substantiam ad seipsum non
converteretur quod secundum operationem convertitur, sequeretur quod operatio
esset melior et perfectior quam substantia. Quintam
propositionem sumamus LXXXIII libri eius, quae talis est: omne suiipsius
cognitivum ad seipsum omniquaque conversivum est. Cuius probatio est quia quod seipsum
cognoscit convertitur ad seipsum per suam operationem, et per consequens per
suam substantiam, ut patet per propositionem praemissam. Sextam propositionem accipiemus CLXXXVI libri eius, quae talis
est: omnis anima est incorporea substantia et separabilis a corpore.
Quae sic probatur secundum praemissa: anima cognoscit seipsam, ergo
convertitur ad seipsam omniquaque, ergo est incorporea et a corpore
separabilis. His igitur visis, considerandum est quod in hoc libro tria
ponuntur. Quorum primum est quod anima sciat essentiam suam; de anima enim
est intelligendum quod hic dicitur. Secundum est quod ex hoc concluditur,
quod redeat ad essentiam suam reditione completa. Et hoc est idem ei
quod in propositione Procli dictum est, quod omne suiipsius cognitivum ad
seipsum omniquaque conversivum est; et intelligitur reditio sive
conversio completa et secundum substantiam et secundum operationem, ut dictum
est. Quod autem hoc secundum sequatur ex primo
probat sic quia, cum dico quod sciens scit essentiam suam, ipsum scire
significat operationem intelligibilem, ergo patet quod in hoc quod sciens
scit essentiam suam, redit, id est convertitur, per operationem suam
intelligibilem ad essentiam suam, intelligendo scilicet eam. Et quod hoc debeat vocari reditus vel conversio, manifestat per
hoc quod, cum anima scit essentiam suam, sciens et scitum sunt res una,
et ita scientia qua scit essentiam suam, id est ipsa operatio
intelligibilis, est ex ea in quantum est sciens et est ad eam in quantum
est scita: et sic est ibi quaedam circulatio quae importatur in verbo
redeundi vel convertendi. Ex
hoc autem quod secundum suam operationem redit ad essentiam suam, concludit
ulterius quod etiam secundum substantiam suam est rediens ad essentiam
suam; et ita fit reditio completa secundum operationem et substantiam. Et
exponit consequenter quid sit redire secundum substantiam ad essentiam suam.
Illa enim dicuntur secundum substantiam ad seipsa converti quae subsistunt
per seipsa, habentia fixionem ita quod non convertantur ad aliquid aliud
sustentans ipsa, sicut est conversio accidentium ad subiecta; et hoc ideo
convenit animae et unicuique scienti seipsum, quia omne tale est substantia
simplex, sufficiens sibi per seipsam, quasi non indigens materiali
sustentamento. Et hoc potest esse tertium, quod scilicet anima sit
separabilis a corpore, ut proponitur in propositione Procli. Primum autem
horum, scilicet quod anima sciat essentiam suam, hic non probatur. Probatur
autem in libro Procli sic: at vero quod cognoscat seipsam, manifestum est:
si enim et quae super ipsam cognoscit, et seipsam nata est cognoscere multo
magis, tamquam a causis quae sunt ante ipsam cognoscens seipsam. Ubi diligenter considerandum est quod supra, cum de intellectuum
cognitione ageret, dixit quod primus intellectus intelligit seipsum tantum,
ut in 13 propositione dictum est, quia scilicet est ipsa forma intelligibilis
idealis; alii vero intellectus tamquam ei propinqui participant a primo
intellectu et formam intelligibilitatis et virtutem intellectualitatis, sicut
Dionysius dicit IV capitulo de divinis nominibus quod supremae substantiae
intellectuales sunt et intelligibiles et intellectuales; unde unusquisque
eorum intelligit et seipsum et superiorem quem participat. Sed quia anima
intellectiva inferiori modo participat primum intellectum, in substantia sua
non habet nisi vim intellectualitatis; unde intelligit substantiam suam, non
per essentiam suam, sed, secundum Platonicos, per superiora quae participat,
secundum Aristotelem autem, in III de anima, per intelligibiles species quae
efficiuntur quodammodo formae in quantum per eas fit actu. |
15) Tout être connaissant connaît
sa propre essence, il revient donc à son essence par un retour complet.
Ayant montré le
rapport qu’il y a entre l’âme et les autres choses, l’auteur montre ici le
rapport de l’âme à elle-même en présentant cette proposition : tout être connaissant connaît sa propre
essence et revient donc à son essence par un retour complet. Et pour bien entendre
cette proposition, il faut considérer certaines propositions présentées par
Proclus dans son livre, dont la première est la proposition 15 de son livre
où il dit : tout ce qui fait un
retour sur soi-même est incorporel. Et il a manifesté cet énoncé
précédemment à la proposition 7 de ce livre. La deuxième proposition que nous
prenons est la seizième dans le livre de Proclus et qui se lit ainsi : tout ce qui est capable d’un retour sur soi-même
possède une substance qui est séparable de tout corps. Et la preuve en
est que puisque le corps ne peut faire un retour sur lui-même ainsi que
l’établit la proposition qui précède, il s’ensuit que le retour sur soi
soit une opération indépendante du corps ; mais ce dont l’opération est
indépendante du corps possède une substance qui est indépendante du
corps ; d’où il suit que tout est séparable ou indépendant du corps.
Prenons maintenant la troisième proposition qui est la quarante-troisième de
ce livre et que voici : tout ce
qui fait un retour sur soi-même est authypostaton, c’est-à-dire subsistant
par soi. Ce qui est prouvé par ceci que chaque chose se tourne vers ce
par quoi elle reçoit sa substance ; d’où il résulte que si un être fait
un retour sur soi selon son être, il faut qu’il subsiste en lui-même. Prenons
la quatrième proposition qui est la quarante-quatrième de ce livre : tout ce qui fait un retour sur soi-même
quant à l’opération fait aussi un retour sur soi-même quant à la substance.
Et cela, Proclus le prouve de la manière qui suit : puisque faire un retour
sur soi-même constitue une perfection, si ce qui fait un retour sur soi-même
quant à l’opération ne faisait pas un retour sur soi-même quant à la
substance, il s’ensuivrait que son opération serait meilleure et plus
parfaite que sa substance. Prenons maintenant la cinquième proposition qui
est la quatre-vingt-troisième du livre de Proclus : tout être qui se connaît soi-même fait un retour sur soi-même de
toutes les façons. La preuve en est que ce qui se connaît soi-même fait
un retour sur soi-même par son opération et par conséquent par sa substance,
comme on peut le voir grâce à la proposition précédente. Nous tirons
maintenant la sixième proposition de la cent quatre-vingt-sixième du livre de
Proclus, que voici : toute âme est
une substance incorporelle et séparable du corps. Cette proposition est
prouvée conformément à ce qui précède : l’âme, en se connaissant
elle-même, se tourne donc vers elle-même de toutes les façons, et elle est
donc incorporelle et séparable du corps. Ayant donc examiné ces
propositions, il faut considérer que trois énoncés sont affirmés dans notre
livre, dont le premier est que l’âme connaît son essence ; et il nous faut
en effet comprendre que c’est de l’âme dont il est sujet ici. Le deuxième
énoncé est ce qui est conclu à partir de là, à savoir qu’elle revient à son essence par un retour complet. Et cela est
identique à ce qui est dit dans la proposition de Proclus, à savoir que tout ce qui se connaît soi-même fait un
retour sur soi de toutes les façons. Et ce retour sur soi ou cette
conversion complète s’entend à la fois selon la substance et selon
l’opération comme nous l’avons déjà dit. Mais que ce deuxième énoncé découle du
premier, il le prouve ainsi : car lorsque je dis celui qui connaît connaît son essence, puisque connaître signifie
en soi-même l’opération intelligible, il est donc clair qu’en ceci qu’en connaissant il connaît son essence,
il fait un retour, c’est-à-dire
qu’il se convertit, par son opération
intelligible, vers son essence, c’est-à-dire par son intellection. Et que cela doive
s’appeler retour ou conversion, il le
manifeste par ceci que lorsque l’âme connaît son essence, celui qui connaît et ce qui est connu ne
font qu’un, et ainsi la science
par laquelle elle connaît son essence,
c’est-à-dire son opération intelligible elle-même, procède d’elle en tant qu’elle est ce qui connaît et elle lui est
ordonnée en tant qu’elle est ce qui est connu : et ainsi il y a là
comme un certain cercle qui est impliqué dans les termes de retour et de
conversion. Mais du fait que selon son opération il y a un retour sur son
essence, il conclut par la suite que c’est aussi selon sa substance qu’il y a un retour sur son essence ; et
ainsi il se fait un retour complet à la fois selon l’opération et selon la
substance. Et il explique par la suite ce que c’est que de faire un retour
sur l’essence selon l’opération. On dit en effet que ce sont les réalités qui
subsistent par elles-mêmes qui font un retour sur elles-mêmes selon la
substance, c’est-à-dire celles qui possèdent une stabilité telle qu’elles ne
se tournent pas vers quelque chose d’autre qui les soutiendrait, tout comme
c’est le cas pour les accidents qui se tournent vers leurs sujets ; et
c’est pourquoi cela convient à l’âme et à chacun de ceux qui se
connaissent eux-mêmes, à savoir parce qu’ils sont tous des substances
simples, qui se suffisent par elles-mêmes sans avoir besoin d’un support
matériel. Et ceci peut constituer le troisième point, à savoir que l’âme soit
séparable du corps comme on l’affirme dans la proposition de Proclus. Mais le
premier de ces points, à savoir que l’âme connaît son essence, n’est pas
prouvé ici, mais il est prouvé de la manière qui suit dans le livre de
Proclus : mais il est manifeste
que l’âme se connaisse elle-même : si en effet elle connaît à la fois
les réalités qui sont au-dessus d’elle, il est clair qu’elle est bien
davantage capable de se connaître elle-même alors qu’elle se trouve à se
connaître elle-même comme par des causes qui lui sont antérieures. Et il
faut ici considérer avec attention que précédemment, lorsqu’il a été question
de la connaissance des intelligences, il a été dit que l’intellect premier ne
connaît que lui seul, comme l’auteur l’a dit à la proposition 13, à savoir
parce qu’il est la forme intelligible idéale elle-même ; mais les autres
intellects qui sont comme voisins de lui participent, de par l’intellect premier, à la fois de la forme
et de la puissance de l’intelligibilité, tout comme Denys dit au livre 4 des
Noms Divins que les substances intellectuelles suprêmes sont à la fois intelligibles
et intellectuelles ; il résulte de là que chacune d’elles intellige à la
fois soi-même et la l’intellect supérieur dont elle participe. Mais parce que
l’âme intellectuelle participe de l’intellect premier d’après une modalité
plus faible, elle ne possède dans sa substance que la puissance de
l’intellectualité ; il suit de là qu’elle intellige sa substance non pas
par son essence mais, d’après les Platoniciens, par les réalités supérieures
dont elle participe, mais selon Aristote comme il le dit au troisième livre de l’Âme, par les espèces
intelligibles qui jouent en quelque sorte le rôle de formes puisque c’est par
elles que l’âme intellectuelle intellige en acte. |
Lectio 16 [84251]
Super De causis, l. 16 Posita distinctione
superiorum causarum et prosecutis singulis partibus divisionis, hic accedit
ad ostendendum comparationem earum ad invicem. Et circa hoc tria facit: primo
ostendit quomodo inferiora dependent a superioribus, secundo ostendit quomodo
superiora influunt in inferiora, 20 propositione, ibi: causa prima regit
etc., tertio ostendit quomodo inferiora diversimode recipiunt influxum primi
influentis, 24 propositione, ibi: causa prima existit et cetera. Circa primum
duo facit: primo ostendit quomodo inferiora a superioribus dependeant
secundum virtutem, secundo quomodo dependeant secundum substantiam et naturam
suam, 18 propositione, ibi: res omnes habent essentiam. Circa primum duo
facit: primo ostendit quod omnes virtutes infinitae dependent a prima
infinita virtute, secundo ostendit quomodo magis vel minus ei assimilantur,
17 propositione, ibi: omnis virtus unita et cetera. Circa primum ponit hanc
propositionem: omnes virtutes quibus non est finis, pendentes sunt per
infinitum primum quod est virtus virtutum, non quia ipsae sint acquisitae,
fixae, stantes in rebus entibus, immo sunt virtus rebus habentibus fixionem.
Haec autem secunda propositionis pars in omnibus libris videtur esse
corrupta; deberet enim singulariter dici: non quia ipsa sit acquisita, fixa,
stans in rebus entibus, immo est virtus etc., ut referatur hoc ad virtutem
virtutum. Et hoc patet ex libro Procli cuius propositio XCII talis est: omnis
multitudo infinitarum potentiarum ab una prima infinitate exorta est, quae
non ut participata potentia est, neque in potentibus subsistit, sed secundum
seipsam, non alicuius participantis ens potentia, sed omnium causatorum
entium. Ubi primo considerandum est quod infinita potentia dicitur
cuiuslibet semper existentis, sicut supra dictum est in 4 propositione, in
quantum scilicet videmus quod ea quae plus durare possunt, habent maiorem
virtutem essendi; unde illa quae in infinitum durare possunt, habent quantum
ad hoc infinitam potentiam. Secundum
autem Platonicas positiones, omne quod in pluribus invenitur oportet reducere
ad aliquod primum, quod per suam essentiam est tale, a quo alia per
participationem talia dicuntur. Unde, secundum eos, virtutes infinitae
reducuntur ad aliquod primum, quod est essentialiter infinitas virtutis, non
quod sit virtus participata in aliqua re subsistente, sed quia est subsistens
per seipsam. Hoc autem, secundum Platonicos, non est ipsa idea entis, quia
huiusmodi ens separatum habet quidem potentiam infinitam sed cum hoc etiam
habet finitatem, sicut supra in 4 propositione est habitum; unde relinquitur
quod non sit prima potentia quae est essentialiter ipsa infinitas. Neque tamen ponebant quod ista infinitatis idea sit primum
simpliciter, quia ipsa infinitas participat unitate et bonitate, unde primum
simpliciter est unum et bonum; hoc autem infinitum ideale, a quo omnes
virtutes infinitae dependent, est medium inter unum et bonum quod est primum
simpliciter, et inter ens. Et ita hanc propositionem Proclus exponit. Sed quia
auctor huius libri non ponit diversitatem realem inter huiusmodi formas
ideales abstractas quae per essentiam suam dicuntur, sed omnia attribuit uni
primo quod est Deus, ut supra etiam patuit ex verbis Dionysii, ideo, secundum
intentionem huius auctoris, hoc primum infinitum a quo omnes virtutes
infinitae dependent, est primum simpliciter quod est Deus. Per ens autem de
quo Proclus mentionem facit, quod est sub infinito, non intelligit ideam
entis, sed potius ens primum creatum quod est intelligentia; et quod Proclus
probat de idea entis, hic probatur de ente primo creato, quod est
intelligentia. Dicit ergo: si aliquis velit dicere quod primum ens
creatum, quod est intelligentia, sit virtus infinita, non
tamen erit dicendum quod ipsa sit essentialiter virtus, immo est
habens virtutem, unde non est illud primum infinitum a quo dependent omnes
virtutes infinitae. Et quia non sit prima virtus infinita, manifestatur
per hoc quod non est infinita omnibus modis et respectu cuiuslibet, sed est infinita
solum inferius, non superius. Dicitur quidem inferius infinita
virtus intelligentiae quia non comprehenditur ab his quae sunt infra ipsam;
non est autem infinita superius quia exceditur a suo superiori cuius
comprehensione finitur. Unde et Proclus dicit XCIII propositione: omne
infinitum in entibus neque suprapositis infinitum est neque sibiipsi;
quia, sicut ipse probat ibidem, a seipso unumquodque et a superioribus
circumscribitur et terminatur, ab inferioribus autem circumscribi aut
terminari non potest. Ideo autem virtus intelligentiae non est respectu
omnium infinita, quia non est ei virtus pura, id est non est
essentialiter virtus ut scilicet sit virtus subsistens; talis enim res, quae
essentialiter virtus est, neque finitur inferius neque superius; non
enim habet aliquid prius a quo possit circumscribi. Sed intelligentia
quae est primum ens creatum, habet finem, et eius finis est secundum quem
remanet, id est secundum quod deficit a suo superiori, quasi post ipsum
remanens velut ipsum assequi non valens. Deinde ostendit quid sit illud primum
infinitum a quo dependent omnes virtutes infinitae. Et hoc quidem
accipitur hic ens primum creans, scilicet Deus, quod est primum
infinitum purum, quasi essentialiter existens virtus infinita. Et hoc
probat quia intelligentiae, quas vocat hic scientes et fortes propter
magnitudinem virtutis quam habent, sunt infinitae propter acquisitionem
suam, id est participationem, a primo quod est infinitum purum,
id est essentialiter, a quo habent non solum infinitatem sed etiam esse. Et
si ens primum creans est quod sui participatione facit res
esse infinitas, tunc oportet quod ipsum sit supra infinitum:
quod quidem, secundum ea quae hic dicuntur, oportet intelligere quod ens
primum sit supra infinitum participatum et creatum, sed secundum Proclum hoc
dicitur de idea unius et boni quae est secundum Platonicos supra ideam infiniti; et ideo,
exponens quod dixerat ens primum esse supra infinitum, subdit quod intelligentia
est infinitum, scilicet participative non autem essentialiter, ita scilicet
quod ipsamet sit id quod est infinitum. Concludit igitur ex praemissis
quod, cum ens primum det intelligentiis esse et infinitatem, ipsum est
mensura primorum entium scilicet intelligibilium, et per
consequens secundorum entium scilicet sensibilium, secundum
quod primum in quolibet genere est mensura illius generis, in quantum, per
accessum ad ipsum vel recessum ab ipso, cognoscitur aliquid esse perfectius
vel minus perfectum in genere illo. Sed ipse exponit ens primum esse mensuram
omnium entium, quia creavit omnia entia cum debita mensura
quae convenit unicuique rei secundum modum suae naturae: quod enim aliqua
magis vel minus accedant ad ipsum, est ex eius dispositione. Ultimo autem
colligit ex praemissis quasi epilogando principalem intentionem, et dicit
quod ens primum creans est supra infinitum, illud scilicet quod
participatione est infinitum; sed ens secundum, quod est creatum,
scilicet intelligentia, est infinitum participative; illud autem quod
est medium inter ens primum creatum, quod est intelligentia, et
ens secundum creatum, quod est corpus corruptibile, est infinitum,
scilicet corpus caeleste; sed Proclus hoc posuit tamquam idea infiniti sit
media inter ideam boni et ideam entis. Hoc autem rerum ordine instituto circa
infinitum, subdit similiter de aliis, et dicit quod omnes aliae bonitates
simplices, scilicet vita et lumen et similia, sunt causae rerum
habentium huiusmodi bonitates; sicut enim causa prima est ipsum
infinitum et omnia alia ab eo habent infinitatem, ita etiam causa prima est
ipsa vita et ipsum lumen, et ab ipsa creatum primum, scilicet intelligentia,
habet vitam et lumen intelligibile; et similiter etiam aliae bonitates
descendunt a causa prima primo quidem super creatum primum, quod est
intelligentia, et deinde super alia mediante intelligentia,
sive illa alia accipiantur animae intellectuales, sive res spirituales. |
16) Toutes les puissances pour
lesquelles il n'y a pas de limite dépendent d'un infini premier qui est
puissance des puissances, non parce que celles-ci sont acquises, stables, se
tenant dans les choses, mais plutôt parce qu'elles sont puissances pour les
choses recevant leur stabilité.
Après avoir posé la
distinction des causes supérieures et expliqué chacune des parties de la
division, l'auteur commence ici à les comparer les unes aux autres. Et à ce
sujet il fait trois choses : premièrement il montre comment les causes
inférieures dépendent de celles qui sont supérieures; deuxièmement il montre
comment les causes supérieures influent sur les inférieures, à la proposition
20 où il dit : la cause première
gouverne etc.; troisièmement il montre comment les causes inférieures
reçoivent différemment l'influence de
la cause première, à la proposition 24 où il dit : la cause première existe etc. Au sujet du premier point, il fait
deux choses: premièrement il montre comment les causes inférieures dépendent
des supérieures quant à leur puissance; deuxièmement comment elles en
dépendent quant à leur substance et à leur nature, à la proposition 18 là où
il dit : toutes les
choses possèdent une essence etc. Touchant le premier point il fait
deux choses : premièrement il montre que toutes les puissances infinies
dependent de la puissance infinie première ; deuxièmement il montre
comment elles lui sont plus ou moins assimilées, à la proposition 17 où il
dit : toute puissance qui est une
etc. Au sujet du premier
point il présente cette proposition : toutes les puissances pour lesquelles il n’y a pas de limite sont
suspendues à un infini premier qui est la puissance des puissances, non pas
parce qu’elles-mêmes sont acquises, stables et se tiennent dans les choses
qui existent mais plutôt parce qu’elles sont une puissance pour les choses qui
possèdent une stabilité. Mais cette deuxième partie de la
proposition semble avoir été altérée
dans tous les livres ; on devrait plutôt formuler l’énoncé au singulier
et dire : non pas parce
qu’elle-même est acquise, stable et se tient dans les choses qui existent
mais elle est plutôt la puissance etc., de manière à rapporter ces
mots à la puissance des puissances. Et apparaît clairement si on se rapporte à
la proposition 92 du livre de
Proclus : toute la multiplicité
des puissances infinies est née de l’infinité première qui n’est pas comme
une puissance participée et ne subsiste pas dans les sujets qui possèdent ces
puissances, mais elle subsiste en elle-même, n’étant pas la puissance de
quelque participant que ce soit, mais la puissance de tous les êtres qui sont
causés. Et il faut
premièrement considérer que Proclus appelle ici puissance infinie celle qui appartient à un être qui existe
toujours comme cela a été dit à la proposition 4, c’est-à-dire dans le sens
où nous voyons que les êtres qui peuvent durer plus longtemps possèdent une
puissance d’existence plus grande ; d’où il suit que ce qui peut durer
infiniment possède quant à cela une puissance infinie. Cependant, selon les
positions Platoniciennes, ce qui se retrouve dans une multiplicité, il faut
le ramener à quelque chose de premier qui est tel de par son essence même et
duquel les autres tiennent d’être dits tels par participation. C’est
pourquoi, selon eux, les puissances infinies se ramènent à un principe
premier qui est de par son essence même l’infinité de la puissance, non pas
parce qu’elle est une puissance participée dans quelque réalité subsistante,
mais parce qu’elle est subsistante par elle-même. Mais cela, selon les
Platoniciens, n’est pas l’idée même d’être car un tel être séparé possède
certes une puissance infinie, mais avec cela il possède certes un caractère
fini comme il a été établi plus haut à la proposition 4 ; d’où il suit
qu’il ne soit pas lui-même la première puissance qui est par essence l’infini
même. Et cependant ils ne posaient pas que cette idée d’infini est première
absolument car l’infini lui-même participe de l’un qui est le bien, d’où il
suit que c’est l’un-bien qui est premier absolument ; mais cet infini
idéal duquel toutes les puissances infinies dépendent, est intermédiaire
entre l’un-bien d’une part, qui est premier absolument, et l’être. Et c’est ainsi que Proclus explique cette
proposition. Mais parce que l’auteur de ce livre ne pose pas une différence
réelle entre de telles formes idéales qui sont dites séparées par leur
essence mais les attribue toutes au seul premier principe qui est Dieu, comme
nous l’avons vu aussi plus haut à partir des paroles de Denys, c’est
pourquoi, conformément à l’intention de cet auteur, ce premier infini duquel
toutes les puissances infinies dépendent est ce qui est premier absolument, à savoir Dieu. Mais quand Proclus
fait mention de l’être qui est sous
l’infini, il n’entend pas l’idée d’être mais plutôt l’être créé premier qui
est l’intelligence ; et ce que Proclus prouve au sujet de l’idée d’être,
l’auteur le prouve ici au sujet de l’être créé premier qui est l’intelligence.
Il dit donc : si quelqu’un
veut dire que l’être créé premier
qui est l’intelligence est la puissance infinie, il ne faudra
cependant pas dire qu’elle est
elle-même essentiellement la puissance, mais plutôt qu’elle est ce qui possède de la puissance, et par
conséquent qu’elle n’est pas ce premier
infini duquel dépendent toutes les
puissances infinies. Et parce qu’elle n’est pas la première puissance
infinie, il est manifeste à cause de cela qu’elle n’est pas infinie de toutes
les manières et par rapports à tout mais qu’elle est infinie seulement par rapport à ce qui est inférieur et non par
rapport à ce qui est supérieur. Et
on dit certes que la puissance de l’intelligence est infinie par rapport à ce
qui est inférieur parce qu’elle ne
peut être comprise par les réalités qui lui sont inférieures ; mais elle
n’est pas infinie par rapport à ce qui lui est supérieur parce qu’elle est
dépassée par son supérieur par la compréhension duquel elle est délimitée. Et
c’est pourquoi Proclus dit à la proposition 93 : tout ce qui est infini chez les êtres n’est infini ni par rapport à
ce qui le dépasse ni par rapport à soi-même ; car comme il le prouve
au même endroit, chacun de trouve à être délimité et circonscrit à la fois
par soi-même et par ce qui lui est supérieur mais il ne peut l’être par ce
qui lui est inférieur. Et c’est pourquoi la puissance de l’intelligence n’est
pas infinie par rapport à tout ce qui existe, à savoir parce que la puissance
qui est la sienne n’est pas pure, c’est-à-dire parce qu’elle n’est pas
essentiellement vertu de telle sorte qu’elle serait une vertu
subsistante ; une telle réalité en effet qui est une vertu subsistante n’est finie ni par le bas ni par le haut ;
en effet, il n’y a rien qui lui soit antérieur et par quoi elle pourrait être
circonscrite. Mais l’intelligence, qui
est le premier être créé, a une limite et sa limite est ce derrière quoi elle
demeure, c’est-à-dire que selon qu’elle est en défaut à l’égard de ce qui
lui est supérieur, elle demeure comme à sa suite du fait qu’elle ne peut
l’atteindre. Par la suite il montre quel est ce premier infini duquel dépendent toutes les puissances infinies ; et ce premier être se prend ici comme celui qui crée, à savoir Dieu, qui est le premier infini pur et
qui existe essentiellement en tant que puissance infinie. Et il prouve cela
parce que les intelligences, qu’il appelle ici savantes et fortes à cause de
la grandeur de la puissance qu’elles possèdent, sont infinies à cause de l’acquisition, c’est-à-dire
de la participation du premier qui est
le pur infini, c’est-a-dire celui qui est essentiellement infini et
duquel elles tiennent non seulement l’infini mais aussi l’existence. Et si l’être premier créateur est celui par la participation duquel
les choses sont rendues infinies, alors il faut que lui-même transcende l’infini : et, conformément à ce qui
est dit ici, il faut entendre cela dans le sens où l’être premier est
au-dessus de l’infini participé et créé mais selon Proclus cela se dit de
l’idée de l’un-bien qui est au-dessus de l’idée d’infini selon les Platoniciens ;
et c’est pourquoi, pour expliquer ce qu’il vient de dire en disant que l’être premier est au-dessus de l’infini,
il ajoute que l’intelligence est
infinie, mais par participation et non essentiellement, c’est-à-dire de
telle manière qu’elle soit elle-même ce
qui est infini. Il conclut donc de ce qui précède que, puisque l’être
premier donne aux intelligences à la fois l’être et l’infini, Il est lui-même la mesure des premiers êtres,
à savoir des intelligibles, et par
conséquent des êtres seconds, à
savoir des réalités sensibles,
selon que ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui est
contenu dans ce genre dans la mesure où on connaît que quelque chose, soit
par proximité soit par éloignement par rapport à ce qui est premier, est plus
parfait ou moins parfait dans ce genre. Mais il explique que l’être premier
est la mesure de tous les êtres parce qu’il a créé tous les êtres avec la
mesure appropriée qui est due à chaque chose selon le mode de sa nature :
en effet, que les choses s’approchent plus ou moins de l’être premier, cela
procède de leur disposition ou de leur nature. À la fin cependant, à partir
de ce qui précède et comme en résumé, il resserre son propos principal et dit
que l'être premier créateur est
au-dessus de l’infini, c’est-à-dire au-dessus de ce qui est infini par
participation ; mais l’être second
qui est créé, à savoir l’intelligence, est infini par participation ; mais ce qui est intermédiaire entre l’être premier créé qui est l’intelligence et l’être second créé qui est le corps
corruptible, à savoir le corps céleste, est infini ; mais c’est Proclus
qui a posé ceci que l’idée d’infini serait comme intermédiaire entre l’idée
de bien et l’idée de l’être. Mais ayant établi cet ordre des choses
relativement à l’infini, notre auteur fait de même pour le reste et
ajoute que tous les autres biens qui sont simples, à savoir la vie, la lumière et les autres biens semblables sont les
causes des choses qui possèdent de tels biens ; en effet, tout comme
la cause première est l’infinité même et que tout le reste tient d’elle
l’infinité, de même encore la cause première est la vie même et la lumière
même et c’est d’elle que le premier créé, à savoir l’intelligence, tient la
vie et la lumière intelligible ; et
semblablement encore les autres biens
descendent de la cause première pour se répandre certes en premier lieu sur le premier créé, à savoir sur l’intelligence, et ensuite
sur les autres créatures par
l’intermédiaire de l’intelligence, que ces autres créatures soient les âmes intellectuelles ou les réalités
spirituelles. |
Lectio 17 [84252]
Super De causis, l. 17 Postquam in praecedenti
propositione ostensum est quod omnes virtutes infinitae dependent a prima
virtute infinita, in hac propositione consequenter ostenditur quomodo una
virtus magis accedat ad primam infinitatem quam alia. Et dicit quod: omnis
virtus unita plus est infinita quam virtus multiplicata. Et haec eadem
propositio ponitur in libro Procli XCV sub his verbis: omnis potentia
unitior existens est infinitior quam plurificata. Probatur autem
utrobique dupliciter. Primo quidem per rationem, hoc modo. Sicut ex praemissa
propositione habetur, omnes virtutes infinitae dependent a primo infinito
quod est virtus virtutum; oportet igitur quod, quanto virtus propinquior fuit
illi primae virtuti, tanto magis participet de eius infinitate. Illa autem
prima virtus est essentialiter unum; oportet ergo quod, quanto aliquid est
magis unum, tanto habeat virtutem magis infinitam. Et inde est quod virtus
intelligentiae, quae est prima inter virtutes creatas infinitas, est maxime
infinita utpote propinquior uni primo; virtutes vero quae multiplicantur, ex
hoc ipso deficiunt ab unitate, et ideo minoratur earum posse. Et huius
exemplum apparet in virtutibus cognoscitivis: intellectus enim, qui non
dividitur in multas potentias, est efficacior in cognoscendo quam sensus, qui
in multas potentias diversificatur; et eadem ratione, virtus cognoscitiva
intelligentiae, quae non dividitur per sensitivam et intellectivam, est
fortior quam virtus cognoscitiva humana, tam circa sensibilia singularia quam
circa intelligibilia cognoscenda. Secundo probatur per signum. Videmus enim
in rebus corporalibus partibilibus quod, quando multa aggregantur et
uniuntur, fit vehementior eorum virtus, ex qua consequuntur mirabiles
operationes, sicut patet in multis hominibus simul trahentibus navem, qui
divisim non possent eam trahere nec partes eius proportionales, et, quanto
magis dividitur virtus rei corporalis, tanto debilior fit et facit
operationes viliores, sicut tota domus a magno igne aggregato calefit, quod
fieri non potest si ignis dividatur per diversas partes domus. Ex quibus
duabus propositionibus concludit propositum, ut in littera patet. |
17) Toute puissance unifiée est
plus infinie qu'une puissance multiple
Après avoir montré
dans la proposition précédente que toutes les puissances infinies dépendent
de la première puissance infinie, l’auteur montre par la suite dans cette
proposition comment une puissance se rapproche davantage de la première
infinité qu'une autre. Et il dit que toute
puissance unifiée est plus infinie qu'une puissance multipliée. Et cette
même proposition est présentée en ces termes à la proposition 95 du livre de
Proclus : toute puissance qui existe
sous une forme plus unifiée est davantage infinie que celle qui est
multipliée. Et cette proposition est prouvée dans les deux cas de deux
manières. Et elle est certes prouvée en premier lieu
par un raisonnement de la manière qui suit. Comme on établit à la proposition
précédente que toutes les puissances infinies dépendent du premier infini qui
est la puissance des puissances, il faut donc que plus une puissance est
proche de cette première puissance, plus elle participe de son infinité. Mais
cette première puissance est essentiellement une ; il faut donc que plus
un être est un, plus il possède une puissance infinie. Et il résulte de là
que la puissance de l’intelligence, qui est la première parmi les puissances
créées infinies, est la plus infinie en tant qu’elle est la plus rapprochée
de l’un premier ; mais les puissances qui sont multipliées s’écartent de
ce fait même de l’unité et c’est pourquoi leur puissance s’en trouve est
diminuée. Et on peut voir un exemple de cela dans les puissances cognitives :
l’intellect en effet, lequel ne se divise pas en plusieurs puissances, est
plus efficace que le sens, lequel se différencie en de nombreuses facultés de
connaissance, pour l’acte de connaître ; et pour la même raison, la
puissance cognitive de l’intelligence, laquelle ne se divise pas en faculté
sensible et faculté intellectuelle, est plus forte que la puissance cognitive
humaine, aussi bien pour connaître les singuliers sensibles que les
intelligibles. La même proposition
est prouvée en deuxième lieu par un signe. Nous voyons en effet dans les
choses corporelles divisibles que, lorsque plusieurs d’entre elles
s’assemblent et s’unissent, leur puissance s’en trouve augmentée considérablement,
d’où s’en suivent des opérations admirables, comme on le voit lorsque
plusieurs hommes tirent simultanément un navire qu’ils ne pourraient pas
tirer isolément, ni même ses parties prises proportionnellement à chaque
individu ; et on observe que plus la puissance de la chose corporelle
est divisée, plus elle s’affaiblit et plus son opération devient ordinaire
comme c’est le cas lorsque toute la maison devient chaude par la réunion d’un
seul grand feu, résultat qui ne peut être obtenu si le feu est divisé dans
chacune des parties de la maison. Et à partir de ces deux propositions il
conclut son propos comme on le voit dans le document. |
Lectio 18 [84253]
Super De causis, l. 18 Postquam ostensum est quod
res omnes dependent a primo secundum suam virtutem, hic ostendit quod
dependent omnia a primo secundum suam naturam. Et circa hoc duo facit: primo
ostendit universalem dependentiam rerum a primo secundum omnia quae pertinent
ad naturam vel substantiam earum, secundo ostendit diversum gradum
appropinquationis ad primum a quo dependent, sicut et de dependentia virtutis
dixerat, et hoc 19 propositione, ibi: ex intelligentiis est et cetera. Primo
ergo ponit talem propositionem: res omnes habent essentiam per ens primum,
et res vivae omnes sunt motae per essentiam suam propter vitam primam, et res
intelligibiles omnes habent scientiam propter intelligentiam primam. Et
hoc idem dicitur in libro Procli CII propositione, sub his verbis: omnia
quidem qualitercumque entia ex fine sunt et infinito, propter prime ens.
Omnia autem viventia suiipsorum motiva sunt propter vitam primam. Omnia autem
cognitiva cognitione participant propter intellectum primum. Dicit autem
quod omnia sunt ex fine et infinito propter prime ens quia, ut supra
habitum est in 4 propositione, ens creatum compositum est ex finito et
infinito. Ad huius autem propositionis intellectum primo quidem
considerandum est quod omnes rerum gradus ad tria videtur reducere quae sunt
esse, vivere et intelligere. Et hoc ideo quia unaquaeque res tripliciter
potest considerari: primo quidem secundum se, et sic convenit ei esse,
secundo prout tendit in aliquid aliud, et sic convenit ei moveri, tertio
secundum quod alia in se habet, et sic convenit ei cognoscere quia secundum
hoc cognitio perficitur quod cognitum est in cognoscente non quidem
materialiter sed formaliter. Sicut autem habere aliquid in se formaliter et
non materialiter, in quo consistit ratio cognitionis, est nobilissimus modus
habendi vel continendi aliquid, ita moveri a seipso est nobilissimus
mobilitatis modus, et in hoc consistit ratio vitae; nam ea dicimus viventia
quae se aliqualiter movent. Esse igitur, quod est primum, commune est
omnibus, sed non omnia pertingunt ad illam perfectionem ut sint suiipsorum
motiva; unde non omnia sunt viventia, sed quaedam quae sunt perfectiora in
entibus. Rursumque eorum quae sunt motiva suiipsorum vel aliorum, non omnia
sunt motiva per modum cognitionis, sed per aliquod materiale principium sicut
accidit in plantis; unde etiam non omnia viventia pertingunt ad gradum
cognitionis, sed solum illa in quibus principium motionis est aliquid formale
absque materia; nam et ipse sensus est susceptivus specierum sensibilium sine
materia, ut dicitur in II de anima. Secundo considerandum est quod in
unoquoque genere est causa illud quod est primum in genere illo, a quo omnia
quae sunt illius generis in illo genere constituuntur, sicut inter
elementaria corpora ignis est primum calidum a quo omnia caliditatem
sortiuntur; non est autem in aliquo rerum ordine in infinitum procedere.
Oportet igitur in ordine entium esse aliquod primum quod dat omnibus esse, et
hoc est quod dicit quod res omnes habent essentiam per ens primum.
Similiter oportet in genere viventium esse aliquod primum, et ab hoc omnia
viventia habent quod vivant; et quia viventis proprium est quod sit suiipsius
motivum, ideo dicit quod res vivae omnes sunt motae per essentiam suam,
id est sunt moventes seipsas, propter vitam primam; unde et in libro
Procli dicitur: omnia viventia suiipsorum motiva sunt propter vitam primam.
Et quod movere seipsum procedit a prima vita, probat subdens: quoniam vita
est processio procedens ex ente primo quieto sempiterno. Ad cuius
intellectum sciendum est quod prius est aliquid esse in se quam moveri in
alterum; unde moveri praesupponit esse. Quod si ipsum esse sit sicut
subiacens motui, iterum oportebit praesupponi aliquod principium motus, et
sic quousque deveniatur ad aliquod ens immobile quod est principium movendi
seipsum omnibus; et hoc est prima vita. Unde manifestum est quod vita in
omnibus viventibus est processio quaedam procedens a quodam primo
ente quieto et sempiterno, id est nulli motioni subiecto. Similiter etiam
in ordine cognoscentium oportet esse aliquod primum. Manifestum est autem
quod ordine perfectionis et naturae cognitio intellectiva prior est
sensitiva, quia est magis immaterialis; unde et per intellectum de cognitione
sensitiva iudicamus, sicut de inferiori per superius. In ipsa autem
intellectiva cognitione, manifestum est quod ratiocinativa inquisitio a
principiis per se notis procedit, quorum est intellectus; unde ratio sequitur
intellectum. Primum igitur in ordine cognoscentium est intellectus, et ideo
oportet quod omnes res intelligibiles, id est cognoscitivae, habeant
scientiam, id est cognitionem, propter intelligentiam primam; unde
et in libro Procli dicitur quod omnia cognitiva cognitionem participant
propter intellectum primum. Et ratio huius assignatur quia omnis
scientia radicaliter non est nisi intelligentia; intelligentia
enim est summitas quaedam, ut Proclus dicit, omnis cognitionis; unde intelligentia
est primum cognoscens et influens cognitionem supra omnia
cognoscentia. Sicut autem supra dictum est, secundum Platonicos primum ens,
quod est idea entis, est aliquid supra primam vitam, id est supra ideam
vitae, et prima vita est aliquid supra primum intellectum idealem; sed
secundum Dionysium primum ens et prima vita et primus intellectus sunt unum
et idem quod est Deus; unde et Aristoteles in XII metaphysicae primo
principio attribuit quod sit intellectus et quod suum intelligere sit vita,
et secundum hoc ab eo omnia habent esse et vivere et intelligere. Tertio
considerandum quod ista tria diversimode causantur in rebus, sive a diversis
principiis secundum Platonicos, sive ab eodem principio secundum fidei
doctrinam et Aristotelis. Est enim duplex modus causandi: unus quidem quo
aliquid fit praesupposito altero, et hoc modo dicitur fieri aliquid per
informationem, quia illud quod posterius advenit se habet ad illud quod
praesupponebatur per modum formae; alio modo causatur aliquid nullo
praesupposito, et hoc modo dicitur aliquid fieri per creationem. Quia ergo
intelligere praesupponit vivere et vivere praesupponit esse, esse autem non
praesupponit aliquid aliud prius; inde est quod primum ens dat esse
omnibus per modum creationis. Prima autem vita, quaecumque sit illa, non
dat vivere per modum creationis, sed per modum formae, id
est informationis; et similiter dicendum est de intelligentia. Ex quo
patet quod, cum supra dixit intelligentiam esse causam animae, non intellexit
quod esset causa eius per modum creationis, sed solum per modum
informationis, ut supra expositum est. |
18) Toutes les choses ont l'être
grâce à l'étant premier, toutes les vivantes sont mues par leur essence grâce
à la vie première, et toutes les intelligibles sont connaissantes grâce à
l'intelligence première.
Après avoir montré que
toutes les choses dépendent de l’Être premier quant à leur puissance,
l'auteur montre ici qu'elles en dépendent toutes quant à leur nature. Et à ce
sujet il fait deux choses : premièrement il montre la dépendance l'universelle
des choses à l’égard de l’Être premier selon tous les rapports qui
appartiennent à leur nature ou à leur substance; deuxièmement il montre les
différents degrés de proximité qu'elles entretiennent à l'égard de l’Être
premier dont elles dépendent, comme il l’avait dit au sujet de leur puissance,
ce qu’il fait à la proposition 19 où il dit : parmi les intelligences, il y a celle etc. En premier lieu il
présente donc cette proposition : toutes
les choses tiennent leur essence de l’Être premier, toutes celles qui sont
vivantes sont mues par leur essence à cause de la Vie première et toutes
celles qui sont intelligibles possèdent leur science à cause de
l’intelligence première. Et c’est la même chose
qui est dite en ces termes dans le livre de Proclus à la proposition 102: tout ce qui existe d’une manière ou d’une
autre tient de l’Être premier d’être constitué d’une fin et d’infini. Mais
tous les vivants tiennent leur mouvement autonome de la Vie première. Tous
ceux qui connaissent tiennent leur connaissance participée de l’Intellect
premier. Mais il dit que tous les
êtres tiennent de l’Être premier d’être constitués de fin et d’infini
parce que, comme cela a été établi plus haut à la proposition 4, l’être créé est composé de fini et
d’infini. Mais pour comprendre
cette proposition, il faut certes considérer en premier lieu que tous les
degrés du réel semblent se ramener à trois, à savoir : exister, vivre et
intelliger. Et il en est ainsi parce que chaque chose peut être considérée de
trois manières : premièrement en elle-même et c’est ainsi que
l’existence lui convient ; deuxièmement selon qu'elle tend vers quelque chose
d'autre, et c’est alors le mouvement qui lui convient; troisièmement selon
qu’elle contient en elle d’autres choses et à ce titre il lui convient de
connaître, parce la connaissance tire
sa perfection de ce que l’objet connu est présent dans celui qui connaît, non
pas matériellement mais formellement. Mais tout comme posséder quelque chose
en soi formellement et non matériellement, ce en quoi consiste la définition
même de la connaissance, est la modalité la plus noble de posséder ou de
contenir quelque chose, de même le mouvement autonome est la forme de
mouvement la plus noble et c’est en cela que consiste la définition même de
la vie car nous appelons vivants les êtres qui se meuvent eux-mêmes en
quelque sorte. Donc l’existence, qui
est première, est commune à tous les êtres, mais ce ne sont pas tous les
êtres qui parviennent à cette perfection de se mouvoir par soi-même ;
d’où il suit que tous ne sont pas vivants et que certains des êtres sont plus
parfaits. En outre, ce ne sont pas tous les êtres qui se meuvent eux-mêmes ou
qui en meuvent d’autres qui possèdent cette forme de mouvement qu’est la
connaissance, mais certains se meuvent par un principe matériel comme on le
voit chez les plantes ; d’où il résulte que ce ne sont pas tous les
vivants qui parviennent à ce degré qu’est la connaissance, mais seulement
ceux chez lesquels le principe du mouvement est quelque chose de formel et
dégagé de la matière ; car même le sens reçoit les espèces sensibles
sans la matière comme le Philosophe le dit au deuxième livre de l’Âme. Deuxièmement il faut
considérer qu’en tout genre la cause, par laquelle tout ce qui appartient à
ce genre est constitué dans ce genre, est ce qui est premier dans ce genre,
tout comme parmi les corps élémentaires le feu est le premier à être chaud
duquel tout le reste reçoit sa chaleur ; mais il n’existe aucun ordre de
choses dans lequel on puisse procéder à l’infini. Il faut donc qu’il y ait
dans l’ordre des êtres un être qui soit premier et qui donne à tous les
autres d’être ou d’exister et c’est ce que notre auteur veut signifier
lorsqu’il dit : toutes les choses
tiennent leur essence de l’Être premier. De la même manière il faut qu’il
y ait quelque chose de premier dans le genre des vivants et d’où tous les
vivants tirent leur vie ; et parce que le propre du vivant est de se
mouvoir soi-même, c’est pourquoi l’auteur dit que tous les vivants se meuvent par leur essence, c’est-à-dire qu’ils
se meuvent eux-mêmes, à cause de la Vie
première ; c’est pourquoi Proclus dit dans son livre : tous les vivants se meuvent eux-mêmes à
cause de la Vie première. Et que le fait de se mouvoir soi-même procède
de la Vie première, il le prouve en ajoutant : puisque la vie est une procession qui procède de
l’Être premier, immobile et éternel. Et pour le comprendre il faut savoir
que pour une chose exister en elle-même est antérieur à se mouvoir vers
quelque chose d’autre, d’où le mouvement présuppose l’existence. Et si
l’existence même est comme sous-jacente au mouvement, il faudra en outre
présupposer un principe du mouvement jusqu’à en venir ainsi à un être
immobile qui soit pour tous les vivants le principe par lequel ils se meuvent
eux-mêmes et qui est la Vie première. D’où il est évident que chez tous les
vivants la vie est une procession qui
procède d’un Être premier immobile et éternel, c’est-à-dire d’un être qui
n’est soumis à aucun mouvement. De la même manière
encore il faut qu’il y ait quelque chose de premier dans l’ordre des êtres
qui connaissent. Mais il est manifeste que la connaissance intellectuelle est
antérieure à la connaissance sensible dans l’ordre de perfection et de
nature, car elle est plus
immatérielle ; et c’est pourquoi c’est par l’intelligence que nous
jugeons de la connaissance sensible, tout comme c’est par le supérieur que
nous jugeons de l’inférieur. Mais dans la connaissance intellectuelle
elle-même, il est manifeste que la recherche rationnelle procède de principes
connus par eux-mêmes qui sont l’objet même de l’intelligence ; par
conséquent la raison suit l’intelligence. L’intelligence est donc ce qui est
premier dans l’ordre des êtres connaissants, et c’est pourquoi il faut que toutes les réalités intelligibles,
c’est-à-dire celles qui sont cognitives, possèdent
la science, c’est-à-dire la connaissance, à cause de l’Intelligence première ; c’est pourquoi il est
dit dans le livre de Proclus que tous
ceux qui sont capables de connaissance tiennent de l’Intelligence première le
fait qu’ils participent de la connaissance. Et il en donne la raison en
disant que toute science ne se
fonde ultimement que sur l’Intelligence ;
l’intelligence en effet, comme le dit Proclus, est un certain sommet pour
toute connaissance ; d’où l’intelligence est ce qui est premier à connaître et qui répand la connaissance sur tous ceux qui sont capables de
connaître. Mais comme nous l’avons dit plus haut, l’Être premier qui selon
les Platoniciens est l’Idée même d’être, est quelque chose qui est au-dessus
de la Vie première, c’est-à-dire au-dessus de l’Idée de vie, et la vie
première est quelque chose qui est au-dessus de l’Intellect premier
idéal ; mais selon Denys l’Être premier, la Vie première et l’Intellect
premier ne sont qu’une seule et même réalité, à savoir Dieu ; et même
Aristote au douzième de sa Métaphysique
dit au sujet du premier Principe qu’il est Intellect et que son intellection
est la Vie même et par conséquent que c’est de Lui que tous les êtres
tiennent l’existence, la vie et l’intellection. Il faut considérer en
troisième lieu que ces trois degrés d’existence sont causés différemment dans
les choses : soit par des principes différents selon les Platoniciens,
soit par un seul et même principe selon la doctrine de la foi et selon celle
d’Aristote. Il y a en effet deux façons pour une chose d’être causée :
la première est certes celle par laquelle quelque chose est produit en
présupposant quelque chose d’autre et c’est de cette manière qu’on dit d’une
chose qu’elle est produite par information car c’est à la manière d’une forme
que ce qui advient par la suite se rapporte à ce qui était présupposé ;
la deuxième façon c’est lorque quelque chose est causé sans que quelque chose
d’autre soit présupposé, et c’est de cette manière qu’on dit d’une chose
qu’elle est produite par création. Donc, parce que l’intellection présuppose
la vie et que la vie elle-même présuppose l’existence mais que l’existence ne
présuppose pas quelque chose d’autre qui lui serait antérieur, il résulte de
là que l’Être premier donne l’existence
à tous les êtres par mode de création. Mais la vie première, quelle que soit cette vie, ne donne pas la vie par mode de création, mais par mode de forme, c’est-à-dire par
mode d’information ; et il faut dire la même chose au sujet de l’intelligence. Et il est clair à
partir de là que lorsqu’il disait plus haut que l’intelligence est la cause
de l’âme, il n’entendait pas par là qu’elle en était la cause par mode de
création mais seulement par mode d’information comme nous venons de
l’expliquer. |
Lectio 19 [84254]
Super De causis, l. 19 Postquam ostendit in
praecedenti propositione quod omnes res secundum suam naturam dependent a
primo, hic ostendit quomodo quaedam diversimode ei appropinquant secundum
participationem naturalis perfectionis et ponit talem propositionem: ex
intelligentiis est quae est intelligentia divina, quoniam ipsa recipit ex
bonitatibus primis quae procedunt ex causa prima receptione multa. Et de eis
est quae est intelligentia tantum, quoniam non recipit ex bonitatibus primis
nisi mediante intelligentia. Et ex animabus est quae est anima
intelligibilis, quoniam est ipsa pendens per intelligentiam; et ex eis est
quae est anima tantum. Et ex corporibus naturalibus est cui est anima regens
ipsum et faciens directionem super ipsum; et de eis sunt quae sunt corpora
naturalia tantum quibus non est anima. Haec autem propositio invenitur in
libro Procli CXI sub his verbis: omnis intellectualis seirae (id est
ordinationis), hii quidem sunt divini intellectus suscipientes deorum
posthabitiones (id est participationes), hii autem intellectus solum;
et omnis animalis (scilicet seirae) hae quidem sunt intellectuales
animae ad intellectus suspensae proprios, hae autem animae solum; et omnis
corporalis naturae, hae quidem et animas habent astantes desuper, hae autem
sunt naturae solum, animarum expertes praesentia. Ad cuius evidentiam sciendum est quod
secundum Platonicos quadruplex ordo invenitur in rebus. Primus erat ordo
deorum, id est formarum idealium inter quas erat ordo secundum ordinem
universalitatis formarum, ut supra dictum est; sub hoc autem ordine est ordo
intellectuum separatorum, sub quo est ordo animarum, sub quo iterum est ordo
corporum. Et hii tres inferiores ordines accipiuntur secundum tria quae in
praemissa propositione sunt tacta; nam corpora participant esse tantum,
animae autem secundum propriam naturam participant ulterius esse et vivere,
intellectus autem participant esse, vivere et intelligere. Causalitas autem
horum ad ordinem divinum pertinet, sive ponantur multi dii ordinati sub uno
secundum Platonicos, sive unus tantum in se omnia habens secundum nos:
universalitas enim causalitatis propria est Deo. Huiusmodi autem ordines, cum ab uno primo procedant,
continuitatem quamdam habent ad invicem, ita quod ordo corporum attingit
ordinem animarum et ordo animarum attingit ordinem intellectuum qui attingit
ad ordinem divinum. Ubicumque autem diversi ordines sub invicem coniunguntur,
oportet quod id quod est supremum inferioris ordinis propter propinquitatem
ad superiorem ordinem aliquid participet de superioris ordinis perfectione. Et hoc manifeste videmus in rebus naturalibus: nam quaedam
animalia participant aliquam rationis similitudinem et quaedam plantae
participant aliquid de distinctione sexus, quae est propria generi animalium.
Unde et Dionysius dicit VII capitulo de divinis nominibus quod per divinam
sapientiam fines primorum coniunguntur principiis secundorum. Sic igitur illi
qui sunt supremi in ordine intellectuum vel intelligentiarum dependent per
quamdam perfectiorem participationem propinquius a Deo, et magis participant
de bonitatibus eius et de universali causalitate ipsius; et ideo dicuntur
divini intellectus vel divinae intelligentiae, sicut et Dionysius dicit quod
supremi Angeli sunt quasi in vestibulis deitatis collocati. Inferiores vero
intellectus qui non pertingunt ad tam excellentem participationem divinae
similitudinis sunt intellectus tantum, non habentes illam divinam dignitatem.
Et eadem ratio est de animabus respectu intellectuum; nam supremae animae
sunt intellectuales utpote propinquae ordini intellectuum, aliae vero animae
inferiores non sunt intellectuales, sed habent solum id quod est animae ut
scilicet sint vivificativae, sicut maxime patet de animabus animalium et
plantarum. Et eadem ratio est de ordine corporum respectu animarum; nam
corpora nobiliora quae perfectiori ratione sunt constituta, sunt animata,
alia vero corpora sunt inanimata. Et eadem ratio est de omnibus aliis
ordinibus in quos praedicti generales ordines distinguuntur, quia etiam in
corporibus sunt diversi ordines et similiter in animabus et intellectibus. |
19) Parmi les intelligences, il y
a celle qui est intelligence divine puisqu'elle reçoit en une réception
abondante quelque chose des bontés premières qui procèdent de la cause
première; il y a celle qui n'est qu’intelligence puisqu'elle ne reçoit rien
des bontés premières, si ce n'est par l'intermédiaire de l'intelligence
première. Parmi les âmes, il y a celle qui est intelligible, puisqu'elle
dépend de l'intelligence; et celle qui n'est qu'âme. Enfin parmi les corps
naturels, il y a celui qui a une âme qui le gouverne et qui, au-dessus de
lui, le dirige, et il y a ceux qui sont seulement corps naturels et qui n'ont
pas d'âme.
Après avoir montré dans
la proposition précédente que toutes les choses dépendent pour leur nature du
premier Être, l'auteur montre ici comment celles-ci s’approchent différemment
de lui quant à la participation de leur perfection naturelle et il présente
la proposition suivante : parmi
les intelligences, il y a celle qui est l’intelligence divine,
puisqu'elle-même reçoit par une
réception abondante quelque chose des bontés premières qui procèdent de la
cause première; et il y a aussi
celle qui est intelligence seulement puisqu’elle ne reçoit quelque chose des
bontés premières que par l’intermédiaire de l’intelligence première. Et parmi
les âmes il y a celle qui est intelligible puisqu’elle-même dépend de
l’intelligence; et il y a celle qui est âme seulement. Et parmi les corps
naturels il y a celui auquel l’âme commande et lui donne sa direction et il y
a aussi ceux qui ne sont que des corps naturels qui ne possèdent pas une âme.
Mais cette proposition
se retrouve aussi en ces termes dans livre de Proclus à la proposition
111 : de toute la série
(c’est-à-dire de l’ordre) des
intelligences, certaines sont divines parce qu’elles reçoivent des dieux des
dons, c’est-à-dire des participations, alors que d’autres sont seulement des intelligences ; et de
toute la série ou de l’ordre des âmes, certaines sont des âmes
intellectuelles suspendues aux intelligences qui leur sont propres tandis que
d’autres sont des âmes seulement ; et dans toute la nature corporelle, il y a des corps qui possèdent
certes une âme qui se tient au-dessus d’eux et les commande alors que
d’autres ne sont que des corps naturels privés de la présence d’une âme. Et pour avoir l’évidence de cela il faut
savoir que d’après les Platoniciens, le réel se divise en quatre catégories.
La première est l’ordre des dieux qui est celui des formes idéales parmi
lesquelles se présente une hiérarchie qui découle de l’ordre d’universalité
des formes, comme nous l’avons dit plus haut ; sous cet ordre cependant
il y a l’ordre des intelligences séparées sous lequel se range l’ordre des
âmes sous lequel à son tour est placé l’ordre des corps. Et ces trois ordres
inférieurs qui précèdent se prennent conformément aux trois ordres mentionnés
dans la proposition précédente ; car les corps participent de
l’existence seulement ; les âmes par la suite, conformément à leur
nature propre participent à la fois de l’existence et de la vie alors que les
intelligences participent à la fois de l’existence, de la vie et de
l’intellection. Mais la causalité de ces trois ordres de
réalités se ramène à l’ordre divin, soit qu’on pose une multiplicité de dieux
qui se range sous un seul comme le font les Platoniciens, soit qu’on pose,
comme nous le soutenons, un seul Dieu qui contient à l’avance tout en
lui : en effet, l’universalité de la causalité est propre à Dieu. Mais
de tels ordres, puisqu’ils procèdent tous d’un seul et même premier Principe,
entretiennent entre eux une certaine continuité d’une manière telle que
l’ordre des corps touche à celui des âmes, que l’ordre des âmes touche à
celui des intelligences et que celui des intelligences touche à l’ordre
divin. Mais partout où
différents ordres sont rattachés les uns aux autres, il faut que ce qui est
premier dans l’ordre inférieur, à cause de sa proximité immédiate à l’égard
de l’ordre supérieur, participe de la perfection de l’ordre supérieur. Et
nous pouvons constater cela avec évidence dans les choses naturelles car
certains animaux participent d’une certaine ressemblance de la raison et
certaines plantes participent d’une certaine distinction des sexes, laquelle
est propre au genre animal. Aussi Denys dit-il au chapitre 7 des Noms Divins que c’est par la sagesse
divine que ce qui est dernier dans les ordres premiers est rattaché à ce qui
est premier dans les ordres seconds. Ainsi donc ceux qui sont premiers dans
l’ordre des intellects ou des intelligences dépendent plus immédiatement de
Dieu par une participation plus
parfaite et participent davantage de ses bontés et de sa causalité
universelle : et c’est pourquoi on les appelle intellects divins ou
intelligences divines comme le fait Denys lorsqu’il dit que les Anges
suprêmes sont comme rassemblés dans les vestibules de la divinité. Mais les
intellects inférieurs qui ne parviennent pas à une participation aussi
excellente de la ressemblance divine ne sont que des intellects qui ne
possèdent pas cette dignité divine. Et le même raisonnement vaut pour les
âmes par rapport aux intelligences ; car les âmes supérieures sont
intellectuelles en tant qu’elles sont proches de l’ordre des intelligences
alors que les autres âmes, celles qui sont inférieures, ne sont pas
intellectuelles mais ne possèdent que ce qui appartient à l’âme en tant
qu’elle est vivifiante ou principe de vie, comme on le voit le plus
clairement pour les âmes des animaux et celles des plantes. Et le même
raisonnement vaut encore pour l’ordre des corps par rapport à celui des
âmes car les corps plus nobles qui sont constitués d’une nature plus
parfaite sont animés alors que les autres corps sont inanimés. Et le même
raisonnement vaut aussi pour tous les autres ordres qui se trouvent à diviser
les ordres généraux qui précèdent car à l’intérieur même des corps il y a des
ordres différents et il en est de même pour les âmes et les intellects. |
Lectio 20 [84255]
Super De causis, l. 20 Postquam ostensum est
qualiter inferiora a superioribus dependeant, hic ostenditur qualiter
superiora inferioribus influant per suum regimen. Et circa hoc duo facit:
primo agit de universali regimine causae primae, secundo de regimine
intelligentiae, 23 propositione, ibi: omnis intelligentia divina et cetera.
Circa primum duo facit: primo ostendit modum universalis regiminis causae
primae, secundo ostendit idoneitatem causae primae ad regendum, 21
propositione, ibi: primum est dives et cetera. Circa primum ponit talem propositionem:
causa prima regit omnes res creatas praeter quod commisceatur cum eis.
Ad cuius evidentiam considerandum est quod in humano regimine hoc contingere
videmus quod ille qui habet curam regiminis plurimorum, necesse est ut ex suo
regimine ad plura distrahatur; qui vero a cura regiminis aliorum est liber,
magis in seipso potest uniformitatem conservare, unde et Epicurei philosophi,
ut quietem et uniformitatem divinam conservarent, posuerunt deos nullius
regiminis curam habere, sed omnino otiosos et nihil curantes, ut sic
videantur esse felices. Et ideo contra hoc in hac propositione inducitur quod
haec duo in causa prima non sunt contraria nec se invicem impediunt
universale regimen rerum et summa unitas, per quam Deus exaltatur supra
omnia. Unde statim in principio expositionis ponitur: quod est quia
regimen non debilitat unitatem eius exaltatam super omnem rem neque destruit
eam, quia scilicet nec in toto nec in parte per universale regimen
unitati divinae derogatur; et e converso subdit: neque prohibet eam
essentia unitatis eius seiuncta a rebus quin regat res. Et hoc totum in
CXXII propositione Procli ponitur sub his verbis: omne divinum et providet
secundis, et ereptum est ab his quibus providetur; neque providentia
submittente suam immixtam et unialem excellentiam, neque separata unitione
providentiam exterminante. Ad huius autem propositionis manifestationem
tria inducuntur. Primo namque ostenditur diversus modus recipiendi
influentias causae primae ex parte rerum recipientium, secundo ostenditur unitas
ex parte causae primae influentis, ibi: et bonitas prima etc., tertio ex his
duobus concluditur propositum, scilicet quod regimen causae primae extat
absque hoc quod commisceatur rebus, ibi: redeamus autem et dicamus. Dicit
ergo primo quod omnes bonitates quae inveniuntur in rebus, effluunt a causa
prima; et huiusmodi bonitates recipit unaquaeque res secundum modum et
proprietatem suae substantiae et virtutis - sunt autem diversarum rerum
diversae naturae et virtutes - et inde est quod, quamvis causa prima influat
uno influxu super omnia, diversimode tamen influxus eius in diversis rebus
recipitur. Cuius exemplum evidens est in lumine quod quidem a corpore lucido
uno modo procedit, sed secundum quod radii diversi transeunt per vitra
diversimode colorata, diversam apparentiam faciunt. Deinde ostendit quod
causa prima unico influxu influat in res omnes; influit enim in res secundum
rationem boni; habet enim bonitatem bonificam, id est quae est principium
bonitatis in omnibus. Bonitas autem causae primae est ipsum suum esse et sua
essentia, quia causa prima est ipsa essentia bonitatis; unde cum essentia
eius sit maxime una, quia primum principium est secundum se unum et bonum,
consequens est quod causa prima uno modo, quantum est ex parte sua, agat in
res et influat in eas; sed ex eius influxu res diversimode recipiunt, quaedam
plus et quaedam minus, unaquaeque secundum suam proprietatem. Deinde ex
praemissis concludit impermixtionem causae primae ad res alias. Et huius
conclusionis intellectus plenus haberi potest si accipiamus verba quae sunt
in commento Procli, qui sic dicit: neque igitur providentes (scilicet
dii) habitudinem recipiunt ad ea quibus providetur; per esse enim quod
sunt omnia bonificant, omnia autem per esse faciens sine habitudine facit: habitudo
enim appositio est ad esse, propter quod praeter naturam. Vocat autem habitudinem
aliquam dispositionem per quam agens coaptatur seu proportionatur patienti
seu recipienti; et quod sic agit in diversa, necesse est quod habeat diversas
dispositiones quibus diversis coaptetur, et secundum hoc cadit in huiusmodi
rem quaedam multitudo quae diversimode agit in diversa secundum diversas suas
dispositiones quae sunt praeter naturam sive essentiam eius, quae est una. Et
sic tale agens secundum diversas dispositiones commiscetur rebus in quas agit
secundum quamdam coaptationem ad ea; sed causa prima agit per esse suum, ut
probatum est. Unde non agit per aliquam habitudinem vel dispositionem
superadditam per quam coaptetur et commisceatur rebus. Et huiusmodi habitudo
vocatur hic continuator vel res media, quia scilicet per huiusmodi
dispositionem vel habitudinem coaptatur agens recipienti, et est quodammodo
media inter essentiam agentis et ipsum patiens. Quia igitur causa prima est
agens per esse suum, oportet quod uno modo regat res; sic enim regit res
quemadmodum agit: unde patet quod regimen eius est optimum et pulcherrimum.
Ad hoc enim tendit quilibet rector multitudinis quod reducat multos quos
regit in unum; et hoc maxime invenitur in divino regimine, quod est unum
secundum se et non diversificatur in effectibus nisi secundum diversitatem,
quasi secundum diversa merita, subditorum. |
20) « La cause première régit
toutes les choses créées, sans qu'elle soit mêlée à elles ».
Après avoir montré de
quelle manière les ordres inférieurs dépendent des supérieurs, l’auteur
montre ici de quelle manière les ordres supérieurs influent sur les
inférieurs par leur gouvernement. À ce sujet il fait deux choses :
premièrement il traite du gouvernement universel de la cause première;
deuxièmement, à la proposition 23, du gouvernement de l'intelligence où il dit
: toute intelligence divine etc. Au
sujet du premier point il fait deux choses : premièrement il manifeste la
modalité du gouvernement universel de la cause première; deuxièmement il
montreà la proposition 21 la capacité de la cause première à gouverner, où il
dit : l’Être premier premier est
riche par soi-même etc. Au sujet du premier point il présente la
proposition suivante : la cause
première gouverne toutes les réalités créées sans se mélanger à aucune
d’elles. Pour avoir l’évidence de cela il faut considérer que nous voyons
cela se produire dans les gouvernements humains alors qu’il est nécessaire
que celui qui a soin du gouvernement de la multitude soit partagé entre
plusieurs choses du fait de ce gouvernement ; mais celui qui est libéré
du soin de gouverner les autres peut davantage conserver en lui-même une
égalité d’âme et c’est pourquoi les philosophes épicuriens, pour garantir aux
dieux leur tranquillité et leur égalité d’âme, ont soutenu que les dieux
n’ont aucun souci de gouverner, demeurent oisifs et n’ont soin de rien de
manière à paraître ainsi heureux. Et c’est pourquoi, à l’encontre de cette
position on avance dans cette proposition que ces deux termes, à savoir le
soin de gouverner et la tranquillité d’âme, ne s’opposent pas chez la cause
première et que le gouvernement universel des choses et l’unité suprême, par
laquelle Dieu est élevé au-dessus de tous les êtres, ne s’excluent pas
mutuellement. C’est pourquoi il affirme aussitôt au début de son
explication : il en est ainsi
parce que l’acte de gouverner n’affaiblit pas son unité, laquelle est élevée
au-dessus de toute chose, et ne la détruit pas, c’est-à-dire que jamais
il ne s’écarte en totalité ou en partie de son unité par le gouvernement
universel. Et l’auteur ajoute à l’inverse : et l’essence de son unité, séparée des choses, ne l’empêche pas de
les diriger. Et tout cela est repris en ces termes à la proposition 122
du livre de Proclus : le divin tout
entier pourvoit au bien de ses sujets et en même temps il échappe à ceux-là
même sur lesquels il veille, et ni l’abaissement de sa providence ne supprime
l’excellence sans mélange de son unité, ni son unité séparée n’empêche sa
providence. Et l’auteur avance
trois choses pour manifester cette proposition. En premier lieu il montre
différentes modalités de recevoir les influences de la cause première du côté
des êtres qui les reçoivent ; en deuxième lieu il manifeste l’unité de
cette modalité du côté de la cause première qui répand ses biens, là où il
dit : et la bonté première etc. ;
troisièmement, s’appuyant sur ces deux points, il conclut son propos en
disant que le gouvernement de la cause première subsiste sans se mélanger aux
choses, là où il dit : revenons
cependant à notre propos et disons etc. Il dit donc en premier
lieu que tous les biens qui se retrouvent dans les choses s’écoulent de la
cause première ; et chaque chose reçoit ces biens conformément aux
modalités et aux propriétés de sa substance et de sa puissance, car à des
choses différentes appartiennent des natures et des puissances différentes,
et il résulte de là que, bien que la
cause première répande ses biens sur tous les êtres comme par un seul et même
souffle, ce même souffle est cependant reçu différemment dans différentes
choses. On trouve un exemple évident de cette vérité dans la lumière qui
procède certes d’une seule manière d’un corps lumineux, mais selon que ses
rayons traversent diffémment les vitres qui sont teintes de différentes
couleurs, ils produisent une apparence différente. Ensuite il montre que la
cause première répand ses biens sur tous les êtres comme par un seul souffle.
En effet, c’est en ayant en vue le bien qu’elle se répand sur les choses car
elle possède en elle la bonté bienfaisante, c’est-à-dire celle qui est le
principe du bien qu’on retrouve dans tous les êtres. Mais la bonté de la
cause première est son être même et son essence car la cause première est
l’essence même de la bonté ; d’où il suit que, puisque son essence est
suprêmement une, car le principe premier est en lui-même un et bon, la cause
première, quant à ce qui la concerne, n’agit sur les choses et ne se répand
sur elles que d’une seule et unique façon ; mais à partir de ce même
souffle les choses reçoivent différemment, certaines plus et d’autre moins,
chacune conformément à la nature qui lui est propre. Ensuite, s’appuyant sur
ce qui précède, il conclut que la cause première est étrangère à tout mélange
avec les autres choses. Et on peut parvenir à une compréhension plus entière
de cette conclusion si on prend les paroles qui sont contenues dans le
commentaire de Proclus : et ceux
qui pourvoient (à savoir les dieux) ne
reçoivent aucune relation de ceux sur lesquels ils veillent car c’est par
leur être même qu’ils sont bienfaisants à l’égard de tous et ceux qui
agissent par leur être même le font sans recevoir de relation : la
relation en effet est un ajout à l’être et pour cette raison elle est
extérieure à la nature. Mais par relation,
Proclus entend une certaine disposition par laquelle l’agent s’adapte ou se
proportionne au patient ou à celui qui reçoit ; et il est nécessaire que
celui qui agit de cette manière sur différents êtres possède différentes
dispositions par lesquelles il s’adapte à eux et c’est suivant cela qu’il
échoit en partage à une telle chose une certaine multiplicité qui agit
différemment sur différents êtres d’après ses différentes dispositions qui
sont extérieures à sa nature ou à son essence qui est une. Et ainsi un tel
agent, conformément à ces différentes dispositions, se trouve à se mélanger
aux choses sur lesquelles il agit suivant une certaine adaptation à
elles ; mais la cause première agit sur les choses par son existence ainsi que cela a
été prouvé. D’où il résulte qu’elle n’agit pas sur elles par une relation ou
une disposition surajoutée par laquelle elle s’adapterait aux choses et se
mélangerait à elles. Et une telle relation, l’auteur l’appelle ici lien ou intermédiaire car c’est au
moyen d’une telle disposition ou relation que l’agent s’adapte à celui qui
reçoit et qui est comme un lien entre l’essence de l’agent et le patient
lui-même. Donc, parce que la cause première agit par son existence, il faut
qu’elle gouverne les choses d’après une seule modalité ; elle gouverne
en effet les choses de la même manière qu’elle agit : d’où il est clair
que son gouvernement est le plus excellent et le plus beau. C’est à cela en
effet que tend tout être qui gouverne une multitude d’êtres, c’est-à-dire à ramener à l’unité la multiplicité de ceux
qu’il gouverne. Et c’est dans le gouvernement divin, lequel est un en lui-même
et ne se différencie dans ses effets que selon la différence relative aux
mérites différents de ses sujets, qu’on retrouve cela le plus parfaitement. |
Lectio 21 [84256]
Super De causis, l. 21 Postquam assignavit modum
divini regiminis, hic ostendit sufficientiam Dei ad regendum. Quae quidem
attenditur secundum duo: primo quidem secundum Dei abundantiam, secundo
secundum eius superexcellentiam, et hoc ibi: causa prima et cetera. Haec enim
duo necessaria sunt regenti, primo quidem ut habeat bonorum abundantiam, ex
quibus possit subditis providere; unde et Dionysius dicit XII capitulo de
divinis nominibus quod dominatio est omnis pulchrorum et bonorum perfecta
possessio, et regnum est omnis finis et legis et ordinis distributio. Ad
ostendendum autem in Deo abundantem sufficientiam proponit hanc
propositionem: primum est dives propter seipsum et est dives magis. Ad
cuius evidentiam accipiatur propositio CXXVII Procli, quae talis est: omne
divinum simplex prime est et maxime, et propter hoc maxime per se sufficiens.
Probat autem quod Deus sit prime et maxime simplex ex ratione unitatis: nam
Deus est maxime unum cum sit prima unitas sicut et prima bonitas; simplicitas
autem ad rationem unitatis pertinet - dicitur enim simplex quod est unum non
ex pluribus aggregatum; unde Deus in quantum est prime et maxime unum, in
tantum etiam est prime et maxime simplex. Et ex hoc ulterius procedit ad
ostendendam secundam partem suae propositionis, scilicet quod Deus sit maxime
per se sufficiens, quia per se sufficientia consequitur ad simplicitatem.
Omne enim compositum indiget pluribus ex quibus sua bonitas constituitur, et
non solum indiget illis ex quibus componitur ut ex partibus, sed etiam
indiget aliquo alio quod causat et conservat compositionem, sicut patet in
corporibus mixtis; non enim diversa in unum convenirent nisi per aliquam
causam ea unientem. Cum igitur Deus sit primo et maxime simplex utpote habens
totam bonitatem suam in uno perfectissimo, sequitur quod Deus sit primo et
maxime per se sufficiens. Sed auctor huius libri praetermittit primam partem
propositionis quae est de simplicitate, quasi eam supponens, et loquitur
solum de per se sufficientia quam divitiarum nomine signat: et loco eius quod
in propositione Procli dicitur quod Deus est per se sufficiens, dicit quod primum
est dives propter seipsum. In quolibet enim genere est primum id quod est
propter seipsum; quod enim est per se, prius est eo quod est per aliud; loco
autem eius quod ibi dicitur quod est maxime sufficiens, hic dicitur
quod est dives magis, scilicet quam omnia alia. Probatio autem
propositi est eadem utrobique. Nam primo dicit quod unitas divina quae non
est dispersa in multas partes, sed est unitas pura, est significatio huius
quod Deus sit in fine simplicitatis, id est maxime simplex. Et ex hoc
ulterius probat quod Deus sit maxime per se sufficiens per indigentiam quae
in compositis invenitur, sicut iam dictum est. Sed quia in nomine divitiarum
non solum intelligitur sufficientia, sed etiam copia potens in alios
redundare, addit ulterius, ad ostendendum Deum esse divitem, de influxu
bonitatis eius in res, quia propter abundantiam suae bonitatis influit in res
alias et nihil est quod influat super ipsum; omnes autem aliae res, sive sint
intelligibiles sicut intelligentiae et animae, sive sint in corpore, non sunt
divites per seipsas, quasi ex seipsis habentes abundantiam bonitatis, sed
indigent participare bonitatem a primo vere uno quod influit super eas
gratis, absque hoc quod aliquid ei inde accrescat, omnes bonitates et
perfectiones. |
21) Le premier est riche par
soi-même et il est plus riche.
Après avoir déterminé
le mode du gouvernement divin, l'auteur manifeste ici la suffisance de Dieu à
gouverner, laquelle se considère sous deux rapports : premièrement selon
l’abondance même de Dieu, deuxièmement selon son ineffable excellence là où
il dit : la cause première est
au-dessus de tout nom etc. Ces deux conditions sont en effet nécessaires
à celui qui gouverne, et premièrement certes celle qui consiste à posséder
une abondance de biens qu’il peut répandre sur ses sujets ; et c’est
pourquoi Denys dit au chapitre douzième des Noms Divins que le pouvoir
absolu consiste dans la possession parfaite de toute beauté et de tout bien
et le gouvernement dans la distribution de toute fin, de toute loi et de tout
ordre. Mais pour manifester la plénitude de cette abondance, l’auteur
présente cette proposition : ce
qui est premier à être riche est plus riche. Et pour en avoir l’évidence
on prend la proposition 127 tirée du livre de Proclus qui se présente en ces
termes : Dieu, qui est la source
de toute simplicité de la manière la plus excellente, pour cette raison se
suffit à lui-même de la manière la plus parfaite. Mais l’auteur prouve
que Dieu est le premier à être simple et qu’il l’est dans toute sa perfection
en partant de la notion d’unité : car Dieu est parfaitement un puisqu’il
est la première unité et le premier bien ; mais la simplicité appartient
à la notion d’unité (car on appelle simple ce qui est un mais non en tant que
résultat de la composition d’une multiplicité) ; d’où il résulte que
Dieu, en tant qu’Il est le premier à être un et qu’il l’est parfaitement, est
aussi le premier à être simple et il l’est parfaitement. Et en partant de là
il procède par la suite à la manifestation de la deuxième partie de sa
proposition, à savoir que Dieu se suffit parfaitement à lui-même puisque se
suffire essentiellement à soi-même découle de la simplicité. En effet, tout ce qui
est composé a besoin d’une multiplicité à partir de laquelle sa bonté est
constituée, et non seulement il a besoin des éléments dont il est composé en
tant que parties mais il a aussi besoin d’un autre qui soit capable de causer
et de conserver la composition comme on le voit pour les corps mixtes ;
de nombreux éléments en effet ne peuvent se retrouver dans une unité que par
une cause qui les unit. Donc, puisque Dieu est parfaitement simple et qu’il
l’est au premier titre en tant que possédant tout son bien dans une parfaite
unité, il s’ensuit que Dieu se suffit à lui-même de la façon la plus parfaite
et au premier titre. Mais l’auteur de ce livre omet la première partie de la
proposition qui porte sur la simplicité comme s’il la prenait pour acquise et
il parle seulement de la suffisance par soi qu’il signifie par le nom de
richesse : et au lieu de dire comme dans la proposition de Proclus que
Dieu est suffisant par soi, il dit qu’il est le premier à être riche à cause
de lui-même. En tout genre en effet est premier ce qui existe par soi-même ou
à cause de soi-même ; mais ce qui existe par soi-même est antérieur à ce
qui existe par un autre ; mais au lieu de ce qui est dit là par Proclus,
à savoir que Dieu se suffit
parfaitement à lui-même, l’auteur dit ici que Dieu est plus riche, c’est-à-dire que tous les autres êtres. Mais la
preuve de ce propos est la même dans les deux cas. Car il dit premièrement
que l’unité divine n’est pas dispersée en une multitude de parties, mais
qu’elle est une unité pure signifie que Dieu est au sommet de la simplicité, c’est-à-dire qu’il est parfaitement
simple. Et à partir de là il prouve par la suite que Dieu se suffit
parfaitement à lui-même par opposition à l’indigence qu’on retrouve dans les
réalités composées dont nous avons déjà parlé. Mais parce que par le nom de
richesse on n’entend pas seulement la suffisance mais une abondance qui peut
déborder sur les autres, il ajoute par la suite, pour montrer que Dieu est
riche, il ajoute quelque chose sur l’écoulement de sa bonté sur les choses,
car c’est à cause de l’abondance de sa bonté qu’il répand ses biens sur les
autres choses alors que rien ne se répand sur lui ; mais toutes les
autres réalités, qu’elles soient intelligibles comme les intelligences et les
âmes ou corporelles, ne sont par riches par elles-mêmes comme si elles
tenaient d’elles-mêmes l’abondance de leur bonté, mais elles ont besoin de
participer de la bonté par une participation qu’elles tirent de l’Être
premier et véritablement un qui répand gratuitement sur elles tous les biens
et toutes les perfections qu’elles reçoivent sans que Lui-même ne s’y trouve
le moindrement grandi. |
Lectio 22 [84257]
Super De causis, l. 22 Ostensa abundantia divinae
bonitatis, hic ostendit excellentiam ipsius, dicens: causa prima est super
omne nomen quod nominatur. Ad cuius propositionis intellectum
considerandum est quod id quod hic sub uno colligitur, Proclus in suo libro
per diversa distinguit, cuius est CXV propositio talis: omnis Deus
supersubstantialis est et supervitalis et superintellectus. Quod quidem
Proclus dupliciter probat, primo probatione communi quae talis est: Deus est unitas
per se perfecta; unumquodque autem aliorum quae sunt sub Deo, non est
ipsa unitas, sed est aliquid participans unitate; manifestum est igitur quod Deus
est ultra omnia huiusmodi. Secundo probat probatione speciali, quia
scilicet substantiae non est idem esse et substantiam esse et unum esse, sed
quaelibet substantia subsistens participat esse et uno; unde relinquitur quod
Deus, qui est ipsum unum et ens per seipsum, sit supra substantiam et per
consequens supra vitam et intellectum quae praesupponunt substantiam, ut
patet etiam in hoc libro ex 18 propositione supra inducta. Sed quia auctor
huius libri propositionem in communi inducit, contentus est sola probatione
communi. In omnibus enim quae sunt infra causam primam, quaedam inveniuntur
perfecte existentia sive completa, quaedam imperfecta sive diminuta. Perfecta
quidem videntur esse ea quae per se subsistunt in natura, quae a nobis significantur
per nomina concreta ut homo, sapiens et huiusmodi; imperfecta autem sunt illa
quae per se non subsistunt, sicut formae ut humanitas, sapientia et
huiusmodi, quae significantur apud nos nominibus abstractis. Inter quae duo
est haec differentia quod illud quod non est completum, non potest
perficere operationem perfectam; non enim calor calefacit sed calidum,
neque sapientia sapit sed sapiens. Illud autem quod est completum apud
nos, quamvis sit per se subsistens, in hoc sibi quodammodo sufficiens
quod non indiget alio cui innitatur sicut subiecto, tamen quia forma
quae est principium actionis est in ipso limitata et participata, non
potest agere per modum creationis aut influxus sicut agit id quod totum
est forma, quod sui participatione secundum se totum est aliorum productivum.
Cum ergo ita sit apud nos in his quae sunt diminuta et concreta, sequitur
quod Deus neque sit diminutus neque completus simpliciter, sed magis
supercompletus; neque enim caret actione sicut diminuta, et agit per modum creantis
et influentis, quod non possunt ea quae sunt completa apud nos, et hoc est
quod subdit: quia ipse est creans res et influens bonitates super eas
influxione completa. Et hoc ideo est quoniam ipse est bonitas
subsistens cui non est finis, id est non est bonitas terminata ad
aliquam naturam participantem incorpoream, sicut est bonitas intelligentiae,
neque sunt ei dimensiones ad quas terminetur, sicut est de bonitate
corporali. Ex quo ulterius concludit quod, quia causa prima est ipsa bonitas
interminata, sequitur quod ipsa sit prima bonitas et quod repleat omnia
saecula, id est omnes distinctiones rerum et temporum, bonitatibus suis,
licet non omnia recipiant eodem modo et aequaliter bonitatem eius, sed
unumquodque secundum modum suae potentiae, ut supra habitum est in 20
propositione. Tota ergo virtus huius probationis ad hoc redit quod Proclus
breviter tangit, quod scilicet Deus et est ipsa unitas, non unitum aliquid
sicut completa quae sunt apud nos, et tamen est per se perfecta, a quo
deficiunt diminuta, id est formae non subsistentes quae apud nos sunt. Ex quo
hic ulterius concluditur quod causa prima est altior omni nomine quod a nobis
imponitur, quia omne nomen a nobis impositum, vel significat per modum
completi participantis sicut nomina concreta, vel significat per modum
diminuti et partis formalis sicut nomina abstracta. Unde nullum nomen a nobis
impositum est condignum divinae excellentiae. |
22) « La cause première est
au-dessus de tout nom dont on la nomme puisque ne lui convient ni
l'inachèvement, ni même l'achèvement ».
Après avoir montré en
quoi consiste l’abondance de la bonté divine, l'auteur en manifeste ici
l'excellence en disant : la cause
première transcende tout nom par lequel on la nomme. Et pour comprendre
cette proposition il faut considérer que se qui se trouve à être colligé ici
en une seule proposition, Proclus le distingue en plusieurs, dont la
proposition 115 que voici : tout
dieu est supra-substance, supra-vie et supra-intelligence. Et cela,
Proclus le prouve de deux manières et premièrement par une preuve commune que
voici : Dieu est une unité qui est
parfaite par elle-même ; mais
chacun des autres êtres qui sont inférieurs à Dieu n’est pas l’unité même
mais plutôt quelque chose qui participe de l’unité ; il est donc
manifeste que Dieu est au-delà de tous
les êtres de cette sorte. Il le prouve en deuxième lieu par une preuve plus
particulière, à savoir que pour la substance, ce n’est pas la même chose que d’être,
être une substance et être une, mais toute substance subsistance participe de
l’être et de l’un ; d’où il suit que Dieu, qui est l’un lui-même et
l’être par soi, soit au-dessus de la substance et par conséquent au-dessus de
la vie et de l’intelligence qui présupposent la substance comme on le voit
aussi dans ce livre à la proposition 18 présentée plus haut. Mais parce que
l’auteur de ce livre présente la proposition en général, il se contente de la
seule preuve commune. En effet, pour tous les êtres qui se retrouvent sous la
cause première, certains possèdent une existence parfaite ou complète,
d’autres une existence imparfaite ou incomplète. Les réalités complètes
semblent être celles qui subsistent par elles-mêmes dans la nature et que
nous signifions par des noms concrets, comme les termes homme, sage, etc. ;
cependant les réalités qui sont imparfaites sont celles qui ne subsistent pas
par elles-mêmes comme c’est le cas pour les formes d’humanité et de sagesse,
et que nous signifions par des noms abstraits. Et entre ces deux sortes de
réalité il y a cette différence que ce
qui n’est pas complet ne peut réaliser une opération parfaite ; en
effet, ce n’est pas la chaleur qui réchauffe mais seulement ce qui est chaud
et ce n’est pas la sagesse qui discerne mais le sage. Mais ce qui est complet dans notre
environnement naturel, bien qu’il soit subsistant par soi et qu’il se
suffise d’une certaine façon à lui-même en ceci qu’il n’a pas besoin d’un
autre à titre de sujet sur lequel s’appuyer pour exister, cependant parce que la forme qui est
principe d’action en lui est limitée et participée, il ne peut agir par mode de création ou d’influx comme le fait ce
qui est forme dans sa totalité et qui produit selon sa totalité les autres
êtres par sa participation. Donc, puisqu’il en est ainsi autour de nous pour
les choses qui sont complètes et celles qui sont incomplètes, il s’ensuit que
Dieu n’est ni incomplet ni complet absolument, mais il est plutôt
supra-complet ; en effet, il n’est pas impuissant à agir comme ce qui
est incomplet et il agit par mode de création et d’influx, ce dont sont
incapables les réalités complètes qui nous entourent, et c’est ce que notre
auteur ajoute : lui-même crée les
choses et répand sur elles ses biens par un écoulement complet. Et il en
est ainsi parce que lui-même est la bonté subsistante sur laquelle aucune limite n’a de prise,
c’est-à-dire qu’elle n’est pas une bonté limitée à une nature participante
incorporelle comme c’est le cas pour la bonté de l’intelligence, ni à des
dimensions déterminées comme c’est le cas pour la bonté corporelle. D’où il
conclut par la suite que, puisque la cause première est la bonté infinie
même, il s’ensuit qu’elle est elle-même la première bonté et qu’elle remplit
tous les siècles, c’est-à-dire toutes les distionctions des choses et des
temps, de ses biens quoique toutes les choses ne reçoivent pas sa bonté de la
même manière ni d’une façon égale, mais chacune suivant le mode de sa puissance, ainsi que cela a été établi à la
proposition 20. Donc, toute la puissance de cette preuve revient à ce que
Proclus a considéré brièvement, à savoir que Dieu est l’unité même et non pas
quelque chose qui est uni comme les réalités complètes qui nous entourent, et
cependant cette unité est parfaite en elle-même, ce qui n’est pas le cas pour
les réalités incomplètes, c’est-à-dire les formes non subsistantes qui nous
entourent. Et ici, à partir de là, il conclut par la suite que la cause
première est au-dessus de tout nom dont nous la nommons parce que tout nom
que nous lui imposons signifie soit à la manière d’un participant complet comme
les noms concrets, soit à la manière d’une partie formelle incomplète comme
les noms abstraits. D’où il suit qu’aucun nom imposé par nous n’est à la
hauteur de l’excellence divine. |
Lectio 23 [84258]
Super De causis, l. 23 Postquam tradidit modum
divini regiminis et ostendit sufficientiam Dei ad regendum, hic agit de
regimine secundae causae, scilicet intelligentiae, quod quidem regimen fit ex
virtute causae primae. Et ponit hanc propositionem: omnis intelligentia
divina scit res per hoc quod ipsa est intelligentia, et regit eas per hoc
quod est divina. Et similis propositio invenitur in libro Procli CXXXIV,
sub his verbis: omnis divinus intellectus intelligit quidem ut
intellectus, providet autem ut Deus. Ad cuius evidentiam considerandum
est quod supra, 19 propositione, dictum est: ex intelligentiis quaedam est
divina et quaedam non divina. Supremi quidem intellectus vel intelligentiae
divini vocantur propter abundantem participationem divinae bonitatis ex
propinquitate ad Deum. Quod autem abundanter participat proprietatem alicuius
rei, assimilatur ei non solum in forma sed etiam in actione; sicut patet
quod, eorum quae illuminantur a sole, quaedam participant lumen solis solum
quantum ad hoc quod videantur, quaedam vero quantum ad hoc quod alia illuminent
quod est propria actio solis, sicut patet de luna. Quia vero forma est
principium actionis, necesse est quod omne illud quod ex abundanti
participatione influxus superioris agentis acquirit actionem eius, habeat
duas actiones, unam scilicet secundum propriam formam, aliam vero secundum
formam participatam a superiori agente, sicut cultellus ignitus secundum
propriam formam incidit, in quantum vero est ignitus urit. Sic igitur et
supremarum intelligentiarum unaquaeque quae divina dicitur habet duplicem actionem,
unam quidem in quantum participat abundanter bonitatem divinam, aliam autem
secundum propriam naturam. Est autem proprium intelligentiae in quantum
huiusmodi cognoscere res, et ideo intelligentia divina in quantum est
intelligentia est rerum cognoscitiva. Proprium autem est Dei, qui est ipsa
essentia bonitatis, ut se aliis communicet; videmus quod unumquodque, in
quantum est perfectum et actu ens, similitudinem suam aliis tradit. Unde id
quod est essentialiter actus et bonitas, scilicet Deus, essentialiter et
primordialiter communicat suam bonitatem rebus, et hoc pertinet ad regimen
ipsius; nam regentis proprium est perducere ea quae reguntur ad debitum
finem, quod est bonum. Sic igitur intelligentia divina, in quantum participat
abundanter bonitatem divinam, ipsa fit regitiva rerum. Manifestum est autem
quod unumquodque quod agit secundum propriam et naturalem formam aliquam
actionem, vehementius et perfectius agit illam actionem quam illud quod agit
eam per participationem virtutis superioris agentis, sicut ignis vehementius
calefacit quam corpus ignitum et sol magis illuminat quam luna. Oportet
igitur regimen Dei, quod est actio eius secundum suam essentialem bonitatem,
esse altius et efficacius quam regimen intelligentiae, quod convenit ei
secundum participationem bonitatis divinae. Et inde est quod regimen causae
primae, quod est secundum essentiam bonitatis, se extendit ad omnes res,
cuius signum est quod omnia desiderant bonum vel appetitu intellectuali vel
animali vel naturali. Regimen autem intelligentiae, quod est ei proprium, non
se extendit ad omnia; non enim diffundit bonitatem intellectualem in omnia,
sed solum in illa quae sunt nata intelligere. Unde nec omnia intellectuale bonum appetunt, sed
solum bonum absolute. |
23) Toute intelligence divine
connaît les choses en tant qu'elle est intelligence, et les gouverne en tant
qu'elle est divine.
Après avoir traité de
la modalité du gouvernement divin et manifesté la suffisance de Dieu à
gouverner, l’auteur traite ici du gouvernement de la cause seconde, à savoir
de celui de l’intelligence, lequel se tire certes de la puissance de la cause
première. Et pour le montrer il présente cette proposition : toute intelligence divine connaît les
choses du fait qu'elle est intelligence, et les gouverne du fait qu'elle est
divine. Et on retrouve le même énoncé à la proposition 134 du
livre de Proclus : tout intellect
divin intellige certes en tant qu’il est un intellect, mais pourvoit au bien
des autres en tant qu’il est divin.. Pour en avoir
l’évidence, il faut considérer ce qui a été dit plus haut à la proposition
19 : parmi les intelligences certaines sont divines et certaines ne le
sont pas. Les intellects suprêmes sont appelés intelligences divines parce
qu’ils participent abondamment de la bonté divine en raison de leur proximité
de Dieu. Mais ce qui participe abondamment de la propriété d’une chose lui
est assimilé non seulement quant à la forme mais aussi quant à
l’action : on voit par exemple que parmi les choses qui sont éclairées
par le Soleil, certaines participent de la lumière du Soleil seulement quant
à ceci qu’elles peuvent être vues alors que d’autres illuminent à leur tour,
comme c’est le cas pour la Lune, ce qui est le propre de l’action du soleil.
Mais parce que la forme est le principe de l’action, il est nécessaire que
tout ce qui acquiert son action à partir d’une participation abondante de
l’influx d’un agent supérieur possède deux actions, à savoir une qui est
conforme à la forme qui lui est propre et l’autre qui est conforme à la forme
participée qui procède de l’agent supérieur, comme le couteau brûlant qui
coupe conformément à la forme qui lui est propre et qui brûle parce qu’il est
incandescent. Ainsi donc, de même aussi chacune des intelligences suprêmes
qu’on appelle divine possède deux actions : une en tant qu’elle
participe abondamment de la bonté divine et l’autre par ailleurs qui découle
de sa nature propre. Il est cependant propre à l’intelligence en tant que
telle de connaître les choses et c’est pourquoi l’intelligence divine, en
tant qu’intelligence, connaît les choses. Mais c’est le propre de Dieu, qui
est l’essence même de la bonté, de se communiquer aux autres ; nous
voyons que chaque chose, en tant qu’elle est parfaite et qu’elle est en acte,
transmet aux autres sa ressemblance. D’où il résulte que ce qui est
essentiellement en acte, à savoir Dieu, communique essentiellement et à titre
de principe sa bonté aux choses et cela appartient à son gouvernement ;
car le propre de celui qui gouverne est de conduire ceux qu’il gouverne à la
fin qui leur est due et qui est le bien. Ainsi donc l’intelligence divine, en
tant qu’elle participe abondamment de la bonté divine participe elle-même au
gouvernement des choses. Il est cependant manifeste que chaque être qui
produit une action conformément à la forme naturelle qui lui est propre
produit plus fortement et plus parfaitement cette action que celui qui la
produit grâce à une participation de la puissance qui procède d’un agent
supérieur, comme le feu qui réchauffe plus puissamment que ne le fait le
corps allumé et le Soleil éclaire davantage que ne le fait la Lune. Il faut
donc que le gouvernement de Dieu, qui est son action selon sa bonté
essentielle, soit plus élevée et plus efficace que le gouvernement de
l’intelligence, lequel lui convient par participation de la bonté divine. Et
il résulte de là que le gouvernement de la cause première, qui procède de
l’essence même de la bonté, s’applique à toutes les réalités ; le signe
en est que toutes les choses désirent le bien, que ce soit par un appétit
intellectuel, un appétit animal ou un appétit naturel. D’un autre côté, le
gouverment qui est propre à l’intelligence ne s’étend pas à tous les
êtres ; en effet l’intelligence ne répand pas la bonté intellectuelle
sur tous les êtres mais seulement sur ceux qui sont aptes par nature à
intelliger. C’est pourquoi tous ne désirent pas le bien intellectuel, mais
seulement le bien pris absolument. |
Lectio 24 [84259]
Super De causis, l. 24 Postquam ostendit modum
divini regiminis et sufficientiam ipsius ad regendum, hic incipit ostendere
quomodo divinum regimen diversimode participatur a diversis. Et primo
manifestat hoc in generali, secundo prosequitur in speciali de diversitate
rerum quae subsunt divino regimini, 25 propositione, ibi: substantiae unitae
et cetera. Circa primum ponit talem propositionem: causa prima existit in
rebus omnibus secundum dispositionem unam, sed res omnes non existunt in
causa prima secundum dispositionem unam. Ad cuius evidentiam
considerandum est quod aliquid dicitur esse in alio multipliciter: uno quidem
modo realiter, alio modo secundum habitudinem actionis et passionis. Secundum
igitur primum modum dicendum est quod omnia sunt in causa prima uno modo,
quia scilicet illud secundum quod omnia sunt in causa prima, est una et eadem
res, scilicet virtus divina; sunt enim effectus virtute in sua causa. Causa
autem prima secundum hunc modum est in rebus diversimode, quia scilicet causa
prima in rebus causatis est secundum quod eis similitudinem suam imprimit;
diversae autem res diversimode similitudinem causae primae recipiunt. Sed
modo secundo est e converso. Nam causa prima secundum unum modum agit
in omnia et ideo dicitur esse in rebus omnibus secundum dispositionem unam;
non autem omnes res recipiunt eodem modo actionem causae primae et ideo
dicitur quod res omnes non existunt in causa prima secundum dispositionem
unam. Ad cuius propositionis manifestationem tria subsequuntur: nam primo
manifestatur propositio, secundo probatur, ibi: et diversitas quidem etc.,
tertio infertur quoddam corollarium, ibi: ergo secundum modum et cetera.
Dicit ergo primo quod ideo dicuntur res omnes non esse in causa prima
secundum dispositionem unam quia, etsi causa prima existat in rebus
omnibus, in quantum scilicet attingit res omnes per effectum suae
actionis, tamen unaquaeque res recipit actionem eius secundum modum
suae virtutis. Et exemplificat hoc secundum tres diversitates primas
inventas in rebus, quarum prima est secundum diversitatem unitatis et
multitudinis, quae quidem diversitas pertinet ad ipsas substantias; nam ea
quorum substantia est simplex, recipiunt causae primae actionem unite,
illa vero quorum substantia est composita, recipiunt eam multipliciter,
scilicet secundum modum suae substantiae. Secunda diversitas sumitur ex parte
durationis rerum in suo esse. Quaedam enim recipiunt actionem causae
primae receptione aeterna, illa scilicet quorum esse non subditur
motui; unde eorum duratio in suo esse non variatur secundum prius et
posterius. Quaedam vero recipiunt actionem causae primae receptione
temporali, illa scilicet quorum esse subditur motui, et per consequens
eorum duratio continuatur secundum successionem prioris et posterioris.
Tertiam diversitatem ponit ex parte speciei seu formae ipsius rei secundum
quod quaedam sunt incorporea secundum suam speciem et ista recipiunt
influentiam causae primae spiritualiter, quaedam vero sunt secundum
suam speciem corporea et huiusmodi recipiunt influentiam causae primae
receptione corporali. Hoc autem totum quod praemissum est, continet
propositio quae ponitur in libro Procli CXLII, quae talis est: omnibus
quidem dii assunt eodem modo, non autem omnia eodem modo diis assunt, sed
singula secundum ipsorum ordinem et potentiam transumunt illorum praesentiam,
haec quidem uniformiter, haec autem multiplicatim, et haec quidem perpetuo,
haec autem secundum tempus, et haec quidem incorporee, haec autem
corporaliter. Deinde cum dicit: et diversitas quidem etc., probat quod
praemissum est hoc modo. Diversitas enim receptionis ex duobus potest
contingere: quandoque quidem ex agente sive influente, quandoque autem ex
recipiente. Quia enim diversitas causae causat diversitatem in effectibus,
necesse est ut, si agens sit diversum et recipiens unum (quod) diversitas
receptionis causetur ex agente non ex recipiente, sicut aqua quae ex frigido
congelatur et ex calido dissolvitur. Si autem e converso agens fuerit unum et
recipiens diversum, erit diversitas receptionis ex parte recipientis non ex
parte agentis, sicut patet de sole qui indurat lutum et dissolvit ceram.
Manifestum est autem quod causa prima est una, nullam diversitatem habens,
sed ea quae recipiunt influentiam causae primae sunt diversa; diversitas ergo
receptionis non est ex causa prima quae est bonitas pura influens bonitatem
rebus omnibus, sed est propter diversitatem recipientium. Sic igitur patet
quod causa prima invenitur in omnibus per modum unum, sed non e
converso. Est autem attendendum quod duplex est actio causae primae: una
quidem secundum quam instituit res, quae dicitur creatio, alia vero secundum
quam res iam institutas regit. In prima igitur actione non habet locum quod
hic dicitur, quia, si oportet omnem diversitatem effectuum reducere in
diversitatem recipientium, oportebit dicere quod sint aliqua recipientia quae
non sint a causa prima, quod est contra id quod dictum est supra, 18
propositione: res omnes habent essentiam per causam primam. Unde
oportet dicere quod prima diversitas rerum secundum quam habent diversas
naturas et virtutes, non sit ex aliqua diversitate recipientium sed ex causa
prima, non quia in ea sit aliqua diversitas sed quia est diversitatem
cognoscens, est enim agens secundum suam scientiam; et ideo diversos rerum
gradus producit ad complementum universi. Sed in actione regiminis de quo
nunc agitur, diversitas receptionis est secundum diversitatem recipientium.
Deinde cum dicit: ergo secundum modum etc., infert quoddam corollarium ex
praedictis. Si enim diversitas receptionis influxus causae primae provenit in
rebus secundum diversam virtutem recipientium, cum illa quae sunt
propinquiora causae primae sint maioris virtutis, sequitur quod perfectius
recipiant causam primam et eius influxum. Et quia omnis substantia cognoscens
quanto perfectius habet esse tanto perfectius cognoscit causam primam et
influxum bonitatis eius, et quanto hoc magis recipit et cognoscit tanto magis
in eo delectatur, consequens est quod quanto aliquid est propinquius causae
primae tanto magis delectetur in ea. |
24) La cause première existe en
toutes choses selon une disposition une, mais toutes choses n'existent pas
dans la cause première selon une disposition une.
Après avoir montré le
mode du gouvernement divin et sa suffisance à gouverner, l'auteur commence ici à montrer
comment les différents êtres participent différemment de ce gouvernement. Et premièrement il manifeste
cela en général; deuxièmement, à la proposition 25, il le fait plus
précisément en considérant la diversité des choses qui sont soumises au
gouvernement divin, où il dit : les
substances intelligibles unifiées etc. Au sujet du premier point il
présente cette proposition : la
cause première existe en toutes choses selon une seule disposition, mais
toutes les choses n'existent pas dans la cause première selon une disposition
une. Pour en avoir l’évidence, il faut considérer que
c’est d’après plusieurs significations qu’on peut dire d’une chose qu’elle
est dans une autre : soit réellement, soit selon le mode de l’action et
de la passion. Selon le premier mode il faut donc dire que tous les êtres
sont dans la cause première d’une seule manière, à savoir parce que ce par
quoi tous les êtres sont dans la cause première est une seule et même
réalité, à savoir la puissance divine ; les effets existent en effet en
puissance dans leur cause. La cause première cependant, toujours selon ce
même mode, est dans les choses de différentes façons, c’est-à-dire parce que
la cause première est dans les choses causées selon qu’elle leur imprime sa
ressemblance ; mais les différentes choses reçoivent différemment la
ressemblance de la cause première. Mais si on examine
maintenant la deuxième modalité pour une chose d’être dans une autre, c’est l’inverse qui se produit. Car la cause première agit dans tous les
êtres d’une seule manière et c’est pourquoi on dit qu’elle est dans tous les êtres selon une seule
disposition. Mais toutes les choses ne reçoivent pas de la même manière
l'action de la cause première, c'est pourquoi on dit que toutes les choses n'existent pas dans la cause première selon une
seule et unique disposition. Et pour manifester cette
proposition l’auteur fait suivre trois considérations : en premier lieu
il manifeste cette proposition ; en deuxième lieu il la prouve là où il
dit : et la diversité de la
réception etc. ; troisièmement il en tire un corollaire là où il
dit : c’est donc le degré de
proximité etc. Il dit donc en premier
lieu qu’on dit que toutes les choses ne
sont pas dans la cause première selon une seule et unique disposition
parce que, bien que la cause première
existe dans toutes les choses, c’est-à-dire dans la mesure où elle
atteint toutes les choses par l’effet de son action, cependant chaque chose ne reçoit son action que selon le mode de la puissance qui lui est propre. Et il illustre
cela d’après les trois premières diversités qu’on découvre dans les choses,
dont la première est la diversité selon l’unité et la multiplicité, diversité
qui appartient certes aux substances elles-mêmes ; car les choses dont
la substance est simple reçoivent
l’action de la cause première d’une
seule manière alors que celles dont la substance est composée la reçoivent de plusieurs manières,
c’est-à-dire conformément au mode de leur substance. La deuxième diversité se
tire du côté de la durée des choses dans leur existence. Certaines réalités
en effet, à savoir celles dont l’existence n’est pas soumise au mouvement, reçoivent l’action de la cause
première par une réception éternelle,
d’où leur durée dans l’existence ne change pas suivant l’avant et l’après.
Mais d’autres réalités, à savoir celles dont l’existence est soumise au
mouvement, reçoivent l’action de la
cause première par une réception
temporelle, et par conséquent leur durée se continue selon la succession
de l’avant et de l’après. Il présente la troisième diversité du côté de
l’espèce ou de la forme de la chose selon que certaines choses sont
incorporelles quant à leur espèce et celles-là reçoivent l’influence de la cause première selon un mode qui est spirituel, alors que d’autres sont
corporelles quant à leur espèce et c’est pourquoi ces dernières reçoivent l’influence de la cause
première par une réception corporelle.
Cependant, tout ce qui est avancé ici est contenu en ces termes dans la
proposition 142 du livre de Proclus : les dieux sont certes présents à toutes les choses de la même manière
mais tous les êtres ne sont pas également présents aux dieux, mais chacun
d’eux, conformément à son rang et à sa puissance, reçoit leur présence,
certains selon un mode unique et d’autres de plusieurs manières, les premiers dans l’éternité et
les seconds dans le temps, les uns de manière incorporelle et les autres de
manière corporelle. Ensuite, lorsqu’il
dit : et la diversité certes
etc., il prouve ce qu’il vient d’avancer de la manière qui suit. La diversité
de la réception peut en effet procéder de deux choses : elle procède
parfois certes de l’agent ou de celui qui influe mais parfois aussi de celui
qui reçoit. En effet, parce que la diversité de la cause entraîne une
diversité dans les effets, il est nécessaire que, si l’agent diffère et que
celui qui reçoit reste le même, la diversité de la réception vienne de
l’agent et non de celui qui reçoit, tout comme la même eau peut geler par le
froid et se dissoudre par la chaleur. Mais si au contraire l’agent reste le
même et que celui qui reçoit diffère, cela entraînera une diversité de réception
en raison de celui qui reçoit et non en raison de l’agent, comme on le voit
pour le Soleil qui durcit la boue et amollit la cire. Il est cependant
manifeste que la cause première reste toujours la même et ne présente aucune
diversité mais que les êtres qui reçoivent l’influence de la cause première
sont différents ; donc dans ce cas la diversité de la réception ne peut
provenir de la cause première, laquelle est la bonté pure qui répand la bonté
sur toutes les choses, mais de la diversité de ceux qui la reçoivent. Ainsi
donc il est clair que la cause première
se retrouve dans tous les êtres selon un seul et même mode mais non
inversement. Il faut cependant remarquer que l’action de la cause première
est double : il y en a certes une par laquelle il établit les choses
dans l’existence et qu’on appelle création, mais il y en a une autre selon
laquelle il gouverne les choses qu’il a créées. Par conséquent ce qui est dit
ici ne se rapporte pas à la première action divine car s’il fallait ramener
toute diversité des effets à la diversité de ceux qui reçoivent, il faudrait
dire que certains de ceux qui reçoivent ne procèdent pas de la cause
première, ce qui est contraire à ce qui a été dit plus haut à la proposition
18, à savoir : toutes les choses
tiennent leur essence de la cause première. D’où il faut dire que la
première diversité des choses, à savoir celle selon laquelle elles possèdent
différentes natures et différentes puissances, ne procède pas de la diversité
de ceux qui reçoivent mais de la cause première ; et il en est ainsi non
pas parce qu’il y a en cette dernière quelque diversité, mais parce qu’elle
connaît la diversité et que c’est par sa science qu’elle agit ; et c’est
pourquoi elle produit différents degrés d’êtres pour la perfection de l’univers.
Mais pour ce qui est de l’action de gouverner dont il s’agit ici, la
diversité de réception se tire de la diversité de ceux qui reçoivent. Ensuite lorsqu’il
dit : selon le deuxième mode
d’action etc., il tire un corollaire de ce qui précède. Si en effet la
diversité de réception de l’influx de la cause première se produit dans les
choses d’après une différence de puissance qui se tient du côté de ceux qui
reçoivent, puisque ceux qui sont plus près de la cause première sont d’une
puissance plus grande, il s’ensuit qu’ils reçoivent plus parfaitement la
cause première et son influx. Et parce que toute substance connaissante
connaît d’autant plus parfaitement la cause première et l’influx de sa bonté
que son existence est plus parfaite, et qu’elle se délecte d’autant plus en
lui qu’elle le reçoit et le connaît davantage, il s’ensuit qu’un être se
délecte d’autant plus en elle qu’il est plus proche de la cause première. |
Lectio 25 [84260]
Super De causis, l. 25 Supra dictum est quod
creaturae recipiunt diversimode regimen causae primae secundum triplicem
diversitatem, scilicet unitatis et multitudinis, quod pertinet ad
simplicitatem et compositionem, aeternitatis et temporis, et spiritualis et
corporei (corporeo autem accidit corruptio et spirituali incorruptio): unde
hic incipit prosequi de praedictis diversitatibus rerum, et primo de
diversitate corruptibilis et incorruptibilis, secundo de diversitate
simplicis et compositi, 28 propositione, ibi: omnis substantia stans per
essentiam suam est simplex etc., tertio de diversitate aeternitatis et
temporis, 30 propositione, ibi: omnis substantia creata in tempore. Circa
primum duo facit: primo ostendit substantias quasdam esse ingenerabiles,
secundo agit de incorruptione earum, 26 propositione, ibi: omnis substantia
stans per seipsam est non cadens et cetera. Circa primum ponit duas
propositiones quarum prima talis est: substantiae unitae intelligibiles
non sunt generatae ex re alia. Vocat autem substantias unitas
substantias simplices, eo quod omne compositum quamdam multitudinem in se
continet; intelligibiles autem substantias vocat quae sunt
aptae natae intelligere, quae etiam, cum sint immateriales, sunt
intelligibiles actu. Quod autem dicit: non sunt generatae ex re alia,
potest intelligi, vel sicut ex materia secundum quod haec praepositio ex
importat habitudinem causae materialis, vel sicut ex causa agente secundum
quod praedicta praepositio importat habitudinem causae efficientis; et hic
intellectus magis videtur consonare his quae in probatione commenti ponuntur.
Secunda propositio est talis: omnis substantia stans per essentiam suam
est non generata ex re alia. Dicitur autem substantia stans per essentiam suam quae est per
seipsam subsistens, sed, cum per seipsum subsistere sit proprium substantiae,
sequetur secundum hoc quod nulla substantia sit generata. Est ergo dicendum quod substantia et essentia rei principaliter
est forma quam principaliter significat definitio. Quaecumque igitur habent formam in materia fundatam,
huiusmodi substantiae non sunt stantes per essentiam suam; immo eorum
essentiae, id est formae, innituntur fundamento materiae. Illae ergo
substantiae sunt stantes per essentiam suam, quae sunt formae tantum, non in
materia, et huiusmodi impossibile est quod sint generatae. Est autem considerandum quod prima propositio concluditur ex hac
secunda. Supra enim probatum est quod omnes substantiae intelligentes sunt
stantes per essentiam suam, quod habitum est in propositione 15: omnis sciens
scit et cetera. Si igitur omnis substantia stans per essentiam suam est
non generata, sequitur quod omnis substantia intellectualis sit non
generata. Duarum autem propositarum propositionum prima in libro Procli
non invenitur, sed solum secunda quae est XLV sui libri, talis: omne
authypostaton, id est per se subsistens, ingenerabile est. Et haec
sola propositio probatur consequenter eodem modo hic sicut et in libro
Procli. Manifestum est enim quod omne generatum est de se imperfectum, quia
est ens in potentia, et ideo indiget quod compleatur sive
perficiatur per illud ex quo generatur, id est per generans quod
reducit ipsum de potentia in actum. Et huius signum est quod generatio nihil
est aliud quam via quaedam de incompleto ad completum oppositum scilicet ad
incompletum praeexistens: termini enim generationis sunt privatio et forma,
materia autem secundum quod existit sub privatione habet rationem imperfecti,
secundum autem quod existit sub forma habet rationem perfecti, et sic patet
quod generatio est via sive transmutatio de imperfecto ad perfectum
oppositum. Si igitur est aliquid quod non indigeat aliquo alio
ad sui formationem sed ipsum est causa suae formationis, quia
scilicet est substantia eius forma, sequitur quod talis res sit semper
completa sive perfecta. Et sic in ea non potest esse transitus de imperfecto
ad perfectum, sed statim per seipsam est ens et unum, ut dicitur in VIII
metaphysicae: relinquitur ergo quod omnis substantia quae est forma
subsistens est non generabilis. Sed, ne ex hoc male intelligeret aliquis quod
huiusmodi substantiae non haberent causam sui esse, cum supra dictum sit quod
res omnes habent essentiam per ens primum, manifestat consequenter
quomodo sit intelligendum quod dictum est. Quod enim dictum est quod sit causa
suae formationis et complementi, non est sic intelligendum quasi non
dependeat ex alia causa superiori, sed dicitur esse causa suae formationis
per hoc quod habet sempiternam relationem ad causam suam primam: unde
per comparationem ad suam causam habet simul, id est statim, formationem
et complementum. Ad cuius evidentiam considerandum est quod unumquodque
participat esse secundum habitudinem quam habet ad primum essendi principium.
Res autem composita ex materia et forma non habet esse nisi per consecutionem
suae formae: unde per suam formam habet habitudinem ad primum essendi
principium; sed quia materia tempore praeexistit formae in hac re generata,
consequens est quod non semper habeat praedictam habitudinem ad principium
essendi neque simul, cum fuerit materia, sed postmodum superveniente forma.
Si ergo aliqua substantia sit ipsa forma, sequitur quod semper habeat
habitudinem praedictam ad causam primam nec adveniat ei post tempus, sed sit
simul concomitans cum sua substantia quae est forma. Sic ergo manifestum
est quod omnis substantia stans per essentiam suam non generatur ex aliquo. |
25) Les substances intelligibles
unifiées ne sont pas engendrées à partir d'autre chose, et toute substance se
tenant par son essence n'est pas engendrée à partir de quelque chose d'autre.
On a dit plus haut que
les créatures reçoivent différemment le gouvernement de la cause première
selon une triple diversité, à savoir celle de l'unité et de la multiplicité
qui se rapporte à la simplicité et à la composition ; celle de
l’éternité et du temps, et celle enfin du spirituel et du corporel (la
corruption s’attribuant au corporel et l’incorruptibilté au spirituel) :
c’est pourquoi il commence ici à examiner plus précisément les diversités des
choses dont il a parlé, et en premier lieu la diversité du corruptible et de
l’incorruptible, deuxièmement celle du simple et du composé à la proposition
28 où il dit : toute substance se
tenant par sa seule essence est simple etc. et enfin celle de l’éternité
et du temps à la proposition 30 où il dit : toute substance créée dans le temps etc. Au sujet du premier
point il fait deux choses : premièrement il montre que certaines
substances ne peuvent être engendrées et en deuxième lieu il traite de leur
incorruptibilité à la proposition 26 où il dit : toute substance qui se tient par elle-même ne peut déchoir etc. Au sujet du
premier point il présente deux propositions dont voici la
première : les substances
intelligibles unifiées ne sont pas engendrées à partir d’autre chose. Il
appelle substances unifiées les
substances qui sont simples du fait que tout composé contient en lui une
certaine multiplicité ; et il appelle substances intelligibles celles qui sont aptes à intelliger et
qui aussi, puisqu’elles sont immatérielles, sont intelligibles en acte. Et ce
qu’il ajoute, à savoir qu’elles ne sont
pas engendrées à partir d’autre chose, cela peut s’entendre soit comme à
partir d’une matière selon que la préposition ¨ex¨ implique un rapport de cause matérielle, soit comme à partir
d’une cause agente selon que la préposition précédente implique un rapport de
cause efficiente ; et cette dernière interprétation est davantage en
accord avec ce qui a été posé dans la preuve du commentaire. Voici maintenant la
deuxième proposition : toute
substance qui se tient par son essence n’est pas engendrée à partir d’autre chose.
Il appelle substance se tenant par son essence celle qui est subsistante par
elle-même mais, puisque subsister par soi-même est le propre de la substance,
il s’ensuivrait selon cet énoncé qu’aucune substance ne serait engendrée. Il
faut donc dire que la substance et l’essence de la chose est principalement
la forme que signifie principalement la définition. Donc, tous les êtres qui
possèdent une forme qui se fonde dans une matière sont des substances telles
qu’elles ne se tiennent pas par leur essence ; au contraire leur essence,
c’est-à-dire leur forme, s’appuie sur la base de la matière. Mais ces
substances qui se tiennent par leur essence sont celles qui sont des formes
seulement, lesquelles n’existent pas dans une matière et il leur est
impossible d’être engendrées. Il faut cependant considérer que la première
proposition est conclue à partir de cette deuxième. Plus haut en effet on
prouve que toutes les substances intelligibles se tiennent par leur essence,
ce qui est établi à la proposition 15 : tout connaissant sait etc. Alors, si aucune substance qui se tient par son essence n’est pas engendrée,
il s’ensuit qu’aucune substance
intellectuelle n’est pas engendrée. Cependant parmi les deux propositions
qui sont présentées, la première ne se retrouve pas dans le livre de Proclus,
mais seulement la deuxième qui est la quarante-cinquième de son livre que
voici : tout ¨authypostaton¨, c’est-à-dire tout ce
qui subsiste par soi, est inengendrable.
Et c’est cette seule proposition qui est prouvée ici par la suite de la même
manière que dans le livre de Proclus. Il est manifeste en effet que tout ce
qui est engendré est de soi imparfait car il est de l’être en puissance et
c’est pourquoi il a besoin d’être
complété ou achevé par celui à partir duquel il est engendré,
c’est-à-dire par celui qui engendre et qui le fait passer de la puissance à
l’acte. Et le signe en est que la génération n’est rien d’autre qu’un certain
chemin qui va de l’incomplet au complet qui est opposé à l’incomplet qui préexiste :
en effet, les termes de la génération sont la privation et la forme mais la
matière, selon qu’elle existe sous la privation, a raison de perfection, et
ainsi il est clair que la génération
est comme un chemin ou un passage de
l’imparfait au parfait qui lui est opposé. Si donc il existe quelque chose qui n’a pas besoin d’un autre pour sa formation mais qu’il est
lui-même cause de sa formation,
c’est-à-dire parce que sa substance est sa forme, il s’ensuit qu’une telle
réalité est toujours complète ou
parfaite, mais elle est en
permanence ce qui existe et est un par soi-même comme le Philosophe le
dit au huitième livre de la Métaphysique : il reste donc que toute
substance qui est une forme subsistante se trouve dans l’impossibilité d’être
engendrée. Mais afin que quelqu’un
n’entende pas à tort par là qu’une telle substance n’a pas de cause de son
existence, puisqu’il a été dit plus haut que toutes les choses tiennent leur essence de l’Être premier, il
manifeste par la suite de quelle manière il faut entendre ce qui a été dit.
Ce qui a été dit en effet, à savoir s’il
existe quelque chose qui soit cause de sa formation et de sa perfection,
cela ne doit pas s’entendre au sens où elle ne dépendrait pas d’une autre
cause supérieure, mais on dit qu’elle est cause de sa formation dans le sens
où elle possède une relation éternelle
à sa cause première : d’où il suit que par rapport à sa cause elle
possède simultanément, c’est-à-dire
immédiatement, sa formation et sa
perfection. Et pour en avoir
l’évidence il faut considérer que chaque chose participe de l’existence selon
la relation qu’elle entretient avec le premier principe de l’existence. Mais
une réalité composée de matière et de forme ne possède l’existence que
conséquemment à sa forrme : par conséquent, c’est par sa forme qu’elle
possède une relation avec le premier principe de l’existence ; mais
parce que dans l’ordre du temps la matière préexiste à la forme pour telle
chose individuelle, il s’ensuit qu’elle ne possède pas toujours la relation
dont nous venons de parler à l’égard du premier principe de l’existence, ni
simultanément, alors qu’elle était matière, mais seulement lorsque la forme
lui survient. Si donc une substance est sa propre forme, il s’ensuit qu’elle
possède toujours la dite relation à l’égard de la cause première et qu’elle
ne lui advient pas après un certain temps mais qu’elle accompagne
simultanément ou en permanence sa substance qui est forme. Ainsi donc il est manifeste que toute
substance qui se tient par son essence est dans l’impossibilité d’être engendrée
par quelque chose d’autre. |
Lectio 26 [84261]
Super De causis, l. 26 Supra actum est de
ingenerabili, hic agitur de corruptibili et incorruptibili; et primo de
incorruptibili, secundo de corruptibili 27 propositione: omnis substantia
destructibilis et cetera. Circa primum ponitur talis propositio: omnis
substantia stans per seipsam est non cadens sub corruptione. Quae quidem
ponitur in libro Procli XLVI, sub his verbis: omne authypostaton
incorruptibile est. Ad cuius propositionis evidentiam considerandum est
quod, cum praepositio per denotet causam, illud dicitur per se stare sive
subsistere quod non habet aliam causam essendi nisi seipsum. Est autem duplex
causa essendi, scilicet forma per quam aliquid actu est et agens quod facit
actu esse. Si ergo dicatur stans per seipsum quod non dependet a superiori
agente, sic stare per seipsum convenit soli Deo qui est prima causa agens a
qua omnes secundae causae dependent, ut ex superioribus patet. Si autem
dicatur per se stans illud quod non formatur per aliquid aliud sed ipsummet
est forma, sic esse stans per seipsum convenit omnibus substantiis
immaterialibus. Substantia enim composita ex materia et forma non est stans
per seipsam nisi ratione partium, quia scilicet materia est actu per formam
et forma sustentatur in materia, sicut etiam dicitur aliquid movens seipsum
ratione partium, quia una pars eius est movens et alia pars eius est mota.
Sic igitur patet quod stare per seipsum non potest convenire nisi substantiae
quae est forma sine materia; huiusmodi autem substantia ex necessitate est
incorruptibilis. Manifestum est enim in rebus corruptibilibus quod corruptio
accidit per hoc quod aliquid separatur a sua causa formali per quam aliquid
habet esse in actu; sicut enim generatio quae est via ad esse, est per
acquisitionem formae, ita corruptio quae est via ad non esse, est per
amissionem formae; si igitur substantia stans per essentiam suam
corrumperetur, oporteret quod separaretur a sua causa formali, sed sua forma
est eius essentia, ergo separaretur a sua essentia, quod est impossibile. Non
ergo est possibile quod substantia stans per seipsam corrumpatur. Sed ne
aliquis credat quod huiusmodi substantiae stantes per essentiam suam non
dependeant ab aliqua superiori causa agente, excludit hoc consequenter, ibi:
et non fit causa suiipsius et cetera. Et dicit quod hoc non sic intelligendum
est quod huiusmodi substantia sit causa suiipsius quasi non dependeat ab
aliqua superiori causa agente; sed hoc dicitur quia huiusmodi substantia per
seipsam habet relationem ad causam primam in quantum scilicet est
causa suae formationis. Videmus
enim quod res materiales referuntur ad causam primam ut accipiant esse ab ea
per suam formam; et ideo substantia cuius tota essentia est forma, habet per
seipsam relationem semper ad causam suam et non causatur ista relatio
in huiusmodi substantiam per aliquam aliam formam. Et
inde est quod dicitur esse causa suiipsius per modum praedictum. Et inde est
quod non potest corrumpi, sicut ostensum est. Patet igitur quod omnis substantia
stans per seipsam est incorruptibilis. |
26) Aucune substance se tenant par
elle-même ne tombe sous la corruption.
Après avoir
traité de l’inengendrable, l'auteur traite ici du corruptible et de l’incorruptible.
Et en premier lieu il traite de l’incorruptible, puis du corruptible à la
proposition 27 où il dit : toute
substance destructible etc. Au sujet du premier point il présente cette
proposition : toute substance se
tenant par elle-même ne tombe pas sous la corruption. Ce même énoncé est
présenté dans le livre de Proclus à la proposition 46 en ces termes : tout ¨authypostaton¨ est incorruptible.
Pour avoir
l’évidence de cette proposition il faut considérer que, puisque la
préposition ¨par¨ signifie une cause, ce qui est dit se tenir ou subsister
par soi-même est ce qui ne possède pas d’autre cause de son existence que
soi-même. Mais il y a deux sortes de cause qui expliquent l’existence, à
savoir la forme par laquelle quelque chose existe en acte et l’agent qui fait
exister en acte. Si donc ce qui se tient par soi-même ne se dit que de
celui-là même qui ne dépend pas d’un agent supérieur, alors se tenir par
soi-même ne peut s’attribuer qu’à Dieu seulement qui est la cause efficiente
première de laquelle dépendent toutes les causes secondes comme nous l’avons
vu plus haut. Mais si on dit se tenir par soi-même de ce qui n’est pas formé
au moyen d’autre chose mais qui est soi-même forme, alors se tenir par
soi-même s’attribue à toutes les substances immatérielles. En effet, la
substance qui est composée de matière et de forme ne se tient par elle-même
qu’en raison des parties, c’est-à-dire parce que c’est par la forme que la
matière est en acte et que c’est sur la matière que la forme s’appuie, tout
comme nous disons aussi que quelque chose se meut par soi-même en raison des
parties, c’est-à-dire parce qu’une des ses parties meut et que l’autre est
mue. Ainsi donc il est clair qu’il ne peut convenir qu’à une substance qui
est forme sans matière de se tenir par soi-même ; et une telle substance
est nécessairement incorruptible. Il est manifeste en effet dans les choses
corruptibles que la corruption survient par ceci que quelque chose est séparé
de sa cause formelle par laquelle quelque chose possède l’existence en
acte ; en effet, tout comme la génération, qui est un chemin vers
l’être, a lieu par l’acquisition d’une forme, de même la corruption, qui est
un chemin vers le non-être, a lieu par l’abandon d’une forme ; si donc
la substance qui se tient par son essence, sa forme, devait se corrompre, il
faudrait qu’elle soit séparée de sa cause formelle alors que sa forme est son
essence, et donc qu’elle soit séparée de son essence, ce qui est impossible.
Il n’est donc pas possible que la substance qui se tient par elle-même se
corrompe. Mais afin qu’on ne pense pas que ces substances qui se tiennent par
leur essence ne dépendent pas d’une cause agente supérieure, il écarte par la
suite cette hypothèse où il dit : et
elle n’est cependant pas cause d’elle-même etc. Et l’auteur dit que ce
qui vient d’être dit ne doit pas s’entendre dans le sens où une telle
substance serait cause de soi-même comme si elle ne dépendait pas d’une cause
agente supérieure ; mais cela est dit parce qu’une telle substance
possède par elle-même une relation à la
cause première en tant qu’elle est la cause de sa formation. Nous voyons en effet que les choses matérielles se
rapportent à la cause première pour recevoir d’elle l’existence au moyen de
leur forme ; et c’est pourquoi la substance dont toute l’essence est la
forme possède toujours par
elle-même sa relation à sa cause, et
cette relation dans une telle substance n’est pas causée par une autre forme.
Et il résulte de là que c’est de la manière que nous avons dite qu’on dit de
cette substance qu’elle est cause d’elle-même. Et il suit de là qu’elle ne
peut être corrompue, comme nous l’avons montré. Il est donc clair que toute
substance qui se tient par elle-même est incorruptible. |
Lectio 27 [84262]
Super De causis, l. 27 Postquam ostendit quae sit
conditio substantiae incorruptibilis, hic ostendit conditionem substantiae
corruptibilis, ponens hanc propositionem: omnis substantia destructibilis
non sempiterna aut est composita aut est delata super rem aliam. Et haec
eadem propositio ponitur in libro Procli XLVIII. Huius autem propositionis probatio
est quia, si omne quod est stans per seipsum est incorruptibile, ut probatum
est, necesse est quod omne quod corrumpitur non sit stans per seipsum sed
indigeat aliquo sustentante. Quod quidem contingit duobus modis: uno modo
sicut totum indiget partibus ad sui constitutionem, unde partibus ab invicem
discedentibus sequitur corruptio; alio modo quia forma non est subsistens sed
indiget ad sui fixionem subiecto deferente. Et ideo
quando subiectum deferens sit indispositum ad talem formam, necesse
est quod fiat separatio formae a subiecto, et ita sequitur corruptio.
Unde manifestum est quod omnis substantia corruptibilis vel est composita ex
diversis partibus per quarum dissolutionem sequitur corruptio totius, sicut
patet in corporibus mixtis, aut forma indiget materia vel subiecto ad sui
sustentationem, et ita per transmutationem subiecti sequitur corruptio, sicut
patet in corporibus simplicibus et in accidentibus. Et ideo possumus hoc
corollarium accipere quod, si aliqua substantia non est composita sed est
simplex, neque est delata super subiectum, quasi indigens eo ad suum
esse, sed est stans in seipso, hoc omnino est incorruptibile; sicut patet in
intelligentia et in anima intellectuali, de qua manifestum est quod non est
forma delata super materiam cui dat esse, ita scilicet quod ei totaliter
innitatur, quia sequeretur quod nulla eius operatio esset sine communione
materiae corporalis, quod patet esse falsum ex his quae probantur in III de
anima. |
27) Toute substance destructible
et non perpétuelle est soit composée soit supportée par une autre chose.
Après avoir
montré quelle est la nature de la substance incorruptible, l'auteur montre
ici la nature de la substance corruptible en posant cette proposition : toute substance destructible non-éternelle
est soit composée soit supportée par une autre réalité. Et ce même énoncé
se retrouve à la proposition 48 du livre de Proclus. Et la preuve de cette
proposition est que si tout ce qui se tient par soi-même est incorruptible,
comme nous l’avons prouvé, il est nécessaire que tout ce qui se corrompt ne
se tienne pas par soi-même, mais ait besoin au contraire de quelque chose
pour le supporter. Et cela est certes possible de deux manières :
premièrement comme le tout a besoin de ses parties pour sa constitution, d’où
il suit que si les parties se séparent les unes des autres il s’ensuit la
corruption ; deuxièmement parce que la forme n’est pas subsistante mais a besoin pour sa stabilité d’être porté par un sujet. Et c’est pourquoi, lorsque
le sujet qui la porte est indisposé à l’égard d’une telle forme, il est
nécessaire que la forme se sépare du sujet et qu’il s’ensuive ainsi une
corruption. C’est pourquoi il est manifeste que toute substance corruptible
est ou bien composée de différentes parties par la dissolution desquelles
s’ensuit la corruption du tout comme on le voit dans les corps mixtes, ou
bien la forme a besoin d’une matière ou d’un sujet pour la supporter et ainsi
la corruption découle d’un changement du côté du sujet ainsi qu’on le voit
pour les corps simples et les accidents. Et c’est pourquoi nous pouvons tirer
de là ce corollaire, à savoir que si
une substance n’est pas composée mais est simple et qu’elle n’est pas portée
sur un sujet dont elle aurait besoin pour exister mais qu’elle se tient en elle-même,
cette substance est absolument incorruptible ; et c’est ce qu’on voit
dans le cas de l’intelligence et celui de l’âme intellectuelle, au sujet
desquelles il est manifeste qu’elles ne sont pas des formes portées sur une
matière à laquelle elles donnent l’existence, c’est-à-dire de telle manière
qu’elles lui serait totalement rattachées, car il s’ensuivrait qu’aucune de
leurs opérations n’aurait lieu sans que la matière corporelle y prenne part,
ce qui est évidemment faux à partir de ce qui a été prouvé au troisième livre
du traité intitulé de l’Âme. |
Lectio 28 [84263]
Super De causis, l. 28 Postquam prosecutus est
diversitatem substantiarum secundum generationem et corruptionem, hic
prosequitur de diversitate substantiarum quae potest attendi secundum
simplicitatem et compositionem. Et inducit ad hoc duas propositiones quarum
secunda videtur esse conversa prioris. Prima ergo talis est: omnis
substantia stans per essentiam suam est simplex et non dividitur. Quae
etiam propositio ponitur in libro Procli XLVII, sub his verbis: omne
authypostaton impartibile est et simplex. Ubi primo considerandum videtur
quod simplex et impartibile est idem subiecto, differunt autem ratione: nam
impartibile dicitur aliquid per privationem divisionis, quia scilicet non est
in multa divisibile; simplex autem dicitur aliquid per privationem
compositionis, quia scilicet non est ex multis compositum. Primo ergo
probatur quod substantia per se stans sit indivisibilis, secundo quod sit
simplex. Primum autem melius probatur in libro Procli quam hic. Est enim haec
eius probatio. Si enim, inquit, partibile est, authypostaton ens,
id est per se subsistens, instituet partibile seipsum, et totum ipsum
vertetur ad seipsum, et omne in omni seipso erit. Hoc autem impossibile.
Impartibile ergo authypostaton. Ad cuius evidentiam considerandum est
quod hic accipitur esse aliquid stans per seipsum non ratione partis, ut
scilicet una pars eius stet per aliam sicut accidit in substantiis
materialibus, sed ratione totius, ut scilicet totum stet per se totum. Unumquodque autem convertitur ad id per
quod stat sicut effectus ad causam, et oportet quod sit in eo sicut in suo
fundamento. Si ergo aliquid partibile sit stans per seipsum, oportebit quod
quaelibet pars eius stet per quamlibet et quaelibet fundetur in qualibet;
quod est impossibile, quia sic sequeretur quod una et eadem pars eius esset
causa et effectus simul respectu eiusdem, quod est impossibile. In hoc autem
libro probatur sic. Illud quod convenit alicui per seipsum, convenit cuilibet
parti eius, si sit partibile. Si igitur aliquid partibile sit stans per
seipsum, oportebit quod quaelibet pars eius stet per seipsam, et ita non
innitetur alteri ad constitutionem totius. Haec autem probatio non est adeo
efficax, quia non est necessarium quod quidquid per se convenit alicui toti
conveniat singulis partibus eius. Est enim quoddam totum similium partium ut
aer et aqua, et quoddam dissimilium ut animal et domus. Quod autem id quod
est stans per seipsum sit simplex, id est non compositum ex multis, probatur
duplici ratione. In omni composito ex pluribus partibus necesse est
ponere quemdam partium ordinem, ut scilicet una pars eius sit melior
et alia vilior. Multa enim ad unum constituendum ordine quodam
perveniunt sicut et ab uno multitudo ordine quodam progreditur. Unde videmus
quod in compositione corporis naturalis forma est praestantior materia et in
compositione corporis mixti unum elementum dominatur et in compositione
partium animalis unum membrum est principalius alio et in partibus alicuius
continui una pars magis accedit ad punctum, quod est principium magnitudinis,
quam alia. Si ergo aliquid compositum ex pluribus partibus sit stans per
seipsum, oportebit quod quaelibet pars eius sit stans ex qualibet et ita pars
melior dependebit ex parte viliori et e converso.
Secunda ratio est quia omne quod est stans per seipsum, est sibi sufficiens
in suo esse, non indigens alio ad sui subsistentiam; per quod non excluditur
dependentia a causa agente sed a causa formali et materiali subsistentiam
praestante. Omne autem compositum ex partibus non est sibi sufficiens,
sed indiget ad sui subsistentiam partibus ex quibus componitur,
quae se habent in habitudine causae materialis ad totum. Ergo nullum
compositum ex partibus est per se stans. Omnis igitur substantia
per se stans est simplex. Sciendum tamen est quod haec secunda ratio
distincte ponitur in libro Procli, sed in hoc libro inducitur per modum
conclusionis. |
28) Toute substance se tenant par
son essence est simple et n'est pas divisée.
Après avoir traité de
la diversité des substances selon la génération et la corruption, l'auteur
poursuit en traitant de la diversité des substances qui peut se prendre selon
la simplicité et la composition. Et il avance pour cela deux propositions
dont la seconde semble être une conversion de la première. Voici donc la
première proposition : toute
substance qui se tient par son essence est simple et n'est pas divisée. Cette
proposition se retrouve aussi en ces termes à la proposition 47 du livre de
Proclus : tout ¨authypostaton¨ est
indivisible et simple. Il semble qu’il faille
d’abord considérer que simple et indivisible sont identiques par le sujet
mais différents par la raison : car on appelle indivisible ce qui est
privé de division, c’est-à-dire parce qu’il ne peut être divisé en une
multiplicité ; mais on appelle simple ce qui est privé de composition,
c’est-à-dire parce qu’il n’est pas composé d’une multiplicité. On prouve donc en
premier lieu que la substance qui se tient par elle-même est indivisible et
deuxièmement qu’elle est simple. Mais la première conclusion à prouver est
mieux prouvée dans le livre de Proclus qu’elle ne l’est ici. Voici en effet
la preuve qu’il en donne : si en
effet, dit-il, l’être authypostaton, c’est-à-dire l’être qui est par soi subsistant,
était divisible, il s’établirait lui-même divisible, et la totalité de
lui-même se tournerait vers lui-même et il serait en totalité dans chacune de
ses parties. Mais cela est impossible. L’¨authypostaton¨ est donc indivisible. Pour en avoir l’évidence,
il faut considérer que ce qu’on prend ici comme étant ce qui se tient par
soi-même ne l’est pas en raison d’une partie de telle manière qu’une partie
d’un être se tient grâce à une autre comme on le voit chez les substances
matérielles, mais en raison du tout, c’est-à-dire dans le sens où le tout se
tient par lui-même dans sa totalité. Mais toute chose se tourne vers ce grâce
à quoi elle se tient comme l’effet se tourne vers sa cause et il faut qu’elle
soit en cela comme dans son fondement. Si donc quelque chose de divisible se
tient par soi-même, il faudra que n’importe quelle de ses parties se tienne
par n’importe quelle autre et que n’importe quelle se fonde sur n’importe
quelle ; ce qui est impossible car il s’ensuivrait alors qu’une seule et
même de ses parties serait à la fois cause et effet sous le même rapport, ce
qui est impossible. Mais dans ce même livre on le prouve de la manière
suivante. Ce qui convient à un être par lui-même convient à chacune de ses
parties s’il est divisible. Si donc quelque chose de divisible se tient par
soi-même, il faudra que chacune de ses parties se tienne par soi-même et ainsi qu’elle ne
s’appuie pas sur une autre pour constituer le tout. Mais cette preuve n’est
pas si efficace parce qu’il n’est pas nécessaire que tout ce qui convient par
soi à un tout convienne à chacune de ses parties. Il y a en effet des touts
qui sont consitués de parties semblables, comme l’air et l’eau, et d’autres
qui sont constitués de parties dissemblables, comme l’animal et la maison. Mais on prouve par
deux raisonnements que ce qui se tient par soi-même est simple ou n’est pas
composé d’une multiplicité de parties. Dans tout ce qui est composé de
plusieurs parties, il est nécessaire de poser un ordre entre les parties,
c’est-à-dire de telle manière qu’une des parties soit supérieure et une autre
inférieure. En effet, c’est grâce à un ordre qu’une multiplicité parvient à
constituer une unité tout comme c’est en suivant un ordre qu’une multiplicité
procède de l’unité. C’est pourquoi nous voyons que dans la composition du
corps naturel la forme est supérieure à la matière et que dans la composition
du corps mixte un élément est dominant et que dans la composition des parties
de l’animal un membre est premier par rapport à un autre et que dans les
parties d’une réalité continue une partie s’approche davantage du point,
lequel est le principe de la grandeur, qu’une autre. Si donc quelque chose
qui est composé de plusieurs parties se tient par soi-même, il faudra que
n’importe quelle de ses parties subsiste à partir de n’importe quelle autre
et ainsi une partie supérieure dépendra d’une partie inférieure et
inversement. Le deuxième
raisonnement est que tout ce qui se tient par soi-même se suffit à soi-même
pour sa propre existence et n’a pas besoin d’un autre pour subsister ;
et par là on n’exclut pas la dépendance à l’égard de la cause agente, mais
seulement la dépendance à l’égard d’une cause formelle et d’une cause
matérielle garantissant la subsistance. Mais rien de ce qui est composé de partie ne se suffit à soi-même mais dépend
pour sa subsistance des parties dont il
est composé qui se rapportent au tout dans la relation d’une cause
matérielle. Donc, rien de ce qui est composé de parties ne subsiste ou ne se
tient par soi-même. Donc, toute substance
qui subsiste ou se tient par soi-même est simple. Il faut cependant savoir
que ce deuxième raisonnement est distinctement présenté dans le livre de
Proclus mais dans ce livre il n’est avancé par l’auteur qu’à la manière d’une
conclusion. |
Lectio 29 [84264]
Super De causis, l. 29 Hic ponitur propositio
conversa prioris, quae talis est: omnis substantia simplex est stans per
seipsam, scilicet per essentiam suam. Sciendum tamen est quod haec
propositio in commento non probatur, sed interponitur quiddam quod probatur,
scilicet quod substantia stans per seipsam est creata sine tempore et est
in substantialitate sua superior substantiis temporalibus. Et haec est LI
propositio libri Procli sub his verbis: omne authypostaton exemptum est ab
his quae tempore mensurantur secundum suam substantiam. Ubi considerandum
est quod hoc quod dicitur secundum suam substantiam potest referri vel
ad ipsas substantias temporales, quarum esse substantiale variationi
subiacet, unde secundum suam substantiam tempore mensurari dicuntur,
vel potest referri ad substantias per se stantes, quae secundum suam
substantiam sunt substantiis temporalibus superiores. Huius ergo
propositionis superinductae ponitur probatio talis. Ostensum est enim supra
quod nulla substantia stans per seipsam cadit sub generatione. Omnes autem
substantiae quae mensurantur tempore secundum suam substantiam cadunt sub
generatione. Per hoc enim secundum suam substantiam a tempore mensurantur
quod eorum esse substantiale variatur per generationem et corruptionem.
Relinquitur ergo quod nulla substantia stans per seipsam cadat sub tempore,
sed est superior omnibus substantiis temporalibus. Possumus autem ex hac
propositione sic probata concludere illam quae praemittitur. Si enim hoc est
proprium substantiae per se stantis quod sit non cadens secundum suam
substantiam sub tempore, hoc autem convenit omni substantiae simplici, quia
omnis substantia generabilis cadens sub tempore est composita ex materia et
forma. Relinquitur quod omnis substantia simplex sit stans per seipsam, quod
fuit primo propositum. |
29) Toute substance simple se
tient par elle-même, c'est-à-dire par sa propre essence.
L'auteur présente ici
la proposition qui est la conversion de la proposition précédente où il
dit : toute substance simple se tient
par soi-même, c'est-à-dire l’essence qui lui est propre. Il faut
cependant savoir que cette proposition n’est pas prouvée dans ce livre, mais
un raisonnement y est intercallé qui lui est prouvé, à savoir que la substance qui se tient par soi est
créée en dehors du temps et est supérieure aux substances temporelles dans sa
substantialité. Et cette proposition est équivalente à la proposition 51
du livre de Proclus qui se présente en ces termes : tout ¨authypostaton¨ est tout à fait
étranger aux réalités qui sont mesurées par le temps quant à leur substance.
Il faut ici remarquer que l’expression ¨quant
à leur substance¨ peut se rapporter soit aux substances temporelles
elles-mêmes dont l’existence substance substantielle est soumise au
changement, et c’est pourquoi on dit à leur sujet qu’elles sont mesurées par le temps quant à leur substance ;
soit aux substances qui se tiennent par elles-mêmes qui, de par leur
substance même, sont supérieures aux substances temporelles. Voici donc la preuve
de la proposition qui vient d’être avancée. Il a été montré plus haut
qu’aucune substance qui se tient par elle-même n’est soumise à la génération.
Mais toutes les substances qui sont mesurées par le temps quant à leur
substance sont soumises à la génération. En effet, elles sont mesurées par le
temps quant à leur génération par ceci que leur existence substantielle est
modifiée par la génération et la corruption. Il s’ensuit donc qu’aucune
substance qui se tient par elle-même n’est soumise au temps mais transcende toutes
les substances temporelles. Mais nous pouvons, à partir de cette proposition
ainsi prouvée, conclure celle qui précède. Si en effet il est propre à la
substance qui se tient par elle-même de ne pas être soumise au temps selon sa
substance, cela convient à toute substance simple parce que toute substance
engendrable soumise au temps est composée de matière et de forme. Il reste
donc que toute substance simple se tient par elle-même, ce qui était le
propos principal. |
Lectio 30 [84265]
Super De causis, l. 30 Postquam prosecutus est de
diversitate rerum quae est secundum generationem et corruptionem, et
simplicitatem et compositionem, hic tertio prosequitur de diversitate quae
est secundum temporale et aeternum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit
quomodo aliqua dupliciter sunt sempiterna et temporalia, secundo ostendit
quomodo est simul et aeternum et temporale, ibi: inter rem cuius substantia
etc.; vel in prima ponit ordinem temporalium ad invicem, in secunda ordinem
aeternorum ad invicem, ibi: inter rem cuius substantia et cetera. Circa
primum ponit talem propositionem: omnis substantia creata in tempore aut
est semper in tempore et tempus non superfluit ab ea quoniam est creata et
tempus aequaliter, aut superfluit super tempus et tempus superfluit ab ea
quia est creata in quibusdam horis temporis. Ad cuius evidentiam
considerandum est quod, quia tempus est numerus motus, omnis substantia
mobilis dicitur esse creata in tempore. Est autem duplex substantia mobilis.
Una quidem cuius motus est in toto tempore, sicut corpus caeleste cuius motus
tempori adaequatur eo quod tempus est primo et per se mensura motus caeli et
per illum motum mensurat omnes alios motus. Et hoc sive ponamus quod motus
caeli semper fuerit et semper sit futurus, ut Aristoteles posuit et quidam
alii philosophi, sive etiam motus caeli non semper fuerit nec semper sit
futurus, ut fides Ecclesiae docet, quia sic etiam motus caeli adaequatur
tempori; non enim tempus fuit antequam motus caeli inciperet nec erit tempus
postquam motus caeli esse desierit. Unde omnibus modis substantia caelestis
corporis ratione sui motus est semper in tempore et tempus non excedit ipsam,
sed ad invicem adaequantur. Quaedam vero substantiae mobiles sunt, quarum
esse et motus non est in toto tempore sed in aliqua parte temporis, sicut
patet de substantiis generabilibus et corruptibilibus. Et quia huiusmodi
substantia non habet habitudinem ad totum tempus sed ad partem temporis,
invenitur autem aliqua pars temporis maior duratione eorum et aliqua pars
minor. Inde est quod huiusmodi substantia excedit tempus quantum ad aliquam
eius partem, quae scilicet est minor duratione eius; et iterum exceditur a
tempore quantum ad illam partem quae est maior duratione eius. In libro enim
Procli invenitur haec propositio LV planius et brevius, sic: omne quod
secundum tempus subsistit, aut eo quod semper tempore est, aut aliquando in
parte temporis hypostasim habens. Ad praemissae autem propositionis
manifestationem primo ponitur probatio, secundo infert quoddam corollarium,
ibi: iam ergo ostensum est ex hoc et cetera. Probatio autem ponitur eadem in utroque libro. Ita
enim procedit ordo rerum ut similia se invicem subsequantur; ea vero quae
sunt penitus dissimilia non subsequuntur se invicem in gradibus rerum, nisi
per aliquod medium. Sicut videmus quod animal perfectum et planta sunt
dissimilia penitus quantum ad duo: nam animal perfectum est sensitivum et
mobile motu processivo, planta autem neutrum horum habet; natura ergo non
procedit immediate ab animalibus perfectis ad plantas, sed producit in medio
animalia imperfecta, quae sunt sensibilia cum animalibus et immobilia cum
plantis. Manifestum est autem quod substantiae spirituales quae
parificantur aeternitati, ut supra dictum est, et substantiae generabiles et
corruptibiles, sunt penitus dissimiles: nam substantiae spirituales et sunt
semper et sunt immobiles, quorum neutrum convenit substantiis generabilibus
et corruptibilibus. Unde
oportet ponere inter haec duo extrema aliquod medium quod sit simile utrique
extremo, ut sic gradus rerum procedant per similia. Et
sic Proclus investigando procedit. Inter id quod est semper immobiliter ens
et id quod est aliquando mobiliter, non potest inveniri nisi triplex medium:
scilicet id quod semper movetur, id quod aliquando immobiliter est, id quod
aliquando est. Hoc autem tertium non potest esse medium, quia id quod
aliquando est idem est ei quod aliquando movetur, quod diximus esse extremum.
Similiter etiam nec potest esse medium id quod aliquando immobiliter est.
Impossibile est enim esse aliquod tale: nihil enim desinit esse nisi per
aliquam transmutationem, unde id quod immobiliter est non potest esse
aliquando ens sed est semper ens. Relinquitur ergo quod medium inter id quod
semper est immobiliter et inter id quod aliquando est mobiliter sit id quod
semper movetur. Hoc enim
convenit cum superiori quidem in hoc quod est semper esse, cum inferiori vero
extremo in hoc quod est moveri. Utitur autem nomine generationis communiter
pro qualibet transmutatione, quia in quolibet motu includitur generatio et
corruptio, ut dicitur in VIII physicorum. Sic igitur substantiae quae semper
moventur, scilicet caelestia corpora, contingunt secundum quamdam
similitudinem utrumque extremum; et per ea coniunguntur quodammodo
substantiae superiores immobiles substantiis inferioribus generabilibus et
corruptibilibus, in quantum scilicet virtus superiorum substantiarum defertur
ad generabilia et corruptibilia per motum caelestium corporum. Ex his autem inducit consequenter quoddam corollarium, scilicet
quod duplex est perpetuitas vel perpetua durabilitas: una quidem per modum
aeternitatis, alia vero per modum totius temporis, et differunt hae perpetuae
durationes tripliciter. Primo quidem quia perpetuitas aeternalis est fixa,
stans, immobilis; perpetuitas autem temporalis est fluens et mobilis, in
quantum tempus est mensura motus, aeternitas autem accipitur ut mensura esse
immobilis. Secundo quia perpetuitas aeternalis est tota simul quasi in uno
collecta; perpetuitas autem temporalis habet successivam extensionem secundum
prius et posterius quae sunt de ratione temporis. Tertio quia perpetuitas
aeternalis est simplex, tota secundum seipsam existens; sed universalitas
sive totalitas perpetuitatis temporalis est secundum diversas partes sibi
succedentes. |
30) Toute substance créée dans le
temps, ou bien est toujours dans le temps et le temps ne l'excède pas,
puisque sa création coïncide avec celle du temps ; ou bien elle excède
le temps et le temps l'excède puisqu'elle est créée en certaines portions du
temps.
Après avoir traité de
la diversité des choses selon la génération et la corruption, puis selon la
simplicité et la composition, l'auteur traite ici en troisième lieu de la
diversité selon le temps et l'éternité. Et à ce sujet il fait deux choses. En
premier lieu il montre comment certaines substances sont éternelles et
temporelles de deux manières; en deuxième lieu il montre en quel sens
l’éternel et le temporel sont simultanés, où il dit : entre une chose dont la substance etc. ;
ou bien dans la première partie il présente l’ordre des choses temporelles
entre elles et dans la deuxième l’ordre des choses éternelles entre elles, où
il dit : entre une chose dont la
substance etc. Au sujet du premier
point il présente cette proposition : toute substance créée dans le temps est ou bien toujours dans le
temps et le temps de la déborde pas puisqu’elle est créée avec le temps, ou
bien elle déborde le temps la déborde puisqu’elle est créée dans certaines
limites ou parties du temps. Pour en avoir l’évidence il faut considérer
que parce que le temps est le nombre du mouvement, toute substance mobile est
dite être créée dans le temps. Mais il y a deux sortes de substances mobiles.
La première est celle dont le mouvement est dans la totalité du temps, comme
le corps céleste dont le mouvement est égal au temps du fait que le temps est
par soi et premièrement la mesure du mouvement céleste et que c’est par ce
mouvement que le temps mesure tous les autres mouvements. Et à partir de là
soit nous posons que le mouvement du ciel a toujours existé et existera
toujours, comme Aristote et certains autres philosophes l’ont soutenu, soit
nous posons que le mouvement du ciel n’a pas toujours existé et n’existera
pas toujours, comme l’enseigne la foi de l’Église, car dans ce cas aussi le mouvement
du ciel est égal au temps ; en effet, le temps n’existait pas avant que
le mouvement du ciel ne commence à exister et il n’existera plus après que le
mouvement du ciel aura cessé d’exister. C’est pourquoi, d’une manière ou
d’une autre, la substance du corps
céleste est toujours dans le temps en raison de son mouvement et le temps ne
la déborde pas mais ils sont réciproquement égaux l’un à l’autre. Mais il
existe certaines substances mobiles dont l’existence et le mouvement ne sont
pas dans la totalité du temps mais seulement dans une de ses parties comme
c’est le cas pour les substances sujettes à la génération et à la corruption.
Et parce qu’une telle substance ne possède pas une relation à la totalité du
temps mais à une partie seulement, on retrouve une partie du temps qui est
plus grande et une autre qui est plus petite que leur durée. Il résulte de là
qu’une telle substance déborde le temps quant à une des parties de ce dernier,
à savoir celle dont la durée est la plus petite mais en outre elle est
débordée par le temps quant à cette partie du temps dont la durée est la plus
grande. On retrouve en effet plus clairement et plus brièvement en ces termes
ce même énoncé à la proposition 55 du livre de Proclus : tout ce qui subsiste dans le temps le fait
soit en étant toujours dans le temps, soit en étant dans une partie du temps.
Mais pour manifester
cette proposition, il présente premièrement la preuve puis en deuxième lieu
il tire un corollaire où il dit : il
a donc déjà été montré etc. Mais la preuve qui est présentée est la même
dans les deux livres. L’ordre des choses en effet procède de telle manière
que les semblables se suivent immédiatement les uns les autres ; mais
les choses qui sont tout à fait dissemblables ne se suivent immédiatement les
uns les autres dans les degrés des choses que par un intermédiaire. Par
exemple, nous voyons que l’animal parfait et la plante sont tout à fait
dissemblables sous deux rapports : car l’animal parfait est sensible et
se meut d’un mouvement progressif alors que la plante ne possède aucune de
ces caractéristiques ; donc la nature ne procède pas immédiatement des
animaux parfaits aux plantes, mais elle produit au milieu des animaux
imparfaits qui sont sensibles comme les animaux mais immobiles comme les
plantes. Il est cependant manifeste que les substances spirituelles d’une
part, qui sont égales à l’éternité comme nous l’avons dit, et les substances
sujettes à la génération et corruptibles d’autre part sont tout à fait
dissemblables car les substances spirituelles sont à la fois éternelles et
immobiles, propriétés qu’on ne retrouve en aucune manière dans les substances
sujettes à la génération et corruptibles. D’où il faut poser entre ces deux
extrêmes un intermédiaire qui soit semblable en quelque point aux deux
extrêmes afin qu’ainsi les degrés des
choses procèdent par le semblable. Et c’est ainsi que Proclus procède dans sa
recherche. Entre ce qui est toujours un être immobile et ce qui est parfois
mobile on ne peut retrouver que trois intermédiaires, à savoir ce qui se meut
toujours, ce qui est parfois immobile et ce qui est parfois. Mais ce
troisième cas ne peut être un intermédiaire car ce qui est parfois est
identique à ce qui se meut parfois dont nous avons dit qu’il est un des
extrêmes. De la même manière ce qui est parfois immobile ne peut non plus
être un intermédiaire. Il est impossible en effet qu’il existe quelque chose
de tel : rien en effet ne cesse d’exister si ce n’est au moyen d’un
changement et c’est pourquoi ce qui est immobile ne peut être parfois un être mais il est toujours
un être. Il reste donc que l’intermédiaire entre ce qui est toujours immobile
et ce qui est parfois mobile est ce qui est toujours mobile. Ce dernier cas
en effet ressemble à l’extrême supérieur en ceci qu’il existe toujours mais à
l’extrême inférieur en ceci qu’il se meut. On use cependant du nom de
génération dans un sens large pour signifier n’importe quel changement car la
génération et la corruption sont compris dans n’importe quel mouvement comme
le dit le Philosophe au huitième livre de la Physique. Ainsi donc les substances qui sont toujours en
mouvement, à savoir les corps célestes, se trouvent à toucher chacun des
extrêmes par une certaine ressemblance ; et c’est par eux que sont
jointes en quelque sorte les substances supérieures immobiles aux substances
inférieures sujettes à la génération et corruptibles, c’est-à-dire pour
autant que la puissance des substances supérieures se rapporte aux substances
corruptibles et sujettes à la génération par le mouvement des corps célestes.
Et à partir de là il tire par la suite un corollaire, à savoir qu’il y a deux
sortes de perpétuité ou de durée perpétuelle : la première qui se
présente à la manière de l’éternité et l’autre à la manière de la totalité du
temps et ces deux sortes de durée perpétuelle diffèrent de trois
manières : premièrement parce que
la perpétuité éternelle est fixe, stable et immobile alors que la perpétuité
temporelle est coulante et mobile pour cette raison que le temps est la
mesure du mouvement et que l’éternité se prend comme la mesure de l’être
immobile ; deuxièmement parce que la perpétuité éternelle est entière,
simultané et comme rassemblée dans l’unité alors que la pertétuité temporelle
possède une extension successive selon l’avant et l’après qui font partie de
la définition du temps ; troisièmement parce que la perpétuité éternelle
est simple et existe en elle-même en totalité alors que l’universalité ou la
totalité de la perpétuité temporelle existe selon différentes parties qui se
succèdent les unes aux autres. |
Lectio
31 [84266] Super De causis, l. 31 In praecedenti propositione manifestatus
est ordo temporalium ad invicem, hic autem manifestatur ordo aeternorum ad
invicem. Et primo ponitur inter aeterna aliquid quod est omnimodo aeternum
et aliquid quod est quodammodo aeternum et quodammodo temporale. Secundo
manifestatur conditio eius quod est quodammodo aeternum et quodammodo
temporale, 32 propositione, ibi: omnis substantia et cetera. Circa primum
ponitur talis propositio: inter rem cuius substantia et actio sunt in
momento aeternitatis et inter rem cuius substantia et actio sunt in momento
temporis existens est medium, et est illud cuius substantia est ex momento
aeternitatis et operatio ex momento temporis. Et videtur hic sumi
momentum aeternitatis vel temporis pro mensuratione, ut scilicet illud
dicatur esse in momento aeternitatis quod aeternitate mensuratur, et in
momento temporis quod tempore mensuratur. Haec etiam propositio ponitur CVI
in libro Procli, sub his verbis: omnis eius quod omniquaque aeternale est
secundum substantiam et operationem, et eius quod substantiam habet in
tempore, medium est quod hac quidem aeternale est, hac autem tempore
mensuratur. Posset autem alicui videri quod hoc medium sit corpus
caeleste, quod quidem secundum substantiam suam incorruptibile est, sed motus
eius tempore mensuratur. Sed
hoc non bene dicitur. Nam in praecedenti propositione illud quod semper
movetur positum est simpliciter inter temporalia. Ut enim in IV physicorum
philosophus dicit: sicut tempus mensurat motum, ita nunc temporis mensurat
mobile. Unde corpus caeleste quod movetur, non est in momento aeternitatis,
sed in momento temporis. Et praeterea motus non est
actio eius. Quod movetur, sed magis passio: est autem actio moventis, ut dicitur
in III physicorum. Principium autem motus est anima, ut in 2 propositione
habitum est. Quia ergo anima nobilis secundum se est immobilis, actio autem
eius est motus, consequens est ut anima secundum suam substantiam sit in
momento aeternitatis, eius vero actio sit in tempore. Corporis vero quod
movetur et substantia et operatio est in tempore; intelligentiae vero et
substantia et actio est in momento aeternitatis. Huius autem propositionis
probatio est similis probationi praemissae propositionis. Supra enim dictum
est quod gradus entium continuantur sibi invicem secundum quamdam
similitudinem; unde ea quae sunt totaliter dissimilia consequuntur se invicem
in ordine rerum per aliquod medium quod habet similitudinem cum utroque
extremorum. Res autem illa cuius substantia et actio est in tempore,
totaliter dissimilis est illi cuius substantia et actio est in aeternitate, ergo
necesse est ut inter eas sit tertia res media, vel ita quod substantia
eius cadat sub aeternitate et actio sub tempore, vel e converso. Sed
hoc esse non potest quod alicuius rei substantia sit in tempore et actio
in aeternitate, quia sic actio esse altior et melior quam substantia
et effectus quam causa, quod est impossibile. Relinquitur ergo quod illa res media sit secundum
substantiam suam in momento aeternitatis et secundum operationem in tempore. Et hoc est quod probare intendimus. |
31) Entre une chose dont la
substance et l'activité sont dans le moment de l'éternité et une chose dont
la substance et l'activité sont dans le moment du temps, il existe un
intermédiaire : ce dont la substance relève du moment de l'éternité, et
l'opération du moment du temps.
On a manifesté dans la
proposition précédente l'ordre des réalités temporelles entre elles, alors
qu’ici l'auteur manifeste l'ordre des réalités éternelles entre elles. Et en
premier lieu il présente, parmi ce qui est éternel, ce qui est éternel
absolument, puis ce qui est éternel sous un rapport et temporel sous un autre
rapport. En deuxième lieu il manifeste à la proposition 32 une condition de
ce qui est en partie éternel et en partie temporel, où il dit : toute substance etc. Au sujet du premier
point il présente cette proposition : il existe un intermédiaire entre
la chose dont la substance et l’action sont dans le moment de l’éternité et
la chose dont la substance et l’action sont dans le moment du temps, et c’est
la réalité dont la substance se tire du moment de l’éternité et l’opération
du moment du temps. Et ici le moment de l’éternité ou du temps semble être
pris à titre de mesure, c’est-à-dire de telle manière que ce qu’on dit être
dans le moment de l’éternité est ce qui est mesuré par l’éternité et que ce
qu’on dit être dans le moment du temps est ce qui est mesuré par le temps. Ce
même énoncé est prosenté en ces termes à la proposition 106 du livre de
Proclus : entre ce qui est
absolument éternel selon la substance et l’opération et ce qui possède une
substance qui est dans le temps, il y a un intermédiaire qui d’un côté est
éternel mais d’un autre côté est mesuré par le temps. Certains pourraient
cependant croire que cet intermédiaire est le corps céleste, lui qui est
certes incorruptible quant à sa substance alors que son mouvement est mesuré
par le temps. Mais ce serait à tort. Car dans la proposition précédente ce
qui se meut toujours est présenté simplement comme existant parmi les
réalités temporelles. En effet, comme le Philosophe le dit au quatrième livre
de la Physique : tout comme le temps mesure le mouvement,
de même l’instant du temps mesure le mobile. D’où il s’ensuit que le
corps céleste qui est mû n’est pas dans le moment de l’éternité mais dans le
moment du temps. Et en outre le mouvement n’est pas action de ce qui est mû
mais plutôt sa passion, alors qu’il est l’action du moteur comme le dit le
Philsosophe au troisième livre de la Physique. Or le principe du mouvement
est l’âme, ainsi que cela a été établi à la proposition 2. Donc, parce que
l’âme supérieure est en elle-même immobile mais que son action est le
mouvement, il s’ensuit que l’âme est dans le moment de l’éternité quant à sa
substance mais que son action est dans le temps ; mais pour
l’intelligence, c’est à la fois la substance et l’action qui est dans le
moment de l’éternité. Cependant la preuve de cette proposition est semblable
à celle de la proposition précédente. Il a été dit plus haut en effet que les
degrés des êtres se suivent les uns les autres selon une certaine
ressemblance ou similitude ; d’où il faut que les réalités qui sont
totalement dissemblables se suivent les unes les autres dans l’ordre des
choses au moyen d’un intermédiaire qui possède une ressemblance avec chacun
des extrêmes. Mais ces réalités dont la substance et l’action sont dans le
temps sont totalement dissemblables de celles dont la substance et l’action
sont dans l’éternité, et il est donc
nécessaire qu’il y ait entre elles une troisième sorte de réalité qui soit
intermédiaire, soit de telle manière que sa substance tombe sous l’éternité
et son action sous le temps, soit inversement. Mais il est impossible
pour une même chose que sa substance
soit dans le temps et son action dans l’éternité, car alors son action serait supérieure à sa substance et meilleure qu’elle, et ainsi l’effet
serait supérieur à sa cause, ce qui est
impossible. Il reste donc que cette réalité doit être intermédiaire quant
à sa substance dans le moment de l’éternité et selon son opération dans le
temps. Et c’est ce que nous cherchions à prouver. |
Lectio 32 [84267]
Super De causis, l. 32 Quia in praecedenti
propositione probatum est esse aliquam rem cuius substantia est in
aeternitate et actio in tempore, consequenter huiusmodi substantiae
conditionem ostendit in hac ultima propositione, dicens: omnis substantia
cadens in quibusdam suis dispositionibus sub aeternitate et cadens in
quibusdam suis dispositionibus sub tempore est ens et generatio simul. Et
haec eadem propositio ponitur CVII in libro Procli, sub his verbis: omne
quod hac quidem aeternale hac autem temporale, et ens est simul et generatio.
Ad huius autem propositionis manifestationem tria facit. Primo praemittit
probationem propositionis inductae, quae quidem tota dependet ex
significatione nominum. Quia enim aeternitas est tota simul, carens
successione praeteriti et futuri, ut supra habitum est, id quod est in
aeternitate dicitur ens, quia semper est in actu. Tempus autem consistit in
successione praeteriti et futuri, unde id quod est in tempore est quasi in
fieri, quod significat nomen generationis. Quod ergo est totaliter in
aeternitate, est totaliter ens; quod autem est totaliter in tempore, est
totaliter generatio. Quod vero est secundum aliquid in tempore et secundum
aliquid in aeternitate, est simul ens et generatio. Secundo ibi: iam ergo
manifestum est etc., inducit quoddam corollarium. Est enim talis dispositio
entium quod inferiora a superioribus dependent. Unde necesse est quod id quod
est totaliter generatio, quasi substantiam et operationem habens in tempore,
dependeat ab eo quod est simul ens et generatio, habens substantiam in
aeternitate et operationem in tempore. Hoc autem necesse est quod dependeat
ab eo quod est totaliter in aeternitate secundum substantiam et operationem;
et hoc ulterius dependeat ab ente primo quod est supra aeternitatem, quod est
principium durationis rerum omnium et sempiternarum et
corruptibilium. Tertio ibi: necessarium est unum faciens etc., ostendit quod
ab isto uno primo omnia dependeant. Et ad intellectum huius quod hic dicitur,
sumenda est CXVI propositio Procli, quae talis est: omnis Deus
participabilis est, excepto uno. Quae quidem propositio ponitur ab eo ad
ostendendum quomodo Platonici ponebant plures deos. Non enim ponebant omnes
ex aequo, sed unum ponebant primum, qui nihil participabat, sed est
essentialiter unum et bonum; alios vero deos ponebant inferiores
participantes ipsum unum et bonum. Et huius probationem inducit quia de primo
et supremo Deo manifestum est quod nihil participat, alioquin non esset prima
causa omnium; semper enim participans praesupponit aliquid prius quod est per
essentiam. Sed quod omnes alii dii sint participantes, probat per hoc quia si
primus Deus est unum essentialiter et non participative, aut aliquis aliorum
deorum est similiter unum et sic in nullo differt a primo, aut oportet quod
sit unum participative. Si enim ipsum unum est essentia primi, oportet quod
si aliquid ab eo differat, quasi secundum post ipsum existens, non sit tale
quod essentia eius sit ipsum unum, sed sit participans unitatem. Et hoc est
quod hic proponitur, quod necesse est ponere unum primum faciens adipisci
unitates, id est a quo participant unitatem quaecumque sunt unum, et
ipsum non adipiscitur, id est non participat unitatem ab aliquo alio. Et
huius quidem probatio inducitur quae praemissa est. |
32) Toute substance tombant sous
l'éternité en certaines de ses dispositions et sous le temps en certaines
autres, est à la fois être et génération.
Parce qu'on a prouvé
dans la proposition précédente qu'il existe une réalité dont la substance est
dans l'éternité et l'action dans le temps, l'auteur manifeste par la suite,
dans cette dernière proposition, la nature d’une telle substance en
disant : toute substance qui tombe
sous l'éternité quant à certaines de ses dispositions et sous le temps quant
à certaines autres, est simultanément être et génération. Et cette même
proposition se retrouve en ces termes dans le livre de Proclus à la
proposition 107 : tout ce qui est à
la fois éternel sous un rapport et temporel sous un autre est simultanément
être et génération. Mais pour manifester
cette proposition l'auteur fait trois choses. En premier lieu il avance la
preuve de la proposition présentée, laquelle dépend en totalité de la
signification des noms. En effet, parce que l’éternité est tout entière
simultanée, étrangère à toute succession du passé et de l’avenir comme il a
été établi plus haut, ce qui est dans l’éternité est appelé ¨être¨ parce
qu’il est toujours en acte. Mais le temps consiste dans la succession du
passé et de l’avenir, d’où il suit que ce qui est dans le temps est comme
dans le devenir, ce que signifie le nom ¨génération¨. Donc ce qui est en
totalité dans l’éternité est en totalité de l’être ; mais ce qui est en
totalité dans le temps est en totalité dans la génération ou le devenir. Mais
ce qui est en partie dans l’éternité et en partie dans le temps est
simultanément être et génération. Deuxièmement, où il
dit : il est donc déjà manifeste
etc., il présente un corollaire. En effet, les êtres sont disposés les uns à
l’égard des autres de telle manière que les inférieurs dépendent des
supérieurs. C’est pourquoi il est nécessaire que les substances qui sont en
totalité génération, parce qu’elles ont à la fois leur substance et leur
opération dans le temps, dépendent de celles qui sont simultanément être et
génération, à savoir celles qui possèdent leur substance dans l’éternité et
leur opération dans le temps. Mais il est nécessaire que ces dernières
substances dépendent de celles qui sont en totalité dans l’éternité,
c’est-à-dire à la fois selon la substance et l’opération ; et ces
dernières à leur tour dépendent de l’Être premier qui est au-dessus de
l’éternité et qui est le principe de la durée pour tous les êtres, à la fois pour ceux qui
sont éternels et pour ceux qui sont corruptibles. Et en troisième lieu,
là où il dit : et il est
nécessaire que l’un fasse etc., il montre qu’il est nécessaire que tous
les êtres dépendent de cet Un premier. Et pour comprendre ce qui est dit ici,
il faut examiner cette proposition 116 du livre de Proclus que voici : tout dieu est participable, sauf l’Un.
Et il présente cette proposition montrer en quel sens les Platoniciens
posaient plusieurs dieux. En effet, ils n’affirmaient pas qu’ils sont tous
égaux, mais plutôt que l’un d’eux est le premier, qui ne participe de rien et
qui est essentiellement l’Un et le Bien, et que les autres dieux sont
inférieurs et participent de l’Un et du Bien. Et l’auteur en avance la preuve
en disant qu’il est manifeste que ce Dieu premier et suprême ne participe de
rien car autrement il ne serait pas la cause première de tous les
êtres ; en effet, tout être qui participe présuppose un quelque chose
qui lui est antérieur et qui existe par essence et non par participation.
Mais que tous les autres dieux soient des ¨participants¨, il le prouve par
ceci que si le Dieu premier est un essentiellement et non par participation,
ou bien un des autres dieux est un de la même manière et alors il ne diffère
en rien de celui qui est le Premier, ou bien il faut qu’il soit un par
participation. Si en effet l’Un lui-même est l’essence même de ce qui est
premier, il faut que, si quelque chose en diffère comme un être second
existant après lui, ce quelque chose ne soit pas tel que son essence soit
l’Un lui-même mais plutôt qu’il participe de l’Un. Et c’est ce que l’auteur
affirme ici, à savoir qu’il est nécessaire de soutenir que l’Un premier est
celui qui fait acquérir les unités,
c’est-à-dire que c’est par Lui que tout ce qui est un participe de l’Unité, et que Lui-même n’acquiert pas,
c’est-à-dire qu’Il ne participe pas d’une unité qui procède d’un autre. Et ce
qui le prouve, c’est certes ce qui vient d’être avancé. |
Et sic terminatur totus liber de causis. Sint
gratiae Deo omnipotenti, qui est prima omnium causa. |
C’est ainsi que
s’achève tout le Livre des causes. Rendons grâces au Dieu
tout-puissant qui est la cause première de tout. |
[1] Les traducteurs ont pris pour
texte de base l'édition critique de H.-D. Saffrey, Sancti Thomae de Aquino
super Librum de causis expositio, Fribourg, 1954; reed. Paris, Vrin, 2002.
Les rares fois où ils ont préféré les choix de l'édition Marietti (1955)
établie par Pera, ils le précisens. Quant à la traduction française du Liber
de Causis, c'est celle de La demeure de l'être. Autour d'un anonyme.
Etudes et traduction du Liber de Causis, trad. P. Magnard, O. Boulnois, B.
Pinchard et J. -L. Solere, Paris, Vrin, 1990. Le texte latin de cette version
numérique est celui du Père Busa (consulter
le site http://www.corpusthomisticum.org
du professeur Enrique Alarcón.
[2] Eléments, prop.
57.
[3] Cf. 3, 736 a 2.
[4] Imprimere, c'est
imprimer au sens de communiquer une impression.
[5] Les noms divins, I, § 5, 593 C.