SAINT THOMAS D’AQUIN
COMMENTAIRE DE L’ETHIQUE A
NICOMAQUE D’ARISTOTE
Deux traductions : Abbé Germain Dandenault (Canada) vers 1950 (incomplet).
Professeur Yvan Pelletier, Laval (Canada) vers 1999 (complet)
(Les 10 livres complets)
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
2008
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la
Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où
il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à
l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM.
Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une
tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De
Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du
baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de
chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective
aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux
étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du
credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique,
dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir
de ces principes fondamentaux.
L’Abbé Germain Dandenault, lui aussi canadien, fut prêtre dans les
années 1950. Il a laissé le souvenir d’un excellent professeur. Bientôt sa
biographie sur ce fichier.
LIVRE 1 : [le bien et le
bonheur] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 1 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 2 : La fin supérieure,
la politique
Leçon 3 : [A qui s’adresse
l’éthique ?]
Leçon 4 : [Le bonheur, bien
suprême de l’éthique]
Leçon 5 : [Le bonheur est-il
dans la vertu ?]
Texte d’Aristote : Les
opinions spécieuses : l’idée du bien
Leçon 9 : [Les conditions du
bonheur]
Leçon 10 : [Définition du
bonheur]
Leçon 11 : [Le temps
favorise la compréhension de ce qu’est le bonheur]
Leçon 12 : [Témoignage des
philosophes]
Leçon 13 : [La place du
plaisir ert des biens extérieurs]
Leçon 14 : [La cause du
bonheur]
Leçon 19 : [La science du
bonheur]
Leçon 20 : [Rôle de la vie
végétative et sensitive en éthique]
LIVRE 2 : [La vertu]
(Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 2 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 1 : [L’origine de la
vertu en nous]
Leçon 2 : [La vertu est dans
le juste milieu]
Leçon 3 : [L’homme vertueux
agit bien avec plaisir]
Leçon 4 : [Différence entre
vertu et habitus d’art]
Leçon 5 : [La vertu est un
habitus]
Leçon 6 : [Quelle sorte
d’habitus est-elle ?]
Leçon 7 : [La vertu, juste
milieu, suite]
Leçon 8 : [Comment Les
extrêmes sont des vices]
Leçon 9 : [Les Vertus en
rapport aux honneurs]
Leçon 10 : [Les vices sont
des extrêmes]
Leçon 11 : [Comment acquérir
la vertu ?]
LIVRE 3 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 2 : [Les actions
spontanées]
Leçon 3 : [L’involontaire
par ignorance]
Leçon 4 : [Définition du
volontaire]
Leçon 5 : [L’élection
volontaire]
Leçon 6 : [Différence entre
élection et opinion]
Leçon 8 : [Le conseil porte
sur les moyens]
Leçon 9 : [Comparaison
conseil et élection]
Leçon 10 : [L’objet de la
volonté]
Leçon 11 : [La vertu et le
vice sont au pouvoir de l’homme]
Leçon 12 : [Les Vices sont
acquis par des actes volontaires]
Leçon 13 : [L’existence de
la volonté]
Leçon 14 : [La vertu de
force]
Leçon 16 : [La force en
politique]
Leçon 17 : [Différence entre
vertu de force et colère]
Leçon 18 : [Propriétés du
courage]
Leçon 20 : [Tempérance et
divers plaisirs]
Leçon 21 : [Le comportement
du vertueux]
Leçon 22 : [Comparaison des
vices]
LIVRE 4 : [Les vertus
annexes] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 4 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 1 : [Les vertus de
l’argent]
Leçon 4 : [avarice,
prodigalité]
Leçon 7 : [La magnificence
(suite)]
Leçon 8 : [La magnanimité,
vertu des honneurs]
Leçon 9 : [Le comportement
du magnanime]
Leçon 10 : [Le magnanime
face aux dangers]
Leçon 11 : [Les vices
opposés à la magnanimité]
Leçon 12 : [La vertu des
honneurs ordinaires]
Leçon 14 : [Les vertus de la
vie commune]
Leçon 15 : [La vantardise et
la franchise]
Leçon 16 : [Vertus et vices
du jeu]
LIVRE 5 : [La justice]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
LIVRE 6 : [Les vertus de
l’intelligence] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 6 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 2 : [Le propre de
l’homme]
Leçon 3 : [Les cinq vertus
intellectuelles]
Leçon 4 : [Prudence, science
et art]
Leçon 5 : [L’habitus
d’intelligence]
Leçon 7 : [Prudence en
éthique et politique]
Leçon 10 : [Utilité de la
prudence]
Leçon 11 : [La vertu morale
n’existe pas sans la prudence]
LIVRE 7 : [La tempérance et
le plaisir] (Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
LIVRE 8 : [L’amitié]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
LIVRE 9 : [L’amitié, suite]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
Liber
1 |
LIVRE 1 : [le bien et le bonheur] (Traduction Abbé Dandenault,
1950)
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LIVRE
1 (Traduction Professeur Yvan
Pelletier, 1999)
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Lectio
1 |
Leçon 1 : [L’éthique] |
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[72705] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 1 Sicut philosophus dicit in
principio metaphysicae, sapientis est ordinare. Cuius ratio est, quia sapientia
est potissima perfectio rationis, cuius proprium est cognoscere ordinem. Nam
etsi vires sensitivae cognoscant res aliquas absolute, ordinem tamen unius
rei ad aliam cognoscere est solius intellectus aut rationis. Invenitur autem
duplex ordo in rebus. Unus quidem partium alicuius totius seu alicuius
multitudinis adinvicem, sicut partes domus ad invicem ordinantur; alius autem
est ordo rerum in finem. Et hic ordo est principalior, quam primus. Nam, ut
philosophus dicit in XI metaphysicae, ordo partium exercitus adinvicem, est
propter ordinem totius exercitus ad ducem. Ordo autem quadrupliciter ad
rationem comparatur. Est enim quidam ordo quem ratio non facit, sed solum
considerat, sicut est ordo rerum naturalium. Alius autem est ordo, quem ratio
considerando facit in proprio actu, puta cum ordinat conceptus suos
adinvicem, et signa conceptuum, quae sunt voces significativae; tertius autem
est ordo quem ratio considerando facit in operationibus voluntatis. Quartus
autem est ordo quem ratio considerando facit in exterioribus rebus, quarum
ipsa est causa, sicut in arca et domo. |
1.- Comme le dit le Philosophe au début des Métaphysiques, c’est la propre du sage d'ordonner. La raison en est que la sagesse est la plus haute (potissima) des perfections de la raison dont c’est précisément le propre de connaître l'ordre. En effet, si les puissances sensitives connaissent certaines choses d'une façon absolue, connaître l’ordre d'une chose à une autre est cependant le propre de la seule intelligence ou raison. Nous trouvons un ordre double dans les choses. Le premier est celui qui existe entre les parties d'un tout ou d'une multitude les unes par rapport aux autres, comme dans le cas des parties d'une maison qui sont ordonnées les unes par rapport aux autres. Le second est l'ordre des choses à leur fin; et cet ordre est plus important que le premier. En effet, comme le Philosophe le dit au douzième livre des Métaphysiques, l'ordre des différentes parties d'une armée les unes par rapport aux autres est tel à cause (propter) de l'ordre de toute l'armée à son chef. L'ordre se compare à la raison de quatre manières. Il y a d'abord un certain ordre que la raison ne fait pas mais qu'elle contemple seulement, comme c'est le cas de l’ordre des choses naturelles. Il y a un autre ordre que la raison fait dans son acte propre lorsqu'elle réfléchit, comme par exemple lorsqu'elle ordonne les concepts les uns par rapport aux autres, et les signes des concepts qui sont des sons significatifs. Il y a un troisième ordre que la raison fait dans les opérations de la volonté lorsqu'elle y porte une attention studieuse. Il y a enfin un quatrième ordre que la raison, grâce à son travail d'observation, fait dans les choses extérieures dont elle-même est cause, comme dans le cas de l'arche et de la maison. |
#1. — Comme le Philosophe le dit, au début de la Métaphysique (982a17), il appartient au sage d'ordonner. La raison en est que la sagesse est la perfection la plus puissante de la raison, dont le propre est de connaître l'ordre. En effet, même si les puissances sensitives connaissent les choses de manière absolue, cependant, connaître l'ordre d'une chose en regard d'une autre appartient à la seule intelligence ou raison. Or on trouve deux ordres entre les choses: il y en a un entre les parties d'un tout ou d'une multitude, à la manière dont les parties d'une maison sont ordonnées entre elles; il y a ensuite l'ordre que des choses entretiennent avec leur fin. Et cet ordre-ci est plus important que le premier. Car, comme le Philosophe le dit, au onzième livre de la Métaphysique (1075a13), l'ordre entre les parties de l'armée a pour cause celui qu'entretient l'ensemble de l'armée avec son chef. Par ailleurs, l'ordre se compare à la raison de quatre manières: il y a, en effet, un ordre que la raison ne fait pas, mais qu'elle ne fait qu'observer1, comme il en est de l'ordre des choses naturelles; il existe ensuite un autre ordre, que la raison, quand elle pense, met dans son propre acte, par exemple, lorsqu'elle ordonne entre eux ses concepts, ainsi que les signes des concepts, qui sont les phonèmes dotés de sens; il y a encore un troisième ordre que la raison, en y pensant, met dans les opérations de la volonté; il y a enfin un quatrième ordre que la raison, en y pensant, met dans les choses extérieures dont elle est elle-même la cause, comme dans l'armoire et dans la maison. |
[72706] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 2 Et quia consideratio rationis per habitum scientiae
perficitur, secundum hos diversos ordines quos proprie ratio considerat, sunt
diversae scientiae. Nam ad philosophiam naturalem pertinet considerare
ordinem rerum quem ratio humana considerat sed non facit; ita quod sub
naturali philosophia comprehendamus et mathematicam et metaphysicam. Ordo autem quem
ratio considerando facit in proprio actu, pertinet ad rationalem
philosophiam, cuius est considerare ordinem partium orationis adinvicem, et
ordinem principiorum in conclusiones; ordo autem actionum voluntariarum
pertinet ad considerationem moralis philosophiae. Ordo autem quem ratio
considerando facit in rebus exterioribus constitutis per rationem humanam,
pertinet ad artes mechanicas. Sic igitur moralis philosophiae, circa quam
versatur praesens intentio, proprium est considerare operationes humanas,
secundum quod sunt ordinatae adinvicem et ad finem. |
2.- Et parce que la considération de la raison est perfectionnée par l'habitus, la diversité des habitus de sciences dépendra de la diversité des ordres qu'elle considère. En effet, il appartient à la philosophie naturelle de considérer l'ordre que la raison humaine considère mais ne fait pas; de cette façon nous englobons la métaphysique dans la philosophie naturelle. L'ordre que la raison, en réfléchissant, pose dans son acte propre, appartient à la philosophie naturelle dont c'est le propre de considérer l'ordre des parties du discours les unes par rapport aux autres et l'ordre des principes les uns par rapport aux autres et par rapport aux conclusions. L'ordre des actions volontaires appartient à la considération de la philosophie morale. Ainsi donc, la philosophie morale dont nous avons précisément l'intention de parler, considère proprement les opérations humaines en tant qu'elles sont ordonnées les unes par rapport aux autres et par rapport à la fin. |
#2. — Puisque l'opération de la raison tient sa perfection d'un habitus, il existe des sciences différentes selon les ordres différents que la raison justement observe. En effet, il appartient à la philosophie naturelle d'observer l'ordre des choses que la raison humaine observe mais ne fait pas, en comprenant aussi, sous la philosophie naturelle, la métaphysique. Ensuite, l'ordre que la raison, quand elle pense, met dans son acte propre, appartient à la philosophie rationnelle, à laquelle il appartient d'observer l'ordre entre les parties du discours, et l'ordre entre les principes, et des principes aux conclusions. Ensuite, l'ordre des actions volontaires appartient à la réflexion de la philosophie morale. Enfin, l'ordre que la raison met, en y pensant, dans les choses extérieures constituées par la raison humaine, appartient aux arts mécaniques. Ainsi donc, le propre de la philosophie morale, sur laquelle porte notre intention présente, est de traiter des opérations humaines, en autant qu'elles sont ordonnées entre elles et à une fin. |
[72707] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 1 n. 3 Dico autem operationes humanas, quae
procedunt a voluntate hominis secundum ordinem rationis. Nam si quae
operationes in homine inveniuntur, quae non subiacent voluntati et rationi,
non dicuntur proprie humanae, sed naturales, sicut patet de operationibus
animae vegetabilis, quae nullo modo cadunt sub consideratione moralis
philosophiae. Sicut igitur subiectum philosophiae naturalis est motus, vel
res mobilis, ita etiam subiectum moralis philosophiae est operatio humana ordinata
in finem, vel etiam homo prout est voluntarie agens propter finem. |
3.- J'appelle opérations humaines celles qui procèdent de la volonté de l'homme selon l'ordre de la raison. En effet, s'il se rencontre certaines opérations dans l'homme qui ne sont pas dépendantes de la volonté et de la raison, on ne les dit pas proprement humaines, mais naturelles, comme c'est évidemment le cas pour les opérations de l'âme végétative. De telles opérations ne tombent d'aucune façon sous la considération de la philosophie morale. Comme le sujet de la philosophie naturelle est le mouvement ou la chose mobile, ainsi le sujet de la philosophie morale est l'opération humaine ordonnée à la fin, ou encore l’homme en tant qu'il agit volontairement pour une fin. |
#3. — Par ailleurs, j'appelle des opérations humaines celles qui procèdent de la volonté de l'homme selon un ordre de la raison. Car s'il se trouve dans l'homme certaines opérations non sujettes à la volonté et à la raison, elles ne sont pas dites proprement humaines, mais naturelles, comme il est évident des opérations de l'âme végétative. Et celles-là ne tombent d'aucune manière sous le regard de la philosophie morale. De même, d'ailleurs, que le sujet de la philosophie naturelle est le mouvement, ou la chose mobile, de même le sujet de la philosophie morale est l'opération humaine ordonnée à une fin, ou même l'homme pour autant qu'il est en train d'agir volontairement en vue d'une fin. |
[72708] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 4 Sciendum est autem, quod quia homo naturaliter est
animal sociale, utpote qui indiget ad suam vitam multis, quae sibi ipse solus
praeparare non potest; consequens est, quod homo naturaliter sit pars
alicuius multitudinis, per quam praestetur sibi auxilium ad bene vivendum.
Quo quidem auxilio indiget ad duo. Primo quidem ad ea quae sunt vitae
necessaria, sine quibus praesens vita transigi non potest: et ad hoc
auxiliatur homini domestica multitudo, cuius est pars. Nam quilibet homo a
parentibus habet generationem et nutrimentum et disciplinam et similiter
etiam singuli, qui sunt partes domesticae familiae, seinvicem iuvant ad
necessaria vitae. Alio modo iuvatur homo a multitudine, cuius est pars, ad
vitae sufficientiam perfectam; scilicet ut homo non solum vivat, sed et bene
vivat, habens omnia quae sibi sufficiunt ad vitam: et sic homini auxiliatur
multitudo civilis, cuius ipse est pars, non solum quantum ad corporalia,
prout scilicet in civitate sunt multa artificia, ad quae una domus sufficere
non potest, sed etiam quantum ad moralia; inquantum scilicet per publicam
potestatem coercentur insolentes iuvenes metu poenae, quos paterna monitio
corrigere non valet. |
4.- On doit savoir que du, fait que l’homme est naturellement un animal social, en ce qu'il a besoin pour vivre de beaucoup de choses qu'il ne peut pas, par lui-même tout seul, se préparer (sibi praeparare), il découle qu'il est naturellement une partie d’une certaine multitude grâce à laquelle il peut se procurer ce qui l'aide à bien vivre. Cette aide à bien vivre, il en a besoin pour deux choses: premièrement pour se procurer ces choses qui sont nécessaires à la vie et sans lesquelles la vie présente ne peut pas être vécue: cette aide est fournie par la multitude domestique dont l'homme est une partie. En effet tout homme reçoit de ses parents, la naissance, la nourriture et l’éducation (disciplinam). Semblablement tous les singuliers qui composent la maison familiale (domesticae familiae) s'entraident entre eux dans les nécessités de la vie. Deuxièmement, l'homme est aidé par la multitude dont il est une partie pour atteindre tout ce qu'il faut pour une vie parfaite, à savoir ce qu'il faut non seulement pour que l'homme vive, mais aussi pour qu'il vive bien, qu'il ait vraiment tout ce dont il a besoin pour sa vie d'homme: cette aide est fournie par la multitude de civile dont l’homme est une partie non seulement en tant que cette multitude lui fournit l'aide nécessaire pour les choses corporelles, c'est-à-dire en tant que dans la cité il y a plusieurs produits artificiels à la fabrication desquels une seule maison ne pourrait suffire mais en tant que cette multitude lui fournit l'aide nécessaire à sa vie morale, c’est-à-dire, en autant que par le pouvoir public les jeunes gens insolents réfractaires aux admonitions paternelles, sont forcés de se tenir tranquilles grâce à la crainte de la punition. |
#4. — On doit savoir par ailleurs que, parce que l'homme est naturellement un animal social, c'est-à-dire, qu'il a besoin pour sa vie de beaucoup de choses qu'il ne peut seul s'assurer à lui-même, il s'ensuit que l'homme fasse naturellement partie d'un groupe qui lui apporte de l'aide pour bien vivre. Et il a besoin de cette aide sous deux rapports. D'abord, certes, pour ce qui est nécessaire à la vie, et dont la vie présente ne peut se passer: c'est là l'aide qu'apporte à l'homme le groupe domestique dont il fait partie. En effet, tout homme tient de ses parents la génération et l'alimentation et l'éducation et, pareillement, les individus qui forment les parties de la famille domestique s'aident entre eux pour le nécessaire à la vie. Il y a encore un autre rapport sous lequel l'homme reçoit l'aide d'un groupe dont il fait partie, c'est pour une suffisance parfaite de sa vie, à savoir, pour que non seulement il vive, mais aussi vive bien, disposant de tout le suffisant pour la vie: c'est ainsi que le groupe civil dont il fait partie aide l'homme, non seulement pour les choses corporelles, comme il y a dans la cité bien des ressources d'art qu'une maison ne peut suffire à procurer, mais aussi dans le domaine morale, étant donné les jeunes insolents que l'avertissement paternel n'arrive pas à corriger se trouvent contraints par le pouvoir public, par la crainte du châtiment[1]. |
[72709] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 5 Sciendum est autem, quod hoc totum, quod est civilis
multitudo, vel domestica familia habet solam ordinis unitatem, secundum quam
non est aliquid simpliciter unum; et ideo pars huius totius potest habere
operationem, quae non est operatio totius, sicut miles in exercitu habet
operationem quae non est totius exercitus. Habet nihilominus et ipsum totum
aliquam operationem, quae non est propria alicuius partium, sed totius, puta
conflictus totius exercitus. Et tractus navis est operatio multitudinis
trahentium navem. Est autem aliud totum quod habet unitatem non solum ordine,
sed compositione, aut colligatione, vel etiam continuitate, secundum quam
unitatem est aliquid unum simpliciter; et ideo nulla est operatio partis,
quae non sit totius. In continuis enim idem est motus totius et partis; et similiter
in compositis, vel colligatis, operatio partis principaliter est totius; et
ideo oportet, quod ad eamdem scientiam pertineat consideratio talis totius et
partis eius. Non autem ad eamdem scientiam pertinet considerare totum quod
habet solam ordinis unitatem, et partes ipsius. |
5.- On doit savoir que ce tout qu'est une multitude civile ou une maison familiale n'a qu’une unité d'ordre, selon laquelle elles ne sont pas quelque chose d’absolument un. C'est pourquoi la partie de ce tout peut avoir une opération qui n’est pas l'opération du tout, comme le soldat dans l’armée a une opération qui n'est pas l’opération de toute l'armée. Ce tout a néanmoins une certaine opération qui n'est pas propre à une partie, mais qui est propre au tout lui-même, comme le conflit pour toute l'armée, Ainsi aussi, la poussée de la galère est l'opération de la multitude de ceux qui poussent la galère. Il y a aussi un tout qui n'a pas seulement une unité d’ordre, mais une unité de composition, de (colligatione), même de continuité, unité qui en fait quelque chose d'absolument un; c'est pourquoi, dans ce cas, il n'y a aucune opération d'une partie qui n'est pas l'opération du tout. Dans les continus, en effet le mouvement du tout est exactement le même que le mouvement de la partie; de même aussi dans les composés et les (colligatis), l'opération de la partie est principalement l'opération du tout; il en découle qu’il faut que la considération de la partie et de son tout appartienne à la même science. Par contre il n'appartient pas à la même science de considérer le tout, qui nia qu'une unité d'ordre, et ses parties. |
#5. — On doit savoir, toutefois, que ce tout qu'est le groupe civil, ou la famille domestique, détient une simple unité d'ordre, selon quoi une chose ne se trouve pas une absolument. C'est pourquoi une partie de pareil tout peut poser des actes qui ne soient pas l'action du tout, comme le soldat dans l'armée pose des actes qui ne relèvent pas de toute l'armée. Néanmoins, le tout lui-même pose des actes qui ne relèvent pas en propre de l'une de ses parties, mais du tout, par exemple, l'attaque de l'armée entière. La traction du navire est aussi l'action du groupe de ceux qui tirent le navire. Il existe, par contre, un tout doté d'une unité non seulement d'ordre mais de composition, ou d'attache, ou encore de continuité, et selon cette unité une chose est une absolument; c'est pourquoi il n'existe alors aucune action de partie qui ne relève du tout. Dans ce qui est continu, en effet, le mouvement du tout et celui de la partie est le même; semblablement, dans ce qui est composé, ou attaché, l'action de la partie relève aussi principalement du tout; c'est pourquoi il faut que l'examen de pareil tout et de sa partie relève de la même science. Néanmoins, il ne relève pas de la même science d'examiner, avec ses parties, le tout qui détient la seule unité d'ordre. |
[72710] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 6 Et inde est, quod moralis philosophia in tres partes
dividitur. Quarum prima considerat operationes unius hominis ordinatas ad finem,
quae vocatur monastica. Secunda autem
considerat operationes multitudinis domesticae, quae vocatur oeconomica.
Tertia autem considerat operationes multitudinis civilis, quae vocatur
politica. |
6.- Ces considérations nous permettent de voir que la philosophie morale se divise en trois parties: la première considère les opérations d'un seul homme, opérations qui sont ordonnées à une fin: cette partie s'appelle la monastique. La seconde partie considère les opérations de la multitude domestique, on l'appelle l'économique. La troisième partie considère les opérations de la multitude civile: la politique. |
#6. — De là vient que la philosophie morale se divise en trois parties. Parmi elles, la première examine les opérations d'un seul homme ordonnées à leur fin, et elle s'appelle la monastique. La seconde, par ailleurs, examine les actions du groupe domestique, et elle s'appelle l'économique. La troisième, par ailleurs, examine les actions du groupe civil, et elle s'appelle la politique. |
[72711] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 7 Incipiens igitur Aristoteles tradere moralem
philosophiam a prima sui parte in hoc libro, qui dicitur Ethicorum, idest
Moralium, praemittit prooemium, in quo tria facit. Primo enim ostendit de quo
est intentio. Secundo modum tractandi, ibi, dicetur autem utique sufficienter
et cetera. Tertio qualis debeat esse auditor huius scientiae, ibi:
unusquisque autem bene iudicat et cetera. Circa primum duo facit. Primo
praemittit quaedam, quae sunt necessaria ad propositum ostendendum. Secundo manifestat propositum, ibi, si utique est
aliquis finis et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim proponit
necessitatem finis; secundo habitudinem humanorum actuum ad finem, ibi:
multis autem operationibus et cetera. Circa primum tria facit. Primo
proponit, quod omnia humana ordinantur ad finem; secundo ostendit
diversitatem finium, ibi, differentia vero finium etc.; tertio ponit
comparationem finium adinvicem, ibi, quorum autem sunt fines et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo manifestat
propositum, ibi, ideo bene enunciaverunt et cetera. |
7.- En commençant donc son traité de philosophie morale par sa première partie qui n’est autre que ce livre-ci qui s'appelle l'Ethique ou les choses morales, Aristote écrit tout d'abord une introduction où il met trois grandes idées en relief. La première expose ce dont parlera ce livre; La seconde nous donne la méthode de traiter le sujet; La troisième nous donne quelles doivent être les qualités de l’auditeur de cette science. Pour bien démontrer ce dont il est question dans l'Ethique, il donne en premier ce qui est nécessaire pour démontrer ce qu'il nous propose et, en second, il nous manifeste ce qu'il nous propose. Les deux éléments prérequis pour comprendre ce qu'il propose sont: la nécessité d'une fin et la comparaison des habitus et des actes à leur fin. La nécessité d'une fin exige elle-même une triple considération. Premièrement il nous propose que tous les actes humains sont ordonnés à une fin. Deuxièmement, il nous explique la diversité des fins. Troisièmement, il nous propose la comparaison des fins les unes par rapport aux autres. Au sujet de l'ordination des actes humains à une fin, il propose ce qu'il a l'intention de dire, puis, il nous manifeste ce qu'il nous a proposé. |
#7. — Aristote, commençant donc à traiter de la philosophie morale à partir de sa première partie, qu'on appelle l'Éthique, c'est-à-dire la morale, présente en premier un prologue, dans lequel il développe trois points. En premier, en effet, il montre sur quoi porte son intention. En deuxième, le mode d'en traiter (1094b11). En troisième, de quelle qualité doit être l'auditeur de cette science (1094b27). Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, il avance certaines notions nécessaires pour montrer son propos. En second, il manifeste son propos (1094a18). Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, en effet, il propose la nécessité de la fin. En second, il compare les habitus et les actes avec leur fin (1094a6). Sur le premier point, il en développe trois autres. En premier, il propose que tout ce qui est humain est ordonné à une fin. En second, [il affirme] la diversité des fins (1094a3). En troisième, il propose la comparaison des fins entre elles (1094a5). Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, il propose ce qu'il vise. En second, il manifeste son propos (1094a2). |
[72712] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 8 Circa primum,
considerandum est, quod duo sunt principia humanorum actuum, scilicet
intellectus seu ratio, et appetitus, quae sunt principia moventia, ut dicitur
in tertio de anima. In intellectu autem vel ratione consideratur speculativum
et practicum. In appetitu autem rationali consideratur electio et executio.
Omnia autem ista ordinantur ad aliquod bonum sicut in finem; nam verum est
finis speculationis. Quantum ergo ad intellectum speculativum ponit doctrinam per quam
transfunditur scientia a magistro in discipulum. Quantum vero ad intellectum
practicum ponit artem, quae est recta ratio factibilium, ut habetur in VI
huius; quantum vero ad actum intellectus appetitivi ponitur electio. Quantum
vero ad executionem ponitur actus. Non facit autem mentionem de prudentia,
quae est in ratione practica sicut et ars, quia per prudentiam proprie
dirigitur electio. Dicit ergo quod
singulum horum manifeste appetit quoddam bonum tamquam finem. |
8.- Voici cette dernière proposition: on doit considérer qu'il y a deux principes des actes humains: l'intelligence ou raison et l'appétit qui sont des principes-moteurs, comme il l'a dit au troisième livre du De Anima. Dans l'intelligence ou raison, on considère l'intelligence spéculative et l'intelligence pratique. Dans l'appétit rationnel, on considère l'élection et l'exécution. Toutes ces choses sont ordonnées à un bien qui constitue leur fin. En effet, le vrai est la fin de la spéculation. Du côté de l'intellect spéculatif, il situe la "doctrine" par laquelle la science passe du maître dans le disciple. Du côté de l'intellect pratique, il pose l'art qui est la raison droite des choses qui peuvent être faites (factibile), comme on le montrera au sixième livre de ce traité. Quant à l'acte de l'intelligence appétitive, il pose l'élection. Quant à l'exécution il pose l'acte. Il ne fait toutefois pas mention de la prudence qui est dans la raison pratique tout comme l'art parce que, par la prudence, c’est l'élection qui proprement est dirigée. Il conclut donc qu'il est manifeste que chacune de ces choses désire un certain bien comme sa fin. |
#8. — Sur le premier point, on doit tenir compte qu'il y a deux principes des actes humains, à savoir, l'intelligence, ou raison, et l'appétit, qui sont les principes moteurs, comme il est dit au troisième livre du traité De l'âme (433b31). Comme intelligence ou raison, par ailleurs, on distingue la spéculative et la pratique. Et dans l'appétit rationnel, on distingue le choix et l'exécution. Or tout cela est ordonné à un bien comme à une fin, car le vrai est la fin de la spéculation. Pour l'intelligence spéculative, donc, il parle de l'enseignement, par lequel la science passe du maître au disciple. Pour l'intelligence pratique, ensuite, il parle de l'art, qui est la définition correcte de ce qui est à faire, comme on verra, au sixième livre de ce traité. Pour l'acte de l'appétit rationnel[2], ensuite, il est question du choix. Pour son exécution, enfin, il est question de l'acte. Il ne fait toutefois pas mention de la prudence, qui, comme l'art, est dans la raison pratique, car c'est proprement par la prudence qu'on dirige le choix. Il affirme donc que chacun de ces principes tend manifestement à un bien comme à sa fin. |
[72713] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit: ideo bene enuntiaverunt etc.,
manifestat propositum per diffinitionem boni. Circa quod considerandum est,
quod bonum numeratur inter prima: adeo quod secundum Platonicos, bonum est
prius ente. Sed secundum rei veritatem bonum cum ente convertitur. Prima
autem non possunt notificari per aliqua priora, sed notificantur per
posteriora, sicut causae per proprios effectus. Cum autem bonum proprie sit
motivum appetitus, describitur bonum per motum appetitus, sicut solet
manifestari vis motiva per motum. Et ideo dicit, quod philosophi bene
enunciaverunt, bonum esse id quod omnia appetunt. |
9.- Ensuite, il manifeste ce qu'il nous a proposé par l'effet du bien. A ce sujet, on doit considérer que le bien compte parmi les toutes premières choses: c'est pourquoi selon les platoniciens, le bien est antérieur à l'être. Mais selon la vérité de la réalité, le bien est convertible avec l'être. Les choses qui sont véritablement premières ne peuvent pas être rendues plus connues (notificantur) par des choses qui leur sont antérieures, au contraire elles sont connues par des choses qui leur sont postérieures comme les causes le sont par leurs effets propres. Comme le bien est proprement ce qui meut l'appétit, on décrit le bien par le mouvement de l'appétit, comme on a l’habitude de manifester la force qui meut par le mouvement produit. Et c'est pourquoi il dit que les philosophes avaient bien dit lorsqu'ils avaient défini le bien comme étant ce que toutes les choses désirent. |
#9. — Ensuite (1094a2), il manifeste son propos par l'effet du bien. À propos de quoi, on doit considérer que le bien compte parmi les premiers êtres, au point que, selon les Platoniciens, le bien est antérieur à l'être. D'après la vérité objective, cependant, le bien se convertit avec l'être. Les premiers êtres, par ailleurs, on ne peut les faire connaître par des êtres antérieurs, mais on les fait connaître par des êtres postérieurs, comme les causes par leurs effets propres. Comme, ensuite, le bien est proprement le moteur de l'appétit, on décrit le bien par le mouvement de l'appétit, comme on a l'habitude de manifester une puissance motrice par le mouvement [qu'elle entraîne]. C'est pourquoi aussi il dit que les philosophes ont correctement affirmé que le bien est ce que tout désire. |
[72714] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 10 Nec est instantia de quibusdam, qui appetunt malum.
Quia non appetunt malum nisi sub ratione boni, in quantum scilicet aestimant
illud esse bonum, et sic intentio eorum per se fertur ad bonum, sed per
accidens cadit supra malum. |
10.- On n'insiste aucunement sur certains êtres qui désirent le mal parce qu'ils ne désirent le mal qu'en tant qu'il a raison du bien, c’est-à-dire qu'en tant qu'ils le jugent un bien: de sorte que de cette façon leur intention se porte proprement vers le bien et n'atteint le mal qu'accidentellement. |
#10. — Elle ne vaut pas, l'objection qui renvoie à qui désire le mal. Car il ne désire pas le mal, sauf sous raison de bien, à savoir, en tant qu'il le pense un bien: et ainsi son intention se porte par soi au bien, mais tombe par accident sur un mal. |
[72715] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 11 Quod autem dicit quod omnia appetunt, non est
intelligendum solum de habentibus cognitionem, quae apprehendunt bonum, sed
etiam de rebus carentibus cognitione, quae naturali appetitu tendunt in
bonum, non quasi cognoscant bonum, sed quia ab aliquo cognoscente moventur ad
bonum, scilicet ex ordinatione divini intellectus: ad modum quo sagitta
tendit ad signum ex directione sagittantis. Ipsum autem tendere in bonum,
est appetere bonum, unde et actum dixit appetere bonum in quantum tendit in
bonum. Non autem est unum bonum in quod
omnia tendunt, ut infra dicetur. Et ideo non describitur hic aliquod unum bonum, sed
bonum communiter sumptum. Quia autem nihil est bonum, nisi inquantum est
quaedam similitudo et participatio summi boni, ipsum summum bonum quodammodo
appetitur in quolibet bono et sic potest dici quod unum bonum est, quod omnia
appetunt. |
11.- Quand il dit que le bien est ce que toutes les choses désirent, on ne doit pas entendre cette proposition seulement pour les choses qui ont une connaissance qui leur permet de saisir le bien, mais aussi des choses qui manquent de connaissance; ces choses tendent vers le bien non pas comme si elles connaissaient le bien, mais parce qu'elles sont mues vers le bien par quelque chose d'autres qui a la connaissance, c'est-à-dire par l'ordination de l'intelligence divine, de la même façon que la flèche tend vers la cible en tant que l'archer l'y dirige. C'est cette action même de tendre vers le bien qui est l'action de désirer le bien; d'où l'on dit que toute chose désire le bien en tant même qu'elle tend vers le bien. Mais il n'y a pas un seul bien auquel toutes les choses tendent, comme on le dira plus bas. Et c'est pourquoi ici dans ce traité on ne décrira pas un bien quelconque mais le bien pris communément. Et cela parce qu'il n'y a rien de bien qu'en tant qu'il comporte une certaine similitude et une certaine participation au bien ultime (summum bonum): le bien ultime lui-même est désiré d'une certaine façon dans tous les biens. Et de cette façon on peut dire avec vérité que le bien est ce que toutes les choses désirent. |
#11. — Quant à ce qu'il dit: «Ce que tout désire» (1094a3), ce n'est pas à comprendre seulement de ceux qui ont connaissance, et qui appréhendent le bien, mais aussi des choses auxquelles manque la connaissance; celles-ci tendent au bien par un appétit naturel, non pas comme si elles connaissaient le bien, mais parce qu'elles sont mues au bien par quelqu'un qui le connaît, à savoir, par l'ordination de l'intelligence divine: de la façon dont la flèche tend au bien par la direction [que lui donne] l'archer. Or cela même de tendre au bien, c'est désirer le bien. Aussi a-t-il dit que tout désire le bien, en tant qu'il tend au bien. Mais il n'y a pas un unique bien auquel tout tend, comme on le dira plus loin (1096b30). Et c'est pourquoi on ne décrira pas ici un bien particulier, mais le bien pris communément. Comme, par ailleurs, rien n'est bon sinon en tant qu'il est une similitude et participation du bien suprême, le bien suprême lui-même est désiré d'une certaine façon en n'importe quel bien. Ainsi encore, on peut dire que le vrai bien est ce que tout désire. |
[72716] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 12 Deinde cum dicit:
differentia vero quaedam etc., ostendit differentiam finium. Circa quod
considerandum est, quod finale bonum in quod tendit appetitus uniuscuiusque
est ultima perfectio eius. Prima autem perfectio se habet per modum formae.
Secunda autem per modum operationis. Et ideo oportet hanc esse differentiam
finium quod quidam fines sint ipsae operationes, quidam vero sint ipsa opera,
id est opera quaedam praeter operationes. |
12.- Ensuite, il montre la différence entre les fins. A ce sujet, on doit considérer que le bien final auquel tend l'appétit de chacun est la perfection ultime. La première perfection se comporte (se habet) comme une forme: la seconde par mode d'opération. C'est pourquoi il faut qu'il y ait entre les fins cette différence à savoir que certaines fins soient les opérations elles-mêmes, certaines autres, les œuvres elles-mêmes (ipsa opera) c'est-à-dire certaines choses faites qui sont en plus des opérations. |
#12. — Ensuite (1094a3), il montre la différence des fins. À ce propos, on doit considérer que le bien final auquel tend l'appétit de n'importe quel être un est sa perfection ultime. Or la première perfection s'obtient par le moyen d'une forme. Et la seconde par le moyen d'une opération. Aussi faut-il qu'il y ait cette différence entre les fins, que certaines fins sont les opérations mêmes, alors que certaines sont leurs œuvres, c'est-à-dire, des résultats à part des opérations. |
[72717] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 13 Ad cuius evidentiam
considerandum est, quod duplex est operatio, ut dicitur in IX metaphysicae:
una quae manet in ipso operante, sicut videre, velle et intelligere: et huiusmodi
operatio proprie dicitur actio; alia autem est operatio transiens in
exteriorem materiam, quae proprie dicitur factio; et haec est duplex:
quandoque enim aliquis exteriorem materiam assumit solum ad usum, sicut equum
ad equitandum, et cytharam ad cytharizandum. Quandoque autem assumit
materiam exteriorem ut mutet eam in aliquam formam, sicut cum artifex facit
lectum aut domum. Prima igitur et secunda harum operationum non habent
aliquid operatum quod sit finis, sed utraque earum est finis; prima tamen
nobilior est quam secunda: inquantum manet in ipso operante. Tertia vero
operatio est sicut generatio quaedam, cuius finis est res generata. Et ideo
in operationibus tertii generis ipsa operata sunt fines. |
13.- Pour saisir l'évidence de cet énoncé, on doit considérer que l'opération est double, comme on l'a dit au neuvième livre des Métaphysiques: une qui demeure dans l'opérant lui-même, comme voir, vouloir et intelliger: l'opération de ce genre s'appelle proprement action; l'autre opération est celle qui passe (transiens) dans une matière extérieure (transitoire) et on l'appelle proprement faction." Parfois on peut prendre une matière extérieure seulement pour s'en servir comme on se sert du cheval pour aller à cheval, de la cithare pour jouer de la cithare. Parfois on prend la matière extérieure pour lui donner une autre forme, comme c'est le cas de l'artisan qui fait une maison ou un lit. La première et la deuxième des opérations n'ont donc pas de chose faite qui soit la fin, mais l'une et l'autre sont fins. Mais la première est plus noble que la seconde en n tant qu'elle demeure dans l'opérant lui-même. La troisième opération est comme une certaine génération dont la fin est la chose engendrée. Ainsi dans les opérations du troisième genre les œuvres elles-mêmes sont fins. |
#13. — À l'évidence de cela, on doit considérer qu'il existe une double opération, comme il est dit au neuvième livre de la Métaphysique (1050a23). L'une demeure dans l'opérant même, comme voir, vouloir et intelliger: une opération de cette sorte se dit proprement aussi action. Puis, il y a l'autre opération, qui passe dans une matière extérieure, et que l'on appelle proprement production. Parfois, en effet, on prend une matière extérieure seulement pour s'en servir, comme un cheval pour le monter, et une cithare pour en jouer. Mais parfois, on prend une matière extérieure pour lui donner une certaine forme, comme lorsque un artisan fabrique une maison ou un lit. La première des opérations, donc, et la deuxième, n'ont pas un résultat qui en soit la fin, mais l'une et l'autre est sa propre fin. La première, toutefois, est plus noble que la seconde, en tant qu'elle demeure dans l'opérant même. Mais la troisième opération est comme une génération, dont la fin est la chose engendrée. C'est pourquoi aussi, dans les opérations du troisième genre, les œuvres mêmes sont les fins. |
[72718] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 1 n. 14 Deinde cum dicit: quorum autem
sunt fines etc., ponit tertium; dicens, quod in quibuscumque operata, quae
sunt praeter operationes, sunt fines, oportet quod in his operata sint
meliora operationibus: sicut res generata est melior generatione. Nam finis
est potior his quae sunt ad finem. Nam ea quae sunt in finem habent rationem
boni ex ordine in finem. |
14.- Ici, il fait la comparaison des fins entre elles. C'est le troisièmement annoncé au numéro 7. Dans n'importe laquelle des choses faites qui sont en plus des opérations, il faut que les œuvres soient en cela supérieures aux opérations, tout comme la chose engendrée est meilleure que la génération. En effet, la fin a plus de valeur que les choses qui sont pour une fin. Car les choses qui sont pour une fin n'ont raison de bien que par l'ordre qu'ils ont à la fin. |
#14. — Ensuite (1094a5), il présente son troisième point, disant que n'importe où les fins sont des résultats à part les opérations, les résultats sont nécessairement meilleurs que les opérations, comme la chose engendrée est meilleure que sa génération. En effet, la fin est plus puissante que les moyens qui la visent. Car ce qui vise à une fin a raison de bien en référence à la fin. |
[72719] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 15 Deinde cum dicit: multis autem operationibus etc., agit
de comparatione habituum et actuum ad finem. Et circa hoc quatuor facit.
Primo manifestat, quod diversa ordinantur ad diversos fines. Et dicit, quod
cum multae sint operationes, et artes et doctrinae, necesse est quod earum
sint diversi fines. Quia fines, et ea quae sunt ad finem sunt proportionalia.
Quod quidem manifestat per hoc, quod artis medicinalis finis est sanitas,
navifactivae vero navigatio, militaris autem victoria, oeconomicae vero,
idest dispensativae domus, divitiae, quod quidem dicit secundum multorum
opinionem. Ipse autem probat in primo politicae, quod divitiae non sunt finis
oeconomicae, sed instrumenta. |
15.- Ensuite il parle de la comparaison des habitus et des actes à la fin et cette partie se divisera en quatre. Premièrement, il manifeste que des choses diverses sont ordonnées à diverses fins. Comme il y a plusieurs opérations, plusieurs arts et doctrines, il est nécessaire qu'il y ait diverses fins pour chacune, parce que les fins et les choses qui sont pour une fin sont proportionnelles. Ce qu'il nous manifeste en nous disant que l'art de la médecine a pour fin la santé, l'art de la construction des navires, la navigation, l'art militaire, la victoire, l'art de l'économique, i.e. l'art de l'administration d'une domus, l'argent selon l'opinion de plusieurs. Toutefois, Aristote prouvera au premier livre des Politiques que les richesses ne sont pas les fins de l'économique, mais les instruments. |
#15. — Ensuite (1094a6), il traite de la comparaison des habitus et des actes avec la fin. Et sur cela, il développe quatre points. En premier, il manifeste que des choses différentes sont ordonnées à des fins différentes. Et il dit que, comme il existe de multiples opérations, arts et enseignements, il est nécessaire que les 4 fins soient différentes pour eux. C'est que les fins et les moyens qui y visent sont proportionnables. Ce que, bien sûr, il manifeste par ceci que la fin de l'art médicinal est la santé, [celle de l'art] de fabriquer les navires la navigation, [celle de l'art] militaire la victoire, et [celle] de l'économique, c'est-à-dire, des dépenses de la maison, les richesses, ce que, bien sûr, il dit en se conformant à l'opinion de la plupart. Mais il prouve lui-même, dans le premier livre de la Politique, que les richesses ne sont pas la fin de l'économique, mais ses instruments. |
[72720] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 16 Secundo ibi: quaecumque autem sunt talium etc., ponit
ordinem habituum adinvicem. Contingit enim unum habitum operativum, quem
vocat virtutem, sub alio esse. Sicut ars quae facit frena est sub arte
equitandi, quia ille qui debet equitare praecipit artifici qualiter faciat
frenum. Et sic est architector, idest principalis artifex respectu ipsius. Et
eadem ratio est de aliis artibus, quae faciunt alia instrumenta necessaria ad
equitandum, puta sellas, vel aliquid huiusmodi. Equestris autem ulterius
ordinatur sub militari. Milites enim dicebantur antiquitus non solum equites,
sed quicumque pugnatores ad vincendum. Unde sub militari continetur non solum
equestris, sed omnis ars vel virtus ordinata ad bellicam operationem, sicut
sagittaria, fundibularia vel quaecumque alia huiusmodi. Et per eundem modum
aliae artes sub aliis. |
16.- Deuxièmement, il pose l'ordre des habitus les uns par rapport aux autres. Il arrive en effet qu'un habitus opératif, qu'il appelle vertu, soit sous un autre comme c'est le cas de l'art de faire des mors qui est sous l'art d'aller à cheval parce que c'est celui qui doit aller à cheval qui dit à l'artisan comment doit être faite la bride, et ainsi cet art qui commande aux autres est architectonique (de arkê et tekton) c’est-à-dire le principal artisan par rapport à lui-même. Et la même raison vaut pour les autres arts qui font d'autres instruments nécessaires à l'équitation comme les selles et les autres choses du même genre. Postérieurement, l'art d'aller à cheval est sous l'art militaire; dans l'antiquité les soldats n'étaient pas seulement des cavaliers, mais aussi des combattants pour la victoire. De sorte que sous l'art militaire il n'y a pas seulement l'art d'aller à cheval, mais tout art, et toute vertu ordonnée à l'opération guerrière, c'est-a-dire l'art de lancer les flèches, de se servir des frondes et tous les autres arts de ce genre et ainsi de la même façon les autres arts sont ordonnés sous d'autres arts. |
#16. — En deuxième (1094a9), il présente l'ordre des habitus entre eux. Il arrive, en effet, qu'un habitus opératif, qu'il appelle vertu, se trouve sous un autre. Comme l'art qui produit la bride se trouve sous l'art de monter à cheval, parce que celui qui doit monter prescrit à l'artisan de quelle manière produire la bride. Et ainsi est-il architecte, c'est-à-dire artisan principal en regard de l'autre. La même raison vaut aussi pour les autres arts qui produisent d'autres instruments nécessaires pour monter à cheval, par exemple, des selles ou autre chose du genre. L'art équestre, cependant, est ensuite ordonné sous l'art militaire. Anciennement, en effet, on disait soldats non seulement les cavaliers, mais n'importe quel combattant en vue de vaincre. Aussi, sous l'art militaire se trouve contenu non seulement l'art équestre, mais tout art ou vertu ordonné à l'opération guerrière, à savoir, ceux de l'archer, du frondeur, et n'importe quel autre du genre. Et de la même manière, d'autres arts se retrouvent sous d'autres. |
[72721] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 17 Tertio ibi: in omnibus
utique etc., proponit ordinem finium secundum ordinem habituum. Et dicit quod
in omnibus artibus vel virtutibus hoc communiter est verum, quod fines
architectonicarum sunt simpliciter quoad omnes magis desiderabiles, quam
fines artium vel virtutum, quae sunt sub principalibus. Quod probat per hoc,
quod homines persequuntur, id est quaerunt, illa, id est fines
inferiorum artium vel virtutum gratia horum, idest propter fines
superiorum. Litera autem suspensiva est, et sic legenda: quaecumque sunt
talium sub una quadam virtute (...) in omnibus utique architectonicarum fines
et cetera. |
17.- Troisièmement, il propose l'ordre des fins selon l'ordre des habitus. Et il dit que dans tous les arts ou dans toutes les vertus, ceci est communément vrai que les fins des arts ou vertus architectoniques sont simpliciter plus désirables aux yeux de tous que les fins des arts et des vertus qui sont sous les principales. Ce qu'il prouve de cette façon: les hommes poursuivent, c’est-à-dire recherchent celle-là, c'est-à-dire les fins des arts ou des vertus inférieures à cause de celles-ci, c'est-à-dire à cause des fins des arts ou des vertus supérieures. |
#17. — En troisième (1094a14), il propose un ordre des fins en conformité à l'ordre des habitus. Il dit que, dans tous les arts ou vertus, ceci est communément vrai, que les fins des [arts ou vertus] architectes sont simplement, face à tous, plus désirables que les fins des arts ou vertus qui se trouvent sous ces principaux. Il le prouve par ceci, que les hommes poursuivent, c'est-à-dire, cherchent celles-là, c'est-à-dire, les fins des arts ou vertus inférieurs, en vue de celles-ci, c'est-à-dire, à cause des fins des [arts ou vertus] supérieurs. La lettre reste en suspens et doit se lire ainsi: Tous [les arts et vertus] qui portent sur de telles [fins], et se subordonnent à une vertu unique…, en toutes les fins des [arts et vertus] architectes, etc. |
[72722] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 18 Quarto ostendit non differre quantum ad ordinem finium,
utrum finis sit opus vel operatio. Et dicit quod nihil differt, quantum ad
ordinem pertinet, quod fines earum sint operationes, aut aliquod operatum
praeter operationes, sicut apparet in praedictis doctrinis. Nam frenifactivae
finis est operatum frenum; equestris vero, quae est principalior, finis est
operatio scilicet equitatio; e converso autem se habet in medicinali, et in
exercitativa. Nam medicinalis finis est aliquod operatum, idest sanitas.
Exercitativae vero, quae sub ea continetur, finis est operatio idest
exercitium. |
18.- Quatrièmement, il montre que, quant à l'ordre des fins, le fait que la fin soit œuvre (opus) ou opération (operatio) n'implique pas de différence. Il n'y a pas de différence quant à ce qui appartient à l'ordre, que les fins des arts ou des vertus soient des opérations ou quelque chose de fait en plus des opérations comme cela apparaît dans ce qu'on a enseigné plus haut. En effet la fin de l'art de faire des brides est une chose faite: la bride; la fin de l'art d'aller à cheval qui est principale est une opération, c’est-à-dire l’équitation. Dans le cas de la médecine et de l'exercice physique c'est le contraire qui se produit: la fin de l'art médical est une certaine chose faite, à savoir la santé; la fin de l'art de faire des exercices physiques, qui est contenue sous l'art médical, est une opération à savoir l'exercice lui-même. |
#18. — En quatrième (1094a16), il montre qu'il n'y a pas de différence quant à l'ordre des fins, si la fin est une œuvre ou une opération. Il dit qu'il n'y a aucune différence, quant à ce qui concerne l'ordre, à ce que les fins [des arts] soient des opérations ou un résultat à part des opérations, comme il en appert dans l'enseignement qui précède. En effet, la fin de l'art de produire les brides est la bride qui en résulte; mais de l'art équestre, qui lui est principal, la fin est une opération, à savoir, l'équitation. C'est le contraire, cependant, dans l'art médicinal et dans celui de l'exercice. En effet, la fin de l'art médicinal est un résultat, c'est-à-dire, la santé. Mais de l'art de l'exercice, qui est contenu sous lui, la fin est une opération, c'est-à-dire, l'exercice. |
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Lectio
2 |
Leçon 2 : La fin supérieure, la politique |
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Dans
les choses humaines il y a une fin qui est la meilleure, dont la connaissance
est nécessaire et qui appartient à la science qui est la plus importante: la
politique. |
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[72723] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 1 Si itaque est aliquis finis operabilium et cetera. Praemissis his quae
sunt necessaria ad propositum ostendendum, hic accedit philosophus ad
manifestandum propositum, scilicet ad ostendendum ad quid principaliter
respiciat huius scientiae intentio. Et
circa hoc tria facit. Primo ostendit ex praemissis, esse aliquem finem
optimum in rebus humanis. Secundo ostendit, quod necessarium est habere
cognitionem de ipso, ibi, igitur ad vitam et cetera. Tertio ostendit ad quam
scientiam pertineat eius cognitio ibi. Videbitur autem utique
principalissimae et cetera. Circa primum utitur triplici ratione. Quarum
principalis talis est. Quicumque finis est talis quod alia volumus propter
illum et ipsum volumus propter se ipsum et non aliquid aliud, iste finis non
solum est bonus, sed etiam est optimus, et hoc apparet ex hoc quod semper
finis cuius gratia alii fines quaeruntur est principalior, ut ex supra dictis
patet; sed necesse est esse aliquem talem finem. Ergo in rebus humanis est
aliquis finis bonus et optimus. |
19.- Après avoir donné ce qui était nécessaire pour établir ce qu’il voulait proposer, ici Aristote en vient à nous manifester son propos, c’est-à-dire à nous montrer qu'est-ce que cette science-ci a principalement l’intention de nous dire. A ce sujet, il fera trois choses: premièrement, il montre à partir de ce qu'il a déjà dit, qu'il y a dans les choses humaines une fin qui est la meilleure; Deuxièmement, qu'il est nécessaire d'avoir une connaissance de cette fin; (n° 23-24) ; Troisièmement, il nous montre à quelle science ressortit la connaissance de cette fin (n° 25 à 3l) ; Pour prouver son premièrement il emploiera trois raisons: la principale est ainsi exposée: toute fin qui est telle que pour elle nous voulons les autres biens alors qu'elle-même nous la voulons pour elle-même et non pour quelque chose d’autre, cette fin, non seulement est bonne, mais elle est la meilleure. Et cela apparaît du fait que la fin pour laquelle d'autres fins sont recherchées est plus importante, comme on lia démontré auparavant. Mais dans les choses humaines, il est nécessaire qu'il y ait une telle fin. Donc dans les choses humaines il y a une fin qui est bonne et aussi la meilleure. |
#19. — Une fois avancées ces [considérations], qui sont nécessaires en vue de montrer son propos, le Philosophe accède ici à manifester son propos, à savoir à montrer ce qui principalement regarde l'intention de cette science. Et à ce sujet, il fait trois [considérations]. En premier, il montre à partir de ce qui précède qu'il existe une fin la meilleure dans les choses humaines. En second, il montre qu'il est nécessaire d'en avoir connaissance (1094a22). En troisième, il montre à quelle science appartient sa connaissance (1094a26). Pour la première [considération], il use d'une triple raison. Et la principale d'entre elles est comme suit. N'importe quelle fin qui est telle que nous voulons les autres [fins] en vue d'elle, et que nous la voulons, elle, pour elle-même et non à cause d'une autre [fin], cette fin non seulement est bonne, mais elle est la meilleure. Et cela appert de ce que toujours la fin en vue de laquelle d'autres fins sont recherchées est principale, comme c'est évident à partir de ce qui précède. Or dans les choses humaines il est nécessaire qu'il existe une telle fin. Donc il y a dans les choses humaines une fin bonne et la meilleure. 5 |
[72724] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 2 Minorem probat secunda ratione ducente ad impossibile,
quae talis est. Manifestum est ex praemissis quod unus finis propter alium
desideratur. Aut ergo est devenire ad aliquem finem, qui non desideratur
propter alium, aut non. Si sic, habetur propositum. Si autem non est invenire
aliquem talem finem, consequens est quod omnis finis desideretur propter
alium finem. Et sic oportet procedere in infinitum. Sed hoc est impossibile,
quod procedatur in finibus in infinitum: ergo necesse est esse aliquem finem
qui non sit propter alium finem desideratus. |
20.- Il prouve la mineure par un argument qui conduit à l'impossible, le voici: il est manifeste, après ce qu'on a déjà dit qu’une fin est désirée pour une autre; donc, ou on parvient à une fin qui n'est pas désirée pour un autre ou on n’y parvient pas. Si on y parvient la mineure est prouvée, Si on ne trouve pas une telle fin, il s'en suit que toute fin est désirée pour une autre fin. Et de cette façon on devrait procéder à l'infini; mais il est impossible de procéder à l’infini dans les fins; donc il est nécessaire qu'il y ait une fin qui n'est pas désirée pour une autre. |
#20. — Il prouve la mineure par un raisonnement conduisant à l'impossible, qui procède comme suit. Il est manifeste, à partir de ce qui précède, qu'une fin est désirée en vue d'une autre. Ou bien, donc, on peut parvenir à une fin qui n'est pas désirée en vue d'une autre, ou bien non. Si oui, on tiendra le propos. Mais si on ne peut parvenir à une telle fin, il s'ensuit que toute fin sera désirée en vue d'une autre fin. Et ainsi faut-il aller, à l'infini. Mais cela est impossible, que l'on aille de fin en fin à l'infini: donc, il y a nécessairement une fin qui ne soit pas désirée en vue d'une autre fin. |
[72725] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 2 n. 3 Quod autem sit impossibile in finibus
procedere in infinitum, probat tertia ratione quae est etiam ducens ad
impossibile, hoc modo. Si procedatur in infinitum in desiderio finium, ut
scilicet semper unus finis desideretur propter alium in infinitum, nunquam
erit devenire ad hoc quod homo consequatur fines desideratos. Sed frustra et vane aliquis desiderat id quod non
potest assequi; ergo desiderium finis esset frustra et vanum. Sed hoc
desiderium est naturale: dictum enim est supra quod bonum est, quod
naturaliter omnia desiderant; ergo sequetur quod naturale desiderium sit
inane et vacuum. Sed hoc est impossibile. Quia naturale desiderium nihil
aliud est quam inclinatio inhaerens rebus ex ordinatione primi moventis, quae
non potest esse supervacua; ergo impossibile est quod in finibus procedatur
in infinitum. |
21. Qu’il soit impossible de procéder à l'infini dans les fins, on le prouve aussi par une raison qui conduit à l'impossible, de cette façon-ci: si on procède à l'infini dans le désir des fins, de sorte que toujours une fin soit désirée pour une autre à l’infini, jamais on ne pourra parvenir à ce que l’homme atteigne les fins désirées. Mais il serait futile et vain que quelqu'un désire ce qu1il ne peut pas obtenir; donc le désir d'une fin serait futile et vain. Mais par contre ce désir est naturel: on a dit plus haut en effet que le bien est ce que naturellement toute chose désire. Donc il s'ensuit que le désir naturel soit insensé (insane) et vide (vacum). Mais ceci est impossible parce que le désir naturel n'est rien d'autre chose que l'inclination inhérente aux choses de par l’ordination du premier mouvant qui ne peut pas faire des choses en vain (frustrari). Il est donc impossible qu'on procède à l'infini dans les fins. |
#21. — Que par ailleurs il soit impossible d'aller de fin en fin à l'infini, cela aussi se prouve par un raisonnement qui conduit à l'impossible, de la manière suivante. Si on va à l'infini dans le désir des fins, de sorte que toujours une fin soit désirée en vue d'une autre, à l'infini, jamais on ne pourra parvenir à ce que l'homme atteigne les fins désirées. Or c'est inutilement et en vain que quelqu'un désire ce qu'il ne peut atteindre; la fin des désirs serait donc inutile et vaine. Or ce désir est naturel: on a dit plus haut, en effet, que le bien est ce que toutes [choses] désirent naturellement. Il s'ensuit donc qu'un désir naturel serait vain et vide. Mais cela est impossible. Parce que le désir naturel n'est rien d'autre qu'une inclination inhérente aux choses de par l'ordination du premier moteur, qui ne peut décevoir. Il est donc impossible que l'on aille à l'infini de fin en fin. |
[72726] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 4 Et sic necesse est esse aliquem ultimum finem propter
quem omnia alia desiderantur et ipse non desideratur propter alia. Et ita
necesse est esse aliquem optimum finem rerum humanarum. |
22.- Et ainsi il devient nécessaire qu'il y ait une certaine fin ultime pour laquelle toutes les autres choses sont désirées et qui elle-même n’est pas désirée pour autre chose. Et de même aussi il est nécessaire qu'il y ait une fin ultime des choses humaines. |
#22. — Ainsi, il existe nécessairement une fin ultime en vue de laquelle toutes autres [choses] sont désirées et qui elle-même n'est pas désirée en vue d'autres. Ainsi encore, il existe nécessairement une fin la meilleure pour les choses humaines. |
[72727] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 5 Deinde cum dicit: igitur ad vitam etc., ostendit quod
huius finis cognitio, est homini necessaria. Et circa hoc duo facit. Primo
ostendit, quod necessarium est homini cognoscere talem finem. Secundo
ostendit quid de eo cognoscere oporteat, ibi, si autem sic, tentandum est, et
cetera. Concludit ergo primo ex dictis, quod ex quo est aliquis optimus finis
rerum humanarum, cognitio eius, habet magnum incrementum ad vitam,
idest multum auxilium confert ad totam vitam humanam. Quod quidem apparet
tali ratione. Nihil quod in alterum dirigitur potest homo recte assequi nisi
cognoscat illud ad quod dirigendum est. Et hoc apparet per exemplum
sagittatoris, qui directe emittit sagittam, attendens ad signum ad quod eam
dirigit. Sed tota humana vita oportet quod ordinetur in ultimum et optimum
finem humanae vitae; ergo ad rectitudinem humanae vitae necesse est habere
cognitionem de ultimo et optimo fine humanae vitae. Et huius ratio est, quia
semper ratio eorum quae sunt ad finem, sumenda est ab ipso fine, ut etiam in
secundo physicorum probatur. |
23.- Ensuite il montre que la connaissance de cette fin est nécessaire à l'homme. Ceci comprend deux parties. Premièrement, il montre qu'il est nécessaire que l'homme connaisse une telle fin; deuxièmement, il montre ce qu1il faut connaître de cette fin. Il conclut donc à partir de ce qui a déjà été dit que la connaissance de cette fin est nécessaire à l'homme, du fait qu’il existe une fin des choses humaines qui soit la meilleure, parce qu1elle a une grande importance (incrementum) dans la vie, c’est-à-dire qu'elle est d'un grand secours pour toute la vie humaine. Ce qui est rendu apparent par une telle raison: rien de ce qui est dirigé vers autre chose ne peut être directement- poursuivi par l'homme à moins que celui-ci ne connaisse cette chose vers laquelle l'autre chose doit être dirigée. Et ceci est rendu plus évident par l'exemple de l'archer qui lance directement la flèche en regardant la cible vers laquelle il lance la flèche. Mais toute la vie humaine doit être ordonnée à la fin ultime et la meilleure de la vie humaine; il est donc nécessaire d'avoir la connaissance de cette fin de la vie humaine, fin qui est ultime et la meilleure. Et la raison en est que toujours la raison des choses qui sont pour une fin doit être prise à partir de la fin elle-même, comme cela été prouvé au deuxième livre des Physiques. |
#23. — Ensuite (1094a22), il montre que la connaissance de cette fin est nécessaire à l'homme. Et à ce propos, il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il est nécessaire à l'homme de connaître une telle fin. En second, il montre ce qu'il faut connaître d'elle (1094a25). Il conclut donc en premier, [partant] de ce qu'il a dit, que, étant donné qu'il existe une fin la meilleure pour les choses humaines, sa connaissance est nécessaire à l'homme, parce que cela comporte un grand apport pour la vie, c'est-à-dire apporte beaucoup d'aide à toute la vie humaine. Et cela, bien sûr, devient évident dans un raisonnement comme le suivant. L'homme ne peut atteindre directement rien de ce qui est dirigé à autre chose sans connaître ce à quoi il est à diriger. Et cela devient évident par l'exemple de l'archer, qui envoie directement sa flèche en visant à la cible vers laquelle il la dirige. Or il faut que toute la vie humaine soit ordonnée à la fin la meilleure et ultime de la vie humaine. Il faut donc nécessairement avoir connaissance de la fin ultime et la meilleure de la vie humaine. La raison en est que toujours la raison de ce qui est en vue de la fin doit être tirée de la fin elle-même, comme cela est prouvé aussi au second [livre] de la Physique (200a19). |
[72728] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 6 Deinde cum dicit: si autem sic etc., ostendit quid
circa istum finem sit cognoscendum. Et dicit quod ex quo sic est, quod
cognitio optimi finis necessaria est ad vitam humanam: oportet accipere quis
sit iste optimus finis et ad quam scientiam speculativam vel practicam
pertineat eius consideratio. Per disciplinas enim intelligit scientias
speculativas, per virtutes autem scientias practicas, quia sunt aliquarum
operationum principia. Dicit autem quod tentandum est de his determinare ad
insinuandum difficultatem, quae est in accipiendo ultimum finem in humana
vita sicut et in considerando omnes causas altissimas. Dicit autem quod
oportet illud accipere figuraliter, id est verisimiliter, quia talis
modus accipiendi convenit rebus humanis, ut infra dicetur. Horum autem
duorum, primum quidem pertinet ad tractatum huius scientiae, quia talis
consideratio est circa rem de qua haec scientia considerat. Sed secundum
pertinet ad prooemium: in quo manifestatur intentio huius doctrinae. |
24.- Ensuite il montre ce que l'on doit connaître de cette fin. Et il dit que du fait qu'il en est ainsi, que la connaissance de la meilleure fin est nécessaire à la vie humaine, il faut trouver quelle est cette fin la meilleure, à quelle science spéculative ou pratique il appartient d'en parler. Par disciplines, il entend les sciences spéculatives, par vertus, les sciences pratiques, parce qu'elles sont les principes de certaines opérations. Mais il dit qu'on doit « tenter » de déterminer cette fin, pour insinuer la difficulté que l'on rencontre dans la recherche de la fin ultime dans la vie humaine: comme c'est d'ailleurs le cas pour toutes les causes les plus hautes (altissimas). Il dit donc qu'il faudra la rechercher par des exemples, par des probabilités, parce que ce mode de recherches convient aux choses humaines, comme on le dira plus bas. De ces deux choses, la première (quelle est cette fin la meilleure) appartient au traité (tractatum) lui-même de cette science parce qu'une telle considération porte précisément sur la chose que considèrera cette science. Mais la deuxième (à quelle science- il appartient d'en parler) appartient à l'introduction de cette doctrine. |
#24. — Ensuite (1094a25), il montre qu'est-ce qu'il y a à connaître sur cette fin. Il dit alors que, étant donné qu'il en est ainsi, que la connaissance de la fin la meilleure est nécessaire à la vie humaine, il faut appréhender quelle est cette fin la meilleure, et à quelle science spéculative ou pratique appartient sa considération. Il entend, en effet, par disciplines les sciences spéculatives et par vertus les sciences pratiques, car elles sont principes d'opérations. Mais il dit que l'on doit tenter de déterminer, pour insinuer la difficulté qu'il y a à appréhender la fin ultime dans la vie humaine, comme [c'est le cas] en considérant toutes les causes les plus hautes. Il dit encore qu'on doit l'appréhender en la figurant, c'est-à-dire avec vraisemblance, car c'est un tel mode d'appréhension qui convient aux choses humaines, comme on le dira plus loin (1098a20). De ces deux [points], toutefois, le premier appartient bien sûr au traité de cette science, car une telle considération porte sur la chose que cette science considère. Mais le second appartient au prologue dans lequel on manifeste l'intention de cette science. |
[72729] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 7 Et ideo statim consequenter cum dicit: videbitur autem
utique etc., ostendit ad quam scientiam pertineat huius finis consideratio.
Et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem ad propositum ostendendum.
Secundo probat quiddam quod supposuerat, ibi: quas enim esse est debitum et
cetera. Primo ergo ponit rationem ad propositum, quae talis est. Optimus
finis pertinet ad principalissimam scientiam, et maxime architectonicam. Et
hoc patet ex his, quae supra praemissa sunt. Dictum est enim quod sub scientia
vel arte quae est de fine continentur illae quae sunt circa ea quae sunt ad
finem. Et sic oportet quod ultimus finis pertineat ad scientiam
principalissimam, tamquam de principalissimo fine existentem, et maxime
architectonicae, tamquam praecipienti aliis quid oporteat facere. Sed civilis
scientia videtur esse talis, scilicet principalissima, et maxime
architectonica. Ergo ad eam pertinet considerare optimum finem. |
25.- C'est pourquoi tout de suite il montre à quelle science appartient la considération de la fin. A ce sujet il fait deux choses ; premièrement il donne la raison pour montrer la proposition à expliquer; deuxièmement, il prouve certaines choses qu'il avait supposées. Il donne donc la raison pour montrer la proposition: la meilleure fin appartient à la science la plus importante et la plus architectonique. Et ceci est évident de par ce qui a été dit auparavant. On a dit en effet que sous la science ou l'art qui traite de la fin étaient contenues toutes les choses qui portent sur ce qui est pour une fin. Et ainsi il faut que la fin ultime appartienne à la science la plus importante, tant parce que cette science existe pour parler de la fin première et la plus importante, et que cette science est la plus architectonique, parce que cette science commande aux autres ce qu'il faut faire. Mais la science civile (civilis) semble être telle, c’est-à-dire la plus importante es la plus architectonique; donc c'est à elle qu'il appartient de parler de la meilleure fin. |
#25. — C'est pourquoi, tout de suite après (1094a26), il montre à quelle science appartient la considération de cette fin. Et sur cela, il fait deux [considérations]. En premier il amène un raisonnement pour montrer son propos. En second, il prouve quelque chose qu'il avait supposé (1094b1). En premier donc, il amène un raisonnement en vue de son propos, et c'est le suivant. La fin la meilleure appartient à la science principalissime et la plus architectonique. Cela est évident de par 6 ce qui précède. On a dit en effet que sous la science ou l'art qui porte sur la fin sont contenus tous les [arts et sciences] qui portent sur ce qui est en vue de la fin. Ainsi faut-il que la fin ultime appartienne à la science principalissime en tant qu'elle vise la fin première et principalissime, et la plus architectonique, pour autant qu'elle prescrit aux autres ce qu'il [leur] faut faire. Or la science civile est manifestement telle, à savoir principalissime, et la plus architectonique. Donc c'est à elle qu'il appartient de considérer la fin la meilleure. |
[72730] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 8 Deinde cum dicit: quas enim esse etc., probat quod
supposuerat; scilicet quod civilis sit talis. Et primo probat quod sit maxime
architectonica. Secundo quod sit principalissima, ibi: si enim et idem est
uni et cetera. Circa primum duo facit. Primo attribuit politicae, sive civili, ea
quae pertinent ad scientiam architectonicam. Secundo
ex his concludit propositum, ibi, utente autem hac et cetera. Duo autem
pertinent ad scientiam architectonicam, quorum unum est, quod ipsa praecipit
scientiae vel arti quae est sub ipsa quid debeat operari, sicut equestris
praecipit frenifactivae. Aliud autem est, quod utitur ea ad suum finem.
Primum autem horum convenit politicae, vel civili, tam respectu
speculativarum scientiarum, quam respectu practicarum; aliter tamen et
aliter. Nam practicae scientiae praecipit politica, et quantum ad usum eius
ut scilicet operetur vel non operetur, et quantum ad determinationem actus.
Praecipit enim fabro non solum quod utatur sua arte, sed etiam quod sic
utatur, tales cultellos faciens. Utrumque enim est ordinatum ad finem humanae
vitae. |
26.- Ensuite il prouve ce qu'il a supposé, à savoir que la science civile soit bien telle. Et tout d'abord, il prouve qu'elle est la plus architectonique, puisqu'elle est la plus importante. Quant au premièrement, il fera deux choses: d'abord il attribue à la politique ou à la science civile, ce qui appartient à la science architectonique; ensuite, à partir de là, il conclut tel qu'il l'avait dit. Deux caractéristiques en effet appartiennent à la science architectonique: la première est que c'est elle-même qui commande à la science ou à l'art qui est sous elle ce que cette dernière doit faire, comme l’art de l'équitation commande à l'art de faire des brides. La deuxième est que la science architectonique emploie les autres sciences pour sa propre fin. La première de ces caractéristiques convient a la science politique ou civile tant par rapport aux sciences spéculatives que par rapport aux sciences pratiques; d'une façon différente toutefois pour l'une et pour l'autre. En effet la politique commande à la science pratique et ce qui regarde son usage, à savoir si elle doit opérer ou si elle ne doit pas opérer, et ce qui regarde la détermination de son acte. Elle commande à l'artisan non seulement de se servir de son art mais aussi de s'en servir de telle façon en faisant telle sorte de couteaux par exemple; l'un et l'autre en effet est ordonné à la fin de la vie humaine. |
#26. — Ensuite (1094b1), il prouve ce qu'il avait supposé, à savoir que la [science] civile soit telle. Et en premier il prouve qu'elle soit la plus architectonique. En second, qu'elle est principalissime (1094b8). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier il attribue à la politique, c’est-à-dire à la [science] civile, les [propriétés] qui appartiennent à la science architectonique. En second, il conclut son propos en partant de cela (1094b4). Or deux [propriétés] appartiennent à la [science] architectonique. L'un en est qu'elle prescrit elle-même à la science ou à l'art qui est sous elle ce qu'il doit opérer, comme l'[art] équestre prescrit à [celui de] fabriquer les brides. L'autre, ensuite, est qu'il en use à sa fin. Or la première de ces [propriétés] convient à la politique, ou civile, tant en regard des sciences spéculatives qu'en respect des pratiques; mais d'une façon et d'une autre. En effet, la politique commande à la science pratique à la fois quant à son usage, à savoir qu'elle opère ou n'opère pas, et quant à la détermination de son acte. Elle prescrit en effet à l'ouvrier non seulement qu'il use de son art, mais aussi qu'il en use de telle manière, en faisant des couteaux tels. L'un et l'autre, en effet, est ordonné à la fin de la vie humaine. |
[72731] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 2 n. 9 Sed scientiae speculativae praecipit civilis
solum quantum ad usum, non autem quantum ad determinationem operis; ordinat
enim politica, quod aliqui doceant vel addiscant geometriam. Huiusmodi enim
actus inquantum sunt voluntarii pertinent ad materiam moralem et sunt
ordinabiles ad finem humanae vitae. Non
autem praecipit politicus geometrae quid de triangulo concludat, hoc enim non
subiacet humanae voluntati, nec est ordinabile humanae vitae, sed dependet ex
ipsa rerum ratione. Et ideo dicit, quod politica praeordinat quas
disciplinarum debitum est esse in civitatibus, scilicet tam practicarum quam
speculativarum, et quis quam debeat addiscere, et usque ad quod tempus. |
27.- Mais par contre la science civile ne commande à la science spéculative que ce qui regarde son usage, et non pas ce qui regarde la détermination de son œuvre. La politique ordonne en effet que certains enseignent ou apprennent la géométrie. De tels actes en tant qu'ils sont volontaires appartiennent à la matière de la science morale et sont ordonnables à la fin de la vie humaine. Le politicien toutefois ne peut dire à l'avance au géomètre qu'est-ce qu'il y a à conclure sur le triangle: ceci en effet n'est pas soumis à la volonté humaine ni n'est ordonnable à la vie humaine mais dépend exclusivement de la nature même des choses. Et c'est pourquoi il dit que la politique détermine quelles sont les disciplines qui doivent exister dans la cité, à savoir tant les pratiques que les spéculatives quelles personnes doivent les apprendre et jusqu'à quel temps les personnes doivent les apprendre. |
#27. — Mais la civile commande à la science spéculative seulement quant à son usage, non toutefois quant à la détermination de son œuvre. En effet, la politique ordonne que certains enseignent ou apprennent la géométrie. Des actes de cette sorte, en effet, en tant qu'ils sont volontaires, appartiennent à la matière morale, et sont ordonnables à la fin de la vie humaine. Mais le politique ne commande pas à la géométrie quoi conclure concernant le triangle: cela en effet n'est pas soumis à la volonté humaine, ni n'est ordonnable à la vie humaine, mais dépend de la nature même des choses. C'est pourquoi aussi il dit que la politique préordonne lesquelles des disciplines il convient d'avoir dans les cités, à savoir tant pratiques que spéculatives, et qui doit les apprendre, et jusqu'à quel temps. |
[72732] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2
n. 10 Alia autem proprietas
scientiae architectonicae, scilicet uti inferioribus scientiis, pertinet ad
politicam, solum respectu practicarum scientiarum; unde subdit quod pretiosissimas,
idest nobilissimas virtutum idest artium operativarum videmus esse sub
politica, scilicet militarem, et oeconomicam et rhetoricam, quibus omnibus
utitur politica ad suum finem, scilicet ad bonum commune civitatis. |
28.- L'autre propriété de la science architectonique, à savoir employer les sciences inférieures, appartient aussi à la politique mais seulement par rapport aux sciences pratiques; d'où il infère que les vertus, c’est-à-dire les arts opératifs les plus précieux et les plus nobles, semblent être ceux qui sont sous la politique, à savoir l'art militaire, l'économique et la rhétorique que la politique emploie tous pour sa fin propre, c’est-à-dire le bien commun de la cité. |
#28. - L'autre propriété, par ailleurs, de la science architectonique, à savoir d'user des sciences inférieures, appartient à la politique seulement en regard des sciences pratiques; aussi ajoute-t-il que nous voyons les plus précieuses, c'est-à-dire les plus nobles des vertus, c'est-à-dire des arts opératifs, se trouver sous la politique, à savoir la [science] militaire, l'économique et la rhétorique, dont la politique se sert toutes en vue de sa fin, c'est-à-dire pour le bien commun de la cité. |
[72733] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 11 Deinde cum dicit: utente autem hac etc., ex praemissis
duobus concludit propositum. Et dicit quod, cum politica, quae practica est,
utatur reliquis practicis disciplinis, sicut secundo dictum est, et cum ipsa
legemponat quid oporteat operari et a quibus abstinere, ut primo dictum est,
consequens est quod finis huius tamquam architectonicae complectitur,
idest sub se continet fines aliarum scientiarum practicarum. Unde concludit
quod hic, scilicet finis politicae, est humanum bonum, id est optimum
in rebus humanis. |
29.- Ensuite à partir de ce qu'il a établi, il conclut tel qu’il avait proposé. Voici ce qu'il dit: comme la politique emploie toutes les autres disciplines pratiques comme on l'a dit plus haut; et comme c'est elle-même qui pose la loi qui dit qu'est-ce qu'il faut faire et de quelles choses il faut s'abstenir, comme on l'a dit plus haut; il s'ensuit que la fin de la politique en tant qu'architectonique, embrasse, c’est-à-dire contient sous la sienne propre, les fins des autres sciences pratiques. D'où il conclut que la fin de la politique est un bien humain, à savoir le meilleur parmi les choses humaines. |
#29. — Ensuite (1094b4), il conclut son propos à partir des deux [considérations] précédentes. Voici ce qu'il dit. Comme la politique use des autres disciplines pratiques, comme on l'a dit plus haut; et comme elle-même institue la loi [qui impose] ce qu'il faut faire et de quoi [il faut] s'abstenir, comme il a été dit auparavant; il s'ensuit que l'on conçoit sa fin comme [celle d'une science] architectonique, c'est-à-dire qu'elle contient les fins des autres sciences pratiques. De là il conclut que la fin de la politique est le bien humain, c'est-à-dire le meilleur dans les choses humaines. |
[72734] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2
n. 12 Deinde cum dicit: si enim
et idem est etc., ostendit quod politica sit principalissima, ex ipsa ratione
proprii finis. Manifestum est enim quod unaquaeque causa tanto potior est
quanto ad plura effectus eius se extendit. Unde et bonum, quod habet rationem
causae finalis, tanto potius est quanto ad plura se extendit. Et ideo, si
idem est bonum uni homini et toti civitati: multo videtur maius et perfectius
suscipere, id est procurare, et salvare, id est conservare, illud quod
est bonum totius civitatis, quam id quod est bonum unius hominis. Pertinet
quidem enim ad amorem qui debet esse inter homines quod homo quaerat et
conservet bonum etiam uni soli homini, sed multo melius est et divinius quod
hoc exhibeatur toti genti et civitatibus. Vel aliter: amabile quidem est quod
hoc exhibeatur uni soli civitati, sed multo divinius est, quod hoc exhibeatur
toti genti, in qua multae civitates continentur. Dicit autem hoc esse divinius,
eo quod magis pertinet ad Dei similitudinem, qui est universalis causa omnium
bonorum. Hoc autem bonum, scilicet quod est commune uni vel civitatibus
pluribus, intendit methodus quaedam, id est ars, quae vocatur civilis.
Unde ad
ipsam maxime pertinet considerare ultimum finem humanae vitae: tamquam ad
principalissimam. |
30.- Ensuite il montre que la politique est la plus importante; et cela en raison même de sa fin propre. Il est en effet manifeste qu'une cause quelconque est d'autant plus importante et plus puissante qu'elle s'étend à plus de choses. D'où le bien lui-même qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu'il s'étend à plus de choses. Et c'est pourquoi s'il y a un même bien pour un seul homme et pour toute la cité, il semble qu'il soit plus grand et plus parfait de promouvoir et de conserver (salvare) ce qui est le bien de toute la cité que ce qui est le bien d'un seul homme. Le politicien toutefois ne peut dire à l'avance au géomètre qu'est-ce qu'il y a à conclure sur le triangle: ceci en effet n'est pas soumis à la volonté humaine ni n'est ordonnable à la vie humaine mais dépend exclusivement de la nature même des choses. Et c'est pourquoi il dit que la politique détermine quelles sont les disciplines qui doivent exister dans la cité, à savoir tant les pratiques que les spéculatives quelles personnes doivent les apprendre et jusqu’à quel temps les personnes doivent les apprendre. |
#30. — Ensuite (1094b8), il montre que la politique est principalissime, de par la raison même de sa fin propre. Il est manifeste, en effet, que toute cause est d'autant plus première et puissante qu'elle s'étend à plus [de choses]. De là aussi, le bien qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu'il s'étend à plus [d'effets]. C'est pourquoi aussi, si la même [chose] est bonne pour un homme seul et pour toute la cité, il sera manifestement beaucoup plus grand et plus parfait de susciter, c'est-à-dire de fournir et de sauvegarder ce qui est le bien de toute la cité que ce qui est le bien d'un seul homme. Il appartient certes à l'amour qui doit exister parmi les hommes qu'on préserve même le bien d'un seul homme. Mais il est bien mieux et plus divin d'avoir cette attitude envers toute la nation, laquelle contient de nombreuses cités. On dit par ailleurs que cela est plus divin en ce que cela appartient plus à la ressemblance de Dieu, qui est la cause ultime de tous les 7 biens. Or c'est ce bien, à savoir celui qui est commun à une ou plusieurs cités, que vise la méthode, c'est-à-dire l'art, qu'on appelle civile. Aussi lui appartient-il suprêmement, en tant que principalissime, de considérer la fin ultime de la vie humaine. |
[72735] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 13 Sciendum est autem, quod politicam dicit esse
principalissimam, non simpliciter, sed in genere activarum scientiarum, quae
sunt circa res humanas, quarum ultimum finem politica considerat. Nam ultimum
finem totius universi considerat scientia divina, quae est respectu omnium
principalissima. Dicit autem ad politicam pertinere considerationem ultimi
finis humanae vitae; de quo tamen in hoc libro determinat, quia doctrina
huius libri continet prima elementa scientiae politicae. |
28.- L'autre propriété de la science architectonique, à savoir employer les sciences inférieures, appartient aussi à la politique mais seulement par rapport aux sciences pratiques; d'où il infère que les vertus, c’est-à-dire les arts opératifs les plus précieux et les plus nobles, semblent être ceux qui sont sous la politique, à savoir l'art militaire, l'économique et la rhétorique que la politique emploie tous pour sa fin propre, c’est-à-dire le bien commun de la cité. |
#31. — On doit savoir, par ailleurs, qu'il dit la politique principalissime non pas simplement, mais dans le genre des sciences actives, qui portent sur les choses humaines, dont la politique considère la fin ultime. Car c'est la science divine qui considère la fin ultime de tout l'univers et c'est elle qui est principalissime en regard de toutes [choses]. Il dit toutefois que la considération de la fin ultime de la vie humaine appartient à la politique; et c'est d'elle pourtant qu'il détermine dans ce livre-ci, car l'enseignement de ce livre contient les premiers éléments de la science politique. |
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29.- Ensuite à partir de ce qu'il a établi, il conclut tel qu'il avait proposé. Voici ce qu’il dit: comme la politique emploie toutes les autres disciplines pratiques comme on l'a dit plus haut; et comme c'est elle-même qui pose la loi qui dit qu'est-ce qu'il faut faire et de quelles choses il faut s'abstenir, comme on l'a dit plus haut; il s'ensuit que la fin de la politique en tant qu'architectonique, embrasse, c’est-à-dire contient sous la sienne propre, les fins des autres sciences pratiques. D'où il conclut que la fin de la politique est un bien humain, à savoir le meilleur parmi les choses humaines. |
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30.- Ensuite il montre que la politique est la plus importante; et cela en raison même de sa fin propre. Il est en effet manifeste qu'une cause quelconque est d'autant plus importante et plus puissante qu'elle s'étend à plus de choses. D'où le bien lui-même qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu’il s’étend à plus de choses. Et c'est pourquoi s'il y a un même bien pour un seul homme et pour toute la cité, il semble qu'il soit plus grand et plus parfait de promouvoir et de conserver (salvare) ce qui est le bien de toute la cité que ce qui est le bien d’un seul homme. Il appartient en effet à l'amour qui doit exister entre les hommes, de faire en sorte que l'homme conserve le bien même d'un seul homme. Mais il est beaucoup mieux et plus divin que ceci soit accompli (exhibeatur) pour toute une « gens » ou toutes les cités. Parfois, il est aimable que ceci soit accompli pour une seule cité, mais il est beaucoup plus divin que ceci soit accompli pour toute une « gens » dans laquelle plusieurs cités sont contenues. Il dit que ceci est plus divin parce que cela appartient plus à la similitude de Dieu qui est la cause ultime de tous les biens. Ce bien, à savoir celui qui est commun à une ou à plusieurs cités est poursuivi par une méthode (methodus) c’est-à-dire un certain art, qui s'appelle civile. D'où il appartient principalement (maxime) à cette méthode elle-même de considérer la fin ultime de la vie humaine; et ceci lui appartient comme à la discipline ou à l'art le plus important. |
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31.- On doit enfin savoir que la politique est dite être la science la plus importante non pas absolument, mais seulement dans le genre des sciences actives qui portent sur les choses humaines parmi lesquelles la fin ultime est considérée par la politique. En effet la fin ultime de tout l'univers est considérée par la science divine qui est la plus importante de toutes les sciences. Il dit qu'il appartient à la politique de considérer la fin ultime de la vie humaine. Il faut toutefois remarquer, que s'il considère cette fin ultime dans ce livre-ci, c'est que la doctrine de ce livre-ci contient les premiers éléments de la science politique. |
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Lectio 3 |
Leçon 3 : [A qui s’adresse l’éthique ?]
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Leçon 3 |
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QUELLES DOIVENT ETRE LES QUALITES DU DISCIPLE ET DU MAITRE DE CETTE SCIENCE: NI LE JEUNE HOMME, NI L'ESCLAVE DES PASSIONS (DU MOINS CELUI QUI EST VAINCU PAR SES PASSIONS) NE SONT DES AUDITEURS APTES A RECEVOIR CETTE DOCTRINE. |
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[72736] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 1 Dicetur autem utique sufficienter et cetera. Postquam
philosophus ostendit quid sit bonum, quod principaliter intenditur in hac
scientia, hic determinat modum huic scientiae convenientem. Et primo ex parte
doctoris; secundo ex parte auditoris, ibi: eodem utique modo et cetera. Circa
primum ponit talem rationem. Modus manifestandi veritatem in qualibet
scientia, debet esse conveniens ei quod subiicitur sicut materia in illa
scientia. Quod quidem manifestat ex hoc, quod certitudo non potest inveniri,
nec est requirenda similiter in omnibus sermonibus, quibus de aliqua re
ratiocinamur. Sicut etiam neque in conditis, id est his quae fiunt per
artem, non est similis modus operandi in omnibus; sed unusquisque artifex
operatur ex materia, secundum modum ei convenientem aliter quidem ex cera
aliter ex luto, aliter ex ferro. Materia autem moralis talis est, quod non
est ei conveniens perfecta certitudo. Et hoc manifestat per duo
genera rerum quae videntur ad materiam moralem pertinere. |
32. Apres que le Philosophe a montré ce qu'est le bien, qui est principalement visé dans cette science, il détermine maintenant le mode, la méthode qui convient à cette science. Tout d'abord, du côté du maître; en second, du côté du disciple. Du côté du maître, il donne la raison suivante. La méthode de manifester la vérité dans toute science doit être appropriée à ce qui est soumis à cette science comme étant sa matière. Ce qu'il manifeste du fait que la certitude ne peut être trouvée ni ne doit être recherchée de la même manière dans tous les discours par lesquels on raisonne sur un sujet donné. Comme d’ailleurs dans les œuvres, c'est-à-dire dans ce que l’art produit, il n'existe pas un même mode d'opérer dans tous les cas; chaque artisan opère à partir de sa matière suivant le mode qui convient à cette matière: à la vérité, il opère de façon différente s'il se sert de la terre, de l'argile ou du fer. Or la matière morale est telle qu'une parfaite certitude ne lui convient pas. Et cela, il le manifeste par deux genres qui semblent appartenir à la matière morale. |
#32. — Le Philosophe, après avoir montré ce qu'est le bien qui est principalement visé dans cette science, détermine maintenant le mode qui convient à cette science. Et en premier de la part de l'enseignant (1094b11). En second [de la part] de l'auditeur (1094b22). Concernant le premier, il amène un raisonnement comme suit. Le mode de manifester la vérité, dans n'importe quelle science, doit convenir à ce qui tient lieu de sujet dans cette science. Il manifeste ensuite cela, certes, du fait que la certitude ne peut se trouver, ni n'est à chercher de manière semblable dans tous les discours où nous raisonnons de quelque chose. De même, il n'y a pas non plus pour les produits, c'est-à-dire pour ce qui résulte de l'art, un mode semblable de [les] opérer tous; chaque artisan, au contraire, opère avec une matière, selon un mode qui lui convient; [il procède] autrement avec de la terre, autrement avec de la boue, autrement avec du fer. Or la matière morale est telle que ne lui convient pas une certitude parfaite. Et il le manifeste pour deux genres [de choses] qui appartiennent manifestement à la matière morale. |
[72737] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 2 Primo namque et
principaliter ad materiam moralem pertinent opera virtuosa, quae vocat hic iusta,
de quibus principaliter intendit civilis scientia. Circa quae non habetur
certa sententia hominum, sed magna differentia est in hoc quod homines de his
iudicant. Et in hoc multiplex error contingit. Nam quaedam sunt quae a
quibusdam reputantur iusta et honesta, a quibusdam autem iniusta et inhonesta,
secundum differentiam temporum et locorum et personarum. Aliquid enim
reputatur vitiosum uno tempore aut in una regione, quod in alio tempore aut
in alia regione non reputatur vitiosum. Et ex ista differentia contingit
quosdam opinari quod nihil esset naturaliter iustum vel honestum, sed solum
secundum legispositionem; de qua quidem opinione ipse plenius aget in V
huius. |
33.- En effet, sont du ressort de la matière morale tout d’abord et principalement les actions vertueuses, appelées ici justes, sur lesquelles porte principalement la science politique. Et à ce sujet, on ne trouve guère une pensée certaine (sûre) chez les hommes, mais au contraire prévaut une notable variété dans les jugements qu'ils portent sur ces questions. Et cela peut donner lieu à de multiples erreurs. Certaines actions qui sont réputées justes et honnêtes par un certain nombre, sont considérées par d'autres comme injustes et malhonnêtes, suivant la différence des temps, des lieux et des personnes, Ce qui est tenu pour vicieux en un certain temps et en une certaine région ne l’est pas en un autre temps et dans une autre région. Et à cause de cette différence, il arrive que certains soutiennent qu’il n’y a rien de naturellement juste ou honnête, mais l'est uniquement de par la positivité de la loi. Nous traiterons plus profondément de cette opinion dans le second livre. |
#33.
— En premier et principalement, c'est à la matière morale qu'appartiennent
les œuvres vertueuses, qu'il appelle ici justes, et que vise principalement
la science civile. Or, à leur sujet, il n'existe pas une pensée certaine chez
les hommes; il existe au contraire une grande différence dans les jugements
que les hommes portent sur elles. Et en cela une multiplicité d'erreurs se
produisent. En effet, certaines [choses] qui sont réputées justes et honnêtes
par certains [sont réputées] injustes et malhonnêtes par d'autres, pour une
différence de temps, de lieux et de personnes. Quelque chose, en effet, est
réputé vicieux en un temps ou en une région qui n'est pas réputé vicieux en
un autre temps ou en une autre région. À cause de cette différence, il arrive
même que certains pensent que rien n'est naturellement juste ou honnête, mais
seulement d'après la loi instituée. Mais il sera plus pleinement question de
cette opinion dans le second [livre] de ce [traité] (#245-254). |
[72738]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 3 Secundo autem ad materiam
moralem pertinent bona exteriora, quibus homo utitur ad finem, et circa ista
etiam bona contingit invenire praedictum errorem, quia non semper eodem modo
se habent in omnibus. Quidam enim per ea
iuvantur, quibusdam vero ex ipsis proveniunt detrimenta. Multi enim homines
occasione suarum divitiarum perierunt, utpote a latronibus interfecti. Quidam
vero occasione suae fortitudinis corporalis, ex cuius fiducia incaute se
periculis exposuerunt. Et sic manifestum est, quod materia moralis est varia
et deformis, non habens omnimodam certitudinem. |
34.- Le second genre qui appartient à la matière morale, ce sont les biens extérieurs dont l'homme se sert pour atteindre sa fin, Et à leur propos, la même erreur que ci-haut mentionnée se répète, parce que ces biens ne jouent pas le même rôle chez tous les hommes. Certains en effet en reçoivent de l'aide tandis que d'autres en ont souffert du dommage. Pour un grand nombre, la richesse a été l'occasion de leur perte. Par exemple, ceux qui ont été tués par des voleurs. Pour un certain nombre, l'occasion de leur perte fut leur force physique en laquelle ils ont eu une confiance qui les fit s'exposer imprudemment aux périls. D'où il appert que la matière morale est variée, multiforme et ne jouit pas d'une certitude absolue. |
#34. — En second ensuite, c'est à la matière morale qu'appartiennent les biens extérieurs dont les hommes usent à leur fin. Or concernant ces biens-là aussi, il arrive qu'on trouve l'erreur dont on a parlé, du fait qu'ils n'entraînent pas toujours les mêmes conséquences chez tous. En effet, certains sont aidés par eux, alors que pour d'autres ce sont des dommages qui en proviennent. En effet, beaucoup d'hommes ont péri à l'occasion de leurs richesses, par exemple tués par des bandits. D'autres encore, à l'occasion de leur force corporelle, par confiance à laquelle ils se sont exposés sans précaution à des dangers. Il en devient manifeste que la matière morale est variée et difforme et ne comporte pas une certitude à tous égards. |
[72739] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 4 Et quia secundum artem demonstrativae scientiae,
oportet principia esse conformia conclusionibus, amabile est et optabile, de
talibus, idest tam variabilibus, tractatum facientes, et ex similibus
procedentes ostendere veritatem, primo quidem grosse idest applicando
universalia principia et simplicia ad singularia et composita, in quibus est
actus. Necessarium
est enim in qualibet operativa scientia ut procedatur modo compositivo, e
contrario autem in scientia speculativa necesse est ut procedatur modo
resolutivo, resolvendo composita in principia simplicia. Deinde oportet
ostendere veritatem figuraliter, idest verisimiliter; et hoc est
procedere ex propriis principiis huius scientiae. Nam scientia moralis est de
actibus voluntariis: voluntatis autem motivum est, non solum bonum, sed
apparens bonum. Tertio oportet ut cum dicturi simus de his quae ut
frequentius accidunt, idest de actibus voluntariis, quos voluntas non ex
necessitate producit, sed forte inclinata magis ad unum quam ad aliud, ut
etiam ex talibus procedamus, ut principia sint conclusionibus conformia. |
35.- Et parce que conformément à l'art de la science de la démonstration, il faut que les principes soient conformes aux conclusions, il est bon et même désirable que ceux qui construisent un traité sur une telle matière, à savoir aussi variable et qui procèdent de principes semblables (aux conclusions), montrent la vérité d'abord en gros c'est-à-dire en appliquant les principes universels et simples aux cas singuliers et complexes dans lesquels se trouve l'action humaine. Il est nécessaire, en effet, que, dans toute science opérative, on procède selon le mode compositif. Au contraire, dans la science spéculative, il faut qu'on procède selon le mode résolutif, en résolvant les composés dans les principes simples. Ensuite, il faut démontrer la vérité par mode d'exemple, c'est-à-dire selon la vraisemblance. Et ceci est procéder à partir des principes propres de cette science. La science morale en effet porte sur les actes volontaires; or, ce qui meut la volonté est non seulement le bien vrai mais aussi le bien apparent. Troisièmement, puisque nous devrons parler de ce qui arrive plus fréquemment, c’est-à-dire des actes volontaires, que la volonté ne pose pas par nécessité, mais où elle incline davantage vers l'un que vers l'autre, il faut que nous partions de principes semblables, afin que ces principes soient conformes aux conclusions. |
#35. — Aussi, puisque selon l'art de la science démonstrative il faut que les principes soient conformes aux conclusions, il est aimable et souhaitable, au sujet de telles [choses], c'est-à-dire si variables, qu'en en faisant le traité, on procède aussi à en montrer la vérité à partir de [principes] similaires, et d'abord certes grossièrement, c'est-à-dire en appliquant des principes universels et simples aux [objets] singuliers et composés où se passe l'acte. Car il est nécessaire, en n'importe quelle science opérative, que l'on procède selon un mode compositif. À l'inverse, cependant, dans une science spéculative il est nécessaire que l'on procède selon un mode résolutif, en résolvant des 8 [objets] composés à des principes simples. Ensuite, il faut montrer leur vérité de manière figurée, c'est-à-dire avec vraisemblance; et c'est cela procéder des principes propres de cette science. En effet la science morale porte sur les actes volontaires; or le motif de la volonté est non seulement le bien, mais le bien apparent. En troisième, comme nous allons parler de [choses] qui n'arrivent que le plus souvent, c'est-à-dire d'actes volontaires, que la volonté ne produit pas par nécessité mais peut-être incline davantage d'un [côté] que de l'autre, il faut que nous procédions aussi de [principes] de même qualité, de façon que les principes soient conformes aux conclusions. |
[72740] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 5 Deinde cum dicit: eodem
utique modo etc., ostendit quod auditorem oportet acceptare in moralibus
praedictum modum determinandi. Et dicit, quod debitum est, quod unusquisque
recipiat unumquodque (eorum) quae sibi ab alio dicuntur eodem modo, id
est secundum quod convenit materiae. Quia ad hominem disciplinatum, idest
bene instructum, pertinet, ut tantum certitudinem quaerat in unaquaque
materia, quantum natura rei patitur. Non enim potest esse tanta certitudo in
materia variabili et contingenti, sicut in materia necessaria, semper eodem
modo se habente. Et ideo auditor bene disciplinatus nec debet maiorem
certitudinem requirere, nec minori esse contentus, quam sit conveniens rei de
qua agitur. Propinquum enim peccatum esse videtur, si aliquis auditor
acceptet aliquem mathematicum persuasionibus rhetoricis utentem, et si
expetat a rhetorico demonstrationes certas, quales debet proferre
mathematicus. Utrumque enim contingit ex hoc, quod non consideratur modus
materiae conveniens. Nam mathematica est circa materiam, in qua invenitur omnimoda
certitudo. Rhetorica autem negotiatur circa materiam civilem, in qua
multiplex variatio accidit. |
36.- Aristote montre que le disciple doit accepter cette manière de procéder dans les choses morales. Il est nécessaire que chacun accepte l'enseignement d'un autre en conformité avec la matière enseignée, car il appartient à l'homme discipliné, c'est-à-dire cultivé de ne pas rechercher dans toute matière plus de certitude que la nature de cette matière peut en offrir. Il ne peut en effet y avoir une certitude aussi forte en une matière variable et contingente qu'il y en a dans une matière nécessaire, gardant toujours son même mode d'être. Et c'est pourquoi, l'auditeur bien discipliné ne doit pas rechercher une certitude plus grande, ni se contenter d'une moindre que celle qui convient à la matière donnée. Il semble qu'il n'y a pas grande différence entre le péché d'accepter un mathématicien qui se sert des persuasions de la rhétorique et le péché d’exiger du rhétoricien des démonstrations certaines que doit fournir le mathématicien. Le double péché provient de ce que l'on n'envisage pas le mode qui convient à une matière donnée; car la mathématique porte sur une matière où l'on trouve la certitude absolue, tandis que la rhétorique s'occupe de la matière civile, où il y a beaucoup de variété, de contingence, de changements. |
#36. — Ensuite (1094b22), il montre qu'il faut que l'auditeur, en [matière] morale, accepte le mode de déterminer dont nous venons de parler. Aussi dit-il qu'il convient que chacun reçoive chaque chose qui lui est dite par un autre «selon le même mode», c'est-à-dire selon qu'il convient à la matière. Car il appartient à l'homme discipliné, c'est-à-dire bien formé, de ne chercher en chaque matière qu'autant de certitude que la nature de la chose en souffre. Il ne peut pas, en effet, y avoir autant de certitude dans une matière variable et contingente que dans une matière nécessaire qui se comporte toujours de la même manière. C'est pourquoi aussi l'auditeur bien discipliné ne doit pas exiger une certitude plus grande, ni se contenter d'une moindre que celle qui convient à la chose dont il est question. Car c'est manifestement une faute proche, d'accepter qu'un mathématicien fasse usage de persuasion rhétorique et d'exiger d'un orateur des démonstrations certaines comme doit en proférer un mathématicien. L'une et l'autre [faute], en effet, provient de ce qu'on ne tient pas compte du mode qui convient à la matière. Car la mathématique porte sur une matière en laquelle on trouve une certitude en tout point, tandis que la rhétorique a affaire à la matière civile, en laquelle se produit une variation multiple. |
[72741] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 6 Deinde cum dicit unusquisque autem iudicat bene etc.,
ostendit qualis debeat esse auditor huius scientiae. Et primo ostendit quis
sit insufficiens auditor. Secundo quis sit inutilis, ibi, amplius autem
passionum et cetera. Tertio ostendit quis sit auditor conveniens, ibi,
secundum rationem autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo praemittit quaedam
quae sunt necessaria ad propositum ostendendum. Et dicit, quod unusquisque non potest habere bonum
iudicium nisi de his quae cognoscit. Et sic ille qui est instructus circa
unum quodlibet genus bene potest iudicare de his quae pertinent ad illud
genus. Sed ille qui est bene instructus circa omnia, potest simpliciter bene
iudicare de omnibus. |
37.- Il montre quel doit être l'auditeur de cette science. En premier, il montre quel est l'auditeur insuffisamment préparé à recevoir cette science; en second, quel est l'auditeur "inutile", vain; en troisième, quel est l'auditeur approprié. A propos de l'auditeur insuffisamment préparé, il fait une double réflexion. Tout d'abord, il donne certains présupposés nécessaires à la démonstration de ce qu'il veut dire. Et il dit qu'un homme ne peut bien juger que de ce qu’il connaît. Ainsi, celui qui est bien renseigné sur une matière peut porter un bon jugement sur ce qui se rattache à cette matière. Mais celui qui a reçu une bonne instruction sur toutes choses, (l'homme cultivé) peut simplement bien se prononcer sur tout. |
#37. — Ensuite (1094b27), il montre quelle qualité doit posséder l'auditeur de cette science. Et en premier, il montre qui est un auditeur insuffisant (1095a1). En second, qui en est un inutile (1095a4). En troisième, il montre qui est un auditeur convenable (1095a10). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. D'abord il présente des [notions] qui sont nécessaires pour montrer son propos. Il dit donc que chacun ne peut avoir un bon jugement que de ce qu'il connaît. Et ainsi, celui qui est formé sur un genre quelconque [de choses] peut bien juger de ce qui concerne ce genre. Mais celui qui est bien formé sur tout peut bien juger simplement de tout. |
[72742] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 7 Secundo ibi: idcirco
politicae etc., concludit propositum, scilicet quod iuvenis non est
conveniens auditor politicae et totius moralis scientiae, quae sub politica
comprehenditur; quia sicut dictum est, nullus potest bene iudicare nisi ea
quae novit. Omnis autem auditor oportet quod bene iudicet de his quae audit, ut
scilicet bene dicta recipiat, non autem ea quae male dicuntur. Ergo oportet,
quod nullus sit auditor conveniens nisi habeat aliquam notitiam eorum quae
debet audire. Sed iuvenis non habet notitiam eorum quae pertinent ad
scientiam moralem, quae maxime cognoscuntur per experientiam. Iuvenis autem
est inexpertus operationum humanae vitae propter temporis brevitatem, et
tamen rationes moralis scientiae procedunt ex his quae pertinent ad actus
humanae vitae, et etiam sunt de his; sicut si dicatur quod liberalis minora
sibi reservat, et maiora aliis tribuit, hoc iuvenis propter inexperientiam
forte non iudicabit esse verum, et idem est in aliis civilibus. Unde
manifestum est, quod iuvenis non est conveniens auditor politicae. |
38.- Il conclut ce qu'il propose, à savoir que le jeune homme n'est pas l'auditeur approprié de la science politique et de toute la science morale, qui est comprise dans la politique car, ainsi qu'on l'a dit, personne ne peut juger bien que de ce qu'il connaît. Or, il faut qu'un auditeur porte un jugement sain sur ce qu'il écoute afin d'assimiler ce qui est bien dit et de rejeter ce qu'il a d’erroné. Il ne peut donc y avoir d'auditeur convenable que celui qui a quelque connaissance de ce qu'il doit entendre. Mais le jeune homme n'a pas cette connaissance de ce qui appartient à la science morale, qui s'apprend surtout par l'expérience. Le jeune homme en effet est inexpérimenté dans les actes de la vie humaine à cause du peu de temps qu'il a vécu, alors que les notions de la science morale s'élaborent à partir de ce qui appartient aux actes de cette vie humaine et même portent sur ces actes. Ainsi si l'on dit que le libéral se réserve peu de son avoir et en donne la majeure partie aux autres, le jeune homme, à cause de son inexpérience, jugera peut-être que cette affirmation n'est pas vraie; et il en est ainsi des autres points de la vie civile. D'où il est manifeste que le jeune homme n'est pas l'auditeur approprié de la politique. |
#38. — Ensuite (1095a1), il conclut son propos, à savoir que le jeune n'est pas un auditeur convenable de la politique et de toute la science morale, qui est comprise sous la politique; c'est que, comme il a été dit, nul ne peut bien juger que de ce qu'il connaît. Or tout auditeur doit bien juger de ce qu'il entend, de manière à accepter ce qui est dit correctement mais non ce qui est mal dit. Il s'ensuit donc que nul ne soit un auditeur convenable s'il n'a pas déjà quelque connaissance de ce qu'il doit entendre. Or le jeune n'a pas de connaissance de ce qui appartient à la science morale, qui se connaît surtout par expérience. Le jeune est sans expérience des opérations de la vie humaine, à cause du manque de temps, et pourtant les raisonnements de la science morale procèdent de ce qui appartient aux actes de la vie humaine et même portent sur cela. Par exemple, si l'on dit que le libéral garde pour lui la plus petite part et attribue aux autres la plus grande, le jeune, peut-être, à cause de son inexpérience, ne jugera pas que cela est vrai; et il en va pareillement dans les autres [matières] civiles. Aussi est-il manifeste que le jeune n'est pas un auditeur convenable de la politique. |
[72743] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 8 Deinde cum dicit: amplius autem passionum etc.,
ostendit quis sit inutilis auditor huius scientiae. Ubi considerandum est,
quod scientia moralis docet homines sequi rationem, et discedere ab his in
quae passiones animae inclinant, quae sunt concupiscentia, ira et similia. In
quae quidem aliqui tendunt dupliciter. Uno modo ex electione: puta cum aliquis
hoc proponit, ut concupiscentiae suae satisfaciat. Et hos vocat sectatores
passionum; alio modo cum aliquis proponit quidem a noxiis delectationibus
abstinere, vincitur tamen interdum impetu passionis, ut contra suum
propositum, impetum passionis sequatur. Et talis vocatur incontinens. |
39.- Il montre maintenant quel est l'auditeur vain de cette science. Il faut ici considérer que la science morale enseigne à l'homme à suivre sa raison et à s'éloigner de ce à quoi inclinent les passions de l'âme qui sont la concupiscence, la colère et les autres mouvements semblables. On est incliné à ces passions de deux manières. D'une première manière, par élection: comme celui qui se propose de satisfaire sa concupiscence. Et ceux-là on les appelle les partisans - les disciples (les intempérants) de leurs passions. La seconde manière d'obéir aux passions se retrouve chez celui qui, tout en se proposant de s'abstenir des délectations nuisibles, est quand même vaincu quelquefois par l'impétuosité de la passion de telle sorte que, contre son gré, il suit le courant de sa passion. Et celui-là, on l'appelle l'incontinent. |
#39. — Ensuite (1095a4), il montre qui est un auditeur inutile de cette science. Et là on doit considérer que la science morale enseigne aux hommes à suivre leur raison et à rejeter ce qui incline aux passions de l'âme, à savoir la concupiscence, la colère et autres semblables. À quoi, certes, certains tendent, de deux manières. D'une manière par choix: par exemple lorsque quelqu'un se propose cela, de satisfaire à sa concupiscence. Aussi les appelle-t-il partisans des passions. Et d'une autre manière lorsque quelqu'un, bien sûr, se propose de s'abstenir de délectations nocives, mais se trouve toutefois vaincu entretemps par l'impulsion de sa passion, de sorte que contre son intention il suit l'impulsion de sa passion. Il appelle pareille [personne] un incontinent. 9 |
[72744] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 9 Dicit ergo, quod ille qui
est sectator passionum, inaniter, idest sine aliqua efficacia audiet hanc
scientiam, et inutiliter, idest absque consecutione debiti finis. Finis enim
huius scientiae non est sola cognitio, ad quam forte pervenire possent
passionum sectatores. Sed finis huius scientiae est actus humanus, sicut et
omnium scientiarum practicarum. Ad actus autem virtuosos non perveniunt, qui
passiones sectantur. Et sic nihil differt quantum ad hoc quod arceantur ab
auditu huius scientiae iuvenis aetate vel iuvenis moribus, scilicet passionum
sectator, quia, sicut iuvenis aetate deficit a fine huius scientiae, qui est
cognitio, ita ille qui est iuvenis moribus deficit a fine, qui est actio: non
enim est defectus eius propter tempus, sed propter hoc quod vivit secundum
passiones, et sequitur singula, ad quae passiones inclinant. Talibus autem fit
inutilis cognitio huius scientiae; sicut etiam incontinentibus, qui non
sequuntur scientiam, quam de moralibus habent.
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40.- Il dit donc que celui qui recherche décidément le plaisir de ses passions suivra les cours de cette science en vain, sans aucun profit et inutilement aussi sans atteindre la fin due. La fin de cette science en effet n’est pas la seule connaissance, à laquelle peuvent atteindre sans doute les partisans des passions; mais le but de cette science c'est l'acte humain, comme d'ailleurs c'est le but de toutes sciences pratiques. Or, les amis de leurs passions ne peuvent parvenir à poser des actes vertueux. Et ainsi, sous ce rapport, il n'y a pas de différence entre le jeune homme d'âge et le jeune de mœurs, c'est-à-dire le partisan de ses passions: comme le jeune d'âge n'atteint pas le but de cette science qui est la connaissance, ainsi, celui qui est jeune de mœurs manque le but qui est l'action. L'insuffisance de ce dernier ne vient pas de la question de temps, mais du fait qu'il vit en accord avec ses passions et se laisse prendre par chacun des objets auxquels l'inclinent les passions. Pour de tels auditeurs, la connaissance de cette science devient inutile; comme d'ailleurs pour les incontinents qui ne se conforment pas à la science qu'ils ont des actes moraux. |
#40. — Il dit donc que celui qui est partisan des passions, c'est vainement, c'est-à-dire sans aucune efficacité, qu'il entendra cette science, et inutilement, c'est-à-dire sans atteinte de la fin qui convient. Car la fin de cette science n'est pas la seule connaissance, à laquelle, peut-être, pourraient parvenir les partisans des passions. La fin de cette science est plutôt l'acte humain, comme aussi pour toutes les sciences pratiques. Or ils ne parviennent pas aux actes vertueux, ceux qui prennent pour leurs passions. Ainsi n'y a-t-il aucune différence quant à cela, si l'auditeur de cette science est jeune d'âge, ou jeune de mœurs, c'est-à-dire partisan des passions. Car comme le jeune d'âge manque la fin de cette science qui est la connaissance, de même celui qui est jeune de mœurs manque cette fin qui est l'action. En effet, il ne la manque pas en raison du temps, mais en raison de ce qu'il vit selon ses passions et court les [choses] singulières auxquelles ses passions l'inclinent. Pour pareilles [gens], par ailleurs, la connaissance de cette science se fait inutile; comme aussi pour les incontinents, qui ne suivent pas la science qu'ils ont de ce qui est moral. |
[72745] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 10 Deinde cum dicit: secundum rationem autem etc.,
ostendit quis sit conveniens auditor huius scientiae. Et dicit, quod multum
est utile scire de moralibus illis, qui secundum ordinem rationis implent
omnia sua desideria et exterius operantur. |
41.- Il montre quel est l'auditeur approprié à recevoir cette science. Il est très utile de connaître la morale pour ceux qui accomplissent leurs désirs et agissent dans leurs opérations extérieures selon l'ordre de la raison. |
#41. — Ensuite (1095a10), il montre qui est un auditeur convenable de cette science. Et il dit qu'il est très utile de savoir ce qui concerne les [matières] morales pour ceux qui satisfont à tous leurs désirs et opèrent extérieurement selon l'ordre de la raison. |
[72746] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 11 Ultimo autem epilogat ea quae dicta sunt in hoc
prooemio, dicens quod tanta sint dicta prooemialiter de auditore, quod fuit
ultimum; et quis sit modus demonstrandi, quod fuit medium; et quid
proponimus, idest quid sit illud, de quo ista scientia principaliter
intendit. |
42.- Il termine en résumant les grandes idées de cette introduction où il en a dit suffisamment en ce qui concerne l'auditeur, le mode de démontrer et l'intention principale de ce traité. |
#42. — En dernier, il dit, en épilogue à ce qu'il a dit dans ce prologue, que voilà ce qu'il y avait à dire, en prologue, de l'auditeur, ce qui est venu en dernier, et du mode de démontrer, ce qui est venu au milieu, et sur ce que nous nous proposons, c'est-à-dire qu'est-ce que cette science vise principalement, ce qui est venu en premier. |
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Lectio
4 |
Leçon 4 : [Le bonheur, bien suprême de l’éthique] |
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LES
OPINIONS D’UN CERTAIN NOMBRE SUR LA FELICITE. QUELLE EST LA DIFFERENCE ENTRE
LES SAGES ET L’HOMME COMMUN LORSQU'ILS PARLENT DU BIEN SUPREME. QUE LE BIEN SUPREME
EST LA FELICITE ELLE-MEME ET COMMENT DOIT ETRE DISPOSE CELUI QUI ECOUTE LES
LECONS DE LA PHILOSOPHIE MORALE. |
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[72747] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 1 Dicamus ergo resumentes et
cetera. Praemisso prooemio, hic Aristotiles accedit ad tractatum huius
scientiae. Et dividitur in partes tres. In prima determinat de felicitate,
quae est summum inter humana bona perducens ad hoc considerationem
felicitatis quod est operatio secundum virtutem. In secunda parte determinat
de virtutibus, ibi, si autem est felicitas operatio quaedam secundum virtutem
et cetera. In tertia complet suum tractatum de felicitate, ostendens qualis
et quae virtutis operatio sit felicitas. Et hoc in decimo libro, ibi: post
haec autem de delectatione et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de
quo est intentio. Secundo exequitur propositum, ibi: nomine quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo resumendo quod supradictum est, quod cum omnis
cognitio et electio desideret aliquod bonum, idest ordinetur ad
aliquod bonum desideratum sicut in finem, dicendum est, quid sit illud bonum,
ad quod ordinatur civilis scientia; quod scilicet est summum omnium
operatorum, idest inter omnia ad quae opere humano perveniri potest. Haec
enim duo supra dictum est oportere considerari de ultimo fine humanorum
bonorum: scilicet quid sit, quod hic proponitur considerandum; et ad quam
scientiam pertineat, quod supra in prooemio tractatum est. |
43. L'introduction terminée, Aristote en arrive au traité de cette science, qui se divise en trois parties. Dans la première partie, il détermine la félicité, qui est le bien suprême parmi les biens humains. Cette considération de la félicité l'amène à préciser qu'elle est l'opération selon la vertu. Dans la seconde partie, il détermine la vertu. Dans la troisième partie, il complète son traité de la félicité en montrant quelle est l'opération de la vertu et quelle est la nature de cette opération qui est la félicité. Cette troisième partie appartient au dixième livre, Au sujet de la félicité, il fait une double besogne. Il nous dit tout d'abord ce qu'il a l'intention de traiter et, en second, il élabore ce qu'il a proposé. Il dit donc en premier, résumant ce qui fut dit auparavant (n° 9-13), que, puisque toute connaissance et élection désirent un certain bien, c'est-à-dire que toute connaissance et toute élection sont ordonnées à un certain bien désiré comme à une fin, il faut dire ce qu'est ce bien auquel est ordonné la science civile: à savoir qu'il est le bien suprême de tout ce qui est opéré, c’est-à-dire qu'il est le bien le plus grand parmi tout ce que peut atteindre l'opération humaine. On a dit auparavant (n° 9-18) qu'il faut considérer deux choses sur la fin ultime des biens humains: à savoir, ce qu'elle est, ce qu'il se propose de considérer ici; et à quelle science cette étude appartient, ce qui fut donné dans l'introduction. |
#43. — Une fois le prologue présenté, Aristote arrive ici au traité de la science. Celui-ci se divise en trois parties. Dans la première, il traite du bonheur (1095a14), le plus grand parmi les biens humains, et aboutit, en cette considération du bonheur, à conclure qu'il est une opération conforme à la vertu. Dans la seconde partie (1102a5), il traite des vertus. Dans la troisième, il complète son traité sur le bonheur, montrant quelle opération est le bonheur, et quelle nature il a. Et cela, au dixième livre (1172a16). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il dit quelle est son intention. En second (1095a17), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, en résumant ce qui s'est dit plus haut [#9-13], que, comme toute connaissance et tout choix désire un bien, c'est-à-dire, est ordonné à un bien désiré comme à sa fin, on doit dire quel est le bien auquel est ordonnée la science civile; or celui-ci est le plus grand de toutes les œuvres, c'est-à-dire, entre tout ce à quoi l'action humaine peut parvenir. En effet, on a dit plus haut qu'il y a ces deux [choses] à regarder, concernant la fin ultime des biens humains: ce qu'elle est, que l'on se propose de considérer ici, et à quelle science elle appartient, ce dont on a traité plus haut, dans le prologue. |
[72748] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 2 Deinde cum dicit: nomine quidem igitur etc., determinat
de felicitate. Et circa hoc duo facit. Primo prosequitur opiniones aliorum de
felicitate. Secundo determinat de ipsa secundum propriam sententiam, ibi,
rursus autem redeamus ad quaesitum bonum et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ponit opiniones aliorum de felicitate. Secundo inquirit de eis, ibi,
nos autem dicamus unde discessimus et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ponit opiniones de ultimo fine humanorum. Secundo determinat qualiter de
huiusmodi opinionibus sit inquirendum, ibi, omnes quidem igitur perscrutari
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit in quo omnes conveniant.
Secundo in quo differant, ibi, de felicitate autem, quae est et cetera. |
44.- Il détermine la félicité. Ce qu'il fait en deux temps. Il recherche tout d'abord les opinions des autres sur la félicité. En second, il détermine la félicité selon son opinion personnelle. A propos des opinions des autres, il fait deux choses: primo, il expose leurs opinions; secondo, il en fait une certaine critique. L'exposé des opinions se divise lui-même en deux parties. Dans une première partie, il propose les opinions sur la fin ultime des choses humaines. Dans la seconde, il détermine comment il faut s'enquérir de ces sortes d'opinions. En exposant les opinions sur la fin ultime des choses humaines, il fait double réflexion: a) il montre en quoi elles se ressemblent; b) en quoi elles diffèrent. |
#44. — Ensuite (1102a5), il traite du bonheur. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il recherche les opinions des autres à propos du bonheur. En second (1097a15), il en traite selon sa propre pensée. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les opinions des autres à propos du bonheur. En second (1095b14), il enquête à leur sujet. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les opinions à propos de la fin ultime des [choses] humaines. En second (1095a28), il traite de quelle manière on doit enquêter sur des opinions de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quoi tous conviennent. En second (1095a20), sur quoi ils diffèrent. 10 |
[72749] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 3 Ponit ergo primo duo, in
quibus omnes conveniunt secundum ultimum finem. Primo quidem in nomine, quia
tam multi, id est populares, quam etiam excellentes, id est sapientes,
nominant summum humanorum bonorum felicitatem. Secundo quantum ad quamdam
communem nominis rationem; quia omnes existimant bene vivere et bene operari
(idem esse ei) quod est esse felicem. |
45.- Il pose donc deux choses sur lesquelles sont d’ accord toutes les opinions concernant la fin ultime. Premièrement, il dit que les hommes du peuple et les hommes supérieurs, les sages, ont appelé félicité le bien suprême des choses humaines. Deuxièmement, l'accord se fait aussi sur une définition commune du mot: tous en effet estiment que bien vivre et bien opérer est la même chose qui être heureux. |
#45. — Il présente donc en premier deux [éléments] sur lesquels tous conviennent en rapport à la fin ultime. En premier, il dit qu'à la fois la multitude, c'est-à-dire, les gens du peuple, et les excellents, c'est-à-dire, les sages, ont nommé bonheur le plus grand des biens humains. En second, quant à une définition commune du nom, car tous pensent que bien vivre et bien agir est la même [chose] qu'être heureux. |
[72750] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 4 Deinde cum dicit: de
felicitate autem etc., ostendit in quo differunt opiniones hominum circa
felicitatem. Et dicit quod de felicitate quid sit in speciali alterantur,
idest diversificantur homines. Et hoc triplici differentia. Quarum prima
accipitur secundum quod multitudo popularium non similiter in hoc sentit cum
sapientibus. Nam populares existimant felicitatem esse aliquid eorum quae
sunt in aperto et manifesto, ut sunt illa quae in sensibilibus considerantur,
quae sola manifesta sunt multitudini, et adeo aperta, quod non indigent
expositione reserante, sicut sunt voluptas, divitiae et honor et alia
huiusmodi. Quid autem sapientes super hoc sentiant, ultimo ponet. |
46.- Il montre en quoi diffèrent les opinions des hommes sur le bonheur. Il dit que la diversité et le désaccord existent sur ce qu'est en particulier le bonheur. Là-dessus il y a une triple différence. La première se prend du fait que la multitude des hommes ordinaires pensent autrement que les sages sur cette question. Les hommes du peuple estiment que la félicité est un bien parmi ceux qui sont d'apparence immédiate et manifeste, comme sont les biens que lion considère dans les choses sensibles, lesquels sont les seuls manifestes à la multitude et ainsi à découverts, facilement connus, biens qui n’ont pas besoin d'une exposition pour les dévoiler, comme le sont la volupté, les richesses et l'honneur et les biens de cette sorte. Ce que les sages pensent de ces biens, il le dira en dernier. |
#46.
— Ensuite (1095a20), il montre en quoi diffèrent les opinions des hommes sur
le bonheur. Il dit qu'il y a dispute, c'est-à-dire, diversité, entre les
hommes, concernant ce que le bonheur est précisément. Avec une triple
différence, dont la première se prend selon que la multitude des gens ne le
voit pas de la même manière que les sages. En effet, les gens du peuple
pensent que le bonheur appartient à ce qui est à la vue et manifeste, comme
l'est ce qui est connu parmi les [choses] sensibles, qui seules sont
manifestes à la multitude, et assez à la vue pour ne pas avoir besoin d'une
explication qui le révèle, comme le sont le plaisir, les richesses et
l'honneur, et autres choses de la sorte. Ce que les sages en pensent, il le
présente en dernier [#49]. |
[72751] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 5 Secunda autem differentia
est popularium adinvicem. Quorum alii aliud sensibile bonum aestimant esse
felicitatem, sicut avari divitias, intemperati voluptates, ambitiosi honores. |
47.- La seconde différence se retrouve chez les hommes du, peuple entre eux; les uns et les autres estiment que 11un ou l'autre bien sensible constitue le bonheur. Ainsi les avares croient que le bonheur c'est la richesse, les intempérants, les voluptés, les ambitieux, les honneurs. |
#47. — La seconde différence intervient entre les gens du peuple. Les uns et les autres pensent que le bonheur est un bien sensible différent; ainsi, les avares [croient que ce sont] les richesses, les intempérants les plaisirs, les ambitieux les honneurs. |
[72752] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 4 n. 6 Tertia autem differentia est eiusdem ad
seipsum. Est enim conditio ultimi finis, ut sit maxime desideratum. Unde
illud quod maxime desiderat homo aestimat esse felicitatem, indigentia autem
alicuius boni auget eius desiderium. Unde
aeger, qui indiget sanitate, iudicat ipsam summum bonum. Et pari ratione
mendicus divitias. Et similiter illi, qui recognoscunt suam ignorantiam,
admirantur quasi felices eos qui possunt dicere aliquid magnum, et quod eorum
intellectum excedat. Et omnia ista pertinent ad opiniones multitudinis. |
48.- La troisième différence se situe dans l'homme du peuple par rapport à lui-même. La condition de la fin ultime en effet, est d'être la plus désirée. Et donc ce qui est le plus désiré, le peuple le croit être le bonheur. Mais l'indigence d'un certain bien augmente son désir. C’est pourquoi le malade, qui a besoin de la santé, juge que cette santé est le bien le plus grand. Et pour la même raison l'indigent posera un jugement identique sur les richesses. Et pareillement ceux qui reconnaissent leur ignorance admirent comme étant heureux ceux qui peuvent exprimer de grandes choses et qui peuvent parler de ce qui dépasse leur compréhension. Tout cela relève donc de l'opinion de la foule. |
#48. — La troisième différence, elle, intervient entre soi et soi-même. C'est, en effet, une condition de la fin ultime, qu'elle soit ce que l'on désire le plus. Aussi, ce que l'on désire le plus, on pense que c'est cela le bonheur. Or le besoin d'un bien en augmente le désir. Aussi, le malade, qui a besoin de la santé, la juge le plus grand bien. Pour pareille raison, le mendiant [juge que de sont] les richesses. Pareillement, ceux qui reconnaissent leur ignorance admirent comme heureux ceux qui peuvent dire quelque chose de grand, et qui dépasse leur intelligence. Tout cela appartient aux opinions de la multitude. |
[72753] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 7 Sed quidam sapientes,
scilicet Platonici, praeter haec diversa bona sensibilia, aestimaverunt esse
unum bonum quod est secundum seipsum, idest quod est ipsa essentia
bonitatis separata, sicut et formam separatam hominis dicebant per se
hominem, et quod omnibus bonis est causa quod sint bona, inquantum scilicet
participant illud summum bonum. |
49.- Mais certains sages, à savoir les Platoniciens, en plus de ces divers biens sensibles ont cru qu'il existait un bien, qui est bien en soi, c'est-à-dire qui est l'essence elle-même séparée de la bonté; comme ils appelaient la forme séparée de l'homme l’homme par soi, ainsi nommaient-ils le bien séparé le bien par soi, qui est pour tous les biens la cause qu'ils soient biens, à savoir en tant qu'ils participent de ce bien suprême. |
#49. — Mais certains sages, à savoir, les Platoniciens, en dehors de ces différents biens sensibles, ont pensé qu'il y a un bien qui l'est en lui-même, c'est-à-dire, qui est l'essence même de la bonté séparée. De même, en effet, qu'ils appelaient homme par soi la forme séparée de l'homme, de même [ils appellent] bien par soi le bien séparé qui est cause, pour tous les biens, qu'ils soient des biens, en tant, à savoir, qu'ils participent de ce bien le plus grand. |
[72754] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 8 Deinde cum dicit: omnes
quidem igitur etc., ostendit qualiter oporteat inquirere de praedictis
opinionibus. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit de quibus harum
opinionum oportet inquirere. Secundo quo ordine, ibi, non lateat autem nos et
cetera. Tertio qualiter oporteat auditorem dispositum esse, ad hoc quod bene
capiat ea quae dicentur, ibi, propter quod oportet consuetudinibus et cetera.
Dicit ergo primo, quod perscrutari omnes opiniones quas aliqui habent de
felicitate esset aliquid magis vanum, quam deceat philosophum; quia quaedam
sunt omnino irrationabiles, sed sufficit illas opiniones maxime perscrutari,
quae in superficie habent aliquam rationem, vel propter apparentiam aliquam,
vel saltem propter opinionem multorum hoc existimantium. |
50.- A ce moment-ci, Aristote montre comment il faut s'enquérir des opinions citées précédemment. Là-dessus il fait trois réflexions. La première montre sur lesquelles opinions parmi celles citées il faut s'arrêter, La seconde montre l'ordre à suivre dans cette enquête. La troisième montre comme l'auditeur doit être disposé pour bien comprendre ce qui sera dit. Il dit donc en premier que scruter toutes les opinions que certains possèdent sur la félicité serait une démarche trop vaine pour convenir au philosophe, parce que certaines opinions sont tout à fait irraisonnables. Il suffit donc de scruter attentivement celles qui superficiellement comportent une certaine raison, ou à cause de l'apparente vérité de cette opinion, ou à cause du grand nombre de ceux qui la partagent. |
#50. — Ensuite (1095a28), il montre de quelle manière il faut enquêter sur les opinions précédentes. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre sur lesquelles de ces opinions il faut enquêter. En second (1095a30), dans quel ordre. En troisième (1095b4), de quelle manière il faut que l'auditeur soit disposé, pour qu'il reçoive bien ce qu'il y a à dire. Il dit donc, en premier, que scruter à fond toutes les opinions que d'aucuns ont sur le bonheur serait plus vain qu'il ne convient à un philosophe, car certaines sont tout à fait irrationnelles. Mais il suffit de scruter surtout les opinions qui détiennent en surface quelque raison, soit en raison de quelque apparence, soit au moins du fait que beaucoup les pensent. |
[72755] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 9 Deinde cum dicit: non lateat autem nos etc., ostendit quo
ordine ratiocinandum sit de huiusmodi opinionibus, et simpliciter in tota
materia morali. Et assignat differentiam in processu ratiocinandi. Quia
quaedam rationes sunt, quae procedunt a principiis, id est a causis in
effectus: sicut demonstrationes propter quid. Quaedam autem e converso ab
effectibus ad causas sive principia, quae non demonstrant propter quid, sed
solum quia ita est. Et hoc etiam Plato prius distinxit, inquirens utrum oporteat procedere
a principiis vel ad principia. Et ponit
exemplum de cursu stadiorum. Erant enim quidam athlothetae, idest
propositi athletis currentibus in stadio, qui quidem athlothetae stabant in
principio stadiorum. Quandoque igitur athletae incipiebant currere ab
athlothetis et procedebant usque ad terminum, quandoque autem e converso. Et
sic etiam est duplex ordo in processu rationis, ut dictum est. |
51.- Il montre selon quel ordre il faut raisonner sur les opinions de cette sorte puis, de façon absolue, comment il faut procéder dans toute la matière morale. Et il assigne la différence dans le processus de raisonnement. Il y a certaines raisons en effet qui partent des principes, c’est-à-dire qui vont des causes aux effets: comme dans les démonstrations propter quid; il y a d’autres raisons, au contraire, qui vont des effets aux causes ou principes, lesquelles raisons ne démontrent pas le propter quid, mais uniquement le quia. Et cela même Platon l'a distingué antérieurement, recherchant s’il faut procéder des principes ou vers les principes. Et il pose l'exemple de la course dans les stades. Il y avait certains préposés aux athlètes qui couraient dans le stade et ces préposés se tenaient au début du stade. Et alors les athlètes commençaient quelquefois leur course à partir des préposés et d'autres fois, du côté opposé. De la même manière, il y a un ordre double dans le processus rationnel. |
#51. — Ensuite (1095a30), il montre dans quel ordre on doit raisonner sur les opinions de la sorte, et de manière absolue en toute matière morale. Il assigne la différence dans le processus de raisonner. Il y a des raisonnements qui procèdent de principes, c'est-à-dire, de causes à des effets, comme les démonstrations pourquoi. Il y en a d'autres, par ailleurs, [qui procèdent] à l'inverse, des effets aux causes ou principes, lesquels ne démontrent pas pourquoi, mais seulement que. Cela, Platon aussi l'a auparavant distingué, cherchant s'il faut procéder des principes ou aux principes. Il présente l'exemple de la course dans les stades. Il y avait, en effet, des athlètes, c'est-à-dire, des préposés aux athlètes qui courraient dans le stade. Ces athlothètes se tenaient au début des stades. Tantôt, donc, les athlètes commençaient à courir à partir des athlothètes et allaient jusqu'au bout, tantôt, par ailleurs, à l'inverse. Et ainsi aussi, il y a double ordre dans le processus de la raison, comme on l'a dit [#51]. |
[72756] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 10 Et ut accipiatur quo
ordine oporteat procedere in qualibet materia, considerandum est quod semper
oportet incipere a magis cognitis, quia per notiora devenimus ad ignota. Sunt
autem aliqua notiora dupliciter. Quaedam quidem quoad nos, sicut composita et
sensibilia, quaedam simpliciter et quoad naturam, scilicet simplicia et
intelligibilia. Et quia nobis ratiocinando notitiam acquirimus, oportet quod
procedamus ab his quae sunt magis nota nobis; et si quidem eadem sint nobis
magis nota et simpliciter, tunc ratio procedit a principiis, sicut in
mathematicis. Si autem sint alia magis nota simpliciter et alia quoad nos,
tunc oportet e converso procedere, sicut in naturalibus et moralibus. |
52.- Pour savoir selon quel ordre il faut procéder dans les différentes matières il faut considérer qu'il faut commencer par ce qui est plus connu, parce que nous procédons du plus connu à l'inconnu. Mais le plus connu est double. Certaines choses sont plus connues quant à nous, comme les composés et les sensibles, d’autres sont plus connues absolument et quant à la nature, à savoir les choses simples, et les intelligibles. Et parce que nous, en raisonnant, nous acquérons la connaissance, il faut que nous procédions de ce qui est plus connu pour nous; et si ce sont les mêmes choses qui sont plus connues et pour nous et de façon absolue, alors la raison procède des principes, comme c'est le cas dans les mathématiques. Si les choses, plus connues absolument sont autres que celles qui le sont pour nous, alors il faut procéder dans le sens inverse comme dans les choses naturelles et morales. |
#52. — Pour comprendre dans quel ordre il faut procéder, en n'importe quelle matière, on doit considérer qu'il faut commencer au plus connu, parce que l'on parvient à l'inconnu par le plus 11 connu. Mais on est plus connu de deux manières. Certaines [choses], certes, [le sont] quant à nous, comme le composé et le sensible. Et certaines [choses le sont] de manière absolue et quant à la nature, à savoir, le simple et l'intelligible. Et comme nous acquérons connaissance en usant de raison, il faut que nous procédions de ce qui est plus connu de nous; et si, bien sûr, c'est la même [chose] qui est plus connue de nous et de manière absolue, alors, la raison procède des principes, comme en mathématiques. Si, cependant, autre chose est plus connu de manière absolue, et autre chose quant à nous, il faut alors procéder à l'inverse, comme en [matière] naturelle et morale. |
[72757] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 11 Deinde cum dicit propter quod oportet etc., ostendit
qualiter oportet esse dispositum talium auditorem. Et dicit, quod quia in
moralibus oportet incipere ab his quae sunt magis nota quoad nos, id est a
quibusdam effectibus consideratis circa actus humanos, oportet illum, qui
sufficiens auditor vult esse moralis scientiae quod sit bene manuductus et
exercitatus in consuetudinibus humanae vitae, idest de bonis exterioribus et
iustis, idest de operibus virtutum, et universaliter de omnibus
civilibus, sicut sunt leges et ordines politiarum et si qua alia sunt
huiusmodi. Quia oportet in moralibus accipere, ut principium, quia ita est.
Quod quidem accipitur per experientiam et consuetudinem; puta quod
concupiscentiae per abstinentiam superantur.
|
53.- Il montre comment doit être disposé l'auditeur des leçons morales. Il dit que, parce que dans les choses morales il faut commencer par celles qui sont plus connues, par rapport à nous, c’est-à-dire à partir de certains effets considérés sur les actes humains, il faut que celui qui veut être un auditeur réceptif de la science morale ait une certaine expérience et soit entrainé dans les coutumes de la vie humaine, c'est-à-dire soit au fait des biens extérieurs et des choses justes, des œuvres de vertu, et universellement des choses civiles, comme sont les lois des cités 'et les relations entre les gouvernements et des autres institutions de la sorte. Parce qu’il faut prendre comme principe dans les choses morales: quia ita est, le parce qu'il en est ainsi (le fait). Ce qui est connu par l'expérience et la coutume: par exemple, que les concupiscences sont dominées par l'abstinence. |
#53. — Ensuite (1095b4), il montre de quelle manière il faut que l'auditeur de telles [choses] soit disposé. Il dit que, parce qu'en [matière] morale, il faut commencer de ce qui est plus connu quant à nous, c'est-à-dire, de certains effets connus concernant les actions humaines, il faut que celui qui veut être un auditeur suffisant de la science morale, soit conduit par la main et exercé dans les coutumes de la vie humaine, c'est-à-dire, concernant les biens extérieurs et les [choses] justes, c’est-à-dire, concernant les œuvres des vertus, et, universellement, concernant toutes les [choses] civiles, comme sont les lois et les ordres des constitutions3, et toutes autres choses de la sorte. Parce qu'il faut prendre comme principe, en [matière] morale, qu'il en est ainsi. Et cela, certes, se reçoit par expérience et coutume; par exemple, que l'on surmonte les désirs par l'abstinence. |
[72758] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 12 Et si hoc sit manifestum alicui, non multum necessarium
est ei ad operandum cognoscere propter quid, sicut et medico sufficit ad
sanandum scire quod haec herba curat talem aegritudinem. Cognoscere autem
propter quid requiritur ad sciendum, quod principaliter intenditur in
scientiis speculativis. Talis autem, qui scilicet est expertus in
rebus humanis, vel per seipsum habet principia operabilium, quasi per se ea
considerans, vel de facili suscipit ea ab alio. Ille vero cui neutrum horum
convenit, audiat sententiam Hesiodi poetae qui dixit quod iste est optimus
qui scilicet potest per seipsum intelligere. Et ille etiam est bonus qui bene
recipit quae ab alio dicuntur. Ille autem, qui neque per seipsum potest
intelligere, neque alium audiens potest in animo reponere, est inutilis,
quantum scilicet ad acquisitionem scientiae.
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54.- Et si cela est manifeste à quelqu'un, il ne lui est guère nécessaire pour opérer de connaître le propter quid. Comme il suffit au médecin pour guérir de savoir que ces herbes guérissent telle maladie. Connaître en effet le "propter quid" est requis au "savoir", qui est ce qui est voulu principalement dans les sciences spéculatives. Celui qui est tel, à savoir qui est expérimenté dans les choses humaines, ou bien possède par lui-même les principes des choses opérables, les considérant pour ainsi dire par lui-même, ou bien peut recevoir facilement d'un autre les principes en question. Celui qui n'est ni expérimenté ni disciplinable, qu’il écoute le vers du poète Hésiode. Ce dernier dit que celui-là est le meilleur qui peut comprendre par lui-même; que celui-là est bon, qui reçoit ce qu'un autre lui dit, mais celui qui ne peut comprendre ni par lui-même ni ramasser dans son âme quand il écoute un autre, est inutile quant à l'acquisition de la science. |
#54. — Si cela est manifeste à quelqu'un, il ne lui est pas bien nécessaire pour agir de savoir pourquoi. De même, au médecin, il suffit, pour guérir, de savoir que cette herbe guérit telle maladie. Savoir aussi pourquoi est requis pour savoir de science, ce que l'on recherche principalement, dans les sciences spéculatives. Mais celui qui est un expert dans les choses humaines, ou bien a par lui-même les principes des actions à faire, comme en les considérant par soi, ou bien les reçoit facilement de quelqu'un d'autre. Mais celui à qui ni l'un ni l'autre de ces [principes] ne convient, qu'il écoute la parole d'Hésiode le poète. Celui-ci a dit que celui-là est le meilleur, qui peut comprendre par lui-même. Que celui-là aussi est bon, qui reçoit ce qui est dit par un autre. Mais celui-là qui ni ne peut comprendre par lui-même, ni ne peut trouver repos pour son âme en entendant un autre, reste inutile pour ce qui est de l'acquisition de la science. |
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Lectio
5 |
Leçon 5 : [Le bonheur est-il dans la vertu ?] |
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PARMI LES DIVERSES OPINIONS SUR LE BONHEUR, IL RECHERCHE CELLE QUI EST LA PLUS VRAIE; IL REJETTE L’OPINION DE L’HOMME COMMUN ET DISCUTE SI LA FELICITE CONSISTE DANS LA VERTU |
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[72759] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 1 Nos autem dicamus unde
discessimus et cetera. Postquam philosophus recitavit opiniones aliorum
diversas de felicitate, hic inquirit veritatem de praedictis opinionibus. Et
primo inquirit de opinione loquentium de felicitate moraliter, qui scilicet
ponebant in aliquo bonorum huius vitae felicitatem. Secundo inquirit de
opinione loquentium de felicitate non moraliter, ponentium scilicet
felicitatem in quodam bono separato, ibi, quod autem universale et cetera.
Circa primum duo facit: primo proponit id quod est commune omnibus huiusmodi
opinionibus; secundo inquirit de diversitate opinionum. Quia ergo videbatur
philosophus digressionem fecisse a principali proposito, dum modum procedendi
determinavit, redit ad principale propositum, unde discesserat, id est ad
opiniones de felicitate. Et dicit, quod non irrationabiliter aliqui videntur
existimare quod finale bonum quod felicitas dicitur sit aliquid ex his quae
pertinent ad hanc vitam, scilicet humanam. Est enim finis omnium operum
vitae. Ea vero quae sunt ad finem proportionantur fini; unde probabile est
quod felicitas sit aliquid de numero bonorum pertinentium ad hanc vitam. Sed
de hoc infra dicetur quid verum sit. |
55.- Après avoir exposé les diverses opinions sur le bonheur, le Philosophe s'enquiert ici de la vérité des dites opinions. Et il s'enquiert tout d'abord de l'opini6n de ceux qui ont parlé du bonheur "en moraliste" à savoir de ceux qui posaient la félicité dans un des biens de cette vie. En second, il s'enquiert de l'opinion de ceux qui n'ont pas parlé du bonheur en moraliste, posant ce bonheur dans quelque bien séparé. Par rapport aux premiers, il faut une double besogne. En premier, il établit ce qu'il y a de commun à toutes les opinions de cette sorte. En second, il s'enquiert de la diversité des opinions. Donc, parce que le Philosophe semblait avoir dévié de son intention principale, alors qu'il a déterminé le mode de procéder, il revient à son propos principal dont il s'était écarté, c'est-à-dire aux opinions sur la félicité. Et il dit que l’opinion de ceux qui semblaient estimer que le bien final, qu'on appelle félicité, est quelque chose parmi les biens qui appartiennent à cette vie humaine n'était pas irraisonnable car il s'agit de la fin de toutes les œuvres de cette vie. Ce qui est ordonné à une fin est proportionné à cette fin. Il est donc probable que la félicité soit du nombre des biens appartenant à cette vie. Mais on dira plus loin ce qu’il y a de vrai là-dessus. |
#55. — Après avoir énuméré différentes opinions sur le bonheur, le Philosophe cherche ici la vérité sur les opinions qui précèdent. En premier, il examine l'opinion de ceux qui ont parlé de manière morale du bonheur, du fait de mettre le bonheur dans l'un des biens de cette vie. En second (1096a11), il examine l'opinion de ceux qui ont parlé du bonheur de manière non morale, en [le] mettant dans un bien séparé. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente ce qui est commun à toutes les opinions de cette sorte. En second (1095b16), il examine les divergences entre les opinions. Le Philosophe a évidemment fait une digression de son propos principal, le temps qu'il a traité du mode de procéder. Il revient donc à ce propos principal dont il s'était écarté, c'est-à-dire aux opinions sur le bonheur. Il dit que, non sans raison, on est porté à penser que le bien final, qu'on appelle bonheur, est quelque chose de ce qui appartient à cette vie, à cette vie humaine. Il est, en effet, la fin de toutes les œuvres de la vie; or ce qui est en vue d'une fin est proportionné à cette fin; aussi est-il probable que le bonheur soit du nombre des biens qui appartiennent à cette vie. Mais il sera dit plus loin (#60; 64-65; 67-68; 70-72) ce qu'il y a de vrai en cela. |
[72760] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 2 Deinde cum dicit: multi quidem et gravissimi etc.,
inquirit veritatem circa ea in quibus diversificantur. Et circa hoc duo
facit. Primo inquirit de opinionibus, quae magis videntur accedere ad
veritatem. In secunda de opinione recedente magis a veritate, ibi, pecuniosus
autem violentus quis et cetera. Circa primum tria facit. Primo inquirit de
opinione ponente felicitatem in his quae pertinent ad vitam voluptuosam; in
secunda de opinionibus ponentium felicitatem in his quae pertinent ad vitam
civilem, ibi, qui autem excellentes et operativi et cetera. In tertia facit
mentionem de vita contemplativa, ibi, tertia autem est et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit opinionem. Secundo ex incidenti distinguit
vitas, ibi, tres enim sunt et cetera. Tertio inquirit de veritate propositae
opinionis, ibi: multi quidem igitur et cetera.
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56.- Il recherche la vérité sur les points où il y a désaccord. Là-dessus, il fait deux choses. En premier, il s'enquiert des opinions qui semblent se rapprocher davantage de la vérité. En second, il s'enquiert de celle qui s'éloigne le plus de la vérité. A propos des opinions plus voisines de la vérité, il fait une triple réflexion. La première s’enquiert de l'opinion qui pose la félicité dans les choses qui appartiennent à la vie de volupté; la seconde s'interroge sur celle qui place la félicité dans les choses qui appartiennent à la vie civile. Dans la troisième réflexion, il fait mention de la vie contemplative. A propos de celle qui situe le bonheur dans la vie des plaisirs sensibles, voici ce qu'il fait. Premièrement, il expose l'opinion; en second, à partir d'une incidence, il distingue les vies; en troisième, il s'interroge sur la vérité de l'opinion proposée. |
#56. — Ensuite (1095b16), il cherche la vérité présente dans leurs divergences. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il examine les opinions qui, manifestement, s'approchent davantage de la vérité. Dans la seconde [considération] (1096a5), [il examine] une opinion qui s'éloigne davantage de la vérité[3]. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il examine l'opinion qui met le bonheur dans ce qui appartient à la vie de jouissance. En second (1095b22), l'opinion qui met le bonheur dans ce qui appartient à la vie civile. Dans la troisième [considération] (1096a4), il fait mention de la vie contemplative. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose l'opinion. En second (1095b17), il distingue, en passant, les [styles de] vies. En troisième (1095b19), il cherche la vérité en rapport à l'opinion proposée. |
[72761]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 3 Dicit ergo primo, quod inter
bona huius vitae, quidam eligunt voluptatem, in ea felicitatem ponentes. Et hi quidem sunt non solum multi, idest
populares homines, qui fere omnes ad voluptates declinant; sed etiam quidam
qui sunt gravissimi, vel propter auctoritatem scientiae et doctrinae, vel
etiam propter vitae honestatem. Nam etiam Epicuri, qui voluptatem summum
bonum aestimabant, diligenter colebant virtutes, sed tamen propter
voluptatem, ne scilicet per contraria vitia eorum voluptas impediretur. Gula
enim per immoderantiam cibi corporis dolores generat, propter furtum aliquis
carceri mancipatur. Et ita diversa vitia diversimode voluptatem impediunt. Et
quia ultimus finis est maxime diligibilis, ideo illi qui ponunt voluptatem
summum bonum, maxime diligunt vitam voluptuosam. |
57.- Il dit donc en premier que, parmi les biens de cette vie, certains choisissent la volupté, posant en elle le bonheur. Et cette opinion est répandue non seulement dans la multitude, qui presque toute se tourne vers la volupté, mais se retrouve aussi chez des hommes très sérieux, soit à cause de l'autorité de leur science ou de leur doctrine, soit à cause de l'honnêteté de leur vie. Car même les Epicuriens qui estimaient que la volupté était le bien suprême, cultivaient diligemment les vertus. Cependant ils pratiquaient les vertus en vue de la volupté, à savoir pour que la volupté ne soit pas empêchée par les vices contraires. La gourmandise, en effet, engendre les douleurs du corps par l'excès de nourriture. A cause du vol, on est enfermé en prison. Et ainsi divers vices empêchent la volupté de diverses manières. Et parce que la fin ultime est la plus aimable, ceux qui font de la volupté le bien suprême, aiment à son haut point la vie voluptueuse. |
#57. — Il dit donc, en premier, que, parmi les biens de cette vie, des gens optent pour la jouissance, mettant le bonheur en elle. Ce n'est d'ailleurs pas seulement le fait de la plupart, c'est-à-dire des gens du peuple, qui presque tous se laissent aller aux voluptés; c'est même aussi le fait de gens très sérieux, soit par l'autorité de leur science et de leur enseignement, soit par l'honnêteté de leur vie. En effet, même les Épicuriens, qui estimaient la jouissance comme le bien le plus élevé, cultivaient avec soin les vertus. C'était cependant à cause de la jouissance, de peur que des vices contraires ne mettent obstacle à leur jouissance. La gourmandise, en effet, par l'excès de nourriture, engendre des douleurs du corps. À cause du vol, on est mis en prison. Et ainsi, divers vices nuisent de diverses manières à la jouissance. Bref, la fin ultime est la plus aimable; c'est pourquoi ceux qui mettent la jouissance comme le bien le plus élevé, aiment le plus la vie de jouissance. |
[72762] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 4 Deinde cum dicit: tres
enim sunt maxime etc., distinguit triplicem vitam: scilicet voluptuosam quae
nunc dicta est, et civilem et contemplativam, et has dicit esse maxime
excellentes. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut infra in IX
dicetur, unusquisque id ad quod maxime afficitur reputat vitam suam, sicut
philosophus philosophari, venator venari, et sic de aliis. Et quia homo
maxime afficitur ad ultimum finem, necesse est, quod vitae diversificentur
secundum diversitatem ultimi finis. Finis autem habet rationem boni. Bonum
autem in tria dividitur, scilicet in utile, delectabile et honestum. Quorum
duo, scilicet delectabile et honestum, habent rationem finis, quia utrumque
est appetibile propter seipsum. Honestum autem dicitur, quod est bonum
secundum rationem, quod quidem habet aliquam delectationem annexam. Unde
delectabile, quod contra honestum dividitur, est delectabile secundum sensum.
Ratio autem est et speculativa et practica. |
58.- Il distingue une triple vie: la vie de volupté que l'on vient de nommer, la vie civile et la vie contemplative" Et il dit qu’elles sont les plus excellentes.· Pour faire l'évidence là-dessus, il faut savoir que, comme on le dira au neuvième livre, chacun caractérise ou définit sa vie par rapport à ce à quoi il est le plus engagé, comme le philosophe croit que sa vie est philosopher, le chasseur compte que sa vie c'est chasser et ainsi pour les autres. Et parce que l'homme est extrêmement concerné par la fin ultime, il est nécessaire que les vies se diversifient d'après la diversité de la fin ultime. La fin a raison de bien. Le bien se divise en trois: le bien utile, délectable et honnête. Parmi ces biens, deux, le bien délectable et honnête, ont raison de fin parce que tous deux sont désirables pour eux-mêmes. Le bien est dit honnête, en effet, qui est bien selon la raison, lequel, en vérité, possède une délectation qui lui est liée ou conjointe. C'est pourquoi le délectable qui se divise par opposition à l’honnête, est le délectable selon le sens. La raison cependant est et spéculative et pratique. |
#58. — Ensuite (1096a4), il distingue trois styles de vies: [la vie] de jouissance, dont on parle maintenant, la civile et la contemplative. Ce sont ces dernières qu'il déclare les plus excellentes. Pour l'évidence de quoi il faut savoir que, comme il sera dit plus loin (#1944-1949), au neuvième livre, chacun consacre sa vie à ce qu'il affectionne le plus, comme le philosophe à philosopher, le chasseur à chasser, et ainsi des autres. Or c'est sa fin ultime qu'on affectionne le plus; il est donc nécessaire que les vies prennent leurs différences d'après la diversité de la fin ultime. La fin, par ailleurs, a raison de bien. Le bien, quant à lui, se divise en trois: en l'utile, le plaisant et l'honorable4. Deux d'entre eux, à savoir le plaisant et l'honorable, ont raison de fin, parce que l'un et l'autre est désirable pour lui-même. On appelle honorable ce qui est un bien en rapport à la raison; cela comporte bien sûr du plaisir d'annexé. Aussi, le plaisant, dans la mesure de sa division d'avec l'honorable, est le plaisant en rapport au sens. La raison, par ailleurs, est à la fois spéculative et pratique. |
[72763] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 5 Vita igitur voluptuosa dicitur quae finem constituit in
voluptate sensus, vita vero civilis dicitur, quae finem constituit in bono
practicae rationis, puta in exercitio virtuosorum operum. Vita autem
contemplativa, quae constituit finem in bono rationis speculativae, scilicet
in contemplatione veritatis. |
59.- Et donc on appelle la vie voluptueuse, celle qui place sa fin dans la volupté sensible. La vie civile est dite celle qui constitue sa fin dans le bien de la raison pratique, par exemple dans l'exercice des œuvres vertueuses. La vie contemplative est celle qui place sa fin dans le bien de la raison spéculative, ou dans la contemplation de la vérité. |
#59. — On appelle donc de jouissance la vie qui a placé sa fin dans la jouissance sensible. On appelle ensuite civile la vie qui a placé sa fin dans le bien pratique de la raison, par exemple, dans l'exercice des œuvres vertueuses. Et enfin contemplative la vie qui a placé sa fin dans le bien de la raison spéculative, soit dans la contemplation de la vérité. |
[72764] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 6 Deinde cum dicit: multi
quidem igitur etc., inquirit de praedicta opinione. Et circa hoc duo facit. Primo
improbat eam. Secundo inducit rationem inducentem ad ipsam, ibi, adipiscuntur
autem et cetera. Circa primum considerandum est, quod vita voluptuosa, quae
ponit finem circa delectationem sensus, necesse habet ponere finem circa
maximas delectationes, quae sequuntur naturales operationes, quibus scilicet
natura conservatur secundum individuum per cibum et potum et secundum speciem
per commixtionem sexuum. Huiusmodi autem delectationes sunt communes
hominibus et bestiis: unde multitudo hominum ponentium finem in huiusmodi voluptatibus
videntur esse omnino bestiales, quasi eligentes talem vitam quasi optimam
vitam in qua pecudes nobiscum communicant. Si
enim in hoc felicitas hominis consisteret, pari ratione bestiae felices
essent fruentes delectatione cibi et coitus. Si igitur felicitas est proprium
bonum hominis, impossibile est quod in his consistat felicitas. |
60.- Il s'interroge sur l'opinion citée plus haut. Ce qu'il fait en deux temps. En premier, il la désapprouve, en second, il donne la raison qui conduit à cette opinion. A propos du rejet de l'opinion, il faut considérer que la vie voluptueuse qui situe la fin dans la délectation du sens doit nécessairement poser cette fin dans les délectations les plus grandes, qui sont consécutives aux opérations naturelles: à savoir les opérations par lesquelles la nature se conserve selon l'individu par la nourriture et la boisson et selon l'espèce par l'union des sexes. Or les délectations de cette sorte sont communes aux hommes et aux bêtes: c'est pourquoi la multitude des hommes qui posent la fin dans les voluptés de cette sorte semblent tout à fait bestiaux, quasi choisissant cette sorte de vie commune aux bêtes et aux hommes. Si en effet le bonheur de l'homme consistait en cela, pour la même raison les bêtes seraient heureuses en jouissant de la délectation de la nourriture et du coït. Si donc la félicité est le bien propre de l'homme, il est impossible qui elle consiste dans ces voluptés. |
#60. — Ensuite (1095b19), il examine l'opinion qui précède. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il l'infirme. En second (1095b21), il donne une raison qui y conduit. Sur le premier [point], il faut prendre en compte que la vie de jouissance, qui détermine sa fin en regard du plaisir sensible, doit nécessairement déterminer sa fin d'après les plaisirs les plus grands, ceux qui suivent les opérations naturelles, grâce auxquelles la nature est conservée, individuellement par la nourriture et la boisson, et en espèce par la rencontre des sexes. Or les plaisirs de cette sorte sont communs aux hommes et aux bêtes: aussi, la multitude des hommes qui mettent leur fin dans des jouissances de la sorte sont manifestement tout à fait bestiaux, dans la mesure où ils optent pour une vie pareille, que les brutes ont en commun avec nous. Car, pour la même raison, si le bonheur de l'homme consistait en cela, les bêtes seraient heureuses, en jouissant du plaisir de la nourriture et du coït. Si donc le bonheur est le bien propre de l'homme, il est impossible qu'il consiste en ces [jouissances]. |
[72765] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 7 Deinde cum dicit adipiscuntur autem etc., ponit
rationem inducentem ad hanc opinionem. Et dicit, quod illi qui ponunt hanc
opinionem, accipiunt pro ratione quod multi illorum qui sunt in maximis
potestatibus constituti, sicut reges et principes, qui felicissimi apud
vulgus reputantur, similia patiuntur cuidam regi Assyriorum nomine
Sardanapalo, qui fuit totaliter voluptatibus deditus, et ex hoc reputant
voluptatem esse optimum, utpote quae ab optimatibus maxime diligitur. |
61.- Il pose la raison qui peut mener à une telle opinion. Et il dit que ceux qui soutiennent cette opinion ont comme raison qu'un grand nombre parmi ceux qui possèdent les plus grands pouvoirs, comme les princes et les rois, lesquels sont estimés être très heureux par l'homme du peuple, se comparent, dans ce dont ils jouissent, à un certain roi assyrien du nom de Sardanapale, qui se donna complètement aux voluptés. Et de là ils croient que la volupté est le bien le plus grand entant qui elle est la plus désirée par les grands. |
#61. — Ensuite (1095b21), il donne une raison qui conduit à cette opinion. Il dit que ceux qui posent cette opinion en prennent comme raison que bien des [gens] constitués dans les plus grands[4] pouvoirs, comme les rois et les princes, qui sont réputés pour très heureux par la foule, s'assimilent à un roi des Assyriens, du nom de Sardanapale, qui s'adonna aux jouissances. C'est à cause de cela qu'on pense que la jouissance est ce qu'il y a de mieux, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus aimé par les meilleurs. |
[72766] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 8 Deinde cum dicit: qui
autem excellentes etc., inquirit de opinionibus pertinentibus ad vitam
activam sive civilem. Et primo quantum ad honorem. Secundo quantum ad
virtutem, ibi, forsitan autem et magis et cetera. Et hoc rationabiliter. Nam
vita civilis sive activa, intendit bonum honestum. Dicitur autem honestum,
quasi honoris status, unde ad hoc pertinere videtur et ipse honor, et virtus,
quae est honoris causa. Circa primum tria facit. Primo proponit opinionem. Et
dicit quod illi qui sunt excellentes, idest virtuosi et operativi,
idest dediti vitae activae, ponunt felicitatem in honore. |
62.- Puis il s'enquiert de l'opinion de ceux qui posent le bonheur dans la vie active ou civile. Primo, quant à l'honneur; secundo, quant à la vertu. Et cela de façon raisonnable. La civile ou active, en effet, poursuit un bien honnête. On l'appelle honnête parce qu'il est comme un étant d'honneur, et à cela semble appartenir l'honneur lui-même, et la vertu, qui est la cause de l'honneur. Quant à l'honneur, il fait trois choses. D'abord, il pose l’opinion. Et il dit, que ceux qui sont excellents, à savoir les vertueux, ou les dédiés à la vie active, posent la félicité dans l'honneur. |
#62. — Ensuite (1095b22), il examine les opinions qui appartiennent à la vie active ou civile. En premier, quant à l'honneur. En second (1095b30), quant à la vertu. Et cela avec raison. En effet, la vie civile, ou active, se propose le bien honorable. On l'appelle d'ailleurs honorable, au sens de situation d'honneur; aussi, manifestement, à la fois l'honneur lui-même appartient à ce [contexte], et la vertu, qui est la cause de l'honneur. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente l'opinion. Il dit que ceux qui sont excellents, c'est-à-dire vertueux et actifs, c'est-à-dire consacrés à la vie active, mettent le bonheur dans l'honneur. |
[72767] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 9 Secundo ibi: civilis enim
etc., inducit ad hoc rationem. Quia fere totius civilis vitae finis videtur
esse honor, qui redditur bene operantibus in vita civili quasi summum
praemium. Et ideo colentibus civilem vitam probabile videtur felicitatem in
honore consistere. |
63.- Il appuie sont dire d'un bon motif. Presque toute la fin de la vie civile semble être l'honneur, qui est rendue comme récompense à ceux qui opèrent dans la vie civile. Et par conséquent, pour ceux qui s'adonnent à la vie civile, la félicité semble probablement consister dans l'honneur. |
#63. — En second (1095b23), il donne une raison pour cela. C'est que presque toute la fin de la vie civile est manifestement l'honneur, qui est donné en récompense à ceux qui agissent bien dans la vie civile. C'est pourquoi il paraît probable, à ceux qui mènent la vie civile, que le bonheur consiste en l'honneur. |
[72768] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 10 Tertio ibi: videtur autem
magis etc., improbat hanc opinionem duabus rationibus. Quarum primam ponit
dicens, quod ante assignatam veram rationem felicitatis divinamus, id
est coniicimus felicitatem esse quoddam bonum, quod est proprium ipsi felici,
utpote ad ipsum maxime pertinens, et quod difficile ab eo aufertur. Hoc autem
non convenit honori, quia honor magis videtur consistere in actu quodam
honorantis et in eius potestate, quam ipsius etiam qui honoratur. Ergo honor
est quiddam magis extrinsecum et superficiale quam bonum quod quaeritur,
scilicet felicitas. |
64.- Il désapprouve cette opinion pour deux raisons dont voici la première: avant d'assigner la raison de la féliciter, nous avons découvert que la félicité était un certain bien, appartenant proprement à celui qui est heureux, et lui appartenant par excellence de ce fait que l'on ne peut que difficilement la lui soustraire. Or cela ne convient pas à l'honneur, parce que l'honneur semble consister davantage dans l'acte de celui qui honore et dans le pouvoir de ce dernier, plutôt qu'être dans le pouvoir de celui qui est honoré. C'est pourquoi l'honneur est plus extrinsèque et plus superficiel que le bien recherché, à savoir la félicité. |
#64. — En troisième (1095b23), il réprouve cette opinion par deux raisons. Il en donne la première en disant que, devant la définition assignée au bonheur, nous devinons, c'est-à-dire nous conjecturons, que le bonheur est un bien propre à la [personne] heureuse elle-même, en tant que c'est qui lui appartient le plus à elle-même, et qu'il est difficile de le lui enlever. Or cela ne convient pas à l'honneur, parce que l'honneur consiste manifestement plutôt dans un acte de celui qui honore et en son pouvoir que [dans un acte] de celui-là qui est honoré. Donc, l'honneur est quelque chose de plus extrinsèque et superficiel que le bien cherché, à savoir le bonheur. |
[72769] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 11 Secundam rationem ponit
ibi, amplius autem videntur et cetera. Quae talis est. Felicitas est quiddam
optimum quod non quaeritur propter aliud. Sed honore est aliquid melius
propter quod quaeritur. Ad hoc enim homines videntur honorem quaerere ut ipsi
firmam opinionem accipiant de se ipsis quod sint boni et quod ab aliis hoc
credatur, et ideo quaerunt homines honorari a prudentibus, qui sunt recti
iudicii, et apud eos a quibus cognoscuntur, qui melius possunt de eis
iudicare. Et quaerunt honorari de virtute, per quam aliquis est bonus, ut in
secundo dicetur. Et sic virtus est aliquid melius honore propter quam honor
quaeritur. Non ergo in honore consistit felicitas. |
65.- Il pose une seconde raison qui est telle. La félicité est ce qu'il y a de meilleur, qui n'est pas recherché en vue d'un autre. Mais il y a quelque chose de meilleur que l'honneur qui est ce en vue de quoi il est recherche. En effet, les hommes semblent rechercher l'honneur pour confirmer l'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, à savoir qu'ils sont bons et que les autres les croient tels. Et c'est pourquoi ils cherchent à être honorés des prudents qui ont un jugement droit et de ceux qui les connaissent, les uns et les autres pouvant porter un meilleur jugement sur eux. Et ils cherchent à être honorés de la vertu qui rend l'homme bon, comme il sera dit au second livre. Ainsi la vertu est quelque chose de meilleur que l'honneur parce qu'elle est ce en vue de quoi l'honneur est recherché. Donc la félicité ne réside pas dans l'honneur. |
#65. — Il donne sa seconde raison (1095b26), qui va comme suit. Le bonheur est ce qu'il y a de meilleur, et il n'est pas cherché pour autre chose. Pourtant, il y a quelque chose de mieux que l'honneur: cela justement à cause de quoi il est cherché. Manifestement, en effet, on cherche l'honneur pour tenir sur soi-même une opinion ferme, comme quoi on est bon, et pour en avoir le témoignage d'autres. C'est pourquoi on cherche à être honoré par des [gens] prudents, qui ont un jugement droit, et par ceux dont on est connu, qui peuvent mieux nous juger. Et on cherche à être honoré au sujet de sa vertu, par laquelle on est bon, comme il sera dit au second [livre] (#307-308). Ainsi, la vertu est quelque chose de mieux que l'honneur pour lequel l'honneur est cherché. Donc, [le bonheur] ne consiste pas en l'honneur. |
[72770] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 12 Deinde cum dicit:
forsitan autem etc., inquirit de opinione ponentium felicitatem in virtute.
Et circa hoc duo facit. Primo proponit opinionem. Et dicit, quod forsitan
aliquis existimabit magis esse finem civilis vitae virtutem quam honorem,
ratione praedicta. |
66.- Puis il s'enquiert de l'opinion de ceux qui posent la félicité dans la vertu. Ce qu'il fait en deux temps. Il propose d'abord l'opinion. Et il dit que peut-être quelqu'un croira que la fin de la vie civile est davantage la vertu que l'honneur, pour la raison qu'on vient de mentionner. |
#66. — Ensuite (1095b30), il examine l'opinion de ceux qui mettent le bonheur dans la vertu. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente l'opinion. Peut-être, dit-il, estimera-t-on, pour la raison qui précède, que la fin de la vie civile est plutôt la vertu que l'honneur. |
[72771] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 13 Secundo ibi: videtur autem imperfectior etc., improbat
eam duplici ratione. Quarum prima talis est. Felicitas videtur esse quoddam
perfectissimum bonum. Sed virtus non est talis. Invenitur enim quandoque sine
operatione quae est perfectio secunda, ut patet in his qui dormiunt et tamen
habitum virtutis habent, et in his qui habent habitum virtutis et in tota
vita sua non occurrit eis facultas operandi secundum illam virtutem, ut
maxime patet in magnanimitate et magnificentia, quia scilicet aliquis pauper
habet habitum huiusmodi, qui tamen nunquam potest magnifica facere. Non ergo
virtus est idem felicitati. |
67.- Ce qu'il désapprouve pour deux raisons. La première est celle-ci. La félicité semble être un bien très parfait. Mais la vertu n'est pas telle. En effet, on la rencontre parfois sans opération, qui est une perfection, comme on le voit chez ceux qui dorment et qui pourtant possèdent l'habitus de la vertu, et chez ceux qui possèdent la vertu mais qui n'auront jamais l'occasion d'opérer selon cette vertu. Ce qui arrive surtout dans la magnanimité et la magnificence: le pauvre qui a une vertu de ce genre ne peut pas pour autant faire le magnifique. Et ainsi la vertu ne s'identifie pas à la félicité. |
#67. — En second (1095b31), il la réprouve pour une double raison, dont la première va comme suit. Le bonheur est manifestement un bien très parfait. Mais la vertu n'est pas ainsi, car elle se trouve éventuellement sans l'opération qui en fait la perfection, comme il appert chez ceux qui dorment tout en ayant l'habitus de la vertu et chez ceux qui, bien qu'ils aient l'habitus de la vertu, ne rencontrent de toute leur vie aucune occasion d'agir selon cette vertu, comme c'est surtout patent pour la magnanimité et la magnificence: qu'un pauvre ait ce type d'habitus, alors qu'il ne peut jamais faire d'[œuvres] magnifiques. La vertu n'est donc pas la même [chose] que le bonheur. |
[72772] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 14 Secundam rationem ponit
ibi et cum his mala pati et cetera. Quae talis est. Contingit aliquem
habentem habitum virtutis (mala pati) et infortunatum esse. Sed nullus dicet
talem esse felicem, nisi aliquis, qui velit pertinaciter positionem suam
defendere contra rationes manifestas; ergo felicitas non est idem virtuti. Et
hoc dicit ad propositum satis esse. Sed de his sufficienter dictum est in
encycliis, idest in quibusdam circularibus versibus quos de felicitate
composuit. |
68.- Il pose la seconde raison qui est telle. Il arrive que quelqu'un ait l'habitus de la vertu et soit malheureux. Mais personne ne dira qu’un tel infortuné soit heureux, à moins qu'il ne veuille à tout prix défendre son opinion contre des raisons manifestes. Et donc la vertu n'est pas identique au bonheur. Et cela, dit-il, suffit à la proposition. Il a parlé suffisamment de ces choses dans ses "Enkidis", qui sont certains vers qu'il a composés sur la félicité. |
#68. — Il donne ensuite sa seconde raison (1095b33). Et elle va comme suit. Il arrive que, tout en ayant l'habitus de la vertu, on soit aussi malchanceux. Mais personne ne dira alors qu'on est heureux, à moins de vouloir obstinément défendre sa position à l'encontre de raisons manifestes: le bonheur, donc, n'est pas la même [chose] que la vertu. Puis, il dit que cela suffit pour son propos. Mais de ces [choses] il a été dit suffisamment dans ses Lettres, c'est-à-dire dans des circulaires en vers qu'il a composées sur le bonheur. 14 |
[72773] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 15 Deinde cum dicit: tertia
autem etc., facit mentionem de vita contemplativa. Et dicit quod de tertia
vita, scilicet contemplativa, perscrutabitur inferius, scilicet in decimo. |
69.- Il dit un mot en dernier, de la vie contemplative. Et il dit qu'au sujet de cette troisième vie, la vie contemplative, il en traitera plus loin, dans le dixième livre. |
#69. — Ensuite (1096a4), il fait mention de la vie contemplative. Il dit que, pour ce qui est de la troisième vie, à savoir la contemplative, on l'examinera attentivement plus loin, à savoir au dixième [livre] (#2086-2125). |
[72774] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 16 Deinde cum dicit:
pecuniosus autem etc., inquirit de quadam alia opinione minus rationabili,
quae ponit felicitatem in aliquo, quod habet rationem boni utilis, scilicet
in pecunia. Et hoc repugnat rationi ultimi finis. Nam utile dicitur aliquid
ex hoc, quod ordinatur ad finem. Quia tamen pecunia habet universalem utilitatem
respectu omnium bonorum temporalium, ideo probabilitatem quamdam habet haec
opinio, quae in pecuniis ponit felicitatem. |
70.- Puis il remue une autre opinion, moins raisonnable, celle-là, qui pose la félicité dans ce qui a raison de bien utile, à savoir l'argent. Mais cela répugne à la raison de fin ultime, car l'utile se dit de ce qui est ordonné à une fin. Mais parce que l'argent a une utilité universelle par rapport à tous les biens temporels, cette opinion qui pose la félicité dans l'argent, garde une certaine probabilité. |
#70. — Ensuite (1096a5), il examine une autre opinion, moins raisonnable, qui met le bonheur dans quelque chose qui a raison de bien utile, à savoir dans l'argent. Cela répugne à la raison de fin ultime. En effet, quelque chose est dit utile du fait d'être ordonné à une fin. Comme, cependant, l'argent présente une utilité universelle, en regard de tous les biens temporels, l'opinion qui met le bonheur dans l'argent conserve quelque probabilité. |
[72775] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 17 Improbat autem eam Aristoteles duplici ratione. Quarum
prima talis est. Pecunia per violentiam acquiritur et per violentiam
perditur. Sed hoc non convenit felicitati, quae est finis voluntariarum
operationum, ergo felicitas non consistit in pecuniis. |
71.- Aristote la repousse cependant pour une double raison. Voici la première: on acquiert l'argent par la violence, et on le perd aussi par la violence. Ce qui ne convient pas à la félicité, qui est la fin des actions volontaires; aussi, la félicité ne consiste pas dans l'argent. |
#71. — Aristote, toutefois, la réprouve pour une double raison. La première va comme suit. L'argent peut s'acquérir par violence, et se perdre par violence. Or cela ne convient pas au bonheur, puisqu'il est la fin des activités volontaires; donc le bonheur ne consiste pas dans l'argent. |
[72776] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 18 Secundam rationem ponit ibi et divitiae non sunt et
cetera. Quae talis est. Nos quaerimus felicitatem tamquam aliquod bonum quod
non quaeritur propter aliud. Sed pecunia quaeritur propter aliud, quia habet
rationem boni utilis, ut dictum est. Ergo in ipsa non consistit felicitas. |
72.- Voici sa seconde raison: nous cherchons la félicité qui est un certain bien qui n'est pas recherché en vue d'un autre. Mais l'argent est recherché en vue d'un autre, car il est un bien utile, comme on l'a montré. Et donc, la félicité ne consiste pas dans l'argent. |
#72. — Il donne sa seconde raison ensuite (1096a6). Et elle va comme suit. Nous cherchons le bonheur comme un bien qui ne soit pas recherché pour autre chose. Or on cherche l'argent pour autre chose, puisque, comme il a été dit (#70), il a raison de bien utile. Donc, le bonheur ne consiste pas en lui. |
[72777] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 19 Concludit autem ulterius quod illa quae supra dicta
sunt, scilicet voluptas, honor et virtus, possunt existimari ultimi fines:
quia propter se requiruntur, ut dictum est, et tamen neque etiam illa sunt
ultimus finis ut ostensum est, quamvis a diversis sint multi sermones
compositi, ad asserendum felicitatem in praedictis bonis consistere. Sed
istae opiniones sunt de cetero relinquendae.
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73.- Il conclut donc que tous les biens ci-haut mentionnés: la volupté, l'honneur, et la vertu peuvent être regardés comme fins ultimes: ils sont recherchés à cause d'eux-mêmes. La fin ultime ne réside pas pour autant en eux, comme on l'a montré, bien qu'une multitude d'écrits veut démontrer que la félicité consiste dans ces biens. Mais on doit ici délaisser ces opinions. |
#73. — Il est ensuite conclu qu'on peut considérer les [biens] qui viennent d'être énumérés (57-72), à savoir, la jouissance, l'honneur et la vertu, comme des fins ultimes, du fait qu'ils sont recherchés pour eux-mêmes, comme il a été dit (#57, 61, 63, 70). Cependant, ce n'est pas en eux que se trouve la fin ultime, comme il a été montré (#57-72), même si plusieurs ont composé bien des discours pour prétendre que le bonheur consiste dans les biens qui précèdent. Mais on doit maintenant abandonner ces opinions. |
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Texte d’Aristote : Les opinions spécieuses : l’idée du bien |
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Ces biens-là, nous pouvons donc les laisser de côté : mais le bien universel, lui, mérite qu’on lui consacre un examen approfondi et qu'on développe à fond les questions qui se posent dès lors qu'on se demande ce que veut dire ce mot de "bien". Aussi vaut-il ne pas reculer devant une pareille recherche, malgré tout ce qu'elle peut avoir pour nous de délicat, puisque sont nos amis ceux qui ont inventé les idées. Mais tout le monde le reconnaîtra sans doute: il vaut mieux, et même il faut, lorsque c'est la vérité qu'il s’agit de sauver, détruire jusqu'à ce qui nous tient le plus à cœur, surtout lorsqu'on est philosophe, c’est-à-dire ami du savoir: c'est entre deux amis qu'on a alors à choisir, et, de ces deux amis, c'est un devoir sacré de préférer la vérité. I- L’idée de bien n’existe pas 1) Il n’y a pas d’idée de tous les biens Donc, ceux qui ont lancé cette doctrine ne fabriquaient pas d’idées pour les choses dont ils reconnaissaient qu'elles forment une série dans laquelle elles sont les unes antérieures, les autres postérieures (voilà justement pourquoi ils ne forgeaient pas d’idée des nombres, entre autres). Or, le mot de "bien" s'emploie et comme un attribut qui désigne l'essence (et comme un attribut qui désigne la qualité), et comme un attribut qui désigne la relation, et le "par-soi ", c'est-à-dire la substance, est antérieur par nature au "relatif à" (car la relation est une sorte de "rejeton", c'est-à-dire d’accident de la substance). Donc, il ne saurait y avoir d'idée commune à la substance et à la relation. En outre, le mot "bien" s’emploie en autant de sens que le mot "être"; il peut en effet désigner l'essence (par exemple le dieu, c'est-à-dire l'intellect); la qualité (les vertus); la quantité (la mesure); la relation (l'utile); le temps (l'occasion); le lieu (l’habitat); etc. Il en résulte que le terme de "bien" ne saurait évidemment être un terme commun, universel et un; car alors il ne s'emploierait pas dans toutes les catégories, mais dans une seule. En outre, puisque de tout ce qui répond à une idée unique, il y a aussi une science unique, il y aurait une science unique de tous les biens. Or, en fait, il y en a plusieurs, même s’il ne s'agit que des biens qui sont compris sous une unique catégorie. Par exemple, la science de l'occasion, c'est, s'il s'agit de guerre, la stratégie, et s'il s'agit de maladie, la médecine; la science de la mesure, c'est, s'il s'agit de nourriture, la médecine, et s'il s'agit d'exercices physiques, la gymnastique. Il n’y a pas d’idée séparée de tous les biens On pourrait encore se demander ce qu'ils peuvent bien vouloir dire avec leurs "choses-en-soi". Car enfin, dans "l'homme-en-soi" et dans l'homme tout court, la définition qui se trouve réalisée est une et la même: celle de l'homme; en tant qu'hommes, il n’y aura entre eux aucune différence. Et s'il en est ainsi, il n'yen aura pas davantage entre le "Bien-en-soi" et le bien tout court, en tant que biens. Mais ce n'est certes pas davantage parce qu'il sera éternel que le "Bien-en-soi" sera meilleur que le bien tout court. Car enfin un blanc qui dure longtemps n'est pas plus blanc qu'un blanc qui dure un jour. (A tout prendre, il y a quelque chose de plus vraisemblable dans la théorie du bien des Pythagoriciens, qui se contentent de placer l'un dans la colonne des biens. Et l'on s’explique que Speusippe lui-même se soit mis à leur remorque, comme on avouera qu'il l'a fait). 2) Il n’y a même pas d’idée des biens par eux-mêmes Mais des Pythagoriciens et de Speusippe, nous parlerons une autre fois; tenons-nous en pour l'instant à notre argumentation contre l'Idée de bien. On lui cherchera chicane, nous le soupçonnons, en objectant que les partisans des idées n'ont pas voulu parler de tout bien: les biens dont le nom renvoie à une idée une, ce sont ceux qui, par eux-mêmes, méritent d'être poursuivis et aimés; mais les biens qui les engendrent ou qui conservent ou qui empêchent leurs contraires de se produire ne reçoivent le nom de "biens" que grâce à eux et en un sens second. Plaçons-nous sur ce nouveau terrain et admettons qu'il y ait deux sortes de biens: les biens qui le sont par eux-mêmes et les biens qui le sont grâce aux premiers. Séparons donc des biens utiles les biens par eux-mêmes et examinons si, lorsqu'il s'agit des biens par eux-mêmes, le mot de bien exprime une idée une. Mais précisément, quels sont les biens qu'il faut placer au nombre des biens par eux-mêmes? Ou ce seront tous les biens qu'on poursuit, fussent-ils destinés à rester seuls, "par exemple, être sage et voir", et aussi certains "plaisirs", ajoutons : les honneurs. Voilà en effet des biens que, même si nous les poursuivons à cause d'autre chose, on n’hésitera pourtant pas à placer au nombre des biens par eux-mêmes ! On n’y placera rien d’autre que les idées ? Mais en ce dernier cas, vaine sera l'idée ! Et, dans l'autre cas, c'est-à-dire si même les biens d'ici-bas mentionnés plus haut sont des biens par eux-mêmes, la définition du bien devra, en eux tous, se retrouver la même, comme dans la neige et dans la céruse, celle de la blancheur. Or, de l'honneur, de la sagesse et du plaisir, autres et différentes sont les définitions, en tant même que biens. Par conséquent, le mot de "bien" n'est pas un prédicat commun et qui exprime une idée une. 3) Le terme de "bien" est un terme analogue Mais alors, que veut dire, en fin de compte, le mot de "bien"? Il n'a pas l’air en effet d’un terme équivoque, au moins s’il s'agit de ce type d'équivoque qui vient de ce que des choses diverses reçoivent par hasard le même nom. Mais par contre n'a-t-il pas tout l’air d'un terme équivoque, s’il s'agit cette choses diverses qui reçoivent le même nom parce qu'elles procèdent toutes d'un principe unique ou parce qu'elles concourent toutes à une fin unique? Ou mieux encore, s'il s'agit des choses qui reçoivent le même nom par analogie? Car ce que la vue est pour le corps, l'intellect l’est pour l'âme et ainsi de suite. Mais sans doute est-il préférable de laisser cette question de côté pour l'instant (sa solution rigoureuse est du domaine propre d'une autre partie de la philosophie). II- Même si l’idée de bien existe, elle n’intéresse pas l’éthique Nous pouvons également mettre de côté pour l'instant la question de l'Idée de bien. Si même il existe un bien qui soit un concept un, c'est-à-dire qui puisse être un prédicat commun, ou un bien séparé qui soit une chose-en-soi, ce bien ne "saurait évidemment être pour l'homme ni un bien qu’il puisse prendre pour objet de son action, ni un bien qu’il puisse posséder. Or pour l'instant, ce que nous cherchons, c'est un bien qui puisse être l'un et l’autre. Mais, se demandera-t-on peut-être, ne vaudrait-il pas mieux connaître le Bien-en-soi dans l'intérêt de ceux des biens que nous pouvons posséder et prendre pour objets de nos actions ? Ce bien serait alors pour nous une sorte de modèle qui nous servirait à mieux connaître les biens à notre portée eux-mêmes, et, les connaissant mieux, nous les atteindrions plus sûrement. L’argument, reconnaissons-le, a quelque vraisemblance; malheureusement, il a tout l'air d’être en désaccord avec la pratique des sciences: quoiqu’en effet toutes tendent à un bien et cherchent à combler un vide, elles n’en laissent pas moins de côté la connaissance du Bien-en-soi. Et pourtant, si c'était un si précieux secours, que les artisans, à l’unanimité, l'ignorent et ne cherchent même pas à s'en assurer le bénéfice, ce ne serait pas normal. D’ailleurs, on ne voit guère non plus quel avantage un tisserand ou un menuisier tirera pour son art à lui de la connaissance du Bien-en-soi, ou en quoi on sera meilleur médecin ou meilleur général pour avoir contemplé l'Idée en elle-même ! Car, cela saute aux yeux, s'agit-il même de la santé, ce n'est pas la Santé-en-soi qu'examine le médecin, mais la santé de l'homme; et plus volontiers encore, peut-être, celle de cet homme-ci : car c'est l'individu qu'il soigne. |
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Lectio
6 |
Leçon 6 |
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[72778] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6
n. 1 Quod autem universale et
cetera. Postquam
philosophus improbavit opiniones ponentium felicitatem in aliquo manifestorum
bonorum, hic improbat opinionem ponentium felicitatem in quodam bono
separato. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod necessarium est
inquirere de hac opinione. Secundo incipit eam improbare, ibi, ferentes autem
opinionem hanc et cetera. Circa primum
tria facit. Primo proponit utilitatem huius inquisitionis. Secundo ostendit
quid videatur huic inquisitioni repugnare, ibi: etsi obvia tali quaestione
facta et cetera. Tertio ostendit, quod illud non debeat retrahere ab inquisitione
huius veritatis ibi, videbitur autem utique melius et cetera. Circa primum
considerandum est, quod illud bonum separatum in quo Platonici ponebant
hominis felicitatem consistere, dicebant esse universale bonum per cuius
participationem omnia bona dicuntur. Dicit ergo quod perscrutari de hoc
universali bono an sit, et inquirere qualiter esse ponatur, forsitan est
melius, quam inquirere de praemissis opinionibus; eius enim inquisitio magis
est philosophica, utpote magis pertinens ad considerationem veri boni et
ultimi finis quam praemissae, si ipsae opiniones secundum se considerentur.
Si autem considerentur secundum quod pertinent ad propositum, inquirere de
praemissis opinionibus, magis videtur fuisse conveniens proposito. Et ideo
dixit forsitan, quod est adverbium dubitandi. |
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#74. — Après avoir réprouvé les opinions de ceux qui mettent le bonheur en l'un des biens manifestes, le Philosophe s'attaque ici à l'opinion de ceux qui mettent le bonheur en un bien séparé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il est nécessaire d'investiguer cette opinion. En second (1096a17), il commence à s'attaquer à elle. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose l'utilité de cette investigation. En second (1096a12), il montre ce qui paraîtrait s'opposer à cette investigation. En troisième (1096a14), il montre que cela ne devrait pas retenir de l'investigation de cette vérité. Sur le premier [point], on doit tenir en considération que ce bien séparé, en lequel ils prétendaient que consiste le bonheur de l'homme, les Platoniciens disaient qu'il constitue un bien universel, par la participation duquel tout se dit bien. Il dit, donc, que scruter, à propos de ce bien universel, s'il existe, et investiguer de quelle manière on prétend qu'il est, vaut peut-être mieux qu'investiguer les opinions précédentes; en effet, son investigation est plus philosophique, dans la mesure où [elle est] plus pertinente que les précédentes à la considération du vrai bien et de la fin ultime, à considérer les opinions en elles-mêmes. À les considérer, en outre, selon qu'il relève de notre propos d'investiguer les opinions précédentes, il paraît avoir été plus à propos [de les considérer d'abord]5. Et c'est pourquoi il a dit peut-être, qui est un adverbe de doute. |
[72779] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 2 Deinde cum dicit etsi obvia etc., ponit quid posset eum
retrahere ab inquisitione talis opinionis. Et dicit, quod huius inquisitio
est contraria suae voluntati, propter hoc quod erat introducta a suis amicis,
scilicet a Platonicis. Nam ipse fuit Platonis discipulus. Improbando autem
eius opinionem, videbatur eius honori derogare. Ideo autem potius hic hoc
dicit quam in aliis libris, in quibus opinionem Platonis improbat, quia improbare
opinionem amici non est contra veritatem, quae quaeritur principaliter in
speculativis, est autem contra bonos mores, de quibus principaliter agitur in
hoc libro. |
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#75. — Ensuite (1096a12), il présente ce qui pourrait le retenir de l'investigation d'une telle opinion. Il dit que l'investigation de celle-ci contrarie sa volonté, pour la raison qu'elle avait été introduite par ses amis, à savoir, par les Platoniciens. Car il fut lui-même disciple de Platon. En s'attaquant, ensuite, à l'opinion de celui-ci, il paraissait manquer à l'honneur qu'il lui devait. Pourquoi, par ailleurs, il dit cela ici plutôt que dans les autres livres où il s'attaque à l'opinion de Platon, c'est que[5] s'attaquer à l'opinion d'un ami ne va pas contre la vérité, [chose] que l'on recherche principalement dans les autres sciences spéculatives; mais cela va contre les bonnes mœurs, dont il s'agit principalement, dans ce livre. |
[72780] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6
n. 3 Deinde cum dicit:
videbitur autem utique etc., ostendit quod hoc eum non debet retrahere. Quia
videbitur melius esse, idest magis honestum et ad bonos mores
pertinens, et etiam omnino oportere ut homo non vereatur impugnare familiares
suos pro salute veritatis. Est enim hoc adeo necessarium ad bonos mores, ut sine
hoc virtus conservari non possit. Nisi enim homo veritatem familiaribus
praeferret, consequens esset, quod homo falsa iudicia et falsa testimonia
proferret pro defensione amicorum. Quod est contra virtutem. Et quamvis aliter, id est alia ratione pertinente ad
omnes homines veritas sit praeferenda amicis, specialiter tamen hoc oportet
facere philosophos, qui sunt professores sapientiae, quae est cognitio
veritatis. |
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#76. — Ensuite (1096a14), il montre que cela ne doit pas le retenir. C'est qu'il semblera mieux, c'est-à-dire, plus honorable et plus pertinent aux bonnes mœurs, et toujours à faire, qu'on s'en prenne sans peur à ses familiers pour le salut de la vérité. Celle-ci est, en effet, à ce point nécessaire aux bonnes mœurs, que la vertu ne pourrait se garder sans elle. Car si on ne préférait pas la vérité à ses familiers, il s'ensuivrait que l'on proférerait des faux jugements et de faux témoignages pour la défense de ses amis. Et cela va contre la vertu. En outre, quoique ce soit pour une raison qui vaut universellement pour tous les hommes que la vérité est à préférer à ses amis, le philosophe, cependant, doit spécialement le faire, lui qui est professeur de sagesse, laquelle est la connaissance de la vérité. |
[72781]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 4 Quod autem oporteat veritatem
praeferre amicis, ostendit hac ratione. Quia ei qui est magis amicus, magis
est deferendum. Cum autem amicitiam habeamus ad ambo, scilicet ad veritatem
et ad hominem, magis debemus veritatem amare quam hominem, quia hominem
praecipue debemus amare propter veritatem et propter virtutem ut in VIII
huius dicetur. Veritas autem est amicus
superexcellens cui debetur reverentia honoris; est etiam veritas quiddam
divinum, in Deo enim primo et principaliter invenitur. Et ideo concludit,
quod sanctum est praehonorare veritatem hominibus amicis. |
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#77. — Que, par ailleurs, il faut préférer la vérité à ses amis, il le montre avec cette raison. C'est que l'on doit plus grande déférence à qui est davantage ami. Or comme nous avons de l'amitié pour les deux, à savoir, pour la vérité et pour l'homme, nous devons aimer plus la vérité que l'homme, puisque nous devons aimer l'homme principalement à cause de la vérité et de la vertu, comme on le dira au huitième [livre] de ce [traité] (#1575-77). Or la vérité est une amie assez excellente pour mériter d'être révérée avec honneur. Même que la vérité est quelque chose de divin; c'est en Dieu, en effet, qu'on la trouve en premier et principalement. C'est pourquoi il conclut qu'il est saint d'honorer la vérité avant ses amis hommes. |
[72782] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 5 Dicit enim Andronicus Peripateticus, quod sanctitas
est quae facit fideles et servantes ea quae ad Deum iusta. Haec etiam
fuit sententia Platonis, qui reprobans opinionem Socratis magistri sui dixit
quod oportet de veritate magis curare quam de aliquo alio; et alibi dicit: amicus
quidem Socrates sed magis amica veritas; et in alio loco: de Socrate
quidem parum est curandum, de veritate autem multum. |
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#78. — Andronicus le péripatéticien dit, en effet, que c'est la sainteté qui rend fidèle et fait servir ce qui touche Dieu. À côté de cela, il y a aussi la pensée de Platon, qui, en réprouvant l'opinion de son maître Socrate, dit qu'il faut prendre davantage soin de la vérité que de quelque chose d'autre. Et là il dit: Socrate est mon ami, certes, mais elle est davantage mon amie, la vérité. Et en un autre lieu, que de Socrate il y a peu à avoir soin, mais de la vérité, beaucoup. |
[72783] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6
n. 6 Deinde cum dicit: ferentes
autem hanc opinionem etc., improbat positionem Platonis dicentem quod
felicitas hominis consistit in quadam communi idea boni. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit, quod non est una communis idea boni. Secundo ostendit,
quod etiam si esset, non consisteret in ea humana felicitas, ibi: sed forte
haec quidem relinquendum est nunc et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit, quod non sit una communis idea boni. Secundo inquirit de modo
loquendi, quo Platonici hanc ideam nominabant, ibi, quaeret autem utique
aliquis et cetera. Circa primum considerandum est, quod Aristoteles non intendit
improbare opinionem Platonis quantum ad hoc quod ponebat unum bonum
separatum, a quo dependerent omnia bona, nam et ipse Aristotiles in XII
metaphysicae ponit quoddam bonum separatum a toto universo, ad quod totum
universum ordinatur, sicut exercitus ad bonum ducis. Improbat autem opinionem
Platonis quantum ad hoc quod ponebat illud bonum separatum esse quamdam ideam
communem omnium bonorum. Ad quod quidem
improbandum utitur triplici ratione. |
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#79. — Ensuite (1096a17), il s'attaque à la position de Platon, qui dit que le bonheur de l'homme consiste en une idée commune du bien. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il n'existe pas d'idée commune du bien. En second (1096b30), il montre que même s'il en existait une, le bonheur humain ne consisterait pas en elle. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il n'existe pas d'idée commune du bien. En second (1096a34), il investigue la manière de parler conformément à laquelle les Platoniciens nommaient cette idée. Sur le premier [point], on doit tenir en considération qu'Aristote n'entend pas s'attaquer à l'opinion de Platon quant à ce qu'elle posait un bien séparé duquel dépendrait tout bien. En effet, Aristote lui-même, au douzième [livre] de la Métaphysique, pose un bien séparé de tout l'univers, auquel tout l'univers est ordonné, comme l'armée au bien du chef. Mais il s'attaque à l'opinion de Platon quant à ce qu'elle posait que le bien séparé serait une idée commune de tous les biens. Il se sert de trois raisons pour s'y attaquer. |
[72784] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 7 Quarum prima sumitur ex ipsa positione Platonicorum,
qui non faciebant aliquam ideam in illis generibus in quibus invenitur prius
et posterius, sicut patet in numeris. Nam binarius naturaliter prior est
ternario et sic inde, et ideo non dicebant Platonici, quod numerus communis
esset quaedam idea separata; ponebant autem singulos numeros ideales
separatos, puta binarium, ternarium et similia. Et huius ratio est, quia ea
in quibus invenitur prius et posterius, non videntur esse unius ordinis, et
per consequens nec aequaliter unam ideam participare. Sed in bonis invenitur prius
et posterius. Quod manifestat ex hoc, quod bonum invenitur in eo
quodquidest, id est in substantia, et similiter in qualitate et etiam in
aliis generibus; manifestum est autem, quod illud quod est ens per seipsum,
scilicet substantia, est naturaliter prior omnibus his quae non habent esse
nisi in comparatione ad substantiam, sicut est quantitas, quae est mensura
substantiae, et qualitas, quae est dispositio substantiae, et ad aliquid,
quod est habitudo substantiae. Et idem est in aliis generibus, quae omnia
assimilantur propagini entis, idest substantiae, quae est
principaliter ens, a qua propaginantur et derivantur omnia alia genera. Quae
etiam in tantum dicuntur entia, inquantum accidunt substantiae. Et ex hoc
concludit, quod non potest esse quaedam communis idea boni. |
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#80. — La première se tire de la position même des Platoniciens, qui ne faisaient pas une idée dans les genres où on trouve de l'antérieur et du postérieur, comme il appert dans les nombres. En effet, le binaire est naturellement antérieur au ternaire; c'est pourquoi les Platoniciens ne disaient pas que le nombre commun serait une idée séparée; ils posaient, par ailleurs, des nombres singuliers idéaux séparés, par exemple, le binaire, le ternaire et autres semblables. La raison en est que ce en quoi on trouve de l'antérieur et du postérieur ne paraît pas appartenir à un seul ordre et, par conséquent, ne pas participer également non plus d'une seule idée. Or on trouve de l'antérieur et du postérieur dans les biens, ce qu'il manifeste à partir du fait que le bien se trouve dans ce qu'une chose est, c’est-à-dire, sa substance, et pareillement dans la qualité, et aussi dans les [autres] genres. Or il est manifeste que ce qui est être par soi-même, à savoir, la substance, est naturellement antérieur à tout ce qui n'a l'être qu'en comparaison à la substance, comme la quantité, mesure de la substance, et la qualité, disposition de la substance, et la [relation] à autre chose, relation de la substance. Il en va de même dans les autres genres, qui s'assimilent tous à un rejeton de l'être, c'est-à-dire, de la 16 substance, principal être, dont se propagent et dérivent tous les autres genres. Même qu'on les dit des êtres dans la mesure même où ils coïncident avec la substance. De là, il conclut qu'il ne peut exister d'idée commune du bien. |
[72785] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 8 Secundam rationem ponit ibi amplius quia bonum et
cetera. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod Plato ponebat ideam esse
rationem et essentiam omnium eorum, quae ideam participant. Ex quo sequitur,
quod eorum quorum non est una ratio communis, non possit esse una idea. Sed
diversorum praedicamentorum non est una ratio communis. Nihil enim univoce de
his praedicatur. Bonum autem sicut et ens, cum quo convertitur, invenitur in
quolibet praedicamento; sicut in quod quid est, id est in substantia,
bonum dicitur Deus, in quo non cadit malitia, et intellectus, qui semper est
rectus. In qualitate autem virtus, quae bonum facit habentem. In quantitate
autem commensuratum, quod est bonum in quolibet quod subditur mensurae. In ad aliquid autem
bonum est utile, quod est relatum in debitum finem. In quando autem tempus,
scilicet opportunum, et in ubi locus congruus ad ambulandum, sicut dieta. Et
idem patet in aliis generibus. Manifestum est ergo, quod non est aliquod unum
bonum commune, quod scilicet sit idea, vel ratio communis omnium bonorum:
alioquin oporteret, quod bonum non inveniretur in omnibus praedicamentis, sed
in uno solo. |
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#81. — Il présente ensuite sa seconde raison (1096a23). Pour son évidence, on doit savoir que Platon posait que l'idée est la raison et l'essence de tout ce qui participe d'une idée. D'où il s'ensuit qu'il ne peut y avoir d'idée de ce dont il n'y a pas de raison commune. Or il n'y a pas de raison commune pour les différents prédicaments. En effet, rien ne s'attribue univoquement à eux. Or le bien, comme l'être, puisqu'il se convertit avec lui, se trouve dans n'importe quel prédicament. Par exemple, dans ce que la chose est, c'est-à-dire, dans la substance, le bien s'appelle Dieu, en qui ne tombe aucune malice, et l'intelligence, qui est toujours droite. Dans la qualité, c'est la vertu, qui rend bon celui qui l'a. Dans la quantité, c'est le commensurable, qui est le bien en tout ce qui est soumis à une mesure. Dans la [relation] à autre chose, c'est le bien qui est utile, qui est le bien relié à la fin due. Dans le moment, par ailleurs, c'est le temps opportun, et dans l'endroit, c'est le lieu congru pour marcher, comme la diète. La même chose appert dans les autres genres. Il est donc manifeste qu'il n'y a pas un bien unique qui soit idée ou raison commune de tous les biens; autrement, il faudrait qu'on ne trouve pas le bien dans tous les prédicaments, mais dans un seul. |
[72786] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 9 Tertiam rationem ponit ibi amplius autem quia eorum
quae sunt et cetera. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut Plato
ponebat quod res extra animam existentes assequuntur formam generis vel
speciei per hoc quod participant ideam, ita anima formatur per scientiam ex
hoc quod participat ideam, ita quod anima non cognoscit lapidem nisi per hoc
quod participat ideam lapidis, ex quo sequitur quod omnium eorum, quae habent
unam ideam, est una scientia. Si ergo omnium bonorum esset una idea, sequeretur quod
omnia bona pertinerent ad considerationem unius scientiae. Hoc autem videmus
esse falsum, etiam quantum ad bona quae sunt in uno praedicamento (quod
(dicit) addit, ne aliquis diversificationes scientiarum attribueret
diversitati praedicamentorum): tempus enim quod est ex congruitate considerat
quidem in rebus bellicis militaris, in aegritudinibus autem medicinalis, in
laboribus autem exercitativa. Relinquitur
ergo quod non est una communis idea bonorum.
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#82. — Il présente ensuite sa troisième raison (1096a39). Pour son évidence, on doit savoir que, de même que Platon posait que les choses qui existent en dehors de l'âme obtiennent forme de genre ou d'espèce du fait de participer d'une idée, de même [il posait] que l'âme ne connaît la pierre que du fait qu'elle participe de l'idée de pierre, et de même [que] l'âme participe à la science et à la connaissance de ces [choses] du fait que les formes ou idées des [choses] mêmes se trouvent imprimées en elle. D'où il s'ensuit qu'il y a une seule science de tout ce dont il n'y a qu'une seule idée. Si, donc, il y avait une seule idée de tous les biens, il s'ensuivrait que tous les biens appartiendraient à la considération d'une seule science. Or nous voyons que cela est faux, même quant aux biens qui sont dans un seul prédicament. Ce qu'il ajoute pour qu'on n'attribue pas les différenciations des sciences à la différenciation des prédicaments. Nous voyons, par ailleurs, que le temps congru, c'est, bien sûr, la [science] militaire qui le considère en matière de guerre, la [science] médicinale, en matière de maladie, la [science] exercitative, en matière d'effort. Il reste donc qu'il n'existe pas d'idée commune des biens. |
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Lectio
7 |
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Leçon 7
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[72787] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 1 Quaeret autem utique aliquis
et cetera. Ostendit supra philosophus quod non est una idea communis omnium
bonorum; sed quia Platonici illud bonum separatum non solum vocabant ideam
boni, sed etiam per se bonum, hic intendit inquirere Aristotiles utrum hoc
convenienter dicatur. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod illud
bonum separatum, non convenienter nominatur per se bonum. Secundo ostendit,
quod ponere bonum separatum esse per se bonum repugnat ei quod dicitur ipsum
esse communem ideam omnium bonorum, ibi, his autem, quae dicta sunt, et
cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quod illud bonum separatum
non convenienter dicitur per se bonum. Secundo excludit quandam responsionem,
ibi: sed quidem neque perpetuum esse etc.; tertio comparat hoc dictum
opinioni Pictagoricorum, ibi, probabilius autem videntur et cetera. |
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#83. — Le Philosophe a montré, plus haut, qu'il n'existe pas d'idée commune de tous les biens. Mais comme les Platoniciens n'ont pas appelé ce bien séparé seulement idée du bien, mais aussi bien par soi, Aristote entend investiguer, à partir d'ici, si c'est parler avec convenance. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'on ne nomme pas le bien séparé avec convenance bien par soi. En second (1096b8), il montre que de prétendre que le bien séparé est le bien par soi répugne à ce que l'on considère comme l'idée commune de tous les biens. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bien séparé ne se dit pas avec convenance bien par soi. En second (1096b3), il exclut une réponse. En troisième (1096b5), il compare ce dire à l'opinion des Pythagoriciens. |
[72788] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 2 Circa primum considerandum
est, quod illud bonum separatum, quod est causa omnium bonorum, oportet
ponere in altiori gradu bonitatis, quam ea quae apud nos sunt, eo quod est
ultimus finis omnium. Per hoc autem dictum videtur, quod non sit altioris
gradus in bonitate, quam alia bona. Et hoc
manifestat per hoc, quod unumquodque separatorum vocabat Plato per se, sicut
ideam hominis vocabat per se hominem et ideam equi per se equum, manifestum
est autem, quod una et eadem ratio est hominis qui est apud nos et per se
hominis, idest separati. Et hoc manifestat per hoc, quod homo separatus
et homo qui est in materia non differunt secundum quod homo, differunt autem
secundum quaedam alia, puta quod ille homo est immaterialis et iste est
materialis; sicut animal commune et homo non differunt in ratione animalis,
sed differunt in hoc, quod homo addit rationale super animal. Ita etiam videtur
quod in ratione hominis non differat homo separatus ab hoc homine, sed hic
homo addit materiam. Eadem igitur ratione illud separatum bonum quod nominant
per se bonum, non erit alterius rationis in bonitate, quam hoc particulare
bonum, poterit autem esse differentia quantum ad aliqua alia, quae sunt
praeter rationem boni. |
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#84. — Sur le premier [point], on doit tenir compte que le bien séparé, parce que cause de tous les biens, doit se placer à un plus haut degré de bonté que les [biens] qui nous sont proches, puisqu'il est la fin ultime de tous les autres. Or de le nommer ainsi ne le fait pas paraître d'un plus haut degré de bonté que les autres biens. Il manifeste cela du fait que chaque être séparé s'appelait par soi, comme l'homme par soi, et aussi le cheval par soi, alors qu'il est manifeste qu'une seule et même définition appartient à l'homme qui nous est proche et à l'homme par soi, c'est-à-dire, séparé. Cela, il le manifeste du fait que l'homme séparé et l'homme présent dans la matière ne diffèrent pas en tant qu'hommes, mais diffèrent en rapport à autre chose, par exemple, en ce que tel homme est dans la matière. De même, l'animal commun et l'homme ne diffèrent pas quant à la définition de l'animal, mais diffèrent en ce que l'homme ajoute le rationnel à l'animal. De même aussi, il est clair 17 que l'homme séparé ne diffère pas de tel homme quant à la définition de l'homme, mais en ceci que tel homme ajoute à l'homme la matière. Pour la même raison, le bien que l'on a nommé bien par soi ne sera pas d'une autre définition pour sa bonté que tel [bien] particulier; mais il pourra y avoir une différence quant à autre chose, en dehors de la définition du bien. |
[72789] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 3 Deinde cum dicit: (sed quidem) neque perpetuum esse
etc., excludit quamdam responsionem. Posset enim aliquis respondere, quod
illud per se bonum est melius, quia est perpetuum. Haec autem bona sunt
corruptibilia. Quod autem est diuturnius, videtur esse melius et magis
eligendum. Sed ad hoc excludendum dicit, quod neque hoc quod est perpetuum
esse, facit illud per se bonum esse magis bonum. Perpetuum enim a non
perpetuo differt duratione. Differentia autem durationis alicuius rei est
praeter rationem propriae speciei, sicut vita quae est unius diei et vita
quae est diuturna non differunt in ratione vitae, sed solum differunt in
duratione. Sic ergo si accipiatur bonum quasi una species, duratio erit
praeter rationem boni. Et ita ex hoc quod est aliquid diuturnius non differet
secundum rationem boni quasi melius existens quam si esset unius diei tantum. |
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#85. — Ensuite (1096b3), il exclut une réponse. On pourrait répondre, en effet, que le bien par soi est meilleur, car il est perpétuel, alors que tels biens sont corruptibles. Or ce qui est plus durable est manifestement meilleur et préférable. Pour exclure cela, cependant, il dit que pas même le fait d'être perpétuel ne fait que le bien par soi soit meilleur. En effet, le perpétuel diffère du non perpétuel par la durée. Or la différence de durée d'une chose est en dehors de sa définition spécifique, comme la vie d'un jour et la vie durable ne diffèrent pas quant à la définition de la vie, mais diffèrent seulement en durée. Ainsi donc, si on prend le bien comme une espèce, la durée sera en dehors de la définition du bien. Ainsi, du fait qu'une chose dure davantage, elle ne diffère pas quant à la définition de bien pour se trouver meilleure que si elle ne durait qu'un jour. |
[72790] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 4 Sed si ponamus non esse
unam speciem vel ideam boni, ut Platonici posuerunt, sed quod bonum dicitur
sicut et ens in omnibus generibus, hoc ipsum quod est diuturnius erit bonum
in tempore, unde addet ad bonitatem. Et sic quod est diuturnius erit melius.
Sed hoc non potest dici si bonum sit una species per se, et ita sequetur quod
neque sit melius ex hoc, quod est perpetuum.
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#86. — Mais si nous posions qu'il n'y a pas une unique espèce ou idée de bien, comme les Platoniciens l'ont prétendu, mais que le bien se dit, comme l'être, en tous les genres, la durée même sera le bien dans le temps. Aussi cela ajouterait-il à la bonté. Ainsi, ce qui dure davantage sera meilleur. Mais cela ne peut se dire si le bien est une espèce par soi. Ainsi, il s'ensuit qu'il ne sera pas meilleur non plus du fait d'être perpétuel. |
[72791] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 5 Deinde cum dicit:
probabilius autem videntur etc., comparat praedictam positionem Platonicorum
positioni Pythagoricorum. Circa quod considerandum est, quod secundum
Platonicos eadem erat ratio boni et unius. Et ideo ponebant idem esse per se
unum et per se bonum, ex quo necesse erat quod ponerent unum primum per se
bonum. Quod quidem Pythagorici non faciebant. Sed unum ponebant aliquid eorum
quae continentur in coordinatione boni sub quo ponebant lumen, unum, quietem,
musculum, dextrum, finitum, imparem, rectum, quadratum; e contrario autem sub
malo ponebant tenebras, multitudinem, motum, feminam, sinistrum, infinitum,
parem numerum, curvum altera parte longius. |
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#87. — Ensuite (1096b5), il compare la position précédente à la position des Pythagoriciens. À ce sujet, on doit tenir compte que, selon les Platoniciens, c'était la même définition que celle du bien et celle de l'un. C'est pourquoi ils prétendaient que l'un par soi et le bien par soi étaient la même [chose]. Aussi, il leur était nécessaire de poser un seul premier bien, ce que les Pythagoriciens ne faisaient pas. Ils posaient plutôt comme un l'une des choses contenues sous la coordination du bien sous lequel ils les posaient: Lumière Masculin Un Droit Intelligence Fini Repos Pair Droit Carré Et au contraire, sous le mal, ils posaient: Ténèbres Féminin Multitude Gauche Opinion Infini Mouvement Impair Courbe Plus long d'un côté. |
[72792] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 6 Dicit ergo, quod quantum
ad hoc probabilius dixerunt Pythagorici quam Platonici, quia non cogebantur
ponere unam rationem boni. Et ideo Speusippus, qui fuit nepos Platonis,
filius sororis eius, et successor eius in scholis, in hoc non fuit secutus
Platonem, sed magis Pythagoram. Dicit autem, quod de his debet fieri alius
sermo, scilicet in metaphysica. |
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#88. — Il dit donc qu'en rapport à cela, les Pythagoriciens ont parlé avec plus de probabilité que les Platoniciens, parce qu'ils n'étaient pas forcés de poser une seule définition du bien. Aussi, même Speusippe, qui fut le neveu de Platon, le fils de sa sœur, et son successeur en l'École, n'a pas suivi Platon en cela, mais plutôt Pythagore. Il dit toutefois qu'il y a lieu de faire un autre discours à ce propos, à savoir, en la Métaphysique (I, 5; #124-133). |
[72793] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 7 Deinde cum dicit: his autem quae dicta sunt etc.,
ostendit, quod dicere illud bonum separatum esse per se bonum, repugnat ei
quod est unam esse ideam omnium bonorum. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit, quod per se bonum non potest esse communis idea omnium bonorum.
Secundo, quod non potest esse communis idea etiam omnium quae dicuntur per se
bona, ibi, dividentes igitur, et cetera. Tertio respondet cuidam quaestioni,
ibi sed qualiter utique et cetera. Dicit ergo primo, quod contra ea quae
dicta sunt a Platonicis, occulte apparet quaedam dubitatio propter hoc quod,
cum loquitur de illo per se bono, non videntur de omni bono sermones dici,
etiam quantum ad ipsam apparentiam verborum, et fieri quantum ad
convenientiam rerum. Et hoc ideo quia diversae sunt species vel rationes
bonorum. |
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#89. — Ensuite (1096b8), il montre que de dire que le bien séparé est le bien par soi répugne au fait qu'il y ait une seule idée de tous les biens. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bien par soi ne peut être l'idée commune de tous les biens. En second (1096b14), que cela ne se peut pas qu'une idée commune appartienne à tout ce qui se dit bien par soi. En troisième (1096b26), il répond à une question. Il dit donc, en premier, que, contre ce que prétendent les Platoniciens, une difficulté apparaît mystérieusement, du fait que, puisque quand on parle de ce bien par soi, il est clair que les paroles ne se vérifient pas de tout bien déjà dans l'apparence verbale même, ni ne se réalisent dans la convenance des choses. La raison en est que les espèces ou définitions des biens sont multiples. 18 |
[72794] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 8 Dicuntur enim secundum
unam speciem vel rationem bona illa quae secundum se ipsa sunt persecuta,
id est quaesita vel desiderata, et dilecta, id est amata. Et secundum
aliam rationem dicuntur bona illa quae sunt aliqualiter factiva vel
conservativa illorum quae sunt secundum se bona. Tertio vero modo dicuntur
aliqua bona quia sunt prohibitiva contrariorum. Sic igitur manifestum est,
quod bonum dupliciter dicitur. Quaedam enim sunt bona secundum seipsa,
scilicet prima; de quibus dictum est, quod propter se quaeruntur. Utraque
vero alia, scilicet factiva, vel conservativa, et etiam prohibitiva
contrariorum dicuntur bona propter illa quae sunt secundum se bona. Et sic
manifestum est, quod ratio per se boni non potest aptari omnibus bonis. |
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#90. — On parle, en effet, d'après une espèce ou définition de bien, quand on désigne ce qui est poursuivi pour soi, c'est-à-dire, recherché, ou désiré, ou à quoi on porte dilection, c'est-à-dire, qu'on aime [pour soi]. On parle d'après une autre définition, quand on dit bon ce qui, d'une certaine manière, est en vue de ce qui est bon par soi. C'est d'une troisième manière que l'on dit bon ce qui est prohibitif des contraires. Ainsi donc, il est manifeste que le bien se dit de deux manières. Telle chose, en effet, est bonne en elle-même, à savoir, la première, dont il a été dit (#9-13; 58) qu'elle est recherché pour soi. L'une et l'autre autres choses, cependant, à savoir, la factive, ou conservative, et aussi la prohibitive des contraires, se disent bonnes à cause de ce qui est bon par soi. Ainsi devientil est manifeste que la définition du bien par soi ne peut convenir à tous les biens. |
[72795] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 9 Deinde cum dicit:
dividentes igitur etc., ostendit quod una ratio per se boni non potest
competere omnibus per se bonis. Et primo dicit de quo est intentio. Circa
quod considerandum est, quod factiva vel conservativa secundum se bonorum et
prohibitiva contrariorum dicuntur bona sicut utilia. Quia ergo manifestum est
quod talibus non aptatur ratio per se boni, separemus ab eis illa quae sunt
secundum se bona, et videamus si possint dici bona secundum unam ideam, quam
dicunt per se bonum. |
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#91. — Ensuite (1096b14), il montre que la définition du bien par soi ne peut convenir à tous les biens par soi. En premier, il dit sur quoi porte son intention. À ce sujet, on doit tenir compte que ce qui est productif ou conservateur des biens en soi, ou prohibitif des contraires, se dit bien comme utile, et à tel bien ne convient pas la définition du bien par soi. Séparons-en donc, dit-il, ce qui est bon en soi, et voyons s'il peut se dire bon d'après une seule idée, qu'on appelle bien par soi. |
[72796] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 10 Secundo ibi: secundum se
ipsa autem etc., ad hoc investigandum proponit quamdam quaestionem: qualia
scilicet sint ponenda secundum se bona. Et hanc quaestionem determinat per
duo membra. Quorum primum est: utrum dicenda sint secundum se bona quaecumque
quaeruntur solitaria, id est etiam si sola essent, ut scilicet nulla alia
utilitas ex eis sequeretur, sicut scire, videre, voluptates quaedam et
honores. Huiusmodi enim quamvis quandoque quaerantur propter aliquid aliud ad
quod sunt utilia, tamen si ad nihil aliud valerent, secundum se essent bona
et desiderabilia. Secundum autem membrum quaestionis est: utrum nihil aliud
sit per se bonum nisi sola idea. |
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#92. — En second (1096b16), il présente une question, pour investiguer cela: à savoir, que faut-il poser comme bien en soi? Puis, il divise cette question en deux membres, dont le premier est: si on doit dire bien en soi tout ce que l'on recherche bien que solitaire, à savoir, même si cela était seul, c'est-à-dire, si aucune autre utilité ne s'ensuivait d'eux, comme savoir, voir, et certains plaisirs et honneurs? Des choses de la sorte, en effet, quoique quelquefois on les cherche pour autre chose à quoi elles sont utiles, seraient cependant bonnes et désirables en elles-mêmes, même si elles ne servaient à rien d'autre. Puis, le second membre de la question est: est-ce que rien d'autre n'est bon par soi sinon la seule idée? |
[72797] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 11 Tertio ibi: quare erit etc., deducit hoc secundum
membrum immediate praemissum. Et concludit, quod si nihil aliud sit per se
bonum nisi idea, erit idea inanis, id est sine efficacia. Ponitur enim idea
quasi exemplar quoddam cuius similitudo sit aliis impressa. Exemplar autem
est supervacuum, si nihil ei assimulatur; unde sequitur quod idea sit inanis,
si nihil aliud sit secundum se bonum. |
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#93. — En troisième (1096b20), il retranche le second membre à peine indiqué. Il conclut que si rien d'autre n'est bon par soi sauf l'idée, l'idée sera comme un exemplaire dont la similitude serait imprimée à d'autres. Or l'exemplaire est superflu, s'il n'est assimilé à rien. Aussi s'ensuit-il que l'idée sera vaine, si rien d'autre n'est bien en soi. |
[72798] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 12 Quarto ibi: si sunt et
haec etc., deducit primum membrum. Et dicit quod, si omnia praedicta sint
secundum se bona participando ideam, quae est per se bonum, oportebit, quod
in omnibus appareat eadem ratio bonitatis, sicut in nive et cerusa est eadem
ratio albedinis, eo quod participant unam formam. Sed hoc non apparet esse
verum in praedictis. Honor enim et prudentia et voluptas habent diversas
rationes non solum proprias, prout scilicet ratio honoris, inquantum est
honor, differt a ratione prudentiae inquantum est prudentia, sed etiam in
quantum sunt bona; non enim est una ratio bonitatis in omnibus his, nec
secundum eamdem rationem sunt appetibilia. Unde relinquitur, quod id quod
dicunt per se bonum, non est aliquid commune, velut una idea communis omnium
bonorum. |
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#94. — En quatrième (1096b21), il retranche le premier. Il dit que si tout ce que l'on a nommé antérieurement est un bien en soi en participant une idée qui est le bien par soi, il faudra qu'en tout apparaisse la même définition de la bonté, comme dans la neige et la céruse on trouve la même définition de la blancheur, du fait qu'elles participent à une seule forme. Mais cela ne paraît pas vrai pour ce que l'on a nommé antérieurement. En effet, l'honneur, et la prudence, et le plaisir ont non seulement des définitions propres différentes, pour autant que la définition de l'honneur, en tant qu'il est honneur, diffère de la définition de la prudence, en tant qu'elle est prudence, mais aussi en tant que biens. En effet, on ne trouve pas une définition unique de la bonté en toutes ces choses, et elles ne sont pas non plus désirables selon la même définition. Aussi reste-t-il que ce que l'on nomme bien par soi n'est pas quelque chose de commun, ni une idée commune de tous les biens. |
[72799] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 13 Deinde cum dicit: sed qualiter utique etc., respondet
cuidam tacitae quaestioni, quae est qualiter praedicta dicantur bona secundum
diversas rationes. Et haec quidem quaestio locum habet, quia aliquid dici de
multis secundum diversas rationes contingit dupliciter. Uno modo secundum
rationes omnino diversas non habentes respectum ad aliquid unum; et ista
dicuntur aequivoca casu, quia scilicet casu accidit quod unum nomen unus homo
imposuit uni rei, et alius alii rei, ut praecipue patet in diversis hominibus
eodem nomine nominatis. Alio modo unum nomen dicitur de multis secundum
rationes diversas non totaliter, sed in aliquo uno convenientes. Quandoque
quidem in hoc, quod referuntur ad unum principium, sicut res aliqua dicitur
militaris, vel quia est instrumentum militis, sicut gladius, vel quia est
tegumentum eius sicut lorica, vel quia est vehiculum eius, sicut equus.
Quandoque vero in hoc, quod referuntur ad unum finem sicut medicina dicitur
sana, eo quod est factiva sanitatis, dieta vero eo quod est conservativa
sanitatis, urina vero eo quod est sanitatis significativa. Quandoque vero
secundum proportiones diversas ad idem subiectum, sicut qualitas dicitur ens
quia est dispositio per se entis, idest substantiae, quantitas vero eo quod
est mensura eiusdem, et sic de aliis, vel secundum unam proportionem ad
diversa subiecta. Eamdem enim habent proportionem visus ad corpus et
intellectus ad animam; unde sicut visus est potentia organi corporalis, ita
etiam intellectus est potentia animae absque participatione corporis. |
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#95. — Ensuite (1096b26), il répond à une question. Cette question surgit parce qu'il arrive de deux manières que quelque chose se dise de plusieurs choses selon des définitions différentes. D'une manière, selon des définitions tout à fait différentes, n'ayant pas un rapport à une chose unique. On les nomme des homonymes par hasard, parce que c'est par hasard qu'il arrive qu'un homme a imposé un nom à une chose, puis qu'un autre l'a imposé à une autre chose, comme il appert principalement quand plusieurs hommes possèdent un nom unique. D'une autre manière, un nom ne se dit pas de plusieurs choses totalement selon des définitions différentes, mais avec convenance en quelque chose. Tantôt en cela qu'elles renvoient à un seul principe, comme une chose se dit militaire soit parce qu'elle est un instrument de soldat, comme le glaive, ou parce qu'elle est son vêtement, comme la cuirasse, ou parce qu'il est son véhicule, comme le cheval. Tantôt en ce qu'elles renvoient à une seule fin, comme le médicament se dit sain en ce qu'il est producteur de la santé, et la diète en ce qu'elle est conservatrice de la santé, et l'urine en ce qu'elle est significative de la santé. Tantôt en raison de proportions différentes avec un même sujet, comme la qualité se dite être parce qu'elle est la disposition de l'être par soi, c'est-à-dire, de la substance, tandis que la 19 quantité en ce qu'elle est la mesure de la même chose, et ainsi des autres, ou en raison d'une proportion unique à des sujets différents: en effet, la vue, quant au corps, et l'intelligence, quant à l'âme, ont la même proportion. Ainsi, de même que la vue est une puissance de l'organe corporel, de même aussi l'intelligence est une puissance de l'âme sans la participation du corps. |
[72800] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 14 Sic ergo dicit, quod bonum dicitur de multis, non
secundum rationes penitus differentes, sicut accidit in his quae sunt casu
aequivoca, sed in quantum omnia bona dependent ab uno primo bonitatis
principio, vel inquantum ordinantur ad unum finem. Non enim voluit
Aristoteles quod illud bonum separatum sit idea et ratio omnium bonorum, sed
principium et finis. Vel etiam dicuntur omnia bona magis secundum
analogiam, id est proportionem eandem, quantum scilicet quod visus est
bonum corporis, et intellectus est bonum animae. Ideo autem hunc tertium modum
praefert, quia accipitur secundum bonitatem inhaerentem rebus. Primi autem duo modi secundum bonitatem separatam, a
qua non ita proprie aliquid denominatur. |
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#96. — Ainsi dit-il donc que le bien se dit de plusieurs [choses] non pas selon des définitions tout à fait différentes, comme il arrive en ce qui est homonyme par hasard, mais plutôt selon une analogie, c'est-à-dire, une proportion, en tant que tous les biens dépendent d'un premier principe de bonté, ou en tant qu'ils sont ordonnés à une fin unique. En effet, Aristote n'a pas voulu que le bien séparé soit une idée et définition de tous les biens, mais leur principe et fin. Ou encore, tout bien se dit plutôt d'après une analogie, c'est-à-dire, une même proportion, comme la vue est le bien du corps, et l'intelligence est le bien de l'âme. La raison pour laquelle il préfère cette troisième manière, c'est qu'elle se prend d'après la bonté inhérente aux choses, tandis que les deux premières manières se prennent d'après la bonté séparée, à partir de laquelle on n'est pas dénommé aussi proprement. |
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Lectio
8 |
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Leçon 8
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[72801] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8
n. 1 Sed forte haec quidem et
cetera. Postquam philosophus ostendit quod non est una communis idea boni,
nunc ostendit quod etiam si esset, non pertineret ad propositum, ut scilicet
secundum ipsam esset quaerenda felicitas. Et circa hoc tria facit. Primo
probat propositum. Secundo ponit quandam responsionem, ibi: forte autem
alicui videbitur et cetera. Tertio excludit eam, ibi, probabilitatem quidem
igitur, et cetera. Dicit ergo primo quod haec, scilicet qualiter bonum
dicatur secundum unam vel diversas rationes de bonis, oportet nunc
relinquere, quia per certitudinem determinare de hoc pertinet magis ad aliam
philosophiam, scilicet ad metaphysicam. Et similiter etiam consideratio de
idea boni, non est propria praesenti intentioni. Et horum rationem assignat:
quia si esset unum bonum univoce de omnibus praedicatum, vel etiam si esset
per seipsum separatum existens, manifestum est, quod non erit tale aliquid
quod sit vel operatum, vel possessum ab homine. Nunc autem tale aliquid
quaerimus. |
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#97. — Après que le Philosophe ait montré qu'il n'existe pas d'idée commune du bien, il montre maintenant que même s'il en existait une, il ne relèverait pas de notre propos qu'il faille chercher le bonheur d'après elle. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il prouve son propos. En second (1096b35), il propose une réponse. En troisième (1097a3), il l'exclut. Il dit donc, en premier: il faut maintenant laisser cela, à savoir, de quelle manière le bien se dit selon une seule ou plusieurs définitions du bien, car en traiter avec certitude appartient plutôt à une autre philosophie, à savoir, à la métaphysique. Pareillement aussi, la considération de l'idée du bien n'est pas appropriée à notre présente intention. Il en assigne la raison: c'est que, si un seul bien était attribué de manière univoque à tous, ou même s'il en existait un par soi séparé, il est manifeste que ce ne serait pas une telle entité qui serait ni faite ni possédée par l'homme. Or c'est une telle chose que nous recherchons. |
[72802] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 2 Quaerimus enim felicitatem, quae est finis humanorum
actuum. Finis autem hominis, vel est ipsa eius operatio, vel est aliqua res
exterior. Quae quidem potest esse finis hominis vel quia est operata ab ipso,
sicut domus est finis aedificationis, vel quia est possessa, sicut ager est
finis emptionis. Manifestum est autem quod illud bonum commune vel separatum
non potest esse ipsa hominis operatio, nec etiam est aliquid per hominem
factum. Nec etiam videtur aliquid ab homine possessum sicut possidentur res
quae veniunt in usum huius vitae. Unde manifestum est, quod illud bonum
commune vel separatum non est bonum humanum, quod nunc quaerimus. |
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#98. — Nous recherchons, en effet, le bonheur, qui est la fin des actes humains. Or la fin de l'homme, est ou bien son opération à lui, ou bien une chose extérieure à lui. Et celle-ci pourrait être la fin de l'homme ou bien parce qu'il la produit, comme la maison est la fin de la construction, ou bien parce qu'il la possède, comme une chose qui passe à son usage. Or il est manifeste que le bien commun ou séparé ne peut pas être l'opération même de l'homme, ni non plus une chose faite par l'homme. Et il n'est manifestement pas non plus une chose possédée par l'homme, comme il possède les choses qui passent à son usage en cette vie. Aussi est-il manifeste que le bien commun ou séparé n'est pas le bien humain que nous cherchons maintenant. |
[72803] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 3 Deinde cum dicit: forte autem alicui videbitur etc.,
ponit quamdam responsionem. Posset enim aliquis dicere, quod illud bonum
separatum, quamvis non sit operatum vel possessum ab homine, est tamen
exemplar omnium operatorum et possessorum bonorum. Expedit autem intueri
exemplar ei qui vult pervenire ad exemplata. Et ideo videtur expedire, quod
aliquis ipsum bonum separatum cognoscat propter bona possessa et operata.
Quia habentes illud bonum separatum sicut quoddam exemplar, magis poterimus
cognoscere, et per consequens melius adipisci ea quae sunt nobis bona, sicut
inspicientes ad hominem aliquem magis proprie possunt depingere eius
effigiem. |
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#99. — Ensuite (1096b35), il propose une réponse. On pourrait dire, en effet, que le bien séparé, quoique l'homme ne le fasse ni ne le possède, est cependant l'exemplaire de tous les biens qu'il fait et possède. Or il est utile de considérer l'exemplaire, pour qui veut atteindre ce qui se conforme à lui. Aussi paraît-il être utile de connaître le bien séparé en vue des biens possédés et produits. Car, tenant le bien séparé comme exemplaire, nous pourrons mieux connaître, et par conséquent mieux atteindre, ce qui est bon pour nous, comme on peut mieux peindre l'effigie de l'homme en le regardant. |
[72804] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 4 Deinde cum dicit probabilitatem quidem igitur etc.,
excludit praemissam responsionem duabus rationibus. Quarum prima sumitur ex
eo quod communiter observatur. Et dicit, quod sermo praedictae responsionis
videtur esse probabilis, sed tamen videtur dissonare ab eo quod observatur in
omnibus scientiis. Omnes enim scientiae et artes appetunt quoddam bonum, ut
supra habitum est, et unaquaeque inquirit illud quod est necessarium sibi ad
consequendum finem intentum. Nulla autem utitur cognitione illius boni
separati. Quod non esset rationabile si ex hoc eis aliquod auxilium
praeberetur; non ergo aliquid confert ad operata et possessa bona cognitio
illius boni separati. |
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#100. — Ensuite (1097a3), il exclut la réponse précédente avec deux raisons, dont la première se prend de ce que l'on observe communément. Il dit que l'énoncé de la raison précédente paraît probable. Néanmoins, elle est manifestement en dissonance avec ce que l'on observe en toutes les sciences. Toutes les sciences et tous les arts, en effet, désirent un bien, comme on en a traité plus haut (#8). Et chacun utilise ce qui lui est nécessaire pour atteindre la fin recherchée. Or aucune 20 n'utilise la connaissance du bien séparé. Mais cela ne serait pas raisonnable, si quelque aide pouvait en provenir. Donc, la connaissance du bien séparé ne sert à rien pour les biens faits et possédés. |
[72805] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 5 Secundam rationem ponit ibi inutile autem et cetera.
Quae sumitur ab ipsa natura rei. Et dicit quod illud bonum separatum est
omnino inutile ad scientias et artes, et quantum ad earum exercitium, quia
textor vel faber in nullo iuvatur ad operationem suae artis ex cognitione
illius boni separati. Et etiam quantum ad acquisitionem scientiae vel artis.
Nullus enim efficitur magis medicus vel magis miles per hoc quod contemplatur
ideam separatam boni. Cuius rationem assignat: quia oportet exemplar, ad quod
necesse est inspicere, esse conforme operato. Ars autem non operatur aliquod
bonum commune aut abstractum, sed concretum et in singulari, medicus enim non
intendit sanitatem in abstracto, sed in concreto, eam scilicet, quae est
hominis, et in singulari, eam scilicet quae est huius hominis, quia medicatur
non hominem universalem sed singularem. Unde relinquitur quod cognitio boni
universalis et separati non sit necessaria, neque ad acquisitionem
scientiarum neque ad exercitium earum. |
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#101. — Il présente ensuite sa seconde raison (1097a8), qui se prend de la nature même de la chose. Il dit que le bien considéré est tout à fait inutile pour les sciences et les arts, à la fois quant à leur exercice, car le tisserand et l'ouvrier ne sont aidés en rien pour l'opération de leur art de par la connaissance du bien séparé, et aussi quant à l'acquisition de la science ou de l'art, car personne ne devient davantage médecin ou davantage soldat du fait qu'il ait contemplé l'idée séparée du bien. Il en assigne la raison: c'est qu'il faut que l'exemplaire à regarder soit conforme à l'œuvre. Or l'art ne réalise pas un bien commun ou abstrait, mais concret, dans le singulier. En effet, le médecin ne vise pas la santé abstraite, mais concrète, celle qui appartient à l'homme; car il ne soigne pas l'homme universel, mais singulier. Aussi reste-t-il que la connaissance du bien universel et séparé n'est nécessaire ni à l'acquisition des sciences ni à leur exercice. |
[72806] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 6 Ultimo autem concludit epilogando tantum dictum esse de
opinionibus felicitatis. |
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#102. — Enfin, il conclut que c'en est assez dit sur les opinions concernant le bonheur. |
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Lectio
9 |
Leçon 9 : [Les conditions du bonheur] |
Leçon 9 |
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LE
PHILOSOPHE RECHERCHE ICI CE QU'EST LA FELICITE. ELLE EST LA FIN ULTIME. LES
CONDITIONS QUI CONVIENNENT A LA FIN ULTIME. |
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[72807] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 1 Rursus autem redeamus et
cetera. Postquam philosophus pertractavit opiniones aliorum de felicitate,
hic determinat de ea secundum propriam opinionem. Et dividitur in partes
duas. In prima ostendit quid sit felicitas. In secunda determinat de quadam
proprietate felicitatis, ibi, determinatis autem his, scrutemur de felicitate
et cetera. Prima autem pars dividitur in partes duas: in prima ostendit quid
sit felicitas. In secunda removet quamdam dubitationem, ibi, multae autem
transmutationes fiunt et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid
sit felicitas. Secundo ostendit quod praemissae sententiae concordant omnia,
quae dicuntur de felicitate, ibi, scrutandum ergo de ipso et cetera. Circa
primum duo facit: primo ponit quasdam communes condiciones felicitatis, quae
quasi sunt omnibus manifestae; secundo inquirit felicitatis essentiam, ibi,
sed forte felicitatem quidem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit
felicitatem esse ultimum finem. Secundo ponit conditiones, quae competunt
ultimo fini, ibi, hoc autem adhuc magis explanare et cetera. |
103.- Après avoir traité de l'opinion des autres philosophes sur la félicité, il présente ici sa propre opinion. Ce qu'il fait en deux 1- il montre ce qu'est la félicité; 2- il en détermine une certaine propriété. La première partie se divise elle-même en deux: 1- A: il montre ce qu'est la félicité; B: il rejette un certain doute. Sur la nature de la félicité, il fait deux choses: 1- A: 1- il montre ce qui elle est; 2- et que tout ce qui a été dit sur la félicité concorde avec ce qu'il a dit lui-même; Sur ce qu'elle est, il fait deux choses: 1- A: 1- a) il propose certaines raisons communes et certaines conditions de la félicité qui sont manifestes à presque tout le monde; b) il cherche l'essence de la félicité. A propos des raisons communes, il manifeste d'abord que la félicité est la fin ultime pour ensuite poser les conditions qui conviennent à la fin ultime. |
#103. — Après que le Philosophe ait traité entièrement des opinions des autres à propos du bonheur, il en traite ici selon sa propre opinion. Cela se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est le bonheur. Dans la seconde (1101b10), il traite d'une propriété du bonheur. La première partie se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est le bonheur. Dans la seconde (1100a5), il supprime une difficulté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est le bonheur. En second (1098b9), il montre que toutes les pensées précédentes sur le bonheur concordent. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose des raisons communes et des conditions du bonheur, manifestes à presque tous. En second (1097b22), il enquête sur l'essence du bonheur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il pose que le bonheur est la fin ultime. En second (1097a24), il pose les conditions qui touchent la fin ultime. |
[72808]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 2 Dicit ergo primo, quod
expeditis his, quae pertinent ad opiniones aliorum, rursus oportet redire ad
bonum, circa quod nostra versatur inquisitio, scilicet ad felicitatem, ut
investigemus quid sit. Circa quod primo
considerandum est quod in diversis operationibus et artibus videtur aliud et
aliud esse bonum intentum. Sicut in medicinali arte bonum intentum est
sanitas, et in militari victoria et in aliis artibus aliquod aliud bonum. |
104.- Il dit donc en premier qu'après avoir passé en revue l'opinion des autres, il faut de nouveau revenir au bien sur lequel porte notre inquisition, c'est-à-dire à la félicité, pour rechercher ce qu’elle est. A ce sujet, il faut d'abord considérer qu'à diverses opérations comme à divers arts correspondent divers biens poursuivis. Ainsi, dans l'art médical le bien poursuivi est la santé; dans l'art militaire, c'est la victoire; dans les autres arts, c'est un autre bien. |
#104. — Il dit donc, en premier, que, ceci fait, en ce qui concerne les opinions des autres, il faut encore revenir au bien sur lequel roule notre investigation, à savoir, au bonheur, de manière à investiguer ce qu'il est. À ce sujet, on doit prendre d'abord en compte qu'il est clair qu'en des opérations et arts différents, c'est autre chose et autre chose qui constitue le bien visé. Ainsi, en l'art médicinal, le bien visé est la santé, et en l'art militaire, le bien visé est la victoire, tandis qu'en d'autres arts, c'est un autre bien. |
[72809] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 3 Et si quaeratur quid sit bonum intentum in unaquaque
arte vel in unoquoque negotio, sciendum est, quod hoc est illud cuius gratia
omnia alia fiunt in illa arte vel illo negotio, sicut in medicinali omnia
fiunt propter sanitatem, in militari omnia fiunt propter victoriam. Et in
aedificativa omnia fiunt propter domum construendam. Et similiter in quolibet
alio negotio aliquod aliud est bonum intentum, cuius gratia omnia alia fiunt.
Hoc autem bonum intentum in unaquaque operatione vel electione dicitur finis,
quia finis nihil est aliud quam id cuius gratia alia fiunt. |
105.- Et si on recherche quel est le bien poursuivi dans chaque art ou dans chaque ouvrage, il faut savoir que ce bien est ce en vue de quoi toutes les autres choses sont faites. Ainsi, dans l’art médical, tout est ordonné en vue de la santé; dans l'art militaire, tout est accompli en vue de la victoire; dans l'art de construire, il est prévu en fonction de la maison qui doit être édifiée. Et ainsi en est-il dans tous les autres ouvrages; il y a dans chacun un bien poursuivi qui est ce en vue de quoi se fait tout le reste. Or, ce bien poursuivi dans chaque opération ou dans chaque décision, on le nomme fin. Car une fin n'est rien d'autre que ce en vue de quoi on fait tout le reste. |
#105. — Si l'on cherche quel est le bien visé en chaque art ou en chaque affaire, on doit savoir qu'il est ce en vue de quoi on fait tout le reste. En médecine, en effet, tout se fait en vue de la santé. En [art] militaire, tout se fait en vue de la victoire. Et en construction, tout se fait en vue de la maison à construire. Pareillement, en n'importe quelle autre affaire, il y a un autre bien visé en vue duquel tout le reste se fait. Or ce bien visé en chaque opération ou choix s'appelle la fin. Car la fin n'est rien d'autre que ce en vue de quoi on fait le reste. |
[72810] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 4 Si ergo occurrat statim
aliquis finis, ad quem ordinentur omnia quae operantur omnes artes et
operationes humanae, talis finis erit operatum bonum simpliciter, idest quod
intenditur ex omnibus operationibus humanis. Si autem adhuc occurrant plura
bona ad quae ordinentur diversi fines diversarum artium, oportebit quod
inquisitio rationis nostrae transcendat ista plura, quousque perveniat ad
hoc ipsum, id est ad aliquod unum; necesse est enim unum esse ultimum
finem hominis inquantum est homo, propter unitatem humanae naturae, sicut est
finis unus medici inquantum est medicus propter unitatem medicinalis artis;
et iste unus ultimus finis hominis dicitur humanum bonum, quod est felicitas. |
106.- Donc, si on trouve immédiatement une fin à laquelle soit ordonné tout ce que tous les arts et toutes les opérations humaines opèrent, alors une telle fin sera absolument le bien opéré, c’est-à-dire ce qui est poursuivi par toutes les opérations humaines. Mais si, au contraire, on trouve plusieurs biens auxquels seraient ordonnées les diverses fins des diverses sciences, il faudra alors que le regard de notre raison transcende chacun de ces biens jusqu'à ce qui elle parvienne à découvrir ce bien absolu, à savoir cet autre bien qui est unique. Il est nécessaire, en effet, qu'il n'y ait qu'une seule fin ultime de l'homme en tant qu'homme, à cause de l'unité de la nature humaine; comme est une la fin du médecin en tant que tel, à cause de l'unité de l’art médical. Et cette fin ultime de l'homme on l'appelle le bien humain, qui est la félicité. |
#106. — Si on tombait tout de suite sur une fin à laquelle serait ordonné tout ce que font tous les arts et opérations humains, une pareille fin serait le résultat bon de manière absolue, c'est-à-dire, celui qu'on vise en toute action humaine. Mais si on tombait sur plusieurs biens auxquels soient ordonnés différentes fins de différents arts, il faudrait que l'investigation de notre raison transcende cette pluralité, jusqu'à ce que l'on parvienne à celui-là même, c'est-à-dire, à un autre [bien] unique. Nécessairement, en effet, il n'y a qu'une unique fin ultime de l'homme en tant qu'homme, à cause de l'unité de la nature humaine, de même qu'il y a une fin unique du médecin en tant que médecin, 21 à cause de l'unité de l'art médical. Et cette fin ultime de l'homme s'appelle le bien humain, le bonheur. |
[72811] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 5 Deinde cum dicit: hoc
autem adhuc magis explanare etc., ponit duas condiciones ultimi finis: primo
quidem quod sit perfectum; secundo quod sit per se sufficiens, ibi, videtur
autem et ex per se sufficientia et cetera. Ultimus enim finis est ultimus
terminus motus desiderii naturalis. Ad hoc autem quod aliquid sit ultimus
terminus motus naturalis, duo requiruntur. Primo quidem quod sit habens
speciem, non autem in via ad speciem habendam. Sicut generatio ignis non
terminatur ad dispositionem formae, sed ad ipsam formam. Quod autem habet
formam est perfectum, quod autem est dispositum ad formam est imperfectum. Et
ideo oportet, quod bonum quod est ultimus finis, sit bonum perfectum. Secundo
autem requiritur quod id quod est terminus motus naturalis sit integrum, quia
natura non deficit in necessariis. Unde finis generationis humanae non est
homo diminutus membro sed homo integer; et similiter etiam finis ultimus, qui
est terminus desiderii, necesse est, quod sit per se sufficiens, quasi
integrum bonum. |
107.- Puis il pose deux conditions de la fin ultime, dont la première est qu'elle soit parfaite et la seconde, qu'elle soit suffisante par soi. En effet, la fin ultime est le terme ultime du mouvement du désir naturel. Mais pour que quelque chose soit le terme ultime du mouvement naturel, deux éléments sont requis. Le premier, c’est qu'elle possède son espèce, et donc qu'elle ne soit pas en voie de l'acquérir. Comme la génération du feu ne se termine pas à la disposition de la forme, mais à la forme elle-même, ce qui a sa forme est parfait; ce qui n’est que disposé à la forme est encore imparfait. D'où la nécessité que le bien, qui est la fin ultime, soit un bien parfait. Le second élément requis est que ce qui est le terme du mouvement naturel soit intègre, parce que la nature ne défaille pas dans les choses nécessaires. D'où découle que la fin de la génération humaine n'est pas un homme manquant d'un membre, mais un homme complet. Du même, la fin ultime, qui est le terme du désir, doit nécessairement être suffisante par soi, comme bien complet. |
#107. — Ensuite (1097a24), il pose deux conditions de la fin ultime. La première, bien sûr, qu'elle soit parfaite. La seconde, qu'elle soit suffisante en elle-même. En effet, la fin ultime est le terme ultime du mouvement naturel du désir. Pour que quelque chose soit le terme ultime du mouvement naturel, deux [conditions] sont requises. En premier, certes, qu'il possède l'espèce, et ne soit pas en chemin pour posséder l'espèce. Ainsi, la génération du feu ne se termine pas à la disposition de la forme, mais à la forme même. Or ce qui a la forme est parfait, tandis que ce qui n'est que disposé à la forme est quelque chose d'imparfait. C'est pourquoi il faut que le bien qui est la fin ultime soit le bien parfait. En second, il est requis que ce qui est le terme du mouvement naturel soit intégral, car la nature ne fait pas défaut dans le nécessaire. Aussi, la fin de la génération humaine n'est pas l'homme avec un membre en moins, mais l'homme intégral. Pareillement, la fin ultime, qui est le terme du désir, se suffit nécessairement en elle-même, à la manière d'un bien intégral. |
[72812] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 6 Circa perfectionem autem
finalis boni considerandum est quod, sicut agens movet ad finem ita finis
movet desiderium agentis; unde oportet gradus finium proportionari gradibus
agentis. Est autem triplex agens. Unum quidem imperfectissimum, quod non agit
per propriam formam, sed solum inquantum est motum ab alio, sicut martellus
agit cultellum. Unde effectus secundum formam adeptam, non assimilatur huic agenti,
sed ei a quo movetur. Aliud autem est agens perfectum, quod agit quidem
secundum suam formam, unde assimilatur ei effectus, sicut ignis calefacit,
sed tamen indiget moveri ab aliquo principali priori agente. Et quantum ad hoc habet aliquid imperfectionis, quasi
participans cum instrumento. Tertium autem agens est perfectissimum, quod
agit quidem secundum formam propriam, et ab alio non movetur. |
108.- Quant à la perfection du bien final, il faut considérer que comme l'agent meut à la fin, ainsi la fin meut le désir de l'agent. D'où s'impose que la hiérarchie des fins soit proportionnée à la hiérarchie des agents. Or l'agent s'entend de trois façons. L'un, très imparfait, qui n'agit pas par sa propre forme, mais seulement en tant que mû par un autre, comme un marteau enfonce un clou. Ainsi l'effet conforme à la forme reçue ne s'assimile pas à cet agent, mais à celui qui le meut. Le second, lui, est un agent parfait, qui cause en conformité avec sa propre forme; et, par conséquent, l'effet lui est assimilé. Ainsi le feu brûle mais a quand même besoin d'être mû par un agent principal et antérieur à lui. Et sous ce rapport il souffre d'une certaine imperfection qui le rend un peu semblable à l'agent instrumental. Le troisième, lui, est un agent très parfait qui agit et selon sa propre forme et sans l'impulsion d'un autre. |
#108. — Par ailleurs, à propos de la perfection du bien final, on doit tenir compte que de même que l'agent meut à la fin, de même la fin meut le désir de l'agent. Aussi faut-il que la progression des fins soit proportionnée à la progression des agents. Or il y a triple agent. L'un, très imparfait, qui n'agit pas par sa forme propre, mais seulement en tant qu'il est mû par un autre, comme le marteau fait le couteau. Aussi, l'effet, selon la forme qu'il acquiert, n'est pas assimilé à cet agent, mais à celui par lequel il est mû. Un autre, ensuite, est un agent parfait, qui agit en conformité à sa forme, de sorte que l'effet lui est assimilé, comme le feu réchauffe, mais qui, cependant, a besoin d'être mû par un agent principal antérieur. Quant à cela, il conserve une certaine imperfection, et d'une certaine manière participe de l'instrument. Un troisième, enfin, est l'agent le plus parfait, qui agit en conformité à sa forme propre, et n'est pas mû par un autre. |
[72813] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 7 Et similiter est in finibus. Est enim aliquid quod appetitur
non propter aliquam formalem bonitatem in ipso existentem, sed solum
inquantum est utile ad aliquid, sicut medicina amara. Est autem aliquid quod est quidem appetibile propter
aliquid quod in se habet, et tamen appetitur propter aliud, sicut medicina
sapida, et hoc est bonum perfectius. Bonum autem perfectissimum est, quod ita
appetitur propter se, quod nunquam appetitur propter aliud. Hos igitur tres
gradus bonorum distinguit hic philosophus. Et dicit, quod hoc quod dictum
est, de ultimo fine oportet adhuc magis explanare, inquirendo scilicet
conditiones, quae requiruntur ad ultimum finem. |
109.- Il en est de même dans les fins. Il y a en effet quelque chose qui est désiré non à cause de quelque bonté formelle existant en lui, mais seulement en tant qu'il est utile à quelque chose comme, par exemple, un remède amer. Il y a aussi quelque chose d'appétible à cause d'une certaine bonté existant en soi, mais qui est pourtant désiré en vue d'autre chose, comme un remède chaud et délicieux. Ce qui est un bien plus parfait que le premier. Mais le bien le plus parfait est celui qui est désiré à cause de sa bonté propre, sans être jamais désiré en vue d'autre chose. Et ce sont les trois degrés de biens que distingue le Philosophe. Et il ajoute que ce qu'on a dit sur la fin ultime doit être plus longuement exploré par la recherche des conditions nécessaires à la fin ultime. |
#109. — Il en va pareillement dans les fins. Il y a, en effet, quelque chose que l'on désire non pas à cause d'une bonté formelle qui existe en lui-même, mais seulement en tant qu'il est utile à autre chose, comme une médecine amère. Il y a ensuite quelque chose certes désirable à cause de ce qu'il a en lui, mais que l'on désire cependant pour autre chose, comme une médecine chaude et savoureuse. C'est là un bien plus parfait. Mais il y a aussi le bien le plus parfait, que l'on désire à cause de lui-même de telle manière qu'on ne le désire jamais pour autre chose. Ce sont donc ces trois degrés de biens que distingue ici le Philosophe. Puis il dit que ce que l'on a dit de la fin ultime, il faut l'expliquer encore plus, en investiguant les conditions requises de la fin ultime. |
[72814] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 8 Videntur autem esse plures
gradus finium, quorum quosdam eligimus solum propter aliud, sicut divitias,
quae non appetuntur nisi in quantum sunt utiles ad vitam hominis, et fistulas
quibus canitur, et universaliter omnia organa, quae non quaeruntur nisi
propter usum eorum. Unde manifestum est, quod omnes isti fines sunt imperfecti.
Optimus autem finis, qui est ultimus, oportet quod sit perfectus. Unde si
unum solum sit tale, oportet hoc esse ultimum finem quem quaerimus. Si autem
sint multi perfecti fines, oportet quod perfectissimus horum sit optimus et
ultimus. Manifestum est autem, quod sicut id quod est secundum se appetibile,
est magis perfectum eo quod est appetibile propter alterum, ita illud quod
nunquam appetitur propter aliud, est perfectius his quae, etsi secundum se
appetantur, tamen appetuntur propter aliud. |
110.- On voit qu'il existe plusieurs degrés de fins; les unes sont choisies en vue d'une autre seulement, comme les richesses qui ne sont désirées qu'en tant qu'utiles à la vie humaine, et la flûte qui n'est désirée qu'en tant qu'elle sert à jouer, et, universellement, tous les instruments qui ne sont recherchés qu'en vue de leur usage. D'où il est manifeste que toutes ces fins sont imparfaites. Or la fin la meilleure qui est ultime doit être parfaite. Et s'il n'y a qu'une seule fin qui soit telle, il faut que ce soit la fin ultime recherchée. S'il y a plusieurs fins parfaites, il faut que ce soit la plus parfaite qui soit la meilleure et l'ultime. Or il est manifeste que, comme ce qui est par soi appétible est plus parfait que ce qui est appétible par une autre, ainsi, ce qui n’est jamais désiré en vue d'un autre est plus parfait que ce qui, bien que désiré par soi, demeure cependant désiré en vue d'un autre. |
#110. — Or il semble y avoir plusieurs degrés des fins. Parmi elles, nous en choisissons certaines seulement pour autre chose, comme les richesses, qui ne sont désirées qu'en tant qu'elles sont utiles à la vie de l'homme, et les flûtes dont on joue, et de manière universelle tous les instruments, qui ne sont recherchés que pour leur usage. Aussi est-il manifeste que toutes ces fins sont imparfaites. La meilleure fin, par ailleurs, qui est l'ultime, doit être parfaite. Aussi, s'il n'y en a qu'une seule qui soit telle, celle-là doit être la fin ultime que nous cherchons. Tandis que s'il y a plusieurs fins parfaites, il faut que la plus parfaite d'entre elles soit la meilleure et l'ultime. Or il est manifeste que de même que ce qui est désirable en soi est plus parfait que ce qui est désirable pour autre chose, de même ce que l'on ne désire jamais pour autre chose est plus parfait que ce que, bien qu'on le désire pour lui, on désire aussi cependant pour autre chose. |
[72815] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 9 Et ita simpliciter
perfectum est, quod est semper secundum se eligibile et nunquam propter
aliud. Talis autem videtur esse felicitas, quam numquam eligimus propter
aliud, sed semper propter seipsam. Honorem vero et voluptates et
intelligentiam et virtutem eligimus quidem propter seipsa. Eligeremus enim
vel appeteremus ea etiam si nihil aliud ex eis nobis proveniret. Et tamen
eligimus ea propter felicitatem, inquantum per ea credimus nos futuros
felices. Felicitatem autem nullus eligit propter haec nec propter aliquid
aliud. Unde relinquitur quod felicitas sit perfectissimum bonorum et per
consequens optimus et ultimus finis. |
111.- Ainsi est simplement parfait ce qui est toujours éligible par soi et jamais en vue d'un autre. Or c'est ainsi qu'apparait la félicité, que nous ne désirons jamais en vue d’un autre, mais en vue d'elle-même. Cependant nous désirons l'honneur, les voluptés, l'intelligence et la vertu pour elles-mêmes. En effet nous les élirions ou désirerions même s'il n'en résultait aucun autre avantage pour nous. Et pourtant, nous les désirons en vue de la félicité, entant que nous croyons qu'ils nous rendront heureux. Mais personne ne désire la félicité pour cela, ni en vue d'autre chose. Il demeure donc que la félicité est le bien le plus parfait et par conséquent la fin ultime et la meilleure. |
#111. — Ainsi, est parfait de manière absolue ce qui est toujours en soi-même digne de choix et ne l'est jamais pour autre chose. Tel est manifestement le bonheur. Jamais nous ne le choisissons pour autre chose, mais toujours pour lui-même. Toutefois, l'honneur et les plaisirs et l'intelligence et la vertu, nous les choisissons aussi pour eux-mêmes. En effet, nous les choisirions ou les désirerions même si rien d'autre ne nous en provenait. Mais pourtant, nous les choisissons pour le bonheur, en tant que nous croyons que par eux nous serons heureux. Tandis que le bonheur, personne ne le choisit pour cela ni pour autre chose. Aussi reste-t-il que le bonheur soit le plus parfait des biens, et par conséquent la fin ultime et la meilleure. |
[72816] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 10 Deinde cum dicit: videtur
autem et ex per se sufficientia etc., agit de per se sufficientia
felicitatis. Et primo quantum ad id quod pertinet ad rationem sufficientiae;
secundo quantum ad id quod additur per se, ibi, amplius autem omnium et
cetera. Dicit ergo primo, quod idem
videtur sequi ex per se sufficientia, sicut et ex perfectione; scilicet quod
felicitas sit optimus et ultimus finis: haec enim duo se consequuntur. Nam
bonum perfectum videtur esse per se sufficiens. Si enim quantum ad aliquid
non sufficit, iam non videtur perfecte desiderium quietare; et ita non erit
perfectum bonum. Dicitur autem esse per se sufficiens bonum, non quia sit
sufficiens soli uni homini viventi vitam solitariam, sed parentibus et filiis
et uxori et amicis et civibus, ut scilicet sufficiat eis et in temporalibus
providere, necessaria auxilia ministrando, et etiam in spiritualibus,
instruendo vel consiliando. Et hoc ideo quia homo naturaliter est animal
civile. Et ideo non sufficit suo desiderio, quod sibi provideat, sed etiam
quod possit aliis providere. Sed hoc oportet intelligere usque ad aliquem
terminum. |
112.- Puis il traite de la suffisance par soi de la félicité. Primo, quant à ce qui appartient à la raison de suffisance; secundo, quant à la particule ajoutée: per se. Primo, il dit que la même conséquence semble se tirer de la condition de la suffisance par soi que de la perfection: la félicité est la fin la meilleure et ultime, car ces deux qualités sont connexes. Car le bien parfait semble être suffisant par soi. En effet, si le bien ne suffit pas sous un certain rapport, déjà il me semble plus satisfaire pleinement le désir; et ainsi il ne sera pas un bien parfait. Un bien est dit suffisant par soi, non en tant que suffisant à un seul homme vivant une vie solitaire, mais en tant que suffisant à ses parents, enfants, épouse, amis et citoyens, de sorte qu'il suffise dans l'administration des biens temporels pour pourvoir aux secours nécessaires, et dans l'instruction et la monition en ce qui concerne les biens spirituels. Et il en est ainsi parce que l'homme est un animal naturellement social. C'est pourquoi il ne suffit pas à son désir qu'il ne satisfasse que lui-même, mais aussi faut-il qu'il satisfasse les autres. Ceci jusqu'à une certaine limite. |
#112. — Ensuite (1097b6), il traite de la suffisance par soi du bonheur. 22 En premier, quant à ce qui relève de la définition de la suffisance. En second (1097b16), quant à ce qu'ajoute par soi. Il dit donc, en premier, que la même [chose] suit manifestement de la suffisance par soi et de la perfection; à savoir, que le bonheur est la fin la meilleure et ultime; car ces deux [choses] se suivent. En effet, le bien parfait est manifestement suffisant par soi. Si, en effet, il ne suffit pas quant à quelque chose, déjà il ne satisfait manifestement pas parfaitement le désir; et ainsi, il ne sera pas un bien parfait. Or on dit qu'un bien est suffisant par soi non pas parce qu'il est suffisant pour un homme seul vivant une vie solitaire, mais pour les parents et les enfants et la femme et les amis et les concitoyens, de sorte qu'il suffise à les pourvoir, en leur procurant les aides nécessaires en [matière] temporelle, et en les instruisant ou en les conseillant en [matière] spirituelle. La raison en est que l'homme est naturellement un animal civil. Aussi ne suffit-il pas à son désir qu'il pourvoie pour lui-même, mais aussi qu'il puisse pourvoir pour les autres. Mais cela, il faut l'entendre jusqu'à un certain terme. |
[72817] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 11 Si enim aliquis velit hoc extendere non solum ad
consanguineos et amicos proprios sed etiam ad amicos amicorum, procedet hoc
in infinitum et sic nulli poterit talis sufficientia provenire, et ita nullus
posset esse felix, si felicitas hanc infinitam sufficientiam requireret.
Loquitur enim in hoc libro philosophus de felicitate, qualis in hac vita
potest haberi. Nam felicitas alterius vitae omnem investigationem rationis
excedit. Quis autem sit terminus usque ad quem oporteat felicem esse
sufficientem, rursus perscrutandum alibi erit, scilicet in oeconomica, vel politica. |
113.- En effet, si quelqu'un voulait étendre cette suffisance non seulement à ses proches et à ses amis intimes, mais aussi aux amis de ses amis, il procéderait à l'infini, et ainsi cette suffisance ne pourrait parvenir à chacun de sorte que personne ne pourrait être heureux; la félicité exigeant cette suffisance infinie. Car le Philosophe parle ici de la félicité telle qu'on peut la trouver dans cette vie, c'est-à-dire de la félicité terrestre. Car la félicité de l'autre vie excède toute investigation de la raison. Ce que sera le terme auquel il faut parvenir pour être heureux suffisamment, il faudra en traiter plus loin, c'est-à-dire dans l'économique et la politique. |
#113. — Si, en effet, on veut étendre cela non seulement aux consanguins et aux amis propres, mais aussi aux amis des amis, cela ira à l'infini, la suffisance ne pourra appartenir à personne, et ainsi personne ne pourra être heureux, si le bonheur requiert cette suffisance infinie. Car en ce livre, le Philosophe parle du bonheur, tel qu'on peut l'obtenir en cette vie. En effet, le bonheur de l'autre vie excède toute investigation de la raison. Mais quel est le terme jusqu'auquel il faut que l'[homme] heureux soit suffisant, il faudra en reprendre ailleurs l'examen, à savoir, dans les Économiques ou dans la Politique. |
[72818] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 12 Et quia exposuerat cui debeat esse sufficiens bonum
perfectum, quod felicitas dicitur, quia scilicet non soli uni homini, sed
sibi et omnibus quorum cura ad ipsum spectat, consequenter exponit quid sit
quod dicitur per se sufficiens. Et dicit, quod per se sufficiens dicitur
illud, quod etiam si solum habeatur, facit vitam eligibilem et nullo
exteriori indigentem. Et hoc maxime convenit felicitati; alioquin non
terminaret motum desiderii, si extra ipsam remaneret aliquid, quo homo
indigeret. Omnis enim indigens desiderat adipisci id quo indiget. Unde
manifestum est, quod felicitas est bonum per se sufficiens. |
114.- Et parce qu'il a exposé à qui doit suffire le bien parfait qu'on appelle la félicité, qui doit s'étendre non à un seul homme mais à lui-même et à tous ceux dont il a la garde, par conséquent il expose la signification de la suffisance par soi, Et il dit que le bien suffisant par soi se dit de celui qui même s'il est le seul bien possédé; rend la vie désirable, n'ayant besoin d'aucun autre bien extérieur. Ce qui convient très bien à la félicité: autrement elle ne terminerait pas le mouvement du désir, s’il restait quelque chose en dehors d'elle-même dont l'homme aurait besoin. Tout indigent désire en effet posséder ce dont il est indigent. Aussi est-il manifeste que la félicité est un bien suffisant par soi. |
#114. — Comme il avait exposé pour qui doit être suffisant le bien parfait, que l'on appelle le bonheur, que ce n'était pas pour un homme seul, mais pour lui et pour tous ceux dont le soin le regarde, il expose ensuite qu'est-ce que c'est que l'on dit suffisant par soi. Il dit qu'on dit suffisant par soi, ce qui, même si on a seulement cela, rend la vie digne de choix, sans besoin de rien d'extérieur. Cela convient le plus au bonheur; autrement, le mouvement du désir ne se terminerait pas, si, en dehors de lui, il restait quelque chose dont on ait besoin. Car tout être en besoin désire atteindre ce dont il a besoin. Aussi est-il manifeste que le bonheur est le bien suffisant par soi. |
[72819] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 13 Deinde cum dicit: amplius autem omnium etc., exponit
rationem per se sufficientiae, quantum ad hoc quod dicit per se. Dicitur
autem aliquid per se sufficiens, ex eo quod seorsum ab aliis acceptum
sufficiens est. Quod quidem potest dupliciter contingere. Uno modo sic, quod
illud bonum perfectum quod dicitur per se sufficiens, non possit recipere
augmentum bonitatis ex alio bono addito, et haec quidem est conditio eius,
quod est totale bonum, scilicet Dei; sicut enim pars connumerata toti non est
aliquid maius quam totum, quia ipsa pars in toto includitur, ita etiam
quodcumque bonum connumeratum Deo non facit aliquod augmentum bonitatis quia
nihil est bonum nisi per hoc, quod participat bonitatem divinam. Aliquid
autem dicitur etiam solitarium, vel nullo alio connumerato, esse sufficiens,
inquantum continet omne illud, quo indiget homo ex necessitate. |
115.- Il donne la raison de la suffisance par soi quant à la signification du "par soi". Quelque chose est dit suffisant par soi du fait que, même séparé des autres biens, il est accepté comme suffisant. Ce qui peut arriver de deux manières, D'une première manière lorsque le bien parfait qui est dit suffisant par soi est tel qu'il ne puisse recevoir un surcroit de bonté par l'apport d'un autre bien. Ceci est précisément la condition du bien total qu'est Dieu. En effet, comme une partie dénombrée avec un tout n'est pas plus grande que le tout, parce qu'elle est elle-même comprise dans le tout, ainsi n'importe quel bien dénombré avec Dieu ne lui ajoute aucune bonté, parce que ce bien n'est bien que par cela qu'il participe à la bonté divine, D'une seconde façon, quelque chose de solitaire ne faisant nombre avec rien d'autre est dit suffisant en tant qu'il contient tout ce dont l'homme a absolument besoin. |
#115. — Ensuite (1097b16), il expose la définition de la suffisance par soi, quant à ce que dit par soi. Or on dit quelque chose suffisant par soi du fait que, pris hors du reste, il est suffisant. Cela, certes, peut survenir de deux manières. D'une manière, de sorte que ce bien parfait que l'on dit suffisant par soi ne puisse recevoir d'augmentation de bonté de l'ajout d'un autre bien. C'est, bien sûr, la condition de ce qui est le bien total, à savoir, de Dieu. Car de même qu'une partie comptée avec [le tout] n'est pas quelque chose de plus grand que le tout, parce que la partie même est incluse dans le tout, de même aussi, n'importe quel bien compté avec Dieu ne fait pas d'augmentation de bonté, puisqu'il n'est bon que parce qu'il participe à la bonté divine. Autre chose, toutefois, se dit suffisant [par soi] même solitaire, ou compté avec rien d'autre, en tant qu'il contient tout ce dont on a besoin nécessairement. |
[72820] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 14 Et sic felicitas de qua nunc loquitur habet per se
sufficientiam, quia scilicet in se continet omne illud quod est homini
necessarium, non autem omne illud quod potest homini advenire. Unde potest
melior fieri aliquo alio addito; nec tamen remanet desiderium hominis
inquietum, quia desiderium ratione regulatum, quale oportet esse felicis, non
habet inquietudinem de his quae non sunt necessaria, licet sint possibilia
adipisci. Hoc est ergo quod dicit maxime inter omnia convenire felicitati,
quod ipsa etiam non connumerata aliis sit eligibilis, sed tamen, si
connumeretur alicui alteri etiam minimo bonorum, manifestum est, quod erit
eligibilior. Cuius ratio est quia per appositionem fit superabundantia vel augmentum
bonitatis, quanto autem aliquid est magis bonum, tanto est magis eligibile. |
116.- Aussi la félicité dont on parle ici est suffisante par soi parce qu'elle contient en soi tout ce qui est nécessaire en soi, mais non tout ce qui peut arriver à l'homme. Elle peut devenir meilleure par quelque chose d'ajouté. Elle ne laisse pas cependant le désir de l'homme inassouvi, parce que le désir réglé par la raison - lequel doit être celui de l’homme heureux- n'est pas inquiet de ce qui n'est pas nécessaire tout en étant possible. Il dit donc que parmi toutes les conditions, celle qui convient le mieux à la félicité, c'est qu'elle soit désirable, éligible en elle-même, sans l’apport d’autre biens. Cependant si on la compare ou l'additionne le moindrement à un autre bien, il est manifeste qu'elle sera la plus désirable. Et la raison en est que c'est pas apposition que se fait la surabondance ou l'augmentation du bien. Quelque chose est d’autant plus éligible qu'il est meilleur. |
#116. — C'est de cette manière que le bonheur dont on parle maintenant a suffisance de soi, parce qu'il contient en lui tout ce qui est nécessaire en soi, mais pas tout ce qui peut advenir à l'homme. Aussi peut-il devenir meilleur avec l'ajout d'autre chose. Non pas, cependant, que le désir de l'homme reste insatisfait, car le désir réglé par la raison, tel qu'il faut que l'ait l'[homme] heureux, ne s'inquiète pas de ce qui n'est pas nécessaire, et qu'il soit possible d'obtenir. C'est donc ce qu'il dit convenir le plus entre toutes choses au bonheur, qu'il soit aussi digne de choix même sans être compté avec autre chose. Cependant, s'il était compté avec un autre parmi les moindres des biens, il est manifeste qu'il sera encore plus digne de choix. La raison en est que c'est par apposition que se fait la surabondance, ou l'augmentation du bien. Et meilleur quelque chose est, davantage il est digne de choix. |
[72821] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 15 Ultimo autem concludit epilogando quod dictum est,
scilicet quod felicitas, cum sit omnium operatorum ultimus finis, est
perfectum bonum et per se sufficiens. |
117.- Il conclut donc en revenant sur ce qui fut dit, à savoir que la félicité; puisqu’elle est la fin ultime de toutes les œuvres, est un bien parfait et suffisant par soi. |
#117. — Finalement, il conclut, par manière d'épilogue, que voilà qui est dit, à savoir, que le bonheur, comme il est la fin ultime de toutes les actions, est le bien parfait et suffisant par soi. 23 |
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Lectio
10 |
Leçon 10 : [Définition du bonheur] |
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ON RECHERCHE DEFINITION DE LA FELICITE QUANT A TOUTES LES PARTIES DE LA VRAIE DEFINITION, LE GENRE ET LES DIFFERENCES: ON LA TROUVE DANS l’OPERATION PROPRE DE L’HOMME, QUI EST L’OPERATION RATIONELLE DE LA VERTU. |
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[72822] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 1 Sed forte felicitatem
quidem et cetera. Postquam philosophus posuit quasdam conditiones
felicitatis, hic investigat definitionem eius. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit necessitatem huius inquisitionis. Secundo venatur definitionem
felicitatis, ibi, forte utique fiet hoc, et cetera. Tertio ostendit quod
praemissa definitio non est sufficiens, sed adhuc oportet amplius dicere,
ibi: circumscribatur quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod omnes
confitentur felicitatem esse aliquid optimum ad quod pertinet quod felicitas
sit ultimus finis et perfectum bonum et per se sufficiens. Sed adhuc
manifestius oportet dici aliquid de felicitate, ut sciatur quid ipsa sit in
speciali. |
118.- Après avoir posé quelques conditions de la félicité, le philosophe recherche ici sa définition. Ce qu'il fait en trois temps. Il montre d'abord la nécessité de cette recherche. Deuxièmement, il recherche la définition de la félicité, là, "Forte utique fiat hoc, etc." Tertio, il montre que la définition précitée ne suffit pas, mais qu'il faut ajouter quelque chose. Il dit donc en premier, que tous confessent que la félicité est un bien suprême auquel il appartient d'être la fin ultime et un bien parfait suffisant par soi. Mais à ce sujet, on doit dire quelque chose de plus manifeste, pour savoir ce qu'elle est en particulier. |
#118. — Après avoir posé certaines conditions du bonheur, le Philosophe investigue ici sa définition. Et à ce propos, il fait trois [considérations]. En premier, il montre la nécessité de cette recherche (1097b22). En second, il se met en chasse de la définition du bonheur (1097b24). En troisième, il montre que la définition précédente ne suffit pas, et qu'il faut parler encore plus amplement (1098a20). Il dit donc en premier que tous admettent que le bonheur est ce qu'il y a de mieux, à quoi a rapport que le bonheur soit la fin ultime et le bien parfait qui se suffit par soi. Mais il faut parler de manière encore plus manifeste du bonheur, de manière à savoir ce qu'il est spécifiquement. |
[72823] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 2 Deinde cum dicit: forte
utique etc., investigat definitionem felicitatis. Et circa hoc duo facit.
Primo inquirit genus eius. Secundo differentias eius, ibi: si autem est opus
hominis et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod felicitas est
operatio hominis. Secundo ostendit quod hominis sit aliqua propria operatio,
ibi: utrum igitur textoris quidem etc.; tertio ostendit, quae sit propria
operatio hominis, ibi: quid igitur hoc utique erit et cetera. Dicit ergo
primo, quod quid sit felicitas poterit manifestum esse si sumatur operatio
hominis. Cuiuslibet enim rei habentis propriam operationem, bonum suum et hoc
quod bene est ei consistit in eius operatione. Sicut tibicinis bonum
consistit in eius operatione. Et similiter eius qui facit statuam, et
cuiuslibet artificis. Et huius ratio est, quia bonum finale cuiuslibet rei
est ultima eius perfectio. Forma autem est perfectio prima, sed operatio est
perfectio secunda. Si autem aliqua res exterior dicatur esse finis, hoc non erit
nisi mediante operatione, per quam scilicet homo ad rem illam attingit vel
faciendo, sicut aedificator domum, aut utitur seu fruitur ea. Et sic
relinquitur quod finale bonum cuiuslibet rei in eius operatione sit
requirendum. Si igitur hominis est aliqua operatio propria, necesse est, quod
in eius operatione propria consistat finale bonum ipsius, quod est felicitas,
et ita genus felicitatis est propria operatio hominis. |
119.- Il recherche ensuite la
définition de la félicité. Sur ce, il fait deux choses. D'abord, il cherche
son genre; ensuite, ses différences. Quant au genre, il fait trois choses.
Premièrement, il montre que la félicité est une opération de l'homme.
Deuxièmement, il montre qu'il y a une opération propre à l’homme. Troisièmement,
il montre quelle est l’opération propre à l’homme. Il dit donc d’abord que la
nature de la félicité pourrait nous être manifestée si on considère l'opération
propre à l'homme. Pour chaque chose en effet qui a son opération propre le
bien consiste précisément dans cette opération, et ce qui est bien pour elle
consiste précisément dans l'opération propre de la chose considérée. Comme le
bien du flûtiste consiste dans son opération propre et le bien du statuaire,
dans son opération. Il en est ainsi pour n'importe quel artisan. Voici la
raison de cela: le bien final d'une chose quelconque est sa perfection
ultime. Ainsi, la forme est la perfection première, mais l'opération est sa
perfection seconde. Si on dit qu'une œuvre extérieure est une fin, cela ne se
pourra être que par l'intermédiaire de l'opération par laquelle l'homme
atteint cette œuvre, soit en la faisant, comme le fabricant d'une maison,
soit en s'en servant ou en n'en jouissant. Ainsi, on voit que le bien final
de chaque chose doit être recherché dans son opération. Et par conséquent, si
l’homme a quelque opération propre, il est nécessaire que son bien final, qui
est la félicité, réside dans cette opération propre. Et ainsi la félicité est
l’opération propre de l'homme. |
#119. — Ensuite (1097b24), il investigue la définition du bonheur. Et à ce propos, il fait deux [considérations]. En premier, il cherche son genre. En second, ses différences (1098a7). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bonheur est l'opération de l'homme. En second, il montre qu'il existe une opération propre à l'homme (1097b28). En troisième, il montre quelle est l'opération propre à l'homme (1097b33). Il dit donc en premier que ce qu'est le bonheur pourra devenir manifeste si l'on prend l'opération de l'homme. Car pour toute chose qui a une opération propre, c'est elle qui est son bien, et pour elle être bien consiste en son opération. Ainsi, pour le joueur de flûte, le bien consiste en son opération. Et [il en va] semblablement pour celui qui fait une statue et pour n'importe quel artisan. La raison en est que le bien final de n'importe quelle chose est sa perfection ultime. Or sa forme est une première perfection et son opération est une perfection seconde. Si toutefois c'est une chose extérieure qu'on dit sa fin, ce ne sera pas sans le biais d'une opération par laquelle on atteigne à cette chose, soit en la faisant, comme le constructeur [fait] la maison, soit qu'on en use ou en jouisse. Aussi reste-t-il que le bien final de n'importe quelle chose est à rechercher dans son opération. Si donc il existe pour l'homme une opération propre, nécessairement c'est dans son opération propre que consiste son bien final même, qui est le bonheur. Et ainsi le bonheur est l'opération propre de l'homme. |
[72824]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 3 Si autem dicatur in aliquo alio
felicitas consistere, aut hoc erit aliquid quo homo redditur idoneus ad
huiusmodi operationem, aut erit aliquid ad quod per suam operationem
attingit, sicut Deus dicitur esse beatitudo hominis. |
120.- Si donc on dit que la félicité consiste dans quelque chose d'autre (que son opération propre) ou bien, ce sera quelque chose par quoi l'homme est rendu apte à son opération, ou bien ce sera quelque chose qu'il atteindra par son opération, comme Dieu est dit être la béatitude de l'homme. |
#120. — Si par ailleurs on dit que le bonheur consiste en quelque chose d'autre, ou bien ce sera quelque chose par quoi l'homme est rendu apte à une opération de cette sorte, ou bien ce sera quelque chose à quoi il atteint par son opération, de la manière dont on dit que Dieu est la béatitude de l'homme. |
[72825] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 4 Deinde cum dicit: utrum igitur textoris etc., probat
quod sit aliqua propria operatio hominis. Et hoc dupliciter. Primo quidem per
ea quae accidunt homini. Accidit enim homini, quod sit textor, vel coriarius,
aut grammaticus, vel musicus sive aliquid aliud huiusmodi. Sed nihil istorum
est, quod non habeat propriam operationem. Alioquin sequeretur quod huiusmodi
otiose et frustra homini advenirent. Multo autem magis inconveniens quod sit
otiosum et frustra id quod est secundum naturam, quod est ordinatum ratione
divina, quam id quod est secundum artem, quod est ordinatum ratione humana.
Cum igitur homo sit aliquid existens secundum naturam, impossibile est, quod
sit naturaliter otiosus, quasi non habens propriam operationem. Est igitur
aliqua operatio hominis propria, sicut eorum quae ei accidunt. Cuius causa
est, quia unumquodque, vel naturale vel artificiale, est per aliquam formam,
quae est alicuius operationis principium. Unde sicut unaquaeque res habet
proprium esse per suam formam, ita etiam et propriam operationem. |
121.- Il prouve qu'il y a une opération proprement humaine. Et cela de deux façons. Primo, par ce qui est accidentel à l'homme. En effet, il arrive à l'homme d'être constructeur ou corroyeur, ou grammairien, ou musicien, ou quelque chose de semblable. Mais il n’y a aucune de ces choses qui n'ait son opération propre. Car sans cela, il s'ensuivrait que les choses de ce genre arriveraient à l'homme inutilement et en vain. Or il est de beaucoup plus inconvenable que soit vain et inutile ce qui est selon la nature, qui est ordonné par la raison divine, que ce qui est ordonné par la raison humaine. Donc puisque l'homme est un être existant selon la nature, c'est-à-dire un être naturel, il est impossible qu'il soit naturellement inutile tout comme s'il (quasi) n'avait pas une opération propre. Il y a donc une certaine opération propre à l'homme comme il y en a une à chaque chose qui lui arrive. Or voici la cause: c'est que chaque chose, qu'elle soit naturelle ou artificielle, existe par une forme qui est le principe de son opération. D'où l'on voit que, comme chaque chose à son être propre par sa forme, ainsi elle a aussi son opération propre. |
#121. — Ensuite (1097b28), il prouve qu'il existe une opération propre à l'homme. Et cela de deux manières. En premier, certes, par le biais des accidents de l'homme. C'est un accident, en effet, pour l'homme, qu'il soit tisserand, ou corroyeur, ou grammairien, ou musicien ou autre chose de la sorte. Mais il n'est aucun d'entre ceux-là qui n'ait son opération propre. Il s'ensuivrait autrement que [des accidents] de cette sorte appartiendraient inutilement et en vain à l'homme. Or c'est beaucoup plus inconvenant si ce qui est par nature, et donc ordonné par raison divine, est inutile et en vain, que si c'est ce qui est ordonné par raison humaine. Comme donc l'homme est quelque chose qui existe par nature, il est impossible qu'il soit naturellement inutile, comme sans avoir d'opération propre. Il y a donc une opération propre à l'homme, comme [il y en a] pour ses accidents. La cause en est que chaque chose, ou naturelle ou artificielle, tient l'être d'une forme qui est principe de quelque opération. De là, de même que chaque chose tient son être propre de sa forme, de même aussi elle [en] tient son opération propre. |
[72826] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 5 Secundo ibi: vel
quemadmodum oculi etc., ostendit idem per hominis partes. Eamdem enim
operationem oportet existimare in toto et in partibus; quia sicut anima est
actus totius corporis, ita partes animae quaedam sunt actus quarumdam partium
corporis, ut visus oculi. Sed quaelibet pars hominis habet propriam operationem,
sicut oculi operatio est videre, et manus palpare et pedis ambulare et sic de
aliis particulis; relinquitur ergo quod etiam totius hominis sit aliqua
propria operatio. |
122.- Il montre la même chose par les parties de l'homme. En effet, on doit juger que l'opération est de même nature dans le tout et dans les parties; parce que, comme l'âme est l'acte d'un corps entier, ainsi certaines parties de l'âme sont actes de certaines parties du corps, comme la vue est acte de l’œil. Mais, chaque partie de l'homme a son opération propre, comme l'opération des yeux est de voir, et celle de la main est de palper, et celle du pied, de marcher et ainsi en est-il des autres parties; il s'ensuit donc qu'il existe une opération propre de tout l’homme. |
#122. — En second (1097b30), il montre la même [chose] par le biais des parties de l'homme. Car il faut attendre la même opération dans le tout et les parties; en effet, de même que l'âme est l'acte de tout le corps, de même certaines parties de l'âme sont les actes de certaines parties du corps, comme la vue de l'œil. Or toute partie de l'homme a son opération propre; par exemple, l'opération de l'œil est de voir, [celle] de la main, palper, [celle] des pieds, marcher, et ainsi des autres parties. Reste donc qu'il existe aussi une opération propre pour tout l'homme. 24 |
[72827] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 6 Deinde cum dicit: quid
igitur hoc etc., inquirit quae sit propria operatio hominis. Manifestum est
autem quod propria operatio uniuscuiusque rei est quae competit ei secundum
suam formam. Forma autem hominis est anima, cuius actus dicitur vivere; non
quidem secundum quod vivere est esse viventis, sed secundum quod vivere
dicitur aliquod opus vitae, puta intelligere vel sentire; unde manifestum
est, quod in aliquo opere vitae consistit hominis felicitas. |
123.- Il recherche quelle est cette opération propre à l’homme. Or il est manifeste que l'opération elle-même d'une chose quelconque est ce qui lui convient selon sa forme. Or la forme de l’homme est l'âme, dont l'acte s'appelle vivre; Non pas en ce sens que vivre est l'existence du vivant, mais dans ce sens que "vivre" se dit de l’œuvre de la vie, comme intelliger, sentir. D’où il est manifeste que la félicité de l’homme consiste dans une certaine œuvre de la vie. |
#123. — Ensuite (1097b33), il cherche quelle est l'opération propre à l'homme. Par ailleurs, il est manifeste que l'opération même de n'importe quelle chose, c'est celle qui lui convient selon sa forme. Or la forme de l'homme est son âme, dont on dit que l'acte est de vivre; non pas, bien sûr, selon que vivre est l'essence du vivant, mais selon qu'on appelle vivre une œuvre de la vie, par exemple intelliger, sentir. De là il est manifeste que le bonheur de l'homme consiste en quelque œuvre de la vie. |
[72828] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 7 Non autem potest dici,
quod secundum quodcumque vivere attenditur hominis felicitas, quia vivere est
commune etiam plantis, sed felicitas quaeritur sicut quoddam proprium hominis
bonum. Dicitur enim bonum humanum. Pari autem ratione etiam species vitae
quae dicitur nutritiva vel augmentativa separanda est a felicitate, quia haec
etiam communia sunt plantis. Et ex hoc accipi potest, quod felicitas non
consistit neque in sanitate, neque in pulchritudine, neque in fortitudine,
neque in proceritate corporis. Omnia enim haec acquiruntur per operationes
huius vitae. |
124.- Cependant, on ne peut pas dire que la félicité de l'homme s'atteint dans ni importe quel vivre, parce que vivre est aussi commun aux plantes. Mais on doit rechercher la félicité comme un certain bien propre à l'homme. Elle est en effet un bien humain. Pour la même raison, l'espèce de vie qu'on appelle nutritive ou de croissance, est à écarter de la félicité; parce que ces deux espèces de vie sont communes aux plantes. Et de là, on peut conclure que la félicité ne consiste ni dans la santé, ni dans la beauté, ni dans la force, ni dans la taille du corps. Toutes ces choses en effet sont acquises par les opérations de ce genre de vie. |
#124. — Mais on ne peut pas dire qu'on attend le bonheur de l'homme de n'importe quelle [façon de] vivre. Car vivre est commun aux plantes, tandis que le bonheur se cherche comme un bien propre de l'homme; on l'appelle en effet le bien humain. Pour pareille raison encore, les aspects de la vie qu'on appelle nutrition, ou croissance, sont aussi à distinguer du bonheur, du fait qu'ils sont eux aussi communs aux plantes. De là on peut convenir que le bonheur ne consiste ni en la santé, ni en la beauté, ni en la force, ni en la taille du corps. En effet, tout cela s'acquiert par des opérations de cette vie-là. |
[72829] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 8 Post vitam autem
nutritivam et augmentativam sequitur vita sensitiva. Quae etiam non est
propria homini, sed convenit etiam equo et bovi et cuilibet animali. Unde nec
in hac vita consistit felicitas. Et ex hoc accipi potest, quod humana
felicitas non consistit in aliqua sensibili cognitione seu delectatione. |
125.- Cependant, après la vie de nutrition et de croissance, il y a la vie sensitive. Elle n’est pas non plus propre à l'homme, mais convient au cheval et au bœuf et à tout animal et donc la félicité ne consiste pas en cette vie. Et de là on peut admettre que la félicité humaine ne consiste pas dans quelque connaissance sensible ou quelque délectation. |
#125. — Après la vie nutritive et de croissance, toutefois, suit la vie sensitive. Celle-là non plus n'est pas propre à l'homme, mais convient au cheval, au bœuf et à n'importe quel animal. Aussi n'est-ce pas non plus en cette vie que consiste le bonheur. De là, on peut convenir que le bonheur humain ne consiste pas en quelque connaissance ou délectation sensible. |
[72830] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 9 Post vitam autem
nutritivam et sensitivam non relinquitur nisi vita quae est operativa
secundum rationem. Quae quidem vita propria est homini. Nam homo speciem
sortitur ex hoc quod est rationalis. Sed rationale est duplex. Unum quidem
participative, inquantum scilicet persuadetur et regulatur a ratione. Aliud
vero est rationale essentialiter, quod scilicet habet ex seipso ratiocinari
et intelligere. Et haec quidem pars principalius rationalis dicitur, nam
illud quod dicitur per se, semper est principalius eo quod est per aliud.
Quia igitur felicitas est principalissimum bonum hominis, consequens est, ut
magis consistat in eo quod pertinet ad id quod est rationale per essentiam
quam in eo quod pertinet ad id quod est rationale per participationem. Ex quo
potest accipi, quod felicitas principalius consistit in vita contemplativa
quam in activa; et in actu rationis vel intellectus, quam in actu appetitus
ratione regulati. |
126.- Or, après la vie nutritive et sensitive, il n'en reste pas d'autre que la vie qui est opérative selon la raison; et, celle-ci est la vie propre à l'homme. Car l'homme tire son espèce du fait qu'il est raisonnable. Mais le rationnel est double; l'un est le rationnel par participation, à savoir en tant qu'il est persuadé et dirigé par la raison; l'autre, le rationnel par essence, à savoir celui qui de lui-même raisonne et intellige. Certes, c’est la partie qui est principalement rationnelle parce que ce qui est "par soi" est toujours premier par rapport à ce qui est par un autre. Parce que la félicité est le bien principal de l'homme, il s'ensuit qu'elle consiste beaucoup plus en ce qu'il a de rationnel essentiellement qu'en ce qu'il a de rationnel par participation. De là, on peut dire que la félicité consiste davantage dans la vie contemplative, que dans la vie active; et dans l'acte de la raison ou de l'intelligence plutôt que dans l'acte de l'appétit dirigé par la raison. |
#126. — Après la vie nutritive et sensible, il ne reste enfin que la vie qui opère selon la raison. Et cette vie-là est propre à l'homme. En effet, l'homme tire justement sa nature de ce qu'il est rationnel. Mais le rationnel est double. L'un, certes, l'est par participation, à savoir pour autant qu'il est persuadé et réglé par la raison. Tandis que l'autre est rationnel par essence: il a de lui-même [l'aptitude à] raisonner et intelliger. C'est celle-ci, bien sûr, qui se dit plus principalement partie rationnelle. Car ce qui est par soi est toujours principal en regard de ce qui est par le biais d'autre chose. Parce que donc le bonheur est le bien principalissime de l'homme, il s'ensuit qu'il consiste davantage en ce qui est rationnel par essence qu'en ce qui est rationnel par participation. De là on peut convenir que le bonheur consiste plus principalement en la vie contemplative qu'en l'active; et [davantage] dans l'acte de la raison ou de l'intelligence qu'en l'acte de l'appétit réglé par la raison. |
[72831] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 10 Deinde cum dicit: si autem (est) opus hominis etc.,
investigat differentias felicitatis. Et dividitur in partes duas, secundum
duas differentias quas investigat. Secunda pars incipit ibi, amplius autem,
et cetera. Primo igitur accipit ex praemissis quod proprium opus hominis sit
operatio animae, quae est secundum ipsam rationem, vel non sine ratione. Quod
dicit propter operationem appetitus regulati ratione. Hoc autem in omnibus
communiter invenitur, quod idem est opus alicuius rei in genere acceptae et
opus illius rei si sit bona: nisi quod oportet apponere ex parte operationis
id quod pertinet ad virtutem. Sicut opus citharistae est citharizare. Opus
autem boni citharistae est bene citharizare. Et similiter est in omnibus
aliis. |
127.- Il recherche les différences de la félicité. Ce qui comporte deux parties selon les deux différences qu'il examine. En premier, il tire de ce qu'il a dit, que l'opération propre de l'homme est l'opération de l'âme, qui est selon la raison elle-même, ou qui n'est pas exempte de raison. Il ajoute ce dernier membre à cause de l'opération de l'appétit dirigé par la raison. Or voici un fait que l'on retrouve partout: l'opération qui convient à une chose en général est la même que celle qui lui convient une fois perfectionnée ou bonne: à moins qu'il faille placer du côté de l'opération ce qui appartient à la vertu. Ainsi l'œuvre du cithariste est de jouer de la cithare; l'œuvre du bon cithariste est de bien jouer. Et il en est de même dans tous les autres cas. |
#127. — Ensuite (1098a7), il investigue les différences du bonheur. Cela se divise en deux parties, d'après les deux différences qu'il investigue. En premier donc on convient à partir de ce qui précède que l'œuvre propre de l'homme soit cette opération de son âme qui se fait selon la raison elle-même, ou du moins non sans raison. Ce qu'il ajoute à cause de l'opération de l'appétit réglé par la raison. Or cela se trouve communément en toutes [choses] que soit identique l'œuvre d'une chose prise génériquement et l'œuvre de cette chose quand elle est bonne, sauf qu'il faut ajouter de la part de l'opération ce qui appartient à la vertu. Ainsi, l'œuvre du cithariste est de jouer de la cithare et l'œuvre du bon cithariste, de bien jouer de la cithare. Et il en va semblablement en toutes autres [choses]. |
[72832] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 11 Si igitur opus hominis consistit in quadam vita, prout
scilicet homo operatur secundum rationem, sequitur quod boni hominis sit bene
operari secundum rationem, et optimi hominis, scilicet felicis, optime hoc
facere. Sed
hoc pertinet ad rationem virtutis, quod unusquisque habens virtutem secundum
eam bene operetur sicut virtus equi est secundum quam bene currit. Si ergo
operatio optimi hominis, scilicet felicis, est ut bene et optime operetur
secundum rationem, sequitur quod humanum bonum, scilicet felicitas, sit
operatio secundum virtutem: ita scilicet quod si est una tantum virtus
hominis, operatio quae est secundum illam virtutem, erit felicitas. Si autem
sunt plures virtutes hominis, erit felicitas operatio quae est secundum
optimam illarum, quia felicitas non solum est bonum hominis, sed optimum. |
128.- Par conséquent si l'opération de l'homme consiste dans une certaine vie, à savoir, suivant que l'homme opère selon la raison, il s'ensuit qu'il convient à l'homme bon de bien opérer selon la raison, et à l'homme très bon de le faire très bien. Mais cela appartient à la raison de vertu, que celui qui a la vertu opère bien selon elle; comme la vertu cheval est qu’il courre bien. Donc, si l'opération de l'homme très bon, c'est- à-dire heureux, est de bien et de très bien opérer selon la raison, il s’ensuit que le bien humain, à savoir la félicité, est l'opération selon la vertu: de telle sorte que s'il n'existe qu'une seule vertu de l’homme, l'opération qui est selon cette vertu est la félicité. Cependant, s'il y a plusieurs vertus de l'homme, la félicité sera l'opération qui est selon la plus haute (la plus noble) d'entre elles. Car la félicité n'est pas seulement le bien de l'homme, mais le bien le meilleur. |
#128. — Si donc l'œuvre de l'homme consiste en une certaine vie, à savoir celle où l'homme opère selon la raison, il s'ensuit qu'il appartienne au bien de l'homme de bien opérer selon la raison, et [qu'il appartienne] à l'homme le meilleur, à savoir heureux, qu'il le fasse de la meilleure façon. Or cela appartient à la définition de la vertu que tout ce qui a vertu opère bien grâce à elle, comme la vertu du cheval est ce grâce à quoi il court bien. Si donc l'opération du meilleur homme, à savoir de [l'homme] heureux, est d'opérer bien et de la meilleure façon selon la raison, il s'ensuit que le bien humain, à savoir le bonheur, soit d'opérer selon sa vertu: de sorte que s'il existe une seule vertu de l'homme, l'opération qui se fait selon cette vertu sera le bonheur; mais que s'il existe plusieurs vertus de l'homme, sera le bonheur l'opération qui sera la meilleure d'entre elles. Car le bonheur non seulement est le bien de l'homme, mais [son bien] le meilleur. |
[72833] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 12 Deinde cum dicit: amplius autem in vitam perfectam
etc., investigat aliam differentiam felicitatis. Requiritur enim ad
felicitatem continuitas et perpetuitas quantum possibile est. Hoc enim
naturaliter appetitus habentis intellectum desiderat, utpote apprehendens non
solum esse ut nunc sicut sensus, sed etiam esse simpliciter. Cum autem esse
sit secundum seipsum appetibile, consequens est, quod sicut animal per sensum
apprehendens esse ut nunc, appetit nunc esse, ita etiam homo per intellectum
apprehendens esse simpliciter, appetit esse simpliciter et semper et non
solum ut nunc. Et ideo de ratione perfectae felicitatis est continuitas et
perpetuitas, quam tamen praesens vita non patitur. Unde in praesenti vita non
potest esse perfecta felicitas. Oportet tamen quod felicitas qualem possibile
est esse praesentis vitae, sit in vitam perfectam, id est per totam
hominis vitam. Sicut enim una hirundo veniens non demonstrat ver, nec una dies
temperata, ita etiam nec una operatio semel facta facit hominem felicem, sed
quando homo per totam vitam continuat bonam operationem. |
129.- Il recherche l'autre différence de la félicité. La félicité qui est aussi la continuité et la perpétuité en autant qu'il est possible. Ce que désire naturellement l’appétit de celui qui a une intelligence, parce qu'il n'appréhende pas uniquement l'existence actuelle comme le fait le sens, mais aussi l'existence de façon absolue. Or comme l'existence est par elle-même appétible, il s'ensuit que comme l'animal qui appréhende l'existence actuelle par le sens désire cette existence actuelle, ainsi l'homme qui appréhende l'existence "simpliciter". Il par l'intelligence désire exister absolument et toujours et non seulement actuellement. Et c'est pourquoi, la continuité et la perpétuité appartiennent à la raison de la félicité parfaite que, cependant, la vie présente ne peut souffrir. La félicité parfaite ne peut donc exister dans la vie présente. Il faut cependant que la félicité, en autant que son existence est possible en cette vie, soit dans une vie parfaite, c'est-à-dire pendant toute la vie de l'homme. Comme en effet, une hirondelle ne fait pas le printemps, ni une journée tempérée, ainsi, une seule opération accomplie ne fait pas le bonheur de l'homme. Il faut que l'opération se continue pendant toute la vie. |
#129. — Ensuite (1098a18), il investigue une autre différence du bonheur. Est aussi requise au bonheur, en effet, la continuité et la perpétuité autant qu'elle est possible. En effet, l'appétit de qui a intelligence désire naturellement cela, puisqu'il appréhende non seulement, comme le sens, l'être actuel, mais aussi l'être tout court. Or comme l'être est désirable de lui-même, il s'ensuit que de même que l'animal, qui appréhende par le sens l'être actuel, désire être maintenant, de même aussi 25 l'homme, qui appréhende par son intelligence l'être tout court, désire être tout court, et toujours, et pas seulement actuellement. Et c'est pourquoi, bien que cependant la vie présente ne la souffre pas, la continuité et la perpétuité appartient à la définition du bonheur parfait. De là le bonheur ne peut-il être parfait en la vie présente. Il faut toutefois que le bonheur, tel qu'il est possible en la vie présente, s'accompagne d'une vie parfaite, c'est-à-dire dure toute la vie de l'homme. De même en effet qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus une journée de belle température, de même non plus une seule opération bien faite ne fait pas l'homme heureux; [l'homme n'est heureux] que lorsqu'il continue toute sa vie à opérer bien. |
[72834] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 10 n. 13 Sic ergo patet, quod felicitas
est operatio propria hominis secundum virtutem in vita perfecta. |
130.- Donc il est évident que la félicité est l’opération propre de l'homme selon la vertu dans la vie parfaite. |
#130. — Ainsi devient-il donc évident que le bonheur est l'opération propre de l'homme menée selon sa vertu au cours d'une vie complète. |
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Lectio
11 |
Leçon 11 : [Le temps favorise la compréhension de ce qu’est le bonheur] |
Leçon 11 |
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LA DEFINITION DE LA FELICITE UNE FOIS TROUVEE, IL MONTRE CE QU'IL RESTE A FAIRE; IL MANIFESTE COMMENT LE TEMPS COOPERE A LA DECOUVERTE DE LA VERITE, ET COMMENT IL EN FAVORISE AUSSI L'OUBLI. |
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[72835] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 1 Circumscribatur quidem
igitur bonum et cetera. Postquam philosophus investigavit diffinitionem
felicitatis, nunc ostendit quid post hoc agendum relinquatur. Et circa hoc
duo facit. Primo ostendit quid restat agendum. Secundo quomodo id agere
oporteat, ibi, meminisse autem et praedictorum oportet et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit quid sit factum et quid restet agendum. Et
dicit, quod ita sicut supra habitum est, circumscribitur bonum finale
hominis, quod est felicitas. Et vocat circumscriptionem notificationem
alicuius rei per aliqua communia quae ambiunt quidem ipsam rem, non tamen
adhuc per ea in speciali declaratur natura illius rei. Quia, ut ipse subdit,
oportet quod aliquid primo dicatur figuraliter, id est secundum
quandam similitudinariam et extrinsecam quodammodo descriptionem; et deinde
oportet ut manifestatis quibusdam aliis resumatur illud quod fuit prius
figuraliter determinatum, et sic iterato plenius describatur. Unde et ipse
postmodum in fine libri de felicitate tractatum complebit. |
131.- Après avoir cherché la définition de la félicité, il montre maintenant ce qu’il reste à faire. Ce qu'il fait en deux temps: primo, il montre ce qu'il reste à faire; secundo, de quelle façon il faut le faire. Sur ce qu'il reste à faire, il fait trois choses. Primo, il montre ce qui a été fait et ce qu'il reste à faire. Et, dit-il, comme on l'a montré plus haut, on a esquissé, circonscrit le bien final de l'homme, qui est la félicité. Et il appelle cette circonscription la notification d'un objet par des choses communes qui entourent l'objet, sans cependant que ces "communia" n'aient jusqu'ici manifesté en particulier la nature propre de cet objet. En voici la raison: comme il le dit lui-même, il faut que la chose soit notifiée d'abord "figuraliter", c'est-à-dire selon une description par similitude et extrinsèque de quelque manière; et ensuite, après avoir manifesté d'autres "éléments" nécessaires, il faut résumer ce qui fut antérieurement déterminé "figuraliter", de façon à ce que par la sui te on puisse la décrire plus pleinement, d’ailleurs, à la fin de ce livre, il comp1ètera ce traité sur la félicité. |
#131. — Après avoir investigué la définition du bonheur même, le Philosophe montre maintenant ce qu'il reste à faire après cela. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'il reste à faire. En second (1098a26), comment il faut le faire. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il énonce ce qu'il y a de fait et ce qu'il reste à faire. Il dit qu'ainsi, comme on l'a fait plus haut, le bien final de l'homme, qui est le bonheur, se trouvera circonscrit. Il appelle circonscription la notification de quelque chose par des [propos] communs autour de la chose même, bien que sa nature ne s'en trouve pas encore manifestée dans le détail. Car, comme il le dit lui-même, il faut que quelque chose soit d'abord présenté figurément, c'est-à-dire, selon une certaine similitude et une description quelque peu extrinsèque; ensuite, il faut qu'après avoir manifesté autre chose, on rappelle ce qui avait d'abord été traité figurément, et qu'ainsi, en reprise, on le décrive plus pleinement. Aussi complétera-t-il lui-même le traité du bonheur plus tard, à la fin du livre. |
[72836] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 2 Secundo ibi: videbitur
autem utique etc., assignat rationem eius quod dictum est, hoc enim ad
naturam cuiuslibet hominis pertinere videtur, ut ea quae bene continent
descriptionem alicuius rei perducat, scilicet de imperfecto ad perfectum, et
particulatim disponat, primo scilicet unam partem, et postea aliam
investigando. Ad hominis enim naturam pertinet ratione uti ad veritatis cognitionem.
Rationis autem proprium est ab uno in aliud procedere, intellectus autem
proprium est statim apprehendere veritatem; et ideo ad hominem pertinet ut
paulatim in cognitione veritatis proficiat, substantiae vero separatae, quae
intellectuales dicuntur, statim absque inquisitionem notitiam veritatis habent. |
1320- Secundo, il assigne la raison de ce qui a été dit. Il semble appartenir à la nature de l'homme de procéder de l'imparfait au parfait dans l'élaboration d'une bonne description d'une chose, disposant les éléments un à un. Il faut décrire une première partie, puis en rechercher une autre. Il appartient en effet à la nature humaine de se servir de sa raison pour connaître la vérité. Or le propre de la raison n’est pas de saisir d’un seul coup la vérité: et c'est pourquoi il appartient à l'homme de s'avancer peu à peu dans la connaissance de la vérité. Alors que les substances séparées, dites intellectuelles, possèdent d'un seul coup ou sans discourir la connaissance de la vérité. |
#132. — En second (1098a22), il assigne la raison de ses dires, en disant qu'il appartient manifestement à la nature de tout homme de conduire de l'imparfait au parfait les bons éléments de la description d'une chose, en disposant des détails. En menant d'abord l'investigation d'une partie, puis d'une autre. Il appartient à la nature de l'homme, en effet, de se servir de la raison pour connaître la vérité. Or c'est le propre de la raison de ne pas appréhender tout d'un coup la vérité: c'est pourquoi il appartient à l'homme de progresser peu à peu dans la connaissance de la vérité. Tandis que les substances séparées, que l'on dit intellectuelles, ont connaissance de la vérité tout d'un coup, sans investigation. |
[72837] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 3 Tertio ibi: et tempus
talium etc., ostendit per quid homo ad praedicta iuvetur. Et dicit quod
eorum, quae bene se habent ad aliquid circumscribendum videtur tempus esse
quasi adinventor, vel bonus cooperator: non quidem quod tempus per se ad hoc
aliquid operetur sed secundum ea quae in tempore aguntur. Si enim aliquis
tempore procedente det se studio investigandae veritatis, iuvatur ex tempore
ad veritatem inveniendam et quantum ad unum et eumdem hominem qui postea
videbit quod prius non viderat, et etiam quantum ad diversos, utpote cum
aliquis intuetur ea quae sunt a praedecessoribus adinventa et aliquid
superaddit. Et per hunc modum facta sunt additamenta in artibus, quarum a
principio aliquid modicum fuit adinventum, et postmodum per diversos paulatim
profecit in magnam quantitatem, quia ad quemlibet pertinet superaddere id quod
deficit in consideratione praedecessorum. |
133.- Tertio, il montre ce qui aide l'homme à parvenir à ce que l'on vient de dire. Et il dit que pour trouver ce qui est bon à la bonne description d'une chose, le temps apparaît comme un auxiliaire ou un bon coopérateur; non certes que le temps par soi serve à ce but, mais en tant que ces choses sont situées dans le temps. Si quelqu'un consacre son effort à rechercher la vérité, il reçoit l'aide du temps pour découvrir la vérité, que ce soit quant à un seul homme qui verra plus tard ce qu'il ne voyait pas avant, ou que ce soit quant à divers hommes, comme lorsque quelqu’un pénètre ce qui a été inventé par ses prédécesseurs et lui ajoute quelque apporta Et c'est de cette façon que les arts se sont enrichis: au début, on a trouvé des petites choses puis, peu à peu, grâce à divers contributeurs, on eu est arrivé à une grande quantité, parce qu'il appartient à chaque homme d'ajouter ce qui manque à la considération de ses prédécesseurs. |
#133. — En troisième (1098a23), il montre par quoi on est aidé à ce qui précède. Il dit que, pour ceux qui s'y prennent bien pour circonscrire une chose, le temps paraît être comme un inventeur, ou un bon coopérateur: non pas, bien sûr, que le temps y fait par lui-même quelque chose, mais en rapport à ce qui se fait avec du temps. Si, en effet, le temps s'écoulant, on met du travail à l'investigation de la vérité, on est aidé par le temps à découvrir la vérité, à la fois pour un seul et même homme, qui verra plus tard ce qu'il n'avait pas vu auparavant, et aussi pour plusieurs, pour autant qu'en regardant aux découvertes de ses prédécesseurs, on trouve à y ajouter autre chose. C'est de cette manière que se sont faits les ajouts dans les arts: au début, une petite chose y a été découverte, et par la suite c'est grâce à l'aide de plusieurs que l'on progresse peu à peu à une grand accroissement, parce que n'importe qui a le loisir d'ajouter ce qui manque à la considération de ses prédécesseurs. |
[72838] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 4 Si autem e contrario
exercitium studii praetermittatur, tempus est magis causa oblivionis, ut
dicitur in quarto physicorum, et quantum ad unum hominem, qui si se
negligentiae dederit, obliviscetur quod scivit, et quantum ad diversos. Unde
videmus multas scientias vel artes quae apud antiquos viguerunt paulatim
cessantibus studiis in oblivionem abiisse. |
134.- Mais si, au contraire, on cesse d'étudier et de penser, le temps est davantage une cause d’oubli, comme il est dit au quatrième livre des Physiques; et cela quant à un seul homme - car s'il se livre à la négligence, il oubliera ce qu’il savait - et quant à divers hommes. Ainsi, nous voyons que de nombreuses sciences en vigueur chez les Anciens sont tombées peu à peu dans l'oubli, dès qu’on eut cessé leur étude. |
#134. — Si toutefois, au contraire, l'étude diligente est négligée, le temps devient davantage cause d'oubli, comme il est dit au quatrième [livre] de la Physique (XII, 10; lect. 20), à la fois pour un seul homme, qui, s'il s'adonne à la négligence, oublie ce qu'il a su, et pour plusieurs. Aussi, nous voyons beaucoup de sciences qui avaient vigueur chez les anciens tomber dans l'oubli, la diligence cessant. |
[72839] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 5 Deinde cum dicit: meminisse autem et praedictorum etc.,
ostendit quomodo sit prosequendum id quod restat. Et primo proponit hoc in
generali, reducens ad memoriam ea quae supra in prooemio dicta sunt, quod
scilicet non oportet similiter exquirere certitudinem in omnibus, sed in
singulis secundum convenientiam materiae, prout scilicet est proprium illi
doctrinae quae circa illam materiam versatur. |
135.- Ensuite, il dit de quelle façon il faut poursuivre ce qui reste. Et d’abord on pose le principe en général: se rappelant ce qu'on a dit dans l'introduction, à savoir que la même certitude ne doit pas être recherchée en toute chose, Dans chacun des cas il faut y aller selon la matière qui est sujet, c'est-à-dire en tant qu'elle est propre à cette doctrine, qui traite de cette matière. |
#135. — Ensuite (1098a26), il montre comment il faut poursuivre pour ce qui reste. 26 En premier, cela est proposé en général, en ramenant à la mémoire ce qui a été dit plus haut, dans le prologue, à savoir, qu'il ne faut pas exiger de la même manière de la certitude en toute [chose], mais en chacune selon la matière à elle assujétie, pour autant que cela est approprié à la doctrine qui porte sur elle. |
[72840] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 6 Secundo ibi: et enim tector et geometra etc.,
manifestat, quod dixerat, in speciali. Et primo quantum ad id quod
diversimode in diversis observari oportet. Secundo quantum ad id quod
communiter in omnibus observandum est, ibi, pertransire autem oportet, et
cetera. Circa primum tradit duplicem diversitatem. Quarum prima est secundum
differentiam scientiae practicae et speculativae. Unde dicit quod tector,
idest artifex operativus, et geometra, qui est speculativus, differenter
inquirunt de linea recta. Artifex quidem operativus, utpote carpentarius,
inquirit de linea recta quantum est utile ad opus, utpote ad secandum ligna
vel aliquid aliud huiusmodi faciendum; sed geometra inquirit quid est linea
recta et quale quid sit, considerando proprietates et passiones ipsius, quia
geometra intendit solam speculationem veritatis. Et secundum hunc modum
faciendum est in aliis scientiis operativis, ut non sequatur hoc inconveniens
ut in scientia operativa fiant plures sermones ad opera non pertinentes illis
sermonibus qui sunt circa opera, puta, si in hac scientia morali aliquis
vellet pertractare omnia quae pertinent ad rationem et alias partes animae,
oporteret plura de hoc dicere quam de ipsis operibus. Est enim in
unaquaque scientia vitiosum, ut homo multum immoretur in his quae sunt extra
scientiam.
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136.- En second, il manifeste son principe en particulier. Primo, quant à ce qui doit être observé de diverses façons dans différentes choses. Secundo, quant à ce qu'on doit observer communément en toute chose. Sur le primo, il manifeste une triple diversité. La première est prise d'après la différence entre la science pratique et la science spéculative. Il dit que l'architecte, c'est-à-dire Il artisan opératif, et le géomètre, qui est un spéculatif, s’enquièrent différemment de la ligne droite. L'artisan opératif, comme le charpentier, s'enquiert de la ligne en tant qu'elle est utile à son œuvre, comme par exemple pour scier du le bois, ou pour faire quelque chose de ce genre; mais le géomètre Si enquiert de ce qui est la ligne, de sa nature, en considérant ses propriétés et ses qualités: car le géomètre recherche la seule contemplation du vrai. C'est selon cette manière qu’il faut procéder dans les autres sciences opératives, de peur que ne s'ensuive, dans une science opérative, l'inconvénient de multiplier les considérations qui n'appartiennent pas à l'œuvre. Par exemple, si dans la science morale quelqu'un voulait traiter de ce qui appartient à la raison et à d’autres parties de l'âme, il faudrait en dire beaucoup plus à ce sujet qu'il n'en faut pour les œuvres elles-mêmes. Il est mauvais dans chaque science que l'on s'attarde à ce qui est hors du sujet de cette science. |
#136. — En second (1098a29), il manifeste ce qu'il avait dit, et en détail. En premier, quant à ce qu'il faut observer une manière différente en des [matières] différentes. En second (1098b4), quant à ce qui est communément à observer en toute [matière]. Sur le premier [point], il traite d'une triple diversité. La première touche la différence de la science pratique et spéculative. Aussi dit-il que l'ouvrier, c'est-à-dire, l'artisan de l'action, et le géomètre, qui est spéculatif, enquêtent de manière différente sur la ligne droite. L'artisan de l'action, par exemple, le charpentier, enquête sur la ligne pour autant que c'est utile à son œuvre, par exemple, pour scier la ligne, ou pour faire autre chose de la sorte; mais le géomètre cherche qu'est-ce qui est une ligne, et comment [est une ligne], et qu'est-ce qu'elle est, en en considérant les propriétés et qualités; car le géomètre vise la seule spéculation de la vérité. C'est de cette manière qu'il faut procéder dans les autres sciences de l'action, de façon que ne s'ensuive pas cet inconvénient qu'en science de l'action on fasse plus d'explications que n'en demandent les œuvres; par exemple, si, en science morale, on voulait traiter complètement de tout ce qui touche la raison et les autres parties de l'âme, il faudrait en dire plus de choses que ce qui concerne les actions mêmes. Il est vicieux, en effet, en chaque science, de s'attarder à ce qui se situe en dehors de la science. |
[72841] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 7 Aliam autem diversitatem tangit ibi non expetendum
autem et cetera. Quae attenditur secundum differentiam principiorum et eorum
quae sunt ex principiis. Et dicit quod non est in omnibus eodem modo causa
inquirenda. Alioquin procederetur in infinitum in demonstrationibus. Sed in
quibusdam sufficit quod bene demonstretur, idest manifestetur, quoniam hoc
ita est, sicut in his quae accipiuntur in aliqua scientia, ut principia: quia
principium oportet esse primum. Unde non potest resolvi in aliquid prius.
Ipsa autem principia non omnia eodem modo manifestantur, sed quaedam
considerantur inductione, quae est ex particularibus imaginatis, sicut in
mathematicis, puta quod omnis numerus est par aut impar. Quaedam vero accipiuntur
sensu, sicut in naturalibus; puta quod omne quod vivit indiget nutrimento.
Quaedam vero consuetudine, sicut in moralibus, utpote quod concupiscentiae
diminuuntur, si eis non obediamus. Et alia etiam principia aliter
manifestantur; sicut in artibus operativis accipiuntur principia per
experientiam quamdam. |
137.- Il touche une seconde diversité, qui se prend d'après la différence des principes et de ce qui découle des principes; et il dit qu'il ne faut pas rechercher la cause de la même façon dans toute chose. Autrement on procéderait à l'infini dans les démonstrations. Mais en certains cas, il suffit de bien démontrer ou manifester que c'est ainsi: par exemple, les principes reçus dans une science, car le principe est quelque chose de premier. D'où on ne peut les résoudre dans quelque chose d’.antérieur. Or les principes ne se manifestent pas de la même façon. Certains sont considérés par une induction qui part des réalités particulières imaginables, par exemple que tout nombre est pair ou impair. D'autres sont reçus par le sens, comme dans les sciences de la nature: par exemple, tout ce qui vit a besoin de se nourrir. D'autres enfin sont reçus par la coutume, comme dans la matière morale: par exemple, on réduit la concupiscence en n'y succombant pas. Et les autres principes sont manifestés autrement; comme dans les arts opératifs, les principes sont reçus par une certaine expérience. |
#137. — Il touche ensuite une autre différence (1098a34), qui vise la différence des principes et de ce qui procède des principes. Il dit qu'il ne faut pas chercher la cause de la même manière en tout. Autrement, on procéderait à l'infini dans les démonstrations. Au contraire, en certaines [matières], il suffit de démontrer bien, c'est-à-dire, de manifester qu'il en est ainsi; par exemple, en ce qui sert de principes en une science, car le principe, il faut qu'il soit premier. Aussi, il ne peut se résoudre en quelque chose d'antérieur. Les principes eux-mêmes, d'ailleurs, ne se manifestent pas [tous] de la même manière. Plutôt, certains se voient par une induction qui procède de particuliers fictifs, comme, par exemple, que tout nombre est pair ou impair. D'autres s'obtiennent du sens, comme en [matière] naturelle; par exemple, que tout ce qui vit a besoin d'aliment. D'autres, enfin, de la coutume, comme en [matière] morale, par exemple, que les désirs diminuent, si on ne leur obéit pas. D'autres principes se manifestent encore de manière différente, comme dans les arts de l'action les principes s'obtiennent grâce à quelque expérience. |
[72842] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 8 Deinde cum dicit: pertransire autem oportet etc.,
determinat modum quantum ad id quod est communiter observandum in omnibus. Et
dicit quod homo debet insistere ad hoc, quod singula principia pertranseat,
scilicet eorum notitiam accipiendo et eis utendo, secundum quod nata sunt
cognosci et studendum qualiter determinentur in hominis cognitione, ut
scilicet sciat distinguere principia abinvicem et ab aliis. Cognitio enim
principiorum multum adiuvat ad sequentia cognoscenda. Principium enim videtur
plus esse quam dimidium totius. Quia scilicet omnia alia quae restant
continentur virtute in principiis. Et hoc est quod subdit, quod per unum
principium bene intellectum et consideratum, multa fiunt manifesta eorum,
quae quaeruntur in scientia. |
138.- Il détermine le mode quant à ce qu'on doit observer communément en toutes choses. Il dit que l'homme doit insister sur cela qu'il doit approfondir chacun des principes en le connaissant et en sien servant selon qu'il doit être connu et il faut étudier comment ces principes sont déterminés dans la connaissance humaine pour bien savoir distinguer les principes entre eux et les distinguer aussi des autres principes. En effet, la connaissance des principes est d'une grande aide pour connaître ce qui en découle. Car le principe semble être à la connaissance davantage que la moitié est au tout, puisque tout ce qui s'ensuit est contenu dans les principes. C'est ce qu'il souligne: un seul principe bien intelligé et bien étudié éclaire quantité de choses qui sont recherchées dans une science. |
#138. — Ensuite (1098b4), il traite du mode quant à ce qui est communément à observer en toute [matière]. Il dit que l'on doit insister à ce que l'on parcoure les principes un à un, en en prenant connaissance et en les utilisant selon qu'ils sont de nature à être connus, et il faut examiner de quelle manière ils sont traités dans la connaissance humaine, pour qu'on sache distinguer les principes entre eux et d'autre chose. En effet, la connaissance des principes aide beaucoup à connaître ce qui les suit. Car le principe semble bien constituer plus que la moitié du tout, puisque tout le reste est contenu dans les principes. C'est ce qu'il ajoute, que par un principe bien compris et considéré, bien des choses deviennent manifestes, de celles que l'on cherche dans la science. |
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Lectio
12 |
Leçon 12 : [Témoignage des philosophes] |
Leçon 12 |
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ARISTOTE APPUIE SA DEFINITION DE LA VERITE PAR LE TEMOIGNAGE DES AUTRES PHILOSOPHES QUI EN ONT PARLE ET SUR LA FOI COMMUNE DE CE QUE TOUS EN DISENT ET AFFIRMENT. |
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[72843] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 1 Scrutandum ergo de ipso et
cetera. Postquam philosophus ostendit in generali quid sit felicitas, hic
intendit confirmare sententiam suam, quam de felicitate praemisit, per ea
quae de felicitate dicuntur. Et circa hoc duo facit. Primo dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, divisis itaque, et cetera. Dicit
ergo primo quod, (quia) principium maxime oportet bene determinare. Principium
autem in operativis est ultimus finis. Ad hoc quod diligentior de eo
consideratio habeatur, scrutandum est de hoc non solum considerando
conclusiones et principia ex quibus ratiocinativus sermo procedit, sed etiam
ex his quae dicuntur de ipso, idest de ultimo fine, sive de
felicitate. Et huius rationem assignat, quia omnia consonant vero. Et huius
ratio est, quia, ut dicetur in sexto huius, verum est bonum intellectus;
bonum autem, ut dicitur in II huius, contingit uno modo, scilicet
concurrentibus omnibus quae pertinent ad perfectionem rei. |
139.- Après avoir montré ce qu'est la félicité en général, il tente ici d'affermir sa notion du bonheur par le témoignage des autres. Sur ce, il nous donne tout d’abord son intention, puis il élabore son propos. Il dit donc en premier qu'il faut très bien déterminer le principe. Or, dans les sciences opératives, ce principe est la fin ultime. Afin donc de considérer ce principe avec plus d'attention, on doit le scruter non seulement par les conclusions et les principes à partir desquels se forme notre raisonnement, mais aussi à partir de tout ce qu’on a dit de lui, c'est-à-dire de la fin ultime ou de la félicité. En voici la raison: tout est en accord avec le vrai. La raison en est, comme on le dira au sixième livre, que le vrai est le bien de l’intelligence. Or, le bien, comme on le dit dans ce livre, n'arrive que d'une seule manière, à savoir par tout ce qui concourt à la perfection d'une chose. |
#139. — Après avoir montré en général ce qu'est le bonheur, le Philosophe entend ici confirmer sa pensée, celle qu'il a présenté sur le bonheur, avec ce qui se dit du bonheur. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (1098b12), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, qu'il faut bien traiter du principe surtout. Or le principe, en [matière d']action, est la fin ultime. Et pour en avoir une considération plus diligente, on doit en faire l'examen non seulement avec des conclusions et des principes, d'où procèdent les dires de 27 quelqu'un qui raisonne, mais [faire] aussi [cet examen] à partir de ce qui se dit de la fin ultime ou du bonheur. Il en assigne la raison, c'est que tout s'accorde avec la vérité. La raison en est que, comme on le dit au sixième [livre] (#1143), la vérité est le bien de l'intelligence. Or le bien, comme on le dit en ce livre (#320), se produit d'une seule manière, à savoir, quand tout ce qui touche à la perfection de la chose concourt. |
[72844] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 2 Malum autem contingit
multipliciter, scilicet per cuiuscumque debitae conditionis defectum. Non
autem invenitur aliquod malum in quo totaliter sit bonum corruptum, ut
dicetur in quarto huius, et ideo omnia concordant bono non solum bona, sed
etiam mala, secundum hoc, quod aliquid retinent de bono. Et similiter omnia
falsa concordant vero, inquantum aliquid retinent de similitudine veritatis.
Non enim est possibile, quod intellectus opinantis aliquod falsum totaliter
privetur cognitione veritatis. Sed per verum statim diiudicatur falsum, utpote ab
eo deficiens. Et hoc est quod subdit, quod
falso dissonat verum, sicut ab obliquo dissonat rectum. |
140.- Au contraire, le mal arrive de plusieurs manières, à savoir par l'absence de n'importe quelle condition due. Cependant, on ne peut trouver un mal où le bien ferait totalement défaut, comme on le dira au quatrième livre. C'est pourquoi, tout concorde au bien, non seulement les choses bonnes, mais aussi les mauvaises en autant qu'elles retiennent quelque chose du bon. Et, pareillement, le faux est en accord avec le vrai en autant qu’il garde un reflet de l’image de la mérité. Il n'est pas possible, en effet, que l'intelligence de celui qui a une opinion fausse soit totalement dépourvue de la connaissance de la vérité. Mais, grâce au vrai on discerne le faux, en tant que le faux en est la privation. C'est cela qu'Aristote souligne: le vrai diffère du faux comme la droite s'éloigne de l’oblique. |
#140. — Tandis qu'au contraire, le mal se produit de plusieurs manières, à savoir, par le défaut de toute condition due. Il n'existe d'ailleurs pas de mal en lequel le bien soit totalement corrompu, comme il sera dit au quatrième livre (#808), et c'est pourquoi tout s'accorde avec le bien, non seulement le bien, mais aussi le mal, du fait de garder quelque chose du bien. Pareillement, toute fausseté s'accorde avec la vérité, en tant qu'elle retient quelque chose d'une similitude avec la vérité. Car il n'est pas possible que l'intelligence de celui qui pense quelque chose de faux soit totalement privée de la connaissance de la vérité. Mais c'est par le vrai que le faux est tout de suite jugé, pour autant qu'il lui fait défaut. Voilà ce qu'il ajoute, que le vrai entretient une dissonance avec le faux, comme le droit avec l'oblique. |
[72845] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 3 Deinde cum dicit: divisis
itaque bonis etc., prosequitur intentum. Et primo quantum ad ea quae ab aliis
de felicitate dicuntur; secundo quantum ad ea quae supra ab ipso de
felicitate sunt proposita, ibi: confessa autem haec utique erunt et cetera.
Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod praedictae sententiae de
felicitate conveniunt ea quae concorditer ab aliis dicuntur. Secundo quod
etiam conveniunt ei ea in quibus alii discordant, ibi, videntur autem et quaesita,
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod dictae descriptioni
felicitatis concordant ea quae communiter a sapientibus dicuntur. Secundo
ostendit idem de his quae dicuntur communiter ab omnibus, ibi, consonat autem
rationi, et cetera. Primum ostendit dupliciter. |
141. - Il élabore ensuite ce qu'il a proposé. En premier, par rapport à ce que les autres ont dit sur la félicité. Ce qui il divise en deux parties. Il montre tout d'abord que sa propre notion du bonheur s'accorde avec tout ce que les opinions des autres a de concordant sur le sujet, puis, en second que sa propre opinion s'harmonise même avec les oppositions que l’on retrouve dans les autres opinions. n subdivise sa première partie en manifestant l'accord de sa description avec l'opinion commune des sages, puis avec les dires de tout le monde. Il s'y prend de deux manières pour montrer la conformité de son opinion à celle des sages. |
#141. — Ensuite (1098b12), il poursuit son intention. D'abord, quant à ce que les autres disent du bonheur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que ce que les autres disent en concordance convient avec la pensée qui précède (quant à ce qu'il a dit lui-même, plus haut, du bonheur). En second (1098b22), que convient aussi avec elle ce en quoi les autres sont en discordance. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que ce que disent les sages communément concorde avec la dite description du bonheur. En second (1098b20), il montre la même [chose] pour ce que tous disent communément. Il montre le premier [point] de deux manières. |
[72846]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 4 Primo quidem dividendo bona
humana in tria. Quorum quaedam sunt exteriora, sicut divitiae, honores, amici
et alia huiusmodi, quaedam vero sunt interiora; et haec rursus dividuntur in
duo genera. Quia quaedam eorum pertinent ad corpora, sicut robur corporis,
pulchritudo et sanitas. Quaedam vero pertinent ad animam, sicut scientia et
virtus et alia huiusmodi; inter quae bona principalissima et maxima sunt ea
quae pertinent ad animam: nam res exteriores sunt propter hominem, corpus
autem propter animam sicut materia propter formam, et instrumentum propter
agens principale. Et haec est communis
sententia omnium philosophorum, scilicet quod bona animae sunt
principalissima. |
142.- Premièrement, en divisant les biens humains en trois sortes. Parmi ces biens, les uns sont extérieurs, comme les richesses, les honneurs, les amis et les autres biens de ce genre; d'autres sont intérieurs. Ces derniers se subdivisent en deux genres; les uns appartiennent au corps, comme la robustesse, la beauté et la santé; les autres appartiennent à l'âme comme la science, la vertu et les autres qualités semblables. De tous ces biens, les biens de l'âme sont les biens principaux: les biens extérieurs sont en vue du corps et le corps est en vue de l'âme comme la matière est pour la forme et l'instrument pour l’agent principal. Et telle est l'opinion commune de tous les philosophes que les biens de l’âme sont les principaux. |
#142. — En premier, avec une division en trois des biens humains. Certains d'entre eux sont extérieurs, comme les richesses, les honneurs et les amis, et autres pareils, tandis que d'autres sont intérieurs; ces derniers se divisent à nouveau en deux genres. Car certains d'entre eux appartiennent aux corps, comme la force corporelle, la beauté et la santé. Tandis que d'autres appartiennent à l'âme, comme la science et la vertu, et autres pareils, parmi lesquels les biens les plus importants sont ceux qui concernent l'âme. En effet, les choses extérieures sont en vue du corps, et le corps en vue de l'âme, comme la matière en vue de la forme, et l'instrument en vue de l'agent principal. C'est la pensée commune de tous les philosophes, à savoir, que les biens de l'âme sont les plus importants. |
[72847] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 5 Sed circa alia bona diversimode senserunt Stoici et
Peripatetici: nam Stoici posuerunt alia bona non esse hominis bona, eo quod
eis non fit homo bonus; Peripatetici autem, idest sectatores Aristotelis,
posuerunt, bona quidem exteriora esse minima bona, bona autem corporis quasi
media, sed bona principalissima ponebant bona animae, quibus homo fit bonus,
alia vero secundum eos dicuntur bona inquantum instrumentaliter ipsis
principalibus deserviunt. Et sic felicitas, cum sit principalissimum bonum,
in bonis animae est ponendum. Manifestum est autem quod operationes animae ad
animae bona pertinent. Unde manifestum est quod ponere felicitatem in
operatione animae rationalis, ut supra diximus, conveniens est secundum hanc
opinionem antiquam et communem omnibus philosophis, quod scilicet
principalissima bonorum sint ea quae sunt secundum animam. |
143.- Mais à propos des autres biens, les stoïciens et les Péripatéticiens ont jugé différemment: les stoïciens eux ont cru qu’ils n'étaient pas les biens de l'homme du fait que, par eux, l'homme n'est pas bon; les péripatéticiens cependant, c'est-à-dire les disciples d'Aristote, ont pensé que les biens extérieurs étaient les moindres, que les biens du corps étaient intermédiaires alors que les biens principaux étaient les biens de l'âme par lesquels l'homme est bon. D'après eux, les autres biens n'étaient bons qu'en tant qu’ils servaient d'instruments aux biens principaux eux-mêmes. Et ainsi, la félicité, qui est le bien le plus noble, doit être posée dans les biens de l'âme. Il est donc manifeste que poser la félicité dans l'opération de l'âme rationnelle, comme nous l'avons fait plus haut, est conforme à l'opinion ancienne et commune de tous les philosophes, à savoir que les biens les plus importants sont ceux qui appartiennent de quelque façon à l’âme. |
#143. — Mais pour les autres biens, les Stoïciens et les Péripatéticiens ont pensé autrement. En effet, les Stoïciens ont prétendu que les autres biens ne sont pas bons pour l'homme, du fait que l'homme ne devient pas bon par eux, tandis que les Péripatéticiens, de leur côté, c'est-à-dire, les partisans d'Aristote, ont prétendu que les biens extérieurs sont de très petits biens, et que les biens du corps [en sont] de quasi intermédiaires, alors qu'ils posaient comme biens les plus importants les biens de l'âme, par lesquels l'homme est bon. Tandis que les autres, à leur avis, se disent des biens pour autant qu'ils desservent instrumentalement les principaux. Ainsi, le bonheur, comme il est le bien le plus important, est à poser parmi les biens de l'âme. Aussi est-il manifeste que de poser le bonheur dans l'opération de l'âme rationnelle, comme nous l'avons fait plus haut (#119-126), est convenable selon cette opinion ancienne et commune à tous les philosophes, à savoir, que les plus importants des biens sont ceux qui concernent l'âme. |
[72848] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 6 Secundo ibi: recte autem
etc., ostendit idem alio modo. Est enim duplex genus operationum animae. Quarum quaedam
transeunt in exteriorem materiam, sicut texere et aedificare. Et huiusmodi operationes non sunt fines, sed operata
ipsorum, scilicet pannus contextus, et domus aedificata. Quaedam vero operationes
animae sunt in ipso operante manentes, sicut intelligere et velle. Et
huiusmodi operationes ipsaemet sunt fines. Recte ergo dictum est quod ipsi
actus et operationes sunt finis, dum scilicet posuimus felicitatem esse
operationem, et non aliquid operatum. Sic enim felicitas ponitur aliquid
bonorum quae sunt circa animam, et non aliquid eorum quae sunt exterius.
Operatio enim manens in agente, ipsamet est perfectio et bonum agentis, in
operationibus autem quae procedunt exterius, perfectio et bonum in
exterioribus effectibus invenitur. Unde non solum praemissa sententia convenit opinioni
philosophorum ponentium bona animae esse principalissima, per hoc quod
felicitatem posuimus circa operationem animae, sed etiam per hoc, quod ipsam
operationem posuimus felicitatem. |
144.- Il manifeste cette conformité d'une seconde manière. En effet, il y a deux sortes d'opérations de l’âme a Les unes passent dans une matière extérieure, comme tisser et construire. Les opérations de cette sorte ne sont pas des fins: ce sont leurs œuvres qui sont fins, à savoir le morceau de tissu ou la maison. D’autres opérations de l’âme demeurent dans le sujet opérant, comme intelliger et vouloir. Ces opérations sont fins. On dit donc à bon droit que les actes eux-mêmes et les opérations sont fins, lorsque nous posons que la félicité est une opération et non une œuvre quelconque. Ainsi pose-t-il la félicité comme un bien appartenant à l'âme et non comme un bien extérieur. En effet, l'opération immanente est elle-même la perfection et le bien de l'agent. Cependant, dans les œuvres qui sont produites extérieurement, la perfection et le bien se trouvent dans les effets extérieurs. On peut donc voir que la position d'Aristote est en accord avec celle des philosophes qui affirment que les biens de l'âme sont les plus grands non seulement du fait qu'il a fait consister le bonheur dans ce qui se rapporte à l'opération de l'âme mais aussi de ce qu'il a posé cette opération elle-même comme étant la félicité. |
#144. — En second (1098b18), il montre la même [chose] d'une autre manière. Il y a, en effet, deux genres d'opérations de l'âme. Certaines d'entre elles passent dans une matière extérieure, comme tisser et construire. Pour elles, les fins ne sont pas des opérations, mais leurs propres œuvres, à savoir, le morceau d'étoffe tissé, et la maison construite. Mais d'autres opérations de l'âme demeurent en celui même qui les pose, comme comprendre et vouloir. Pour elles, ce sont des opérations qui sont leurs fins. Il a donc été dit correctement que les actes eux-mêmes et les opérations sont des fins, quand nous avons posé que le bonheur est une opération, et non une œuvre 28 réalisée. Ainsi, en effet, on pose le bonheur comme l'un des biens qui concernent l'âme, et non comme l'un de ceux qui lui sont extérieurs. En effet, l'opération qui reste dans l'agent est elle-même la perfection et le bien de l'agent. Tandis que, dans les œuvres produites à l'extérieur, la perfection et le bien se trouvent dans des effets extérieurs. Aussi, la pensée qu'il a présentée convient à la position des philosophes qui prétendent que les biens de l'âme sont les plus importants, non seulement du fait que nous avons situé le bonheur en rapport à l'opération de l'âme, mais aussi du fait que nous avons fait du bonheur même une opération. |
[72849] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 7 Deinde cum dicit: consonat
autem etc., ostendit quod praemissae sententiae convenit illud etiam in quo
omnes de felicitate conveniunt. Dictum est enim supra, quod bene vivere et
bene operari idem existimant omnes ei quod est felicem esse. Et huic rationi,
id est notificationi felicitatis, convenit praedicta assignatio; quia fere
nihil aliud videtur esse bona vita quam bona operatio, qualis videtur esse
felicitas. Vivere enim dicuntur illa quae ex se moventur ad operandum. |
145.- Il montre que son opinion reprend pour ainsi dire ce que tout le monde accorde à la félicité. Tous en effet, comme on l'a dit, croient que bien vivre et bien opérer c'est être heureux. Or ce qu'il affirme de la félicité s’accorde très bien avec cette note: car bien vivre semble presque être identique à bien opérer, que semble être la félicité. Car ceux-là vivent qui se meuvent par eux-mêmes à l'opération. |
#145. — Ensuite (1098b20), il montre que cela aussi en quoi tous conviennent, à propos du bonheur, convient avec la pensée qu'il a présentée. Il a été dit plus haut (#45, 128), en effet, que tous pensent que de bien vivre et de bien agir, c'est la même [chose] que d'être heureux. Or l'assignation qui précède convient à cette définition, c'est-à-dire, à cette notification du bonheur, car la bonne vie ne semble bien être rien d'autre qu'une bonne opération, telle qu'en paraît bien être une le bonheur. En effet, vivre, c'est, dit-on, le fait de ceux qui se meuvent d'eux-mêmes à leur opération. |
[72850] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 8 Deinde cum dicit: videntur
autem et quaesita etc., ostendit quod praemissae sententiae conveniunt etiam
ea in quibus alii differunt. Et circa hoc tria facit. Primo proponit ea in
quibus homines differunt circa felicitatem. Secundo ostendit, quod singula
eorum praemissae sententiae conveniunt, ibi, dicentibus quidem igitur etc.;
tertio movet ex praemissis quamdam quaestionem, et solvit, ibi, unde et
quaeritur, et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit;
scilicet quod omnia quae sunt a diversis diversimode circa felicitatem
quaesita, videntur existere dicto, idest salvari cum praedicta
opinione. |
146.- Il montre que son opinion rencontre même les points en litige chez les autres. Ce qu’il fait en trois temps. Il montre tout d'abord où règne l'opposition ou du moins le désaccord sur la félicité; en second, il montre que son opinion s'harmonise avec chacun de ces points en litige; à partir de là, en troisième lieu, il s'interroge sur une difficulté et y répond. Pour établir les lieux d’opposition, il fait trois choses. Il propose tout d'abord ce qu'il a l'intention de traiter: que les recherches effectuées par divers penseurs de manières différentes sur la félicité semblent se retrouver rétablies dans sa propre opinion. |
#146. — Ensuite (1098b22), il montre que même ce en quoi les autres diffèrent convient avec la pensée qu'il a présentée. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose ce en quoi les gens diffèrent à propos du bonheur. En second (1098b30), il montre que chaque [point] convient avec la pensée qu'il a présentée. En troisième (1099b9), il soulève une question à partir de que l'on a dit, et il la résout. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention, à savoir, que tout ce que plusieurs disent de différent sur le bonheur paraît se retrouver en ce qu'il a dit, c'est-à-dire, se conserver dans l'opinion qu'il a présentée. |
[72851] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 9 Secundo ibi: his quidem
enim etc., ponit diversas opiniones de felicitate. Quarum prima est quod
felicitas sit virtus. Et haec subdividitur in tres positiones: quidam enim
posuerunt quod universaliter quaelibet virtus sit felicitas, vel specialiter
virtus moralis, quae est perfectio appetitus rectificati per rationem.
Quibusdam vero videtur quod felicitas sit prudentia, quae est perfectio
practicae rationis; aliis autem videtur, quod felicitas sit sapientia, quae
est perfectio summa rationis speculativae. |
147.- Il donne ces diverses opinions sur la félicité. La première affirme que la félicité est une vertu. Cette opinion se subdivise en trois. Certains ont soutenu qu'universellement toute vertu est la félicité ou, en particulier, la vertu morale, qui est la perfection de l'appétit rectifié par la raison. Pour quelques-uns cependant, il a semblé que la prudence, qui est la perfection de la raison pratique, était la félicité. Pour d'autres enfin, il sembla que la félicité était la sagesse, qui est la suprême perfection de la raison spéculative. |