SAINT THOMAS D’AQUIN
COMMENTAIRE DE L’ETHIQUE A
NICOMAQUE D’ARISTOTE
Deux traductions : Abbé Germain Dandenault (Canada) vers 1950 (incomplet).
Professeur Yvan Pelletier, Laval (Canada) vers 1999 (complet)
(Les 10 livres complets)
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
2008
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Yvan Pelletier (né en 1946) est professeur titulaire à la
Faculté de philosophie de l'Université Laval, où il enseigne depuis 1975 et où
il a complété sa formation philosophique jusqu'au doctorat, en s'attachant à
l'enseignement de Mgr Maurice Dionne, de M. l'abbé Jasmin Boulay et de MM.
Warren Murray, Alphonse Saint-Jacques et quelques autres professeurs d'une
tradition aristotélico-thomiste initiée à cette faculté par M. Charles De
Koninck. Son enseignement est agencé de façon à offrir aux étudiants du
baccalauréat une présentation des principes fondamentaux et de la méthode de
chacune des disciplines philosophiques de base - dans une perspective
aristotélicienne : éthique, politique, physique, métaphysique - et aux
étudiants de maîtrise et doctorat une réflexion critique sur les éléments du
credo contemporain - démocratie, nouvelle morale, logique symbolique,
dissociation de l'être et du devoir, primauté de la conscience, etc. - à partir
de ces principes fondamentaux.
L’Abbé Germain Dandenault, lui aussi canadien, fut prêtre dans les
années 1950. Il a laissé le souvenir d’un excellent professeur. Bientôt sa
biographie sur ce fichier.
LIVRE 1 : [le bien et le
bonheur] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 1 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 2 : La fin supérieure,
la politique
Leçon 3 : [A qui s’adresse
l’éthique ?]
Leçon 4 : [Le bonheur, bien
suprême de l’éthique]
Leçon 5 : [Le bonheur est-il
dans la vertu ?]
Texte d’Aristote : Les
opinions spécieuses : l’idée du bien
Leçon 9 : [Les conditions du
bonheur]
Leçon 10 : [Définition du
bonheur]
Leçon 11 : [Le temps
favorise la compréhension de ce qu’est le bonheur]
Leçon 12 : [Témoignage des
philosophes]
Leçon 13 : [La place du
plaisir ert des biens extérieurs]
Leçon 14 : [La cause du
bonheur]
Leçon 19 : [La science du
bonheur]
Leçon 20 : [Rôle de la vie
végétative et sensitive en éthique]
LIVRE 2 : [La vertu]
(Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 2 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 1 : [L’origine de la
vertu en nous]
Leçon 2 : [La vertu est dans
le juste milieu]
Leçon 3 : [L’homme vertueux
agit bien avec plaisir]
Leçon 4 : [Différence entre
vertu et habitus d’art]
Leçon 5 : [La vertu est un
habitus]
Leçon 6 : [Quelle sorte
d’habitus est-elle ?]
Leçon 7 : [La vertu, juste
milieu, suite]
Leçon 8 : [Comment Les
extrêmes sont des vices]
Leçon 9 : [Les Vertus en
rapport aux honneurs]
Leçon 10 : [Les vices sont
des extrêmes]
Leçon 11 : [Comment acquérir
la vertu ?]
LIVRE 3 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 2 : [Les actions
spontanées]
Leçon 3 : [L’involontaire
par ignorance]
Leçon 4 : [Définition du
volontaire]
Leçon 5 : [L’élection
volontaire]
Leçon 6 : [Différence entre
élection et opinion]
Leçon 8 : [Le conseil porte
sur les moyens]
Leçon 9 : [Comparaison
conseil et élection]
Leçon 10 : [L’objet de la
volonté]
Leçon 11 : [La vertu et le
vice sont au pouvoir de l’homme]
Leçon 12 : [Les Vices sont
acquis par des actes volontaires]
Leçon 13 : [L’existence de
la volonté]
Leçon 14 : [La vertu de
force]
Leçon 16 : [La force en
politique]
Leçon 17 : [Différence entre
vertu de force et colère]
Leçon 18 : [Propriétés du
courage]
Leçon 20 : [Tempérance et
divers plaisirs]
Leçon 21 : [Le comportement
du vertueux]
Leçon 22 : [Comparaison des
vices]
LIVRE 4 : [Les vertus
annexes] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 4 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 1 : [Les vertus de
l’argent]
Leçon 4 : [avarice,
prodigalité]
Leçon 7 : [La magnificence
(suite)]
Leçon 8 : [La magnanimité,
vertu des honneurs]
Leçon 9 : [Le comportement
du magnanime]
Leçon 10 : [Le magnanime
face aux dangers]
Leçon 11 : [Les vices
opposés à la magnanimité]
Leçon 12 : [La vertu des
honneurs ordinaires]
Leçon 14 : [Les vertus de la
vie commune]
Leçon 15 : [La vantardise et
la franchise]
Leçon 16 : [Vertus et vices
du jeu]
LIVRE 5 : [La justice]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
LIVRE 6 : [Les vertus de
l’intelligence] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
LIVRE 6 (Traduction Professeur
Yvan Pelletier, 1999)
Leçon 2 : [Le propre de
l’homme]
Leçon 3 : [Les cinq vertus
intellectuelles]
Leçon 4 : [Prudence, science
et art]
Leçon 5 : [L’habitus
d’intelligence]
Leçon 7 : [Prudence en
éthique et politique]
Leçon 10 : [Utilité de la
prudence]
Leçon 11 : [La vertu morale
n’existe pas sans la prudence]
LIVRE 7 : [La tempérance et
le plaisir] (Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
LIVRE 8 : [L’amitié]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
LIVRE 9 : [L’amitié, suite]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
Liber
1 |
LIVRE 1 : [le bien et le bonheur] (Traduction Abbé Dandenault,
1950)
|
LIVRE
1 (Traduction Professeur Yvan
Pelletier, 1999)
|
|
|
|
Lectio
1 |
Leçon 1 : [L’éthique] |
|
[72705] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 1 Sicut philosophus dicit in
principio metaphysicae, sapientis est ordinare. Cuius ratio est, quia sapientia
est potissima perfectio rationis, cuius proprium est cognoscere ordinem. Nam
etsi vires sensitivae cognoscant res aliquas absolute, ordinem tamen unius
rei ad aliam cognoscere est solius intellectus aut rationis. Invenitur autem
duplex ordo in rebus. Unus quidem partium alicuius totius seu alicuius
multitudinis adinvicem, sicut partes domus ad invicem ordinantur; alius autem
est ordo rerum in finem. Et hic ordo est principalior, quam primus. Nam, ut
philosophus dicit in XI metaphysicae, ordo partium exercitus adinvicem, est
propter ordinem totius exercitus ad ducem. Ordo autem quadrupliciter ad
rationem comparatur. Est enim quidam ordo quem ratio non facit, sed solum
considerat, sicut est ordo rerum naturalium. Alius autem est ordo, quem ratio
considerando facit in proprio actu, puta cum ordinat conceptus suos
adinvicem, et signa conceptuum, quae sunt voces significativae; tertius autem
est ordo quem ratio considerando facit in operationibus voluntatis. Quartus
autem est ordo quem ratio considerando facit in exterioribus rebus, quarum
ipsa est causa, sicut in arca et domo. |
1.- Comme le dit le Philosophe au début des Métaphysiques, c’est la propre du sage d'ordonner. La raison en est que la sagesse est la plus haute (potissima) des perfections de la raison dont c’est précisément le propre de connaître l'ordre. En effet, si les puissances sensitives connaissent certaines choses d'une façon absolue, connaître l’ordre d'une chose à une autre est cependant le propre de la seule intelligence ou raison. Nous trouvons un ordre double dans les choses. Le premier est celui qui existe entre les parties d'un tout ou d'une multitude les unes par rapport aux autres, comme dans le cas des parties d'une maison qui sont ordonnées les unes par rapport aux autres. Le second est l'ordre des choses à leur fin; et cet ordre est plus important que le premier. En effet, comme le Philosophe le dit au douzième livre des Métaphysiques, l'ordre des différentes parties d'une armée les unes par rapport aux autres est tel à cause (propter) de l'ordre de toute l'armée à son chef. L'ordre se compare à la raison de quatre manières. Il y a d'abord un certain ordre que la raison ne fait pas mais qu'elle contemple seulement, comme c'est le cas de l’ordre des choses naturelles. Il y a un autre ordre que la raison fait dans son acte propre lorsqu'elle réfléchit, comme par exemple lorsqu'elle ordonne les concepts les uns par rapport aux autres, et les signes des concepts qui sont des sons significatifs. Il y a un troisième ordre que la raison fait dans les opérations de la volonté lorsqu'elle y porte une attention studieuse. Il y a enfin un quatrième ordre que la raison, grâce à son travail d'observation, fait dans les choses extérieures dont elle-même est cause, comme dans le cas de l'arche et de la maison. |
#1. — Comme le Philosophe le dit, au début de la Métaphysique (982a17), il appartient au sage d'ordonner. La raison en est que la sagesse est la perfection la plus puissante de la raison, dont le propre est de connaître l'ordre. En effet, même si les puissances sensitives connaissent les choses de manière absolue, cependant, connaître l'ordre d'une chose en regard d'une autre appartient à la seule intelligence ou raison. Or on trouve deux ordres entre les choses: il y en a un entre les parties d'un tout ou d'une multitude, à la manière dont les parties d'une maison sont ordonnées entre elles; il y a ensuite l'ordre que des choses entretiennent avec leur fin. Et cet ordre-ci est plus important que le premier. Car, comme le Philosophe le dit, au onzième livre de la Métaphysique (1075a13), l'ordre entre les parties de l'armée a pour cause celui qu'entretient l'ensemble de l'armée avec son chef. Par ailleurs, l'ordre se compare à la raison de quatre manières: il y a, en effet, un ordre que la raison ne fait pas, mais qu'elle ne fait qu'observer1, comme il en est de l'ordre des choses naturelles; il existe ensuite un autre ordre, que la raison, quand elle pense, met dans son propre acte, par exemple, lorsqu'elle ordonne entre eux ses concepts, ainsi que les signes des concepts, qui sont les phonèmes dotés de sens; il y a encore un troisième ordre que la raison, en y pensant, met dans les opérations de la volonté; il y a enfin un quatrième ordre que la raison, en y pensant, met dans les choses extérieures dont elle est elle-même la cause, comme dans l'armoire et dans la maison. |
[72706] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 2 Et quia consideratio rationis per habitum scientiae
perficitur, secundum hos diversos ordines quos proprie ratio considerat, sunt
diversae scientiae. Nam ad philosophiam naturalem pertinet considerare
ordinem rerum quem ratio humana considerat sed non facit; ita quod sub
naturali philosophia comprehendamus et mathematicam et metaphysicam. Ordo autem quem
ratio considerando facit in proprio actu, pertinet ad rationalem
philosophiam, cuius est considerare ordinem partium orationis adinvicem, et
ordinem principiorum in conclusiones; ordo autem actionum voluntariarum
pertinet ad considerationem moralis philosophiae. Ordo autem quem ratio
considerando facit in rebus exterioribus constitutis per rationem humanam,
pertinet ad artes mechanicas. Sic igitur moralis philosophiae, circa quam
versatur praesens intentio, proprium est considerare operationes humanas,
secundum quod sunt ordinatae adinvicem et ad finem. |
2.- Et parce que la considération de la raison est perfectionnée par l'habitus, la diversité des habitus de sciences dépendra de la diversité des ordres qu'elle considère. En effet, il appartient à la philosophie naturelle de considérer l'ordre que la raison humaine considère mais ne fait pas; de cette façon nous englobons la métaphysique dans la philosophie naturelle. L'ordre que la raison, en réfléchissant, pose dans son acte propre, appartient à la philosophie naturelle dont c'est le propre de considérer l'ordre des parties du discours les unes par rapport aux autres et l'ordre des principes les uns par rapport aux autres et par rapport aux conclusions. L'ordre des actions volontaires appartient à la considération de la philosophie morale. Ainsi donc, la philosophie morale dont nous avons précisément l'intention de parler, considère proprement les opérations humaines en tant qu'elles sont ordonnées les unes par rapport aux autres et par rapport à la fin. |
#2. — Puisque l'opération de la raison tient sa perfection d'un habitus, il existe des sciences différentes selon les ordres différents que la raison justement observe. En effet, il appartient à la philosophie naturelle d'observer l'ordre des choses que la raison humaine observe mais ne fait pas, en comprenant aussi, sous la philosophie naturelle, la métaphysique. Ensuite, l'ordre que la raison, quand elle pense, met dans son acte propre, appartient à la philosophie rationnelle, à laquelle il appartient d'observer l'ordre entre les parties du discours, et l'ordre entre les principes, et des principes aux conclusions. Ensuite, l'ordre des actions volontaires appartient à la réflexion de la philosophie morale. Enfin, l'ordre que la raison met, en y pensant, dans les choses extérieures constituées par la raison humaine, appartient aux arts mécaniques. Ainsi donc, le propre de la philosophie morale, sur laquelle porte notre intention présente, est de traiter des opérations humaines, en autant qu'elles sont ordonnées entre elles et à une fin. |
[72707] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 1 n. 3 Dico autem operationes humanas, quae
procedunt a voluntate hominis secundum ordinem rationis. Nam si quae
operationes in homine inveniuntur, quae non subiacent voluntati et rationi,
non dicuntur proprie humanae, sed naturales, sicut patet de operationibus
animae vegetabilis, quae nullo modo cadunt sub consideratione moralis
philosophiae. Sicut igitur subiectum philosophiae naturalis est motus, vel
res mobilis, ita etiam subiectum moralis philosophiae est operatio humana ordinata
in finem, vel etiam homo prout est voluntarie agens propter finem. |
3.- J'appelle opérations humaines celles qui procèdent de la volonté de l'homme selon l'ordre de la raison. En effet, s'il se rencontre certaines opérations dans l'homme qui ne sont pas dépendantes de la volonté et de la raison, on ne les dit pas proprement humaines, mais naturelles, comme c'est évidemment le cas pour les opérations de l'âme végétative. De telles opérations ne tombent d'aucune façon sous la considération de la philosophie morale. Comme le sujet de la philosophie naturelle est le mouvement ou la chose mobile, ainsi le sujet de la philosophie morale est l'opération humaine ordonnée à la fin, ou encore l’homme en tant qu'il agit volontairement pour une fin. |
#3. — Par ailleurs, j'appelle des opérations humaines celles qui procèdent de la volonté de l'homme selon un ordre de la raison. Car s'il se trouve dans l'homme certaines opérations non sujettes à la volonté et à la raison, elles ne sont pas dites proprement humaines, mais naturelles, comme il est évident des opérations de l'âme végétative. Et celles-là ne tombent d'aucune manière sous le regard de la philosophie morale. De même, d'ailleurs, que le sujet de la philosophie naturelle est le mouvement, ou la chose mobile, de même le sujet de la philosophie morale est l'opération humaine ordonnée à une fin, ou même l'homme pour autant qu'il est en train d'agir volontairement en vue d'une fin. |
[72708] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 4 Sciendum est autem, quod quia homo naturaliter est
animal sociale, utpote qui indiget ad suam vitam multis, quae sibi ipse solus
praeparare non potest; consequens est, quod homo naturaliter sit pars
alicuius multitudinis, per quam praestetur sibi auxilium ad bene vivendum.
Quo quidem auxilio indiget ad duo. Primo quidem ad ea quae sunt vitae
necessaria, sine quibus praesens vita transigi non potest: et ad hoc
auxiliatur homini domestica multitudo, cuius est pars. Nam quilibet homo a
parentibus habet generationem et nutrimentum et disciplinam et similiter
etiam singuli, qui sunt partes domesticae familiae, seinvicem iuvant ad
necessaria vitae. Alio modo iuvatur homo a multitudine, cuius est pars, ad
vitae sufficientiam perfectam; scilicet ut homo non solum vivat, sed et bene
vivat, habens omnia quae sibi sufficiunt ad vitam: et sic homini auxiliatur
multitudo civilis, cuius ipse est pars, non solum quantum ad corporalia,
prout scilicet in civitate sunt multa artificia, ad quae una domus sufficere
non potest, sed etiam quantum ad moralia; inquantum scilicet per publicam
potestatem coercentur insolentes iuvenes metu poenae, quos paterna monitio
corrigere non valet. |
4.- On doit savoir que du, fait que l’homme est naturellement un animal social, en ce qu'il a besoin pour vivre de beaucoup de choses qu'il ne peut pas, par lui-même tout seul, se préparer (sibi praeparare), il découle qu'il est naturellement une partie d’une certaine multitude grâce à laquelle il peut se procurer ce qui l'aide à bien vivre. Cette aide à bien vivre, il en a besoin pour deux choses: premièrement pour se procurer ces choses qui sont nécessaires à la vie et sans lesquelles la vie présente ne peut pas être vécue: cette aide est fournie par la multitude domestique dont l'homme est une partie. En effet tout homme reçoit de ses parents, la naissance, la nourriture et l’éducation (disciplinam). Semblablement tous les singuliers qui composent la maison familiale (domesticae familiae) s'entraident entre eux dans les nécessités de la vie. Deuxièmement, l'homme est aidé par la multitude dont il est une partie pour atteindre tout ce qu'il faut pour une vie parfaite, à savoir ce qu'il faut non seulement pour que l'homme vive, mais aussi pour qu'il vive bien, qu'il ait vraiment tout ce dont il a besoin pour sa vie d'homme: cette aide est fournie par la multitude de civile dont l’homme est une partie non seulement en tant que cette multitude lui fournit l'aide nécessaire pour les choses corporelles, c'est-à-dire en tant que dans la cité il y a plusieurs produits artificiels à la fabrication desquels une seule maison ne pourrait suffire mais en tant que cette multitude lui fournit l'aide nécessaire à sa vie morale, c’est-à-dire, en autant que par le pouvoir public les jeunes gens insolents réfractaires aux admonitions paternelles, sont forcés de se tenir tranquilles grâce à la crainte de la punition. |
#4. — On doit savoir par ailleurs que, parce que l'homme est naturellement un animal social, c'est-à-dire, qu'il a besoin pour sa vie de beaucoup de choses qu'il ne peut seul s'assurer à lui-même, il s'ensuit que l'homme fasse naturellement partie d'un groupe qui lui apporte de l'aide pour bien vivre. Et il a besoin de cette aide sous deux rapports. D'abord, certes, pour ce qui est nécessaire à la vie, et dont la vie présente ne peut se passer: c'est là l'aide qu'apporte à l'homme le groupe domestique dont il fait partie. En effet, tout homme tient de ses parents la génération et l'alimentation et l'éducation et, pareillement, les individus qui forment les parties de la famille domestique s'aident entre eux pour le nécessaire à la vie. Il y a encore un autre rapport sous lequel l'homme reçoit l'aide d'un groupe dont il fait partie, c'est pour une suffisance parfaite de sa vie, à savoir, pour que non seulement il vive, mais aussi vive bien, disposant de tout le suffisant pour la vie: c'est ainsi que le groupe civil dont il fait partie aide l'homme, non seulement pour les choses corporelles, comme il y a dans la cité bien des ressources d'art qu'une maison ne peut suffire à procurer, mais aussi dans le domaine morale, étant donné les jeunes insolents que l'avertissement paternel n'arrive pas à corriger se trouvent contraints par le pouvoir public, par la crainte du châtiment[1]. |
[72709] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 5 Sciendum est autem, quod hoc totum, quod est civilis
multitudo, vel domestica familia habet solam ordinis unitatem, secundum quam
non est aliquid simpliciter unum; et ideo pars huius totius potest habere
operationem, quae non est operatio totius, sicut miles in exercitu habet
operationem quae non est totius exercitus. Habet nihilominus et ipsum totum
aliquam operationem, quae non est propria alicuius partium, sed totius, puta
conflictus totius exercitus. Et tractus navis est operatio multitudinis
trahentium navem. Est autem aliud totum quod habet unitatem non solum ordine,
sed compositione, aut colligatione, vel etiam continuitate, secundum quam
unitatem est aliquid unum simpliciter; et ideo nulla est operatio partis,
quae non sit totius. In continuis enim idem est motus totius et partis; et similiter
in compositis, vel colligatis, operatio partis principaliter est totius; et
ideo oportet, quod ad eamdem scientiam pertineat consideratio talis totius et
partis eius. Non autem ad eamdem scientiam pertinet considerare totum quod
habet solam ordinis unitatem, et partes ipsius. |
5.- On doit savoir que ce tout qu'est une multitude civile ou une maison familiale n'a qu’une unité d'ordre, selon laquelle elles ne sont pas quelque chose d’absolument un. C'est pourquoi la partie de ce tout peut avoir une opération qui n’est pas l'opération du tout, comme le soldat dans l’armée a une opération qui n'est pas l’opération de toute l'armée. Ce tout a néanmoins une certaine opération qui n'est pas propre à une partie, mais qui est propre au tout lui-même, comme le conflit pour toute l'armée, Ainsi aussi, la poussée de la galère est l'opération de la multitude de ceux qui poussent la galère. Il y a aussi un tout qui n'a pas seulement une unité d’ordre, mais une unité de composition, de (colligatione), même de continuité, unité qui en fait quelque chose d'absolument un; c'est pourquoi, dans ce cas, il n'y a aucune opération d'une partie qui n'est pas l'opération du tout. Dans les continus, en effet le mouvement du tout est exactement le même que le mouvement de la partie; de même aussi dans les composés et les (colligatis), l'opération de la partie est principalement l'opération du tout; il en découle qu’il faut que la considération de la partie et de son tout appartienne à la même science. Par contre il n'appartient pas à la même science de considérer le tout, qui nia qu'une unité d'ordre, et ses parties. |
#5. — On doit savoir, toutefois, que ce tout qu'est le groupe civil, ou la famille domestique, détient une simple unité d'ordre, selon quoi une chose ne se trouve pas une absolument. C'est pourquoi une partie de pareil tout peut poser des actes qui ne soient pas l'action du tout, comme le soldat dans l'armée pose des actes qui ne relèvent pas de toute l'armée. Néanmoins, le tout lui-même pose des actes qui ne relèvent pas en propre de l'une de ses parties, mais du tout, par exemple, l'attaque de l'armée entière. La traction du navire est aussi l'action du groupe de ceux qui tirent le navire. Il existe, par contre, un tout doté d'une unité non seulement d'ordre mais de composition, ou d'attache, ou encore de continuité, et selon cette unité une chose est une absolument; c'est pourquoi il n'existe alors aucune action de partie qui ne relève du tout. Dans ce qui est continu, en effet, le mouvement du tout et celui de la partie est le même; semblablement, dans ce qui est composé, ou attaché, l'action de la partie relève aussi principalement du tout; c'est pourquoi il faut que l'examen de pareil tout et de sa partie relève de la même science. Néanmoins, il ne relève pas de la même science d'examiner, avec ses parties, le tout qui détient la seule unité d'ordre. |
[72710] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 6 Et inde est, quod moralis philosophia in tres partes
dividitur. Quarum prima considerat operationes unius hominis ordinatas ad finem,
quae vocatur monastica. Secunda autem
considerat operationes multitudinis domesticae, quae vocatur oeconomica.
Tertia autem considerat operationes multitudinis civilis, quae vocatur
politica. |
6.- Ces considérations nous permettent de voir que la philosophie morale se divise en trois parties: la première considère les opérations d'un seul homme, opérations qui sont ordonnées à une fin: cette partie s'appelle la monastique. La seconde partie considère les opérations de la multitude domestique, on l'appelle l'économique. La troisième partie considère les opérations de la multitude civile: la politique. |
#6. — De là vient que la philosophie morale se divise en trois parties. Parmi elles, la première examine les opérations d'un seul homme ordonnées à leur fin, et elle s'appelle la monastique. La seconde, par ailleurs, examine les actions du groupe domestique, et elle s'appelle l'économique. La troisième, par ailleurs, examine les actions du groupe civil, et elle s'appelle la politique. |
[72711] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 7 Incipiens igitur Aristoteles tradere moralem
philosophiam a prima sui parte in hoc libro, qui dicitur Ethicorum, idest
Moralium, praemittit prooemium, in quo tria facit. Primo enim ostendit de quo
est intentio. Secundo modum tractandi, ibi, dicetur autem utique sufficienter
et cetera. Tertio qualis debeat esse auditor huius scientiae, ibi:
unusquisque autem bene iudicat et cetera. Circa primum duo facit. Primo
praemittit quaedam, quae sunt necessaria ad propositum ostendendum. Secundo manifestat propositum, ibi, si utique est
aliquis finis et cetera. Circa primum duo facit. Primo enim proponit
necessitatem finis; secundo habitudinem humanorum actuum ad finem, ibi:
multis autem operationibus et cetera. Circa primum tria facit. Primo
proponit, quod omnia humana ordinantur ad finem; secundo ostendit
diversitatem finium, ibi, differentia vero finium etc.; tertio ponit
comparationem finium adinvicem, ibi, quorum autem sunt fines et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo manifestat
propositum, ibi, ideo bene enunciaverunt et cetera. |
7.- En commençant donc son traité de philosophie morale par sa première partie qui n’est autre que ce livre-ci qui s'appelle l'Ethique ou les choses morales, Aristote écrit tout d'abord une introduction où il met trois grandes idées en relief. La première expose ce dont parlera ce livre; La seconde nous donne la méthode de traiter le sujet; La troisième nous donne quelles doivent être les qualités de l’auditeur de cette science. Pour bien démontrer ce dont il est question dans l'Ethique, il donne en premier ce qui est nécessaire pour démontrer ce qu'il nous propose et, en second, il nous manifeste ce qu'il nous propose. Les deux éléments prérequis pour comprendre ce qu'il propose sont: la nécessité d'une fin et la comparaison des habitus et des actes à leur fin. La nécessité d'une fin exige elle-même une triple considération. Premièrement il nous propose que tous les actes humains sont ordonnés à une fin. Deuxièmement, il nous explique la diversité des fins. Troisièmement, il nous propose la comparaison des fins les unes par rapport aux autres. Au sujet de l'ordination des actes humains à une fin, il propose ce qu'il a l'intention de dire, puis, il nous manifeste ce qu'il nous a proposé. |
#7. — Aristote, commençant donc à traiter de la philosophie morale à partir de sa première partie, qu'on appelle l'Éthique, c'est-à-dire la morale, présente en premier un prologue, dans lequel il développe trois points. En premier, en effet, il montre sur quoi porte son intention. En deuxième, le mode d'en traiter (1094b11). En troisième, de quelle qualité doit être l'auditeur de cette science (1094b27). Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, il avance certaines notions nécessaires pour montrer son propos. En second, il manifeste son propos (1094a18). Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, en effet, il propose la nécessité de la fin. En second, il compare les habitus et les actes avec leur fin (1094a6). Sur le premier point, il en développe trois autres. En premier, il propose que tout ce qui est humain est ordonné à une fin. En second, [il affirme] la diversité des fins (1094a3). En troisième, il propose la comparaison des fins entre elles (1094a5). Sur le premier point, il en développe deux autres. En premier, il propose ce qu'il vise. En second, il manifeste son propos (1094a2). |
[72712] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 8 Circa primum,
considerandum est, quod duo sunt principia humanorum actuum, scilicet
intellectus seu ratio, et appetitus, quae sunt principia moventia, ut dicitur
in tertio de anima. In intellectu autem vel ratione consideratur speculativum
et practicum. In appetitu autem rationali consideratur electio et executio.
Omnia autem ista ordinantur ad aliquod bonum sicut in finem; nam verum est
finis speculationis. Quantum ergo ad intellectum speculativum ponit doctrinam per quam
transfunditur scientia a magistro in discipulum. Quantum vero ad intellectum
practicum ponit artem, quae est recta ratio factibilium, ut habetur in VI
huius; quantum vero ad actum intellectus appetitivi ponitur electio. Quantum
vero ad executionem ponitur actus. Non facit autem mentionem de prudentia,
quae est in ratione practica sicut et ars, quia per prudentiam proprie
dirigitur electio. Dicit ergo quod
singulum horum manifeste appetit quoddam bonum tamquam finem. |
8.- Voici cette dernière proposition: on doit considérer qu'il y a deux principes des actes humains: l'intelligence ou raison et l'appétit qui sont des principes-moteurs, comme il l'a dit au troisième livre du De Anima. Dans l'intelligence ou raison, on considère l'intelligence spéculative et l'intelligence pratique. Dans l'appétit rationnel, on considère l'élection et l'exécution. Toutes ces choses sont ordonnées à un bien qui constitue leur fin. En effet, le vrai est la fin de la spéculation. Du côté de l'intellect spéculatif, il situe la "doctrine" par laquelle la science passe du maître dans le disciple. Du côté de l'intellect pratique, il pose l'art qui est la raison droite des choses qui peuvent être faites (factibile), comme on le montrera au sixième livre de ce traité. Quant à l'acte de l'intelligence appétitive, il pose l'élection. Quant à l'exécution il pose l'acte. Il ne fait toutefois pas mention de la prudence qui est dans la raison pratique tout comme l'art parce que, par la prudence, c’est l'élection qui proprement est dirigée. Il conclut donc qu'il est manifeste que chacune de ces choses désire un certain bien comme sa fin. |
#8. — Sur le premier point, on doit tenir compte qu'il y a deux principes des actes humains, à savoir, l'intelligence, ou raison, et l'appétit, qui sont les principes moteurs, comme il est dit au troisième livre du traité De l'âme (433b31). Comme intelligence ou raison, par ailleurs, on distingue la spéculative et la pratique. Et dans l'appétit rationnel, on distingue le choix et l'exécution. Or tout cela est ordonné à un bien comme à une fin, car le vrai est la fin de la spéculation. Pour l'intelligence spéculative, donc, il parle de l'enseignement, par lequel la science passe du maître au disciple. Pour l'intelligence pratique, ensuite, il parle de l'art, qui est la définition correcte de ce qui est à faire, comme on verra, au sixième livre de ce traité. Pour l'acte de l'appétit rationnel[2], ensuite, il est question du choix. Pour son exécution, enfin, il est question de l'acte. Il ne fait toutefois pas mention de la prudence, qui, comme l'art, est dans la raison pratique, car c'est proprement par la prudence qu'on dirige le choix. Il affirme donc que chacun de ces principes tend manifestement à un bien comme à sa fin. |
[72713] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit: ideo bene enuntiaverunt etc.,
manifestat propositum per diffinitionem boni. Circa quod considerandum est,
quod bonum numeratur inter prima: adeo quod secundum Platonicos, bonum est
prius ente. Sed secundum rei veritatem bonum cum ente convertitur. Prima
autem non possunt notificari per aliqua priora, sed notificantur per
posteriora, sicut causae per proprios effectus. Cum autem bonum proprie sit
motivum appetitus, describitur bonum per motum appetitus, sicut solet
manifestari vis motiva per motum. Et ideo dicit, quod philosophi bene
enunciaverunt, bonum esse id quod omnia appetunt. |
9.- Ensuite, il manifeste ce qu'il nous a proposé par l'effet du bien. A ce sujet, on doit considérer que le bien compte parmi les toutes premières choses: c'est pourquoi selon les platoniciens, le bien est antérieur à l'être. Mais selon la vérité de la réalité, le bien est convertible avec l'être. Les choses qui sont véritablement premières ne peuvent pas être rendues plus connues (notificantur) par des choses qui leur sont antérieures, au contraire elles sont connues par des choses qui leur sont postérieures comme les causes le sont par leurs effets propres. Comme le bien est proprement ce qui meut l'appétit, on décrit le bien par le mouvement de l'appétit, comme on a l’habitude de manifester la force qui meut par le mouvement produit. Et c'est pourquoi il dit que les philosophes avaient bien dit lorsqu'ils avaient défini le bien comme étant ce que toutes les choses désirent. |
#9. — Ensuite (1094a2), il manifeste son propos par l'effet du bien. À propos de quoi, on doit considérer que le bien compte parmi les premiers êtres, au point que, selon les Platoniciens, le bien est antérieur à l'être. D'après la vérité objective, cependant, le bien se convertit avec l'être. Les premiers êtres, par ailleurs, on ne peut les faire connaître par des êtres antérieurs, mais on les fait connaître par des êtres postérieurs, comme les causes par leurs effets propres. Comme, ensuite, le bien est proprement le moteur de l'appétit, on décrit le bien par le mouvement de l'appétit, comme on a l'habitude de manifester une puissance motrice par le mouvement [qu'elle entraîne]. C'est pourquoi aussi il dit que les philosophes ont correctement affirmé que le bien est ce que tout désire. |
[72714] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 10 Nec est instantia de quibusdam, qui appetunt malum.
Quia non appetunt malum nisi sub ratione boni, in quantum scilicet aestimant
illud esse bonum, et sic intentio eorum per se fertur ad bonum, sed per
accidens cadit supra malum. |
10.- On n'insiste aucunement sur certains êtres qui désirent le mal parce qu'ils ne désirent le mal qu'en tant qu'il a raison du bien, c’est-à-dire qu'en tant qu'ils le jugent un bien: de sorte que de cette façon leur intention se porte proprement vers le bien et n'atteint le mal qu'accidentellement. |
#10. — Elle ne vaut pas, l'objection qui renvoie à qui désire le mal. Car il ne désire pas le mal, sauf sous raison de bien, à savoir, en tant qu'il le pense un bien: et ainsi son intention se porte par soi au bien, mais tombe par accident sur un mal. |
[72715] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 11 Quod autem dicit quod omnia appetunt, non est
intelligendum solum de habentibus cognitionem, quae apprehendunt bonum, sed
etiam de rebus carentibus cognitione, quae naturali appetitu tendunt in
bonum, non quasi cognoscant bonum, sed quia ab aliquo cognoscente moventur ad
bonum, scilicet ex ordinatione divini intellectus: ad modum quo sagitta
tendit ad signum ex directione sagittantis. Ipsum autem tendere in bonum,
est appetere bonum, unde et actum dixit appetere bonum in quantum tendit in
bonum. Non autem est unum bonum in quod
omnia tendunt, ut infra dicetur. Et ideo non describitur hic aliquod unum bonum, sed
bonum communiter sumptum. Quia autem nihil est bonum, nisi inquantum est
quaedam similitudo et participatio summi boni, ipsum summum bonum quodammodo
appetitur in quolibet bono et sic potest dici quod unum bonum est, quod omnia
appetunt. |
11.- Quand il dit que le bien est ce que toutes les choses désirent, on ne doit pas entendre cette proposition seulement pour les choses qui ont une connaissance qui leur permet de saisir le bien, mais aussi des choses qui manquent de connaissance; ces choses tendent vers le bien non pas comme si elles connaissaient le bien, mais parce qu'elles sont mues vers le bien par quelque chose d'autres qui a la connaissance, c'est-à-dire par l'ordination de l'intelligence divine, de la même façon que la flèche tend vers la cible en tant que l'archer l'y dirige. C'est cette action même de tendre vers le bien qui est l'action de désirer le bien; d'où l'on dit que toute chose désire le bien en tant même qu'elle tend vers le bien. Mais il n'y a pas un seul bien auquel toutes les choses tendent, comme on le dira plus bas. Et c'est pourquoi ici dans ce traité on ne décrira pas un bien quelconque mais le bien pris communément. Et cela parce qu'il n'y a rien de bien qu'en tant qu'il comporte une certaine similitude et une certaine participation au bien ultime (summum bonum): le bien ultime lui-même est désiré d'une certaine façon dans tous les biens. Et de cette façon on peut dire avec vérité que le bien est ce que toutes les choses désirent. |
#11. — Quant à ce qu'il dit: «Ce que tout désire» (1094a3), ce n'est pas à comprendre seulement de ceux qui ont connaissance, et qui appréhendent le bien, mais aussi des choses auxquelles manque la connaissance; celles-ci tendent au bien par un appétit naturel, non pas comme si elles connaissaient le bien, mais parce qu'elles sont mues au bien par quelqu'un qui le connaît, à savoir, par l'ordination de l'intelligence divine: de la façon dont la flèche tend au bien par la direction [que lui donne] l'archer. Or cela même de tendre au bien, c'est désirer le bien. Aussi a-t-il dit que tout désire le bien, en tant qu'il tend au bien. Mais il n'y a pas un unique bien auquel tout tend, comme on le dira plus loin (1096b30). Et c'est pourquoi on ne décrira pas ici un bien particulier, mais le bien pris communément. Comme, par ailleurs, rien n'est bon sinon en tant qu'il est une similitude et participation du bien suprême, le bien suprême lui-même est désiré d'une certaine façon en n'importe quel bien. Ainsi encore, on peut dire que le vrai bien est ce que tout désire. |
[72716] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 12 Deinde cum dicit:
differentia vero quaedam etc., ostendit differentiam finium. Circa quod
considerandum est, quod finale bonum in quod tendit appetitus uniuscuiusque
est ultima perfectio eius. Prima autem perfectio se habet per modum formae.
Secunda autem per modum operationis. Et ideo oportet hanc esse differentiam
finium quod quidam fines sint ipsae operationes, quidam vero sint ipsa opera,
id est opera quaedam praeter operationes. |
12.- Ensuite, il montre la différence entre les fins. A ce sujet, on doit considérer que le bien final auquel tend l'appétit de chacun est la perfection ultime. La première perfection se comporte (se habet) comme une forme: la seconde par mode d'opération. C'est pourquoi il faut qu'il y ait entre les fins cette différence à savoir que certaines fins soient les opérations elles-mêmes, certaines autres, les œuvres elles-mêmes (ipsa opera) c'est-à-dire certaines choses faites qui sont en plus des opérations. |
#12. — Ensuite (1094a3), il montre la différence des fins. À ce propos, on doit considérer que le bien final auquel tend l'appétit de n'importe quel être un est sa perfection ultime. Or la première perfection s'obtient par le moyen d'une forme. Et la seconde par le moyen d'une opération. Aussi faut-il qu'il y ait cette différence entre les fins, que certaines fins sont les opérations mêmes, alors que certaines sont leurs œuvres, c'est-à-dire, des résultats à part des opérations. |
[72717] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 13 Ad cuius evidentiam
considerandum est, quod duplex est operatio, ut dicitur in IX metaphysicae:
una quae manet in ipso operante, sicut videre, velle et intelligere: et huiusmodi
operatio proprie dicitur actio; alia autem est operatio transiens in
exteriorem materiam, quae proprie dicitur factio; et haec est duplex:
quandoque enim aliquis exteriorem materiam assumit solum ad usum, sicut equum
ad equitandum, et cytharam ad cytharizandum. Quandoque autem assumit
materiam exteriorem ut mutet eam in aliquam formam, sicut cum artifex facit
lectum aut domum. Prima igitur et secunda harum operationum non habent
aliquid operatum quod sit finis, sed utraque earum est finis; prima tamen
nobilior est quam secunda: inquantum manet in ipso operante. Tertia vero
operatio est sicut generatio quaedam, cuius finis est res generata. Et ideo
in operationibus tertii generis ipsa operata sunt fines. |
13.- Pour saisir l'évidence de cet énoncé, on doit considérer que l'opération est double, comme on l'a dit au neuvième livre des Métaphysiques: une qui demeure dans l'opérant lui-même, comme voir, vouloir et intelliger: l'opération de ce genre s'appelle proprement action; l'autre opération est celle qui passe (transiens) dans une matière extérieure (transitoire) et on l'appelle proprement faction." Parfois on peut prendre une matière extérieure seulement pour s'en servir comme on se sert du cheval pour aller à cheval, de la cithare pour jouer de la cithare. Parfois on prend la matière extérieure pour lui donner une autre forme, comme c'est le cas de l'artisan qui fait une maison ou un lit. La première et la deuxième des opérations n'ont donc pas de chose faite qui soit la fin, mais l'une et l'autre sont fins. Mais la première est plus noble que la seconde en n tant qu'elle demeure dans l'opérant lui-même. La troisième opération est comme une certaine génération dont la fin est la chose engendrée. Ainsi dans les opérations du troisième genre les œuvres elles-mêmes sont fins. |
#13. — À l'évidence de cela, on doit considérer qu'il existe une double opération, comme il est dit au neuvième livre de la Métaphysique (1050a23). L'une demeure dans l'opérant même, comme voir, vouloir et intelliger: une opération de cette sorte se dit proprement aussi action. Puis, il y a l'autre opération, qui passe dans une matière extérieure, et que l'on appelle proprement production. Parfois, en effet, on prend une matière extérieure seulement pour s'en servir, comme un cheval pour le monter, et une cithare pour en jouer. Mais parfois, on prend une matière extérieure pour lui donner une certaine forme, comme lorsque un artisan fabrique une maison ou un lit. La première des opérations, donc, et la deuxième, n'ont pas un résultat qui en soit la fin, mais l'une et l'autre est sa propre fin. La première, toutefois, est plus noble que la seconde, en tant qu'elle demeure dans l'opérant même. Mais la troisième opération est comme une génération, dont la fin est la chose engendrée. C'est pourquoi aussi, dans les opérations du troisième genre, les œuvres mêmes sont les fins. |
[72718] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 1 n. 14 Deinde cum dicit: quorum autem
sunt fines etc., ponit tertium; dicens, quod in quibuscumque operata, quae
sunt praeter operationes, sunt fines, oportet quod in his operata sint
meliora operationibus: sicut res generata est melior generatione. Nam finis
est potior his quae sunt ad finem. Nam ea quae sunt in finem habent rationem
boni ex ordine in finem. |
14.- Ici, il fait la comparaison des fins entre elles. C'est le troisièmement annoncé au numéro 7. Dans n'importe laquelle des choses faites qui sont en plus des opérations, il faut que les œuvres soient en cela supérieures aux opérations, tout comme la chose engendrée est meilleure que la génération. En effet, la fin a plus de valeur que les choses qui sont pour une fin. Car les choses qui sont pour une fin n'ont raison de bien que par l'ordre qu'ils ont à la fin. |
#14. — Ensuite (1094a5), il présente son troisième point, disant que n'importe où les fins sont des résultats à part les opérations, les résultats sont nécessairement meilleurs que les opérations, comme la chose engendrée est meilleure que sa génération. En effet, la fin est plus puissante que les moyens qui la visent. Car ce qui vise à une fin a raison de bien en référence à la fin. |
[72719] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 15 Deinde cum dicit: multis autem operationibus etc., agit
de comparatione habituum et actuum ad finem. Et circa hoc quatuor facit.
Primo manifestat, quod diversa ordinantur ad diversos fines. Et dicit, quod
cum multae sint operationes, et artes et doctrinae, necesse est quod earum
sint diversi fines. Quia fines, et ea quae sunt ad finem sunt proportionalia.
Quod quidem manifestat per hoc, quod artis medicinalis finis est sanitas,
navifactivae vero navigatio, militaris autem victoria, oeconomicae vero,
idest dispensativae domus, divitiae, quod quidem dicit secundum multorum
opinionem. Ipse autem probat in primo politicae, quod divitiae non sunt finis
oeconomicae, sed instrumenta. |
15.- Ensuite il parle de la comparaison des habitus et des actes à la fin et cette partie se divisera en quatre. Premièrement, il manifeste que des choses diverses sont ordonnées à diverses fins. Comme il y a plusieurs opérations, plusieurs arts et doctrines, il est nécessaire qu'il y ait diverses fins pour chacune, parce que les fins et les choses qui sont pour une fin sont proportionnelles. Ce qu'il nous manifeste en nous disant que l'art de la médecine a pour fin la santé, l'art de la construction des navires, la navigation, l'art militaire, la victoire, l'art de l'économique, i.e. l'art de l'administration d'une domus, l'argent selon l'opinion de plusieurs. Toutefois, Aristote prouvera au premier livre des Politiques que les richesses ne sont pas les fins de l'économique, mais les instruments. |
#15. — Ensuite (1094a6), il traite de la comparaison des habitus et des actes avec la fin. Et sur cela, il développe quatre points. En premier, il manifeste que des choses différentes sont ordonnées à des fins différentes. Et il dit que, comme il existe de multiples opérations, arts et enseignements, il est nécessaire que les 4 fins soient différentes pour eux. C'est que les fins et les moyens qui y visent sont proportionnables. Ce que, bien sûr, il manifeste par ceci que la fin de l'art médicinal est la santé, [celle de l'art] de fabriquer les navires la navigation, [celle de l'art] militaire la victoire, et [celle] de l'économique, c'est-à-dire, des dépenses de la maison, les richesses, ce que, bien sûr, il dit en se conformant à l'opinion de la plupart. Mais il prouve lui-même, dans le premier livre de la Politique, que les richesses ne sont pas la fin de l'économique, mais ses instruments. |
[72720] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 16 Secundo ibi: quaecumque autem sunt talium etc., ponit
ordinem habituum adinvicem. Contingit enim unum habitum operativum, quem
vocat virtutem, sub alio esse. Sicut ars quae facit frena est sub arte
equitandi, quia ille qui debet equitare praecipit artifici qualiter faciat
frenum. Et sic est architector, idest principalis artifex respectu ipsius. Et
eadem ratio est de aliis artibus, quae faciunt alia instrumenta necessaria ad
equitandum, puta sellas, vel aliquid huiusmodi. Equestris autem ulterius
ordinatur sub militari. Milites enim dicebantur antiquitus non solum equites,
sed quicumque pugnatores ad vincendum. Unde sub militari continetur non solum
equestris, sed omnis ars vel virtus ordinata ad bellicam operationem, sicut
sagittaria, fundibularia vel quaecumque alia huiusmodi. Et per eundem modum
aliae artes sub aliis. |
16.- Deuxièmement, il pose l'ordre des habitus les uns par rapport aux autres. Il arrive en effet qu'un habitus opératif, qu'il appelle vertu, soit sous un autre comme c'est le cas de l'art de faire des mors qui est sous l'art d'aller à cheval parce que c'est celui qui doit aller à cheval qui dit à l'artisan comment doit être faite la bride, et ainsi cet art qui commande aux autres est architectonique (de arkê et tekton) c’est-à-dire le principal artisan par rapport à lui-même. Et la même raison vaut pour les autres arts qui font d'autres instruments nécessaires à l'équitation comme les selles et les autres choses du même genre. Postérieurement, l'art d'aller à cheval est sous l'art militaire; dans l'antiquité les soldats n'étaient pas seulement des cavaliers, mais aussi des combattants pour la victoire. De sorte que sous l'art militaire il n'y a pas seulement l'art d'aller à cheval, mais tout art, et toute vertu ordonnée à l'opération guerrière, c'est-a-dire l'art de lancer les flèches, de se servir des frondes et tous les autres arts de ce genre et ainsi de la même façon les autres arts sont ordonnés sous d'autres arts. |
#16. — En deuxième (1094a9), il présente l'ordre des habitus entre eux. Il arrive, en effet, qu'un habitus opératif, qu'il appelle vertu, se trouve sous un autre. Comme l'art qui produit la bride se trouve sous l'art de monter à cheval, parce que celui qui doit monter prescrit à l'artisan de quelle manière produire la bride. Et ainsi est-il architecte, c'est-à-dire artisan principal en regard de l'autre. La même raison vaut aussi pour les autres arts qui produisent d'autres instruments nécessaires pour monter à cheval, par exemple, des selles ou autre chose du genre. L'art équestre, cependant, est ensuite ordonné sous l'art militaire. Anciennement, en effet, on disait soldats non seulement les cavaliers, mais n'importe quel combattant en vue de vaincre. Aussi, sous l'art militaire se trouve contenu non seulement l'art équestre, mais tout art ou vertu ordonné à l'opération guerrière, à savoir, ceux de l'archer, du frondeur, et n'importe quel autre du genre. Et de la même manière, d'autres arts se retrouvent sous d'autres. |
[72721] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1
n. 17 Tertio ibi: in omnibus
utique etc., proponit ordinem finium secundum ordinem habituum. Et dicit quod
in omnibus artibus vel virtutibus hoc communiter est verum, quod fines
architectonicarum sunt simpliciter quoad omnes magis desiderabiles, quam
fines artium vel virtutum, quae sunt sub principalibus. Quod probat per hoc,
quod homines persequuntur, id est quaerunt, illa, id est fines
inferiorum artium vel virtutum gratia horum, idest propter fines
superiorum. Litera autem suspensiva est, et sic legenda: quaecumque sunt
talium sub una quadam virtute (...) in omnibus utique architectonicarum fines
et cetera. |
17.- Troisièmement, il propose l'ordre des fins selon l'ordre des habitus. Et il dit que dans tous les arts ou dans toutes les vertus, ceci est communément vrai que les fins des arts ou vertus architectoniques sont simpliciter plus désirables aux yeux de tous que les fins des arts et des vertus qui sont sous les principales. Ce qu'il prouve de cette façon: les hommes poursuivent, c’est-à-dire recherchent celle-là, c'est-à-dire les fins des arts ou des vertus inférieures à cause de celles-ci, c'est-à-dire à cause des fins des arts ou des vertus supérieures. |
#17. — En troisième (1094a14), il propose un ordre des fins en conformité à l'ordre des habitus. Il dit que, dans tous les arts ou vertus, ceci est communément vrai, que les fins des [arts ou vertus] architectes sont simplement, face à tous, plus désirables que les fins des arts ou vertus qui se trouvent sous ces principaux. Il le prouve par ceci, que les hommes poursuivent, c'est-à-dire, cherchent celles-là, c'est-à-dire, les fins des arts ou vertus inférieurs, en vue de celles-ci, c'est-à-dire, à cause des fins des [arts ou vertus] supérieurs. La lettre reste en suspens et doit se lire ainsi: Tous [les arts et vertus] qui portent sur de telles [fins], et se subordonnent à une vertu unique…, en toutes les fins des [arts et vertus] architectes, etc. |
[72722] Sententia Ethic., lib. 1 l. 1 n. 18 Quarto ostendit non differre quantum ad ordinem finium,
utrum finis sit opus vel operatio. Et dicit quod nihil differt, quantum ad
ordinem pertinet, quod fines earum sint operationes, aut aliquod operatum
praeter operationes, sicut apparet in praedictis doctrinis. Nam frenifactivae
finis est operatum frenum; equestris vero, quae est principalior, finis est
operatio scilicet equitatio; e converso autem se habet in medicinali, et in
exercitativa. Nam medicinalis finis est aliquod operatum, idest sanitas.
Exercitativae vero, quae sub ea continetur, finis est operatio idest
exercitium. |
18.- Quatrièmement, il montre que, quant à l'ordre des fins, le fait que la fin soit œuvre (opus) ou opération (operatio) n'implique pas de différence. Il n'y a pas de différence quant à ce qui appartient à l'ordre, que les fins des arts ou des vertus soient des opérations ou quelque chose de fait en plus des opérations comme cela apparaît dans ce qu'on a enseigné plus haut. En effet la fin de l'art de faire des brides est une chose faite: la bride; la fin de l'art d'aller à cheval qui est principale est une opération, c’est-à-dire l’équitation. Dans le cas de la médecine et de l'exercice physique c'est le contraire qui se produit: la fin de l'art médical est une certaine chose faite, à savoir la santé; la fin de l'art de faire des exercices physiques, qui est contenue sous l'art médical, est une opération à savoir l'exercice lui-même. |
#18. — En quatrième (1094a16), il montre qu'il n'y a pas de différence quant à l'ordre des fins, si la fin est une œuvre ou une opération. Il dit qu'il n'y a aucune différence, quant à ce qui concerne l'ordre, à ce que les fins [des arts] soient des opérations ou un résultat à part des opérations, comme il en appert dans l'enseignement qui précède. En effet, la fin de l'art de produire les brides est la bride qui en résulte; mais de l'art équestre, qui lui est principal, la fin est une opération, à savoir, l'équitation. C'est le contraire, cependant, dans l'art médicinal et dans celui de l'exercice. En effet, la fin de l'art médicinal est un résultat, c'est-à-dire, la santé. Mais de l'art de l'exercice, qui est contenu sous lui, la fin est une opération, c'est-à-dire, l'exercice. |
|
|
|
Lectio
2 |
Leçon 2 : La fin supérieure, la politique |
|
|
Dans
les choses humaines il y a une fin qui est la meilleure, dont la connaissance
est nécessaire et qui appartient à la science qui est la plus importante: la
politique. |
|
[72723] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 1 Si itaque est aliquis finis operabilium et cetera. Praemissis his quae
sunt necessaria ad propositum ostendendum, hic accedit philosophus ad
manifestandum propositum, scilicet ad ostendendum ad quid principaliter
respiciat huius scientiae intentio. Et
circa hoc tria facit. Primo ostendit ex praemissis, esse aliquem finem
optimum in rebus humanis. Secundo ostendit, quod necessarium est habere
cognitionem de ipso, ibi, igitur ad vitam et cetera. Tertio ostendit ad quam
scientiam pertineat eius cognitio ibi. Videbitur autem utique
principalissimae et cetera. Circa primum utitur triplici ratione. Quarum
principalis talis est. Quicumque finis est talis quod alia volumus propter
illum et ipsum volumus propter se ipsum et non aliquid aliud, iste finis non
solum est bonus, sed etiam est optimus, et hoc apparet ex hoc quod semper
finis cuius gratia alii fines quaeruntur est principalior, ut ex supra dictis
patet; sed necesse est esse aliquem talem finem. Ergo in rebus humanis est
aliquis finis bonus et optimus. |
19.- Après avoir donné ce qui était nécessaire pour établir ce qu’il voulait proposer, ici Aristote en vient à nous manifester son propos, c’est-à-dire à nous montrer qu'est-ce que cette science-ci a principalement l’intention de nous dire. A ce sujet, il fera trois choses: premièrement, il montre à partir de ce qu'il a déjà dit, qu'il y a dans les choses humaines une fin qui est la meilleure; Deuxièmement, qu'il est nécessaire d'avoir une connaissance de cette fin; (n° 23-24) ; Troisièmement, il nous montre à quelle science ressortit la connaissance de cette fin (n° 25 à 3l) ; Pour prouver son premièrement il emploiera trois raisons: la principale est ainsi exposée: toute fin qui est telle que pour elle nous voulons les autres biens alors qu'elle-même nous la voulons pour elle-même et non pour quelque chose d’autre, cette fin, non seulement est bonne, mais elle est la meilleure. Et cela apparaît du fait que la fin pour laquelle d'autres fins sont recherchées est plus importante, comme on lia démontré auparavant. Mais dans les choses humaines, il est nécessaire qu'il y ait une telle fin. Donc dans les choses humaines il y a une fin qui est bonne et aussi la meilleure. |
#19. — Une fois avancées ces [considérations], qui sont nécessaires en vue de montrer son propos, le Philosophe accède ici à manifester son propos, à savoir à montrer ce qui principalement regarde l'intention de cette science. Et à ce sujet, il fait trois [considérations]. En premier, il montre à partir de ce qui précède qu'il existe une fin la meilleure dans les choses humaines. En second, il montre qu'il est nécessaire d'en avoir connaissance (1094a22). En troisième, il montre à quelle science appartient sa connaissance (1094a26). Pour la première [considération], il use d'une triple raison. Et la principale d'entre elles est comme suit. N'importe quelle fin qui est telle que nous voulons les autres [fins] en vue d'elle, et que nous la voulons, elle, pour elle-même et non à cause d'une autre [fin], cette fin non seulement est bonne, mais elle est la meilleure. Et cela appert de ce que toujours la fin en vue de laquelle d'autres fins sont recherchées est principale, comme c'est évident à partir de ce qui précède. Or dans les choses humaines il est nécessaire qu'il existe une telle fin. Donc il y a dans les choses humaines une fin bonne et la meilleure. 5 |
[72724] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 2 Minorem probat secunda ratione ducente ad impossibile,
quae talis est. Manifestum est ex praemissis quod unus finis propter alium
desideratur. Aut ergo est devenire ad aliquem finem, qui non desideratur
propter alium, aut non. Si sic, habetur propositum. Si autem non est invenire
aliquem talem finem, consequens est quod omnis finis desideretur propter
alium finem. Et sic oportet procedere in infinitum. Sed hoc est impossibile,
quod procedatur in finibus in infinitum: ergo necesse est esse aliquem finem
qui non sit propter alium finem desideratus. |
20.- Il prouve la mineure par un argument qui conduit à l'impossible, le voici: il est manifeste, après ce qu'on a déjà dit qu’une fin est désirée pour une autre; donc, ou on parvient à une fin qui n'est pas désirée pour un autre ou on n’y parvient pas. Si on y parvient la mineure est prouvée, Si on ne trouve pas une telle fin, il s'en suit que toute fin est désirée pour une autre fin. Et de cette façon on devrait procéder à l'infini; mais il est impossible de procéder à l’infini dans les fins; donc il est nécessaire qu'il y ait une fin qui n'est pas désirée pour une autre. |
#20. — Il prouve la mineure par un raisonnement conduisant à l'impossible, qui procède comme suit. Il est manifeste, à partir de ce qui précède, qu'une fin est désirée en vue d'une autre. Ou bien, donc, on peut parvenir à une fin qui n'est pas désirée en vue d'une autre, ou bien non. Si oui, on tiendra le propos. Mais si on ne peut parvenir à une telle fin, il s'ensuit que toute fin sera désirée en vue d'une autre fin. Et ainsi faut-il aller, à l'infini. Mais cela est impossible, que l'on aille de fin en fin à l'infini: donc, il y a nécessairement une fin qui ne soit pas désirée en vue d'une autre fin. |
[72725] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 2 n. 3 Quod autem sit impossibile in finibus
procedere in infinitum, probat tertia ratione quae est etiam ducens ad
impossibile, hoc modo. Si procedatur in infinitum in desiderio finium, ut
scilicet semper unus finis desideretur propter alium in infinitum, nunquam
erit devenire ad hoc quod homo consequatur fines desideratos. Sed frustra et vane aliquis desiderat id quod non
potest assequi; ergo desiderium finis esset frustra et vanum. Sed hoc
desiderium est naturale: dictum enim est supra quod bonum est, quod
naturaliter omnia desiderant; ergo sequetur quod naturale desiderium sit
inane et vacuum. Sed hoc est impossibile. Quia naturale desiderium nihil
aliud est quam inclinatio inhaerens rebus ex ordinatione primi moventis, quae
non potest esse supervacua; ergo impossibile est quod in finibus procedatur
in infinitum. |
21. Qu’il soit impossible de procéder à l'infini dans les fins, on le prouve aussi par une raison qui conduit à l'impossible, de cette façon-ci: si on procède à l'infini dans le désir des fins, de sorte que toujours une fin soit désirée pour une autre à l’infini, jamais on ne pourra parvenir à ce que l’homme atteigne les fins désirées. Mais il serait futile et vain que quelqu'un désire ce qu1il ne peut pas obtenir; donc le désir d'une fin serait futile et vain. Mais par contre ce désir est naturel: on a dit plus haut en effet que le bien est ce que naturellement toute chose désire. Donc il s'ensuit que le désir naturel soit insensé (insane) et vide (vacum). Mais ceci est impossible parce que le désir naturel n'est rien d'autre chose que l'inclination inhérente aux choses de par l’ordination du premier mouvant qui ne peut pas faire des choses en vain (frustrari). Il est donc impossible qu'on procède à l'infini dans les fins. |
#21. — Que par ailleurs il soit impossible d'aller de fin en fin à l'infini, cela aussi se prouve par un raisonnement qui conduit à l'impossible, de la manière suivante. Si on va à l'infini dans le désir des fins, de sorte que toujours une fin soit désirée en vue d'une autre, à l'infini, jamais on ne pourra parvenir à ce que l'homme atteigne les fins désirées. Or c'est inutilement et en vain que quelqu'un désire ce qu'il ne peut atteindre; la fin des désirs serait donc inutile et vaine. Or ce désir est naturel: on a dit plus haut, en effet, que le bien est ce que toutes [choses] désirent naturellement. Il s'ensuit donc qu'un désir naturel serait vain et vide. Mais cela est impossible. Parce que le désir naturel n'est rien d'autre qu'une inclination inhérente aux choses de par l'ordination du premier moteur, qui ne peut décevoir. Il est donc impossible que l'on aille à l'infini de fin en fin. |
[72726] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 4 Et sic necesse est esse aliquem ultimum finem propter
quem omnia alia desiderantur et ipse non desideratur propter alia. Et ita
necesse est esse aliquem optimum finem rerum humanarum. |
22.- Et ainsi il devient nécessaire qu'il y ait une certaine fin ultime pour laquelle toutes les autres choses sont désirées et qui elle-même n’est pas désirée pour autre chose. Et de même aussi il est nécessaire qu'il y ait une fin ultime des choses humaines. |
#22. — Ainsi, il existe nécessairement une fin ultime en vue de laquelle toutes autres [choses] sont désirées et qui elle-même n'est pas désirée en vue d'autres. Ainsi encore, il existe nécessairement une fin la meilleure pour les choses humaines. |
[72727] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 5 Deinde cum dicit: igitur ad vitam etc., ostendit quod
huius finis cognitio, est homini necessaria. Et circa hoc duo facit. Primo
ostendit, quod necessarium est homini cognoscere talem finem. Secundo
ostendit quid de eo cognoscere oporteat, ibi, si autem sic, tentandum est, et
cetera. Concludit ergo primo ex dictis, quod ex quo est aliquis optimus finis
rerum humanarum, cognitio eius, habet magnum incrementum ad vitam,
idest multum auxilium confert ad totam vitam humanam. Quod quidem apparet
tali ratione. Nihil quod in alterum dirigitur potest homo recte assequi nisi
cognoscat illud ad quod dirigendum est. Et hoc apparet per exemplum
sagittatoris, qui directe emittit sagittam, attendens ad signum ad quod eam
dirigit. Sed tota humana vita oportet quod ordinetur in ultimum et optimum
finem humanae vitae; ergo ad rectitudinem humanae vitae necesse est habere
cognitionem de ultimo et optimo fine humanae vitae. Et huius ratio est, quia
semper ratio eorum quae sunt ad finem, sumenda est ab ipso fine, ut etiam in
secundo physicorum probatur. |
23.- Ensuite il montre que la connaissance de cette fin est nécessaire à l'homme. Ceci comprend deux parties. Premièrement, il montre qu'il est nécessaire que l'homme connaisse une telle fin; deuxièmement, il montre ce qu1il faut connaître de cette fin. Il conclut donc à partir de ce qui a déjà été dit que la connaissance de cette fin est nécessaire à l'homme, du fait qu’il existe une fin des choses humaines qui soit la meilleure, parce qu1elle a une grande importance (incrementum) dans la vie, c’est-à-dire qu'elle est d'un grand secours pour toute la vie humaine. Ce qui est rendu apparent par une telle raison: rien de ce qui est dirigé vers autre chose ne peut être directement- poursuivi par l'homme à moins que celui-ci ne connaisse cette chose vers laquelle l'autre chose doit être dirigée. Et ceci est rendu plus évident par l'exemple de l'archer qui lance directement la flèche en regardant la cible vers laquelle il lance la flèche. Mais toute la vie humaine doit être ordonnée à la fin ultime et la meilleure de la vie humaine; il est donc nécessaire d'avoir la connaissance de cette fin de la vie humaine, fin qui est ultime et la meilleure. Et la raison en est que toujours la raison des choses qui sont pour une fin doit être prise à partir de la fin elle-même, comme cela été prouvé au deuxième livre des Physiques. |
#23. — Ensuite (1094a22), il montre que la connaissance de cette fin est nécessaire à l'homme. Et à ce propos, il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il est nécessaire à l'homme de connaître une telle fin. En second, il montre ce qu'il faut connaître d'elle (1094a25). Il conclut donc en premier, [partant] de ce qu'il a dit, que, étant donné qu'il existe une fin la meilleure pour les choses humaines, sa connaissance est nécessaire à l'homme, parce que cela comporte un grand apport pour la vie, c'est-à-dire apporte beaucoup d'aide à toute la vie humaine. Et cela, bien sûr, devient évident dans un raisonnement comme le suivant. L'homme ne peut atteindre directement rien de ce qui est dirigé à autre chose sans connaître ce à quoi il est à diriger. Et cela devient évident par l'exemple de l'archer, qui envoie directement sa flèche en visant à la cible vers laquelle il la dirige. Or il faut que toute la vie humaine soit ordonnée à la fin la meilleure et ultime de la vie humaine. Il faut donc nécessairement avoir connaissance de la fin ultime et la meilleure de la vie humaine. La raison en est que toujours la raison de ce qui est en vue de la fin doit être tirée de la fin elle-même, comme cela est prouvé aussi au second [livre] de la Physique (200a19). |
[72728] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 6 Deinde cum dicit: si autem sic etc., ostendit quid
circa istum finem sit cognoscendum. Et dicit quod ex quo sic est, quod
cognitio optimi finis necessaria est ad vitam humanam: oportet accipere quis
sit iste optimus finis et ad quam scientiam speculativam vel practicam
pertineat eius consideratio. Per disciplinas enim intelligit scientias
speculativas, per virtutes autem scientias practicas, quia sunt aliquarum
operationum principia. Dicit autem quod tentandum est de his determinare ad
insinuandum difficultatem, quae est in accipiendo ultimum finem in humana
vita sicut et in considerando omnes causas altissimas. Dicit autem quod
oportet illud accipere figuraliter, id est verisimiliter, quia talis
modus accipiendi convenit rebus humanis, ut infra dicetur. Horum autem
duorum, primum quidem pertinet ad tractatum huius scientiae, quia talis
consideratio est circa rem de qua haec scientia considerat. Sed secundum
pertinet ad prooemium: in quo manifestatur intentio huius doctrinae. |
24.- Ensuite il montre ce que l'on doit connaître de cette fin. Et il dit que du fait qu'il en est ainsi, que la connaissance de la meilleure fin est nécessaire à la vie humaine, il faut trouver quelle est cette fin la meilleure, à quelle science spéculative ou pratique il appartient d'en parler. Par disciplines, il entend les sciences spéculatives, par vertus, les sciences pratiques, parce qu'elles sont les principes de certaines opérations. Mais il dit qu'on doit « tenter » de déterminer cette fin, pour insinuer la difficulté que l'on rencontre dans la recherche de la fin ultime dans la vie humaine: comme c'est d'ailleurs le cas pour toutes les causes les plus hautes (altissimas). Il dit donc qu'il faudra la rechercher par des exemples, par des probabilités, parce que ce mode de recherches convient aux choses humaines, comme on le dira plus bas. De ces deux choses, la première (quelle est cette fin la meilleure) appartient au traité (tractatum) lui-même de cette science parce qu'une telle considération porte précisément sur la chose que considèrera cette science. Mais la deuxième (à quelle science- il appartient d'en parler) appartient à l'introduction de cette doctrine. |
#24. — Ensuite (1094a25), il montre qu'est-ce qu'il y a à connaître sur cette fin. Il dit alors que, étant donné qu'il en est ainsi, que la connaissance de la fin la meilleure est nécessaire à la vie humaine, il faut appréhender quelle est cette fin la meilleure, et à quelle science spéculative ou pratique appartient sa considération. Il entend, en effet, par disciplines les sciences spéculatives et par vertus les sciences pratiques, car elles sont principes d'opérations. Mais il dit que l'on doit tenter de déterminer, pour insinuer la difficulté qu'il y a à appréhender la fin ultime dans la vie humaine, comme [c'est le cas] en considérant toutes les causes les plus hautes. Il dit encore qu'on doit l'appréhender en la figurant, c'est-à-dire avec vraisemblance, car c'est un tel mode d'appréhension qui convient aux choses humaines, comme on le dira plus loin (1098a20). De ces deux [points], toutefois, le premier appartient bien sûr au traité de cette science, car une telle considération porte sur la chose que cette science considère. Mais le second appartient au prologue dans lequel on manifeste l'intention de cette science. |
[72729] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 7 Et ideo statim consequenter cum dicit: videbitur autem
utique etc., ostendit ad quam scientiam pertineat huius finis consideratio.
Et circa hoc duo facit. Primo ponit rationem ad propositum ostendendum.
Secundo probat quiddam quod supposuerat, ibi: quas enim esse est debitum et
cetera. Primo ergo ponit rationem ad propositum, quae talis est. Optimus
finis pertinet ad principalissimam scientiam, et maxime architectonicam. Et
hoc patet ex his, quae supra praemissa sunt. Dictum est enim quod sub scientia
vel arte quae est de fine continentur illae quae sunt circa ea quae sunt ad
finem. Et sic oportet quod ultimus finis pertineat ad scientiam
principalissimam, tamquam de principalissimo fine existentem, et maxime
architectonicae, tamquam praecipienti aliis quid oporteat facere. Sed civilis
scientia videtur esse talis, scilicet principalissima, et maxime
architectonica. Ergo ad eam pertinet considerare optimum finem. |
25.- C'est pourquoi tout de suite il montre à quelle science appartient la considération de la fin. A ce sujet il fait deux choses ; premièrement il donne la raison pour montrer la proposition à expliquer; deuxièmement, il prouve certaines choses qu'il avait supposées. Il donne donc la raison pour montrer la proposition: la meilleure fin appartient à la science la plus importante et la plus architectonique. Et ceci est évident de par ce qui a été dit auparavant. On a dit en effet que sous la science ou l'art qui traite de la fin étaient contenues toutes les choses qui portent sur ce qui est pour une fin. Et ainsi il faut que la fin ultime appartienne à la science la plus importante, tant parce que cette science existe pour parler de la fin première et la plus importante, et que cette science est la plus architectonique, parce que cette science commande aux autres ce qu'il faut faire. Mais la science civile (civilis) semble être telle, c’est-à-dire la plus importante es la plus architectonique; donc c'est à elle qu'il appartient de parler de la meilleure fin. |
#25. — C'est pourquoi, tout de suite après (1094a26), il montre à quelle science appartient la considération de cette fin. Et sur cela, il fait deux [considérations]. En premier il amène un raisonnement pour montrer son propos. En second, il prouve quelque chose qu'il avait supposé (1094b1). En premier donc, il amène un raisonnement en vue de son propos, et c'est le suivant. La fin la meilleure appartient à la science principalissime et la plus architectonique. Cela est évident de par 6 ce qui précède. On a dit en effet que sous la science ou l'art qui porte sur la fin sont contenus tous les [arts et sciences] qui portent sur ce qui est en vue de la fin. Ainsi faut-il que la fin ultime appartienne à la science principalissime en tant qu'elle vise la fin première et principalissime, et la plus architectonique, pour autant qu'elle prescrit aux autres ce qu'il [leur] faut faire. Or la science civile est manifestement telle, à savoir principalissime, et la plus architectonique. Donc c'est à elle qu'il appartient de considérer la fin la meilleure. |
[72730] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 8 Deinde cum dicit: quas enim esse etc., probat quod
supposuerat; scilicet quod civilis sit talis. Et primo probat quod sit maxime
architectonica. Secundo quod sit principalissima, ibi: si enim et idem est
uni et cetera. Circa primum duo facit. Primo attribuit politicae, sive civili, ea
quae pertinent ad scientiam architectonicam. Secundo
ex his concludit propositum, ibi, utente autem hac et cetera. Duo autem
pertinent ad scientiam architectonicam, quorum unum est, quod ipsa praecipit
scientiae vel arti quae est sub ipsa quid debeat operari, sicut equestris
praecipit frenifactivae. Aliud autem est, quod utitur ea ad suum finem.
Primum autem horum convenit politicae, vel civili, tam respectu
speculativarum scientiarum, quam respectu practicarum; aliter tamen et
aliter. Nam practicae scientiae praecipit politica, et quantum ad usum eius
ut scilicet operetur vel non operetur, et quantum ad determinationem actus.
Praecipit enim fabro non solum quod utatur sua arte, sed etiam quod sic
utatur, tales cultellos faciens. Utrumque enim est ordinatum ad finem humanae
vitae. |
26.- Ensuite il prouve ce qu'il a supposé, à savoir que la science civile soit bien telle. Et tout d'abord, il prouve qu'elle est la plus architectonique, puisqu'elle est la plus importante. Quant au premièrement, il fera deux choses: d'abord il attribue à la politique ou à la science civile, ce qui appartient à la science architectonique; ensuite, à partir de là, il conclut tel qu'il l'avait dit. Deux caractéristiques en effet appartiennent à la science architectonique: la première est que c'est elle-même qui commande à la science ou à l'art qui est sous elle ce que cette dernière doit faire, comme l’art de l'équitation commande à l'art de faire des brides. La deuxième est que la science architectonique emploie les autres sciences pour sa propre fin. La première de ces caractéristiques convient a la science politique ou civile tant par rapport aux sciences spéculatives que par rapport aux sciences pratiques; d'une façon différente toutefois pour l'une et pour l'autre. En effet la politique commande à la science pratique et ce qui regarde son usage, à savoir si elle doit opérer ou si elle ne doit pas opérer, et ce qui regarde la détermination de son acte. Elle commande à l'artisan non seulement de se servir de son art mais aussi de s'en servir de telle façon en faisant telle sorte de couteaux par exemple; l'un et l'autre en effet est ordonné à la fin de la vie humaine. |
#26. — Ensuite (1094b1), il prouve ce qu'il avait supposé, à savoir que la [science] civile soit telle. Et en premier il prouve qu'elle soit la plus architectonique. En second, qu'elle est principalissime (1094b8). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier il attribue à la politique, c’est-à-dire à la [science] civile, les [propriétés] qui appartiennent à la science architectonique. En second, il conclut son propos en partant de cela (1094b4). Or deux [propriétés] appartiennent à la [science] architectonique. L'un en est qu'elle prescrit elle-même à la science ou à l'art qui est sous elle ce qu'il doit opérer, comme l'[art] équestre prescrit à [celui de] fabriquer les brides. L'autre, ensuite, est qu'il en use à sa fin. Or la première de ces [propriétés] convient à la politique, ou civile, tant en regard des sciences spéculatives qu'en respect des pratiques; mais d'une façon et d'une autre. En effet, la politique commande à la science pratique à la fois quant à son usage, à savoir qu'elle opère ou n'opère pas, et quant à la détermination de son acte. Elle prescrit en effet à l'ouvrier non seulement qu'il use de son art, mais aussi qu'il en use de telle manière, en faisant des couteaux tels. L'un et l'autre, en effet, est ordonné à la fin de la vie humaine. |
[72731] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 2 n. 9 Sed scientiae speculativae praecipit civilis
solum quantum ad usum, non autem quantum ad determinationem operis; ordinat
enim politica, quod aliqui doceant vel addiscant geometriam. Huiusmodi enim
actus inquantum sunt voluntarii pertinent ad materiam moralem et sunt
ordinabiles ad finem humanae vitae. Non
autem praecipit politicus geometrae quid de triangulo concludat, hoc enim non
subiacet humanae voluntati, nec est ordinabile humanae vitae, sed dependet ex
ipsa rerum ratione. Et ideo dicit, quod politica praeordinat quas
disciplinarum debitum est esse in civitatibus, scilicet tam practicarum quam
speculativarum, et quis quam debeat addiscere, et usque ad quod tempus. |
27.- Mais par contre la science civile ne commande à la science spéculative que ce qui regarde son usage, et non pas ce qui regarde la détermination de son œuvre. La politique ordonne en effet que certains enseignent ou apprennent la géométrie. De tels actes en tant qu'ils sont volontaires appartiennent à la matière de la science morale et sont ordonnables à la fin de la vie humaine. Le politicien toutefois ne peut dire à l'avance au géomètre qu'est-ce qu'il y a à conclure sur le triangle: ceci en effet n'est pas soumis à la volonté humaine ni n'est ordonnable à la vie humaine mais dépend exclusivement de la nature même des choses. Et c'est pourquoi il dit que la politique détermine quelles sont les disciplines qui doivent exister dans la cité, à savoir tant les pratiques que les spéculatives quelles personnes doivent les apprendre et jusqu'à quel temps les personnes doivent les apprendre. |
#27. — Mais la civile commande à la science spéculative seulement quant à son usage, non toutefois quant à la détermination de son œuvre. En effet, la politique ordonne que certains enseignent ou apprennent la géométrie. Des actes de cette sorte, en effet, en tant qu'ils sont volontaires, appartiennent à la matière morale, et sont ordonnables à la fin de la vie humaine. Mais le politique ne commande pas à la géométrie quoi conclure concernant le triangle: cela en effet n'est pas soumis à la volonté humaine, ni n'est ordonnable à la vie humaine, mais dépend de la nature même des choses. C'est pourquoi aussi il dit que la politique préordonne lesquelles des disciplines il convient d'avoir dans les cités, à savoir tant pratiques que spéculatives, et qui doit les apprendre, et jusqu'à quel temps. |
[72732] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2
n. 10 Alia autem proprietas
scientiae architectonicae, scilicet uti inferioribus scientiis, pertinet ad
politicam, solum respectu practicarum scientiarum; unde subdit quod pretiosissimas,
idest nobilissimas virtutum idest artium operativarum videmus esse sub
politica, scilicet militarem, et oeconomicam et rhetoricam, quibus omnibus
utitur politica ad suum finem, scilicet ad bonum commune civitatis. |
28.- L'autre propriété de la science architectonique, à savoir employer les sciences inférieures, appartient aussi à la politique mais seulement par rapport aux sciences pratiques; d'où il infère que les vertus, c’est-à-dire les arts opératifs les plus précieux et les plus nobles, semblent être ceux qui sont sous la politique, à savoir l'art militaire, l'économique et la rhétorique que la politique emploie tous pour sa fin propre, c’est-à-dire le bien commun de la cité. |
#28. - L'autre propriété, par ailleurs, de la science architectonique, à savoir d'user des sciences inférieures, appartient à la politique seulement en regard des sciences pratiques; aussi ajoute-t-il que nous voyons les plus précieuses, c'est-à-dire les plus nobles des vertus, c'est-à-dire des arts opératifs, se trouver sous la politique, à savoir la [science] militaire, l'économique et la rhétorique, dont la politique se sert toutes en vue de sa fin, c'est-à-dire pour le bien commun de la cité. |
[72733] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 11 Deinde cum dicit: utente autem hac etc., ex praemissis
duobus concludit propositum. Et dicit quod, cum politica, quae practica est,
utatur reliquis practicis disciplinis, sicut secundo dictum est, et cum ipsa
legemponat quid oporteat operari et a quibus abstinere, ut primo dictum est,
consequens est quod finis huius tamquam architectonicae complectitur,
idest sub se continet fines aliarum scientiarum practicarum. Unde concludit
quod hic, scilicet finis politicae, est humanum bonum, id est optimum
in rebus humanis. |
29.- Ensuite à partir de ce qu'il a établi, il conclut tel qu’il avait proposé. Voici ce qu'il dit: comme la politique emploie toutes les autres disciplines pratiques comme on l'a dit plus haut; et comme c'est elle-même qui pose la loi qui dit qu'est-ce qu'il faut faire et de quelles choses il faut s'abstenir, comme on l'a dit plus haut; il s'ensuit que la fin de la politique en tant qu'architectonique, embrasse, c’est-à-dire contient sous la sienne propre, les fins des autres sciences pratiques. D'où il conclut que la fin de la politique est un bien humain, à savoir le meilleur parmi les choses humaines. |
#29. — Ensuite (1094b4), il conclut son propos à partir des deux [considérations] précédentes. Voici ce qu'il dit. Comme la politique use des autres disciplines pratiques, comme on l'a dit plus haut; et comme elle-même institue la loi [qui impose] ce qu'il faut faire et de quoi [il faut] s'abstenir, comme il a été dit auparavant; il s'ensuit que l'on conçoit sa fin comme [celle d'une science] architectonique, c'est-à-dire qu'elle contient les fins des autres sciences pratiques. De là il conclut que la fin de la politique est le bien humain, c'est-à-dire le meilleur dans les choses humaines. |
[72734] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2
n. 12 Deinde cum dicit: si enim
et idem est etc., ostendit quod politica sit principalissima, ex ipsa ratione
proprii finis. Manifestum est enim quod unaquaeque causa tanto potior est
quanto ad plura effectus eius se extendit. Unde et bonum, quod habet rationem
causae finalis, tanto potius est quanto ad plura se extendit. Et ideo, si
idem est bonum uni homini et toti civitati: multo videtur maius et perfectius
suscipere, id est procurare, et salvare, id est conservare, illud quod
est bonum totius civitatis, quam id quod est bonum unius hominis. Pertinet
quidem enim ad amorem qui debet esse inter homines quod homo quaerat et
conservet bonum etiam uni soli homini, sed multo melius est et divinius quod
hoc exhibeatur toti genti et civitatibus. Vel aliter: amabile quidem est quod
hoc exhibeatur uni soli civitati, sed multo divinius est, quod hoc exhibeatur
toti genti, in qua multae civitates continentur. Dicit autem hoc esse divinius,
eo quod magis pertinet ad Dei similitudinem, qui est universalis causa omnium
bonorum. Hoc autem bonum, scilicet quod est commune uni vel civitatibus
pluribus, intendit methodus quaedam, id est ars, quae vocatur civilis.
Unde ad
ipsam maxime pertinet considerare ultimum finem humanae vitae: tamquam ad
principalissimam. |
30.- Ensuite il montre que la politique est la plus importante; et cela en raison même de sa fin propre. Il est en effet manifeste qu'une cause quelconque est d'autant plus importante et plus puissante qu'elle s'étend à plus de choses. D'où le bien lui-même qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu'il s'étend à plus de choses. Et c'est pourquoi s'il y a un même bien pour un seul homme et pour toute la cité, il semble qu'il soit plus grand et plus parfait de promouvoir et de conserver (salvare) ce qui est le bien de toute la cité que ce qui est le bien d'un seul homme. Le politicien toutefois ne peut dire à l'avance au géomètre qu'est-ce qu'il y a à conclure sur le triangle: ceci en effet n'est pas soumis à la volonté humaine ni n'est ordonnable à la vie humaine mais dépend exclusivement de la nature même des choses. Et c'est pourquoi il dit que la politique détermine quelles sont les disciplines qui doivent exister dans la cité, à savoir tant les pratiques que les spéculatives quelles personnes doivent les apprendre et jusqu’à quel temps les personnes doivent les apprendre. |
#30. — Ensuite (1094b8), il montre que la politique est principalissime, de par la raison même de sa fin propre. Il est manifeste, en effet, que toute cause est d'autant plus première et puissante qu'elle s'étend à plus [de choses]. De là aussi, le bien qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu'il s'étend à plus [d'effets]. C'est pourquoi aussi, si la même [chose] est bonne pour un homme seul et pour toute la cité, il sera manifestement beaucoup plus grand et plus parfait de susciter, c'est-à-dire de fournir et de sauvegarder ce qui est le bien de toute la cité que ce qui est le bien d'un seul homme. Il appartient certes à l'amour qui doit exister parmi les hommes qu'on préserve même le bien d'un seul homme. Mais il est bien mieux et plus divin d'avoir cette attitude envers toute la nation, laquelle contient de nombreuses cités. On dit par ailleurs que cela est plus divin en ce que cela appartient plus à la ressemblance de Dieu, qui est la cause ultime de tous les 7 biens. Or c'est ce bien, à savoir celui qui est commun à une ou plusieurs cités, que vise la méthode, c'est-à-dire l'art, qu'on appelle civile. Aussi lui appartient-il suprêmement, en tant que principalissime, de considérer la fin ultime de la vie humaine. |
[72735] Sententia Ethic., lib. 1 l. 2 n. 13 Sciendum est autem, quod politicam dicit esse
principalissimam, non simpliciter, sed in genere activarum scientiarum, quae
sunt circa res humanas, quarum ultimum finem politica considerat. Nam ultimum
finem totius universi considerat scientia divina, quae est respectu omnium
principalissima. Dicit autem ad politicam pertinere considerationem ultimi
finis humanae vitae; de quo tamen in hoc libro determinat, quia doctrina
huius libri continet prima elementa scientiae politicae. |
28.- L'autre propriété de la science architectonique, à savoir employer les sciences inférieures, appartient aussi à la politique mais seulement par rapport aux sciences pratiques; d'où il infère que les vertus, c’est-à-dire les arts opératifs les plus précieux et les plus nobles, semblent être ceux qui sont sous la politique, à savoir l'art militaire, l'économique et la rhétorique que la politique emploie tous pour sa fin propre, c’est-à-dire le bien commun de la cité. |
#31. — On doit savoir, par ailleurs, qu'il dit la politique principalissime non pas simplement, mais dans le genre des sciences actives, qui portent sur les choses humaines, dont la politique considère la fin ultime. Car c'est la science divine qui considère la fin ultime de tout l'univers et c'est elle qui est principalissime en regard de toutes [choses]. Il dit toutefois que la considération de la fin ultime de la vie humaine appartient à la politique; et c'est d'elle pourtant qu'il détermine dans ce livre-ci, car l'enseignement de ce livre contient les premiers éléments de la science politique. |
|
29.- Ensuite à partir de ce qu'il a établi, il conclut tel qu'il avait proposé. Voici ce qu’il dit: comme la politique emploie toutes les autres disciplines pratiques comme on l'a dit plus haut; et comme c'est elle-même qui pose la loi qui dit qu'est-ce qu'il faut faire et de quelles choses il faut s'abstenir, comme on l'a dit plus haut; il s'ensuit que la fin de la politique en tant qu'architectonique, embrasse, c’est-à-dire contient sous la sienne propre, les fins des autres sciences pratiques. D'où il conclut que la fin de la politique est un bien humain, à savoir le meilleur parmi les choses humaines. |
|
|
30.- Ensuite il montre que la politique est la plus importante; et cela en raison même de sa fin propre. Il est en effet manifeste qu'une cause quelconque est d'autant plus importante et plus puissante qu'elle s'étend à plus de choses. D'où le bien lui-même qui a raison de cause finale est d'autant plus puissant qu’il s’étend à plus de choses. Et c'est pourquoi s'il y a un même bien pour un seul homme et pour toute la cité, il semble qu'il soit plus grand et plus parfait de promouvoir et de conserver (salvare) ce qui est le bien de toute la cité que ce qui est le bien d’un seul homme. Il appartient en effet à l'amour qui doit exister entre les hommes, de faire en sorte que l'homme conserve le bien même d'un seul homme. Mais il est beaucoup mieux et plus divin que ceci soit accompli (exhibeatur) pour toute une « gens » ou toutes les cités. Parfois, il est aimable que ceci soit accompli pour une seule cité, mais il est beaucoup plus divin que ceci soit accompli pour toute une « gens » dans laquelle plusieurs cités sont contenues. Il dit que ceci est plus divin parce que cela appartient plus à la similitude de Dieu qui est la cause ultime de tous les biens. Ce bien, à savoir celui qui est commun à une ou à plusieurs cités est poursuivi par une méthode (methodus) c’est-à-dire un certain art, qui s'appelle civile. D'où il appartient principalement (maxime) à cette méthode elle-même de considérer la fin ultime de la vie humaine; et ceci lui appartient comme à la discipline ou à l'art le plus important. |
|
|
31.- On doit enfin savoir que la politique est dite être la science la plus importante non pas absolument, mais seulement dans le genre des sciences actives qui portent sur les choses humaines parmi lesquelles la fin ultime est considérée par la politique. En effet la fin ultime de tout l'univers est considérée par la science divine qui est la plus importante de toutes les sciences. Il dit qu'il appartient à la politique de considérer la fin ultime de la vie humaine. Il faut toutefois remarquer, que s'il considère cette fin ultime dans ce livre-ci, c'est que la doctrine de ce livre-ci contient les premiers éléments de la science politique. |
|
|
|
|
Lectio 3 |
Leçon 3 : [A qui s’adresse l’éthique ?]
|
Leçon 3 |
|
QUELLES DOIVENT ETRE LES QUALITES DU DISCIPLE ET DU MAITRE DE CETTE SCIENCE: NI LE JEUNE HOMME, NI L'ESCLAVE DES PASSIONS (DU MOINS CELUI QUI EST VAINCU PAR SES PASSIONS) NE SONT DES AUDITEURS APTES A RECEVOIR CETTE DOCTRINE. |
|
[72736] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 1 Dicetur autem utique sufficienter et cetera. Postquam
philosophus ostendit quid sit bonum, quod principaliter intenditur in hac
scientia, hic determinat modum huic scientiae convenientem. Et primo ex parte
doctoris; secundo ex parte auditoris, ibi: eodem utique modo et cetera. Circa
primum ponit talem rationem. Modus manifestandi veritatem in qualibet
scientia, debet esse conveniens ei quod subiicitur sicut materia in illa
scientia. Quod quidem manifestat ex hoc, quod certitudo non potest inveniri,
nec est requirenda similiter in omnibus sermonibus, quibus de aliqua re
ratiocinamur. Sicut etiam neque in conditis, id est his quae fiunt per
artem, non est similis modus operandi in omnibus; sed unusquisque artifex
operatur ex materia, secundum modum ei convenientem aliter quidem ex cera
aliter ex luto, aliter ex ferro. Materia autem moralis talis est, quod non
est ei conveniens perfecta certitudo. Et hoc manifestat per duo
genera rerum quae videntur ad materiam moralem pertinere. |
32. Apres que le Philosophe a montré ce qu'est le bien, qui est principalement visé dans cette science, il détermine maintenant le mode, la méthode qui convient à cette science. Tout d'abord, du côté du maître; en second, du côté du disciple. Du côté du maître, il donne la raison suivante. La méthode de manifester la vérité dans toute science doit être appropriée à ce qui est soumis à cette science comme étant sa matière. Ce qu'il manifeste du fait que la certitude ne peut être trouvée ni ne doit être recherchée de la même manière dans tous les discours par lesquels on raisonne sur un sujet donné. Comme d’ailleurs dans les œuvres, c'est-à-dire dans ce que l’art produit, il n'existe pas un même mode d'opérer dans tous les cas; chaque artisan opère à partir de sa matière suivant le mode qui convient à cette matière: à la vérité, il opère de façon différente s'il se sert de la terre, de l'argile ou du fer. Or la matière morale est telle qu'une parfaite certitude ne lui convient pas. Et cela, il le manifeste par deux genres qui semblent appartenir à la matière morale. |
#32. — Le Philosophe, après avoir montré ce qu'est le bien qui est principalement visé dans cette science, détermine maintenant le mode qui convient à cette science. Et en premier de la part de l'enseignant (1094b11). En second [de la part] de l'auditeur (1094b22). Concernant le premier, il amène un raisonnement comme suit. Le mode de manifester la vérité, dans n'importe quelle science, doit convenir à ce qui tient lieu de sujet dans cette science. Il manifeste ensuite cela, certes, du fait que la certitude ne peut se trouver, ni n'est à chercher de manière semblable dans tous les discours où nous raisonnons de quelque chose. De même, il n'y a pas non plus pour les produits, c'est-à-dire pour ce qui résulte de l'art, un mode semblable de [les] opérer tous; chaque artisan, au contraire, opère avec une matière, selon un mode qui lui convient; [il procède] autrement avec de la terre, autrement avec de la boue, autrement avec du fer. Or la matière morale est telle que ne lui convient pas une certitude parfaite. Et il le manifeste pour deux genres [de choses] qui appartiennent manifestement à la matière morale. |
[72737] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 2 Primo namque et
principaliter ad materiam moralem pertinent opera virtuosa, quae vocat hic iusta,
de quibus principaliter intendit civilis scientia. Circa quae non habetur
certa sententia hominum, sed magna differentia est in hoc quod homines de his
iudicant. Et in hoc multiplex error contingit. Nam quaedam sunt quae a
quibusdam reputantur iusta et honesta, a quibusdam autem iniusta et inhonesta,
secundum differentiam temporum et locorum et personarum. Aliquid enim
reputatur vitiosum uno tempore aut in una regione, quod in alio tempore aut
in alia regione non reputatur vitiosum. Et ex ista differentia contingit
quosdam opinari quod nihil esset naturaliter iustum vel honestum, sed solum
secundum legispositionem; de qua quidem opinione ipse plenius aget in V
huius. |
33.- En effet, sont du ressort de la matière morale tout d’abord et principalement les actions vertueuses, appelées ici justes, sur lesquelles porte principalement la science politique. Et à ce sujet, on ne trouve guère une pensée certaine (sûre) chez les hommes, mais au contraire prévaut une notable variété dans les jugements qu'ils portent sur ces questions. Et cela peut donner lieu à de multiples erreurs. Certaines actions qui sont réputées justes et honnêtes par un certain nombre, sont considérées par d'autres comme injustes et malhonnêtes, suivant la différence des temps, des lieux et des personnes, Ce qui est tenu pour vicieux en un certain temps et en une certaine région ne l’est pas en un autre temps et dans une autre région. Et à cause de cette différence, il arrive que certains soutiennent qu’il n’y a rien de naturellement juste ou honnête, mais l'est uniquement de par la positivité de la loi. Nous traiterons plus profondément de cette opinion dans le second livre. |
#33.
— En premier et principalement, c'est à la matière morale qu'appartiennent
les œuvres vertueuses, qu'il appelle ici justes, et que vise principalement
la science civile. Or, à leur sujet, il n'existe pas une pensée certaine chez
les hommes; il existe au contraire une grande différence dans les jugements
que les hommes portent sur elles. Et en cela une multiplicité d'erreurs se
produisent. En effet, certaines [choses] qui sont réputées justes et honnêtes
par certains [sont réputées] injustes et malhonnêtes par d'autres, pour une
différence de temps, de lieux et de personnes. Quelque chose, en effet, est
réputé vicieux en un temps ou en une région qui n'est pas réputé vicieux en
un autre temps ou en une autre région. À cause de cette différence, il arrive
même que certains pensent que rien n'est naturellement juste ou honnête, mais
seulement d'après la loi instituée. Mais il sera plus pleinement question de
cette opinion dans le second [livre] de ce [traité] (#245-254). |
[72738]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 3 Secundo autem ad materiam
moralem pertinent bona exteriora, quibus homo utitur ad finem, et circa ista
etiam bona contingit invenire praedictum errorem, quia non semper eodem modo
se habent in omnibus. Quidam enim per ea
iuvantur, quibusdam vero ex ipsis proveniunt detrimenta. Multi enim homines
occasione suarum divitiarum perierunt, utpote a latronibus interfecti. Quidam
vero occasione suae fortitudinis corporalis, ex cuius fiducia incaute se
periculis exposuerunt. Et sic manifestum est, quod materia moralis est varia
et deformis, non habens omnimodam certitudinem. |
34.- Le second genre qui appartient à la matière morale, ce sont les biens extérieurs dont l'homme se sert pour atteindre sa fin, Et à leur propos, la même erreur que ci-haut mentionnée se répète, parce que ces biens ne jouent pas le même rôle chez tous les hommes. Certains en effet en reçoivent de l'aide tandis que d'autres en ont souffert du dommage. Pour un grand nombre, la richesse a été l'occasion de leur perte. Par exemple, ceux qui ont été tués par des voleurs. Pour un certain nombre, l'occasion de leur perte fut leur force physique en laquelle ils ont eu une confiance qui les fit s'exposer imprudemment aux périls. D'où il appert que la matière morale est variée, multiforme et ne jouit pas d'une certitude absolue. |
#34. — En second ensuite, c'est à la matière morale qu'appartiennent les biens extérieurs dont les hommes usent à leur fin. Or concernant ces biens-là aussi, il arrive qu'on trouve l'erreur dont on a parlé, du fait qu'ils n'entraînent pas toujours les mêmes conséquences chez tous. En effet, certains sont aidés par eux, alors que pour d'autres ce sont des dommages qui en proviennent. En effet, beaucoup d'hommes ont péri à l'occasion de leurs richesses, par exemple tués par des bandits. D'autres encore, à l'occasion de leur force corporelle, par confiance à laquelle ils se sont exposés sans précaution à des dangers. Il en devient manifeste que la matière morale est variée et difforme et ne comporte pas une certitude à tous égards. |
[72739] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 4 Et quia secundum artem demonstrativae scientiae,
oportet principia esse conformia conclusionibus, amabile est et optabile, de
talibus, idest tam variabilibus, tractatum facientes, et ex similibus
procedentes ostendere veritatem, primo quidem grosse idest applicando
universalia principia et simplicia ad singularia et composita, in quibus est
actus. Necessarium
est enim in qualibet operativa scientia ut procedatur modo compositivo, e
contrario autem in scientia speculativa necesse est ut procedatur modo
resolutivo, resolvendo composita in principia simplicia. Deinde oportet
ostendere veritatem figuraliter, idest verisimiliter; et hoc est
procedere ex propriis principiis huius scientiae. Nam scientia moralis est de
actibus voluntariis: voluntatis autem motivum est, non solum bonum, sed
apparens bonum. Tertio oportet ut cum dicturi simus de his quae ut
frequentius accidunt, idest de actibus voluntariis, quos voluntas non ex
necessitate producit, sed forte inclinata magis ad unum quam ad aliud, ut
etiam ex talibus procedamus, ut principia sint conclusionibus conformia. |
35.- Et parce que conformément à l'art de la science de la démonstration, il faut que les principes soient conformes aux conclusions, il est bon et même désirable que ceux qui construisent un traité sur une telle matière, à savoir aussi variable et qui procèdent de principes semblables (aux conclusions), montrent la vérité d'abord en gros c'est-à-dire en appliquant les principes universels et simples aux cas singuliers et complexes dans lesquels se trouve l'action humaine. Il est nécessaire, en effet, que, dans toute science opérative, on procède selon le mode compositif. Au contraire, dans la science spéculative, il faut qu'on procède selon le mode résolutif, en résolvant les composés dans les principes simples. Ensuite, il faut démontrer la vérité par mode d'exemple, c'est-à-dire selon la vraisemblance. Et ceci est procéder à partir des principes propres de cette science. La science morale en effet porte sur les actes volontaires; or, ce qui meut la volonté est non seulement le bien vrai mais aussi le bien apparent. Troisièmement, puisque nous devrons parler de ce qui arrive plus fréquemment, c’est-à-dire des actes volontaires, que la volonté ne pose pas par nécessité, mais où elle incline davantage vers l'un que vers l'autre, il faut que nous partions de principes semblables, afin que ces principes soient conformes aux conclusions. |
#35. — Aussi, puisque selon l'art de la science démonstrative il faut que les principes soient conformes aux conclusions, il est aimable et souhaitable, au sujet de telles [choses], c'est-à-dire si variables, qu'en en faisant le traité, on procède aussi à en montrer la vérité à partir de [principes] similaires, et d'abord certes grossièrement, c'est-à-dire en appliquant des principes universels et simples aux [objets] singuliers et composés où se passe l'acte. Car il est nécessaire, en n'importe quelle science opérative, que l'on procède selon un mode compositif. À l'inverse, cependant, dans une science spéculative il est nécessaire que l'on procède selon un mode résolutif, en résolvant des 8 [objets] composés à des principes simples. Ensuite, il faut montrer leur vérité de manière figurée, c'est-à-dire avec vraisemblance; et c'est cela procéder des principes propres de cette science. En effet la science morale porte sur les actes volontaires; or le motif de la volonté est non seulement le bien, mais le bien apparent. En troisième, comme nous allons parler de [choses] qui n'arrivent que le plus souvent, c'est-à-dire d'actes volontaires, que la volonté ne produit pas par nécessité mais peut-être incline davantage d'un [côté] que de l'autre, il faut que nous procédions aussi de [principes] de même qualité, de façon que les principes soient conformes aux conclusions. |
[72740] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 5 Deinde cum dicit: eodem
utique modo etc., ostendit quod auditorem oportet acceptare in moralibus
praedictum modum determinandi. Et dicit, quod debitum est, quod unusquisque
recipiat unumquodque (eorum) quae sibi ab alio dicuntur eodem modo, id
est secundum quod convenit materiae. Quia ad hominem disciplinatum, idest
bene instructum, pertinet, ut tantum certitudinem quaerat in unaquaque
materia, quantum natura rei patitur. Non enim potest esse tanta certitudo in
materia variabili et contingenti, sicut in materia necessaria, semper eodem
modo se habente. Et ideo auditor bene disciplinatus nec debet maiorem
certitudinem requirere, nec minori esse contentus, quam sit conveniens rei de
qua agitur. Propinquum enim peccatum esse videtur, si aliquis auditor
acceptet aliquem mathematicum persuasionibus rhetoricis utentem, et si
expetat a rhetorico demonstrationes certas, quales debet proferre
mathematicus. Utrumque enim contingit ex hoc, quod non consideratur modus
materiae conveniens. Nam mathematica est circa materiam, in qua invenitur omnimoda
certitudo. Rhetorica autem negotiatur circa materiam civilem, in qua
multiplex variatio accidit. |
36.- Aristote montre que le disciple doit accepter cette manière de procéder dans les choses morales. Il est nécessaire que chacun accepte l'enseignement d'un autre en conformité avec la matière enseignée, car il appartient à l'homme discipliné, c'est-à-dire cultivé de ne pas rechercher dans toute matière plus de certitude que la nature de cette matière peut en offrir. Il ne peut en effet y avoir une certitude aussi forte en une matière variable et contingente qu'il y en a dans une matière nécessaire, gardant toujours son même mode d'être. Et c'est pourquoi, l'auditeur bien discipliné ne doit pas rechercher une certitude plus grande, ni se contenter d'une moindre que celle qui convient à la matière donnée. Il semble qu'il n'y a pas grande différence entre le péché d'accepter un mathématicien qui se sert des persuasions de la rhétorique et le péché d’exiger du rhétoricien des démonstrations certaines que doit fournir le mathématicien. Le double péché provient de ce que l'on n'envisage pas le mode qui convient à une matière donnée; car la mathématique porte sur une matière où l'on trouve la certitude absolue, tandis que la rhétorique s'occupe de la matière civile, où il y a beaucoup de variété, de contingence, de changements. |
#36. — Ensuite (1094b22), il montre qu'il faut que l'auditeur, en [matière] morale, accepte le mode de déterminer dont nous venons de parler. Aussi dit-il qu'il convient que chacun reçoive chaque chose qui lui est dite par un autre «selon le même mode», c'est-à-dire selon qu'il convient à la matière. Car il appartient à l'homme discipliné, c'est-à-dire bien formé, de ne chercher en chaque matière qu'autant de certitude que la nature de la chose en souffre. Il ne peut pas, en effet, y avoir autant de certitude dans une matière variable et contingente que dans une matière nécessaire qui se comporte toujours de la même manière. C'est pourquoi aussi l'auditeur bien discipliné ne doit pas exiger une certitude plus grande, ni se contenter d'une moindre que celle qui convient à la chose dont il est question. Car c'est manifestement une faute proche, d'accepter qu'un mathématicien fasse usage de persuasion rhétorique et d'exiger d'un orateur des démonstrations certaines comme doit en proférer un mathématicien. L'une et l'autre [faute], en effet, provient de ce qu'on ne tient pas compte du mode qui convient à la matière. Car la mathématique porte sur une matière en laquelle on trouve une certitude en tout point, tandis que la rhétorique a affaire à la matière civile, en laquelle se produit une variation multiple. |
[72741] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 6 Deinde cum dicit unusquisque autem iudicat bene etc.,
ostendit qualis debeat esse auditor huius scientiae. Et primo ostendit quis
sit insufficiens auditor. Secundo quis sit inutilis, ibi, amplius autem
passionum et cetera. Tertio ostendit quis sit auditor conveniens, ibi,
secundum rationem autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo praemittit quaedam
quae sunt necessaria ad propositum ostendendum. Et dicit, quod unusquisque non potest habere bonum
iudicium nisi de his quae cognoscit. Et sic ille qui est instructus circa
unum quodlibet genus bene potest iudicare de his quae pertinent ad illud
genus. Sed ille qui est bene instructus circa omnia, potest simpliciter bene
iudicare de omnibus. |
37.- Il montre quel doit être l'auditeur de cette science. En premier, il montre quel est l'auditeur insuffisamment préparé à recevoir cette science; en second, quel est l'auditeur "inutile", vain; en troisième, quel est l'auditeur approprié. A propos de l'auditeur insuffisamment préparé, il fait une double réflexion. Tout d'abord, il donne certains présupposés nécessaires à la démonstration de ce qu'il veut dire. Et il dit qu'un homme ne peut bien juger que de ce qu’il connaît. Ainsi, celui qui est bien renseigné sur une matière peut porter un bon jugement sur ce qui se rattache à cette matière. Mais celui qui a reçu une bonne instruction sur toutes choses, (l'homme cultivé) peut simplement bien se prononcer sur tout. |
#37. — Ensuite (1094b27), il montre quelle qualité doit posséder l'auditeur de cette science. Et en premier, il montre qui est un auditeur insuffisant (1095a1). En second, qui en est un inutile (1095a4). En troisième, il montre qui est un auditeur convenable (1095a10). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. D'abord il présente des [notions] qui sont nécessaires pour montrer son propos. Il dit donc que chacun ne peut avoir un bon jugement que de ce qu'il connaît. Et ainsi, celui qui est formé sur un genre quelconque [de choses] peut bien juger de ce qui concerne ce genre. Mais celui qui est bien formé sur tout peut bien juger simplement de tout. |
[72742] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 7 Secundo ibi: idcirco
politicae etc., concludit propositum, scilicet quod iuvenis non est
conveniens auditor politicae et totius moralis scientiae, quae sub politica
comprehenditur; quia sicut dictum est, nullus potest bene iudicare nisi ea
quae novit. Omnis autem auditor oportet quod bene iudicet de his quae audit, ut
scilicet bene dicta recipiat, non autem ea quae male dicuntur. Ergo oportet,
quod nullus sit auditor conveniens nisi habeat aliquam notitiam eorum quae
debet audire. Sed iuvenis non habet notitiam eorum quae pertinent ad
scientiam moralem, quae maxime cognoscuntur per experientiam. Iuvenis autem
est inexpertus operationum humanae vitae propter temporis brevitatem, et
tamen rationes moralis scientiae procedunt ex his quae pertinent ad actus
humanae vitae, et etiam sunt de his; sicut si dicatur quod liberalis minora
sibi reservat, et maiora aliis tribuit, hoc iuvenis propter inexperientiam
forte non iudicabit esse verum, et idem est in aliis civilibus. Unde
manifestum est, quod iuvenis non est conveniens auditor politicae. |
38.- Il conclut ce qu'il propose, à savoir que le jeune homme n'est pas l'auditeur approprié de la science politique et de toute la science morale, qui est comprise dans la politique car, ainsi qu'on l'a dit, personne ne peut juger bien que de ce qu'il connaît. Or, il faut qu'un auditeur porte un jugement sain sur ce qu'il écoute afin d'assimiler ce qui est bien dit et de rejeter ce qu'il a d’erroné. Il ne peut donc y avoir d'auditeur convenable que celui qui a quelque connaissance de ce qu'il doit entendre. Mais le jeune homme n'a pas cette connaissance de ce qui appartient à la science morale, qui s'apprend surtout par l'expérience. Le jeune homme en effet est inexpérimenté dans les actes de la vie humaine à cause du peu de temps qu'il a vécu, alors que les notions de la science morale s'élaborent à partir de ce qui appartient aux actes de cette vie humaine et même portent sur ces actes. Ainsi si l'on dit que le libéral se réserve peu de son avoir et en donne la majeure partie aux autres, le jeune homme, à cause de son inexpérience, jugera peut-être que cette affirmation n'est pas vraie; et il en est ainsi des autres points de la vie civile. D'où il est manifeste que le jeune homme n'est pas l'auditeur approprié de la politique. |
#38. — Ensuite (1095a1), il conclut son propos, à savoir que le jeune n'est pas un auditeur convenable de la politique et de toute la science morale, qui est comprise sous la politique; c'est que, comme il a été dit, nul ne peut bien juger que de ce qu'il connaît. Or tout auditeur doit bien juger de ce qu'il entend, de manière à accepter ce qui est dit correctement mais non ce qui est mal dit. Il s'ensuit donc que nul ne soit un auditeur convenable s'il n'a pas déjà quelque connaissance de ce qu'il doit entendre. Or le jeune n'a pas de connaissance de ce qui appartient à la science morale, qui se connaît surtout par expérience. Le jeune est sans expérience des opérations de la vie humaine, à cause du manque de temps, et pourtant les raisonnements de la science morale procèdent de ce qui appartient aux actes de la vie humaine et même portent sur cela. Par exemple, si l'on dit que le libéral garde pour lui la plus petite part et attribue aux autres la plus grande, le jeune, peut-être, à cause de son inexpérience, ne jugera pas que cela est vrai; et il en va pareillement dans les autres [matières] civiles. Aussi est-il manifeste que le jeune n'est pas un auditeur convenable de la politique. |
[72743] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 8 Deinde cum dicit: amplius autem passionum etc.,
ostendit quis sit inutilis auditor huius scientiae. Ubi considerandum est,
quod scientia moralis docet homines sequi rationem, et discedere ab his in
quae passiones animae inclinant, quae sunt concupiscentia, ira et similia. In
quae quidem aliqui tendunt dupliciter. Uno modo ex electione: puta cum aliquis
hoc proponit, ut concupiscentiae suae satisfaciat. Et hos vocat sectatores
passionum; alio modo cum aliquis proponit quidem a noxiis delectationibus
abstinere, vincitur tamen interdum impetu passionis, ut contra suum
propositum, impetum passionis sequatur. Et talis vocatur incontinens. |
39.- Il montre maintenant quel est l'auditeur vain de cette science. Il faut ici considérer que la science morale enseigne à l'homme à suivre sa raison et à s'éloigner de ce à quoi inclinent les passions de l'âme qui sont la concupiscence, la colère et les autres mouvements semblables. On est incliné à ces passions de deux manières. D'une première manière, par élection: comme celui qui se propose de satisfaire sa concupiscence. Et ceux-là on les appelle les partisans - les disciples (les intempérants) de leurs passions. La seconde manière d'obéir aux passions se retrouve chez celui qui, tout en se proposant de s'abstenir des délectations nuisibles, est quand même vaincu quelquefois par l'impétuosité de la passion de telle sorte que, contre son gré, il suit le courant de sa passion. Et celui-là, on l'appelle l'incontinent. |
#39. — Ensuite (1095a4), il montre qui est un auditeur inutile de cette science. Et là on doit considérer que la science morale enseigne aux hommes à suivre leur raison et à rejeter ce qui incline aux passions de l'âme, à savoir la concupiscence, la colère et autres semblables. À quoi, certes, certains tendent, de deux manières. D'une manière par choix: par exemple lorsque quelqu'un se propose cela, de satisfaire à sa concupiscence. Aussi les appelle-t-il partisans des passions. Et d'une autre manière lorsque quelqu'un, bien sûr, se propose de s'abstenir de délectations nocives, mais se trouve toutefois vaincu entretemps par l'impulsion de sa passion, de sorte que contre son intention il suit l'impulsion de sa passion. Il appelle pareille [personne] un incontinent. 9 |
[72744] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3
n. 9 Dicit ergo, quod ille qui
est sectator passionum, inaniter, idest sine aliqua efficacia audiet hanc
scientiam, et inutiliter, idest absque consecutione debiti finis. Finis enim
huius scientiae non est sola cognitio, ad quam forte pervenire possent
passionum sectatores. Sed finis huius scientiae est actus humanus, sicut et
omnium scientiarum practicarum. Ad actus autem virtuosos non perveniunt, qui
passiones sectantur. Et sic nihil differt quantum ad hoc quod arceantur ab
auditu huius scientiae iuvenis aetate vel iuvenis moribus, scilicet passionum
sectator, quia, sicut iuvenis aetate deficit a fine huius scientiae, qui est
cognitio, ita ille qui est iuvenis moribus deficit a fine, qui est actio: non
enim est defectus eius propter tempus, sed propter hoc quod vivit secundum
passiones, et sequitur singula, ad quae passiones inclinant. Talibus autem fit
inutilis cognitio huius scientiae; sicut etiam incontinentibus, qui non
sequuntur scientiam, quam de moralibus habent.
|
40.- Il dit donc que celui qui recherche décidément le plaisir de ses passions suivra les cours de cette science en vain, sans aucun profit et inutilement aussi sans atteindre la fin due. La fin de cette science en effet n’est pas la seule connaissance, à laquelle peuvent atteindre sans doute les partisans des passions; mais le but de cette science c'est l'acte humain, comme d'ailleurs c'est le but de toutes sciences pratiques. Or, les amis de leurs passions ne peuvent parvenir à poser des actes vertueux. Et ainsi, sous ce rapport, il n'y a pas de différence entre le jeune homme d'âge et le jeune de mœurs, c'est-à-dire le partisan de ses passions: comme le jeune d'âge n'atteint pas le but de cette science qui est la connaissance, ainsi, celui qui est jeune de mœurs manque le but qui est l'action. L'insuffisance de ce dernier ne vient pas de la question de temps, mais du fait qu'il vit en accord avec ses passions et se laisse prendre par chacun des objets auxquels l'inclinent les passions. Pour de tels auditeurs, la connaissance de cette science devient inutile; comme d'ailleurs pour les incontinents qui ne se conforment pas à la science qu'ils ont des actes moraux. |
#40. — Il dit donc que celui qui est partisan des passions, c'est vainement, c'est-à-dire sans aucune efficacité, qu'il entendra cette science, et inutilement, c'est-à-dire sans atteinte de la fin qui convient. Car la fin de cette science n'est pas la seule connaissance, à laquelle, peut-être, pourraient parvenir les partisans des passions. La fin de cette science est plutôt l'acte humain, comme aussi pour toutes les sciences pratiques. Or ils ne parviennent pas aux actes vertueux, ceux qui prennent pour leurs passions. Ainsi n'y a-t-il aucune différence quant à cela, si l'auditeur de cette science est jeune d'âge, ou jeune de mœurs, c'est-à-dire partisan des passions. Car comme le jeune d'âge manque la fin de cette science qui est la connaissance, de même celui qui est jeune de mœurs manque cette fin qui est l'action. En effet, il ne la manque pas en raison du temps, mais en raison de ce qu'il vit selon ses passions et court les [choses] singulières auxquelles ses passions l'inclinent. Pour pareilles [gens], par ailleurs, la connaissance de cette science se fait inutile; comme aussi pour les incontinents, qui ne suivent pas la science qu'ils ont de ce qui est moral. |
[72745] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 10 Deinde cum dicit: secundum rationem autem etc.,
ostendit quis sit conveniens auditor huius scientiae. Et dicit, quod multum
est utile scire de moralibus illis, qui secundum ordinem rationis implent
omnia sua desideria et exterius operantur. |
41.- Il montre quel est l'auditeur approprié à recevoir cette science. Il est très utile de connaître la morale pour ceux qui accomplissent leurs désirs et agissent dans leurs opérations extérieures selon l'ordre de la raison. |
#41. — Ensuite (1095a10), il montre qui est un auditeur convenable de cette science. Et il dit qu'il est très utile de savoir ce qui concerne les [matières] morales pour ceux qui satisfont à tous leurs désirs et opèrent extérieurement selon l'ordre de la raison. |
[72746] Sententia Ethic., lib. 1 l. 3 n. 11 Ultimo autem epilogat ea quae dicta sunt in hoc
prooemio, dicens quod tanta sint dicta prooemialiter de auditore, quod fuit
ultimum; et quis sit modus demonstrandi, quod fuit medium; et quid
proponimus, idest quid sit illud, de quo ista scientia principaliter
intendit. |
42.- Il termine en résumant les grandes idées de cette introduction où il en a dit suffisamment en ce qui concerne l'auditeur, le mode de démontrer et l'intention principale de ce traité. |
#42. — En dernier, il dit, en épilogue à ce qu'il a dit dans ce prologue, que voilà ce qu'il y avait à dire, en prologue, de l'auditeur, ce qui est venu en dernier, et du mode de démontrer, ce qui est venu au milieu, et sur ce que nous nous proposons, c'est-à-dire qu'est-ce que cette science vise principalement, ce qui est venu en premier. |
|
|
|
Lectio
4 |
Leçon 4 : [Le bonheur, bien suprême de l’éthique] |
|
|
LES
OPINIONS D’UN CERTAIN NOMBRE SUR LA FELICITE. QUELLE EST LA DIFFERENCE ENTRE
LES SAGES ET L’HOMME COMMUN LORSQU'ILS PARLENT DU BIEN SUPREME. QUE LE BIEN SUPREME
EST LA FELICITE ELLE-MEME ET COMMENT DOIT ETRE DISPOSE CELUI QUI ECOUTE LES
LECONS DE LA PHILOSOPHIE MORALE. |
|
[72747] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 1 Dicamus ergo resumentes et
cetera. Praemisso prooemio, hic Aristotiles accedit ad tractatum huius
scientiae. Et dividitur in partes tres. In prima determinat de felicitate,
quae est summum inter humana bona perducens ad hoc considerationem
felicitatis quod est operatio secundum virtutem. In secunda parte determinat
de virtutibus, ibi, si autem est felicitas operatio quaedam secundum virtutem
et cetera. In tertia complet suum tractatum de felicitate, ostendens qualis
et quae virtutis operatio sit felicitas. Et hoc in decimo libro, ibi: post
haec autem de delectatione et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de
quo est intentio. Secundo exequitur propositum, ibi: nomine quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo resumendo quod supradictum est, quod cum omnis
cognitio et electio desideret aliquod bonum, idest ordinetur ad
aliquod bonum desideratum sicut in finem, dicendum est, quid sit illud bonum,
ad quod ordinatur civilis scientia; quod scilicet est summum omnium
operatorum, idest inter omnia ad quae opere humano perveniri potest. Haec
enim duo supra dictum est oportere considerari de ultimo fine humanorum
bonorum: scilicet quid sit, quod hic proponitur considerandum; et ad quam
scientiam pertineat, quod supra in prooemio tractatum est. |
43. L'introduction terminée, Aristote en arrive au traité de cette science, qui se divise en trois parties. Dans la première partie, il détermine la félicité, qui est le bien suprême parmi les biens humains. Cette considération de la félicité l'amène à préciser qu'elle est l'opération selon la vertu. Dans la seconde partie, il détermine la vertu. Dans la troisième partie, il complète son traité de la félicité en montrant quelle est l'opération de la vertu et quelle est la nature de cette opération qui est la félicité. Cette troisième partie appartient au dixième livre, Au sujet de la félicité, il fait une double besogne. Il nous dit tout d'abord ce qu'il a l'intention de traiter et, en second, il élabore ce qu'il a proposé. Il dit donc en premier, résumant ce qui fut dit auparavant (n° 9-13), que, puisque toute connaissance et élection désirent un certain bien, c'est-à-dire que toute connaissance et toute élection sont ordonnées à un certain bien désiré comme à une fin, il faut dire ce qu'est ce bien auquel est ordonné la science civile: à savoir qu'il est le bien suprême de tout ce qui est opéré, c’est-à-dire qu'il est le bien le plus grand parmi tout ce que peut atteindre l'opération humaine. On a dit auparavant (n° 9-18) qu'il faut considérer deux choses sur la fin ultime des biens humains: à savoir, ce qu'elle est, ce qu'il se propose de considérer ici; et à quelle science cette étude appartient, ce qui fut donné dans l'introduction. |
#43. — Une fois le prologue présenté, Aristote arrive ici au traité de la science. Celui-ci se divise en trois parties. Dans la première, il traite du bonheur (1095a14), le plus grand parmi les biens humains, et aboutit, en cette considération du bonheur, à conclure qu'il est une opération conforme à la vertu. Dans la seconde partie (1102a5), il traite des vertus. Dans la troisième, il complète son traité sur le bonheur, montrant quelle opération est le bonheur, et quelle nature il a. Et cela, au dixième livre (1172a16). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il dit quelle est son intention. En second (1095a17), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, en résumant ce qui s'est dit plus haut [#9-13], que, comme toute connaissance et tout choix désire un bien, c'est-à-dire, est ordonné à un bien désiré comme à sa fin, on doit dire quel est le bien auquel est ordonnée la science civile; or celui-ci est le plus grand de toutes les œuvres, c'est-à-dire, entre tout ce à quoi l'action humaine peut parvenir. En effet, on a dit plus haut qu'il y a ces deux [choses] à regarder, concernant la fin ultime des biens humains: ce qu'elle est, que l'on se propose de considérer ici, et à quelle science elle appartient, ce dont on a traité plus haut, dans le prologue. |
[72748] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 2 Deinde cum dicit: nomine quidem igitur etc., determinat
de felicitate. Et circa hoc duo facit. Primo prosequitur opiniones aliorum de
felicitate. Secundo determinat de ipsa secundum propriam sententiam, ibi,
rursus autem redeamus ad quaesitum bonum et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ponit opiniones aliorum de felicitate. Secundo inquirit de eis, ibi,
nos autem dicamus unde discessimus et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ponit opiniones de ultimo fine humanorum. Secundo determinat qualiter de
huiusmodi opinionibus sit inquirendum, ibi, omnes quidem igitur perscrutari
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit in quo omnes conveniant.
Secundo in quo differant, ibi, de felicitate autem, quae est et cetera. |
44.- Il détermine la félicité. Ce qu'il fait en deux temps. Il recherche tout d'abord les opinions des autres sur la félicité. En second, il détermine la félicité selon son opinion personnelle. A propos des opinions des autres, il fait deux choses: primo, il expose leurs opinions; secondo, il en fait une certaine critique. L'exposé des opinions se divise lui-même en deux parties. Dans une première partie, il propose les opinions sur la fin ultime des choses humaines. Dans la seconde, il détermine comment il faut s'enquérir de ces sortes d'opinions. En exposant les opinions sur la fin ultime des choses humaines, il fait double réflexion: a) il montre en quoi elles se ressemblent; b) en quoi elles diffèrent. |
#44. — Ensuite (1102a5), il traite du bonheur. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il recherche les opinions des autres à propos du bonheur. En second (1097a15), il en traite selon sa propre pensée. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les opinions des autres à propos du bonheur. En second (1095b14), il enquête à leur sujet. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les opinions à propos de la fin ultime des [choses] humaines. En second (1095a28), il traite de quelle manière on doit enquêter sur des opinions de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quoi tous conviennent. En second (1095a20), sur quoi ils diffèrent. 10 |
[72749] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 3 Ponit ergo primo duo, in
quibus omnes conveniunt secundum ultimum finem. Primo quidem in nomine, quia
tam multi, id est populares, quam etiam excellentes, id est sapientes,
nominant summum humanorum bonorum felicitatem. Secundo quantum ad quamdam
communem nominis rationem; quia omnes existimant bene vivere et bene operari
(idem esse ei) quod est esse felicem. |
45.- Il pose donc deux choses sur lesquelles sont d’ accord toutes les opinions concernant la fin ultime. Premièrement, il dit que les hommes du peuple et les hommes supérieurs, les sages, ont appelé félicité le bien suprême des choses humaines. Deuxièmement, l'accord se fait aussi sur une définition commune du mot: tous en effet estiment que bien vivre et bien opérer est la même chose qui être heureux. |
#45. — Il présente donc en premier deux [éléments] sur lesquels tous conviennent en rapport à la fin ultime. En premier, il dit qu'à la fois la multitude, c'est-à-dire, les gens du peuple, et les excellents, c'est-à-dire, les sages, ont nommé bonheur le plus grand des biens humains. En second, quant à une définition commune du nom, car tous pensent que bien vivre et bien agir est la même [chose] qu'être heureux. |
[72750] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 4 Deinde cum dicit: de
felicitate autem etc., ostendit in quo differunt opiniones hominum circa
felicitatem. Et dicit quod de felicitate quid sit in speciali alterantur,
idest diversificantur homines. Et hoc triplici differentia. Quarum prima
accipitur secundum quod multitudo popularium non similiter in hoc sentit cum
sapientibus. Nam populares existimant felicitatem esse aliquid eorum quae
sunt in aperto et manifesto, ut sunt illa quae in sensibilibus considerantur,
quae sola manifesta sunt multitudini, et adeo aperta, quod non indigent
expositione reserante, sicut sunt voluptas, divitiae et honor et alia
huiusmodi. Quid autem sapientes super hoc sentiant, ultimo ponet. |
46.- Il montre en quoi diffèrent les opinions des hommes sur le bonheur. Il dit que la diversité et le désaccord existent sur ce qu'est en particulier le bonheur. Là-dessus il y a une triple différence. La première se prend du fait que la multitude des hommes ordinaires pensent autrement que les sages sur cette question. Les hommes du peuple estiment que la félicité est un bien parmi ceux qui sont d'apparence immédiate et manifeste, comme sont les biens que lion considère dans les choses sensibles, lesquels sont les seuls manifestes à la multitude et ainsi à découverts, facilement connus, biens qui n’ont pas besoin d'une exposition pour les dévoiler, comme le sont la volupté, les richesses et l'honneur et les biens de cette sorte. Ce que les sages pensent de ces biens, il le dira en dernier. |
#46.
— Ensuite (1095a20), il montre en quoi diffèrent les opinions des hommes sur
le bonheur. Il dit qu'il y a dispute, c'est-à-dire, diversité, entre les
hommes, concernant ce que le bonheur est précisément. Avec une triple
différence, dont la première se prend selon que la multitude des gens ne le
voit pas de la même manière que les sages. En effet, les gens du peuple
pensent que le bonheur appartient à ce qui est à la vue et manifeste, comme
l'est ce qui est connu parmi les [choses] sensibles, qui seules sont
manifestes à la multitude, et assez à la vue pour ne pas avoir besoin d'une
explication qui le révèle, comme le sont le plaisir, les richesses et
l'honneur, et autres choses de la sorte. Ce que les sages en pensent, il le
présente en dernier [#49]. |
[72751] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 5 Secunda autem differentia
est popularium adinvicem. Quorum alii aliud sensibile bonum aestimant esse
felicitatem, sicut avari divitias, intemperati voluptates, ambitiosi honores. |
47.- La seconde différence se retrouve chez les hommes du, peuple entre eux; les uns et les autres estiment que 11un ou l'autre bien sensible constitue le bonheur. Ainsi les avares croient que le bonheur c'est la richesse, les intempérants, les voluptés, les ambitieux, les honneurs. |
#47. — La seconde différence intervient entre les gens du peuple. Les uns et les autres pensent que le bonheur est un bien sensible différent; ainsi, les avares [croient que ce sont] les richesses, les intempérants les plaisirs, les ambitieux les honneurs. |
[72752] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 4 n. 6 Tertia autem differentia est eiusdem ad
seipsum. Est enim conditio ultimi finis, ut sit maxime desideratum. Unde
illud quod maxime desiderat homo aestimat esse felicitatem, indigentia autem
alicuius boni auget eius desiderium. Unde
aeger, qui indiget sanitate, iudicat ipsam summum bonum. Et pari ratione
mendicus divitias. Et similiter illi, qui recognoscunt suam ignorantiam,
admirantur quasi felices eos qui possunt dicere aliquid magnum, et quod eorum
intellectum excedat. Et omnia ista pertinent ad opiniones multitudinis. |
48.- La troisième différence se situe dans l'homme du peuple par rapport à lui-même. La condition de la fin ultime en effet, est d'être la plus désirée. Et donc ce qui est le plus désiré, le peuple le croit être le bonheur. Mais l'indigence d'un certain bien augmente son désir. C’est pourquoi le malade, qui a besoin de la santé, juge que cette santé est le bien le plus grand. Et pour la même raison l'indigent posera un jugement identique sur les richesses. Et pareillement ceux qui reconnaissent leur ignorance admirent comme étant heureux ceux qui peuvent exprimer de grandes choses et qui peuvent parler de ce qui dépasse leur compréhension. Tout cela relève donc de l'opinion de la foule. |
#48. — La troisième différence, elle, intervient entre soi et soi-même. C'est, en effet, une condition de la fin ultime, qu'elle soit ce que l'on désire le plus. Aussi, ce que l'on désire le plus, on pense que c'est cela le bonheur. Or le besoin d'un bien en augmente le désir. Aussi, le malade, qui a besoin de la santé, la juge le plus grand bien. Pour pareille raison, le mendiant [juge que de sont] les richesses. Pareillement, ceux qui reconnaissent leur ignorance admirent comme heureux ceux qui peuvent dire quelque chose de grand, et qui dépasse leur intelligence. Tout cela appartient aux opinions de la multitude. |
[72753] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 7 Sed quidam sapientes,
scilicet Platonici, praeter haec diversa bona sensibilia, aestimaverunt esse
unum bonum quod est secundum seipsum, idest quod est ipsa essentia
bonitatis separata, sicut et formam separatam hominis dicebant per se
hominem, et quod omnibus bonis est causa quod sint bona, inquantum scilicet
participant illud summum bonum. |
49.- Mais certains sages, à savoir les Platoniciens, en plus de ces divers biens sensibles ont cru qu'il existait un bien, qui est bien en soi, c'est-à-dire qui est l'essence elle-même séparée de la bonté; comme ils appelaient la forme séparée de l'homme l’homme par soi, ainsi nommaient-ils le bien séparé le bien par soi, qui est pour tous les biens la cause qu'ils soient biens, à savoir en tant qu'ils participent de ce bien suprême. |
#49. — Mais certains sages, à savoir, les Platoniciens, en dehors de ces différents biens sensibles, ont pensé qu'il y a un bien qui l'est en lui-même, c'est-à-dire, qui est l'essence même de la bonté séparée. De même, en effet, qu'ils appelaient homme par soi la forme séparée de l'homme, de même [ils appellent] bien par soi le bien séparé qui est cause, pour tous les biens, qu'ils soient des biens, en tant, à savoir, qu'ils participent de ce bien le plus grand. |
[72754] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 8 Deinde cum dicit: omnes
quidem igitur etc., ostendit qualiter oporteat inquirere de praedictis
opinionibus. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit de quibus harum
opinionum oportet inquirere. Secundo quo ordine, ibi, non lateat autem nos et
cetera. Tertio qualiter oporteat auditorem dispositum esse, ad hoc quod bene
capiat ea quae dicentur, ibi, propter quod oportet consuetudinibus et cetera.
Dicit ergo primo, quod perscrutari omnes opiniones quas aliqui habent de
felicitate esset aliquid magis vanum, quam deceat philosophum; quia quaedam
sunt omnino irrationabiles, sed sufficit illas opiniones maxime perscrutari,
quae in superficie habent aliquam rationem, vel propter apparentiam aliquam,
vel saltem propter opinionem multorum hoc existimantium. |
50.- A ce moment-ci, Aristote montre comment il faut s'enquérir des opinions citées précédemment. Là-dessus il fait trois réflexions. La première montre sur lesquelles opinions parmi celles citées il faut s'arrêter, La seconde montre l'ordre à suivre dans cette enquête. La troisième montre comme l'auditeur doit être disposé pour bien comprendre ce qui sera dit. Il dit donc en premier que scruter toutes les opinions que certains possèdent sur la félicité serait une démarche trop vaine pour convenir au philosophe, parce que certaines opinions sont tout à fait irraisonnables. Il suffit donc de scruter attentivement celles qui superficiellement comportent une certaine raison, ou à cause de l'apparente vérité de cette opinion, ou à cause du grand nombre de ceux qui la partagent. |
#50. — Ensuite (1095a28), il montre de quelle manière il faut enquêter sur les opinions précédentes. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre sur lesquelles de ces opinions il faut enquêter. En second (1095a30), dans quel ordre. En troisième (1095b4), de quelle manière il faut que l'auditeur soit disposé, pour qu'il reçoive bien ce qu'il y a à dire. Il dit donc, en premier, que scruter à fond toutes les opinions que d'aucuns ont sur le bonheur serait plus vain qu'il ne convient à un philosophe, car certaines sont tout à fait irrationnelles. Mais il suffit de scruter surtout les opinions qui détiennent en surface quelque raison, soit en raison de quelque apparence, soit au moins du fait que beaucoup les pensent. |
[72755] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 9 Deinde cum dicit: non lateat autem nos etc., ostendit quo
ordine ratiocinandum sit de huiusmodi opinionibus, et simpliciter in tota
materia morali. Et assignat differentiam in processu ratiocinandi. Quia
quaedam rationes sunt, quae procedunt a principiis, id est a causis in
effectus: sicut demonstrationes propter quid. Quaedam autem e converso ab
effectibus ad causas sive principia, quae non demonstrant propter quid, sed
solum quia ita est. Et hoc etiam Plato prius distinxit, inquirens utrum oporteat procedere
a principiis vel ad principia. Et ponit
exemplum de cursu stadiorum. Erant enim quidam athlothetae, idest
propositi athletis currentibus in stadio, qui quidem athlothetae stabant in
principio stadiorum. Quandoque igitur athletae incipiebant currere ab
athlothetis et procedebant usque ad terminum, quandoque autem e converso. Et
sic etiam est duplex ordo in processu rationis, ut dictum est. |
51.- Il montre selon quel ordre il faut raisonner sur les opinions de cette sorte puis, de façon absolue, comment il faut procéder dans toute la matière morale. Et il assigne la différence dans le processus de raisonnement. Il y a certaines raisons en effet qui partent des principes, c’est-à-dire qui vont des causes aux effets: comme dans les démonstrations propter quid; il y a d’autres raisons, au contraire, qui vont des effets aux causes ou principes, lesquelles raisons ne démontrent pas le propter quid, mais uniquement le quia. Et cela même Platon l'a distingué antérieurement, recherchant s’il faut procéder des principes ou vers les principes. Et il pose l'exemple de la course dans les stades. Il y avait certains préposés aux athlètes qui couraient dans le stade et ces préposés se tenaient au début du stade. Et alors les athlètes commençaient quelquefois leur course à partir des préposés et d'autres fois, du côté opposé. De la même manière, il y a un ordre double dans le processus rationnel. |
#51. — Ensuite (1095a30), il montre dans quel ordre on doit raisonner sur les opinions de la sorte, et de manière absolue en toute matière morale. Il assigne la différence dans le processus de raisonner. Il y a des raisonnements qui procèdent de principes, c'est-à-dire, de causes à des effets, comme les démonstrations pourquoi. Il y en a d'autres, par ailleurs, [qui procèdent] à l'inverse, des effets aux causes ou principes, lesquels ne démontrent pas pourquoi, mais seulement que. Cela, Platon aussi l'a auparavant distingué, cherchant s'il faut procéder des principes ou aux principes. Il présente l'exemple de la course dans les stades. Il y avait, en effet, des athlètes, c'est-à-dire, des préposés aux athlètes qui courraient dans le stade. Ces athlothètes se tenaient au début des stades. Tantôt, donc, les athlètes commençaient à courir à partir des athlothètes et allaient jusqu'au bout, tantôt, par ailleurs, à l'inverse. Et ainsi aussi, il y a double ordre dans le processus de la raison, comme on l'a dit [#51]. |
[72756] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4
n. 10 Et ut accipiatur quo
ordine oporteat procedere in qualibet materia, considerandum est quod semper
oportet incipere a magis cognitis, quia per notiora devenimus ad ignota. Sunt
autem aliqua notiora dupliciter. Quaedam quidem quoad nos, sicut composita et
sensibilia, quaedam simpliciter et quoad naturam, scilicet simplicia et
intelligibilia. Et quia nobis ratiocinando notitiam acquirimus, oportet quod
procedamus ab his quae sunt magis nota nobis; et si quidem eadem sint nobis
magis nota et simpliciter, tunc ratio procedit a principiis, sicut in
mathematicis. Si autem sint alia magis nota simpliciter et alia quoad nos,
tunc oportet e converso procedere, sicut in naturalibus et moralibus. |
52.- Pour savoir selon quel ordre il faut procéder dans les différentes matières il faut considérer qu'il faut commencer par ce qui est plus connu, parce que nous procédons du plus connu à l'inconnu. Mais le plus connu est double. Certaines choses sont plus connues quant à nous, comme les composés et les sensibles, d’autres sont plus connues absolument et quant à la nature, à savoir les choses simples, et les intelligibles. Et parce que nous, en raisonnant, nous acquérons la connaissance, il faut que nous procédions de ce qui est plus connu pour nous; et si ce sont les mêmes choses qui sont plus connues et pour nous et de façon absolue, alors la raison procède des principes, comme c'est le cas dans les mathématiques. Si les choses, plus connues absolument sont autres que celles qui le sont pour nous, alors il faut procéder dans le sens inverse comme dans les choses naturelles et morales. |
#52. — Pour comprendre dans quel ordre il faut procéder, en n'importe quelle matière, on doit considérer qu'il faut commencer au plus connu, parce que l'on parvient à l'inconnu par le plus 11 connu. Mais on est plus connu de deux manières. Certaines [choses], certes, [le sont] quant à nous, comme le composé et le sensible. Et certaines [choses le sont] de manière absolue et quant à la nature, à savoir, le simple et l'intelligible. Et comme nous acquérons connaissance en usant de raison, il faut que nous procédions de ce qui est plus connu de nous; et si, bien sûr, c'est la même [chose] qui est plus connue de nous et de manière absolue, alors, la raison procède des principes, comme en mathématiques. Si, cependant, autre chose est plus connu de manière absolue, et autre chose quant à nous, il faut alors procéder à l'inverse, comme en [matière] naturelle et morale. |
[72757] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 11 Deinde cum dicit propter quod oportet etc., ostendit
qualiter oportet esse dispositum talium auditorem. Et dicit, quod quia in
moralibus oportet incipere ab his quae sunt magis nota quoad nos, id est a
quibusdam effectibus consideratis circa actus humanos, oportet illum, qui
sufficiens auditor vult esse moralis scientiae quod sit bene manuductus et
exercitatus in consuetudinibus humanae vitae, idest de bonis exterioribus et
iustis, idest de operibus virtutum, et universaliter de omnibus
civilibus, sicut sunt leges et ordines politiarum et si qua alia sunt
huiusmodi. Quia oportet in moralibus accipere, ut principium, quia ita est.
Quod quidem accipitur per experientiam et consuetudinem; puta quod
concupiscentiae per abstinentiam superantur.
|
53.- Il montre comment doit être disposé l'auditeur des leçons morales. Il dit que, parce que dans les choses morales il faut commencer par celles qui sont plus connues, par rapport à nous, c’est-à-dire à partir de certains effets considérés sur les actes humains, il faut que celui qui veut être un auditeur réceptif de la science morale ait une certaine expérience et soit entrainé dans les coutumes de la vie humaine, c'est-à-dire soit au fait des biens extérieurs et des choses justes, des œuvres de vertu, et universellement des choses civiles, comme sont les lois des cités 'et les relations entre les gouvernements et des autres institutions de la sorte. Parce qu’il faut prendre comme principe dans les choses morales: quia ita est, le parce qu'il en est ainsi (le fait). Ce qui est connu par l'expérience et la coutume: par exemple, que les concupiscences sont dominées par l'abstinence. |
#53. — Ensuite (1095b4), il montre de quelle manière il faut que l'auditeur de telles [choses] soit disposé. Il dit que, parce qu'en [matière] morale, il faut commencer de ce qui est plus connu quant à nous, c'est-à-dire, de certains effets connus concernant les actions humaines, il faut que celui qui veut être un auditeur suffisant de la science morale, soit conduit par la main et exercé dans les coutumes de la vie humaine, c'est-à-dire, concernant les biens extérieurs et les [choses] justes, c’est-à-dire, concernant les œuvres des vertus, et, universellement, concernant toutes les [choses] civiles, comme sont les lois et les ordres des constitutions3, et toutes autres choses de la sorte. Parce qu'il faut prendre comme principe, en [matière] morale, qu'il en est ainsi. Et cela, certes, se reçoit par expérience et coutume; par exemple, que l'on surmonte les désirs par l'abstinence. |
[72758] Sententia Ethic., lib. 1 l. 4 n. 12 Et si hoc sit manifestum alicui, non multum necessarium
est ei ad operandum cognoscere propter quid, sicut et medico sufficit ad
sanandum scire quod haec herba curat talem aegritudinem. Cognoscere autem
propter quid requiritur ad sciendum, quod principaliter intenditur in
scientiis speculativis. Talis autem, qui scilicet est expertus in
rebus humanis, vel per seipsum habet principia operabilium, quasi per se ea
considerans, vel de facili suscipit ea ab alio. Ille vero cui neutrum horum
convenit, audiat sententiam Hesiodi poetae qui dixit quod iste est optimus
qui scilicet potest per seipsum intelligere. Et ille etiam est bonus qui bene
recipit quae ab alio dicuntur. Ille autem, qui neque per seipsum potest
intelligere, neque alium audiens potest in animo reponere, est inutilis,
quantum scilicet ad acquisitionem scientiae.
|
54.- Et si cela est manifeste à quelqu'un, il ne lui est guère nécessaire pour opérer de connaître le propter quid. Comme il suffit au médecin pour guérir de savoir que ces herbes guérissent telle maladie. Connaître en effet le "propter quid" est requis au "savoir", qui est ce qui est voulu principalement dans les sciences spéculatives. Celui qui est tel, à savoir qui est expérimenté dans les choses humaines, ou bien possède par lui-même les principes des choses opérables, les considérant pour ainsi dire par lui-même, ou bien peut recevoir facilement d'un autre les principes en question. Celui qui n'est ni expérimenté ni disciplinable, qu’il écoute le vers du poète Hésiode. Ce dernier dit que celui-là est le meilleur qui peut comprendre par lui-même; que celui-là est bon, qui reçoit ce qu'un autre lui dit, mais celui qui ne peut comprendre ni par lui-même ni ramasser dans son âme quand il écoute un autre, est inutile quant à l'acquisition de la science. |
#54. — Si cela est manifeste à quelqu'un, il ne lui est pas bien nécessaire pour agir de savoir pourquoi. De même, au médecin, il suffit, pour guérir, de savoir que cette herbe guérit telle maladie. Savoir aussi pourquoi est requis pour savoir de science, ce que l'on recherche principalement, dans les sciences spéculatives. Mais celui qui est un expert dans les choses humaines, ou bien a par lui-même les principes des actions à faire, comme en les considérant par soi, ou bien les reçoit facilement de quelqu'un d'autre. Mais celui à qui ni l'un ni l'autre de ces [principes] ne convient, qu'il écoute la parole d'Hésiode le poète. Celui-ci a dit que celui-là est le meilleur, qui peut comprendre par lui-même. Que celui-là aussi est bon, qui reçoit ce qui est dit par un autre. Mais celui-là qui ni ne peut comprendre par lui-même, ni ne peut trouver repos pour son âme en entendant un autre, reste inutile pour ce qui est de l'acquisition de la science. |
|
|
|
Lectio
5 |
Leçon 5 : [Le bonheur est-il dans la vertu ?] |
|
|
PARMI LES DIVERSES OPINIONS SUR LE BONHEUR, IL RECHERCHE CELLE QUI EST LA PLUS VRAIE; IL REJETTE L’OPINION DE L’HOMME COMMUN ET DISCUTE SI LA FELICITE CONSISTE DANS LA VERTU |
|
[72759] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 1 Nos autem dicamus unde
discessimus et cetera. Postquam philosophus recitavit opiniones aliorum
diversas de felicitate, hic inquirit veritatem de praedictis opinionibus. Et
primo inquirit de opinione loquentium de felicitate moraliter, qui scilicet
ponebant in aliquo bonorum huius vitae felicitatem. Secundo inquirit de
opinione loquentium de felicitate non moraliter, ponentium scilicet
felicitatem in quodam bono separato, ibi, quod autem universale et cetera.
Circa primum duo facit: primo proponit id quod est commune omnibus huiusmodi
opinionibus; secundo inquirit de diversitate opinionum. Quia ergo videbatur
philosophus digressionem fecisse a principali proposito, dum modum procedendi
determinavit, redit ad principale propositum, unde discesserat, id est ad
opiniones de felicitate. Et dicit, quod non irrationabiliter aliqui videntur
existimare quod finale bonum quod felicitas dicitur sit aliquid ex his quae
pertinent ad hanc vitam, scilicet humanam. Est enim finis omnium operum
vitae. Ea vero quae sunt ad finem proportionantur fini; unde probabile est
quod felicitas sit aliquid de numero bonorum pertinentium ad hanc vitam. Sed
de hoc infra dicetur quid verum sit. |
55.- Après avoir exposé les diverses opinions sur le bonheur, le Philosophe s'enquiert ici de la vérité des dites opinions. Et il s'enquiert tout d'abord de l'opini6n de ceux qui ont parlé du bonheur "en moraliste" à savoir de ceux qui posaient la félicité dans un des biens de cette vie. En second, il s'enquiert de l'opinion de ceux qui n'ont pas parlé du bonheur en moraliste, posant ce bonheur dans quelque bien séparé. Par rapport aux premiers, il faut une double besogne. En premier, il établit ce qu'il y a de commun à toutes les opinions de cette sorte. En second, il s'enquiert de la diversité des opinions. Donc, parce que le Philosophe semblait avoir dévié de son intention principale, alors qu'il a déterminé le mode de procéder, il revient à son propos principal dont il s'était écarté, c'est-à-dire aux opinions sur la félicité. Et il dit que l’opinion de ceux qui semblaient estimer que le bien final, qu'on appelle félicité, est quelque chose parmi les biens qui appartiennent à cette vie humaine n'était pas irraisonnable car il s'agit de la fin de toutes les œuvres de cette vie. Ce qui est ordonné à une fin est proportionné à cette fin. Il est donc probable que la félicité soit du nombre des biens appartenant à cette vie. Mais on dira plus loin ce qu’il y a de vrai là-dessus. |
#55. — Après avoir énuméré différentes opinions sur le bonheur, le Philosophe cherche ici la vérité sur les opinions qui précèdent. En premier, il examine l'opinion de ceux qui ont parlé de manière morale du bonheur, du fait de mettre le bonheur dans l'un des biens de cette vie. En second (1096a11), il examine l'opinion de ceux qui ont parlé du bonheur de manière non morale, en [le] mettant dans un bien séparé. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente ce qui est commun à toutes les opinions de cette sorte. En second (1095b16), il examine les divergences entre les opinions. Le Philosophe a évidemment fait une digression de son propos principal, le temps qu'il a traité du mode de procéder. Il revient donc à ce propos principal dont il s'était écarté, c'est-à-dire aux opinions sur le bonheur. Il dit que, non sans raison, on est porté à penser que le bien final, qu'on appelle bonheur, est quelque chose de ce qui appartient à cette vie, à cette vie humaine. Il est, en effet, la fin de toutes les œuvres de la vie; or ce qui est en vue d'une fin est proportionné à cette fin; aussi est-il probable que le bonheur soit du nombre des biens qui appartiennent à cette vie. Mais il sera dit plus loin (#60; 64-65; 67-68; 70-72) ce qu'il y a de vrai en cela. |
[72760] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 2 Deinde cum dicit: multi quidem et gravissimi etc.,
inquirit veritatem circa ea in quibus diversificantur. Et circa hoc duo
facit. Primo inquirit de opinionibus, quae magis videntur accedere ad
veritatem. In secunda de opinione recedente magis a veritate, ibi, pecuniosus
autem violentus quis et cetera. Circa primum tria facit. Primo inquirit de
opinione ponente felicitatem in his quae pertinent ad vitam voluptuosam; in
secunda de opinionibus ponentium felicitatem in his quae pertinent ad vitam
civilem, ibi, qui autem excellentes et operativi et cetera. In tertia facit
mentionem de vita contemplativa, ibi, tertia autem est et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit opinionem. Secundo ex incidenti distinguit
vitas, ibi, tres enim sunt et cetera. Tertio inquirit de veritate propositae
opinionis, ibi: multi quidem igitur et cetera.
|
56.- Il recherche la vérité sur les points où il y a désaccord. Là-dessus, il fait deux choses. En premier, il s'enquiert des opinions qui semblent se rapprocher davantage de la vérité. En second, il s'enquiert de celle qui s'éloigne le plus de la vérité. A propos des opinions plus voisines de la vérité, il fait une triple réflexion. La première s’enquiert de l'opinion qui pose la félicité dans les choses qui appartiennent à la vie de volupté; la seconde s'interroge sur celle qui place la félicité dans les choses qui appartiennent à la vie civile. Dans la troisième réflexion, il fait mention de la vie contemplative. A propos de celle qui situe le bonheur dans la vie des plaisirs sensibles, voici ce qu'il fait. Premièrement, il expose l'opinion; en second, à partir d'une incidence, il distingue les vies; en troisième, il s'interroge sur la vérité de l'opinion proposée. |
#56. — Ensuite (1095b16), il cherche la vérité présente dans leurs divergences. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il examine les opinions qui, manifestement, s'approchent davantage de la vérité. Dans la seconde [considération] (1096a5), [il examine] une opinion qui s'éloigne davantage de la vérité[3]. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il examine l'opinion qui met le bonheur dans ce qui appartient à la vie de jouissance. En second (1095b22), l'opinion qui met le bonheur dans ce qui appartient à la vie civile. Dans la troisième [considération] (1096a4), il fait mention de la vie contemplative. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose l'opinion. En second (1095b17), il distingue, en passant, les [styles de] vies. En troisième (1095b19), il cherche la vérité en rapport à l'opinion proposée. |
[72761]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 3 Dicit ergo primo, quod inter
bona huius vitae, quidam eligunt voluptatem, in ea felicitatem ponentes. Et hi quidem sunt non solum multi, idest
populares homines, qui fere omnes ad voluptates declinant; sed etiam quidam
qui sunt gravissimi, vel propter auctoritatem scientiae et doctrinae, vel
etiam propter vitae honestatem. Nam etiam Epicuri, qui voluptatem summum
bonum aestimabant, diligenter colebant virtutes, sed tamen propter
voluptatem, ne scilicet per contraria vitia eorum voluptas impediretur. Gula
enim per immoderantiam cibi corporis dolores generat, propter furtum aliquis
carceri mancipatur. Et ita diversa vitia diversimode voluptatem impediunt. Et
quia ultimus finis est maxime diligibilis, ideo illi qui ponunt voluptatem
summum bonum, maxime diligunt vitam voluptuosam. |
57.- Il dit donc en premier que, parmi les biens de cette vie, certains choisissent la volupté, posant en elle le bonheur. Et cette opinion est répandue non seulement dans la multitude, qui presque toute se tourne vers la volupté, mais se retrouve aussi chez des hommes très sérieux, soit à cause de l'autorité de leur science ou de leur doctrine, soit à cause de l'honnêteté de leur vie. Car même les Epicuriens qui estimaient que la volupté était le bien suprême, cultivaient diligemment les vertus. Cependant ils pratiquaient les vertus en vue de la volupté, à savoir pour que la volupté ne soit pas empêchée par les vices contraires. La gourmandise, en effet, engendre les douleurs du corps par l'excès de nourriture. A cause du vol, on est enfermé en prison. Et ainsi divers vices empêchent la volupté de diverses manières. Et parce que la fin ultime est la plus aimable, ceux qui font de la volupté le bien suprême, aiment à son haut point la vie voluptueuse. |
#57. — Il dit donc, en premier, que, parmi les biens de cette vie, des gens optent pour la jouissance, mettant le bonheur en elle. Ce n'est d'ailleurs pas seulement le fait de la plupart, c'est-à-dire des gens du peuple, qui presque tous se laissent aller aux voluptés; c'est même aussi le fait de gens très sérieux, soit par l'autorité de leur science et de leur enseignement, soit par l'honnêteté de leur vie. En effet, même les Épicuriens, qui estimaient la jouissance comme le bien le plus élevé, cultivaient avec soin les vertus. C'était cependant à cause de la jouissance, de peur que des vices contraires ne mettent obstacle à leur jouissance. La gourmandise, en effet, par l'excès de nourriture, engendre des douleurs du corps. À cause du vol, on est mis en prison. Et ainsi, divers vices nuisent de diverses manières à la jouissance. Bref, la fin ultime est la plus aimable; c'est pourquoi ceux qui mettent la jouissance comme le bien le plus élevé, aiment le plus la vie de jouissance. |
[72762] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 4 Deinde cum dicit: tres
enim sunt maxime etc., distinguit triplicem vitam: scilicet voluptuosam quae
nunc dicta est, et civilem et contemplativam, et has dicit esse maxime
excellentes. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut infra in IX
dicetur, unusquisque id ad quod maxime afficitur reputat vitam suam, sicut
philosophus philosophari, venator venari, et sic de aliis. Et quia homo
maxime afficitur ad ultimum finem, necesse est, quod vitae diversificentur
secundum diversitatem ultimi finis. Finis autem habet rationem boni. Bonum
autem in tria dividitur, scilicet in utile, delectabile et honestum. Quorum
duo, scilicet delectabile et honestum, habent rationem finis, quia utrumque
est appetibile propter seipsum. Honestum autem dicitur, quod est bonum
secundum rationem, quod quidem habet aliquam delectationem annexam. Unde
delectabile, quod contra honestum dividitur, est delectabile secundum sensum.
Ratio autem est et speculativa et practica. |
58.- Il distingue une triple vie: la vie de volupté que l'on vient de nommer, la vie civile et la vie contemplative" Et il dit qu’elles sont les plus excellentes.· Pour faire l'évidence là-dessus, il faut savoir que, comme on le dira au neuvième livre, chacun caractérise ou définit sa vie par rapport à ce à quoi il est le plus engagé, comme le philosophe croit que sa vie est philosopher, le chasseur compte que sa vie c'est chasser et ainsi pour les autres. Et parce que l'homme est extrêmement concerné par la fin ultime, il est nécessaire que les vies se diversifient d'après la diversité de la fin ultime. La fin a raison de bien. Le bien se divise en trois: le bien utile, délectable et honnête. Parmi ces biens, deux, le bien délectable et honnête, ont raison de fin parce que tous deux sont désirables pour eux-mêmes. Le bien est dit honnête, en effet, qui est bien selon la raison, lequel, en vérité, possède une délectation qui lui est liée ou conjointe. C'est pourquoi le délectable qui se divise par opposition à l’honnête, est le délectable selon le sens. La raison cependant est et spéculative et pratique. |
#58. — Ensuite (1096a4), il distingue trois styles de vies: [la vie] de jouissance, dont on parle maintenant, la civile et la contemplative. Ce sont ces dernières qu'il déclare les plus excellentes. Pour l'évidence de quoi il faut savoir que, comme il sera dit plus loin (#1944-1949), au neuvième livre, chacun consacre sa vie à ce qu'il affectionne le plus, comme le philosophe à philosopher, le chasseur à chasser, et ainsi des autres. Or c'est sa fin ultime qu'on affectionne le plus; il est donc nécessaire que les vies prennent leurs différences d'après la diversité de la fin ultime. La fin, par ailleurs, a raison de bien. Le bien, quant à lui, se divise en trois: en l'utile, le plaisant et l'honorable4. Deux d'entre eux, à savoir le plaisant et l'honorable, ont raison de fin, parce que l'un et l'autre est désirable pour lui-même. On appelle honorable ce qui est un bien en rapport à la raison; cela comporte bien sûr du plaisir d'annexé. Aussi, le plaisant, dans la mesure de sa division d'avec l'honorable, est le plaisant en rapport au sens. La raison, par ailleurs, est à la fois spéculative et pratique. |
[72763] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 5 Vita igitur voluptuosa dicitur quae finem constituit in
voluptate sensus, vita vero civilis dicitur, quae finem constituit in bono
practicae rationis, puta in exercitio virtuosorum operum. Vita autem
contemplativa, quae constituit finem in bono rationis speculativae, scilicet
in contemplatione veritatis. |
59.- Et donc on appelle la vie voluptueuse, celle qui place sa fin dans la volupté sensible. La vie civile est dite celle qui constitue sa fin dans le bien de la raison pratique, par exemple dans l'exercice des œuvres vertueuses. La vie contemplative est celle qui place sa fin dans le bien de la raison spéculative, ou dans la contemplation de la vérité. |
#59. — On appelle donc de jouissance la vie qui a placé sa fin dans la jouissance sensible. On appelle ensuite civile la vie qui a placé sa fin dans le bien pratique de la raison, par exemple, dans l'exercice des œuvres vertueuses. Et enfin contemplative la vie qui a placé sa fin dans le bien de la raison spéculative, soit dans la contemplation de la vérité. |
[72764] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 6 Deinde cum dicit: multi
quidem igitur etc., inquirit de praedicta opinione. Et circa hoc duo facit. Primo
improbat eam. Secundo inducit rationem inducentem ad ipsam, ibi, adipiscuntur
autem et cetera. Circa primum considerandum est, quod vita voluptuosa, quae
ponit finem circa delectationem sensus, necesse habet ponere finem circa
maximas delectationes, quae sequuntur naturales operationes, quibus scilicet
natura conservatur secundum individuum per cibum et potum et secundum speciem
per commixtionem sexuum. Huiusmodi autem delectationes sunt communes
hominibus et bestiis: unde multitudo hominum ponentium finem in huiusmodi voluptatibus
videntur esse omnino bestiales, quasi eligentes talem vitam quasi optimam
vitam in qua pecudes nobiscum communicant. Si
enim in hoc felicitas hominis consisteret, pari ratione bestiae felices
essent fruentes delectatione cibi et coitus. Si igitur felicitas est proprium
bonum hominis, impossibile est quod in his consistat felicitas. |
60.- Il s'interroge sur l'opinion citée plus haut. Ce qu'il fait en deux temps. En premier, il la désapprouve, en second, il donne la raison qui conduit à cette opinion. A propos du rejet de l'opinion, il faut considérer que la vie voluptueuse qui situe la fin dans la délectation du sens doit nécessairement poser cette fin dans les délectations les plus grandes, qui sont consécutives aux opérations naturelles: à savoir les opérations par lesquelles la nature se conserve selon l'individu par la nourriture et la boisson et selon l'espèce par l'union des sexes. Or les délectations de cette sorte sont communes aux hommes et aux bêtes: c'est pourquoi la multitude des hommes qui posent la fin dans les voluptés de cette sorte semblent tout à fait bestiaux, quasi choisissant cette sorte de vie commune aux bêtes et aux hommes. Si en effet le bonheur de l'homme consistait en cela, pour la même raison les bêtes seraient heureuses en jouissant de la délectation de la nourriture et du coït. Si donc la félicité est le bien propre de l'homme, il est impossible qui elle consiste dans ces voluptés. |
#60. — Ensuite (1095b19), il examine l'opinion qui précède. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il l'infirme. En second (1095b21), il donne une raison qui y conduit. Sur le premier [point], il faut prendre en compte que la vie de jouissance, qui détermine sa fin en regard du plaisir sensible, doit nécessairement déterminer sa fin d'après les plaisirs les plus grands, ceux qui suivent les opérations naturelles, grâce auxquelles la nature est conservée, individuellement par la nourriture et la boisson, et en espèce par la rencontre des sexes. Or les plaisirs de cette sorte sont communs aux hommes et aux bêtes: aussi, la multitude des hommes qui mettent leur fin dans des jouissances de la sorte sont manifestement tout à fait bestiaux, dans la mesure où ils optent pour une vie pareille, que les brutes ont en commun avec nous. Car, pour la même raison, si le bonheur de l'homme consistait en cela, les bêtes seraient heureuses, en jouissant du plaisir de la nourriture et du coït. Si donc le bonheur est le bien propre de l'homme, il est impossible qu'il consiste en ces [jouissances]. |
[72765] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 7 Deinde cum dicit adipiscuntur autem etc., ponit
rationem inducentem ad hanc opinionem. Et dicit, quod illi qui ponunt hanc
opinionem, accipiunt pro ratione quod multi illorum qui sunt in maximis
potestatibus constituti, sicut reges et principes, qui felicissimi apud
vulgus reputantur, similia patiuntur cuidam regi Assyriorum nomine
Sardanapalo, qui fuit totaliter voluptatibus deditus, et ex hoc reputant
voluptatem esse optimum, utpote quae ab optimatibus maxime diligitur. |
61.- Il pose la raison qui peut mener à une telle opinion. Et il dit que ceux qui soutiennent cette opinion ont comme raison qu'un grand nombre parmi ceux qui possèdent les plus grands pouvoirs, comme les princes et les rois, lesquels sont estimés être très heureux par l'homme du peuple, se comparent, dans ce dont ils jouissent, à un certain roi assyrien du nom de Sardanapale, qui se donna complètement aux voluptés. Et de là ils croient que la volupté est le bien le plus grand entant qui elle est la plus désirée par les grands. |
#61. — Ensuite (1095b21), il donne une raison qui conduit à cette opinion. Il dit que ceux qui posent cette opinion en prennent comme raison que bien des [gens] constitués dans les plus grands[4] pouvoirs, comme les rois et les princes, qui sont réputés pour très heureux par la foule, s'assimilent à un roi des Assyriens, du nom de Sardanapale, qui s'adonna aux jouissances. C'est à cause de cela qu'on pense que la jouissance est ce qu'il y a de mieux, puisqu'elle est ce qu'il y a de plus aimé par les meilleurs. |
[72766] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 8 Deinde cum dicit: qui
autem excellentes etc., inquirit de opinionibus pertinentibus ad vitam
activam sive civilem. Et primo quantum ad honorem. Secundo quantum ad
virtutem, ibi, forsitan autem et magis et cetera. Et hoc rationabiliter. Nam
vita civilis sive activa, intendit bonum honestum. Dicitur autem honestum,
quasi honoris status, unde ad hoc pertinere videtur et ipse honor, et virtus,
quae est honoris causa. Circa primum tria facit. Primo proponit opinionem. Et
dicit quod illi qui sunt excellentes, idest virtuosi et operativi,
idest dediti vitae activae, ponunt felicitatem in honore. |
62.- Puis il s'enquiert de l'opinion de ceux qui posent le bonheur dans la vie active ou civile. Primo, quant à l'honneur; secundo, quant à la vertu. Et cela de façon raisonnable. La civile ou active, en effet, poursuit un bien honnête. On l'appelle honnête parce qu'il est comme un étant d'honneur, et à cela semble appartenir l'honneur lui-même, et la vertu, qui est la cause de l'honneur. Quant à l'honneur, il fait trois choses. D'abord, il pose l’opinion. Et il dit, que ceux qui sont excellents, à savoir les vertueux, ou les dédiés à la vie active, posent la félicité dans l'honneur. |
#62. — Ensuite (1095b22), il examine les opinions qui appartiennent à la vie active ou civile. En premier, quant à l'honneur. En second (1095b30), quant à la vertu. Et cela avec raison. En effet, la vie civile, ou active, se propose le bien honorable. On l'appelle d'ailleurs honorable, au sens de situation d'honneur; aussi, manifestement, à la fois l'honneur lui-même appartient à ce [contexte], et la vertu, qui est la cause de l'honneur. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente l'opinion. Il dit que ceux qui sont excellents, c'est-à-dire vertueux et actifs, c'est-à-dire consacrés à la vie active, mettent le bonheur dans l'honneur. |
[72767] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 9 Secundo ibi: civilis enim
etc., inducit ad hoc rationem. Quia fere totius civilis vitae finis videtur
esse honor, qui redditur bene operantibus in vita civili quasi summum
praemium. Et ideo colentibus civilem vitam probabile videtur felicitatem in
honore consistere. |
63.- Il appuie sont dire d'un bon motif. Presque toute la fin de la vie civile semble être l'honneur, qui est rendue comme récompense à ceux qui opèrent dans la vie civile. Et par conséquent, pour ceux qui s'adonnent à la vie civile, la félicité semble probablement consister dans l'honneur. |
#63. — En second (1095b23), il donne une raison pour cela. C'est que presque toute la fin de la vie civile est manifestement l'honneur, qui est donné en récompense à ceux qui agissent bien dans la vie civile. C'est pourquoi il paraît probable, à ceux qui mènent la vie civile, que le bonheur consiste en l'honneur. |
[72768] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 10 Tertio ibi: videtur autem
magis etc., improbat hanc opinionem duabus rationibus. Quarum primam ponit
dicens, quod ante assignatam veram rationem felicitatis divinamus, id
est coniicimus felicitatem esse quoddam bonum, quod est proprium ipsi felici,
utpote ad ipsum maxime pertinens, et quod difficile ab eo aufertur. Hoc autem
non convenit honori, quia honor magis videtur consistere in actu quodam
honorantis et in eius potestate, quam ipsius etiam qui honoratur. Ergo honor
est quiddam magis extrinsecum et superficiale quam bonum quod quaeritur,
scilicet felicitas. |
64.- Il désapprouve cette opinion pour deux raisons dont voici la première: avant d'assigner la raison de la féliciter, nous avons découvert que la félicité était un certain bien, appartenant proprement à celui qui est heureux, et lui appartenant par excellence de ce fait que l'on ne peut que difficilement la lui soustraire. Or cela ne convient pas à l'honneur, parce que l'honneur semble consister davantage dans l'acte de celui qui honore et dans le pouvoir de ce dernier, plutôt qu'être dans le pouvoir de celui qui est honoré. C'est pourquoi l'honneur est plus extrinsèque et plus superficiel que le bien recherché, à savoir la félicité. |
#64. — En troisième (1095b23), il réprouve cette opinion par deux raisons. Il en donne la première en disant que, devant la définition assignée au bonheur, nous devinons, c'est-à-dire nous conjecturons, que le bonheur est un bien propre à la [personne] heureuse elle-même, en tant que c'est qui lui appartient le plus à elle-même, et qu'il est difficile de le lui enlever. Or cela ne convient pas à l'honneur, parce que l'honneur consiste manifestement plutôt dans un acte de celui qui honore et en son pouvoir que [dans un acte] de celui-là qui est honoré. Donc, l'honneur est quelque chose de plus extrinsèque et superficiel que le bien cherché, à savoir le bonheur. |
[72769] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 11 Secundam rationem ponit
ibi, amplius autem videntur et cetera. Quae talis est. Felicitas est quiddam
optimum quod non quaeritur propter aliud. Sed honore est aliquid melius
propter quod quaeritur. Ad hoc enim homines videntur honorem quaerere ut ipsi
firmam opinionem accipiant de se ipsis quod sint boni et quod ab aliis hoc
credatur, et ideo quaerunt homines honorari a prudentibus, qui sunt recti
iudicii, et apud eos a quibus cognoscuntur, qui melius possunt de eis
iudicare. Et quaerunt honorari de virtute, per quam aliquis est bonus, ut in
secundo dicetur. Et sic virtus est aliquid melius honore propter quam honor
quaeritur. Non ergo in honore consistit felicitas. |
65.- Il pose une seconde raison qui est telle. La félicité est ce qu'il y a de meilleur, qui n'est pas recherché en vue d'un autre. Mais il y a quelque chose de meilleur que l'honneur qui est ce en vue de quoi il est recherche. En effet, les hommes semblent rechercher l'honneur pour confirmer l'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, à savoir qu'ils sont bons et que les autres les croient tels. Et c'est pourquoi ils cherchent à être honorés des prudents qui ont un jugement droit et de ceux qui les connaissent, les uns et les autres pouvant porter un meilleur jugement sur eux. Et ils cherchent à être honorés de la vertu qui rend l'homme bon, comme il sera dit au second livre. Ainsi la vertu est quelque chose de meilleur que l'honneur parce qu'elle est ce en vue de quoi l'honneur est recherché. Donc la félicité ne réside pas dans l'honneur. |
#65. — Il donne sa seconde raison (1095b26), qui va comme suit. Le bonheur est ce qu'il y a de meilleur, et il n'est pas cherché pour autre chose. Pourtant, il y a quelque chose de mieux que l'honneur: cela justement à cause de quoi il est cherché. Manifestement, en effet, on cherche l'honneur pour tenir sur soi-même une opinion ferme, comme quoi on est bon, et pour en avoir le témoignage d'autres. C'est pourquoi on cherche à être honoré par des [gens] prudents, qui ont un jugement droit, et par ceux dont on est connu, qui peuvent mieux nous juger. Et on cherche à être honoré au sujet de sa vertu, par laquelle on est bon, comme il sera dit au second [livre] (#307-308). Ainsi, la vertu est quelque chose de mieux que l'honneur pour lequel l'honneur est cherché. Donc, [le bonheur] ne consiste pas en l'honneur. |
[72770] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 12 Deinde cum dicit:
forsitan autem etc., inquirit de opinione ponentium felicitatem in virtute.
Et circa hoc duo facit. Primo proponit opinionem. Et dicit, quod forsitan
aliquis existimabit magis esse finem civilis vitae virtutem quam honorem,
ratione praedicta. |
66.- Puis il s'enquiert de l'opinion de ceux qui posent la félicité dans la vertu. Ce qu'il fait en deux temps. Il propose d'abord l'opinion. Et il dit que peut-être quelqu'un croira que la fin de la vie civile est davantage la vertu que l'honneur, pour la raison qu'on vient de mentionner. |
#66. — Ensuite (1095b30), il examine l'opinion de ceux qui mettent le bonheur dans la vertu. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente l'opinion. Peut-être, dit-il, estimera-t-on, pour la raison qui précède, que la fin de la vie civile est plutôt la vertu que l'honneur. |
[72771] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 13 Secundo ibi: videtur autem imperfectior etc., improbat
eam duplici ratione. Quarum prima talis est. Felicitas videtur esse quoddam
perfectissimum bonum. Sed virtus non est talis. Invenitur enim quandoque sine
operatione quae est perfectio secunda, ut patet in his qui dormiunt et tamen
habitum virtutis habent, et in his qui habent habitum virtutis et in tota
vita sua non occurrit eis facultas operandi secundum illam virtutem, ut
maxime patet in magnanimitate et magnificentia, quia scilicet aliquis pauper
habet habitum huiusmodi, qui tamen nunquam potest magnifica facere. Non ergo
virtus est idem felicitati. |
67.- Ce qu'il désapprouve pour deux raisons. La première est celle-ci. La félicité semble être un bien très parfait. Mais la vertu n'est pas telle. En effet, on la rencontre parfois sans opération, qui est une perfection, comme on le voit chez ceux qui dorment et qui pourtant possèdent l'habitus de la vertu, et chez ceux qui possèdent la vertu mais qui n'auront jamais l'occasion d'opérer selon cette vertu. Ce qui arrive surtout dans la magnanimité et la magnificence: le pauvre qui a une vertu de ce genre ne peut pas pour autant faire le magnifique. Et ainsi la vertu ne s'identifie pas à la félicité. |
#67. — En second (1095b31), il la réprouve pour une double raison, dont la première va comme suit. Le bonheur est manifestement un bien très parfait. Mais la vertu n'est pas ainsi, car elle se trouve éventuellement sans l'opération qui en fait la perfection, comme il appert chez ceux qui dorment tout en ayant l'habitus de la vertu et chez ceux qui, bien qu'ils aient l'habitus de la vertu, ne rencontrent de toute leur vie aucune occasion d'agir selon cette vertu, comme c'est surtout patent pour la magnanimité et la magnificence: qu'un pauvre ait ce type d'habitus, alors qu'il ne peut jamais faire d'[œuvres] magnifiques. La vertu n'est donc pas la même [chose] que le bonheur. |
[72772] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 14 Secundam rationem ponit
ibi et cum his mala pati et cetera. Quae talis est. Contingit aliquem
habentem habitum virtutis (mala pati) et infortunatum esse. Sed nullus dicet
talem esse felicem, nisi aliquis, qui velit pertinaciter positionem suam
defendere contra rationes manifestas; ergo felicitas non est idem virtuti. Et
hoc dicit ad propositum satis esse. Sed de his sufficienter dictum est in
encycliis, idest in quibusdam circularibus versibus quos de felicitate
composuit. |
68.- Il pose la seconde raison qui est telle. Il arrive que quelqu'un ait l'habitus de la vertu et soit malheureux. Mais personne ne dira qu’un tel infortuné soit heureux, à moins qu'il ne veuille à tout prix défendre son opinion contre des raisons manifestes. Et donc la vertu n'est pas identique au bonheur. Et cela, dit-il, suffit à la proposition. Il a parlé suffisamment de ces choses dans ses "Enkidis", qui sont certains vers qu'il a composés sur la félicité. |
#68. — Il donne ensuite sa seconde raison (1095b33). Et elle va comme suit. Il arrive que, tout en ayant l'habitus de la vertu, on soit aussi malchanceux. Mais personne ne dira alors qu'on est heureux, à moins de vouloir obstinément défendre sa position à l'encontre de raisons manifestes: le bonheur, donc, n'est pas la même [chose] que la vertu. Puis, il dit que cela suffit pour son propos. Mais de ces [choses] il a été dit suffisamment dans ses Lettres, c'est-à-dire dans des circulaires en vers qu'il a composées sur le bonheur. 14 |
[72773] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 15 Deinde cum dicit: tertia
autem etc., facit mentionem de vita contemplativa. Et dicit quod de tertia
vita, scilicet contemplativa, perscrutabitur inferius, scilicet in decimo. |
69.- Il dit un mot en dernier, de la vie contemplative. Et il dit qu'au sujet de cette troisième vie, la vie contemplative, il en traitera plus loin, dans le dixième livre. |
#69. — Ensuite (1096a4), il fait mention de la vie contemplative. Il dit que, pour ce qui est de la troisième vie, à savoir la contemplative, on l'examinera attentivement plus loin, à savoir au dixième [livre] (#2086-2125). |
[72774] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5
n. 16 Deinde cum dicit:
pecuniosus autem etc., inquirit de quadam alia opinione minus rationabili,
quae ponit felicitatem in aliquo, quod habet rationem boni utilis, scilicet
in pecunia. Et hoc repugnat rationi ultimi finis. Nam utile dicitur aliquid
ex hoc, quod ordinatur ad finem. Quia tamen pecunia habet universalem utilitatem
respectu omnium bonorum temporalium, ideo probabilitatem quamdam habet haec
opinio, quae in pecuniis ponit felicitatem. |
70.- Puis il remue une autre opinion, moins raisonnable, celle-là, qui pose la félicité dans ce qui a raison de bien utile, à savoir l'argent. Mais cela répugne à la raison de fin ultime, car l'utile se dit de ce qui est ordonné à une fin. Mais parce que l'argent a une utilité universelle par rapport à tous les biens temporels, cette opinion qui pose la félicité dans l'argent, garde une certaine probabilité. |
#70. — Ensuite (1096a5), il examine une autre opinion, moins raisonnable, qui met le bonheur dans quelque chose qui a raison de bien utile, à savoir dans l'argent. Cela répugne à la raison de fin ultime. En effet, quelque chose est dit utile du fait d'être ordonné à une fin. Comme, cependant, l'argent présente une utilité universelle, en regard de tous les biens temporels, l'opinion qui met le bonheur dans l'argent conserve quelque probabilité. |
[72775] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 17 Improbat autem eam Aristoteles duplici ratione. Quarum
prima talis est. Pecunia per violentiam acquiritur et per violentiam
perditur. Sed hoc non convenit felicitati, quae est finis voluntariarum
operationum, ergo felicitas non consistit in pecuniis. |
71.- Aristote la repousse cependant pour une double raison. Voici la première: on acquiert l'argent par la violence, et on le perd aussi par la violence. Ce qui ne convient pas à la félicité, qui est la fin des actions volontaires; aussi, la félicité ne consiste pas dans l'argent. |
#71. — Aristote, toutefois, la réprouve pour une double raison. La première va comme suit. L'argent peut s'acquérir par violence, et se perdre par violence. Or cela ne convient pas au bonheur, puisqu'il est la fin des activités volontaires; donc le bonheur ne consiste pas dans l'argent. |
[72776] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 18 Secundam rationem ponit ibi et divitiae non sunt et
cetera. Quae talis est. Nos quaerimus felicitatem tamquam aliquod bonum quod
non quaeritur propter aliud. Sed pecunia quaeritur propter aliud, quia habet
rationem boni utilis, ut dictum est. Ergo in ipsa non consistit felicitas. |
72.- Voici sa seconde raison: nous cherchons la félicité qui est un certain bien qui n'est pas recherché en vue d'un autre. Mais l'argent est recherché en vue d'un autre, car il est un bien utile, comme on l'a montré. Et donc, la félicité ne consiste pas dans l'argent. |
#72. — Il donne sa seconde raison ensuite (1096a6). Et elle va comme suit. Nous cherchons le bonheur comme un bien qui ne soit pas recherché pour autre chose. Or on cherche l'argent pour autre chose, puisque, comme il a été dit (#70), il a raison de bien utile. Donc, le bonheur ne consiste pas en lui. |
[72777] Sententia Ethic., lib. 1 l. 5 n. 19 Concludit autem ulterius quod illa quae supra dicta
sunt, scilicet voluptas, honor et virtus, possunt existimari ultimi fines:
quia propter se requiruntur, ut dictum est, et tamen neque etiam illa sunt
ultimus finis ut ostensum est, quamvis a diversis sint multi sermones
compositi, ad asserendum felicitatem in praedictis bonis consistere. Sed
istae opiniones sunt de cetero relinquendae.
|
73.- Il conclut donc que tous les biens ci-haut mentionnés: la volupté, l'honneur, et la vertu peuvent être regardés comme fins ultimes: ils sont recherchés à cause d'eux-mêmes. La fin ultime ne réside pas pour autant en eux, comme on l'a montré, bien qu'une multitude d'écrits veut démontrer que la félicité consiste dans ces biens. Mais on doit ici délaisser ces opinions. |
#73. — Il est ensuite conclu qu'on peut considérer les [biens] qui viennent d'être énumérés (57-72), à savoir, la jouissance, l'honneur et la vertu, comme des fins ultimes, du fait qu'ils sont recherchés pour eux-mêmes, comme il a été dit (#57, 61, 63, 70). Cependant, ce n'est pas en eux que se trouve la fin ultime, comme il a été montré (#57-72), même si plusieurs ont composé bien des discours pour prétendre que le bonheur consiste dans les biens qui précèdent. Mais on doit maintenant abandonner ces opinions. |
|
|
|
|
Texte d’Aristote : Les opinions spécieuses : l’idée du bien |
|
|
Ces biens-là, nous pouvons donc les laisser de côté : mais le bien universel, lui, mérite qu’on lui consacre un examen approfondi et qu'on développe à fond les questions qui se posent dès lors qu'on se demande ce que veut dire ce mot de "bien". Aussi vaut-il ne pas reculer devant une pareille recherche, malgré tout ce qu'elle peut avoir pour nous de délicat, puisque sont nos amis ceux qui ont inventé les idées. Mais tout le monde le reconnaîtra sans doute: il vaut mieux, et même il faut, lorsque c'est la vérité qu'il s’agit de sauver, détruire jusqu'à ce qui nous tient le plus à cœur, surtout lorsqu'on est philosophe, c’est-à-dire ami du savoir: c'est entre deux amis qu'on a alors à choisir, et, de ces deux amis, c'est un devoir sacré de préférer la vérité. I- L’idée de bien n’existe pas 1) Il n’y a pas d’idée de tous les biens Donc, ceux qui ont lancé cette doctrine ne fabriquaient pas d’idées pour les choses dont ils reconnaissaient qu'elles forment une série dans laquelle elles sont les unes antérieures, les autres postérieures (voilà justement pourquoi ils ne forgeaient pas d’idée des nombres, entre autres). Or, le mot de "bien" s'emploie et comme un attribut qui désigne l'essence (et comme un attribut qui désigne la qualité), et comme un attribut qui désigne la relation, et le "par-soi ", c'est-à-dire la substance, est antérieur par nature au "relatif à" (car la relation est une sorte de "rejeton", c'est-à-dire d’accident de la substance). Donc, il ne saurait y avoir d'idée commune à la substance et à la relation. En outre, le mot "bien" s’emploie en autant de sens que le mot "être"; il peut en effet désigner l'essence (par exemple le dieu, c'est-à-dire l'intellect); la qualité (les vertus); la quantité (la mesure); la relation (l'utile); le temps (l'occasion); le lieu (l’habitat); etc. Il en résulte que le terme de "bien" ne saurait évidemment être un terme commun, universel et un; car alors il ne s'emploierait pas dans toutes les catégories, mais dans une seule. En outre, puisque de tout ce qui répond à une idée unique, il y a aussi une science unique, il y aurait une science unique de tous les biens. Or, en fait, il y en a plusieurs, même s’il ne s'agit que des biens qui sont compris sous une unique catégorie. Par exemple, la science de l'occasion, c'est, s'il s'agit de guerre, la stratégie, et s'il s'agit de maladie, la médecine; la science de la mesure, c'est, s'il s'agit de nourriture, la médecine, et s'il s'agit d'exercices physiques, la gymnastique. Il n’y a pas d’idée séparée de tous les biens On pourrait encore se demander ce qu'ils peuvent bien vouloir dire avec leurs "choses-en-soi". Car enfin, dans "l'homme-en-soi" et dans l'homme tout court, la définition qui se trouve réalisée est une et la même: celle de l'homme; en tant qu'hommes, il n’y aura entre eux aucune différence. Et s'il en est ainsi, il n'yen aura pas davantage entre le "Bien-en-soi" et le bien tout court, en tant que biens. Mais ce n'est certes pas davantage parce qu'il sera éternel que le "Bien-en-soi" sera meilleur que le bien tout court. Car enfin un blanc qui dure longtemps n'est pas plus blanc qu'un blanc qui dure un jour. (A tout prendre, il y a quelque chose de plus vraisemblable dans la théorie du bien des Pythagoriciens, qui se contentent de placer l'un dans la colonne des biens. Et l'on s’explique que Speusippe lui-même se soit mis à leur remorque, comme on avouera qu'il l'a fait). 2) Il n’y a même pas d’idée des biens par eux-mêmes Mais des Pythagoriciens et de Speusippe, nous parlerons une autre fois; tenons-nous en pour l'instant à notre argumentation contre l'Idée de bien. On lui cherchera chicane, nous le soupçonnons, en objectant que les partisans des idées n'ont pas voulu parler de tout bien: les biens dont le nom renvoie à une idée une, ce sont ceux qui, par eux-mêmes, méritent d'être poursuivis et aimés; mais les biens qui les engendrent ou qui conservent ou qui empêchent leurs contraires de se produire ne reçoivent le nom de "biens" que grâce à eux et en un sens second. Plaçons-nous sur ce nouveau terrain et admettons qu'il y ait deux sortes de biens: les biens qui le sont par eux-mêmes et les biens qui le sont grâce aux premiers. Séparons donc des biens utiles les biens par eux-mêmes et examinons si, lorsqu'il s'agit des biens par eux-mêmes, le mot de bien exprime une idée une. Mais précisément, quels sont les biens qu'il faut placer au nombre des biens par eux-mêmes? Ou ce seront tous les biens qu'on poursuit, fussent-ils destinés à rester seuls, "par exemple, être sage et voir", et aussi certains "plaisirs", ajoutons : les honneurs. Voilà en effet des biens que, même si nous les poursuivons à cause d'autre chose, on n’hésitera pourtant pas à placer au nombre des biens par eux-mêmes ! On n’y placera rien d’autre que les idées ? Mais en ce dernier cas, vaine sera l'idée ! Et, dans l'autre cas, c'est-à-dire si même les biens d'ici-bas mentionnés plus haut sont des biens par eux-mêmes, la définition du bien devra, en eux tous, se retrouver la même, comme dans la neige et dans la céruse, celle de la blancheur. Or, de l'honneur, de la sagesse et du plaisir, autres et différentes sont les définitions, en tant même que biens. Par conséquent, le mot de "bien" n'est pas un prédicat commun et qui exprime une idée une. 3) Le terme de "bien" est un terme analogue Mais alors, que veut dire, en fin de compte, le mot de "bien"? Il n'a pas l’air en effet d’un terme équivoque, au moins s’il s'agit de ce type d'équivoque qui vient de ce que des choses diverses reçoivent par hasard le même nom. Mais par contre n'a-t-il pas tout l’air d'un terme équivoque, s’il s'agit cette choses diverses qui reçoivent le même nom parce qu'elles procèdent toutes d'un principe unique ou parce qu'elles concourent toutes à une fin unique? Ou mieux encore, s'il s'agit des choses qui reçoivent le même nom par analogie? Car ce que la vue est pour le corps, l'intellect l’est pour l'âme et ainsi de suite. Mais sans doute est-il préférable de laisser cette question de côté pour l'instant (sa solution rigoureuse est du domaine propre d'une autre partie de la philosophie). II- Même si l’idée de bien existe, elle n’intéresse pas l’éthique Nous pouvons également mettre de côté pour l'instant la question de l'Idée de bien. Si même il existe un bien qui soit un concept un, c'est-à-dire qui puisse être un prédicat commun, ou un bien séparé qui soit une chose-en-soi, ce bien ne "saurait évidemment être pour l'homme ni un bien qu’il puisse prendre pour objet de son action, ni un bien qu’il puisse posséder. Or pour l'instant, ce que nous cherchons, c'est un bien qui puisse être l'un et l’autre. Mais, se demandera-t-on peut-être, ne vaudrait-il pas mieux connaître le Bien-en-soi dans l'intérêt de ceux des biens que nous pouvons posséder et prendre pour objets de nos actions ? Ce bien serait alors pour nous une sorte de modèle qui nous servirait à mieux connaître les biens à notre portée eux-mêmes, et, les connaissant mieux, nous les atteindrions plus sûrement. L’argument, reconnaissons-le, a quelque vraisemblance; malheureusement, il a tout l'air d’être en désaccord avec la pratique des sciences: quoiqu’en effet toutes tendent à un bien et cherchent à combler un vide, elles n’en laissent pas moins de côté la connaissance du Bien-en-soi. Et pourtant, si c'était un si précieux secours, que les artisans, à l’unanimité, l'ignorent et ne cherchent même pas à s'en assurer le bénéfice, ce ne serait pas normal. D’ailleurs, on ne voit guère non plus quel avantage un tisserand ou un menuisier tirera pour son art à lui de la connaissance du Bien-en-soi, ou en quoi on sera meilleur médecin ou meilleur général pour avoir contemplé l'Idée en elle-même ! Car, cela saute aux yeux, s'agit-il même de la santé, ce n'est pas la Santé-en-soi qu'examine le médecin, mais la santé de l'homme; et plus volontiers encore, peut-être, celle de cet homme-ci : car c'est l'individu qu'il soigne. |
|
|
|
|
Lectio
6 |
Leçon 6 |
|
[72778] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6
n. 1 Quod autem universale et
cetera. Postquam
philosophus improbavit opiniones ponentium felicitatem in aliquo manifestorum
bonorum, hic improbat opinionem ponentium felicitatem in quodam bono
separato. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod necessarium est
inquirere de hac opinione. Secundo incipit eam improbare, ibi, ferentes autem
opinionem hanc et cetera. Circa primum
tria facit. Primo proponit utilitatem huius inquisitionis. Secundo ostendit
quid videatur huic inquisitioni repugnare, ibi: etsi obvia tali quaestione
facta et cetera. Tertio ostendit, quod illud non debeat retrahere ab inquisitione
huius veritatis ibi, videbitur autem utique melius et cetera. Circa primum
considerandum est, quod illud bonum separatum in quo Platonici ponebant
hominis felicitatem consistere, dicebant esse universale bonum per cuius
participationem omnia bona dicuntur. Dicit ergo quod perscrutari de hoc
universali bono an sit, et inquirere qualiter esse ponatur, forsitan est
melius, quam inquirere de praemissis opinionibus; eius enim inquisitio magis
est philosophica, utpote magis pertinens ad considerationem veri boni et
ultimi finis quam praemissae, si ipsae opiniones secundum se considerentur.
Si autem considerentur secundum quod pertinent ad propositum, inquirere de
praemissis opinionibus, magis videtur fuisse conveniens proposito. Et ideo
dixit forsitan, quod est adverbium dubitandi. |
|
#74. — Après avoir réprouvé les opinions de ceux qui mettent le bonheur en l'un des biens manifestes, le Philosophe s'attaque ici à l'opinion de ceux qui mettent le bonheur en un bien séparé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il est nécessaire d'investiguer cette opinion. En second (1096a17), il commence à s'attaquer à elle. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose l'utilité de cette investigation. En second (1096a12), il montre ce qui paraîtrait s'opposer à cette investigation. En troisième (1096a14), il montre que cela ne devrait pas retenir de l'investigation de cette vérité. Sur le premier [point], on doit tenir en considération que ce bien séparé, en lequel ils prétendaient que consiste le bonheur de l'homme, les Platoniciens disaient qu'il constitue un bien universel, par la participation duquel tout se dit bien. Il dit, donc, que scruter, à propos de ce bien universel, s'il existe, et investiguer de quelle manière on prétend qu'il est, vaut peut-être mieux qu'investiguer les opinions précédentes; en effet, son investigation est plus philosophique, dans la mesure où [elle est] plus pertinente que les précédentes à la considération du vrai bien et de la fin ultime, à considérer les opinions en elles-mêmes. À les considérer, en outre, selon qu'il relève de notre propos d'investiguer les opinions précédentes, il paraît avoir été plus à propos [de les considérer d'abord]5. Et c'est pourquoi il a dit peut-être, qui est un adverbe de doute. |
[72779] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 2 Deinde cum dicit etsi obvia etc., ponit quid posset eum
retrahere ab inquisitione talis opinionis. Et dicit, quod huius inquisitio
est contraria suae voluntati, propter hoc quod erat introducta a suis amicis,
scilicet a Platonicis. Nam ipse fuit Platonis discipulus. Improbando autem
eius opinionem, videbatur eius honori derogare. Ideo autem potius hic hoc
dicit quam in aliis libris, in quibus opinionem Platonis improbat, quia improbare
opinionem amici non est contra veritatem, quae quaeritur principaliter in
speculativis, est autem contra bonos mores, de quibus principaliter agitur in
hoc libro. |
|
#75. — Ensuite (1096a12), il présente ce qui pourrait le retenir de l'investigation d'une telle opinion. Il dit que l'investigation de celle-ci contrarie sa volonté, pour la raison qu'elle avait été introduite par ses amis, à savoir, par les Platoniciens. Car il fut lui-même disciple de Platon. En s'attaquant, ensuite, à l'opinion de celui-ci, il paraissait manquer à l'honneur qu'il lui devait. Pourquoi, par ailleurs, il dit cela ici plutôt que dans les autres livres où il s'attaque à l'opinion de Platon, c'est que[5] s'attaquer à l'opinion d'un ami ne va pas contre la vérité, [chose] que l'on recherche principalement dans les autres sciences spéculatives; mais cela va contre les bonnes mœurs, dont il s'agit principalement, dans ce livre. |
[72780] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6
n. 3 Deinde cum dicit:
videbitur autem utique etc., ostendit quod hoc eum non debet retrahere. Quia
videbitur melius esse, idest magis honestum et ad bonos mores
pertinens, et etiam omnino oportere ut homo non vereatur impugnare familiares
suos pro salute veritatis. Est enim hoc adeo necessarium ad bonos mores, ut sine
hoc virtus conservari non possit. Nisi enim homo veritatem familiaribus
praeferret, consequens esset, quod homo falsa iudicia et falsa testimonia
proferret pro defensione amicorum. Quod est contra virtutem. Et quamvis aliter, id est alia ratione pertinente ad
omnes homines veritas sit praeferenda amicis, specialiter tamen hoc oportet
facere philosophos, qui sunt professores sapientiae, quae est cognitio
veritatis. |
|
#76. — Ensuite (1096a14), il montre que cela ne doit pas le retenir. C'est qu'il semblera mieux, c'est-à-dire, plus honorable et plus pertinent aux bonnes mœurs, et toujours à faire, qu'on s'en prenne sans peur à ses familiers pour le salut de la vérité. Celle-ci est, en effet, à ce point nécessaire aux bonnes mœurs, que la vertu ne pourrait se garder sans elle. Car si on ne préférait pas la vérité à ses familiers, il s'ensuivrait que l'on proférerait des faux jugements et de faux témoignages pour la défense de ses amis. Et cela va contre la vertu. En outre, quoique ce soit pour une raison qui vaut universellement pour tous les hommes que la vérité est à préférer à ses amis, le philosophe, cependant, doit spécialement le faire, lui qui est professeur de sagesse, laquelle est la connaissance de la vérité. |
[72781]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 4 Quod autem oporteat veritatem
praeferre amicis, ostendit hac ratione. Quia ei qui est magis amicus, magis
est deferendum. Cum autem amicitiam habeamus ad ambo, scilicet ad veritatem
et ad hominem, magis debemus veritatem amare quam hominem, quia hominem
praecipue debemus amare propter veritatem et propter virtutem ut in VIII
huius dicetur. Veritas autem est amicus
superexcellens cui debetur reverentia honoris; est etiam veritas quiddam
divinum, in Deo enim primo et principaliter invenitur. Et ideo concludit,
quod sanctum est praehonorare veritatem hominibus amicis. |
|
#77. — Que, par ailleurs, il faut préférer la vérité à ses amis, il le montre avec cette raison. C'est que l'on doit plus grande déférence à qui est davantage ami. Or comme nous avons de l'amitié pour les deux, à savoir, pour la vérité et pour l'homme, nous devons aimer plus la vérité que l'homme, puisque nous devons aimer l'homme principalement à cause de la vérité et de la vertu, comme on le dira au huitième [livre] de ce [traité] (#1575-77). Or la vérité est une amie assez excellente pour mériter d'être révérée avec honneur. Même que la vérité est quelque chose de divin; c'est en Dieu, en effet, qu'on la trouve en premier et principalement. C'est pourquoi il conclut qu'il est saint d'honorer la vérité avant ses amis hommes. |
[72782] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 5 Dicit enim Andronicus Peripateticus, quod sanctitas
est quae facit fideles et servantes ea quae ad Deum iusta. Haec etiam
fuit sententia Platonis, qui reprobans opinionem Socratis magistri sui dixit
quod oportet de veritate magis curare quam de aliquo alio; et alibi dicit: amicus
quidem Socrates sed magis amica veritas; et in alio loco: de Socrate
quidem parum est curandum, de veritate autem multum. |
|
#78. — Andronicus le péripatéticien dit, en effet, que c'est la sainteté qui rend fidèle et fait servir ce qui touche Dieu. À côté de cela, il y a aussi la pensée de Platon, qui, en réprouvant l'opinion de son maître Socrate, dit qu'il faut prendre davantage soin de la vérité que de quelque chose d'autre. Et là il dit: Socrate est mon ami, certes, mais elle est davantage mon amie, la vérité. Et en un autre lieu, que de Socrate il y a peu à avoir soin, mais de la vérité, beaucoup. |
[72783] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6
n. 6 Deinde cum dicit: ferentes
autem hanc opinionem etc., improbat positionem Platonis dicentem quod
felicitas hominis consistit in quadam communi idea boni. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit, quod non est una communis idea boni. Secundo ostendit,
quod etiam si esset, non consisteret in ea humana felicitas, ibi: sed forte
haec quidem relinquendum est nunc et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit, quod non sit una communis idea boni. Secundo inquirit de modo
loquendi, quo Platonici hanc ideam nominabant, ibi, quaeret autem utique
aliquis et cetera. Circa primum considerandum est, quod Aristoteles non intendit
improbare opinionem Platonis quantum ad hoc quod ponebat unum bonum
separatum, a quo dependerent omnia bona, nam et ipse Aristotiles in XII
metaphysicae ponit quoddam bonum separatum a toto universo, ad quod totum
universum ordinatur, sicut exercitus ad bonum ducis. Improbat autem opinionem
Platonis quantum ad hoc quod ponebat illud bonum separatum esse quamdam ideam
communem omnium bonorum. Ad quod quidem
improbandum utitur triplici ratione. |
|
#79. — Ensuite (1096a17), il s'attaque à la position de Platon, qui dit que le bonheur de l'homme consiste en une idée commune du bien. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il n'existe pas d'idée commune du bien. En second (1096b30), il montre que même s'il en existait une, le bonheur humain ne consisterait pas en elle. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il n'existe pas d'idée commune du bien. En second (1096a34), il investigue la manière de parler conformément à laquelle les Platoniciens nommaient cette idée. Sur le premier [point], on doit tenir en considération qu'Aristote n'entend pas s'attaquer à l'opinion de Platon quant à ce qu'elle posait un bien séparé duquel dépendrait tout bien. En effet, Aristote lui-même, au douzième [livre] de la Métaphysique, pose un bien séparé de tout l'univers, auquel tout l'univers est ordonné, comme l'armée au bien du chef. Mais il s'attaque à l'opinion de Platon quant à ce qu'elle posait que le bien séparé serait une idée commune de tous les biens. Il se sert de trois raisons pour s'y attaquer. |
[72784] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 7 Quarum prima sumitur ex ipsa positione Platonicorum,
qui non faciebant aliquam ideam in illis generibus in quibus invenitur prius
et posterius, sicut patet in numeris. Nam binarius naturaliter prior est
ternario et sic inde, et ideo non dicebant Platonici, quod numerus communis
esset quaedam idea separata; ponebant autem singulos numeros ideales
separatos, puta binarium, ternarium et similia. Et huius ratio est, quia ea
in quibus invenitur prius et posterius, non videntur esse unius ordinis, et
per consequens nec aequaliter unam ideam participare. Sed in bonis invenitur prius
et posterius. Quod manifestat ex hoc, quod bonum invenitur in eo
quodquidest, id est in substantia, et similiter in qualitate et etiam in
aliis generibus; manifestum est autem, quod illud quod est ens per seipsum,
scilicet substantia, est naturaliter prior omnibus his quae non habent esse
nisi in comparatione ad substantiam, sicut est quantitas, quae est mensura
substantiae, et qualitas, quae est dispositio substantiae, et ad aliquid,
quod est habitudo substantiae. Et idem est in aliis generibus, quae omnia
assimilantur propagini entis, idest substantiae, quae est
principaliter ens, a qua propaginantur et derivantur omnia alia genera. Quae
etiam in tantum dicuntur entia, inquantum accidunt substantiae. Et ex hoc
concludit, quod non potest esse quaedam communis idea boni. |
|
#80. — La première se tire de la position même des Platoniciens, qui ne faisaient pas une idée dans les genres où on trouve de l'antérieur et du postérieur, comme il appert dans les nombres. En effet, le binaire est naturellement antérieur au ternaire; c'est pourquoi les Platoniciens ne disaient pas que le nombre commun serait une idée séparée; ils posaient, par ailleurs, des nombres singuliers idéaux séparés, par exemple, le binaire, le ternaire et autres semblables. La raison en est que ce en quoi on trouve de l'antérieur et du postérieur ne paraît pas appartenir à un seul ordre et, par conséquent, ne pas participer également non plus d'une seule idée. Or on trouve de l'antérieur et du postérieur dans les biens, ce qu'il manifeste à partir du fait que le bien se trouve dans ce qu'une chose est, c’est-à-dire, sa substance, et pareillement dans la qualité, et aussi dans les [autres] genres. Or il est manifeste que ce qui est être par soi-même, à savoir, la substance, est naturellement antérieur à tout ce qui n'a l'être qu'en comparaison à la substance, comme la quantité, mesure de la substance, et la qualité, disposition de la substance, et la [relation] à autre chose, relation de la substance. Il en va de même dans les autres genres, qui s'assimilent tous à un rejeton de l'être, c'est-à-dire, de la 16 substance, principal être, dont se propagent et dérivent tous les autres genres. Même qu'on les dit des êtres dans la mesure même où ils coïncident avec la substance. De là, il conclut qu'il ne peut exister d'idée commune du bien. |
[72785] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 8 Secundam rationem ponit ibi amplius quia bonum et
cetera. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod Plato ponebat ideam esse
rationem et essentiam omnium eorum, quae ideam participant. Ex quo sequitur,
quod eorum quorum non est una ratio communis, non possit esse una idea. Sed
diversorum praedicamentorum non est una ratio communis. Nihil enim univoce de
his praedicatur. Bonum autem sicut et ens, cum quo convertitur, invenitur in
quolibet praedicamento; sicut in quod quid est, id est in substantia,
bonum dicitur Deus, in quo non cadit malitia, et intellectus, qui semper est
rectus. In qualitate autem virtus, quae bonum facit habentem. In quantitate
autem commensuratum, quod est bonum in quolibet quod subditur mensurae. In ad aliquid autem
bonum est utile, quod est relatum in debitum finem. In quando autem tempus,
scilicet opportunum, et in ubi locus congruus ad ambulandum, sicut dieta. Et
idem patet in aliis generibus. Manifestum est ergo, quod non est aliquod unum
bonum commune, quod scilicet sit idea, vel ratio communis omnium bonorum:
alioquin oporteret, quod bonum non inveniretur in omnibus praedicamentis, sed
in uno solo. |
|
#81. — Il présente ensuite sa seconde raison (1096a23). Pour son évidence, on doit savoir que Platon posait que l'idée est la raison et l'essence de tout ce qui participe d'une idée. D'où il s'ensuit qu'il ne peut y avoir d'idée de ce dont il n'y a pas de raison commune. Or il n'y a pas de raison commune pour les différents prédicaments. En effet, rien ne s'attribue univoquement à eux. Or le bien, comme l'être, puisqu'il se convertit avec lui, se trouve dans n'importe quel prédicament. Par exemple, dans ce que la chose est, c'est-à-dire, dans la substance, le bien s'appelle Dieu, en qui ne tombe aucune malice, et l'intelligence, qui est toujours droite. Dans la qualité, c'est la vertu, qui rend bon celui qui l'a. Dans la quantité, c'est le commensurable, qui est le bien en tout ce qui est soumis à une mesure. Dans la [relation] à autre chose, c'est le bien qui est utile, qui est le bien relié à la fin due. Dans le moment, par ailleurs, c'est le temps opportun, et dans l'endroit, c'est le lieu congru pour marcher, comme la diète. La même chose appert dans les autres genres. Il est donc manifeste qu'il n'y a pas un bien unique qui soit idée ou raison commune de tous les biens; autrement, il faudrait qu'on ne trouve pas le bien dans tous les prédicaments, mais dans un seul. |
[72786] Sententia Ethic., lib. 1 l. 6 n. 9 Tertiam rationem ponit ibi amplius autem quia eorum
quae sunt et cetera. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod sicut Plato
ponebat quod res extra animam existentes assequuntur formam generis vel
speciei per hoc quod participant ideam, ita anima formatur per scientiam ex
hoc quod participat ideam, ita quod anima non cognoscit lapidem nisi per hoc
quod participat ideam lapidis, ex quo sequitur quod omnium eorum, quae habent
unam ideam, est una scientia. Si ergo omnium bonorum esset una idea, sequeretur quod
omnia bona pertinerent ad considerationem unius scientiae. Hoc autem videmus
esse falsum, etiam quantum ad bona quae sunt in uno praedicamento (quod
(dicit) addit, ne aliquis diversificationes scientiarum attribueret
diversitati praedicamentorum): tempus enim quod est ex congruitate considerat
quidem in rebus bellicis militaris, in aegritudinibus autem medicinalis, in
laboribus autem exercitativa. Relinquitur
ergo quod non est una communis idea bonorum.
|
|
#82. — Il présente ensuite sa troisième raison (1096a39). Pour son évidence, on doit savoir que, de même que Platon posait que les choses qui existent en dehors de l'âme obtiennent forme de genre ou d'espèce du fait de participer d'une idée, de même [il posait] que l'âme ne connaît la pierre que du fait qu'elle participe de l'idée de pierre, et de même [que] l'âme participe à la science et à la connaissance de ces [choses] du fait que les formes ou idées des [choses] mêmes se trouvent imprimées en elle. D'où il s'ensuit qu'il y a une seule science de tout ce dont il n'y a qu'une seule idée. Si, donc, il y avait une seule idée de tous les biens, il s'ensuivrait que tous les biens appartiendraient à la considération d'une seule science. Or nous voyons que cela est faux, même quant aux biens qui sont dans un seul prédicament. Ce qu'il ajoute pour qu'on n'attribue pas les différenciations des sciences à la différenciation des prédicaments. Nous voyons, par ailleurs, que le temps congru, c'est, bien sûr, la [science] militaire qui le considère en matière de guerre, la [science] médicinale, en matière de maladie, la [science] exercitative, en matière d'effort. Il reste donc qu'il n'existe pas d'idée commune des biens. |
|
|
|
Lectio
7 |
|
Leçon 7
|
[72787] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 1 Quaeret autem utique aliquis
et cetera. Ostendit supra philosophus quod non est una idea communis omnium
bonorum; sed quia Platonici illud bonum separatum non solum vocabant ideam
boni, sed etiam per se bonum, hic intendit inquirere Aristotiles utrum hoc
convenienter dicatur. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod illud
bonum separatum, non convenienter nominatur per se bonum. Secundo ostendit,
quod ponere bonum separatum esse per se bonum repugnat ei quod dicitur ipsum
esse communem ideam omnium bonorum, ibi, his autem, quae dicta sunt, et
cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quod illud bonum separatum
non convenienter dicitur per se bonum. Secundo excludit quandam responsionem,
ibi: sed quidem neque perpetuum esse etc.; tertio comparat hoc dictum
opinioni Pictagoricorum, ibi, probabilius autem videntur et cetera. |
|
#83. — Le Philosophe a montré, plus haut, qu'il n'existe pas d'idée commune de tous les biens. Mais comme les Platoniciens n'ont pas appelé ce bien séparé seulement idée du bien, mais aussi bien par soi, Aristote entend investiguer, à partir d'ici, si c'est parler avec convenance. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'on ne nomme pas le bien séparé avec convenance bien par soi. En second (1096b8), il montre que de prétendre que le bien séparé est le bien par soi répugne à ce que l'on considère comme l'idée commune de tous les biens. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bien séparé ne se dit pas avec convenance bien par soi. En second (1096b3), il exclut une réponse. En troisième (1096b5), il compare ce dire à l'opinion des Pythagoriciens. |
[72788] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 2 Circa primum considerandum
est, quod illud bonum separatum, quod est causa omnium bonorum, oportet
ponere in altiori gradu bonitatis, quam ea quae apud nos sunt, eo quod est
ultimus finis omnium. Per hoc autem dictum videtur, quod non sit altioris
gradus in bonitate, quam alia bona. Et hoc
manifestat per hoc, quod unumquodque separatorum vocabat Plato per se, sicut
ideam hominis vocabat per se hominem et ideam equi per se equum, manifestum
est autem, quod una et eadem ratio est hominis qui est apud nos et per se
hominis, idest separati. Et hoc manifestat per hoc, quod homo separatus
et homo qui est in materia non differunt secundum quod homo, differunt autem
secundum quaedam alia, puta quod ille homo est immaterialis et iste est
materialis; sicut animal commune et homo non differunt in ratione animalis,
sed differunt in hoc, quod homo addit rationale super animal. Ita etiam videtur
quod in ratione hominis non differat homo separatus ab hoc homine, sed hic
homo addit materiam. Eadem igitur ratione illud separatum bonum quod nominant
per se bonum, non erit alterius rationis in bonitate, quam hoc particulare
bonum, poterit autem esse differentia quantum ad aliqua alia, quae sunt
praeter rationem boni. |
|
#84. — Sur le premier [point], on doit tenir compte que le bien séparé, parce que cause de tous les biens, doit se placer à un plus haut degré de bonté que les [biens] qui nous sont proches, puisqu'il est la fin ultime de tous les autres. Or de le nommer ainsi ne le fait pas paraître d'un plus haut degré de bonté que les autres biens. Il manifeste cela du fait que chaque être séparé s'appelait par soi, comme l'homme par soi, et aussi le cheval par soi, alors qu'il est manifeste qu'une seule et même définition appartient à l'homme qui nous est proche et à l'homme par soi, c'est-à-dire, séparé. Cela, il le manifeste du fait que l'homme séparé et l'homme présent dans la matière ne diffèrent pas en tant qu'hommes, mais diffèrent en rapport à autre chose, par exemple, en ce que tel homme est dans la matière. De même, l'animal commun et l'homme ne diffèrent pas quant à la définition de l'animal, mais diffèrent en ce que l'homme ajoute le rationnel à l'animal. De même aussi, il est clair 17 que l'homme séparé ne diffère pas de tel homme quant à la définition de l'homme, mais en ceci que tel homme ajoute à l'homme la matière. Pour la même raison, le bien que l'on a nommé bien par soi ne sera pas d'une autre définition pour sa bonté que tel [bien] particulier; mais il pourra y avoir une différence quant à autre chose, en dehors de la définition du bien. |
[72789] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 3 Deinde cum dicit: (sed quidem) neque perpetuum esse
etc., excludit quamdam responsionem. Posset enim aliquis respondere, quod
illud per se bonum est melius, quia est perpetuum. Haec autem bona sunt
corruptibilia. Quod autem est diuturnius, videtur esse melius et magis
eligendum. Sed ad hoc excludendum dicit, quod neque hoc quod est perpetuum
esse, facit illud per se bonum esse magis bonum. Perpetuum enim a non
perpetuo differt duratione. Differentia autem durationis alicuius rei est
praeter rationem propriae speciei, sicut vita quae est unius diei et vita
quae est diuturna non differunt in ratione vitae, sed solum differunt in
duratione. Sic ergo si accipiatur bonum quasi una species, duratio erit
praeter rationem boni. Et ita ex hoc quod est aliquid diuturnius non differet
secundum rationem boni quasi melius existens quam si esset unius diei tantum. |
|
#85. — Ensuite (1096b3), il exclut une réponse. On pourrait répondre, en effet, que le bien par soi est meilleur, car il est perpétuel, alors que tels biens sont corruptibles. Or ce qui est plus durable est manifestement meilleur et préférable. Pour exclure cela, cependant, il dit que pas même le fait d'être perpétuel ne fait que le bien par soi soit meilleur. En effet, le perpétuel diffère du non perpétuel par la durée. Or la différence de durée d'une chose est en dehors de sa définition spécifique, comme la vie d'un jour et la vie durable ne diffèrent pas quant à la définition de la vie, mais diffèrent seulement en durée. Ainsi donc, si on prend le bien comme une espèce, la durée sera en dehors de la définition du bien. Ainsi, du fait qu'une chose dure davantage, elle ne diffère pas quant à la définition de bien pour se trouver meilleure que si elle ne durait qu'un jour. |
[72790] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 4 Sed si ponamus non esse
unam speciem vel ideam boni, ut Platonici posuerunt, sed quod bonum dicitur
sicut et ens in omnibus generibus, hoc ipsum quod est diuturnius erit bonum
in tempore, unde addet ad bonitatem. Et sic quod est diuturnius erit melius.
Sed hoc non potest dici si bonum sit una species per se, et ita sequetur quod
neque sit melius ex hoc, quod est perpetuum.
|
|
#86. — Mais si nous posions qu'il n'y a pas une unique espèce ou idée de bien, comme les Platoniciens l'ont prétendu, mais que le bien se dit, comme l'être, en tous les genres, la durée même sera le bien dans le temps. Aussi cela ajouterait-il à la bonté. Ainsi, ce qui dure davantage sera meilleur. Mais cela ne peut se dire si le bien est une espèce par soi. Ainsi, il s'ensuit qu'il ne sera pas meilleur non plus du fait d'être perpétuel. |
[72791] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 5 Deinde cum dicit:
probabilius autem videntur etc., comparat praedictam positionem Platonicorum
positioni Pythagoricorum. Circa quod considerandum est, quod secundum
Platonicos eadem erat ratio boni et unius. Et ideo ponebant idem esse per se
unum et per se bonum, ex quo necesse erat quod ponerent unum primum per se
bonum. Quod quidem Pythagorici non faciebant. Sed unum ponebant aliquid eorum
quae continentur in coordinatione boni sub quo ponebant lumen, unum, quietem,
musculum, dextrum, finitum, imparem, rectum, quadratum; e contrario autem sub
malo ponebant tenebras, multitudinem, motum, feminam, sinistrum, infinitum,
parem numerum, curvum altera parte longius. |
|
#87. — Ensuite (1096b5), il compare la position précédente à la position des Pythagoriciens. À ce sujet, on doit tenir compte que, selon les Platoniciens, c'était la même définition que celle du bien et celle de l'un. C'est pourquoi ils prétendaient que l'un par soi et le bien par soi étaient la même [chose]. Aussi, il leur était nécessaire de poser un seul premier bien, ce que les Pythagoriciens ne faisaient pas. Ils posaient plutôt comme un l'une des choses contenues sous la coordination du bien sous lequel ils les posaient: Lumière Masculin Un Droit Intelligence Fini Repos Pair Droit Carré Et au contraire, sous le mal, ils posaient: Ténèbres Féminin Multitude Gauche Opinion Infini Mouvement Impair Courbe Plus long d'un côté. |
[72792] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 6 Dicit ergo, quod quantum
ad hoc probabilius dixerunt Pythagorici quam Platonici, quia non cogebantur
ponere unam rationem boni. Et ideo Speusippus, qui fuit nepos Platonis,
filius sororis eius, et successor eius in scholis, in hoc non fuit secutus
Platonem, sed magis Pythagoram. Dicit autem, quod de his debet fieri alius
sermo, scilicet in metaphysica. |
|
#88. — Il dit donc qu'en rapport à cela, les Pythagoriciens ont parlé avec plus de probabilité que les Platoniciens, parce qu'ils n'étaient pas forcés de poser une seule définition du bien. Aussi, même Speusippe, qui fut le neveu de Platon, le fils de sa sœur, et son successeur en l'École, n'a pas suivi Platon en cela, mais plutôt Pythagore. Il dit toutefois qu'il y a lieu de faire un autre discours à ce propos, à savoir, en la Métaphysique (I, 5; #124-133). |
[72793] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 7 Deinde cum dicit: his autem quae dicta sunt etc.,
ostendit, quod dicere illud bonum separatum esse per se bonum, repugnat ei
quod est unam esse ideam omnium bonorum. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit, quod per se bonum non potest esse communis idea omnium bonorum.
Secundo, quod non potest esse communis idea etiam omnium quae dicuntur per se
bona, ibi, dividentes igitur, et cetera. Tertio respondet cuidam quaestioni,
ibi sed qualiter utique et cetera. Dicit ergo primo, quod contra ea quae
dicta sunt a Platonicis, occulte apparet quaedam dubitatio propter hoc quod,
cum loquitur de illo per se bono, non videntur de omni bono sermones dici,
etiam quantum ad ipsam apparentiam verborum, et fieri quantum ad
convenientiam rerum. Et hoc ideo quia diversae sunt species vel rationes
bonorum. |
|
#89. — Ensuite (1096b8), il montre que de dire que le bien séparé est le bien par soi répugne au fait qu'il y ait une seule idée de tous les biens. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bien par soi ne peut être l'idée commune de tous les biens. En second (1096b14), que cela ne se peut pas qu'une idée commune appartienne à tout ce qui se dit bien par soi. En troisième (1096b26), il répond à une question. Il dit donc, en premier, que, contre ce que prétendent les Platoniciens, une difficulté apparaît mystérieusement, du fait que, puisque quand on parle de ce bien par soi, il est clair que les paroles ne se vérifient pas de tout bien déjà dans l'apparence verbale même, ni ne se réalisent dans la convenance des choses. La raison en est que les espèces ou définitions des biens sont multiples. 18 |
[72794] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 8 Dicuntur enim secundum
unam speciem vel rationem bona illa quae secundum se ipsa sunt persecuta,
id est quaesita vel desiderata, et dilecta, id est amata. Et secundum
aliam rationem dicuntur bona illa quae sunt aliqualiter factiva vel
conservativa illorum quae sunt secundum se bona. Tertio vero modo dicuntur
aliqua bona quia sunt prohibitiva contrariorum. Sic igitur manifestum est,
quod bonum dupliciter dicitur. Quaedam enim sunt bona secundum seipsa,
scilicet prima; de quibus dictum est, quod propter se quaeruntur. Utraque
vero alia, scilicet factiva, vel conservativa, et etiam prohibitiva
contrariorum dicuntur bona propter illa quae sunt secundum se bona. Et sic
manifestum est, quod ratio per se boni non potest aptari omnibus bonis. |
|
#90. — On parle, en effet, d'après une espèce ou définition de bien, quand on désigne ce qui est poursuivi pour soi, c'est-à-dire, recherché, ou désiré, ou à quoi on porte dilection, c'est-à-dire, qu'on aime [pour soi]. On parle d'après une autre définition, quand on dit bon ce qui, d'une certaine manière, est en vue de ce qui est bon par soi. C'est d'une troisième manière que l'on dit bon ce qui est prohibitif des contraires. Ainsi donc, il est manifeste que le bien se dit de deux manières. Telle chose, en effet, est bonne en elle-même, à savoir, la première, dont il a été dit (#9-13; 58) qu'elle est recherché pour soi. L'une et l'autre autres choses, cependant, à savoir, la factive, ou conservative, et aussi la prohibitive des contraires, se disent bonnes à cause de ce qui est bon par soi. Ainsi devientil est manifeste que la définition du bien par soi ne peut convenir à tous les biens. |
[72795] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 9 Deinde cum dicit:
dividentes igitur etc., ostendit quod una ratio per se boni non potest
competere omnibus per se bonis. Et primo dicit de quo est intentio. Circa
quod considerandum est, quod factiva vel conservativa secundum se bonorum et
prohibitiva contrariorum dicuntur bona sicut utilia. Quia ergo manifestum est
quod talibus non aptatur ratio per se boni, separemus ab eis illa quae sunt
secundum se bona, et videamus si possint dici bona secundum unam ideam, quam
dicunt per se bonum. |
|
#91. — Ensuite (1096b14), il montre que la définition du bien par soi ne peut convenir à tous les biens par soi. En premier, il dit sur quoi porte son intention. À ce sujet, on doit tenir compte que ce qui est productif ou conservateur des biens en soi, ou prohibitif des contraires, se dit bien comme utile, et à tel bien ne convient pas la définition du bien par soi. Séparons-en donc, dit-il, ce qui est bon en soi, et voyons s'il peut se dire bon d'après une seule idée, qu'on appelle bien par soi. |
[72796] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 10 Secundo ibi: secundum se
ipsa autem etc., ad hoc investigandum proponit quamdam quaestionem: qualia
scilicet sint ponenda secundum se bona. Et hanc quaestionem determinat per
duo membra. Quorum primum est: utrum dicenda sint secundum se bona quaecumque
quaeruntur solitaria, id est etiam si sola essent, ut scilicet nulla alia
utilitas ex eis sequeretur, sicut scire, videre, voluptates quaedam et
honores. Huiusmodi enim quamvis quandoque quaerantur propter aliquid aliud ad
quod sunt utilia, tamen si ad nihil aliud valerent, secundum se essent bona
et desiderabilia. Secundum autem membrum quaestionis est: utrum nihil aliud
sit per se bonum nisi sola idea. |
|
#92. — En second (1096b16), il présente une question, pour investiguer cela: à savoir, que faut-il poser comme bien en soi? Puis, il divise cette question en deux membres, dont le premier est: si on doit dire bien en soi tout ce que l'on recherche bien que solitaire, à savoir, même si cela était seul, c'est-à-dire, si aucune autre utilité ne s'ensuivait d'eux, comme savoir, voir, et certains plaisirs et honneurs? Des choses de la sorte, en effet, quoique quelquefois on les cherche pour autre chose à quoi elles sont utiles, seraient cependant bonnes et désirables en elles-mêmes, même si elles ne servaient à rien d'autre. Puis, le second membre de la question est: est-ce que rien d'autre n'est bon par soi sinon la seule idée? |
[72797] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 11 Tertio ibi: quare erit etc., deducit hoc secundum
membrum immediate praemissum. Et concludit, quod si nihil aliud sit per se
bonum nisi idea, erit idea inanis, id est sine efficacia. Ponitur enim idea
quasi exemplar quoddam cuius similitudo sit aliis impressa. Exemplar autem
est supervacuum, si nihil ei assimulatur; unde sequitur quod idea sit inanis,
si nihil aliud sit secundum se bonum. |
|
#93. — En troisième (1096b20), il retranche le second membre à peine indiqué. Il conclut que si rien d'autre n'est bon par soi sauf l'idée, l'idée sera comme un exemplaire dont la similitude serait imprimée à d'autres. Or l'exemplaire est superflu, s'il n'est assimilé à rien. Aussi s'ensuit-il que l'idée sera vaine, si rien d'autre n'est bien en soi. |
[72798] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7
n. 12 Quarto ibi: si sunt et
haec etc., deducit primum membrum. Et dicit quod, si omnia praedicta sint
secundum se bona participando ideam, quae est per se bonum, oportebit, quod
in omnibus appareat eadem ratio bonitatis, sicut in nive et cerusa est eadem
ratio albedinis, eo quod participant unam formam. Sed hoc non apparet esse
verum in praedictis. Honor enim et prudentia et voluptas habent diversas
rationes non solum proprias, prout scilicet ratio honoris, inquantum est
honor, differt a ratione prudentiae inquantum est prudentia, sed etiam in
quantum sunt bona; non enim est una ratio bonitatis in omnibus his, nec
secundum eamdem rationem sunt appetibilia. Unde relinquitur, quod id quod
dicunt per se bonum, non est aliquid commune, velut una idea communis omnium
bonorum. |
|
#94. — En quatrième (1096b21), il retranche le premier. Il dit que si tout ce que l'on a nommé antérieurement est un bien en soi en participant une idée qui est le bien par soi, il faudra qu'en tout apparaisse la même définition de la bonté, comme dans la neige et la céruse on trouve la même définition de la blancheur, du fait qu'elles participent à une seule forme. Mais cela ne paraît pas vrai pour ce que l'on a nommé antérieurement. En effet, l'honneur, et la prudence, et le plaisir ont non seulement des définitions propres différentes, pour autant que la définition de l'honneur, en tant qu'il est honneur, diffère de la définition de la prudence, en tant qu'elle est prudence, mais aussi en tant que biens. En effet, on ne trouve pas une définition unique de la bonté en toutes ces choses, et elles ne sont pas non plus désirables selon la même définition. Aussi reste-t-il que ce que l'on nomme bien par soi n'est pas quelque chose de commun, ni une idée commune de tous les biens. |
[72799] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 13 Deinde cum dicit: sed qualiter utique etc., respondet
cuidam tacitae quaestioni, quae est qualiter praedicta dicantur bona secundum
diversas rationes. Et haec quidem quaestio locum habet, quia aliquid dici de
multis secundum diversas rationes contingit dupliciter. Uno modo secundum
rationes omnino diversas non habentes respectum ad aliquid unum; et ista
dicuntur aequivoca casu, quia scilicet casu accidit quod unum nomen unus homo
imposuit uni rei, et alius alii rei, ut praecipue patet in diversis hominibus
eodem nomine nominatis. Alio modo unum nomen dicitur de multis secundum
rationes diversas non totaliter, sed in aliquo uno convenientes. Quandoque
quidem in hoc, quod referuntur ad unum principium, sicut res aliqua dicitur
militaris, vel quia est instrumentum militis, sicut gladius, vel quia est
tegumentum eius sicut lorica, vel quia est vehiculum eius, sicut equus.
Quandoque vero in hoc, quod referuntur ad unum finem sicut medicina dicitur
sana, eo quod est factiva sanitatis, dieta vero eo quod est conservativa
sanitatis, urina vero eo quod est sanitatis significativa. Quandoque vero
secundum proportiones diversas ad idem subiectum, sicut qualitas dicitur ens
quia est dispositio per se entis, idest substantiae, quantitas vero eo quod
est mensura eiusdem, et sic de aliis, vel secundum unam proportionem ad
diversa subiecta. Eamdem enim habent proportionem visus ad corpus et
intellectus ad animam; unde sicut visus est potentia organi corporalis, ita
etiam intellectus est potentia animae absque participatione corporis. |
|
#95. — Ensuite (1096b26), il répond à une question. Cette question surgit parce qu'il arrive de deux manières que quelque chose se dise de plusieurs choses selon des définitions différentes. D'une manière, selon des définitions tout à fait différentes, n'ayant pas un rapport à une chose unique. On les nomme des homonymes par hasard, parce que c'est par hasard qu'il arrive qu'un homme a imposé un nom à une chose, puis qu'un autre l'a imposé à une autre chose, comme il appert principalement quand plusieurs hommes possèdent un nom unique. D'une autre manière, un nom ne se dit pas de plusieurs choses totalement selon des définitions différentes, mais avec convenance en quelque chose. Tantôt en cela qu'elles renvoient à un seul principe, comme une chose se dit militaire soit parce qu'elle est un instrument de soldat, comme le glaive, ou parce qu'elle est son vêtement, comme la cuirasse, ou parce qu'il est son véhicule, comme le cheval. Tantôt en ce qu'elles renvoient à une seule fin, comme le médicament se dit sain en ce qu'il est producteur de la santé, et la diète en ce qu'elle est conservatrice de la santé, et l'urine en ce qu'elle est significative de la santé. Tantôt en raison de proportions différentes avec un même sujet, comme la qualité se dite être parce qu'elle est la disposition de l'être par soi, c'est-à-dire, de la substance, tandis que la 19 quantité en ce qu'elle est la mesure de la même chose, et ainsi des autres, ou en raison d'une proportion unique à des sujets différents: en effet, la vue, quant au corps, et l'intelligence, quant à l'âme, ont la même proportion. Ainsi, de même que la vue est une puissance de l'organe corporel, de même aussi l'intelligence est une puissance de l'âme sans la participation du corps. |
[72800] Sententia Ethic., lib. 1 l. 7 n. 14 Sic ergo dicit, quod bonum dicitur de multis, non
secundum rationes penitus differentes, sicut accidit in his quae sunt casu
aequivoca, sed in quantum omnia bona dependent ab uno primo bonitatis
principio, vel inquantum ordinantur ad unum finem. Non enim voluit
Aristoteles quod illud bonum separatum sit idea et ratio omnium bonorum, sed
principium et finis. Vel etiam dicuntur omnia bona magis secundum
analogiam, id est proportionem eandem, quantum scilicet quod visus est
bonum corporis, et intellectus est bonum animae. Ideo autem hunc tertium modum
praefert, quia accipitur secundum bonitatem inhaerentem rebus. Primi autem duo modi secundum bonitatem separatam, a
qua non ita proprie aliquid denominatur. |
|
#96. — Ainsi dit-il donc que le bien se dit de plusieurs [choses] non pas selon des définitions tout à fait différentes, comme il arrive en ce qui est homonyme par hasard, mais plutôt selon une analogie, c'est-à-dire, une proportion, en tant que tous les biens dépendent d'un premier principe de bonté, ou en tant qu'ils sont ordonnés à une fin unique. En effet, Aristote n'a pas voulu que le bien séparé soit une idée et définition de tous les biens, mais leur principe et fin. Ou encore, tout bien se dit plutôt d'après une analogie, c'est-à-dire, une même proportion, comme la vue est le bien du corps, et l'intelligence est le bien de l'âme. La raison pour laquelle il préfère cette troisième manière, c'est qu'elle se prend d'après la bonté inhérente aux choses, tandis que les deux premières manières se prennent d'après la bonté séparée, à partir de laquelle on n'est pas dénommé aussi proprement. |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
[72801] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8
n. 1 Sed forte haec quidem et
cetera. Postquam philosophus ostendit quod non est una communis idea boni,
nunc ostendit quod etiam si esset, non pertineret ad propositum, ut scilicet
secundum ipsam esset quaerenda felicitas. Et circa hoc tria facit. Primo
probat propositum. Secundo ponit quandam responsionem, ibi: forte autem
alicui videbitur et cetera. Tertio excludit eam, ibi, probabilitatem quidem
igitur, et cetera. Dicit ergo primo quod haec, scilicet qualiter bonum
dicatur secundum unam vel diversas rationes de bonis, oportet nunc
relinquere, quia per certitudinem determinare de hoc pertinet magis ad aliam
philosophiam, scilicet ad metaphysicam. Et similiter etiam consideratio de
idea boni, non est propria praesenti intentioni. Et horum rationem assignat:
quia si esset unum bonum univoce de omnibus praedicatum, vel etiam si esset
per seipsum separatum existens, manifestum est, quod non erit tale aliquid
quod sit vel operatum, vel possessum ab homine. Nunc autem tale aliquid
quaerimus. |
|
#97. — Après que le Philosophe ait montré qu'il n'existe pas d'idée commune du bien, il montre maintenant que même s'il en existait une, il ne relèverait pas de notre propos qu'il faille chercher le bonheur d'après elle. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il prouve son propos. En second (1096b35), il propose une réponse. En troisième (1097a3), il l'exclut. Il dit donc, en premier: il faut maintenant laisser cela, à savoir, de quelle manière le bien se dit selon une seule ou plusieurs définitions du bien, car en traiter avec certitude appartient plutôt à une autre philosophie, à savoir, à la métaphysique. Pareillement aussi, la considération de l'idée du bien n'est pas appropriée à notre présente intention. Il en assigne la raison: c'est que, si un seul bien était attribué de manière univoque à tous, ou même s'il en existait un par soi séparé, il est manifeste que ce ne serait pas une telle entité qui serait ni faite ni possédée par l'homme. Or c'est une telle chose que nous recherchons. |
[72802] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 2 Quaerimus enim felicitatem, quae est finis humanorum
actuum. Finis autem hominis, vel est ipsa eius operatio, vel est aliqua res
exterior. Quae quidem potest esse finis hominis vel quia est operata ab ipso,
sicut domus est finis aedificationis, vel quia est possessa, sicut ager est
finis emptionis. Manifestum est autem quod illud bonum commune vel separatum
non potest esse ipsa hominis operatio, nec etiam est aliquid per hominem
factum. Nec etiam videtur aliquid ab homine possessum sicut possidentur res
quae veniunt in usum huius vitae. Unde manifestum est, quod illud bonum
commune vel separatum non est bonum humanum, quod nunc quaerimus. |
|
#98. — Nous recherchons, en effet, le bonheur, qui est la fin des actes humains. Or la fin de l'homme, est ou bien son opération à lui, ou bien une chose extérieure à lui. Et celle-ci pourrait être la fin de l'homme ou bien parce qu'il la produit, comme la maison est la fin de la construction, ou bien parce qu'il la possède, comme une chose qui passe à son usage. Or il est manifeste que le bien commun ou séparé ne peut pas être l'opération même de l'homme, ni non plus une chose faite par l'homme. Et il n'est manifestement pas non plus une chose possédée par l'homme, comme il possède les choses qui passent à son usage en cette vie. Aussi est-il manifeste que le bien commun ou séparé n'est pas le bien humain que nous cherchons maintenant. |
[72803] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 3 Deinde cum dicit: forte autem alicui videbitur etc.,
ponit quamdam responsionem. Posset enim aliquis dicere, quod illud bonum
separatum, quamvis non sit operatum vel possessum ab homine, est tamen
exemplar omnium operatorum et possessorum bonorum. Expedit autem intueri
exemplar ei qui vult pervenire ad exemplata. Et ideo videtur expedire, quod
aliquis ipsum bonum separatum cognoscat propter bona possessa et operata.
Quia habentes illud bonum separatum sicut quoddam exemplar, magis poterimus
cognoscere, et per consequens melius adipisci ea quae sunt nobis bona, sicut
inspicientes ad hominem aliquem magis proprie possunt depingere eius
effigiem. |
|
#99. — Ensuite (1096b35), il propose une réponse. On pourrait dire, en effet, que le bien séparé, quoique l'homme ne le fasse ni ne le possède, est cependant l'exemplaire de tous les biens qu'il fait et possède. Or il est utile de considérer l'exemplaire, pour qui veut atteindre ce qui se conforme à lui. Aussi paraît-il être utile de connaître le bien séparé en vue des biens possédés et produits. Car, tenant le bien séparé comme exemplaire, nous pourrons mieux connaître, et par conséquent mieux atteindre, ce qui est bon pour nous, comme on peut mieux peindre l'effigie de l'homme en le regardant. |
[72804] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 4 Deinde cum dicit probabilitatem quidem igitur etc.,
excludit praemissam responsionem duabus rationibus. Quarum prima sumitur ex
eo quod communiter observatur. Et dicit, quod sermo praedictae responsionis
videtur esse probabilis, sed tamen videtur dissonare ab eo quod observatur in
omnibus scientiis. Omnes enim scientiae et artes appetunt quoddam bonum, ut
supra habitum est, et unaquaeque inquirit illud quod est necessarium sibi ad
consequendum finem intentum. Nulla autem utitur cognitione illius boni
separati. Quod non esset rationabile si ex hoc eis aliquod auxilium
praeberetur; non ergo aliquid confert ad operata et possessa bona cognitio
illius boni separati. |
|
#100. — Ensuite (1097a3), il exclut la réponse précédente avec deux raisons, dont la première se prend de ce que l'on observe communément. Il dit que l'énoncé de la raison précédente paraît probable. Néanmoins, elle est manifestement en dissonance avec ce que l'on observe en toutes les sciences. Toutes les sciences et tous les arts, en effet, désirent un bien, comme on en a traité plus haut (#8). Et chacun utilise ce qui lui est nécessaire pour atteindre la fin recherchée. Or aucune 20 n'utilise la connaissance du bien séparé. Mais cela ne serait pas raisonnable, si quelque aide pouvait en provenir. Donc, la connaissance du bien séparé ne sert à rien pour les biens faits et possédés. |
[72805] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 5 Secundam rationem ponit ibi inutile autem et cetera.
Quae sumitur ab ipsa natura rei. Et dicit quod illud bonum separatum est
omnino inutile ad scientias et artes, et quantum ad earum exercitium, quia
textor vel faber in nullo iuvatur ad operationem suae artis ex cognitione
illius boni separati. Et etiam quantum ad acquisitionem scientiae vel artis.
Nullus enim efficitur magis medicus vel magis miles per hoc quod contemplatur
ideam separatam boni. Cuius rationem assignat: quia oportet exemplar, ad quod
necesse est inspicere, esse conforme operato. Ars autem non operatur aliquod
bonum commune aut abstractum, sed concretum et in singulari, medicus enim non
intendit sanitatem in abstracto, sed in concreto, eam scilicet, quae est
hominis, et in singulari, eam scilicet quae est huius hominis, quia medicatur
non hominem universalem sed singularem. Unde relinquitur quod cognitio boni
universalis et separati non sit necessaria, neque ad acquisitionem
scientiarum neque ad exercitium earum. |
|
#101. — Il présente ensuite sa seconde raison (1097a8), qui se prend de la nature même de la chose. Il dit que le bien considéré est tout à fait inutile pour les sciences et les arts, à la fois quant à leur exercice, car le tisserand et l'ouvrier ne sont aidés en rien pour l'opération de leur art de par la connaissance du bien séparé, et aussi quant à l'acquisition de la science ou de l'art, car personne ne devient davantage médecin ou davantage soldat du fait qu'il ait contemplé l'idée séparée du bien. Il en assigne la raison: c'est qu'il faut que l'exemplaire à regarder soit conforme à l'œuvre. Or l'art ne réalise pas un bien commun ou abstrait, mais concret, dans le singulier. En effet, le médecin ne vise pas la santé abstraite, mais concrète, celle qui appartient à l'homme; car il ne soigne pas l'homme universel, mais singulier. Aussi reste-t-il que la connaissance du bien universel et séparé n'est nécessaire ni à l'acquisition des sciences ni à leur exercice. |
[72806] Sententia Ethic., lib. 1 l. 8 n. 6 Ultimo autem concludit epilogando tantum dictum esse de
opinionibus felicitatis. |
|
#102. — Enfin, il conclut que c'en est assez dit sur les opinions concernant le bonheur. |
|
|
|
Lectio
9 |
Leçon 9 : [Les conditions du bonheur] |
Leçon 9 |
|
LE
PHILOSOPHE RECHERCHE ICI CE QU'EST LA FELICITE. ELLE EST LA FIN ULTIME. LES
CONDITIONS QUI CONVIENNENT A LA FIN ULTIME. |
|
[72807] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 1 Rursus autem redeamus et
cetera. Postquam philosophus pertractavit opiniones aliorum de felicitate,
hic determinat de ea secundum propriam opinionem. Et dividitur in partes
duas. In prima ostendit quid sit felicitas. In secunda determinat de quadam
proprietate felicitatis, ibi, determinatis autem his, scrutemur de felicitate
et cetera. Prima autem pars dividitur in partes duas: in prima ostendit quid
sit felicitas. In secunda removet quamdam dubitationem, ibi, multae autem
transmutationes fiunt et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid
sit felicitas. Secundo ostendit quod praemissae sententiae concordant omnia,
quae dicuntur de felicitate, ibi, scrutandum ergo de ipso et cetera. Circa
primum duo facit: primo ponit quasdam communes condiciones felicitatis, quae
quasi sunt omnibus manifestae; secundo inquirit felicitatis essentiam, ibi,
sed forte felicitatem quidem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit
felicitatem esse ultimum finem. Secundo ponit conditiones, quae competunt
ultimo fini, ibi, hoc autem adhuc magis explanare et cetera. |
103.- Après avoir traité de l'opinion des autres philosophes sur la félicité, il présente ici sa propre opinion. Ce qu'il fait en deux 1- il montre ce qu'est la félicité; 2- il en détermine une certaine propriété. La première partie se divise elle-même en deux: 1- A: il montre ce qu'est la félicité; B: il rejette un certain doute. Sur la nature de la félicité, il fait deux choses: 1- A: 1- il montre ce qui elle est; 2- et que tout ce qui a été dit sur la félicité concorde avec ce qu'il a dit lui-même; Sur ce qu'elle est, il fait deux choses: 1- A: 1- a) il propose certaines raisons communes et certaines conditions de la félicité qui sont manifestes à presque tout le monde; b) il cherche l'essence de la félicité. A propos des raisons communes, il manifeste d'abord que la félicité est la fin ultime pour ensuite poser les conditions qui conviennent à la fin ultime. |
#103. — Après que le Philosophe ait traité entièrement des opinions des autres à propos du bonheur, il en traite ici selon sa propre opinion. Cela se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est le bonheur. Dans la seconde (1101b10), il traite d'une propriété du bonheur. La première partie se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est le bonheur. Dans la seconde (1100a5), il supprime une difficulté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est le bonheur. En second (1098b9), il montre que toutes les pensées précédentes sur le bonheur concordent. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose des raisons communes et des conditions du bonheur, manifestes à presque tous. En second (1097b22), il enquête sur l'essence du bonheur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il pose que le bonheur est la fin ultime. En second (1097a24), il pose les conditions qui touchent la fin ultime. |
[72808]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 2 Dicit ergo primo, quod
expeditis his, quae pertinent ad opiniones aliorum, rursus oportet redire ad
bonum, circa quod nostra versatur inquisitio, scilicet ad felicitatem, ut
investigemus quid sit. Circa quod primo
considerandum est quod in diversis operationibus et artibus videtur aliud et
aliud esse bonum intentum. Sicut in medicinali arte bonum intentum est
sanitas, et in militari victoria et in aliis artibus aliquod aliud bonum. |
104.- Il dit donc en premier qu'après avoir passé en revue l'opinion des autres, il faut de nouveau revenir au bien sur lequel porte notre inquisition, c'est-à-dire à la félicité, pour rechercher ce qu’elle est. A ce sujet, il faut d'abord considérer qu'à diverses opérations comme à divers arts correspondent divers biens poursuivis. Ainsi, dans l'art médical le bien poursuivi est la santé; dans l'art militaire, c'est la victoire; dans les autres arts, c'est un autre bien. |
#104. — Il dit donc, en premier, que, ceci fait, en ce qui concerne les opinions des autres, il faut encore revenir au bien sur lequel roule notre investigation, à savoir, au bonheur, de manière à investiguer ce qu'il est. À ce sujet, on doit prendre d'abord en compte qu'il est clair qu'en des opérations et arts différents, c'est autre chose et autre chose qui constitue le bien visé. Ainsi, en l'art médicinal, le bien visé est la santé, et en l'art militaire, le bien visé est la victoire, tandis qu'en d'autres arts, c'est un autre bien. |
[72809] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 3 Et si quaeratur quid sit bonum intentum in unaquaque
arte vel in unoquoque negotio, sciendum est, quod hoc est illud cuius gratia
omnia alia fiunt in illa arte vel illo negotio, sicut in medicinali omnia
fiunt propter sanitatem, in militari omnia fiunt propter victoriam. Et in
aedificativa omnia fiunt propter domum construendam. Et similiter in quolibet
alio negotio aliquod aliud est bonum intentum, cuius gratia omnia alia fiunt.
Hoc autem bonum intentum in unaquaque operatione vel electione dicitur finis,
quia finis nihil est aliud quam id cuius gratia alia fiunt. |
105.- Et si on recherche quel est le bien poursuivi dans chaque art ou dans chaque ouvrage, il faut savoir que ce bien est ce en vue de quoi toutes les autres choses sont faites. Ainsi, dans l’art médical, tout est ordonné en vue de la santé; dans l'art militaire, tout est accompli en vue de la victoire; dans l'art de construire, il est prévu en fonction de la maison qui doit être édifiée. Et ainsi en est-il dans tous les autres ouvrages; il y a dans chacun un bien poursuivi qui est ce en vue de quoi se fait tout le reste. Or, ce bien poursuivi dans chaque opération ou dans chaque décision, on le nomme fin. Car une fin n'est rien d'autre que ce en vue de quoi on fait tout le reste. |
#105. — Si l'on cherche quel est le bien visé en chaque art ou en chaque affaire, on doit savoir qu'il est ce en vue de quoi on fait tout le reste. En médecine, en effet, tout se fait en vue de la santé. En [art] militaire, tout se fait en vue de la victoire. Et en construction, tout se fait en vue de la maison à construire. Pareillement, en n'importe quelle autre affaire, il y a un autre bien visé en vue duquel tout le reste se fait. Or ce bien visé en chaque opération ou choix s'appelle la fin. Car la fin n'est rien d'autre que ce en vue de quoi on fait le reste. |
[72810] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 4 Si ergo occurrat statim
aliquis finis, ad quem ordinentur omnia quae operantur omnes artes et
operationes humanae, talis finis erit operatum bonum simpliciter, idest quod
intenditur ex omnibus operationibus humanis. Si autem adhuc occurrant plura
bona ad quae ordinentur diversi fines diversarum artium, oportebit quod
inquisitio rationis nostrae transcendat ista plura, quousque perveniat ad
hoc ipsum, id est ad aliquod unum; necesse est enim unum esse ultimum
finem hominis inquantum est homo, propter unitatem humanae naturae, sicut est
finis unus medici inquantum est medicus propter unitatem medicinalis artis;
et iste unus ultimus finis hominis dicitur humanum bonum, quod est felicitas. |
106.- Donc, si on trouve immédiatement une fin à laquelle soit ordonné tout ce que tous les arts et toutes les opérations humaines opèrent, alors une telle fin sera absolument le bien opéré, c’est-à-dire ce qui est poursuivi par toutes les opérations humaines. Mais si, au contraire, on trouve plusieurs biens auxquels seraient ordonnées les diverses fins des diverses sciences, il faudra alors que le regard de notre raison transcende chacun de ces biens jusqu'à ce qui elle parvienne à découvrir ce bien absolu, à savoir cet autre bien qui est unique. Il est nécessaire, en effet, qu'il n'y ait qu'une seule fin ultime de l'homme en tant qu'homme, à cause de l'unité de la nature humaine; comme est une la fin du médecin en tant que tel, à cause de l'unité de l’art médical. Et cette fin ultime de l'homme on l'appelle le bien humain, qui est la félicité. |
#106. — Si on tombait tout de suite sur une fin à laquelle serait ordonné tout ce que font tous les arts et opérations humains, une pareille fin serait le résultat bon de manière absolue, c'est-à-dire, celui qu'on vise en toute action humaine. Mais si on tombait sur plusieurs biens auxquels soient ordonnés différentes fins de différents arts, il faudrait que l'investigation de notre raison transcende cette pluralité, jusqu'à ce que l'on parvienne à celui-là même, c'est-à-dire, à un autre [bien] unique. Nécessairement, en effet, il n'y a qu'une unique fin ultime de l'homme en tant qu'homme, à cause de l'unité de la nature humaine, de même qu'il y a une fin unique du médecin en tant que médecin, 21 à cause de l'unité de l'art médical. Et cette fin ultime de l'homme s'appelle le bien humain, le bonheur. |
[72811] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 5 Deinde cum dicit: hoc
autem adhuc magis explanare etc., ponit duas condiciones ultimi finis: primo
quidem quod sit perfectum; secundo quod sit per se sufficiens, ibi, videtur
autem et ex per se sufficientia et cetera. Ultimus enim finis est ultimus
terminus motus desiderii naturalis. Ad hoc autem quod aliquid sit ultimus
terminus motus naturalis, duo requiruntur. Primo quidem quod sit habens
speciem, non autem in via ad speciem habendam. Sicut generatio ignis non
terminatur ad dispositionem formae, sed ad ipsam formam. Quod autem habet
formam est perfectum, quod autem est dispositum ad formam est imperfectum. Et
ideo oportet, quod bonum quod est ultimus finis, sit bonum perfectum. Secundo
autem requiritur quod id quod est terminus motus naturalis sit integrum, quia
natura non deficit in necessariis. Unde finis generationis humanae non est
homo diminutus membro sed homo integer; et similiter etiam finis ultimus, qui
est terminus desiderii, necesse est, quod sit per se sufficiens, quasi
integrum bonum. |
107.- Puis il pose deux conditions de la fin ultime, dont la première est qu'elle soit parfaite et la seconde, qu'elle soit suffisante par soi. En effet, la fin ultime est le terme ultime du mouvement du désir naturel. Mais pour que quelque chose soit le terme ultime du mouvement naturel, deux éléments sont requis. Le premier, c’est qu'elle possède son espèce, et donc qu'elle ne soit pas en voie de l'acquérir. Comme la génération du feu ne se termine pas à la disposition de la forme, mais à la forme elle-même, ce qui a sa forme est parfait; ce qui n’est que disposé à la forme est encore imparfait. D'où la nécessité que le bien, qui est la fin ultime, soit un bien parfait. Le second élément requis est que ce qui est le terme du mouvement naturel soit intègre, parce que la nature ne défaille pas dans les choses nécessaires. D'où découle que la fin de la génération humaine n'est pas un homme manquant d'un membre, mais un homme complet. Du même, la fin ultime, qui est le terme du désir, doit nécessairement être suffisante par soi, comme bien complet. |
#107. — Ensuite (1097a24), il pose deux conditions de la fin ultime. La première, bien sûr, qu'elle soit parfaite. La seconde, qu'elle soit suffisante en elle-même. En effet, la fin ultime est le terme ultime du mouvement naturel du désir. Pour que quelque chose soit le terme ultime du mouvement naturel, deux [conditions] sont requises. En premier, certes, qu'il possède l'espèce, et ne soit pas en chemin pour posséder l'espèce. Ainsi, la génération du feu ne se termine pas à la disposition de la forme, mais à la forme même. Or ce qui a la forme est parfait, tandis que ce qui n'est que disposé à la forme est quelque chose d'imparfait. C'est pourquoi il faut que le bien qui est la fin ultime soit le bien parfait. En second, il est requis que ce qui est le terme du mouvement naturel soit intégral, car la nature ne fait pas défaut dans le nécessaire. Aussi, la fin de la génération humaine n'est pas l'homme avec un membre en moins, mais l'homme intégral. Pareillement, la fin ultime, qui est le terme du désir, se suffit nécessairement en elle-même, à la manière d'un bien intégral. |
[72812] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 6 Circa perfectionem autem
finalis boni considerandum est quod, sicut agens movet ad finem ita finis
movet desiderium agentis; unde oportet gradus finium proportionari gradibus
agentis. Est autem triplex agens. Unum quidem imperfectissimum, quod non agit
per propriam formam, sed solum inquantum est motum ab alio, sicut martellus
agit cultellum. Unde effectus secundum formam adeptam, non assimilatur huic agenti,
sed ei a quo movetur. Aliud autem est agens perfectum, quod agit quidem
secundum suam formam, unde assimilatur ei effectus, sicut ignis calefacit,
sed tamen indiget moveri ab aliquo principali priori agente. Et quantum ad hoc habet aliquid imperfectionis, quasi
participans cum instrumento. Tertium autem agens est perfectissimum, quod
agit quidem secundum formam propriam, et ab alio non movetur. |
108.- Quant à la perfection du bien final, il faut considérer que comme l'agent meut à la fin, ainsi la fin meut le désir de l'agent. D'où s'impose que la hiérarchie des fins soit proportionnée à la hiérarchie des agents. Or l'agent s'entend de trois façons. L'un, très imparfait, qui n'agit pas par sa propre forme, mais seulement en tant que mû par un autre, comme un marteau enfonce un clou. Ainsi l'effet conforme à la forme reçue ne s'assimile pas à cet agent, mais à celui qui le meut. Le second, lui, est un agent parfait, qui cause en conformité avec sa propre forme; et, par conséquent, l'effet lui est assimilé. Ainsi le feu brûle mais a quand même besoin d'être mû par un agent principal et antérieur à lui. Et sous ce rapport il souffre d'une certaine imperfection qui le rend un peu semblable à l'agent instrumental. Le troisième, lui, est un agent très parfait qui agit et selon sa propre forme et sans l'impulsion d'un autre. |
#108. — Par ailleurs, à propos de la perfection du bien final, on doit tenir compte que de même que l'agent meut à la fin, de même la fin meut le désir de l'agent. Aussi faut-il que la progression des fins soit proportionnée à la progression des agents. Or il y a triple agent. L'un, très imparfait, qui n'agit pas par sa forme propre, mais seulement en tant qu'il est mû par un autre, comme le marteau fait le couteau. Aussi, l'effet, selon la forme qu'il acquiert, n'est pas assimilé à cet agent, mais à celui par lequel il est mû. Un autre, ensuite, est un agent parfait, qui agit en conformité à sa forme, de sorte que l'effet lui est assimilé, comme le feu réchauffe, mais qui, cependant, a besoin d'être mû par un agent principal antérieur. Quant à cela, il conserve une certaine imperfection, et d'une certaine manière participe de l'instrument. Un troisième, enfin, est l'agent le plus parfait, qui agit en conformité à sa forme propre, et n'est pas mû par un autre. |
[72813] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 7 Et similiter est in finibus. Est enim aliquid quod appetitur
non propter aliquam formalem bonitatem in ipso existentem, sed solum
inquantum est utile ad aliquid, sicut medicina amara. Est autem aliquid quod est quidem appetibile propter
aliquid quod in se habet, et tamen appetitur propter aliud, sicut medicina
sapida, et hoc est bonum perfectius. Bonum autem perfectissimum est, quod ita
appetitur propter se, quod nunquam appetitur propter aliud. Hos igitur tres
gradus bonorum distinguit hic philosophus. Et dicit, quod hoc quod dictum
est, de ultimo fine oportet adhuc magis explanare, inquirendo scilicet
conditiones, quae requiruntur ad ultimum finem. |
109.- Il en est de même dans les fins. Il y a en effet quelque chose qui est désiré non à cause de quelque bonté formelle existant en lui, mais seulement en tant qu'il est utile à quelque chose comme, par exemple, un remède amer. Il y a aussi quelque chose d'appétible à cause d'une certaine bonté existant en soi, mais qui est pourtant désiré en vue d'autre chose, comme un remède chaud et délicieux. Ce qui est un bien plus parfait que le premier. Mais le bien le plus parfait est celui qui est désiré à cause de sa bonté propre, sans être jamais désiré en vue d'autre chose. Et ce sont les trois degrés de biens que distingue le Philosophe. Et il ajoute que ce qu'on a dit sur la fin ultime doit être plus longuement exploré par la recherche des conditions nécessaires à la fin ultime. |
#109. — Il en va pareillement dans les fins. Il y a, en effet, quelque chose que l'on désire non pas à cause d'une bonté formelle qui existe en lui-même, mais seulement en tant qu'il est utile à autre chose, comme une médecine amère. Il y a ensuite quelque chose certes désirable à cause de ce qu'il a en lui, mais que l'on désire cependant pour autre chose, comme une médecine chaude et savoureuse. C'est là un bien plus parfait. Mais il y a aussi le bien le plus parfait, que l'on désire à cause de lui-même de telle manière qu'on ne le désire jamais pour autre chose. Ce sont donc ces trois degrés de biens que distingue ici le Philosophe. Puis il dit que ce que l'on a dit de la fin ultime, il faut l'expliquer encore plus, en investiguant les conditions requises de la fin ultime. |
[72814] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 8 Videntur autem esse plures
gradus finium, quorum quosdam eligimus solum propter aliud, sicut divitias,
quae non appetuntur nisi in quantum sunt utiles ad vitam hominis, et fistulas
quibus canitur, et universaliter omnia organa, quae non quaeruntur nisi
propter usum eorum. Unde manifestum est, quod omnes isti fines sunt imperfecti.
Optimus autem finis, qui est ultimus, oportet quod sit perfectus. Unde si
unum solum sit tale, oportet hoc esse ultimum finem quem quaerimus. Si autem
sint multi perfecti fines, oportet quod perfectissimus horum sit optimus et
ultimus. Manifestum est autem, quod sicut id quod est secundum se appetibile,
est magis perfectum eo quod est appetibile propter alterum, ita illud quod
nunquam appetitur propter aliud, est perfectius his quae, etsi secundum se
appetantur, tamen appetuntur propter aliud. |
110.- On voit qu'il existe plusieurs degrés de fins; les unes sont choisies en vue d'une autre seulement, comme les richesses qui ne sont désirées qu'en tant qu'utiles à la vie humaine, et la flûte qui n'est désirée qu'en tant qu'elle sert à jouer, et, universellement, tous les instruments qui ne sont recherchés qu'en vue de leur usage. D'où il est manifeste que toutes ces fins sont imparfaites. Or la fin la meilleure qui est ultime doit être parfaite. Et s'il n'y a qu'une seule fin qui soit telle, il faut que ce soit la fin ultime recherchée. S'il y a plusieurs fins parfaites, il faut que ce soit la plus parfaite qui soit la meilleure et l'ultime. Or il est manifeste que, comme ce qui est par soi appétible est plus parfait que ce qui est appétible par une autre, ainsi, ce qui n’est jamais désiré en vue d'un autre est plus parfait que ce qui, bien que désiré par soi, demeure cependant désiré en vue d'un autre. |
#110. — Or il semble y avoir plusieurs degrés des fins. Parmi elles, nous en choisissons certaines seulement pour autre chose, comme les richesses, qui ne sont désirées qu'en tant qu'elles sont utiles à la vie de l'homme, et les flûtes dont on joue, et de manière universelle tous les instruments, qui ne sont recherchés que pour leur usage. Aussi est-il manifeste que toutes ces fins sont imparfaites. La meilleure fin, par ailleurs, qui est l'ultime, doit être parfaite. Aussi, s'il n'y en a qu'une seule qui soit telle, celle-là doit être la fin ultime que nous cherchons. Tandis que s'il y a plusieurs fins parfaites, il faut que la plus parfaite d'entre elles soit la meilleure et l'ultime. Or il est manifeste que de même que ce qui est désirable en soi est plus parfait que ce qui est désirable pour autre chose, de même ce que l'on ne désire jamais pour autre chose est plus parfait que ce que, bien qu'on le désire pour lui, on désire aussi cependant pour autre chose. |
[72815] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 9 Et ita simpliciter
perfectum est, quod est semper secundum se eligibile et nunquam propter
aliud. Talis autem videtur esse felicitas, quam numquam eligimus propter
aliud, sed semper propter seipsam. Honorem vero et voluptates et
intelligentiam et virtutem eligimus quidem propter seipsa. Eligeremus enim
vel appeteremus ea etiam si nihil aliud ex eis nobis proveniret. Et tamen
eligimus ea propter felicitatem, inquantum per ea credimus nos futuros
felices. Felicitatem autem nullus eligit propter haec nec propter aliquid
aliud. Unde relinquitur quod felicitas sit perfectissimum bonorum et per
consequens optimus et ultimus finis. |
111.- Ainsi est simplement parfait ce qui est toujours éligible par soi et jamais en vue d'un autre. Or c'est ainsi qu'apparait la félicité, que nous ne désirons jamais en vue d’un autre, mais en vue d'elle-même. Cependant nous désirons l'honneur, les voluptés, l'intelligence et la vertu pour elles-mêmes. En effet nous les élirions ou désirerions même s'il n'en résultait aucun autre avantage pour nous. Et pourtant, nous les désirons en vue de la félicité, entant que nous croyons qu'ils nous rendront heureux. Mais personne ne désire la félicité pour cela, ni en vue d'autre chose. Il demeure donc que la félicité est le bien le plus parfait et par conséquent la fin ultime et la meilleure. |
#111. — Ainsi, est parfait de manière absolue ce qui est toujours en soi-même digne de choix et ne l'est jamais pour autre chose. Tel est manifestement le bonheur. Jamais nous ne le choisissons pour autre chose, mais toujours pour lui-même. Toutefois, l'honneur et les plaisirs et l'intelligence et la vertu, nous les choisissons aussi pour eux-mêmes. En effet, nous les choisirions ou les désirerions même si rien d'autre ne nous en provenait. Mais pourtant, nous les choisissons pour le bonheur, en tant que nous croyons que par eux nous serons heureux. Tandis que le bonheur, personne ne le choisit pour cela ni pour autre chose. Aussi reste-t-il que le bonheur soit le plus parfait des biens, et par conséquent la fin ultime et la meilleure. |
[72816] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9
n. 10 Deinde cum dicit: videtur
autem et ex per se sufficientia etc., agit de per se sufficientia
felicitatis. Et primo quantum ad id quod pertinet ad rationem sufficientiae;
secundo quantum ad id quod additur per se, ibi, amplius autem omnium et
cetera. Dicit ergo primo, quod idem
videtur sequi ex per se sufficientia, sicut et ex perfectione; scilicet quod
felicitas sit optimus et ultimus finis: haec enim duo se consequuntur. Nam
bonum perfectum videtur esse per se sufficiens. Si enim quantum ad aliquid
non sufficit, iam non videtur perfecte desiderium quietare; et ita non erit
perfectum bonum. Dicitur autem esse per se sufficiens bonum, non quia sit
sufficiens soli uni homini viventi vitam solitariam, sed parentibus et filiis
et uxori et amicis et civibus, ut scilicet sufficiat eis et in temporalibus
providere, necessaria auxilia ministrando, et etiam in spiritualibus,
instruendo vel consiliando. Et hoc ideo quia homo naturaliter est animal
civile. Et ideo non sufficit suo desiderio, quod sibi provideat, sed etiam
quod possit aliis providere. Sed hoc oportet intelligere usque ad aliquem
terminum. |
112.- Puis il traite de la suffisance par soi de la félicité. Primo, quant à ce qui appartient à la raison de suffisance; secundo, quant à la particule ajoutée: per se. Primo, il dit que la même conséquence semble se tirer de la condition de la suffisance par soi que de la perfection: la félicité est la fin la meilleure et ultime, car ces deux qualités sont connexes. Car le bien parfait semble être suffisant par soi. En effet, si le bien ne suffit pas sous un certain rapport, déjà il me semble plus satisfaire pleinement le désir; et ainsi il ne sera pas un bien parfait. Un bien est dit suffisant par soi, non en tant que suffisant à un seul homme vivant une vie solitaire, mais en tant que suffisant à ses parents, enfants, épouse, amis et citoyens, de sorte qu'il suffise dans l'administration des biens temporels pour pourvoir aux secours nécessaires, et dans l'instruction et la monition en ce qui concerne les biens spirituels. Et il en est ainsi parce que l'homme est un animal naturellement social. C'est pourquoi il ne suffit pas à son désir qu'il ne satisfasse que lui-même, mais aussi faut-il qu'il satisfasse les autres. Ceci jusqu'à une certaine limite. |
#112. — Ensuite (1097b6), il traite de la suffisance par soi du bonheur. 22 En premier, quant à ce qui relève de la définition de la suffisance. En second (1097b16), quant à ce qu'ajoute par soi. Il dit donc, en premier, que la même [chose] suit manifestement de la suffisance par soi et de la perfection; à savoir, que le bonheur est la fin la meilleure et ultime; car ces deux [choses] se suivent. En effet, le bien parfait est manifestement suffisant par soi. Si, en effet, il ne suffit pas quant à quelque chose, déjà il ne satisfait manifestement pas parfaitement le désir; et ainsi, il ne sera pas un bien parfait. Or on dit qu'un bien est suffisant par soi non pas parce qu'il est suffisant pour un homme seul vivant une vie solitaire, mais pour les parents et les enfants et la femme et les amis et les concitoyens, de sorte qu'il suffise à les pourvoir, en leur procurant les aides nécessaires en [matière] temporelle, et en les instruisant ou en les conseillant en [matière] spirituelle. La raison en est que l'homme est naturellement un animal civil. Aussi ne suffit-il pas à son désir qu'il pourvoie pour lui-même, mais aussi qu'il puisse pourvoir pour les autres. Mais cela, il faut l'entendre jusqu'à un certain terme. |
[72817] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 11 Si enim aliquis velit hoc extendere non solum ad
consanguineos et amicos proprios sed etiam ad amicos amicorum, procedet hoc
in infinitum et sic nulli poterit talis sufficientia provenire, et ita nullus
posset esse felix, si felicitas hanc infinitam sufficientiam requireret.
Loquitur enim in hoc libro philosophus de felicitate, qualis in hac vita
potest haberi. Nam felicitas alterius vitae omnem investigationem rationis
excedit. Quis autem sit terminus usque ad quem oporteat felicem esse
sufficientem, rursus perscrutandum alibi erit, scilicet in oeconomica, vel politica. |
113.- En effet, si quelqu'un voulait étendre cette suffisance non seulement à ses proches et à ses amis intimes, mais aussi aux amis de ses amis, il procéderait à l'infini, et ainsi cette suffisance ne pourrait parvenir à chacun de sorte que personne ne pourrait être heureux; la félicité exigeant cette suffisance infinie. Car le Philosophe parle ici de la félicité telle qu'on peut la trouver dans cette vie, c'est-à-dire de la félicité terrestre. Car la félicité de l'autre vie excède toute investigation de la raison. Ce que sera le terme auquel il faut parvenir pour être heureux suffisamment, il faudra en traiter plus loin, c'est-à-dire dans l'économique et la politique. |
#113. — Si, en effet, on veut étendre cela non seulement aux consanguins et aux amis propres, mais aussi aux amis des amis, cela ira à l'infini, la suffisance ne pourra appartenir à personne, et ainsi personne ne pourra être heureux, si le bonheur requiert cette suffisance infinie. Car en ce livre, le Philosophe parle du bonheur, tel qu'on peut l'obtenir en cette vie. En effet, le bonheur de l'autre vie excède toute investigation de la raison. Mais quel est le terme jusqu'auquel il faut que l'[homme] heureux soit suffisant, il faudra en reprendre ailleurs l'examen, à savoir, dans les Économiques ou dans la Politique. |
[72818] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 12 Et quia exposuerat cui debeat esse sufficiens bonum
perfectum, quod felicitas dicitur, quia scilicet non soli uni homini, sed
sibi et omnibus quorum cura ad ipsum spectat, consequenter exponit quid sit
quod dicitur per se sufficiens. Et dicit, quod per se sufficiens dicitur
illud, quod etiam si solum habeatur, facit vitam eligibilem et nullo
exteriori indigentem. Et hoc maxime convenit felicitati; alioquin non
terminaret motum desiderii, si extra ipsam remaneret aliquid, quo homo
indigeret. Omnis enim indigens desiderat adipisci id quo indiget. Unde
manifestum est, quod felicitas est bonum per se sufficiens. |
114.- Et parce qu'il a exposé à qui doit suffire le bien parfait qu'on appelle la félicité, qui doit s'étendre non à un seul homme mais à lui-même et à tous ceux dont il a la garde, par conséquent il expose la signification de la suffisance par soi, Et il dit que le bien suffisant par soi se dit de celui qui même s'il est le seul bien possédé; rend la vie désirable, n'ayant besoin d'aucun autre bien extérieur. Ce qui convient très bien à la félicité: autrement elle ne terminerait pas le mouvement du désir, s’il restait quelque chose en dehors d'elle-même dont l'homme aurait besoin. Tout indigent désire en effet posséder ce dont il est indigent. Aussi est-il manifeste que la félicité est un bien suffisant par soi. |
#114. — Comme il avait exposé pour qui doit être suffisant le bien parfait, que l'on appelle le bonheur, que ce n'était pas pour un homme seul, mais pour lui et pour tous ceux dont le soin le regarde, il expose ensuite qu'est-ce que c'est que l'on dit suffisant par soi. Il dit qu'on dit suffisant par soi, ce qui, même si on a seulement cela, rend la vie digne de choix, sans besoin de rien d'extérieur. Cela convient le plus au bonheur; autrement, le mouvement du désir ne se terminerait pas, si, en dehors de lui, il restait quelque chose dont on ait besoin. Car tout être en besoin désire atteindre ce dont il a besoin. Aussi est-il manifeste que le bonheur est le bien suffisant par soi. |
[72819] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 13 Deinde cum dicit: amplius autem omnium etc., exponit
rationem per se sufficientiae, quantum ad hoc quod dicit per se. Dicitur
autem aliquid per se sufficiens, ex eo quod seorsum ab aliis acceptum
sufficiens est. Quod quidem potest dupliciter contingere. Uno modo sic, quod
illud bonum perfectum quod dicitur per se sufficiens, non possit recipere
augmentum bonitatis ex alio bono addito, et haec quidem est conditio eius,
quod est totale bonum, scilicet Dei; sicut enim pars connumerata toti non est
aliquid maius quam totum, quia ipsa pars in toto includitur, ita etiam
quodcumque bonum connumeratum Deo non facit aliquod augmentum bonitatis quia
nihil est bonum nisi per hoc, quod participat bonitatem divinam. Aliquid
autem dicitur etiam solitarium, vel nullo alio connumerato, esse sufficiens,
inquantum continet omne illud, quo indiget homo ex necessitate. |
115.- Il donne la raison de la suffisance par soi quant à la signification du "par soi". Quelque chose est dit suffisant par soi du fait que, même séparé des autres biens, il est accepté comme suffisant. Ce qui peut arriver de deux manières, D'une première manière lorsque le bien parfait qui est dit suffisant par soi est tel qu'il ne puisse recevoir un surcroit de bonté par l'apport d'un autre bien. Ceci est précisément la condition du bien total qu'est Dieu. En effet, comme une partie dénombrée avec un tout n'est pas plus grande que le tout, parce qu'elle est elle-même comprise dans le tout, ainsi n'importe quel bien dénombré avec Dieu ne lui ajoute aucune bonté, parce que ce bien n'est bien que par cela qu'il participe à la bonté divine, D'une seconde façon, quelque chose de solitaire ne faisant nombre avec rien d'autre est dit suffisant en tant qu'il contient tout ce dont l'homme a absolument besoin. |
#115. — Ensuite (1097b16), il expose la définition de la suffisance par soi, quant à ce que dit par soi. Or on dit quelque chose suffisant par soi du fait que, pris hors du reste, il est suffisant. Cela, certes, peut survenir de deux manières. D'une manière, de sorte que ce bien parfait que l'on dit suffisant par soi ne puisse recevoir d'augmentation de bonté de l'ajout d'un autre bien. C'est, bien sûr, la condition de ce qui est le bien total, à savoir, de Dieu. Car de même qu'une partie comptée avec [le tout] n'est pas quelque chose de plus grand que le tout, parce que la partie même est incluse dans le tout, de même aussi, n'importe quel bien compté avec Dieu ne fait pas d'augmentation de bonté, puisqu'il n'est bon que parce qu'il participe à la bonté divine. Autre chose, toutefois, se dit suffisant [par soi] même solitaire, ou compté avec rien d'autre, en tant qu'il contient tout ce dont on a besoin nécessairement. |
[72820] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 14 Et sic felicitas de qua nunc loquitur habet per se
sufficientiam, quia scilicet in se continet omne illud quod est homini
necessarium, non autem omne illud quod potest homini advenire. Unde potest
melior fieri aliquo alio addito; nec tamen remanet desiderium hominis
inquietum, quia desiderium ratione regulatum, quale oportet esse felicis, non
habet inquietudinem de his quae non sunt necessaria, licet sint possibilia
adipisci. Hoc est ergo quod dicit maxime inter omnia convenire felicitati,
quod ipsa etiam non connumerata aliis sit eligibilis, sed tamen, si
connumeretur alicui alteri etiam minimo bonorum, manifestum est, quod erit
eligibilior. Cuius ratio est quia per appositionem fit superabundantia vel augmentum
bonitatis, quanto autem aliquid est magis bonum, tanto est magis eligibile. |
116.- Aussi la félicité dont on parle ici est suffisante par soi parce qu'elle contient en soi tout ce qui est nécessaire en soi, mais non tout ce qui peut arriver à l'homme. Elle peut devenir meilleure par quelque chose d'ajouté. Elle ne laisse pas cependant le désir de l'homme inassouvi, parce que le désir réglé par la raison - lequel doit être celui de l’homme heureux- n'est pas inquiet de ce qui n'est pas nécessaire tout en étant possible. Il dit donc que parmi toutes les conditions, celle qui convient le mieux à la félicité, c'est qu'elle soit désirable, éligible en elle-même, sans l’apport d’autre biens. Cependant si on la compare ou l'additionne le moindrement à un autre bien, il est manifeste qu'elle sera la plus désirable. Et la raison en est que c'est pas apposition que se fait la surabondance ou l'augmentation du bien. Quelque chose est d’autant plus éligible qu'il est meilleur. |
#116. — C'est de cette manière que le bonheur dont on parle maintenant a suffisance de soi, parce qu'il contient en lui tout ce qui est nécessaire en soi, mais pas tout ce qui peut advenir à l'homme. Aussi peut-il devenir meilleur avec l'ajout d'autre chose. Non pas, cependant, que le désir de l'homme reste insatisfait, car le désir réglé par la raison, tel qu'il faut que l'ait l'[homme] heureux, ne s'inquiète pas de ce qui n'est pas nécessaire, et qu'il soit possible d'obtenir. C'est donc ce qu'il dit convenir le plus entre toutes choses au bonheur, qu'il soit aussi digne de choix même sans être compté avec autre chose. Cependant, s'il était compté avec un autre parmi les moindres des biens, il est manifeste qu'il sera encore plus digne de choix. La raison en est que c'est par apposition que se fait la surabondance, ou l'augmentation du bien. Et meilleur quelque chose est, davantage il est digne de choix. |
[72821] Sententia Ethic., lib. 1 l. 9 n. 15 Ultimo autem concludit epilogando quod dictum est,
scilicet quod felicitas, cum sit omnium operatorum ultimus finis, est
perfectum bonum et per se sufficiens. |
117.- Il conclut donc en revenant sur ce qui fut dit, à savoir que la félicité; puisqu’elle est la fin ultime de toutes les œuvres, est un bien parfait et suffisant par soi. |
#117. — Finalement, il conclut, par manière d'épilogue, que voilà qui est dit, à savoir, que le bonheur, comme il est la fin ultime de toutes les actions, est le bien parfait et suffisant par soi. 23 |
|
|
|
Lectio
10 |
Leçon 10 : [Définition du bonheur] |
|
|
ON RECHERCHE DEFINITION DE LA FELICITE QUANT A TOUTES LES PARTIES DE LA VRAIE DEFINITION, LE GENRE ET LES DIFFERENCES: ON LA TROUVE DANS l’OPERATION PROPRE DE L’HOMME, QUI EST L’OPERATION RATIONELLE DE LA VERTU. |
|
[72822] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 1 Sed forte felicitatem
quidem et cetera. Postquam philosophus posuit quasdam conditiones
felicitatis, hic investigat definitionem eius. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit necessitatem huius inquisitionis. Secundo venatur definitionem
felicitatis, ibi, forte utique fiet hoc, et cetera. Tertio ostendit quod
praemissa definitio non est sufficiens, sed adhuc oportet amplius dicere,
ibi: circumscribatur quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod omnes
confitentur felicitatem esse aliquid optimum ad quod pertinet quod felicitas
sit ultimus finis et perfectum bonum et per se sufficiens. Sed adhuc
manifestius oportet dici aliquid de felicitate, ut sciatur quid ipsa sit in
speciali. |
118.- Après avoir posé quelques conditions de la félicité, le philosophe recherche ici sa définition. Ce qu'il fait en trois temps. Il montre d'abord la nécessité de cette recherche. Deuxièmement, il recherche la définition de la félicité, là, "Forte utique fiat hoc, etc." Tertio, il montre que la définition précitée ne suffit pas, mais qu'il faut ajouter quelque chose. Il dit donc en premier, que tous confessent que la félicité est un bien suprême auquel il appartient d'être la fin ultime et un bien parfait suffisant par soi. Mais à ce sujet, on doit dire quelque chose de plus manifeste, pour savoir ce qu'elle est en particulier. |
#118. — Après avoir posé certaines conditions du bonheur, le Philosophe investigue ici sa définition. Et à ce propos, il fait trois [considérations]. En premier, il montre la nécessité de cette recherche (1097b22). En second, il se met en chasse de la définition du bonheur (1097b24). En troisième, il montre que la définition précédente ne suffit pas, et qu'il faut parler encore plus amplement (1098a20). Il dit donc en premier que tous admettent que le bonheur est ce qu'il y a de mieux, à quoi a rapport que le bonheur soit la fin ultime et le bien parfait qui se suffit par soi. Mais il faut parler de manière encore plus manifeste du bonheur, de manière à savoir ce qu'il est spécifiquement. |
[72823] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 2 Deinde cum dicit: forte
utique etc., investigat definitionem felicitatis. Et circa hoc duo facit.
Primo inquirit genus eius. Secundo differentias eius, ibi: si autem est opus
hominis et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod felicitas est
operatio hominis. Secundo ostendit quod hominis sit aliqua propria operatio,
ibi: utrum igitur textoris quidem etc.; tertio ostendit, quae sit propria
operatio hominis, ibi: quid igitur hoc utique erit et cetera. Dicit ergo
primo, quod quid sit felicitas poterit manifestum esse si sumatur operatio
hominis. Cuiuslibet enim rei habentis propriam operationem, bonum suum et hoc
quod bene est ei consistit in eius operatione. Sicut tibicinis bonum
consistit in eius operatione. Et similiter eius qui facit statuam, et
cuiuslibet artificis. Et huius ratio est, quia bonum finale cuiuslibet rei
est ultima eius perfectio. Forma autem est perfectio prima, sed operatio est
perfectio secunda. Si autem aliqua res exterior dicatur esse finis, hoc non erit
nisi mediante operatione, per quam scilicet homo ad rem illam attingit vel
faciendo, sicut aedificator domum, aut utitur seu fruitur ea. Et sic
relinquitur quod finale bonum cuiuslibet rei in eius operatione sit
requirendum. Si igitur hominis est aliqua operatio propria, necesse est, quod
in eius operatione propria consistat finale bonum ipsius, quod est felicitas,
et ita genus felicitatis est propria operatio hominis. |
119.- Il recherche ensuite la
définition de la félicité. Sur ce, il fait deux choses. D'abord, il cherche
son genre; ensuite, ses différences. Quant au genre, il fait trois choses.
Premièrement, il montre que la félicité est une opération de l'homme.
Deuxièmement, il montre qu'il y a une opération propre à l’homme. Troisièmement,
il montre quelle est l’opération propre à l’homme. Il dit donc d’abord que la
nature de la félicité pourrait nous être manifestée si on considère l'opération
propre à l'homme. Pour chaque chose en effet qui a son opération propre le
bien consiste précisément dans cette opération, et ce qui est bien pour elle
consiste précisément dans l'opération propre de la chose considérée. Comme le
bien du flûtiste consiste dans son opération propre et le bien du statuaire,
dans son opération. Il en est ainsi pour n'importe quel artisan. Voici la
raison de cela: le bien final d'une chose quelconque est sa perfection
ultime. Ainsi, la forme est la perfection première, mais l'opération est sa
perfection seconde. Si on dit qu'une œuvre extérieure est une fin, cela ne se
pourra être que par l'intermédiaire de l'opération par laquelle l'homme
atteint cette œuvre, soit en la faisant, comme le fabricant d'une maison,
soit en s'en servant ou en n'en jouissant. Ainsi, on voit que le bien final
de chaque chose doit être recherché dans son opération. Et par conséquent, si
l’homme a quelque opération propre, il est nécessaire que son bien final, qui
est la félicité, réside dans cette opération propre. Et ainsi la félicité est
l’opération propre de l'homme. |
#119. — Ensuite (1097b24), il investigue la définition du bonheur. Et à ce propos, il fait deux [considérations]. En premier, il cherche son genre. En second, ses différences (1098a7). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bonheur est l'opération de l'homme. En second, il montre qu'il existe une opération propre à l'homme (1097b28). En troisième, il montre quelle est l'opération propre à l'homme (1097b33). Il dit donc en premier que ce qu'est le bonheur pourra devenir manifeste si l'on prend l'opération de l'homme. Car pour toute chose qui a une opération propre, c'est elle qui est son bien, et pour elle être bien consiste en son opération. Ainsi, pour le joueur de flûte, le bien consiste en son opération. Et [il en va] semblablement pour celui qui fait une statue et pour n'importe quel artisan. La raison en est que le bien final de n'importe quelle chose est sa perfection ultime. Or sa forme est une première perfection et son opération est une perfection seconde. Si toutefois c'est une chose extérieure qu'on dit sa fin, ce ne sera pas sans le biais d'une opération par laquelle on atteigne à cette chose, soit en la faisant, comme le constructeur [fait] la maison, soit qu'on en use ou en jouisse. Aussi reste-t-il que le bien final de n'importe quelle chose est à rechercher dans son opération. Si donc il existe pour l'homme une opération propre, nécessairement c'est dans son opération propre que consiste son bien final même, qui est le bonheur. Et ainsi le bonheur est l'opération propre de l'homme. |
[72824]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 3 Si autem dicatur in aliquo alio
felicitas consistere, aut hoc erit aliquid quo homo redditur idoneus ad
huiusmodi operationem, aut erit aliquid ad quod per suam operationem
attingit, sicut Deus dicitur esse beatitudo hominis. |
120.- Si donc on dit que la félicité consiste dans quelque chose d'autre (que son opération propre) ou bien, ce sera quelque chose par quoi l'homme est rendu apte à son opération, ou bien ce sera quelque chose qu'il atteindra par son opération, comme Dieu est dit être la béatitude de l'homme. |
#120. — Si par ailleurs on dit que le bonheur consiste en quelque chose d'autre, ou bien ce sera quelque chose par quoi l'homme est rendu apte à une opération de cette sorte, ou bien ce sera quelque chose à quoi il atteint par son opération, de la manière dont on dit que Dieu est la béatitude de l'homme. |
[72825] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 4 Deinde cum dicit: utrum igitur textoris etc., probat
quod sit aliqua propria operatio hominis. Et hoc dupliciter. Primo quidem per
ea quae accidunt homini. Accidit enim homini, quod sit textor, vel coriarius,
aut grammaticus, vel musicus sive aliquid aliud huiusmodi. Sed nihil istorum
est, quod non habeat propriam operationem. Alioquin sequeretur quod huiusmodi
otiose et frustra homini advenirent. Multo autem magis inconveniens quod sit
otiosum et frustra id quod est secundum naturam, quod est ordinatum ratione
divina, quam id quod est secundum artem, quod est ordinatum ratione humana.
Cum igitur homo sit aliquid existens secundum naturam, impossibile est, quod
sit naturaliter otiosus, quasi non habens propriam operationem. Est igitur
aliqua operatio hominis propria, sicut eorum quae ei accidunt. Cuius causa
est, quia unumquodque, vel naturale vel artificiale, est per aliquam formam,
quae est alicuius operationis principium. Unde sicut unaquaeque res habet
proprium esse per suam formam, ita etiam et propriam operationem. |
121.- Il prouve qu'il y a une opération proprement humaine. Et cela de deux façons. Primo, par ce qui est accidentel à l'homme. En effet, il arrive à l'homme d'être constructeur ou corroyeur, ou grammairien, ou musicien, ou quelque chose de semblable. Mais il n’y a aucune de ces choses qui n'ait son opération propre. Car sans cela, il s'ensuivrait que les choses de ce genre arriveraient à l'homme inutilement et en vain. Or il est de beaucoup plus inconvenable que soit vain et inutile ce qui est selon la nature, qui est ordonné par la raison divine, que ce qui est ordonné par la raison humaine. Donc puisque l'homme est un être existant selon la nature, c'est-à-dire un être naturel, il est impossible qu'il soit naturellement inutile tout comme s'il (quasi) n'avait pas une opération propre. Il y a donc une certaine opération propre à l'homme comme il y en a une à chaque chose qui lui arrive. Or voici la cause: c'est que chaque chose, qu'elle soit naturelle ou artificielle, existe par une forme qui est le principe de son opération. D'où l'on voit que, comme chaque chose à son être propre par sa forme, ainsi elle a aussi son opération propre. |
#121. — Ensuite (1097b28), il prouve qu'il existe une opération propre à l'homme. Et cela de deux manières. En premier, certes, par le biais des accidents de l'homme. C'est un accident, en effet, pour l'homme, qu'il soit tisserand, ou corroyeur, ou grammairien, ou musicien ou autre chose de la sorte. Mais il n'est aucun d'entre ceux-là qui n'ait son opération propre. Il s'ensuivrait autrement que [des accidents] de cette sorte appartiendraient inutilement et en vain à l'homme. Or c'est beaucoup plus inconvenant si ce qui est par nature, et donc ordonné par raison divine, est inutile et en vain, que si c'est ce qui est ordonné par raison humaine. Comme donc l'homme est quelque chose qui existe par nature, il est impossible qu'il soit naturellement inutile, comme sans avoir d'opération propre. Il y a donc une opération propre à l'homme, comme [il y en a] pour ses accidents. La cause en est que chaque chose, ou naturelle ou artificielle, tient l'être d'une forme qui est principe de quelque opération. De là, de même que chaque chose tient son être propre de sa forme, de même aussi elle [en] tient son opération propre. |
[72826] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 5 Secundo ibi: vel
quemadmodum oculi etc., ostendit idem per hominis partes. Eamdem enim
operationem oportet existimare in toto et in partibus; quia sicut anima est
actus totius corporis, ita partes animae quaedam sunt actus quarumdam partium
corporis, ut visus oculi. Sed quaelibet pars hominis habet propriam operationem,
sicut oculi operatio est videre, et manus palpare et pedis ambulare et sic de
aliis particulis; relinquitur ergo quod etiam totius hominis sit aliqua
propria operatio. |
122.- Il montre la même chose par les parties de l'homme. En effet, on doit juger que l'opération est de même nature dans le tout et dans les parties; parce que, comme l'âme est l'acte d'un corps entier, ainsi certaines parties de l'âme sont actes de certaines parties du corps, comme la vue est acte de l’œil. Mais, chaque partie de l'homme a son opération propre, comme l'opération des yeux est de voir, et celle de la main est de palper, et celle du pied, de marcher et ainsi en est-il des autres parties; il s'ensuit donc qu'il existe une opération propre de tout l’homme. |
#122. — En second (1097b30), il montre la même [chose] par le biais des parties de l'homme. Car il faut attendre la même opération dans le tout et les parties; en effet, de même que l'âme est l'acte de tout le corps, de même certaines parties de l'âme sont les actes de certaines parties du corps, comme la vue de l'œil. Or toute partie de l'homme a son opération propre; par exemple, l'opération de l'œil est de voir, [celle] de la main, palper, [celle] des pieds, marcher, et ainsi des autres parties. Reste donc qu'il existe aussi une opération propre pour tout l'homme. 24 |
[72827] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 6 Deinde cum dicit: quid
igitur hoc etc., inquirit quae sit propria operatio hominis. Manifestum est
autem quod propria operatio uniuscuiusque rei est quae competit ei secundum
suam formam. Forma autem hominis est anima, cuius actus dicitur vivere; non
quidem secundum quod vivere est esse viventis, sed secundum quod vivere
dicitur aliquod opus vitae, puta intelligere vel sentire; unde manifestum
est, quod in aliquo opere vitae consistit hominis felicitas. |
123.- Il recherche quelle est cette opération propre à l’homme. Or il est manifeste que l'opération elle-même d'une chose quelconque est ce qui lui convient selon sa forme. Or la forme de l’homme est l'âme, dont l'acte s'appelle vivre; Non pas en ce sens que vivre est l'existence du vivant, mais dans ce sens que "vivre" se dit de l’œuvre de la vie, comme intelliger, sentir. D’où il est manifeste que la félicité de l’homme consiste dans une certaine œuvre de la vie. |
#123. — Ensuite (1097b33), il cherche quelle est l'opération propre à l'homme. Par ailleurs, il est manifeste que l'opération même de n'importe quelle chose, c'est celle qui lui convient selon sa forme. Or la forme de l'homme est son âme, dont on dit que l'acte est de vivre; non pas, bien sûr, selon que vivre est l'essence du vivant, mais selon qu'on appelle vivre une œuvre de la vie, par exemple intelliger, sentir. De là il est manifeste que le bonheur de l'homme consiste en quelque œuvre de la vie. |
[72828] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 7 Non autem potest dici,
quod secundum quodcumque vivere attenditur hominis felicitas, quia vivere est
commune etiam plantis, sed felicitas quaeritur sicut quoddam proprium hominis
bonum. Dicitur enim bonum humanum. Pari autem ratione etiam species vitae
quae dicitur nutritiva vel augmentativa separanda est a felicitate, quia haec
etiam communia sunt plantis. Et ex hoc accipi potest, quod felicitas non
consistit neque in sanitate, neque in pulchritudine, neque in fortitudine,
neque in proceritate corporis. Omnia enim haec acquiruntur per operationes
huius vitae. |
124.- Cependant, on ne peut pas dire que la félicité de l'homme s'atteint dans ni importe quel vivre, parce que vivre est aussi commun aux plantes. Mais on doit rechercher la félicité comme un certain bien propre à l'homme. Elle est en effet un bien humain. Pour la même raison, l'espèce de vie qu'on appelle nutritive ou de croissance, est à écarter de la félicité; parce que ces deux espèces de vie sont communes aux plantes. Et de là, on peut conclure que la félicité ne consiste ni dans la santé, ni dans la beauté, ni dans la force, ni dans la taille du corps. Toutes ces choses en effet sont acquises par les opérations de ce genre de vie. |
#124. — Mais on ne peut pas dire qu'on attend le bonheur de l'homme de n'importe quelle [façon de] vivre. Car vivre est commun aux plantes, tandis que le bonheur se cherche comme un bien propre de l'homme; on l'appelle en effet le bien humain. Pour pareille raison encore, les aspects de la vie qu'on appelle nutrition, ou croissance, sont aussi à distinguer du bonheur, du fait qu'ils sont eux aussi communs aux plantes. De là on peut convenir que le bonheur ne consiste ni en la santé, ni en la beauté, ni en la force, ni en la taille du corps. En effet, tout cela s'acquiert par des opérations de cette vie-là. |
[72829] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 8 Post vitam autem
nutritivam et augmentativam sequitur vita sensitiva. Quae etiam non est
propria homini, sed convenit etiam equo et bovi et cuilibet animali. Unde nec
in hac vita consistit felicitas. Et ex hoc accipi potest, quod humana
felicitas non consistit in aliqua sensibili cognitione seu delectatione. |
125.- Cependant, après la vie de nutrition et de croissance, il y a la vie sensitive. Elle n’est pas non plus propre à l'homme, mais convient au cheval et au bœuf et à tout animal et donc la félicité ne consiste pas en cette vie. Et de là on peut admettre que la félicité humaine ne consiste pas dans quelque connaissance sensible ou quelque délectation. |
#125. — Après la vie nutritive et de croissance, toutefois, suit la vie sensitive. Celle-là non plus n'est pas propre à l'homme, mais convient au cheval, au bœuf et à n'importe quel animal. Aussi n'est-ce pas non plus en cette vie que consiste le bonheur. De là, on peut convenir que le bonheur humain ne consiste pas en quelque connaissance ou délectation sensible. |
[72830] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10
n. 9 Post vitam autem
nutritivam et sensitivam non relinquitur nisi vita quae est operativa
secundum rationem. Quae quidem vita propria est homini. Nam homo speciem
sortitur ex hoc quod est rationalis. Sed rationale est duplex. Unum quidem
participative, inquantum scilicet persuadetur et regulatur a ratione. Aliud
vero est rationale essentialiter, quod scilicet habet ex seipso ratiocinari
et intelligere. Et haec quidem pars principalius rationalis dicitur, nam
illud quod dicitur per se, semper est principalius eo quod est per aliud.
Quia igitur felicitas est principalissimum bonum hominis, consequens est, ut
magis consistat in eo quod pertinet ad id quod est rationale per essentiam
quam in eo quod pertinet ad id quod est rationale per participationem. Ex quo
potest accipi, quod felicitas principalius consistit in vita contemplativa
quam in activa; et in actu rationis vel intellectus, quam in actu appetitus
ratione regulati. |
126.- Or, après la vie nutritive et sensitive, il n'en reste pas d'autre que la vie qui est opérative selon la raison; et, celle-ci est la vie propre à l'homme. Car l'homme tire son espèce du fait qu'il est raisonnable. Mais le rationnel est double; l'un est le rationnel par participation, à savoir en tant qu'il est persuadé et dirigé par la raison; l'autre, le rationnel par essence, à savoir celui qui de lui-même raisonne et intellige. Certes, c’est la partie qui est principalement rationnelle parce que ce qui est "par soi" est toujours premier par rapport à ce qui est par un autre. Parce que la félicité est le bien principal de l'homme, il s'ensuit qu'elle consiste beaucoup plus en ce qu'il a de rationnel essentiellement qu'en ce qu'il a de rationnel par participation. De là, on peut dire que la félicité consiste davantage dans la vie contemplative, que dans la vie active; et dans l'acte de la raison ou de l'intelligence plutôt que dans l'acte de l'appétit dirigé par la raison. |
#126. — Après la vie nutritive et sensible, il ne reste enfin que la vie qui opère selon la raison. Et cette vie-là est propre à l'homme. En effet, l'homme tire justement sa nature de ce qu'il est rationnel. Mais le rationnel est double. L'un, certes, l'est par participation, à savoir pour autant qu'il est persuadé et réglé par la raison. Tandis que l'autre est rationnel par essence: il a de lui-même [l'aptitude à] raisonner et intelliger. C'est celle-ci, bien sûr, qui se dit plus principalement partie rationnelle. Car ce qui est par soi est toujours principal en regard de ce qui est par le biais d'autre chose. Parce que donc le bonheur est le bien principalissime de l'homme, il s'ensuit qu'il consiste davantage en ce qui est rationnel par essence qu'en ce qui est rationnel par participation. De là on peut convenir que le bonheur consiste plus principalement en la vie contemplative qu'en l'active; et [davantage] dans l'acte de la raison ou de l'intelligence qu'en l'acte de l'appétit réglé par la raison. |
[72831] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 10 Deinde cum dicit: si autem (est) opus hominis etc.,
investigat differentias felicitatis. Et dividitur in partes duas, secundum
duas differentias quas investigat. Secunda pars incipit ibi, amplius autem,
et cetera. Primo igitur accipit ex praemissis quod proprium opus hominis sit
operatio animae, quae est secundum ipsam rationem, vel non sine ratione. Quod
dicit propter operationem appetitus regulati ratione. Hoc autem in omnibus
communiter invenitur, quod idem est opus alicuius rei in genere acceptae et
opus illius rei si sit bona: nisi quod oportet apponere ex parte operationis
id quod pertinet ad virtutem. Sicut opus citharistae est citharizare. Opus
autem boni citharistae est bene citharizare. Et similiter est in omnibus
aliis. |
127.- Il recherche les différences de la félicité. Ce qui comporte deux parties selon les deux différences qu'il examine. En premier, il tire de ce qu'il a dit, que l'opération propre de l'homme est l'opération de l'âme, qui est selon la raison elle-même, ou qui n'est pas exempte de raison. Il ajoute ce dernier membre à cause de l'opération de l'appétit dirigé par la raison. Or voici un fait que l'on retrouve partout: l'opération qui convient à une chose en général est la même que celle qui lui convient une fois perfectionnée ou bonne: à moins qu'il faille placer du côté de l'opération ce qui appartient à la vertu. Ainsi l'œuvre du cithariste est de jouer de la cithare; l'œuvre du bon cithariste est de bien jouer. Et il en est de même dans tous les autres cas. |
#127. — Ensuite (1098a7), il investigue les différences du bonheur. Cela se divise en deux parties, d'après les deux différences qu'il investigue. En premier donc on convient à partir de ce qui précède que l'œuvre propre de l'homme soit cette opération de son âme qui se fait selon la raison elle-même, ou du moins non sans raison. Ce qu'il ajoute à cause de l'opération de l'appétit réglé par la raison. Or cela se trouve communément en toutes [choses] que soit identique l'œuvre d'une chose prise génériquement et l'œuvre de cette chose quand elle est bonne, sauf qu'il faut ajouter de la part de l'opération ce qui appartient à la vertu. Ainsi, l'œuvre du cithariste est de jouer de la cithare et l'œuvre du bon cithariste, de bien jouer de la cithare. Et il en va semblablement en toutes autres [choses]. |
[72832] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 11 Si igitur opus hominis consistit in quadam vita, prout
scilicet homo operatur secundum rationem, sequitur quod boni hominis sit bene
operari secundum rationem, et optimi hominis, scilicet felicis, optime hoc
facere. Sed
hoc pertinet ad rationem virtutis, quod unusquisque habens virtutem secundum
eam bene operetur sicut virtus equi est secundum quam bene currit. Si ergo
operatio optimi hominis, scilicet felicis, est ut bene et optime operetur
secundum rationem, sequitur quod humanum bonum, scilicet felicitas, sit
operatio secundum virtutem: ita scilicet quod si est una tantum virtus
hominis, operatio quae est secundum illam virtutem, erit felicitas. Si autem
sunt plures virtutes hominis, erit felicitas operatio quae est secundum
optimam illarum, quia felicitas non solum est bonum hominis, sed optimum. |
128.- Par conséquent si l'opération de l'homme consiste dans une certaine vie, à savoir, suivant que l'homme opère selon la raison, il s'ensuit qu'il convient à l'homme bon de bien opérer selon la raison, et à l'homme très bon de le faire très bien. Mais cela appartient à la raison de vertu, que celui qui a la vertu opère bien selon elle; comme la vertu cheval est qu’il courre bien. Donc, si l'opération de l'homme très bon, c'est- à-dire heureux, est de bien et de très bien opérer selon la raison, il s’ensuit que le bien humain, à savoir la félicité, est l'opération selon la vertu: de telle sorte que s'il n'existe qu'une seule vertu de l’homme, l'opération qui est selon cette vertu est la félicité. Cependant, s'il y a plusieurs vertus de l'homme, la félicité sera l'opération qui est selon la plus haute (la plus noble) d'entre elles. Car la félicité n'est pas seulement le bien de l'homme, mais le bien le meilleur. |
#128. — Si donc l'œuvre de l'homme consiste en une certaine vie, à savoir celle où l'homme opère selon la raison, il s'ensuit qu'il appartienne au bien de l'homme de bien opérer selon la raison, et [qu'il appartienne] à l'homme le meilleur, à savoir heureux, qu'il le fasse de la meilleure façon. Or cela appartient à la définition de la vertu que tout ce qui a vertu opère bien grâce à elle, comme la vertu du cheval est ce grâce à quoi il court bien. Si donc l'opération du meilleur homme, à savoir de [l'homme] heureux, est d'opérer bien et de la meilleure façon selon la raison, il s'ensuit que le bien humain, à savoir le bonheur, soit d'opérer selon sa vertu: de sorte que s'il existe une seule vertu de l'homme, l'opération qui se fait selon cette vertu sera le bonheur; mais que s'il existe plusieurs vertus de l'homme, sera le bonheur l'opération qui sera la meilleure d'entre elles. Car le bonheur non seulement est le bien de l'homme, mais [son bien] le meilleur. |
[72833] Sententia Ethic., lib. 1 l. 10 n. 12 Deinde cum dicit: amplius autem in vitam perfectam
etc., investigat aliam differentiam felicitatis. Requiritur enim ad
felicitatem continuitas et perpetuitas quantum possibile est. Hoc enim
naturaliter appetitus habentis intellectum desiderat, utpote apprehendens non
solum esse ut nunc sicut sensus, sed etiam esse simpliciter. Cum autem esse
sit secundum seipsum appetibile, consequens est, quod sicut animal per sensum
apprehendens esse ut nunc, appetit nunc esse, ita etiam homo per intellectum
apprehendens esse simpliciter, appetit esse simpliciter et semper et non
solum ut nunc. Et ideo de ratione perfectae felicitatis est continuitas et
perpetuitas, quam tamen praesens vita non patitur. Unde in praesenti vita non
potest esse perfecta felicitas. Oportet tamen quod felicitas qualem possibile
est esse praesentis vitae, sit in vitam perfectam, id est per totam
hominis vitam. Sicut enim una hirundo veniens non demonstrat ver, nec una dies
temperata, ita etiam nec una operatio semel facta facit hominem felicem, sed
quando homo per totam vitam continuat bonam operationem. |
129.- Il recherche l'autre différence de la félicité. La félicité qui est aussi la continuité et la perpétuité en autant qu'il est possible. Ce que désire naturellement l’appétit de celui qui a une intelligence, parce qu'il n'appréhende pas uniquement l'existence actuelle comme le fait le sens, mais aussi l'existence de façon absolue. Or comme l'existence est par elle-même appétible, il s'ensuit que comme l'animal qui appréhende l'existence actuelle par le sens désire cette existence actuelle, ainsi l'homme qui appréhende l'existence "simpliciter". Il par l'intelligence désire exister absolument et toujours et non seulement actuellement. Et c'est pourquoi, la continuité et la perpétuité appartiennent à la raison de la félicité parfaite que, cependant, la vie présente ne peut souffrir. La félicité parfaite ne peut donc exister dans la vie présente. Il faut cependant que la félicité, en autant que son existence est possible en cette vie, soit dans une vie parfaite, c'est-à-dire pendant toute la vie de l'homme. Comme en effet, une hirondelle ne fait pas le printemps, ni une journée tempérée, ainsi, une seule opération accomplie ne fait pas le bonheur de l'homme. Il faut que l'opération se continue pendant toute la vie. |
#129. — Ensuite (1098a18), il investigue une autre différence du bonheur. Est aussi requise au bonheur, en effet, la continuité et la perpétuité autant qu'elle est possible. En effet, l'appétit de qui a intelligence désire naturellement cela, puisqu'il appréhende non seulement, comme le sens, l'être actuel, mais aussi l'être tout court. Or comme l'être est désirable de lui-même, il s'ensuit que de même que l'animal, qui appréhende par le sens l'être actuel, désire être maintenant, de même aussi 25 l'homme, qui appréhende par son intelligence l'être tout court, désire être tout court, et toujours, et pas seulement actuellement. Et c'est pourquoi, bien que cependant la vie présente ne la souffre pas, la continuité et la perpétuité appartient à la définition du bonheur parfait. De là le bonheur ne peut-il être parfait en la vie présente. Il faut toutefois que le bonheur, tel qu'il est possible en la vie présente, s'accompagne d'une vie parfaite, c'est-à-dire dure toute la vie de l'homme. De même en effet qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus une journée de belle température, de même non plus une seule opération bien faite ne fait pas l'homme heureux; [l'homme n'est heureux] que lorsqu'il continue toute sa vie à opérer bien. |
[72834] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 10 n. 13 Sic ergo patet, quod felicitas
est operatio propria hominis secundum virtutem in vita perfecta. |
130.- Donc il est évident que la félicité est l’opération propre de l'homme selon la vertu dans la vie parfaite. |
#130. — Ainsi devient-il donc évident que le bonheur est l'opération propre de l'homme menée selon sa vertu au cours d'une vie complète. |
|
|
|
Lectio
11 |
Leçon 11 : [Le temps favorise la compréhension de ce qu’est le bonheur] |
Leçon 11 |
|
LA DEFINITION DE LA FELICITE UNE FOIS TROUVEE, IL MONTRE CE QU'IL RESTE A FAIRE; IL MANIFESTE COMMENT LE TEMPS COOPERE A LA DECOUVERTE DE LA VERITE, ET COMMENT IL EN FAVORISE AUSSI L'OUBLI. |
|
[72835] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 1 Circumscribatur quidem
igitur bonum et cetera. Postquam philosophus investigavit diffinitionem
felicitatis, nunc ostendit quid post hoc agendum relinquatur. Et circa hoc
duo facit. Primo ostendit quid restat agendum. Secundo quomodo id agere
oporteat, ibi, meminisse autem et praedictorum oportet et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit quid sit factum et quid restet agendum. Et
dicit, quod ita sicut supra habitum est, circumscribitur bonum finale
hominis, quod est felicitas. Et vocat circumscriptionem notificationem
alicuius rei per aliqua communia quae ambiunt quidem ipsam rem, non tamen
adhuc per ea in speciali declaratur natura illius rei. Quia, ut ipse subdit,
oportet quod aliquid primo dicatur figuraliter, id est secundum
quandam similitudinariam et extrinsecam quodammodo descriptionem; et deinde
oportet ut manifestatis quibusdam aliis resumatur illud quod fuit prius
figuraliter determinatum, et sic iterato plenius describatur. Unde et ipse
postmodum in fine libri de felicitate tractatum complebit. |
131.- Après avoir cherché la définition de la félicité, il montre maintenant ce qu’il reste à faire. Ce qu'il fait en deux temps: primo, il montre ce qu'il reste à faire; secundo, de quelle façon il faut le faire. Sur ce qu'il reste à faire, il fait trois choses. Primo, il montre ce qui a été fait et ce qu'il reste à faire. Et, dit-il, comme on l'a montré plus haut, on a esquissé, circonscrit le bien final de l'homme, qui est la félicité. Et il appelle cette circonscription la notification d'un objet par des choses communes qui entourent l'objet, sans cependant que ces "communia" n'aient jusqu'ici manifesté en particulier la nature propre de cet objet. En voici la raison: comme il le dit lui-même, il faut que la chose soit notifiée d'abord "figuraliter", c'est-à-dire selon une description par similitude et extrinsèque de quelque manière; et ensuite, après avoir manifesté d'autres "éléments" nécessaires, il faut résumer ce qui fut antérieurement déterminé "figuraliter", de façon à ce que par la sui te on puisse la décrire plus pleinement, d’ailleurs, à la fin de ce livre, il comp1ètera ce traité sur la félicité. |
#131. — Après avoir investigué la définition du bonheur même, le Philosophe montre maintenant ce qu'il reste à faire après cela. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'il reste à faire. En second (1098a26), comment il faut le faire. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il énonce ce qu'il y a de fait et ce qu'il reste à faire. Il dit qu'ainsi, comme on l'a fait plus haut, le bien final de l'homme, qui est le bonheur, se trouvera circonscrit. Il appelle circonscription la notification de quelque chose par des [propos] communs autour de la chose même, bien que sa nature ne s'en trouve pas encore manifestée dans le détail. Car, comme il le dit lui-même, il faut que quelque chose soit d'abord présenté figurément, c'est-à-dire, selon une certaine similitude et une description quelque peu extrinsèque; ensuite, il faut qu'après avoir manifesté autre chose, on rappelle ce qui avait d'abord été traité figurément, et qu'ainsi, en reprise, on le décrive plus pleinement. Aussi complétera-t-il lui-même le traité du bonheur plus tard, à la fin du livre. |
[72836] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 2 Secundo ibi: videbitur
autem utique etc., assignat rationem eius quod dictum est, hoc enim ad
naturam cuiuslibet hominis pertinere videtur, ut ea quae bene continent
descriptionem alicuius rei perducat, scilicet de imperfecto ad perfectum, et
particulatim disponat, primo scilicet unam partem, et postea aliam
investigando. Ad hominis enim naturam pertinet ratione uti ad veritatis cognitionem.
Rationis autem proprium est ab uno in aliud procedere, intellectus autem
proprium est statim apprehendere veritatem; et ideo ad hominem pertinet ut
paulatim in cognitione veritatis proficiat, substantiae vero separatae, quae
intellectuales dicuntur, statim absque inquisitionem notitiam veritatis habent. |
1320- Secundo, il assigne la raison de ce qui a été dit. Il semble appartenir à la nature de l'homme de procéder de l'imparfait au parfait dans l'élaboration d'une bonne description d'une chose, disposant les éléments un à un. Il faut décrire une première partie, puis en rechercher une autre. Il appartient en effet à la nature humaine de se servir de sa raison pour connaître la vérité. Or le propre de la raison n’est pas de saisir d’un seul coup la vérité: et c'est pourquoi il appartient à l'homme de s'avancer peu à peu dans la connaissance de la vérité. Alors que les substances séparées, dites intellectuelles, possèdent d'un seul coup ou sans discourir la connaissance de la vérité. |
#132. — En second (1098a22), il assigne la raison de ses dires, en disant qu'il appartient manifestement à la nature de tout homme de conduire de l'imparfait au parfait les bons éléments de la description d'une chose, en disposant des détails. En menant d'abord l'investigation d'une partie, puis d'une autre. Il appartient à la nature de l'homme, en effet, de se servir de la raison pour connaître la vérité. Or c'est le propre de la raison de ne pas appréhender tout d'un coup la vérité: c'est pourquoi il appartient à l'homme de progresser peu à peu dans la connaissance de la vérité. Tandis que les substances séparées, que l'on dit intellectuelles, ont connaissance de la vérité tout d'un coup, sans investigation. |
[72837] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 3 Tertio ibi: et tempus
talium etc., ostendit per quid homo ad praedicta iuvetur. Et dicit quod
eorum, quae bene se habent ad aliquid circumscribendum videtur tempus esse
quasi adinventor, vel bonus cooperator: non quidem quod tempus per se ad hoc
aliquid operetur sed secundum ea quae in tempore aguntur. Si enim aliquis
tempore procedente det se studio investigandae veritatis, iuvatur ex tempore
ad veritatem inveniendam et quantum ad unum et eumdem hominem qui postea
videbit quod prius non viderat, et etiam quantum ad diversos, utpote cum
aliquis intuetur ea quae sunt a praedecessoribus adinventa et aliquid
superaddit. Et per hunc modum facta sunt additamenta in artibus, quarum a
principio aliquid modicum fuit adinventum, et postmodum per diversos paulatim
profecit in magnam quantitatem, quia ad quemlibet pertinet superaddere id quod
deficit in consideratione praedecessorum. |
133.- Tertio, il montre ce qui aide l'homme à parvenir à ce que l'on vient de dire. Et il dit que pour trouver ce qui est bon à la bonne description d'une chose, le temps apparaît comme un auxiliaire ou un bon coopérateur; non certes que le temps par soi serve à ce but, mais en tant que ces choses sont situées dans le temps. Si quelqu'un consacre son effort à rechercher la vérité, il reçoit l'aide du temps pour découvrir la vérité, que ce soit quant à un seul homme qui verra plus tard ce qu'il ne voyait pas avant, ou que ce soit quant à divers hommes, comme lorsque quelqu’un pénètre ce qui a été inventé par ses prédécesseurs et lui ajoute quelque apporta Et c'est de cette façon que les arts se sont enrichis: au début, on a trouvé des petites choses puis, peu à peu, grâce à divers contributeurs, on eu est arrivé à une grande quantité, parce qu'il appartient à chaque homme d'ajouter ce qui manque à la considération de ses prédécesseurs. |
#133. — En troisième (1098a23), il montre par quoi on est aidé à ce qui précède. Il dit que, pour ceux qui s'y prennent bien pour circonscrire une chose, le temps paraît être comme un inventeur, ou un bon coopérateur: non pas, bien sûr, que le temps y fait par lui-même quelque chose, mais en rapport à ce qui se fait avec du temps. Si, en effet, le temps s'écoulant, on met du travail à l'investigation de la vérité, on est aidé par le temps à découvrir la vérité, à la fois pour un seul et même homme, qui verra plus tard ce qu'il n'avait pas vu auparavant, et aussi pour plusieurs, pour autant qu'en regardant aux découvertes de ses prédécesseurs, on trouve à y ajouter autre chose. C'est de cette manière que se sont faits les ajouts dans les arts: au début, une petite chose y a été découverte, et par la suite c'est grâce à l'aide de plusieurs que l'on progresse peu à peu à une grand accroissement, parce que n'importe qui a le loisir d'ajouter ce qui manque à la considération de ses prédécesseurs. |
[72838] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11
n. 4 Si autem e contrario
exercitium studii praetermittatur, tempus est magis causa oblivionis, ut
dicitur in quarto physicorum, et quantum ad unum hominem, qui si se
negligentiae dederit, obliviscetur quod scivit, et quantum ad diversos. Unde
videmus multas scientias vel artes quae apud antiquos viguerunt paulatim
cessantibus studiis in oblivionem abiisse. |
134.- Mais si, au contraire, on cesse d'étudier et de penser, le temps est davantage une cause d’oubli, comme il est dit au quatrième livre des Physiques; et cela quant à un seul homme - car s'il se livre à la négligence, il oubliera ce qu’il savait - et quant à divers hommes. Ainsi, nous voyons que de nombreuses sciences en vigueur chez les Anciens sont tombées peu à peu dans l'oubli, dès qu’on eut cessé leur étude. |
#134. — Si toutefois, au contraire, l'étude diligente est négligée, le temps devient davantage cause d'oubli, comme il est dit au quatrième [livre] de la Physique (XII, 10; lect. 20), à la fois pour un seul homme, qui, s'il s'adonne à la négligence, oublie ce qu'il a su, et pour plusieurs. Aussi, nous voyons beaucoup de sciences qui avaient vigueur chez les anciens tomber dans l'oubli, la diligence cessant. |
[72839] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 5 Deinde cum dicit: meminisse autem et praedictorum etc.,
ostendit quomodo sit prosequendum id quod restat. Et primo proponit hoc in
generali, reducens ad memoriam ea quae supra in prooemio dicta sunt, quod
scilicet non oportet similiter exquirere certitudinem in omnibus, sed in
singulis secundum convenientiam materiae, prout scilicet est proprium illi
doctrinae quae circa illam materiam versatur. |
135.- Ensuite, il dit de quelle façon il faut poursuivre ce qui reste. Et d’abord on pose le principe en général: se rappelant ce qu'on a dit dans l'introduction, à savoir que la même certitude ne doit pas être recherchée en toute chose, Dans chacun des cas il faut y aller selon la matière qui est sujet, c'est-à-dire en tant qu'elle est propre à cette doctrine, qui traite de cette matière. |
#135. — Ensuite (1098a26), il montre comment il faut poursuivre pour ce qui reste. 26 En premier, cela est proposé en général, en ramenant à la mémoire ce qui a été dit plus haut, dans le prologue, à savoir, qu'il ne faut pas exiger de la même manière de la certitude en toute [chose], mais en chacune selon la matière à elle assujétie, pour autant que cela est approprié à la doctrine qui porte sur elle. |
[72840] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 6 Secundo ibi: et enim tector et geometra etc.,
manifestat, quod dixerat, in speciali. Et primo quantum ad id quod
diversimode in diversis observari oportet. Secundo quantum ad id quod
communiter in omnibus observandum est, ibi, pertransire autem oportet, et
cetera. Circa primum tradit duplicem diversitatem. Quarum prima est secundum
differentiam scientiae practicae et speculativae. Unde dicit quod tector,
idest artifex operativus, et geometra, qui est speculativus, differenter
inquirunt de linea recta. Artifex quidem operativus, utpote carpentarius,
inquirit de linea recta quantum est utile ad opus, utpote ad secandum ligna
vel aliquid aliud huiusmodi faciendum; sed geometra inquirit quid est linea
recta et quale quid sit, considerando proprietates et passiones ipsius, quia
geometra intendit solam speculationem veritatis. Et secundum hunc modum
faciendum est in aliis scientiis operativis, ut non sequatur hoc inconveniens
ut in scientia operativa fiant plures sermones ad opera non pertinentes illis
sermonibus qui sunt circa opera, puta, si in hac scientia morali aliquis
vellet pertractare omnia quae pertinent ad rationem et alias partes animae,
oporteret plura de hoc dicere quam de ipsis operibus. Est enim in
unaquaque scientia vitiosum, ut homo multum immoretur in his quae sunt extra
scientiam.
|
136.- En second, il manifeste son principe en particulier. Primo, quant à ce qui doit être observé de diverses façons dans différentes choses. Secundo, quant à ce qu'on doit observer communément en toute chose. Sur le primo, il manifeste une triple diversité. La première est prise d'après la différence entre la science pratique et la science spéculative. Il dit que l'architecte, c'est-à-dire Il artisan opératif, et le géomètre, qui est un spéculatif, s’enquièrent différemment de la ligne droite. L'artisan opératif, comme le charpentier, s'enquiert de la ligne en tant qu'elle est utile à son œuvre, comme par exemple pour scier du le bois, ou pour faire quelque chose de ce genre; mais le géomètre Si enquiert de ce qui est la ligne, de sa nature, en considérant ses propriétés et ses qualités: car le géomètre recherche la seule contemplation du vrai. C'est selon cette manière qu’il faut procéder dans les autres sciences opératives, de peur que ne s'ensuive, dans une science opérative, l'inconvénient de multiplier les considérations qui n'appartiennent pas à l'œuvre. Par exemple, si dans la science morale quelqu'un voulait traiter de ce qui appartient à la raison et à d’autres parties de l'âme, il faudrait en dire beaucoup plus à ce sujet qu'il n'en faut pour les œuvres elles-mêmes. Il est mauvais dans chaque science que l'on s'attarde à ce qui est hors du sujet de cette science. |
#136. — En second (1098a29), il manifeste ce qu'il avait dit, et en détail. En premier, quant à ce qu'il faut observer une manière différente en des [matières] différentes. En second (1098b4), quant à ce qui est communément à observer en toute [matière]. Sur le premier [point], il traite d'une triple diversité. La première touche la différence de la science pratique et spéculative. Aussi dit-il que l'ouvrier, c'est-à-dire, l'artisan de l'action, et le géomètre, qui est spéculatif, enquêtent de manière différente sur la ligne droite. L'artisan de l'action, par exemple, le charpentier, enquête sur la ligne pour autant que c'est utile à son œuvre, par exemple, pour scier la ligne, ou pour faire autre chose de la sorte; mais le géomètre cherche qu'est-ce qui est une ligne, et comment [est une ligne], et qu'est-ce qu'elle est, en en considérant les propriétés et qualités; car le géomètre vise la seule spéculation de la vérité. C'est de cette manière qu'il faut procéder dans les autres sciences de l'action, de façon que ne s'ensuive pas cet inconvénient qu'en science de l'action on fasse plus d'explications que n'en demandent les œuvres; par exemple, si, en science morale, on voulait traiter complètement de tout ce qui touche la raison et les autres parties de l'âme, il faudrait en dire plus de choses que ce qui concerne les actions mêmes. Il est vicieux, en effet, en chaque science, de s'attarder à ce qui se situe en dehors de la science. |
[72841] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 7 Aliam autem diversitatem tangit ibi non expetendum
autem et cetera. Quae attenditur secundum differentiam principiorum et eorum
quae sunt ex principiis. Et dicit quod non est in omnibus eodem modo causa
inquirenda. Alioquin procederetur in infinitum in demonstrationibus. Sed in
quibusdam sufficit quod bene demonstretur, idest manifestetur, quoniam hoc
ita est, sicut in his quae accipiuntur in aliqua scientia, ut principia: quia
principium oportet esse primum. Unde non potest resolvi in aliquid prius.
Ipsa autem principia non omnia eodem modo manifestantur, sed quaedam
considerantur inductione, quae est ex particularibus imaginatis, sicut in
mathematicis, puta quod omnis numerus est par aut impar. Quaedam vero accipiuntur
sensu, sicut in naturalibus; puta quod omne quod vivit indiget nutrimento.
Quaedam vero consuetudine, sicut in moralibus, utpote quod concupiscentiae
diminuuntur, si eis non obediamus. Et alia etiam principia aliter
manifestantur; sicut in artibus operativis accipiuntur principia per
experientiam quamdam. |
137.- Il touche une seconde diversité, qui se prend d'après la différence des principes et de ce qui découle des principes; et il dit qu'il ne faut pas rechercher la cause de la même façon dans toute chose. Autrement on procéderait à l'infini dans les démonstrations. Mais en certains cas, il suffit de bien démontrer ou manifester que c'est ainsi: par exemple, les principes reçus dans une science, car le principe est quelque chose de premier. D'où on ne peut les résoudre dans quelque chose d’.antérieur. Or les principes ne se manifestent pas de la même façon. Certains sont considérés par une induction qui part des réalités particulières imaginables, par exemple que tout nombre est pair ou impair. D'autres sont reçus par le sens, comme dans les sciences de la nature: par exemple, tout ce qui vit a besoin de se nourrir. D'autres enfin sont reçus par la coutume, comme dans la matière morale: par exemple, on réduit la concupiscence en n'y succombant pas. Et les autres principes sont manifestés autrement; comme dans les arts opératifs, les principes sont reçus par une certaine expérience. |
#137. — Il touche ensuite une autre différence (1098a34), qui vise la différence des principes et de ce qui procède des principes. Il dit qu'il ne faut pas chercher la cause de la même manière en tout. Autrement, on procéderait à l'infini dans les démonstrations. Au contraire, en certaines [matières], il suffit de démontrer bien, c'est-à-dire, de manifester qu'il en est ainsi; par exemple, en ce qui sert de principes en une science, car le principe, il faut qu'il soit premier. Aussi, il ne peut se résoudre en quelque chose d'antérieur. Les principes eux-mêmes, d'ailleurs, ne se manifestent pas [tous] de la même manière. Plutôt, certains se voient par une induction qui procède de particuliers fictifs, comme, par exemple, que tout nombre est pair ou impair. D'autres s'obtiennent du sens, comme en [matière] naturelle; par exemple, que tout ce qui vit a besoin d'aliment. D'autres, enfin, de la coutume, comme en [matière] morale, par exemple, que les désirs diminuent, si on ne leur obéit pas. D'autres principes se manifestent encore de manière différente, comme dans les arts de l'action les principes s'obtiennent grâce à quelque expérience. |
[72842] Sententia Ethic., lib. 1 l. 11 n. 8 Deinde cum dicit: pertransire autem oportet etc.,
determinat modum quantum ad id quod est communiter observandum in omnibus. Et
dicit quod homo debet insistere ad hoc, quod singula principia pertranseat,
scilicet eorum notitiam accipiendo et eis utendo, secundum quod nata sunt
cognosci et studendum qualiter determinentur in hominis cognitione, ut
scilicet sciat distinguere principia abinvicem et ab aliis. Cognitio enim
principiorum multum adiuvat ad sequentia cognoscenda. Principium enim videtur
plus esse quam dimidium totius. Quia scilicet omnia alia quae restant
continentur virtute in principiis. Et hoc est quod subdit, quod per unum
principium bene intellectum et consideratum, multa fiunt manifesta eorum,
quae quaeruntur in scientia. |
138.- Il détermine le mode quant à ce qu'on doit observer communément en toutes choses. Il dit que l'homme doit insister sur cela qu'il doit approfondir chacun des principes en le connaissant et en sien servant selon qu'il doit être connu et il faut étudier comment ces principes sont déterminés dans la connaissance humaine pour bien savoir distinguer les principes entre eux et les distinguer aussi des autres principes. En effet, la connaissance des principes est d'une grande aide pour connaître ce qui en découle. Car le principe semble être à la connaissance davantage que la moitié est au tout, puisque tout ce qui s'ensuit est contenu dans les principes. C'est ce qu'il souligne: un seul principe bien intelligé et bien étudié éclaire quantité de choses qui sont recherchées dans une science. |
#138. — Ensuite (1098b4), il traite du mode quant à ce qui est communément à observer en toute [matière]. Il dit que l'on doit insister à ce que l'on parcoure les principes un à un, en en prenant connaissance et en les utilisant selon qu'ils sont de nature à être connus, et il faut examiner de quelle manière ils sont traités dans la connaissance humaine, pour qu'on sache distinguer les principes entre eux et d'autre chose. En effet, la connaissance des principes aide beaucoup à connaître ce qui les suit. Car le principe semble bien constituer plus que la moitié du tout, puisque tout le reste est contenu dans les principes. C'est ce qu'il ajoute, que par un principe bien compris et considéré, bien des choses deviennent manifestes, de celles que l'on cherche dans la science. |
|
|
|
Lectio
12 |
Leçon 12 : [Témoignage des philosophes] |
Leçon 12 |
|
ARISTOTE APPUIE SA DEFINITION DE LA VERITE PAR LE TEMOIGNAGE DES AUTRES PHILOSOPHES QUI EN ONT PARLE ET SUR LA FOI COMMUNE DE CE QUE TOUS EN DISENT ET AFFIRMENT. |
|
[72843] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 1 Scrutandum ergo de ipso et
cetera. Postquam philosophus ostendit in generali quid sit felicitas, hic
intendit confirmare sententiam suam, quam de felicitate praemisit, per ea
quae de felicitate dicuntur. Et circa hoc duo facit. Primo dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, divisis itaque, et cetera. Dicit
ergo primo quod, (quia) principium maxime oportet bene determinare. Principium
autem in operativis est ultimus finis. Ad hoc quod diligentior de eo
consideratio habeatur, scrutandum est de hoc non solum considerando
conclusiones et principia ex quibus ratiocinativus sermo procedit, sed etiam
ex his quae dicuntur de ipso, idest de ultimo fine, sive de
felicitate. Et huius rationem assignat, quia omnia consonant vero. Et huius
ratio est, quia, ut dicetur in sexto huius, verum est bonum intellectus;
bonum autem, ut dicitur in II huius, contingit uno modo, scilicet
concurrentibus omnibus quae pertinent ad perfectionem rei. |
139.- Après avoir montré ce qu'est la félicité en général, il tente ici d'affermir sa notion du bonheur par le témoignage des autres. Sur ce, il nous donne tout d’abord son intention, puis il élabore son propos. Il dit donc en premier qu'il faut très bien déterminer le principe. Or, dans les sciences opératives, ce principe est la fin ultime. Afin donc de considérer ce principe avec plus d'attention, on doit le scruter non seulement par les conclusions et les principes à partir desquels se forme notre raisonnement, mais aussi à partir de tout ce qu’on a dit de lui, c'est-à-dire de la fin ultime ou de la félicité. En voici la raison: tout est en accord avec le vrai. La raison en est, comme on le dira au sixième livre, que le vrai est le bien de l’intelligence. Or, le bien, comme on le dit dans ce livre, n'arrive que d'une seule manière, à savoir par tout ce qui concourt à la perfection d'une chose. |
#139. — Après avoir montré en général ce qu'est le bonheur, le Philosophe entend ici confirmer sa pensée, celle qu'il a présenté sur le bonheur, avec ce qui se dit du bonheur. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (1098b12), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, qu'il faut bien traiter du principe surtout. Or le principe, en [matière d']action, est la fin ultime. Et pour en avoir une considération plus diligente, on doit en faire l'examen non seulement avec des conclusions et des principes, d'où procèdent les dires de 27 quelqu'un qui raisonne, mais [faire] aussi [cet examen] à partir de ce qui se dit de la fin ultime ou du bonheur. Il en assigne la raison, c'est que tout s'accorde avec la vérité. La raison en est que, comme on le dit au sixième [livre] (#1143), la vérité est le bien de l'intelligence. Or le bien, comme on le dit en ce livre (#320), se produit d'une seule manière, à savoir, quand tout ce qui touche à la perfection de la chose concourt. |
[72844] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 2 Malum autem contingit
multipliciter, scilicet per cuiuscumque debitae conditionis defectum. Non
autem invenitur aliquod malum in quo totaliter sit bonum corruptum, ut
dicetur in quarto huius, et ideo omnia concordant bono non solum bona, sed
etiam mala, secundum hoc, quod aliquid retinent de bono. Et similiter omnia
falsa concordant vero, inquantum aliquid retinent de similitudine veritatis.
Non enim est possibile, quod intellectus opinantis aliquod falsum totaliter
privetur cognitione veritatis. Sed per verum statim diiudicatur falsum, utpote ab
eo deficiens. Et hoc est quod subdit, quod
falso dissonat verum, sicut ab obliquo dissonat rectum. |
140.- Au contraire, le mal arrive de plusieurs manières, à savoir par l'absence de n'importe quelle condition due. Cependant, on ne peut trouver un mal où le bien ferait totalement défaut, comme on le dira au quatrième livre. C'est pourquoi, tout concorde au bien, non seulement les choses bonnes, mais aussi les mauvaises en autant qu'elles retiennent quelque chose du bon. Et, pareillement, le faux est en accord avec le vrai en autant qu’il garde un reflet de l’image de la mérité. Il n'est pas possible, en effet, que l'intelligence de celui qui a une opinion fausse soit totalement dépourvue de la connaissance de la vérité. Mais, grâce au vrai on discerne le faux, en tant que le faux en est la privation. C'est cela qu'Aristote souligne: le vrai diffère du faux comme la droite s'éloigne de l’oblique. |
#140. — Tandis qu'au contraire, le mal se produit de plusieurs manières, à savoir, par le défaut de toute condition due. Il n'existe d'ailleurs pas de mal en lequel le bien soit totalement corrompu, comme il sera dit au quatrième livre (#808), et c'est pourquoi tout s'accorde avec le bien, non seulement le bien, mais aussi le mal, du fait de garder quelque chose du bien. Pareillement, toute fausseté s'accorde avec la vérité, en tant qu'elle retient quelque chose d'une similitude avec la vérité. Car il n'est pas possible que l'intelligence de celui qui pense quelque chose de faux soit totalement privée de la connaissance de la vérité. Mais c'est par le vrai que le faux est tout de suite jugé, pour autant qu'il lui fait défaut. Voilà ce qu'il ajoute, que le vrai entretient une dissonance avec le faux, comme le droit avec l'oblique. |
[72845] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 3 Deinde cum dicit: divisis
itaque bonis etc., prosequitur intentum. Et primo quantum ad ea quae ab aliis
de felicitate dicuntur; secundo quantum ad ea quae supra ab ipso de
felicitate sunt proposita, ibi: confessa autem haec utique erunt et cetera.
Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod praedictae sententiae de
felicitate conveniunt ea quae concorditer ab aliis dicuntur. Secundo quod
etiam conveniunt ei ea in quibus alii discordant, ibi, videntur autem et quaesita,
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod dictae descriptioni
felicitatis concordant ea quae communiter a sapientibus dicuntur. Secundo
ostendit idem de his quae dicuntur communiter ab omnibus, ibi, consonat autem
rationi, et cetera. Primum ostendit dupliciter. |
141. - Il élabore ensuite ce qu'il a proposé. En premier, par rapport à ce que les autres ont dit sur la félicité. Ce qui il divise en deux parties. Il montre tout d'abord que sa propre notion du bonheur s'accorde avec tout ce que les opinions des autres a de concordant sur le sujet, puis, en second que sa propre opinion s'harmonise même avec les oppositions que l’on retrouve dans les autres opinions. n subdivise sa première partie en manifestant l'accord de sa description avec l'opinion commune des sages, puis avec les dires de tout le monde. Il s'y prend de deux manières pour montrer la conformité de son opinion à celle des sages. |
#141. — Ensuite (1098b12), il poursuit son intention. D'abord, quant à ce que les autres disent du bonheur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que ce que les autres disent en concordance convient avec la pensée qui précède (quant à ce qu'il a dit lui-même, plus haut, du bonheur). En second (1098b22), que convient aussi avec elle ce en quoi les autres sont en discordance. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que ce que disent les sages communément concorde avec la dite description du bonheur. En second (1098b20), il montre la même [chose] pour ce que tous disent communément. Il montre le premier [point] de deux manières. |
[72846]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 4 Primo quidem dividendo bona
humana in tria. Quorum quaedam sunt exteriora, sicut divitiae, honores, amici
et alia huiusmodi, quaedam vero sunt interiora; et haec rursus dividuntur in
duo genera. Quia quaedam eorum pertinent ad corpora, sicut robur corporis,
pulchritudo et sanitas. Quaedam vero pertinent ad animam, sicut scientia et
virtus et alia huiusmodi; inter quae bona principalissima et maxima sunt ea
quae pertinent ad animam: nam res exteriores sunt propter hominem, corpus
autem propter animam sicut materia propter formam, et instrumentum propter
agens principale. Et haec est communis
sententia omnium philosophorum, scilicet quod bona animae sunt
principalissima. |
142.- Premièrement, en divisant les biens humains en trois sortes. Parmi ces biens, les uns sont extérieurs, comme les richesses, les honneurs, les amis et les autres biens de ce genre; d'autres sont intérieurs. Ces derniers se subdivisent en deux genres; les uns appartiennent au corps, comme la robustesse, la beauté et la santé; les autres appartiennent à l'âme comme la science, la vertu et les autres qualités semblables. De tous ces biens, les biens de l'âme sont les biens principaux: les biens extérieurs sont en vue du corps et le corps est en vue de l'âme comme la matière est pour la forme et l'instrument pour l’agent principal. Et telle est l'opinion commune de tous les philosophes que les biens de l’âme sont les principaux. |
#142. — En premier, avec une division en trois des biens humains. Certains d'entre eux sont extérieurs, comme les richesses, les honneurs et les amis, et autres pareils, tandis que d'autres sont intérieurs; ces derniers se divisent à nouveau en deux genres. Car certains d'entre eux appartiennent aux corps, comme la force corporelle, la beauté et la santé. Tandis que d'autres appartiennent à l'âme, comme la science et la vertu, et autres pareils, parmi lesquels les biens les plus importants sont ceux qui concernent l'âme. En effet, les choses extérieures sont en vue du corps, et le corps en vue de l'âme, comme la matière en vue de la forme, et l'instrument en vue de l'agent principal. C'est la pensée commune de tous les philosophes, à savoir, que les biens de l'âme sont les plus importants. |
[72847] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 5 Sed circa alia bona diversimode senserunt Stoici et
Peripatetici: nam Stoici posuerunt alia bona non esse hominis bona, eo quod
eis non fit homo bonus; Peripatetici autem, idest sectatores Aristotelis,
posuerunt, bona quidem exteriora esse minima bona, bona autem corporis quasi
media, sed bona principalissima ponebant bona animae, quibus homo fit bonus,
alia vero secundum eos dicuntur bona inquantum instrumentaliter ipsis
principalibus deserviunt. Et sic felicitas, cum sit principalissimum bonum,
in bonis animae est ponendum. Manifestum est autem quod operationes animae ad
animae bona pertinent. Unde manifestum est quod ponere felicitatem in
operatione animae rationalis, ut supra diximus, conveniens est secundum hanc
opinionem antiquam et communem omnibus philosophis, quod scilicet
principalissima bonorum sint ea quae sunt secundum animam. |
143.- Mais à propos des autres biens, les stoïciens et les Péripatéticiens ont jugé différemment: les stoïciens eux ont cru qu’ils n'étaient pas les biens de l'homme du fait que, par eux, l'homme n'est pas bon; les péripatéticiens cependant, c'est-à-dire les disciples d'Aristote, ont pensé que les biens extérieurs étaient les moindres, que les biens du corps étaient intermédiaires alors que les biens principaux étaient les biens de l'âme par lesquels l'homme est bon. D'après eux, les autres biens n'étaient bons qu'en tant qu’ils servaient d'instruments aux biens principaux eux-mêmes. Et ainsi, la félicité, qui est le bien le plus noble, doit être posée dans les biens de l'âme. Il est donc manifeste que poser la félicité dans l'opération de l'âme rationnelle, comme nous l'avons fait plus haut, est conforme à l'opinion ancienne et commune de tous les philosophes, à savoir que les biens les plus importants sont ceux qui appartiennent de quelque façon à l’âme. |
#143. — Mais pour les autres biens, les Stoïciens et les Péripatéticiens ont pensé autrement. En effet, les Stoïciens ont prétendu que les autres biens ne sont pas bons pour l'homme, du fait que l'homme ne devient pas bon par eux, tandis que les Péripatéticiens, de leur côté, c'est-à-dire, les partisans d'Aristote, ont prétendu que les biens extérieurs sont de très petits biens, et que les biens du corps [en sont] de quasi intermédiaires, alors qu'ils posaient comme biens les plus importants les biens de l'âme, par lesquels l'homme est bon. Tandis que les autres, à leur avis, se disent des biens pour autant qu'ils desservent instrumentalement les principaux. Ainsi, le bonheur, comme il est le bien le plus important, est à poser parmi les biens de l'âme. Aussi est-il manifeste que de poser le bonheur dans l'opération de l'âme rationnelle, comme nous l'avons fait plus haut (#119-126), est convenable selon cette opinion ancienne et commune à tous les philosophes, à savoir, que les plus importants des biens sont ceux qui concernent l'âme. |
[72848] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 6 Secundo ibi: recte autem
etc., ostendit idem alio modo. Est enim duplex genus operationum animae. Quarum quaedam
transeunt in exteriorem materiam, sicut texere et aedificare. Et huiusmodi operationes non sunt fines, sed operata
ipsorum, scilicet pannus contextus, et domus aedificata. Quaedam vero operationes
animae sunt in ipso operante manentes, sicut intelligere et velle. Et
huiusmodi operationes ipsaemet sunt fines. Recte ergo dictum est quod ipsi
actus et operationes sunt finis, dum scilicet posuimus felicitatem esse
operationem, et non aliquid operatum. Sic enim felicitas ponitur aliquid
bonorum quae sunt circa animam, et non aliquid eorum quae sunt exterius.
Operatio enim manens in agente, ipsamet est perfectio et bonum agentis, in
operationibus autem quae procedunt exterius, perfectio et bonum in
exterioribus effectibus invenitur. Unde non solum praemissa sententia convenit opinioni
philosophorum ponentium bona animae esse principalissima, per hoc quod
felicitatem posuimus circa operationem animae, sed etiam per hoc, quod ipsam
operationem posuimus felicitatem. |
144.- Il manifeste cette conformité d'une seconde manière. En effet, il y a deux sortes d'opérations de l’âme a Les unes passent dans une matière extérieure, comme tisser et construire. Les opérations de cette sorte ne sont pas des fins: ce sont leurs œuvres qui sont fins, à savoir le morceau de tissu ou la maison. D’autres opérations de l’âme demeurent dans le sujet opérant, comme intelliger et vouloir. Ces opérations sont fins. On dit donc à bon droit que les actes eux-mêmes et les opérations sont fins, lorsque nous posons que la félicité est une opération et non une œuvre quelconque. Ainsi pose-t-il la félicité comme un bien appartenant à l'âme et non comme un bien extérieur. En effet, l'opération immanente est elle-même la perfection et le bien de l'agent. Cependant, dans les œuvres qui sont produites extérieurement, la perfection et le bien se trouvent dans les effets extérieurs. On peut donc voir que la position d'Aristote est en accord avec celle des philosophes qui affirment que les biens de l'âme sont les plus grands non seulement du fait qu'il a fait consister le bonheur dans ce qui se rapporte à l'opération de l'âme mais aussi de ce qu'il a posé cette opération elle-même comme étant la félicité. |
#144. — En second (1098b18), il montre la même [chose] d'une autre manière. Il y a, en effet, deux genres d'opérations de l'âme. Certaines d'entre elles passent dans une matière extérieure, comme tisser et construire. Pour elles, les fins ne sont pas des opérations, mais leurs propres œuvres, à savoir, le morceau d'étoffe tissé, et la maison construite. Mais d'autres opérations de l'âme demeurent en celui même qui les pose, comme comprendre et vouloir. Pour elles, ce sont des opérations qui sont leurs fins. Il a donc été dit correctement que les actes eux-mêmes et les opérations sont des fins, quand nous avons posé que le bonheur est une opération, et non une œuvre 28 réalisée. Ainsi, en effet, on pose le bonheur comme l'un des biens qui concernent l'âme, et non comme l'un de ceux qui lui sont extérieurs. En effet, l'opération qui reste dans l'agent est elle-même la perfection et le bien de l'agent. Tandis que, dans les œuvres produites à l'extérieur, la perfection et le bien se trouvent dans des effets extérieurs. Aussi, la pensée qu'il a présentée convient à la position des philosophes qui prétendent que les biens de l'âme sont les plus importants, non seulement du fait que nous avons situé le bonheur en rapport à l'opération de l'âme, mais aussi du fait que nous avons fait du bonheur même une opération. |
[72849] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 7 Deinde cum dicit: consonat
autem etc., ostendit quod praemissae sententiae convenit illud etiam in quo
omnes de felicitate conveniunt. Dictum est enim supra, quod bene vivere et
bene operari idem existimant omnes ei quod est felicem esse. Et huic rationi,
id est notificationi felicitatis, convenit praedicta assignatio; quia fere
nihil aliud videtur esse bona vita quam bona operatio, qualis videtur esse
felicitas. Vivere enim dicuntur illa quae ex se moventur ad operandum. |
145.- Il montre que son opinion reprend pour ainsi dire ce que tout le monde accorde à la félicité. Tous en effet, comme on l'a dit, croient que bien vivre et bien opérer c'est être heureux. Or ce qu'il affirme de la félicité s’accorde très bien avec cette note: car bien vivre semble presque être identique à bien opérer, que semble être la félicité. Car ceux-là vivent qui se meuvent par eux-mêmes à l'opération. |
#145. — Ensuite (1098b20), il montre que cela aussi en quoi tous conviennent, à propos du bonheur, convient avec la pensée qu'il a présentée. Il a été dit plus haut (#45, 128), en effet, que tous pensent que de bien vivre et de bien agir, c'est la même [chose] que d'être heureux. Or l'assignation qui précède convient à cette définition, c'est-à-dire, à cette notification du bonheur, car la bonne vie ne semble bien être rien d'autre qu'une bonne opération, telle qu'en paraît bien être une le bonheur. En effet, vivre, c'est, dit-on, le fait de ceux qui se meuvent d'eux-mêmes à leur opération. |
[72850] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 8 Deinde cum dicit: videntur
autem et quaesita etc., ostendit quod praemissae sententiae conveniunt etiam
ea in quibus alii differunt. Et circa hoc tria facit. Primo proponit ea in
quibus homines differunt circa felicitatem. Secundo ostendit, quod singula
eorum praemissae sententiae conveniunt, ibi, dicentibus quidem igitur etc.;
tertio movet ex praemissis quamdam quaestionem, et solvit, ibi, unde et
quaeritur, et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit;
scilicet quod omnia quae sunt a diversis diversimode circa felicitatem
quaesita, videntur existere dicto, idest salvari cum praedicta
opinione. |
146.- Il montre que son opinion rencontre même les points en litige chez les autres. Ce qu’il fait en trois temps. Il montre tout d'abord où règne l'opposition ou du moins le désaccord sur la félicité; en second, il montre que son opinion s'harmonise avec chacun de ces points en litige; à partir de là, en troisième lieu, il s'interroge sur une difficulté et y répond. Pour établir les lieux d’opposition, il fait trois choses. Il propose tout d'abord ce qu'il a l'intention de traiter: que les recherches effectuées par divers penseurs de manières différentes sur la félicité semblent se retrouver rétablies dans sa propre opinion. |
#146. — Ensuite (1098b22), il montre que même ce en quoi les autres diffèrent convient avec la pensée qu'il a présentée. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose ce en quoi les gens diffèrent à propos du bonheur. En second (1098b30), il montre que chaque [point] convient avec la pensée qu'il a présentée. En troisième (1099b9), il soulève une question à partir de que l'on a dit, et il la résout. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention, à savoir, que tout ce que plusieurs disent de différent sur le bonheur paraît se retrouver en ce qu'il a dit, c'est-à-dire, se conserver dans l'opinion qu'il a présentée. |
[72851] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 9 Secundo ibi: his quidem
enim etc., ponit diversas opiniones de felicitate. Quarum prima est quod
felicitas sit virtus. Et haec subdividitur in tres positiones: quidam enim
posuerunt quod universaliter quaelibet virtus sit felicitas, vel specialiter
virtus moralis, quae est perfectio appetitus rectificati per rationem.
Quibusdam vero videtur quod felicitas sit prudentia, quae est perfectio
practicae rationis; aliis autem videtur, quod felicitas sit sapientia, quae
est perfectio summa rationis speculativae. |
147.- Il donne ces diverses opinions sur la félicité. La première affirme que la félicité est une vertu. Cette opinion se subdivise en trois. Certains ont soutenu qu'universellement toute vertu est la félicité ou, en particulier, la vertu morale, qui est la perfection de l'appétit rectifié par la raison. Pour quelques-uns cependant, il a semblé que la prudence, qui est la perfection de la raison pratique, était la félicité. Pour d'autres enfin, il sembla que la félicité était la sagesse, qui est la suprême perfection de la raison spéculative. |
#147. — En second (1098b23), il présente différentes opinions sur le bonheur. La première en est que le bonheur soit une vertu. Celle-ci se subdivise en trois. Certains, en effet ont prétendu universellement que n'importe quelle vertu est le bonheur, ou spécialement [que c'est] la vertu morale, perfection de l'appétit rectifié par la raison. À d'autres, par ailleurs, il semble que le bonheur soit la prudence, perfection de la raison pratique. À d'autres enfin, il semble que le bonheur soit la sagesse, perfection ultime de la raison spéculative. |
[72852] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 10 Secunda opinio est quod
omnia ista vel aliquod horum sit felicitas, sed oporteat adiungi voluptatem;
et haec subdividitur in duas: nam quidam posuerunt virtutem cum voluptate
quasi ex aequo esse felicitatem, alii vero posuerunt, quod felicitas est
virtus non sine voluptate, quasi secundario se habente ad felicitatem. |
148.- La seconde opinion veut que tout ce que nous venons d'énumérer ou quelque chose de cela soit la félicité à la condition nécessaire d'y adjoindre la volupté. Cette opinion se subdivise en deux: les uns soutenaient que la vertu et la volupté constituaient en apport égal la félicité; les autres disaient que la félicité était la vertu mais non sans volupté. Cette dernière était un apport secondaire à la félicité. |
#148. — La seconde opinion est que toutes [choses], ou telle d'entre elles, soient le bonheur, mais qu'il faille leur adjoindre le plaisir. Cette [opinion] se subdivise en deux parties. En effet, certains ont posé la vertu avec le plaisir, comme [étant] ex aequo le bonheur. Tandis que d'autres ont posé que le bonheur est la vertu, mais non sans plaisir, comme entretenant une relation d'adjoint au bonheur. |
[72853] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12
n. 11 Tertia opinio est, quod
quidam cum his comprehenderunt ad complementum felicitatis abundantiam
exteriorum bonorum, puta divitiarum, honorum et aliorum huiusmodi. |
149.- La troisième opinion ajoutait à ces biens comme complément de la félicité l'abondance des biens extérieurs, les richesses par exemple et les autres biens de cette sorte. |
#149. — La troisième opinion est que certains incluent avec ces [choses], pour le complément du bonheur, l'abondance des biens extérieurs, c'est-à-dire, des richesses et autres [choses] de la sorte. |
[72854] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 12 Tertio ibi: horum autem haec quidem etc., assignat
differentiam opinantium praedicta. Et dicit quod quaedam praedictorum,
scilicet quod voluptas et divitiae requirantur ad felicitatem, dixerunt multi,
idest vulgares homines, et antiqui viri, qui scilicet minus erant in talibus
exercitati; alia vero, scilicet quod in bonis animae esset felicitas,
dixerunt pauci et gloriosi viri, idest in scientia famosi. Non est
autem probabile, quod aliqui eorum in omnibus erraverint, sed quilibet eorum
in uno vel in pluribus recte sensit. |
150.- Il dit que certaines affirmations dans les opinions susdites: telles que la nécessité de la volupté et de la richesse à la félicité, nous viennent du peuple et des anciens, qui étaient moins rompus à ce genre de réflexion. Tandis que ceux qui ont affirmé que la félicité consistait dans les biens de l'âme étaient moins nombreux et hommes de science renommés. Il est peu probable que les uns se soient trompés entièrement, mais l'un ou l'autre a dû frapper juste sur une ·ou plusieurs questions. |
#150. — En troisième (1098b27), il assigne la différence entre ceux qui professent [les opinions] qui précèdent. Il dit que certains dires, parmi ceux qui précèdent, à savoir, que le plaisir et les richesses soient requis au bonheur, sont le fait de beaucoup, c'est-à-dire, des gens du peuple et des anciens, qui se trouvaient moins exercés à de telles [réflexions]. Tandis que le reste, à savoir, que le bonheur serait dans les biens de l'âme, peu l'ont dit, mais des gens glorieux, c'est-à-dire, réputés pour leur science. Or le plausible n'est pas que certains d'entre eux se soient trompés en tout, mais plutôt que chacun d'entre eux ait bien senti sur un ou plusieurs [points]. |
[72855] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 13 Deinde cum dicit: dicentibus quidem igitur etc.,
ostendit quod praedictae opiniones conveniunt cum praemissa assignatione
felicitatis. Et primo ostendit hoc de prima opinione, quae posuit virtutem
esse felicitatem. Secundo de secunda, quae addidit voluptatem, ibi: est autem
et vita ipsorum et cetera. Tertio de tertia, quae addidit exteriora bona,
ibi: videtur tamen et eorum et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit
(in) quo prima opinio conveniat cum sua sententia; secundo ostendit in quo
sua sententia melior sit. Dicit quod illis qui dicunt felicitatem esse
virtutem omnem vel aliquam concordat ratio felicitatis superius posita, quod
scilicet sit operatio secundum virtutem. Manifestum est enim quod operatio
secundum virtutem est aliquid virtutis. |
151.- Il montre que ces opinions conviennent avec ce qu'il a attribué lui-même à la félicité. Ce qu'il fait tout d'abord pour la première opinion qui a soutenu que la vertu était la félicité; puis, pour la seconde, qui ajoutait la volupté; puis, pour la troisième, qui ajoutait les biens extérieurs. Au sujet de la première opinion, il montre qu'elle est conforme à la sienne et, en second, il montre pourquoi la sienne est préférable. Il dit que sa notion de la félicité posée plus haut: opération selon la vertu concorde avec celle qui veut qu'elle soit toute vertu ou une vertu particulière, l’opération selon la vertu est manifestement quelque chose de la vertu.
|
#151. — Ensuite (1098b30), il montre que les opinions qui précèdent conviennent avec l'assignation qu'il a lui-même donnée du bonheur. En premier, il le montre pour la première opinion, qui a posé que le bonheur est la vertu. En second (1099a7), pour la seconde, qui ajoute le plaisir. En troisième (1099a31), pour la troisième, qui ajoute les biens extérieurs. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la première opinion convient avec sa propre pensée. En second (1098b31), il montre en quoi sa propre pensée est meilleure. 29 Il dit donc que la définition du bonheur qu'il a présentée plus haut (#130), à savoir, qu'il soit l'opération en conformité avec la vertu, est en concordance avec ceux qui disent que le bonheur est toute vertu ou l'une [des vertus]. En effet, il est manifeste que l'opération en conformité avec la vertu est quelque chose de la vertu. |
[72856] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 14 Deinde cum dicit: differt autem etc., ostendit quod
suum dictum melius sit. Et primo per rationem. Secundo per humanam
consuetudinem, ibi: quemadmodum autem et cetera. Dicit ergo primo, quod sicut
non parum differt in exterioribus rebus quod optimum ponatur in possessione
alicuius rei vel in usu eius, qui est manifeste melior cum sit possessionis
finis, ita etiam se habet circa habitum virtutis et operationem, quae est
usus eius qui melior est. Potest enim esse habitus in eo qui nullum bonum
facit, sicut in dormiente, vel in eo qui qualitercumque est otiosus. Sed de
operatione non est hoc possibile. Ex necessitate enim sequitur, quod ille
operetur cui inest operatio et quod bene operetur si insit ei operatio
secundum virtutem. Unde operatio secundum virtutem est perfectior quam ipsa
virtus. |
152.- Il montre que sa notion est meilleure. En premier par un argument de raison; en second, par la coutume humaine. Il dit donc en premier que, comme il y a grande différence, dans les choses extérieures, à poser le meilleur dans la possession d'une chose ou dans son usage, qui est manifestement préférable à la possession elle-même, ainsi en est-il dans l'habitus de la vertu et dans l'opération, qui en est l'usage. L'opération est meilleure que l'habitus. Il peut y avoir, en effet, un habitus en quelqu'un qui ne fait aucun bien, comme dans celui qui dort ou qui est oisif de quelque façon. Ce qui est impossible dans le cas de l'opération. Par nécessité celui qui a l'opération opère et fait le bien si son opération est selon la vertu. Donc, l'opération selon la vertu est plus parfaite que la vertu elle-même. |
#152. — Ensuite (1099a7), il montre que son dire est meilleur. En premier, avec une raison. En second, par la coutume humaine. Il dit donc, en premier, que de même qu'il n'y a pas grand différence, dans les choses extérieures, à préférer la possession d'une chose ou son usage, qui est manifestement meilleur que sa possession, de même aussi en est-il pour l'habitus de la vertu et son opération, qui est son usage [et] qui est meilleur. En effet, l'habitus peut se trouver en celui qui ne fait aucun bien, comme chez celui qui dort, ou chez celui qui est oisif de quelque manière. Mais cela n'est pas possible pour l'opération. En effet, il s'ensuit nécessairement qu'il agit, celui à qui appartient l'opération, et qu'il fait le bien, si lui appartient l'opération en conformité avec la vertu. Aussi l'opération en conformité avec la vertu est-elle plus parfaite que la vertu même. |
[72857] Sententia Ethic., lib. 1 l. 12 n. 15 Deinde cum dicit quemadmodum autem etc., manifestat
idem per consuetudines humanas. Circa quod sciendum est, quod in Macedonia
est quidam mons altissimus qui vocatur Olympus, in quo fiebant quidam ludi ad
exercitium pugnae, qui vocabantur Olympiades, in quibus non coronabantur
aliqui ex hoc quod essent optimi pugnatores et fortissimi, sed solum illi qui
agonizabant, quorum aliqui vincebant. Qui autem non pugnabant non poterant
vincere. Ita etiam de numero eorum qui sunt boni et optimi in vita virtuosa
illi soli illustres fiunt et felices qui recte operantur. Unde melius dicitur,
quod operatio secundum virtutem sit felicitas quam ipsa virtus. |
153.- Il manifeste la même chose par les coutumes humaines. A ce propos, on doit savoir qu'il existe en Macédoine un mont très élevé qu'on appelle Olympe où se tenaient les jeux Olympiques. Dans ces jeux, ce n'étaient pas les plus forts ni les meilleurs qui obtenaient la couronne, mais ceux-là seuls qui prenaient part aux compétitions et qui sortaient vainqueurs. Ceux qui ne combattaient pas ne pouvaient vaincre qu’ainsi parmi ceux qui sont bons et excellents dans la vie vertueuse, ceux-là seuls sont illustres et heureux qui opèrent bien. Il est donc mieux de dire que c’est l'opération selon la vertu qui est la félicité que la vertu elle-même. |
#153. — Ensuite (1099a3), il manifeste la même [chose] par les coutumes humaines; à ce sujet, on doit savoir qu'en Macédoine, il y a un mont très haut, qui s'appelle l'Olympe, et sur lequel se pratiquaient certains jeux en rapport avec la pratique de la lutte, [jeux] que l'on appelait les Olympiades, et dans lesquels on ne couronnait personne du fait qu'il soit le lutteur le plus fort et le meilleur, mais seulement du fait de lutter et de vaincre. Or qui ne combattait pas ne pouvait vaincre. Ainsi aussi, du nombre de ceux qui sont bons et les meilleurs dans la vie vertueuse, ceux-là seuls deviennent illustres et heureux, qui agissent correctement. Aussi dit-on mieux que le bonheur soit l'opération en conformité avec la vertu, que la vertu même. |
|
|
|
Lectio
13 |
Leçon 13 : [La place du plaisir ert des biens extérieurs] |
|
|
LE PHILOSOPHE MONTRE ICI QUE LA DELECTATION EXISTE DANS L'OPERATION DE LA VERTU ET MONTRE CE QU'ELLE APPORTE A LA FELICITE; IL INDIQUE EGALEMENT EN QUOI CONVIENT ET COMMENT S'ELOIGNE DE SON OPINION LA POSITION DE CEUX QUI AFFIRMENT QUE LE BONHEUR RESIDE DANS LA VERTU ACCOMPAGNE DE LA DELECTATION; CE QU'IL FAIT AUSSI POUR L'OPINION DE CEUX QUI AFFIRMAIENT QUE LES BIENS EXTERIEURS ETAIENT REQUIS POUR LE BONHEUR. |
|
[72858] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13
n. 1 Est autem et vita ipsorum
et cetera. Postquam philosophus ostendit de prima opinione quae posuit
felicitatem esse virtutem, in quo conveniat cum definitione supra posita, et
in quo ab ea deficiat, ostendit nunc idem circa secundam opinionem, quae
posuit felicitatem esse virtutem cum delectatione. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit in quo conveniat haec positio cum sua sententia. Secundo
ostendit in quo deficiat, ibi, nihil autem indiget voluptate et cetera. Circa
primum duo facit: primo proponit quod intendit. Secundo manifestat propositum,
ibi, delectari quidem enim et cetera. Dicit ergo primo, quod vita eorum, qui
operantur secundum virtutem, est secundum se delectabilis. Et ita felicitati,
quam ponimus in operatione virtutis, non deest delectatio, quam secundum
istos felicitas requirit. |
154.- Après avoir montré les points d'accord et de désaccord entre la première opinion, qui situait la félicité dans la vertu, et la sienne donnée plus haut, il reprend la même discussion par rapport à la seconde opinion qui a soutenu que la félicité réside dans la vertu accompagnée de délectation. De là, une double considération: il montre d'abord en quoi cette position convient avec sa propre pensée et, deuxièmement, par où elle en diffère. Dans sa première considération, il pose clairement ce qu'il veut dire puis, il manifeste son énoncé. Il affirme donc en premier que la vie de ceux qui opèrent selon la vertu est d'elle-même délectable. Voilà pourquoi la délectation qui, selon cette opinion, est requise au bonheur, ne fait pas défaut à la félicité, que nous situons dans l'opération de la vertu. |
#154. — Après avoir montré, à propos de la première opinion, où on prétend que le bonheur est la vertu, en quoi cela convient avec la définition présentée plus haut, et en quoi cela lui fait défaut, le Philosophe montre maintenant la même [chose] pour la seconde opinion, où on a prétendu que le bonheur est la vertu accompagnée de plaisir. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre en quoi cette position convient avec sa propre pensée. En second (1099a15), il montre en quoi elle fait défaut. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1099a7), il manifeste son propos. Il dit donc, en premier, que la vie de ceux qui agissent en conformité avec la vertu est de soi plaisante. Ainsi, le bonheur, que nous posons dans l'opération de la vertu, n'est pas privé du plaisir que requiert le bonheur, d'après eux. |
[72859] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13
n. 2 Deinde cum dicit:
delectari quidem enim etc., probat propositum. Et primo ostendit, quod in
operatione virtutis sit delectatio. Secundo ostendit, quod haec delectatio
est potior aliis, ibi, multis quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod
delectari est proprium animalium. Quamvis enim appetitum aliquem, scilicet
naturalem, attribuamus rebus inanimatis, delectationem tamen non attribuimus
nisi cognitionem habentibus; ex quo datur intelligi, quod delectatio proprie
pertinet ad operationes animae, in quibus ponitur felicitas. In huiusmodi
autem operationibus unicuique est delectabile id cuius dicitur esse amicus;
sicut enim amans desiderat rem amatam si fuerit absens, ita delectatur in ea
si fuerit praesens. Sicut equus est delectabilis amanti equum, et spectaculum
amanti spectaculum. Manifestum est autem quod unusquisque virtuosus amat
operationem propriae virtutis, utpote sibi convenientem. Unde iusto,
inquantum amat iustitiam, delectabile est operari iusta. Et universaliter
operationes, quae secundum virtutem sunt delectabiles virtuosis virtutem
amantibus. |
155.- Il prouve ensuite sa proposition. D'abord il indique que la délectation existe dans l'opération de la vertu. Puis il prouve que cette délectation est préférable aux autres. Il affirme donc en premier que se délecter est le propre de l'animal. Bien que nous attribuions un genre d'appétit naturel aux choses inanimées, nous n'attribuons la délectation qu'à ce qui est doué de connaissance. On doit comprendre par là que la délectation appartient en propre aux opérations de l'âme, dans lesquelles nous posons la félicité. Dans les opérations, de ce genre en effet, chacun tire sa délectation de ce qu'il aime. Comme celui qui aime une chose la désire si elle est absente, ainsi il s’en délecte si elle est présente. Comme le cheval est délectable pour l'amateur de chevaux, et les spectacles pour l’amateur de spectacles. C'est pourquoi, il est manifeste que tout sujet vertueux aime l'opération propre de sa vertu, en tant qu'elle lui convient. Il est délectable pour le juste, en tant qu'il aime la justice, d'opérer des œuvres justes. Règle générale, les opérations posées selon la vertu, sont délectables aux hommes vertueux qui chérissent la vertu. |
#155. — Ensuite (1099a7), il prouve son propos. En premier, il montre qu'il y a plaisir dans l'opération de la vertu. En second (1099a11), il montre que ce plaisir-là est plus fort que les autres. Il dit donc, en premier, que d'avoir du plaisir est le propre des animaux. Bien qu'en effet, nous attribuions un certain appétit naturel aux choses inanimées, nous n'attribuons toutefois le plaisir qu'à qui a connaissance. Par là, il est donné à comprendre que le plaisir appartient proprement aux opérations de l'âme, en lesquelles on situe le bonheur. En effet, dans des opérations de la sorte, à chacun plaît ce à l'endroit de quoi il ressent de l'amour. Car, de même que l'on désire ce que l'on aime, s'il est absent, de même on se plaira en lui s'il est présent. De même, le cheval plaît à qui aime le cheval, et le spectacle à qui aime le spectacle. Aussi est-il manifeste que chaque vertueux aime l'opération de sa vertu propre, en tant qu'elle lui convient. Aussi, le juste, comme il aime la justice, se plaît à faire ce qui est juste. Et universellement, les opérations en conformité à la vertu, plaisent aux vertueux, qui aiment la vertu. 30 |
[72860] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13
n. 3 Deinde cum dicit: multis
quidem igitur etc., ostendit hanc delectationem esse potiorem aliis. Et
proponit quod ea quae sunt delectabilia multitudini vulgarium hominum, sunt
contraria ad invicem, quia, sicut prodigus delectatur in effusione, ita
illiberalis in superflua retentione; et hoc ideo est quia delectationes tales
non sunt secundum naturam hominis, quae est omnibus communis: non enim sunt
secundum rationem, sed secundum corruptionem appetitus a ratione deficientis.
Sed illis, qui amant bonum virtutis sunt delectabilia ea quae sunt secundum
naturam delectabilia, quia scilicet conveniunt homini secundum rationem, quae
est perfectiva naturae ipsius, et propter hoc omnes virtuosi in eisdem
delectantur. Tales autem sunt operationes secundum virtutem, scilicet
naturaliter delectabiles homini, eo quod sunt secundum rationem rectam. Et
ideo non solum sunt delectabiles quoad ipsos homines, sed etiam sunt
delectabiles secundum seipsas. Operationes autem vitiosae sunt delectabiles
quoad ipsos homines, quibus sunt conformes, secundum habitus corruptos quos
habent. Cum igitur id quod est secundum se et naturaliter tale sit potius,
consequens est delectationem quae est secundum operationem virtutis esse
delectabiliorem. |
156.- Puis il démontre que cette délectation est préférable aux autres. Et il soutient que les biens les plus délectables aux yeux de la plupart des hommes du peuple, s'opposent mutuellement. Ainsi l'homme prodigue se plaît dans la largesse, tandis que l'avare se plaît dans l'accumulation des richesses. La raison en est que ces délectations ne sont pas selon la nature de l'homme, commune à tous: elles ne sont pas choisies selon la raison mais sous l'influence de la corruption de l'appétit qui s'éloigne de la raison. Cependant pour ceux qui aiment le bien de la vertu les choses délectables sont celles qui sont selon la nature, en tant qu'8lles conviennent à la raison de l'homme qui est la perfection de sa propre nature. C'est pourquoi tous les hommes vertueux se délectent dans les mêmes choses: les opérations vertueuses, c'est-à-dire celles qui sont naturellement délectables à l'homme, du fait qu'elles sont conformes à la raison droite. C'est pourquoi elles ne sont pas seulement délectables par rapport aux hommes eux-mêmes, mais aussi en elles-mêmes. Les opérations vicieuses, elles, sont délectables par rapport aux hommes auxquels elles sont conformes, selon leurs habitus corrompus. Ainsi qu'est préférable une chose qui est telle par soi et naturellement, ainsi la délectation prise selon l'opération d'une vertu sera plus délectable que les autres. |
#156. — Ensuite (1099a11), il montre que ce plaisir est plus fort que les autres. Il indique que ce qui plaît à la multitude des gens du peuple présente une contrariété interne. Par exemple, le prodigue se plaît à la prodigalité, l'illibéral à la rétention superflue. La raison en est que leurs plaisirs ne sont pas en conformité avec la nature de l'homme, qui est commune à tous: en effet, ils ne sont pas en conformité avec la raison, mais en conformité avec la corruption de leur appétit, qui fait défaut à la raison. Au contraire, à ceux qui aiment le bien de la vertu plaît ce qui plaît en conformité avec la nature, ce qui convient à l'homme en conformité avec la raison, qui est la perfection de sa nature. À cause de cela, tous les [gens] vertueux se plaisent aux mêmes [choses]. Telles sont, par ailleurs, les opérations selon la vertu, à savoir, naturellement plaisantes pour l'homme, du fait qu'[elles sont] en conformité avec la raison droite. C'est pourquoi non seulement elles plaisent quant aux hommes concernés, mais aussi elles plaisent d'elles-mêmes. Tandis que les opérations vicieuses plaisent quant aux hommes concernés, à qui elles sont conformes, en conformité aux habitus corrompus qu'ils ont. Comme, donc, ce qui est en soi et naturellement tel est plus fort, le plaisir en conformité à l'opération de la vertu plaira davantage que les autres. |
[72861] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13
n. 4 Deinde cum dicit: nihil
autem indiget etc., ostendit in quo praedicta positio deficiat a veritate. Et
circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo manifestat
propositum, ibi, cum dictis enim et cetera. Est ergo considerandum circa
primum, quod dicentes virtutem cum voluptate esse felicitatem, videbantur
innuere quod virtus ad complementum felicitatis indigeat extrinseca
voluptate. Sed ipse hoc excludit; dicens, quod vita eorum qui operantur
secundum virtutem, non indiget voluptate, quasi aliquo extrinseco adiuncto;
sed habet voluptatem in seipsa. |
157.- Il indique ici en quoi l'opinion citée plus haut déroge de la vérité, et cela en deux temps. Il propose d'abord ce qu'il veut dire, puis il prouve son avancé. Il faut d'abord considérer que ceux qui affirment que la félicité réside dans la vertu unie à la volupté semblent insinuer que la vertu a besoin d'un plaisir extrinsèque pour compléter le bonheur. Et cela, il le rejette parce que la vie de ceux qui agissent selon la vertu n'a pas besoin d'un plaisir qui lui soit uni comme un apport extrinsèque; la vie vertueuse en elle-même comporte son plaisir. |
#157. — Ensuite (1099a15), il montre comment la position qui précède fait défaut à la vérité. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. En second (1099a17), il manifeste son propos. Sur le premier [point], on doit donc tenir compte que ceux qui disent que c'est la vertu accompagnée de plaisir qui est le bonheur paraissent indiquer que la vertu, pour compléter le bonheur, a besoin d'un plaisir extrinsèque. Mais lui-même exclut cela, en disant que la vie de ceux qui agissent en conformité avec la vertu n'a pas besoin de plaisir comme de quelque ajout extrinsèque, mais possède du plaisir en elle-même. |
[72862] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13 n. 5 Deinde cum dicit: cum dictis enim etc., manifestat quod
dixerat. Et circa hoc tria facit. Primo probat quod vita virtuosa habet
delectationem in seipsa. Secundo ostendit quod insuper habet pulchritudinem
et bonitatem secundum excellentiam, ibi, quinimmo et pulchrae et cetera.
Tertio excludit circa hoc quandam sententiam falsam, ibi: et non divisa sunt
haec et cetera. Dicit ergo primo quod cum dictis rationibus quibus ostensum
est operationes secundum virtutem esse naturaliter delectabiles, etiam
addendum est haec quod delectatio est de necessitate virtutis et pertinet ad
rationem ipsius; nullus enim est bonus vel virtuosus qui non gaudet in bonis
operationibus. Et hoc manifestat per inductionem, quia nullus diceret illum esse
iustum qui non gaudet de hoc quod operatur iusta. Et idem est in
liberalitate, et in qualibet alia virtute. Cuius ratio est quia unicuique
virtuoso operatio propriae virtutis est ei conveniens secundum proprium
habitum, et per consequens fit ei delectabilis. Ex quo patet quod operationes
secundum virtutem sunt secundum seipsas delectabiles. Et sic non requirunt delectationem extrinsecam. |
158.- Il manifeste ce qu’il avait dit, et cela de trois manières. D'abord, il prouve que la vie vertueuse possède en elle-même sa propre délectation. Ensuite, il montre qu'elle a en plus la bonté et la beauté par excellence. Enfin, il réfute une opinion erronée. Aux raisons données, par lesquelles on a montré que les opérations selon la vertu sont naturellement délectables, il faut ajouter ceci que la délectation appartient de nécessité à la vertu et fait partie de sa notion. Car il n'y a aucun homme vertueux qui ne se réjouisse de ses œuvres bonnes. Et cela, il le manifeste par induction: personne ne dit juste celui qui ne se réjouit d'opérer avec justice. Il en est de même pour la libéralité et pour l'importe quelle vertu. La raison en est que, pour chaque homme vertueux, l'opération propre d'une vertu est celle qui lui convient selon son habitus propre, et par conséquent lui est délectable. Il est donc parent que les opérations qui proviennent des vertus sont délectables par elles-mêmes. Et ainsi elles n’ont pas besoin d'une délectation extrinsèque. |
#158. — Ensuite (1099a17), il manifeste ce qu'il avait dit. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il prouve que la vie vertueuse possède du plaisir en elle-même. En second (1099a22), il montre qu'en plus, elle possède de la beauté et de la bonté, en conformité avec son excellence. En troisième (1099a25), il exclut une pensée fausse. Il dit donc, en premier, qu'avec les raisons apportées par lesquelles on a montré que les opérations en conformité avec la vertu plaisent naturellement, on doit aussi ajouter ceci que le plaisir appartient nécessairement à la vertu et lui appartient par définition. Nul, en effet, n'est vertueux qui ne produise de bonnes œuvres. Il manifeste cela avec une induction; car personne ne dira un tel juste, s'il n'exécute des [actions] justes. La même [chose] vaut pour la libéralité, et pour n'importe quelle autre vertu. La raison en est qu'une opération de sa vertu propre convient à chaque vertueux, en conformité avec son habitus propre, qui, en conséquence, lui procure du plaisir. Par là appert que les opérations en conformité aux vertus plaisent d'elles-mêmes. Ainsi, elles ne requièrent pas de plaisir extrinsèque. |
[72863] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13 n. 6 Deinde cum dicit: quin immo etc., ostendit quod
operationes secundum virtutem non solum sunt delectabiles, sed etiam pulchrae
et bonae. Delectabiles quidem sunt in ordine ad operantem cui conveniunt
secundum proprium habitum; pulcrae autem sunt secundum ordinem debitum
circumstantiarum quasi quarumdam partium. Nam in debita commensuratione
partium, pulchritudo consistit. Bonae autem sunt secundum ordinem ad finem. |
159.- Il démontre que les opérations selon la vertu ne sont pas seulement agréables, mais belles et bonnes. Les choses sont délectables par rapport à l'opérant à qui elles conviennent selon son habitus propre; elles sont belles d'après l'ordre dû de ce qui les enveloppe, constituant pour ainsi dire leurs parties: la beauté consiste dans la commensuration due des parties d'une chose; les choses sont bonnes, elles, d'après l'ordre à leur fin. |
#159. — Ensuite (1099a22), il montre que les opérations en conformité avec la vertu sont non seulement plaisantes, mais aussi belles et bonnes. Elles sont certes plaisantes pour celui qui les exécute, à qui elles conviennent en conformité avec son habitus propre. Mais belles aussi, en raison de l'ordre dû des circonstances, comme de leurs parties. En effet, c'est dans la commensuration due des parties que la beauté consiste. Enfin, elles sont bonnes selon leur ordre à leur fin. |
[72864] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 13 n. 7 Addit autem, quod unumquodque
horum trium maxime convenit eis. Et hoc probat per iudicium studiosi. Qui,
cum habeat rectum sensum circa operabilia humana, verum habet iudicium circa
ea; sicut ille qui habet gustum sanum verum habet iudicium circa sapores. Sed studiosus iudicat operationes secundum virtutem
esse maxime delectabiles et pulchras et bonas, utpote pro quibus omnia
delectabilia et pulchra et bona praetermittit. Cum igitur in operationibus
virtutum consistat felicitas, consequens est quod felicitas sit optimum et
pulcherrimum et delectabilissimum. |
160.- Il ajoute ensuite que chacune de ces trois qualités convient au plus haut point aux opérations vertueuses. Et il prouve cela à l'aide du jugement de l'homme de bien qui étant véritablement rectifié à l'égard des actes humains, pose un jugement vrai sur aux, comme celui qui possède un goût sain a un jugement sur les saveurs. Mais l'homme de bien juge que les opérations selon la vertu sont les plus délectables, les plus belles et les meilleures, de telle sorte qu'il leur subordonne tout ce qui est délectable, beau et bon. Puisque le bonheur réside dans l'opération des vertus, il s'ensuit que la félicité sera ce qu'il y a de meilleur, de plus beau, de plus délectable. |
#160. — Il ajoute, par ailleurs, que c'est à elles que chacune de ces trois [qualités] convient le plus. Il le prouve en se référant au jugement des [gens] vertueux. Le vertueux, étant donné qu'il a un sens droit des actions humaines, possède le vrai jugement sur elles, comme celui qui a un goût sain possède le vrai jugement sur les saveurs. Or le vertueux juge les opérations en conformité avec la vertu comme étant les plus plaisantes et belles et bonnes, du fait qu'il les place avant tous les plaisirs et les beautés et les biens. Comme, donc, c'est dans les opérations des vertus que consiste le bonheur, il s'ensuit que le bonheur est ce qu'il y a de meilleur et de plus beau et de plus plaisant. |
[72865] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13 n. 8 Deinde cum dicit: et non divisa sunt haec etc.,
excludit a proposito quamdam opinionem. Ad cuius evidentiam considerandum
est, quod apud Delos vel Deluos in templo Apollinis erat superscriptum quod
optimum est id quod est iustissimum: desideratissimum autem est sanum esse,
delectabilissimum autem est id quo quis optat frui. Sed philosophus dicit,
quod ista tria non conveniunt diversis, sed omnia conveniunt operationibus
quae sunt secundum virtutem, in quibus vel in quarum optima consistit
felicitas. Unde unum et idem est, scilicet felicitas, quod est optimum et
desideratissimum sive pulcerrimum et delectabilissimum. |
161.- Il exclut de sa pensée une certaine opinion. Pour en illustrer l'évidence, il faut considérer que sur le temple d'Apollon à Delos était écrit: "L’action la plus juste est la plus belle; une bonne santé est chose excellente; mais ce qui est souverainement agréable, c'est ce qu'on brûle d'obtenir". Le Philosophe affirme que ces trois qualités ne conviennent pas à des choses diverses, mais elles conviennent toutes trois aux opérations qui se font selon la vertu. Or la félicité consiste dans ces opérations ou dans la meilleure d'entre elles. Voilà pourquoi il existe un seul bien, la félicité, qui est le meilleur, le plus beau, le plus désirable, le plus délectable. |
#161. — Ensuite (1099a25), il exclut du propos une opinion. À cette évidence, on doit tenir compte qu'à Délos, dans le temple d'Apollon, il y avait d'inscrit que le meilleur est ce qui est le plus juste; que le plus désiré est d'être en santé; et que le plus plaisant est ce dont on choisit de jouir. Mais le Philosophe dit que ces trois [qualités] ne conviennent pas à des [sujets] différents, mais qu'elles 31 conviennent toutes aux opérations en conformité avec la vertu, dans lesquelles ou dans la meilleure desquelles consiste le bonheur. Aussi n'y a-t-il qu'un sujet, à savoir, le bonheur, qui soit le meilleur et le plus beau et le plus désiré, ou le plus plaisant. |
[72866] Sententia
Ethic., lib. 1 l. 13 n. 9 Deinde cum dicit: videtur tamen
et eorum etc., accedit ad tertiam opinionem, quae ponebat quod ad felicitatem
requiruntur exteriora bona. Et circa hoc
tria facit. Primo proponit in quo haec opinio veritati conveniat. Secundo
manifestat propositum, ibi, impossibile enim et cetera. Tertio inducit
conclusionem ex dictis, ibi, unde in idem et cetera. Dicit ergo primo, quod
tertia opinio supra posita quantum ad hoc videtur vera esse, quod felicitas
indiget exterioribus bonis, ut supra dictum est. |
162.- Il en arrive à la troisième opinion qui affirmait que la félicité exigeait la possession de biens extérieurs. Là-dessus il fait trois réflexions. Il indique d'abord en quoi cette proposition est véridique; puis il manifeste ce qu'il a proposé; en dernier, il apporte la conclusion. Il affirme donc en premier lieu que cette troisième opinion lui semble vraie en ce sens que la félicité a besoin de la possession des biens extérieurs. |
#162. — Ensuite (1099a31), il accède à la troisième opinion, qui prétendait que les biens extérieurs sont requis au bonheur. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose en quoi cette opinion convient à la vérité. En second (1099a32), il manifeste son propos. En troisième (1099b7), il tire une conclusion de ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, que la troisième opinion présentée plus haut (#149) paraît vraie, quant à cela que le bonheur ait besoin de biens extérieurs, comme il a été dit plus haut (#111). |
[72867] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13 n. 10 Deinde cum dicit impossibile enim etc., manifestat
propositum. Circa quod considerandum est, quod exteriorum bonorum quibusdam
indiget felicitas, sicut instrumentis quibus indigemus ad exercendum opera
virtutis, in quibus consistit felicitas. Et quantum ad hoc dicit quod est
impossibile vel difficile quod homo qui non habet divitias ex quibus possit
donare et expendere, operetur quaedam virtuosa opera; multa enim operum
virtuosorum facimus per amicos et per divitias et per civilem potentiam, puta
per hoc quod aliquis est rex vel proconsul. Quaedam vero exteriorum bonorum
sunt quae faciunt ad quandam pulchritudinem felicitatis, inquantum scilicet
reddunt hominem placitum in oculis aliorum, quod pertinet ad rationem
pulchritudinis. Et quantum ad hoc subdit, quod denudari quibusdam exteriorum
bonorum, coinquinat beatitudinem, inquantum scilicet reddit hominem aliqualiter
contemptibilem in oculis aliorum, sicut patet de eo qui caret nobilitate, vel
bona prole, aut etiam pulchritudine corporali. Non enim est omnino felix, qui est turpis specie; quia ex hoc
redditur in oculis aliorum contemptibilis et despectus. Et eadem ratio est de
eo qui est ignobilis, vel qui caret bona prole et aliis secundum carnem
coniunctis quasi solitarius existens, quia propter omnia ista homo
contemnitur. Et multo magis minus est felix si habeat pessimos filios vel
amicos, quia per eos impeditur ab operatione virtutis. Et similiter etiam
repugnat felicitati si aliquando habuerit bonos et mortui sunt, quia ex hoc
aliqua causa tristitiae remanet in corde eius. Sic igitur videtur quod
felicitas indigeat exteriori prosperitate. |
163.- Il manifeste sa proposition. A ce sujet, il faut noter que la félicité a besoin de certains biens extérieurs comme de certains instruments requis aux œuvres de vertu, en quoi consiste le bonheur. Ainsi il est impossible ou difficile à un homme qui n'a pas de richesses à distribuer ou à dispenser, de poser des actes vertueux. En effet, nous posons plusieurs actes vertueux à l'aide d'un ami, des richesses ou d'une puissance civile: celui qui est roi ou proconsul peut ainsi faire beaucoup d'actes de vertu. D'autres biens extérieurs, il est vrai, apportent une certaine beauté du bonheur, en tant par exemple qu'ils rendent l'homme plaisant aux yeux des autres: ce qui appartient à la définition du beau. Et sur ce, il ajoute que le fait d'être dépourvu de certains biens extérieurs entache le bonheur, en tant que cette déficience rend un homme méprisable aux yeux des autres, comme il est évident dans le cas de celui qui est dépourvu de noblesse, de bonne descendance ou même de beauté corporelle. En effet, n’est pas parfaitement heureux celui qui est laid au regard: car aux yeux des autres, cela le rend méprisable et repoussant. Il en est de même pour celui qui est de basse origine ou qui n’a pas une bonne lignée. Est encore beaucoup moins heureux, celui qui a des fils ou des amis très mauvais: autant d'obstacles à l’exercice de la vertu. Et de même la mort des bons s'oppose au bonheur, parce qu'elle laisse une profonde tristesse au fond du cœur. Il est donc évident que la félicité a besoin de l'abondance des biens extérieurs. |
#163. — Ensuite (1099a32), il manifeste son propos. À propos de quoi on doit tenir compte que le bonheur a besoin de certains biens extérieurs, comme d'instruments dont nous avons besoin pour exercer les œuvres de la vertu, en lesquelles consiste le bonheur. Quant à cela, il dit qu'il est impossible ou difficile, sans richesses à donner et dépenser, d'exécuter certaines actions vertueuses. En effet, nous faisons beaucoup d'actions envers nos amis grâce aux richesses, et à la puissance civile, par exemple, du fait que l'on soit roi ou proconsul. Ce sont, par ailleurs, des biens extérieurs qui font la beauté du bonheur, du fait de rendre plaisant aux yeux des autres, ce qui appartient à la définition de la beauté. Quant à cela, il ajoute que d'être privé de biens extérieurs affaiblit le bonheur, du fait de rendre de quelque manière méprisable aux yeux des autres, comme il appert de qui est privé de noblesse, ou de bons enfants, ou même de beauté corporelle. On n'est pas tout à fait heureux, en effet, si on est laid d'apparence, parce que, de ce fait, on est rendu méprisable aux yeux des autres, et méprisé. La même raison vaut si on est sans noblesse, ou si on se trouve sans bons enfants. De plus, on est beaucoup moins heureux, si on a les pires enfants ou les pires amis, parce que l'on est empêché d'exécuter les actions de la vertu. Pareillement aussi, cela répugne au bonheur si les bons amis que l'on avait sont morts, parce qu'il en reste dans le cœur une cause de tristesse. Ainsi donc, il paraît que le bonheur a besoin de prospérité extérieure. |
[72868] Sententia Ethic., lib. 1 l. 13 n. 11 Deinde cum dicit: unde in idem etc., infert
conclusionem ex dictis. Quia enim felicitas principaliter consistit in
operatione virtutis, indiget tamen aliqualiter exterioribus bonis, quae
dicuntur bona fortunae, quia multoties fortuito adveniunt homini vel
recedunt, inde est quod quidam idem posuerunt esse bonam fortunam et
felicitatem. Quidam vero dixerunt idem esse felicitatem et virtutem, ut supra
dictum est. |
164.- Il apporte sa conclusion. Le bonheur consiste dans l'opération de la vertu, mais a quand même besoin de la présence de biens extérieurs, qu'on appelle les biens de fortune, parce que, très souvent, c'est fortuitement que l'homme les reçoit ou les perd. Et c'est ainsi que plusieurs identifient bonheur et bonne fortune alors que d'autres identifient le bonheur à la vertu. |
#164. — Ensuite (1099b7), il tire la conclusion. Parce qu'en effet, le bonheur consiste en l'opération de la vertu, il a besoin de quelque manière de biens extérieurs, que l'on appelle les biens de fortune, parce que c'est souvent fortuitement qu'ils adviennent à l'homme ou s'en éloignent; aussi certains ont-ils prétendu que la bonne fortune est la même [chose] que le bonheur. Toutefois, certains ont dit que le bonheur est la même [chose] que la vertu, comme il a été dit plus haut (#66-68). |
|
|
|
Lectio
14 |
Leçon 14 : [La cause du bonheur] |
|
|
IL
SE DEMANDE QUELLE EST LA CAUSE DE LA FELICITE : DIVINE, HUMAINE OU
FORTUITE ? |
|
[72869] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14
n. 1 Unde et quaeritur et
cetera. Postquam philosophus ostendit quomodo diversae opiniones concordant
definitioni felicitatis suprapositae, hic inquirit ex consequenti de causa
felicitatis. Et primo movet quaestionem. Secundo determinat eam, ibi,
siquidem igitur et cetera. Circa primum considerandum est quod necesse est
felicitatem procedere, vel a causa per se et determinata, vel a causa per
accidens et indeterminata, quae est fortuna. Si autem a causa determinata et
per se, aut hoc erit a causa humana, aut a causa divina. A causa autem humana
fit aliquid in nobis tripliciter. Uno modo addiscendo, sicut scientia. Alio modo assuescendo, sicut virtus moralis. Tertio
modo exercitando, sicut militaris industria, et alia huiusmodi. |
165.- Après avoir montré l’accord de diverses opinions avec sa définition de la félicité, le Philosophe s'interroge en conséquence sur la cause de la félicité. Primo, il pose la question. Secundo, il la détermine. Au sujet de son premier point, il faut considérer qu'il est nécessaire à la félicité de procéder soit d'une cause per se et déterminée, soit d’une cause per accidens et indéterminée, qui est la fortune. S'il s’agit d'une cause déterminée et per se, la félicité procèdera soit d'une cause humaine, soit d’une cause divine. Or, par une cause humaine, on peut acquérir quelque chose de trois façons : par l’étude, comme la science; par l’usage ou l'habitude, comme la vertu morale; par l'entraînement ou l'exercice, comme l'art militaire ou toute autre chose du genre. |
#165. — Après avoir montré comment différentes opinions concordent avec la définition du bonheur présentée plus haut, le Philosophe enquête ici, par la suite, sur la cause du bonheur. En premier, il soulève une question. En second (1099b11), il en traite. Sur le premier [point], on doit tenir compte que, nécessairement, le bonheur provient ou bien d'une cause par soi et déterminée, ou bien d'une cause par accident et indéterminée, la chance. Si c'est d'une cause déterminée et par soi, ce sera ou bien d'une cause humaine, ou bien d'une cause divine. Or c'est de trois manières qu'une chose se produit en nous par une cause humaine. D'une manière, en l'apprenant, comme la science; d'une autre, en y prenant coutume, comme la vertu morale; d'une troisième manière, en s'y exerçant, comme l'habilité militaire, et autres [capacités] de la sorte. |
[72870]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 2 Proponit igitur quaestionem
trium membrorum: quorum primum pertinet ad causam humanam. Et hoc est quod quaerit: utrum felicitas sit aliquid
discibile, sicut scientia, vel assuescibile, sicut virtus moralis, vel
aliqualiter exercitabile, sicut industria artificialium operum. Secundum
membrum pertinet ad causam divinam; et hoc est quod quaerit: utrum felicitas
sit in nobis secundum quandam divinam particulam, id est secundum
qualemcumque participationem alicuius divinorum super hominem existentium.
Tertium autem membrum pertinet ad causam per accidens et indeterminatam; et
hoc est quod quaerit: utrum felicitas adveniat homini propter fortunam. |
166.- Ainsi, il divise la question en trois points : En premier, par rapport à la cause humaine. Voici ce qu'il recherche: la félicité est-elle susceptible d'être enseignée, comme une science, ou d'être acquise par l'usage ou l'habitude, comme la vertu morale, ou par suite de quelque entraînement, comme l'activité des opérations artificielles. En second lieu, par rapport à la cause divine, il se demande ceci: le bonheur est-il en nous comme une parcelle du divin, et comme une participation à. quelque chose de divin qui transcende notre existence humaine. Le troisième point se rapporte à. la cause per accidens et indéterminée: il se demande si c'est la fortune qui apporte le bonheur à l'homme. |
#166. — Il présente donc une question à trois membres, dont le premier touche la cause humaine. Voici ce qu'il demande: si le bonheur est chose apte à l'apprentissage, comme la science, ou à l'accoutumance, comme la vertu morale, ou à quelque entraînement, comme l'habileté aux activités artisanales. Le second membre touche à la cause divine. Voici ce qu'il demande: si le bonheur dépend en nous d'une particule divine, et d'une quelconque participation de l'une des [entités] divines qui existent au-dessus de l'homme. Enfin, le troisième membre touche à la cause par accident et indéterminée. Voici ce qu'il demande: si le bonheur arrive à l'homme par chance. 32 |
[72871] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14
n. 3 Deinde cum dicit: si
quidem igitur etc., determinat praedictam quaestionem. Et primo quasi per
modum divisivum considerando singula membra quaestionis. Secundo per rationem
communem sumptam ex definitione felicitatis, ibi, manifestum est autem ex
ratione et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod maxime
rationabile est quod felicitas sit ex causa divina. Secundo ostendit quod
tolerabile est quod sit ex causa humana, ibi, videtur autem et cetera. Tertio
ostendit quod inconveniens est quod sit ex causa fortuita, ibi, si autem est
ita et cetera. Dicit ergo primo, quod si aliquid aliud ex dono deorum,
id est substantiarum separatarum quas antiqui deos vocabant, datur hominibus,
rationabile est quod felicitas sit donum Dei supremi, quia ipsa est optimum
inter bona humana. Manifestum est enim quod ad altiorem finem aliquid perducitur ab
altiori virtute; sicut ad altiorem finem perducit ars militaris quam
frenefactiva. Unde rationabile est quod
ultimus finis, scilicet felicitas, proveniat homini ex suprema omnium
virtute, scilicet Dei summi. |
167.- Il détermine maintenant la question posée plus haut. Et d'abord il considère chaque membre de la question séparément et, en second lieu, il répond par la raison commune prise dans la définition du bonheur. Au sujet du premier point, il procède de trois façons. Primo, il montre qu'il est absolument raisonnable que la félicité procède d'une cause divine; secundo, il montre qu'il est tolérable qu'elle vienne d'une cause humaine; tertio, il montre qu’il est inconvenable qu'elle procède d’une cause fortuite. Sur le premier point, il nous dit que, s’il nous est donné quelque autre don des dieux, c’est-à-dire des substances que les Anciens appelaient dieux, il est raisonnable que le bonheur soit le don du dieu suprême, parce que le bonheur est le plus grand de tous les biens humains. En effet, il est manifeste qu'une chose ordonnée à une fin supérieure la poursuive par une vertu supérieure; ainsi, par exemple, l'art militaire est orienté vers une fin plus haute que l’est la fabrication du mors. Nous pouvons donc conclure qu'il est raisonnable que l'homme atteigne la fin ultime, à savoir la félicité, par la plus haute puissance, à savoir la vertu du dieu suprême. |
#167. — Ensuite (1099b11), il traite de la question annoncée. En premier, comme par mode de division, en tenant compte de chacun des membres de la question. En second (1099b25), par une raison commune tirée de la définition du bonheur. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'il est raisonnable au plus haut point que le bonheur provienne d'une cause divine. En second (1099b14), il montre qu'il est acceptable que le bonheur provienne d'une cause humaine. En troisième (1099b20), il montre qu'il n'est pas convenable qu'il provienne d'une cause fortuite. Il dit donc, en premier, que s'il y a autre chose qui soit donné aux hommes par don des Dieux, c'est-à-dire, des substances [séparées], que les anciens appelaient Dieux, il est raisonnable que le bonheur soit le don du Dieu suprême, parce qu'il est le meilleur parmi les biens humains. Il est manifeste, en effet, qu'une chose est conduite à une plus haute fin par une plus haute vertu, comme l'art militaire conduit à une plus haute fin que l'art de fabriquer des mors. Aussi est-il raisonnable que la fin ultime, à savoir, le bonheur, provienne à l'homme de la plus haute vertu de toutes, à savoir, [celle] du Dieu suprême. |
[72872]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 4 Quod autem a substantiis
separatis aliquid detur hominibus, evidens fit ex ipsa convenientia hominum
ad substantias separatas secundum intellectualem virtutem. Sicut enim corpora
inferiora recipiunt suas perfectiones a corporibus superioribus, ita
intellectus inferiores ab intellectibus superioribus. Circa hoc autem non diutius immoratur, sed dicit hoc
esse magis proprium alterius perscrutationis, scilicet metaphysicae. |
163.- Que quelque chose soit accordé aux hommes par les substances séparées, le rapport de convenance lui-même qui existe hommes et substances séparées selon la vertu intellectuelle, comme les corps inférieurs reçoivent leur perfection des corps supérieurs, ainsi les intelligences inférieures reçoivent leur perfection des corps supérieurs. Cependant il n'appartient pas à la science morale de s'arrêter là-dessus, mais plus proprement à une autre recherche, à savoir la métaphysique. |
#168. — Que d'ailleurs quelque chose soit donné aux hommes par les substances séparées, cela devient évident par la convenance même des hommes avec les substances séparées, en regard de leur vertu intellectuelle. De même, en effet, que les corps inférieurs reçoivent leurs perfections des corps supérieurs, de même les intelligences inférieures des intelligences supérieures. Sur cela, toutefois, il ne s'étend pas plus longtemps, mais il dit que cela regarde plus proprement une autre investigation, à savoir, la Métaphysique. |
[72873] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14
n. 5 Deinde cum dicit: videtur
autem etc., ostendit tolerabiliter dici quod felicitas sit ex causa humana,
quia, etiam si sit a Deo principaliter, tamen adhuc homo aliquid cooperatur.
Hoc autem ostendit dupliciter. Primo quidem per hoc quod si est a causa
humana, non removetur id quod est proprium felicitati, scilicet quod sit
aliquid optimum et divinum. Et dicit quod si felicitas non sit aliquod donum
missum immediate a Deo, sed adveniat homini propter virtutem, sicut aliquid
assuescibile, vel propter aliquam disciplinam, sicut aliquid discibile, vel
propter aliquam exercitationem sicut aliquid exercitabile, nihilominus
videtur felicitas esse aliquid divinissimum, quia cum sit praemium et finis
virtutis, sequitur quod sit optimum et divinum aliquid et beatum. Non enim
dicitur aliquid divinum propter hoc solum quia est a Deo, sed etiam quia nos
Deo assimulat propter excellentiam bonitatis.
|
169.- Il montre qu’il est tolérable de dire que la félicité procède d'une cause humaine. Bien que le bonheur nous soit accordé principalement par Dieu, cela n'exclut point la participation de l'homme à son acquisition. Il le montre de deux façons. Le fait de provenir d'une cause humaine, ni enlève pas au bonheur son caractère propre d'être quelque chose de très noble et de divin. Et il nous dit que si le bonheur ne nous est pas donné directement par Dieu, mais qu'il s’acquiert chez l’homme par la vertu, comme quelque chose qui ne s’acquiert que par la coutume, ou par la science, comme ce qui est susceptible d’être enseigné, ou par l’entrainement, comme à la suite de quelque exercice, il semble que le bonheur n'est rien moins que ce qu'il y a de plus divin, parce qu'étant récompense et fin de la vertu, il s'ensuit qu'il est quelque chose de très élevé et de divin. Il ne nous dit pas que le bonheur est quelque chose de divin uniquement parce qu'il nous vient de Dieu, mais surtout parce qu’il nous rend semblable à Dieu en raison de l’excellence de sa bonté. |
#169. — Ensuite (1099b14), il montre que l'on peut dire, comme une chose tolérable, que le bonheur procède d'une cause humaine. En effet, quoiqu'il procède principalement de Dieu, l'homme, cependant, y coopère en quelque chose. Cela, il le montre de deux manières. En premier, certes, du fait que s'il procède d'une cause humaine, cela n'enlève pas son propre au bonheur, à savoir, qu'il soit quelque chose de meilleur et de divin. Il dit que si le bonheur n'est pas un don envoyé immédiatement par Dieu, mais qu'il advient à l'homme en raison de sa vertu, comme une chose à laquelle on puisse s'accoutumer, ou en raison d'une discipline, comme une chose qui s'enseigne, ou en raison de quelque entraînement, comme chose qui s'exerce, néanmoins, le bonheur est manifestement quelque chose de très divin, parce que, comme il est la récompense et la fin de la vertu, il s'ensuit qu'il soit ce qu'il y a de mieux, et une chose divine et bienheureuse. En effet, on ne dit pas divine une chose à cause de cela seulement qu'elle provient de Dieu, mais aussi parce qu'elle nous assimile à Dieu, en raison de l'excellence de sa bonté. |
[72874] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14
n. 6 Secundo ibi: erit autem
etc., ostendit idem per hoc quod haec positio conservat felicitati id quod
pertinet ad finem alicuius naturae, ut scilicet sit commune aliquid his quae
habent naturam illam. Non enim natura deficit ab eo quod intendit, nisi in
paucioribus. Et ita si felicitas est finis humanae naturae, oportet quod
possit esse communis omnibus vel pluribus habentibus humanam naturam; et
istud salvatur si sit ex causa humana, quia sic per quandam disciplinam et
studium, poterit provenire omnibus non habentibus aliquod impedimentum ad
operandum opera virtutis, vel per defectum naturae, sicut qui sunt
naturaliter stulti, vel per malam consuetudinem quae imitatur naturam. Ex quo
patet, quod felicitas de qua philosophus loquitur non consistit in illa
continuatione ad intelligentiam separatam, per quam homo intelligat omnia, ut
quidam posuerunt. Hoc enim non provenit multis, immo nulli in hac vita. |
170.- En second, il appuie cette position par le fait qui il convient à la félicité d’appartenir à la fin d'une nature, de telle sorte qui elle soit quelque chose de commun à tous ceux qui partagent cette nature. Car la nature manque rarement la fin vers laquelle elle tend. Si donc le bonheur est la fin de la nature humaine, il importe qu’il soit partagé par tous, sinon par le plus grand nombre de ceux qui la possèdent. Ainsi, si la félicité s’acquiert par la discipline et l’étude, elle pourra être atteinte par tous ceux qui n'ont pas quelque empêchement à la pratique de la vertu, soit par quelque défaut de nature, comme ceux qui sont naturellement stupides, ou par quelque mauvaise habitude, qui imite la nature. On peut conclure de là que le bonheur, dont parle le Philosophe, ne consiste pas dans cette union continuelle à l'intelligence séparée, par laquelle l'homme connaîtrait tout, comme certains l'ont pensé. En effet, ce contact n'est pas le partage du grand nombre; bien plus, personne ne l'a dans cette vie. |
#170. — En second (1099b18), il montre la même [chose] du fait que ce principe s'applique au bonheur, lui qui concerne la fin d'une nature, qu'à savoir, il soit quelque chose de commun à ceux qui détiennent cette nature. En effet, la nature ne fait pas défaut à ce qu'elle vise, sauf par exception. Ainsi, si le bonheur est la fin de la nature humaine, il faut qu'il puisse être commun à tous ou à la plupart de ceux qui détiennent la nature humaine. Or cela est sauvegardé, s'il provient d'une cause humaine. Car s'il est le fait d'une discipline et d'une étude, il pourra se produire chez tous ceux qui n'ont pas d'empêchement à opérer les œuvres de la vertu, soit par défaut de nature, comme les gens naturellement stupides, soit par le fait d'une mauvaise habitude à l'imitation de la nature. De là appert que le bonheur dont parle le Philosophe ne consiste pas dans le voisinage avec l'intelligence séparée, grâce auquel on comprenne tout, comme certains l'ont prétendu. En effet, cela ne se produit pas chez beaucoup; chez personne, au contraire, en cette vie. |
[72875] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 7 Deinde cum dicit: si autem est ita etc., ostendit
intolerabile esse quod felicitatis causa sit fortuna. Et hoc duabus
rationibus. Quarum prima talis est. Ea quae sunt secundum naturam optime se
habent, sicut apta nata sunt. Et idem est etiam de omnibus quae fiunt
secundum artem vel secundum quamcumque causam; et maxime secundum optimam
causam a qua videtur felicitas dependere, cum sit quiddam optimum; huius
autem ratio est quia et ars et omnis causa agens agit propter bonum. Unde
consequens est quod unumquodque agens optime disponat id quod agit quanto
melius potest et praecipue hoc videtur de Deo, qui est totius naturae causa.
Et ideo ea quae sunt secundum naturam, videntur se habere quanto melius nata
sunt esse. Sed melius est quod felicitas sit ex aliqua causa per se vel
divina vel humana, quam a fortuna, quae est causa per accidens. Quia semper
quod est per se, potius est eo quod est per accidens. Non ergo felicitas est a
fortuna. |
171.- Il montre ensuite qu'il est intolérable que la félicité soit causée par le hasard. Il le démontre par deux raisons, dont voici la première. Ce qui est conforme à la nature est de beaucoup supérieur comme ce qui existe par une disposition naturelle. Ainsi en est-il de tout ce qui dépend d’un art ou d’une cause quelconque; et à plus forte raison, ce qui dépend de la cause la meilleure dont semble dépendre la félicité puisqu'elle est ce qu’il y a de meilleur. La raison en est que tout art et toute cause efficiente agissent en vue d'un bien. D'où il s’ensuit que chaque agent dispose parfaitement, en autant qu’il le peut, ce qu’il exécute. Et ceci s’applique principalement à Dieu, cause de toute la nature. Et ainsi les choses conformes à la nature semblent être d’autant meilleures qu’elles sont nées telles. Mais il est mieux que la félicité procède d'une cause per se ou divine ou humaine, que du hasard, qui est une cause per accidens. La raison en est que ce qui est per se est toujours préférable à ce qui est "per accidens". C'est pourquoi la félicité ne relève pas du hasard. |
#171. — Ensuite (1099b20), il montre que de mettre la cause du bonheur dans la chance est inacceptable. Et cela, avec deux raisons. Voici la première. Ce qui est par nature se trouve au mieux en se conformant à ce à quoi il est apte de nature. La même [chose] vaut aussi de tout ce qui se fait par art ou par n'importe quelle cause; surtout ce qui dépend de la meilleure cause, comme c'est le cas du bonheur, comme il est ce qu'il y a de meilleur. La raison en est que l'art, comme toute cause efficiente, agit pour un bien. Par suite, tout agent dispose de la meilleure façon ce qu'il fait, autant qu'il le peut. C'est manifestement le fait de Dieu, principalement, qui est cause de toute nature. C'est pourquoi ce qui est par nature se 33 trouve manifestement d'autant mieux qu'il se conforme à sa nature. Aussi est-il mieux que le bonheur procède d'une cause par soi, soit divine soit humaine, que de la chance, qui est cause par accident. Car toujours ce qui est par soi est plus fort que ce qui est par accident. Donc, le bonheur ne procède pas de la chance. |
[72876] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 8 Secundam rationem ponit ibi, maximum autem et optimum
et cetera. Quae talis est. Felicitas est maximum omnium bonorum humanorum. Quia
omnia alia ad ipsam ordinantur, sicut ad finem. Esset autem maxime
perniciosum, si hoc a fortuna dependeret; quia multo magis alia humana bona
essent fortuita; et ita cessaret humanum studium circa humana bona exequenda,
quod esset periculosissimum. Non ergo
felicitas est a fortuna. |
172.- Il expose une seconde raison. Voici en quoi elle consiste. Le bonheur est le plus grand de tous les biens humains, parce que tous les autres lui sont ordonnés comme à une fin. Cependant, il serait très pernicieux que la félicité dépende de la fortune, parce que, à plus forte raison, tous les autres biens humains seraient fortuits. Ainsi s'évanouirait le zèle de l’homme pour poursuivre les biens humains. Une telle position entraînerait les plus grands dangers. Ainsi donc, la félicité ne vient pas du hasard. |
#172. — Il présente ensuite (1099b24) sa seconde raison, que voici. Le bonheur est le plus grand des biens humains. Car tout autre lui est ordonné comme à sa fin. Or il serait pernicieux au plus haut point que celui-ci dépende de la chance, parce qu'alors, les autres biens humains seraient beaucoup plus fortuits; et ainsi cesserait-on tout effort pour assurer ces autres biens humains, ce qui serait très dangereux. Ainsi donc, le bonheur n'est pas fortuit. |
[72877] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 9 Deinde cum dicit: manifestum autem est etc., solvit
praedictam quaestionem ex diffinitione felicitatis supra posita. Et dicit
manifestum esse ex diffinitione felicitatis quid sit verum circa id quod
quaeritur in quaestione praemissa. Dictum est enim supra, quod felicitas est
operatio animae rationalis secundum virtutem. Id autem quod est secundum
virtutem, est secundum rationem motam ab aliqua causa divina. Quod autem est
secundum fortunam est praeter rationem. Felicitas igitur non est a fortuna,
sed ab aliqua causa humana proxima, a causa autem divina principaliter et
primo. Concurrunt
autem ad felicitatem quaedam alia bona, in quibus fortuna aliquid operatur.
In eis tamen non principaliter consistit felicitas. Sed eorum quaedam
necessarium est existere ad decorem quemdam felicitatis. Quaedam vero
instrumentaliter cooperantur ad felicitatem, ut supra dictum est. Unde propter ista bona secundaria, non oportet
felicitatem fortunae attribuere. |
173.- Il résout la question posée précédemment, il dit qu’à partir de la définition du bonheur donnée plus haut, on peut manifester la part de vérité dans la recherche qui nous occupe. En effet, il a été dit précédemment que le bonheur consiste en l'opération de l'âme raisonnable, selon la vertu. Or ce qui est selon la vertu est selon la raison mue par quelque cause divine. Or ce qui provient du hasard est contraire à la raison. Aussi, la félicité n’est point causée par le hasard, mais par quelque autre cause humaine prochaine, et d'abord et principalement par quelque cause divine. Cependant quelques autres biens, parmi lesquels la fortune entre en jeu, concourent au bonheur. Il faut cependant remarquer que le bonheur ne consiste pas surtout en ces biens. Quelques-uns servent, de toute nécessité, à compléter le bonheur, tandis que d'autres coopèrent au bonheur à titre d'instruments. A cause de tous ces biens secondaires, il apparaît bien que le bonheur ne peut être attribué à la fortune. |
#173. — Ensuite (1099b25), il résout la question annoncée. Il dit qu'à partir de la définition du bonheur présentée plus haut (#130), la vérité devient manifeste, concernant ce que l'on cherche dans la question présente. On a dit plus haut (#127-128), en effet, que le bonheur est une opération de l'âme rationnelle en conformité à la vertu. Or ce qui est en conformité avec la vertu est en conformité avec la raison mue par une cause divine. Tandis que ce qui dépend de la chance est en dehors de la raison. Le bonheur, donc, ne dépend pas de la chance, mais d'une cause prochaine humaine, et d'une cause principale et première divine. Cependant, d'autres biens concourent au bonheur, dans lesquels la chance fait quelque chose. Mais le bonheur ne consiste pas principalement en eux. Plutôt, certains d'entre eux sont nécessaires à un certain ornement du bonheur, tandis que d'autres coopèrent instrumentalement au bonheur, comme il a été dit plus haut (#169). Aussi, ces biens secondaires ne constituent pas une raison suffisante d'attribuer le bonheur à la chance. |
[72878] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 10 Deinde cum dicit: confessa autem haec utique erunt
etc., ostendit quod praedicta felicitatis definitio non solum consonat
opinionibus aliorum de felicitate, sed etiam aliis quae sunt secundum suam
opinionem. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod consonat his quae ab
eo supra de felicitate sunt dicta. Secundo concludit quid secundum hanc
sententiam recte dicendum sit, ibi, decenter igitur neque bovem et cetera. Dicit ergo primo quod
haec, scilicet felicitatem esse operationem secundum virtutem confessa
sunt, idest consona his quae in prooemio diximus. Posuimus enim ibi quod
optimum humanorum bonorum, scilicet felicitas, sit finis politicae, cuius
finis manifeste est operatio secundum virtutem. Politica enim ad hoc
praecipuum studium adhibet ferendo leges et praemia, et poenas adhibendo, ut
faciat cives bonos et operatores bonorum. Quod
est operari secundum virtutem. |
174.- La plus grand de tous les biens humains, à savoir le bonheur, est la fin que poursuit la science politique, dont le but est manifestement l'opération vertueuse. En effet la Politique, en appliquant des lois, en donnant récompense et châtiments, vise avant tout à former de bons citoyens, pratiquant le bien. Ce qui est opérer selon la vertu. |
#174. — Ensuite (1099b28), il montre que la définition du bonheur présentée s'harmonise non seulement aux opinions des autres sur le bonheur, mais aussi aux [éléments] qui tiennent à son opinion. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'elle s'harmonise à ce qu'il a dit plus haut (#19-42) du bonheur. En second (1099b32), il conclut ce que l'on doit dire correctement, en conformité à cette pensée. Il dit donc, en premier: cela, à savoir, que le bonheur soit une opération en conformité à la vertu, est admis, c'est-à-dire, s'harmonise avec ce que nous avons dit dans le prologue. En effet, nous avons posé là que le meilleur des biens humains, à savoir, le bonheur, est la fin de la politique, dont la fin est manifestement l'opération en conformité avec la vertu. La politique, en effet, y met son effort principal, en apportant lois et récompenses, et en apposant des peines, pour rendre les citoyens bons et faiseurs du bien. Cela, c'est opérer en conformité avec la vertu. |
[72879] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 11 Deinde cum dicit: decenter igitur etc., concludit ex
praemissa ratione, a quibus felicitas sit subtrahenda secundum ea quae
convenienter dicuntur. Et primo dicit, quod nullum animal irrationale dicitur
esse felix. Et hoc convenienter quia nullum eorum potest communicare in
operatione virtutis, quae est secundum rationem, quam diximus esse
felicitatem. |
175.- Puis il montre, par suite de la raison exposée plus haut, à qui on doit soustraire le bonheur. Il dit d’abord qu'aucun animal irraisonnable ne peut être heureux, et cela est convenable, car aucun d'eux ne peut participer à l'activité vertueuse, qui est selon la raison, que nous avons appelée bonheur. |
#175. — Ensuite (1099b32), il conclut, de la raison précédente, de quoi il faut soustraire le bonheur, pour se conformer à ce qu'il est convenable de dire. En premier, il dit qu'on ne peut dire heureux aucun animal irrationnel. Cela est convenable, puisque aucun d'eux ne peut participer à l'opération de la vertu qui se conforme avec la raison; or c'est en elle que nous avons dit que le bonheur constitue. |
[72880] Sententia Ethic., lib. 1 l. 14 n. 12 Secundo ibi: propter hanc autem causam etc., excludit a
felicitate etiam pueros. Et dicit quod propter eamdem causam, etiam puer non
potest dici felix. Quia propter defectum aetatis nondum habet plenum usum
rationis ut possit esse operator virtuosarum operationum. Et si aliquando
dicuntur beati, hoc est propter spem futurae perfectionis, quae ex aliquibus
indiciis de eis concipitur. Ideo autem in praesenti non sunt felices, quia
felicitas, ut supra dictum est, indiget et virtute perfecta, ad hoc quod sit,
non solum bona, sed optima operatio et vita perfecta ad hoc quod sit bona
operatio continua et diuturna. |
176.- Ensuite, là "propter hanc", il nous dit que le bonheur ne peut convenir aux enfants. Il nous dit qu'à cause de la même raison, un enfant ne peut être dit heureux. En effet, à cause de son jeune âge, il ne peut pas encore faire pleinement usage de sa raison, comme le peut celui qui opère selon la vertu. Et si les enfants sont quelquefois dits heureux, c'est uniquement en raison de l'espérance d'une perfection future, qui se manifeste dans quelques signes. Pour cette raison, ils ne sont point présentement heureux, parce que le bonheur, comme il a été manifesté précédemment, exige une vertu parfaite pour que l’opération soit non seulement bonne mais parfaite: et exige aussi une vie parfaite pour que l'opération bonne soit continue et durable. |
#176. — En second (1100a1), il exclut même les enfants du bonheur. Il dit que, pour la même cause, on ne peut pas même dire l'enfant heureux. C'est que, en raison du défaut d'âge, il n'a pas encore le plein usage de la raison qui l'habiliterait à poser des actions vertueuses. Si on le dit heureux, parfois, c'est en raison de l'espoir d'une perfection future, que certains indices font concevoir chez lui. Mais pour le moment, ils ne sont pas heureux, parce que le bonheur, comme il a été dit plus haut (#127-129), a besoin d'une vertu complète, pour constituer non seulement une bonne, mais la meilleure opération, et d'une vie complète, pour constituer une bonne opération continue et durable. 34 |
|
|
|
|
Texte d’Aristote |
|
|
NOTRE
DEFINITION PERMET DE RESOUDRE LE PROBLEME DE SOLON : PEUT-ON DIRE D’UN
HOMME QU’IL EST HEUREUX AVANT SA MORT ? |
|
|
Que de vicissitudes, en effet, et que de chances diverses dans le cours d'une vie! Il peut même arriver que l’homme le plus florissant tombe dans de grands malheurs au temps de la vieillesse, comme on le raconte de Priam dans les poèmes du cycle de Troie. Mais qui a été victime de pareilles malchances et a achevé misérablement sa vie, personne ne le dit heureux. Mais alors, ne nous faudra-t-il pas refuser de déclarer heureux même un homme autre que celui qui voit fondre sur lui tous les malheurs de Priam, tant qu'il vit, et ne devrons-nous pas dire, avec Solon, qu'il faut "voir la fin" ? DISCUSSION En un sens, l’opinion de Solon est absurde Mais, s'il faut admettre cette position, faudra-t-il donc admettre aussi qu'au moins on est enfin heureux à ce moment-là, une fois qu’on est mort; Ou ne vaudra-t-il pas mieux reconnaître qu'au moins entendue de la sorte, l'opinion de Solon n'a pas le sens commun, surtout pour nous qui disons que le bonheur est une certaine activité? En un autre sens, qui est vrai, elle est discutable Mais, si nous n'entendons pas dire que le mort est heureux, et si ce n'est pas là ce que Solon veut dire, mais bien que c'est alors seulement qu'on peut sans risque dire qu'un homme a été heureux, parce que désormais, pense-t-on, il est hors de l'atteinte des maux et des coups de la chance, cela même est discutable. Ne croit-on pas communément, en effet, qu’il peut y avoir des évènements qui soient pour le mort un mal ou un bien, tout comme il peut y en avoir pour un homme qui vit, mais qui n’en a pas connaissance? Par exemple, des honneurs ou des avanies, les succès ou les malchances de ses enfants et en général de ses descendants. ELLE OUVRE LA VOIE A UNE DIFFICULTE SECONDAIRE: LE BONHEUR D'UN HOMME EST-IL SUJET A VISCISSITUDES, MEME APRES SA MORT? Mais cette croyance soulève une seconde difficulté. Car celui-là même qui a vécu dans la béatitude jusqu'à la vieillesse et a eu une fin en rapport avec sa vie peut encore éprouver bien des viscissitudes dans ses descendants. Il peut se faire que les uns soient bons et obtiennent la vie qu'ils méritent, et que pour les autres ce soit tout le contraire; en outre, il est évident que les degrés de parenté suffiront à eux seuls à établir dans les relations des descendants vis-à-vis de leurs ancêtres la plus grande variété. Cela n'aura donc pas le sens commun d'admettre que le mort lui aussi passe par les mêmes viscissitudes et devienne tantôt heureux et tantôt misérable, mais cela n'a pas le sens commun non plus de dire que jamais, ne fut-ce qu'un instant, les chances bonnes ou mauvaises, des descendants n'atteignent leurs parents. EN FIN DE COMPTE, L'OPINION DE SOLON NE PEUT EVITER D'AVOIR CONTRE ELLE LE SENS COMMUN. Mais il faut revenir à la première difficulté. Car peut-être sa solution nous mettra-t-elle en état de voir celle de la question présente. Si donc il faut voir la fin, et si c'est alors seulement qu'on peut dire quelqu'un bienheureux, - non en ce sens qu'il est alors bienheureux, mais parce qu'il l'était auparavant, - comment évitera-t-on de heurter le sens commun, si, au moment même où il est heureux, on ne peut attribuer à un homme avec vérité ce que pourtant il possède, sous prétexte qu'on ne veut pas déclarer heureux les vivants, à cause des viscissitudes de l'existence, c'est-à-dire parce qu'on pense que le bonheur est quelque chose de durable et non pas de mobile, tandis que la chance tourne souvent.our les mêmes hommes? Il est évident en effet que si l'on veut suivre les caprices de la chance, on dira souvent le même homme heureux, puis misérable, faisant ainsi de l'homme heureux, en quelque sorte, "Caméléon et ruineuse bâtisse"! SOLUTION SCIENTIFIQUE A partir de la définition du bonheur Ne vaut-il pas mieux reconnaitre que ce serait une complète erreur que de vouloir suivre les caprices de la chance? Car; bien loin que ce soit dans les dons de la chance que résident bonheur et malheur, ce n'est que par-dessus le marché que la vie humaine a besoin de ces dons, ainsi que nous l'avons dit, et ce qui décide du bonheur, parce que c'en est l'élément essentiel, ce sont les activités selon la vertu, de même que ce qui décide de son contraire, - le malheur - parce que c'en est l'élément essentiel, ce sont les activités contraires - les activités vicieuses. C’est même un nouveau témoignage en faveur de notre définition que nous apporte ainsi la présente difficulté. Car de toutes les tâches humaines, il n'en est pas une en qui se trouve autant de stabilité que dans les activités vertueuses; elles sont en effet, de l'aveu de tous, plus durables que les sciences elles-mêmes. Et au sein de ces activités vertueuses elles-mêmes, les plus dignes d'honneur sont aussi les plus durables, parce que les bienheureux passent leur vie à les exercer de préférence à toutes les autres et qu'ils peuvent les exercer de façon plus continue que toutes les autres (cela a tout l'air d'être la cause qui fait qu’en matière de vertu, il n'y a pas d'oubli). Portrait d’un homme heureux aux prises avec la chance L'homme heureux possédera donc la stabilité cherchée et il restera durant tout le cours de sa vie ce qu’il est. Toujours, ou presque toujours, il fera et contemplera les choses de la vertu. Quand aux caprices de la chance, il les supportera en toute beauté, attentif a garder la note exactement juste, celui du moins qui est "valeureux pour de bon" et "carré", "sans reproche". La multitude des biens et des maux dont la chance est la source peut d'ailleurs se diviser en deux classes: les grands et les petits. Les petits, - petits biens que nous octroie la chance, petits maux que nous envoie la malchance, - il est évident qu'ils ne pèsent pas assez pour faire pencher d'un côté ou d’un autre la balance de la vie. Mais les grands, leur multitude, si ce sont des biens, rendront la vie plus bienheureuse, car de par leur nature même ils lui apportent un nouvel ornement et de plus on peut en faire un usage beau et vertueux; mais si ce sont des maux, ils meurtrissent et souillent la béatitude, car ils apportent des chagrins et ils sont un obstacle à bien des activités. Cependant, même au milieu de pareils malheurs resplendit la beauté morale, si lion supporte de pied ferme de nombreuses et de grandes infortunes, non par insensibilité, mais parce qu’on est généreux et magnanime. L’homme heureux ne sera jamais misérable D'autre part, si ce sont les actions qui décident de la vie dont elles sont l'élément essentiel, comme nous l'avons dit, nul des bienheureux de deviendra jamais misérable. L'homme "valeureux pour de bon", c'est-à-dire le sage, sait en effet, pensons-nous, faire bonne contenance devant les caprices de la chance et tirer parti des circonstances pour faire toujours les actions les plus belles, de même qu'un bon général tire de l'armée qui est à sa disposition le meilleur parti pour la guerre, et qu'un cordonnier avec le cuir qu'on lui donne fait le plus beau soulier possible et ainsi de suite pour tous les autres artisans. Dans ces conditions, misérable, jamais l'homme heureux ne le deviendra, mais, bien sûr, il ne sera pas non plus bienheureux, s'il vient a tomber dans les malheurs de Priam ! L’homme heureux ne sera pas bariolé et mobile On peut donc au moins dire qu'il ne sera pas non plus bariolé et mobile, car il ne se laissera pas facilement déloger de son bonheur, ni par n’importe quelles malchances, mais seulement par de grands et nombreux malheur6, et, au sortir de pareils malheurs, il ne reviendra pas heureux en peu de temps, mais, s'il le redevient, ce sera en un temps long et achevé, aux prix de grandes et de belles choses que durant ce temps il saura atteindre. Conclusion sur l’opinion de Solon Qu'est-ce donc qui empêche de dire heureux celui qui agit selon la vertu achevée et est suffisamment pourvu du chœur des biens extérieurs, non durant un temps quelconque, mais durant une vie achevée? (Ne vaut-il pas mieux ajouter: "et qui continuera à vivre de la sorte et qui aura une fin en rapport avec sa vie", puisque le futur nous est inconnu et que nous admettons que le bonheur est fin, et achevé de tout point? Si cette addition s'impose, nous dirons bienheureux, certes, les vivants, à savoir ceux d'entre eux qui possèdent et possèderont les biens susdits, mais bienheureux comme des hommes.) Fin de la discussion sur la difficulté de Solon Solution de la difficulté secondaire : le bonheur de l’homme est-il sujet à des vicissitudes même après sa mort ? Quand aux chances, bonnes ou mauvaises, de nos descendants, et en général de tous nos amis, dire qu'elles ne contribuent en rien à notre bonheur ou à notre malheur, il saute aux yeux que ce serait manquer par trop gravement à l'amitié et se mettre en contradiction avec les croyances communes. Mais nombreuses et variées sont les diverses chances qui peuvent ainsi leur arriver: en outre, les unes nous touchent de plus près, les autres de moins près; aussi, si l'on voulait discuter chaque cas en particulier, il saute aux yeux qu'on y passerait longtemps et pour mieux dire qu'on n'en finirait pas, mais une solution générale et schématique sera peut-être suffisante. Si donc, de même que parmi les malchances qui nous arrivent à nous personnellement, les unes sont un fardeau qui pèse lourdement sur notre vie et dont le poids est capable d’en faire pencher la balance, tandis que les autres ont tout l'air d’être plus légères, ainsi en est-il de ce qui arrive à nos amis, pris en bloc; si d'autre part la différence entre une passion, peu importe laquelle, qu’on éprouve, vivant, et une passion qu'on éprouve, mort, est infiniment plus grande que la différence entre l'impression faite, dans les tragédies, par le récit des crimes et des catastrophes qui se sont passés avant l’ouverture, ou par la représentation de ces crimes et de des catastrophes sur la scène, il faut aussi faire entrer en ligne de compte cette nouvelle différence. Et il serait sans doute encore plus à propos de faire intervenir ici la question classique que lion se pose au sujet des morts: "Partagent-ils avec nous quoi que ce soit, bien ou mal? " Ce qu'il y a de sûr en tout cas, c'est qu'il a tout l'air de résulter des considérations précédentes que, à supposer même que se fraie un chemin jusqu’aux morts un écho quelconque de ce qui se passe chez les vivants, ce sera quelque chose de si frêle qu'en somme ce sera toujours petite bonne chance, petite malchance, soit absolument, soit par rapport à eux; et si ce n’est pas frêle à ce point, ce ne sera pas, au moins, d'une importance et d'une nature à rendre heureux ceux qui ne l'étaient pas, ni à enlever à ceux qui le sont leur béatitude. (En somme, les succès de leurs amis contribuent pour une part, cela saute aux yeux, au bonheur des morts, et leurs revers à leur malheur; mais pour une part qui n'est pas d’une nature ni d'une importance telles qu'elles puissent rendre ceux qui sont heureux malheureux, ni faire quoi que ce soit de ce genre.) Fin de la discussion sur la seconde difficulté Conclusion : le bonheur est un bien digne d’honneur, c’est-à-dire un bien divin Reste à examiner, pour en finir avec le bonheur, s'il est du nombre des biens dignes de louange, ou plutôt du nombre des biens dignes d’honneur (il est évident, en effet, qu'il n'est pas en tout cas du nombre des choses qui peuvent seulement être des biens). Donc, il saute aux yeux que, lorsque nous louons quelqu'un, nous le louons de posséder telle ou telle qualité, ou telle ou telle aptitude par rapport à ceci ou cela. Louons-nous l'homme juste, courageux, et pour généraliser, le vertueux et la vertu elle-même, nous les louons pour les actions et les œuvres qu'ils accomplissent. Louons-nous l'athlète, le coureur, etc., nous les louons de leurs qualités naturelles et de leur aptitude par rapport à tel ou tel bien, à telle ou telle performance. La même conclusion ressort aussi des louanges que les poètes décernent aux dieux; les dieux ainsi loués prêtent à rire, évidemment parce qu’on les loue par rapport à notre idéal à nous, et si les poètes tombent dans ce défaut, c’est que la structure même de la louange exige, comme nous venons de le dire, un rapport. Mais si la louange ne s'adresse ainsi qu’à du relatif, il est évident que ce qui s'adressera aux êtres les meilleurs, ce ne sera pas la louange, mais quelque chose de plus grand et de meilleur, comme d'ailleurs il saute aux yeux que c'est en fait ce qui se passe: les dieux, nous chantons leur béatitude et nous chantons leur bonheur, et nous en faisons autant pour les plus divins des hommes. Il en va de même lorsqu'il s'agit des biens: il ne viendra à l'idée de personne de louer le bonheur comme on loue la justice, mais, comme d’une réalité plus divine, c'est-à-dire meilleure, on en chantera la béatitude! Aussi avouera-t-on qu'Eudoxe, dans le débat pour l’attribution des prix, a bien plaidé pour le plaisir: on ne le loue pas, encore qu’il soit un bien; ce qui indique, pensait-il, qu'il est au-dessus des louanges; or, ce qui est au-dessus des louanges, c'est Dieu et c'est le bien suprême, car c'est à eux qu'on rapporte tout le reste. L’objet propre de la louange, en effet, c'est la vertu (car c'est elle qui nous rend aptes à accomplir les belles actions), tandis que l'objet propre de l'éloge, ce sont les actes (du corps ou de l’âme, peu importe). Mais la distinction rigoureuse de ces genres littéraires appartient en propre aux spécialistes des éloges. Ce qui nous intéresse, nous, c’est d'avoir mis en évidence par le peu que nous en avons dit, que le bonheur est du nombre des biens dignes d’honneur, des biens achevés. Ce qui a tout l'air de ressortir aussi du fait qu'il est un principe: il en est un, car c'est pour lui que nous faisons tous tout le reste, et le principe, c'est-à-dire la cause, des biens, c'est, nous l'admettons tous, quelque chose de digne d'honneur, c’est-à-dire de divin". |
|
|
|
|
Lectio
15 |
Leçon 15 |
|
[72881] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15
n. 1 Multae autem
transmutationes et cetera. Postquam philosophus ostendit quid est felicitas,
hic movet quamdam dubitationem de felicitate: utrum scilicet in hac vita
possit aliquis dici felix. Et circa hoc tria facit. Primo ponit dubitationis
motivum. Secundo ponit dubitationem, ibi, utrum igitur nullum alium hominem
etc.; tertio ponit solutionem, ibi, vel fortunas quidem sequi et cetera.
Dicit ergo primo quod multae fiunt transmutationes fortunae, raro enim et in
paucis stabilis est, et huiusmodi transmutationes fiunt omnibus modis, puta
et de bono in alium et de malo in bonum. Quandoque quidem secundum aliquid
parvum, quandoque autem secundum aliquid magnum: quandoque autem secundum
aliquid mediocriter se habens. Huiusmodi autem mutationes fieri possunt
secundum totam hominis vitam, puta in adolescentia, iuventute vel senectute. |
|
#177. — Après avoir montré ce qu'est le bonheur, le Philosophe soulève ici une difficulté sur le bonheur: à savoir, si l'on pourrait dire de quelqu'un en cette vie qu'il est heureux. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente le motif de la difficulté. En second (1100a10), il présente la difficulté. En troisième (1100b7), il présente la solution. Il dit donc, en premier, qu'il se produit bien des changements dans la vie: rarement, en effet, en est-elle de toute manière exempte, chez très peu est-elle stable, et ces changements vont du bien au mal et du mal au bien. Parfois en rapport à du petit, parfois en rapport à du grand, parfois, enfin, en rapport à du moyen. De plus, ces changements peuvent se produire durant toute la vie de l'homme, dans son adolescence, dans sa jeunesse ou dans son vieil âge. |
[72882] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15
n. 2 Contingit enim quandoque
quod aliquis, qui per totam vitam suam habuit maximam abundantiam exteriorum
bonorum, in senectute incidat in maximas calamitates, sicut de Priamo narrat
Homerus in versibus heroicis. Nullus autem dicet eum esse felicem qui talibus
usus est bonis fortunis et postea finit miserabiliter. Quia hoc ad augmentum
miseriae pertinere videtur, quod aliquis de magna prosperitate in magnam
miseriam deveniat. |
|
#178. — Il arrive parfois, en effet, qu'après avoir joui toute sa vie de la plus grande abondance des biens extérieurs, on sombre en sa vieillesse en les plus grandes calamités, comme le raconte Homère de Priam, en vers héroïques. Personne ne dira qu'il est heureux, celui qui a profité de ces biens de la chance, mais a ensuite fini misérablement. Car cela parait même ajouter à la misère, de passer d'une grande prospérité à une grande misère. |
[72883] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15
n. 3 Deinde cum dicit: utrum
igitur nullum etc., movet dubitationem intentam. Et primo proponit
quaestionem. Secundo obiicit ad eam, ibi, si autem utique et cetera. Tertio
excludit quamdam responsionem, ibi, si autem non dicimus et cetera.
Proponitur ergo primo quaestio de opinione Solonis, qui fuit unus de septem
sapientibus et condidit Atheniensium leges. Qui considerans humanam vitam
fortunae mutationibus esse obnoxiam, dixit quod nullus debet dici felix
quamdiu vivit: sed solum in fine vitae suae. Est ergo quaestio, utrum propter
id quod accidit circa Priamum, nullus alius homo sit dicendus beatus quamdiu
vivit, sed secundum sententiam Solonis optimum est considerare finem vitae,
si scilicet felicitas perseveret usque in finem, ut sic aliquis felix
dicatur; vel non oporteat hoc observare. |
|
#179. — Ensuite (1100a10), il présente la difficulté visée. En premier, il présente la question. En second (1100a11), il s'objecte à elle. En troisième (1100a14), il exclut une réponse. Il présente donc, en premier, la question, tirée de l'opinion de Solon, qui fut l'un des sept sages et a conçu les lois des Athéniens. En regardant comment les changements de fortune nuisaient à la vie humaine, il a dit qu'on ne doit dire personne heureux tant qu'il vit, mais seulement à la fin de sa vie. Il y a donc lieu de se demander, à cause de ce qui est arrivé à Priam, si on ne doit dire personne d'autre heureux tant qu'il vit, et s'il est mieux, plutôt, en suivant la pensée de Solon, de vérifier à la fin de la vie si le bonheur a continué jusqu'à la fin, pour ne dire quelqu'un heureux qu'à ce moment; ou s'il ne faut pas tenir compte de cette observation. |
[72884] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15
n. 4 Deinde cum dicit: si autem
utique etc., obiicit ad quaestionem praedictam, improbando dictum Solonis. Si
enim aliquis ita ponat sicut Solon dixit, sequitur quod homo sit felix tunc
quando moritur. Sed hoc videtur inconveniens, et propter alias rationes,
utputa quia mors est maximus defectus cum felicitas sit summa perfectio, et
iterum propter hoc quod supra diximus, quod felicitas est operatio quaedam;
mortui autem non videntur habere operationem aliquam; non igitur possunt dici
felices. Et est notandum quod philosophus non loquitur hic de felicitate
futurae vitae, sed de felicitate praesentis vitae, utrum attribui possit
homini dum vivit vel solum in morte. |
|
#180. — Ensuite (1100a11), il s'objecte à la question soulevée, infirmant le dire de Solon. En effet, si on s'exprime comme Solon l'a fait, il s'ensuit que l'on soit heureux seulement quand on est mort. Mais cela ne convient manifestement pas, pour d'autres raisons, en plus, comme que la mort est le défaut le plus grand, alors que le bonheur est la perfection la plus grande, et aussi à cause de ce que nous avons dit plus haut (#119-126), que le bonheur est une opération, alors que le mort n'a manifestement pas d'opération: on ne peut donc pas dire les morts heureux. Il est à noter que le Philosophe ne se demande pas ici du bonheur de la vie future, mais du bonheur de la vie présente, s'il peut s'attribuer à l'homme pendant qu'il vit ou seulement dans la mort. |
[72885] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15
n. 5 Deinde cum dicit: si autem
non dicimus mortuum felicem etc., excludit quandam responsionem. Et hoc
duabus rationibus, quarum secundam ponit, ibi, sed revertendum ad prius
quaesitum et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit responsionem et
improbat eam. Secundo ex hoc movet quamdam quaestionem, ibi, quaestionem
autem et haec tribuunt et cetera. Circa primum considerandum est, quod
praecedens Aristotelis ratio ostendebat quod aliquis non est felix in morte.
Concedet autem hoc aliquis, dicens mortuum non esse felicem, nec Solon hoc
dicere voluit, quod scilicet aliquis cum moritur sit felix. Sed voluit dicere
quod aliquis tunc cum homo moritur potest firmam sententiam dare de eo quod
fuerit beatus, quia iam est extra periculum malorum et infortuniorum, ut de
cetero non possit dubitari de felicitate ipsius. Sed hanc responsionem
excludit dicens quod hoc habet quamdam dubitationem. |
|
#181. — Ensuite (1100a14), il exclut une réponse. Avec deux raisons. Il présente la seconde plus loin (1100a31). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la réponse et l'infirme. En second (1100a21), il soulève une question à partir de là. Sur le premier [point], on doit tenir compte que la raison précédente d'Aristote montrait que l'on n'est pas heureux dans la mort. On concède cela, on dit que le mort n'est pas heureux, que Solon, d'ailleurs, n'a pas voulu dire cela, à savoir, que l'on n'est heureux qu'une fois mort. Il a voulu dire, plutôt, que c'est une fois quelqu'un mort, que l'on peut assurer qu'il fut heureux, car il est désormais hors d'atteinte des maux et des malchances, de sorte qu'à l'avenir on ne puisse douter de son bonheur. Mais il exclut cette réponse, en disant qu'elle comporte une difficulté. |
[72886]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 15 n. 6 Mortuus enim a vivo differt in
hoc quod caret sensu. Contingit autem quod
homini viventi proveniat aliquod bonum vel malum, etiam si illud non sentiat;
puta si eo ignorante infametur aut filii eius occidantur aut divitiae eius
diripiantur: ergo pari ratione videtur quod mortuo possit bonum vel malum
accidere, quamvis non sentiat. Et loquitur de bono vel malo vitae civilis, ut
patet per exempla quae subdit, dicens: puta honores et inhonorationes.
Quandoque enim mortuis aliqui honores exhibentur, sicut quod laudantur et
memoria eorum celebratur. Et similiter fiunt eis quaedam exhonorationes, puta
cum extumulantur et eorum ossa comburuntur. Similiter etiam videntur aliqua
bona vel mala eis posse accidere secundum prosperitates et infortunia
filiorum et nepotum. Sic igitur videtur quod nec etiam mortui omnino sunt
extra mala et infortunia et ita (nec) etiam in morte posset dici quod essent
felices. |
|
#182. — Le mort, en effet, diffère du vivant en cela qu'il est privé de sensation. Il se peut, toutefois, que du bien ou du mal survienne à un vivant sans qu'il ne le sente; par exemple, si on le diffame à son insu, ou si ses fils se font tuer, ou si ses richesses se font piller. Manifestement, donc, 35 pour la même raison, du bien ou du mal peut arriver à un mort, même s'il ne le sent pas. Il parle du mal ou du bien de la vie civile, comme il appert par les exemples qu'il ajoute, en disant «des honneurs et des déshonneurs». Parfois, en effet, on attribue à des morts des honneurs, comme lorsqu'on les loue et qu'on célèbre leur mémoire. Pareillement, on leur impose des déshonneurs, par exemple, lorsqu'on les sort de leur tombeau et qu'on brûle leurs ossements. Pareillement aussi, des biens ou des maux peuvent manifestement leur arriver, en regard des prospérités et des malchances de leurs enfants et de leurs neveux. Ainsi donc, il est manifeste que même les morts ne sont pas tout à fait hors d'atteinte des maux et des malchances. Ainsi, même dans la mort, on ne pourrait pas dire qu'ils sont heureux. |
[72887] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15 n. 7 Deinde cum dicit quaestionem autem et haec tribuunt
etc., interponit quamdam quaestionem occasione praemissorum. Et dicit quod
ista, scilicet prosperitates et infortunia filiorum et nepotum, afferunt
quaestionem. Contingit enim quandoque quod aliquis feliciter vivit usque ad
senectutem et moritur feliciter secundum rationem felicitatis assignatam, et
tamen postea fiunt multae transmutationes circa filios eius, quorum quidam
sunt boni et vivunt secundum dignitatem patris, quidam autem e contrario se
habent. Manifestum est enim quod secundum omnem modum contingit diversificari
filios a parentibus, utpote quod bonorum parentum sint mali filii, et divitum
pauperes. Hac autem positione facta, inconveniens ex utraque parte sequi
videtur. |
|
#183. — Ensuite (1100a21), il interpose une question, à l'occasion de ce qui précède. Il dit que cela, à savoir, les prospérités et les malchances des enfants et des neveux, suggère une question. Il se peut, en effet, parfois, que l'on vive heureux jusqu'à sa vieillesse et que l'on meure heureux, en regard de la définition que nous avons assignée au bonheur, mais que cependant, ensuite, bien des changements interviennent à propos des enfants, dont certains soient bons, en regard de la dignité de leur père, mais qu'il en aille de manière contraire pour d'autres. Manifestement, en effet, c'est de toute manière que les enfants peuvent se différencier de leurs parents, par exemple, que, de bons parents, proviennent de mauvais enfants, et, de riches, des pauvres. Ceci posé, cependant, un inconvénient s'ensuit manifestement, d'un côté comme de l'autre. |
[72888] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15 n. 8 Nam inconveniens est si etiam mortuus transmutetur
propter huiusmodi infortunia, ut qui aliquando fuerit felix rursum fiat
miser, et ex alia parte inconveniens videtur si ad minus in aliquo vicino
tempore, illa quae contingunt filiis in nullo pertineant ad parentes etiam
mortuos, ut ex hoc eorum felicitas impediatur.
|
|
#184. — En effet, il y a inconvénient si, une fois mort, on se voit transformer, à cause de malchances de la sorte, et qu'alors qu'on était heureux, on devienne misérable. Il y a manifestement inconvénient encore de l'autre côté, si au moins en un temps rapproché, ce qui arrive aux enfants ne concerne aucunement les parents, même morts, de sorte que leur bonheur n'en soit empêché. |
[72889] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15 n. 9 Deinde cum dicit: sed revertendum etc., ponit secundam
rationem ad excludendum responsionem praemissam. Et dicit, quod praetermissa
secunda quaestione, revertendum est ad primam quaestionem, ex cuius solutione
videri poterit veritas quaestionis secundae. Videtur autem quod praedicta
responsio non sit conveniens. Si enim oportet respicere ad finem vitae
humanae et tunc dicere aliquem felicem, non quod tunc vere beatus sit sed
quod prius beatus erat, hoc videtur esse inconveniens quod quando aliquis est
felix non vere dicatur quod sit felix, sed postea vere dicatur de eo quod
fuit felix, veritas autem propositionis de praeterito dependet ex veritate
propositionis de praesenti. Ideo enim aliquid verum est fuisse, quia verum
fuit esse. |
|
#185. — Ensuite (1100a31), il présente sa seconde raison d'exclure la réponse proposée. Il dit qu'on doit, omettant la seconde question, retourner à la première, dont c'est la solution qui pourra faire apparaître la vérité sur la seconde question. Or manifestement, la réponse proposée ne convient pas. S'il faut regarder à la fin de la vie humaine, en effet, et seulement alors dire quelqu'un heureux, non qu'alors il soit vraiment heureux, mais qu'il l'ait été antérieurement, il y aura manifestement cet inconvénient que lorsque quelqu'un est heureux, il ne soit pas vrai de dire de lui qu'il est heureux, alors que la vérité de la proposition qui porte sur le passé est fondée sur la vérité de la proposition qui porte sur le présent. Car il est vrai qu'une chose ait été parce qu'il a été vrai qu'elle était. |
[72890] Sententia Ethic., lib. 1 l. 15 n. 10 Sed aliqui nolebant dicere hominem esse felicem quando
est, propter transmutationes praesentis vitae, et propter hoc, quod
existimabant felicitatem esse quiddam permanens et non de facili
transmutabile, alioquin non quietaret desiderium naturae. Desiderat enim
unusquisque naturaliter firmiter permanere in bono quod habet. Sed fortunae
multoties circulariter revolvuntur circa eosdem, ut scilicet de bonis
deveniant in mala et e converso. Et sic manifestum est, quod si in iudicando
de felicitate, sequamur considerationem fortunae, et dicamus in hac vita de
aliquo quod sit felix, multoties de uno et eodem dicemus quod sit felix et
rursus quod sit miser. Et sic annunciabimus aliquem esse felicem ad modum
camaleontis, qui scilicet est animal mutans colorem, secundum colores
diversorum corporum appositorum. Et annuntiabimus felicem esse debiliter
firmatum, quod est contra rationem felicitatis. |
|
#186. — Certains, néanmoins, ne voulaient pas dire quelqu'un heureux à cause des changements de la vie présente, et à cause de ce qu'ils pensaient que le bonheur est quelque chose de permanent et de non facilement changeable, qu'autrement le désir naturel ne se satisferait pas. En effet, chacun désire naturellement tenir fermement dans le bien qu'il détient. Or la chance tourne bien des fois en rond autour des mêmes personnes, de sorte que d'une bonne ils tombent en une mauvaise, et inversement. Ainsi, manifestement, si, en jugeant du bonheur, nous tenons compte de la chance, et si en cette vie nous disons quelqu'un heureux, bien des fois, nous dirons la seule et même personne heureuse et ensuite misérable. Nous annoncerons ainsi que l'on est heureux à la manière du caméléon, un animal qui change de couleur, selon les couleurs des corps différents qui lui sont apposés. Et nous annoncerons que les gens heureux sont raffermis bien faiblement. Ce qui va contre la définition du bonheur. |
|
|
|
Lectio
16 |
|
Leçon 16
|
[72891] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 1 Vel fortunas quidem sequi
et cetera. Praemissa dubitatione, hic philosophus dubitationem solvit. Et
primo solvit principalem dubitationem. Secundo secundariam, ibi, pronepotum
autem fortunas et cetera. Circa primum duo facit. Primo praemittit quiddam
quod est necessarium ad quaestionis solutionem. Secundo applicat ad
solutionem praesentis quaestionis, ibi, testatur autem sermoni et cetera.
Circa primum considerandum est, quod felicitas essentialiter consistit in
operatione virtutis. Bona autem exteriora, quae subiacent fortunae pertinent
secundario et quasi instrumentaliter ad felicitatem. Et ideo dicit quod non
debemus sequi fortunas in iudicando aliquem esse miserum vel felicem, quia
bonum vel malum hominis, quod attenditur secundum rationem, non consistit
principaliter in his. Sed humana vita indiget his instrumentaliter, sicut
dictum est. Sed operationes secundum virtutem sunt principales et dominium
habentes in hoc, quod est aliquem esse felicem, ut scilicet ex hoc
principaliter dicatur aliquis felix quod operatur secundum virtutem; et
contrariae operationes, scilicet vitiosae, habent principalitatem et dominium
in contrario, scilicet in miseria; ut scilicet ille vere sit miser, qui
vitiosis operationibus insistit. |
|
#187. — Après avoir posé la difficulté, le Philosophe la résout ici. En premier, il résout la difficulté principale (1100b7). En second, la secondaire (1101a22). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il amène quelque chose qui est nécessaire à la solution de la question. En second, il [l']applique à la solution de la question présente (1100b11). 36 Sur le premier [point], on doit considérer que le bonheur consiste essentiellement en l'opération de la vertu. Et les biens extérieurs, qui sont soumis à la chance, concernent comme instrumentalement le bonheur. C'est pourquoi aussi il dit que nous ne devons pas mesurer d'après la chance [et la malchance] en jugeant quelqu'un malheureux ou heureux, car le bien ou le mal de l'homme, qui est à attendre d'après la raison, ne consiste pas principalement en elles. La vie humaine, toutefois, en a besoin instrumentalement, comme on l'a dit. Mais ce sont les opérations conformes à la vertu qui sont principales et prévalent en ce qui est d'être heureux; à savoir que c'est à partir de ce qu'il agit en conformité à la vertu que, principalement, quelqu'un est dit heureux. Les opérations contraires, à savoir les vicieuses, sont aussi le principal et prévalent quant au contraire, à savoir quant au malheur; de sorte que celui-là est vraiment malheureux, qui s'enfonce dans des opérations vicieuses. |
[72892] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 2 Deinde cum dicit: testatur
autem sermoni etc., adaptat quod dictum est, ad solutionem quaestionis. Et
primo ostendit, quod operationes secundum virtutem, maxime inveniuntur
permanentes inter omnes res humanas. Secundo ostendit quod secundum praedicta
poterit felicitas permanere per totam vitam, ibi, existet autem utique et
cetera. Tertio ostendit, quod secundum praedicta evitantur omnia inconvenientia,
ibi: si autem sunt operationes dominae vitae et cetera. Dicit ergo primo,
quod huic sermoni, quo scilicet dicimus operationes secundum virtutem esse
principales in felicitate, attestatur illud, quod parum supra quaesitum est
de permanentia felicitatis. Nihil enim humanorum invenitur esse ita
constanter permanens, sicut operationes secundum virtutem. Manifestum est
enim quod exteriora bona, et etiam interiora ad corpus pertinentia, cum sint
materialia et corporalia, per se subiecta sunt mutationi; ea vero quae ad
animam pertinent, solum per accidens, unde minus subiacent mutationi. Eorum
vero, quae ad animam humanam pertinent, quaedam pure pertinent ad
intellectum, sicut scientiae; quaedam vero ad operationes vitae, sicut
virtutes, quae quidem sunt permanentiores etiam ipsis disciplinis, id
est scientiis demonstrativis. |
|
#188. — Ensuite (1100b11), il adapte ce qu'il a dit à la solution de la question. Et en premier il montre que les opérations selon la vertu sont ce qu'on trouve de plus permanent parmi toutes les choses humaines. En second, il montre que d'après ce qu'on a dit le bonheur pourra perdurer toute la vie (1100b18). En troisième, il montre que d'après ce qu'on a dit toutes les difficultés soulevées sont évitées (1100b33). Il dit donc en premier (1100b11) que témoigne en faveur de cette affirmation, celle à savoir où nous disons que les opérations conformes aux virtus sont principales quant au bonheur, ce que nous avons examiné un peu plus haut concernant la permanence du bonheur. Car on ne trouve rien parmi les [choses] humaines qui soit si constamment permanent que les opérations conformes à la vertu. Il est manifeste, en effet, que les biens extérieurs, et même les biens intérieurs en regard du corps, étant donné qu'ils sont matériels et corporels, sont par soi sujets au changement; tandis que ce qui a trait à l'âme ne [l'est] que par accident; et est donc moins soumis au changement. Or dans ce qui a trait à l'âme humaine, certaines [choses] ont trait à l'intelligence, comme les sciences; d'autres par ailleurs [ont trait] aux opérations de la vie, comme les vertus. Et ces dernières sont certes plus permanentes encore que les disciplines elles-mêmes, c'est-à-dire que les sciences démonstratives. |
[72893] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 3 Quod quidem intelligendum
est, non quantum ad materiam. Nam scientiae demonstrativae sunt circa
necessaria, quae impossibile est aliter se habere. Sed est intelligendum
quantum ad exercitium actus. Non enim imminet nobis ita continuum exercitium
speculationis scientiarum, sicut operationum secundum virtutem. Continue enim
occurrunt nobis ea in quibus oportet nos agere secundum virtutem, vel contra
virtutem; sicut usus ciborum, consortia mulierum, collocutiones hominum
adinvicem, et alia huiusmodi, in quibus continue versatur vita humana. Unde
oportet quod habitus virtutis magis per consuetudinem firmetur in homine,
quam habitus scientiae. |
|
#189. — Et cela, bien sûr, n'est pas à comprendre en rapport avec leur matière. En effet, les sciences démonstratives portent sur des [matières] nécessaires, pour lesquelles il est impossible d'être autrement. C'est plutôt à comprendre en rapport avec l'exercice de leur acte. En effet, l'exercice continu des sciences spéculatives ne nous presse pas autant que [celui] des opérations conformes à la vertu. Les [situations] en lesquelles il nous faut agir conformément à la vertu, ou contre la vertu, nous arrivent continuellement; comme l'usage des aliments, les rapports avec les femmes, les conversations des hommes entre eux, et les autres [situations] du genre autour desquelles tourne continuellement la vie humaine. Aussi faut-il que par l'habitude l'habitus de la vertu s'affirme davantage en l'homme que l'habitus de la science. |
[72894] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 4 Et inter ipsas virtutes
illae, quae sunt honorabilissimae videntur esse permanentiores, tum quia
magis intensae, tum etiam quia magis continue operantur ad hoc quod secundum
eas vivatur, et tales sunt operationes virtutum, in quibus consistit
felicitas, quia sunt perfectissimae, ut dictum est. Et istud videtur esse
causa quare homo non obliviscitur esse virtuosus; quia scilicet continue in
his homo exercitatur. Est et alia causa: quia scilicet virtus consistit
principaliter in inclinatione appetitus, quae per oblivionem non tollitur. |
|
#190.
— Parmi les vertus elles-mêmes, les plus honorables sont manifestement aussi
plus permanentes; à la fois parce qu'elles [sont] plus intenses et parce
qu'on s'efforce plus continuellement de vivre d'après elles. Telles sont les
opérations des vertus dans lesquelles consiste le bonheur, car elles sont les
plus parfaites, comme on a dit. C'est encore naturellement la cause pourquoi
on n'oublie pas d'être vertueux; c'est qu'on est continuellement exercé dans
les [vertus]. Il y aussi une autre cause [à cela]: à savoir que la vertu
consiste principalement en une inclination de l'appétit qui ne se perd pas
par oubli. |
[72895] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 5 Deinde cum dicit: existet
autem utique etc., ostendit quod, secundum praedicta, felicitas poterit per
totam vitam durare. Et dicit quod, cum operationes secundum virtutem sint
permanentissimae, ut dictum est; si in eis principaliter ponatur felicitas,
ut diximus, sequetur quod felici inerit id quod quaesitum est in praecedenti
quaestione, scilicet quod erit talis per totam vitam suam. Et hoc primo
probat per ipsas operationes, ibi, semper enim et cetera. |
|
#191. — Ensuite (1100b18), il montre que, d'après ce qu'on a dit, le bonheur pourra durer toute la vie. Il dit aussi que, comme les opérations conformes aux vertus sont les plus permanentes, ainsi qu'il a été dit; si c'est en elles principalement qu'on pose le bonheur, comme nous l'avons dit; il s'ensuivra qu'appartiendra à l'[homme] heureux ce qu'on cherchait dans la question précédente, à savoir qu'il sera tel toute sa vie. Il prouve aussi cela par les opérations elles-mêmes (1100b18). |
[72896] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 6 Ille enim qui habet
habitum perfectum, semper potest operari secundum illum habitum vel maxime
continue inter omnes; sed felix habet perfectam virtutem, ut supra habitum
est. Ergo ipse semper vel maxime poterit operari in vita activa quae sunt
secundum virtutem, et speculari in vita contemplativa. |
|
#192. — Celui-là, en effet, qui a un habitus parfait peut toujours opérer d'après cet habitus; du moins [le peut-il] le plus continuellement de tous. L'[homme] heureux détient la vertu parfaite, 37 comme on en a parlé. Il pourra donc toujours ou surtout produire dans sa vie active les œuvres conformes à la vertu et mener la vie spéculative. |
[72897] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 7 Secundo ibi: et fortunas
feret etc., ostendit idem ex bonis fortunae, quae sunt secundaria in
felicitate. Et dicit quod felix optime feret omnes fortunas, et in omnibus se
habebit omnino prudenter, utpote qui est vere bonus, non secundum apparentiam
solam, et est tetragonus sine vituperio, idest perfectus quatuor
virtutibus cardinalibus, ut quidam exponunt. Sed hoc non videtur esse
secundum intentionem Aristotelis, qui nunquam invenitur talem enumerationem
facere. Sed tetragonum nominat perfectum in virtute ad similitudinem corporis
cubici, habentis sex superficies quadratas, propter quod bene stat in
qualibet superficie. Et similiter virtuosus in qualibet fortuna bene se habet.
Quia igitur ad virtutem pertinet omnes fortunas bene ferre, patet quod
propter nullam fortunae mutationem, desistet felix ab operatione virtutis. Et
hoc consequenter in speciali ostendit quasi per modum divisionis cum subdit:
multis autem factis et cetera. |
|
#193. — En second (1100b20), il montre la même [chose] en partant des biens de fortune, qui sont secondaires en matière de bonheur. Il ajoute que l'[homme] heureux supportera toutes les fortunes, qu'il se comportera en toutes d'une manière tout à fait prudente, celui bien sûr qui est vraiment bon, et non selon l'apparence seulement. Il est comme un carré sans défaut, c'est-à-dire parfait en les quatre vertus cardinales, comme certains expliquent. Mais cela n'est manifestement pas conforme à l'intention d'Aristote, qu'on ne trouve jamais à faire une telle énumération. Il appelle plutôt carré ce qui est parfait en matière de vertu, à la ressemblance du corps cubique, qui a six faces carrées, grâce à quoi il se tient bien sur n'importe laquelle de ses faces. De même aussi, le vertueux se comporte bien en n'importe quelle fortune. Comme donc il appartient à la vertu de supporter toutes les fortunes, il est évident que l'[homme] heureux n'abandonnera pour aucun changement de fortune l'opération de la vertu. Ensuite, il montre aussi cela plus précisément, comme par mode de division (1000b22). |
[72898] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16 n. 8 Et dicit quod, cum multa bona et mala secundum fortunam
eveniant, quae differunt magnitudine et parvitate, manifestum est quod parvae
prosperitates et similiter parva infortunia, non inclinant vitam de
felicitate in miseriam vel e converso. Si autem fuerint multa et magna, aut
erunt bona aut mala. Si bona, conferent ad hoc quod vita hominis sit beatior. Quia sicut
supra dictum est, felicitas indiget exterioribus bonis, vel ad decorem, vel
inquantum sunt instrumenta operationis secundum virtutem. Et quantum ad
primum dicit quod nata sunt simul decorare vitam felicis. Quantum autem ad
secundum dicit quod usus exteriorum bonorum est bonus et virtuosus, inquantum
scilicet virtus utitur eis, ut quibusdam instrumentis ad bene agendum. |
|
#194. — Il ajoute donc que beaucoup de biens et de maux arrivent par fortune, tantôt grands tantôt petits, et que manifestement les petites prospérités et de même les petites infortunes ne tournent pas la vie du bonheur à la misère, ou en [sens] contraire. Si toutefois ces [changements] devenaient nombreux et grands, ils seraient alors ou bons ou mauvais. Bons, ils concourraient à ce que la vie de l'homme devienne plus heureuse. Car, comme on l'a dit plus haut, le bonheur a besoin de biens extérieurs, soit pour l'embellir, soit pour autant qu'ils sont les instruments de l'opération conforme à la vertu. Aussi, en rapport au premier [cas], dit-il qu'ils sont de nature en même temps à embellir la vie de l'[homme] heureux. Puis, en rapport au second [cas], il dit que l'usage des biens extérieurs est bon et vertueux, pour autant que la vertu en use comme d'instruments pour agir bien. |
[72899] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 9 Si autem accidant e
converso, ut scilicet sint multa et magna mala, inferunt quidem felici
quamdam tribulationem exterius et conturbationem interius; quia interius
inferunt tristitias, et exterius impediunt a multis bonis operationibus. Non
tamen per ea tollitur totaliter operatio virtutis; quia etiam ipsis
infortuniis virtus bene utitur. Et sic refulget in eis bonum virtutis,
inquantum scilicet aliquis faciliter sustinet multa et magna infortunia: non
propter hoc quod non sentiat dolorem seu tristitiam, sicut Stoici posuerunt;
sed quia tamquam virilis et magnanimus, huiusmodi tristitiis eius ratio non
succumbit. |
|
#195. — Si c'est le contraire qui arrive, à savoir que les maux [arrivent] nombreux et grands, ils apportent certes à l'[homme] heureux quelque tribulation extérieurement et quelque trouble intérieurement; en effet, ils infligent intérieurement des tristesses et extérieurement ils empêchent de [poser] beaucoup d'opérations bonnes. Mais cependant l'opération de la vertu n'est pas totalement enlevée par là, parce que la vertu use bien même des infortunes elles-mêmes. De sorte que c'est en ces [circonstances] que brille le bien de la vertu, pour autant que quelqu'un soutient facilement de nombreuses et grandes infortunes: non pas parce qu'il ne sent pas la douleur ou la tristesse, comme les Stoïciens l'ont prétendu; mais parce que, du fait qu'il soit si viril et magnanime, sa raison ne succombe pas à ce type de tristesses. |
[72900] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 10 Haec enim fuit diversitas
inter Stoicos et Peripateticos, quorum princeps fuit Aristoteles, quod Stoici
posuerunt tristitiam nullo modo cadere in virtuosum, quia in corporalibus et
exterioribus rebus nullum bonum hominis consistere ponebant; Peripatetici
autem ponebant in homine virtuoso tristitiam ratione moderatam, non autem
quae rationem subverteret. Ponebant enim quod in corporalibus et exterioribus
rebus, aliquod hominis bonum consistat, non quidem maximum, sed minimum, in
quantum scilicet adiuvat et decorat virtutem.
|
|
#196. — Car c'est cela qu'a été la différence entre les Stoïciens et les Péripatéticiens, dont le chef a été Aristote: les Stoïciens ont prétendu que la tristesse n'intervenait d'aucune manière chez un [homme] vertueux, parce qu'ils prétendaient qu'aucun bien de l'homme ne consistait en choses extérieures; les Péripatéticiens accordaient, eux, à l'[homme] vertueux une tristesse modérée par la raison, mais qui ne renverserait pas la raison. Ils affirmaient, en effet, que quelque bien de l'homme consiste en choses corporelles et extérieures, bien sûr non pas un très grand mais un très petit, pour autant qu'y résiderait une aide. |
[72901] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 11 Videtur tamen aliqua
transmutatio virtuoso posse accidere, quae omnino auferat eius felicitatem
impediendo totaliter operationem virtutis, puta si per aegritudinem, maniam
vel furiam seu quamcumque amentiam incurrat. Sed cum felicitas non quaeratur
nisi in vita humana, quae est secundum rationem, deficiente usu rationis
deficit talis vita. Unde status amentiae reputandus est quantum ad vitam
humanam, sicut status mortis. Et ideo idem videtur esse dicendum de eo qui
permansit in operatione virtutis usque ad amentiam, sicut si permansisset
usque ad mortem. |
|
#197. — Mais on doit avertir qu'une transformation pourrait arriver qui enlève tout à fait le bonheur, empêchant totalement l'opération de la vertu; qui arriverait par exemple par une maladie, une furie ou une folie, ou une démence quelconque. Or comme on ne cherche le bonheur que dans la vie humaine, qui se conforme à la raison, à défaut de l'usage de la raison une telle vie fait aussi défaut. Aussi le statut de démence est-il réputé, en ce qui concerne la vie humaine, comme un statut de mort. C'est pourquoi aussi on doit manifestement dire la même [chose] de celui qui a tenu dans l'œuvre de la vertu jusqu'a la démence que s'il avait tenu jusqu'à la mort. |
[72902] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 12 Deinde cum dicit: si
autem sunt operationes etc., ex praemissis excludit inconvenientia, quae
sequi videbantur. Et dicit quod, si operationes virtuosae habent dominium in
felicitate, ut dictum est, non sequitur quod beatus fiat miser propter
infortunia, propter quae non operabitur aliqua odibilia et mala,
scilicet virtuti contraria. Sed possumus existimare de eo probabiliter, quod
propter virtutem perfectam, quam habet tamquam vere bonus et sapiens omnes
fortunas feret decenter, quod est secundum virtutem operari in qualibet
fortuna. Etsi non easdem operationes faciet in qualibet, sed secundum ea quae
existunt, scilicet prospera vel adversa, semper operabitur optime, quasi
utens his quae affert fortuna sicut quibusdam datis; prout etiam ad bonum
ducem pertinet ut exercitu sibi dato maxime utatur bellicose secundum
exercitus condicionem, aliter tamen faciet si habeat in exercitu milites
expertos et aliter si habeat exercitum tironum. Et similiter ad incisorem
coriorum pertinet, quod ex datis coriis optimum calceamentum faciat. Meliora
tamen calceamenta faciet ex uno corio quam ex alio. Et idem etiam est in
omnibus aliis artificibus. |
|
#198. — Ensuite (1100b33), partant de ce qui a été amené auparavant, il exclut les difficultés qui paraissaient s'ensuivre. Il dit ainsi que, si les opérations vertueuses prévalent dans le bonheur, il ne s'ensuit pas que le bienheureux devienne malheureux en raison d'infortunes, car il n'opérera pas en raison d'elles des [actions] haïssables et mauvaises, c'est-à-dire contraires à la vertu. Nous pouvons au contraire estimer que probablement, en raison de la parfaite vertu que détient le bienheureux, il 38 supportera décemment toute fortune, en tant que vraiment bon et sage, ce qui est agir en toute fortune en conformité à la vertu. Même s'il ne posera pas les mêmes actions en n'importe quelle [fortune], il se conformera à celles qui se rencontreront, à savoir prospères ou adverses, pour agir toujours au mieux, usant de ce qu'apporte la fortune comme de données toutes faites, ainsi qu'il appartient à un bon chef qu'il use au mieux de l'armée qui lui est donnée pour faire la guerre d'après la condition de l'armée. Il fera toutefois autre chose s'il possède en son armée des soldats experts; et autre chose s'il tient une armée de recrues. Et de même appartient-il au tailleur de cuir qu'avec les cuirs disponibles il fabriquera le meilleur soulier. Il fera cependant de meilleurs souliers d'un cuir que d'un autre. Et la même [chose] vaut pour tous les autres artisans. |
[72903] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 13 Et si ita est, nunquam
miser per aliqua prospera supervenientia efficietur felix. Quia illis
prosperis male utetur, et operans vitiose semper miser remanebit. Et
similiter ille qui est felix, non incidet in infortunia Priami. Primo quidem,
quia prudenter ea praecavebit. Secundo, quia si superveniant ex improviso,
optime ea feret, ut dictum est. Et ita non facile transmutabitur a felicitate
ad miseriam neque per quaecumque infortunia, sed per multa et magna quae eum
ab operatione rationis abducent, et si sic sit factus infelix, non rursus de
facili fiet felix, sed in multo tempore abundantiam accipiet magnorum et
bonorum, tum per exercitium virtuosi actus, tum etiam per reparationem
exterioris fortunae. |
|
#199. — Or s'il en est ainsi, jamais un malheureux ne deviendra heureux à travers des prospérités qui lui adviendront. Car il en usera mal et, agissant vicieusement, il demeurera malheureux. Et de même, celui qui est heureux ne tombera pas dans les infortunes de Priam. En premier, certes, parce qu'il les évitera par sa prudence. En second parce que, si elles surviennent à l'improviste, il les supportera au mieux, comme on a dit. Et ainsi on ne se transforme pas facilement du bonheur au malheur, pas même à travers des infortunes, à moins que par de nombreuses et grandes on soit écarté de l'opération de la raison. Et si on devenait ainsi malheureux, on ne redeviendrait pas facilement de nouveau heureux, mais [il y faudrait] recevoir longtemps une abondance de biens et des grands, tant par l'exercice de l'acte vertueux que par la réparation de la fortune extérieure. |
[72904] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16
n. 14 Deinde cum dicit: quid
igitur prohibet etc., concludit suam sententiam de felicitate. Et dicit quod
nihil prohibet dicere illum esse felicem qui operatur secundum virtutem
perfectam, et habet exteriora bona sufficientia ad operationem virtutis, non
quidem in aliquo parvo tempore, sed in vita perfecta, idest per longum
tempus. Et hoc quidem sufficit ad hoc, quod aliquis possit dici felix in hac
vita. |
|
#200. — Ensuite (1101a14), il conclut sa pensée sur le bonheur. Il dit ainsi que rien n'empêche de dire qu'il est heureux celui qui opère en conformité à la vertu, parfaite bien sûr, et qui a des biens extérieurs suffisants pour l'opération de la vertu, et cela non pas certes en un court temps, mais en une vie parfaite, c'est-à-dire pour longtemps. Cela suffit aussi, bien sûr, à ce qu'on puisse être dit heureux en cette vie. |
[72905] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16 n. 15 Sed si volumus accipere felicitatem secundum optimum
quod esse potest, sic apponendum est ad rationem felicitatis quod sit
victurus sicut dictum est per totam suam vitam et finiturus, id est
moriturus, secundum quod convenit rationi. Ratio autem quare videtur haec
condicio apponenda est quia futurum ignotum est nobis. Ad rationem autem
felicitatis, cum sit finis ultimus, videtur pertinere omne illud quod est
perfectum et optimum. Et hoc secundo modo loquebatur Solon de felicitate. Et
si ita est, ut dictum est, (beatos dicemus) illos de numero viventium in hac
vita quibus existunt in praesenti et existent in futuro ea quae dicta sunt. |
|
#201. — Mais si nous voulons prendre le bonheur en ce qu'il peut être de mieux, on devra alors ajouter à la définition du bonheur que [l'homme heureux] aura dû vivre ainsi qu'on l'a dit, et qu'il aura dû finir [ainsi], c'est-à-dire qu'il aura dû mourir de manière conforme à la raison. La raison, par ailleurs, pour laquelle cette condition nous paraît à ajouter est que le futur nous est ignoré. Or à la définition du bonheur, du fait qu'il soit une fin ultime, appartient manifestement tout ce qui est parfait et le meilleur. Et c'est de cette manière que parlait Solon du bonheur. Et s'il en est ainsi, comme on l'a dit, nous dirons heureux en cette vie ceux du nombre des vivants à qui appartiennent dans le présent et appartiendront dans le futur les [caractères] que nous avons énumérés. |
[72906] Sententia Ethic., lib. 1 l. 16 n. 16 Sed quia ista videntur non usquequaque attingere ad
conditiones supra de felicitate positas, subdit quod tales dicimus beatos
sicut homines, qui in hac vita mutabilitati subiecta non possunt perfectam
beatitudinem habere. Et quia non est inane naturae desiderium, recte
aestimari potest quod reservatur homini perfecta beatitudo post hanc vitam.
Ultimo epilogat dicens, quod de his in tantum dictum sit. |
|
#202. — Mais comme on n'accède manifestement pas aux conditions posées plus haut à propos du bonheur, il ajoute que nous disons heureuses comme des hommes telles [personnes] qui, sujettes dans cette vie au changement, ne peuvent posséder le bonheur parfait. Or comme un désir naturel n'est pas vain, on peut correctement estimer que la parfaite béatitude pour l'homme est réservée pour après cette vie. Il épilogue finalement en disant qu'on a assez parlé de ce sujet. |
|
|
|
Lectio
17 |
|
Leçon 17
|
[72907] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17
n. 1 Pronepotum autem fortunas
et cetera. Postquam philosophus solvit principalem dubitationem, quae erat de
transmutatione fortunae circa felicem, hic determinat dubitationem super
inductam, scilicet de mutatione fortunae circa amicos. Et circa hoc duo
facit. Primo comparat fortunia et infortunia circa amicos contingentia his
quae contingunt circa ipsum hominem. Secundo comparat ea quae contingunt
circa mortuum his quae contingunt circa vivum, ibi: differt autem passionum
et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod ea quae circa amicos
contingunt, redundant in ipsum hominem. Secundo ostendit quae et qualia, ibi
multis autem et omnimodas et cetera. Dicit ergo primo, quod si aliquis vellet
dicere quod fortunae bonae vel malae pronepotum vel quorumcumque posterorum
et omnium amicorum nequaquam conferrent ad felicitatem hominis viventis seu
mortui, videretur hoc esse inconveniens, duplici ratione. Primo quidem, quia
hoc esset contra rationem amicitiae quae est quaedam unio amicorum, ita quod
unus eorum reputat ea quae sunt alterius quasi sua. Secundo, quia hoc esset
contrarium opinioni communi, quae non potest totaliter esse falsa. |
|
#203. — Après avoir résolu la difficulté principale, qui portait sur le changement de fortune, en rapport à l'homme heureux, le Philosophe traite ici d'une [autre] difficulté soulevée plus haut, à savoir, le changement de fortune, en rapport aux amis. À ce sujet, il fait deux [considérations]. En premier, il compare les fortunes et les infortunes qui arrivent à ses amis à celles qui arrivent à la personne même. En second (1101a31), il compare celles qui arrivent aux morts à celles qui arrivent au vivant. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose que ce qui arrive à ses amis a des effets sur la personne même. En second (1101a24), il montre lesquels et de quelles sortes. Il dit donc en premier que, si l'on voulait dire que les fortunes bonnes ou mauvaises des arrière-petit-fils, ou de n'importe quels successeurs, et de tous les amis ne contribuent rien au bonheur de 39 l'homme vivant ou mort, cela semblerait bien inconvenant, pour deux raisons. En premier, certes, parce que cela contredirait la notion d'amitié, qui est une union entre les amis qui fait que chacun d'eux considère comme sien ce qui regarde l'autre. En second, parce que cela serait contraire à l'opinion commune, qui ne peut être totalement fausse. |
[72908] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17
n. 2 Deinde cum dicit: multis
autem etc., ostendit quae et qualia amicorum accidentia conferant ad
felicitatem amici. Et dicit quod, cum ea quae accidunt secundum fortunia bona
vel mala sint multa et omnibus modis differentia, puta secundum speciem,
secundum quantitatem, secundum tempus, et secundum alia huiusmodi, quorum
quaedam magis redundant et quaedam minus, si aliquis vellet omnia singillatim
determinare, quid scilicet redundet ex his in hominem et quid non, esset
valde longum, immo potius infinitum, quia huiusmodi diversitas infinitis
modis contingit. |
|
#204. — Ensuite (1101a24), il montre quels accidents et quels types d'accidents contribuent au bonheur de l'ami. Il dit que ce qui arrive en raison de fortunes bonnes ou mauvaises est multiple et diffère de toutes les façons, à savoir, en espèce, en quantité, en temps, et d'autres pareilles façons, dont certaines importent plus et d'autres moins; qu'en conséquence, si on voulait tout décrire un à un, à savoir, qu'est-ce qui importe et qu'est-ce qui n'importe pas, ce serait trop long, en fait pratiquement infini, parce qu'une diversité de la sorte revient à une infinité de façons. |
[72909] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17
n. 3 Sed sufficit quod
determinetur in universali et in typo, idest figuraliter, idest
superficialiter vel similitudinarie, si scilicet dicatur quod fortunarum, quae
sunt circa ipsum hominem, quaedam, scilicet magnae, habent aliquod pondus
idest vim immutandi conditionem vitae humanae, et conferunt auxilium ad vitam
felicem, quaedam autem sunt leviores, ex quibus non multum immutatur vita
hominis; ita etiam contingit in his quae eveniunt circa quoscumque amicos;
ita tamen quod magis redundant ea quae accidunt circa propinquiores, licet
sint minora in quantitate. |
|
#205. — Mais il suffit que l'on dise universellement et en gros, c'est-à-dire figurément, c'est-à-dire superficiellement et analogiquement, si l'on dit que, parmi les fortunes qui concernent un homme lui-même, certaines, à savoir les grandes, ont une influence, c'est-à-dire le pouvoir de changer la condition de la vie humaine, et contribuent une aide à la vie heureuse, tandis que d'autres sont légères, et la vie de l'homme n'en pas beaucoup aidée. Il en va aussi pareillement en ce qui arrive à n'importe quels amis, de manière, cependant, qu'importe davantage ce qui arrive aux plus proches, même si c'est moindre en quantité. |
[72910] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17
n. 4 Deinde cum dicit: differt
autem passionum etc., ostendit ex quo accidentia amicorum redundant ad
hominem; et hoc magis manifestum est quantum ad hominem dum vivit, qualiter
circa hoc se habeat erga mortuum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit
quomodo differenter se habeat quantum ad hoc circa vivos et mortuos. Secundo inquirit
utrum accidentia amicorum redundant ad mortuos, cum manifestum sit quod
redundant ad vivos. Et hoc ibi: magis
autem fortassis et cetera. Circa primum considerandum est quod mortui positi
sunt extra vitam praesentem, cuius felicitatem Aristoteles hic inquirere
intendit, ut ex praemissis patet. Attingunt autem mortui hanc vitam solum secundum
quod remanent in memoriis hominum viventium. Et ideo hoc modo se habent
mortui ad viventes secundum considerationem huius vitae, sicut se habent ea
quae nunc actu contingunt ad ea quae olim fuerunt et nunc recitantur, puta
bella Troiana vel aliquid huiusmodi. |
|
#206. — Ensuite (1101a31), il montre à partir de quoi les accidents de ses amis importent à un homme; et cela est plus manifeste pour un homme pendant qu'il vit que ce ne l'est pour un mort. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment il en va différemment quant à cela pour les vivants et pour les morts. En second (1101b1), il cherche si les accidents des amis importent aux morts, comme il est manifeste qu'ils importent aux vivants. Pour le premier [point], on doit tenir compte que les morts se trouvent en dehors de la vie présente, dont Aristote entend ici examiner le bonheur, comme il appert de ce qui précède (#180). De fait, les morts ne concernent cette vie que pour autant qu'ils demeurent dans la mémoire des hommes vivants. Et c'est pourquoi le rapport que les morts entretiennent avec les vivants, pour ce qui regarde cette vie, est le même qu'entretiennent les choses qui arrivent maintenant en acte avec celles qui ont déjà été et que maintenant l'on raconte, par exemple, les guerres troyennes ou autre chose de la sorte. |
[72911] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17 n. 5 Dicit ergo quod hoc, quod quaecumque passionum,
idest accidentium fortuitorum, contingat circa vivos vel circa mortuos, multo
magis differt quam quod aliqua iniusta, puta homicidia vel rapinae, et mala,
idest infortunia quaecumque, praeexistant in tragoediis, idest a
poetis recitentur ut olim existentia, vel quod nunc fiant. Quia in primo
sumitur idem ex parte fortuiti eventus, et differentia ex parte personarum,
quarum quaedam sunt actu in rebus humanis, quaedam autem sunt solum in
memoria. In secundo autem e converso accipitur idem ex parte personarum, quae
sunt actu in rebus humanis, sed attenditur differentia ex parte fortuitorum
eventuum, quorum quidam sunt actu in rebus humanis, quidam autem solum
secundum commemorativam recitationem. Et quia felicitas ad personas pertinet
magis, quam ad res exterius contingentes, ideo philosophus dicit quod prima
differentia, quantum pertinet ad propositum, scilicet ad mutationem
felicitatis maior est, quam secunda. Et ex isto simili inducto de differentia
eventuum, dicit esse syllogizandum differentiam in proposito. |
|
#207. — Il dit donc que le fait que n'importe laquelle des affections, c'est-à-dire, des accidents fortuits, arrive à des vivants ou à des morts, cela fait beaucoup plus de différence que le fait que des injustices, par exemple, des homicides ou des vols, et des maux, c'est-à-dire des infortunes, se soient passées dans des tragédies, c'est-à-dire soient racontées par des poètes comme s'étant déjà produites, ou qu'elles se produisent actuellement. Car, en premier, on assume la même chose de la part de l'événement fortuit et on prend la différence de la part des personnes, dont certaines sont en acte dans les affaires humaines, tandis que d'autres le sont seulement en mémoire. En second, par ailleurs, on prend inversement la même chose de la part des personnes qui sont dans les affaires humaines, et on prend la différence de la part des événements fortuits, dont certains sont en acte dans les affaires humaines, tandis que d'autres le sont seulement par leur rapport commémoratif. Or comme le bonheur concerne plus les personnes que les choses qui arrivent extérieurement, le Philosophe dit que la première différence, quant à ce qui concerne notre propos, à savoir le changement du bonheur, est plus importante que la seconde. Et c'est à partir de ce cas semblable sur la différence entre les événements qu'il dit que l'on doit conclure la différence pour notre propos. |
[72912] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17 n. 6 Manifestum est enim quod praeterita mala recitata, etsi
quodammodo pertineant ad hominem audientem, qui aliquo modo ad ea afficitur,
non tamen ita quod immutent conditionem ipsius, unde multo minus fortunia vel
infortunia immutant conditionem mortui. Et hoc quidem induxit philosophus
quasi solvens rationem supra positam, quae concludebat quod si aliquid
redundat ad vivos non sentientes, quod redundet etiam ad mortuos. |
|
#208. — Il est manifeste, en effet, que les maux antérieurs racontés, même s'ils concernent d'une certaine manière l'auditeur qui en est de quelque manière affecté, ce n'est toutefois pas au point qu'ils changent sa condition. Aussi, c'est encore moins que les infortunes changent la condition d'un mort. C'est cela qu'a induit le Philosophe, comme en résolvant l'objection amenée auparavant (#184), qui concluait que si quelque chose influe sur les vivants même quand ils ne le sentent pas, cela influe aussi sur les morts. |
[72913] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17 n. 7 Deinde cum dicit: magis autem fortassis etc., inquirit
ulterius utrum aliquo modo redundent ad mortuos, quae contingunt circa
amicos. Et primo inquirit propositum. Secundo concludit principale intentum,
ibi, conferre quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod magis videtur
esse inquirendum circa eos qui mortui sunt, si aliquo modo communicant vel
bonis vel malis quae accidunt in hac vita: quia quod non immutentur ex eis a
felicitate in miseriam vel e converso, satis videtur esse manifestum. Quia si
aliquid ex his quae hic aguntur ad eos redundat, sive bonum sive malum, erit
aliquid fragile et parum vel simpliciter vel quantum ad ipsos. Si autem hoc
ita est, non erit tantum et tale ut faciat felices eos qui non sunt, neque
his qui sunt auferat beatitudinem. Dictum est enim, quod parva accidentia non
faciunt immutationem vitae, si ergo ex his quae aguntur parvum aliquid
redundat ad mortuos, sequitur quod ex hoc eorum conditio circa felicitatem
non immutetur. |
|
#209. — Ensuite (1101b1), il cherche en dernier si de quelque manière ce qui arrive aux amis influe sur les morts. 40 Et en premier, il investigue son propos. En second (1101b5), il conclut ce qu'il vise principalement. Il dit donc, en premier, qu'il semble davantage que l'on doive s'enquérir, à propos de ceux qui sont morts, si de quelque manière ils participent aux biens ou aux maux qui arrivent en cette vie: car qu'aucun d'entre eux ne soit conduit du bonheur au malheur, ni l'inverse, cela semble assez manifeste. Car si quelque chose de ce qui se fait ici a une influence sur eux, soit bonne soit mauvaise, c'en sera une fragile et petite, ou absolument, ou quant à eux. Or s'il en est ainsi, ce ne sera pas au point de rendre heureux ceux qui ne le sont pas, ni d'enlever le bonheur à ceux qui l'ont. On a dit (#194), en effet, que de petits accidents ne produisent pas une transformation de la vie. Si donc de ce qui se fait peu de chose influe sur les morts, il s'ensuit que leur condition quant au bonheur ne s'en trouvera pas changée. |
[72914] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17 n. 8 Deinde cum dicit: conferre quidem igitur etc.,
concludit suam sententiam. Et dicit, quod bona amicorum, quae agunt vel quae
eis accidunt, conferre videntur aliquid mortuis, et similiter infortunia in
eos redundare; tamen sub tali modo, et tanta quantitate, ut neque felices
faciant non felices, neque non felices faciant felices, neque etiam
transmutent eos secundum aliquid talium, puta secundum sapientiam et
virtutem, vel aliquid huiusmodi. Potest autem esse constructio suspensiva ab
illo loco si autem non tantum et tale etc.: et tunc consequens
condicionalis erit: conferre quidem igitur etc., et superabundabit
illativa coniunctio. |
|
#210. — Ensuite (1101b5), il conclut sa pensée. Et il dit que les biens que les amis font ou les maux qui leur arrivent semblent bien apporter quelque chose aux morts, et pareillement leurs infortunes influer sur eux; cependant, sous telle façon, et en telle quantité, que cela ne les fasse ni heureux s'ils ne le sont pas, ni malheureux s'ils sont heureux, et que cela ne les transforme pas pour ce qui est de pareilles choses, à savoir quant à la sagesse et à la vertu, ou autre chose de la sorte. Il peut y avoir une construction suspendue à partir de «s'il n'en est rien, être cependant d'une intensité et d'une nature telles…»; alors, il sera convenable d'entendre conditionnellement «affecter dans une certaine mesure», et la conjonction d'inférence sera superflue. |
[72915] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17 n. 9 Videtur autem secundum intentionem Aristotelis ea quae
hic dicuntur esse intelligenda de mortuis, non secundum quod sunt in seipsis,
sed secundum quod vivunt in memoriis hominum. Sic enim videntur redundare in
eos ea quae amicis eorum contingunt post mortem, prout ex hoc redditur eorum
memoria et gloria magis celebris vel magis obscura. Sed hoc quidem dicit esse
fragile quiddam, quia nihil est fragilius eo quod in sola opinione hominum
consistit. Dicit autem esse parvum quiddam et maxime quoad ipsos, quia non
pertinet ad eos nisi secundum quod sunt in memoriis hominum. |
|
#211. — Il semble bien, d'ailleurs, selon l'intention d'Aristote, que l'on doive entendre ce que l'on dit ici sur les morts, non pas quant à ce qui en est d'eux-mêmes, mais quant à ce qu'ils vivent dans la mémoire des hommes. Cela, en effet, semble influer sur eux, ce qui arrive à leurs amis après leur mort, pour autant que leur mémoire et leur gloire en est rendue plus plaisante ou plus obscure. Mais cela, certes, il le donne comme quelque chose de fragile. Car il n'y a rien de plus fragile que ce qui tient à la seule opinion des hommes. Il le donne encore comme quelque chose de petit, et surtout quant à eux-mêmes; car cela ne les concerne qu'en autant qu'ils sont dans la moire des hommes. |
[72916] Sententia Ethic., lib. 1 l. 17 n. 10 Quaerere autem, utrum homines post mortem aliqualiter
vivant secundum animam, et utrum cognoscant ea quae hic aguntur, aut si ex
his aliquo modo immutantur, non pertinet ad propositum, cum philosophus hic
agat de felicitate praesentis vitae, sicut ex supradictis patet. Et ideo
huiusmodi quaestiones, quae longa discussione indigerent, hic
praetermittendae sunt, ne in hac scientia quae est operativa, plures sermones
extra opera fiant, quod supra philosophus reprobavit. Alibi autem haec
plenius disseruimus. |
|
#212. — Par ailleurs, chercher si les hommes, après leur mort, vivent de quelque manière quant à leur âme, et s'ils connaissent ce qui se fait ici, ou s'ils en subissent quelque influence, cela ne concerne pas notre propos, étant donné que le Philosophe traite ici du bonheur de la vie présente, comme il appert de ce qui précède (#206). Et c'est pourquoi les questions de la sorte, qui demanderaient une longue discussion, sont à laisser de côté ici, pour éviter qu'en cette science, qui est opérative, on ne fasse plusieurs développements étrangers à l'action, ce que le Philosophe a exclu plus haut (#31). Mais nous en disserterons ailleurs plus pleinement. |
|
|
|
Lectio
18 |
|
Leçon 18
|
[72917] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 1 Determinatis autem his et
cetera. Postquam philosophus ostendit quid est felicitas, hic inquirit de
quadam proprietate felicitatis. Et primo movet quaestionem. Secundo
determinat veritatem, ibi: videtur autem omne laudabile et cetera. Dicit ergo
quod post determinationem praedictorum necesse est perscrutari utrum
felicitas sit de numero bonorum laudabilium vel magis de numero bonorum
honorabilium. Et quod necesse sit felicitatem contineri sub altero genere
horum bonorum, probat per hoc quod felicitas non est de genere potentiarum.
Non enim aliquis laudatur vel honoratur ex eo solum quod habet potentiam ad
bonum, sed ex eo quod aliqualiter est ad bonum dispositus. |
|
#213. — Après avoir montré ce qu'est le bonheur, le Philosophe s'enquiert ici sur une propriété du bonheur. Et en premier (1101b10), il soulève la question. En second (1101b12), il traite de la vérité. Il dit donc qu'après avoir défini ce qui précède, il est nécessaire d'examiner si le bonheur est au nombre des biens honorables ou louables. Et qu'il est nécessaire que le bonheur soit contenu sous un genre de ces biens, il le prouve du fait que le bonheur n'est pas du genre des puissances. En effet, on ne loue ni n'honore quelqu'un du fait qu'il a une puissance au bien, mais du fait qu'il est disposé d'une certaine manière envers le bien. |
[72918]
Sententia Ethic., lib. 1 l. 18 n. 2 Ad huius autem quaestionis
evidentiam considerandum, quod honor et laus dupliciter differunt. Primo
quidem ex parte eius in quo consistit honor vel laus. Sic enim honor in plus
se habet quam laus. Honor enim importat quoddam testimonium manifestans
excellentiam alicuius, sive hoc fiat per verba sive per facta, utpote cum
aliquis genuflectit alteri vel assurgit ei. Sed laus consistit solum in
verbis. Secundo differunt quantum ad id cui exhibetur laus et honor. Utrumque
enim exhibetur alicui excellentiae. Est autem duplex excellentia: una quidem
absoluta et secundum hoc debetur ei honor; alia autem est excellentia in
ordine ad aliquem finem, et sic debetur ei laus. |
|
#214. — Pour l'évidence de cette question, on doit prendre en compte que l'honneur et la louange diffèrent de deux façons. En premier, certes, à partir de ce en quoi consiste l'honneur ou la louange. Ainsi, en effet, l'honneur a plus d'extension que la louange. L'honneur, en effet, implique un témoignage qui manifeste l'excellence de quelqu'un, que cela se fasse avec des paroles ou avec des actions, comme lorsque l'on s'agenouille ou qu'on se lève devant lui. Tandis que la louange consiste seulement en paroles. En second, elles diffèrent quant à ce à quoi on montre de la louange et de 41 l'honneur. L'une et l'autre, en effet, est montrée pour une certaine excellence. Mais il y a double excellence: l'un, certes, absolue, et à elle on doit de l'honneur; mais l'autre est une excellence en rapport à une fin, et à elle on doit de la louange. |
[72919] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 3 Deinde cum dicit: videtur
autem omne laudabile etc., determinat motam quaestionem. Et primo ostendit
felicitatem esse bonorum honorabilium, ex hoc quod est quiddam perfectum et
optimum; in secunda parte ex hoc, quod habet rationem principii, ibi, videtur
autem ita habere et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit qualium
sit laus. Secundo concludit quod optimorum non est laus, sed aliquid melius.
Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo manifestat
propositum, ibi, iustum enim et cetera. Dicit ergo primo, quod omne quod
laudatur, videtur esse laudabile ex duobus simul: ex hoc scilicet quod in se
habet aliqualem dispositionem, et ex hoc quod habet aliqualem habitudinem ad
aliquid aliud. |
|
#215. — Ensuite (1101b12), il détermine de la question soulevée. Et en premier, il montre que le bonheur est du nombre des biens honorables, du fait qu'il est quelque chose de parfait et de meilleur. Dans une seconde partie (1102a2), il le montre du fait qu'il a raison de principe. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre quel [objet] mérite louange. En second (1101b21), il conclut que ce n'est pas la louange qui s'adresse à ce qu'il y a de meilleur, mais quelque chose de mieux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier il propose son intention. En second (1101b14), il manifeste son propos. Il dit donc, en premier, que tout ce que l'on loue semble bien être louable à partir de deux [raisons] en même temps: à savoir, du fait que cela ait en soi un type de disposition, et du fait que cela ait un type de rapport avec autre chose. |
[72920] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 4 Deinde cum dicit iustum
enim et virilem etc., manifestat propositum. Et primo ex laudibus humanis.
Secundo ex laudibus divinis, ibi, manifestum autem est hoc et ex his et
cetera. Circa primum considerandum est, quod homo laudatur et propter
virtutem animi, et propter virtutem corporis. Secundum virtutem autem animi
laudatur et ipse homo habens virtutem animi, puta iustus et virilis et
communiter bonus secundum quamcumque virtutem. Et etiam laudatur ipsa virtus;
et hoc propter aliquid aliud, scilicet propter opera et actus; ex hoc enim
laudatur virtuosus et ipsa virtus, inquantum ordinatur ad exequendum opus
virtutis. Secundum vero virtutem corporis laudatur aliquis, quia est fortis
ad pugnandum et agilis ad currendum et de aliis similibus, ex hoc, quod homo
aliqualiter ordinatur ad aliquid quod est bonum in se et studiosum quasi
studio dignum. |
|
#216. — Ensuite (1101b14), il manifeste son propos. Et en premier, à partir des louanges humaines. En second (1101b18), à partir des louanges divines. Sur le premier [point], on doit prendre en compte qu'on est loué et à cause de la vertu de l'âme, et à cause de la vertu du corps. Quant à la vertu de l'âme, on loue l'homme lui-même qui détient la vertu de l'âme, par exemple, le juste et le courageux, et communément celui qui est bon selon quelque vertu. Et on loue aussi la vertu elle-même; et cela à cause d'autre chose, à savoir, à cause des œuvres et des actes. C'est à partir de cela, toutefois, qu'on loue le vertueux et la vertu même, qu'il est ordonné à exécuter une œuvre de vertu. Par ailleurs, quant à la vertu du corps, on loue quelqu'un parce qu'il est fort au combat et agile à courir, et ainsi des autres choses semblables, du fait qu'un homme soit de quelque façon ordonné à quelque chose qui est bon en soi et désiré comme digne de l'être6. |
[72921] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18 n. 5 Et est attendenda differentia inter virtutes animi et
corporis, nam ad laudem virtutis animae sufficit quod aliquis bene se habeat
ad proprium actum virtutis. Quia bonum hominis consistit in ipso actu
virtutis, sed in virtutibus corporalibus non sufficit quod aliquis bene se
habeat ad actum illius virtutis, puta ad currendum vel luctandum. In his enim
non consistit bonum hominis. Potest enim aliquis currere vel luctare vel
pugnare et propter bonum, et propter malum. Et ideo loquens de laude virtutum
animae, dixit quod laudantur propter opera et actus. Sed loquens de
virtutibus corporalibus, determinavit, quod laudantur in ordine ad aliquod
bonum et studiosum. |
|
#217. — Mais il faut porter attention à une différence entre les vertus de l'âme et du corps. En effet, pour des louanges de la vertu de l'âme, il suffit que l'on soit bien disposé à l'acte propre de la vertu. Car le bien de l'homme réside dans l'acte même de la vertu. Mais dans les vertus corporelles, il ne suffit pas qu’on soit bien disposé envers l'acte de cette vertu, par exemple, à courir ou à lutter. En effet, ce n'est pas en ces [actes] que consiste le bien de l'homme. Car on peut courir ou lutter ou combattre à la fois pour le bien et pour le mal. C'est pourquoi, en parlant de la louange des vertus de l'âme, il a dit qu'on est loué pour des œuvres et des actes, tandis qu'en parlant des vertus corporelles, il a fixé qu'on est loué en rapport à autre chose. |
[72922] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 6 Deinde cum dicit
manifestum autem est hoc etc., manifestat quod dixerat per laudes divinas. Si
enim aliquid esset laudabile absolute, et non secundum habitudinem ad aliquid
aliud, sequeretur quod idem in omnibus esset laudabile. Hoc autem manifeste
falsum apparet si quis consideret laudes quibus laudamus substantias
separatas quas deos nominat. Si quis enim laudes eorum referret ad ea quae in
hominibus laudantur, derisibile videretur; puta si quis laudaret Deum de hoc
quod non vincatur a concupiscentia seu timore. Et hoc ideo contingit, quia
laudes sunt per relationem ad aliquid, ut dictum est. |
|
#218. — Ensuite (1101b18), il manifeste ce qu'il avait dit pour les louanges divines. Si, en effet, une chose était louable absolument, et non pas d'après une relation à autre chose, il s'ensuivrait que la même chose serait louable en tout. Or cela apparaît manifestement faux, si on regarde les louanges avec lesquelles nous louons les substances séparées qu'ils nomment des Dieux. Si, en effet, on rapportait leurs louanges à ce qu'on loue chez les hommes, cela semblerait dérisoire; par exemple, si on les louait pour ne pas avoir été vaincus par la concupiscence ou par la crainte. Et il en est ainsi parce que les louanges tiennent à une relation à autre chose, comme on a dit (#214). |
[72923] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 7 Deinde cum dicit: si autem
est laus talium etc., ex praemissis concludit propositum. Et primo ponit
conclusionem in hunc modum. Laus est eorum quorum bonitas consideratur in
ordine ad aliquid aliud. Sed optima non ordinantur ad aliquid aliud, quinimmo
alia ordinantur in ipsa. Ergo optimorum non est laus, sed aliquid melius
laude; sicut etiam in speculativis principiorum non est scientia, sed aliquid
scientia altius, scilicet intellectus. Scientia
vero est conclusionum quae cognoscuntur propter principia. Et similiter laus
est eorum quorum bonitas est propter alia. Honor autem quasi aliquid melius
laude est eorum ad quae alia ordinantur. |
|
#219. — Ensuite (1101b21), il conclut son propos à partir de ce qui précède. Et en premier, il présente la conclusion de la manière qui suit. La louange porte sur ce dont la bonté se regarde en rapport à autre chose. Or ce qu'il y a de meilleur n'est pas ordonné à autre chose; plutôt, ce sont les autres choses qui sont ordonnées à lui. Donc, ce n'est pas la louange qui convient à ce qu'il y a de mieux, mais quelque chose de mieux que la louange; de même aussi, il n'y a pas de science pour les principes, en matière spéculative, mais quelque chose de plus élevé que la science, à savoir, une intelligence. La science, en effet, portent sur les conclusions que l'on connaît grâce aux principes[6]. Et pareillement, la louange porte sur ce dont la bonté tient à autre chose. L'honneur, par ailleurs, est quelque chose de mieux que la louange et porte sur ce à quoi le reste est ordonné. |
[72924] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 8 Secundo ibi: quemadmodum
videtur etc., manifestat conclusionem praemissam per ea quae communiter
dicuntur. Et primo quantum ad ea quorum est aliquid melius laude. Secundo
quantum ad ea quorum est laus, ibi: laus quidem enim et cetera. Circa primum
duo facit. Primo inducit ad propositum manifestandum id quod communiter
videtur. Secundo id quod visum fuit Eudoxo, ibi, videtur autem et Eudoxus et
cetera. Dicit ergo primo, quod optimorum esse aliquid melius laude videtur
communiter omnibus. Quod manifestum est ex hoc quod diis quasi aliquid melius
laude attribuentes, dicimus eos beatos et felices; et similiter optimos
virorum, in quibus apparet quaedam divina similitudo propter eorum excellentiam.
Et sicut optimis personarum attribuimus aliquid melius laude, ita etiam et
optimis de numero bonorum, sicut felicitati; nullus enim laudat felicitatem
per modum quo laudat hominem iustum vel virtuosum, sed attribuit ei aliquid
maius, dum dicimus eam esse beatitudinem. |
|
#220. — En second (1101b23), il manifeste la conclusion précédente à l'aide de ce qui se dit communément. Et en premier quant à ce qui mérite quelque chose de mieux que la louange. En second (1101b31), quant à ce qui mérite louange. Sur le premier [point], il faut deux [considérations]. En premier, il se sert, pour manifester son propos, de ce qu'on pense communément. En second (1101b27), de ce que pensait Eudoxe. Il dit donc, en premier, que c'est ce que pensent tous communément, qu'il y a pour ce qu'il y a de mieux quelque chose de mieux que la louange. Et cela est manifeste du fait que nous disons des Dieux, comme en leur attribuant quelque chose de mieux que de la louange, qu'ils sont heureux et bénis; et nous faisons pareillement avec les meilleurs des hommes, chez qui apparaît comme une ressemblance divine, en raison de leur excellence. De même que nous attribuons aux meilleures des personnes quelque chose de mieux que de la louange, de même le faisons-nous aussi pour les meilleurs des biens, comme pour le bonheur. Personne, en effet, ne loue le bonheur de la manière dont on loue un homme juste ou vertueux. Mais on lui attribue quelque chose de plus grand, quand on dit qu'elle est la béatitude7. |
[72925] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 9 Deinde cum dicit: videtur
autem et Eudoxus etc., inducit ad idem dictum Eudoxi. Qui in voluptate
constituebat primitias bonorum, ponens scilicet voluptatem esse summum bonum.
Et hoc denunciari existimat, quod cum sit de numero bonorum, non tamen
aliquis laudatur propter voluptatem, eo quod est aliquid melius laudabilibus.
Et tale est Deus et quicquid aliud est per se bonum. Quia ad huiusmodi quae sunt per
se bona etiam alia referuntur, quorum scilicet bonitas laudatur in hoc quod
se aliqualiter habent ad ea quae sunt per se bona. |
|
#221. — Ensuite (1101b27), il se sert à la même fin du mot d'Eudoxe. Celui-ci mettait dans le plaisir les prémices des biens, comme sa position était que le plaisir était le plus grand bien. C'est ce qu'il pense indiquer, en faisant remarquer que, alors que le plaisir est au nombre des biens, on ne le loue pas, du fait qu'en lui-même il est quelque chose de mieux que les choses louables: en effet, on ne loue personne pour le plaisir qu'il a; et il en va pareillement de Dieu et de quoi que ce soit d'autre qui soit bon par soi. Car aussi on compare les autres choses à celles qui sont bonnes par soi, et on loue leur bonté du fait de la relation qu'elles entretiennent avec les choses qui sont bonnes par soi. |
[72926] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18
n. 10 Deinde cum dicit: laus
quidem enim etc., manifestat quod dixerat quantum ad ea quorum est laus. Et
dicit quod laus est virtutis per quam sumus operatores bonorum. Laudatur enim
aliquis propter actus corporis vel animae, ut supra dictum est. Sed
considerare ea de quibus consueverunt homines laudari magis proprie pertinet
ad rhetores, quorum studium insudat circa laudes. Pertinet enim hoc ad
demonstrativum genus causarum, quod est unum de tribus, quae cadunt sub
consideratione rhetoricae ut patet per philosophum in I rhetoricae et per
Tullium in rhetorica sua. Sed quantum ad nos manifeste apparet ex praedictis;
quod felicitas est de numero honorabilium, eo quod est quoddam bonum
perfectum. |
|
#222. — Ensuite (1101b31), il manifeste ce qu'il avait dit quant à ce qui mérite louange. Et il dit que la louange porte sur la vertu par laquelle nous sommes des opérateurs de biens. En effet, on loue quelqu'un pour un acte du corps ou de l'âme, comme on l'a dit (#216-217). Cependant, regarder ce pour quoi on a coutume d'être loué appartient plus proprement aux orateurs, dont le travail porte sur les louanges. En effet, il appartient au genre démonstratif des causes, qui est l'un des trois qui tombent sous la considération de la rhétorique, comme il appert par le Philosophe, au premier livre de la Rhétorique (c. 3), et par Cicéron, dans sa Rhétorique (III). Mais pour ce qui nous concerne, il apparaît manifestement de ce qui précède (#220) que le bonheur est du nombre des choses honorables, du fait qu'il est comme un bien parfait. |
[72927] Sententia Ethic., lib. 1 l. 18 n. 11 Deinde cum dicit: videtur autem ita habere etc., probat
propositum ex ratione principii. Illud enim quod est principium et causa
bonorum, ponimus honorabile, quasi quiddam divinum existens. Nam Deus est
primum principium omnis boni. Sed felicitas est principium omnium bonorum
humanorum, quia propter ipsam omnes homines operantur omnia quae agunt. Finis
autem in operabilibus et appetibilibus habet rationem principii, quia ex fine
sumitur ratio eorum quae sunt ad finem. Unde sequitur quod felicitas sit
quoddam bonum honorabile. |
|
#223. — Ensuite (1102a2), il prouve son propos à partir de la notion de principe. En effet, ce qui est principe et cause des biens, nous le prétendons honorable, comme étant quelque chose de divin. Car Dieu est le premier principe de tout bien. Or le bonheur est le principe de tous les biens humains, car c'est à cause d'elle que tous les hommes font tout ce qu'ils font. D'ailleurs, la fin, dans les choses à faire et à désirer, a raison de principe, parce que c'est de la fin que se prend la raison de ce qui est en vue de la fin. Aussi s'ensuit-il que le bonheur soit un bien honorable. |
|
|
|
Lectio
19 |
Leçon 19 : [La science du bonheur] |
|
|
ARISTOTE COMMENCE A DISCOURIR SUR LA VERTU DONT LA CONNAISSANCE EST EMINEMENT PROFITABLE A LA COMPREHENSION DE LA FELICITE. IL DIT QUE DE PLUS, IL APPARTIENT A CETTE SCIENCE DE SPECULER SUR LA VERTU. IL FONDE CETTE DERNIERE AFFIRMATION SUR LE FAIT QU'IL RELEVE D'UNE SCIENCE DE CETTE SORTE DE SPECULER SUR CERTAINES PARTIES DE L'AME ET DE LES FAIRE AGIR. |
|
[72928] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19
n. 1 Si autem est felicitas et
cetera. Postquam philosophus determinavit de felicitate, hic incipit
determinare de virtute. Et primo praemittit quaedam quae exiguntur ad
considerationem virtutis. Secundo incipit determinare de virtute in principio
secundi libri, ibi, duplici autem virtute existente et cetera. Circa primum
tria facit. Primo ostendit quod ad hanc scientiam pertineat de virtute
considerare. Secundo assumit quaedam quae oportet cognoscere de partibus
animae, ibi: de virtute autem perscrutandum etc.; tertio secundum divisionem
partium animae dividit virtutem, ibi, determinatur autem virtus et cetera.
Primum ostendit dupliciter. Primo quidem ratione assumpta ex parte
felicitatis. Dictum est enim supra, quod felicitas est operatio quaedam secundum
virtutem perfectam. Et sic per cognitionem virtutis melius poterimus de
felicitate considerare. Unde et in X libro, determinato de omnibus virtutibus
complet tractatum de felicitate. Cum
igitur haec scientia principaliter quaerat bonum humanum quod est felicitas,
consequens est quod ad hanc scientiam pertineat de virtute scrutari. |
224.- Après avoir déterminé ce qu'est la félicité, le Philosophe commence maintenant à déterminer ce qu'est la vertu. Il établit atout d'abord un certain nombre de présupposés nécessaires à la considération de la vertu puis, au début du second livre, il commence à traiter de la vertu. Dans ses présupposés il établit en premier qu'il appartient à cette science de considérer la vertu puis, en second, il résume ce qu'il faut connaître des parties de l'âme et, enfin; il établit une division des vertus d'après la division des parties de l’âme. Il donne deux raisons pour manifester qu'il appartient à l'étique de traiter de la vertu. La première se prend du côté de la félicité. On a dit en effet plus haut que la félicité est une opération selon la vertu parfaite. Et ainsi la connaissance de la vertu nous sera d'un grand secours pour considérer la félicité. C'est pourquoi il complètera son traité de la félicité dans le dixième livre après avoir étudié rigoureusement toutes les vertus. Puisque la recherche principale de cette science porte sur le bien humain qui est la félicité, il convient qu'il lui appartienne de scruter la vertu. |
#224. — Après avoir traité du bonheur, le Philosophe commence ici à traiter de la vertu. Et en premier, il présente des prérequis exigés pour la considération de la vertu. En second (1103a14), il commence à traiter de la vertu, au début du second livre. 7Beatitudo, comme , qu'il traduit, exprime un superlatif dans le bien: le fait non seulement d'être bon, de compléter, mais bien plus, de combler, de laisser sans rien à désirer. 43 Sur le premier point, il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'il appartient à cette science de traiter de la vertu. En second (1102a13), il assume des notions qu'il faut connaître sur les parties de l'âme. En troisième (1103a3), il divise la vertu d'après la division des parties de l'âme. Il montre le premier [point] de deux façons. En premier, bien sûr, avec une raison prise du côté du bonheur. En effet, on a dit, plus haut (#128, 130, 150, 160, 164, 175, 187, 190), que le bonheur est une opération conforme à une vertu parfaite. Aussi pourrons-nous mieux, moyennant connaissance de la vertu, traiter du bonheur. D'où aussi, au dixième livre (#1953-2180), en traitant de toutes les vertus, il complète son traité du bonheur. Il convient donc, comme cette science enquête principalement sur le bien humain qui est le bonheur, qu'il appartienne à cette science d'examiner la vertu. |
[72929] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19
n. 2 Secundo ibi: videtur autem
et secundum veritatem etc., probat propositum ex propria ratione huius
scientiae. Civilis enim scientia secundum rei veritatem maxime videtur studere et
laborare circa virtutem. Intendit enim cives bonos facere et legibus
obedientes, sicut patet per legislatores Cretensium et Lacedaemoniorum, qui
habebant civilitatem optime ordinatam, vel si qui alii sunt similes leges
ponentes ad faciendum homines virtuosos. Sed consideratio praesentis
scientiae ad politicam pertinet, quia in hac scientia traduntur principia
politicae. Unde manifestum est quod quaestio de virtute fiet conveniens huic
scientiae, secundum id quod in prooemio elegimus politicam prae omnibus aliis
disciplinis, inquirentem ultimum finem humanorum. |
225.- Il prouve la même affirmation par la notion propre de cette science. Réellement et effectivement, la science politique met tous ses efforts à étudier et à faire régner la vertu. Elle désire faire de bons citoyens, dociles aux lois. Nous en avons l'exemple dans les législateurs de Crête et de Lacédémone, qui gouvernaient des villes bien ordonnées. On pourrait trouver encore des exemples dans d'autres législations qui travailleraient à rendre les hommes vertueux, Mais l'étude du présent traité appartient à la politique, parce que c'est ici que nous donnons les principes de la politique. Le choix que nous avons fait dans l'introduction de la politique comme discipline principale pour traiter de la fin ultime humaine nous autorise donc à dire que la question de la vertu lui appartient de plein droit. |
#225. — En second (1102a7), il prouve son propos à partir de la propre définition de cette science. En effet, la science civile semble bien en vérité porter son étude et son effort surtout sur la vertu. Elle entend en effet rendre les citoyens bons et obéissants aux lois, comme il appert par les législateurs des Crétois et des Lacédémoniens, qui avaient la cité la mieux ordonnée; ou, s'il y en a d'autres semblables, ceux qui établissent des lois pour rendre les hommes vertueux. Or la considération de la présente science appartient à la politique, car c'est en cette science que l'on traite des principes de la politique. Aussi est-il manifeste que la question de la vertu convienne à cette science, selon que, dans notre prologue (#25-31), nous avons placé la politique avant toutes les autres disciplines, en cherchant la fin ultime des actions humaines. |
[72930] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19
n. 3 Deinde cum dicit: de
virtute autem etc., assumit quaedam de partibus animae necessaria ad
cognitionem virtutum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod necessarium
est huiusmodi assumi in hac scientia. Secundo assumit ea, ibi, dicuntur autem
de hac et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod necesse est
huic scientiae quod considerat quaedam de partibus animae. Secundo ostendit
qualiter debeat ea considerare, ibi, contemplandum autem et cetera. Dicit
ergo primo quod, cum nos intendimus perscrutari de virtute, intelligimus hoc
de virtute humana. Dictum est enim supra, quod quaerimus in hac scientia
bonum humanum et felicitatem humanam. Et ideo si virtutem quaerimus propter
felicitatem, necesse est quod virtutem humanam quaeramus. Virtus autem quae
est proprie humana, non est ea quae est corporis, in qua communicat cum aliis
rebus, sed ea quae est animae, quae est propria sibi. Sed et hoc etiam
competit ei quod supra diximus quod felicitas est operatio animae. |
226.- Il reprend ici certaines considérations sur les parties de l'âme nécessaires à la connaissance des vertus. Et là-dessus, il montre tout d'abord qu'il est nécessaire de revenir sur ces considérations dans cette science-ci, puis, en second, il les résume. Dans son premier point, il fait double réflexion: non seulement il montre la nécessité de revenir sur certains aspects des parties de l'âme, mais il montre aussi comment on doit les examiner. Il dit tout d'abord en premier que lorsque nous nous proposons d'examiner la vertu, il s'agit bien de la vertu humaine. Nous avons dit plus haut que nous recherchions dans cette science le bien humain et la félicité humaine. CI est pourquoi, si nous recherchons la vertu en fonction de la félicité, il est nécessaire que ce soit la vertu humaine que nous recherchions, Or, la vertu proprement humaine n'est pas celle du corps, par lequel nous communiquons avec les autres êtres de l'univers, mais celle de l'âme, qui est propre à l'homme. Donc... D'ailleurs le fait que nous avons défini la félicité une opération de l'âme confirme cette nécessité. |
#226. — Ensuite (1102a13), il assume, sur les parties de l'âme, quelques notions nécessaires à la connaissance des vertus. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il est nécessaire d'assumer des notions de la sorte dans cette science. En second (1102a26), il les assume. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il est nécessaire à cette science de fournir quelques notions sur les parties de l'âme. En second (1102a23), il montre de quelle manière elle doit les traiter. Il dit donc, en premier, qu'en nous proposant d'examiner la vertu, nous l'entendons de la vertu humaine. En effet, on a dit plus haut (#224) que nous enquêtons dans cette science sur le bien humain et sur le bonheur humain. C'est pourquoi, si nous enquêtons sur la vertu en vue du bonheur, il faut que nous enquêtions sur la vertu humaine. Par ailleurs, la vertu qui est proprement humaine n'est pas celle qui concerne le corps, en laquelle l'homme communique avec les autres choses; mais celle qui concerne l'âme, qui est propre à lui. D'ailleurs, c'est encore à cela que conduit ce que nous avons dit plus haut (#123-126), que le bonheur est une opération de l'âme. |
[72931] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19
n. 4 Sic ergo se habet
politicus ad considerandum de anima cuius virtutem quaerit, sicut medicus ad
considerandum de corpore cuius sanitatem inquirit. Unde manifestum est quod
oportet politicum aliqualiter cognoscere ea quae pertinent ad animam, sicut
medicus qui curat oculos et totum corpus oportet quod consideret de oculis et
de toto corpore, et tanto magis hoc pertinet ad politicam ut consideret animam
cuius virtutem inquirit, quanto est melior ipsa quam scientia medicinae, ut
ex supradictis patet. Et ideo oportet, quod eius consideratio sit magis
completa. Videmus autem quod excellentes medici multa tractant circa
cognitionem corporis, et non solum circa medicinales operationes. Unde et
politicus debet aliqua considerare de anima.
|
227.- Il dit que la considération de l’âme, dont nous recherchons les vertus, ressemble à l'étude que le médecin fait du corps dont il recherche la santé. Il est donc manifeste que le politique doit connaître quelque chose de l'âme, comme le médecin qui soigne les yeux et tout le corps doit connaître quelque chose de l'œil et du corps entier. Et il appartient d'autant plus au politique de mieux considérer l'âme, dont il recherche la vertu, qu'il est meilleur politique. Comme il en est de la médecine. On se rend compte que les meilleurs médecins ont des connaissances supérieures sur le corps et ne se contentent pas de connaître les recettes médicales. Donc le politique doit posséder une certaine connaissance de l’âme. |
#227. — Ainsi donc, le politique se rapporte à la considération de l'âme, dont il enquête sur la vertu, tout comme le médecin se rapporte à la considération du corps, dont il enquête sur la santé. Aussi est-il manifeste qu'il faut que le politique connaisse de quelque façon ce qui concerne l'âme, comme le médecin qui guérit les yeux et tout le corps doit s'intéresser aux yeux et à tout le corps8. Et cela appartient d'autant plus au politique, de considérer l'âme sur la vertu de laquelle il enquête, que meilleure est la politique que la science de la médecine, comme il appert de ce que l'on a dit plus haut (#25-31). C'est pourquoi il faut que cette considération soit plus complète. Nous observons d'ailleurs que les excellents médecins traitent beaucoup de la connaissance du corps et non seulement des opérations médicales. Aussi le politique fournit-il quelque considération de l'âme. |
[72932] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19
n. 5 Deinde cum dicit
contemplandum autem etc., ostendit qualiter de his debeat considerare. Et
dicit quod in hac scientia contemplandum est de anima gratia horum,
idest virtutum et actuum hominis, de quibus est hic principalis intentio. Et
ideo intantum considerandum est de anima, quantum sufficit ad ea quae
principaliter quaerimus. Si autem aliquis vellet plus certificare de anima,
quam sufficit ad propositum, requireret hoc maius opus quam ea quae in
proposito quaeruntur. Et ita est in omnibus aliis quae quaeruntur propter
finem, quod eorum quantitas est assumenda secundum quod competit fini. |
228.- Il montre ici comment on doit étudier les parties de l’âme. Dans notre science, on doit étudier l'âme en vue des vertus et dès actes de l'homme, qui sont l'objet principal de notre étude. C'est pourquoi, notre étude de l'âme doit s'arrêter à ce qui est suffisant à la connaissance de notre sujet. Celui qui voudrait pousser l'étude de l'âme au-delà de ce qui doit servir à l’étude des vertus, devrait en élargir l'étude que nous nous proposons. Il en est ainsi dans tout ce qui est recherché en vue d'une fin: la quantité de la recherche doit se fixer d'après les exigences de la fin. |
#228. — Ensuite (1102a23), il montre de quelle manière il doit traiter de cela. Et il dit que, dans cette science, on doit s'arrêter à l'âme en vue de celles-là, c'est-à-dire des vertus et des actions de l'homme, sur lesquelles porte ici notre intention principale. C'est pourquoi il y a lieu de traiter de l'âme autant qu'il suffit à ce sur quoi nous enquêtons principalement. Si, par contre, on voulait s'assurer[7], sur l'âme, de plus de notions qu'il n'en suffit à notre propos, cela requerrait plus de travail que toute l'enquête que nous nous proposons. Il en va ainsi en tout ce que l'on cherche en vue d'une fin, que sa quantité est à prendre selon ce qui convient à la fin. |
[72933] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19
n. 6 Deinde cum dicit: dicuntur
autem de hac etc., assumit ea quae sunt hic consideranda de partibus animae.
Et primo dividit partes animae in rationale et irrationale; secundo
subdividit irrationale, ibi: irrationabilis autem etc.; tertio subdividit
rationale, ibi: si autem oportet et hoc et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ponit divisionem. Secundo dicit praetermittendam quamdam dubitationem,
ibi, haec autem utrum et cetera. Dicit ergo primo, quod de anima sufficienter
quaedam sunt dicta in libro de anima, quem vocat exteriores sermones, vel
quia scripsit librum illum per modum epistolae ad aliquos longe existentes,
libri enim quos scribebat docens suos auditores vocabantur auditus, sicut
liber physicorum dicitur de physico auditu. Vel melius, exteriores sermones
vocantur qui sunt extra propositam scientiam. His autem quae ibi dicta sunt
hic est utendum; puta quod quaedam pars animae est rationalis, quaedam
irrationalis, ut dicitur in tertio de anima.
|
229.- Il assume ce que nous devons considérer des parties de l'âme. En premier, il divise les parties de l’âme en rationnelle et irrationnelle. En second, il subdivise la partie irrationnelle. En troisième, il subdivise la partie rationnelle. Au sujet de la division générale de l'âme en partie rationnelle et irrationnelle, il nous réfère au troisième livre de l'âme où il s'est étendu sur la question. |
#229. — Ensuite (1102a26), il assume ce qu'il y a lieu de traiter ici sur les parties de l'âme. Et, en premier, il divise les parties de l'âme en rationnel et irrationnel. En second (1102a32), il subdivise l'irrationnel. En troisième (1103a1), il subdivise l'autre membre de la première division, à savoir, la partie rationnelle de l'âme. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente sa division. En second (1102a28), il dit qu'il faut omettre une certaine difficulté. Il dit donc, en premier, qu'il a été traité suffisamment de l'âme au traité De l'âme, qu'il appelle les discours extérieurs, peut-être parce qu'il les a écrits sous forme de lettres à des gens qui se trouvaient au loin. En effet, les livres qu'il avait coutume d'enseigner à ses auditeurs, s'appelaient des auditions, comme les livres sur les choses naturelles se nommaient Sur l'audition naturelle. Ou bien, mieux, on appelle discours extérieurs ceux qui restent en dehors de la science proposée. C'est de ce qui est dit là qu'on va se servir ici, à savoir, qu'une partie de l'âme est rationnelle, et une autre irrationnelle, comme il est dit au troisième [livre du traité] De l'âme (ch. 9; #797). |
[72934] Sententia Ethic., lib. 1 l. 19 n. 7 Deinde cum dicit: haec autem utrum determinata sint
etc., movet quandam dubitationem quam dicit esse in proposito
praetermittendam, scilicet utrum hae duae partes animae, rationale scilicet
et irrationale, sint distincta ab invicem subiecto, loco et situ, sicut
particulae corporis vel cuiuscumque alterius continui divisibilis, sicut
Plato posuit rationale esse in cerebro, concupiscibile in corde et nutritivum
in hepate; vel potius hae duae partes non dividantur secundum subiectum sed
solum secundum rationem, sicut in circumferentia circuli curvum, idest
convexum et concavum non dividuntur subiecto, sed solum ratione. Et dicit
quod quantum pertinet ad propositum non differt quid horum dicatur. Et ideo
praetermittit hanc quaestionem ut ad propositum non pertinentem. |
230.- Il dit qu'on doit passer outre à un doute qui peut s'élever: ces deux parties de l'âme sont-elles distinctes entre elles par le sujet, le lieu et le site, comme les particules d'un corps ou d'un continu divisible - ainsi Platon a situé la partie rationnelle dans le cerveau, le concupiscible dans le cœur, et la partie nutritive dans le foie - ou ces deux parties ne sont-elles distinctes que par la raison, sans l'être par le sujet, comme on distingue le convexe et le concave dans la circonférence uniquement par la raison? Il dit que cela importe peu à notre propos. C’est pourquoi, il omet de traiter cette question hors du sujet. |
#230. — Ensuite (1102a28), il soulève une difficulté à oublier pour ce qui concerne notre propos: à savoir, si ces deux parties de l'âme, la rationnelle et l'irrationnelle, sont distinctes l'une de l'autre quant à leur sujet, lieu et situation, comme les particules d'un corps ou de quelque autre continu divisible, comme Platon a soutenu que le rationnel était dans le cerveau, le concupiscible dans le cœur et le nutritif dans le foie; ou si, plutôt, ces deux parties ne sont pas divisées quant à leur sujet, mais seulement quant à leur définition, comme le courbe dans la circonférence du cercle: c’est-à-dire, le convexe et le concave ne se divisent pas quant au sujet, mais seulement quant à leur définition. Et il dit que pour ce qui concerne notre propos, il n'y a pas de différence quant au parti qu'on prend. Et c'est pourquoi il oublie cette question qui ne concerne pas notre propos. |
|
|
|
Lectio
20 |
Leçon 20 : [Rôle de la vie végétative et sensitive en éthique] |
Leçon 20 |
|
IL DIVISE LA PARTIE IRRATIONNELLE DE L'AME EN NUTRITIVE ET SENSITIVE, ET IL MONTRE QUE LA PARTIE NUTRITIVE N’EST PAS UNE PARTIE DE L’ÂME HUMAINE ET NE PARTICIPE D’AUCUNE FACON A LA RAISON, ALORS QUE LA PARTIE SENSITIVE, BIEN QUE CONTRAIRE A LA RAISON, PARTICIPE A LA RAISON D'UNE CERTAINE MANIERE, LORSQU'ELLE EST DIRIGEE PAR LE COMMANDEMENT DE LA RAISON. |
|
[72935] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 1 Irrationabilis autem et
cetera. Postquam philosophus divisit partes animae per rationale et
irrationale, hic subdividit partem irrationalem. Et primo ponit unum membrum
divisionis. Secundo ponit aliud, ibi, videtur utique et alia quaedam et
cetera. Circa primum duo facit: primo proponit quandam partem animae
irrationalem. Secundo ostendit quod illa pars animae non est proprie humana,
ibi: haec quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod inter irrationales
partes animae una est, quae assimilatur animae plantarum, quae est communis
omnibus viventibus hic inferius. Et huiusmodi pars est illa quae est causa
nutrimenti et augmenti in hominibus. Et talis pars animae ponitur in omnibus
quae nutriuntur, non solum in animalibus, sed in plantis; in animalibus autem
invenitur non solum iam natis, sed etiam antequam nascantur, idest in
embryonibus, qui manifeste nutriuntur et crescunt. |
231. - Après avoir divisé les parties de l'âme en rationnelle et irrationnelle, le Philosophe subdivise ici la partie irrationnelle. 1.- Il pose le premier membre de la division puis, le second. Au sujet du premier membre (1) il fait deux choses. Premièrement, il cerne une partie de l’âme irrationnelle; deuxièmement, il montre que cette partie de l’âme n’est pas proprement humaine. Il dit donc d'abord que parmi les parties irrationnelles de l'âme, il en est une qu'on assimile à l’âme des plantes. Cette partie est commune à tous les vivants énumérés ci-après. C’est elle qui est cause de nutrition et de croissance chez tous les vivants. Cette partie de l’âme se retrouve chez tous les êtres qui se nourrissent, non seulement après la naissance, mais même avant, c’est-à-dire dans les embryons qui manifestement se nourrissent et croissent. |
#231. — Après avoir divisé les parties de l'âme en rationnelle et irrationnelle, le Philosophe subdivise ici la partie irrationnelle. Et en premier (1102a32), il présente un membre de la division. En second (1102b16), il présente l'autre. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente une partie irrationnelle de l'âme. En second (1102b2), il montre que cette partie de l'âme n'est pas proprement humaine. Il dit donc, en premier, que parmi les parties irrationnelles de l'âme, il y en a une qui s'assimile à l'âme des plantes. Et celle-ci est commune à tous les vivants inférieurs. Cette partie est celle qui est cause de la nutrition et de la croissance en tous. Pareille partie de l'âme se place chez tous ceux qui se nourrissent, non seulement une fois nés, mais même avant qu'ils naissent, c'est-à-dire chez les embryons, qui, manifestement, se nourrissent et croissent. |
[72936] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 2 Similiter etiam invenitur
haec pars animae in animalibus non solum perfectis, idest habentibus omnes
sensus et motis motu progressivo, sed etiam in animalibus imperfectis, quae
habent solum sensum tactus et manent immobilia in eodem loco, sicut sunt
conchilia. Manifestum est enim quod omnia praedicta vivunt, et habent aliquam
partem animae. Rationabilius autem in eis omnibus ponitur haec pars animae
quam quaevis alia, quia opera huius partis manifestius in eis apparent. |
232. Pareillement, cette partie de l'âme se retrouve non seulement chez les animaux parfaits, c’est-à-dire chez ceux qui ont tous les sens et qui se meuvent par un mouvement progressif, mais aussi chez les animaux imparfaits qui n'ont que le seul sens du toucher, et qui demeurent immobiles dans un même lieu, comme c'est le cas des huîtres. Il est manifeste que tous les animaux susdits vivent et ont une certaine partie de l'âme. C'est avec plus de raison que l'on pose cette partie de l'âme chez tous ces êtres plutôt qu'une autre partie, parce que les œuvres de cette partie apparaissent avec plus d'évidence chez eux. |
#232. — On trouve pareillement cette partie de l'âme chez tous les animaux: non seulement chez les animaux parfaits, c'est-à-dire dotés de tous les sens et du mouvement progressif, mais aussi chez les animaux imparfaits, qui ont seulement le sens du toucher et demeurent immobiles dans le même lieu, comme les coquillages. En effet, il est manifeste que tous les animaux mentionnés vivent, et ont une partie de l'âme. Il est plus raisonnable, par ailleurs, d'admettre en eux tous cette partie de l'âme que n'importe quelle autre, parce que les œuvres de cette partie apparaissent plus manifestement en eux. |
[72937] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 3 Deinde cum dicit: haec
quidem igitur etc., ostendit quod praedicta pars animae non est humana. Et
primo concludit hoc ex praedictis. Humanum enim dicimus, quod est proprium
homini. Si ergo haec pars animae maxime est communis, consequens est quod non
sit humana. |
233.- Ensuite il manifeste que cette partie de l’âme n'est pas humaine. Ce qu'il conclut à partir des réflexions précédentes. Car nous appelons humain, ce qui est propre à l'homme. Si donc une partie de l'âme est tout à fait commune il s'ensuit qu'elle n'est pas humaine. |
#233. — Ensuite (1102b2), il montre que la partie de l'âme mentionnée n'est pas humaine. 45 Et en premier, il conclut cela à partir de ce qui a été dit. En effet, nous appelons humain ce qui est propre à l'homme. Si donc une partie de l'âme est très commune, il s'ensuit qu'elle ne soit pas humaine. |
[72938] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 4 Secundo ibi: videtur enim
etc., addit manifestationem ex quodam evidenti signo. Haec enim pars animae
efficacissime invenitur operari in somnis: recurrente enim calore naturali ad
interiora, dum animal dormit, digestio melius celebratur. Id autem quod est
proprium hominis, secundum quod homo dicitur bonus vel malus, non multum
operatur in somno. Nec secundum somnum manifestatur quis sit bonus vel malus.
Unde proverbialiter dicunt, quod felices non differunt a miseris secundum
somnum, qui est dimidium vitae, quia scilicet in somno ligatur iudicium
rationis et soporantur exteriores sensus, operatur autem phantasia et vis
nutritiva. |
234.- Il manifeste la même idée par un signe évident. En effet, cette partie de l’âme opère le plus efficacement durant le sommeil: la chaleur naturelle ayant regagné l'intérieur, pendant que l'animal dort, la digestion se fait mieux. Mais ce qui est le propre de l’homme, selon que l'homme est dit bon ou mauvais, ne s'effectue pas tellement durant le sommeil. Le sommeil ne manifeste guère non plus qui est bon ou mauvais. De là vient le proverbe qui veut que les gens heureux ne diffèrent pas des miséreux par le sommeil qui remplit la moitié de la vie. Car durant le sommeil, le jugement de la raison est paralysé, et les sens externes n'opèrent pas, seules l’imagination et la vie nutritive opèrent. |
#234. — En second (1102b3), il ajoute une manifestation à partir d'un signe évident. En effet, cette partie de l'âme se trouve opérer le plus efficacement pendant le sommeil; comme, en effet, la chaleur naturelle se ramasse alors à l'intérieur, la digestion s'effectue mieux pendant que l'animal dort. Par contre, ce qui est propre à l'homme, d'après quoi on dit l'homme bon ou mauvais, ne fonctionne pas beaucoup pendant le sommeil. Ce n'est pas d'après son sommeil que se manifeste que quelqu'un soit bon ou mauvais. Aussi dit-on, en proverbe, que les gens heureux ne diffèrent pas des malheureux dans leur sommeil, qui fait la moitié de la vie. C'est que, pendant le sommeil, le jugement de la raison est comme ligoté et que les sens extérieurs ne fonctionnent pas, mais seulement l'imagination et la faculté de nutrition. |
[72939] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 5 Hoc autem contingit
rationabiliter, scilicet quod secundum somnum non differat bonus et malus,
felix et miser. Quia in somno quiescit a sua operatione illa pars animae
secundum quam homo dicitur bonus et malus. Contingit tamen per accidens quod
bonus et malus in somno differunt non propter differentiam eorum quae sit in
dormiendo, sed propter differentiam quae fuit in vigilando, in quantum
scilicet quidam motus vigilantium paulatim pertranseunt ad dormientes, prout
scilicet ea quae homo vidit vel audivit vel cogitavit vigilando occurrunt
phantasiae dormientis. Et per hunc modum in dormiendo fiunt meliora
phantasmata virtuosorum, qui circa honesta se occupant in vigilando, quam
quorumlibet aliorum qui vanis et inhonestis vigilantes se occupant. Et de his
sufficiat quod dictum est. Relinquitur autem ex praemissis, quod pars animae
nutritiva non est nata esse particeps humanae virtutis. |
235.- Et il est raisonnable qu'il en soit ainsi, à savoir que, pendant le sommeil, il n’y a pas de différence entre le bon et le méchant, ni entre l'heureux et le malheureux. La raison en est que dans le sommeil, la partie selon laquelle l’homme se dit bon, est au repos. Et le bon et le méchant diffèrent dans leur sommeil non pas à cause de la différence qui existe dans le fait de dormir, mais à cause de la différence qui existe en étant de veille, par exemple, en tant que des mouvements de celui qui est éveillé passent peu à peu jusque dans son sommeil, par exemple en tant que les choses qu’un homme a vues, entendues ou connues éveillé viennent peupler ses sens une fois endormi. Et de cette façon, les gens vertueux qui ont déployé une activité honnête durant la journée font de meilleurs rêves que les autres qui se sont occupés à des actions vaines et malhonnêtes. Et à ce sujet, on en a dit suffisamment. A partir de nos prémisses, il demeure que la partie nutritive de l’âme n’est pas apte à participer à la vertu humaine. |
#235. — Par ailleurs, cela arrive bien raisonnablement, à savoir, que, quant au sommeil, le bon et le mauvais, l'heureux et le malheureux ne diffèrent pas. Car, pendant le sommeil, elle est en repos quant à son opération, cette partie d'après laquelle on dit l'homme bon. Le bon et le mauvais diffèrent pendant leur sommeil non pas en raison d'une différence qui se produit en dormant, mais en raison d'une différence qui s'est produite en étant éveillés, pour autant que les mouvements à l'état de veille entrent peu à peu dans le sommeil, dans la mesure où ce qu'il a vu ou entendu ou pensé à l'état de veille se présente à l'imagination du dormeur. De cette manière, de meilleurs phantasmes se présentent pendant le sommeil aux gens vertueux, car ils s'occupent de choses honnêtes à l'état de veille, et de moins bons aux autres, qui s'occupent à l'état de veille de choses vaines et malhonnêtes. À ce sujet, on a assez de ce qui a été dit (#234-235). Il reste donc, de ce qui précède (#233-235), que la partie nutritive de l'âme n'est pas de nature à participer à la vertu humaine. |
[72940] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20 n.
6 Deinde cum dicit: videtur
utique etc., ponit aliud membrum divisionis. Et primo proponit quod intendit.
Secundo probat propositum, ibi incontinentis enim et cetera. Dicit ergo primo
quod praeter nutritivam partem animae, videtur esse quaedam alia pars animae,
irrationalis quidem sicut et nutritiva, sed aliqualiter participans rationem;
in quo differt a nutritiva, quae omnino est expers humanae virtutis, ut
dictum est. |
236. - Il établit ensuite le second membre de la division. Il propose d'abord son intention; ensuite, il prouve sa proposition. Il dit en premier lieu qu’en plus de la partie nutritive de l'âme, il semble qu'il existe une certaine partie irrationnelle, qui ressemble à la partie nutritive mais qui participe à la raison d’une certaine manière. C'est d’ailleurs grâce à cette participation à la raison qu'elle diffère de la partie nutritive qui en est tout à fait privée. |
#236. — Ensuite (1102b13), il présente l'autre membre de la division. Et en premier, il propose son intention. En second (1102b14), il prouve son propos. Il dit en premier, en effet, qu'en dehors de la partie nutritive de l'âme, il semble bien y avoir une autre partie, irrationnelle comme la nutritive, mais qui participe d'une certaine façon à la raison; en quoi elle diffère de la partie nutritive, qui est tout à fait exempte de vertu humaine, comme on a dit (#237). |
[72941] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20 n. 7 Deinde cum dicit incontinentis enim etc., probat
propositum. Et primo quod sit quaedam alia pars animae irrationalis; secundo
quod participet rationem, ibi, ratione autem et hoc videtur, et cetera.
Primum autem probat ratione sumpta ex parte continentis et incontinentis, in
quibus laudamus partem animae quae habet rationem, eo quod ratio eorum recte
deliberat et ad optima inducit quasi deprecando vel persuadendo: uterque enim
horum eligit abstinere ab illicitis voluptatibus. Sed in utroque eorum
videtur esse aliquid naturaliter eis inditum praeter rationem, quod
contrariatur rationi et obviat ei, idest impedit ipsam in executione
suae electionis, unde patet quod est quiddam irrationale, cum sit rationi
contrarium. Et hoc est appetitus sensitivus, qui appetit id quod est
delectabile sensui, quod interdum contrariatur ei quod ratio iudicat esse
bonum simpliciter. Hoc autem in eo qui est continens vincitur a ratione, nam
continens habet quidem concupiscentias pravas, sed ratio eas non sequitur. In
incontinente autem vincit rationem, quae deducitur a concupiscentiis pravis. |
237.- Il prouve sa proposition. Et d'abord, il prouve qu'il existe une autre partie irrationnelle de l'âme puis, en second, qu'elle participe à la raison. Il prouve son premier point par une raison prise nu côté du continent et de l'incontinent, chez qui nous admirons la partie de l’âme douée de raison du fait que leur raison délibère correctement pour les porter aux meilleures actions, en les suppliant et en les persuadant pour ainsi dire: l'un et l'autre en effet visent à s’abstenir des voluptés illicites. Mais dans l'un et l'autre, il y a quelque chose de naturellement inné hors de leur raison, qui la contrarie et lui résiste, à savoir qui l'empêche d'exécuter son choix. Il est donc évident qu’il existe quelque chose d'irrationnel, puisque contraire à la raison. Il s'agit de l’appétit sensible qui désire le délectable au sens, qui est parfois contraire à ce que la raison juge comme absolument bon. Cependant chez le continent, la raison maîtrise les mouvements de l'appétit: le continent a des concupiscences dépravées, mais la raison n’y obéit pas. Chez l'incontinent, au contraire, les mouvements de l’appétit vainquent la raison qui est séduite par les concupiscences mauvaises. |
#237. — Ensuite (1102b14), il prouve son propos. Et en premier, qu'il y ait une autre partie irrationnelle de l'âme. En second (1102b25), qu'elle participe à la raison. Il prouve le premier [point] avec une raison empruntée au continent et à l'incontinent, chez qui nous louons la partie de l'âme qui possède raison, du fait que leur raison délibère correctement et conduit à ce qu'il y a de mieux, par mode de reproche ou de persuasion; en effet, l'un et l'autre choisissent de s'abstenir des plaisirs illicites. Mais chez l'un et l'autre aussi, il semble bien y avoir quelque chose d'inné, en dehors de la raison, qui contrarie la raison et lui fait obstruction, c’est-à-dire l'empêche dans l'exécution de son choix. Aussi appert-il qu'il y a quelque chose d'irrationnel, puisque cela est contraire à la raison. Et c'est l'appétit sensible, qui désire ce qui est plaisant au sens, lequel parfois contrarie ce que la raison juge bon absolument. Or cela, chez celui qui est continent, se trouve vaincu par la raison, car le continent a sans doute des désirs dépravés, mais sa raison ne les suit pas. Tandis que chez l'incontinent, cela vainc la raison, qui se trouve entraînée par les désirs dépravés. |
[72942] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 8 Et ideo subdit exemplum,
quod sicut quando corporis membra sunt dissoluta, quia scilicet non possunt
omnino contineri a virtute corporis regitiva, sicut accidit in paraliticis et
ebriis, qui moventur in partem sinistram, quando homines eligunt moveri in
dextram; ita etiam firmiter verum est ex parte animae in incontinentibus quod
moventur ad contraria eorum quae ratio eligit. Sed hoc non ita apparet in
partibus animae, sicut in partibus corporis. Quia
in partibus corporis manifeste videmus quando aliquid inordinate movetur, sed
in partibus animae non ita manifeste hoc videmus. Nihilominus tamen
existimandum est, quod aliquid sit in homine quod contrariatur et obviat
rationi. Sed qualiter hoc sit alterum a ratione, utrum scilicet subiecto vel
solum ratione, hoc non differt ad propositum.
|
238.- Et voila pourquoi, il ajoute un exemple: de même que les membres du corps sont désordonnés parce qu’ils ne sont pas complètement contrôlés par la puissance directrice corporelle, comme dans le cas des paralytiques et des ivrognes qui vont à gauche alors qu'ils veulent aller à droite, ainsi en est-il dans l'âme des incontinents: ils poursuivent des objets contraires au choix de leur raison. Mais ce fait n'apparait pas aussi clairement dans les parties de l'âme que dans les parties du corps. Dans les parties du corps, nous voyons clairement le désordre des mouvements, tandis que dans les parties de l’âme, ce désordre est plus obscur et moins apparent. Néanmoins, on doit considérer qui il y a quelque chose dans l'homme qui contrarie la raison et lui résiste. Il ne relève pas cependant de cette partie du traité de savoir si cette deuxième partie de l'âme diffère de la raison par le sujet ou par la notion. |
#238. — C'est pourquoi il ajoute un exemple. Il arrive que les membres du corps soient dissolus, en ce qu'ils ne puissent être tout à fait contenus par la vertu qui règle le corps, comme chez les paralytiques et les gens ivres, qui vont vers la gauche quand ils choisissent d'aller vers la droite. Il en va de même du côté de l'âme chez les incontinents, en ce qu'ils vont dans la direction contraire à celle que la raison choisit. Cependant, cela n'est pas aussi apparent dans les parties de l'âme que dans les parties du corps. Car dans les parties du corps, nous voyons manifestement comment une chose se meut désordonnément, tandis que, dans les parties de l'âme, nous ne le voyons pas aussi manifestement. Néanmoins, il faut penser qu'il y a quelque chose dans l'homme qui contrarie et fait 46 obstacle à la raison. Maintenant, de quelle manière cela se différencie de la raison, est-ce quant au sujet ou seulement quant à la définition, cela ne touche pas notre propos. |
[72943] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 9 Deinde cum dicit: ratione
autem et hoc etc., ostendit secundum, scilicet quod huiusmodi irrationale
participat rationem. Et primo manifestat hoc ex his quae intra hominem
aguntur. Secundo ex his quae aguntur extra hominem, ibi, quoniam autem
suadetur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod hoc
irrationale participat rationem. Secundo quasi concludit differentiam huius
irrationalis partis ad eam quae supra posita est, ibi: videtur utique et
irrationabile duplex et cetera. Dicit ergo primo quod hoc irrationale de quo
nunc dictum est, videtur aliqualiter participare ratione, sicut supra dictum
est. Et hoc manifestum est in homine continente, cuius appetitus sensitivus
obedit rationi. Quamvis enim habeat concupiscentias pravas, non tamen
secundum eas operatur, sed secundum rationem. Et multo amplius subiicitur
huiusmodi pars animae rationi in homine sobrio idest temperato, qui
ita habet appetitum sensitivum edomitum per rationem, quod non sunt in eo
concupiscentiae pravae vehementes. Et eadem ratio est de forti et de quolibet
habente habitum virtutis moralis. Quia in talibus fere omnia consonant
rationi; idest non solum exteriores actus, sed etiam interiores
concupiscentiae. |
239.- Il montre qu'une telle partie irrationnelle participe à la raison. Il le manifeste en premier, à partir d'un fait intérieur à l’homme;-ensuite, à partir de faits extérieurs. Au sujet de la première division, il fait deux choses: il montre que cette partie irrationnelle participe à la raison puis il déduit de là la différence qui existe entre cette partie irrationnelle et l’autre posée plus haut. Il dit donc d'abord que la partie irrationnelle dont nous parlons maintenant, semble participer à la raison de quelque manière, comme on l’a dit plus haut. Ceci se vérifie chez le continent dont l'appétit sensitif obéit à la raison. Même s’il ressent des inclinations mauvaises, en effet, il n'opère pas selon ces inclinations, mais d'après sa raison. Et cette partie de l'âme est encore beaucoup plus soumise à la raison chez l’homme sobre, c'est-à-dire chez le tempérant, dont l’appétit sensitif est tellement maîtrisé par la raison qu'il n'existe plus des concupiscences violentes chez lui. Il en est de même du vertueux ou de celui qui possède l'habitus de la vertu morale. D'ordinaire, chez ces hommes, tout est en accord avec la raison: non seulement les actes extérieurs, mais même les désirs intérieurs. |
#239. — Ensuite (1102b25), il montre que cette partie irrationnelle participe à la raison. Et en premier, il manifeste cela à partir de ce qui se passe à l'intérieur de l'homme. En second (1102b33), à partir de ce qui se passe en dehors de l'homme. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que cette partie irrationnelle participe à la raison. En second (1102b28), il conclut la différence entre cette partie irrationnelle et celle qui a été présentée plus haut. Il dit donc, en premier, que la partie irrationnelle dont on vient de parler semble bien participer de quelque manière à la raison, comme on l'a dit plus haut (#236). Cela est manifeste chez l'homme continent, dont l'appétit sensible obéit à la raison. En effet, bien qu'il ait des désirs dépravés, il n'agit cependant pas d'après eux, mais d'après la raison. Cette partie de l'âme est encore plus soumise à la raison chez l'homme sobre, c'est-à-dire tempéré, qui a son appétit sensible à ce point dompté par la raison qu'il ne se trouve pas chez lui de désirs dépravés véhéments. La même raison vaut pour le courageux et pour quiconque a un habitus de vertu morale. Car, en de pareilles gens, presque tout est en harmonie avec la raison: pas seulement les actes extérieurs, mais aussi les désirs intérieurs. |
[72944] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 10 Deinde cum dicit: videtur
utique etc., concludit ex praemissis differentiam utriusque irrationalis. Et
dicit, quod videtur, secundum praemissa duplex esse irrationale. Nam
nutritivum, quod invenitur, in plantis, in nullo communicat cum ratione. Non
enim obedit imperio rationis. Sed vis concupiscibilis et omnis vis
appetitiva, sicut irascibilis et voluntas, participant aliqualiter ratione,
secundum quod exaudiunt rationem monentem et oboediunt ei ut imperanti. Et
ita rationem dicimus se habere in loco patris imperantis et amicorum
admonentium, et non se habet per modum speculantis tantum, sicut ratio
mathematicorum. Tali enim ratione haec pars animae irrationalis in nullo
participat. |
240.- Des prémisses, il déduit la différence entre chacune des parties irrationnelles. Il dit que, d'après les considérations précédentes, il semble y avoir un double irrationnel. En effet, la partie nutritive, que l'on retrouve dans les plantes, ne communique en aucune façon avec la raison; elle ne lui obéit pas. Mais la puissance concupiscible et toutes les facultés appétitives, comme l’irascible et la volonté, participe de quelque manière à la raison, selon qu’elles écoutent la raison qui les meut et lui obéissent comme à un chef. Et ainsi, on dit que la raison joue le rôle d’un père qui commande ou celui des amis qui conseillent. Elle n'a donc pas uniquement une fonction spéculative, comme la raison des mathématiques. Cette partie irrationnelle ne participe en aucune façon à la raison spéculative. |
#240. — Ensuite (1102b28), il conclut de ce qui précède la différence entre l'une et l'autre parties irrationnelles. Et il dit qu'il semble bien, d'après ce qui précède, qu'il y ait irrationnel de deux façons. Car la partie nutritive, qui se trouve chez les plantes, ne communique d'aucune façon avec la raison. Elle n'obéit pas, en effet, au commandement de la raison. Par contre, la faculté concupiscible et toute la faculté affective, comme l'irascible et la volonté, participent de quelque manière à la raison, pour autant qu'ils tiennent compte de la raison qui les meut et obéissent à son commandement. C'est ainsi que nous disons que la raison se comporte comme un père qui commande ou des amis qui déconseillent. Et elle ne se comporte pas seulement de manière spéculative, comme la raison des mathématiciens. À pareille raison, en effet, cette partie de l'âme irrationnelle ne participe d'aucune façon. |
[72945] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 11 Deinde cum dicit: quoniam
autem suadetur etc., ostendit quod hoc irrationale participet ratione per ea
quae exterius aguntur. Significat enim hoc, ut ipse dicit, et suasio quae est
ab amicis, et increpatio quae est a maioribus, et deprecatio quae est a
minoribus, ad hoc quod homo suas concupiscentias non sequatur. Haec autem
omnia frustra essent nisi huiusmodi pars animae irrationalis participare
possit ratione. Et ex hoc apparet, quod ratio non subditur motibus passionum
appetitus sensitivi, sed potest eos reprimere. Et ideo non subditur motibus
caelestium corporum, ex quibus per immutationem corporis humani potest fieri
aliqua immutatio circa appetitum animae sensitivum. Cum enim intellectus vel
ratio non sit potentia alicuius organi corporalis, non subicitur directe
actioni alicuius virtutis corporeae; et eadem ratione nec voluntas, quae est
in ratione, ut dicitur in tertio de anima. |
241. - Il montre que l’irrationnel participe à la raison par des faits extérieurs. Il procède par le signe suivant: comme il ledit lui-même, les conseils des amis, les recommandations des plus âgés et les supplications des plus jeunes existent pour que l'homme ne suive pas ses concupiscences. Mais toutes ces exhortations existeraient en vain, si la partie irrationnelle de l'âme ne pouvait participer à la raison. Et il ressort de cela que la raison n’est pas subjuguée par les mouvements des passions de l'appétit sensitif, mais qu’elle peut les réprimer. C’est pourquoi, elle n’est pas soumise aux mouvements des corps célestes qui, en affectant le corps humain, peuvent influencer l’appétit sensitif de l’âme. En effet, puisque l'intelligence ou la raison n’est pas une puissance d’un certain organe corporel, elle n’est pas soumise directement à l’action d’une puissance corporelle. Il en est ainsi et pour la même raison de la volonté, qui est dans la raison elle-même, comme on le dit dans le troisième livre de l’âme. |
#241. — Ensuite (1102b33), il montre par ce qui se passe à l'extérieur que la partie irrationnelle participe à la raison. Un signe de cela, comme il le dit, c'est la persuasion qui vient des amis, et le blâme qui vient des aînés, et la supplication qui vient des plus petits, pour que quelqu'un ne suive pas ses désirs. Or tout cela se ferait en vain si cette partie irrationnelle de l'âme ne pouvait participer à la raison. Il apparaît de cela que la raison n'est pas soumise aux mouvements des passions de l'appétit sensible, mais peut les réprimer. C'est pourquoi elle n'est pas soumise non plus aux mouvements des corps célestes, d'où peut par immutation du corps humain provenir quelque immutation quant à l'appétit sensible de l'âme. Comme, en effet, l'intelligence ou raison n'est pas la puissance d'un organe corporel, elle n'est pas directement soumise à l'action d'aucune vertu corporelle. Et pour la même raison, la volonté non plus, qui est dans la raison, comme il est dit au troisième [livre du traité] De l'âme (ch. 4; #687-699). |
[72946] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 12 Deinde cum dicit: si
autem oportet et hoc etc., subdividit alium membrum divisionis primae,
scilicet rationalem animae partem. Et dicit, quod si oportet dicere illam
partem animae, quae participat ratione esse aliqualiter rationale, duplex
erit rationale: unum quidem sicut principaliter et in seipso rationem habens,
quod est essentialiter rationale. Aliud autem est, quod est natum obedire
rationi, sicut et patri, et hoc dicimus rationale per participationem. Et
secundum hoc, unum membrum continetur et sub rationali et irrationali. Est
enim aliquid irrationale tantum, sicut pars animae nutritiva. Quaedam vero
est rationalis tantum, sicut ipse intellectus et ratio; quaedam vero est
secundum se quidem irrationalis, participative autem rationalis. |
242.- Il subdivise l’autre membre de la première division, la partie rationnelle de l'âme. Et il dit que s'il faut appeler la partie de l'âme qui participe à la raison, rationnelle, le rationnel sera lui-même double: l’un, comme possédant principalement et en lui-même la raison, qui est le rationnel par essence; l'autre, celui qui par nature est appelé à obéir à la raison comme à un père. On appelle ce dernier rationnel par participation. Ainsi, un membre de la division appartient à la fois au rationnel et à Il irrationnel. En effet, une partie est purement irrationnelle, comme la partie nutritive de l’âme, une autre partie est purement rationnelle, comme l’intelligence et la raison; une autre partie est irrationnelle de soi et rationnelle par participation, comme l'appétit sensitif et la volonté. |
#242. — Ensuite (1103a1), il subdivise l'autre membre de la première division, à savoir, la partie rationnelle de l'âme. Et il dit que s'il faut dire que cette partie de l'âme qui participe à la raison est de quelque manière rationnelle, le rationnel sera double. Il y en aura un doté de raison comme principalement et en lui-même, qui sera essentiellement rationnel. Et un autre, qui sera de nature à obéir à la raison, comme à un père. C'est cela que nous appelons rationnel par participation. D'après cette division, un membre est contenu à la fois sous le rationnel et l'irrationnel. En effet, il y a quelque chose de seulement irrationnel, comme la partie nutritive de l'âme. Il y a par contre du seulement rationnel, comme l'intelligence et la raison. Mais il y a encore une partie irrationnelle en elle-même, mais rationnelle par participation, comme l'appétit sensible et la volonté. |
[72947] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20
n. 13 Deinde cum dicit
determinatur autem virtus etc., dividit virtutem secundum praedictam
differentiam potentiarum animae. Et dicit quod virtus determinatur,
idest dividitur, secundum praedictam differentiam partium animae. Cum enim
virtus humana sit per quam bene perficitur opus hominis quod est secundum
rationem, necesse est quod virtus humana sit in aliquo rationali; unde, cum
rationale sit duplex, scilicet per essentiam et per participationem,
consequens est quod sit duplex humana virtus. Quarum quaedam sit in eo quod
est rationale per seipsum, quae vocatur intellectualis; quaedam vero est in
eo quod est rationale per participationem, idest in appetitiva animae parte,
et haec vocatur moralis. Et ideo dicit quod virtutum quasdam dicimus esse
intellectuales, quasdam vero morales. Sapientia enim et intellectus et
prudentia dicuntur esse intellectuales virtutes, sed liberalitas et sobrietas
morales. |
243.- Il divise la vertu d'après la distinction des parties de l'âme que nous venons de faire. Il dit que la vertu est déterminée, c'est-à-dire divisée, d'après cette distinction des parties de l’âme. En effet, puisque la vertu humaine est ce qui perfectionne l’œuvre de l’homme, qui est conforme à la raison, il faut que la vertu humaine existe dans une partie qui soit rationnelle de quelque façon. Et puisque le rationnel est double: par essence et par participation, il SI ensuit que la vertu humaine est double: l'une qui existe dans la partie rationnelle par soi, on l'appelle vertu intellectuelle; l'autre qui existe dans le rationnel par participation, c'est-à-dire dans la partie appétitive de l'âme, on l'appelle vertu morale. C’est ainsi que nous appelons certaines vertus, intellectuelles, d’autres morales. En effet, la sagesse et l’intelligence et la prudence sont appelées vertus intellectuelles, tandis que la libéralité et la sobriété sont des vertus morales. |
#243. — Ensuite (1103a3), il divise la vertu d'après la différence faite entre les parties de l'âme. Et il dit qu'on détermine, c'est-à-dire divise, la vertu, d'après la différence faite entre les parties de l'âme. En effet, comme la vertu humaine est celle par laquelle on accomplit bien l'œuvre de l'homme, qui se conforme à la raison, il est nécessaire que la vertu humaine porte sur quelque 47 chose de rationnel. Aussi, comme le rationnel est double, à savoir, par essence et par participation, il s'ensuit que la vertu humaine soit double. L'une d'elles est en ce qui est rationnel par soi, et on l'appelle intellectuelle ; tandis que l'autre est en ce qui est rationnel par participation, c'est-à-dire dans la partie affective de l'âme, et on appelle celle-là morale. Et c'est pourquoi il dit que nous disons que certaines des vertus sont intellectuelles, tandis que d'autres morales. La sagesse, en effet, et l'intelligence et la prudence, on les dit des vertus intellectuelles, mais la libéralité et la sobriété, morales. |
[72948] Sententia Ethic., lib. 1 l. 20 n. 14 Et hoc probat per laudes humanas: quia cum volumus
aliquem de moribus suis laudare, non dicimus quod sit sapiens et intelligens,
sed quod sit sobrius et mitis. Nec solum laudamus aliquem de moribus, sed
etiam laudamus aliquem propter habitum sapientiae. Habitus autem laudabiles
dicuntur virtutes. Praeter ergo virtutes morales, sunt aliquae intellectuales,
sicut sapientia et intellectus et aliquae huiusmodi. Et sic terminatur primus
liber. |
244.- Il prouve cette division par les louanges humaines: lorsqu’on veut louer quelqu'un pour ses mœurs, nous ne disons pas qu'il est sage et intelligent, mais qu’il est sobre et doux. Et non seulement nous louons quelqu'un pour ses mœurs, mais aussi pour sa sagesse. Tous les habitus louables en effet sont appelés vertus. Et donc, au-dessus des vertus morales, il existe certaines vertus intellectuelles, comme la sagesse, l’intelligence, et les vertus de cette sorte. Et ainsi se termine le premier livre. |
#244. — Et il prouve cela à partir des louanges humaines, car lorsque nous voulons louer quelqu'un pour ses mœurs, nous ne disons pas qu'il soit sage et intelligent, mais qu'il est sobre et doux. Et nous ne louons pas quelqu'un pour ses mœurs seulement, mais nous louons aussi quelqu'un pour l'habitus de la sagesse. Or les habitus louables, nous les appelons des vertus. En dehors, donc, des vertus morales, il y a aussi des vertus intellectuelles, comme la sagesse, l'intelligence et d'autres de la sorte. C'est ainsi que se termine le premier livre. |
|
|
|
Liber
2 |
LIVRE 2 : [La vertu] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
|
LIVRE 2 (Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
|
|
DE LA VERTU EN GENERAL ET DE SON ESSENCE. DE QUELLE FACON LES "MEDIETES" SE SITUENT ENTRE LES EXTREMES; COMMENT LES VICES ET LES VERTUS S'OPPOSENT; ET ENFIN, PAR QUELS PRINCIPES NOUS SOMMES CONDUITS AU MILIEU DE LA VERTU. |
|
|
|
|
Lectio
1 |
Leçon 1 : [L’origine de la vertu en nous] |
|
|
Chez
les hommes, la vertu morale s'engendre par la coutume, non par nature: le
signe de cela semble être que ce sont les actes répétés de vertu qui rendent
l'homme vertueux, actes auxquels l'homme n'aurait pas besoin de s'habituer si
la vertu était en nous par nature. |
|
[72949] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1
n. 1 Duplici autem virtute
existente et cetera. Postquam philosophus determinavit ea quae sunt praeambula ad virtutem,
hic incipit de virtutibus determinare. Et dividitur in partes duas. In prima
determinat de ipsis virtutibus. In secunda de quibusdam, quae consequuntur ad
virtutes vel concomitantur eas, in septimo libro, ibi, post haec autem
dicendum aliud facientes principium et cetera. Prima autem pars dividitur in
partes duas: in prima determinat de virtutibus moralibus. In secunda de
intellectualibus, in sexto libro, ibi: quia autem existimus prius dicentes et
cetera. Et ratio ordinis est, quia
virtutes morales sunt magis notae, et per eas disponimur ad intellectuales. Prima autem pars
dividitur in partes duas: in prima determinat ea quae pertinent ad virtutes
morales in communi. In secunda determinat
de virtutibus moralibus in speciali. Et hoc, ibi: quoniam quidem igitur
medietas est et cetera. Prima autem pars dividitur in duas: in prima
determinat de virtute morali in communi. In secunda determinat de quibusdam
principiis moralium actuum, in tertio libro, ibi, virtute itaque et circa
passiones et cetera. Prima autem pars dividitur in partes tres. In prima
inquirit de causa virtutis moralis. In secunda inquirit quid sit virtus
moralis, ibi: post haec autem quid est virtus et cetera. In tertia parte
ostendit quomodo aliquis possit fieri virtuosus, ibi: quoniam quidem igitur
est virtus moralis et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod
virtus moralis causatur in nobis ex operibus; secundo ostendit ex qualibus
operibus causetur in nobis, ibi, quoniam igitur praesens negotium et cetera.
In tertia parte movet quamdam dubitationem circa praedicta, ibi, quaeret autem
utique aliquis et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quae sit
causa generationis virtutis. Secundo quae sit causa corruptionis ipsius, ibi:
adhuc ex eisdem et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod
virtus moralis sit in nobis ex consuetudine operum. Secundo ostendit quod non
est in nobis a natura, ibi: ex quo et manifestum et cetera. Tertio manifestat
quod dixerat, per signum, ibi: testatur autem et quod fit et cetera. |
245.- Après avoir étudié ce qu'on pourrait appeler les préambules à la vertu, le Philosophé commence ici l'étude de la vertu. Ce traité se divise en deux parties. Dans la première, il traite des vertus elles-mêmes; dans la seconde, de ce qui est consécutif ou concomitant à la vertu. Ce dernier point commence au septième livre. La première partie se subdivise en deux: il traite d’abord des vertus morales puis, en second, au sixième livre, des vertus intellectuelles. La raison de cet ordre c'est que les vertus morales sont plus connues et que c'est par elles que nous sommes disposés aux vertus intellectuelles. Le traité des vertus morales comprend lui-même deux parties. Dans la première, il détermine ce qui appartient à la vertu morale en général; dans la seconde, il traite de chacune des vertus morales en particulier. La première partie comprend deux points: une étude de la vertu morale en général; puis, l'examen d'un certain nombre de principes de la vertu. Ce dernier point constitue la majeure partie du troisième livre. L’étude de la vertu morale en général se fait en trois temps: dans le premier, il s'enquiert de la cause de la vertu morale; dans le second, il recherche ce qu'est la vertu morale; dans le troisième, il montre comment quelqu’un peut devenir vertueux. Pour déterminer la cause de la vertu, il fait une triple besogne. Il montre, en premier, que ce sont les opérations qui causent en nous la vertu morale; eh second, il montre quelles sortes d’opérations engendrerait cette vertu; en troisième, il répond à une certaine difficulté qui découle de l'exposé. Quand il nous montre que la cause de la vertu est l'opération, il traite et de la cause de la génération de la vertu et de la cause de sa corruption. Sur la cause de la génération de la vertu, il fait une triple réflexion. La première expose que la vertu morale est ne nous par l'habitude des œuvres; la seconde, montre qu'elle n'y est pas par nature; la troisième manifeste tout cela par un signe. |
#245. — Après avoir déterminé ce qui sert de préambules à la vertu, Le Philosophe commence à déterminer des vertus. Et cela se divise en deux parties. Dans la première, il détermine des vertus elles-mêmes (1103a14). Dans la seconde, de choses qui s'ensuivent des vertus, ou les accompagnent; c'est au septième livre (1145a15). Puis la première partie se divise en deux parties. Dans la première, il détermine des vertus morales. Dans la seconde, des intellectuelles, au sixième livre (1138b18). Et la raison de [cet] ordre est que les vertus morales sont plus connues et que par elles nous nous disposons aux intellectuelles. La première partie se divise encore en deux parties. Dans la première, il détermine de ce qui appartient aux vertus morales en commun. Dans la seconde, il détermine des vertus morales en détail (1115a6). La première se divise encore en deux parties. Dans la première, il détermine de la vertu morale en commun. Dans la seconde, il détermine de certains principes des actes moraux, au troisième livre (1109b30). La première partie se divise encore en trois parties. Dans la première, il enquête sur la cause de la vertu morale. Dans la seconde, il cherche ce qu'est la vertu morale (1105b19). Dans la troisième partie, il montre comment on peut devenir vertueux (1109a20). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la vertu morale est causée en nous par des opérations. En second, il montre par quelles opérations elle est causée en nous (1103b26). Dans la troisième partie, il soulève une difficulté sur ce qui a été dit (1105a17). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre quelle est la cause de la génération de la vertu. En second, quelle est la cause de sa corruption (1103b6). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose que la vertu morale est en nous à force d'habitude. En second, il montre qu'elle n'est pas en nous par nature (1103a18). En troisième, il manifeste par un signe ce qu'il avait dit (1103b2). |
[72950] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1
n. 2 Dicit ergo primo quod, cum
duplex sit virtus, scilicet intellectualis et moralis, intellectualis virtus
secundum plurimum et generatur et augetur ex doctrina. Cuius ratio est, quia
virtus intellectualis ordinatur ad cognitionem, quae quidem acquiritur nobis
magis ex doctrina quam ex inventione. Plures enim sunt, qui possunt
cognoscere veritatem ab aliis addiscendo quam per se inveniendo. Plura etiam unusquisque inveniens ab alio didicit quam
per seipsum inveniat. Sed quia in addiscendo non proceditur in infinitum,
oportet quod multa cognoscant homines inveniendo. Et quia omnis cognitio nostra ortum habet a sensu et ex
multotiens sentire aliquid fit experimentum. Ideo consequens est quod
intellectualis virtus indigeat experimento longi temporis. |
246.- Il dit d'abord que la vertu étant double, à savoir intellectuelle et morale, la vertu intellectuelle est surtout engendrée et développée par la doctrine. La raison en est que la vertu intellectuelle est ordonnée à la connaissance que nous acquérons beaucoup plus par l'enseignement que par l’invention (recherche personnelle). Il y a plus d'hommes qui peuvent connaître la vérité en l'apprenant des autres que par invention personnelle. Cependant, parce qu’en apprenant lion ne procède pas l'infini, il faut que les hommes connaissent beaucoup de choses par invention. Et parce que toute notre connaissance a son origine dans le sens et que la multiplicité des sensations sur un même objet produit l'expérience, il s'ensuit que la vertu intellectuelle a besoin d'une longue expérience (Patience et longueur de temps). |
#246. — Il dit donc en premier que, comme la vertu est double, à savoir intellectuelle et morale, la vertu intellectuelle s'engendre à la fois et s'augmente, la plupart du temps, par enseignement. Et la raison en est que la vertu intellectuelle est ordonnée à la connaissance. Or celle-ci, bien sûr, nous est acquise davantage par enseignement que par découverte. Il y en a plus, en effet, qui peuvent connaître la vérité en l'apprenant d'autres qu'en la découvrant par eux-mêmes. Et même pour ceux qui font des découvertes, chacun en apprend plus de quelqu'un d'autre qu'il n'en découvre lui-même. Mais comme, en apprenant, on ne procède pas à l'infini, il faut bien que l'on connaisse beaucoup de [choses] en les découvrant. Or comme toute notre connaissance tient sa source du sens, et qu'à sentir plusieurs fois quelque chose on en forme une expérience, il s'ensuit que la vertu intellectuelle a besoin d'un long temps d'expérience. |
[72951] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1
n. 3 Sed moralis virtus fit ex
more, idest ex consuetudine. Virtus enim moralis est in parte appetitiva.
Unde importat quamdam inclinationem in aliquid appetibile. Quae quidem
inclinatio vel est a natura quae inclinat in id quod est sibi conveniens, vel
est ex consuetudine quae vertitur in naturam. Et inde est quod nomen virtutis
moralis sumitur a consuetudine, parum inde declinans. Nam in Graeco ethos
per e breve scriptum significat morem sive moralem virtutem, ythos autem
scripta per y Graecum quod est quasi e longum significat consuetudinem. Sicut etiam apud nos nomen moris quandoque significat
consuetudinem, quandoque autem id quod pertinet ad vitium vel virtutem. |
247.- Mais la vertu morale, elle, est le fruit de la coutume, c'est-à-dire de l'habitude. Elle est, en effet, subjectée dans la partie appétitive. De là vient qu'elle comporte une certaine inclination vers un appétible. Et cette inclination est soit de la nature qui incline vers ce qui lui convient, soit de la coutume qui devient nature. C’est ainsi que le mot "moral" tire son nom du mot "habitude" légèrement modifié. Car, en grec, le mot ethos qui commence par la voyelle brève epsilon, signifie les mœurs ou la vertu morale, alors que le mot ethos, qui débute par la longue "ê", signifie l'habitude. Il en est ainsi chez-nous: le mot "moral" signifie quelquefois l’habitude, quelquefois ce qui appartient au vice ou à la vertu. |
#247. — Mais la vertu morale se forme par les mœurs, c'est-à-dire par l'habitude. En effet, la vertu morale se situe dans la partie appétitive. Aussi implique-t-elle une inclination à quelque [bien] appétible. Or pareille inclination procède ou bien d'une nature qui incline à ce qui lui convient, ou bien d'une habitude qui tourne en nature. Car en grec, ethos écrit avec un E bref indique les mœurs ou la vertu morale. Ithos, toutefois, écrit avec un H grec qui est long, signifie l'habitude. Tout comme chez nous le mot moralis signifie quelquefois l'habitude, quelquefois par ailleurs ce qui appartient au vice ou à la vertu. |
[72952] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1
n. 4 Deinde cum dicit: ex quo et
manifestum etc., probat ex praemissis, quod virtus moralis non sit a natura,
per duas rationes. Quarum prima talis est. Nihil eorum quae sunt a natura
variatur propter assuetudinem; et hoc manifestat per exemplum: quia cum lapis
naturaliter feratur deorsum, quantumcumque proiciatur sursum, nullo modo
assuescet sursum moveri, et eadem ratio est de igne et de quolibet eorum quae
naturaliter moventur. Et huius ratio est quia ea quae naturaliter agunt, aut
agunt tantum aut agunt et patiuntur. Si agunt tantum, ex hoc non immutabitur
in eis principium actionis et ideo, manente eadem causa, semper remanet
inclinatio ad eumdem effectum. Si autem sic agant quod etiam patiantur, nisi
sit talis passio quae removeat principium actionis, non tolletur inclinatio
naturalis quae inerat. Si vero sit talis passio quae auferat principium
actionis, iam non erit eiusdem naturae. Et sic non erit sibi naturale quod
fuerat prius. Et ideo per hoc quod naturaliter aliquid agit, non immutatur
circa suam actionem. Et similiter etiam si moveatur contra naturam; nisi
forte sit talis motio quae naturam corrumpat; si vero naturale principium
actionis maneat, semper erit eadem actio; et ideo neque in his quae sunt
secundum naturam neque in his quae sunt contra naturam consuetudo aliquid facit.
In his
autem quae pertinent ad virtutes consuetudo aliquid facit. |
248.- Il prouve maintenant, à partir des prémisses, que la vertu morale ne vient pas de la nature par deux raisons. Voici la première. L’habitude n’apporte pas de modification à ce qui est par nature. Ce qu'il manifeste par un exemple: la pierre se portant naturellement vers le bas, malgré une projection répétée vers le haut, elle ne s'habituera jamais en aucune façon à s'y porter. La raison en est que les choses qui agissent naturellement, ou bien sont uniquement actives, ou bien sont actives et passives. Si elles sont purement actives, leur principe d’action ne saurait être transformé: et la cause demeurant la même, l'inclination à produire le même effet demeurera la même. Si, au contraire, elles sont à la fois passives et actives, à moins d'une passion telle qu'elle supprime leur principe d'action, l'inclination naturelle qui leur était intrinsèque ne saurait être supprimée. Et si la passion est telle qu’elle détruit le principe d’action, il y aura une autre nature; et ainsi, la nature ou le naturel ne sera plus pour elles ce qu’il était auparavant. Et c'est pourquoi, du fait qu’une chose agit naturellement, elle n’est pas modifiée dans son action. Et le cas est semblable si on la meut contre nature: a moins peut-être que la motion soit telle qu’elle détruise sa nature. Si le principe naturel de l'action demeure, l'action demeurera toujours la même. C'est pourquoi l'habitude n'apporte pas de changement dans ce qui se fait selon la nature ou contre nature. |
#248. — Ensuite (1103a18), il prouve avec deux raisons, à partir de ce qu'il a énoncé, que la vertu morale n'est pas par nature. Et la première d'entre elles est comme suit. Parmi les [choses] qui sont par 50 nature, aucune ne varie par raison d'accoutumance. Ce qu'il manifeste par un exemple: la pierre se porte naturellement vers le bas; aussi, autant de fois qu'on la projette vers le haut, elle ne s'habitue d'aucune manière à se mouvoir vers le haut. Et la raison en est que ce qui agit naturellement, ou bien agit seulement, ou bien agit et subit. Si cela agit seulement, le principe d'action ne se change pas par là en lui. Tant que demeure la même cause, l'inclination au même effet demeurera toujours. Si par ailleurs cela agit de manière à subir aussi, mais ne subisse pas au point que le principe d'action en soit retiré, l'inclination naturelle qui lui appartenait ne sera pas enlevée. Si cependant cela subit au point qu'en soit détruit son principe d'action, il ne sera désormais plus de la même nature. De sorte que ne lui sera plus naturel ce qui l'était auparavant. C'est pourquoi aussi on ne se trouve pas transformé quant à son action du fait qu'on agisse naturellement. Et il en va semblablement aussi si on est mu contre nature; à moins peut-être que le mouvement soit au point de corrompre la nature. Mais si le principe naturel d'action demeure, il y aura toujours la même action. Et c'est pourquoi l'habitude n'a aucun effet en ce qui agit conformément à sa nature et en ce qui va contre nature. |
[72953] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1
n. 5 Cuius ratio est, quia
virtus moralis pertinet ad appetitum, qui operatur secundum quod movetur a
bono apprehenso. Et ideo simul cum hoc quod multoties operatur oportet quod multoties
moveatur a suo obiecto. Et ex hoc
consequitur quamdam inclinationem ad modum naturae, sicut etiam multae guttae
cadentes lapidem cavant. Sic igitur patet quod virtutes morales neque sunt in
nobis a natura neque sunt nobis contra naturam. Sed inest nobis naturalis
aptitudo ad suscipiendum eas, in quantum scilicet vis appetitiva in nobis
nata est obedire rationi. Perficiuntur autem in nobis per assuetudinem,
inquantum scilicet ex eo quod multoties agimus secundum rationem, imprimitur
forma rationis in vi appetitiva, quae quidem impressio nihil aliud est quam
virtus moralis. |
249.- La raison en est que vertu morale appartient à l'appétit, qui opère en autant qu'il est mû par le bien appréhendé. De là vient qu'il doit être mû par son objet aussi souvent qu'il opère. Et donc, il s'ensuit une certaine inclination par mode de nature, comme le trou creusé dans la pierre par la multitude des gouttes d'eau qui y tombent. Il apparaît donc que les vertus morales ne sont pas en nous par nature, ni ne sont pour nous contre nature. Mais il y a en nous une aptitude naturelle à les recevoir, à savoir en tant que l'appétit sensitif est en nous naturellement apte à obéir à la raison. Ces vertus sont perfectionnées en nous par l’habitude du fait qu’en agissant souvent conformément à la raison, une forme provenant de la motion répétée de la raison s'imprime dans la faculté appétitive. Cette impression n’est rien d'autre que la vertu morale. |
#249. — Et la raison en est que la vertu morale appartient à l'appétit, qui opère pour autant qu'il est mu par un bien perçu. Aussi faut-il bien, lorsqu'il opère plusieurs fois, qu'il soit plusieurs fois mu par son objet. Et à partir de là il suit une certaine inclination à la manière de la nature, comme aussi une multitude de gouttes creusent une pierre en tombant dessus. Ainsi donc, il devient manifeste que les vertus morales ne se trouvent pas en nous par nature, et qu'elles ne se trouvent pas non plus en nous contre nature. C'est plutôt une aptitude naturelle à les recevoir qui nous appartient, pour autant qu'en nous la force appétitive est de nature à obéir à la raison. Elles se parfont par ailleurs en nous par l'accoutumance, pour autant que de ce que nous agissons plusieurs fois en conformité à la raison, une forme s'imprime, de par la force de la raison, dans l'appétit. Et cette impression, certes, ce n'est rien d'autre que la vertu morale. |
[72954] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1 n. 6 Secundam rationem ponit ibi adhuc quaecumque natura
quidem et cetera. Quae talis est. In omnibus illis, quae nobis insunt ex
natura, prius inest nobis potentia quam operatio. Et hoc patet in sensibus.
Non enim ex hoc, quod multoties vidimus vel audivimus, accepimus sensum visus
et auditus. Sed e converso ex hoc, quod habuimus hos sensus, uti eis
coepimus, non autem ex hoc quod eis usi sumus factum est, ut eos haberemus. Sed operando
secundum virtutem accepimus virtutes, sicut etiam contingit in artibus
operativis, in quibus homines faciendo addiscunt ea quae oportet eos facere
postquam didicerint, sicut aedificando fiunt aedificatores et cytharizando
cytharistae. Et similiter operando iusta, aut temperata, aut fortia, fiunt
homines iusti, aut temperati, aut fortes. Ergo huiusmodi virtutes non sunt in
nobis a natura. |
250.- Il donne la seconde raison que voici : parmi tout ce qui est en nous par nature, la puissance existe en nous avant l'opération. Ce qui est évident dans le cas des sens. Ce n'est pas parce que nous avons entendu ou vu quantité de fois que nous acquérons les sens de la vue et de l'ouïe mais, au contraire, c'est parce que nous possédions ces sens que nous avons commencé à nous en servir. L'usage de ces sens n’est pas la cause de leur acquisition. Mais c'est en opérant selon la vertu que nous l'acquérons, comme il arrive d’ailleurs dans les arts opératifs où l'homme, en fabriquant, apprend ce qu'il faut faire après l'avoir appris. Ainsi, c'est en construisant qu'on devient constructeur et c'est en jouant de la cithare qu’on devient cithariste. Et, pareillement, c'est en opérant des actions justes, ou tempérées, ou courageuses, que l’homme devient juste, tempéré et fort. Donc, les vertus de cette sorte ne sont pas en nous par nature. |
#250. — Il amène une seconde raison (1103a26), qui est comme suit. En tout ce qui nous appartient de nature, la puissance nous appartient avant l'opération. Et cela est manifeste dans les sens. Car ce n'est pas du fait que nous voyions ou entendions plusieurs fois que nous recevons le sens de la vue et de l'ouïe. Mais c'est au contraire de ce que nous avons ces sens que nous commençons à en user; et ce n'est pas du fait que nous en usons que nous les aurons. Or c'est en opérant conformément à la vertu que nous acquérons les vertus, de même qu'il arrive aussi dans les arts opératifs, où c'est en faisant que les hommes apprennent ce qu'il faut faire une fois qu'on l'a appris. Comme c'est en construisant qu'on devient constructeur et en jouant de la cithare qu'on devient cithariste. De manière semblable, c'est aussi en exécutant des [actions] justes, ou tempérées, ou courageuses, qu'on devient juste, ou tempérant, ou courageux. En conséquence, les vertus de cette sorte ne se trouvent pas en nous par nature. |
[72955] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1 n. 7 Deinde cum dicit: testatur autem etc., manifestat quod
dixerat, per signum. Et dicit quod ei quod dictum est, quod operando efficimur virtuosi,
attestatur hoc quod fit in civitatibus; quia legislatores assuefaciendo
homines per praecepta, praemia et poenas ad opera virtutum, faciunt eos
virtuosos. Et ad hoc debet fieri intentio cuiuslibet legislatoris, qui vero
hoc non bene faciunt, peccant in legislatione. Et horum civilitas differt a
recta civilitate secundum differentiam boni et mali. |
251.- Il manifeste son énoncé par un signe. Il dit qu'un témoignage en faveur de son énoncé: "c’est en opérant qu'on devient vertueux ", se retrouve dans ce qui se fait dans les cités: les législateurs, en accoutumant les hommes par les préceptes, les récompenses et les peines aux œuvres vertueuses, rendent les hommes vertueux. Cela doit être l’intention de chaque législateur. Ceux qui ne le font pas dans leur législation, pèchent. Et ces cités diffèrent de la vraie politique comme le bien diffère du mal. |
#251. — Ensuite (1103b2), il manifeste par un signe ce qu'il avait dit. Il dit donc que ce qui se passe dans les cités témoigne en faveur de ce qui a été dit, que c'est en agissant qu'on devient vertueux; car les législateurs, c'est en habituant les hommes aux œuvres des vertus par des préceptes, des récompenses et des punitions qu'ils les rendent vertueux. Et c'est à cela que doit se porter l'intention de n'importe quel législateur. Et ceux au contraire qui ne font pas bien cela sont fautifs dans leur législation. Et leur politique diffère d'une politique correcte par la différence du bien et du mal. |
[72956] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1 n. 8 Deinde cum dicit: adhuc ex eisdem etc., ostendit quod
ex operibus corrumpitur virtus. Et primo ostendit propositum. Secundo infert
quoddam corollarium ex dictis, ibi, propter quod oportet, et cetera. Dicit
ergo primo, quod eadem sunt principia ex quibus diversimode acceptis, fit et
corrumpitur virtus. Et similiter est de qualibet arte. Et manifestat hoc
primo in artibus, quia ex hoc quod citharizant aliqualiter homines fiunt et
boni et mali cytharistae, si proportionaliter accipiatur. Et eadem ratio est
de aedificatoribus et de omnibus aliis artificibus, quia ex hoc quod
frequenter bene aedificant fiunt boni aedificatores, et ex male aedificando
mali. Et si hoc non esset verum, non indigerent homines ad addiscendum
huiusmodi artes aliquo docente qui dirigeret eorum actiones, sed omnes,
qualitercumque operarentur, fierent vel boni vel mali artifices. Et sicut se
habet in artibus, ita se habet in virtutibus.
|
252.- Il manifeste que c'est par les mêmes opérations que la vertu s’engendre et se corrompt. En premier, il démontre son propos; en second, il tire de là un certain corollaire. Il dit donc en premier que ce sont les mêmes principes qui, reçus différemment, engendrent ou détruisent la vertu. Le cas est semblable pour tous les arts. Ce qu'il manifeste tout d'abord dans les actes: c'est la façon dont un cithariste joue qui le fera devenir bon ou mauvais instrumentiste. La même explication se retrouve dans les arts de la construction et dans tous les arts. Car, du fait qu'ils construisent bien, ils deviennent la plupart du temps bons constructeurs, et, du fait qu'ils construisent souvent d'une mauvaise façon, ils deviennent mauvais constructeurs. Et si cela n'était pas vrai, les hommes n'auraient pas besoin de maitres d'œuvres ou d'instructeurs (d'hommes les dirigeant dans leurs actions) pour apprendre ces arts; tous, opérant d'une façon quelconque, deviendraient bons ou mauvais artisans. Et comme il en est dans les arts, il en est dans les vertus. |
#252. — Ensuite (1103b6), il montre que c'est par les mêmes œuvres que se forme et se corrompt la vertu. Et en premier il montre son propos. En second, il en infère un corollaire (1103b22). Il dit donc en premier que ce sont des mêmes principes que, pris de manière différente, se forme et se corrompt la vertu. Il en va semblablement de n'importe quel art. Il manifeste cela d'abord dans les actes: car de ce qu'on joue de la cithare d'une manière, on devient et bon et mauvais cithariste, en le prenant en la proportion [pertinente]. La même raison vaut pour les constructeurs, et pour tous les autres artisans. Car de ce qu'on construit bien fréquemment on devient bon constructeur et de ce qu'on construit mal, mauvais. Et si cela n'était pas vrai, on n'aurait pas besoin, pour acquérir des arts de cette sorte, d'un maître qui dirige nos actions; car tous, de quelque façon qu'ils opèrent, deviendraient de bons ou de mauvais artisans. Et comme il en est des arts, ainsi en va-t-il des vertus. 51 |
[72957] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1 n. 9 Qui enim in commutationibus quae sunt ad homines bene
operantur, fiunt iusti, qui autem male, iniusti; et similiter qui operantur
in periculis et assuescunt timere vel confidere, si hoc bene faciunt fiunt
fortes; si autem male, timidi. Et ita est etiam de temperantia et mansuetudine
circa concupiscentias et iras. Et universaliter, ut uno sermone dicatur, ex
similibus operationibus fiunt similes habitus.
|
253.- En effet, ceux qui opèrent bien dans les échanges qui sont relatifs aux hommes, deviennent justes; ceux qui agissent mal, deviennent injustes. Et, pareillement, ceux qui affrontent les dangers et s'habituent à craindre ou à avoir confiance, s'ils le font bien, ils deviennent courageux; s'ils le font mal, ils deviennent timides (lâches). Ainsi en est-il de la tempérance et de la mansuétude à propos des concupiscences et des colères. Et donc, pour résumer en une seule phrase, on peut dire en général qu'à partir d'opérations semblables on construit des habitus semblables. |
#253. — En effet, ceux qui agissent bien dans les échanges qui se font entre les hommes deviennent justes; et ceux qui agissent mal, injustes. Et semblablement, ceux qui agissent face aux dangers et s'habituent à craindre ou à montrer de l'assurance, s'ils le font bien ils deviennent courageux; mais s'ils le font mal, [ils deviennent] lâches. Ainsi en est-il encore de la tempérance et de la douceur en regard des désirs et des colères. Et universellement, pour le dire en une phrase, c'est par des agissements semblables que se forment les habitus semblables. |
[72958] Sententia Ethic., lib. 2 l. 1 n. 10 Deinde cum dicit propter quod oportet etc., concludit
ex praemissis quod oportet studium adhibere quales operationes aliquis
faciat; quia secundum harum differentiam sequuntur differentiae habituum. Et
ideo ulterius concludit quod non parum differt, quod aliquis statim a
iuventute assuescat vel bene vel male operari; sed multum differt; quin
potius totum ex hoc dependet. Nam ea quae nobis a pueritia imprimuntur,
firmius retinemus. |
254.- Il dit donc qu'il faut apporter attention et considération à la sorte d'opérations que quelqu'un fait: car la différence des opérations fait la différence des habitus. Il conclut donc qu'il ne diffère pas peu que quelqu'un soit habitué aussitôt dès sa jeunesse à bien ou à mal agir; mais il y a une différence énorme, puisque tout dépend de cela. En effet, nous retenons avec plus de fermeté ce qu'on nous a inculqué dès le début. |
#254. — Ensuite (1103b22), il dit qu'il faut porter attention au choix de nos opérations; car c'est leur différence qui entraîne les différences de nos habitus. Aussi conclut-il encore que cela ne fait pas qu'une petite différence que dès la jeunesse on s'habitue tout de suite ou à bien ou à mal agir; que cela, au contraire, fait beaucoup de différence, si même tout ne dépend pas de cela. En effet, ce qui s'imprime en nous dès le début, nous le retenons plus fermement. |
|
|
|
Lectio
2 |
Leçon 2 : [La vertu est dans le juste milieu] |
|
|
LES OPERATIONS QUI ENGENDRENT L’HABITUS DE LA VERTU DOIVENT ETRE CONFORMES A LA DROITURE ET SONT CELLES QUI NE SONT GATEES NI PAR DEFAUT NI PAR EXCES, MAIS QUI SONT SAUVEGARDEES PAR LA MEDIETE. CE QU'ARISTOTE NOUS MONTRE EN COMPARANT LES VERTUS CORPORELLES AU RAPPORT QUI VA DES ACTIONS AUX VERTUS ET AUX OPERATIONS DE L'AME. |
|
[72959] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 1 Quoniam igitur praesens
negotium et cetera. Postquam philosophus ostendit quod virtutes causantur in
nobis ex operationibus, hic inquirit quomodo hoc fiat. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit quales sint operationes ex quibus virtus causatur in
nobis. Secundo ostendit quid sit signum virtutis iam generatae in nobis, ibi,
signum autem oportet facere, et cetera. Circa primum tria facit. Primo
ostendit necessitatem praesentis inquisitionis. Secundo determinat modum
inquirendi, ibi, illud autem praeconfessum sit, et cetera. Tertio ostendit ex
qualibus operationibus causantur virtutes. Circa primum duo facit. Primo
ostendit necessitatem praesentis inquisitionis. Secundo ostendit quid
oporteat hic supponere, ibi, secundum rectam quidem igitur et cetera. Circa
primum considerandum est, quod in speculativis scientiis in quibus non
quaeritur nisi cognitio veritatis, sufficit cognoscere quae sit causa talis
effectus. Sed in scientiis operativis, quarum finis est operatio, oportet
cognoscere qualibus motibus seu operationibus talis effectus a tali causa
sequatur. |
255.- Après avoir montré que ce sont les opérations qui causent en nous les vertus, le Philosophe recherche de quelle manière cela a lieu. Là-dessus sa recherche est double. En premier, il montre quelles sont les opérations qui causent en nous les vertus. En second, il montre quel est le signe de la vertu déjà acquise. Son premier point se divise en trois parties. Il montre en premier la nécessité de la présente recherche; en second, il détermine la méthode de la recherche; en troisième, il montre quelles sont les opérations qui causent les vertus. Au sujet de la nécessité, il fait double réflexion: il montre la nécessité de la présente inquisition, puis il montre ce qu'il faut ici présupposera En ce qui concerne la nécessité d'étudier la présente question, il faut considérer que dans les sciences spéculatives où l'on ne recherche que la connaissance de la vérité, il suffit de connaître quelle est la cause de tel effet. Mais dans les sciences pratiques, dont la fin est l'opération, il faut connaître par quels mouvements ou opérations tel effet est produit par telle cause. |
#255. — Après avoir montré que les vertus sont produites en nous par nos actions, le Philosophe examine ici comment cela se fait. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier (1103b26), il montre quel type d'actions produisent en nous la vertu. En second (1104b3), il montre quel signe manifeste la vertu déjà engendrée en nous. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre la nécessité du présent examen. En second (1103b34), il traite de la façon de faire l'examen. En troisième (1104a11), il montre quelles actions produisent les vertus. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre la nécessité du présent examen. En second (1103b31), il montre ce qu'il y a à supposer ici. Pour le premier [point], il est à noter que, dans les sciences spéculatives, dans lesquelles on ne cherche que la connaissance de la vérité, il suffit de connaître quelle cause a chaque effet. Mais dans les sciences opératives, dont la fin est l'action, il faut connaître par quels mouvements, ou actions, chaque effet suit de chaque cause. |
[72960] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 2 Dicit ergo, quod praesens
negotium, scilicet moralis philosophiae, non est propter contemplationem
veritatis, sicut alia negotia scientiarum speculativarum, sed est propter
operationem. Non enim in hac scientia scrutamur quid est virtus ad hoc solum ut
sciamus huius rei veritatem; sed ad hoc, quod acquirentes virtutem, boni
efficiamur. Et huius rationem assignat:
quia si inquisitio huius scientiae esset ad solam scientiam veritatis, parum
esset utilis. Non enim magnum quid est, nec multum pertinens ad perfectionem
intellectus, quod aliquis cognoscat variabilem veritatem contingentium
operabilium, circa quae est virtus. Et quia ita est, concludit, quod necesse
est perscrutari circa operationes nostras, quales sint fiendae. Quia, sicut supra
dictum est, operationes habent virtutem et dominium super hoc, quod in nobis
generentur habitus boni vel mali. |
256.- Il dit donc que le présent travail, à savoir celui de la philosophie morale, n'est pas en vue de la contemplation de la vérité, comme d'ailleurs le sont les autres recherches des sciences spéculatives, mais est en vue de l'opération. En effet, dans cette science nous ne scrutons pas ce qu'est la vertu uniquement pour savoir sa vérité objective, mais dans le but précis que par l'acquisition de la vertu nous devenions bons. Il en assigne la raison: si l'inquisition de cette science était uniquement en vue de la seule science de la vérité, elle serait peu utile. C'est là une étude de peu de valeur et qui n'appartient guère à la perfection de l'intelligence que de connaître la vérité variable des opérables contingents, sur lesquels portent la vertu. Et, parce qu'il en est ainsi, il conclut qu'il est nécessaire de scruter, à propos des opérations humaines, comment il faut les accomplir. Car, comme on l'a dit plus haut, les opérations ont la puissance et le contrôle de la génération en nous des habitus bons ou mauvais. |
#256. — Il dit donc, que l'intérêt actuel, celui de la philosophie morale, ne vise pas la contemplation de la vérité, comme celui des sciences spéculatives, mais vise l'action. Dans cette science, en effet, nous ne sondons pas ce qu'est la vertu simplement pour connaître la vérité à son sujet; mais pour qu'en acquérant la vertu, nous devenions bons. Il en donne la raison: c'est que si l'étude de cette science visait la simple connaissance de la vérité, elle serait peu utile. Ce n'est pas grand chose, en effet, ni très pertinent à la perfection de l'intelligence, de connaître la vérité variable des actions contingentes à poser, sur lesquelles, justement, porte la vertu. Comme il en est ainsi, il conclut qu'il est nécessaire de sonder, à propos de nos actions, lesquelles il faut faire. Car, comme il a été dit plus haut (#248-253), nos actions ont pouvoir et maîtrise sur le fait que ce soient des habitus bons ou mauvais qui soient engendrés en nous. |
[72961] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 3 Deinde cum dicit: secundum
rectam quidem igitur etc., ostendit quid oporteat in ista inquisitione
supponere. Et dicit quod hoc debet supponi tamquam quiddam commune circa
qualitatem operationum causantium virtutem, quod scilicet sint secundum
rationem rectam. Cuius ratio est, quia bonum cuiuslibet rei est in hoc quod
sua operatio sit conveniens suae formae. Propria autem forma hominis est
secundum quam est animal rationale. Unde oportet quod operatio hominis sit
bona ex hoc, quod est secundum rationem rectam. Perversitas enim rationis
repugnat naturae rationis. Posterius autem determinabitur, scilicet in sexto
libro, quid sit recta ratio, quae scilicet pertinet ad virtutes
intellectuales, et qualiter se habeat ad alias virtutes, scilicet ad morales. |
257.- Il montre qu'il faut présupposer, à la manière d’un principe commun touchant la qualité des opérations qui causent la vertu, que ces opérations soient conformes à la raison droite. La raison en est que le bien de chaque chose consiste en ce que son opération convienne (soit con-forme) à sa forme. Or, la forme propre de l'homme est celle selon laquelle il est animal raisonnable. Il faut donc que l'opération de l'homme soit bonne du fait qu’elle est conforme à la raison droite. En effet, la perversité de la raison répugne à la nature de la raison. On déterminera plus loin, au sixième livre, ce qu'est la raison droite, à savoir celle qui relève des vertus intellectuelles. On déterminera en même temps les rapports entre la raison droite et les autres vertus, c'est-à-dire les vertus morales. |
#257. — Ensuite (1103b31), il montre que l'on doit supposer comme [notion] commune sur la qualité des actions qui produisent la vertu, qu'elles soient conformes à la raison droite. La raison en est que le bien de n'importe quoi réside en ce que son opération convienne à sa forme. Or la forme propre de l'homme est celle dont il tient d'être un animal rationnel. Aussi faut-il bien que l'opération d'un homme soit bonne du fait de se conformer à la raison droite. En effet, la perversité de la raison répugne à la nature de la raison. Plus loin, par ailleurs, au sixième livre (#1109), on traitera de ce qu'est la raison droite, qui relève des vertus intellectuelles, et quel rapport elle entretient avec les autres vertus, les vertus morales. |
[72962] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 4 Deinde cum dicit: illud
autem praeconfessum sit etc., determinat modum inquirendi de talibus. Et
dicit, quod illud oportet primo supponere, quod omnis sermo qui est de
operabilibus, sicut est iste, debet tradi typo, idest exemplariter,
vel similitudinarie, et non secundum certitudinem; sicut dictum est in
prooemio totius libri. Et hoc ideo, quia sermones sunt exquirendi secundum
conditionem materiae, ut ibi dictum est, videmus autem, quod ea quae sunt in
operationibus moralibus et illa quae sunt ad haec utilia, scilicet bona
exteriora, non habent in seipsis aliquid stans per modum necessitatis, sed omnia
sunt contingentia et variabilia. Sicut etiam accidit in operationibus
medicinalibus quae sunt circa sana, quia et ipsa dispositio corporis sanandi
et res quae assumuntur ad sanandum, multipliciter variantur. |
258.- Il détermine la méthode de recherche dans de telles questions. Et il dit qu’il faut d’abord supposer que tout discours qui porte, comme celui-ci, sur les opérables, doit être donné "de façon schématique", par des exemples ou par des similitudes (analogies), et non selon la certitude, ainsi qu'on l’a souligné dans l’introduction. Et cela, parce que les discours doivent s'adapter à la condition de la matière, comme on l’a dit au même endroit, Or, nous voyons que ce qui appartient aux opérations morales et ce qui est utile à ces opérations; à savoir les biens extérieurs, nia pas en soi quelque chose de stable par mode de nécessité, mais est contingent et variable. Comme il arrive aussi dans les œuvres médicales qui portent sur ce qui a trait à la santé. Car la disposition du corps à guérir et tout ce qui sert à la guérison varient de multiples façons. |
#258. — Ensuite (1103b34), il traite de la façon de faire l'examen de telles [choses]. Il dit qu'en premier, il faut admettre que tout discours sur les actions à poser, comme celui-ci, doit être fait en gros, c'est-à-dire par mode d'exemples, ou de similitudes, et non en toute certitude; cela a déjà été dit dans le prologue à tout le livre (#24). C'est que les discours sont à proportionner à la condition de la 52 matière, comme il a été dit au même endroit (#32). Nous observons, d'ailleurs, que ce qui intervient dans les actions morales, et tout ce qui leur est utile, comme les biens extérieurs, n'a pas en soi du stable et du nécessaire, mais est tout entier contingent et variable. Il en va de même dans les actes médicaux, qui touchent à la santé, puisque la disposition même du corps à guérir et ce qui sert à le guérir varient de bien des manières. |
[72963] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 5 Et cum sermo moralium
etiam in universalibus sit incertus et variabilis, adhuc magis incertus est
si quis velit ulterius descendere tradendo doctrinam de singulis in speciali.
Hoc enim non cadit neque sub arte, neque sub aliqua narratione, quia casus
singularium operabilium variantur infinitis modis. Unde iudicium de singulis
relinquitur prudentiae uniuscuiusque, et hoc est quod subdit, quod oportet
ipsos operantes per suam prudentiam intendere ad considerandum ea quae
convenit agere secundum praesens tempus, consideratis omnibus particularibus
circumstantiis; sicut oportet medicum facere in medicando, et gubernatorem in
regimine navis. Quamvis autem hic sermo sit talis, id est in universali
incertus, in particulari autem inenarrabilis, tamen attentare debemus, ut
aliquod auxilium super hoc hominibus conferamus, per quod scilicet dirigantur
in suis operibus. |
259.- Et puisque, même dans ses considérations générales, le discours qui traite des questions morales et incertain et variable, ii le devient davantage si quelqu’un veut descendre jusqu'au particulier pour traiter spécialement des cas singuliers. Le cas singulier ne relève, en effet, ni de l’art ni d’aucune narration: les causes des opérables singuliers varient d:une infinité de façons. Voilà pourquoi le jugement de chaque cas singulier est laissé à la prudence de chacun. et de là vient qu'il faut que les opérants eux-mêmes tentent de considérer, par leur prudence, ce qu’il convient de faire d'après le moment même de l'action, toutes les autres circonstances particulières ayant été pesées. C'est d ailleurs ce que doit faire le médecin en soignant, et le pilote en gouvernant son navire. Or, bien que le discours moral soit tel, c'est-à-dire incertain dans son universalité et indescriptible dans son application singulière, nous devons quand même tenter de rendre service à l’homme en lui aidant, par ce discours, à se diriger dans ses œuvres. |
#259. — Comme le discours en [matière] morale est déjà incertain et variable en ce qui concerne l'universel, il est encore plus incertain quand on veut descendre plus bas et enseigner avec exactitude ce qui touche les singuliers. Cela, en effet, ne tombe ni sous un art, ni sous une histoire, du fait que les causes des actions singulières à poser varient d'infinies manières. Aussi le jugement des singuliers est-il laissé à la prudence de chacun. C'est-à-dire que les agents eux-mêmes doivent s'efforcer, avec leur prudence, de voir ce qu'il convient de faire dans la situation présente, en tenant compte de toutes les circonstances particulières, de la façon dont il faut que le médecin le fasse en exerçant la médecine, et le pilote dans la direction du navire. Mais bien que tel soit le discours en cette matière, c'est-à-dire universellement incertain, impossible d'ailleurs à compléter dans le détail, nous devons toutefois essayer de procurer en cela une certaine aide, par laquelle on soit dirigé dans ses actes. |
[72964] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 6 Deinde cum dicit: primum
igitur hoc speculandum etc., ostendit quales operationes sint quae causent
virtutem. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit ex qualibus operationibus
causatur virtus. Secundo ostendit, quod virtus causata similes operationes
producit, ibi, sed non solum generationes, et cetera. Dicit ergo primo, hoc
esse primo considerandum, quod virtutes sive operationes causantes virtutem
natae sunt corrumpi ex superabundantia et defectu. Et ad hoc manifestandum
oportet assumere quaedam manifestiora signa et testimonia; scilicet ea quae
accidunt circa virtutes corporis, quae sunt manifestiores quam virtutes
animae. |
260.- Il montre maintenant la qualité des opérations qui causent la vertu. Et là-dessus il fait une double considération. En premier, il montre à partir de quelles opérations se cause la vertu. En second, il montre qu'une fois la vertu causée elle produit des opérations semblables. Il dit donc, en premier, qu'il faut tout d'abord considérer que les vertus, ou les opérations causant les vertus, sont naturellement aptes à être corrompues par l’excès ou le défaut. Et pour manifester ce point, il faut se servir de signes et de témoignages plus manifestes: a savoir de ce qui se présente dans le cas des vertus corporelles, qui sont plus manifestes que les vertus de l’âme. |
#260. — Ensuite (1104a11), il montre de quel type sont les actions qui produisent la vertu. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre quel type d'actions produisent la vertu. En second (1104a27), que la vertu, une fois produite, produit des opérations semblables. Il dit donc, d'abord, que la chose à considérer en premier, c'est que les vertus, comme les actions qui produisent les vertus, sont de nature à se corrompre par l'excès et le défaut. Pour le manifester, il faut prendre en signes et témoignages plus manifestes ce qui arrive touchant les vertus du corps, plus manifestes que les vertus de l'âme. |
[72965] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2
n. 7 Videmus enim quod
fortitudo corporalis corrumpitur ex superabundantibus gignasiis, id
est exercitiis quibusdam corporalibus (in) quibus aliqui nudi decertabant, eo
quod per nimium laborem debilitatur virtus naturalis corporis; similiter
etiam defectus horum exercitiorum corrumpit fortitudinem corporalem, quia ex
defectu exercitii membra remanent mollia et debilia ad laborandum. Et
similiter etiam est in sanitate. Nam sive aliquis sumat nimis de cibo vel
potu, sive etiam minus, quam oporteat, corrumpitur sanitas. Sed si aliquis
secundum debitam mensuram utatur exercitiis et cibis et potibus, fiet in eo
fortitudo corporalis et sanitas et augebitur et conservabitur. |
261.- En effet, nous voyons que la force corporelle se corrompt par l'excès d'entrainement, par une trop grande abondance d'exercices physiques pratiqués par des nudistes dans les gymnases. L'excès de labeur brise la vigueur naturelle du corps. Pareillement, le défaut ou l'insuffisance de ces exercices corrompt la force physique: le manque d’exercice laisse les membres mous et sans force pour le travail. Or remarque la même chose dans le cas de la santé. La santé, en effet, diminue aussi bien par l'excès du boire et du manger que par l'insuffisance. Mais si quelqu'un se sert selon une juste mesure des exercices et des aliments et des boissons, il devient corporellement vigoureux et sa santé se développe et se conserve. |
#261. — Nous voyons, en effet, que la force corporelle se perd par les excès de gymnases, c'est-à-dire de ces exercices corporels dans lesquels on combattait nu; car trop de travail débilite la vertu naturelle du corps. De manière semblable, le défaut d'exercices corrompt la force corporelle, parce que, par défaut d'exercice, les membres restent mous et faibles devant l'effort. Il en va de même aussi en ce qui a trait à la santé. En effet, que l'on prenne trop de nourriture ou de boisson, ou même moins qu'il ne faut, la santé se perd. Tandis que si on use dans la mesure due d'exercices et de nourritures et de boissons, il se produira de la force corporelle, et la santé augmentera et se conservera. |
[72966] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2 n. 8 Et ita etiam se habet in virtutibus animae, puta
fortitudine et temperantia et aliis virtutibus. Ille enim qui omnia timet et
fugit et nihil sustinet terribilium, efficitur timidus. Et similiter qui
nihil timet, sed ad omnia pericula praecipitanter vadit, efficitur audax. Et
ita est etiam ex parte temperantiae; ille enim qui potitur qualibet voluptate,
et nullam vitat, efficitur intemperatus. Qui autem omnes vitat, sicut homines
agrestes absque ratione faciunt, iste efficitur insensibilis. |
262.- Et ainsi en est-il pour les vertus de l'âme, par exemple, pour la force et la tempérance et les autres vertus. En effet, celui qui craint tout et fuit tout et ne tient bon devant aucune difficulté devient timide (lâche). Et, semblablement, celui qui ne craint rien et se précipite devant tous les dangers, devient audacieux (téméraire). La même chose se voit du côté de la tempérance. Celui qui se laisse aller à jouir de tout plaisir sans se détourner d’aucun devient intempérant, tandis que celui qui fuit tous les plaisirs, comme les rustres, qui le font sans raison, devient insensible. |
#262. — Ainsi en va-t-il dans les vertus de l'âme, par exemple en matière de courage et de tempérance et d'autres vertus. En effet, qui craint et fuit tout, et ne résiste à rien d'effrayant, devient lâche. De manière semblable, qui ne craint rien et se lance précipitamment dans tous les dangers devient téméraire. Ainsi en va-t-il, encore, pour la tempérance. En effet, qui profite de n'importe quelle jouissance, et n'en évite aucune, devient intempérant. Qui, par ailleurs, les évite toutes, comme le font certains sauvages dépourvus de raison, devient insensible. |
[72967] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2 n. 9 Nec tamen ex hoc accipi potest quod virginitas, quae
abstinet ab omni delectatione venerea, sit vitium; tum quia per hoc non
abstinet ab omnibus delectationibus, tum quia ab his delectationibus abstinet
secundum rationem rectam: quemadmodum etiam non est vitiosum quod aliqui
milites abstinent ab omnibus delectationibus venereis, ut liberius vacent
rebus bellicis. Haec autem ideo dicta sunt quia temperantia et fortitudo
corrumpitur ex superabundantia et defectu, a medietate autem salvatur; quae
quidem medietas accipitur non secundum quantitatem, sed secundum rationem
rectam. |
263.- On ne peut tirer de là que la virginité, qui n'abstient de tout plaisir vénérien, soit un vice: et parce qu'elle ne fait pas abstenir de tous les plaisirs et parce qu'elle s'abstient des délectations vénériennes selon la droite raison; de la même manière aussi il n'est pas vicieux que certains soldats s'abstiennent de toutes délectations vénériennes pour vaquer plus librement à la guerre. Les considérations précédentes sont faites parce que la tempérance et la force sont gâtées par l'excès et le défaut, mais sauvegardées par la médiété (le juste milieu). Cette médiété ne se prend pas selon la quantité, mais selon la raison droite. |
#263. — Il ne faut cependant pas tirer de là que la virginité soit un vice, du fait de s'abstenir de tout plaisir sexuel. D'abord, on ne s'abstient pas par là de tout plaisir; ensuite, on s'abstient de ces plaisirs en conformité à la raison droite, de la manière dont ce n'est pas vicieux, comme soldat, de s'abstenir de tout plaisir sexuel, pour vaquer plus librement aux occupations de la guerre. Tout cela soit dit, d'ailleurs, comme quoi la tempérance et le courage se perdent par excès et par défaut, mais se gardent par un milieu, lequel milieu, bien sûr, ne se prend pas en rapport à la quantité, mais en rapport à la raison droite. |
[72968] Sententia Ethic., lib. 2 l. 2 n. 10 Deinde cum dicit: sed non solum generationes etc., ostendit
quod virtus similes operationes producit eis ex quibus generatur. Et dicit
quod ex eisdem operationibus fiunt generationes virtutum et augmentationes et
corruptiones si contrario modo accipiantur, sed etiam operationes virtutum
generatarum in eisdem consistunt. Et hoc patet in corporalibus quae sunt
manifestiora, sicut fortitudo corporalis causatur ex hoc quod potest multum
cibum sumere et multos labores sustinere, et quando factus est fortis, potest
ista maxime facere, ita etiam se habet in virtutibus animae, quia ex hoc quod
recedimus a voluptatibus efficimur temperati; et quando facti sumus
temperati, maxime possumus recedere a voluptatibus. Et similiter se habet in
virtute fortitudinis: quia per hoc quod sumus assueti contemnere et sustinere
terribilia, efficimur fortes, et facti fortes maxime hoc possumus facere:
sicut etiam ignis generatus ex calefactione potest maxime calefacere. |
264.- Il montre que la vertu produit des opérations semblables à celles qui l'ont engendrée. La naissance et l'accroissement des vertus et leur destruction sont le fruit des mêmes activités. Dans le cas de la destruction, ces activités doivent être faites de façon contraire. C’est aussi dans les mêmes actes que les vertus une fois acquises déploieront leur activité. Ce qui se voit facilement dans les vertus corporelles qui sont plus manifestes. En effet, comme la vigueur corporelle est causée par le fait de prendre une nourriture abondante et de supporter de multiples labeurs, cependant qu'une fois devenu vigoureux, l'homme peut accomplir au mieux les mêmes actes, ainsi en est-il, dans les vertus de l'âme. En effet, du fait que nous évitons les plaisirs nous devenons tempérants et, lorsque nous sommes devenus tempérants, nous pouvons au mieux nous abstenir des plaisirs. La même chose se retrouve également dans la vertu de force: "C'est en s'habituant à regarder de haut le danger et à lui faire face qu'on devient courageux, mais une fois courageux, on peut au mieux faire la même chose", Ainsi, le feu qui naît de la chaleur peut ensuite apporter la plus grande chaleur. |
#264. — Ensuite (1104a27), il montre que la vertu produit des actions semblables à celles qui l'engendrent. Il dit que la génération et l'augmentation des vertus s'assurent par les mêmes actes, de même que leur perte si on les prend en sens contraire. Et les opérations des vertus, une fois engendrées, consistent dans les mêmes [actes], ce qui appert encore en matière corporelle, matière plus manifeste. En effet, la force corporelle se développe du fait que l'on prenne beaucoup de nourriture et résiste à beaucoup d'efforts; et quand on est devenu fort, ce sont les mêmes choses qu'on peut faire le plus. Ainsi en va-t-il, dans les vertus de l'âme: car c'est en s'écartant des jouissances que l'on devient tempérant; et, devenu tempérant, c'est là qu'on peut le plus s'écarter des jouissances. Il en va de manière semblable pour la vertu de courage: du fait de s'être accoutumé à mépriser et à résister à 53 des [choses] effrayantes, on devient courageux et, devenu courageux, on peut le plus poser les mêmes actes. De même aussi, c'est le feu, engendré par la chaleur, qui peut le plus réchauffer. |
|
|
|
Lectio
3 |
Leçon 3 : [L’homme vertueux agit bien avec plaisir] |
|
|
"C’EST LE SIGNE D’UNE VERTU ACQUISE QUE LE PLAISIR OU LA TRISTESSE QUI VIENNENT S’AJOUTER AUX ACTES", PREUVE EN EST FAITE: À partir de l'effort de l'homme tendant à la vertu; la matière de la vertu; À partir de la matière de la vertu À partir de la peine qu'on appelle remède de l’âme À partir de ce qui corrompt la vertu. |
|
[72969] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 1 Signum autem oportet
facere et cetera. Postquam philosophus ostendit quales debeant esse
operationes ex quibus causantur virtutes, hic ostendit quid sit signum
virtutis iam generatae. Et circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit.
Secundo probat propositum, ibi, propter voluptatem quidem enim et cetera. Circa primum
considerandum quod, cum virtus similia operetur his operationibus ex quibus
generata est, ut supra dictum est, differt executio huiusmodi operationum
post virtutem et ante virtutem. Nam ante virtutem facit homo sibi quamdam
violentiam ad operandum huiusmodi. Et ideo tales operationes habent aliquam
tristitiam admixtam. Sed post habitum virtutis generatum, huiusmodi
operationes fiunt delectabiliter. Quia
habitus inest per modum cuiusdam naturae. Ex hoc autem est aliquid
delectabile, quod convenit alicui secundum naturam. |
265. - Après avoir montré quelles doivent être les opérations propres à engendrer la vertu, le Philosophe indique "le signe d'une vertu déjà acquise". Là-dessus, il fait une double réflexion. D'abord il propose ce qu'il entend montrer; en second, il le prouve. A propos de cette première partie (où il propose ce qu'il entend démontrer) nous devons considérer ceci: puisque, ainsi qu'on l'a dit plus haut, "la vertu fait produire des opérations semblables à celles qui l’ont engendrée", l'exécution de telles opérations sera différente selon qu’elle aura lieu après ou avant l'acquisition de la vertu. En effet, avant la vertu, l'homme se fera en quelque sorte violence pour agir ainsi: c'est pourquoi, de telles opérations seront mêlées d'une certaine tristesse. Mais une fois que l'habitus de la vertu sera acquis, l'exercice des mêmes opérations se fera avec plaisir. Et cela parce que l'habitus inhère en l'homme à la manière d'une autre. Une chose, en effet, est délectable du fait qu'elle convient à quelqu'un selon sa nature. |
#265. — Après avoir montré quel type d'actions produisent les vertus, le Philosophe montre ici quel est le signe de la vertu déjà engendrée. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier (1104b3), il propose son intention. En second (1104b9), il prouve son propos. Sur le premier [point], il est à noter que, bien que la vertu produit des [actes] semblables aux actions par lesquelles elle est engendrée, comme il a été dit plus haut (#264), l'exécution de ce type d'action diffère après la vertu et avant la vertu. En effet, avant la vertu, on se fait violence à soi-même pour agir de la sorte. C'est pourquoi de telles actions comportent de la tristesse. Mais une fois l'habitus de la vertu engendré, ce type d'actions se fait avec plaisir, du fait qu'un habitus appartient à la manière d'une nature. Or quelque chose plaît du fait de convenir à un [être] selon sa nature. |
[72970] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 2 Dicit ergo hic esse signum
habituum iam generatorum, vel bonorum vel malorum, quod accipitur ex
delectatione vel tristitia, quae supervenit operationibus. Et hoc manifestat
per exempla. Ille enim, qui in hoc gaudet quod recedit a voluptatibus
corporalibus est temperatus, qui autem in hoc tristatur est intemperatus,
quia operatur id quod est contrarium suo habitui. Et similiter ille qui
sustinet pericula delectabiliter, vel ad minus sine tristitia, est fortis.
Specialiter enim in actu fortitudinis sufficit non tristari, ut infra dicetur
in tertio. Ille autem qui cum tristitia pericula sustinet, timidus est.
Causam autem eius quod dictum est assignat ex hoc quod omnis moralis virtus
est circa voluptates et tristitias. |
266.- Le Philosophe dit donc que le signe des habitus bons ou mauvais déjà acquis se prend du plaisir ou de la tristesse qui accompagne les actes. Et il le manifeste par des exemples 0 L'homme qui se plait à s'abstenir des plaisirs corporels est tempérant, car il accomplit ce qui convient à son habitus. Pareillement, celui qui supporte avec plaisir ou du moins sans tristesse les dangers est courageux. En effet, surtout dans l'acte de la force, il suffit de ne pas s'attrister, comme i- nous le dirons plus loin dans le troisième livre. Mais celui qui ne peut supporter les dangers sans tristesse est un timide. Il donne comme cause de l'affirmation précédente le fait que toute vertu morale porte sur les plaisirs ou les tristesses. |
#266. — Il dit donc que le signe d'habitus ou bons ou mauvais déjà engendrés se tire du plaisir ou de la tristesse qui accompagne les actions, ce qu'il manifeste par des exemples. En effet, qui se réjouit à s'écarter des jouissances corporelles est tempérant et opère ce qui convient à son habitus. De manière semblable, qui résiste à des dangers avec plaisir ou, du moins, sans tristesse est courageux. Exceptionnellement, en effet, il suffit, dans l'acte de courage, de ne pas s'attrister, comme on le dira plus loin, au troisième [livre] (#584-585). Enfin, qui résiste aux dangers avec tristesse est lâche. Il met la cause de ce qu'il vient de dire dans le fait que toute vertu morale porte sur des jouissances et des tristesses. |
[72971] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 3 Quod quidem non est sic
intelligendum quasi omnis virtus moralis sit circa voluptates et tristitias,
sicut circa propriam materiam. Materia enim uniuscuiusque virtutis moralis
est id circa quod modum rationis imponit. Sicut iustitia circa operationes
quae sunt ad alterum, fortitudo circa timores et audacias, temperantia circa
quasdam delectationes et tristitias; sed sicut dicetur in septimo huius,
delectatio est principalis finis omnium virtutum moralium. Hoc enim
requiritur in omni virtute morali, ut aliquis delectetur et tristetur in
quibus oportet. Et secundum hoc, hic dicitur quod moralis virtus est circa
voluptates et tristitias, quia intentio cuiuslibet virtutis moralis est ad
hoc quod aliquis recte se habeat in delectando et tristando. |
267.- Cependant, il ne faut pas comprendre par là que toute vertu morale porterait sur le plaisir ou la tristesse comme sur sa matière propre. En effet, la matière propre de chaque vertu morale est ce sur quoi la raison impose son empreinte. Ainsi la justice porte-t-elle sur les actions relatives à autrui; la force, sur les craintes et les audaces; la tempérance, sur certaines délectations. Mais, comme on le dira dans le septième livre, la délectation est la fin principale de toutes les vertus morales, En effet, ce qui est requis dans chacune de ces vertus morales, c’est qu'on se réjouisse ou qu'on s'attriste là où il le faut (dans les choses où on doit ou non s'attrister ou se délecter). C'est dans ce sens qu'il est dit ici que la vertu morale porte sur les plaisirs et sur les tristesses: la finalité de chaque vertu morale est de rectifier l'homme dans la délectation et la tristesse. |
#267. — Cela, bien sûr, n'est pas à comprendre au sens où toute vertu morale porterait sur des jouissances et des tristesses, comme sur sa matière propre. La matière de chaque vertu morale est ce sur quoi la raison impose sa mesure, comme le font la justice, concernant les actions qui ont rapport à quelqu'un d'autre, le courage sur les craintes et les audaces, la tempérance sur les plaisirs. Plutôt, comme il sera dit au septième [livre] de ce [traité] (#1504-1515), le plaisir est la fin principale de toutes les vertus morales. Car cela est requis à toute vertu morale, que l'on se plaise et s'attriste de ce qu'il faut. Pour cela, il dit ici que la vertu morale porte sur des jouissances et des tristesses, du fait que l'intention de toute vertu morale tend à ce que l'on prenne son plaisir et s'attriste de manière correcte. |
[72972] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 4 Deinde cum dicit: propter
voluptatem quidem enim etc., probat propositum. Et primo rationibus sumptis
ex his quae pertinent ad virtutem. Secundo ex parte ipsius hominis virtuosi,
ibi: fiet autem utique nobis et cetera. Circa primum ponit quatuor rationes.
Quarum prima sumitur ex studio hominum tendentium in virtutem. Ostensum est
enim supra quod ex eisdem contrario modo factis, virtus generatur et
corrumpitur. Videmus autem quod propter voluptatem et tristitiam virtus
corrumpitur. Quia propter concupiscentiam delectationum operamur mala,
propter tristitiam autem quam timemus in laboribus honestatis recedimus a bonis,
idest virtuosis operibus. Et ideo, sicut Plato dixit, oportet eum qui tendit
ad virtutem, statim a iuventute aliqualiter manuduci (ut) et gaudeat et
tristetur de quibus oportet. Haec est enim recta disciplina iuvenum ut
assuescant (ut) et delectentur in bonis operibus et tristentur de malis. Et ideo instructores
iuvenum cum bene faciunt applaudunt eis, cum autem male agunt increpant eos. |
268.- Il prouve maintenant son énoncé, Et tout d'abord, à partir de raisons tirées de ce qui appartient à la vertu. En second, à partir de raisons qui concernent l'homme vertueux lui-même. Du côté de la vertu, il pose quatre raisons. La première est prise à partir de l'effort de l’homme tendant à la vertu. En effet, nous avons montré plus haut que la vertu est engendrée ou corrompue par les mêmes actes accomplis de façon contraire Nous voyons, en effet, que la vertu se corrompt par le plaisir et la tristesse. Par recherche du plaisir, nous nous adonnons à des actes mauvais, et par crainte de la tristesse dans les labeurs honnêtes, nous renonçons à l’exercice d'actes bons, c'est-à-dire vertueux. C:est pourquoi, comme Platon l'a dit, il faut qu'on apprenne, dès sa jeunesse, à celui qui veut progresser dans la vertu à se réjouir ou à s'attrister de ce qu'il convient. C'est, en effet, le propre d’une saine éducation que d'habituer le jeune à se réjouir des bonnes actions et à s'attrister des mauvaises. C'est pourquoi, les maîtres s'appliquent à féliciter les jeunes lorsqu'ils font bien et à les réprimander lorsqu'ils font mal. |
#268. — Ensuite (1104b9), il prouve son propos. En premier, par des raisons tirées de ce qui touche la vertu. En second (1104b29), en partant de l'homme vertueux lui-même. Sur le premier [point], il donne quatre raisons. La première s'en tire de l'observation des hommes qui tendent à la vertu. Il a été montré, plus haut (#264, 265), en effet, que la vertu s'engendre et se corrompt à travers des actions de même sorte, mais faites de manière contraire. Nous voyons, en effet, que la vertu se corrompt par la jouissance et la tristesse. Car, à cause du désir de plaisirs, nous faisons du mal, [et] à cause de la tristesse que nous craignons dans nos efforts d'honnêteté, nous nous écartons du bien, c'est-à-dire d'actes vertueux. Aussi, comme Platon l'a dit, il faut que, d'une certaine façon, on conduise par la main dès sa jeunesse celui qui tend à la vertu, de manière à ce qu'il se réjouisse et s'attriste des choses qu'il faut. Voilà, en effet, la discipline correcte pour les jeunes: qu'ils s'habituent à se plaire dans leurs actes bons et à s'attrister pour leurs mauvais. C'est pourquoi les instructeurs des jeunes les applaudissent quand ils agissent bien, et les réprimandent lorsqu'ils agissent mal. |
[72973] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 5 Secundam rationem ponit
ibi adhuc autem si virtutes et cetera. Quae quidem sumitur ex materia
virtutis moralis in hunc modum. Omnis virtus moralis est circa actus, sicut
iustitia, quae est circa emptiones et venditiones et alia huiusmodi, vel
circa passiones, sicut mansuetudo, quae est circa iras: et sic de aliis. Sed ad omnem
passionem sequitur delectatio vel tristitia. Quia passio animae nihil est
aliud quam motus appetitivae virtutis in prosecutionem boni vel in fugam
mali; cum ergo pervenitur in bonum in quod appetitus tendit vel cum vitat
malum, quod refugiebat, sequitur delectatio. Quando
autem est e converso, sequitur tristitia. Sicut iratus quando consequitur
vindictam, laetatur, et similiter timidus quando evadit pericula, quando
autem e contrario se habet tristatur. Relinquitur ergo quod modo praedicto
omnis virtus moralis sit circa delectationes et tristitias sicut circa
quaedam finalia. |
269.- La seconde raison est prise de la matière de la vertu de la façon suivante. Toute vertu morale porte soit sur des actes, comme la justice porte sur les achats et les ventes et les actions de la sorte, soit sur des passions, comme la mansuétude qui porte sur les colères. Ainsi en est-il des autres vertus. Mais toute passion est suivie de plaisir ou de tristesse, car la passion de l’âme n’est rien d’autre qu’un mouvement de la vertu appétive dans la poursuite du bien ou la fuite du mal. Lorsque le bien désiré par l’appétit vient, ou lorsque le mal qu'on fuyait est repoussé, il s'ensuit une délection. Si c’est le contraire qui se produit, alors c’est la tristesse qui survient. Ainsi, lorsque l’homme en colère assouvit sa vengeance, il se réjouit. C'est également une joie pour le timide que d'éviter un danger. Mais quand le contraire a lieu, c'est la tristesse qui arrive. Il s'ensuit donc que toute vertu morale porte sur les plaisirs ou sur les tristesses comme en quelque sorte sur ses finalités. |
#269. — Il donne ensuite sa seconde raison (1104b13). Elle se tire de la matière de la vertu morale, comme suit. Toute vertu morale porte sur des actes, comme la justice, qui porte sur des achats et des ventes et d'autres [actes] de la sorte, ou sur des passions, comme la douceur, qui porte sur des colères; il en va ainsi des autres. Mais à toute passion suit un plaisir ou une tristesse, puisqu'une passion de l'âme n'est rien d'autre qu'un mouvement de la faculté appétitive en poursuite d'un bien ou en fuite d'un mal. Lorsque, donc, arrive le bien dans lequel l'appétit tend, ou lorsqu'on évite le mal qu'on fuyait, le plaisir suit. Quand, par ailleurs, c'est l'inverse, 54 la tristesse suit. Par exemple, quand l'homme en colère accède à sa vengeance, il se réjouit, et le lâche aussi, quand il s'échappe de dangers. Quand, par ailleurs, l'inverse arrive, on s'attriste. Il reste donc que toute vertu morale porte sur des plaisirs et des tristesses comme sur quelque chose de final. |
[72974] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 6 Tertiam rationem ponit ibi
demonstrant autem et poenae et cetera. Et sumitur ex medicina
virtutis. Sicut enim medicinae ad sanitatem restituendam sunt quaedam amarae
potiones exhibitae et delectabiles subtractae, ita etiam poenae sunt quaedam
medicinae ad reparandam virtutem. Quae quidem fiunt per subtractionem
aliquarum delectationum vel adhibitionem aliquarum tristitiarum. Medicinae
autem natae sunt fieri per contraria; sicut quando superabundat calor, medici
adhibent frigida. Ergo etiam virtus
moralis est circa aliquas delectationes et tristitias. |
270.- Il pose une troisième raison qui se prend du remède de l'âme. De même que les médicaments propres à redonner la santé sont certaines potions amères à donner et certains aliments délicieux à soustraire, ainsi les peines sont en quelque sorte des médicaments destinés à réparer la vertu. Ce qui se fait par la soustraction de quelques délectations ou par l’addition de quelques tristesses. Il est, en effet, dans la nature du médicament de guérir par les contraires; ainsi lorsque la chaleur excède, les médecins se servent de matières froides. Donc la vertu morale porte sur certaines délectations et sur certaines tristesses. |
#270. — Il apporte ensuite sa troisième raison (1104b16). Elle se tire de la médecine de l'âme. Les médecines qui visent à restituer la santé sont des potions amères administrées et des plaisirs enlevés; de même façon, les punitions sont des médecines pour réparer la vertu. Et elles aussi se font en enlevant des plaisirs ou en administrant des tristesses. C'est que les médecines sont de nature à se faire par les contraires; ainsi, quand on a trop chaud, les médecins administrent du froid. Donc encore, la vertu morale porte sur des plaisirs et des tristesses. |
[72975] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 7 Quartam rationem ponit
ibi: adhuc autem, sicut prius et cetera. Quae sumitur ex eo quod est
contrarium et corruptivum virtutis. Et dicit quod omnis habitus naturam habet
ad haec et circa haec operanda a quibus fit deterior et melior, id est
a quibus augetur in bonitate si sit habitus bonus, vel augetur in malitia, si
sit habitus malus. Vel potest intelligi, a quibus innatus est fieri deterior
vel melior, idest a quibus natus est generari vel augeri, quod est fieri
meliorem, sive corrumpi vel diminui, quod est fieri deteriorem. Videmus autem
quod homines fiunt pravi per corruptionem virtutis ex eo quod sequuntur
voluptates et fugiunt tristitias vel quas non oportet vel quando non oportet,
vel qualitercumque aliter deviet aliquis a ratione recta. |
271.- La quatrième raison se tire de ce qui est contraire et corrupteur de la vertu. Et il dit que tout habitus tend naturellement à produire les actes ou à opérer sur une matière qui lui permettent son propre développement en bien ou en mal: en bien, s'il est un habitus bon, en mal, s’il est un habitus mauvais. Le texte d’Aristote peut aussi se comprendre de la façon suivante: tout habitus tend à opérer ce qu'il lui faut pour sa propre génération ou sa croissance, ce qui est devenir meilleur, ou pour sa corruption ou sa décroissance, ce qui est devenir pire. Or, nous voyons que les hommes deviennent dépravés par la corruption de la vertu du fait qu'ils pours suivent les voluptés et fuient les tristesses qu’ils ne doivent pas rechercher ou fuir ou quand ils ne le doivent pas ou selon quelque autre circonstance qui fait dévier de la raison droite. |
#271. — Il donne ensuite sa quatrième raison (1104b18). Elle se tire de ce qui contrarie et corrompt la vertu. Il dit que tout habitus tient sa nature en vue d'[actions] à poser et en rapport à elles, et c'est par celles-là qu'il devient pire et meilleur, c'est-à-dire que c'est par elles qu'il est augmenté en bonté, s'il est un habitus bon, ou en malice, s'il en est un mauvais. Ou, peut-on comprendre, c'est par elles qu'il est susceptible de devenir pire ou meilleur, c'est-à-dire que c'est par elles qu'il est susceptible d'être engendré ou augmenté, ce qui est devenir meilleur, ou de se corrompre ou diminuer, ce qui est devenir pire. Nous observons, par ailleurs, que l'on devient mauvais, avec sa vertu corrompue, du fait que l'on poursuit des jouissances et que l'on fuit des tristesses: soit celles qu'il ne faut pas, ou quand il ne faut pas, ou de quelque autre manière qu'on dévie de la raison droite. |
[72976] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 8 Et ex hac occasione fuerunt
moti Stoici ut dicerent quod virtutes sunt quaedam impassibilitates et
quietes. Quia enim videbant quod homines fiunt mali per delectationes et
tristitias, consequens esse putaverunt quod virtus in hoc consistat quod
omnino transmutationes passionum cessent. Sed in hoc non bene dixerunt
quod totaliter a virtuoso voluerunt excludere animae passiones. Pertinet enim
ad bonum rationis, ut reguletur per eam appetitus sensitivus, cuius motus
sunt passiones. Unde ad virtutem non pertinet quod excludat omnes passiones,
sed solum inordinatas, quae scilicet sunt ut non oportet et quando non
oportet, et quaecumque alia adduntur pertinentia ad alias circumstantias. Ex his ergo concludit supponendum esse quod circa
voluptates et tristitias virtus optima operetur, malitia autem, quae est
habitus virtuti contrarius, mala. |
272.- C’est l’occasion de cette expérience qui poussa les stoïciens à dire que les vertus étaient des états d’impassibilité et de calme: constatant que les hommes devenaient mauvais en raison de leurs délectations et de leurs tristesses, ils en ont déduit que la vertu consistait pour l’homme à faire cesser en lui toutes les transmutations des passions. Mais ils se sont fourvoyés en voulant exclure de l'homme vertueux toutes les passions de l'âme. Il appartient, en effet, au bien de la raison que par elle soient réglés les appétits sensitifs dont les mouvements sont les passions. D'où il apparaît qu'il appartient à la vertu non pas d'exclure toutes les passions mais seulement celles qui sont désordonnées: à savoir celles qu'il ne faudrait pas ou quand il ne le faudrait pas, ou celles qui ne sont pas rectifiées selon quelque autre circonstance de l’acte humain. A partir de cela il conclut qu’il faut supposer que c'est à propos des délectations et des tristesses que la vertu opère ce qu’il y a de meilleur, comme c’est relativement aux délectations et aux tristesses que le vice, qui est l’habitus contraire à la vertu, apporte le pire. |
#272. — Ce fut là l'occasion, pour les Stoïciens, d'être portés à dire que les vertus sont des impassibilités et des repos. En effet, comme ils voyaient les hommes devenir mauvais par le biais de plaisirs et de tristesses, ils pensèrent qu'en conséquence, la vertu consisterait dans le fait que les transmutations des passions cesseraient totalement. Mais là, ils firent erreur, en voulant totalement exclure du vertueux les passions de l'âme. Car il appartient au bien de la raison de régler l'appétit sensible, dont les passions sont le mouvement. Par conséquent, il n'appartient pas à la vertu d'exclure toutes les passions, mais seulement celles [qui sont] désordonnées, qui sont comme il ne faut pas et quand il ne faut pas, et [en lesquelles] n'importe quoi d'autre [de la sorte] s'ajoute, en rapport à d'autres circonstances. Il en conclut qu'on doit présupposer qu'en matière de jouissances et de tristesses, la vertu opère le mieux, tandis que la malice, qui est l'habitus contraire à la vertu, [opère] le mauvais. |
[72977] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 9 Deinde cum dicit: fiet
autem utique nobis etc., inducit ad propositum alias quatuor rationes sumptas
ex parte hominum quibus inest virtus, et delectatio, et tristitia. Quarum
prima sumitur ex communitate delectationum. Dicit quod tria sunt quae cadunt
sub electione humana: scilicet bonum, idest honestum; conferens,
idest utile; et delectabile. Quibus tria contrariantur: scilicet malum,
idest vitium, quod opponitur honesto; nocivum, quod opponitur utili; et
triste, quod opponitur delectabili. Circa omnia autem haec bonus recte se
habet, malus autem homo peccat: et praecipue circa delectationem, quae est
communior inter praedicta, duplici communitate. |
273.- Il fournit maintenant à la preuve de son énoncé quatre autres raisons prises du côté des hommes eux-mêmes, les sujets où naissent et la vertu et la délectation et la tristesse. La première de ces raisons est tirée du caractère commun (de l’universalité) des délectations. Il y a trois choses qui tombent sous les prises de l'élection humaine: à savoir le bien, c'est-à-dire l'honnête; le co-opérant, c'est-à-dire l'utile; et le délectable. A ces trois choses sont opposés: le mal, c’est-à-dire le vice qu’s'oppose à l’honnête; le nocif, qui s'oppose à l'utile; le triste, qui s'oppose au délectable. A leur égard l’homme bon se comporte avec rectitude, tandis que le mauvais y pèche. Et d'avantage à l'égard des délectations qui sont les plus communes parmi les choses susdites, d’une double communauté. |
#273. — Ensuite (1104b29), il introduit à ce propos quatre autres raisons, tirées des hommes auxquels appartiennent la vertu, le plaisir et la tristesse. La première en est tirée du caractère commun des plaisirs. Il dit que trois [options] tombent sous le choix humain: le bien, c'est-à-dire l'honorable; le profitable, c'est-à-dire l'utile; et le plaisant. Il leur fait correspondre trois contraires: le mal, c'est-à-dire le vice, opposé à l'honorable; le nocif, opposé à l'utile; et le triste, opposé au plaisant. Or, sur tous ces [plans], [celui qui est] bon se comporte correctement, tandis que l'homme mauvais se rend fautif: surtout en [matière] de plaisir, la plus commune de celles énumérées, en vertu d'un double caractère commun. |
[72978] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3 n. 10 Primo quidem quantum ad ea quae delectantur. Delectatio
enim invenitur in omnibus animalibus, quia non solum est secundum partem
intellectivam sed est etiam secundum sensitivam. Sed utile et honestum
pertinent ad solam partem intellectivam. Nam honestum est, quod fit secundum
rationem; utile autem importat ordinationem alicuius in alterum, ordinare
autem est proprium rationis. |
274.- Premièrement du côté des êtres qui se délectent. La délectation se retrouve, en effet, chez tous les animaux, car elle existe non seulement quant à la partie intellective, mais aussi quant à la partie sensitive. L'utile et l'honnête cependant n'appartiennent qu'à la partie intellective. En effet, l'honnête est ce qui se fait conformément à la raison; pour ce qui est de l’utile, il suppose une ordonnance d'une chose à une autre; et c'est le propre de la raison que d'ordonner. |
#274. — En premier, certes, quant à ce à quoi on prend plaisir. Le plaisir, en effet, existe chez tous les animaux, parce qu'il répond non seulement à la partie intellective, mais aussi à la [partie] sensible. Tandis que l'utile et l'honorable appartiennent à la partie intellective seule. En effet, l'honorable est ce qui arrive en conformité avec la raison, et l'utile importe un ordre entre une chose et une autre, alors qu'ordonner est le propre de la raison. |
[72979] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 11 Alia autem communitas est
ex parte ipsarum rerum; delectatio enim consequitur ad omnia quae cadunt sub
electione. Honestum enim est delectabile homini secundum quod est conveniens
rationi: utile autem est delectabile propter spem finis. Non autem est e
converso, quod omne delectabile sit utile vel honestum, ut patet in
delectabilibus secundum sensum. |
275.- l’autre caractère commun se prend du côté des choses elles-mêmes dont on se délecte: il est en effet consécutif à tout ce qui tombe sous l'élection. L'honnête, en effet, est délectable pour l'homme en tant qu'il convient à sa raison, tandis que l'utile est délectable en raison de l'espoir de la fin. L'inverse cependant n’est pas vrai: que tout délectable soit utile ou honnête, comme on le voit dans le cas des délectations relatives au sens. |
#275. — Un autre caractère commun s'attache aux choses mêmes, auxquelles on prend plaisir: le plaisir s'attache à tout ce qui tombe sous le choix. L'honorable plaît, en effet, en ce qu'il convient à la raison, l'utile, lui, plaît par l'espoir de la fin. Mais il n'en va pas à l'inverse: tout ce qui plaît n'est pas utile ou honorable, comme il appert dans les plaisirs du sens. |
[72980] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 12 Secundam rationem ponit
ibi: adhuc autem ex puero et cetera. Quae sumitur ex connaturalitate
delectationis. Simul enim cum omnibus hominibus nutritur a pueritia ipsa
delectatio, quia puer mox natus delectatur in lacte. Et ideo difficile est,
quod homo possit subiugare hanc passionem, quae comparatur vitae, in hoc
scilicet quod incepit cum homine a principio vitae. Et ideo circa
delectationem maxime est virtus moralis. |
276.- Voici la seconde raison. Elle se prend à partir de la connaturalité de la délectation. Dès l'enfance, et mêlée a toutes les opérations et aux premiers besoins, se nourrit et se développe la délectation, car l'enfant à peine ne se délecte dans le lait. C'est pourquoi, il est si difficile pour l'homme de subjuguer cette passion qui se compare à la vie en ce qu’elle nait avec l’homme au tout début de la vie. Voilà pourquoi la vertu morale porte surtout sur les délectations. |
#276. — Il donne ensuite sa seconde raison (1105a1). Elle est tirée de la connaturalité du plaisir. C'est en même temps que toute autre chose, en effet, que, dès l'enfance, est nourri le plaisir lui-même, car l'enfant, à peine né, prend plaisir au lait. Aussi est-il difficile à l'homme de soumettre cette passion, qui s'assimile à la vie, en ce qu'elle commence en 55 même temps que l'homme, dès le début de sa vie. C'est pourquoi la vertu morale porte surtout sur le plaisir. |
[72981] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 13 Tertiam rationem ponit
ibi: regulamus autem et cetera. Quae sumitur ex humano studio. Omnes enim
homines regulant operationes suas delectatione et tristitia, illis
scilicet operationibus intendentes in quibus delectantur et ab illis
abstinentes de quibus tristantur. Et ideo necesse est quod circa
delectationem et tristitiam sit totum negotium moralis virtutis quae scilicet
ordinatur ad bene operandum. Non enim parum pertinet ad operationes, quod aliquis
bene vel male gaudeat vel tristetur. Quia
si gaudet de bonis, bene operabitur, si autem de malis, male. |
277.- Il pose sa troisième raison qui se tire de l'ardeur, de l:application de l'homme. Tous les hommes règlent leur agir par la délectation et la tristesse: ainsi ils tendent à faire les actes dont ils tirent du plaisir et ils s'abstiennent de ceux dont ils éprouvent de la tristesse. C'est pourquoi, il est nécessaire que porte sur la délectation et la tristesse tout le travail de la vertu morale, car elle est ordonnée à nous faire bien agir. Il n’importe pas peu à son agir que quelqu'un se délecte ou s'attriste bien ou mal. Car 'il se délecte dans les bonnes actions, il agit bien; mais s’il se délecte dans les mauvaises, il agit mal. |
#277. — Il donne ensuite sa troisième raison (1105a3). Elle est tirée de l'ardeur humaine. Tous les hommes, en effet, règlent leurs actions avec le plaisir et la tristesse, en ceci qu'ils se portent vers les actions auxquelles ils prennent plaisir, et s'abstiennent de celles dont ils s'attristent. C'est pourquoi, nécessairement, tout l'intérêt de la vertu morale, ordonnée à faire bien agir, se tourne vers le plaisir et la tristesse. Il est, en effet, loin d'être indifférent aux actions que l'on s'en réjouisse ou s'en attriste bien ou mal. Car, si l'on se réjouit des bonnes, on agit bien, tandis que si [c'est] des mauvaises, [on agit] mal. |
[72982] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 14 Quartam rationem ponit
ibi adhuc autem difficilius et cetera. Quae sumitur ex comparatione eius ad
iram: quia, ut dixit Heraclitus, difficilius est pugnare contra voluptatem,
quam contra iram; quum tamen pugnare contra iram videatur difficillimum
propter eius impetum. Sed concupiscentia delectationis, et communior est et
naturalior et magis durat. Ars autem et virtus est circa difficilius, in quo
magis requiritur quod aliquis bene operetur, ad quod ordinatur ars et virtus;
nam in facilibus quilibet potest bene operari. Sed bene operari in
difficilibus est solum habentis virtutem et artem. Et ideo manifestum est ex
praedictis, quod totum negotium virtutis et politicae, idest civilis
conversationis, consistit circa delectationes et tristitias; quibus qui bene
utitur, bonus erit; qui male autem utitur, erit malus. |
278.- Il pose la quatrième raison qui se tire de la comparaison entre la volupté et la colère. Comme le dit Héraclite, il est bien plus difficile de lutter contre la volupté que de combattre la colère; encore cependant qu'il semble très difficile de lutter contre la colère en raison de son impétuosité. Et pourtant la concupiscence de la délectation est plus commune, plus naturelle et elle dure d'avantage. Mais l'art et la vertu portent toujours sur le plus difficile. Car n'importe qui peut bien agir dans les choses faciles. Mais de bien agir dans les choses difficiles, cela n'appartient qu'à ceux qui possèdent vertu et art. C'est pourquoi, il est manifeste, à partir de ce qui vient d’être dit, que tout le travail de la vertu, et de la politique, c'est-à-dire des rapports sociaux (ordre civil) porte sur les délectations et les tristesses: celui qui se servira bien de ces dernières sera bon; celui qui s’en servira mal, sera mauvais. |
#278. — Il donne ensuite sa quatrième raison (1105a7). Elle est tirée de la comparaison du [plaisir] avec la colère. C'est que, comme l'a dit Héraclite, il est plus difficile de combattre la jouissance que la colère. Pourtant, combattre la colère est manifestement très difficile, à cause de son impétuosité. Mais le désir du plaisir à la fois est plus commun, est plus naturel, et dure plus. Or c'est toujours en rapport au plus difficile que se forme l'art et la vertu, car, dans le facile, n'importe qui peut bien agir. Mais bien agir dans le difficile appartient seulement à celui qui a vertu et art. Aussi devient-il manifeste, avec ce qui précède, que tout l'intérêt de la vertu et de la politique, c'est-à-dire du commerce civil, consiste en plaisirs et tristesses: qui en use bien sera bon, tandis que qui en use mal sera mauvais. |
[72983] Sententia Ethic., lib. 2 l. 3
n. 15 Deinde cum dicit: quoniam
quidem igitur etc., epilogat quae dicta sunt: scilicet, quod virtus sit circa
delectationes et tristitias; et quod eadem sunt ex quibus virtus generatur et
augetur, et ex quibus etiam corrumpitur contrario modo factis, et quod eadem
sunt ex quibus generatur virtus, et quae operatur virtus iam generata. |
279.- Il termine en disant que la vertu porte sur les délectations et les tristesses; que les opérations qui la font naître et la développent sont aussi celles qui la corrompent si elles sont faites de façon contraire; enfin, que les opérations qui la font naître sont aussi celles qu'elle opère une fois qu’elle est engendrée. |
#279. — Ensuite (1105a13), il résume ce qu'il a dit: la vertu porte sur les plaisirs et les tristesses; c'est la même chose qui engendre et augmente la vertu, et qui, faite d'une manière contraire, la corrompt; enfin, c'est la même chose qui engendre la vertu et que produit la vertu, une fois engendrée. |
|
|
|
Lectio
4 |
Leçon 4 : [Différence entre vertu et habitus d’art] |
|
|
LES VERTUS NE DOIVENT PAS SE COMPARER AUX ARTS: LES VERTUS SONT PRINCIPES DES ACTIONS, ALORS QUE LES ŒUVRES QUI SONT FAITES CONFORMEMENT A L'ART ONT EN ELLES-MEMES CE QUI RELEVE DE LA PERFECTION DE L'ART. |
|
[72984] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4
n. 1 Quaeret autem utique
aliquis et cetera. Postquam philosophus ostendit quod virtutes causantur ex
operibus, hic movet quamdam dubitationem. Et circa hoc tria facit. Primo
movet dubitationem. Secundo solvit eam, ibi, vel neque in artibus et cetera.
Tertio ex determinatione quaestionis inducit conclusionem principaliter
intentam, ibi, bene igitur dicitur, et cetera. Est ergo dubitatio, quam primo
movet, talis: ita se habet in virtutibus sicut et in artibus: sed in artibus
ita se habet, quod nullus operatur opus artis nisi habens artem; sicut nullus
facit opera grammaticalia nisi grammaticus existens, neque opera musicalia
nisi musicus existens; ergo etiam ita se habebit in virtutibus, quod
quicumque facit opera iusta est iam iustus, et quicumque facit opera (iam)
temperata est iam temperatus; non ergo videtur verum esse quod dictum est,
quod homines faciendo iusta fiunt iusti, et faciendo temperata fiunt
temperati. |
280.- Après avoir montré que les œuvres sont les causes des vertus, le Philosophe pose ici une difficulté. Là-dessus, il fait trois choses. En premier, il pose la question; en second, il y répond; en troisième, à partir de la réponse, il tire la conclusion qu'il voulait surtout apporter. Voici donc la difficulté qu'il soumet en premier lieu: il en est de la vertu comme de l'art; or, dans les arts, la condition est la suivante: personne ne peut faire œuvre d'art sans posséder l'art. Ainsi, ce n'est nul autre que celui qui est grammairien qui accomplit ce qui relève de la grammaire ou, encore, c'est celui qui est musicien qui accomplit les œuvres musicales. Donc, ainsi en sera-t-il dans les vertus: c'est celui qui est déjà juste qui accomplit ce qui est juste et c'est celui qui est déjà tempérant qui fait des œuvres tempérées. Ce que nous avons dit à savoir que c'est en accomplissant des choses justes qu'on devient juste ou que c'est en faisant des actions tempérées qu'on devient tempérant, ne semble donc pas vrai. |
#280. — Après avoir montré que ce sont les actes qui produisent les vertus, le Philosophe soulève ici une difficulté. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier (1105a17), il soulève une difficulté. En second (1105a21), il la résout. En troisième (1105b9), la question une fois déterminée, il amène la conclusion principalement recherchée. Il y a donc une difficulté, que d'abord il soulève. La voici: il en va dans les vertus comme dans les arts; or, dans les arts, il se trouve que personne ne produit l'œuvre de l'art s'il n'a l'art; ainsi, personne ne produit des œuvres grammaticales s'il n'est déjà grammairien, ni des œuvres musicales s'il n'est déjà musicien. Il en ira donc de même dans les vertus; ainsi, quiconque produit des œuvres de justice est déjà juste, et quiconque produit des œuvres de tempérance est déjà tempérant. Ce qui a été dit (#264) ne semble donc pas vrai, que l'on devient juste en posant des [actes] justes, et que l'on devient tempérant en posant des [actes] tempérants. |
[72985] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4
n. 2 Deinde cum dicit: vel
neque in artibus etc., solvit dubitationem praedictam. Et primo interimendo
id quod assumebatur de artibus. Secundo interimendo similitudinem, quae
proponebatur inter virtutes et artes, ibi, adhuc autem neque simile, et
cetera. Dicit ergo primo, quod in artibus non ita se habet sicut assumebatur,
scilicet, quod quicumque facit grammaticalia iam sit grammaticus. Contingit
enim quandoque quod aliquis facit opus grammaticale non per artem, sed
quandoque quidem a casu, puta si aliquis idiota a casu pronunciet congruam
locutionem: quandoque autem hoc contingit alio supposito, ad cuius scilicet
exemplar operetur: puta si aliquis mimus repraesentet locutionem congruam,
quam aliquis grammaticus profert. Sed tunc aliquis est iudicandus
grammaticus, quando facit opus grammaticale et grammaticaliter, idest
secundum scientiam grammaticae, quam habet. |
281.- Il résout la difficulté précédente. Et tout d'abord, en rejetant ce qu'il avait, accordé à l'art, puis, en second, en rejetant l'analogie qu'il avait établie entre les vertus et les arts. Il dit donc en premier, qu'il n'en est pas dans les arts tel qu'on l'avait supposé, à savoir que quiconque fait œuvre de grammaire soit déjà grammairien. En effet, il peut bien arriver quelquefois que quelque profane en grammaire prononce la locution correcte par hasard ou, en se laissant guider par un modèle; par exemple, si quelque acteur répète la phrase correcte qu'a proférée un grammairien. Mais on devra juger que quelqu'un est grammairien, quand il accomplira une œuvre grammaticale et cela en grammairien, c'est-à-dire conformément à la science de la grammaire qu'il possède. |
#281. — Ensuite (1105a21), il résout la difficulté qui précède. En premier, en détruisant ce qu'on avait assumé quant aux arts. En second (1105a26), en annulant la ressemblance apportée entre vertus et arts. Il dit donc, en premier, qu'il n'en va pas, dans les arts, comme on l'assumait, que quiconque ferait des [œuvres] grammaticales serait déjà grammairien. Car il arrivera parfois que, par hasard, un idiot prononce la parole correcte; cela arrivera aussi parfois, à la suite d'une autre [parole], au modèle de laquelle on se conforme: par exemple, si un imitateur reproduit la parole correcte, dite auparavant par un grammairien. Mais on ne doit être considéré comme grammairien que lorsqu'on produit l'œuvre grammaticale grammaticalement, c'est-à-dire d'après la science de la grammaire, que l'on possède. |
[72986] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4
n. 3 Deinde cum dicit: adhuc
autem neque simile etc., ponit secundam solutionem. Circa quam duo facit. Primo
interimit similitudinem artium ad virtutem. Secundo
concludit solutionem, ibi, res quidem igitur iustae et cetera. Dicit ergo
primo, quod non est simile in artibus et virtutibus. Quia opera quae fiunt ab
artibus habent in se ipsis id quod pertinet ad bene esse artis. Cuius ratio
est quia ars est ratio recta factibilium, ut dicetur in sexto huius. Facere
autem est operatio transiens in exteriorem materiam. Talis autem actio est
perfectio facti. Et ideo in huiusmodi actionibus, bonum consistit in ipso
facto. Et ideo ad bonum artis sufficit, quod ea quae fiunt bene se habeant.
Sed virtutes sunt principia actionum, quae non transeunt in exteriorem
materiam, sed manent in ipsis agentibus. Unde tales actiones sunt
perfectiones agentium. Et ideo bonum harum actionum in ipsis agentibus
consistit.
|
282.- Il pose la seconde solution. Ce qu'il fait en deux temps. En premier, il rejette la similitude qui assimilait l’art à la vertu; en second, il tire la conclusion. Il dit donc en premier que le cas de l'art et celui de la vertu ne sont pas semblables. C’est que les œuvres qui relèvent de l'art ont en elles-mêmes la perfection de l’art. La raison en est que l’art est la raison droite des choses à faire, comme on le dira dans le sixième livre. Or, le faire est une opération qui passe dans la matière extérieure. Et cette action est la perfection de la chose faite. Voilà pourquoi, dans les actions de cette sorte, la perfection {le bien) consiste dans la chose accomplie. C’est ainsi qu'il suffit à la perfection de l’art que les choses qui sont faites soient bien faites. Mais les vertus sont principes des actions quine passent pas dans la matière extérieure, mais demeurent dans les agents eux-mêmes. Ces actions sont donc les perfections des agents. Voilà pourquoi, le bien de ces actions consiste dans les agents eux-mêmes. |
#282. — Ensuite (1105a26), il donne une seconde solution. À son sujet, il fait deux [considérations]. En premier, il annule la ressemblance des arts avec la vertu. En second (1105b5), il conclut la solution. 56 Il dit donc, en premier, que tout n'est pas semblable dans les arts et les vertus, car les œuvres produites par les arts ont en elles-mêmes ce qui appartient au bien-être de l'art. La raison en est que l'art est la définition correcte de l'œuvre à produire, comme il sera dit au sixième [livre] de ce [traité] (#1153, 1160, 1166). Or, produire, c'est une opération qui s'étend à une matière extérieure et cette action est une perfection de l'[œuvre] produite. Aussi, dans des actions de cette sorte, le bien consiste dans le produit lui-même. C'est pourquoi aussi il suffit au bien de l'art que ce qui est produit se trouve bien. Par contre, les vertus sont des principes d'actions qui ne s'étendent pas à une matière extérieure, mais demeurent dans leurs agents eux-mêmes. Aussi, pareilles actions sont des perfections de leurs agents. C'est pourquoi encore le bien de ces actions consiste dans leurs agents eux-mêmes. |
[72987] Sententia Ethic.,
lib. 2 l. 4 n. 4 Et ideo dicit, quod ad hoc quod aliqua fiant iuste
vel temperate, non sufficit, quod opera quae fiunt bene se habeant; sed
requiritur, quod operans debito modo operetur. In quo quidem modo tria dicit
esse attendenda. Quorum primum pertinet ad intellectum sive ad rationem, ut
scilicet ille qui facit opus virtutis non operetur ex ignorantia vel a casu,
sed sciat quid faciat. Secundum accipitur
ex parte virtutis appetitivae. In quo duo attenduntur. Quorum unum est, ut
non operetur ex passione, puta cum quis facit ex timore aliquod opus
virtutis, sed operetur ex electione; aliud autem est ut electio operis
virtuosi non sit propter aliquid aliud, sicut cum quis operatur opus virtutis
propter lucrum, vel propter inanem gloriam, sed sit propter hoc, id est
propter ipsum opus virtutis, quod secundum se placet ei qui habet habitum
virtutis, tamquam ei conveniens. Tertium autem accipitur secundum rationem
habitus, ut scilicet aliquis firme idest constanter quantum ad
seipsum, et immobiliter, id est a nullo exteriori ab hoc removeatur,
quin habeat electionem virtuosam, et operetur secundum eam. |
283.- C’est pourquoi il dit que, pour que les œuvres soient faites de façon juste et tempérante, il ne suffit pas qu'elles soient bonnes, mais il est requis que l'opérant opère selon le mode dû. Ce "mode dû" requiert trois conditions. La première appartient à l'intelligence ou à la raison: celui qui fait œuvre de vertu ne doit pas opérer par ignorance ou par hasard, mais doit savoir ce qu'il fait. La seconde condition relève de la puissance appétitive où l'on doit porter attention à deux choses. L’une d'elles, c’est qu'il ne faut pas opérer par passion, par exemple faire par crainte une œuvre de vertu. Mais il faut opérer par élection, de telle sorte que l’élection de l'œuvre vertueuse n’ait pas d'autre fin qu’elle-même. Par exemple, si quelqu’un fait œuvre de vertu pour le lucre ou la vaine gloire, son action n'est pas vertueuse. Pour qu’elle soit bonne, il faut que l'œuvre vertueuse soit faite pour elle-même, réjouissant par elle-même celui qui possède l’habitus de vertu, comme quelque chose qui lui convient. La troisième condition se prend du côté de la raison d'habitus, à savoir que st quelqu’un ne soit pas détourné de son élection vertueuse et de son opération conforme à elle: ce qui implique fermeté, C’est-à-dire d’être constant avec lui-même, et immobilité, C’est-à-dire d’être inébranlable devant les influences extérieures qui pourraient s’y opposer. |
#283. — Aussi dit-il que, pour que des [actions] soient faites de manière juste ou tempérante, il ne suffit pas que les actes faits se trouvent bien; il est requis, en outre, que l'agent agisse de la manière due. Et cette manière implique trois [conditions]. La première touche l'intelligence, ou la raison: il s'agit que celui qui produit l'œuvre de vertu n'agisse pas par ignorance ou au hasard, mais sache ce qu'il fait. La seconde se tire du côté de la vertu appétitive, où deux [conditions] sont impliquées. L'une est que l'on n'agisse pas par passion, comme lorsque c'est par peur que l'on pose un acte de vertu; mais que l'on agisse par choix, et de manière que le choix de l'acte vertueux ne vise pas autre chose, comme lorsque c'est par gain ou par vaine gloire que l'on pose un acte de vertu. Mais que ce soit pour cela, à savoir pour l'acte même de la vertu, qui plaît en lui-même à celui qui a l'habitus de vertu, en ceci qu'il lui convient. La troisième [condition] vient de la nature de l'habitus: il s'agit que l'on [agisse] fermement, c'est-à-dire constamment, quant à soi, immobilement, c'est-à-dire que l'on ne soit détourné par rien d'extérieur de faire le choix vertueux et d'opérer d'après lui. |
[72988] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4 n. 5 Sed ad artes non requiritur nisi primum horum, quod est
scire. Potest enim aliquis esse bonus artifex, etiam si nunquam eligat
operari secundum artem, vel si non perseveret in suo opere; sed scientia
parvam vel nullam virtutem habet ad hoc quod homo sit virtuosus, sed totum
consistit in aliis, quae quidem adveniunt homini ex frequenti operatione
virtuosorum operum, quia ex hoc generatur habitus per quem aliquis eligit ea
quae conveniunt illi habitui et immobiliter in eis perseverat. |
284.- Mais aux arts, la seule condition requise est la première, qui est de savoir. En effet, quelqu'un peut être bon artisan, même s'il ne choisit jamais d'opérer d'après son art, ou s’il ne persévère pas dans son œuvre. 'Mais pour la possession de la vertu, le savoir ne vaut que peu ou pas du tout, tandis que les deux autres dispositions sont d'une importance décisive", lesquelles s'enracinent dans l'homme à partir de l'opération vertueuse fréquente. Et ainsi, elles sont fermes et stables. |
#284. — Les arts, eux, ne requièrent pas ces [conditions], si ce n'est la première, qui est de savoir. Car on peut être un bon artisan, même si on ne choisit jamais d'opérer en conformité avec son art, ou si on ne persévère pas dans son œuvre. Mais la science a peu ou pas d'influence pour ce qui est que l'on soit vertueux; tout consiste dans les autres [conditions], qui s'ensuivent, bien sûr, d'une action vertueuse répétée, et qui se tienne ainsi sans changement. |
[72989] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit: res quidem igitur etc., concludit
solutionem praedictae dubitationis. Et dicit, quod res quae fiunt, dicuntur
iustae et temperatae quando sunt similes illis quas iustus et temperatus
operatur: sed non oportet, quod quicumque haec operatur sit iustus et
temperatus; sed ille qui sic ea operatur, sicut operantur iusti et temperati
secundum tria praemissa, dicitur iustus et temperatus. Sic igitur homines
primo operantur iusta et temperata, non eodem modo quo iusti et temperati
utuntur, et ex talibus operationibus causatur habitus. [72990] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4 n. 7 Si quis autem quaerat quomodo hoc est possibile, cum
nihil reducat se de potentia in actum? Dicendum est, quod perfectio virtutis
moralis, de qua nunc loquimur, consistit in hoc, quod appetitus reguletur
secundum rationem. Prima autem rationis principia sunt naturaliter nobis indita, ita in
operativis sicut in speculativis. Et ideo sicut per principia praecognita
facit aliquis inveniendo se scientem in actu: ita agendo secundum principia
rationis practicae, facit aliquis se virtuosum in actu. |
285.- Il apporte en conclusion la solution de la difficulté précédente. Il dit que ces œuvres sont appelées justes et tempérées qui ressemblent à celles que produit l’homme juste et tempérant. Mais il n'est pas nécessaire que celui qui fait ces œuvres soit juste et tempérant; pour l'être, il lui faut encore les accomplir comme l'homme juste et tempérant, c'est-à-dire avec les trois conditions énumérées plus haut. Ainsi donc, les hommes opèrent tout d’abord des œuvres justes et tempérées mais sans le faire comme les justes et tempérants le font; et c’est à partir de telles opérations que s’engendre l'habitus. 286.- Si quelqu'un demande comment cela est possible, puisque rien ne peut se faire passer de puissance à acte, il faut répondre que la perfection de la vertu morale, dont nous parlons actuellement, consiste en ceci que l'appétit soit réglé d'après la raison. Or, les premiers principes de la raison nous sont naturellement innés, aussi bien dans l'ordre de l'opération que dans celui de la spéculation. C'est pourquoi, de la même façon qu'à partir des principes pré-connus, on se rend connaissant en acte par invention personnelle, ainsi, en agissant en conformité aux principes de la raison pratique, on se rend vertueux en acte. |
#285. — Ensuite (1105b5), il conclut la solution de la difficulté soulevée. Il dit que les choses produites sont dites justes et tempérantes dans la mesure où elles ressemblent à celles que font le juste et le tempérant. Cependant, il n'en découle pas que quiconque fait cela soit juste et tempérant; seul celui qui fait cela comme le font les justes et les tempérants, à savoir en conformité avec les trois [conditions] qui précèdent (#283), est dit juste et tempérant. Ainsi donc, en premier, on fait des [choses] justes et tempérantes, quoique non de la manière dont les justes et les tempérants procèdent, et c'est par de pareilles actions que l'habitus est produit. #286. — Si, par ailleurs, on demande comment cela est possible, puisque rien ne se réduit soi-même de la puissance à l'acte, il faut dire que la perfection de la vertu morale, de laquelle nous parlons maintenant, consiste à ce que l'appétit soit réglé en conformité avec la raison. Or les premiers principes de la raison nous sont naturellement innés, tant en [matière] opérative qu'en [matière] spéculative. C'est pourquoi, de la même manière que, en faisant des découvertes à partir de principes déjà connus, on se rend soi-même savant en acte, de même, en agissant en conformité avec les principes de la raison pratique, on se rend vertueux en acte. |
[72991] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4 n. 8 Deinde cum dicit: bene igitur dicitur etc., concludit
conclusionem principaliter intentam. Et primo concludit propositum. Secundo
arguit quorumdam errorem, ibi, sed multi haec quidem et cetera. Concludit ergo
primo, quod bene supra dictum est, quod homo fit iustus ex eo quod iusta
operatur et temperatus ex eo quod temperata operatur. Ex hoc autem quod non
operatur, nullus nec studium apponit ad hoc quod fiat bonus. |
287.- Il tire la conclusion qu’il voulait surtout apporter. Il conclut d’abord son propos puis, en second, il argumente contre l'erreur de quelques-uns. Il conclut donc, en premier, que l'affirmation précédente était bien vraie que l'homme devient juste parce qu'il opère des œuvres justes, et tempérant, parce qu’il fait des œuvres tempérées. Mais celui qui ne fait pas ces œuvres-là, ni n'apporte aucune ardeur à les faire, ne deviendra jamais bon (vertueux). |
#287. — Ensuite (1105b9), il conclut la conclusion principalement recherchée. En premier, il conclut son propos. En second (1105b12), il argumente contre l'erreur de certains. Il conclut donc, en premier, qu'il a été bien dit, plus haut (#264, 280), que l'on devient juste en posant des [actes] justes, et tempérant en en posant des tempérants. Mais qui n'agit pas, ni ne s'efforce, ne deviendra jamais bon. |
[72992] Sententia Ethic., lib. 2 l. 4 n. 9 Deinde cum dicit: sed multi haec quidem etc., arguit
quorumdam errorem, qui non operantur opera virtutis, sed confugiendo ad
ratiocinandum de virtutibus aestimant se fieri bonos philosophando. Quos
dicit esse similes infirmis, qui sollicite audiunt ea quae dicuntur sibi a
medicis, sed nihil faciunt eorum quae sibi praecipiuntur. Ita enim se habet
philosophia ad curationem animae, sicut medicina ad curationem corporis. Unde sicut illi qui audiunt praecepta medicorum et non
faciunt, nunquam erunt bene dispositi secundum corpus, ita neque illi qui
audiunt documenta moralium philosophorum et non faciunt ea, nunquam habebunt
animam bene dispositam. |
288.- Il réfute l'erreur d’un certain nombre qui, au lieu d'accomplir les œuvres de la vertu, cherchent refuge dans les raisonnements sur les vertus et s'imaginent qu’ils deviendront bons en philosophant. "C'est faire à peu près comme les malades qui écoutent les médecins avec le plus grand sérieux, mais qui ne se soumettent à aucun des points qui leur ont été ordonnés. En effet, la philosophie est à la guérison de l'âme, comme la médecine à celle du corps. Donc, comme ceux qui écoutent les ordonnances des médecins sans s'y soumettre ne seront jamais corporellement en santé, ainsi ceux qui écoutent les bons des moralistes et ne les mettent pas en pratique, n'obtiendront jamais la bonne forme de l'âme, (ne seront jamais spirituellement sains). |
#288. — Ensuite (1105b12), il argumente contre l'erreur de certains, qui ne font pas les actes de la vertu, mais, se contentant de raisonner sur les vertus, estiment devenir bons eux-mêmes en philosophant. Il les dit semblables aux malades qui écoutent avec attention ce qui leur est dit par leurs médecins, mais ne font rien de ce qui leur est prescrit. Car la philosophie entretient, avec le soin de l'âme, le même rapport que la médecine avec le soin du corps. Aussi, de même que ceux qui écoutent les préceptes des médecins et ne les accomplissent pas ne seront jamais bien disposés en leur corps, de 57 même aussi ceux qui écoutent les enseignements des philosophes moraux et ne les mettent pas en pratique n'auront jamais l'âme bien disposée. |
|
|
|
Lectio
5 |
Leçon 5 : [La vertu est un habitus] |
|
|
POUR TROUVER LA DEFINITION DE LA VERTU, IL ASSUME COMME FONDEMENT QU'IL y A TROIS CHOSES DANS L’AME : LES PASSIONS, LES PUISSANCES ET LES HABITUS; PUIS IL MONTRE QUE LES VERTUS NE SONT PAS DES PASSIONS, NI DES PUISSANCES, MAIS QU'IL FAUT LES SITUER DANS LE GENRE DE L’HABITUS. |
|
[72993] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 1 Post haec autem quid est
virtus et cetera. Postquam philosophus determinavit de causa virtutis, hic
incipit inquirere quid sit virtus. Et dividitur in partes duas. In prima
ostendit quid sit virtus. In secunda determinat de oppositione virtutis ad
vitium, ibi, tribus autem dispositionibus et cetera. Prima autem pars
dividitur in partes duas. In prima determinat quid est virtus in generali. In
secunda manifestat definitionem assignatam in singulis virtutibus, ibi,
oportet autem non solum universaliter dici et cetera. Prima autem dividitur
in partes duas. In prima investigat definitionem virtutis. In secunda
concludit definitionem, ibi, est ergo virtus habitus et cetera. Circa primum
duo facit. Primo investigat genus virtutis. Secundo differentiam eius, ibi,
oportet autem non solum et cetera. Investigat autem genus virtutis per viam
divisionis. Unde circa primum tria facit. Primo proponit divisionem. Secundo
exponit membra eius, ibi, dico autem passiones etc.; tertio ex divisione
posita argumentatur, ibi: passiones quidem igitur et cetera. |
289.- Après avoir déterminé la cause de la vertu, le Philosophe commence ici à rechercher ce qu'est la vertu. Cette étude se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est la vertu. Dans la seconde, il montre l'opposition de la vertu au vice. La première partie se subdivise en deux. En premier, il montre ce qu'est la vertu en général; en second, il manifeste la définition par rapport à chaque vertu. Il montre ce qu'est la vertu en deux temps: il se demande tout d'abord ce qu'est la vertu par mode de recherche pour ensuite donner, comme conclusion de sa recherche, la définition. Sa recherche de la définition se subdivise en deux parties. Dans la première, il recherche, le genre de la vertu; dans la seconde, sa différence. Son investigation du genre de la vertu se fait selon le mode de la division. C'est pourquoi, ce premier travail se subdivise en trois points. Il propose tout d'abord la division; en second, il explique chaque membre de la division; en troisième, à partir de cette division, il construit son argumentation. |
#289. — Après avoir traité de la cause de la vertu, le Philosophe commence ici à chercher ce qu'est la vertu. Et [cela] se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est la vertu (1105b19). Dans la seconde, il traite de l'opposition de vertu à vice (1108b11). La première partie se divise à son tour en deux parties. Dans la première, il traite de ce qu'est la vertu en général. Dans la seconde, il manifeste à l'endroit de vertus singulières la définition formulée (1107a28). La première se divise à son tour en deux parties. Dans la première, il investigue la définition de la vertu. Dans la seconde, il conclut la définition (1106b36). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il investigue le genre de la vertu. En second, sa différence (1106a14). Par ailleurs, il investigue le genre de la vertu par voie de division. Aussi fait-il trois [considérations] concernant le premier [point]. En premier, il propose une division (1105b19). En second, il expose ses membres (1105b21). En troisième, il argumente à partir de la division proposée (1105b28). |
[72994] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 2 Dicit ergo primo, quod ad
perscrutandum quid est virtus, oportet assumere, quod tria sunt in anima,
scilicet passiones, potentiae et habitus, quorum alterum necesse est esse
virtutem. Dixit enim supra, quod virtus est principium quorundam operum animae.
Nihil autem est in anima, quod sit operationis principium, nisi aliquod horum
trium. Videtur enim homo aliquando agere
ex passione, puta ex ira. Quandoque vero ex habitu, sicut ille qui operatur
ex arte. Quandoque vero ex nuda potentia, sicut quando homo primo incipit
operari. Ex quo patet quod sub hac divisione, non comprehenduntur absolute
omnia quae sunt in anima; quia essentia animae nihil horum est neque etiam
operatio intelligibilis; sed solum hic tanguntur illa quae sunt principia
alicuius actionis. |
290.- Il dit donc en premier que pour examiner ce qu'est la vertu, il faut admettre qu'il y a trois choses dans l'âme, à savoir les passions, les puissances et les habitus. La vertu doit être l'une de ces trois choses. En effet, il a dit plus haut que la vertu est un principe de certaines opérations de l'âme. Or, il n'y a rien dans l'âme qui soit principe ù1opération si ce n'est l'une de ces trois choses. En effet, il semble que l'homme agisse quelquefois par passion, par exemple par colère. Quelquefois l'homme semble agir par l'habitus: ainsi celui qui opère en vertu de son art. Quelquefois l'homme agit par la puissance toute nue: au tout début, quand il commence à opérer. Delà, il est évident que cette division ne comprend pas absolument tout ce qui est dans l’âme, parce que ni l’essence, de l’âme, ni l'opération intelligible ne sont comprises dans cette division. Ici, on ne fait mention que de ce qui est principe de quelque action. |
#290. — Il dit donc en premier que pour examiner ce qu'est la vertu, il faut assumer qu'il y a trois [choses] dans l'âme, à savoir des passions, des puissances et des habitus. Et il faut que la vertu soit l'une d'entre elles. Il a dit en effet plus haut que la vertu est le principe de certaines opérations de l'âme. Or il n'y a rien dans l'âme qui soit principe d'opération, si ce n'[est] l'une de ces trois [choses]. En effet, on agit parfois manifestement par passion, par exemple par colère. Parfois aussi, [c'est] par habitus, comme celui qui opère par art. Parfois aussi, c'est par sa puissance toute nue, comme quand on commence à agir, au départ. De là il devient manifeste que sous cette division on ne comprend pas absolument tout ce qui se trouve dans l'âme; car l'essence de l'âme n'est rien de cela, pas même une opération intelligible; mais on touche seulement ici ce qui est principe d'action. |
[72995] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 3 Deinde cum dicit: dico
autem passiones etc., manifestat membra praemissae divisionis. Et primo
manifestat quae sint passiones; secundo quae sint potentiae, ibi: potentias autem
etc.; tertio qui sint habitus, ibi, habitus autem secundum quos et cetera.
Circa primum considerandum est, quod secundum vegetabilem animam non dicuntur
passiones animae, eo quod vires huius partis animae non sunt passivae, sed
activae. Vires autem apprehensivae et appetitivae sunt passivae tam in parte
sensitiva quam in parte intellectiva, praeter intellectum agentem. Et quamvis
sentire et intelligere sit pati quoddam, non tamen dicuntur passiones animae
secundum apprehensionem sensus vel intellectus, sed solum secundum appetitum.
Quia operatio potentiae apprehensivae est secundum quod res apprehensa est in
apprehendente per modum apprehendentis. Et sic res apprehensa quodammodo
trahitur ad apprehendentem; operatio autem potentiae appetitivae est secundum
quod appetens inclinatur ad appetibile. Et quia de ratione patientis est quod
trahatur ad agentem et non e converso, inde est quod operationes potentiarum
apprehensivarum, non dicuntur proprie passiones, sed solum operationes
potentiarum appetitivarum. |
291.- Il manifeste les membres de la division. Et tout d'abord, il manifeste ce que sont les passions; puis, ce que sont les puissances et, enfin, ce que sont les habitus. Par rapport aux passions, il faut considérer qu’0n ne parle pas de passions par rapport à l’âme végétative, du fait que les facultés de cette partie de l'âme ne sont pas passives mais actives, aussi bien dans la partie sensitive qu’intellective. Cependant, les puissances appréhensives et appétitives sont passives, à part l'intellect agent. Et, bien que sentir et intelliger soient un certain pâtir, on ne parle pas cependant de passions à propos de l’appréhension du sens ou de l’intelligence, mais uniquement à propos de l’appétit. C’est parce que l'opération de la puissance appréhensive se fait en autant que la chose appréhendée est dans le connaissant selon le mode du connaissant. Et ainsi la chose connue est d'une certaine façon entrainée vers le connaissant (amenée au connaissant dont elle doit revêtir les conditions). Mais l’opération de la puissance appétitive a lieu selon que l'amant est incliné vers l'objet appétible. Et parce qu'il est de la raison du patient d'être entrainé par l'agent et non l'inverse, on n'appelle pas les opérations des puissances cognitives proprement passions, mais uniquement celles des puissances appétitives. |
#291. — Ensuite (1105b21), il manifeste les membres de la division susdite. Et en premier, il manifeste quelles sont les passions. En second, quelles sont les puissances (1105b23). En troisième, quels sont les habitus (1105b25). Sur le premier [point], on doit considérer qu'en rapport à l'âme végétative on ne parle pas de passions de l'âme, du fait que les puissances de cette partie de l'âme ne sont pas passives, mais actives. [Mais on en parle] tant dans la partie sensitive que dans la partie intellective. Par ailleurs, les puissances appréhensives et appétitives sont passives, sauf l'intellect agent. De plus, bien que sentir et intelliger soient d'une certaine manière passifs, on ne parle toutefois pas de passions de l'âme en rapport à l'appréhension du sens et de l'intelligence, mais seulement en rapport avec l'appétit. C'est que, lors de l'opération de la puissance appréhensive, la chose appréhendée est dans le patient qui l'appréhende à sa manière. Ainsi, la chose appréhendée est entraînée d'une certaine manière vers celui qui la comprend. Mais lors de l'opération de la puissance appétitive, c'est celui qui désire qui se trouve incliné vers l'[objet] désirable. Or comme il appartient à la définition de celui qui subit qu'il soit entraîné par son agent et non l'inverse, il s'ensuit que les opérations des puissances appréhensives ne sont pas dites proprement des passions, mais seulement les opérations des puissances appétitives. |
[72996] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 4 Inter quas etiam operatio
appetitus intellectivi non proprie dicitur passio, tum quia non est secundum
transmutationem organi corporalis, quae requiritur ad rationem passionis
proprie dictae, tum etiam quia secundum operationem appetitus intellectivi
qui est voluntas, homo non agitur tamquam patiens, sed potius seipsum agit
tamquam dominus sui actus existens. Relinquitur ergo quod passiones proprie
dicantur operationes appetitus sensitivi, quae sunt secundum transmutationem
organi corporalis, et quibus homo quodammodo ducitur. |
292.- Même parmi ces dernières opérations, l'opération de l’appétit intellectuel ne se dit s- pas proprement passion, et parce qu'elle n’inclut pas la transmutation de l'organe corporel, laquelle est requise à la notion de passion proprement dite, et parce que selon l'opération de l’appétit intellectuel qui est la volonté, l'homme n'agit pas comme patient, mais se meut plutôt lui-même, comme maitre de son acte. Il reste donc que les passions se disent proprement des opérations de l'appétit sensitif, qui se font avec transmutation de l'organe corporel et qui, d’une certaine façon, conduisent l’homme (dont l'homme n'est pas, absolument parlant, maître). |
#292. — Même parmi elles, l'opération de l'appétit intellectif ne se dit pas proprement une passion, tant parce qu'elle n'implique pas la transformation d'un organe corporel, laquelle est requise à la définition de la passion proprement dite, que parce que, de plus, dans l'opération de l'appétit intellectif, qui est la volonté, on n'est pas agi comme patient, mais plutôt on se meut soi-même comme maître de son acte. Il reste donc que se disent proprement des passions les opérations de l'appétit 58 sensible, qui impliquent la transformation d'un organe corporel et lors desquelles on est d'une certaine manière conduit. |
[72997] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 5 Appetitus autem sensitivus
dividitur in duas vires: scilicet in concupiscibilem, quae respicit absolute
bonum sensibile, quod scilicet est delectabile secundum sensum, et malum ei
contrarium, et irascibilem, quae respicit bonum sub ratione cuiusdam
altitudinis; sicut victoria dicitur esse quoddam bonum, quamvis non sit cum
delectatione sensus. Sic igitur quaecumque passiones respiciunt bonum vel
malum absolute, sunt in concupiscibili. Quae quidem respectu boni sunt tres,
scilicet amor, qui importat quandam connaturalitatem appetitus ad bonum
amatum, et desiderium, quod importat motum appetitus in bonum amatum. Et
delectatio, quae importat quietem appetitus in bono amato; quibus tria
opponuntur in ordine ad malum, scilicet: odium amori; aversio sive fuga
desiderio; et tristitia delectationi. Illae vero passiones quae respiciunt
bonum vel malum sub ratione cuiusdam ardui, pertinent ad irascibilem: sicut
timor et audacia respectu mali; spes et desperatio respectu boni et quintum
est ira quae est passio composita, unde nec contrarium habet. |
293.- Cependant, l'appétit sensitif se divise en deux puissances: à savoir le concupiscible, qui vise le bien sensible de façon absolue (celui qui est délectable selon le sens) et le mal qui est contraire; et l'irascible qui regarde le bien sous le signe d'une certaine élévation. Ainsi dit-on que la victoire est un certain bien, bien qu’elle n'existe pas avec délectation du sens. Ainsi donc, toute passion qui porte sur le bien ou le mal pris absolument, est subjectée dans le concupiscible. Parmi ces passions, quelques-unes regardent le bien et sont au nombre de 'trois: l'amour, qui comporte une certaine connaturalité de l'appétit au bien aimé; le désir qui implique le mouvement de l'appétit vers le bien aimé; et la délectation qui comporte le repos de l'appétit dans le bien aimé. A ces trois passions s'opposent par relation au mal: la haine à l'amour, l’aversion ou la fuite au désir, et la tristesse à la délectation. Les passions qui visent le bien ou le mal sous l'aspect d'une certaine difficulté (le bien ou le mal ardu) appartiennent à l'irascible. Ainsi, il y a la crainte et l'audace par rapport au mal, l'espoir et le désespoir par rapport au bien. La cinquième passion est la colère, qui est une passion complexe, et qui, dès lors, n'a pas de contraire. |
#293. — Or l'appétit sensible se divise en deux puissances: à savoir en la concupiscible, qui regarde le bien sensible (à savoir ce qui plaît au sens) de manière absolue; et en l'irascible, qui regarde le bien sous la raison d'une certaine hauteur; comme la victoire se dit un bien, bien qu'elle n'implique pas plaisir du sens. Ainsi donc, toute passion qui regarde le bien ou le mal d'une manière absolue est dans l'[appétit] concupiscible. Parmi elles, certaines regardent le bien, et il y en a trois. L'amour, qui implique une connaturalité de l'appétit au bien aimé. Le désir, qui implique un mouvement de l'appétit vers le bien aimé. Et le plaisir, qui implique repos de l'appétit dans le bien aimé. À celles-là s'en opposent [d'autres] en rapport au mal, à savoir: la haine à l'amour, la répugnance ou la fuite au désir et la tristesse au plaisir. Tandis que les passions qui regardent le bien ou le mal sous la raison de quelque chose de difficile appartiennent à l'[appétit] irascible: comme la crainte et l'audace en rapport au mal; l'espoir et le désespoir en rapport au bien. Une cinquième est la colère, qui est une passion composée, d'où aussi elle n'a pas de contraire. |
[72998] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 6 Et ideo enumerando
passiones, dicit quod passiones sunt concupiscentia, quam nominavimus
desiderium, et ira et timor et audacia, et invidia quae continetur sub
tristitia, et gaudium quod continetur sub delectatione (est enim delectatio
non corporalis, sed in interiori apprehensione consistens), et amicitia et
odium, et desiderium. Quod differt a concupiscentia: eo quod concupiscentia
est delectationis corporalis, desiderium autem cuiuscumque alterius
delectabilis. |
294.- Voilà pourquoi, en énumérant les passions, il dit que les passions sont la concupiscence, que nous nommons le désir, la colère, la crainte, l'audace, l'envie que contient la tristesse, la joie, qui est comprise sous la délectation, puisqu'elle est une délectation non corporelle, appartenant à l'appréhension interne, l’amitié, la haine et le désir. Le désir qu'on vient d'énumérer diffère de la concupiscence: la concupiscence se porte vers la délectation corporelle, mais le désir se porte vers n'importe quel autre délectable. |
#294. — C'est pourquoi, en énumérant les passions, il dit que les passions sont la concupiscence, que nous nommons désir, et la colère, et la crainte, et l'audace, et l'envie, qui est contenue sous la tristesse, et la joie, qui est contenue sous le plaisir — c'est en effet un plaisir non corporel, mais qui tient à une appréhension intérieure —, et l'amitié, et la haine, et le désir. Et celui-ci diffère de la concupiscence, du fait que la concupiscence porte sur un plaisir corporel, et le désir sur n'importe quoi d'autre qui soit plaisant. |
[72999] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 7 Addit autem zelum et
misericordiam quae sunt species tristitiae. Nam misericordia est tristitia de
malis alienis, zelus autem est tristitia de hoc quod homo deficit ab his quae
alii habent. |
295.- Il ajoute cependant le zèle et la miséricorde qui sont des espèces de tristesse. En effet, la miséricorde est la tristesse qui porte sur des maux étrangers (le mal d'autrui) et le zèle est la tristesse qui provient du fait que l'homme manque de ce que les autres possèdent. |
#295. — Il ajoute encore la jalousie et la miséricorde, qui sont des espèces de tristesse. En effet, la miséricorde est une tristesse face aux maux des autres; la jalousie quant à elle est une tristesse devant ce dont on manque que les autres ont. |
[73000] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 8 Addit autem quod
universaliter ad omnia praedicta sequitur delectatio et tristitia; quia omnia
alia important motus quosdam in bonum et malum, ex quorum superventu causatur
delectatio vel tristitia. Unde omnes aliae passiones terminantur ad
delectationem vel tristitiam. |
296.- Il ajoute qui en général à toutes les passions susdites suit la délectation ou la tristesse. En effet, toutes les autres passions comportent certains mouvements vers le bien et le mal qui, par leur présence, causent là délectation ou la tristesse. C’est pourquoi, toutes les autres passions se terminent à la délectation et à la tristesse. |
#296. — Il ajoute aussi que, universellement, du plaisir et de la tristesse s'ensuit de tout ce qu'on a énuméré; car toutes les autres [passions] impliquent des mouvements vers le bien et le mal, par l'avènement de quoi se trouve causé du plaisir ou de la tristesse. Aussi toutes les autres passions se terminent-elles au plaisir et à la tristesse. |
[73001] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 9 Deinde cum dicit:
potentias autem secundum quas etc., manifestat quae sint potentiae, non
quidem in generali, sed circa materiam moralem secundum differentiam ad
passiones. Dicit enim quod potentiae dicuntur secundum quas dicimur passibiles
praedictarum passionum, idest potentes pati passiones praedictas, puta
potentia irascibilis est secundum quam possumus irasci. Potentia autem
concupiscibilis est secundum quam possumus tristari vel misereri. |
297.- Il manifeste ce que sont les puissances. Cependant, il ne les manifeste pas en général, mais par rapport à la matière morale en ce qu'elles diffèrent des passions. En effet, il dit que les puissances sont ce qui nous rend passibles des passions susdites, c'est-à-dire elles sont les puissances de pâtir les passions ci-haut mentionnées. Par exemple, la puissance de l'irascible est celle selon laquelle nous pouvons nous mettre en colère, tandis que la puissance du concupiscible est celle selon laquelle nous pouvons nous attrister et avoir pitié. |
#297. — Ensuite (1105b23), il manifeste quelles sont les puissances; non pas bien sûr en général, mais en rapport à la matière morale, à la différence des passions. Il dit en effet qu'on appelle des puissances ce d'après quoi nous sommes passibles des passions mentionnées, c'est-à-dire les puissances de ressentir les passions mentionnées. Il y a par exemple la puissance irascible, grâce à laquelle nous pouvons nous irriter. Il y a ensuite la puissance concupiscible, grâce à laquelle nous pouvons nous attrister ou avoir miséricorde. |
[73002] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 10 Deinde cum dicit: habitus autem secundum quos etc.,
manifestat qui sint habitus: et hoc etiam non in generali, sed in materia
morali per comparationem ad passiones. Et dicit quod habitus dicuntur
secundum quos nos habemus ad passiones bene vel male. Habitus enim est
dispositio quaedam determinans potentiam per comparationem ad aliquid. Quae
quidem determinatio, si sit secundum quod convenit naturae rei, erit habitus
bonus disponens ad hoc quod aliquid fiat bene, alioquin erit habitus malus,
et secundum ipsum aliquid fiet male. Et exemplificat quod secundum aliquem
habitum habemus nos ad hoc ut irascamur vel male, si hoc fiat vehementer
vel remisse, idest secundum superabundantiam aut defectum, vel bene si
hoc fiat medio modo. |
298.- Il manifeste quels sont les habitus: de nouveau, il ne le fait pas en général, mais relativement à la matière morale, par comparaison aux passions. Il dit que nous appelons habitus ce grâce auquel nous sommes bien ou mal disposés à l'endroit des passions. En effet, l’habitus est une certaine disposition déterminant la puissance par comparaison à quelque chose. Cette détermination, si elle se fait en accord avec la nature de la chose, sera un habitus bon, disposant à ce que quelque chose se fasse bien. Autrement, l'habitus est mauvais et dispose à une mauvaise opération. Aristote donne le cas de l'habitus qui nous dispose mal à l'égard de la colère: si nous éprouvons la colère avec véhémence ou mollement, c'est-à-dire avec excès ou défaut. Par contre, si l’habitus nous dispose à la colère selon un juste milieu (de façon mesurée) il dispose bien. |
#298. — Ensuite (1105b25), il manifeste quels sont les habitus. Et il le fait aussi non pas en général, mais dans la matière morale, par comparaison aux passions. Aussi dit-il que l'on appelle habitus ce d'après quoi nous ressentons bien ou mal des passions. Un habitus est en effet une disposition qui détermine une puissance en comparaison à quelque chose. Et la détermination en question, certes, si elle se fait en respect de ce qui convient à la nature de la chose, on aura un habitus bon, qui dispose à ce que quelque chose se fasse bien. Autrement, on a un habitus mauvais, et grâce à lui quelque chose se fera mal. Puis, il exemplifie que par le biais de l'habitus que nous avons, nous nous irriterons soit mal, si c'est violemment ou mollement, c'est-à-dire avec surabondance ou défaut; soit bien, si c'est d'une manière médiane. |
[73003] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 11 Deinde cum dicit: passiones quidem igitur etc.,
argumentatur ex divisione praemissa. Et primo ostendit quod virtutes non sunt
passiones. Secundo, quod non sunt potentiae, ibi: propter haec autem neque
potentiae et cetera. Tertio concludit quod sunt habitus, ibi, si igitur neque
passiones et cetera. Circa primum ponit quatuor rationes. Quarum prima talis
est: secundum virtutes dicimur boni, et secundum malitias oppositas dicimur
mali. Sed secundum passiones absolute consideratas non dicimur boni vel mali.
Ergo passiones neque sunt virtutes neque malitiae. |
299.- A partir de la division précédente, voici son argumentation. Il montre, en premier que les vertus ne sont pas des passions; puis, en second, il montre qu’elles ne sont pas des puissances; il conclut, en troisième lieu, qu’elles sont des habitus. Pour prouver son premier point, il apporte quatre raisons, dont voici la première. Par les vertus, nous sommes dits bons, et par les malices opposées aux vertus, nous sommes appelés mauvais. Mais on ne dit pas de nous, en raison des passions prises absolument, que nous sommes bons ou mauvais. Donc, les passions ne sont ni les vertus ni les vices. |
#299. — Ensuite (1105b28), il argumente à partir de la division présentée. Et en premier, il montre que les vertus ne sont pas des passions. En second, qu'elles ne sont pas des puissances (1106a5). En troisième, il conclut qu'elles sont des habitus (1106a11). Sur le premier [point], il amène quatre raisons. La première est comme suit. C'est en regard des vertus que nous sommes dits bons, et en regard des malices opposées que nous sommes dits mauvais. Or en regard des passions, considérées de manière absolue, nous ne sommes dits ni bons ni mauvais. Donc, les passions ne sont ni des vertus ni des malices. 59 |
[73004] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 12 Secundam rationem ponit ibi et quoniam secundum
passiones quidem et cetera. Quae accipitur ex laude et vituperio, quae sunt
testimonia quaedam bonitatis vel malitiae. Dicit ergo quod secundum virtutes
laudamur, secundum autem malitias oppositas vituperamur. Sed secundum
passiones absolute consideratas neque laudamur neque vituperamur. Non enim
aliquis laudatur neque vituperatur ex hoc quod absolute timet vel irascitur,
sed solum ex hoc quod aliqualiter timet vel irascitur, idest secundum
rationem vel praeter rationem. Et idem est intelligendum in aliis passionibus
animae. Ergo passiones animae neque sunt virtutes neque malitiae. |
300.- La seconde raison se prend du côté de la louange et du blâme qui sont des témoignages de la bonté et de la malice. Il dit donc que les vertus nous attirent des louanges, alors que les vices nous attirent des blâmes. Mais on ne loue pas ou on ne blâme pas quelqu’un du fait qu'il craint ou qu'il se fâche, purement et simplement, mais uniquement du fait qu'il craint ou se fâche d'une certaine façon, c'est-à-dire de façon raisonnable ou irraisonnable. Le cas est semblable pour les autres passions de l'âme. Donc, les passions de l'âme ne sont ni des vertus ni des vices. |
#300. — Il amène la seconde raison (1105b31). Elle se prend de la louange et du blâme, qui sont des témoins de la bonté ou de la malice. Il dit donc qu'en regard des vertus nous sommes loués, et en regard des malices opposées nous sommes blâmés. Mais en regard des passions considérées de manière absolue, nous ne sommes ni loués ni blâmés. En effet, on n'est ni loué ni blâmé du simple fait qu'on craigne ou s'irrite, mais seulement de ce qu'on craigne ou s'irrite d'une certaine façon, c'est-à-dire en conformité à la raison ou en dehors de la raison. Et il faut comprendre la même [chose] quant aux autres passions de l'âme. Donc, les passions de l'âme ne sont ni des vertus ni des malices. |
[73005] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 13 Tertiam rationem ponit ibi adhuc irascimur quidem et
timemus et cetera. Quae sumitur ex modo agendi secundum virtutem. Virtutes
enim vel sunt electiones, vel non sine electione; potest enim virtus dici
ipse actus virtutis. Et sic si accipiamus principales actus virtutum qui sunt
interiores, virtus est electio. Si autem exteriores, virtus non est sine
electione, quia exteriores actus virtutum ab interiori electione procedunt;
si autem accipiatur virtus pro ipso habitu virtutis, sic etiam virtus non est
sine electione, sicut causa non est sine proprio effectu. Passiones autem
adveniunt nobis sine electione, quia interdum praeveniunt deliberationem
rationis quae ad electionem requiritur. Et
hoc est quod dicit, quod irascimur et timemus non sponte, id est non
ex arbitrio rationis. Ergo passiones non sunt virtutes. |
301.- La troisième raison se tire de la manière d'agir selon la vertu. En effet, ou bien les vertus sont des élections ou bien elles ne sont pas sans élection: la vertu pouvant se prendre pour l'acte même de la vertu. Et ainsi, si nous comprenons par vertus les actes principaux des vertus qui sont des actes intérieurs, la vertu est élection. S'il s'agit des actes extérieurs, la vertu n'est pas sans élection, parce que les actes extérieurs de la vertu procèdent de l'élection interne. 8i nous prenons le mot vertu pour l'habitus lui-même de la vertu, la vertu ne sera pas non plus sans élection, comme la cause n'existe pas sans son effet propre. Or, les passions surviennent en nous sans élection, car quelquefois elles précèdent la délibération de la raison qui est requise à l'élection. Voilà ce qu'Aristote dit: que nous nous fâchons et que nous craignons involontairement, c'est-à-dire sans l'arbitre de la raison. Donc, les passions ne sont pas des vertus. |
#301. — Il amène sa troisième raison (1106a2). Elle se prend de la manière d'agir en conformité à la vertu. Car les vertus ou bien sont des choix, ou du moins n'existent pas sans choix. On peut en effet appeler vertu l'acte même de la vertu. Ainsi, si nous prenons les principaux actes intérieurs des vertus, la vertu est un choix. Si par ailleurs [nous en prenons les actes] extérieurs, la vertu n'existe pas sans choix, car les actes extérieurs de la vertu procèdent d'un choix intérieur. Et si on prend la vertu pour l'habitus même de vertu, ainsi encore la vertu n'existe pas sans choix, comme la cause n'existe pas sans son effet propre. Or les passions nous adviennent sans choix, car parfois elles précèdent la délibération de la raison, qui est requise au choix. Et c'est ce qu'il dit, que nous nous irritons et que nous craignons sans le vouloir, c'est-à-dire par l'arbitre de la raison. Donc, les passions ne sont pas des vertus. |
[73006] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 14 Quartam rationem ponit ibi adhuc autem secundum
passiones quidem moveri et cetera. Quae sumitur secundum ipsam essentiam
virtutis. Passiones enim sunt motus quidam secundum quos moveri dicimur.
Virtutes autem et malitiae sunt quaedam qualitates secundum quas non dicimur
moveri, sed aliqualiter, idest bene vel male disponi ad hoc quod
moveamur. Ergo passiones non sunt virtutes neque malitiae. |
302.- Voici la quatrième raison qui, elle, se prend de l'essence même de la vertu. En effet, les passions sont des mouvements selon lesquels nous sommes dits mus. Les vertus et les vices sont des qualités: par elles nous ne sommes pas dits mus, mais mus d'une certaine façon, c’est-à-dire disposés à être bien ou mal mus. Donc, les passions ne sont pas des vertus ni des vices. |
#302. — Il amène une quatrième raison (1106a4). Et elle se prend en rapport avec l'essence même de la vertu. En effet, les passions sont des mouvements d'après lesquels nous sommes dits être mus. Mais les vertus et les malices sont des qualités d'après lesquelles nous ne sommes pas dits être mus, mais être disposés de quelque façon, c'est-à-dire bien ou mal, à être mus. Donc les passions ne sont ni des vertus ni des malices. |
[73007] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5
n. 15 Deinde cum dicit propter
haec autem neque potentiae sunt etc., ostendit, quod virtutes non sunt
potentiae, duabus rationibus. Quarum prima sumitur secundum rationem boni et
mali: sicut etiam et supra probavit de passionibus. Et est ratio talis:
nullus dicitur bonus vel malus neque laudatur neque vituperatur ex hoc, quod
potest pati secundum aliquam passionem, puta ex hoc quod potest irasci vel
timere. Sed secundum virtutes et malitias dicimur boni vel mali, laudamur vel
vituperamur; ergo virtutes et malitiae non sunt potentiae. |
303.- Il montre que les vertus ne sont pas des puissances par deux raisons. La première se tire de la raison du bien et du mal, comme il l'a fait plus haut au sujet des passions. La voici. Personne n'est dit bon ou mauvais, ni loué ou blâmé, du fait qu'il peut ressentir une passion comme, par exemple, du fait qu'il peut se fâcher ou craindre. Mais on nous dit bons ou mauvais, ou encore, on nous loue ou blâme, grâce à nos vertus ou à nos vices. Donc, les vertus et les vices ne sont pas des puissances. |
#303. Ensuite (1106a5), il montre que les vertus ne sont pas non plus des puissances, et ce avec deux raisons. La première se prend en rapport à la raison de bien et de mal, comme aussi il l'a prouvé plus haut à propos des passions. Et cette raison est comme suit. Personne n'est dit bon ou mauvais, ni n'est loué ni blâmé du fait qu'il peut ressentir une passion, par exemple du fait qu'il peut s'irriter ou craindre. Mais d'après les vertus et les malices, nous sommes dits bons ou mauvais, et nous sommes loués ou blâmés. Donc, les vertus et les malices ne sont pas des puissances. |
[73008] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 16 Secundam rationem ponit ibi et adhuc potentes sumus et
cetera. Quae sumitur ex causa. Et est talis. Potentiae insunt nobis a natura,
quia sunt naturales proprietates animae. Sed virtutes et malitiae secundum
quas dicimur boni vel mali, non sunt nobis a natura, ut supra probatum est.
Ergo virtutes et malitiae non sunt potentiae.
|
304.- La seconde raison se tire de la cause. La voici. Les facultés, nous les possédons en nous par nature: elles sont des propriétés naturelles de l'âme. Mais les vertus et les vices, qui nous font appeler bons ou mauvais, ne sont pas en nous par nature, comme on l'a prouvé auparavant. Donc, les vertus et les vices ne sont pas des puissances. |
#304. — Il amène la seconde raison (1106a9). Elle se prend de la cause. Et elle est comme suit. Les puissances nous appartiennent par nature, car elles sont des propriétés naturelles de l'âme. Or les vertus et les malices d'après lesquelles nous sommes dits bons ou mauvais ne sont pas à nous par nature, comme on l'a prouvé plus haut. Donc, les vertus et les malices ne sont pas des puissances. |
[73009] Sententia Ethic., lib. 2 l. 5 n. 17 Deinde cum dicit: si igitur neque passiones sunt
virtutes, etc., concludit propositum, quia scilicet si virtutes non sunt
passiones neque potentiae, relinquitur quod sint habitus, secundum divisionem
praemissam. Et sic concludit, quod manifestum est, quid sit virtus, secundum
suum genus, quia scilicet est in genere habitus. |
305.- Il conclut son propos: si les vertus ne sont ni des passions ni des puissances, il reste, d'après la division précédente, qu’elles sont des habitus. Et ainsi il conclut, ce qui est manifeste, ce qu'est la vertu quant à son genre: elle est dans le genre de l'habitus. (La nature générique de la vertu est d'être un habitus). |
#305. — Ensuite (1106a11), il conclut son propos: à savoir, que si les vertus ne sont ni des passions ni des puissances, il reste qu'elles soient des habitus, d'après la division qui précède. Et ainsi, il conclut que ce qu'est la vertu, quant à son genre, est manifeste; à savoir qu'elle est dans le genre de l'habitus. |
|
|
|
Lectio
6 |
Leçon 6 : [Quelle sorte d’habitus est-elle ?] |
|
|
IL EXPOSE QUELLE SORTE D'HABITUS EST LA VERTU: CERTAINES CONDITIONS GENERALES DE LA VERTU POSEES, IL MANIFESTE SA DIFFERENCE PROPRE EN MEME TEMPS QUE LA PROPRIETE DE SES OPERATIONS, PUIS LA NATURE DE LA VERTU ELLE-MEME. |
|
[73010] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 1 Oportet autem non solum
sic dicere quoniam habitus, sed et qualis quidam et cetera. Postquam
philosophus ostendit quid sit genus virtutis, hic inquirit quae sit propria
differentia eius. Et primo proponit quod intendit. Et dicit, quod ad hoc quod
sciatur quid est virtus, oportet non solum dicere quod sit habitus, per quod
innotescit genus eius, sed etiam qualis habitus sit, per quod manifestatur
differentia ipsius. |
306.- Après avoir montré quel est le genre de la vertu, le Philosophe recherche ici sa différence propre. Et tout d'abord, il propose ce qu'il veut manifester. Il dit que pour savoir ce qu'est la vertu, il faut non seulement dire qu’elle est un habitus, par quoi on connaît son genre, mais aussi quelle sorte d'habitus elle est. Ce qui manifeste sa différence. |
#306. — Après avoir montré ce qu'est le genre de la vertu, le Philosophe cherche ici quelle en est la différence propre. Et en premier, il propose son intention (1106a14). Aussi dit-il que, pour qu'on sache ce qu'est la vertu, il faut non seulement dire qu'elle est un habitus, par quoi on indique son genre, mais aussi quel type d'habitus elle est, par quoi on manifeste sa différence. |
[73011] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 2 Secundo ibi: dicendum
igitur quoniam virtus omnis etc., manifestat propositum. Et circa hoc duo
facit. Primo manifestat in communi quamdam conditionem virtutis. Secundo ex
illa conditione virtutis manifestat propriam differentiam eius, ibi, qualiter
autem hoc erit et cetera. Dicit ergo primo, quod omnis virtus subiectum cuius
est facit bene se habere et opus eius reddit bene se habens, sicut virtus
oculi est per quam et oculus est bonus, et per quam bene videmus, quod est
proprium opus oculi. Similiter etiam virtus equi est, quae facit equum bonum,
et per quam equus bene operatur opus suum, quod est velociter currere, et
suaviter ferre ascensorem, et audacter expectare bellatores. |
307.- Il manifeste son propos. Ce qu'il fait en deux parties. En premier, il manifeste en général une certaine condition de la vertu. En second, à partir de cette condition, il manifeste sa différence propre. Il dit donc en premier, que toute vertu rend bon le sujet dont elle est la vertu et rend son œuvre bonne. Par exemple, la vertu de l'œil fait que l'œil est bon et fait que nous voyons bien, ce qui est l'œuvre de l'œil. De même en est-il de la vertu du cheval: elle en fait un bon cheval et un cheval qui opère bien son œuvre, qui est de galoper rapidement, de porter son cavalier avec une certaine douceur et de tenir courageusement devant l'ennemi. |
#307.
— En second (1106a15), il manifeste son propos. 60
Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste en
général une certaine condition de la vertu. En second, à partir de cette
condition de la vertu, il manifeste sa différence propre (1106a24). Il dit
donc en premier que toute vertu rend bon le sujet auquel elle appartient et
bonne son œuvre. Ainsi, la vertu de l'œil est à la fois celle par laquelle
l'œil est bon et par laquelle nous voyons bien, ce qui est l'œuvre propre de
l'œil. De manière semblable aussi, la vertu du cheval est celle qui rend le
cheval bon et par laquelle le cheval opère bien son œuvre, qui est de courir
vite, et de porter son cavalier avec douceur, et d'affronter avec audace les
assaillants. |
[73012] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 3 Et huius ratio est, quia
virtus alicuius rei attenditur secundum ultimum id quod potest, puta in eo,
quod potest ferre centum libras, virtus eius determinatur non ex hoc quod
fert quinquaginta, sed ex hoc quod fert centum, ut dicitur in I de caelo;
ultimum autem ad quod potentia alicuius rei se extendit, est bonum opus. Et ideo ad virtutem
cuiuslibet rei pertinet, quod reddat bonum opus. Et quia perfecta operatio
non procedit nisi a perfecto agente, consequens est, quod secundum virtutem
propriam unaquaeque res et bona sit, et bene operetur. Et si hoc est verum in omnibus aliis, ut per exempla
iam patuit, sequitur quod virtus hominis erit habitus quidam, ut supra
habitum est, ex quo homo fit bonus, formaliter loquendo, sicut albedine fit
aliquid album, et per quem aliquis bene operatur. |
308.- La raison de cela est que la vertu d’une chose doit être prise d'après le rendement le meilleur de cette chose. Ainsi, la vertu de celui qui peut porter cent livres ne se détermine pas à partir du fait qu'il porte cinquante livres, mais du fait qu'il en porte cent, comme on le dit dans le premier livre du De Coelo. Or, le plus parfait auquel la puissance d'une chose s'étend est l'œuvre bonne. C'est pourquoi, il appartient à la vertu de toute chose de rendre son œuvre bonne. Et parce que l’opération parfaite ne procède que d'un agent parfait, il est conséquemment logique que, par sa vertu propre, chaque chose est bonne et opère bien. Et s'il en est ainsi dans tous les cas, comme les exemples fournis l'ont montré, il s’ensuit que la vertu de l'homme sera un certain habitus, comme on l'a dit plus haut, grâce auquel l'homme devient bon, à formellement parler, comme par la blancheur il devient blanc, et par lequel il agit bien. |
#308. — Et la raison en est que la vertu d'une chose est à attendre d'après le plus difficile qu'elle peut [réaliser]; par exemple, chez celui qui peut porter cent livres, sa vertu n'est pas déterminée du fait qu'il en porte cinquante, mais du fait qu'il en porte cent, comme on dit au premier [livre] Du Ciel (ch. 11). Or le plus difficile à quoi se rend la puissance de quelque chose, c'est son œuvre bonne. Et c'est pourquoi il appartient à la vertu de n'importe quelle chose de rendre bonne son œuvre. Puisque, aussi, l'opération parfaite ne procède que d'un agent parfait, il s'ensuit que, de par sa vertu, chaque chose à la fois est bonne et opère bien. Si maintenant cela est vrai en toutes les autres [choses], comme ce l'est déjà devenu évident à travers des exemples, il s'ensuit que la vertu de l'homme sera un habitus, comme on l'a dit plus haut, grâce auquel l'homme devient bon, à formellement parler, comme par la blancheur il devient blanc, et par lequel il agit bien. |
[73013] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 4 Deinde cum dicit: qualiter
autem hoc erit, iam diximus, secundum praemissam conditionem virtutis
inquirit differentiam propriam virtutis. Et hoc tripliciter. Primo quidem
secundum proprietatem operationum. Secundo secundum naturam virtutis, ibi,
adhuc autem et hoc erit manifestum, et cetera. Tertio secundum propriam
rationem boni vel mali, ibi, adhuc peccare quidem, et cetera. Dicit ergo primo,
quod qualiter homo fiat bonus, et qualiter bene operetur, iam supra dictum
est. Dictum est enim supra, quod per operationes, quae sunt in medio, efficimur
boni secundum unamquamque virtutem. Et effecti boni operamur similes
operationes. Relinquitur ergo, si virtus est, quae facit hominem bonum et
bene operantem, quod sit in medio. |
Manque une page |
#309. — Ensuite (1106a24), il cherche, en se conformant à la condition mentionnée, la différence propre de la vertu. Et cela de trois manières. En premier, bien sûr, d'après une propriété des opérations. En second, d'après la nature de la vertu (1106a24). En troisième, d'après la définition propre du bien ou du mal (1106b28). Il dit donc en premier qu'on a déjà dit plus haut de quelle manière l'homme devient bon et de quelle manière il agit bien. Car on a dit plus haut que nous sommes rendus bons, selon chaque vertu, par des opérations qui se tiennent dans un milieu. Et, une fois rendus bons, nous posons des opérations semblables. Reste donc, si la vertu est ce qui rend l'homme bon et agissant bien, qu'elle consiste en un milieu. |
[73014] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 5 Deinde cum dicit: adhuc
autem et hoc erit manifestum etc., probat idem per naturam virtutis. Et circa
hoc tria facit. Primo praemittit quaedam quae sunt necessaria ad propositum
ostendendum. Secundo concludit propositum, ibi, si utique omnis scientia, et
cetera. Tertio manifestat conclusionem, ibi: dico autem moralem, et cetera.
Circa primum duo facit. Primo proponit ea quae sunt necessaria ad propositum
ostendendum. Secundo manifestat quod dixerat, ibi, dico utique, et cetera.
Dicit ergo primo, quod adhuc magis manifestum erit qualiter efficiamur boni
et bene operantes, si consideremus qualis sit natura virtutis. Ad cuius
evidentiam oportet praeaccipere, quod tria quaedam, idest plus et minus et
aequale, contingit accipere tam in quantitatibus continuis quam etiam in
quolibet alio divisibili, sive dividantur secundum numerum, sicut omnia
discreta, sive per accidens, puta per intensionem et remissionem qualitatis
in subiecto. Haec autem tria ita se habent, quod aequale est medium inter
plus, quod pertinet ad superabundantiam, et minus, quod pertinet ad defectum.
Et hoc quidem potest dupliciter accipi. Uno modo secundum absolutam
quantitatem rei. Alio modo secundum proportionem eius ad nos. |
#310. — Ensuite (1106a24), il prouve la même [chose] par la nature de la vertu. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente d'abord certaines [notions] qui sont nécessaires pour montrer son propos. En second, il conclut son propos (1106b8). En troisième, il expose sa conclusion (1106b16). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose les [éléments] qui sont nécessaires pour montrer son propos. En second, il manifeste ce qu'il avait dit (1106a29). Il dit donc en premier que ce sera encore plus manifeste, de quelle manière nous sommes rendus bons et nous agissons bien, si nous considérons quelle est la nature de la vertu. À l'évidence de quoi il faut s'entendre d'abord sur ce qu'il convient de reconnaître trois [choses], à savoir le plus et le moins et l'égal, autant dans les [sujets] continus contingents qu'aussi en n'importe quel [sujet] divisible, qu'on le divise par un nombre, comme tous les [sujets] discrets, ou par un accident, par exemple par tension et relâchement d'une qualité dans un sujet. Or ces trois [choses] ont entre elles ce rapport que l'égal est au milieu entre le plus, qui appartient à l'excès, et le moins, qui appartient au défaut. Et cela, certes, peut se prendre d’une double façon: une première manière, selon la quantité absolue de la chose; d'une seconde manière, selon sa proportion à nous. |
#310. — Ensuite (1106a24), il prouve la même [chose] par la nature de la vertu. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente d'abord certaines [notions] qui sont nécessaires pour montrer son propos. En second, il conclut son propos (1106b8). En troisième, il expose sa conclusion (1106b16). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose les [éléments] qui sont nécessaires pour montrer son propos. En second, il manifeste ce qu'il avait dit (1106a29). Il dit donc en premier que ce sera encore plus manifeste, de quelle manière nous sommes rendus bons et nous agissons bien, si nous considérons quelle est la nature de la vertu. À l'évidence de quoi il faut s'entendre d'abord sur ce qu'il convient de reconnaître trois [choses], à savoir le plus et le moins et l'égal, autant dans les [sujets] continus contingents qu'aussi en n'importe quel [sujet] divisible, qu'on le divise par un nombre, comme tous les [sujets] discrets, ou par un accident, par exemple par tension et relâchement d'une qualité dans un sujet. Or ces trois [choses] ont entre elles ce rapport que l'égal est au milieu entre le plus, qui appartient à l'excès, et le moins, qui appartient au défaut. Et cela, certes, peut se prendre de deux manières. D'une manière d'après la quantité absolue de la chose. D'une autre manière d'après sa proportion à nous. |
[73015] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 6 Deinde cum dicit: dico
utique rei quidem medium etc., manifestat quod dixerat de differentia secundum
rem et quoad nos. Et primo per rationem. Secundo per exempla, ibi: puta si
decem et cetera. Dicit ergo primo, quod medium secundum rem est, quod
aequaliter distat ab utroque extremorum. Et quia consideratur secundum
absolutam quantitatem rei, est idem quoad omnes. Sed medium quoad nos est
quod neque superabundat neque deficit a debita proportione ad nos. Et propter
hoc, istud medium non est idem quoad omnes. Sicut si accipiamus in calceo
medium quoad nos quod neque excedit mensuram pedis, neque deficit. Et quia non omnes habent eamdem quantitatem pedis, ideo
hoc medium non est idem quoad omnes. |
311.- Il manifeste sa dernière distinction entre le milieu de la chose et le milieu par rapport à nous. Tout d'abord logiquement, puis par un exemple. Il dit donc, en premier, que le milieu de la chose est "le point équidistant des deux extrêmes". Et parce que ce milieu est considéré selon la quantité absolue de la chose, il est identique par rapport à tout le monde. Mais le milieu par rapport à nous est celui qui ne s'éloigne ni en trop ni en trop peu de la proportion due à chacun de nous. A cause de cela, ce milieu n'est pas identique pour tous. Par exemple, si on prend le milieu par rapport à nous dans le cas d'un soulier, c'est celui qui n'est ni plus grand ni plus petit que la mesure du pied. Et parce que la longueur du pied varie avec chacun, ce milieu n'est pas le même pour tous. |
#311. — Ensuite (1106a29), il manifeste ce qu'il avait dit d'une différence entre [milieu] d'après la chose et [milieu] quant à nous. Et d'abord par une raison. En second, par des exemples (1106a33). Il dit donc en premier que le milieu d'après la chose, c'est ce qui a égale distance avec chacun des extrêmes. Et puisqu'on le considère d'après la quantité absolue de la chose, il est le même pour tous. Mais le milieu est quant à nous pour autant qu'il n'est ni au-delà ni en-deçà de la proportion qui nous est due. À cause de cela, aussi, ce milieu n'est pas le même pour tous. Par exemple, si on prend pour 61 un soulier le milieu quant à nous, qui ni ne dépasse ni ne fasse défaut à la mesure du pied. Comme tous n'ont pas la même mesure de pied, ce milieu n'est pas le même pour tous. |
[73016] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 7 Deinde cum dicit: puta si
decem multa etc., manifestat quod dixerat per exempla. Et primo de medio rei,
quod aequaliter distat ab extremis: sicut sex media accipiuntur inter decem
quae sunt multa, et duo quae sunt pauca: quia aequaliter sex exceduntur a
decem, et excedunt duo, scilicet in quatuor. Medium autem, quod sic
accipitur in numeris secundum aequidistantiam a duobus extremis, dicitur esse
secundum arithmeticam proportionem, quae considerat ipsam numeri quantitatem.
Medium autem, quod accipitur secundum aequalitatem proportionis dicitur esse
secundum geometricam proportionem, ut infra patebit in quinto. |
312.- Il manifeste sa distinction par des exemples. Et tout d'abord, il manifeste le milieu de la chose qui est équidistant des extrêmes. "Si l'on suppose que dix est beaucoup et deux est peu, on aura le milieu relatif â la chose en prenant six, car six surpasse l'un des extrêmes d'une quantité égale à celle dont il est surpassé par l'autre extrême", c'est-à-dire quatre. Le milieu qui se prend ainsi dans les nombres selon l'équidistance des deux extrêmes, est le milieu selon la proportion arithmétique: celle qui considère la quantité même du nombre. Mais le milieu qui se prend selon l'égalité de proportion relative à nous s’appelle le milieu selon la proportion géométrique, comme il sera évident dans le cinquième livre. |
#312. — Ensuite (1106a33), il manifeste ce qu'il avait dit par des exemples. Et en premier à propos du milieu de la chose, qui a égale distance avec les extrêmes: par exemple, six se prend comme milieu entre dix, qui sont trop, et deux, qui sont trop peu; car six est dépassé par dix et dépasse deux également, à savoir par quatre. Par ailleurs, le milieu qui se prend ainsi dans les nombres d'après une distance égale de deux extrêmes se dit d'après une proportion arithmétique, laquelle considère la quantité même du nombre. Mais le milieu qui se prend d'après une égalité de proportion quant à nous se dit d'après une proportion géométrique, comme ce deviendra évident au cinquième [livre]. |
[73017] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6
n. 8 Secundo ibi: quod autem ad
nos etc., exemplificat de medio quoad nos. Et dicit quod medium quod
accipitur in comparatione ad nos, non est ita sumendum, scilicet
secundum aequidistantiam ab extremis. Et hoc satis apparet in exemplo prius
proposito de calceo: non enim si calceus cuius longitudo est viginti
digitorum, superabundans est, ille autem, qui est quatuor est diminutus,
propter hoc oportet, quod ille qui est duodecim digitorum, medio modo se
habeat: sed forte erit abundans in comparatione ad pedem alicuius, et
deficiens in comparatione ad pedem alterius. Et hoc etiam ipse exemplificat
in cibis. Non enim, si comedere decem minas, idest decem mensuras est
multum, et comedere duas est paucum, propter hoc magister, qui debet ordinare
de cibo alicuius praecipiet ei quod comedat sex, quia hoc etiam est multum in
comparatione ad unum, vel paucum in comparatione ad alterum. |
313.- Il donne un exemple de l'autre milieu, en disant que le milieu qui se prend par comparaison à nous ne doit pas se prendre de la même façon, c'est-à-dire selon l'équidistance des extrêmes. Et cela est assez évident dans l'exemple du soulier donné plus haut. Si, en effet, on suppose que le soulier qui a une longueur de vingt pouces est trop grand et que l'autre, qui a quatre pouces est trop petit, on ne peut en déduire que le soulier qui aurait douze pouces serait dans le milieu; car peut-être qu'il sera trop grand pour le pied de quelqu'un et trop petit pour le pied d'un autre. Aristote lui-même donne un exemple dans la nourriture. A supposer que dix mines de nourriture soient une forte portion pour un homme, et deux mines une ration faible, il ne s'ensuit pas que l'entraîneur, qui doit prescrire la nourriture à quelqu'un, doive commander une portion de six mines, parce que même cette portion est trop abondante pour un homme et trop faible pour un autre. |
#313. — En second (1106a36), il exemplifie le milieu [quant à nous]. Et il dit que le milieu qui se prend dans une comparaison avec nous ne se prend pas de même, à savoir d'après une distance égale des extrêmes. Et cela apparaît suffisamment dans l'exemple précédent du soulier. En effet, si le soulier dont la longueur est de vingt doigts est trop grand et celui dont elle est de quatre trop petit, cela n'amène pas nécessairement que celui qui est de douze doigts occupe le milieu; peut-être au contraire sera-t-il trop grand en comparaison du pied d'un tel et trop petit en comparaison du pied d'un tel autre. Il exemplifie lui-même cela encore en rapport aux aliments. En effet, si manger dix mines, c'est-à-dire dix mesures, est trop et en manger deux est trop peu, le maître qui doit déterminer des aliments de quelqu'un ne doit pas pour cela lui enjoindre d'en manger six, car c'est trop en regard de l'un et trop peu en regard de l'autre. |
[73018] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6 n. 9 Esset enim paucum ad quemdam qui vocabatur Milo, de quo
Solinus narrat, quod comedebat unum bovem in die. Sed hoc esset multum
dominatori gignasiorum, id est ei qui debeat vincere in ludis gignasticis in
quibus homines nudi luctabantur, et oportebat eos modicum cibum sumere, ut
essent agiliores. Et simile est etiam de his qui currunt in stadio et de his
qui ludunt in palaestra, quae erat quidam locus exercitatorius apud Graecos.
Et ita etiam est secundum omnem operativam scientiam quod sciens fugit
superabundantiam et defectum et desiderat et inquirit id quod est medium, non
quidem secundum rem, sed in comparatione ad nos. |
314.- En effet, elle serait trop petite pour un certain type qui s'appelait Milon qui d'après Solinus, mangeait un bœuf par jour. Mais cela aurait été énorme pour l'athlète des gymnases, pour celui qui devait vaincre dans les jeux des gymnases où les hommes nus luttaient: il lui fallait prendre peu de nourriture pour garder son agilité. De même en était-il pour ceux qui jouaient dans le stade et dans la palestre: jeu qui était une forme d'exercice chez les grecs. Et ainsi en est-il par rapport à toute science opérative: tout homme versé dans un art fuit l'excès et le défaut et se met à la recherche de ce qui est le milieu, non pas de la chose, mais par rapport à nous. |
#314. — Ce serait en effet trop peu pour quelqu'un qui s'appelait Milon, dont Solinus raconte qu'il mangeait un bœuf par jour. Mais ce serait trop pour un maître de gymnastes, lui qui doit l'emporter dans les jeux du gymnase, où on luttait nu et devait prendre peu de nourriture pour demeurer plus souple. Il en va semblablement pour ceux qui compétitionnent au stade et pour ceux qui compétitionnent dans la palestre, une compétition d'exercice chez les grecs. Et ainsi aussi en est-il pour toute science opérative: son expert aussi fuit l'excès et le défaut, et désire découvrir ce qui est le milieu non bien sûr d'après la chose, mais en comparaison à nous. |
[73019] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6 n. 10 Deinde cum dicit: si utique omnis scientia sic opus
etc., ex praemissis argumentatur in hunc modum. Omnis scientia operativa bene
perficit opus suum, ex hoc quod secundum intentionem respicit ad medium et
secundum executionem opera sua perducit ad medium. Et huius signum accipi
potest ex hoc quod homines quando aliquod opus bene se habet, consueverunt
dicere quod nihil est addendum neque minuendum; dantes per hoc intelligere
quod superabundantia et defectus corrumpit bonitatem operis, quae salvatur in
medietate. Unde et boni artifices, sicut dictum est, operantur respicientes
ad medium. Sed virtus est certior omni arte, et etiam melior, sicut et
natura. Virtus enim moralis agit inclinando determinate ad unum sicut et
natura. Nam consuetudo in naturam vertitur. Operatio autem artis est secundum
rationem, quae se habet ad diversa; unde certius operatur virtus quam ars,
sicut et natura. |
315.- A partir de là, il argumente de la façon suivante. Toute science opérative accomplit bien son œuvre du fait que, dans son intention, elle vise le milieu et, dans son exécution, elle fait atteindre le milieu à son œuvre. Les témoignages en faveur de cette affirmation peuvent se prendre du fait que les hommes ont coutume de dire, lorsqu'une chose est bien faite: il n'y a rien à ajouter ni à retrancher. Ils donnent ainsi à croire que l'excès et le défaut gâtent la perfection de l'œuvre, qui est sauvegardée dans la médiété. Voilà pourquoi, les bons artisans, comme on lia vu, travaillent les yeux fixés sur le milieu. Mais la vertu comme la nature elle-même, est plus certaine que tout art et même meilleure. En effet, la vertu morale agit en inclinant d'une façon déterminée à sens unique, comme la nature elle-même. Car la couture devient nature. Mais l'opération de l'art relève de la raison, qui est ouverte à plusieurs voies. C'est pourquoi, comme la nature, la vertu est plus certaine que l'art. |
#315. — Ensuite (1106b8), il argumente de la manière suivante à partir de ce qu'il a dit. Toute science opérative accomplit bien son œuvre du fait qu'elle fixe son intention sur un milieu et exécute ses œuvres en les conduisant à un milieu. On peut en prendre comme signes le fait que les hommes, quand une œuvre est réussie, ont [toujours] eu coutume de dire que rien n'y est à ajouter ni à retrancher; on donne ainsi à entendre que l'excès et le défaut corrompent la bonté d'une œuvre, qui est sauvegardée dans un milieu. Aussi les bons artisans, comme il a été dit, opèrent-ils en fixant le milieu. Or la vertu est plus certaine que tout art, et même meilleure, comme la nature aussi [l'est]. Car la vertu morale agit en inclinant déterminément à une [option], comme la nature. En effet, l'accoutumance se convertit en nature. Or l'opération de l'art est conforme à la raison, qui reste ouverte à diverses [options]. Aussi la vertu, comme aussi la nature, est-elle plus certaine que l'art. |
[73020] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6 n. 11 Similiter etiam virtus est melior quam ars; quia per
artem est homo potens facere bonum opus; non tamen ex arte est ei quod faciat
bonum opus: potest enim pravum opus agere; quia ars non inclinat ad bonum
usum artis; sicut grammaticus potest incongrue loqui; sed per virtutem fit
aliquis non solum potens bene operari, sed etiam bene operans: quia virtus
inclinat ad bonam operationem, sicut et natura, ars autem facit solam
cognitionem bonae operationis. Unde relinquitur a minori, quod virtus quae
est melior arte, sit coniectatrix medii. |
316.- Egalement aussi, la vertu est plus parfaite que l'art: par l'art, l'homme est capable de faire une œuvre bonne, mais l'art ne lui donne pas de la faire. En effet, il peut, même avec son art, faire une œuvre mauvaise: l'art n'incline pas au bon usage de l’art. Ainsi, le grammairien peut parler incorrectement. Mais la vertu ne fait pas seulement que quelqu'un puisse bien agir, mais lui donne effectivement de bien opérer. C'est que la vertu incline à la bonne opération, comme la nature elle-même. Mais l'art seul ne donne que la seule connaissance de la bonne opération. Il en résulte donc, pour le moins, que la vertu, qui est meilleure que l'art, soit "une visée du milieu", une tension vers le milieu, "conjectatrix medi" (un habitus visant de toute la force de son inclination le milieu). (Cf n° 318 et 369.) |
#316. — De façon semblable aussi, la vertu est meilleure que l'art; car par l'art l'homme est rendu capable de produire une œuvre bonne; mais il ne lui appartient toutefois pas par l'art qu'il exécute de fait une œuvre bonne: il peut en effet produire une œuvre mauvaise, car l'art n'incline pas au bon usage de l'art; ainsi, le grammairien peut parler incorrectement. Or par la vertu, non seulement on peut bien agir, mais aussi on agit bien: car la vertu incline à la bonne opération, comme la nature. L'art seul, quant à lui, garantit seule la connaissance de la bonne opération. Aussi reste-t-il, a minori, que la vertu, qui est meilleure que l'art, regarde au milieu. |
[73021] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6 n. 12 Deinde cum dicit: dico autem moralem etc., exponit
conclusionem inductam. Et dicit quod hoc quod dictum est, debet intelligi de
virtute morali, quae est circa passiones et operationes in quibus est
accipere superabundantiam et defectum et medium. Et exemplificat primo in
passionibus. Dicit enim quod contingit timere et audere et concupiscere et averti,
id est fugere aliquid, et irasci et misereri, et universaliter delectari et
tristari magis et minus quam oportet. Quorum utrumque non bene fit. Sed si
aliquis timeat et audeat et sic de aliis quando oportet et in quibus oportet
et ad quos oportet et cuius gratia oportet et eo modo quo oportet, hoc erit
medium in passionibus et in hoc consistit optimum virtutis. Et similiter
etiam circa operationes est superabundantia et defectus et medium. Virtus
autem moralis est circa passiones et operationes sicut circa materiam
propriam; ita quod in eis superabundantia est vitiosa et defectus
vituperabilis, sed medium laudatur et recte se habet. Haec autem duo ad
virtutem pertinent: scilicet rectitudo, quae opponitur perversitati vitiosae
et laus quae opponitur vituperio, quae consequuntur ex primis duobus. |
317.- Il expose la conclusion apportée. Il dit que les considérations précédentes doivent s'entendre de la vertu morale, qui porte sur les passions et les opérations dans lesquelles on trouve l'excès, le défaut et le milieu. Il donne un exemple par rapport aux passions. Il dit, en effet, qu'il arrive de craindre, d'oser, de désirer, de fuir, de Se mettre en colère, d'avoir pitié; et universellement de se délecter ou de s'attrister plus et moins qu'il le faut. Et alors l'excès et le défaut son mauvais. Mais si quelqu'un craint et ose affronter ce qu'il convient, dans la matière convenable, selon les personnes à l'égard de qui il est juste, pour un motif convenable et de la manière dont il le doit (Cf III livre, n° 414-415-416), cela est le milieu dans les passions. En cela consiste la perfection suprême de la vertu. Et, pareillement, il y a et excès et défaut et milieu dans les opérations. Or, la vertu morale porte sur les passions et les opérations comme sur sa matière propre, de telle sorte qu'en elles l'excès est vicieux et le défaut condamnable, alors que le milieu est juste et louable. Voilà deux caractéristiques de la vertu: la rectitude qui s'oppose à la perversité vicieuse et la louange qui s'oppose au blâme. Ces deux dernières découlent des deux premières. |
#317. — Ensuite (1106b16), il expose la conclusion induite. Et il dit que ce qu'on a dit doit se comprendre de la vertu morale, qui porte sur les passions et les opérations, en quoi il faut reconnaître un excès et un défaut et un milieu. Et il exemplifie d'abord dans les passions. Il dit en effet qu'il arrive de craindre, d'oser et de désirer et de répugner, c'est-à-dire de fuire quelque chose, et de s'irriter et d'avoir pitié, et universellement de se plaire et de s'attrister plus et moins qu'il ne faut. Ni l'un ni l'autre n'est bien fait. Mais si on craint et ose et [fait] ainsi des autres [passions] pour ce qu'il faut et dans les [matières] où il faut et en regard des [personnes] qu'il faut et pour l'intention qu'il faut et de la manière qu'il faut, voilà le milieu en matière de passions. C'est en cela que consiste le meilleur de la vertu. Et 62 de manière semblable, il y a pour les opérations de l'excès et du défaut et un milieu. Or la vertu morale porte sur les passions et les opérations comme sur sa matière propre; de sorte qu'en elles l'excès est vicieux et le défaut blâmable, mais le milieu est loué et correct. Et voilà deux [choses] qui appartiennent à la vertu: à savoir la rectitude, qui s'oppose à la perversité vicieuse, et la louange, qui s'oppose au blâme, lesquels s'ensuivent des deux premières. |
[73022] Sententia Ethic., lib. 2 l. 6 n. 13 Et sic concludit quod virtus moralis, et in se
considerata est quaedam medietas, et est etiam medii coniectatrix, in quantum
scilicet respicit ad medium et medium operatur. |
318.- Et ainsi il conclut que la vertu morale, considérée en elle-même, est une certaine médiété et, en tant qu'elle vise le milieu et l'opère, elle est visée du milieu, tension vers le milieu. |
#318. — Et ainsi, il conclut que la vertu morale, considérée en elle-même, est une médiété, et regarde à un milieu, en tant qu'elle regarde un milieu et réalise un milieu. |
|
|
|
Lectio
7 |
Leçon 7 : [La vertu, juste milieu, suite] |
|
|
IL POSE LA DEFINITION ELLE-MEME DE LA VERTU, DONT LE PROPRE EST DE CONSISTER DANS LA MEDIETE, PUISQUE L'EXCES ET LE DEFAUT APPARTIENNENT AUX EXTREMES ET AU PECHE, DU FAIT QUE LE MAL (COMME LE DISENT LES PYTHAGORICIENS) APPARTIENT A L'INFINI (L'ILLIMITE). DE PLUS, IL MONTRE COMMENT LA VERTU ELLE-MEME PEUT AUSSI ETRE UNE EXTREMITE. |
|
[73023] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 1 Adhuc peccare quidem
multis modis et cetera. Praemissis duabus rationibus, hic ponit philosophus
tertiam, quae sumitur ex ratione boni et mali. Et dicit, quod multipliciter
contingit peccare; quia malum quod includitur in ratione peccati, (secundum
Pictagoricos) pertinet ad infinitum; et quia bonum secundum eos pertinet ad
finitum: per oppositum est intelligendum quod recte agere contingit solum uno
modo. |
319.- Les deux premières raisons ayant été établies (Cf n° 309), le Philosophe pose ici la troisième qui se prend de la raison du bien et du mal. Et il dit qu'il arrive de pécher d’une multitude de façons. En effet, le mal, qui est inclus dans la raison du péché, appartient à l’infini (l'Illimité) selon les Pythagoriciens, alors que le bien, d'après eux, appartient au fini (Limité): par opposition il faut comprendre qu'agir avec rectitude n’arrive que d'une seule façon. |
#319. — Après les deux raisons précédentes, le Philosophe en amène ici une troisième, qui est prise de la définition du bien et du mal. Et il dit (1106b29) qu'il arrive de plusieurs manières que l'on soit fautif. C'est que le mal, qui est inclus dans la définition de la faute, appartient à l'infini, d'après les pythagoriciens, et que le bien, d'après eux, appartient au [domaine du] fini. Par opposition, on doit comprendre qu'il n'arrive que d'une seule manière d'agir correctement. |
[73024] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 2 Huius autem ratio accipi
potest ex eo quod Dionysius dicit in libro de divinis nominibus, quod bonum
contingit ex una et integra causa, malum autem ex singularibus defectibus;
sicut patet in bono et malo corporali. Turpitudo enim, quae est malum
corporalis formae, contingit quodcumque membrorum indecenter se habeat; sed
pulcritudo non contingit, nisi omnia membra sint bene proportionata et
colorata. Et similiter aegritudo, quae est malum complexionis corporalis,
provenit ex singulari deordinatione cuiuscumque humoris, sed sanitas esse non
(potest) nisi ex debita proportione omnium humorum. Et similiter peccatum in
actione humana contingit quaecumque circumstantiarum inordinate se habeat
qualitercumque, vel secundum superabundantiam vel secundum defectum. Sed
rectitudo eius esse non potest nisi omnibus circumstantiis debito modo
ordinatis. Et ideo sicut sanitas vel pulchritudo contingit uno modo,
aegritudo autem vel turpitudo multis, immo infinitis modis; ita etiam
rectitudo operationis uno solo modo contingit; peccatum autem in actione
contingit infinitis modis. Et inde est quod peccare est facile, quia
multipliciter hoc contingit. Sed recte agere est difficile, quia non
contingit nisi uno modo. |
320.- La raison de cela peut être tirée de ce que dit Denys dans son livre de Div. nom.,: , le bien n'arrive que par une seule cause intègre, alors que le mal provient de tous les défauts particuliers. Ce qui est évident dans le bien et le mal corporels. En effet, la laideur, qui est le mal de la forme corporelle, arrive de l'indisposition ou de la malformation de n'importe quel membre. Mais la beauté n'existe que si tous les membres sont bien proportionnés et colorés. Egalement, la maladie, qui est le mal de la complexion corporelle, provient de chaque dérèglement de n'importe quelle humeur. Mais la santé ne peut exister que par la juste proportion de toutes les humeurs. Semblablement, le péché dans l'action humaine arrive, qu'une quelconque des circonstances ne soit pas donnée de quelque manière qu'on voudra, et la soit selon l'excès soit selon le défaut. La rectitude de l'action humaine cependant existera que dépendamment de toutes les circonstances ordonnées comme il se doit. C’est pourquoi, comme la santé et la beauté n’ont lieu que d'une seule façon, alors que la maladie et la laideur arrivent de multiples façons, et même d'une infinité de manières, ainsi la rectitude de l'opération ne peut avoir lieu que d'une seule manière, alors que le péché se construit d'une infinité de façons. De là vient que pécher est facile, parce que cela a lieu de multiples manières. Mais agir bien est difficile, parce qu'il n'y a qu'une seule façon d'agir avec rectitude. ("On est bon que d’une façon, mais il y en a mille d’être méchant"…) |
#320. — On peut tirer une raison de ce type de ce que dit Denys dans le libre Des noms divins, que le bien se réalise par une cause unique et intègre, et le mal, lui, par des défauts singuliers; comme c'est évident dans le bien et le mal corporel. En effet, la laideur, qui est le mal de la forme corporelle, se réalise quel que soit le membre qui se trouve d'une manière inconvenante. Mais la beauté ne se réalise que si tous les membres sont bien proportionnés et colorés. De manière semblable, la maladie, qui est le mal de la complexion corporelle, provient du désordre singulier de n'importe quelle humeur. Mais la santé ne peut se réaliser qu'à la condition d'une proportion due de toutes les humeurs. Et de manière semblable, la faute dans l'action humaine se produit quelle que soit la circonstance qui se trouve de quelque façon désordonnée, ou par excès ou par défaut. Mais sa rectitude ne se réalisera qu'à travers toutes les circonstances ordonnées de la bonne façon. C'est pourquoi aussi, comme la santé ou la beauté se réalise d'une seule façon, tandis que la maladie et la laideur de nombreuses [façons], de même la rectitude de l'opération se réalise d'une seule façon, tandis que la faute dans l'action se produit de façons infinies. D'où aussi être fautif est facile, parce que cela est possible de multiples façons. Mais agir correctement est difficile, parce que cela n'est possible que d'une seule manière. |
[73025] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 3 Et ponit exemplum, quia
facile est divertere a contactu signi, id est puncti sive in centro
circuli, sive in quacumque alia superficie determinate signati, quia hoc
contingit infinitis modis. Sed tangere signum est difficile, quia contingit
uno solo modo. Manifestum est autem quod superabundantia et defectus
multipliciter contingunt, sed medietas uno modo; unde manifestum fit quod superabundantia
et defectus pertinent ad malitiam, medietas autem ad virtutem, quia boni sunt
aliqui simpliciter, idest uno modo; sed mali sunt multifarie,
id est multipliciter, ut dictum est. |
321.- Il donne un exemple. Il est facile de manquer la cible, de s'éloigner du point central d'un cercle, ou de quelque autre point déterminé de la superficie, parce que cela peut avoir lieu d'une infinité de manières. Mais atteindre le centre de la cible est ardu parce que cela ne peut arriver que d’une seule façon. Or, il est manifeste que l'excès et le défaut se réalisent de plusieurs manières, alors que la médiété se réalise d'une seule façon. Il est donc manifeste que l'excès et le défaut appartiennent au mal, au vice, mais que la médiété appartient à la vertu: on est bon de façon absolue, c'est-à-dire d'une seule manière; on est mauvais de bien des façons, comme on l’a dit. |
#321. — Il amène un exemple; qu'il est facile de manquer le point, c'est-à-dire le point au centre du cercle, ou ce qu'on pointe déterminément dans n'importe quelle surface; cela se produit de façons infinies. Mais toucher le point est difficile parce que cela n'est possible que d'une façon. De là, il devient manifeste que l'excès et le défaut appartiennent à la malice, tandis que la médiété [appartient] à la vertu; car on est bon simplement, c'est-à-dire d'une seule façon; mais on est mauvais de façons variées, c'est-à-dire multiples, comme on a dit. |
[73026] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 4 Deinde cum dicit: est ergo
virtus habitus etc., concludit ex praemissis definitionem virtutis. Et primo
ponit ipsam definitionem. Secundo manifestat eam, ibi, medietas autem duarum
et cetera. Tertio excludit errorem, ibi, non autem suscipit omnis et cetera.
In diffinitione autem virtutis quatuor ponit. Quorum primum est genus quod
tangit cum dicit quod virtus est habitus, ut supra ostensum est. Secundum est
actus virtutis moralis. Oportet enim habitum definiri per actum. Et hoc
tangit cum dicit electivus, idest secundum electionem operans.
Principale enim virtutis est electio, ut infra dicetur. Et quia oportet actum
determinari per obiectum, ideo tertio ponit obiectum sive terminum actionis,
in hoc quod dicit existens in medietate quae ad nos; ostensum est enim
supra, quod virtus inquirit et operatur medium non rei, sed quoad nos. Dictum
est autem supra quod virtus moralis est in appetitu, qui participat rationem.
Et ideo oportuit quartam particulam apponi, quae tangit causam bonitatis in
virtute, cum dicit determinata ratione. Non enim inquirere medium est
bonum, nisi inquantum est secundum rationem determinatum. Verum quia
contingit rationem esse et rectam et erroneam, oportet virtutem secundum
rationem rectam operari, ut supra suppositum est. |
322.- A partir de là, il déduit la définition de la vertu. Il pose d’abord la définition, puis il la manifeste et, enfin, il exclut une certaine erreur. Il fait entrer quatre éléments dans la définition de la vertu. Le premier est le genre qu'il souligne en disant que la vertu est un habitus. Le second est l'acte de la vertu morale. En effet, l'habitus doit se définir par l'acte. Il donne cet élément lorsqu'il dit: l’élection, c’est-à-dire opérant conformément à l'élection. La partie la plus importante de la vertu est l'élection, comme on le dira plus loin. Et parce que l'acte doit être déterminé par l'objet, il pose donc, en troisième lieu l'objet ou le terme de l'action en disant: "existant dans la médiété par rapport à nous". En effet, on a montré plus haut que la vertu recherche et opère non le milieu de la chose, mais le milieu relatif à nous. On a aussi affirmé que la vertu morale est dans l’appétit, qui participe de la raison. C'est pourquoi, il a dû ajouter un quatrième élément qui touche à la cause de la bonté dans la vertu: "par la raison déterminée". En effet, s'enquérir du milieu n'est bon qu'en tant qu'il est conforme à la raison "déterminée". Parce qu'il arrive que la raison soit et droite et erronée, il faut que la vertu opère selon la raison droite, comme on l’a supposé plus haut. |
#322. — Ensuite (1106b36), il conclut la définition de la vertu, à partir de ce qui a été dit. Et en premier, il pose la définition elle-même. En second, il la manifeste (1107a2). En troisième, il exclut une erreur (1107a8). Par ailleurs, il pose quatre [éléments] dans la définition de la vertu. Le premier en est le genre, qu'il touche lorsqu'il dit que la vertu est un habitus, comme on l'a mentionné plus haut. Le second est l'acte de la vertu morale. Il faut en effet définir un habitus par son acte. Et c'est ce qu'il touche lorsqu'il dit électif, c'est-à-dire opérant d'après un choix. L'[élément] principal de la vertu, en effet, c'est le choix, comme on le dira plus loin (1111b4). Et comme il faut déterminer un acte par son objet, c'est pourquoi il pose en troisième l'objet ou le terme de l'action, du fait qu'il dit: résidant dans une médiété en rapport à nous. On a montré en effet plus haut que la vertu recherche et opère le milieu non de la chose, mais en rapport à nous. On a dit par ailleurs de façon semblable que la vertu morale réside dans l'appétit, qui participe à la raison. C'est pourquoi aussi il a fallu apposer une quatrième particule, qui touche la cause de la bonté dans la vertu, lorsqu'il dit: [en conformité] avec une raison déterminée. Rechercher le milieu n'est bon que pour autant que cela est en conformité à une raison déterminée: toutefois, 63 comme il se peut que la raison soit et droite et erronée, il faut que la vertu opère en conformité à la raison droite, comme on l'a posé d'avance plus haut. |
[73027] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 5 Et ad hoc explicandum
subdit, et ut utique sapiens determinabit, scilicet medium. Sapiens
autem hic dicitur non ille qui est sapiens simpliciter, quasi cognoscens
altissimam causam totius universi; sed prudens qui est sapiens rerum humanarum,
ut infra in sexto dicetur. Nam et in arte aedificatoria determinatur quid
bonum sit fieri secundum iudicium sapientis in arte illa. Et idem est in
omnibus aliis artibus. |
323.- Pour expliquer ce dernier point, il ajoute: "Et de toutes manières le sage déterminera, etc. ", à savoir le milieu. Mais ici il appelle sage, non pas celui qui l’est absolument, comme connaissant la cause ultime de tout l’univers, mais le prudent qui est sage dans les choses humaines, comme il apparaîtra dans le sixième livre. Car, dans l’art de la construction ce sera aussi d'après le jugement du sage dans ce domaine que le bien à faire sera déterminé. Le cas est identique dans tous les arts. |
#323. — Et pour expliquer cela, il ajoute: comme le sage en déterminera…, à savoir du milieu. Or on ne dit pas ici sage celui qui est sage tout court, en tant qu'il connaît la cause la plus élevée de tout l'univers; mais le prudent, qui est sage à propos des choses humaines, comme on le dira plus loin, au sixième [livre]. Car même dans l'art de la construction on détermine ce qui est bon à faire d'après le jugement du sage en cet art. Et c'est la même [chose] dans tous les autres arts. |
[73028]
Sententia Ethic., lib. 2 l. 7 n. 6 Deinde cum dicit: medietas
autem duarum etc., manifestat praemissam definitionem quantum ad hoc quod
dixit virtutem in medietate consistere. Et
circa hoc tria facit. Primo ostendit quorum sit medietas. Secundo respectu
cuius attendatur ista mediatio, ibi: et adhuc et cetera. Tertio concludit
quoddam corollarium, ibi, propter quod secundum substantiam et cetera. Dicit
ergo primo, quod virtus ipsa est quaedam medietas inter duas malitias, id est
inter duos habitus vitiosos: eius scilicet qui est secundum superabundantiam
et eius qui est secundum defectum. Sicut liberalitas est medietas inter
prodigalitatem quae vergit in superabundantiam, et illiberalitatem quae
vergit in defectum. |
324.- Il éclaire la définition précédente par rapport à un des éléments qu’il a placé dans la définition: la médiété. Là-dessus, il fait trois réflexions. La première montre à quoi appartient la médiété; la seconde, par rapport à quoi cette médiété doit se prendre; la troisième apporte en conclusion un certain corollaire. Il dit donc en premier que la vertu elle-même est une certaine médiété entre deux malices et entre deux habitus vicieux: à savoir entre le vice qui pèche par excès et celui qui pèche par défaut. Ainsi, la libéralité est médiété entre la prodigalité qui tourne à l'excès, et la mesquinerie qui approche de l’avarice. |
#324. — Ensuite (1107a2), il manifeste la définition précédente quant à ce qu'il a dit que la vertu consiste en une médiété. Et en cela, il fait trois [considérations]. En premier, il montre entre quoi et quoi elle est médiété. En second, en regard à quoi on attend cette médiété (1107a3). En troisième, il conclut un corollaire (1107a6). Il dit donc en premier que la vertu elle-même est une médiété entre deux malices et entre deux habitus vicieux: entre celui, à savoir, qui est en rapport à l'excès et celui qui est en rapport au défaut. Comme la libéralité est une médiété entre la prodigalité, qui tend à l'excès, et l'illibéralité, qui tend à l'avarice. |
[73029] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7 n. 7 Deinde cum dicit: et adhuc etc., ostendit respectu
cuius attendatur superabundantia et defectus et medium. Et dicit adhuc esse
considerandum quod quaedam malitiae per comparationem ad aliquid deficiunt,
aliae vero superabundant tam in passionibus quam in operationibus ab eo
scilicet quod oportet a quo quaedam deficiunt et quaedam superabundant. Sed
virtus, inquantum servat id quod oportet, dicitur medium et invenire per
rationem et eligere per voluntatem. Et sic patet quod virtus et ipsa est
medietas et iterum medium operatur. Medietas
quidem est inter duos habitus, sed medium operatur in actionibus et
passionibus. |
325.- Ensuite, il montre par rapport à quoi se prend l'excès, le défaut et le milieu. Et il dit qu'il faut encore considérer que certaines malices, par comparaison à quelque chose, à savoir à ce qui est convenable, pèchent par défaut, d’autres, par excès, aussi bien dans les passions que dans les opérations. Car les hommes s'éloignent de cette norme qui convient (de ce qu’il faut) par excès et par défaut. Mais la vertu, en tant qu’elle adapte à ce qu’il faut, est dite être ce qui reconnaît le milieu par la raison et le choisit par la volonté. Et ainsi il apparaît que la vertu elle-même est médiété et que, de plus, elle opère le milieu. Voilà ! Elle est médiété entre deux habitus, mais elle opère le milieu dans les actions et les passions. |
#325. — Ensuite (1107a3), il montre en regard de quoi on attend excès et défaut et milieu. Et il dit qu'il faut encore considérer que certaines malices font défaut, en comparaison à quelque chose, tandis que d'autres excèdent, tant dans les passions que dans les opérations, en regard de cela qu'il faut: en regard de quoi certains font défaut et certains excèdent. Mais la vertu, dans la mesure où elle sert ce qu'il faut, est dite trouver le milieu par la raison et le choisir par la volonté. Ainsi devient-il évident que la vertu elle-même est médiété, et que de plus elle opère un milieu. Bien sûr, elle est médiété entre deux habitus, mais elle opère un milieu dans les actions et les passions. |
[73030] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 8 Deinde cum dicit propter
quod secundum substantiam, infert quoddam corollarium ex dictis; scilicet
quod virtus secundum suam substantiam et secundum rationem definitivam est
medietas. Sed inquantum habet rationem optimi in tali genere et bene
operantis sive disponentis, est extremitas. Ad cuius evidentiam considerandum
est quod sicut dictum est, tota bonitas virtutis moralis dependet ex
rectitudine rationis. Unde bonum convenit virtuti morali, secundum quod
sequitur rationem rectam; malum autem convenit utrique vitio, tam
superabundanti quam deficienti, in quantum recedit a ratione recta. Et ideo
secundum rationem bonitatis et malitiae ambo vitia sunt in uno extremo;
scilicet in malo, quod attenditur secundum recessum a ratione. Virtus autem est in
altero extremo, scilicet in bono, quod attenditur secundum sequelam rationis. |
326.- Il tire un certain corollaire des considérations précédentes, à savoir que la vertu, sous le rapport de son essence et selon la définition qui exprime son essence est médiété. Mais en tant qu'elle a raison d’excellence (de ce qu’il y a de meilleur) dans ce genre d’être et en tant qu'elle a raison de bien disposer et de bien faire opérer, elle est un extrême. Pour faire évidence là-dessus, il faut considérer que, comme on l’a dit, toute la perfection de la vertu dépend de la rectitude de la raison. Voilà pourquoi, le bien convient à la vertu morale en autant qu'elle suit la raison droite, mais le mal convient à l’un ou l'autre vice: à celui qui dépasse la raison droite par excès aussi bien qu’à celui qui s’en éloigne par défaut. C'est pourquoi, selon la raison de bonté et de malice les deux vices se situent dans un extrême: à savoir l'extrême du mal qui se prend par écart de la raison. Mais la vertu se place dans l'autre extrême, à savoir l'extrême du bien, qui se prend par conformité à la dictée de la raison. |
#326. — Ensuite (1107a6), il infère un corollaire de ce qu'il a dit, à savoir que la vertu, d'après sa substance et d'après sa raison définitive, est une médiété. Mais en tant qu'elle a raison de meilleur dans un tel genre et d'opérant ou disposant bien, elle est une extrémité. À l'évidence de quoi il y a, comme on l'a dit, que toute bonté de la vertu morale dépend de la rectitude de la raison. Ainsi c'est le bien qui convient à la vertu morale pour autant qu'elle suit la raison droite; tandis que c'est le mal [qui convient] à l'un et l'autre vice, à savoir d'excès [et de défaut], en tant qu'on reste en-deçà de la raison droite. Et c'est pourquoi, en regard de la raison de bonté et de malice, les deux vices sont dans un extrême; à savoir dans le mal, qu'on attend d'après un éloignement de la raison. Tandis que la vertu est dans l'autre extrême, à savoir dans le bien, qu'on attend d'après le fait de suivre la raison. |
[73031] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 9 Non tamen ex hoc virtus et
opposita vitia consequuntur speciem quam definitio significat, quia ratio
recta se habet ad appetitum rectum, sicut motivum et regula extrinseca. Appetitus autem
perversus per vitium non intendit a ratione recta deficere; sed praeter
intentionem hoc ei accidit, per se autem intendit id in quo superabundat vel
deficit. Quod autem est praeter intentionem est per accidens: id autem quod
est extrinsecum et per accidens non constituit speciem, sed species habitus
sumitur secundum obiectum in quod per se tendit. Secundum obiecta autem
medium competit virtuti, extrema autem vitiis. Et ideo philosophus dixit quod
secundum rationem boni, virtus est in extremo, sed secundum substantialem
speciem est in medio. |
327.- Cependant, la vertu et ses vices opposés ne reçoivent pas leur spécification, que manifeste leur définition, par cette relation à la raison droite. Parce que cette raison droite est à l'appétit droit à la manière d'un mouvant (motif) et d'une règle extrinsèque. Or, l'appétit perverti par le vice ne veut pas s'écarter de la raison droite: c'est en dehors de son intention que cela lui arrive; de soi, ce qu'il veut, c'est ce dans quoi il tombe dans l'excès ou le défaut. Or, ce qui est hors de l'intention est accidentel; et ce qui est extrinsèque et par accident ne constitue pas l’espèce. L’espèce de l'habitus se prend d'après l'objet vers lequel il se porte de soi. Or, par rapport à l’objet, le milieu convient à la vertu alors que les extrêmes appartiennent aux vices. Voilà pourquoi il dit que selon la raison du bien, la vertu est un extrême, mais selon l'espèce substantielle (essentielle) elle est dans le milieu. |
#327. — Ce n'est toutefois pas à partir de cela que la vertu et ses vices opposés suivent l'espèce que leur définition leur assigne. Car la raison droite se tient face à l'appétit droit comme à son moteur et sa règle extrinsèque. Par ailleurs, l'appétit perverti par le vice ne vise pas à faire défaut à la raison droite; cela lui arrive en dehors de son intention, mais il vise par soi ce qui excède ou fait défaut. Or ce qui est en dehors de l'intention est par accident; et ce qui est extrinsèque et par accident ne constitue pas l'espèce, c'est plutôt d'après l'objet vers lequel il tend par soi qu'un habitus reçoit son espèce. Or en regard aux objets, c'est le milieu qui convient à la vertu, et les extrêmes aux vices. Et c'est pourquoi il a dit que d'après la raison de bien la vertu est dans un extrême, mais que d'après son espèce substantielle elle est dans le milieu. |
[73032] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 10 Deinde cum dicit: non
autem suscipit etc., excludit quemdam errorem. Posset enim aliquis credere,
quia in operationibus et passionibus virtus tenet medium, vitia autem tenent
extrema, quod hoc contingeret in omnibus operationibus et passionibus. Sed ipse hoc
excludit dicens quod non omnis operatio vel passio animae suscipit
medietatem, quae scilicet ad virtutem pertineat. |
328.- Ici, il exclut une certaine erreur. Quelqu'un, en effet, pourrait croire que ce serait dans toutes les opérations et dans toutes les passions que la vertu tiendrait le milieu et les vices, les extrêmes. Mais lui-même exclut cette position en disant que ce n'est pas toute opération ou toute passion de l’âme qui est susceptible de la médiété, à savoir celle qui appartiendrait à la vertu. |
#328. — Ensuite (1107a8), il exclut une erreur. On pourrait croire, de ce que dans les opérations et les passions la vertu tient le milieu, et les vices tiennent les extrêmes, que cela conviendrait dans toutes les opérations et passions. Mais il exclut cela en disant que ce n'est pas toute opération ou passion de l'âme qui est susceptible de la médiété qui concerne la vertu. |
[73033] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 11 Et hoc manifestat, ibi,
quaedam enim et cetera. Et primo per rationem: quia quaedam tam passiones
quam actiones in ipso suo nomine implicant malitiam, sicut in passionibus
gaudium de malo et inverecundia et invidia. In operationibus autem
adulterium, furtum, homicidium. Omnia enim ista et similia, secundum se sunt
mala; et non solum superabundantia ipsorum vel defectus; unde circa haec non
contingit aliquem recte se habere qualitercumque haec operetur, sed semper
haec faciens peccat. Et ad hoc exponendum subdit, quod bene vel non bene non
contingit in talibus ex eo quod aliquis faciat aliquod horum, puta
adulterium, sicut oportet vel quando oportet, ut sic fiat bene, male autem
quando secundum quod non oportet. Sed simpliciter, qualitercumque aliquod
horum fiat, est peccatum. In se enim quodlibet horum importat aliquid
repugnans ad id quod oportet. |
329.- Il manifeste ce dernier point, en premier lieu, par une argumentation rationnelle. C'est qu'il y a certaines actions et passions dont le nom seul implique malice, telles la joie maligne, l'imprudence, l'envie, et parmi les opérations l'adultère, le vol et l'hominide. Toutes ces passions et actions et celles du même genre sont mauvaises en elles-mêmes: ce n'est pas uniquement leur excès ou leur défaut qui sont mauvais. C'est pourquoi) on ne saurait donc jamais, en ce domaine, agir adroitement, de quelque façon qu'on opère: mais qui fait ces actions est toujours en faute. Et pour exposer davantage cette idée, il ajoute que le bien et le mal dans de pareils cas, par exemple l'adultère, ne tient pas au fait que l'on agit comme il faut, on quand il le faut, etc., de telle sorte que l'action serait bonne si elle était faite comme il se doit et mauvaise, si elle se fourvoyait sur une circonstance de l'acte. Le simple fait de commettre une de ces actions est péché. En effet, c'est en elle-même que l'une quelconque de ces actions s'oppose à ce qu'il doit. |
#329. — Et il manifeste cela (1107a8). D'abord par une raison: que certaines actions et passions impliquent malice dans leur nom même, comme la joie du mal et l'impudence et l'envie. Dans les opérations, par ailleurs, [il y a] l'adultère, le vol, l'homicide. Toutes ces [matières], en effet, et [autres] semblables sont mauvaises en elles-mêmes; et non seulement par leur excès ou défaut. Aussi, à leur sujet, il ne se peut pas qu'on soit correct, de quelque manière qu'on les fasse; mais en faisant cela, toujours on est fautif. Puis, pour exposer cela, il ajoute que dans de telles [matières] le bien ou le non 64 bien ne se produit pas de ce qu'on fasse l'une de ces [choses], par exemple l'adultère, comme il faut, ou quand il faut, ou pour faire bien, et mal, comme il ne faut pas. Mais simplement, de quelque façon qu'on fasse l'une de ces [choses], il y a faute. En soi, en effet, n'importe laquelle d'entre elles implique quelque chose qui répugne à ce qu'il faut. |
[73034] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 12 Secundo ibi: simile
igitur etc., manifestat idem per exempla in vitiis. Et dicit quod quia ista
secundum se malitiam important, simile est quaerere in istis medium et
extrema, sicut si aliquis attribueret medietatem superabundantiam et defectum
circa hoc quod est iniusta facere et timidum et incontinentem esse: quod
quidem esset inconveniens. Cum enim ista importent superabundantiam et defectum,
sequeretur quod superabundantiae et defectus esset medietas, quod est
oppositio in adiecto, et quod superabundantiae esset superabundantia et
defectionis esset defectus quaerendus, quod in infinitum abiret. |
330.- Il manifeste la même chose par des exemples pris dans les vices. Et il dit que, parce que ces actions impliquent en elles-mêmes malice, rechercher en ces actions le milieu et les extrêmes serait un geste semblable à celui de l'homme qui attribuerait la médiété entre l'excès et le défaut dans l'acte d'injustice, de lâcheté ou d'incontinence. Ce qui serait inconvenant. Puisque ces actions impliquent excès ou défaut, il s'ensuivrait que l'excès et le défaut seraient médiété: ce qui est opposé dans le qualitatif. Et ainsi, il y aurait lieu de rechercher l'excès de l'excès et le défaut du défaut: ce qui irait à l'infini. |
#330. — En second (1107a18), il manifeste la même [chose] par des exemples dans les vices. Et il dit que du fait que ces [matières] impliquent en elles-mêmes une malice, chercher en elles un milieu et des extrêmes, c'est comme si on attribuait une médiété entre un excès et un défaut en ce qui concerne commettre des injustices et être timide ou incontinent: ce qui bien sûr serait inconvenant. Comme en effet ces [choses] impliquent excès et défaut, il s'ensuivrait que l'excès et le défaut seraient une médiété, ce qui est une contradiction interne. Et qu'à l'excès il y aurait un excès, et qu'au défaut il y aurait un défaut à chercher, ce qui irait à l'infini. |
[73035]
Sententia Ethic., lib. 2 l. 7 n. 13 Tertio ibi: quemadmodum autem
temperantiae etc., manifestat idem per simile in virtutibus. Manifestum est enim quod quia temperantia et fortitudo
de se important medium, non est in eis accipere superabundantiam et defectum,
quasi aliquis sit superabundanter vel deficienter temperatus aut fortis.
Medium enim non potest esse extremum. Et similiter, quia illa de se important
extrema, non potest esse illorum medietas neque superabundantia et defectus.
Sed qualitercumque operatum est unumquodque eorum vitiosum est. |
331.- Il manifeste la même chose par des cas semblables dans le domaine de la vertu. En effet, il est manifeste que, parce que la tempérance et la force impliquent de soi milieu, il n'est pas question d'accepter à leur égard excès et défaut, comme si quelqu'un était courageux ou tempérant avec excès et défaut. En effet, le milieu ne peut être un extrême. Et, pareillement, parce que les vices et les actions intrinsèquement mauvaises comportent en eux-mêmes les extrêmes, ils ne peuvent avoir de milieu d'excès et de défaut. Mais de quelque manière qu’on opère dans ces cas, il y a faute. |
#331. — En troisième (1107a22), il manifeste la même [chose] par l'[aspect] semblable dans les vertus. Il est manifeste en effet que du fait que la tempérance et le courage impliquent de soi milieu, il n'y a pas lieu de recevoir en eux l'excès et le défaut, comme si on était excessivement ou insuffisamment tempérant ou courageux. Car le milieu ne peut être un extrême. Et de façon semblable, du fait qu'ils impliquent de soi des extrêmes, il ne peut y avoir pour eux de médiété ni d'excès et de défaut. Mais de quelque façon qu'on les fasse chacun d'entre eux est vicieux. |
[73036] Sententia Ethic., lib. 2 l. 7
n. 14 Ultimo autem concludit
quod nullius superabundantiae vel defectus potest esse medietas, neque
medietatis superabundantia aut defectus. |
332.- En dernier, il conclut qu’universellement il n’y a pas de médiété dans l’excès et le défaut ni, non plus, d’excès ou de défaut de médiété. |
#332. — Finalement, il conclut qu'il ne peut y avoir de médiété pour aucun excès ou défaut, ni d'excès ou de défaut pour une médiété. |
|
|
|
Lectio 8 |
Leçon 8 : [Comment Les extrêmes sont des vices] |
|
|
IL MANIFESTE LA DEFINITION DE LA VERTU: IL MONTRE QUE DANS CHAQUE VERTU LE MILIEU EST BON ET LOUABLE, ALORS QUE L’EXTREME EST DETESTABLE ET VICIEUX. CE QU’IL PROUVE EN DISCOURANT SUR LES VERTUS ET LES VICES PARTICULIERS. |
|
[73037] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8
n. 1 Oportet autem non solum et
cetera. Postquam
philosophus ostendit quid est virtus in generali, hic manifestat definitionem
positam in speciali per singulas virtutes. Et circa hoc duo facit. Primo
ostendit hoc esse necessarium. Secundo prosequitur intentum, ibi, circa
timores quidem igitur et cetera. Dicit
ergo primo, quod oportet non solum dici universaliter quid est virtus, sed
etiam adaptare in speciali ad singula. Et rationem huius assignat; quia in
sermonibus qui sunt circa operationes, universales sunt magis inanes, et
particulares sunt magis veri. Et huius rationem assignat, eo quod operationes
sunt circa singularia. Et ita opportunum est quod sermones universales qui
sunt de operabilibus concordant cum particularibus. |
333. - Après avoir montré ce qu'est la vertu en général, le Philosophe manifeste maintenant cette définition en particulier pour chacune des vertus. Ce travail se fait en deux parties: dans la première, il montre la nécessité de la présente étude; dans la seconde, il élabore son projet. Il dit donc, en premier, qu'il ne faut pas seulement dire en général ce qu'est la vertu, mais qu'il faut adapter cette définition en particulier à chacune des vertus. (Il faut en faire une application particulière aux différentes vertus). Il en donne la raison: c'est que dans les discours qui portent sur les opérations, les considérations générales sont moins inutiles, alors que les considérations particulières sont plus vraies car les opérations se déroulent dans le particulier (portent sur des objets singuliers). Il est donc fort convenable que les considérations qui traitent des "opérables" soient en accord avec ce particulier, s'accordent aux objets singuliers. |
#333. — Après avoir montré en général ce qu'est la vertu, le Philosophe manifeste ici en détail, pour chacune des vertus, la définition posée. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier (1107a28), il montre que cela est nécessaire. En second (1107a33), il poursuit son intention. Il dit donc, en premier, qu'il faut non seulement dire universellement ce qu'est la vertu, mais aussi entrer dans le détail des singuliers. Il en donne la raison: c'est que, en [matière] de réflexions sur les opérations, l'universel est plutôt vain, et le particulier est plus vrai. Il en donne comme raison, que les opérations portent sur les singuliers. Ainsi devient-il opportun que les réflexions sur les opérations à poser concordent avec leur [situation] particulière. |
[73038] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8
n. 2 Si ergo dicantur sermones
operationum solum in universali, erunt inanes, tum quia non consequuntur finem
suum qui est directio particularium operationum, tum etiam quia non possunt
universales sermones in talibus sumi, qui non deficiant in aliquo
particularium, propter varietatem materiae, ut supra dictum est. Sed
particulares sermones sunt et efficaciores utpote apti ad dirigendum
operationes; et sunt etiam veriores, quia accipiuntur secundum id in quo
universales sermones verificantur. Et ideo illud quod dictum est in
universali de virtute, sumendum est ex descriptione circa singulas virtutes. |
334. - Si donc l'on ne fait que des considérations générales sur les opérations, ces considérations seront assez vaines: et parce qu'elles n'obtiendront pas leur but qui est la direction des opérations singulières, et parce qu'il est impossible d'obtenir dans de tels cas, des considérations générales qui s'appliqueraient à tous les cas (qui n'échapperaient pas quelque cas particulier) à cause de la variété de la matière, comme on l’a dit plus haut. Mais les principes particuliers sont plus efficaces, en tant que plus aptes à diriger les opérations et aussi plus vraies parce qu'ils sont assumés conformément à la matière où se vérifient les principes généraux. C'est pourquoi, ce qu'on a dit en général de la vertu, doit être assumé à partir le la description portant sur chacune des vertus. |
#334. — Si donc les réflexions sur les opérations se faisaient seulement dans l'universel, ce serait en vain; d'abord, parce qu'elles n'atteindraient pas leur fin, qui est la direction des opérations particulières; ensuite aussi, parce que des réflexions universelles ne peuvent pas se faire, sur pareil [propos], sans faire défaut, pour quelques [cas] particuliers, à cause de la diversité de la matière, comme il a été dit plus haut (#32-36). Les réflexions particulières sont plus efficaces, dans la mesure où elles sont aptes à diriger les opérations; et elles sont aussi plus vraies, parce qu'elles se prennent d'après ce en quoi les réflexions universelles se vérifient. C'est pourquoi ce qui a été dit (#289-332) universellement de la vertu doit, sous mode de description, être repris à propos de chaque vertu. |
[73039] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8
n. 3 Deinde cum dicit: circa
timores quidem etc., exequitur intentum; ostendens per singula quod medium
est bonum et laudabile, extremum autem malum et vituperabile. Et primo
ostendit hoc in virtutibus; secundo in passionibus, ibi, sunt autem et in
passionibus et cetera. Circa primum considerandum est, quod virtutes
dupliciter aliqui distinxerunt. Quidam enim attenderunt distinctionem earum
secundum quosdam generales modos virtutum, qui quidem sunt quatuor. Nam radix
virtutis consistit in ipsa rectitudine rationis secundum quam oportet
actiones et passiones dirigere. Aliter tamen sunt dirigibiles actiones, quam
passiones. Nam actiones quantum est de se non habent aliquam resistentiam ad
rationem, sicut emptio et venditio et alia huiusmodi. Et ideo circa eas non
requiritur nisi quod ratio quamdam aequalitatem rectitudinis statuat. Sed
passiones important inclinationem quandam quae potest resistere et repugnare
rationi dupliciter. |
335. - Il élabore maintenant ce qu'il veut manifester en montrant, à partir de chaque cas particulier, que le milieu est bon et louable, et qu’au contraire, l'extrême est mauvais et abominable. Il le montre d'abord dans les vertus puis, en second, dans les passions. A propos des vertus, il faut considérer que quelques moralistes les ont distingués de deux façons. En effet, certains ont établi leur distinction d’après certains modes généraux des vertus, lesquels sont au nombre de quatre. La racine de la vertu, en effet, consiste dans la rectitude elle-même de la raison. Et c'est d'après cette rectitude qu'il faut diriger toutes les actions et les passions. Cependant, les actions se dirigent autrement que les passions. Car les actions n'offrent pas en elles-mêmes, de résistance à la raison. Ainsi en est-il de l'achat, de la vente, et des opérations de la sorte. C'est pourquoi, relativement à ces opérations, il est uniquement requis que la raison décrète l'égalité de la rectitude. Mais les passions comportent une certaine inclination qui peut répugner à la raison d'une double façon. |
#335. — Ensuite (1107a33), il exécute son intention et montre, d'un singulier à l'autre, que le milieu est bon et louable, tandis que l'extrême est mauvais et blâmable. En premier, il le montre dans les vertus. En second (1108a30), dans les passions. Sur le premier [point], il est à noter qu'on a distingué les vertus de deux manières. Certains, en effet, attendent leur distinction d'après certains modes généraux des vertus, au nombre de quatre, bien sûr. D'abord, la racine de la vertu consiste dans la rectitude même de la raison; c'est d'après elle qu'il faut diriger toutes actions et passions. Cependant, les actions se dirigent autrement que les passions. Les actions, en effet, quant à ce qui les concerne, ne comportent pas de résistance à la raison, comme l'achat et la vente et les autres de même sorte. C'est pourquoi, à leur sujet, il n'est rien requis, sinon 65 que la raison établisse une égalité de rectitude. Tandis que les passions impliquent une inclination qui peut répugner à la raison de deux manières. |
[73040] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8
n. 4 Uno modo ex eo quod
rationem trahit ad aliud; sicut patet de omnibus passionibus, quae pertinent
ad prosecutionem appetitus; sicut concupiscentia, spes, ira, et alia
huiusmodi. Et circa has passiones oportet quod ratio rectitudinem statuat
reprimendo et refrenando eas. Alio modo ex eo quod passio retrahit ab eo quod
est secundum rationem; ut patet in omnibus passionibus quae important fugam
appetitus, sicut timor, odium et similia. Et in huiusmodi passionibus oportet
quod ratio rectitudinem statuat, firmando animum in eo quod est secundum
rationem. Et secundum haec quatuor nominantur virtutes quae a quibusdam
principales dicuntur. Nam ad prudentiam pertinet ipsa rectitudo rationis.
Ad iustitiam vero aequalitas in operationibus constituta. Ad fortitudinem
autem firmitas animi, ad temperantiam vero refrenatio vel repressio
passionum, sicut ipsa nomina sonant. |
336. - D'une première façon, du fait qu'elle entraîne la raison vers quelque chose d'autre: comme cela arrive clairement dans toutes les passions qui appartiennent au mouvement de poursuite de l'appétit: la concupiscence, l'espoir, la colère, et les autres passions de la sorte. Et par rapport à ces passions, la raison doit établir sa rectitude en les réprimant et en les refreinant. La seconde façon tient du fait que la passion fuit devant ce qui est conforme à la raison, comme on le voit dans toutes les passions qui comportent un mouvement de fuite de l'appétit comme la crainte, la haine, et les passions du même genre. Et, dans ces passions, il faut que la raison impose sa rectitude en affermissant l'âme dans ce qui est conforme à la raison. Et d'après les considérations précédentes, on nomme quatre vertus, qui sont appelées principales par quelques-uns. En effet, la rectitude elle-même de la raison appartient à la prudence: l'égalité établie dans les opérations relève de la justice: la fermeté de l'âme est l'œuvre de la force et la répression des passions appartient à la tempérance. C'est d'ailleurs ce qu'indiquent les noms de ces vertus. |
#336. — D'une première manière, du fait d'entraîner la raison ailleurs, comme on le voit en toutes les passions qui impliquent une poursuite de la part de l'appétit: le désir, l'espoir, la colère, et d'autres de la sorte. Concernant ces passions, la raison doit établir sa rectitude en les réprimant et en les refrénant. D'une autre manière, du fait que la passion retienne de ce qui est conforme à la raison, comme dans toutes les passions qui impliquent une fuite de l'appétit: la crainte, la haine et de semblables. Dans des passions de la sorte, la raison doit établir sa rectitude en affermissant l'âme dans ce qui est conforme à la raison. D'après cela, nous nommons quatre vertus, dites principales par d'aucuns. En effet, à la prudence appartient la rectitude même de la raison. À la justice, par ailleurs, l'égalité établie dans les opérations. Au courage, ensuite, la fermeté de l'âme. À la tempérance, la répression des passions, comme les noms mêmes sonnent. |
[73041] Sententia
Ethic., lib. 2 l. 8 n. 5 Quidam igitur istas virtutes generaliter
acceperunt putantes omnem cognitionem veritatis ad prudentiam pertinere,
omnem aequalitatem actionum ad iustitiam, omnem firmitatem animi ad
fortitudinem, omnem refrenationem vel repressionem ad temperantiam. Et sic locuti sunt de his virtutibus Tullius et Seneca
et alii quidam. Unde posuerunt has virtutes esse quasi generales, et dixerunt
omnes virtutes esse earum species. |
337. - Donc, certains ont pris ces vertus dans un sens général croyant que toute connaissance de la vérité s'attribuait à la prudence, que l'égalité de toutes les actions relevait de la justice, que toute fermeté de l'âme appartenait à la force, et que toute retenue ou répression était œuvre de la tempérance. C'est de cette façon que parlent de ces vertus Tullius et Sénèque et certains autres. De là, ils ont fait de ces vertus quasi des vertus générales et ont affirmé que toutes les autres vertus étaient leurs espèces. |
#337. — Certains donc ont pris de façon générale ces vertus en pensant que toute connaissance de la vérité revient à la prudence, l'égalité de toutes les actions à la justice, toute fermeté de l'âme au courage et toute modération ou répression à la tempérance. Ainsi ont parlé de ces vertus Tullius, Sénèque et quelques autres. En conséquence, ils ont posé ces vertus comme générales et ont prétendu que toutes les [autres] vertus sont leurs espèces. |
[73042] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 6 Sed ista virtutum distinctio non videtur esse
conveniens. Primo quidem, quia praedicta quatuor sunt talia, sine quibus
nulla virtus esse potest, unde per haec non possunt species virtutum
diversificari. Secundo quia species virtutum et vitiorum non accipiuntur ex
parte rationis, sed ex parte obiecti, ut supra dictum est. |
338. - Mais cette distinction des vertus ne semble pas convenable. Et en premier, parce que les vertus susdites sont telles que sans elles aucune vertu ne peut exister. Ce n'est donc pas par là que les espèces de vertu peuvent se distinguer. En second, les espèces des vertus et des vices ne se prennent pas par rapport à la raison, mais par rapport à leur objet, comme on l'a dit plus haut. |
#338. — Mais cette distinction des vertus ne convient manifestement pas. En premier, bien sûr, parce que les quatre [modes] énumérés sont tels qu'aucune vertu ne peut exister sans eux, de sorte que les espèces de la vertu ne peuvent pas se distinguer par là. En second, les espèces des vertus et des vices ne se prennent pas en partant de la raison, mais de l'objet, comme il a été dit plus haut (#322). |
[73043] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 7 Et ideo convenientius Aristoteles virtutes distinxit
secundum obiecta sive secundum materias. Et secundum hoc praedictae virtutes
quatuor, non dicuntur principales quia sint generales sed quia species earum
accipiuntur secundum quaedam principalia; sicut prudentia, est non circa
omnem cognitionem veri, sed specialiter circa actum rationis qui est
praecipere, iustitia autem est non circa omnem aequalitatem actionum, sed
solum in actionibus quae sunt ad alterum in quibus melius est aequalitatem
constituere; et similiter fortitudo est non circa quamlibet firmitatem, sed
solum in timoribus periculorum mortis, temperantia autem est non circa
quamlibet refrenationem, sed solum in concupiscentiis delectationis tactus. Aliae vero virtutes
sunt circa quaedam secundaria, et ideo possunt reduci ad praedictas, non
sicut species ad genera, sed sicut secundariae ad principales. |
339. - C'est pourquoi Aristote divise les vertus plus correctement d'après leur objet ou d'après leur matière. Et de cette façon, les quatre vertus énumérées plus haut, ne sont pas dites principales parce qu'elles sont générales, mais parce que leurs espèces se prennent par rapport à des matières principales. La prudence, par exemple, ne porte pas sur toute connaissance du vrai, mais porte spécialement sur l'acte de la raison qui est le commandement. La justice, elle, n'a pas comme objet toute égalité des actions, mais ne pose l'égalité que dans ce qui dit relation à autrui où il est meilleur de constituer l'égalité. La force n'a pas en vue n'importe quelle fermeté, mais uniquement celle qui se trouve dans la crainte des périls de mort. La tempérance ne vise pas toute retenue, mais elle porte sa maîtrise dans les concupiscences et les délectations du toucher. Les autres vertus concernent plutôt des matières secondaires. Voilà pourquoi elles peuvent se réduire aux vertus précédentes, non comme des espèces se ramènent à leur genre, mais comme des vertus secondaires à des vertus principales. |
#339. — Aussi est-ce avec plus de convenance qu'Aristote a distingué les vertus, d'après leurs objets ou d'après leurs matières. Ainsi, les quatre vertus mentionnées ne se disent pas principales parce qu'elles sont générales, mais parce que leur spécification se prend d'[objets] principaux. Ainsi, la prudence ne porte pas sur toute connaissance du vrai, mais spécialement sur cet acte de la raison qui consiste à commander. La justice, elle, ne porte pas sur toute égalité des actions, mais seulement sur celles qui ont rapport à autrui, où, le mieux, il y a une égalité à constituer. Le courage ne porte pas sur toute fermeté, mais seulement sur les craintes des dangers de mort. La tempérance ne porte pas sur toute modération, mais seulement en [matière] de désirs et de plaisirs du toucher. Puis, d'autres vertus interviennent, mais en second. C'est pourquoi elles peuvent se réduire aux précédentes, non comme des espèces à leurs genres, mais comme de secondes à des principales. |
[73044] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 8 His igitur praesuppositis sciendum est, quod de
iustitia et prudentia hic philosophus non agit, sed infra in quinto et sexto.
Agit autem de temperantia et fortitudine, et quibusdam aliis secundariis
virtutibus. Quae omnes sunt circa aliquas passiones. Sed omnes passiones animae
respiciunt aliquod obiectum: quod quidem pertinet vel ad ipsam hominis
corporalem vitam, vel ad exteriora bona, vel ad humanos actus. Primo ergo
facit mentionem de virtutibus quae sunt circa passiones, quarum obiecta
pertinent ad corporalem vitam. Secundo de illis quae pertinent ad exteriora
bona, ibi, circa dationem autem pecuniarum etc.; tertio de illis, quae respiciunt
exteriores actus, ibi, sunt autem et aliae tres et cetera. Circa primum duo facit. Primo loquitur de fortitudine,
quae respicit pericula interimentia vitam. Secundo de temperantia, quae
respicit ea quae sunt utilia ad conservandam vitam, scilicet cibos, quibus
conservatur vita in individuo, et venerea quibus conservatur in specie, ibi:
circa delectationes autem et cetera. |
340. - Ceci présupposé, il faut savoir que le Philosophe ne touche pas ici à la justice et à la prudence; ce qu'il fera plus lois dans les cinquième et sixième livres. Cependant, il traite de la tempérance et de la force et de certaines autres vertus secondaires. Ces vertus portent toutes sur quelque passion. Mais toutes les passions de l'âme ont un certain objet, qui appartient soit à la vie corporelle de l'homme, soit aux biens extérieurs, soit aux actes humains. Donc, il fait d'abord mention des vertus qui portent sur les passions dont l'objet appartient à la vie corporelle. En second, il traite des vertus qui règlent les passions portant sur des biens extérieurs. En troisième, il parle de celles qui disent rapport aux actes extérieurs. Ainsi, par rapport à ce qui a trait à la vie corporelle, il fait la division suivante. En premier, il traite de la force qui regarde les périls mettant la vie en danger. En second, il traite de la tempérance qui vise ce qui est utile à la conservation de la vie, c'est-à-dire, les aliments, qu’l conservent la vie dans l'individu et les choses vénériennes qui conservent la vie de l'espèce. |
#340. — Ceci présupposé, donc, il est à savoir que le Philosophe ne traite pas de la justice et de la prudence ici, mais plus loin, aux cinquième (#885-1108) et sixième (1161-1173) [livres]. Il traite cependant de la tempérance et du courage, et d'autres vertus secondaires. Elles portent toutes sur des passions; mais toutes les passions de l'âme regardent un objet, lequel, certes, touche la vie corporelle même de l'homme, ou des biens extérieurs, ou des actes humains. En premier (1107a33), donc, il fait mention des vertus qui portent sur les passions, dont les objets appartiennent à la vie corporelle. En second (1107b8), sur celles dont [les objets] appartiennent à des biens extérieurs. En troisième (1108a9), sur celles dont [les objets] regardent des actes extérieurs1. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il parle du courage, qui regarde les dangers qui détruisent la vie. En second (1107b4), de la tempérance, qui regarde ce qui sert à conserver la vie, à savoir les nourritures, par lesquelles se conserve la vie de l'individu, et les [relations] sexuelles, par lesquelles se conserve celle de l'espèce. |
[73045] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 9 Dicit ergo primo, quod fortitudo est medietas circa
timores et audacias, inquantum scilicet respiciunt pericula mortis. Sed eorum
qui superabundant, ille qui superabundat in hoc quod est esse intimidum, qui
etiam deficit in timendo, est innominatus, quia raro hoc accidit. Et multa
similiter sunt innominata, propter hoc, quod homines ea non adverterunt communiter
ut sic ipsis nomina imponerent. Ille vero qui superabundat in audendo,
vocatur audax. Et differt ab intimido. Nam ille dicitur secundum defectum
timoris, audax autem secundum excessum audaciae. Ille vero qui superabundat
in timendo, et deficit in audendo, vocatur timidus. |
341. - Il dit donc, en premier, que la force est médiété portant sur les craintes et les audaces, en tant que ces dernières sont soulevée par les dangers de mort. Parmi ceux qui excèdent, celui qui le fait par impavidité et qui en même temps n'a pas assez de crainte, n'a pas reçu de nom, parce qu'il s'agit d'un cas rare. C'est le cas de plusieurs vices et vertus de n'avoir pas reçu de noms, parce que les hommes n'ont pas généralement assez porté attention à ces états pour leur imposer un nom. Celui qui excède (dépasse la mesure) par audace s'appelle audacieux. Et il diffère de celui qui est impavide (impassible): ce dernier recevant son nom du défaut de crainte, alors que l'audacieux se caractérise par l'excès d'audace. Mais celui qui excède dans la crainte tout en manquant d'audace s'appelle un lâche. |
#341. — Il dit donc, en premier, que le courage constitue le milieu en [matière] de craintes et d'audaces, tant qu'elles regardent les dangers de mort. Pour ce qui est des excès, celui qui excède en ce qui est d'être sans crainte, qui même omet de craindre, n'a pas de nom, parce que cela arrive rarement. Beaucoup de [cas] semblables n'ont pas de nom, du fait qu'on ne les observe pas communément, ce qu'il faudrait, pour leur imposer des noms. Par ailleurs, celui qui ose avec excès s'appelle un audacieux[8]. Et il diffère de celui qui est sans crainte. En effet, celui-là se dit d'après le manque de crainte, tandis que l'audacieux se dit d'après l'excès d'audace. Celui cependant qui craint avec excès, et omet d'oser, s'appelle un lâche. |
[73046] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 10 Deinde cum dicit: circa delectationes autem etc.,
introducit de temperantia. Et dicit quod temperantia inducit de temperantia.
Et dicit quod temperantia est medietas, non circa omnes delectationes et
tristitias, sed circa eas quae sunt tactus pertinentes ad cibos et venerea.
Minus autem est circa tristitias quam circa delectationes, nam huiusmodi
tristitiae, causantur ex sola absentia delectationum. Superabundantia
autem in talibus vocatur intemperantia. Sed defectus non multum fit, propter
hoc quod omnes naturaliter appetunt delectationem. Et inde est quod iste defectus est innominatus. Sed
ipse imponit nomen; et vocat tales insensibiles, eo quod huiusmodi delectationes
sensu percipiuntur. Et ideo ille, qui refugit has delectationes praeter
rationem rectam, convenienter vocatur insensibilis. |
342. - Il introduit à la tempérance. Et il dit que la tempérance est médiété, non pas par rapport à toutes les délectations et à toutes les peines, mais uniquement par rapport à celles qui relèvent du toucher concernant les aliments et les choses vénériennes. Elle concerne moins les tristesses que les délectations, les tristesses de cette sorte étant causées par la seule absence des délectations. L'excès dans ces choses s'appelle l'intempérance. Mais le défaut (le pas-assez) n'est pas fréquent, parce que tous désirent naturellement la délectation. De là vient que le défaut dans les délectations n’a pas reçu de nom. Mais Aristote, lui, en fabrique un et il appelle ces hommes "insensibles" du fait que ces sortes de délectations sont perçues par le sens. Voilà pourquoi, celui qui se refuse ces délectations plus que le demande la raison droite s'appelle convenablement insensible. |
#342. — Ensuite (1107b4), il introduit la tempérance. Il dit que la tempérance constitue le milieu, non pour tous les plaisirs et tristesses, mais pour ceux qui relèvent du toucher, en ce qui concerne les nourritures et les [relations] sexuelles. Elle porte toutefois moins sur les tristesses que sur les plaisirs. En effet, les tristesses de cette sorte sont produites par la seule absence des plaisirs. Par contre, l'excès, en de telles [matières], s'appelle de l'intempérance. Le défaut, quant à lui, ne se produit pas beaucoup, du fait que tous désirent naturellement le plaisir. Aussi ce défaut reste-t-il sans nom. Mais Aristote lui impose un nom; il appelle de pareilles [gens] des insensibles, comme les plaisirs de cette sorte se perçoivent par le sens. C'est pourquoi on appelle convenablement un insensible celui qui fuit ces plaisirs au delà de la raison droite. |
[73047] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 11 Deinde cum dicit: circa dationem autem etc., introducit
de virtutibus quae respiciunt exteriora. Et primo de his quae sunt circa
concupiscentias exteriorum bonorum. Secundo de virtute quae respicit
exteriora mala, ibi, est autem et circa iram et cetera. Exteriora autem bona
sunt divitiae et honores. Primo igitur introducit de virtutibus quae
respiciunt divitias. Secundo de his quae respiciunt honores, ibi: circa
honorem autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo introducit de
liberalitate, quae est circa mediocres divitias. Secundo de magnificentia,
quae est circa magnas, ibi, circa pecunias autem et cetera. Dicit ergo primo
quod liberalitas est medietas circa dationem et acceptionem pecuniarum. Sed
prodigalitas et illiberalitas se habent secundum superabundantiam et
defectum, contrario modo. Nam prodigus superabundat in datione et deficit in
acceptione. Illiberalis autem e contrario superabundat in acceptione et
deficit in datione. Haec autem hic
dicuntur typo, idest exemplariter, et in capitulo, idest
summarie; sed postea et de his et de aliis determinabitur certius. |
343. - Il s'attaque aux vertus qui regardent les biens extérieurs. Et il parle en premier de celles qui portent sur les désirs des biens extérieurs. En second, il traite de la vertu qui a rapport aux maux extérieurs. Or les biens extérieurs sont les richesses et les honneurs. Donc, en premier, il nous introduit aux vertus qui règlent les passions portant sur les richesses. En second, il traite des vertus qui ont trait aux honneurs. Par rapport aux vertus qui règlent la possession des richesses, il fait une division. En premier, il commence l'étude de la libéralité, qui porte sur les richesses peu importantes (petites sommes, d'argent); puis, il dit un mot de la magnificence qui porte sur les richesses considérables. Il dit donc en premier, que la libéralité est médiété en ce qui concerne le fait de donner et de recevoir de l'argent. Mais la prodigalité et l'avarice constituent l'excès et le défaut, de façon contraire. En effet, le prodigue va trop loin dans le don et pas assez dans l'acceptation. L'avare, au contraire, est trop empressé à recevoir et pas assez à donner. Tout ceci est donné par mode d'exemple et de façon schématique; plus tard, on traitera de ces vertus et des autres avec plus de certitude. |
#343. — Ensuite (1108b9), il introduit les vertus qui regardent les [biens] extérieurs. En premier, celles qui portent sur les désirs des biens extérieurs. En second (1108a4), la vertu qui regarde des maux extérieurs. Les biens extérieurs, ce sont les richesses et les honneurs. En premier, donc, il introduit les vertus qui regardent les richesses. En second (1107b21), celles qui regardent les honneurs. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il introduit la libéralité, qui porte sur les richesses ordinaires. En second (1107b16), la magnificence, qui porte sur les grandes. Il dit donc, en premier, que la libéralité constitue le milieu en ce qui concerne donner et prendre de l'argent, tandis que la prodigalité et l'avarice suivent l'excès et le défaut, en mode contraire: le prodigue donne avec excès et manque à prendre. L'avare, lui, au contraire, prend avec excès et manque à donner. Tout cela, néanmoins, est présenté ici en gros, c'est-à-dire sous mode d'exemples, et en résumé, c'est-à-dire sommairement; mais plus loin (#528-594; 595-648; 658-706), on déterminera plus en détail de cela et d'autre chose. |
[73048] Sententia Ethic., lib. 2 l. 8 n. 12 Deinde cum dicit: circa pecunias autem etc., introducit
de magnificentia. Et dicit quod praeter praedictas dispositiones, scilicet
liberalitatem et opposita vitia, sunt etiam quaedam aliae circa pecunias,
circa quas etiam magnificentia est medietas quaedam. Sed differt magnificus a
liberali, in hoc quod magnificus est circa magna, sed liberalis est etiam
circa parva. Sed superabundantia respectu magnificentiae vocatur apyrocalia
ab a, quod est sine, et pyros quod est experientia, et calos, quod est bonum,
quasi sine experientia boni; quia scilicet multa expendentes non curant
qualiter bene expendant: vocatur etiam haec superabundantia banausia,
a banos, quod est fornax, quia scilicet ad modum fornacis omnia consumunt.
Sed defectus vocatur parvificentia. Et hae etiam extremitates
differunt ab his quae contrariantur liberalitati. Quomodo autem differant,
dicetur posterius in quarto. |
344.- Il dit un mot de la magnificence. Il dit qu'outre les dispositions précédentes et la libéralité et les vices opposés, il y a encore des dispositions qui portent sur l'argent. La magnificence est la médiété à l’égard de l'argent. Cependant, l'homme magnifique se distingue du libéral en ce que le premier a affaire à des sommes considérables, le second à des sommes peu importantes. Mais 1frl'excès par rapport à la magnificence s'appelle "apyrocalia" - mot composé du a privatif - de pyros qui signifie expérience et de kalos, qui veut dire bon: sans expérience du bien. Cet excès se manifeste chez celui qui fait de grandes dépenses sans se soucier s'il dépense bien (mauvais goût -ostentation). Cet excès s'appelle aussi "banausia": banos signifiant fournaise: les hommes pris de ce vice brûlent tout à la manière d'une fournaise. Cet extrême différent aussi de ceux qui s'opposent à la libéralité. De quelle façon ils s'en distinguent on le dira plus loin dans le quatrième livre. De là vient que le défaut dans les délectations n'a pas reçu de nom. Mais Aristote, lui, en fabrique un et il appelle ces hommes "insensibles" du fait que ces sortes de délectations sont perçues par le sens. Voilà pourquoi, celui qui se refuse ces délectations plus que le demande la raison droite s'appelle convenablement insensible. |
#344. — Ensuite (1107b16), il introduit la magnificence. Il dit qu'en plus des dispositions qui précèdent et de la libéralité et des vices opposés, il en existe encore d'autres à propos de l'argent, pour quoi la magnificence constitue aussi un milieu. Mais le magnifique diffère du libéral en cela que le magnifique s'intéresse à de grandes [sommes d'argent], tandis que le libéral s'intéresse à de petites. L'excès, en respect de la magnificence, s'appelle apyrocalia, de a, qui signifie sans, et de pyros, qui signifie expérience, et de calos, bon, au sens de sans expérience du bien, étant donné que, tout en dépensant beaucoup, on ne se préoccupe pas de la manière de bien dépenser; cet excès s'appelle aussi banausia, de banos, qui signifie fornax, parce qu'on consume toutes choses à la manière d'une fournaise. Le défaut, quant à lui, s'appelle de la mesquinerie2. Ces extrêmes diffèrent aussi de ce qui contrarie la libéralité. Mais de quelle manière ils diffèrent, ce sera dit plus tard, au quatrième [livre] (#707-734). |
|
|
|
Lectio
9 |
Leçon 9 : [Les Vertus en rapport aux honneurs] |
Leçon 9 |
|
ON PASSE EN REVUE LES VERTUS QUI ONT RAPPORT AUX HONNEURS, GRANDS ET PETITS. ON S’ATTACHE SURTOUT A LA MANIFESTATION DES VERTUS ET DES VICES, A SAVOIR QUELLE EST LEUR SITUATION COMME EXTREMES ET MEDIETES. CE QUE L'ON MONTRE ET DANS LES VERTUS QUI DISENT RAPPORT AUX ACTES HUMAINS, ET DANS CERTAINES PASSIONS LOUABLES. |
|
[73049] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 1 Circa honorem autem et
cetera. Positis virtutibus quae respiciunt divitias, hic ponit virtutes quae
respiciunt honores. Et primo ponit virtutem quae respicit magnos honores.
Secundo virtutem quae respicit mediocres, ibi, sicut autem dicimus et cetera.
Dicit ergo primo, quod magnanimitas est medietas circa honorem et inhonorationem.
Superabundantia
autem in prosequendo ea quae pertinent ad magnum honorem, est quaedam
dispositio, quae dicitur chaumotes, ex eo quod ardet in his quae pertinent ad
appetitum honoris. Nam cauma incendium
dicitur, sed, quia capnos in Graeco idem est quod fumus, potest etiam si sic
scribatur chapnotes dici, quasi fumositas. Consuevimus enim eos qui
nimis anhelant ad ascendendum ad aliqua alta vel magna, vocare ventosos vel
fumosos. Sed defectio opposita magnanimitati vocatur pusillanimitas. |
345.- Après avoir étudié sommairement les vertus qui portent sur les richesses, Aristote traite ici de celles qui concernent les honneurs. Il pose tout d'abord celle qui regarde les grands honneurs; ensuite, celle qui porte sur les petits. Il dit donc, en premier, que la magnanimité est médiété dans le domaine de l'honneur et du déshonneur. L'excès dans la poursuite de ce qui appartient au grand honneur est une certaine disposition qu’on appelle "chaumotes", du fait que l'homme ainsi disposé brûle pour tout ce qui appartient à l'appétit de l'honneur. En effet, "cauma" signifie incendie, mais "capnos" en grec, est la même chose que fumée. On peut aussi, si le mot s’écrit "chapnotes", traduire: fumosité. En effet, on a coutume d'appeler ceux qui aspirent trop à monter haut ou aux choses élevées, des "pleins de vent" ou 'lies pleins de fumée, des vaporeux". Mais le défaut opposé à la magnanimité s'appelle la pusillanimité. |
#345. — Une fois présentées les vertus qui regardent les richesses, il présente ici les vertus qui regardent les honneurs. En premier (1107b21), il présente la vertu qui regarde de grands honneurs. En second (1107b24), la vertu qui regarde des ordinaires. Il dit donc, en premier, que la magnanimité constitue le milieu en [matière] d'honneur et d'hommage. L'excès, par ailleurs, dans la poursuite de ce qui a trait à un grand honneur, est une 2disposition[9] que l'on appelle chaumotes, de cela qu'elle consume en tout qu'inspire le désir d'honneur3. En effet, cauma 4 signifie brûlure, mais capnos 5, en grec, a le même [sens] que fumée. On pourrait même, si l'on écrivait chapnotes 6, traduire fumosité, car nous avons l'habitude d'appeler enflés ou gonflés les [gens] qui aspirent trop à monter vers de hauts ou de grands [honneurs]. À l'opposé, le manque opposé à la magnanimité s'appelle de la pusillanimité. |
[73050] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 2 Deinde cum dicit: sicut
autem dicimus etc., ponit aliam virtutem, quae est circa mediocres honores.
Et dicit quod sicut dictum est quod liberalitas differt a magnificentia in eo
quod liberalitas est circa parva, cum magnificentia sit circa magna, ita
etiam ad magnanimitatem, quae est circa magnum honorem, se habet quaedam
virtus, quae est circa honorem qui existit parvus. Et quod circa hoc oporteat esse
aliquam virtutem in medio existentem, manifestat per hoc quod subdit, quod
contingit etiam mediocrem honorem appetere sicut oportet, quod pertinet ad
medium virtutis; et magis quam oportet, quod pertinet ad superabundantiam; et
minus quam oportet, quod pertinet ad defectum. Ille autem qui superabundat in
desiderio honoris, vocatur philotimus, id est amator honoris; ille
autem qui deficit in appetitu honoris vocatur aphilotimus, idest sine
amore honoris. Ille autem qui medio modo
se habet est innominatus. |
346. - Il pose l'autre vertu qui a comme domaine les petits honneurs. Il dit que, comme on a affirmé que la libéralité se distingue de la magnificence du fait qu'elle porte sur la petite richesse alors que la magnificence porte sur la grande, ainsi on retrouve proche de la magnanimité, qui porte sur le grand honneur, une vertu qui a comme domaine le petit honneur. Et qu'il faille une vertu située au milieu, portant sur le petit honneur, il le manifeste en soulignant qu'il arrive de désirer le petit honneur comme il convient: ce qui appartient au milieu de la vertu; et plus qu'il ne le faut: ce qui appartient à l'excès; et moins qu’il ne le se doit: ce qui appartient au défaut. Celui qui excède dans le désir de l'honneur s'appelle "philotimus" c’est-à-dire l'ami de l’honneur. Celui dont le désir est trop faible s’appelle "aphilotimus", c'est-à-dire ennemi de l'honneur. Quant à celui qui tient le milieu, il n'a reçu aucun nom. |
#346. — Ensuite (1107b24), il présente une autre vertu, portant sur les honneurs ordinaires. On a dit (#344) que la libéralité diffère de la magnificence en ce que la libéralité porte sur les petites [dépenses], alors que la magnificence porte sur les grandes; il y a, concernant les petits honneurs, une vertu qui entretient un rapport semblable avec la magnanimité, qui a trait aux grands honneurs. Il doit exister une vertu pour constituer le milieu à ce propos; il le manifeste en signalant qu'il arrive aussi de désirer l'honneur ordinaire comme il faut, ce qui relève du milieu de la vertu, plus qu'il ne faut, ce qui tient à l'excès, et moins qu'il ne faut, ce qui tient au défaut. Celui qui désire l'honneur avec excès s'appelle un ambitieux7, tandis que celui qui manque d'intérêt pour l'honneur, s'appelle un indifférent8. Mais celui qui occupe le milieu reste sans nom. |
[73051] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 3 Et similiter etiam dispositiones,
id est habitus vitiorum et virtutis mediae, sunt innominatae. Possumus tamen
nomina fingere, vocantes dispositionem qua quis est philotimus, philotimiam;
et similiter dispositio qua quis dicitur aphilotimus potest dici aphilotimia.
Sed quia medium non est nominatum, ideo illi qui sunt in extremo contendunt
de media regione, dum scilicet uterque se dicit esse in medio: et loquitur ad
similitudinem duarum civitatum, inter quas solet esse contentio de mediis
finibus, quando non est certus limes praefixus, dum utraque dicit territorium
medium ad se pertinere. Sed quia hoc fere commune est in omnibus vitiis, quod
uterque extremorum reputat se esse in medio et virtuosum in altero extremo,
sicut timidus reputat fortem audacem, quem audax reputat timidum;
consequenter ponit quod est proprium in hac materia: quia non solum vitiosi
ascribunt sibi ipsis nomen virtutis, sed etiam virtuosi, propter hoc quod
medium virtutis est innominatum, utuntur nomine vitii, quasi nomine virtutis. |
347.- 348.- Et pareillement, les dispositions, c’est-à-dire les habitus des vices ou de la vertu intermédiaire n'ont aucun nom … Texte d’Aristote : "Aussi ceux qui tiennent les extrêmes cherchent-il à obtenir par possession du terrain moyen; et nous-mêmes, il nous arrive d'appeler celui qui tient milieu tantôt ami et tantôt ennemi des honneurs, il nous arrive de louer tantôt celui qui a le goût des honneurs et tantôt celui qui s'en détourne. Nous expliquerons plus tard pour quelle raison nous agissons ainsi. Pour le moment, achevons de la façon que nous avons adoptée." Par mode d'exemple et de façon schématique. |
#347. — De même, les dispositions, c'est-à-dire les habitus des vices ou de la vertu médiane, restent sans nom. Nous pouvons cependant forger des noms, et appeler ambition la disposition qui rend ambitieux, et indifférence la disposition qui rend indifférent. Comme le milieu n'est pas nommé, ceux qui se tiennent aux extrêmes se disputent la région médiane: l'un et l'autre se prétend dans le milieu. Il manifeste cela par l'assimilation à deux cités, entre lesquelles, d'habitude, il y a dispute sur les frontières médianes; tant qu'il n'y a pas une limite certaine de fixée, l'une et l'autre prétend que le territoire du milieu lui appartient. Mais cela est très commun avec tous les vices, que l'un et l'autre des extrêmes réputent qu'il est dans le milieu alors que le vertueux [serait] dans l'autre extrême. C'est ainsi que le lâche pense que le courageux est un audacieux, et que l'audacieux le prend pour un lâche. Par conséquent, il souligne ce qui est propre à la matière présente: non seulement les vicieux s'attribuent le nom de la vertu, mais aussi les vertueux, du fait que le milieu de la vertu soit sans nom, se servent du nom du vice comme si c'était le nom de la vertu. |
[73052] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 4 Et hoc est quod subdit
quod etiam nos rationabiliter loquentes quandoque illum qui est in medio
vocamus philotimum et quandoque vocamus eum aphilotimum. Quandoque enim
laudamus hominem ex eo quod est philotimus. Consuevimus enim dicere, aliquem
laudantes, quod est homo curans de honore suo et sic ipsum virtuosum vocamus
philotimum. Quandoque autem laudamus aphilotimum, sicut cum in laudem alicuius
dicimus quod non curat de honoribus hominum sed de veritate. Et sic
aphilotimum vocamus virtuosum. Quare autem hoc accidat, dicetur in
sequentibus, scilicet in quarto. Sed nunc oportet nos prosequi de reliquis
medietatibus secundum praedictum modum, scilicet exemplariter. |
|
#348. — C'est le sens de ce qu'il ajoute que, même pour nous, c'est parler raisonnablement que d'appeler celui qui se tient au milieu tantôt ambitieux, tantôt indifférent. Parfois, en effet, nous louons une personne d'être ambitieuse, car nous avons coutume de dire, en louant quelqu'un, qu'il se soucie de son honneur; ainsi, nous traitons le vertueux même d'ambitieux. Parfois aussi, nous louons l'indifférent, comme lorsque, en louant quelqu'un, nous disons qu'il ne se soucie pas des honneurs des hommes, mais de la vérité. Alors, nous appelons indifférent le vertueux. Pourquoi cela arrive, on le dira dans la suite, au quatrième [livre] (#794-795). Pour le moment, il faut poursuivre avec le reste des milieux, selon le mode annoncé, à savoir sous mode d'exemples. |
[73053] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 5 Deinde cum dicit: est
autem circa iram etc., ponit virtutem quae respicit exteriora mala ex quibus
homo provocatur ad iram. Et dicit quod circa iram est superabundantia,
defectus et medium. Et quamvis omnia ista sint ut plurimum innominata, medium
tamen consuevimus nominare mansuetum et medietatem mansuetudinem. Illum autem
qui superabundat in hoc vocamus iracundum, et dispositionem eius iracundiam.
Illum autem qui deficit vocamus inirascibilem et defectum inirascibilitatem. |
349.- Il pose la vertu qui a trait aux maux extérieurs qui provoquent l'homme à la colère. Et il dit que par rapport à la colère il y a excès, défaut et milieu. Et bien que pour ces dispositions, il n'existe pas de vocabulaire précis, cependant on a l’habitude de nommer le milieu: "mansuetum", le placide, et la médiété la mansuétude (la douceur). Celui qui excède dans ce domaine, on l’appelle colérique, (irascible) et sa disposition la "coléricité". On appelle "inirascible" celui qui pêche par défaut et on appelle son vice "inirascibilité". |
#349. — Ensuite (1108a5), il présente une vertu qui regarde les maux extérieurs, par lesquels on est mis en colère. Il dit qu'en matière de colère, il existe un excès, un défaut et un milieu. Quoique tout cela soit en grande partie sans nom, nous avons toutefois coutume de nommer le milieu doux et la disposition médiane douceur. Par ailleurs, celui qui se fâche avec excès, nous l'appelons irascible, et sa disposition irascibilité. Enfin, celui qui manque, nous l'appelons bonasse et son défaut, la bonasserie. |
[73054] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 6 Deinde cum dicit: sunt
autem et aliae tres etc., ponit virtutes, quae respiciunt humanos actus. Et
primo ostendit earum distinctionem. Secundo exemplificat de ipsis, ibi circa
verum quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo quod sunt tres aliae
medietates quae quantum ad aliquid conveniunt et quantum ad aliquid
differunt. Conveniunt quidem quantum ad hoc quod omnes sunt circa verba et opera
quibus homines adinvicem communicant. Differunt autem quantum ad hoc quod una
earum est circa veritatem talium verborum et factorum. Aliae autem circa
delectationem ipsorum, ita tamen quod una earum respicit delectationem eorum
quae dicuntur vel fiunt ludo, alia vero in his quae pertinent ad communem
vitam, scilicet in seriosis. |
350.- Il pose les vertus qui règlent les actes humains. Et tout d'abord, il montre leur distinction puis, en second, il en donne des exemples. Il dit donc, en premier, qu'il a trois médiétés qui diffèrent entre elles sur certains points et se rencontrent sur d’autres. Elles se rencontrent sur ce point que toutes trois ont pour domaine les paroles (conversations) et les actions (œuvres) par lesquelles les hommes communiquent entre eux. Elles diffèrent en ce que l’une d'elle a pour objet la vérité de ces paroles et de ces actions; les deux autres ont pour objet la délectation, le plaisir de la conversation et des actions de telle sorte que, cependant, l’une d'elles a comme domaine ce qui se dit ou se fait par jeu, l'autre, ce qui se dit ou se fait dans les rapports courants de la vie, c'est-à-dire dans les choses sérieuses. |
#350. — Ensuite (1108a9), il présente des vertus qui regardent les actes humains. En premier, il montre leur distinction. En second (1108a19), il exemplifie à leur sujet[10]. Il dit donc, en premier, qu'il y a trois dispositions médianes qui diffèrent sur un point et conviennent sur un autre. Elles conviennent quant à ce que toutes portent sur des mots et des œuvres par lesquelles les gens communiquent entre eux. Mais elles diffèrent en ce que l'une d'entre elles porte sur la vérité de ces mots et faits, tandis qu'une autre concerne le plaisir qui leur est attaché: cependant, l'une, encore, regarde le plaisir attaché à ce qui se dit ou se fait par jeu, tandis que l'autre [regarde le plaisir lié] à [des mots ou gestes] appartenant à la vie commune, à ce qui est sérieux. |
[73055] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 7 De his etiam dicendum est,
ut magis appareat quod in omnibus medietas est laudabilis, extrema autem non
sunt laudabilia, sed vituperabilia. Plura autem horum sunt innominata. Sed
sicut in aliis fecimus, tentabimus ponere nomina, ut fiat manifestum quod
dicitur et propter bonum quod inde consequitur. Quia finis huius scientiae
non est manifestatio veritatis, sed bonum operis. |
351.- Il faudra aussi dire un mot de ces dispositions afin qu'apparaisse avec plus de clarté que, dans tous les cas, la médiété est louable, les extrêmes ne le sont pas, mais sont plutôt abominables. Plusieurs de ces dispositions n'ont pas reçu de nom. Mais comme nous l'avons fait précédemment, nous tenterons de leur en imposer un, pour pouvoir manifester ce que l'on dit et pour atteindre le bien qui peut en découler. Car, ne l'oublions pas, la fin de cette science n’est pas la manifestation de la vérité, mais le bien de l’opération. |
#351. — Il faut en parler aussi, pour que devienne encore davantage manifeste que partout, c'est la disposition médiane qui est louable, et que les extrêmes ne sont pas louables, mais blâmables. Plusieurs encore, d'entre ces [dispositions], sont sans nom. Mais comme nous l'avons fait pour d'autres, nous essayerons de leur en imposer, pour rendre nos propos manifestes et pour le bien que cela donnera. Parce que la fin de cette science n'est pas la manifestation de la vérité, mais le bien d'une œuvre. |
[73056] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 8 Deinde cum dicit: circa
verum quidem igitur etc., exemplificat de praemissis virtutibus. Et primo de
ea quae est circa verum. Et dicit quod circa verum medius est ille, qui
dicitur verus, et medietas dicitur veritas. Sed fictio falsi quae est in
plus, quando scilicet aliquis fingit maiora de se quam sint, vocatur iactantia
et talis fictor vocatur iactator. Sed fictio quae est ad minus,
scilicet quando aliquis fingit de se quaedam vilia, vocatur yronia, quasi
irrisio, et talis fictor vocatur yron, id est irrisor. |
352.- Il donne des exemples des vertus précédentes. Et, en premier, il donne comme exemple la vertu qui porte sur le vrai (des conversations et des actions). Il dit que, par rapport à la vérité, l’homme qui est dans le milieu s'appelle véridique, et la médiété, la véracité. Le faux-semblant qui exagère, à savoir l'homme qui feint d'être ou d'accomplir des choses plus grandes qu'elles ne le sont en réalité s'appelle vantard, et le vice se nomme vantardise ou jactance. Mais la fiction diminutive, celle qui tend à déprécier son auteur, quand, par exemple, quelqu’un feint d'être moins bon qu'il ne l'est en réalité, s’appelle dérision, (ironie), dissimulation; et l’"acteur" en cause s’appelle un dissimulé. |
#352. — Ensuite (1108a19), il exemplifie pour les vertus qui précèdent. En premier, pour celle qui porte sur le vrai. Il dit que, concernant le vrai, la personne de disposition médiane, c'est celle que l'on dit vraie, et que la disposition médiane s'appelle de la vérité. Mais la production du faux en direction du plus, où on met plus qu'il n'y a à son propre sujet, s'appelle de la vantardise, et celui qui la produit s'appelle un vantard. Et cette fiction en direction du moins, où on forge sur soi des vilenies, s'appelle de l'ironie, c'est-à-dire de la moquerie; et son producteur s'appelle un ironique, c'est-à-dire un moqueur. |
[73057] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 9 Secundo ibi: circa
delectabile autem etc., exemplificat de virtute quae est circa ludos. Et
dicit quod circa delectationem quae est in ludis, ille qui medium tenet
vocatur eutrapelus, quasi bene se vertens ad omnia; et dispositio vocatur eutrapelia.
Ille autem qui superabundat, vocatur bomolochus a bomos quod est
altare, et lochos, quod est raptor; et dicitur ad similitudinem milvi, qui
semper volabat circa aras idolorum in quibus animalia immolabantur ut aliquid
raperet; et similiter ille qui excedit in ludo, semper insistit ad hoc quod
rapiat verbum vel factum alicuius, ut in ludum convertat. Dispositio autem
vocatur bomolochia. Ille autem qui deficit, vocatur agroicus,
idest agrestis, et dispositio vocatur agroichia. |
353.- Il donne en exemple la vertu qui a comme matière le jeu. Et il dit que par rapport au plaisir qui se trouve dans les jeux, celui qui tient le milieu s'appelle "l'en-joué", comme se comportant bien dans le jeu. La disposition s’appelle eutrapélie (enjouement). Celui qui excède s'appelle "bomolochus", mot formé de "bomos" qui signifie: autel, et "lochos" qui signifie le rapt, le vol. Cet homme a reçu son nom par analogie au faucon qui survolait les autels des sacrifices pour voler quelque partie de l’offrande. Pareillement, celui qu’excède dans le jeu veut toujours s'emparer de la parole ou de l’action d’un autre pour la convertir en jeu. La disposition s'appelle "bomolochia", bouffonnerie. Celui qui pèche par défaut est un rustre, et sa disposition est la rusticité. |
#353. — En second (1108a23), il exemplifie pour la vertu qui porte sur les jeux. Il dit qu'en rapport au plaisir lié aux jeux, celui qui tient le milieu s'appelle un enjoué9, à sa place en toutes [circonstances]; et sa disposition s'appelle de l'enjouement. Celui qui va vers l'excès, lui, s'appelle un bomolochus 10, de bomos, qui signifie élever, et lochos, qui signifie ravi. On le nomme à la ressemblance du milan, qui volait toujours autour des autels des idoles, pour ravir quelque chose. De manière semblable, celui qui joue avec excès cherche toujours à prendre la parole ou le geste de quelqu'un pour le tourner en jeu. Quant à sa disposition, elle s'appelle de la bomolochia. Enfin, celui qui ne joue pas assez s'appelle un rustre, c'est-à-dire un paysan, et sa disposition s'appelle de la rusticité. |
[73058] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 10 Tertio ibi: circa
reliquum autem etc., exemplificat de tertia dictarum virtutum. Et dicit quod
circa reliquum delectabile quod est in vita quantum ad ea quae seriose
aguntur, medius vocatur amicus, non ab affectu amandi, sed a decenti
conversatione; quem nos possumus affabilem dicere. Et ipsa medietas vocatur amicitia
vel affabilitas. Ille autem qui superabundat in hoc, si non faciat hoc nisi
causa delectandi, vocatur placidus; si autem faciat hoc propter
aliquam propriam utilitatem, puta propter lucrum, vocatur blanditor
vel adulator. Qui autem in hoc deficit, et non veretur contristare eos cum
quibus vivit, vocatur litigiosus et dyscolus. |
354.- Il donne en exemple la troisième de ces vertus. Il dit que quant au plaisant qui se rencontre dans les actions de la vie, dans les rapports sérieux entre les hommes, celui qui tient le milieu s’appelle aimable, non pas parce qu’il est aimé, mais à cause de sa conversation décente. On pourrait appeler cet homme affable. La médiété s’appelle affabilité ou amitié. Celui qui excède dans ce domaine, s’il ne le fait que pour avoir du plaisir, s’appelle complaisant; s’il le fait pour son utilité propre, ou à cause du lucre, on l'appelle flatteur, flagorneur (adulateur). Celui qui pèche par défaut et qui ne craint pas d’attrister ceux avec qui il vit s'appelle querelleur, acariâtre, homme d'humeur bourrue. |
#354. — En troisième (1108a26), il exemplifie pour la troisième des vertus annoncées. Il dit: pour ce qui reste de plaisant dans la vie, en rapport à ce qui se fait avec sérieux, celui qui tient le milieu s'appelle un ami, non du fait d'aimer, mais d'être de contact correct: nous pouvons aussi l'appeler affable. La disposition médiane elle-même s'appelle de l'amitié ou de l'affabilité. Celui qui exagère, lui, s'il ne le fait qu'en vue du plaisir, s'appelle un obséquieux; mais s'il le [fait] pour son utilité propre, par exemple, pour un gain, il s'appelle un courtisan ou un flatteur. Enfin, celui qui se trouve là en manque, et qui ne se fait pas de scrupule de contrister ceux avec qui il vit, s'appelle un hargneux et un difficile. |
[73059] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 11 Deinde cum dicit: sunt
autem et in passionibus etc., ponit exemplum de quibusdam passionibus
laudabilibus. Et primo de verecundia. Et dicit quod etiam in passionibus et
in his quae passionibus adiunguntur sunt quaedam medietates. Verecundia enim
non est virtus, ut in IV ostendetur, sed tamen verecundus laudatur, eo quod
in talibus est medium accipere. Ille autem qui superabundat, ut de omnibus
verecundetur, vocatur cataplex, id est stupidus. Ille autem qui
deficit, vel nihil verecundatur vocatur inverecundus. |
355.- Il expose l'exemple de certaines passions louables. Et en premier, il pose le cas de la pudeur. Et il dit que même dans les passions et ce qui les accompagne il y a certaines médiétés. En effet, la pudeur n'est pas une vertu, comme on le dira dans le quatrième livre. Cependant, on loue la pudeur du fait que dans ce domaine il y a un milieu, une juste mesure à accepter. Celui qui excède dans ce domaine, qui s'effarouche de tout, s'appelle pudibond. Celui qui pèche par défaut, qui ne rougit de rien, s'appelle impudent; celui qui tient le milieu est pudique. |
#355. — Ensuite (1108a30), il exemplifie des passions louables. En premier, la pudeur. Il dit que même parmi les passions et ce qui leur est adjoint il existe des médiétés. La pudeur, en effet, n'est pas une vertu, comme il est montré au quatrième [livre] (#867-882). Cependant, on loue le pudique, en ce que, dans sa [matière], il consiste à tenir le milieu. Mais celui qui exagère, comme tout le fait sursauter de pudeur, s'appelle un pudibond, c'est-à-dire un stupide. Enfin, celui qui en manque, ou qui ne ressent de pudeur pour rien, s'appelle un impudent, et celui qui tient le milieu, un pudique. |
[73060] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 12 Secundo ibi: Nemesis
autem etc., agit de alia passione, quae vocatur Nemesis, idest
reprehensio, quae est medietas invidiae et epicacocharchiae; charchos enim
dicitur gaudium, cacos malum, epi super, ac si dicatur: gaudium de malo. Sunt
autem hae dispositiones circa delectationem et tristitiam de his quae
eveniunt proximis. Nemesiticus enim, idest reprehensor, tristatur, si
aliqui mali prosperantur in sua malitia: invidus autem superabundat ut
tristetur de omnibus, qui prosperantur, sive bonis sive malis. Sed ille qui
dicitur epicacocharchos in tantum deficit a tristando ut etiam gaudeat de
malis qui in sua malitia prosperantur. Sed de his alibi dicetur, scilicet in
secundo rhetoricae. |
356.- Il traite d’une autre passion qui s’appelle "nemesis", c'est-à-dire, la juste indignation, qui est médiété entre l'envie et l’"epicacotharciae"; thatcus qui signifie se réjouissant, cacos, qui signifie mal, mauvais, épi qui veut dire: sur: comme si cette passion était la joie du mal. Or, ces dispositions portent sur le plaisir et la tristesse qui résultent de ce qui arrive au prochain. L'indigné, en effet, s'attriste si le mauvais a du succès dans sa malice, il s'attriste des succès immérités; l'envieux lui, s'attriste trop de tout, des succès des bons comme des mauvais. Mais celui qu'on appelle "épicacotharcos" celui qui se réjouit malignement, qui possède une joie malicieuse, tant s'en faut qu’il s'attriste qu’au contraire il se réjouit même de la prospérité des méchants. Il a traité de ces cas dans le second livre de la Rhétorique. |
#356. — En second (1108a35), il traite d'une autre passion, que l'on appelle de l'indignation11, c’est-à-dire de la correction; elle constitue la position médiane entre l'envie et l'épicacotharchie 12[11]. Tharcus 13, en effet signifie qu'on se réjouit, cacos, mauvais, et epi, dessus; en somme: de la joie à propos du mal. Toutes ces dispositions portent sur le plaisir et la tristesse ressentis devant ce qui arrive au prochain. L'indigné, en effet, c'est-à-dire le correcteur, s'attriste quand des mauvais réussissent dans leur malice; l'envieux, lui, exagère, jusqu'à s'attrister en rapport à tous ceux qui réussissent, tant bons que mauvais; enfin, celui qui que l'on dit épicacotharque, manque tellement à s'attrister, qu'il se réjouit même à propos de mauvais qui réussissent dans leur malice. Mais on en parle ailleurs, à savoir au second [livre] de la Rhétorique (ch. X). |
[73061] Sententia Ethic., lib. 2 l. 9
n. 13 Ultimo autem (concludit)
quod, quia iustitia habet diversas species, in quibus non similiter accipitur
medium, de iustitia post dicetur in quinto, et qualiter partes eius sint in
medio: et similiter postea dicetur in sexto de virtutibus rationalibus, idest
intellectualibus. |
357.- Enfin, parce que la justice a plusieurs espèces, dans lesquelles le juste milieu se prend différemment, il en parlera dans le cinquième livre, et dira de quelle façon les parties de la justice sont dans le milieu. Pareillement, il traitera plus loin, dans le sixième livre, des vertus rationnelles, c'est-à-dire intellectuelles. |
#357. — Enfin, par ailleurs, comme la justice présente des espèces différentes, où le milieu ne se prend pas de manière semblable, on parlera par après, au cinquième [livre] (#885-1108), de la justice et la manière dont ses parties constituent le milieu; de manière semblable, ensuite, on parlera, au sixième [livre] (#1109-1291), des vertus rationnelles, c'est-à-dire intellectuelles. |
|
|
|
Lectio
10 |
Leçon 10 : [Les vices sont des extrêmes] |
|
|
ENTRE LES VERTUS ET LES VICES, IL Y A UNE DOUBLE CONTRARIETE: L'UNE QUI SE SITUE ENTRE LES VICES ENTRE EUX, L'AUTRE QUI VA DES VICES AUX VERTUS. ON PROUVE ICI QUE L’OPPOSITION DES VICES ENTRE EUX EST PLUS IMPORTANTE QUE CELLE DES VICES AUX VERTUS. ON PROUVE AUSSI QUE L’UN DES EXTREMES EST PLUS CONTRAIRE A LA VERTU QUE L'AUTRE. |
|
[73062] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10 n. 1 Tribus autem dispositionibus existentibus et cetera.
Postquam philosophus ostendit in communi quid est virtus et diffinitionem
communem applicavit ad speciales virtutes, hic determinat de oppositione
virtutum et vitiorum. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit in his esse
duplicem contrarietatem: unam quidem vitiorum adinvicem, aliam autem vitiorum
ad virtutem. Secundo ostendit quod maior est contrarietas vitiorum ad invicem
quam ad virtutem, ibi: sic autem oppositis adinvicem et cetera. Tertio
ostendit quomodo unum vitiorum magis opponitur virtuti quam reliquum, ibi, ad
medium autem et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Secundo probat
propositum, ibi quemadmodum enim aequale et cetera. Tertio infert quoddam
corollarium ex dictis, ibi: propter quod et proiciunt et cetera. Dicit ergo
primo quod, cum sint tres dispositiones quarum duae sunt vitiosae, una
scilicet secundum superabundantiam, alia vero secundum defectum; una vero est
secundum virtutem, quae est in medio; quaelibet harum aliqualiter opponitur
cuilibet; quia extremae dispositiones et adinvicem sunt contrariae, et etiam
eis contrariatur media dispositio. |
358.- Après avoir montré ce qu'est la vertu en général et avoir appliqué cette définition aux vertus particulières, le Philosophe traite ici de l'opposition des vertus et des vices. Là-dessus, il fait une triple besogne. Il montre, en premier, qu'il existe une double contrariété: l'une des vices entre eux, l'autre des vices et des vertus (l'opposition des vices aux vertus.) En second, il montre que la contrariété des vices entre eux est plus grande. En troisième, il montre comment l'un des vices s’oppose davantage à la vertu que l'autre. Par rapport au premier point, il fait trois choses. Tout d'abord, il propose ce qu'il veut montrer, puis il le prouve, et enfin il tire un certain corollaire de son argumentation. Il dit donc en premier que, puisqu’il y a trois dispositions, dont deux sont vicieuses, à savoir l’une par excès et l'autre par défaut, et la troisième, conforme à la vertu, qui consiste dans le milieu: chacune d’elles s'oppose de quelque façon aux autres. En effet, les dispositions extrêmes sont contraires entre elles et reçoivent l'opposition de la disposition intermédiaire. |
#358. — Après avoir montré de manière commune ce qu'est la vertu, puis avoir appliqué sa définition à des vertus spéciales, le Philosophe traite ici de l'opposition entre les vertus et les vices. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier (1108b11), il montre qu'il existe là une double contrariété: l'une, certes, entre les vices, mais l'autre, entre les vices et la vertu. En second (1108b26), il montre que la contrariété des vices entre eux est plus grande. En troisième (1108b30), il montre comment l'un des vices est davantage que l'autre opposé à la vertu. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. En second (1108b15), il prouve son propos. En troisième (1108b23), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, qu'il existe trois dispositions: deux sont vicieuses, l'une par excès, l'autre par défaut; et la dernière se conforme à la vertu, qui se situe au milieu. Or chacune d'entre elles s'oppose d'une certaine façon à chaque autre, car, en même temps, les dispositions extrêmes sont contraires entre elles et la disposition médiane les contrarie aussi. |
[73063] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 2 Deinde cum dicit
quemadmodum enim aequale etc., probat quod dixerat. Non fuit autem necesse
probare, quod duo vitia, quae se habent secundum superabundantiam et
defectum, sint contraria, eo quod maxime distant; sed hoc videbatur esse
dubium quod dictum est virtutem contrariari vitiis: quia cum virtus sit in
medio vitiorum, non distat maxime ab utroque eorum, cum tamen contrarietas
sit maxima distantia, ut dicitur in X metaphysicae, et ideo hoc specialiter
hic philosophus ostendit, quod virtus contrarietur utrique vitiorum. |
359.- Il prouve son affirmation. Cependant, il n'était pas nécessaire de prouver que deux vices, qui sont entre eux dans le rapport de l'excès et du défaut, sont contraires: à cause de l'énorme distance qui les sépare. Mais il semblait que la difficulté résidât plutôt dans la contrariété de la vertu et des vices: la vertu étant située au milieu, elle est assez rapprochée des deux vices. Or, la contrariété s'installe entre ce qui est le plus distant, comme on le dit dans le dixième livre des Métaphysiques. C'est pourquoi, le Philosophe s'attache particulièrement à démontrer ici que la vertu est contraire à l'un et l'autre vices. |
#359. — Ensuite (1108b5), il prouve ce qu'il a dit. Il n'était pas nécessaire, cependant, de prouver que deux vices qui entretiennent entre eux un rapport d'excès à défaut sont contraires, étant donné qu'ils sont ce qu'il y a de plus distant. Mais ce qu'on a dit, que la vertu contrarie les vices, paraîtra douteux: comme, en effet, la vertu occupe le milieu entre les vices, elle ne se distancie pas au maximum de l'un et l'autre, alors que, justement, la contrariété constitue la plus grande distance, comme il est dit au dixième [livre] de la Métaphysique (IX, ch. 4; #2023-2035). Aussi est-ce cela que le Philosophe montre, ici spécialement, que la vertu contrarie l'un et l'autre vice. |
[73064] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10 n. 3 Circa quod considerandum est, quod cum medium
participet aliqualiter utrumque extremum, inquantum participat unum eorum
contrariatur alteri, sicut aequale quod est medium inter magnum et parvum,
est quidem in comparatione ad magnum parvum, et in comparatione ad parvum est
magnum. Et ideo aequale et magno opponitur secundum rationem parvi, et parvo
secundum rationem magni. Et propter hoc est motus a contrario in medium,
sicut et in contrarium, ut dicitur in quinto physicorum. |
360.- Là-dessus, il faut considérer que, puisque le milieu fait partie de quelque façon des deux extrêmes, il s'oppose à l’un en tant qu’il participe de l'autre, comme on le voit dans l'égal qui est milieu entre le grand et le petit, et qui est petit par comparaison au grand et grand par comparaison au petit. C'est pourquoi, l'égal s'oppose et au grand selon la raison du petit et au petit selon la raison du grand. De là vient que le mouvement passe du contraire au milieu comme à quelque chose de contraire, comme on le dit dans le cinquième livre des Physiques. |
#360. — À ce propos, il est à noter que, d'une certaine façon, le milieu participe à l'un et l'autre extrême; aussi, dans la mesure où il participe à l'un d'entre eux, il contrarie à l'autre, comme l'égal, milieu entre le grand et le petit, constitue, bien sûr, le petit, en comparaison du grand, mais le grand, en comparaison du petit. C'est pourquoi l'égal s'oppose à la fois au grand, sous raison de petit, et au petit, sous raison de grand. C'est à cause de cela que le mouvement va du contraire au milieu, comme aussi au contraire, comme il est dit au cinquième [livre] de la Physique (I, ch. 1). |
[73065] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 4 Sic igitur medii habitus,
constituti tam in passionibus quam in operationibus, se habent ut
superabundantes ad eum qui est in defectu et se habent ut deficientes ad eum
qui superabundat. Sicut fortis in comparatione ad timidum est audax, in comparatione
autem ad audacem est timidus. Et similiter temperatus in comparatione ad
insensibilem est intemperatus, in comparatione ad intemperatum est
insensibilis. Ita etiam est et de liberali, qui est prodigus in comparatione
ad illiberalem, illiberalis autem in comparatione ad prodigum. Et sic patet,
quod virtus contrariatur utrique extremorum. |
361.- Ainsi donc, les habitus du milieu, constitué aussi bien dans les passions que dans les opérations, ont raison d'excès par rapport à celui qui est en-deçà, et ont raison de défaut par rapport à celui qui est dans l'excès. Ainsi le fort est-il audacieux par comparaison au lâche et lâche par comparaison à l’audacieux (téméraire). Et, pareillement, le tempérant est intempérant par comparaison à l’insensible et est insensible par comparaison à l’intempérant. Ainsi en est-il du libéral, qui est prodigue par rapport au mesquin, et mesquin (avare) par rapport au prodigue. Par là, il est évident que la vertu est contraire à chacun des extrêmes.
|
#361. — Ainsi donc, les habitus médians, constitués tant dans les passions que dans les opérations, entretiennent une relation d'excès avec celui qui se trouve en défaut, et de défaut avec celui est en excès. Ainsi, le courageux est audacieux, en comparaison du lâche, mais en comparaison de l'audacieux, il est lâche. De manière semblable, le tempérant est intempérant, en comparaison de l'insensible, mais en comparaison de l'intempérant, il est insensible. Ainsi encore le libéral est prodigue[12], en comparaison de l'avare, mais avare, en comparaison du prodigue. Ainsi appert-il que la vertu contrarie l'un et l'autre des extrêmes. |
[73066] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 5 Deinde cum dicit propter
quod et proiciunt etc., infert quoddam corollarium ex dictis. Quia enim
habitus medius se habet in comparatione ad unum extremum secundum rationem
alterius, inde est quod extremi proiiciunt medium alter ad alterum: idest
uterque in extremitate existens aestimat medium, quasi alterum extremum sibi
oppositum. Sicut timidus fortem vocat audacem, et audax vocat eum timidum.
Quod etiam signum est eius quod dictum est; scilicet quod virtus contrarietur
utrique extremorum. |
362.- Il tire un corollaire de ce qu'il vient de dire. Parce que l’habitus intermédiaire a, par rapport à un extrême, raison de l’autre extrême, il en découle que chacun des extrêmes accorde le milieu à l'autre, c'est-à-dire que ceux qui possèdent les habitus extrêmes estiment que celui qui possède l'habitus intermédiaire se situe à l'extrême opposé. Ainsi, le lâche appelle le fort audacieux et l'audacieux traite le fort de lâche. Voilà un autre signe de ce que nous avons dit: que la vertu s'opposait contrairement à l’un et l'autre des extrêmes. |
#362. — Ensuite (1108b23), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. Comme l'habitus médian, en comparaison de l'un des extrêmes, revêt l'aspect de l'autre, il s'ensuit que les extrêmes se projettent le milieu de l'un à l'autre: chaque [disposition] extrême voit dans le milieu l'autre extrême qui s'oppose à lui. Ainsi, le lâche appelle le courageux un audacieux et l'audacieux l'appelle un lâche. Cela aussi est signe de ce qui a été dit, que la vertu contrarie à la fois l'un et l'autre extrême. |
[73067] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 6 Deinde cum dicit: sic
autem oppositis etc., ostendit quod maior est contrarietas vitiorum
adinvicem, quam ad virtutem: et hoc duabus rationibus. Quarum prima est quia,
quanto magis aliqua a se distant, tanto magis sunt contraria, quia
contrarietas est quaedam distantia. Magis autem distant extrema ab invicem
quam a medio: sicut magnum et parvum magis distant abinvicem quam ab aequali,
quod est medium inter ea. Ergo vitia magis opponuntur adinvicem, quam ad
virtutem. Est autem hic considerandum quod loquitur hic de oppositione
virtutis ad vitia, non secundum rationem boni et mali, quia secundum hoc ambo
vitia continerentur sub uno extremo; sed loquitur prout virtus secundum
propriam speciem est in medio duorum vitiorum.
|
363.- Il montre que l'opposition des vices entre eux est plus grande que celle qui existe entre les vices et la vertu. Et cela par deux raisons. Voici la première. Le degré de contrariété est proportionnel à la distance, puisque la contrariété est une certaine distance. Or, les extrêmes sont plus éloignés l’un de l’autre qu'ils ne le sont du milieu, tout comme le grand est plus éloigné du petit et le petit du grand qu’ils ne le sont l’un et l'autre de l’égal, qui est milieu entre les deux, Donc, les vices sont plus opposés entre eux qu'il le sont à la vertu, Il est ici question de l’opposition de la vertu aux vices, non pas selon la raison de bien et de mal, parce que sous cet aspect les deux vices appartiennent à un seul extrême, mais en tant que la vertu selon son espèce propre est située au milieu entre les deux vices. |
#363. — Ensuite (1108b26), il montre que l'opposition des vices entre eux est plus grande que leur opposition à la vertu. Cela, avec deux raisons. La première vient de ce que plus les choses sont distantes l'une de l'autre, plus elles sont contraires, comme la contrariété tient à la distance. Or les extrêmes sont plus distants entre eux qu'avec le milieu; par exemple, le grand et le petit sont plus distants entre eux qu'avec l'égal, qui occupe le milieu entre eux. Donc, les vices sont plus opposés entre eux qu'avec la vertu. Mais il est à noter qu'il ne parle pas ici de l'opposition de la vertu avec les vices d'après la raison de bien et de mal, car en cela les deux vices sont contenus sous un même extrême; mais il en parle pour autant que la vertu, selon sa propre espèce, occupe le milieu entre deux vices. |
[73068] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 7 Secundam rationem ponit
ibi adhuc ad medium quidem et cetera. Quae talis est. Virtutis ad unum
extremorum est aliqua similitudo: sicut inter fortitudinem et audaciam, et
inter prodigalitatem et liberalitatem. Sed inter duo vitia extrema, est
omnimoda dissimilitudo; ergo maxime contrariantur ad invicem, quia
contrarietas est. |
364.- La second raison est celle-ci, Il y a une certaine ressemblance entre la vertu et l'un des extrêmes, comme entre la force et l'audace et entre la prodigalité et la libéralité. Mais entre deux vices extrêmes, il n’y a aucune ressemblance. Donc, ils sont tout à fait contraires entre eux, parce que la contrariété implique la plus grande distance, comme on l’a dit. |
#364. — Il présente ensuite sa seconde raison (1108b30). Elle va comme suit: il existe une ressemblance entre la vertu et l'un des extrêmes; comme entre le courage et l'audace, et entre la prodigalité et la libéralité. Mais entre deux vices extrêmes, il y a une complète dissemblance. Et la plus grande contrariété importe la plus grande distance, comme on l'a dit. |
[73069] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 8 Deinde cum dicit: ad
medium autem etc., ostendit quod virtuti unum extremorum magis contrariatur
quam aliud. Et circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo
rationem assignat, ibi: propter duas autem causas et cetera. Dicit ergo
primo, quod in quibusdam magis contrariatur medio virtutis vitium quod est in
defectu, in quibusdam autem magis vitium quod est in excessu. Sicut fortitudini
non maxime contrariatur audacia, quae pertinet ad superabundantiam, sed
timiditas quae pertinet ad defectum. E contrario autem temperantiae non
maxime contrariatur insensibilitas ad quam pertinet indigentia et defectus,
sed intemperantia ad quam pertinet superabundantia. |
365.- Il montre que l'un des extrêmes est plus contraire à la vertu que l’autre. Là-dessus, il fait deux choses. Il propose tout d'abord ce qu'il veut montrer, puis, il en donne la raison. Il dit donc en premier que, dans certains cas, le vice qui est le défaut est plus contraire au milieu de la vertu et que, dans d'autres cas, c’est le vice qui est l'excès qui s'oppose davantage au milieu vertueux. Ainsi, l’audace, qui appartient tout à fait à l'excès, n’est pas tellement contraire à la force; c'est la lâcheté qui s'y oppose le plus. Au contraire, l’insensibilité, qui implique manque et défaut, n'est pas tellement contraire à la tempérance. C'est l'intempérance qui est la plus éloignée de la tempérance. |
#365. — Ensuite (1108b35), il montre que l'un des extrêmes est plus contraire à la vertu que l'autre. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il entend. En second (1109a5), il donne une raison. Il dit donc, en premier, qu'en certaines [matières], c'est le vice qui est en défaut qui contrarie davantage le milieu de la vertu, tandis qu'en d'autres, c'est plutôt le vice qui est en excès. Ainsi, ce n'est pas l'audace qui contrarie le plus le courage, mais la lâcheté, qui appartient au défaut. Tandis qu'au contraire, ce qui contrarie le plus la tempérance n'est pas l'insensibilité, où on trouve l'indigence et le défaut, mais l'intempérance, où on trouve l'excès. |
[73070] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 9 Deinde cum dicit propter
duas autem causas etc., assignat duas rationes eius quod dixerat. Quarum una
sumitur ex parte ipsius rei, idest ex ipsa natura virtutum et
vitiorum. Dictum est enim supra quod est quaedam similitudo alterius extremi
ad medium virtutis. Et ex hoc ipso quod unum extremorum est propinquius et
similius medio virtutis quam aliud, sequitur quod non ipsum, quod est
similius, sit magis contrarium virtuti, sed illud quod ei opponitur. Sicut si
audacia est similior fortitudini et proximior, sequitur quod timiditas sit
dissimilior, et per consequens magis contraria, quia illa quae sunt magis
distantia a medio videntur ei esse magis contraria. Horum autem rationem
oportet accipere ab ipsa natura passionum. |
366.- Il donne deux raisons pour expliquer ce qui précède. La première se prend du côté de la chose, c'est-à-dire de la nature même des vertus et des vices. En effet, on a dit plus haut qu1il y avait une certaine ressemblance entre l'un des extrêmes et le milieu de la vertu. Et de ce fait même que l'un des extrêmes se rapproche davantage du milieu de la vertu et lui ressemble plus que l'autre extrême, il s’ensuit que le contraire de cet extrême-là s'oppose davantage au milieu. Ainsi, si l'audace est plus proche de la force et lui ressemble davantage, il s'ensuit que la lâcheté lui est plus dissemblable et, par conséquent, davantage contraire. Et cela, tout simplement parce que ce qui est plus éloigné du milieu lui semble davantage contraire. Cependant, l'explication des cas précédents doit se tirer de la nature même des passions. |
#366. — Ensuite (1109a5), il donne deux raisons de ce qu'il avait dit. L'une vient de la chose même, c'est-à-dire de la nature même des vertus et des vices. On a dit plus haut, en effet, qu'il y a une certaine ressemblance entre l'un des extrêmes et le milieu qu'est la vertu. De ce fait même, que l'un des extrêmes est plus proche et ressemble plus que l'autre au milieu qu'est la vertu, il s'ensuit que ce n'est pas celui-là, plus semblable, qui est le plus contraire à la vertu, mais celui qui lui est opposé. Par exemple, si l'audace est plus semblable au courage et plus prochain, il s'ensuit que la lâcheté lui est plus dissemblable et, par conséquent, plus contraire. Car ce qui est plus distant du milieu lui est manifestement plus contraire. La raison doit s'en prendre de la nature même des passions. |
[73071] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 10 Contingit enim hoc quod
hic dicitur in virtutibus moralibus quae sunt circa passiones, ad quas
pertinet conservare bonum rationis contra motus passionum. Passio autem
dupliciter corrumpere potest bonum rationis. Uno modo vehementia sui motus,
impellendo ad plus faciendum quod ratio dictat, quod praecipue contingit in
concupiscentiis delectationum et aliis passionibus quae pertinent ad
prosecutionem appetitus. Unde virtus, quae est circa huiusmodi passiones,
maxime intendit passiones tales reprimere. Et propter hoc, vitium quod est in
defectu magis ei assimilatur; et quod est in superabundantia magis ei
contrariatur, sicut patet de temperantia. Quaedam vero passiones corrumpunt
bonum rationis retrahendo in minus ab eo quod est secundum rationem, sicut
patet de timore et de aliis passionibus ad fugam pertinentibus. Unde virtus,
quae est circa huiusmodi passiones, maxime intendit firmare animum in bono
rationis contra defectum. Et propter hoc, vitium, quod est in defectu magis
ei contrariatur, sicut patet circa fortitudinem. |
367.- Ce dont Aristote parle ici arrive dans les vertus morales à qui il appartient de maintenir le bien de la raison contre le mouvement des passions. Or, la passion peut détruire le bien de la raison de deux façons. D'une première façon, par sa véhémence, poussant à faire plus que la raison demande, principalement dans les désirs des plaisirs et dans les autres passions qui appartiennent au mouvement de poursuite de l'appétit. De là vient que la vertu, qui est aux prises avec ces passions, tende surtout à les réprimer, à les refreiner. C’est pourquoi, le vice qui est le défaut lui est davantage assimilé alors que le vice qui est l’excès lui est davantage contraire, comme il est évident dans le cas de la tempérance. Certaines passions corrompent le bien de la raison en retenant en-deçà (en moins) de ce qui est conforme à la raison, comme on le voit facilement dans le cas de la crainte et des autres passions qui appartiennent au mouvement de fuite. Voilà pourquoi, la vertu qui a comme domaine ces passions tend principalement à affermir quelqu'un dans le bien de la raison contre le défaut. C'est ainsi que le vice, qui est en défaut, lui est davantage contraire. |
#367. — Ce dont il parle ici se produit, en effet, dans les vertus morales, qui portent sur des passions, et à qui il appartient de sauver le bien de la raison contre le mouvement des passions. La passion, par ailleurs, peut corrompre de deux manières le bien de la raison: d'abord par sa véhémence, en poussant à faire plus que la raison ne dicte, principalement dans les désirs des plaisirs et dans les autres passions qui appartiennent à la poursuite de l'appétit. Aussi, la vertu qui porte sur des passions de cette sorte s'efforce surtout de réprimer de telles passions. C'est à cause de cela que le vice qui se situe dans le défaut lui est davantage assimilé, tandis que ce qui se situe dans l'excès la contrarie davantage, comme il appert pour la tempérance. Mais certaines passions corrompent le bien en ramenant à moins que ne le commande la raison, comme, certes, la crainte et les autres passions qui concernent la fuite. Aussi, la vertu qui porte sur des passions de la sorte s'efforce surtout de raffermir dans le bien de la raison, contre le défaut. C'est à cause de cela que le vice qui est en défaut lui sera plus contraire. 71 |
[73072] Sententia Ethic., lib. 2 l. 10
n. 11 Aliam autem rationem
assignat ex parte nostra. Cum enim ad virtutem pertineat repellere vitia,
intentio virtutis est ad illa vitia potius repellenda ad quae maiorem etiam
inclinationem habemus. Et ideo illa vitia ad quae sumus qualitercumque magis
nati, ipsa sunt magis contraria virtuti. Sicut magis sumus nati ad
prosequendum delectationes quam ad fugiendum eas, propter hoc facillime
movemur ad intemperantiam, quae importat excessum delectationum. Sic igitur
illa vitia magis dicimus esse contraria virtuti, quae magis nata sunt
crescere in nobis, propter hoc quod naturaliter inclinamur ad ipsa. Et ideo
intemperantia, ad quam pertinet superabundantia delectationum, magis est
contraria temperantiae quam insensibilitas, ut dictum est. |
368.- Il apporte la seconde raison qui se prend de notre côté. En effet, puisqu'il est de la fonction de la vertu de réprimer, d'exterminer les vices, l'intention de la vertu se porte plutôt à détruire les vices auxquels nous sommes le plus inclinés. C'est pourquoi, ces vices auxquels nous sommes de quelque manière plus naturellement inclinés sont davantage contraires à la vertu. Comme nous sommes par nature davantage inclinés à poursuivre les délectations plutôt qu'à les fuir, nous sommes par là très facilement conduits à l’intempérance, qui comporte un excès des délectations. Ainsi donc, nous disons que ces vices sont davantage contraires à la vertu qui sont davantage aptes à croître en nous, parce que nous y sommes inclinés davantage. C'est pourquoi, l'intempérance à laquelle appartient l'excès de délectation est plus contraire à la tempérance que l'insensibilité, comme on l’a déjà vu. |
#368. — Ensuite (1109a12), il donne une autre raison, de notre part: comme il appartient à la vertu de repousser les vices, l'effort de la vertu se porte plus puissamment à repousser ces vices auxquels nous avons une plus grande inclination. C'est pourquoi les vices qui nous sont de quelque manière plus connaturels sont eux-mêmes plus contraires à la vertu. Ainsi, il nous est plus connaturel de poursuivre des plaisirs que de les fuir; aussi sommes-nous mûs très facilement à l'intempérance, qui implique un excès de plaisirs. Ainsi donc, nous disons plus contraires à la vertu les vices auxquels il est plus connaturel de croître en nous, du fait que nous y soyons naturellement inclinés. Aussi, l'intempérance, à laquelle appartient l'excès du plaisir, est plus contraire à la tempérance que l'insensibilité, comme il a été dit (#365). |
|
|
|
Lectio
11 |
Leçon 11 : [Comment acquérir la vertu ?] |
|
|
COMMENT ON PEUT ACQUERIR LA VERTU: BIEN QU'IL SOIT DIFFICILE POUR L'HOMME DE DEVENIR VERTUEUX, IL Y A TROIS MANIERES D'ACQUERIR LA VERTU: S'ELOIGNER DE L’EXTREME, BIEN FAIRE ATTENTION A CE A QUOI NOUS SOMMES INCLINES PAR NATURE |
|
[73073] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 1 Quoniam quidem igitur et
cetera. Postquam philosophus determinavit de virtute quid sit, hic ostendit
quomodo aliquis possit virtutem acquirere: quia, sicut supra dictum est,
finis huius doctrinae non est cognitio veritatis, sed ut boni efficiamur.
Circa hoc autem duo facit. Primo ostendit quod difficile est hominem fieri
virtuosum. Secundo ostendit qualiter ad hoc possit perveniri, ibi, propter
quod oportet coniectantem medium et cetera. Circa primum duo facit. Primo resumit
ea quae dicta sunt. Et dicit quod sufficienter supra dictum est quod virtus
moralis est medietas et qualiter sit medietas, quia scilicet non secundum
rem, sed quoad nos: et quorum sit medietas: quia scilicet est medietas duarum
malitiarum, quarum una se habet secundum superabundantiam, alia vero secundum
defectum. Dictum est etiam quare virtus sit medietas; quia scilicet est coniectatrix
medii, inquirendo scilicet et eligendo medium tam in passionibus quam in
actionibus. |
369. - Après avoir déterminé ce qu'est la vertu, le Philosophe montre maintenant comment on peut l'acquérir. C'est que comme on l'a vu plus haut, la fin de cette doctrine n'est pas la connaissance de la vérité, mais que nous devenions bons. Ce qu'il divise en deux points. Dans le premier point, il montre qu'il est difficile à l'homme de devenir vertueux. Dans le second, il montre comment il peut le devenir. Le premier se subdivise en deux parties. Il résume tout d'abord la doctrine précédente en disant qu'on a suffisamment démontré que la vertu morale est médiété et de quelle manière elle l'est; à savoir non relativement à la chose, mais par rapport à nous; et de quoi elle est médiété: à savoir entre deux malices, dont l'une l'est par excès, l'autre par défaut. On a aussi dit pourquoi elle est médiété: à savoir parce qu'elle est visée du milieu, en recherchant le milieu et en l'élisant, aussi bien dans les passions que dans les actions. |
#369. — Après avoir traité de la vertu ce qu'elle est, le Philosophe montre ici comment on peut acquérir la vertu; c'est que, comme il a été dit plus haut (#351), la fin de cet enseignement n'est pas la connaissance de la vérité, mais que nous devenions bons. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier (1109a20), il montre qu'il est difficile de devenir vertueux. En second (1109a30), il montre de quelle manière on peut y parvenir. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il rappelle ce qui a été dit. Il dit que, plus haut (#310-316), il a été dit suffisamment que la vertu morale est une [disposition] médiane et de quelle manière elle est une [disposition] médiane, à avoir non quant la chose, mais quant à nous; et entre quoi et quoi elle est une [disposition] médiane, à savoir entre deux malices, dont l'une réside dans l'excès, l'autre dans le défaut. Il a été dit (#317-318) aussi pourquoi la vertu est une [disposition] médiane: c'est qu'elle vise le milieu, en recherchant le milieu et en le choisissant, tant en [matière] de passions que d'actions. |
[73074] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 2 Secundo ibi: ideo et
difficile est etc., concludit ex praeostensis, quod difficile est esse studiosum,
idest virtuosum. Quia in omnibus hoc videmus quod accipere medium est
difficile, declinare autem a medio est facile, sicut accipere medium in
circulo non est cuiuslibet, sed scientis, scilicet geometrae,
declinare autem a centro quilibet potest; ita etiam irasci qualitercumque
quilibet potest et de facili, et similiter dare pecuniam et consumere eam,
sed quod aliquis det cui oportet dare et quantum oportet et quando oportet et
cuius gratia oportet et qualiter oportet, per quod intelligitur bene dare,
non est cuiuslibet, nec est facile, sed propter suam difficultatem est rarum
et est laudabile et virtuosum, inquantum est secundum rationem. |
370. - Il conclut de là qu'il est difficile d'être vertueux. Parce que nous voyons que dans tous les domaines, il est difficile de trouver le milieu, et facile de s'en éloigner ou de passer à côté. Ainsi, il n'appartient pas à n'importe qui de déterminer le milieu d'un cercle, mais aux savants, c'est-à-dire au géomètre. Par contre, s'écarter du milieu, n'importe qui peut le faire et facilement. Et, pareillement, donner de l'argent et faire des dépenses. Mais que quelqu'un donne de l'argent à qui il doit en donner et , combien il doit en donner et quand il le faut , et selon le motif convenable et de quelle manière, il se doit de le donner, toutes ces conditions étant nécessaires pour bien donner cela n'appartient pas à tout le monde, ni n'est tâche facile, mais à cause de sa difficulté est quelque chose de rare et d'ardu, et parce que conforme à la raison est chose louable et vertueuse. |
#370. — En second (1108a24), il conclut, de ce qui a été montré, qu'il est difficile d'être honnête14, c'est-à-dire vertueux. D'ailleurs, c'est partout que nous constatons qu'atteindre le milieu est difficile, tandis que s'écarter du milieu est facile. Par exemple, atteindre le milieu d'un cercle n'est pas le fait de n'importe qui, mais du savant, c'est-à-dire du géomètre. Mais s'écarter du centre, n'importe qui le peut, et facilement. Il en va de même pour ce qui est de donner de l'argent et d'en dépenser. Mais que l'on donne quelque chose à qui il faut donner, le montant qu'il faut, quand il faut, en vue de quoi il faut et de la manière qu'il faut — par quoi on comprend bien donner — cela n'appartient pas à n'importe qui et n'est pas facile; c'est au contraire, à cause de sa difficulté, rare, difficile, louable et vertueux, dans la mesure que cela se fait en conformité avec la raison. |
[73075] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 3 Deinde cum dicit propter
quod oportet etc., ostendit modos quibus aliquis potest pertingere ad hoc
quod fiat virtuosus. Et circa hoc duo facit: primo docet qualiter aliquis
possit ad medium inventum pervenire. Secundo agit de ipsa inventione medii,
ibi, difficile autem forsitan et cetera. Circa primum ponit tria documenta.
Quorum primum sumitur ex ipsa natura rei. Et dicit quod, quia fieri virtuosum
et accipere medium est difficile. Propter hoc oportet eum qui coniectat
medium, qui scilicet intendit ad medium pervenire, principaliter ad hoc
intendere, ut recedat ab extremo quod magis contrariatur virtuti. Sicut si
aliquis vult pervenire ad medium fortitudinis, debet principale studium adhibere
ad hoc quod recedat a timiditate, quae magis opponitur fortitudini, quam
audacia, ut dictum est. |
371. - Il montre les manières par lesquelles on peut parvenir à être vertueux. Sur ce sujet, il fait deux choses. En premier, il montre comment on peut atteindre le milieu déjà trouvé; en second, il traite de la recherche même du milieu. Par rapport au premier point, il propose trois règles dont la première se prend de la nature même de la chose. Parce qu'il est difficile de devenir vertueux et de trouver le milieu. Voilà pourquoi, celui qui vise le milieu, c'est-à-dire qui a l'intention de l'atteindre, doit premièrement s'écarter de l'extrême qui est le plus contraire à la vertu. Ainsi, si quelqu'un veut parvenir au milieu de la vertu de force, il doit d’abord s'appliquer à sortir de sa lâcheté, qui est davantage opposée à la force que l’audace; -comme on l’a dit. |
#371. — Ensuite (1109a30), il montre les manières dont on peut parvenir à devenir vertueux. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière on peut parvenir au milieu, une fois qu'on l'a découvert. En second (1109b14), il traite de la découverte même du milieu. Sur le premier [point], il présente trois leçons. La première s'en tire de la nature même de la chose. Il dit que devenir vertueux et atteindre le milieu est difficile. En raison de cela, celui qui vise le milieu, qui cherche à parvenir au milieu, doit s'efforcer principalement de s'écarter de l'extrême qui contrarie le plus la vertu. Si, par exemple, on veut parvenir au milieu du courage, on doit mettre son principal effort à s'écarter de la lâcheté, qui s'oppose plus que l'audace au courage, comme il a été dit (#365). |
[73076] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11 n. 4 Et ponit exemplum cuiusdam nautae vel poetae qui
admonebat navigantes ut principaliter caverent maxima maris pericula quae
sunt undae subvertentes navem et fumositates nebularum impedientes aspectum
nautarum. Et hoc est quod dicit: extra fumum et undam custodi navem,
quasi dicat: ita navem custodias ut sic praetereas fumositates et undas. |
372. - Il donne l'exemple de Kalypso qui conseillait aux navigateurs d'éviter les dangers les plus grands de la mer qui sont les vagues de fond qui soulèvent le navire et les vapeurs des brouillards qui coupent la vision des matelots. "Loin de cette fumée et de ce flot courroucé dirige le navire." |
#372. — Il présente en exemple un certain Circes, qui avertissait les navigateurs d'éviter surtout les plus grands dangers de la mer, à savoir les remous, qui font verser le navire, et les vapeurs des brouillards, qui empêchent les matelots de voir. C'est [le sens de] ce qu'il dit, «de garder le navire en[13] dehors de la vapeur et du remous, comme s'il disait: ainsi garderas-tu le navire, de manière à fuir les vapeurs et les remous. |
[73077] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 5 Et rationem praedicti
documenti assignat dicens quod unum extremorum vitiorum, illud scilicet quod
est magis contrarium virtuti, est maius peccatum; illud autem extremum quod
est virtuti similius est minus peccatum. Et ideo, quia valde difficile est
contingere medium virtutis, ideo debet homo niti ut saltem maiora pericula
vitet, quae scilicet sunt magis virtuti contraria, sicut navigantes dicunt
quod post primam navigationem in qua homo nihil periculi sustinet, secunda
navigatio est, ut homo sumat minima periculorum. Et simile accidit circa
vitam humanam eo modo quo dictum est, ut scilicet homo principaliter vitet
vitia quae maxime contrariantur virtuti. |
373. Il assigne la raison de la règle précédente en disant que l'un des deux vices extrêmes, à savoir celui qui est le plus contraire à la vertu, est un plus grand péché (une plus grande erreur) alors que l'autre extrême, moins contraire à la vertu, est moins péché. C'est pourquoi, parce qu'il est très difficile d'atteindre le milieu de la vertu, l'homme doit au moins s'efforcer d'éviter les plus grands périls, à savoir ceux qui sont les plus contraires à la vertu. Comme le disent les navigateurs: après une première navigation où l'homme n'a eu à soutenir aucun danger, la seconde navigation doit choisir les moins grands dangers. La même chose a lieu à propos de la vie humaine et de la façon indiquée plus haut, à savoir que l'homme évite principalement les vices qui s'opposent le plus à la vertu. |
#373. — Il donne la raison de la leçon précédente en disant que l'un des extrêmes vicieux, à savoir le plus contraire à la vertu, constitue une faute plus grande, tandis que l'extrême moins contraire à la vertu est moins une faute. Aussi, comme il est très difficile d'arriver au milieu de la vertu, on doit au moins s'efforcer d'éviter les plus grands dangers, à savoir ce qui est davantage contraire à la vertu. Dans cet ordre, les navigateurs disent que, à côté d'une première [façon de] naviguer où on n'accepte aucun danger, il y en a une seconde, où l'on va vers les plus petits des dangers. Les choses se passent de même pour la vie humaine, de la manière dont on l'a dit: on évite surtout les vices qui contrarient le plus la vertu. |
[73078] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 6 Secundum documentum ponit
ibi tendere autem oportet et cetera. Et sumitur ex parte nostra; quantum
scilicet ad ea quae sunt propria unicuique. Et dicit quod oportet eum qui
vult fieri virtuosus attendere quid sit illud ad quod magis appetitus eius
natus est moveri: diversi enim ad diversa naturaliter magis inclinantur. Ad
quid autem naturaliter unusquisque inclinetur, cognoscere potest ex
delectatione et tristitia quae circa ipsum fit; quia unicuique est
delectabile id quod est sibi conveniens secundum naturam. |
374. - Il pose la deuxième règle qui se prend de notre côté, à savoir par rapport à ce que chacun de nous a de propre. Et il dit que celui qui veut devenir vertueux doit porter attention à ce à quoi il est naturellement plus enclin: les uns et les autres sont naturellement plus enclins à des choses différentes. A quoi chacun est naturellement incliné, il peut le savoir par le plaisir et la tristesse qui surviennent en lui: à chacun est délectable ce qui lui convient naturellement. |
#374. — Il présente ensuite sa seconde leçon (1109b1). Celle-ci se tire de nous-mêmes, c'est-à-dire de ce qui est propre à chacun. Il dit que celui qui veut devenir vertueux doit chercher à quoi son appétit est le plus incliné à se mouvoir: c'est à des [choses] différentes, en effet, que des [personnes] différentes sont inclinées naturellement davantage. Ce à quoi chacun est naturellement incliné, par ailleurs, il peut le connaître par le plaisir et la tristesse qu'il ressent à son propos; parce qu'à chacun plaît ce qui lui convient selon sa nature. |
[73079] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 7 Unde si aliquis in aliqua
actione vel passione multum delectetur, signum est quod naturaliter
inclinetur in illud. Homines autem vehementer tendunt ad ea ad quae naturaliter
inclinantur. Et ideo de facili circa hoc
homo transcendit medium. Et propter hoc oportet quod in contrarium nos
attrahamus quantum possumus. Quia quando damus studium ad hoc quod multum
recedamus a peccato, ad quod proni sumus, sic tandem vix perveniemus ad
medium. Et ponit similitudinem de illis
qui dirigunt ligna distorta; qui dum volunt ea dirigere, torquent in aliam
partem et sic tandem reducuntur ad medium. |
375. - Donc, si quelqu'un se délecte considérablement dans une action ou une passion, c'est le signe qu'il est naturellement incliné vers cette action ou cette passion. Les hommes tendent avec véhémence vers ce à quoi ils ont une inclination naturelle. Et c'est pourquoi, par rapport à l'objet de l’inclination naturelle, l'homme dépasse facilement le milieu. Donc, il faut nous traîner nous-mêmes en sens opposé, le plus que nous le pouvons. Parce que quand nous nous efforçons de nous éloigner le plus du péché, auquel nous sommes enclins, c'est encore à peine si nous atteignons le milieu. Et Aristote pose l'exemple de ceux qui redressent les bois tortus. Quand ils veulent le rectifier, ils le plient de l'autre côté et ainsi réussissent à le réduire au milieu. |
#375. — Aussi si on se plaît beaucoup à une action ou à une passion, c'est un signe qu'on y est naturellement incliné. Or on tend avec violence à ce à quoi on est naturellement incliné. C'est pourquoi on dépasse facilement le milieu à ce propos. En raison de cela, nous devons tendre en sens contraire tant que nous le pouvons. Si, en effet, nous mettons notre effort à nous écarter beaucoup de la faute à laquelle nous sommes enclins, nous parviendrons finalement à peine au milieu. Et il assimile la situation aux gens qui redressent des bois tordus: pour les redresser, ils les tordent dans l'autre sens et c'est ainsi qu'ils les ramènent au milieu. |
[73080] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 8 Et est considerandum quod
haec via acquirendi virtutes est efficacissima; ut, scilicet homo nitatur ad
contrarium eius ad quod inclinatur vel ex natura vel ex consuetudine; via
tamen quam Stoici posuerunt, est facilior, ut scilicet homo paulatim recedat
ab his in quae inclinatur, ut Tullius narrat in libro de Tusculanis
quaestionibus. Via etiam quam hic Aristoteles ponit, competit his qui vehementer
desiderant recedere a vitiis et ad virtutem pervenire. Sed via Stoicorum
magis competit his qui habent debilem et tepidam voluntatem. |
376. - Il faut ici considérer que cette voie d'acquérir les vertus est plus efficace, à savoir celle où l’homme s'efforce d'atteindre le contraire de ce à quoi il est incliné par nature ou par habitude. La voie qu'ont proposée les stoïciens est plus facile: celle où l'homme doit graduellement s'éloigner de ce à quoi il est incline. C'est ce que dit Tullius dans le livre de Tusc. Quaest. La voie que propose ici Aristote convient aussi à ceux qui désirent vraiment s’éloigner du vice et parvenir à la vertu. Mais la voie des stoïciens convient davantage à ceux qui ont une volonté débile et tiède. |
#376. — Il est à noter, ici, que cette voie d'acquisition des vertus est très efficace: celle où on s'efforce d'aller vers le contraire de ce à quoi on est incliné, tant par nature que par habitude. La voie que les Stoïciens ont imaginée est toutefois plus facile, de s'écarter graduellement de ce à quoi on est incliné, comme Cicéron l'explique, dans son livre Des questions tusculanes. La voie aussi qu'Aristote présente ici intéresse ceux qui désirent avec violence s'écarter des vices et parvenir à la vertu, tandis que la voie des Stoïciens intéresse davantage ceux qui ont une volonté faible et tiède. |
[73081] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 9 Tertium modum ponit ibi in
omni autem maxime et cetera. Et hoc etiam documentum sumitur ex parte nostra,
non quidem secundum id quod est proprium unicuique, ut dictum est de secundo
documento; sed secundum id quod est commune omnibus. Omnes enim naturaliter
inclinantur ad delectationes. Et ideo dicit quod universaliter maxime debent
tendentes in virtutem cavere sibi a delectabilibus et delectationibus.
Propter hoc enim quod homo maxime inclinatur in delectationem, delectabilia
apprehensa de facili movent appetitum. Et ideo dicit quod non de facili
possumus diiudicare delectationem, immorando scilicet circa considerationem
eius, quin appetitus accipiat eam, prosiliendo scilicet in concupiscentiam
eius. Et ideo illud quod seniores plebis Troianae patiebantur ad Helenam,
iudicantes scilicet eam esse abiciendam, hoc oportet nos pati ad
delectationem, et in omnibus respectu delectationis dicere vocem illorum, ut
scilicet, abiiciamus a nobis corporales delectationes. Et sic abiicientes
delectationem minus peccabimus, quia concupiscentia delectationum ducit
homines in plurima peccata. |
377. - Il pose la troisième règle qui se prend aussi de notre côté: non pas par rapport à ce que chacun a de propre, mais relativement à ce qui est commun à tous. En effet, tous sont naturellement inclinés aux délectations. Voilà pourquoi il dit qu'universellement ceux qui veulent parvenir à la vertu doivent surtout se garder des plaisirs. En effet, précisément parce que les hommes sont fort inclinés au plaisir, les choses délectables appréhendées attirent facilement l'appétit. C'est pourquoi, il dit que nous sommes mauvais juges dans le plaisir: il n'est pas facile de nous attarder à le considérer sans que l'appétit l'accepte et se laisse entrainer dans son désir: "Les sentiments des vieillards à l'égard d'Hélène, jugeant qu'il fallait la rejeter, voilà ce que nous devons éprouver à l’égard du plaisir; et, en tout ce qui a rapport à la délectation il nous faut redire leurs paroles qui exhortent de prendre congé des plaisirs corporels. Et ainsi, en rejetant le plaisir nous pécherons moins, parce que le désir du plaisir conduit l'homme dans une foule de péchés. |
#377. — Il présente ensuite une troisième manière (1109b7). Cette leçon se tire aussi de nous-mêmes, non, toutefois, d'après ce qui est propre à chacun, comme il a été dit de la seconde leçon, mais d'après ce qui est commun à tous. Tous, en effet, sont naturellement inclinés aux plaisirs. C'est pourquoi il dit qu'universellement, c'est des plaisirs que ceux qui tendent à la vertu doivent le plus s'écarter. Car, du fait que c'est au plaisir qu'on est le plus incliné, les plaisirs aperçus meuvent facilement l'appétit. Aussi dit-il que nous ne pouvons exercer facilement notre discernement sur le plaisir, si nous nous attardons à le considérer, sans que notre appétit ne le reçoive, en se précipitant à le désirer. Pour cela, ce que les anciens du peuple troyen admettaient à propos d'Hélène, estimant qu'on devait la renvoyer, nous devons l'admettre à propos du plaisir; nous devons toujours, à propos du plaisir, parler comme ces gens et rejeter de nous les plaisirs corporels. C'est ainsi, en rejetant le plaisir, que nous nous rendrons le moins fautifs, parce que le désir des plaisirs mène à bien des fautes. |
[73082] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 10 Concludit ergo quod
facientes ea quae in capitulo, id est summarie, dicta sunt, maxime
poterunt adipisci medium virtutis. |
378. - Il conclut donc que c'est en suivant ces règles que les hommes auront le plus de chance d'atteindre au milieu. |
#378. — Il conclut donc que c'est en se comportant ainsi qu'on vient de le dire en résumé, à savoir sommairement, qu'on pourra le mieux atteindre le milieu de la vertu. |
[73083] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 11 Deinde cum dicit:
difficile autem forsitan etc., ostendit qualiter sit determinandum medium
virtutis. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit huius difficultatem;
secundo ostendit quid sufficiat ad medii determinationem, ibi: sed qui quidem
parum et cetera. Tertio respondet tacitae quaestioni, ibi, hic autem usquequo
et cetera. Dicit ergo primo, quod hoc, scilicet invenire medium, est
difficile et maxime considerando singulas circumstantias in singularibus
operabilium. Quia non est facile determinare qualiter aliquid sit faciendum
et respectu quorum et in qualibus rebus et quantum tempus sit determinandum.
Et huius difficultatis signum ostendit; quia illos qui deficiunt, puta in
irascendo, quandoque laudamus et dicimus mansuetos. Et quandoque laudamus
illos qui magis aggravant puniendo vel resistendo, et vocamus illos viriles. |
379. - Il montre comment il faut déterminer le milieu de la vertu. Et là-dessus, il fait trois choses. Tout d’abord, il montre sa difficulté; en second, ce qui est suffisant pour déterminer le milieu; en troisième, il répond à une objection tacite. Il dit donc en premier, que trouver le milieu est tâche ardue, surtout en considérant les circonstances singulières qui enveloppent les opérables singuliers. Il n'est pas facile, en effet, de déterminer comment, contre qui, pour quels objets et combien de ; temps il faut se mettre en colère. Il donne le signe de cette difficulté: il nous arrive de louer ceux qui restent en-dessous du milieu et de les appeler doux, et de louer les opiniâtres et les mauvais caractères et de les appeler virils. |
#379. — Ensuite (1109b14), il montre de quelle manière on doit fixer le milieu de la vertu. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il en montre la difficulté. En second (1109b18), il montre ce qui suffit pour ce qui est de fixer le milieu. En troisième (1109b20), il répond à une question tacite. Il dit donc, en premier, que cela est difficile de découvrir le milieu, en tenant au mieux compte de chacune des circonstances en chacune des actions à poser. Car il n'est pas facile de fixer de quelle manière il faut agir, à l'égard de quelles [personnes], par exemple, en quelles choses et en quel temps 73 il faut se fâcher. Il rappelle, comme signe de cette difficulté, que tantôt nous louons et disons doux ceux qui ne se s'irritent pas assez, et tantôt nous louons ceux qui punissent avec excès ou se montrent intraitables, et nous les disons virils. |
[73084] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 12 Deinde cum dicit: sed qui
quidem etc., ostendit quid sufficiat ad medium virtutis. Et dicit, quod ille
qui parum transgreditur ab eo quod bene fit secundum medium virtutis non
vituperatur, neque si declinet ad maius neque si declinet ad minus, quia
modicus recessus a medio virtutis latet propter difficultatem medii. Sed ille
qui multum recedit, vituperatur, quia non latet. |
380. - Il montre ce qui est suffisant au milieu de la vertu. Et il dit que celui qui ne s'écarte que peu de la perfection, que ce soit en plus ou en moins, on ne le blâme pas; on blâme assurément celui qui prend un assez large écart: car celui qui s'écarte peu passe inaperçu, à cause de la difficulté de déterminer le milieu, mais celui qui s'éloigne grandement de la mesure se reconnaît facilement. |
#380. — Ensuite (1109b18), il montre ce qui suffit au milieu de la vertu. Il dit qu'on ne blâme pas celui qui s'écarte peu de ce qui est bien fait en conformité avec la vertu, qu'il s'en éloigne vers le plus ou vers le moins; parce qu'un écart léger du milieu de la vertu ne paraît pas, à cause de la difficulté du milieu. Mais on blâme celui qui s'écarte beaucoup, parce qu'il paraît. |
[73085] Sententia Ethic., lib. 2 l. 11
n. 13 Deinde cum dicit: hic
autem usque quo etc., respondet cuidam tacitae quaestioni. Posset enim
aliquis quaerere, quantus recessus a medio vituperatur et quantus non. Sed
ipse respondens dicit quod non potest de facili determinari aliquo sermone
usque ad quantum terminum, et quantum aliquis recedens a medio vituperetur.
Sicut nec aliquid aliud sensibilium, quae magis sensu discernuntur quam
ratione determinari possunt. Huiusmodi autem quae ad operationes virtutum
pertinent, in singularibus consistunt. Et propter hoc eorum iudicium
consistit in sensu, etsi non in exteriori, saltem in interiori, per quem
aliquis bene aestimat de singularibus, ad quem pertinet iudicium prudentiae,
ut infra dicetur in VI. Sed hoc tantum hic sufficit, ut ostendatur quod
medius habitus in omnibus est laudabilis, sed quandoque oportet declinare ad superabundantiam,
quandoque autem ad defectum; vel propter ipsam naturam virtutis, vel propter
inclinationem nostram, ut ex supradictis patet. Et per hunc modum facile
adipiscemur medium secundum quod aliquid bene fit. Et in hoc terminatur secundus liber. |
381 - Il répond à une question tacite. Quelqu’un pourrait, en effet, demander jusqu’à quel point et en quelle quantité il faut s'écarter du milieu pour être blâmable ou non. Mais lui-même répond qu'il n'est pas facile de donner, dans un traité, une règle qui détermine jusqu'à quel point et jusqu'à quelle quantité quelqu'un serait blâmable. Pas plus qu'on ne le pourrait pour aucun des objets sensibles, qui sont jugés davantage par le sens que par la raison. Les choses de cette sorte, qui appartiennent aux opérations des vertus, sont des choses singulières. C’est pourquoi, c'est au sens d'en juger, non pas extérieur, mais du moins, au sens intérieur par lequel quelqu'un juge convenablement des singuliers. A ce sens interne appartient le jugement de la prudence, comme on le dira dans le septième livre. Il suffit ici de montrer que l'habitus du milieu est en tout plus louable, et qu'il faut incliner tantôt vers l'excès et tantôt vers le défaut, ou à cause de la nature de la vertu, ou à cause de notre inclination, comme on le voit par ce que nous avons dit auparavant. Et c'est ainsi que nous trouverons le milieu selon lequel une chose est bien faite. Et là-dessus se termine le second livre. |
#381. — Ensuite (1109b20), il répond à une question tacite. On pourrait, en effet, chercher avec combien d'écart du milieu on est blâmé et avec combien non. Mais en réponse, il dit qu'on ne peut facilement définir à partir d'où et en s'écartant combien du milieu on est blâmé. Il en va de même de tout autre sensible, mieux discerné par le sens que fixable par la raison. C'est que ce type d'éléments des actes de vertu tiennent au singulier. En raison de cela, leur jugement réside dans le sens, quoique non dans le [sens] externe, mais dans le [sens] interne, par lequel on apprécie le bien des singuliers, et auquel revient le jugement de la prudence, comme il sera dit plus loin, au sixième [livre] (#1215, 1249). Mais il suffit tout à fait ici de montrer qu'en tout l'habitus médian est plus louable, même s'il faut parfois s'écarter vers l'excès, et parfois vers le défaut, soit à cause de la nature même de la vertu, soit à cause de notre inclination, comme il appert de ce qui précède (#369-378). De cette manière, on saisira facilement le milieu selon lequel chaque chose se fait bien. Là se termine le second livre. |
|
|
|
Liber
3 |
LIVRE 3 : [Le volontaire et l’involontaire. La force et
la tempérance] (Traduction Abbé Dandenault, 1950)
|
LIVRE 3 (Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
|
|
DU VOLONTAIRE ET DE L’INVOLONTAIRE (DE L'AGIR MALGRE SOI), ET DE CE QUI EST CONSECUTIF AU VOLONTAIRE. DE LA FORCE, DE LA TEMPERANCE, AINSI QUE DE LEURS ESPECES ET DE LEURS EXTREMES. |
|
Lectio
1 |
Leçon 1 : [L’involontaire] |
|
|
IL TRAITE DU SPONTANE ET DE L'INVOLONTAIRE. IL ETUDIE L'INVOLONTAIRE LUI-MEME AVANT LE SPONTANE, EN MONTRANT CE QU'EST L'INVOLONTAIRE PAR VIOLENCE (CONTRAINTE) ET L’INVOLONTAIRE PAR IGNORANCE. |
|
[73086] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 1 Virtute itaque et cetera.
Postquam philosophus determinavit de virtute in communi, hic determinat de
quibusdam principiis actuum virtutis. Dixerat enim, definiens virtutem, quod
virtus est habitus electivus, eo scilicet quod virtus per electionem
operatur: et ideo nunc consequenter de electione determinat, et de voluntario
et voluntate. Horum trium voluntarium commune est. Nam voluntarium dicitur, omne
quod sponte fit. Electio autem est eorum quae sunt ad finem. Sed voluntas
respicit ipsum finem. Dividitur ergo pars ista in partes duas. In prima
determinat de tribus praedictis principiis virtuosorum actuum. In secunda
parte comparat huiusmodi principia ad actus virtutum, ibi, existente utique
voluntabili et cetera. Circa primum tria facit. Primo determinat de
voluntario et involuntario. Secundo determinat de electione, ibi,
determinatis autem et cetera. Tertio determinat de voluntate, ibi: voluntas
autem quoniam quidem finis et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit
quod ad praesentem doctrinam pertinet considerare de voluntario et
involuntario; secundo determinat de eis, ibi: videntur autem involuntaria et
cetera. Circa primum ponit duas rationes. |
382.- Après avoir déterminé ce qu'est la vertu en général, le Philosophe détermine maintenant certains principes des actes de vertu. Il avait dit, en définissant la vertu, qu’elle est un habitus électif, du fait qu'elle opère par élection. C'est pourquoi, en conséquence, il détermine maintenant ce qu'est l'élection, ce qu'est le volontaire et la volonté (le vouloir de la fin, l'acte qui s'appelle la volonté). Parmi ces trois choses, ce qu’il y a de commun c'est le volontaire. En effet, le volontaire se définit: tout ce qui se fait spontanément. L'élection, elle, porte sur les moyens en vue de la fin, alors que la volonté vise la fin elle-même. Cette partie se divise donc en deux points. Dans le premier point, Aristote détermine les trois principes ci-haut mentionnés des actions vertueuses. Dans le second point, il compare ces principes avec les actes des vertus. Le premier point se subdivise en trois parties: en premier, il traite du volontaire et de l’involontaire; en second, il parle de l'élection; en troisième; il parle de la volonté. Par rapport au volontaire et à l'involontaire, il fait deux choses. Une première réflexion montre qu'il appartient au présent traité de considérer le volontaire et l'involontaire; une seconde réflexion en fait l'analyse. Pour prouver le premier énoncé, il donne deux raisons. |
#382. — Après avoir traité de la vertu de manière commune, le Philosophe traite ici de certains principes des actes de la vertu. Il avait dit (#305), en effet, en définissant la vertu, que la vertu est un habitus électif, en ceci que la vertu opère par choix; aussi traite-t-il maintenant, en conséquence, du choix, du volontaire et de la volonté. Entre ces trois [items], le volontaire tient la place du commun, car on dit volontaire tout ce qui se fait de plein gré; le choix, lui, porte sur ce qui vise une fin, tandis que la volonté regarde la fin même. Cette partie se divise en deux parties. Dans la première, il traite des trois principes précédents des actes vertueux. Dans la seconde partie (1113b3), il compare ce type de principes aux actes des vertus. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite du volontaire et de l'involontaire. En second (1111b4), il traite du choix. En troisième (1113a15), il traite de la volonté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il appartient au présent enseignement de considérer le volontaire et l'involontaire. En second (1109b35), il en traite. Sur le premier [point], il donne deux [raisons]. |
[73087] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 2 Quarum prima sumitur ex eo
quod est proprium praesenti considerationi, quae est de virtutibus. Et
concludit ex praemissis, quod virtus moralis, de qua nunc agitur, est circa
passiones et operationes; ita scilicet quod in his quae sunt voluntaria circa
operationes et passiones, fiunt laudes, cum aliquis operatur secundum
virtutem, et vituperia quando aliquis operatur contra virtutem; quando autem
aliquis involuntarie operatur, si quidem id quod est secundum virtutem, non
meretur laudem: si autem contra virtutem, meretur veniam ex eo, quod
involuntarie agit, ut scilicet minus vituperetur. Quandoque autem meretur
misericordiam, ut scilicet totaliter a vituperio reddatur immunis. |
383.- La première est tirée de ce qui est propre à la considération présente, laquelle porte sur les vertus. Il retient du livre précédent que la vertu morale, dont on parle en ce moment, a pour domaine les passions et les opérations de telle sorte que, dans ce domaine des actions et des passions, c'est ce qui se fait volontairement qui attire la louange ou le blâme, selon que cela est fait vertueusement ou vicieusement. Mais quand quelqu'un agit involontairement, même ce qu'il fait de façon vertueuse ne lui mérite pas de louange; et si son action est contraire à la vertu, il mérite le pardon, du fait qu'il agit involontairement et qu'ainsi il soit moins blâmable. Même quelquefois il mérite la pitié, de telle sorte qu'il soit complètement exempt de reproche. |
#383. — La première se tire d'un élément propre à la présente considération, qui a trait aux vertus. Il conclut, partant de ce qui précède, que la vertu morale, dont il s'agit maintenant, porte sur les passions et sur les actions, et de cette manière que c'est à propos de ce qui est volontaire, dans les actions et dans les passions, que se font des louanges, lorsqu'on agit en conformité avec la vertu, et des blâmes, quand on agit en conformité avec le vice. Quand, par contre, on agit involontairement, si on agit en conformité avec la vertu, on ne mérite certes pas de louange; et si on agit à l'encontre de la vertu, on mérite de l'indulgence, du fait qu'on ait agi involontairement, de sorte qu'on est moins blâmé. Parfois même, on mérite la pitié, de sorte qu'on est totalement exempt de blâme. |
[73088] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 3 Vel possunt distingui
venia et misericordia ut dicatur venia, quando diminuitur seu totaliter
dimittitur vituperium seu poena ex iudicio rationis, misericordia autem quando
hoc fit ex passione. Laus autem et vituperium proprie debentur virtuti et
vitio. Et ideo voluntarium et involuntarium, secundum quae diversificatur
ratio laudis et vituperii debent determinari ab his qui intendunt de virtute
considerare. |
384.- Ou bien on peut distinguer le pardon de la pitié de la façon suivante. On parle de pardon, lorsqu’on diminue ou rejette complètement le blâme ou les peines par un jugement de la raison. Par contre, on parle de pitié, lorsque cela se fait par sentiment ou passion. Cependant, la louange et le blâme sont proprement dus à la vertu et au vice. Et ainsi le volontaire et l'involontaire, selon qu'ils servent à distinguer la notion de louange et de blâme, doivent être déterminés par ceux qui veulent traiter de la vertu. |
#384. — Ou alors, on peut distinguer l'indulgence de la pitié, de manière à parler d'indulgence, quand on diminue ou remet totalement le blâme ou la peine par jugement de la raison. Et de pitié, pour autant que cela se fait par passion. Or la louange et le blâme sont dus proprement à la vertu et au vice. C'est pourquoi, pour ceux qui s'efforcent de réfléchir sur la vertu, il y a lieu de traiter le volontaire et l'involontaire, d'après lesquels se différencie la raison de louange et de blâme. |
[73089] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 4 Secundam rationem ponit
ibi utile autem et legislatoribus et cetera. Quae sumitur ex consideratione
politica, ad quam praesens consideratio ordinatur. Et dicit, quod utile est
legislatoribus, quod considerent voluntarium et involuntarium ad hoc quod
statuant honores bene agentibus, vel poenas peccantibus, in quibus
diversitatem facit voluntarii et involuntarii differentia. |
385.- La seconde raison se tire d'une considération de la science politique, à laquelle est ordonnée la présente étude. Et il dit qu'il est utile aux législateurs de considérer le volontaire et l'involontaire afin de pouvoir décerner les honneurs à ceux qui agissent bien et les punitions à ceux qui agissent mal: la différence du volontaire et de l'involontaire change la fixation des honneurs et des peines. |
#385. — Il donne ensuite une seconde raison (1109b34). Celle-là se tire de la matière politique, à laquelle est ordonnée la présente étude. Il dit qu'il est utile aux législateurs de réfléchir sur le volontaire et sur l'involontaire, pour statuer les honneurs dus à ceux qui agissent bien, ou les peines dues aux gens fautifs, où la différence entre le volontaire et l'involontaire introduit des distinctions. |
[73090] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1 n. 5 Deinde cum dicit: videntur autem involuntaria etc.,
determinat de voluntario et involuntario. Et primo de involuntario. Secundo
de voluntario, ibi, existente autem involuntario etc. et ratio ordinis est,
quia involuntarium ex simplici causa procedit, puta ex sola ignorantia vel ex
sola violentia; sed ad voluntarium oportet plura concurrere. Circa primum
tria facit. Primo dividit involuntarium. Secundo determinat de uno membro
divisionis, ibi, violentum autem est et cetera. Tertio determinat de alio,
ibi, quod autem propter ignorantiam et cetera. Dicit ergo primo quod
involuntaria videntur aliqua esse dupliciter: scilicet vel illa quae fiunt
per violentiam, vel illa quae fiunt propter ignorantiam. Et ratio huius
divisionis est, quia involuntarium est privatio voluntarii. Voluntarium autem
importat motum appetitivae virtutis, qui praesupponit cognitionem
apprehensivae virtutis, eo quod bonum apprehensum movet appetitivam virtutem;
dupliciter igitur aliquid est involuntarium. Uno modo per hoc quod
excluditur ipse motus appetitivae virtutis. Et hoc est involuntarium per
violentiam. Alio modo quia excluditur cognitio virtutis apprehensivae. Et hoc est involuntarium per ignorantiam. |
386.- Il traite maintenant du volontaire et de l'involontaire. Il parle d'abord de l'involontaire; en second, du volontaire. La raison de cet ordre c'est que l'involontaire provient d'une cause simple, par exemple, de la seule ignorance ou de la seule violence, alors que plusieurs éléments (causes) concourent au volontaire. Par rapport à l'involontaire, il fait une triple besogne. En premier, il le divise; en second, il détermine le premier membre de la division; en troisième, il étudie l'autre membre de la division. Il dit donc en premier que l'involontaire semble être de deux sortes: ce qui se fait par contrainte (violence) et ce qui se fait par ignorance. Et la raison de cette division est que l'involontaire consiste en une privation du volontaire. Or le volontaire comporte un mouvement de l'appétit qui présuppose la connaissance de la faculté cognitive, du fait que le bien appréhendé meut l'appétit. Et ainsi, il y a deux sortes d'involontaire. La première provient du fait que le mouvement même de l'appétit est refoulé; c'est l'involontaire par contrainte. La seconde provient de 1labbsence de connaissance de la faculté appréhensive: c'est l’involontaire par ignorance. |
#386. — Ensuite (1109b35), il traite du volontaire et de l'involontaire. En premier, de l'involontaire. En second (1111a20), du volontaire. La raison de cet ordre est que l'involontaire procède d'une cause simple, par exemple, de la seule ignorance ou de la seule violence, tandis que, pour le volontaire, plusieurs [causes] doivent concourir. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il divise l'involontaire. En second (1110a1), il traite d'un membre de la division. En troisième (1110b18), de l'autre. Il dit donc, en premier, que c'est de deux manières que des [actions] sont manifestement involontaires: ou bien faites par violence, ou bien faites par ignorance. La raison de cette division tient à ce que l'involontaire est la privation du volontaire. Or le volontaire importe le mouvement de la faculté appétitive, lequel présuppose la connaissance de la faculté appréhensive, du fait que c'est une fois appréhendé que le bien meut la faculté appétitive. Une action a donc deux façons de se trouver involontaire. D'une façon, du fait que se trouve exclu le mouvement même de la faculté appétitive: voilà l'involontaire par violence. 76 D'une autre façon, du fait que soit exclue la connaissance de la faculté appréhensive: voilà l'involontaire par ignorance. |
[73091] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 6 Deinde cum dicit:
violentum autem est etc., determinat de involuntario per violentiam. Et circa
hoc duo facit. Primo ostendit quid sit violentum. Secundo excludit circa hoc
errorem, ibi, si quis autem delectabilia et cetera. Circa primum tria facit.
Primo ostendit quid sit simpliciter violentum. Secundo quid sit violentum
secundum quid ibi, quaecumque autem propter timorem etc.; tertio epilogat,
ibi: qualia utique dicendum et cetera. Dicit ergo primo, quod violentum est
cuius principium est extra. Dictum est enim quod violentia excludit motum
appetitivum. Unde, cum appetitus sit principium intrinsecum, consequens est
quod violentum sit a principio extrinseco; sed quia ipse etiam appetitus
moveri potest ab aliquo extrinseco, non omne cuius principium est extra est
violentum, sed solum quod ita est a principio extrinseco, quod appetitus
interior non concurrit in idem. Et hoc est quod dicit quod oportet tale esse
violentum in quo nihil conferat, scilicet per proprium appetitum, homo qui et
dicitur operans, in quantum facit aliquid per violentiam, et dicitur patiens
inquantum violentiam patitur. Et ponit exemplum: puta si spiritus,
idest ventus, per suam violentiam impulerit rem aliquam ad aliquem locum, vel
si homines dominium et potestatem habentes asportaverunt aliquem contra eius
voluntatem. |
387.- Il détermine l'involontaire par contrainte. Et sur ce, il fait une double considération: d’abord, il montre ce qu'est le violent; ensuite, il exclut une erreur qui porte sur lui. Pour démontrer ce qu'est le violent, il fait trois choses. En premier, il montre ce qu’est le violent de façon absolue; en second, ce qu’est la contrainte relative; en troisième, il apporte sa conclusion. Il dit donc, en premier, que ce qui se fait par contrainte est ce dont le principe est à l'extérieur. On a dit, en effet, que le violent s’oppose et réprime le mouvement de l'appétit. Donc, puisque l’appétit est un principe intrinsèque, il convient que le violent provienne d'un principe extérieur; cependant, tout ce dont le principe est extrinsèque n'est pas du violent, mais seulement ce qui provient d'un principe extrinsèque avec lequel l'appétit intérieur ne collabore pas sur le point précis où il y a contrainte. C'est pour cette raison qu'il dit que ce qui est fait par contrainte exige que l'homme n’y collabore en aucune façon, à savoir par son propre appétit. En ce cas, l'homme est dit opérant, en tant qu'il fait quelque chose en contraignant, et on le dit patient, en tant qu'il subit la contrainte. Il donne un exemple. Supposons que le vent, par sa violence, transporte un objet dans un autre lieu, ou, encore, que les hommes qui ont la puissance et la domination exilent quelqu’un malgré lui, contre sa volonté. |
#387. — Ensuite (1110a1), il traite de l'involontaire par violence. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'est-ce qui est violent. En second (1110b9), il exclut une erreur à ce [sujet]. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'est-ce qui est violent de manière absolue. En second (1110a4), qu'est-ce qui est violent sous un certain aspect. En troisième (1110b1), il épilogue. Il dit donc, en premier, qu'est violent ce dont le principe est extérieur. Il a été dit (#386), en effet, que la violence exclut le mouvement appétitif. Aussi, comme l'appétit est un principe intrinsèque, il convient que le violent procède d'un principe extrinsèque; non pas, cependant, que tout ce dont le principe est extérieur soit violent, mais seulement ce qui procède d'un principe extrinsèque de manière que l'appétit intérieur ne concoure pas à la même [chose]. C'est ce qu'il dit, qu'à un tel violent on ne collabore en rien par son appétit propre. Il parle d'agent pour autant qu'on fait quelque chose, sous l'effet de la violence, et de patient, pour autant qu'on subit de la violence. Il soumet un exemple: si le souffle, c'est-à-dire le vent, pousse, par sa violence, quelque chose quelque part; ou si des gens, en maîtrise et pouvoir, expulsent quelqu'un contre sa volonté. |
[73092] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 7 Deinde cum dicit
quaecumque autem etc., ostendit quid sit violentum secundum quid. Et circa
hoc tria facit: primo movet dubitationem; secundo solvit, ibi, mixtae quidem
igitur sunt et cetera. Tertio solutionem manifestat, ibi, in operationibus
autem et cetera. Dicit ergo primo, quod quaedam sunt, quae aliquis operatur
propter timorem maiorum malorum, quae scilicet timet incurrere; vel propter
bonum aliquod, quod scilicet timet amittere. Puta si aliquis tyrannus habens
in suo dominio et potestate parentes et filios alicuius, praecipiat ei quod
aliquid turpe operetur tali condicione ut, si ipse operetur illud turpe,
conserventur filii et parentes eius in vita, si autem non operetur,
occidantur. |
388.- Il montre maintenant en quoi consiste le volontaire relatif. Et pour cela, il fait trois choses. D’abord, il pose une difficulté; ensuite, il la résout; enfin, il manifeste la solution. Il dit en premier lieu, qu'il y a des actes qu’on fait ou bien par crainte de maux plus grands, maux que l’on craint d’encourir, ou bien à cause d'un bien qu'on craint de perdre. Voici un exemple. Si un tyran, maître du sort des parents et des enfants de quelqu'un, ordonne à ce dernier de faire des actes honteux à la condition suivante: s'il fait ces actes, ses parents et ses enfants seront saufs, s'il ne les fait pas, ils mourront. |
#388. — Ensuite (1110a4), il montre qu'est ce qui est violent sous un certain aspect. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il soulève une difficulté. En second (1110a11), il la résout. En troisième (1110a19), il manifeste la solution. Il dit donc, en premier, qu'il y a des [choses] que l'on fait par crainte de maux plus grands qu'on craint d'encourir, ou en raison d'un bien qu'on craint de perdre. Par exemple, si un tyran, ayant en sa maîtrise et en son pouvoir nos parents et nos enfants, nous ordonne de faire quelque chose de honteux, avec la menace que, si on obéit, ils ne seront pas tués, mais que, si on n'obéit pas, ils seront tués. |
[73093] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 8 Est ergo dubitatio utrum
illa quae ex tali timore fiunt, sint dicenda voluntaria, vel potius
involuntaria. Et ponit aliud exemplum de his qui in tempestatibus maritimis
existentes eiciunt res suas in mari, quod quidem simpliciter loquendo nullus
facit voluntarius. Sed ad hoc quod ipse et illi qui cum eo sunt salventur,
faciunt hoc omnes qui habent intellectum bene dispositum. |
389.- Voici donc la difficulté: est-ce que les actes qui se font sous l'effet d'une telle crainte peuvent être appelés volontaires ou plutôt involontaires? Et il ajoute l'exemple de ceux qui, pris dans des tempêtes maritimes, jettent leurs cargaisons à la mer. A parler de façon absolue, personne n'accomplit cet acte volontairement. Mais pour sauver sa vie et celle des autres navigateurs, tous ceux qui: ont leur bon sens le font. |
#389.
— Il y a donc cette difficulté: est-ce que ce qui est fait sous une telle
crainte doit se dire volontaire, ou plutôt involontaire. Il soumet un autre
exemple, celui de gens qui, pris dans les tempêtes maritimes, jettent leurs
affaires à la mer. Cela, bien sûr, à parler de manière absolue, personne ne
le fait volontairement. Mais pour que soi-même et ceux qui sont avec soi
soient sauvés, tous le font, qui ont l'intelligence bien disposée. |
[73094] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 9 Deinde cum dicit: mixtae
quidem igitur etc., solvit praemissam dubitationem, concludens ex eo quod
dictum est, quod praedictae operationes, quae ex timore fiunt, sunt mixtae,
idest habentes aliquid de utroque; de involuntario quidem inquantum nullus
vult simpliciter res suas in mare proiicere; de voluntario autem, inquantum
quilibet sapiens hoc vult pro salute suae personae et aliorum. Sed tamen magis
accedunt ad voluntarias operationes quam ad involuntarias. Cuius ratio est quia hoc quod est proiicere res in
mare, vel quicquid est aliud huiusmodi potest dupliciter considerari: uno modo
absolute et in universali, et sic est involuntarium. Alio modo secundum
particulares circumstantias quae occurrunt in tempore in quo hoc est agendum,
et secundum hoc est voluntarium. Quia vero actus sunt circa singularia, magis
est iudicanda conditio actus secundum considerationes singularium quam
secundum considerationem universalem. Et hoc est quod dicit quod praedictae
operationes ex timore factae sunt voluntariae tunc quando sunt operatae,
idest consideratis omnibus singularibus circumstantiis quae pro tempore illo
occurrunt, et secundum hoc singulare tempus est finis et complementum
operationis. |
390.- Il résout la difficulté en concluant de ce qui précède que les opérations décrites qui se font par crainte sont mixtes, à savoir qu'elles comportent du volontaire et de l'involontaire: de l'involontaire, en tant que personne ne veut de façon absolue jeter ses marchandises à la mer; du volontaire aussi, en· tant qu'un navigateur sage décide de jeter sa cargaison pour se sauver lui-même et ses compagnons. Cependant, ces actions sont plus volontaires qu’involontaires. La raison en est que le fait de jeter sa cargaison à la mer, ou quelque autre action semblable, peut être considéré de deux façons: d’une façon absolue et en général; d’une façon particulière, en tenant compte des circonstances particulières qui se présentent au moment où l'on agit: et, vu Sous ce rapport, c'est volontaire. Mais parce que les actions portent sur des singuliers, il faut juger davantage de la condition d'un acte d'après les circonstances particulières qu'en s'en tenant à des considérations générales. Voilà pourquoi il dit que les opérations mentionnées plus haut sont volontaires au moment Qu’elles sont accomplies, c'est-à-dire après considération de toutes les circonstances singulières qui se présentent à ce moment-là; et c'est d'après ce moment particulier que la fin existe et que l'acte trouve son achèvement. |
#390. — Ensuite (1110a11), il résout la difficulté soulevée, en concluant, à partir de ce qui précède (#387), que les actions décrites, faites par peur, sont mixtes, et comportent de l'un et de l'autre: de l'involontaire, bien sûr, puisque personne, de manière absolue, ne veut jeter ses affaires à la mer; du volontaire aussi, puisque, assurément, quelqu'un de sage le voudra, pour le salut de sa personne et des autres. Cependant, elles participent plus aux actions volontaires qu'aux involontaires. La raison en est que l'action de jeter ses affaires à la mer, ou n'importe quelle autre de la sorte, peut se regarder de deux manières. D'abord de manière absolue et universelle, et elle est alors involontaire. Ensuite en regard des circonstances particulières liées au temps où elle est à faire, et elle est alors volontaire. Car, comme les actes ont rapport aux singuliers, la condition d'un acte est à juger plus en considération des singuliers qu'en considération des universels. C'est cela qu'il dit, que les actions décrites deviennent volontaires au moment où elles sont posées, c'est-à-dire en considération de toutes les circonstances singulières liées au moment; sous ce [rapport], le temps singulier est fin et complément de l'action. |
[73095] Sententia Ethic., lib. 3 l. 1
n. 10 Et ideo dicendum est
proprie aliquid voluntarium et involuntarium secundum considerationem
temporis, quando aliquis operatur. Manifestum est autem quod tunc operatur
volens. Quod patet ex hoc quod in talibus operationibus principium movendi organicas
partes, idest applicandi membra corporis ad operandum, est in ipso
homine. Aliter autem esset si ipsemet non moveret membra, sed ab aliquo
potentiori moverentur. Ea autem quae fiunt ex principio intrinseco sunt in
potestate hominis, ut ea operetur vel non operetur, quod pertinet ad rationem
voluntarii. Unde manifestum est quod tales operationes proprie et vere sunt voluntariae.
Sed tamen simpliciter, idest in universali considerando eas, sunt
involuntariae, quia nullus quantum est in se eligeret operari aliquid talium
nisi propter timorem, ut dictum est. |
391.- Et ainsi, il faut dire strictement que quelque chose est volontaire ou involontaire d'après la considération du temps où tem quelqu’un agit. Il est manifeste qu'alors il opère en le voulant. Ceci est évident du fait que, dans de telles opérations le principe du fait mouvoir les parties organiques, c'est-à-dire qui applique les membres du corps aux opérations est dans l'homme lui-même. Il en serait autrement si l'homme lui-même ne mouvait pas ses membres, mais si ces derniers étaient mus par quelqu'un de plus fort que lui. Car les actes qui dépendent d'un principe intrinsèque sont sous le pouvoir de l'homme, de sorte qu'il les pose lui-même ou non: ce qui appartient à la notion du volontaire. De là, il est manifeste que de telles opérations sont proprement et vraiment volontaires. Cependant, considérées de façon absolue, c'est-à-dire en général, dans leur universalité, elles sont involontaires, parce que personne ne choisirait d'opérer une action semblable pour elle-même, s'il n'était poussé par la crainte, ainsi qu'on l'a dit plus haut. |
#391. — C'est pourquoi on doit dire proprement une action volontaire ou involontaire en considération du temps où on agit. Il est manifeste, par ailleurs, qu'on agit alors en le voulant. Cela appert du fait que, en de telles actions, le principe qui meut les parties organiques, c'est-à-dire, qui applique les membres du corps à l'action, se trouve à l'intérieur de soi. Il en irait autrement, toutefois, si on ne mouvait pas soi-même ses membres, mais qu'on était mû par quelqu'un de plus puissant. Ce qui se fait par un principe intrinsèque, il est en notre pouvoir de le faire et de ne pas le faire, et cela appartient à la notion de volontaire. Aussi est-il manifeste que pareilles actions sont proprement et vraiment volontaires. Cependant, de manière absolue, c'est-à-dire, en les considérant de manière universelle, 77 elles sont involontaires, parce que personne ne choisirait de soi de faire quelque chose de tel, sauf par crainte, comme il a été dit. |
|
|
|
Lectio
2 |
Leçon 2 : [Les actions spontanées] |
|
|
ON DOIT LOUER ET DETESTER, HONORER ET CHATIER LES ACTIONS SPONTANES; CEPENDANT, AUX ACTIONS FAITES PAR CRAINTE, ON NE DOIT PAS LA LOUANGE, MAIS LE PARDON. |
|
[73096] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 1 In operationibus autem et cetera. Postquam philosophus
solvit dubitationem motam circa ea quae fiunt propter metum, ostendens
huiusmodi operationes magis esse voluntarias, hic solutionem manifestat per
hoc quod laus et vituperium, honor et poena debentur huiusmodi operationibus,
quae tamen non debentur nisi operationibus voluntariis. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit qualiter huiusmodi operationibus debeatur laus et
vituperium, honor vel poena; secundo manifestat difficultatem circa hoc
imminentem, ibi: est autem difficile et cetera. Circa primum ponit tres gradus
talium operationum quae fiunt per metum quantum ad hoc quod mereantur laudem
vel vituperium. |
392.- Après avoir apporté la solution de la difficulté soulevée à propos des actions faites par la crainte, en montrant que ces actions sont volontaires, ici, il manifeste sa solution par le fait que la louange et le blâme, l'honneur et le châtiment sont dus à de telles actions volontaires. Et à ce propos, il fait deux considérations: d’abord, il montre de quelle manière il faut attribuer la louange et le blâme, l’honneur et le châtiment à de telles actions; deuxièmement, il manifeste les difficultés qui guettent ces cas. Pour manifester sa solution, il distingue trois degrés dans les opérations qui se font par crainte, sous le rapport où elles méritent la louange ou le blâme. |
#392. — Après avoir résolu la difficulté soulevée à propos de ce que l'on fait par crainte et avoir montré que les actions de cette sorte sont volontaires, le Philosophe manifeste ici sa solution du fait que de la louange et du blâme, de l'honneur et de la peine sont dus à des actions volontaires de cette sorte. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière la louange et le blâme, l'honneur et la peine sont dus à des actions de cette sorte. En second (1110a29), il manifeste les difficultés attachées à ce [sujet]. Sur le premier [point], il présente trois degrés de ces opérations faites par crainte, quant à ce qu'elles méritent louange ou blâme. |
[73097] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2
n. 2 Et quantum ad primum dicit
quod in talibus operationibus quas dixit esse mixtas ex voluntario et
involuntario, quandoque aliqui laudantur ex eo quod sustinent aliquod turpe,
non quidem peccatum, sed ignominiam aliquam, vel etiam aliquod triste,
idest aliquod afflictivum, propter hoc quod perseverent in aliquibus magnis
et bonis, puta in aliquibus virtuosis actibus. Quando autem accidit e
converso, vituperantur, quia proprium pravi hominis esse videtur, ut
sustineat turpissima, idest aliquas magnas confusiones pro nullo vel
modico bono. Nullus enim sustinet aliquod malum pro conservatione alicuius
boni, nisi illud bonum praeponderet in corde suo illis bonis quibus
opponuntur mala quae sustinet; pertinet autem ad inordinationem appetitus
quod aliquis parva bona praeeligat magnis, quae tolluntur per magna mala. Et
ideo dicit hoc esse pravi hominis, qui habet appetitum inordinatum. |
393.- Et quant au premier degré, il montre que dans ces actions qu'il a dites mêlées de volontaire et d'involontaire, parfois on loue ceux qui supportent quelque chose de honteux, non pas le péché cependant, mais une certaine ignominie, c'est-à-dire quelque peine, du fait qu'ils ont su persévérer dans de belles ou grandes actions, par exemple, dans des actions vertueuses. Mais quand c’est le contraire qui se produit on les blâme, parce qu’il semble que le propre de l'homme vil soit de soutenir les pires hontes, c'est-à-dire de grandes humiliations pour peu ou rien de bon. En effet, personne ne supporte un mal quelconque pour préserver un bien si ce bien ne prévalait pas dans son cœur sur les autres biens dont il supporte la destruction par les maux qui s'y opposent. Que quelqu'un préfère des biens minimes à des grands, qui sont supprimés par de grands maux, cela dénonce un appétit désordonné. C’est pourquoi, il dit que c'est là le propre de l'homme dépravé, c’est-à-dire de celui qui a un appétit désordonné. |
#393. — Au premier [degré], il montre que parfois, pour de ces opérations qu'il a dites composées de volontaire et d'involontaire, on est loué pour supporter une honte — non pas, bien sûr, une faute, mais un affront, ou encore une tristesse, c'est-à-dire, une chose qui contriste — pour le fait de persévérer dans de grandes et bonnes [entreprises], comme dans des actes vertueux. Quand, cependant, les choses se passent à l'inverse, on est blâmé, parce que c'est manifestement le propre d'un homme dépravé de supporter ce qu'il y a de plus honteux, c'est-à-dire, de grands désordres, pour aucun ou pour un petit bien. Car personne ne supporte un mal pour conserver un bien, si ce bien ne vaut pas davantage dans son cœur que les autres biens que compromettent ces maux qu'il supporte. Il appartient d'ailleurs au désordre de l'appétit de préférer de petits biens à de grands, auxquels de grands maux s'attaquent. C'est pourquoi il dit que cela provient d'une personne dépravée, c'est-à-dire, dont l'appétit est désordonné. |
[73098] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2
n. 3 Secundum gradum ponit ibi
in aliquibus autem et cetera. Et dicit quod in quibusdam operationibus
propter metum factis non meretur aliquis laudem, sed solum conceditur venia,
ut scilicet aliquis inde non multum vituperetur, quando scilicet aliquis
operatur quaedam quae non oportet, puta aliqua non decentia ad statum suum,
cum tamen non sint multum gravia, propter timorem aliquorum malorum, quorum
sustinentia excedit humanam naturam, et quae nullus posset sustinere,
praecipue propter hanc causam, puta si alicui immineret sustinere ignis
adustionem, nisi diceret aliquod iocosum mendacium. Vel nisi aliqua vilia et
abiecta opera faceret quae non decerent eius dignitatem. |
394.- Il établit le second degré en disant que dans certaines actions faites par crainte, on ne mérite pas de louange, mais uniquement le pardon. Par exemple, celui-là n'est guère blâmable qui fait, ce qu'il ne doit pas faire, qui omet, disons, certains gestes ou certaines actions qui conviennent à son état par crainte de maux qui dépassent la nature humaine et que personne ne supporterait, surtout pour le motif en cause: ainsi, si on menaçait quelqu'un de le brûler au feu, à moins qu'il ne dise quelque mensonge joyeux, ou encore, à moins qu'il n'accomplisse quelque action vile et abjecte incompatible à sa dignité. |
#394. — Il présente ensuite un second degré (1110a23). Il dit qu'en certaines actions faites par crainte, on ne mérite pas de louange, mais seulement de l'indulgence. Ainsi, on n'est pas beaucoup blâmé de faire ce qu'il ne faut pas, ce qui, par exemple, ne convient pas à son statut, pour autant que ce n'est pas très grave, [et qu'on le fait] par crainte d'autres maux, qu'il dépasse la nature humaine de supporter, et que personne ne pourrait supporter, surtout pour cette raison: par exemple, si on se trouvait menacé de la brûlure du feu, à moins de proférer un mensonge joyeux. Ou de poser des actes vils et abjects qui ne conviendraient pas à sa dignité. |
[73099] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 4 Tertium gradum ponit ibi: quaedam autem fortassis et
cetera. Et dicit quod quaedam operationes sunt adeo malae quod ad eas
faciendas nulla sufficiens coactio adhiberi potest, sed magis debet homo
sustinere mortem patiendo durissima tormenta, quam talia operari, sicut
beatus Laurentius sustinuit adustionem craticulae ne idolis immolaret. Et hoc
ideo philosophus dicit, vel quia morienti propter virtutem remanet post mortem
gloria, vel quia fortiter persistere in bono virtutis est tantum bonum ut ei
aequiparari non possit diuturnitas vitae, quam homo moriendo perdit. Et ideo
dicit quod Alcmaeona, idest carmina de Alcmaeone facta ab Euripide poeta,
videntur esse derisoria, in quibus narratur quod Alcmaeon coactus fuit matrem
occidere ex praecepto patris sui, qui hoc sibi praeceperat in bello Thebano
moriens, ad quod ierat ex uxoris consilio. |
395.- Voici le troisième degré. Il y a, bien sûr, des actions auxquelles on ne peut se laisser forcer, mais où l'on doit préférer la mort dans de durs tourments plutôt que de les accomplir. Ainsi, saint Laurent a supporté la brûlure du gril plutôt que d'immoler aux idoles. C'est pourquoi, le Philosophe dit, qu'en certains cas, il vaut mieux mourir après avoir subi les derniers supplices, soit parce que la gloire d’être mort pour la vertu demeure après la vie, soit parce que le fait de persévérer courageusement dans le bien de la vertu est un bien si grand qu'on ne peut lui comparer une longue existence. Là-dessus Aristote donne comme exemple l’Alcméon d'Euripide: ce poème a quelque chose de dérisoire. On y raconte qu’Alcméon fut forcé de tuer sa mère par ordre de son père, qui lui avait donné ce commandement en mourant dans la guerre de Thèves, à laquelle il avait pris part sur le conseil de son épouse. |
#395. — Il présente ensuite un troisième degré (1110a26). Il dit que certaines actions sont à ce point mauvaises qu'aucune contrainte ne peut obliger à les faire; qu'on doit plutôt supporter la mort en souffrant les tourments les plus durs que de faire de ces [actions], comme le bienheureux Laurent a enduré la brûlure du gril pour ne pas immoler aux idoles. La raison en est, d'après le Philosophe, ou que celui qui meurt garde de la gloire, après sa mort, pour sa vertu, ou que le fait de persister courageusement dans le bien de la vertu constitue un si grand bien que la durée de la vie que l'on perd en mourant ne peut l'égaler. Aussi dit-il que l'Alcméon, c’est-à-dire les chants faits par le poète Euripide sur Alcméon, est manifestement ridicule, où on raconte qu'Alcméon fut contraint à tuer sa mère par ordre de son père, qui le lui avait ordonné en mourant à la guerre thébaine, à laquelle il était allé sur le conseil de sa femme. |
[73100] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 5 Deinde cum dicit: est autem difficile etc., ponit duas
difficultates quae imminent circa praedictas operationes. Quarum prima
pertinet ad iudicium rationis. Et dicit quod quandoque difficile est iudicare
quid sit eligendum pro hoc quod aliquis evitet aliquod malum, et quid mali
sit sustinendum pro hoc quod aliquis non deficiat ab aliquo bono. |
396.- Il propose deux difficultés que soulèvent facilement ces opérations. Il dit qu'il est quelquefois difficile de discerner s'il faut décider de faire tel bien pour éviter tel mal ou supporter tel mal pour acheter tel bien. |
#396. — Ensuite (1110a29), il présente deux difficultés liées aux actions décrites. La première concerne le jugement de la raison. Il dit qu'il est parfois difficile de juger quoi choisir pour éviter un mal, et quel mal supporter pour ne pas être privé d'un bien. |
[73101] Sententia
Ethic., lib. 3 l. 2 n. 6 Secunda difficultas pertinet ad
immutabilitatem affectus. Quam ponit ibi,
adhuc autem et cetera. Et dicit quod adhuc difficilius est immorari
perseveranter in his quae homo cognoscit per iudicium rationis, quam recte
iudicare. Et assignat rationem difficultatis dicens quod, sicut plurimum
contingit, illa quae expectantur, id est quae timentur, sunt tristia,
idest afflictiva vel dolorosa, illa autem ad quae homines coguntur per horum
timorem sunt turpia. Difficile est autem quod affectus hominis ex timore
doloris non moveatur, et tamen quia illa ad quae aliquis per huiusmodi
cogitur sunt turpia, consequens est quod circa eos qui coguntur ad huiusmodi
turpia agenda per timores tristium, fiant vituperia; circa eos autem qui ad
hoc cogi non possunt, fiant laudes. |
397.- La seconde difficulté appartient à la stabilité de l’appétit. Il dit qu'il est encore plus difficile de persévérer longuement dans la résolution prise par le jugement de la raison que de bien juger. Il en donne la raison en disant que d'ordinaire, ce à quoi l’on s’attend est triste, c'est-à-dire pénible ou douloureux, et que ce que l'on est contraint de faire est honteux. Or, il est difficile, pour l'appétit de l'homme, de n’être pas mû par la crainte de la douleur 0 Et puisque ce à quoi on est forcé est honteux, il est convenable de blâmer ceux qui se laissent forcer à accomplir ces choses honteuses par crainte de ce qui est pénible, et de louer ceux qui ne s'y laissent pas forcer. |
#397. — La seconde difficulté concerne la puissance des passions. Il la présente après (1110a30). Il dit qu'il est encore plus difficile de s'accrocher avec persévérance à ce que l'on connaît par le jugement de sa raison, que de juger correctement. Il donne la raison de cette difficulté: le plus souvent, il se trouve que ce à quoi l'on s'attend de triste est quelque chose d'affligeant ou de douloureux, tandis que ce à quoi on est forcé par la crainte est honteux. Or il est difficile d'empêcher ses passions de se mouvoir, quand une douleur est à craindre. Mais comme ce à quoi on est contraint par cette 78 sorte de [crainte] est honteux, il convient que des blâmes soient faits à qui est forcé à agir de la sorte par la crainte de tristesses; mais que des louanges soient faites à celui qu'on ne peut forcer à cela. |
[73102] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 7 Deinde cum dicit: qualia utique etc., epilogat quae
dicta sunt ut quorundam rationem assignet. Et primo resumit quaestionem
principalem, scilicet qualia sint dicenda violenta. Secundo resumit
responsionem quantum ad ea quae sunt absolute violenta, et dicit quod
simpliciter, id est absolute, violenta sunt quorum causa est exterius, ita
quod ille qui operatur propter violentiam nihil ad hoc conferat. Tertio
resumit de operationibus mixtis. Et dicit quod illa quae secundum seipsa,
idest absolute et universaliter considerata, sunt involuntaria, efficiuntur
voluntaria secundum certum tempus et propter certos eventus. Horum autem
quamvis secundum se sint involuntaria, principium tamen est in operante, et
ideo dicenda sunt voluntaria secundum hoc tempus et pro istis causis; et sic
patet quod magis assimulantur voluntariis quam involuntariis, quia sunt
voluntaria consideratis singularibus in quibus operationes consistunt. |
|
#398. — Ensuite (1110b1), il conclut ses dires, et en donne la raison. En premier, il rappelle la question principale, à savoir, qu'est-ce qu'on doit classer comme [sous l'effet de la] violence. En second, il rappelle sa réponse, quant à ce qui l'est de manière absolue: c'est ce dont la cause est à l'extérieur, et avec quoi celui qui agit sous la violence ne collabore en rien. En troisième, il rappelle ce qui concerne les actions mixtes, et il dit que ce qui, en soi, c'est-à-dire, considéré de manière absolue et universelle, est involontaire, devient volontaire en un certain temps et en raison de certains événements. Son principe, d'ailleurs, même si c'est en soi involontaire, est intérieur à l'action; c'est pourquoi cela doit se dire volontaire selon ce temps et pour ces causes. Ainsi, il appert que c'est assimilé plutôt au volontaire qu'à l'involontaire, parce c'est volontaire, en regard des [éléments] singuliers dans lesquels les actions consistent. |
[73103] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 8 Quarto resumit quod dixerat de difficultate in talibus
contingente. Et dicit quod non est facile tradere qualia oporteat pro
qualibus eligere. Et rationem assignat ex hoc quod multae differentiae sunt
in singularibus. Et ideo iudicium de eis non potest sub certa regula
comprehendi, sed relinquitur existimationi prudentis. |
399.- (Dans les cas particuliers, on ne peut guère donner de normes pour régler ces difficultés; elles relèvent du jugement prudentiel de chacun.) |
#399. — En quatrième, il rappelle ce qu'il avait dit de la difficulté liée à ces [matières]. Il dit qu'il n'est pas facile de traiter quel type de choses il faut choisir au lieu de quel type de choses. Il en met la raison dans la multitude de distinctions que les singuliers présentent. C'est pourquoi, en ces [matières], le discernement ne peut se réduire à des règles déterminées, mais [ces règles] sont laissées à l'appréciation du prudent. |
[73104] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 9 Deinde cum dicit: si quis autem delectabilia etc.,
excludit errorem quorumdam de his quae per violentiam fiunt. Quia enim homo
est id quod est secundum rationem, visum est quibusdam quod illud solum homo
per se et quasi voluntarie faceret quod facit secundum rationem; quandoque
autem contingit quod homo contra rationem operatur, vel propter
concupiscentiam alicuius delectationis facit, vel propter cupiditatem
alicuius exterioris boni; et ideo dicebant quod delectabilia et exteriora
bona, puta divitiae, sunt violenta effective, inquantum scilicet, cum sint
quaedam extrinseca, cogunt hominem ad agendum contra rationem. Sed hoc ipse
improbat quinque rationibus, |
400.- Il exclut ensuite l'erreur d'un certain nom que de moralistes concernant les actes qui se font par violence. En effet, parce que l’homme est ce qui est raisonnable, il a semblé à certains moralistes que l'homme accomplissait par soi et de façon quasi volontaire les seules actions faites en conformité à la raison. Mais quand il arrive que l'homme agisse contre la raison, ou à cause de la concupiscence d'une délectation quelconque, ou par convoitise d'un bien extérieur, il agit par violence. Et ainsi ces philosophes disent que les objets délectables et les biens extérieurs, les richesses par exemple, sont effectivement des contraintes: étant extérieurs à l'homme, ils le forcent à agir contre la raison. Ce qu'Aristote rejette pour cinq raisons. |
#400. — Ensuite (1110b9), il exclut l'erreur de quelques-uns au sujet des [actions] faites par violence. Parce qu'en effet, l'humain consiste à se conformer à la raison, certains ont cru qu'on ne fait par soi et comme volontairement que cela seul qu'on fait en conformité à la raison. Que quand, par ailleurs, il arrive qu'on agisse à l'encontre de la raison ou par concupiscence d'un plaisir, ou par convoitise d'un bien extérieur, on agit sous l'effet de la violence. C'est pourquoi ils disaient que les plaisirs et les biens extérieurs, par exemple, les richesses, font violence effectivement, dans la mesure où, étant extrinsèques, ils forcent à agir à l'encontre de la raison. Mais il infirme cela avec cinq raisons. |
[73105] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 10 Quarum prima talis est. Si exteriora inquantum sunt
delectabilia et videntur bona violentiam inferunt, sequetur quod omnia quae
nos agimus sint violenta et nihil in rebus humanis et nihil sit voluntarium:
quia omnes homines quaecumque operantur, operantur gratia horum, id
est propter aliquod delectabile vel propter aliquod quocumque modo bonum. Hoc
autem est inconveniens. Ergo et primum. |
401.- La première de ces raisons est celle-ci: si les biens extérieurs, en tant qu'ils sont délectables et semblent bons, apportent violence, il s'ensuit que tout le réseau des actions humaines est violenté et qu'il n'y a rien de volontaire. En effet, tous les hommes, quoi qu'ils fassent, le font en vue de ces biens, c'est-à-dire à cause d'un certain bien délectable ou à cause d'une chose bonne de quelque façon. Mais cela n'a pas de sens. Voilà donc la première raison. |
#401. — La première va comme suit. Si des [objets] extérieurs font violence du fait même qu'ils plaisent et paraissent bons, il s'ensuit que, dans les choses humaines, tout ce que nous faisons nous le faisons sous l'effet de la violence, et que rien n'est volontaire: car tous, nous faisons tout en vue de tels [objets], c'est-à-dire nous agissons en vue d'une chose qui nous plaît ou pour quelque bien de quelque sorte. Or cette [conséquence] est inconvenante. Son antécédent aussi, donc. |
[73106] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 11 Secundam rationem ponit ibi et qui quidem et cetera.
Quae talis est. Omnes qui operantur ex violentia et involuntarii operantur
cum tristitia. Unde et in V metaphysicae dicitur quod necessitas est
contristans, quia contrariatur voluntati. Sed illi qui operantur propter
aliquod bonum seu propter aliquod delectabile adipiscendum, operantur cum
delectatione. Non ergo operantur per violentiam et nolentes. |
402.- Voici la seconde. Tous ceux qui agissent par violence ou involontairement agissent avec tristesse, Voilà pourquoi il est dit avec bonheur, dans le cinquième livre de la Métaphysique, que la nécessité rend triste, car elle s'oppose au volontaire. Mais ceux qui opèrent en vue d'un certain bien ou pour li obtenir une délectation quelconque opèrent avec joie. Donc, ils n'agissent pas par violence et malgré eux. |
#402. — Il présente ensuite sa seconde raison (1110b11). Elle va comme suit. Tous ceux qui agissent sous l'effet de la violence et involontairement agissent avec tristesse. Aussi, dans le cinquième [livre] de la Métaphysique (IV, ch. 5; #829-831), il est bien dit que la nécessité attriste, parce qu'elle contrarie la volonté. Mais ceux qui agissent en vue d'accéder à quelque chose de plaisant, agissent avec plaisir. Ils n'agissent donc pas sous l'effet de la violence et contrairement à leur volonté. |
[73107] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 12 Tertiam rationem ponit ibi ridiculum autem et cetera.
Et dicit quod ridiculum est causari, idest incusare, exteriora bona et
non incusare se ipsum ex eo quod reddit se venabilem, idest permittit
se superari, a talibus appetibilibus; non enim voluntas nostra ex necessitate
movetur a talibus appetibilibus, sed potest eis inhaerere vel non inhaerere,
eo quod nihil eorum habet rationem universalis et perfecti boni, sicut
felicitas, quam omnes ex necessitate volumus.
|
403.- La troisième raison est la suivante. Il dit qu'il est ridicule de "prétexter" c'est-à-dire d'accuser les biens extérieurs de rendre vénal et de ne pas s'accuser soi-même, c'est-à-dire de permettre d'être dominé par de tels biens délectables. En effet, notre volonté n'est pas entrainée nécessairement par de tels appétibles, mais elle peut y adhérer et ne pas y adhérer du fait qu'aucun de ces biens n'a raison de bien universel et parfait, comme la félicité que tous désirent par nécessité. |
#403. — Il donne ensuite sa troisième raison (1110a13). Il dit qu'il est ridicule de nous plaindre, c'est-à-dire, d'accuser les biens extérieurs et de ne pas nous accuser nous-mêmes de ce qui nous met en chasse, c'est-à-dire, permet que nous soyons vaincus par de tels plaisirs: notre volonté, en effet, n'est pas mue de nécessité par ces [objets] désirables, mais peut y adhérer ou ne pas y adhérer, du fait qu'aucun d'eux n'a raison de bien universel et parfait, comme le bonheur, que nous voulons tous par nécessité. |
[73108] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 13 Quartam rationem ponit ibi et bonorum quidem se ipsum
et cetera. Et dicit quod ridiculum est, quod aliquis dicat se ipsum esse
causam bonorum, id est virtuosarum operationum, et quod delectabilia sint
causa turpium operationum in quantum alliciunt concupiscentiam. Ideo autem hoc dicit
esse ridiculum, quia contrariae operationes reducuntur in eamdem potentiam
rationalem, sicut in causam. Et ideo oportet quod sicut ratio secundum
seipsam agens est causa virtuosae operationis, ita etiam sit causa vitiosae
operationis sequendo passiones. |
404.- Il pose la quatrième raison. Il dit qu'il est ridicule que quelqu’un dise qu'il est lui-même la cause des actions bonnes et vertueuses et que ce sont les choses délectables qui sont causes des actions honteuses, en tant qu’elles excitent la concupiscence. Il dit donc que cela est ridicule parce que les opérations contraires sont ramenées à une même puissance rationnelle, comme à leur cause. C'est pourquoi, il faut que la raison soit cause del1opération vicieuse en suivant les passions tout comme elle est cause de l'opération vertueuse en agissant par elle-même. |
#404. — Il donne ensuite sa quatrième raison (1110b14). Il dit qu'il est ridicule que quelqu'un se dise soi-même cause de ses actions bonnes et vertueuses, mais donne les plaisirs comme causes de ses actions honteuses, en tant qu'ils attisent sa concupiscence. Il dit que cela est ridicule, parce que des opérations contraires se réduisent à la même puissance rationnelle comme à leur cause. Nécessairement, donc, comme la raison, lorsqu'elle agit en se conformant à elle-même, est cause de l'action vertueuse, de même aussi elle est cause de l'action vicieuse, lorsqu'elle suit les passions. |
[73109] Sententia Ethic., lib. 3 l. 2 n. 14 Quintam rationem ponit ibi videtur utique violentum et
cetera. Et dicit, quod violentum est cuius principium est extra ita quod ille
qui patitur vim nihil conferat ad actionem. Sed ille qui agit propter bona
exteriora confert aliquid ad actionem. Ergo, quamvis principium inclinans
eius voluntatem sit extra, non tamen eius operatio est violenta: neque
simpliciter, quia aliquid confert ad operationem; neque per aliquam
mixtionem, quia in operationibus mixtis, non redditur aliquid simpliciter
voluntarium, sicut accidit hic. Et ideo
ibi operatur homo cum tristitia, hic autem cum delectatione, ut dictum est. |
405.- Voici la cinquième raison. Il dit que le violent est ce dont le principe est à l'extérieur, de telle sorte que celui qui souffre violence n'apporte aucune collaboration à l’opération. Mais celui qui agit en vue des biens extérieurs collabore de quelque façon à l'opération, C'est pourquoi, quoique le principe qui incline sa volonté soit extérieur, son opération n'est pas contrainte pour cela: ni d’une façon absolue, car il apporte une coopération à l'action; ni de façon mixte, par un mélange de volontaire et d'involontaire, parce que dans les opérations mixtes, l'acte n'est pas absolument volontaire, comme c'est le cas ici. Et ainsi, dans ces deux derniers cas, l'homme agit avec tristesse, alors que dans le cas de la concupiscence, il agit avec joie, comme on l'a souligné plus haut. |
#405. — Il donne ensuite sa cinquième raison (1110b15). 79 Il dit que ce qui se fait sous l'effet de la violence, c'est ce dont le principe est extérieur, et de manière que celui qui le subit ne collabore en rien à l'action. Mais celui qui agit pour des biens extérieurs collabore de quelque manière à l'action. Donc, bien que le principe qui incline sa volonté [lui] soit extérieur, son action n'est cependant pas sous l'effet de la violence: ni de manière absolue, parce qu'il collabore de quelque manière à l'action; ni avec quelque mélange, parce que, dans les actions mixtes, une chose n'est pas rendue volontaire de manière absolue, comme il arrive ici. C'est pourquoi on agit là avec tristesse, tandis qu'ici avec plaisir, comme il a été dit. |
|
|
|
Lectio
3 |
Leçon 3 : [L’involontaire par ignorance] |
|
|
ON TRAITE DE L'INVOLONTAIRE QUI PROVIENT DE L’IGNORANCE: C'EST ICI QU'ON POSE TROIS DIFFERENCES CONCERNANT L'IGNORANCE ELLE-MEME, LESQUELLES SE PRENNENT D’APRES LES DIVERSES ACTIONS FAITES PAR IGNORANCE. |
|
[73110] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 1 Quod autem propter
ignorantiam et cetera. Postquam philosophus determinavit de involuntario
per violentiam, hic determinat de involuntario per ignorantiam. Et circa hoc
duo facit. Primo ostendit quomodo sit aliquid involuntarium per ignorantiam. Secundo manifestat quaedam quae dixerat, ibi, forsitan
igitur non malum et cetera. Circa primum ponit tres differentias circa
ignorantiam. Quarum prima attenditur secundum quod aliquid propter
ignorantiam fit, sed diversimode se habet ad voluntatem: quandoque enim est
voluntati contrarium: et tunc proprie dicitur involuntarium. Quandoque autem
non est contrarium voluntati, sed est praeter voluntatem in quantum est
ignoratum et hoc non dicitur involuntarium, sed non voluntarium. |
406.- Après avoir traité de l'involontaire par violence, le Philosophe traite ici de l'involontaire par ignorance. A ce sujet, il fait double besogne. En premier, il montre comment quelque chose peut être involontaire par ignorance; en second, il manifeste certaines affirmations qu'il avait eu besoin de faire. Pour manifester son premier point, il pose trois différences concernant l'ignorance. La première de ces différences se prend du fait que ce qui se fait par ignorance a des rapports différents à la volonté. En effet, ce qui est fait par ignorance est contraire à la volonté: en ce cas on l'appelle proprement involontaire. Quelquefois, cependant, ce qui est fait par ignorance n'est pas contraire à la volonté, mais est au-delà (hors de) de la volonté, en tant que pas connues. En ce cas, on ne le dit pas involontaire, mais non volontaire. |
#406. — Après avoir traité l'involontaire par violence, le Philosophe traite ici l'involontaire par ignorance. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment quelque chose est involontaire par ignorance (1110b18). En second, il rend manifeste une chose qu'il avait dite (1111a2). Sur le premier [point], il amène trois différences concernant l'ignorance. Parmi elles, la première tient à ce que les choses faites par ignorance tiennent divers rapports à la volonté. Quelquefois, en effet, c'est le contraire de la volonté: [cela] se dit alors proprement de l'involontaire. Quelquefois, par ailleurs, ce n'est pas le contraire de la volonté, mais en dehors de la volonté pour autant qu'ignoré. Cela ne se dit pas involontaire, mais non volontaire. |
[73111] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 2 Dicit ergo, quod hoc quod
fit propter ignorantiam, ita scilicet quod ignorantia sit causa eius,
universaliter est non voluntarium, ex hoc scilicet quod actus voluntatis non
fertur in illud. Non enim potest actus voluntatis ferri in id quod est
penitus ignoratum, cum obiectum voluntatis sit bonum cognitum. Sed tunc solum
id quod ex ignorantia causatur, dicitur involuntarium, quasi voluntati
contrarium, quando postquam cognoscitur inducit tristitiam et poenitudinem,
quae est tristitia de his quae quis fecit; ex hoc enim aliquid est
contristans quod est voluntati contrarium, ut dicitur in V metaphysicae. |
407.- Il dit donc que ce qui est fait par ignorance, à savoir de telle sorte que l'ignorance en soit la cause, est dans tous les cas non volontaire du fait que l'acte de la volonté ne porte pas dessus. En effet, l'acte de la volonté ne peut porter sur ce qui est complètement ignoré, puisque l'objet de la volonté est le bien connu. Mais alors l'action causée par ignorance s'appelle involontaire, comme étant pour ainsi dire contraire à la volonté, uniquement lorsque, une fois connue, elle cause la tristesse et le regret, qui est une tristesse sur les actions qu'on a déjà posées. En effet, une chose attriste du fait qu'elle est contraire à la volonté, comme on l’a dit dans le cinquième livre des Métaphysiques. |
#407. — Il dit donc que ce qui se fait par ignorance, et de façon que l'ignorance en soit la cause, est, de manière universelle, non volontaire, du fait que l'acte de la volonté ne s'y porte pas. Car l'acte de la volonté ne peut pas se porter sur ce qui est tout à fait ignoré, puisque l'objet de la volonté est un bien connu. Mais plus précisément, n'est causé par ignorance que ce qui comporte quelque chose d'attristant, c'est-à-dire, de contraire à la volonté, [et qui], une fois qu'il est connu, induit de la tristesse et du regret, cette tristesse qui porte sur ce que l'on a fait. Car quelque chose est attristant du fait de contrarier la volonté, comme il est dit au cinquième [livre] de la Métaphysique (1015a29). |
[73112] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 3 Ille enim qui propter
ignorantiam operatur aliquid, et non tristatur de hoc quod operatus est illud
postquam cognoscit, puta si accipiat argentum aestimans se accipere stamnum,
non potest dici quod volens acceperit argentum, cum non cognoverit illud esse
argentum; neque potest dici quod nolens, idest contra suam voluntatem
acceperit argentum, cum non tristetur de eo quod propter ignorantiam argentum
accepit. Ille enim videtur esse nolens, qui habet tristitiam et poenitudinem
de eo quod propter ignorantiam fecit. Sicut si aliquis accepisset e converso
stamnum putans accipere argentum. Sed quia ille qui non paenitet alter est ab
illo qui paenitet qui dicitur nolens, vocetur ille non volens. Quia enim
differt a nolente secundum rem, melius est quod habeat nomen proprium et
distinctum. |
408.- Ainsi, on ne pourra pas dire que celui qui fait quelque chose par ignorance et qui n'en éprouve aucune tristesse après avoir reconnu ce qu'il a fait, qu'il le voulait, parce qu'il ignorait ce qu'il faisait, ni non plus qu'il ne le voulait pas, c'est-à-dire que cela allait contre sa volonté, du fait qu'il ne s’en attriste pas. Ainsi, on ne peut dire que celui qui reçoit une pièce d’argent croyant recevoir une pièce de plomb l'a reçue en voulant la recevoir, puisqu'il ne savait pas qu'elle était d’argent; on ne peut dire non plus qu'il l'a reçue en ne voulant pas la recevoir, contre sa volonté, puisqu'il ne ressent aucune tristesse de l'avoir reçue par ignorance. En effet, celui-là semble positivement ne pas vouloir (faire quelque chose malgré lui) qui a tristesse et regret de ce qu'il a fait par ignorance. Comme, par exemple, celui qui aurait reçu une pièce de plomb au lieu d'une pièce d'argent qu'il pensait obtenir. Mais parce que celui qui ne regrette pas est différent de celui qui se repend, dont on dit "qu’il agit malgré lui", "contre sa volonté", voulant ne pas faire ce qu'il fait par ignorance, on appelle le premier "celui qui n'agit pas de son gré" celui qui ne veut pas (ayant un sens négatif, d'omission) "non volens" celui qui ne veut pas par ignorance ce qu'il voudrait s'il connaissait. |
#408. — En effet, celui qui fait quelque chose par ignorance et ne s'attriste pas de ce qu'il a fait, une fois qu'il le sait — par exemple celui qui reçoit de l'argent en pensant qu'il reçoit de l'étain —, on ne pourra dire qu'il l'aura reçu en le voulant, puisqu'il n'aura pas su que c'était de l'argent; mais on ne peut pas dire non plus que c'est en ne le voulant pas, c'est-à-dire, contre sa volonté, qu'il aura reçu de l'argent, puisqu'il ne s'attristera pas de ce qu'il a reçu de l'argent par ignorance. Celui, en effet, qui paraît ne pas vouloir, c'est celui qui ressent de la tristesse et du regret de ce qu'il a fait par ignorance. Comme si, au contraire, quelqu'un recevait de l'étain en pensant recevoir de l'argent. Mais comme celui qui ne regrette pas se situe autrement que celui qui regrette, qu'on dit ne pas vouloir, il est mieux qu'il ait un nom propre et distinct. |
[73113] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 4 Secundam differentiam
ponit ibi alterum autem videtur et cetera. Quae quidem accipitur secundum
differentiam respectus eius quod fit ad ignorantiam, quae quandoque est causa
eius, quandoque vero procedit ex alia causa. Dicit ergo, quod alterum videtur
esse quod aliquis operetur propter ignorantiam ab eo quod aliquis operetur
ignorans. Quandoque enim aliquis operatur ignorans, sed non propter
ignorantiam. Sicut ebrius vel iratus, non operatur propter ignorantiam, sed propter
ebrietatem vel iram. Et tamen neuter eorum
operatur sciens, sed ignorans, quia ex ebrietate et ira causatur ignorantia,
simul cum tali operatione: et ita ignorantia se habet ut concomitans
operationem, et non sicut causa eius. |
409.- La seconde différence se prend d'après les rapports différents de ce qui est fait à l'ignorance elle-même. L’ignorance est quelquefois cause de ce qui est fait; d'autres fois, ce qui se fait provient d'une autre cause. Il dit donc que cela semble être autre chose que d'opérer par ignorance et d'opérer en ignorant. En effet, quelquefois on opère en ignorant ce que l'on fait, mais non pas par ignorance, Ainsi l’homme ivre ou l'homme en colère n'agissent pas par ignorance, mais à cause de l'ivresse et de la colère. Et pourtant ni l'un ni l'autre ne savent ce qu’ils font: l'ivresse et la colère causent l'ignorance simultanément avec les opérations qu'elles font poser: et ainsi l'ignorance est concomitante à l'opération mais n’est pas sa cause. |
#409. — Il amène une seconde différence (1110b24), qui se prend d'après la différence entre ce qui se fait et l'ignorance: quelquefois, l'ignorance est cause de ce qui se fait; quelquefois cela procède d'une autre cause. Il dit donc qu'il semble en aller autrement de quelqu'un qui opère par ignorance et de quelqu'un qui opère en ignorant. Quelquefois, en effet, on opère en ignorant, mais non par ignorance. Ainsi, l'homme en état d'ébriété ou irrité n'opère pas par ignorance, mais par ébriété ou par colère. Pourtant, aucun d'entre eux n'opère en connaissance de cause: car, par l'ébriété et par la colère, l'ignorance est causée, en même temps que pareille opération; et ainsi, l'ignorance se trouve concomitante à l'opération, mais n'en [est] pas la cause. |
[73114] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 5 Ex hoc autem concludit
quod, sicut iratus operatur ignorans, non autem propter ignorantiam, sed
propter iram: ita omnis malus operatur non quidem propter ignorantiam, sed
ignorans in particulari quae bona oporteat facere et a quibus malis oporteat
fugere, inquantum scilicet aestimat hoc malum sibi nunc esse faciendum, et ab
hoc bono sibi nunc esse cessandum. Et propter hoc peccatum, quia scilicet
operantur quae non oportet. Ignorantes autem universaliter fiunt iniusti
quoad alios, et mali quoad seipsos. Ex quo patet, quod ex hoc quod aliquis
operatur ignorans, et non propter ignorantiam, non causatur involuntarium.
Quia nullus propter id quod involuntarius facit, est iniustus vel malus. |
410.- Et de là il conclut que, comme celui qui se fâche agit en ignorant, sans agir par ignorance, mais par colère, ainsi tout homme vicieux n’opère pas en vérité par ignorance, mais ignorant en particulier (dans le cas particulier) quels biens il faut délaisser, à savoir en tant qu'il juge qu’il doit commettre ce mal actuellement, et abandonner ce bien qui lui est présent. C’est pour cela qu'il pèche, parce qu’il fait ce qu’il ne doit pas faire. Et en général ceux qui agissent ainsi en ignorant deviennent injustes envers les autres, et vicieux par rapport à eux-mêmes. (C'est dans cette sorte d'ignorance que réside la source de l'injustice envers les autres et de la méchanceté envers soi-même). De là il est clair que le fait d’agir en ignorant et non à cause de l’ignorance ne cause pas l'involontaire: personne n’est injuste ou vicieux parce qui il agit involontairement. |
#410. — Partant de là, il conclut que, de même que celui qui se fâche agit dans l'ignorance, non pas toutefois par ignorance mais par colère; de même, tout méchant agit non pas bien sûr par ignorance, mais dans l'ignorance concrète du bien qu'il faut faire et du mal qu'il faut éviter, pour autant qu'il estime qu'il lui faut faire maintenant ce mal, et qu'il lui faut cesser maintenant de faire ce bien. À cause de cela, il est fautif, puisqu'il fait ce qu'il ne doit pas. De manière universelle, d'ailleurs, ceux qui ignorent deviennent injustes envers les autres, et mauvais envers eux-mêmes. De cela, il ressort 80 que ce que l'on fait en l'ignorant, et non à cause de l'ignorance, n'en est pas rendu involontaire. Car personne n'est injuste ou mauvais en raison de ce qu'il a fait involontairement. |
[73115] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 6 Tertiam differentiam ponit
ibi involuntarium autem vult dici et cetera. Quae quidem sumitur ex parte
eius quod ignoratur. Ubi considerandum est quod duorum potest esse
ignorantia. Uno modo secundum quod aliquis ignorat quid oporteat facere vel
vitare. Et hanc ignorantiam dicit esse eius quod confert, idest quod
operari oportet. Talis autem ignorantia non causat involuntarium, quia
ignorantia huiusmodi non potest homini habenti usum rationis provenire nisi
ex negligentia. Quia quilibet tenetur adhibere sollicitudinem ad sciendum
quid oporteat eum facere vel vitare: unde si ipsa ignorantia reputatur
voluntaria, dum homo eam non vult vitare sicut tenetur, consequens est quod
nec id quod per huiusmodi ignorantiam fit, involuntarium iudicetur. Et hoc
est quod dicit, quod involuntarium vult, idest natum est dici, non si
quis ignorat quod confert, idest quod est expediens ad operandum. Hoc
autem potest aliquis ignorare dupliciter. |
411.- La troisième différence se prend du côté de ce qui est ignoré. Ici il faut considérer qu’il peut y avoir deux sortes d'ignorance. La première selon laquelle on ignore ce qu'il faut faire ou éviter. Et il dit que cette ignorance est celle de ce qu'il est opportun d'accomplir, de ce qu’il importe de faire, c'est-à-dire de ce qu’on doit faire. Cette ignorance ne cause pas l'involontaire, parce que cette sorte d’ignorance ne peut provenir, pour celui qui a l'usage de sa raison, que de la négligence. Car tout homme est tenu d’apporter sollicitude et diligence à savoir ce qu'il lui faut faire et éviter: et donc, si l'ignorance elle-même est jugée volontaire, alors que l’homme ne veut pas l’éviter comme il le doit, il est par conséquence logique que ce qui est fait par cette ignorance ne soit pas jugé involontaire. Voilà bien ce qu'Aristote dit: qu'on ne parle pas naturellement d'involontaire si quelqu'un ignore ce qu'il convient d’exécuter, c’est-à-dire ce qui est avantageux à l'opération. Ce qu'on peut ignorer de deux manières. |
#411. — Il amène une troisième différence (1110b30), qui se prend certes du côté de ce qui est ignoré. En quoi on doit considérer que l'ignorance peut être double. D'une première manière, selon que l'on ignore ce qu'il faut faire ou éviter; il dit que cette ignorance est celle de ce qui convient, c'est-à-dire, de ce qu'il faut faire. Pareille ignorance, par ailleurs, ne rend pas involontaire, parce qu'une ignorance de cette nature ne peut arriver que par négligence à un homme qui a l'usage de sa raison. Or, comme n'importe qui est tenu de mettre du soin à savoir ce qu'il lui faut faire ou éviter, par conséquent, si l'ignorance elle-même est réputée volontaire, du moment qu'on ne veut pas l'éviter alors qu'on y est tenu, il s'ensuit que cela non plus qui se fait par une ignorance de cette nature ne sera pas jugé involontaire. C'est ce qu'il dit qu'involontaire implique, c'est-à-dire, a dans sa nature que l'on n'ignore pas ce qui convient, c'est-à-dire, ce qu'il faut faire. Mais cela, on peut l'ignorer de deux manières. |
[73116] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 7 Uno modo in aliquo
particulari eligibili; puta cum aliquis propter concupiscentiam aestimat sibi
nunc esse fornicandum. Alio modo in universali, ut patet in erroneo qui
opinatur omnem fornicationem esse licitam. Utraque autem ignorantia est eius
quod confert. Unde neutra involuntarium causat. Et hoc est quod subdit quod
illa ignorantia quae est in electione, per quam scilicet aliquis
aestimat hoc malum sibi nunc esse faciendum, non est causa involuntarii, sed
magis est causa malitiae, idest peccati. Neque etiam ignorantia quae
est in universali est causa involuntarii, quia propter huiusmodi ignorantiam
aliquis vituperatur. Non autem vituperatur aliquis propter involuntarium, ut
supra habitum est. |
412.- D'une première façon, lorsqu'on ignore ce qu’on doit décider dans un cas particuliers: par exemple, lorsque par concupiscence on juge que l'on doit actuellement forniquer d’une seconde façon, lorsqu'on ignore la règle universelle, comme il est évident dans le cas de celui qui croit que toute fornication est licite. Ces deux sortes d’ignorance appartiennent à celle qu'on a décrite comme étant l'ignorance de ce qu'il importe d’accomplir, l'ignorance de "ses vrais "intérêts". Et donc ni l’une ni l’autre ne causent l'involontaire. Et c'est bien ce qu'Aristote dit: que l'ignorance qui se trouve au centre de l'élection, c'est-à-dire celle par laquelle on juge que cet acte mauvais doit être fait actuellement, n’est pas cause d’involontaire, mais est plutôt cause de la malice, de l'acte vicieux, c'est-à-dire du péché; que, non plus, l’ignorance de la norme universelle est cause d’involontaire, parce qu’0n blâme quelqu’un à cause de cette ignorance, alors qu'on ne fait aucun reproche à cause de l'involontaire, comme on l’a dit auparavant. |
#412. — D'une manière, à propos d'une option particulière, par exemple, lorsque, par concupiscence, on pense qu'il y a lieu maintenant de forniquer. D'une autre manière, en général, comme il appert chez celui qui pense que toute fornication est licite. Or l'une et l'autre ignorance portent sur ce qui convient. Aussi ni l'une ni l'autre ne causent de l'involontaire. C'est ce qu'il dit, que cette ignorance qui se trouve dans le choix par lequel on pense qu'on doit maintenant faire ce mal n'est pas cause d'involontaire, mais est plutôt cause de malice, c'est-à-dire, de faute. Ni non plus l'ignorance qui est en général n'est cause d'involontaire, car pour une ignorance de cette sorte on est blâmé. Or on n'est pas blâmé pour de l'involontaire, comme il en a été question plus haut. |
[73117] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 8 Alia autem est ignorantia
singularium conditionum, puta quod ista mulier sit uxor, vel quod iste vir
sit pater, vel quod iste locus sit sacer. Et ista sunt circa quae et in
quibus est operatio humana, per quorum iustam ignorantiam aliquis meretur
misericordiam et veniam, eo quod ille qui ignorat aliquid horum, operatur
involuntarie. Unde patet, quod ignorantia talium singularium circumstantiarum,
causat involuntarium, non autem ignorantia eius quod confert. |
413.- Autre cependant est l'ignorance des conditions singulières, par exemple, que cette femme soit épouse ou que cet homme soit père ou que ce lieu soit sacré. Et ces conditions singulières de l'action sont celles sur lesquelles et dans lesquelles se situe l’opération humaine, dont la "juste" ignorance mérite à quelqu'un la pitié et le pardon, du fait que celui qui ignore une de ces circonstances agit involontairement. Il est donc clair que l'ignorance de ces circonstances singulières cause l’involontaire, mais non l’ignorance de ce qu'il est bon de faire. |
#413. — Mais une autre ignorance porte sur les conditions singulières, par exemple, que cette femme soit mariée, ou que cet homme soit père, ou que ce lieu soit sacré. Ces [conditions] sont autour de quoi et en quoi se passe l'action humaine, par juste ignorance desquelles on mérite de la compassion et de l'indulgence, du fait que celui qui ignore l'une d'entre elles agit involontairement. De là appert que l'ignorance de pareilles circonstances singulières cause l'involontaire, mais non l'ignorance de ce qui convient. |
[73118] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 9 Deinde cum dicit: forsitan
igitur non malum etc., manifestat quod dixerat: scilicet quae sunt istae
circumstantiae, quarum ignorantia causat involuntarium. Et circa hoc tria
facit. Primo proponit quae sint istae circumstantiae; secundo qualiter
ignorentur, ibi, omnia quidem igitur, et cetera. Tertio, qualiter earum
ignorantia involuntarium causet, ibi: circa omnia utique haec et cetera.
Circa primum considerandum est, quod circumstantiae nihil aliud sunt, quam quaedam
singulares conditiones humani actus: quae quidem possunt accipi, vel ex parte
causarum actus, vel ex parte ipsius actus. Causa autem actus est efficiens,
vel finis. Efficiens autem est vel agens principale vel instrumentale; ex
parte autem actus, tria accipi possunt: scilicet ipsum genus actus, materia
sive obiectum ipsius et modum agendi; et secundum hoc philosophus ponit hic
sex circumstantias et dicit, quod non est malum, immo oportunum, determinare
quae et quot sint ista singularia, quorum ignorantia, involuntarium facit. Et
utitur adverbio dubitandi, sicut et in multis aliis locis in hoc libro
propter incertitudinem moralis materiae. |
414.- Il manifeste une de ses affirmations, à savoir quelles sont ces circonstances dont l’ignorance cause l'involontaire. Ce qu’il fait en trois points. Il propose, en premier, quelles sont ces circonstances; en second, il manifeste de quelles manières elles sont ignorées; en troisième, comment leur ignorance cause l'involontaire. En ce qui concerne le premier point, il faut considérer que ces circonstances ne sont rien d’autre que certaines conditions singulières de l’acte humain, lesquelles conditions peuvent se prendre soit du côté des causes de l'acte soit du côté de l’acte lui-même. Or, les causes de l'acte sont efficiente ou finale. La cause efficiente, elle, est ou l'agent principal ou l'instrument. Du côté de l’acte, on peut considérer trois choses, à savoir le genre même de l'acte, la matière ou l’objet lui-même et le mode d'agir. D'après cette division, le Philosophe pose six circonstances. Et il dit qu’il n’est pas mauvais, qu'il peut être même excellent de déterminer le nombre et les sortes de ces circonstances, dont l'ignorance cause l'involontaire. Et il se sert d'un adverbe de doute, comme d'ailleurs en plusieurs autres endroits dans le livre de l'Ethique, à cause de l'incertitude qui touche à la matière morale. |
#414. — Ensuite (1111a2), il manifeste ce qu'il avait dit: à savoir, quelles sont ces circonstances dont l'ignorance cause l'involontaire. À ce [propos], il fait trois [considérations]. En premier, il propose quelles sont ces circonstances. En second, de quelle manière on les ignore (1111a6). En troisième, de quelle manière leur ignorance cause de l'involontaire (1111a15). Sur le premier [point], on doit considérer que les circonstances ne sont rien d'autre que certaines conditions singulières de l'acte humain: lesquelles peuvent, bien sûr, se prendre soit du côté des causes de l'acte, soit du côté de l'acte lui-même. La cause de l'acte, quant à elle, c'est l'agent ou la fin. L'agent, lui, est soit l'agent principal, soit l'[agent] instrumental. Par ailleurs, du côté de l'acte, trois [circonstances] peuvent se prendre: à savoir, le genre même de l'acte, sa matière ou son objet, et la façon d'agir. D'après cela, le Philosophe pose ici six circonstances. Il dit qu'il n'est pas mauvais, mais plutôt très bien, de déterminer quelles et combien sont ces [conditions] singulières dont l'ignorance produit l'involontaire. Il use d'un adverbe de doute, comme en plusieurs autres lieux, dans ce livre, à cause de l'incertitude de la matière morale. |
[73119] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 10 Enumerans ergo haec
singularia, dicit, quis, quod pertinet ad personam principalis
agentis. Et quid scilicet agat, quod pertinet ad genus actus. Et circa
quid, quod pertinet ad materiam vel obiectum. Apponit autem et circa hoc,
id quod pertinet ad mensuram actus aut agentis, id est locum vel
tempus, cum dicit, vel in quo operatur. Quia omnes res exteriores
videntur similem habitudinem habere ad actum humanum. Tullius autem hoc quod
dicitur circa quid, comprehendit sub hoc quod dicitur quid. Quod autem
dicitur in quo, dividit in duas circumstantias, scilicet in quando et ubi. |
415.- Et donc, il énumère chacune des circonstances. Il donne la première: qui agit: ce qui appartient à la personne de l'agent principal. Puis: ce qu'il fait; ce qui appartient au genre de l’acte. Puis: sur quoi porte l’action; ce qui appartient à la matière ou à l'objet. Aristote ajoute aussi: relativement à ceci; ce qui appartient à la mesure de l’acte, en tant qu'efficient, c'est-à-dire le lieu ou le temps; ou bien il fait entrer ces circonstances lorsqu'il dit: "dans lequel il opère". C’est que toutes les choses extérieures semblent avoir des relations à l'acte humain. Tullius fait entrer sous le même chef: la matière de l’opération et le genre de l'acte, le ce qu’il fait et le ce sur quoi il opère. Ce qu'Aristote nomme: ce dans quoi il opère, il le divise en deux circonstances, à savoir le "quando" et "l'ubi". |
#415. — Énumérant donc ces [conditions] singulières, il dit qui, ce qui renvoie à la personne de l'agent principal. Et quoi, c'est-à-dire [que] fait-il, ce qui renvoie au genre de l'acte. Et sur quoi, ce qui renvoie à la matière ou à l'objet. Il ajoute alors aussi en quoi, ce qui renvoie à la mesure de l'acte, comme de l'agent, c'est-à-dire, le lieu ou le temps, comme il dit, ou en quoi on opère. Car toutes les choses extérieures paraissent avoir une relation à l'acte humain. Toutefois, Tullius comprend ce qu'on appelle sur quoi sous ce qu'il appelle quoi. Et ce qu'on appelle, par ailleurs, en quoi, il le divise en deux circonstances, à savoir quand et où. |
[73120] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 11 Quantum autem ad agens
instrumentale subdit. Quandoque autem et quo, puta instrumento. Non
enim omnis actio fit per instrumentum, puta intelligere et velle. Loco autem
huius ponitur a quibusdam, quibus auxiliis. Nam ille cui praebetur auxilium,
utitur auxiliis sicut instrumento. Quantum autem ad finem dicit: et cuius
gratia, puta cum medicus vulnerat causa salutis. Quantum autem ad modum
agendi, dicit et qualiter, puta quiete, id est leviter, vel
vehementer, id est fortiter. |
416.- Par rapport à l’agent instrumental, il ajoute ceci: Quelquefois une autre circonstance arrive: avec quoi, par exemple avec quel instrument. En effet, ce n'est pas toute action qui se fait avec un instrument, comme intelliger et vouloir par exemple. A la place de l'instrument, certains posent la circonstance: à l'aide de qui, par quelle assistance ou secours. En effet, celui à qui on apporte secours se sert de l'aide des autres comme d'un instrument. En ce qui concerne la fin, il dit: ce en vue de quoi, pour quel résultat, par exemple lorsque le médecin blesse quelqu’un pour le guérir. Quant au mode d'action, il dit: et comment, par exemple doucement ou violemment. |
#416. — Par ailleurs, en ce qui concerne l'agent instrumental, il sous-divise. Quelquefois aussi, c'est par quoi, comme par [quel] instrument. Mais ce n'est pas toute action qui se fait à l'aide d'un instrument, par exemple, comprendre et vouloir. Aussi, au lieu de cela, certains posent-ils à l'aide de quoi. En effet, celui à qui est apportée de l'aide se sert d'aides comme d'instruments. Concernant la fin, 81 il dit et en vue de quoi, par exemple, quand le médecin blesse en vue de la santé. Quant au mode d'agir, il dit «et de quelle manière», c'est-à-dire, tranquillement, ce qui veut dire légèrement, ou violemment, ce qui veut dire fortement. |
[73121] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 12 Deinde cum dicit: omnia
quidem igitur etc., ostendit qualiter praedictae circumstantiae ignorentur.
Et dicit, quod nullus est, qui omnes praedictas circumstantias ignoret, nisi
sit totaliter insanus. Et inter ceteras circumstantias, manifestum est, quod
non potest ignorare quis sit operans, quia sic ignoraret se ipsum, quod est
impossibile. Potest autem ignorare id quod quis operatur, sicut illi qui
dicunt aliqua quae non erant dicenda, dicunt excusando seipsos quod excidit a
memoria eorum, vel quod nunquam sciverunt quod talia erant ineffabilia,
idest quod talia non erant dicenda, sicut revelata sunt mystica, id est
secreta, Hayscili, id est cuiusdam poetae; ille ergo qui talia loquitur
ignorat quid facit, quia nescit hoc esse revelationem secretorum. |
417.- Il montre comment les circonstances susdites sont ignorées. Il dit que personne n'ignore toutes ces conditions à moins d'être fou. Il est manifeste que, parmi ces circonstances, on ne peut ignorer: qui agit, car alors on s'ignorerait soi-même, ce qui est impossible. "Mais on peut ignorer ce que l'on fait: voyez ceux qui disent ce qu'ils auraient dû taire": cela leur a échappé, disent-ils en s'excusant, ou, "ils ne savaient pas que c'était un secret", comme Eschyle le prétendit des mystères[14]. Celui qui dit de telles choses ne sait pas ce qu'il fait, parce qu'il ignore qu'il révèle des secrets. |
#417. — Ensuite (1111a6), il montre de quelle manière on ignore les circonstances énumérées. Il dit que personne n'ignore toutes les circonstances énumérées, à moins d'être tout à fait insensé. Entre autres circonstances, il est manifeste qu'on ne peut ignorer qui agit: car alors on s'ignorerait soi-même, ce qui est impossible. On peut cependant ignorer ce qu'on fait: comme ceux qui, disant des choses qu'ils ne devraient pas dire, disent pour s'excuser que cela leur était sorti de la mémoire, ou qu'ils n'avaient jamais su que c'étaient des [choses] ineffables, c'est-à-dire, à ne pas dire, comme les mystères se trouvent révélés, c'est-à-dire, les secrets d'Eschyle, par un poète. Or celui qui dit de pareilles choses ignore ce qu'il fait, car il ne sait pas que c'est la révélation de secrets. |
[73122] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3
n. 13 Et ponit aliud exemplum
quantum ad facta: sicut sagittator qui vult monstrare discipulo suo qualiter
sit sagittandum, et mittit aliquid, scilicet telum; talis etiam nescit quid
facit, quia nescit se dimittere telum. Deinde ponit exemplum de ignorantia
eius quod est circa quid: sicut si aliquis filium suum credat esse hostem qui
impugnet domum eius et interficiat eum. Sicut quaedam mulier dicta Meropes
interfecit filium suum; et sic patet quod in tali facto scit homo quid facit,
quia scit se interficere, sed nescit circa quid, quia nescit se interficere
filium. |
418.- Il pose un autre exemple tiré des actions, des faits: l'archer qui veut montrer à son élève comment tirer de l'arc et qui fait partir la flèche. Ce dernier ne sait pas ce qu'il fait parce qu'il ne savait pas que la flèche partirait. Il pose ensuite un exemple portant sur l'ignorance de la matière: si quelqu'un pense que son fils est un ennemi qui attaque la maison et le tire. Ainsi Mérope a tué son propre fils. Et ainsi il est évident que dans un tel fait l'homme sait ce qu'il fait, parce qu'il sait qu'il tue; mais il ne sait pas sur quoi porte son action, parce qu'il ne sait pas qu'il tue son fils. |
#418. — Il ajoute un autre exemple sur ce qu'on fait: comme un archer qui veut montrer à son disciple comment il faut tirer et qu'une chose, c'est-à-dire, un trait, soit envoyé. Celui-là, en effet, ne sait pas ce qu'il fait, car il ne sait pas qu'il envoie un trait. Ensuite, il ajoute un exemple pour l'ignorance de la circonstance sur quoi: comme quelqu'un qui prendrait son fils pour un ennemi qui attaquerait sa maison et le tuerait. C'est ainsi qu'une certaine Meropes a tué son fils. Il en devient évident que, dans un tel acte, un homme sait ce qu'il fait, parce qu'il sait qu'il tue; mais il ne sait pas sur quoi, parce qu'il ne sait pas qu'il tue son fils. |
[73123] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3 n. 14 Postea ponit exemplum de ignorantia instrumenti; sicut
si aliquis in hastiludio utatur hasta lanceata, quam putat esse rotundatam,
scilicet per amotionem ferri; vel si quis aestimet lapidem quo utitur esse
pumicem. |
419.- Il pose ensuite un exemple qui manifeste l'ignorance de l'instrument. Par exemple, si quelqu'un dans les jeux de lance se sert d'une hampe munie d'une lance, qu'il croit pour tout arrondie, c'est-à-dire démunie de sa pointe de fer; ou encore, si quelqu'un croit que la pierre dont il se sert est une pierre ponce. |
#419. — Ensuite, il ajoute un exemple sur l'ignorance de l'instrument; comme quelqu'un, à la compétition de javelot, qui se servirait d'un javelot avec fer qu'il penserait arrondi, c'est-à-dire, par extraction du fer; ou quelqu'un qui penserait que la pierre dont il se sert serait de pierre ponce. |
[73124] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3 n. 15 Ulterius autem ponit exemplum de ignorantia finis. Et
dicit quod si aliquis medicus vel minutor percutiens hominem propter salutem
corporalem, vel magister propter salutem spiritualem, occidat, iste habet
ignorantiam finis; non quidem eius quem intendebat, sed eius qui ex opere
consequitur. Ignorabat enim quod opus eius ad talem finem perveniret. |
420.- Ensuite, il pose l'exemple de l'ignorance de la fin. Si un médecin ou un masseur ou un maître de gymnase en frappant un homme pour lui donner la santé, le tue. Voilà un cas de l'ignorance de la fin, non pas de la lin de l'opérant, mais de la fin de l'œuvre. En effet, il ignorait que son œuvre pût conduire à cette fin. |
#420. — Par la suite encore, il donne un exemple sur l'ignorance de la fin. Et il dit qu'un médecin ou un assistant qui, en frappant un homme pour son salut corporel, ou un maître pour son salut, le tuerait, serait dans l'ignorance de la fin; certes, non pas de celle qu'il visait, mais de celle qui s'ensuit de son acte. Il ignorait, en effet, que son œuvre parviendrait à une telle fin. |
[73125] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3 n. 16 Ultimo autem ponit exemplum de ignorantia modi
actionis; puta cum aliquis aestimat se leviter ducere manum ad ostendendum
alicui qualiter sit percutiendum, sicut faciunt pugiles, et fortiter
percutiat; talis enim ignoranter fortiter percutit. |
421.- En dernier lieu, il pose l'exemple de l’ignorance du mode d'action. Par exemple, si quelqu'un veut prendre la main de son adversaire, comme on le fait dans la lutte du bout des doigts, et lui donne un coup violent. Ce lutteur, en effet, ignorait la force de son coup. |
#421. — Enfin, il donne un exemple de l'ignorance du mode d'agir; par exemple, lorsqu'on pense bouger sa main légèrement pour montrer comment on doit frapper, comme le font les combattants, et qu'on frappe fortement. En effet, c'est alors dans l'ignorance qu'on frappe fortement. |
[73126] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3 n. 17 Deinde cum dicit: circa omnia utique haec etc.,
ostendit quomodo praedictorum ignorantia involuntarium causat. Et primo dicit
quod, cum ignorantia possit esse circa quodlibet praedictorum quinque quae
concurrunt ad operationem, ille videtur nolens sive involuntarius operari qui
ignorat aliquod praedictorum. Non autem aequaliter quantum ad omnia; sed
praecipue si sit ignorantia in principalissimis circumstantiis. |
422.- Il montre comment l'ignorance des circonstances ci-haut mentionnées cause l'involontaire. Et il dit tout d'abord que, puisque l'ignorance peut porter sur l’une des cinq conditions énumérées, celui-là semble agir contre sa volonté ou involontairement qui en ignore une. Mais l'involontaire ne découle pas également de toutes les conditions: il vient surtout de l'ignorance des principales circonstances. |
#422. — Ensuite (1111a15), il montre comment l'ignorance des [circonstances] énumérées cause l'involontaire. Il dit d'abord que, comme l'ignorance pourrait porter sur n'importe laquelle des cinq [circonstances] énumérées qui concourent à l'opération, celui-là semble ne pas vouloir ou opérer involontairement, qui ignore l'une des [circonstances] énumérées. Non pas également, toutefois, quant à toutes [les circonstances]; mais principalement si l'ignorance porte sur les circonstances principalissimes. |
[73127] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3 n. 18 Secundo ibi: principalissima autem etc., manifestat
quae sunt principalissimae circumstantiae. Et dicit quod principalissimae
circumstantiae esse videntur in quibus est operatio, idest obiectum
sive materia actus. Et cuius gratia, idest finis. Quia actus
specificantur secundum obiecta. Sicut autem materia est obiectum exterioris
actus, ita finis est obiectum interioris actus voluntatis. |
423.- Il manifeste quelles sont les principales circonstances. Et il dit que les principales circonstances semblent être celles dans lesquelles se trouve l'opération, c'est-à-dire l'objet ou la matière de l'acte. Et celle qui est "ce en vue de quoi", c'est-à-dire la fin. Comme la matière est l'objet de l'acte extérieur, ainsi la fin est l'objet de l'acte intérieur de la volonté. |
#423. — En second (1111a18), il manifeste quelles sont les circonstances principalissimes. Il dit que les circonstances principalissimes paraissent être celles dans lesquelles réside l'opération, c'est-à-dire, l'objet, ou la matière de l'acte. Et ce en vue de quoi, c'est-à-dire, la fin. Comme, par ailleurs, la matière est l'objet de l'acte extérieur, ainsi la fin est l'objet de l'acte intérieur de la volonté. |
[73128] Sententia Ethic., lib. 3 l. 3 n. 19 Tertio ibi: secundum talem utique ignorantiam etc.,
ostendit quod ignorantia horum non sufficit ad involuntarium. Et dicit quod cum
involuntarium dicatur secundum praedictorum ignorantiam, adhuc requiritur ad
involuntarium quod operatio sit cum tristitia et poenitudine, ut supra dictum
est. |
424.- Il dit que l'ignorance de ces circonstances ne suffit pas à l'involontaire. Il dit que puisque l'involontaire se prend d'après l'ignorance des circonstances, il est encore requis pour qu'une action soit involontaire que l'opération soit accompagnée de peine et de regret, comme on l'a dit plus haut. |
#424. — En troisième (1111a19), il dit que leur ignorance ne suffit pas pour [produire] l'involontaire. Il dit que, lorsqu'on dit que l'involontaire est selon l'ignorance dont on a parlé auparavant, l'involontaire requiert en plus que l'opération soit avec tristesse et regret, comme on l'a dit plus haut. |
|
|
|
Lectio
4 |
Leçon 4 : [Définition du volontaire] |
|
|
IL MONTRE CE QU’EST LE SPONTANE OU VOLONTAIRE, ON LE DEFINIT COMME ETANT CE DONT LE PRINCIPE EST L’OPERANT LUI-MEME AVEC CONNAISSANCE DES CIRCONSTANCES. |
|
[73129] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 1 Existente autem involuntario et cetera. Postquam
philosophus determinavit de involuntario, hic determinat de voluntario. Et
primo ostendit quid sit voluntarium. Secundo excludit circa hoc quemdam
errorem, ibi, forsitan enim non bene dicitur et cetera. Circa primum
considerandum est quod, quamvis involuntarium videatur dici secundum
remotionem voluntarii, tamen, si ad causas respiciamus, voluntarium dicitur
aliquid per remotionem eorum quae causant involuntarium, scilicet violentiae
et ignorantiae; et quia unumquodque cognoscitur per suam causam, ideo
definitionem voluntarii tradit removendo causas involuntarii. Et dicit quod,
cum involuntarium sit quod fit propter vim illatam et propter ignorantiam, ut
supra dictum est, voluntarium videtur esse cuius principium est in ipso
operante. Et sic excluditur violentia; ita tamen quod ipse operans sciat
singulares circumstantias quae concurrunt ad operationem. Et per hoc
excluditur ignorantia quae causat involuntarium. |
425.- Après avoir traité de l'involontaire, le Philosophe traite ici du volontaire. Et, tout d'abord, il montre ce qu'est le volontaire. En second, il exclut une erreur qui porte sur le volontaire. Par rapport à la définition, il faut considérer que, bien que l'involontaire semble se dire par suppression du volontaire, le volontaire se dit en écartant ce qui cause l'involontaire, comme la violence et l'ignorance. Et parce qu'une chose est connue par sa cause, il donne la définition du volontaire en supprimant les causes de l'involontaire. Et il dit que puisqu'un fait involontairement les actes qu'on fait par contrainte et par ignorance, comme on l'a dit plus haut, le volontaire semble être ce dont le principe est à l'intérieur de l'opérant lui-même. Et ainsi se trouve exclue la violence, de telle manière cependant que l'opérant lui-même connaisse les circonstances singulières qui concourent à l'opération. Et par là se trouve exclue l'igorance qui cause l'involontaire. |
#425. — Après avoir traité l'involontaire, le Philosophe traite ici le volontaire. En premier, il montre ce qu'est le volontaire (1111a22). En second, il exclut une erreur à ce propos (1111a24). 82 Sur le premier [point], on doit considérer que, quoique l'involontaire semble se dire par suppression du volontaire, cependant, si nous regardons aux causes, une chose se dit volontaire par suppression de ce qui cause l'involontaire, comme la violence et l'ignorance. Comme tout se connaît par sa cause, on donne la définition du volontaire en enlevant les causes de l'involontaire. Aussi dit-il que, alors que l'involontaire se produit à cause d'une force imposée et à cause de l'ignorance, comme on l'a dit plus haut, le volontaire est manifestement ce dont le principe est dans l'agent même. Ainsi la violence se trouve exclue; mais de manière que l'agent lui-même connaisse les circonstances singulières qui concourent à l'opération. Par là, l'ignorance qui cause l'involontaire est exclue. |
[73130] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 2 Deinde cum dicit forsitan enim etc., excludit quemdam
errorem. Et primo ponit ipsum. Quidam enim putabant quod non omne illud cuius
principium est intra, etiam cum scientia circumstantiarum, est voluntarium;
potest enim contingere quod illud principium quod est intra non sit appetitus
rationalis qui dicitur voluntas a qua denominatur voluntarium, sed aliqua
passio appetitus sensitivi, puta ira vel concupiscentia vel aliquid aliud
huiusmodi; quod philosophus dicit non esse bene dictum. Et est notandum quod,
quia passiones appetitus sensitivi excitantur a rebus exterioribus apprehensis
per sensum, hic error eiusdem rationis esse videtur cum eo quem supra
removit, secundum quem dicebatur quod res exteriores inferunt violentiam. Sed
illud fuit ibi dicendum ubi agebatur de violento cuius principium est extra.
Hoc autem est hic agendum ubi agitur de voluntario cuius principium est
intra; nam passiones intra nos sunt. |
426.- Il exclut une certaine erreur. Et tout d'abord il la pose. En effet, certains croyaient que tout ce dont le principe est interne avec connaissance des circonstances n'était pas nécessairement volontaire. Il peut en effet arriver que ce principe interne ne soit pas l'appétit rationnel, qu'on appelle volonté et dont provient le nom de volontaire, mais quelque passion de l'appétit sensitif, par exemple, la colère ou la concupiscence ou quelque mouvement de ce genre: ce que le Philosophe n'admet pas. Et il faut noter que, parce que les passions de l'appétit sensitif sont excitées par les choses extérieures connues par le sens, cette erreur semble avoir la même source que celle qu'il a réfutée plus haut selon laquelle on disait que les choses extérieures apportaient contrainte. Mais cette dernière position devait être combattue à l'endroit où l'on parlait de la contrainte, dont le principe est à l'extérieur. Tandis que la première erreur doit être traitée ici où l'on parle du volontaire, dont le principe est au-dedans de nous: les passions, en, effet, sont à l'intérieur de nous-mêmes. |
#426. — Ensuite (1111a24), il exclut une erreur. En premier, il la présente. On a pensé, en effet, que tout n'est pas volontaire dont le principe est intérieur avec science des circonstances. Car il peut arriver que ce principe qui se trouve à l'intérieur ne soit pas l'appétit rationnel, qu'on appelle la volonté, d'où volontaire est dérivé, mais une passion de l'appétit sensible, par exemple, la colère ou la concupiscence ou une autre de la sorte; mais le Philosophe dit que cela n'est pas bien dit. On doit noter que, parce que les passions de l'appétit sensible sont excitées par des choses extérieures appréhendées par le sens, cette erreur paraît relever de la même raison que celle qu'il a réduite plus haut, selon laquelle on disait que les choses extérieures entraînent violence. Mais il fallait le dire alors, où il s'agissait du violent, dont le principe est extérieur. Il faut maintenant encore en traiter ici qu'il s'agit du volontaire, dont le principe est intérieur; car les passions sont à l'intérieur de nous. |
[73131] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 3 Secundo ibi: primum quidem enim etc., improbat praedictam
opinionem quinque rationibus. Quarum prima talis est. Quaecumque operantur
bruta animalia et etiam pueri, operantur secundum passionem appetitus
sensitivi: non autem secundum appetitum intellectivum, quia carent usu
rationis. Si ergo quae per iram et concupiscentiam et alias passiones
appetitus sensitivi fiunt, essent involuntaria, sequeretur quod neque bruta
animalia neque pueri voluntarie operarentur. Dicuntur autem voluntarie
operari, non quia operentur ex voluntate, sed quia proprio motu sponte agunt,
ita quod a nullo exteriori moventur. Hoc enim dicimus esse voluntarium quod
quis sponte et proprio motu operatur. Ea ergo quae propter iram vel
concupiscentiam fiunt, sunt voluntaria. |
427.- Il rejette l'opinion précédente par cinq raisons, dont voici la première. Tout ce que font les animaux et les jeunes enfants, ils le font sous l'impulsion de la passion de l'appétit sensitif: non en conformité avec l'appétit intellectuel, parce qu'ils n'ont pas l'usage de la raison. Si donc ce qui est fait par colère ou par concupiscence ou par les autres passions de l’appétit sensitif était involontaire, il s'ensuivrait que ni les brutes ni les enfants n'agiraient volontairement. On dit cependant qu'ils agissent volontairement, non pas parce qu'ils agissent par leur volonté, mais parce qu'ils agissent spontanément de leur propre mouvement, de telle sorte qu'ils ne sont mus par aucun principe extérieur. En effet, c'est ce que nous appelons volontaire que quelqu'un agisse spontanément et de son propre mouvement. Donc, ce qui se fait par colère ou par concupiscence est volontaire. |
#427. — En second (1111a25), il infirme l'opinion mentionnée par cinq raisons. La première en va comme suit. Tout ce que font les animaux brutes et les enfants procède de la passion de l'appétit sensible et non de l'appétit intellectuel, car l'usage de la raison leur manque. Si donc ce qui se fait par colère et concupiscence et autres passions de l'appétit sensible était involontaire, il s'ensuivrait que ni les animaux brutes ni les enfants n'agiraient volontairement. On dit, en effet, qu'on agit volontairement non pas par le fait qu'on procède de la volonté, mais parce qu'on agit spontanément, de son propre mouvement, de manière qu'on ne soit mû par rien d'extérieur. En effet, nous disons volontaire ce que l'on fait spontanément et de son propre mouvement. Donc, ce qui se fait par colère ou concupiscence est volontaire. |
[73132] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 4 Secundam rationem ponit ibi deinde utrum nihil et
cetera. Quae talis est. Si ea quae fiunt propter iram vel concupiscentiam non
sunt voluntaria: aut hoc est universaliter verum aut hoc est verum in malis,
non autem in bonis, ut scilicet bona, quae quis facit ex passione voluntarie
faciat, mala autem non voluntarie. Quod forte ideo dicebant quia bona
concordant rationi, cui mala contrariantur. Voluntas autem in ratione est.
Sed hoc secundum videtur esse ridiculosum: cum sit una causa omnium quae homo
facit, sive sint bona sive mala: scilicet voluntas. Non enim quantumcumque
ira vel concupiscentia increscat, homo prorumpit ad agendum nisi adveniat
consensus rationabilis appetitus. Similiter etiam inconveniens videtur
primum, scilicet quod aliquis dicat non voluntaria bona, quae oportet
appetere etiam secundum passionem. Nam ad ea quae oportet appetere ratio per voluntatem
inducit. Oportet autem in quibusdam
irasci, puta ad coercendum peccata. Et similiter oportet concupiscere
quaedam, puta sanitatem vel disciplinam. Relinquitur ergo falsum esse, quod
ea quae propter passionem fiunt, non sint voluntaria. |
428.- Il pose la seconde raison qui est telle. Si ce qui se fait par colère ou par concupiscence n'est pas volontaire: ou bien cela est toujours vrai, ou bien cela est vrai dans les actions vicieuses et non dans les actions bonnes, de telle sorte que les bonnes actions que quelqu'un fait par passion il les fait volontairement, alors que les actions mauvaises il ne les fait pas volontairement. Ce qu’on affirmait sans doute parce que les actions vertueuses sont conformes à la raison, contredite par les actions vicieuses. Cependant la volonté est dans la raison. Mais la seconde partie de l'affirmation semble ridicule, puisqu'il y a une seule cause de tout ce que l'homme fait, en bien ou en mal: et cette cause est la volonté. Ce n’est pas chaque fois que la colère ou la concupiscence grandissent que l'homme passe brusquement à l'action, à moins que n'intervienne le consentement de l'appétit rationnel. Pareillement, la première partie de l'affirmation semble inconvenable, à savoir que quelqu'un dise que les biens qu'il faut désirer et qu'il faut désirer en accord avec la passion ne sont volontaires. Car la raison incline par la volonté vers les biens qu'il faut désirer. Il faut en certains cas se mettre en colère, par exemple, pour réprimer les péchés. Et, pareillement, il faut désirer certains biens, comme la santé ou la discipline. Il reste donc qu'il est faux que ce qui se fait par passion n'est pas volontaire. |
#428. — Il amène sa deuxième raison (1111a27), qui va comme suit. Si ce qui se fait par colère ou concupiscence n'est pas volontaire, ou bien cela est universellement vrai ou c'est vrai dans le mal et non dans le bien, de façon que ce qu'on fait de bon par passion on le fasse volontairement, et [ce qu'on fait] de mal cependant [on le fasse] non volontairement. Ce qu'on disait peut-être parce que les biens s'accordent avec la raison, que les maux contrarient. Et que la volonté se trouve dans la raison. Mais cette seconde [possibilité] est manifestement ridicule: car il y a une seule cause de tout ce que l'on fait, que ce soit bon ou mauvais, et c'est la volonté. En effet, quel que soit le point auquel la colère ou la concupiscence augmente, on ne passe à l'action que si advient un accord de l'appétit rationnel. De façon semblable encore, la première [possibilité] est manifestement inconvenante, à savoir, qu'on dise non volontaires les biens auxquels il faut tendre aussi par la passion. Car c'est par la volonté que la raison induit à ce à quoi il faut tendre. Et il faut s'irriter pour certaines [choses], par exemple, pour corriger les fautes. De façon semblable, il faut désirer certaines [choses], par exemple, la santé ou la discipline. Il reste donc qu'il soit faux que ce qui se fait par passion ne soit pas volontaire. |
[73133] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 5 Tertiam rationem ponit ibi videntur autem involuntaria
et cetera. Quae talis est. Involuntaria sunt cum tristitia. Sed illa quae fiunt
secundum concupiscentiam, fiunt cum delectatione. Non ergo sunt involuntaria. |
429.- Il pose la troisième raison que voici. Tout ce qui est contraint s'accompagne de tristesse. Mais ce qui se fait selon la concupiscence s'accompagne de délectation. Donc, ce n'est pas involontaire. |
#429. — Il présente sa troisième raison (1111a32), qui va comme suit. Ce qui fait violence s'accompagne de tristesse. Au contraire, ce qui procède de la concupiscence se fait avec plaisir. Ce n'est donc pas involontaire. |
[73134] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 6 Quartam rationem ponit ibi adhuc autem quid differunt
et cetera. Quae talis est. Sicut supra habitum est, peccata quae sunt
voluntaria sunt vituperabilia et fugienda. Quod non potest dici de
involuntariis; quia neque potest ea homo fugere neque propter ea vituperatur.
Sed sicut peccata quae fiunt secundum cogitationem, idest per
deliberationem, sunt fugienda et vituperabilia, ita etiam peccata quae fiunt
propter iram, vel aliam passionem. Potest enim homo per voluntatem passioni resistere.
Unde si propter passionem aliquid turpe operetur, vituperatur. Non ergo
differunt ea quae fiunt ex passione ab his quae fiunt ex deliberatione
quantum ad hoc quod sint voluntaria. |
430.- Voici la quatrième raison. Comme on l'a dit plus haut, les péchés volontaires sont à blâmer et à fuir. Ce qu'on ne peut dire des actes involontaires: parce que l'homme ne peut ni les fuir ni être blâmé à cause d'eux. Mais comme les péchés qui sont faits conformément à la pensée, c'est-à-dire par délibération, sont à fuir et à condamner, de la même manière aussi les péchés qui se font par colère ou par quelque autre passion. En effet, l'homme par sa volonté peut résister à la passion. Et donc ces péchés ne diffèrent pas de ceux qui proviennent de la délibération, sous le rapport où ils sont volontaires. |
#430. — Il présente sa quatrième raison (1111a33), qui va comme suit. Comme on l'a dit plus haut, les fautes volontaires sont à blâmer et à éviter. Ce qu'on ne peut pas dire de ce qui est involontaire; car on ne peut l'éviter et on n'est pas blâmé pour lui. Inversement, comme les fautes qui se font par préméditation, c'est-à-dire, par délibération, sont à éviter et blâmables, de même aussi les fautes qui se font par colère, ou par une autre passion. Car on peut avec la volonté résister à la passion. Aussi, si on fait quelque chose de honteux par passion, on en est blâmé. Il n'y a pas en cela de différence avec ce qui se fait par délibération, quant à ce qui est d'être volontaire. 83 |
[73135] Sententia Ethic., lib. 3 l. 4 n. 7 Quintam rationem ponit ibi videntur autem et cetera.
Quae talis est. Passiones irrationabiles, id est appetitus sensitivi,
videntur esse humanae, inquantum scilicet appetitus sensitivus potest obedire
rationi, ut supra dictum est. Ergo et operationes quae sunt ab ira et
concupiscentia et aliis passionibus, sunt humanae. Sed nulla operatio involuntaria
est humana. Non enim attribuuntur homini quae operatur involuntarius, neque
ad laudem, neque ad vituperium. Inconveniens
ergo est dicere quod ea quae fiunt ex passione sint involuntaria. |
431.- Il donne la cinquième raison qui est telle. Les passions irrationnelles, c'est-à-dire de l'appétit sensitif, semblent être humaines, à savoir en tant que l'appétit sensitif peut obéir à la raison, comme on l'a dit auparavant. Donc, les opérations aussi qui viennent de la colère et de la concupiscence et des autres passions sont humaines. Mais aucune opération involontaire n’est humaine. En effet, aucune de ces opérations faites involontairement n'apporte à leur auteur louange ou blâme. Il est donc assez absurde de dire que ce qui se fait par passion est involontaire. |
#431. — Il présente sa cinquième raison (1111b1), qui va comme suit. Les passions irrationnelles, c'est-à-dire, de l'appétit sensible, sont manifestement humaines, en ce que l'appétit sensible peut obéir à la raison, comme il a été dit plus haut. Donc, les opérations qui se font par colère et concupiscence et autres passions sont aussi humaines. Or aucune opération involontaire n'est humaine. En effet, on n'attribue pas à l'homme ce qu'il fait d'involontaire, ni pour la louange, ni pour le blâme. Il ne convient donc pas de dire que ce qui se fait par passion est involontaire. |
|
|
|
Lectio
5 |
Leçon 5 : [L’élection volontaire] |
|
|
C’EST L’ETUDE DE L’ELECTION (DECISION) DONT LE GENRE EST LE VOLONTAIRE: ON MONTRE QUE L’ELECTION N’EST PAS LA CONCUPISCENCE, NI LA COLERE, NI L’OPINION. ON MONTRE AUSSI QUELLE EST LA DIFFERENCE ENTRE l’ELECTION ET LA VOLONTE, PUISQUE L'ELECTION ELLE-MEME SEMBLE PROCHE DE LA VOLONTE. |
|
[73136] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 1 Determinatis autem
voluntario et cetera. Postquam philosophus determinavit de voluntario et
involuntario, hic determinat de electione. Et primo determinat de ipsa
electione. Secundo de consilio quod in definitione electionis ponitur, ibi,
consiliantur autem utrum de omnibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit quod ad praesentem doctrinam pertinet considerare de electione.
Secundo inquirit quid sit electio, ibi: electio utique voluntarium et cetera.
Dicit ergo primo, quod postquam determinatum est de voluntario et involuntario,
consequens est quod pertranseunter de electione determinetur, quia videlicet
breviter proponit ea quae sunt necessaria ad considerandum de electione. Quod
autem ad hanc doctrinam pertineat de electione determinare, probat per hoc
quod electio maxime videtur esse propria virtuti, de qua ad praesens
principaliter intenditur. |
432.- Après l’étude du volontaire et de l'involontaire, le Philosophe traite ici de l'élection. Et, en premier lieu, il détermine l’élection elle-même. En second, il traite du conseil qui est posé dans la définition de l'élection. Dans son premier point, il fait deux choses. En premier, il montre qu'il appartient à la doctrine présente de considérer l'élection. En second, il recherche ce qu'est l’élection. Il dit donc, en premier, qu’après avoir fait l’étude du volontaire et de l’involontaire, il est logique de traiter, en passant, de l'élection. Il dit "en passant" parce qu’il propose brièvement les éléments nécessaires à l’étude de l’élection. Qu'il appartienne à la présente doctrine d’étudier l’élection, il le prouve maintenant. C’est que l’élection semble tout à fait propre à la vertu, qui est l’objet principal de notre investigation actuelle. |
#432. — Après avoir traité du volontaire et de l'involontaire, le Philosophe traite ici du choix. En premier, il traite du choix lui-même (1111b4). En second, de la délibération, qui intervient dans la définition du choix (1112a18). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il appartient au présent enseignement de considérer le choix. En second, il cherche ce qu'est le choix (1111b7). Il dit donc, en premier, qu'après avoir traité du volontaire et de l'involontaire, il est conséquent de traiter du choix. Car il propose brièvement ce qui est nécessaire pour considérer le choix. Que, par ailleurs, il appartienne à cet enseignement-ci de traiter du choix, ceci le prouve, que le choix est manifestement ce qu'il y a de plus propre à la vertu, à laquelle on s'intéresse principalement pour le moment. |
[73137] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 2 Et huius ratio
manifestatur ex hoc quod cum ex habitu virtutis procedat et interior electio
et exterior operatio, mores virtuosi vel etiam vitiosi magis diiudicantur ex
electione quam ex operationibus exterioribus; omnis enim virtuosus eligit
bonum; sed quandoque non operatur propter aliquod exterius impedimentum. Et
vitiosus quandoque operatur opus virtutis, non tamen ex electione virtuosa,
sed ex timore, vel propter aliquem inconvenientem finem, puta propter inanem
gloriam, vel propter aliquid aliud huiusmodi: unde patet quod ad praesentem
intentionem pertinet considerare de electione.
|
433.- La raison qu’il apporte se manifeste du fait que, l’élection interne et l'opération externe procédant toutes deux de l’habitus de vertu, c'est l'élection plus que les opérations extérieures qui permet de juger les mœurs de l'homme vertueux ou du vicieux. En effet, tout homme vertueux choisit le bien; mais quelquefois, il ne l'accomplit pas à cause de quelque empêchement extérieur. Et, quelquefois, le vicieux fait œuvre de vertu, non pas cependant par choix vertueux, mais par crainte, ou en vue de quelque fin inconvenable, par exemple, par vaine gloire ou pour quelque motif de ce genre. Il est donc évident qu'il appartient à notre propos actuel de considérer l'élection. |
#433. — Une raison de cette sorte est rendue manifeste de ce que, comme, de l'habitus de vertu, procède à la fois le choix intérieur et l'action extérieure, les mœurs vertueuses ou vicieuses se jugent davantage par le choix que par les actes extérieurs. En effet, tout vertueux choisit le bien; mais parfois, il ne le fait pas, à cause d'un empêchement extérieur. Le vicieux, lui, fait parfois œuvre de vertu, non pas cependant par choix vertueux, mais par crainte, ou pour une fin qui ne convient pas, par exemple, par vaine gloire, ou pour autre chose de la sorte: d'où il appert qu'il appartient à la présente intention de considérer le choix. |
[73138] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 3 Deinde cum dicit: electio
utique etc., ostendit quid sit electio. Et primo inquirit genus eius. Secundo
differentias ipsius, ibi, dicentes autem ipsam et cetera. Tertio concludit
definitionem eius, ibi: quid igitur vel quale quid et cetera. Genus autem
electionis est voluntarium, quia praedicatur universaliter de electione et
est in plus. Unde dicit primo quod omnis electio est quiddam voluntarium, non
autem omnino sunt idem electio et voluntarium, sed voluntarium est in plus.
Quod probat duplici ratione. |
434.- Il montre ce qu'est l'élection. Et tout d'abord, il recherche son genre; en second, sa différence. Mais le genre de l'élection est le volontaire, parce qu'il se prédique universellement de l’élection et est en plus. C’est pourquoi il dit, en premier, que toute élection, tout choix est un certain volontaire: l'élection et le volontaire ne sont pas tout à fait identiques, mais le volontaire comprend plus que l'élection. Ce qu'il prouve par deux raisons. |
#434. — Ensuite (1111b7), il montre ce qu'est le choix. En premier, il en cherche le genre. En second, les différences (1111b10). En troisième, il conclut sa définition (1112a13). Or le genre du choix, c'est le volontaire, car il s'attribue universellement au choix et a plus d'extension. Aussi dit-il, en premier, que tout choix est quelque chose de volontaire; mais que, pourtant, le choix et le volontaire ne sont pas tout à fait la même [chose], car le volontaire a plus d'extension. Ce qu'il prouve par une double raison. |
[73139] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 4 Quarum primam ponit ibi,
voluntario quidem enim et cetera. Quae talis est. Pueri et alia animalia
communicant ipso voluntario, inquantum scilicet proprio motu aliquid sponte
operantur, ut supra dictum est. Non autem communicant electione, quia non
operantur ex deliberatione, quod requiritur ad electionem: ergo voluntarium
est in plus quam electio. |
435.- Voici la première qu'il donne. Les enfants et les autres animaux agissent de quelque façon volontairement (participent du volontaire), à savoir en tant que de leur propre mouvement ils font spontanément quelque chose, comme on l'a noté plus haut. Mais ils n'ont pas en partage l'élection, parce qu'ils n'opèrent pas par délibération, pourtant requise à l'élection. Donc, le volontaire comprend plus de cas (est plus large) que l'élection. |
#435. — Il en présente la première, qui va comme suit. Les enfants et les autres animaux communiquent par le volontaire même, en tant qu'ils font des choses spontanément, de leur propre mouvement, comme on l'a dit plus haut. Mais ils ne communiquent pas par le choix, car ils ne le font pas par délibération, laquelle est requise au choix: donc, le volontaire a plus d'extension que le choix. |
[73140] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 5 Secundam rationem ponit ibi,
et repentina et cetera. Quae talis est. Ea quae repente facimus, dicimus esse
voluntaria, quia scilicet principium eorum in nobis est; non autem dicuntur
esse secundum electionem, quia scilicet non fiunt ex deliberatione. Ergo
voluntarium est in plus quam electio. |
436.- Voici la seconde raison qu'il donne. Nous disons que ce que nous faisons subitement, sous le coup d'une réaction instantanée, est volontaire, parce que son principe est en nous, mais nous ne disons pas que nous le faisons par élection parce qu'il n'y a pas de délibération. Donc, le volontaire est plus large, plus commun que l'élection. |
#436. — Il présente sa seconde raison, qui va comme suit. Ce que nous faisons tout d'un coup, nous le disons volontaire, car le principe en est en nous; mais on ne le dit pas par choix, car cela ne se fait pas par délibération. Donc, le volontaire a plus d'extension que le choix. |
[73141] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 6 Deinde cum dicit: dicentes
autem ipsam etc., investigat differentias electionis, probando scilicet eam
differre ab his cum quibus videtur convenire. Et circa hoc duo facit. Primo
proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, non enim commune, et
cetera. Dicit ergo primo, quod quidam dixerunt electionem esse
concupiscentiam, quia scilicet utrumque importat motum appetitus in bonum.
Quidam autem posuerunt electionem esse iram, forte propter hoc quod in
utroque est quidam usus rationis. Iratus enim utitur ratione, inquantum
iudicat iniuriam illatam esse dignam vindicta. Quidam vero considerantes,
quod electio est sine passione, attribuerunt electionem parti rationali, vel
quantum ad appetitum, dicentes eam esse voluntatem, vel quantum ad
apprehensionem, dicentes eam esse quamdam opinionem. Et simpliciter in his
quatuor comprehenduntur omnia principia humanorum actuum: quae sunt ratio ad
quam pertinet opinio, appetitus rationalis, quae est voluntas: appetitus
sensitivus, qui dividitur in irascibilem, ad quam pertinet ira, et
concupiscibilem, ad quam pertinet concupiscentia. Dicit autem philosophus,
quod non videntur recte dicere, qui dicunt electionem esse aliquid horum. |
437.- Il recherche les différences de l'élection, en prouvant qu'elle diffère de tout ce qui lui ressemble, de tout ce avec quoi elle semble se réduire. Là-dessus, il fait deux choses. Il propose ce qu'il veut dire, puis il le prouve, Il dit donc en premier, que certains ont affirmé que l'élection était la concupiscence, (la convoitise), parce que toutes deux comportaient un mouvement d'appétit vers le bien. Certains ont cru que l'élection était la colère, (Il emportement) peut-être pour cette raison que les deux impliquaient l'usage de la raison. L'homme en colère, en effet, se sert de sa raison en tant qu'il juge que l'injure qu'il a reçue mérite la vengeance. D'autres cependant, considérant que l'élection était sans passion, ont attribué l'élection à la partie rationnelle: ou à l'appétit, en disant qu'elle était la volonté, ou à la connaissance, en disant qu'elle était une certaine opinion. Et tous les principes des actes humains se trouvent absolument réunis dans l'énumération précédente: la raison, à laquelle appartient l'opinion; l’appétit rationnel, qui est la volonté; l’appétit sensitif qui comprend l'irascible, auquel appartient la colère, et le concupiscible, auquel appartient la convoitise. La Philosophe dit cependant que ceux-là n'ont pas parlé correctement qui ont affirmé que l'élection était un de ces principes. |
#437. — Ensuite (1111b10), il investigue les différences du choix, en prouvant qu'il diffère de ce à quoi il paraît d'abord ressembler. Sur cela, il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il veut. En second, il prouve son propos (1111b12). Il dit donc, en premier, qu'on a dit que le choix est un désir, parce que l'un et l'autre impliquent un mouvement de l'appétit vers le bien. D'autres ont posé que le choix est de la colère, peut-être à cause du fait que dans l'un et l'autre il y a usage de la raison. En effet, celui qui est irrité se sert de sa raison, en tant qu'il juge que l'injure subie mérite vengeance. D'autres, en considérant que le choix se fait sans 84 passion, attribuent le choix à la partie rationnelle, soit quant à l'appétit, en disant qu'il est de la volonté, soit quant à l'appréhension, en disant qu'il est une opinion. Dans ces quatre [hypothèses], on recouvre simplement tous les principes des actes humains: lesquels sont la raison, à laquelle appartient l'opinion; l'appétit rationnel, qui est la volonté; l'appétit sensible, qui se divise en irascible, auquel appartient la colère, et en concupiscible, auquel appartient le désir. Mais le Philosophe dit qu'on ne parle manifestement pas correctement, quand on dit que le choix réside en l'une de ces [choses]. |
[73142] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 7 Deinde cum dicit: non enim
commune etc., probat propositum. Et primo ostendit, quod electio non sit
concupiscentia. Secundo quod non sit ira, ibi, ira autem, et cetera. Tertio,
quod non sit voluntas, ibi, sed neque voluntas, et cetera. Quarto quod non
sit opinio, ibi, neque iam opinio, et cetera. Circa primum ponit quatuor
rationes. Quarum prima communis est concupiscentiae et irae, et est talis.
Concupiscentia et ira communiter inveniuntur in hominibus, et in animalibus
irrationabilibus. Sed in irrationabilibus non invenitur electio, ut dictum
est. Ergo electio non est neque concupiscentia neque ira. |
438.- Il prouve son avancé. Et, en premier, il montre que l'élection n'est pas la concupiscence; en second, qu'elle n’est pas la colère; en troisième, qu'elle n'est pas la volonté; en quatrième, qu’elle n’est pas une opinion. Il donne quatre raisons pour prouver le premier membre de son affirmation. La première raison est commune à la concupiscence et à la colère et se présente de la façon suivante. La concupiscence et la colère existent communément dans l’homme et dans l’animal non raisonnable, Cependant, on ne trouve pas d’élection chez les brutes, comme on l’a dit. Donc l’élection n’est ni la convoitise ni la colère. |
#438. — Ensuite (1111b12), il prouve son propos. Il montre, en premier, que le choix n'est pas du désir. En second, qu'il n'est pas de la colère (1111b18). En troisième, qu'il n'est pas de la volonté (1111b19). En quatrième, qu'il n'est pas une opinion (1111b30). Sur le premier [point], il présente quatre raisons, dont la première est commune au désir et à la colère, et va comme suit. Le désir et la colère se trouvent communément dans les hommes et dans les animaux irrationnels. Or, dans les animaux irrationnels, il n'y a pas de choix, comme on a dit. Donc le choix n'est ni du désir ni de la colère. |
[73143] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 8 Secundam rationem ponit
ibi et incontinens et cetera. Quae talis est. Si electio esset
concupiscentia, quicumque operatur eligens, operaretur concupiscens, et e
converso. Hoc autem est falsum. Quia incontinens operatur secundum concupiscentiam,
non autem secundum electionem. Quia non immanet proprie electioni propter
concupiscentiam. Continens autem e converso operatur ex electione, non autem
ex concupiscentia cui per electionem resistit, ut infra in septimo patebit.
Ergo electio non est idem concupiscentiae. |
439.- Il donne la seconde raison qui se formule ainsi. Si l'élection s'identifiait à la concupiscence, quiconque agirait par élection agirait par convoitise, et l’inverse aussi aurait lieu. Or, cela est faux. En effet, l'incontinent agit selon sa concupiscence, non conformément à l'élection: il n’est pas fidèle à son choix à cause de sa convoitise. Au contraire, le continent opère par choix, non par convoitise, à laquelle il résiste par élection, comme il sera évident dans le septième livre. Donc, l'élection ne s'identifie pas à la concupiscence. |
#439. — Il présente sa seconde raison (1111b13), qui va comme suit. Si le choix était du désir, quiconque agirait en choisissant agirait en désirant, et inversement. Or cela est faux. Car l'incontinent agit d'après son désir, et non d'après son choix. Car il n'adhère pas proprement à son choix, à cause de son désir. Le continent, à l'inverse, agit d'après son choix, mais non d'après son désir, auquel il résiste par choix, comme cela deviendra évident au septième [livre]. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que le désir. |
[73144] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 9 Tertiam rationem ponit
ibi: et electioni quidem et cetera. Quae talis est. Concupiscentia
contrariatur electioni, in eo scilicet qui est continens vel incontinens.
Contrarium enim eligit uterque secundum rationem ei quod concupiscit secundum
appetitum sensitivum. In neutro autem concupiscentia contrariatur
concupiscentiae; quia tota concupiscentia utriusque ad idem tendit, scilicet
ad delectabile sensus. Non est autem intelligendum, quod nulla concupiscentia
contrarietur alteri concupiscentiae. Inveniuntur enim concupiscentiae
contrariorum: puta cum unus concupiscit moveri, et alius quiescere. Ergo
patet quod electio non est idem concupiscentiae. |
440.- La troisième raison qu’il donne est la suivante 0 La concupiscence s’oppose à l’élection, à savoir dans le continent ou l'incontinent. En effet, l'un et l'autre choisissent selon la raison le contraire de ce qu'il convoite selon son appétit sensitif. Mais chez ni l'un ni l’autre, la concupiscence s'oppose à la concupiscence: toute la convoitise de l'un et de l'autre rend à la même chose, à savoir à ce qui est délectable au sens. Il ne faut pas comprendre par là, qu'aucune convoitise ne s'oppose à une autre. On rencontre, en effet, des convoitises de plaisirs contraires: par exemple, lorsqu’un homme désire se mouvoir et un autre se reposer. Il est donc clair que l'élection n'est pas la même chose que la concupiscence. |
#440. — Il présente sa troisième raison (1111b15), qui va comme suit. Le désir contrarie le choix, en celui qui est continent ou incontinent. L'un et l'autre, en effet, choisissent le contraire, d'après leur raison, de ce qu'ils désirent d'après leur appétit sensible. Mais ni pour l'un ni pour l'autre le désir ne contrarie le désir; car chez l'un et l'autre tout désir tend à la même [chose], à savoir, à ce qui plaît au sens. On ne doit toutefois pas comprendre qu'aucun désir n'en contrarie un autre. Il existe, en effet, des désirs pour des contraires; par exemple, quand l'un désire se mouvoir et l'autre reposer. Il appert donc que le choix n'est pas la même [chose] que le désir. |
[73145] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 10 Quartam rationem ponit
ibi et concupiscentia quidem et cetera. Quae talis est. Concupiscentia semper
est cum delectatione, scilicet propter praesentiam rei concupitae, vel cum
tristitia propter eius carentiam. Ad omnem enim passionem sequitur delectatio
et tristitia ut in secundo habitum est. Sed electio non est ex necessitate
cum delectatione vel tristitia. Potest enim esse absque omni passione, ex
solo iudicio rationis. Ergo electio non est concupiscentia. |
441.- Voici la quatrième raison apportée. La convoitise s'accompagne toujours d'un plaisir, à cause de la présence de l'objet convoité, ou d’une peine, à cause de son absence. En effet, à toute passion suivent le plaisir et la tristesse, comme on l'a exposé dans le second livre. Mais l'élection ne s'accompagne pas nécessairement de joie où de tristesse. En effet, elle peut exister sans aucune passion, à partir du seul jugement de la raison. Donc, l’élection n’est pas la concupiscence. |
#441. — Il présente sa quatrième raison (1111b16), qui va comme suit. Le désir s'accompagne toujours de plaisir, à cause de la présence de la chose désirée, ou de tristesse, à cause de son absence. À toute passion, en effet, s'ensuit du plaisir et de la tristesse, comme on en a traité au second [livre]. Or le choix ne s'accompagne pas nécessairement de plaisir ou de tristesse. En effet, il peut se faire sans aucune passion, par le seul jugement de la raison. Donc, le choix n'est pas du désir. |
[73146] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 11 Deinde cum dicit: ira
autem etc., ostendit quod electio non sit idem irae. Et dicit quod adhuc
electio minus est ira quam concupiscentia. Quia etiam secundum apparentiam ea
quae facta sunt propter iram, non videntur esse facta secundum electionem, eo
quod propter velocitatem motus irae ea quae fiunt ex ira maxime sunt
repentina. Quamvis enim in ira sit aliquis usus rationis, inquantum scilicet
iratus incipit audire rationem iudicantem quod iniuria debet vindicari, non
tamen perfecte audit eam determinantem modum et ordinem vindictae; unde ira
maxime excludit deliberationem, quae requiritur ad electionem. Concupiscentia
autem non ita repente operatur. Unde ea quae fiunt secundum concupiscentiam,
non videntur esse remota ab electione sicut ea quae fiunt per iram. |
442.- Il montre ensuite que l’élection ne s’identifie pas à la colère. Et à ce propos, il dit que l'élection est moins colère qu'elle est concupiscence. Parce que, même visiblement, les actes faits par colère ne semblent pas accomplis avec élection du fait que, à cause de la promptitude du mouvement de colère, les actes qui se font par emportement sont tout à fait subits, instantanés. Bien que dans la colère il y ait un certain usage de la raison de ce que l'homme emporté prête oreille à sa raison qui juge que l'injure doit être vengée, il n'entend pas cependant parfaitement sa raison lui déterminer la manière de se venger et l’ordre à suivre dans sa vengeance, C'est pourquoi, le mouvement de colère exclut de façon toute spéciale la délibération requise à l'élection. Par contre, la convoitise ne pousse pas à l’action avec autant de précipitation. Aussi, les actes faits par concupiscence semblent moins éloignés de ceux qui viennent de l'élection que le sont les actes issus de la colère. |
#442. — Ensuite (1111b18), il montre que le choix n'est pas la même [chose] que la colère. Il dit, quant à cela, que le choix est encore moins de la colère que du désir. Parce que, même en apparence, ce qui se fait par colère ne paraît pas se faire par choix, du fait que, à cause de la vélocité du mouvement de la colère, ce qui se fait par colère est suprêmement subit. Quoiqu'en effet, il y ait, dans la colère, un certain usage de la raison, en tant que celui qui est irrité commence à écouter la raison en train de juger que l'injure doit être vengée, il ne l'entend toutefois pas parfaitement quand elle détermine du mode et de la proportion de la vengeance. Aussi exclut-il suprêmement la délibération, qui est requise au choix. Mais le désir n'agit pas aussi subitement. Aussi, ce qui se fait par désir ne paraît pas être si loin du choix que ce qui se fait par colère. |
[73147]
Sententia Ethic., lib. 3 l. 5 n. 12 Deinde cum dicit sed neque
voluntas etc., ostendit differentiam electionis ad voluntatem. Et primo proponit quod intendit. Secundo probat
propositum, ibi, electio quidem enim, et cetera. Tertio concludit radicem
differentiae voluntatis et electionis, ibi, universaliter autem et cetera.
Dicit ergo primo, quod neque etiam electio est voluntas, quamvis videatur
esse propinqua voluntati. Utrumque enim pertinet ad unam potentiam; scilicet
ad appetitum rationalem, qui voluntas dicitur. Sed voluntas nominat actum
huius potentiae secundum quod fertur in bonum absolute. Electio autem
nominat actum eiusdem potentiae relatum in bonum secundum quod pertinet ad
nostram operationem, per quam in aliquod bonum ordinamur. |
443.- Il montre la différence entre l'élection et la volonté. Et tout d’abord il propose ce qui il veut dire, puis, il prouve son propos et, en troisième lieu, il manifeste en conclusion la racine de la différence entre la volonté et l’élection. Il dit donc, en premier, que l'élection n’est pas non plus la volonté, bien qu'elle semble très parente. En effet, les deux actes appartiennent à la même puissance, à savoir à l'appétit rationnel, qui s'appelle volonté. Mais la volonté dénomme l'acte de cette puissance par rapport au bien considéré absolument. L'élection, elle, dénomme l'acte de la même puissance relatif au bien qui relève de notre propre opération, opération qui nous ordonne à un bien ultérieur. |
#443. — Ensuite (1111b19), il montre la différence du choix avec la volonté. En premier, il propose ce qu'il veut. En second, il prouve son propos (1111b20). En troisième, il conclut la racine de la différence entre la volonté et le choix (1111b29). Il dit donc, en premier, que le choix n'est pas non plus de la volonté, quoiqu'il paraisse proche de la volonté. L'un et l'autre, en effet, appartiennent à une puissance unique, à savoir, à l'appétit rationnel, qu'on appelle la volonté. Mais la volonté nomme l'acte de cette puissance en relation au bien absolument, tandis que le choix nomme l'acte de la même puissance en relation au bien selon qu'il appartient à notre opération, par laquelle nous sommes ordonnés à quelque bien. 85 |
[73148] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5
n. 13 Deinde cum dicit: electio
quidem enim etc., probat propositum tribus rationibus. Quarum prima talis
est. Electio enim, quia refertur ad nostram operationem, non dicitur esse
impossibilium. Et si quis dicat se eligere aliquid impossibilium, videbitur
esse stultus. Sed voluntas, quia respicit bonum absolute, potest esse
cuiuscumque boni, licet sit impossibile, sicut potest aliquis velle esse
immortalis, quod est impossibile secundum statum huius corruptibilis vitae.
Ergo electio et voluntas non sunt idem. |
444.- Il prouve son avancé par trois raisons, dont voici la première. En effet, l'élection qui se rapporte à notre propre opération, ne porte pas sur des impossibles" Et si quelqu'un choisit de faire quelque chose d'impossible, il passe pour fou. Mais la volonté, précisément parce qu'elle porte absolument sur le bien, peut porter sur n'importe quel bien, même impossible. Ainsi quelqu'un peut bien vouloir être immortel, ce qui est impossible dans l'état de la vie mortelle actuelle. Donc, l’élection et la volonté ne sont pas identiques. |
#444. — Ensuite (1111b20), il prouve son propos par trois raisons. La première va comme suit. Le choix, en effet, parce qu'il renvoie à notre action, ne se dit pas de l'impossible. Si on dit qu'on choisit une chose d'impossible, on paraîtra stupide. Mais la volonté, du fait qu'elle regarde le bien absolument, peut porter sur n'importe quel bien, même s'il est impossible. Par exemple, on peut vouloir être immortel, ce qui est impossible selon le statut de cette vie corruptible. Donc, le choix et la volonté ne sont pas la même [chose]. |
[73149] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5 n. 14 Secundam rationem ponit ibi et voluntas quidem est et
cetera. Quae talis est. Voluntas alicuius potest esse circa ea quae non fiunt
per ipsum: sicut ille qui circumspicit duellum, potest velle quod vincat
aliquis ypocrita, id est simulatam gerens personam, puta qui
ingreditur campum quasi pugil, cum non sit pugil, vel etiam quod vincat ille
qui vere est athleta. Sed nullus eligit talia quae fiunt per alium, sed
solum illa quae existimat posse fieri per ipsum. Ergo electio differt a voluntate. |
445.- Il donne la seconde raison. La volonté de quelqu'un peut porter sur ce qu'il ne fait pas lui-même: ainsi, celui qui regarde un duel peut vouloir qu’un acteur, par exemple, qu'un athlète déguisé entre dans le camp et vainque un véritable athlète. Cependant personne ne choisit ce qui est fait par un autre, mais uniquement ce qu'il croit pouvoir accomplir lui-même. Donc, l'élection est différente de la volonté. |
#445. — Il présente ensuite sa seconde raison (1111b23). La volonté peut porter sur ce qu'on ne fait pas soi-même: ainsi, en observant un combat, on peut vouloir que tel acteur l'emporte, à savoir, celui qui joue tel personnage représenté, par exemple, celui qui arrive sur le terrain comme un gladiateur, sans en être un, ou encore [on peut vouloir] que l'emporte un tel, qui est vraiment un athlète. Mais personne ne choisit ce qui se fait par un autre; [on choisit] seulement ce qu'on pense pouvoir faire soi-même. Donc, le choix diffère de la volonté. |
[73150] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5 n. 15 Tertiam rationem ponit ibi adhuc autem voluntas et
cetera. Et dicit quod voluntas magis est finis quam eius quod est ad finem.
Quia ea quae sunt ad finem volumus propter finem. Propter quod autem
unumquodque, illud magis. Sed electio est solum eorum quae sunt ad finem, non
autem ipsius finis. Quia finis praesupponitur, ut iam praedeterminatus. Ea
vero quae sunt ad finem, inquiruntur ut a nobis disponenda in finem. Sicut
sanitatem, quae est finis medicationis, volumus principaliter. Sed eligimus
medicinalia per quae sanemur. Et similiter volumus esse felices, quod est
ultimus finis, et hoc dicimus nos velle, sed non congruit dicere quod
eligamus nos esse felices. Ergo electio non est idem voluntati. |
446.- Il donne la troisième raison. Il dit le la volonté porte plutôt sur la fin que sur ce qui est ordonné à la fin. Parce que nous voulons ce qui est en vue de la fin pour la fin elle-même. La fin vaut plus que le moyen (dit le proverbe). Mais l'élection ne porte que sur les moyens, non sûr la fin elle-même. Car la fin est présupposée, comme étant déjà, prédéterminée. Mais nous recherchons les moyens pour les ordonner en vue de la fin. Ainsi nous voulons surtout la santé qui est la fin du traitement médical. Mais nous choisissons les remèdes qui pourront nous guérir. Et, pareillement, nous voulons être heureux, qui est la fin ultime; et en ce cas, nous disons bien: voulons, Mais il ne convient pas de dire que nous choisissons d'être heureux. Donc, l'élection n'est pas identique à la volonté. |
#446. — Il présente ensuite sa troisième raison (1111b26). Il dit que la volonté porte davantage sur la fin que sur ce qui est en vue de la fin. Car ce qui est en vue de la fin, nous le voulons pour la fin. Or, ce pour quoi on veut chaque chose, on le veut davantage. Mais le choix porte seulement sur ce qui est en vue de la fin, et non sur la fin même. Car la fin est présupposée, comme on en a déjà traité, tandis que ce qui est en vue de la fin, nous cherchons à le disposer à la fin. Ainsi, nous voulons principalement la santé, qui est la fin de la médication. Mais nous choisissons les médicaments par lesquels nous serons guéris. De manière semblable, nous voulons être heureux, ce qui est la fin ultime, et nous disons que c'est cela que nous voulons. Mais il ne convient pas de dire que nous choisissons d'être heureux. Donc, le choix n'est pas la même chose que la volonté. |
[73151] Sententia Ethic., lib. 3 l. 5 n. 16 Deinde cum dicit universaliter autem etc., ponit
radicem totius differentiae, ad quam universaliter omnes praedictae
differentiae referuntur. Et dicit, quod electio videtur esse circa ea quae
sunt in potestate nostra. Et haec est causa quare nec est impossibilium,
neque eorum quae per alios fiunt, neque finis, qui ut plurimum praestituitur
nobis a natura. |
447.- Il pose la racine de toute la différence, à laquelle se ramènent universellement toutes les différences énumérées plus haut. Et il dit que l'élection semble avoir pour objet les choses qui sont en notre pouvoir. C’est la cause pourquoi elle ne porte pas sur les impossibles, ni sur ce que font les autres, ni sur la fin qui, la plupart du temps, nous est fixée d'avance par la nature. |
#447. — Ensuite (1111b29), il pose la racine de toute la différence à laquelle toutes les différences énumérées se réduisent universellement. Il dit que le choix porte manifestement sur ce qui est en notre pouvoir. Voilà la cause de ce qu'il ne porte ni sur l'impossible, ni sur ce qui se fait par d'autres, ni sur la fin, qui, la plupart du temps, nous est imposée par la nature. |
|
|
|
Lectio
6 |
Leçon 6 : [Différence entre élection et opinion] |
|
|
IL POURSUIT EN MONTRANT QUE l’ELECTION N'EST PAS IDENTIQUE A L’OPINION, NI A CETTE ESPECE PARTICULIERE D’OPINION QUI PORTE SUR LES OPERABLES (QUI CONSISTE A NOUS DEMANDER CE QUE NOUS DEVONS FAIRE). |
|
[73152] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 1 Neque iam opinio utique erit et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod electio non est idem neque concupiscentiae neque
irae, quae pertinent ad appetitum sensitivum, neque etiam voluntati quae
pertinet ad appetitum rationalem, hic ostendit quod non est idem opinioni
quae pertinet ad ipsam rationem. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit,
quod electio non est idem cuilibet opinioni. Secundo, quod non est idem
specialiter opinioni quae est de operandis a nobis ibi sed neque cuidam, et
cetera. Tertio movet quamdam dubitationem, quam insolutam relinquit, ibi, si
autem praesit opinio et cetera. Dicit ergo primo, quod secundum praedicta
apparet, quod electio non est idem quod opinio universaliter sumpta: et hoc
probat duabus rationibus. Quarum prima talis est. Opinio potest esse circa
omnia et non minus circa necessaria et impossibilia quam circa ea quae sunt
in potestate nostra. Sed electio est solum circa ea quae sunt in nobis, ut dictum est. Ergo electio non est idem opinioni. |
448.- Après avoir montré que l’élection ne s'identifiait ni à la convoitise, ni au mouvement de colère, qui appartiennent tous deux à l’appétit sensitif, ni à la volonté (vouloir quelquefois: velléité), qui appartient à l'appétit rationnel, le Philosophe montre ici quelle n'est pas non plus identique à l'opinion qui appartient à la raison elle-même. Là-dessus, il fait trois choses. En premier, il montre que l'élection n'est pas identique à toute opinion; en second, il montre qu'elle ne s'identifie pas à cette opinion spéciale qui porte sur ce que nous devons faire; en troisième, il éclaircit une difficulté qu’il avait dû laisser sans réponse. Il dit donc, en premier lieu, que, d'après ce que nous avons dit auparavant, l’élection n’est pas la même chose que l’opinion en général: ce qu’il prouve par deux raisons. La première se formule ainsi. L’opinion peut porter sur toutes choses, pas moins les éternelles et impossibles que celles qui sont en notre pouvoir. Mais l’élection n’a pour objet que ce qui relève de nous, comme on l'a vu. Donc, elle n'est pas identique à l'opinion. |
#448. — Après avoir montré que le choix n'est pas la même [chose] que le désir et la colère, qui appartiennent à l'appétit sensible, ni non plus [la même chose] que la volonté, qui appartient à l'appétit rationnel, le Philosophe montre ici que ce n'est pas non plus la même [chose] que l'opinion, qui appartient à la raison elle-même. Sur cela, il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le choix n'est pas la même [chose] que n'importe quelle opinion (1111b30). En second, qu'il n'est pas la même [chose] spécialement que l'opinion qui porte sur ce que nous avons à faire (1112a1). En troisième, il soulève une difficulté, qu'il laisse irrésolue (1112a11). Il dit donc, en premier, qu'il apparaît de ce qui a été dit que le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion prise absolument: il prouve cela par deux raisons. La première va comme suit. L'opinion peut porter sur toutes [choses], et pas moins sur les [choses] éternelles et impossibles que sur ce qui est en notre pouvoir, tandis que le choix porte seulement sur ce qui dépend de nous, comme il a été dit. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion. |
[73153] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 2 Secundam rationem ponit ibi, et falso et vero et
cetera. Quae talis est. Ea quae diversis differentiis dividuntur, differunt,
nec sunt idem. Sed opinio dividitur vero et falso, quia pertinet ad vim
cognitivam, cuius obiectum est verum, non autem dividitur bono et malo quibus
dividitur electio, quae pertinet ad vim appetitivam, cuius obiectum est
bonum. Et ex hoc concludit, quod electio non est idem opinioni universaliter
acceptae. Et hoc est adeo manifestum, quod nullus contrarium dicit. |
449.- Il donne la seconde raison que voici. Ce qui se divise par des différences diverses, diffère et n’est pas identique. Mais l'opinion se divise par le vrai et le faux, parce qui elle appartient à la faculté cognitive, dont l'objet est le vrai; elle ne se divise pas par le bien et le mal: différences de l'élection, qui appartient à la faculté appétitive, dont l'objet est le bien. Et de là il conclut que l'élection n'est pas la même chose que l'opinion prise dans toute son universalité. Et cela est si manifeste que personne ne dit le contraire. |
#449. — Il présente ensuite sa seconde raison (1111b33), qui va comme suit. Ce qu'on divise par d'autres différences diffère et n'est pas la même [chose]. Or l'opinion se divise en vraie et fausse, parce qu'elle appartient à la puissance cognitive, dont l'objet est le vrai, et elle ne se divise pas en bonne et mauvaise, en quoi se divise le choix, qui appartient à la puissance appétitive, dont l'objet est le bien. Aussi conclut-il, à partir de cela, que le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion prise universellement. C'est de plus tellement manifeste que personne ne dit le contraire. |
[73154] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 3 Deinde cum dicit: sed neque cuidam etc., ostendit quod
electio non est idem cuidam opinioni, quae scilicet est de his quae cadunt
sub nostra operatione. Et hoc ostendit quinque rationibus. Quarum prima talis
est. Ex hoc quod eligimus bona vel mala dicimur quales quidam, id est boni
vel mali, non autem ex hoc quod opinamur bona vel mala, sive vera vel
falsa, dicimur boni vel mali. Ergo electio non est idem opinioni quae est de
eligibilibus. |
450.- Il montre que l'élection ne s'identifie pas à cette opinion particulière, à savoir celle qui porte sur ce qui est la matière de notre opération, Ce qu’il montre par deux raisons, dont voici la première, Le fait que nous choisissons le bien ou le mal nous qualifie, c’est-à-dire nous rend bons ou mauvais. Mais nous ne sommes pas appelés bons ou mauvais du fait que notre opinion porte sur le bien ou le mal ou le vrai ou le faux. Donc, l’élection n'est pas identique à l'opinion qui porte sur ce qui est éligible. |
#450. — Ensuite (1112a1), il montre que le choix n'est pas la même [chose] que telle opinion, à savoir, celle qui porte sur ce qui tombe sous notre opération. Il montre cela par deux raisons, dont la première 86 va comme suit. Du fait que nous choisissons des biens ou des maux, on nous dit certes tels, c’est-à-dire, bons ou mauvais. Mais on ne nous dit pas bons ou mauvais du fait que nous pensons bien ou mal, ou avec vérité ou fausseté. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion qui porte sur les [matières] à choix. |
[73155] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 4 Huius autem differentiae ratio est quia bonus vel malus
dicitur aliquis non secundum potentiam, sed secundum actum, ut habetur in IX
metaphysicae, id est non ex hoc quod est potens bene operari, sed ex hoc quod
bene operatur: ex hoc autem, quod homo est perfectus secundum intellectum fit
homo potens bene operari, non autem bene operans, sicut ille qui habet
habitum grammaticae ex hoc ipso est potens loqui congrue; sed ad hoc quod
congrue loquatur, requiritur quod hoc velit. Quia habitus est quo quis agit
cum voluerit, ut dicit Commentator in tertio de anima. Unde patet, quod bona
voluntas facit hominem bene operari, secundum quamcumque potentiam vel
habitum rationi obedientem. Et ideo aliquis dicitur simpliciter bonus homo ex
hoc, quod habet bonam voluntatem. Ex hoc autem, quod habet bonum intellectum,
non dicitur bonus homo simpliciter, sed secundum quid: puta bonus
grammaticus, vel bonus musicus. Et ideo, quia electio pertinet ad voluntatem,
opinio autem ad intellectum, ex electione dicimur boni vel mali, non autem ex
opinione. |
451.- Cependant, la raison de cette différence, C’est qu'on est dit bon ou mauvais, non pas d'après la puissance, mais d’après l'acte, comme on le voit dans le neuvième livre de la Métaphysique: c'est-à-dire qu'on est bon ou mauvais non pas du fait qu’on peut bien opérer, mais du fait qu’on agit bien. Or, de ce qu'il est parfait selon l'intelligence, l'homme devient capable de bien agir, mais n’agit pas bien, Comme celui qui possède l’art (l'habitus) de la grammaire est, par le fait même, capable de parler correctement; mais pour le faire, il lui faut le vouloir. La raison en est que l’habitus est ce par quoi on agit quand on le veut, comme le dit le Commentateur dans le troisième livre de l’Ame, Il est donc évident que c’est la volonté rectifiée, bonne, qui fait que l'homme agit bien, conformément à n’importe quelle puissance ou n’importe quel habitus soumis à la raison, C'est pourquoi, quelqu'un est dit absolument bon du fait qu’il a une volonté bonne. Du fait que son intelligence est bonne, on ne le dit pas bon absolument, mais sous un certain rapport, par exemple, bon grammairien ou bon musicien, C'est pourquoi, parce que l'élection appartient à la volonté et l’opinion à l'intelligence, nous sommes dits bons ou mauvais d'après notre élection, non d’après notre opinion, |
#451. — La raison de cette différence est d'ailleurs qu'on n'est pas dit bon ou mauvais d'après sa puissance, mais d'après son acte, comme il en est question au neuvième [livre] de la Métaphysique (1051a4): c'est-à-dire, non du fait qu'on peut opérer bien, mais du fait qu'on opère bien: or, du fait d'une perfection intellectuelle, on devient capable d'opérer bien, mais on n'opère pas bien du fait même. Ainsi, celui qui a l'habitus de grammaire est capable, de ce fait, de bien parler congrûment; mais pour qu'il parle congrûment de fait, il faut en plus qu'il le veuille. Car l'habitus est ce par quoi on agit bien lorsqu'on le veut, comme dit le Commentateur, au troisième [livre] De l'âme. D'où il appert qu'une bonne volonté fait que l'on opère bien, en obéissant à la raison selon n'importe quelle puissance ou habitus. C'est pourquoi on est dit bon simplement du fait qu'on a bonne volonté. Mais de ce qu'on a bonne intelligence, on n'est pas dit bon simplement, mais sous un certain rapport: par exemple, bon grammairien, ou bon musicien. C'est pourquoi, comme le choix appartient à la volonté, et l'opinion à l'intelligence, d'après notre choix, on nous dit bons ou mauvais, mais pas d'après notre opinion. |
[73156] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 5 Secundam rationem ponit ibi, et eligimus quidem et
cetera. Quae talis est. Electio praecipue respicit actiones nostras. Eligimus
enim quod accipiamus hoc vel fugiamus, vel quicquid est aliud quod ad
actiones nostras pertinet. Sed opinio principaliter respicit res. Opinamur enim
quid est hoc, puta quod est panis, vel ad quid conferat, vel qualiter sit eo
utendum. Non est autem opinio principaliter circa operationes nostras, puta
quod opinemur nos accipere aliquid vel fugere. Quia actiones nostrae sunt
quaedam singularia contingentia, et cito transeuntia. Unde earum cognitio vel
opinio, non multum quaeritur propter veritatem quae sit in eis, sed solum
propter opus. Ergo electio non est idem
opinioni. |
452.- Il donne la seconde raison, L'élection regarde principalement nos actions. En effet, nous choisissons d'accepter ceci ou de repousser ou de faire ou d'éviter tout ce qui relève proprement de notre action. Mais l'opinion porte principalement sur les choses. Notre opinion, en effet, porte sur ce qu'est ceci, par exemple, ce qu'est le pain ou à quoi il sert ou comment il faut sien servir. Elle ne porte pas principalement sur nos opérations, par exemple nous ni opinons pas de faire ceci ou d'éviter cela. La raison en est que nos actions sont des singuliers contingents tout à fait fugitifs. Et donc on ne cherche guère à les connaître ou à s’en former une opinion pour la vérité qu'elles possèdent, mais seulement pour l'œuvre à accomplir. Donc, l’élection n'est pas cette opinion. |
#452. — Il présente ensuite sa seconde raison (1112a3). Le choix regarde principalement nos actions. Nous choisissons, en effet, d'accepter ceci ou de le fuir, ou n'importe quoi d'autre qui appartient à nos actions. Au contraire, l'opinion regarde principalement les choses. Nous avons une opinion, en effet, par exemple, sur ce que c'est du pain, ou sur ce à quoi cela sert, ou sur la manière dont on doit s'en servir; mais l'opinion ne porte pas principalement sur nos actions, par exemple, que notre opinion serait d'accepter une chose ou d'y répugner. Car nos actions sont des singuliers contingents, et éphémères. Aussi, leur connaissance ou opinion n'est pas beaucoup cherchée pour la vérité qu'il y a en elles, mais seulement pour agir. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion. |
[73157] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 6 Tertiam rationem ponit ibi: et electio quidem laudatur
et cetera. Quae talis est. Bonum electionis in quadam rectitudine consistit,
prout scilicet appetitus recte ordinat aliquid in finem. Et hoc est quod
dicit, quod electio magis laudatur in hoc, quod est eius cuius oportet quasi
recte, sed opinio laudatur in hoc, quod vere est alicuius. Et sic bonum et
perfectio opinionis est veritas. Quorum autem sunt diversae perfectiones, et
ipsa sunt diversa. Ergo electio non est idem opinioni. |
453.- La troisième raison apportée est la suivante. Le bien de l'élection consiste dans une certaine rectitude, par exemple, en tant que l'appétit ordonne correctement quelque chose à sa fin. C'est ce qu'Aristote dit: ce qu’on loue dans l'élection c'est qu'elle porte sur ce qu'elle doit porter, avec rectitude pour ainsi dire (qu'elle soit droite), tandis qu’on loue l'opinion de ce qu’elle est conforme à son objet, de ce qu’elle dit la vérité sur quelque chose. Et ainsi le bien et la perfection de l'élection est la rectitude, alors que le bien et la perfection de l’opinion est la vérité. Est lui-même divers ce dont les perfections sont diverses. Donc l’élection n'est pas identique à l’opinion. |
#453. — Il présente ensuite sa troisième raison (1112a5), qui va comme suit. Le bien du choix consiste en une quelconque rectitude, par exemple, pour autant que l'appétit ordonne correctement quelque chose à une fin. C'est ce qu'il dit, que le choix est davantage loué en cela qu'il porte assez correctement sur ce qu'il faut, tandis que l'opinion est louée en ce qu'elle représente quelque chose avec vérité. Ainsi, le bien et la perfection du choix est la rectitude, tandis que le bien et la perfection de l'opinion est la vérité. Or ce dont il y a perfection autre est autre. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion. |
[73158] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 7 Quartam rationem ponit ibi et eligimus quidem et
cetera. Quae talis est. Electio est cum quadam certitudine. Illa enim
eligimus, quae maxime scimus esse bona. Sed opinio est sine certitudine.
Opinamur enim illa quae non multum scimus esse vera. Ergo non sunt idem. |
454.- La quatrième raison qu'il donne se formule ainsi. L'élection se fait avec une certaine certitude. En effet, nous choisissons ce que nous savons le plus sûrement possible être un bien. Mais l'opinion est sans certitude. L’opinion s'exerce quand on ne connaît pas trop la vérité de la chose. Donc, élection et opinion diffèrent. |
#454. — Il présente ensuite sa quatrième raison (1112a7), qui va comme suit. Le choix s'accompagne de certitude. En effet, nous choisissons ce que nous savons le plus être des biens. Or l'opinion va sans certitude. Nous avons des opinions, en effet, sur ces [choses] dont nous ne savons pas beaucoup qu'elles sont vraies. Donc, ils ne sont pas la même [chose]. |
[73159] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 8 Quintam rationem ponit ibi et videntur et cetera. Si
enim opinio et electio essent idem, oporteret quod idem essent illi qui
eligunt optima et qui habent veram opinionem de eis. Sed hoc patet esse
falsum. Quidam enim vere opinantur in universali quid sit melius, sed propter
malitiam non eligunt quod melius est, sed quod est deterius. Ergo electio et
opinio non sunt idem. |
455.- Il donne la cinquième raison. Si, en effet, l'opinion et l'élection étaient identiques, il faudrait que les mêmes personnes qui choisissent les choses les meilleures soient celles qui professent sur elles les opinions vraies. Mais cela est évidemment faux. En effet, certains ont une excellente opinion en général sur ce qu'il y a de mieux à faire mais, à cause de leur méchanceté, ils ne choisissent pas le meilleur mais le pire. Donc, l'élection et l'opinion ne sont pas identiques. |
#455. — Il présente ensuite sa cinquième raison (1112a8). Si, en effet, l'opinion et le choix étaient la même [chose], il faudrait que ce soient les mêmes qui choisissent les meilleurs biens et qui aient une opinion vraie sur eux. Or cela, il est évident que c'est faux. Certains, en effet, ont en général une opinion vraie sur le mieux, mais, à cause de leur malice, ils ne choisissent pas le mieux, mais le pire. Donc, le choix et l'opinion ne sont pas la même [chose]. |
[73160] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 9 Deinde cum dicit: si autem praesit etc., movet quamdam
dubitationem: utrum scilicet opinio praecedat electionem, vel sequatur ad
ipsam. Et dicit, quod hoc nihil differt ad propositum. Quia nunc non
intendimus determinare ordinem eorum, sed solum utrum electio sit idem alicui
opinioni. Sciendum tamen, quod opinio, quum pertineat ad vim cognoscitivam, per
se loquendo praecedit electionem quae pertinet ad vim appetitivam, quae
movetur a cognoscitiva. Per accidens tamen contingit quandoque, quod opinio
sequitur electionem; puta cum aliquis ex affectu eorum quae eligit mutat opinionem
quam prius habebat. |
456.- Il remue un certain doute, à savoir si l’opinion précède l'élection ou la suit. Il répond que cela importe peu dans la question qui nous concerne. C'est qu'actuellement nous ne voulons pas déterminer l’ordre de ces actes, mais uniquement si l'élection est identique à une espèce d'opinion. Il faut savoir cependant que l’opinion en autant qu'elle appartient à la puissance cognitive, de soi précède l'élection, qui appartient à la puissance appétitive, qui est mue par la faculté de connaissance. Cependant, il arrive quelquefois par accident que l’opinion soit consécutive à l'élection. Par exemple, lorsque quelqu’un change l'opinion qu'il avait par amour de ce qu'il aime. |
#456. — Ensuite (1112a11), il soulève une difficulté: si l'opinion précède le choix ou le suit. Il dit que cela ne change rien au propos. Car nous n'entendons pas maintenant déterminer de leur ordre, mais seulement si le choix est la même [chose] qu'une opinion. Mais on doit savoir que l'opinion, comme elle appartient à la puissance cognitive, précède, à parler par soi, le choix, qui appartient à la puissance appétitive, laquelle est mue par la [puissance] cognitive. Mais, par accident, il arrive quelquefois que l'opinion suive le choix; par exemple, lorsque, par affection pour ceux qu'on aime, on change l'opinion qu'on avait auparavant. |
[73161] Sententia Ethic., lib. 3 l. 6 n. 10 Deinde cum dicit: quid igitur etc., ostendit quid sit
electio. Et dicit quod cum non sit aliquod quatuor praedictorum, oportet
considerare quid sit secundum genus, vel quale quid est secundum
differentiam. Et quantum ad genus videtur, quod sit voluntarium. Non tamen
omne voluntarium est eligibile, ut supra dictum est, sed voluntarium
praeconsiliatum. Et quod haec differentia sit addenda, manifestat per hoc,
quod consilium est actus rationis, et ipsa electio oportet quod sit cum actu
rationis et intellectus. Et hoc videtur subsignare, idest occulte
signare ipsum nomen eius, quod signat ut aliquid prae aliis accipiatur. Hoc
autem pertinet ad rationem conferentem, ut unum aliis praeferatur. |
457.- Il montre ce qu'est l'élection et il dit que puisqu'elle n’est aucune des choses énumérées, il faut considérer ce qu'elle est quant à son genre, et quelle elle est selon sa différence. Par rapport à son genre, il semble qu’elle appartienne au volontaire. Cependant, ce n’est pas tout volontaire qui est éligible, objet d’élection, comme on l'a dit plus haut, mais uniquement le volontaire délibéré (délibéré avant-prémédité). Et qu'il faille porter attention à cette différence, il le manifeste par le fait que le conseil est un acte de la raison et qu’il faut que l’élection elle-même soit accompagnée alun acte de la raison et de l'intelligence. Et c'est ce que semble insinuer, c'est-à-dire manifester discrètement son nom: (prohaireton), qui désigne qu'une chose soit reçue, faite avant les autres. (E-ligere) Et cela appartient à la raison qui compare qu'une chose soit préférée aux autres. |
#457. — Ensuite (1112a13), il montre ce qu'est le choix. Il dit que, comme il n'est pas l'une des quatre [entités] énumérées, il faut considérer ce qu'il est quant à son genre, ou comment il est quant à sa 87 différence. Quant à son genre, il semble que ce soit du volontaire. Toutefois, ce n'est pas tout volontaire qui est objet de choix, comme on l'a dit plus haut, mais le volontaire prédélibéré. Qu'il faille s'attendre à cette différence, il le manifeste par le fait que la délibération est un acte de la raison, et que le choix lui-même doit aller avec l'acte de la raison et de l'intelligence. C'est ce que son nom paraît indiquer1, c'est-à-dire, signifier de manière cachée, car il est signe que quelque chose soit pris avant autre chose. Or cela appartient à la définition donnée, qu'une chose soit préférée à d'autres. |
|
|
|
Lectio
7 |
Leçon 7 : [Le conseil] |
|
|
IL PROPOSE LA QUESTION QUI CONCERNE LE CONSEIL (DELIBERATION), A SAVOIR S'IL PORTE SUR TOUTES CHOSES; IL EXCLUT DE L'OBJET DE LA DELIBERATION LES CHOSES ETERNELLES, LES CHOSES STABLES QUI ARRIVENT PRESQUE TOUJOURS DE LA MEME FACON, LES CHOSES FORTUITES, LES CHOSES TRES ELOIGNES: TOUTES CHOSES SUR LESQUELLES NE SEMBLE PAS PORTER LE CONSEIL. |
|
[73162] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 1 Consiliantur autem utrum de omnibus et cetera. Postquam
philosophus determinavit de electione, hic determinat de consilio. Et primo
de consilio secundum se. Secundo per comparationem ad electionem, ibi
consiliabile autem, et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit de quibus debeat esse consilium. Secundo
determinat de modo et ordine consiliandi, ibi, consiliamur autem non de
finibus, et cetera. Circa primum duo facit; primo dicit de quo est intentio.
Secundo exequitur propositum, ibi, de aeternis autem, et cetera. Circa primum
duo facit. Primo proponit quaestionem, quam tractare intendit. Et est
quaestio, utrum homines consilientur de omnibus rebus, ita quod unumquodque
sit consiliabile, aut quaedam sint de quibus non est consilium. |
458.- Après avoir traité de l'élection, le Philosophe détermine ici le conseil. Et en premier, il traite du conseil en lui-même. En second, par comparaison à l'élection. Par rapport au premier point, il fait une double considération. Il montre tout d'abord sur quoi doit porter le conseil et, en second, il traite de la manière de délibérer et de l'ordre dans la délibération. A propos de l'objet du conseil, il donne tout d'abord ce qu'il veut expliquer et, ensuite, il élabore son projet. Pour nous dire ce qu'il a l'intention de traiter, il fait deux choses. En premier, il propose la question qu'il veut étudier. La voici: Est-ce que les hommes délibèrent sur toutes choses, de telle sorte que chacune d'elles soit susceptible de délibération, ou bien y en a-t-il qui ne sont pas objet de délibération? |
#458. — Après avoir traité du choix, le Philosophe traite ici de la délibération. En premier, de la délibération en elle-même (1112a18). En second, par comparaison avec le choix (1113a2). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi doit porter la délibération. En second, il détermine du mode et de l'ordre de la délibération (1112b11). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi porte son intention. En second, il exécute son propos (1112a21). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il formule la question dont il entend traiter. Cette question est si les hommes délibèrent de toutes choses, de sorte que n'importe quoi soit objet de délibération, ou s'il est des [choses] dont il n'y a pas délibération. |
[73163] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 2 Secundo ibi dicendum autem forsitan etc., exponit
propositam quaestionem. Et dicit quod non dicitur illud consiliabile, de quo
quandoque consiliatur aliquis insipiens, qui scilicet habet usum
rationis, sed perversum; vel insanus, qui totaliter usu rationis
caret. Sed illud vere dicitur consiliabile de quo consiliantur homines
habentes intellectum recte dispositum. Tales enim non consiliantur nisi de
rebus, quae in natura sua talia sunt ut de eis consilium haberi debeat, quae
proprie dicuntur consiliabilia; insipientes autem quandoque consiliantur
etiam de his, quae in natura sua sunt talia ut de eis consilium haberi non
debeat. |
459.- En second, il expose la question soulevée. Il dit qu'on n'appelle pas objet de délibération ce sur quoi délibère quelquefois un simple d'esprit, c'est-à-dire quelqu'un qui à l'usage de sa raison, mais un usage perverti, ou un fou qui n'a plus du tout l'usage de sa raison. Mais est vraiment susceptible de délibération ce sur quoi délibère l’homme qui a l'esprit bien disposé, l'homme de bon sens. Or ce dernier ne délibère que sur les choses qui, par nature, doivent être soumises à la délibération, On appelle proprement ces choses: objet de délibération, matière à délibération, En effet, les sots délibèrent quelquefois sur des objets qui dans leur nature sont tels qu'ils ne doivent pas être sujets de délibération. |
#459. — En second (1112a19), il expose la question formulée. Il dit qu'on ne dit pas objet de délibération ce dont délibère parfois quelqu'un de déraisonnable, qui a peut-être l'usage de sa raison, mais [un usage] perverti; ou quelqu'un d'insensé, qui manque totalement de l'usage de la raison. Plutôt, on appelle vraiment objet de délibération ce dont délibèrent des gens qui jouissent d'une intelligence correctement disposée. Ceux-là, en effet, ne délibèrent que de choses dont la nature est telle qu'on doive en délibérer, qui [donc] se disent proprement délibérables. Mais les [gens] déraisonnables délibèrent aussi parfois de ce dont la nature est telle qu'on ne doive pas en tenir délibération. |
[73164] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 3 Deinde cum dicit: de aeternis autem etc., ostendit de
quibus sit consilium. Et primo distinguendo res secundum causas secundo
distinguendo eas secundum artes quascumque, ibi, et quidem circa certas etc.;
tertio distinguendo eas secundum ipsarum rerum conditiones, ibi, consiliari
autem oportet, et cetera. Circa primum tria facit: primo ostendit de quibus
non sit consilium. Secundo concludit de quibus sit ibi, consiliamur autem,
etc.; tertio ostendit conclusionem sequi ex praemissis, ibi, haec autem et
sunt reliqua, et cetera. Circa primum quinque facit. Primo dicit quod nullus
consiliatur de aeternis, idest de his quae semper sunt et sine motu.
Huiusmodi autem sunt, vel illa quorum substantiae motui non subduntur, sicut
substantiae separatae, et ipsa mundi universitas. Vel etiam ea quae, etsi
secundum esse sint in materia mobili, tamen secundum rationem ab huiusmodi
materia abstrahuntur, sicut sunt mathematica. Unde ponit exemplum de diametro
quadrati, et costa idest latere eius, de quibus nullus consiliatur an
sint commensurabiles. |
460.- Il montre ensuite sur quoi porte le conseil. Et, en premier, en distinguant les choses d'après leurs causes. En second, en les distinguant d'après n'importe quelles causes. En troisième, en les distinguant d'après leurs conditions propres. Par rapport au premier point, il fait deux considérations. En premier, il montre sur quoi ne peut pas porter le conseil. En second, il en conclut l'objet du conseil. Par rapport à ce qui n'est pas susceptible de délibération, il porte son attention sur cinq choses. En premier, il dit que personne ne délibère sur les choses qui existent toujours et sont immuables. Or les êtres de cette sorte sont, ou bien ceux dont la substance n'est pas sujette au mouvement, comme les substances séparées et l'univers lui-même, ou bien ceux qui; quoique existant dans la matière mobile sont, quant à leur définition abstraite de cette matière, comme les êtres mathématiques. C'est ainsi qu'il donne comme exemple le diamètre du carré et son côté, personne ne délibère sur leur commensurabilité. |
#460. — Ensuite (1112a21), il montre de quoi il y a délibération. En premier, en distinguant les choses selon leurs causes à elles. En second, en les distinguant selon certaines causes (1112a34). En troisième, en les distinguant selon leurs caractéristiques à elles (1112b8). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre de quoi il n'y a pas délibération. En second, il conclut de quoi il y a délibération (1112a30). En troisième, il montre que la coclusion suit de ce qu'il a dit (1112a31). Sur le premier [point], il fait cinq [considérations]. En premier, il dit que personne ne délibère de ce qui est éternel, c'est-à-dire, de ce qui est toujours [et] sans mouvement. Or est de cette sorte ou bien ce dont la substance n'est pas soumise au mouvement, comme les substances séparées, et l'universalité même du monde. Ou bien aussi ce qui, quoique existant quant à son être dans une matière mobile, se trouve quand même abstrait de cette sorte de matière quant à sa définition, comme les [choses] mathématiques. Aussi pose-t-il comme exemple le diamètre du carré, et sa côte, c'est-à-dire son côté, dont personne ne délibère s'ils sont commensurables. |
[73165] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 4 Secundo ibi: sed neque de his etc., dicit quod etiam
nullus consiliatur de his quae etsi moveantur, motus tamen eorum semper est
uniformis; sive uniformitas motus eorum sit ex necessitate non propter
aliquam aliam causam sicut ea quae sunt necessaria per seipsa, sive hoc sit
per naturam corporum mobilium, sive hoc sit propter aliquam causam separatam,
prout ponuntur substantiae immateriales, moventes orbes caelestes, de quibus
hic loquitur. Unde exemplificat de versionibus, idest de circularibus
motibus solis et ortibus eius. |
461.- En second, il dit que personne ne délibère sur les choses qui, tout en étant mobiles, ont cependant un mouvement toujours uniforme: que l'uniformité de leur mouvement soit par nécessité et ne provienne d'aucune autre cause que de leur nature propre, que cette uniformité soit due à la nature des corps mobiles, qu'elle ait pour cause une cause séparée, en tant qu'on admet que les substances séparées meuvent les corps célestes, dont il est question ici. C'est ainsi qui il donne, comme exemple, les solstices et les levers de soleil, etc. |
#461. — En second (1112a23), il dit que personne ne délibère non plus de ce qui, bien que mû, garde cependant un mouvement toujours uniforme; soit que l'uniformité de son mouvement soit par nécessité [et] non pour une autre cause, comme ce qui est nécessaire par soi-même, soit que ce soit en raison de la nature des corps mobiles, soit que ce soit pour une cause séparée, pour autant qu'on pose des substances immatérielles pour mouvoir les orbes célestes, dont on parle ici. Aussi donne-t-il en exemple les révolutions, c'est-à-dire, les mouvements circulaires du soleil et de ses levers, etc.[15] |
[73166] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 5 Tertio ibi: neque de his quae alias etc., dicit quod
neque etiam est consilium de his quae in motu consistunt, et ut in pluribus
eodem modo fiunt, aliquando tamen licet in paucioribus aliter accidunt; sicut
sunt siccitates, quae ut frequentius accidunt in aestate, et imbres, qui ut
pluries accidunt in hieme, licet quandoque aliter accidat. |
462.- En troisième, il dit qu'il n'y a pas non plus de conseil sur les choses qui existent dans le mouvement et qui arrivent la plupart du temps de la même façon, bien que quelquefois elles se produisent différemment comme, par exemple, les sécheresses qui arrivent la plupart du temps en été, et les pluies, qui arrivent surtout en hiver, bien que quelquefois elles changent de saison. |
#462. — En troisième (1112a26), il dit qu'il n'y a pas non plus délibération de ce qui existe en mouvement, se produit la plupart du temps de la même façon, mais parfois, quoique rarement, arrive autrement; comme sont les temps secs, qui arrivent la plupart du temps en été, et les pluies, qui arrivent la plupart du temps en hiver; bien que, parfois, il en arrive autrement. |
[73167] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 6 Quarto ibi: neque de his quae etc., dicit quod neque
consilium etiam est de his quae fiunt a fortuna, sicut de inventione
thesauri. Sicut enim ea de quibus supra habitum est, non sunt ex operatione
nostra, ita fortuita non possunt esse ex nostra praemeditatione, quia sunt
improvisa, et praeter intentionem. |
463.- En quatrième lieu, il dit que le conseil ne porte pas davantage sur les choses qui proviennent de la fortune, comme par exemple sur la découverte d'un trésor. Ces effets de la fortune sont comme les choses décrites plus haut: elles ne proviennent pas de notre opération. Et ainsi elles ne proviennent pas de notre préméditation, parce qu'elles sont imprévues et hors de notre intention. |
#463. — En quatrième (1112a27), il dit qu'il n'y a pas non plus délibération en ce qui se produit par chance, comme pour la découverte d'un trésor. De même, en effet, que tout ce dont on a parlé plus haut ne dépend pas de notre action, de même ce qui [est dû] à la chance ne peut surgir de notre préméditation, parce que c'est imprévu et hors d'intention. |
[73168] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 7 Quinto ibi: sed neque de humanis etc., dicit quod non
solum homines non consiliantur de necessariis, et naturalibus, et fortuitis,
sed nec etiam de omnibus rebus humanis; sicut Lacedaemonii non consiliantur
qualiter Scythae, qui sunt ab eis valde remoti, optime debeant conversari. Et
subiungit rationem communem respondentem omnibus praedictis, cum dicit. Non
enim fiet, et cetera. Quia scilicet nihil eorum, quae scilicet sunt
necessaria vel naturalia, vel fortuita, vel per alios homines facta, fit per
nos. |
464.- En cinquième lieu, il dit que non seulement on ne délibère pas sur les choses nécessaires, naturelles et fortuites mais même non plus sur toutes les choses humaines. Ainsi les Lacédémoniens ne délibèrent pas pour savoir qu'elle serait la meilleure manière de vivre des Scythes, qui est un peuple fort éloigné d'eux. Et il donne la raison commune qui éclaire tous les cas précédents lorsqu'il dit: aucune des choses énumérées, ni celles qui sont nécessaires, ou naturelles, ou fortuites, ou accomplies par les autres hommes ne sont objet du conseil: pa.rce qu’elles ne sont pas faites par nous. |
#464. — En cinquième (1112a28), il dit que non seulement les hommes ne délibèrent pas de ce qui est nécessaire, et naturel, et fortuit, mais même aussi pas de toutes choses humaines; ainsi, les Lacédémoniens ne délibèrent pas comment les Scythes, qui vivent très loin d'eux, devraient mener au mieux leurs affaires. Il ajoute la raison commune qui répond à tout ce qui précède (1112a30): c'est que rien de cela qui est nécessaire, ou naturel, ou fortuit, ou fait par d'autres hommes, ne se fait par nous. |
[73169] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 8 Deinde cum dicit consiliamur autem de his etc., dicit
quasi concludens ex praemissis, de quibus sit consilium. Et dicit, quod
consiliamur de operabilibus, quae in nobis, idest in nostra potestate
existunt. Consilium enim ad operationem ordinatur. |
465.- En conclusion, pour ainsi
dire, des considérations précédentes il donne sur quoi porte le conseil a Et
il dit que son objet est les opérables qui sont en nous, c'est-à-dire qui
sont en notre pouvoir. En effet, le conseil est ordonné à l'opération. |
#465. — Ensuite (1112a30), il dit, comme en concluant à partir de ce qui a été dit, de quoi il y a délibération. Il dit que nous délibérons de [choses] faisables qui [dépendent] de nous, c'est-à-dire, qui sont en notre pouvoir. En effet, la délibération est ordonnée à l'action. |
[73170] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 9 Deinde cum dicit: haec autem sunt etc., ostendit hoc
sequi ex praemissis: quia scilicet praeter praemissa, de quibus dictum est
quod non est consilium, ista sola sunt reliqua, scilicet ea quae sunt
in nobis, de quibus dicimus esse consilium. Et hoc probat dividendo causas.
Videntur enim esse quatuor causae rerum, scilicet natura, quae est principium
motus, sive eorum quae semper eodem modo moventur, sive eorum quae ut in
pluribus uniformitatem motus servant; et necessitas, quae est causa eorum,
quae semper eodem modo sunt sine motu. Et fortuna, quae est causa per
accidens, praeter intentionem agens, sub qua etiam comprehenditur casus. Et
praeter has causas adhuc est causa intellectus, et quicquid est aliud, quod
producit id quod per hominem fit; sicut voluntas et sensus, et alia huiusmodi
principia. Et haec causa diversificatur secundum diversos homines; ita quod
singuli homines consiliantur de his operabilibus quae possunt fieri per
ipsos, ex quo de his quae per alias causas fiunt, consilium non est, ut
dictum est. |
466.- Et Aristote dit que cette détermination de la matière du conseil découle des négations précédentes, parce que, en dehors des choses énumérées plus haut il ne reste plus que les objets d'opération en notre pouvoir. Ce qu'il prouve en divisant les causes. Il semble, en effet, qu'il y a quatre causes des choses: à savoir la nature, qui est principe du mouvement soit des choses qui sont en devenir toujours de la même façon, soit des choses qui se meuvent habituellement de la même façon; la nécessité, qui est cause des choses qui sont toujours semblables à elles-mêmes sans aucun changement; la fortune, qui est cause par accident, en dehors de l'intention de l'agent: et par la fortune en comprend aussi le hasard. En dehors de ces causes, il y a encore comme cause l'intelligence et tout ce qui sert à l'homme à produire ce qu'il fait; comme la volonté et le sens et les principes de cette sorte. Et cette dernière cause se diversifie d’après la diversité des hommes, de telle sorte que chaque homme délibère des objets d’opération qui peuvent être faits par lui-même. D’où on peut voir qu’il n y a pas de conseil sur ce qui est produit par les autres causes, comme on l’a dit plus haut. |
#466. — Ensuite (1112a31), il montre que cela suit de ce qu'il a dit: car, en dehors de ce dont il a été dit qu'il n'y a pas délibération, c'est cela seul qui reste, c'est-à-dire, ce qui dépend de nous, dont nous disons qu'il y a délibération. Il le prouve en divisant les causes. Il semble, en effet, y avoir quatre causes des choses: la nature, principe de mouvement, soit pour ce qui est toujours mû de la même manière, soit pour ce qui garde la plupart du temps un mouvement uniforme; la nécessité, cause de ce qui reste toujours pareil [et] sans mouvement; la chance, cause par accident, hors de l'intention d'un agent, sous laquelle le hasard aussi est compris. En dehors de ces causes, il y a encore comme cause l'intelligence, et quoi que ce soit d'autre dont sort ce qui est produit par l'homme; comme la volonté et le sens, et d'autres principes de la sorte. Et cette cause se diversifie selon la diversité des hommes; de sorte que chaque homme délibère de ces opérables qui peuvent être faits par lui, de sorte qu'il n'y a pas de délibération de ce qui est produit par d'autres causes, comme il a été dit. |
[73171] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 10 Deinde cum dicit: et quidem circa certas etc., ostendit
de quibus potest esse consilium secundum diversas artes operativas secundum
quas operamur ea quae in nobis sunt. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit
circa quas artes sit consilium, et circa quas non. Et dicit quod circa illas
operativas disciplinas quae habent certos modos operandi et sunt per se
sufficientes, ita scilicet quod effectus operis earum non dependet ex eventu
alicuius extrinseci, circa has inquam artes non est consilium, sicut de
litteris conscribendis. Et huius ratio est quia non consiliamur nisi in
dubiis. Non est autem dubium qualiter debeat scribi, quia certus est modus
scribendi et non dependet effectus Scripturae nisi ex arte et manu
scribentis. Sed de his est consilium quaecumque fiunt per nos, id est
in quibus oportet per nos determinari qualiter fiant, quia non sunt in se
certa et determinata. |
467.- Il montre sur quoi peut porter le conseil dans les différents arts opératifs où nous faisons ce qui est en notre pouvoir. Et là-dessus, il montre les arts où il y a délibération et les arts où il n’y a pas de conseil. Et il dit que dans les disciplines opératives qui ont un processus d'opération déterminé avec certitude (un mode d'opération rigoureusement fixé) et qui se suffisent par soi, à savoir de telle sorte que l'effet de leur opération ne dépend pas de l'apport de quelque chose d'extrinsèque, il n’y a pas de délibération. Ainsi en est-il à propos de l'orthographe. Et la raison en est que nous ne délibérons que sur les choses douteuses. Or, il n'y a pas de doute sur la manière d'écrire un mot donné, car la manière d'écrire un mot est certaine et non douteuse, et l'effet de l'écriture ne dépend que de l'art et de la main de celui qui écrit. Mais il y a délibération sur tout ce que nous faisons, par nous-mêmes, c’est-à-dire là où il nous faut prédéterminer comment nous pouvons faire ce que nous voulons, parce qu'il n'y a pas de processus certain et déterminé. |
#467. — Ensuite (1112a34), il montre de quoi il peut y avoir délibération, d'après les divers arts opératifs selon lesquels nous faisons ce qui dépend de nous. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre en quels arts il y a délibération, et en lesquels non. Il dit qu'en ces disciplines opératives qui possèdent des modes certains d'opérer et qui se suffisent à elles-mêmes, de façon que le produit de leurs œuvres ne dépend pas de l'intervention de quelque [agent] extrinsèque, en ces arts, dis-je, il n'y a pas délibération, comme, par exemple, pour ce qui est d'écrire les lettres. La raison en est que nous ne délibérons qu'en cas de doute. Or il n'y a pas de doute sur la façon dont on doit écrire, car elle est certaine la manière d'écrire et non douteuse, et le produit de l'écriture ne dépend que de l'art et de la main de celui qui écrit. Il y a délibération, plutôt, en tout ce qui est produit par nous, c'est-à-dire, en quoi il nous faut déterminer d'abord de quelle manière le faire, du fait que ce ne soit pas certain en soi et déterminé. |
[73172] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 11 Secundo ibi: non similiter autem etc., ostendit quod de
his non eodem modo est consilium; sed de quibusdam magis et de quibusdam
minus. Et primo ostendit hanc differentiam inter artes operativas adinvicem.
Et dicit quod non semper de his quae per nos determinantur, similiter,
idest aequali dubitatione consiliamur, sed de quibusdam magis, quae sunt
minus determinata et in quibus plura exteriora oportet considerare: sicut in
arte medicinali, in qua oportet attendere ad virtutem naturae eius qui
sanatur, et in negotiativa, in qua oportet attendere ad necessitates hominum
et abundantiam rerum venalium, et in gubernativa in qua oportet attendere ad
flatus ventorum; et in his magis consiliamur quam in arte gignastica, id est
luctativa vel exercitativa, quae magis habet certos et determinatos modos,
quanto praedictae artes sunt minus certae. Et idem intelligendum est in aliis
artibus. |
468.- En second, il montre que même dans ces arts la manière de délibérer n’est pas la même: certains arts exigent plus de délibération que d'autres. Il montre tout d’abord cette différence en comparant les arts opératifs entre eux. Et il dit que par rapport à ce que nous déterminons nous-mêmes, nous délibérons à peu près toujours également, mais nous délibérons davantage sur des questions moins déterminées et dans lesquelles on doit tenir compte d'une foule de conditions extérieures. Ainsi en est-il dans l'art médical où on doit tenir compte de l’énergie naturelle du malade. Le même cas se pose dans les questions de commerce où lion doit porter attention aux nécessités des hommes et à l'abondance des biens négociables. Aussi dans l'art du pilotage où l'on doit connaître la force et la direction des vents. Les arts que nous venons d'énumérer exigent plus de délibération que l’art de la gymnastique qui procède davantage selon des modes certains et déterminés. Dans tous ces arts, la délibération est pour ainsi dire inversement proportionnelle à leur degré de certitude. Ainsi en est-il dans tous les autres arts. |
#468. — En second (1112b3), il montre qu'il n'y a pas toujours à leur endroit délibération de la même manière; mais en certaines [choses] plus et en certaines moins. En premier, il montre cette différence entre les arts opératifs. Il dit qu'à propos de ce qui est déterminé par nous, nous ne délibérons pas toujours de la même manière, c'est-à-dire, avec un doute égal. Mais plus pour certaines [choses], qui sont moins déterminées et en lesquelles il y a plus de [circonstances] extérieures à considérer: comme dans l'art médical, où il faut être attentif à la vertu de la nature qui est malade; et [dans l'art] commercial, où il faut porter attention aux nécessités des hommes et à l'abondance des choses vénales; et dans [l'art] de piloter, où il faut porter attention aux souffles des vents. Là, nous délibérons davantage qu'en gymnastique, c'est-à-dire, en la lutte et l'exercice, qui possède des procédés plus certains et déterminés. Autant les arts mentionnés sont moins certains, autant il y a en eux plus de délibération. La même [chose] est à comprendre pour les autres arts. 89 |
[73173] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 12 Secundo ibi: magis autem etc., ostendit differentiam
quantum ad necessitatem consilii inter artes operativas et scientias
speculativas. Et dicit quod magis necesse habemus consiliari circa artes,
scilicet operativas, quam circa disciplinas, scilicet speculativas: in
quibus non est consilium quantum ad ea de quibus sunt, quia huiusmodi sunt ex
necessitate vel ex natura, sed quantum ad usum earum, ut puta quomodo vel quo
ordine sit in eis procedendum. In quo tamen minus est necesse consiliari quam
in scientiis practicis, circa quas magis dubitamus propter magnam varietatem
quae in istis artibus accidit. |
469.- En troisième lieu, il montre la différence qui existe, par rapport à la nécessité de la délibération, entre les arts opéra tifs et les sciences spéculatives. Et il dit qu'il est plus nécessaire de délibérer dans les arts, à savoir opératifs, que dans les disciplines, à savoir spéculatives. En ce qui concerne ces dernières, il n’y a pas de délibération sur la matière qu'elles traitent, car elle existe par nécessité ou est fournie par la nature, mais quant à l'usage de cette matière, à savoir comment ou selon quel ordre il faut procéder dans son étude. Cependant, il est moins nécessaire de délibérer dans l'usage de la matière des sciences spéculatives que dans les sciences pratiques où les doutes se multiplient à cause de la grande variété que l’on rencontre dans ces arts. |
#469. — En troisième (1112b6), il montre la différence quant à la nécessité de la délibération dans les arts opératifs et les sciences spéculatives. Il dit que nous avons plus de nécessité à délibérer dans les arts opératifs que dans les disciplines spéculatives: en ces dernières, il n'y a pas de délibération quant à ce sur quoi elles portent, car cela est de nécessité ou de nature, mais quant à leur usage, par exemple, comment ou dans quel ordre on doit y procéder. En cela, il y a cependant moins de nécessité à délibérer que dans les sciences pratiques, sur lesquelles nous doutons davantage, à cause de la grande variété qui se produit dans ces arts. |
[73174] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 13 Deinde cum dicit: consiliari autem oportet etc.,
ostendit de quibus debeat esse consilium, considerando conditiones ipsarum
rerum. Et circa hoc ponit tres conditiones rerum de quibus est consilium. Et
primo dicit quod oportet consiliari de his quae saepius accidunt. Tamen quia
possunt aliter evenire, incertum est qualiter contingent. Si quis enim vellet
in consilium deducere ea quae rarissime accidunt, puta si pons lapideus per
quem transeundum est, cadat, nunquam homo aliquid operaretur. |
470.- Il montre sur quoi doit porter le conseil, en considérant les conditions des choses elles-mêmes. Et à ce propos, il pose trois conditions des choses sur lesquelles il y a délibération. Et en premier lieu, il dit qu’il faut délibérer sur les choses qui arrivent le plus souvent. Cependant, parce qu'elles peuvent arriver autrement, on ne sait pas comment elles arriveront. En effet, si on voulait connaître par sa délibération ce qui arrive très rarement, par exemple si le pont de pierres sur lequel on passe va tomber, l'on demeurerait parfaitement inactif. |
#470.
— Ensuite (1112b8), il montre de quoi il doit y avoir délibération, en
considérant les caractéristiques des choses elles-mêmes. À ce [sujet], il
pose trois caractéristiques des choses dont il y a délibération. En premier,
il dit qu'il faut délibérer sur ce qui arrive souvent. Car du fait que cela
peut survenir autrement, il reste incertain comment cela va arriver. Si
quelqu'un, en effet, voulait amener à délibération ce qui arrive de façon
rarissime, par exemple, si tel pont de pierre par lequel on doit passer va
tomber, on n'en viendrait jamais à agir. |
[73175] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 14 Secundo ibi: et in quibus etc., dicit quod oportet
consiliari de illis in quibus non est determinatum qualiter oporteat agere.
Iudex enim non consiliatur qualiter debeat sententiare in his quae sunt lege
statuta, sed forte in casibus in quibus non est aliquid lege determinatum. |
471.- En second, il dit qu'il faut délibérer sur les cas où le mode d’opération n'est pas déterminé. En effet, le juge n'a pas à délibérer sur la sentence à prononcer dans les cas bien définis par la loi, mais plutôt dans les cas laissés indéterminés par la loi. |
#471. — En second (1112b9), il dit qu'il faut délibérer sur ce en quoi ce n'est pas déterminé comment il faut agir. Un juge, en effet, ne délibère pas comment il doit prononcer sur ce qui est fixé par la loi, mais plutôt dans les cas où il n'y a pas déjà quelque chose de déterminé par la loi. |
[73176] Sententia Ethic., lib. 3 l. 7 n. 15 Tertio ibi: consiliatores autem etc., dicit quod
assumimus nobis alios ad consiliandum in rebus magnis, quasi non credentes
nobis ipsis ut simus sufficientes ad discernendum quid oporteat nos facere.
Et sic patet quod consilium non debet esse de minimis quibuscumque, sed de
rebus magnis. |
472.- En troisième lieu, il dit que nous faisons appel aux conseils d'autrui dans les affaires importantes ne nous fiant pas à nous- mêmes pour ainsi dire, de peur de n'être pas capables de bien discerner ce que nous devons faire. Et ainsi, il est évident que le conseil ne doit pas porter sur des bagatelles, mais sur des choses importantes. |
#472. — En troisième (1112b10), il dit que nous nous prenons d'autres personnes pour délibérer avec nous pour les grandes choses, ne croyant pas suffire pour discerner ce qu'il nous faut faire. Ainsi, il appert que la délibération ne doit pas porter sur n'importe quelles petites [choses], mais sur de grandes choses. |
|
|
|
Lectio
8 |
Leçon 8 : [Le conseil porte sur les moyens] |
|
|
LE CONSEIL NE PORTE PAS SUR LES FINS MAIS SUR LES MOYENS. LA FIN, BIEN QUE PREMIERE DANS L’INTENTION, EST DERNIERE DANS L’EXECUTION. |
|
[73177] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 1 Consiliamur autem non de
finibus et cetera. Postquam philosophus ostendit de quibus sit consilium, hic
determinat de modo et ordine consiliandi. Et quia consilium est quaedam
inquisitio, circa hoc tria facit. Primo ostendit modum consiliativae
inquisitionis. Secundo effectum eius, ibi, et si quidem impossibile etc.;
tertio ostendit huius inquisitionis terminum, ibi, videtur autem quemadmodum
et cetera. Circa primum duo facit: primo proponit modum consiliandi; secundo
manifestat quaedam quae dixerat, ibi, qui enim consiliatur et cetera. Cum
autem consilium sit quaedam inquisitio practica de operabilibus; necesse est
quod sicut in inquisitione speculativa supponuntur principia et quaedam alia
inquiruntur, ita etiam et in consilio fiat. Unde primo ostendit quid
supponitur in consilio. Secundo quid in consilio quaeratur, ibi, sed ponentes
finem et cetera. |
473.- Après avoir déterminé l'objet du conseil, le Philosophe détermine ici le mode et l'ordre de la délibération. Et parce que la délibération est une certaine recherche, il fait sur elle trois considérations. En premier, il montre le mode de la recherche délibérative. En second, il montre son effet; en troisième, il en montre le terme. Le premier point se subdivise en deux parties: il pose d'abord le mode de la délibération, puis il le manifeste. Mais puisque le conseil est une certaine recherche pratique sur les opérables, il est nécessaire de présupposer des principes pour aller à la recherche de ce qui en découle, comme il en est dans la recherche spéculative où les principes sont présupposés à la découverte subséquente des autres vérités. C'est pourquoi, au tout début, il montre ce qui doit être admis à l'avance dans la délibération. Ensuite, il montre ce qui est recherché dans la délibération. |
#473. — Après avoir montré sur quoi porte la délibération, le Philosophe détermine ici du mode et de l'ordre selon lequel délibérer. Puisque la délibération est comme une investigation, il fait trois [considérations] à ce [sujet]. En premier, il montre le mode de l'investigation délibératrice (1112b11). En second, son effet (1112b24). En troisième, il montre le terme de cette investigation (1112b31). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il pose le mode selon lequel délibérer. En second, il manifeste ce qu'il a dit (1112b20). Comme, par ailleurs, la délibération est une investigation pratique sur ce qu'il y a à faire, il est nécessaire que, comme, dans une investigation spéculative, on suppose des principes et on investigue autre chose, on fasse aussi de même dans la délibération. Aussi montre-t-il, en premier, ce qui est supposé dans la délibération. En second, ce qui est investigué dans la délibération (1112b15). |
[73178] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 2 Est autem considerandum
quod in operabilibus finis est sicut principium; quia ex fine dependet
necessitas operabilium, ut dicitur in II physicorum; et ideo in consiliis
oportet finem supponere. Et hoc est quod dicit quod non consiliamur de
finibus, sed de his quae sunt ad fines; sicut in speculativis non inquiritur
de principiis, sed de conclusionibus. Hoc autem quod dixerat manifestat per
exempla: quia scilicet medicus non consiliatur an debeat sanare infirmum, sed
hoc supponit quasi finem; nec etiam rhetor consiliatur si debeat persuadere,
sed hoc intendit quasi finem. Nec etiam politicus, idest rector
civitatis consiliatur an debeat facere pacem quae se habet ad civitatem sicut
sanitas ad corpus hominis, quae consistit in convenientia humorum sicut pax
in convenientia voluntatum; et sic etiam nullus aliorum operantium
consiliatur de fine. |
474.- Il faut ici considérer que dans les opérables la fin joue le rôle de principe. C'est que de la fin dépend la nécessité des opérables, comme on le dit dans le second livre des Physiques. C'est pourquoi, on doit présupposer l'existence de la fin. C'est cela que le Philosophe dit en disant que le conseil ne porte pas sur la fin, mais sur les moyens. Comme dans les sciences spéculatives, on ne s'enquiert pas des principes, mais des conclusions. Il manifeste cette affirmation par des exemples: le médecin ne délibère pas pour savoir s'il doit guérir le malade; cela est présupposé comme étant sa fin pour ainsi dire. L'orateur non plus ne délibère pas pour savoir s'il doit persuader: c'est là comme une fin qu'il veut atteindre. L'homme me politique, le chef d'une cité, ne délibère pas non plus s'il doit établir la paix, (l'ordre) qui est à la cité comme la santé est au corps: la santé exige l'harmonie des humeurs comme la paix exige l'accord des volontés. Et ainsi, personne ne délibère sur la fin. |
#474.
— Il faut, par ailleurs, considérer que dans ce qu'il y a à faire, c'est la
fin qui agit comme principe; car c'est de la fin que dépend la nécessité de
ce qu'il y a à faire, comme il est dit au second [livre] de la Physique. Aussi
faut-il supposer la fin. C'est ce qu'il dit, que nous ne délibérons pas des
fins, mais des moyens; comme, dans les [disciplines] spéculatives, on
n'investigue pas sur les principes, mais sur les conclusions. Ensuite, il
manifeste par des exemples ce qu'il a dit: ainsi, le médecin ne délibère pas
s'il doit soigner le malade, mais suppose cela comme fin. L'orateur non plus
ne délibère pas s'il doit persuader, mais y vise comme à sa fin. Le politique
non plus, c'est-à-dire, le dirigeant d'une cité, ne délibère pas s'il doit
faire la paix, qui entretient avec la cité le rapport que la santé entretient
avec le corps de l'homme, laquelle consiste dans l'accord des humeurs comme
la paix dans l'accord des volontés. Et ainsi, aucun autre agent ne délibère
de sa fin. |
[73179] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 3 Deinde cum dicit: sed
ponentes finem etc., ostendit de quibus et quomodo sit inquisitio consilii.
Circa quod tria ponit. Quorum primum est quod supposito aliquo fine, prima
intentio consiliantium est qualiter, idest quo motu vel actione possit
perveniri ad illum finem; et per quae instrumenta oporteat moveri vel agere
ad finem, puta per equum vel navem. Secunda autem intentio est quando ad
finem aliquem per plura perveniri potest sive instrumenta sive actiones, per
quid eorum et facilius et melius perveniatur. Et hoc pertinet ad iudicium in
quo quandoque aliqui deficiunt bene se habentes in inventione viarum ad
finem. Tertia autem intentio est, si contingat quod per unum solum
instrumentum vel motum vel per unum optime perveniatur ad finem, ut
procuretur qualiter per hoc ad finem perveniatur. Ad quod requiritur
constantia et sollicitudo. Et si illud per quod est deveniendum ad finem non
habeatur in promptu, oportet inquirere ulterius per quid haberi possit et
similiter de illo, quousque perveniatur ad causam quae occurrit prima in
operando, quae est ultima in inventione consilii. |
475.- Il montre sur quoi porte la recherche du conseil et de quelle manière elle se fait. La fin posée en principe, la première intention de ceux qui délibèrent est de voir comment, c'est-à-dire par quel mouvement ou action elle peut être réalisée; et encore, par quels instruments il faut agir pour atteindre cette fin, par exemple avec un cheval ou grâce à un navire. La seconde intention, elle, consiste, s'il existe plusieurs moyens, instruments ou actions pour réaliser la fin, à trouver par quel moyen on pourra parvenir à cette fin plus facilement et le mieux. Et cela appartient au jugement qui quelquefois fait défaut à ceux qui sont aptes à trouver les différents moyens. La troisième intention consiste, s'il arrive que par un seul instrument ou une seule action on puisse atteindre la fin, ou si un moyen s'offre comme étant éminemment supérieur aux autres, à s'occuper avec soin de la manière de parvenir, par ce moyen, à la fin. Ce qui exige constance et sollicitude. Et si le moyen pour atteindre à la fin ne s'offre pas immédiatement, il faut s'enquérir ultérieurement par quel autre moyen on pourrait l'obtenir. Et ce moyen lui-même par quel autre, jusqu'à ce qu'on arrive à la cause qui sera première dans l'opération, et qui est dernière dans la découverte de la délibération. |
#475. — Ensuite (1112b15), il montre sur quoi et comment se fait l'investigation de la délibération. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. La première en est que, supposée une fin, la première intention des délibérateurs est comment, c'est-à-dire, par quel mouvement ou action on pourrait parvenir à cette fin; et par quels instruments il faut se mouvoir ou agir en vue de cette fin, par exemple, avec un cheval ou un navire. Puis, la seconde intention est, quand on peut arriver à une fin par plusieurs 90 [moyens], soit des instruments, soit des actions, par lequel d'entre eux on y parviendrait le plus facilement et le mieux. Cela appartient au jugement, dans lequel quelquefois certains font défaut alors qu'ils réussissent bien dans la découverte des moyens en vue de leur fin. Enfin, la troisième intention est, s'il se trouve qu'on puisse parvenir à sa fin par un seul instrument ou mouvement, ou au mieux par un [plutôt que n'importe quel autre], de se procurer ce qui est nécessaire pour qu'on parvienne à sa fin par ce moyen. À quoi est requise constance et sollicitude. Si ce par quoi on doit arriver à sa fin n'est pas disponible immédiatement, il faut investiguer ultérieurement par quel [moyen] on viendrait à en disposer. Et [faire] semblablement avec cet [autre], jusqu'à ce qu'on parvienne à la cause qui vient en premier dans l'exécution, et qui est la dernière découverte de la délibération. |
[73180] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 4 Deinde cum dicit: qui enim
consiliatur etc., manifestat quod dixerat per similitudinem inquisitionis
speculativae. Et dicit quod ideo causa quae est prima in operatione est
ultima in inventione, quia ille qui consiliatur videtur inquirere, sicut
dictum est, per modum resolutionis cuiusdam. Quemadmodum diagramma, id est
descriptio geometrica in qua qui vult probare aliquam conclusionem oportet
quod resolvat conclusionem in principia quousque pervenit ad principia prima
indemonstrabilia. Omne autem consilium est quaestio, idest inquisitio
quaedam, etsi non omnis quaestio, idest inquisitio, sit consilium,
sicut inquisitio mathematica. Sola enim inquisitio de operabilibus est
consilium. Et quia consilians resolutive inquirit, necesse est quod eius
inquisitio perducatur usque ad id quod est primum in operatione, quia illud
quod est ultimum in resolutione est primum in generatione sive in operatione.
|
476.- Il manifeste son affirmation par analogie à la recherche spéculative. Et il dit qu'il en est ainsi, que la cause, qui est première dans l'opération, est dernière dans la découverte, parce que celui qui délibère semble rechercher, comme on lia dit, selon le mode d'une certaine résolution. Tout comme dans la construction d'une figure, qui est un certain théorème de géométrie, où l'on veut prouver une conclusion, il faut résoudre la conclusion dans les principes jusqu'à ce qu’on atteigne les principes indémontrables. Or, toute délibération est un problème, c'est-à-dire une certaine recherche, bien que tout problème, c’est-à-dire toute recherche, ne soit pas une délibération, comme les recherches mathématiques, par exemple', En effet, seule la recherche sur les opérables est délibération, Et parce que celui qui délibère recherche selon le l’iode résolutif, il est nécessaire que sa recherche soit conduite jusqu'à ce qui est principe dans l'opération. Parce que ce qui est dernier dans la résolution est premier dans la génération ou dans l’opération. |
#476. — Ensuite (1112b20), il manifeste par une similitude avec l'investigation spéculative ce qu'il a dit. Il dit que la raison pour laquelle la cause, qui est première dans l'action, est la dernière découverte, c'est que celui qui délibère investigue manifestement, comme il a été dit, selon un mode de résolution. Il en va de même d'un diagramme, qui est une description géométrique dans laquelle celui qui veut prouver une conclusion doit résoudre cette conclusion à ses principes jusqu'à ce qu'il parvienne à des principes premiers indémontrables. Or toute délibération est une question, c'est-à-dire, une investigation, bien que toute question, c'est-à-dire, investigation, ne soit pas une délibération, comme l'investigation mathématique. C'est, en effet, la seule investigation sur ce qu'il y a à faire qui est une délibération. Et comme celui qui délibère investigue selon un mode résolutif, il est nécessaire que son investigation soit menée jusqu'à ce qui est principe dans l'action. Car ce qui est dernier dans la résolution est premier dans la génération ou dans l'action. |
[73181] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 5 Deinde cum dicit: et si
quidem etc., ostendit effectum consilii. Et primo ostendit propositum.
Secundo manifestat quaedam quae dicta sunt, ibi, quaeruntur autem quandoque
et cetera. Dicit ergo primo, quod postquam inquisitio consilii pervenerit ad
id quod oportet primum operari, si inveniant consiliantes illud esse
impossibile, discedunt, idest dimittunt totum illud negotium quasi
desperantes. Puta si ad negotium aliquod persequendum indiget homo pecuniis ad
dandum aliquibus et non possit eas dare, oportet dimittere negotium. Si autem
appareat quod sit possibile illud quod inventum est per consilium, statim
incipiunt operari: quia, ut dictum est, oportet esse primum in operatione id
ad quod terminatur resolutiva inquisitio consilii. Possibile autem dicitur
aliquid operanti non solum secundum propriam potentiam, sed etiam secundum
potentiam aliorum. Unde dicit quod possibilia sunt quae fiunt per nos, sub
quibus comprehenduntur ea quae fiunt per amicos, quia ea quae fiunt per
amicos aliqualiter fiunt per nos, in quantum scilicet principium horum est in
nobis prout ipsi intuitu nostri hoc faciunt. |
477. - Il montre l’effet du conseil, Et tout d'abord, il montre ce qu’il veut dire. En second, il manifeste quelques-uns de ses dires antérieurs. Il dit donc, en premier, qu'après que la recherche du conseil est parvenue à ce qu'il faut faire en premier lieu, si on trouve que ce premier moyen à poser est impossible, on s’arrête, c’est-à-dire on laisse tomber tout le travail par désespoir. Par exemple, si pour poursuivre une affaire commerciale quelqu'un a besoin de donner de l'argent et qu’il ne le peut pas, il faut simplement laisser tomber l'affaire, Si, cependant, on se rend compte que le moyen trouvé par le conseil est possible, on passe immédiatement à l’action: parce que, comme on l’a dit, il faut que soit premier (Jans l’opération ce à quoi s'est terminée la recherche résolutive de la délibération. Cependant, est possible pour chaque opérant, non seulement ce qu'il peut faire de lui-même, mais aussi ce qu’il peut faire à l'aide des autres. C'est pourquoi Aristote dit que le possible est ce qui peut être fait par les amis, Car ce qui est fait par les amis est, d'une certaine façon, fait par nous-mêmes, à savoir en tant que le principe de l'action est en nous, du fait que les amis le font par considération pour nous. |
#477. — Ensuite (1112b24), il montre l'effet de la délibération. En premier, il montre son propos. En second, il manifeste ce qui a été dit (1112b29). Il dit donc, en premier, que, après que l'investigation de la délibération soit parvenue à ce qu'il faut faire en premier, si ceux qui délibèrent trouvent que cela soit impossible, ils s'arrêtent, c'est-à-dire, laissent tomber toute leur entreprise, en en désespérant. Par exemple, si pour mener l'entreprise, on a besoin de donner des argents à des personnes et qu'on ne puisse le leur donner, il faut abandonner l'entreprise. Mais s'il apparaît que soit possible ce qu'on a découvert par la délibération, on commence aussitôt à agir: parce que, comme on l'a dit, il faut que vienne en premier dans l'action ce à quoi s'est terminée l'investigation résolutive de la délibération. Par ailleurs, on dit quelque chose possible pour celui qui agit, non seulement d'après sa propre capacité, mais aussi d'après la capacité d'autres. Aussi dit-il que le possible, c'est ce qui se fait par des amis. Car ce qui se fait par des amis se fait d'une certaine façon par nous, pour autant que le principe en est en nous, vu qu'ils le font motivés par nous. |
[73182] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 6 Deinde cum dicit
quaeruntur autem etc., manifestat quod dixerat; videlicet quae sunt illa
inquisita quae quandoque inveniuntur impossibilia, quandoque non. Et dicit
quod quandoque inquiruntur per consilium instrumenta, puta equus aut gladius.
Quandoque autem necessitas, idest opportunitas eorum, id est
qualiter oporteat eis uti; et ita etiam est in reliquis artibus: quod
quandoque quaeritur per quid aliquid fiat, quandoque autem qualiter vel
propter quid, quae pertinent ad necessitatem praedictam. |
478.- Il manifeste une de ses affirmations, c'est-à-dire quels sont les choses recherchées qui sont quelquefois possibles, quelquefois non, Et il dit que quelquefois on recherche par le conseil les instruments, à savoir le cheval ou le glaive; quelquefois leur nécessité, c'est-à-dire leur opportunité, c’est-à-dire la manière de s’en servir, Et il en est ainsi Gans tous les autres arts: on délibéra tantôt pour savoir par quel moyen faire quelque chose, tantôt de la manière ou comment le faire; ce qui appartient à la nécessité dont on vient de parler. |
#478. — Ensuite (1112b29), il manifeste ce qu'il a dit; à savoir, quels sont ces [objets] investigués qui parfois sont découverts possibles, parfois non. Il dit que, parfois, on découvre par la délibération des instruments, par exemple, un cheval ou une épée. Parfois, par ailleurs, leur nécessité, c'est-à-dire leur opportunité, c'est-à-dire, comment il faut en user. Il en va ainsi aussi dans les autres arts: que l'on cherche parfois par quoi faire quelque chose, parfois encore comment ou pourquoi, ce qui appartient à la nécessité dont on a parlé. |
[73183] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 7 Deinde cum dicit: videtur
autem, quemadmodum etc., ostendit quod sit terminus sive status in
inquisitione consilii. Et hoc quidem secundum tria. Primo quidem ex parte
ipsius operantis. Unde dicit quod sicut supra dictum est, homo est principium
suarum operationum. Consilium autem uniuscuiusque hominis est de his quae
sunt operabilia ab ipso. Et ideo quando inquisitio consilii pervenit ad id
quod homo habet in sua potestate, ut faciat, ibi terminatur consilium. |
479. - Il conclut ce qu’est le terme ou le point d'arrêt dans la recherche du conseil. Et cela à trois points de vue. En premier lieu, du côté de l'opérant lui-même. C'est pourquoi il dit que, comme on l'a dit plus haut, l’homme est le principe de ses actions, La délibération de chaque homme porte sur ce qu'il peut faire lui-même. C'est pourquoi, lorsque la recherche du conseil parvient à ce qu'il est en son pouvoir de faire, là se termine la délibération. |
#479. — Ensuite (1112b31), il conclut quel est le terme ou l'arrêt dans l'investigation de la délibération. Cela, bien sûr, d'après trois [critères]. En premier, certes, du côté de l'agent lui-même. D'où il dit que, comme il a été dit plus haut, on est principe de ses actes. D'ailleurs, la délibération de chacun porte sur ce qu'il peut faire lui-même. Aussi, quand l'investigation de la délibération est parvenue à ce qu'il est en son pouvoir de faire, là se termine la délibération. |
[73184] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 8 Secundo ibi: operationes
autem etc., ostendit quod consilium habet terminum vel statum ex parte finis.
Et dicit, quod operationes omnes sunt aliorum gratia, id est finium.
Unde de ipso fine non est consilium, sed de his quae sunt ad finem. Et sic
patet, quod status est in inquisitione consilii et ex parte finis et ex parte
agentis sicut in demonstrationibus, et in sursum et in deorsum, quasi ex
parte utriusque extremi. |
480.- Il montre que le conseil a un terme du côté de la fin. Et il dit que toutes les opérations sont en vue des fins. C’est pourquoi, il n'y a pas de délibération sur la fin elle-même, mais sur les moyens. Et ainsi il appert que le terme est, dans la recherche du conseil, et du côté de la fin et du côté de l'agent, comme dans les démonstrations, et en haut et en bas se tenant pour ainsi dire du côté des deux extrêmes. |
#480.
— En second (1112b33), il montre quel terme ou arrêt présente la délibération
du côté de la fin. Il dit que toutes les actions sont en vue d'autre chose,
c'est-à-dire de fins. Aussi n'y a-t-il pas de délibération de la fin même,
mais du moyen. Ainsi appert-il qu'il y a une fin dans l'investigation de la
délibération, à la fois du côté de la fin et du côté de l'agent, comme dans
les démonstrations, à la fois vers le haut et vers le bas, comme du côté de l'un
et de l'autre extrême. |
[73185] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 9 Tertio ibi: neque utique
singularia etc., ostendit quod est status in inquisitione consilii ex parte
singularium instrumentorum, quibus utimur in operationibus sicut quibusdam
mediis ad perveniendum in finem. Et dicit, quod neque etiam consilium est de
rebus singularibus, qualia sunt, puta, si hoc quod proponitur sit panis, vel
si est digestus, idest coctus, vel confectus sicut oportet. Hoc enim
discernit sensus. |
481.- En troisième, il montre le point d’arrêt dans la recherche du conseil du côté des instruments singuliers dont nous nous servons dans nos opérations comme de moyens pour réaliser la fin. Et il dit que le conseil ne porte pas non plus sur les choses singulières pour savoir ce qu'elles sont, par exemple, si ceci est du pain, ou s'il est cuit à point. C'est au sens qu'il appartient de connaître cela. |
#481. — En troisième (1112b34), il montre quel est l'arrêt dans l'investigation de la délibération, du côté des instruments singuliers dont nous usons dans nos œuvres, comme de certains moyens pour parvenir 91 à notre fin. Il dit qu'il n'y a pas de délibération sur les choses singulières, quant à comment elles sont, par exemple, si ce qui est proposé est du pain, ou s'il est prêt, c'est-à-dire, cuit, ou fait comme il faut. Cela en effet, c'est le sens qui le discerne. |
[73186] Sententia Ethic., lib. 3 l. 8
n. 10 Quod autem secundum haec
tria in consiliis sit status, sicut et in demonstrationibus, probat per
impossibile. Quia si aliquis semper consiliaretur, deveniret hoc in
infinitum, quod sub ratione non cadit, et per consequens neque sub consilio,
quod est quaedam ratiocinativa inquisitio, sicut dictum est. |
482.- Que par rapport à ces trois points de vue, il y ait arrêt dans la délibération, comme dans les démonstrations, il le prouve par l'absurde. Si on délibérait toujours, on irait à l’infini. Ce qui ne peut tomber sous les prises de la raison et par conséquent sous le conseil qui est une certaine recherche "ratiocinative," comme on l'a dit. |
#482. — Que, par ailleurs, il y ait arrêt dans les délibérations selon ces trois [critères], il le prouve par l'impossible. Car si on délibérait toujours, on irait en cela à l'infini, ce qui ne tombe pas sous la raison et, par conséquent, pas non plus sous la délibération, qui est une investigation de la raison, comme il a été dit. |
|
|
|
Lectio
9 |
Leçon 9 : [Comparaison conseil et élection] |
|
|
DANS CETTE LECON, ON COMPARE LE CONSEIL A L'ELECTION: ON MONTRE COMMENT ILS SONT DE QUELQUE FACON IDENTIQUES ET COMMENT L’UN PRECEDE L'AUTRE. |
|
[73187] Sententia Ethic., lib. 3 l. 9
n. 1 Consiliabile autem et
eligibile et cetera. Postquam philosophus determinavit de consilio absolute,
hic determinat de consilio per comparationem ad electionem. Et circa hoc duo
facit. Primo comparat consilium ad electionem. Secundo ex hoc concludit quid
sit electio, ibi: existente autem eligibili et cetera. Circa primum duo
facit: primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, quod
enim consilio, et cetera. Comparat ergo primo consilium ad electionem
dupliciter. Uno quidem modo quantum ad obiectum sive materiam utriusque in
quo conveniunt. Et quantum ad hoc dicit,
quod idem est consiliabile et eligibile; quia videlicet, tam consilium quam
electio est de his quae operamur propter finem; alio autem modo quantum ad
ordinem utriusque. Et quantum ad hoc dicit, quod quando iam determinatum est
aliquid per consilium, tunc primo eligitur, quasi consilio praecedente
electionem. |
483.- Après avoir traité du conseil de façon absolue, le Philosophe en traite ici par comparaison à l'élection. Ce qui se divise 'en deux parties. Dans la première, il compare le conseil à l'élection; dans la seconde, il conclut de la première partie ce qu’est l'élection. Dans la première partie, il propose tout d'abord ce qu'il veut traiter, puis il le prouve. Et donc, en premier, il compare la délibération à l'élection de deux façons. D'une première façon, il les compare quant à l'objet ou à la matière où elles se rencontrent. Et sous cet aspect, il dit que la matière de la délibération et de l'élection est la même: c'est que le conseil aussi bien que l'élection portent sur ce que l’on fait en vue d'une fin. D'une seconde façon, il les compare quant à leur position, quant à leur ordre. Et sous ce rapport, il dit que c'est lorsque quelque chose est déjà déterminé par la délibération qui il devient pour la première fois objet de1'élection, la délibération précédant l'élection pour ainsi dire. |
#483. — Après avoir traité absolument de la délibération, le Philosophe traite ici de la délibération par comparaison au choix. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare la délibération avec le choix (1113a2). En second, il conclut à partir de là ce qu'est le choix (1113a9). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. En second, il prouve son propos (1113a4). Il compare donc, en premier, la délibération au choix de deux manières. D'une manière, certes, quant à l'objet ou à la matière de l'un et de l'autre, en quoi ils conviennent. Quant à cela, il dit que c'est la même [chose] dont il y a à délibérer et à choisir; car tant la délibération que le choix portent sur le moyen. D'une autre manière, ensuite, quant à l'ordre de l'un et de l'autre. Quant à cela, il dit que, lorsque quelque chose a déjà été déterminé par la délibération, c'est alors seulement qu'on le choisit, la délibération précédant le choix. |
[73188] Sententia Ethic., lib. 3 l. 9 n. 2 Deinde cum dicit quod enim consilio etc., manifestat
quod dixerat. Et primo quidem per rationem sumptam ex his quae supra dicta
sunt de consilio. Et dicit, quod ideo determinatio consilii praecedit
electionem, quia oportet, quod post inquisitionem consilii sequatur iudicium
de inventis per consilium. Et tunc primo eligitur id quod prius est
iudicatum. Et quod iudicium rationis consequatur inquisitionem consilii,
manifestat per hoc, quod unusquisque qui inquirit consiliando qualiter debeat
operari, desistit a consiliando, quando inquisitionem suam resolvendo
perducit ad id quod ipse potest operari. Et si plura possit operari, quando
reduxerit in antecedens, idest in id quod ei primo operandum occurrit.
Et hoc est quod eligitur, id scilicet quod primo operandum occurrit. Unde
relinquitur quod electio praesupponit determinationem consilii. |
484.- Il manifeste son affirmation. Et tout d'abord par une raison tirée des considérations déjà faites sur la délibération. Il dit que la raison pour laquelle la détermination du conseil précède l’élection c'est qu'il faut que suive, après la recherche du conseil, le jugement sur ce qu'à trouvé la délibération. Et alors on choisit en premier ce qui fut jugé auparavant. Et que le jugement de la raison soit consécutif à la recherche de la délibération il le manifeste par le fait que tout homme qui recherche, en délibérant, comment il doit agir, cesse sa délibération quand il a ramené, par résolution, sa recherche à ce qu'il peut faire lui-même. Et s'il peut de lui-même faire plusieurs choses, sa délibération cesse lorsqu'il a ramené sa recherche à l’antécédent, c'est-à-dire à ce qu'il lui convient de faire en premier lieu. Voilà ce qui est choisi: ce qui se présente à faire en premier lieu. Il demeure donc que l'élection présuppose la détermination du conseil. |
#484. — Ensuite (1113a4), il manifeste ce qu'il a dit. D'abord, certes, par une raison tirée de ce qui a été dit plus haut de la délibération. Il dit que la raison pour laquelle la détermination de la délibération précède le choix, c'est qu'il faut, après l'investigation de la délibération, que suive un jugement sur ce qu'on a découvert par la délibération. C'est alors seulement qu'on choisit ce qu'on a d'abord jugé. Que le jugement de la raison suive l'investigation de la délibération, il le manifeste par cela que chacun qui investigue en délibérant de quelle manière il doit agir cesse de délibérer quand il pousse son investigation à la résolution de ce qu'il peut faire. Et s'il peut faire plusieurs [choses], [il pousse] jusqu'à ce qu'il ait résolu dans ce qui vient avant, c'est-à-dire, dans ce qu'il se trouve à devoir faire en premier. C'est cela qu'il choisit, à savoir, ce qu'il se trouve à devoir faire en premier. Aussi reste-t-il que le choix présuppose la détermination de la délibération. |
[73189] Sententia Ethic., lib. 3 l. 9
n. 3 Secundo ibi: manifestum
autem hoc etc., probat quod dixerat, per exemplum. Et dicit, quod hoc,
scilicet quod electio sequatur determinationem consilii, patet ex antiquis
urbanitatibus, idest ex consuetudine antiquarum civilitatum secundum quam
reges non habebant dominativam potestatem in multitudine, ut facerent omnia,
prout eis videretur; sed erant rectores multitudinis ad quam pertinebat
eligere ea quae a principibus consilio determinata erant. Et ideo dicit, quod
antiquitus reges annunciabant plebi ea quae ipsi elegerant per
determinationem sui consilii, ut scilicet plebs eligeret quod ab eis
determinatum erat. Et hoc secutus fuit Homerus, inducens principes Graecorum,
ea quae in consilio determinaverant plebi annunciantes. |
485.- Il prouve son affirmation par un exemple, Il dit que cela, à savoir que l'élection - doit suivre la détermination du conseil, est confirmé par les anciennes formes de gouverne, ment des cités, c'est-à-dire par la coutume des anciens pouvoirs politiques selon laquelle les rois n'avaient pas le pouvoir absolu sur les citoyens de faire tout ce qu'ils voulaient; mais ils étaient gouverneurs de la multitude à qui il revenait de choisir ce qui avait été déterminé par la délibération des chefs. C'est pourquoi il dit, qu'anciennement, les rois annonçaient au peuple ce qu'ilS avaient choisi de faire par décision de leur conseil pour que le peuple lui-même choisisse ce qu’ils avaient statué. Homère se conforme à cette coutume lorsqu'il demande aux chefs grecs d'annoncer au peuple ce qu'ils avaient statué en conseil. |
#485. — En second (1113a7), il prouve par un exemple ce qu'il a dit. Il dit que cela, à savoir, que le choix doit suivre la détermination de la délibération, devient évident à regarder les antiques cités, dans leur habitude selon laquelle les rois n'avaient pas un pouvoir dominatif sur la multitude au point de tout faire comme il leur semblait; mais ils dirigeaient la multitude, et c'est à elle qu'appartenait de choisir ce qui avait été déterminé par leurs princes en conseil. C'est pourquoi il dit que les rois de l'antiquité annonçaient au peuple ce qu'ils avaient choisi par la détermination de leur délibération, comme si le peuple choisissait parmi ce qui avait déterminé par eux. C'est ce qu'a suivi Homère, en présentant les princes des Grecs, qui annonçaient ce qui avait été déterminé en conseil. |
[73190] Sententia Ethic., lib. 3 l. 9
n. 4 Deinde cum dicit:
existente autem etc., ostendit ex praemissis quid sit electio. Et dicit, quod
cum eligibile nihil aliud sit, quam quiddam de numero eorum quae sunt in
nostra potestate quod ex consilio desideratur, consequens est, quod electio
nihil aliud sit, quam desiderium eorum quae sunt in nostra potestate, ex
consilio proveniens. Est enim electio actus appetitus rationalis, qui dicitur
voluntas. Ideo autem dixit electionem esse desiderium consiliabile, quia ex
hoc quod homo consiliatur pervenit ad iudicandum ea quae sunt per consilium
inventa ---, quod quidem desiderium est electio. |
486.- Il montre, à partir de là, ce qu'est l'élection. Et il dit, que puisque l'objet éligible est strictement du nombre des choses qui sont en notre pouvoir, lequel objet est considéré par le conseil, il s'ensuit que l'élection n’est rien d'autre que le désir, provenant du conseil, de ce qui est en notre pouvoir. En effet, l'élection est l'acte de l'appétit rationnel qu'on appelle volonté. C’est pourquoi aussi il dit que l'élection est un "désir délibéré", parce qu'il provient du fait que l'homme, en délibérant, parvient à juger ce qu'il a trouvé par délibération. Lequel désir est l'élection. |
#486. — Ensuite (1113a9), il montre à partir de ce qui a été dit ce qu'est le choix. Il dit que, comme l'objet du choix n'est rien d'autre qu'une chose du nombre de celles qui sont en notre pouvoir, qui est considérée par la délibération, il s'ensuit que le choix ne soit rien d'autre que le désir de ce qui est en notre pouvoir, prenant source dans la délibération. Le choix est, en effet, l'acte de l'appétit rationnel, qu'on appelle la volonté. C'est pourquoi il a dit ensuite que le choix est un désir délibérable, parce que c'est du fait que l'on délibère que l'on parvient à juger ce qu'on a trouvé par la délibération. Et c'est certes ce désir qui est le choix. |
[73191] Sententia Ethic., lib. 3 l. 9
n. 5 Ultimo autem ostendit
qualis sit praedicta diffinitio de electione data. Et dicit, quod nunc est
definita electio tipo, id est figuraliter, non secundum quod est
consuetum sibi determinare id quod est secundum subscriptionem, idest
secundum definitionem cuius singulae partes investigantur. Sed universaliter
tradita est definitio electionis. Et dictum est circa qualia sit, scilicet
circa ea quae sunt in nobis. Et supra etiam dictum est, quod est eorum quae
sunt ad finem, de quibus etiam est consilium. |
487.- Il montre la qualité de cette définition de l'élection. Et il dit que l'élection est actuellement définie de façon schématique; ce qui va contre sa manière habituelle de définir qui est analytique (secundum subscriptionem), c'est-à-dire selon la définition dont chacune des parties a été l'objet d’investigation. Mais il a donné globalement la définition de l'élection. On a donné sur quelle matière elle portait, c’est-à-dire sur ce qui relève de nous. Et plus haut on a aussi donné qu'elle portait sur les moyens, qui sont en même temps objet du conseil. |
#487. — En dernier (1113a12), il montre de quel ordre est la définition précédente donnée du choix. Il dit qu'on a maintenant défini le choix en gros, c'est-à-dire, figurément, non pas selon la façon qu'il lui 92 est habituel de déterminer quelque propos, c'est-à-dire, suivant une définition dont on investigue chaque partie singulière. Mais on transmet ici universellement la définition du choix. Il a été dit sur quelle sorte de choses il porte, à savoir, sur ce qui dépend de nous. Et il a été dit, plus haut, qu'il porte sur les moyens, et c'est aussi de quoi il y a délibération. |
|
|
|
Lectio
10 |
Leçon 10 : [L’objet de la volonté] |
|
|
IL REPOND A UNE QUESTION QUI SE DEDOUBLE D’APRES LES DIFFERENTES OPINIONS: CERTAINS CROYAIENT QUE LA VOLONTE NE PORTAIT QUE SUR LE BIEN EN SOI, D'AUTRES PENSAIENT QU’ELLE NE PORTAIT QUE SUR LE BIEN APPARENT. |
|
[73192] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 1 Voluntas autem quoniam
quidem finis et cetera. Postquam philosophus determinavit de voluntario et
electione, hic determinat de voluntate. Et circa hoc tria facit. Primo
proponit quod manifestum est de voluntate. Secundo inducit quamdam
dubitationem, ibi: videtur autem his quidem et cetera. Tertio solvit, ibi, si
autem utique, et cetera. Dicit ergo primo, quod dictum est supra, quod
voluntas sit ipsius finis. Et loquitur hic de voluntate secundum quod nominat
actum potentiae voluntatis. Cuiuslibet enim potentiae actus denominatus ab
ipsa potentia respicit id in quod potentia primo et per se tendit: sicut
visio dicitur actus potentiae visivae in ordine ad visibilia. Et per hunc
modum intellectus dicitur respectu primorum principiorum ad quae primo et per
se comparatur intellectiva potentia; unde et voluntas dicitur proprie ipsorum
finium, quos sicut principia quaedam primo et per se respicit potentia
voluntatis. |
488.- Après avoir déterminé le volontaire et l’élection, le Philosophe traite ici de la volonté. Ce qui est l'objet d'une triple réflexion. Il donne tout d'abord ce qui est déjà acquis sur la volonté. En second, il soulève une difficulté; en troisième, il donne la réponse. Il dit donc, en premier, que nous avons manifesté auparavant que la volonté portait sur la fin elle-même. Il parle actuellement de la volonté en tant qu'elle désigne un acte de la faculté-volonté. En effet, l'acte de n'importe quelle puissance se dénomme d'après la puissance elle-même et cet acte a comme objet ce vers quoi tend de soi et en premier lieu la puissance: ainsi on appelle vision l'acte de la puissance visuelle à l'égard des choses visibles. Et selon cette manière de dénommer, on appelle intelligence l'acte qui a pour objet les premiers principes qui de soi et en premier lieu se rapportent à la puissance intellectuelle. Et ainsi l’acte-volonté se dit proprement des fins elles-mêmes sur lesquelles porte, comme sur des principes, de soi et en premier lieu la puissance-volonté. |
#488. — Après avoir traité du volontaire et du choix, le Philosophe traite ici de la volonté. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose ce qui est manifeste à propos de la volonté (1113a15). En second, il introduit une difficulté (1113a15). En troisième, il la résout (1113a22). Il dit donc, en premier, qu'il a été dit, plus haut, que la volonté porte sur la fin même. Il parle ici de la volonté selon qu'elle nomme l'acte de la puissance [dite] volonté. En effet, l'acte de cette puissance est dénommé à partir de la puissance même et regarde ce vers quoi tend cette puissance en premier et par soi: comme la vue est appliquée à l'acte de la puissance visuelle en rapport aux [objets] visibles. De cette façon aussi, l'intellect intervient en regard des premiers principes, qui sont comparés par soi et en premier à la puissance intellective. De là, la volonté aussi s'applique proprement aux fins mêmes, que regarde la puissance de la volonté en premier et par soi, comme des principes. |
[73193] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 2 Deinde cum dicit: videtur
autem etc., inducit quamdam dubitationem. Et circa hoc tria facit. Primo enim
proponit contrarias opiniones circa voluntatem. Et dicit, quod quibusdam
videtur, quod voluntas sit eius quod est per se bonum; aliis autem videtur,
quod sit eius quod est apparens bonum. |
489. - Il soulève une difficulté. Et à ce propos, il fait trois choses. Il propose en effet, en premier, certaines opinions contraires sur la volonté. Et il dit que pour un certain nombre de philosophes, il semble que la volonté porte sur ce qui est bon en soi, tandis que pour d'autres il semble qu’elle porte sur le bien apparent. |
#489. — Ensuite (1113a15), il introduit une difficulté. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, en effet, il propose des opinions contraires à propos de la volonté. Il dit qu'il semble à certains que la volonté porte sur le bien par soi; qu'à d'autres, il semble qu'elle porte sur un bien apparent. |
[73194] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 3 Secundo ibi: contingit
autem etc., improbat primam positionem. Et dicit, quod illis qui dicunt quod
nihil est voluntabile, idest in quod fertur voluntas, nisi id quod est
per se bonum, sequitur quod non sit voluntabile quod vult ille qui non recte
vult. Quia secundum eorum positionem sequeretur, si esset voluntabile, quod
esset bonum. Contingit autem quandoque, quod est malum. Non ergo semper
voluntas est per se boni. |
490.- Il rejette la première théorie. Il dit que pour ceux qui affirment que l’objet de la volonté n’est que ce qui est bon en soi, il s'ensuit que ce qu'on ne veut pas correctement (avec rectitude) n'est pas objet de la volonté. Car, d’après la position qu'ils tiennent, si la chose était un objet de la volonté il s’ensuivrait du coup qu'elle serait un bien. Or, il arrive quelquefois que l’objet est un mal. Donc, la volonté ne porte pas toujours sur ce qui est en soi un bien. |
#490. — En second (1113a17), il réprouve la première position. Il dit que, si l'on dit que rien n'est objet de volonté, c'est-à-dire, que la volonté y porte, à moins d'être bon par soi, il s'ensuit que ne soit pas objet de volonté ce que l'on veut non correctement. Car selon cette position il s'ensuivrait, si c'était objet de volonté, que ce serait bon. Or il arrive parfois que c'est mauvais. La volonté ne porte donc pas toujours sur un bien par soi. |
[73195] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 4 Tertio ibi: rursus autem
etc., improbat secundam positionem. Et dicit, quod illis, qui dicunt quod
voluntabile sit apparens bonum, sequitur, quod nihil sit secundum naturam
voluntabile, sed unicuique sit voluntabile id quod sibi videtur. Diversis
autem diversa videntur voluntabilia, et quandoque contraria. Sicut si non
esset visibile color, sed id quod videtur color, sequeretur quod nihil esset
naturaliter visibile. Hoc autem est inconveniens. Quia cuiuslibet potentiae
naturalis est aliquod obiectum naturaliter determinatum. Non ergo verum est,
quod voluntas sit apparentis boni. |
491.- Il rejette la position des autres. Il dit que pour ceux qui affirment que l’objet de la volonté est un bien apparent il s’ensuit qu’il n'y a rien qui soit par nature objet de la volonté mais que l’objet de la volonté est pour chacun ce qui lui semble bon. Cependant à différentes personnes ce sont des choses diverses, et quelquefois contraires, qui semblent objets de la volonté. Ainsi, si la couleur n'était pas visible, mais ce qui semble être une couleur, il s'ensuivrait qu'il n’y aurait rien de visible par nature. Ce qui est absurde, Car chaque puissance naturelle a un objet naturellement déterminé. Il n’est donc pas vrai que la volonté a comme objet un bien apparent. |
#491. — En troisième (1113a20), il réprouve la seconde position. Il dit que si l'on dit que l'objet de volonté est le bien apparent, il s'ensuit que rien n'est par nature un objet de volonté, mais qu'est pour chacun objet de volonté ce qui lui paraît [bon]. Or ce sont des [choses] différentes qui paraissent objets de volonté pour des [personnes] différentes, et parfois des [choses] contraires. De même, si ce n'était pas la couleur qui était visible, mais ce qui semble de la couleur, il s'ensuivrait que rien ne serait naturellement visible. Mais cela ne convient pas. Parce que, pour n'importe quelle puissance naturelle, il y a un objet naturellement déterminé. Ce n'est donc pas vrai que la volonté porte sur le bien apparent. |
[73196] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 5 Deinde cum dicit: si autem
utique haec etc., solvit praedictam dubitationem. Et primo ponit solutionem
secundum quamdam distinctionem. Et dicit quod si dicta inconvenientia quae
consequuntur ad ambas praedictas opiniones non acceptantur, dicendum est
distinguendo, quod simpliciter et secundum veritatem voluntabile est per
se bonum, sed secundum quid, id est per respectum ad hunc vel ad illum,
est voluntabile id quod ei videtur bonum. |
492.- Il résout la difficulté précédente. Et, en premier, il pose la solution selon une certaine distinction, Il dit que si ces conséquences assez absurdes des deux positions précédentes ne sont pas acceptables, il faut dire, en posant une distinction, que, en soi et relativement, c'est-à-dire par rapport à celui-ci et à celui-là, l'objet de la volonté est ce qui lui semble bon. |
#492. — Ensuite (1113a22), il résout la difficulté qui précède. En premier, il pose la solution d'après une distinction. Il dit que, si les inconvénients mentionnés, qui s'ensuivent des deux opinions qui précèdent, ne sont pas reçus, on doit concéder, mais en distinguant [pour chacun] ce qui [l'est] simplement ou sous quelque rapport, c'est-à-dire, en regard d'un tel ou un tel, qu'est objet de volonté ce qui paraît bon à chacun. |
[73197] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 6 Secundo ibi: studioso
quidem etc., ostendit cui conveniat utrumque membrum distinctionis
praemissae. Et dicit quod studioso, id est virtuoso, est voluntabile id quod
est voluntabile secundum veritatem, idest simpliciter bonum: sed pravo,
id est vitioso homini, est voluntabile quod contingit, id est quicquid
sit illud indeterminate, quod sibi videtur bonum. Et adhibet exemplum in
corporalibus. Videmus enim, quod hominibus quorum corpora sunt bene
disposita, sunt sana illa quae secundum veritatem sunt talia. Sed infirmis sunt
sana quaedam alia, quae scilicet sunt temperativa malitiae complexionis
eorum. Similiter etiam amara et dulcia
secundum veritatem videntur illis qui habent gustum bene dispositum, et
calida his qui habent tactum bene dispositum, et gravia bene diiudicant illi,
qui habent virtutem corporalem bene dispositam. His enim qui sunt debiles
etiam levia videntur gravia. |
493.- Il montre à qui convient l’un ou l’autre membre de la distinction précédente. Et il dit que pour le vertueux est objet de la volonté ce qui est objet en vérité, c'est-à-dire ce qui est bon en soi; mais pour le dépravé, c’est-à-dire pour le vicieux, est objet de la volonté n'importe quoi: tout ce qui, sans plus de précision possible, lui semble bon. Il apporte un exemple dans les choses corporelles. Pour les bonnes constitutions est sain ce qui est vraiment sain. Pour les malades, est sain autre chose, à savoir ce qui apporte un adoucissement à leur constitution maladive, Pareillement, ce qui est amer et doux en vérité apparaît ainsi à ceux qui ont le sens du goût en bon état. Et ce qui est vraiment chaud se manifeste ainsi à ceux qui ont le sens du toucher bien disposé. Et ceux-là jugent bien de la lourdeur qui ont une force physique bien équilibrée. Ceux qui sont faibles jugeront que les corps légers sont lourds. |
#493. — En second (1113a25), il montre à qui convient l'un et l'autre membre de la distinction précédente. Il dit que, pour la [personne] honnête, cela est objet de volonté qui est objet de volonté en vérité, c'est-à-dire, simplement bon; mais [que], pour le méchant, c'est-à-dire, le vicieux, cela est objet de volonté, qui lui adonne: c'est-à-dire, n'importe quoi indéterminément qui lui paraît bon. Il apporte un exemple dans les [choses] corporelles. Nous voyons, en effet, que, pour les gens dont les corps sont bien disposés, sont saines les [choses] qui sont telles en vérité. Mais [que], pour les malades, sont saines d'autres [choses] qui, de fait, viennent tempérer les malices de leur complexion. De manière similaire aussi, ce qui est amer et doux paraît en sa vérité à ceux qui ont le goût bien disposé, et ce qui 93 est chaud pour ceux qui ont le toucher bien disposé, et de ce qui est lourd jugent bien ceux qui ont la vertu corporelle bien disposée. Mais, à ceux qui sont faibles, ce qui est léger paraît lourd. |
[73198] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 7 Tertio ibi: studiosus enim
etc., manifestat quod dixerat. Et primo quantum ad virtuosos. Et dicit, quod
virtuosus singula, quae pertinent ad operationes humanas, recte diiudicat et
in singulis videtur ei esse bonum id quod vere est bonum. Et hoc ideo quia
unicuique habitui videntur bona et delectabilia ea quae sunt ei propria,
idest ea quae ei conveniunt. Habitui autem virtutis conveniunt ea quae sunt
secundum veritatem bona. Quia habitus virtutis moralis definitur ex hoc quod
est secundum rationem rectam; et ideo ea quae sunt secundum rationem, quae
sunt simpliciter bona, videntur ei bona. Et in hoc plurimum differt studiosus
ab aliis, quod in singulis operabilibus videt quid vere sit bonum, quasi
existens regula et mensura omnium operabilium. Quia scilicet in eis
iudicandum est aliquid bonum vel malum secundum quod ei videtur. |
494.- Il manifeste son affirmation. En premier, par rapport au vertueux. Et il dit que le vertueux porte, sur chaque cas qui relève de l'opération humaine, un jugement droit. Dans chaque cas, une chose lui parait bonne qui l'est en vérité. Et cela parce qu'à chaque habitus paraît agréable ses objets propres, c'est-à-dire ce qui lui convient. Or, à l'habitus vertueux convient ce qui est bon en réalité. Parce que l'habitus de la vertu morale se définit par le fait qu'il est conforme à la raison droite. C'est pourquoi, ce qui est conforme à la raison droite, et qui est bon en soi, lui semble bon. Et la caractéristique qui distingue le mieux de tous les autres le vertueux c'est que dans chaque objet d'opération il voit ce qui est vraiment bon étant, pour ainsi dire, la règle et la mesure de tous les opérables. C'est que dans tous ces cas, il faut juger que quelque chose est bon ou mauvais d'après ce qu'il lui semble. |
#494. — En troisième (1113a29), il manifeste ce qu'il a dit. En premier, quant à ceux [qui sont] vertueux. Il dit que le vertueux juge correctement des singuliers qui concernent les opérations humaines. Une à une, en effet, les [choses] lui semblent bonnes, qui sont vraiment bonnes. La raison en est qu'à chaque habitus, paraît naturellement plaisant ce qui lui est propre, c'est-à-dire, ce qui lui convient. Or, à l'habitus de vertu, c'est ce qui est bon en vérité qui convient. Car l'habitus de vertu morale se définit par ce qui est conforme à la raison droite. Aussi, ce qui est conforme à la raison, et cela est bon simplement, lui paraît bon. C'est en cela que l'[homme] honnête diffère le plus des autres, que, dans chaque chose à faire, il voit ce qui est vraiment bon, comme s'il était la règle et mesure de toutes choses à faire. C'est qu'en elles on doit juger quelque chose bon ou mauvais selon qu'il lui semble. |
[73199] Sententia Ethic., lib. 3 l. 10
n. 8 Secundo ibi: multis autem
etc., manifestat quod dixerat quantum ad pravos. Et dicit quod multis,
scilicet pravis, deceptio in discretione boni et mali accidit praecipue
propter delectationem. Ex qua contingit quod delectabile quod non est bonum
desiderent tamquam bonum, et aliquid tristabile ipsis, quod in se est bonum,
fugiant tamquam malum. Quia scilicet non sequuntur rationem, sed appetitum
sensitivum. |
495.- Il manifeste son affirmation par rapport aux vicieux. Il dit que pour un grand nombre, à savoir les vicieux, l'erreur dans le discernement du bien et du mal vient principalement du plaisir. C'est à cause du plaisir qu'ils désirent comme bon l'objet du plaisir qui n'est pas vraiment bon, et qu'ils fuient comme mal ce qui est bon en soi mais déplaisant ou peinant pour eux. C'est parce qu'ils ne suivent pas la raison, mais leur sens. |
#495. — En second (1113a33), il manifeste ce qu'il a dit quant aux méchants. Il dit que, pour la plupart, à savoir, pour les méchants, l'erreur dans le discernement du bien ou du mal se produit principalement à cause du plaisir. C'est à cause de lui qu'il arrive qu'ils désirent comme un bien ce qui est plaisant, mais n'est pas bon, et qu'ils répugnent comme à un mal à quelque chose qui leur donne de la tristesse, mais qui en soi est un bien. Car ils ne suivent pas la raison, mais le sens. |
|
|
|
Lectio
11 |
Leçon 11 : [La vertu et le vice sont au pouvoir de l’homme] |
|
|
LA VERTU ET LE VICE SONT EN NOTRE POUVOIR: AUSSI BIEN QUANT AUX OPERATIONS QUE QUANT AUX HABITUS. |
|
[73200] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 1 Existente utique et
cetera. Postquam philosophus determinavit de voluntario, electione et
consilio et voluntate quae sunt principia humanorum actuum, hic applicat ea
quae dicta sunt ad vitia et virtutes. Et circa hoc tria facit. Primo
determinat veritatem. Secundo excludit errorem, ibi, dicere autem quod nullus
volens et cetera. Tertio epilogat quae dicta sunt de virtutibus, ibi,
communiter quidem igitur et cetera. Circa primum tria facit. Primo secundum ea
quae dicta sunt ostendit virtutem esse in nobis, idest in potestate nostra. Secundo ostendit idem de malitia, ibi, similiter autem
et cetera. Tertio ostendit consequentiae rationem, ibi, si autem in nobis et
cetera. Dicit ergo primo, quod cum voluntas sit de fine, consilium autem et
electio de his quae sunt ad finem, consequens est quod operationes quae sunt
circa haec, scilicet circa ea quae sunt ad finem, sint secundum electionem,
et per consequens quod sint voluntariae, quia electio voluntarium quoddam
est, ut supra dictum est. Sed operationes virtutum sunt circa praedicta. Ergo
sunt voluntariae. Et per consequens oportet quod etiam ipsa virtus sit
voluntaria et in nobis, idest in potestate nostra existens. |
496.- Après avoir déterminé le volontaire, l'élection, le conseil et la volonté, qui sont principes des actes humains, le Philosophe applique ici aux vices et aux vertus la doctrine établie à leur sujet. Ce qu'il divise en trois parties. Dans la première, il établit la vérité. Dans la seconde, il réfute une erreur. Dans la troisième, il résume en conclusion la doctrine sur les vertus. La première partie a trois points. Dans le premier, il montre, d'après la doctrine précédente, que la vertu est en notre pouvoir. Dans le second, il fait la même considération au sujet du vice. Le troisième point donne la raison de la conséquence qu'il tire, de l'application qu'il fait. Il dit donc en premier que, puisque la volonté porte sur la fin, le conseil et l'élection, eux, portent sur les moyens, il en découle que les opérations qui portent sur les moyens viennent de l'élection et que, par conséquent, elles soient volontaires. Car l'élection est volontaire, comme on l'a vu précédemment. Mais les opérations des vertus ont pour objet les moyens. Donc elles sont volontaires. Il faut par conséquent que la vertu aussi soit volontaire et en nous, c'est-à-dire en notre pouvoir. |
#496. — Après avoir traité du volontaire, du choix et de la délibération, et de la volonté, qui sont les principes des actes humains, le Philosophe applique ici aux vices et aux vertus ce qui a été dit. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier (1113b3), il traite de la vérité. En second (1113b14), il exclut une erreur. En troisième (1114b26), il conclut ce qui a été dit des vertus. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre, d'après ce qui a été dit, que la vertu est en nous, c'est-à-dire, en notre pouvoir. En second (1113b6), il montre la même [chose] à propos de la malice. En troisième (1113b3), il montre la raison de la conséquence. Il dit donc, en premier, que, comme la volonté porte sur la fin, tandis que la délibération et le choix [portent] sur les moyens, il s'ensuit que les actions qui portent là-dessus, à savoir, sur les moyens, se font d'après un choix et, par conséquent, sont volontaires. C'est que le choix est volontaire, comme il a été dit plus haut (#434-436; 457). Or les opérations des vertus portent justement là-dessus. Elles sont donc volontaires. Par conséquent, la vertu même doit être volontaire et en nous, c'est-à-dire, se trouver en notre pouvoir. |
[73201] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 2 Deinde cum dicit:
similiter autem etc., ostendit idem de malitia, id est de vitio virtuti opposito.
Et dicit quod simili ratione etiam malitia est voluntaria et in nobis
existens, quia operationes eius sunt tales. Et hoc sic probat: quia si
operari est in potestate nostra, oportet etiam quod non operari sit in
potestate nostra. Si enim non operari non esset in potestate nostra,
impossibile esset nos non operari: ergo necesse esset nos operari: et sic
operari non esset ex nobis, sed ex necessitate. Et similiter dicit quod in
quibus rebus non operari est in potestate nostra, consequens est quod etiam
operari sit in potestate nostra. Si enim operari non esset in potestate
nostra, impossibile esset nos operari. Ergo necesse esset nos non operari: et
sic non operari non esset ex nobis, sed ex necessitate. |
497.- Il montre qu'il en est de même pour le vice, c'est-à-dire du vice opposé à la vertu. Il dit que, pour la même raison, le vice est volontaire et en notre pouvoir, parce que ses opérations ont la même qualité. Ce qu'il prouve ainsi: si l'agir est en notre pouvoir, il faut aussi qu'il soit en notre pouvoir de ne pas agir. En effet, s'il n'était pas en notre pouvoir de ne pas agir, il serait impossible pour nous de ne pas agir et, ainsi, l'opération ne serait pas de nous, mais par nécessité. Et, pareillement, là où le fait de ne pas agir est en notre pouvoir, il s'ensuit que l'agir aussi soit en notre pouvoir. En effet, si l'agir n'était pas en notre pouvoir, il nous serait impossible d'agir. Donc, il serait nécessaire pour nous de ne pas agir: et ainsi il ne relèverait pas de nous de ne pas agir, mais de la nécessité. |
#497. — Ensuite (1113b6), il montre la même [chose] à propos de la malice, c'est-à-dire, à propos du vice opposé à la vertu. Il dit que, pour une raison semblable, la malice est volontaire et se trouve en nous, parce que leurs opérations sont de même. Cela, il le prouve ainsi: parce que si agir est en notre pouvoir, il faut bien que ne pas agir soit aussi en notre pouvoir. Si, en effet, ne pas agir n'était pas en notre pouvoir, il nous serait impossible de ne pas agir: il nous serait nécessaire alors d'agir: ainsi, agir ne procéderait pas de nous, mais de la nécessité. Pareillement, il dit qu'en [matière] où ne pas agir est en notre pouvoir, agir aussi, par conséquent, est en notre pouvoir. Si, en effet, agir n'était pas en notre pouvoir, il nous serait impossible d'agir. Il nous serait nécessaire alors de ne pas agir: ainsi, ne pas agir ne procéderait pas de nous, mais de la nécessité. |
[73202] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 3 Sic ergo dicendum est quod
in quibuscumque rebus affirmatio est in nobis, et negatio, et e converso.
Operationes autem virtutum et vitiorum, differunt secundum affirmationem et
negationem. Puta si honorare parentes est bonum et actus virtutis, non
honorare parentes est malum et ad vitium pertinens. Et si non furari pertinet
ad virtutem, furari pertinet ad vitium. Unde consequens est quod si operatio
virtutum est in nobis, ut probatum est, quod etiam operatio vitii sit in
nobis. Et
ita per consequens ipsum vitium erit in nobis, id est in potestate
nostra. |
498.- Ainsi donc il faut dire qu'en toutes choses l'affirmation est en notre pouvoir, et la négation. L'inverse aussi est en notre pouvoir. Or, les opérations des vertus et des vices diffèrent selon l'affirmation et la négation. Par exemple, si honorer ses parents est bon et un acte de vertu, ne pas les honorer est mauvais et appartient au vice. Et si ne pas voler appartient à la vertu, voler appartient au vice. Il s'ensuit donc que si l'opération de la vertu est en notre pouvoir, comme on l'a prouvé, l'opération aussi du vice le soit. Et, par conséquent, le vice lui-même est en nous, c'est-à-dire en notre pouvoir. |
#498. — Ainsi, il faut donc dire que, partout où l'affirmation est en nous, la négation aussi; en sens inverse aussi. Or les opérations des vertus et des vices diffèrent selon l'affirmation et la négation. Par exemple, si honorer ses parents est bon et un acte de vertu, ne pas honorer ses parents est mauvais et appartient au vice. Et si ne pas voler appartient à la vertu, voler appartient au vice. Aussi s'ensuit-il, si, comme cela a été prouvé, l'opération des vertus est en nous, que l'opération du vice est aussi en nous. Ainsi, par conséquent, le vice était lui aussi en nous, c'est-à-dire, en notre pouvoir. 94 |
[73203] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11 n. 4 Deinde cum dicit: si autem in nobis etc., assignat
rationem praedictae consequentiae: scilicet quod si operationes sint in
nobis, quod et habitus sint in nobis. Et dicit quod si in potestate nostra
est operari vel non operari bona vel mala, ut nunc ostensum est, quum per hoc
quod homo operatur vel non operatur bonum vel malum, fiat bonus vel malus, ut
in secundo ostensum est, consequens est quod in potestate nostra sit esse decentes,
id est bonos secundum habitum virtutis, et pravos secundum habitum vitii. |
499.- Il donne la raison de la conséquence précédente, à savoir que si les opérations sont en notre pouvoir, les habitus aussi le sont. Et il dit que s'il est en notre pouvoir de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal, comme on vient de le montrer, il est par conséquent en notre pouvoir d'être bons selon l'habitus de vertu ou mauvais selon l'habitus du vice: c'est par ses opérations bonnes ou mauvaises que l'homme devient bon ou mauvais, comme on l'a démontré dans le second livre. |
#499. — Ensuite (1113b3), il donne la raison de la conséquence qui précède: si des opérations sont en nous, leurs habitus sont aussi en nous. Il dit que, comme on vient de le montrer, il est en notre pouvoir de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal; que, de plus, comme on l'a montré au second [livre], on devient bon ou mauvais du fait de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal; il s'ensuit donc qu'il soit en notre pouvoir d'être corrects, c'est-à-dire, bons, avec l'habitus de la vertu, et méchants, avec l'habitus du vice. |
[73204] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 5 Deinde cum dicit: dicere
autem quod nullus etc., excludit errorem circa praedicta. Et primo excludit
ipsum errorem. Secundo radices eius, ibi, sed forsitan talis et cetera. Circa
primum tria facit: primo proponit erroris exclusionem. Secundo movet super
hoc dubitationem, ibi, vel in nunc dictis et cetera. Tertio determinat
veritatem, ibi, si autem haec videntur et cetera. Circa primum considerandum
est, quod quidam dixerunt quod nullus est malus volens, neque aliquis est
beatus vel bonus nolens; quod ideo dicebant quia voluntas per se tendit in
bonum. Nam bonum est quod omnia appetunt, et per consequens voluntas per se
refugit malum. Dicit ergo quod unum horum verisimiliter apparet esse
mendacium, scilicet quod nullus sit malus volens, quia malitia est quiddam
voluntarium; alterum autem videtur esse verum, scilicet quod nullus sit
beatus vel bonus nolens. |
500.- Il rejette une erreur qui touche à la doctrine précédente. Et tout d'abord, il réfute l'erreur elle-même puis, en second, il 11attaque dans ses racines. Sa première considération se subdivise en trois points: il expose le rejet de l'erreur, il relève sur ce sujet une difficulté, il détermine la vérité. En ce qui concerne le premier point, il faut considérer que certains ont affirmé que personne n'est mauvais volontairement, ni bienheureux ou bon involontairement (contre sa volonté). Ce qu'ils affirmaient parce que la volonté tend de soi au bien. En effet, le bien est ce que toutes choses désirent et, par conséquent, la volonté de soi fuit le mal. Il dit donc que l'une des précédentes affirmations apparaît vraisemblablement comme mensongère, à savoir que personne n'est vicieux volontairement, parce que le vice est un certain volontaire. L'autre pourtant semble vraie, à savoir que personne n'est bon ou bienheureux involontairement (malgré lui sans le vouloir.) |
#500. — Ensuite (1113b14), il exclut une erreur sur ce qui précède. En premier, il exclut l'erreur elle-même. En second (1114a3), ses racines. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente l'exclusion de l'erreur. En second (1113b17), il soulève une difficulté à ce [propos]. En troisième (1113b19), il établit la vérité. Sur le premier [point], il est à considérer qu'on a prétendu que personne n'est malveillant, ni personne heureux ou bon malgré lui; la raison invoquée était que la volonté tend par soi au bien. En effet, le bien est ce que tous désirent; par conséquent, la volonté répugne par soi au mal. Il dit donc que l'un de ces [énoncés] paraît vraisemblablement faux, à savoir, que personne ne soit malveillant, parce que la malice est quelque chose de volontaire. L'autre, par ailleurs, est manifestement vrai, à savoir, que personne ne soit bon et heureux malgré lui. |
[73205] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 6 Deinde cum dicit vel in
nunc dictis etc., movet dubitationem circa praedicta. Si enim verum est quod
actiones virtutum et vitiorum sint voluntariae, et per consequens virtus et
malitia, planum est verum esse quod nunc dictum est. Sed numquid est aliquis
qui credat esse dubitandum de praedictis, ita quod dicat hominem non esse
principium suorum operum neque genitorem per modum quo pater est principium
filiorum? Quasi dicat: mirum est si aliquis hoc dicat. |
501.- Il soulève une difficulté sur la question précédente. Si, en effet, il est vrai que les actions des vertus et des vices sont volontaires, et par conséquent le vice et la vertu, il est clair que ce qu'on vient de dire est vrai. Mais y aurait-il quelque part quelqu'un pour croire qu'il faut douter de ce qu'on a dit et qui dirait donc que l'homme n'est pas principe et père de ses actions, comme le père est principe de ses enfants? C'est comme si Aristote disait: Il serait étonnant d'entendre quelqu'un parler ainsi. |
#501. — Ensuite (1113b17), il soulève une difficulté sur ce qui précède. S'il est vrai, en effet, que les opérations des vertus et des vices sont volontaires, et aussi, par conséquent, la vertu et la malice, il est manifeste que ce que l'on vient de dire est vrai. Mais n'y a-t-il pas quelqu'un pour croire qu'il y ait lieu de douter sur ce qui précède, au point de dire que l'on n'est pas principe de ses opérations, ni leur géniteur, comme le père est le principe de ses fils? Comme s'il disait: c'est étonnant, si quelqu'un parle ainsi. |
[73206] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 7 Deinde cum dicit: si autem
haec videntur etc., confirmat veritatem. Et primo per rationem. Secundo per
signa, ibi, his autem videntur et cetera. Dicit ergo primo quod, si haec, scilicet
consilium et electio et voluntas, quae sunt in potestate nostra, videntur
esse principia operationum nostrarum, et non possumus reducere operationes
nostras in alia principia nisi in ea quae sunt in potestate nostra, scilicet
consilium et electio, consequens est quod etiam operationes nostrae bonae vel
malae sint in potestate nostra. Quia illa quorum principia sunt in potestate
nostra, et ipsa sunt in potestate nostra, et sunt voluntaria. |
502.- Il confirme la vérité de son dire. Et en premier, par une preuve de raison; en second, par des signes. Il dit donc, en premier, que si cela, à savoir le conseil et l'élection et la volonté, qui sont en notre pouvoir, semble être les principes de nos actions et si nous ne pouvons réduire nos opérations à d'autres principes que ceux qui sont en notre pouvoir, à savoir le conseil et l'élection, il s'ensuit que nos opérations bonnes ou mauvaises sont en notre pouvoir. Parce que ce dont les principes sont en notre pouvoir est lui-même en notre pouvoir et est volontaire. |
#502. — Ensuite (1113b19), il établit la vérité. En premier, par une raison. En second (1113b21), par des signes. Il dit donc, en premier, que si cela, à savoir, la délibération, le choix et la volonté, qui sont en notre pouvoir, sont manifestement des principes de nos actions, et que nous ne pouvons pas réduire nos actions à d'autres principes qu'à ce qui est en notre pouvoir, à savoir, la délibération et le choix, il s'ensuit que nos bonnes ou mauvaises actions soient en notre pouvoir. Parce que cela dont les principes sont en notre pouvoir est lui aussi en notre pouvoir, et est volontaire. |
[73207] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 8 Deinde cum dicit: his
autem videntur etc., manifestat propositum per signa. Et primo in his quae
manifeste sunt voluntaria. Secundo in his quae videntur aliquid de
involuntario habere, ibi, etenim in ipso ignorare et cetera. Dicit ergo
primo, quod his quae dicta sunt, scilicet quod operationes virtutum et
vitiorum sint in nobis, videntur attestari propria quae fiunt a singulis
privatis personis. Quilibet enim paterfamilias punit filium vel servum male
agentem. Et similiter attestantur ea quae fiunt a legislatoribus qui habent
curam reipublicae; ipsi enim puniunt levius vel cruciant gravius eos qui
operantur mala, dum tamen non faciant hoc per violentiam vel propter
ignorantiam, cuius scilicet ignorantiae ipsi non sunt causa. Si enim per vim
aut ignorantiam operarentur, non essent eorum opera voluntaria, ut ex
supradictis patet. Unde manifestum est quod puniunt eos tamquam voluntarie
operantes. |
503.- Il manifeste son énoncé par des signes. Et tout d'abord dans les actions qui manifestement sont volontaires. En second, dans les cas qui semblent comporter de l'involontaire. Il dit donc en premier que son avancé, à savoir que les opérations des vertus et des vices sont en notre pouvoir, semble recevoir le témoignage de la conduite privée de chacun. Tout père de famille punit son fils ou son esclave qui agit mal, Et pareillement, la manière d’agir des législateurs qui ont la charge de la chose publique témoigne dans le même sens: ils punissent de peines légères ou graves ceux qui font le mal, du moment qu’ils ne le font pas par contrainte ou ignorance, ignorance bien entendu dont ils ne sont pas eux-mêmes la cause. Car s’ils agissent par violence ou par ignorance, leurs actions ne sont pas volontaires, comme il est évident par le début de ce livre. Il est donc manifeste que les législateurs les punissent en tant qu’ils agissent volontairement. |
#503. — Ensuite (1113b21), il manifeste son propos par des signes. En premier, en ce qui est manifestement volontaire. En second (1113b30), en ce qui a manifestement quelque chose d'involontaire. Il dit donc, en premier, que, de ce qui a été dit, à savoir, que les opérations des vertus et des vices sont en nous, témoigne manifestement ce qui se fait en propre par des personnes singulières privées: n'importe quel père de famille, en effet, punit son fils ou son serviteur, lorsqu'il agit mal. En témoigne de pareille manière ce qui se fait par les législateurs en charge de la chose publique; eux-mêmes, en effet, punissent plus légèrement ou soumettent à un supplice plus grave ceux qui agissent mal, quand, cependant, ils ne le font pas par violence, ou par une ignorance dont ils ne soient pas eux-mêmes la cause. Car s'ils agissaient par force ou par violence, leurs actes ne seraient pas volontaires, comme il appert de ce qui a été dit plus haut (#400-405). Aussi est-il manifeste qu'ils les punissent dans la mesure où ils agissent volontairement. |
[73208] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 9 Et similiter honorant
operantes bona voluntarie: quasi per honores provocantes bonos ad bona et per
poenas prohibentes malos a malis. Nullus autem provocat aliquem ad operandum
ea quae non sunt in potestate nostra neque voluntaria. Quia in talibus suasio
ante opus est omnino inutilis. Sicut si aliquis suadeat alicui ut in aestate
non calefiat vel in infirmitate non doleat vel subtractis cibis non esuriat,
vel si aliquid aliud est tale quod non sit in potestate nostra, quia nihil
minus propter suasionem pateremur haec. Si ergo non provocamur ad ea quae non
sunt in nobis, provocamur autem ad faciendum bona et vitandum mala,
consequens est quod ista sint in nobis. |
504.- Pareillement, ils honorent ceux qui font le bien volontairement. Leur intention est sans doute d'encourager par là les bons à faire le bien et de retenir les mauvais du mal. Or personne n’encourage quelqu'un à faire ce qui n'est pas en son pouvoir et volontaire. Car dans de tels cas, la persuasion avant l'action est tout à fait inutile. Ainsi, si on persuade quelqu’un de ne pas avoir chaud en été ou de ne pas souffrir dans la maladie ou de ne pas avoir faim quand il nia rien mangé (depuis un bon bout de temps), ou quelque chose de la sorte qui n'est pas en son pouvoir: la persuasion n'empêchera pas de souffrir tout cela. Si donc on ne nous pousse pas à ce qui n'est pas en notre pouvoir et que pourtant on encourage à faire le bien et éviter le mal, il s’ensuit que ce dernier cas est en notre pouvoir. |
#504. — De pareille manière, aussi, on honore ceux qui font le bien volontairement: comme si, avec des honneurs, on incitait les bons au bien et, par des peines, on retenait les méchants du mal. Personne, néanmoins, n'incite quelqu'un à faire ce qui n'est pas ni en son pouvoir ni volontaire. C'est qu'en pareilles [matières], la persuasion avant l'acte est tout à fait inutile. Comme si on essayait de persuader quelqu'un de ne pas avoir chaud en été, ou de ne pas souffrir étant malade, ou de ne pas avoir faim en manquant de nourriture, ou de toute autre chose qui ne soit pas en son pouvoir; grâce à cet effort de persuasion, en effet, tout cela ne lui en arrivera pas moins. Ainsi donc, on ne nous incite pas à ce qui n'est pas en nous; mais on nous incite à faire le bien et à éviter le mal; il s'ensuit que cela nous appartient. 95 |
[73209] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 10 Deinde cum dicit: et enim
in ipso ignorare etc., manifestat idem in his quae videntur habere aliquid de
involuntario. Ignorantia autem involuntarium causat, ut supra dictum est: si
tamen nos simus ignorantiae causa, erit ignorantia voluntaria, et pro ea
puniemur. Est autem aliquis causa ignorantiae dupliciter. Uno modo directe
aliquid agendo; sicut patet de his qui se inebriant, et ex hoc redduntur
ignorantes; qui dupliciter sunt increpandi, primo quidem quia se
inebriaverunt. Secundo quia ex ebrietate aliquod peccatum fecerunt.
Principium enim ebrietatis est in potestate ipsius hominis, quia homo est
dominus eius, quod non inebrietur, idest in sua potestate hoc habet: ebrietas
autem est causa ignorantiae et sic per consequens homo est ignorantiae causa.
|
505.- Il manifeste la même chose dans les actions qui semblent comporter de l’involontaire. L'ignorance cause l'involontaire, comme on l’a dit auparavant: cependant, si nous sommes cause de notre ignorance, cette ignorance sera volontaire et à cause d’elle nous serons punis. Cependant l'homme peut être cause de son ignorance de deux façons. D’une première façon, directement en faisant quelque chose, comme il est évident chez ceux qui s’enivrent et qui par là perdent leur raison, Ceux-là sont deux fois blâmables: tout d'abord, parce qu'ils se sont enivrés; ensuite, parce que leur ébriété leur a fait commettre quelque péché. La cause de l'ivresse est, en effet, au pouvoir de l'homme lui-même, parce que l'homme est capable par maîtrise de lui-même de ne pas s’enivrer, C’est-à-dire qu’il a en son pouvoir de ne pas verser dans l’ivresse. Mais l’ébriété est cause de l’ignorance. Et ainsi, par conséquent, l'homme est cause de son ignorance. |
#505. — Ensuite (1113b30), il manifeste la même [chose] dans les [matières] où il y a manifestement quelque chose d'involontaire. Or l'ignorance cause l'involontaire, comme il a été dit plus haut (#406- 424): si, cependant, nous sommes causes de notre ignorance, l'ignorance sera volontaire, et pour elle nous serons punis. Par ailleurs, on peut être cause de son ignorance de deux manières. D'une manière, directement, en faisant quelque chose, comme il appert de ceux qui s'enivrent et, par là, sont rendus ignorants: ils sont à blâmer à deux chefs. En premier, certes, du fait qu'ils se sont enivrés. En second, du fait qu'à cause de leur ébriété, ils ont commis une faute. En effet, le principe de l'ébriété est en notre propre pouvoir, parce que l'on est maître de ce que l'on ne s'enivre pas, c'est-à-dire, on a cela en son pouvoir: l'ébriété, par ailleurs, est cause d'ignorance. Ainsi, par conséquent, on est cause de son ignorance. |
[73210] Sententia Ethic., lib. 3 l. 11
n. 11 Alio autem modo est homo
causa ignorantiae indirecte per hoc quod non agit illud quod agere debet; et
propter hoc ignorantia eorum quae scire tenetur et potest, reputatur
voluntaria, et pro ea homines puniuntur, et hoc est quod dicit quod
legislatores puniunt ignorantes ea quae sunt lege statuta, quae omnes scire
oportet, sicut quod non est furandum; et non sunt difficilia, sicut
subtilitates iuris quas non tenentur omnes scire, quia nec possent. Et idem
etiam est in aliis quaecumque homines videntur ignorare propter negligentiam;
quia in potestate eorum erat ut non ignorarent; sunt enim domini, id est in
potestate sua habentes, ut sint diligentes et non negligentes. |
506.- D'une seconde façon, l'homme est cause de son ignorance indirectement, par le fait qu'il ne fait pas ce qu’il devrait faire. C'est pour cela que l’ignorance de ceux qui devraient et pourraient savoir est regardée comme volontaire, et donc est punie. C’est ce qu’Aristote dit: que les législateurs punissent l’ignorance des décrets, que tout le monde doit savoir, comme par exemple, qu’il ne faut pas voler. Ils ne punissent pas sur les décrets difficiles de la loi que tout le monde n'est pas tenu de savoir, parce qui incapable. Il en est ainsi dans tous les cas où les hommes sont ignorants par négligence: car il était en leur pouvoir de ne pas ignorer. En effet, ils sont maîtres dieux-mêmes et ils ont en leur pouvoir d’être diligents ou négligents. |
#506. — On est cause de son ignorance d'une autre manière, indirectement, du fait que l'on ne fait pas ce que l'on doit faire. Pour cette [raison], l'ignorance de ce qu'on est tenu de savoir, et qu'on peut [savoir], est considérée comme volontaire, et à cause d'elle on est puni. C'est ce qu'il dit, que les législateurs punissent ceux qui ignorent ce que la loi statue, et que tous doivent savoir, comme qu'il ne faut pas voler; mais non [ceux qui ignorent] les [points] difficiles du droit, que tous ne sont pas tenus de savoir, parce qu'ils ne le peuvent pas. Il en va de même aussi en ces autres [choses] que n'importe qui ignore manifestement par négligence, alors que c'était en son pouvoir de ne pas l'ignorer. On est en effet maître de soi et on a en son pouvoir d'être diligent et non négligent. |
|
|
|
Lectio
12 |
Leçon 12 : [Les Vices sont acquis par des actes volontaires] |
|
|
ON DETRUIT LES RACINES DE L'OPINION DE CEUX QUI AFFIRMENT QUE PERSONNE N'EST VOLONTAIREMENT MAUVAIS : ET ON MONTRE QUE LES HABITUS DE L'AME, PAR LESQUELS L’HOMME SE DIT INJUSTE OU NEGLIGENT, SONT VOLONTAIRES QUANT A LEUR GENERATION MAIS NON PAS APRES QU’ILS SONT ENGENDRES. |
|
[73211] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12 n. 1 Sed forsitan talis aliquis et cetera. Postquam
philosophus exclusit errorem dicentium quod nullus est voluntarie malus, hic
excludit radices huius erroris. Et primo quidem quantum ad interiorem
dispositionem ex qua posset aliquis (se) inclinari ad malum praeter suam
voluntatem. Secundo quantum ad vim apprehensivam per quam aliquid iudicatur bonum
vel malum, ibi. Si autem quis dicat et
cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit id cui posset aliquis inniti
ad sustinendum errorem praedictum. Secundo hoc improbat, ibi: sed eius quod
est tales fieri et cetera. Dixerat autem supra philosophus quod in hominis
potestate est quod aliquis sit diligens vel negligens circa aliquid. Sed hoc
posset aliquis negare, dicens quod aliquis naturaliter talis est ut non sit
diligens. Sicut videmus phlegmaticos naturaliter esse pigros, cholericos
autem iracundos, melancholicos tristes et sanguineos iucundos. Et secundum
hoc sequitur quod non sit in potestate hominis quod sit diligens. |
507.- Après avoir rejeté l'erreur de ceux qui disent que personne n'est volontairement mauvais} le Philosophe déracine cette erreur. Et tout d’abord quant à la disposition intérieure à partir de laquelle on pourrait être incliné au mal en dehors de sa volonté (malgré soi). En second, quant à la faculté de connaissance par laquelle on discerne le bien ou le mal. En ce qui concerne le premier point, il fait deux considérations. La première propose ce qui pourrait pousser quelqu'un à soutenir cette erreur. La seconde réfute cette position. Le Philosophe avait dit qu'il est au pouvoir de l'homme d'être diligent ou négligent par rapport à quelque chose. Mais on pourrait nier cette opinion en disant que quelqu'un est naturellement disposé à ne pas fournir l'effort d'attention nécessaire (naturellement porté à la négligence). Ainsi voyons-nous que les flegmatiques (lymphatiques) sont naturellement paresseux, que les colériques entrent facilement en colère, que les mélancoliques sont tristes et que les sanguins sont joyeux. Il s'ensuit de là qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme d'être attentif et diligent. |
#507. — Après avoir exclu l'erreur de ceux qui disent que personne n'est mauvais volontairement, le Philosophe exclut ici les racines de cette erreur. En premier (1114a3), certes, quant à la disposition intérieure par laquelle on pourrait être incliné au mal en dehors de sa volonté. En second (1114a32), quant à la force appréhensive avec laquelle on juge une chose bonne ou mauvaise. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente ce par quoi on pourrait être porté à soutenir l'erreur précédente. En second (1114a4), il l'infirme. Le Philosophe avait dit (#506) qu'il est au pouvoir d'un homme de se montrer diligent ou négligent pour quelque chose. Mais on pourrait le nier et dire que c'est par nature que l'on est tel qu'on ne soit pas diligent. Ainsi voyons-nous que les phlegmatiques sont naturellement paresseux, les bilieux colériques, les atrabilaires tristes et les sanguins joyeux. D'après cela, il s'ensuit qu'il ne soit pas au pouvoir de l'homme de se montrer diligent. |
[73212] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12
n. 2 Deinde cum dicit: sed eius
quod est tales fieri etc., excludit quod dictum est. Ad cuius evidentiam
considerandum est quod aliquis potest dici aliqualis dupliciter. Uno modo
secundum dispositionem corporalem sive consequentem corporis complexionem,
sive consequentem impressionem caelestium corporum: et ex huiusmodi dispositione
non potest immediate immutari intellectus vel voluntas quae sunt penitus
incorporeae potentiae non utentes organo corporeo, ut patet per philosophum
in tertio de anima. Potest autem per huiusmodi dispositionem sequi aliqua
immutatio ex parte appetitus sensitivi qui utitur corporeo organo, cuius
motus sunt animae passiones. Et secundum hoc ex huiusmodi dispositione nihil
amplius movetur ratio et voluntas quae sunt principia humanorum actuum, quam
ex passionibus animae, de quibus supra in I dictum est quod sint suasibiles
ratione. Alia autem est dispositio ex parte animae: quae quidem est habitus
ex quo inclinatur voluntas vel ratio in operatione. |
508. - Il exclut cette opinion. Pour apporter lumière sur cette question, il faut considérer que quelqu'un peut être dit "disposé de telle ou telle manière" de deux façons. D'une première façon, selon une disposition corporelle, soit consécutive à son tempérament (complexion du corps) soit consécutive à l'influence des corps célestes: et cette sorte de disposition ne peut influencer immédiatement (apporter immédiatement des modifications) l'intelligence et la volonté qui sont des puissances tout à fait spirituelles n'utilisant pas d'organe corporel, comme le Philosophe le montre dans le troisième livre de l'Ame. Cette disposition peut cependant apporter des modifications dans l'appétit sensitif qui se sert d’un organe corporel. Les mouvements de cet appétit organique sont les passions de l’âme. Et sous ce rapport, cette disposition corporelle ne peut pas davantage mouvoir la raison et la volonté, qui sont les principes des actes humains, que ne le peuvent les passions de l’âme, dont on dit pareillement dans le premier livre qu’elles influencent grâce à la raison. La seconde sorte de disposition se prend du côté de l’âme: laquelle est un habitus qui incline l’intelligence et la volonté à leur opération. |
#508. — Ensuite (1114a4), il exclut ce que l'on vient de dire. Pour que ce soit évident, on doit tenir compte que c'est de deux manières que l'on peut nous prêter une qualité. D'une manière, d'après notre disposition corporelle ou d'après la complexion qui s'en ensuit en notre corps; cependant, notre intelligence ou notre volonté ne peuvent être mues immédiatement à partir d'une disposition de la sorte, car elles sont des puissances tout à fait incorporelles, qui ne se servent pas d'organe corporel, comme il appert par le Philosophe au troisième [livre] De l'âme (ch. 4, #5; lect. 7, #687-699). Toutefois, par une disposition de la sorte, peut s'ensuivre une mutation du côté de l'appétit sensible, qui, lui, se sert d'un organe corporel, dont les mouvements sont les passions de l'âme. De ce point de vue, la raison et la volonté, qui sont les principes des actes humains, ne sont en rien mus plus amplement par cette disposition que par les passions de l'âme, desquelles pareillement, au premier [livre], on a dit que la raison peut les persuader. L'autre [type de] disposition, par ailleurs, se situe du côté de l'âme, et c'est l'habitus, par lequel la volonté ou la raison sont inclinées dans leur opération. |
[73213] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12
n. 3 Et ideo philosophus,
praetermissis dispositionibus vel qualitatibus corporalibus, agit de sola
dispositione habituum. Circa hoc ergo duo facit: primo enim ostendit quod
habitus animae secundum quos aliquis est negligens vel iniustus, sunt
voluntarii ex hoc quod propter eos aliquis increpatur; secundo ostendit quod
etiam defectus corporales qui sunt increpabiles sunt voluntariae, ibi: non
solum autem animae malitiae et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit
quod habitus animae sunt voluntarii quantum ad eorum generationem. Secundo
ostendit quod non sunt voluntarii postquam iam eorum generatio est completa.
Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo probat
propositum, ibi, quae enim circa singula et cetera. |
509.- C'est pourquoi le Philosophe, passant sous silence les dispositions ou les qualités corporelles, ne traite que de la seule disposition des habitus. Là-dessus, il fait deux choses. En effet, il montre d'abord que les habitus de l'âme, selon lesquels on est négligent ou injuste, sont volontaires du fait qu'à cause d'eux on est blâmés. En second, il montre que même les défauts corporels qui sont blâmables sont volontaires. Le premier point se subdivise en deux parties. Dans la première, il montre que les habitus de l’âme sont volontaires quant à leur génération. Dans la seconde, il montre qu'ils ne sont plus volontaires une fois que leur génération est complétée. Dans la première partie, il donne d'abord ce qu'il veut dire, puis, il le prouve. |
#509. — C'est pourquoi le Philosophe, laissant de côté les dispositions ou les qualités corporelles, traite de la seule disposition des habitus. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre, en effet, que les habitus de l'âme à cause desquels on est négligent ou injuste sont volontaires, partant du fait que l'on est blâmé à cause 96 d'eux. En second (1114a21), il montre que même les défauts corporels qui sont réprimandables sont volontaires. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que les habitus de l'âme sont volontaires quant à leur génération. En second (1114a13), il montre qu'ils ne sont plus volontaires désormais, une fois leur génération complétée. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il vise. En second (1114a7), il prouve son propos. |
[73214] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12
n. 4 Est autem considerandum
quod habitus mali differunt, sicut et actus mali. Quidam enim sunt mali
habitus ex eo quod retrahunt a bene agendo; et quantum ad huiusmodi habitus
dicit quod ipsi homines sibiipsis sunt causa, ut fiant tales, idest
non diligentes ad bene operandum, per hoc quod vivunt remisse, idest
absque conatu ad bonas operationes. Alii autem habitus mali sunt per quos
aliquis inclinatur ad male agendum; sive hoc sit, in nocumentum aliorum, sive
in propriam deordinationem. Et quantum ad hoc dicit quod homines sibiipsis
sunt causa quod sint iniusti, in quantum mala faciunt aliis, et incontinentes
inquantum vitam suam ducunt in superfluis potibus et in aliis huiusmodi quae
ad delectabilia tactus pertinent. |
510.- Or, il faut considérer que les habitus vicieux diffèrent comme les actes vicieux. En effet, certains habitus sont vicieux ou mauvais du fait qu’ils éloignent de l’action bonne (qu’ils soustraient l'homme à l’agir vertueux); et, en ce qui concerne cette sorte d'habitus, il dit que les hommes eux-mêmes sont leur propre cause de leur devenir vicieux, c’est-à-dire ne s’appliquant pas à bien opérer du fait qu'ils vivent en se relâchant, c’est-à-dire sans faire effort pour bien agir. Certains autres habitus cependant sont mauvais qui inclinent à l'action mauvaise: soit en faisant dommage aux autres soit en produisant le désordre dans le sujet lui-même. Et sous ce rapport, il dit que les hommes sont leur propre cause de leur injustice, en tant qu’ils font du mal à autrui, et cause aussi de leur incontinence, en tant qu’ils trainent leur vie dans les boires superflus et dans les choses de cette sorte qui appartiennent aux objets délectables du toucher. |
#510.
— On doit toutefois tenir compte que les habitus mauvais diffèrent entre eux,
comme aussi les actes mauvais. Certains, en effet, sont de mauvais habitus du
fait qu'ils empêchent de bien agir; pour les habitus de cette sorte, il dit
que les gens sont pour eux-mêmes la cause de ce qu'ils deviennent tels,
c'est-à-dire, non diligents à bien agir, du fait de vivre avec relâchement,
c'est-à-dire, sans s'efforcer d'agir bien. D'autres habitus, par ailleurs,
sont mauvais du fait que, par eux, on est incliné à mal agir; soit au dommage
d'autrui, soit à son désordre propre. Pour cela, il dit que les gens sont
pour eux-mêmes la cause de ce qu'ils sont injustes, du fait de faire du mal à
d'autres, et incontinents, du fait de mener leur vie avec boissons superflues
et autres choses de la sorte, touchant les plaisirs du toucher. |
[73215] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12
n. 5 Deinde cum dicit quae enim
circa singula etc., probat propositum. Et primo per similitudinem in
aliis. Videmus enim quod in singulis operationes faciunt tales, id est
dispositos ad similia operanda. Et istud
manifestum est ex illis qui student et operam dant ad quodcumque exercitium,
puta luctae vel militiae, aut quamcumque operationem. Omnes enim ex hoc quod
operantur multoties fiunt tales, ut possint similia perfecte facere. Cum ergo
hoc videamus contingere in omnibus, hoc videtur esse hominis quasi sensu
carentis, quod ignoret ex operationibus habitus generari. |
511.- Il prouve son affirmation. Et tout d'abord, par des cas semblables dan d'autres domaines. En effet, nous voyons que dans chaque domaine les opérations nous rendent tels, c'est-à-dire engendrent, par le fait même d'opérer, des dispositions à faire des actes semblables à ces opérations: ce qui rend manifeste ceux qui s'appliquent et qui se livrent à toutes sortes d'exercices, comme le pugilat ou la milice, ou à une action quelconque. En effet, c'est par la répétition fréquente des actes que tous deviennent disposés (tales: tels, déterminés) à accomplir parfaitement des actions semblables. Donc, puisque nous voyons qu'il en est ainsi dans tous les domaines, il semble qu'il faille être pratiquement dépouillé de toute sensation pour ignorer que les habitus sont engendrés par les opérations. |
#511. — Ensuite (1114a7), il prouve son propos. En premier, avec une comparaison à autre chose. Nous constatons, en effet, que ses actions rendent chacun tel, c'est-à-dire, disposé à refaire la même chose: c'est manifeste par ceux qui mettent leur effort et leur énergie à un entraînement, par exemple, à la lutte, ou au combat, ou à n'importe quelle action. Car tous, du fait de répéter plusieurs fois leur action, deviennent tels qu'ils puissent exécuter parfaitement la même. Comme donc, nous observons cela chez tous, il paraît bien en aller ainsi aussi de celui qui manque pratiquement de sens, qu'il ignorerait en raison d'actions dus à un habitus engendré. |
[73216] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12 n. 6 Secundo ibi: adhuc autem irrationabile etc., ostendit
idem ratione sumpta ex ordine actus ad habitum. Si enim aliquis vult aliquam
causam ex qua scit sequi talem effectum, consequens est quod velit illum
effectum. Et quamvis forte non velit illum effectum secundum se, potius tamen
vult illum effectum esse quam causa non sit. Sicut si aliquis velit ambulare
in aestu, praesciens se sudaturum, consequens est quod velit sudare. Quamvis
enim hoc secundum se non velit, vult tamen potius sudorem pati quam ab
itinere abstinere. Nihil enim prohibet aliquid non esse secundum se
voluntarium quod tamen est voluntarium propter aliud, sicut potio amara
propter sanitatem. Aliter autem esset si homo nesciret quod talis effectus
sequeretur ex tali causa. Puta si aliquis ambulans in via, incidit in latrones,
non efficitur hoc voluntarium, quia non fuit praescitum. Manifestum est autem
quod homines iniusta facientes fiunt iniusti, et stupra committentes fiunt
incontinentes. Ergo irrationabile est quod aliquis velit iniusta facere et
non velit esse iniustus, aut velit stupra committere et non velit esse
incontinens. Sed manifestum est quod, si non ignorans operatur voluntarie
illa ex quibus sequitur quod sit iniustus, voluntarie erit iniustus. |
512.- Il montre la même chose par une raison tirée du rapport des actes à l'habitus. Si, en effet, quelqu'un veut une cause qu'il sait produire tel effet, il s'ensuit qu'il veuille cet effet. Et bien que peut-être il ne veuille pas cet effet en lui-même, du moins préfère-t-il le voir exister plutôt que de sacrifier la cause. Ainsi si quelqu'un veut faire une marche en été, prévoyant une forte sueur, il s'ensuit qu’il veuille suer. En effet, bien qu'il ne désire pas la sueur en elle-même, il préfère cependant la supporter plutôt que de s'abstenir de la marche. Rien n'empêche, en effet, que quelque chose ne soit pas volontaire en soi, qui l’est cependant à cause d'une autre chose, comme la médecine amère est désirée pour la santé. Il en serait autrement si quelqu'un ne savait pas que tel effet sortirait de telle cause. Par exemple, si quelqu'un, en marchant, sur une route, débouche au milieu d'un groupe de voleurs: cela ne devient pas volontaire, parce que ce, n'était pas prévu. Il est donc manifeste que les hommes qui font des injustices deviennent injustes et que ceux qui se livrent à la débauche deviennent incontinents. Il est donc irraisonnable qu’quelqu'un veuille faire des actions injustes sans vouloir devenir injuste et faire des actes d'impureté sans vouloir être incontinent. Et il est manifeste que si, sans en ignorer (les conséquences) (en le sachant), il fait ce dont découle son injustice, il sera volontairement injuste. |
#512. — En second (1114a11), il montre la même chose avec une raison tirée de la relation de l'acte avec l'habitus. Car si on veut une cause dont on sache que s'ensuive tel effet, en conséquence, on veut cet effet. Même si, peut-être, on ne veut pas cet effet en lui-même, on veut toutefois plus fortement que cet effet soit plutôt que sa cause ne soit pas. Par exemple, si on veut marcher dans la grande chaleur, sachant bien que l'on suera, en conséquence, on veut suer. En effet, même si l'on ne veut pas cela en soi, on veut toutefois plus fortement subir la sueur que s'abstenir du trajet. Rien n'empêche, en effet, une chose de ne pas être volontaire en soi et d'être néanmoins volontaire en vue d'autre chose, comme une potion amère en vue de la santé. Il en irait autrement, néanmoins, si on ne savait pas que tel effet s'ensuivra de telle cause. Par exemple, si de suivre un chemin fait tomber sur des voleurs, cela ne devient pas volontaire, parce que ce n'était pas connu. Par ailleurs, il est manifeste que les gens, en faisant des choses injustes, deviennent injustes, et, en s'adonnant à des liaisons illégitimes, deviennent incontinents. Donc, il est irrationnel de vouloir commettre des injustices et de ne pas vouloir être injuste, ou de vouloir s'adonner à des liaisons illégitimes et de ne pas vouloir être incontinent. Enfin, il est manifeste que si, sans l'ignorer, on fait volontairement ce dont s'ensuit que l'on devienne injuste, on sera volontairement injuste. |
[73217] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12
n. 7 Deinde cum dicit: non
tamen si velit etc., ostendit quod habitus mali non subiacent voluntati
omnino, postquam sunt generati. Et dicit quod non ideo, quia voluntarie fit
aliquis iniustus, quandocumque volet desinet esse iniustus et fiet iustus. Et
hoc probat per simile in dispositionibus corporalibus. Si enim sit aliquis
qui quum sanus esset, volens in aegritudinem incidit per hoc quod vivit incontinenter,
utendo scilicet immoderato cibo et potu et non obediendo medicis, a principio
inerat in eius potestate non aegrotare; sed postquam emisit actionem, sumpto
scilicet iam superfluo aut nocivo cibo, non adhuc est in potestate eius ut
non aegrotet. Sicut ille qui proiecit lapidem potest, non proiicere: non
tamen in potestate eius est quod resumat quando proiecerit, et tamen dicimus
quod emittere vel proiicere lapidem sit in hominis potestate, quia a
principio sic erat. Sic etiam est et de habitibus vitiorum: quia a principio
in potestate hominis est quod non fiat iniustus vel incontinens. Unde dicimus
quod homines volentes sunt iniusti et incontinentes: quamvis postquam facti
sunt tales, non adhuc sit hoc in eorum potestate, ut scilicet statim desinant
esse iniusti vel incontinentes; sed ad hoc requiritur magnum studium et
exercitium. |
513.- Il montre que les habitus vicieux ne sont pas soumis à la volonté, après qu'ils sont engendrés. Il dit: ce n'est pas parce qu'on est devenu injuste volontairement qu'on peut, selon son désir, ne plus l'être et devenir juste. Ce qu'il prouve par des cas semblables dans les dispositions corporelles. En effet, si alors qu'il est en santé quelqu'un tombe volontairement malade du fait qu'il vit dans l'incontinence, à savoir en usant immodérément du boire et du manger et sans écouter les conseils de son médecin, il était, au début, (à ce moment-là) en son pouvoir de ne pas être malade. Mais une fois l’action commise, une fois qu'il a absorbé une nourriture trop abondante et nuisible, il n'est plus en son pouvoir de ne pas être malade. Comme celui qui lance une pierre peut ne pas la lancer: mais il n'est pas en son pouvoir de la rattraper une fois qu'il l'a lancée. Et pourtant nous disons bien qu'il est au pouvoir de l'homme de projeter une pierre, parce que cela est en son pouvoir au moment de la lancer. Il en est ainsi des habitus vicieux: c'est qu’au début il est au pouvoir de l'homme de ne pas devenir injuste ou incontinent. De là, nous disons que c'est volontairement que l'homme devient injuste et incontinent, bien qu'une fois qu'il le soit devenu, il n'est plus en son pouvoir de cesser immédiatement de l'être. Cela requiert désormais beaucoup d'application et d'efforts. |
#513. — Ensuite (1114a13), il montre que les habitus mauvais ne sont plus soumis à la volonté, une fois engendrés. Il dit: Il ne s'ensuit pas, du fait que l'on devienne volontairement injuste, que, dès qu'on le veut, on cesse d'être injuste et redevienne juste. Il le prouve par une comparaison avec les dispositions corporelles. Car, supposant quelqu'un qui, étant en santé, tombe malade en le voulant, du fait de vivre dans l'incontinence, usant sans modération de nourriture et de boisson, et n'obéissant pas aux médecins, au début il était en son pouvoir de ne pas tomber malade; mais une fois qu'il a commis l'action, une fois ingurgitée la nourriture superflue ou nocive, il n'est plus en son pouvoir de ne pas tomber malade. De même, celui qui lance une pierre peut ne pas la lancer; cependant, il n'est pas en son pouvoir de la reprendre, quand il l'a lancée. Pourtant, nous disons que de lancer ou de projeter une pierre est au pouvoir d'un homme, parce que c'était en son pouvoir au début. Il en va encore ainsi des habitus des vices car, au début, il est au pouvoir d'un homme de ne pas devenir injuste ou incontinent. Aussi disons-nous que les gens, c'est en le voulant qu'ils sont injustes et incontinents, même si, une fois devenus tels, il ne soit plus en leur pouvoir de cesser tout de suite d'être injustes ou incontinents; à cela, au contraire, il est requis beaucoup d'effort et d'exercice. 97 |
[73218] Sententia Ethic., lib. 3 l. 12
n. 8 Deinde cum dicit: non
solum autem etc., ostendit per similitudinem corporalium defectuum quod
habitus vitiosi sint voluntarii. Et dicit quod non solum malitiae animae sunt
voluntariae, sed in quibusdam defectus corporales. Et tales homines iuste
increpamus. Nullus enim iuste increpat eos qui sunt turpes naturaliter, sed
solum eos qui sunt turpes propter aliquam negligentiam debiti cultus. Et
similiter se habet de debilitate aut de caecitate: nullus enim iuste
improperabit ei qui est caecus a nativitate vel ex infirmitate vel ex aliqua
plaga, quia hoc non est voluntarium, sed magis propter hoc homines miserentur
eorum. Et sic patet quod malitiarum sive defectuum corporalium illi
increpantur qui sunt in potestate nostra, non autem illi qui non sunt in
nostra potestate. Unde manifestum est quod etiam in aliis, id est in
his quae ad animam pertinent, malitiae, id est habitus vitiosi, qui increpantur
in nostra potestate existunt. |
514.- Il montre par ressemblance à certains défauts corporels que les habitus vicieux sont volontaires. Et il dit que ce ne sont pas seulement les vices de l'âme que nous contractons volontairement, mais aussi certains vices corporels. En effet, nul ne fait des reproches justes à ceux qui sont laids par nature, mais uniquement à ceux qui le sont à cause de quelque négligence dans leur entretien, Il en va de même en cas de faiblesse ou de cécité. Personne n'a le droit de blâmer celui qui est aveugle de naissance ou par maladie ou à cause d'une blessure, qui n'est pas volontaire. Ce qui attire davantage de la pitié. Et ainsi il est clair que l'on blâme les défauts ou les vices corporels qui sont en notre pouvoir. Il est donc manifeste que dans les autres cas, c'est-à-dire, dans ce qui appartient à l'âme, les vices sont en notre pouvoir. |
#514. — Ensuite (1114a21), il montre, par une comparaison avec les défauts corporels, que les habitus vicieux sont volontaires. Il dit que non seulement les malices de l'âme sont volontaires, mais aussi les défauts corporels, chez certains. De tels hommes, nous les blâmons avec justice. Personne, en effet, ne blâme avec justice ceux qui sont laids naturellement, mais seulement ceux qui sont laids à cause de la négligence d'un soin dû. Il en va pareillement des faiblesses ou des cécités. Personne, en effet, ne réprimandera avec justice celui qui est aveugle de naissance, ou en raison d'une infirmité, ou en raison de quelque blessure involontaire. À cause de cela, on a plutôt pitié d'eux. Ainsi appert-il que, parmi les malices et les défauts corporels, ceux-là sont blâmés qui sont en notre pouvoir. Aussi, il est manifeste qu'ailleurs, c'est-à-dire, en ce qui touche l'âme, les malices, c'est-à-dire, les habitus vicieux, sont en notre pouvoir. |
|
|
|
Lectio
13 |
Leçon 13 : [L’existence de la volonté] |
|
|
IL S’ATTAQUE A CEUX QUI NIENT L'EXISTENCE EN NOUS D'UNE FACULTE CONNAISSANTE DU BIEN, IL REJETTE LEUR FONDEMENT ET REFUTE LEURS RAISONS, COMME IL L'A FAIT PLUS HAUT CONTRE CEUX QUI AFFIRMAIENT QUE LE VICE N'ETAIT PAS D'UNE CERTAINE FACON VOLONTAIRE. |
|
[73219] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 1 Si autem quis dicat et
cetera. Postquam philosophus exclusit radicem ponentium malitiam non esse
voluntariam ex parte dispositionis inclinantis appetitum, hic excludit aliam
radicem ex parte virtutis cognoscitivae. Et circa hoc duo facit. Primo
proponit dictam radicem. Secundo excludit eam, ibi, siquidem igitur et
cetera. Circa primum, considerandum est, quod bonum movet appetitum inquantum
est apprehensum. Sicut enim appetitus seu inclinatio naturalis, sequitur
formam naturaliter inhaerentem, ita appetitus animalis sequitur formam
apprehensam. Ad hoc igitur quod aliquid appetatur, praeexigitur quod apprehendatur
ut bonum. Et inde est quod unusquisque desiderat id quod apparet sibi esse
bonum. |
515.- Après avoir détruit, à sa racine, l'opinion qui affirmait que le vice n'était pas volontaire du côté de la disposition dé1 terminant l'appétit, le Philosophe détruit l'autre source de cette opinion qui, elle, se prend du côté de la faculté de connaissance. A ce propos, il fait deux choses. En premier, il montre la seconde racine de cette opinion; en second, il la détruit. A propos du premier point, il fait considérer que le bien meut l'appétit en tant qu'il est connu. En effet, comme l'appétit ou l'inclination naturelle suit la forme naturelle inhérente dans le sujet, ainsi l'appétit animal suit la forme connue. Donc, pour que quelque chose soit désiré, il est pré requis qu'il soit connu comme bon. De là vient que chacun désire ce qui lui parait être bon. |
#515. — Après avoir exclu la racine de la position que la malice n'est pas volontaire du côté de la disposition qui incline l'appétit, le Philosophe exclut ici l'autre racine, du côté de la vertu cognoscitive. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la racine en question. En second (1114b1), il l'exclut. Sur le premier [point], on doit tenir compte que le bien meut l'appétit dans la mesure où il est appréhendé. De même, en effet, que l'appétit ou inclination naturelle suit la forme qui lui inhère naturellement, de même l'appétit animal suit la forme appréhendée. Ainsi, pour qu'une chose tombe sous l'appétit, il est d'abord requis qu'elle soit appréhendée comme un bien. De là vient que chacun désire ce qui lui paraît être bon. |
[73220] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 2 Potest ergo aliquis dicere
quod hoc non est in potestate nostra quod hoc videatur vel appareat nobis
bonum quasi nos simus domini phantasiae, idest apparitionis vel
visionis: sed qualis est unusquisque, talis finis videtur ei: idest
tale aliquid videtur ei appetendum quasi bonum et finis. Secundum enim
propriam formam est aliquid unicuique conveniens, sicut igni ferri sursum et
terrae ferri ad medium. Et sic etiam videmus in animalibus quod unumquodque
animal appetit aliquid tamquam bonum et finis secundum dispositionem suae
naturae. Unde diversa animalia habent diversos motus et operationes, quamvis
omnia animalia unius speciei habeant similes motus et operationes. In specie
autem humana inveniuntur diversi habentes diversos motus et operationes. Unde
aestimaverunt aliqui quod hoc esset propter diversam naturalem dispositionem
propter quam videtur quidem huic hoc bonum, alii autem illud, ita quod hoc
non subiaceat hominis dominio sive potestati. |
516.- Donc quelqu'un pourrait dire qu'il n'est pas en notre pouvoir qu'une chose semble ou non apparaisse bonne, parce que nous ne sommes pas maître de notre imagination, C’est-à-dire, de ce "paraître" ou de cette vision: mais tel est un chacun et telle la fin lui paraît, c'est-à-dire une chose apparaît à désirer comme bien et fin selon l'être de chacun. En effet, c'est d'après sa forme propre qu'à chacun une chose lui convient, comme au feu il convient de s'élever vers le haut et à la terre de se porter vers le centre. Et nous remarquons la même chose chez l’animal: chaque animal désire une chose comme bien et fin selon la disposition de sa nature... C'est pourquoi les divers animaux ont des actes et des opérations divers, bien que tous les animaux d'une seule espèce ont des mouvements et des opérations semblables. Cependant, dans l'espèce humaine on trouve des hommes différents ayant des mouvements et des opérations différents. De là vient que certains ont cru que cela provient d'une disposition naturelle qui fait qu'à celui-ci, ceci paraît bon, à cet autre, cela de telle manière que "ce paraître bon" n'est pas au pouvoir de l'homme, n'est pas sous sa maîtrise. |
#516. — On peut donc dire que cela n'est pas en notre pouvoir que telle chose nous soit manifestement ou apparemment bonne. Parce que nous ne sommes pas maîtres de notre fantasme, c'est-à-dire, de ce qui nous apparaît ou que l'on voit: mais tel est chacun, telle la fin lui semble: c'est-à-dire, telle une chose lui tombe sous l'appétit comme bien et fin. C'est, en effet, selon sa propre forme qu'une chose convient à chacun; ainsi [convient-il] au feu de tendre vers le haut et à la terre de tendre au milieu. Ainsi aussi voyons-nous, chez les animaux, que chaque animal désire une chose comme bonne et fin selon la disposition de sa nature. Aussi différents animaux ont-ils différents actes et opérations, quoique tous les animaux d'une espèce aient des mouvements et opérations semblables. Dans l'espèce humaine, par ailleurs, on trouve que différentes [personnes] ont différents mouvements et opérations. Aussi certains ont-ils pensé que cela dépend de la disposition naturelle, en raison de laquelle telle chose paraît bonne à un tel, mais telle autre plutôt à un autre, de sorte que ce ne soit pas sujet au dominium de l'homme ou à sa puissance. |
[73221] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 3 Deinde cum dicit: si
quidem igitur sibi etc., excludit radicem praedictam. Et circa hoc tria facit.
Primo ponit rationem removentem quod dictum est. Secundo in contrarium subdit
solutionem interimentem, ibi: si autem nullus sibi causa etc.; tertio
improbat eam, ibi, si utique haec sunt vera et cetera. Circa primum
considerandum est, quod aliquid potest alicui bonum apparere dupliciter. |
517.- Il s’attaque pour la réfuter à cette racine. A ce sujet, il fait trois considérations. La première, pose la raison qui réfute la dernière opinion à sa source; la seconde porte, par opposition à sa propre solution, une solution contraire; la troisième réfute la solution adverse. Par rapport à la première considération, il faut considérer que quelque chose peut paraître bon à quelqu'un de deux façons. |
#517. — Ensuite (1114b1), il exclut la racine présentée. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la raison qui détruit ce qui a été dit. En second (1114b3), il ajoute en sens contraire une solution destructrice. En troisième (1114b12), il l'infirme. Sur le premier [point], on doit tenir compte qu'une chose peut paraître bonne à quelqu'un de deux manières. |
[73222] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 4 Uno modo in universali,
quasi speculativa quadam consideratione. Et huiusmodi iudicium de bono non
consequitur aliquam dispositionem particularem, sed universalem vim rationis
syllogizantis in operabilibus sicut et in his quae sunt a natura. Sed quia
operabilia sunt contingentia, non cogitur ratio ad assentiendum huic vel
illi, sicut accidit in demonstrativis: sed in potestate habet homo, quod assentiat
uni vel alii parti contradictionis; sicut accidit in omnibus opinabilibus et
maxime circa operabilia in quibus plurima attenduntur, secundum quorum
quodlibet aliquid potest iudicari bonum vel non bonum. |
518. - D'une première façon, en général, dans une considération quasi spéculative. Et le jugement de cette sorte n'est pas consécutif à quelque disposition particulière, mais à la puissance universelle de la raison raisonnant sur les opérations, comme elle le fait sur ce qui relève de la nature. Cependant, parce que les objets d’opération sont des contingents, la raison n’est pas forcée de donner son assentiment à celui-ci ou celui-là, comme il lui arrive dans ce qui est objet de démonstration: mais il est au pouvoir de l’homme de donner son assentiment à l'une ou à l'autre partie de la démonstration. Ce qui arrive dans tous les opérables et surtout dans le s opérables où il faut tenir compte d'une foule de circonstances, où chacune d'elles est capable de faire juger bon l'objet d'opération en cause. |
#518. — D'une manière, universellement, comme par une considération spéculative. Ce jugement du bien ne suit pas une disposition particulière, mais la puissance universelle de la raison qui raisonne sur les actions, comme aussi sur ce qui est par nature. Mais, comme les actions possibles sont choses contingentes, la raison n'est pas forcée d'adhérer à ceci ou à cela, comme il arrive dans les choses démonstratives; au contraire, il est loisible d'adhérer à l'une ou à l'autre partie de la contradiction, comme il en va pour toute action possible, et surtout pour les actions possibles dans lesquelles le plus de [circonstances] sont à prendre en compte, où n'importe quelle [circonstance] peut faire juger une chose bonne. |
[73223]
Sententia Ethic., lib. 3 l. 13 n. 5 Alio modo potest aliquid
apparere bonum alicui quasi practica cognitione per comparationem ad opus. Et de huiusmodi iudicio nunc philosophus loquitur, quod
quidem potest super aliquo ferri, quod sit bonum, dupliciter. Uno modo ut
aliquid videatur alicui simpliciter et secundum se bonum; et hoc videtur
bonum secundum rationem finis. Alio autem modo ut videatur aliquid alicui
bonum non simpliciter et secundum se, sed prout nunc. |
519.- D’une seconde façon, quelque chose peut ne paraître bon à quelqu'un par une connaissance pratique en relation à l'œuvre. Et c'est de ce jugement dont parle actuellement le Philosophe. Ce jugement peut estimer qu'une chose est bonne de deux façons. D'une première façon cependant, ce jugement peut estimer la chose bonne de telle sorte qu'elle paraisse bonne non en elle-même et de façon absolue, mais pour le moment présent. |
#519. — De l'autre manière, une chose peut paraître bonne à quelqu'un comme par une connaissance pratique par comparaison à une œuvre. C'est d'un jugement de la sorte que parle maintenant le 98 Philosophe, qui peut porter sur une chose qui soit bonne de deux manières. D'une manière, de façon qu'une chose paraisse bonne à quelqu'un de manière absolue et en elle-même; ce paraît alors bon selon la raison de fin. D'une autre manière, par ailleurs, de façon qu'une chose paraît bonne non de manière absolue et en elle-même, mais sur le moment. |
[73224] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 6 Cum autem appetitus
inclinetur in aliquid dupliciter; uno modo secundum animae passionem; alio
modo secundum habitum: ex passione contingit quod aliquid iudicetur bonum
prout nunc. Sicut illi qui timet submersionem, propter passionem timoris
videtur bonum ut nunc, quod merces in mare proiciat, et concupiscenti quod
fornicetur, sed iudicium quo homo iudicat aliquid esse bonum ut secundum se
et simpliciter provenit ex inclinatione habitus, et de hoc nunc agitur. Et
ideo dicit quod, cum homo aliqualiter sit causa sui habitus mali propter
consuetudinem peccandi, ut ostensum est, consequens est, quod ipse etiam sit
sibi causa phantasiae consequentis talem habitum, idest apparitionis qua sibi
videtur hoc esse secundum se bonum. |
520.- Puisque l’appétit est incliné vers un bien de deux façons: d'une première manière par conformité à la passion de l'âme et, d'une seconde manière, par conformité à l'habitus; il arrive que la passion fasse juger qu'une chose est bonne pour le moment présent. Ainsi, à celui qui craint la submersion, la passion de crainte fera juger qu'il est bon en ce moment-là de jeter la cargaison à la mer. Il en est de même pour celui qui brûle du désir d'assouvir sa concupiscence: la fornication lui semblera à ce moment-là, bonne. Mais le jugement par lequel l'homme juge que quelque chose est bon en soi et absolument provient de l'inclination de l’habitus: et c'est de lui dont il s'agit actuellement. C'est pourquoi Aristote dit que, puisque l'homme est d'une certaine façon cause de son habitus vicieux parce qu'il a coutume de péché, comme on l'a montré il s'ensuit qu'il est aussi lui-même cause de l'imagination consécutive à cet habitus, c'est-à-dire de l'apparence (du paraître) qui ici fait voir que quelque chose est bon en soi. |
#520. — Par ailleurs, l'appétit est incliné à une chose de deux manières: d'une manière, selon une passion de l'âme; de l'autre manière, selon un habitus. Or, par passion, il se peut qu'une chose soit jugée bonne sur le moment. Comme pour celui qui craint la submersion, à cause de la passion de la crainte, il semble bon sur le moment, que les marchandises soient jetées à la mer; et à celui qui est en désir, que l'on fornique. À l'opposé, le jugement par lequel on juge une chose bonne en elle-même et de manière absolue provient de l'inclination d'un habitus, et c'est de cela qu'il s'agit maintenant. C'est pourquoi il dit, comme on est d'une certaine manière cause pour soi d'un habitus mauvais, en raison de l'accoutumance à se rendre fautif, comme il a été montré (#509-512), par conséquent, on est soi-même aussi cause pour soi du fantasme qui suit un tel habitus, c'est-à-dire, de l'apparence par laquelle il semble que cela est en soi bon. |
[73225] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 7 Deinde cum dicit: si autem
nullus etc., ponit responsionem adversarii interimentis quod dictum est. Et
dicit quod forte aliquis ponet quod nullus est sibi causa quod male faciat,
sed hoc facit unusquisque propter ignorantiam finis, inquantum scilicet
aestimat optimum aliquid consequi per id quod male operatur. Quod autem
aliquis desiderat debitum finem, non provenit homini propria sponte, sed
oportet quod ex sua nativitate hoc ei conveniat: ut scilicet sicut homo visum
exteriorem, quo homo bene iudicat colores, habet ex sua nativitate, ita etiam
ex sua nativitate habeat bonam dispositionem interioris visus quo bene
iudicet, et desideret id quod est secundum veritatem bonum. Et sic ille
dicendus erit bonam nativitatem habens, cui praedictum iudicium bene inditum
est ex sua nativitate; illa enim videtur esse perfecta et vere bona nativitas
per quam homini bene et optime innascitur illud quod est maximum et optimum,
et quod non potest homo alterius auxilio vel disciplina accipere; sed oportet
quod tale id habeat quale inditum est sibi a natura. Ergo quod homo hoc bene
habeat ex sua nativitate, duplici de causa reddit nativitatem laudabilem. Uno
modo propter excellentiam huius boni. Alio modo propter impossibilitatem
aliter acquirendi. |
521.- Il pose la réponse adverse qui veut rejeter ce qu’on a dit, et il dit que quelqu'un pourrait peut-être affirmer que personne n’est cause de ce qu'il agit mal, mais que chacun fait le mal par ignorance de la fin, à savoir en tant qu'il croit qu'il réalisera son bien suprême par ses mauvaises opérations. Et que quelqu’un désire sa fin due, cela ne provient pas d'une détermination qu'il aurait prise spontanément volontairement; il faut que ce désir lui convienne, lui appartienne de naissance de telle sorte que, comme l'homme possède par naissance le sens visuel externe par lequel il peut bien discerner les couleurs, ainsi possède-t-il aussi par naissance la bonne disposition de ce regard intérieur par lequel il juge bien et désire ce qui est vraiment bon. Et ainsi dira-t-on que celui-là est bien né qui aura été favorisé de ce jugement inné en lui. En effet, cette naissance semble parfaite et vraiment pleine de noblesse grâce à laquelle sera inné dans l'homme ce qu'il y a de plus grand et de parfait en même temps qu'incommunicable par le secours d'un autre ou par discipline. Car il faut que l'homme possède ce don tel qu'il lui a été donné par la nature. Et donc, qu'un homme ait reçu cette bonne disposition de naissance, cela rend cette naissance doublement louable: d’abord à cause de l'excellence du bien reçu, puis à cause de l'impossibilité d'acquérir ce bien autrement. |
#521.
— Ensuite (1114b3), il présente la réponse de l'adversaire qui détruit ce qui
a été dit. Il dit que peut-être représentera-t-on que personne n'est pour
soi-même cause de mal agir, mais que chacun le fait par ignorance de la fin,
dans la mesure où il estime qu'une chose très bonne s'ensuit de ce qu'il fait
de mal. Que, par ailleurs, l'on désire la fin due ne provient pas de sa
propre spontanéité, mais il faut que cela convienne depuis sa naissance: de
sorte que, comme on tient de sa naissance la vision extérieure, par laquelle
on juge bien des couleurs, de même aussi on tient de sa naissance la bonne
disposition de la vue intérieure par laquelle on juge bien et désire ce qui
est bon en vérité. C'est ainsi qu'on devra dire qu'il est de bonne naissance,
celui à qui le jugement en question est donné dès sa naissance. Celle-là, en
effet, paraît être la naissance parfaite et vraiment bonne, par laquelle est
bien et le mieux inné ce qui vaut le plus et le mieux, et que l'on ne peut
recevoir de l'aide ou de l'enseignement d'un autre; mais il faut qu'on l'ait
telle qu'elle est donnée par la nature. Aussi, que l'homme ait cela bien par
naissance rend la naissance louable par deux causes. D'une manière, à cause
de l'excellence de ce bien. De l'autre manière, à cause de l'impossibilité de
l'acquérir autrement. |
[73226] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 8 Considerandum est autem,
quod haec videtur esse positio quorumdam mathematicorum ponentium quod homo
in sua nativitate disponitur ex virtute caelestium corporum, ut hoc vel illud
agat. Quam quidem positionem Aristoteles in libro de anima attribuit his qui
non ponebant differentiam inter sensum et intellectum. Si enim aliquis dicat,
sicut ibi dicitur: talis est voluntas in hominibus, qualem in die ducit
pater virorum deorumque, idest caelum vel sol, consequens erit quod
voluntas, et ratio in qua est voluntas, sit aliquid corporeum, sicut est
sensus. Non enim est possibile, quod id quod in se est incorporeum a corpore
moveatur. Et sic intellectus et voluntas habebit organum corporale et in
nullo different a sensu et appetitu sensitivo. Unde et hic similitudinem
ponit visus sensitivi, et visus quo rem iudicat. |
522.- Il faut cependant considérer que cela semble être la position de certains mathématiciens (astrologues) qui affirmaient que l’homme, dans sa naissance, est disposé par la vertu des corps célestes à faire ceci ou cela. (Naissance sous tel signe du zodiaque) Dans le livre de l'Ame Aristote attribue cette position à ceux qui ne posaient pas de différence entre le sens et l’intelligence. En effet, si quelqu’un dit, comme on le raconte à cet endroit, que la volonté existe chez l'homme telle que l'a produite (influencée-façonnée) le père des hommes et des dieux, c’est-à-dire le ciel ou le soleil, il s’ensuivra que la volonté, et la raison dans laquelle elle se trouve, sera quelque chose de corporel, comme le sens. Il n'est pas possible, en effet, que ce qui est en soit incorporel, soit mû par un corps. Et ainsi, l'intelligence et la volonté auront un organe corporel et elles ne différeront en rien du sens et de l’appétit sensitif. De là vient qu'il pose ici la ressemblance de la vision sensitive et de la vision qui juge les choses. |
#522. — On doit tenir compte, par ailleurs, que cela paraît être la position de certains mathématiciens, qui posaient que l'homme est disposé en sa naissance, par la vertu des corps célestes, de manière à faire ceci ou cela. Laquelle position, certes, Aristote, au livre De l'âme (#III, ch. 3; lect. 4,#616-623), attribue à ceux qui ne posaient pas de différence entre le sens et l'intelligence. Si, en effet, quelqu'un dit, comme il est dit là: telle est la volonté pour les hommes que l'induit le père des hommes et des dieux, c'est-à-dire, le ciel ou le soleil, il en suivra comme conséquence que la volonté, et la raison dans laquelle est la volonté, soit quelque chose de corporel, comme l'est le sens. Il n'est pas possible, en effet, que ce qui est en soi incorporel soit mû par un corps. Ainsi, l'intelligence et la volonté auront un organe corporel, et ne différeront en rien du sens et de l'appétit sensible. Aussi celui-ci pose-t-il la comparaison de la vue sensible et de la vue par laquelle on juge d'une chose. |
[73227] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 9 Est ergo dicendum, quod ex
caelestibus corporibus potest aliqua dispositio causari in corpore humano ex
qua inclinatur appetitus sensitivus, cuius motus est passio animae; unde ex
inclinatione caelestium corporum non habet homo inclinationem ad hoc quod
iudicet aliquid esse bonum simpliciter et secundum se, sicut fit per habitum
electivum virtutis et malitiae, sed ad iudicandum aliquid esse bonum ut nunc,
sicut fit per passionem. Et idem est dicendum de inclinatione quae accidit ex
complexione corporis. Nunc autem non agitur de iudicio quo iudicatur aliquid
bonum ex passione; quia voluntas potest hoc non consequi, ut dictum est, sed
de iudicio quo iudicatur aliquid esse bonum per habitum. Unde ista responsio
non excludit Aristotelis rationem. |
523.- Il faut donc dire que les corps célestes peuvent causer une certaine disposition dans le corps humain, elle-même source d’inclination de l'appétit sensitif, dont le mouvement est une passion de l'âme. Donc, à partir de cette tendance communiquée par les corps célestes, il n'y a pas tendance dans l'homme à juger que quelque chose est bon de façon absolue et en soi, comme l'incline à juger l’habitus électif de la vertu et du vice; mais inclination à juger que quelque chose est bon dans le moment présent, comme incline la passion. Et doit-on dire la même chose de l'inclination qui provient de la complexion du corps (du tempérament). Mais actuellement, il ne s'agit pas du jugement par lequel on juge que quelque chose est bon par passion: parce que, comme on lia dit, la volonté peut ne pas le suivre. Il s'agit du jugement par lequel on juge qu'une chose est bonne par habitus. Et donc, cette réponse ne rejette pas la raison d'Aristote. |
#523. — On doit donc dire qu'il se peut qu'une disposition soit causée par les corps célestes dans le corps humain, par laquelle l'appétit sensible soit incliné, lui dont le mouvement est la passion de l'âme. Aussi, par l'inclination des corps célestes, il n'y a pas d'inclination à ce que l'on juge une chose bonne de manière absolue et en elle-même, comme par l'habitus électif de la vertu et de la malice; mais plutôt à ce que l'on juge une chose bonne sur le moment, comme par la passion. On doit dire la même [chose] de l'inclination qui arrive en raison de la complexion du corps. Maintenant, cependant, il ne s'agit pas du jugement par lequel on juge une chose bonne par passion; parce que la volonté peut ne pas suivre cela, comme il a été dit (#390-391), mais du jugement par lequel on juge une chose bonne par un habitus. Aussi, cette réponse n'exclut pas la raison d'Aristote. |
[73228] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 10 Deinde cum dicit: si
utique haec sunt vera etc., excludit praedictam responsionem ex suppositione
eorum, quae adversarius supponebat. Supponebat enim adversarius quod virtus
esset voluntarium, quod de malitia negabant. Et ideo, resumens ea quae
praedicta sunt, quae usque huc suspenduntur, dicit, quod si ista sunt vera
quae nunc dicta sunt, scilicet quod desiderium finis insit homini a natura,
nulla est ratio quare magis virtus quam malitia sit voluntarium. Similis enim
ratio est quod ambobus, scilicet et virtuoso et vitioso, insit finis a
natura, vel qualitercumque aliter ei videatur quantum ad apprehensionem, et
adiaceat quantum ad appetitum. Et quamvis operatio virtutis et vitii non solum sit
circa finem, sed etiam circa ea quae sunt ad finem, sed tamen reliqua,
idest ea quae sunt ad finem, homines operantur referendo ad finem non a
natura, sed qualitercumque eis videtur. |
524.- Il réfute la réponse précédente à partir de l'hypothèse de ce que l’adversaire supposait. En effet, l'adversaire supposait que la vertu est volontaire; ce qu’il niait du vice. C'est pourquoi, résumant les idées émises, et qui n'ont pas été développées jusqu'ici, il dit que, si cela est vrai, à savoir que le désir de la fin est innée dans l'homme, on n'a pas plus raison de poser que la vertu est plus volontaire que le vice. En effet, le cas est semblable: aux deux, à savoir au vertueux et au vicieux, la fin est donnée par nature, ou elle leur est fournie selon quelque autre manière possible de leur apparaître, du côté de la connaissance, ou de leur correspondre, du côté de l'appétit. Et bien que l'opération de la vertu et du vice ne porte pas uniquement sur la fin mais aussi sur les moyens, cependant l'homme n'opère pas sur les moyens en les référant à la fin par nature, mais selon ce qu'il lui semble bon. |
#524. — Ensuite (1114b12), il exclut la réponse qui précède, en supposant ce que l'adversaire supposait. Il supposait, en effet, que la vertu est quelque chose de volontaire, ce qu'il niait de la malice. C'est pourquoi, reprenant ce qui a été dit, qui a été suspendu jusqu'à maintenant, il dit que si cela est vrai, à savoir, que le désir de la fin appartient à l'homme par nature, il dit qu'il n'y a pas de meilleure raison pourquoi la vertu serait, davantage que la malice, volontaire. C'est, en effet, une raison semblable, pour laquelle aux deux, à savoir, au vertueux et au vicieux, la fin se présente par nature, ou lui 99 apparaît de quelque autre manière quant à l'appréhension, et ne [lui] soit proche quant à son appétit. Quoique l'opération de la vertu et du vice ne porte pas seulement sur la fin, mais aussi sur les moyens, alors que cependant le reste, c'est-à-dire, les moyens, on les opèrent en se référant à la fin non par nature, mais de quelque autre manière qu'il semble. |
[73229] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 11 Sive ergo dicatur quod
finis non videtur unicuique esse talis a natura, sed apud ipsum est,
idest in potestate eius, ut inhaereat tali vel tali fini, sive etiam finis
sit naturalis et in reliqua operando homo fiat voluntarie virtuosus, virtus
tamen erit voluntaria. Et similiter malitia: quia similiter et vitioso
competit id quod est propter finem in operationibus, sicut et virtuoso,
quemadmodum et similiter se habent in fine. Si ergo, sicut supra ostensum
est, virtutes sunt voluntariae ex eo quod nos sumus causae habituum, ex
quibus disponimur ad hoc quod talem finem nobis ponamus, sequitur quod etiam
malitiae sint voluntariae, quia similis ratio est de utrisque. |
525.- Donc, soit que l'on dise que ce n'est pas par nature que la fin apparaît telle ou telle à chacun, mais que ce "paraitre" est en son pouvoir, c'est-à-dire qu'il est au pouvoir de chacun d'adhérer à telle ou telle fin, soit qu'on pose la fin comme naturelle en admettant que l'homme devient volontairement vertueux en opérant sur le reste (les moyens), de toutes façons la vertu sera volontaire. Et le vice pareillement: parce que les moyens, dans les opérations, entretiennent les mêmes rapports au vicieux qu'ils ont au vertueux, comme d'ailleurs le vicieux et le vertueux se trouvent dans les rapports identiques à l'égard de la fin, comme on l'a montré auparavant. Donc, si les vertus sont volontaires du fait que nous sommes cause des habitus, à partir desquels nous sommes disposés à poser telle ou telle fin, il s'ensuit que les vices aussi sont volontaires, car il en va de même pour l'une et l'autre. |
#525. — Soit donc que l'on dise que la fin ne paraisse pas à chacun être telle par nature, mais qu'il tient à lui, c'est-à-dire, à son pouvoir, d'adhérer à telle ou telle fin, soit aussi que la fin soit naturelle et que, pour faire le reste, l'homme devienne volontairement vertueux, la vertu toutefois sera volontaire. Et pareillement la malice: parce que relève pareillement du vicieux ce qui est en vue de la fin dans les actions, comme aussi du vertueux, de même aussi qu'ils se tiennent pareillement quant à la fin, comme il a été montré plus haut (#358-362). Donc, si les vertus sont volontaires, du fait que nous sommes causes des habitus, par lesquels nous sommes disposés à ce poser telle fin, il s'ensuit que les malices aussi sont volontaires, parce qu'il y a semblable raison de l'une et de l'autre. |
[73230] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13
n. 12 Deinde cum dicit
communiter igitur etc., epilogat ea quae supra dicta sunt. Et primo ostendit
quid iam dictum sit de virtutibus. Secundo quid restat dicendum. Dicit ergo
primo, quod dictum est de virtutibus in communi et earum genus typo,
id est figuraliter, manifestatum est, dum dictum est quod sunt medietates,
quod pertinet ad genus propinquum, et quod sunt habitus, quod pertinet ad
genus remotum, sub quo etiam continentur vitia. Dictum est etiam quod
virtutes easdem operationes generant ex quibus causantur: dictum est etiam
quod sunt in potestate nostra, et quod sequuntur rectam rationem, et quod
aliter sunt voluntariae operationes quam habitus, quia nos sumus domini
operationum a principio usque ad finem, dummodo sciamus singulares
circumstantias, sed domini habituum non sumus nisi a principio. Postmodum autem
nobis ignorantibus per singulas operationes adiicitur aliquid in generatione
habituum. Sicut etiam accidit in aegritudinibus causatis ex voluntariis
actibus, ut supra dictum est. Sed quia a principio erat in potestate nostra,
ut sic vel non sic ageremus, propter hoc etiam ipsi habitus dicuntur
voluntarii. |
526.- Il revient, en guise de péroraison, sur ce qu'il a dit auparavant. Et en premier, il montre ce qu'il a donné sur les vertus. En second, ce qu'il reste à dire. Il dit donc, en premier, qu'on a parlé des vertus en général et qu'on a manifesté leur genre de façon schématique par description. On a ensuite montré qu'elles sont des médiétés, ce qui appartient au genre prochain, et qu'elles sont des habitus, ce qui appartient au genre éloigné, qui contient aussi les vices. On a dit aussi qu'elles engendrent les mêmes opérations que celles qui les ont engendrées; on a aussi manifesté qu'elles sont en notre pouvoir, et qu'elles sont consécutives à la raison droite, et que les opérations sont volontaires d'une autre manière que les habitus, parce que nous sommes maîtres de nos opérations du commencement jusqu’à la fin, du moment que nous connaissons les circonstances singulière, mais que nous ne sommes pas maîtres de nos habitus au début. Par la suite, cependant, tout en l'ignorant, chacune de nos opérations ajoute quelque chose dans la génération des habitus. Comme aussi il arrive dans les maladies causées par des actes volontaires, comme on l’a dit plus haut. Mais parce qu’au début il était en notre pouvoir d'agir ainsi ou pas ainsi, à cause de cela les habitus eux-mêmes sont dits volontaires. |
#526. — Ensuite (1114b26), il conclut ce qui a été dit plus haut. En premier, il montre ce qui a déjà été dit des vertus. En second (1115a4), ce qu'il reste à dire. Il dit donc, en premier, qu'on a parlé des vertus en général, [en donnant] leur genre de manière grossière, c'est-à-dire, en le manifestant figurément. Ensuite, on a dit que ce sont des médiétés, ce qui touche leur genre prochain, et qu'elles sont des habitus, ce qui touche leur genre éloigné, sous lequel les vices aussi sont contenus. On a dit aussi qu'elles engendrent les mêmes actions par lesquelles elles sont causées; on a dit encore qu'elles sont en notre pouvoir, et qu'elles suivent la raison droite, et que les actions sont volontaires autrement que les habitus, parce que nous sommes maîtres des actions du début à la fin, tant que nous en connaissons les circonstances singulières, mais que nous ne sommes maîtres des habitus qu'au début. Par la suite, c'est à son insu que l'on développe davantage, dans le genre habitus, par chacune des actions [que l'on pose]. Comme cela arrive, aussi, dans les maladies engendrées par des actes volontaires, comme on l'a dit plus haut. Mais comme il était en notre pouvoir, au début, d'agir ainsi ou autrement, à cause de cela, les habitus eux-mêmes sont dits volontaires. |
[73231] Sententia Ethic., lib. 3 l. 13 n. 13 Deinde cum dicit resumentes utique etc., ostendit quid
restat dicendum. Et dicit quod oportet iterato resumere considerationem de virtutibus
ut dicamus de unaquaque virtute quae sit, et circa qualem materiam, et
qualiter operetur. Et sic etiam manifestum erit quot sunt virtutes. Et primo
dicetur de fortitudine. |
527.- Il montre ce qu’il reste à dire. Et il dit qu'il faut de nouveau reprendre l'étude des vertus pour dire de chacune d’elles ce qu'elle est, sur quelle matière elle porte, et de quelle manière elle opère. Et ainsi, on manifestera le nombre des vertus. Et, en premier, on parlera de la vertu de force. |
#527. — Ensuite (1115a4), il montre ce qu'il reste à dire. Il dit qu'il faut, par manière de répétition, reprendre la considération des vertus, de manière à dire de chacune ce qu'elle est, et sur quelle matière [elle porte], et comment elle agit. Ainsi, il deviendra manifeste combien il y a de vertus. En premier, on parlera du courage. |
|
|
|
Lectio
14 |
Leçon 14 : [La vertu de force] |
|
|
IL COMMENCE DES MAINTENANT A TRAITER DU COURAGE (DE LA FORCE), QUI SEMBLE ETRE LEMILIEU ENTRE L’AUDACE ET LA CRAINTE: IL DIT QUE SON OBJET EST LES MAUX ET LES OBJETS DE CRAINTE, NON PAS TOUS CEPENDANT. |
|
[73232] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 1 Quoniam quidem igitur
medietas et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtutibus moralibus
in communi, hic incipit determinare de singulis in speciali. Et primo
determinat de virtutibus quae sunt circa passiones interiores. Secundo de
iustitia quae est circa operationes exteriores, in quinto libro, ibi, de
iustitia autem et iniustitia et cetera. Prima autem pars dividitur in partes
duas: in prima determinat de virtutibus moralibus, quae sunt circa
principales passiones, respicientes ipsam hominis vitam. Secundo determinat
de virtutibus moralibus quae sunt circa quasdam secundarias passiones,
respicientes exteriora hominis bona, in quarto libro, ibi, dicamus autem
deinceps et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat de fortitudine
quae est circa passiones respicientes corruptiva vitae humanae; secundo
determinat de temperantia quae est circa passiones respicientes ea quibus
humana vita conservatur, scilicet cibos et venerea, ibi, post haec de
temperantia et cetera. Circa primum tria facit. Primo investigat materiam
fortitudinis. Secundo determinat modum operationis ipsius, ibi, terribile
autem non in omnibus quidem et cetera. Tertio determinat quasdam virtutis
proprietates, ibi, circa audacias autem et timores et cetera. Circa primum
duo facit. Primo resumit quod manifestum est ex praemissis de materia
fortitudinis, scilicet circa quas passiones sit. Secundo inquirit obiecta
illarum passionum, prout circa eas est fortitudo, ibi, timemus autem et
cetera. |
528.- Après avoir étudié les vertus morales en général, Aristote commence à traiter ici des vertus morales en particulier. Et il traite, en premier lieu, des vertus qui ont pour objet les passions intérieures. En second, il étudie la justice et l'injustice qui portent sur les opérations extérieures. Cette seconde étude remplit le cinquième livre. La première partie se divise en deux. Dans la première, il traite des vertus morales qui portent sur les passions principales: celles qui ont comme objet la vie elle-même de l'homme. Dans la seconde, il traite des vertus morales qui portent sur certaines passions secondaires, ayant comme objet les biens extérieurs de l'homme: ce qui constitue le quatrième livre. Sur les vertus morales ayant comme domaine les passions les plus importantes, nouvelle subdivision: en premier, il traite de la force qui porte sur les passions se rapportant à ce qui peut détruire la vie humaine; en second, il détermine les passions qui portent sur ce qui conserve la vie humaine, à savoir les aliments et les choses vénériennes. La vertu de courage donne lieu à une triple besogne. En premier, il travaille à délimiter la matière de la force; en second, il détermine son mode d'opération; en troisième, il détermine certaines propriétés de cette vertu. Par rapport à la matière du courage, il fait deux choses. Il résume tout d'abord ce qui fut manifesté auparavant sur cette matière, à savoir sur quelles passions porte le courage. En second, il s'enquiert des objets de ces passions en tant même que la vertu de force concerne ces passions. |
#528. — Après avoir traité en général des vertus morales, il commence ici à traiter de chacune en détail. En premier, il traite des vertus qui portent sur les passions intérieures. En second (1129a1), au cinquième livre, de la justice et de l'injustice, qui portent sur les actions extérieures. Ensuite, la première partie se divise en deux parties. Dans la première, il traite des vertus morales qui portent sur des passions principales touchant la vie même de l'homme. En second (1119b22), au quatrième livre, il traite des vertus morales qui portent sur des passions secondaires, touchant les biens extérieurs de l'homme. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite du courage, qui porte sur les passions touchant ce qui détruit la vie humaine. En second (1117b23), de la tempérance, qui porte sur les passions touchant ce par quoi la vie humaine se conserve, à savoir, l'aliment et le sexe. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il enquête sur la matière du courage. En second (1115b7), il traite de sa manière d'opérer. En troisième (1117a29), il traite de certaines propriétés de la vertu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il reprend ce que l'on a manifesté précédemment, concernant la matière du courage, à savoir, sur quelles passions elle porte. En second (1115a7), il s'enquiert des objets de ces passions, pour autant que le courage porte sur elles. 100 |
[73233] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 2 Dicit ergo, quod iam supra
dictum in secundo, quod fortitudo est quaedam medietas circa timores et
audacias. Importat enim fortitudo quamdam animi firmitatem, per quam animus
stat immobilis contra periculorum timores. |
529.- Il dit donc, en premier, qu'on a déjà manifesté dans le second livre que la force est une certaine médiété qui porte sur les craintes et les audaces. En effet, la force comporte une certaine fermeté de l'âme par laquelle l'âme demeure inébranlable devant les craintes des dangers. |
#529. — Il dit donc qu'il a déjà été dit, au second [livre] (#267, 341), que le courage constitue une espèce de médiété concernant craintes et audaces. Le courage implique, en effet, une fermeté de l'esprit grâce à laquelle l'esprit se tient immobile devant les craintes des dangers. |
[73234] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 3 Deinde cum dicit: timemus
autem etc., investigat obiecta passionum praedictarum secundum quod circa eas
est fortitudo: et specialiter ex parte timoris circa quem principalius est
fortitudo: ut infra dicetur. Eadem autem sunt obiecta timoris et audaciae. Nam
illud idem quod per timorem aliquis refugit, per audaciam aggreditur. Circa
hoc ergo tria facit. Primo ostendit quae sint obiecta timoris. Secundo
ostendit circa quod genus horum sit fortitudo, quia circa timorem mortis,
ibi, non enim circa omnia et cetera. Tertio
ostendit in speciali circa cuius mortis timorem sit fortitudo, ibi: videbitur
autem utique et cetera. |
530.- Il cerne les objets des passions susdites en tant que le courage concerne ces passions: et cela, surtout du côté de la crainte, sur laquelle porte principalement la force, comme on le dira plus loin. Mais les objets de la crainte et de l'audace sont les mêmes. En effet, cela même que l'un fuit par crainte, un autre l'affronte par audace. Il fait donc sur ce point trois réflexions. En premier, il montre quels sont les objets de la crainte. En second, il montre sur quel genre de ces objets porte le courage: sur la crainte de la mort. En troisième, il montre en particulier quelle sorte de mort est l'objet de la crainte sur laquelle porte le courage. |
#530. — Ensuite (1115a7), il enquête sur les objets des passions mentionnées, dans la mesure où le courage porte sur elles: et spécialement du côté de la crainte, sur laquelle, principalement, porte le courage, comme il sera dit plus loin (#536). Ce sont d'ailleurs les mêmes, les objets de la crainte et de l'audace. Car ce que l'un fuit par crainte, l'autre s'y attaque par audace. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quels sont les objets de la crainte. En second (1115a11), il montre sur quel genre de ceux-là porte le courage, que c'est sur la crainte de la mort. En troisième (1115a28), il montre en détail sur la crainte de quelle mort porte le courage. |
[73235] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 4 Dicit ergo primo, quod
terribilia sunt quae timemus, quasi timoris obiecta. Huiusmodi autem sunt, ut
universaliter dicatur, quaecumque mala. Unde et philosophi definiunt timorem,
dicentes quod est expectatio mali. Et sumitur hic expectatio communiter pro
quolibet motu appetitus in aliquod futurum; cum tamen expectatio proprie
loquendo non sit nisi boni, sicut nec spes. Manifestum est igitur quod omnes
timemus aliqua mala, sicut malam opinionem, idest infamiam, quae
contrariatur honestati; inopiam, id est paupertatem, quae contrariatur bonis
fortunae exterioris; aegritudinem et inimicitiam et mortem quae contrariantur
bonis personalibus. |
531.- Il dit donc en premier que les choses terribles[16] sont celles que nous craignons, comme étant pour ainsi dire les objets de la crainte. Or, ces objets de crainte sont, en général, les maux. Voilà pourquoi les philosophes définissent la crainte en disant qu'elle est l'attente d'un mal. Et ici le mot attente est pris dans un sens large en tant qu'il désigne tout mouvement de l'appétit qui tend vers quelque chose de futur, quoique cependant l'attente, au sens propre, n'a pour objet que le bien, comme l'espoir ne porte que sur le bien. Il est donc manifeste que nous craignons tous certains maux, comme le déshonneur, c'est-à-dire l'infamie, qui s'oppose à l'honnêteté (à l'honneur); l'indigence et la pauvreté, qui s'opposent aux biens de la fortune extérieure; la maladie et l'inimitié et la mort qui s'opposent aux biens de la personne elle-même. |
#531. — Il dit donc, en premier, que c'est ce qui est effrayant que nous craignons, comme objet de la crainte. Or est tel, universellement, n'importe quel mal. Aussi les philosophes définissent-ils la crainte en disant qu'elle est l'attente du mal. On prend attente, ici, de manière commune, pour n'importe quel mouvement de l'appétit en rapport à quelque chose de futur; alors que, cependant, l'attente, à proprement parler, ne porte que sur le bien, comme l'espoir. Il est manifeste, donc, que nous craignons tous des maux, comme la mauvaise réputation, c'est-à-dire, l'infamie, contraire à l'honnêteté; la misère et la pauvreté, contraires aux biens de fortune extérieure; la maladie, l'inimitié et la mort, contraires aux biens personnels. |
[73236] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 5 Deinde cum dicit: non enim
circa omnia etc., ostendit circa quorum malorum timorem sit fortitudo. Et
primo ostendit circa quae non sit. Secundo concludit circa quid sit, ibi:
circa qualia utique terribilium et cetera. Circa primum duo facit. Primo
proponit quod intendit; scilicet quod fortitudo non videtur esse circa
timorem omnium malorum. |
532.- Il montre quelle est la crainte, c’est-à-dire relative à quels maux, qui constitue le domaine du courage. Et en premier, il montre sur quels maux ne porte pas le courage. En second, il conclut quels sont les maux objets du courage (par l'intermédiaire de la crainte). Par rapport au premier point, il propose d'abord ce qu'il veut démontrer: que la force n'a pas pour matière la crainte de tous les maux. |
#532. — Ensuite (1115a11), il montre sur la crainte de quels maux porte le courage. En premier, il montre sur laquelle elle ne porte pas. En second (1115a24), il conclut sur laquelle elle porte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention, à savoir, que le courage ne porte manifestement pas sur la crainte de tous les maux. |
[73237] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 6 Secundo ibi: quaedam enim
etc., probat propositum. Et primo, quod fortitudo non sit circa timorem
infamiae. Fortis enim laudatur ex eo quod non timet. Sed quaedam sunt quae
oportet timere ad bene vivendum. Et bonum est ea timere, inquantum scilicet
ipse timor non solum necessarius est ad honestatem conservandam, sed etiam
ipse timor est quiddam honestum, quod autem aliquis non timeat huiusmodi
mala, est quoddam malum inhonestum; ut patet de infamia quam qui timet,
laudatur quasi decens, idest compositus in moribus et verecundus. Ille
autem qui huiusmodi malum non timet, vituperatur quasi inverecundus. Ergo
patet quod fortitudo non est circa timorem talium malorum. Quandoque tamen
ille qui non timet infamiam, a quibusdam metaphorice nominatur fortis; qui
assimulatur forti in quantum est impavidus. |
533.- Ce qu'il prouve en second lieu. Et tout d'abord, il prouve que la force ne porte pas sur la crainte du déshonneur (infamie, mauvaise réputation, mauvaise renommée)[17]. En effet, le fort est loué du fait qu'il ne craint pas. Mais il y a certaines choses qu'il faut craindre pour bien vivre. Et il est bon de craindre ces choses, à savoir en tant que la crainte elle-même est non seulement nécessaire pour préserver son honneur, mais en tant que la crainte elle-même est quelque chose d'honnête. Or, que quelqu'un ne craigne pas les maux de cette sorte, c'est là un mal honteux (quelque chose de malhonnête). Comme il apparaît dans le cas de l'infamie. On loue quelqu'un qui la craint comme quelqu'un qui se respecte pour ainsi dire, c'est-à-dire comme quelqu'un d'honnête dans ses mœurs, et de pudique. Mais celui qui ne craint pas un mal de cette sorte, on le blâme comme impudent. Il est donc évident que le courage n’a pas comme objet la crainte de ces maux-là. Il arrive bien quelquefois que quelques-uns appellent courageux celui qui ne craint pas le déshonneur, mais c'est là une métaphore parce que, en ces cas, on l'assimile au courageux du fait qu'il ne craint pas (qu'il est impavide). |
#533. — En second (1115a12), il prouve son propos. En premier, que le courage ne porte pas sur la crainte de l'infamie. Le courageux, en effet, est loué du fait de ne pas craindre. Mais il y a des choses qu'il faut craindre, pour vivre bien. Et il est bon de les craindre, tellement que leur crainte même non seulement est nécessaire pour sauver son honorabilité, mais est de plus elle-même quelque chose d'honorable. Que, par ailleurs, on ne craigne pas des maux de la sorte est un mal déshonorable. Comme il en appert de l'infamie. Car celui qui la craint est loué comme décent, c'est-à-dire, bien mis en matière de mœurs, et réservé. Mais celui qui ne craint pas pareil mal est réprimandé comme impudent. Il appert donc que le courage ne porte pas sur la crainte de tels maux. Parfois, tout de même, celui qui ne craint pas l'infamie est nommé par certains, mais métaphoriquement, courageux, car il s'assimile au courageux en tant qu'il est sans peur. |
[73238] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 7 Secundo ibi: inopiam autem
etc., ostendit quod fortitudo non est circa timorem paupertatis. Et dicit,
quod paupertatem non oportet timere prout dicebatur de infamia; sicut neque
aegritudinem neque aliquid eorum quae non pertinent ad malitiam hominis,
cuius ipse est causa. Frustra enim homo timet illa quae vitare non potest.
Hoc igitur debet homo circa talia timere, ne ex propria malitia in aliquod
horum incidat. Quia sic timor est utilis ad ista vitanda, non autem aliter.
Nec tamen, quamvis ista non oporteat timere, ille qui circa haec est
impavidus vocatur fortis nisi forte secundum similitudinem. Quia non timere
paupertatem videtur ad aliam virtutem pertinere, scilicet ad liberalitatem ex
cuius actu aliqui laudantur, inquantum audacter audent pecunias expendere,
qui tamen in maioribus periculis, scilicet bellicis, simpliciter timidi
dicuntur. Non ergo circa timorem inopiae est fortitudo. |
534.- Il montre, en second, que la force ne porte pas sur la crainte de la pauvreté. Et il dit qu'on ne doit pas craindre la pauvreté de la même façon que nous avons dit qu'il fallait craindre le déshonneur; ni non plus, la maladie, ni rien de ce qui n'appartient pas à la malice de l'homme, malice dont il est lui-même la cause. En effet, c'est en vain que quelqu'un craint ce qu'il ne peut éviter. Ce que l'homme doit craindre dans ces cas-là, c'est de ne pas tomber dans ces maux à cause de ses vices personnels. Parce que en ces cas, la crainte est utile à faire éviter ces maux, mais pas autrement. Cependant, puisqu'on ne doit pas craindre ces maux c'est uniquement peut-être par similitude (analogie) qu'on nomme celui qui ne les craint pas fort ou courageux. Parce que ne pas craindre la pauvreté semble appartenir à une autre vertu, à savoir, la libéralité, dont l'acte est pour quelques-uns objet de louange, en tant qu'ils osent dépenser leur argent avec audace, alors qu'ils sont appelés absolument timides (lâches) dans les dangers plus grands de la guerre. Et donc, la force ne porte pas sur la crainte de la pauvreté (de la privation, de l'indigence même). |
#534. — En second (1115a17), il montre que le courage ne porte pas sur la crainte de la pauvreté. Il dit qu'il ne faut pas craindre la pauvreté comme on le disait de l'infamie; ni la maladie, comme rien non plus de ce qui ne touche pas à la malice de l'homme, celle dont il est lui-même cause. C'est en vain, en effet, que l'on craint ce que l'on ne peut éviter. Ce que l'on doit donc craindre, à propos de telles [choses], c'est de tomber en l'une d'elles en raison de sa propre malice. Car ainsi, la crainte est utile pour les éviter, mais non autrement. Toutefois, quoiqu'il ne faille pas craindre ces [choses], celui qui est sans peur, à leur sujet, ne s'appelle pas courageux, sauf peut-être par similitude. Car ne pas craindre la pauvreté relève manifestement d'une autre vertu, la libéralité, par l'acte de laquelle on est loué, en tant qu'on ose dépenser avec audace son argent, même si, de manière absolue, on est dit pourtant lâche dans les dangers plus grands de la guerre. Ce n'est donc pas sur la crainte de la misère que porte le courage. |
[73239] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 8 Tertio ibi: neque utique
si quis etc., ostendit quod fortitudo non est circa quoscumque timores
malorum personalium. Et dicit quod homo non dicitur timidus ex eo quod timet
ne aliquis iniurietur vel invideat sibi aut filiis aut uxori, vel quodcumque
aliud huiusmodi; neque etiam aliquis dicitur fortis ex eo quod non timet
flagellari, sed audacter flagella sustinet, quia ista non sunt maxime
terribilia. Dicitur autem aliquis fortis simpliciter ex eo quod est fortis
circa maxime terribilia. Qui autem in aliquibus aliis est intrepidus, non
dicitur fortis simpliciter, sed in genere illo. |
535.- En troisième, il montre que le courage ne porte pas sur n'importe quelles craintes des maux personnels. Il dit qu'on n'appelle pas quelqu'un timide ou lâche, du fait qu'il craint l'outrage ou l'envie, ou quelque offense de la sorte faite à lui-même ou à ses enfants ou à son épouse; ni, non plus, appelle-t-on fort celui qui ne craint pas le fouet mais qui l'affronte avec audace tous ces maux ne sont pas les plus terribles. Celui-là est absolument courageux qui l'est par rapport aux maux les plus grands (les plus effrayants). Celui qui est intrépide dans les autres dangers, on le dit courageux par rapport à ces dangers, mais pas de façon absolue. |
#535. — En troisième (1115a22), il montre que le courage ne porte pas sur n'importe quelles craintes de maux personnels. Il dit qu'on ne nous dit pas lâche du fait que l'on craint d'être injurié ou d'être envié, soi ou ses fils, ou sa femme, ou n'importe quelle autre chose de la sorte; et l'on ne nous dit pas courageux du fait de ne pas craindre le fouet et de supporter le fouet avec audace, car ce ne sont pas les [choses] les plus effrayantes. Mais on est courageux de manière absolue du fait qu'on le soit 101 touchant le plus effrayant. Qui se montre intrépide en autre chose, on ne le dit pas courageux de manière absolue, mais en ce genre. |
[73240] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 9 Deinde cum dicit: circa
qualia utique etc., ostendit circa quorum malorum timorem sit fortitudo. Et
dicit quod aliquis dicitur simpliciter fortis ex eo quod est intrepidus circa
ea quae sunt maxime terribilia. Virtus enim determinatur secundum ultimum
potentiae, ut dicitur in I de caelo, et ideo oportet quod virtus fortitudinis
sit circa ea quae sunt maxime terribilia, ita quod nullus magis sustineat
pericula quam fortis. Inter omnia autem maxime terribile est mors. Et huius
ratio est quia est terminus totius praesentis vitae et nihil post mortem videtur
esse homini vel bonum vel malum de his quae pertinent ad praesentem vitam,
quae nobis sunt nota, ea enim quae pertinent ad statum animarum post mortem,
non sunt visibilia nobis. Valde autem terribile est id per quod homo perdit
omnia bona quae cognoscit. Unde videtur quod fortitudo proprie sit circa
timorem periculorum mortis. |
536.- Il montre sur quelle crainte, c'est-à-dire relative à quels maux, porte la force, en disant qu'on appelle simplement fort ou courageux celui qui est intrépide dans les plus grands dangers (dans les dangers susceptibles de la plus grande crainte). En effet, la vertu doit se prendre d'après l'ultime capacité d'une puissance, comme on le dit dans le premier livre du "de Coelo"; c'est pourquoi, il faut que la vertu de courage porte sur les maux les plus terribles, de telle sorte que personne ne puisse soutenir les dangers autant que l'homme courageux. Or, parmi tous les maux, le plus terrible est la mort. La raison en est que la mort est le terme de toute la vie présente, et il ne semble pas exister après aucun de ces biens et de ces maux, que nous offre cette vie présente et que nous enlève la mort. En effet, ce qui appartient à l'état des âmes séparées ne nous est pas visible. Or, cela est terrible par quoi l'homme perd tous ses biens. De là, il semble que le courage a comme domaine propre la crainte des dangers de mort. |
#536. — Ensuite (1115a24), il montre sur la crainte de quels maux porte le courage, disant qu'on nous dit courageux de manière absolue du fait que l'on soit intrépide en ce qui est le plus effrayant. La vertu, en effet, est déterminée selon le dernier [point] de la puissance, comme on l'a dit au premier [livre] Du ciel (ch. 11); c'est pourquoi il faut que la vertu de courage porte sur ce qu'il y a de plus effrayant, de sorte que nul ne soutienne davantage les dangers que le courageux. Or entre tout, le plus effrayant est la mort. La raison en est que la mort est le terme de toute la vie présente, et rien, après la mort, ne paraît ainsi être bon ou mauvais, des choses qui touchent la vie présente, et qui nous apportent la mort. En effet, ce qui touche au statut des âmes après la mort ne nous est pas visible. Or est effrayant au plus haut point ce par quoi on perd tous les biens. Aussi semble-t-il que le courage porte proprement sur la crainte des dangers de mort. |
[73241] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 10 Deinde cum dicit:
videbitur autem utique etc., ostendit circa cuius mortis timorem sit
fortitudo. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit circa quod genus mortis sit
fortitudo. Secundo ostendit quo ordine se habeat etiam circa omnia genera
mortis, ibi, principaliter autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo
proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi: in maximo enim et
cetera. Dicit ergo primo, quod neque etiam fortitudo est circa mortem quam
quis sustinet in quocumque casu vel negotio, sicut in mari vel in
aegritudine; sed circa mortem quam quis sustinet pro optimis rebus, sicut
contingit cum aliquis moritur in bello propter patriae defensionem. Et eadem
ratio est de quacumque alia morte, quam quis sustinet propter bonum virtutis.
Sed
specialiter facit mentionem de morte in bello, quia in tali negotio ut
frequentius homines moriuntur propter bonum. |
537.- Il montre quel genre de mort est source de la crainte qui est objet de la force. Et là-dessus il travaille sur deux points. En premier, il montre sur quel genre de mort porte la force. En second, il montre l'ordre selon lequel le courage porte sur les différents genres de mort. Le premier point se subdivise en deux: il montre tout d'abord ce qu'il veut prouver puis, il le prouve. Il dit donc, en premier, que la force ne porte pas non plus sur la mort que quelqu'un pourrait supporter en n'importe quelle circonstance ou à l'occasion d'une occupation, en mer par exemple, ou au cours d'une maladie. Le courage porte sur la mort que quelqu'un supporte pour sauver ou défendre les choses les meilleures, comme il arrive lorsque quelqu'un meurt dans la guerre à cause de la défense de sa patrie. La même raison existe pour n'importe quelle autre mort que quelqu'un supporte à cause du bien de la vertu. Mais il mentionne spécialement la mort dans la guerre, parce que c'est dans un tel cas que la plupart du temps les hommes souffrent la mort pour un bien. |
#537. — Ensuite (1115a28), il montre sur quelle crainte de la mort porte le courage. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quel genre de mort porte le courage. En second (1115a32), il montre quel rapport il entretient avec tous les genres de mort. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente ce qu'il vise. En second (1115a30), il prouve son propos. Il dit donc, en premier, que le courage ne porte pas non plus sur la mort que l'on supporte en n'importe quel hasard ou affaire, comme sur la mer ou dans la maladie; mais sur la mort que l'on supporte pour les meilleures causes, comme il arrive lorsque l'on meurt à la guerre pour la défense de sa patrie. Et la même raison vaut pour n'importe quelle autre mort que l'on supporte pour le bien de la vertu. Mais il fait spécialement mention de la mort à la guerre, parce qu'en telle affaire, la plupart du temps, les gens supportent la mort pour un bien. |
[73242] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 11 Deinde cum dicit: in
maximo enim etc., probat dupliciter propositum. Primo quidem quia mors quae
est in bello, est in maximo periculo, quia de facili ibi moritur homo; est
etiam in optimo periculo, quia huiusmodi pericula sustinet homo propter bonum
commune, quod est optimum, ut in I dictum est. Virtus autem est circa maximum
et optimum. Ergo virtus fortitudinis maxime est circa mortem quae est in
bello. |
538.- Il prouve son affirmation de deux manières. En premier, parce que la mort dans une guerre se trouve dans le danger le plus grand: c'est là qu'on meurt le plus facilement; et aussi parce que la guerre offre le danger le plus "noble", le meilleur: l'homme y supporte les dangers à cause du bien commun, qui est le bien le meilleur, comme on l'a dit au début. Or, la vertu porte sur ce qui est le plus grand et le meilleur. Donc, la vertu de courage porte surtout sur la mort que l'on trouve à la guerre. |
#538. — Ensuite (1115a30), il prouve son propos de deux manières. En premier, certes, parce que la mort qui arrive à la guerre se produit dans le danger le plus grand, car là on meurt facilement; elle se produit aussi dans le danger le meilleur, car l'on supporte là des dangers pour le bien commun, qui est le meilleur, comme on l'a dit au début (#30). Par ailleurs, la vertu porte sur le plus grand et le meilleur. Donc, la vertu de courage porte le plus sur la mort qui se produit à la guerre. |
[73243] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 12 Secundo ibi: concordes
autem etc., probat idem ex hoc quod morientibus tali morte vel illis qui
fortiter se exponunt periculis huiusmodi mortis, exhibentur honores tam in
civitatibus quae vivunt in communitate, quam etiam apud monarchias,
idest apud reges qui soli dominantur. Quia fortiter in bello dimicantibus, et
in vita et post mortem aliqui honores exhibebantur. Honor autem est praemium
virtutis. Ergo circa huiusmodi mortem consideratur virtus fortitudinis. |
539.- Il prouve la même chose à partir du fait que c'est à ceux qui souffrent cette mort ou qui s'y exposent avec courage que l'on distribue les honneurs, aussi bien dans les cités a gouvernement démocratique que dans les monarchies, où les rois seuls gouvernent. Parce qu'on honore et pendant leur vie et après leur mort ceux qui ont combattu avec courage dans la guerre. Or, l'honneur est la récompense de la vertu. Donc, c'est bien cette mort que vise la vertu de courage, |
#539. — En second (1115a31), il prouve la même [chose] du fait qu'à ceux qui meurent de pareille mort, ou qui s'exposent courageusement au danger de cette sorte de mort, on accorde des honneurs, tant dans les cités qui vivent sous le régime de la communauté, que même dans les monarchies, c’est-à-dire, chez les rois qui dominent seuls. Car à ceux qui combattent courageusement à la guerre, on accorde des honneurs à la fois pendant leur vie et après leur mort. Or l'honneur est la récompense de la vertu. Donc, c'est en rapport à une mort de la sorte que l'on conçoit la vertu de courage. |
[73244] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 13 Deinde cum dicit
principaliter autem etc., ostendit quo ordine se habeat fortitudo circa omnia
genera mortis. Et primo quomodo se habeat in timendo mortem. Secundo quomodo
se habeat in audacia, quae fit circa huiusmodi pericula, ibi: similiter autem
(et) viriliter agunt et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit circa
quam mortem principaliter sit fortitudo. Et dicit quod principaliter dicitur
aliquis fortis ex eo quod impavide se habet circa bonam mortem, sicut et
omnis virtus ordinatur ad bonum, et circa pericula illativa mortis, praecipue
si sint repentina; in his enim quae (ex) repente operari oportet maxime
ostenditur quod aliquis ex habitu operetur. In aliis autem potest aliquis ex
praemeditatione operari similia his quae fiunt ex habitu. Maxime autem sunt
talia, scilicet ad bonum pertinentia et repentina, pericula bellica. Unde
circa ista principaliter est intimidus fortis. |
540.- Il montre selon quel ordre la force porte sur tous les genres de mort. Et tout d'abord il montre comment elle travaille dans la crainte même de la mort. En second, comment elle existe dans l'audace qui affronte ces sortes de dangers. Par rapport à la crainte, il fait deux considérations. En premier, il montre quelle mort est l'objet principal de la force. Il dit qu'on appelle courageux, au sens propre du mot (principalement), celui qui reste sans peur en face d'une bonne mort, comme d'ailleurs toute vertu est ordonnée au bien, et en face des dangers susceptibles d'entrainer une telle mort, principalement si ces dangers sont imprévus. En effet, c'est dans les cas où l'action est imprévue que l'on manifeste qu'on opère par habitus. Dans les autres cas, on peut opérer par délibération des actions semblables à celle faites par habitus. Or, les dangers de la guerre appartiennent tout à fait au bien et sont tout à fait imprévus. C'est donc surtout par rapport à eux que le courageux est sans crainte. |
#540. — Ensuite (1115a32), il montre quel rapport entretient le courage avec tous les genres de mort. En premier, comment il se comporte en matière de crainte de la mort. En second (1115b4), comment il se comporte en matière d'audace, laquelle porte sur des dangers de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quelle mort porte principalement le courage. Il dit que l'on dit principalement quelqu'un courageux du fait qu'il reste sans crainte devant une bonne mort, tout comme toute vertu est ordonnée au bien, et devant les dangers de mort, surtout s'ils sont subits. C'est, en effet, là où il faut agir tout de suite que se montre le plus ce que l'on fait par habitus. Car ailleurs, on peut, par préméditation, poser des gestes semblables à ceux qui se font par habitus. Par ailleurs, parmi de tels gestes, sont le plus pertinents au bien, et subits, les dangers liés à la guerre. Aussi est-ce à leur propos, principalement, que le courageux se montre sans crainte. |
[73245] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14
n. 14 Deinde cum dicit: sed
adhuc (et) in mari etc., ostendit quomodo se habeat impavide fortis circa
alias mortes. Et dicit quod etiam consequenter et in mari et in
aegritudinibus fortis est intimidus, quia videlicet non stupescit nec
turbatur propter timorem talium. Aliter tamen sunt intimidi fortes in mari
quam marinarii. Nam fortes etiam si non sperent salvari, tamen non timent,
contemnentes huiusmodi mortem, non enim tantum de ea curant ut inordinate
commoveantur. Sed marinarii sunt intimidi in periculis maris in quantum sperant se
bene posse evadere propter experientiam. |
541.- Il montre comment le courageux est, sans peur devant les autres morts. Et il dit qu'en conséquence, en mer et dans la maladie, le courageux est sans crainte, parce qu'il n'est pas saisi de stupeur et ne se trouble pas à cause de la crainte de tels maux. Cependant, c'est autrement que les gens de mer que les courageux sont sans peur en mer. Car les courageux, même s’ils désespèrent d'être sauvés, ne craignent pas méprisant, pour ainsi dire, ce genre de mort. En effet, cette mort ne les affecte pas au point de les troubler de façon désordonnée. Mais les gens de mer sont sans peur dans les périls marins, en tant qu'ils sont optimistes sur leur salut à cause de leur expérience. |
#541. — Ensuite (1115a35), il montre comment le courageux reste sans crainte devant les autres morts. Il dit qu'en conséquence, le courageux reste sans crainte à la fois sur mer et dans les maladies, car il ne panique pas et n'est pas troublé par la crainte de telles [choses]. Mais c'est d'une autre manière que les marins que, sur mer, les courageux restent sans crainte. En effet, les courageux, même s'ils ne gardent aucun espoir de salut, ne sont pas dans la crainte, et méprisent cette mort. En effet, ils ne s'en 102 préoccupent pas au point de s'en émouvoir de manière désordonnée. Tandis que les marins sont sans crainte devant le danger de la mer, pour autant qu'ils espèrent pouvoir bien s'en tirer grâce à leur expérience. |
[73246] Sententia Ethic., lib. 3 l. 14 n. 15 Deinde cum dicit: similiter autem etc., ostendit quod
non solum fortitudo est principaliter circa timorem mortis bellicae, sed etiam
circa audacias talium periculorum. Et dicit quod similiter etiam fortes
viriliter agunt aggrediendo pericula in illis rebus in quibus laudabilis est
fortitudo vel in quibus bonum est mori, sicut est in rebus bellicis. Bonum est enim quod
homo vitam suam exponat pro bono communi. Sed in praedictis corruptionibus,
scilicet in morte quae est in mari vel in aegritudine, neque est fortitudo
laudabilis neque ex morte aliquod bonum sequitur. Unde audacter aggredi talia
pericula, non pertinet ad virtutem fortitudinis. |
542.- Il montre que non seulement le courage porte principalement sur la peur de la mort, mais aussi sur l'audace devant ces dangers. Et il dit qu'il appartient également au courageux d’l'agir valeureusement en s'attaquant aux dangers là où le courage est louable ou, encore, là où il est bon de mourir, comme dans les combats. En effet, il est bon que l'homme expose sa vie pour le bien commun. Mais dans les cas mentionnés plus haut, à savoir dans la mort qui survient en mer ou dans la maladie, le courage n’est pas louable et il n’y a guère de bien qui puisse en sortir. C'est pourquoi, se porter avec audace à la rencontre de tels dangers n'appartient pas à la vertu de force. |
#542. — Ensuite (1115b4), il montre que le courage porte principalement non seulement sur la crainte de la mort, mais aussi sur les audaces en rapport à de tels dangers. Il dit que, pareillement, les courageux se comportent avec virilité en affrontant les dangers en matière où le courage est louable ou où il est bon de mourir, comme il en va en cas de guerre. Il est bon, en effet, d'exposer sa vie pour le bien commun. Mais dans les corruptions dont on a parlé, à savoir, dans la mort qui se rencontre sur mer ou dans la maladie, le courage n'est pas louable et il ne s'ensuit aucun bien de la mort. Aussi, affronter audacieusement de tels dangers ne concerne pas la vertu de courage. |
|
|
|
Lectio
15 |
Leçon 15 : [La crainte] |
|
|
ON MANIFESTE QUE L'OBJET DE LA CRAINTE, LE "TERRIBLE", N'EST PAS LE MEME POUR TOUT LE MONDE. CE QUI EST TERRIBLE POUR L'ENFANT NE L'EST PAS POUR L’HOMME PARFAIT (PSYCHOLOGIQUEMENT ADULTE) QUI, BIEN QUE COMME HOMME IL AIT PEUR, NE DEVIE PAS DU JUGEMENT DROIT A CAUSE DE SA CRAINTE. |
|
[73247] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 1 Terribile autem non in
omnibus et cetera. Postquam philosophus inquisivit materiam fortitudinis, hic
determinat de actu ipsius. Et primo distinguit actum eius ab actibus vitiorum
oppositorum. Secundo determinat de quibusdam quae habent actum similem
fortitudini, ibi: dicuntur autem et aliae et cetera. Circa primum duo facit.
Primo determinat quomodo actus diversificari possunt circa materiam supra
inquisitam. Secundo ostendit quis sit proprius actus fortitudinis per
comparationem ad actus oppositorum vitiorum, ibi, qui quidem igitur quae
oportet et cetera. Circa primum duo facit. Primo assignat rationem
diversificandi actus circa praedictam materiam. Secundo ostendit quomodo
diversificantur, ibi: fortis autem instupescibilis et cetera. Dicit ergo
primo, quod non est idem terribile quoad omnes. |
543.- Après avoir recherché la matière du courage, le Philosophe traite ici de son acte. Et tout d'abord, il distingue son acte des actes des vices opposés. En second, il traite d'un certain nombre de cas où l'on trouve des actes qui ressemblent à ceux du courage. En ce qui concerne· le premier point, son étude se divise en deux parties. Dans la première, il détermine comment les actes peuvent se diversifier par rapport à la matière qu'on a établie plus haut. Dans la seconde, il montre quel est l’acte propre de la force par comparaison aux actes des vices opposés. La première partie se subdivise elle-même en deux. Il donne, en premier lieu, la raison pourquoi il faut distinguer les actes qui portent sur la matière ci-haut décrite. En second, il montre comment ils se distinguent. Il dit donc tout d’abord que l'objet qui inspire légitimement la peur n'est pas le même chez tous. |
#543. — Après avoir investigué la matière du courage, le Philosophe traite ici de son acte même. En premier, il distingue cet acte des actes des vices opposés. En second (1116a16), il traite de [dispositions] qui ont un acte semblable au courage. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il explique comment on peut différencier des actes qui portent sur la matière investiguée plus haut. En second (1115b17), il montre, par comparaison aux actes des vices opposés, quel est l'acte le plus approprié au courage. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il assigne le critère de différenciation des actes touchant la matière qui précède. En second (1115b10), il montre comment, de fait, ils se différencient. Il dit donc, en premier, que ce n'est pas la même chose qui est effrayante pour tous. |
[73248] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 2 Cum timor sit in
irascibili cuius obiectum est arduum, non est timor nisi alicuius mali quod
est aliqualiter elevatum supra facultatem timentis. Unde aliquid est
terribile puero quod non est terribile viro perfecto. Est autem aliquod malum
quod excedit facultatem humanam, per quam ei resisti non potest, sicut
terraemotus, inundationes maris et alia huiusmodi; unde huiusmodi malum est
terribile cuilibet homini sapienti qui habet rectum iudicium intellectus.
Illud autem terribile quod est secundum hominem quasi non excedens facultatem
ipsius ad resistendum differt dupliciter. Uno modo secundum diversam rei
magnitudinem; puta maius terribile est si conveniant multi hostes quam si
pauci. Alio modo secundum magis et minus, puta quod magis vel minus odiunt
aut magis vel minus appropinquant. Et quod dictum est de terribilibus est
etiam similiter dicendum de ausibilibus. Quia circa idem sunt timor et
audacia, ut supra dictum est. |
544.- Puisque, en effet, le sujet de la crainte est l’irascible, dont l'objet est le bien ou le mal ardu, la crainte ne peut concerner qu'un mal qui se situe de quelque façon au-dessus de la faculté de celui qui la souffre. C'est pourquoi, quelque chose peut être sujet de frayeur pour un enfant qui ne l'est pas pour un homme accompli. Il y a cependant un mal qui dépasse la puissance humaine, qui ne peut vraiment pas lui résister, comme les tremblements de terre, les débordements de la mer, et les autres cataclysmes de cette sorte. C'est pourquoi, ces maux sont terribles pour tout homme de bon sens qui possède un jugement sain. Mais l'objet de la crainte qui est à la mesure de l’homme, n'excédant pas sa capacité de résistance, diffère d'une double façon. D'une première manière, en grandeur: ainsi, il est plus terrible dB faire face à plusieurs ennemis qu'à un petit nombre. D'une seconde manière, selon le plus ou le moins du côté de la qualité ou de quelque autre circonstance: par exemple, si la haine des ennemis est plus ou moins profonde ou s'ils sont plus ou moins rapprochés. Et ce qu'on vient de dire s'applique aussi aux objets de l'audace. Car la crainte et l'audace portent sur la même matière. |
#544. — Comme, en effet, la crainte est dans l'irascible, dont l'objet est l'ardu, il n'y a pas de crainte, sauf d'un mal qui se trouve de quelque manière élevé au-dessus de la capacité de celui qui craint. Aussi une chose est-elle effrayante pour l'enfant, qui ne l'est pas pour un adulte. Il y a, par ailleurs, un mal qui excède la capacité humaine, avec laquelle on ne peut lui résister, comme un tremblement de terre, un raz-de-marée, et autres maux de la sorte; aussi des maux de la sorte sont-ils effrayants pour n'importe quel homme sage, qui dispose du jugement correct de son intelligence. Par ailleurs, ce qui est effrayant, et à la mesure de l'homme, non en excès à sa capacité de résister, diffère de deux manières. D'une manière, selon la grandeur différente de la chose; par exemple, c'est plus effrayant s'il vient plus d'ennemis que s'il en vient moins. D'une autre manière, selon le plus et le moins; par exemple, qu'ils aient plus ou moins de haine, ou s'ils s'approchent plus ou moins. Et ce que l'on a dit de ce qui est effrayant, il faut le dire de pareille manière de ce qui prête à oser. Car c'est sur le même [objet] que portent la crainte et l'audace, comme on l'a dit (#530). |
[73249] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 3 Deinde cum dicit: fortis
autem instupescibilis etc., ostendit secundum praedictam rationem quomodo
diversificantur actus circa materiam praedictam. Et dicit quod cum dicitur
quod fortis non obstupescit propter timorem, intelligendum est secundum quod
convenit homini qui, si intellectum habeat, timebit ea quae sunt supra
hominem. Unde et fortis talia timebit. Sed tamen in casu necessitatis vel
utilitatis sustinebit talia sicut oportet, et sicut iudicabit recta ratio
quae propria est homini. Ita scilicet quod propter timorem talium non
discedet a iudicio rationis, sed sustinebit huiusmodi terribilia,
quantumcumque magna, propter bonum quod est finis virtutis. |
545.- Il montre, conformément à la raison donnée plus haut, comment se diversifient les actes par rapport à la matière décrite auparavant. Et il dit que lorsqu'on dit que le courageux demeure sans peur (n'est pas stupéfié) devant le danger, il faut entendre par là qu'il est impavide comme peut l'être un homme, c'est-à-dire comme il convient à un homme qui, s'il a un jugement sain, craindra ce qui dépasse l'homme. Et donc, le courageux aussi pourra craindre ces choses effroyables. Cependant, dans les cas de nécessité ou d'utilité, il supportera ces dangers comme on le doit et comme le prescrit la raison droite qui est propre à l'homme, de telle sorte qu'à cause de ces maux il ne s'éloignera pas de la règle du jugement droit, mais il les supportera aussi grands soient-ils, à cause du bien qui est la fin de la vertu. |
#545. — Ensuite (1115b10), il montre, d'après le critère qui précède, comment se différencient les actes touchant la matière en question. Il dit que, lorsque l'on dit que le courageux n'est pas frappé de stupeur par la crainte, on doit le comprendre en rapport à ce qui est à la mesure de l'homme qui, s'il a une intelligence saine, craindra ce qui le dépasse. Aussi, même le courageux craindra pareilles [choses]. Cependant, en cas de nécessité ou d'utilité, il les supportera comme il le faut, et comme en jugera la raison droite, qui est propre à l'homme. En conséquence, il ne s'éloignera pas du jugement de la raison par crainte de pareilles [choses], mais supportera des [choses] ainsi effrayantes, quelque grandes qu'elles soient, en raison du bien qui est la fin de la vertu. |
[73250] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15 n. 4 Contingit autem quandoque quod aliquis magis vel minus
timet terribilia quae sunt supra hominem vel secundum hominem magis vel minus
quam ratio iudicet; et adhuc, quod plus est, contingit quod ea quae non sunt
terribilia timet quasi terribilia: et in hoc consistit peccatum hominis, quod
est praeter rationem rectam. Et sicut aegritudo contingit in corpore per
inordinationem cuiuscumque humoris, ita etiam peccatum contra rationem
contingit in anima ex inordinatione cuiuscumque circumstantiae. Unde circa
timorem quandoque peccatur ex hoc quod aliquis timet quod non oportet timere;
quandoque vero ex hoc quod timet quando non oportet timere. Et idem dicendum
est de aliis circumstantiis supra positis. Et quod dictum est de
terribilibus, intelligendum est etiam de ausibilibus, de quibus est eadem
ratio, sicut dictum est. |
546.- Mais il arrive quelquefois qu’on craigne les choses effroyables qui sont au-dessus de l'homme ou les choses terribles à la mesure de l'homme plus ou moins que la raison juge; et encore, ce qui plus est, il arrive qu'on craigne, comme objets de crainte, ce qui ne l'est pas: et c'est en cela que consiste le péché de l'homme, péché qui s'oppose à la raison droite. Et, comme la maladie du corps provient du désordre de certaines humeurs, ainsi le péché contre la raison provient dans l'âme du manque d'ordination de n'importe quelle circonstance. C'est pourquoi, par rapport à la crainte, on pèche quelquefois du fait qu'on craint ce qu'on ne doit pas craindre; quelquefois du fait que l'on craint lorsqu'on ne doit pas craindre. On doit en dire autant des autres circonstances énumérées auparavant. Et ce qu'on vient de dire des objets de crainte, on doit le dire pour les objets de l'audace, où milite la même raison. |
#546. — Il peut arriver, cependant, quelquefois, que l'on craigne plus ou moins des [choses] effrayantes, en excès à la capacité de l'homme ou proportionnées à elle, plus ou moins que la raison ne le juge; ce qui est plus encore, il peut arriver que l'on craigne ce qui n'est pas effrayant comme s'il l'était: et c'est en cela que consiste la faute de celui qui contrarie le plus la raison droite. De même que la maladie se produit dans le corps par le désordre de n'importe quelle humeur, de même aussi la faute contre la raison se produit dans l'âme par le désordre de n'importe quelle circonstance. Aussi, touchant la crainte, on se rend fautif quelquefois du fait que l'on craigne ce qu'il ne faut pas craindre; et, quelquefois, du fait que l'on craigne quand il ne faut pas craindre. On doit dire la même [chose] des 103 autres circonstances mentionnées plus haut (#544). En outre, ce que l'on a dit de ce qui est effrayant, on doit le comprendre aussi de ce qui prête à audace, dont vaut la même raison, comme on l'a dit (#544). |
[73251] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 5 Deinde cum dicit: qui
quidem igitur etc., ostendit quis sit actus fortitudinis per comparationem ad
vitia opposita. Et circa hoc duo facit. Primo ponit actum virtutis et
vitiorum. Secundo comparat virtutem ad quaedam quae ei similia videntur, ibi:
et audaces quidem praevolantes et cetera. Circa primum tria facit. Primo
determinat actum virtutis et vitiorum quantum ad timorem et audaciam. Secundo
quantum ad spem et desperationem, ibi: desperans utique quis et cetera.
Tertio epilogat, ibi circa haec quidem igitur et cetera. Circa primum duo
facit. Primo determinat actum virtuosi. Secundo actus vitiosorum, ibi,
superabundantium autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod
intendit; secundo manifestat quiddam quod dixerat, ibi, finis autem omnis et
cetera. |
547.- Il montre ce qu'est l'acte de la vertu de force par comparaison aux vices opposés. Sur ce sujet, il fait une double considération. En premier, il pose l'acte de la vertu et des vices. En second, il compare la vertu à certaines dispositions qui lui ressemblent. La première considération se fait en trois étapes. En premier, il détermine l'acte de la vertu et des vices par rapport à la crainte et l'audace; en second, par rapport à l'espoir et au désespoir; en troisième, il apporte une certaine conclusion. Dans la première étape, il traite d'abord de l'acte de la vertu, puis de l'acte des vices. Par rapport à l'acte de la vertu, il propose ce qu'il veut dire, puis il manifeste une certaine affirmation faite auparavant. |
#547. — Ensuite (1115b17), il montre quel est l'acte du courage, par comparaison aux vices opposés. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente l'acte de la vertu et des vices. En second (1116a7), il compare la vertu à des [dispositions] qui lui paraissent semblables. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de l'acte de la vertu et des vices quant à la crainte et à l'audace. En second (1116a2), quant à l'espoir et au désespoir. En troisième (1116a4), il conclut. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite l'acte du vertueux. En second (1115b24), les actes des vicieux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente à quoi il vise. En second (1115b20), il manifeste ce qu'il avait dit. |
[73252] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 6 Dicit ergo primo, quod
ille qui sustinet quae oportet sustinere et fugit per timorem ea quae oportet
vitare, et facit hoc eius gratia cuius oportet et eo modo quo oportet et
quando oportet, vocatur fortis. Qui etiam similiter audet quae oportet, et
cuius gratia et cetera. Et huius rationem assignat dicens quod quia fortis et
virtuosus patitur per timorem et operatur per audaciam, secundum quod dignum
est et secundum quod recta ratio dictat. Omnis enim virtus moralis est
secundum rationem rectam, ut supra habitum est. |
548.- Il dit donc, en premier, que celui qui tient bon là où il doit tenir (qui supporte ce qu'il doit supporter) et fuit par crainte ce qu'il doit fuir ou éviter, et qui le fait en vue de ce qu'il faut et de la manière dont il le doit et lorsqu'il le doit, on l'appelle courageux ou fort; et, pareillement, celui qui ose, qui a l'audace de faire ce qu'il faut, selon la fin due, etc. Il en donne la raison en disant que celui qui est courageux et vertueux pâtit par crainte et agit par audace selon ce qu’il est digne de souffrir et d'opérer et selon ce que prescrit la raison droite. Toute vertu morale, en effet, se prend par conformité à la raison droite, comme on l'a vu auparavant. |
#548. — Il dit donc, en premier, que celui qui supporte ce qu'il faut supporter et fuit par crainte ce qu'il faut éviter, et fait cela en vue de ce qu'il faut et de la manière qu'il faut et quand il le faut, on l'appelle courageux. Celui aussi qui, pareillement, ose ce qu'il faut, et en vue de ce qu'il faut, etc. Il en assigne la raison, en disant que le courageux et le vertueux souffre par crainte et agit par audace selon qu'il est digne et selon que le dicte la raison droite. En effet, toute vertu morale se conforme à la raison droite, comme il en a été traité plus haut (#322, 326). |
[73253] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 7 Deinde cum dicit: finis
autem omnis etc., manifestat quiddam quod dixerat, scilicet cuius gratia
oporteat fortem operari. Et dicit quod finis cuiuslibet operationis virtuosae
est secundum convenientiam proprii habitus. Movet enim habitus ex
consuetudine causatus per modum naturae eo quod consuetudo est sicut quaedam
natura, sicut dicitur in libro de memoria. Finis autem ultimus agentis
naturalis operantis est bonum universi quod est bonum perfectum. Sed finis
proximus est ut similitudinem suam in aliud imprimat. Sicut finis calidi est
ut per suam actionem calidum faciat. Similiter autem et finis virtutis
operantis ultimus quidem est felicitas, quae est bonum perfectum, ut in primo
habitum est. Sed finis proximus et proprius est ut similitudo habitus existat
in actu. |
549.- Il manifeste une affirmation faite auparavant, à savoir ce en vue de quoi on doit agir. Et il dit que la fin de toute opération vertueuse correspond (répond) à l'habitus propre dont elle est l'opération. En effet, l'habitus incline (meut) à partir de la coutume qui le cause selon le mode de la nature, du 'fait que l'habitude est comme une certaine nature, comme on le dit dans le livre de la Mémoire et de la Réminiscence. Or, la fin ultime de l'agent naturel qui opère est le bien de l'univers qui est le bien parfait. Mais sa fin prochaine est d'imprimer sa propre ressemblance dans un autre. Ainsi la fin prochaine du corps chaud est de réchauffer un autre corps par son action calorifique. Semblablement, la fin ultime de la vertu opérante est la félicité, qui est le bien parfait, comme on l'a dit dans le premier livre. Mais sa fin prochaine et propre est que la ressemblance de la vertu existe en acte (l'existence en acte de sa propre similitude). |
#549. — Ensuite (1115b20), il manifeste ce qu'il avait dit, à savoir, en vue de quoi il faut agir. Il dit que la fin de n'importe quelle action vertueuse se conforme à ce qui convient à l'habitus approprié. L'habitus acquis par accoutumance, en effet, meut à la manière de la nature, en ce que l'accoutumance est comme une nature, comme il est dit au livre De la mémoire et de la réminiscence (c. 2; lect. 6, #383). Or la fin ultime d'un agent naturel en opération est le bien de l'univers, qui est le bien parfait. Mais sa fin prochaine est d'imprimer sa similitude en autre chose, comme la fin du chaud est, par son action, de rendre chaud. Pareillement, par ailleurs, la fin ultime de la vertu en opération est le bonheur, qui est le bien parfait, comme il en a été traité au premier [livre] (#45, 111, 112, 117, 118, 201, 222, etc.). Mais sa fin prochaine et plus propre est que la similitude de l'habitus existe en acte. |
[73254] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 8 Et hoc est quod dicit,
quod bonum quod intendit fortis, est fortitudo. Non quidem habitus
fortitudinis qui iam praeexistit, sed similitudo ipsius in actu. Et hoc etiam
est finis, quia unumquodque quod est propter finem determinatur in propria
ratione secundum proprium finem quia ex fine sumitur ratio eorum quae sunt ad
finem. Et ideo finis fortitudinis est aliquid ad rationem fortitudinis
pertinens. Sic igitur fortis sustinet et operatur gratia boni. Et hoc est
inquantum intendit operari ea quae sunt secundum fortitudinem. |
550.- Voilà ce que dit Aristote: le bien que poursuit le courageux est le courage. Non pas à la vérité l’habitus du courage qui préexiste déjà, mais sa similitude en acte. Et cela est en même temps sa fin: tout ce qui est en vue d’une fin est déterminé d'après sa fin propre, car c'est de la fin elle-même que se prend la raison d'être des moyens. C’est pourquoi la fin de la force est quelque chose qui appartient à la raison même de la force. Ainsi donc, le courageux soutient et opère en vue du bien. Et cela c'est en tant qu'il veut (tend à) opérer ce qui est conforme à son courage. |
#550. — C'est ce qu'il dit, en affirmant que le bien que poursuit le courageux, c'est le courage. Non pas, bien sûr, l'habitus de courage qui préexiste déjà, mais sa similitude en acte. Et cela aussi est la fin, que chaque chose qui est en raison de la fin soit fixée selon sa propre fin, car c'est de la fin que se prend la raison des moyens. C'est pourquoi la fin du courage est quelque chose qui touche la définition du courage. Ainsi donc, le courageux supporte et agit en vue du bien. Et c'est dans la mesure où il cherche à faire ce qui est conforme au courage. |
[73255] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 9 Deinde cum dicit
superabundantium autem etc., determinat actus vitiosorum. Et primo eius qui
deficit in timendo. Secundo eius qui superabundat in audendo, ibi, qui autem
in audendo et cetera. Tertio eius qui abundat in timendo, ibi, qui autem in
timendo et cetera. Dicit ergo primo, quod inter vitia ad superabundantiam
pertinentia ille est innominatus qui superabundat in impaviditate, qui
scilicet nil timet. Supra autem dictum est, quod multa sunt innominata. Et
hoc praecipue contingit in his quae raro accidunt. Talis autem impaviditas
raro accidit. Non enim contingit nisi in aliquo insano, vel in aliquo qui non
habet sensum doloris, quod scilicet nihil timeat, puta neque terraemotum, nec
inundationes, nec aliquid talium, sicut dicitur accidere quibusdam qui
vocantur Celtae, quod est nomen gentis. Hic autem dicit esse sine sensu
doloris, quia eadem sunt quae timemus futura et de quibus, cum fuerint
praesentia, dolemus. |
551.- Il détermine les actes des vices. Et tout d’abord du vice qui pèche par défaut de crainte. En second, ce celui qui tombe dans l'excès d'audace. En troisième, de celui qui pèche par excès de crainte. Il dit donc, en premier, que parmi les vices qui se tiennent du côté de l’excès, celui qui va trop loin dans l’impavidité, celui qui ne craint rien, n'a pas reçu de nom. On a souligné plus tôt qu'il y en avait plusieurs sans non approprié. Et cela arrive surtout dans les cas rares. Or, une telle impavidité arrive rarement. En effet, elle n'arrive que dans le cas d’un fou, ou chez celui qui n'a pas le sens de la douleur (insensible), à savoir celui qui ne craint rien, par exemple ni le tremblement de terre, ni les "inondations", ni rien de tel, comme on le dit des Celtes, qui est le nom d'une certaine race. Il dit ici que ces gens n'ont pas le sens de la douleur, (ou de la souffrance) car ce sont les même choses que nous craignons comme futures et dont nous souffrons lorsqu'elles sont présentes. |
#551. — Ensuite (1115b24), il traite des actes des vicieux. En premier, de celui qui manque de crainte. En second (1115b28), de celui qui a trop d'audace. En troisième (1115b33), de celui qui a trop de crainte. Il dit donc, en premier, que, parmi les vices qui tiennent à un excès, celui-là n'a pas de nom, dont l'excès est absence de peur, et qui ne craint rien. On a dit, plus haut, que bien des [cas] n'ont pas de nom. C'est ce qui arrive surtout en ce qui se produit rarement. Or une telle absence de peur se produit rarement. Cela ne se peut pas, en effet, sauf chez quelqu'un de malade, ou chez quelqu'un qui n'a pas le sens de la douleur, à savoir, de ne rien craindre, par exemple, ni tremblement de terre, ni raz-de-marée, ni autre chose de tel, comme on dit que cela arrive à des gens que l'on appelle des celtes, d'après le nom d'une nation. Celui-là, par ailleurs, on le dit sans sens de la douleur, parce que ce sont les mêmes [choses] que nous craignons comme futures et dont nous souffrons, lorsque présentes. |
[73256] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 10 Deinde cum dicit: qui
autem in audendo etc., agit de his qui superabundant in audendo. Et dicit
quod ille qui circa terribilia superabundat in audendo, ut scilicet audacter
terribilia aggrediatur ultra quam ratio dictat, vocatur audax. Est autem
aliquis qui non est vere audax, sed videtur, scilicet superbus quoniam fingit
se esse fortem. Unde sicut fortis vel audax se habet circa terribilia, ita
superbus quaerit apparere. Et propter hoc quando potest sine periculo
imitatur opera fortis vel audacis. Unde multi eorum qui videntur fortes vel
audaces sunt timidi quia, cum audacter se habeant in his quae habent parum
periculi, quando ea quae sunt multum terribilia superveniunt, non sustinent
ea. |
552.- Il traite de ceux qui pèchent par excès d'audace. Il dit que celui qui manifeste une audace excessive par rapport à ce qui est susceptible de crainte, à savoir celui qui s'attaque audacieusement à des choses terribles au-delà de la dictée de la raison, on l'appelle audacieux. Cependant, celui-là n'est pas vraiment audacieux, mais le parait. Il est vantard ou orgueilleux parce qu'il feint d'être courageux, Et ainsi, comme le courageux est à l’objet de la crainte, le superbe est à la recherche du paraître courageux. Ci.est pour cela que, lorsqu’il le peut sans danger, il imite les œuvres du courageux ou de l’audacieux. De là vient qu’un grand nombre de ceux qui paraissent forts ou audacieux sont en réalité timides (lâches). Audacieux là où il n’y a guère de danger, mais abdiquant aussitôt que se montre un danger véritable. |
#552. — Ensuite (1115b28), il traite de celui qui a trop d'audace. Il dit que celui qui a trop d'audace face à des [choses] effrayantes, de façon qu'il les affronte avec audace plus que la raison ne le dicte, on l'appelle audacieux. Il y en a, par ailleurs, qui ne sont pas vraiment audacieux, mais le paraissent: les fanfarons, puisqu'ils feignent d'être courageux. Aussi, comme le courageux ou l'audacieux se comportent face à des [choses] effrayantes, c'est ainsi que le fanfaron cherche à se montrer. À cause de cela, quand il le peut sans danger, il imite les actions du courageux ou de l'audacieux. C'est ainsi 104 que beaucoup de ceux qui paraissent courageux ou audacieux sont lâches. Alors qu'ils se comportent comme l'audacieux en ce qui ne présente que peu de danger, ils ne supportent plus, quand vient ce qui est vraiment effrayant. |
[73257] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 11 Deinde cum dicit: qui
autem in timendo etc., determinat de eo qui superabundat in timendo; et dicit
quod talis vocatur timidus qui timet quae non oportet timere et eo modo quo
non oportet et similiter secundum alias circumstantias. Et iste quidem qui
superabundat in timendo deficit in audendo. Nulla est enim ratio quare
aliquis non aggrediatur aliqua terribilia ad destruenda ipsa, nisi propter
timorem. Sed defectus timoris potest esse absque audacia aggrediendi. Non
enim sequitur quod quicumque non fugit sicut oportet, invadat plusquam
oportet. Sed
quicumque deficit ab invadendo quod oportet non facit hoc nisi propter
timorem. Et ideo defectum timoris separavit a superabundantia audaciae, sed
superabundantiam timoris coniungit defectui audaciae. Et quamvis timidus
superabundet in timendo et deficiat in audendo, magis tamen est manifestus ex
hoc quod superabundat in timore tristitiarum, quam ex hoc quod deficit in
audendo, quia defectus non ita percipitur sicut abundantia. |
553.- Il traite de celui qui pèche par crainte. Et il dit qu’on appelle lâche celui qui craint ce qu’il ne doit pas craindre ou de la façon dont il ne le doit pas et ainsi de suite pour toutes les autres circonstances. Et en vérité celui qui tombe dans l'excès de crainte manque aussi d'audace. Car il n'y a pas d’autre raison de ne pas s’attaquer à un objet terrible pour le détruire que celle de la crainte. Mais le défaut de crainte peut s’accompagner de l'absence d’audace pour affronter le danger. Du fait que quelqu'un ne fuit pas le danger comme il se doit, il ne s'ensuit pas qu’il s'attaque au danger plus qu’il ne le faut. Alors que quiconque se refuse d'attaquer ce qu'il faut, il ne le fait que par crainte. C est pourquoi Aristote sépare le défaut de crainte de l'excès d'audace, mais il unit l'excès de crainte au défaut d'audace. Et bien que le lâche pèche par excès de crainte et par défaut d'audace, il se manifeste davantage par le fait qu'il a une crainte excessive face aux situations pénibles que par son manque d'audace: on perçait plus difficilement, le défaut que l'excès. |
#553. — Ensuite (1115b33), il traite de celui qui craint trop. Il dit que l'on appelle lâche un homme tel qu'il craint ce qu'il ne faut pas craindre, et de la manière dont il ne faut pas, et pareillement pour ce qui est des autres circonstances. Celui-là, bien sûr, qui craint trop, manque d'audace. Car il n'y a aucune raison de ne pas affronter pour le détruire ce qui est effrayant, sauf par crainte. Cependant, le défaut de crainte peut aller sans l'audace d'affronter. Il ne s'ensuit pas, en effet, que quiconque ne fuit pas comme il faut, attaque plus qu'il ne faut. Mais quiconque est déficient pour l'attaque qu'il faut ne le fait que par crainte. C'est pourquoi il a séparé le défaut de crainte de l'excès d'audace, mais a uni l'excès de crainte avec le défaut d'audace. Et quoique le lâche craint à l'excès et manque d'audace, toutefois, il se manifeste davantage du fait de craindre à l'excès les tristesses que du fait de manquer d'audace, parce que le défaut n'est pas aussi perceptible que l'excès. |
[73258] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 12 Deinde cum dicit desperans
utique etc., ostendit quomodo praedicta se habeant ad spem et desperationem.
Ad cuius evidentiam considerandum est quod audaciae et timoris obiectum est
malum. Spei autem et desperationis obiectum est bonum. In bonum autem per
se appetitus tendit, sed per accidens refugit ipsum ratione alicuius mali
adiuncti. Similiter etiam malum per se
refugit appetitus; quod autem est per se est causa eius quod est per
accidens. Et ideo spes, cuius est tendere in bonum, est causa audaciae quae
tendit in malum quod aggreditur. Et eadem ratione timor qui refugit malum est
causa desperationis quae recedit a bono. Et ideo dicit quod timidus est
desperans inquantum timet circa omnia deficere. Fortis autem e contrario, in
quantum audet ostenditur esse bonae spei. |
554.- Il montre comment les actes précédents se comportent par rapport à l'espoir et au désespoir. Pour faire lumière sur cette question, il faut considérer que l'objet de l'audace et de la crainte est le mal, alors que l'objet de l'espoir et du désespoir est le bien. Or, l’appétit se porte de soi sur le bien, et ne s'en éloigne que de façon accidentelle à cause d'un mal qui lui est adjoint. Pareillement aussi, l'appétit fuit de soi le mal. Or, ce qui est par soi est cause de ce qui est accidentel. C'est pourquoi l’espoir, dont c'est le propre que de tendre au bien, est cause de l'audace qui tend au mal qu'elle attaque. Et pour la même raison la crainte qui fuit le mal est cause du désespoir qui s'éloigne du bien. Voilà pourquoi Aristote dit que le lâche désespère en tant qu'il craint tout (pessimiste de nature). Mais le courageux, au contraire, en tant qu'il ose, relève de la bonne espérance. |
#554. — Ensuite (1116a2), il montre comment les [dispositions] mentionnées se comportent en regard de l'espoir et du désespoir. Pour l'évidence de quoi on doit tenir compte que l'objet de l'audace et de la crainte est le mal, tandis que l'objet de l'espoir et du désespoir est le bien. Or, c'est au bien par soi que tend l'appétit, mais il le fuit par accident, en raison de quelque mal qui s'y ajoute. Semblablement aussi, l'appétit fuit le mal par soi. Ce qui, par ailleurs, est par soi est cause de ce qui est par accident. C'est pourquoi l'espoir, auquel il appartient de tendre au bien, est la cause de l'audace, qui tend au mal qu'elle affronte. Pour la même raison, la crainte qui fuit le mal est cause du désespoir, par lequel on s'éloigne du bien. C'est pourquoi il dit que le lâche désespère, pour autant qu'il craint de se trouver déficient pour tout. Le courageux, au contraire, en tant qu'il ose, est de bon espoir. |
[73259] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 13 Deinde cum dicit circa
haec quidem igitur etc., epilogat quae dicta sunt, concludens ex praedictis,
quod circa praedictas passiones sunt et timidus et audax et fortis, sed differenter
se habent ad eas. Nam audax et timidus superabundant et deficiunt in audendo
et timendo. Sed fortis medio modo se habet in his et sicut oportet, id est
secundum rationem rectam. |
555.- Il résume ce qu'il a dit pour conclure que et le lâche et l'audacieux (téméraire) et le courageux portent sur les passions mentionnées plus haut, mais dans des rapports différents. En effet, l'audacieux et le lâche pèchent par excès et défaut dans l'audace et la crainte. Mais le courageux tient une position intermédiaire par rapport à ces passions, les "maitrisant" (sens trop actif) comme il le faut et conformément à la raison droite. |
#555. — Ensuite (1116a4), il conclut ce qui a été dit, partant de ce qui précède, que c'est en regard des passions en question qu'agissent à la fois le lâche, l'audacieux et le courageux, mais avec un comportement différent à leur égard. En effet, l'audacieux et le lâche osent trop et ne craignent pas assez. Mais le courageux se tient au milieu en cela, comme il le faut aussi, d'après la raison droite. |
[73260] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 14 Deinde cum dicit: et
audaces quidem etc., comparat fortitudinem ad quaedam sibi similia. Et primo
ostendit differentiam fortis ad audacem; secundo ad eum qui mortem sustinet
propter vitandas aliquas molestias, ibi, quemadmodum igitur dictum est et
cetera. Timidi autem in nullo videntur cum fortibus convenire, et ideo non
curat inter eos differentiam assignare. Dicit ergo primo quod audaces ante
pericula sunt praevolantes et volentes, id est velociter et ardenter
ad ipsa currentes, quia moventur ex impetu passionis praeter rationem. Quando
autem sunt in ipsis periculis discedunt, quia motus passionis praecedentis
vincitur a difficultate imminente. Sed fortes quando sunt in ipsis operibus
difficilibus, sunt acuti: quia iudicium rationis ex quo agunt non vincitur ab
aliqua difficultate. Sed priusquam ad pericula veniant, sunt quieti: quia non
agunt ex impetu passionis, sed ex deliberatione rationis. |
556.- Il compare la force à certaines dispositions qui lui ressemblent. Et, en premier, il montre ce qui distingue le fort de l'audacieux (téméraire). En second, il compare le fort à celui qui se donne (supporte) la mort pour éviter certaines peines, certaines situations embarrassantes. Le lâche, lui, ne semble pas avoir de points communs avec le courageux. C'est pourquoi Aristote ne s’occupe guère de les comparer. Il dit donc que les audacieux, avant le péril, sont forts pressés et impatients, c'est-à-dire courent avec rapidité et ardeur au devant du danger (ils volent au devant du danger), parce qu’ils sont mus par l'impétuosité de la passion en dehors de la raison. Mais lorsqu’ils sont au sein même du péril ils s'affaissent, perdent pied, parce que le mouvement de la passion qui a précédé est vaincu par l'imminence de la difficulté. Mais les courageux, au sein même de l'action difficile, sont prompts et attentifs: le jugement de la raison qui dirige leur action n'est pas démoli par quelque difficulté. Mais avant l'action périlleuse, ils sont calmes: c'est qu'ils n'agissent pas sous l'impulsion de la passion, mais par la délibération de la raison. |
#556. — Ensuite (1116a7), il compare le courage à d'autres [dispositions] semblables à lui. Il montre, en premier, la différence entre courageux et audacieux. En second (1116a10), avec celui qui supporte la mort pour éviter d'autres embarras. Les lâches, quant à eux, ne paraissent convenir avec les courageux d'aucune [manière], et c'est pourquoi il ne s'occupe pas d'assigner une différence entre eux. Il dit donc que les audacieux sont pleins d'ardeur et de volonté avant les dangers, c'est-à-dire, qu'ils y accourent avec ardeur et violence, car ils sont mus par l'impulsion d'une passion qui déborde la raison. Mais quand ils se trouvent dans les dangers mêmes, ils en rabaissent, parce que le mouvement de la passion de départ se trouve vaincu par la difficulté imminente. Mais les courageux, quand ils sont dans les actions mêmes difficiles, restent vifs, car le jugement de leur raison, sur la base duquel ils agissent, n'est pas vaincu par la difficulté. Mais avant de venir au danger, ils sont lents, car ils n'agissent pas par impulsion passionnelle, mais par délibération rationnelle. |
[73261] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15
n. 15 Deinde cum dicit
quemadmodum igitur etc., ostendit differentiam fortis ad eum qui sustinet
mortem ut vitet molestias. Et dicit quod, sicut dictum est, fortitudo est
medietas circa ausibilia et terribilia, quae sunt mala, et in quibus dictum
est, scilicet in periculis mortis; et desiderat operari virtuose, et sustinet
talia pericula, ut eveniat aliquod bonum, scilicet honestum, vel ut
fugiat aliquod turpe, scilicet inhonestum. Sed quod aliquis moriatur
sibi ipsi manus iniiciens, vel ab alio mortem illatam libenter patiens ad
fugiendum inopiam vel cupidinem alicuius rei quam non potest habere, vel
quicquid est aliud quod ingerit tristitiam, non pertinet ad fortem, sed magis
ad timidum, duplici ratione. Primo quidem, quia videtur esse quaedam
mollities animi contraria fortitudini, quod aliquis non possit sustinere
laboriosa et tristia. Secundo quia non sustinet mortem propter bonum
honestum, sicut fortis, sed fugiendo malum tristabile. |
557.- Il montre la différence entre le courageux et celui qui souffre la mort pour éviter certains embarras. Il dit qu'on a montré plus haut que la force est médiété par rapport aux objets qui inspirent la crainte et qui sont des maux, parmi lesquels les dangers de mort constituent sa matière appropriée. On a dit aussi que le courageux soutenait ces dangers pour qu'il en sorte un certain bien, à savoir un bien honnête, ou pour que soit éviter quelque chose de honteux, à savoir un mal malhonnête. Mais que quelqu’un se donne la mort par lui-même ou qu’il la souffre volontiers d’un autre pour fuir la pauvreté ou par cupidité de quelque chose qu'il ne peut avoir, ou à cause de quelque autre inconvénient qui peut être source de tristesse, cela n’appartient pas au courageux, mais plutôt au lâche. Pour une double raison. Tout d'abord cela semble être de la mollesse de l'âme opposée à la force que de ne pouvoir soutenir un effort et supporter quelque peine, Ensuite, parce que celui-là ne supporte pas la mort à cause d'un bien honnête, comme il appartient au courageux, mais pour fuir quelque mal. |
#557. — Ensuite (1116a10), il montre la différence entre le courageux et celui qui supporte la mort pour éviter d'autres embarras. Il dit que l'on a dit, plus haut (#535-540), que le courage est un milieu à propos de maux effrayants, et dont on a parlé, à savoir, en rapport aux dangers de mort; et il désire agir vertueusement, et supporte de tels dangers pour qu'en sorte quelque bien honorable, ou pour fuir quelque mal déshonorable. Mais que l'on meure en portant la main sur soi-même ou en accueillant volontiers la mort portée par un autre en vue de fuir la misère, ou la convoitise d'une chose que l'on ne peut avoir, ou quoi que ce soit d'autre qui entraînerait de la tristesse, cela ne relève pas du courageux, mais plutôt du lâche, pour deux raisons. En premier, bien sûr, parce que cela est manifestement une mollesse de l'âme contraire au courage, que l'on ne puisse supporter les choses pénibles et tristes. En second, parce que l'on ne supporte pas la mort pour un bien honorable, comme le courageux, mais par fuite d'un mal attristant. |
[73262] Sententia Ethic., lib. 3 l. 15 n. 16 Ultimo autem concludit quod ex praedictis potest sciri
quid sit fortitudo. |
558.- Il conclut en dernier en disant que par l’exposé précédent on peut savoir ce qu'est le courage. |
#558. — Enfin, il conclut qu'à partir de ce qui précède, on peut savoir ce qu'est le courage. 105 |
|
|
|
Lectio
16 |
Leçon 16 : [La force en politique] |
|
|
IL TRAITE CERTAINS ACTES DE LA FORCE, QUI SEMBLENT FORT RESSEMBLANT A CEUX DE LA VRAIE FORCE, LESQUELS SONT DES ACTES DE LA FORCE POLITIQUE ET MILITAIRE, PARCE QUE LE POLITIQUE (CITOYEN) ET LE MILITAIRE PARAISSENT ETRE SEMBLABLES AUX VRAIS COURAGEUX. |
|
[73263] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 1 Dicuntur autem et aliae
secundum quinque modos et cetera. Postquam philosophus determinavit qualis
sit actus verae fortitudinis et oppositorum vitiorum; hic determinat de
quibusdam quae habent actum similem fortitudini, sed deficiunt a vera
fortitudine. Quod quidem quinque modis contingit. Cum enim vera fortitudo sit
virtus moralis, ad quam requiritur scire, et propter hoc eligere, potest
quidem aliquis exercens actum fortitudinis tripliciter a vera fortitudine
deficere. Uno modo quia non operatur sciens, et sic est unus modus non verae
fortitudinis secundum quem dicitur aliquis fortis per ignorantiam. Alio modo
quia aliquis non operatur ex electione, sed ex passione: sive sit passio
impellens ad pericula subeunda, sicut est ira; sive passio quietans animum a
timore, sicut est spes: et secundum hoc sumuntur duo modi non verae
fortitudinis. |
559.- Après avoir déterminé quel est l'acte de la vraie force et ceux des vices opposés, le Philosophe traite maintenant de certaines personnes qui ont un acte semble à celui du courageux, mais qui n'atteignent pas le vrai courage. Ce qui peut arriver de cinq façons. (On peut distinguer cinq formes principales de ces "caricatures" du courage). En effet, puisque la force est une vertu morale, qui requiert la connaissance et l'opération dans le sens même de cette connaissance, on peut, dans l'exercice de l'acte de la force, s'éloigner de la vraie force de trois façons d’une première façon, en opérant en ignorance de cause: telle est la cinquième forme de ce qui n'est pas la vraie force, selon laquelle on dit que quelqu'un est courageux par ignorance. La seconde façon est celle où lion n'opère pas par élection, mais par passion: que ce soit une passion qui pousse à foncer sur le danger, comme le fait la colère; que ce soit une passion qui apaise l'âme de la crainte, comme le fait l'espoir. Ce qui nous introduit à deux déformations de la vraie force. |
#559. — Après avoir identifié l'acte du vrai courage et des vices opposés, le Philosophe traite ici de certaines [dispositions] dont l'acte ressemble au courage, mais qui restent en deçà du vrai courage. Cela peut se produire de cinq manières. En effet, le vrai courage est une vertu morale, à laquelle il est requis de savoir, et de choisir sur la base de ce [savoir]; aussi, en exerçant l'acte du courage, on peut manquer de trois manières au vrai courage. D'une manière, du fait de ne pas agir en connaissance de cause: c'est ainsi que se produit le cinquième mode du courage non véritable, selon lequel on est dit courageux par ignorance. D'une autre manière, du fait de ne pas agir par choix, mais par passion, qu'il s'agisse d'une passion qui pousse à foncer sur les dangers, comme il en va de la colère, ou qu'il s'agisse d'une passion qui tranquillise l'esprit de la peur, comme il en va de l'espoir. Sous ce rapport, on tire deux modes de courage non véritable. |
[73264] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 2 Tertio modo deficit
aliquis a vera fortitudine ex eo quod aliquis ex electione quidem operatur,
sed aut (non) eligit id quod eligit fortis, scilicet pericula sustinere, dum
propter armorum peritiam reputat sibi non esse periculosum in bello
confligere, sicut apparet in militibus. Aut quia eligit aliquis pericula
sustinere, sed non propter illum finem propter quem eligit fortis, sed
propter honores vel poenas, quae a rectoribus civitatum proponuntur. |
560.- D'une troisième façon on peut ne pas atteindre la vraie force du fait qu'on opère, oui, par élection, mais sans choisir ce que choisit le courageux: si quelqu'un croit, en affrontant un danger, qu'il n’est pas périlleux pour lui de livrer bataille dans une guerre à cause de son expérience dans le maniement des armes, comme on le voit chez les soldats. Ce qui peut encore arriver du fait que quelqu'un choisit de soutenir les dangers, mais pas en vue de la fin pour laquelle choisit le courageux, mais à cause des honneurs ou des peines qui sont distribués par ceux qui gouvernent les cités. |
#560. — D'une troisième manière, on manque au vrai courage du fait que l'on agisse sans doute par choix, mais en ne choisissant pas ce que choisit le courageux. En supportant les dangers grâce à l'expérience des armes, on pense qu'il n'est pas dangereux pour soi de combattre à la guerre, comme on le voit chez les soldats. Ou du fait que l'on choisit de supporter les dangers, mais non pour la fin en vue de laquelle le choisit le courageux, mais en raison des honneurs ou des peines, qu'imposent les dirigeants des cités. |
[73265] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16 n. 3 Secundum hoc ergo dividitur pars ista in quinque
partes. In prima parte determinat de fortitudine politica sive civili. In
secunda de fortitudine militari, ibi: videtur autem et experientia et cetera.
In tertia parte de fortitudine quae est per iram, ibi, et furorem autem super
fortitudinem etc.; in quarta parte de fortitudine quae est per spem, ibi,
neque utique bonae spei et cetera. In quinta de fortitudine quae est per
ignorantiam, ibi, fortes autem videntur et ignorantes et cetera. Circa primum
ponit tres gradus politicae fortitudinis. Quorum primus est eorum, qui
sustinent pericula propter honorem; secundus eorum, qui sustinent propter timorem
poenarum, ibi, ponet autem utique etc.; tertius eorum qui aggrediuntur et
sustinent periculosa propter praesentem coactionem, ibi, et qui praecipiunt
et cetera. Circa primum tria facit. |
561.- D'après cela donc, on peut diviser cette partie en cinq. Dans la première, il traite du courage politique ou civil; dans la seconde, du courage militaire; dans la troisième, du courage issu de la colère; dans la quatrième, du courage qui vient de l'espoir; dans la cinquième, du courage qui naît de l'ignorance. Au sujet de la force politique, il distingue trois degrés. Le premier est celui de ceux qui supportent les dangers à cause de l'honneur. Le second est celui de ceux qui supportent le danger à cause de la crainte des peines. Le troisième appartient à ceux qui supportent le danger et foncent vers le danger à cause d'une contrainte présente. Par rapport au premier degré, il fait trois réflexions. |
#561. — Sous ce rapport, on divise donc cette partie en cinq parties. Dans la première partie, il traite du courage politique, ou civil. Dans la seconde (1116b3), du courage militaire. Dans la troisième partie (1116b23), du courage qui tient de la colère. Dans la quatrième partie (1117a9), du courage qui tient à l'espoir. Dans la cinquième (1117a22), du courage qui tient à l'ignorance. Sur le premier [point], il présente trois degrés de courage politique. Le premier appartient à ceux qui supportent les dangers pour l'honneur. En second (1116a29), il s'agit de ceux qui le supportent à cause de la crainte de peines. En troisième (1116a36), il s'agit de ceux qui affrontent et supportent les dangers en raison d'une contrainte présente. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. |
[73266] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 4 Primo proponit hunc gradum
fortitudinis, et dicit quod, cum praeter fortitudinem veram dicantur quaedam
aliae fortitudines secundum quinque modos; primum locum inter eas tenet
fortitudo politica idest civilis, eo quod talis fortitudo maxime
assimilatur verae. Sustinent enim cives pericula ut vitent increpationes et
opprobria quae secundum statuta legum civilium inferuntur timidis, et ut
adipiscantur honores qui secundum easdem leges fortibus exhibentur. Et inde
est quod apud illas civitates in quibus timidis adhibentur vituperia,
fortibus autem honores, inveniuntur viri fortissimi secundum hanc
fortitudinem, et fortassis etiam secundum veram, propter assuetudinem. |
562.- En premier il propose ce premier degré du premier type du courage civil. Il dit que, puisque à part de la vraie force, on parle de différentes vertus de force selon cinq manières, la première place parmi ces formes de courage revient au courage politique ou civil, du fait qu'il s'assimile le plus au vrai courage. En effet, les citoyens tiennent bon devant les dangers pour éviter les reproches et les opprobres établis par les lois contre les citoyens lâches et pour obtenir les honneurs que les mêmes lois demandent d'exhiber aux courageux. De là vient que dans les cités où l'on prodigue les blâmes aux lâches et les honneurs aux courageux, on trouve, à cause de cela, des hommes très courageux selon cette sorte de courage et peut être aussi, à cause de la coutume, très courageux selon la vraie force. |
#562. — En premier, il présente ce degré du courage, et dit: en dehors du vrai courage, on appelle certaines autres [dispositions] courage, selon cinq modes. Tient la première place parmi elles le courage politique, c'est-à-dire, civil, car pareil courage s'assimile le plus au vrai courage. Les citoyens, en effet, supportent les dangers pour éviter les blâmes et les opprobres que l'on inflige aux lâches, d'après les statuts des lois civiles, et pour accéder aux honneurs que l'on accorde aux courageux, d'après les mêmes lois. Ainsi arrive-t-il que, dans ces cités où on administre des réprimandes aux lâches, et des honneurs aux courageux, les gens se trouvent ainsi les plus courageux de ce courage, et peut-être aussi du vrai, par accoutumance. |
[73267] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 5 Secundo ibi: tales autem
etc., inducit exempla ex Homero, qui describens Troianum bellum inducit
taliter fortes, scilicet propter honores vel vituperia, puta Diomedem ex
parte Graecorum, et Hectorem ex parte Troianorum. Inducit enim Hectorem
dicentem haec verba: Polidamas, idest quidam dux Troianorum, primum
redargutionem reponet mihi, id est primo me redarguet nisi fortiter
egero. Et Diomedes dicebat seipsum exhortans ad fortiter agendum: Hector
concionando apud Troianos dicet, ut laudans se et me vituperans, Titides,
id est Diomedes qui sic nominatus est a patre, a me scilicet fugit vel
victus est. |
563.- Il apporte ill1 exemple tiré d'Homère qui, en décrivant la guerre de Troie, nous présente des courageux de cette sorte, à savoir à cause des honneurs et des blâmes. Par exemple, Diomède, du côté des Grec, et Hector, du côté des Troyens. Il introduit en effet Hector en lui faisant dire les paroles suivantes: "Polydamas (c'est-à-dire un certain chef de Troie) sera le premier à m'en faire honte", si je ne bats courageusement. Et Diomède se disait pour s'exhorter à combattre avec courage: Hector, un jour, dira à l'assemblée des Troyens, pour se louer et me blâmer: Devant moi Tydée (c'est-à-dire Diomède, ainsi nommé à cause de son père) a fui et fut vaincu. |
#563.
— En second (1116a21), il énumère des exemples tirés d'Homère qui, en
décrivant la guerre de Troie, présente de pareils courageux, à savoir, à
cause des honneurs ou des blâmes: Diomède, par exemple, chez les Grecs, et
Hector, chez les Troyens. Il fait parler Hector ainsi, en effet: Polidamas,
c'est-à-dire, certain chef des Troyens, m'imposera le premier rejet,
c'est-à-dire, me rejettera, si je ne me conduis pas courageusement. Et
Diomède disait, en s'exhortant à agir courageusement: Hector, en fêtant avec
les Troyens, dira pour se louer et me blâmer: Tydides, c'est-à-dire, Diomède,
ainsi nommé à cause de son père, m'a fui et s'est trouvé vaincu. |
[73268] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 6 Tertio ibi assimilatur
autem etc., manifestat quod dixerat, scilicet quod ista fortitudo maxime
assimilatur verae. Et dicit quod haec politica fortitudo maxime assimulatur
ei de qua supra dictum est quod fit propter virtutem. Haec enim politica
fortitudo fit propter verecundiam, quae est timor de turpi, inquantum
scilicet aliquis fugit opprobria, et fit propter boni, id est honesti,
desiderium, inquantum ista fortitudo quaerit honorem, qui est testimonium
honestatis. Et ideo hoc exponens subdit, quod huiusmodi fortitudo fit propter
honorem et propter fugam opprobrii quod turpe existit. Quia igitur honor
propinquum aliquid est bono honesto, et vituperium turpi inhonesto, inde est
quod ista fortitudo propinqua est verae fortitudini quae intendit honestum,
et fugit inhonestum. |
564.- Il manifeste ce qu’il avait dit, à savoir que cette force s’assimile le plus à la vraie force. Et il dit que la force politique (du citoyen) s’assimile très fortement à celle qu'on a décrite plus haut comme étant en vue de la vertu. En effet, cette force du citoyen nait à cause de la pudeur, qui est une crainte des choses honteuses, en tant que quelqu'un fuit l’opprobre, et nait ainsi à cause du bien, c'est-à-dire à cause du désir de quelque chose d'honnête (le sens de l'honnête qui relève du beau de l'âme est bien expliqué dans la Somme théologique), en tant que ce courage recherche l'honneur, qui est le témoignage de l'honnêteté. C'est pourquoi en exposant ce point il souligne que cette sorte de courage vient de la poursuite de l'honneur et de la fuite de l'opprobre, qui est quelque chose de honteux. Donc, parce que l'honneur est quelque chose de proche du bien honnête, et le blâme d'une chose honteuse quelque chose de-voisin de ce qui est "malhonnête", de là vient que cette force est proche de la vraie force, qui poursuit l’honnête et fuit le malhonnête. |
#564. — En troisième (1116a26), il manifeste ce qu'il avait dit, à savoir, que ce courage s'assimile le plus au vrai. Il dit que le courage politique s'assimile le plus à celui duquel on a dit plus haut qu'il l'est par vertu. Ce courage politique, en effet, a lieu par vergogne, qui consiste en la crainte de ce qui est honteux, en tant, donc, que l'on fuit l'opprobre, et par suite à cause du désir du bien, c'est-à-dire, de l'honorable, dans la mesure où ce courage recherche l'honneur, qui est le témoignage de l'honorabilité. C'est pourquoi, en exposant cela, il ajoute que pareil courage dépend de l'honneur et de la fuite de l'opprobre, de ce qui est honteux. Comme l'honneur, donc, est quelque chose de proche du bien 106 honorable, et le blâme, [proche] de ce qui est honteux et déshonore, il s'ensuit que ce courage est proche du vrai courage, qui vise l'honorable et fuit le déshonorant. |
[73269] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 7 Deinde cum dicit: ponet
autem aliquis etc., ponit secundum gradum fortitudinis politicae, qui est
propter timorem poenae. Et dicit quod ad eundem modum politicae fortitudinis
possunt reduci illi, qui sunt fortes propter hoc quod timore poenarum
coguntur a principibus civitatis. Sunt tamen deteriores praemissis, inquantum non
agunt fortiter propter verecundiam turpitudinis, sed propter timorem poenae. Et hoc est quod subdit, quod non fugiunt turpe,
idest inhonestum, sed triste aliquid idest dolorosum vel damnosum ex
quo aliquis tristatur. Per hoc enim domini cogunt suos subditos fortiter
pugnare. Sicut secundum Homerum, Hector Troianis comminabatur dicens: ille
quem intelligam fugientem sine bello, idest sine hoc quod fortiter
pugnet, ita male tractabo eum quod non erit sufficiens ad fugiendum canes.
|
565.- Il pose le second degré du courage politique, qui existe à cause de la crainte de la peine. Il dit qu’au même mode de la force civile, on peut réduire le cas de ceux qui sont courageux, du fait qu’ils sont fortement poussés à l'être par les chefs de la cité, à cause de la crainte des peines. C'est ce qu'Aristote souligne: ces gens là ne fuient pas ce qui est honteux, c'est-à-dire déshonnête, mais ce qui apporte tristesse, c'est-à-dire quelque peine douloureuse ou quelque dommage. En effet, c'est ainsi que les seigneurs forcent ceux qui leur sont soumis à combattre courageusement. C'est ainsi que, selon Homère, Hector menaçait lès Troyens en disant: "Et celui que j'apercevrai se blottissant à l'écart du combat". Celui-là aura peine à échapper aux chiens. |
#565. — Ensuite (1116a29), il présente le second degré du courage politique, celui qui s'exerce à cause de la crainte de la peine. Il dit que l'on peut réduire au même mode du courage politique ceux qui sont courageux à cause de ce qu'ils sont forcés par la crainte de peines par les dirigeants de la cité. Ils sont quand même moins bien que les précédents, dans la mesure où ils n'agissent pas courageusement par vergogne de ce qui est honteux, mais par crainte de la peine. C'est ce qu'il ajoute, qu'ils ne fuient pas le honteux, c'est-à-dire, le déshonorant, mais du triste, c'est-à-dire, quelque chose de douloureux ou de dommageable qui attristerait. C'est par cela, en effet, que les seigneurs forcent leurs subordonnés à combattre courageusement. Ainsi, d'après Homère, Hector menaçait les Troyens en disant: Celui que je prendrai à fuir sans combattre, c'est-à-dire, sans combattre courageusement, je le traiterai si mal qu'il n'arrivera même plus à fuir les chiens. |
[73270] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 8 Deinde cum dicit: et qui
praecipiunt etc., ponit tertium gradum politicae fortitudinis, prout scilicet
aliqui coguntur a principibus praesentialiter et non solum timore futurarum
poenarum. Et hoc est quod dicit quod idem operantur sua actione principes qui
praecipiunt subditis, ut non fugiant a praelio, et eos qui recedunt
percutiunt, et similiter illi qui ante pugnatores ne fugere possint
constituunt muros et foveas et alia huiusmodi impedimenta fugae. Omnes enim
principes talia facientes, cogunt subditos ad pugnandum. Sed illi qui sic
coguntur non sunt vere fortes. Quia oportet virtuosum esse fortem non propter
necessitatem quam patitur, sed propter bonum virtutis. |
566.- Il pose le troisième degré de la force civile, à savoir en tant que certains citoyens sont forcés dans le moment présent par les chefs et non seulement par la crainte des peines futures. C'est bien ce qu'Aristote dit. Les chefs qui vous placent devant eux et qui, si vous reculez, vous frappent, font la même chose. Et pareillement ceux qui, avant la bataille, construisent des murs et creusent des fossés et multiplient les obstacles à la fuite pour interdire toute chance de retraite. En effet, tous les chefs qui agissent ainsi forcent les inférieurs à combattre. Mais ceux qui l’on force ainsi ne sont pas vraiment courageux. Car il faut que le fort soit vertueux non pas à cause de la nécessité (violence) qu'on lui impose, mais pour le bien de la vertu. |
#566. — Ensuite (1116a36), il présente le troisième degré du courage politique, selon lequel on est forcé actuellement par les chefs, et non seulement par la crainte de peines futures. C'est ce qu'il dit, que c'est de la même façon que modèlent leurs actions les chefs qui ordonnent à leurs subordonnés de ne pas fuir de la bataille et qui frappent ceux qui s'éloignent de la bataille. Pareillement encore, ceux qui, pour qu'on ne puisse fuir, creusent avant le combat des fossés et construisent des murs et imaginent de semblables empêchements à la fuite. Tous les chefs qui agissent de même, en effet, forcent leurs subordonnés à combattre. Mais ceux qui se trouvent ainsi forcés ne sont pas vraiment courageux. Car le vertueux doit être courageux non par nécessité, mais à cause du bien de la vertu. |
[73271] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 9 Deinde cum dicit: videtur
autem et experientia etc., determinat de fortitudine militari. Et circa hoc
duo facit. Primo enim ostendit milites (per experientiam aptos esse) ad
fortiter agendum; secundo comparat militarem fortitudinem ad politicam, ibi,
milites autem timidi sunt et cetera. Dicit ergo primo, quod in singulis
experientia videtur esse quaedam fortitudo. In quolibet enim negotio audacter
et sine timore operatur ille, qui est expertus, sicut Vegetius dicit in libro
de re militari: nemo facere dubitat quod se bene didicisse confidit.
Et propter hoc Socrates aestimavit quod fortitudo esset scientia quaedam quae
etiam per experientiam acquiritur: aestimavit etiam omnes alias virtutes esse
scientias. Sed de hoc infra in sexto agetur. Sic ergo cum quidam alii sint fortes
per experientiam in quibusdam aliis rebus, in rebus bellicis milites sunt fortes
per experientiam. |
567.- Il traite du courage militaire. A ce sujet, il fait deux considérations. En premier il montre ce qui conduit les soldats à agir courageusement. En second, il compare le courage militaire au courage civil. Il dit donc tout d'abord qu’en chaque catégorie de dangers, l'expérience semble être un certain courage. Dans toute œuvre difficile celui-là opère avec audace et sans crainte, qui a une bonne expérience dans ce domaine. Ainsi Vegetius dit dans son livre sur l'art militaire: "Personne n'hésite à faire ce qu'il a confiance d'avoir bien appris". C’est pour cela que Socrate a cru que le courage était une science, qui s'acquiert aussi par expérience: il croyait aussi que toutes les vertus étaient des sciences. Mais on traitera de cette question dans le sixième livre. Et donc, comme il arrive d'être courageux dans différents domaines à cause de l'expérience, ainsi les soldats de métier sont courageux à la guerre à cause de leur expérience. |
#567. — Ensuite (1116b3), il traite du courage militaire. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, en effet, il montre ce qui amène les soldats à agir courageusement. En second (1116a15), il compare le courage militaire au politique. Il dit donc, en premier, que l'expérience du terrain passe pour du courage. En effet, en n'importe quelle affaire, l'expert agit avec audace et sans crainte, comme Vegetius le dit, dans son livre sur la question militaire: «Personne ne doute de faire ce qu'il a confiance d'avoir bien appris.» C'est pourquoi Socrate estimait que le courage est une science, qui s'acquière par l'expérience; il pensait aussi que toutes les autres vertus sont des sciences. Mais on traitera de cela plus loin, au sixième [livre] (#1286). Ainsi donc, de même que certains sont courageux en n'importe quoi par expérience, de même les soldats sont courageux par expérience dans les affaires de guerre. |
[73272] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 10 Ex qua quidem duo
consequuntur. Quorum primum est quod in bellis multa sunt inania, quae
scilicet inexpertis terrorem incutiunt, quamvis parum vel nihil periculi
habeant; sicut fragor armorum, concursus equorum et alia huiusmodi, quae
quidem milites maxime aspexerunt per experientiam non esse terribilia. Unde
videntur fortes, cum talibus sine timore se ingerunt, quae aliis, scilicet
inexpertis, periculosa videntur, quia nesciunt qualia sint. Secundo
consequuntur ex experientia quod possunt facere, idest gravare
adversarios, et non pati, id est non gravari ab eis, custodiendo
scilicet se ab ictibus et percutiendo alios inquantum habent potestatem ad
bene utendum armis, et alia huiusmodi habent, quae sunt efficacia ad hoc quod
ipsi possint laedere alios, ita quod non laedantur. Unde manifestum est, quod
ipsi pugnant cum aliis sicut armati cum inermibus. Quasi enim inermis videtur
qui armis non potest uti aut nescit. |
568.- De là, on peut tirer une double conséquence. La première est qu'il y a à la guerre des choses grandioses, à savoir qui donnent une vraie peur à ceux qui ne s'y connaissent pas, bien qu’ils ne comportent que peu ou pas du tout de danger. Ainsi en est-il du fracas des armes, de la course des chevaux, et des mouvements de cette sorte. Ceux qui ont vu ces choses attentivement savent par expérience qu'elles ne sont pas terribles. C’est pourquoi, ils paraissent courageux lorsqu'ils se jettent sans crainte dans ces actions qui, pour les novices ou ceux qui ne savent pas ce qu’il en est, semblent périlleuses, à cause de leur ignorance du caractère de ces actions. En second, il s'ensuit, à cause de leur expérience, qu'ils peuvent fatiguer l'adversaire, sans en souffrir trop eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils peuvent porter des coups-sans en recevoir, en tant qu'ils sont capables de bien manier les armes et qu'ils possèdent les trucs du métier qui leur permettent de blesser l'adversaire sans l'être. Il est donc manifeste qui ils combattent comme un soldat bien armé peut combattre avec un homme désarmé. Un homme qui se sert mal ou ne sait pas se servir de ses armes est pratiquement un homme désarmé. |
#568.
— De cela, deux [choses] s'ensuivent. La première est qu'à la guerre bien des
choses dépassent les non-experts, c'est-à-dire, leur infligent de la crainte,
bien qu'elles ne comportent que peu ou pas de danger; par exemple, le fracas
des armes, le galop des chevaux, et d'autres choses de la sorte. Ces choses,
bien sûr, avec l'expérience, perdent leur aspect effrayant. Aussi paraît-on
courageux, lorsqu'on entre sans crainte en de telles [choses], qui paraissent
dangereuses aux autres, à savoir, aux non-experts, qui ne savent comment
elles sont. En second, on tire aussi de l'expérience de pouvoir faire
souffrir l'ennemi sans souffrir, c'est-à-dire, ne pas souffrir de sa part, à
savoir, en se gardant des coups et en frappant les autres, du fait d'avoir la
capacité de bien user de ses armes, et de disposer de choses de la sorte,
efficaces pour pouvoir blesser les autres sans l'être soi-même. Aussi est-il
manifeste que pareilles gens combattent avec les autres comme gens armés
contre gens désarmés. Car il est quasi désarmé celui qui ne peut ou ne sait
user de ses armes. |
[73273] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 11 Et simile est de athletis,
idest pugilibus fortibus et instructis cum idiotis, idest rusticis
inexpertis. Quia in talibus agonibus, scilicet athletarum, non illi
qui maxime possunt pugnare sunt fortissimi, sed illi qui sunt potentes
secundum virtutem corporalem, ut habentes corpora bene disposita. |
569.- On pourrait continuer la comparaison en disant qu'ils ressemblent à un lutteur professionnel qui combat avec un amateur. Car, dans ces combats dans les arènes, ce ne sont pas les meilleurs combattants, qui sont o-les plus courageux, mais ceux qui possèdent une grande vigueur corporelle, étant en grande forme physique. |
#569. — Il en va de même d'athlètes, c'est-à-dire, de pugilistes courageux et instruits, contre des idiots, c'est-à-dire, des rustres sans expérience. Car en leurs combats, à savoir, en ceux des athlètes, ce ne sont pas ceux qui peuvent le plus combattre qui sont les plus courageux, mais ceux qui sont puissants sous le rapport de la vertu corporelle, doués de corps bien disposés. |
[73274] Sententia Ethic., lib. 3 l. 16
n. 12 Deinde cum dicit: milites
autem timidi sunt etc., comparat militarem fortitudinem ad politicam. Et
dicit quod milites tamdiu fortiter agunt quandiu non vident periculum
imminere, sed quando periculum excedit peritiam, quam habent in armis, et
quando non habent multitudinem secum nec alias praeparationes bellicas, tunc
efficiuntur timidi. Et tunc primi fugiunt: non enim propter aliud erant
audaces, nisi quia aestimabant sibi periculum non imminere. Et ideo quando
vident periculum primi fugiunt; sed illi qui sunt civiliter fortes,
permanentes in periculis moriuntur. Sicut accidit in quodam loco ubi
militibus fugientibus cives remanserunt. Quia cives turpe reputabant fugere,
et magis eligebant mortem quam salvari per fugam. Sed milites a principio
exponebant se periculis quasi existimantes se potentiores. Sed postquam
cognoverunt adversarios esse potentiores, fugerunt, magis timentes mortem
quam turpem fugam. Non est autem ita de forti, qui magis timet turpitudinem
quam mortem. |
570.- Il compare le courage militaire au courage civil. Et il dit que les soldats combattent avec courage aussi longtemps qu'ils ne voient pas le danger devenir imminent. Mais du moment que le danger dépasse la compétence qu'ils ont dans leurs armes ou quand ils se trouvent en état d'infériorité pour le nombre ou l'armement en général, ils deviennent lâches. Et alors ils sont les premiers à s'enfuir, à retraiter: ils n'étaient donc audacieux que parce qu'ils croyaient que le danger n'était pas imminent. C'est pourquoi ils sont les premiers à s'enfuir quand ils Voient le danger. Mais ceux qui sont des citoyens courageux (les troupes formés des citoyens) demeurent sur place et se font tuer. Comme il arriva au combat (du temple d'Hermès) où les soldats se sont enfuis et les citoyens sont restés sur place. C'est que les citoyens croyaient qu'il était honteux de fuir et préféraient la mort à un salut par la fuite. Mais les soldats, au tout début, s'exposent au danger, croyant qu'ils seront les plus forts. Dès qu'ils se rendent compte de la supériorité des adversaires ils fuient, craignant davantage la mort que la fuite honteuse. Il n'en est pas ainsi de l'homme courageux qui craint davantage la honte que le mort. |
#570. — Ensuite (1116a15), il compare le courage militaire au politique. Il dit que les soldats agissent courageusement aussi longtemps que les dangers ne paraissent pas imminents. Mais quand le danger dépasse l'habileté qu'ils ont avec les armes, et quand ils ne sont pas entourés d'une multitude, ou d'autres préparatifs de guerre, alors ils deviennent lâches. Et alors, ils fuient les premiers: ils n'étaient pas audacieux pour autre chose, en effet, que parce qu'ils estimaient que le danger n'était pas menaçant pour eux. C'est pourquoi, quand ils voient le danger, ils fuient les premiers. Mais ceux qui sont 107 courageux civilement restent dans les dangers et meurent. Comme il est arrivé en certain lieu où, après la fuite des soldats, les citoyens sont restés. Car les citoyens jugeaient honteux de fuir, et choisissaient plutôt la mort que le salut par la fuite. Mais les soldats s'exposent aux dangers au début, tant qu'ils se pensent plus puissants. Mais une fois qu'ils se sont rendus compte que les ennemis sont plus puissants, ils fuient, craignant davantage la mort qu'une fuite honteuse. Cependant, il n'en va pas ainsi du courageux, qui craint davantage la honte que la mort. |
|
|
|
Lectio
17 |
Leçon 17 : [Différence entre vertu de force et colère] |
|
|
IL TOUCHE A LA TROISIEME FORME DE CE QUI N'EST PAS LA VRAIE FORCE, QUI SEMBLE ETRE UNE CERTAINE FUREUR QUI POUSSE L'HOMME A L'ACTE DU COURAGE. |
|
[73275] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17 n. 1 Et furorem autem super fortitudinem et cetera. Positis
duobus modis fortitudinis non verae, hic ponit tertium modum, qui scilicet
est per iram impellentem ad actum fortitudinis. Et circa hoc duo facit. Primo
enim ostendit quomodo furor inclinet ad actum fortitudinis. Secundo ostendit
differentiam ad veram fortitudinem, ibi, fortes quidem igitur et cetera.
Dicit ergo primo, quod homines in communi usu loquendi inferunt furorem supra
fortitudinem, dum scilicet fortitudini attribuunt ea quae per furorem fiunt.
Furentes enim vel irati videntur esse fortes. Sicut et bestiae, quae in
furorem concitatae irruunt in homines qui eas vulnerant; habet enim fortitudo
quamdam furoris similitudinem, inquantum scilicet furor cum maximo impetu
inducit in pericula. Fortis autem cum magna virtute animi in pericula tendit. |
571.- Une fois posés les deux premiers modes de ce qui n'est pas la véritable force, il propose ici le troisième: celui qui provient de la colère poussant à l'acte de courage. A ce sujet, il fait deux considérations. En premier, en effet, il montre comment l'emportement incline à l'acte de la force. En second, il montre la différence entre cet acte et celui de la vraie force. Il dit donc en premier que les hommes, dans leur façon ordinaire de parler placent l'emportement au-dessus du courage, à savoir lorsqu'ils attribuent au courage ce que des emportés font par fureur ou ce que font des hommes en colère. Car les furieux ou les emportés paraissent être courageux. Comme le font les bêtes qui, prises de furie, se jettent sur ceux qui les fouettent ou les frappent. En effet, le courage a quelque chose, semble-t-il, de l'emportement, en tant que l'emporté se précipite violemment au cœur du danger, alors que le courageux s'avance vers le péril avec un grande force d'âme. |
#571. — Après avoir présenté deux modes du courage non véritable, il présente ici le troisième mode, tenant à la colère pour autant qu'elle pousse à l'acte du courage. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment la fureur incline à l'acte du courage. En second (1116b30), il montre la différence avec le vrai courage. Il dit donc, en premier, que, dans la manière habituelle de parler, on prend la fureur pour du courage, quand on attribue au courage ce que des gens enragés ou fâchés font de rage. Car les gens enragés ou fâchés paraissent bien être courageux. Comme aussi les bêtes qui, une fois enragées, se ruent sur les gens qui les frappent. En effet, le courage a de la ressemblance avec la rage, en ceci que la rage pousse au danger avec beaucoup d'élan, comme justement le courageux tend au danger avec grande vertu d'âme. |
[73276]
Sententia Ethic., lib. 3 l. 17 n. 2 Et inducit ad hoc exempla
Homeri qui admonendo quemdam dicit: virtutem immitte furori, ut
scilicet furor per virtutem animi reguletur. Et virtutem erige et furorem,
ut scilicet per iram virtus animi promptior ad actum reddatur. Et alibi dicit
de quibusdam, quod per singulas nares emittebant austeram virtutem,
scilicet furorem, qui propter calefactionem cordis facit cum magno impetu
respirare, intantum quod aliquando ex impetu irae ebullit sanguis per nares.
Et subdit philosophus quod praedicta verba Homeri videntur significare quod
furor erigatur, et impetum faciat ad actus fortitudinis. |
572.- Pour appuyer son dire, il apporte un vers d'Homère qui, en avertissant quelqu'un dit: "Mettez de la vertu dans votre colère", à savoir que votre fureur soit mesurée par la vertu, (Le vers véritable est: "Il leur met de la force au cœur") ; Et encore: "Réveillez votre puissance et votre colère", à savoir pour que la puissance de l'âme soit rendue prompte à l'action par la colère ("Il réveille fougue et emportement") Il dit ailleurs de certains hommes que fumait, de leurs narines, la fureur qui, à cause de la chaleur qu'elle communique au cœur, fait respirer bruyamment de telle sorte que, quelquefois, son impétuosité fait monter le sang qui pique les narines. ("Piquante, montait, dans ses narines, l'émotion" - "Son sang bouillait") Et le Philosophe dit que les paroles précédentes d'Homère semblent signifier que la fureur s'allume et donne un élan à l'acte du courage. |
#572. — Il apporte à l'appui des vers d'Homère qui dit, en rappelant quelqu'un: «Il a mis sa vertu dans sa rage», de façon à régler sa rage par la vertu de son âme. Et «il excitait leur vertu et leur rage», de sorte que, par colère, la vertu de son âme soit rendue plus prompte à agir. Ailleurs, il dit de certains que «par chaque narine, ils émettaient une vertu âpre», à savoir, de la rage, qui, en raison du réchauffement du cœur, fait respirer avec beaucoup d'animation, du fait que parfois, avec l'élan de la colère, le sang bouillonne par les narines. Le Philosophe dit que les paroles précédentes d'Homère paraissent signifier que la rage est exigée, et ajoute de l'élan, aux actes du courage. |
[73277] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17
n. 3 Deinde cum dicit: fortes
quidem igitur etc., ostendit differentiam huius fortitudinis ad veram
fortitudinem. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quid conveniat verae
fortitudini. Secundo quid conveniat furori bestiarum, ibi, ferae autem
propter tristitiam et cetera. Tertio quid conveniat furori humano, ibi, et
homines utique irati et cetera. Dicit ergo, quod fortes non impelluntur ad opera
fortitudinis peragenda ex impetu furoris, sed ex intentione boni; sed furor
secundario se habet in actu eorum ad modum cooperantis. |
573. - Il montre la différence entre cette forme de courage et le vrai. Sur ce, il fait trois considérations. En premier, il montre ce qui convient à la vraie force; en second, ce qui appartient à la fureur des bêtes; en troisième, ce qui relève de la fureur humaine. Il dit donc que les courageux ne sont pas déterminés à accomplir les œuvres de courage par l'élan de la fureur mais par l'intention du bien: la fureur n'arrive que secondairement dans leurs actes, à la manière d'une aide. |
#573. — Ensuite (1116b30), il montre la différence de ce courage avec le vrai courage. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qui convient au vrai courage. En second (1116b31), ce qui convient à la rage des bêtes. En troisième (1117a5), ce qui convient à la rage humaine. Il dit donc que les courageux ne sont pas poussés à accomplir les actions du courage par l'élan de la rage, mais par l'intention du bien; toutefois, la fureur seconde leur acte à la manière d'une aide. |
[73278] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17
n. 4 Deinde cum dicit: ferae
autem propter tristitiam etc., ostendit quomodo ira bestiarum se habeat ad
actum fortitudinis. Et dicit, quod ferae aggrediuntur pericula propter tristitiam,
id est malorum, quae actu patiuntur, puta cum vulnerantur, vel propter
timorem eorum, quae timent se passuras, puta si timeant se vulnerandas, ex
hoc enim incitatae ad iram homines invadunt, quia si essent in silva vel in
palude, non vulnerarentur neque timerent vulnerari et ita non venirent ad
homines invadendos. Unde patet quod in eis non est vera fortitudo, quia
impelluntur ad pericula solum dolore et furore, cum tamen nihil periculorum
praevideant, sicut illi, qui ex electione fortiter operantur. Si enim
bestiae, quae ex passione agunt, fortes essent, pari ratione et asini essent
fortes, qui propter concupiscentiam cibi non desistunt a pascuis, quando
esuriunt, licet percutiantur. Et similiter etiam (adulteri) propter concupiscentiam
venereorum, multa ausibilia aggrediuntur, nec tamen in his est vera
fortitudo. Quia non operantur ex electione boni, sed propter passionem. Et
sic patet, quod nec etiam animalia, quae propter dolorem impelluntur ad
pericula (non) habent veram fortitudinem. |
574.- Il montre quelle est l'influence de la colère des bêtes sur l'acte de courage. Il dit que le mobile qui les fait s'attaquer au danger c'est la peine des maux présents qu'elles éprouvent, par exemple, lorsqu'elles sont blessées; ou encore, c'est la crainte de ce qu'elles ont peur de souffrir, par exemple si elles craignent d'être blessées. Excitées par là à la colère, elles se ruent sur les hommes. La preuve de cela c'est que si elles étaient dans une forêt ou un marais, elles ne seraient ni blessées ni ne craindraient de l'être et, en ce cas, elles ne s'attaqueraient pas à l'homme. Il est donc évident qu'il n'y a pas de vraie force chez elles parce qu'elles sont poussées à affronter le danger uniquement par la douleur et la fureur, sans même rien prévoir des périls, comme prévoient ceux qui agissent courageusement par élection. En effet, si les bêtes, qui agissent par passion, étaient courageuse, pour la même raison les ânes seraient courageux qui, à cause du désir d'assouvir leur faim, ne quittent pas le pâturage où ils mangent, même si on les bat. Et, pareillement, à cause de la concupiscence des plaisirs vénériens, plusieurs font des actes d'audace où, pourtant, on ne retrouve pas la vraie force. C'est qu'ils n'opèrent pas par élection du bien, mais à cause de la passion. Il est ainsi évident que les bêtes non plus qui sont poussées au-devant du danger à cause de la douleur ne sont pas vraiment courageuses. |
#574. — Ensuite (1116b31), il montre comment la colère des bêtes se rapporte à l'acte du courage. Il dit que les bêtes affrontent les dangers par tristesse, devant les maux qu'elles souffrent en acte, par exemple, lorsqu'elles sont blessées, ou par crainte de celles qu'elles craignent de souffrir, par exemple, si elles craignent d'être blessées; incitées ainsi à la colère, elles attaquent les gens. Car si elles étaient en forêt ou au marais, elles ne seraient pas blessées ni ne craindraient d'être blessées, et ainsi ne viendraient pas à attaquer les gens. Aussi est-il évident qu'il n'y a pas chez elles de vrai courage, car elles sont poussées aux dangers seulement par la douleur et la rage, alors que, cependant, elles ne prévoient rien des dangers, au contraire de ceux qui agissent courageusement par choix. Si, en effet, les bêtes qui agissent par passion étaient courageuses, pour la même raison les ânes aussi seraient courageux, qui, en raison de leur convoitise de nourriture, ne quittent pas les pâturages quand ils ont faim, même si on les frappe. Pareillement, en raison de leur convoitise sexuelle, les [bêtes] affrontent bien de l'osé, et pourtant il n'y a pas en cela de vrai courage. Car elles n'agissent pas par choix du bien, mais par passion. Ainsi devient-il évident que même les animaux poussés aux dangers par la douleur n'ont pas de vrai courage. |
[73279] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17
n. 5 Et quamvis posita sit
similitudo de concupiscentia et furore, inter omnes tamen passiones illa
fortitudo videtur esse connaturalior verae fortitudini, quae est propter
furorem: ita quod si praeaccipiat electionem et debitum finem cuius gratia
operetur, erit vera fortitudo. Et signanter dicit praeaccipiens quia
in vera fortitudine furor debet sequi electionem rationis, non praeire. |
575.- Et bien qu'on ait posé une similitude entre la convoitise et la fureur par rapport au courage, il semble cependant que parmi toutes les passions, c'est la passion de colère qui engendre la forme de courage le plus connaturelle au vrai courage. De telle sorte que si on la fait précéder de l'élection et de la fin due, ce sera le vrai courage. Et c'est clairement qu'il parle d'élection précédente, parce que dans la vraie force la fureur doit suivre l'élection, non la précéder. |
#575. — Bien qu'on ait présenté la ressemblance entre convoitise et rage, parmi toutes les passions, cependant, ce courage paraît être le plus connaturel avec le vrai courage, qui procède de la rage; tellement que, s'il préadmettait choix et fin due en vue de quoi agir, il serait du vrai courage. C'est 108 expressément qu'il dit préadmettait, car, dans le vrai courage, la rage doit suivre le choix, non le précéder. |
[73280] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17
n. 6 Deinde cum dicit: et
homines utique irati etc., ostendit quid conveniat fortitudini, quae est ex
ira in hominibus, qui quidem videntur ex electione operari et aliquem finem
intendere, scilicet punitionem eius contra quem irascitur. Unde dicit quod
homines dum sunt irati dolent propter iniuriam illatam et nondum vindicatam,
sed quando iam puniunt, tunc delectantur, utpote suum desiderium implentes.
Qui autem propter hoc fortiter operantur, possunt quidem dici pugnantes, sed
non fortes. Quia non operantur propter bonum neque ductu rationis, sed
propter passionem qua vindictam appetunt. Habent tamen aliquid simile verae
fortitudini ut ex praedictis patet. |
576.- Il montre ce qui convient à la force qui naît de la colère chez l'homme, qui semble, lui, opérer par choix et désirer une fin, à savoir la punition de celui contre lequel il se fâche. C'est pourquoi il dit que les hommes en colère souffrent de l'injure reçue qui n'a pas été vengée. Mais une fois vengés, ils éprouvent du plaisir, en tant qu'ils comblent ainsi leur désir. Cependant ceux qui, à cause de cela, agissent fortement, on peut les appeler combattifs, mais non pas courageux. Car ils n'opèrent pas en vue du bien ni sous la dictée de la raison, mais à cause de la passion qui leur fait désirer vengeance. Ils ont cependant quelque chose de ressemblant à la vraie force, comme on le voit par ce qu'on a dit plus haut. |
#576. — Ensuite (1117a5), il montre ce qui convient au courage qui procède de la colère chez les hommes, lesquels certes paraissent agir par choix et poursuivre une fin, à savoir, la punition de celui contre qui ils sont fâchés. Aussi dit-il que les gens fâchés souffrent à cause de l'injure portée et non encore vengée. Mais quand ils punissent, ils ont du plaisir, du fait de satisfaire leur désir. Mais ceux qui agissent ainsi pour cela, on peut sans doute les appeler combatifs, mais non courageux. Car ils n'agissent pas pour un bien ni par conduite de la raison, mais par passion, à cause de quoi ils désirent vengeance. Cependant, ils ont quelque chose de semblable au vrai courage, comme il appert de ce qui précède. |
[73281] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17
n. 7 Deinde cum dicit neque
utique bonae spei etc., ponit quartum modum fortitudinis, secundum quod
aliqui fortes dicuntur propter spem. Et circa hoc tria facit. Primo ponit
hunc modum fortitudinis. Secundo comparat hunc modum ad veram fortitudinem,
ibi, consimiles autem et cetera. Tertio infert quoddam corollarium ex dictis,
ibi, propter quod fortioris et cetera. Dicit ergo primo, quod sicut illi, qui
propter iram fortiter agunt, non sunt vere fortes, ita neque illi qui propter
solam spem victoriae, vere fortes dicuntur, est tamen in eis aliqua
praeeminentia per quam differunt ab aliis, quia propter hoc quod multoties
vicerunt in periculis existentes, confidunt etiam nunc se victoriam obtinere,
non propter aliquam peritiam, quam ex experientia sint adepti, hoc enim
pertinet ad secundum modum fortitudinis, sed propter solam fiduciam, quam ex
frequentibus victoriis acceperunt. |
577.- Il pose la quatrième forme du courage, selon laquelle certains sont appelés courageux à cause de l'espoir. A ce sujet, il fait une triple réflexion. En premier, il propose ce mode; en second, il le compare à la vraie force; en troisième, il tire un certain corollaire de ce qu'il a dit. Il dit donc en premier que pas plus que ceux qui agissent courageusement à cause de la colère, ne sont vraiment courageux qui n’agissent fortement que mus par le seul espoir de la victoire. En effet, il y a en eux une certaine supériorité par laquelle ils diffèrent des autres: c’est que, pour avoir vaincu en bien des dangers, ils ont confiance de vaincre encore une fois, non pas à cause de leur connaissance qu'ils ont obtenue par leur expérience (ce qui appartient à la seconde forme du courage), mais à cause de la seule confiance qu’ils ont acquise à travers leurs nombreuses victoires. |
#577. — Ensuite (1117a9), il présente le quatrième mode du courage, selon lequel on est dit courageux à cause de l'espoir. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente ce mode du courage. En second (1117a11), il compare ce mode au vrai courage. En troisième (1117a17), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que, de même que ceux qui agissent avec courage à cause de la colère ne sont pas vraiment courageux, de même ceux qui [le font] à cause du seul espoir de la victoire, on ne les appelle pas non plus courageux. Il y a en eux, en effet, une prééminence par laquelle ils diffèrent des autres: c'est qu'à cause du fait qu'en se trouvant dans des dangers, ils ont vaincu plusieurs fois, ils ont confiance d'obtenir la victoire encore maintenant, non à cause de la compétence qu'ils auraient acquise par l'expérience (cela, en effet, appartient au second mode du courage), mais à cause de la seule confiance qu'ils ont tirée de fréquentes victoires. |
[73282] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17
n. 8 Deinde cum dicit:
consimiles autem etc., comparat hanc fortitudinem verae fortitudini. Et dicit
quod isti qui sic sunt bene sperantes, sunt consimiles vere fortibus, quia
ambo sunt audaces, idest pericula audacter aggredientes, non autem
secundum quod audax dicitur aliquis vitiose. Sed differunt, quia fortes
audacter aggrediuntur propter praedicta, scilicet ex electione, et
propter bonum; sed isti qui sunt bonae spei, aggrediuntur audacter propter
hoc quod aestimant se esse meliores in pugna, et nihil se passuros contrarium
ab aliis. Et est simile de inebriatis, qui etiam multiplicatis spiritibus
propter vinum efficiuntur bonae spei. Sed quando talibus non accidunt ea quae
sperant, non persistunt sed fugiunt. Sed proprium est fortis ut sustineat
propter bonum vel ad vitandum turpitudinem inhonesti, ea quae sunt homini
terribilia secundum rei veritatem, et non solum secundum apparentiam. |
578.- Il compare ce courage au vrai. Il distingue ceux qui sont doués d’une belle confiance en eux-mêmes ressemblent vraiment aux courageux, car tous deux ont de l’audace, c'est-à-dire s’attaquent audacieusement au danger, non pas cependant en tant que le mot "audacieux" voudrait signifier quelque chose de vicieux. Mais ils diffèrent: car les courageux se portent au-devant du danger audacieusement à cause des raisons susdites, à savoir par élection et en vue du bien, alors que ceux qui sont pleins d'assurance foncent audacieusement parce qu'ils se croient supérieurs dans le combat et parce qu'ils pensent qu'ils n'auront pas à souffrir un mauvais sort des autres. Il en est de même des ivrognes que l'effet trop capiteux du vin rend fort optimistes. Mais, lorsqu'il ne leur arrive pas ce qu'ils avaient espéré, ils ne tiennent pas et s'enfuient. Cependant le propre du courageux est de tenir bon à cause du bien, ou pour éviter la honte de quelque chose de malhonnête, devant ce qui peut vraiment inspirer de la crainte à un homme et non pas seulement en apparence. |
#578. — Ensuite (1117a11), il compare ce courage au vrai courage. Il dit que ceux qui ont ainsi grand espoir ressemblent aux vrais courageux, parce que les deux sont audacieux, c'est-à-dire, affrontent avec audace les dangers, quoique non sous ce rapport sous lequel on dit quelqu'un audacieux avec vice. Mais ils sont différents: car les courageux affrontent avec audace pour les [motifs] mentionnés, à savoir, par choix, et en vue du bien; mais ceux qui entretiennent bon espoir affrontent avec audace pour cela qu'ils s'estiment meilleurs au combat, et ne doivent souffrir aucune contrariété de la part des autres. Il en va comme des gens ivres qui, aussi, avec les esprits multipliés par l'effet du vin, acquièrent grand espoir. Mais quand il ne leur arrive pas ce qu'ils espèrent, ils ne tiennent pas, mais s'enfuient. Or le propre du courageux est de supporter en vue du bien, ou pour éviter la honte du déshonorable, des choses effrayantes en vérité et non seulement en apparence. |
[73283] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17 n. 9 Deinde cum dicit propter quod fortioris etc., infert
quoddam corollarium ex dictis. Quia enim ad fortem pertinet secundum
inclinationem proprii habitus terribilia sustinere, magis videtur esse
fortis, qui in repentinis timoribus non timet neque perturbatur, quam si hoc
accidat in his quae (non) sunt prius manifesta. Magis enim videtur esse ab
habitu, inquantum minus videtur se praeparasse ad talia sustinenda. Illa enim
quae sunt praemanifesta potest aliquis eligere per rationem et deliberationem
etiam contra inclinationem habitus vel passionis. Nulla enim est tam vehemens
inclinatio habitus vel passionis, cui ratio non possit resistere, dummodo
remaneat homini rationis usus per quem se habet ad opposita; sed in
repentinis homo non potest deliberare. Unde videtur operari ex interiori
inclinatione, quae est secundum habitum. |
579.- Il tire un certain corollaire de ce qu'il a dit. En effet, parce qu'il appartient au courageux, selon l'inclination propre de son habitus, de tenir bon devant ce qui peut inspirer la crainte, il semble lui appartenir davantage de ne pas se troubler devant des craintes surgies à l'improviste que devant celles qui lui sont connues d'avance. Car cela provient davantage de son habitus, en tant qu'il a eu moins de temps pour se préparer à les soutenir. Les dangers prévus, on peut choisir par la raison et par la délibération de les affronter même contre sa passion. En aucun cas, en effet, l'inclination de l'habitus ou de la passion est assez véhémente pour que la raison ne puisse pas y résister, du moment qu'il reste en l’homme l'usage de sa raison par laquelle de soi il peut choisir des choses opposées. Mais dans les cas imprévus (subits) l'homme ne peut délibérer. Et donc il semble opérer à partir d'une inclination intérieure conforme à son habitus. |
#579. — Ensuite (1117a17), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Comme, en effet, il appartient au courageux, selon l'inclination de son habitus propre, de supporter ce qui est effrayant, il paraît davantage courageux celui qui, face à des objets soudains de crainte, ne craint ni n'est troublé, que si cela arrive en ce qu'on connaît d'avance. Cela procède manifestement davantage par habitus, en effet, en tant qu'on s'est manifestement moins préparé à supporter pareilles choses. En effet, ce que l'on connaît d'avance, on peut le choisir par raison et délibération, même contre l'inclination de son habitus ou de sa passion. En aucun cas, en effet, l'inclination de l'habitus ou de la passion n'est si violente que la raison ne puisse lui résister, tant que reste l'usage de la raison par laquelle, par soi, on reste ouvert aux opposés. Mais en matière soudaine, on ne peut délibérer. Aussi opère-t-on manifestement d'une inclination intérieure en conformité avec son habitus. |
[73284] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17 n. 10 Deinde cum dicit: fortes autem videntur etc., ponit
quintum modum fortitudinis non verae. Et dicit quod etiam illi qui ignorant
pericula videntur esse fortes, dum scilicet audacter aggrediuntur ea quae
sunt periculosa, licet eis non videantur. Et non longe differunt ab his qui
sunt fortes propter bonam spem. Utrique enim aestimat non imminere eis
pericula. |
580.- Il propose le cinquième mode du courage apparent. Et il dit que ceux qui ignorent le danger semblent être courageux, à savoir pendant qu'ils se portent audacieusement aux dangers, bien qu'ils ne les voient pas. Et ceux-là ne se distinguent pas tellement des courageux qui le sont par confiance en eux-mêmes. En effet, dans les deux types de courage, on ne croit pas que le danger soit menaçant. |
#580. — Ensuite (1117a22), il présente le cinquième mode du courage non véritable. Il dit que ceux qui ignorent les dangers paraissent courageux, quand ils affrontent avec audace ce qui est dangereux, bien qu'il ne leur en semble pas ainsi. Ils n'ont pas grande différence avec ceux qui sont courageux par grand espoir. L'un et l'autre, en effet, estiment que le danger n'est pas imminent pour eux. |
[73285] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17 n. 11 Sed in hoc differunt, quod ignorantes non aestimant ea
quae ipsi aggrediuntur esse simpliciter et in se ipsis periculosa, illi autem
qui sunt bonae spei cognoscunt quidem qualia sint in se ipsis ea quae
aggrediuntur. Sed tamen non reputant ea esse sibi periculosa. Unde illi qui
sunt ignorantes, tanto sunt deteriores illi qui sunt bonae spei, quanto
nullam dignitatem habent, sed ex solo defectu scientiae ad pericula currunt.
Illi autem qui sunt bonae spei habent aliquam dignitatem in quantum propter
consuetudinem vincendi bene de se confidunt. Et ideo illi qui sunt bonae spei
etiam postquam cognoscant pericula, permanent per aliquod tempus, donec
scilicet magnitudo periculi superet eorum spem. Sed illi qui per ignorantiam
sunt fortes statim cum cognoscunt aliud esse quam suspicarentur, fugiunt.
Quod passi sunt Argeny, qui erant quidam cives Graeciae, et dum putarent
contra Syconios pugnare, qui erant alii cives eis infirmiores, inciderunt in
quosdam alios fortiores. |
581.- Mais ils diffèrent en ceci que les courageux par ignorance ne croient pas que les dangers auxquels ils ont à faire face soient absolument et en eux-mêmes des dangers. Ceux qui sont courageux par optimisme connaissent les caractères mêmes des dangers qu'ils affrontent. Mais ils ne croient pas qu'ils sont dangers pour eux. C'est pourquoi les courageux par ignorance sont d'autant plus inférieurs aux courageux par excès de confiance qu'ils n'ont en propre aucune dignité et qu’ils se portent aux dangers uniquement par ignorance. Mais les courageux optimistes, même après avoir connu le danger, l'affrontent pour un certain temps, jusqu'à ce que le danger vainque leur espoir. Mais les courageux par ignorance s'enfuient dès qu'ils se rendent compte que le danger est différent de ce qu'ils soupçonnaient. Ainsi firent les Argiens lorsqu'ils tombèrent sur des hommes plus courageux (les Lacédémoniens) qu'ils avaient pris pour les Sicyoniens, moins courageux qu'eux-mêmes. |
#581. — Mais ils sont différents en ceci que les ignorants ne pensent pas que ce qu'ils affrontent soit du danger de manière absolue et en soi. Tandis que ceux qui sont de bon espoir savent quels sont en elles-mêmes les choses qu'ils affrontent. Cependant, ils ne pensent pas que ce soit dangereux pour eux. Aussi, ceux qui sont ignorants sont d'autant pires que ceux qui ont grand espoir, qu'ils n'ont nulle dignité, mais courent au danger par seul défaut de science, tandis que ceux qui ont grand espoir, même 109 une fois qu'ils connaissent le danger, tiennent encore un certain temps, tant que la grandeur du danger ne surpasse leur espoir. Mais ceux qui sont courageux par ignorance, dès qu'ils connaissent qu'il en est autrement qu'ils ne le soupçonnaient, s'enfuient. C'est ce dont étaient affligés les Argiens, des citoyens de la Grèce, qui, tant qu'ils pensaient combattre contre les Sicyoniens, d'autres citoyens plus faibles qu'eux, fonçaient avec courage sur d'autres. |
[73286] Sententia Ethic., lib. 3 l. 17 n. 12 Ultimo autem concludit quod hi de quibus dictum est
dicuntur fortes, inquantum existimantur fortes propter actus similitudinem,
non quod vere sint fortes. |
582.- Il conclut, en dernier, que les différents types de courageux décrits plus haut, on les appelle courageux en tant qu'on les croit tels à cause de la ressemblance qu'ils ont avec le vrai courageux, mais non pas parce qu'ils le sont véritablement. (Ils sont des courageux en apparence). |
#582. — Enfin, il conclut que ceux dont on a parlé, on les appelle courageux en tant qu'on les estime courageux par ressemblance, mais non parce qu'ils seraient vraiment courageux. |
|
|
|
Lectio
18 |
Leçon 18 : [Propriétés du courage] |
|
|
LA PROPRIETE DU COURAGE EST DE NE PAS ETRE DANS UN EGAL RAPPORT A L'EGARD DES CRAINTES ET DES AUDACES: MAIS ON LOUE DAVANTAGE DE COURAGE, LORSQU'IL CONSTITUE UNE RECTITUDE PAR RAPPORT AUX OBJETS DE CRAINTE. ON MONTRE COMMENT SE COMPORTE LE COURAGE PAR RAPPORT A LA TRISTESSE ET A LA DELECTATION, PUISQUE LA JOIE DU COURAGEUX SE MELE A LA TRISTESSE, ET LA TRISTESSE A LA DELECTATION. |
|
[73287] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 1 Circa audacias autem et timores et cetera. Postquam
philosophus determinavit materiam et actum fortitudinis, hic determinat
quasdam proprietates fortitudinis secundum quod fortitudo se habet ad
delectationem vel tristitiam. Et circa hoc duo facit. Primo ponit
fortitudinis proprietates. Secundo excludit eas a militari fortitudine, ibi:
milites autem nihil forsitan et cetera. Circa primum tria facit. Primo
ostendit quomodo se habet fortitudo ad timorem et audaciam. Secundo quomodo
fortitudo se habeat ad tristitiam, ibi: in sustinendo utique et cetera.
Tertio quomodo se habeat ad delectationem, ibi: sed adhuc videbitur utique et
cetera. Dicit ergo primo quod cum fortitudo sit circa audacias et timores,
non aequaliter est circa utrumque. Sed magis laus huius virtutis est in hoc
quod aliquis bene se habet circa terribilia. Ille enim qui in terribilibus
non perturbatur, sed circa ea se habet sicut oportet, magis commendatur quod
sit fortis quam ille qui bene se habet circa audacias. Et hoc ideo quia timor
imminet homini ab aliquo fortiori contra ipsum insurgente. Audacia autem
consurgit ex hoc quod aliquis aestimat eum quem invadit, suam non excedere
potestatem. Difficilius autem est stare contra fortiorem, quam insurgere in
aequalem vel minorem. |
583.- Après avoir déterminé la matière et l'acte de la force, le Philosophe traite ici de certaines propriétés de la force qui touchent aux relations entre la force et la délectation ou la tristesse. Sur ce, il fait deux considérations. En premier, il propose les propriétés de la force. En second, il exclut ces propriétés du courage militaire. La première considération se divise en trois parties. Dans la première, il montre comment se comporte le courage à l'égard de la crainte et de l'audace; dans la seconde, comment elle se comporte par rapport à la tristesse; dans la troisième, comment elle se comporte envers la tristesse. Il dit donc, en premier, que, quoique la force porte sur les audaces et les craintes, elle ne porte pas également sur les unes et les autres. Mais la louange qui appartient proprement à cette vertu lui vient de ce qu'elle dispose bien par rapport aux objets de crainte. En effet, celui-là qui ni est pas troublé par ce qui devrait inspirer la crainte, mais qui se comporte à son égard comme il le doit, est plus courageux que celui qui est bien disposé par rapport aux audaces. La raison en est que la crainte s'élève chez l’homme devant l'obstacle qui le domine, qui excède sa propre capacité et s’y oppose, tandis que l'audace naît du fait que l'homme croit que ce qui l'attaque n'excède pas sa propre puissance. Il est en effet plus difficile de tenir devant un plus fort que de s'opposer à quelqu'un d'égale ou de moindre force. |
#583. — Après avoir traité de la matière et de l'acte du courage, le Philosophe traite ici de certaines propriétés du courage, comme quoi le courage entretient un rapport au plaisir ou à la tristesse. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les propriétés du courage. En second (1117b17), il les exclut du courage militaire. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quel rapport le courage entretient avec la crainte et l'audace. En second (1117a32), quel rapport le courage entretient avec la tristesse. En troisième (1117a35), quel rapport il entretient avec le plaisir. Il dit donc, en premier, que, quoique le courage porte sur les audaces et les craintes, il ne porte pas également sur les unes et les autres. Plutôt, la louange propre à cette vertu réside davantage en ce qu'il s'agit de bien se tenir face à ce qui est effrayant. En effet, celui qui n'est pas troublé par quelque chose d'effrayant, et se comporte comme il faut à son endroit, fait mieux valoir qu'il est courageux que celui qui se comporte bien en matière d'audaces. La raison en est que la crainte atteint l'homme à l'occasion d'un assaut par quelque chose de plus fort [que lui], tandis que l'audace surgit de ce que l'on estime que celui que l'on attaque ne dépasse pas notre force. Or il est plus difficile de tenir contre un plus fort que d'attaquer un égal ou un plus petit. |
[73288] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 2 Deinde cum dicit: in sustinendo utique etc., ostendit
qualiter fortitudo se habeat circa tristitiam. Ad cuius evidentiam
considerandum est quod idem est obiectum timoris et tristitiae, scilicet
malum, sed differt secundum differentiam praeteriti et futuri. Nam malum futurum
est terribile; malum autem praesentialiter imminens est contristans. Ad fortem autem
pertinet non solum stare contra timores futurorum periculorum, sed etiam in
ipsis periculis persistere, sicut prius dictum est. Et ideo dicit quod aliqui praecipue dicuntur fortes ex
eo quod bene sustinent tristia, id est pericula praesentialiter
imminentia, puta percussiones et vulnera. Et inde est quod fortitudo habet
tristitiam adiunctam. |
584.- Il montre comment la force se comporte à l'égara de la tristesse. Pour voir clair sur cette question, il faut considérer que l'objet de la crainte et de la tristesse est le même, à savoir le mal. Mais ils diffèrent par le temps: l'un appartient au passé, l'autre au futur. Car le mal futur est l’objet de la crainte, alors que le mal qui s'impose dans le moment présent est l'objet de la tristesse. Or, il appartient au courageux non seulement le faire face aux craintes des dangers futurs, mais aussi de tenir bon dans les dangers mêmes, comme on l'a vu auparavant. C'est pourquoi Aristote dit qu'on appelle courageux surtout ceux qui tiennent bon face aux situations pénibles qui s'imposent dans le moment présent, par exemple les coups et les blessures. De là vient que le courage s'accompagne de tristesse. |
#584. — Ensuite (1117a32), il montre de quelle manière le courage se rapporte à la tristesse. Pour en avoir l'évidence, on doit tenir compte que l'objet de la crainte et de la tristesse, c'est le même, à savoir, le mal. Mais ils diffèrent selon la différence du présent et du futur. Car le mal futur est effrayant, tandis que le mal présent est attristant. Au courageux, toutefois, il appartient non seulement de tenir le coup contre les craintes de dangers futurs, mais aussi de persister dans les dangers mêmes, comme il a été dit auparavant (#548). C'est pourquoi il dit que l'on appelle quelqu'un courageux principalement du fait qu'il supporte bien des [choses] tristes, c'est-à-dire, présentes, par exemple, des coups et blessures. Aussi le courage comporte-t-il une tristesse adjointe. |
[73289] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 3 Et ex hoc iuste laudatur quod non recedit a bono
virtutis ad hoc quod fugiat tristitiam. Rationabiliter autem ex hoc fortitudo
est maxime laudabilis, quia laus virtutis maxime consistit in hoc quod
aliquis bene operetur circa difficilia. Difficilius autem est quod aliquis
sustinet tristia, quod pertinet ad fortitudinem, quam quod abstineat a
delectabilibus, quod pertinet ad temperantiam. Unde laudabilior est fortitudo
quam temperantia. |
585.- De là, il est juste de louer le courageux de ce qu'il n'abandonne pas le bien de la vertu pour fuir la tristesse. Il est raisonnable que ce soit de là qu'on loue principalement la vertu de courage, parce que la louange de la vertu consiste surtout en ce que quelqu'un agit bien dans les cas difficiles. Or, il est plus difficile pour quelqu'un de tenir bon contre les maux qui sont source de tristesse, ce qui appartient au courage, que de s'abstenir des choses délectables, ce qui relève de la tempérance. De là vient que la force est plus louable que la tempérance. |
#585. — C'est avec justesse qu'on loue qu'il ne recule pas du bien de la vertu pour fuir la tristesse. Rationnellement, d'ailleurs, c'est pour cela que le courage est le plus louable, car la louange de la vertu tient le plus à ce qu'on agisse bien en matière difficile. Or il est plus difficile de supporter des [choses] tristes, ce qui appartient au courage, que de s'abstenir de plaisirs, ce qui appartient à la tempérance. Aussi le courage est-il plus louable que la tempérance. |
[73290] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 4 Deinde cum dicit: sed adhuc videbitur etc., ostendit
quomodo fortitudo se habeat circa delectationem. Et circa hoc tria facit.
Primo ostendit propositum. Secundo excludit errorem, ibi: et quanto utique et
cetera. Tertio infert quoddam corollarium ex dictis, ibi, non utique in
omnibus et cetera. Dicit ergo primo, quod cum fortitudo sit in sustinendo
tristia, videtur quidem fortis habere aliquam delectationem ex consecutione
finis propter quem fortiter agit; sed ista delectatio evanescit, idest
debiliter sentitur propter circumstantes tristitias, sicut accidit in
agonibus gignasticis, in quibus scilicet pugiles nudi pugnant. |
586.- Il montre comment le courage se comporte à l'égard de la délectation. Et sur ce, il fait une triple considération, En premier, il montre ce qu'il veut dire; en second, il exclut une certaine erreur; en troisième, il tire de là un certain corollaire. Il dit donc, en premier, que, quoique le courage consiste à supporter ce qui est objet de tristesse, il semble cependant que le courageux a un certain plaisir à poursuivre la fin pour laquelle il agit courageusement. Mais cette délectation s'éteint, c’est-à-dire est faiblement ressentie à cause des conditions pénibles qui enveloppent l'action courageuse, comme il arrive dans les compétitions sportives. |
#586. — Ensuite (1117a35), il montre quel rapport le courage entretient avec le plaisir. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1117b9), il exclut une erreur. En troisième (1117b15), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que, comme le courage consiste à supporter des [choses] tristes, le courageux paraît avoir quelque plaisir dans la poursuite de la fin pour laquelle il agit courageusement; mais ce plaisir s'évanouit, c'est-à-dire, est senti faiblement, à cause des tristesses qui l'entourent, comme il arrive dans les combats gymniques, à savoir, où les combattants combattent nus. |
[73291] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 5 Delectantur enim pugiles in fine, cuius gratia pugnant,
scilicet quia coronantur et honorantur. Sed sustinere percussiones est eis
dolorosum. Et hoc negare est negare eos esse carnales. Quia si habent carnem
sensibilem, necesse est quod laesiva inferant eis dolorem. Et similiter omnis
labor quem sustinent in pugnando, est eis tristabilis. Et quia multa sunt
haec tristabilia et dolorosa quae sustinent, et bonum quod habent pro fine
est aliquid parvum, non videntur aliquam delectationem sentire, quia
delectatio absorbetur a maiori tristitia. Et ita etiam accidit in actu
fortitudinis, quia mors et vulnera sunt dolorosa et tristia forti, quamvis
fortis ea sustineat volens propter assequendum bonum virtutis et propter
vitandam turpitudinem vitiosam, qui quidem finis est potior quam pugilum.
Unde magis remanet aliquid de delectatione finis. |
587.- Les pugilistes, en effet, se réjouissent dans la fin pour laquelle ils se battent, c'est-à-dire la couronne et l'honneur. Mais recevoir des coups, c'est pour eux une souffrance, le nier serait nier qu'ils sont faits de chair, Car s'ils possèdent une chair sensible, il est nécessaire que les blessures leur causent des douleurs. Et, pareillement, le travail même du combat est source de tristesse. Et parce que pour eux, nombreux sont les coups, les exercices, les efforts qui sont source de souffrance et de tristesse, et peu de chose est le bien qui est leur fin, ils ne semblent pas ressentir de plaisir, parce que le plaisir semble peu de chose en comparaison de tout ce qu'il y a de pénible et d'attristant dans leur art. Il en est ainsi dans l'acte de courage: parce que la mort et les blessures sont douloureuses au courageux, bien qu'il les supporte pour atteindre le bien de la vertu et pour éviter la turpitude du vice, laquelle fin est, en vérité, meilleure que celle des pugilistes. De là, il lui revient une plus grande joie dans la fin qu'il poursuit. |
#587. — Les combattants, en effet, prennent du plaisir à la fin en vue de laquelle ils combattent, à savoir, être couronnés et honorés. Mais supporter des coups leur est douloureux. Nier cela, c'est nier qu'ils soient de chair. Car s'ils ont une chair sensible, il faut bien que ce qui les blesse leur cause de la 110 douleur. Pareillement, toute peine qu'ils supportent en combattant leur est attristante. Comme il y a pour eux bien des [choses] tristes et douloureuses qu'ils supportent, et que le bien qu'ils ont comme fin est quelque chose de petit, ils paraissent ne pas sentir de plaisir, car leur plaisir est absorbé par la tristesse, plus grande. Il en va aussi ainsi dans l'acte du courage: car la mort et les blessures sont douloureuses pour le courageux, bien que le courageux les supporte en vue d'atteindre le bien de la vertu et pour éviter la honte du vice, laquelle fin, bien sûr, est plus puissante que le combat. Aussi leur reste-t-il davantage quelque chose du plaisir de la fin. |
[73292] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 6 Deinde cum dicit: et quanto utique etc., excludit
errorem Stoicorum qui ponebant quod virtuosus nullam tristitiam habet. Circa
hoc autem duo facit: primo ostendit quod forti imminet maxima tristitia.
Secundo, quod per hoc non minuitur eius fortitudo, sed augetur, ibi: sed
nihil minus et cetera. Arguit autem in prima parte ex eo quod supponebant Stoici,
scilicet quod nihil esset bonum hominis nisi virtus. Et ideo dicebant
virtuosum non tristari, quia in proprio bono non patitur aliquod detrimentum.
Sed e converso philosophus dicit quod quanto aliquis est magis perfectus in
virtute et magis felix secundum felicitatem praesentis vitae, tanto magis
imminet ei tristari in morte secundum considerationem bonorum praesentis
vitae. |
588.- Il exclut l'erreur des stoïciens qu’disaient que les vertueux ne ressentaient aucune tristesse. Là-dessus, il fait deux considérations. En premier, il montre que les plus grandes tristesses sont réservées au courageux. En second, que par là son courage n'est pas diminué. Dans la première partie, il argumente à partir de ce que supposaient les stoïciens, à savoir qu'il n'y avait qu'un seul bien de l'homme, la vertu. C'est pourquoi, ils disaient que le vertueux ne s'attristait pas, parce qu'il ne recevait aucun dommage dans son bien propre. Mais, au contraire, le Philosophe dit que plus quelqu'un est plus parfait dans la vertu et plus heureux selon le bonheur de la vie présente, plus il lui incombe de s'attrister de la mort, si l'on considère les biens de la vie présente. |
#588. — Ensuite (1117b9), il exclut l'erreur des Stoïciens, qui prétendaient que les vertueux n'ont aucune tristesse. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que c'est au courageux qu'arrive la tristesse la plus grande. En second (1117b13), que son courage n'en est pas diminué, mais augmenté. Il argumente, par ailleurs, dans la première partie, à partir de ce que supposaient les Stoïciens, à savoir, qu'il n'y a aucun bien de l'homme, sinon la vertu. C'est pourquoi ils disaient que le vertueux ne s'attriste pas, car en son bien propre on ne souffre pas de dommage. Mais le Philosophe dit, au contraire, que c'est pour autant que l'on est plus parfait en vertu et plus heureux selon le bonheur de la vie présente, que l'on est le plus susceptible de s'attrister dans la mort, selon la considération des biens de la vie présente. |
[73293] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 7 Duo enim sunt quae augent tristitiam alicuius hominis
in amissione alicuius boni. Primo quidem quando privatur bono quo dignus
erat. Secundo propter magnitudinem boni quo privatur. Et utrumque accidit in
proposito quia virtuoso maxime dignum est quod vivat. Privatur etiam
virtuosus scienter maximis bonis, scilicet optima vita sua et virtutibus quas
amittit quantum ad usum praesentis vitae. Et hoc infert ei tristitiam, etiam
dato quod non immineat ei tristitia respectu quorumcumque aliorum malorum
quae tolerantur salva vita. |
589.- En effet, il y a deux choses qui augmentent la tristesse d'un homme quand il pert un bien. En premier, quand il est privé d'un bien dont il était digne. En second, à cause de la grandeur du bien dont il est privé. Et ces deux conditions se réalisent dans le cas cité: le vertueux est très digne de vivre; le vertueux se prise sciemment des plus grands biens, à savoir de la vie la meilleure et des vertus dont il se prive de l'usage dans la vie présente. Ce qui lui apporte tristesse, étant aussi donné que la tristesse, par rapport aux autres maux qu’une vie sauve aurait pu lui fournir, ne le guette pas. |
#589. — Il y a deux [choses], en effet, qui augmentent la tristesse d'un homme dans la perte d'un bien. En premier, bien sûr, quand on est privé d'un bien dont on était digne. En second, en raison de la grandeur du bien dont on est privé. Or l'un et l'autre se produisent dans le propos, car c'est pour le vertueux qu'il est le plus digne de vivre. De plus, le vertueux est privé sciemment des plus grands biens, à savoir, la vie la meilleure et les vertus qu'il perd quant à l'usage de la vie présente. Cela lui cause de la tristesse, même en accordant que ne le menace pas la tristesse en regard de n'importe quels autres maux qui sont tolérés, sauf la vie. |
[73294] Sententia
Ethic., lib. 3 l. 18 n. 8 Considerandum tamen quod
aliquibus virtuosis propter spem futurae vitae fit mors desiderabilis. Sed
neque Stoici sic loquebantur, neque ad philosophum pertinebat de his quae ad
statum alterius vitae pertinent, in praesenti opere loqui. |
590.- Il faut cependant considérer que pour certains vertueux la mort serait désirable à cause de l'espérance de la vie future. Mais les stoïciens ne parlaient pas dans ce sens, et il n’appartenait pas au Philosophe de parler, dans l’œuvre présente, de ce qui appartient à l’état de l'autre vie. |
#590. — On doit toutefois tenir compte que, pour certains vertueux, à cause de l'espoir d'une vie future, la mort soit désirable. Mais les Stoïciens ne parlaient pas ainsi, et il n'appartenait pas au Philosophe de parler dans l'œuvre présente de ce qui concerne le statut de l'autre vie. |
[73295] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 9 Deinde cum dicit: sed nihil minus etc., dicit quod
praedicta tristitia non minuit fortitudinem. Sed ex hoc dicitur aliquis magis
fortis, ex eo quod bonum fortitudinis quod quaeritur in bello eligit prae
illis bonis quae moriendo amittit, magis appetens unum magnum bonum facere
quam multa minora bona servare, sicut infra in IX huius dicetur. |
591.- Il dit que la tristesse dont on vient de parler ne diminue pas le courage. Mais, au contraire, on est peut-être plus courageux du fait qu'on préfère le bien du courage, qui est recherché dans la guerre, aux autres biens qu’on perd en mourant, désirant davantage accomplir un seul bien grandiose plutôt que de conserver plusieurs biens inférieurs, comme on le dira dans le neuvième livre. |
#591. — Ensuite (1117b13), il dit que la tristesse mentionnée ne diminue pas le courage. Au contraire, à partir de cela, on est dit plus courageux, du fait de préférer ce bien du courage que l'on cherche à la guerre à ces biens qu'on laisse en mourant, désirant davantage réaliser un grand bien que conserver plusieurs petits biens, comme il sera dit plus loin, au neuvième livre (#1879-1880). |
[73296] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 10 Deinde cum dicit: non utique autem etc., concludit ex
praemissis quod, licet in primo et secundo dictum sit, quod operationes
virtutum sunt delectabiles, non tamen in omnibus virtutibus existit operatio
delectabilis nisi secundum quod attingit finem. Et hoc dicitur propter
fortitudinem, ut ex dictis patet. |
592.- Il conclut donc des considérations précédentes que, malgré qu'on ait dit, dans le, premier et le second livres, que les opérations des vertus sont délectables, cependant cette opération délectable n'existe pas dans toutes les vertus, à moins que ce soit en tant qu'elle atteigne la fin. Ce qu'il dit à cause du courage, comme on le voit par ce qui précède. |
#592. — Ensuite (1117b15), il conclut de ce qui précède que, bien qu'il ait été dit au premier et au second [livre] (#154-160, 267, 275-279) que les actions des vertus sont plaisantes, ce n'est pas, cependant, dans toutes les vertus que l'opération est plaisante, sauf sous le rapport d'atteindre la fin. Cela, il le dit à cause du courage, comme il appert de ce que l'on a dit. |
[73297] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 11 Deinde cum dicit: milites autem etc., excludit
praedictas proprietates a militari fortitudine. Et dicit quod nihil prohibet
aliquos esse optimos milites qui non sunt tales quales descripsimus esse
fortes. Sed forte illi qui sunt minus fortes sunt milites meliores, et nullum
aliud bonum attendunt, sicut nec fortitudinis; sunt enim isti parati ad
pericula non propter aliquod bonum virtutis, sed vitam suam, quam exponunt
discrimini, quodammodo commutant ad parva lucra, puta stipendiorum vel
praedae. |
593.- Il exclut les propriétés susdites du courage militaire, Et il dit que rien n’empêche qu'il y ait d'excellents soldats qui ne soient pas courageux tel que nous l’avons décrit. Mais peut-être que ce sont les moins courageux qui font les meilleurs soldats et qui n'espèrent aucun autre bien, pas plus que celui du courage, Ils sont prêts à affronter tous les dangers, non pas en vue du bien de la vertu, mais à cause de leur vie qu'ils exposent au plus grand péril, du moment qu’ils peuvent l’échanger pour quelque profit, par exemple de l'argent ou du butin de guerre. |
#593. — Ensuite (1117b17), il exclut du courage militaire les propriétés mentionnées. Il dit que rien n'empêche certains d'être de très bons soldats, sans être tels que nous avons décrit le courageux. Peut-être même que ceux qui sont moins courageux sont de meilleurs soldats, et ne visent d'ailleurs pas d'autre bien, comme pas même celui du courage. Car ce n'est pas pour quelque bien de vertu qu'ils sont prêts au combat, mais leur vie, en l'exposant au péril, ils l'échangent de quelque manière pour de petits gains, par exemple, des salaires et des récompenses. |
[73298] Sententia Ethic., lib. 3 l. 18 n. 12 Deinde cum dicit: de fortitudine quidem igitur etc.,
epilogat quae dicta sunt. Et dicit quod tantum dictum est de fortitudine et
ex his quae dicta sunt potest figuraliter accipi quid est fortitudo: ut
dicamus quod fortitudo est virtus medio modo se habens secundum rationem
rectam circa timores et audacias propter bonum. |
594.- Il apporte une certaine conclusion par rapport à ce qu'il a dit. Il dit qu’on peut esquisser une certaine définition du courage. Il est une vertu qui, par rapport à la crainte et à l'audace, tient le milieu conformément à la raison droite, en vue du bien. |
#594. — Ensuite (1117b20), il conclut ce qui a été dit. Il dit que l'on peut donc décrire en gros ce qu'est le courage, et dire que le courage est une vertu qui tient le milieu, conforme à la raison droite, portant sur les craintes et les audaces, en vue d'un bien. |
|
|
|
Lectio
19 |
Leçon 19 : [La tempérance] |
|
|
ON TRAITE DE LA TEMPERANCE, QUI EST SITUE DANS LA PUISSANCE CONCUPISCIBLE. ELLE SEMBLE ETRE MEDIETE ENTRE LES PLAISIRS. BIEN QUE SA MATIERE PARTICULIERE SOIT LE PLAISIR, IL FAUT RESTREINDRE CETTE MATIERE AU PLAISIR ANIMAL. |
|
[73299] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 1 Post haec de temperantia
dicamus et cetera. Postquam philosophus determinavit de fortitudine quae
respicit terribilia quae sunt corruptiva humanae vitae, hic agit de
temperantia quae respicit delectabilia, quibus humana vita conservatur,
scilicet cibos et venerea. Et circa hoc duo facit. Primo dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, quoniam quidem igitur et cetera.
Dicit ergo primo, quod post haec quae dicta sunt de fortitudine, dicendum est
de temperantia. Et rationem continuationis assignat ex hoc quod istae duae virtutes
conveniunt in subiecto. Utraque enim est irrationabilium partium, prout
scilicet irrationabilis pars animae dicitur quae nata est et contraire et
oboedire rationi, ut supra in I habitum est. Huiusmodi autem est appetitus
sensitivus, ad quem pertinent animae passiones. |
595.- Après avoir traité de la force qui porte sur les objets de la crainte qui peuvent détruire la vie humaine, le Philosophe traite ici de la tempérance qui porte sur les objets du plaisir grâce auxquels se conserve la vie humaine, à savoir les aliments et les choses vénériennes. Sur ce sujet, il fait deux considérations. En premier, il manifeste son intention; en second, il élabore ce qu'il a proposé. Il dit donc tout d'abord qu'après ce qu'il a donné sur la force, il doit parler de la tempérance. La raison de cet ordre, dit-il, c'est que ces deux vertus appartiennent au même sujet. En effet, les deux appartiennent aux parties irrationnelles, à savoir en tant que la partie irrationnelle de l'âme e se dit de celle qui est naturellement apte à - s'adapter et à obéir à la raison, comme on l'a dit plus haut dans le premier livre. Ce qui est l’appétit sensitif auquel appartiennent les passions de l'âme. |
#595. — Après avoir traité du courage, qui regarde les [choses] effrayantes dangereuses pour la vie humaine, le Philosophe traite ici de la tempérance, qui regarde les [choses] plaisantes par lesquelles la vie humaine est conservée, à savoir, les aliments et le sexe. À ce sujet, il fait deux considérations. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (1117b24), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, qu'après avoir ainsi parlé du courage, on doit parler de la tempérance. Il assigne comme raison de faire suite de cette façon le fait que ces deux vertus se rejoignent quant à leur sujet. En effet, l'une et l'autre relèvent des parties irrationnelles, pour autant que l'on appelle partie irrationnelle de l'âme celle qui est de nature à s'harmoniser avec et à obéir à la raison, comme on en a traité plus haut (#239), au début. Or l'appétit sensible est de la sorte, lui duquel relèvent les passions de l'âme. |
[73300] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 2 Unde oportet quod in
appetitu sensitivo sint omnes virtutes quae sunt circa passiones. Est autem
fortitudo circa passionem timoris et audaciae quae sunt in irascibili;
temperantia autem circa delectationes et tristitias quae sunt in
concupiscibili. Unde fortitudo est in irascibili, sed temperantia in
concupiscibili. |
596.- C’est pourquoi il faut que soient subjectées dans l'appétit sensitif toutes les vertus qui portent sur les passions. Or, la force porte sur les passions de crainte et d'audace qui sont dans l'irascible; la tempérance, elle, sur les délectations et les tristesses qui sont dans le concupiscible. C'est pour la force est dans l'irascible, mais la tempérance dans le concupiscible. |
#596. — Aussi faut-il que toutes les vertus qui portent sur les passions résident dans l'appétit sensible. Or le courage porte sur les passions de crainte et d'audace, qui résident dans l'irascible, alors que la tempérance, quant à elle, porte sur les plaisirs et les tristesses, qui résident dans le concupiscible. Aussi le courage réside-t-il dans l'irascible, tandis que la tempérance réside dans le concupiscible. |
[73301] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 3 Considerandum tamen est
quod delectationes circa quas est temperantia sunt communes nobis et brutis,
scilicet delectationes ciborum et venereorum. Et similiter timores circa quos
est fortitudo sunt communes nobis et brutis, scilicet timores mortis. Et ideo
specialiter dixit quod hae duae virtutes sunt irrationabilium partium, quia
ad irrationabiles partes animae pertinent, non solum propter ipsas passiones,
sed etiam propter passionum obiecta. Sunt enim quaedam passiones ex quarum
obiectis bruta animalia non patiuntur, sicut divitiae, honores et alia
huiusmodi. |
597.- Il faut cependant considérer que les plaisirs sur lesquels porte la tempérance sont communs à nous et aux bêtes, à savoir les plaisirs des aliments et des actions vénériennes. Et pareillement, les craintes sur lesquelles porte le courage sont communes et à nous et aux bêtes, à savoir les craintes de la mort. C'est pourquoi il remarque particulièrement que ces deux vertus appartiennent aux parties irrationnelles, parce qu'elles appartiennent à ces parties de l'âme non seulement à cause des passions elles-mêmes, mais aussi à cause des objets de ces passions. En effet, il existe certaines passions qui, par leurs objets, ne sont pas pâties par les brutes comme par exemple, la passion de la richesse et de l'honneur et les autres de cette catégorie. |
#597. — On doit tenir compte, cependant, que les plaisirs sur lesquels porte la tempérance sont communs à nous et aux brutes, ce sont les plaisirs liés à l'aliment et au sexe. Pareillement, les craintes sur lesquelles porte le courage sont communes à nous et aux brutes, ce sont les craintes de mort. C'est pourquoi il a dit spécialement que ces deux vertus relèvent des parties irrationnelles, car elles relèvent de parties irrationnelles de l'âme non seulement en raison des passions mêmes, mais aussi en raison des objets des passions. Il y a des passions, en effet, dont les objets n'atteignent pas les animaux brutes, comme les richesses, honneurs, et autres choses de la sorte. |
[73302] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 4 Deinde cum dicit: quoniam
quidem igitur etc., incipit determinare de temperantia. Et primo inquirit
quae sit materia temperantiae. Secundo determinat actum ipsius et oppositorum
vitiorum, ibi, concupiscentiarum autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit in
generali materiam temperantiae. Secundo inquirit materiam specialem, ibi,
circa quales igitur et cetera. Circa primum resumit tria quae supra in
secundo dicta sunt. Quorum primum est quod temperantia medium tenet circa
delectationes. Secundum est quod ipsa etiam est circa tristitias, quae
scilicet proveniunt ex absentia delectabilium, unde minus est temperantia
circa tristitias quam circa delectationes quia efficacius aliquid agit per
suam praesentiam quam per suam absentiam. Tertium autem quod intemperantia
est similiter circa delectationes et tristitias, eo quod contraria fiunt
circa idem. |
598.- Il commence à traiter de la tempérance. Et en premier, il recherche ce qu'est sa matière. En second, il détermine son acte et celui des vices opposés. A propos de la matière, il fait deux considérations. En premier, il propose en général la matière de la tempérance. En second, il recherche sa matière particulière. A propos de la matière en général de la tempérance, il reprend rapidement trois points déjà traités au second livre. Le premier est que la tempérance tient le milieu dans les délectations. Le second est qu’elle porte aussi sur les tristesses, à savoir celles qui proviennent de l'absence des objets délectables, Cependant, la tempérance porte moins sur les tristesses que sur les plaisirs, parce que quelque chose opère avec plus d'efficacité par sa présence que par son absence. Le troisième est que l'intempérance, pareillement, porte sur les délectations et les tristesses, du fait que les contraires ont lieu par rapport à une même chose. |
#598. — Ensuite (1117b24), il commence à traiter de la tempérance. En premier, il cherche ce qu'est la matière de la tempérance. En second (1118b8), il traite de son acte à elle et de celui des vices opposés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose en général la matière de la tempérance. En second (1117b27), il cherche sa matière spéciale. Sur le premier [point], il reprend trois [choses] dites plus haut, au second [livre] (#342). La première est que la tempérance tient le milieu à propos de plaisirs. La seconde est qu'elle porte aussi sur des tristesses, celles qui proviennent de l'absence d'[objets] plaisants. Mais la tempérance porte moins sur les tristesses que sur les plaisirs, car une chose agit de manière plus efficace par sa présence que par son absence. La troisième, enfin, [c'est] que l'intempérance porte pareillement sur des plaisirs et des tristesses, du fait que les contraires ont lieu quant à la même [chose]. |
[73303] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 5 Deinde cum dicit: circa
quales igitur etc., inquirit specialem materiam temperantiae. Et circa hoc
tria facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo distinguit
delectationes, ibi: determinentur autem etc.; tertio ostendit circa quales
delectationes sit temperantia, ibi, qui autem tales et cetera. Dicit ergo primo,
quod cum temperantia sit circa delectationes, oportet nunc determinare circa
quales delectationes sit ut etiam in speciali ratio temperantiae cognoscatur.
|
599.- Il recherche la matière particulière de la tempérance. Sur ce sujet, il fait trois considérations. En premier, il donne son intention; en second, il distingue les plaisirs; en troisième, il montre quels sont les plaisirs qui forment l'objet de la tempérance. Il dit donc en premier que, puisque la tempérance porte sur les plaisirs, il faut maintenant déterminer quels sont les plaisirs qui forment l'objet de la tempérance, pour que nous connaissions d'une façon particulière sa notion. |
#599. — Ensuite (1117b27), il cherche la matière spéciale de la tempérance. Sur ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il dit à quoi vise son intention. En second (1117b28), il distingue entre les plaisirs. En troisième (1117b31), il montre sur quels plaisirs porte la tempérance. Il dit donc, en premier, que, comme la tempérance porte sur les plaisirs, il faut maintenant, pour connaître en détail la définition de la tempérance, regarder sur quels plaisirs elle porte. |
[73304] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 6 Deinde cum dicit:
determinentur autem etc., distinguit delectationes. Et dicit quod earum
quaedam sunt animales, quaedam corporales. Corporales quidem delectationes
sunt, quae consummantur in quadam corporali passione exterioris sensus.
Animales autem delectationes sunt quae consummantur ex sola apprehensione
interiori. Et exemplificat de delectationibus animalibus, incipiens a causa
delectationis quae est amor. Unusquisque enim delectatur ex hoc quod habet id
quod amat. Invenitur autem in quibusdam amor honoris, et in quibusdam amor
disciplinae, quae non apprehenduntur exteriori sensu, sed interiori
apprehensione animae, unde uterque horum, scilicet et ille qui est amator
honoris, et ille qui est amator disciplinae, gaudet per id quod amat, dum
scilicet habet ipsum. Et hoc gaudium non fit per aliquam corporis
passionem, sed per solam apprehensionem mentis. |
600.-Il distingue les plaisirs. Il dit que parmi les plaisirs, il y a les plaisirs de l’âme (animale) et les plaisirs du corps. Les plaisirs corporels, vraiment, sont ceux qui se parfont dans une passion corporelle du sens extérieur, alors que les plaisirs de l'âme sont ceux qui se consomment par la seule appréhension intérieure, Il donne des exemples des plaisirs de l'âme, en commençant par la cause de la délectation qui est l'amour. Chacun, en effet, .trouve son plaisir dans la possession de ce qu'il aime. Chez un certain nombre, on trouve l'amour de l'honneur; chez d'autres l'amour de la discipline (science). Or, ni l'honneur ni la discipline ne sont connus par le sens externe, mais dans une pensée de l'âme. C'est pourquoi, l'un et l'autre, et l'amateur de l'honneur et l'amateur de la science se réjouissent de ce qu'ils aiment, quand ils le possèdent. Mais cette joie ne se fait pas par quelque passion corporelle, mais uniquement par la seule connaissance de l'âme. |
#600. — Ensuite (1117b28), il distingue entre les plaisirs. Il dit que, parmi eux, certains relèvent de l'âme, d'autres du corps. Relèvent du corps, bien sûr, les plaisirs qui se consomment dans une passion corporelle du sens externe, tandis que relèvent de l'âme les plaisirs qui se consomment par la seule appréhension interne. Il exemplifie quant aux plaisirs de l'âme, en commençant par la cause du plaisir, qui est l'amour. Chacun, en effet, prend plaisir au fait d'avoir ce qu'il aime. Or on trouve en certains l'amour de l'honneur, et en d'autres l'amour de la connaissance, qui ne s'appréhendent pas par le sens externe, mais par l'appréhension interne de l'âme. Aussi, l'un et l'autre, à savoir, tant celui qui est amateur d'honneur que celui qui est amateur de connaissance, se réjouit par ce qu'il aime, au moment où il l'a. Et cette joie ne se produit pas par le biais de quelque passion du corps, mais par la seule appréhension de l'esprit. |
[73305] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 7 Deinde cum dicit: qui
autem circa tales etc., ostendit quod circa animales delectationes non est
temperantia. Et designat tria genera harum delectationum. Quaedam enim sunt
animaliter delectabilia, quae habent quamdam speciem honestatis, sicut honor
et disciplina, sicut praemissum est. Et ideo dicit quod circa huiusmodi
delectationes non dicuntur aliqui neque temperati neque intemperati, quia
temperantia et intemperantia videntur respicere aliquas delectationes
turpitudinem habentes. Sunt tamen et circa delectationes honorum et
disciplinae quaedam alia media et extrema pertinentia ad alias virtutes, ut
patebit in quarto. |
601.- Il montre que la tempérance ne porte pas sur les délectations de l'âme. Et il désigne trois de ces plaisirs. On trouve des objets de ces plaisirs de l'âme qui possèdent une certaine espèce d'honnêteté, comme l'honneur et la discipline, qu'on vient de mentionner. C'est pourquoi il dit que, par rapport à ces plaisirs, on ne dit pas que quelqu'un est tempérant ni intempérant, puisque la tempérance semble s'occuper des plaisirs comportant une certaine honte. Il y a, cependant, par rapport aux plaisirs de l'honneur et de la discipline, d'autres milieux et d'autres extrêmes appartenant à d'autres vertus, comme on le verra dans le quatrième livre. |
#601. — Ensuite (1117b31), il montre que ce n'est pas sur des plaisirs de l'âme que porte la tempérance. Il désigne trois genres de ces plaisirs. Certaines [choses], en effet, sont plaisantes de manière animale, 112 qui détiennent un aspect d'honorabilité, comme l'honneur et la connaissance, comme il a été dit précédemment (#600). C'est pourquoi il dit que l'on ne dit personne tempérant ni intempérant à propos de plaisirs de la sorte, puisque la tempérance regarde manifestement des plaisirs qui comportent de la honte. Il y a toutefois aussi, à propos des plaisirs de l'honneur et de la connaissance, d'autres milieux et extrêmes, qui relèvent d'autres vertus, comme il apperra au quatrième [livre] (#792-799). |
[73306] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 8 Secundo autem ibi:
similiter autem etc., ponit quasdam alias delectationes animales, quae
consistunt in dictis vel factis hominum. Et dicit quod sicut temperantia non
est circa delectationes honoris et disciplinae, ita etiam non est circa alias
delectationes, quae non sunt corporales. Illos enim qui amant audire fabulas
et narrare, et totum diem terunt vel expendunt in quibuscumque contingentibus
dictis vel factis, scilicet non necessariis neque utilibus, dicimus esse
garrulos, sed non dicimus eos esse intemperatos. Quia intemperantia non solum
habet vanitatem, sed etiam turpitudinem quamdam. |
602.- Il propose d'autres plaisirs de l'âme qui consistent dans les paroles et dans les faits des hommes. Et il dit que pas plus qu'elle ne porte sur les plaisirs de l'honneur et de la discipline, la tempérance ne porte sur les autres plaisirs qui ne sont pas corporels. Ceux qui aiment à dire ou à entendre des histoires, et qui perdent toute la journée à se raconter les petites nouvelles ou les faits divers, à savoir toutes ces choses, ni nécessaires ni utiles, on les appelle "bavards", mais on ne les appelle pas intempérants. C'est parce que l'intempérance ne comporte pas seulement la vanité, mais aussi une certaine turpitude. |
#602. — En second (1117b32), il présente d'autres plaisirs animaux, qui consistent en paroles ou faits humains. Il dit que, de même que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de l'honneur et de la connaissance, de même elle ne porte pas non plus sur d'autres plaisirs qui ne sont pas corporels. Ceux, en effet, qui aiment entendre des récits et en raconter, et écoulent ou dépensent toute leur journée à de ces paroles ou de ces actes contingents, c'est-à-dire, ni nécessaires ni utiles, nous les appelons des bavards, mais nous ne disons pas qu'ils sont intempérants. Car l'intempérance ne comporte pas seulement de la vanité, mais aussi de la honte. |
[73307] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 9 Tertio ibi: neque
contristatos in pecuniis etc., ponit tertium genus animalium delectationum,
quae sunt respectu exteriorum rerum sicut sunt pecuniae et amici. Unde dicit
quod illi, qui inordinate contristantur in subtractione pecuniarum et
amicorum, non dicuntur intemperati, sed possunt dici secundum aliquid aliud
vitiosi, quia tales tristitiae non habent turpitudinem, sed solam
inordinationem appetitus. Et ex his concludit quod ex quo temperantia non est
circa aliquod genus animalium delectationum, quod sit circa corporales
delectationes. |
603.- Il pose la troisième sorte de plaisirs de l'âme, qui se prennent par rapport aux choses externes, comme l'argent et les amis. Ainsi il dit que ceux qui s'attristent de façon inordonnée dans la perte de l'argent ou des amis, on ne les appelle pas intempérants. On peut cependant dire qu'ils sont vicieux de quelque façon parce que ces tristesses n'ont rien de honteux, mais possèdent uniquement une certaine inordination de l'appétit. De là il conclut que, de ce que la tempérance ne porte sur aucun genre des plaisirs de l'âme, elle porte sur les plaisirs du corps. |
#603. — En troisième (1118a1), il présente le troisième genre de plaisirs animaux, qui regardent les choses externes, comme l'argent et les amis. Aussi dit-il que ceux qui s'attristent de manière désordonnée de la perte d'argent et d'amis, on ne les appelle pas des intempérants. Mais on peut les appeler vicieux quant à quelque chose, parce que de telles tristesses ne comportent pas de honte, mais un simple désordre de l'appétit. De là, il conclut, du fait que la tempérance ne porte pas sur un genre des plaisirs animaux, qu'elle porte sur les plaisirs corporels. |
[73308] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 10 Deinde cum dicit non
omnes autem etc., ostendit quod temperantia non sit circa omnes delectationes
corporales, sed circa aliquas. Et primo ostendit quod temperantia non sit
circa delectationes trium sensuum qui per exterius medium sentiunt. Secundo
ostendit quomodo sit circa delectationes duorum sensuum, qui sentiunt per
medium coniunctum, ibi: videntur utique et gustu et cetera. Circa primum tria
facit. Primo ostendit quod temperantia non sit circa delectationes trium
sensuum praedictorum. Secundo ostendit quod huiusmodi delectationes non
conveniunt animalibus brutis, ibi, non est autem neque in aliis et cetera.
Tertio infert quamdam conclusionem ex dictis, ibi circa tales igitur et
cetera. Circa primum tria facit. Primo manifestat quod temperantia non sit
circa delectationes visus. |
604.- Il montre que la tempérance ne porte pas sur toutes les délectations corporelles, mais sur quelques-unes. Et tout d'abord il montre que la tempérance ne porte sur les plaisirs des trois sens qui connaissent par un milieu externe. En second, il montre comment elle porte sur les plaisirs des deux autres sens, qui connaissent par un milieu conjoint. Au sujet des trois premiers sens, il fait trois considérations. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs des trois sens susdits. En second, il montre que les plaisirs de ces sens ne conviennent pas aux brutes. En troisième, il tire de là une conclusion. Son premier point se divise naturellement en trois parties. Dans sa première, il manifeste que la tempérance ne porte par sur les plaisirs de la vue. |
#604. — Ensuite (1118a2), il montre que la tempérance ne porte pas sur tous les plaisirs corporels, mais sur certains. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs des trois sens qui sentent par un moyen extrinsèque. En second (1118a26), il montre comment elle porte sur les plaisirs des deux sens qui sentent par un moyen conjoint. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs des trois sens annoncés. En second (1118a16), il montre que des plaisirs de la sorte ne conviennent pas aux animaux brutes. En troisième (1118a23), il tire une conclusion de ce qu'il a dit. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il manifeste que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de la vue. |
[73309] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 11 Et dicit quod temperantia
non est circa omnes delectationes corporales, quae fiunt per exteriores
sensus. Illi enim qui delectantur in visibilibus, non dicuntur ex hoc
temperati neque intemperati. Et exemplificat de tribus generibus visibilium.
Quorum quaedam sunt sensibilia propria visus, sicut colores. Quaedam autem sunt
sensibilia communia, quae tamen per visum maxime cognoscuntur, sicut figurae.
Quaedam autem sunt sensibilia per accidens, sicut Scriptura, ratione eius
quod per Scripturam significatur. |
605.- Il dit que la tempérance ne porte pas sur tous les plaisirs corporels qui sont procurés par les sens externes. En effet, ceux qui prennent plaisir dans les objets de la vue, ne sont pas, à cause de cela, appelés tempérants ou intempérants. Et il donne des exemples tirés des trois sortes d'objets visibles. Il y a les sensibles propres de la vue, comme les couleurs. Il y a les sensibles communs, qui cependant sont le mieux connus par la vue, comme les figures. Il y a aussi les sensibles par accident, comme l'écriture, qui est sensible par accident en raison de ce qui est signifié par l'écriture. |
#605. — Il dit que la tempérance ne porte pas sur tous les plaisirs corporels qui se produisent par les sens externes. Ceux, en effet, qui prennent plaisirs à ce qui se voit ne sont appelés de ce fait ni tempérants ni intempérants. Il exemplifie dans les trois genres d'objets de la vue. Les uns sont les sensibles propres de la vue, comme les couleurs. D'autres, par ailleurs, sont les sensibles communs, connus toutefois le plus par la vue, comme les figures. D'autres, en fin, sont des sensibles par accident, comme l'écriture, en raison de ce que l'on signifie par l'écriture. |
[73310] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 12 Nec hoc dicitur quin in
his possit esse virtus et vitium, contingit enim quod in talibus aliquis
delectetur sicut oportet, idest medio modo, et secundum
superabundantiam et defectum, quae pertinent ad curiositatem, non autem ad
intemperantiam, quae est circa delectationes vehementiores. |
606.- On ne dit pas ici, non plus, qu'il ne peut y avoir vertu et vice sur ces sensibles. En effet, il arrive que par rapport à ces sensibles on prenne plaisir comme il le faut, c'est-à-dire selon Je milieu, ou avec excès et défaut, ce qui appartient à la curiosité, non à l'intempérance toute tournée vers les plaisirs plus véhéments. |
#606. — On ne dit pas, ici, qu'il ne puisse y avoir vertu et vice en ces [cas]. Il arrive, en effet, qu'en de telles [matières], on prenne plaisir comme il faut, c'est-à-dire, d'une manière moyenne, et en excès et en manque, ce qui relève de la curiosité, mais non de l'intempérance, qui porte sur des plaisirs plus violents. |
[73311] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 13 Secundo ibi: similiter
autem etc., ostendit quod temperantia non est circa delectationes proprias
auditus. Et dicit quod similiter se habet et in delectationibus quae sunt
circa auditum, quod scilicet circa eas non est temperantia vel intemperantia.
Si enim aliquis in melodiis, idest in consonantiis humanarum vocum, et
hypocrisi, idest simulatione humanae vocis quae fit per musica
instrumenta, aliquis gaudeat vel superabundanter, vel secundum quod oportet,
non ex hoc dicetur temperatus vel intemperatus, quia nec etiam hae sunt
multum vehementes delectationes. Potest autem hoc pertinere ad aliam virtutem vel
vitium. |
607.- Il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs propres de l’ouïe. Et il dit qu'il en va également de même pour les plaisirs qui relèvent de l'ouïe, à savoir a que la tempérance ou l’intempérance ne portent pas sur eux. En effet, si quelqu’un se complaît dans les mélodies chorales, ou dans l'imitation des voix humaines faite par des instruments, ou avec excès, ou comme, on le doit, on ne le dit pas tempérant ou intempérant, parce que ces plaisirs ne sont l’pas non plus très véhéments. Ces plaisirs peuvent relever d'une autre vertu ou d'un autre vice. |
#607. — En second (1118a6), il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs propres de l'ouïe. Il dit qu'il en va pareillement dans les plaisirs qui concernent l'ouïe, à savoir, que la tempérance et l'intempérance ne portent pas sur eux non plus. Si, en effet, dans les mélodies, c'est-à-dire, dans l'harmonie des voix humaines, et dans la comédie, c'est-à-dire, dans l'imitation de la voix humaine qui se fait par des instruments, on tire trop de joie, ou celle qu'il faut, on n'en sera pas appelé tempérant ou intempérant, parce que ces plaisirs-là non plus ne sont pas très violents. Mais cela peut relever d'une autre vertu ou d'un autre vice. |
[73312] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 14 Tertio ibi: neque eos
etc., ostendit quod temperantia non sit circa delectationes olfactus. Circa
quod considerandum est, quod sicut in libro de sensu et sensato dicitur,
species odorum dupliciter distinguuntur. Uno modo secundum se. Alio modo
per comparationem ad species saporum. Dicit ergo, quod neque illi dicuntur
temperati vel intemperati, qui delectantur in odoribus in se consideratis
secundum quod oportet vel plus quam oportet; sed solum si delectentur secundum
accidens, idest secundum quod coincidunt odores cum delectabilibus gustus
et tactus. |
608.- Il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de l'odorat. A ce sujet, il faut considérer que, comme on le dit dans le livre De Sensu et sensato, les espèces d'odeur se distinguent de deux façons. D'une première manière, en elles-mêmes. D'une seconde manière, relativement aux espèces de saveur. Il dit donc qu’on n'appelle pas non plus tempérants ou intempérants ceux qui prennent plaisir dans les odeurs considérées en elles-mêmes comme on le doit ou plus qu’on ne le doit; mais uniquement s’ils prennent plaisir dans les odeurs de façon accidentelle c'est-à-dire, en tant qu'elles coïncident avec les plaisirs du goût et du toucher. |
#608. — En troisième (1118a9), il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de l'odorat. À ce sujet, on doit tenir compte que, comme il est dit au livre Du sens et de la sensation (ch. 5; lect. 13, #177-186), les espèces d'odeurs se distinguent de deux manières. D'une manière, en elles-mêmes. D'une autre manière, par comparaison à des espèces de saveurs. Il dit donc que ceux qui prennent plaisir à 113 des odeurs regardées en elles-mêmes comme il faut ou plus qu'il ne faut ne sont pas non plus appelés tempérants ou intempérants; mais [ils le sont] seulement s'ils y prennent plaisir par accident, c’est-à-dire, pour autant que les odeurs coïncident avec les objets des plaisirs du goût et du toucher. |
[73313] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19 n. 15 Illos enim qui gaudent odoribus pomorum vel rosarum vel
thymiamatum, qui sunt species odorum secundum se, non dicimus intemperatos.
Sed illos, qui delectantur in odoribus pulmentorum vel unguentorum quibus
mulieres unguntur. In his enim delectantur intemperati propter memoriam quorumdam aliorum
quae concupiscunt. Et hoc manifestat per
exemplum eorum qui esuriunt, qui gaudent odoribus ciborum, in quibus non
delectantur cum sunt repleti. Et sic patet quod non delectantur in odoribus
secundum se, sed per accidens. Sic enim gaudere odoribus pertinet ad
intemperatum, cui sunt concupiscibilia ea quae per odores repraesentantur. |
609.- En effet, ceux qui prennent plaisir aux odeurs des fruits, des roses ou des encens, qui sont des espèces des odeurs en elles-mêmes, nous ne les appelons pas intempérants. Mais on appelle intempérants ceux qui prennent plaisir aux senteurs des parfums ou des onguents de toilette des femmes. En effet, les intempérants trouvent leurs plaisirs dans ces senteurs, parce qu'elles leur rappellent d'autres objets de leur convoitise. Ce qu'il manifeste par l'exemple de ceux qui ont faim et qui prennent plaisir aux odeurs (des mets), odeurs qui les laissent indifférents lorsqu'ils ont bien mangé. Et ainsi il est clair qu'ils ne prennent pas plaisir dans les odeurs en elles-mêmes, mais par accident. En effet, prendre plaisir de cette manière dans les odeurs appartient à l'intempérant, qui convoite ce qui est représenté par les odeurs. |
#609. — En effet, ceux que nous disons intempérants, ce ne sont pas ceux qui tirent de la joie d'odeurs de pommes ou de roses ou de thym, qui sont des espèces de l'odeur en elle-même, mais ceux qui prennent plaisir aux odeurs des mets, ou des onguents dont les femmes se maquillent. Les intempérants y prennent plaisir, en effet, en raison du rappel d'autre chose qu'ils convoitent. Il manifeste cela par l'exemple de ceux qui ont faim, qui tirent de la joie d'odeurs auxquelles ils ne prennent pas plaisir une fois rassasiés. Ainsi appert-il qu'ils ne prennent pas plaisir aux odeurs pour elles-mêmes, mais par accident. Tirer ainsi de la joie d'odeurs concerne l'intempérant, à qui est désirable ce qui est représenté par les odeurs. |
[73314] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 16 Deinde cum dicit: non est
autem neque in aliis etc., ostendit quod delectationes praedictorum sensuum
non conveniunt aliis animalibus per se, sed solum per accidens. Et dicit quod
in aliis animalibus non fit delectatio secundum praedictos tres sensus nisi
secundum accidens, id est in ordine ad gustum et tactum. Et hoc manifestat
primo in sensu olfactus; quia canes non delectantur in odore leporum propter
ipsum odorem, sed propter cibum quem sperant, cuius sensum per odorem
accipiunt. Secundo ostendit idem in sensu auditus. Et dicit, quod leo non
delectatur in voce bovis, sed in eius comestione, quem appropinquare
cognoscit per vocem. Unde videtur gaudere voce bovis. Sed hoc est per
accidens. Tertio manifestat idem in visu. Et dicit, quod etiam leo non
delectatur in aspectu cervi vel caprei, quem vocat agrestem capram, quando
invenit aliquid huiusmodi, sed delectatur in spe habendi cibum. |
610.- Il montre que les plaisirs de ces sens ne conviennent pas par eux-mêmes aux autres animaux, mais uniquement de façon accidentelle. Il dit que, chez les autres animaux, le plaisir fourni par les trois sens énumérés plus haut, ne se retrouve que de façon accidentelle, c'est-à-dire par relation au goût et au toucher. Ce qu'il manifeste, en premier, dans le sens de l'odorat: les chiens ne prennent pas plaisir dans l’odeur des lièvres à cause de l'odeur elle-même, mais à cause de la nourriture qu'ils espèrent y trouver. L'odorat leur a fait connaître la présence de la nourriture. En second, il montre la même chose dans le sens de l'ouïe. Il dit que le lion prend plaisir à entendre le mugissement du bœuf à cause du repas qu'il entrevoit par le mugissement. C'est pourquoi, il semble se complaire dans la voix du bœuf, mais cela est par accident. En troisième, il manifeste la même idée dans le cas de la vue. Et il dit que le lion encore ne prend pas plaisir dans la vue du cerf ou de la chèvre sauvage, quand il rencontre quelque animal de la sorte; son plaisir il le tire de l'espoir d'avoir sa nourriture. |
#610. — Ensuite (1118a16), il montre que les plaisirs des sens mentionnés ne conviennent pas aux autres animaux par soi, mais seulement par accident. Il dit que, chez les autres animaux, ne se produit pas de plaisir selon les trois sens mentionnés, sauf par accident, c'est-à-dire, en relation au goût et au toucher. Il manifeste cela, d'abord, dans le sens olfactif, du fait que les chiens ne prennent pas plaisir à l'odeur de mets délicieux en raison de l'odeur même, mais en raison de la nourriture qu'ils espèrent, dont ils ont sensation par son odeur. En second, il montre la même [chose] pour le sens de l'ouïe. Il dit que le lion prend plaisir à la voix du bœuf en raison du repas dont il connaît par cette voix la proximité. Aussi tire-t-il manifestement joie de la voix du bœuf, mais par accident. En troisième, il manifeste la même chose pour la vue. Il dit que même le lion ne prend aucun plaisir à l'aspect du cerf et de la chèvre, qu'il appelle la chèvre des champs, quand il en trouve de la sorte, mais qu'il prend plaisir à l'espoir d'avoir de la nourriture. |
[73315] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 17 Horum autem ratio est,
quia appetitus animalium aliorum movetur solo instinctu naturae. Et ideo non
delectantur nisi in his quae pertinent ad sustentationem naturae, propter
quam dantur huiusmodi sensus animalibus; sed hominibus dantur propter
cognitionem sensibilium, ex quibus proceditur ad cognitionem rationis, quae
movet hominis appetitum. Et inde est quod homo delectatur in ipsa sensibilium
convenientia secundum se consideratorum, etiam si non ordinentur ad
sustentationem naturae. |
611.- La raison de cela en est que l'appétit des autres animaux est mû par le seul instinct de nature. C'est pourquoi, ils ne prennent plaisir que dans ce qui peut sustenter la nature. Entretenir leur nature, tel est la fin de leurs sens. Mais le sens a été donné à l'homme en vue de la connaissance des choses sensibles, point de départ de la connaissance de la raison, qui meut l'appétit. De là vient que l'homme prend plaisir dans les convenances (les harmonies, les accords, les adaptions) elles-mêmes des choses sensibles, même si elles ne sont pas ordonnées à la sustentation de la nature. |
#611. — La raison en est que l'appétit des autres animaux se meut par le seul instinct naturel. C'est pourquoi ils ne prennent plaisir qu'à ce qui concerne l'entretien de leur nature, en vue duquel sont donnés des sens de la sorte aux animaux. Mais ils sont donnés aux hommes en vue de la connaissance des sensibles, dont on procède à la connaissance de la raison qui meut l'appétit de l'homme. De là vient que l'homme prenne plaisir à la convenance même des sensibles considérés en eux-mêmes, même s'ils ne sont pas ordonnés à l'entretien de sa nature. |
[73316] Sententia Ethic., lib. 3 l. 19
n. 18 Deinde cum dicit: circa
tales igitur operationes etc., concludit ex praemissis quod temperantia est
circa tales operationes seu delectationes, in quibus et reliqua animalia
communicant cum homine; et similiter intemperantia. Unde huiusmodi
delectationes videntur esse serviles et bestiales. Quia id in quo communicamus
cum bestiis est in nobis servile et naturaliter rationi subiectum. Huiusmodi
autem sunt delectationes tactus et gustus, qui sunt duo sensus praeter tres
praedictos. |
612.- Il conclut donc, de ce qu'il a dit, que la tempérance porte sur les opérations ou les plaisirs que les animaux autres que l'homme ont en commun avec lui; et, également, l'intempérance. C'est pourquoi, ces plaisirs semblent être serviles et bestiaux (des plaisirs d'esclaves et de brutes): ce que nous avons en commun avec les bêtes est en nous servile et naturellement soumis à la raison. Or, les plaisirs du toucher et du goût, qui sont les deux autres sens, sont bien de la sorte. |
#612. — Ensuite (1118a23), il conclut donc, de ce qui précède, que la tempérance porte sur des opérations ou des plaisirs tels que les autres animaux les ont en commun avec l'homme; et pareillement l'intempérance. Aussi des plaisirs de la sorte paraissent-ils serviles et bestiaux. Car ce que nous avons en commun avec les bêtes est en nous servile et naturellement sujet à la raison. Or sont de la sorte les plaisirs du toucher et du goût, deux autres sens à part les trois mentionnés. |
|
|
|
Lectio
20 |
Leçon 20 : [Tempérance et divers plaisirs] |
|
|
ON S’ATTACHE TOUT D’ABORD A MANIFESTER CE QU'ON A DIT, A SAVOIR QUE LA TEMPERANCE ET L’INTEMPERANCE APPARTIENNENT AUX SENS DU TOUCHER ET DU GOUT, MAIS DAVANTAGE AU SENS DU TOUCHER QU’A CELUI DU GOUT. |
|
[73317] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 1 Videntur utique et gustu
et cetera. Postquam philosophus ostendit quod temperantia et intemperantia
non sunt circa delectationes trium sensuum, sed circa delectationes duorum,
scilicet gustus et tactus, hic ostendit qualiter sit circa delectationes
utriusque. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quod directe temperantia
non est circa delectationes gustus, sed circa delectationes tactus. Secundo
manifestat quod dixerat per exemplum, ibi, propter quod et oravit et cetera.
Tertio infert conclusionem ex dictis: communissimus autem et cetera. Dicit
ergo primo, quod temperantia et intemperantia parum vel nihil videntur uti
eo, quod proprie pertinet ad gustum, prout scilicet ad gustum pertinet
iudicare de saporibus. Sic autem utuntur gustu, illi qui probant vina, vel
qui condiunt pulmenta et experiuntur utrum convenientem saporem pulmentis
dederint. |
613.- Après avoir montré que la tempérance et l'intempérance ne porte pas sur les plaisirs des trois premiers sens, mais sur l’les plaisirs des deux autres, à savoir le goût et le toucher, le Philosophe montre maintenant de quelle manière elles portent sur les plaisirs de l'un et de l'autre. Là-dessus, il fait trois considérations. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas directement sur les plaisirs du goût mais sur ceux du toucher. En second, il manifeste son affirmation par un exemple. En troisième, il tire une conclusion de ce qu'il a dit. Il dit donc tout d'abord que la tempérance et l'intempérance semblent peut, sinon pas du tout, se servir de ce qui appartient proprement au goût, à savoir en tant qu'il appartient au goût de discerner les saveurs. Cependant, c'est ainsi que se servent du goût ceux qui jugent les vins et préparent les mets, et qui expérimentent s'ils ont donné la saveur voulue au ragoût. |
#613. — Après avoir montré que la tempérance et l'intempérance ne portent pas sur les plaisirs de trois des sens, mais sur ceux de deux [d'entre eux], le goût et le toucher, le Philosophe montre ici de quelle manière elles portent sur les plaisirs de l'un et de l'autre. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas directement sur les plaisirs du goût, mais sur les plaisirs du toucher. En second (1118a32), il manifeste ce qu'il avait dit par un exemple. En troisième (1118b1), il tire une conclusion de ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, que la tempérance et l'intempérance n'usent manifestement que peu ou pas de ce qui appartient proprement au goût, pour autant qu'il appartient au goût de juger des saveurs. Ceux qui usent de la sorte du goût, ce sont ceux qui goûtent les vins, ou préparent les mets et testent s'ils ont donné aux mets la saveur qui convient. |
[73318] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 2 In hoc autem non multum
delectantur intemperati, vel etiam non subtrahitur eis multum de
delectatione, si ciborum sapores non bene discernant. Sed tota eorum
delectatio consistit in usu quarumdam rerum delectabilium, puta in sumptione
ciborum et potuum, et in usu venereorum, qui quidem usus fit per tactum. Unde
manifestum est, quod delectatio intemperati, directe est circa tactum. Circa
gustum autem, non est nisi secundum quod sapores faciunt delectabiliorem usum
ciborum. Et ideo dixit supra quod in parum utitur intemperantia gustu,
scilicet secundum id quod ordinatur ad tactum, vel nihil quantum ad id quod
secundum se convenit gustui. |
614.- Les intempérants ne prennent guère de plaisirs dans ce discernement des saveurs ou, en tout cas, ce manque de discernement ne diminue guère leur plaisir. Mais tout leur plaisir consiste dans l'usage de certaines choses délectables, par exemple, dans l'absorption elle-même des boissons et des aliments et dans l'usage des choses vénériennes, lequel usage se fait par le sens du toucher. De là, il est manifeste que le plaisir de l'intempérant concerne directement le toucher. Il ne concerne le goût qu'en tant que les saveurs rendent l'usage des aliments plus délectable. C'est pourquoi, Aristote dit plus haut, que l'intempérance se sert peu du goût, c'est-à-dire, selon qu'il est ordonné au toucher, ou pas du tout, c'est-à-dire quant à ce qui convient par soi au goût. |
#614. — Or les intempérants ne prennent pas beaucoup plaisir à cela; même que cela n'enlève pas beaucoup à leur plaisir, s'ils ne discernent pas bien les saveurs des aliments. Tout leur plaisir consiste 114 plutôt dans l'usage des objets plaisants, par exemple, dans la prise d'aliments et de boissons, et dans l'usage du sexe, lequel usage se fait par le toucher. Aussi est-il manifeste que le plaisir de l'intempérant porte directement sur le toucher. Sur le goût, par ailleurs, il ne porte que selon que les saveurs rendent plus plaisant l'usage d'aliments. C'est pourquoi il a dit, plus haut (#608-611, 613), que l'intempérance use peu du goût, quant à ce qui est ordonné au toucher, ou pas, quant à ce qui convient au goût en lui-même. |
[73319] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 3 Deinde cum dicit propter
quod et oravit etc., manifestat quod dixerat per exemplum. Quidam enim
Philosenus nomine, Erixius patria, cum voraciter comederet pultes,
desideravit quod guttur eius fieret longius gutture gruis, ut scilicet diu
cibus in eius gutture remaneret. Ex quo patet quod non delectabatur gustu,
qui non viget in gutture sed in lingua, sed delectabatur solo tactu. |
615.- Il manifeste ce qu'il a dit par un exemple. Un certain Philoxène, né non loin du mon Eryx, aurait voulu, en dévorant gloutonnement un ragoût, avoir le gosier plus long que celui d'une grue, afin que la nourriture lui demeure plus longtemps dans le gosier. Ce qui montre qu'il ne se délectait pas dans le goût qui n'existe pas dans le gosier, mais dans la langue. C'est uniquement dans le toucher qu'il prenait son plaisir. |
#615. — Ensuite (1118a32), il manifeste ce qu'il avait dit par un exemple. Un type, en effet, du nom de Philoxène, d'Éryxis, alors qu'il avalait un mets avec voracité, eut le désir que son gosier devienne plus long que celui d'une grue, de façon que l'aliment y demeure longtemps. De là, il appert qu'il ne prenait pas plaisir avec le goût, qui n'a pas lieu dans le gosier mais sur la langue, et qu'il prenait son plaisir seulement avec le toucher. |
[73320] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 4 Deinde cum dicit
communissimus autem etc., infert quoddam corollarium ex dictis. Sensus enim
tactus, circa quem est intemperantia, est communissimus inter omnes sensus,
quia in hoc sensu communicant omnia animalia. Et ideo intemperantia videtur
esse iuste exprobrabilis, quia inest hominibus non quantum ad id quod est
proprium hominis, sed quantum ad id in quo communicat cum aliis animalibus.
Delectari autem in talibus, et huiusmodi diligere tamquam maxima bona,
videtur esse maxime bestiale. Et inde est quod vitia intemperantiae maximam
turpitudinem habent, quia per ea homo bestiis assimilatur. Et inde est quod
ex huiusmodi vitiis redditur homo maxime infamis et vituperabilis. |
616.- Il tire un certain corollaire de ce qu'il a dit. En effet, le sens du toucher, sur lequel porte la tempérance, est le plus commun de tous les sens, parce que c'est le sens qui est commun à tous les animaux. Et c'est pourquoi l'intempérance semble à juste titre blâmable parce qu'elle n'existe pas dans l'homme par rapport à ce qu'il lui est propre, mais par rapport à ce qu'il a de commun avec les autres animaux. Or, prendre son plaisir dans des objets semblables et les aimer comme s'ils étaient les plus grands biens, cela semble être tout à fait bestial. Voilà pourquoi les vices d’intempérance sont les plus laids (honteux) parce que par eux l'homme s'assimile aux bêtes. De là vient que par ces sortes de vices l'homme se rend tout à fait infâme et blâmable. |
#616. — Ensuite (1118b1), il tire un corollaire de ce qui a été dit. En effet, le sens du toucher, sur lequel porte la tempérance, est le plus commun parmi tous les sens, parce que tous les animaux ont ce sens en commun. C'est pourquoi l'intempérance paraît être à juste titre blâmable, puisqu'elle n'appartient pas à l'homme quant à ce qui lui est propre, mais quant à ce qu'il a en commun avec les autres animaux. Prendre plaisir à de tels [objets], et en aimer de la sorte comme s'il s'agissait des biens les plus grands, est manifestement ce qu'il y a de plus bestial. C'est par là que les vices [liés à] l'intempérance comportent le plus de honte, car par eux l'homme s'assimile aux bêtes. C'est par là encore qu'avec des vices de cette sorte l'homme se rend le plus infâme et vitupérable. |
[73321] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 5 Et quia posset aliquis
dicere, quod etiam in his quae ad tactum pertinent, est aliquid proprium
homini quod non est bestiale, ideo ad hanc obviationem excludendam subdit,
quod temperantiae subtrahuntur illae delectationes quae sunt maxime
liberales, utpote hominibus appropriatae, et secundum rationem factae, sicut
sunt delectationes quae fiunt in gignasiis, id est in exercitiis
ludorum, per contritionem et calefactionem, dum aliqui ad invicem luctantur
aut aliter exercentur, non per ordinem ad concupiscentias ciborum vel
venereorum. Delectatio enim tactus quam intemperatus quaerit, non est circa
totum corpus, sed circa quasdam corporis partes. |
617.- Et parce qu'on pourrait rétorquer que; même dans ce qui appartient au toucher, il y a un bien propre qui ni est pas bestial, il ajoute, pour exclure cette objection, que sont exclus du domaine de la tempérance ces plaisirs du toucher qui sont les plus libéraux comme étant appropriés à l'homme et éprouvés conformément à la raison, comme les plaisirs qu'on prend dans les exercices du gymnase, tels que les plaisirs du massage et du réchauffement, alors que ces plaisirs ne sont pas pris en relation aux convoitises des aliments et des choses vénériennes. En effet, le plaisir du toucher que recherche l'intempérant ne concerne pas le corps tout entier, mais certaines parties. |
#617. — Parce que l'on pourrait dire qu'il y a un bien propre qui n'est pas bestial même en ce qui concerne le toucher, il ajoute, pour exclure cette objection, que sont soustraits à la tempérance les plaisirs du toucher qui sont le plus libéraux en tant qu'appropriés aux hommes, et faits en rapport à la raison, comme les plaisirs qui ont lieu dans les gymnases, c'est-à-dire, dans les exercices des jeux, par l'onction et le réchauffement, au moment où certains luttent entre eux, ou s'exercent autrement, sans ordonnance aux convoitises de l'aliment ou du sexe. Le plaisir du toucher, en effet, que cherche l'intempérant, ne porte pas sur tout le corps, mais sur certaines parties du corps. |
[73322] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 6 Deinde cum dicit
concupiscentiarum autem etc., ostendit qualis sit actus temperantiae circa
praedictam materiam et etiam oppositorum vitiorum. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit propositum. Secundo comparat vitia intemperantiae ad quaedam
alia vitia, ibi, voluntario autem magis assimilatur et cetera. Circa primum
tria facit. Primo determinat de intemperantia, ostendens qualiter operetur
circa praeinquisitam materiam. Secundo determinat de insensibilitate, ibi,
deficientes autem et cetera. Tertio de temperantia, ibi, temperatus autem
medie et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo intemperantia
se habeat circa delectationes; secundo quomodo se habeat circa tristitias,
ibi, circa tristitias autem et cetera. Sicut autem supra dictum est, quod ad
idem ordinantur timor et tristitia, quia tristitia est praesentium malorum,
sicut timor futurorum, ita etiam in idem ordinantur concupiscentia, quae est
futurorum bonorum, et delectatio quae est praesentium; unde et temperantia
est eadem ratione circa concupiscentias et delectationes. Primo ergo ponit
quamdam divisionem concupiscentiarum. Secundo manifestat eam, ibi: puta quae
cibi etc.; tertio ostendit qualiter intemperantia sit circa utrasque
concupiscentias, ibi, in naturalibus quidem igitur et cetera. |
618.- Il montre quel (désignant la qualité) est l'acte de la tempérance par rapport à la matière décrite plus haut et quels sont les actes des vices opposés. Sur ce sujet, il fait deux considérations. En premier, il montre ce qu'il veut dire; en second, i1 compare les vices d’intempérance à certains autres. Son premier point se subdivise en trois parties. En premier, il traite de l'intempérance en montrant de quelle manière elle opère sur la matière que nous avons cernée préalablement. En second, il traite de l’insensibilité. En troisième, de la tempérance. A propos de la manière de travailler de l'intempérance, il fait deux considérations. En premier, il montre quel est le rapport que la tempérance entretient avec les plaisirs. En second, comment elle se comporte à l'égard des tristesses. Comme on a dit plus haut que la crainte et la tristesse portaient sur le même objet, parce que la tristesse portait sur les maux présents comme la crainte sur les maux futurs, ainsi sont ordonnés au même objet la concupiscence (la convoitise) qui porte sur des biens futurs et le plaisir qui porte sur les biens présents. En effet, la tempérance est dans la raison et porte sur les convoitises et les plaisirs. Donc, il fait tout d’abord une certaine division des convoitises. En second, il manifeste cette division. En troisième, il montre de quelle manière l'intempérance porte sur l’une et l'autre convoitise. |
#618. — Ensuite (1118b8), il montre de quelle nature est l'acte de la tempérance sur la matière décrite, et [celui] des vices opposés. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1119a21), il compare les vices de l'intempérance à d'autres vices. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de l'intempérance, montrant de quelle manière elle opère sur la matière investiguée plus haut. En second (1119a5), il traite de l'insensibilité. En troisième (1119a11), de la tempérance. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment l'[in]tempérance se comporte en rapport aux plaisirs. En second (1118b28), comment elle se comporte en rapport aux tristesses. Comme, par ailleurs, il a été dit plus haut (#584), que c'est au même [objet] que sont ordonnées la crainte et la tristesse, parce que la tristesse porte sur les maux présents comme la crainte sur les futurs, de même aussi c'est au même [objet] que sont ordonnés le désir, qui porte sur les biens futurs, et le plaisir, qui porte sur les présents. La tempérance, en effet, porte par définition sur les désirs et sur les plaisirs. Il présente donc, en premier, une division des désirs. En second (1118b9), il la manifeste. En troisième (1118b15), il montre de quelle manière l'intempérance porte sur les uns et les autres désirs. |
[73323] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20
n. 7 Dicit ergo primo quod
quaedam concupiscentiae sunt communes, et quaedam sunt propriae, quae se
habent per appositionem quamdam ad communes. |
619.- Il dit donc en premier qu'il y a des concupiscences communes et qu'il y en a des propres, qui sont par opposition aux convoitises communes. |
#619. — Il dit donc, en premier, que certains désirs sont communs, et que certains sont propres, lesquels entretiennent une relation d'apposition avec les communs. |
[73324] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20 n. 8 Deinde cum dicit puta quae cibi etc., manifestat
divisionem praemissam. Et primo manifestat quae sunt concupiscentiae
communes. Et dicit, quod concupiscentia cibi in communi est naturalis, utpote
consequens totam naturam speciei aut etiam generis. Et inde est, quod omnis
homo ad subveniendum indigentiae naturae concupiscit siccum alimentum quod
dicitur cibus, vel humidum quod dicitur potus et quandoque utrumque. Sicut
etiam Homerus dicit, quod omnis homo tam iuvenis quam crescens, idest
adolescens concupiscit lectum in quo requiescat. |
620.- Il manifeste la division précédente. Et tout d', abord il manifeste quelles sont les concupiscences communes. Il dit que la convoitise de la nourriture en général est naturelle, en tant que consécutive à toute la nature de l’espèce et du genre. Et de là vient que tout homme, pour subvenir aux besoins de la nature, désire l'aliment sec, qu'on appelle nourriture, ou humide, qu'on appelle boisson. Et quelquefois les deux. Comme le dit Homère tout homme jeune ou dans la force de l'âge convoite la couche où il peut se reposer. |
#620. — Ensuite (1118b9), il manifeste la division présentée. En premier, il manifeste quels sont les désirs communs. Il dit que le désir de la nourriture en général est naturel, en tant que s'ensuivant de toute la nature de l'espèce et du genre. De là s'ensuit que tout homme, pour subvenir au besoin de sa nature, désire l'aliment sec, que l'on appelle nourriture, ou humide, que l'on appelle boisson. Et quelquefois l'un et l'autre, comme Homère dit que tout homme, jeune comme en croissance, c’est-à-dire, adolescent, désire un lit sur lequel reposer. 115 |
[73325] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20 n. 9 Secundo etiam ibi talem autem etc., ostendit quae sint
propriae delectationes. Et dicit, quod non omnes homines concupiscunt talem
vel talem lectum, puta stratum plumis aut pretiosis tegumentis. Similiter
etiam non omnes desiderant talem vel talem cibum, puta pretiosum aut delicate
paratum; neque etiam omnes idem concupiscunt; sed quidam in talibus,
concupiscunt hoc, quidam aliud. Unde huiusmodi concupiscibilia videntur esse
nostra, quia scilicet ad ea non inclinamur ex natura, sed potius ex nostra
adinventione. Nihil tamen prohibet etiam in his esse aliquid naturale quasi
pertinens ad naturam individui licet non pertineat ad naturam generis vel
speciei. Videmus enim quod diversa sunt
delectabilia diversis, secundum diversas complexiones eorum. Et quibusdam
sunt quaedam delectabiliora quam alia indifferenter propter naturalem
complexionem eorum. |
621.- Il montre quelles sont les convoitises propres. Et il dit que ce n'est pas le fait de tous les hommes que de convoiter telle ou telle couche, par exemple un matelas rempli de plumes ou des couvertures précieuses. Egalement ce n'est pas tout le monde qui désire telle ou telle nourriture, par exemple un mets rare et délicatement préparé. Tous les hommes ne désirent pas les mêmes objets: dans les différentes catégories d'objets, certains préfèreront ceux-ci, d'autres ceux-là. C'est pourquoi les objets de convoitise de cette sorte semblent être nôtres, à savoir parce que nous n’y sommes pas inclinés par nature, mais plutôt par notre découverte personnelle. Et rien n'empêche que, dans ces plaisirs, il y ait une part de naturel qui appartienne à la nature individuelle, bien qu'elle n’appartienne pas à la nature du genre ou dé l’espèce. En effet, nous voyons que différentes choses plaisent à différentes personnes selon leurs différents tempéraments. Et pour certains, il y a des objets plus délectables que d'autres par rapport auxquels ils demeurent indifférents, à cause de leur tempérament. |
#621. — En second (1118b15), il montre quels sont les plaisirs propres. Il dit que tous les hommes ne désirent pas tel ou tel lit, garni de plumes ou de couvertures précieuses. Pareillement aussi, tous ne désirent pas tel ou tel aliment, par exemple, de grande valeur ou préparé avec délicatesse. En outre, tous ne désirent pas la même [chose]; mais certains, en pareille matière, désirent cela, certains autre chose. Aussi des objets de convoitise de la sorte paraissent-ils être nôtres, parce que nous n'y sommes pas inclinés de nature, mais plutôt par invention. Rien n'empêche non plus, en cela, qu'il y ait du naturel qui appartienne à la nature de l'individu bien que cela n'appartienne pas à la nature du genre ou de l'espèce. Car nous voyons que différents sont les objets de plaisir pour différentes [personnes], selon leurs complexions différentes. Et qu'à certaines gens certains objets, indifféremment2, sont plus plaisants que d'autres, en raison de leur complexion naturelle. |
[73326] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20 n. 10 Deinde cum dicit: in naturalibus quidem igitur etc.,
ostendit qualiter sit intemperantia circa concupiscentias praedictas. Et
dicit quod in concupiscentiis naturalibus quae sunt communes, pauci peccant.
Et non est peccatum in hoc nisi uno modo, scilicet secundum quod plus aliquis
quam natura requirat comedit vel bibit. Contingit enim quod aliquis comedit
vel bibit quicquid ei detur, si tamen hoc faciat usque ad superfluam
repletionem, in quo est superabundantia respectu multitudinis cibi vel potus
quam natura requirit; natura enim non concupiscit nisi quod suppleatur
indigentia. Unde quod aliquis assumat ultra indigentiam, est excessus supra
naturam. |
622.- Il montre de quelle manière, se comporte l’intempérance par rapport aux convoitises décrites plus haut. Et il dit que dans les convoitises naturelles qui sont communes, les fautes sont rares. Et la faute dans ces cas n’est que d'une seule sorte, à savoir en tant qu'on en prend plus que la nature le requiert. En effet, il arrive qu'on mange et boive tout ce que l'on reçoit, si cependant on le fait jusqu'à en être sursaturé: ce qui est dé passer en quantité ce que demande la nature. La nature, en effet, n'exige rien d'autre que la satisfaction du besoin. C'est pourquoi, si on va au-delà du besoin, il y a excès par rapport à la nature. |
#622. — Ensuite (1118b15), il montre quel rapport entretient l'intempérance avec les désirs présentés. Il dit que, dans les désirs naturels qui sont communs, peu se rendent fautifs. De plus, il n'y a de faute en cela que d'une manière, selon que l'on prend plus que la nature ne demande. Il arrive, en effet, que l'on mange ou boive quoi que ce soit qu'il nous soit donné de manger ou boire, au point d'en arriver à la satisfaction superflue en laquelle réside l'excès en regard de la quantité de nourriture que la nature requiert. La nature, en effet, ne désire que ce qui supplée son besoin. Aussi, que l'on prenne au-delà de son besoin, c'est un excès au-delà de la nature. |
[73327] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20 n. 11 Et ideo tales dicuntur gastrimargi, a gastir,
quod est venter, et margos, quod est furor vel insania, quasi furor vel
insania ventris, quia scilicet implent naturam praeter indigentiam. Et tales
fiunt illi qui sunt multum bestiales, quia videlicet ad hoc solum adhibent
curam, ut ventrem impleant absque discretionem, sicut et bestiae. |
623.- Et c'est pourquoi on appelle ces gens-là "ventre-fous", la composition du mot nous indiquant qu'il s'agit d'une fureur ou d'une folie du ventre, à savoir parce qu'ils se remplissent plus que le besoin. Ceux-là sont des hommes fortement bestiaux, parce qu'ils mettent tout leur soin à remplir leur ventre sans discrétion, comme des bêtes. |
#623. — C'est pourquoi de pareilles gens sont appelés des goinfres, des gastrimarges, de gaster, qui signifie ventre, et de margos, qui signifie fureur ou insanité, comme une fureur ou une insanité du ventre, parce qu'ils rassasient leur nature en dehors de son besoin. Ainsi sont certaines gens très bestiaux, parce qu'assurément ils ne donnent de soin qu'à cela seulement qu'ils emplissent leur ventre sans discernement, comme les bêtes. |
[73328] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20 n. 12 Secundo ibi: circa proprias autem delectationes etc.,
ostendit qualiter se habeat intemperantia circa proprias concupiscentias sive
delectationes. Et dicit quod circa eas multi et multipliciter peccant,
scilicet secundum omnes circumstantias. Illi enim qui sunt amatores talium
delectationum peccant eo quod gaudent in his quibus non oportet, puta in
sumendo cibos non convenientes eis, vel etiam peccant, quasi magis gaudentes
eis quibus oportet; puta si quis nimis delectetur in sumptione convenientium
ciborum; vel etiam quia in his delectantur absque discretione, sicut
stultorum multitudo, vel etiam non servant debitum modum ut delectentur sicut
oportet. In omnibus enim his superabundant intemperati, quia gaudent de
quibusdam, de quibus non oportet gaudere, quia sunt indecentia, et secundum
suam naturam odibilia. Et si in quibusdam talium oporteat gaudere, gaudent
magis quam oportet et absque discretione sicut multi gaudent. |
624.- Il montre comment se comporte l'intempérance par rapport aux concupiscences ou aux plaisirs propres. Et il dit que, par rapport à ces convoitises et délectations, plusieurs pèchent de multiples manières, à savoir selon toutes les circonstances. En effet, les amateurs de ces plaisirs pèchent du fait qu'ils se plaisent dans ce qu'on ne doit pas: en prenant des aliments qui ne leur conviennent pas; ou encore, ils pèchent en prenant plus de plaisir qu'il ne se doit; par exemple, si on se délecte trop dans des mets qui conviennent; ou encore, ils pèchent en s'y complaisant sans discrétion, sans retenue, comme la multitude des sots; ou encore, en ne respectant pas la manière correcte d'agir dans ces plaisirs. En effet, c'est de toute ces manières que les intempérants pèchent par excès, en prenant plaisir dans ce qu'il ne faut pas, parce que l'objet indécent et naturellement détestable. Et si on doit prendre plaisir dans certains de ces objets, ils prennent plus plaisir qu’on ne le doit, sans retenue, selon la manière d'un grand nombre. |
#624. — En second (1118b21), il montre quel rapport entretient l'intempérance avec les désirs ou les plaisirs propres. Il dit qu'à leur endroit, beaucoup se rendent fautifs de bien des manières, à savoir, en regard de toutes les circonstances. En effet, ceux qui sont amateurs de pareils plaisirs se rendent fautifs en cela qu'ils trouvent plaisir en ce en quoi il ne faut pas: par exemple, à prendre des aliments qui ne leur conviennent pas; ils se rendent même fautifs en trouvant plus de plaisir qu'il ne faut, par exemple, si l'on se réjouit trop à prendre des aliments qui conviennent; ou même, ils y prennent plaisir sans discernement, comme la multitude des gens stupides; ou encore, ils ne respectent pas la manière due dans un plaisir comme il faut. En tout cela, les intempérants exagèrent, car ils tirent plaisir de choses dont il ne faut pas, parce qu'elles sont indécentes, et par nature haïssables. Et s'il faut tirer du plaisir de certaines, ils en tireront plus qu'il ne faut, sans discernement, comme la multitude. |
[73329] Sententia Ethic., lib. 3 l. 20 n. 13 Et sic ultimo concludit quod, cum intemperantia sit
superabundantia circa huiusmodi delectationes, quod est vituperabilis, sicut
et aliae superabundantiae, ut supra in II dictum est. |
625.- Et ainsi il conclut en dernier que, puisque l'intempérance est un excès dans ces plaisirs, elle est blâmable, comme il en est pour tous les autres excès, comme on l’a dit dans le second livre. |
#625. — Ainsi conclut-il, ultimement, que, comme l'intempérance est l'excès dans les plaisirs de la sorte, elle est blâmable, comme le sont les autres excès, ainsi qu'on l'a dit plus haut, au second livre (#333-344). |
|
|
|
Lectio
21 |
Leçon 21 : [Le comportement du vertueux] |
|
|
ON DECLARE COMMENT SE COMPORTENT LE COURAGEUX, LE TEMPERANT ET L'INTEMPERANT PAR RAPPORT AUX TRISTESSES, PAR RAPPORT AUX PLAISIRS, ET PAR RAPPORT AUX CONVOITISES; ON MONTRE QUELS SONT CEUX QU'ON DIT ETRE LOIN DE LA NATURE HUMAINE, CEUX QUI SONT INSENSIBLES; ON MONTRE QUELS SONT LES OBJETS DE PLAISIR DU TEMPERANT ET DE QUELLE MANIÈRE IL LES CHOISIT. |
|
[73330] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 1 Circa tristitias autem non quemadmodum et cetera.
Postquam philosophus determinavit qualiter temperantia sit circa delectationes,
hic ostendit quomodo sit circa tristitias. Et circa hoc duo facit. Primo
ostendit quomodo diversimode se habeat circa tristitiam fortis, temperatus et
intemperatus. Secundo manifestat quod dixerat, ibi, intemperatus quidem
igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod non similiter se habent circa
tristitiam fortis, temperatus et intemperatus. Fortis enim patitur quidem
magnas tristitias; sed laudatur in hoc quod bene sustinet eas, ut supra
dictum est. Sed temperatus non laudatur ex eo quod sustineat tristitias.
Neque intemperatus vituperatur in hoc quod non sustineat eas, sicut
vituperatur timidus. Sed vituperatur intemperatus de hoc quod magis tristatur
quam oportet. Et est eius tristitia non ex aliquo laesivo imminenti, sicut
est tristitia timidi; sed tristatur de hoc quod non adipiscitur delectabilia
quae concupiscit. Et sic delectatio per suam absentiam causat in eo tristitiam. E
contrario autem temperatus laudatur in hoc quod non tristatur in hoc quod
abstinet a delectabilibus, sed promptus est a delectabilibus abstinere. Quia non multum ea concupiscit. Est autem potior
effectus qui consequitur ex praesentia causae alicuius, quam qui consequitur
ex absentia. |
626.- Après avoir déterminé de quelle manière la tempérance porte sur les plaisirs, le Philosophe montre ici comment elle se comporte à l’égard des tristesses. Sur ce sujet il fait deux considérations. En premier, il montre que le fort, le tempérant et l'intempérant se comportent de manières diverses par rapport à la tristesse. En second, il manifeste ce qu'il avait dit. Il dit donc tout d’abord que le courageux, le tempérant et l'intempérant ne se comportent pas de la même façon par rapport à la tristesse. En effet, le courageux endure de grandes tristesses, mais on le loue de ce qu'il les supporte bien, comme on l'a dit auparavant. Cependant, on ne loue pas le tempérant du fait qu'il supporte les tristesses, pas plus que l'intempérant n'est blâmé de ce qu'il ne les supporte pas, comme on blâme le lâche. Mais on blâme l’intempérant du fait qu'il s'attriste plus qu'on ne le doit. Et la tristesse de l'intempérant ne lui vient pas de ce qui menace de le blesser, comme c'est le cas pour la tristesse du lâche, mais sa peine lui vient de ce qu'il ne réussit pas à atteindre l'objet de sa convoitise. Et ainsi c'est le plaisir qui, par son absence lui cause sa tristesse. Au contraire, le tempérant est loué. en ce qu'il n'éprouve pas de tristesse, et en ce qu'il supporte de s'abstenir des plaisirs qu'il ne convoite pas beaucoup. Or, l'effet qui provient de la présence d'une cause est préférable à celui· qui est consécutif à son absence. |
#626. — Après avoir traité de quelle manière la tempérance porte sur les plaisirs, il montre ici comment elle porte sur les tristesses. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le courageux, le tempérant et l'intempérant entretiennent des relations différentes avec la tristesse. En second (1119a1), il manifeste ce qu'il avait dit. Il dit donc, en premier, que le courageux, le tempérant et l'intempérant n'entretiennent pas la même relation avec la tristesse. Le courageux, en effet, souffre de grandes tristesses, bien sûr, mais on le loue de ce qu'il les supporte bien, comme on l'a dit plus haut (#584, 586). Le tempérant, quant à lui, on ne le loue pas de ce qu'il supporte des tristesses. On ne blâme pas l'intempérant non plus du fait de ne pas les supporter, comme on blâme le lâche. On blâme l'intempérant, plutôt, de ce qu'il s'attriste plus qu'il ne faut[18]. Et sa tristesse ne vient pas de quelque [objet] douloureux menaçant, comme la tristesse du lâche; il s'attriste plutôt de ce qu'il n'accède pas aux plaisirs qu'il désire. C'est ainsi le plaisir qui, par son absence, cause en lui de la tristesse. Au contraire, par ailleurs, on loue le tempérant de ce qu'il ne s'attriste pas, et de ce qu'il supporte de s'abstenir des plaisirs, parce qu'il ne les désire pas beaucoup. Car l'effet qui vient de la présence d'une cause est plus fort que celui qui vient de son absence. |
[73331] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 2 Et ideo fortitudo principalius est circa tristitias
quae consequuntur ex praesentia nocivorum, temperantia autem est secundario
circa tristitias quae consequuntur ex absentia delectabilium, principaliter
autem circa delectationes quae ex delectabilium praesentia consequuntur. |
627.- Et c'est pourquoi le courage porte principalement sur les tristesses qui découlent de la présence de ce qui est nuisible. Mais la tempérance ne porte que secondairement sur les tristesses qui proviennent de l'absence des plaisirs; elle porte principalement sur les plaisirs qui découlent de la présence des objets de plaisir. |
#627. — C'est pourquoi le courage porte plus comme sur son objet principal sur les tristesses qui viennent de la présence d'objets nocifs. La tempérance, elle, porte comme sur un objet secondaire sur les tristesses qui viennent de l'absence des plaisirs, et comme sur son objet principal sur les plaisirs qui viennent de la présence d'[objets] de plaisir. |
[73332] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 3 Deinde cum dicit intemperatus quidem igitur etc.,
manifestat quod dixerat, scilicet quod intemperato delectatio tristitiam
faciat. Hoc enim accidit quia intemperatus concupiscit delectabilia omnia.
Appetit enim delectationem propter seipsam. Et ideo appetit omnia quae
delectationem faciunt, vel appetit ea quae maxime sunt delectabilia, in
quorum comparatione alia delectabilia minus curat. Et inde est quod eius
electio non regitur ratione, sed ducitur a concupiscentia, ut eligat
delectabilia, et praecipue quae maxime sunt talia, supra alia bona quae sunt
utilia vel honesta. Postponunt enim intemperati utile et honestum, ut
delectationem assequantur. Et ideo intemperatus tristatur quando non
adipiscitur delectationem, quam concupiscit. Concupiscentia enim quando non
adipiscitur rem concupitam est cum tristitia. |
628.- Il manifeste cd qu'il avait dit, à savoir que l’intempérant, c'est le plaisir qui le rend triste. Cela arrive parce que l'intempérant désire tous les objets de plaisir. En effet, il désire le plaisir pour lui-même. Et ainsi, il désire tout ce qui procure délectation, ou bien il désire ce qui procure le plus de jouissance en comparaison de quoi il se soucie peu des autres objets de jouissance. De là vient que son plaisir n’est pas réglé par la raison mais est réglé par la convoitise qui le pousse à choisir les objets de plaisir et surtout les plus aptes à lui procurer des jouissances avant les autres biens qui sont utiles et honnêtes. En effet, les intempérants sacrifient (rejettent à plus tard) l'utile et l'honnête pour posséder leur jouissance. C'est pourquoi, l'intempérant s'attriste lorsqu'il n'atteint pas la jouissance qu'il convoite. En effet, la convoitise s'accompagne de tristesse lorsqu'elle n'entre pas en possession de l'objet convoité. |
#628. — Ensuite (1119a1), il manifeste ce qu'il avait dit, qu'à l'intempérant, c'est le plaisir qui cause de la tristesse. Cela arrive, en effet, parce que l'intempérant désire tout objet de plaisir, du fait qu'il désire le plaisir pour lui-même. C'est pourquoi il désire tout ce qui donne du plaisir, ou désire ce qu'il y a de plus plaisant, en comparaison de quoi il se préoccupe moins d'autres choses moins plaisantes. De là, il s'ensuit que son plaisir n'est pas gouverné par la raison, et qu'il est conduit par sa concupiscence, au contraire, à choisir des objets de plaisir, et principalement ceux qui le sont le plus, de préférence aux autres biens, utiles ou honorables. En effet, les intempérants remettent à plus tard l'utile et l'honorable, de manière à poursuivre le plaisir. C'est pourquoi l'intempérant s'attriste quand il n'atteint pas un plaisir qu'il désire. Le désir, en effet, quand il n'atteint pas ce qu'il désire, s'accompagne de tristesse. |
[73333] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 4 Et licet hoc videatur esse inconveniens secundum
superficialem verisimilitudinem quod aliquis propter delectationem tristetur,
tamen verum est intemperatum propter delectationem tristari. Non enim
tristatur nisi propter eius absentiam, sicut et navis perit propter
gubernatoris absentiam. |
629.- Et bien qu'il semble être inconvenable, d'après une vue superficielle, qu'on s'attriste à cause du plaisir, il est cependant vrai qu'il en est ainsi pour l'intempérant, En effet, il ne s'attriste que par son absence, comme le navire fait naufrage à cause de l’absence du pilote. |
#629. — Bien que cela paraisse inconvenant, d'après une vraisemblance superficielle, de s'attrister en raison du plaisir, cependant, il est vrai que l'intempérant s'attriste à cause du plaisir. Mais il ne s'attriste de fait que de son absence, comme aussi le navire périt à cause de l'absence du pilote. |
[73334] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 5 Deinde cum dicit: deficientes autem etc., determinat de
vitio intemperantiae opposito, quod deficit circa delectationes. Et dicit
quod non multum contingit quod aliqui deficiant circa delectationes, ita ut
minus gaudeant quam oportet, idest quam requiratur ad sanitatem et
bonam habitudinem corporis et ad decentem conversationem cum aliis, in quo
consistit vitiosus defectus, quem supra in secundo nominavit
insensibilitatem: quae non convenit humanae naturae, quia etiam reliqua
animalia discernunt cibos, in quorum quibusdam delectantur, in aliis autem
non. Et sic acceptare aliquas delectationes videtur pertinere ad communem naturam
generis. |
630.- Il traite du vice opposé par défaut à la tempérance en ce qui concerne les plaisirs. Il dit qu'on ne rencontre guère de gens qui pèchent par défaut dans les jouissances, de telle sorte qu'ils prennent moins de jouissance qu'on ne le doit, c’est-à-dire, moins que ne le requièrent la santé et la bonne forme corporelle et les rapports sociaux: en quoi consiste le vice du défaut qu'il a nommé, dans le second livre, l'insensibilité. Ce qui, en effet, ne convient pas à la nature humaine, parce que même les autres animaux discernent les aliments: ceux auxquels ils prennent plaisir, et ceux auxquels ils n'en prennent pas. Et ainsi accepter certains plaisirs semble appartenir à la nature commune du genre. |
#630. — Ensuite (1119a5), il traite du vice qui s'oppose à la tempérance du fait d'une déficience en regard du plaisir. Il dit que cela ne se peut pas beaucoup que l'on soit déficient en regard du plaisir, de sorte qu'on prenne moins de plaisir qu'il ne faut, c'est-à-dire, qu'il n'est requis à sa santé, à la bonne tenue de son corps et à des relations décentes avec les autres, en quoi consiste le vice par défaut que, plus haut, au second [livre] (#262, 342), il a nommé insensibilité. Celle-ci ne convient pas à la nature humaine, parce que même les autres animaux discernent des aliments en lesquels ils ont du plaisir, et d'autres en lesquels non. Ainsi, avoir du plaisir paraît relever de la nature commune du genre. |
[73335] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 6 Unde si aliquis sit cui nihil sit delectabile, iste
videtur esse longe a natura humana. Et quia hoc raro contingit, ille qui sic
deficit non habet aliquod nomen nisi quod supra vocavit eum insensibilem. Non
autem ad supra vocavit insensibilem. Non autem ad hanc insensibilitatem
pertinet quod aliqui a delectationibus abstineant propter aliquem finem
utilem vel honestum, sicut negotiatores propter lucra et milites propter
victoriam. Hoc enim non fit praeter id quod oportet, quod pertinet ad vitium
defectus. |
631.- Si donc quelqu'un ne prend plaisir à rien, il semble être loin de la nature humaine. Et parce que cela arrive rarement, celui qui pèche par ce défaut n’a pas reçu de nom, excepté celui qu’Aristote lui a donné auparavant: insensible. Il n'appartient pas cependant à cette insensibilité qu’on s'abstienne de certains plaisirs en vue d'une fin utile ou honnête, comme les commerçants en vue du lucre et les soldats à cause de la victoire. Car, en ces cas, on n’agit pas en dehors de ce qu'on doit; ce qui appartient au vice du défaut. |
#631. — Aussi, s'il y a quelqu'un pour qui rien n'est plaisant, il paraît loin de la nature humaine. Comme cela arrive rarement, celui qui manque ainsi n'a pas de nom, sauf que, plus haut, Aristote l'a appelé insensible. Par ailleurs, il tient pas à cette insensibilité que l'on s'abstienne de plaisirs en vue d'une fin utile ou honorable, comme les marchands en vue de profits et les soldats en vue de la victoire. En effet, cela ne se produit pas en dehors de ce qu'il faut, chose qui relève du vice par défaut. |
[73336] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 7 Deinde cum dicit: temperatus autem etc., ostendit
qualiter temperatus se habeat circa praedictam materiam. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit a quibus temperatus abstineat. Secundo quibus et
qualiter utatur, ibi: quaecumque autem ad sanitatem et cetera. Dicit ergo
primo quod temperatus medio modo se habet circa praedicta, scilicet circa
delectationem, tristitiam et concupiscentiam. Nam primo quidem quantum ad
delectationes non delectatur in illis turpibus in quibus maxime delectatur
intemperatus, sed magis tristatur, si quando aliquid tale occurrat, et
universaliter non delectatur in quibus non oportet, neque etiam vehementius
delectatur quam oportet. Et similiter secundum nullam aliam circumstantiam
superabundat. Secundo autem quantum ad tristitias non superflue tristatur in
absentia delectabilium. Tertio autem quantum ad concupiscentiam non
concupiscit delectabilia absentia quia non multum curat de eis vel
concupiscit ea cum debita mensura, quam non excedit neque concupiscens magis
quam oportet neque concupiscens quando non oportet neque secundum aliquam
aliam circumstantiam mensuram rationis excedit. |
632.- Il montre comment le tempérant se comporte par rapport à la matière susdite. Sur ce sujet, il fait deux considérations. En premier, il montre de quels plaisirs il s'abstient. En second, de quels plaisirs il fait usage et comment. Il dit donc, en premier, que le tempérant tient le milieu dans ce domaine, à savoir par rapport au plaisir, à la tristesse et à la convoitise. En effet, et premièrement par rapport aux jouissances, il ne prend pas plaisir aux objets honteux qui font à l’intempérant le plus de plaisir, mais plutôt s'en attriste-t-il, lorsque par occasion cela lui arrive. Et, en général, il ne prend pas plaisir à ce à quoi on ne doit pas le prendre; ni, non plus, il ne prend pas plaisir de façon plus intense qu'il ne le faut. Et, pareillement, il ne pèche pas par excès selon les autres circonstances. Deuxièmement, par rapport aux tristesses, il ne s’attriste pas de façon exagérée de l’absence des plaisirs. Et troisièmement, quant à la convoitise, il ne désire pas les objets de plaisir qui sont absents, parce qu'il ne sien occupe guère, ou bien, il les désire dans une juste mesure, qu’il ne dépasse pas; il ne désire pas plus qu'on ne le doit, ni quand on ne le doit pas, ni non plus selon quelque autre circonstance qui dépasserait la mesure de la raison. |
#632. — Ensuite (1119a11), il montre de quelle manière le tempérant se comporte avec la matière dont il a parlé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quoi le tempérant s'abstient. En second (1119a16), de quoi il use, et comment. Il dit, en premier, que le tempérant garde le milieu quant à ce dont on a parlé, à savoir, quant au plaisir, à la tristesse et au désir. En effet, d'abord, bien sûr, quant aux plaisirs, il ne prend pas plaisir à ces [choses] honteuses auxquelles prend le plus de plaisir l'intempérant; il s'attriste plutôt, quand pareille chose arrive. De manière générale, il ne prend pas plaisir à ce qu'il ne faut pas, ni non plus ne prend plaisir avec plus d'intensité qu'il ne faut. Pareillement, il ne commet d'excès en aucune autre circonstance. En second, quant aux tristesses, il ne s'attriste pas de manière superflue en l'absence d'objets de plaisir. En troisième, par ailleurs, quant aux désirs, il ne désire pas les objets de plaisir absents, car il ne se préoccupe pas beaucoup d'eux ou, du moins, ne les désire qu'en conformité à la due mesure, qu'il ne dépasse pas; il ne désire pas non plus qu'il ne faut, ni ne désire quand il ne faut pas, ni selon une autre circonstance qui dépasse la mesure de la raison. |
[73337] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 8 Deinde cum dicit: quaecumque autem etc., ostendit
quibus et qualiter utatur temperatus. Et dicit quod quaecumque delectabilia
expediunt ad sanitatem corporis vel ad bonam habitudinem, ut scilicet homo
sit promptus et expeditus ad ea quae habet facere, huiusmodi temperatus
appetet, tamen secundum debitam mensuram et secundum quod oportet. Si qua
autem sunt alia delectabilia, quae non sint necessaria ad duo praedicta,
appetet ea temperatus triplici tamen conditione observata. |
633.- Il montre de quels plaisirs fait usage le tempérant et comment. Et il dit que les choses plaisantes qui contribuent à la santé ou à la bonne forme physique, dans le but d’être prompt et prêt au travail qu'il doit accomplir, le tempérant les désire. Cela, cependant, selon la mesure due et selon qu'il se doit. 81il y a d’autres objets de plaisir qui ne sont pas nécessaires aux deux fins précédentes, le tempérant les désire, mais en observant les trois conditions suivantes. |
#633. — Ensuite (1119a16), il montre de quoi use le tempérant, et comment. Il dit que le tempérant désire tout objet de plaisir utile à la santé du corps ou à sa bonne tenue, de façon à être prompt et efficace à ce qu'il a à faire. Cependant, selon la mesure due et selon ce qu'il faut. Mais s'il se trouve 117 d'autres objets de plaisir, qui ne sont pas nécessaires aux deux [intentions] mentionnées, le tempérant les désire, en observant toutefois une triple condition. |
[73338] Sententia Ethic., lib. 3 l. 21 n. 9 Primo quidem ut non sint impeditiva sanitatis et bonae
habitudinis, sicut est superfluus cibus vel potus. Secundo ut non sint praeter
bonum, idest praeter honestatem, sicut est delectatio adulterii.
Tertio ut non sint super substantiam, idest ut non excedant facultatem
hominis, sicut si pauper velit uti cibariis nimis sumptuosis. Ille enim qui
sic se habet ut appetat delectationes impeditivas sanitatis et bonae
habitudinis atque contrarias honestati vel excedentes divitias suas, magis
amat delectationes quam dignum sit. Quod non convenit temperato qui amat eas
secundum rationem rectam. |
634.- Et, tout d’abord, à la condition qu'ils ne soient pas un obstacle à la santé et à la bonne disposition physique comme, par exemple, trop de nourriture ou de boisson. La seconde condition c'est qu'ils ne soient pas en dehors du bien, en dehors de l’honnêteté, comme le plaisir de l'adultère. La troisième condition, c’est qu'ils ne soient pas au-dessus de ses moyens, comme le pauvre qui voudrait se payer des mets trop dispendieux, en effet, l'homme qui est disposé à désirer les plaisirs qui font obstacle à sa santé ou à sa bonne forme physique et contraires à l'honnêteté ou excédant sa capacité monétaire aime plus le plaisir qu'il ne le mérite. Ce qui ne convient pas au tempérant qui aime les plaisirs selon la raison droite. |
#634. — En premier, bien sûr, que ce ne soient pas des empêchements pour la santé et la bonne tenue, comme les aliments ou boissons superflus. En second, que ce ne soit pas en dehors du bien, c'est-à-dire, en dehors de l'honnêteté, comme il en est du plaisir de l'adultère. En troisième, que ce ne soit pas ultra-substance, c'est-à-dire, que cela ne dépasse pas sa capacité, comme un pauvre qui voudrait user de nourritures trop dispendieuses. Celui-là, en effet, qui se comporte de façon à désirer des plaisirs nuisibles à la santé et à la bonne tenue et contraires à l'honnêteté ou dépassant ses richesses prend plus de plaisir qu'il n'est digne. Cela ne convient pas au tempérant, qui aime le [plaisir] selon la raison droite. |
|
|
|
Lectio
22 |
Leçon 22 : [Comparaison des vices] |
|
|
IL COMPARE L'INTEMPERANCE A LA LACHETE; LA PREMIERE EST PLUS SPONTANE QUE LA SECONDE ET, POUR CELA, ON LA DIT PLUS DETESTABLE. IL MONTRE COMMENT LE VOLONTAIRE EXISTE ET DANS LE VICE DE L’INTEMPERANCE ET DANS LE PECHE DE LACHETE; IL VA PLUS LOIN ET MONTRE QUELLE COMPARAISON ON PEUT FAIRE ENTRE L'INTEMPERANCE ET LES DELITS DES JEUNES. |
|
[73339] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 1 Voluntario autem magis assimulatur et cetera. Postquam
philosophus determinavit de actu temperantiae et oppositorum vitiorum, hic
comparat peccatum intemperantiae ad alia peccata. Et circa hoc duo facit. Primo
comparat intemperantiam ad vitium timiditatis. Secundo ad vitia puerorum,
ibi: nomen autem intemperantiae et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit quod intemperantia plus habeat de voluntario
quam timiditas. Secundo ostendit quod alio ordine invenitur voluntarium in
utroque vitio, ibi, videbitur autem utique et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit quod intemperantia plus habeat de voluntario quam timiditas.
Secundo infert quoddam corollarium ex dictis, ibi, propter quod
exprobrabilius et cetera. Dicit ergo primo quod intemperantia magis
assimilatur voluntario quam timor, quia scilicet plus habet de voluntario. Et
hoc probat duabus rationibus. |
635.- Après avoir déterminé l'acte de la tempérance et des vices opposés, le Philosophe compare ici le péché d'intempérance aux autres péchés. A ce propos, il fait deux considérations. En premier, il compare l'intempérance au vice de lâcheté. En second, aux vices des enfants. Par rapport au premier point, il fait deux considérations. En premier, il montre que l'intempérance a quelque chose de plus volontaire que la lâcheté. En second, il montre que c'est selon un ordre différent que le volontaire existe dans les deux vices. Nouvelle subdivision. En premier, il montre que l'intempérance est plus volontaire que la lâcheté. En second, il tire un corollaire de ce qu'il a dit. Il dit donc tout d'abord que l'intempérance s'assimile davantage au volontaire que la crainte, à savoir parce qu'elle a plus de volontaire. Ce qu'il prouve par deux raisons. |
#635. — Après avoir traité de l'acte de la tempérance et des vices opposés, le Philosophe compare ici la faute de l'intempérance à d'autres fautes. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare l'intempérance au vice de la lâcheté. En second (1119a33), aux vices des enfants. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'intempérance comporte davantage de volontaire que la lâcheté. En second (1119a27), il montre que l'on trouve d'une autre manière le volontaire dans l'un et l'autre vice. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'intempérance comporte plus de volontaire que la lâcheté. En second (1119a25), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que l'intempérance s'assimile davantage au volontaire que la crainte, parce qu'elle comporte plus de volontaire. Il le prouve avec deux raisons. |
[73340] Sententia
Ethic., lib. 3 l. 22 n. 2 Quarum prima sumitur ex eo quod
proprie consequitur ad voluntarium et involuntarium. Unusquisque enim
delectatur in eo quod voluntarie agit: tristatur autem in eo quod est
involuntarium. Manifestum est autem quod intemperatus agit propter
delectationem quam concupiscit. Timidus
autem agit propter tristitiam quam fugit. Horum autem duorum, delectatio est
desiderabilis, quia non solum delectatur ille qui delectatione actualiter
fruitur, sed etiam ille qui delectationem quaerit propter spem delectationis
consequendae. Tristitia autem est fugienda, et per consequens involuntaria.
Et sic manifestum est quod intemperantia movetur ab eo quod est per se
voluntarium. Timiditas autem movetur ab eo quod est fugiendum et
involuntarium. Plus igitur accedit ad voluntarium intemperantia, quam
timiditas. |
636.- La première se prend de ce qui est proprement consécutif au volontaire et à l'involontaire. Chacun, en effet, se complaît dans ce qu'il fait volontairement, alors qu'il s'attriste dans ce qui est involontaire. Or, il est manifeste que l'intempérant agit à cause du plaisir qu'il convoite. Le timide, lui, agit à cause de la tristesse qu'il fuit. De ces deux passions, le plaisir est délectable non seulement parce que celui qui jouit actuellement du plaisir se délecte, mais aussi parce que jouit déjà celui qui recherche le plaisir, à cause de l'espoir de le posséder, Mais la tristesse est à fuir, et par conséquent involontaire, Et ainsi, il est manifeste que l'intempérance est mue par ce qui est de soi volontaire. La lâcheté, elle, est mue par ce qui est à fuir et involontaire. L'intempérance se rapproche donc davantage du volontaire que la lâcheté. |
#636. — La première se prend de ce qui s'ensuit proprement du volontaire et de l'involontaire. Chacun, en effet, prend plaisir à ce qu'il fait volontairement, tandis qu'il s'attriste de ce qui est involontaire. Or il est manifeste que l'intempérant agit à cause du plaisir qu'il désire, tandis que le lâche agit à cause de la tristesse qu'il fuit. Or entre les deux, le plaisir plaît non seulement parce qu'on trouve plaisir à jouir actuellement du plaisir, mais aussi [parce qu'on en trouve] à chercher le plaisir, à cause de l'espoir du plaisir qui va suivre, tandis que la tristesse, elle, est à fuir et, par conséquent, involontaire. Ainsi, il est manifeste que l'intempérance est mue par ce qui est par soi volontaire, tandis que la lâcheté l'est par ce qui est à fuir et involontaire. L'intempérance, donc, accède davantage au volontaire que la lâcheté. |
[73341] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 3 Secundam rationem ponit ibi et tristitia quidem et
cetera. Quae sumitur ex ignorantia quae causat involuntarium. Quia enim
tristitia consequitur ex praesentia alicuius contrarii et nocivi, sequitur
quod tristitia stupefaciat et corrumpat naturam eius qui habet tristitiam, et
inde est quod sensus hominis ex tristitia impeditur a propria cognitione. Sed
delectatio causatur ex praesentia convenientis quod non corrumpit naturam.
Unde delectatio non stupefacit, neque corrumpit sensum eius qui delectatur.
Ex quo sequitur quod intemperantia quae operatur propter delectationem plus
habeat de voluntario quam timor qui movetur propter tristitiam. |
637.- Il pose la seconde raison qui a de l'ignorance que cause l'involontaire. En effet, puisque la tristesse est consécutive à la présence d'un principe contraire et nocif, il s'ensuit que la tristesse stupéfie et déprime la nature de celui qui la possède. (La nature n'est plus dans son état normal). De là vient que la tristesse inhibe le sens de l'homme dans sa propre connaissance. Mais le plaisir est causé par la présence d'un objet qui convient, qui ne diminue pas les forces de la nature. C'est pourquoi le plaisir ne crée pas de stupeur ni ne diminue le sens dans celui qui jouit. De là il s'ensuit que l'intempérance, qui opère à cause du plaisir, possède plus de volontaire que la lâcheté, qui est provoquée par la tristesse. |
#637. — Il présente ensuite sa seconde raison (1119a23), qui se prend de l'ignorance qui cause l'involontaire. Parce qu'en effet, la tristesse vient de la présence d'un principe contraire et nocif, il s'ensuit que la tristesse laisse stupéfait et corrompe la nature de ce qui en est atteint. De là s'ensuit que la tristesse mette obstacle à notre sens en son acte même de connaître. À l'inverse, le plaisir vient de la présence de ce qui nous convient, et cela ne corrompt pas notre nature. Aussi le plaisir ne laisse pas stupéfait, ni ne corrompt le sens de qui a du plaisir. Aussi s'ensuit-il que l'intempérance, qui agit à cause du plaisir, comporte plus de volontaire que la crainte, qui est mue par la tristesse. |
[73342] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 4 Deinde cum dicit propter quod exprobrabilius etc.,
concludit quod quia voluntariis debetur laus in bonis et vituperium in malis,
quod vitium intemperantiae sit exprobrabilius quam vitium timiditatis quod
habet minus de voluntario. Ad quod etiam addit aliam rationem ex eo quod
tanto aliquod vitium est magis exprobrabile, quanto facilius vitari potest. |
638.- Il conclut que, parce que dans les actes volontaires on doit louange aux bons, et blâme aux mauvais, le vice d'intempérance est plus blâmable que le vice de lâcheté qui participe moins du volontaire. A cela, il ajoute une autre raison tirée du fait qu'un vice.est d'autant plus blâmable qu'il peut être plus facilement évité. |
#638. — Ensuite (1119a25), il conclut que, parce qu'on doit la louange au bien et le blâme au mal, le vice d'intempérance est plus blâmable que le vice de lâcheté, qui comporte moins de volontaire. À cela, il ajoute aussi une autre raison, du fait qu'un vice est d'autant plus à blâmer qu'il peut plus facilement s'éviter. |
[73343] Sententia
Ethic., lib. 3 l. 22 n. 5 Vitari autem potest unumquodque
vitium per assuetudinem ad contrarium. Facile autem est assuescere bene
operari in his circa quae est temperantia, duplici ratione. Primo quidem, quia delectabilia ciborum et potuum et
aliorum huiusmodi multotiens occurrunt in vita humana. Unde non deest homini
occasio assuescendi bene operari circa talia. Secundo quia assuescere bene
operari in talibus non habet periculum, non enim est magnum periculum si
aliquis abstineat aliquando ab aliquo delectabilium tactus. Sed in vitio
timiditatis est e converso, quia et raro occurrunt bellica pericula. Et
huiusmodi aggredi periculosum est. Unde consequens est quod exprobrabilius
est vitium intemperantiae quam timiditatis. |
639.- Disons donc que chacun des vices peut être évité par l'accoutumance à ce qui lui est contraire. Or, il est facile de s'habituer à bien opérer dans le domaine de la tempérance, à cause de deux raisons. Tout d'abord, parce que les plaisirs de la nourriture et des boissons et les autres objets du plaisir de cette sorte s'offrent fréquemment dans une vie humaine. Il ne manque donc pas d'occasions à s'habituer à bien opérer dans cette matière. Deuxièmement, parce qu'on ne court aucun risque à bien opérer dans ce domaine. Il n'y a pas grand risque, en effet, à s'abstenir quelquefois de ce qui peut apporter plaisir au toucher. Mais c'est le contraire qui arrive dans le cas de la lâcheté, parce que les dangers de guerre sont peu fréquents. Et affronter de tels dangers est périlleux. De là il s'ensuit que le vice d'intempérance est plus blâmable que le vice de lâcheté. |
#639. — D'ailleurs, on peut éviter n'importe quel vice en s'accoutumant à son contraire. Or il est facile de s'accoutumer à bien agir en ce qui concerne la tempérance, pour deux raisons. En premier, bien sûr, parce que les plaisirs des aliments, boissons et autres choses de la sorte se présentent bien des fois durant la vie humaine. Aussi, il ne manque pas d'occasion de s'accoutumer à bien agir à leur endroit. En second, parce que s'accoutumer à bien agir à leur endroit ne comporte pas de danger. Il n'y a, en 118 effet, pas de grand danger à s'abstenir parfois d'un plaisir du toucher. Mais à propos du vice de la lâcheté, il en va au contraire, car c'est rarement que se présentent les dangers de guerre. En outre, il est dangereux d'affronter ces dangers. Aussi, il s'ensuit que le vice de l'intempérance est plus blâmable que [celui] de la lâcheté. |
[73344] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 6 Deinde cum dicit videbitur autem utique etc., ostendit
quod non eodem ordine voluntarium invenitur in utroque vitio. Et primo
ostendit quo ordine inveniatur in timiditate. Secundo quo ordine inveniatur
in intemperantia, ibi: intemperato autem et cetera. Dicit ergo primo, quod
timor non videtur similiter voluntarium habere in universali et in
singularibus. Universalia enim videntur esse sine tristitia, puta quod
aliquis vadat ad pugnam et invadat hostes. Sed singularia quae occurrunt,
puta quod aliquis vulneretur et depellatur et alia huiusmodi patiatur, tantam
tristitiam ingerunt ut homines propter huiusmodi stupefiant in tantum quod
proiciant arma et alia huiusmodi turpiter faciant. Unde quia in universali
sunt voluntaria et in singulari involuntaria redduntur, videntur esse
violenta, inquantum scilicet ab exteriori principio homo inducitur ad hoc
quod deserat hoc quod prius volebat. |
640.- Il montre que le volontaire suit un ordre différent dans l'un et l'autre vice. En premier, il montre selon quel ordre on le trouve dans la lâcheté. En second, selon quel ordre on le trouve dans l'intempérance. Il dit donc, en premier, que la crainte ne semble pas participer pareillement du volontaire lorsqu’on la considère en général et lorsqu'elle est impliquée dans un cas particulier. Les choses vues en général (globalement) semblent, en effet, être sans tristesse, par exemple aller à la guerre et foncer sur l'ennemi. Mais lorsque les actes particuliers arrivent, par exemple, que quelqu'un soit blessé, dépouillé et souffre des souffrances de cette sorte, ils font naître une telle tristesse que les hommes, en sont stupéfaits et à un tel point qu'ils, jettent leurs armes et accomplissent des actes honteux de cette sorte. C'est pourquoi, dans leur généralité, ils sont volontaires et, dans leur singularité, ils deviennent involontaires, ils paraissent être contraints, à savoir que l'homme semble conduit par un principe extérieur à abandonner ce qu'il voulait auparavant. |
#640. — Ensuite (1119a27), il montre que ce n'est pas de la même manière que l'on trouve du volontaire dans l'un et l'autre vice. En premier, on montre de quelle manière on [en] trouve dans la lâcheté. En second (1119a31), de quelle manière on [en] trouve dans l'intempérance. Il dit donc, en premier, que la crainte ne paraît pas comporter de la même manière du volontaire aux niveaux universel et singulier. L'universel, en effet, va manifestement sans tristesse, par exemple, aller au combat et s'attaquer aux ennemis. Mais les [événements] singuliers qui arrivent, par exemple, que l'on soit blessé, chassé, et qu'on souffre autre chose de la sorte, produisent assez de tristesse pour qu'on en reste stupéfié, et assez pour qu'on jette ses armes et fasse d'autres [actions] honteuses de la sorte. Aussi, pour que ce qui est volontaire à un [niveau] universel soit rendu involontaire à un [niveau] singulier, doit manifestement intervenir quelque chose de violent, dans la mesure, où l'on est induit, par un principe extérieur, à abandonner ce que l'on voulait antérieurement. |
[73345] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 7 Deinde cum dicit: intemperato autem etc., ostendit quis
sit ordo circa intemperantiam. Et dicit quod ibi est ordo conversus; quia
singularia sunt maxime voluntaria, quia proveniunt secundum quod homo
concupiscit et appetit. Sed totum in universali consideratum est minus
voluntarium, puta quod aliquis adulterium faciat. Nullus enim concupiscit
esse intemperatus in universali. Sed singularia quibus homo fit intemperatus sunt
delectabilia. |
641.- Il montre quel est l'ordre dans l'intempérance. Et il dit qu'ici l'ordre est inverse: les actes singuliers sont très volontaires, parce qu'ils proviennent du fait que l'homme convoite et désire. Mais l'acte considéré en général est moins volontaire, par exemple que quelqu'un fasse l'adultère. En effet, nul ne désire être intempérant en général. Mais les choses singulières qui rendent intempérant sont des objets de plaisir. |
#641. — Ensuite (1119a31), il montre de quelle manière il en va dans l'intempérance. Il dit qu'on trouve là l'ordre inverse, car les singuliers sont les plus volontaires: en effet, ils proviennent selon ce que l'on désire et convoite. Mais le tout, considéré universellement, est moins volontaire, par exemple, que l'on fasse l'adultère. Personne, en effet, ne désire être intempérant d'une manière universelle. Mais ce sont les cas singuliers où l'on devient intempérant qui sont plaisants. |
[73346] Sententia
Ethic., lib. 3 l. 22 n. 8 Huius autem differentiae ratio
sumenda est ex hoc quod tristitia, quae movet timorem, pertinet ad
involuntarium, sicut delectatio, quae movet intemperantiam, pertinet ad
voluntarium. Omnis autem affectio animae circa singularia vehementior est. Et
ideo circa singularia timiditas plus habet de involuntario, intemperantia
vero plus de voluntario. Et ideo in vitiis intemperantiae maxime nocivum est
immorari cogitatione per quam homo ad singularia descendit quae alliciunt
voluntatem. |
642.- La raison de cette différence doit se prendre du fait que la tristesse, qui pousse à la crainte, appartient à l'involontaire, comme le plaisir, qui induit à l'intempérance, appartient au volontaire. Or, toute affection de l'âme qui porte sur le singulier est plus intense. C'est pourquoi, par rapport aux objets singuliers, la lâcheté participe davantage de l'involontaire, alors que l'intempérance implique plus de volontaire. De là vient qu'il est très nuisible dans les vices d'intempérance de s'arrêter à une pensée qui met en contact avec les objets singuliers propres à entrainer la volonté. |
#642. — La raison d'une différence de la sorte, par ailleurs, est à prendre de ce que la tristesse, qui meut la crainte, appartient à l'involontaire, comme le plaisir, qui meut l'intempérance, appartient au volontaire. Par ailleurs, toute affection de l'âme est plus violente en rapport à des [objets] singuliers. C'est pourquoi la lâcheté comporte plus d'involontaire en rapport au singulier, et l'intempérance plus de volontaire. C'est aussi pourquoi, dans les vices de l'intempérance, il est nocif au plus haut point de s'attarder à y penser, par quoi l'on descend aux [objets] singuliers qui excitent la volonté. |
[73347] Sententia
Ethic., lib. 3 l. 22 n. 9 Deinde cum dicit: nomen autem
intemperantiae etc., comparat vitium intemperantiae ad peccata puerorum. Et primo ponit convenientiam quantum ad nomen. Secundo
rationem convenientiae assignat, ibi, non male autem videtur et cetera. Dicit
ergo primo, quod nomen intemperantiae transfertur ad peccata puerorum; quod
quidem in lingua nostra magis apparet ex parte virtutis quam ex parte vitii.
Dicimus enim castitatem temperantiae speciem sicut et pueros disciplinatos
dicimus castigatos. Eos autem, qui sunt indisciplinati, possumus dicere
incastigatos. Sicut et ille, qui non est castus, dicitur incestuosus. Et
huiusmodi translationis ratio est, quia habent quamdam similitudinem
huiusmodi peccata, ut postea ostendetur. Sed quid horum nominetur ab
alio, non refert ad propositum. Manifestum
est tamen quod id cui posterius est nomen impositum nominatur ab eo cui nomen
fuit impositum prius. |
643.- Il compare le vide d'intempérance aux péchés des enfants. Et tout d'abord, il pose la convenance qui existe entre les deux quant au nom. En second, il donne la raison de cette convenance. Il dit donc, en premier, que le nom d'intempérance s'applique aux péchés des enfants; ce qui, dans notre langue apparaît davantage du côté de la vertu que du côté du vice. En effet, nous disons.qua la chasteté est une espèce de tempérance, comme nous appelons les enfants bien disciplinés des enfants châtiés (qui ont de la retenue, de la réserve dans leur conduite). (Castitas – castigatos). Mais ceux qui sont indisciplinés, nous pouvons dire qu’ils sont non châtiés, non reprimandés (incastigatos). Comme celui qui n'est pas chaste, on l'appelle incestueux. La raison de cette transposition du mot vient d’une certaine similitude entre ces péchés, comme on le verra plus loin. Mais lequel de ces noms s'est vu imposé en premier, cela importe peu à notre propos. Il est manifeste cependant que celui qui a reçu le nom secondairement l’a reçu de celui à qu’il fut imposé en premier. (L'homme indiscipliné dans ses mœurs ou l'enfant indiscipliné). (Il faut ici rejoindre le grec pour bien découvrir cette parenté du mot). |
#643. — Ensuite (1119a27), il compare le vice de l'intempérance aux fautes des enfants. En premier, il présente leur ressemblance de nom. En second (1119b3), il assigne la raison de cette ressemblance. Il dit donc, en premier, que le nom de l'intempérance s'étend aux fautes des enfants, ce qui, toutefois, dans notre langue, apparaît davantage du côté de la vertu que du côté du vice. Nous nommons chasteté, en effet, une espèce de la tempérance, comme nous disons châtiés les enfants disciplinés. Et ceux qui sont indisciplinés, nous pouvons les dire non châtiés. De même aussi, celui qui n'est pas chaste se dit inceste. Et la raison de cette extension est que les fautes de la sorte comportent une ressemblance, comme on le montrera plus loin (#647). Lequel d'entre eux, toutefois, est nommé à partir de l'autre, cela n'est pas pertinent à notre propos. Il est manifeste, cependant, que cela à quoi le nom est imposé par après est nommé à partir de ce à quoi il a été imposé auparavant. |
[73348] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 10 Deinde cum dicit: non male autem videtur etc., assignat
rationem praedictae translationis nominis secundum similitudinem peccati
intemperantiae ad peccata puerorum. Et primo quantum ad necessitatem
castigationis, sive refrenationis. Secundo quantum ad modum castigandi vel
refrenandi, ibi: propter quod oportet et cetera. Dicit ergo primo, quod non male
videtur esse facta translatio huius nominis ab uno peccato ad aliud. Et hoc propter similitudinem, secundum quam
translationes fiunt. Oportet enim puniri, id est castigari et refrenari eum
qui prava appetit, et cuius malus appetitus multum augetur: in quo conveniunt
concupiscentia et puer. |
644.- Il donne la raison de cette transposition du nom d’après la ressemblance du péché d'intempérance aux péchés des enfants. Et, en premier, quant à la nécessité de réprimer, ou de refréner (de discipliner). En second, quant à la manière de discipliner. Il dit donc, en premier, que la transposition du mot d'un péché à l'autre n'est pas mauvaise. Et cela, à cause de la ressemblance qui permet les nouvelles applications. En effet, il faut punir, c'est-à-dire châtier et refréner, celui qui convoite des choses mauvaises et dont l'appétit dépravé grandit sans fin: c'est sur ce point que se rencontrent l'enfant et la convoitise. |
#644. — Ensuite (1119b3), il assigne la raison de l'extension précédente de nom, d'après la ressemblance de la faute de l'intempérance avec les fautes des enfants. En premier, quant à la nécessité du châtiment, ou de la répression. En second (1119b11), quant à la manière de châtier et de réprimer. Il dit donc, en premier, que l'extension de ce nom n'a manifestement pas été mal faite, d'une faute à l'autre. Et cela, à cause de leur ressemblance, d'après quoi ces extensions se font. Il faut, en effet, punir, c'est-à-dire, châtier et réprimer celui qui désire des [objets] mauvais, et dont l'appétit mauvais augmente beaucoup: en cela, le désir et l'enfant se ressemblent. |
[73349] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 11 Et haec convenientia videtur esse rationabilis; quia
pueri maxime vivunt secundum concupiscentiam, quia ipsi appetunt maxime
delectationem, quod pertinet ad rationem concupiscentiae. Causa autem quare
appetant delectationem, dicetur in septimo. Et ideo si puer et concupiscentia
non bene ratione persuadeantur, perveniunt ad quoddam dominium et ad multum
augmentum, ita scilicet quod dominabitur delectationis appetitus, qui est
concupiscentia. |
645.- Et ce point de rencontre semble être raisonnable: les enfants vivent surtout au gré de leurs convoitises, parce qu'ils désirent avant tout le plaisir, ce qui appartient à la raison de concupiscence. La cause pour laquelle ils désirent le plaisir sera donnée au septième livre. C’est pourquoi, si l'enfant et la convoitise ne sont pas soumis à la raison, ils finiront par commander et prendront une ampleur excessive, de telle sorte que l’appétit du plaisir, qui est la convoitise, dominera. |
#645. — Cette ressemblance est manifestement rationnelle, car ce sont les enfants qui ordonnent le plus leur vie en rapport à leur concupiscence, car ils désirent beaucoup le plaisir, ce qui relève de la définition de la concupiscence. La cause, par ailleurs, pour laquelle ils désirent le plaisir, on la dira au septième [livre] (#1531). C'est pourquoi si l'enfant et le désir ne sont pas bien persuadés par la raison, ils 119 parviennent à une espèce de maîtrise, et augmentent beaucoup, de sorte que l'appétit de plaisir, qu'est la concupiscence, dominera. |
[73350] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 12 Et huius ratio est, quia appetitus delectationis est
insatiabilis; quinimmo quanto plus gustatur plus concupiscitur, eo quod est
secundum se appetibilis. Et inde est, quod sicut puero insipienti, ita etiam
concupiscentiae propria operatio auget cognatum, id est hoc quod est
eis simile; nam, si puer insipiens dimittatur operari secundum suam
insipientiam, magis in eo insipientia crescet; et si homo concupiscentiae
satisfaciat, magis concupiscentia crescit in homine, et dominatur. Et
praecipue si concupiscentiae vel delectationes sint magnae, ex parte obiecti,
id est de rebus multum delectabilibus, et vehementes ex parte eius qui
concupiscit et delectatur, qui multum ex eis afficitur, in tantum quod
impediant hominis cogitationem sive ratiocinationem, quae quanto magis
remanet, tanto concupiscentia minus potest dominari. |
646.- La raison en est que l'appétit du plaisir est insatiable et plus on y goûte plus on le désire, du fait que le plaisir est de soi appétible. Et de là vient que, comme il arrive pour les enfants et les êtres dépourvus de raison, l'opération propre de la convoitise augmente sa force innée, c1esttà-dire ce qui lui ressemble. Si l'enfant et le sot continuent à opérer conformément à leurs propres sottises, plus on verra s'accroître cette sottise. Et si l'homme satisfait ses convoitises, plus cette convoitise grandira en lui et dominera. Le cas devient particulièrement grave si les désirs et les plaisirs sont grands du côté de l’objet, c'est-à-dire s'ils portent sur des choses capables de donner de grandes satisfactions, et s'ils sont intenses du côté de celui qui convoite et jouit: ils finiront par empêcher la connaissance et ce raisonnement, par exclure la réflexion chez celui qui en sera saturé. Car, à l'inverse, plus le raisonnement se maintient, moins la convoitise a de chance de dominer. |
#646. — La raison en est que l'appétit de plaisir est insatiable. Même que plus on y goûte, plus on en désire, du fait qu'il est désirable en soi. De là s'ensuit que, de même que pour l'enfant et l'insensé, de même aussi pour la concupiscence, l'opération propre augmente son pareil, c'est-à-dire, ce qui lui est semblable. En effet, si l'enfant et l'insensé est laissé à agir selon sa sottise, la sottise croît d'autant en lui. De même, si on satisfait sa concupiscence, la concupiscence croît d'autant plus en soi, et vient à dominer. Principalement si la concupiscence ou les plaisirs sont grands du côté de l'objet, c'est-à-dire, [porte sur] des objets très plaisants, et violents du côté de celui qui les désire et y prend plaisir, qui s'en trouve beaucoup affecté, dans la mesure ou elles empêchent la connaissance de l'homme ou son raisonnement, lequel, d'autant plus il reste, d'autant moins la concupiscence peut dominer. |
[73351] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 13 Deinde cum dicit propter quod oportet etc., ostendit
similitudinem utrorumque peccatorum, quantum ad modum castigandi, sive
refrenandi. Et dicit, quod quia concupiscentia et delectatio, si sit
vehemens, facit sui augmentum, ideo oportet, quod sint mensuratae,
idest non excedentes in magnitudine, sive in vehementia affectionis, et
paucae secundum numerum, et quod nil contrarientur rationi quantum ad speciem
concupiscentiae seu delectationis, quae sumitur ex parte obiecti. Et illud
quod ita se habet in concupiscentiis et delectationibus, dicimus esse bene
persuasum et punitum, idest castigatum a ratione. Sicut enim oportet
quod puer vivat secundum praeceptum paedagogi, sic oportet, quod vis
concupiscibilis consonet rationi. Intentio enim utriusque, scilicet et
rationis et paedagogi, est ad bonum. Et ita se habet concupiscibile in homine
temperato, qui concupiscit quae oportet et sicut oportet et quando oportet,
prout ordinat ratio. |
647.- Il montre la ressemblance entre les deux péchés quant à la manière de les châtier ou de les modérer. Il dit que, parce que la convoitise et le plaisir sont intenses, ils font leur propre croissance. C'est pourquoi, il faut qu'ils soient mesurés, c'est-à-dire il faut qu'ils ne dépassent pas la règle en grandeur, ou en intensité affective: il faut qu'ils soient peu nombreux et que rien ne contredise la raison quant à l'espèce de convoitise ou de désir, qui se prend du côté de l'objet. Et celui qui est ainsi disposé par rapport aux concupiscences et aux plaisirs, nous disons qu'il est bien persuadé et puni, c'est-à-dire discipliné par la raison. En effet, ainsi que l’enfant doit être docile au pédagogue, ainsi il faut que l'appétit concupiscible soit soumis à la raison. Car la raison et le pédagogue veulent tous deux le bien. Et ainsi, le concupiscible chez le tempérant est dans un état tel qu'il désire ce qu’on doit comme on le doit, quand on le doit, selon l'ordonnance de la raison. |
#647. — Ensuite (1119b11), il montre la ressemblance de l'une et l'autre fautes, quant à la manière de les châtier, ou de les réprimer. Il dit que, parce que la concupiscence et le plaisir sont violents, ils augmentent d'eux-mêmes; c'est pourquoi il faut qu'ils soient mesurés, c'est-à-dire, ne comportent pas d'excès en grandeur, ou en violence d'affection, soient peu en nombre, et ne contrarient en rien la raison quant à l'espèce de concupiscence ou de plaisir concerné, qui se prend du côté de l'objet. Celui qui se comporte ainsi dans ses concupiscences et plaisirs, nous le disons bien persuadé et puni, c'est-à-dire, châtié par la raison. De même qu'il faut, en effet, que l'enfant vive selon les préceptes du pédagogue, de même faut-il que la faculté concupiscible s'accorde avec la raison. L'intention de l'une et de l'autre, en effet, à savoir, de la raison et du pédagogue, va vers le bien. Le concupiscible, chez l'homme tempéré, est disposé de façon à désirer ce qu'il faut, comme il le faut, et quand il le faut, autant que l'ordonne la raison. |
[73352] Sententia Ethic., lib. 3 l. 22 n. 14 Ultimo autem concludit, quod ista sunt, quae dicta sunt
a nobis de temperantia. Et in hoc finitur tertius liber. |
648.- Il conclut en dernier en disant que c'est là ce qu'il avait à dire sur la tempérance. Et sur ce, se termine le troisième livre. |
#648. — Enfin, il conclut que voilà que l'on a traité de la tempérance. C'est en cela que se termine le troisième livre. |
|
|
|
Liber
4 |
LIVRE 4 : [Les vertus annexes] (Traduction Abbé
Dandenault, 1950)
|
LIVRE 4 (Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
|
|
SOMMAIRE DU LIVRE. ON TRAITE DE LA LIBERALITE, DE LA MAGNIFICENCE, DE LA MAGNANIMITE, DU ZELE MODERE POUR L’HONNEUR (DE l’ATTACHEMENT MODERE A L'HONNEUR), DE LA MANSUETUDE, DE L’AFFABILITE, DE LA VERACITE, DE L’ENJOUEMENT, DE LA PUDEUR, ET DE LEURS EXTREMES. |
|
|
|
|
Lectio
1 |
Leçon 1 : [Les vertus de l’argent] |
|
|
ON MONTRE COMMENT LA LIBERALITE EST MEDIETE, ET COMMENT LA PRODIGALITE ET L'AVARICE SONT DES EXTREMES. |
|
[73353] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 1 Dicamus autem deinceps de
liberalitate et cetera. Postquam philosophus determinavit de fortitudine et
temperantia, quae respiciunt ea quibus conservatur ipsa hominis vita, hic
incipit agere de aliis medietatibus, quae respiciunt quaedam secundaria bona
vel mala. Et primo determinat de medietatibus laudabilibus, quae sunt
virtutes. Secundo de his quae non sunt virtutes, sed passiones, ibi: de
verecundia autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat de
virtutibus respicientibus res exteriores. Secundo de virtutibus pertinentibus
ad actus humanos, ibi, in colloquiis autem et convivere et cetera. Circa
primum duo facit. Primo determinat de virtutibus quae respiciunt exteriora
bona. Secundo de virtute mansuetudinis, quae respicit exteriora mala, ibi,
mansuetudo autem est quaedam medietas et cetera. Circa primum duo facit.
Primo determinat de virtutibus respicientibus divitias. Secundo de his quae
respiciunt honores, ibi, magnanimitas autem et cetera. Circa primum duo
facit. Primo determinat de liberalitate. Secundo de magnificentia, ibi:
videbitur autem consequens esse et cetera. Circa primum duo facit. Primo
inquirit materiam liberalitatis et oppositorum vitiorum. Secundo determinat
actus eorum circa propriam materiam, ibi, quorum autem est aliqua utilitas,
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod liberalitas est circa
pecunias. Secundo ostendit quod circa eandem materiam sunt opposita vitia,
ibi: est autem et prodigalitas et cetera. Circa primum tria facit: primo
dicit de quo est intentio. Secundo ostendit materiam liberalitatis, ibi:
videtur enim esse et cetera. Tertio exponit quod dixerat, ibi, pecunias autem
et cetera. |
649.- Après avoir traité de la force et de la tempérance, qui portent sur les biens qui conservent la vie humaine, le Philosophe commence ici à étudier les autres médiétés, qui portent sur des biens et des maux secondaires. Et, en premier, il traite des médiétés louables qui sont les vertus. En second, il traite de celles qui ne sont pas des vertus mais des passions. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il traite des vertus qui portent sur les choses extérieures. Dans la seconde, il étudie les vertus qui s'appliquent aux actes humains. La première partie se subdivise en deux. En premier, il traite des vertus qui regardent les biens extérieurs. En second, il traite de la mansuétude qui porte sur les maux extérieurs. Il divise son traité des vertus qui portent sur les biens extérieurs en deux parties. Dans la première, il traite des vertus qui portent sur les richesses. Dans la seconde) il traite de celles qui ont comme matière les honneurs. La première se subdivise en deux. Il traite d'abord de la libéralité puis, en second, de la magnificence. Son étude de la libéralité se divise en deux points, Dans le premier, il recherche quelle est la matière de la libéralité et des vices opposés. Dans le second, l’détermine leurs actes par rapport à leur matière propre. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il montre que la libéralité porte sur l'argent; dans la seconde, il montre qu'il existe, par rapport à cette matière, des vices opposés. La première partie se divise en trois. En premier, il montre quel est l’objet de son intention; en second, il montre la matière de la libéralité; en troisième, il expose ce qu’il avait dit. |
#649. — Après avoir traité du courage et de la tempérance, qui regardent ce par quoi la vie même de l'homme se conserve, le Philosophe commence ici à traiter d'autres médiétés, qui regardent certains biens et maux secondaires. En premier, il traite des médiétés louables qui sont des vertus. En second (1128b10), de celles qui ne sont pas des vertus, mais des passions. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de vertus qui regardent les choses extérieures. En second (1126b11), de vertus qui concernent des actes humains. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de vertus qui regardent les biens extérieurs. En second (1125b26), de la douceur, qui regarde les maux extérieurs. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de vertus qui regardent les richesses. En second (1123a34), de celles qui regardent les honneurs. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de la libéralité. En second (1122a18), de la magnificence. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il s'enquiert de la matière de la libéralité et des vices opposés. En second (1120a4), il traite de leurs actes concernant leur matière propre. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la libéralité porte sur l'argent. En second (1119b27), il montre qu'il y a, sur cette matière, des vices opposés. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre sur quoi porte son intention. En second (1119b21), il montre la matière de la libéralité. En troisième (1119b26), il explique ce qu'il avait dit. |
[73354] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 2 Dicit ergo primo, quod
post temperantiam dicendum est de liberalitate: et hoc propter convenientiam
liberalitatis ad temperantiam. Sicut enim temperantia moderatur
concupiscentias delectationum tactus, ita liberalitas moderatur cupiditatem
acquirendi vel possidendi res exteriores. |
650.- Il dit donc, en premier, qu’après l’étude de la tempérance, il faut parler de la libéralité. Et cela, à cause de la proportion qui existe entre la libéralité et la tempérance. En effet, de même que la tempérance modère les convoitises de délectations du toucher, ainsi la libéralité modère le désir d'acquérir ou de posséder les choses extérieures. |
#650. — Il dit donc, en premier, qu'après la tempérance, on doit parler de la libéralité, et cela, en raison de la ressemblance de la libéralité avec la tempérance. En effet, comme la tempérance modère les désirs des plaisirs du toucher, de même la libéralité modère la cupidité dans l'acquisition ou la possession des choses extérieures. |
[73355] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 3 Deinde cum dicit: videtur
enim esse etc., ostendit quae sit materia liberalitatis; et dicit quod est medietas
quaedam circa pecunias sicut manifeste apparet, ex hoc scilicet quod
liberalis laudatur non in rebus bellicis, circa quas est fortitudo, neque in
delectationibus tactus circa quas est temperantia, neque etiam in iudiciis
circa quae est iustitia. Sed laudatur in datione et sumptione,
id est acceptione pecuniarum; magis tamen in datione quam in acceptione, ut
infra ostendetur. |
651.- Il montre quelle est la matière de la libéralité. Il dit qu’il existe une certaine médiété qui parce sur l’argent, comme on le voit manifestement par le fait qu’on ne loue pas le libéral pour les faits de guerre, domaine de la force, ni à cause des délectations du toucher, matière de la tempérance, ni à cause des verdicts ou des décisions justes, dont s'occupe la justice. Non, C’est dans le "don" et la réception de l'argent qu'on le loue; et davantage dans l'acte de donner que dans celui e recevoir, comme on le montrera plus loin. |
#651. — Ensuite (1119b21), il montre quelle est la matière de la libéralité. Il dit qu'elle constitue une médiété concernant l'argent, comme il appert manifestement du fait qu'on ne loue pas le libéral en matière de guerre, sur quoi porte le courage, ni en plaisirs du toucher, sur quoi porte la tempérance, ni non plus en matière de jugement, sur quoi porte la justice. Mais on le loue en ce qu'il s'agit de donner et de prendre, c'est-à-dire, de recevoir, de l'argent; mais davantage en ce qu'il s'agit de donner que de prendre, comme on le montrera plus loin (#660, 661-665, 666, 683). |
[73356] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 4 Est tamen considerandum
quod aliquid potest dici materia virtutis moralis dupliciter. Uno modo sicut
materia propinqua. Et hoc modo passiones sunt materia plurimarum virtutum moralium. Alio
modo sicut materia remota, et hoc modo obiecta passionum ponuntur materiae.
Sicut fortitudinis materia proxima est timor et audacia, materia autem remota
pericula mortis. Temperantiae autem materia proxima concupiscentiae et
delectationes, materia autem remota cibi et actus venerei. Sic igitur et liberalitatis materia quidem propinqua
est cupiditas vel amor pecuniarum, materia autem remota ipsa pecunia. |
652.- Cependant, il faut considérer qu’une chose peut être dite matière d’une vertu morale de deux façons. D’une première manière, comme matière, prochaine. Et de cette façon, les passions sont la matière de la plupart des vertus morales. D’une seconde façon, comme matière éloignée. Et de cette façon, les objets de passions sont matière. Ainsi la matière prochaine de la force est la crainte et l’audace, alors que la matière éloignée est le danger de mort. La matière prochaine de la tempérance est les convoitises et les plaisirs; la matière éloignée est la nourriture et la boisson et les actes vénériens. Ainsi donc la matière prochaine de la libéralité est le désir ou l’amour de l'argent, alors que la matière éloignée est l'argent lui-même. |
#652. — On doit tenir compte de ce que l'on peut appeler quelque chose la matière d'une vertu morale de deux manières. D'une manière, en tant que sa matière prochaine. C'est de cette manière que les passions sont la matière de la plupart des vertus morales. D'une autre manière, en tant que sa [matière] éloignée. De cette manière, on donne les objets des passions comme matière. Par exemple, comme matière très prochaine du courage, on donne la crainte et l'audace, tandis que comme matière éloignée, on donne les dangers de mort. En outre, la matière la plus prochaine de la tempérance, ce sont les désirs et les plaisirs, tandis que sa matière éloignée, ce sont les aliments et les boissons, ainsi que les actes du sexe. De même, donc, la matière de la libéralité, bien sûr, c'est la cupidité ou l'amour de l'argent, et sa matière éloignée, c'est l'argent lui-même. |
[73357] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 5 Deinde cum dicit: pecunias
autem etc., exponit quid nomine pecuniae intelligatur. Et dicit quod nomine
pecuniarum significantur omnia illa, quorum dignum pretium potest numismate
mensurari; sicut equus, vestis, domus, et quaecumque denariis appretiari
possunt; quia idem est dare vel accipere ista, et dare vel accipere pecunias.
|
653·- Ensuite, lorsqu’on dit "l'argent", il expose ce qu’il entend par ce mot. Il dit que par le mot argent on signifie tout ce dont la valeur se mesure en argent, comme un cheval, un vêtement, une maison et tout ce qui peut s’apprécier à prix d'argent; car donner ou recevoir ces choses est presque identique à donner ou recevoir de l'argent. |
#653. — Ensuite (1119b26), il explique ce que l'on entend avec le nom d'argent, et il dit qu'avec le nom d'argent, on signifie tout ce dont on peut mesurer le digne prix avec de la monnaie, comme un cheval, 122 un vêtement, une maison, et tout ce qui peut s'apprécier en deniers; car c'est la même chose de donner ou de recevoir ces [choses], et de donner ou de recevoir de l'argent. |
[73358] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 6 Deinde cum dicit: est
autem prodigalitas etc., ostendit quomodo circa praedictam materiam, sunt
etiam vitia liberalitati opposita. Et circa hoc tria facit. Primo proponit in
communi, quod intendit. Et dicit, quod etiam circa pecunias se habent
secundum superabundantiam et defectum prodigalitas et illiberalitas. Medium
enim et extrema circa idem sunt. Unde cum prodigalitas et illiberalitas sint
extrema liberalitatis, consequens est quod etiam ipsa sint circa pecunias. |
654.- Il montre comment existent, par rapport à cette même matière, les vices opposés à la libéralité. Ce qu'il fait en trois points. En premier, il propose en général ce qu'il veut manifester. En ce qui concerne encore les richesses, dit-il, il y a un excès, la prodigalité, et un défaut, l'avarice. En effet, le milieu et les extrêmes portent sur des choses identiques. C’est pourquoi, puisque la prodigalité et l'avarice sont les extrêmes de la libéralité, il s'ensuit qu'elles aussi portent sur les richesses. |
#654. — Ensuite (1119b27), il montre comment, à propos de la matière présentée, il y a aussi des vices opposés à la libéralité. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente de manière commune ce qu'il vise. Il dit que c'est aussi à propos d'argent que la prodigalité et la parcimonie1 entretiennent les relations d'excès et de défaut. En effet, le milieu et les extrêmes portent sur le même [objet]. Aussi, comme la prodigalité et la parcimonie sont les extrêmes pour la libéralité, il s'ensuit qu'elles aussi portent sur l'argent. |
[73359] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 7 Secundo ibi:
illiberalitatem quidem etc., ostendit specialiter de illiberalitate, quod
semper copulamus eam, idest attribuimus illis qui student, id est
sollicitantur, circa pecunias acquirendas vel conservandas magis quam
oportet. |
655.- Ce qu'il montre d'une façon spéciale pour l'avarice: toujours nous relions l'avarice ou nous l'attribuons à ceux qui sont préoccupés ou séduit par l’acquisition ou la conservation de l'argent plus qu'il ne se le doit. |
#655. — En second (1119b28), il montre, spécialement pour la parcimonie, que nous la lions2 toujours, c'est-à-dire, que nous l'attribuons, à ceux qui s'efforcent, c'est-à-dire, mettent leur soin, à acquérir ou à conserver de l'argent plus qu'il ne faut. |
[73360] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 8 Tertio ibi prodigalitatem
autem etc., ostendit quomodo prodigalitas se habeat circa pecunias. Et dicit
quod nomen prodigalitatis quandoque extendimus attribuentes ipsum
intemperatis hominibus: vocamus enim quandoque prodigos illos qui
incontinenter vivunt et consumunt divitias suas in intemperantiam sive
ciborum sive venereorum. Unde et tales videntur esse pravissimi in hoc
genere, quia simul habent multa vitia, id est intemperantiam et
prodigalitatem. Et quamvis quandoque tales vocentur prodigi, nomen tamen
intemperantiae proprie competit eis; quia nomen prodigi impositum est ad
significandum unum vitium quod consistit in indebita corruptione vel consumptione
substantiae, idest propriarum divitiarum. Et hoc probat ex ipso nomine
prodigalitatis. Nam prodigus dicitur quasi perditus, inquantum scilicet homo
corrumpendo proprias divitias per quas vivere debet, videtur suum esse
destruere quod per divitias conservatur. |
656.- Il montre comment la prodigalité dit rapport à l'argent, Il dit que nous étendons quelquefois le mot prodigalité jusqu’à lui faire désigner les hommes intempérants: en effet, nous appelons quelquefois prodigues ceux qui vivent dans l'incontinence et qui brillent leurs richesses dans l'intempérance des ripailles et des plaisirs vénériens. C'est pourquoi, ces derniers semblent être les plus dépravés dans ce genre de vice, en ce sens qu'ils possèdent plusieurs vices, c'est-à-dire l’intempérance et la prodigalité. Bien que l'on nomme quelquefois ces gens prodigues, cependant le nom de prodigues ne leur convient pas proprement: le nom de prodigue fut imposé pour signifier un seul vice qui consiste dans la corruption ou l’épuisement de sa substance, c'est-à-dire de ses propres richesses. Ce qu’il prouve par le mot même de prodigalité. En effet, prodigue signifie pour ainsi dire "perdu", à savoir en tant que l'homme, en perdant ses propres richesses grâce auxquelles il doit vivre, (en perdant ses moyens de subsistance) semble détruire sa substance conservée par les richesses. |
#656. — En troisième (1119b30), il montre quelle relation la prodigalité entretient avec l'argent. Il dit que le nom de prodigalité, nous l'étendons parfois, en allant jusqu'à l'attribuer à des personnes intempérantes. Nous appelons prodigues, en effet, les gens qui vivent de manière incontinente et consument leurs richesses par intempérance, d'aliments ou de sexe. Aussi, de pareilles gens paraissent les plus dépravés dans le genre, parce qu'ils ont pareillement plusieurs vices, c'est-à-dire, intempérance et prodigalité. Bien que, parfois, on appelle de telles personnes des prodigues, le nom de prodigalité, cependant, ne leur convient pas proprement; car le nom de prodigue a été imposé pour signifier un vice qui consiste en une corruption ou une consommation indue de son patrimoine3, c'est-à-dire, de ses propres richesses. Il le prouve ensuite à partir du nom même de prodigalité. En effet, on nomme le prodigue comme quelqu'un de perdu, en tant qu'en corrompant ses propres richesses, par lesquelles on doit vivre, on paraît, en effet, détruire son être, que l'on conserve avec ces richesses. |
[73361] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 9 Sed oportet quod hoc
conveniat ei propter seipsum; quia unumquodque habet speciem et
denominationem ab eo quod convenit ei per se; ille ergo vere dicitur prodigus
cui per se hoc convenit quod consumat suas divitias quasi non habens curam
debitam de eis. Ille vero qui consumit suam substantiam propter aliquid
aliud, puta propter intemperantiam, non per se est consumptor divitiarum, sed
per se est intemperatus. Contingit enim quandoque quod etiam homines cupidi
et tenaces propter vim concupiscentiae bona sua consumant. Sic ergo nunc de
prodigalitate loquimur, prout scilicet aliqui consumunt proprias divitias
secundum se et non propter aliud. |
657.- Il faut que le mot s'applique au prodigue par lui-même: chaque chose reçoit son espèce et sa dénomination par ce qui lui convient par soi. De façon identique donc, on pourra appliquer vraiment le mot prodigue à celui à qui il plaît sans plus de dissiper ses richesses ne leur accordant pas l'attention qu'il devrait. Celui qui perd sa substance à cause de l'intempérance n'est pas de soi un dépensier de ses richesses, mais, est, de soi, un intempérant. En effet, il arrive quelquefois que même des hommes cupides et entêtés dépensent leurs biens sous le coup de grandes convoitises. C'est donc en ce sens que nous parlons maintenant de prodigalité, à savoir en tant que certains hommes brûlent leurs richesses propres pour les brûler et non pour autre chose. |
#657. — Mais il faut que cela lui convienne par soi; parce que chacun a espèce et dénomination à partir de ce qui lui convient par soi. C'est celui-là, donc, que l'on dit vraiment prodigue, auquel cela convient par soi, qu'il consume ses richesses en n'en ayant pas le soin qui leur est dû. Tandis que celui qui consume son patrimoine à cause d'autre chose, par exemple, par intempérance, n'est pas par soi un consommateur de richesses, mais est par soi un intempérant. Il se peut, en effet, parfois, que même des gens cupides et attachés consomment leurs biens en raison de la force de leur concupiscence. Ainsi donc, nous parlons maintenant de prodigalité en tant que l'on consomme ses propres richesses par soi et non à cause d'autre chose. |
[73362] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 10 Deinde cum dicit: quorum
autem est aliqua utilitas etc., ostendit qualiter liberalitas et opposita
vitia circa praedictam materiam, operantur. Et circa hoc tria facit: primo
determinat de liberali. Secundo de prodigo, ibi, qui autem superabundat et
cetera. Tertio de illiberali, ibi, illiberalitas autem et cetera. Circa
primum duo facit. Primo determinat de actu liberalitatis. Secundo ponit quasdam
proprietates ipsius, ibi, liberalis autem est vehementer et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit quis sit praecipuus actus liberalitatis;
secundo ostendit qualis esse debeat, ibi, quae autem secundum virtutem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod actus liberalitatis est
bonus usus pecuniae, tali ratione. Quaecumque sunt ad aliquid utilia, contingit his uti
bene vel male. Sed divitiae quaeruntur tamquam ad aliud utiles; ergo
contingit eis uti bene vel male; sed si aliquibus rebus contingat bene uti,
bonus usus illarum rerum pertinet ad virtutem quae est circa illas res. Ergo
bene uti pecuniis pertinet ad liberalitatem quae est circa pecunias, ut supra
ostensum est. |
658.- Il montre comment la libéralité et les vices opposés opèrent sur la matière décrite plus haut. Ce qu'il fait en trois points. En premier, il traite du libéral; en second, du prodigue; en troisième, de l'avare. Son premier point se divise en deux parties. Dans la première, il traite de l’acte de libéralité. Dans la seconde, il traite des propriétés de cet acte. La première partie se subdivise en deux. En premier, il montre quel est l'acte principal de la libéralité. En second, il montre comment il doit être. Nouvelle subdivision de la première partie. En premier, il montre que l'acte de la libéralité est le bon usage de l'argent par la raison suivante. De tout ce qui est utile à quelque chose, il arrive qu’on s'en serve en bien et en mal. Or, on recherche les richesses parce qu'elles sont utiles à quelque chose. Donc, il arrive qu’on s’en serve bien ou mal. Mais s'il arrive qu'on se serve de certaines choses, le bon usage qu’on en fait relève de la vertu qui porte sur elles. Donc, bien utiliser l'argent relève de la libéralité qui porte précisément sur l’argent, comme on l'a montré plus haut. |
#658. — Ensuite (1120a4), il montre de quelle manière agissent la libéralité et les vices opposés, sur la matière présentée. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il traite du libéral. En second (1120b24), du prodigue. En troisième (1121b12), du parcimonieux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de l'acte de la libéralité. En second (1120b4), il présente quelques propriétés à elle. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est l'acte principal de la libéralité. En second (1120a23), il montre quel il doit être. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que l'acte de la libéralité est le bon usage de l'argent, avec la raison qui suit. Tout ce qui est utile à quelque chose, on peut en user bien ou mal[19]. Or on recherche les richesses en tant qu'utiles à quelque chose. Donc, on peut en user bien ou mal. Mais, si on peut user de certaines choses, leur bon usage appartient à la vertu qui porte sur elles. Donc, bien user de l'argent appartient à la libéralité, qui porte sur l'argent, comme il a été montré plus haut (#651-653). |
[73363] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 11 Secundo ibi: usus autem
etc., ostendit quis sit usus pecuniae: et dicit quod usus pecuniae consistit
in emissione eius, quae quidem fit per sumptus expensarum et per dationes,
sed accipere vel custodire pecunias non est uti pecuniis, sed est possidere
eas. Nam
per acceptionem pecuniae acquiritur eius possessio; per custodiam autem
conservatur: acceptio enim est sicut quaedam pecuniae generatio, custodia
autem sicut quaedam habitualis retentio. Usus autem non nominat generationem
vel habitum, sed actum. |
659.- Il explique ce qu'est l'usage de l'argent. Il dit qu'il consiste dans son émission (mise en circulation); ce qui se fait par les frais de dépenses et par l’action de donner. Recevoir et garder l'argent n'est pas s'en servir, mais plutôt le posséder. En effet, le recevoir c'est en prendre possession; le garder c'est le conserver: la réception de l'argent ressemble à sa génération. Garder l'argent dit plutôt l'habitude de le retenir. Or, l'usage ne désigne pas la génération ou l’habitude, mais un acte. |
#659. — En second (1120a8), il montre quel est l'usage de l'argent. Il dit que son usage consiste à s'en défaire, ce qui, bien sûr, se fait en assumant des dépenses et par des dons. Tandis que recevoir ou garder de l'argent n'est pas user de l'argent, mais le posséder. En effet, en recevant de l'argent, on acquiert sa possession; en le gardant, on la conserve; car en recevoir, c'est comme engendrer de l'argent, et le garder, c'est comme en avoir l'habitus. Or l'usage ne nomme ni une génération ni un habitus, mais un acte. |
[73364] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 12 Tertio ibi: propter quod
etc., infert quamdam conclusionem ex dictis. Et primo ponit eam, concludens
ex praemissis quod magis pertinet ad liberalem dare pecuniam quibus oportet,
quod est bene uti eis, quam accipere unde oportet quod pertinet ad pecuniae
generationem debitam, et non accipere unde non oportet quod pertinet ad
remotionem contrarii. |
660.- Il tire une certaine conclusion des considérations précédentes. Et tout d'abord, il la pose en concluant des prémisses qu'il appartient davantage au libéral de donner de l'argent à qui il le doit, ce qui est en faire un bon usage, que le recevoir de qui il doit, ce qui appartient à la génération due de l’argent, et que de ne pas le recevoir de qui il ne faut pas, ce qui appartient au rejet du contraire. |
#660. — En troisième (1120a9), il tire une conclusion de ce qu'il a dit. En premier, il la présente, concluant de ce qui précède qu'il appartient davantage au libéral de donner de l'argent à qui il faut, en quoi consiste d'en bien user, que d'en recevoir d'où il faut, en quoi consiste la génération correcte d'argent, et de n'en pas recevoir d'où il ne faut pas, en quoi consiste l'enlèvement du contraire. |
[73365] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 13 Secundo ibi: virtutis
enim magis etc., confirmat inductam conclusionem quinque rationibus. Quarum
prima talis est. Magis pertinet ad virtutem benefacere quam bene pati, quia benefacere
est melius et difficilius. Similiter etiam magis pertinet ad virtutem bene
operari quam abstinere a turpi operatione. Quia recessus a termino est
principium motus, cui assimilatur vitatio turpis operationis. Sed operatio
boni assimilatur perventioni ad terminum quae perficit motum. Manifestum est autem quoniam ex eo quod aliquis dat,
benefacit et bene operatur; ad sumptionem autem, idest receptionem pertinet
bene pati, inquantum scilicet aliquis recipit unde oportet, vel non turpe
operari, inquantum scilicet non recipit unde non oportet. Ergo consequens est
quod ad virtutem liberalitatis magis pertineat bene dare quam bene accipere
vel abstinere a mala acceptione. |
661.- Il confirme la conclusion apportée par cinq raisons. Voici la première. Il appartient davantage à la vertu de bien agir que de bien pâtir, car bien agir est meilleur et plus difficile. Comme d'ailleurs il appartient plus à la vertu de bien agir que de s'abstenir d'une action honteuse. En effet, l'éloignement du terme est le principe du mouvement, auquel s’assimile l'action d'éviter un acte honteux. Mais l’opération bonne s’assimile à l'accession au terme qui parfait le mouvement) ce qui est manifeste par le fait que celui qui donne rend service à quelqu'un et opère bien. Mais recevoir est bien pâtir, en tant que quelqu'un reçoit de qui il doit recevoir, ou ne commet rien de honteux, en tant qu’il ne reçoit pas de qui il ne doit pas recevoir, Par conséquent, il appartient plus à la libéralité de bien donner que de bien recevoir ou de s’abstenir de mal recevoir. |
#661. — En second (1120a11), il confirme la conclusion induite, avec cinq raisons. La première en va comme suit. Il appartient davantage à la vertu de bien faire que de bien pâtir, car bien faire est meilleur et plus difficile. Ainsi aussi, il appartient davantage à la vertu de bien agir que de s'abstenir d'une action honteuse. Car s'éloigner d'un terme est le principe d'un mouvement auquel s'assimile éviter une action honteuse. Tandis que faire le bien s'assimile au fait de parvenir au terme qui parfait un mouvement. Or il est manifeste que du fait de donner on fait bien et on agit bien. Mais prendre, c'est-à-dire, recevoir, relève du fait de bien pâtir, pour autant que l'on reçoit d'où il faut, ou de ne pas agir honteusement, pour autant qu'on ne reçoit pas d'où il ne faut pas. Donc, il s'ensuit qu'à la vertu de libéralité appartient davantage de bien donner que de bien recevoir ou de s'abstenir d'une acceptation malicieuse. |
[73366] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 14 Secundam rationem ponit
ibi et gratia danti et cetera. Quae talis est. Operationi virtutis debetur
laus et gratiarum actio. Sed utrumque horum magis debetur danti quam
accipienti bene vel non male accipienti; ergo virtus liberalitatis magis
consistit in dando quam in accipiendo. |
662.- Il pose la seconde raison que voici. Louange et reconnaissance sont dues à l'opération vertueuse, Or, les deux vont davantage à celui qui donne plutôt qu'à celui qui reçoit bien ou mal, Donc, la vertu de libéralité consiste plus à donner qu'à recevoir. |
#662. — Il présente ensuite sa seconde raison (1120a15), qui va comme suit. À l'action de la vertu, on doit louange et action de grâces. Mais on doit l'une et l'autre davantage à celui qui donne qu'à celui qui reçoit bien ou mal. Donc, la vertu de libéralité consiste davantage à donner qu'à recevoir. |
[73367] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 15 Tertiam rationem ponit
ibi, et facilius autem et cetera. Quae talis est. Virtus est circa difficile.
Sed facilius est quod aliquis non accipiat aliena, quam quod det proprium.
Quia cum aliquis dat id quod est sibi proprium, quasi abscidit a se id quod
est sibi incorporatum. Ergo virtus liberalitatis magis est circa dationem
quam circa acceptionem. |
663.- Voici la troisième raison qu'il donne. La vertu porte sur ce qui est difficile. Or, il nous est plus facile de ne pas recevoir ce qui ne nous appartient pas que de donner du sien. Celui qui donne son propre bien se détache pour ainsi dire de ce qui lui est incorporé. Donc, la libéralité consiste plus à donner qu'à recevoir. |
#663. — Il présente ensuite sa troisième raison (1120a17), qui va comme suit. La vertu porte sur le difficile. Or il est plus facile de ne pas accepter de biens étrangers que de donner son propre [bien]. Car, donner ce qui est propre à soi, c'est comme couper de soi ce qui est incorporé à soi. Donc, la vertu de libéralité porte davantage sur le don que sur la réception. |
[73368] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 16 Quartam rationem ponit
ibi, sed et liberales dicuntur et cetera. Quae sumitur ex communi modo
loquendi. Dicuntur enim maxime liberales illi qui dant. Illi vero qui non
accipiunt inordinate non multum laudantur de liberalitate, sed magis de
iustitia; illi vero qui accipiunt non multum laudantur. Ergo liberalitas
maxime videtur esse circa dationes. |
664.- Il pose la quatrième raison qui se prend d'une façon commune de parler. En effet, on appelle surtout libéraux ceux qui donnent. Ceux qui n'acceptent pas ce qu'on ne leur doit pas, on ne les loue pas pour leur libéralité, mais pour leur justice. Ceux qui reçoivent, on ne les loue guère. Donc, la libéralité vise principalement le don. |
#664. — Il présente ensuite sa quatrième raison (1120a18), qui se prend de la manière commune de parler. On dit surtout libéraux, en effet, ceux qui donnent. Par ailleurs, ce n'est pas tant pour leur libéralité que pour leur justice qu'on loue ceux qui ne reçoivent pas de manière désordonnée; enfin, on ne loue pas beaucoup ceux qui reçoivent. Donc, la libéralité porte manifestement surtout sur les dons. |
[73369] Sententia Ethic., lib. 4 l. 1
n. 17 Quintam rationem ponit
ibi, amantur autem maxime et cetera. Quae talis est. Inter omnes virtuosos
maxime amantur liberales, non quidem amicitia honesti, quasi liberalitas sit
maxima virtus, sed amicitia utilis, inquantum scilicet sunt aliis utiles.
Sunt autem utiles per hoc quod dant. Ergo liberalitas maxime consistit circa
dationes. |
665.- Voici la cinquième raison qu'il donne. Parmi les hommes vertueux, on aime surtout les libéraux, non d'une amitié de l'honnête, comme si la libéralité était la plus grande vertu, mais d'un amour de l'utile, en tant que les libéraux sont utiles aux autres. Or, ils sont utiles par le fait qu'ils donnent. Donc la vertu de libéralité s'occupe surtout à donner. |
#665. — Il présente ensuite sa cinquième raison (1120a21), qui va comme suit. Parmi tous les vertueux, on aime surtout les libéraux, non bien sûr par amour de l'honorable, comme si la libéralité était la plus grande vertu, mais par amour de l'utile, du fait qu'ils sont utiles aux autres. Or ils sont utiles du fait qu'ils donnent. Donc, la libéralité consiste surtout en dons. |
|
|
|
Lectio
2 |
Leçon 2 : [La libéralité] |
|
|
IL DEVOILE QUELLE EST LA QUALITE DE L’ACTE PRINCIPAL DE IA LIBERALITE, QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES QUI L’ENVELOPPENT ET QUELLES SONT SES PROPRIETES. |
|
[73370] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2
n. 1 Quae autem secundum
virtutem (et) operationes et cetera. Postquam philosophus ostendit quis sit
praecipuus actus liberalitatis, hic ostendit qualis debeat esse. Et primo
ostendit qualis sit praecipuus actus eius. Secundo quales sint actus eius
secundarii, ibi: neque accipiet et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit qualis debeat esse liberalitatis datio quae est praecipuus actus
eius. Secundo ostendit quod aliae dationes non pertinent ad liberalitatem,
ibi: qui autem dat quibus non oportet et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit, quod datio liberalis debeat debitis circumstantiis esse
vestita, quia scilicet omnes operationes quae sunt secundum virtutem debent
esse bonae, id est rectificatae a ratione secundum debitas circumstantias, et
ulterius ordinatae per intentionem ad bonum finem. Cum igitur datio sit
praecipuus actus liberalitatis, consequens est quod liberalis det propter
bonum finem, et quod recte, id est secundum regulam rationis;
inquantum scilicet dat quibus oportet et quando oportet et quaecumque aliae
debitae circumstantiae consequuntur ad rectam dationem. |
666.- Après avoir montré quel est l'acte principal de la l:béralité, le Philosophe montre ici de quelle manière le libéral doit l'accomplir. Et, en premier, il montre la qualité de cet acte. En second, la qualité des actes secondaires de la libéralité. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il montre quelle doit être la qualité de l'acte de donner, qui est l'acte principal de la libéralité. Dans la seconde, il montre que les autres actes de donner ne relèvent pas de la libéralité. La première partie se subdivise en deux. En premier, il montre que l'action ne donner doit être revêtue des circonstances, parce que toutes les opérations qui découlent des vertus doivent être bonnes, rectifiées par la raison conformément aux circonstances dues, et finalement ordonnées par l'intention à la bonne fin. Donc, puisque l'acte de donner est l'acte principal de la libéralité, il s'ensuit que le libéral donne en vue de la fin bonne, et qu'il donne correctement, c'est-à-dire selon la règle de la raison: il donne à qui il doit donner et de la manière dont il doit le faire et en respectant toutes les autres circonstances d’J.es qui appartiennent à la raison droite. |
#666. — Après avoir montré quel est l'acte principal de la libéralité, le Philosophe montre quel il doit être. En premier, il montre de quelle sorte est son acte principal. En second (1120a31), de quelle sorte sont ses actes secondaires. 124 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle sorte doit être le don de la libéralité, qui est son acte principal. En second (1120a27), il montre que certaines autres donations n'appartiennent pas à la libéralité. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le don libéral doit être revêtu de circonstances, car toutes les actions qui se conforment à la vertu doivent être bonnes, rectifiées par la raison en conformité avec les circonstances dues, et ensuite ordonnées avec intention à une fin bonne. Comme, donc, le don est l'acte principal de la libéralité, il s'ensuit que le libéral donne pour une fin bonne, et correctement, c'est-à-dire, en conformité à la règle de la raison, dans la mesure où il donne à qui il faut et comme il faut et [en respectant] toute autre circonstance due qui appartient à la raison droite. |
[73371] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 2 Secundo ibi: et haec delectabiliter etc., ostendit quod
datio liberalis debet esse delectabilis. Et hoc est quod dicit quod liberalis
dat delectabiliter, vel saltem sine tristitia. Ita enim est in omni virtute,
ut ex supradictis patet, quod actus virtuosus, vel est delectabilis, vel
saltem est sine tristitia; vel si oporteat aliquam tristitiam admisceri, minimum
habebit per comparationem ad alios homines, sicut supra dictum est de forti
quod, si non multum delectetur in suo actu, tamen non tristatur, vel saltem
minus tristatur inter omnes qui huiusmodi pericula subeunt. |
667.- Il montre que l'acte de donner du libéral doit être fait avec plaisir. C'est ce qu’il dit que le libéral donne avec plaisir ou, du moins, sans peine. Il en est ainsi de toute vertu, comme on lia vu auparavant: il faut que l'acte vertueux soit ou plaisant ou, du moins, sans tristesse. Si la tristesse doit y être mêlée, cette tristesse sera moindre chez le vertueux que chez les autres hommes, comme on l’a vu à propos du courageux? Si le courageux ne trouve grand plaisir dans l'accomplissement de son acte, il ne s'attriste pas ou, du moins, il a moins de peine que tous eux qui affrontent les mêmes dangers dans leurs actions. |
#667. — En second (1120a26), il montre que le don libéral doit être plaisant. C'est ce qu'il dit, que le libéral donne avec plaisir, ou du moins sans tristesse. Il en va ainsi, en effet, en toute vertu, comme il appert de ce que l'on a dit plus haut (#265-279, 371-378), que l'acte vertueux, ou bien est plaisant, ou du moins se fait sans tristesse; ou s'il faut que de la tristesse y soit mêlée, il y en aura le minimum, en comparaison des autres hommes, comme il a été dit plus haut du courageux (#586-587). Celui-ci, s'il ne prend pas beaucoup de plaisir à son acte, ne s'en attriste pas, pourtant, ou du moins s'en attriste moins, entre tous ceux qui sont soumis à des dangers de la sorte en leur acte. |
[73372] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 3 Deinde cum dicit: qui autem dat quibus non oportet
etc., ostendit quod aliae dationes non pertinent ad liberalem. Et primo de
dationibus quibus desunt debitae circumstantiae. Et dicit quod ille qui dat
quibus non oportet, vel non propter honestatem, sed propter aliquam aliam
causam licitam vel illicitam, non dicitur liberalis. Sed alio nomine
nominatur secundum differentiam finis propter quem dat, ex quo moralia
speciem et nomen sortiuntur. |
668.- Il montre que les autres actes de donner n’appartiennent pas au libéral. Et, tout d'abord, à, propos des actes auxquels il manque les circonstances dues. Il dit que celui qui donne à qui il ne faut pas, ou qui ne donne pas en vu d’une fin honnête, mais pour quelque autre raison licite ou illicite, on ne le nommera pas libéral. On lui donnera un autre nom selon la différence de la fin pour laquelle il donne, de laquelle fin les choses morales reçoivent leur espèce et leur nom. |
#668. — Ensuite (1120a27), il montre que certains autres dons n'appartiennent pas au libéral. En premier, pour les dons où manquent les circonstances dues. Il dit que celui qui donne à qui il ne faut pas, ou non pour un motif honorable, mais pour une autre cause licite ou illicite, on ne l'appelle pas libéral. Mais on le nomme d'un autre nom, selon la différence de la fin pour laquelle il donne, d'où les [choses] morales tirent leur espèce et leur nom. |
[73373] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 4 Secundo ibi: neque qui triste etc., ostendit idem de
dationibus quae sunt cum tristitia. Et dicit quod neque illi qui cum
tristitia dant sunt liberales, quia ex hoc ipso quod tristantur in dando,
videtur quod magis eligerent pecunias quam operationem virtuosam honestae
dationis. Quod non pertinet ad liberalem. |
669.- Il montre que celui qui donne avec peine n’est pas libéral. Par le fait même qu'il s'attriste en donnant, il semble qu'il préférerait l’argent à l'opération vertueuse d'un déboursement honnête. Ce qui n'appartient pas au libéral. |
#669. — En second (1120a29), il montre que celui qui donne avec tristesse n'est pas libéral. Car de cela même qu'il s'attriste en donnant, il est manifeste qu'il choisirait plutôt l'argent que l'action vertueuse du don honorable. Or cela n'appartient pas au libéral. |
[73374] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 5 Deinde cum dicit: neque accipiet etc., ostendit quales
sint operationes liberalitatis sicut acceptio et alia huiusmodi. Et circa hoc
duo facit. Primo ostendit quid vitet liberalis in accipiendo. Secundo
ostendit quid observet, ibi, unde autem oportet et cetera. Circa primum duo
ponit. Quorum primum est, quod liberalis non accipit unde non oportet. Sic
enim accipere non videtur competere homini, qui non appretiatur pecunias.
Secundum est, quod liberalis non est promptus ad petendum. Sicut enim in
naturalibus, quod est multum activum est parum passivum, ut ignis, ita etiam
in moralibus liberalis, qui est promptus ad benefaciendum donando, non de
facili vult beneficia ab alio recipere, quod est bene pati. |
670.- Il montre quelle est la qualité des opérations secondaires de la libéralité, comme l'acte de recevoir et les autres actes de ce genre. Ce qu’il fait en deux points. En premier, il montre ce qu’évite le libéral lorsqu'il reçoit. En second, il montre ce qu'il observe. Dans son premier point, il pose deux conditions, La première est que le libéral ne reçoit pas d'où on ne le doit. En effet, recevoir de la sorte ne convient pas à qui ne tient pas en honneur l'argent. La seconde est que le libéral n’est pas prompt à demander (à quémander). Comme dans les choses naturelles, ce qui est très actif est peu passif, le feu, par exemple, ainsi, dans les choses morales, le libéral qui est prompt à rendre service en donnant ne veut pas facilement recevoir des bienfaits des autres; ce qui est bien pâtir. |
#670. — Ensuite (1120a31), il montre de quelle sorte sont les opérations secondaires de la libéralité, comme celui de recevoir, et d'autres de la sorte. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'évite le libéral, quand il reçoit. En second (1120a34), il montre ce qu'il observe. Sur le premier [point], il présente deux [éléments]. Le premier en est que le libéral ne reçoit pas d'où il ne faut pas. Recevoir ainsi, en effet, ne relève manifestement pas de qui n'accorde aucun prix à l'argent. Le second est que le libéral n'est pas prompt à demander. De même que, chez les [êtres] naturels, en effet, ce qui, comme le feu, est très actif est peu passif, de même aussi, en [matières] morale, le libéral, qui est prompt à faire le bien en donnant, ne veut pas facilement recevoir des bienfaits d'un d'autre, ce qui est bien pâtir. |
[73375] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 6 Deinde cum dicit: unde autem oportet etc., ostendit
quid observet liberalis in accipiendo vel retinendo; et ponit tria. Quorum
primum est, quod liberalis accipit unde oportet, scilicet a propriis
possessionibus vel ab aliis huiusmodi, non quia quaerit pecuniam quasi per se
bonum, sed quasi necessarium ad dandum. Secundum est, quod liberalis non
negligit procurationem bonorum propriorum, quia vult habere unde sufficiat ad
dandum aliis. Tertium est, quod liberalis non dat quibuscumque, sed retinet
ad hoc quod possit dare quibus oportet, et loco et tempore debito. |
671.- Il montre ce qu'observe le libéral en recevant ou en retenant l'argent. Il pose trois manières d'opérer. Premièrement, le libéral reçoit d'où on le doit, à savoir les revenus de ses biens privés, non des autres, parce qu'il ne recherche pas l’argent comme si, de soi, l'argent était quelque chose de bon, mais parce que l’argent est nécessaire pour avoir de quoi donner. Deuxièmement, le libéral ne néglige pas de préserver ses biens personnels, parce qu’il veut en avoir suffisamment pour en donner aux autres, Troisièmement, le libéral ne donne pas à n’importe qui, mais il se retient afin de pouvoir donner à qui on le doit et en temps et lieux opportuns. |
#671. — Ensuite (1120a34), il montre ce qu'observe le libéral, quand il reçoit ou retient. Il présente trois [points]. Le premier en est que le libéral reçoit d'où il faut, à savoir, de ses possessions propres, et non d'autres, car il ne cherche pas l'argent comme quelque chose de bon par soi, mais comme nécessaire pour donner. Le second est que le libéral ne néglige pas l'administration de ses propres biens, car il veut avoir assez pour donner aux autres. Le troisième est que le libéral ne donne pas à n'importe qui, mais retient, pour pouvoir donner à qui il faut, et en lieu et en temps dus. |
[73376] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 7 Deinde cum dicit: liberalis autem etc., ponit quatuor
proprietates liberalitatis. Quarum prima est, quod ad liberalem pertinet, ut
vehementer superabundet in datione, non quidem sic quod superabundet a
ratione recta, sed ita quod datio in ipso superabundet retentioni. Quia minus
sibi relinquit, quam aliis det. Paucis enim in seipso contentus est; sed dum
vult multis providere oportet, quod pluribus largiatur. Non enim pertinet ad
liberalem quod sibi soli intendat. |
672.- Il donne les quatre propriétés de la libéralité. Voici la première. Le libéral dépasse la mesure dans ses dons, non pas en s'éloignant de la raison droite, mais de telle sorte qu'il donne beaucoup plus qu’il ne garde pour lui-même. Il garde pour lui-même la moindre part de ses biens. En effet, il se contente de peu pour lui-même; mais, voulant aider à un grand nombre, il donne à beaucoup de personnes. Car il appartient au libéral de ne pas regarder à soi-même seul. |
#672. — Ensuite (1120b4), il présente quatre propriétés de la libéralité. La première en est qu'il appartient au libéral d'excéder violemment en don, quoique non sans raison droite, mais de sorte que le don, chez lui, dépasse la rétention. Car il se laisse moins qu'il ne donne aux autres. En effet, il est content de peu pour lui-même; mais en même temps qu'il veut pourvoir pour beaucoup, il faut qu'il fasse des largesses à plusieurs. Il n'appartient pas au libéral, en effet, qu'il se porte attention à lui seul. |
[73377] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 8 Secundam proprietatem ponit ibi: secundum substantiam
autem et cetera. Et dicit quod liberalitas commendatur secundum proportionem
substantiae, idest divitiarum. Non enim datio iudicatur liberalis ex
multitudine donorum sed ex habitu, idest ex facultate et voluntate
dantis, qui scilicet dat secundum modum suarum divitiarum. Unde nihil
prohibet, quod aliquis, qui minora dat, liberalior iudicetur, si a minoribus
divitiis det. |
673.- Voici la seconde propriété. Il dit que la libéralité s'estime proportionnellement à la richesse car ce n'est pas dans la grandeur des choses données que l’on juge le libéral, mais c’est à partir de son habitus, c’est-à-dire à partir de son état d'âme et de sa volonté de donner: il donne en proportion de sa richesse. Rien n'empêche par conséquent que l'on juge plus libéral celui qui donne moins, si c1est d'une fortune moindre qu'il donne. |
#673. — Il présente ensuite la seconde propriété (1120b7). Il dit que la libéralité s'adapte en proportion du patrimoine, c'est-à-dire, des richesses. Le don, en effet, ne se juge pas libéral à partir de la multitude des dons, mais à partir de l'habitus, c'est-à-dire, à partir de la faculté et de la volonté de celui qui donne, lequel donne en regard de la nature de ses 125 richesses. Aussi, rien n'empêche que quelqu'un qui donne moins soit jugé plus libéral, s'il donne à partir de richesses moindres. |
[73378] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 9 Tertiam proprietatem ponit ibi: liberaliores autem et
cetera. Et dicit quod illi qui suscipiunt divitias a parentibus sunt magis
liberales quam illi qui proprio labore eas acquirunt. Et huius assignat duas
rationes. Quarum prima est, quod illi qui suscipiunt divitias a parentibus,
nunquam fuerunt experti indigentiam; unde non timent eam et propter hoc non
timent expendere, sicut illi qui aliquando experti sunt paupertatem. Secunda
ratio est, quia naturale est quod omnes diligant sua opera, sicut parentes
diligunt suos filios, et poetae sua poemata. Illi autem qui acquirunt proprio
labore divitias, reputant eas quasi sua opera. Unde magis volunt eas
conservare. |
674.- Il donne la troisième propriété de la libéralité. Il dit que ceux qui reçoivent leurs richesses par héritage sont plus libéraux que ceux qui les ont acquises par leur propre labeur. Il donne à cela deux raisons. La première est que ceux qui sont riches par naissance n’ont pas l'expérience du besoin, de l’indigence. Voilà pourquoi ils ne craignent pas la dépense comme ceux qui ont expérimenté la pauvreté. La seconde raison est qu'il est naturel que tout homme aime son œuvre propre, comme les parents aiment leurs enfants et les poètes leurs écrits. Or, ceux qui ont acquis leur fortune par leur propre travail la regardent comme leur œuvre propre. C'est pourquoi, ils veulent davantage la conserver. |
#674. — Il présente ensuite la troisième propriété (1120b11). Il dit que ceux qui reçoivent des richesses de leurs parents sont plus libéraux que ceux qui les acquièrent avec leur propre travail. Pour cela, il assigne deux raisons. La première en est que ceux qui reçoivent des richesses de leurs parents n'ont jamais souffert de l'indigence. Aussi, ils ne craignent pas de dépenser, comme ceux qui ont déjà fait l'expérience de la pauvreté. La seconde raison est qu'il est naturel que tous aiment leurs œuvres, comme les parents aiment leurs enfants, et les poètes leurs poèmes. De même, ceux qui acquièrent des richesses avec leur propre travail les considèrent comme leurs œuvres. Aussi veulent-ils davantage les conserver. |
[73379] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 10 Quartam proprietatem ponit ibi: ditari autem non facile
et cetera. Et circa hoc tria facit. Primo ponit proprietatem. Et dicit quod
non est facile quod ditetur homo liberalis, quum non de facili accipiat,
neque multum custodiat divitias; sed magis a se emittit eas dando et
expendendo et non appretiatur divitias propter ipsas, sed solum propter
dationem. |
675.- Il pose la quatrième propriété. Ce qu'il fait en trois points. Et tout d'abord, il donne la propriété. Il dit qu'il n’est pas facile pour l'homme libéral de s’enrichir, vu qu'il n'accepte pas facilement l'argent des autres, qu'il n'en garde pas beaucoup et qu'il est plutôt porté à s’en défaire en le donnant ou en dépensant. D'autant plus qu'il ne tient pas les biens en honneur pour eux-mêmes, mais pour les dons qu'ilS permettent. |
#675. — Il présente ensuite la quatrième propriété (1120b14). À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la propriété. Il dit qu'il n'est pas facile, pour quelqu'un de libéral, de s'enrichir, puisqu'il ne reçoit pas facilement, ni ne garde beaucoup les richesses, mais s'en défait plutôt, en les donnant ou en les dépensant. Et puisqu'il n'accorde pas de prix aux richesses pour elles-mêmes, mais seulement pour en faire don. |
[73380] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 11 Secundo ibi: propter quod etc., manifestat quod dixerat
per quoddam signum. Quia enim liberales non de facili sunt divites, homines
vulgares accusant fortunam, cui attribuunt divitias, quod non sunt divites
illi qui maxime essent digni, scilicet liberales, qui aliis largiuntur. Sed
ipse dicit, quod hoc non irrationabiliter accidit: quia non est possibile,
quod homo habeat pecunias, qui non multum curat habere; sicut etiam non est
possibile, quod aliquid aliud habeatur, de quo homo non curat. |
676.- Il manifeste ce qu'il a dit par un certain signe, En effet, parce que les libéraux ne s’enrichissent pas facilement, on accuse généralement la fortune, à laquelle on attribue la possession des richesses, de ce que ceux qui seraient les plus dignes d'avoir de la richesse, à savoir les libéraux qui distribuent leur avoir aux autres, n'en possèdent pas. Mais Aristote dit qu’il n’y a là rien de surprenant: il n’est guère possible que celui-là possède l'argent dont il ne se préoccupe pas. C’est d'ailleurs ce qui arrive dans d’autres domaines. |
#676. — En second (1120b17), il manifeste ce qu'il avait dit, avec un signe. Parce qu'en effet, les libéraux ne deviennent pas facilement riches, les gens ordinaires accusent la fortune, à qui ils attribuent les richesses, du fait que ne soient pas riches ceux qui en sont le plus dignes, à savoir, les libéraux, qui font aux autres des largesses. Mais lui-même dit que cela ne se produit pas sans raison, car il n'est pas possible que l'on ait de l'argent, si on ne se préoccupe pas beaucoup d'en avoir; comme aussi il n'est pas possible d'avoir autre chose dont on ne s'occupe pas. |
[73381] Sententia Ethic., lib. 4 l. 2 n. 12 Tertio ibi: non tamen dabit etc., excludit falsam
opinionem. Non enim propter hoc dictum est quod non curet divitias, quia det
quibus non oportet, vel quando non oportet, vel indebite secundum quamcumque
aliam circumstantiam. Tum quia talis operatio non esset liberalis: tum quia
per hoc impediretur ab operatione liberali, dum inutiliter consumens non
haberet quod oportune consumeret. Sicut enim dictum est, liberalis dicitur,
qui expendit secundum proportionem propriae substantiae, et in ea quae
oportet. |
677.- Il rejette une fausse opinion. En effet, on ne dit pas que le libéral n’a aucun souci des richesses parce qu’il donne à ceux à qui on ne le doit pas, ou quand on ne doit pas, ou en péchant contre quelque autre circonstance. Cela n'est pas, et parce qu'une telle opération ne serait pas libérale et parce que cette manière d’agir empêcherait l'opération libérale, alors qu’en jetant inutilement ses richesses, il ne pourrait plus les réserver pour les meilleures occasions, En effet, comme on l’a dit, le libéral dépense en proportion de son propre avoir et là où on le doit. |
#677. — En troisième (1120b20), il exclut une opinion fausse. En effet, à cause de ce qui a été dit, qu'il ne se préoccupe pas des richesses, [il ne va] pas donner à qui il ne faut pas, ou quand il ne faut pas, ou de quelque manière indue en regard de n'importe quelle autre circonstance. Tant parce que pareille action ne serait pas libérale, que parce que par cela il serait empêché d'une action libérale: alors qu'il consumerait inutilement, il n'aurait pas de quoi consumer au mieux. Comme cela a été dit (#658-659), en effet, on appelle libéral celui qui dépense en proportion de son propre patrimoine, et à ce qu'il faut. |
|
|
|
Lectio
3 |
Leçon 3 : [Prodigalité] |
|
|
ON PARLE DU PRODIGUE. ON SE DEMANDE QUELLE EST LA QUALITE DE SON ACTE: QUELLE DIFFERENCE EXISTE NTRE LE PRODIGUE, LE LIBERAL, L'AVARE ET LE MAGNIGIQUE; ON PARLE DE LA COMPARAISON ENTRE LA PRODIGALITE ET L’AVARICE. |
|
[73382] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 1 Qui autem superabundat et cetera. Postquam philosophus
determinavit de liberali, hic determinat de prodigo. Et primo determinat de
eo, qui est totaliter prodigus. Secundo de eo qui est partim prodigus et
partim illiberalis, ibi: sed multi prodigorum, et cetera. Circa primum duo
facit. Primo determinat de eo prodigo absolute; secundo comparat prodigum
illiberali, ibi: dictum est autem a nobis, et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit respectu cuius prodigus superabundet. Secundo ostendit qualis
sit prodigi actus, ibi, liberalitate utique et cetera. Dicit ergo primo, quod
cum dicatur aliquis liberalis ex hoc quod expendit secundum proportionem suae
substantiae; prodigus dicitur, qui superabundat proportionem suae substantiae
expendendo vel dando. Et ex hoc concludit, quod tyranni, qui habent
indeficientem divitiarum abundantiam, utpote omnia quae sunt communia sibi
usurpantes, non dicuntur prodigi, quia multitudine eorum quae possident, non
videtur esse facile quod in dando et expendendo superabundent proportionem
propriarum divitiarum. |
678.- Après avoir traité de l’homme libéral, le Philosophe étudie ici le prodigue. Et, en premier, il traite de celui qui est complètement prodigue, En second, il traite de celui qui est en partie prodigue et en partie libéral, Le premier point se divise en deux parties, Dans la première, il traite du prodigue en lui-même. Dans la seconde, il compare le prodigue à l’avare. La première partie se subdivi.se en deux. En premier, il montre par rapport à quoi le prodigue fait des excès. En second, il montre le caractère de l’acte du prodigue. Il dit donc, en premier, qu’alors que le libéral se dénomme du fait qu’il dépense proportionnellement à son avoir, le prodigue, lui, se dit de celui qui dépasse la mesure de ses ressources dans l'acte de donner et de dépenser. De là, il conclut que les tyrans, qui possèdent une abondance intarissable de richesse, en tant qu'ils usurpent les biens du peuple, ne sont pas appelés prodigues. Car, à cause de l'inépuisable multitude des biens qu'ils possèdent y il ne leur semble pas facile de dépasser la mesure de leur avoir lorsqu’ils donnent et distribuent leurs richesses. |
#678. — Après avoir traité du libéral, le Philosophe traite ici du prodigue. En premier, il traite de celui qui est totalement prodigue. En second (1121a30), de celui qui est partie prodigue et partie libéral. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite du prodigue de manière absolue. En second (1121a10), il compare le prodigue au parcimonieux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre en regard de quoi le prodigue commet un excès. En second (1120b27), il montre de quelle nature est l'acte du prodigue. Il dit donc, en premier, que, comme on dit quelqu'un libéral du fait qu'il dépense en proportion de son patrimoine, on dit prodigue celui qui dépasse la proportion de son patrimoine quand il dépense et donne. À partir de là, il conclut que les tyrans, qui jouissent d'une abondance indéfaillible de richesses, du fait d'usurper pour eux tout ce qui est commun, on ne les dit pas prodigues. Car en raison de la multitude des biens qu'ils possèdent, il n'est manifestement pas facile qu'en donnant ou dépensant, ils dépassent la proportion de leurs richesses. |
[73383] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 2 Deinde cum dicit: liberalitate utique etc., manifestat
qualis sit actus prodigi. Et quia opposita ex invicem manifestantur, primo
resumit ea quae dicta sunt de actu liberalis. Secundo ostendit qualis sit
actus prodigi, ibi, prodigus autem, et cetera. Circa primum duo facit. Primo
resumit qualiter liberalis se habeat circa ea quae principaliter ad eum
pertinent, scilicet circa dationem et delectationem dationis. Secundo
qualiter se habeat in his circa quae est secundario liberalitas, ibi: et
accipiet unde oportet et cetera. Dicit ergo primo, quod cum liberalitas sit
quaedam medietas circa dationem et acceptionem pecuniarum, liberalis emittit
pecunias dando et expendendo, et hoc secundum rationem rectam, in quae
oportet et quaecumque alia oportet in huiusmodi observare, per quod differt
liberalis a prodigo; et hoc facit tam in parvis quam in magnis: per quod
differt liberalis a magnifico, qui est tantummodo circa magna, ut infra
dicetur. Et hoc facit delectabiliter: per quod differt ab illiberali, qui in
emissione pecuniarum contristatur. |
679.- Il manifeste quel est le caractère de l'acte du prodigue, Et, parce que les choses opposées se font connaître réciproquement, il résume d'abord ce qu’il a dit de l’acte du libéral. En second, il montre quel est l’acte du prodigue. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il résume comment le libéral se comporte par rapport à ce qui lui appartient principalement, à savoir par rapport à l’acte de donner et au plaisir qu’il éprouve dans cet acte. En second, il résume son comportement par rapport aux actes qui ne relèvent que secondairement de lui. Il dit donc, en premier, que puisque la libéralité est une certaine médiété qui porte sur l’acte de donner et de recevoir de l'argent, le libéral distribue son argent en donnant ou en dépensant et cela conformément à la raison droite, dans les choses où l’on doit, et les richesses que lion doit, et selon les circonstances qu’il faut respecter. C’est par là que se distingue le libéral du prodigue. Le libéral agit ainsi aussi bien dans les petites richesses que dans les grandes: par où il se distingue du magnifique, qui n'est concerné que par les grandes richesses, comme on le dira plus loin. Et cela, le libéral le fait avec plaisir: ce qui le distingue de l’avare, qui s'attriste lorsqu'il doit sortir son argent. |
#679. — Ensuite (1120b27), il manifeste de quelle nature est l'acte du prodigue. Comme les opposés se manifestent l'un par l'autre, il reprend en premier ce que l'on a dit de l'acte du libéral. En second (1121a8), il montre de quelle nature est l'acte du prodigue. 126 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il reprend de quelle manière le libéral se comporte quant à ce qui relève principalement de lui, à savoir, sur le don et le plaisir de donner. En second (1120b30), de quelle manière il se comporte en ce d'après quoi on le dit libéral d'une manière secondaire. Il dit donc, en premier, que, comme la libéralité est une médiété à propos de don et d'acception d'argent, le libéral se défait d'argent en donnant et en dépensant, et cela en accord avec la raison droite, en ce qu'il faut, et tout ce qu'il faut, et autres circonstances à observer. Par cela, le libéral diffère du prodigue. Il le fait tant dans les petites [choses] que dans les grandes, par quoi le libéral diffère du magnifique, qui n'agit qu'en regard de grandes [choses], comme on le dira plus loin (#708, 717). Et il le fait avec plaisir, par quoi il diffère du parcimonieux, qui s'attriste à se défaire d'argent. |
[73384] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 3 Deinde cum dicit: et accipiet unde oportet etc.,
resumit quomodo liberalis se habeat circa ea quae secundario ad liberalitatem
pertinent. Et primo quomodo se habeat circa acceptionem. Secundo quomodo se
habeat circa tristitiam, ibi: si autem praeter optimum et bene et cetera.
Dicit ergo primo, quod liberalis accipit unde oportet, et observat quaecumque
oportet in accipiendo observari. Cum enim liberalitatis virtus medium teneat
circa utrumque, scilicet acceptionem et dationem, liberalis utrumque faciet
sicut oportet, quia ad decentem dationem sequitur quod sit decens acceptio.
Sed si acceptio non sit decens, contraria est decenti dationi, quia ex
contrariis causis procedunt. Decens enim datio procedit ex hoc, quod homo
praefert bonum rationis cupiditati pecuniae. Sed indecens acceptio provenit
ex hoc quod homo cupiditatem pecuniae praeponit bono rationis. Et quia ea
quae seinvicem consequuntur simul fiunt in eodem, quae vero sunt contraria
simul esse non possunt: inde est quod decens datio et decens acceptio, quae
seinvicem consequuntur, simul adunantur in liberali. Sed indecens acceptio non simul invenitur in eo cum
decenti acceptione, cui contrariatur. |
680.- Il résume le comportement du libéral à l'égard de ce qui relève secondairement de lui, Et tout d’abord, comment il se comporte lorsqu'il reçoit. En second, comment il se comporte par rapport à la tristesse. Il dit donc, en premier, que le libéral reçoit d'où on doit, et observe tout ce que l’on doit observer dans la réception. En effet, puisque la vertu de libéralité tient le milieu par rapport aux deux actes, à savoir celui de donner et celui de recevoir, le libéral accomplit aussi bien l'un que l'autre comme il se doit: car à l'acte honnête de donner suit l'acte honnête de recevoir. Mais si la réception n'est pas convenable, elle est contraire à l'acte honnête de donner, parce que l'une et l’autre procèdent de causes contraires. En effet, l'acte honnête de donner provient de ce que l'homme préfère le bien de la raison à la convoitise de l'argent. Mais la réception malhonnête provient de ce que la convoitise de l'argent prend le pas sur le bien de la raison. Et parce que les choses qui sont consécutives l'une à l'autre s'accomplissent en même temps dans le même sujet, alors que celles qui sont contraires ne peuvent pas exister simultanément, il s'ensuit que l'acte convenable de donner et l’acte convenable de recevoir, qui sont consécutifs l'un à l'autre, s’unissent simultanément dans l’homme libéral. Mais la réception qui ne sied pas ne se retrouve pas en lui en même temps que la réception convenable, à laquelle elle s'oppose. |
#680. — Ensuite (1120b30), il reprend comment le libéral se comporte à propos de ce qui relève de manière secondaire de la libéralité. En premier, comment il se comporte à propos d'acception. En second (1121a1), comment il se comporte à propos de tristesse. Il dit donc, en premier, que le libéral reçoit d'où il faut, et observe tout ce qu'il faut observer quand on reçoit. Comme, en effet, la vertu de libéralité tient le milieu en l'un et en l'autre, à savoir, en acception et en don, le libéral fait l'un et l'autre comme il faut, car à un don qui convient suit qu'il y ait une acception qui convienne. Au contraire, si l'acception n'est pas convenable, elle est contraire à un don qui convient, parce qu'elles procèdent de causes contraires. En effet, le don qui convient procède de ce que l'on préfère le bien de la raison à la convoitise de l'argent. Mais l'acception qui ne convient pas provient de ce que l'on place la convoitise de l'argent avant le bien de la raison. Et comme ce qui se suit réciproquement se produit ensemble dans le même [sujet], et que ce qui est contraire ne peut se retrouver ensemble, il s'ensuit que le don qui convient et l'acception qui convient, qui se suivent l'un l'autre, se trouvent réunis chez le libéral. Mais l'acception qui ne convient pas ne se trouve pas en lui en même temps que l'acception qui convient, à laquelle elle est contraire. |
[73385] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 4 Deinde cum dicit: si autem praeter optimum etc.,
ostendit quomodo se habeat liberalis circa tristitiam, quae est de amissione
pecuniae. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quomodo tristetur de
inordinata datione. Et dicit quod si contingat ipsum aliquid de suis divitiis
consumere praeter ordinem ad finem optimum et praeter hoc quod bene se habeat
in dando secundum debitas circumstantias, de hoc tristatur, sicut et quilibet
virtuosus tristatur si contingat ipsum aliquid facere quod sit contra
virtutem, et tamen circa ipsam tristitiam modum rationis observat, ut
scilicet tristitia sit moderata et secundum quod oportet. Quia ad virtutem
pertinet, ut aliquis delectetur et tristetur in quibus oportet et secundum
quod oportet. |
681.- Il montre comment se comporte le libéral par rapport à la tristesse, qui provient de la perte de l’argent. Ce qu'il traite en trois points. En premier, il montre quelle peine il éprouve d'une dépense désordonnée. Il dit que s’il lui arrive de dépenser sans le faire pour la meilleure cause ou en ne respectant pas dans sa conduite quelque autre circonstance due, il s'en attriste, comme tout vertueux s'attriste d'avoir agi contre la vertu. Cependant, il contiendra sa peine dans les bornes de la raison, de telle sorte que sa tristesse sera modérée et comme on le doit. Car cela fait partie de la vertu que d'éprouver plaisir et peine là où on le doit et comme on le doit. |
#681. — Ensuite (1121a1), il montre comment se comporte le libéral à propos de la tristesse qui porte sur la perte d'argent. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre comment il s'attriste d'un don désordonné. Il dit que s'il lui arrive de consommer ses richesses en dehors d'une ordonnance à la meilleure fin et en dehors de ce qui est bien se comporter en cas de dommage, en accord avec les circonstances dues, il s'en attriste, comme tout vertueux s'attriste lorsqu'il fait quelque chose contraire à la vertu. Pourtant, quant à la tristesse même, il observe le mode de la raison, de sorte que sa tristesse soit modérée et comme il faut. Car il appartient à la vertu que l'on prenne plaisir et s'attriste en ce qu'il faut et comme il faut. |
[73386] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 5 Secundo ibi: sed etiam bene communicativus etc.,
ostendit quomodo tristetur circa ablationem pecuniarum. Et dicit, quod
liberalis est bene communicativus in pecuniis, idest promptus ad hoc,
quod pecunias suas quasi communes cum aliis habeat. Potest enim absque
tristitia sustinere, quod aliquis ei in pecuniis iniurietur, eo quod non
multum pecunias appretiatur. |
682. - En second, il montre quelle peine il éprouve lorsqu’on l’li dérobe son argent. Il dit que le libéral est fort accommodant en matière d’argent, c'est-à-dire qu’il est prompt à partager son avoir en commun avec les autres. En effet, il peut supporter sans tristesse une injustice, du fait qu'il n'accorde pas grande valeur aux richesses. |
#682. — En second (1121a4), il montre comment il s'attriste à propos de perte d'argent. Il dit que le libéral communique bien son argent, c'est-à-dire, qu'il est prompt à tenir son argent comme [lui appartenant en] commun avec les autres. Il peut supporter sans tristesse, en effet, qu'on lui fasse dommage en argent, du fait qu'il n'accorde pas grand prix à l'argent. |
[73387] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 6 Tertio ibi: et magis gravatus etc., ostendit qualiter
tristetur circa indebitam retentionem pecuniae. Et dicit quod magis gravatur,
idest tristatur, si non consumit dando vel expendendo, quam tristetur, si
consumat aliquid quod non oportebat consumere; et hoc ideo, quia magis ad
ipsum pertinet dare quam accipere vel conservare, quamvis hoc non placeret Simonidi
idest cuidam poetae, qui contrarium fieri oportere dicebat. |
683.- Il montre de quelle manière il est affecté par une rétention indue d’argent. Il dit qu’il souffre davantage de n'avoir pas distribué en donnant ou en dépensant qu'il ne s'afflige d’avoir dépensé ce qu’il ne devait pas dépenser. Et cela parce qu’il lui appartient davantage de donner que de recevoir et de conserver, bien que cette idée ne plairait pas à Simonide, c’est-à-dire à un certain poète, qui disait qu'il fallait faire le contraire. |
#683. — En troisième (1121a5), il montre de quelle manière il lui en pèse à propos de rétention indue d'argent. Il dit qu'il lui pèse plus, c'est-à-dire, il s'attriste davantage, s'il ne consomme pas en donnant ou dépensant, qu'il ne s'attriste s'il consomme quelque chose qu'il ne fallait pas consommer; c'est qu'il lui appartient plus de donner que de recevoir et de conserver, quoique cela ne plairait pas à Simonide, c'est-à-dire, à un certain poète, qui disait que le contraire devait se produire. |
[73388] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 7 Deinde cum dicit: prodigus autem etc., ostendit ex
praemissis qualis sit actus prodigi. Et dicit quod in omnibus praedictis
prodigus peccat, idest non solum in dando et accipiendo, sed etiam in
delectando et tristando; quia neque delectatur neque tristatur in quibus
oportet et secundum quod oportet. Et hoc erit magis manifestum in
sequentibus. |
684.- A partir des considérations précédentes, il montre quel est l’acte du prodigue. Et il dit que dans tous les cas susdits, le prodigue pèche, c’est-à-dire non seulement en donnant et en recevant, mais encore en éprouvant plaisir et tristesse. Car il n’éprouve ni plaisir ni tristesse de ce dont on doit en éprouver, ni comme on le doit. Ce qui se verra mieux plus loin. |
#684. — Ensuite (1121a8), il montre, à partir de ce qui précède, de quelle nature est l'acte du prodigue. Il dit qu'en tout ce dont on a parlé, le prodigue se rend fautif, c'est-à-dire, non seulement en donnant et en recevant, mais aussi en prenant plaisir et en s'attristant; parce qu'il ne prend pas plaisir ni ne s'attriste à ce qu'il faut et comme il faut. Cela sera plus manifeste en ce qui suit. |
[73389] Sententia Ethic., lib. 4 l. 3 n. 8 Deinde cum dicit: dictum est autem a nobis etc.,
comparat prodigalitatem illiberalitati. Et primo quantum ad oppositionem.
Secundo quantum ad quantitatem peccati, ibi, quae quidem igitur et cetera.
Dicit ergo primo dictum esse supra quod prodigalitas et illiberalitas se
habent secundum superabundantiam et defectum in duobus, scilicet in datione
et acceptione, et hoc ideo quia expensae, quae etiam ad liberalitatem
pertinent, sub datione comprehenduntur. Contrarie autem in his superabundat
et deficit prodigus et illiberalis. Prodigus enim superabundat in dando, et
in hoc quod non accipiat. Illiberalis autem e contrario deficit in dando, et
superabundat in accipiendo; nisi forte in parvis, quae illiberalis dat et non
curat accipere. |
685.- Il compare la prodigalité à l’avarice. Et, en premier, quant à leur opposition. En second, quant à la grandeur du péché. Il dit donc, en premier, qu’on a dit plus haut que la prodigalité et l'avarice constituaient l'excès et le défaut en deux sortes d'actions: dans l’acte de donner et dans celui de recevoir. Et cela, parce que les dépenses qui appartiennent à la libéralité sont comprises dans l'acte de donner. Au contraire, dans ces deux actes le prodigue fait des excès et l’avare pèche par défaut. En effet, le prodigue dépasse la mesure en donnant et aussi, dans le fait qu'il accepte pas de recevoir. L'avare, au contraire, ne donne pas assez et reçoit trop; excepté peut-être dans les choses sans valeur, qu’il donne et qu’il ne s'occupe pas de recevoir. |
#685. — Ensuite (1121a10), il compare la prodigalité à la parcimonie. En premier, quant à leur opposition. En second (1121a16), quant à la quantité de leur caractère fautif. 127 Il dit donc, en premier, que l'on a dit, plus haut (#654), que la prodigalité et la parcimonie se comportent comme excès et défaut sous deux [rapports], à savoir, en acception et en don. C'est que les dépenses qui relèvent de la libéralité sont comprises sous le don. Or en cela, le prodigue et le parcimonieux excèdent et font défaut de manière contraire. Le prodigue, en effet, excède à donner, et à ne pas recevoir. Le parcimonieux, au contraire, fait défaut à donner et excède à recevoir, sauf peut-être dans les petites choses, que le parcimonieux donne et ne se préoccupe pas de recevoir. |
|
|
|
Lectio
4 |
Leçon 4 : [avarice, prodigalité] |
|
|
L’AVARICE EST UN PECHE PLUS GRAVE QUE CELUI DE LA PRODIGALIT'E, ET PARCE QUE LE PRODIGUE PEUT SE GUERIR PAR L’AGE ET LA PAUVRETE, ET PARCE QU'IL PEUT ETRE REDUIT AU MILIEU, ET PARCE QU'IL REND SERVICE A PLUSIEURS. |
|
[73390] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 1 Quae quidem igitur prodigalitatis et cetera. Postquam
philosophus ostendit oppositionem prodigalitatis ad illiberalitatem, hic
ostendit quod illiberalitas excedit in gravitate peccati. Et hoc tribus
rationibus. Quarum prima sumitur ex mutabilitate prodigalitatis, quia non de
facili augetur, sed de facili removetur. Unde dicit, quod ea quae pertinent
ad prodigalitatem non multum possunt augeri simul, ut scilicet aliquis nullo
modo accipiat et superflue omnibus det, eo quod substantia, idest
divitiae, velociter deserit eos qui dant indiscrete, quasi quidam ydiotae et
irrationabiles, et tales videntur esse prodigi. Et quia vitium, quod non
multum augetur, sed de facili curatur, est minus grave, inde est, quod
prodigus non modicum est melior, idest minus malus illiberali. |
686.- Après avoir montré l'opposition entre la prodigalité et l’avarice, le Philosophe manifeste ici que le péché d’avarice dépasse en gravité celui de prodigalité. Et cela, à cause de trois raisons. La première se prend de la mobilité de la prodigalité: elle ne peut pas facilement s’accroître, mais peut aisément se transformer. C’est pourquoi il dit que ce qui relève de la prodigalité ne peut guère augmenter, en ce sens qu'il n'est pas facile à quelqu’un de ne rien recevoir et de donner avec excès à tous. Il en est ainsi parce que les richesses disparaissent vite chez ceux qui donnent sans discernement, à la manière d’idiots et de gens non raisonnables. C’est précisément ceux-là qui semblent être prodigues. Et parce que le vice ne peut guère s’accroître mais peut facilement diminuer et se guérir est moins grave, il s’ensuit que le prodigue n'est pas peu meilleur, c'est-à-dire moins mauvais que l’avare. |
#686. — Après avoir montré l'opposition de la prodigalité avec la parcimonie, le Philosophe montre ici que la parcimonie dépasse [la prodigalité] en gravité de faute. Cela, avec trois raisons, dont la première se tire du caractère changeant de la prodigalité, car elle n'augmente pas facilement, mais change facilement. Aussi dit-il que les [actes] qui relèvent de la prodigalité ne peuvent pas beaucoup augmenter en même temps, de sorte qu'on en vienne à ne recevoir de personne et à donner de manière superflue à tous; c'est que le patrimoine, c'est-à-dire, les richesses, s'épuisera rapidement pour ceux qui donnent sans discernement, en idiots et irrationnels. C'est bien ainsi que paraissent être les prodigues. De plus, comme leur vice, qui n'augmente pas beaucoup mais se soigne facilement, est moins grave, il s'ensuit que le prodigue n'est pas peu meilleur, c'est-à-dire, moins mauvais que le parcimonieux. |
[73391] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 2 Prodigus enim de facili sanabilis est a suo vitio ex
duobus. Uno quidem modo ab aetate, quia, quantum aliquis magis accedit ad
senectutem, fit magis pronus ad retinendum, et ad non dandum. Quia enim
divitiae appetuntur, ut per eas humanis defectibus subveniatur, consequens
est ut, quanto aliquis maiores sentit defectus, tanto pronior sit ad
retinendum, et ad non dandum. Secundo propter paupertatem, quae consequitur
ex superflua prodigi datione. Paupertas autem impedit prodigalitatem tum
propter impossibilitatem dandi, tum propter experientiam defectus. |
687.- En effet, le prodigue peut se corriger facilement de son vice pour une double raison, d’une façon, par l’âge. Plus on vieillit, plus on devient enclin à ménager et à conserver et à ne pas donner. En effet, puisque les richesses sont désirées pour subvenir aux faiblesses et aux besoins humains, il s'ensuit que plus l'incapacité humaine grandit plus l’homme est porté à garder ses richesses et à ne pas sien départir. D'une seconde façon, par la pauvreté qui découle des dons excessifs du prodigue. La pauvreté coupe court à la prodigalité du don et à cause de l’impossibilité de donner et à cause de l’expérience qu’elle donne du manque. |
#687. — En effet, le prodigue est facile à guérir de son vice, par deux [faits]. D'une manière, bien sûr, par l'âge, car dans la mesure où l'on accède davantage à la vieillesse, on devient plus enclin à retenir et à ne pas donner. Car du fait que l'on désire les richesses pour subvenir par elles aux défauts humains, il s'ensuit que dans la mesure où ont grandi les défauts d'une personne, elle devient plus encline à retenir et à ne pas donner. En second, par la pauvreté qui s'ensuit du don superflu du prodigue. Or la pauvreté empêche la prodigalité de donner, tant à cause de l'impossibilité de donner, qu'à cause de l'expérience du manque. |
[73392] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 3 Secundam rationem ponit ibi, et ad medium potest venire
et cetera. Quae sumitur ex similitudine eius ad liberalitatem. Unde dicit, quod
prodigus de facili potest reduci ad medium virtutis propter convenientiam
quam habet cum liberali. Habet enim
prodigus ea quae habet liberalis, quia scilicet libenter dat, et non de
facili accipit. Differt autem a liberali, quia neutrum horum facit secundum
quod oportet, et bene, idest secundum rationem rectam. Et ideo si
perducatur ad hoc quod faciat praedicta secundum quod oportet, sive per
assuetudinem, sive per quamcumque aliam transmutationem, puta aetatis vel
fortunae, erit liberalis, ut scilicet det quibus oportet, et non accipiat
unde non oportet. |
688.- Il pose la seconde raison qui est tirée de la similitude entre la prodigalité et la libéralité. Voilà pourquoi il dit que le prodigue peut être facilement ramené au milieu de la vertu, à cause de la ressemblance qu’il a avec l’homme libéral. En effet, le prodigue a ceci du libéral qu’il donne avec aisance et qu'il n'accepte pas facilement de recevoir. Il en diffère cependant parce qu’il n'accomplit pas ces deux actes comme on le doit ni selon la raison droite. C'est pourquoi, s’il est amené à accomplir ces actes comme on le doit, soit par habitude, soit par changement d'âge ou transformation de fortune, il sera libéral, de telle sorte qu’il donnera comme on le doit et ne recevra pas d’où il ne faut pas recevoir. |
#688. — Il présente ensuite sa seconde raison (1121a21), qui se tire de la ressemblance avec la libéralité. Aussi dit-il que le prodigue peut facilement se ramener au milieu de la vertu, à cause de la ressemblance qu'il a avec le libéral. Le prodigue a, en effet, ce qu'a le libéral, qu'il donne de bon gré et ne reçoit pas facilement. Mais il diffère du libéral, car il ne fait ni l'un ni l'autre comme il faut, et bien, c'est-à-dire, en accord avec la raison droite. C'est pourquoi si, soit par accoutumance, soit par n'importe quelle autre transformation d'âge ou de fortune, il est conduit à poser comme il faut les actes dont on a parlé, il sera libéral, de façon qu'il donne à qui il faut, et ne reçoive pas d'où il ne faut pas. |
[73393] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 4 Et ex hoc concludit, quod prodigus non videtur esse
pravus secundum id quod pertinet proprie ad virtutem moralem, quae respicit
directe appetitivam potentiam. Non enim pertinet ad malum sive corruptum appetitum,
neque ad defectum virilis animi, quod aliquis superabundet in dando et in non
accipiendo, sed hoc videtur pertinere ad insipientiam quamdam. Et sic
videtur, quod prodigalitas non tam pertineat ad malitiam moralem, quae
respicit pronitatem appetitus ad malum, quam secundum rationis defectum. |
689.- De là il conclut que le prodigue ne semble pas dépravé du côté de ce qui appartient proprement à la vertu morale, qui concerne directement la puissance appétitive. En effet, que quelqu'un donne avec excès et n’accepte pas assez de recevoir, cela ne vient pas d’un appétit vil ou corrompu ni d'un défaut de force d'âme. Mais cela semble relever d'une certaine sottise. Et ainsi, il semble que la prodigalité appartient moins à la malice morale, qui regarde la tendance de l’appétit au mal, qu’à une faiblesse de la raison. |
#689. — À partir de là, il conclut que le prodigue ne paraît pas mauvais quant à ce qui appartient proprement à la vertu morale, qui regarde directement la puissance appétitive. En effet, cela ne relève pas d'un appétit mauvais ou corrompu, ni à un défaut de l'âme virile, que l'on commette l'excès à donner et à ne pas recevoir. Cela paraît plutôt relever d'une certaine sottise. Ainsi apparaît-il que la prodigalité ne relève pas tant de la malice morale, qui regarde l'inclination de l'appétit au mal, que d'un défaut de la raison. |
[73394] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 5 Tertio ibi: secundum hunc autem modum etc., ponit
tertiam rationem, quae sumitur ex effectu prodigalitatis. Unde dicit, quod
prodigum esse multo meliorem illiberali, non solum apparet propter praedictas
duas rationes, sed etiam propter hanc tertiam, quoniam prodigus multis
prodest per suam dationem, licet sibi noceat inordinate dando. Sed
illiberalis nulli prodest, in quantum deficit in dando, nec etiam prodest
sibiipsi inquantum deficit in expendendo. |
690.- Il pose la troisième raison qui se tire du défaut même de la prodigalité, c’est pourquoi il dit qu’il apparaît que le prodigue est bien meilleur que l'avare non seulement à cause des raisons ci-haut mentionnées, mais aussi à cause de cette troisième raison qui veut que le prodigue soit utile à quantité de gens par le fait qu’il donne, même s'il se nuit à lui-même en donnant hors de mesure. Mais l'avare n’est utile à personne, en tant qu’il ne donne pas assez, ni même utile à soi, en tant qu’il ne dépense pas assez. |
#690. — En troisième (1121a27), il présente sa troisième raison, qui se tire du défaut de la prodigalité. Aussi dit-il que le fait que le prodigue est beaucoup meilleur que le parcimonieux apparaît non seulement à cause des deux raisons qui précèdent, mais aussi à cause de cette troisième, que le prodigue est utile à beaucoup du fait de donner, bien qu'il se nuise à lui, en donnant avec désordre. Tandis que le parcimonieux n'est utile à personne, en tant qu'il manque quant à donner, ni n'est même utile à lui-même, puisqu'il manque quant à dépenser. |
[73395] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit: sed multi prodigorum etc., determinat
de eo qui est commixtus ex prodigo et illiberali. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit quomodo aliqui prodigi aliquid illiberalitatis habent. Secundo
infert quasdam conclusiones ex dictis, ibi, propter quod intemperati et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo quidam prodigi male se
habent in accipiendo. Secundo quomodo male se habent in dando, ibi, propter
quod neque liberales et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod
intendit: et dicit quod multi qui sunt prodigi secundum superfluam dationem,
sunt etiam secundum aliquid illiberales, inquantum accipiunt unde non
oportet. |
691.- Il traite de l’homme qui est à la fois prodigue et avare. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il montre comment certains prodigues ont quelque chose de l’avare. En second, il tire certaines conclusions des réflexions qu'il a faites. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il montre comment certains prodigues se comportent mal dans la réception. En second, comment ils se comportent mal lorsqu'ils donnent, La première partie se subdivise en deux. En premier, il donne son intention. Il dit qu’un bon nombre des gens qui sont prodigues en donnant avec trop d'abondance sont aussi, sous un certain aspect, avares, en tant qu’ils reçoivent d’où on ne le doit pas. |
#691.
— Ensuite (1121a30), il traite de celui qui est un mélange du prodigue et du
parcimonieux. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il
montre comment certains prodigues ont quelque chose de la parcimonie. En
second (1121b7), il infère certaines conclusions de ce qu'il a dit. 128 Sur le premier [point], il fait deux
[considérations]. En premier, il montre comment certains prodigues se
comportent mal pour ce qui est de recevoir. En second (1121b3), comment ils
se comportent pour ce qui est de donner. Sur le premier [point], il fait deux
[considérations]. En premier, il propose son intention: il dit que plusieurs,
qui sont prodigues du fait de donner de manière superflue, sont aussi sous
certain [rapport] parcimonieux, du fait de recevoir d'où il ne faut pas. |
[73396] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 7 Secundo ibi: acceptivi autem etc., assignat duas
rationes. Quarum prima assignat duas rationes. Quarum prima talis est. Quia
tales proni sunt ad accipiendum propter hoc quod volunt consumere sua
superflue dando et expendendo, et de facili consumunt; quia ea quae habent,
cito eos deserunt. Unde ad hoc quod implere possint voluntatem suam circa
superfluas dationes et expensas, coguntur aliunde inordinate acquirere quae
non habent. |
692.- En second, il donne deux raisons à cela. Voici la première, c’est que ces prodigues sont enclins à recevoir parce qu’ils veulent dissiper leur avoir en donnant et en dépensant excessivement, et facilement ils brûlent leur argent. Et bien vite leur font défaut les ressources. C'est pourquoi, pour pouvoir réaliser leur volonté de donner et de dépenser avec trop d’abondance, ils sont forcés, d'un autre côté, de se procurer des biens, de façon désordonnée. |
#692. — En second (1121a32), il assigne deux raisons. La première en va comme suit. De telles [gens] sont enclins à recevoir à cause de ce qu'ils veulent consommer leurs [biens] en les donnant et dépensant de manière superflue, et ils les consomment facilement. Pour cela, pour pouvoir combler leur volonté de [faire] des dons et des dépenses superflus, ils sont contraints, par ailleurs, à acquérir de manière désordonnée ce qu'ils n'ont pas. |
[73397] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 8 Secunda ratio est, quia magis dant ex quadam
concupiscentia dandi, quam ex ratione recta, quasi intendentes ad aliquod
bonum: unde volunt quidem dare; sed qualiter, aut unde dent, nihil apud eos
differt, et ideo, quia nullam curam habent de bono, indifferenter undecumque
accipiunt. |
693.- La seconde raison est qu’ils donnent plus par une certaine passion (par un certain désir) de donner que sous la dictée de la raison droite, visant pour ainsi dire un bien: de là vient qu'ils veulent donner; mais comment et d'où, cela ne leur importe pas. C'est pourquoi, ils ne se soucient guère du bien. Et ainsi ils reçoivent l'argent indifféremment d’où qu'il vienne. |
#693. — La seconde raison est que, comme ils donnent plus par désir de donner que par raison droite, en ce qu'ils viseraient à quelque bien, il s'ensuit certes qu'ils veulent donner; mais de quelle manière, ou d'où, cela ne fait pour eux aucune différence. C'est pourquoi ils n'ont nul souci du bien. Par suite, ils reçoivent indifféremment de n'importe où. |
[73398] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 9 Deinde cum dicit propter quod neque liberales etc.,
ostendit quomodo deficiant circa dationes. Et dicit quod quia nullam curam
habent de bono, ideo dationes eorum non sunt liberales quia neque sunt bonae
neque propter bonum neque modum debitum habent. Sed quandoque divites faciunt
malos homines quos oporteret pauperes esse, quia, dum divitiis male utuntur,
et sibi et aliis sunt nocivi. Et tamen hominibus, qui habent mores moderatos
secundum virtutem nihil darent, in quo deficiunt in dando. Sed multa dant
adulatoribus, vel aliis hominibus, qui eos qualitercumque delectant; puta
hystrionibus, vel lenonibus; in quo superabundant in dando. |
694.- Il montre quelle est leur faiblesse dans l’acte de donner. Il dit que, n’ayant aucun souci du bien, leurs actes de donner ne sont pas libéraux, ni bons, ni en vue du bien, ni ne possèdent le mode dû. Mais quelquefois, ils rendent riches des hommes de mauvaises conduite qui devraient être pauvres. Ces mauvais riches, en effet, se servent mal de leurs richesses et se nuisent à eux-mêmes aussi bien qu’aux autres. Et pourtant, à des hommes qui savent se conduire de façon vertueuse, ils ne donneront rien. C’est ainsi qu’ils pèchent par défaut dans l'acte de donner. Mais ils donnent beaucoup à leurs flatteurs et aux autres hommes qui leur procurent de plaisirs comme les histrions ou les entremetteurs. Ici, ils pèchent par excès en donnant. |
#694. — Ensuite (1121b3), il montre comment ils manquent quant à donner. Il dit que, comme ils n'ont nul souci du bien, pour cela leurs dons ne sont pas libéraux, ni bons, ni pour le bien, ni n'ont le dû mode. Mais parfois ils rendent riches des hommes mauvais, qui devraient être pauvres, du fait qu'ils usent mal de leurs richesses et sont dommageables à eux et aux autres. Par contre, à des hommes d'esprit modéré en conformité avec la vertu, ils ne donneraient rien; en cela ils manquent quant à donner. Mais ils donnent beaucoup à leurs adulateurs, ou à d'autres gens qui leur procurent n'importe quel plaisir, par exemple, aux comédiens, ou aux entremetteurs; et en cela ils exagèrent pour ce qui est de donner. |
[73399] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 10 Deinde cum dicit propter quod intemperati etc., inducit
duas conclusiones ex praemissis. Quarum prima est, quod propter praemissa
multi prodigorum sunt intemperati. Et hoc apparet ex duobus. Primo quidem,
quia cum sint faciles ad consumendum sua, de facili etiam consumunt in
intemperantias, puta in cibos, et venerea, a quibus multi retrahuntur timore
expensarum. Secundo, quia cum non ordinent vitam suam ad bonum honestum,
consequens est, quod declinent ad voluptates. Haec enim duo sunt propter se
appetibilia. Honestum quidem secundum appetitum rationalem. Delectabile autem
secundum appetitum sensitivum; utile autem refertur ad utrumque horum. |
695.- Il tire deux conclusions des considérations précédentes. La première est qu’à cause de ce que nous avons dit, plusieurs prodigues sont intempérants. Ce qui se voit par les deux raisons suivantes. Tout d’abord, de ce qu’ils sont inclinés à jeter à pleines mains, ils brûlent facilement leur avoir dans les intempérances, par exemple dans la nourriture et les choses vénériennes, que plusieurs évitent à cause des dépenses. Deuxièmement, de ce qu’ils n'ordonnent par leur vie au bien honnête, il s'ensuit qu’ils dévient vers les voluptés. Car ces deux biens sont désirables pour eux-mêmes. Le bien honnête l’est selon l’appétit rationnel. Le délectable l'est selon l’appétit sensitif. Le bien utile est ordonné à l’un et à l’autre. |
#695. — Ensuite (1121b8), il tire deux conclusions de ce qui précède. La première en est qu'à cause de ce qui précède beaucoup de prodigues sont intempérants. Cela appert par deux [faits]. En premier, bien sûr, parce que, comme ils arrivent facilement à consommer leurs [biens], ils consomment facilement en intempérances, par exemple, en nourritures, et en choses du sexe, avec quoi beaucoup gardent leurs distances, par crainte des dépenses. En second, parce que, comme ils n'ordonnent pas leur vie au bien honorable, il s'ensuit qu'ils se tournent vers les plaisirs. Ce sont là, en effet, les deux [objets] désirables pour eux-mêmes: l'honorable, certes, pour l'appétit rationnel; le plaisant, pour l'appétit sensible. L'utile, lui, renvoie à l'un et à l'autre d'entre eux. |
[73400] Sententia Ethic., lib. 4 l. 4 n. 11 Secundam conclusionem ponit ibi prodigus quidem igitur
et cetera. Et dicit quod ex praemissis patet, quod prodigus si non potest
induci ad virtutem, transit in praedicta vitia. Si autem potiatur studio,
scilicet virtutis, perveniet de facili ad medium et ut det et
abstineat ab accipiendo secundum quod oportet, ut supra dictum est. |
696.- Il donne la seconde conclusion. Il dit qu’il est évident, par ce qui précède, que si le prodigue ne peut être amené à la vertu, il déclinera vers les vices que l'on vient de mentionner. Mais s'il parvient à se hisser à la vertu, il atteindra facilement le milieu, de telle sorte qu'il donnera et s'abstiendra de recevoir comme on le doit, ainsi qu'on l'a dit auparavant. |
#696. — Il présente ensuite une seconde conclusion (1121b10). Il dit qu'il appert de ce qui précède que le prodigue, s'il ne peut être conduit à la vertu, passe aux vices qui précèdent. Si, toutefois, il devient honnête, c'est-à-dire, vertueux, il parviendra facilement à mieux, c'est-à-dire, à donner et à s'abstenir de recevoir selon ce qu'il faut, comme il a été dit plus haut (#688). |
|
|
|
Lectio
5 |
Leçon 5 : [L’avarice] |
|
|
IL ENSEIGNE QUE L’AVARICE EST INCURABLE, AUSSI BIEN PAR LE VICE DE LA NATURE HUMAINE QUE PAR LA FAUTE DE L'APPETIT DE L'HOMME. |
|
[73401] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 1 Illiberalitas autem
insanabilis est et cetera. Postquam philosophus determinavit de
prodigalitate, hic determinat de illiberalitate. Et circa hoc tria facit.
Primo proponit quamdam conditionem illiberalitatis. Secundo distinguit
illiberalitatis modos seu species, ibi: extendit autem in multum etc.; tertio
comparat illiberalitatem ad suum oppositum, ibi, congrue utique
illiberalitati et cetera. Dicit ergo primo quod vitium illiberalitatis est
insanabile. Et huius assignat duas rationes. Quarum prima est quia vita
humana et etiam res mundanae, ut plurimum tendunt in defectum; manifestum est
autem ex experimento quod et senectus et quaelibet alia impotentia vel
defectus facit homines illiberales, quia videtur homini quod pluribus
indigeat. Et ideo magis cupit res exteriores quibus humanae indigentiae
subvenitur. |
697.- Après avoir traité de la prodigalité, le Philosophe traite ici de l’avarice. Ce qu'il fait en trois points. En premier, il expose une certaine condition de l'avarice. En second, il distingue les modes ou les espèces d'avarice. En troisième, il compare l'avarice à son avancé. Il dit donc, en premier, que l'avarice est incurable. A cela, il donne deux raisons. La première est que la vie humaine, et même les choses du monde tendent la plupart du temps à s'émousser et à faire défaut. L'expérience, en effet, rend manifeste que la vieillesse et toute espèce d'impuissance ou de faiblesse rendent les hommes avares, parce qu'elles font prendre conscience à l’homme de son indigence et de ses besoins. C’est pourquoi se développe en lui le désir des choses extérieures qui comblent l'indigence humaine. |
#697. — Après avoir traité de la prodigalité, le Philosophe traite ici de la parcimonie. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente une condition de la parcimonie. En second (1121b16), il distingue les modes ou espèces de parcimonie. En troisième (1122a13), il compare la parcimonie à son opposé. Il dit donc, en premier, que la parcimonie est incurable; et il en assigne deux raisons. La première en est que la vie humaine, de même que les choses du monde, tendent la plupart du temps à leur déclin. Il est manifeste par expérience, d'ailleurs, que la vieillesse et toute autre impuissance ou déficience rendent les gens parcimonieux, car il leur semble avoir besoin de plus de choses. C'est pourquoi on en désire davantage les choses extérieures avec lesquelles on subvient à l'indigence humaine. 129 |
[73402] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 2 Secunda ratio est, quia
illud ad quod homo naturaliter inclinatur, non de facili removetur ab eo.
Magis autem inclinatur homo ad illiberalitatem, quam ad prodigalitatem. Cuius
signum est, quod plures inveniuntur amatores et conservatores pecuniarum,
quam datores, id autem quod naturaliter est in pluribus invenitur. In tantum autem
natura inclinat ad amorem divitiarum, inquantum per eas vita hominis
conservatur. |
698.- La seconde raison est qu’il n’est pas facile d’écarter de l'homme ce à quoi il est naturellement incliné. Or, l'homme est plus incliné à l'avarice qu’à la prodigalité. Le signe en est qu’il y a plus d'hommes qui aiment l'argent et veulent le conserver qu'il y en a qui aiment à donner. Ce qui est naturel est plus fréquent. La nature incline d’autant à l’amour des richesses que, par elles, se conserve la vie humaine. |
#698. — La seconde raison est que ce à quoi on est naturellement incliné, on ne nous l'enlève pas facilement. Or on est plus incliné à la parcimonie qu'à la prodigalité. Le signe en est qu'on trouve plus de gens qui aiment et conservent leur argent, que [de gens] qui le donnent. Or ce qui est naturel se retrouve dans la plupart des cas. D'ailleurs, la nature nous incline à l'amour des richesses dans la mesure où c'est par elles que notre vie se conserve. |
[73403] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 3 Deinde cum dicit: extendit
autem in multum etc., distinguit modos seu species illiberalitatis. Et circa
hoc tria facit. Primo ostendit, quod illiberalitas attenditur secundum duo;
scilicet secundum superfluum in accipiendo et secundum defectum in dando.
Secundo ponit species, quae accipiuntur secundum defectum in dando, ibi, qui
quidem enim in talibus et cetera. Tertio ponit species, quae accipiuntur
secundum superfluam acceptionem, ibi: hi autem rursus secundum acceptionem et
cetera. Dicit ergo primo, quod illiberalitas in multum augetur, ad multa
etiam se extendit, et multiformis est, inquantum scilicet sunt multi modi
illiberalitatis. Cum enim illiberalitas in duobus existat, scilicet in
defectu dationis et in superabundantia acceptionis; non omnes illiberales in
utroque peccant, quasi totam rationem illiberalitatis habentes. Sed dividitur
aliquando in diversis; ita quod quidam superabundant in acceptione qui tamen
non deficiunt in datione, sicut de prodigis supra dictum est. Alii vero
deficiunt in datione, et tamen non superabundant in acceptione. |
699.- Il distingue les modes ou les espèces d’avarice. Ce qu’il fait en trois points. En premier, il montre que l'avarice se prend par rapport à deux choses, à savoir relativement à l'excès dans le recevoir et à la déficience dans l’acte de donner. En second, il expose les espèces d'avarice qui se prennent du côté de la déficience lorsqu'il s’agit de donner. En troisième, il expose les espèces prises du côté de l’excès lorsqu'il s'agit de recevoir. Il dit donc, en premier que l’avarice peut se développer monstrueusement, qu'elle peut s’étendre à quantité de choses et qu’elle est multiple en tant qu'il y a plusieurs formes d’avarice. En effet, puisque l'avarice est impliquée dans une double activité, à savoir dans la déficience dans le "don" et l'excès dans la réception, ce ne sont pas tous les avares qui pèchent dans les deux cas, comme s’ils réalisaient tous intégralement la notion d’avarice, Mais le double élément de l’avarice se dissocie quelquefois chez les différents avares, de telle sorte que quelques-uns pèchent par excès quand ils reçoivent qui, cependant, donnent suffisamment, C'est ce que nous avons dit à propos du prodigue. D’autres, au contraire, soustrairons à la mesure lorsqu'ils donnent, sans commettre d'excès quand ils reçoivent. |
#699. — Ensuite (1121b16), il distingue les modes ou espèces de parcimonie. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la parcimonie porte sur deux [objets]: sur le fait de prendre avec excès et sur le fait de donner avec déficience. En troisième, il présente les espèces qui se prennent en rapport à prendre avec excès. Il dit donc, en premier, que la parcimonie augmente beaucoup, s'étend à beaucoup et est multiforme, en tant qu'il y a beaucoup de modes de la parcimonie. Alors qu'en effet, la parcimonie réside en deux [objets]: le manque à donner et l'excès à prendre, tous les parcimonieux ne se rendent pas fautifs en rapport à l'un et à l'autre, comme réalisant toute la notion de parcimonie. Au contraire, [celle-ci] se répartit parfois chez des [personnes] différentes, de sorte que certains prennent avec excès, qui, pourtant, ne manquent pas à donner, comme on l'a dit plus haut (#678) du prodigue, tandis que d'autres manquent à donner, et pourtant ne prennent pas avec excès. |
[73404] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 4 Deinde cum dicit: qui
quidem enim etc., determinat modos eorum, qui in datione deficiunt. Et dicit,
quod tales appellantur parci, eo quod parum expendunt, et tenaces, a defectu
dationis quasi multum retinentes; dicuntur etiam kyminibiles, quasi
venditores cymini, a quodam superexcessu tenacitatis, quia scilicet nec
minimum aliquid darent absque recompensatione. Et tamen isti non
superabundant in accipiendo; quia nec aliena appetunt, nec oblata multum
curant accipere. Et hoc propter duas rationes. |
700.- Il détermine les espèces d'avarice chez ceux qui ne donnent pas assez. Il dit qu'on les appelle parcimonieux (ménagers), du fait qu’ils dépensent peu, restant obstinément en-dessous de la mesure lorsqu'ils donnent, parce qu’ils veulent garder le plus possible; on les appelle aussi chiche, (symilibiles: scieurs de cumin: ce mot se rapproche davantage du sens que les mots pingres ou ladres), comme s’ils voulaient vendre le cumin par excès d:entêtement, parce qu’ils ne veulent rien laisser partir sans une compensation (ils ne donnent rien), (Ils vendent le sel). Et cependant ces avares ne commettent pas d’excès quand ils reçoivent: ils ne désirent pas ce qui ne leur appartient pas et ne veulent pas recevoir ce qui est volé. Et cela, à cause de deux raisons. |
#700. — Ensuite (1121b21), il traite des modes de ceux qui manquent à donner. Il dit qu'on appelle de pareilles personnes chiches4, du fait qu'elles dépensent petit, ladres5 pour leur manque à donner, parce que très attachées; on les appelle aussi avares6, à la manière des vendeurs de cumin, pour leur ladrerie, du fait qu'elles ne donneraient pas la moindre chose sans compensation. Pourtant, ces [gens] ne prennent pas avec excès, car ils ne désirent pas les [biens] des autres, ni ne se préoccupent beaucoup de prendre ce qu'on leur offre. Et cela pour deux raisons. |
[73405] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5 n.
5 Quarum prima est, quia
scilicet hoc dimittunt propter morum moderantiam et propter timorem
turpitudinis. Videntur enim propter hoc custodire sua, et etiam hoc dicunt
verbo, ne si sua dent cogantur aliquando propter penuriam aliquid operari; et
inde est etiam, quod nolunt recipere aliena, turpe hoc existimantes: vel
etiam dubitant ne ab his, qui eis darent, inducerentur ad aliquid indecens.
Et de eorum numero videtur esse kyminibilis, id est cymini venditor,
qui sic nominatur propter hoc quod in hoc superabundat quod nulli dare vult;
et eadem ratio est de omnibus similibus. |
701.- La première raison est qu’ile s’abstiennent d’agir ainsi à cause d'une certaine austérité dans leurs mœurs et par crainte de commettre quelque vilénie. En effet, ils semblent garder leur argent, ce qu'ils n’hésitent pas à affirmer, afin que l’indigence qui pourrait les accabler s’ils le donnaient ne les pousse pas à accomplir quelque action honteuse, De là vient aussi qu’ils ne veulent pas recevoir des autres: ils estiment que c'est là un geste honteux, dégoûtant; ils ont peur que ceux qui leur donnent exploitent leurs dons pour les induire à quelque action malhonnête. Parmi ces avares il y a le "cymibiles", c’est-à-dire le vendeur de cumin, ainsi appelé parce qu'il dépassait vraiment les bornes à ne vouloir rien donner à personne. La même raison existe pour les cas semblables, |
#701. — La première en est qu'ils en font le sacrifice par modération de mœurs et par crainte de la honte. Ils semblent garder leurs [biens], en effet, et c'est aussi ce qu'ils disent, de crainte, s'ils [les] donnaient, d'être parfois contraints, par indigence, à faire quelque chose de honteux. C'est partant de là, aussi, qu'ils ne veulent pas prendre les biens des autres, trouvant cela honteux; ou même, ils craignent d'être conduits à [faire] quelque chose d'indécent par ceux qui leur donneraient. On compte manifestement dans leur nombre le scieur de cumin7, c'est-à-dire, le vendeur de cumin, que l'on nomme ainsi parce qu'il commet un grave excès en ceci qu'il ne veut donner à personne. La même raison vaut pour tous les [cas] semblables[20]. |
[73406] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 6 Secunda ratio est, quia
aliqui abstinent ab accipiendo aliena propter hoc, quod timent ne oporteat
eos dare: quasi non sit facile, ut ipse ea quae sunt aliorum accipiat, et
alii non accipiant ea quae sunt eius; et ideo placet eis quod neque dent,
neque accipiant. |
702.- La seconde raison est qui ils refusent de recevoir des autres quoi que ce soit de peur d’être obligés de donner à leur tour: croyant qu’il n’est pas facile pour eux de recevoir des autres sans que les autres ne reçoivent quelque chose d’eux-mêmes. Ils préfèrent donc ni donner ni recevoir. |
#702. — La seconde raison est que certains s'abstiennent de prendre les biens des autres parce qu'ils craignent qu'il ne leur faille [ensuite] donner; dans la mesure où il n'est pas facile, si on prend soi-même ce qui appartient aux autres, que les autres ne prennent pas ce qui est à soi; aussi leur plaît-il de ne [rien] donner ni prendre. |
[73407] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 7 Deinde cum dicit: hi autem
rursus etc., ponit modos illiberalitatis (qui accipiuntur secundum superfluam
acceptionem). Et primo quantum ad eos qui turpiter accipiunt. Secundo quantum
ad eos qui accipiunt iniuste, ibi, aleator quidem et cetera. Dicit ergo
primo, quod quidam illiberales superabundant in acceptione, non curantes quid
vel unde accipiant seu lucrentur. Quorum quidam lucrantur de vilibus et
servilibus operationibus. Quidam vero lucrantur de turpibus et illicitis,
puta de meretricio, vel de aliquo simili, sicut lenones. Quidam vero
lucrantur per improbam exactionem, sicut usurarii, et qui saltem aliquid
parvum volunt lucrari in aliquo multo quod dant vel mutuant. Omnes enim
praedicti accipiunt unde non oportet, scilicet de servilibus vel turpibus
operationibus, vel quantum non oportet, sicut usurarii, qui accipiunt ultra
sortem. Quibus omnibus commune est quod turpiter lucrantur inquantum scilicet
sustinent ut opprobrio habeantur propter aliquod, lucrum, et hoc parvum. Quia
illi qui, ut magna lucrentur, accipiunt unde non oportet, vel quae non
oportet, sicut tyranni, qui depraedantur civitates et templa, non dicuntur
illiberales, sed magis dicuntur perniciosi, in homines, et impii, in Deum, et
iniusti, quasi legis transgressores. |
703.- Il expose les espèces d’avarice. En premier, quant à ceux qui acceptent ou reçoivent de façon déshonorante. En second, quant à. ceux qui reçoivent injustement. Il dit donc, en premier, que certains avares dépassent la mesure lorsqu'il s’agit de recevoir, tout gain leur étant bon, d’où qu'il vienne. Parmi ceux-là, certains s’enrichissent dans les opérations viles ou dans des métiers d’esclaves. Certains vont plus loin et font leur argent dans des actions honteuses et immorales, comme on le voit chez les tenanciers de mauvaises maisons (ou encore chez les femmes de vie), ou chez certains entremetteurs ou chez ceux qui pratiquent des métiers semblables. D’autres s’enrichissent par des actions malhonnêtes, comme les usuriers, ou du moins veulent tirer le moindre profit ou retenir le plus possible même quand ils font de grosses affaires. En effet, tous ceux-là reçoivent d’où on ne le doit pas, à savoir d’opérations serviles ou dégoûtantes; ou quand on ne le doit pas, comme les usuriers, qui reçoivent plus que le capital. Leur trait commun, c’est le gain et, précisons le petit gain. Car ceux qui font de gros gains et qui s’enrichissent honteusement, (en tant qu’ils sont prêts à affronter le déshonneur pour le faire) reçoivent d’0ù on ne le doit pas et ce qu’on ne doit, comme les tyrans qui dépouillent les cités et les temples; et pourtant on ne les appelle pas avares, on les dit dangereux et injustes et impies envers Dieu, comme transgresseurs de la loi. |
#703. — Ensuite (1121b31), il présente les modes de la parcimonie. En premier, quant à ceux qui prennent de manière honteuse. En second (1122a7), quant à ceux qui [le font] injustement. Il dit donc, en premier, que certains parcimonieux prennent avec excès, sans préoccupation de ce qu'ils prennent ni d'où ils le gagnent. Certains d'entre eux gagnent avec des actions viles et serviles. D'autres gagnent avec des actions honteuses et illicites, par exemple, avec la prostitution, ou avec autre semblable chose, comme les entremetteurs. D'autres, par ailleurs, gagnent par exaction malhonnête, comme les usuriers, et ceux qui veulent gagner au moins un petit quelque chose dans une grande quantité [d'occasions] où ils donnent ou échangent. Tous ceux qui précèdent, en effet, prennent d'où il ne faut pas, avec des actions serviles ou honteuses; ou combien il ne faut pas, comme les usuriers, qui prennent plus que leur lot. À tous ceux-là, il y a de commun le gain et le petit. Car ceux qui gagnent gros, et qui le gagnent de manière honteuse — en ceci qu'ils supportent de mériter de l'opprobre pour [gagner] quelque chose —, qui prennent d'où il ne faut pas, ou ce qu'il ne faut pas, comme les tyrans, qui saccagent les cités et les temples, on ne les appelle pas parcimonieux, mais plutôt gens malfaisants et injustes, et impies face à Dieu, au sens de transgresseurs de la loi. |
[73408] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 8 Deinde cum dicit: aleator
quidem etc., ponit illiberales, qui accipiunt iniuste, sicut aleator, qui
lucratur ex ludo taxillorum. Et ille, qui spoliat mortuos, qui antiquitus cum
magno apparatu sepeliebantur. Et latro qui spoliat vivos. Omnes enim isti
turpiter lucrantur, inquantum propter lucrum negotia quaedam faciunt unde
sunt opprobriosi. Quod etiam et de superioribus dictum est, sed in istis est
aliqua specialis ratio turpitudinis. Quidam enim horum, scilicet spoliator
mortuorum et latro, exponunt se magnis periculis propter lucrum, agentes ea
quae legibus puniuntur: alii vero, scilicet aleatores, volunt lucrari ab
amicis cum quibus ludunt, cum tamen magis conveniat secundum liberalitatem
amicis aliquid dare. Et sic patet, quod utrique, dum volunt lucrari unde non
oportet, sunt turpes lucratores. Et sic patet quod omnes praedictae
sumptiones, id est acceptiones, sunt illiberales. |
704.- Il traite des avares qui reçoivent injustement, comme le joueur qui s’enrichit aux dés. Et celui qui dépouille les cadavres qui, dans l’antiquité, étaient ensevelis très somptueusement. Et le détrousseur, le voleur qui vole les vivants. En effet, tous ceux-là s’enrichissent honteusement, en tant que le goût de lucre leur fait accomplir des travaux qui leur apportent déshonneur et humiliation. C’est le même cas que celui dont nous avons parlé plus haut. Maia chez des derniers, il y a un aspect spécial de turpitude. En effet, quelques-uns de ceux qui volent les morts et les vivants s’exposent aux plus grands dangers, tombant sous les coups de la loi, pour s’assurer leur gain; les autres, à savoir les joueurs, veulent s'enrichir aux dépens de leurs amis avec qui ils jouent, alors que la libéralité veut que l'on donne plutôt aux amis. Il appert donc que l'une et l’autre espèce d’avare, en voulant gagner de l'argent là où on ne le doit pas, sont des profiteurs infâmes. Il faut donc que toutes ces façons de recevoir soient avaricieuses, cupides. C'est la cupidité. |
#704. — Ensuite (1122a7), il présente les parcimonieux qui prennent injustement, comme le joueur, qui gagne au jeu de dés. Et celui qui dépouille les morts ensevelis depuis longtemps avec grand apparat. Et le voleur, qui dépouille les vivants. Tous ceux-là, en effet, gagnent de manière honteuse, pour autant qu'en vue du gain, ils font des affaires qui comportent de l'opprobre, comme on l'a dit aussi des autres, plus haut (#703). En ceux-ci, toutefois, s'ajoute un élément spécial de honte. Certains d'entre eux, par exemple, le détrousseur de morts et le voleur, s'exposent à de grands dangers en vue du gain, faisant ce qui est puni par la loi; et d'autres, les joueurs, veulent gagner aux dépens des amis avec lesquels ils jouent, quand, pourtant, il convient davantage, selon la libéralité, de donner quelque chose à ses amis. Ainsi appert-il que les uns et les autres, tant qu'ils veulent gagner d'où il ne faut pas, gagnent de manière honteuse. Et ainsi, il faut bien que tous les profits, c'est-à-dire, toutes les acquisitions, qui précèdent soient parcimonieuses. |
[73409] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5
n. 9 Deinde cum dicit: congrue
utique etc., determinat de illiberalitate per comparationem ad oppositum vitium.
Et dicit, quod illiberalitas congrue denominatur ab oppositione
liberalitatis. Semper enim peius vitium magis opponitur virtuti.
Illiberalitas autem est peior prodigalitate, ut supra ostensum est; unde
relinquitur quod magis opponatur liberalitati. Secunda ratio est, quia
homines magis peccant secundum vitium quod dicitur illiberalitas, quam
secundum vitium quod dicitur prodigalitas. Et propter hoc nominatur a
privatione liberalitatis, quia pluries per hoc vitium corrumpitur
liberalitas. |
705.- Il traite de l’avarice par comparaison au vice opposé. Il dit que l'avarice (illiberalitas se dénomme à bon droit (en grec) par opposition à la libéralité. En effet, c’est le pire vice qui est le plus opposé à la vertu. Or, l'avarice est pire que la prodigalité, comme l'a montré auparavant; il s’ensuit donc qu’elle s’oppose davantage à la libéralité. La seconde raison est que les péchés d’avarice sont plus fréquents et plus répandus dans l'humanité que les péchés de prodigalité. Voilà pourquoi l'avarice (en grec) tire son nom de la privation de la libéralité, car c'est le vice qui corrompt le plus fréquemment la libéralité. |
#705. — Ensuite (1122a13), il traite de la parcimonie par comparaison au vice opposé. Il dit que l'on nomme avec raison la parcimonie à partir de son opposition à la libéralité8. Toujours, en effet, le vice le pire est plus opposé à la vertu. Or la parcimonie est pire que la prodigalité, comme on l'a montré plus haut (#686-690); il reste donc que [la libéralité] soit davantage opposée à la parcimonie. La seconde raison est que les gens se rendent davantage fautifs d'après le vice que l'on appelle parcimonie que d'après le vice que l'on appelle prodigalité. C'est pour cela qu'on le nomme comme une privation de la libéralité, car la libéralité se trouve détruite de plusieurs manières par ce vice. |
[73410] Sententia Ethic., lib. 4 l. 5 n. 10 Ultimo autem epilogat quae dicta sunt, dicens, tanta
dicta esse de liberalitate, et de oppositis vitiis. |
706.- En dernier, par mode de conclusion, il fait un retour sur ce qu’il a dit en soulignant que les considérations précédentes sur la libéralité et les vices opposés sont suffisantes. |
#706. — Enfin, il conclut ce qui a été dit, disant que voilà ce qu'il y avait à dire de la libéralité et des vices opposés. |
|
|
|
Lectio
6 |
Leçon 6 : [La magnificence] |
|
|
On a omis la traduction des leçons 6 et 7 qui portent sur la vertu de magnificence. |
|
[73411] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6
n. 1 Videbitur autem consequens
esse et cetera. Postquam philosophus determinavit de liberalitate, hic
determinat de magnificentia. Et dividitur pars ista in duas partes. In prima
inquirit materiam magnificentiae et oppositorum vitiorum. In secunda ostendit
qualiter magnificentia et opposita vitia, circa propriam materiam operantur,
ibi, magnificus autem scienti assimilatur, et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit, quae sit materia magnificentiae. Secundo ostendit, quae sint
vitia ei opposita, ibi, talis autem habitus, et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit materiam communem magnificentiae et liberalitati.
Secundo ostendit differentiam inter utrumque, ibi: non quemadmodum autem
liberalitas, et cetera. Tertio probat propositum, ibi, qui autem in parvis,
et cetera. Dicit ergo primo, quod post liberalitatem videtur esse conveniens,
quod sequatur tractatus de magnificentia. Et ratio convenientiae est, quia
magnificentia videtur esse quaedam virtus circa pecunias sicut et
liberalitas. |
Voici le texte d’Aristote traduit par Jean Voilquin dans Ethique à Nicomaque, p. 155-163. Classiques Garnier. Chapitre 4 Nous avons suffisamment parlé de la libéralité et des vices qui lui sont opposés. On pensera qu’après cela doit venir la discussion sur la magnificence laquelle est, semble t-il bien, elle aussi, une vertu ayant rapport à l’argent. Mais, à la différence de la libéralité, elle ne s’étend pas à toutes les actions ayant l’argent pour objet, mais seulement à celles qui concernent la dépense, et, dans ce domaine, elle surpasse la libéralité en grandeur. Comme son nom même le suggère, elle consiste dans une dépense convenant à la grandeur de son objet. Or, la grandeur est quelque chose de relatif, car les dépenses à engager pour un triérarque ne sont pas les mêmes que pour un chef de théorie. Le convenable en matière de dépenses est donc relatif à l’agent, aux circonstances et à l’objet. |
#707. — Après avoir traité de la libéralité, le Philosophe traite de la magnificence. Cette partie se divise en deux parties[21]. Dans la première, il s'enquiert de la matière de la magnificence et des vices opposées. Dans la seconde (1122a34), il montre de quelle manière la magnificence et les vices opposés agissent sur leur propre matière. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre quelle est la matière de la magnificence. En second (1122a29), il montre quels sont les vices qui lui sont opposés. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la matière commune à la magnificence et à la libéralité. En second (1122a20), il montre la différence entre l'une et l'autre. En troisième (1122a26), il prouve son propos. Il dit donc, en premier, qu'après la libéralité, il paraît convenable que l'on continue avec le traité de la magnificence. La raison de cette convenance, c'est que la magnificence est manifestement une vertu qui porte sur l'argent, comme la libéralité. |
[73412] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 2 Deinde cum dicit: non quemadmodum autem etc., ostendit
differentiam quantum ad materiam inter liberalitatem et magnificentiam. Et circa
hoc duo facit. Primo proponit differentiam. Secundo manifestat quod dixerat,
ibi, magnitudo autem et cetera. Circa primum ponit duas differentias. Quarum
prima est, quod liberalitas se extendit ad omnes operationes quae sunt circa pecunias,
scilicet ad acceptiones, dationes et expensas, sed magnificentia est solum
circa sumptus, idest expensas. Secunda differentia est, quia etiam in sumptibus
sive in expensis, magnificentia excedit liberalitatem magnitudine expensarum.
Magnificentia enim est solum circa magnas expensas, sicut ipsum nomen
demonstrat. Sed liberalitas potest esse etiam circa moderatas vel etiam
modicas. Nec tamen intelligendum est, quod
quia magnitudo importat excessum quemdam, quod magnificus ita magnos sumptus
faciat, quod excedat id quod debet fieri secundum rationem. Sed sumptus
magnifici ita est cum magnitudine quod cum hoc est decens; decet enim et
personam facientis, et opus in quo fiunt expensae, ut infra dicetur. |
Mais l’homme qui, dans les petites choses ou dans les moyennes, dépense selon qu’elles le méritent n’est pas ce qu’on nomme un homme magnifique (tel celui qui dit : Souvent j’ai donné au vagabond) mais c’est seulement celui qui agit ainsi dans les grandes choses : car, bien que l’homme magnifique soit un homme libéral, l’homme libéral n’est pas pour autant un homme magnifique. Dans une disposition de ce genre la déficience s’appelle mesquinerie, et l’excès, vulgarité manque de goût, et autres dénominations analogues. Ce dernier vice constitue un excès, non pas en ce qu’on dépense largement pour des objets qui en valent la peine, mais en ce qu’on engage des dépenses de pure ostentation dans des occasions et d’une façon également inopportunes. Nous parlerons plus loin de ces vices ; |
#708. — Ensuite (1122a20), il montre la différence entre la magnificence et la libéralité, quant à leur matière. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la différence. En second (1122a24), il manifeste ce qu'il avait dit. Sur le premier [point], il présente deux différences. La première en est que la libéralité s'étend à toutes les actions qui portent sur l'argent, c'est-à-dire, aux dépenses, acquisitions et dons. La magnificence, au contraire, porte seulement sur des frais9, c'est-à-dire, sur des dépenses. La seconde différence est qu'en frais ou dépenses, la magnificence dépasse la libéralité par la grandeur des dépenses. La magnificence, en effet, porte seulement sur de grandes dépenses, comme son nom même le montre. La libéralité, quant à elle, peut porter aussi sur des [dépenses] modestes ou non modestes. On ne doit cependant pas comprendre que, étant donné que la grandeur connote l'excès, le magnifique fait des frais si grands qu'il dépasse ce qui doit se faire en accord avec la raison. Au contraire, les frais du magnifique entretiennent avec la grandeur un rapport tel qu'en cela aussi ce qui convient est conservé. Il y a convenance, en effet, et quant à la personne qui agit, et quant à l'œuvre en laquelle se font les dépenses, comme on le dira plus loin (#721-724). |
[73413] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 3 Deinde cum dicit magnitudo autem etc., exponit quod
dixerat; scilicet qualiter magnitudo sumptus conveniat magnifico. Et quia
magnum dicitur relative, ut habetur in praedicamentis, ideo et hic dicitur,
quod magnitudo sumptus accipitur per respectum ad aliquid aliud; puta ad
illud, in quo fiunt expensae, vel ad personam expendentis; quia non idem
sumptus dicitur esse magnus per comparationem ad trierarcham, id est
principem galearum, quae habent tres ordines remorum, unde et trieres
vocantur, et architheorum, idest principem speculationis. Puta si
aliquis fuerit praefectus templi, vel etiam studii. Oportet enim sumptum esse
decentem per comparationem ad ipsum qui expendit, et per comparationem ad id
in quo expendit. Circa quod etiam oportet attendere circa quae illud fiat.
Puta si fiunt expensae in aedificatione domus, oportet ulterius considerare
cui domus illa aedificetur; utrum scilicet principi, vel privatae personae;
quia scilicet secundum hoc diversi sumptus requiruntur. |
Le magnifique est une sorte de connaisseur, car il a la capacité de discerner ce qu’il sied de faire et de dépenser sur une grande échelle avec goût. Nous l’avons dit, en effet, au début, [1122b] la disposition du caractère se définit par ses activités et par ses objets. Or, les dépenses du magnifique sont à la fois considérables et répondent à ce qu’il est séant d’accomplir ; tels sont par suite également les (caractères des œuvres réalisées, car ainsi il y aura dépense considérable et en pleine convenance avec l’œuvre accomplie. Par conséquent, comme le résultat doit répondre dignement à la dépense, ainsi aussi la dépense doit être proportionnée au résultat, ou même lui être supérieure. − |
#709. — Ensuite (1122a24), il expose ce qu'il avait dit, à savoir, de quelle manière la grandeur des frais convient au magnifique. Toutefois, grand se dit de manière relative, comme on l'affirme dans les Attributions ; c'est pourquoi on dit aussi, ici, que la grandeur des frais se prend par rapport à autre chose; par exemple, à cela sur quoi portent les dépenses, ou à la personne de celui qui dépense; car ce ne sont pas les mêmes frais que l'on dit grands en comparaison au triérarque, c'est-à-dire, au chef des galères — elles ont trois rangées de rames; aussi les appelle-t-on encore des trières —, et à l'archithéoricien, c'est-à-dire, au chef de théorie. Par exemple, si on s'est trouvé préfet du temple, ou encore d'étude. Il faut, en effet, que les frais soient décents en comparaison à celui même qui dépense, et en comparaison à ce à quoi il dépense. À ce propos, il faut aussi regarder à quel propos cela se fait. Par exemple, si on fait des dépenses pour l'édification d'une maison, il faut encore regarder pour qui cette maison est édifiée; à savoir, si c'est pour un chef, ou pour une personne privée; car, en proportion, ce sont des frais différents qui sont requis. |
[73414] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 4 Deinde cum dicit: qui autem in parvis etc., probat quod
dixerat, scilicet quod ad magnificentiam pertineat magnitudo sumptus. Quia
ille qui expendit in rebus parvis vel etiam moderatis secundum quod dignum
est, non dicitur magnificus; puta si multoties divisim expenderet multa in
parvis rebus, ita quod omnes illae expensae congregatae facerent aliquid
tantum quantum est illud quod expendit magnificus, nihilominus tamen
magnificus non diceretur, etiam si prompte et liberaliter illa parva
expenderet. Quia omnis magnificus est liberalis; non tamen sequitur, quod
omnis liberalis sit magnificus. |
En
outre, l’homme magnifique, en dépensant de pareilles sommes aura le bien pour
fin, ce qui est un caractère commun à toutes les vertus. Et il le fera aussi
avec joie et avec profusion, car se montrer pointilleux dans les comptes est
le fait d’une nature mesquine. Et il examinera la façon d’obtenir le plus
beau résultat et le plus hautement convenable, plutôt que s’inquiéter du prix
et du moyen de payer le moins possible. Le magnifique sera donc aussi
nécessairement un homme libéral, car l’homme libéral également dépensera ce
qu’il faut et comme il faut ; et c’est dans l’observation de cette
double règle que ce qu’il y a de grand dans l’homme magnifique, en d’autres
termes sa grandeur, se révèle, puisque c’est là ce qu’il y a de commun avec
l’exercice de la libéralité. |
#710. — Ensuite (1122a26), il prouve ce qu'il avait dit, que ce qui concerne la magnificence, c'est la grandeur des frais. Car celui qui dépense comme il est digne [de le faire] à de petites [choses], ou même à de moyennes, on ne l'appelle pas magnifique. Par exemple, si on dépensait beaucoup à de petites choses, séparément et en plusieurs fois, mais de sorte que toutes ces dépenses rassemblées feraient autant que ce que dépense le magnifique, on ne serait pas appelé magnifique, pourtant, même si on dépensait ces petites [sommes] promptement et libéralement. Car tout magnifique est libéral; mais il ne s'ensuit pas que tout libéral soit magnifique[22]. |
[73415] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 5 Deinde cum dicit: talis autem habitus etc., ostendit,
quae sint vitia opposita magnificentiae. Et dicit, quod vitium oppositum
habitui magnificentiae per modum defectus vocatur parvificentia. Sed vitium, quod
opponitur ei per modum superabundantiae vocatur bannausia, a bannos,
quod est fornax. Quia tales sicut in fornace omnia sua consumunt. Vocatur
etiam apyrocalia, quasi sine experientia boni, quia scilicet inexperti sunt
qualiter oporteat bonum operari: et si quae etiam sunt aliae tales
nominationes. Quae quidem important superabundantiam, non quia excedant
magnificum in magnitudine expensarum, circa quae oportet expendere; sed
superabundant in hoc, quod excedunt rationem rectam in hoc, quod faciunt
magnos sumptus cum quadam praeclaritate, in quibus non oportet et sicut non
oportet. Ex quo patet quod medium et extrema in virtutibus moralibus non
accipiuntur secundum quantitatem absolutam, sed per respectum ad rationem
rectam. Subdit autem, quod de istis vitiis posterius dicetur in hoc eodem
capitulo. |
Et
d’une égale dépense il tirera un résultat plus magnifique. En effet, la même
excellence n’est pas attachée à une chose qu’on possède et à une œuvre qu’on
réalise : en matière de possession, c’est ce qui a la plus grande valeur
marchande qu’on prise le plus, l’or par exemple ; tandis que s’il s’agit
d’une œuvre, la plus estimée est celle qui est grande et belle car la
contemplation d’une œuvre de ce genre soulève l’admiration du spectateur, et
le fait de causer l’admiration appartient précisément à l’œuvre magnifique
réalisée ; et l’œuvre a son excellence, c’est-à-dire sa magnificence,
dans sa grandeur. |
#711. — Ensuite (1122a29), il montre quels sont les vices opposés à la magnificence. Il dit que le vice opposé à l'habitus de magnificence par mode de défaut s'appelle mesquinerie10, tandis que le vice qui s'y oppose par mode d'excès s'appelle banausie 11, de bannos, qui veut dire fourneau12. C'est que de pareilles personnes consument tous leurs biens comme dans une fournaise. On les appelle aussi des gens sans goût, pour autant que sans expérience du bien, car ils sont dépourvus d'expérience de la manière dont il faut réaliser le bien; il y a aussi d'autres pareilles dénominations. Mais elles impliquent l'excès non en ce que [ces gens] dépassent le magnifique quant à la grandeur de dépenses [appliquées] à quoi il faut dépenser, mais en ce qu'ils dépassent la raison droite, en faisant de grands frais, avec un certain éclat, mais à quoi il ne faut pas. De là appert que le milieu et les extrêmes, dans les vertus morales, ne se prennent pas selon la quantité absolue, mais en rapport à la raison droite. Il ajoute qu'on parlera de ces vices plus loin dans le même chapitre (#784-791). |
[73416] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 6 Deinde cum dicit: magnificus autem etc., ostendit
quomodo magnificentia et opposita vitia circa praedictam materiam se habeant.
Et primo determinat de magnificentia. Secundo de vitiis oppositis, ibi,
superabundans autem et bannausus et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ponit quasdam proprietates magnifici, pertinentes ad modum expendendi.
Secundo ostendit, in quibus magnificus expendat, ibi, est autem sumptuum et
cetera. Circa primum ponit sex proprietates magnifici. Quarum prima est, quod
magnificus assimilatur scienti. Quia scilicet, sicut ad scientem artificem pertinet
cognoscere proportionem unius ad aliud, ita etiam ad magnificum pertinet
cognoscere proportionem expensarum ad id in quo fiunt expensae. Potest enim
magnificus ex virtute habitus sui considerare quid deceat expendere; et sic
faciet magnas expensas prudenter, quod requiritur ad omnem virtutem moralem,
ut scilicet prudenter operetur. |
Chapitre 5 La
magnificence résulte des dépenses dont la qualité est pour nous du plus haut
prix : ce seront, par exemple, celles qui concernent les dieux, comme
les offrandes votives, les édifices, les sacrifices ; pareillement
celles qui touchent à tout ce qui présente un caractère religieux ou encore
celles qu’on ambitionne de faire pour l’intérêt public, comme l’obligation
dans certains endroits d’organiser un chœur avec faste, ou d’équiper une
trirème ou même d’offrir un repas civique. Mais dans tous ces cas, comme nous
l’avons dit on doit apprécier la dépense par référence à l’agent lui-même,
c’est-à-dire se demander à quelle personnalité on a affaire et de quelles
ressources il dispose : car la dépense doit répondre dignement aux
moyens, et être en convenance non seulement avec l’œuvre projetée, mais
encore avec son exécutant. C’est pourquoi un homme pauvre ne saurait être
magnifique, parce qu’il ne possède pas les moyens de faire de grandes
dépenses d’une manière appropriée, et toute tentative en ce sens est un
manque de jugement, car il dépense au-delà de ce qu’on attend de lui et de ce
à quoi il est tenu, alors que l’acte conforme à la vertu est celui qui est
fait comme il doit l’être. |
#712. — Ensuite (1122a34), il montre comment la magnificence et les vices opposés portent sur la matière annoncée. En premier, il traite de la magnificence, En second (1123a19), des vices opposés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente quelques propriétés du magnifique, concernant la manière de dépenser. En second (1122b19), il montre à quoi le magnifique dépense. Sur le premier [point], il présente six propriétés du magnifique. La première en est que le magnifique s'assimile au savant. C'est que, de même qu'il appartient à l'artisan savant de connaître la proportion d'une [chose] à une autre, de même aussi il appartient au magnifique de connaître la proportion des dépenses avec ce à propos de quoi se font les dépenses. Le magnifique peut, en effet, en vertu de son habitus, planifier ce qu'il convient de dépenser; et ainsi il fera de grandes dépenses prudemment, ce qui est requis à toute vertu morale, à savoir, d'agir prudemment. |
[73417] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 7 Hoc autem quod dictum est, manifestat per hoc quod
supra dictum est in secundo, quod quilibet habitus determinatur per
operationes, et per obiecta quorum est habitus: quia scilicet determinati
habitus sunt determinatorum operationum et obiectorum. Et quia operationes
magnificentiae sunt expensae, et obiecta operationum sunt ea in quibus fiunt
expensae magnae, consequens est, quod ad magnificum pertineat considerare et
facere magnos sumptus et convenientes, quod non potest fieri sine prudentia.
Oportet etiam quod opera, id est operata, sint talia, id est magna et
decentia; per hunc enim modum expensae erunt magnae et convenientes operi
operato, puta domui aedificandae, vel alicui huiusmodi. Sic igitur oportet,
quod opus, in quo fiunt expensae sit tale quod sit dignum huiusmodi sumptu,
id est expensa, sumptum autem, id est expensam, oportet esse talem ut
proportionetur operi vel quod etiam superabundet. Quia enim difficillimum est
medium attingere, si contingat a medio declinare, semper virtus declinat in
id quod minus habet de malo, sicut fortis in minus timendo et liberalis (in
plus) dando, et similiter magnificus in plus expendendo. |
Mais
les dépenses de magnificence conviennent à ceux qui sont en possession des
moyens appropriés, provenant soit de leur propre travail, soit de leurs ancêtres,
soit de leurs relations ou encore aux personnes de haute naissance, ou aux
personnages illustres, et ainsi de suite, car toutes ces distinctions
emportent grandeur et prestige. Tel est donc avant tout l’homme magnifique,
et la magnificence se montre dans les dépenses de ce genre ainsi que nous
l’avons dit car ce sont les plus considérables et les plus honorables. Parmi
les grandes dépenses d’ordre privé, citons celles qui n’ont lieu qu’une fois,
a par exemple [1123a] un mariage ou un événement analogue, et ce qui
intéresse la cité tout entière, ou les personnes de rang élevé ; ou
encore pour la réception ou le départ d’hôtes étrangers, ainsi que dons et
rémunérations. Le magnifique, en effet, ne dépense pas pour lui-même, mais
dans l’intérêt commun, et ses dons présentent quelque ressemblance avec les
offrandes votives. |
#713. — Ce qui est dit, le Philosophe le manifeste avec ce qui a été dit plus haut, au second [livre] (#322), que tout habitus est déterminé par les actions et par les objets dont il est l'habitus. C'est que des habitus déterminés portent sur des actions et des objets déterminés. Comme les actions de la magnificence sont des dépenses, et que les objets de ces actions sont ceux à propos desquels se font de grandes dépenses, il s'ensuit qu'il appartient au magnifique de planifier et de faire les grands frais qui conviennent, ce qui ne peut se faire sans prudence. C'est de cette manière, en effet, que les dépenses seront grandes, et convenables à [chaque] action, par exemple, à la construction d'une maison, ou à quelque chose de la sorte. Ainsi donc, il faut que l'œuvre à propos de laquelle se font les dépenses soit telle qu'elle soit digne de frais, c'est-à-dire, de dépenses, de la sorte: il faut que les frais, c'est-à-dire, les dépenses, soient proportionnés à l'œuvre, ou qu'ils soient en excès. Comme, en effet, il est très difficile d'atteindre le milieu, s'il y a risque de s'éloigner du milieu, la vertu s'en éloigne toujours du côté qui comporte le moins de mal, comme on dit que le courageux, c'est à moins craindre, et le libéral à donner; de même, le magnifique, c'est à dépenser trop. |
[73418] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 8 Secundam proprietatem ponit ibi: consumet autem et
cetera. Quae sumitur ex parte finis. Et dicit, quod magnificus consumet,
scilicet expendendo, talia magna et decentia propter bonum honestum sicut
propter finem; operari enim propter bonum est commune in omnibus virtutibus. |
C’est
aussi le fait d’un homme magnifique que de se ménager une demeure en rapport
avec sa fortune (car même une belle maison est une sorte de distinction), et
ses dépenses devront même porter de préférence sur ces travaux, qui sont
destinés à durer (car ce sont les plus nobles), et en chaque occasion il
dépensera ce qu’il est séant de dépenser. |
#714. — Il présente ensuite une seconde propriété (1122b6), qui se prend du côté de la fin. Il dit que le magnifique consomme en faisant ainsi de grandes et décentes dépenses à cause d'un bien honorable comme en vue de sa fin. Agir en vue du bien est commun à toutes les vertus. |
[73419] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 9 Tertiam proprietatem ponit ibi: et adhuc delectabiliter
et cetera. Et dicit, quod ad magnificum pertinet delectabiliter magna
expendere, et emissive, idest prompte, et sine difficultate emittendo.
Quia quod aliquis sit multum diligens in ratiocinio, id est in
computatione expensarum, pertinet ad parvificentiam. |
Ce
ne sont pas, en effet, les mêmes dons qui conviennent à des dieux et à des
hommes, pour un temple et pour un tombeau. |
#715. — Il présente ensuite une troisième propriété (1122b7), et il dit qu'il appartient au magnifique de dépenser gros avec plaisir et avec profusion, c'est-à-dire, promptement, sans difficulté à se départir[23]. Car que l'on soit très diligent aux comptes, c'est-à-dire, au calcul des dépenses, appartient à la mesquinerie. |
[73420] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 10 Quartam proprietatem ponit ibi: et qualiter optimum et
cetera. Et dicit, quod magnificus magis intendit quomodo faciat opus optimum
et decentissimum, quam quomodo minimum possit expendere ad opus intentum
faciendum. |
Et
puisque chaque forme de dépense peut être grande dans le genre considéré, et,
bien que la plus magnifique de toutes soit une grande dépense pour une grande
chose, que dans tel cas particulier la plus magnifique est celle qui est
grande dans le cas en question ; puisque, de plus, la grandeur existant
dans l’œuvre réalisée est différente de celle existant dans la dépense (car
la plus jolie balle à jouer ou la plus belle fiole est une chose magnifique
pour un cadeau à un enfant, quoique son prix soit modeste et mesquin),
− il s’ensuit de tout cela que ce qui caractérise l’homme magnifique,
c’est, quel que soit le genre de résultat auquel il aboutit, de le réaliser
avec magnificence (un pareil résultat n’étant pas facile à dépasser) et d’une
façon qui réponde dignement à la dépense. |
#716. — Il présente ensuite une quatrième propriété (1122b8), et il dit que le magnifique entend plus comment faire l'œuvre la meilleure et la plus décente que comment on pourrait dépenser le moins pour réaliser l'œuvre visée. |
[73421] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 11 Quintam proprietatem ponit ibi: necessarium autem et
cetera. Et dicit, quod necessarium est quod magnificus sit liberalis. Quia ad liberalem
pertinet expendere ea quae oportet et sicut oportet. Et hoc etiam magnificus expendit; expendit enim circa
magna et decentia opera, ut dictum est. Et hoc facit delectabiliter et
emissive et propter bonum. Sed ad magnificum proprie pertinet, quod aliquid
magnum circa hoc faciat, ac si magnificentia nihil aliud sit quam quaedam magnitudo
liberalitatis circa praedicta. |
|
#717. — Il présente ensuite une cinquième propriété (1122b10), et il dit qu'il est nécessaire que le magnifique soit libéral. Car il appartient au libéral de dépenser ce qu'il faut et comme il faut. Le magnifique touche aussi à cela, car il dépense à des œuvres grandes et décentes, comme on l'a dit (#708). Et il fait cela avec plaisir, avec profusion et en vue du bien. Mais il appartient proprement au magnifique de faire quelque chose de grand à ce propos, et la magnificence n'est rien d'autre qu'une grandeur de libéralité portant sur les [objets] dont on a parlé. |
[73422] Sententia Ethic., lib. 4 l. 6 n. 12 Sextam proprietatem ponit ibi: et ab aequali sumptu et
cetera. Et dicit quod dum magnificus in aliquo magno opere facit magnas
expensas, constituit opus magis magnificum ex aequalitate expensarum. Quia
non ad idem pertinet virtus, idest ultimum et optimum in possessione
divitiarum et in opere quo divitiae expenduntur. Quia virtus, idest
maximum et optimum in possessionibus, est illud quod est plurimo pretio
dignum et quod homines maxime honorant, idest appretiantur. Sed virtus operis
est, quod sit magnum et bonum. Quia consideratio talis operis inducit
admirationem. Et tale est opus magnificentiae, ut scilicet sit admirabile. Et
sic patet, quod virtus operis, idest optima excellentia eius, est
secundum magnificentiam cum magnitudine expensarum. |
|
#718. — Il présente ensuite une sixième propriété (1122b13), et il dit que lorsque le magnifique consacre de grandes dépenses à une grande œuvre, à égalité de dépenses, c'est lui qui constitue l'œuvre la plus magnifique. Car ce n'est pas à la même [chose] que vise la vertu, c'est-à-dire, l'ultime et le meilleur, dans la possession de richesses et dans l'œuvre pour laquelle on dépense des richesses. Car la vertu, c'est-à-dire, le plus grand et le meilleur, dans les possessions, est ce qui vaut le plus haut prix, c'est-à-dire, l'or, et ce que les hommes honorent, c'est-à-dire, apprécient le plus. Mais la vertu de l'œuvre, c'est qu'elle soit grande et bonne. Car c'est la contemplation d'une telle œuvre qui provoque l'étonnement. Or tel est l'objet de la magnificence, à savoir, d'étonner. Ainsi appert-il que la vertu de l'œuvre, c’est-à-dire, son excellence la meilleure, se conforme à la magnificence avec grandeur de dépenses. |
|
|
|
Lectio
7 |
Leçon 7 : [La magnificence (suite)] |
Leçon 7 |
[73423] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 1 Est autem sumptuum et
cetera. Postquam philosophus ostendit qualiter magnificus se habeat in
expendendo, hic ostendit in quibus magnificus expendat. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit in quibus expendit magnificus; secundo ostendit quomodo
servat proportionem sumptuum ad ea in quibus expendat, ibi, et in singulis
decens, et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit in quibus
principaliter magnificus expendat. Secundo, in quibus expendat secundario,
ibi propriorum autem et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quae
sunt principalia, in quibus magnificus expendit; secundo ostendit ad quos pertineat
in talibus expendere, ibi, in omnibus autem quemadmodum dictum est, et
cetera. Tertio epilogat quod dictum est, ibi, maxime quidem igitur, et
cetera. Dicit
ergo primo, quod magnificus facit sumptus circa ea quae sunt maxime
honorabilia. Huiusmodi autem sunt duorum generum. Primum genus est eorum quae
pertinent ad res divinas, puta cum aliqua donaria reponuntur in templis
deorum, et praeparationes, puta templorum aedificia, vel aliquid aliud
huiusmodi. Et etiam sacrificia ad idem
pertinent. Gentiles autem non solum colebant deos, idest quasdam substantias
separatas, sed etiam colebant Daemones, quos dicebant esse medios inter deos
et homines. Et ideo subdit, quod ad idem genus pertinet quicquid expenditur
circa cultum cuiuscumque Daemonis. Et loquitur hic philosophus secundum
consuetudinem gentilium, quae nunc manifestata veritate est abrogata, unde,
si aliquis nunc circa cultum Daemonum aliquid expenderet, non esset
magnificus, sed sacrilegus. |
|
#719. — Après avoir montré de quelle manière le magnifique se comporte quand il dépense, le Philosophe montre ici à quoi principalement le magnifique dépense. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre à quoi le magnifique dépense. En second (1123a9), il montre comment il conserve la proportion des frais avec ce à quoi il dépense. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose à quoi principalement le magnifique dépense. En second (1122b35), à quoi il dépense secondairement. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quelles sont les principales [œuvres] à quoi le magnifique dépense. En second (1122b23), il montre à qui il appartient de dépenser à de telles [œuvres]. En troisième (1122b33), il conclut ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que le magnifique fait des frais à propos de ce qui est le plus honorable. Il y en a deux genres. Le premier en est ce qui touche aux affaires divines, par exemple, les offrandes déposées dans les temples des dieux, et les aménagements[24], par exemple, les édifices des temples, ou autre chose de la sorte. Les sacrifices appartiennent aussi au même [genre]. Par ailleurs, les gentils ne vouaient pas des cultes seulement aux dieux, c'est-à-dire, à des substances séparées, mais ils en vouaient aussi aux démons, qu'ils disaient intermédiaires entre dieux et hommes. C'est pourquoi il ajoute qu'appartient au même genre tout ce qui est dépensé en rapport au culte de quelque démon. Le Philosophe parle ici selon la coutume des gentils, abrogée une fois la vérité manifestée. Aussi, si, maintenant, on dépensait pour le culte d'un démon, on ne serait pas magnifique, mais sacrilège. |
[73424]
Sententia Ethic., lib. 4 l. 7 n. 2 Secundum autem genus
honorabilium sumptuum sunt ea quae magnifice fiunt per respectum ad bonum
publicum, puta quod aliquis ad aliquid utile communitati praeclare et
magnifice largiatur, quod oportet. Vel si aliquod officium committitur alicui
a civitate, puta quod sit princeps trieris, idest exercitus navium,
vel galearum, quod circa executionem officii faciat magnos sumptus. Vel etiam
quod convivium faciat toti civitati, sicut solitum erat apud ---, ut habetur
in II politicae. |
|
#720. — Le second genre de frais honorables, ce sont ceux que l'on fait avec magnificence en rapport au bien public. Par exemple, si on fait cadeau, avec éclat et magnificence, d'une chose utile à la communauté, comme il le faut. Ou si on se fait attribuer une charge par la cité, par exemple, si on est chef de trière, c'est-à-dire, d'une flotte de navires, ou de galères, et que, dans l'exécution de sa charge, on fasse de grands frais. Ou encore, si on offre un repas commun à toute la communauté, comme il y en avait habitude, ainsi qu'on en traite, au second [livre] de la Politique (ch. 6; lect. 14). |
[73425] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 3 Deinde cum dicit: in
omnibus autem etc., ostendit quibus competat tales sumptus facere. Et circa
hoc tria facit. Primo ostendit in generali quibus competat tales sumptus
facere; secundo concludit in speciali, quibus non competat, ibi: propter quod
inops quidem etc.; tertio ostendit in speciali quibus competat, ibi, decet
autem et eos et cetera. Dicit ergo primo, quod in omnibus quae expenduntur,
sicut supra dictum est, oportet haberi respectum, non solum ad ea in quibus expenditur,
(sed etiam ad eum qui expendit,) ut scilicet consideretur quis est qui
expendit, utrum scilicet sit princeps vel privata persona, nobilis aut
ignobilis; et etiam consideretur quas possessiones habeat, utrum scilicet
magnas vel parvas. Oportet enim expensas esse dignas, idest bene
proportionatas his, scilicet conditioni personae et divitiis, ita quod
expensae non solum deceant tale opus in quo expenditur, sed etiam deceant
facientem. |
|
#721. — Ensuite (1122b23), il montre à qui il revient de faire de tels frais. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre en général à qui il revient de faire de tels frais. En second (1122b26), il conclut en particulier à qui cela ne revient pas. En troisième (1122b29), il montre en particulier à qui cela revient. Il dit donc, en premier, qu'en toute dépense, comme on l'a dit plus haut (#712-713), il ne faut pas avoir regard seulement sur ce à quoi on dépense, mais que l'on tienne compte de qui dépense, si c'est un chef, ou une personne privée, un noble ou un roturier; et que l'on tienne compte aussi des possessions qu'il a, si [elles sont] grandes ou petites. Il faut, en effet, que les dépenses soient dignes, c'est-à-dire, bien proportionnées quant à cela, à savoir, quant à la condition de la personne et à ses richesses, de sorte que les dépenses non seulement conviennent pour telle œuvre à laquelle on dépense, mais aussi conviennent pour celui qui les fait. |
[73426] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 4 Deinde cum dicit propter
quod inops etc., concludit quos non deceant tales sumptus. Et dicit, quod
propter praedicta inops, idest qui habet parvas divitias, non potest
esse magnificus, quia non habet tot ex quibus possit convenienter multa
consumere. Et si tentet ultra posse expendere, erit insipiens, quia hoc erit
praeter dignitatem et praeter id quod fieri oportet et ita non pertinet ad
virtutem magnificentiae. Quia secundum virtutem omnia fiunt recte
idest secundum quod oportet. |
|
#722. — Ensuite (1122b26), il conclut quels frais ne conviennent pas. Il dit qu'en raison de ce qui précède, le démuni14, c'est-à-dire, celui qui a de médiocres richesses, ne peut être magnifique, parce qu'il n'a pas assez pour pouvoir employer beaucoup de manière convenable. Et s'il tentait de dépenser davantage, il serait sot, parce que cela irait contre la dignité, et sortirait de ce qu'il faut faire. Ainsi, cela ne rejoint pas la vertu de magnificence. Car avec vertu, tout se fait correctement, c'est-à-dire, selon ce qu'il faut. |
[73427] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 5 Deinde cum dicit: decet
autem et eos etc., ostendit quos deceat facere praedictos sumptus. Et accipit
hoc secundum duo. Primo quidem secundum quantitatem divitiarum. Unde dicit
quod praedictos sumptus facere decet illos homines quibus talia praeexistunt,
id est qui habent magnas divitias ex quibus possunt multa consumere decenter,
sive habeant huiusmodi divitias abundantes per seipsos, puta acquirendo eas
per propriam industriam sive etiam habeant eas per progenitores quibus
succedunt, sive etiam per quoscumque alios, per quos ad eos transeunt
divitiae; puta cum relinquuntur haeredes extraneorum. |
|
#723. — Ensuite (1122b29), il montre à qui il convient de faire les frais mentionnés. Il prend cela d'après deux [points de vue]. En premier, certes, d'après la quantité de richesses. Aussi dit-il que doivent faire les frais mentionnés les gens qui possèdent déjà de cette façon, c’est-à-dire, qui ont de grandes richesses dont ils peuvent employer beaucoup de manière décente, soit qu'ils aient d'eux-mêmes de ces abondantes richesses, par exemple, en les acquérant avec leur propre travail, ou même qu'ils les aient de leurs parents, par succession, soit encore d'autres de qui des richesses passent à eux, par exemple, en héritant d'étrangers. |
[73428]
Sententia Ethic., lib. 4 l. 7 n. 6 Secundo autem accipit
propositum per conditionem personarum. Decet
enim, quod faciant magnos sumptus nobiles genere et gloriosos, puta in
honoribus constitutos, et quaecumque similia sunt; omnia enim huiusmodi
habent in se quamdam magnitudinem, et quamdam dignitatem, ut deceat tales
magnos sumptus facere. |
|
#724. — En second, il aborde le propos par la condition des personnes. Il convient, en effet, que fassent de grands frais les nobles de naissance et les gens fameux, entourés d'honneurs, et toute personne semblable. Tous les gens de la sorte détiennent en effet une certaine grandeur, et une certaine dignité, de sorte qu'il convient qu'ils fassent pareils grands frais. |
[73429] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 7 Deinde cum dicit: maxime
quidem igitur etc., epilogat quae dicta sunt. Et dicit, quod talis est
magnificus qualis supradictus est. Et in talibus sumptibus est magnificentia,
sicut dictum est, scilicet in rebus divinis et communibus: huiusmodi enim
inter omnia humana sunt maxima et honorabilissima. |
|
#725. — Ensuite (1122b33), il conclut ce qui a été dit. Il dit que tel est le magnifique, comme on vient de le dire. Et c'est en de tels frais que réside la magnificence, comme il a été dit (#719-720), à savoir, dans les affaires divines et communes: ce sont là, en effet, entre les affaires humaines, les plus grandes et les plus honorables. |
[73430] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 8 Deinde cum dicit
propriorum autem etc., ostendit in quibus secundario magnificus expendit. Et
ponit circa hoc tres gradus. Quorum primus est quod magnificus magnos sumptus
facit in his quae proprie ad ipsum pertinent, quae semel tantum fiunt, puta
nuptiae, militia et si aliquid tale est. |
|
#726. — Ensuite (1122b35), il montre à quoi, secondairement, le magnifique dépense. Il présente trois degrés. Le premier en est que le magnifique applique de grands frais à ce qui le touche proprement, mais qui ne se fait qu'une fois; par exemple, à des noces, au service militaire, et à toute chose de la sorte. |
[73431] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 9 Secundum gradum ponit ibi,
et (si) circa aliquid et cetera. Et dicit, quod si tota civitas vel principes
civitatis student ad aliquid faciendum, et circa hoc faciet magnos sumptus
magnificus. Sicut si oporteat honorifice suscipere aliquos extraneos, puta
principes vel reges, vel si oporteat eis mittere magna exenia, vel etiam si
oporteat eis praesentialiter dona magna offerre. Vel si oporteat eis
retribuere pro aliquibus beneficiis impensis, in omnibus his magnos sumptus
faciet magnificus. Magnificus enim non est sumptuosus in se ipsum, ut
scilicet multum expendat in proprium usum. Sed facit magnos sumptus in
communia. Dona autem, quae magnifice aliquibus dantur, habent aliquid simile
cum his quae Deo consecrantur, quia scilicet sicut Deo dona consecrantur, non
quia eis Deus indigeat, sed propter reverentiam et honorem, ita etiam et
magnis viris dona offeruntur magis propter honorem, quam propter indigentiam.
|
|
#727. — Il présente ensuite le second degré (1123a1). Il dit que si toute la cité ou le chef de la cité entreprennent de faire quelque chose, et qu'il fasse aussi à ce propos de grands frais, il sera magnifique. Ainsi, s'il s'agit de recevoir avec honneur des étrangers, par exemple, des chefs ou des rois, s'il s'agit de leur envoyer d'importantes gratifications, ou encore s'il s'agit de leur offrir en leur présence de grands dons. Ou s'il s'agit de dépenser en vue de les rétribuer pour des bénéfices. En tout cela, le magnifique fera de grands frais. Il n'est pas dépensier, en effet, pour lui-même, de sorte qu'il dépenserait beaucoup à son propre usage. Mais il fait de grands frais en rapport aux [affaires] publiques. Les dons, d'ailleurs, que l'on donne à d'autres avec[25] magnificence, ont quelque chose de semblable à ce que l'on donne à Dieu, parce que, de même qu'on consacre des dons à Dieu non pas parce que Dieu en a besoin, mais par révérence et honneur, de même aussi on offre des dons aux grands hommes plus par honneur que par besoin. |
[73432] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 10 Tertium gradum ponit ibi,
magnifici autem et cetera. Et dicit quod ad magnificum etiam pertinet
praeparare domum convenienter propriis divitiis. Quia habere decentem domum
pertinet ad hominis ornatum. Et in aedificiis faciendis magis intendit
magnificus facere sumptus circa opera diuturna et permanentia, quam circa
aliquos fragiles ornatus; puta circa columnas marmoreas in domo, quam circa
fenestras vitreas. Ista enim, quae sunt magis permanentia, sunt optima. |
|
#728. — Il présente ensuite le troisième degré (1123a6). Il dit qu'il appartient à la magnificence de se pourvoir d'une maison qui convienne à ses richesses propres. Car d'avoir une maison qui lui convienne rehausse la valeur d'un homme. Dans les édifices à construire, le magnifique privilégie les frais appliqués à des œuvres durables et permanentes plutôt qu'à des appareils fragiles; par exemple, dans une maison, à des colonnes de marbre dans une maison plutôt qu'à des fenêtres en vitre. En effet, le plus permanent est le meilleur. |
[73433] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7 n. 11 Sic igitur ex praedictis patet, quod magnificus
principaliter expendit circa res divinas et publicas. Sed circa ea quae
pertinent ad privatas personas expendit secundario propter tres conditiones.
Primo, quia semel fiunt. Secundo, quia communiter ad hoc insistitur. Tertio, quia sunt diuturna. Haec enim sunt quae
afferunt etiam rebus privatis magnitudinem. |
|
#729. — Ainsi donc, il appert de ce qui précède que le magnifique dépense principalement aux choses divines et publiques. Mais à propos de ce qui revient aux personnes privées, il dépense secondairement à trois conditions. En premier, que cela ne se fasse qu'une fois; en second, du fait d'y être poussé par la communauté; en troisième, pourvu que cela soit durable. C'est cela, en effet, qui apporte de la grandeur dans les matières privées. |
[73434] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 12 Deinde cum dicit: (et) in
singulis decens etc., ostendit quomodo magnificus conservat debitam
proportionem sumptuum ad ea in quibus expendit. Et dicit, quod magnificus in
singulis expendit illud quod decet, et secundum speciem, et secundum
quantitatem. Manifestum est enim quod non idem secundum speciem aut
quantitatem congruit exhibere diis et hominibus, neque in templo et sepulcro construendo.
Hoc
tamen observabit, quod semper faciet magnum sumptum in genere illo. Unde
magnificentissimum erit quando in magno facto magnum sumptum facit, sed hic,
idest in hoc facto, faciet id quod est magnum in tali genere. Et ita
quandoque differt magnum respectu operis ab eo quod est simpliciter magnum in
expensa: puta, quod aliquis faciat pulcherrimam sphaeram, idest pilam,
vel lecythum, idest aliquod vasculum ad dandum alicui puero, habet
magnificentiam in genere puerilis doni, et tamen pretium pulcherrimae
sphaerae secundum se consideratum est parvum, et non pertinens ad liberalem
donationem. Et propter hoc manifestum est, quod ad magnificum pertinet ut in
quolibet genere magnum aliquod opus faciat. In quo etiam facit sumptus
secundum operis dignitatem; tale autem factum, scilicet quod est in genere
suo magnum et habet sumptus convenientes, non est de facili superabile. |
|
#730. — Ensuite (1123a9), il montre comment le magnifique conserve la due proportion des frais avec ce à quoi il dépense. Il dit que le magnifique dépense à chaque chose ce qui convient, selon sa nature et sa quantité. Il est manifeste, en effet, que ce n'est pas la même [chose] en nature ou quantité qu'il convient d'offrir aux dieux et aux hommes, ni dans la construction d'un temple et d'un sépulcre. Il s'en tiendra à ceci, cependant, qu'il fera toujours de grands frais dans le genre [concerné]. Aussi, il sera le plus magnificent quand il fera de grands frais à propos d'un grand événement, mais ici, c'est-à-dire, dans chaque événement [concerné], il fera ce qui est grand en son genre. Aussi, le grand comme dépenses en regard d'une œuvre diffère parfois de l'absolument grand; par exemple, de faire une très belle sphère, c'est-à-dire, une balle, ou un flacon, c'est-à-dire, un petit vase, pour donner à un enfant, a de la magnificence dans le genre du don enfantin, même si le prix d'une très belle sphère, considéré en soi, est petit, et n'appartient pas à la donation libérale. À cause de cela il est manifeste qu'il appartient au magnifique qu'en n'importe quel genre il fasse quelque chose de grand. En cela, aussi, il fera des frais selon la dignité de l'œuvre. Or pareille action, grande en son genre, comportant les frais convenables, n'est pas facile à dépasser. |
[73435] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7 n. 13 Ultimo autem epilogando concludit, quod magnificus est
talis, qualis dictus est. |
|
#731. — Enfin, il conclut que le magnifique est tel qu'on l'a dit. |
[73436] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7 n. 14 Deinde cum dicit superabundans autem etc., determinat
de oppositis vitiis. Et primo de superabundantia. Secundo de defectu, ibi,
parvificus autem, et cetera. Tertio determinat communiter de utroque, ibi,
sunt quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod ille qui superabundat in
sumptibus magnis, qui vocatur bannausus quasi in fornace sua consumens,
excedit magnificum non quidem in absoluta sumptuum quantitate, sed in
expendendo praeter id quod oportet; quia in superfluis sumptibus multa
consumit, et vult splendidos sumptus facere praeter melodiam, idest
praeter debitam proportionem (quod parabolice sive metaphorice dictum est),
puta quia facit nuptialia convivia histrionibus et comoedis, idest
repraesentatoribus multa tribuit et viam cooperit purpura, sicut faciunt
Megares qui erant quidam cives Graeciae. Et omnia haec et similia facit, non
propter aliquod bonum, sed solum ad ostentandum divitias, et propter hoc
existimat quod in admiratione habeatur. Nec tamen ubique superflue expendit;
sed quandoque deficit; quia ubi oporteret multa expendere, ibi expendit
pauca, et ubi oporteret pauca expendere, ibi expendit multa, quia non
attendit ad bonum, sed ad vanitatem. |
|
#732. — Ensuite (1123a19), il traite des vices opposés. En premier de l'excès. En second (1123a27), du défaut. En troisième (1123a31), il traite de manière commune de l'un et l'autre. Il dit donc, en premier, que celui qui commet de l'excès dans les grands frais, celui que l'on appelle vulgaire15, au sens qu'il consume ses [biens] comme dans une fournaise, dépasse le magnifique non pas certes en quantité absolue de frais, mais en dépensant en dehors de ce qu'il faut; car il emploie beaucoup à des frais superflus, et il veut faire des frais splendides en dehors de la mélodie, c’est-à-dire, en dehors de la due proportion, à le dire en parabole ou métaphore. Par exemple, parce qu'il fait des repas nuptiaux avec danseurs et comédiens — il paie beaucoup à des représentateurs — et qu'il couvre entièrement le chemin de pourpre, comme le font les Mégariens, qui étaient des citoyens de la Grèce. Il fait tout cela et autres pareilles [choses] non en vue d'un bien, mais seulement pour montrer ses richesses, estimant qu'on le tient en admiration pour cela. Pourtant, il ne va pas dépenser partout de manière superflue; au contraire, il fait parfois défaut, parce qu'où il faudrait beaucoup dépenser, il dépense peu; et où peu, il dépense beaucoup. C'est qu'il ne porte pas attention au bien, mais à la vanité. |
[73437] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 15 Deinde cum dicit:
parvificus autem etc., determinat de vitio defectus. Et dicit quod parvificus
est qui circa omnia deficit. Et ponit quinque proprietates eius. Quarum prima
est quod, cum faciat magnas expensas pro modico, perdit quod non bene facit.
Secunda proprietas est quod quicquid facit in sumptibus facit cum quadam
tarditate. Tertia est quod semper intendit qualiter possit minimum expendere.
Quarta est quod expendit cum tristitia. Quinta est quod omnia reputat se
maiora facere quam oporteat. Videtur enim ei quod oporteret eum minus
expendere. |
|
#733. — Ensuite (1123a27), il traite du vice par défaut. Il dit que le mesquin est celui qui manque pour tout. Il présente cinq propriétés. La première en est que, lorsqu'il se met à de grandes dépenses, il gâche le tout, pour une petite chose qu'il ne fait pas bien. La seconde propriété est que tout ce qu'il fait de frais, il le fait avec hésitation. La troisième est qu'il calcule toujours de quelle manière il pourrait[26] dépenser le moins. La quatrième est qu'il dépense avec tristesse. La cinquième est que, en tout ce qu'il dépense, il croit faire plus qu'il ne faudrait. Il lui paraît, en effet, qu'il lui faut dépenser moins. |
[73438] Sententia Ethic., lib. 4 l. 7
n. 16 Deinde cum dicit: sunt
quidem igitur etc., determinat communiter de utroque vitio. Et concludit ex
praedictis quod praedicti duo habitus sunt quidem malitiae propter hoc quod
contrariantur virtuti (per) recessum a medio, non tamen sunt opprobriosi,
quia neque inferunt aliquod nocumentum proximo neque sunt multum turpes eo
quod difficile est in magnis sumptibus non recedere a medio. |
|
#734. — Ensuite (1123a31), il traite communément de l'un et l'autre vice. Il conclut que les deux habitus qui précèdent sont des malices, à cause du fait qu'ils contrarient à la vertu en s'écartant du juste milieu. Ils ne sont cependant pas dignes d'opprobre, parce qu'ils n'apportent pas de dommage au prochain, et ne comportant pas beaucoup de honte, du fait qu'il est difficile, en matière de grands frais, de ne pas s'écarter du juste milieu. |
|
|
|
Lectio
8 |
Leçon 8 : [La magnanimité, vertu des honneurs] |
Leçon 8 |
|
IL COMMENCE A TRAITER DE LA MAGNANIMITE, ET IL MONTRE, D'APRES LA SIGNIFICATION DU MOT, QUI L'ON DOIT JUGER COMME VRAIMENT MAGNANIME. |
|
[73439] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 1 Magnanimitas autem circa
magna quidem et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtutibus quae
sunt circa pecunias, hic determinat de virtutibus quae sunt circa honores. Et
primo de magnanimitate quae est circa magnos honores. Secundo de quadam
virtute innominata quae est circa moderatos honores, ibi, videtur autem et
circa hunc esse virtus quaedam et cetera. Circa primum duo facit. Primo
investigat materiam magnanimitatis et oppositorum vitiorum. Secundo
determinat actus et proprietates eorum, ibi: maxime quidem igitur circa
honores et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit.
Secundo manifestat propositum, ibi: videtur magnanimus esse et cetera. Dicit
ergo primo quod ex ipso nomine magnanimitatis apparet quod magnanimitas est
circa magna. Oportet autem primo accipere circa qualia magna sit. Et
determinat de modo considerationis, quod nihil differt utrum loquamur de ipso
habitu magnanimitatis, vel de eo qui disponitur secundum habitum,
idest de magnanimo. |
735.- Après avoir étudié les vertus qui portent sur les richesses, le Philosophe traite ici des vertus qui portent sur les honneurs. Et, en premier, il parle de la magnanimité qui a comme matière les grands honneurs. En second, il traite d’une certaine vertu anonyme qui porte sur les honneurs de moindre grandeur, sur les honneurs modérés. Il divise son premier point en deux parties. En premier, il recherche la matière de la magnanimité et des vices opposés. En second, il détermine leurs actes et leurs propriétés. Il subdivise sa première partie en deux. En premier, il propose ce qu'il veut manifester; en second, il manifeste sa proposition. Il dit donc en premier que, par son nom même, on peut voir que la magnanimité a comme domaine les grandes choses. Il faut donc en premier se demander sur quelles sortes de grandes choses elle porte, Puis il dit un mot sur la manière de considérer cette question, en soulignant qu’il importe peu de traiter de l'habitus même de la magnanimité ou de celui qui possède cette vertu, C’est-à-dire du magnanime. |
#735. — Après avoir traité des vertus qui portent sur l'argent, le Philosophe traite ici des vertus qui portent sur les honneurs. En premier, de la magnanimité, qui porte sur les grands honneurs. En second (1125b1), d'une vertu sans nom qui porte sur les honneurs modérés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il investigue la matière de la magnanimité et des vices opposés. En second (1124a12), il traite de leurs actes et de leurs propriétés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1123b1), il manifeste son propos. Il dit donc, en premier: par le nom même de la magnanimité il apparaît que la magnanimité porte sur de grandes [choses]. Aussi faut-il découvrir, en premier, sur quelle sorte de grandes [choses] elle porte. Il traite aussi de sa méthode de recherche, qui tient à ce qu'il n'y a aucune différence à parler de l'habitus même de magnanimité, ou de celui qui se trouve disposé conformément à cet habitus, c’est-à-dire, du magnanime. |
[73440] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 2 Deinde cum dicit: videtur
autem magnanimus esse etc., manifestat propositum. Et circa hoc duo facit.
Primo manifestat materiam magnanimitatis in generali. Secundo in speciali,
ibi, si autem utique magnis et cetera. Circa primum tria facit: primo
ostendit quod magnanimitas est circa magna. Secundo ostendit quomodo circa
eadem fiunt vitia opposita, ibi, qui autem magnis seipsum dignum facit etc.;
tertio ostendit quomodo virtus in medio consistit, ibi: est autem magnanimus
et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit: dicens quod
ille videtur esse magnanimus qui dignum seipsum aestimat magnis, idest
ut magna faciat et magna ei fiant, cum tamen sit dignus. |
736.- Il manifeste sa proposition. Ce qu'il fait en deux points, En premier, il manifeste la matière de la magnanimité en général. En second, de façon particulière. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il montre que la magnanimité porte sur de grandes choses. En second, il montre comment se développent, sur la même matière, les vices opposés, En troisième, il montre comment la vertu consiste dans le milieu. La première partie se subdivise en trois. En premier, il propose ce qu'il veut manifester en disant que celui-là paraît être magnanime qui se croit digne de grandes choses, c'est-à-dire digne d’accomplir de grandes choses et digne d’en recevoir, à la condition d'en être vraiment digne. |
#736. — Ensuite (1123b1), il manifeste son propos. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste la matière de la magnanimité en général. En second (1123b15), dans le détail. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la magnanimité porte sur de grandes [choses]. En second (1123b8), il montre comment les vices opposés portent sur la même [matière]. En troisième (1123b13), comment la vertu consiste en un milieu. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention, disant que celui-là paraît magnanime, qui se pense lui-même digne de grandes [choses], c'est-à-dire, de faire de grandes [choses] et que de grandes [choses] lui soient faites, pour autant toutefois qu'il en soit digne [de fait]. |
[73441] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 3 Secundo ibi: qui enim non
secundum dignitatem etc., ostendit quod ad magnanimum requiratur quod sit
dignus magnis. Ille enim qui magnis se dignificat non secundum dignitatem,
idest quorum non est dignus, est insipiens. Sapientis enim est in omnibus
debitum ordinem servare. Nullus autem virtuosus est insipiens vel stultus;
quia virtus operatur secundum rationem rectam, ut in secundo habitum est. Sic
igitur patet quod magnanimus est ille qui dictus est, qui scilicet dignus est
magnis quibus seipsum dignificat. |
737.- En second, il montre qu’on requiert du magnanime qu'il soit digne de grandes choses. En effet, celui qui se juge digne de grandes choses sans en être digne, est un sot ou un imbécile, n'est pas de sage. Car le propre du sage est de respecter l'ordre dû. Or, le vertueux n est pas imbécile ni sot: la vertu opère conformément à, la raison droite, comme on l'a vu dans le second livre. Ainsi donc, il appert que le magnanime est celui qu’on a décrit, à savoir celui qui est digne de ce dont il se juge digne. |
#737. — En second (1123b2), il montre qu'il est requis au magnanime qu'il soit digne [de fait] de grandes [choses]. En effet, celui qui se juge digne de grandes [choses] sans l'être, c'est-à-dire, [de grandes choses] dont il n'est pas digne [de fait], est un sot[27]. Il relève du sage, en effet, en tout, de sauver l'ordre dû. Par ailleurs, le vertueux n'est ni sot ni stupide, car la vertu agit en conformité à la raison droite, comme il en a été traité au second [livre] (#257, 322, 335). Ainsi donc, il appert que le magnanime est celui que l'on a dit, à savoir, celui qui est digne de grandes [choses] dont il se juge lui-même digne. |
[73442] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 4 Tertio ibi: qui enim
parvis dignus etc., ostendit quod magnanimus dignificet seipsum magnis. Ille
enim qui est dignus parvis, et his seipsum dignificat, potest dici temperatus,
prout temperantia large sumitur pro quacumque moderatione. Non tamen potest
dici magnanimus: quia magnanimitas consistit in quadam magnitudine, sicut
pulchritudo proprie consistit in corpore magno. Unde illi qui sunt parvi,
possunt dicit formosi propter decentiam coloris, et commensurati, propter
debitam commensurationem membrorum, non tamen possunt dici pulchri propter
magnitudinis defectum. |
738.- En troisième, il montre que
le magnanime se juge digne de grandes choses. En effet, celui qui est digne
de petites choses et qui s’en croit digne, on peut l'appeler tempéré, si l'on
prend le mot tempérance dans le sens d’une modération quelconque. Cependant, ail
ne peut l'appeler magnanime: c1est que la magnanimité consiste dans une certaine
grandeur, tout comme la beauté exige proprement une grande taille. C'est pourquoi,
les petits, on peut les dire bien formés, bien proportionnés, à cause de leur
couleur qui sied bien et de 17heureuse proportion de leurs membres; mais on
ne peut les appeler beaux, à cause du manque de taille. |
#738. — En troisième (1123b5), il montre que le magnanime se juge lui-même digne de grandes [choses]. Celui, en effet, qui est digne de petites, et qui s'en juge lui-même digne, on peut l'appeler un tempérant, pour autant qu'on prend la tempérance pour n'importe quelle modération. Mais on ne peut l'appeler un magnanime, car la magnanimité consiste en une certaine grandeur, comme la beauté appartient proprement à un corps grand. Par suite, on peut dire, de petits, qu'ils sont bien faits17, à cause de la convenance de leur couleur et pour la due proportion de leurs membres, mais on ne peut toutefois pas dire qu'ils sont vraiment beaux18, à cause de leur manque de grandeur. |
[73443] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 5 Deinde cum dicit: qui
autem magnis etc., ostendit quomodo circa magna se habeant opposita vitia. Et
primo quomodo se habet circa magna vitium quod est in excessu; secundo
quomodo ad hoc se habeat vitium quod est in defectu, ibi: qui autem minoribus
quam dignus et cetera. Dicit ergo primo, quod ille qui aestimat seipsum
dignum magnis cum sit indignus, vocatur chaymus, idest fumosus; quem
possumus dicere ventosum, vel praesumptuosum. Sed ille qui est dignus magnis,
et adhuc maioribus se dignum aestimat, non semper vocatur chaymus, eo quod
difficile est mensuram rectam attingere, ut aliquis non maioribus vel
minoribus se ipsum dignum aestimet. |
739.- Il montre comment se
comportent les vices opposés par rapport aux grandes choses. Et tout d’abord,
il montre quel est le comportement du vice par excès. En second, il montre l’attitude
du vice qui pèche par défaut à l’égard de la même matière. Il dit donc, en
premier, que celui qui se juge digne de grandes choses alors qu’il en est
indigne, on l’appelle (chaymus),
c’est-à-dire plein de fumée, On pourrait l'appeler plein de vent ou
présomptueux. Mais celui qui est digne de grandes choses et qui se croit
digne de plus grandes choses encore, on ne l’appelle pas toujours plein de
fumée ou vaporeux, du fait qu’il est difficile d'atteindre la juste mesure en
ce domaine: de ne pas se croire digne de plus grandes choses que l’on en est.
|
#739. — Ensuite (1123b8), il montre comment les vices opposés portent sur de grandes [choses]. En premier, comment porte sur de grandes [choses] le vice qui comporte excès. En second (1123b9), comment porte sur de grandes [choses] le vice qui comporte manque. Il dit donc, en premier, que celui qui se pense lui-même digne de grandes [choses] alors qu'il en est indigne, on l'appelle vain19, c'est-à-dire, fumeux, et nous pouvons aussi l'appeler plein de vent, ou présomptueux. Cependant, celui qui est digne de grandes [choses], mais se pense digne de plus grandes encore, on ne l'appelle pas toujours vain, du fait qu'il est difficile de s'en tenir à la mesure exacte, de façon à ne pas se penser soi-même digne de trop grandes. |
[73444] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 6 Deinde cum dicit: qui
autem minoribus quam dignus etc., ostendit quomodo se habeat ad magna vitium
quod est in defectu. Et dicit quod ille qui aestimat seipsum dignum minoribus
quam sit dignus, vocatur pusillanimus. Et hoc, sive sit dignus magnis,
sive mediocribus, sive parvis, dum tamen adhuc minoribus seipsum dignificet.
Maxime tamen vocatur pusillanimus ille, qui est dignus magnis, si illis
magnis intendere recuset et intendat aliquibus minoribus; multo enim magis ad
parva se deiiceret nisi esset magnis dignus. |
740.- Il montre comment se
comporte le vice par rapport aux grandes choses. Il dit que celui qui se juge
digne de plus petites choses qu’il en est, s'appelle pusillanime. Et cela, qu’il
soit digne de grandes choses, de choses moyennes ou de petites, peu importe, du
moment qu’il se juge lui-même digne d’encore plus petites choses. Cependant, le
nom s'applique surtout à celui qui est digne de grandes choses et qui s4en
récuse et ne veut que de petites choses. En effet, il s'abaisserait beaucoup plus
vers de petites choses sil n'était en lui-même digne de grandes. |
#740. — Ensuite (1123b9), il montre comment se rapporte à de grandes [choses] le vice qui comporte manque. Il dit que celui-là qui se pense digne de plus petites [choses] qu'il ne l'est [de fait], on l'appelle un pusillanime. Et cela, qu'il soit digne de grandes, de moyennes, ou de petites, tant, cependant, qu'il se juge lui-même digne de plus petites encore. Toutefois, on appelle surtout pusillanime celui qui est digne de grandes, s'il s'y refuse et vise à de plus petites. En effet, il s'abaisserait à de bien plus petites encore s'il n'était digne de grandes. |
[73445] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 7 Deinde cum dicit: est
autem magnanimus etc., ostendit quomodo magnanimitas sit in medio. Videtur
enim, si est circa magna, quod sit in extremo. Nam cum aequale medium sit
inter magnum et parvum, magnum habet rationem extremi. Unde dicit quod
magnanimus quidem quantum ad magna quibus seipsum dignificat, in extremo
consistit. Sed inquantum hoc facit secundum quod oportet, consistit in medio,
quia scilicet seipsum dignificat magnis secundum suam dignitatem. Medium enim
virtutis non attenditur secundum quantitatem rei, sed secundum rationem
rectam. Unde quantumcumque sit opus quod homo faciat, dummodo a ratione recta
non recedat, non propter hoc est extra medium virtutis. Sed vitia opposita
superabundant et deficiunt ab eo quod oportet. |
741.- Il montre comment la
magnanimité se situe au milieu. En effet, il semble que, si elle porte sur de
grandes choses, elle soit plutôt un extrême. Car, si l'égal est milieu entre
le grand et le petit, le grand a raison d'extrême. C’est pourquoi il dit que
le magnanime, en ce qui a trait aux grandes choses dont il se croit digne, se
situe dans l'extrême, Mais en tant que son comportement est conforme à ce que
lion doit faire, il se situe au milieu, à savoir en tant qu'il se juge digne
de ce dont il est digne. En effet, le milieu de la vertu se prend non pas
selon la quantité, mais d’après la raison droite. Ainsi, aussi grande que
soit l’œuvre que l'homme accomplit, du moment qu’il ne s’éloigne pas de la
raison droite, il ne se situe pas pour autant hors du milieu de la vertu;
mais les vices contraires s'éloignent par l'excès ou le défaut de la mesure
rationnelle. |
#741. — Ensuite (1123b13), il montre comment la magnanimité réside en un milieu. Il semble, en effet, si elle porte sur de grandes [choses], qu'elle se réside en un extrême. Car, comme l'égal est le milieu entre le grand et le petit, le grand a raison d'extrême. Aussi dit-il que le magnanime, quant aux grandes [choses] dont il se juge digne, se tient certes en un extrême. Mais en tant qu'il le fait comme il faut, il se tient en un milieu, parce qu'il se juge lui-même digne de grandes [choses], en conformité à sa dignité [véritable]. C'est que le milieu de la vertu ne se cherche pas d'après la quantité de la chose, mais d'après la raison droite. Aussi, si grande que soit l'œuvre que l'on fait, tant que l'on ne s'écarte pas de la raison droite, on ne sort pas du milieu de la vertu pour autant. Tandis que les vices opposés commettent excès et manque en regard de ce qu'il faut. |
[73446] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 8 Deinde cum dicit: si autem
utique magnis etc., manifestat materiam magnanimitatis in speciali. Et circa
hoc tria facit. Primo ostendit quod magnanimitas est circa honores; secundo
ostendit quomodo circa hoc se habeant vitia opposita, ibi: pusillanimis autem
et cetera. Tertio ostendit quomodo magnanimitas se habeat ad alias virtutes,
ibi: magnanimus autem siquidem et cetera. Primum autem ostendit dupliciter.
Primo quidem per rationem; dicens quod si magnanimus dignificat se ipsum
magnis tamquam eis dignus existens, consequens est quod maxime dignificet
seipsum maximis. Et ulterius quod magnanimitas sit praecipue circa unum; quia
id quod per excellentiam dicitur, uni attribuitur. Cum autem dicitur aliquis
esse aliquibus dignus, talis dignitas refertur ad bona exteriora quae homini
pro praemio dantur. Illud autem oportet ponere maximum quod Deo attribuitur
et quod maxime desideratur ab his qui sunt in dignitate, et quod est praemium
optimorum actuum. Huiusmodi autem est honor. Honorem enim Deo exhibemus.
Honor etiam est quem requirunt hi qui sunt in dignitate. Honore etiam
praemiantur virtuosi actus. Unde manifestum est quod honor est optimum inter
omnia exteriora bona. Et ita sequitur quod magnanimitas maxime attendatur
circa honores et opposita, inquantum scilicet magnanimus se habet sicut
oportet circa talia. |
742.- Il manifeste la matière
particulière à la magnanimité. Ce qu’il fait en trois points. En premier, il
montre que la magnanimité porte sur l’honneur. En second, il montre le comportement
des vices opposés à l’égard de l’honneur. En troisième, il montre quelles
sont les relations entre la magnanimité et les autres vertus. Il démontre son
point de deux façons. Tout d'abord par un argument rationnel. Il dit que si
le magnanime se juge digne de grandes choses en tant qu’il en est vraiment
digne, il s'ensuit qu’il se juge surtout digne des choses qui sont les plus
grandes. De plus, il s’ensuit que la magnanimité porte spécialement sur une
seule chose: ce qui se dit par excellence ne s’attribue qu'à une seule chose.
Or, quand nous disons que quelqu'un est "digne de", cette dignité
se prend par référence aux biens extérieurs accordés en récompense. Mais il
faut poser comme bien extérieur le plus grand celui qui est offert comme
tribut à Dieu et est le plus ardemment recherché par ceux qui sont revêtus
des plus hautes dignités et, qui est la récompense des actions les plus
nobles. Ce bien, c'est l'honneur. En effet, c'est l’honneur que nous accordons
à Dieu. C'est l’honneur que recherche les dignitaires. C’est l'honneur que
nous donnons en récompense des actes vertueux. Il est donc manifeste que
l'honneur est le plus grand des biens extérieurs. Il s’ensuit donc que la magnanimité
s’occupe principalement de l'honneur et des déshonneurs, à savoir en tant que
le magnanime se comporte à l’égard de telles choses comme on le doit. |
#742. — Ensuite (1123b15), il manifeste dans le détail la matière de la magnanimité. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la magnanimité porte sur l'honneur. En second (1123b24), il montre comment les vices opposés ont rapport à cela. En troisième (1123b26), il montre quelle relation la magnanimité entretient avec les autres vertus. Il montre le premier [point] de deux manières. En premier, certes, avec une raison: il dit que si le magnanime se juge lui-même digne de grandes [choses], en tant que digne d'elles de fait, il s'ensuit qu'il se juge surtout lui-même digne des plus grandes. Et ensuite, que la magnanimité porte sur une [chose] principalement, car ce que l'on dit par l'excellence, on l'attribue à une [chose]. Lorsque, par ailleurs, on est dit être digne de certaines [choses], pareille dignité renvoie à des biens extérieurs que l'on donne à quelqu'un pour récompense. Or il faut présenter surtout ce que l'on attribue à Dieu et que désirent le plus ceux qui sont en dignité; c'est la récompense des actes les meilleurs. C'est l'honneur qui est de la sorte. L'honneur, en effet, c'est à Dieu que nous le montrons. C'est encore l'honneur que requièrent ceux qui sont en dignité. En outre, on récompense avec l'honneur les actes vertueux. Aussi, il manifeste que l'honneur est le meilleur parmi tous les biens extérieurs. Ainsi s'ensuit-il que la magnanimité concerne surtout les honneurs et ce qui leur est opposé, pour autant que le magnanime se comporte comme il faut à leur propos[28]. |
[73447] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8 n. 9 Secundo ibi: et sine ratione autem etc., manifestat
propositum per experimentum; dicens quod etiam sine ratione apparet quod
magnanimitas maxime est circa honorem ex hoc quod experimento videmus quod
magnanimi maxime dignificant seipsos honore, sed non supra suam dignitatem. |
743.- En second, il manifeste
sa proposition par l'expérience en disant que, même sans raison explicative, on
voit que la magnanimité porte surtout sur l’honneur, du fait que l'expérience
révèle que les magnanimes se jugent par excellence dignes d'honneur, sans se
surestimer. |
#743. — En second (1123b22), il manifeste son propos par l'expérience. Il dit que même sans raison il est apparent que la magnanimité porte surtout sur l'honneur, du fait qu'à l'expérience nous voyons que les magnanimes se jugent surtout eux-mêmes dignes d'honneur, mais non au-dessus de leur dignité. |
[73448] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 10 Deinde cum dicit:
pusillanimis autem etc., ostendit quomodo opposita vitia se habeant circa
praedictam materiam. Et dicit quod pusillanimis deficit et per respectum ad
se ipsum, quia scilicet dignificat se minoribus quam dignus sit; et etiam per
respectum ad dignitatem magnanimi, quia videlicet dignificat se ipsum
minoribus, quam magnanimus sit dignus. Sed chaymus, idest
praesumptuosus, superabundat quidem per respectum ad seipsum, quia scilicet
magnificat seipsum maioribus quam sit dignus: non tamen superabundat
magnanimum, quia scilicet non dignificat seipsum maioribus, quam magnanimus
sit dignus. |
744.- Il montre comment les
vices opposés se comportent par rapport à la même matière. Il dit que le
pusillanime pèche par défaut par rapport à lui-même, à savoir en se croyant digne
de choses moindres que celles dont il est digne en réalité. Il pèche aussi
par défaut par comparaison avec la dignité du magnanime: il se juge digne de
choses moindres que celles dont est digne le magnanime. Mais le présomptueux
pèche par excès par rapport à l'estime qu'il fait de soi, en ce sens qu'il se
juge digne de plus grandes choses que celles dont il l’est: cependant, il ne
dépasse par le magnanime, parce qu’il ne se juge pas digne de choses plus
grandes que celles qui conviennent à la dignité du magnanime. |
#744. — Ensuite (1123b24), il montre comment les vices opposés se comportent devant la matière qui précède. Il dit que le pusillanime se fait défaut à lui-même, car il se juge digne de [choses] moindres qu'il n'est [de fait] digne; et aussi en regard de la dignité du magnanime, car il se juge lui-même digne de [choses] moindres que [celles dont] le magnanime est digne. Le vain, à l'opposé, c'est-à-dire, le présomptueux, commet un excès en rapport à lui-même, car il se magnifie avec des [choses] plus grandes qu'il n'en est digne; mais il n'excède pas le magnanime, car il ne se juge pas lui-même digne de plus grandes que [celles dont] le magnanime est digne. |
[73449] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 11 Deinde cum dicit
magnanimus autem etc., determinat de magnanimitate per comparationem ad alias
virtutes. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit quod magnanimitas non est
sine aliis virtutibus. Secundo infert quasdam conclusiones ex dictis, ibi,
videtur quidem igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit per
rationem communem quod magnanimitas non est sine aliis virtutibus. Secundo
ostendit idem per ea quae in singulis apparent, ibi, secundum singula autem et
cetera. Circa primum tria facit: primo ostendit quod magnanimitas non est
sine aliis virtutibus; secundo ostendit quid faciat magnanimitatem esse
specialem virtutem, ibi: videtur autem esse etc.; tertio excludit quemdam
errorem, ibi, et nequaquam utique congruit et cetera. Dicit ergo primo, quod
cum magnanimus dignificet seipsum maximis bonis, et eis dignus existat,
consequens est ut sit optimus. Maiori enim bono semper melior est dignus; et
per consequens ille qui est maximis dignus oportet quod sit optimus. Oportet
ergo, quod magnanimus vere sit bonus; alioquin non esset dignus maximis
honoribus. |
745.- Il traite de la magnanimité par comparaison avec les autres vertus. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il montre que la magnanimité n’existe pas sans les autres vertus, En second, il manifeste certaines conclusions qui découlent des considérations faites sur le sujet. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il montre, par une raison commune, que la magnanimité n'existe pas sans les autres vertus. En second, il démontre la même chose par ce que lion voit dans chaque vertu en particulier. Il subdivise sa première partie en deux. En premier, il montre ce qui fait que la magnanimité est une vertu de façon spéciale. En second, il rejette une certaine erreur. Il dit donc en premier que, puisque le magnanime s'estime digne des plus grands biens, et qu'il en est vraiment, il s'ensuit qu’il est le plus vertueux des hommes. En effet, c'est toujours le meilleur qui est digne du meilleur bien; et, en conséquence, celui qui est digne des plus grands biens doit être simplement le plus vertueux. Il faut donc que le magnanime soit vraiment bon, autrement, il serait indigne des plus grands honneurs. |
#745. — Ensuite (1123b26), il traite de la magnanimité par comparaison aux autres vertus. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la magnanimité ne va pas sans les autres vertus. En second (1124a1), il manifeste certaines conclusions à partir de ce qui a été dit. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre avec une raison commune que le magnanime ne va pas sans les autres vertus. En second (1123b33), il montre la même [chose] par ce qui est apparent en chaque [chose]. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qui fait que la magnanimité est une vertu spéciale. En second (1123b34), il exclut une erreur. Il dit donc, en premier, que, comme le magnanime se juge digne lui-même des plus grands biens, et qu'il en est de fait digne, il s'ensuit qu'il soit le meilleur. Le meilleur est toujours digne d'un plus grand bien et, par conséquent, celui qui est digne des plus grands, il faut qu'il soit le meilleur. Il faut, donc, que le magnanime soit vraiment bon; autrement, il ne serait pas digne des plus grands honneurs. |
[73450] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 12 Deinde cum dicit: videtur
autem esse magnanimi etc., ostendit per quid magnanimitas sit specialis
virtus, cum concomitetur alias virtutes. Et dicit quod ad magnanimitatem
videtur pertinere id quod est magnum in unaquaque virtute, propter hoc, quod
non est dignus magno honore, qui non operatur magnum virtutis actum. Sic
igitur circa actum alicuius alterius virtutis operatur illa virtus attendens
id quod est proprium sibi. Puta fortitudo intendit fortiter agere, sed
magnanimitas attendit magnum operari in fortiter agendo. Et quia moralia
speciem habent ex fine quem intendunt, manifestum est quod magnanimitas et
fortitudo specie differunt, licet circa idem operentur; quia scilicet non ad
eamdem rationem motivi attendit utraque virtus. |
746.- Il montre par quoi la magnanimité est une vertu spéciale, puisqu'elle accompagne les autres vertus. Il dit que semble appartenir à la magnanimité ce qu’il y a de grand en chaque vertu, du fait que celui-là n’est pas digne d’un grand honneur qui n'opère pas un grand acte de vertu. Ainsi donc, cette vertu opère dans chaque vertu, s'occupant de ce qui lui revient en propre. Par exemple, la force tend à agir avec courage; la magnanimité vise à opérer de grandes choses dans l'œuvre même du courage. Et parce que les œuvres morales reçoivent leur espèce de la fin qui est visée, il est manifeste que la magnanimité et le courage diffèrent spécifiquement, bien qu’elles opèrent sur la même matière: les deux vertus ne sont pas mues par le même motif (leurs motifs n’ayant pas même raison). |
#746. — Ensuite (1123b29), il montre par quoi la magnanimité est une vertu spéciale, alors qu'elle accompagne les autres vertus. Il dit que semble appartenir à la magnanimité ce qui est grand en chaque vertu, à cause de cela qu'on n'est pas digne d'un grand honneur, si on ne fait pas un grand acte de vertu. Ainsi donc, cette vertu agit sur l'acte d'une autre vertu, mais en se portant sur ce qui lui est propre. Par exemple, le courage vise à agir courageusement; la magnanimité, elle, porte attention à faire de grandes [choses] en agissant courageusement. Comme les [choses] morales prennent leur nature de la fin à laquelle elles visent, il est manifeste que la magnanimité et le courage diffèrent de nature, bien qu'ils agissent à propos de la même [chose]; car ce n'est pas à un motif de même nature que l'une et l'autre vertu porte son attention. |
[73451] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 13 Deinde cum dicit: et
nequaquam utique etc., excludit quemdam errorem. Videtur enim quibusdam quod
ad magnanimum pertineat, ut suo sensui semper innitatur et nullius alterius
admonitionem sequatur. Et quod non dubitet cuicumque iniustitiam facere. Sed
philosophus dicit hoc esse falsum. Quia nullus operatur aliquid indecens nisi
propter appetitum alicuius. Sed magnanimus non tantum appretiatur quamcumque
rem exteriorem, ut propter eam aliquid turpe operari velit. |
747.- Il rejette une certaine erreur. En effet, quelques-uns semblent croire qu'il appartient au magnanime de suivre son propre sens et de ne tenir compte des conseils ou des remarques de personne. Mais le Philosophe dit que cela est faux. Car personne n’opère quelque chose d’inconvenable sinon par désir de quelque chose. Mais le magnanime n’accorde pas un tel prix aux choses, extérieures que, pour elles, il voudrait accomplir quelque chose de honteux. |
#747. — Ensuite (1123b31), il exclut une erreur. Certains sont d'avis, en effet, qu'il appartienne au magnanime de se fier toujours à son impression et de ne suivre l'avis de personne. Et qu'il n'hésite pas à faire injustice à quiconque. Mais le Philosophe dit que cela est faux. Car personne ne fait quelque chose d'inconvenant, si ce n'est à cause du désir d'une chose. Or le magnanime n'apprécie aucune chose extérieure au point qu'il veuille, à cause d'elle, faire quelque chose de honteux. |
[73452] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 14 Deinde cum dicit:
secundum singula autem etc., manifestat quod dictum est, per ea quae in
singulis apparent. Et dicit quod, si aliquis velit ad singularia intendere,
omnino videbitur derisibilis ille, qui reputat se magnanimum nisi sit bonus,
quia si sit malus non erit dignus honore. Nam honor est praemium virtutis.
Unde magnanimus dignificat seipsum magnis honoribus. Unde non potest esse
quod aliquis malus sit magnanimus. |
748.- Il manifeste ce qu’il a dit par ce qui apparent dans chaque cas en particulier. Il dit que si quelqu’un veut porter attention aux cas singuliers, il se rendra compte que celui-là se montrera tout à fait ridicule qui se croira magnanime sans être bon. C’est que, s’il est mauvais, il sera indigne d'honneur. L’honneur est la récompense de la vertu. C'est pourquoi le magnanime croit se mériter de grands honneurs. Il ne peut donc pas être question d’un vicieux qui serait magnanime. |
#748. — Ensuite (1123b33), il manifeste ce qu'il a dit, avec ce qui apparaît en chaque [chose]. Il dit que si on veut viser à des [choses] singulières, on sera manifestement tout à fait ridicule, si on se pense magnanime sans être bon, car si l'on est mauvais, on ne sera pas digne d'honneur. En effet, l'honneur est la récompense de la vertu. Aussi, le magnanime se juge lui-même digne de grands honneurs. Il ne peut donc arriver que quelqu'un de mauvais soit magnanime. |
[73453] Sententia Ethic., lib. 4 l. 8
n. 15 Deinde cum dicit: videtur
quidem igitur etc., infert duas conclusiones ex praemissis. Quarum prima est
quod magnanimitas videtur esse quasi ornatus quidam omnium virtutum. Quia per
magnanimitatem omnes virtutes efficiuntur maiores, eo quod ad magnanimitatem
pertinet operari magnum in omnibus virtutibus. Et ex hoc crescunt virtutes. Et iterum non fit magnanimitas sine
aliis virtutibus; et sic videtur superaddi aliis tamquam ornatus earum.
Secunda conclusio est quod difficile est, esse vere magnanimum. Quia
magnanimitas non potest esse sine bonitate virtutis, et etiam sine magna
virtute, cui debeatur magnus honor. Hoc autem consequi est difficile. Unde
difficile est hominem esse magnanimum. |
749.- Il tire deux conclusions des considérations précédentes. La magnanimité a donc tout l’air d’être une sorte de parure de toutes les vertus. C'est que la magnanimité rend plus grandes toutes les vertus, du fait qu’il lui appartient d’opérer de façon grandiose dans toutes les vertus. Et de ce fait, les vertus grandissent. Et de plus, la magnanimité ne peut naître ni grandir sans les autres vertus. Et ainsi, semble-t-elle s'ajouter aux autres vertus comme leur parure (ornement). La seconde conclusion est qu'il est difficile d’être vraiment magnanime. Car la magnanimité ne peut exister sans la bonté de la vertu, et même sans une grande vertu à. qui est dû un grand honneur. Mais réaliser cela est difficile. Il est donc difficile pour l'homme d’être magnanime. |
#749. — Ensuite (1121a1), il infère deux conclusions de ce qui précède. La première en est que la magnanimité paraît être une parure pour toutes les vertus. Car par la magnanimité, toutes les vertus deviennent plus grandes, du fait qu'il appartient à la magnanimité de faire du grand en toutes les vertus. C'est par là que les vertus croissent. De plus, la magnanimité ne va pas sans les autres vertus; ainsi paraît-elle s'ajouter aux autres comme leur parure. La seconde conclusion est qu'il est difficile d'être vraiment magnanime. Car la magnanimité ne peut aller sans la bonté de la vertu, et même sans grande vertu, à laquelle le grand honneur est dû. Or atteindre cela est difficile. Aussi est-il difficile à quelqu'un d'être magnanime. 139 |
|
|
|
Lectio
9 |
Leçon 9 : [Le comportement du magnanime] |
|
|
IL MONTRE QUE LA MATIERE PROPRE DE LA MAGNANIMITE, L'HONNEUR, EXISTE: ET IL MONTRE COMMENT SE COMPORTE LE MAGNANIME A L'EGARD DES HONNEURS, OU ENCORE A L’EGARD DES TRES GRANDS HONNEURS, AINSI QU’A L’EGARD DES OUTRAGES (INJURES, DESHONNEURS). |
|
[73454] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 1 Maxime quidem igitur circa
honores et cetera. Postquam philosophus inquisivit materiam magnanimitatis et
oppositorum vitiorum, hic determinat de actibus et proprietatibus eorum. Et
primo determinat de magnanimitate. Secundo de oppositis vitiis, ibi,
deficiens autem pusillanimus et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit qualiter magnanimus operetur circa propriam materiam. Secundo
determinat proprietates magnanimi, ibi: non est autem microkindinos et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo se habeat circa
honores, qui sunt materia propria magnanimitatis. Secundo quomodo se habeat
circa alia, ibi, sed adhuc, et circa divitias et cetera. Circa primum duo
facit. Primo resumit quod supra dictum est de materia magnanimitatis. Et
dicit, quod ex supra dictis patet, quod maxime et principaliter dicitur
aliquis esse magnanimus eo quod bene se habet circa honores, et opposita,
scilicet inhonorationes. Eadem virtus est circa opposita, sicut fortitudo
circa timores et audacias. |
750.- Après avoir recherché la matière de la magnanimité et des vices opposés, le Philosophe traite maintenant de leurs actes et de leurs propriétés, Et, en premier, il traite de la magnanimité. En second, des vices opposés. Il traite de la première question en deux points, En premier, il montr8 de quelle manière le magnanime opère par rapport à sa matière propre. En second, il traite des propriétés du magnanimes. Il divise son premier point en deux parties. En premier, il montre comment se comporte le magnanime par rapport aux honneurs, qui constituent la matière propre de la magnanimité, En second, il montre comment il se comporte par rapport aux objets secondaires. La première partie, se subdivise en deux. En premier, il résume ce qu’il a dit auparavant sur la matière de la magnanimité. Il dit donc qu’il est évident, d’après les considérations précédentes, que le nom de magnanime s’applique vraiment et principalement à quelqu'un, du fait qu’il est bien disposé à l’égard des honneurs et de leurs contraires, les déshonneurs. En effet, la même vertu porte sur les contraires, comme le courage porte à la fois sur les craintes et les audaces. |
#750. — Après avoir cherché la matière de la magnanimité et des vices opposés, le Philosophe traite ici de leurs actions et de leurs propriétés. En premier, il traite de la magnanimité. En second (1125a17), des vices opposés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière le magnanime agit en sa propre matière. En second (1124b6), il traite des propriétés du magnanime. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment il se comporte en regard des honneurs, qui constituent la matière propre de la magnanimité. En second (1124a13), comment il se comporte en regard des autres [matières]. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il reprend ce que l'on a dit plus haut (#735-749) de la matière de la magnanimité. Il dit que, de ce que l'on a dit plus haut, il appert que l'on dit surtout et principalement une personne magnanime du fait qu'elle se comporte bien au regard des honneurs, et de leurs opposés, à savoir, les déshonneurs. C'est la même vertu, en effet, qui porte sur les opposés, comme le courage sur les craintes et les audaces. |
[73455] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 2 Secundo ibi: et in magnis
et studiosis etc., ostendit qualiter se habeat circa huiusmodi materiam. Et
primo ostendit qualiter se habeat circa magnos honores; dicens, quod si
magnanimo exhibeantur magni et boni honores et pro bonis actibus, moderate de
eis delectatur. Contingit enim quod aliquis immoderate de aliquibus adeptis
delectetur, ex eo quod ex insperato sibi adveniunt, et admiratur ea quasi quaedam
maxima supra seipsum existentia. Sed, cum magnanimus adipiscitur maximos
honores, existimat quasi quaedam bona proprie sibi convenientia, et adhuc
minora quam ei debeantur. Considerat enim quod nullus honor exterius ab
hominibus exhibitus est condignum praemium virtutis. Quia bonum rationis ex
quo laudatur virtus, excedit omnia exteriora bona. Nec tamen propter hoc
indignatur, quod sibi minora exhibentur, quam debeantur. Sed recipit
aequanimiter, considerans, quod homines non habent aliqua maiora quae ei
retribuant. |
751.- En second, il montre de quelle manière il se comporte par rapport à cette sorte de matière. Et, en premier, il montre de quelle manière il se comporte par rapport aux grands honneurs. Il dit que si l'on accorde de grands et vrais honneurs aux magnanimes, et cela à cause de leurs bonnes actions, ils s’en réjouissent modérément. En effet, il arrive qu'on se réjouisse de façon exagérée des honneurs qu'on désirait, du fait qu’ils arrivent contre toute attente; et voilà qu’on les admire comme si ces marques d'honneur dépassaient sa valeur personnelle. Mais lorsque le magnanime désire ces honneurs, il les juge comme des biens lui revenant de droit et restant inférieurs à sa propre valeur. Il considère, en effet qu’aucune marque d'honneur extérieure n'est une digne récompense de la vertu. Parce que le bien de la raison qui est à la source de la louange de la vertu dépasse tous les biens extérieurs, d’ailleurs, il ne s’offusque pas non plus qu’on lui offre des louanges inférieures à celles qui lui reviennent en droit. Mais il les reçoit avec égalité d’âme, sachant que les hommes n’ont rien de mieux à offrir. |
#751. — En second (1124a5), il montre de quelle manière il se comporte au regard d'une matière de la sorte. Il montre, en premier, de quelle manière et comment il se comporte au regard de grands honneurs. Il dit que, si l'on attribue aux magnanimes de grands et bons honneurs, et pour des actes bons, il s'y complaît modérément. Il arrive, en effet, que l'on se complaît sans modération de ce à quoi l'on parvient, du fait que cela survient de manière inespérée, et qu'on s'en surprend comme de très grands [biens] dont la valeur nous dépasse. Lorsque le magnanime y parvient, au contraire, il les estime comme des biens qui lui conviennent proprement, et même plus petits que ce qui lui est dû. Il considère, en effet, qu'aucun honneur extérieur attribué par des hommes est une digne récompense pour la vertu. Car le bien de la raison, pour lequel on loue la vertu, dépasse tous les biens extérieurs. Il ne s'indigne pas, cependant, qu'on lui attribue de moindres biens qu'il ne lui est dû. Au contraire, il les reçoit avec une âme égale, tenant compte de ce que les gens n'ont rien de plus grand pour le rétribuer. |
[73456] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 3 Secundo ibi: eum autem qui
a contingentibus etc., ostendit quomodo se habeat circa parvos honores. Et
dicit quod, si exhibeantur ei honores a contingentibus, id est si honoretur
pro quibuscumque aliis rebus praeter virtutem, puta si honoretur propter
divitias, vel propter aliquid huiusmodi, vel si honoretur in aliquibus parvis
honoribus, tales honores contemnet, quia reputat se non esse talibus
honoribus dignum. Non enim sufficit virtuoso, ut honoretur tamquam dives. |
752.- En second, il montre comment le magnanime se comporte par rapport aux petits honneurs. Il dit que si les honneurs lui viennent des premiers venus, et si on l’honore pour quelque chose d’autre que la vertu, pour ses richesses ou quelque chose de la sorte par exemple, ou encore, si on lui accorde de petits honneurs, il montrera du dédain, parce que ce n'est pas de pareils honneurs qu’il se juge digne. En effet, il ne suffit pas au vertueux d’être honoré parce qu'il est riche. |
#752. — En second (1124a10), il montre comment il se comporte à propos de petits honneurs. Il dit que s'il reçoit des honneurs pour des contingences, et s'il est honoré pour n'importe quoi d'autre que la vertu, par exemple, s'il est honoré pour ses richesses, ou pour quelque chose de la sorte, ou s'il est honoré par des petites gens, il méprise pareils honneurs, parce qu'il ne croit pas que ce soient de tels honneurs dont il soit digne. Il ne suffit pas au vertueux, en effet, d'être honoré comme riche. |
[73457] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 4 Tertio ibi: similiter
autem etc., ostendit quomodo se habeat circa inhonorationes. Et dicit quod
etiam in hoc se habet moderate; sicut enim non extollitur magnis honoribus,
ita animus eius non deiicitur per contumelias, quia considerat iniuste eas
sibi inferri. Sic igitur manifestum est, quod magnanimus maxime laudatur
circa honores. |
753.- En troisième, il montre comment il se comporte en regard des déshonneurs, Il dit que son comportement est modéré. En effet, pas plus que les grands honneurs l'exaltent ou l'enorgueillissent, les injures ou les mépris ne l’abattent, parce qu’il considère ces mépris injustes envers sa personne. Ainsi donc, il est manifeste qu'on loue surtout le magnanime pour son attitude à l'égard des honneurs. |
#753. — En troisième (1124a11), il montre comment il se comporte à propos des déshonneurs. Il dit qu'il garde là un comportement modéré. De même, en effet, qu'il ne se sent pas élevé par de grands honneurs, de même son esprit ne déchoit pas par le fait d'outrages, puisqu'il considère qu'on les lui inflige injustement. Ainsi donc, il est manifeste qu'on loue surtout le magnanime à propos d'honneurs. |
[73458] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 5 Deinde cum dicit: sed
adhuc et circa divitias etc., ostendit quomodo se habeat magnanimitas circa
quasdam secundarias materias, puta circa divitias et circa alia huiusmodi. Et
circa hoc duo facit. Primo ostendit quomodo magnanimus circa talia operetur.
Secundo ostendit quomodo talia conferant ad magnanimitatem, ibi, videntur
autem et bonae fortunae et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis magnanimus
principaliter sit circa honores, est tamen adhuc secundario circa divitias et
potentatum et omnia quae pertinent ad bonam fortunam, in quantum scilicet
propter huiusmodi aliquis honoratur, et tam circa ista quam circa infortunia
magnanimus moderate se habebit qualitercumque sibi accidat; ita scilicet quod
neque si sit bene fortunatus superflue gaudebit, neque etiam, si infortunia
patiatur, superflue tristabitur. |
754.- Il montre l’attitude du magnanime par rapport à certaines matières secondaires, par exemple, à l’égard des richesses et des biens de cette sorte. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il montre comment il agit par rapport à ces biens. En second, il montre comment ces biens contribuent à. la magnanimité. Il dit donc en premier que, bien que le magnanime se définisse surtout par relations aux honneurs, il a pourtant aussi comme matière secondaire, les richesse, le pouvoir, et tous les biens qui relèvent de la bonne fortune, en tant qu’à cause de ces biens on accorde des honneurs. Egalement, aussi bien dans la bonne que dans la mauvaise chance, il se comportera avec mesure, quoi qu’il lui arrive: dans la bonne fortune il n'éprouvera pas d’excès de joie, ni d'excès de tristesse dans la mauvaise. |
#754. — Ensuite (1124a13), il montre comme le magnanime se comporte au regard de matières secondaires, par exemple, au regard de richesses et d'autres [biens] de la sorte. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment le magnanime agit en rapport à pareils [biens]. En second (1124a20), il montre comment de pareils [biens] contribuent à la magnanimité. Il dit donc, en premier, que, bien que le magnanime soit principalement concerné par les honneurs, il l'est quand même aussi, secondairement, par les richesses et les pouvoirs, et par tout ce qui relève de la chance, dans la mesure où, à cause de cela, on est honoré. En outre, tant à ce regard qu'à celui des malchances, le magnanime gardera de la modération quoi qu'il lui arrive; en conséquence, s'il est très chanceux, il ne se réjouira pas exagérément, et s'il est malchanceux, il ne s'attristera pas exagérément non plus. |
[73459] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 6 Quod probat per hoc quod
supra dictum est quod etiam moderate se habet circa honorem, qui tamen est
maximum aliquid inter omnia exteriora bona. Quod patet ex hoc, quod tam
potentatus quam divitiae desiderantur propter honorem, prout scilicet homines
habentes talia, volunt honorari per ipsa. Si ergo magnanimus ipsum honorem
parvum aestimat, ut non superflue pro ipso gaudeat, multo magis et alia
reputabit parva, ita quod non superflue gaudebit pro eis. Et inde est quod a
quibusdam iudicantur esse despectores, pro eo, quod exteriora bona
contemnunt, et sola interiora bona virtutis appretiantur. |
755.- Ce qu'il prouve par ses considérations précédentes ou il a montré qu’il se comportait, avec modération dans les honneurs, qui sont ce, pendant les plus grands biens parmi les biens extérieurs. Ce qui est évident du fait que le pouvoir aussi bien que les richesses sont désirés pour l'honneur, en tant que les hommes qui les possèdent veulent en tirer de l'honneur. Donc, si le magnanime estime peu l'honneur, de telle sorte qu'il ne s’en réjouisse pas avec excès, a fortiori jugera-t-il les autres biens comme peu de chose, de telle sorte qu’il n’éprouvera pas à leur possession une joie excessive. De là vient que les magnanimes passent pour tout mépriser, du fait qu’ils méprisent les biens extérieurs et n’estiment vraiment que les biens intérieurs de la vertu. |
#755. — Il prouve cela à l'aide de ce que l'on a dit plus haut (#741-742), qu'il garde modération à propos des honneurs, lesquels sont pourtant ce qu'il y a de plus grand parmi tous les biens extérieurs. Cela 140 appert de ce que l'on désire tant les pouvoirs que les richesses en vue de l'honneur, à savoir, pour autant que ceux qui en ont veulent en recevoir honneur. Si, donc, le magnanime estime petit l'honneur même, de sorte qu'il ne s'en réjouit pas exagérément, encore plus pensera-t-il petit le reste, de sorte qu'il ne s'en réjouira pas exagérément non plus. En conséquence, ils sont jugés par certains des contempteurs, du fait qu'ils méprisent les biens extérieurs et n'apprécient que les seuls biens intérieurs de la vertu. |
[73460] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 7 Deinde cum dicit: videntur
autem et bonae fortunae etc., ostendit quomodo exteriora bona fortunae
conferant ad magnanimitatem. Et primo ostendit, quod conferunt ad
magnanimitatem augentes eam quando sunt cum virtute; secundo ostendit, quod
sine virtute non possunt magnanimum facere, ibi, qui autem sine virtute et
cetera. Dicit ergo primo quod omnia exteriora bona fortunae videntur aliquid
conferre ad magnanimitatem, in quantum scilicet propter ea aliqui reputantur
digni honore, puta nobiles et potentes, vel divites. Omnia enim ista
consistunt in quadam superexcellentia, prout scilicet nobiles excedunt
ignobiles, et sic de aliis. Omne autem illud quod superexcedit in bono est
magis honorabile. Honor enim est quaedam reverentia, quae debetur superexcellenti
bono. Et quia magnanimus est dignus honore, inde est quod talia faciunt
homines magis magnanimes, prout scilicet honorantur a quibusdam vulgaribus
hominibus, qui sola haec bona cognoscunt. Sed secundum rei veritatem solus bonus,
idest virtuosus, est honorandus. Quia scilicet honor est proprium praemium
virtutis. Si autem aliquis habeat ambo simul, scilicet virtutem, et bona
fortunae, fiet magis dignus honore, inquantum scilicet utroque modo est
honorabilis, et secundum veritatem et secundum opinionem. Ipsa etiam bona
fortunae organice deserviunt ad operationes virtutum. |
756.- Il montre comment les biens extérieurs de la fortune contribuent à la magnanimité. Et, en premier, il montre qu’ils sont utiles à la magnanimité en l’augmentant, à la condition qu’ils existent avec la vertu. En second, il montre que, sans la vertu, ils ne peuvent pas rendre quelqu'un magnanime. Il dit donc, en premier, que tous les biens extérieurs de la fortune semblent apporter quelque chose à la magnanimité, en tant que le monde croit que ce biens rendent digne d'honneur. Ainsi, croit-on que les nobles, les puissants et les riches sont honorables. En effet, toutes ces situations possèdent une certaine supériorité, en tant que les nobles sont supérieurs à ceux de nasse naissance. Ainsi en est-il dans les autres cas. Or, tout ce qui est supérieur dans le bien est plus honorable. En effet, l’honneur est un certain respect qui est dû à un bien supérieur. Et parce que le magnanime est digne d'honneur, il s’ensuit que ces biens rendent les hommes plus magnanimes encore, à savoir en tant qu’ils sont davantage honorés par des gens vils, qui ne reconnaissent que ce bien là. Mais en vérité, en réalité, seul l'homme bon, c’est-à-dire vertueux, doit être honoré. Car l'honneur est la propre récompense de la vertu, Si quelqu'un possède les deux, à savoir la vertu et les biens de fortune, il devient plus digne d’honneur, en tant que ces deux sortes de biens sont honorables. La vérité aussi bien que l'opinion courante veulent que les biens de fortune eux-mêmes servent d'instruments aux opérations de la vertu. |
#756. — Ensuite (1124a20), il montre comment les biens de fortune extérieurs contribuent à la magnanimité. En premier, il montre qu'ils contribuent à la magnanimité en l'augmentant, quand ils s'accompagnent de vertu. En second (1124a26), il montre que sans vertu ils ne peuvent pas rendre magnanime. Il dit donc que tous les biens de fortune extérieurs paraissent contribuer quelque chose à la magnanimité, pour autant qu'à cause d'eux des gens sont réputés dignes d'honneur, par exemple, les nobles et les puissants, ou les riches. Tous ces [biens], en effet, réalisent une certaine plénitude: les nobles dépassent les non nobles, et ainsi des autres. Or tout ce qui surpasse en bien est plus honorable. L'honneur, en effet, est une espèce de révérence que l'on doit à l'homme pleinement réalisé. Comme le magnanime est digne d'honneur, il s'ensuit que pareils [biens] rendent les gens plus magnanimes, pour autant que les honorent les gens vulgaires, qui ne connaissent que ces biens-là. Mais en vérité, seul le bon, c'est-à-dire, le vertueux, est à honorer. Car l'honneur est la récompense propre de la vertu. Si quelqu'un a les deux en même temps, à savoir, la vertu et les biens de fortune, il en deviendra plus digne d'honneur, du fait que l'une et l'autre matière est honorable. À la fois en vérité et selon l'opinion, les biens de fortune servent instrumentalement aux actions des vertus. |
[73461] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9 n. 8 Deinde cum dicit: qui autem sine virtute etc., ostendit
quod bona fortunae sine virtute non possunt facere magnanimum. Et dicit quod
illi qui habent talia bona sine virtute, non possunt iuste reputare se dignos
magnis honoribus, unde nec recte magnanimi dicuntur, quia quod aliquis sit
dignus magnis honoribus et quod sit magnanimus non potest contingere sine
virtute perfecta, ut supra dictum est. Sed tales qui virtute carent propter
excellentiam exteriorum rerum despiciunt alios, et iniuriantur eis, et in
similia mala incidunt, eo quod non est facile quod aliquis moderate ferat
bona fortunae sine virtute. Hoc enim est magnum opus virtutis, ut aliquis
moderate se habeat in bonis fortunae. Unde cum illi, qui carent virtute, non
possunt bene ferre fortunas, dum existimant quod simpliciter excellant alios
quos in divitiis excellunt, contemnunt eos. Et quia non reputant aliquam
excellentiam esse secundum operationem virtutis, ideo ipsi non curant operari
aliquid boni, sed operantur quicquid venit eis ad cor. |
757.- Il montre que les biens de la fortune sans la vertu ne peuvent rendre quelqu’un magnanime. Il dit que ceux qui possèdent de tels biens sans la vertu, ne peuvent pas se juger dignes de grands honneurs. C'est pourquoi on ne peut pas les appeler correctement magnanimes, car, sans la vertu accomplie, on n'est pas digne d’honneur ni magnanime, comme on l’a dit plus haut. A cause même de la supériorité que leur confère la possession des biens extérieurs, ceux qui sont sans vertu méprisent les autres, les accablent facilement de reproches, et tombent dans de excès de la sorte : il n'est pas facile de porter avec modération les biens de la fortune sans vertu. C'est pourquoi, puisque ceux qui sont sans vertu soit incapables de bien porter la prospérité, alors qu’ils se jugent absolument supérieurs aux moins fortunés, ils méprisent les moins riches. Et parce qu'ils ne croient pas que la vertu puisse produire une opération supérieure, ils ne se soucient pas de faire quelque chose de bon, mais agissent selon leur fantaisie. |
#757. — Ensuite (1124a26), il montre que les biens de fortune, sans vertu, ne peuvent rendre magnanime. Il dit que ceux qui ont de tels biens sans vertu, on ne peut les croire dignes de grands honneurs. Aussi, on ne les appelle pas à bon droit magnanimes, parce que d'être digne de grands [honneurs] et être magnanime ne peut se produire sans vertu parfaite, comme on l'a dit plus haut (#749). Au contraire, ceux qui manquent de vertu parce que comblés de [biens] extérieurs méprisent les autres, les injurient, et tombent en pareils maux, du fait qu'il n'est pas facile, sans vertu, de porter avec modération les biens de fortune. C'est une grande œuvre de vertu, en effet, que de se comporter avec modération avec les biens de fortune. Aussi, lorsque ceux qui manquent de vertu ne peuvent bien supporter les biens de fortune, comme ils croient qu'ils dépassent de manière absolue ceux qu'ils dépassent en richesses, ils les méprisent. Et parce qu'ils ne considèrent pas comme une excellence d'agir en conformité à la vertu, ils ne se préoccupent pas de faire du bien, mais font tout ce qui leur monte au cœur. |
[73462] Sententia Ethic., lib. 4 l. 9
n. 9 Volunt enim imitari
magnanimum, cum tamen non sint ei similes. Imitantur autem eum in quibus
possunt; non quidem in hoc quod operentur secundum virtutem, quod maxime
facit magnanimus; sed in hoc quod contemnunt alios, non tamen eodem modo
sicut magnanimus. Nam magnanimus iuste contemnit scilicet malos, et vere
glorificat scilicet bonos, sed multi, scilicet qui carent virtute, contemnunt
et glorificant indifferenter qualitercumque contingit, contemnendo scilicet
interdum bonos, et glorificando malos. |
758.- En effet, ils veulent imiter le magnanime, alors qu’ils ne lui ressemblent pas. Mais ils l'imitent là où ils peuvent; non pas, en vérité, en ce qu'ils opèrent de façon vertueuse, ce que fait excellemment le magnanime, mais en ce qu’ils méprisent les autres, sans le faire cependant comme le magnanime. Car le magnanime méprise à bon escient, avec justice, à savoir les vicieux, et loue avec vérité à savoir les bons. Mais quantité de gens qui ne sont pas vertueux louent et méprisent indifféremment qui que ce soit: ils mépriseront quelquefois les vertueux et loueront les vicieux. |
#758. — En effet, ils veulent imiter le magnanime, sans pourtant lui être semblables. Toutefois, ils l'imitent en ce qu'ils peuvent, non pas, bien sûr, à agir en conformité à la vertu, ce que, surtout, fait le magnanime, mais à mépriser les autres, et, encore là, non pas de la même manière que le magnanime. Car le magnanime méprise à juste titre, à savoir, les méchants, et glorifie en vérité, à savoir, les bons. Mais beaucoup, par manque de vertu, méprisent et glorifient indifféremment n'importe comment, méprisant parfois les bons et glorifiant les mauvais. |
|
|
|
Lectio
10 |
Leçon 10 :
[Le magnanime face aux dangers]
|
|
|
IL EXPOSE DEUX PROPRIETES DU MAGNANIME: LA PROMPTITUDE A AFFRONTER LES GRANDS DANGERS, ET L’ABSENCE DU RISQUE POUR LES PETITS DANGERS (UNE ESPECE DE DESINTERESSEMENT ENVERS DES PETITS DANGERS) |
|
[73463] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10 n. 1 Non est autem microkindinos et cetera. Postquam
philosophus ostendit qualiter magnanimus operetur circa propriam materiam,
hic determinat proprietates magnanimi. Et circa hoc duo facit. Primo ponit
proprietates magnanimi quae accipiuntur per comparationem ad materias
virtutum. Secundo ponit proprietates, quae accipiuntur secundum dispositionem
ipsius magnanimi, ibi, neque admirativus et cetera. Circa primum duo facit.
Primo proponit proprietates magnanimi, quae accipiuntur per comparationem ad
res exteriores. Secundo per comparationem ad humanos actus, ibi, et otiosum
esse et tardum et cetera. Circa primum tria facit. Primo ponit proprietates
magnanimi per comparationem ad exteriora pericula, quae sunt materia fortitudinis.
Secundo per comparationem ad exteriora beneficia, quae proprie pertinent ad
liberalitatem, ibi: et potens benefacere etc.; tertio per comparationem ad
honores, qui proprie pertinent ad magnanimitatem, ibi, et ad eos quidem qui
in dignitate et cetera. Praetermittit autem de materia temperantiae, quia non
habet de se aliquam magnitudinem, sed est circa ea quae sunt nobis et brutis
communia, ut in tertio habitum est. Magnanimitatis autem est operari magnum
in omnibus virtutibus, ut supra habitum est. |
759.- Après avoir montré le comportement du magnanime dans sa matière propre, le Philosophe traite ici des propriétés du magnanime. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il propose les propriétés du magnanime qui se prennent relativement aux matières des vertus. En second, il pose les propriétés qui relèvent de la disposition du magnanime lui-même. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il expose les propriétés du magnanime, qui se prennent par référence aux choses extérieures. Dans la seconde, par rapport aux actes humains. Il subdivise sa première partie en trois. En premier, il pose les propriétés du magnanime par référence aux périls extérieurs, qui sont la matière du courage; en second, par référence aux bienfaits extérieurs, qui appartiennent proprement à la libéralité; en troisième, par rapport aux honneurs, qui relèvent proprement de la magnanimité. Il ne dit mot de la matière de la tempérance, qui ne possède pas par elle-même de grandeur, mais qui porte sur ce qui nous est commun avec les bêtes, comme on le sait par le troisième livre, Le propre de la magnanimité est d'opérer de grandes choses dans toutes les vertus, comme on le sait par ce qui précède. |
#759. — Après avoir montré de quelle manière le magnanime agit en rapport à sa propre matière, le Philosophe traite ici des propriétés du magnanime. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les propriétés du magnanime qui lui viennent d'une comparaison aux matières des vertus. En second (1125a2), il présente les propriétés qui lui viennent de sa propre disposition. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les propriétés du magnanime qui lui viennent d'une comparaison aux choses extérieures. En second (1124b24), d'une comparaison aux actions humaines. 141 Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente les propriétés du magnanime en comparaison aux dangers extérieurs, qui sont la matière du courage. En second (1124b9), en comparaison aux services20 extérieurs, qui relèvent proprement de la libéralité. En troisième (1124b18), en comparaison aux honneurs, qui relèvent proprement de la magnanimité. Il omet toutefois la matière de la tempérance, parce qu'elle ne comporte pas en elle-même de grandeur, portant plutôt sur ce qui nous est commun avec la brute, comme on l'a dit au troisième [livre] (#612). Or il appartient à la magnanimité d'agir en grand en toute vertu, comme on l'a dit plus haut (#746, 749). |
[73464] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 2 Circa primum ponit duas
proprietates; quarum prima est, quod magnanimus non est microcindinos,
idest pro parvis periclitans, neque est philocindinos, idest amator
periculorum, quasi prompte et de facili se ad pericula exponens. Et hoc ideo,
quia nullus exponit se periculo, nisi propter aliquid quod multum
appretiatur. Ad magnanimum autem pertinet pauca in tantum appretiari quod pro eis
se velit periculis exponere. Unde non de
facili, neque pro parvis rebus pericula subit. Est autem magnanimus megalokindinus,
idest pro magnis periclitans, (quia) exponit se quibuscumque periculis pro
magnis rebus, puta pro salute communi, pro iustitia, pro cultu divino et
aliis huiusmodi. |
760.- Par rapport à la matière de la force, il donne deux propriétés. La première est que la magnanime n'est pas "microcindinos", c’est-à-dire ne risque pas pour les petits dangers, ni plus "philocindinos", c’est-à-dire n’aime pas les dangers. En d'autres mots, il n’est pas de ceux qui s'exposent facilement et promptement aux dangers. Cela, parce que personne ne s'expose au danger sans raison proportionnée. Or, il est peu de choses que, par nature, le magnanime trouve assez importantes pour qu'il vaille la peine d'exposer sa vie. C'est pourquoi, ce n’est pas aisément ni pour de petites choses qu’il se soumet aux dangers. Le magnanime est "magalocindinos", c'est-à-dire prêt à risquer pour les grandes choses, parce qu’il s'expose à n’importe quel danger pour les grandes choses, par exemple, pour le salut de la communauté, pour la justice, pour le culte divin et les valeurs de cette sorte. |
#760. — En rapport au premier [point], il présente deux propriétés. La première en est que le magnanime n'est pas un risque-petit — il ne s'expose pas pour de petits [biens] —, ni n'est un risquephile — un amateur de danger, au sens qu'il s'exposerait volontiers et facilement aux dangers. C'est que personne ne s'expose à un danger, sinon pour une chose à laquelle il attache beaucoup de prix. Or il appartient au magnanime de n'apprécier que peu de choses au point de vouloir s'exposer à des dangers pour elles. Aussi, il ne se soumet aux dangers ni facilement ni pour de petites choses. Par contre, le magnanime est un risque-gros — il s'expose pour de grandes [choses] —, car il s'expose à n'importe quel danger pour de grandes choses, par exemple, pour le salut commun, pour la justice, pour le culte divin, et pour d'autres choses de la sorte. |
[73465] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 3 Secundam proprietatem
ponit ibi: et cum periclitetur et cetera. Et dicit, quod magnanimus quando
periculis se exponit, hoc facit vehementer, ita ut non parcat vitae suae
quasi non sit dignum quod magis velit vivere, quam magna bona per mortem
consequi. |
761.- Il donne sa seconde propriété. Il dit que, lorsque le magnanime s'expose aux dangers, il le fait avec véhémence, n’ayant garde d’épargner sa vie: c'est comme s'il jugeait qu’il n'est pas digne d'aimer plus la vie que les biens que l’on peut atteindre par la mort. (Juvénal: "Il ne faut pas préférer la vie aux raisons qu'on a de vivre".) |
#761. — Il présente ensuite la seconde propriété (1124b8). Il dit que le magnanime, lorsqu'il s'expose à des dangers, le fait avec énergie, en sorte qu'il n'épargne pas sa vie, car il ne serait pas digne de vouloir davantage vivre que réaliser par la mort de grands biens. |
[73466] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 4 Deinde cum dicit: et
potens benefacere etc., ponit quinque proprietates magnanimi, quae
accipiuntur per comparationem ad beneficia, quae sunt propria liberalitati.
Quarum prima est, quod magnanimus est potens benefacere, idest
promptus ad beneficia largienda, sed verecundatur ab aliis beneficia
accipere. Nam beneficia dare est excellentis, beneficia autem recipere est
eius qui exceditur. Magnanimus autem semper intendit ad hoc, quod superexcedat in bono. |
762.- Il pose cinq propriétés du magnanime, lesquelles sont prises par rapport aux bienfaits, qui sont propres à la libéralité. La première est que le magnanime est prêt à faire le bien, c'est-à-dire qu'il est prompt à faire des largesses, à multiplier ses dons, mais il rougit d’en recevoir des autres. Car le premier geste est marque de supériorité, l'autre d’infériorité. Or, le magnanime vise toujours à surpasser dans le bien. |
#762. — Ensuite (1124b9), il présente cinq propriétés du magnanime qui lui viennent en comparaison des services, qui sont propres à la libéralité. La première en est que le magnanime est puissant en bienfaits, c'est-à-dire, prompt à accorder des services, mais rougit d'accepter des services d'autrui. En effet, accepter des services, c'est le fait de qui est moindre. Or le magnanime vise toujours à ce surpasser [tous les autres] dans le bien. |
[73467] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 5 Secundam proprietatem
ponit ibi: et retributivus plurium et cetera. Et dicit quod si magnanimus
beneficia accipiat, semper studet ut retribuat maiora. Sic enim ille, qui
incepit beneficia conferre, erit magis bene passus, id est beneficia
recipiens, in quantum plura accepit quam dedit. |
763.- Il donne la seconde propriété. Il dit que, si le magnanime reçoit des bienfaits, il cherche toujours à en rendre de plus grands. "Ainsi celui qui a pris l’initiative d'un bienfait à son égard contractera à son tour une dette plus grande envers lui et se trouvera l’obligé, en tant qu’il recevra plus qu’il n’aura donné." |
#763. — Il présente ensuite la seconde propriété (1124b11). Il dit que si le magnanime accepte des services, il s'efforce toujours d'en remettre davantage. Ainsi, en effet, le bienfaiteur originaire en deviendra plutôt comblé, c'est-à-dire, bénéficiaire de services, dans la mesure où il aura davantage reçu que donné. |
[73468] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 6 Tertiam proprietatem ponit
ibi videntur autem et in memoria et cetera. Et haec quidem proprietas non est
ex electione magnanimi, et consequitur ex dispositione ipsius. Ita enim est
dispositus magnanimus, ut delectetur beneficia dare, invitus autem beneficia
recipiat. Ea vero, quae nos delectant, frequenter cogitamus, et per
consequens in memoria habemus. Ea vero quae non sunt nobis delectabilia raro
cogitamus, et per consequens non multum in memoria tenemus. Et inde est, quod
magnanimi videntur in memoria habere eos quibus dant beneficia, non autem eos
a quibus recipiunt. Hoc enim est contrarium voluntati eius secundum quam vult
superexcellere in bono, ille autem qui bene patitur, recipiendo scilicet
beneficia, est minor eo qui beneficia confert. Secundum electionem autem
magnanimus non obliviscitur beneficiorum. Sed studet ad hoc, quod maiora
recompenset, sicut dictum est. |
764.- Il pose la troisième propriété. Cette propriété ne vient pas du choix du magnanime, mais est consécutive à sa disposition. En effet, le magnanime est ainsi fait qu'il se réjouit à rendre des bienfaits, mais ne reçoit que malgré lui. Or, nous pensons souvent à ce qui nous plaît et, par conséquent, nous nous en souvenons. Mais nous ne pensons pas souvent à ce qui nous déplaît et, ainsi, nous l’oublions. De là vient que les magnanimes passent pour se souvenir très bien de ceux à qui ils ont rendu services, mais peu de celle de qui ils ont reçu des bienfaits. Cette réception est contraire à leur volonté qui veut surpasser dans le bien. Or, l'obligé est inférieur au bienfaiteur. Cependant, par élection, le magnanime n’oublie pas les bienfaits; mais il cherche à donner plus qu'il ne reçoit comme on l’a dit plus haut. |
#764. — Il présente ensuite la troisième propriété (1124b12). Cette propriété, bien sûr, ne vient pas du choix du magnanime, mais suit de sa disposition. En effet, le magnanime est disposé de telle manière qu'il prend plaisir à rendre des services, alors qu'il n'en reçoit que contre son gré. Or ce qui nous fait plaisir, nous y pensons souvent et, par conséquent, nous l'avons en mémoire, tandis que ce qui ne nous plaît pas, nous y pensons rarement et, par conséquent, nous ne le retenons pas beaucoup en mémoire. De là s'ensuit que le magnanime paraît se souvenir de ceux à qui il rend des services, mais non ceux de qui il en reçoit. Cela, en effet, est contraire à sa volonté, pour autant qu'il veut surpasser [tout le monde] dans le bien. Or celui qui reçoit bien, quand il reçoit des services, est moindre que celui qui rend les services. Dans son choix, toutefois, le magnanime n'oublie pas les services [reçus], mais il s'applique à en rendre de plus grands, comme on l'a dit (#763). |
[73469] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 7 Quartam proprietatem ponit
ibi: et haec quidem et cetera. Et dicit, quod magnanimus delectabiliter audit
beneficia quae ipse contulit. Non autem delectabiliter audit beneficia quae
recepit. Delectari siquidem potest in amore eius cui beneficia contulit. Sed
de hoc quod ipse beneficia recepit, non delectatur. Et circa hoc ponit duo
exempla. Quorum primum sumitur ex dictis Homeri, qui introducit Thetim, quam
dicebant esse deam aquarum, accedentem ad Iovem, quem dicebant esse regem
omnium deorum. Et quod Thetis non dixit Iovi beneficia quae ipsa Iovi
contulerat, quasi hoc non esset ei acceptum, sed potius beneficia quae ipsa
acceperat a Iove, quod Iupiter libenter audiebat. Aliud autem exemplum sumit
ex historia Graecorum; in qua narratur quod quidam cives, scilicet Lacones
Atheniensium auxilium implorantes non dixerunt eis beneficia quae fecerant,
sed quae receperant. |
765.- Il donne la quatrième propriété. Il dit que le magnanime se plaît à entendre parler des bienfaits dont il a été l’auteur. Mais il n'aime pas entendre parler de ceux qu'il a reçus. Il peut aussi aimer avec plaisir celui à qui il a donné des biens; mais il ne prend aucun plaisir à en recevoir. Sur ce sujet, il apporte deux exemples. Le premier provient des poèmes d’Homère qui présente Thétis, qu’on disait être la déesse des mers, s'approchant de Jupiter, que l’on disait être le roi de tous les dieux. C'est à dessein que Thétis ne rappelle pas à Zeus les services qu’elle lui avait rendus, mais plutôt les services qu’elle en avait reçu. Ce que Jupiter écoutait avec beaucoup de complaisance. L’autre exemple vient de l'histoire de la Grèce où on raco.nte que certains Laconiens, implorant l'aide des Grecs, n’ont pas soufflé mot des services qu'ils leur avaient rendus, mais de ceux qu’ils en avaient reçus. |
#765. — Il présente ensuite la quatrième propriété (1124b14). Il dit que le magnanime entend parler avec plaisir des services qu'il a lui-même rendus, mais il n'entend pas parler avec plaisir des services qu'il a reçus. Car il peut prendre plaisir dans l'amour qu'il porte à celui à qui il a rendu des services. Il ne prend pas plaisir, cependant, au fait d'avoir lui-même reçu des services. À ce [sujet], il présente deux exemples. Le premier est tiré des dires d'Homère, qui montre Thétis, considérée comme la déesse des eaux, se présenter à Jupiter, considéré comme le roi de tous les dieux. Or Thétis n'a pas rappelé à Jupiter les services qu'elle-même lui avait rendus, comme si[29] cela ne serait pas [bien] reçu de lui, mais plutôt les services qu'elle avait reçus de Jupiter, ce que Jupiter écoutait plus volontiers. Il prend l'autre exemple de l'histoire des Grecs, en laquelle on rapporte que des citoyens de Sparte, en implorant l'aide des Athéniens, ne leur ont pas rappelé les services qu'ils leur avaient rendus, mais ceux qu'ils en avaient reçus. |
[73470] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 8 Quintam proprietatem ponit
ibi: magnanimi autem et cetera. Et dicit, quod ad magnanimum pertinet, quod
exhibeat se tamquam nullo indigentem, vel non de facili, inquantum scilicet
non petit aliquid neque accipit, sed quod sit promptus ad hoc quod aliis
beneficium ministret. |
766.- La cinquième propriété qu'il pose est qu'il appartient au magnanime de ne pas se faire voir dans le besoin, ou de le faire avec peine, à savoir en tant qu'il ne demande ni ne reçoit rien. Au contraire, un de ses traits est de rendre service avec empressement. |
#766. — Il présente ensuite la cinquième propriété (1124b17). Il dit qu'il appartient au magnanime de se montrer sans besoin de rien, ou de ne pas [montrer] facilement [leur besoin], du fait qu'il ne demande ni ne reçoit rien, mais qu'il est prompt à rendre service. |
[73471] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 9 Deinde cum dicit et ad eos
quidem qui in dignitate etc., ponit proprietatem magnanimi per comparationem
ad honores. Et circa hoc tria facit. Primo ponit proprietatem. Et dicit, quod
ad magnanimum pertinet, ut se magnum et honorabilem exhibeat ad illos qui
sunt in dignitate et excellentia bonorum fortunae. Sed ad mediocres moderationem
quamdam exhibet non utendo magnitudine sua ad eos. |
767.- Il pose la propriété du magnanime par rapport aux honneurs. Ce qu'il fait en trois points. En premier, il pose la propriété. Il dit qu’un autre trait du magnanime est de se montrer grand et honorable avec les hommes au pouvoir et les favoris de la fortune, Mais avec les gens de moyenne condition, il est modeste, ne déployant pas sa grandeur avec eux. |
#767. — Ensuite (1124b18), il présente la propriété du magnanime en comparaison des honneurs. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la propriété. Il dit qu'il appartient au magnanime de se montrer grand et honorable avec ceux qui sont [constitués] en dignité et qui excellent en biens de fortune. Mais il montre de la modération avec les gens ordinaires, n'usant pas de sa grandeur avec eux. |
[73472] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 10 Secundo ibi: hos quidem
enim etc., inducit duas rationes eius quod dixerat. Quarum prima est quia
omnis virtus nititur ad id quod est difficile et honorabile. Quod autem
aliquis excellat in bono magnos viros, est difficile et venerabile. Sed quod
aliquis excellat mediocres viros, facile est. |
768.- En second, il apporte deux raisons pour manifester son affirmation. La première est que toute vertu vise à ce qui est ardu et honorable, Que quelqu'un soit supérieur dans le bien aux grands hommes, voilà qui est difficile et digne de respect. Mais il est facile de dépasser des hommes moyens. |
#768. — En second (1124b20), il apporte deux raisons de ce qu'il avait dit. La première en est que toute vertu tend au difficile et à l'honorable. Or surpasser en bien de grands hommes, c'est difficile et vénérable, mais surpasser des hommes ordinaires, c'est facile. |
[73473] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 11 Secunda ratio est quia,
quod aliquis inter magnos viros exhibeat se venerandum, pertinet ad quamdam
animi virilitatem. Sed quod aliquis velit magnam reverentiam sibi exhiberi ab
infimis personis, est eorum qui sunt aliis onerosi. |
769.- La seconde raison est que se glorifier au milieu des grands hommes relève d'une certaine virilité d'âme. Mais rechercher l’admiration et le respect des humbles, se prévaloir de ses atouts avec les petites gens, c’est faire parti de ceux qui sont onéreux pour les autres. |
#769.
— La seconde raison est que se donner à vénérer parmi de grands hommes
appartient à une certaine virilité de l'âme, tandis que vouloir que de fort
petites personnes nous montre une grande déférence, cela appartient à ceux
qui sont pénibles pour les autres. |
[73474] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 12 Tertio ibi, quemadmodum
ad imbecilles etc., ponit exemplum. Et dicit, quod simili modo hoc quod
dictum est est vitiosum, sicut et quod aliquis exhibeat se fortem contra
imbecilles, et quod non aggrediatur difficilia quae sunt honorabilia et in
quibus alii praecellunt. |
770.- En troisième, il donne un exemple, Il dit que le geste que l’on vient de décrire est vicieux comme le geste de chercher à faire montre de sa force sur les faibles, et de refuser de se hisser au niveau des choses difficiles, qui sont glorieuses, et en lesquelles d’autres excellent. |
#770. — En troisième (1124b22), il présente un exemple. Il dit que ce dont on vient de parler est vicieux de manière comparable au fait de se montrer courageux contre des faibles et de ne pas s'attaquer à des [entreprises] difficiles, qui tiennent de l'honorable, mais où d'autres excellent déjà. |
[73475] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10 n. 13 Deinde cum dicit: et otiosum esse etc., ponit
proprietates magnanimi secundum actus humanos. Et primo quantum ad seipsum.
Secundo per respectum ad alios, ibi: necessarium autem manifestum et cetera. Dicit ergo primo, quod ad magnanimum pertinet, quod sit
otiosus, ex eo scilicet quod non multis negotiis se ingerit, et quod
sit tardus, idest non de facili se ingerat negotiis. Sed solum illis
actibus insistat qui pertinent ad aliquem magnum honorem, vel ad aliquod
magnum opus faciendum. Et sic magnanimus est operativus paucorum. Sed
operatur magna, et quae sunt digna nomine magno. |
771.- Il pose les propriétés du magnanime par rapport aux actes humains. Et, en premier, par rapport à ses propres actes. En second, par rapport aux actes des autres. Il dit donc, en premier, qu’un trait du magnanime est d’être négligent (oisif), en ce sens qu'il entreprend peu de choses et qu’il est peu pressé d'agir, c'est-à-dire qu’il s'occupe de ses affaires avec peine. Il ne se met vraiment à l’œuvre que lorsqu'il y a quelque grand honneur en jeu ou quelque grande œuvre à faire. Et ainsi, le magnanime accomplit peu. Mais les œuvres qu'il accomplit sont grandes et dignes de renom. |
#771. — Ensuite (1124b24), il présente les propriétés du magnanime en rapport aux actions humaines. En premier, quant à lui-même. En second (1124b26), en rapport aux autres. Il dit donc, en premier, qu'il appartient au magnanime de se trouver désœuvré21, du fait qu'il ne se jette pas en beaucoup d'entreprises, et d'être lent, c'est-à-dire, qu'il ne se jette pas facilement en des entreprises. Au contraire, il ne donne ses soins qu'à ces seules actions qui appartiennent à quelque grand honneur, ou à réaliser une grande œuvre. De sorte que le magnanime ne fait que peu de choses, mais il en fait de grandes, et qui sont dignes du nom de grand. |
[73476] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 14 Deinde cum dicit
necessarium autem etc., ponit proprietates magnanimi circa actus humanos, qui
sunt per comparationem ad alium. Et primo quantum ad veritatem. Secundo
quantum ad delectationem. Haec enim praecipue requiruntur in convictu ad
alios, ut infra dicetur; secundum ibi: et ad alium non posse vivere et
cetera. Circa primum ponit quatuor proprietates. Quarum prima respicit
interiorem affectum. Et dicit quod necessarium est, quod magnanimus
manifestus sit amicus, et manifestus inimicus. Quia quod aliquis latenter
amet vel odiat, provenit ex aliquo timore. Timor autem magnanimitati
repugnat. |
772.- Il pose la propriété du magnanime qui concerne les actes humains qui sont pris en relation avec les autres hommes. Et en premier, par rapport à la vérité. En second, par rapport au plaisir. En effet, dans la vie intime en commun, vérité et plaisir sont les deux principales exigences, comme on le verra plus loin. En ce qui concerne la vérité, il pose quatre propriétés. La première se rapporte à l’affection intérieure. Il dit que c’est une nécessité pour le magnanime de manifester son amitié et sa haine au grand jour, car celui qui cache son amour ou sa haine le fait par crainte. Mais la crainte répugne au magnanime. |
#772. — Ensuite (1124b26), il présente la propriété du magnanime en rapport aux actions humaines en leur rapport à autrui. D'abord quant à la vérité. En second quant au plaisir. Ce sont là, en effet, les exigences principales de la vie commune, comme on le dira plus loin (#816-849). En rapport au premier [point], il présente quatre propriétés. La première regarde le sentiment intérieur. Il dit que nécessairement le magnanime est un ami déclaré et un ennemi déclaré. Car le fait d'aimer ou haïr en cachette provient de quelque crainte. Or la crainte répugne au magnanime. |
[73477] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 15 Secundam proprietatem
ponit ibi: et curare et cetera. Et dicit quod ad magnanimum pertinet, quod magis
curet de veritate, quam de opinione hominum. Non enim propter humanam
opinionem recedit ab eo quod facere debet secundum virtutem. |
773.- Il donne la seconde propriété. Il dit qu'il appartient au magnanime de se préoccuper davantage de la vérité que de l’opinion des autres. En effet, l’opinion humaine ne le fait pas dévier des bonnes actions qu’il doit accomplir. |
#773. — Il présente ensuite la seconde propriété (1124b27). Il dit qu'il appartient au magnanime de se préoccuper davantage de la vérité que de l'opinion des gens. En effet, il ne renonce pas, à cause de l'opinion humaine, à ce qu'il doit faire en conformité à la vertu. |
[73478] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 16 Tertiam proprietatem
ponit ibi: et dicere et operari et cetera. Et dicit, quod ad magnanimum
pertinet, quod manifeste loquatur et operetur, eo quod ipse est contemptivus
aliorum. Et inde est, quod ipse libere propalat sua dicta et facta. Quod enim
aliquis occultet ea quae facit vel dicit, provenit ex hoc quod timet alios.
Nullus autem timet eos quos contemnit. Unde ista duo convertuntur ad invicem,
ut scilicet aliquis sit libere propalativus et contemptivus. Non autem
dicitur magnanimus esse contemptivus eo quod despiciat alios quasi privans
eos debita reverentia; sed quia non appretiatur eos ultra quam debeat. |
774.- Il pose la troisième propriété. Il dit qu'il appartient au magnanime de parler et d'agir au grand jour, du fait qu’il méprise les autres. De là vient qu'il parle et agit ouvertement. En effet, que quelqu’un cache ce qu'il fait et dit, cela provient de la crainte des autres. C'est pourquoi, ces deux attitudes sont convertibles: agir ouvertement avec liberté et être dédaigneux envers les autres. On ne dit pas du magnanime qu’il est dédaigneux, du fait qu’il mépriserait les autres en les privant du respect, qui leur est dû, mais parce qu’il les apprécie à leur juste valeur. |
#774. — Il présente ensuite la troisième propriété (1124b28). Il dit qu'il appartient au magnanime de parler et d'agir visiblement, du fait qu'il méprise les autres. Aussi, il rend publics ses dires et ses faits. En effet, cacher ce que l'on fait ou dit provient de ce que l'on craint les autres. Or personne ne craint ceux qu'il méprise. Aussi, ces deux [comportements] se réciproquent, à savoir, parler librement et mépriser. On ne dit pas le magnanime méprisant, toutefois[30], du fait qu'il méprise des gens en les privant de la déférence qui leur est due, mais parce qu'il ne leur attache pas plus de prix qu'il ne doit. |
[73479] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 17 Quartam proprietatem
ponit ibi: et veridicus et cetera. Et dicit, quod magnanimus in verbis suis
non falsum, sed verum dicit; nisi forte aliqua ironice loquatur ex ludo.
Utitur autem ironia in societate multorum. |
775.- Il pose la cinquième propriété. Il dit que le magnanime, dans ses paroles, respecte la vérité et rejette le faux; sauf lorsque par jeu il parle ironiquement. Il se sert de l’ironie quand il s’adresse à la foule (quand il est en présence de nombreuses personnes). |
#775. — Il présente ensuite la quatrième propriété (1124b30). Il dit que le magnanime n'est pas faux dans ses paroles, mais dit vrai, sauf s'il parle avec ironie par jeu. Il use d'ironie en compagnie de la masse. |
[73480] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 18 Deinde cum dicit et ad
alium non posse vivere etc., ponit proprietatem magnanimi circa delectationem
quae est in convictu. Et dicit, quod ad magnanimum pertinet ut non promptus
sit ad convivendum cum aliis, nisi cum amicis; quod enim aliquis ingerat se
familiaritatibus omnium, est servilis animi. Unde et omnes blanditores, qui
volunt omnibus indifferenter placere, sunt obsequiosi, idest ad
serviendum parati. Et e converso omnes humiles, qui scilicet sunt
abiecti animi, sunt blanditores. |
776.- Il expose la propriété du magnanime qui concerne le plaisir dans la vie intime en commun. Il dit que le magnanime n’est pas disposé à vivre avec les autres, à moins qu'il ne s’agisse d’un ami. En effet, que quelqu'un s’installe dans d’étroites amitiés avec tout le monde, cela relève d'une âme servile. C’est pourquoi, tous les flatteurs, qui veulent plaire indifféremment à tous, sont obséquieux, c’est-à-dire prêts à rendre service. Et, inversement, tous les humbles, à, savoir ceux qui ont une âme servile, sont flatteurs. |
#776. — Ensuite (1124b31), il présente la propriété du magnanime en rapport au plaisir qu'il y a dans la vie commune. Il dit qu'il appartient au magnanime de ne pas être prompt à mener vie commune avec d'autres, sinon avec ses amis. Car le fait de se jeter dans les familiarités avec tous est d'une âme servile. Aussi, tous les flatteurs, qui veulent indifféremment plaire à tous, sont obséquieux, c’est-à-dire, prêts à servir. Inversement, tous les humbles, c'est-à-dire, d'âme abjecte, sont des flatteurs. |
[73481] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 19 Deinde cum dicit: neque
admirativus etc., ponit proprietates magnanimi, quae accipiuntur secundum
dispositionem ipsius. Et primo ponit quasdam, quae consistunt in corde.
Secundo quasdam, quae consistunt in locutione, ibi, neque humaniloquus et
cetera. Tertio ponit illas, quae consistunt in exteriori conversatione, ibi,
et potens possedisse et cetera. Circa primum ponit duas proprietates. Quarum
prima est, quod magnanimus non est promptus ad admirandum, quia admiratio est
de rebus magnis. Sed magnanimo non est aliquid magnum eorum quae exterius
occurrere possunt, quia tota intentio sua versatur circa interiora bona, quae
sunt vere magna. |
777.- Il pose les propriétés du magnanime, qui sont prises d’après sa propre disposition. Et, en premier, il expose quelques propriétés que l'on trouve dans ses dispositions intérieures. En second, il expose certaines caractéristiques de son discours, En troisième, il expose celles qui caractérisent ses relations avec les autres. La première est que le magnanime ne se laisse pas facilement émerveiller (il n’a guère de propension à l'admiration), parce que l’admiration porte sur les grandes choses. Mais, pour le magnanime, il n’y a rien de grand qui puisse arriver parmi les événements extérieurs: toute sa vie est tournée vers les biens intérieurs, qui sont vraiment grands. |
#777. — Ensuite (1125a2), il présente les propriétés du magnanime qui lui viennent de sa disposition. Il en présente certaines, en premier, qui résident dans le cœur. En second (1125a5), certaines qui résident dans la parole. En troisième (1125a11), il présente celles qui résident dans les relations avec les autres. En rapport au premier [point], il présente deux propriétés. La première en est que le magnanime n'est pas prompt à admirer, car l'admiration porte sur les grandes choses. Or, pour le magnanime, il n'y a rien de grand dans ce qui peut arriver extérieurement; car toute sa vie est tournée vers les biens intérieurs, qui sont vraiment grands. |
[73482] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 20 Secundam proprietatem
ponit ibi: neque memor mali et cetera. Et dicit quod magnanimus non multum
recordatur malorum, quae passus est. Et ad hoc inducit duas rationes. Quarum
una est, quia non convenit magnanimo multa recordari, sicut neque admirari;
eorum enim solemus multum recordari quae tamquam magna admiramur. Alia ratio
est, quia ad magnanimum specialiter pertinet oblivisci malorum quae passus
est, inquantum scilicet ea despicit, utpote a quibus minorari non potuit.
Unde de Iulio Caesare Tullius dicit, quod nullius oblivisci solitus erat nisi
iniuriarum. |
778.- Il dit que le magnanime ne se souvient pas beaucoup du mal passé. Il apporte deux raisons à cela. La première est que le caractère du magnanime ne le porte par à charger sa mémoire, comme il ne le porte pas à l'admiration. En effet, habituellement nous nous rappelons de ce qui a forcé, par sa grandeur, notre admiration. La seconde raison est qu’il appartient tout spécialement au magnanime d'oublier les maux qu’il a subis, à savoir en tant qu’il les dédaigne, du fait qu’il n'a pas pu s'y soustraire ou les diminuer. De là vient que l’on dit de Julius César qu'habituellement il ne se souvenait de rien, si ce n’est des injures. |
#778.
— Ensuite (1125a4), il dit que le magnanime ne retient pas beaucoup les maux
qu'il a soufferts. À cela, il apporte deux raisons. La première en est qu'il
ne convient pas au magnanime de se rappeler beaucoup de choses, comme, non
plus, d'en admirer [beaucoup]; en effet, nous avons coutume de nous rappeler
les choses que nous admirons comme grandes. L'autre raison est qu'il
appartient spécialement au magnanime d'oublier les maux qu'il a soufferts, en
tant qu'il les méprise, puisque venant de gens par qui il n'a pu être
diminué. Aussi Cicéron dit-il de Jules César qu'il n'avait coutume de ne rien
oublier que les injures. |
[73483] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10
n. 21 Deinde cum dicit: neque
humaniloquus etc., ponit duas proprietates magnanimi circa locutionem eius.
Quarum prima est, quod non multum loquitur de hominibus, quia particulares
res hominum non multum appretiatur. Sed tota eius intentio est circa bona
communia et divina. Unde nec de seipso multum loquitur, neque de aliis. Non
enim est sibi curae, quod ipse laudetur, neque quod alii vituperentur. Unde
neque ipse multum laudat alios, neque etiam male loquitur de aliis, nec etiam
de inimicis, nisi propter iniuriam sibi ab eis illatam repellendam. |
779.- Il pose deux propriétés du magnanime en e qui concerne son discours. La première est qu’il ne parle pas beaucoup des hommes, car il accorde peu de prix aux gestes particuliers des hommes. Mais toute son attention se porte sur les biens communs et divins. C’est pourquoi, il parle peu de lui-même et des autres. En effet, il nia à cœur ni de s’entendre louer, ni d’entendre blâmer les autres. De là vient qu’il n’est guère prodigue d’éloges, ni médisant, même envers ses ennemis, à moins qu'il ne lui faille répondre à une injure qu’on lui a faite. |
#779. — Ensuite (1125a5), il présente deux propriétés du magnanime en rapport à son élocution. La première en est qu'il ne parle pas beaucoup des choses humaines, parce qu'il n'attache pas beaucoup de prix aux choses particulières des hommes. Tout son intérêt porte au contraire sur les biens communs et divins. Aussi ne parle-t-il beaucoup ni de lui-même, ni des autres. Il n'a cure, en effet, d'être loué ou qu'on le vitupère. Aussi, il ne loue pas beaucoup lui-même les autres, ni ne parle en mal des autres, et pas même de ses ennemis, sinon à cause d'une injure reçue d'eux à repousser. |
[73484] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10 n. 22 Secundam proprietatem ponit ibi: et de necessariis et
cetera. Et dicit, quod de necessariis ad vitam humanam, vel quibuscumque
aliis rebus neque etiam est planctivus, scilicet conquerendo vel
murmurando si ei desint, neque deprecativus ut ei exhibeantur; haec enim
pertinent ad illum qui studet circa necessaria vitae consequenda quasi circa
aliqua magna, quod est contrarium magnanimitati. |
780.- Il pose la troisième propriété. Il dit que pour les besoins de la vie ou pour quelque autre chose que ce soit, il ne lui arrive pas de se plaindre, à savoir en cherchant à acquérir les choses nécessaires ou plus ou moins utiles à la vie, ou en murmurant si elles lui font défaut. Il ne se fait pas solliciteur non plus. Tout cela appartient à celui qui se préoccupe des nécessités de la vie, comme si elles étaient de grandes choses. Elles sont contraires à la magnanimité. |
#780. — Il présente ensuite la seconde propriété (1125a9). Il dit qu'il n'est ni pleurnichard à propos des [choses] nécessaires à la vie humaine ou de n'importe quoi d'autre — en ceci qu'il se plaindrait ou murmurerait si elles lui faisaient défaut —, ni porté à prier qu'on les lui fournisse. Cela, en effet, appartient à qui se préoccupe du nécessaire à la vie comme de quelque chose de grand, qui pourrait contrarier la magnanimité. |
[73485] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10 n. 23 Deinde cum dicit: et potens possedisse etc., ponit
proprietates magnanimi per comparationem ad exteriora. Et primo quantum ad exteriores
possessiones. Et dicit quod magnanimus est promptus magis ad possidendum
quaedam bona, id est honorabilia, et infructuosa, id est quae non sunt
lucrosa, quam aliqua quae sunt lucrosa et utilia. Quia magis pertinet ad
hominem sibi sufficientem, quod non indigeat aliunde lucrari. |
781.- Il pose les propriétés qui sont, prises par relation aux choses extérieures. Et tout d’abord, par rapport aux possessions extérieures. Il dit que le magnanime et homme à préférer la possession de certains biens, à savoir honorables et improductifs, c’est-à-dire des biens inaptes à procurer du profit, à celle des biens productifs et utiles. Cela marque mieux son indépendance d’homme, de ne pas avoir besoin de recourir à l’extérieur pour s’enrichir. |
#781. — Ensuite (1125a11), il présente les propriétés qui ont rapport avec les [biens] extérieurs. En premier, quant aux possessions extérieures. Il dit que le magnanime est davantage prompt à posséder des biens honorables et inféconds, c'est-à-dire, qui non lucratifs, que des [biens] lucratifs et utiles. Car il appartient davantage à l'homme qui se suffit à lui-même de ne pas avoir besoin de tirer des gains d'ailleurs. |
[73486] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10 n. 24 Secundo ibi: sed et motus lentus etc., ponit
proprietatem magnanimi quantum ad motus corporales. Et dicit, quod motus
magnanimi videtur esse lentus et vox eius videtur esse gravis et locutio eius
videtur esse stabilis, id est tarda. Et horum rationem assignans dicit, quod
non potest motus magnanimi esse festinus, cum ipse ad pauca operanda
intendat. Similiter etiam magnanimus non est contentiosus, eo quod nihil
exteriorum magnum existimat, nullus autem contendit nisi pro aliquo magno.
Acuitas autem vocis, et velocitas locutionis accidit propter contentionem.
Patet ergo quod ipsa affectio magnanimi requirit gravitatem vocis, et
tarditatem locutionis et motus. Dicit autem philosophus in praedicamentis
quod si aliquis naturaliter inclinatur ad aliquam passionem, puta ad
verecundiam, oportet eum naturaliter habere talem colorem, qui competat
verecundiae. Unde si aliquis habet naturalem aptitudinem ad magnanimitatem,
consequens est etiam quod habeat naturalem dispositionem ad huiusmodi
accidentia. |
782.- En second, il pose la propriété du magnanime en ce qui a trait aux mouvements corporels. Il dit que les mouvements du magnanime sont lents, que sa voix semble grave, se que sa parole est ferme et posée. En donnant la raison de ces caractéristiques, il dit que le mouvement de celui que ne sollicite que peu d’affaires ne peut être hâtif. Pareillement aussi, il n’est pas questions de tension d’esprit chez le magnanime, parce qu'il ne fait pas grand cas des choses extérieures. La tension vient de l'importance accordée à une chose. Or, si on élève la voix et si on précipite son allure, cela vient de la tension. Donc, il appert que l’inclination affective même du magnanime requiert la gravité de la voix et la lenteur du débit et du mouvement. Et le Philosophe dit dans les Prédicaments que si quelqu'un est naturellement incliné à une passion, par exemple à la pudeur, il faut qu’il possède naturellement la couleur qui convient à la pudeur. C’est pourquoi, si quelqu’un possède une aptitude naturelle à la magnanimité, il s'ensuit qu'il possède aussi la disposition naturelle aux accidents de cette sorte. |
#782. — En second (1124a12), il présente la propriété du magnanime en rapport à ses mouvements corporels. Il dit que le mouvement du magnanime est d'allure posée, et que sa voix sonne grave, et que son élocution est ferme et lente. En assignant la raison de ces [propriétés], il dit que le mouvement du magnanime ne peut être hâtif, puisqu'il n'entend lui-même ne faire que peu de choses. Pareillement aussi, le magnanime n'est pas opiniâtre, car il n'estime grande aucune [chose] extérieure. Personne, en effet, ne s'obstine, sinon pour quelque chose de grand. Or l'acuité de la voix et la rapidité d'élocution ne se produit qu'en raison de l'opiniâtreté. Il appert donc que le sentiment même du magnanime requiert la gravité de la voix et la lenteur d'élocution et de mouvement. Le Philosophe dit d'ailleurs, 144 dans ses Attributions (ch. 6), que si on est naturellement incliné à une passion, par exemple, à la vergogne, il faut que l'on ait naturellement la couleur qui convient à la vergogne. Aussi, si on a une aptitude naturelle à la magnanimité, il s'ensuit aussi que l'on ait la disposition naturelle à ses accidents de la sorte. |
[73487] Sententia Ethic., lib. 4 l. 10 n. 25 Ultimo vero concludit epilogando, quod magnanimus talis
est, qualis dictus est. |
783.- En dernier il conclut, en résumant, que le magnanime est tel qu’on l'a dit. |
#783. — Enfin, il conclut que le magnanime est tel qu'on l'a dit. |
|
|
|
Lectio
11 |
Leçon 11 : [Les vices opposés à la magnanimité] |
|
|
TOUTE CETTE LECON S’EFFORCE A DECRIRE LES VICES OPPOSES A LA MAGNANIMITE, AUSSI BIEN PAR DEFAUT QUE PAR EXCES, COMME LE SONT LA PUSILLANIMITE ET LA PRESOMPTION. |
|
[73488] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 1 Deficiens autem et cetera. Postquam philosophus
determinavit de magnanimitate, hic determinat de vitiis oppositis. Et circa
hoc tria facit: primo determinat id quod est commune utrique vitio. Secundo
determinat de utroque secundum se, ibi, pusillanimus quidem enim et cetera.
Tertio comparat unum alteri, ibi, opponitur autem magnanimitati et cetera.
Dicit ergo primo, quod ille qui deficit a medio magnanimitatis, vocatur pusillanimus.
Ille autem, qui superabundat, vocatur chaymus, id est fumosus, quem
nos dicimus inflatum vel praesumptuosum. Non autem dicuntur esse mali,
quantum ad hoc quod non sunt malefactores. Non enim alicui nocumentum
inferunt, nec faciunt aliquid turpe. Sed tamen peccant in hoc quod recedunt a
medio rationis. |
784.- Après avoir traité de la magnanimité, le Philosophe étudie maintenant les vices opposés. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il détermine ce qui est commun aux deux vices. En second, il traite de chacun en particulier. En troisième, il compare l’un à l’autre. Il dit donc, en premier, que l'homme qui reste en-deçà du milieu de la magnanimité s’appelle pusillanime. Celui qui dépasse la mesure s’appelle "chaymus", c’est-à-dire plein de fumée nous, nous l'appelons enflé (gonflé) ou présomptueux. De l'aveu de tous ces gens-là ne sont pas méchants, en ce sens qu’il ferait du mal à quelqu’un. En effet, ils ne font aucun dommage à personne, ni ne versent dans des acte honteux. Cependant, ils pèchent en ce qu'ils s’éloignent du milieu de la raison. |
#784. — Après avoir traité de la magnanimité, le Philosophe traite ici des vices opposés. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de ce qui est commun à l'un et l'autre vice. En second (1125a19), il traite de l'un et l'autre en particulier. En troisième (1125a32), il compare l'un à l'autre. Il dit donc, en premier, que celui qui fait défaut au milieu de la magnanimité s'appelle pusillanime, tandis que celui qui tombe dans l'excès s'appelle vaincu, c'est-à-dire, fumeux, ce que nous appelons enflé, ou présomptueux. Néanmoins, on ne les appelle pas mauvais du fait qu'ils seraient des malfaiteurs. En effet, ils n'infligent de dommage à personne, ni ne font rien de honteux. Ils se rendent fautifs, pourtant, en ce qu'ils s'écartent du milieu de la raison. |
[73489] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 2 Deinde cum dicit: pusillanimis quidem enim etc.,
determinat de utroque vitiorum secundum se. Et primo de vitio quod est
secundum defectum; secundo de vitio quod est secundum excessum, ibi, chaymi
autem et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit proprium actum
pusillanimi. Et dicit, quod pusillanimus, cum sit dignus bonis, privat
seipsum illis quibus dignus est, dum scilicet non conatur ad operandum vel
consequendum ea quae sibi competerent. |
785.- Il traite de chacun deux vices. Et, en premier, du vice par défaut. En second, du vice par excès. Il divise son premier point en trois parties, En premier, il expose l’acte propre du pusillanime. Il dit que le pusillanime, alors qu’il est digne des biens, se prive lui-même de ce dont il est digne, du fait qu’il ne s’efforce pas à opérer ou à poursuivre ce qui lui conviendrait. |
#785. — Ensuite (1125a19), il traite de l'un et l'autre vice. En premier, de celui par manque. En second (1125a27), de celui par excès. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente l'acte propre du pusillanime. Il dit que le pusillanime, alors qu'il est digne de biens, se prive lui-même de ce dont il est digne, en ceci qu'il ne s'efforce pas de faire ou d'obtenir ce qui lui reviendrait. |
[73490] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 3 Secundo ibi: et videbitur malum habere etc., ostendit
causam pusillanimitatis. In qua quidem causa tria consideranda sunt per
ordinem. Quod enim aliquis se privet bonis quibus dignus est, primo quidem
contingit ex hoc quod non reputat se dignum talibus bonis, cum tamen sit
dignus; hoc autem secundum contingit ex hoc quod ignorat suam conditionem.
Cum enim proprium bonum sit cuilibet appetibile, si seipsum cognosceret
pusillanimus, appeteret ea quibus est dignus, cum sint quaedam bona et de se
appetibilia. Huiusmodi autem ignorantia non contingit ex insipientia, quia
insipientes non sunt digni magnis; sed magis contingit ex quadam pigritia,
per quam contingit, quod nolunt magnis se ingerere secundum suam dignitatem.
Et hoc est tertium ex quo alia duo oriuntur. |
786.- En second, il montre la cause de la pusillanimité. Cette cause présente trois éléments qu’il faut considérer par ordre. Que quelqu’un se prive des biens dont il est digne, cela vient, en premier lieu, de ce qu’il ne se croit pas digne de tels biens alors qu'il en est: ce second élément découle du fait qu'il ignore sa condition. En effet, puisque à chacun est désirable son bien propre, si le pusillanime se connaissait, il désirerait ce dont il est digne, puisque ce sont là des biens et des objets d’appétit. Or, cette serte d’ignorance ne découle pas de la sottise ou de la stupidité, car les sots ne sont pas dignes de grands biens; elle vient plutôt d'une certaine paresse (d’une certaine répugnance - lenteur - indolence) qui les empêche de se lancer à la conquête des grands biens proportionnés à leur dignité. Tel est le troisième élément qui donne naissance aux deux autres. |
#786. — En second (1125a20), il montre la cause de la pusillanimité. Dans cette cause, certes, trois [éléments] sont à considérer en ordre. Qu'en effet l'on se prive de biens dont on est digne se produit, en premier, du fait que l'on ne se pense pas digne de tels biens, alors que cependant on est digne; par ailleurs, cela se produit du fait que l'on ignore sa condition. Comme, en effet, son bien propre est désirable pour n'importe qui, si l'on se connaissait soi-même comme pusillanime, on désirerait ce dont on est digne, comme ce serait choses bonnes et désirables. Par ailleurs, une ignorance de la sorte ne dépend pas de la sottise, car les sots ne sont pas dignes de grands [biens]; elle dépend plutôt, au contraire, d'une certaine paresse, qui entraîne que l'on ne veuille pas entreprendre de grandes [choses] en conformité avec sa dignité. Et voilà le troisième [élément], dont les deux autres originent. |
[73491] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 4 Tertio ibi: talis autem opinio etc., ponit effectum
pusillanimitatis. Et dicit quod talis opinio per quam alicui videtur, quod
homo non sit dignus bonis quibus est dignus, videtur homines facere deteriores.
Singuli enim homines appetunt illa, quae conveniunt eis secundum propriam
dignitatem. Et ideo, quando nesciunt suam dignitatem, dupliciter detrimentum
patiuntur suae bonitatis. Primo quidem, quia recedunt ab ipsis operationibus
virtutum, et adinventionibus speculabilium veritatum, quasi indigni et
insufficientes ad talia existentes: ex hoc autem, quod magna bona
praetermittunt, efficiuntur peiores, quia magnorum bonorum exercitatio facit
homines meliores. Secundo, quia per praedictam opinionem recedunt aliqui ab exterioribus
bonis quibus sunt digni, quae instrumentaliter ad operationes virtutum
deserviunt. |
787.- En troisième, il expose l’effet de la pusillanimité. Il dit que cette fausse opinion que le pusillanime a de lui-même, qui veut qu'il ne soit pas digne des biens qu’il mérite, semble accroître son infériorité. En effet, chaque homme désire ce qui lui convient selon sa propre dignité. C’est pourquoi, l’ignorance de sa dignité apporte un double dommage à sa perfection. En premier, parce que les pusillanimes s’abstiennent des opérations des vertus et des recherches de la vérité, en tant qu'ils se croient indignes et incapables de ces belles occupations, ils se rendent pires qu'ils ne devraient être, en laissant passer d’aussi grands biens: n’est-ce pas en travaillant à des grandes œuvres que l'on devient meilleur? En second, ils se font aussi dommage, parce que cette opinion qu’ils ont d'eux-mêmes leur fait abdiquer des biens extérieurs dont ils sont dignes, biens extérieurs qui servent d'instruments aux opérations vertueuses. |
#787. — En troisième (1125a24), il présente l'effet de la pusillanimité. Il dit que pareille opinion, par laquelle il nous semble que l'on ne soit pas digne des biens dont [de fait] on est digne, rend manifestement mauvais. Chaque être, en effet, désire ce qui lui convient selon sa dignité propre. C'est pourquoi, quand on ne connaît pas sa dignité, on souffre double dommage pour sa bonté. En premier, certes, du fait que l'on s'écarte des actions mêmes des vertus, et des découvertes des vérités spéculatives, par indignité et inaptitude à de pareils [biens]; du fait, alors, que l'on néglige de grands biens, on devient mauvais, car c'est l'exercice de grands biens qui rend meilleur. En second, parce que par l'opinion mentionnée, on s'écarte des biens extérieurs dont on est digne, lesquels servent à titre d'instruments aux actions des vertus. |
[73492] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 5 Deinde cum dicit: caymi autem etc., determinat de vitio
quod est per excessum. Et circa hoc duo facit. Primo enim proponit causam
huius vitii. Et dicit quod chaymi, id est praesumptuosi, et sunt
insipientes et ignorant suam conditionem; non quidem propter pigritiam, sicut
pusillanimes, sed propter insipientiam. Et hoc apparet manifeste, quia ipsi
conantur ad agendum vel consequendum aliqua honorabilia, ad quae eorum
dignitas non se extendit; unde, quando in eorum operatione vel consecutione
deficiunt, manifeste redarguendi apparent. |
788.- Il traite du vice par excès. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il donne la cause de ce vice. En premier, il dit que les présomptueux sont et sots et ignorants de leur condition. Ils sont présomptueux non à cause d'une certaine paresse, comme le pusillanime, mais à cause de leur stupidité, Et cela apparait manifestement du fait qu’ils s'efforcent à faire ou à poursuivre quelque chose de grand qui dépasse vraiment leur dignité. Puis, quand ils échouent dans leur opération ou leur poursuite, ils se couvrent de confusion. |
#788. — Ensuite (1125a27), il traite du vice par excès. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la cause de ce vice. Il dit que les vains, c'est-à-dire, les présomptueux, à la fois sont sots et ignorent leur condition; non pas par paresse, bien sûr, comme les pusillanimes, mais par sottise. Cela apparaît manifestement, puisqu'ils s'efforcent[31] de faire ou d'obtenir des [biens] honorables auxquels leur dignité ne s'étend pas; de sorte que, lorsqu'ils échouent dans leur action ou recherche, ils apparaissent manifestement réfutés. |
[73493] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 6 Secundo ibi: et veste ornantur etc., ponit actum huius
vitii qui consistit in quadam exteriori magnificatione, in quantum scilicet
magnificant seipsos. Primo quidem quibusdam exterioribus signis, dum scilicet
ornatis utuntur vestibus, et etiam figura ornantur pompose incedentes, et
alia huiusmodi faciunt ad manifestandum excellentiam suam in exterioribus
bonis fortunae. Secundo, quia huiusmodi etiam verbis manifestant quasi per
haec volentes assequi honorem. |
789.- En second, il expose l'acte de ce vice qui consiste à se grandir extérieurement, à savoir en tant qu'ils se glorifient eux-mêmes. En premier, par des signes extérieurs, alors qu’ils se servent de vêtements brillants de parure, qu'ils soignent leur apparence et s’avancent pompeusement: ce qu'ils font, ainsi que beaucoup de gestes de cette sorte, pour manifester leur excellence à travers les biens extérieurs de la fortune. En second, ils se vantent comme s’ils voulait par là rehausser leur prestige (dans l'espoir de s'attirer par là de l'honneur). |
#789. — En second (1125a30), il présente l'acte de ce vice qui consiste en une vantardise extérieure, à savoir, en tant qu'ils se vantent eux-mêmes. En premier, certes, par des signes extérieurs, car ils usent de vêtements élégants, et aussi se donnent de l'allure en marchant pompeusement, et font d'autres [choses] de la sorte pour manifester leur excellence en biens extérieurs de fortune. En second, parce qu'ils se donnent de l'apparence avec un parler de même sorte, comme s'ils entendaient mériter de l'honneur par là. |
[73494] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 7 Deinde cum dicit: opponitur autem etc., comparat
praedicta vitia adinvicem. Et dicit quod pusillanimitas magis opponitur
magnanimitati, quam chaymotes, id est praesumptio. Et huius assignat
duas rationes. Quarum prima est, quia in secundo habitum est, vitium quod
magis accidit propter maiorem inclinationem naturae humanae in ipsum magis
opponitur virtuti quae ad hoc praecipue ordinatur ut reprimantur humanae
inclinationes ad malum. Manifestum est autem, quod pluries accidit aliquos
esse pusillanimes, qui scilicet omittunt facere bona quae possent, quam quod
se extendant ad faciendum bona quae non possunt. Unde pusillanimitas magis
opponitur virtuti. Alia ratio est, quia pusillanimitas deterior est, utpote
faciens homines deteriores, ut supra habitum est. Quod autem est peius, magis
virtuti opponitur. Et sic patet pusillanimitatem magis opponi virtuti. |
790.- Il compare les deux vices susdits entre eux. Il dit que la pusillanimité s'oppose plus à la magnanimité que la présomption. Il donne deux raisons de cela. La premier raison vient de ce qu'on a dit dans le second livre. Le vice le plus commun, à cause de la plus grande inclination de la nature humaine à ce vice s’oppose davantage à la vertu, dont la fonction principale est de réprimer les inclinations humaines au mal. Or, il est manifeste que le nombre des pusillanimes est plus grand, à savoir qu'il y a plus d'hommes qui omettent de faire le bien qu’il pourrait faire, qu’il y en a qui cherchent à faire le bien qu'ils ne peuvent pas. C'est pourquoi, la pusillanimité s’oppose davantage à la vertu. L'autre raison est que la pusillanimité est pire, en tant qu'elle rend les hommes pires, comme on l’a vu plus haut. Or, ce qui est pire s'oppose davantage à la vertu. Et ainsi, il appert que la pusillanimité est plus contraire à la vertu. |
#790. — Ensuite (1125a32), il compare entre eux les vices présentés. Il dit que la pusillanimité s'oppose davantage à la magnanimité que la vanité, c'est-à-dire, la présomption. Il en assigne deux raisons. La première en est qu'au second [livre] (#368), on a traité de ce que le vice qui se produit davantage, à cause d'une inclination plus grande de la nature humaine à son endroit, s'oppose davantage à la vertu, qui consiste à ceci, principalement, que se trouvent réprimées les inclinations humaines au mal. Or il est manifeste qu'il arrive davantage aux gens d'être pusillanimes, à savoir, d'omettre de faire le bien qu'ils peuvent, que de s'étendre à faire le bien qu'ils ne peuvent pas. Aussi, la pusillanimité s'oppose davantage à la vertu. L'autre raison est que la pusillanimité est pire, en tant qu'elle rend mauvais, comme on en a traité plus haut (#787). Or ce qui est pire s'oppose davantage à la vertu. Ainsi appert-il que la pusillanimité s'oppose davantage à la vertu. |
[73495] Sententia Ethic., lib. 4 l. 11 n. 8 Ultimo autem concludit epilogando, quod magnanimitas
est circa magnum honorem, ut dictum est. |
791.- En dernier, il conclut, en résumant, que la magnanimité porte sur les grands honneurs, comme on la vu. |
#791. — Enfin, il conclut que la magnanimité porte sur ce qu'il y a de grand comme honneur, comme on l'a dit. |
|
|
|
Lectio
12 |
Leçon 12 : [La vertu des honneurs ordinaires] |
|
|
La
leçon 12 n’est pas traduite. Voici la traduction française du texte
d'Aristote, tirée de l’éthique à
Nicomaque, traduction Pascale Nau, 2008, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
|
|
[73496] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 1 Videtur autem et circa hunc et cetera. Postquam
philosophus determinavit de magnanimitate, quae est circa magnum honorem, hic
determinat de quadam alia virtute innominata, quae est circa mediocres
honores. Et circa hoc tria facit. Primo proponit esse aliquam talem virtutem;
secundo probat quod dixerat, ibi, quemadmodum autem in acceptione, etc.;
tertio ostendit quomodo considerentur medium et extremum in hac virtute, ibi,
innominata autem existente, et cetera. Dicit ergo primo quod, sicut prius in
II dictum est, quaedam virtus videtur esse circa hunc, scilicet
honorem, quae ita se habet ad magnanimitatem sicut liberalitas ad
magnificentiam. Ambae enim istae virtutes, scilicet liberalitas et
illa de qua nunc loquimur, distant ab illis duabus, scilicet magnificentia et
magnanimitate, sicut a quodam magno; quia scilicet magnanimitas est circa
magnum honorem, magnificentia autem circa magnos sumptus. Sed duae virtutes,
scilicet liberalitas et illa de qua nunc agimus, disponunt nos circa parva et
moderata, vel honores, vel divitias. |
La magnanimité a donc rapport à un honneur d’ordre élevé, comme il a été dit déjà. [1125b] Il semble bien aussi y avoir, dans le domaine de l’honneur, ainsi que nous l’avons indiqué dans notre première partie une vertu qui apparaîtrait voisine de la magnanimité, comme la libéralité l’est de la magnificence. Ces deux vertus, en effet, se tiennent en dehors de la grandeur, mais nous mettent dans la position qui convient, en ce qui concerne les objets de moyenne et de petite importance. De même que dans l’acquisition et le don des richesses il existe un juste milieu aussi bien qu’un excès et un défaut, de même encore l’honneur peut être désiré plus qu’il ne faut ou moins qu’il ne faut, ou cherché à sa véritable source et d’une façon convenable. En effet, nous blâmons à la fois, d’une part l’ambitieux, en ce qu’il convoite l’honneur plus qu’il ne convient et le cherche là où il ne faut pas, et, d’autre part, l’homme sans ambition, en ce qu’il se montre indifférent à l’honneur qu’on lui rend, même quand c’est pour de belles actions. |
#792. — Après avoir traité de la magnanimité, qui porte sur ce qu'il y a de grand comme honneur, le Philosophe traite ici d'une autre vertu, restée sans nom, qui porte sur les honneurs ordinaires. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il annonce qu'il existe une pareille vertu. En second (1125b6), il prouve ce qu'il vient de dire. En troisième (1125b17), il montre comment considérer milieu et extrême dans cette vertu. Il dit donc, en premier, que, comme on l'a déjà dit au second [livre] de ce [traité] (#346-348), il semble bien y avoir une vertu à ce propos, à savoir, de l'honneur, qui entretienne avec la magnanimité le même rapport que la libéralité avec la magnificence. Ces deux vertus, en effet, la libéralité et celle dont nous traitons maintenant, s'écartent de ces deux autres, la magnificence et la magnanimité, comme de quelque chose de grand; car la magnanimité porte sur les grands honneurs, tandis que la magnificence porte sur les grands frais. Les deux vertus, pourtant, la libéralité et celle dont nous traitons maintenant, nous disposent à l'endroit d'[objets] petits et modestes, soit en matière d'honneur, soit en matière de richesses. |
[73497] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 2 Deinde cum dicit quemadmodum autem etc., probat quod
dixerat. Et primo per rationem a simili sumptam. Secundo per communem usum
loquendi, ibi, philotimum enim et cetera. Dicit ergo primo quod, sicut in
acceptione et datione pecuniarum, scilicet parvarum et mediocrium, est
medietas et superabundantia et defectus, ut supra habitum est, ita etiam et
in appetitu honoris parvi vel mediocris contingit aliquem se habere plus quam
oportet, et minus quam oportet, quantum ad intentionem appetitus. Et etiam ex
causa unde non oportet, inquantum scilicet unus ex pluribus vel maioribus
cupit honorari, quam oporteat, et alius ex paucioribus vel minoribus.
Contingit etiam, quod aliquis appetat honorari secundum quod oportet quantum
ad omnia. Et sic patet, quod circa parvos vel moderatos honores est accipere
medium virtuosum, et extrema vitiosa, sicut et circa moderatas pecunias. |
Mais, à d’autres moments, nous louons, au contraire, l’ambitieux d’agir en homme et d’être plein d’une noble ardeur, et l’homme sans ambition pour son sens de la mesure et de la modération, ainsi que nous l’avons noté dans nos premières études. On voit que l’expression passionné pour telle ou telle chose se prend en plusieurs sens, et que nous n’appliquons pas toujours à la même chose le terme ambitieux : passionné pour l’honneur : c’est une expression élogieuse quand nous avons en vue celui qui aime l’honneur plus que ne le fait la majorité des hommes, et elle revêt un sens péjoratif au contraire quand nous pensons à celui qui aime l’honneur plus qu’il ne convient. Et comme la moyenne à observer n’a pas de nom spécial, les deux extrêmes paraissent se disputer sa place comme si elle était vacante. |
#793. — Ensuite (1125b6), il prouve ce qu'il vient de dire. En premier, avec une raison tirée du semblable. En second (1125b10), avec la manière commune de parler. Il dit donc que, de même que, pour ce qui est d'acquérir et de donner de petites sommes, des [sommes] ordinaires, il existe médiété, excès et défaut, comme on en a traité plus haut (#679, 710-711), de même aussi, dans l'appétit d'honneur petit ou ordinaire, il se peut que l'on fasse plus qu'il ne faut, et moins qu'il ne faut, pour l'intensité de l'appétit. Et aussi à partir d'une cause d'où il ne faut pas, dans la mesure où l'un veuille être honoré par plus ou de plus grands qu'il ne faut, et un autre par moins ou de moindres. Il se peut aussi que l'on désire être honoré selon ce qu'il faut à tous points de vue. Ainsi, il appert qu'il y a lieu de distinguer, à propos des honneurs petits ou ordinaires, un milieu vertueux et des extrêmes vicieux, comme aussi à propos de paiements modestes. |
[73498] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 3 Deinde cum dicit philothimum enim etc., manifestat
propositum per communem usum loquendi. Et circa hoc duo facit. Primo proponit
communem usum loquendi. Secundo ex eo argumentatur ad propositum, ibi,
manifestum autem et cetera. Dicit ergo primo, quod quandoque vituperamus philotimum,
idest amatorem honoris, quasi appetat honorem magis quam oportet et unde non
oportet. Et similiter quandoque vituperamus eum qui non est amator honoris,
quasi non velit bona operari ex quibus honoretur. E contrario autem quandoque
laudamus eum, qui est amator honoris, quasi existentem virilem, idest
magnum animum habentem, et quasi amatorem boni, scilicet virtuosi
actus, cui debetur honor. Et similiter quandoque laudamus eum, qui non est
amator honoris, quasi moderantem et temperantem seipsum, ut non excedat suam
conditionem, sicut dictum est in secundo. |
Mais là où il y a excès et défaut existe aussi le moyen or on peut convoiter l’honneur à la fois plus et moins qu’on ne le devrait ; il est donc aussi possible de le désirer comme il est convenable, et c’est cette dernière disposition du caractère qui est l’objet de nos éloges, disposition qui constitue dans le domaine de l’honneur un juste milieu dépourvue de désignation spéciale. Comparée à l’ambition elle apparaît manque d’ambition, et comparée au manque d’ambition, ambition ; comparée enfin à l’un et à l’autre, elle est, en un sens, les deux en même temps. Cela semble bien être également le cas pour les autres vertus mais, dans l’espèce présente, les extrêmes paraissent seulement opposés l’un à l’autre, du fait que la vertu moyenne n’a pas reçu de nom. |
#794. — Ensuite (1125b10), il manifeste son propos par la manière commune de parler. 146 À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la manière commune de parler. En second (1125b14), il argumente de là à son propos. Il dit donc, en premier, que parfois nous blâmons l'ambitieux, c'est-à-dire, l'amateur d'honneur, comme désirant l'honneur plus qu'il ne faut et d'où il ne faut pas. Parfois, pareillement, nous blâmons celui qui n'est pas amateur d'honneur, comme s'il ne voulait pas faire le bien pour lequel il serait honoré. Au contraire, par ailleurs, parfois nous louons celui qui est amateur d'honneur comme viril, c'est-à-dire, doué d'une grande âme, et comme amateur du bien, à savoir, de l'acte vertueux auquel est dû l'honneur. Parfois, pareillement, nous louons celui qui n'est pas amateur d'honneur, comme se modérant et se tempérant, de sorte qu'il ne dépasse pas sa condition, comme on l'a dit au second [livre] (#345-378). |
[73499] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 4 Deinde cum dicit manifestum autem etc., argumentatur ex
praedicto usu loquendi. Et dicit quod, quia quandoque laudamus amatorem
honoris, quandoque autem vituperamus, manifestum est quod multipliciter
dicitur amator honoris; et ideo non ad idem referimus laudem et vituperium. Sed laudamus
amatorem honoris prout magis studet ad ea quae sunt honoris, quam vulgaris
multitudo. Vituperamus autem inquantum
magis cupit honores quam oporteat. Et eadem ratio est de non amatore honoris.
Unde sequitur quod medium circa hoc est laudabile, prout scilicet honor et
appetitur et contemnitur secundum quod oportet, extrema autem sunt
vituperabilia, inquantum scilicet appetitur honor plus vel minus quam
oportet. |
|
#795. — Ensuite (1125b14), il argumente à partir de la manière de parler mentionnée. Il dit que parfois nous louons l'amateur d'honneur, et parfois le blâmons. Or il est manifeste qu'amateur d'honneur se dit de plusieurs [manières]; c'est pourquoi ce n'est pas à la même [chose] que nous référons la louange et le blâme. Au contraire, nous louons l'amateur d'honneur pour autant qu'il s'applique davantage que la multitude vulgaire à ce qui a rapport à l'honneur. Mais nous le blâmons pour autant qu'il désire les honneurs davantage qu'il ne faut. La même raison vaut pour le non-amateur d'honneur. Aussi s'ensuit-il que, sur cela, le milieu est louable, où l'honneur et l'appétit est dédaigné comme il faut, tandis que les extrêmes sont blâmables, où on désire plus, ou moins, qu'il ne faut. |
[73500] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 5 Deinde cum dicit: innominata autem existente etc.,
determinat de medio et extremis circa hanc virtutem. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit dubietatem, quae circa hoc contingit. Secundo ostendit, quid
ex illa dubietate sequatur, ibi, opponi autem et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit dubietatem. Et dicit, quod quia medietas circa
appetitum honoris est innominata et sic videtur esse quasi deserta, quia non
designatur aliquo nomine, inde est quod extrema videntur esse dubia,
inquantum quandoque laudantur, quandoque vituperantur. |
|
#796. — Ensuite (1125b17), il traite du milieu et de l'extrême dans cette vertu. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre une difficulté que l'on peut soulever à ce sujet. En second (1125b24), il montre ce qui s'ensuit de cette difficulté. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la difficulté. Il dit que, parce que la médiété concernant les appétits d'honneur reste sans nom, et paraît ainsi presque abandonnée, parce qu'on ne la désigne pas par un nom, il s'ensuit que ses extrêmes font difficulté, du fait qu'ils sont parfois loués, parfois blâmés. |
[73501] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 6 Secundo ibi: in quibus autem etc., ostendit qualiter in
hac materia se habeat veritas circa medium et extrema. Et dicit quod in
quibuscumque invenitur superabundantia et defectus, ibi etiam oportet esse
medium. Et ideo, cum aliqui appetant honorem et magis et minus quam oporteat,
consequens est, quod etiam aliqui appetant secundum quod oportet, quod
pertinet ad rationem medii. |
|
#797. — En second (1125b18), il montre de quelle manière, dans cette matière, se présente la vérité sur le milieu et les extrêmes. Il dit que, partout où il y a excès et défaut, il faut qu'il y ait aussi, là, un milieu. C'est pourquoi, comme certains désirent l'honneur et plus et moins qu'il ne faut, il s'ensuit que d'aucuns aussi désirent comme il faut, ce qui appartient à la raison de milieu. |
[73502] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 7 Tertio ibi: laudatur igitur etc., ostendit rationem
praedictae dubietatis: quia enim est medium accipere circa honores, habitus
medius laudatur. Et quia est innominatus, nominatur nominibus extremorum,
inquantum per comparationem ad unum extremum, videtur habere similitudinem cum
alio extremo. Habitus enim medius per comparationem ad superfluum amorem
honoris videtur esse contemptus honoris; per comparationem autem ad
contemptum honoris videtur esse amor honoris et per comparationem ad utrumque
videtur esse utrumque aliqualiter. Et hoc etiam apparet in aliis virtutibus. Nam fortis
per comparationem ad timidum videtur esse audax, per comparationem autem ad
audacem videtur esse timidus. Sic ergo in proposito extrema vituperantur
secundum se considerata, laudantur autem secundum quod attribuuntur medio. |
|
#798. — En troisième (1125b20), il montre la raison de la difficulté mentionnée. En effet, comme il y a lieu de reconnaître un milieu en matière d'honneurs, on loue l'habitus moyen. Mais comme il reste sans nom, aussi, on le nomme des noms des extrêmes, en tant que, par comparaison à un extrême, il paraît montrer de la ressemblance avec l'autre extrême. En effet, l'habitus moyen, par comparaison à l'amour superflu de l'honneur, paraît mépris de l'honneur, tandis que, par comparaison avec le mépris de l'honneur, il paraît amour de l'honneur; par comparaison à l'un et l'autre, il paraît être l'un et l'autre à la fois, d'une certaine manière. Cela se présente aussi en d'autres vertus. En effet, le courageux, par comparaison au lâche, paraît audacieux, tandis que, par comparaison à l'audacieux, il paraît lâche. Ainsi donc, dans le propos, les extrêmes sont blâmés, considérés en eux-mêmes, mais sont loués en autant qu'ils sont attribués au milieu. |
[73503] Sententia Ethic., lib. 4 l. 12 n. 8 Deinde cum dicit: opponi autem etc., ostendit, quod ex
praedicta dubietate sequitur quod extrema vitia solum adinvicem videantur
opponi, non autem ad medium virtutis, propter hoc, quod est innominatum. |
|
#799. — Ensuite (1125b24), il montre que, de la difficulté mentionnée, il s'ensuit que les vices extrêmes paraissent opposés seulement entre eux, mais non au milieu de la vertu, à cause de ce fait qu'il reste sans nom. |
|
|
|
Lectio
13 |
Leçon 13 : [La mensuétude] |
|
|
LA MANSUETUDE : ON DIT QUEL MILIEU ELLE CONSTITUE DANS LES COLERES; ON EXPOSE LA SIGNIFICATION DU MOT; ON MONTRE QUELLE COLERE EST LOUABLE, CE QUI CONVIENT A LA MANSUETUDE EN TANT QU’ELLE EST VERTU, ET QUELS SONT LES VICES QUI LUI SONT OPPOSES. |
|
[73504] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 1 Mansuetudo autem est
quidem et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtutibus
respicientibus bona exteriora, scilicet divitias et honores, hic determinat
de mansuetudine, quae respicit exteriora mala ex quibus aliquis provocatur ad
iram. Et circa hoc duo facit. Primo determinat de mansuetudine et vitiis
oppositis. Secundo respondet tacitae quaestioni, ibi, quod autem in prioribus
dictum est et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo circa
iram inveniuntur medium et extrema; secundo de eis determinat, ibi, passio
quidem enim et cetera. Dicit ergo primo, quod mansuetudo est quaedam medietas
circa iras. In qua tamen materia medium proprie acceptum est innominatum, et
fere etiam extrema, quia non expressis nominibus distinguuntur. Nomen autem
mansuetudinis assumitur ad significandum medium, cum tamen ex vi nominis
magis declinet ad defectum irae. Dicitur enim aliquis mansuetus ex eo quod
non irascitur quasi manu assuetus ad similitudinem bestiarum quae iracundiam
deponunt manibus hominum assuetae. Ipse
etiam defectus inordinatus irae est innominatus. Dicitur enim aliquis
mansuetus qualitercumque non irascatur, sive bene, sive male. Sed
superabundantia vocatur iracundia. |
800.- Après avoir traité des vertus qui ont comme domaine les biens extérieurs, à savoir les richesses et les honneurs, le Philosophe traite ici de la mansuétude, qui a comme domaine les maux extérieurs qui provoquent la colère. Ce qu’il fait en deux points. En premier, il traite de la mansuétude et des vices opposés. En second, il répond à une question tacite. Il divise son premier point en deux parties. Dans la première, il montre comment il existe un milieu et un extrême dans la colère. En second, il en traite. Il dit donc, en premier, que la mansuétude est une certaine médiété dans les colères. Cependant, dans cette matière, le milieu proprement dit est anonyme, Il en est d’ailleurs pratiquement de même pour les extrêmes, parce qu’ils ne sont pas distingués par des noms spéciaux. On se sert du mot mansuétude ou "douceur" pour désigner le milieu, bien que la force du mot implique davantage une déviation vers le défaut de colère. En effet, on dit de quelqu’un qu’il possède la mansuétude du fait qu’il ne se fâche pas, comme s’il était habitué à être conduit par la main (mansuétude vient de manu-sueo: habitué, accoutumé par la main dressé - apprivoisé) par ressemblance aux bêtes que l’on habitue à dominer leur colère par la main. Mais le vice par défaut de colère n'a pas reçu de nom. En effet, on appelle doux celui que ne se fâche pas, qu'il le fasse de quelque manière que ce soit, en bien ou en mal. Le vice par excès s’appelle "coléricité" ou "irascibilité". |
#800. — Après avoir traité des vertus qui regardent les biens extérieurs, à savoir, les richesses et les honneurs, le Philosophe traite ici de la douceur, qui regarde les maux extérieurs par lesquels on est poussé à la colère. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. 147 En premier, il traite de la douceur23 et des vices opposés. En second (1126a31), il répond à une question tacite. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment on trouve milieu et extrême à propos de colère. En second (1125b30), il en traite. Il dit donc, en premier, que la douceur est une médiété à propos de colères. Dans cette matière, toutefois, le milieu pris proprement reste sans nom, et [il en va] presque [de même] aussi des extrêmes, car on ne les distingue pas par des noms exprès. Cependant, on use du nom de douceur pour marquer le milieu, bien que, néanmoins, par la force de son nom, [la douceur] penche vers le manque de colère. On dit quelqu'un doux, en effet, du fait qu'il ne se fâche pas, comme habitué à la main, à la ressemblance des bêtes, qui perdent leur irascibilité, une fois habituées aux mains des hommes. Le manque désordonné de colère est aussi resté sans nom. En effet, on dit quelqu'un doux de quelque manière qu'il ne se fâche pas, soit bien, soit mal. Mais l'excès, on l'appelle irascibilité. |
[73505] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 2 Deinde cum dicit: passio
quidem enim etc., determinat de mansuetudine et vitiis oppositis. Et primo de
mansuetudine. Secundo de vitiis oppositis, ibi: defectus autem et cetera.
Circa primum duo facit. Primo ostendit quid conveniat mansuetudini secundum
quod ponitur virtus. Secundo quid conveniat ei secundum nominis proprietatem,
ibi, peccare autem videtur et cetera. Dicit ergo primo, quod iracundia
ponitur vitium extremum, quia importat quendam superexcessum irae quae est
passio quaedam quae ex multis et differentibus rebus fit, et ita secundum
horum diversitatem contingit in ira accipere medium et extrema. Ille igitur
qui irascitur in quibus rebus oportet et etiam quibus personis oportet et
insuper medio modo se habet in modo irascendi, quia irascitur sicut oportet
et quando oportet et quanto tempore oportet, talis homo laudatur; et iste est
mansuetus, si tamen nomen mansuetudinis in laudem accipiatur. Videtur enim ad
hoc disponi mansuetus, ut primo quidem interius iudicium rationis non
perturbetur ab ira, secundo ut in exteriori actione non ducatur ab ira, sed
secundum ordinationem rationis et in his rebus et in tanto tempore irascatur.
|
801.- Il traite de la douceur et des vices opposés. Et tout d’abord, de la douceur. En second, des vices opposés. Il traite de la douceur en deux points. En premier, il montre ce qui convient à la mansuétude en tant qu’elle est vertu. En second, ce qui lui convient d’après la propriété du mot. Il dit donc en premier que l’irascibilité est posée comme vice extrême parce qu'elle comporte un excès de colère, qui est une passion provoquée par de nombreuses et différentes choses. C'est pourquoi, le milieu et l'extrême dans la colère se prennent d’après la diversité des objets qui la font naître. Celui-là donc qui se met en colère pour de motifs valables et contre qui on le doit, et qui de plus, sait garder un juste milieu dans la colère, parce qu’il se fâche comme on le doit, et quand on le doit et le temps qu'on le doit, ou le loue. Si donc le mot mansuétude est pris dans un bon sens, désigne quelque chose de louable, il semble que l’homme doux soit disposé de telle sorte que, tout d’abord, le jugement intérieur de sa raison ne soit pas troublé par la colère et, en second, que son choix extérieur ne soit pas conduit par la colère; c’est la raison et sa mesure qui doivent dicter la durée et les objets de la colère. |
#801. — Ensuite (1125b30), il traite de la douceur et des vices opposés. En premier, de la douceur. En second, des vices opposés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qui convient à la douceur selon qu'on en fait une vertu. En second (1126a1), ce qui lui convient selon la propriété de son nom. Il dit donc, en premier, qu'on fait de l'irascibilité le vice extrême, parce qu'elle implique un excès de colère, laquelle est une passion produite par des choses nombreuses et différentes. Aussi est-il possible, dans la colère, de prendre milieu et extrême d'après leur diversité. Celui, donc, qui se fâche en les choses où il le faut, avec les personnes qu'il faut, et, en plus, avec une manière de se mettre en colère qui tienne du milieu, pareil homme est loué, du fait de se fâcher comme il faut, quand il faut et autant de temps qu'il faut. Par ailleurs, si on prend le nom de douceur en bonne part, le doux semble bien disposé à cela, qu'en premier, certes, le jugement intérieur de sa raison ne soit pas troublé par la colère, et qu'en second, dans son choix extérieur, il ne soit pas mené par la colère, mais selon l'ordonnance de sa raison, quant aux choses et quant à tout le temps où il se fâche. |
[73506] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 3 Deinde cum dicit: peccare
autem etc., ostendit quid pertineat ad mansuetum secundum nominis
proprietatem. Et dicit quod secundum hoc videtur magis peccare in hoc quod accedit
ad defectum. Cum enim dicitur aliquis mansuetus, significatur quod non sit
punitivus, sed magis remittat et condonet poenas, quod pertinet ad defectum
irae. Nam ira est appetitus vindictae quae fit per poenam. |
802.- Il montre ce qui appartient à la mansuétude d'après les propriétés du nom. Il dit que, d’après l’acception du mot, le doux incline plutôt vers le péché, en ce sens qu’il pèche par défaut. En effet, lorsqu’on dit de quelqu’un qu'il et doux, on signifie qu'il n’aime pas la vengeance, qu’il n’aime guère à punir, qu’il préfère pardonner et remet les peines ; ce qui appartient au défaut de colère. En effet, la colère est le désir de vengeance qui s'exécute par la peine. |
#802. — Ensuite (1126a1), il montre ce qui appartient au doux d'après les propriétés du nom. Il dit que, d'après cela, il paraît davantage se rendre fautif du fait d'être porté au manque. En effet, quand on dit quelqu'un doux, on marque qu'il n'est pas vengeur, mais plutôt remet les châtiments et y renonce, ce qui relève du manque de colère. Car la colère est un appétit de vengeance, laquelle se réalise dans le châtiment. |
[73507] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 4 Deinde cum dicit: defectus
autem etc., determinat de vitiis oppositis. Et primo de vitio defectus.
Secundo de vitio superabundantiae, ibi, superabundantia autem et cetera.
Tertio comparat haec duo vitia adinvicem, ibi, mansuetudini autem magis et
cetera. Dicit ergo primo quod defectus a medio in ira, sive vocetur
inirascibilitas per oppositum ad iracundiam, sive qualitercumque aliter,
vituperatur. |
803.- Il traite des vices opposés. Et, en premier, du vice par défaut, En second, du vice par excès, En troisième, il compare les deux vices entre eux. Il dit donc, en premier, que l'écart par un défaut du milieu dans la passion de colère, qu’on appelle "inrascibilité" par opposition à l’irascibilité, ou de tout autre nom qu’on voudra (débonnaireté), est blâmable. |
#803. — Ensuite (1126a3), il traite des vices opposés. En premier, du vice par manque. En second (1126a9), du vice par excès. En troisième (1126a29), il compare ces deux vices entre eux. Il dit donc, en premier, qu'on blâme le manque, par rapport au milieu de la colère, qu'on l'appelle ou bien inirascibilité[32], par opposition à l'irascibilité, ou de quelque autre manière. |
[73508] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 5 Et quia Stoici dicebant
omnem iram esse vituperabilem, ideo consequenter ostendit quod defectus irae
quandoque est vituperabilis triplici ratione: quarum primam ponit, ibi non
irasci enim et cetera. Et est talis. Omne quod pertinet ad insipientiam est
vituperabile; quia laus virtutis est in hoc quod operatur secundum rectam
rationem prudentiae. Sed ad insipientiam videtur pertinere quod aliquis non
irascatur in rebus in quibus oportet irasci et eo modo et tempore quo oportet
irasci et quibus personis irasci oportet. Manifestum est enim quod ira
causatur ex tristitia. Tristitia autem est sensus nocumenti. Si igitur
aliquis non irascitur in quibus oportet irasci, consequens est quod non
doleat de eis et ita quod non sentiat ea esse mala, quod pertinet ad
insipientiam. Patet ergo quod defectus irae est vituperabilis. |
804.- Et parce que les stoïciens disaient que toute colère est blâmable, il montre, en conséquence, par trois raisons, que le défaut de colère est quelquefois blâmable. Il donne sa première raison là où il écrit: "Ne pas se fâcher..." La voici. Tout ce qui relève de la sottise, de la stupidité, est blâmable, parce que la louange de la vertu vient de ce qu’on opère selon la raison droite de la prudence. Mais il semble relever de la sottise que quelqu'un ne se fâche pas là où en le doit et de la manière et selon le temps qu’on le doit et contre qui on le doit. En effet, il est manifeste que la cause de la colère est la tristesse. Or, la tristesse est la sensation de l'offense, du dommage. Si donc, quelqu'un ne se fâche pas pour les objets pour lesquels on le doit, il s'ensuit qu’il n'en ressent aucune peine, et ainsi, qu’il ne voit pas qu’ils sont mauvais; ce qui appartient à la sottise. Il est donc évident que le défaut de colère est blâmable. |
#804. — Comme les Stoïciens disaient toute colère blâmable, il montre, en conséquence, que le manque de colère est parfois blâmable, pour trois raisons. Il en présente d'abord la première (1126a4), qui va comme suit. Tout ce qui relève de la sottise est blâmable, car la louange de la vertu va à cela que l'on agit en conformité à la raison droite de la prudence. Or il relève manifestement de la sottise que l'on ne se fâche pas en ce en quoi il faut se fâcher, de la manière et le temps qu'il faut se fâcher et contre les personnes contre lesquelles il faut se fâcher. Il est manifeste, en effet, que la colère est causée par la tristesse, et que la tristesse est le sentiment d'un dommage. Si, donc, on ne se fâche pas[33] en ce en quoi il faut se fâcher, il s'ensuit que l'on n'en souffre pas, et ainsi que l'on ne perçoit pas que c'est mauvais, ce qui relève de la sottise. Il appert donc que le manque de colère est blâmable. |
[73509] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 6 Secundam rationem ponit
ibi, et non iratus et cetera. Ira enim est appetitus vindictae. Qui ergo non
irascitur in quibus debet irasci, sequitur quod non vindicet ea quae debet
vindicare, quod est vituperabile. Non est autem haec ratio sic intelligenda
quasi non possit aliqua vindicta fieri ex iudicio rationis sine ira; sed quia
motus irae excitatus ex iudicio rationis facit promptiorem ad recte
vindicandum. Nisi enim appetitus sensitivus adiuvaret ad exequendum iudicium
rationis, frustra esset in natura humana. |
805.- Il donne la seconde raison qui est telle. La colère est un appétit de vengeance. Celui-là donc qui ne se fâche pas pour des motifs légitimes, il s'ensuit qu’il ne venge pas ce qu'il et doit venger. Ce qui est blâmable. Il ne faut pas comprendre cette dernière raison comme si d'autres vengeances ne pouvaient s’exercer par pur décret de la raison sans colère; c’est que le mouvement de colère, excité par le jugement de la raison, dispose mieux à bien venger. En effet, à moins que l'appétit sensitif n'aide à mieux exécuter le jugement de la raison, il existe en vain dans la nature humaine. |
#805. Il présente ensuite la seconde raison (1126a6), qui va comme suit. La colère est un appétit de vengeance. Celui, donc, qui ne se fâche pas en ce en quoi il doit se fâcher, il s'ensuit qu'il ne vengera pas ce qu'il faut venger, ce qui est blâmable. Cependant, cette raison ne doit pas être ainsi comprise que la vengeance ne pourrait se faire autrement, par le jugement de la raison, sans colère, mais que le mouvement de colère excité par le jugement de la raison rend plus prompt à venger correctement. À moins, en effet, que l'appétit sensible n'aide à exécuter le jugement de la raison, il serait en vain dans la nature humaine. |
[73510] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 7 Tertiam rationem ponit ibi
iniuriantem autem et cetera. Et dicit quod ad servilem animum pertinet quod
aliquis despiciat familiares suos et quod sustineat iniuriantes sibi, ita
scilicet quod non repellat iniurias debito modo. Hoc autem consequitur ex
defectu irae, quia per hoc redditur homo piger et remissus ad repellendum
iniurias. Unde patet quod defectus irae est vituperabilis. |
806.- Il donne la troisième raison. Il dit qu’il appartient à une âme servile de voir les membres de la famille outragés et d’endurer les injures, sans apporter une légitime défense. Cela découle de ce qu’on ne sait pas se mettre en colère, parce que par là on se rend paresseux, indolent, et inapte à riposter contre les injures. Il est donc clair que le défaut de colère est blâmable. |
#806. — Il présente ensuite la troisième raison (1126a7). Il dit qu'il relève d'une âme servile que l'on ne défende pas ses familiers et que l'on supporte ceux qui nous injurient, de sorte que l'on ne repousse pas les injures de la manière due. En effet, cela s'ensuit du manque de colère, parce qu'on en est rendu paresseux et négligent à repousser les injures. D'où il appert que le manque de colère est blâmable. |
[73511] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 8 Deinde cum dicit
superabundantia autem etc., determinat de superabundantia irae. Et primo
ostendit quod hoc vitium multipliciter contingit. Secundo determinat de
speciebus ipsius, ibi: qui quidem iracundi et cetera. Dicit ergo primo, quod
superabundantia irae potest fieri secundum omnes circumstantias: inquantum
scilicet contingit quod aliquis irascatur quibus personis non oportet et in
quibus rebus non oportet et magis quam oportet et velocius etiam provocetur
ad iram et pluri tempore duret ira quam oportet. Non tamen omnes isti
excessus inveniuntur in uno homine, tum propter molestiam quam ipse ex sua
ira pateretur, tum etiam quia aliis molestus existens inter homines vivere
non posset. |
807.- Il traite de l’excès de colère. Et, en premier, il montre que ce défaut peut arriver de multiples façons. En second, il traite des différentes espèces de cet excès. Il dit donc, en premier, que l'excès de colère peut se produire aux dépens de toutes les circonstances: à savoir en tant qu'il arrive qu’on se fâche contre qui on ne le doit pas, dans des choses où on ne le doit pas, et plus qu'on ne le doit, avec plus de promptitude et pendant plus de temps qu'on ne le doit. Cependant, tous ces excès ne se retrouvent pas dans le même homme, et parce qu'ainsi il se rendrait désagréable à lui-même, et parce qu’incommodant les autres, il ne pourrait vivre avec eux. |
#807. — Ensuite (1126a9), il traite de l'excès de colère. En premier, il montre que ce vice se produit de nombreuses manières. En second (1126a13), il traite de ses espèces. Il dit donc, en premier, que l'excès de colère peut se produire selon toutes les circonstances, à savoir, en tant qu'il se peut que l'on se fâche contre des personnes contre qui il ne faut pas, et en ce en quoi il ne faut pas, et plus qu'il ne faut, et, aussi, qu'on soit poussé à la colère plus vite et que la colère dure plus de temps qu'il ne faut. Cependant, tous ces excès ne se retrouvent pas chez un seul homme, tant à cause du désagrément qu'il souffrirait lui-même de sa colère que parce que quelqu'un d'aussi désagréable pour les autres ne pourrait vivre avec les hommes. |
[73512] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 9 Et ita etiam est
universaliter loquendo de malo; quia si esset integrum, seipsum destrueret.
Fieret enim importabile tollendo subiectum a quo portari debet si sit. Quod
enim nihil est, non potest dici malum, cum malum privatio sit; quodlibet
autem ens inquantum huiusmodi, est bonum. Unde patet quod malum non aufert
totum bonum, sed aliquod particulare bonum cuius est privatio. Sicut caecitas
aufert visum, non autem aufert animal, quo sublato iam non esset caecitas. Ex
quo patet quod malum non potest esse integrum; quia sic auferendo totum bonum
auferret etiam se ipsum. |
808.- Cette dernière considération peut se généraliser par rapport au mal: si le mal était total, il se détruirait lui-même. Il deviendrait insupportable, boutant le sujet qui le contient hors de lui-même. En effet, ce qui n'est rien ne peut être appelé mal, car le mal est la privation du bien. Or, tout être, en tant que tel, est bon. C'est pourquoi, le mal ne détruit pas complètement le bien, mais détruit un bien particulier dont il est la privation. Ainsi, la cécité enlève la vue sans détruire l’animal, dont la disparition supprimerait la cécité elle-même. De là vient qu'il est évident que le mal ne peut être total; car, en détruisant totalement le bien, il se détruirait lui-même. |
#808. — C'est d'ailleurs ainsi qu'il en va du mal, à parler universellement, car s'il était total, il se détruirait lui-même. Il deviendrait insupportable, en effet, à supprimer le sujet par lequel il doit être porté, pour exister. Car ce qui n'est rien ne se dit pas mauvais, puisque le mal est la privation d'un bien. Or tout être, en tant que tel, est bon. Aussi appert-il que le mal ne détruit pas tout bien, mais le bien particulier dont il est privation. Par exemple, la cécité détruit la vue, mais ne détruit pas l'animal; celui-ci détruit, il n'y aurait plus de cécité. Il en appert que le mal ne peut être total, parce qu'en détruisant ainsi tout bien, il se détruirait lui-même. |
[73513] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 10 Deinde cum dicit: qui
quidem igitur iracundi etc., ponit tres species superabundantiae in ira.
Circa quarum primam dicit quod illi qui dicuntur iracundi, id est
prompti ad iram, velociter irascuntur et etiam quibus personis non oportet et
in quibus rebus non oportet et vehementius quam oportet; non tamen multo
tempore durat eorum ira, sed velociter ab ea requiescunt, et hoc est optimum
in eis. Quod accidit quia non retinent iram interius in corde, sed statim prorumpit
exterius, quia vel retribuunt statim vindictam vel qualitercumque manifestant
iram suam per aliqua signa propter velocitatem motus irae; et sic ira
exterius exhalante requiescunt. Sicut etiam calor inclusus magis conservatur,
evaporans autem citius evanescit. Ad hanc autem speciem irae maxime videntur
disponi cholerici propter subtilitatem et velocitatem colerae. In hac autem
velocitate superabundantiam obtinent acrocholi, id est extremi in ira,
ab acros quod est extremum, et ethymos, quod est ira; qui sunt acuti et
prompti ut irascantur circa omnia, unde et nominantur. |
809.- Il pose trois espèces d’excès dans la colère. Voici la première, Il dit que ceux que l’on nomme irascibles, colériques, c’est-à-dire prompts à la colère, s’emportent promptement et contre les personnes contre qui on ne le doit pas, pour les objets pour lesquels on ne le doit pas, avec plus de véhémence qu’on ne le doit; mais leur colère ne se prolonge pas et elle tombe rapidement. Et c’est ce qu'il y de a de meilleur en eux, parce qu’ils ne retiennent pas leur colère en eux; mais elle éclate immédiatement à l’extérieur: ils se vengent aussitôt, ou manifestent ostensiblement leur colère par des signes, à cause précisément de la rapidité du mouvement de colère. Dès que leur colère a trouvé son issue, elle tombe. C’est comme la chaleur gardée à l'intérieur, elle se conserve; si elle sort, elle tombe. A cette espèce de colère semblent surtout disposés les colériques, à cause de leur bile légère et mobile, vifs à l’excès dans la colère sont les "acrocholes", c’est-à-dire les extrêmes dans la colère: acros qui signifie extrême et cholas qui signifie la colère, C'est qu’ils sont vifs et prompts à se mettre en colère. |
#809. — Ensuite (1126a13), il présente trois espèces d'excès de colère. À propos de la première, il dit que ceux que l'on dit irascibles, c'est-à-dire, prompts à la colère, s'emportent vite, et aussi contre des personnes contre lesquelles il ne faut pas, et en des choses où il ne faut pas, et plus violemment qu'il ne faut; cependant, leur colère ne dure pas beaucoup de temps, mais ils s'en apaisent vite. C'est là ce qui leur arrive de mieux, car ils ne gardent pas de colère à l'intérieur de leur cœur, mais la déchaînent vite à l'extérieur: ou bien ils administrent tout de suite leur vengeance, ou bien, de quelque façon, ils manifestent leur colère par des signes à cause de la rapidité de leur mouvement de colère; leur colère ainsi exprimée à l'extérieur, ils s'apaisent. De même aussi, la chaleur enfermée se conserve mieux, tandis qu'évaporée, elle s'évanouit plus vite. Par ailleurs, il semble bien que les bilieux soient le plus disposés à cette espèce de colère, à cause de la subtilité ou de la rapidité de la bile. Dans cette rapidité, par ailleurs, passent à l'extrême de l'excès les supercolériques25, c'est-à-dire, le comble en matière de colère, de super, qui signifie extrême, et de cholos, qui signifie colère, car ils sont vifs et prompts à se fâcher. |
[73514] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 11 Secundam speciem ponit
ibi, amari autem et cetera. Et dicit quod amari secundum iram dicuntur quorum
ira difficile solvitur; et diu irascuntur, quia retinent iram in corde. Tunc
autem eorum ira quiescit, quando retribuunt vindictam pro iniuria illata:
punitio enim facit quiescere impetum irae, dum loco tristitiae praecedentis
inducit delectationem, in quantum scilicet aliquis delectatur de vindicta.
Sed si hoc non fiat quod puniant, graviter affliguntur interius; quia enim
non manifestant iram suam, nullus potest persuadendo eorum iram mitigare quae
ignoratur, sed cum hoc ad hoc quod eorum ira digeratur necessarium est longum
tempus per quod paulatim tepescat et extinguatur accensio irae. Tales autem,
qui sic iram retinent diuturnam sunt sibiipsis molestissimi et praecipue
amicis cum quibus delectabiliter non possunt convivere, et propter hoc
vocantur amari. Ad hanc autem speciem superabundantiae maxime videntur
disponi melancolici, in quibus impressiones susceptae diu propter humoris
grossitiem perseverant. |
810.- Il donne la seconde espèce. Ceux qu’on dit amers dans leur colère (les rancuniers) sont ceux dont la colère ne s’apaise que difficilement, ceux qui restent longtemps en colère, parce qu’ils la retiennent dans leur cœur. Leur colère cesse cependant, lorsqu'ils assouvissent leur vengeance de l’injure reçue. En effet, la punition apaise le mouvement de la colère, alors que la joie remplace lentement la tristesse qui précédait, à savoir en tant que la vengeance fait naitre le plaisir. Mais si la vengeance n'a pas lieu, s’ils n'ont apporté punition, ils sont intérieurement gravement affectés, parce qu’ils ne manifestent pas leur colère. (Ils ont un poids sur le cœur). Et personne ne peut les convaincre à calmer leur colère, qui est dissimulée. Pour digérer leur colère en eux-mêmes, il faut beaucoup de temps. Du temps pour lentement refroidir et éteindre leur colère. Ces gens qui retiennent longtemps leur colère sont vraiment à charge à eux-mêmes et surtout à leurs amis avec lesquels ils ne peuvent vivre agréablement. C’est pourquoi, on les appelle amers. A cette espèce d’excès semblent fort disposés les mélancoliques, qui gardent longtemps les impressions reçues, à cause de la densité de leur humeurs (bile). |
#810. — Il présente ensuite la seconde espèce (1126a19). Il dit que l'on appelle amers, en matière de colère, ceux dont la colère se dissout difficilement, et qui restent en colère longtemps, parce qu'ils gardent leur colère dans leur cœur. Leur colère ne s'apaise que lorsqu'ils exercent une vengeance pour l'injure subie; le châtiment, en effet, fait s'apaiser l'élan de[34] la colère, au moment où, au lieu de la tristesse qui précède, s'introduit le plaisir, car on prend plaisir à la vengeance. Mais si cela ne se produit pas, s'ils n'administrent pas de châtiment, ils restent gravement affligés intérieurement, parce qu'ils ne manifestent pas leur colère. Et personne ne peut user de persuasion pour adoucir leur colère, puisqu'elle est ignorée. Au contraire, pour que leur colère se digère, beaucoup de temps est nécessaire où, peu à peu, le feu de la colère s'attiédisse et s'éteigne. Pareilles gens, qui gardent ainsi une colère de longue durée, sont très désagréables pour eux-mêmes et principalement pour leurs amis, avec qui ils ne peuvent pas avoir de vie commune plaisante. C'est pour cela qu'on les appelle amers. Les mélancoliques paraissent le plus disposés à cette espèce d'excès, eux en qui les impressions reçues restent longtemps, à cause de l'épaisseur de leur humeur. |
[73515] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 12 Tertiam speciem ponit
ibi, difficiles autem et cetera. Et dicit quod illos dicimus difficiles sive
graves qui irascuntur in quibus non oportet et magis quam oportet et pluri
tempore quam oportet; et non commutantur ab ira sine hoc quod crucient, vel
puniant eos quibus irascuntur. Non enim est in eis diuturnitas irae ex sola
retentione irae ut possit tempore digeri, sed ex proposito firmato ad
puniendum. |
811.- Il pose la troisième espèce, Il dit que nous appelons difficiles (de caractère) au insociable (lourds à supporter) ceux qui se fâchent hors de propos, plus qu'il ne se doit et plus longtemps que nécessaire; et qui ne s’apaisent qu’après avoir meurtri et puni ceux contre lesquels ils sont fâchés, La longue durée de leur colère ne vient pas uniquement du fait qu'elle est enfermée en eux, le temps pouvant ainsi permettre de la digérer, mais du ferme propos de punir et de se venger. |
#811. — Il présente ensuite la troisième espèce (1126a26). Il dit que nous appelons difficiles, ou fâcheux, ceux qui se fâchent en ce en quoi il ne faut pas, plus qu'il ne faut et plus de temps qu'il ne faut; ils ne sortent pas de leur colère tant qu'ils n'ont pas tourmenté, ou châtié, ceux contre qui ils se fâchent. En eux, en effet, la durée de la colère ne tient pas seulement à la rétention, de manière à pouvoir la digérer avec le temps, mais au propos ferme de châtier. |
[73516] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13
n. 13 Deinde cum dicit
mansuetudini autem etc., comparat praedicta adinvicem. Et dicit quod
superabundantia irae magis opponitur mansuetudini quam defectus: quod probat
duplici ratione. Primo quidem quia in pluribus accidit. Homo enim magis
inclinatur naturaliter ad puniendum post iniuriam sibi illatam; licet quando
non est iniuriam passus naturaliter inclinetur homo ad mansuetudinem. Secundo
quia illi qui superabundant in ira, magis sunt difficiles ad convivendum. Et
in hoc sunt deteriores, unde et magis contrariantur bono virtutis. |
812.- Il compare les deux vices susdits entre eux. Il dit que l'excès de colère est plus opposé à la douceur que le défaut. Ce qu’il prouve par deux raisons, Tout d'abord, parce que l’excès est plus fréquent. En effet, par nature l’homme est plus incliné à punir après avoir reçu une injure, bien que, lorsqu'il n’y a pas d’outrage, il soit naturellement enclin à la douceur. En second, parce que ceux qui versent dans l'excès de colère, sont moins sociables que les autres. Sous ce rapport, ils sont donc moins bons. Ainsi, il s’opposent davantage à la bonté de la vertu. |
#812. — Ensuite (1126a29), il compare entre eux les [habitus] mentionnés. Il dit que l'excès de colère s'oppose plus à la douceur que son manque, ce qu'il prouve avec deux raisons. En premier, certes, parce qu'il se produit plus souvent. En effet, on est plus naturellement incliné à châtier, après une injure portée contre soi, bien que, quand on n'a pas souffert d'injure, on est naturellement incliné à la douceur. En second, parce que ceux qui commettent l'excès en [matière de] colère sont plus difficiles de vie commune. En cela, ils sont pires. Aussi contrarient-ils plus au bien de la vertu. |
[73517] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13 n. 14 Deinde cum dicit: quod autem in prioribus etc.,
respondet tacitae quaestioni: scilicet in quibus, et qualiter homo debeat
irasci. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quid circa hoc non possit
determinari per certitudinem. Secundo quid sit in hoc manifestum, ibi sed
quod quidem tale et cetera. Dicit ergo primo, quod sicut dictum est in II et
ibidem manifestatum, non est facile determinare qualiter sit irascendum, et in
quibus, vel qualibus rebus, et quanto tempore, et usque ad quem terminum
recte facit, qui irascitur et usque ad quem terminum peccat. Ille enim qui
parum recedit a medio vel in maius vel in minus, non vituperatur; sed potius
quandoque eos qui deficiunt in ira laudamus et vocamus eos mansuetos; illos
autem, qui parum excedunt, vocamus viriles, quasi potentes, et aptos ad
principandum propter promptitudinem ad vindictam, quae competit principibus.
Sed per quantum et qualem recessum a medio aliquis vituperetur vel non
vituperetur, non de facili potest ratione determinari, quia huius rei
iudicium consistit in singularibus et in sensu, non tam exteriori quam
interiori aestimatione. |
813.- Il répond à une question tacite: à savoir en quoi et de quelle manière l’homme doit-il se fâcher. Ce qu'il fait en deux points, En premier, il dit que cela ne peut être déterminé avec certitude, En second, il donne ce qu'il y a d’évident là-dessus. Il dit donc en premier que, comme on l'a dit dans le second livre où, d'ailleurs, on l’a montré, il n’est pas facile de déterminer de quelle façon, et par rapport à quoi, ou par rapport à quelque sorte de chose, et combien de temps, et jusqu’à quel point on peut se fâcher, et bien faire ou pécher en le faisant, En effet, celui qui ne s’éloigne que peu du milieu, soit en moins soit en plus, n’est pas blâmable, Il arrive plutôt que quelquefois nous louons ceux qui pèchent par défaut dans la colère, et nous les appelons doux; ceux qui dépassent légèrement la mesure dans l'excès, nous les appelons virils, comme s’ils étaient puissants et aptes à commander, à cause de la promptitude à la vengeance qui convient aux chefs. Dans quelle mesure, quantitativement ou qualitativement, faut-il s’écarter du juste milieu pour être blâmé ou non, il n’est pas facile de le déterminer par la raison. Ce sont là des choses qui entrent dans le domaine des singuliers et qui relèvent du sens, non pas tant extérieur, mais intérieur (qui relèvent d’une appréciation sensitive interne). |
#813. — Ensuite (1126a31), il répond à une question tacite, à savoir, en quoi et comment on doit se fâcher. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il affirme que cela ne peut pas se fixer avec certitude. En second (1126b4), [il présente] ce qu'il y a de manifeste en cela. Il dit donc, en premier, que, comme on l'a dit au second [livre] (#379), et comme on l'a manifesté là, il n'est pas facile de fixer comment on doit se fâcher, et en quelles choses ou quelle sorte de choses, et combien de temps, et jusqu'à quel terme il agit correctement ou se rend fautif, celui qui se fâche. Celui, en effet, qui s'écarte peu du milieu, soit en plus soit en moins, on ne le blâme pas; au contraire, nous louons plutôt, quelquefois, ceux qui manquent de colère, et nous les appelons doux; tandis que ceux qui tombent dans un peu d'excès, nous les appelons virils, comme capables et aptes à commander à cause de leur promptitude à la vengeance, qui appartient aux chefs. Mais pour combien et quelle sorte d'écart du milieu on est blâmé ou n'est pas blâmé, la raison ne peut pas facilement le fixer. C'est que le jugement de cette chose tient à des singuliers et à leur perception, non pas tant en une estimation extérieure qu'intérieure. |
[73518] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13 n. 15 Deinde cum dicit: sed quod quidem tale etc., ostendit
quid sit in talibus manifestum. Et dicit manifestum esse, quod laudabilis est
medius habitus, secundum quem irascimur quibus oportet et in quibus rebus
oportet et secundum quod oportet et similiter de aliis circumstantiis, et
quod superabundantia et defectus sunt vituperabiles; ita tamen quod, si in
parvum fiant, tolerabile est, si autem plus fiant, magis vituperabile est. Si
autem multum fiant, valde vituperabile est. Unde semper se debet aliquis ad
medium trahere. |
814.- Il montre ce qu'il y a de manifeste dans cette question. Il dit qu'il est évident que l’habitus intermédiaire est louable, celui qui nous fait mettre en colère pour des motifs valables, contre qui on le doit, par rapport à quelles choses on le doit, et ainsi de suite pour les autres circonstances; que l'excès et le défaut sont blâmables, de telle sorte cependant que s'ils ne sont que légers, on peut les tolérer. Un écart plus grand de la mesure est plus blâmable. Si l’excès et le défaut sont très grands, ils sont vraiment à condamner. Donc, on doit toujours travailler à atteindre le milieu. |
#814. Ensuite (1126b4), il montre ce qu'il y a de manifeste en pareille [matière]. Il dit qu'il est manifeste que l'habitus moyen est louable, en conformité auquel nous nous fâchons contre qui il faut, en ce en quoi il faut, et pareillement pour les autres circonstances; et que l'excès et le défaut sont blâmables. De sorte, toutefois, que s'il s'en produit peu, c'est tolérable; et que s'il s'en produit plus, c'est plus blâmable; que s'il s'en produit beaucoup, c'est très blâmable. Aussi, on doit toujours revenir au milieu. |
[73519] Sententia Ethic., lib. 4 l. 13 n. 16 Ultimo autem epilogat, quod dictum est de habitibus,
qui sunt circa iram. |
815.- En dernier il résume ce qu’il a dit des habitus qui portent sur la colère. |
#815. — Enfin, il conclut que voilà qui est dit pour les habitus qui portent sur la colère. |
|
|
|
Lectio
14 |
Leçon 14 : [Les vertus de la vie commune] |
|
|
IL MONTRE QUEL EST LE VICE QUI APPARTIENT A L'EXCES DE PLAISIR DANS LES RELATIONS FAMILIERES, LA VIE EN COMMUN DES HOMMES, ET QUEL EST CELUI QUI APPARTIENT AU DEFAUT. C’EST L’HABITUS INTERMEDIAIRE QUI RECOIT LA LOUANGE; CET HABITUS SEMBLE AVOIR UNE TRES GRANDES RESSEMBLANCE AVEC L'AMITIE. |
|
[73520] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 1 In colloquiis autem et convivere et cetera. Postquam
philosophus determinavit de virtutibus, quae respiciunt res exteriores, hic
determinat de virtutibus, quae respiciunt actus humanos. Et primo in seriis.
Secundo in ludicris, ibi, existente autem requie et cetera. In actibus autem
seriosis est duo considerare, scilicet delectationem et veritatem. Primo ergo
determinat de virtute quae est circa delectationes et tristitias in seriosis
actibus hominum; secundo de virtute quae est circa veritatem, ibi, circa
eadem autem fere est et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit circa
delectationes et tristitias humanorum actuum esse medium et extrema. Secundo
determinat de eis, ibi, nomen autem non redditur et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit vitium pertinens ad superabundantiam delectationis. Et
dicit, quod circa colloquia humana, per quae maxime homines adinvicem
convivunt secundum proprietatem suae naturae, et universaliter circa totum
convictum hominum qui fit per hoc quod homines sibi invicem communicant in
sermonibus et in rebus, quidam videntur esse placidi, quasi hominibus placere
intendentes. Unde omnia laudant, quae ab
aliis dicuntur et fiunt, ad hoc, quod delectabiles se eis exhibeant. Et in
nullo contradicunt eis quibus convivunt, ne eos contristent; aestimantes,
quod oportet omnibus convivere sine tristitia. |
816.- Après avoir traité de vertus qui ont comme matière les choses extérieures, le Philosophe cerne ici les vertus qui portent sur les actes humains. Et, en premier, dans les actes sérieux; en second, dans les second, dans les distractions, les récréations. Cependant, dans les actes sérieux, il faut considérer deux aspects: le plaisir et la vérité. Donc, en premier, il détermine la vertu qui porte sur les délectations et les tristesses qui proviennent des actes sérieux des hommes. En second, il traite de la vertu qui a comme domaine la vérité dans ces actes. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il montre qu'il existe un milieu et des extrêmes par rapport aux plaisirs et aux tristesses des actes humains. En second, il les délimite. La première partie se subdivise en trois. En premier, il pose le vice qui appartient à l’excès de délectation. Il dit que dans les conversations humaines, qui constituent le facteur principal de l'union entre les hommes, facteur de la vie communautaire le plus conforme à la propriété de la nature humaine, et, en général, dans la vie commune, formée de tous les échanges de paroles et de choses, il y a des gens qui semblent complaisants, presque toujours soucieux de plaire à autrui. De là, vient qu’ils approuvent et louent tout ce que les autres font et disent, toujours en vue de se montrer agréables aux autres. Ils ne font aucune opposition à leurs concitoyens pour ne pas leur causer de la peine. Ils estiment qu'il faut vivre avec tout le monde sans causer la moindre tristesse. |
#816. — Après avoir traité des vertus qui regardent les choses extérieures, le Philosophe traite ici des vertus qui regardent les actions humaines. En premier, en [matière d'actions] sérieuses. En second (1127b32), en [matière d'actions] enjouées. 150 Dans les actions sérieuses, par ailleurs, il y a deux [aspects] à considérer: le plaisir et la vérité. En premier, donc, il traite d'une vertu qui porte sur les plaisirs et tristesses issus des actions sérieuses des gens. En second (1127a13), d'une vertu qui porte sur la vérité. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il y a, dans les plaisirs et tristesses des actions humaines, milieu et extrêmes. En second (1126b19), il en traite. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente le vice qui a trait au plaisir excessif. Il dit que, dans les entretiens humains, où tient, surtout, la vie commune que mènent les gens entre eux, selon la propriété de leur nature, et, universellement, en toute vie commune humaine, qui se fait par cela que les gens communiquent entre eux avec des paroles et des choses, certains se montrent complaisants[35], au sens qu'ils cherchent à plaire aux gens. Aussi, ils louent tout ce qui se dites et se fait par d'autres, pour se montrer plaisants pour eux. Ils ne contredisent en rien ceux avec qui ils vivent, de manière à ne pas les contrister, dans l'idée qu'il faut vivre avec tous sans tristesse. |
[73521] Sententia
Ethic., lib. 4 l. 14 n. 2 Secundo ibi: qui autem
contrario his etc., ponit vitium quod pertinet ad defectum in talibus. Et dicit, quod illi, qui contrario modo se habent ad
placidos, volunt contrariari omnibus quae dicuntur vel fiunt, quasi
intendentes alios contristare, et nihil curantes praetermittere ne alios
contristent: et isti vocantur discoli et litigiosi. |
817.- Il pose le vice qui appartient au défaut dans les relations humaines. Il dit que ceux qui sont à l’extrême opposé des précédents veulent contredire en tout ce qui se dit ou se fait, ayant presque comme but de faire de la peine aux autres, sans aucun souci de leur épargner la moindre tristesse. Ceux-là on les appelle acariâtres ou querelleurs. |
#817. — En second (1126b14), il présente le vice qui a trait au manque en pareille [matière]. Il dit que ceux qui se comportent de la manière contraire aux complaisants veulent contrarier tout ce qui se dit ou se fait, au sens qu'ils cherchent à contrister les autres, et ne se préoccupent en rien d'éviter de les contrister autres: on les appelle grincheux[36] et chicaniers28. |
[73522] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 3 Tertio ibi: quoniam quidem igitur etc., concludit esse
quendam medium habitum laudabilem. Et dicit, quod quia praedicti habitus, qui
sunt in extremo sunt vituperabiles, manifestum est quod medius habitus est
laudabilis, secundum quem aliquis acceptat ea quae ab aliis dicuntur vel
fiunt, vel etiam despicit, et contradicit secundum quod oportet. |
818.- Il conclut que l’habitus du milieu est louable. Il dit que, parce que les habitus ci-haut mentionnés, et qui constituent les extrêmes, sont à blâmer, il est manifeste que l'habitus du milieu est louable, en tant qu'une personne accueille ou repousse et contredit ce que les autres disent et font, comme il se doit. |
#818. — En troisième (1126b16), il conclut que c'est l'habitus moyen qui est louable. Il dit que, comme les habitus mentionnés, qui se situent dans l'extrême, ne sont pas louables, il en devient manifeste que c'est l'habitus moyen qui est louable, selon lequel on accepte ce que les autres disent ou font, ou encore on le méprise et contredit comme il le faut. |
[73523] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 4 Deinde cum dicit: nomen autem non redditur et cetera.
Determinat de praedictis. Et primo de medio; secundo de extremis, ibi,
condelectantis autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat de
nomine medii habitus; secundo de eius proprietatibus, ibi, universaliter
quidem igitur et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit medium
habitum esse innominatum. |
819.- Il détermine les habitus précédents. En premier, il traite de l'habitus du milieu. En second, il étudie les extrêmes. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il établit le nom de l’habitus du milieu. En second, il traite de sa propriété. La première partie se subdivise en trois. Il dit tout d'abord que l'habitus intermédiaire n’a pas de nom propre. |
#819. — Ensuite (1126b19), il en traite. En premier, du milieu. En second (1127a7), des extrêmes. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite du nom de l'habitus moyen. En second (1126b28), de sa propriété. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il affirme que l'habitus moyen est resté sans nom. |
[73524] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 5 Secundo ibi: assimulatur autem etc., nominat ipsum per
similitudinem amicitiae. Et dicit, quod ista virtus maxime assimilatur
amicitiae, quia communicat cum ea in actu exteriori, maxime proprio ei, qui
est delectabiliter convivere ad amicos. Ille enim, qui est dispositus
secundum medium habitum huius virtutis, taliter se habet in delectabili
convictu ad alios, sicut dicimus competere amico, cuius scilicet amicitia
moderatur ratione, quod pertinet ad amicitiam honesti. Non enim omnis
amicitia est secundum virtutem, ut infra dicetur. Et si ita esset, quod ille
qui habet istam virtutem, assumeret affectum dilectionis ad eos quibus
convivit, esset omnino talis qualis est omnino virtuosus. |
820.- Il le nomme par sa ressemblance avec l'amitié. Il dit que cette vertu s’assimile très fortement à l’amitié: c’est qu’elle rejoint l'amitié dans l’acte extérieur le plus propre à cette dernière qui est de vivre avec joie auprès des amis (partager sa vie avec joie) En effet, celui dont la disposition d'âme est conforme à l’habitus intermédiaire de cette vertu apporte aux autres, dans la joie de la vie intime commune, ce que l'on demande à un ami, dont l’amitié est réglée par la raison: ce qui appartient à l’amitié du vertueux. En effet, toute amitié ne découle pas de la vertu, comme on le verra plus loin. Et si celui qui possède cette vertu apportait l’affection de l’amour à ceux avec qui il vit – s’il en était ainsi - il serait tout à fait tel que l’ami parfaitement vertueux. |
#820. — En second (1126b20), il le nomme par ressemblance avec l'amitié. Il dit que cette vertu s'assimile surtout à l'amitié, car elle lui ressemble en l'acte extérieur qui lui est le plus propre, qui est de se montrer plaisant à vivre avec ses amis. Celui qui est disposé selon l'habitus moyen de cette vertu, en effet, se comporte de telle manière, dans ce fait d'être plaisant à vivre pour les autres, comme nous disons que cela convient à un ami, dont l'amitié soit modérée par la raison, ce qui relève de l'amitié de l'[homme] honorable. Car toute amitié n'est pas conforme à la vertu, conne on le dira plus loin (#1574-1577). S'il en allait ainsi que celui qui a cette vertu ressentait de la dilection envers ceux avec qui il vit, il serait tout à fait de nature à se trouver tout à fait vertueux. |
[73525] Sententia
Ethic., lib. 4 l. 14 n. 6 Tertio ibi: differt autem ab
amicitia etc., ostendit differentiam huius virtutis ad veram amicitiam. Et circa hoc duo facit. Primo ponit differentiam.
Secundo excludit falsum intellectum, ibi, verumtamen et in singulis et
cetera. Dicit ergo primo, quod haec virtus differt a vera amicitia, quia ista
virtus est et sine amore, qui est passio appetitus sensitivi, et sine
dilectione ad eos quibus colloquitur, quae pertinet ad appetitum
intellectivum. Non enim ex hoc acceptat singula ab aliis dicta vel facta,
sicut oportet, quia afficiatur ad eos odio vel amore; sed quia est ita
dispositus secundum habitum. Et huius signum est quia hoc observat non solum
ad amicos, sed communiter ad omnes ignotos et notos, consuetos et
inconsuetos. Et est simile de liberalitate. Amicus enim dona confert amicis
propter amorem. Liberalis autem non ex eo quod amat, sed ex eo quod est talis,
ut facile emittat pecuniam. |
821.- Il montre la différence entre cette vertu et la vraie amitié. Il divise ce point en deux parties. En premier, il montre la différence. En second, il exclut une fausse représentation. Il dit donc, en premier, que cette vertu diffère de la véritable amitié parce qu’elle est sans l’amour, qui est une passion de l’appétit sensitif, et sans la dilection, qui appartient à l’appétit intellectuel, envers ceux avec qui il s'entretient. En effet, celui qui a cette vertu n’obéit ni à l’amitié ni à la haine lorsqu’il accueille chaque dire ou chaque action des autres comme il faut, mais parce qu'il est disposé de cette façon par son habitus. Le signe de cela en est qu’il maintient cette manière d’agir non seulement avec les amis, mais aussi universellement avec les gens connus et inconnus, avec les familles et les étrangers. Ce cas ressemble à celui de la libéralité. En effet, un ami donne à ses amis à cause de l’amour. Mais le libéral partage facilement son argent non parce qu’il aime, mais parce qu’il est tel. |
#821. — En troisième (1126b22), il montre la différence entre cette vertu et la véritable amitié. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la différence. En second (1126b26), il exclut une fausse compréhension. Il dit donc, en premier, que cette vertu diffère de la véritable amitié, car elle va sans l'amour, passion de l'appétit sensible, et sans la dilection envers ceux avec qui l'on converse, qui relève de l'appétit intellectuel. En effet, on ne reçoit pas chaque dire ou action des autres comme il faut parce que l'on est affecté envers eux de haine ou d'amour, mais parce que l'on est ainsi disposé en conformité à un habitus. Le signe en est que l'on observe cela non seulement envers ses amis, mais communément envers tous les inconnus et connus, familiers et non familiers. Il en va d'ailleurs[37] pareillement de la libéralité. L'ami, en effet, remet ses dons à ses amis par amour, tandis que le libéral ne [le fait] pas du fait qu'il aime, mais du fait qu'il est de nature à se défaire facilement de son argent. |
[73526] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 7 Deinde cum dicit verumtamen et in singulis etc.,
excludit falsum intellectum praedictorum. Quia enim dixerat quod similiter se
habet haec virtus ad ignotos et notos, posset aliquis intelligere
similitudinem istam quantum ad omnia. Est autem intelligenda praedicta
similitudo quantum ad hoc commune, quod est delectabiliter omnibus convivere;
est autem differentia quantum ad speciales modos convivendi; quia in singulis
facit secundum quod congruit, non autem convenit quod similiter aliquis
delectet aut contristet consuetos et extraneos. |
822.- Il exclut une fausse interprétation de ce qu’il vient de dire. En effet, parce qu’il avait dit que cette vertu traite de la même manière les inconnus et le connus, on pourrait croire que cette manière est identique en tout. Cette similitude dans le comportement, on doit la comprendre par rapport à ce point de vue général qui est de vouloir vivre en bons termes et agréablement avec tout le monde. La différence vient de ce que cette sorte s'adapte aux types particuliers de relation humaine: cette vertu règle chaque cas particulier comme il convient. Or, il n'arrive pas que l’on fasse plaisir ou qu'on cause de la peine de la même façon aux étrangers et aux intimes. |
#822. — Ensuite (1126b26), il exclut une fausse compréhension de ce qui précède. Du fait qu'il avait dit que cette vertu se comporte pareillement envers les inconnus et les connus, on pourrait entendre cette ressemblance à tous points de vue. Or elle est à entendre quant à ce [point] commun, qui consiste à se montrer plaisant pour tous dans la vie commune. Mais il y a une différence quant aux façons spéciales de mener la vie commune, car il fait en chaque [cas] comme il convient. Or il ne se peut pas que l'on se montre plaisant et contristant de la même manière avec des familiers et des étrangers. |
[73527] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 8 Deinde cum dicit universaliter quidem etc., ponit
proprietates quinque huius virtutis quarum prima sumitur ex modo colloquendi.
Et dicit quod, sicut dictum est, in universali omnibus colloquitur sicut
oportet. |
823.- Il donne cinq propriétés de cette vertu. La première se prend de la manière de se comporter dans les conversations. Il dit que, comme on l'a souligné auparavant, l'homme qui possède cet te vertu se conduit en général avec les autres (surtout dans les conversations) comme il se doit. |
#823. — Ensuite (1126b28), il présente cinq propriétés de cette vertu. La première se prend de la façon de s'entretenir. Il dit que, comme on l'a dit (#821), il s'entretient généralement avec tous comme il le faut. |
[73528] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 9 Secundam ponit ibi: referens autem et cetera. Quae
sumitur ex parte finis. Et dicit, quod tendit ad hoc quod sine tristitia, vel
etiam cum delectatione aliis convivat. Et hoc refert ad bonum honestum, et ad
conferens, idest utile, quia est circa delectationes et tristitias
quae fiunt in colloquiis, in quibus principaliter et proprie consistit
convictus humanus. Hoc enim est proprium hominum respectu aliorum animalium,
quae sibi in cibis vel in aliis huiusmodi communicant. |
824.- Voici la seconde propriété qui se prend du côté de la fin. Il dit que celui qui possède cette vertu tend à vivre avec ses semblables sans les peiner ou même en apportant joie et plaisir. Cette vertu vise ainsi le bien honnête et l'utile, parce qu’elle porte sur les plaisirs et les tristesses qui ont lieu dans les conversations, en lesquelles consiste principalement et proprement la vie intime des hommes. Cette forme de communication est propre aux hommes par comparaison aux autres animaux qui communiquent entre eux dans la nourriture et les choses semblables. |
#824. — Il présente ensuite la seconde propriété (1126b29), qui se prend du côté de la fin. Il dit qu'il tend à ne jamais se montrer attristant à vivre pour les autres, dans la vie commune, ou même plaisant. Il rattache cela au bien honorable, et à celui qui rapporte, c'est-à-dire, à l'utile, car il est concerné par les plaisirs et les tristesses qui se produisent dans les entretiens, en lesquels, principalement et proprement, consiste la vie commune humaine. C'est cela, en effet, le propre des hommes, en regard des autres animaux, qui communiquent entre eux pour la nourriture et pour autre chose de la sorte. |
[73529] Sententia
Ethic., lib. 4 l. 14 n. 10 Tertiam proprietatem ponit ibi:
horum autem et cetera. Quae sumitur per comparationem ad tristitiam. Et dicit quod quandoque habens hanc virtutem refugit
delectare alium, quin immo eligit contristare ipsum. Et hoc dupliciter. Uno
quidem modo ex parte suiipsius, puta si non sit sibi honestum, ut cum alius
loquitur verba turpia, vel si etiam sit sibi nocivum, puta cum alius loquitur
in detrimentum eius; alio modo ex parte illius cui convivit, puta si dicat
vel faciat aliquid quod ad propriam suiipsius magnam inhonestatem pertineat,
vel etiam sit ei multum nocivum. Et per hoc quod ei contradicitur ingeritur
ei parva tristitia. Sic enim non acceptabit virtuosus quod ab aliis dicitur
vel fit, sed magis reprehendet. |
825.- Il pose la troisième propriété qui se prend par comparaison à la tristesse. Et il dit que celui qui possède cette vertu refuse quelquefois de faire plaisir à, un autre et que même parfois il choisira de le peiner. Et cela de deux manières. D'une première façon, d’un point de vue personnel: si, par exemple, il ne lui est pas honnête de faire plaisir. Ainsi lorsque l'autre dit des paroles obscènes ou qui lui sont nuisibles, s’il tente de nuire à sa réputation par exemple, il choisira de le peiner. D'une seconde façon, il pourra choisir De faire de la peine en examinant l’intérêt de l’autre; par exemple, s'il dit ou fait quelque chose qui relève de sa malhonnêteté ou qui lui est fort dommageable, Le fait de contredire l’autre causera une certaine peine. Ainsi, le vertueux n’acceptera pas ce que les autres disent, ou la manière dont ils le disent, mais il saura plutôt le leur reprocher. |
#825. — Il présente ensuite la troisième propriété (1126b31), qui se prend par comparaison à la tristesse. Il dit que parfois celui qui a cette vertu refuse de se montrer plaisant avec un autre, et même qu'il choisit parfois de le contrister. Cela, de deux manières. D'une manière, certes, en considération de soi-même, par exemple, si cela n'est pas honorable pour lui, par exemple, lorsque l'autre profère des paroles honteuses; ou encore s'il lui cause du dommage, par exemple, lorsque l'autre parle pour lui nuire. De l'autre manière, en considération de celui avec qui il vit. Par exemple, s'il dit ou fait quelque chose qui contribue à un grand déshonneur pour lui-même, ou encore qui soit très dommageable pour lui. Par le fait de le contredire, il lui apporte une petite tristesse. Le vertueux, en effet, n'acceptera pas ce que les autres disent de telle ou telle manière, mais il [les en] reprendra, plutôt. |
[73530] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 11 Quartam proprietatem ponit ibi: differenter autem
colloquitur et cetera. Quae sumitur per comparationem ad diversas personas.
Et dicit quod hic virtuosus diversimode colloquitur et conversatur cum his
qui sunt in dignitatibus constituti et cum quibuscumque privatis personis. Et
similiter diversimode cum magis vel minus notis, et secundum alias
diversitates personarum. Singulis enim attribuit quod est conveniens. |
826.- Il pose la quatrième propriété qui est prise par rapport aux différentes conditions des personnes, Il dit que le vertueux conversera et communiquera différemment avec des personnes constituées en dignité et des personnes quelconques. Son attitude changera aussi selon qu'il connaîtra plus ou moins les personnes avec qui il entretient des relations. Il tiendra compte aussi de toutes les autres différences. Il s’adapte à chacun des cas comme il convient. |
#826. — Il présente ensuite la quatrième propriété (1126b36), qui se prend par comparaison à des personnes différentes. Il dit que le vertueux s'entretient et converse de manière différente avec ceux qui sont investis de responsabilités et avec n'importe quelles personnes privées. Pareillement encore, de manière différente avec ceux qu'il connaît plus ou moins, et en regard des autres différences entre les personnes. À chacun, en effet, il attribue ce qui est convenable. |
[73531] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 12 Quintam proprietatem ponit ibi: et per se quidem et
cetera. Quae sumitur per comparationem delectationis ad tristitiam. Et dicit,
quod per se quidem intendit delectare et renuit contristare; tamen aliquando
parum contristat considerans futura, si praeponderent praesenti
contristationi, quantum ad honestatem et utilitatem, vel etiam quantum ad
futuram delectationem magnam, cui locus paratur per praesentem
contristationem. Concludit autem, quod talis est medius habitus, cum tamen
sit innominatus, licet apud nos possit affabilitas nominari. |
827.- La cinquième propriété qu’on pose se prend en comparant le plaisir à la tristesse. Il dit que cette vertu, de soi, tend à faire plaisir et refuse d’attrister. Cependant, en certaines occasions, elle causera une peine légère en visant dans l’avenir quelque bien honnête et utile qui serait supérieur à la tristesse présente qu’elle cause. Ou encore préférera-t-elle causer une peine qui ouvrirait la porte à quelque développement important. Il conclut que tel est l'habitus du milieu, bien qu’il n’ait reçu aucun nom; cependant, chez nous, on pourrait l’appeler affabilité. |
#827.
— Il présente ensuite la cinquième propriété (1127a2), qui se prend par
comparaison au plaisir et à la tristesse. Il dit que, par soi, il vise à plaire
et se refuse à contrister, mais que, cependant, il contriste quelquefois un
peu, en regard du futur, s'il a plus de poids que la tristesse présente,
quant à l'honorabilité et à l'utilité, ou même pour une considération future
importante, pour laquelle il pare en contristant dans le présent. Il conclut,
par ailleurs, que tel est l'habitus moyen, quoiqu'il soit resté sans nom. On
pourrait quant à nous, toutefois, le nommer affabilité. |
[73532] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 13 Deinde cum dicit condelectantis autem etc., determinat
de oppositis vitiis. Et circa hoc tria facit. Primo determinat de vitio quod
pertinet ad superabundantiam delectationis. Et dicit quod ille qui
superabundat in condelectando, si hoc non faciat propter aliud, vocatur placidus;
si autem hoc faciat, vel propter adipiscendam pecuniam, vel quicquid aliud
pecunia aestimari potest, vocatur blanditor sive adulator. |
828.- Il détermine les vices opposés. Il traite ce sujet en trois points. En premier, il détermine le vice qui appartient à l’excès de plaisir. Il dit que celui qui tombe dans l’excès du plaisir (qui ne songe qu’à être agréable sans aucune autre intention, on l’appelle complaisant. S'il le fait pour obtenir de l’argent ou quelque bien évaluable à prix d'argent, on l’appelle flatteur ou flagorneur. |
#828. — Ensuite (1127a7), il traite des vices opposés. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il traite du vice qui a trait au plaisir excessif. Il dit que celui qui se montre plaisant à l'excès, s'il ne le fait pas en vue d'autre chose, on l'appelle complaisant; tandis que s'il le fait soit en vue d'obtenir de l'argent, soit en vue de quoi que ce soit d'autre qu'il peut estimer, on l'appelle flatteur ou adulateur[38]. |
[73533] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 14 Secundo ibi, qui autem omnes contristat etc.,
determinat de opposito vitio. Et dicit, quod ille qui omnes contristat,
vocatur litigiosus et dyscolus, ut dictum est. |
829.- En second, il détermine le vice opposé. Il dit que celui qui cause de la peine à tout le monde, on l’appelle querelleur et acariâtre (d’humeur chagrine), comme on l’a dit plus haut. |
#829. — En second (1127a10), il détermine du vice opposé. Il dit que celui qui contriste tout le monde, on l'appelle chinanier et grincheux, comme on l'a dit plus haut (#817). |
[73534] Sententia Ethic., lib. 4 l. 14 n. 15 Tertio ibi opponi autem videntur etc., comparat
praedicta duo vitia adinvicem. Et dicit, quod extrema videntur opponi
sibiinvicem, non autem virtuti, quia medium virtutis est innominatum. |
830.- En troisième, il compare les deux vices entre eux. Il dit que les extrêmes semblent s’opposer entre eux parce que le milieu de la vertu est anonyme. |
#830. — En troisième (1127a11), il compare entre eux les deux vices qui précèdent. Il dit qu'on dirait que les extrêmes s'opposent entre eux, mais non à la vertu, car le milieu de la vertu est resté sans nom. |
|
|
|
Lectio
15 |
Leçon 15 : [La vantardise et la franchise] |
|
|
IL TRAITE DE LA VERTU QUI CONCERNE LA VERITE ET LA FAUSSETE DANS LA VIE EN COMMUN DES HOMMES (VIE INTIME EN GENERAL). EN CHEMIN, IL EST DONC ICI QUESTION DU VANTARD, DE L’HOMME VRAI, DU MENTEUR ET DES PROPRIETES DE L'HOMME VRAI. |
|
[73535] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 1 Circa eadem autem est fere
et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtute, quae tenet medium in
humanis actibus quantum ad delectationem, hic determinat de virtute quae
tenet medium in eisdem humanis actibus quantum ad veritatem. Et circa hoc duo
facit. Primo dicit de quo est intentio; secundo determinat propositum, ibi,
videtur utique iactator, et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit
quamdam virtutem mediam esse oppositam iactantiae. Secundo ostendit, quod de
hac virtute est tractandum, ibi, non malum autem et cetera. Tertio ostendit
differentiam huius virtutis ad praecedentem, ibi, in convivere utique et
cetera. Dicit ergo primo, quod medietas opposita iactantiae est fere circa
eadem cum praedicta virtute, quia est circa actus humanos. Sed non secundum
idem; quia non secundum delectationem, sed secundum aliquid aliud, ut post
dicetur; et tamen ipsa medietas est innominata sicut et praedicta virtus. |
831.- Ayant traité de la vertu qui tient le milieu dans les actions humaines par rapport aux plaisirs, le Philosophe traite ici de la vertu qui tient le milieu en ce qui concerne celle qui, dans les mêmes actes humains, s'appelle la vérité: Ce qu'il fait en deux points. En premier, il montre quel est l'objet de son dessein; en second, il élabore son propos. Son premier point se divise en trois parties. En premier, il pose qu'il y a une certaine vertu intermédiaire opposée à la vantardise. En second, il montre qu'il faut traiter de cette vertu. En troisième, il montre la différence entre cette vertu et la précédente. Il dit donc, en premier, que la médiété opposée à la vantardise porte presque sur la même matière que celle de la vertu susdite, parce qu’elle porte sur les actes humains. Cependant, elle ne porte pas sur cette matière sous le même aspect: elle ne porte pas sur les actes humains au point de vue du plaisir, mais à un autre point de vue, comme on le dira plus loin. Cette médiété, comme la précédente, est anonyme. |
#831. — Après avoir traité de la vertu qui tient le milieu, dans les actions humaines, quant à ce qui est de se montrer plaisant, le Philosophe traite ici de la vertu qui tient le milieu quant à cette vertu, dans les mêmes actions humaines, que l'on appelle vérité. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi porte son intention. En second (1127a20), il traite de son propos. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il affirme qu'il existe une vertu moyenne opposée à la vantardise30. En second (1127a14), il montre que l'on doit traiter de cette vertu. En troisième (1127a17), il montre la différence de cette vertu avec la précédente. Il dit donc, en premier, que la médiété opposée à la vantardise porte pratiquement sur les mêmes [objets] que la vertu précédente, car elle porte sur les actions humaines. Néanmoins, ce n'est pas sous le même [rapport], car ce n'est pas sous le rapport du plaisir [que l'on procure aux autres], mais sous un autre [rapport], comme on le dira par la suite (#838). Comme pour la vertu précédente, toutefois, la médiété même est restée sans nom. |
[73536] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 2 Deinde cum dicit: non
malum autem etc., ostendit quare necessarium est determinare de hac virtute.
Et ponit ad hoc duas rationes. Circa quarum primam dicit, quod non est malum,
immo utile ad scientias morales, pertranseunter tractare de huiusmodi
virtutibus, quia per hoc magis sciemus ea quae pertinent ad mores, si
pertranseamus tractando ea, quae pertinent ad singulos habitus. Quia cognitio rerum
moralium perficitur per hoc quod particularia cognoscuntur. |
832.- Il montre pourquoi il est nécessaire de traiter de cette vertu. Pour se faire, il pose deux raisons. Il donne, comme première raison, qu’il n’est pas mauvais, et même qu’il est utile aux sciences morales, d’étudier à fond les vertus. C’est que, par là, nous savons davantage ce qui appartient aux mœurs si nous poussons notre étude en examinant ce qui relève de chaque habitus. En effet, la connaissance des choses morales se parfait dans la connaissance du particulier. |
#832. — Ensuite (1127a14), il montre pourquoi il est nécessaire de traiter de cette vertu. Il présente deux raisons pour cela. Il en donne la première, qu'il n'est pas mauvais, et même utile pour les sciences morales, de traiter des vertus en les parcourant [une à une]. Car nous saurons davantage ce qui a trait aux mœurs, si, dans notre traité, nous parcourons ce qui appartient à chacun des habitus. C'est que la connaissance des choses morales atteint sa perfection du fait d'en connaître les [applications] particulières. |
[73537] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 3 Secundam rationem ponit
ibi: et medietates et cetera. Et dicit, quod considerando in singulis ita se
habere, magis certificabimur, quod virtutes sint medietates quaedam. |
833.- Voici la seconde raison. Il dit que nous nous convaincrons davantage que les vertus sont des médiétés en voyant qu'il en est ainsi pour chacune en particulier. |
#833. — Il présente ensuite la seconde raison (1127a16). Il dit qu'en constatant qu'il en va ainsi en chaque [cas], nous tiendrons mieux la certitude que les vertus sont des médiétés. |
[73538] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 4 Deinde cum dicit: in
convivere utique etc., determinat differentiam huius virtutis ad
praecedentem. Et dicit, quod de illis, qui aliqualiter se habent ad
delectationem vel tristitiam in convictu et collocutione dictum est. Restat
autem dicendum de illis qui secundum veritatem et falsitatem se habent in
sermonibus et operationibus secundum veritatem vel secundum fictionem factis.
|
834.- Il détermine la différence entre cette vertu et la précédente, Et il dit qu’il a déjà parlé des gens qui, dans la vie intime et les conversations, se comportent de différentes manières par rapport au plaisir ou à la tristesse, Mais il reste à parler de ce qui, dans les paroles et dans les opérations, est conforme à la vérité et la fausseté, ou de ce qui est feint, |
#834. — Ensuite (1127a17), il traite de la différence de cette vertu avec la précédente. Il dit que l'on a déjà parlé de ce qui a trait à se montrer plaisant ou attristant dans la vie commune et l'entretien avec d'autres. Il reste toutefois à parler de ce qui s'accorde avec la vérité et la fausseté dans les paroles et les actions, ou avec la prétention31, pour les faits. |
[73539] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 5 Deinde cum dicit: videtur
utique etc., determinat de virtutibus et vitiis. Et primo ponit virtutem et
vitia contraria. Secundo determinat de eis, ibi, de utrisque autem dicemus et
cetera. Circa
primum tria facit. Primo ostendit quid pertineat ad medium et extrema in hac
materia. Secundo ostendit qualiter ea,
quae dicta sunt, pertineant ad medium habitum et extremos, ibi, est autem
horum singula etc.; tertio ostendit medium habitum esse laudabilem, extremos
autem esse vitiosos, ibi, per se autem et cetera. Dicit ergo primo, quod
iactator, qui peccat per superabundantiam, simulat aliqua gloriosa, et hoc
dupliciter: uno modo quia simulat sibi inesse aliqua gloriosa quae non
insunt; alio modo quia simulat ea quae insunt maiora esse quam sint. Ille
autem qui peccat per defectum dicitur esse eyron, et hoc dupliciter: uno modo
quia negat sibi inesse gloriosa quae insunt; alio modo quia dicit ea esse
minora quam sint. Ille vero qui tenet medium dicitur autochiastos, id est per
se admirabilis, quia scilicet non quaerit magis in admiratione esse quam sibi
secundum se conveniat; vel dicitur autophastos, id est per se manifestus,
quia talem se manifestat qualis est. Est enim verax inquantum de se
confitetur ea quae sunt; et hoc non solum sermone, sed etiam vita; inquantum
scilicet exterior sua conversatio conformis est suae conditioni, sicut et sua
locutio. |
835.- Il traite des vertus et des vices, Et, en premier, il propose la vertu et les vices contraires, En second, il les étudie. Son premier point se divise en trois parties. En premier, il montre ce qui appartient au milieu et aux extrêmes dans cette matière. En second, il montre de quelle manière ce dont il a traité appartient au milieu déjà déterminé et aux extrêmes. En troisième, il montre que le milieu possédé est louable et que les extrêmes sont vicieux. Il dit donc, en premier, que le vantard qui pèche par excès, fait semblant de posséder des œuvres glorieuses ou des titres de gloire. Et cela, de deux façons, D'une première façon, il feint de posséder des titres de gloire qu'il n’a pas. D'une seconde façon, il fait semblant d’en posséder de plus grands que ceux qu'il possède. Celui qui pèche par défaut s’appelle "ironique". Celui qui garde le milieu se nomme "autocastos", c'est-à-dire admirable par soi, parce qu'il ne recherche pas plus d'admiration que celle qui lui convient conformément à ce qu’il est, ou encore, on le nomme "autophastos", c’est-à-dire manifeste de soi (transparent), parce qu'il se manifeste tel qu’il est, En effet, il est vrai en tant que, de soi il confesse ce qui est: et cela, non seulement dans ses paroles, mais dans sa vie, à savoir en tant que sa conversation et son l’train de vie" (sa manière de vivre) sont conformes à sa condition. |
#835. — Ensuite (1127a20), il traite des vertus et des vices. En premier, il présente la vertu et les vices contraires. En second (1127a32), il en traite. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qui relève du milieu et des extrêmes, dans cette matière. En second (1127a26), il montre de quelle manière ce que l'on a dit relève de l'habitus moyen et des extrêmes. En troisième (1127a28), que l'habitus moyen est louable, tandis que les extrêmes sont vicieux. Il dit donc, en premier, que le vantard, celui qui commet l'excès, feint des [faits] glorieux. Cela, de deux manières. D'une manière, il feint que soient siens des [faits] glorieux qui n'existent pas. De l'autre manière, il prétend les [faits] plus grands qu'ils ne sont. Celui, par ailleurs, qui se rend fautif par manque, on dit qu'il minimise[39]. Mais celui qui tient le milieu, on le dit franc33, c'est-à-dire, admirable[40] en lui-même, car il ne cherche pas à s'attirer davantage d'admiration qu'il ne lui en convient par lui-même. Ou encore, on l'appelle sincère34, c'est-à-dire, manifeste par lui-même, qui se laisse voir tel qu'il est. En effet, il est véridique en tant qu'il admet à son sujet ce qui est; et cela non seulement en parole, mais aussi par sa vie, en tant que ses manières extérieures sont conformes à sa condition, de même que son élocution. |
[73540] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 6 Deinde cum dicit: est
autem horum singula etc., ostendit qualiter praedicta pertineant ad tres
habitus dictos. Et dicit, quod unumquemque praedictorum actuum contingit
dupliciter facere. Uno modo propter aliquid aliud; puta cum aliquis negat se
esse talem qualis est, propter timorem. Alio modo non propter aliquid
aliud, sed propter hoc quod in tali actu delectatur. Et hoc proprie pertinet ad habitum. Quia unusquisque
secundum qualitatem sui habitus loquitur et operatur et vitam ducit, nisi
quandoque aliter operetur propter aliquid aliud emergens. |
836.- Il montre de quelle façon ce que l'on vient de dire appartient aux trois habitus mentionnés. Il dit qu'il arrive que l'on pose chacun des actes ci-haut décrits de deux façons. D'une première façon, en vue de quelque chose d'autre (d'un motif non relié à son action): par exemple, lorsque quelqu’un nie qu’il est tel, à cause de la crainte, d’une seconde façon, lorsqu'on n'agit pas en vue d’autre chose, mais parce qu'on se plaît dans une telle action. Et c'est cette dernière manière d’agir qui appartient à l'habitus. En effet, chacun parle, opère et conduit sa vie selon la qualité de son habitus, à moins que quelque motif occasionnel ne lui fasse quelquefois agir autrement. |
#836. — Ensuite (1127a26), il montre de quelle manière ce qui précède a trait aux trois habitus annoncés. Il dit qu'il est possible d'accomplir de deux manières chacun des actes mentionnés. D'une manière, à cause d'autre chose, par exemple, quand on nie que l'on soit tel que l'on est, par peur. D'une autre manière, non pas à cause d'autre chose, mais parce que l'on prend plaisir à agir de la sorte. C'est ceci qui touche proprement à l'habitus. Car chacun parle, agit et conduit sa vie d'après la nature de son habitus, sauf quand, parfois, il agit autrement parce qu'autre chose est survenu. |
[73541] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 7 Deinde cum dicit: per se
autem mendacium etc., ostendit quid in praedictis habitibus sit laudabile et
vituperabile. Et dicit quod mendacium secundum se est pravum et fugiendum,
verum autem est bonum et laudabile. Ad hoc enim signa sunt instituta quod
repraesentent res secundum quod sunt. Et
ideo si aliquis repraesentat rem aliter quam sit, mentiendo, inordinate agit
et vitiose. Qui autem verum dicit, ordinate agit et virtuose. Manifestum est
autem quod ille qui verum dicit, medium tenet, quia significat rem secundum
quod est; veritas enim in aequalitate consistit quae est medium inter magnum
et parvum. Qui autem mentitur est in extremo, quia vel secundum
superabundantiam, quia plus dicit quam sit, vel secundum defectum, quia minus
dicit quam sit. Unde patet quod ambo sunt vituperabiles, sed magis iactator
qui excedit ad plus, quia plus recedit a vero: in aequali enim invenitur
minus, non autem maius. |
837.- Il montre ce qui est digne de louange et de blâme dans les habitus susdits. Il dit que le mensonge est, de soi, une corruption et un acte à fuir, alors que le vrai est quelque chose de bon et de louable, En effet, c'est pour représenter les choses telles qu'elles sont que les signes ont été institués, c’est pourquoi, si quelqu'un représente, en mentant, une chose autrement qu'elle n’est, il agit contrairement à l’ordre des choses et de façon vicieuse. Au contraire, celui qui dit le vrai agit en respectant l'ordre et de façon vertueuse. Or, il est manifeste que celui dit le vrai tient le milieu, parce qu'il indique la chose telle qu’elle est. En effet, la vérité consiste dans l’égalité qui est entre le grand et le petit. Celui qui ment se situe dans l’extrême, soit par excès, parce qu’il en dit plus qu'en n'en est en réalité, soit par défaut, parce qu'il en dit moins que la réalité ne comporte. Il est donc évident que l’excès et le défaut sont blâmables; cependant, le vantard, qui excède la mesure, est plus condamnable parce qu’il s’éloigne davantage du vrai: le moins se retrouve dans l’égal, mais non le plus. |
#837. — Ensuite (1127a28), il montre ce qui, dans les habitus mentionnés, est louable et blâmable. Il dit que le mensonge est par soi mauvais et à éviter, tandis que le vrai est bon et louable. En effet, les signes sont institués justement pour représenter les choses d'après ce qu'elles sont. C'est pourquoi, si on représente une chose autrement qu'elle n'est, en mentant, on agit avec désordre et vice, tandis que celui qui dit vrai agit dans l'ordre et la vertu. Il est manifeste, par ailleurs, que celui qui dit vrai se tient en un milieu, du fait qu'il marque la chose d'après ce qu'elle est. La vérité, en effet, consiste en une égalité, ce qui est un milieu entre grand et petit, tandis que celui qui ment se tient en un extrême, parlant ou bien par excès, parce qu'il dit plus qu'il n'y a, ou bien par défaut, parce qu'il [dit] moins qu'il n'y a. Aussi appert-il que les deux sont blâmables, mais davantage le vantard, qui s'écarte vers le plus, puisqu'il s'écarte davantage du vrai; car dans l'égal, on trouve le moins, mais non le plus. |
[73542] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 8 Deinde cum dicit: de
utrisque autem etc., determinat de praedictis habitibus. Et primo de virtute.
Secundo de vitiis oppositis, ibi, maiora autem existentibus et cetera. Circa
primum tria facit. Primo determinat de quo veraci sit agendum. Secundo
ostendit quid ad eum principaliter pertineat, ibi, videbitur utique talis et
cetera. Tertio ostendit ad quod extremum magis declinet, ibi, in minus autem
et cetera. Dicit ergo primo, quod de praedictis habitibus dicendum est, sed
prius de veraci. Non autem intendimus nunc de eo qui veritatem loquitur in
confessionibus iudiciorum, puta cum aliquis interrogatus a iudice confitetur
quod verum est; neque etiam de eo qui verum dicit in quibuscumque
pertinentibus ad iustitiam vel iniustitiam; haec enim pertinent ad aliam
virtutem, scilicet ad iustitiam. Sed de illo veridico intendimus qui verum
dicit et vita et sermone in talibus, quae non habent differentiam iustitiae
et iniustitiae. Sed verum dicit solum propter dispositionem habitus: sicut
etiam supra dictum est de virtute praemissa, quod delectabiliter vult aliis
convivere non propter amorem, sed propter dispositionem sui habitus, ita
etiam et haec virtus verum dicit non propter servandam iustitiam, sed propter
aptitudinem quam habet ad verum dicendum. |
838.- Il détermine les habitus susdits. En premier, il traite de la vertu. En second, il étudie les vices opposés. Il divise son premier point en trois parties. En premier, il détermine de quel véridique il sera question. En second, il montre ce qui relève principalement de lui. En troisième, il montre vers quel extrême il incline davantage. Il dit donc, en premier, qu'il faut des habitus ci-haut mentionnés, mais tout d'abord de l'homme véridique. Nous ne nous proposons pas de parler actuellement de celui qui dit la vérité dans les aveux ou les confessions faits devant le tribunal, par exemple lorsque, interrogé par un juge, quelqu’un avoue la vérité; ni, non plus, de ceux qui disent la vérité dans une matière relevant de la justice: ces cas sont du ressort d’une autre vertu, à savoir la justice. Mais nous avons l’intention de parler du véridique qui dit le vrai dans ses paroles et dans sa vie dans tous les domaines où la justice et l’injustice n’entrent pas en jeu. Il s’agit de celui qui dit la vérité uniquement par la disposition de son habitus: comme aussi nous avons dit de la vertu précédente que celui qui la possède veut vivre agréablement avec les autres non par amour, mais à cause de la disposition de son habitus. Aussi, de la même manière, cette vertu fait ressortir la vérité non pas pour observer la justice, mais à cause de l’aptitude que quelqu’un a à dire le vrai. |
#838. — Ensuite (1127a32), il traite des habitus annoncés. En premier, de la vertu. En second (1127b9), des vices opposés. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de quel véridique il s'agit. En second (1127b3), il montre ce qui a principalement trait à lui. En troisième (1127b7), il montre vers quel extrême il tend davantage. Il dit donc, en premier, que l'on doit parler des habitus annoncés, mais d'abord du véridique. Cependant, nous ne visons pas maintenant celui qui parle avec vérité en matière de témoignages à des procès, par exemple, lorsque, interrogé par un juge, on témoigne ce qui est vrai; ni non plus celui qui dit vrai en quoi que ce soit qui ait trait à la justice; cela, en effet, relève d'une autre vertu, à savoir, de la justice. Mais nous visons ce véridique qui dit vrai dans sa vie et ses paroles en des matières qui ne comportent pas de différence de justice et d'injustice. Il dit vrai, néanmoins, seulement à cause de sa disposition d'habitus, comme aussi, plus haut, on l'a dit de la vertu qui précède, qu'elle veut se montrer plaisante pour les autres dans la vie commune non par amour, mais à cause de la disposition de son habitus. De même aussi, cette vertu montre le vrai non à cause de la justice à observer, mais à cause de l'aptitude qu'elle tient à dire vrai. |
[73543] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 9 Deinde cum dicit:
videbitur utique etc., ostendit quid maxime pertineat ad veracem de quo
intendit. Et dicit quod talis videtur in suis verbis et factis moderationem
habere vitando excessum et defectum. Amat enim veritatem et verum dicit etiam
in illis in quibus non multum refert ad nocumentum vel profectum: et multo
magis in illis in quibus dicere verum vel falsum, facit aliquam differentiam
ad nocumentum vel iuvamentum alterius. Et hoc ideo quia abhorret mendacium
secundum se tamquam quoddam turpe, et non solum secundum quod cedit in
nocumentum alterius: talem autem dicit esse laudabilem. |
839.- Il montre ce qui est davantage propre au véridique dont nous voulons parler. Il dit qu'un homme ainsi fait semble posséder la modération dans tous ses faits et gestes en évitant l’excès et le défaut. En effet, il aime la vérité et le vrai même dans les cas où l'intérêt et le dommage n'entrent pas ou entrent peu en jeu. A plus forte raison, il aime à dire la vérité là où la vérité et la fausseté majorent ou diminuent le dommage ou l'aide aux autres. Et cela parce qu'il abhorre le mensonge en lui-même comme étant quelque chose de honteux, et non seulement en tant que le mensonge peut tourner en dommage envers un autre. Un tel homme, en effet, est digne de louange. |
#839. — Ensuite (1127b3), il montre ce qui relève le plus du véridique qu'il vise. Il dit que pareil [homme] paraît posséder dans ses agissements une modération [qui lui permette] d'éviter l'excès et le défaut. En effet, il aime la vérité et le vrai même en ce en quoi il n'y a pas beaucoup matière à dommage ou profit. Et beaucoup plus encore en ce en quoi dire vrai ou faux fait une différence pour le dommage ou l'assistance à autrui. La raison en est qu'il a horreur du mensonge en lui-même comme de quelque chose de honteux, et non seulement dans la mesure où il tourne au dommage d'autrui. Or un tel [homme], il le dit louable. |
[73544] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 10 Deinde cum dicit: in
minus autem etc., ostendit ad quod extremum magis declinat. Et dicit quod si
aliquando difficile sit omnino ad punctum dicere veritatem, magis vult
declinare ad minus quam ad maius. Hoc enim videtur magis ad prudentiam
pertinere, eo quod homines superabundanter de se ipsis loquentes, efficiuntur
aliis onerosi, quia per hoc videntur aliis se velle praeferre. |
840.- Il montre vers quel extrême il incline davantage. Il dit que s’il est quelquefois difficile de dire la vérité avec une exactitude tout à fait rigoureuse, le véridique préfère minimiser ses titres de gloire plutôt que de les majorer. En effet, cela semble appartenir davantage à la prudence, du fait que les hommes généralement exagèrent et que, parlant d’eux-mêmes, ils se rendent onéreux aux autres parce que, par là, ils semblent vouloir se préférer aux autres. |
#840. — Ensuite (1127b7), il montre vers quel extrême il tend davantage. Il dit que si, parfois, il est difficile de dire vrai avec totale précision, mieux vaut tendre à [dire] moins qu'à [dire] plus. En effet, cela paraît relever plus de la prudence, du fait que les gens sont portés à l'excès et, en parlant d'eux-mêmes[41], ils deviennent pénibles pour les autres, car par cela ils ont l'air de vouloir se placer devant les autres. |
[73545] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 11 Deinde cum dicit: maiora
autem etc., determinat de vitiis oppositis. Et circa hoc tria facit. Primo
determinat de vitio quod pertinet ad superabundantiam. Secundo de vitio quod
pertinet ad defectum, ibi, eyrones autem et cetera. Tertio determinat de
oppositione vitiorum ad virtutem, ibi: opponi autem videtur et cetera. Circa
primum tria facit. Primo ostendit quot modis committatur vitium iactantiae quod
excedit in plus. Secundo ostendit secundum quid praecipue vitium iactantiae
attendatur, ibi: non in potentia autem etc.; tertio ostendit in quibus vitium
iactantiae praecipue committatur, ibi: qui quidem igitur gloriae gratia
iactant et cetera. |
841.- Il traite des vices opposés. Ce qu'il divise en trois points. En premier, il traite du vice qui appartient à l’excès. En second, il étudie le vice qui appartient au défaut. En troisième, il détermine l'opposition des vices entre eux. Le premier point se subdivise en trois parties. En premier, il montre de combien de façons s'exprime le vice de vantardise qui dépasse la mesure. En second, il montre quel principe permet de connaître la vantardise. En troisième, il montre quels sont les domaines principaux où se commet le péché de vantardise (quels sont les principaux titres de gloire sur lesquels porte le péché de vantardise). |
#841. — Ensuite (1127b9), il traite des vices opposés. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il traite du vice qui a trait à l'excès. En second (1127b22), du vice qui a trait au manque. En troisième (1127b31), il traite de l'opposition des vices entre eux. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre de combien de manières on commet le vice de vantardise, qui tombe dans l'excès. En second (1127b14), il montre en rapport à quoi, principalement, on s'attend au vice de vantardise. En troisième (1127b17), il montre en quoi, principalement, on commet le vice de vantardise. |
[73546] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 12 Dicit ergo primo, quod
quandoque aliquis iactat de se quae non sunt, vel maiora quam sint, non
propter aliquem alium finem, sed quia in hoc delectatur, et talem dicit
habere quamdam mali similitudinem, alioquin non gauderet de mendacio. Hoc
enim ex inordinatione animi provenit. Non tamen talis est omnino malus, quia
non intendit aliquam malitiam. Sed est vanus, inquantum delectatur in re,
quae secundum se, nec est bona nec utilis. Secundo modo contingit quod
aliquis se iactat propter appetitum gloriae vel honoris et talem dicit non
esse multum vituperabilem, in quantum scilicet gloria et honor habent quamdam
affinitatem cum rebus honestis propter quas aliqui laudantur et honorantur.
Tertio modo aliqui se iactant causa argenti, vel cuiuscumque alterius quod
argento aestimari potest. Et talem dicit esse magis deformem, quia propter
minus bonum mentitur. |
842.- En premier, il dit donc que, quelquefois, on se vante en s’attribuant des titres de gloire qui n’existent pas ou en exagérant ceux qu’on possède pour aucune fin autre que celle du plaisir d’agir ainsi. Un tel homme, dit-on, a quelque chose de mauvais qui ressemble au mal car; autrement, il ne prendrait pas plaisir au mensonge. En effet, cette complaisance provient d'un désordre de l’âme. Cependant, un tel homme n’est pas complètement mauvais, car il ne poursuit aucune méchanceté. Mais il est vain en tant qu'il se complait dans une chose qui, de soi, n'est ni bonne ni utile. Aristote souligne ensuite que, d’une seconde façon, quelqu'un peut se vanter par désir de gloire et d’honneur. On dit qu'un tel homme n’est pas tellement blâmable, à savoir en tant que la gloire et l'honneur ont une certaine affinité avec les choses honnêtes, à cause desquelles on loue et honore certaines personnes. D’une troisième façon, quelques-uns se vantent à cause de l’argent ou de quelque chose d’autre que l’on peut estimer à prix d'argent. Ce vantard est plus déformé que les autres, parce qu'il ment pour un bien moindre. |
#842. — Il dit donc, en premier, que parfois on se vante de ce qui n'existe pas, ou de [faits] plus grands qu'ils ne sont, non pas à cause d'une autre fin, mais parce qu'on y prend du plaisir. Pareil [homme], on le dit tenir une ressemblance avec le mal, car autrement il ne trouverait pas de joie dans le mensonge. En effet, cela provient d'un désordre de l'esprit. Cependant, pareil [homme] n'est pas tout à fait mauvais, car il ne vise aucune malice. Mais il est vain, dans la mesure où il prend plaisir à une chose qui, en soi, n'est ni bonne ni utile. D'une seconde manière, il dit que l'on se vante à cause de l'appétit de gloire ou d'honneur. Pareil [homme], on dit qu'il n'est pas beaucoup blâmable, dans la mesure, où la gloire et l'honneur ont une affinité avec les choses honorables pour lesquelles on est loué et honoré. D'une troisième manière, certains se vantent en vue de l'argent, ou de n'importe quoi d'autre que l'on peut apprécier en argent. C'est pareil [homme] qu'il dit le plus difforme, car il ment pour un moindre bien. |
[73547] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 13 Deinde cum dicit: non in
potentia autem etc., ostendit secundum quid praecipue attenditur iactantia.
Et dicit quod non iudicatur aliquis iactator ex eo quod habet aliquid vel non
habet unde se potest sic iactare, sed ex eo quod hoc eligit. Dicitur enim
aliquis iactator secundum habitum quem consequitur talis electio; sicut etiam
(est) de quocumque mendaci qui dicitur mendax ex eo quod eligit mentiri, vel
quia gaudet de ipso mendacio, vel quia mentitur propter appetitum gloriae vel
lucri. |
843.- Il montre selon quel principe on peut discerner la vantardise, Il dit qu’on ne peut dire de quelqu’un qu'il est vantard du fait qu'il possède ou ne possède ce qui lui permettrait de se vanter, mais du fait qu'il choisit de se vanter. En effet, le vantard se dénomme d'après l'habitue qui résulte d'un tel choix. Comme il en est aussi du menteur que l’on appelle menteur du fait qu'il choisit de mentir, ou bien parce qu’il prend plaisir au mensonge lui-même, ou bien parce qu’il ment par désir de gloire ou de richesses. |
#843. — Ensuite (1127b14), il montre en rapport à quoi, principalement, on s'attend à de la vantardise. Il dit que l'on ne juge pas quelqu'un vantard du fait qu'il tienne ou ne tienne pas d'où il puisse ainsi se vanter, mais du fait qu'il choisit [de le faire]. On appelle quelqu'un vantard, en effet, d'après l'habitus qui s'ensuit d'un pareil choix, comme aussi, pour n'importe quel menteur, que l'on dit menteur du fait qu'il choisit de mentir, ou parce qu'il prend joie au mensonge même, ou parce qu'il ment par appétit de gloire ou de gain. |
[73548] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 14 Deinde cum dicit: qui
quidem igitur etc., ostendit de quibus praecipue aliqui se iactant.
Manifestum est autem quod illi qui de ipsa iactantia gaudent, indifferenter
de quibuscumque se iactant. Illi vero qui iactant se causa gloriae fingunt
talia quae videantur esse laudabilia, sicut sunt virtuosa opera vel quae
pertinent ad felicitatem, sicut nobilitas divitiae et alia huiusmodi. Illi
vero qui iactant se causa lucri, fingunt talia in quibus alii delectentur,
alioquin nihil lucrarentur, et iterum observant quod sint talia illa de
quibus se iactant quae, si non sint vera, possit hoc latere, ita quod eorum
mendacium non deprehendatur. |
844.- Il montre quels sont les motifs principaux qui poussent à la vantardise. Cependant, il est manifeste que ceux qui se complaisent dans la vantardise elle-même se vantent également de tout. Mais ceux qui se vantent par désir de gloire font semblant d’être ou de posséder ce qui semble louable, comme les œuvres vertueuses, par exemple, ou ce qui appartient au bonheur comme la noblesse des richesses ou quelque chose du genre. Ceux-là qui se vantent à cause du gain font semblant d'être ou de posséder les choses dans lesquelles se complaisent les gens: autrement il n'y aurait pas de gain. Et lorsqu’ils se vantent d'être ce qu'ils ne sont pas ou de posséder ce qu’ils n’ont pas, ils prennent garde de ne se vanter que de ce qu'ils peuvent cacher, pour ne pas être surpris dans leur mensonge. |
#844. — Ensuite (1127b17), il montre de quoi, principalement, on se vante. Or il est manifeste que ceux qui prennent joie à la vantardise même se vantent indifféremment de n'importe quoi. Mais ceux qui se vantent en vue de la gloire feignent des [faits] de nature à paraître louables, comme le sont les actes de vertu ou qui ont trait au bonheur, comme la noblesse, les richesses et autres [choses] de la sorte. Par ailleurs, ceux qui se vantent en vue du gain feignent des [faits] de nature à donner plaisir aux autres; autrement, ils ne gagneraient rien. De plus, ils font attention à ce que les [faits] dont ils se vantent soient de nature à ce que, s'ils ne sont pas vrais, cela puisse échapper à l'attention, de façon que leur mensonge de soit pas surpris. |
[73549] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 15 Et ponit exemplum de
duobus: scilicet de his quae pertinent ad medicinam; quia omnes desiderant
sanitatem, nec potest a quibuscumque deprehendi, utrum aliquis in medicando
erret. Alia autem sunt quae pertinent ad divinationes futurorum, de quibus
naturaliter homines sollicitantur, et circa quae non de facili mendacium
deprehenditur. Et ideo illi qui iactant se propter lucrum, praecipue fingunt
se esse medicos vel sapientes in divinando. Quamvis hoc quod dicit sapientem
possit referri ad hoc quod tales se iactent de cognitione divinorum, quae est
desiderabilis et latens. |
845.- Il donne un exemple de deux cas : le premier exemple se tire de ce qui appartient à la médecine. En effet, tout le monde désire la santé et il n’est pas facile de dépister une erreur dans les soins médicaux. Le second exemple vient de ce qui relève de la divination: les hommes sont naturellement curieux de connaître l’avenir et il n'est pas facile de discerner le mensonge dans ces prédictions. C'est pourquoi, ceux qui se vantent par motif de gain font surtout semblant d’être médecins (charlatans) ou maîtres-devins. Le texte d'Aristote, qui parle des sages qui feignent de lire l'avenir, peut aussi référer à la sagesse, en soulignant que ceux-là se vantent de connaître les choses divines: ce qui est désirable est mystérieux. |
#845. — Il présente un exemple en deux [matières]. D'abord, pour les choses qui touchent la médecine, car tous désirent la santé, et on ne peut être surpris par personne, si on se trompe en soignant. D'autres, par ailleurs, touchent la divination du futur, dont naturellement les gens se préoccupent, et sur quoi on ne surprend pas facilement le mensonge. C'est pourquoi ceux qui se vantent en vue du gain feignent principalement d'être médecins ou sages en divination. Ou bien on peut renvoyer ce mot, sage, à ce que de pareilles [gens] se vantent de la connaissance des [choses] divines, désirable et cachée. |
[73550] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 16 Deinde cum dicit: eyrones
autem etc., determinat de vitio quod pertinet ad defectum. Et circa hoc duo
facit. Primo comparat hoc vitium iactantiae. Secundo ostendit diversitatem
huius vitii, ibi: maxime autem et isti et cetera. Dicit ergo primo, quod
irones qui minus de seipsis dicunt quam sit, videntur habere mores magis
gratiores quam iactatores, quia non videntur talia dicere gratia lucri, sed
quasi fugientes tumorem superbiae. |
846.- Il traite du vice qui appartient au défaut. Ce qu’il fait en deux points. En premier, il compare ce vice à la vantardise. En second, il montre des diverses manifestations de ce vice. Il dit donc, en premier, que les "ironiques", les dissimulés qui en disent moins sur eux-mêmes qu'ils ne sont (qui minimisent leur être ou leurs mérites) semblent avoir des mœurs plus agréables que celles des vantards, parce qu'ils ne semblent pas parler en vue du gain, mais presque pour fuir le tumeur de l'orgueil. |
#846. — Ensuite (1127b22), il traite du vice qui a trait au manque. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare ce vice à la vantardise. En second (1127b25), il montre la variété de ce vice. 155 Il dit donc, en premier, que ceux qui minimisent, qui disent d'eux-mêmes moins qu'il n'y a, paraissent avoir meilleure grâce35 en leurs mœurs que les vantards, car ils ne paraissent pas dire de pareilles [choses] en vue du gain, mais comme s'ils fuyaient l'enflure de l'orgueil. |
[73551] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 17 Deinde cum dicit: maxime
autem et isti etc., ostendit quomodo diversimode hoc vitium contingat. Et
dicit quod quidam sunt qui maxime de se negant ea quae videntur ad magnam
gloriam pertinere, sicut Socrates qui negabat se esse scientem. Quidam vero
sunt qui in quibusdam parvis et manifestis volunt ostendere quod non fingant
de se maiora quam sint, et isti vocantur blancopanurghy, quasi in
quadam astutia simulationis suas delitias habentes; panurghy enim Graece
dicuntur astuti, blancon autem idem est quod deliciosum. Hos autem dicit esse
de facili contemptibiles, quia nimis manifesta est eorum simulatio. Et talis
defectus in exterioribus quandoque videtur ad iactantiam pertinere, dum per
hoc volunt se ostendere meliores et magis moderatos, sicut Laconii qui
deferebant vestimenta magis despecta quam deceret statum eorum, quia tam
superabundantia exteriorum quam etiam immoderatus defectus videtur ad
iactantiam pertinere, inquantum per utrumque ostenditur quaedam hominis
excellentia. |
847.- Il montre les diverses manières d'être et de se manifester de ce vice. Il dit qu’il y a des gens qui fortement nient posséder ce qui semble appartenir à. la grande gloire, comme Socrate qui niait sa science. Il y en a d’autres qui, dans des choses petites et manifestes, veulent montrer qu'ils ne feignent pas d'être meilleurs qu'ils ne sont. Ces derniers, il les appelle "blatopanurges", comme s’ils se complaisaient à jouer l’astuce même de la simulation. En grec, les "panurges" sont appelés astucieux, rusés; "blaton" signifie ce qui est agréable, Il dit que ces gens sont facilement méprisables, parce que leur simulation n’est que trop manifeste. Et un tel défaut dans les choses extérieures semble quelquefois appartenir à la vantardise, lorsque ces gens veulent se montrer meilleurs et plus modérés qu’ils ne sont. Ainsi en était-il chez les Spartiates, qui portaient des vêtements plus pauvres qu'il ne convenait à leur état. En effet, aussi bien l’excès dans les choses extérieures que la négligence exagérée semble appartenir à la vantardise, en tant que par l’un et par l’autre on montre une certaine excellence (supériorité) de l’homme. |
#847. — Ensuite (1127b25), il montre comment ce vice peut se produire de diverse manière. Il dit qu'il y en a qui nient surtout d'eux-mêmes ce qui paraît avoir trait à une grande gloire, comme Socrate, qui niait qu'il soit savant. Il y en a, par ailleurs, qui, même dans n'importe quoi de petit et de manifeste, veulent montrer qu'ils ne se feignent pas plus grands qu'ils ne sont. Ceux-là, on les appelle faiseurs de manières[42], au sens qu'ils trouvent leurs délices dans l'astuce et la feinte. Panoûgroi, en grec, nomme les astucieux; et baúkoß, c'est la même chose qu'avec délice[43]. Ceux-là, par ailleurs, il dit qu'ils sont facilement méprisables, car leur feinte est trop manifeste. D'ailleurs, pareil défaut paraît quelquefois relever extérieurement de la vantardise, pour autant que par cela on veuille se montrer meilleur et plus modéré [qu'on ne l'est]. Comme les Lacédémoniens, qui portaient des vêtements plus négligés qu'il ne convenait à leur statut. Car tant l'excès des [choses] extérieures que leur défaut immodéré paraît relever de la vantardise, en tant que par l'un et l'autre paraît une certaine excellence de l'homme. |
[73552] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15
n. 18 Quidam vero sunt qui
moderate utuntur hoc vitio, quia neque omnino negant de se gloriosa, neque
etiam assumunt aliqua nimis parva et utuntur hoc vitio in his quae non sunt
prompta et manifesta, et tales videntur esse gratiosi, ut supra dictum est. |
848.- Il y en a cependant qui se servent de ce vice avec modération parce qu’ils ne nient pas complètement leurs titres de gloire ni, non plus, ne s’attribuent pas des mérites trop insignifiants et qui n’usent pas de ce vice en dissimulant des mérites qui ne sont pas fréquents ni évidents: ces gens semblent être agréables (distingués), comme on l'a dit plus haut. |
#848. — Il y en a d'autres encore qui usent de manière modérée de ce vice, car à la fois ils ne nient pas d'eux-mêmes tout [fait] glorieux, ni non plus n'en assument de trop petits, et usent de ce vice de manière à ne pas être trop prompts ni en vue; de pareilles [gens] paraissent avoir meilleure grâce, comme il a été dit plus haut. |
[73553] Sententia Ethic., lib. 4 l. 15 n. 19 Deinde cum dicit: opponi autem videtur etc., determinat
de oppositione vitii ad virtutem. Et dicit quod magis videtur opponi veridico
iactator, inquantum est deterior sicut dictum est. Semper enim peius vitium
magis virtuti opponitur. |
849.- Il traite de l'opposition entre le vice et la vertu. Il dit que le vantard semble s'opposer davantage au véridique, en tant qu'il est plus vil, corrompu, comme on l'a dit. En effet, c'est toujours le pire vice m qui s'oppose davantage à la vertu. |
#849. — Ensuite (1127b31), il traite de l'opposition du vice avec la vertu. Il dit que le vantard s'oppose manifestement plus au véridique, en tant qu'il est pire, comme on l'a dit (#837). Toujours, en effet, le vice pire s'oppose davantage à la vertu. |
|
|
|
Lectio
16 |
Leçon 16 : [Vertus et vices du jeu] |
|
|
IL MONTRE QUE LE JEU (PAR JEU, ENTENDONS ACTUELLEMENT TOUT CE QUI AMUSE, DIVERTIT, RECREE) PEUT ETRE VERTU ET VICE; COMMENT IL A RAISON DE BIEN ; CE QUI APPARTIENT A l’EXCES, AU DEFAUT ET AU MILIEU. |
|
[73554] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 1 Existente autem requie et cetera. Postquam philosophus
determinavit de virtutibus quae sunt circa humanos actus seriosos, hic
determinat de quadam virtute quae est circa ludicra. Et circa hoc tria facit:
primo ostendit quod circa ludos, potest esse virtus et vitium. Secundo
determinat de virtute quae circa ludos existit et de vitiis oppositis, ibi,
qui quidem in derisione et cetera. Tertio ostendit differentiam huius
virtutis ad supradictas, ibi, tres igitur quae dictae sunt et cetera. Circa
primum, considerandum est, quod circa id quod est secundum se malum et non
potest habere rationem boni, non est virtus et vitium, ut in II ostensum est;
si igitur ludus nullam rationem boni posset habere, non esset circa ludum
aliqua virtus. |
850.- Après avoir traité des vertus qui portent sur les actes humains sérieux, le Philosophe étudie ici une certaine vertu qui porte sur les divertissements. Ce qu'il divise en trois points. En premier, il montre qu'il peut y avoir vertu et vice portant sur les divertissements. En second, il détermine la vertu qui s'occupe des récréations et des vices opposés. En troisième, il montre la différence entre cette vertu et celles dont on a traité auparavant. A propos du premier point, il faut considérer que, par rapport à ce qui est mauvais en soi et ne peut avoir raison de bien, il n'existe pas de vertu et de vice, conformes à ceux que nous avons décrits. Si donc le jeu ne pouvait avoir aucune raison de bien, il ne pourrait y avoir de vertu portant sur les divertissements. |
#850. — Après avoir traité des vertus qui portent sur les actions humaines sérieuses, le Philosophe traite ici d'une vertu qui porte sur les jeux38. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que, dans les jeux, il peut y avoir vertu et vice. En second (1128a4), il traite de la vertu qui porte sur les jeux, et des vices opposés. En troisième (1128b4), il montre la différence entre cette vertu et les précédentes. Sur le premier [point], on doit tenir compte qu'à propos de ce qui est par soi mauvais et ne peut avoir raison de bien, il n'existe ni vertu ni vice, comme on l'a montré (#329). Si, donc, le jeu ne pouvait avoir aucune raison de bien, il n'existerait pas de vertu à propos du jeu. |
[73555] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 2 Habet autem aliquam rationem boni, inquantum est utilis
humanae vitae. Sicut enim homo indiget a corporalibus laboribus interdum
desistendo quiescere, ita etiam indiget ut ab intentione animi qua rebus
seriis homo intendit interdum anima hominis requiescat: quod quidem fit per
ludum. Et ideo dicit quod, cum sit quaedam requies hominis ab anxietate
sollicitudinum in hac vita et in conversatione humana per ludum, et sic ludus
habet rationem boni utilis, consequens est quod in ludis possit esse quaedam
conveniens collocutio hominum adinvicem; ut scilicet homo dicat et audiat
qualia oportet et sicut oportet; et tamen in talibus multum differt dicere et
audire. Multa enim aliquis homo decenter audit quae non decenter diceret.
Ubicumque autem est differentia eorum quae oportet fieri et eorum quae non
oportet ibi non solum est medium, sed etiam superabundantia et defectus a
medio. Unde circa ludum contingit esse medium virtutis et extrema. |
851.- Cependant, le jeu a raison de bien, en tant qu’il est utile a la vie humaine. En effet, comme l'homme a quelquefois besoin de se reposer en cessant ses activités corporelles, ainsi a-t-il aussi besoin de réduire et d'enlever la tension de l’âme qui le fait s'appliquer aux choses sérieuses, pour permettre, de temps à autre, à son âme de se reposer: ce qui se fait par la récréation. C’est pourquoi Aristote dit que, puisqu’il y a place dans le commerce intime des hommes pour le repos récréatif, le repos de distraction et d'amusement qui soustrait au souci des préoccupations quotidiennes et qu'ainsi le jeu a raison de bien utile, il s’ensuit que dans les divertissements il peut y avoir des entretiens convenables des hommes entre eux, à savoir de telle sorte que l'homme dise et écoute ce qui convient et de la manière qu’il se doit. Mais dans une telle matière, il y a une grande différence entre dire et écouter. Il y a une quantité de choses que l’homme peut écouter décemment mais qu'il ne pourrait dire avec dignité. Or, partout où il y a une différence entre ce qu'il faut faire et ne pas faire, il y a place non seulement pour un juste milieu, mais aussi pour l'excès et le défaut. Donc par rapport au divertissement, il existe un milieu de la vertu et des extrêmes. |
#851. — Cependant, le jeu comporte raison de bien, en tant qu'il est utile à la vie humaine. De même, en effet, que l'on a besoin de se reposer des travaux corporels en s'arrêtant de temps en temps, de même aussi on a besoin de se reposer l'âme un moment de la tension de l'esprit avec laquelle on s'adonne aux choses sérieuses; et c'est avec le jeu, bien sûr, qu'on le fait. C'est pourquoi il dit que[44], comme on trouve un repos pour l'anxiété liée aux préoccupations de cette vie, [on en trouve un] aussi dans les rapports humains, avec le jeu; le jeu a ainsi raison de bien utile. Par suite, on pourrait trouver dans les jeux une manière convenable, pour les gens, de s'entretenir entre eux, en sorte qu'on dise et entende les choses qu'il faut, et comme il le faut. Toutefois, il y a grande différence entre ce qu'il y a lieu de dire et d'entendre en pareil [contexte], car on peut entendre avec décence bien des [choses] que l'on ne pourrait dire avec décence. Par ailleurs, partout où il y a une différence entre ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, il n'y a pas seulement milieu, mais aussi excès et manque par rapport au milieu. Aussi, à propos du jeu, il peut y avoir milieu de la vertu et extrêmes. |
[73556] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 3 Deinde cum dicit: qui quidem in derisione etc.,
determinat de medio et extremis. Et primo ostendit quid sit circa unumquodque
eorum. Secundo ostendit quid unicuique eorum conveniat, ibi, medio autem
habitui et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quid sit medium et
extremum in ludo. Secundo ostendit quod hoc pertineat ad diversitatem morum,
ibi, moris enim et cetera. Tertio ostendit quod quandoque extremum accipitur
pro medio, ibi, redundante autem risu et cetera. Circa primum tria facit. Primo
ostendit quid pertineat ad superabundantiam. Et dicit, quod illi qui
superabundant in derisione ludi, dicuntur bomolochi, idest raptores
templi ad similitudinem milvorum, qui volabant circa templum, ut raperent
intestina animalium immolatorum. Ita et isti insidiantur ad hoc quod possint
aliquid rapere, quod convertant in derisionem. Et ideo tales sunt onerosi,
quia desiderant undecumque facere risum; ad quod magis student, quam ad hoc,
quod dicant aliqua decora, idest honesta, et quod non turbent illum
cui ingerunt convicium ex ludo. Magis enim volunt dicere aliqua turpia, vel
ex quibus alii turbentur, quam quod non inducant homines ad risum. |
852.- Il détermine le milieu et les extrêmes. Et tout d’abord, il décrit chacun d’eux. En second, il montre ce qui proprement convient à chacun. Le premier point se divise en trois parties. En premier, il montre ce qu'est le milieu et l'extrême dans les divertissements. En second, il montre que cela appartient à la diversité des mœurs. En troisième, il montre que, quelquefois, l'extrême se prend pour le milieu. La première partie se subdivise elle-même en trois parties. En premier, il montre que ceux qui, dans les entretiens récréatifs, tombent dans l’excès des railleries (moqueries, plaisanteries) ou les nommes "bomolochi" c'est-à-dire les voleurs du temple, par similitude aux vautours qui survolaient le temple dans le but de voler les intestins des animaux immolés. A la manière de ces oiseaux, ces gens s'introduisent guettant la chance de voler quelque chose pour le tourner en dérision. C'est pourquoi, de telles personnes sont onéreuses pour les autres, parce qu'elles font flèche de tout bois pour faire rire; elles s'appliquent davantage à provoquer un éclat de rire plutôt qu'à trouver une parole heureuse, bienséante, c'est-à-dire honnête, ou à ne pas contrister celui qui est objet de leurs railleries. En effet, elles veulent davantage dire quelque chose de honteux, ou quelque chose qui jette un malaise sur l'assemblée, plutôt que de provoquer les gens à rire. |
#852. — Ensuite (1128a4), il traite du milieu et des extrêmes. En premier, il dit la nature de chacun d'eux. En second (1128a16), il montre ce qui convient à chacun d'eux. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qu'est le milieu et l'extrême dans le jeu. En second (1128a10), il montre que cela relève de la diversité des mœurs. En troisième (1128a12), il montre que parfois l'extrême est pris pour le milieu. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qui relève de l'excès. Il dit que ceux qui commettent l'excès dans la drôlerie[45] du jeu, on les appelle des bouffons40, c’est-à-dire, des voleurs, à la ressemblance des milans, qui volaient autour du temple pour dérober les intestins des animaux immolés. De même aussi, ceux-là guettent tout ce qu'ils pourraient dérober pour le tourner au drôle. C'est pourquoi pareilles [gens] sont pénibles, car ils ne cherchent qu'occasion de faire rire; et ils mettent davantage leurs efforts à cela qu'à dire des [choses] séantes, c'est-à-dire, honorables, et à ne pas déranger celui à qui ils proposent une plaisanterie par jeu. En effet, ils veulent davantage dire des [choses] honteuses, ou des [choses] par lesquelles les autres soient dérangés, que de faire rire les gens. |
[73557] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 4 Secundo ibi: qui autem neque ipsi etc., ostendit quid
sit vitium per defectum. Et dicit quod illi qui neque volunt dicere aliquid
ridiculum et molesti sunt illis qui dicunt, dum ex hoc irrationabiliter
turbantur, videntur esse agrii, idest agrestes, et duri, quasi qui non
emolliantur delectatione ludi. |
853.- Il montre ce qu'est le vice par défaut. Il dit que ceux qui ne disent eux-mêmes rien qui puisse faire rire et qui sont contrariés par les plaisanteries ou railleries des autres, à la condition qu'ils soient assez vivement contrariés, semblent être des rustres, c'est-à-dire des grossiers, et des rudes, comme si là délectation de la récréation ne pouvait amollir leur cœur, |
#853. — En second (1128a7), il montre ce qu'est le vice par manque. Il dit que ceux qui ne veulent rien dire de drôle et qui se montrent désagréables envers ceux qui en disent, même s'ils n'en sont dérangés que raisonnablement, passent pour rustres, c'est-à-dire, paysans, et guindés, c'est-à-dire, inaptes à se relâcher avec le plaisir du jeu. |
[73558] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 5 Tertio ibi: moderate autem ludentes etc., ostendit quid
sit medium in ludo. Et dicit, quod illi qui moderate se habent in ludis
vocantur eutrapeli, quasi bene vertentes, quia scilicet ea quae
dicuntur vel fiunt convenienter in risum convertunt. |
354.- Il montre quel est le milieu dans l'amusement. Il dit que ceux qui gardent la note juste (qui se conduisent avec modération) dans les plaisanteries, on les appelle "eutrapelie" comme si l’on disait qu’ils savent tourner ou changer (facilité à faire de "bons tours"), à savoir parce qu’ils tournent au rire avec bienséance et convenance ce qui se dit et se fait. |
#854. — En troisième (1128a9), il montre ce qu'est le milieu dans le jeu. Il dit que ceux qui se comportent avec modération dans les jeux, on les dit enjoués43, c'est-à-dire, de bonne tournure44, du fait qu'ils ne tournent en dérision qu'avec convenance ce qui se dit et se fait. |
[73559] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 6 Deinde cum dicit moris enim etc., ostendit quod
praedicta pertineant ad diversitatem morum. Et dicit quod praedicti motus,
scilicet quod aliquis velit facere risum vel superabundanter vel diminute vel
moderate est quoddam indicium interioris moralis dispositionis. Sicut enim per motus
corporales exteriores discernuntur interiores corporum dispositiones, ita
etiam per exteriores hominum operationes discernuntur interiores mores. |
855.- Il montre que les considérations précédentes appartiennent à la diversité des mœurs. Il dit que les mouvements susdits, à savoir que quelqu’un veuille faire rire ou trop ou pas assez ou convenablement est un indice, un signe de la disposition morale intérieure. En effet, comme par les mouvements corporels extérieurs on peut discerner les dispositions corporelles internes, ainsi, à partir des actions extérieures, on peut connaître les mœurs internes. |
#855. — Ensuite (1128a10), il montre que ce dont on vient de parler a trait à des différences de mœurs. Il dit que les changements dont on vient de parler: que l'on veuille faire rire ou avec excès ou trop peu ou avec modération, sont un indice de la disposition morale intérieure. De même, en effet, qu'on discerne, par les changements corporels extérieurs, les dispositions intérieures des corps, de même, par les actions extérieures, on connaît les mœurs intérieures. |
[73560] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 7 Deinde cum dicit: redundante autem risu etc., ostendit
quomodo extremum quandoque sumitur pro medio. Et dicit, quod quia risus ad
multos redundat, et multi sunt qui magis quam oportet delectantur in ludo, et
in hoc quod dicant aliis convitia iocosa, inde est, quod apud eos bomolochi
vocantur eutrapeli, quia sunt eis gratiosi. Superabundant enim in ludo quem
plures hominum superabundanter diligunt. Differunt tamen non parum bomolochi
ab eutrapelis, ut ex supradictis patet. |
856.- Il montre comment on prend, quelquefois, l'extrême pour le milieu. Il dit que, parce que le rire est fort contagieux et que nombreux sont ceux qui prennent plus de plaisir qu’n ne faut dans les amusements, et qui aiment à railler, il s’ensuit que chez ces gens les "homolochi" sont appelés "entrapeli", parce qu’ils leur sont agréables. En effet, plusieurs versent dans l'excès dans les amusements qu'ils aiment trop. Et pourtant la différence n’est pas mince, comme on peut le voir par les considérations précédentes. |
#856. — Ensuite (1128a12), il montre comment l'extrême est parfois pris pour le milieu. Il dit que parce que plusieurs rient trop volontiers, et qu'il y en a beaucoup qui prennent plus plaisir qu'il ne faut au jeu, et à dire aux autres des plaisanteries joyeuses, il s'ensuit que chez eux, on appelle les bouffons enjoués, car ils ont bonne grâce à leurs yeux. En effet, ils sont excessifs dans le jeu, et bien des gens aiment celui-ci avec excès. Pourtant, il n'y a pas qu'une petite différence entre bouffons et [personnes] enjouées, comme il appert de ce que l'on a dit plus haut (#852-854). 157 |
[73561] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 8 Deinde cum dicit: medio autem habitui etc., ostendit
quid proprie pertineat ad praedictos habitus. Et primo ostendit quid proprie
pertineat ad medium virtutis. Secundo quid ad extremum superabundantiae, ibi,
bomolochus autem etc.; tertio quid pertineat ad extremum defectus, ibi,
agrios autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit qualiter se
habeat eutrapelus universaliter circa ludum. Secundo qualiter se habeat
specialiter circa convicia iocosa, ibi: et utrum igitur et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit, quod ad medium habitum pertinet,
convenientibus ludis uti. Et dicit, quod ad medium habitum huius virtutis
pertinet id quod est proprium epydexiotis, idest bene aptati et
dispositi ad hoc, quod cum hominibus conversetur. Ad talem enim pertinet quod
dicat et audiat talia ludicra quae congruant viro modesto et liberali,
qui scilicet liberum animum habet a servilibus passionibus. |
857.- Il montre ce qui appartient en propre aux habitus susdits. Et, en premier, il montre ce qui appartient proprement au milieu de la vertu. En second, il montre ce qui relève proprement de l'extrême par excès. En troisième, il montre le propre de l'extrême par défaut. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il montre de quelle manière se comporte généralement l'homme d'une gaité équilibrée, "l’enjoué", à l’égard du jeu. En second, de quelle manière il se comporte dans le cas particulier des taquineries joyeuses - (reproches badines - moqueries sans malice - plaisanteries). La première partie se subdivise en trois. Dans la première, il avance qu’il appartient à l’habitus intermédiaire de se servir des jeux bienséants. Il dit qu’appartient à l'habitus intermédiaire de cette vertu ce qui est propre à l’"epydexiotis", c’est-à-dire à celui qui a l'heureuse aptitude et la bonne disposition de vivre avec ses semblables (qui est sociable de tempérament). En effet, c’est pour ainsi dire le propre de tels hommes de dire et d'écouter les plaisanteries qui conviennent à l'homme modeste et libéral, à savoir qui a l'âme libérée des passions serviles. |
#857. — Ensuite (1128a16), il montre ce qui a proprement trait aux habitus dont on vient de parler. En premier, il montre ce qui a proprement trait au milieu de la vertu. En second (1128a33), ce qui [a trait] à l'extrême par excès. En troisième (1128b1), il montre ce qui a trait à l'extrême par manque. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière, universellement, se comporte la personne enjouée en regard du jeu. En second (1128a25), comment elle se comporte spécialement en regard des plaisanteries joyeuses. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il affirme qu'il appartient à l'habitus moyen d'user de jeux convenables. Il dit qu'appartient à l'habitus moyen de cette vertu ce qui est le propre de l'adroit45, c'est-à-dire, de celui qui est bien apte et disposé pour les rapports avec les gens. À pareilles gens, en effet, il appartient de dire et d'entendre des [propos] enjoués de nature à convenir à l'homme mesuré46 et libéral47, c'est-à-dire, qui a l'esprit libre des passions serviles. |
[73562] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 9 Secundo ibi: est enim quaedam etc., probat et inducit
rationem ad hoc quod dixerat: quia scilicet ubicumque est invenire aliquid
quod decenter fieri potest, hoc pertinet ad virtutem. Sed contingit aliquem
ludentem dicere et audire quaedam convenientia. Et hoc patet ex differentia
ludorum. Ludus enim liberalis hominis, qui scilicet intendit propria sponte
bonum agere, differt a ludo hominis servilis, qui circa servilia occupatur.
Et ludus hominis disciplinati, qui scilicet instructus est qualiter
debeat ludere, differt a ludo hominis indisciplinati, qui nulla disciplina in
ludo refrenatur. Unde manifestum est, quod ad medium habitum virtutis
pertinet decentia in ludo dicere et audire. |
858.- Il prouve ce qu'il a dit et apporte une raison à son affirmation qui voulait que toute action et tout fait qui peuvent être accomplis d'une façon bienséante appartiennent à la vertu. Précisément, il arrive qu’un joueur dise et écoute des choses convenables. Ce qui est manifesté par la différence qui existe entre les jeux. En effet, le jeu de l’homme libre, c’est-à-dire celui qui agit spontanément en vue de promouvoir son bien personnel, diffère du jeu de l’homme esclave, qui s'occupe des choses serviles. Et le jeu de l'homme bien élevé, à savoir celui à qui lion a montré comment il devait se récréer, diffère du jeu de l'homme inculte en ce domaine, qu'aucune discipline ne modère dans le jeu. Il est donc manifeste qu’il appartient à l’habitus du milieu de dire et d’écouter ce qu’il y a de bienséant dans le jeu. |
#858. — En second (1128a19), il prouve et apporte une raison à l'appui de ce qu'il avait dit, que partout où l'on trouve quelque chose qui peut se faire avec décence, cela appartient à la vertu. Ainsi, il se peut qu'en se jouant, on dise et entende des [propos] qui conviennent. Cela appert à partir de la différence entre les jeux. En effet, le jeu de l'homme libéral, qui entend spontanément à faire proprement le bien, diffère du jeu de l'homme servile, occupé à des [intérêts] serviles. Et le jeu d'un homme discipliné, instruit sur la manière dont on doit jouer, diffère du jeu de l'homme non discipliné, qui n'est retenu dans le jeu par aucune discipline. Aussi est-il manifeste qu'il appartient à l'habitus moyen de la vertu de dire et d'entendre par jeu les [propos] qui conviennent. |
[73563] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 10 Tertio ibi: videbit autem utique aliquis etc., inducit
quoddam signum ad supradicta, quod scilicet differat ludus disciplinati et
indisciplinati. Et dicit, quod hoc maxime apparet considerando tam in
veteribus, quam in novis comoediis, id est repraesentationibus collocutionum
hominum adinvicem. Quia si alicubi in talibus narrationibus occurreret
aliquod turpiloquium, ex hoc quibusdam generabatur derisio, dum talia turpia
in risum vertebantur. Quibusdam vero generabatur suspicio, dum
scilicet suspicabantur eos, qui turpia loquebantur, habere aliquod malum in
corde. Manifestum est autem quod non parum differt ad honestatem hominis,
utrum dicat in ludendo turpia vel honesta. |
859.- Il ajoute aux considérations précédentes, qui touchaient à la différence entre le jeu de l'homme "discipliné" et de l’homme inculte (rustre-grossier), un signe. Il dit que cette différence et la conséquence qu'on peut en tirer apparaissent clairement dans les dialogues, les conversations des hommes, aussi bien dans les anciennes comédies, c'est-à-dire les représentations théâtrales, que dans les nouvelles. En effet, si certaines obscénités perçaient ici et là dans les descriptions des comédiens, elles faisaient rire un certain nombre d'auditeurs qui les tournaient en ridicule. Pour d’autres, ces obscénités engendraient le soupçon, car alors ils soupçonnaient ces farceurs de mauvaises intentions. Il est donc manifeste qu’il n'importe pas peu à l'honnêteté de l’homme de dire, dans le jeu, des obscénités ou des paroles honnêtes. |
#859. — En troisième (1128a22), il apporte un signe à l'appui de ce qui a été dit plus haut, que le jeu de l'homme discipliné et de l'homme non discipliné diffère. Il dit que cela apparaît le plus à regarder, tant dans les anciennes que dans les nouvelles comédies, c'est-à-dire, dans les représentations, les entretiens des gens entre eux. Car si quelque part, en pareils récits, il se produisait quelque conversation honteuse, cela entraînait le rire chez certains, puisque c'étaient de pareils [objets] de honte qui étaient tournés à la blague. Mais pour d'autres, c'est le soupçon qui était engendré, puisqu'ils soupçonnaient que ceux qui prononçaient des [propos] honteux détenaient de la malice en leur cœur. Il est manifeste, d'ailleurs, que cela n'a pas qu'un petit rapport à l'honorabilité d'un homme, s'il tient, par jeu, des [propos] honteux ou honorables48. |
[73564] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 11 Deinde cum dicit: et utrum igitur etc., ostendit qualiter
se habeat virtuosus circa convicia iocosa. Et circa hoc tria facit. Primo
movet quaestionem, utrum scilicet determinandum sit quod aliquis bene
convicietur in ludo ex parte eorum quae dicit, quia scilicet dicit ea quae
decet dicere liberalem hominem, id est virtuosum et modestum. Vel non
determinatur penes hoc bene convicians, sed potius ex parte finis vel
effectus, quia scilicet intendit non contristare audientem. Vel etiam quod
plus est, intendit eum delectare. |
860.- Il montre comment se comporte le vertueux dans les railleries amusantes. Ce qu’il divise en trois points. Et, en premier, il pose le problème: pour définir le bon railleur, celui qui se comporte bien dans cette sorte d’amusement, faut-il regarder du côté de ce qu'il dit? Est-il ban railleur parce qu'il dit ce qu'il convient de dire à un homme libéral, vertueux et modeste? Ou bien, faut-il plutôt regarder du côté de l’effet et de la fin et le définir par l’intention qu'il a de ne pas faire de peine à ses auditeurs? Ou bien, faut-il aller plus loin et dire que le bon railleur est celui qui a comme but de faire plaisir et jeter une note de gaité dans la réunion? |
#860. — Ensuite (1128a25), il montre comment se comporte le vertueux en regard des plaisanteries badines. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il soulève la question si l'on doit discerner que l'on plaisante bien dans le jeu à partir de ce que l'on dit, parce qu'on dit ce qu'il convient que dise l'homme libéral, vertueux et mesuré. Ou bien ce n'est pas par là que l'on discerne celui qui plaisante bien, mais plutôt à partir de la fin ou de l'effet, parce qu'à savoir, il vise à ne pas contrister son auditeur. Ou bien même, ce qui est plus, il vise à lui plaire. |
[73565] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 12 Secundo ibi: vel et tale quidem etc., respondet
quaestioni quantum ad secundum membrum. Et dicit quod hoc est indeterminatum,
quid scilicet contristet vel delectet audientem, quia scilicet diversis
diversa sunt odibilia et delectabilia, talia autem unusquisque libenter
audiet, quae sunt sibi delectabilia. Illa enim quae aliquis patienter
sustinet audire, haec facere videtur, scilicet ingerendo ea aliis, dummodo
non intendat eos contristare. |
861.- Il répond à la question en répondant au second membre. Il dit qu’on ne peut guère préciser ce qui fait de la peine ou fait plaisir à l’auditeur, parce que autre chose est odieux et plaisant à l’un, autre chose à l'autre. En effet, chacun écoute volontiers ce qui lui plait. Et aussi, ce sont les railleries dont on supporte patiemment d’être l’objet qu’on fait aux autres, à la condition de ne pas vouloir faire de la peine. |
#861. — En second (1128a27), il répond à la question sous le rapport de son second membre. Il dit que cela reste indéterminé ce qui contriste ou plaît à l'auditeur, car à différentes [gens] des [propos] différents sont haïssables et plaisants. Chacun entendra volontiers, en effet, les propos de nature à lui être plaisants, car ce que l'on supporte patiemment d'entendre, est manifestement ce que l'on fait, en le proposant à d'autres, quand on n'entend pas les contrister. |
[73566] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 13 Tertio ibi: non utique omne etc., ostendit aliquid esse
determinatum quantum ad primum membrum, scilicet quantum ad convicia quae
dicuntur. Manifestum est enim quod virtuosus non faciet, idest non
proponet omne convicium, quia convicium est quaedam contumelia; dum tale quid
in convicio dicitur, ex quo homo infamatur, et hoc prohibent dicere
legispositores. Sunt autem quaedam convicia, quae non prohibent, quae oportet
dicere propter delectationem, vel propter hominum emendationem, quae fit
dummodo fiat absque infamia. Ille enim qui se habet in conviciando sicut
gratiosus et liberalis vir, est sibi ipsi lex, dum scilicet per propriam
electionem vitat ea quae lex prohibet, et utitur his quae lex concedit. |
862.- Il montre qu'il y a déjà quelque chose de déterminé par rapport au premier membre, à savoir par rapport aux moqueries qui se font. En effet, il est évident que le vertueux ne se permet pas n'importe quelle raillerie, puisque la raillerie est une certaine injure. Le bon railleur s’interdira une raillerie qui peut être infamante, qui peut nuire à réputation et qui constitue une injure défendue par les législateurs. Cependant il y a des railleries permises par la loi qu’il faut dire soit pour apporter de la gaité et faire plaisir soit pour aider à la correction fraternelle: ce qui peut se faire du moment qu'il n'y a pas outrage. En effet, celui qui, dans les railleries, se comporte comme un homme complaisant et libéral semble être sa propre loi, alors que, par choix, il évite ce que là loi défend et se sert de ce qu'elle permet. |
#862.
— En troisième (1128a29), il montre qu'il y a quelque chose de déterminé,
sous le rapport du premier membre, quant aux plaisanteries que l'on dit. Il
est manifeste, en effet, que le vertueux ne fera[46] 158 pas,
c'est-à-dire, ne proposera pas toute plaisanterie, car la plaisanterie est
une espèce de mépris; aussi, il se peut que l'on tienne par plaisanterie des
propos qui produisent de l'infamie, et cela les législateurs l'interdisent.
Mais il y a des plaisanteries qu'ils n'interdisent pas, qu'il faut dire pour
le plaisir, ou pour la correction des gens, qui se fait tant que cela ne
produit pas d'infamie. En effet, celui qui se comporte dans la plaisanterie
comme l'homme de bonne grâce et le libéral paraît être pour lui-même sa loi,
en tant que, de son propre choix, il évite ce que la loi interdit, et use de
ce que la loi permet |
[73567] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 14 Ultimo autem concludit, quod talis qualis dictus est,
est medius, sive nominetur epydissius, id est aptus, sive eutrapelus, id est
bene vertens. |
863.- Il conclut en dernier que l’homme du juste milieu que l’on vient de décrire s’appelle homme de tact, c’est-à-dire apte à l'heureuse plaisanterie, ou l’enjoué, qui sait transformer adroitement en jeu. |
#863. — Enfin, il conclut que voilà de quelle nature est le milieu que l'on a dit, qu'on le nomme adroit, c'est-à-dire, apte, ou enjoué, c'est-à-dire, de bonne tournure. |
[73568]
Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 15 Deinde cum dicit: bomolochus autem etc.,
determinat de vitio superabundantiae. Et dicit, quod bomolochus est minor
derisore, quia scilicet derisor intendit aliquem confundere, quod non
intendit bomolochus, sed solum intendit risum facere. Et neque recedit a se
ipso neque ab aliis, si debeat risum facere, quia scilicet exempla sua, et
aliorum dicta et facta convertit in risum; et talia dicit, quorum nullum
diceret homo gratiosus, id est virtuosus, et quaedam eorum non solum non
diceret sed nec etiam audiret. |
864.- Il traite du mal de l'excès. Il dit que le "bouffon" est moins mauvais que le railleur, parce que ce dernier désire couvrir quelqu'un de confusion. Le bouffon n'a pas cette mauvaise intention; il désire uniquement faire rire. Quand il se laisse emporter par son goût de faire rire, il n'épargne ni lui-même ni les autres, tournant au ridicule les paroles et les actions des autres et ses propres faits et gestes. Les propos qu'il tient, aucun homme bien élevé et vertueux ne les tiendrait; et certains de ces propos, non seulement l’homme vertueux ne les tiendrait pas, mais il n'y prêterait même pas l'oreille. |
#864. — Ensuite (1128a33), il traite du mal par excès. Il dit que le bouffon est moins mauvais que le railleur, car le railleur vise à confondre quelqu'un, ce que ne vise pas le bouffon, qui vise seulement à faire rire, et qui n'épargne ni lui ni les autres quand il vise à faire rire, car il tourne en dérision ses exemples et les dires et faits des autres; il tient même des [propos] de nature telle que l'homme de bonne grâce et vertueux n'en tiendrait aucun; même que certains d'entre de ces [propos], non seulement le vertueux ne les tiendrait pas, mais il n'y prêterait pas même l'oreille. |
[73569] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 16 Deinde cum dicit: agrios autem etc., determinat de
vitio defectus. Et dicit, quod ille qui est agrios, idest agrestis,
est inutilis ad tales collocutiones, scilicet ludicras; nihil enim confert ad
eas, sed in omnibus contristatur. Et in hoc est vitiosus, dum totaliter
abominatur ludum, qui est necessarius ad vitam humanam sicut requies quaedam.
|
865.- Il traite du vice par défaut. Il dit que le rustre est tout à fait impropre à de tels entretiens, à ces jeux d’esprit. Il n’y apporte aucune contribution et tous ces jeux le rendent de mauvaise humeur. Son péché lui vient de ce qu’il abhorre complètement le jeu qui est un besoin de la vie humaine à la manière d'un certain repos. |
#865. — Ensuite (1128b1), il traite du vice par manque. Il dit que celui qui est rustre, c'est-à-dire, paysan, est inutile pour pareils entretiens enjoués. Il n'y apporte rien, en effet, et tous le contristent. En cela, il est vicieux, dans la mesure où il abhorre totalement le jeu, nécessaire à la vie humaine, en tant que repos. |
[73570] Sententia Ethic., lib. 4 l. 16 n. 17 Deinde cum dicit: tres igitur etc., ostendit
differentiam huius virtutis ad praedictas duas. Et dicit quod tres sunt
medietates praedictae in vita humana, quae omnes sunt circa communicationem
sermonum et operum. Differunt autem abinvicem, quia una earum consistit circa veritatem in
dictis vel factis. Aliae vero duae circa delectabile. Quarum una consistit
circa delectationem quae est in ludis, alia vero consistit circa delectationem
quae est in colloquiis quae est secundum aliam vitam, consistentem scilicet
in seriis. |
866.- Il déduit la différence entre cette vertu et les vertus précédentes. Il dit que les médiétés qui s'exercent dans le cours de la vie et dont on a parlé sont au nombre de trois et qu'elles portent toutes sur les échanges dans les paroles et les actions. Mais elles diffèrent entre elles en ce que l'une d'elles concerne la vérité dans les paroles et les faits et les autres l'agrément, ou le plaisir. De celles qui ont rapport au plaisir, l'une porte sur la délectation dans les jeux, l'autre sur le plaisir des rencontres et des conversations qui occupent le reste de l'existence, à savoir dans les relations sérieuses. |
#866. — Ensuite (1128b4), il infère la différence entre cette vertu et les deux précédentes. Il dit qu'on vient de parler de trois médiétés dans la vie humaine, et qu'elles portent toutes sur les communications en paroles et en actes. Elles diffèrent entre elles, par ailleurs, car l'une porte sur la vérité dans les paroles ou dans les actions, et les autres, sur ce qui est de se montrer plaisant. L'une d'entre elles porte sur le plaisir que l'on procure dans les jeux, tandis que l'autre sur le plaisir que l'on procure dans les entretiens, que l'on procure dans la vie, c'est-à-dire, que l'on procure à travers les [activités] sérieuses. |
|
|
|
Lectio
17 |
Leçon 17 : [La pudeur] |
|
|
IL DIT QUE LA PUDEUR N’EST PAS UNE VERTU, MAIS UNE CERTAINE PASSION; CE QU’IL CONFIRME PAR SON EFFET ET PAR LA DEFINITION MEME DE LA PUDEUR. |
|
[73571] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 1 De verecundia autem ut
quadam et cetera. Postquam philosophus determinavit de medietatibus quae sunt
virtutes, hic determinat de quadam medietate quae non est virtus, scilicet de
verecundia. Et primo ostendit verecundiam non esse virtutem; secundo inducit
simile de continentia; quae cum sit laudabilis, non est virtus, ibi: non est
autem neque continentia et cetera. Circa primum duo facit. Primo inquirit
genus verecundiae. Secundo ostendit subiectum ipsius, ibi: non omni utique
aetati et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Et
dicit, quod de verecundia non convenit loqui sicut de quadam virtute. Sed
magis assimilatur passioni quam habitui, qui est genus virtutis. |
867.- Après avoir traité des médiétés qui sont des vertus, le Philosophe traite ici d’une certaine médiété qui n’est pas une vertu, c’est-à-dire la pudeur. Et, en premier, il montre que la pudeur n’est pas une vertu. En second, il montre qu’il en est de même de la continence qui, tout en étant louable, n’est pas une vertu. Il divise son premier point en deux parties. En premier, il recherche le genre de la pudeur, En second, il montre quel est son sujet. La première partie se subdivise en deux. En premier, il soumet ce qu'il veut démontrer. Il dit qu’il ne convient pas de parler de la pudeur comme si elle était une vertu. Elle s’assimile à la passion plus qu'à l'habitus, qui est le genre de la vertu. |
#867. — Après avoir traité des médiétés qui sont des vertus, le Philosophe traite ici d'une médiété qui n'est pas une vertu, c'est-à-dire, de la pudeur. En premier, il montre que la pudeur n'est pas une vertu. En second (1128b33), il montre la même chose à propos de la continence, qui, bien qu'elle soit louable, n'est pas une vertu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il recherche le genre de la pudeur. En second (1128b15), il manifeste son sujet. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. Il dit qu'il ne convient pas de parler de la pudeur comme d'une vertu. Elle s'assimile plutôt, au contraire, à la passion qu'à l'habitus, genre de la vertu. |
[73572] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 2 Secundo ibi, determinatur
igitur etc., probat propositum dupliciter. Primo quidem per definitionem
verecundiae. Dicitur enim verecundia esse timor ingloriationis, idest
confusionis quae opponitur gloriae. Sed timor est passio quaedam. Ergo
verecundia est in genere passionis. |
868.- Il prouve son affirmation de deux manières. En premier, par la définition de la pudeur. En effet, il dit que la pudeur est la crainte du déshonneur, c’est-à-dire la crainte d'une certaine confusion qui s'oppose à la gloire, Or, la crainte est une certaine passion. Donc, la pudeur appartient au genre de la passion. |
#868. — En second (1128b11), il prouve son propos de deux manières. En premier, bien sûr, par la définition de la pudeur. On dit, en effet, que la pudeur est la crainte de l'ignominie, c'est-à-dire, de la confusion qui s'oppose à la gloire. Or la crainte est une passion. Donc, la pudeur est dans le genre de la passion. |
[73573] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 3 Secundo ibi: perficitur
autem circa pericula etc., probat idem per effectum verecundiae. Circa quod
considerandum est quod passiones sunt motus appetitus sensitivi qui utitur
organo corporali. Unde passiones omnes cum aliqua corporali transmutatione
fiunt; similiter autem se habet in generali quantum ad hoc de verecundia et
de timore qui est circa pericula mortis, quantum ad hoc scilicet quod utraque
passio indicatur per transmutationem corporalis coloris; |
869.- Il prouve la même proposition par l’effet de la pudeur. A ce sujet, il faut savoir que la passion est un mouvement de l'appétit sensitif qui se sert d’un organe corporel. De là vient que toute passion s\accompagne d'un changement corporel. La pudeur et la crainte que l’on éprouve dans les dangers de mort ont ceci de commun que les deux passions se reconnaissent par le changement de la couleur du corps qui les accompagne. |
#869. — En second (1128b12), il prouve la même chose par l'effet de la pudeur. À ce sujet, on doit tenir compte que les passions sont des mouvements de l'appétit sensible, lequel se sert d'un organe corporel. Aussi, toutes les passions s'accompagnent d'une modification corporelle. De plus, la pudeur et la crainte qui porte sur les dangers de mort se comportent, en général, de la même manière, en ceci que l'une et l'autre passion se manifeste à une modification de la couleur corporelle. |
[73574] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 4 Sed in speciali differunt;
quia illi qui verecundantur rubescunt, illi autem qui timent mortem
pallescunt. Cuius differentiae ratio est quia natura spiritus et humores
transmittit ad locum ubi sentit defectum. Sedes autem vitae est in corde; et
ideo quando periculum vitae timetur, spiritus et humores recurrunt ad cor. Et
ideo exteriora quasi deserta pallescunt. Honor autem et confusio in
exterioribus est, et ideo, quando homo timet per verecundiam (periculum) honoris,
recurrentibus humoribus et spiritibus ad exteriora, homo rubescit. Sic igitur
patet quod et verecundia et timor mortis sunt quaedam corporalia, inquantum
scilicet habent corporalem transmutationem annexam, quod videtur magis ad
passionem quam ad habitum pertinere. Et ita patet quod verecundia non est
virtus. |
870.- Cependant, chacune en particulier a son effet spécial: ceux qui ont honte rougissent, alors que ceux qui craignent la mort pâlissent. La raison de cette différence vient de ce que la nature transmet, à l'endroit même où se fait sentir la faiblesse, les "esprits" et les humeurs. Or, le siège de la vie est le cœur. C’est pourquoi, lorsque le danger de mort se fait sentir, les "esprits" et les humeurs se portent vers le cœur. Et ainsi, la zone périphérique du corps étant vidée, elle pâlit. Mais l’honneur et la confusion se situent à l’extérieur. C’est pourquoi, parce que la pudeur fait craindre à l’homme la perte de son honneur, les esprits et les humeurs se portent vers la partie externe de l’être, et le corps rougit. Ainsi donc, il est clair que la pudeur et la crainte de la mort font partie des phénomènes organiques, à savoir en tant qu'elles comportent une transmutation corporelle: ce qui est plus la caractéristique de la passion que de l'habitus. Et ainsi, il est évident que la pudeur n’est pas une vertu. |
#870. — Mais, dans le détail, elles diffèrent, car ceux qui ressentent de la pudeur rougissent, tandis que ceux qui craignent la mort pâlissent. La raison de cette différence est que la nature transmet souffle 159 et humeurs où elle sent une déficience. Or le siège de la vie réside dans le cœur; c'est pourquoi, quand du danger est à craindre pour la vie, souffle et humeurs accourent au cœur; c'est aussi pourquoi les [parties] extérieures, comme désertées, pâlissent. Par contre, honneur et confusion résident à l'extérieur. C'est pourquoi, comme il y a crainte, dans la pudeur, d'une privation d'honneur, humeurs et esprit accourent vers les [parties] extérieures et on rougit. Ainsi donc, il appert que tant la pudeur que la crainte de la mort sont des [entités] corporelles, en tant qu'elles s'accompagnent d'une modification, ce qui a manifestement trait à la passion plutôt qu'à l'habitus. Ainsi appert-il que la pudeur n'est pas une vertu. |
[73575] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 5 Deinde cum dicit: non omni
utique aetati etc., ostendit quid sit subiectum conveniens verecundiae. Et
primo ostendit cui aetati conveniat. Secundo ostendit cui conditioni, ibi,
neque enim studiosi et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod
intendit, scilicet quod passio verecundiae non convenit omni aetati, sed
iuvenili. |
871.- Il montre quel est le sujet qui sied à la pudeur. Et tout d/abord, il montre à quel âge elle convient; en second, à quel condition. Il divise son premier point en trois parties. En premier, il propose ce qu'il veut démontrer, à savoir que la pudeur ne sied pas à tout âge, mais à la jeunesse. |
#871. — Ensuite (1128b15), il montre quel sujet convient à la pudeur. En premier, il montre à quel âge elle convient. En second (1128b21), il montre à quelle condition. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention, à savoir, qu'elle ne convient pas à tout âge, mais à la jeunesse. |
[73576] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 6 Secundo ibi, existimamus
enim etc., probat quod iuvenili aetati congruat verecundia. Et hoc
dupliciter. Uno modo per proprietatem iuventutis. Quia scilicet iuvenes
propter fervorem aetatis vivunt secundum passiones. Et ideo proni sunt ad
multipliciter peccandum. Et ab hoc prohibentur per verecundiam, per quam
turpitudinem timent. Et ideo iuvenes decet verecundia. Alio modo probat idem
per humanam consuetudinem. Iuvenes enim
verecundos laudare consuevimus. |
872.- En second, il prouve son affirmation. Ce qu’il fait de deux manières d’une première façon, en se servant de ce qu’il y a de propre à la jeunesse. C’est que les jeunes, à cause de la ferveur et de l’enthousiasme de leur âge (la chaleur de leur âge), vivent sous l’influence des passions. C’est donc le devoir des jeunes d’être pudiques. Il prouve la même idée par coutume humaine. Nous avons l'habitude de louer les jeunes qui sont pudiques. |
#872. — En second (1128b16), il prouve que la pudeur convient à la jeunesse. Cela, de deux manières. D'une manière, par une propriété de la jeunesse. Car les jeunes, à cause de l'ardeur de leur âge, vivent selon leurs passions. Aussi sont-ils enclins à se rendre fautifs de bien des manières. Ils en sont empêchés par la pudeur, par laquelle ils craignent la honte. C'est pourquoi la pudeur convient aux jeunes. D'une autre manière, il prouve la même chose par la coutume humaine. En effet, nous avons coutume de louer les jeunes qui ressentent de la pudeur. |
[73577] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 7 Tertio ibi: senem autem
nullus etc., ostendit quod alii aetati, scilicet senili, non congruit
verecundia. Et dicit quod nullus laudat senem de hoc quod est verecundus.
Quia existimamus quod non oporteat eum aliquod turpium operari pro quibus
consuevit esse verecundia. Tum quia propter longitudinem temporis reputamus
eos esse expertos. Tum quia, cessante fervore aetatis, reputamus quod propter
passionem non debeat aliquid turpe operari. |
873.- Il montre que la pudeur ne convient pas à un autre âge, à la vieillesse. Il dit que personne ne loue un vieillard d'être pudique. C’est que, pensons-nous, il n'est pas d’âge à accomplir quelque chose de honteux dont il ait à rougir. C’est aussi, qu'ayant beaucoup vécus, nous les croyons expérimentés. Ajoutons encore que, la chaleur du jeune âge ayant fort diminuée, nous estimons que la passion ne doit pas leur faire accomplir des actes honteux. |
#873. — En troisième (1128b19), il montre qu'à un autre âge, à la vieillesse, la pudeur ne convient pas. Il dit que personne ne loue un vieillard de ressentir de la pudeur. Car nous estimons qu'il ne doit faire aucune de ces [actions] honteuses, pour lesquelles on a coutume de ressentir de la pudeur. Tant parce qu'avec tout le temps qu'ils ont vécu, nous pensons qu'ils ont de l'expérience, que [parce qu]'éteinte l'ardeur de l'âge, nous pensons qu'ils ne doivent plus rien faire de honteux par passion. |
[73578] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17 n. 8 Deinde cum dicit neque enim studiosi etc., ostendit cui
condicioni hominum competat vel non competat verecundia. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit quod non competat virtuoso. Secundo excludit quasdam
cavillationes contra propositum, ibi, si enim sunt haec quidem et cetera.
Dicit ergo primo quod neque ad virtuosum pertinet verecundia. Verecundia enim
est respectu pravorum. Sed virtuosus non operatur prava. Quia virtus est quae
bonum facit habentem et opus eius bonum reddit. Ergo verecundia non competit
virtuoso. |
874.- Il montre à quel état convient ou ne convient pas la pudeur. Il divise ce point en deux parties. En premier, il montre que la pudeur ne convient pas aux vertueux. En second, il l’oppose à certaines objections subtiles. Et ainsi, la zone périphérique du corps étant vidée, elle pâlit. Mais l'honneur et la confusion se situent à l'extérieur. C'est pourquoi, parce que la pudeur fait craindre à l'homme la perte de son honneur, les esprits et les humeurs se portent vers la partie externe de l'être, et le corps rougit. Ainsi donc, il est clair que la pudeur et la crainte de la mort font partie des phénomènes organiques, à savoir en tant qu'elles comportent une transmutation corporelle: ce qui est plus la caractéristique de la passion que de l'habitus. Et ainsi, il est évident que la pudeur n’est pas une vertu. |
#874. — Ensuite (1128b21), il montre à quelle condition convient ou ne convient pas la pudeur. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'elle ne convient pas au vertueux. En second (1128b23), il exclut certains sophismes contre son propos. Il dit donc, en premier, que la pudeur n'appartient pas non plus au vertueux. En effet, la pudeur se ressent en regard de mauvaises [actions]. Or le vertueux ne fait rien de mal, puisque la vertu est ce qui rend bon celui qui l'a et rend bonne son action. Donc, la pudeur ne convient pas au vertueux. |
[73579] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17 n. 9 Deinde cum dicit: si enim sunt haec etc., excludit tres
obviationes contra praedicta. Quarum prima est. Quia posset aliquis dicere
quod verecundia non solum est de his quae secundum veritatem sunt turpia quae
contrariantur virtuti, sed etiam de his quae sunt turpia secundum opinionem. |
875.- Il répond à trois objections qui s'opposent, à son dire. Voici la première. En effet, quelqu’un pourrait soutenir que la pudeur ne port e pas uniquement sur les actions qui sont réellement honteuses, mais aussi sur celles qui le sont dans l'opinion des gens. |
#875. — Ensuite (1128b23), il exclut trois objections sur ce dont il vient de parler. La première en est que l'on pourrait dire que la pudeur non seulement porte sur ce qui est honteux en vérité, qui contrarie à la vertu, mais aussi sur ce qui est honteux dans l'opinion. |
[73580] Sententia
Ethic., lib. 4 l. 17 n. 10 Sed ipse dicit quod nihil
differt ad propositum; quia virtuoso neutra sunt operanda: scilicet neque
turpia secundum veritatem, neque turpia secundum opinionem. Et ideo non
imminet virtuoso quod de aliquo verecundetur. Sed hoc pertinet ad pravum, ut
sit talis quod operetur aliquid turpium, vel secundum veritatem vel secundum
opinionem. |
876.- Mais Aristote dit que cela ne change rien à son affirmation. C’est que l'homme vertueux accomplit ni les unes ni les autres: ni les actions vraiment honteuses ni celles qu’il croit (que l'on croit) honteuses. C’est dire que la honte ne menace pas le vertueux. Cela appartient à l’homme vil, au dépravé, d'être l’homme à commettre des actions vraiment honteuses ou qu'il croit honteuses. |
#876. — Cependant, il dit lui-même que cela ne change rien à son propos, car, pour le vertueux, ni l'un ni l'autre n'est à faire, à savoir, ni le honteux en vérité, ni le honteux en opinion. C'est pourquoi il n'est exposé à ressentir de la pudeur pour quoi que ce soit. Au contraire, cela appartient au mauvais, d'être de nature à faire quelque chose de honteux, soit en vérité soit en opinion. |
[73581] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17 n. 11 Secundam obviationem ponit ibi: sic autem ad turpia
habere et cetera. Posset enim aliquis dicere quod licet virtuosus non habeat
aliquid de quo verecundetur, est tamen ita dispositus, ut si aliquid talium
operaretur, de hoc verecundaretur. Si quis ergo propter hoc existimaret quod
verecundia competeret studioso, probat hoc esse inconveniens dupliciter. |
877.- Voici la seconde objection. En effet, on pourrait dire que, même sans avoir de quoi rougir, le vertueux a cependant toutes les dispositions voulues pour avoir honte s’il venait à poser quelque acte honteux, Si donc, à cause de cette raison, on estimait que la pudeur convient à l’homme vertueux, il y aurait une double difficulté. |
#877. — Il présente ensuite la seconde objection (1128b26). En effet, on pourrait dire que bien que le vertueux n'ait rien dont ressentir de la pudeur, il est tout de même disposé de manière que, s'il faisait quelque chose de tel, il en ressentirait de la pudeur. Si donc, on allait estimer, à cause de cela que la pudeur convient au vertueux, il prouve que cela est inconvenant, de deux manières. |
[73582] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17 n. 12 Primo quidem quia verecundia, proprie loquendo, non respicit
nisi voluntarios defectus, quibus debetur vituperium. Sed hoc repugnat
virtuti quod aliquis voluntarie operetur malum. Ergo non competit ei
verecundia propter rationem praedictam. Secus autem esset si verecundia esset
eorum quae involuntarie possunt accidere, sicut aegritudo involuntarie
accidit homini. Unde virtuoso etiam sano potest competere curare de medico propter
infirmitatem quae posset accidere. |
878.- Le premier inconvénient est que la pudeur à parler proprement, n'a comme matière que les faiblesses honteuses volontaires. Mais c'est ce qui répugne à la vertu que ces actes mauvais volontaires. Donc, à cause de cette raison, la pudeur ne convient pas au vertueux. Il en serait autrement si la pudeur portait sur ce qui peut arriver contre son gré, comme la maladie frappe l’homme contre sa volonté. De là vient que l'homme vertueux, même en santé, peut s'attacher un médecin au cas où la maladie surviendrait. |
#878. — En premier, certes, parce que la pudeur, à parler proprement, ne regarde que les défauts volontaires, auxquels on doit le blâme. Mais cela répugne à la vertu que l'on fasse volontairement le mal. Donc, la pudeur ne lui convient pas, pour la raison qui précède. Il en irait autrement, d'ailleurs, si la pudeur avait trait à ce qui peut arriver involontairement, comme la maladie arrive involontairement aux gens. Aussi, même au vertueux en santé, il peut convenir de se préoccuper du médecin, à cause d'une maladie qui pourrait lui arriver. |
[73583] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17 n. 13 Secundo excludit praedictam obviationem ibi: erit autem
utique et cetera. Et dicit quod secundum praedictam obviationem verecundia
esset quiddam virtuosum ex suppositione, quia scilicet verecundaretur
virtuosus si turpia operaretur. Hoc autem non est de his quae proprie
conveniunt virtuosis. Immo absolute eis conveniunt, sicut patet circa omnes
virtutes. Unde relinquitur quod verecundia non proprie conveniat virtuoso. |
879.- Il répond à l’objection d'une seconde façon. Il dit que si, comme le veut l’objection, la pudeur était par hypothèse quelque chose de vertueux, en ce sens qu'elle pourrait convenir au vertueux au cas où il pourrait accomplir un acte honteux, elle ne porterait aucunement, de ce chef, sur ce qui appartient proprement aux vertueux. De plus ce qui relève de la vertu appartient absolument aux vertueux (non par hypothèse), comme on le voit dans toutes les vertus. (Les vertus par hypothèse n’existent pas). Il reste donc que la pudeur ne convient pas proprement au vertueux. |
#879. — En second (1128b29), il exclut l'objection qui précède. 160 Il dit que, d'après l'objection qui précède, la pudeur serait quelque chose de vertueux par hypothèse, parce que le vertueux ressentirait de la pudeur s'il faisait quelque chose de honteux. Mais cela ne porte pas sur les [caractères] qui conviennent proprement aux vertueux, lesquels, au contraire, leur conviennent de manière absolue, comme il appert pour toutes les vertus. Aussi reste-t-il que la pudeur ne convienne pas proprement au vertueux. |
[73584] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 14 Tertiam obviationem ponit
ibi, si autem inverecundia et cetera. Posset enim aliquis concludere quod
quia inverecundia et non verecundari de turpi operatione est quiddam pravum,
quod propter hoc verecundari sit virtuosum. |
880.- Il pose la troisième objection, En effet, on pourrait conclure que si l'impudence ou l’absence de honte dans l'accomplissement de choses honteuses est quelque chose de dépravé et de vil, la honte ou la pudeur, elle, est vertueuse. |
#880. — Il présente ensuite la troisième objection (1128b31). En effet, on pourrait conclure, comme le manque de pudeur et le fait de ne pas ressentir de pudeur d'une action honteuse est quelque chose de mauvais, que, pour cette raison, ressentir de la pudeur soit vertueux. |
[73585] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 15 Sed ipse dicit hoc non
esse necessarium: quia utrumque, scilicet tam verecundia quam inverecundia,
supponit operationem turpem, quae non competit virtuoso. Qua tamen supposita,
convenientius est quod eam aliquis aspernetur per verecundiam quam quod de ea
non curet per inverecundiam. Ex his etiam apparet quod verecundia non sit
virtus; nam si esset virtus, inesset virtuoso. |
881.- Mais Aristote dit que cette conséquence n’est pas nécessaire: aussi bien la pudeur que l'impudence présupposent une action honteuse, incompatible avec le vertueux. Cependant, une fois que cette action est accomplie, il vaut mieux la détester par la pudeur que de s'en moquer par impudence. Ces dernières constatations font bien voir que la pudeur n'est pas une vertu; si elle était vertu, on le retrouverait dans le vertueux. |
#881. — Mais il répond que cela n'est pas nécessaire, car l'une et l'autre, à savoir, tant la pudeur que l'impudeur, suppose une action honteuse qui ne convient pas au vertueux. Laquelle supposée, cependant, il est plus convenable de la renier, par pudeur, que de ne pas s'en préoccuper, par impudeur. De là aussi apparaît que la pudeur ne soit pas une vertu; en effet, si elle était une vertu, elle appartiendrait au vertueux. |
[73586] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 16 Est autem attendendum
quod supra posuit passionem laudabilem, scilicet Nemesym, de qua hic
mentionem non facit quia non est intentionis suae de his passionibus hic
determinare: hoc enim magis pertinet ad rhetoricam, ut patet in II
rhetoricae. Unde nec hic de verecundia determinavit nisi ostendens eam non
esse virtutem, et relinquitur idem intelligendum de Nemesi. |
882.- Il faut cependant porter attention à ceci que, plus haut, Aristote a posé une passion louable la l1nemesisl1, Ici, il n'en fait pas mention, parce qu’il n'a pas l'intention de traiter de ces passions ici. Ce qui relève davantage de la rhétorique, comme on le voit dans le second livre de la Rhétorique. C’est pourquoi, il n'a traité ici de la pudeur que pour montrer -qu’elle n’était pas une vertu. Et il nous laisse entendre qu’il en est de même pour la "nemsis". |
#882. — On doit aussi porter attention à ce que, plus haut, il a posé comme une passion louable l'indignation, dont il ne fait pas mention non plus ici, parce qu'il n'est pas de son intention, ici, de déterminer de ces passions; cela, en effet, appartient plutôt à la rhétorique, comme il appert au second [livre] de la Rhétorique (ch. 9); d'ailleurs, il n'a pas non plus traité ici de la pudeur, sauf à montrer qu'elle n'est pas une vertu. Il laisse la même chose à entendre de l'indignation. |
[73587] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 17 Deinde cum dicit: non est
autem etc., inducit simile de continentia; quae cum sit laudabilis, non est
virtus, sed habet aliquid virtutis admixtum. Continens enim sequitur
rationem rectam, quod pertinet ad virtutem. Patitur tamen concupiscentias
pravas vehementes, quod pertinet ad defectum virtutis. Et de his dicetur infra in septimo. Satis autem
convenienter inducit similitudinem de continentia, quia verecundia maxime
requiritur ubi abundant passiones pravae, quod convenit continentibus, ut
dictum est. |
883.- Il fait, de même pour la continence qui, tout en étant louable, n'est pas une vertu, mais est une sorte de mélange où entre la vertu, En effet, le continent suit la raison droite; ce qui appartient à la vertu, Cependant, il ressent d’intenses convoitises dépravées; ce qui appartient au défaut de vertu, Il en parlera au septième livre. C’est quand même avec beaucoup de convenance qu'il apporte l’analogie de la continence, parce que la pudeur est surtout requise où abondent les passions mauvaises: ce qui appartient à la psychologie des incontinents, comme on l'a dit. |
#883. — Ensuite (1128b33), il apporte pareille [observation] sur la continence, qui, bien qu'elle soit louable, n'est pas une vertu, mais intègre quelque chose de la vertu: le continent, en effet, suit la raison droite, ce qui appartient à la vertu. Cependant, il souffre de violents mauvais désirs, ce qui appartient au manque de vertu. De cela, on parlera plus loin, au septième [livre] (1435-1454). C'est de manière assez convenable qu'il apporte cette comparaison avec la continence, parce que la pudeur est le plus requise où abondent les passions mauvaises, ce qui convient aux continents, comme on l'a dit. |
[73588] Sententia Ethic., lib. 4 l. 17
n. 18 Ultimo autem continuat se
ad sequentia, dicens quod dicendum est deinceps de iustitia. Et in hoc
terminatur sententia quarti libri. |
884.- En dernier, il relie ce traité au suivant, en disant qu'il est temps de parler de la justice. Là-dessus se termine la doctrine du quatrième livre. |
#884. — Enfin, il se rattache à ce qui suit, en disant qu'il faut maintenant parler de la justice. C'est avec cela que se termine l'exposé du quatrième livre. |
|
|
|
Liber 5
|
|
LIVRE 5 : [La justice] (Traduction Professeur Yvan
Pelletier, 1999)
|
|
|
|
Lectio
1 |
|
Leçon 1
|
[73589] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1
n. 1 De iustitia autem et
iniustitia et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtutibus
moralibus quae sunt circa passiones, hic determinat de virtute iustitiae quae
est circa operationes; et dividitur in partes duas. In prima determinat de
iustitia proprie dicta. In secunda determinat de iustitia metaphorica, ibi,
utrum autem contingit sibiipsi iniustum facere et cetera. Circa primum duo
facit. Primo determinat de virtute iustitiae. Secundo determinat de quadam
virtute, scilicet epiichia, quae est communis iustitiae directiva, ibi: de
epiikya vero et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, videmus utique et cetera. Circa
primum duo facit. Primo dicit de quo intendat, quia de iustitia et
iniustitia. Et proponit tria circa iustitiam consideranda, in quibus differt
iustitia a supradictis virtutibus. |
|
#885. — Après avoir déterminé des vertus morales qui portent sur les passions, le Philosophe détermine ici de la vertu de justice, qui porte sur les opérations; et cela comporte deux parties. Dans la première d'entre elles, il détermine de la justice proprement dite (1129a3). Dans la seconde, il détermine de la justice métaphorique (1138a4). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il détermine de la vertu de justice. En second, il détermine de certaine vertu, à savoir de l'équité, qui est directive de la justice commune (1137a31). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il dit quelle est son intention. En second, il exécute son propos (1129a6). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi porte son intention; que [c'est sur] la justice et l'injustice. Et il propose trois [aspects] à considérer concernant la justice, en lesquels la justice diffère des vertus énumérées auparavant. |
[73590] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1
n. 2 Quorum primum, tangit cum
dicit quod intendendum est circa quales operationes sint iustitia et
iniustitia. Virtutes enim et vitia de quibus supra dictum est, sunt circa
passiones; quia scilicet in eis principaliter consideratur qualiter homo
interius afficiatur secundum passiones; sed quid exterius operetur, non
consideratur nisi ex consequenti, inquantum scilicet operationes exteriores
ex interioribus passionibus proveniunt. Sed circa iustitiam et
iniustitiam praecipue attenditur quid homo exterius operatur. Qualiter autem afficiatur interius non consideratur
nisi ex consequenti, prout scilicet aliquis iuvatur vel impeditur circa
operationem. Secundum autem tangit cum dicit et qualis medietas est iustitia
et iustum, quod scilicet est obiectum iustitiae. In praehabitis enim
virtutibus accipitur medium rationis et non rei. Sed in iustitia accipitur
medium rei, ut infra dicetur. Tertium autem tangit cum dicit et quorum est
medium. Quaelibet enim supradictarum virtutum est medium duorum vitiorum;
iustitia autem non est medium duarum malitiarum ut infra patebit. |
|
#886. — Il touche le premier d'entre eux lorsqu'il dit qu'on doit chercher sur quelle sorte d'opérations portent la justice et l'injustice. En effet, les vertus et les vices dont on a parlé plus haut portent sur les passions; c'est qu'en eux, on considère principalement de quelle manière on est intérieurement affecté en rapport aux passions; et ce qu'on opère extérieurement, on ne le considère que par manière de conséquent, à savoir en tant que les opérations extérieures proviennent de passions intérieures. Tandis que, pour la justice et l'injustice, on regarde principalement ce qu'on opère extérieurement. De quelle manière, par ailleurs, on est affecté intérieurement, on ne le considère que par manière de conséquent, à savoir, pour autant qu'on [s'en] trouve aidé ou embarrassé quant à l'opération. Il touche le deuxième [aspect] lorsqu'il dit: «Et en quelle sorte de moyen terme réside la justice et le juste», à savoir, laquelle est l'objet de la justice. En effet, dans les vertus précédentes, on reçoit un milieu de raison et non de chose. Mais dans la justice, on reçoit un milieu de chose, comme il sera dit plus loin (#932-977). Il touche enfin le troisième [aspect], lorsqu'il dit: «Et de quoi elle est le milieu». En effet, chacune des vertus précédentes est un milieu entre deux vices; la justice, quant à elle, n'est pas un milieu entre deux malices, comme ce deviendra évident plus loin (#993-994). |
[73591] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1
n. 3 Secundo ibi: intentio
autem etc., ostendit secundum quem modum tractanda sunt praedicta. Et dicit
quod intendendum est tractare de iustitia secundum eamdem artem, secundum
quam tractatum est de praedictis virtutibus, scilicet figuraliter et aliis
huiusmodi modis. |
|
#887. — En second (1129a5), il montre selon quel mode on doit traiter ce qu'il a annoncé. Et il dit qu'on doit chercher à traiter de la justice avec le même art avec lequel on a traité des vertus précédentes, en approximations et en d'autres modes de la sorte. |
[73592] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1
n. 4 Deinde cum dicit: videmus
utique etc., incipit determinare de iustitia. Et primo distinguit iustitiam
particularem a iustitia legali. Secundo determinat de iustitia particulari,
de qua principaliter intendit, ibi, eius autem quae secundum partem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo dividit iustitiam in legalem et
particularem. Secundo ostendit quae et qualis sit iustitia legalis, ibi, quia
autem illegalis et cetera. Tertio ostendit, quod praeter iustitiam legalem
est quaedam particularis iustitia, ibi: quaerimus autem eam et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit quid significetur nomine iustitiae vel
iniustitiae. Secundo distinguit utrumque, ibi: consequitur autem et cetera.
Circa primum tria facit. Primo notificat iustitiam et iniustitiam. Secundo
ostendit notificationem esse convenientem, ibi: neque enim eundem habet et
cetera. Tertio infert corollarium ex dictis, ibi, multoties quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo, quod omnes videntur velle dicere quod iustitia sit
talis habitus per quem tria causantur in homine: primo quidem inclinatio ad
opus iustitiae, secundum quam dicitur homo operativus iustorum. Secundum est
operatio iusta. Tertium autem est, quod homo velit iusta operari. Et similiter dicendum est de iniustitia, quod est
habitus a quo homines sunt operativi iniustorum, et faciunt et volunt
iniusta. Et ideo hoc nobis primo supponendum est de iustitia, sicut id quod
figuraliter apparet. |
|
#888. — Ensuite (1129a6), il commence à déterminer de la justice. En premier, il distingue la justice particulière de la justice légale. En second, il détermine de la justice particulière, à laquelle il s'intéresse principalement (1130b30). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il divise la justice en légale et particulière. En second, il montre quelle est la justice légale et de quelle sorte elle est (1129b11). En troisième, il montre qu'à côté de la justice légale, il existe une justice particulière (1130a14). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'on signifie par le nom de justice ou d'injustice. En second, il distingue l'une de l'autre (1129a23). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente le sens de justice et d'injustice. En second, il montre que cette présentation convient (1129a11). En troisième, il infère un corollaire de ce qu'il vient de dire (1129a17). Il dit donc, en premier, que tous paraissent d'accord que la justice soit un habitus tel que par lui trois [effets] soient causés chez un homme. Le premier, bien sûr, est une inclination à l'acte de justice, selon laquelle on est dit faire ce qui est juste. Le second est une opération juste. Le troisième, enfin, 162 consiste à ce qu'on veuille faire ce qui est juste. La même [chose] est à dire de l'injustice, qui est un habitus par lequel on vient à faire ce qui est injuste, et on fait et on veut ce qui est injuste: et c'est pourquoi cela est à présupposer ici à propos de la justice, comme ce qui y apparaît approximativement. |
[73593] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1
n. 5 Et est considerandum, quod
convenienter notificavit iustitiam per voluntatem, in qua non sunt passiones
et tamen est exteriorum actionum principium, unde est proprium subiectum
iustitiae quae non est circa passiones. |
|
#889. — Il est à considérer qu'il a convenablement présenté la justice via la volonté, en laquelle ne se produisent pas de passions et qui est pourtant principe d'actes extérieurs; aussi est-elle le sujet propre de la justice, qui ne porte pas sur des passions. |
[73594] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 6 Deinde cum dicit neque enim eundem etc., ostendit
praedictas notificationes esse convenientes, quantum ad hoc scilicet quod,
iustitia notificata est per hoc quod se habet ad volendum et operandum iusta,
iniustitia autem ad volendum et operandum iniusta. Non enim eodem modo se
habet in habitibus, sicut in scientiis et potentiis. Contraria enim pertinent ad
eamdem potentiam, sicut album et nigrum ad visum, et ad eamdem scientiam,
sicut sanum et aegrum ad medicinam. Sed
habitus contrarius non se habet ad contraria sibi. |
|
#890. — Ensuite (1129a11), il montre que les présentations précédentes conviennent, à savoir, quant à ce qu'on présente la justice comme ce qui consiste à vouloir et opérer ce qui est juste, et l'injustice à vouloir et opérer ce qui est injuste. Les choses, en effet, ne vont pas de la même manière dans les habitus que dans les sciences et les puissances. En effet, les contraires appartiennent à la même puissance, comme le blanc et le noir à la vue, et à la même science, comme le sain et le malade à la médecine. Mais l'habitus contraire n'est pas en rapport à ses contraires. |
[73595] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 7 Et ponit exemplum de habitibus corporalibus. Nam a sanitate non
procedunt ea quae sunt contraria sanitati, sed solum ea quae sanitati
congruunt. Sicut dicimus, quod aliquis
sane ambulat quando ita ambulat sicut ille qui sanus existit. Unde et ipsa
scientia, licet secundum quod est cognitio quaedam, ad contraria se habeat,
inquantum unum contrariorum est ratio cognoscendi aliud, tamen inquantum est
habitus quidam, se habet tantum ad unum actum, qui est cognoscere veritatem;
non autem se habet ad errorem contrarium. Sic igitur convenienter dictum
est, quod per iustitiam operamur iusta et per iniustitiam iniusta. |
|
#891. — Il présente un exemple à propos d'habitus corporels. De la santé ne procède pas, en effet, ce qui est contraire à la santé, mais seulement ce qui s'accorde avec la santé. Ainsi disons-nous que quelqu'un marche sainement quand il marche comme celui qui se trouve sain. La science même, pour autant qu'elle est une connaissance, est en rapport aux contraires, l'un des contraires étant le concept pour connaître l'autre; cependant, en tant qu'elle est un habitus, elle est en rapport seulement avec un acte, qui est de connaître la vérité; elle n'est pas, par ailleurs, en rapport avec l'erreur contraire. Ainsi donc, il est convenable de dire que par la justice nous faisons ce qui est juste et par l'injustice ce qui est injuste. |
[73596] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 8 Deinde cum dicit: multotiens quidem igitur etc., infert
quoddam correlarium ex dictis. Quia enim contrarii habitus sunt contrariorum,
et unus actus est determinate unius obiecti, inde est, quod multoties unus
habitus contrarius cognoscitur per alium et multotiens habitus cognoscitur a
suo obiecto, quod est quasi materia obiecta operationi habitus. Et hoc
manifestat per exemplum. Si evexia sit manifesta, idest bona
dispositio, et cachexia est manifesta, idest mala dispositio. Et sic
habitus cognoscitur a suo contrario. Cognoscitur etiam ex obiecto, quia ex
his quae faciunt hominem bene se habere fit manifesta euechia. Et hoc
ulterius specialius manifestat, quia si ad evexiam pertinet, quod homo habeat
carnes bene densatas, necessarium est, quod ad cachexiam pertineat, quod homo
habeat carnes raras, id est incompactas propter indigestos humores. Et iterum
necessarium est, quod illud quod facit hominem bene se habere, sit illud quod
faciat eum habere carnes bene densatas. |
|
#892. — Ensuite (1129a17), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. Parce que les habitus contraires portent sur les contraires, et qu'un acte porte déterminément sur un objet, il s'ensuit que souvent un habitus contraire est connu par l'autre, et que souvent il est connu par son objet, qui est comme la matière sujette à l'opération de l'habitus. Il manifeste cela par un exemple. Si l'euéxie est manifeste, c'est-à-dire la bonne disposition, la cachéxie aussi, c'est-à-dire la mauvaise disposition. C'est ainsi qu'un habitus est connu par son contraire. Il est d'ailleurs connu par son objet, parce que c'est à partir de ce qui fait bien aller que devient manifeste l'euéxie. Puis il manifeste cela plus précisément; car s'il appartient à l'euéxie que l'on ait des chairs bien fermes, il est nécessaire qu'il appartienne à la cachéxie que l'on ait les chairs rares, comme molles à cause d'humeurs non digérées. Et encore, il est nécessaire que ce qui fait aller bien soit ce qui fait avoir des chairs bien fermes. |
[73597] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit: consequitur autem etc., distinguit
iustitiam et iniustitiam. Et primo ponit divisionem; secundo manifestat
membra divisionis, ibi, quia autem avarus et cetera. Circa primum tria facit.
Primo ostendit, quod multiplicitas iniustitiae manifestat multiplicitatem
iustitiae. Quia ut in pluribus consequens est, ut si unum oppositorum dicatur
multipliciter, et reliquum. Et ita etiam se habet de iusto et iniusto. |
|
#893. — Ensuite (1129a23), il distingue la justice et l'injustice. En premier, il amène une division. En second, les membres de la division (1129b1). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la multiplicité de l'injustice manifeste la multiplicité de la justice. Car, dans la plupart [des cas], il s'ensuit, si l'un des opposés se dit de plusieurs manières, que l'autre aussi. Et il en va de même aussi du juste et de l'injuste. |
[73598] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 10 Secundo ibi: videtur autem multipliciter etc., ostendit
qualis sit horum multiplicitas. Et dicit quod tam iustitia quam iniustitia
videtur multipliciter dici: sed multiplicitas eorum est latens, propter hoc,
quod ea quae faciunt aequivocationem sunt propinqua adinvicem secundum
convenientiam ipsorum. In his autem quae multum distant magis est manifesta
aequivocatio si idem nomen eis imponatur, eo quod in promptu apparet multa
differentia ipsorum, quae est secundum ideam, idest secundum rationem
propriae speciei; sicut hoc nomen clavis aequivoce dicitur de instrumento quo
clauduntur ostia, et de quodam operculo quod cooperit traceam arteriam, quae
est in collo animalium. |
|
#894. — En second (1129a26), il montre de quelle sorte est leur multiplicité. Il dit que tant la justice que l'injustice peut se dire de plusieurs manières: mais que leur multiplicité est cachée, du fait que les agents de l'homonymie sont voisins selon une convenance réciproque. Au contraire, dans des [choses] très distantes, l'homonymie est davantage manifeste, si on leur donne le même nom, par ceci qu'apparaissent tout de suite beaucoup de différences entre elles, par rapport à l'idée, c'est-à-dire, à la raison propre de l'espèce propre. Ainsi, le nom de clé se dit homonymement de l'instrument par lequel on ferme les portes, et d'un couvercle qui couvre l'artère qui se trouve dans le col des animaux. |
[73599] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 11 Tertio ibi: sumatur autem iniustus etc., ostendit quot
modis praedicta dicantur: et dicit quod primo sumendum est quotiens dicatur
iniustus. Dicitur enim tripliciter. Uno modo illegalis, qui scilicet
facit contra legem. Alio modo dicitur iniustus avarus, qui scilicet vult plus
habere de bonis. Tertio modo dicitur iniustus inaequalis, qui scilicet
vult minus habere de malis. |
|
#895. — En troisième (1129a31), il montre de combien de manières les [réalités] mentionnées se disent; et il dit qu'on doit considérer, en premier, de combien de manières on est dit injuste. Or on l'est dit de trois manières: d'une manière, [en tant qu']illégal, à savoir, comme agissant contre la loi. D'une autre manière, c'est l'avare qui est dit injuste, celui qui veut avoir plus [que sa part] de biens. D'une troisième manière, on dit injuste l'inégal, à savoir, celui qui veut avoir moins [que sa part] de maux. 163 |
[73600] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 12 Unde manifestum est, quod iustus dicetur dupliciter:
uno enim modo dicitur iustus legalis, idest ille qui est observator legis.
Alio modo dicitur iustus aequalis, qui scilicet aequaliter vult habere de
bonis et malis; aequale enim opponitur utrique, scilicet, et ei quod est in
plus, et ei quod est in minus. Et ex hoc ulterius concludit quod iustum
dicitur legale et aequale, et iniustum illegale et inaequale, inquantum
obiecta notificantur per habitus, ut supra dictum est. |
|
#896. — De là devient manifeste qu'on sera dit juste de deux manières. D'une manière, on est dit juste [en tant que] légal, c'est-à-dire, comme observateur de la loi. D'une autre manière, on dit juste l'égal, à savoir, celui qui veut avoir une part égale [à celle des autres] en biens et en maux. En effet, égal est opposé à l'un et à l'autre, à savoir, à la fois à celui qui a en plus et à celui qui a en moins. À partir de cela, il conclut ensuite qu'on est dit juste comme légal et égal, et qu'on est dit injuste comme illégal et inégal, pour autant que les objets sont notifiés par les habitus, comme on a dit plus haut. |
[73601] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 13 Deinde cum dicit: quia autem avarus etc., manifestat
membra praemissae divisionis. Et primo ostendit qualiter avarus dicatur
iniustus. Et dicit quod quia avarus qui vult plus habere est iniustus,
consequens est, quod sit circa bona quorum abundantiam homines appetunt. Non
tamen circa omnia bona, sed solum circa illa circa quae est fortuna et
infortunium; huiusmodi autem sunt simpliciter, id est absolute et in se
considerata, semper bona, sed non semper sunt bona alicui, quia non semper
sunt proportionata homini nec semper ei expediunt. Homines autem haec petunt
a Deo, et in oratione, et suo desiderio haec inquirunt quasi semper essent
eis bona et ex hoc efficiuntur avari et iniusti. Non autem ita fieri oportet:
sed oportet orando a Deo petere, ut ea quae sunt secundum se bona efficiantur
homini bona, ita quod unusquisque eligat id quod est sibi bonum, scilicet
operari recte secundum virtutem. |
|
#897. — Ensuite (1129b1), il manifeste les membres de la division précédente. En premier, il montre de quelle manière l'avare est dit injuste. Et il dit que, comme l'avare, qui veut avoir en plus, est injuste, il s'ensuit qu'il vise les biens dont les hommes désirent l'abondance. Non pas cependant tous les biens, mais seulement ceux sur lesquels portent la chance et la malchance. Des [choses] de la sorte, par ailleurs, prises absolument, c'est-à-dire absolument et considérées en soi, sont bonnes; mais elles ne sont pas toujours bonnes pour chacun, parce qu'elles ne sont pas toujours proportionnées à chacun, et ne lui sont pas toujours profitables. Mais tous les désirent de Dieu, et les requièrent dans leur prière et leur désir comme si elles étaient toujours bonnes pour eux. Et c'est ainsi qu'ils deviennent avares et injustes. Or il ne faut pas que cela se passe ainsi; mais il faut, en priant, les demander à Dieu de façon que celles qui sont bonnes en soi le deviennent pour chacun, de manière que chacun choisisse ce qui est bon pour lui, à savoir, d'opérer correctement selon la vertu. |
[73602] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 14 Secundo ibi: iniustus autem etc., manifestat quomodo
inaequalis dicatur iniustus. Et dicit, quod iniustus non semper dicitur
aliquis ex eo quod plus eligit, sed ex eo quod minus eligit in his quae
simpliciter et absolute considerata sunt mala, sicut sunt labores, inopia et
alia huiusmodi. Sed quia etiam minus malum videtur aliqualiter esse bonum
inquantum est eligibile, cum avaritia sit boni sicut dictum est, videtur
propter hoc, quod ille qui appetit minus habere de malis sit quodam modo
avarus. Sed verius dicitur quod sit inaequalis, quia hoc continet utrumque,
et est commune ad plus et ad minus. |
|
#898. — En second (1129b6), il manifeste comment l'inégal est dit injuste. Et il dit qu'on n'est pas toujours dit injuste du fait qu'on choisit d'avoir plus, mais aussi par le fait qu'on choisit d'avoir moins parmi les [choses] qui, simplement et considérées absolument, sont mauvaises, comme les travaux, les pauvretés et les autres [maux] de la sorte. Mais comme même le moindre mal paraît de quelque façon être un bien, en tant qu'il est éligible, de même que l'avarice vise le bien, ainsi qu'on l'a dit, il semble à cause de cela que celui qui désire avoir moins [que sa part] de mal soit de quelque manière un avare. Mais il est plus vrai de dire qu'il est inégal, parce que cela contient l'un et l'autre, et est commun au plus et au moins. |
[73603] Sententia Ethic., lib. 5 l. 1 n. 15 Tertio ibi: et illegalis etc., manifestat quomodo
iniustus dicitur illegalis. Et dicit quod etiam illegalis dicitur iniustus.
Haec enim illegalitas secundum quam dicitur aliquis illegalis, quae etiam est
inaequalitas, inquantum homo non adaequatur regulae legis, continet
universaliter omnem iniustitiam, et est quiddam commune respectu omnis
iniustitiae ut infra patebit. |
|
#899. — En troisième (1129b11), il manifeste comment l'illégal est dit injuste. Et il dit que l'illégal aussi est dit injuste. Cette illégalité, en effet, selon laquelle on est dit illégal, qui est aussi une inégalité, en tant qu'on ne se conforme pas à la règle de la loi, contient universellement toute injustice, et est quelque chose de commun en regard de toute injustice, comme ce deviendra évident plus loin. |
|
|
|
Lectio
2 |
|
Leçon 2
|
[73604] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 1 Quia autem illegalis et
cetera. Postquam philosophus distinxit iustitiam, hic determinat de iustitia
legali. Et primo determinat de ipso iusto legali, quod est obiectum legalis
iustitiae. Secundo determinat de ipsa legali iustitia, ibi, ipsa quidem
igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod iustum legale
determinatur secundum legem. Secundo ostendit qualia sunt illa, quae lege
determinantur, ibi, leges autem dicunt et cetera. Dicit ergo primo, quod quia
supra dictum est, quod illegalis est iniustus, et legalis est iustus,
manifeste consequitur, quod omnia legalia sunt aliqualiter iusta. |
|
#900. — Après avoir divisé la justice, le Philosophe détermine ici de la justice légale. En premier, il détermine du juste légal comme tel, l'objet de la justice légale (1129b11). En second, il détermine de la justice légale elle-même (1129b25). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le juste légal est déterminé d'après la loi. En second, il montre quelles sortes de [choses] sont déterminées par la loi (1129b14). Il dit donc, en premier, que, puisqu'on a dit plus haut que ce qui est illégal est injuste et que ce qui est légal est juste, il s'ensuit manifestement que tout ce qui est légal est de quelque façon juste. |
[73605] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 2 Dicit autem aliqualiter,
quia omnis lex datur in ordine ad aliquam politiam: non autem in omni politia
est simpliciter iustum, sed in quibusdam est iustum solum secundum quid, ut
patet per philosophum in III politicae, nam in politia democratica, in qua
populus totus vult dominari, attenditur iustum secundum quid, sed non
simpliciter: ut scilicet quia omnes cives sunt aequales secundum quid,
scilicet secundum libertatem, ideo habeantur ut aequales simpliciter; unde
nec ea quae secundum legem democraticam statuuntur sunt simpliciter iusta,
sed aliqualiter. Dicit autem illa esse legalia, quae sunt statuta et
determinata per legispositivam, quae competit legislatoribus. Et unumquodque
eorum sic determinatorum dicimus esse aliqualiter iustum. |
|
#901. — Mais il dit «de quelque façon», parce que toute loi est instituée en rapport à une constitution: or on ne trouve pas du juste strictement en toute constitution, mais en certaines du juste seulement sous un certain rapport, comme il appert dans le troisième [livre] de la Politique (1280a7ss.). En effet, dans une constitution démocratique, en laquelle le peuple entier veut dominer, on s'attend à du juste sous un certain rapport, mais non strictement; c'est que, alors que tous les citoyens sont égaux sous un certain rapport, à savoir, sur le plan de la liberté, on les tient pour strictement égaux. Aussi, ce qui est statué d'après une loi démocratique n'est pas strictement juste, mais de quelque manière. Il dit, par ailleurs, que cela est légal, qui est statué et déterminé par la loi positive, qui appartient aux législateurs. Et chaque [chose] ainsi déterminée est dite de quelque manière juste. 164 |
[73606] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 3 Deinde cum dicit: leges
autem dicunt etc., ostendit qualia sint, quae lege statuuntur. Et circa hoc
duo facit: primo ostendit respectu cuius finis aliquid lege statuatur;
secundo ostendit de quibus aliquid statuatur lege, ibi: praecipit autem lex
et cetera. Dicit ergo primo, quod leges de omnibus loquuntur, secundum quod
potest conici quod pertineat ad aliquid utile vel toti communitati, sicut est
in rectis politiis, in quibus intenditur bonum commune. Vel ad aliquid quod
sit utile optimis, idest aliquibus maioribus de civitate, per quos
civitas regitur, qui et optimates dicuntur. Vel ad aliquid utile dominis,
sicut contingit in politiis quae reguntur regibus vel tyrannis. Semper enim
in legibus ferendis attenditur id quod est utile ei quod est principale in
civitate. |
|
#902. — Ensuite (1129b14), il montre quelles sortes de [choses] sont statuées par la loi. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre en vue de quelle fin quelque chose est statué par la loi. En second, il montre à propos de quoi quelque chose est statué par la loi (1129b19). Il dit donc, en premier, que les lois parlent de toutes [choses] pour autant qu'on puisse être convaincu qu'on touche à quelque chose d'utile à la communauté. Ainsi qu'il en va dans les constitutions droites, où on se préoccupe du bien commun. Ou [qu'on touche] à quelque chose d'utile aux meilleurs [citoyens], c'est-à-dire à des grands dans la cité, par qui la cité est régie, qu'on appelle aussi des nobles. Ou à quelque chose d'utile aux maîtres, comme il arrive dans les constitutions régies par des rois ou des tyrans. Toujours, en effet, en instituant les lois, on regarde ce qui est utile à ce qui est principal dans la cité. |
[73607] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 4 Quod autem aliqui
habeantur ut optimi vel ut dominantes, contingit quidem, vel secundum
virtutem sicut in aristocratica politia, in qua aliqui propter virtutem
principantur; vel secundum aliquem alium modum, puta in politia oligarchica,
in qua aliqui pauci principantur propter divitias vel potentiam. Et quia
omnis utilitas humana finaliter ordinatur ad felicitatem, manifestum est,
quod secundum unum modum iusta legalia dicuntur ea quae sunt factiva et
conservativa felicitatis et particularum ipsius, idest eorum quae ad
felicitatem ordinantur, vel principaliter sicut virtutes, vel
instrumentaliter sicut divitiae, et alia huiusmodi exteriora bona; et hoc per
comparationem ad communitatem politicam ad quam respicit legispositio. |
|
#903. — Que, par ailleurs, certains soient tenus comme meilleurs ou comme dominants, cela arrive certes ou bien en regard de la vertu, comme dans la constitution aristocratique, dans laquelle certains gouvernent à cause de leur vertu; ou bien en regard de quelque autre modalité, par exemple, dans une constitution oligarchique, dans laquelle quelques [citoyens] peu nombreux gouvernent à cause de leurs richesses ou de leur puissance. Et comme toute utilité humaine est finalement ordonnée au bonheur, il est manifeste que, d'une certaine manière, est dit juste légal ce qui est agent du bonheur et de ses [éléments] particuliers, c'est-à-dire, des [choses] ordonnées au bonheur, soit principalement, comme les vertus, ou instrumentalement, comme les richesses et les autres biens extérieurs de cette sorte; et cela en comparaison de la communauté politique que vise l'institution de la loi. |
[73608] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 5 Deinde cum dicit:
praecipit autem lex etc., ostendit de quibus aliquid lege statuatur. Et
dicit, quod lex praecipit ea quae pertinent ad singulas virtutes. Praecipit
enim facere opera fortitudinis, puta cum praecipit, quod miles non derelinquat
aciem, et quod non fugiat, neque proiiciat arma. Similiter etiam praecipit ea
quae pertinent ad temperantiam, puta cum praecipit quod nullus moechetur, et
quod nullus faciat mulieri aliquod convicium in propria persona; et similiter
etiam praecipit ea quae pertinent ad mansuetudinem: sicut cum praecipit quod
unus non percutiat alium ex ira, et quod non contendat cum eo opprobria
inferendo. Et similiter est de aliis virtutibus quarum actus lex iubet, et de
aliis malitiis quarum actus lex prohibet; |
|
#904. — Ensuite (1129b19), il montre à propos de quoi quelque chose est statué par la loi. Et il dit que la loi prescrit ce qui appartient aux vertus singulières. Elle prescrit en effet d'accomplir les œuvres du courage, par exemple, quand elle prescrit que le soldat n'abandonne pas le front, et qu'il ne fuie ni ne jette bas les armes. Semblablement aussi, elle prescrit ce qui appartient à la tempérance, par exemple, lorsqu'elle prescrit que personne n'adultère, et que personne ne déshonore la personne de sa femme. Et semblablement, elle prescrit ce qui appartient à la douceur, comme lorsqu'elle prescrit qu'on ne frappe pas un autre par colère, et qu'on ne s'attaque pas à lui en lui infligeant des outrages. Et il en va de manière semblable pour les autres vertus dont la loi ordonne les actes, et des autres malices, dont elle interdit les actes. |
[73609] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 6 Et si quidem lex recte
ponatur ad hoc, dicetur lex recta: alias vero dicitur lex apostomasmenos, ab
a quod est sine, et postochios, quod est scientia, et menos, quod est
perscrutatio; quasi lex posita sine perscrutatione scientiae; vel schedos
dicitur dictamen ex improviso editum, inde schediazo, idest ex improviso
aliquid facio, unde potest dici lex aposchediasmenos, idest quae caret
debita providentia. |
|
#905.
— Puis, si bien sûr la loi est posée correctement à cette [fin], elle est
dite loi droite : autrement, toutefois, elle est dite loi
aposchédiasmène, de a qui signifie sans, et de poschedias,
qui signifie science, et de menos, qui signifie investigation; comme
une loi instituée sans investigation de science; ou de schedos, qui
signifie un ordre émis de manière improvisée, d'où schediazo,
c'est-à-dire faire quelque chose de manière improvisée, d'où une loi peut se
dire aposchédiasmène, c'est-à-dire manquant de la prévoyance due. |
[73610] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 7 Deinde cum dicit: ipsa
quidem igitur etc., determinat qualis sit iustitia legalis. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit conditionem legalis iustitiae. Secundo ostendit
qualiter legalis iustitia se habeat ad alias virtutes, ibi: in iustitia autem
et cetera. Dicit ergo primo, quod ipsa iustitia est quaedam virtus perfecta
non simpliciter, sed in comparatione ad alterum. Et quia esse perfectum non
solum secundum se, sed etiam in comparatione ad alterum, potius est, propter
hoc (cum) multoties dicitur, quod haec iustitia sit praeclarissima inter
omnes virtutes; et proverbium inde sumitur, quod neque Hesperus, idest
stella praeclarissima vespertina, neque Lucifer, idest stella
praeclarissima matutina, ita fulgeat sicut iustitia. |
|
#906. — Ensuite (1129b25), il détermine de quelle [nature] est la justice légale. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre une caractéristique de la justice légale. En second, il montre quelle sorte de rapport la justice légale entretient avec les vertus (1129b29). Il dit donc en premier que la justice elle-même est une vertu parfaite non pas strictement, mais en comparaison à autrui. Et puisqu'un être parfait non seulement en soi-même, mais en comparaison à autrui est plus puissant, à cause de cela on dit souvent que cette justice est la plus brillante de toutes les vertus; et de là vient le proverbe que ni Hespérus, c'est-à-dire l'étoile la plus brillante du soir, ni Lucifer, c'est-à-dire l'étoile la plus brillante du matin, ne brille comme la justice. |
[73611] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 8 Deinde cum dicit: in
iustitia autem etc., ostendit ex hoc quod dictum est, qualiter iustitia
legalis se habeat ad virtutes. Et circa hoc tria facit. Primo proponit quod
intendit. Secundo manifestat propositum, ibi, perfecta autem est et cetera.
Tertio determinat quiddam quod poterat esse dubium ex praedictis, ibi: quid
autem differt virtus et cetera. Dicit ergo primo, quod quia iustitia legalis
consistit in usu virtutis qui est ad alterum et secundum omnem virtutem de
qua lex praecipit, inde est, quod in ipsa iustitia simul comprehenditur omnis
virtus, et ipsa est etiam virtus maxime perfecta. |
|
#907. — Ensuite (1129b29), il montre à partir de ce qu'il a dit quelle sorte de rapport la justice légale entretient avec les vertus. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. En second, il manifeste son propos (1129b31). En troisième, il détermine quelque chose qui pourrait demeurer en doute après ce qu'il a dit (1130a10). Il dit donc en premier que, parce que la justice légale consiste dans l'usage de la vertu, qui concerne un autre, et selon toute vertu à propos de laquelle la loi a des prescriptions, il s'ensuit que dans la justice même toute vertu est comprise à la fois, et qu'elle-même est la vertu la plus parfaite. 165 |
[73612] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 9 Deinde cum dicit: perfecta
autem est etc., ostendit quod propositum est. Et primo quod iustitia legalis
sit virtus maxime perfecta. Secundo quod comprehendat omnem virtutem, ibi,
haec quidem igitur iustitia et cetera. Dicit ergo primo, quod ideo iustitia
legalis est perfecta virtus, quia ille qui habet hanc virtutem, potest uti
virtute ad alterum, et non solum ad seipsum; quod quidem non contingit
omnibus virtuosis; multi enim possunt uti virtute in propriis, qui non
possunt ea uti in his quae sunt ad alterum. Et ad manifestationem
praemissorum inducit duo quae communiter dicuntur sive proverbialiter. |
|
#908. — Ensuite (1129b31), il montre ce qu'il a proposé. Et en premier que la justice légale est la vertu la plus parfaite. En second, qu'elle comprend toute vertu (1130a8). Il dit donc en premier que la justice légale est une vertu parfaite parce que celui qui a cette vertu peut user de vertu à l'endroit d'un autre et non pas seulement en regard de lui-même; ce qui certes ne convient pas à tout vertueux. Beaucoup en effet peuvent user de vertu dans leurs propres [affaires], qui ne peuvent pas en user en ce qui a trait à un autre. Et, pour la manifestation de ce qu'il a dit, il induit deux [choses] dites communément ou proverbialement. |
[73613] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 10 Bias enim, qui fuit unus
de septem sapientibus, dixit, quod principatus ostendit virum, utrum
scilicet sit perfectus, vel insufficiens. Ille enim qui est princeps iam se
habet in communicatione ad alterum, quia ad eum pertinet disponere ea quae
ordinantur ad bonum commune. Et ita ex hoc habetur, quod perfectio virtutis
ostenditur ex hoc, quod unus bene se habet ad alterum. Aliud autem
proverbialiter dictum inducit ad ostendendum, quod iustitia legalis sit ad
alterum. Propter hoc enim sola iustitia inter virtutes videtur esse alienum
bonum, quia est ad alterum in quantum intendit operari ea quae sunt utilia
alteri, scilicet vel ipsi communitati vel principi communitatis; aliae vero
virtutes intendunt operari bonum proprium, puta temperantia intendit quietare
animum a turpibus concupiscentiis. Et idem est in aliis virtutibus. |
|
#909. — Bias, en effet, qui fut l'un des sept sages, a dit que le gouvernement fait voir l'homme, à savoir s'il est parfait ou déficient. Celui, en effet, qui gouverne se trouve déjà en communication avec un autre, car il lui appartient de disposer ce qui est ordonné au bien commun. Et c'est ainsi qu'on tient que la perfection de la vertu se montre de ce qu'on a rapport avec un autre. Il amène un autre dit proverbial, par ailleurs, pour montrer que la justice légale vise un autre. En effet, du fait qu'elle vise un autre, la justice seule paraît être un bien étranger, en tant qu'elle entend mettre en œuvre ce qui est utile à un autre, à savoir à la communauté elle-même ou au chef de la communauté; tandis que les autres vertus entendent mettre en œuvre le bien propre, par exemple la tempérance entend calmer l'esprit des désirs honteux. Et c'est la même [chose] dans les autres vertus. |
[73614] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 11 Concludit igitur quod,
sicut pessimus est ille, qui utitur malitia, non solum ad seipsum, sed etiam
ad amicos, ita optimus dicitur ille, qui utitur virtute non solum ad seipsum,
sed etiam in comparatione ad alterum. Hoc enim est maxime difficile. Sic
igitur patet, quod iustus legalis est optimus, et iustitia legalis est
perfectissima virtus. |
|
#910. — Il conclut donc que de même que le pire c'est celui qui use de malice non seulement à son propre endroit mais aussi envers ses amis, de même on dit le meilleur celui qui use des vertus non seulement à son propre endroit mais aussi en regard d'un autre. En effet, c'est cela le plus difficile. Ainsi donc, il devient évident que le juste légal est le meilleur et que la justice légale est la vertu la plus parfaite. |
[73615] Sententia
Ethic., lib. 5 l. 2 n. 12 Deinde cum dicit: haec quidem
igitur etc., concludit quod iustitia legalis includat omnem virtutem. Ad eam
enim pertinet uti virtute ad alium. Qualibet autem virtute potest aliquis uti
ad alterum. Unde manifestum est quod iustitia legalis non est quaedam
particularis virtus, sed ad eam pertinet tota virtus. Neque etiam contraria
malitia est pars malitiae, sed ad eam pertinet tota malitia, quia similiter
qualibet malitia potest homo uti ad alterum. |
|
#911. — Ensuite (1130a8), il conclut que la justice légale inclut toute vertu. C'est à elle en effet qu'appartient d'user de vertu envers autrui. Or on peut user de n'importe quelle vertu envers un autre. Aussi est-il manifeste que la justice légale n'est pas une vertu particulière mais que la vertu entière lui appartient. Et que la malice contraire n'est pas une partie de la malice, mais la malice entière. Parce que, de manière semblable, on peut user de n'importe quelle malice envers un autre. |
[73616] Sententia Ethic., lib. 5 l. 2
n. 13 Deinde cum dicit: quid
autem differt virtus etc., manifestat quiddam quod possit esse dubium circa
praemissa. Et dicit, quod ex dictis manifestum est in quo differant virtus et
iustitia legalis. Quia secundum substantiam est eadem, sed secundum rationem
non est idem; sed per comparationem ad alterum dicitur iustitia; inquantum
autem est habitus operativus talis boni, est simpliciter virtus. Hoc autem
intelligendum est quantum ad ipsum actum iustitiae et virtutis. Actus enim
idem subiecto producitur a iustitia legali et a virtute simpliciter dicta,
puta non moechari; tamen secundum aliam et aliam rationem. Verum, quia ubi
est specialis ratio obiecti etiam in materia generali, oportet esse specialem
habitum, inde est, quod ipsa iustitia legalis est determinata virtus habens
speciem ex hoc quod intendit ad bonum commune. |
|
#912. — Ensuite (1130a10), il manifeste quelque chose qui pourrait demeurer en doute sur ce qui a été dit. Et il dit que cela devient manifeste, à partir de ce qui a été dit, en quoi diffèrent les vertus et la justice légale. Car en substance c'est la même [chose], mais ce ne l'est pas en définition; en différence, c'est en regard d'un autre qu'on parle de justice; mais en tant qu'elle est un habitus agent d'un bien tel, elle est vertu strictement. Mais cela est à comprendre quant à l'acte même de la justice et de la vertu. En effet, c'est le même acte matériellement qui est produit par la justice légale et par la vertu strictement dite, par exemple ne pas adultérer; cependant, selon des définitions autres. Or où il y a une définition spéciale de l'objet même dans une matière générale, il faut qu'il existe un habitus spécial; aussi il s'ensuit que la justice légale est en elle-même un habitus déterminé qui tire sa nature de ce qu'il vise un bien commun. |
|
|
|
Lectio
3 |
|
Leçon 3
|
[73617] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 1 Quaerimus autem eam quae
in parte virtutis et cetera. Postquam philosophus ostendit qualis sit
iustitia legalis quae est omnis virtus, hic ostendit, quod praeter eam est
quaedam particularis iustitia. Et circa hoc tria facit. Primo proponit quod
intendit. Secundo ostendit propositum, ibi: signum autem etc.; tertio
epilogat quae dicta sunt et ostendit quae restant dicenda, ibi: quoniam
quidem igitur sunt iustitiae plures et cetera. Dicit ergo primo quod, cum
iustitia legalis sit omnis virtus, non eam nunc principaliter quaerimus, sed
illam quae est pars totius virtutis sicut quaedam particularis virtus; est
enim quaedam talis iustitia, sicut communiter dicimus. Et similiter etiam
intendimus de iniustitia particulari. |
|
#913. — Après avoir montré de quelle [nature] est la justice légale, qui est une vertu commune, le Philosophe montre ici qu'à côté d'elle il existe une justice particulière. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention (1130a14). En second, il manifeste son propos (1130a17). En troisième, il épilogue ce qu'il a dit et montre ce qu'il reste à dire (1130b2). Il dit donc en premier que comme la justice légale est une vertu commune, ce n'est pas sur elle principalement que nous enquêtons maintenant, mais sur celle qui est une partie de la vertu entière, comme quelque vertu particulière. Il existe en effet une telle justice, comme on le dit communément. Et de manière semblable, nous enquêtons sur l'injustice particulière. 166 |
[73618] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 2 Deinde cum dicit: signum
autem etc., ostendit propositum. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quod
praeter iustitiam legalem quae est omnis virtus est quaedam iustitia quae est
particularis virtus; secundo assignat rationem quare communicat in nomine cum
iustitia legali, ibi: univoca quoniam diffinitio et cetera. Circa primum
considerandum est quod, ad ostendendum esse quandam iustitiam quae est
particularis virtus, assumit probandum quod est quaedam iniustitia quae est
particularis malitia; nam supra dictum est quod habitus ex contrariis
manifestantur. Inducit autem ad hoc tres rationes. Quarum prima sumitur
secundum separationem iniustitiae ab aliis malitiis, in quantum scilicet
iniustitia invenitur sine aliis malitiis et e converso, ex quo patet quod
iniustitia est quaedam particularis malitia ab aliis distincta. |
|
#914. — Ensuite (1130a17), il manifeste son propos. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'à côté de la justice légale, qui est toute vertu, il existe une justice qui est une vertu particulière. En second, il assigne la raison pour laquelle elle a son nom en commun avec la justice légale (1130a34). À ce [propos], on doit considérer que pour montrer qu'il existe quelque justice qui soit une vertu particulière, il assume comme à prouver qu'il existe quelque injustice qui soit une malice particulière: car on a dit plus haut que les habitus se manifestent à partir de leurs contraires. Mais il amène pour cela trois raisons. Il tire la première d'entre elles de la séparation [possible] entre l'injustice et les autres malices, à savoir que l'injustice peut se trouver sans les autres, et l'inverse. D'où appert que l'injustice est une malice particulière, distincte des autres. |
[73619] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 3 Dicit ergo quod hoc signum
habemus quod sit quaedam particularis iustitia vel iniustitia, quia ille qui
operatur secundum alias particulares malitias facit quidem iniuste secundum
iniustitiam legalem, non tamen facit avare, ut scilicet aliquid accipiat de
alieno; sicut cum aliquis miles abicit clipeum in bello propter timiditatem,
vel qui dixit alicui opprobrium propter iram, vel qui non praestitit auxilium
amico suo in pecuniis, propter vitium illiberalitatis. Et sic aliae malitiae
possunt esse sine avaritia quae est specialis iniustitia. Quandoque autem est
e converso quod aliquis peccat per avaritiam tollendo aliena, et tamen non
peccat secundum unam aliquam aliarum malitiarum, neque secundum omnes, et
tamen peccat secundum quamdam malitiam. Quod patet quia propter hoc
vituperatur et quasi iniustus. Unde patet quod est quaedam alia iniustitia
(quae est sicut pars totius malitiae, et quaedam alia iustitia) quae est
sicut pars totius virtutis, sicut quaedam specialis virtus, et similiter
etiam patet quod est quoddam iniustum quod est pars iniusti legalis, quod est
commune iniustum. |
|
#915. — Il dit donc que nous tenons ce signe qu'il existe une justice et une injustice particulière: celui qui agit d'après d'autres malices particulières agit bien sûr injustement selon l'injustice légale, mais cependant il n'agit pas en avare, à savoir de manière à prendre de ce qui appartient à un autre. Par exemple, quand un soldat laisse tomber son bouclier à la guerre par lâcheté, ou [quand] on dit à quelqu'un des injures par colère, ou [quand] on n'apporte pas d'aide en argent à son ami, à cause du vice d'illibéralité. Et ainsi, les autres malices peuvent exister sans l'avarice, qui est une injustice spéciale. Quelquefois, par ailleurs, c'est le contraire, quand on est fautif par avarice en prenant de ce qui est à un autre, sans pourtant être fautif ni d'après aucune autre malice, ni d'après toutes; en l'étant quand même d'après une malice, ce qui devient évident du fait qu'à cause de cela on est blâmé comme injuste. D'où il devient évident qu'il existe une autre justice, qui est une partie de la vertu, comme une vertu spéciale. Et ainsi aussi il devient évident qu'il existe un injuste qui soit partie de l'injuste légal, lequel est l'injuste commun. |
[73620] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 4 Secundam rationem ponit
ibi, adhuc si hic quidem et cetera. Quae sumitur ex ordine ad finem.
Manifestum est enim quod, si actus unius vitii vel malitiae ordinetur ad
alium finem indebitum, ex hoc ipso sortitur quamdam novam speciem malitiae.
Sit ergo aliquis qui adulterium committat causa lucri, ut scilicet spoliet
mulierem, vel qualitercumque ab ea accipiat. Contingit etiam quandoque quod
aliquis adulterium committit propter concupiscentiam, non quidem ut lucretur,
sed magis apponit aliquid de suo et in rebus suis patitur iacturam; talis
autem proprie videtur esse luxuriosus, quia vitium luxuriae praecipue
ordinatur ad satisfaciendum concupiscentiae. Ille autem qui moechatur ut
accipiat aliena non videtur esse luxuriosus, per se loquendo, quia non
intendit luxuriae finem. Sed magis videtur esse iniustus, quia propter lucrum
contra iustitiam fecit. Sic ergo patet quod iniustitia est quaedam specialis
malitia. |
|
#916. — Il amène une seconde raison (1130a24), qui se tire du rapport à la fin. Il est manifeste en effet que si un acte de vice ou de malice est ordonné à une autre fin indue, il s'en ensuivra par là même une nouvelle espèce de malice. Soit donc quelqu'un qui commet un adultère en vue d'un gain, dans l'idée de dépouiller la femme, ou d'en recevoir quoi que ce soit. Il arrive aussi parfois que l'on commette l'adultère absolument par concupiscence, non pas certes pour en tirer un gain, mais plutôt qu'on y mette de son [bien] et qu'on en subisse préjudice dans ses affaires. C'est celui-là qui paraît être proprement luxurieux à strictement parler, parce que le vice de luxure est proprement ordonné à la satisfaction de la concupiscence. Mais celui qui adultère pour recevoir de ce qui n'est pas à lui ne paraît pas être luxurieux, à strictement parler, parce qu'il ne cherche pas la fin de la luxure. Mais il paraît plutôt être injuste, parce qu'il fait un gain contre la justice. Ainsi donc, il devient évident que l'injustice est une malice spéciale. |
[73621] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 5 Tertiam rationem ponit
ibi, adhuc circa alias quidem et cetera. Quae sumitur per comparationem
ad iustitiam legalem. Sicut enim nihil est in genere quod non sit in aliqua
eius specie, ita omne quod fit secundum iniustitiam legalem reducitur ad
quandam particularem malitiam; sicut si aliquis fecit contra legalem
iustitiam moechando, hoc refertur ad vitium luxuriae. Si autem aliquis miles
in bello derelinquat ducem exercitus, reducitur hoc ad malitiam timiditatis.
Si autem inordinate percussit proximum, hoc reducitur ad malitiam irae. Si
vero aliquis inordinate lucratus est surripiens aliena, hoc non reducitur ad
aliquam aliam malitiam, sed ad solam iniustitiam. Unde relinquitur quod sit
quaedam iniustitia particularis, praeter aliam iniustitiam quae est tota
malitia. Et eadem ratione est alia
iustitia particularis praeter iustitiam legalem quae est tota virtus. |
|
#917. — Il amène une troisième raison (1130a28). Et il la prend par comparaison à la justice légale. Comme, en effet, il n'y a rien dans un genre qui ne soit dans quelque espèce, de même tout ce qui se fait selon l'injustice légale se réduit à une malice particulière. Si on agit contre l'injustice légale en adultérant, cela se réfère au vice de luxure. Si par ailleurs un soldat à la guerre abandonne le chef de l'armée, on induit cela à la malice de lâcheté. Si ensuite on frappe indûment son prochain, cela se réduit à la malice de colère. Mais si on a gagné indûment, en s'emparant de biens non à soi, cela ne se réduit pas à une autre malice, mais à la seule injustice. D'où il reste qu'il existe une injustice particulière, à côté de l'autre injustice qui est toute la malice. Et pour la même raison, il existe une autre justice particulière, à côté de la justice légale, qui est toute la vertu. |
[73622] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 6 Deinde cum dicit: univoca
etc., ostendit quare huiusmodi particularis virtus etiam iustitia nominetur.
Et circa hoc duo facit. Primo enim assignat rationem huius ex convenientia
particularis iustitiae cum legali. Secundo ostendit differentiam inter ea,
ibi: sed haec quidem et cetera. Dicit ergo primo quod iniustitia particularis
est univoca, id est conveniens in nomine cum iniustitia legali, et hoc ideo
quia conveniunt in diffinitione secundum idem genus, in quantum scilicet
utraque est in eo quod est ad alterum: licet iustitia legalis attendatur in
ordine ad aliud quod est bonum commune, iustitia autem particularis ordinatur
ad alterum quod pertinet ad aliquam personam privatam. |
|
#918. — Ensuite (1130a34), il montre pourquoi une vertu particulière de la sorte se nomme aussi justice. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il en assigne la raison à la convenance de la justice particulière avec la légale. En second, il montre la différence entre elles (1130b2). Il dit donc en premier que la justice particulière est univoque, c'est-à-dire qu'elle convient de nom avec la légale. Et cela bien sûr parce qu'elles conviennent en définition quant au même genre, en tant que l'une et l'autre visent ce qui concerne autrui: bien que la justice légale soit attendue en rapport à quelque chose qui soit un bien commun, la justice particulière, par ailleurs, est ordonnée à un autre [en rapport à quelque chose] qui appartienne à une personne privée. 167 |
[73623] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 7 Deinde cum dicit: sed haec
quidem etc., ostendit differentiam utriusque iniustitiae ex parte materiae.
Et dicit quod iniustitia particularis est circa illa, secundum quae
attenditur communicatio inter homines; sicut honor et pecunia et ea quae
pertinent ad salutem vel dispendium corporis, et circa alia huiusmodi. Est
etiam particularis iniustitia non solum circa res exteriores, sed etiam
propter delectationem quae consequitur ex lucro, per quod scilicet aliquis
accipit aliena ultra quam debeat. Sed iustitia legalis et iniustitia est
universaliter circa totam materiam moralem, qualitercumque potest aliquis
circa aliquid dici studiosus vel virtuosus. |
|
#919. — Ensuite (1130b2), il montre la différence entre l'une et l'autre justice et injustice du côté de leur matière. Et il dit que la justice particulière porte sur ce où on attend de la communication parmi les hommes; comme l'honneur et l'argent et ce qui appartient au salut comme à la perte du corps, et sur autre chose de la sorte. La justice particulière ne porte pas seulement sur les choses extérieures, mais vise aussi le plaisir qui s'ensuit du gain, à cause de quoi on prend le bien des autres plus qu'on ne doit. Mais la justice et l'injustice légale porte universellement sur toute matière morale, de quelque manière qu'on puisse être dit honnête ou vertueux à propos de quelque chose. |
[73624] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 8 Deinde cum dicit: quoniam
quidem igitur etc., epilogat quae dicta sunt, et ostendit quid restat
dicendum. Et primo proponit hoc in generali. Secundo resumit in speciali,
ibi, determinatum est utique et cetera. Dicit ergo primo quod manifestum est
ex praemissis, quod sunt plures iustitiae, scilicet legalis et aequalis; et
quod praeter iustitiam legalem quae est tota virtus, est quaedam alia
particularis iustitia. Sed quae et qualis sit, posterius determinandum est. |
|
#920. — Ensuite (1130b6), il épilogue ce qui a été dit et montre ce qu'il reste à dire. Et en premier il propose cela en général. En second, il le reprend en détail (1130b8). Il est donc dit en premier qu'il est manifeste à partir de ce qui a été dit qu'il existe plusieurs justices, à savoir la légale et l'égale; et qu'à côté de la justice légale, qui est la vertu entière, il existe une autre justice particulière. Mais quelle est-elle, et de quelle [nature], c'est à déterminer ensuite. |
[73625] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 9 Deinde cum dicit
determinatum est utique etc., ostendit in particulari quid sit dictum et quid
restat dicendum. Et primo resumit id quod dictum est de divisione iusti et
iniusti. Et dicit quod determinatum est supra quod iniustum dicitur illegale
et inaequale, sive in plus sive in minus, sed iustum dicitur e contrario
legale et aequale. |
|
#921. — Ensuite (1130b8), il montre en particulier ce qui a été dit et ce qu'il reste à dire. Et en premier il reprend ce qui a été dit à propos de la division de la justice et de l'injustice. Et il dit qu'on a déterminé qu'est dit injuste à la fois l'illégal et l'inégal, soit en plus, soit en moins. Et qu'au contraire est dit juste le légal et l'égal. |
[73626] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 10 Secundo ibi: secundum
quidem igitur etc., resumit quod secundum duplex iustum est duplex iustitia.
Et dicit quod secundum iniustum illegale est quaedam iniustitia, de qua supra
dictum est quod est omnis malitia. Et similiter secundum iustum legale est
quaedam iustitia legalis quae est omnis virtus. Sed quia iniustum inaequale
et iniustum illegale non sunt penitus idem, sed alterum se habet ad alterum
ut pars ad totum, ita scilicet quod omne iniustum inaequale est illegale, sed
non convertitur, et iterum omne iniustum quod se habet ut in plus est
inaequale, sed non convertitur, quia est etiam quaedam iniustitia inaequalis
in hoc quod est habere minus de malis; quia (inquam) unum iniustum est pars
alterius iniusti et non sunt penitus idem, ideo similiter iniustitia quae
dicitur inaequalitas non est penitus idem cum iniustitia illegali; sed
comparatur ad ipsam ut pars ad totum; et similiter comparatur iustitia
aequalitatis ad iustitiam legalem. |
|
#922. — En second (1130b9), il reprend ce qu'il a dit, à savoir que comme le juste est double, de même double est la justice. Et il dit que d'après l'injuste illégal il y a une injustice, dont on a dit plus haut qu'elle est toute malice. Et semblablement, d'après le juste légal il y a une justice légale, qui est toute vertu. Mais l'injuste inégal et l'injuste illégal ne sont pas tout à fait la même [chose]; plutôt, l'un se rapporte à l'autre comme la partie au tout, de sorte que tout injuste inégal est illégal, mais cela ne se convertit pas; en outre, tout ce qui tient lieu de plus est inégal, mais cela ne se convertit pas, parce qu'il y a aussi une injustice inégale à avoir moins [que sa part] de mal. Comme un injuste est partie de l'autre injuste et qu'ils ne sont pas tout à fait la même [chose], en conséquence, et de manière semblable, l'injustice qui est dite inégalité n'est pas tout à fait la même que l'injustice illégale; mais elle lui est comparée comme la partie au tout; et la justice d'égalité est comparée de manière semblable à la justice légale. |
[73627] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3
n. 11 Tertio ibi, itaque de ea
etc., ostendit de qua harum sit agendum. Et circa hoc tria facit. Primo dicit
quod agendum est infra de iustitia particulari et similiter de iusto et
iniusto particulariter dicto. |
|
#923. — En troisième (1130b16), il montre de laquelle d'entre elles il y a lieu de traiter. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il dit qu'on doit traiter maintenant de la justice particulière, et semblablement du juste et de l'injuste pris particulièrement. |
[73628] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3 n. 12 Secundo ibi: secundum quidem igitur etc., ostendit quod
non est hic agendum de iustitia legali. Et dicit quod dimittenda est ad
praesens iustitia legalis quae ordinatur secundum totam virtutem, in quantum
scilicet ad eam pertinet usus totius virtutis ad alium. Et similiter dimittenda est iniustitia ei opposita ad
quam pertinet usus totius malitiae. Manifestum est enim quomodo debeat
determinari id quod dicitur iustum vel iniustum, secundum huiusmodi iustitiam
vel iniustitiam, quia ea sunt quae determinantur lege. Maior enim pars
legalium praeceptorum praecipiuntur secundum quod convenit toti virtuti, in
quantum scilicet lex praecipit vivere secundum unamquamque virtutem, et
prohibet vivere secundum quamcumque malitiam. Sunt vero quaedam lege
determinata quae non pertinent directe ad usum alicuius virtutis, sed ad
aliquam dispositionem exteriorum bonorum. |
|
#924. — En second (1130b18), il montre qu'il n'y a pas lieu ici de traiter de la justice légale. Et il dit qu'on doit mettre de côté pour le moment la justice légale, qui a rapport à toute la vertu, pour autant qu'il lui appartient d'user de toute vertu en rapport à autrui. Et de manière semblable, on doit mettre de côté l'injustice qui lui est opposée, en tant qu'il lui appartient d'user de toute malice. C'est manifeste, en effet, comment on doit déterminer ce qui est dit juste ou injuste, d'après la justice ou l'injustice de cette sorte, parce que c'est cela qui est déterminé par la loi. La majeure partie en effet des préceptes légaux sont prescrits dans leur convenance à toute vertu, pour autant que la loi prescrit de vivre en accord à toute vertu, et défend de vivre en accord à toute malice. Il y a toutefois des [choses] déterminées par la loi et qui n'appartiennent pas directement à l'usage d'une vertu, mais à quelque disposition des biens extérieurs. |
[73629] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3 n. 13 Tertio ibi: factiva autem totius etc., movet quandam
dubitationem. Manifestum est enim quod illa quae sunt lege posita sunt
factiva totius virtutis secundum disciplinam qua instruitur homo in ordine ad
bonum commune. Est autem quaedam alia disciplina secundum quam instruitur homo ad
actus virtutum secundum quod competit singulariter sibi in respectu scilicet
ad proprium bonum, in quantum per hoc homo efficitur bonus in seipso. Potest
ergo esse dubitatio, utrum huiusmodi disciplina pertineat ad politicam, vel
ad aliquam aliam scientiam. |
|
#925. — En troisième (1130b25), il soulève une difficulté. Il est en effet manifeste que les [choses] fixées par la loi sont agentes de toute vertu, dans leur ligne d'éducation, qui consiste à ce qu'on soit instruit en rapport au bien commun. Or il y a une autre ligne d'éducation d'après laquelle on est instruit aux actes de la vertu selon qu'elle concerne chacun un à un, à savoir en regard de son bien propre, dans la mesure où par lui on est rendu bon en soi-même. Il peut donc y avoir doute, à savoir si une ligne d'éducation de cette sorte appartient à la politique ou à une autre science. |
[73630] Sententia Ethic., lib. 5 l. 3 n. 14 Et hoc dicit, posterius esse determinandum, scilicet in
libro politicae. In tertio enim libro politicae ostenditur quod non est idem
esse simpliciter virum bonum et esse civem bonum, secundum quamcumque
politiam. Sunt enim quaedam politiae, non rectae, secundum quas aliquis
potest esse civis bonus, qui non est vir bonus; sed secundum optimam politiam
non est aliquis civis bonus qui non est vir bonus. |
|
#926.
— Et il dit que ce sera à déterminer plus tard, à savoir dans le livre de la Politique.
Dans le troisième livre de la Politique, en effet, il est montré
que ce n'est pas strictement la même [chose] d'être un homme bon et d'être un
bon citoyen, en rapport à n'importe quelle constitution. Il y a en effet des
constitutions, qui ne sont pas droites, en regard desquelles on peut être un
bon citoyen sans être un 168 homme bon; mais
en regard de la meilleure constitution, on n'est pas un bon citoyen, si on
n'est pas un homme bon. |
|
|
|
Lectio
4 |
|
Leçon 4
|
[73631] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 1 Eius autem quae secundum partem et cetera. Postquam
philosophus distinxit iustitiam particularem a iustitia legali, hic incipit
de iustitia particulari determinare, praetermissa legali. Et dividitur in
partes duas. In prima determinat de iustitia particulari in communi per
comparationem ad proprium obiectum; in secunda applicando ad subiectum, ibi:
quia autem est iniustum facientem et cetera. Circa primum duo facit. Primo
dividit iustitiam particularem. Secundo ostendit qualiter in ea accipiatur
medium, ibi, quia autem et iniustus inaequalis et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit unam speciem particularis iustitiae. Et dicit, quod una
species eius, et similiter iusti, quod secundum ipsam dicitur, est illa, quae
consistit in distributionibus aliquorum communium, quae sunt dividenda inter
eos qui communicant civili communicatione: sive sit honor, sive sit pecunia,
vel quicquid aliud ad bona exteriora pertinens, vel etiam ad mala; sicut
labor, expensae et similia. Et quod hoc pertineat ad particularem iustitiam,
probat, quia in talibus contingit accipere (unius ad alterum) aequalitatem
vel inaequalitatem unius ad alterum, quae pertinent ad iustitiam vel
iniustitiam particularem, ut supra dictum est. |
|
#927. — Après avoir distingué la justice particulière de la justice légale, le Philosophe commence ici à déterminer de la justice particulière, laissant tomber la [justice] légale. Et cela se divise en deux parties. Dans la première, il détermine de la justice particulière en commun, par le biais d'une comparaison avec son objet propre (1130b30). Dans la seconde, en l'appliquant à son sujet (1134a17). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il divise la justice particulière. En second, il montre de quelle manière on y reçoit le milieu (1131a10). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il pose une espèce de la justice particulière. Et il dit qu'une espèce à elle, et, de manière semblable, [une espèce] du juste qui se dit d'après elle, c'est celle qui consiste en distributions de [choses] communes, qui sont à diviser entre ceux qui sont unis par une communion civile: que ce soit de l'honneur, que ce soit de l'argent, ou n'importe quoi d'autre en rapport aux biens extérieurs, ou même aux maux, comme du travail, des dépenses et des [choses] semblables. Et que cela appartient à la justice particulière, il le prouve dans le fait qu'en de telles [choses] il s'agit de regarder l'égalité ou l'inégalité de chacun à chacun, ce qui appartient à la justice ou à l'injustice particulière, comme on l'a dit plus haut. |
[73632] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 2 Secundo ibi: una autem etc., ponit secundam speciem
particularis iustitiae. Et dicit, quod una alia species particularis
iustitiae est, quae constituit rectitudinem iustitiae in commutationibus,
secundum quas transfertur aliquid ab uno in alterum; sicut prima species
iustitiae attendebatur secundum quod transfertur aliquid a communi ad
singulos. |
|
#928. — En second (1130b33), il pose une deuxième espèce de la justice particulière. Et il dit qu'une autre espèce de la justice particulière consiste à constituer la rectitude de la justice dans les échanges par lesquels on transfère quelque chose d'une [personne] à une autre; comme la première espèce de justice se prenait selon qu'on transfère quelque chose du commun aux singuliers. |
[73633] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 3 Tertio ibi: huius autem partes etc., subdividit
iustitiam commutativam secundum differentiam commutationum. Et hoc
dupliciter. Primo enim dicit, quod iustitiae commutativae sunt duae partes, eo
quod duo sunt genera commutationum. Quaedam enim sunt voluntariae, quaedam
involuntariae. Dicuntur autem voluntariae, propter hoc, quod principium
commutationis est voluntarium ex utraque parte; sicut patet in venditione et
emptione, quibus unus transfert dominium rei suae in alterum propter pretium
inde acceptum. Et in mutatione, secundum quam aliquis rem suam tradit alteri
ut aequale recipiat; et in fideiussione, per quam aliquis voluntarie se
constituit debitorem pro alio. Et in usu, quo aliquis usum rei suae alteri
gratis concedit reservato sibi dominio rei. Et in depositione, per quam
aliquis deponit rem suam apud alium in custodiam. Et in conductione, per quam
aliquis usum rei alienae accipit pro pretio. |
|
#929. — En troisième (1131a1), il subdivise la justice commutative d'après une distinction entre les échanges. Et cela de deux manières. En premier, en effet, il dit qu'il y a deux parties à la justice commutative, du fait qu'il y a deux genres d'échanges. Car certains sont volontaires, d'autres involontaires. On les dit volontaires, par ailleurs, du fait que le principe de l'échange est volontaire d'un côté comme de l'autre; comme c'est évident dans la vente et l'achat, où l'un transfère la possession de sa chose à l'autre pour un prix reçu de lui. Et dans l'échange [strict], où on transmet sa chose à un autre de façon à en recevoir une égale. Et dans la caution, où on se constitue volontairement débiteur à la place d'un autre. Et dans l'usage, où on concède gratuitement l'usage de sa chose à un autre, en s'en réservant la possession. Et dans le dépôt, où on dépose sa chose en garde auprès d'un autre. Et dans la location, où, pour un prix, on acquiert l'usage de la chose d'un autre. |
[73634] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 4 Secundo ibi, involuntariarum autem etc., subdividit
alterum membrum commutationum. Et dicit, quod involuntariarum commutationum
quaedam sunt occultae, sicut furtum, quo aliquis accipit rem alterius eo
invito; moechia, idest adulterium, quo aliquis occulte accedit ad
uxorem alterius. Veneficium, quando scilicet aliquis occulte alteri venenum
procurat, vel ad occidendum, vel ad laedendum qualitercumque, unde et magi
venefici dicuntur, inquantum per aliqua maleficia occulte hominum nocumenta
procurant; paragogia, idest derivatio vel deductio; puta cum aliquis
occulte derivat aquam alterius ad alium locum; servi seductio, cum scilicet
aliquis servum alterius seducit, ut a domino suo fugiat. Dolosa occisio, quae
scilicet fit per vulnera fraudulenter illata. Falsum testimonium, quo
scilicet aliquis veritatem occultat mendacio. Quaedam vero sunt involuntariae
commutationes, quae fiunt per violentiam manifestam; sive aliquis inferat
violentiam in personam verberando vel ligando vel occidendo; sive etiam in
res, puta rapiendo bona, vel orbando parentes per occisionem filiorum, sive
etiam inferatur violentia in famam, quod fit accusando, et iniurias sive
contumelias irrogando. |
|
#930. — En second (1131a5), il subdivise l'autre membre des échanges. Et il dit que parmi les échanges involontaires certains sont cachés, comme le vol, où on prend la chose d'un autre à son insu. L'adultère, où on s'approche en cachette de la femme de l'autre. L'empoisonnement, quand on procure en cachette du poison à quelqu'un, soit pour le tuer, soit pour le blesser de quelque manière. Aussi est-on davantage qualifié d'empoisonneur dans la mesure où par quelque maléfice on procure en cachette l'homicide ou du dommage. Le détournement, c'est-à-dire la dérivation ou l'extraction; come lorsqu'on dirige en cachette l'eau d'un autre vers un autre lieu. La séduction d'esclave, lorsqu'on séduit l'esclave d'un autre, de façon à lui faire fuir son maître. Le meurtre avec trahison, qui se fait par le moyen de blessures portées traîtreusement. Le faux témoignage, où on cache la vérité par un mensonge. Mais il y a d'autres échanges involontaires qui se font avec une violence manifeste: soit que l'on porte violence à la personne, en la frappant, en l'attachant ou en la tuant; soit même pour les choses, par exemple en prenant les biens d'un autre, en affligeant des parents par l'homicide de leurs enfants, soit aussi qu'on porte violence par une infamie, ce qui se fait en accusant, et par des injures ou en prononçant des paroles outrageantes. 169 |
[73635] Sententia
Ethic., lib. 5 l. 4 n. 5 Est autem considerandum quod voluntarium et
involuntarium in commutationibus diversificat iustitiae speciem; quia in
commutationibus voluntariis fit subtractio solius rei, quam oporteat
recompensari secundum aequalitatem iustitiae. In commutationibus autem
involuntariis fit etiam quaedam iniuria. Unde raptor non solum compellitur
reddere rem quam rapuit, sed etiam ultra punitur propter iniuriam quam
intulit. Et quia involuntarium est duplex: scilicet per violentiam et per
ignorantiam, ut in tertio dictum est, ideo involuntarias commutationes
dividit in occultas, quasi per ignorantiam factas, et in eas quae manifeste
per violentiam fiunt. |
|
#931. — On doit en effet tenir compte que le volontaire et l'involontaire dans les échanges diversifie l'espèce de la justice; car dans les échanges volontaires se produit la soustraction de la seule chose qui est à compenser selon l'égalité de la justice. Mais dans les échanges involontaires se produit aussi une injure. Aussi le ravisseur n'est pas seulement tenu de rendre la chose qu'il a ravie, mais doit aussi être puni en plus, pour l'injure qu'il a portée. Et comme l'involontaire est double, à savoir par violence et par ignorance, comme on l'a dit dans le troisième [livre], aussi il divise les échanges involontaires en cachés, comme faits par ignorance, et en ceux qui se font manifestement, par violence. |
[73636] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit: quia autem et iniustus etc., ostendit
qualiter medium in praedictis accipiatur. Et circa hoc duo facit. Primo
ostendit quomodo iustum sit medium. Secundo, quomodo iustitia sit medium,
ibi, determinatis autem his et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit
quomodo determinetur iustum in medio existens secundum utramque iustitiam.
Secundo excludit errorem, ibi, videtur autem aliquibus et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit, quomodo accipiatur iustum in medio,
secundum iustitiam distributivam; secundo quomodo accipiatur secundum
iustitiam commutativam, ibi, reliqua autem una et cetera. Circa primum duo
facit. Primo probat, quod medium iustitiae distributivae accipiatur secundum
quamdam proportionalitatem. Secundo ostendit qualis sit illa
proportionalitas, ibi: est ergo iustum proportionale et cetera. Circa primum
duo facit. Primo ostendit propositum ex ipsa ratione iustitiae. Secundo ex
ratione dignitatis, ibi, adhuc ex eo et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit ex ipsa ratione iustitiae, quod iustum sit quoddam medium. Secundo
ostendit quod sit medium, secundum aliquam proportionalitatem, ibi, est autem
aequale et cetera. |
|
#932. — Ensuite (1131a10), il montre de quelle manière on prend le milieu dans ce dont on a parlé. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment le juste est un milieu. En second, comment la justice est un milieu (1133b30). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment le juste se déterminera par un milieu selon l'une et l'autre justice. En second, il exclut une erreur (1132b21). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment le juste est pris d'après un milieu dans la justice distributive. En second, dans la justice commutative (1131b25). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il prouve que le milieu de la justice distributive est pris d'après une proportionnalité. En second, il montre de quelle [nature] est cette proportionnalité (1131a29). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos à partir de la définition même de la justice. En second, à partir de la définition de la dignité (1131a24). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre à partir de la définition même de la justice que le juste est un milieu. En second, il montre qu'il est un milieu selon une proportionnalité (1131a15). |
[73637] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 7 Dicit ergo primo, quod sicut supradictum est, iniustus
est inaequalis, et iniustum est inaequale, et secundum plus et secundum
minus. In quibuscumque autem est plus et minus, ibi oportet accipere aequale.
Aequale enim est medium inter plus et minus. Unde in quibuscumque est
invenire aequalitatem, ibi est invenire medium. Patet ergo quod, si iniustum
est quiddam inaequale, quod iustum sit quiddam aequale, et hoc etiam absque omni
ratione probante est omnibus manifestum, quod scilicet iustum est quoddam
aequale. Quia ergo aequale est medium inter plus et minus, ut dictum est:
consequens est, quod iustum sit quoddam medium. |
|
#933. — Il dit donc en premier que, comme il a été dit plus haut, celui qui est injuste est inégal, et que la [chose] injuste est inégale, tant en plus qu'en moins. Or partout où il y a plus et moins, il doit y avoir égal. L'égal est en effet le milieu entre plus et moins. Aussi, partout où il y a lieu de trouver de l'égalité, il y a lieu de trouver un milieu. Il devient donc évident que l'injuste est une sorte d'inégal et le juste une sorte d'égal. Et cela, même sans aucune raison probante, est manifeste à tous, à savoir que le juste est une sorte d'égal. Parce que donc l'égal est le milieu entre plus et moins, comme il a été dit, il s'ensuit que le juste soit un milieu. |
[73638] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 8 Deinde cum dicit: est autem aequale etc., ostendit quod
iustum sit medium, secundum aliquam proportionalitatem. Et ad hoc probandum
assumit, quod aequale ad minus consistit in duobus, inter quae consideratur
aequalitas. Cum ergo iustum sit et medium et aequale, oportet quidem quod
inquantum est iustum, sit ad aliquid, idest per respectum ad alterum,
ut ex supra dictis patet; in quantum autem est aequale, sit in quibusdam
rebus, secundum quas scilicet attenditur aequalitas inter duas personas. Et
sic patet quod si consideremus iustum inquantum est medium, sic est medium
inter duo, quae sunt plus et minus; inquantum est autem aequale, oportet quod
sit duarum rerum: sed inquantum est iustum, oportet quod sit aliquorum ad
aliquos alios, quia iustitia ad alterum est. Plus autem et minus respicit
iustitia secundum quod est medium, velut quaedam extrinseca, sed duas res et
duas personas respicit quasi intrinseca, in quibus scilicet constituitur
iustitia. Sic ergo patet, quod necesse est iustum ad minus in quatuor
consistere: duo enim sunt homines, quibus observatur iustitia, et duae sunt
res in quibus eis iustitia fit. |
|
#934. — Ensuite (1131a15), il montre que le juste est un milieu selon une proportionnalité. Et pour prouver cela, il assume que l'égal consiste en au moins deux [choses] dont on considère l'égalité. Comme donc le juste est à la fois milieu et égal, il faut bien sûr qu'en tant qu'il est juste, il ait rapport à quelque chose, c'est-à-dire à autrui, comme il est manifeste de par ce qui a été dit; et en tant qu'il est égal, [il faut qu']il soit en de certaines choses, dans la mesure où on y attend une égalité entre deux personnes. Et ainsi, il devient évident que si nous considérons le juste en tant qu'il est milieu, ainsi il est milieu entre deux [choses], qui sont le plus et le moins; et en tant qu'il est égal, il faut qu'il le soit de deux choses: mais en tant qu'il est juste, il faut qu'il soit de certains à certains autres, parce que la justice est envers autrui. Par ailleurs, la justice regarde le plus et le moins pour autant qu'elle est un milieu, mais comme des [choses] extrinsèques [à elle], mais elle regarde deux choses et deux personnes comme intrinsèques, à savoir qu'en celles-ci est constituée la justice. Ainsi donc devient évident qu'il est nécessaire que le juste consiste au moins en quatre [choses]: car deux [d'entre elles] sont des hommes, entre qui est observée la justice; et deux sont les choses en lesquelles il est fait justice pour eux. |
[73639] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 9 Et oportet ad rationem iustitiae, quod sit eadem
aequalitas personarum quibus fit iustitia et rerum in quibus fit: ut scilicet
sicut se habent res ad invicem, ita et personae: alioquin non habebunt
aequalia sibi. Sed ex hoc fiunt pugnae et accusationes quasi sit iustitia
praetermissa; quia vel aequales non recipiunt aequalia in distributione
bonorum communium, vel non aequalibus dantur aequalia; puta si inaequaliter
laborantibus dantur aequalia stipendia vel aequaliter laborantibus dentur
inaequalia. Sic igitur patet quod medium distributivae iustitiae accipitur
secundum proportionalitatem quandam. |
|
#935. — Et il est requis par la définition de la justice qu'il y ait la même égalité entre les personnes entre qui se fait la justice et entre les choses dans lesquelles elle est faite: de sorte que comme ont rapport les choses entre elles, ainsi aussi les personnes: autrement, elles ne seront pas égales entre elles. Au contraire, les querelles et les accusations se produisent de cela, comme si la justice était oubliée: parce que ou bien on ne reçoit pas des [parts] égales dans la distribution des biens communs, ou des [parts] égales ne sont pas données à des [personnes] égales: par exemple si on donne des salaires égaux à des ouvriers qui ont travaillé inégalement, ou si on donne des [parts] inégales à des 170 ouvriers qui ont travaillé également. Ainsi donc, il devient évident que le milieu de la justice distributive est pris selon une proportionnalité. |
[73640] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 10 Deinde cum dicit: adhuc ex eo etc., ostendit idem
secundum rationem dignitatis. Et dicit quod etiam ex ratione dignitatis manifestum
est quod iustum consistit in quadam proportionalitate. Sic enim aliquid
dicitur esse iustum in distributionibus in quantum unicuique datur secundum
dignitatem, id est prout cuique dignum est dari, in quo designatur
proportionalitas quaedam, ut scilicet ita hoc sit dignum uni sicut aliud est
dignum alteri. |
|
#936. — Ensuite (1131a24), il montre la même [chose] pour une raison de dignité; et il dit que même à partir d'une raison de dignité il est manifeste que le juste consiste en une proportionnalité. Car on dit que quelque chose est juste dans les distributions pour autant qu'est donné à chacun selon sa dignité, dans la mesure où il est digne que soit donné à chacun. Et en cela on désigne une proportionnalité; à savoir que telle [chose] soit digne pour l'un comme telle autre est digne pour l'autre. |
[73641] Sententia Ethic., lib. 5 l. 4 n. 11 Non tamen dignitatem distributionis omnes secundum idem
attendunt; sed in democratica politia, in qua scilicet plebs dominatur,
attenditur dignitas secundum libertatem, quia enim plebei sunt aequales aliis
in libertate, ideo reputant dignum esse ut aequaliter eis principentur; sed
in oligarchica politia, in qua aliqui pauci principantur, mensuratur dignitas
secundum divitias vel secundum nobilitatem generis, ut scilicet illi qui sunt
excellentiores genere vel divitiis plus habeant de bonis communibus; sed in
politia aristocratica in qua aliqui principantur propter virtutem, mensuratur
dignitas secundum virtutem; ut scilicet ille plus habeat qui plus abundat in
virtute. Et sic patet quod medium iustitiae distributivae accipitur secundum
proportionalitatem. |
|
#937.
— Cependant, tous n'attendent pas la dignité de la distribution selon la même
[chose]: mais dans une constitution démocratique, à savoir dans laquelle tous
dominent, on attend la dignité d'après la liberté. En effet, comme les gens
du peuple sont égaux aux autres en liberté, ils pensent digne que l'égalité
leur soit distribuée. Mais dans une constitution oligarchique, dans laquelle
quelques-uns peu nombreux gouvernent, on mesure la dignité selon les
richesses, ou selon la noblesse de la naissance; de sorte que ceux qui sont
plus excellents par la naissance ou par les richesses ont plus des biens
communs. Mais dans une constitution aristocratique, dans laquelle on gouverne
à cause de sa vertu, on mesure la dignité d'après la vertu; de sorte que
celui-là a plus qui abonde plus en vertu. Ainsi appert-il que le milieu de la
justice distributive se prend selon une proportionnalité. |
|
|
|
Lectio
5 |
|
Leçon 5
|
[73642] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 1 Est ergo iustum
proportionale et cetera. Postquam philosophus ostendit quod medium iustitiae
distributivae accipitur secundum proportionalitatem quandam, hic ostendit
secundum quam proportionalitatem accipiatur et quomodo. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit quomodo iustum accipiatur secundum quamdam
proportionalitatem. Secundo ostendit quomodo iniustum praeter illam
proportionalitatem accipiatur, ibi, iustum quidem igitur et cetera. Circa
primum tria facit. Primo praemittit quaedam de proportionalitate in communi.
Secundo ostendit quomodo iustum distributivum in proportionalitate quadam
consistit, ibi, est autem et iustum in quatuor et cetera. Tertio ostendit
qualis sit proportionalitas secundum quam attenditur iustum in distributiva
iustitia, ibi: vocant autem talem et cetera. Circa primum praemittit duo.
Quorum primum, est quod non inconvenienter iustum dicitur esse secundum
proportionalitatem; quia proportionalitas non solum invenitur in numero
unitatum qui est numerus simpliciter, et hic vocatur numerus monadicus;
sed universaliter invenitur proportionalitas in quibuscumque invenitur
numerus. |
|
#938. — Après avoir montré que le milieu de la justice distributive se prend selon une proportionnalité, le Philosophe montre ici selon quelle proportionnalité il se prend et comment. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment le juste se prend selon une proportionnalité (1131a29). En second, il montre comment l'injuste se prend en dehors de cette proportionnalité (1131b16). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il amène certains [points] concernant de manière commune la proportionnalité. En second, il montre comment le juste consiste en une proportionnalité (1131b3). En troisième, il montre de quelle [nature] est la proportionnalité selon laquelle on attend le juste dans la justice distributive (1131b12). Sur le premier [point], il amène deux [considérations]. Et la première en est qu'il n'est pas inconvenant de dire que l'injuste va selon une proportionnalité; parce que la proportionnalité ne se trouve pas seulement dans un nombre d'unités qui est strictement un nombre, et qu'il appelle ici nombre monadique; mais universellement, on trouve de la proportionnabilité partout où on trouve du nombre. |
[73643] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 2 Et hoc ideo quia
proportionalitas nihil est aliud quam aequalitas proportionis, cum scilicet
aequalem proportionem habet hoc ad hoc, et illud ad illud. Proportio autem
nihil est aliud quam habitudo unius quantitatis ad aliam. Quantitas autem
habet rationem mensurae: quae primo quidem invenitur in unitate numerali, et
exinde derivatur ad omne genus quantitatis, ut patet in X metaphysicae; et
ideo numerus primo quidem invenitur in numero unitatum: et exinde derivatur
ad omne aliud quantitatis genus quod secundum rationem numeri mensuratur. |
|
#939. — Et cela c'est parce que la proportionnalité n'est rien d'autre qu'une égalité de proportion; à savoir lorsque ceci a avec cela la même proportion que celui-ci avec celui-là. Or une proportion n'est rien d'autre que la relation d'une quantité avec une autre. Par ailleurs, la quantité a raison de mesure: et celle-ci se trouve certes en premier dans l'unité numérale, puis se dérive de là à tout genre de quantité, comme il appert au dixième [livre] de la Métaphysique (1052b19). C'est pourquoi le nombre se trouve certes en premier dans le nombre d'unités: et de là il se dérive à tout autre genre de quantité qui se mesure d'après la raison de nombre. |
[73644] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 3 Secundum ponit ibi, et in
quatuor minimis et cetera. Et dicit quod omnis proportionalitas ad minus
consistit in quatuor. Est enim duplex proportionalitas: una quidem disiuncta
et alia continua. Disiuncta quidem proportionalitas est aequalitas duarum
proportionum non convenientium in aliquo termino. Cum ergo omnis proportio
sit inter duo, manifestum est quod proportionalitas disiuncta in quatuor
terminis consistit; ut si dicam: sicut se habet sex ad tria, ita se habet
decem ad quinque; utrobique enim est dupla proportio. Continua autem
proportionalitas est aequalitas duarum proportionum convenientium in uno
termino, puta si dicam: sicut se habet octo ad quatuor, ita quatuor ad duo;
utrobique enim est dupla proportio. In hac igitur continua proportionalitate
sunt quodammodo quatuor termini; inquantum scilicet utimur uno termino ut
duobus, unum terminum bis dicendo, scilicet in utraque proportione, ut si
dicam: quae est proportio a ad b, puta octo ad quatuor, eadem est proportio b
ad c, id est quatuor ad duo; sic igitur b dicitur bis; unde, quamvis b sit
unum subiecto; quia tamen accipitur ut duo, erunt quatuor proportionata. |
|
#940. — Il amène alors la deuxième [considération] (1131a31). Il dit que toute proportionnalité consiste en au moins quatre [termes]. La proportionnalité, en effet, est double: l'une est disjointe et l'autre continue. La proportionnalité disjointe est une égalité entre deux proportions qui ne se rejoignent en aucun terme. Comme donc toute proportion se fait entre deux [termes], il est manifeste que la proportionnalité disjointe consiste en quatre [termes]; par exemple, le rapport que six entretient avec trois, dix l'entretient avec cinq: dans l'un et l'autre cas, en effet, il y a proportion double. Tandis que la proportionnalité continue est une égalité entre deux proportions qui se rejoignent en un terme. Par exemple, le rapport que huit entretient avec quatre, quatre l'entretient avec deux: dans l'un et l'autre cas, en effet, la proportion est double. Dans cette proportionnalité continue donc, il y a d'une certaine façon quatre termes; pour autant, c'est-à-dire, que nous utilisons un 171 terme en lieu de deux, en disant un terme deux fois, à savoir dans l'une et l'autre proportion, comme par exemple: la proportion de A à B, c'est-à-dire de huit à quatre, se retrouve la même de B à C, c'est-a-dire de quatre à deux. Dans l'un et l'autre cas, en effet, il y a double. Ainsi donc, B est dit deux fois. Aussi, bien que B soit unique comme sujet, comme cependant il est reçu comme s'il y en avait deux, il y aura quatre [termes] mis en proportion. |
[73645] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 4 Deinde cum dicit: est
autem et iustum etc., ostendit quomodo secundum proportionalitatem medium
distributivae iustitiae accipiatur. Et dicit quod sicut proportionalitas, ita
et iustum ad minus in quatuor invenitur, in quibus attenditur eadem
proportio; quia scilicet secundum eamdem proportionem dividuntur res quae
distribuuntur et personae quibus distribuuntur. Sit ergo a unus terminus,
puta duae librae: b autem sit una libra, g autem sit una persona, puta sortes
qui duobus diebus laboravit. D autem sit Plato qui uno die laboravit. Sicut
ergo se habet a ad b, ita se habet g ad d, quia utrobique invenitur dupla
proportio; ergo et permutatim, sicut a se habet ad g, ita se habet b ad d,
quaecumque enim sunt ad invicem proportionalia, etiam permutatim
proportionalia sunt; sicut in praedicto exemplo: sicut se habet decem ad
quinque, ita octo ad quatuor. Ergo commutatim, sicut se habet decem ad octo,
ita se habet quinque ad quatuor: utrobique est sesquiquarta proportio; sic
ergo permutatim verum erit dicere quod, sicut se habet a ad g, idest duae
librae ad eum qui duobus diebus laboravit, ita b ad d, idest una libra ad eum
qui uno die laboravit. |
|
#941. — Ensuite (1131b3), il montre comment le milieu de la justice distributive se prend selon une proportionnalité. Et il dit que comme la proportionnalité, de même aussi le juste se trouve dans au moins quatre [termes] entre lesquels on attend la même proportion; car c'est selon la même proportion que se divisent les choses qui sont distribuées et les personnes auxquelles elles sont distribuées. Soit donc A un terme, par exemple deux livres; B soit une livre, G soit une personne, par exemple Socrate qui a travaillé deux jours. D enfin soit Platon, qui a travaillé un jour. Le rapport que A a avec B, G l'a avec D, car dans les deux cas on trouve une proportion double; donc, réciproquement, comme A a rapport à G, de même B à D. Par ailleurs, toutes choses proportionnables entre elles le sont aussi réciproquement, comme il appert de l'exemple précédent: le rapport que dix entretient avec cinq, huit l'entretient avec quatre; il sera donc aussi vrai de dire, réciproquement, que le rapport que A entretient avec G, c'est-à-dire deux livres pour celui qui a travaillé deux jours, B l'entretiendra avec D, c'est-à-dire une livre pour celui qui a travaillé un jour. |
[73646]
Sententia Ethic., lib. 5 l. 5 n. 5 Est etiam in talibus
considerandum quod in his quae sic sunt proportionalia, quae est proportio
unius ad alterum, eadem est proportio totius ad totum. Puta, si quae est
proportio decem ad octo, eadem est proportio quinque ad quatuor, sequitur
ulterius quod quae est proportio decem ad octo et quinque ad quatuor, eadem
etiam sit proportio decem et quinque simul acceptorum quae sunt quindecim, ad
octo et quatuor simul accepta, quae sunt duodecim: quia hic etiam est
sesquiquarta proportio. |
|
#942. — Il y a aussi lieu, en pareilles [choses], de considérer qu'en les [choses] ainsi proportionnelles, la proportion de l'un avec l'autre se retrouve la même du tout au tout. Par exemple, la proportion de dix à huit reste la même de cinq à quatre; il s'ensuit ultérieurement la proportion de dix à huit et de cinq à quatre reste la même de dix et cinq pris ensemble, qui font quinze, avec huit et quatre pris ensemble, qui font douze: parce qu'ici aussi il y a proportion d'une fois et quart. Et d'où [cela vient-il]? de ce que quinze contient douze et sa quatrième partie, soit trois. |
[73647] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 6 Unde et in proposito
sequitur quod, si sicut se habet ista res ad istam personam, ita se habet
illa ad aliam personam; quod etiam ita se habet totum ad totum; idest
utraque res simul accepta ad utramque personam simul acceptam: et hoc est
quod distributio coniungit. Et si ita aliquis distribuendo res hominibus
coniungat, iuste facit. Patet ergo quod coniunctio a cum g, idest rei duplae
cum persona duplo digniore et b cum d, idest dimidii cum dimidio, est iustum
distributivum et tale iustum est medium. Iniustum autem est quod est praeter
hanc proportionalitatem. Proportionale enim est medium inter excessum et
defectum; quia proportionalitas est aequalitas proportionis, ut dictum est.
Et sic iustum, cum sit quoddam proportionale, est medium. |
|
#943. — Pour notre propos, il s'ensuit que si cette chose entretient avec cette personne le même rapport que cette autre chose entretient avec cette autre personne, il en va de même aussi du tout au tout, c'est-à-dire de l'une et l'autre choses prises ensemble avec l'une et l'autre personne prises ensemble: et voilà ce que la distribution met ensemble. Et si en distribuant les choses aux personnes on les met ensemble de cette manière, on agit justement. Il appert dont que la mise de A avec G, c'est-à-dire d'une chose double avec une personne double en dignité, et de B avec D, c'est-à-dire de la moitié avec la moitié, est le juste distributif et qu'un tel juste est un milieu. L'injuste, par ailleurs, se situe en dehors de cette proportionnalité. Le proportionnel, en effet, est le milieu entre l'excès et le défaut; car la proportionnalité est une égalité de proportion, comme il a été dit. Et ainsi, le juste, comme il est un proportionnel, est un milieu. |
[73648] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 7 Deinde cum dicit: vocant
autem talem etc., ostendit qualis sit proportionalitas secundum quam hoc
iustum accipitur. Et circa hoc duo facit. Primo dicit quod praedicta
proportionalitas quae attenditur secundum aequalitatem proportionum, a
mathematicis vocatur geometrica: in qua scilicet accidit quod ita se habet
totum ad totum sicut altera partium ad aliam, ut in praemissis dictum est.
Non autem hoc accidit in proportionalitate arithmetica, de qua infra dicetur.
|
|
#944. — Ensuite (1131b12), il montre de quelle [nature] est la proportionnalité selon laquelle ce juste se prend. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il dit que la proportionnalité dont il s'agit, qui s'attend selon une égalité de proportion, est appelée géométrique par les mathématiciens: à savoir qu'il y arrive que le rapport du tout au tout est comme celui d'une partie à une autre, comme on a dit auparavant. Cela n'arrive pas dans la proportionnalité arithmétique, dont on va parler plus loin. |
[73649] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 8 Secundo ibi: est autem non
continua etc., dicit quod ista proportionalitas quae attenditur in iustitia
distributiva non potest esse continua; quia ex una parte sunt res et ex alia
parte sunt personae. Et ita non potest accipi aliquid quasi terminus
communis, quae sit persona cui datur et res quae datur. |
|
#945. — En second (1131b15), il dit que cette proportionnalité que l'on attend dans la justice distributive ne peut pas être continue; car d'un côté il y a des choses et de l'autre des personnes. Aussi ne peut-on pas trouver de terme commun qui soit à la fois la personne à qui on donne et la chose qui est donnée. |
[73650] Sententia Ethic., lib. 5 l. 5
n. 9 Deinde cum dicit: iustum
quidem igitur etc., agit de iniusto in distributionibus. Et dicit quod, quia
iustum est proportionale, sequitur quod iniustum sit praeter proportionale.
Quod quidem fit, vel in plus vel in minus quam exigat aequalitas
proportionis, ut patet in ipsis operibus iustae vel iniustae distributionis.
Ille enim qui iniustum facit circa bona, plus accipit sibi. Qui autem iniusta
patitur, minus habet. In malis autem est e converso, quia minus malum habet
rationem boni per comparationem ad maius malum: minus enim malum est magis
eligibile, quam maius malum. Unumquodque autem eligitur sub ratione boni. Et
ideo illud quod magis eligitur habet rationem maioris boni. Sic igitur una
species iustitiae est quae dicta est. |
|
#946. — Ensuite (1131b16), il traite de l'injuste dans les distributions. Et il dit que comme le juste est un proportionnable, il s'ensuit que l'injuste soit en dehors du proportionnable: ce qui bien sûr se trouve soit en plus soit en moins que l'exige l'égalité de proportion, comme il appert dans les actes mêmes de la juste ou injuste distribution. Celui, en effet, qui agit injustement face aux biens, en prend plus pour lui. Et celui qui souffre l'injustice en a moins. Mais dans les maux, c'est à l'inverse: car le moindre mal a raison de bien par comparaison au plus grand mal; le moindre mal, en effet, est plus éligible que le plus grand mal. Chacun, en effet, choisit sous la raison de bien. Et c'est pourquoi ce qui est choisi de préférence a raison de plus grand bien. Ainsi donc voilà explicitée l'une des espèces de la justice. 172 |
|
|
|
Lectio
6 |
|
Leçon 6
|
[73651] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6 n. 1 Reliqua autem (una) directivum et cetera. Postquam philosophus
ostendit quomodo accipiatur medium in iustitia distributiva, hic ostendit
quomodo accipiatur medium in iustitia commutativa. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit esse quamdam
speciem iustitiae praeter distributivam. Secundo ostendit differentiam huius
ad illam, ibi, hoc autem iustum et cetera. Tertio ostendit qualiter
accipiatur medium in hac iustitiae specie, ibi, et quemadmodum linea et
cetera. Dicit ergo primo, quod praeter praedictam speciem iustitiae quae
consistit in distributionibus, relinquitur una quae est directiva in
commutationibus, tam voluntariis quam involuntariis. |
|
#947. — Après avoir montré comment se prend le milieu dans la justice distributive, le Philosophe montre ici comment se prend le milieu dans la justice commutative. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'il existe une espèce de justice à côté de la [justice] distributive (1131b25). En second, il montre la différence de celle-ci avec celle-là (1131b26). En troisième, il montre comment se prend le milieu dans cette espèce de justice (1132a25). Il dit donc en premier qu'à côté de l'espèce de justice mentionnée, qui consiste en distributions, il en reste une qui dirige les échanges, tant volontaires qu'involontaires. |
[73652] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6
n. 2 Deinde cum dicit: hoc
autem iustum etc., ostendit differentiam huius speciei ad praemissam. Et
circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit, dicens quod istud iustum
quod consistit in commutationibus, est alterius speciei a supradicto iusto,
quod consistit in distributionibus. |
|
#948. — Ensuite (1131b26), il montre la différence entre cette espèce et la précédente. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention, en disant que ce juste qui consiste en échanges est d'une autre espèce que le juste mentionné plus haut, qui consiste en distributions. |
[73653] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6
n. 3 Secundo ibi, distributivum
quidem enim etc., assignat differentiam. Et primo resumit quid pertineat ad
distributivam iustitiam. Secundo ostendit quid pertineat ad iustitiam
commutativam, ibi, in commutationibus autem et cetera. Dicit ergo primo, quod
iustum supradictum semper est distributivum communium bonorum secundum
supradictam proportionalitatem, scilicet geometricam, quae attenditur
secundum aequalitatem proportionis. Et hoc manifestat; quia si communes
pecuniae civitatis, vel aliquorum hominum debeant distribui in singulos, hoc
erit ita faciendum ut singulis detur aliquid de communi, secundum illam
proportionem secundum quam ipsi intulerunt in commune; puta in
negotiationibus, quantum aliquis plus posuit in societatem, tanto maiorem
partem accipit. Et in civitatibus, quanto aliquis plus servivit communitati,
tanto plus accipit de bonis communibus. Et sicut iustum distributivum
consistit in hac proportionalitate, ita iniustum oppositum consistit in hoc
quod praetermittitur huiusmodi proportionabilitas. |
|
#949. — En second (1131b27), il assigne la différence. Et en premier il résume ce qui appartient à la justice distributive. En second, il montre ce qui appartient à la justice commutative (1131b32). Il dit donc en premier que le juste dont il a été question est toujours distributif de biens communs selon la proportionnalité décrite plus haut, à savoir géométrique, qu'on attend dans une égalité de proportion. Puis il manifeste cela; car si les argents communs de la cité ou d'un certain nombre d'hommes doivent être distribués à des individus, cela devra se faire de façon que soit donnée aux individus une part du commun d'après cette proportion selon laquelle eux-mêmes contribuent au [bien] commun. Par exemple, dans les négoces, plus on a apporté à la société, plus on en reçoit une grande part. Et dans les cités, plus on a servi la communauté, plus on en reçoit de biens communs. Et de même que le juste distributif consiste dans cette proportionnalité, de même l'injuste opposé consiste en ce qu'on s'écarte d'une proportionnalité de cette sorte. |
[73654] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6
n. 4 Deinde cum dicit: in
commutationibus autem etc., ostendit quid pertineat ad iustitiam
commutativam. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit quid pertineat ad
iustitiam commutativam. Secundo manifestat per exemplum, ibi, etenim cum hic
quidem vulneretur et cetera. Tertio infert quaedam corollaria ex dictis, ibi,
quare pluris quidem et minoris et cetera. Dicit ergo primo, quod iustum quod
consistit in commutationibus, in aliquo quidem convenit cum iusto
distributivo, quod scilicet iustum est aequale, et iniustum inaequale. Sed in
hoc differunt: quod aequale in iustitia commutativa non attenditur secundum
proportionalitatem illam, scilicet geometricam, quae attendebatur in distributivo
iusto; sed magis secundum arithmeticam, quae scilicet attenditur secundum
aequalitatem quantitatis, et non secundum aequalitatem proportionis sicut
geometrica. Sex enim secundum arithmeticam proportionalitatem, medium est inter
octo et quatuor. Exceditur enim ab uno, et
excedit alterum duobus: sed non est proportio eadem utrobique. Nam sex se habet ad
quatuor in sesquialtera proportione. Octo autem ad sex in sesquitertia. E
contrario vero secundum geometricam proportionalitatem, medium exceditur et
excedit secundum eamdem proportionem sed non secundum eamdem quantitatem: sic
enim sex est medium inter novem et quatuor. Utrobique enim invenitur
sesquialtera proportio, sed non eadem quantitas. Novem enim excedunt sex in
tribus, sex vero quatuor in duobus. |
|
#950. — Ensuite (1131b32), il montre ce qui appartient à la justice commutative. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qui appartient à la justice commutative. En second, il le manifeste par un exemple (1132a7). En troisième, il infère quelques corollaires de ce qu'il a dit (1132a14). Il dit donc en premier que le juste qui consiste en des échanges convient en quelque chose avec le juste distributif, à savoir en ce que le juste est [quelque chose d']égal et l'injuste [quelque chose d']inégal. Mais ils diffèrent en ceci que l'égal dans la justice commutative ne s'attend pas selon cette proportionnalité, à savoir géométrique, qu'on attendait dans le juste distributif; mais davantage selon la [proportionnalité] arithmétique, à savoir celle qu'on attend selon une égalité de quantité et non selon une égalité de proportion, comme la [proportionnalité] géométrique. En effet, selon la proportionnalité arithmétique, six est le milieu entre huit et quatre. Car il est dépassé par l'un et dépasse l'autre de deux: mais il n'y a pas la même proportion en l'un et l'autre cas. En effet, il y a de six à quatre proportion d'un et demi. Mais il y a de huit à six [proportion] d'un et tiers. Tandis qu'au contraire, selon la proportionnalité géométrique, le milieu est dépassé et dépasse selon la même proportion, mais non selon la même quantité: alors, en effet, six est milieu entre neuf et quatre. Car en l'un et l'autre cas, on trouve une proportion d'un et demi, mais non la même quantité. Car neuf dépasse six de trois, mais six [dépasse] quatre de deux. |
[73655] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6 n. 5 Quod ergo in commutativa iustitia attendatur aequale
secundum arithmeticam proportionem manifestat per hoc, quod non consideratur
ibi diversa proportio personarum. Nihil enim differt, quantum ad iustitiam
commutativam, si aliquis bonus privavit per furtum vel rapinam aliquem malum
re sua, vel e converso. Neque etiam differt si bonus vel malus commisit
adulterium. Sed lex attendit solum ad differentiam nocumenti; ut scilicet qui
plus nocuit plus recompenset, cuiuscumque conditionis sit. Et sic patet, quod
si unus duorum iniustum faciat, et alter iniustum patiatur, et unus laedat et
alter laedatur, lex utitur his duobus quasi aequalibus, quantumcumque sint
inaequales. Unde et iudex, qui est minister legis, hoc attentat ut istud
iniustum quo unus laesit alium, quod habet quamdam inaequalitatem, reducat ad
aequalitatem, constituendo scilicet aequalitatem in ipsa quantitate rerum,
non secundum proportionem diversarum personarum. |
|
#951. — Que donc en justice commutative on attende l'égal selon une proportion arithmétique, il le manifeste par cela qu'on ne considère pas là la proportion différente des personnes. Il n'y a, en effet, aucune différence, quant à la justice commutative, si c'est quelqu'un de bon qui, par le vol ou la rapine, a privé quelqu'un de mauvais de sa chose, ou l'inverse. Il n'y a pas non plus de différence si c'est quelqu'un de bon ou de mauvais qui a commis l'adultère. Au contraire, la loi regarde seulement à la différence du tort; à savoir que celui qui a davantage fait tort répare davantage, de quelque condition qu'il soit. Et ainsi devient-il évident que si l'une de deux [personnes] agit injustement et que l'autre 173 souffre injustice, et que si l'une fait du mal et l'autre se fasse faire du mal, la loi les regarde comme égales, quelque inégales qu'elles soient. D'où aussi le juge, qui est ministre de la loi, voit à réduire à égalité cette injustice en quoi l'une a fait tort à l'autre, qui lui est de quelque manière inégale, en faisant l'égalité dans la quantité même des choses, sans égard à la proportion des diverses personnes. |
[73656] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6 n. 6 Deinde cum dicit etenim cum hic etc., manifestat per
exemplum, quod dixerat. Et primo proponit exemplum. Secundo removet quoddam
dubium, ibi, dicitur enim ut simpliciter et cetera. Primo ergo ponit exemplum
de laesione personali, in qua minus est manifestum. Et dicit, quod si duorum
unus vulneretur et alius percutiat, vel etiam unus occidat et alius moriatur,
divisa est hic actio et passio in inaequalia, quia scilicet percutiens vel
occidens habet plus de aestimato bono, inquantum scilicet implevit voluntatem
suam, et ita videtur esse quasi in lucro. Ille autem qui vulneratur vel etiam
occiditur habet plus de malo, in quantum scilicet privatur incolumitate vel
vita contra suam voluntatem; et ita videtur esse quasi in damno. Sed iudex
tentat hoc adaequare, subtrahens a lucro et apponens damno, inquantum
scilicet aufert aliquid percutienti vel occidenti contra suam voluntatem, et
exhibet in commodum vel honorem vulnerati vel occisi. |
|
#952. — Ensuite (1132a7), il manifeste par un exemple ce qu'il a dit. Et en premier il propose un exemple. En second, il efface un doute (1132a10). En premier, en effet, il amène l'exemple de la blessure personnelle, où c'est moins manifeste. Et il dit que si l'une de deux [personnes] est blessée et que l'autre la frappe, ou même que l'une tue et que l'autre meure, cette action et passion est divisée en [termes] inégaux, car en frappant ou tuant on a plus du bien estimé, en tant qu'on a fait sa volonté; ainsi, on semble se trouver comme en gain. Mais celui qui est blessé ou tué a plus du mal, en tant qu'il est privé de son salut ou de sa vie contre sa volonté; ainsi, il semble se trouver comme en situation de perte. Mais le juge essaie de réajuster cela, en enlevant du gain et en compensant la perte, pour autant qu'il enlève quelque chose contre sa volonté à celui qui frappe ou tue, et qu'il offre du réconfort ou de la considération à celui qui est blessé ou tué. |
[73657] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6 n. 7 Deinde cum dicit dicitur enim etc., removet quoddam
dubium quod possit oriri circa nomen lucri et damni. Et dicit quod, ut
simpliciter loquamur, lucrum et damnum dicitur in talibus, quando scilicet
aliquis habet plus vel minus. Et proprie accipiuntur haec nomina in bonis
possessis: sed in aliquibus ista nomina non videntur proprie competere, puta
in iniuriis personalibus, ut cum unus percutit et alius percutitur et in hoc
quasi damnum patitur, eo quod non potest certa mensura accipi actionis et
passionis in huiusmodi iniuriis personalibus, ut sic id quod est plus possit
dici lucrum, et quod est minus possit dici damnum. Sed quando passio est mensurata,
scilicet secundum mensuram iustitiae, tunc id quod est plus vocatur lucrum,
et id quod est minus vocatur damnum. |
|
#953. — Ensuite (1132a10), il efface un doute, qui pourrait venir des noms de gain et perte. Et il dit que, lorsque nous parlons strictement, gain et perte se disent de [choses] telles qu'on en ait plus ou moins [que son dû]. De plus, ces noms se prennent proprement à propos de possessions: mais à propos d'autres [choses], ces noms ne paraissent pas convenir proprement, par exemple à propos d'injures personnelles, comme lorsqu'une [personne] frappe et qu'une autre est frappée, et qu'en cela elle souffre quelque perte; c'est qu'on ne peut prendre une mesure exacte de l'action et de la passion dans des injures personnelles de cette sorte, de façon à ce qu'on puisse dire gain ce qu'il y a en plus et perte ce qu'il y a en moins. Mais quand la passion est mesurée, à savoir selon la mesure de justice, alors ce qu'il y a en plus s'appelle gain et ce qu'il y a en moins s'appelle perte. |
[73658] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6 n. 8 Deinde cum dicit: quare pluris quidem etc., infert duas
conclusiones. Primam quidem ex parte ipsius iusti; secundam ex parte iudicis,
ibi, propter quod et cetera. Dicit ergo primo, quod quia iustum commutativum
est quoddam aequale, (sit) quod sit medium inter plus et minus, ita quod
lucrum et damnum se habeant sicut plus et minus. Diversimode tamen in bonis
et malis. Nam habere plus de bono et minus de malo, pertinet ad rationem
lucri. Contrarium autem pertinet ad rationem damni: inter quae duo, scilicet
damnum et lucrum, medium est illud aequale quod dicimus iustum. Unde
sequitur, quod iustum, quod est directivum in commutationibus, sit medium
inter damnum et lucrum, communiter accipiendo utrumque. |
|
#954. — Ensuite (1132a14), il infère deux conclusions. La première, bien sûr, du côté du juste comme tel. La seconde, du côté du juge (1132a19). Il dit donc en premier que, parce que le juste commutatif est quelque chose d'égal, de manière à être le milieu entre le plus et le moins, de la sorte gain et perte ont rapport de plus et de moins. Mais d'une manière différente quant aux biens et aux maux. Car avoir plus du bien et moins du mal, voilà ce qui appartient à la raison de gain. Tandis que le contraire appartient à la raison de perte: et entre ces deux [termes], à savoir le gain et la perte, le milieu est cet égal que nous appelons le juste. D'où il suit que le juste, qui dirige dans les échanges, soit un milieu entre perte et gain, en prenant l'un et l'autre de manière commune. |
[73659] Sententia Ethic., lib. 5 l. 6 n. 9 Deinde cum dicit propter quod et quando etc., infert
conclusionem ex parte iudicis, de quo supra dixit, quod tentat adaequare. Et
dicit, quod quia iustum est medium inter damnum et lucrum, inde est, quod
quando homines dubitant de hoc, refugiunt ad iudicem, quod idem est ac si
refugerent ad id quod est iustum; nam iudex debet esse quasi quoddam iustum
animatum, ut scilicet mens eius totaliter a iustitia possideatur. Illi autem
qui refugiunt ad iudicem, videntur quaerere medium inter partes quae
litigant; et inde est, quod iudices vocant medios vel mediatores, ac si ipsi
attingant medium in hoc quod perducunt ad id quod est iustum. Sic ergo patet,
quod iustum, de quo nunc loquimur, est quoddam medium quia iudex, qui
determinat hoc iustum medius est, inquantum scilicet constituit id quod est
aequale inter partes: aequale autem medium est inter plus et minus, ut supra
dictum est. |
|
#955. — Ensuite (1132a19), il infère une conclusion du côté du juge, dont il a dit plus haut qu'il essaie de réajuster. Et il dit que, parce que le juste est un milieu entre perte et gain, il s'ensuit que, quand on doute de ce milieu, on recourt au juge; ce qui revient au même que si on recourait à ce qui est juste; en effet, le juge doit être comme un juste animé, à savoir comme si son esprit était entièrement possédé par la justice. Tandis que ceux qui recourent au juge paraissent chercher un milieu entre les parties en litige; et il s'en ensuit qu'on appelle les juges des milieux ou des médiateurs, comme s'ils touchaient eux-mêmes au milieu et par le fait qu'ils conduisent à ce qui est juste. Ainsi donc, il appert que le juste dont nous parlons maintenant est une espèce de milieu, puisque le juge, qui détermine ce juste, est lui-même un milieu, pour autant qu'il constitue ce qui est égal entre les parties: or l'égal est le milieu entre le plus et le moins, comme on l'a dit plus haut. |
|
|
|
Lectio
7 |
|
Leçon 7
|
[73660] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 1 Et quemadmodum linea et cetera. Postquam philosophus
ostendit differentiam inter iustum quod est directivum commutationum et
iustum distributivum, hic ostendit qualiter accipiatur medium in hoc iusto,
quod est directivum commutationum. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit
propositum. Secundo manifestat originem horum nominum damnum et lucrum quibus
usus fuerat, ibi: venerunt autem et nomina haec et cetera. Circa primum duo
facit. Primo ostendit quomodo inveniatur medium commutativae iustitiae circa
easdem res. Secundo, quomodo inveniatur circa res diversarum artium, ibi, est
autem et in aliis artibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo inducit
exemplum ad ostendendum qualiter accipiatur medium in commutativa iustitia.
Secundo manifestat quod dixerat, ibi si enim duobus aequalibus et cetera.
Circa primum duo facit. Primo proponit exemplum ad propositum ostendendum.
Secundo ostendit convenientiam exempli ex ipso modo loquendi, ibi, propter
quod, et nominatur et cetera. |
|
#956. — Après avoir montré la différence entre le juste qui dirige les échanges et le juste distributif, le Philosophe montre ici de quelle manière se prend le milieu dans ce juste, celui qui dirige les échanges. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos (1132a25). En second, il manifeste l'origine de ces noms, perte et gain, dont il a fait usage (1132b11). 174 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment on découvre le milieu de la justice commutative dans des choses de même facture. En second, comment on le découvre dans des choses provenant d'arts différents (1132b9). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il induit un exemple pour montrer de quelle manière on prend le milieu dans la justice commutative. En second, il manifeste ce qu'il a dit (1132a32). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son exemple pour montrer son propos. En second, il montre la convenance de l'exemple par la manière même de parler (1132a30). |
[73661] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 2 Dicit ergo primo quod ita iudex ad aequalitatem
reducit, sicut si esset una linea divisa in partes inaequales, ille qui
vellet ad aequalitatem reducere, auferret a maiori parte illud in quo excedit
medietatem totius lineae et apponeret illud minori parti, ita quod medietas
totius lineae esset quasi quaedam dica, id est regula vel mensura, per
quam inaequalia reducerentur ad aequalitatem. Et sic quum totum quod est
duorum hominum dividatur tali dica, id est mensura, tunc dicunt, quod
unusquisque habet quod suum est, inquantum scilicet accipiunt aequale, quod
est medium inter maius et minus, et hoc secundum arismeticam
proportionalitatem, quia scilicet quantum medium iustitiae exceditur ab eo
qui habebat plus, tantum excedit illum qui habet minus, quod pertinet ad
proportionabilitatem arithmeticam, ut prius dictum est. |
|
#957. — Il dit donc que la manière dont le juge ramène à égalité, c'est comme si une ligne était divisée en parties inégales; celui qui voudrait la ramener à égalité enlèverait de la plus grande partie ce en quoi elle dépasse la moitié de la ligne entière et appliquerait cela à la plus petite partie, de sorte que la moitié de la ligne entière serait comme une demie, c'est-à-dire une règle ou une mesure au moyen de laquelle il réduirait les [parties] inégales à égalité. Et ainsi, comme tout ce qui appartient à deux hommes se divise ainsi en deux, c'est-à-dire en une mesure, alors on dit que chacun a ce qui est sien, quand on reçoit une [part] égale, laquelle est le milieu entre le plus et le moins, selon une proportionnalité arithmétique; car autant le milieu de la justice est dépassé par celui qui avait plus, autant il dépasse celui qui a moins, ce qui appartient à la proportionnabilité arithmétique, comme on l'a dit plus haut. |
[73662] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 3 Deinde cum dicit propter quod et nominatur etc.,
manifestat exemplum praemissum esse conveniens per modum loquendi apud
Graecos. Et dicit, quod quia medium huius iustitiae est sicut quaedam dicha,
inde est quod iustum apud Graecos, vocatur dicheon, sicut si aliquis volens
huiusmodi nomina variare dicat quod dicaon est iustum et dicastes iustus et
dicaste iustitia. |
|
#958. — Ensuite (1132a30), il manifeste, en passant par la façon de parler chez les Grecs, que l'exemple donné convient. Il dit ainsi que c'est parce que le milieu de cette justice est comme une demie, que chez les Grecs on a appelé le juste díkaion (dikaion), comme si, en variant ainsi les noms, on disait que le díkaion (dikaion; la demie) est le juste, le dikastÉß (dikastès; le faiseur de demie) est l'[homme] juste, et la dikastÉ (dikastè; l'aptitude à faire la demie) est la justice. |
[73663] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 4 Deinde cum dicit: si enim duobus etc., manifestat quod
dixerat, scilicet quod oporteat subtrahere ab eo qui habet plus id in quo
excedit medietatem, et apponere ei qui habet minus. Et primo manifestat quod
dictum est. Secundo exponit in terminis, ibi: aequales in quibus et cetera.
Dicit ergo primo quod si sint duo aequalia, quorum utrumque habeat duas
mensuras, puta duas palmas, aut duos pedes, et medietas auferatur ab uno et
apponatur alteri. Manifestum est quod illud cui apponitur superexcedit
alterum in duobus: quia ei cui subtrahitur non remanet nisi unum, illud autem
cui additur habet tria; sed si id quod subtrahitur ab uno non apponatur
alteri, manifestum est quod non erit excessus nisi in uno. Per id autem cui
nihil additur nec subtrahitur, intelligitur ipsum medium iustitiae, quia
habet quod suum est et nec plus nec minus; per id autem cui additur
intelligitur ille qui plus habet. Per id autem cui subtrahitur intelligitur
ille qui minus habet. |
|
#959. — Ensuite (1132a32), il manifeste ce qu'il a dit, qu'il faut enlever à qui a plus [ce] en quoi il dépasse la moitié et l'ajouter à qui a moins. En premier il manifeste ce qu'il a dit. En second, il l'expose en termes (1132b6). Il dit donc en premier de supposer deux [objets] égaux, dont l'un et l'autre ait deux mesures, par exemple deux paumes, ou deux pieds, et que la moitié soit enlevée à l'un et ajoutée à l'autre. Il est manifeste que ce à quoi ce sera ajouté surpassera l'autre de deux: car à ce à quoi on a enlevé il ne reste qu'un et ce à quoi on a surajouté en a trois. Mais si ce qu'on a enlevé de l'un n'est pas ajouté à l'autre, il est manifeste que l'excès ne sera que d'un. Ainsi, en ce à quoi rien n'est ajouté ni soustrait, on voit le milieu même de la justice, qui a ce qui est sien ni plus ni moins; en ce à quoi on ajoute, on voit ce qui a plus; en ce enfin à quoi on enlève, on voit ce qui a moins. |
[73664] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 5 Sic ergo patet quod ille qui plus habet excedit medium
in uno, quod scilicet est sibi superadditum, medium vero excedit id a quo
ablatum est in uno, quod scilicet est sibi subtractum. Hoc ergo, scilicet
medio, cognoscemus et quid oportet auferre ab eo qui plus habet et quid
oportet apponere ei qui minus habet; quia illud oportet apponere minus
habenti in quo medium excedit ipsum, hoc autem oportet auferre a maximo, id
est ab eo qui plus habet, in quo medium superexceditur ab eo. |
|
#960. — Ainsi donc, il appert que ce qui a plus dépasse le milieu d'un, à savoir cela qui lui a été surajouté, et que le milieu dépasse d'un ce à quoi on a enlevé, à savoir ce qui lui a été enlevé. Nous connaîtrons donc par ce milieu et ce qu'on doit enlever de ce qui a plus, et ce qu'il faut ajouter à ce qui a moins; et qu'il faut enlever du plus grand, c'est-à-dire de ce qui a plus, ce dont il surpasse le milieu; et qu'il faut ajouter à ce qui a moins ce en quoi le milieu le dépasse. |
[73665] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 6 Deinde cum dicit aequales in quibus etc., proponit quae
dicta sunt in terminis. Sint enim tres lineae aequales, in quarum una
scribatur in terminis aa, in alia bb, in tertia gg; linea ergo bb maneat
figura indivisa, linea vero aa dividatur per medium in puncto e, linea vero
gg dividatur per medium in puncto z. Auferatur ergo a linea quae est aa, una
pars quae est ae, et apponatur lineae quae est gg et vocetur hoc appositum
gd; sic ergo patet quod tota linea quae est dgg superexcedit eam quae est ae
in duobus, scilicet in eo quod est gd, et in eo quod est gz, sed lineam quae
est bb excedit in uno solo, quod est gd. Sic ergo patet quod id quod est
maximum excedit medium in uno, minimum autem in duobus, ad modum arismeticae
proportionalitatis. |
|
#961. — Ensuite (1132b6), il pose ce qu'il a dit en termes. Soient ainsi trois lignes égales, dont les termes de l'une sont marqués AA, ceux de l'autre BB et ceux de la troisième GG; donc la ligne BB demeure indivise, mais la ligne AA est divisée par le milieu au point E et la ligne GG est divisée par le milieu au point 3. On enlève donc de la ligne AA une partie, soit AE, et on l'ajoute à la ligne GG: on appellera cet ajout GD; ainsi donc, il appert que la ligne entière DG dépasse la [ligne] AE de deux [segments], à savoir 3G et GD; tandis qu'elle ne dépasse la ligne BB que d'un seul, soit GD. Ainsi appert-il donc que ce qui est le plus grand dépasse le milieu d'un [segment] et le plus petit de deux, à la manière de la proportionnabilité arithmétique. 175 A E A B B G 3 G D |
[73666] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 7 Deinde cum dicit: est autem et in aliis etc., ostendit
quod illud quod dictum est, observari oportet etiam in commutatione
diversarum artium. Destruerentur enim artes, si ille qui facit aliquod
artificium non pateretur, id est non reciperet pro illo artificio
tantum et tale quantum et quale fecit. Et ideo oportet commensurari
opera unius artificis operibus alterius ad hoc quod sit iusta commutatio. |
|
#962. — Ensuite (1132b9), il montre que ce qu'il a dit est à observer dans les échanges entre les divers arts. Car les arts se détruiraient si celui qui produit quelque objet d'art n'en recevait rien, c'est-à-dire ne recevait pas pour cet objet d'art autant et tellement et comme il a fait. C'est pourquoi il faut que les œuvres d'un artisan aient commune mesure avec celles d'un autre pour que l'échange soit juste. |
[73667] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 8 Deinde cum dicit: venerunt autem etc., ostendit
originem horum nominum, damnum et lucrum. Et dicit quod ista nomina
provenerunt ex commutationibus voluntariis in quibus primo fuit usus talium
nominum. Cum enim aliquis plus haberet quam prius habuerat, dicebatur
lucrari: quando autem minus, dicebatur damnificari, sicut in emptionibus et
venditionibus et in omnibus aliis commutationibus quae sunt licitae secundum
legem. Sed quando aliqui neque plus neque minus habebant eo quod a principio
habuerant, sed ipsamet reportabant in aequali quantitate per commutationem
eorum quae attulerant, tunc dicebantur habere ea quae eorum sunt et nihil
lucrari neque amittere. |
|
#963. — Ensuite (1132b11), il montre l'origine de ces noms de perte et de gain. Il dit que ces noms proviennent des échanges volontaires, dans lesquels on a fait usage de tels noms en premier. Lorsqu'en effet, on avait plus [à la fin] que ce qu'on avait auparavant, on disait avoir gagné; et quand on avait moins [à la fin], on disait avoir perdu, comme dans les achats et ventes et dans tous les autres échanges licites selon la loi. Mais quand [à la fin] on n'avait ni plus ni moins que ce qu'on avait au début, et qu'on rapportait dans l'échange autant qu'on y apportait, alors on disait avoir ce qui est à soi et ne rien gagner ni perdre. |
[73668] Sententia Ethic., lib. 5 l. 7 n. 9 Concludit autem ulterius conclusionem principaliter
intentam. Ex praemissis enim patet quod iustum de quo nunc agitur, est medium
damni et lucri: quod quidem iustum nihil est aliud quam habere aequale ante
commutationem et post, etiam praeter voluntatem; ut patet in eo qui, iudice
cogente, restituit alteri quod plus habebat. |
|
#964. — Il conclut enfin l'objet ultime et principal de sa recherche. En effet, de ce qui précède, il appert que le juste dont il s'agit maintenant est le milieu entre perte et gain: et ce juste, bien sûr, n'est rien d'autre que d'avoir à égalité avant l'échange et après, même en dehors de sa volonté; comme il appert chez celui qui, le juge le forçant, rend à l'autre ce qu'il avait en plus. |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
[73669] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 1 Videtur autem aliquibus et
cetera. Postquam philosophus ostendit qualiter accipiatur medium in utraque
iustitiae specie, hic excludit quamdam falsam sententiam circa acceptionem
medii iustitiae. Et circa hoc tria facit. Primo proponit sententiam erroneam.
Secundo improbat eam, ibi, et contrapassum autem et cetera. Tertio ostendit
in quibus et qualibus habeat veritatem, ibi, sed in communicationibus quidem
et cetera. Dicit ergo primo, quod quibusdam visum est quod universaliter
loquendo nihil aliud esset iustum quam contrapassum, ut scilicet aliquis
pateretur secundum quod fecerat. Et haec fuit sententia Pythagoricorum, qui
determinabant quod simpliciter iustum est idem quod contrapassum alii. |
|
#965. — Après avoir montré de quelle façon on prend le milieu dans l'une et l'autre espèce de justice, le Philosophe exclut ici une opinion fausse sur l'acception du milieu de la justice. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose l'opinion erronée (1132b21). En second, il la réprouve (1132b23). En troisième, il montre en quoi et comment on tiendra la vérité (1132b31). Il dit donc en premier qu'il a paru à certains qu'à parler universellement le juste ne soit rien d'autre que la réciprocité, à savoir que l'on reçoive selon ce qu'on a fait. Ce fut la pensée des Pythagoriciens, qui déterminaient que le juste en soi est la même chose que la réciprocité. |
[73670] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 2 Deinde cum dicit
contrapassum autem etc., improbat praedictam positionem. Et hoc dupliciter.
Primo quidem quantum ad distributivam iustitiam; dicens quod contrapassum non
congruit circa iustum distributivum: et huius ratio manifesta est. Iustum
enim distributivum non attenditur secundum quod unus duorum, quos oportet per
iustitiam aequari, agit in alium vel patitur ab alio, quod requiritur ad
rationem contrapassi; sed quod aliquid communium bonorum distribuatur utrique
secundum aequalitatem proportionis. |
|
#966. — Ensuite (1132b23), il réprouve la position annoncée. Et cela de deux manières. D'abord, certes, en rapport à la justice distributive; en disant que la réciprocité ne convient pas en matière de juste distributif, ce dont la raison est manifeste. En effet, le juste distributif ne vient pas de ce que l'une de deux [personnes] à rendre égales par la justice agisse sur l'autre ou subisse d'elle, ce qui est requis à la raison de réciprocité; mais de ce que des biens communs soient distribués à l'un et à l'autre selon une égalité de proportion. |
[73671] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 3 Secundo ibi: neque in
directivum etc., improbat praedictam positionem quantum ad iustitiam
commutativam. Et primo proponit quod de hac iustitia intendebant. Et dicit
quod contrapassum non congruit etiam omnibus modis circa iustum quod est
directivum commutationum; quamvis illi qui protulerunt praedictam sententiam
hoc voluerunt dicere quod in commutationibus sit idem iustum quod
contrapassum: quod patet per hoc quod quidam legislator, nomine Rhadamantus,
introduxit tale iustum quod si aliquis patiatur illa quae fecit, fit recta
vindicta. |
|
#967. — En second (1132b24), il réprouve la position annoncée en rapport à la justice commutative. Il propose en premier ce qu'il entendait à propos de cette justice: il dit que la réciprocité ne convient pas non plus de toutes les manières en rapport au juste qui dirige les échanges; bien que ceux qui ont proféré l'opinion annoncée ont justement voulu dire que dans les échanges le juste soit identique à la réciprocité: ce qui appert du fait qu'un législateur du nom de Rhadamante a introduit cette [définition du] juste, que si on subit ce qu'on a fait, la vengeance est correcte. |
[73672] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 4 Secundo ibi: multis enim
in locis etc., improbat quod dictum est, duabus rationibus. Circa quarum
primam dicit quod in multis locis talis vindicta invenitur dissonare verae
iustitiae, ut si aliquis in principatu constitutus percusserit aliquam
privatam personam, non requirit hoc iustitia quod princeps repercutiatur, et
similiter, si aliquis percutiat principem, oportet quod non solum
percutiatur, sed quod etiam gravius puniatur. |
|
#968. — En second (1132b28), il réprouve ce qu'on a dit, moyennant deux raisons. Il en donne comme première qu'en bien des occasions une telle vengeance se trouve en discordance avec la vraie justice. Par exemple, si quelqu'un constitué en gouvernement frappait une personne privée, la justice ne requerrait pas que le gouvernant en soit frappé à son tour. Et si quelqu'un frappe le gouvernant, il faut non seulement qu'il soit frappé à son tour, mais qu'il soit puni plus gravement encore. 176 |
[73673] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 5 Videtur autem hoc esse
contra id quod philosophus supra dixerat, quod in iustitia commutativa non
attenditur diversa conditio personarum, sed lex utitur omnibus quasi
aequalibus. Sed attendendum est quod ibidem philosophus dixit quod in
commutativa iustitia lex attendit solum ad differentiam nocumenti. Manifestum
est autem quod quando nocumentum attenditur circa subtractionem rei
exterioris, puta pecuniae, non variatur quantitas nocumenti secundum diversam
conditionem personae, sed quando est nocumentum personale, tunc necesse est
quod quantitas nocumenti diversificetur secundum conditionem personae.
Manifestum est enim quod maius est nocumentum cum aliquis percutit principem,
per quod non solum personam ipsius sed totam rempublicam laedit, quam cum
percutit aliquam privatam personam. Et ideo non competit iustitiae in talibus
simpliciter contrapassum. |
|
#969. — Par ailleurs, cela paraît s'opposer à ce que le Philosophe a dit plus haut, qu'en justice commutative on ne regarde pas à la différence de condition des personnes, mais que la loi les traite toutes en égales. Cependant, il faut tenir compte de ce que là le Philosophe disait qu'en justice commutative la loi tient compte seulement de la différence de tort. Or il est manifeste que lorsque le tort concerne la soustraction d'une chose extérieure, d'argent par exemple, la quantité du tort ne change pas avec la différence de condition de la personne; mais lorsqu'il s'agit d'un tort personnel, alors nécessairement la quantité du tort change avec la condition de la personne. Il est manifeste, en effet, qu'il y a un tort plus grand quand on frappe un gouvernant, en quoi on ne lèse pas seulement la personne même mais toute la république, que lorsqu'on frappe une personne privée. Et c'est pourquoi une simple réciprocité ne convient pas à la justice en de telles [situations]. |
[73674] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 6 Secundam rationem ponit
ibi, adhuc involuntarium et cetera. Et dicit quod circa vindictas inferendas
multum differt utrum aliquis iniuriam intulerit voluntarius an
involuntarius, scilicet propter ignorantiam vel vim aut metum. Gravius
enim debet vindicari si voluntarius peccavit quam si involuntarius, et hoc
duplici ratione. Primo quidem, quia in vindictis non solum attenditur quod
aequalitas iustitiae reparetur per hoc quod aliquis restituat alteri quod ei
subtraxit; sed etiam quod pro peccato commisso poenam sustineat; et propter
hoc lege aliqui puniuntur etiam pro peccatis quibus nulla iniuria vel damnum
alii irrogatur, et fur non solum compellitur restituere quod accepit, per
quod aequalitas iustitiae reintegratur; sed etiam ulterius punitur pro culpa
commissa. Culpa autem aggravatur vel diminuitur ex hoc quod quis peccat
voluntarius vel involuntarius. Unde gravius punitur voluntarius quam
involuntarius. Secundo quia maior est voluntarie peccantis iniuria; additur
enim exteriori nocumento interior contemptus. |
|
#970. — Il amène une seconde raison (1132b30) et il dit que cela diffère beaucoup, en matière de châtiments à infliger, si on a procuré l'injure volontairement ou involontairement, à savoir par ignorance ou par violence ou par crainte. On doit en effet être châtié plus gravement si on a été fautif volontairement que si [on l'a été] involontairement, et cela pour une double raison. En premier, certes, parce qu'en matière de châtiments, non seulement on regarde à ce que l'égalité de la justice soit réparée en ce que l'on rende à l'autre ce qu'on lui a enlevé; mais aussi en ce qu'on supporte une peine pour la faute commise; et à cause de cela, on est puni par la loi même pour des fautes où aucune injure ou perte n'a été imposée à un autre; et le voleur n'est pas forcé seulement à rendre ce qu'il a pris, par quoi l'égalité de la justice est reconstituée, mais aussi il est puni pour la faute commise. Or la faute est aggravée ou diminuée du fait que l'on se rende fautif volontairement ou involontairement. Aussi est-on puni plus gravement si [on a agi volontaire]ment que [si on a agi] involontaire[ment]. En second, parce que l'injure de celui qui se rend volontairement fautif est plus grande; au tort extérieur se trouve en effet ajouté un mépris intérieur. |
[73675] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 7 Deinde cum dicit: sed in
communicationibus quidem etc., ostendit in quibus et qualiter sit verum quod
dictum est, scilicet quod contrapassum sit iustum. Et circa hoc tria facit.
Primo ostendit, quod contrapassum oportet fieri in commutationibus secundum
proportionalitatem. Secundo manifestat formam huius proportionalitatis, ibi,
facit enim retributionem et cetera. Tertio ostendit quomodo talis forma
observari possit, ibi, propter quod omnia comparabilia et cetera. Circa primum
duo facit. Primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, per
contrafacere, enim et cetera. Dicit ergo, quod in communicationibus
commutativis verum est quod tale iustum continet in se contrapassum, non
quidem secundum aequalitatem, sed secundum proportionalitatem. |
|
#971. — Ensuite (1132b31), il montre en quoi et de quelle manière ce qu'on a dit reste vrai, à savoir que la réciprocité est le juste. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la réciprocité doit être produite dans les échanges selon une proportionnalité. En second, il manifeste la forme de cette proportionnalité (1133a5). En troisième, il montre comment une telle forme peut s'observer (1133a19). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. En second, il prouve son propos (1132b33). Il dit donc que, dans les rapports d'échange, il est vrai que telle [action] est juste qui contient en elle réciprocité, non pas néanmoins selon l'égalité, mais selon une proportionnalité. |
[73676] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 8 Videtur autem hoc esse
contra id quod supra dictum est, quod scilicet in commutativa iustitia,
medium accipitur non quidem secundum geometricam proportionalitatem, quae
consistit in aequalitate proportionis, sed secundum arithmeticam, quae
consistit in aequalitate quantitatis. Dicendum est autem, quod circa
iustitiam commutativam, semper quidem oportet esse aequalitatem rei ad rem,
non tamen actionis et passionis, quod importat contrapassum. Sed in hoc
oportet adhiberi proportionalitatem ad hoc, quod fiat aequalitas rerum, eo
quod actio unius artificis maior est quam actio alterius, sicut aedificatio
quam fabricatio cultelli; unde si aedificator commutaret actionem suam pro
actione fabri, non esset aequalitas rei datae et acceptae, puta domus et
cultelli. |
|
#972. — Toutefois, cela paraît s'opposer à ce qu'on a dit plus haut, à savoir qu'en justice commutative le milieu ne se prend à coup sûr pas selon la proportionnalité géométrique, qui consiste en une égalité de proportion, mais selon la [proportionnalité] arithmétique, qui consiste en une égalité de quantité. On doit dire, cependant, qu'en rapport à la justice commutative, il doit certes toujours y avoir égalité de chose à chose, mais non pas d'action à passion, ce qu'impliquerait la [simple] réciprocité. Mais là, il faut appliquer la proportionnalité à la production d'une égalité entre les choses, en ceci que l'action d'un artisan est plus grande que l'action d'un autre, par exemple la construction d'une maison que la fabrication d'un couteau; aussi, si le constructeur échange son action pour l'action du fabriquant, il n'y aurait pas qualité de chose donnée et [de chose] prise [en échange], par exemple pour la maison et le couteau. |
[73677] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 9 Deinde cum dicit: per
contrafacere enim etc., probat propositum, dicens, quod per hoc manifestum
esse potest, quod iustum commutativum contineat contrapassum secundum
proportionalitatem, quia per hoc commanent cives sibiinvicem in civitate,
quod sibiinvicem proportionaliter contrafaciunt, prout scilicet si unus pro
alio facit aliquid, alius studet proportionaliter facere pro eodem. Et
manifestum est, quod omnes cives hoc quaerunt, ut eis proportionaliter
contrafiat: per hoc enim commanent homines adinvicem, quod sibiinvicem
faciunt quod quaerunt. Numquid ergo hoc male quaerunt, quod scilicet eis
proportionaliter contrafiat? Si autem non quaerunt hoc male, videtur esse
servitus, si uni facienti, alius non contrafaciat proportionaliter; servile
enim est, quod aliquis non adipiscatur ex suo opere id quod non male quaerit.
|
|
#973. — Ensuite (1132b33), il prouve son propos, disant que ce qui peut rendre manifeste que le juste commutatif contient de la réciprocité selon une proportionnalité, c'est que les citoyens demeurent pareils entre eux dans la cité du fait de recevoir les uns des autres de manière proportionnelle, pour autant que, si l'un fait quelque chose pour l'autre, l'autre s'emploie à agir de manière proportionnelle pour lui. Et il est manifeste que tous les citoyens cherchent cela, qu'on leur rende la réciproque. C'est à cause de cela, en effet, que les gens demeurent ensemble, parce qu'ils se font les uns pour les autres ce qu'ils veulent; ils ne veulent donc jamais à tort qu'on leur rende la réciproque. Or s'ils ne veulent pas cela à tort, il relève manifestement de l'esclavage qu'à un tel qui produit [pour lui], un autre ne rende pas en proportion. Il est en effet servile de ne pas obtenir, par son travail, quelque chose qu'on n'ait pas tort de vouloir. 177 |
[73678] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8 n. 10 Vel dicemus, quod non solum non male quaerunt homines
sibi proportionaliter contrafieri, sed etiam bene? Et sic, si non contrafiat
eis proportionaliter, non fiet retributio debita. Per hoc autem homines commanent
adinvicem, quod unus retribuat alteri pro his quae ab eo accepit. Et inde
est, quod boni homines prompte exhibent suis benefactoribus gratiarum
actionem quasi quiddam sacrum, ut per hoc eis retribuant; retribuere enim
proprie pertinet ad gratiarum actionem. Oportet enim quod homo iterato
serviat ei qui sibi fecit gratiam idest gratuitum beneficium impendit,
et quod non sit contentus tantum facere quantum accepit, sed quod rursus ipse
incipiat amplius exhibendo, quam accepit, ut sic ipse gratiam faciat. |
|
#974. — Ou bien nous dirons que non seulement les gens ne veulent pas à tort qu'on leur rende la réciproque, mais même qu'ils ont raison: et qu'ainsi, si on ne leur rend pas la réciproque, la rétribution sera indue. Par ailleurs, les gens demeurent ensemble les uns avec les autres, du fait que l'un rétribue l'autre pour ce qu'il en a reçu. Et il s'ensuit que les gens de bien manifestent vite à leurs bienfaiteurs leur reconnaissance, comme quelque chose de sacré, de manière à les rétribuer en cela; rétribuer concerne en effet proprement la reconnaissance. À celui qui a fait quelque chose pour nous, en effet, il faut qu'on rende grâces, c'est-à-dire qu'on remette un profit gracieux, et qu'on ne se contente pas seulement de faire autant qu'on a reçu, mais qu'en plus on se mette à faire davantage qu'on a reçu, de façon que lui-même agisse gratuitement. |
[73679] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 11 Deinde cum dicit facit
enim retributionem etc., manifestat formam proportionalitatis secundum quam
debet fieri contrapassum. Et primo proponit ipsam in coriario et
aedificatore; secundo ostendit idem esse in aliis artibus, ibi: est autem hoc
et cetera. Dicit ergo primo, quod coniugatio, quae est secundum diametrum,
facit in commutationibus retributionem vel contrapassum secundum
proportionalitatem. Ad cuius intellectum describatur quadratum abgd et
ducantur duo diametri se intersecantes, scilicet ad et bg. Sit ergo
aedificator a, coriarius b, figura domus quae est opus aedificatoris g,
calceamentum, quod est opus coriarii, d. Oportet igitur quandoque quod
aedificator accipiat a coriario opus eius, scilicet calceamentum. Debet autem
et ipse pro retributione dare ei opus suum. |
|
#975. — Ensuite (1133a5), il manifeste la forme de la proportionnabilité selon laquelle doit se faire la réciprocité. Et en premier il amène un exemple à propos du cordonnier et du constructeur. En second, il montre qu'il en va de la même manière dans les autres arts (1133a14). Il dit donc en premier que c'est un lien diamétral qui rend proportionnelle la rétribution ou la réciprocité dans les échanges. Pour le comprendre, on trace un carré ABGD et on trace deux diamètres qui se coupent, à savoir AD et BG. Soit donc le constructeur, A, le cordonnier, B, la maison, produit du constructeur, G, le soulier, produit du cordonnier, D. Or, il faut quelquefois que le constructeur reçoive du cordonnier son produit, à savoir le soulier. Mais il doit lui aussi lui donner en rétribution son produit. |
[73680] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 12 Si ergo primo
adinveniatur secundum proportionalitatem aequalitas, ut scilicet
constituantur ex una parte tot calceamenta contra unam domum quot plures
expensas facit aedificator in una domo, quam coriarius in uno calceamento,
deinde fiat contrapassum, ut scilicet aedificator accipiat multa calceamenta
adaequata uni domui et coriarius unam domum, erit quod dicitur,
scilicet retributio, secundum proportionalitatem facta per diametralem
coniunctionem: quia scilicet calceamenta proportionata dantur aedificatori,
cui secundum diametrum opponuntur et domus coriario. Si autem non sic fiat
retributio, non erit aequalitas rerum commutatarum, et sic homines non
poterunt adinvicem commanere, eo quod nihil prohibet opus unius artificis
esse melius quam opus alterius: sicut domus quam calceamentum: et ideo
oportet haec adinvicem aequari secundum dictam proportionalitatem ad hoc quod
fiat iusta commutatio. |
|
#976. — Si donc en premier on découvre une égalité de proportionnabilité, à savoir qu'on fixe d'un côté que tant de souliers valent une maison; en effet, le constructeur fait plus de dépenses pour une maison que le cordonnier pour un soulier; qu'ensuite se produise la réciprocité, à savoir que le constructeur reçoive le nombre de souliers équivalent à une maison et le cordonnier une seule maison, là il y aura ce qu'on dit, à savoir une rétribution rendue proportionnelle par un lien diamétral: car les souliers, c'est une fois proportionnés qu'ils sont donnés au constructeur, auquel on les oppose diamétralement, et la maison au cordonnier: tandis que si la rétribution ne se fait pas ainsi, il n'y aura pas égalité des choses échangées et ainsi les hommes ne pourront pas demeurer ensemble les uns avec les autres, puisque rien n'empêche que le produit d'un artisan ne soit meilleur que le produit d'un autre: comme la maison que le soulier: et c'est pourquoi il faut les égaliser entre eux, selon la proportionnabilité décrite, pour que se fasse un échange juste. Constructeur Cordonnier A B G D Maison Soulier. |
[73681] Sententia Ethic., lib. 5 l. 8
n. 13 Deinde cum dicit: est
autem hoc etc., ostendit idem esse in aliis artibus. Et dicit quod hoc quod
dictum est de aedificatore et coriario, est etiam observandum in aliis
artibus, ut scilicet fiat contrapassum commutatio secundum proportionalitatem
diametralem. Destruerentur enim artes, si non tantum et tale reciperet
aliquis, quantum et quale faceret. Et hoc oportet adinvenire, secundum modum
praedictum. Non enim saepe communicant sibi mutuo sua opera duo homines unius
artis, puta duo medici, sed plerumque homines diversarum artium, puta medicus
et agricola, et omnino diversi et inaequales; quos tamen oportet aequari
secundum modum praedictum. |
|
#977. — Ensuite (1133a14), il montre qu'il en va de même dans les autres arts. Et il dit que ce qu'il a dit du constructeur et du cordonnier est aussi à observer dans les autres arts, à savoir que la réciprocité et l'échange se fasse selon une proportionnabilité diamétrale. Car les arts se détruiraient si on ne recevait pas tant et comme on a fait. Et cela doit se produire selon le mode décrit. Ce ne sont pas toujours, en effet, deux personnes d'un seul art qui s'échangent leurs produits, par exemple deux médecins, mais la plupart du temps des hommes d'arts différents, par exemple un médecin et un cultivateur, qui sont tout à fait différents et inégaux; et il faut cependant les égaliser selon le mode décrit. lien diamétral 178 |
Lectio 9 [73682]
Sententia Ethic., lib. 5 l. 9 n. 1 Propter quod omnia comparabilia
et cetera. Postquam philosophus proposuit formam proportionalitatis secundum
quam contrapassum est idem quod iustum in commutationibus, hic ostendit
qualiter praedicta forma proportionalitatis possit observari. Et primo
ostendit propositum. Secundo manifestat quaedam, quae dicta sunt, ibi,
quoniam autem indigentia et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit,
quod ad praedictam formam proportionalitatis observandum necesse est omnia
commensurare; secundo ostendit quomodo per huiusmodi commensurationem fiat
iuste contrapassum in commutationibus, ibi, erit utique contrapassum et
cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quid sit illud per quod omnia
commensurantur. Secundo ostendit quomodo talis commensuratio in
commutationibus fiat, ibi, quanta quaedam utique et cetera. Tertio assignat
rationem praedictae commensurationis, ibi, oportet enim uno aliquo et cetera.
|
|
#978. — Après avoir proposé la forme de la proportionnabilité selon laquelle la réciprocité est la même dans les échanges, Le Pholosophe montre ici de quelle manière la forme décrite de proportionnabilité peut s'appliquer. Et en premier il montre son propos (1133a19). En second, il manifeste certaines [choses] qu'il a dites (1133b6). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que pour observer la forme parfaite de la proportionnabilité il est nécessaire de donner à tout une mesure commune. En second, il montre comment dans les échanges la réciprocité se réalise de manière juste par le moyen d'une mesure commune de cette sorte (1133a31). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose ce par quoi tout aura mesure commune. En second, il montre comment se réalise une telle mesure commune dans les échanges (1133a21). En troisième, il assigne la raison de la mesure commune décrite (1133a25). |
[73683] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 2 Dicit ergo primo, quod ad
hoc, quod opera diversorum artificum adaequentur, et sic commutari possint,
oportet, quod omnia illa quorum potest esse commutatio, sint aliqualiter
adinvicem comparabilia, ut scilicet sciatur quid eorum plus valeat et quid
minus. Et ad hoc inventum est nummisma, id est denarius, per quem
mensurantur pretia talium rerum, et sic denarius fit quodam modo medium,
inquantum scilicet omnia mensurat, et superabundantiam et defectum, id
est quantum una res superexcedat aliam, sicut supra dictum est, quod medium
iustitiae est quasi dica quae mensurat superabundantiam et defectum. |
|
#979. — Il dit donc en premier que, pour que les produits des divers artisans deviennent égaux et puissent ainsi s'échanger, il faut que toutes [choses] dont il peut y avoir échange soient de quelque manière comparables entre elles, de façon qu'on sache ce qui vaut plus et ce qui [vaut] moins. C'est dans cette vue que fut inventée la monnaie, c'est-à-dire le denier, grâce auquel se mesurent les prix de telles [choses]. C'est ainsi que le denier devient comme un milieu, pour autant qu'il mesure toutes [choses], à savoir leur surabondance et leur défaut, en tant qu'une chose surpasse une autre, comme on a dit plus haut que c'est le milieu qui appartient à la justice. Comme s'il disait: et celle-ci mesure la surabondance et le défaut. |
|
|
|
|
|
Leçon 9
|
[73684] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 3 Deinde cum dicit: quanta
quaedam etc., ostendit quomodo, secundum commensurationem praedictam fit
commutatio. Licet enim domus sit magis aliquid in pretio quam calciamentum,
tamen aliquanta calceamenta adaequant in pretio unam domum, vel et cibum
unius hominis per aliquod longum tempus. Oportet igitur ad hoc quod sit
commutatio ut tanta calceamenta dentur pro una domo vel pro cibo unius
hominis, quantum aedificator vel etiam agricola excedit coriarium in labore
et expensis, quia si hoc non observetur, non erit commutatio rerum, neque
homines sibiinvicem sua bona communicabunt. Id autem quod dictum est,
scilicet quod aliqua calceamenta dentur pro una domo, non poterit esse nisi
aliqualiter sint aequalia calceamenta domui. |
|
#980. — Ensuite (1133a21), il montre comment se réalise l'échange d'après la mesure commune décrite. Bien qu’une maison soit de plus de prix qu'un soulier, cependant une certaine quantité de souliers finit par égaliser en prix une maison, ou la nourriture d'un homme pour un temps long. Il faut donc, pour que l'échange soit juste, qu'autant de souliers soient donnés pour une maison ou pour la nourriture d'un homme que le constructeur ou le cultivateur dépasse le cordonnier en travail et en dépenses, parce que si cela n'est pas respecté, il ne pourra y avoir échange de choses, et les gens ne se communiqueront pas entre eux leurs biens. Or ce qui est dit, à savoir que plusieurs souliers se donnent pour une maison, ne pourra se faire, à moins que de quelque manière les souliers deviennent égaux à la maison. |
[73685] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 4 Deinde cum dicit: oportet
enim etc., assignat rationem praedictae commensurationis, quae fit per
numisma. Et dicit, quod ideo possunt omnia adaequari, quia omnia possunt
commensurari per aliquid unum, ut dictum est; hoc autem unum, quod omnia
mensurat secundum rei veritatem est indigentia, quae continet omnia
commutabilia, in quantum scilicet omnia referuntur ad humanam indigentiam;
non enim appretiantur res secundum dignitatem naturae ipsorum: alioquin unus
mus, quod est animal sensibile, maioris pretii esset quam una margarita, quae
est res inanimata: sed rebus pretia imponuntur, secundum quod homines
indigent eis ad suum usum. |
|
#981. — Ensuite (1133a25), il assigne la raison de la mesure commune décrite, faite par l'argent. Il dit que la raison pour laquelle toutes [choses] peuvent devenir égales, c'est qu'elles peuvent toutes trouver une mesure commune dans une chose unique, comme il a été dit; or cette unité, qui mesure toutes [choses] selon la vérité de la chose, est le besoin, qui contient toutes [les choses] échangeables, en tant que toutes se réfèrent au besoin humain. En effet, elles ne sont pas appréciées selon la dignité de leur nature: autrement, une souris, qui est un animal sensible, serait de plus de prix qu'une perle, qui est une chose inanimée: mais les prix sont imposés aux choses selon que les gens en ont besoin pour leur usage. |
[73686] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 5 Et huius signum est quia,
si homines nullo indigerent, nulla esset commutatio; vel si non similiter
indigerent, idest non his rebus non esset eadem commutatio, quia non darent
id quod habent pro eo quo non indigerent. Et quod secundum rei veritatem
indigentia omnia mensurat, manifestum est per hoc, quod numisma factum est secundum
compositionem, idest secundum conventionem quamdam inter homines, propter
commutationem necessitatis, idest rerum necessariarum. Est enim condictum
inter homines quod afferenti denarium detur id quo indiget. Et inde est quod
denarius vocatur numisma: nomos enim lex est, quia scilicet denarius non est
mensura per naturam, sed nomo, id est lege; est enim in potestate
nostra transmutare denarios et reddere eos inutiles. |
|
#982. — Et le signe en est que si les gens n'avaient besoin de rien, il n'y aurait pas d'échange; ou s'ils n'avaient pas des besoins semblables, c'est-à-dire [besoin] des [mêmes] choses, il n'y aurait pas le même échange, car on ne donnerait pas ce qu'on a pour ce dont on n'a pas besoin. Et qu'en vérité le besoin mesure toutes [choses], c'est manifeste par cela que l'argent a été institué selon une composition, c'est-à-dire par convention entre les gens, à cause de la nécessité de l'échange, de l'échange de choses nécessaires. Il est en effet entendu entre les gens qu'à celui qui apporte son denier on donnera ce dont il a besoin. Et il s'ensuit que le denier est appelé nómisma (nomisma): nómoß (nomos), en effet, signifie loi, c'est-à-dire que le denier n'est pas une mesure par nature, mais par nómoß, c'est-à-dire par loi: il est en effet en notre pouvoir de transformer les deniers et de les rendre inutiles. 179 |
[73687] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 6 Deinde cum dicit: erit
utique contrapassum etc., ostendit quomodo secundum praedictam
commensurationem contrapassum iuste in commutationibus fiat. Et primo
manifestat propositum. Secundo ponit in terminis, ibi: agricola a et cetera.
Dicit ergo primo, quod ex quo omnia mensurantur per indigentiam naturaliter,
et per denarium secundum condictum hominum, tunc iuste fiet contrapassum
quando omnia secundum praedictum modum adaequabuntur, ita scilicet quod
quantum agricola, cuius opus est cibus hominis, excedit coriarium cuius opus
est calceamentum, in tanta proportione excedit secundum numerum opus coriarii
opus agricolae, ut scilicet multa calciamenta dentur pro uno modio tritici.
Et ita quando fit commutatio rerum oportet ducere res commutandas in
diametralem figuram proportionalitatis, ut supra dictum est: et si hoc non
fieret, alterum extremum haberet utrasque superabundantias. Puta si agricola
daret modium tritici pro calceamento, haberet superabundantiam laboris in
opere et haberet etiam superabundantiam doni, quia scilicet plus daret quam
acciperet. Sed quando omnes habent quae sua sunt, sic sunt aequales et
sibiinvicem communicant, quia praedicta aequalitas potest fieri in ipsis. [73688] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9 n. 7 Deinde
cum dicit agricola a etc., ponit in terminis quod dictum est de figura
proportionalitatis. Describatur ergo, sicut et prius, quadratum abgd; et duo
diametri se intersecantes ad, bg; et sit ergo agricola a, cibus quod est opus
eius, g puta modius figura tritici; coriarius sit b, d vero sit opus coriarii
adaequatum, idest tot calceamenta quae valeant modium tritici. Erit ergo
iuste contrapassum si a coniungatur cum d et b cum g: et si non sit talis contrapassio,
homines non communicabunt res suas invicem. |
|
#983. — Ensuite (1133a31), il montre comment, avec la mesure décrite, la réciprocité se réalise de manière juste dans les échanges. Et en premier, il manifeste son propos. En second, il le pose dans des termes (1133b4). Du fait que toutes [choses] se mesurent naturellement au besoin, dit-il donc en premier, et au denier, par convention entre les gens, la réciprocité se réalisera de manière juste quand tout aura été égalisé selon le mode décrit; alors, autant le cultivateur, dont le produit est la nourriture de l'homme, dépasse le cordonnier, dont le produit est le soulier, autant en proportion le produit du cultivateur dépassera en nombre le produit du cordonnier, de sorte que beaucoup de souliers seront donnés pour un modius de blé. Et ainsi, au moment d'échanger, il faut regarder les choses à échanger selon la figure diamétrale de proportionnabilité, comme il a été dit plus haut: et si cela ne se fait pas, l'un des extrêmes aura l'une et l'autre surabondances. Par exemple, si le cultivateur donnait un modius de blé pour un soulier, il aurait surabondance de travail dans son produit et aurait aussi surabondance de perte, parce qu'il devrait donner plus que recevoir. Mais quand tous ont ce qui est leur, alors ils sont égaux et communiquent entre eux, parce que l'égalité décrite peut se produire en eux. #984. — Ensuite (1133b4), il pose en des termes ce qui a été dit de la figure de proportionnalité. Que l'on trace donc, comme aussi auparavant, un carré ABGD; soit alors le cultivateur, A, la nourriture qui est son produit, G, par exemple un modius de blé; soit le cordonnier, B; soit D, le produit équivalent du cordonnier, c'est-à-dire assez de souliers pour équivaloir un modius de blé. La réciproque se fera donc de manière juste, si on lie A avec D et B avec G: mais si la réciprocité ne se fait pas ainsi, les gens ne se communiqueront pas leurs choses entre eux. Cultivateur Cordonnier A B G D Nourriture Soulier |
[73689] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9 n. 8 Deinde cum dicit: quoniam autem indigentia etc.,
manifestat planius quod supra dictum est. Et primo manifestat quomodo res
mensurentur; secundo quomodo commensuratae commutentur, ibi: propter quod
oportet et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod necessitas sit
mensura secundum rei veritatem. Secundo quomodo denarius sit mensura secundum
legis positionem, ibi, pro futura autem et cetera. Dicit ergo primo, quod hoc
quod dictum est, quod indigentia hominum contineat omnia sicut una quaedam
mensura, ostenditur per hoc quod quando homines hoc modo se habent adinvicem
quod vel uterque vel saltem alter non indigeat re quam alius habet, non
commutant adinvicem, sicut commutant cum aliquis qui habet frumentum indiget
vino quod habet alius et ita dat frumentum pro vino. Oportet igitur ad hoc
quod iusta sit commutatio quod aequetur frumentum vino, ut scilicet tantum de
frumento detur quantum valet vinum. |
|
#985. — Ensuite (1133b6), il manifeste plus pleinement ce qu'il a dit plus haut. Et en premier, il manifeste comment les choses se mesurent. En second, comment ce qui a été ramené à une mesure commune est échangé (1133b14). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la nécessité est une mesure en rapport à la vérité de la chose. En second, comment le denier est une mesure instituée par la loi (1133b10). Il dit donc en premier que ce qui a été dit, que le besoin humain contient toutes [choses] comme une mesure, se montre de ce que quand des gens ont entre eux ce rapport que ou bien ni l'un ni l'autre, ou bien au moins l'un d'entre eux n'a pas besoin d'une chose que l'autre a, ils ne font pas d'échanges entre eux, comme ils font de ces échanges lorsque l'un, qui a du blé, a besoin du vin que l'autre a, et qu'ainsi il donne du blé pour du vin, de sorte qu'autant de blé soit donné que vaut le vin. |
[73690] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 9 Deinde cum dicit: pro
futura autem etc., manifestat quomodo denarius mensurat. Circa quod
considerandum est, quod si semper homines in praesenti indigerent rebus quas
invicem habent, non oporteret fieri commutationem nisi rei ad rem, puta
frumenti ad vinum: sed quandoque contingit quod ille cui superabundat vinum
ad praesens non indiget frumento quod habet ille qui indiget vino, sed forte
postea indigebit vel frumento vel aliqua alia re. Sic ergo pro necessitate
futurae commutationis numisma, id est denarius, est nobis quasi
fideiussor quod si in praesenti homo nullo indiget sed indigeat in futuro,
aderit sibi afferenti denarium illud quo indigebit. |
|
#986. — Ensuite (1133b10), il manifeste comment le denier mesure. Et sur ce [sujet], il faut considérer que si toujours les gens avaient besoin pour le moment de choses qu'ils ont réciproquement, il n'y aurait pas besoin de faire d'autre échange que de chose à chose, par exemple de blé à vin: mais quelquefois il arrive que celui pour qui surabonde le vin dans le moment n'a pas besoin du blé qu'a celui qui a besoin de vin, mais peut-être qu'il en aura besoin plus tard, ou d'autre chose. Ainsi donc, pour le besoin d'un prochain échange, la pièce, c'est-à-dire le denier, nous sert comme de garantie que si pour le moment on n'a besoin de rien mais qu'on ait besoin dans le futur, on nous donnera ce dont nous aurons besoin pour autant que nous apporterons notre denier. lien diamétral 180 |
[73691] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 10 Oportet enim istam esse
virtutem denarii, ut quando aliquis ipsum affert, statim contingat accipere
illud quo homo indiget. Verum est autem quod etiam denarius patitur hoc idem
quod aliae res, quod scilicet non semper pro eo homo accipit quod vult, quia non
semper potest aequale, idest non semper est eiusdem valoris; sed tamen
taliter debet esse institutus, ut magis permaneat in eodem valore quam aliae
res. |
|
#987. — Ce doit en effet être là la vertu du denier que, quand on l'apporte, aussitôt on reçoive ce dont on a besoin. Mais il est vrai que le denier aussi souffre le même [problème] que les autres choses, à savoir que pas toujours à son échange on reçoit ce qu'on veut, parce qu'il ne peut pas toujours également, c'est-à-dire qu'il n'est pas toujours de la même valeur; cependant, il doit être institué de manière qu'il demeure davantage de la même valeur que les autres choses. |
[73692] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 11 Deinde cum dicit propter
quod oportet etc., manifestat quomodo secundum commensurationem denariorum
fit commutatio. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit qualiter fit
commutatio rerum quae denariis mensurantur. Secundo ostendit secundum quam
rationem denarii mensurent, ibi, secundum veritatem quidem et cetera. Tertio
ponit quod dictum est in terminis, ibi, domus in quo a et cetera. Dicit ergo
primo quod, propter hoc (quod) denarius diutius manet in suo valore, oportet
omnia appretiari denariis. Per hunc enim modum poterit esse commutatio rerum,
et per consequens communicatio inter homines. Numisma quidem adaequat res
commutabiles, sicut quaedam mensura faciens res commensuratas. Manifestat
autem quae dicta sunt per hoc quod communicatio esse non poterit si non sit commutatio:
quae non erit, si non constituatur aequalitas in rebus, et si hoc non sit,
non erit commensuratio. |
|
#988. — Ensuite (1133b14), il manifeste comment il y a, en conformité avec la mesure des deniers, échange des choses qui trouvent commune mesure dans les deniers. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre de quelle manière se fait l'échange des choses mesurées par les deniers. En second, il montre selon quelle raison les deniers mesurent (1133b18). En troisième, il met en termes ce qu'il a dit (1133b23). Il dit donc en premier que, en tant que mesure mesurante, le denier demeure plus longtemps dans sa valeur; à cause de cela, il faut apprécier tout en deniers. De cette façon, en effet, il pourra y avoir échange des choses et par conséquent communication entre les gens. La pièce, bien sûr, ajuste les choses échangeables, comme une mesure qui rend les choses commensurables. Il manifeste par ailleurs ce qu'il a dit par le fait que la communication ne pourra avoir lieu s'il n'y a pas d'échange; et il n'y en aura pas, si une égalité n'est pas constituée entre les choses; et celle-ci ne sera pas, s'il n'y a pas de mesure commune. |
[73693] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 12 Deinde cum dicit:
secundum veritatem quidem etc., ostendit per quem modum denarii mensurent. Et
dicit quod res tam differentes impossibile est commensurari secundum
veritatem, idest secundum proprietatem ipsarum rerum; sed per
comparationem ad indigentiam hominum sufficienter possunt contineri sub una
mensura. Unde oportet esse unum aliquid quo omnia huiusmodi mensurentur, quod
quidem non mensurat ex sui natura, sed quia ita positum est inter homines.
Unde etiam vocatur nummisma; quod quidem omnia facit commensurata inquantum
omnia mensurantur numismate. |
|
#989. — Ensuite (1133b18), il montre de quelle manière les deniers mesurent. Et il dit qu'il est impossible que des choses si différentes aient mesure commune selon leur vérité, c'est-à-dire selon leur nature même; mais par comparaison au besoin des gens, elles peuvent être suffisamment contenues sous une mesure unique. Aussi doit-il exister une [chose] unique qui mesure tout de cette manière, à savoir bien sûr non pas à partir de leur nature, mais par convention telle entre les gens. C'est de là aussi qu'elle est appelée nómisma (numisma), parce que certes elle donne à tout commune mesure, en tant que tout est mesuré par le nómisma. |
[73694] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 13 Deinde cum dicit domus in
quo a etc., manifestat quod dictum est in terminis, dicens: sit a domus quae
valeat quinque mnas, b autem sit lectus qui valeat unam mnam, et sic lectus
erit in valore quinta pars domus. Unde manifestum est quot lecti sint
aequales in valore uni domui, scilicet quinque. Et manifestum est quod sic
fiebat commutatio antequam essent denarii: dabantur enim quinque lecti pro
una domo; nihil autem differt utrum dentur pro una domo quinque lecti vel
quantum valent quinque lecti. |
|
#990. — Ensuite (1133b23), il manifeste dans des termes ce qu'il a dit, en disant: soit A, une maison qui vaut cinq livres; soit B, un lit qui vaut une livre, de sorte que le lit sera en valeur le cinquième de la maison. D'où il est manifeste que tant de lits sont égaux en valeur à une maison, à savoir cinq. Et il est manifeste que l'échange se faisait ainsi avant que n'existent les deniers: on donnait en effet cinq lits pour une maison. Il n'y a par ailleurs aucune différence si on donne cinq ou quoi que ce soit qui valle cinq. |
[73695] Sententia Ethic., lib. 5 l. 9
n. 14 Ultimo autem epilogando
concludit quod dictum est quid est iustum et quid iniustum. |
|
#991. — Comme épilogue ultime, il conclut que l'on a dit ce qu'est le juste et ce qu'est l'injuste. |
|
|
|
Lectio
10 |
|
Leçon 10
|
[73696] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10
n. 1 Determinatis autem his et
cetera. Postquam philosophus ostendit quomodo iustum sit medium, hic ostendit
quomodo iustitia sit medium. Et circa hoc tria facit. Primo proponit quod
intendit. Secundo probat propositum, ibi, et quidem iustitia etc.; tertio
epilogat quae dicta sunt, ibi: de iustitia quidem igitur et cetera. Quia vero
habitus cognoscuntur per actus, circa primum duo facit: primo proponit
quomodo operatio iustitiae sit medium. Secundo, quomodo ipsa iustitia sit
medium, ibi, iustitia autem medietas et cetera. Dicit ergo primo, quod ex
praemissis quae determinata sunt, manifestum est quod iusta operatio, quae
est actus iustitiae, medium est inter iniustum facere et iniustum pati,
quorum alterum est plus habere quam sit sibi debitum, scilicet iniustum
facere, alterum autem, scilicet iniustum pati, est minus habere propter hoc
quod privatur aliquis eo quod sibi debetur; actus autem iustitiae est facere
aequale, quod est medium inter plus et minus; unde manifeste sequitur ex
praemissis quod iusta operatio medium est inter iniustum facere et iniustum
pati. |
|
#992. — Après avoir montré comment le juste est un milieu, le Philosophe montre ici comment la justice est un milieu. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention (1133b30). En second, il prouve son propos (1134a1). En troisième, il épilogue ce qui a été dit (1134a14). Comme, par ailleurs, les habitus se connaissent à travers leurs actes, sur le premier [point], il fait deux considérations. En premier, il affirme que l'opération de la justice constitue un milieu. En second, [il précise] comment la justice même est un milieu (1133b32). Il dit donc en premier qu'à partir de ce qui a été déterminé, il est manifeste que l'opération juste, qui est l'opération de la justice, est un milieu entre agir injustement et souffrir l'injustice, dont l'un consiste à avoir plus qu'il ne nous est dû, à savoir agir injustement, et l'autre, c'est-à-dire souffrir l'injustice, consiste à avoir moins, du fait que l'on soit privé de ce qui nous est dû. L'acte de justice, quant à lui, consiste à rendre égal, ce qui constitue le milieu entre le plus et le moins. Aussi s'ensuit-il manifestement de ce qui a été dit que l'opération juste est le milieu entre agir injustement et souffrir l'injustice. 181 |
[73697] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10
n. 2 Deinde cum dicit: iustitia
autem etc., ostendit qualiter iustitia sit medium. Et dicit, quod iustitia
non est medietas eodem modo quo aliae virtutes morales, quarum unaquaeque
medietas est inter duas malitias, sicut liberalitas, quae est media inter
illiberalitatem et prodigalitatem, sed iustitia non est media inter duas
malitias. Potest autem dici medietas effective, inquantum scilicet est
constitutiva medii, quia scilicet actus eius est iusta operatio, quae est
medium inter iniustum facere et iniustum pati, quorum duorum alterum tantum,
scilicet iniustum facere, pertinet ad malitiam, scilicet iniustitiam, quae
est extremorum, inquantum accipit sibi plus de bonis et minus de malis; sed
iniustum pati, non pertinet ad aliquam malitiam, sed magis est poena. |
|
#993. — Ensuite (1133b32), il montre de quelle manière la justice est un milieu. Et il dit que la justice n'est pas un moyen terme de la même manière que les autres vertus morales, dont chacune est un moyen terme entre deux malices, comme la libéralité, qui est intermédiaire entre l'illibéralité et la prodigalité; la justice, pour sa part, n'est pas intermédiaire entre deux malices. Toutefois, elle peut effectivement être dite moyen terme, en tant qu'elle est constitutive d'un milieu, du fait que son acte est l'opération juste, qui est le milieu entre agir injustement et souffrir l'injustice; des deux cependant, l'un, à savoir agir injustement, appartient à la malice, à savoir à l'injustice, qui appartient aux extrêmes, pour autant qu'elle prend pour elle plus des biens et moins des maux; mais souffrir l'injustice n'appartient pas à une malice, mais c'est plutôt une peine. |
[73698] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10
n. 3 Deinde cum dicit: et
quidem iustitia etc., probat quod dictum est, scilicet quod iustitia non sit
medietas duarum malitiarum, sicut aliae virtutes morales. Et circa hoc duo
facit. Primo assumit quid sit iustitia. Secundo adiungit quaedam ad
concludendum propositum, ibi, iniustificationis autem et cetera. Circa primum
duo facit: primo proponit quid sit iustitia. Secundo quid sit iniustitia,
ibi, iniustitia autem et cetera. Dicit ergo primo, quod iustitia est habitus,
secundum quem ille qui est iustus, dicitur esse operativus iusti; et hoc
secundum electionem; quia sicut supra in secundo dictum est, virtus moralis
est habitus electivus. Hoc autem, quod dicitur operativus iusti, potest
referri ad iustitiam directivam commutationum, in qua magis apparet ratio
iustitiae propter aequalitatem rei: unde addit et distributivus ut
comprehendat etiam iustitiam distributivam, quae consistit in aequalitate
proportionis. |
|
#994. — Ensuite (1134a1), il prouve ce qu'il a dit, à savoir que la justice n'est pas un moyen terme entre deux malices, comme les autres vertus morales. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il assume ce qu'est la justice. En second, il ajoute certaines [notions] pour conclure son propos (1134a12). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il pose ce qu'est la justice. En second, ce qu'est l'injustice (1134a4). Il dit donc en premier que la justice est l'habitus selon lequel celui qui est juste est dit agent du juste; et cela par choix; car, comme on l'a dit plus haut, dans le second [livre], la vertu morale est un habitus électif. De dire, néanmoins, que [l'homme juste] est agent du juste, peut se référer à la justice qui dirige les échanges, dans laquelle apparaît davantage la raison de justice à cause de l'égalité de la chose: aussi ajoute-t-il «et distributif», pour comprendre aussi la justice distributive, qui consiste en une égalité de proportion. |
[73699]
Sententia Ethic., lib. 5 l. 10 n. 4 Potest autem aliquis secundum
electionem operari iustum tam in commutationibus quam in distributionibus,
dupliciter. Uno modo inter se et alterum: et quantum ad hoc dicit: et ipsi
- sibi - ad alium; alio modo inter duos alios, quod pertinet ad
iudicem vel arbitrum, unde subdit et alteri ad alterum. Quomodo autem iustus operetur iustum, manifestat per
exclusionem contrarii, subdens: quod non sic facit, quod de rebus
eligibilibus, puta divitiis et honoribus, plus conferat sibi et minus
proximo; et de rebus nocivis, idest laboriosis et poenalibus, e converso plus
proximo quam sibi; sed aequaliter secundum proportionem; et hoc observat non
solum inter se et alium, sed etiam inter duos alios. |
|
#995. — Or on peut par choix agir justement tant dans les échanges que dans les distributions, et [cela] de deux manières. D'une première manière, entre soi et un autre: et quant à cela, il dit «et de soi à un autre». D'une autre manière, entre deux autres, ce qui concerne le juge ou l'arbitre; aussi ajoute-t-il «et d'un autre à un autre». Comment par ailleurs l'[homme] juste opère-t-il le juste, il le manifeste par l'exclusion du contraire, ajoutant: ce qu'il ne fait pas, c'est, parmi les choses éligibles, par exemple les richesses et les honneurs, en prendre plus pour soi et en laisser moins à son prochain; et parmi les choses nocives, c'est-à-dire pénibles et pénales, au contraire en [garder] plus pour son prochain que pour soi. Au contraire, [il procède] avec égalité, en proportion; et il observe cela non seulement entre lui et un autre, mais aussi entre deux autres. |
[73700] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10
n. 5 Deinde cum dicit:
iniustitia autem etc., proponit quid sit iniustitia; et dicit quod iniustitia
e contrario est habitus secundum electionem operativus iniusti: quod quidem
contingit in superabundantia vel defectu rerum utilium vel nocivarum, quas
accipit praeter debitam proportionem. Propter quod sicut iustitia dicitur
medietas, quia est operativa medii, ita etiam iniustitia dicitur
superabundantia et defectus quia est factiva superabundantiae et defectus,
ita quidem, quod iniustus attribuit sibiipsi superabundantiam rerum quae sunt
simpliciter utiles, defectum autem rerum nocivarum; sed aliis quidem
similiter attribuunt totum, idest superabundantiam et defectum, sed
non in eisdem; sed defectum quidem utilium, superabundantiam vero nocivorum.
Nec est determinatum qualiter iniustitia debitam proportionem relinquat,
idest quantum plus vel quantum minus debito accipiat; sed hoc facit qualitercumque
contingit, idest prout sibi occurrit. |
|
#996. — Ensuite (1134a4), il propose ce qu'est l'injustice; et il dit que l'injustice, au contraire, est l'habitus agent par choix de l'injuste: ce qui certes se produit dans la surabondance comme dans le défaut des choses utiles ou nocives, qu'on reçoit en dehors de la proportion due. À cause de quoi, comme la justice se dit un moyen terme, parce qu'elle est agente du milieu, de même l'injustice se dit surabondance et défaut, parce qu'elle est agent de la surabondance et du défaut, de façon, certes, que l'injuste s'attribue à lui-même une surabondance des choses qui sont simplement utiles, un défaut cependant des choses nuisibles. Aux autres, bien sûr, ils attribuent semblablement tout, c'est-à-dire la surabondance et le défaut, mais non dans les mêmes [matières]: le défaut dans les choses utiles et la surabondance dans les choses nuisibles. Il n'est pas déterminé, cependant, à quel degré l'injustice s'écarte de la proportion due, c'est-à-dire combien plus ou combien moins que le dû elle prend; mais elle fait cela de quelque manière que cela arrive, c'est-à-dire comme cela se présente. |
[73701] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10 n. 6 Deinde cum dicit iniustificationis autem etc., adiungit
quaedam necessaria ad concludendum propositum. Et dicit, quod duplex est
iniustificatio: una quidem quae consistit in minus habere de bonis, ad quam
refertur plus habere de malis, quod est eiusdem rationis: et hoc est iniustum
pati. Alia autem iniustificatio est habere maius in bonis et minus in malis,
et hoc est iniustum facere. |
|
#997. — Ensuite (1134a12), il ajoute certaines [notions] nécessaires pour conclure son propos. Et il dit que l'acte d'injustice est double: l'un certes consiste à moins avoir de biens, à quoi se rapporte avoir plus de maux, ce qui est de même nature: c'est souffrir l'injustice. Tandis que l'autre acte d'injustice consiste à avoir plus de biens et moins de maux; cela, c'est agir injustement. |
[73702] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10
n. 7 Ex his ergo potest sic
argumentari: ad iniustitiam pertinet iniustum facere: sed habere minus in
bonis vel plus in malis, non est iniustum facere sed iniustum pati; ergo hoc
non pertinet ad malitiam iniustitiae. Iustitia vero est medium inter plus
habere et minus habere, ut supra habitum est; ergo iustitia non est media
inter duas malitias. |
|
#998. — À partir de là, on peut argumenter ainsi. Il appartient à l'injustice d'agir injustement: mais avoir moins de biens ou plus de maux, ce n'est pas agir injustement mais souffrir l'injustice; donc, cela n'appartient pas à la malice d'injustice. La justice, elle, est le milieu entre avoir plus et avoir moins, comme il a été dit plus haut; donc, la justice n'est pas le milieu entre deux malices. 182 |
[73703] Sententia Ethic., lib. 5 l. 10
n. 8 Deinde cum dicit: de
iustitia quidem igitur etc., epilogat quae dicta sunt. Et dicit dictum esse
de iustitia et iniustitia quae sit natura utriusque; et similiter de iusto et
iniusto in universali; nam quosdam particulares modos iusti et iniusti postea
determinabit. |
|
#999. — Ensuite (1134a14), il épilogue ce qui a été dit. Et il dit qu'on a parlé de la justice et de l'injustice, et de la nature de l'une et de l'autre; et, de manière semblable, du juste et de l'injuste en général. En effet, il déterminera par la suite de certains modes particuliers du juste et de l'injuste. |
|
|
|
Lectio
11 |
|
Leçon 11
|
[73704] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 1 Quia autem est iniustum
facientem et cetera. Postquam philosophus determinavit de iustitia et iusto
et oppositis horum absolute, hic determinat de eis per comparationem ad
subiectum, ostendendo scilicet qualiter aliquis, faciendo iniustum, fiat
iniustus. Et circa hoc duo facit. Primo determinat veritatem. Secundo movet
quasdam dubitationes circa praedeterminata, ibi, dubitabit autem utique
aliquis et cetera. Circa primum tria facit. Primo movet quaestionem. Secundo
interponit quaedam, quae sunt necessaria ad quaestionis solutionem, ibi,
oportet autem non latere et cetera. Tertio solvit quaestionem, ibi,
existentibus autem iustis et cetera. Circa primum duo facit. Primo movet
quaestionem intentam. Secundo ostendit quamdam aliam quaestionem prius esse
determinatam, ibi: qualiter quidem igitur habet et cetera. Dicit ergo primo
quod contingit aliquem, qui facit aliquam rem iniustam, nondum esse iniustum.
Et ideo quaerendum est quales iniustificationes, idest operationes
iniustorum oporteat esse ad hoc quod ille qui facit iniusta, iam sit iniustus
in unaquaque specie iniustitiae, puta furti, vel adulterii, vel latrocinii:
vel potest dici, removendo praedicta, quod sic quidem nihil differt, id est
quod nihil differt ad hoc quod homo sit iniustus secundum qualescumque operationes
iniusta faciat. |
|
#1000. — Après avoir déterminé de manière absolue de la justice et du juste, et de leurs opposés, le Philosophe en détermine ici par comparaison à leur sujet, en montrant de quelle manière, en agissant injustement, on devient injuste. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il détermine de la vérité (1134a17). En second, il soulève des difficultés sur ce qui a été déterminé auparavant (1136a10). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il soulève une question. En second, il interpose des [notions] qui sont nécessaires à la solution de la question (1134a24). En troisième, il résout la question (1135a15). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il soulève la question à investiguer. En second, il montre qu'une autre question a été déterminée auparavant (1134a23). Il dit donc en premier qu'il se peut, lors même qu'on fait une chose injuste, on ne soit pourtant pas injuste. C'est pourquoi aussi il faut chercher quels actes d'injustice, c'est-à-dire œuvres d'injustice, on doit avoir pour qu'en faisant l'injustice on soit injuste, et ce en chaque espèce d'injustice, par exemple vol, ou adultère, ou brigandage. Ou bien, peut-on dire, en effaçant ce qui précède, qu'il n'y a pas de différence, pour ce qui est d'être injuste, selon quelles opérations on fait l'injustice. |
[73705] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 2 Ideo autem quaesitum est
secundum quales iniustificationes, quia multipliciter contingit aliquem
facere iniustum, quia contingit, quod aliquis commiscetur mulieri, quae est
uxor alterius, non ignorans personam, quod faceret involuntarium, sed sciens
cui commiscetur, non tamen hoc facit ex electione sed ex passione. Talis
igitur facit quidem rem iniustam, non tamen videtur esse iniustus, quia non
operatur ex electione; sicut etiam in speciali possumus dicere, quod aliquis
non est fur licet sit furatus, quia non ex electione, et similiter non est
moechus licet sit moechatus; et similis ratio est in aliis. |
|
#1001. — La raison, néanmoins, pour laquelle on cherche dans quels actes d'injustice cela se produit, c'est qu'il est possible de bien des manières de faire l'injustice. Il est possible que l'on ait une affaire avec une femme, qui soit l'épouse d'un autre, sans ignorer la personne, ce qui rendrait [l'acte] involontaire, sachant donc à qui on a affaire, sans toutefois le faire par choix mais par passion. Alors on fait certes une chose injuste, mais on ne passe pas pour injuste, puisqu'on n'agit pas par choix; de même aussi, nous pouvons dire avec précision que l'on n'est pas un voleur, bien qu'on ait volé, puisqu'on n'a pas volé par choix; de manière semblable, on n'est pas adultère, bien qu'on ait commis l'adultère; et pareille raison intervient en autres [matières]. |
[73706] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 3 Deinde cum dicit: qualiter
quidem igitur etc., ostendit quamdam dubitationem iam esse solutam; scilicet
qualiter se habeat contrapassum ad iustum, de quo prius dictum est. |
|
#1002. — Ensuite (1134a23), il montre qu'une difficulté a déjà été résolue; à savoir de quelle manière se rapporte la réciprocité au juste, ce dont il a été question auparavant (#971-972). |
[73707] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 4 Deinde cum dicit: oportet
autem non latere etc., interponit quaedam, quae sunt necessaria ad solutionem
propositae quaestionis. Et primo quid sit simpliciter iustum. Secundo quid
sit iustificatio, ibi, differt autem iniustificatio et cetera. Circa primum
duo facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo exequitur propositum,
ibi, hoc autem est et cetera. Dicit ergo primo, quod ad evidentiam
quaestionis, qua quaeritur quali operatione aliquis faciens iustum vel
iniustum sit iustus vel iniustus, oportet non latere quod iustum, de quo nunc
quaeritur est iustum simpliciter, quod est iustum politicum. |
|
#1003. — Ensuite (1134a24), il interpose des [notions] nécessaires à la solution de la question proposée. Et en premier ce qu'est strictement le juste. En second, ce qu'est un acte de justice (1135a8). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il dit quelle est son intention. En second, il exécute son propos (1134a26). Il dit donc en premier qu'en vue de l'évidence de la question en laquelle on cherche en quelle opération, en faisant la justice ou l'injustice, on est dit juste ou injuste, il faut que ne nous échappe pas que le juste sur lequel on enquête est le juste strictement, à savoir, le juste politique. |
[73708] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 5 Deinde cum dicit: hoc
autem est etc., exequitur propositum. Et primo ostendit quid sit iustum
politicum. Secundo dividit ipsum ibi, politici autem iusti et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit quod intendit, scilicet quid sit iustum
politicum. Secundo manifestat propositum, ibi, est enim iustum, quibus et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid sit iustum politicum.
Secundo concludit, quod sunt quaedam alia iusta ab hoc differentia, ibi,
quare quantis et cetera. Dicit ergo primo, quod iustum politicum consistit in
quadam communitate vitae quae ordinatur ad hoc, quod sit per se sufficientia
eorum quae ad vitam humanam pertinent. Et talis est communitas civitatis, in
qua debent omnia inveniri quae sufficiant humanae vitae. Hoc autem iustum
consistit in liberis non autem in servis, quia dominorum ad servos non est
politicum iustum sed dominativum, ut infra dicetur; consistit etiam iustum
politicum in personis aequalibus, id est quarum una non subditur alteri
naturali ordine vel civili, sicut filius patri, inter quos, ut infra dicetur,
non est politicum iustum sed paternum. |
|
#1004. — Ensuite (1134a26), il exécute son propos. Et en premier il montre ce qu'est le juste politique. En second, il le divise (1134b18). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il veut, à savoir, ce qu'est le juste politique. En second, il manifeste son propos (1134a30). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est le juste politique. En second, il conclut qu'il existe d'autres choses justes différentes de cela (1134a28). Il dit donc, en premier, que le juste politique consiste en une communauté de vie qui vise à suffire par elle-même en ce qui a trait à la vie humaine. Or c'est là la communauté de la cité, en laquelle on doit trouver toutes choses requises à la vie humaine. Mais ce juste existe entre [gens] libres et non avec des esclaves, car entre maîtres et esclaves on ne trouve pas le juste politique, mais dominatif, 183 comme on le dira plus loin. Tandis que le juste politique existe entre personnes égales, dont l'une n'est pas soumise à l'autre par un ordre naturel ou civil, comme l'enfant à son père, entre qui, comme on le dira plus loin, on ne trouve pas le juste politique, mais paternel. |
[73709] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 6 Hoc autem iustum
politicum, vel est secundum proportionalitatem, idest secundum
aequalitatem proportionis quantum ad iustitiam distributivam; vel secundum
numerum, id est secundum aequalitatem numeralis quantitatis, quantum ad
iustitiam commutativam. |
|
#1005. — Mais ce juste politique, existe ou bien selon une proportionnalité, c'est-à-dire, selon une égalité de proportion en tant que justice distributive; ou selon le nombre, c'est-à-dire, une égalité de quantité numérale, en tant que justice commutative. |
[73710] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 7 Deinde cum dicit: quare
quantis etc., concludit quaedam alia iusta a praedicto differentia; dicens,
quod ex quo iustum politicum consistit in liberis et aequalibus, quibuscumque
non inest hoc, scilicet quod sint liberi et aequales, his non est adinvicem
politicum iustum, quod est iustum simpliciter, sed quoddam iustum,
idest dominativum vel paternum, quod est iustum secundum quid, in quantum
habet aliquam similitudinem politici iusti. |
|
#1006. — Ensuite (1134a28), il conclut [à l'existence] d'autres [types de choses] justes, à partir de la différence qui précède; disant que du fait que le juste politique existe entre [gens] libres et égaux, il n'existe pas de juste politique, à savoir, de juste strictement, entre ceux auxquels cela n'appartient pas, à savoir, d'être libres et égaux, mais un certain juste, c'est-à-dire, dominatif ou paternel, ce qui est [juste] sous un certain rapport, en tant que cela a une ressemblance avec le juste politique. |
[73711] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 8 Deinde cum dicit: est enim
(iustum,) quibus etc., manifestat quod dictum est. Et primo quantum ad iustum
politicum, quod est iustum simpliciter. Secundo quantum ad iustum dominativum
vel paternum, quod est iustum secundum quid, ibi, dominativum autem iustum et
cetera. Circa primum duo facit. Primo manifestat quod dictum est, scilicet
quod iustum politicum sit in liberis et aequalibus. Secundo infert quaedam
corollaria ex dictis, ibi, propter quod non sinimus et cetera. Dicit ergo
primo quod ideo dictum est quod iustum politicum est in liberis et
aequalibus, quia cum iustum politicum determinetur lege, necesse est quod in
illis sit ad quos datur lex. Lex autem non datur principaliter pro servis,
qui cohibentur a dominis, neque pro filiis qui cohibentur a patribus, sed pro
liberis et aequalibus; unde in talibus est politicum iustum. Quod autem in
illis sit politicum iustum ad quos datur lex, manifestum est per hoc, quod
iustitia et iniustitia in eisdem sunt; lex autem ad illos se extendit in
quibus potest esse iniustitia; quod patet ex hoc, quod vindicta, quae fit
secundum legem, nihil aliud est quam iudicium de iusto et iniusto. |
|
#1007. — Ensuite (1134a30), il manifeste ce qui a été dit. Et en premier quant au juste politique, qui est le juste strict. En second quant au juste dominatif ou paternel, qui est le juste sous un certain rapport (1134b8). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste ce qui a été dit, à savoir que le juste politique existe entre [gens] libres et égaux. En second, il infère des corollaires de ce qui a été dit (1134a35). Il dit donc en premier que la raison pour laquelle il a été dit que le juste politique existe entre [gens] libres et égaux, c'est que, comme le juste politique est déterminé par la loi, il est nécessaire qu'on le trouve chez ceux à qui la loi est donnée. Or la loi n'est pas donnée principalement aux esclaves, qui sont menés par leurs maîtres, ni aux les fils qui sont menés par leurs parents, mais aux [gens] libres et égaux. Que par ailleurs ce soit entre de telles [gens] qu'existe le juste politique, [à savoir] entre ceux à qui est donnée la loi, c'est manifeste du fait que la justice et l'injustice sont chez eux; or la loi s'étend à ceux en qui l'injustice peut être; ce qui est évident de cela que la vengeance, qui se fait selon la loi, n'est rien d'autre que le jugement du juste et de l'injuste. |
[73712] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 9 Et ex quo lex est, in
quibus est iniustitia, sequitur quod sit in quibus est iniustum et per
consequens in quibus est iustum, quia in quibuscumque est iniustitia, in his
invenitur iniustum facere, sed non convertitur. Dictum est enim in secundo,
quod contingit aliquem facere virtuosa absque virtute et similiter vitiosa
absque habitu vitii: hoc autem iniustum nihil est aliud quam quod aliquis
attribuat sibiipsi plus de his quae sunt simpliciter et absolute bona, sicut
sunt divitiae et honores, et minus de his quae sunt simpliciter et absolute
mala, sicut sunt contraria praedictorum. |
|
#1008. — Et du fait que la loi existe chez ceux entre qui existe la justice, il s'ensuit qu'elle existe chez ceux entre qui existe l'injuste, et par conséquent en qui on trouve le juste aussi; car c'est chez ceux où on trouve l'injustice qu'on trouve d'agir injustement, mais cela ne se convertit pas. On a dit en effet dans le second [livre], qu'il se peut que l'on fasse quelque chose de vertueux sans vertu et semblablement quelque chose de vicieux sans l'habitus du vice: mais cet injuste n'est rien d'autre que le fait de s'attribuer à soi-même plus de ce qui est simplement et absolument bon, comme sont les richesses et les honneurs, et moins de ce qui est simplement et absolument mauvais, comme les [choses] contraires à celles qu'on vient de mentionner. |
[73713] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 10 Deinde cum dicit propter
quod non sinimus etc., infert tria correlaria ex praedictis. Et primo dicit
quod quia iniustum est quod aliquis sibi plus attribuat de bonis et minus de
malis, inde est quod in recta gubernatione multitudinis non permittimus quod
homines principentur, scilicet secundum voluntatem et passiones humanas, sed
quod principetur ratio, id est lex quae est dictamen rationis, vel homo qui
secundum rationem agat, quia, si princeps sequatur passiones humanas, faciet
hoc sibi, scilicet, quod plus accipiet de bonis et minus de malis, et ita
fiet tyrannus, quum hoc sit contra rationem principis. Ad hoc enim princeps
institutus est ut custodiat iustitiam, et per consequens aequalitatem quam praeterit,
dum sibi usurpat plus de bonis et minus de malis. |
|
#1009. — Ensuite (1134a35), il infère trois corollaires de ce qui a été dit. Et il dit en premier que parce que l'injuste consiste à ce qu'on s'attribue à soi plus des biens et moins des maux, il s'ensuit qu'en gouvernement correct d'un peuple, on ne permet pas que les hommes gouvernent, à savoir selon la volonté et les passions humaines, mais [on veut] que ce soit la loi qui gouverne l'homme, laquelle est la domination de la raison, ou l'homme qui agit selon la raison: car si le prince suit des passions humaines, il fera cela pour lui, à savoir prendre plus des biens et moins des maux, et il deviendra ainsi un tyran, alors que cela va contre la raison de prince. En effet, le prince est institué justement pour cela, garder la justice, et par conséquent l'égalité qu'il néglige quand il usurpe pour lui plus des biens et moins des maux. |
[73714] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11 n. 11 Secundum corollarium ponit ibi quia autem nihil ipsi et
cetera. Et dicit, quod quia princeps, si sit iustus, nihil plus sibi
attribuit de simpliciter bonis quam aliis nisi forte secundum debitam
proportionem distributivae iustitiae, inde est, quod princeps non laborat ad
utilitatem suam sed aliorum. Et propter hoc supra dictum est, quod iustitia
legalis, secundum quam princeps gubernat multitudinem, est alienum bonum. |
|
#1010. — Il amène alors son second corollaire (1134b2) et dit que parce que le prince, s'il est juste, ne s'attribue rien de plus comme biens qu'aux autres, sauf peut-être selon la proportion due de la justice distributive, il s'ensuit que le prince ne travaille pas à son utilité mais à celle des autres. Et à cause de cela il a été dit plus haut que la justice légale, selon laquelle le prince gouverne le peuple, est le bien de l'autre. |
[73715] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 12 Tertium corollarium ponit
ibi merces ergo et cetera. Manifestum est enim, quod quilibet debet dare
mercedem ei qui pro se laborat. Quia ergo princeps laborat pro multitudine,
danda est ei merces a multitudine, scilicet honor et gloria, quae sunt maxima
bonorum quae ab hominibus dari possunt; si autem sint aliqui principes,
quibus ista non sufficiant pro mercede sed quaerant lucra, isti fiunt iniusti
et tyranni. Super hanc autem mercedem ab hominibus exhibitam boni principes
expectant mercedem a Deo. |
|
#1011. — Il amène alors son troisième corollaire (1134b6). Il est manifeste, en effet, que n'importe qui doit donner un salaire à celui qui travaille pour lui. Parce que donc le prince travaille pour le peuple, un salaire doit lui être donné par le peuple, à savoir 184 l'honneur et la gloire, qui sont les plus grands biens qui peuvent être donnés par les hommes. Mais s'il se trouve des princes à qui cela ne suffit pas pour salaire et qui recherchent un gain, ce sont des [princes] injustes et des tyrans. En plus de ce salaire procuré par les hommes, les bons princes attendent aussi un salaire de Dieu. |
[73716] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 13 Deinde cum dicit
dominativum autem iustum etc., manifestat quod supradictum est de eo quod non
est iustum simpliciter, sed secundum similitudinem. Et primo quantum ad
iustum dominativum et paternum. Secundo quantum ad iustum quod est viri ad
uxorem, ibi, propter quod magis et cetera. Circa primum tria facit. Primo
proponit quod intendit. Et dicit quod dominativum iustum, quod scilicet est
domini ad servum, et paternum, quod scilicet est patris ad filium, non est
idem his iustis quae sunt politica; sed habet aliquam similitudinem cum eis,
secundum quod aliqualiter est ad alterum. |
|
#1012. — Ensuite (1134b8), il manifeste ce qui a été dit plus haut de ce qui n'est pas juste strictement, mais selon une ressemblance. Et en premier quant au juste dominatif et paternel. En second, quant au juste qui intervient entre mari et femme (1134b15). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. Et il dit que le juste dominatif, à savoir entre maître et esclave, et paternel, à savoir entre père et enfant, n'est pas la même [chose] que le juste politique; mais il a quelque ressemblance avec, selon que de quelque manière il est envers autrui. |
[73717] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 14 Secundo ibi: non enim est
iniustitia etc., ostendit quod dictum est, quantum ad hoc, quod dominativum
vel paternum iustum non est simpliciter iustum: manifestum est enim, quod non
potest esse simpliciter iniustitia hominis ad ea quae sunt ipsius, sicut
neque iustitia, quia utrumque est ad alterum. Sed servus est domini sicut
possessio, et filius quousque est pelicon, idest magnus, et separetur
a patre, per emancipationem, est quasi quaedam pars patris. Et quod non sit
iniustitia ad seipsum, patet per hoc, quod nullus eligit nocere sibiipsi.
Unde patet quod simpliciter loquendo non est iustum vel iniustum ad filium
vel servum. |
|
#1013. — En second (1134b9), il montre ce qu'il a dit, quant à cela que le juste dominatif ou paternel n'est pas strictement juste: il est manifeste, en effet, qu'il ne peut y avoir de stricte injustice entre un homme et ce qui est à lui-même, comme non plus de justice, car l'une et l'autre est envers autrui. Or l'esclave est comme une possession du maître, et l'enfant, jusqu'à ce qu'il atteigne un certain âge, c'est-à- dire soit grand et se sépare de son père par émancipation, est comme une partie du père. Et qu'il n'y ait pas d'injustice envers soi-même, c'est évident du fait que personne ne choisit de se nuire à soi-même. Aussi devient-il évident qu'à parler strictement il n'y a pas de justice ou d'injustice envers l'enfant ou l'esclave. |
[73718] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 15 Tertio ibi: neque iustum
politicum etc., ostendit, quod dominativum et paternum iustum, etiam si esset
simpliciter iustum, non esset politicum iustum, quia iustum politicum est
secundum legem, et in quibus nata est esse lex. Et huiusmodi sunt illi quibus
competit aequalitas quantum ad hoc quod est principari et subici, ita
scilicet quod unus eorum non subicitur alteri, sicut servus subiicitur
domino, et filius patri. Unde in his non est politicum iustum. |
|
#1014. — En troisième (1134b13), il montre que le juste dominatif et paternel, même s'il était strictement juste, ne serait pas un juste politique, parce que le juste politique est en rapport à la loi, et existe entre qui est de nature à avoir loi. Or sont de cette sorte ceux à qui convient l'égalité quant à ce qui est d'être gouverné et assujetti; à savoir que l'un d'eux [ne] soit [pas] assujetti à l'autre, comme l'esclave est assujetti au maître et l'enfant au père. Aussi n'y a-t-il pas entre eux de juste politique. |
[73719] Sententia Ethic., lib. 5 l. 11
n. 16 Deinde cum dicit: propter
quod magis etc., determinat de iusto uxorio; et dicit, quod quia uxor minus
est subiecta viro quam servus domino, vel filius patri; ideo plus habet de
ratione iusti illud quod est viri ad uxorem quam id quod est patris ad
natos, id est filios, et domini ad possessiones idest servos.
Iustum enim quod est viri ad uxorem est oeconomicum, quia vir praeest in domo
sicut princeps in civitate. Hoc tamen iustum oeconomicum est alterum a
politico, sicut domus est aliud a civitate. |
|
#1015.
— Ensuite (1134b15), il détermine du juste sponsal; et il dit que comme la
femme est moins sujette au mari que l'esclave au maître, ou l'enfant au père,
c'est pourquoi il y a plus raison de juste entre mari et femme qu'entre père
et progéniture, c'est-à-dire enfants, et maître et possessions, c'est-à-dire
esclaves. En effet, le juste entre mari et femme est [le juste] économique,
car le mari gouverne dans la maison comme le prince dans la cité. Toutefois,
ce juste économique diffère du politique comme la maison diffère de la cité. |
|
|
|
Lectio
12 |
|
Leçon 12
|
[73720] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 1 Politici autem iusti et
cetera. Postquam philosophus ostendit quale sit politicum iustum, quod est
simpliciter iustum, hic ponit divisionem huius iusti politici. Et primo
dividit iustum politicum in species. Secundo tangit divisionem huius iusti in
individua, ibi, iustorum autem, et legalium et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit divisionem. Secundo exponit eam, ibi, naturale quidem
et cetera. Tertio excludit errorem contra divisionem praedictam, ibi: videtur
autem quibusdam et cetera. Dicit ergo primo, quod politicum iustum dividitur
in duo: quorum unum est iustum naturale, aliud autem iustum legale. Est autem
haec eadem divisio cum divisione quam iuristae ponunt, quod iuris aliud est
naturale, aliud est positivum; idem enim nominant illi ius quod Aristotiles
iustum, nam et Isidorus dicit in libro Etymologiarum, quod ius dicitur quasi
iustum. Videtur autem esse contrarietas quantum ad hoc, quod politicum idem
est quod civile; et sic id quod apud philosophum ponitur ut divisum, apud
iuristas videtur poni ut dividens, nam ius civile ponunt partem iuris
positivi. |
|
#1016. — Après avoir montré de quelle [nature] est le juste politique, qui est le juste strictement, le Philosophe présente ici la division de ce juste politique. Et en premier, il divise le juste politique en espèces (1134b18). En second, il touche la division de ce juste en [cas] individuels (1135a6). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose la division. En second, il l'expose (1134b19). En troisième, il exclut une erreur opposée à cette division (1134b24). Il dit donc en premier que le juste politique se divise en deux [espèces], dont l'une est le juste naturel, l'autre le juste légal. C'est par ailleurs la même division que celle posée par les juristes, à savoir que le droit est ou naturel ou positif. C'est la même [chose], en effet, qu'ils nomment droit et qu'Aristote nomme juste. En effet, Isidore aussi dit, dans son livre des Étymologies, que le droit (jus) se dit tel parce que juste (justum). Il semble toutefois y avoir contrariété quant à cela que le politique est la même [chose] que le civil; ainsi, ce qui est présenté par le Philosophe comme divisé paraît présenté par les juristes comme divisant, étant donné qu'ils présentent le droit civil comme une partie du droit positif. 185 |
[73721] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 2 Sed attendendum est, quod
aliter sumitur politicum vel civile hic apud philosophum et aliter apud
iuristas; philosophus enim hic nominat politicum iustum vel civile ex usu,
quo scilicet cives utuntur; iuristae autem nominant ius politicum vel civile
ex causa, quod scilicet civitas aliqua sibi constituit, et ideo convenienter
hic a philosopho nominatur legale, idest lege positum, quod et illi
dicunt positivum; convenienter autem per haec duo dividitur iustum politicum,
utuntur enim cives iusto et eo quod natura menti humanae indidit, et eo quod
est positum lege. |
|
#1017. — Mais il faut tenir compte de ce que le politique ou le civil, ici, est pris différemment par le Philosophe et par les juristes. Car le Philosophe nomme ici le juste politique ou civil à partir de l'usage qu'en font les citoyens; tandis que les juristes nomment le droit politique ou civil à partir de sa cause, qui est qu'une cité se l'est constitué. C'est pourquoi aussi le Philosophe nomme avec convenance légal, c'est-à-dire posé par la loi, ce que les autres disent positif. Par ailleurs, c'est avec convenance que le juste politique est divisé par ces deux [différences]. En effet, les citoyens se réfèrent à la fois à ce juste que la nature a inscrit dans l'esprit humain, et à celui qui est posé par la loi. |
[73722] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 3 Deinde cum dicit: naturale
quidem etc., manifestat membra divisionis praemissae. Et primo manifestat
iustum naturale dupliciter. Uno modo secundum effectum vel virtutem, dicens
quod iustum naturale est quod habet ubique eandem potentiam, id est virtutem,
ad inducendum ad bonum et ad arcendum a malo. Quod quidem contingit eo quod
natura, quae est causa huius iusti, eadem est ubique apud omnes, iustum vero
quod est ex positione alicuius civitatis vel principis apud illos tantum est
virtuosum, qui subduntur iurisdictioni illius civitatis vel principis. Alio
modo manifestat hoc iustum secundum causam, cum dicit, quod iustum naturale
non consistit in videri vel non videri, idest non oritur ex aliqua
opinione humana, sed ex natura. Sicut enim in speculativis sunt quaedam
naturaliter cognita, ut principia indemonstrabilia et quae sunt propinqua
his; quaedam vero studio hominum adinventa, ita etiam in operativis sunt
quaedam principia naturaliter cognita quasi indemonstrabilia principia et
propinqua his, ut malum esse vitandum, nulli esse iniuste nocendum, non esse
furandum et similia, alia vero sunt per industriam hominum excogitata, quae
dicuntur hic iusta legalia. |
|
#1018. — Ensuite (1134b19), il manifeste les membres de la division présentée. Et en premier, il manifeste de deux manières le juste naturel. D'une manière d'après son effet ou sa vertu, en disant: le juste naturel est celui qui a partout la même puissance et vertu pour induire au bien et écarter du mal. Et cela se produit, bien sûr, du fait que la nature, qui est cause de ce juste, est la même partout pour tous. Tandis que le juste dû à l'institution d'une cité ou d'un prince est vertueux chez ceux seulement qui sont soumis à la juridiction de cette cité ou de ce prince. D'une autre manière, il manifeste ce juste d'après sa cause, lorsqu'il dit que le juste naturel ne consiste pas à avoir l'air ou à ne pas avoir l'air, c'est-à-dire ne sort pas de quelque opinion humaine mais de la nature. De même, en effet, qu'en [matière] spéculative il y a du naturellement connu, comme les principes indémontrables et ce qui leur est proche; et du découvert par la recherche des hommes et autre chose qui en est proche; de même aussi, en [matière] d'opérations, il y a des principes naturellement connus, comme des principes indémontrables et ce qui leur est proche, comme que le mal est à éviter, qu'il ne faut nuire injustement à personne, qu'il ne faut pas voler, et [autres principes] semblables. Tandis que d'autres [principes] sont élaborés par le travail des hommes, et relèvent ici du juste légal. |
[73723] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 4 Est autem considerandum,
quod iustum naturale est ad quod hominem natura inclinat. Attenditur autem in
homine duplex natura. Una quidem, secundum quod est animal, quae est sibi
aliisque animalibus communis; alia autem est natura hominis quae est propria
sibi inquantum est homo, prout scilicet secundum rationem discernit turpe et
honestum. Iuristae autem illud tantum dicunt ius naturale, quod consequitur
inclinationem naturae communis homini et aliis animalibus, sicut coniunctio
maris et feminae, educatio natorum, et alia huiusmodi. Illud autem ius, quod
consequitur propriam inclinationem naturae humanae, inquantum scilicet homo
est rationale animal, vocant ius gentium, quia eo omnes gentes utuntur, sicut
quod pacta sint servanda, quod legati etiam apud hostes sint tuti, et alia
huiusmodi. Utrumque autem horum comprehenditur sub iusto naturali, prout hic
a philosopho accipitur. |
|
#1019. — On doit par ailleurs considérer que le juste naturel est ce à quoi la nature incline l'homme. Or on doit tenir compte d'une double nature dans l'homme. L'une, certes, en autant qu'il est un animal, qui lui est commune à lui et aux autres animaux. Une autre nature appartient à l'homme, par ailleurs, et elle lui appartient proprement en tant qu'il est homme, pour autant qu'il discerne le laid et l'honnête à l'aide de la raison. Or les juristes disent droit naturel cela seulement qui suit l'inclination de la nature commune à l'homme et aux autres animaux, comme l'union du mâle et de la femelle, l'éducation de la progéniture, et d'autres [choses] de la sorte. Et le droit qui suit l'inclination propre de la nature humaine, en tant que l'homme est un animal raisonnable, les juristes l'appellent droit des gens, parce que tous les gens en usent, comme que les traités sont à respecter, et que les légats jouissent de l'immunité chez leurs ennemis, et d'autres [choses] de la sorte. Mais l'un et l'autre est compris sous le juste naturel, comme le Philosophe le prend ici. |
[73724] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 5 Secundo ibi: legale autem
etc., manifestat iustum legale. Et videtur ponere tres differentias huius
iusti. Quarum prima est: cum universaliter vel communiter aliquid lege
ponitur; et quantum ad hoc dicit quod legale iustum dicitur quod ex
principio quidem, scilicet antequam lege statuatur, nihil differt utrum
sic vel aliter fiat: sed quando iam ponitur, idest statuitur lege,
tunc differt, quia hoc servare est iustum, praeterire iniustum. Sicut in
aliqua civitate statutum est quod captivus redimatur mna, quocumque scilicet
certo pretio, et quod sacrificetur capra, non autem quod sacrificentur duae
oves. |
|
#1020. — En second (1134b20), il manifeste le juste légal. Il paraît poser trois différences dans cette sorte de juste. La première en est: lorsque quelque chose est imposé universellement ou communément par la loi, cela est légal. Et quant à cela, il dit qu'on pose comme juste légal ce qui, certes, au début, avant qu'on en statue par la loi, ne fait pas de différence à se faire de telle ou telle manière: mais qui, une fois posé, c'est-à-dire statué par la loi, fait alors une différence, parce que le respecter est juste, passer à côté est injuste. Ainsi, dans une cité il est statué qu'un captif se rachète à un certain prix, et qu'on sacrifie une chèvre, pas deux brebis. |
[73725] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 6 Alia vero differentia
iusti legalis est, secundum quod aliquid lege statuitur in aliquo singulari;
puta cum civitas vel princeps alicui personae concedit aliquod privilegium,
quod dicitur lex privata. Et quantum ad hoc dicit: quod adhuc sunt iusta
legalia, non solum illa quae communiter statuuntur, sed quaecumque homines
ponunt pro lege in aliquibus singularibus; sicut in quadam civitate statutum
est quod sacrificetur cuidam mulieri, nomine Brasidae, quae magnam utilitatem
civitati attulerat. |
|
#1021. — Une autre différence du juste légal, par ailleurs, se présente en autant que quelque chose est statué par la loi à propos d'un singulier; par exemple lorsqu'une cité ou un prince concède un privilège à une personne, ce qu'on appelle une loi privée. Et quant à cela, il dit: qu'est encore juste légal, non seulement ce qui est statué communément, mais tout ce qu'on pose comme loi à propos de singuliers; ainsi, en une cité on a statué qu'on sacrifie à une femme, du nom de Brasida, qui s'était montrée de grande utilité pour la cité. |
[73726] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 7 Tertia differentia iusti
legalis est, prout sententiae a iudicibus datae dicuntur quaedam iusta
legalia. Et quantum ad hoc subdit, quod etiam sententialia sunt iusta
legalia. |
|
#1022. — Il y a une troisième différence du juste légal, pour autant que les sentences rendues par les juges se disent du juste légal. Et quant à cela, il ajoute que ce qui a rapport aux sentences est aussi du juste légal. |
[73727] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12 n. 8 Est autem hic considerandum, quod iustum legale sive
positivum oritur semper a naturali, ut Tullius dicit in sua rhetorica.
Dupliciter tamen aliquid potest oriri a iure naturali. Uno modo sicut
conclusio ex principiis; et sic ius positivum vel legale non potest oriri a
iure naturali; praemissis enim existentibus, necesse est conclusionem esse;
sed cum iustum naturale sit semper et ubique, ut dictum est, hoc non competit
iusto legali vel positivo. Et ideo necesse est quod quicquid ex iusto
naturali sequitur, quasi conclusio, sit iustum naturale; sicut ex hoc quod
est nulli esse iniuste nocendum, sequitur non esse furandum, quod item ad ius
naturale pertinet. Alio modo oritur aliquid ex iusto naturali per modum
determinationis; et sic omnia iusta positiva vel legalia ex iusto naturali
oriuntur. Sicut furem esse puniendum est iustum naturale, sed quod sit etiam
puniendum tali vel tali poena, hoc est lege positum. |
|
#1023. — Il est par ailleurs à considérer ici que le juste légal ou positif sort toujours du naturel, comme Cicéron le dit dans sa Rhétorique. Toutefois, on peut sortir du droit naturel de deux manières. D'une manière, c'est comme la conclusion [sort] des principes; ainsi, le droit positif ou légal ne peut 186 sortir du droit naturel. Car, les prémisses existant, la conclusion est nécessairement; mais alors que le juste naturel est toujours et partout, comme on l'a dit, cela ne convient pas au juste légal ou positif. Et c'est pourquoi, nécessairement, tout ce qui suit du juste naturel comme une conclusion est aussi du juste naturel; par exemple, de ce qu'il ne faut nuire injustement à personne, il s'ensuit qu'il ne faut pas voler; et cela, bien sûr, appartient au [juste] naturel. D'une autre manière, quelque chose sort du juste naturel par mode de détermination; et c'est ainsi que tout ce qui est juste positif ou légal sort du juste naturel. Par exemple, qu'il faut punir le voleur, c'est du juste naturel; mais qu'il doive aussi être puni de telle ou telle peine, cela est du légal positif. |
[73728] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 9 Attendendum est etiam quod
iustum legale dupliciter oritur a naturali secundum modum praedictum. Uno
modo cum permixtione. Alio modo sine permixtione alicuius humani erroris, et
hoc etiam exempla Aristotilis demonstrant; naturaliter enim iustum est quod
civi non ob suam culpam oppresso subveniatur et per consequens quod captivus
redimatur: taxatio autem pretii, quae pertinet ad iustum legale, procedit ex
praedicto iusto naturali absque omni errore. Est etiam naturale iustum quod
benefactori honor exhibeatur; sed quod honor divinus exhibeatur homini est ex
errore humano et tale est quod sacrificetur Brasidae. Sententialia vero
iusta sunt applicationes iustorum legalium ad particularia facta. |
|
#1024. — Il faut aussi tenir compte de ce que, selon le mode décrit, le juste légal sort de deux manières du naturel. D'une manière avec mélange, de l'autre sans mélange d'aucune erreur humaine; et cela se démontre par des exemples d'Aristote. En effet, il est naturellement juste qu'on vienne en aide au citoyen opprimé sans qu'il n'y ait de sa faute, et par conséquent qu'on rachète le captif: mais la détermination du prix appartient au juste légal qui procède du juste naturel décrit sans aucune erreur. Il est aussi naturellement juste que de l'honneur soit montré au bienfaiteur; mais qu'un honneur divin soit montré à un homme, tel un sacrifice, c'est dû à l'erreur humaine. Le juste qui a trait aux sentences, ce sont des applications de [choses] légalement justes à des faits particuliers. |
[73729] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 10 Deinde cum dicit: videtur
autem etc., excludit errorem contra praedictam divisionem. Et circa hoc tria
facit. Primo proponit errorem cum sua ratione. Secundo solvit, ibi, hoc autem
non est et cetera. Tertio movet quamdam quaestionem ex solutione ortam. Dicit
ergo primo quod quibusdam visum est quod omnia iusta sint talia, scilicet
lege posita, ita quod nihil sit iustum naturale. Quae quidem fuit opinio
Cirenaeorum, sectatorum Aristipi Socratici. Et movebantur tali ratione: quia
illud quod est secundum naturam est immobile et ubicumque sit habet eamdem
virtutem, (sicut patet de igne qui ardet et in Graecia et in Perside, quod
non videtur esse verum circa iusta, quia omnia iusta videntur aliquando esse
mota. Nihil enim videtur esse magis iustum quam quod deponenti depositum
reddatur; et tamen non est reddendum depositum furioso reposcenti gladium vel
proditori patriae reposcenti pecunias ad arma: sic ergo videtur quod nulla
sint naturaliter iusta. |
|
#1025. — Ensuite (1134b24), il exclut une erreur opposée à la division précédente. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose l'erreur avec sa raison. En second, il la résout (1134b27). En troisième, il soulève une question issue de la solution (1134b30). Il dit donc en premier qu'il a paru à certains que tout juste est ainsi, à savoir posé par la loi, de sorte que rien ne soit naturellement juste. Et ce fut, bien sûr, l'opinion des sectateurs d'Aristippe, le disciple de Socrate. Ils y étaient mus par une raison telle que la suivante: ce qui est selon la nature est immobile et a partout la même vertu (comme il est manifeste au sujet du feu, à la fois en Grèce et en Perse) et que cela ne paraît pas vrai à propos du juste, parce que tout ce qu'il y a de juste paraît changer à l'occasion. Car rien ne paraît être plus juste que le fait que l'on rende son dépôt à celui qui l'a déposé; et cependant, le dépôt n'est pas à rendre à un furieux qui a laissé en dépôt une épée ou à un traître qui a laissé en dépôt de l'argent pour des armes: ainsi donc, il semble bien que rien ne soit naturellement juste. |
[73730] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 11 Deinde cum dicit: hoc
autem non est etc., ponit solutionem. Et dicit quod id quod dictum est quod
naturalia sint immobilia, non ita se habet universaliter, sed aliquo modo est
verum; quia natura rerum divinarum nequaquam aliter se habet, puta
substantiarum separatarum et caelestium corporum, quae antiqui deos vocabant;
sed apud nos homines, qui inter res corruptibiles sumus, est aliquid quidem
secundum naturam, et tamen quicquid est in nobis est mutabile vel per se vel
per accidens. Nihilominus tamen est in nobis aliquid naturale sicut habere
pedes, et aliquid non naturale, sicut habere tunicam, et sic etiam, licet
omnia quae sunt apud nos iusta aliqualiter moveantur, nihilominus tamen
quaedam eorum sunt naturaliter iusta. |
|
#1026. — Ensuite (1134b27), il amène la solution. Et il dit que ce qui a été dit, que ce qui est naturel est immobile, ne s'applique pas universellement ainsi, mais n'est vrai qu'en certains [cas]; comme la nature des choses divines n'est jamais autrement, par exemple les substances séparées et les corps célestes, que les anciens appelaient des Dieux; mais chez nous les hommes, qui appartenons aux choses corruptibles, il y a bien sûr quelque chose qui y est par nature, et cependant tout ce qui est en nous change, soit par soi, soit par accident. Néanmoins, il y a en nous quelque chose de naturel comme d'avoir deux pieds, et quelque chose de non naturel, comme d'avoir une tunique. Ainsi, tout ce qui est juste chez nous change de quelque manière, mais une partie cependant en est naturellement juste. |
[73731] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 12 Deinde cum dicit: quale
autem natura etc., movet quamdam dubitationem ex praecedenti solutione
exortam. Et circa hoc duo facit: primo proponit quaestionem; secundo solvit, ibi:
manifestum et in aliis et cetera. Primo igitur proponit talem quaestionem. Si
enim omnia iusta humana mobilia sunt, restat quaestio, inter ea quae
contingunt aliter se habere, quale sit iustum secundum naturam, et quale non
secundum naturam, sed secundum legis positionem et ad placitum hominum, ex
quo ambo sunt similiter mobilia. |
|
#1027. — Ensuite (1134b30), il soulève une difficulté issue de la solution qui précède. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il soulève la question. En second, il la résout (1134b34). En premier donc, il propose la question qui suit. Si tout le juste humain est mobile, la question reste, pour ce à quoi il est possible d'être autrement, quant à comment définir, étant donné que les deux sont semblablement mobiles, ce qui est juste par nature et ce qui n'est pas juste par nature mais par position de la loi et pour le bon plaisir des hommes. |
[73732] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 13 Deinde cum dicit
manifestum et in aliis etc., solvit praedictam quaestionem. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit qualiter iusta naturalia sint mobilia. Secundo qualiter
iusta legalia, ibi, quae autem secundum compositionem et cetera. Dicit ergo
primo manifestum esse quod etiam in aliis naturalibus quae sunt apud nos
eadem determinatio congruit sicut et in naturaliter iustis. Ea enim quae sunt
naturalia apud nos sunt quidem eodem modo ut in pluribus, sed ut in
paucioribus deficiunt; sicut naturale est quod pars dextra sit vigorosior
quam sinistra, et hoc in pluribus habet veritatem; et tamen contingit ut in
paucioribus aliquos fieri ambidextros, qui sinistram manum habent ita
valentem ut dextram: ita etiam et ea quae sunt naturaliter iusta, utputa
depositum esse reddendum, ut in pluribus est observandum, sed ut in
paucioribus mutatur. |
|
#1028. — Ensuite (1134b34), il résout la question précédente. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière le juste naturel est mobile. En second, de quelle manière [l'est] le juste légal (1134b35). Il dit donc qu'il est manifeste que la même détermination convient aux autres [choses] naturelles autour de nous qu'à ce qui est naturellement juste. En effet, ce qui est naturel autour de nous garde la même manière d'être dans la plupart des cas, tout en s'en écartant en quelques [occasions]; par exemple, il est naturel que le côté droit soit plus vigoureux que le gauche, et cela reste vrai chez la 187 plupart; cependant, il arrive en quelques [cas] que l'on soit ambidextre, parce que l'on a la main gauche aussi adroite que la droite. Ainsi [en est-il] aussi de ce qui est naturellement juste, comme par exemple qu'il faut rendre le dépôt: c'est à observer en la plupart des cas, mais il en va parfois différemment. |
[73733] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 14 Est tamen attendendum
quod quia rationes etiam mutabilium sunt immutabiles, si quid est nobis
naturale quasi pertinens ad ipsam hominis rationem, nullo modo mutatur, puta
hominem esse animal. Quae autem consequuntur naturam, puta dispositiones,
actiones et motus mutantur ut in paucioribus. Et similiter etiam illa quae
pertinent ad ipsam iustitiae rationem nullo modo possunt mutari, puta non
esse furandum, quod est iniustum facere. Illa vero quae consequuntur,
mutantur ut in minori parte. |
|
#1029. — Il faut toutefois tenir compte de ce que, puisque les définitions des choses mobiles sont immobiles, tout ce qui nous est naturel comme appartenant à la définition même de l'homme ne change d'aucune façon, par exemple que l'homme soit un animal. Et que c'est par ailleurs ce qui suit la nature, par exemple les dispositions, les actions et les mouvements, qui change parfois. De manière semblable encore, ce qui appartient à la définition même de la justice ne peut changer d'aucune manière, par exemple qu'il ne faut pas voler, parce qu'il est injuste de le faire. Mais ce qui suit cela change parfois. |
[73734] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 15 Deinde cum dicit: quae
autem secundum compositionem etc., ostendit qualiter iusta legalia sunt
mutabilia indifferenter. Et dicit quod illa quae sunt iusta secundum
compositionem et conferens, idest secundum quod est condictum inter
homines propter aliquam utilitatem, sunt similia mensuris rerum venalium,
puta vini et frumenti. (Non enim sunt ubique aequales mensurae vini et
frumenti,) sed ubi emuntur propter maiorem copiam sunt maiores, ubi autem
venduntur propter minorem copiam sunt minores. Ita etiam iusta quae non sunt
naturalia, sed per homines posita, non sunt eadem ubique, sicut non ubique
eadem poena imponitur furi. Et huius ratio est, quia non est eadem ubique
urbanitas sive politia. Omnes enim leges ponuntur secundum quod congruit fini
politiae, sed tamen sola una est optima politia secundum naturam ubicumque
sit. |
|
#1030. — Ensuite (1134b35), il montre de quelle manière le juste légal est mobile indifféremment. Ainsi dit-il que ce qui est juste par composition et convenance, c'est-à-dire selon qu'on en a convenu entre hommes pour quelque utilité, est semblable aux mesures des choses à vendre, par exemple le vin et le blé; là où on achète, elles sont plus grandes, à cause d'une plus grande abondance, mais là on vend, elles sont plus petites, à cause d'une abondance moindre. Ainsi aussi le juste qui n'est pas naturel mais posé par les hommes n'est pas pareil partout, comme par exemple ce n'est pas partout la même peine qui est imposée à un voleur. Et la raison en est qu'on ne trouve pas partout la même urbanité ou constitution. En effet, toutes les lois sont posées selon qu'il convient à la fin politique; mais il n'y a cependant qu'une seule constitution qui soit la meilleure partout par nature. |
[73735] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 16 Deinde cum dicit:
iustorum autem etc., agit de divisione iusti in particularia. Et dicit quod
unumquodque iustorum naturalium et etiam legalium se habet ad res humanas ut
universale ad singularia; quia ea quae operantur secundum iustitiam sunt
multa; sed unumquodque iustorum est unum quasi quoddam universale, sicut hoc
quod est depositum esse reddendum est unum quod se habet ad multas personas et
ad multas res. |
|
#1031. — Ensuite (1135a6), il traite de la division du juste en particuliers. Et il dit que chacun des justes particuliers et légaux a rapport aux choses humaines comme l'universel aux singuliers; car tout ce qu'on fait de conforme à la justice est en grand nombre; mais chaque action juste a l'unité d'un universel, comme que le dépôt doit être rendu a une unité apte à un rapport à beaucoup de choses. |
[73736] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 17 Deinde cum dicit: differt
autem etc., ostendit quid sit iustificatio. Et primo quid sit iniustificatio.
Secundo quid sit iustificatio, ibi, similiter autem et iustificatio et
cetera. Dicit ergo primo, quod iniustificatio et iniustum differunt; quia
iniustum est aliqua res quae est contra iustitiam, vel secundum naturam vel
secundum ordinationem humanam, sicut furtum, sed quando aliquis hoc operatur,
puta furando, vocatur hoc iniustificatio, quasi executio iniustitiae: sed
antequam quis hoc operetur, non vocatur iniustificatio, sed iniustum. |
|
#1032. — Ensuite (1135a8), il montre ce qu'est l'acte de justice et d'injustice. Et en premier ce qu'est l'acte d'injustice. En second, ce qu'est l'acte de justice (1135a11). Il dit donc en premier que l'acte d'injustice et l'injuste diffèrent; parce que l'injuste est une chose qui est opposée à la justice, soit par nature, soit par décision humaine, comme le vol: mais cela, quand on le fait, par exemple en volant, est appelé acte d'injustice en tant que mise en œuvre de l'injustice: mais avant que quelqu'un ne le fasse, on ne l'appelle pas acte d'injustice, mais injuste. |
[73737] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 18 Deinde cum dicit:
similiter autem etc., ostendit quid sit iustificatio. Et dicit quod similiter
iustificatio est quando quis operatur iustum quod est natura vel ordine
legis. Sed apud Graecos operatio iusti in communi magis vocatur dikeopraema,
id est operatio iusti, iustificatio autem non videtur dici quaelibet operatio
iusti, sed solum quando aliquis dirigit iniustificationes, scilicet reducendo
id quod est iniustum ad iustitiam. |
|
#1033. — Ensuite (1135a11), il montre ce qu'est l'acte de justice. Et il dit que semblablement l'acte de justice a lieu quand quelqu'un accomplit le juste qui est naturel ou selon l'ordre de la loi. Mais chez les Grecs, l'accomplissement du juste en général est plutôt appelé dikaioprághma (dikaiopragèma), c'est-à- dire accomplissement du juste, tandis que l'acte de justice ne paraît pas se dire de n'importe quelle opération du juste, mais seulement en situation de retour à l'acte de justice, à savoir en réduisant ce qui est injuste à la justice. |
[73738] Sententia Ethic., lib. 5 l. 12
n. 19 Ultimo autem dicit quod,
quales, et quot, et quae sint species iusti secundum unumquodque iustorum,
scilicet naturalis et legalis, posterius est videndum, scilicet in politica. |
|
#1034. — Enfin, il dit que, de quelle nature, et de quel nombre, et lesquelles sont les espèces du juste selon chaque type, à savoir naturel et légal, c'est à voir ultérieurement, à savoir dans la Politique. |
|
|
|
Lectio
13 |
|
Leçon 13
|
[73739] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 1 Existentibus autem iustis et cetera. Postquam
philosophus ostendit quid sit iustum simpliciter et quid sit iustificatio et
iniustificatio, hic iam solvit quaestionem quam prius moverat, scilicet
secundum quales iustificationes vel iniustificationes aliquis sit iustus vel
iniustus. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo inducit
quamdam divisionem ad manifestationem praedictorum, ibi: involuntariorum
(autem) haec quidem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quando
sit iustum vel iniustum sine hoc quod sit iustificatio vel iniustificatio.
Secundo ostendit quando est iustificatio vel iniustificatio sine hoc quod
ille qui operatur sit iustus vel iniustus, ibi, voluntariorum autem et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit propositum; secundo manifestat
quiddam quod dixerat, ibi, dico autem voluntarium quidem et cetera. Dicit
ergo primo, quod cum iusta et iniusta sint talia qualia supra dicta sunt,
tunc aliquis facit iniustum ita quod sit iniustificatio et operatur iustum
ita quod sit iustificatio vel dikeopraema quando aliquis operatur ipsa,
scilicet iustum vel iniustum, volens. Sed quando aliquis operatur ipsa
nolens, non est ibi facere iniustum vel operari iustum, nisi forte per
accidens, in quantum scilicet accidit praeter intentionem operantis quod illa
quae quis facit sint iusta vel iniusta. |
|
#1035. — Après avoir montré ce que c'est que le juste strictement et ce que c'est que l'acte de justice et d'injustice, le Philosophe résout ici maintenant la question qu'il avait soulevée auparavant, à savoir pour quels actes de justice ou d'injustice on est juste ou injuste. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son intention (1135a15). En second, il induit une division pour manifester ce qu'il a dit (1136a5). 188 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre quand on a du juste ou de l'injuste sans acte de justice ou d'injustice. En second, il montre qu'il peut y avoir acte de justice ou d'injustice sans que l'agent en soit juste ou injuste (1135b9). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. En second, il manifeste ce qu'il a dit (1135a23). Il dit donc en premier que, étant donné que le juste et l'injuste sont comme on l'a décrit plus haut, on accomplit l'injuste ou le juste de manière à accomplir un acte d'injustice ou de justice quand c'est volontairement qu'on les accomplit, à savoir le juste et l'injuste. Mais quand on les accomplit sans le vouloir, ce n'est pas là accomplir quelque chose d'injuste ou faire quelque chose de juste, sauf peut-être par accident, en tant qu'il arrive, en dehors de l'intention de l'agent, que cela qu'on fait est juste ou injuste. |
[73740] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 2 Illa enim dicimur per se facere et non per accidens,
quae intendimus facere. Nihil autem specificatur per id quod est per
accidens, sed solum per id quod est per se, et ideo iustificatio et dikeopraema,
id est operatio iusti, et similiter iniustificatio determinatur per
voluntarium et involuntarium; ita scilicet quod cum aliquid sit voluntarium
laudatur aliquis vel vituperatur. Unde manifestum est quod erit ex parte
ipsius operati aliquid iniustum, sed non erit iniustificatio quantum ad
speciem operationis, si non assit voluntarium ex parte operantis. Et eadem
ratio est de iustificatione. |
|
#1036. — Cela, en effet, que nous disons faire par soi et non par accident, c'est ce que nous avons l'intention de faire. Or rien n'est spécifié par ce qu'il est par accident, mais seulement par ce qu'il est par soi; et c'est pourquoi l'acte de justice et l'accomplissement du juste, c'est-à-dire l'acte juste, et de manière semblable l'acte d'injustice, est déterminé par le volontaire et l'involontaire; de manière que l'on est loué ou blâmé pour ce que l'on fait de volontaire. Aussi est-il manifeste qu'il y aura du côté de cela même qui est fait quelque chose d'injuste, mais cela ne constituera pas un acte d'injustice en ce qui regarde l'espèce de l'acte, si ce n'est pas volontaire de la part de l'agent. Et la même raison vaut pour l'acte de justice. |
[73741] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 3 Deinde cum dicit: dico autem voluntarium etc.,
manifestat quaedam quae dicta sunt, scilicet quid sit voluntarium et quid
involuntarium. Et circa hoc duo facit. Primo manifestat propositum. Secundo
ostendit quod praedicta manifestatio competit tam circa iusta quam circa
iniusta, ibi, est autem similiter et cetera. Dicit ergo primo, quod voluntarium,
sicut dictum est in tertio, dicitur esse quando aliquis operatur aliquid
eorum quae sunt in sua potestate sciens et non ignorans, neque circa quem
operetur neque quo instrumento neque etiam cuius gratia hoc faciat, puta quod
sciat quem percutit et quo percutiat, sicut instrumento, et cuius gratia; et
horum unumquodque sciat per se et non per accidens. Requiritur etiam ad hoc
quod sit voluntarium quod non sit per violentiam: puta, si aliquis accipiat
manum alicuius per violentiam et cum ea percutiat alterum, hoc quidem ille
cuius est manus non facit voluntarius, quia non erat in eius potestate hoc
vitare, sed cogitur. |
|
#1037. — Ensuite (1135a23), il manifeste ce qu'il a mentionné, [disant] ce que c'est que le volontaire et l'involontaire. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste son propos. En second, il montre que la précédente manifestation convient tant au juste qu'à l'injuste (1135b2). Il dit donc en premier que le volontaire, comme on l'a dit au troisième [livre], intervient quand on fait une chose qui est en son pouvoir, en le sachant et sans ignorer ni ce qu'on fait, ni avec quel instrument, ni en vue de quoi on le fait; par exemple, qu'on sache qui on frappe et avec quoi on frappe, comme instrument, et en vue de quoi; et qu'on connaisse chacune de ces [circonstances] par soi et non par accident. De plus, pour que ce soit volontaire, il est requis que ce ne soit pas par violence: par exemple, si on prend la main de quelqu'un avec violence et qu'on arrive à frapper un autre, celui à qui appartient la main ne fait certes pas cela volontairement; il en est au contraire forcé, puisqu'il n'était pas en son pouvoir de l'éviter. |
[73742] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13
n. 4 Exponit autem consequenter
quomodo cognoscatur aliquid secundum accidens. Contingit enim quod ille qui
est percussus ab aliquo sit pater eius. Ille autem qui percutit cognoscit
quidem quod percussus est homo vel aliquis de praesentibus; sed ignorat quod
ipse sit pater eius, et sic cognoscit patrem per accidens, inquantum
cognoscit eum cui accidit esse patrem. Et sicut dictum est ex parte eius quem
percutit, similiter est determinandum et ex parte eius cuius gratia et circa
totam operationem, idest circa omnes circumstantias operationis. Et ex
hoc quod dictum est quid sit voluntarium potest sciri quid sit involuntarium;
quia si aliquid sit ignoratum vel cessante ignorantia, non sit in potestate
eius qui operatur, vel magis fiat per violentiam, hoc erit involuntarium.
Ideo autem additum est, per violentiam, quia multa quae non sunt in nobis non
sunt involuntaria: multa enim sunt naturalia quae et operamur et patimur
scientes, puta senescere vel mori; quorum tamen nullum est voluntarium vel
involuntarium, quia utrumque eorum est circa ea quae (non) sunt nata in nobis
esse. Si
autem accidat per violentiam quod aliquid eorum non sit in nobis, tunc
dicitur involuntarium. |
|
#1038. — Il expose ensuite comment on connaît quelque chose par accident. Il se peut, en effet, que celui qui est frappé par quelqu'un soit son père. Et celui qui frappe, bien sûr, sait que c'est un homme ou l'une des personnes présentes qu'il a frappé; mais il ignore que c'est son propre père; et ainsi, il connaît son père par accident, pour autant qu'il connaît celui qui a pour accident d'être son père. Et ce qu'on a dit en rapport à celui qui frappe est à déterminer de la même manière aussi du côté de ce en vue de quoi [et] concernant toute l'opération, c'est-à-dire concernant toutes les circonstances de l'opération. Puis, sachant ce qu'est le volontaire, on peut savoir ce qu'est l'involontaire; car si quelque chose est ignoré ou, une fois l'ignorance écartée, n'est pas au pouvoir de l'agent, ou est davantage fait par violence, cela sera involontaire. La raison donc pour laquelle il a ajouté par violence, c'est que beaucoup de [choses] en nous ne sont pas involontaires: car beaucoup sont naturelles, que nous faisons et subissons en le sachant, par exemple vieillir ou mourir; dont cependant aucune n'est volontaire ou involontaire, parce que l'une et l'autre portent sur ce qui est de nature à se trouver en nous. Mais s'il arrive par violence que quelqu'une d'entre elles ne soit pas en nous, alors on parle d'involontaire. |
[73743] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 5 Deinde cum dicit: est autem similiter etc., manifestat
id quod dictum est circa iusta et circa iniusta. Et dicit quod secundum
accidens operari eo quod quis non operatur voluntarie, accidit similiter et
circa iusta et circa iniusta. Circa iusta quidem, puta si aliquis reddat
pignus ei cuius est non quidem voluntarius sed propter timorem, non est
dicendum quod ibi sit operatio iusti vel dikeopraie, nisi per accidens. Et
similiter, si aliquis coactus et nolens desistat reddere pignus, per accidens
dicitur facere iniusta vel operari iniusta. |
|
#1039. — Ensuite (1135b2), il manifeste ce qui a été dit sur le juste et l'injuste. Sur le juste, bien sûr; par exemple, si on rend un gage à celui à qui il appartient, non par volonté mais par crainte, on ne dit pas qu'il y a là accomplissement de ce qui est juste, sauf par accident. Comme, de manière semblable, si, contraint et ne le voulant pas, on néglige de rendre un gage, on est dit par accident accomplir quelque chose d'injuste ou agir injustement. 189 |
[73744] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 6 Deinde cum dicit voluntariorum autem etc., ostendit
quando est iustificatio vel iniustificatio, et tamen ille qui operatur non
est iustus vel iniustus. Et circa hoc tria facit. Primo praemittit quamdam
divisionem necessariam ad propositum ostendendum. Secundo ostendit
propositum, ibi: tribus utique existentibus etc.; tertio manifestat quaedam
quae dicta sunt, ibi, propter quod bene et cetera. Dicit ergo primo, quod
voluntariorum quaedam operamur praeeligentes, et quaedam non praeeligentes
quidem sive ex electione operamur illa quaecumque ex praecedenti consilio vel
deliberatione facimus; sed illa sunt ineligibilia, idest absque
electione facta, quaecumque fiunt impraeconsiliata, idest absque
praecedenti deliberatione. |
|
#1040. — Ensuite (1135b9), il montre quand est-ce qu'il y a acte de justice ou d'injustice, sans cependant que l'agent n'en soit juste ou injuste. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente une division nécessaire en vue de montrer son propos. En second, il montre son propos (1135b11). En troisième, il manifeste des [choses] dites (1135b25). Il dit donc en premier qu'entre les [choses] volontaires, nous en faisons certaines en les choisissant, et certaines en ne les choisissant pas. Par choix, nous faisons celles que nous faisons à la suite d'un conseil ou d'une délibération; mais celles-là ne sont pas choisies, c'est-à-dire faites sans choix, qui se font sans conseil, c'est-à-dire sans délibération antérieure. |
[73745] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 7 Deinde cum dicit: tribus utique existentibus etc.,
ostendit propositum. Et primo resumit quando sit iniustum absque
iniustificatione. Secundo quando est iniustificatio sine hoc quod ille qui
operatur sit iniustus vel malus, ibi: quando autem sciens quidem etc.; tertio
ostendit quando est iniustificatio cum iniustitia et malitia eius qui
operatur, ibi, quando autem ex electione et cetera. Dicit ergo primo, quod
sicut ex supra dictis apparet, tripliciter contingit aliquod nocumentum
inferre circa communicationes hominum adinvicem. Uno modo per ignorantiam et
involuntarie. Alio modo voluntarie quidem, sed sine electione. Tertio modo
voluntarie et cum electione. |
|
#1041. — Ensuite (1135b11), il montre son propos. Et en premier il rappelle quand est-ce qu'il y a quelque chose d'injuste sans acte d'injustice. En second, quand est-ce qu'il y a acte d'injustice sans que l'agent n'en soit injuste (1135b19). En troisième, il montre quand est-ce que l'agent est injuste, avec injustice et malice de sa part (1135b25). Il dit donc en premier que, comme il ressort de ce qui a été dit plus haut, il peut arriver de trois manières qu'un dommage soit infligé, à l'occasion des communications des gens entre eux. D'une manière, par ignorance et involontairement. D'une autre manière, volontairement mais sans choix. D'une troisième manière, volontairement et avec choix. |
[73746] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 8 Illa igitur peccata fiunt per ignorantiam quando
aliquis neque scit quid faciat neque circa quem neque quo instrumento neque
etiam cuius gratia existimavit se aliquid facturum, (haec) operatus est. Puta
si non aestimavit se iacere telum, sed solum vibrare; vel non existimavit se
percutere hoc instrumento, puta lancea ferrata, sed rotunda; vel non
existimavit se percutere hunc, puta patrem, sed hostem. Vel non existimavit
se huius gratia percussurum, sed accidit illud cuius gratia non existimavit,
puta cum existimavit se percutere non ad vulnerandum sed ad pungendum. Et
simile est cum est ignorantia quantum ad quem percutiat vel cum non cognoscit
ut, id est quomodo, percutiat, puta lente vel fortiter. |
|
#1042. — Ces fautes, donc, se produisent par ignorance quand on ne sait pas ce que l'on fait, ni à propos de qui, ni par quel instrument, ni en vue de quoi on l'a fait, même si on a cru que l'on allait faire quelque chose, par exemple si l'on n'a pas réalisé qu'on frappait avec tel instrument, [croyant] par exemple [se servir] non d'une lance à pointe acérée mais arrondie. Ou si l'on a cru frapper non pas un tel, par exemple son père, mais un ennemi. Ou si l'on n'a pas réalisé en vue de quoi on allait frapper, mais qu'on en est arrivé à ce qu'on n'avait pas prévu, par exemple si l'on avait pensé frapper non pas pour blesser mais pour exercer. Et c'est semblable lorsqu'il y a ignorance quant à la manière dont on frappe, par exemple doucement ou fortement. |
[73747] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 9 Sed circa hoc considerandum est quod quando nocumentum
infertur paralogice, id est praeter rationem seu intentionem, tunc est
omnino infortunium, puta cum aliquis putat vibrare telum et iacit. Sed quando
aliquis infert nocumentum non paralogice, idest non absque intentione
nocendi sed sine malitia, quia scilicet non putat multum nocere, vel non
putat tali personae nocere, tunc est aliquod peccamen, licet non tantum;
peccat enim aliquis cum principium inordinati actus est in se ipso per hoc
quod intendit aliquid operari, sed quando principium operationis est
totaliter ab extra quia praeter intentionem operatur, tunc est infortunium
(est fortuna causa intellectiva agens praeter rationem, ut dicitur in II
physicorum). |
|
#1043. — Mais à ce [sujet], il est à considérer que quand le dommage est infligé paralogiquement, c'est-à-dire en dehors de la raison ou de l'intention, alors c'est tout à fait malchanceux, par exemple quand on pense agiter la flèche et que de fait on la tire. Mais quand on inflige un dommage non paralogiquement, c'est-à-dire non sans intention de nuire mais sans malice, à savoir parce qu'on ne pense pas nuire beaucoup, ou qu'on ne pense pas nuire à telle personne, alors il y a quelque faute bien que pas tellement. En effet, on est fautif, lorsque le principe de l'acte désordonné est en soi, du fait qu'on entend faire quelque chose. Mais quand le principe de l'opération est totalement du dehors parce qu'on agit sans intention, alors c'est de la malchance: puisque la chance est une cause efficiente intellective irrationnelle, comme on dit dans le second [livre] de la Physique (V, 5). |
[73748] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 10 Deinde cum dicit: quando autem sciens etc., ostendit
quando sit iniustificatio sine malitia vel iniustitia operantis. Et dicit
quod, quando aliquis sciens quidem nocumentum infert, sed non praeconsilians,
id est absque deliberatione, tunc est quidem iniustificatio; sicut quaecumque
aliquis committit per iram et alias passiones, si tamen non sint naturales
vel necessariae hominibus, sicut est concupiscentia cibi et potus in extrema
necessitate, quae excusat a subtractione rei alienae. Illi igitur qui propter
praedictas passiones nocent aliis et peccant, faciunt quidem iniustum et
actus eorum sunt iniustificationes: non tamen propter hoc ipsi sunt iniusti
et mali, quia non inferunt nocumentum propter malitiam sed propter passionem.
Et tales sunt qui dicuntur propter infirmitatem peccare. |
|
#1044. — Ensuite (1135b19), il montre quand est-ce qu'il y a acte d'injustice sans malice ou injustice de l'agent. Il dit que lorsqu'on inflige sciemment un dommage sans le préméditer, c'est-à-dire sans délibération, on commet une injustice; il en va ainsi de tout ce que l'on commet par colère et d'autres passions, tant qu'il ne s'agit pas de [choses] naturelles et nécessaires aux gens, comme le désir de la nourriture et de la boisson en extrême nécessité, qui excuse d'enlever son bien à autrui. Ainsi donc, en dehors des passions mentionnées, qui nuit à d'autres est fautif et fait assurément quelque chose d'injuste, et ses actes sont des actes d'injustice: cependant, il n'est pas pour cela lui-même injuste et mauvais, parce qu'il n'inflige pas le dommage par malice mais par passion. Et c'est de telles [gens] que l'on dit se rendre fautives par faiblesse. |
[73749] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 11 Deinde cum dicit: quando autem ex electione etc.,
ostendit quando sit iniustificatio cum iniustitia operantis. Et dicit quod
quando aliquis ex electione inducit alteri nocumentum, est iniustus et malus.
Et talis dicitur ex certa malitia peccare. |
|
#1045. — Ensuite (1135b25), il montre quand est-ce qu'il y a acte d'injustice avec injustice de l'agent. Et il dit que lorsque l'on induit par choix un dommage à autrui, on est injuste et mauvais. Et ainsi disposé, on est dit fautif par malice certaine. |
[73750] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 12 Deinde cum dicit propter quod bene etc., manifestat
quae dicta sunt. Et quia primum trium praedictorum, scilicet de his quae
fiunt ex ignorantia, supra manifestum est, manifestat primo secundum,
scilicet de his quae fiunt ex passione. Secundo tertium, scilicet de his quae
fiunt ex electione, ibi, si autem ex electione et cetera. Dicit ergo primo,
quod quia cum aliqui peccant ex ira, non propter hoc sunt mali vel iniusti;
propter hoc, bene possumus hoc signum accipere praedictorum quod ea quae
fiunt ex ira non iudicantur esse facta ex providentia. Et hoc consequenter,
ibi, non enim et cetera. Probat duplici ratione. Quarum prima talis est: quia
ille qui facit aliquid per iram non incipit ipse nocere, sed ille qui eum ad
iram provocavit. Et ita non videtur ex providentia nocumentum processisse. |
|
#1046. — Ensuite (1135b25), il manifeste ce qui a été dit. Et comme le premier des trois [cas] décrits, à savoir celui de ce qui se fait par ignorance, a été manifesté plus haut, il manifeste en premier le second [cas], à savoir celui de ce qui se fait par infirmité ou passion. En second, le troisième [cas], à savoir celui de ce qui se fait par choix (1136a1). 190 Il rappelle donc en premier que lorsque l'on est fautif par colère, on n'est pas pour cela mauvais ou injuste; aussi pouvons-nous bien en accueillir ce signe, que d'ordinaire on ne juge pas fait avec préméditation ce qui se fait par colère. Ce qu'il prouve ensuite par une double raison. Dont la première va comme suit: ce n'est pas celui qui fait quelque chose par colère qui commence à nuire, mais celui qui l'a provoqué à la colère. Et ainsi, manifestement, ce n'est pas avec préméditation qu'il s'est mis à nuire. |
[73751] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 13 Secundam rationem ponit ibi: adhuc neque de fieri et
cetera. Et dicit quod quando aliquis infert nocumentum ex ira, non versatur
tunc in dubio utrum faciat vel non faciat, sed utrum iuste faciat. Ira enim
est quaedam iniustitia manifesta, idest manifeste operans. Vult enim
iratus vindictam esse manifestam, sed videtur sibi quod iuste moveatur. Non
enim ita est apud iratos sicut in commutationibus iniustis, puta in furto et
similibus, in quibus dubitatur an factum sit: oportet enim alterum eorum esse
malum, puta vel dare vel non dare peccatur enim quandoque per omissionem,
quandoque per transgressionem, nisi forte excusentur per oblivionem, sicut
cum aliquis obliviscitur reddere debitum creditori tempore statuto. Sed
operantes ex ira confitentur de re idest de facto, sed dubitant an sit
iniustum illud quod fecerunt; quod non contingit illis qui ex electione
insidiose operantur, qui non ignorant se iniuste agere. Quare hic,
idest insidiosus, existimat iniuste pati illum cui nocet; sed hic,
idest iratus, non existimat hoc. Et ita patet, quod ille qui ex ira iniustum
facit, non agit ex providentia. |
|
#1047. — Il amène alors sa seconde raison (1135b27). Et il dit que lorsque l'on inflige un dommage par colère, il n'existe pas de doute sur le fait, mais sur la justice du fait. Car la colère est une injustice manifeste, c'est-à-dire opérant manifestement. En effet, la personne en colère veut que sa vengeance soit manifeste, mais il lui paraît sûr que son mouvement est juste. Car il n'en va pas avec les gens en colère comme avec ceux qui se rendent injustes en matière d'échanges, par exemple dans le vol et choses semblables, où on ne peut se demander que si la chose a été faite: l'une des deux [possibilités] est nécessairement mauvaise, par exemple donner ou ne pas donner. On est en effet fautif tantôt par omission, tantôt par transgression, sauf peut-être quand on est excusé par l'oubli, comme quand on oublie de rendre son dû au créancier au temps fixé. Mais ceux qui agissent par colère sont sûrs de la chose, c'est-à-dire du fait; ils peuvent se demander toutefois si ce qu'ils ont fait est injuste: ce qui n'arrive pas à ceux qui agissent avec perfidie par choix, qui n'ignorent pas qu'ils agissent injustement. C'est pourquoi celui-ci, à savoir le perfide, sait que celui à qui il nuit souffre injustement; mais celui-là, à savoir l'irrité, ne pense pas cela. Et il en devient manifeste que celui qui fait quelque chose d'injuste par colère n'agit pas avec préméditation. |
[73752] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13 n. 14 Deinde cum dicit: si autem ex electione etc.,
manifestat tertium, scilicet de his quae fiunt ex electione. Et dicit, quod
si aliquis ex electione noceat, manifestum est quod facit iniustum per se
loquendo, quia voluntarie operatur. Et secundum huiusmodi iniustificationem
iam dicitur ille qui facit, iniustus, quum hoc sit praeter proportionale, id
est contra iustitiam distributivam, vel praeter aequale, idest contra
iustitiam commutativam. Et similiter aliquis dicitur iustus cum ex electione
operatur iustum. Si autem volens operetur et non eligens, dicetur iustum
operans vel iustificans. |
|
#1048. — Ensuite (1136a1), il manifeste le troisième [cas], à savoir concernant ce qui se fait par choix. Et il dit que si l'on nuit par choix, il est manifeste que l'on fait quelque chose d'injuste à strictement parler, parce que l'on opère volontairement. Et selon ce type d'acte d'injustice, celui qui le fait est dit injuste, dans la mesure où cela sort du proportionnable, c'est-à-dire de la justice distributive, ou de l'égal, c'est-à-dire de la justice commutative. Et semblablement, on est dit juste lorsque l'on fait quelque chose de juste par choix. Si par ailleurs on opère en le voulant mais sans le choisir, on sera dit faire quelque chose de juste ou se justifier. |
[73753] Sententia Ethic., lib. 5 l. 13
n. 15 Deinde cum dicit
involuntariorum autem etc., ponit quamdam divisionem ad manifestationem
praedictorum. Et dicit quod involuntariorum quaedam sunt venialia,
idest venia digna, et quaedam non. Illa enim sunt venia digna quae homines
peccant non solum ignorantes, idest habentes ignorantiam
concomitantem, sed propter ignorantiam, quasi habentes ignorantiam causantem,
quod accidit illis qui quando cognoscunt dolent. Sed illa non sunt digna
venia quae aliqui non peccant propter ignorantiam causantem, sed peccant
ignorantes propter passionem, quae non est naturalis neque humana, id est
ratione regulata; in talibus enim passio causat et ignorantiam et peccatum,
et de his supra in tertio plenius dictum est. |
|
#1049.
— Ensuite (1136a5), il pose une division pour manifester ce qu'il a décrit.
Et il dit que parmi les [actes] involontaires, certains sont excusables,
c'est-à-dire dignes de pardon, et certains non. Ces fautes sont dignes de
pardon, que les gens font non seulement en les ignorant, c'est-à-dire avec
une ignorance concomitante, mais par ignorance, avec l'ignorance comme cause,
ce qui arrive à ceux qui lorsqu'ils les connaissent les regrettent. Mais
celles-là ne sont pas dignes de pardon, que l'on commet non par cause
d'ignorance, mais qu'on commet en ignorant à cause de la passion, qui n'est
pas naturelle, ni humaine, ni de raison droite. En ces [cas] en effet, la
passion cause l'ignorance et la faute, et on en a parlé plus pleinement plus
haut (#406-424). |
|
|
|
Lectio
14 |
|
Leçon 14
|
[73754] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 1 Dubitabit autem utique aliquis et cetera. Postquam
philosophus ostendit secundum quales iustificationes vel iniustificationes
dicatur aliquis iustus vel iniustus, hic movet quasdam dubitationes circa
praedicta. Et circa hoc duo facit. Primo movet dubitationes et solvit eas.
Secundo excludit quorumdam errores circa praedicta, ibi, homines autem in
seipsis et cetera. Prima pars dividitur in duas, secundum duas quaestiones
quas determinat. Secunda pars incipit ibi, adhuc autem quae praeeligimus et
cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quaestionem. Secundo
prosequitur eam, ibi, iustum operari enim et cetera. Circa primum duo facit.
Primo proponit materiam quaestionis. Secundo format quaestionem, ibi: utrum
enim ut vere est et cetera. Materia autem quaestionis, primo, quidem sumitur
ex his quae supra determinata sunt. Unde dicit, quod aliquis potest dubitare:
utrum per praemissa sit sufficienter determinatum de iniustum pati et de
iniustum facere: dictum est enim quod iniustum facere est voluntarium; unde
potest dubitari: utrum hoc referendum sit ad iniustum pati. Secundo materia
dubitationis sumitur ex verbo Euripidis poetae, qui inconvenienter videtur
introducere quemdam dicentem: matrem occidi meam; et ut breviter
dicam, vel volens occidi volentem occidi, vel ego non volens occidi volentem
occidi. In quorum utroque intelligitur, quod mater occidi voluerit. |
|
#1050. — Après avoir montré en regard à quels actes d'injustices on est dit juste ou injuste, le Philosophe soulève ici quelques difficultés sur ce qui a été dit. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il soulève des difficultés et les résout (1136a10). En second, il exclut les erreurs de quelques- uns concernant ce qui a été dit (1137a4). La première partie se divise en deux [autres], d'après les questions dont il traite. La seconde partie commence là (1136b15). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose la question. En second, il en traite (1136a19). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose la matière de sa question. En second, il forme la question (1136a15). 191 Or bien sûr, la matière de la question se tire en premier de ce dont on a déterminé plus haut. Aussi dit-il que l'on peut se demander si, dans ce qui précède, on a suffisamment déterminé de ce qu'il en est de subir l'injustice et d'agir avec justice. Il été dit, en effet, qu'agir avec justice est volontaire; aussi peut-on se demander si cela est à appliquer au fait de subir l'injustice. En second, la matière de la difficulté se tire du mot d'Euripide le poète, qui paraît bien introduire quelqu'un d'une manière inconvenante en disant: «J'ai tué ma mère, pour parler brièvement. — Est-ce avec son consentement et le tien, ou avec son consentement mais sans le tien?» Dans chaque cas, il est laissé à entendre que la mère a voulu être tuée. |
[73755] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 2 Deinde cum dicit: utrum enim ut vere est etc., format
quaestionem. Et circa hoc duo facit. Primo proponit unam quaestionem, utrum
scilicet vere contingat dicere quod aliquis volens patiatur iniustum, vel hoc
non sit verum, sed omne pati iniustum sit involuntarium, sicut et omne facere
iniustum est voluntarium. |
|
#1051. — Ensuite (1136a15), il forme sa question. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il propose une question, à savoir s'il convient vraiment de dire que l'on subisse l'injustice en y consentant, ou si cela n'est pas vrai, mais que subir l'injustice soit toujours involontaire, comme aussi agir avec justice est toujours volontaire. |
[73756] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 3 Secundo ibi: et utrum omne etc., movet aliam
quaestionem. Et est quaestio, utrum omne iniustum pati sit sic vel illo
modo, ita scilicet quod vel omne iniustum pati sit voluntarium vel omne
sit involuntarium? Sicut enim haec quaestio potest moveri de hoc quod est
iniustum facere, utrum omne sit voluntarium aut quoddam sit voluntarium et
quoddam involuntarium, similiter etiam potest moveri eadem quaestio et de
iniustum pati. |
|
#1052. — En second (1136a16), il soulève une autre question. Et c'est à savoir s'il en va toujours ainsi de ce qui est de subir l'injustice, ou de cette manière, à savoir que subir l'injustice puisse toujours être volontaire ou involontaire. Car comme cette question peut se soulever à propos de ce qui est d'agir injustement, si c'est toujours volontaire ou tantôt volontaire et tantôt involontaire, de manière semblable aussi on peut soulever la même question à propos de ce qui est de subir l'injustice. |
[73757] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 4 Deinde cum dicit: iustum operari enim etc., prosequitur
prius motam quaestionem. Et circa hoc tria facit. Primo argumentatur ad hoc quod
omne iniustum pati sit voluntarium vel omne sit involuntarium. Secundo argumentatur ad hoc, quod non omne iniustum
pati sit voluntarium, ibi, inconveniens autem utique videbitur et cetera.
Tertio argumentatur ad hoc, quod non omne iniustum pati sit involuntarium,
ibi, si autem (est) simpliciter et cetera. Ad primum ergo argumentatur sic:
omne hoc quod est operari iustum est voluntarium, ut ex supradictis patet;
sed operari iustum est oppositum ei quod est pati iustum: rationabile igitur
videtur quod iniustum vel iustum pati simili modo opponatur secundum
utrumque, scilicet voluntarium et involuntarium, ita ut vel omne huiusmodi
sit voluntarium vel omne sit involuntarium. |
|
#1053. — Ensuite (1136a19), il traite de la question soulevée en premier. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il argumente pour [conclure] que subir la justice est ou bien toujours volontaire ou bien toujours involontaire. En second, il argumente pour [conclure] que subir l'injustice n'est pas toujours volontaire (1136a21). En troisième, il argumente pour [conclure] que subir l'injustice n'est pas toujours involontaire (1136a31). Dans le premier [but], il argumente donc ainsi. Agir avec justice est toujours volontaire, comme il appert de ce qui a été dit (#1035); or agir avec justice s'oppose à subir la justice: il paraît donc raisonnable que subir la justice ou l'injustice s'opposent de manière semblable sur les deux [points], à savoir le volontaire et l'involontaire, de sorte que ce soit toujours volontaire ou toujours involontaire. |
[73758] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 5 Deinde cum dicit inconveniens autem utique etc.,
argumentatur ad hoc, quod non omne iniustum pati sit voluntarium. Et circa
hoc tria facit. Primo argumentatur ad propositum; et dicit, quod inconveniens
videtur si ponatur, quod omne iniustum pati sit voluntarium. Manifeste enim
quidam patiuntur iniustum non volentes, sicut illi qui verberantur vel quibus
aliquis sua furatur. |
|
#1054. — Ensuite (1136a21), il argumente pour [conclure] que subir l'injustice n'est pas toujours volontaire. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il argumente en vue du propos; et il dit qu'il paraît inconvenant de prétendre que subir l'injustice soit toujours volontaire. Car manifestement certains subissent sans le vouloir l'injustice, comme ceux qu'on frappe ou à qui d'autres volent leurs [biens]. |
[73759] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 6 Secundo ibi: quia et hoc etc., movet circa hoc quamdam
quaestionem: utrum scilicet omnis qui patitur id quod est iniustum
materialiter et per accidens, possit dici quod sit iniustum patiens
formaliter et per se. Sic enim posset aliquis obviare praedictae rationi dicendo
quod ille qui non volens patitur rapinas vel verbera, patitur quidem id cui
accidit esse iniustum, non tamen se habet quasi per se patiens iniustum. |
|
#1055. — En second (1136a23), il soulève une question à ce propos, à savoir si on peut dire de quiconque subit quelque chose d'injuste matériellement et par accident qu'il subit une injustice formellement et par soi. Ainsi, en effet, on pourrait objecter à la raison qui précède en disant que celui qui, en opposition à sa volonté, subit vols ou coups subit certes quelque chose qui par accident est injuste, mais ce n'est pas comme par soi qu'il subit une injustice. |
[73760] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 7 Tertio ibi: vel quemadmodum etc., solvit motam
quaestionem. Et dicit, quod sicut se habet et circa facere, ita se habet et
circa pati: quia in utroque contingit transumere, idest accipere id
quod est secundum accidens circa iusta et similiter circa iniusta. Et hoc
manifestat, quia operari ea quibus accidit esse iniusta, non est idem ei quod
est per se facere iniustum. Dictum est enim, quod quandoque aliquis ignorans
facit per accidens id quod est iniustum, non tamen per se loquendo
iniustificat. Et similiter pati ea quibus accidit esse iniusta non est idem
ei quod est iniustum pati per se. Similiter etiam impossibile est quod ista
sint eadem in eo quod est iustum operari et in eo quod est iustum pati; et
quod sit eadem ratio circa facere et pati, tam circa iusta quam circa
iniusta, manifestat consequenter per hoc quod non contingit aliquem pati
iniustum vel iustum per se loquendo, nisi sit aliquis faciens iustum vel
iniustum per se loquendo, quia passio est effectus actionis; si ergo aliquis
faciat id quod est iniustum per accidens et non iniustificet per se,
consequens est quod nec ille qui patitur per se iniustum patiatur. Et eadem
ratio est de iusto. |
|
#1056. — En troisième (1136a24), il résout la question soulevée. Et il dit qu'il en va pour l'agir comme pour le subir: car dans l'un et l'autre [cas] il est possible de transposer, c'est-à-dire de recevoir de manière semblable l'accidentel en matière de justice et en matière d'injustice. Puis il le manifeste: parce que faire quelque chose qui par accident se trouve injuste n'est pas la même chose que de commettre l'injustice par soi. Car on l'a dit, parfois, sans le savoir, on la commet par accident, à savoir l'injustice, et cependant, à strictement parler, on n'en pas rendu injuste. Et de manière semblable, subir quelque chose qui par accident se trouve injuste, ce n'est pas la même [chose] que de subir par soi l'injustice. De manière semblable, ce ne peut pas être pareil non plus pour ce qui est d'accomplir et de subir la justice; et qu'on définisse pareillement pour le faire et le subir, tant en matière de juste que d'injuste. Ce qu'il manifeste ensuite du fait qu'il n'est pas possible, à strictement parler, de subir la justice ou l'injustice, car la passion est l'effet de l'action; si donc on commet une [in]justice par accident et qu'on n'en est pas injustifié par soi, il s'ensuit que celui qui la subit ne subit pas non plus une injustice par soi. Et la même raison vaut pour la justice. 192 |
[73761] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 8 Deinde cum dicit: si autem est simpliciter etc.,
argumentatur contra hoc, quod omne iniustum pati sit involuntarium. Et primo
argumentatur ad propositum. Secundo solvit, ibi, vel non recta definitio et
cetera. Circa primum ponit duas rationes. Circa quarum primam tria facit.
Primo proponit quandam definitionem eius quod est iniustum facere, quae supra
posita est: scilicet quod simpliciter et per se iniustum facere nihil est
aliud quam quod aliquis volens noceat: et in hoc quod sit volens
intelligitur, quod sciat et quem laedat, et quod nocumentum inferat, et ut,
idest qualiter, et alias huiusmodi circumstantias. |
|
#1057. — Ensuite (1136a31), il argumente contre cela, que subir l'injustice soit toujours involontaire. Et en premier il argumente pour son propos. En second, il résout (1136b3). À propos du premier [point], il pose deux raisons. Concernant la première d'entre elles, il fait trois [considérations]. En premier, il définit ce que c'est que de commettre l'injustice, et cette définition a été fournie plus haut: à savoir que strictement et par soi, commettre l'injustice n'est rien d'autre que de nuire volontairement: et par volontairement on comprend ce qu'on sait et ce qui échappe, et quel dommage on inflige, et comment, c'est-à-dire de quelle manière, et d'autres circonstances de la sorte. |
[73762] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 9 Secundo ibi, incontinens autem etc., argumentatur ex
praemissa definitione. Manifestum est enim, quod incontinens volens nocet
ipse sibi, in quantum scilicet volens operatur id quod scit sibi esse
nocivum. Si ergo ad iniustum facere sequitur iniustum pati, sequitur quod
ipse volens iniustum patiatur a se ipso ita quod contingat aliquem sibi ipsi
iniustum facere: et sic sequitur, quod non omne iniustum pati sit
involuntarium. |
|
#1058. — En second (1136a32), il argumente à partir de la définition fournie. Il est manifeste, en effet, que l'incontinent volontaire se nuit à lui-même, en tant qu'il fait volontairement ce qu'il sait lui être nocif. Si donc subir l'injustice suit l'agir injuste, il s'ensuit que celui-là même subit volontairement l'injustice de lui-même, de sorte qu'il est possible que quelqu'un se fasse une injustice à lui-même: et ainsi il s'ensuit que subir l'injustice n'est pas toujours involontaire. |
[73763] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 10 Tertio ibi: est autem et hoc etc., movet quamdam
quaestionem incidentem: utrum scilicet contingat, quod aliquis sibiipsi
faciat iniustum. Sed hanc quaestionem postea prosequetur. |
|
#1059. — En troisième (1136a34), il soulève une question pertinente: à savoir s'il est possible que l'on se fasse à soi-même une injustice. Mais il traitera plus tard de cette question (#1091-1108). |
[73764] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 11 Secundam rationem ponit ibi, adhuc volens et cetera. Et
dicit, quod si contingit de aliquo quod propter incontinentiam sciens et
volens laedatur ab alio, puta cum aliquis captus amore meretricis permittit
se ab ea spoliari; contingit igitur quod aliquis volens patiatur iniustum. Et
sic non omne iniustum pati est involuntarium. |
|
#1060. — Il amène sa seconde raison là (1136b1). Et il dit que s'il est possible que quelqu'un par incontinence se laisse léser sciemment et volontairement par un autre — par exemple lorsque quelqu'un, tombé en amour avec une prostituée, accepte qu'elle le dépouille, il est donc possible que l'on subisse volontairement l'injustice. Et ainsi subir l'injustice n'est pas toujours involontaire. |
[73765] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 12 Deinde cum dicit: vel non recta etc., ponit solutionem.
Et circa hoc tria facit. Primo corrigit definitionem supra positam eius quod
est iniustum facere. Et ex hoc concludit veritatem quaestionis. Et dicit quod
diffinitio supra posita, eius quod est iniustum facere, non est recta, sed
debet aliquid apponi, ut dicatur quod iniustum facere est nocere aliquem,
scientem circumstantias, alicui praeter illius voluntatem. Et secundum hoc
sequitur quod licet aliquis volens laedatur et patiatur per accidens ea quae
sunt iniusta, tamen nullus volens patitur iniustum, per se loquendo, ex quo
per se iniustum facere est inferre nocumentum alicui praeter eius voluntatem.
|
|
#1061. — Ensuite (1136b3), il amène la solution. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il corrige la définition posée plus haut de ce qu'est commettre l'injustice. Et partant de là il conclut la vérité sur la question. Et il dit que la définition stricte de ce qu'est commettre l'injustice n'est pas correcte. Mais on doit y ajouter de manière à dire que commettre l'injustice, c'est nuire à quelqu'un en opposition à sa volonté et en en connaissant les circonstances. Et de cette façon, il s'ensuit que bien que l'on soit lésé volontairement et subisse par accident quelque chose d'injuste, cependant personne ne subit l'injustice volontairement, à parler strictement, du fait que par soi commettre l'injustice c'est infliger un dommage à quelqu'un en opposition à sa volonté. |
[73766] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 13 Secundo ibi: nullus enim vult etc., solvit primam
rationem: et dicit quod nullus vult completa voluntate pati iniustum, neque
etiam incontinens; sed incontinens operatur sibi nociva praeter voluntatem. Habet enim per se
voluntatem boni, sed per concupiscentiam trahitur ad malum. Et hoc quod
dictum est, probat per hoc, quod cum voluntas sit apparentis boni, nullus
vult illud quod non aestimat esse bonum; incontinens autem extra passionem
existens non reputat bonum illud quod facit, unde absolute non vult illud;
sed tamen operatur illud quod aestimat non oportere operari, propter
concupiscentiam quae est in appetitu sensitivo, voluntas autem in ratione
est. |
|
#1062. — En second (1136b6), il résout la première raison: et il dit que personne ne veut d'une volonté complète subir l'injustice, et pas même l'incontinent; mais l'incontinent se fait à lui-même des dommages en opposition à sa propre volonté. Il a en effet par soi la volonté du bien, mais par concupiscence il est entraîné au mal. Et ce qui a été dit, il le prouve du fait que, comme la volonté se porte sur le bien apparent, personne ne veut ce qu'il n'estime pas être un bien. D'ailleurs l'incontinent, une fois sorti de sa passion, ne considère pas bon ce qu'il fait, d'où absolument il ne le veut pas; mais cependant il fait ce qu'il estime ne pas devoir faire, à cause de la concupiscence présente dans son appétit sensible, alors que sa volonté est dans sa raison. |
[73767] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 14 Tertio ibi: qui autem quae ipsius etc., solvit secundam
rationem de eo qui volens ab alio laeditur. Et dicit quod non patitur, per se
loquendo, iniustum ille qui volens dat sua, sicut Homerus narrat de quodam,
nomine Glauco, quod dedit Diomedi aurea arma pro aereis et centum boves pro
novem bobus. Ideo autem talis non patitur iniustum, quia in potestate hominis
est quod ipse det sua; sed iniustum pati non est in potestate eius qui
iniustum patitur, sed oportet existere aliquem qui faciat iniustum. Ideo ergo iniustum
pati est involuntarium, iniustum autem facere voluntarium, quia principium
actionis est in agente, quod pertinet ad rationem voluntarii; principium
autem passionis non est in patiente, sed in alio; et hoc pertinet ad rationem
involuntarii. |
|
#1063. — En troisième (1136b9), il résout la seconde raison à propos de celui qui est lésé volontairement par un autre. Et il dit qu'il ne subit pas, à strictement parler, l'injustice, celui qui donne volontairement ses biens, comme Homère raconte de quelqu'un, du nom de Glaucus, qu'il a donné à Diomède ses armes d'or pour des armes d'airain et cent bœufs pour neuf bœufs. La raison pour laquelle, par ailleurs, un tel [homme] ne subit pas une injustice, c'est qu'un homme a en lui le pouvoir de donner ses [biens]; or subir l'injustice n'est pas au pouvoir de celui qui la subit, il faut qu'il se trouve quelqu'un qui commette l'injustice. C'est pourquoi donc subir l'injustice est involontaire, mais faire l'injustice volontaire, parce que le principe de l'action est dans l'agent, ce qui appartient à la raison de volontaire; mais le principe de la passion n'est pas dans le patient, mais dans un autre; et cela appartient à la raison d'involontaire. |
[73768] Sententia Ethic., lib. 5 l. 14 n. 15 Ultimo autem epilogando concludit, manifestum esse quod
iniustum pati sit involuntarium. |
|
#1064. — Enfin, il conclut en épiloguant qu'il est manifeste que subir l'injustice est involontaire. 193 |
|
|
|
Lectio
15 |
|
Leçon 15
|
[73769] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 1 Adhuc autem quae praeeligimus et cetera. Postquam
philosophus solvit unam dubitationem, hic accedit ad aliam. Et primo proponit
ipsam; secundo prosequitur eam, ibi, si enim contingit et cetera. Dicit ergo primo
quod circa ea quae ad iustitiam et iniustitiam pertinent adhuc sunt duo quae
prae aliis eligit dicere. Quorum primum
est, quis duorum faciat iniustitiam circa distributiones, utrum ille qui dat
aliquid alicui praeter dignitatem, vel ille qui recipit. Secundum est, utrum
contingat quod aliquis faciat sibi ipsi iniustum, quod etiam supra movit et
inferius prosequitur. |
|
#1065. — Après avoir résolu une difficulté, le Philosophe accède ici à l'autre. Et en premier il la pose (1136b15). En second, il en traite (1136b17). Il dit donc en premier que, en ce qui a trait à la justice et à l'injustice, il y a encore deux [points] qu'il choisit de présenter avant le reste. Le premier en est: lequel de deux accomplit l'injustice en matière de distribution? celui qui donne une chose à un autre sans dignité correspondante ou celui qui [la] reçoit? Le second, c'est s'il est possible que l'on se fasse injustice à soi-même, [difficulté] qu'il a aussi soulevée plus haut et dont il traite plus bas. |
[73770] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 2 Deinde cum dicit: si enim contingit etc., prosequitur
prius motam quaestionem. Et primo obiicit ad partem falsam. Secundo solvit,
ibi: vel neque hoc et cetera. Tertio determinat veritatem, ibi, manifestum
autem et cetera. Dicit ergo primo quod, si contingat illud quod prius positum
est, scilicet quod male distribuens faciat iniustum et non ille qui plus
accipit, videtur sequi inconveniens. Potest enim esse quod aliquis plus
alteri quam sibi tribuat sciens et volens; et sic videtur quod iste faciat
iniustum sibi ipsi. Quod est inconveniens, quia moderati homines hoc videntur
facere, ut sibiipsis minora retineant. Pertinet enim ad virum modestum quod
sit minorativus, idest minora sibi accipiens. |
|
#1066. — Ensuite (1136b17), il traite de la question soulevée. Et en premier il objecte à la partie fausse. En second, il résout (1136b21). En troisième, il détermine de la vérité (1136b25). Il dit donc en premier que si cela dont il a parlé auparavant est possible, à savoir que ce soit celui qui distribue mal qui agit injustement et non celui qui reçoit plus, un inconvénient paraît s'ensuivre. On peut en effet attribuer à un autre sciemment et volontairement plus qu'à soi; il semble alors que l'on se fasse injustice à soi, ce qui fait inconvenant: car les gens modérées font manifestement cela, retenir pour eux-mêmes la [part] la plus petite. Il appartient en effet à l'homme modeste de tendre à diminuer, c'est-à-dire à ne prendre pour lui que la [part] la plus petite. |
[73771] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 3 Deinde cum dicit: vel neque hoc etc., solvit duabus
solutionibus. Quarum prima est quod hoc non videtur simpliciter verum esse,
quod distributor minora sibi retineat. Quamvis enim retineat sibi minora de
bonis exterioribus, tamen superabundat in altero bono, scilicet
gloria, vel simpliciter bono, idest honesto. |
|
#1067. — Ensuite (1136b21), il résout avec deux solutions. La première en est que quelquefois cela ne paraît pas strictement vrai, que le distributeur ne retient pour lui-même que la [part] la plus petite. En effet, bien qu'il ne retienne pour lui que la [part] la plus petite des biens extérieurs, il excède cependant dans un autre bien, c'est-à-dire la gloire, ou le bien strict, c'est-à-dire le [bien] honorable. |
[73772] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 4 Secundam solutionem ponit ibi: adhuc solvitur et
cetera. Quae procedit secundum definitionem supra positam eius quod est
iniustum facere. In qua additum est quod hoc sit praeter voluntatem
patientis. Iste autem distributor nihil patitur praeter suam voluntatem. Et
ideo sequitur quod non patiatur iniustum, sed solum patitur quoddam
nocumentum. |
|
#1068. — Il pose ensuite sa seconde solution (1136b23). Celle-ci part de la définition posée plus haut de ce qu'est commettre l'injustice. En celle-ci, il a été ajouté que ce doit être en opposition à la volonté de celui qui la subit. Or ce distributeur ne subit rien en dehors de sa volonté. Et c'est pourquoi il s'ensuit qu'il ne subit pas une injustice, mais seulement un dommage. |
[73773] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 5 Deinde cum dicit manifestum autem etc., determinat
veritatem dicens, manifestum esse quod ille qui distribuit praeter
dignitatem, facit iniustum; non tamen semper ille qui plus accipit, sed
quandoque, quando ad hoc operatur. |
|
#1069. — Ensuite (1136b25), il détermine de la vérité et dit qu'il est manifeste que celui qui distribue sans dignité correspondante commet une injustice; toutefois, celui qui reçoit davantage [n'en commet] pas toujours [une], mais quelquefois, à savoir quand il y travaille. |
[73774] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 6 Secundo ibi: non enim etc., probat propositum tribus
rationibus. Quarum prima est quod non dicitur ille facere iniustum cui inest,
quia sic ille qui laeditur faceret iniustum; sed ille facit iniustum cui
accidit quod volens hoc faciat, id est in quo est principium actionis:
quod quidem est in eo qui distribuit, non autem in accipiente: ergo
distribuens facit iniustum, non autem accipiens. |
|
#1070. — En second (1136b26), il prouve son propos avec trois raisons. La première en est qu'on ne dit pas de celui à qui appartient une [chose] injuste qu'il commet une injustice pour autant: car alors, celui qui est lésé commettrait une injustice; mais celui-là accomplit une injustice qui se trouve à la commettre volontairement, c'est-à-dire en qui se trouve le principe de l'action: et ce principe, certes, est en celui qui distribue, non en celui qui reçoit: donc, c'est celui qui distribue qui commet l'injustice, non celui qui reçoit. |
[73775] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 7 Secundam rationem ponit ibi: adhuc si multipliciter et
cetera. Et dicit quod multipliciter dicitur aliquis facere. Uno modo sicut
principale agens facit. Alio modo sicut instrumenta faciunt. Et hoc modo
potest dici, quod quaedam inanimata, puta lapides, gladii vel sagittae,
occidunt, et quod manus occidit, et quod famulus praecipientis occidit:
quorum nihil, per se loquendo facit iniustum, quamvis faciat ea quibus
accidit esse iniusta; quia iniustum facere, cum sit voluntarium, competit ei
in quo est principium actionis, ut dictum est; manifestum est autem quod in
distributione distribuens se habet ut principale agens, recipiens autem se
habet ut agens instrumentale per modum obedientis; unde relinquitur quod
distribuens faciat iniustum. |
|
#1071. — Il fournit ensuite sa seconde raison (1136b29). Et il dit que faire se dit de plusieurs manières. D'une manière comme l'agent principal fait. D'une autre manière comme les instruments font. De cette manière, on peut dire que des [choses] inanimées, par exemple des pierres, des épées ou des flèches, tuent, ou que la main tue, et que le serviteur de quelqu'un qui commande tue: mais aucun d'eux, à strictement parler, ne commet une injustice, quoiqu'ils font ce qui a comme caractéristique d'être injuste; parce que commettre l'injustice, comme c'est volontaire, appartient à celui en qui se trouve le principe de l'action, comme on l'a dit. Il est manifeste par ailleurs que, dans la distribution, c'est celui qui distribue qui a le rôle d'agent principal, et que celui qui reçoit a un rôle instrumental par mode d'obéissance; d'où il reste que c'est celui qui distribue qui commet l'injustice. |
[73776] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 8 Tertiam rationem ponit ibi, adhuc siquidem ignorans et
cetera. Et dicit quod si aliquis per ignorantiam legalis iusti male iudicet,
per se loquendo non facit iniustum, neque iudicium, secundum quod est actio
eius, est iniustum per se; sed tamen est quasi iniustum, quia id quod
iudicatur iniustum est. Ideo autem dictum est de ignorantia legalis iusti,
quia alterum est legale iustum, quod ignorari potest, et primum iustum,
scilicet naturale quod non potest ignorari, quia naturaliter est menti
humanae impressum; sed si aliquis cognoscens iustum legale iudicet iniuste,
tunc ipse facit avare, idest iniuste, vel propter gratiam alicuius
acquirendam, vel propter poenam evadendam. |
|
#1072. — Il amène enfin sa troisième raison (1136b32). 194 Il dit que si par ignorance du juste légal on juge mal, on ne commet pas à strictement parler une injustice, et que le jugement d'où procède son action n'est pas injuste par soi; il est cependant quasi injuste, puisque l'objet du jugement est injuste. La raison pour laquelle, par ailleurs, on a mentionné l'ignorance du juste légal, c'est la différence entre le juste légal, que l'on peut ignorer, et le juste [tout court], à savoir naturel, qu'on ne peut pas ignorer, du fait qu'il est naturellement imprimé dans l'esprit humain; mais si, en connaissant le juste légal, on juge injustement, alors on commet l'avarice, c'est-à-dire l'injustice, soit en vue d'acquérir un avantage, soit en vue d'éviter une peine. |
[73777] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 9 Si quis enim velit per partes inaequales dividere
iniustificationem, ille qui propter hoc iniuste iudicat, ut acquirat gratiam
alicuius, plus habet de bono quam sibi competat; et ita avare facit, licet
non plus habeat de illo bono in quo alterum damnificat: quia et in illis qui
manifeste propter avaritiam lucri iniuste adiudicavit alicui aliquem agrum,
non accepit ab eo agrum sed argentum; ita autem se habet distribuens in
distributionibus, sicut iudex in commutationibus: unde, sicut iudex male
iudicans scienter iniustum facit, ita et ille qui iniuste distribuit. |
|
#1073. — Si en effet l'on veut diviser l'acte d'injustice en parties inégales, celui qui juge injustement en vue d'acquérir la faveur de quelqu'un tient davantage de bien qu'il ne lui en revient; et ainsi il commet l'avarice, bien qu'il n'ait pas davantage de ce bien dans lequel il fait dommage à un autre: parce que, même en ces [matières], celui qui, manifestement par avarice de gain, a adjugé à quelqu'un un champ n'a pas reçu de lui un champ mais de l'argent. C'est ainsi, par ailleurs, que se comporte celui qui distribue dans les distributions, comme le juge dans les échanges: d'où, comme le juge qui juge mal sciemment commet l'injustice, de même aussi celui qui distribue injustement. |
[73778] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 10 Deinde cum dicit: homines autem in se ipsis etc.,
excludit quosdam errores. Et circa hoc duo facit. Primo excludit quasdam
falsas opiniones ex parte facientis iustum vel iniustum. Secundo ostendit in
quibus consistant iusta et iniusta, ibi: sunt autem iusta et cetera. Circa
primum excludit tres falsas opiniones. Quarum prima est circa facilitatem
eius quod est esse iniustum. Et dicit quod homines multi aestimant quod
statim in promptu habeant facere iniustum, unde reputant quod facile sit
aliquem esse habitualiter iniustum. Sed hoc non est ita. Facile enim est, et
statim in potestate hominis, quod aliquis faciat ea quae sunt iniusta, puta
quod commisceatur uxori vicini sui et quod percutiat proximum et quod tollat
argentum de manu alterius, vel quod de manu sua det aliquis argentum ad
procurandum homicidium, vel aliquid huiusmodi. Sed quod homines huiusmodi
faciant sic se habentes, scilicet prompte et delectabiliter, non est
facile, neque statim in potestate hominis; sed ad hoc pervenitur per longam
consuetudinem. |
|
#1074. — Ensuite (1137a4), il exclut certaines erreurs. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il exclut des opinions fausses du côté de celui qui accomplit la justice ou l'injustice. En second, il montre qui concerne le juste ou l'injuste (1137a26). Concernant le premier [point], il exclut trois opinions fausses. La première porte sur la facilité qu'il y a à être injuste; et il dit que beaucoup pensent qu'il est tout à fait à notre portée de commettre l'injustice; d'où ils s'imaginent qu'il est facile pour quelqu'un d'être injuste par habitus. Mais il n'en va pas ainsi. Il est facile, en effet, et tout de suite à la portée de quiconque, d'accomplir ce qui est injuste, par exemple d'avoir une affaire avec la femme de son voisin, et de frapper son prochain et de prendre de l'argent de la main d'un autre, ou de donner de sa main de l'argent pour obtenir un homicide, ou autre chose de la sorte. Mais commettre de ces [choses] de telle manière, à savoir vite et avec plaisir, cela n'est pas facile, ni tout de suite à la portée de quiconque; on n'y parvient au contraire qu'avec une longue accoutumance. |
[73779] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 11 Secundo ibi: similiter autem etc., excludit falsam
opinionem circa cognitionem iustorum et iniustorum. Et dicit, quod quidam non
aestimant esse magnae sapientiae quod aliquis cognoscat iusta et iniusta,
propter hoc, quod non est difficile intelligere ea quae leges dicunt, quae
sunt iusta legalia. Sed decipiuntur: quia haec simpliciter considerata non
sunt iusta nisi secundum accidens, inquantum accidit ea esse iusta; sed vere
iusta sunt secundum quod aliqualiter operantur et distribuuntur (idest
attribuuntur) aliqualiter negotiis et personis; hoc autem, scilicet
accommodare convenienter ea quae sunt lege posita negotiis et personis, est
magis operosum et difficile quam scire sanativa, in quo consistit tota ars
medicinae. Maior enim est diversitas rerum voluntariarum, in quibus consistit
iustitia, quam corporalium complexionum in quibus consistit sanitas: quia et
in sanativis scire virtutem mellis et vini et hellebori et effectum ustionis
et incisionis, facile est; sed distribuere ista ad sanandum, sicut oportet et
cui oportet et quando oportet, tanti operis est quanti et medicum esse, quia
qui hoc scit, medicus est. |
|
#1075. — En second (1137a9), il exclut une fausse opinion concernant la connaissance de ce qui est juste et de ce qui est injuste. Et il dit que certains ne pensent pas que cela requière beaucoup de sagesse pour savoir ce qui est juste et ce qui est injuste, du fait qu'il n'est pas difficile de comprendre ce que les lois disent, elles qui définissent le juste légal. Mais ils se trompent: parce que cela, considéré strictement, n'est pas juste, sauf par accident, en tant qu'appartient à ces choses le fait d'être justes. Mais elles sont vraiment justes, si elles sont accomplies et distribuées (c'est-à-dire attribuées) d'une certaine manière aux groupes et aux personnes; or cela, à savoir accommoder de manière convenable commerces et personnes, est plus laborieux et difficile que de connaître qu'est-ce qui guérit, en quoi consiste tout l'art de la médecine. Il y a en effet une diversité plus grande entre les choses volontaires, en lesquelles consiste la justice, qu'entre les complexions, en lesquelles consiste la santé: parce qu'en matière de soins aussi, connaître la vertu du miel et du vin et de l'hellébore, et l'effet de la cautérisation et de l'incision, c'est facile; mais les distribuer de manière à guérir, comme il faut et à qui il faut et quand il faut, c'est autant de travail que d'être médecin, puisque sachant cela on est médecin. |
[73780] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 12 Tertio ibi: propter ipsum autem hoc etc., excludit
falsam opinionem circa facilitatem eius quod est iustum operari iniusta. Et
dicit, quod propter praedicta etiam homines aestimant quod nihil minus sit
facile iusto facere iniustum quam cuicumque alii, quia per hoc quod aliquis
est iustus non minus, sed magis scit et potest operari unumquodque horum quae
dicuntur iniusta; sicut commisceri mulieri alterius et percutere alium et
dimittere clypeum in bello, et quod aliquis faciat insultum in quemcumque.
Sed decipiuntur, quia quod aliquis faciat opera timiditatis et facere
iniustum, non est facere praedicta nisi secundum accidens, inquantum scilicet
accidit ista quae fiunt esse iniusta: sed facere iniustum est facere
praedicta sic se habentem, scilicet quod sit volens et promptus ad hoc; sicut
et circa medicinam medicari et sanare non consistit in hoc solum quod est
incidere vel non incidere vel dare pharmacum, idest medicinam
laxativam vel non dare; sed in hoc quod aliquis sic det sicut oportet. |
|
#1076. — En troisième (1137a17), il exclut une opinion fausse portant sur la facilité qu'il y a à accomplir la justice et l'injustice. Et il dit qu'à cause de ce qu'on a dit aussi les gens pensent que celui qui est juste ne peut pas moins commettre l'injustice que n'importe qui d'autre, du fait que par cela que l'on soit juste, on n'est pas diminué, mais on sait plus et on peut accomplir l'une quelconque de ces choses dites injustes; comme avoir une affaire avec la femme d'un autre et frapper un autre et laisser tomber son bouclier à la guerre, et insulter n'importe qui. Mais ils se trompent: parce que faire œuvre de lâcheté et commettre l'injustice, cela n'est pas faire ce dont on a parlé sauf par accident, en tant que cela appartient à cela qu'on fait d'être injuste: mais commettre par soi l'injustice, c'est faire les choses dont on a parlé dans telle disposition, à savoir volontairement et promptement; comme il en va pour la médecine, traiter et soigner ne consiste pas seulement à couper ou à ne pas couper ou à donner une drogue, c'est-à-dire un médicament laxatif, ou à pas le donner; mais à le donner comme il faut. 195 |
[73781] Sententia Ethic., lib. 5 l. 15 n. 13 Deinde cum dicit: sunt autem iusta etc., ostendit in
quibus competant iusta. Et dicit quod iusta competunt in illis personis
quibus possunt adesse ea quae sunt bona simpliciter et absolute, sicut
divitiae et alia huiusmodi, et tamen habent quandoque circa hoc
superabundantiam et defectum, sicut sunt communiter homines. Quibusdam enim
circa talia non est aliqua superabundantia; sed semper optime utuntur talibus
bonis, sicut contingit hominibus perfectis in virtute, et forte diis,
secundum errorem eorum qui ponebant eos talibus uti. Quibusdam vero, idest
valde malis et insanabilibus a sua malitia nulla particula talium rerum est
utilis, sed omnia eis nocent. Quibusdam vero non omnia nocent, sed usque ad
aliquem determinatum terminum. Unde patet quod iustitia est humanum bonum,
quia respicit communem hominum statum. |
|
#1077. — Ensuite (1137a26), il montre qui concerne le juste. Et il dit que le juste concerne ces personnes où on peut trouver des [choses] qui, strictement et absolument, sont des biens, comme les richesses et autre chose de la sorte, mais qui les ont tantôt en excès tantôt en défaut, comme il arrive communément aux gens. Pour certains, en effet, il n'y a pas d'excès en ces [matières]; ils usent toujours au contraire de tels biens de la meilleure façon, comme il convient à des hommes parfaits en vertu, et peut-être aux dieux, d'après l'erreur de ceux qui prétendaient que les dieux usent de tels [biens]. Mais pour certains, très mauvais et incurables de leur malice, pas la moindre partie de tels biens est utile, mais tout leur nuit. Pour certains, enfin, pas tout leur nuit, mais jusqu'à un point déterminé. D'où il est évident que la justice est un bien humain, puisqu'elle regarde le statut commun des hommes. |
|
|
|
Lectio
16 |
|
Leçon 16
|
[73782] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 1 De epiikia vero et cetera. Postquam philosophus
determinavit de iustitia communi, hic determinat de epiichia quae est
communis iustitiae directiva. Et primo dicit de quo est intentio. Secundo
prosequitur propositum, ibi, neque autem ut idem et cetera. Dicit ergo primo,
quod proximum praemissis est ut dicatur de epiichia quae nominat quemdam
habitum, et de epiiche quod est obiectum eius. Dicendum est autem de eis
qualiter quidem epiichia se habeat ad iustitiam, et qualiter eius obiectum
quod dicitur epiches se habeat ad iustum quod est iustitiae obiectum. Dicitur
autem in Graeco epiiches quasi id quod est conveniens vel decens, ab epy,
quod est supra, et ycos, quod est oboediens; quia videlicet per epiichiam
aliquis excellentiori modo obedit, dum observat intentionem legislatoris ubi
dissonant verba legis. |
|
#1078. — Après avoir déterminé de la justice commune, le Philosophe détermine ici de l'équité, qui joue un rôle directif pour la justice commune. Et en premier, il dit quelle est son intention (1137a31). En second, il exécute son propos (1137a33). Il dit donc en premier qu'en suite immédiate de ce qu'on a dit, il y a à parler de l'équité, qui nomme un habitus, et de l'équitable, qui est son objet; et il y a à dire à leur propos quel rapport l'équité entretient avec la justice, et quel rapport son objet, que l'on appelle l'équitable, entretient avec le juste, qui est l'objet de la justice. Or en grec, on dit équitable en pensant à ce qui est convenable ou décent, à partir de epi, qui veut dire sur, et de icos, qui veut dire obéissant ; parce que, assurément, grâce à l'équité, on obéit de la manière la plus excellente, puisqu'on observe l'intention du législateur là où les mots de la loi en sont discordants. |
[73783] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 2 Deinde cum dicit: neque autem ut idem etc., prosequitur
propositum. Et circa hoc tria facit. Primo determinat de obiecto epiichiae.
Secundo de subiecto eius, ibi: manifestum autem ex hoc etc.; tertio de ipso
habitu, ibi, et habitus iste et cetera. Circa primum duo facit. Primo movet
dubitationem. Secundo solvit, ibi, habent autem omnia et cetera. Dicit ergo
primo, quod si aliqui diligenter attendant, non videtur quod epiiches et
iustum sint simpliciter idem, quia aliquando recedit a iusto legali: neque
etiam videtur quod omnino sit diversum genere a iusto. Et horum assignat
rationem: quia quandoque laudamus id quod est epiiches, dicentes hoc esse
bene factum; et similiter laudamus talem virum qui hoc operatur; vel dicimus
eum virum, idest virilem et perfectum. Et sic patet quod, cum
transferimus laudem ad id quod est epiiches vel ad hominem quasi ad aliquid
magis bonum, in hoc ostendimus quod epiikes sit aliquid melius quam iustum. Unde non videtur esse idem simpliciter cum iusto. |
|
#1079. — Ensuite (1137a33), il exécute son propos. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il détermine de l'objet de l'équité. En second, de son sujet (1137b34). En troisième, de l'habitus comme tel (1138a2). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il soulève une difficulté. En second, il la résout (1137b7). Il dit donc en premier que si l'on porte attention, l'équitable et le juste ne semblent pas strictement la même [chose], puisque quelquefois [l'équitable] s'écarte du juste légal: l'équitable ne semble pas non plus tout à fait différent en genre du juste. Et à cela il assigne une raison: que quelquefois nous louons ce qui est équitable, en disant que cela est bien fait; et de manière semblable nous louons l'homme doué de la qualité pour l'accomplir; ou nous le disons un homme, c'est-à-dire viril et parfait. Ainsi appert-il que, comme nous transférons la louange à la chose ou à l'homme qui est équitable comme à quelque chose de meilleur, cela montre que l'équitable est quelque chose de meilleur que le juste. D'où il paraît bien que ce ne soit pas strictement la même [chose] que le juste. |
[73784] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 3 Ex alia vero parte, si velimus sequi rationem, videtur
esse inconveniens, si id quod est epiiches sit laudabile et sit aliquid
praeter iustum. Oportet enim ut videtur quod vel iustum non sit studiosum,
idest bonum, vel quod id quod est epiiches si sit aliud a iusto, non sit
bonum, quia bonum contingit uno modo, ut in secundo dictum est; vel oportet,
si ambo sint bona, quod sint idem. Et sic concludit quod circa id quod est
epiiches accidit dubitatio propter praedicta: quia ex una parte videtur quod
non sit idem, inquantum laudatur ut melius quam iustum; ex alia parte videtur
quod sit idem cum iusto, inquantum id quod est praeter iustum non videtur
esse bonum et laudabile. |
|
#1080. — Mais d'un autre côté, si nous voulons poursuivre le raisonnement, cela paraît bien inconvenant, que ce qui est équitable soit louable et que ce soit quelque chose d'extérieur à ce qui est juste. Il s'ensuit en effet que manifestement ou bien le juste n'est pas à honorer, c'est-à-dire bon, ou bien ce qui est équitable, s'il est différent de ce qui est juste, n'est pas bon, puisque le bon n'est possible que d'une seule manière, comme il a été dit au second [livre] (#319-321); ou bien, si les deux sont bons, ils doivent être la même [chose]. Et ainsi il conclut qu'à propos de ce qui est équitable il se produit une difficulté à cause de ce qu'on a dit: car d'un côté, il semble que ce ne soit pas la même [chose], pour autant qu'on loue l'équitable comme meilleur que le juste; d'un autre côté, il semble que ce soit la même [chose] que le juste, pour autant que ce qui est extérieur à ce qui est juste n'est manifestement ni bon ni louable. |
[73785] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 4 Deinde cum dicit: habent autem omnia etc., solvit motam
dubitationem. Et circa hoc duo facit. Primo proponit veritatem. Secundo
rationem assignat, ibi, facit autem dubitationem et cetera. Dicit ergo primo,
quod omnia quae dicta sunt pro utraque parte dubitationis quodammodo recte se
habent; et si quis recte intelligat, nulla contrarietas ibi latet. Verum est
enim quod id quod est epiikes est iustum quoddam et tamen est melius quodam
alio iusto. Quia, ut supra dictum est, iustum quo cives utuntur dividitur in
naturale et legale: est autem id quod est epiiches melius iusto legali, sed
continetur sub iusto naturali. Et sic non dicitur melius quam iustum, quasi
sit quoddam aliud genus separatum a genere iusti. Sic ergo patet quod idem
est iustum et epiikes, quod sub genere iusti continetur, (et,) cum ambo sint
bona, scilicet iustum legale et epiiches, melius est illud quod est epiiches.
|
|
#1081. — Ensuite (1137b7), il résout la question soulevée. Et à ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il propose la vérité. En second, il en assigne la raison (1137b11). 196 Il dit donc en premier que tout ce qui a été dit pour l'une et l'autre partie de la difficulté se trouve correct d'une certaine manière; et si on comprend correctement, aucune contrariété là ne nous échappe. Il est vrai, en effet, que ce qui est équitable est quelque chose de juste et que c'est mieux qu'un autre juste: parce que, comme il a été dit plus haut (#1016-1017), le juste dont les citoyens font usage se divise en naturel et légal: or ce qui est équitable est mieux que le juste légal, mais reste contenu sous le juste naturel. Et ainsi, on ne le dit pas meilleur que le juste, comme s'il constituait un autre genre séparé du genre du juste. Et alors que les deux sont bons, à savoir le juste légal et l'équitable, l'équitable est meilleur. |
[73786] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 5 Deinde cum dicit: facit autem dubitationem etc.,
assignat rationem praedictorum. Et circa hoc tria facit. Primo assignat
rationem dubitationis. Secundo assignat rationem veritatis propositae, ibi,
causa autem et cetera. Tertio concludit veritatem intentam, ibi, propter quod
iustum quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod hoc est quod faciebat
dubitationem, quia id quod est epiikes est quidem aliquod iustum, sed non est
iustum legale, sed est quaedam directio iusti legalis. Dictum est enim quod
continetur sub iusto naturali a quo oritur iustum legale; unumquodque enim
natum est dirigi secundum principium a quo oritur. |
|
#1082. — Ensuite (1137b11), il assigne la raison de ce qui a été dit. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il assigne la raison de la difficulté. En second, il assigne la raison de la vérité proposée (1137b13). En troisième, il conclut la vérité recherchée (1137b24). Il dit donc en premier que voilà ce qui faisait difficulté: que ce qui est équitable est certes quelque chose de juste mais n'est pas légal; cela joue un rôle de direction pour le juste légal. On a dit en effet qu'il est contenu sous le juste naturel, duquel sort le juste légal. |
[73787] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 6 Deinde cum dicit: causa autem etc., assignat rationem
veritatis propositae, scilicet quare iustum legale indigeat directivo. Et
circa hoc tria facit. Primo proponit iusti legalis defectum. Secundo ostendit
quod talis defectus non excludit eius rectitudinem, ibi et est nihil minus et
cetera. Tertio concludit directionis necessitatem, ibi, cum igitur dicat lex
et cetera. Dicit ergo primo, quod causa quare iustum legale indiget
directione est ista, quia omnis lex datur universaliter. Quia enim
particularia sunt infinita, non possunt comprehendi ab intellectu humano, ut
de singulis particularibus lex feratur; et ideo oportet quod lex in
universali feratur, puta quod quicumque fecerit homicidium occidatur. |
|
#1083. — Ensuite (1137b13), il assigne la raison de la vérité proposée, à savoir pourquoi le juste légal a besoin de direction. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose le défaut du juste légal. En second, il montre que pareil défaut n'exclut pas sa rectitude (1137b17). En troisième, il conclut la nécessité d'une direction (1137b20). Il dit donc en premier que la raison pour laquelle le juste légal a besoin de direction, c'est celle-ci: que toute loi est donnée dans l'universel. Parce que, en effet, les [cas] particuliers sont infinis, ils ne peuvent pas être compris par l'intelligence humaine, de manière à ce que la loi porte sur les [cas] particuliers un à un; et c'est pourquoi il faut que la loi porte sur l'universel, par exemple que quiconque a commis un homicide soit tué. |
[73788] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 7 Manifestum est autem quod de quibusdam intellectus
noster potest aliquid verum dicere in universali, sicut in necessariis in
quibus non potest defectus accidere. Sed de quibusdam non est possibile quod
dicatur aliquid verum in universali, sicut de contingentibus; de quibus etsi
aliquid sit verum ut in pluribus, in paucioribus tamen deficit; et talia sunt
facta humana: de quibus dantur leges. Quia igitur in talibus necesse est quod
legislator universaliter loquatur propter impossibilitatem comprehendendi
particularia, nec tamen est possibile quod in omnibus recte se habeat id quod
dicitur propter hoc quod deficit in paucioribus, legislator accipit id quod
est ut in pluribus, et tamen non ignorat quod in paucioribus contingit esse
peccatum: sicut etiam naturalis dicit quod homo habet quinque digitos et
tamen novit quod propter errorem naturae, ut in paucioribus accidit aliquos
habere plures vel pauciores. |
|
#1084. — Or manifestement, en certaines [matières] notre intelligence peut dire vrai de manière universelle, comme en [matières] nécessaires, où il ne peut se produire de défaillance. Mais en certaines autres [matières], il n'est pas possible de dire vrai de manière universelle, comme en les [matières] contingentes; à leur sujet, même si quelque chose est vrai dans la plupart [des cas], il fait toutefois défaut en quelques [cas]. Tels sont les faits humains et c'est à leur propos que les lois sont données. Parce que donc en de pareilles [choses] le législateur, nécessairement, parle de manière universelle à cause de l'impossibilité de comprendre les [cas] particuliers, et parce qu'il n'est cependant pas possible que ce qui est dit se trouve correct en tous les [cas], car cela fait défaut en quelques [cas], le législateur prend ce qui en est dans la plupart des cas, et cependant il n'ignore pas que en quelques cas il se peut que ce soit fautif: un peu comme le naturaliste dit que l'homme a cinq doigts alors que pourtant il sait que par erreur de nature il arrive parfois que certains en aient plus ou moins. |
[73789] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 8 Deinde cum dicit: et est nihil minus etc., ostendit
quod praedictus defectus non tollit rectitudinem legis vel iusti legalis;
dicens quod, licet peccatum accidat in aliquibus ex observantia legis,
nihilominus lex recta est, quia peccatum illud non est ex parte legis, quae
rationabiliter posita est, neque ex parte legislatoris qui locutus est
secundum conditionem materiae, sed est peccatum in natura rei. Talis enim est
materia operabilium humanorum, quod non sunt universaliter eodem modo, sed ut
in paucioribus diversificantur; sicut reddere depositum secundum se iustum,
est et ut in pluribus bonum; in aliquo tamen casu potest esse malum, puta si
reddatur gladius furioso. |
|
#1085.
— Ensuite (1137b17), il montre que le défaut mentionné n'enlève pas la
rectitude de la loi ou du juste légal; en disant que, bien que ce puisse être
fautif en quelques cas d'observer la loi, la loi est néanmoins correcte, du
fait que cette faute n'est pas de la part de la loi, car elle a été posée de
manière raisonnable, ni de la part du législateur, qui a parlé en conformité
avec la condition de la matière, mais c'est la faute de la nature de la
chose. Telle est en effet la matière des opérables humains, qui ne gardent
pas universellement la même forme, mais varient en quelques cas; ainsi,
rendre le dépôt est juste en soi, et reste bon dans la plupart des cas;
cependant, en un certain cas ce peut être mauvais, par exemple si on rend une
épée à un fou furieux. |
[73790] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 9 Deinde cum dicit: cum igitur dicat etc., concludit
necessitatem directionis iusti legalis. Et dicit quod cum lex proponit
aliquid in universali, et in aliquo casu non sit utile illud observari, tunc
recte se habet quod aliquis dirigat illud quod deficit legi, ubi scilicet
legislator reliquit casum particularem in quo lex deficit, non determinatum
et peccavit, idest rem defectibilem proposuit, in hoc quod simpliciter
id est universaliter dixit. Quia et ipse legislator, si praesens esset ubi
talis casus accidit, sic determinaret esse dirigendum et si a principio
praescivisset, posuisset hoc in lege. Sed non potuit comprehendere omnes
casus particulares. Sicut in quadam civitate statutum fuit sub poena capitis
quod peregrini non ascenderent muros civitatis, ne scilicet possent dominium
civitatis usurpare. Hostibus autem irruentibus in civitatem, peregrini quidam
ascendentes muros civitatis defenderunt civitatem ab hostibus, quos tamen non
est dignum capite puniri, esset enim hoc contra ius naturale ut
benefactoribus poena rependeretur. Et ideo secundum iustum naturale oportet
hic dirigere iustum legale. |
|
#1086. — Ensuite (1137b20), il conclut la nécessité d'une direction pour le juste légal. Et il dit que, comme la loi propose quelque chose de manière universelle, et qu'en certain cas il ne soit pas utile de l'observer, on a raison de donner à la loi une direction pour ce qui lui manque, c'est-à-dire quand le législateur a laissé non déterminé le cas particulier dans lequel la loi est déficiente et a été fautif, c'est-à- dire a proposé une chose défectible en ce qu'il a parlé strictement, c'est-à-dire de manière universelle. Parce que le législateur aussi, s'il était présent où un tel cas est arrivé, en déterminerait de 197 telle façon et offrirait une direction appropriée. Et s'il avait su dès le début, il l'aurait posé dans la loi. Mais il n'a pu comprendre tous les cas particuliers. Par exemple, dans une certaine cité il a été statué sous peine de mort que les étrangers ne monteraient pas sur les murs de la cité, afin de ne pouvoir usurper le pouvoir de la cité. Mais au moment d'une invasion, des voyageurs sont montés sur les murs de la cité pour la défendre de ses ennemis et cela ne leur a pas mérité la peine de mort. Ce serait en effet contre le droit naturel de payer des bienfaiteurs par un châtiment. Voilà pourquoi il faut ici offrir au juste légal une direction en conformité avec le juste naturel. |
[73791] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 10 Deinde cum dicit propter quod iustum quidem etc.,
concludit veritatem intentam. Et dicit quod propter praedicta manifestum est
quod id quod est epiikes est quidem iustum et est melius quodam iusto, non
quidem iusto naturali, quod simpliciter, id est universaliter, est
observandum, sed iusto legali, in quo accidit peccatum propter hoc quod
simpliciter, idest universaliter proponitur. Unde haec est natura eius quod
est epiiches, ut sit directivum legis ubi lex deficit propter aliquem particularem
casum. Quia enim lex deficit in particularibus, ista est causa quod non omnia
possunt determinari secundum legem, quia de quibusdam quae raro accidunt,
impossibile est quod lex ponatur, eo quod non possunt omnia talia ab homine
praevideri. Et propter hoc necessaria est post legem latam sententia iudicum per
quam universale dictum legis applicatur ad particulare negotium. Quia enim
materia humanorum operabilium est indeterminata, inde est quod eorum regula,
quae est lex, oportet quod sit indeterminata, quasi non semper eodem modo se
habens. |
|
#1087. — Ensuite (1137b24), il conclut la vérité recherchée. Il dit que ce qui a été dit auparavant rend manifeste qu'est-ce qui est équitable; cela, bien sûr, est juste, et mieux qu'un certain juste, non pas bien sûr le juste naturel, qui est proposé strictement, c'est-à-dire de manière universelle. Aussi, voilà la nature de ce qui est équitable, d'offrir une direction à la loi où la loi fait défaut à cause d'une situation particulière. Comme, en effet, la loi fait défaut dans des [situations] particulières, voilà la raison pourquoi tout ne peut pas être déterminé par la loi; en effet, en regard de ce qui arrive rarement, il est impossible de poser une loi, du fait qu'on ne peut prévoir entièrement pareille [situation]. À cause de cela, une fois la loi instituée, on a besoin de la sentence de juges qui applique le dit universel de la loi à l'affaire particulière. Parce qu'en effet la matière des opérables humains est indéterminée, de là vient que leur règle, qui est la loi, doit rester indéterminée, comme si elle ne gardait pas toujours la même forme. |
[73792] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 11 Et ponit exemplum de regula Lesbiae aedificationis. In
Lesbia enim insula sunt lapides duri qui non possunt de facili ferro
praecidi, ut sic redigantur ad omnimodam rectitudinem; et ideo aedificatores
utuntur ibi regula plumbea. Et sicut illa regula complicata adaptatur ad
figuras lapidum et non manet in eadem dispositione, ita oportet quod
sententia iudicum adaptetur ad res secundum earum convenientiam. Sic ergo
epilogando concludit, manifestum esse ex praedictis quod id quod est epiikes
est quoddam iustum et quod est melius quodam iusto, scilicet legali. |
|
#1088. — Il apporte l'exemple de la règle de construction de Lesbos. Dans l'île de Lesbos, en effet, il y a des pierres dures, qui ne peuvent pas facilement être taillées au fer pour obtenir une rectitude complète; et c'est pourquoi les constructeurs se servent là d'une règle de plomb. Et de même que cette règle pliable s'adapte aux formes de la pierre et ne garde pas la même disposition, de même la sentence du juge doit s'adapter aux choses selon leur convenance. Ainsi donc, comme épilogue, il conclut que manifestement, à partir de ce qui a été dit, l'équitable est une sorte de juste qui est meilleure qu'un autre juste, à savoir le légal. |
[73793] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 12 Deinde cum dicit manifestum autem ex hoc etc.,
determinat de subiecto epiichiae; et dicit manifestum esse ex hoc quod dictum
est, quis homo sit epiiches, ille scilicet qui eligit et operatur ea quae
dicta sunt. Et ponit quamdam proprietatem talis virtuosi; et dicit quod talis
non est acrivodikeos, id est diligenter exequens iustitiam ad
deterius, idest ad puniendum, sicut illi qui sunt rigidi in puniendo, sed
diminuit poenas, quamvis habeat legem adiuvantem ad puniendum. Non enim poenae sunt
per se intentae a legislatore, sed quasi medicina quaedam peccatorum. Et ideo epiiches non plus apponit de poena quam
sufficiat ad cohibenda peccata. |
|
#1089. — Ensuite (1137b34), il détermine du sujet de l'équité; et il dit que c'est manifeste, à partir de ce qui a été dit, qui est équitable: c'est celui qui choisit et fait ce qui a été dit. Puis il présente une propriété de ce type de vertueux; pareil [vertueux], dit-il, n'est pas acribodikaios, c'est-à-dire en recherche rigoureuse de la justice la pire, c'est-à-dire en matière de punition, comme ceux qui sont rigides pour punir; au contraire, il diminue les peines, même s'il a la loi de son côté pour punir. En effet, ce ne sont pas les peines qui, comme telles, sont voulues par le législateur, mais une espèce de médecine pour les fautes. Et c'est pourquoi l'équitable n'applique pas plus de peine qu'il ne suffit pour empêcher les fautes. |
[73794] Sententia Ethic., lib. 5 l. 16 n. 13 Deinde cum dicit: et habitus iste etc., determinat de
ipso habitu virtutis. Et dicit quod iste habitus qui dicitur epiikia est
quaedam species iustitiae et non est aliquis alius habitus a iustitia legali,
sicut et de eius obiecto dictum est: habitus enim per obiecta cognoscuntur. |
|
#1090. — Ensuite (1138a2), il détermine de l'habitus même de la vertu. Et il dit que l'habitus appelé équité est une espèce de la justice et n'est pas un autre genre d'habitus que la justice légale, comme il a été dit aussi de son objet: car les habitus sont connus par leurs objets. |
|
|
|
Lectio
17 |
|
Leçon 17
|
[73795] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 1 Utrum autem contingit sibi
ipsi et cetera. Postquam philosophus determinavit de iustitia proprie dicta,
hic intendit determinare de iustitia metaphorice dicta. Et quia huiusmodi
iustitia consistit in his quae sunt ad se ipsum, ideo ostendit quod nullus
potest, proprie loquendo, sibiipsi facere iniustum. Secundo ostendit quomodo
hoc contingit secundum metaphoram. Circa primum duo facit: primo ostendit
quod nullus potest sibi ipsi facere iniustum vel pati iniustum a se ipso;
secundo ostendit quid sit peius, utrum facere iniustum vel pati iniustum,
ibi: manifestum autem et quoniam ambo et cetera. Circa primum tria facit.
Primo proponit quod huiusmodi quaestio ex supradictis determinari potest;
secundo ponit quaedam per quae videtur quod aliquis sibiipsi possit facere
iniustum, ibi: quaedam quidem enim etc.; tertio determinat veritatem, ibi,
sed cui et cetera. Dicit ergo primo, quod ex dictis potest esse manifestum
utrum contingat quod aliquis sibi ipsi faciat iniustum vel non. Hanc autem
quaestionem supra movit; sed hic eam prosequitur propter proximitatem quam
habet ad cognitionem metaphoricae iustitiae. |
|
#1091. — Après avoir déterminé de la justice proprement dite, le Philosophe entend déterminer ici de la justice dite métaphoriquement. Comme la justice dite de cette manière consiste en des [choses] ordonnées à soi, il montre d'abord que personne ne peut, à parler proprement, commettre une injustice envers soi-même (1138a4). En second, il montre comment cela se peut par métaphore (1138b5). À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que personne ne peut se faire à soi une injustice ou subir de soi une injustice. En second, il montre ce qui est le pire: si c'est de commettre une injustice ou d'en subir une (1138a28). 198 Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il affirme qu'une telle question peut se déterminer en partant de ce qui a été dit plus haut. En second, il propose certains [points] qui donnent l'impression que l'on puisse se faire injustice à soi-même (1138a5). Il dit donc en premier que ce qui a été dit peut déjà rendre manifeste s'il est possible que l'on se fasse injustice à soi-même. Il a soulevé cette question plus haut (#1059-1065); mais ici il la poursuit à cause de la proximité qu'elle a avec la notion de justice métaphorique. |
[73796] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 2 Deinde cum dicit: quaedam
quidem enim etc., ponit duas rationes, ex quibus videtur quod aliquis possit
sibiipsi iniustum facere. Quarum prima talis est. Manifestum est, secundum
supradicta, quod illa quae sunt iusta secundum quamcumque virtutem,
ordinantur a lege. Unde illud quod in nullo casu ordinatur a lege, non
videtur esse iustum secundum aliquam virtutem: et ita videtur esse iniustum.
In nullo enim casu lex iubet quod aliquis se interficiat. Illa autem quae lex
non iubet tamquam iusta, prohibet tamquam iniusta. Quod non est sic intelligendum,
quasi nihil sit medium inter praeceptum et prohibitionem legis, cum multa
sint quae a lege nec praecipiuntur nec prohibentur, sed permittuntur hominum
voluntati, sicut emere rem aliquam vel non emere; sed est sic intelligendum
quod illa sola lex in nullo casu iubet quae sunt prohibita quasi per se
iniusta: et ita videtur quod occidere seipsum sit per se iniustum, cum hoc
lex nunquam praecipiat. |
|
#1092. — Ensuite (1138a5), il pose deux raisons à partir desquelles il semble que l'on puisse se faire injustice à soi-même. La première va comme suit. Il est manifeste, selon ce qui a été dit, que ce qui est juste en regard de n'importe quelle vertu se voit ordonné par la loi. D'où ce qui n'est ordonné en aucun cas par la loi n'est manifestement pas juste au regard d'une vertu quelconque: et ainsi, cela est manifestement injuste. En effet, la loi n'ordonne jamais que l'on se tue. Or ce que la loi n'ordonne pas comme juste, elle le prohibe comme injuste. Mais ceci n'est pas à entendre au sens que rien d'intermédiaire n'existerait entre le précepte et la prohibition de la loi; car il y a beaucoup de choses qui ne sont ni prescrites ni prohibées par la loi, mais sont volontairement omises, comme d'acheter ou de ne pas acheter telle chose; mais c'est à entendre au sens que c'est seulement ce qui est par soi injuste que la loi n'ordonne jamais et qui est prohibé comme injuste par soi: et ainsi il semble que de se tuer soi-même soit par soi injuste, puisque cela la loi ne le prescrit jamais. |
[73797] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 3 Secundam rationem ponit
ibi adhuc autem etc. et dicit quod ille qui nocet alicui praeter legis
praeceptum, ut cum lex praecipit aliquem puniri, dummodo non sit
contranocens, idest resistens nocumento sibi ab altero illato, puta cum
repercutit percutientem, talis inquam facit volens iniustum. Et in hoc quod
dico volens, intelligitur quod sciat quid et quomodo faciat et alias
circumstantias. Sed ille qui occidit seipsum propter iram, operatur praeter
rectam legem volens hoc quod non permittit lex. Ergo facit iniustum. Ergo
videtur quod aliquis possit sibiipsi iniustum facere. |
|
#1093. — Il amène une seconde raison (1138a7). Et il dit que celui qui nuit à un autre sans l'appui d'un précepte de loi, comme lorsque la loi prescrit de punir quelque chose, et qui ne le fait pas contre quelqu'un qui lui nuit, c'est-à-dire en résistant à un dommage qui lui est fait par l'autre, par exemple lorsqu'on frappe en retour celui qui nous frappe, celui-là fait volontairement l'injustice. Et par volontairement, j'entends qu'on sache ce qu' on fait et comment on le fait, et les autres circonstances. Mais celui qui se tue lui-même par colère, agit sans une loi droite, en voulant ce que la loi ne permet pas: il commet donc l'injustice. Donc il semble que l'on puisse se faire injustice à soi-même. |
[73798] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 4 Deinde cum dicit sed cui?
et cetera, solvit praedictam dubitationem. Et primo ponit solutionem et
confirmat eam; secundo ponit radicem principalem solutionis, ibi: totaliter
autem solvitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo solvit dubitationem
supra motam quantum ad iustitiam legalem. Secundo
quantum ad iustitiam particularem, ibi, adhuc secundum quod iniustus et
cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit solutionem. Et dicit quod ille
qui interficit se ipsum facit quidem iniustum, sed considerandum est cui
iniustum faciat. Facit enim iniustum civitati quam privat uno cive, sed non
facit iniustum sibi ipsi. |
|
#1094. — Ensuite (1138a11), il résout la difficulté soulevée. Et en premier, il amène la solution et la confirme. En second, il présente la racine de la solution (1138a26). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il résout cette difficulté en rapport à la justice légale. En second, en rapport à la justice particulière (1138a14). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose la solution. Et il dit que celui qui se tue lui-même commet de fait une injustice. Mais on doit considérer envers qui il commet une injustice. Il commet en effet une injustice envers la cité, qu'il prive d'un citoyen, mais il ne se fait pas injustice à lui-même. |
[73799] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 5 Secundo ibi: volens enim
etc., confirmat solutionem positam. Et primo quantum ad hoc quod non facit
iniustum sibi. Ipse enim volens patitur occisionem; nullus autem patitur
iniustum volens, ut supra habitum est: ergo iste non patitur iniustum. Non
ergo facit sibi iniustum. |
|
#1095. — En second (1138a12), il confirme la solution posée. Et en premier quant à ce que l'on ne commet pas d'injustice envers soi. Si, en effet, c'est volontairement que l'on subit l'homicide, comme personne ne subit volontairement l'injustice, ainsi qu'on en a traité plus haut, on ne subit donc pas là d'injustice. On ne se fait donc pas d'injustice. |
[73800] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 6 Secundo ibi: propter quod
etc., confirmat solutionem quantum ad hoc quod facit iniustum civitati: et
hoc per quoddam signum. Videmus enim quod civitas infert damnum quale
possibile est, scilicet inhonorationem sive vituperium ei qui occidit
seipsum; puta quod facit trahi cadaver eius vel dimittit ipsum insepultum, ut
per hoc detur intelligi quod ipse fecit iniuriam civitati. |
|
#1096. — En troisième (1138a12), il confirme la solution quant à ce que l'on commet une injustice envers la cité: et cela par un signe. Nous voyons en effet que la cité inflige à celui qui se tue lui-même une peine, pour autant que c'est possible, par exemple un déshonneur ou une réprimande; par exemple, on traîne son cadavre ou on le laisse sans sépulture, de façon qu'il soit donné par là à entendre que celui-là a fait une injure à la cité. |
[73801] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 7 Deinde cum dicit: adhuc
secundum quod iniustus etc., ostendit quod nullus facit sibiipsi iniustum
secundum iniustitiam particularem. Et primo proponit quod intendit. Et dicit
quod secundum quod aliquis dicitur iniustus non quasi totaliter pravus
secundum omnem malitiam, sed solum quasi faciens iniustum particulare, secundum
inquam hoc iniustum non contingit quod aliquis sibiipsi faciat iniustum. Hoc
enim iniustum particulare est aliud ab iniusto legali de quo supra
loquebamur. Contingit enim quod aliquis dicatur iniustus secundum aliquem
modum non quasi habens totam malitiam, sed quasi habens aliquam particularem
malitiam, sicut et aliquis dicitur timidus secundum particularem malitiam.
Unde nec secundum istam iniustitiam particularem contingit quod aliquis
sibiipsi faciat iniustum. |
|
#1097. — Ensuite (1138a14), il montre que personne ne se fait injustice à soi-même selon l'injustice particulière. Et en premier il propose ce qu'il entend. On peut être dit injuste sans être totalement mauvais avec malice, simplement en commettant une injustice particulière; sous ce rapport, il dit que, selon ce type d'injustice, il n'est pas possible non plus que l'on se fasse injustice à soi-même. Cet injuste particulier, en effet, est différent de l'injuste légal dont nous avons parlé plus haut. En effet, il est possible que l'on soit dit injuste de telle manière, sans posséder la malice toute entière, mais simplement une malice 199 particulière. Comme on est dit timide selon une malice particulière. Or il n'est pas possible pas plus selon cette injustice particulière que l'on se fasse injustice à soi-même. |
[73802] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 8 Secundo ibi, simul enim
eidem etc., probat propositum quatuor rationibus. Quarum prima est quia ille
qui facit iniustum secundum iniustitiam particularem, habet plus quam sibi
debeatur; ille autem qui patitur habet minus; si ergo aliquis sibi ipsi
faceret iniustum, sequeretur quod simul uni et eidem auferretur aliquid de
suo et adiaceret sibi quasi superappositum; ergo impossibile est quod idem
sit iniustum faciens et iniustum patiens a seipso. Sed tam iustum quam
iniustum necesse est in pluribus personis inveniri. |
|
#1098. — En second (1138a18), il prouve son propos par quatre raisons. La première en est que celui qui commet l'injustice selon l'injustice particulière a plus qu'il ne lui est dû; et celui qui subit l'injustice a moins. Si donc, quelqu'un se fait injustice à lui-même, il s'ensuivrait qu'au seul et même on enlèverait quelque chose à lui et qu'on lui donnerait; mais c'est en opposition. Donc, il est impossible que ce soit le même qui agisse avec justice et qui subisse l'injustice de lui-même. Mais tant le juste que l'injuste ne peuvent se trouver qu'en plusieurs personnes. |
[73803] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 9 Secundam rationem ponit
ibi: adhuc voluntarium et cetera. Et dicit quod iniustum facere oportet esse
voluntarium et cum electione, et oportet etiam quod sit prius quam iniustum
pati. Ille enim qui primo passus est iniustum et idem contrafacit secundo,
quod lex permittit, non videtur facere iniustum, puta si reaccipit rem sibi
ablatam. Sed si aliquis sibiipsi noceat, eadem simul et patitur et facit. Non
ergo videtur sibiipsi facere iniustum. |
|
#1099. — Il amène ensuite sa seconde raison (1138a20). Et il dit que commettre l'injustice est nécessairement volontaire et avec choix, et doit être antérieur au fait de subir l'injustice. Celui, en effet, qui d'abord a subi l'injustice et rend la même chose selon la permission de la loi ne commet manifestement pas une injustice, par exemple s'il reprend une chose qui lui a été enlevée. Mais si on se nuit à soi-même, c'est en même temps qu'on subit et agit. Il ne semble donc pas que l'on se fasse injustice à soi-même. |
[73804] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 10 Tertiam rationem ponit
ibi, adhuc erit utique et cetera. Voluntarie enim aliquis sibiipsi nocet. Si
igitur talis iniustum patitur a seipso, sequitur quod iniustum pati sit
voluntarium; quod supra improbatum est. |
|
#1100. — Il amène ensuite sa troisième raison (1138a23). En effet, c'est volontairement qu'on se nuit à soi-même. Si donc alors on subit une injustice de soi-même, il s'ensuit que subir l'injustice soit volontaire; ce qui a été infirmé plus haut (#1094-1096). |
[73805] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 11 Quartam rationem ponit
ibi, cum his autem et cetera. Quia si quis consideret in particularibus iniustificationibus,
idest in speciebus particularis iniustitiae, maxime apparet quod nullus
sibiipsi facit iniustum. Est enim una species particularis iniustitiae
moechia, idest adulterium. Nullus autem moechatur, idest adulterat
uxorem suam, neque aliquis dicitur suffossor murorum, quod pertinet ad aliam
iniustitiae speciem, propter hoc quod suffodit proprium murum; neque etiam
dicitur aliquis fur, si accipiat clam bona sua. Unde patet quod non contingit
sibiipsi iniustum facere. |
|
#1101. — Il amène ensuite sa quatrième raison (1138a24). C'est si l'on considère les situations particulières d'injustice, c'est-à-dire les espèces de l'injustice particulière, que surtout il devient apparent que personne ne se fait injustice à soi-même. Il existe en effet une espèce particulière d'injustice qui est la moechia, c'est-à-dire l'adultère. Personne n'adultère sa propre femme, ni n'est dit sapeur de murs, ce qui appartient à une autre espèce d'injustice, pour le fait de saper son propre mur, ni n'est dit voleur s'il prend en cachette ses biens. Aussi devient-il évident qu'il n'est pas possible de se faire injustice à soi-même. |
[73806] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 12 Deinde cum dicit:
totaliter autem solvitur etc., ponit principalem radicem praedictae
solutionis. Et dicit quod totaliter solvitur praedicta quaestio de eo quod
est iniustum facere sibiipsi, secundum hoc quod supra determinatum est de hoc
quod impossibile est voluntarie aliquem iniustum pati. Ex hoc enim manifeste
sequitur quod nullus sibi iniustum facit, cum iniustum facere sit
voluntarium, ut supra dictum est. |
|
#1102. — Ensuite (1138a26), il pose la principale racine de la solution qui précède. Et il dit que la question qui précède, concernant ce qu'il en est de se faire injustice à soi, est totalement résolue d'après ce qui a été déterminé plus haut (#1063, 1071, 1099) concernant le fait qu'il est impossible de subir une injustice volontairement; c'est de cela en effet surtout qu'il s'ensuit que personne ne fait l'injustice sans le vouloir, à la manière dont commettre l'injustice est volontaire, comme il a été dit plus haut. |
[73807] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 13 Deinde cum dicit
manifestum autem et quoniam ambo etc., comparat adinvicem ista duo. Et circa
hoc tria facit. Primo ostendit quod utrumque eorum est malum. Secundo, quod
iniustum facere per se est peius, ibi, sed tamen deterius etc.; tertio
ostendit quod per accidens potest esse e converso, ibi, secundum accidens
autem et cetera. Dicit ergo primo, quod ambo, scilicet iniustum facere
et iniustum pati, sunt prava. Quod quidem probat per hoc quod hoc quidem,
scilicet iniustum pati est minus habere quam medium iustitiae requirat. Hoc
autem, scilicet iniustum facere, est plus habere quam sit mensura
iustitiae. Medium autem iustitiae quod dicitur iustum ita se habet in
commutationibus et in distributionibus, sicut sanum in medicinali et bene
habitivum in arte exercitativa; unde, sicut in medicinali et exercitativa
illud quod est plus vel minus est malum, ita etiam circa iustitiam. |
|
#1103. — Ensuite (1138a28), il compare entre elles ces deux [situations]. Et à ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que l'une et l'autre d'entre elles est mauvaise. En second, que de commettre l'injustice est par soi pire (1138a31). En troisième, il montre que par accident ce peut être le contraire (1138b1). Il dit donc en premier que les deux, à savoir commettre l'injustice et subir l'injustice, sont mauvais. Ce qu'il prouve certes par cela, à savoir que subir l'injustice consiste à avoir moins que ne requiert le milieu de la justice. Cela par ailleurs, à savoir commettre l'injustice, consiste à avoir davantage que la mesure de la justice. Or le milieu de la justice, qui est dit juste, tient dans les échanges et les distributions, le rapport que tient le sain en matière médicinale et le bien disposé en exercice. D'où comme, en [matière] de médecine et d'exercice, ce qui est plus ou moins est mauvais, il en va de même aussi concernant la justice. |
[73808] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 14 Deinde cum dicit: sed
tamen deterius etc., ostendit quod peius sit iniustum facere quam iniustum
pati. Quod quidem probat per hoc: quod iniustum facere est vituperabile et
cum malitia: quod quidem intelligendum est vel de malitia perfecta et
simpliciter, puta cum aliquis iniustum facit non solum voluntarie, sed ex
electione; vel se habet proxime ad perfectam malitiam, ut patet de eo qui
iniustum facit non ex electione, sed ex ira vel alia passione. Ostensum est
enim supra, quod non omne voluntarium est cum iniustitia. Quandoque enim
aliquis voluntarie iniustum facit et tamen non est iniustus, nihilominus
tamen vituperatur. Sed iniustum pati est omnino sine malitia et iniustitia.
Ille enim qui iniustum patitur nullo modo propter hoc dicitur iniustus vel
malus. Manifestum est autem quod illud est magis malum a quo denominatur
aliquis malus, quam a quo non denominatur malus; sicut albedo in actu, qua
denominatur aliquis albus, magis dicitur vere albedo quam illa quae est in
potentia, a qua non denominatur aliquis albus. Sequitur igitur quod iniustum
pati secundum se sit minus malum quam iniustum facere. |
|
#1104. — Ensuite (1138a31), il montre qu'il est pire de commettre l'injustice que de subir l'injustice. Ce qu'il prouve certes par ce fait que commettre l'injustice est blâmable et accompagné de malice: ce que, bien sûr, on doit comprendre ou bien de la malice parfaite et stricte, par exemple lorsque l'on commet l'injustice non seulement volontairement, mais par choix; ou de celle qui se tient proche de la malice parfaite, comme il appert de celui qui commet l'injustice non pas par choix, mais par colère ou par une autre passion. Il a été montré en effet plus haut que tout [injuste] volontaire ne va pas avec injustice. Quelquefois, en effet, on commet l'injustice et cependant on n'en est pas injuste; néanmoins on en est blâmé. Mais subir l'injustice est tout à fait sans malice ni injustice. Celui, en effet, qui subit l'injustice ne peut être tenu en aucune manière pour injuste ou mauvais. Il est manifeste par ailleurs qu'est 200 davantage mauvais ce à partir de quoi on est dénommé mauvais, que ce à partir de quoi on n'est pas dénommé mauvais; comme la blancheur en acte, par laquelle on est dénommé blanc, est plus blancheur que la blancheur en puissance, à partir de laquelle on n'est pas dénommé blanc. Il s'ensuit donc que subir l'injustice est par soi moins mauvais que de commettre l'injustice. |
[73809] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17 n. 15 Deinde cum dicit secundum accidens autem etc., ostendit
quod secundum accidens potest esse e converso. Et dicit quod nihil prohibet
quin iniustum pati per accidens sit magis malum quam iniustum facere, puta
cum aliquis ex hoc quod iniustum patitur provocatur ad maiores iniustitias
faciendas. Sed de hoc quod est per accidens non curat ars, sed iudicat
secundum id quod est per se. Sicut ars medicinae dicit pleuresim, quae est
apostema sub costis periculosum et mortale, esse maiorem aegritudinem quam
sit offensio pedis, quamvis quandoque offensio pedis per accidens possit esse
peior; puta cum aliquis propter hoc quod habet pedem laesum cadit, et sic
accidit quod capiatur ab adversario et moriatur. |
|
#1105. Ensuite (1138b1), il montre que par accident il peut en aller au contraire. Et il dit que rien n'empêche que subir l'injustice, par accident, ne soit plus mauvais que de commettre l'injustice. Par exemple, lorsque l'on est provoqué, du fait d'avoir subi une injustice, à commettre de plus grandes injustices. Mais cela arrive par accident. Or l'art ne s'occupe pas de ce qui arrive par accident, mais juge seulement selon ce qui est par soi. Ainsi, l'art de la médecine dit que la pleurésie, un abcès dangereux et mortel sous les côtes, est une maladie plus grave que ne l'est une affection au pied, bien que par accident cette dernière puisse être pire; par exemple lorsque, à cause de ce que l'on a le pied blessé, on tombe et qu'on se trouve ainsi à prendre [un coup] de son adversaire et à en mourir. |
[73810] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 16 Deinde cum dicit secundum
metaphoram autem etc., ostendit qualis sit metaphorica iustitia. Et dicit
quod secundum quamdam metaphoram et similitudinem contingit, non quidem quod
sit iustum vel iniustum totius hominis ad seipsum, sed quod sit quaedam
species iusti inter aliquas partes hominis adinvicem. Non tamen inter eas est
omne iustum, sed solum iustum dominativum vel dispensativum, id est
yconomicum. Quia secundum has rationes, scilicet dominii vel dispensationis
videtur distare rationalis pars animae ab irrationali, quae dividitur in
irascibilem et concupiscibilem. Nam ratio dominatur irascibili et
concupiscibili et gubernat eas. |
|
#1106. — Ensuite (1138b5), il montre de quelle nature est la justice métaphorique. Et il dit qu'il est possible, selon une métaphore et une similitude, non pas bien sûr d'avoir un juste ou un injuste de l'homme tout entier envers lui-même, mais de trouver une espèce de juste entre certaines parties d'un homme. Cependant, ce n'est pas tout le juste que l'on trouve entre elles, mais seulement le juste dominatif ou dispensatif, à savoir économique: parce que c'est selon ces définitions de domination ou de dispensation que manifestement se différencient la partie rationnelle de l'âme de l'irrationnelle, divisée en irascible et concupiscible. En effet, la raison domine l'irascible et le concupiscible et les gouverne. |
[73811] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17
n. 17 Et ad ista respiciunt
illi quibus videtur quod sit iniustitia hominis ad se ipsum propter hoc quod
in talibus contingit aliquem pati propter proprios appetitus. Puta cum ex ira
vel concupiscentia aliquis facit contra rationem. Sic igitur in his est
quoddam iustum et iniustum, sicut inter imperantem et eum cui imperatur. Non
autem est verum iustum, quia non est inter duos; sed est similitudinarium iustum,
inquantum diversitas potentiarum animae assimulatur diversitati personarum. |
|
#1107. — C'est ces [choses] qu'ont en vue ceux à qui il semble qu'il y ait une justice de l'homme envers lui-même, du fait que, dans ce contexte, il est possible que l'on subisse [un tort] à cause de ses propres appétits. Par exemple, lorsque par colère ou concupiscence on agit contre la raison. Ainsi donc, en ce contexte, il existe un certain juste et un injuste, comme entre qui commande et celui à qui il commande. Mais ce n'est pas un vrai juste, parce qu'il n'intervient pas entre deux; c'est tout de même une ressemblance de juste, pour autant que la diversité de l'âme est assimilée à la diversité des personnes. |
[73812] Sententia Ethic., lib. 5 l. 17 n. 18 Ultimo autem epilogando concludit quod determinatum est
de iustitia et aliis virtutibus moralibus secundum praedictum modum. Et in
hoc terminatur sententia quinti libri. |
|
#1108. — En dernier, par manière d'épilogue, il conclut qu'on a déterminé de la justice et des autres vertus morales selon le monde annoncé. Et en cela se termine la pensée du cinquième livre. |
|
|
|
Liber 6
|
LIVRE 6 : [Les vertus de l’intelligence] (Traduction Abbé
Dandenault, 1950)
|
LIVRE 6 (Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
|
|
LES PRINCIPES DE L'AGIR.- LES HABITUS DE L'INTELLIGENCE: LA SCIENCE, L'ART, L'INTELLIGENCE, LA SAGESSE ET LA PRUDENCE. LES PARTIES DE LA PRUDENCE ET CE QUI EST CONSECUTIF A CES PARTIES. L'UTILITE DE LA SAGESSE ET DE LA PRUDENCE.- LA VERTU NATURELLE. LA CONNEXION DES VERTUS ET DE LA PRUDENCE. |
|
|
|
|
Lectio
1 |
Leçon 1 : [La raison droite] |
|
|
ETUDE DE LA RAISON DROITE OU DE LA VERTU INTELLECTUELLE SELON LAQUELLE ON DETERMINE LE MILIEU. |
|
[73813] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 1 Quia autem existimus prius
dicentes et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtutibus
moralibus, in hoc sexto libro determinat de intellectualibus. Et primo
prooemialiter dicit de quo est intentio. Secundo determinat propositum, ibi,
prius quidem igitur dictum est et cetera. Circa primum tria facit. Primo
dicit quod dicendum est de ratione recta. Secundo ostendit quid de ea
dicendum sit, ibi: in omnibus enim dictis habitibus etc.; tertio continuat se
ad praecedentia, ibi, animae autem virtutes et cetera. Dicit ergo primo quod,
quia supra in secundo dictum est quod in virtutibus moralibus, de quibus
supra actum est, oportet eligere medium et praetermittere superabundantiam et
defectum; medium autem determinatur secundum rationem rectam, ut in II
habitum est, consequens est ut (hoc), scilicet rationem rectam et
virtutem intellectualem, quae est rectitudo rationis, dividamus in suas
species, sicut et supra divisimus virtutes morales. |
1109- Après avoir traité des vertus morales, le Philosophe traite, dans ce sixième livre, des vertus intellectuelles. Et en premier il nous dit, en guise d'introduction, ce qu'il se propose de déterminer. En second, il traite de ce qu'il a proposé. Il propose ce qu'il veut dire en trois points. En premier, il dit qu'il faut traiter de la raison droite. En second, il montre ce qu'il faut dire de la raison droite. En troisième, il faut la relation avec les parties précédentes du traité. En premier il dit donc que, parce qu'on a manifesté, dans le second livre, que dans les vertus morales étudiées précédemment il faut choisir le milieu et s'abstenir de l'excès et du défaut et que ce milieu d'après le même livre, se détermine selon la raison droite, il s'ensuit que nous devons diviser la raison droite, c'est-à-dire la vertu intellectuelle qui est la rectitude de la raison, en ses espèces, comme nous l'avons fait pour les vertus morales. |
#1109. — Après avoir traité des vertus morales, le Philosophe, dans ce sixième livre, traite des [vertus] intellectuelles. En premier, en manière de prologue, il annonce sur quoi porte son intention (1138b18). En second, il exécute son propos (1139a3). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il dit que l'on doit parler de raison droite. En second, il montre ce qu'il y a à en dire (1138b21). En troisième, il se rattache aux [considérations] précédentes (1138b35). Il dit donc, en premier, qu'auparavant, au second [livre] (#317), il a été dit que, dans les vertus morales, dont il a été traité plus haut (#245-1108), il faut choisir le milieu et rejeter l'excès et le défaut; or le milieu se détermine d'après la raison droite, comme il en a été question au second [livre] (#322); il s'ensuit que nous devons diviser en ses espèces la raison droite, c'est-à-dire la vertu intellectuelle, qui est la rectitude de la raison, comme aussi nous avons semblablement divisé les vertus morales. |
[73814] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 2 Deinde cum dicit: in
omnibus enim dictis etc., ostendit quid dicendum sit de ratione recta. Et
circa hoc tria facit. Primo ostendit quid de ratione recta haberi possit per
ea quae supra dicta sunt; secundo ostendit quod hoc non sufficit, ibi, est
autem dicere quidem et cetera. Tertio concludit quid oporteat amplius dicere,
ibi, propter quod oportet et cetera. Dicit ergo primo, quod in omnibus praedictis
habitibus, id est in virtutibus moralibus, sicut et in aliis rebus,
puta in artificialibus, est aliquid quasi signum ad quod respicit ille qui
habet rectam rationem: et sic intendit et remittit, id est addit vel
minuit, et considerat per hoc signum quis est terminus medietatum,
idest quomodo debeat determinari medietas in unaquaque virtute, quas quidem
medietates dicimus esse quoddam medium inter superabundantiam et defectum, et
hoc secundum rationem rectam. Hoc autem signum quod est virtuoso sicut regula
artifici, est id quod decet et convenit, a quo non oportet deficere nec ultra
addere. Et hoc est medium virtutis: quae quidem supra in secundo manifestata
sunt. |
1110.- Il montre ce qu'il faut dire de la raison droite. Et à ce sujet, il fait trois considérations. En premier, il montre ce qu'on peut déjà posséder sur la raison, droite par l'étude des livres précédents. En second, il montre que ce qu'on peut ainsi recueillir est insuffisant. En troisième, il conclut ce qu'il faut ajouter et développer. Il dit donc, en premier, que dans tous les habitus énumérés précédemment, c'est-à-dire dans les vertus morales, comme d'ailleurs dans les autres activités par exemple, dans les œuvres d'art, il y a quelque chose qui est comme un signe, un point de mire, que vise celui qui a la raison droite: les yeux fixés sur ce point éclairant, il s'élance ou se retient, c'est-à-dire il ajoute ou enlève, ou bien il considère, grâce à ce signe, quel est le terme des médiétés, c'est-à-dire de quelle manière il doit déterminer la médiété. Cette médiété, nous disons qu'elle est un certain milieu entre l'excès et le défaut, et cela d'après la raison droite. Or ce signe qui est pour le vertueux comme la règle ou la mesure de l'artisan, est ce qu'il sied et convient, dont il ne faut pas s'écarter ni en moins ni en plus. Et cela est le milieu de la vertu. Voilà en définitive ce que l'on a manifesté dans le second livre. |
#1110. — Ensuite (1138b21), il montre ce qu'il y a à dire de la raison droite. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qu'on peut retenir, concernant la raison droite, de ce qui a été dit plus haut. En second, il montre que cela ne suffit pas (1138b25). En troisième, il conclut ce qu'il faut dire de plus (1138b32). Il dit donc, en premier, que, dans tous les habitus mentionnés, c'est-à-dire dans les vertus morales, il se trouve, comme en toutes autres choses, par exemple, dans les arts, comme un point auquel regarde celui qui a la raison droite: et d'après ce point, il tend et relâche, c'est-à-dire il ajoute ou enlève, ou considère au moyen de ce point comment se définissent les milieux, c'est-à-dire comment, dans chaque vertu, le milieu doit être établi: ce milieu, certes, nous le disons un milieu entre l'excès et le défaut, et cela d'après la raison droite. Or ce point, qui sert au vertueux comme de règle d'art, est ce qui sied et convient, par rapport à quoi il ne faut ni faire défaut ni excéder. C'est cela le milieu de la vertu: et cela, certes, a été manifesté plus haut, au second [livre] (#327). |
[73815] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 3 Deinde cum dicit: est
autem dicere etc., ostendit quod hoc non sufficit cognoscere circa rationem
rectam. Et dicit quod id quod dictum est, est quidem verum, sed non est
sufficienter manifestum prout requiritur ad usum rationis rectae. Est enim id
quod dictum est, quoddam commune quod verificatur in omnibus humanis studiis
in quibus homines secundum scientiam practicam operantur, puta in militia et
medicina et quibuscumque negotiis. In quibus omnibus verum est dicere, quod
neque plura neque pauciora oportet aut facere aut negligere, sed ea quae
medio modo se habent et secundum quod recta ratio determinat; sed solum ille
qui hoc commune habet, non propter hoc sciet amplius procedere ad operandum.
Puta si quaerenti qualia oportet dari ad sanandum corpus, aliquis responderet
quod illa debent dari quae praecipit ars medicinae et ille qui habet hanc
artem, scilicet medicus; non propter hoc interrogans sciret quid deberet dare
infirmo. Sic autem se habet ratio recta prudentiae in moralibus, sicut recta
ratio artis in artificialibus: unde patet quod non sufficit id quod dictum
est. |
1111.- Il montre l’insuffisance de cette connaissance portant sur la raison droite. Ce qu'on a écrit, dit-il, sur la raison droite est certainement vrai, mais demeure trop confus pour répondre aux exigences de l'usage de la raison droite. Ce qu'on a dit, en effet, demeure quelque chose de commun que l'on peut vérifier dans tous les travaux humains où l’homme opère d’après une science pratique, par exemple dans la milice et la médecine et les autres arts et métiers de la sorte. Dans toutes ces activités il est vrai je dire qu'il ne faut pas verser dans l'excès ni la négligence, mais accomplir ce qui relève du milieu et selon que le détermine la raison droite. Mais celui qui ne possède que cette notion commune n'est pas en mesure de passer vraiment à l’opération. Par exemple, 3i on répond à celui qui veut guérir un malade qu'il doit lui donner ce que recommande l'art médical et celui qui le possède, le médecin: cette réponse le laisserait assez ignorant des soins qu'il faut prodiguer au patient. La raison droite de la prudence est dans les actions morales comme la raison droite de l'art dans les œuvres artificielles: ce qui rend évident l'insuffisance des affirmations précédentes sur elle. |
#1111. — Ensuite (1138b25), il montre qu'il ne suffit pas de savoir cela, à propos de la raison droite. Il dit que ce qui a été dit est vrai, certes, mais n'est pas suffisamment manifeste pour ce que requiert l'usage de la raison droite. Ce qui a été dit, en effet, est assez commun pour se vérifier en toute entreprise humaine en laquelle les hommes opèrent d'après la science pratique, par exemple, dans l'[art] militaire, et dans la médecine, et en n'importe quelle affaire. En tout cela, il est vrai de dire qu'il ne faut ni faire ni omettre ni plus ni moins de choses, mais [viser] ce qui se tient au milieu et tel qu'établi par la raison droite. Néanmoins, celui qui dispose seulement de cette [notion] commune n'en saura pas plus pour autant passer à l'action. Par exemple, si, à qui demande ce qu'il faut donner pour guérir le corps, on répondait qu'on doit donner ce que prescrit l'art de la médecine et celui qui a cet art, à savoir, le médecin, l'interrogateur n'en saurait pas pour autant ce qu'il devrait donner au malade. Or la raison droite de la prudence tient dans les [choses] morales la place que tient la raison droite de l'art dans les [choses] artificielles: aussi devient-il manifeste que ce qui a été dit ne suffit pas. |
[73816] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 4 Deinde cum dicit propter
quod oportet etc., concludit quod simili ratione circa habitus animae
(oportet quod) non solum vere dicatur aliquid in communi, sed quod distincte
determinetur quae sit ratio recta et quis sit terminus, idest
definitio rationis rectae; vel etiam secundum quid ratio recta determinari
possit. |
1112.- Il conclut donc, que, pour la même raison, il ne suffit pas de dire quelque chose de vrai en général sur les habitus de l’âme, mais qu’il faut déterminer distinctement ce qui est la raison droite et quel est son terme, c’est-à-dire sa définition, ou encore selon quel norme on peut la déterminer. |
#1112. — Ensuite (1138a32), il conclut que, pour pareille raison, il ne suffit pas, concernant les habitus de l'âme, d'en dire quelque chose en général, même avec vérité; [il faut], au contraire, que l'on établisse distinctement ce qu'est la raison droite et quelle en est la limite, c'est-à-dire la définition; ou, aussi, [qu'on dise] d'après quoi établir la raison droite. |
[73817] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 5 Deinde cum dicit: animae
autem virtutes etc., continuat se ad praecedentia. Et dicit quod cum supra in
fine I diviserimus virtutes animae hoc modo quod quasdam diximus esse morales,
quasdam intellectuales; ex quo de moralibus determinatum est, restat quod
determinemus de reliquis, id est de intellectualibus, secundum quas ipsa
ratio rectificatur: ita tamen quod prius aliqua dicenda sunt de ipsa anima,
sine cuius cognitione non possunt cognosci animae virtutes, ut supra in fine
primi dictum est. |
1113.- Il relie ce qui suit aux traités précédents. Et il dit que, puisque nous avons divisé, à la fin du premier livre, les vertus de l'âme en vertus que nous avons appelées morales et en d'autres que nous avons appelées intellectuelles, il nous reste logiquement, ayant terminé notre étude des vertus morales, à traiter des vertus intellectuelles qui rectifient la raison elle-même. Cependant, pour procéder avec ordre dans cette étude, il nous faut au préalable parler de l'âme elle-même, dont la connaissance est nécessaire à celle des vertus de l'âme, comme nous l'avons souligné à la fin du premier livre. |
#1113. — Ensuite (1138b35), il se rattache aux [considérations] précédentes. Il rappelle que nous avons divisé plus haut, à la fin du premier [livre] (#243), les vertus de l'âme de manière à en dire 202 certaines morales, d'autres intellectuelles; comme il a été traité des [vertus] morales (#245-1108), il reste que nous traitions des [vertus] intellectuelles, par lesquelles la raison elle-même est rectifiée. Il faut, toutefois, dire d'abord quelque chose de l'âme elle-même, car, sans la connaître, on ne peut connaître non plus les vertus de l'âme, comme il a été dit à la fin du premier [livre] (#228). |
[73818] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 6 Deinde cum dicit: prius
quidem igitur etc., incipit prosequi propositum. Et primo determinat quae
dicenda sunt de anima. Secundo prosequitur de virtutibus intellectualibus,
ibi, sumendum ergo utriusque horum et cetera. Circa primum duo facit: primo
resumit divisionem partium animae supra positam in fine primi. Secundo subdividit alterum membrum, ibi, nunc autem de
rationem habente et cetera. Dicit ergo primo, quod prius dictum est quod duae
sunt partes animae: una quae est habens rationem et alia quae est
irrationalis. Dictum est autem supra quod id quod est rationem habens per
essentiam, perficitur per virtutes intellectuales; id autem quod est
irrationale, participans tamen ratione, perficitur per virtutes morales. |
1114.- Il commence à élaborer son dessein. Et, en premier, il précise ce qu'il faut dire de l'âme; en second, il commence son étude des vertus intellectuelles. Son premier point se divise en trois parties. En premier, il reprend brièvement la division des parties de l'âme tracée à la fin du premier livre. En second, il subdivise le second membre de cette division. Il dit donc en premier lieu qu'on a dit auparavant qu’il y avait deux parties de l'âme: l'une qui possède la raison, l'autre qui est irrationnelle. On a aussi dit que celle qui possède la raison par essence se perfectionne par les vertus intellectuelles alors que celle qui est irrationnelle, participant cependant à la raison, se perfectionne par les vertus morales. |
#1114. — Ensuite (1139a3), il commence à poursuivre son propos. En premier, il traite ce qu'il y a à dire de l'âme. En second, il poursuit à propos des vertus intellectuelles (1139a15). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il rappelle la division des parties de l'âme posée plus haut, à la fin du premier [livre]. En second, il subdivise l'un des membres (1139a5). Il dit donc, en premier, que, plus haut, il a été dit qu'il y a deux parties de l'âme: l'une comporte raison, l'autre est irrationnelle. Or il a été dit plus haut que la [partie] qui comporte raison par essence tient sa perfection des vertus intellectuelles; et que la [partie] qui est irrationnelle, mais participe à la raison, tient sa perfection des vertus morales. |
[73819] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1 n. 7 Deinde cum dicit: nunc autem etc., subdividit alterum
membrum praedictae divisionis. Et circa hoc tria facit. Primo proponit
divisionem. Secundo probat, ibi, ad ea enim quae genere altera et cetera.
Tertio imponit nomina membris divisionis, ibi, dicatur autem et cetera. Dicit
ergo primo quod, quia nunc intendimus de virtutibus intellectualibus quae
perficiunt partem animae rationalem, ideo ad distinguendum virtutes
intellectuales oportet dividere rationem habens eodem modo quo supra
divisimus partes animae; non quasi ex principali intentione, sed secundum
quod sufficit ad propositum. Supponatur ergo quod pars rationalis dividatur
in duas: una quidem est per quam speculamur illa entia, scilicet necessaria,
quorum principia non possunt aliter se habere, alia autem pars (est) per quam
speculamur contingentia. |
1115.- Il subdivise le premier membre de la division précédente. Ce qu’il fait en trois points. En premier, il propose la division; en second, il prouve les membres de sa division; en troisième, il donne des noms aux membres de sa division. Il dit donc, en premier lieu, qu'ayant l'intention de traiter des vertus intellectuelles qui perfectionnent la partie rationnelle de l'âme, il nous faut, pour les distinguer, diviser le rationnel par essence de la même façon que nous avons divisé, plus haut, les parties de l'âme: sans en faire l'objet principal de notre recherche, mais selon qu'il suffit à notre problème. Nous supposons donc que la partie rationnelle se divise en deux parties: l’une par laquelle nous spéculons sur les êtres nécessaires, dont les principes ne peuvent être autres qu’ils ne sont: l’autre par laquelle nous étudions les contingents. |
#1115. — Ensuite (1139a5), il subdivise l'un des membres de la division précédente. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose la division. En second, il prouve les membres de la division (1139a8). En troisième, il impose des noms aux membres de la division (1139a11). Il dit donc, en premier, que, comme notre intention porte sur les vertus intellectuelles, qui parfont la partie rationnelle de l'âme, il faut, pour diviser les vertus intellectuelles, diviser la [partie] qui comporte raison de la manière dont, plus haut (#229, 111), nous avons divisé les parties de l'âme; non à titre d'intention principale, mais autant qu'il suffit au propos. Admettons, donc, que la partie rationnelle se divise en deux. Une [partie], certes, par laquelle nous considérons tels êtres, les êtres nécessaires, dont les principes ne peuvent être autrement. L'autre partie, ensuite, par laquelle nous considérons les [êtres] contingents. |
[73820] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 8 Deinde cum dicit ad ea
enim quae genere altera etc., probat praemissam divisionem tali ratione. Ad
obiecta quae differunt genere necesse est quod diversa genera partium animae
adaptentur. Manifestum est autem quod contingens et necessarium differunt
genere, sicut habetur de corruptibili et incorruptibili decimo metaphysicae;
relinquitur ergo quod sit diversum genus partium animae rationalis quo
cognoscit necessaria et contingentia. |
1116.- Il prouve la division précédente par la raison que voici. Il est nécessaire que ce soient différents genres des parties de l'âme qui correspondent à des objets qui diffèrent par le genre. Il est manifeste que le contingent et le nécessaire diffèrent par le genre, comme c'est là d'ailleurs le résultat de l’analyse du corruptible et de l'incorruptible au dixième livre de la Métaphysique. Il demeure donc que les parties de l'âme qui connaissent le nécessaire et le contingent diffèrent par le genre.
|
#1116. — Ensuite (1139a8), il prouve la division précédente avec la raison suivante. Il est nécessaire que des genres différents de parties de l'âme soient adaptés aux objets qui diffèrent en genre. Or il est manifeste que le contingent et le nécessaire diffèrent en genre, comme il en est question à propos du corruptible et de l'incorruptible, au dixième [livre] de la Métaphysique. Il reste donc que ce soit par un genre différent de partie que l'âme connaisse le nécessaire et le contingent. |
[73821] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 9 Maiorem autem
propositionem probat ibi: si quidem secundum similitudinem et cetera. Et hoc
tali ratione. Partibus animae inest cognitio secundum quod habent similitudinem
quamdam ad res cognitas; non quidem ita quod res cognita sit actu in natura
potentiae cognoscentis, sicut Empedocles posuit quod terra terram
cognoscimus, igne ignem, et sic de aliis: sed inquantum quaelibet potentia
animae secundum suam proprietatem est proportionata ad talia cognoscenda,
sicut visus ad cognoscendos colores et auditus ad cognoscendos sonos. Sed
eorum quae sunt invicem similia et proportionata est eadem ratio
distinctionis. Ergo, sicut cognita per rationem genere differunt, ita et
partes animae rationalis. |
1117.- Il prouve la majeure de la façon suivante. Il y a connaissance dans les parties de l'âme en tant qu'elles possèdent une certaine similitude avec les choses connues. La similitude dont nous parlons ne veut pas dire que la chose connue en acte appartienne à la nature de la puissance connaissante, comme le posait Empédocle qui voulait que l'âme soit terre pour connaître la terre, et feu pour connaitre le feu, et ainsi de suite, mais en tant que toute puissance de l'âme a comme propriété d'être proportionnée à connaître de tels objets, comme la vue est adaptée à connaitre les couleurs et l’ouïe, à la connaissance des sons. Mais le même principe de distinction s'applique aux choses qui sont semblables et proportionnées entre elles. Donc, comme les choses connues par la raison diffèrent génériquement, ainsi les parties de l'âme rationnelle différeront aussi par le genre. |
#1117. — Ensuite, il prouve la proposition majeure (1139a10). Et cela ainsi: la connaissance appartient aux parties de l'âme selon qu'elles possèdent une ressemblance avec les choses connues; non pas, certes, de manière que la chose connue soit en acte dans la nature de la puissance qui la connaît, comme Empédocle a posé que nous connaissons la terre par de la terre, le feu par du feu, et ainsi de suite: mais en tant qu'une puissance de l'âme est proportionnée selon sa propriété à connaître de telles choses, comme la vue à connaître les couleurs et l'ouïe à connaître les sons. Or, pour les [choses] qui sont semblables et proportionnées entre elles, il y a même façon de distinguer. Donc, les parties de l'âme rationnelle diffèrent en genre de la même manière que les [choses] connues par la raison. |
[73822] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 10 Deinde cum dicit: dicatur
autem etc., imponit nomina praedictis partibus. Et dicit quod praedictarum
partium rationalis animae una quidem quae speculatur necessaria potest dici
scientificum genus animae, quia scientia de necessariis est; alia autem pars
potest dici rationativa, secundum quod ratiocinari et consiliari pro eodem
sumitur. Nominat enim consilium quamdam inquisitionem nondum determinatam,
sicut et ratiocinatio. Quae quidem indeterminatio maxime accidit circa
contingentia, de quibus solis est consilium. Nullus enim consiliatur de his
quae non contingit aliter se habere; sic ergo sequitur quod ratiocinativum
sit una pars animae rationem habentis. |
1118.- Il donne des noms aux parties ci-haut mentionnées. Il dit que l'une de ces parties de l'âme rationnelle, celle qui spécule sur les êtres nécessaires, peut être appelée le genre scientifique de l'âme, parce que la science s'occupe des choses nécessaires. L'autre partie peut se dire ratiocinative, en tant que ratiociner et délibérer (tenir conseil) sont conçus comme identiques. En effet, il nomme conseil une certaine recherche non encore terminée, (déterminée) comme la ratiocination. Cette indétermination a surtout lieu par rapport aux contingents, uniques objets du conseil. Personne, en effet, ne délibère sur ce qui ne peut être autre qu'il est. Il s'ensuit donc que le "ratiocinatif" (le délibératif) est une partie de l’âme rationnelle. |
#1118. — Ensuite (1139a11), il impose des noms aux parties énumérées. Il dit qu'entre les parties énumérées de l'âme rationnelle, l'une, bien sûr, celle qui considère les [choses] nécessaires, peut être appelée le genre scientifique de l'âme, parce qu'elle est la science des [choses] nécessaires. Une autre partie, ensuite, peut être appelée raisonnante, pour autant que raisonner et délibérer sont assimilés. La délibération, en effet, nomme une investigation non encore terminée, comme aussi le raisonnement, et cette indétermination, certes, arrive surtout à propos des [choses] contingentes, à propos desquelles seules il y a délibération. Personne, en effet, ne délibère à propos de ce qui ne peut se produire autrement. Ainsi donc, il suit que la [partie] raisonnante soit une partie de l'âme qui comporte raison. |
[73823] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 11 Videtur autem quod
philosophus hic determinat, dubitationem habere. Ipse enim in tertio de anima
distinguit intellectum in duo, scilicet in agens et possibile: et dicit quod
agens est quo est omnia facere, possibilis autem est quo est omnia fieri. Sic
ergo tam intellectus agens quam possibilis secundum propriam rationem ad
omnia se habet. Esset ergo contra rationem utriusque intellectus, si alia
pars animae esset quae intelligit necessaria et quae intelligit contingentia.
|
1119.- Il semble cependant que ce que le Philosophe détermine ici souffre une certaine difficulté. C'est lui-même, en effet, qui distingue l'intelligence en deux parties, à savoir l'intellect agent et possible, dans le troisième livre de l'Ame. Et il dit que l'intellect agent est celui qui fait tout, alors que l'intellect possible est celui qui devient tout. Ainsi donc, aussi bien l'intellect agent que possible disent, par définition, rapport à toutes choses. L'existence de deux parties distinctes de l'âme, dont l'une connaîtrait les choses nécessaires et l'autre les choses contingentes, irait donc contre la notion des deux intellects. |
#1119. — Il semble, par ailleurs, y avoir une difficulté, ici, à ce dont le Philosophe traite. Lui-même, en effet, au troisième [livre] De l'âme (ch. 4-5), divise l'intelligence en deux [parties], à savoir 203 l'agent et le possible: et il dit que l'[intellect] agent est celui auquel il revient de faire toutes [choses], tandis que l'[intellect] possible est celui auquel il revient de devenir toutes [choses]. Ainsi donc, tant l'intellect agent que [l'intellect] possible, [chacun] selon sa nature, a trait à toutes [choses]. Ce serait donc contre la nature de l'un et l'autre intellects, si c'était des parties différentes de l'âme qui comprenaient les [choses] nécessaires et les [choses] contingentes. |
[73824] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 12 Rursum, verum necessarium
et verum contingens videntur se habere sicut perfectum et imperfectum in
genere veri. Eadem autem potentia animae cognoscimus perfecta et imperfecta
in eodem genere, sicut visus lucida et tenebrosa: multo igitur magis eadem
potentia intellectiva cognoscit necessaria et contingentia. |
1120.- De plus, le vrai nécessaire et le vrai contingent semblent être comme le parfait et l'imparfait dans le genre du vrai. Or, c'est par la même puissance de l'âme que nous connaissons le parfait et l'imparfait appartenant au même genre, comme la vue connait les choses lumineuses et ténébreuses. S'il en est ainsi dans les puissances sensitives, à plus forte raison la même puissance intellective connait ce qui est nécessaire et contingent. |
#1120. — De plus, le vrai nécessaire et le vrai contingent paraissent avoir rapport de parfait et d'imparfait dans le genre du vrai. Or c'est par la même puissance de l'âme que nous connaissons le parfait et l'imparfait dans le même genre, comme, par la vue, les [objets] éclairés et les [objets] obscurs: encore plus, donc, c'est la même puissance intellective qui connaît le nécessaire et le contingent. |
[73825] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 13 Item, universalius se
habet intellectus ad intelligibilia quam sensus ad sensibilia. Quanto enim
aliqua virtus est altior, tanto est magis unita. Sensus autem visus percipit
et incorruptibilia, scilicet caelestia corpora, et corruptibilia, scilicet
inferiora: quibus proportionaliter respondere videntur necessarium et
contingens: multo igitur magis eadem intellectiva potentia cognoscit
necessaria et contingentia. |
1121.- Et encore: l'intelligence jouit d'une plus grande universalité à l'égard des intelligibles que le sens à l’égard des sensibles. En effet, plus une puissance est élevée, plus elle est une. Or, le sens de la vue rejoint (et donc participe) les corps incorruptibles, à savoir les corps célestes, et les corps corruptibles, à savoir inférieurs: à ces deux sortes de corps semblent correspondre le nécessaire et le contingent. Et donc, c'est à bien plus forte raison que la même puissance intellective connait les êtres nécessaires et les êtres contingents. |
#1121. — De plus, l'intelligence a un rapport plus universel aux intelligibles que le sens aux sensibles. Autant, en effet, une vertu est plus élevée, autant elle est plus unie. Or le sens de la vue rejoint et les incorruptibles, à savoir, les corps célestes, et les corruptibles, à savoir, les inférieurs: auxquels paraissent répondre en proportion le nécessaire et le contingent: encore plus, donc, c'est la même puissance intellective qui connaît le nécessaire et le contingent. |
[73826] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 14 Videtur etiam et probatio
quam inducit, efficax non esse. Non enim quaelibet diversitas generis in
obiectis requirit diversas potentias, alioquin non eadem potentia visiva
videremus plantas et alia animalia, sed sola illa diversitas quae respicit
formalem rationem obiecti: puta si esset diversum genus coloris vel luminis,
oporteret esse diversas potentias visivas. Obiectum autem intellectus
proprium est quod quid est, quod est commune omnibus et substantiis et
accidentibus, licet non eodem modo. Unde et eadem intellectiva potentia
cognoscimus substantias et accidentia. Pari ergo ratione diversitas generis
necessariorum et contingentium non requirit diversas potentias intellectivas.
|
1122.- Il semble d'ailleurs que la preuve que le Philosophe apporte n'est pas efficace. En effet, ce n'est pas toute diversité générique de l’objet qui requiert diverses puissances (autrement ce ne serait pas par la même puissance visuelle que nous verrions les plantes et les animaux), mais uniquement la diversité qui concerne la raison formelle de l'objet: par exemple, s’il y avait un genre divers de la couleur ou de la lumière, il faudrait qu'il y ait diverses puissances visuelles. Or, l'objet propre de l’intelligence est l'essence, commune aux substances et aux accidents bien que pas de la même façon. C'est pourquoi, nous connaissons les substances et les accidents par la même puissance intellective. Donc, au même titre que le cas précédent, la diversité générique des êtres nécessaires et contingents ne requiert pas diverses puissances intellectives. |
#1122. — Mais la preuve qu'il induit est manifestement inefficace. Ce n'est pas, en effet, n'importe quelle diversité de genre d'objet qui requiert des puissances différentes (autrement, ce ne serait pas avec la même puissance visuelle que nous verrions les plantes et les autres vivants), mais seulement cette diversité qui regarde la raison formelle de l'objet: par exemple, s'il y avait un genre différent de couleur ou de lumière, il faudrait qu'il y ait des puissances visuelles différentes. Or l'objet propre de l'intelligence est l'essence, commune à toutes les substances et à tous les accidents, bien que pas de la même manière. Aussi, c'est par la même puissance intellective que nous connaissons les substances et les accidents. Pour une raison comparable, la diversité de genre entre le nécessaire et le contingent ne requiert pas des puissances intellectives différentes. |
[73827] Sententia Ethic., lib. 6 l. 1
n. 15 Haec autem dubitatio de
facili solvitur si quis consideret quod contingentia dupliciter cognosci
possunt. Uno modo secundum rationes universales; alio modo secundum quod sunt
in particulari. Universales quidem igitur rationes contingentium immutabiles
sunt, et secundum hoc de his demonstrationes dantur et ad scientias
demonstrativas pertinet eorum cognitio. Non enim scientia naturalis est solum
de rebus necessariis et incorruptibilibus, sed etiam de rebus corruptibilibus
et contingentibus. Unde patet quod contingentia sic considerata ad eandem partem animae
intellectivae pertinent ad quam et necessaria, quam philosophus vocat hic scientificum;
et sic procedunt rationes inductae. Alio modo possunt accipi contingentia
secundum quod sunt in particulari: et sic variabilia sunt nec cadit supra ea
intellectus nisi mediantibus potentiis sensitivis. Unde et inter partes animae sensitivas ponitur una
potentia quae dicitur ratio particularis, sive vis cogitativa, quae est
collativa intentionum particularium; sic autem accipit hic philosophus contingentia:
ita enim cadunt sub consilio et operatione. Et propter hoc ad diversas partes
animae rationalis pertinere dicit necessaria et contingentia, sicut
universalia speculabilia et particularia operabilia. |
1123.- On peut facilement résoudre la difficulté précédente, si on considère que les contingents peuvent être connus de dieux façons. D'une première façon, d'après leurs raisons universelles: d'une seconde façon, en tant qu'ils existent comme singuliers. En vérité, les raisons universelles des contingents sont immuables et, sous cet aspect, ils sont susceptibles je démonstrations et leur connaissance relève des sciences démonstratives. En effet, la science naturelle ne porte pas uniquement sur les choses nécessaires et incorruptibles, mais aussi sur les choses contingentes. De là il est évident que les contingents, considérés sous cet aspect, appartiennent à même partie de l'âme que les choses nécessaires: à cette partie que le Philosophe nomme scientifique. Et c'est en ce sens là que les raisons sont apportées et valables. D'une autre façon, on peut entrevoir les contingents sous l'aspect où ils existent comme singuliers: à ce point de vue, ils sont variables et l'intelligence ne porte sur eux que par l'intermédiaire des puissances sensitives. De là vient que parmi les puissances sensitives de l'âme, il y en a une que l'on appelle raison particulière ou puissance cogitative, qui est corrélative des intentions particulières. Et c'est à ce point de vue qu’Aristote parle des contingents: c'est bien, en effet, sous cet aspect qu'ils tombent sous les prises du conseil et de l'opération. Et c'est pour cela qu'il dit que les choses nécessaires et contingentes appartiennent à diverses parties de l'âme rationnelle: comme objets universels de connaissance d'une part et comme singuliers opérables d'autre part. |
#1123.
— Cette difficulté, par ailleurs, se résout facilement, si l'on considère que
les [choses] contingentes peuvent se connaître de deux manières. D'une
manière, d'après des définitions universelles; de l'autre manière, dans leur
particularité. Certes donc, les définitions universelles des [choses] contingentes
sont immobiles, et à partir d'elles des démonstrations se donnent et leur
connaissance appartient aux sciences. En effet, la science naturelle ne porte
pas seulement sur les choses nécessaires et incorruptibles, mais aussi sur
les choses corruptibles et contingentes. D'où il devient manifeste que les
[choses] contingentes, ainsi considérées, appartiennent à la même partie de
l'âme intellective que les [choses] nécessaires, laquelle le Philosophe
appelle ici scientifique; c'est sous ce rapport que procèdent les raisons
induites. D'une autre manière, les [choses] contingentes peuvent se regarder
dans leur existence particulière: et ainsi, elles sont variables et
l'intelligence ne tombe pas sur elles, sauf par puissances sensibles
interposées. Aussi une puissance est-elle posée parmi les parties sensibles
de l'âme, et on l'appelle raison particulière, ou force cogitative, et elle
recueille les intentions particulières. C'est sous ce rapport, ici, que le
Philosophe regarde les [choses] contingentes: ainsi, en effet, elles tombent
sous la délibération et l'opération. À cause de cela, il dit que les [choses]
nécessaires et contingentes relèvent de parties différentes de l'âme
rationnelle, comme les universels spéculables et les particuliers opérables. |
|
|
|
Lectio
2 |
Leçon 2 : [Le propre de l’homme] |
|
|
ON ETABLIT QUELLES SONT LES ŒUVRES PROPRES DE L’HOMME: ELLES SEMBLENT ETRE LA CONNAISSANCE DE LA VERITE ET L'ACTION. |
|
[73828] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 1 Sumendum ergo utriusque
horum et cetera. Postquam philosophus distinxit partes animae rationem
habentis secundum quod est necessarium ad propositum, hic incipit agere de
ipsis virtutibus intellectualibus quibus utraque pars animae rationalis
perficitur. Et primo determinat de singulis intellectualium virtutum. Secundo
movet quamdam dubitationem de utilitate ipsarum, ibi, dubitabit autem utique
aliquis et cetera. Circa primum duo facit. Primo investigat rationes
accipiendi virtutes intellectuales. Secundo incipit de eis agere, ibi,
incipientes igitur superius et cetera. Circa primum tria facit. Primo
proponit communem rationem virtutis, prout in primo dictum est, quod virtus
alicuius est, quae opus eius bonum reddit. Secundo inquirit quid sit bonum
opus animae rationem habentis, quantum ad utramque partem, ibi: tria autem
sunt in anima et cetera. Tertio concludit quae vel quales sint virtutes
utriusque partis, ibi, secundum quos igitur et cetera. |
1124.- Après avoir distingué les parties l'âme rationnelle selon les besoins de recherche, le Philosophe commence ici à traiter des vertus intellectuelles elles-mêmes qui perfectionnent chacune de ces deux parties. Et en premier lieu, il traite chacune des vertus intellectuelles. En second, il propose une certaine difficulté tou.ant leur utilité. Le premier point se divise en deux parties. La première partie fait une enquête sur les raisons qu'on a de poser les vertus intellectuelles. La seconde commence à traiter des vertus. La première partie se subdivise en trois. Dans la première, il propose la notion commune, de la vertu selon que la vertu d'un être est ce qui rend son œuvre bonne. C'est là la définition donnée au premier livre. En second, il se demande quelle est l'œuvre bonne de lacune des parties de l'âme rationnelle. En troisième, il conclut quelles sont les vertus ou les caractères des vertus de l'une et l'autre partie. |
#1124. — Après avoir distingué les parties de l'âme qui comportent raison quant à ce qui est nécessaire au propos, le Philosophe commence, ici, à traiter des vertus intellectuelles elles-mêmes, par lesquelles l'une et l'autre partie de l'âme rationnelle est rendue parfaite. En premier, il détermine de chacune des vertus intellectuelles (1139a15). En second, il soulève une difficulté sur leur utilité (1143b18). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il examine les raisons d'admettre des vertus intellectuelles. En second, il commence à en traiter (1139b14). 204 Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose la notion commune de vertu, pour autant qu'il a été dit, dans le premier [livre] (#65, 81), que la vertu de quelque chose est ce qui rend bonne son œuvre. En second, il cherche quelle est l'œuvre bonne de l'âme qui comporte raison, quant à l'une et à l'autre [parties] (1139a17). En troisième, il conclut quelles et de quelles sortes sont les vertus de l'une et l'autre parties (1139b12). |
[73829] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 2 Dicit ergo primo, quod ex
quo positae sunt duae partes rationem habentis, cui attribuuntur virtutes
intellectuales, sumendum est, quis est optimus habitus utriusque praedictarum
partium, quia talis habitus necesse est quod sit virtus utriusque partis. Dictum est autem
supra, quod virtus uniuscuiusque rei determinatur ad proprium opus, quod
scilicet bene perficitur secundum virtutem. Hic
autem dicitur optimus habitus, quo optime perficitur aliquod opus. |
1125.- Il dit donc, en premier, que de ce t'on a posé deux parties de l'âme qui a la raison, à qui on attribue les vertus intellectuelles, il faut maintenant établir quel est l’habitus le meilleur de chacune de ces deux parties: c'est qu'un tel habitus est nécessairement la vertu de chaque partie. On a dit plus haut que la vertu de chacun se détermine d'après l'œuvre propre de son sujet, à savoir l'œuvre qui est perfectionnée grâce à la vertu. Ici on appelle le meilleur habitus celui qui perfectionne au mieux l’œuvre. |
#1125. — Il dit donc, en premier, que, du fait que l'on pose deux parties qui comportent raison, auxquelles sont attribuées des vertus intellectuelles, il faut décider quel est le meilleur habitus de l'une et l'autre des deux parties mentionnées; car il est nécessaire que pareil habitus soit la vertu de l'une et l'autre. Or il a été dit, plus haut (#308, 536), que la vertu de chaque chose est déterminée en rapport à son œuvre propre, laquelle se trouve parfaite en conformité à sa vertu. Or l'habitus le meilleur est celui par lequel une œuvre est le mieux rendue parfaite. |
[73830] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 3 Deinde cum dicit: tria
autem sunt in anima etc., inquirit quid sit proprium opus utriusque
praedictarum partium. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quae sint
principia propriorum actuum hominis; secundo inquirit quid sit proprium opus
rationis, ibi, speculativae autem mentis et cetera. Tertio infert
conclusionem intentam, ibi, utrarumque utique et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit tria, quae videntur esse principia humanorum actuum;
secundo excludit unum eorum, ibi, horum autem sensus et cetera. Tertio
ostendit, quomodo duo reliqua adinvicem concordare possunt, ibi, est autem,
quod in mente et cetera. Circa primum considerandum est, quod duo opera
videntur esse propria homini, scilicet cognitio veritatis et actus: inquantum
scilicet homo agit tamquam dominus proprii actus et non sicut actus vel
ductus ab alio. Super haec igitur duo videntur habere dominium et potestatem,
tria quae sunt in anima, scilicet sensus et intellectus et appetitus. His enim tribus
moventur animalia, ut dicitur in tertio de anima. |
1126.- Il recherche quelle est l'œuvre propre à chacune des deux parties énumérées. Ce qu’il divise en trois points. En premier, il montre quels sont les principes des actes humains. En second, il recherche ce qu'est l’œuvre propre de la raison. En troisième, il apporte la conclusion voulue. Le premier point se divise en trois parties. Dans la première, il propose trois choses que l'où dit être principes des actes humains. Dans la seconde, il en exclut une. Dans la troisième, il montre comment les deux autres peuvent s'harmoniser entre elles. Au sujet de la première partie, il faut considérer qu'il y a deux œuvres que l'on dit appartenir proprement à l'homme: à savoir, la connaissance de la vérité et l'action. Ces deux œuvres sont propres à l'homme en tant qu'il agit comme maître de ses actions, non en tant qu'il est poussé à l'action et conduit par quelqu'un d'autre. Sur ces deux œuvres, semblent avoir domination et pouvoir trois facultés qui sont dans l'âme: le sens, l'intelligence et l'appétit. C'est par ces trois facultés que se meuvent les animaux, comme on le dit dans le troisième livre de l'Ame. |
#1126. — Ensuite (1139a17), il cherche quelle est l'œuvre propre de l'une et l'autre des parties énumérées. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quels sont les principes des actes humains. En second, il cherche quelle est l'œuvre propre de la raison (1139a27). En troisième, il infère la conclusion visée (1139b10). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose trois [choses], que l'on dit principes des actes humains. En second, il exclut l'une d'entre elles (1139a18). En troisième, il montre comment les deux qui restent peuvent s'accorder entre elles (1130a21). Sur le premier [point], il est à considérer que deux œuvres sont attribuées en propre à l'homme, à savoir, la connaissance de la vérité et l'action, étant donné que l'homme agit comme maître de son acte propre, et [non] comme conduit ou mené par un autre. Sur ces deux [œuvres], donc, trois [principes], dans l'âme, paraissent avoir maîtrise et pouvoir, à savoir, le sens, l'intelligence et l'appétit. C'est par ces trois-là, en effet, que se meuvent les [êtres] animés, comme il est dit au troisième [livre] De l'Ame (ch. X). |
[73831] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 4 Deinde cum dicit: horum
autem etc., excludit ab eo, quod dictum est, unum eorum, scilicet sensum. Et
de veritate quidem manifestum est, quod non pertinet neque ad sensum neque ad
appetitum, proponit autem ulterius, quod inter praedicta tria, sensus nullius
actus principium est, eo scilicet modo, ut per sensum haberi possit dominium
actus. Quod quidem manifestum est per hoc, quod bestiae habent quidem sensum,
non tamen communicant aliquem actum, quia non habent dominium sui actus. Non
enim a seipsis agunt, sed moventur instinctu naturae. |
1127.- Il exclut de son énumération l'une des facultés, à savoir le sens. Il est manifeste qu'il n'appartient pas au sens ni à l'appétit de connaître la vérité. Il ajoute, en plus, que parmi les facultés précédentes, le sens n'est principe d'aucun acte, en ce sens que par lui on puisse avoir la maîtrise de son action. Ce qui, vraiment, est manifeste par le fait que les bêtes possèdent réellement le sens sans avoir part à l'action (libre-morale), parce qu'elles n'ont point de maîtrise sur leurs actes. Elles n'agissent pas par elles-mêmes, rais sont mues par leur instinct naturel. |
#1127. — Ensuite (1139a18), il exclut l'un d'eux de ce qui a été dit, à savoir, le sens. Certes, il est de vérité manifeste que cela1 n'appartient ni au sens, ni à l'appétit2. Il ajoute, plus tard, que parmi les trois [principes] mentionnés, le sens n'est principe d'aucun acte, à savoir, de cette manière que par le sens on pourrait avoir maîtrise de son acte. Cela, certes, est manifeste, du fait que les bêtes ont assurément le sens, sans que cela ne leur donne l'action, parce qu'elles n'ont pas la maîtrise de leur acte. En effet, elles n'agissent pas d'elles-mêmes, mais sont mues par l'instinct de leur nature. |
[73832] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 5 Deinde cum dicit: est
autem quod in mente etc., ostendit quomodo opera duorum reliquorum, scilicet
intellectus et appetitus, possint adinvicem concordare. Et primo ostendit
quomodo eorum actus sunt sibi proportionales. Intellectus enim in iudicando
habet duos actus, scilicet affirmationem qua assentit vero, et negationem qua
dissentit a falso. Quibus duobus respondent duo proportionaliter in vi
appetitiva, scilicet persecutio qua appetitus tendit in bonum et inhaeret ei,
et fuga qua recedit a malo et dissentit ei. Et secundum hoc intellectus et
appetitus possunt conformari, inquantum id quod intellectus affirmat bonum
appetitus prosequitur, et id quod intellectus negat esse bonum appetitus
fugit. |
1128.- Il montre comment les œuvres des deux autres facultés, à savoir l'intelligence et l'appétit, peuvent s'accorder entre elles. Et, en premier, il montre comment leurs actes peuvent être proportionnés les uns aux autres. En effet, l'intelligence, dans les jugements qu'elle porte, a deux actes: l'affirmation par laquelle elle assentit au vrai et la négation par laquelle elle se dissocie du faux. A ces deux actes correspondent proportionnellement deux actes dans la puissance appétive: la poursuite, par laquelle l'appétit tend au bien et inhère en lui, et la fuite, par laquelle il s'éloigne du mal et s'en détache. Et sous ce rapport, l'intelligence et l'appétit peuvent se conformer, en tant que l'appétit poursuit ce que l'intelligence affirme bon et fuit ce dont l'intelligence nie la bonté. |
#1128. — Ensuite (1139a21), il montre comment les œuvres des deux restants, à savoir, l'intelligence et l'appétit, peuvent s'accorder entre elles. En premier, il montre comment leurs actes sont proportionnables entre eux. En effet, l'intelligence, en jugeant, pose deux actes, à savoir, l'affirmation, par laquelle elle adhère au vrai, et la négation, par laquelle elle se dissocie du faux. À ces deux [actes] répondent deux autres, en proportion, dans la puissance appétitive, à savoir, la poursuite, par laquelle l'appétit tend au bien et s'y attache, et la fuite, par laquelle il s'éloigne du mal et s'en dissocie. D'après cela, l'intelligence et l'appétit peuvent s'accorder, dans la mesure où ce que l'intelligence affirme être bon l'appétit le poursuit, et ce que l'intelligence nie être bon l'appétit le fuit. |
[73833] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 6 Secundo ibi: quare quia
moralis etc., quia concludit quomodo in moralibus virtutibus praedicti actus
intellectus et appetitus sibi concordant. Virtus enim moralis est habitus electivus,
ut dictum est in secundo. Electio autem est appetitus consiliativus, in
quantum scilicet appetitus accipit quod praeconsiliatum est, ut dictum est in
tertio. Consiliari autem est actus unius partis rationis, ut supra habitum
est. Quia igitur ad electionem concurrit et ratio et appetitus; si electio
debeat esse bona, quod requiritur ad rationem virtutis moralis, oportet quod
et ratio sit vera, et appetitus sit rectus, ita scilicet quod eadem quae
ratio dicit idest affirmat, appetitus prosequatur. Ad hoc enim quod sit
perfectio in actu, oportet quod nullum principiorum eius sit imperfectum. Sed haec mens, scilicet ratio quae sic concordat
appetitui recto, et veritas eius, est practica. |
1129.- Il conclut en montrant comment, dans les vertus morales, les actes susdits de l’intelligence et de la volonté s'accordent entre eux. En effet, la vertu morale est un habitus électif, comme on l'a dit dans le second livre. Or, l'élection est un appétit délibératif, à savoir en tant que l'appétit requit quelque chose de préalablement délibéré, comme on l'a dit dans le troisième livre. Mais délibérer est l'acte d’une partie de la raison, comme on l'a dit plus haut. Donc, parce que et la raison et l'appétit concourent à l'élection, si l'élection doit être bonne, ce qui est nécessaire à la raison de vertu morale, il faut que la raison soit vraie d'une part et l'appétit rectifié d'autre part, à savoir de telle sorte que l'appétit poursuive exactement ce qu'affirme la raison. En effet, la perfection de l'acte exige qu'aucun de ses principes ne soit imparfait. Cependant, cette raison qui est ainsi d'accord avec l'appétit droit et la vérité de cette raison sont pratiques. |
#1129. — Ensuite (1139a22), il conclut comment, dans les vertus morales, les actes mentionnés de l'intelligence et de l'appétit concordent entre eux. En effet, la vertu morale est un habitus électif, comme il a été dit au second [livre] (#305, 308, 382). Or le choix de l'appétit est délibératif, en tant que l'appétit le reçoit comme il a été prédélibéré, comme on l'a dit au troisième [livre] (#435, 436, 457). Or délibérer est l'acte d'une partie de la raison, comme on l'a dit plus haut (#473, 476, 482, 1118). Comme[47], donc, et la raison et l'appétit concourent au choix, si le choix doit être bon, ce qui est requis à la notion de vertu morale, il faut et que la raison soit vraie, et que l'appétit soit droit, de sorte que cela même que la raison dit, c'est-à-dire affirme, l'appétit le poursuive. Pour qu'en effet, il y ait perfection dans un acte, il faut qu'aucun de ses principes ne soit imparfait. Mais cet esprit, ou raison, qui concorde ainsi avec l'appétit droit, et sa vérité, sont pratiques. |
[73834] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2 n. 7 Deinde cum dicit speculativae autem mentis etc.,
ostendit quid sit opus rationem habentis, secundum utramque partem. Et primo
ostendit quomodo utraque pars se habeat ad veritatem; secundo quomodo utraque
pars se habeat ad actum, ibi, actus quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo
quod bene et male mentis, idest intellectus vel rationis, quae est
speculativa, et non practica, consistit simpliciter in vero et falso; ita
scilicet quod verum absolutum est bonum eius, et falsum absolutum est malum
ipsius. Dicere enim verum et falsum est opus pertinens ad quemlibet
intellectum. Sed bonum practici intellectus non est veritas absoluta, sed
veritas confesse se habens, idest concorditer ad appetitum rectum,
sicut ostensum est, quod sic virtutes morales concordant. |
1130.- Il montre quelle est l'œuvre de chacune des parties de l'âme possédant la raison. Et, en premier, il montre comment chacune des parties se comporte à l'égard de la vérité. Sn second, comment chacune d'elles se comporte à l'égard de l'action. Il dit donc, en premier, que le bien et le mal de l'intelligence ou de la raison qui est spéculative et non pratique consistent absolument dans le vrai et le faux, à savoir que le vrai absolu est son bien et le faux pris absolument est son mal. En effet, dire le vrai et le faux est le propre de toute intelligence. Mais le bien de la raison pratique n'est pas la vérité absolue, mais la vérité "confesse se habens" (avouée-reconnue), c'est-à-dire conforme à l'appétit droit. Cette harmonie, comme on l'a montré, est requise par les vertus morales. |
#1130. — Ensuite (1139a27), il montre quelle est l'œuvre de ce qui comporte raison, selon l'une et l'autre partie. En premier, il montre comment l'une et l'autre partie se rapportent à la vérité. En second, comment elles se rapportent à l'acte (1139a31). Il dit donc, en premier, que la bonté et la malice de l'esprit, c'est-à-dire de l'intelligence ou de la raison qui est spéculative et non pratique, consistent simplement dans le vrai et le faux; de sorte que le vrai absolu est son bien, et le faux absolu, son mal. En effet, dire vrai et dire faux sont l'œuvre qui appartient à n'importe quelle intelligence. Néanmoins, le bien de l'intelligence pratique n'est pas la vérité absolue, mais la vérité incontestée, c'est-à-dire en accord avec l'appétit droit, comme il a été montré (#322, 326, 548) que c'est ainsi que les vertus morales concordent. |
[73835] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 8 Videtur autem hic esse
quoddam dubium. Nam si veritas intellectus practici determinatur in
comparatione ad appetitum rectum, appetitus autem rectitudo determinatur per
hoc quod consonat rationi verae, ut prius dictum est, sequetur quaedam
circulatio in dictis determinationibus. Et ideo dicendum est, quod appetitus
est finis et eorum quae sunt ad finem: finis autem determinatus est homini a
natura, ut supra in III habitum est. Ea autem quae sunt ad finem,
non sunt nobis determinata a natura, sed per rationem investigantur; sic ergo
manifestum est quod rectitudo appetitus per respectum ad finem est mensura
veritatis in ratione practica. Et secundum hoc determinatur veritas rationis
practicae secundum concordiam ad appetitum rectum. Ipsa autem veritas
rationis practicae est regula rectitudinis appetitus, circa ea quae sunt ad
finem. Et ideo secundum hoc dicitur
appetitus rectus qui persequitur quae vera ratio dicit. |
1131.- Il semble cependant qu'il existe ici un doute. En effet, si la vérité de l'intelligence pratique se détermine par comparaison à l'appétit droit et que la rectitude de l'appétit se prend de son accord à la raison vraie, comme on l'a dit auparavant, il s'ensuit un certain cercle dans les déterminations susdites. C'est pourquoi, il faut dire que l'appétit porte sur la fin et sur les moyens: or la fin est déterminée à l'homme par la nature, comme il est acquis par le troisième livre. Les moyens, eux, ne nous sont pas déterminés par la nature, mais ils doivent être recherchés par la raison. Ainsi, il est donc manifeste que la rectitude de l’appétit par rapport à la fin est la mesure de la vérité dans la raison pratique. Et sous e rapport, la vérité de la raison pratique se détermine par conformité à l'appétit droit. Mais la vérité elle-même de la raison pratique est la règle de la rectitude de l'appétit par rapport aux moyens. C'est pourquoi, sous ce rapport, on appelle appétit droit celui qui poursuit ce que dit la raison vraie. |
#1131. — Mais il semble surgir ici une difficulté. En effet, si la vérité de l'intelligence pratique est établie en comparaison à l'appétit droit, et que la rectitude de l'appétit, elle, soit établie par ce qu'il consonne avec la raison vraie, comme il a été dit auparavant, il s'ensuit une circularité dans les déterminations données. C'est pourquoi il faut dire que l'appétit concerne la fin et le moyen: or la fin, pour l'homme, est fixée par sa nature, comme on en a traité au troisième [livre] (#524-525), tandis que le moyen n'est pas déterminé pour nous par la nature, mais à investiguer avec la raison. Ainsi donc, il est manifeste que la rectitude de l'appétit en rapport à la fin est mesure de la vérité dans la raison pratique. C'est d'après cela qu'est établie la vérité de la raison pratique selon sa conformité avec l'appétit droit. Ensuite, la vérité même de la raison pratique devient règle de la rectitude de l'appétit, concernant le moyen. C'est pourquoi on appelle appétit droit celui qui poursuit ce que dit la raison vraie. |
[73836] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 9 Videtur etiam hic esse
dubium de hoc, quod prosequitur de speculativo et practico intellectu quasi
de duabus partibus supra positis, scilicet scientifico et ratiocinativo, cum tamen
supra dixit esse diversas partes animae scientificum et rationativum, quod de
intellectu speculativo et practico ipse negat in III de anima. Dicendum est
ergo quod intellectus practicus principium quidem habet in universali
consideratione, et secundum hoc est idem subiecto cum speculativo, sed
terminatur eius consideratio in particulari operabili. Unde philosophus dicit
in tertio de anima, quod ratio universalis non movet sine particulari, et
secundum hoc rationativum ponitur diversa pars animae a scientifico. |
1132.- Il semble encore subsister un doute ici du fait qu'Aristote traite de l'intellect spéculatif et pratique comme s'il s'agissait des deux parties posées plus haut, à savoir la partie scientifique et ratiocinative. Or, cette identification est douteuse: il a dit plus haut que le scientifique et le ratiocinatif étaient des parties diverses, alors qu'il nie cette diversité à propos de l'intellect et pratique dans le troisième livre de l’Ame. Il faut donc dire que l'intellect pratique a comme point de départ la considération de l'universel et, sous ce rapport, il s'identifie par le sujet à l'intellect spéculatif; mais sa considération se termine dans le singulier opérable. De là vient que le Philosophe dit, dans le troisième livre de l'Ame, que la raison universelle ne meut pas sans la raison particulière. Et, à ce point de vue, il fait du ratiocinatif une partie diverse du scientifique. |
#1132. — Il semble aussi surgir ici une difficulté en rapport au fait qu'on assimile les intelligences spéculative et pratique aux deux parties posées plus haut, les parties scientifique et raisonnante, alors que, cependant, plus haut, on a fait parties différentes la scientifique et la raisonnante, ce qu'Aristote nie de l'intelligence spéculative et de l'intelligence pratique, au troisième [livre] De l'Ame (ch. X). On doit donc dire que l'intelligence pratique a sans doute son principe dans la considération universelle, et que, sous ce regard, elle est identique de sujet avec l'[intelligence] spéculative, mais que sa considération se termine dans l'action particulière à poser. Aussi le Philosophe dit-il, au troisième [livre] De l'Ame (ch XI), que la raison universelle ne meut pas sans la particulière. À cet égard, la [partie] raisonnante se pose comme différente de la [partie] scientifique. |
[73837] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2 n. 10 Deinde cum dicit: actus quidem igitur etc., ostendit
quomodo utraque ratio se habeat ad actum. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit quod mens est principium actus; secundo quae mens, ibi: mens autem
ipsa et cetera. Tertio ostendit circa qualia mens sit principium actus, ibi:
non est autem eligibile et cetera. Concludit ergo primo ex his quae supra
dicta sunt, quod ex quo electio est appetitus consiliativus, sequitur, quod
sit actus principium unde motus, idest per modum causae efficientis, sed
non cuius gratia, idest per modum causae finalis. Dictum est enim in
tertio de anima, quod appetitus est movens in animalibus. Sed ipsius
electionis sunt principia appetitus et ratio quae est gratia alicuius,
id est quae ordinatur ad aliquod operabile sicut ad finem. Est enim electio
appetitus eorum quae sunt ad finem. Unde ratio proponens finem, et ex eo
procedens ad ratiocinandum et appetitus tendens in finem comparantur ad
electionem per modum causae. Et inde est,
quod electio dependet et ab intellectu sive mente et ab habitu morali, qui
perficit vim appetitivam, ita quod non est sine utroque eorum. |
1133.- IL montre que l'une et l'autre raison disant rapport à l’action. Ge qu'il divise en trois points. En premier, il montre que la raison est principe d'action. En second, il montre quelle raison est principe de l'action. En troisième, il montre rapport à quels objets la raison est principe d'active. Il conclut donc, en premier, de ce qu'il a dit auparavant que, du fait que l'élection est un appétit délibératif, il s'ensuit qu'elle est l'acte qui est le principe d'où part :e mouvement, c'est-à-dire par mode de causalité efficiente, mais non l'acte qui est principe comme ce en vue de quoi, c'est-à-dire par mode de cause finale. On a dit, en effet, dans le troisième livre de l'Ame, que l'appétit est le moteur dans l'animal. Mais les principes de l'élection elle-même sont l'appétit et la raison qui est en vue de quelque chose, c'est-à-dire qui sont ordonnés l'un et l'autre à un certain opérable comme à leur fin. En effet, l'élection est l'appétit des moyens. De là vient que la raison qui propose la fin, et qui procède dans son raisonnement à partir de cette fin, et l'appétit qui tend vers la fin se comparent à l'élection par mode de cause. Il s’ensuit donc que l'élection dépend de l'intelligence ou de l'esprit et de l’habitus moral qui perfectionne la puissance appétitive, de telle sorte qu'elle ne peut exister sans l'une et l'autre. |
#1133. — Ensuite (1139a31), il montre que l'une et l'autre raison se rapportent à l'action. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que l'esprit est principe de l'action. En second, il montre quel esprit est principe de l'action (1139a35). En troisième, il montre concernant quelle sorte d'objets l'esprit est principe de l'action (1139b5). Il conclut donc, en premier, de ce qui a été dit plus haut, que, du fait que le choix est un appétit délibéré, il s'ensuit qu'il soit un principe d'action d'où [part] le mouvement, c'est-à-dire par mode de cause efficiente, mais non en vue de quoi [il se fait], c'est-à-dire par mode de cause finale. On a dit en effet, au troisième [livre] De l'Ame (ch. X), que l'appétit est moteur dans les [êtres] animés. Mais les principes du choix lui-même sont l'appétit et la raison qui vise une fin, c'est-à-dire l'appétit et la raison ordonnés à une action à poser comme à leur fin. Le choix est, en effet, l'appétit des moyens. Aussi, la raison qui propose la fin et se met à raisonner à partir d'elle, avec l'appétit qui tend à la fin, est comparée au choix par mode de cause. De là vient que le choix dépend de l'intelligence, ou de l'esprit, et de l'habitus moral qui parfait la puissance appétitive, ainsi qu'il ne va pas sans l'un et l'autre d'entre eux. 206 |
[73838] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2 n. 11 Et hoc probat per signum. Effectus enim electionis est
actio, ut dictum est. Actio autem bona et contrarium in actione, idest
mala actio, non potest esse sine mente et more, id est sine morali
quacumque dispositione ad appetitum pertinente. Unde nec electio bona vel
mala est sine mente et more. |
1134.- Ce qu'il prouve par un signe. L'effet de l'élection est l'action, comme on l'a dit. Or, l'action bonne et son contraire mauvaise, ne peuvent exister sans la raison et l'habitude morale, c'est-à-dire sans une disposition quelconque appartenant à l'appétit. Donc, l'élection bonne ou mauvaise n'existe pas non plus sans l'habitude morale et la raison. |
#1134. — Il le prouve par un signe. En effet, l'effet du choix est l'action, comme il a été dit. Or l'action bonne et son contraire dans l'action, c'est-à-dire la mauvaise action, ne peuvent aller sans esprit et mœurs, c'est-à-dire sans morale, c'est-à-dire sans quelque disposition touchant l'appétit. Aussi, même le choix n'est ni bon ni mauvais sans mœurs et esprit. |
[73839] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 12 Deinde cum dicit: mens
autem ipsa etc., ostendit, quae mens vel ratio sit principium actus. Et primo
ostendit propositum. Secundo infert quoddam corollarium ex dictis, ibi,
propter quod, vel appetitivus et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis mens
sit principium actus, tamen mens ipsa, secundum se absolute considerata idest
ratio speculativa, nihil movet, quia nihil dicit de imitabili et fugiendo, ut
dicitur in III de anima, et sic non est principium alicuius actus; sed solum
illa quae est gratia huius, idest quae ordinatur ad aliquod
particulare operabile sicut ad finem; et haec est mens vel ratio practica,
quae quidem non solum principatur activae operationi, quae non transit in
exteriorem materiam, sed manet in agente ut concupiscere et irasci: sed etiam
factivae, quae transit in exteriorem materiam sicut urere et secare. |
1135.- Il montre quelle raison est principe de l'action. Et, en premier, il manifeste son dessein. En second, il tire un corollaire de ce qu'il a dit. Il dit donc en premier que, bien que.la raison soit principe de l'action, cependant la raison elle-même, c'est-à-dire la raison spéculative, ne meut rien, parce qu'elle ne dicte rien de ce qu'il faut poursuivre ou fuir, comme on le dit dans le troisième livre de l'Ame. Et ainsi, elle n'est pas principe d'une action. Il n'y a que la raison qui est en vue de quelque chose, c'est-à-dire celle qui est ordonnée à un opérable singulier comme à sa fin qui est principe de l'action. Et cette dernière est la raison pratique: elle commande non seulement à l'opération active, qui ne passe pas dans une matière extérieure mais demeure dans l'agent, comme convoiter et se fâcher, mais aussi à l'opération active qui passe dans une matière extérieure, comme brûler et couper. |
#1135. — Ensuite (1139a35), il montre quel esprit ou raison est principe de l'action. En premier, il montre son propos. En second, il infère un corollaire de ce qui a été dit (1139b4). Il dit donc, en premier, que, quoique l'esprit soit le principe de l'acte, cependant, l'esprit lui-même, considéré absolument en lui-même, c'est-à-dire la raison spéculative, ne meut rien, parce qu'elle ne dit rien de ce qu'il faut chercher ou fuir, comme il dit au troisième [livre] De l'Ame (ch. IX); et ainsi, il n'est pas principe d'une action; l'est seulement l'esprit qui est en vue de cela, c'est-à-dire qui est ordonné à une action particulière à poser comme à sa fin. Voilà la raison ou l'esprit pratique qui, certes, non seulement préside à l'opération active, qui ne passe pas à une matière extérieure, mais reste dans l'agent, comme désirer et se fâcher, mais aussi [à l'opération] productive, qui passe à la matière extérieure, comme brûler et scier. |
[73840] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 13 Et hoc probat per hoc,
quod omnis faciens, puta faber aut aedificator, facit suum opus gratia
huius, idest propter finem, et non propter finem in universali, sed ad
aliquid particulare quod est factum, idest constitutum in exteriori
materia, puta cultellus, aut domus; et non est finis aliquid actum,
idest aliquid agibile in agente existens, puta recte concupiscere aut irasci;
facit etiam omnis faciens propter aliquid factum quod est alicuius, id
est quod habet aliquem usum, sicut usus domus est habitatio; et talis quidem
est finis facientis, scilicet factum et non actum. Ideo autem non actum, quia
in agibilibus ipsa bona actio est finis, puta bene concupiscere vel bene
irasci. Et sicut mens practica est gratia huius finis vel facti vel actionis,
ita etiam appetitus est alicuius particularis finis. |
1136.- Il prouve ce dernier point par le fait que tout artisan, par exemple un ouvrier ou un constructeur, accomplit son œuvre en vue de ceci ou de cela, c'est-à-dire en vue d'une fin, et non en vue d'une fin universelle. Il a en vue quelque œuvre particulière qui est produite; c’est-à-dire constituée dans la matière extérieure, par exemple un couteau ou une maison. Sa fin n'est pas quelque chose d'accompli par mode d'action, c’est-à-dire un agir qui demeure dans l'agent comme, par exemple, désirer ou se mettre en colère. En effet, tout ouvrier ouvre pour quelque chose qui est ordonné à quelqu'un c’est-à-dire qui a un certain usage, comme l'usage de la maison est son habitation: telle est donc la fin de l'artisan, un objet fabriqué et donc l'action. Et pourquoi pas l'action: c'est que dans l'agir l'opération bonne elle-même est fin, par exemple, bien désirer et bien se fâcher. Et comme la raison pratique est en vue d'une fin, qui est soit un objet construit soit une action, de même l'appétit est en vue de quelque fin particulière. |
#1136. — Il le prouve de ce fait que tout producteur, par exemple, l'ouvrier ou le constructeur, fait son œuvre en vue de cela, c'est-à-dire pour une fin, et non pour une fin universelle, mais pour une [œuvre] particulière qui est faite, c'est-à-dire constituée, dans une matière extérieure, par exemple, un couteau, ou une maison; et la fin n'est pas une action, c'est-à-dire un agible existant dans l'agent, par exemple, bien désirer ou se fâcher. En effet, tout producteur travaille en vue d'une [chose] qui appartienne à quelqu'un, c'est-à-dire qui ait un usage, comme l'usage de la maison est l'habitation; telle est, certes, la fin du producteur, à savoir, le produit et non l'agi. Non pas l'agi, et la raison en est que, dans les agibles, la bonne action même est la fin, par exemple, bien désirer ou bien se fâcher. Et comme l'esprit pratique opère en vue de cette fin ou produite ou agie, ainsi aussi l'appétit est en vue d'une fin particulière. |
[73841] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 14 Deinde cum dicit propter
quod etc., infert quoddam corollarium ex praemissis. Quia enim electio est
principium actus et electionis principia sunt appetitus et ratio sive
intellectus aut mens, quae mediante electione sunt principia actus,
consequens est quod electio vel sit intellectus appetitivus, ita scilicet
quod electio sit essentialiter actus intellectus, secundum quod ordinat
appetitum; vel sit appetitus intellectivus, ita scilicet quod electio sit
essentialiter actus appetitus, secundum quod dirigitur ab intellectu. Et hoc
verius est: quod patet ex obiectis. Obiectum enim electionis est bonum et
malum, sicut et appetitus; non autem verum et falsum, quae pertinent ad
intellectum. Et tale principium est homo, scilicet agens, eligendo per
intellectum et appetitum. |
1137.- Il tire un certain corollaire des prémisses. En effet, l'élection étant principe de l'action. et les principes de l’élection étant l'appétit et la raison ou l'intelligence ou l'esprit, qui sont principes de l'action par l'intermédiaire de l'élection, il s'ensuit que l'élection est une intelligence appétitive, A savoir de telle sorte qu'elle est essentiellement un acte d'intelligence en tant même qu'il ordonne l'appétit; ou encore, elle est un appétit intellectuel, de telle sorte qu'elle est essentiellement un acte de l'appétit en tant même qu'il est dirigé par l'intelligence. Et cette dernière définition est plus vraie: ce qui est manifeste par ses objets. En effet, l'objet de l'élection est le bien et le mal, comme c'est l'objet de l'appétit; son objet n'est pas le vrai et le faux qui appartiennent à l'intelligence. Et un tel principe est l'homme, à savoir l'agent, qui choisit à cause de l'intelligence et de l'appétit. |
#1137. — Ensuite (1139b4), il infère un corollaire de ce qui précède. Parce qu'en effet, le choix est principe de l'action, et que les principes du choix sont l'appétit et la raison ou l'intelligence ou l'esprit, qui sont principes de l'action moyennant le choix, il s'ensuit que le choix soit une intelligence appétitive, de sorte que le choix soit essentiellement un acte de l'intelligence, par lequel celui-ci ordonne l'appétit; ou qu'il soit un appétit intelligent, de sorte que le choix est essentiellement l'acte de l'appétit grâce auquel il est dirigé par l'intelligence. Ce dernier [énoncé] est plus vrai, comme ce devient manifeste à partir des objets. Car l'objet du choix est le bien et le mal, comme aussi celui de l'appétit; et non le vrai et le faux, qui appartiennent à l'intelligence. Or l'homme est un tel principe, à savoir, un agent qui choisit en raison d'une intelligence et d'un appétit. |
[73842] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 15 Deinde cum dicit: non est
autem eligibile etc., ostendit circa qualia mens sit principium actus per
electionem. Et dicit quod nihil factum, idest nullum praeteritum est
eligibile, sicut nullus eligit Ilion, idest Troiam fuisse captam.
Cuius ratio est, quia electio est appetitus praeconsiliati, ut dictum est.
Nullus enim consiliatur de facto, id est de praeterito, sed de futuro.
Et hoc probat: consilium non est nisi de aliquo contingenti, ut supra habitum
est. Factum autem id est praeteritum, non est contingens, quia non contingit
ipsum non fieri, idest quod non sit factum; et ad hoc inducit verbum
Agathonis qui recte dixit: quod solo isto posse privatur Deus, ut faciat ingenita,
id est non facta quae sunt facta. Et hoc recte dixit. |
1138.- Il montre par rapport à quelles sortes d'objet la raison est principe de l'action au moyen de l'élection. Et il dit qu'aucune œuvre faite, c'est-à-dire déjà passée, n'est éligible: on ne choisit pas d'avoir pris part à la capture de Troie. La raison en est que l'élection est un appétit de ce qui est préalablement délibéré, comme on l'a dit. Or, personne ne délibère sur le passé, mais on délibère sur le futur et le contingent. Ce qu'il prouve Dar le fait que le conseil ne porte que sur quelque chose de contingent, comme on l'a dit plus haut. Mais un fait passé n'est pas contingent, parce qu'il ne peut arriver qu'il n'ait pas eu lieu. A ce sujet, il rapporte la parole d'Agathon qui a fort bien dit: "cette seule chose à Dieu lui-même est refusée, Faire que n'ait pas été ce qui a été fait". Cette parole est vraie. |
#1138. — Ensuite (1139b5), il montre concernant quelle sorte de choses l'esprit est principe d'actions moyennant choix. Et il dit qu'aucun fait, c'est-à-dire aucun passé n'est éligible; ainsi, personne ne choisit qu'Ilion, c'est-à-dire Troie, n'ait pas été prise. La raison en est que le choix est l'appétit d'une [chose] prédélibérée, comme il a été dit (#1129, 1133). Or personne ne délibère de ce qui est fait, c'està- dire du passé; on ne délibère que du futur et du contingent. Il prouve cela, du fait que la délibération ne porte que sur un contingent, comme il en été traité plus haut (#460-472). Or le fait passé n'est pas contingent, parce qu'il n'est pas possible qu'il n'ait pas été, c'est-à-dire qu'il ne soit pas fait; et, à ce [sujet], il induit le mot d'Agathon, qui a correctement dit que de cela seulement Dieu peut être privé, à savoir, de rendre inengendré ce qui a été fait, c'est-à-dire de faire qu'il n'ait pas été fait. Cela, il l'a dit correctement. |
[73843] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 16 Necesse est enim quod
potestati cuiuslibet causae subsit omne illud quod potest contineri sub
proprio obiecto virtutis eius, sicut ignis potest calefacere omne
calefactibile. Virtus autem Dei, qui est universalis causa entium, extendit
se ad totum ens: unde solum illud subtrahitur divinae potestati quod repugnat
rationi entis, hoc est quod implicat contradictionem; et tale est quod factum
est non fuisse. Eiusdem enim rationis est aliquid esse dum est, et fuisse dum
fuit; et non esse quod est, et non fuisse quod fuit. |
1139.- Il est en effet nécessaire qu'il subsiste au pouvoir d'une cause tout ce qui peut être contenu sous l'objet propre de ce pouvoir, comme le feu peut brûler tout ce qui est combustible. Or, la puissance de Dieu, qui est la cause universelle des êtres s'étend à tout être: il faut donc soustraire à la puissance de Dieu uniquement ce qui répugne à la raison de l'être, comme ce qui implique contradiction par exemple. Qu'une chose déjà faite n'ait pas existé, voilà qui est contradictoire. En effet, cela relève d'une unique raison qu'une chose soit alors qu’elle est, qu'elle fût alors qu'elle était, et qu'elle ne soit pas alors qu'elle est et qu'elle ne fût pas alors qu'elle était. |
#1139. — Nécessairement, en effet, est soumis à la puissance de n'importe quelle cause tout ce qui peut être contenu sous l'objet propre de sa vertu, comme le feu peut réchauffer tout ce qui est réchauffable. Or la vertu de Dieu, cause universelle des êtres, s'étend à tout être: aussi, seulement cela est soustrait à la puissance divine qui répugne à la raison d'être, comme ce qui implique contradiction. Comme que ce qui a été fait n'ait pas été fait. Il appartient, en effet, à la même raison que quelque chose soit pendant qu'il est, et qu'il ait été pendant qu'il a été; et que ne soit pas ce qui est, et n'ait pas été ce qui a été. 207 |
[73844] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 17 Deinde cum dicit
utrarumque utique etc., concludit ex praemissis, quod cognitio veritatis est
proprium opus utrarumque particularum intellectus, scilicet practici et
speculativi, vel scientifici et ratiocinativi. |
1140.- Il conclut de ce qui précède que la connaissance de la vérité est l'œuvre propre de l'une et l'autre partie de l'intelligence, à savoir de l'intelligence pratique et spéculative, ou de l'intelligence scientifique et ratiocinative. |
#1140. — Ensuite (1139b12), il conclut, à partir de ce qui précède, que la connaissance de la vérité est l'œuvre propre de l'une et l'autre particules de l'intelligence, à savoir pratique et spéculative, ou scientifique et raisonnante. |
[73845] Sententia Ethic., lib. 6 l. 2
n. 18 Deinde cum dicit secundum
quos igitur etc., concludit ultimum, quod illi habitus sunt virtutes ambabus
partibus intellectus secundum quos contingit verum dicere quod est bonum intellectivae
partis. |
1141.- Il conclut en dernier que sont vertus pour les deux parties de l'intelligence les habitus qui aident à dire le vrai, qui est le bien de la partie intellective. |
#1141. — Ensuite (1139b12), il conclut le dernier [point], que ces habitus sont des vertus pour les deux parties de l'intelligence, par lesquels il devient possible de dire vrai, ce qui est le bien de la partie intellective. |
|
|
|
Lectio
3 |
Leçon 3 : [Les cinq vertus intellectuelles] |
|
|
ARISTOTE DENOMBRE LES VERTUS INTELLECTUELLES ET IL CONCLUT QU’ELLES SONT AU NOMBRE DE CINQ. TRAITANT TOUT D'ABORD DE LA SCIENCE, IL DIT QUE TOUTE SCIENCE PEUT S’ENSEIGNER. |
|
[73846] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3 n. 1 Incipientes igitur superius et cetera. Postquam
philosophus investigavit rationem secundum quam accipiendae sunt
intellectuales virtutes, hic iam incipit de ipsis intellectualibus virtutibus
determinare. Et primo determinat de virtutibus intellectualibus
principalibus. Secundo de virtutibus quibusdam adiunctis uni earum, scilicet
prudentiae, ibi, oportet autem assumere et cetera. Circa primum duo facit.
Primo enumerat intellectuales virtutes. Secundo determinat de singulis earum,
ibi, scientia quidem igitur quid est et cetera. Dicit ergo primo, quod ex quo
posita est ratio accipiendi virtutes intellectuales, debemus rursus incipere
ab eo quod superius determinatum est, ut sic tractemus de ipsis
intellectualibus virtutibus. |
1142.- Après avoir recherché la raison qui demande d'admettre les vertus intellectuelles, le Philosophe commence ici à les étudier en elles-mêmes. Et, en premier, il traite des vertus intellectuelles principales. En second, traite de certaines vertus adjointes à l'une d’elles, à savoir à la prudence. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il énumère les vertus intellectuelles. En second, il détermine chacune d'elles particulier. Il dit donc, en premier, qu'après avoir donné raison qui motive l’existence des vertus intellectuelles, nous devons de plus à partir de ce point de départ bien déterminé, commencer traiter de ces vertus elles-mêmes. |
#1142. — Après avoir investigué la raison pour laquelle il faut admettre des vertus intellectuelles, le Philosophe entreprend de traiter des vertus intellectuelles elles-mêmes. En premier, il traite des vertus intellectuelles principales (1139b14). En second, de certaines vertus adjointes à l'une d'entre elles, à savoir, la prudence (1142a32). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il énumère les vertus intellectuelles. En second, il traite de chacune d'elles (1139b18). Il dit donc, en premier, que maintenant qu'on a donné la raison d'admettre des vertus intellectuelles, on doit repartir de ce qui a été établi plus haut, de façon à traiter des vertus intellectuelles elles-mêmes. |
[73847] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 2 Dictum est enim prius,
quod virtutes intellectuales sunt habitus, quibus anima dicit verum. Sunt
autem quinque numero quibus anima semper dicit verum vel affirmando vel
negando: scilicet ars, scientia, prudentia, sapientia et intellectus. Unde
patet quod ista quinque sunt virtutes intellectuales. Ab horum autem numero
excludit suspicionem, quae per aliquas coniecturas habetur de aliquibus
particularibus factis; et opinionem quae per probabiles rationes habetur de
aliquibus universalibus. Quamvis enim per ista duo quandoque verum dicatur
tamen contingit quod eis quandoque dicitur falsum, quod est malum
intellectus, sicut verum est bonum ipsius; est autem contra rationem virtutis
ut sit principium mali actus. Et sic patet quod suspicio et opinio non
possunt dici intellectuales virtutes. |
1143.- En effet, nous avons dit auparavant que les vertus intellectuelles sont des habitus par lesquels l’âme dit le vrai. Or, il y a cinq habitus en nombre grâce auxquels l’âme dit toujours le vrai soit en affirmant soit en niant: l’art, la science, la prudence, la sagesse et l’intelligence. Il est donc évident que ce sont à cinq vertus intellectuelles. De leur nombre, l’exclut le "soupçon" qui, à travers certaines conjectures, entrevoit la vérité de faits particuliers, et l’opinion qui, à travers certaines conjectures, donne une connaissance de l’universel. En effet, bien que par ces deux dispositions on dise quelquefois le vrai, il arrive aussi que, par elles, on dise quelquefois le faux, qui est le mal de l’intelligence comme le vrai est son bien, Or, il est contre la nature le la vertu d'être principe d'un acte mauvais. Et ainsi, il est évident que le "soupçon" et l'opinion ne sont pas des vertus intellectuelles. |
#1143. — Plus haut, en effet, il a été dit que les vertus intellectuelles sont des habitus grâce auxquels l'âme dit vrai. Or il y en a cinq en nombre grâce auxquels l'âme dit toujours vrai, qu'elle affirme ou nie: l'art, la science, la prudence, la sagesse et l'intelligence. Ainsi devient-il clair que voilà les cinq vertus intellectuelles. Toutefois, il exclut de leur nombre le soupçon, qu'en raison de certaines conjectures, on entretient en rapport à des faits particuliers; et l'opinion, qu'en raison de certaines conjectures, on entretient en rapport à des [questions] universelles. En effet, bien qu'avec ces deux [dispositions], on dise parfois vrai, il arrive cependant qu'avec elles, on dise parfois faux, en quoi réside le mal de l'intelligence, comme en le vrai réside le bien de l'intelligence. Or il va contre la nature de la vertu d'être principe d'un acte mauvais. Ainsi devient-il clair que le soupçon et l'opinion ne peuvent être considérés comme des vertus intellectuelles. |
[73848] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 3 Deinde cum dicit: scientia
quidem igitur etc., determinat de virtutibus intellectualibus enumeratis. Et
primo determinat de singulis earum; secundo ostendit quae sit principalior
inter eas, ibi, et quemadmodum caput habens et cetera. Circa primum duo facit.
Primo determinat de virtutibus intellectualibus perficientibus intellectum
circa ea quae sunt ex principiis. Secundo determinat de habitibus
intellectualibus perficientibus intellectum circa prima principia, ibi, quia
scientia de universalibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat
de scientia quae perficit intellectum circa necessaria. Secundo de habitibus
perficientibus intellectum circa contingentia, ibi: contingentis autem aliter
habere et cetera. Circa primum duo facit. Primo notificat scientiam ex parte
materiae. Secundo ex parte causae, ibi, adhuc docibilis omnis et cetera. |
1144.- Il traite des vertus intellectuelles qu'il a énumérées. Et, en premier, il détermine chacune d’elles en particulier. En second, il montre quelle est la plus importante (la reine) d'entre elles. En premier, il détermine les vertus intellectuelles qui déterminent l’intelligence par rapport à ce qui découle des principes (conclusions). En second, il traite des habitus intellectuels qui perfectionnent l’intelligence par rapport aux premiers principes. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il traite de la science qui parfait l’intelligence par rapport aux choses nécessaires. En second, il détermine les habitus perfectionnant l’intelligence par rapport aux contingents. La première partie se subdivise en deux. En premier, il manifeste la science du côté de sa matière; en second, il la fait connaître du côté de sa cause. |
#1144. — Ensuite (1139b18), il traite des vertus intellectuelles énumérées. En premier, il traite de chacune d'elles. En second, il montre quelle est la principale d'entre elles (1141a9). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite des vertus intellectuelles qui amènent à sa perfection l'intelligence pour ce qui est de procéder de principes. En second, il traite des habitus intellectuels qui amènent à sa perfection l'intelligence concernant les premiers principes (1140b31). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de la science, qui amène à sa perfection l'intelligence concernant le nécessaire. En second, il traite des habitus qui amènent à sa perfection l'intelligence concernant le contingent (1140a1). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il fait connaître la science à partir de sa matière. En second, à partir de sa cause (1139b25). |
[73849] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 4 Dicit ergo primo, quod
manifestum potest esse quid sit scientia ex his quae dicentur, si oportet per
certitudinem scientiam cognoscere, et non sequi similitudines, secundum quas
scilicet quandoque similitudinarie dicimus scire etiam sensibilia de quibus
certi sumus. Sed certa ratio scientiae hinc accipitur, quod omnes suspicamur
de eo quod scimus quod non contingit illud aliter se habere: alioquin non
esset certitudo scientis, sed dubitatio opinantis. Huiusmodi autem certitudo,
quod scilicet non possit aliter esse, non potest haberi circa contingentia
aliter se habere. Tunc enim solum potest de eis certitudo haberi cum cadunt
sub sensu. Sed quando fiunt extra speculari, idest quando desinunt
videri vel sentiri, tunc latent utrum sint vel non sint, sicut patet circa
hoc quod est sortem sedere. Sic ergo patet quod omne scibile est ex
necessitate. Ex quo concludit quod sit aeternum; quia omnia quae sunt
simpliciter ex necessitate, sunt aeterna. Huiusmodi autem neque generantur
neque corrumpuntur. Talia ergo sunt de quibus est scientia. |
1145.- Il dit donc, en premier qu'il peut y avoir clarté sur ce qu’est la science à partir de ce qu'on a dit, si l'on veut savoir avec certitude ce qu’elle est et non pas se fier aux images (ressemblances), d’après lesquelles on dit quelquefois connaître les choses sensibles dont on est certain. Mais nous devons prendre ici la notion certaine de la science du fait que nous admettons tous que ce que nous savons de science ne peut être autre qu'il n'est: autrement, il n'y aurait pas de certitude scientifique, mais le doute de l’opinion. Or la certitude, celle qui exige qui il en soit nécessairement ainsi, ne peut porter sur les contingents qui peuvent être autres qui ils ne sont. En effet, dans ce dernier cas, il ne peut y avoir de certitude que sous l'observation du sens. Mais lorsqu'on pousse l'étude des contingents en dehors de l'observation sensible, lorsqu'on ne les a plus sous les prises du regard du sens, alors on ne sait plus s’ils sont ou ne sont pas. Comme il est évident par rapport à ceci: Socrate est assis. Ainsi il est donc évident que tout objet de science doit être par nécessité. Aristote conclut de là qu'il doit être éternel: tout ce qui existe absolument par nécessité est éternel. Les choses de cette sorte ne sont ni engendrées ni corrompues. Tels sont les objets de science. |
#1145. — Il dit donc, en premier, que ce qu'est la science peut devenir manifeste à partir de nos façons de parler, s'il faut connaître la science avec exactitude, et non se mettre à la remorque de ressemblances, d'après lesquelles nous disons quelquefois savoir de science les sensibles dont nous sommes certains. Mais c'est la notion stricte de science qui est prise ici, que nous attachons tous au fait de savoir qu'il ne peut en être autrement: sans quoi, il n'y aurait pas certitude du savant, mais doute de l'opinant. Or une certitude de la sorte, à savoir qu'il ne peut en être autrement, ne peut s'obtenir à propos de ce qui peut être autrement. Car alors, en effet, il ne peut y avoir certitude à son sujet que lorsqu'il tombe sous le sens, tandis que lorsqu'il en vient à être considéré extérieurement, c'est-à-dire quand il cesse d'être vu ou senti, alors il reste caché s'il est ou n'est pas. 208 C'est manifeste, par exemple, pour le fait que Socrate soit assis. Ainsi donc, il est manifeste que tout objet de science est de nécessité. De quoi Aristote conclut qu'il est éternel, car tout ce qui est de nécessité absolue est éternel. Ce qui est de la sorte, en outre, ne s'engendre ni ne se corrompt. C'est donc à propos de pareil [objet] qu'il y a science. |
[73850] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 5 Potest autem et de generabilibus
et corruptibilibus esse aliqua scientia, puta naturalis; non tamen secundum
particularia quae generationi et corruptioni subduntur, sed secundum rationes
universales quae sunt ex necessitate et semper. |
1146.- Il peut cependant y avoir science des choses engendrables et corruptibles, par exemple la science naturelle: non pas cependant par rapport aux êtres particuliers qui sont soumis à la génération et à la corruption, mais selon les raisons universelles qui sont par nécessité et toujours. |
#1146. — Il peut aussi toutefois y avoir une certaine science en ce qui a trait au générable et au corruptible, par exemple, la [science] naturelle; non pas, cependant, en rapport aux particuliers soumis à la génération et à la corruption, mais en rapport à leurs définitions universelles, qui demeurent nécessaires et éternelles. |
[73851] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 6 Deinde cum dicit: adhuc
docibilis etc., notificat scientiam per causam. Et dicit quod omnis scientia
videtur esse docibilis, id est potens doceri; unde in I metaphysicae
dicitur quod signum scientis est posse docere. Per id enim quod est actu
reducitur alterum de potentia in actum. Et eadem ratione omne scibile est
discibile ab eo, scilicet qui est potentia sciens. Oportet autem quod omnis doctrina
seu disciplina fiat ex aliquibus praecognitis, sicut dictum est in principio
posteriorum analyticorum. Non enim possumus devenire in cognitionem alicuius
ignoti nisi per aliquod notum. |
1147.- Il fait connaître la science par sa cause. Il dit que toute science peut s’enseigner. Voilà pourquoi on dit, dans le premier livre de la Métaphysique, que le signe du savant est de pouvoir enseigner. En effet, par ce qui est déjà en acte on peut en faire passer un autre de puissance à acte. Et pour la même raison, tout ce qu'on peut savoir peut être appris par celui qui est en puissance à le savoir. Or, il faut que toute doctrine ou discipline parte de choses déjà connues, comme on l'a dit au début des Seconds Analytiques. En effet, nous ne pouvons parvenir à connaître ce qui est ignoré que par ce qui est connu. |
#1147. — Ensuite (1139b25), il fait connaître la science par sa cause. Il dit que toute science, manifestement, s'enseigne, c'est-à-dire est apte à être enseignée. Aussi, dans le premier [livre] de la Métaphysique (ch. 2), il est dit que la marque du savant est qu'il puisse enseigner. C'est, en effet, grâce à ce qui est en acte qu'on est réduit de la puissance à l'acte. En outre, il faut que tout enseignement donné ou reçu parte de quelque chose de déjà connu, comme il est dit au début des Seconds Analytiques (ch. 1). En effet, nous ne pouvons parvenir à la connaissance d'une chose ignorée que grâce à une chose connue. |
[73852] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 7 Est autem duplex doctrina
ex praecognitis: una quidem per inductionem, alia vero per syllogismum.
Inductio autem inducitur ad cognoscendum aliquod principium et aliquod
universale in quod devenimus per experimenta singularium, ut dicitur in
principio metaphysicae; sed ex universalibus principiis praedicto modo
praecognitis procedit syllogismus. Sic ergo patet quod sunt quaedam principia
ex quibus syllogismus procedit, quae non notificantur per syllogismum,
alioquin procederetur in infinitum in principiis syllogismorum, quod est
impossibile ut probatur in primo posteriorum. Sic ergo relinquitur quod
principiorum syllogismi sit inductio. Non autem quilibet syllogismus est
disciplinalis, quasi faciens scire, sed solus demonstrativus, qui ex
necessariis necessaria concludit. |
1148.- Mais il y a une double doctrine qui part de ce qui est connu: l'une se fait par induction, l’autre par syllogisme. Or l'induction, elle, introduit à la connaissance d'un principe et d'un universel, auquel nous aboutissons par l’expérience des singuliers, comme il est dit dans le premier livre de la Métaphysique. Mais le syllogisme procède des principes universels connus par l'induction susdite. Il est donc ainsi évident qu'il y a des principes d'où procède le syllogisme: autrement, on procéderait à l'infini dans les principes des syllogismes; ce qui est impossible, comme on l'a prouvé dans le premier livre des Seconds Analytiques. Il reste donc que le principe du syllogisme est l'induction. Cependant, ce n’est pas tout syllogisme qui peut s'enseigner, c’est-à-dire qui peut faire savoir, mais uniquement le syllogisme démonstratif, qui conclut des vérités nécessaires à partir d'autres vérités nécessaires. |
#1148. — Or l'enseignement procède doublement à partir de ce qui est connu: d'abord, certes, par induction, ensuite, bien sûr, par syllogisme. L'induction, elle, est utilisée pour connaître un principe et un universel auquel nous parvenons par l'expérience des singuliers, comme il est dit au premier [livre] de la Métaphysique (ch. 1). Puis, à partir des principes universels déjà connus de cette manière procède le syllogisme. Ainsi donc, il appert que le syllogisme a des principes qui ne sont pas certifiés par syllogisme: autrement, on procéderait à l'infini dans les principes des syllogismes, ce qui est impossible, comme il est prouvé au premier [livre] des Seconds Analytiques (ch. 3; ch. 19- 22). Il reste donc que l'induction fournisse son principe au syllogisme. Toutefois, n'importe quel syllogisme ne fonde pas une discipline, c'est-à-dire ne fait pas savoir de science, mais seul le démonstratif, qui conclut du nécessaire à partir du nécessaire. |
[73853] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 8 Sic ergo manifestum est
quod scientia est habitus demonstrativus, idest ex demonstratione
causatus, observatis omnibus illis quaecumque circa scientiam demonstrativam
determinata sunt in posterioribus analyticis. Oportet enim, ad hoc quod
aliquis sciat, quod principia ex quibus scit (sint) per aliquem modum credita
et cognita etiam magis quam conclusiones quae sciuntur. Alioquin non per se,
sed per accidens habebit scientiam, inquantum scilicet potest contingere quod
istam conclusionem sciat per quaedam alia principia et non per ista quae non
magis cognoscit quam conclusionem. Oportet enim quod causa sit potior
effectu. Unde id quod est causa cognoscendi oportet esse magis notum. Et ita
per hunc modum determinatum est de scientia. |
1149.- Ainsi, il est manifeste que la science est un habitus démonstratif, c'est-à-dire causé par démonstration, compte tenu de toutes les autres conditions que l'on a démontrées appartenir à la science dans les Seconds Analytiques. Il faut en effet, pour avoir la science, que les principes, à partir desquels on sait, soient de quelque manière crus et sus encore mieux que les conclusions lui sont connues scientifiquement. Autrement, ce n’est pas de soi mais par accident qu’on possédera la science, à savoir en tant qu'il peut arriver qu'on sache cette conclusion par d'autres principes et non par ceux que l'on ne connait pas plus que la conclusion. En effet, il faut que la cause soit supérieure (potiora) à l'effet. C'est pourquoi, il faut que soit plus connu ce qui est cause de la connaissance. Et ainsi de cette manière, on a dit ce qu'est la science. |
#1149. — Ainsi donc, la science est manifestement un habitus démonstratif, c'est-à-dire causé par la démonstration, une fois observées toutes les [règles], à propos de la science, démontrées dans les Seconds Analytiques. Il faut, en effet, pour qu'on sache de science, que les principes à partir desquels on sait soient aussi, de quelque manière, crus et connus davantage que les conclusions sues de science. Autrement, on n'aura pas par soi la science, mais par accident, pour autant qu'il peut arriver qu'on sache telle conclusion grâce à d'autres principes, et non grâce à ceux-là qu'on sait davantage que la conclusion. La cause, en effet, doit être plus puissante que son effet. Aussi, ce qui est cause que l'on connaisse doit déjà être plus connu. C'est ainsi qu'on a manifesté la science grâce à cette manière [de connaître]. |
[73854] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 9 Deinde cum dicit
contingentis autem etc., determinat de habitibus qui perficiunt intellectum
circa contingentia. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit duos esse habitus
circa contingentia. Secundo determinat de uno eorum, scilicet de arte, ibi,
quia autem aedificativa et cetera. Tertio determinat de altero, scilicet de
prudentia, ibi: de prudentia autem sic utique et cetera. Dicit ergo primo,
quod contingens aliter se habere dividitur in duo, quia aliquid eius est
agibile et aliquid est factibile, quod quidem cognoscitur per hoc quod
alterum est factio et alterum est actio. |
1150.- Il traite des habitus qui perfectionnent l'intelligence par rapport aux contingents. Il traite ce sujet en trois points. En premier, il montre qu'il y a deux habitus qui portent sur les contingents. En second, il détermine l'un d'eux, à savoir l'art. En troisième, il traite de l'autre, à savoir la prudence. Il dit donc en premier que ce qui peut être autre qu'il n'est se divise en deux: l'objet de l'action et l'objet de la production, du faire: et par là on sait que l'un des contingents est l'action et l'autre la "faction" (fabrication-production). |
#1150. — Ensuite (1140a1), il traite des habitus qui amènent à sa perfection l'intelligence concernant le contingent. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'il y a deux habitus en ce qui a trait au contingent. En second, il traite de l'un d'eux, à savoir, de l'art (1140a6). En troisième, il traite de l'autre, à savoir, de la prudence (1140a24). Il dit donc, en premier, que ce qui peut en être autrement se divise en deux: une opération que l'on peut exécuter et une chose qui est son produit éventuel; par là, on apprend qu'autre chose est l'action et autre chose est la production. |
[73855]
Sententia Ethic., lib. 6 l. 3 n. 10 Et his possumus assentire per
rationes exteriores, idest per ea quae determinata sunt extra istam
scientiam, scilicet in IX metaphysicae; ibi enim ostensa est differentia
inter actionem et factionem. Nam actio dicitur operatio manens in ipso
agente, sicut videre, intelligere et velle, factio autem dicitur operatio
transiens in exteriorem materiam ad aliquid formandum ex ea, sicut
aedificare, urere et secare. Quia ergo
habitus distinguuntur secundum obiecta, consequens est quod habitus qui est
activus cum ratione, scilicet prudentia, sit alius ab habitu factivo qui est
cum ratione qui est ars; et quod unus eorum non contineatur sub alio, sicut
neque actio et factio continentur sub invicem, quia neque actio est factio,
neque factio est actio. Distinguuntur enim oppositis differentiis, ut ex
dictis patet. |
1151.- A cette division on peut donner notre assentiment par des raisons extrinsèques, c'est-à-dire par des résultats acquis en dehors de notre science morale, dans le neuvième livre de la Métaphysique. C'est là, en effet, qu'on a montré la différence entre l'agir et le faire. Car l'action qui demeure dans l'agent s'appelle opération. Ainsi en est-il de l'action de voir, d'intelliger et de vouloir. Mais la fabrication (production - le faire) est une opération qui passe dans une matière extérieure et cela en vue de former quelque chose, comme construire et couper par exemple. Et parce que les habitus se distinguent d'après leurs objets, il s'ensuit que l'habitus qui aide la raison à diriger l'action, lequel est la prudence, est différent de celui qui, avec la raison, dirige la fabrication. Ce dernier est l'art. Et que l'un de ces habitus ne soit pas contenu sous l'autre, de la même façon que ni l'agir ni le faire ne sont contenus l'un sous l'autre, cela appert du fait que ni l'action n'est production ni la production n'est action. En effet, elles se distinguent par des différences opposées, comme on le voit par ce qui précède. |
#1151. — Pour adhérer à cette [conséquence], nous pouvons recourir à des raisons extérieures, c'est-à-dire à des [choses] considérées en dehors de cette science, à savoir dans le neuvième [livre] de la Métaphysique (VIII, ch. 2). C'est là, en effet, qu'est montrée la différence entre l'action et la production. Car l'action est décrite comme une opération qui demeure dans l'agent même, comme voir, intelliger et vouloir. Tandis que la production est une opération qui passe dans une matière extérieure pour y introduire une forme, comme construire et scier. Comme, en effet, les habitus se distinguent d'après leur objet, il s'ensuit que l'habitus qui fait agir avec raison, la prudence, diffère de l'habitus qui fait produire avec raison, l'art; il s'ensuit aussi que l'un n'est pas contenu sous l'autre, comme l'action et la production ne sont pas non plus contenues l'une sous l'autre, parce que 209 ni l'action n'est production, ni la production n'est action. Elles se distinguent, en effet, par des différences opposées, comme il appert de ce que l'on a dit. |
[73856] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3 n. 11 Est autem considerandum quod quia contingentium
cognitio non potest habere certitudinem veritatis repellentem falsitatem,
ideo quantum ad solam cognitionem pertinet, contingentia praetermittuntur ab
intellectu qui perficitur per cognitionem veritatis. Est autem utilis
contingentium cognitio secundum quod est directiva humanae operationis quae
circa contingentia est. Et ideo contingentia divisit tractans de
intellectualibus virtutibus solum secundum quod subiiciuntur humanae
operationi. Unde et solae scientiae practicae sunt circa contingentia,
inquantum contingentia sunt, scilicet in particulari. Scientiae autem
speculativae non sunt circa contingentia nisi secundum rationes universales,
ut supra dictum est. |
1152.- Il faut cependant considérer que, la connaissance des contingents ne pouvant posséder la certitude de la vérité exclusive de la fausseté, l'intelligence, qui se perfectionne par la connaissance de la vérité, ne s'intéresse pas à ces contingents, elle les néglige sous l'aspect où il y va de la seule connaissance. Leur connaissance cependant est utile, en tant qu’elle permet de diriger l'action humaine qui porte sur eux. C’est pourquoi, en traitant des vertus intellectuelles, Aristote ne divise les contingents que sous le rapport où ils sont soumis à l'opération humaine. De là vient que seules les sciences pratiques portent sur les contingents, en tant même qu'ils sont contingents, à savoir en tant qu'ils sont particuliers ou singuliers. Mais les sciences spéculatives n'étudient que les notions universelles des contingents, comme on l'a dit plus haut. |
#1152. — Il est aussi à considérer que, comme la connaissance du contingent ne peut comporter une certitude de vérité qui élimine la fausseté, c'est pourquoi, en ce qui a trait à la seule connaissance, le [domaine du] contingent est mis de côté par l'intelligence en ce qu'elle trouve sa perfection dans la connaissance de la vérité. Mais la connaissance du contingent reste utile, dans la mesure où elle dirige l'opération humaine, qui s'exerce dans le [domaine du] contingent: c'est pourquoi Aristote, en traitant des vertus intellectuelles, divise le contingent seulement selon qu'il est sujet à l'opération humaine. D'où aussi, seulement les sciences pratiques portent sur le contingent, en tant que contingent, à savoir, en particulier. Tandis que les sciences spéculatives ne portent pas sur du contingent, sauf en rapport à ses définitions universelles, comme il a été dit plus haut (#1146). |
[73857] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 12 Deinde cum dicit: quia
autem aedificativa etc., determinat de arte. Et primo de ipsa arte secundum
se; secundo de arte per comparationem ad oppositum eius, ibi, ars quidem
igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid sit ars.
Secundo quae sit artis materia, ibi, est autem ars omnis et cetera. Primum
manifestat per inductionem. Videmus enim quod aedificativa est ars quaedam,
et iterum quod est habitus quidam ad faciendum aliquid cum ratione. Et nulla
ars invenitur cui hoc non conveniat, quod scilicet sit habitus factivus cum
ratione, neque invenitur talis habitus factivus, scilicet cum ratione, qui
non sit ars. Unde manifestum est quod idem est ars et habitus factivus cum
vera ratione. |
1153.- Il traite de l'art. Et, en premier, de l'art en soi. En second, par comparaison à son opposé. Le premier point se divise en deux parties. Il montre tout d'abord ce qu'est l'art; en second, il montre quelle est la matière de l'art. Il manifeste sa première partie par induction. En effet, nous voyons que l'architecture est un art et que, de plus, elle est ordonnée à fabriquer quelque chose avec la raison. Et on ne peut trouver aucun art auquel cette définition ne convient pas: habitus factif avec la raison; non plus, ne peut-on trouver un habitus qui produit et fabrique de façon rationnelle sans qu'il soit un art. Il est donc manifeste qu'on peut identifier art et habitus qui dirige dans les choses à faire avec la raison vraie. |
#1153. — Ensuite (1140a6), il traite de l'art. En premier, de l'art lui-même par soi. En second, par comparaison à son opposé (1140a20). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est l'art. En second, quelle est la matière de l'art (1140a10). Il manifeste le premier [point] par une induction. Nous voyons, en effet, que la construction est un art et, en outre, qu'elle est un habitus pour produire une chose avec raison. Or il ne se trouve aucun art à qui cela ne convienne, d'être un habitus qui fait produire avec raison; et il ne se trouve non plus aucun habitus qui fasse produire ainsi, à savoir, avec raison, et qui ne soit pas un art. D'où il devient manifeste que c'est la même [chose] un art et un habitus qui fait produire avec raison vraie. |
[73858] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 13 Deinde cum dicit: est
autem ars etc., determinat materiam artis. Et circa hoc tria facit: primo
ponit artis materiam; secundo ostendit a quibus differat secundum suam
materiam, ibi, neque enim de his etc.; tertio ostendit cum quo conveniat in
materia, ibi, et secundum modum quemdam et cetera. Circa materiam autem artis
duo est considerare, scilicet ipsam actionem artificis quae per artem
dirigitur, et opus quod est per artem factum. Est autem triplex operatio
artis. Prima quidem est considerare qualiter aliquid sit faciendum. Secunda
autem est operari circa materiam exteriorem. Tertia autem est constituere
ipsum opus. Et ideo dicit quod omnis ars est circa generationem, id est circa
constitutionem et complementum operis, quod primo ponit tamquam finem artis:
et est etiam circa artificiare, id est circa operationem artis qua
disponit materiam, et est etiam circa speculari qualiter aliquid fiat per
artem. |
1154.- Il détermine la matière de l'art. Ce qu'il divise en trois points. En premier, il propose la matière de l'art, En sec6nd, de quels habitus l'art se distingue d'après sa matière. En troisième, il montre avec quoi il s'apparente par sa matière. Au sujet de la matière de l'art, il faut considérer deux choses: l’action elle-même de l'artisan qui est dirigée par l'art, et l'œuvre qui est faite par l'art. Or, il y a une triple opération de l'art. La première consiste à considérer de quelle manière il faut faire quelque chose. La seconde est l'opérer lui-même sur la matière extérieure. La troisième est de constituer l'œuvre elle-même. C'est pourquoi il dit que tout art porte sur la génération ou sur la constitution et l'achèvement de l'œuvre, faisant de ce dernier item la fin de l'art. Tout art porte aussi sur la technique, c'est-à-dire sur l’opération de l'art qui dispose la matière et porte sur la spéculation qui se demande comment quelque chose se fait par l'art. |
#1154. — Ensuite (1140a10), il traite de la matière de l'art. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose la matière de l'art. En second, de quels [habitus] il diffère selon sa matière (1140a14). En troisième, il montre avec lequel il convient en matière (1140a17). Concernant la matière de l'art, il y a deux [choses] à considérer: l'action même de l'artisan dirigée par l'art, et l'œuvre produite par l'art. Or il y a triple opération de l'art. La première, certes, consiste à considérer de quelle manière produire une chose. La seconde, par ailleurs, consiste à opérer sur une matière extérieure. La troisième, enfin, consiste à constituer l'œuvre même. C'est pourquoi il dit que tout art porte sur une génération, ou sur la constitution et le complément d'une œuvre, qu'il pose comme fin de l'art; porte aussi sur de l'artificiel, c'est-à-dire sur une opération d'art, qui dispose la matière; regarde aussi de quelle manière produire une chose avec art. |
[73859] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 14 Ex parte vero ipsius
operis duo est considerare. Quorum primum est quod ea quae fiunt per artem
humanam sunt contingentia esse et non esse. Quod patet ex hoc, quod quando
fiunt incipiunt esse de novo. Secundum est quod principium generationis
artificialium operum est in solo faciente quasi extrinsecum ab eis, sed non
in facto quasi intrinsecum. |
1155.- Du côté de l'œuvre elle-même, il faut considérer deux choses. La première est que ce qui se fait par l'art humain peut être et ne pas être. Ce qui est évident du fait que, lorsque l’œuvre est faite, elle commence nouvellement à exister. La seconde est que le principe de la génération des œuvres d'art n'existe que dans l'artisan, étant, pour ainsi dire, extrinsèque à l'œuvre; il n'existe pas comme quelque chose d'intrinsèque à la chose produite. |
#1155. — Ensuite, du côté de l'œuvre même, il y a encore deux [choses] à considérer. L'une en est que le produit de l'art humain a possibilité d'être et de ne pas être, ce qui devient manifeste du fait que, quand il est produit, il commence nouvellement à être. La deuxième en est que le principe de la génération des œuvres artificielles se trouve dans le seul producteur, comme extrinsèque, et ne se trouve pas dans le produit, comme intrinsèque. |
[73860] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 15 Deinde cum dicit neque
enim de his etc., manifestat quod dictum est, ostendens differentiam artis ad
tria. Primo quidem ad scientias divinas et mathematicas, quae sunt de his
quae ex necessitate sunt vel fiunt, de quibus non est ars. |
1156.- Il manifeste ce qu'il a dit en montrant la différence entre l'art et trois habitus. En premier, entre l'art et les sciences divines et mathématiques, qui traitent de ce qui existe ou se fait par nécessité; ce qui ne peut être matière de l'art. |
#1156. — Ensuite (1140a14), il manifeste ce qui a été dit, en montrant la différence de l'art avec trois [choses]. En premier, certes, avec les sciences divines et mathématiques, qui portent sur ce qui est ou devient de nécessité, sur quoi ne porte pas l'art. |
[73861] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 16 Secundo ibi: neque de his
etc., ostendit differentiam ad scientiam naturalem, quae est de his quae sunt
secundum naturam, de quibus non est ars. Habent enim ea, quae sunt secundum
naturam, in seipsis principium motus, ut dicitur in II physicorum, quod non
competit operibus artis, ut dictum est. |
1157.- Il montre comment se distingue l'art de la science naturelle, qui traite de ce qui existe selon la nature, et qui n'est pas objet d'art. En effet, ce qui est par nature a son principe du mouvement en lui-même, comme on le dit dans le second livre des Physiques. Ce qui ne convient pas à l'œuvre de l'art, comme on l'a dit. |
#1157. — En second (1140a15), il montre la différence avec la science naturelle, qui porte sur ce qui est par nature, sur quoi ne porte pas l'art. En effet, ce qui est par nature a en lui-même le principe de son mouvement, comme il est dit dans le second [livre] de la Physique (ch. 1). Et cela n'appartient pas aux œuvres de l'art, comme il a été dit (#1155). |
[73862]
Sententia Ethic., lib. 6 l. 3 n. 17 Tertio ibi: quia autem etc.,
ostendit differentiam artis ad prudentiam. Et
dicit, quod quia actio et factio sunt altera invicem, necesse est quod ars
sit factionis directiva et non actionis, cuius est directiva prudentia. |
1158.- Il montre la différence entre l'art et la prudence. Et il dit que, l'agir et le faire étant différents l'un de l'autre, il est nécessaire que l'art dirige le faire et non l'agir, dont la direction vient de la prudence. |
#1158. — En troisième (1140a16), il montre la différence de l'art avec la prudence. Il dit que, comme l'action et la production diffèrent l'une de l'autre, il est nécessaire que l'art dirige la production et non l'action, dirigée par la prudence. 210 |
[73863] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 18 Deinde cum dicit: et
secundum modum quendam etc., ostendit cum quo conveniat ars in materia. Et
dicit quod fortuna et ars sunt circa eadem secundum aliquem modum; utraque
enim est circa ea quae fiunt per intellectum; sed ars cum ratione, fortuna
sine ratione. Et hanc convenientiam Agathon designavit dicens, quod ars
dilexit fortunam, et fortuna artem, inquantum scilicet in materia conveniunt.
|
1159.- Il montre avec quoi s'apparente l'art en ce qui concerne la matière. Et il dit que la fortune et l'art portent tous deux sur ce que l'intelligence fait: mais l'art le fait avec la raison, la fortune sans raison. Agathon a désigné cette convenance en disant que l'art aime la fortune et la fortune aime l'art, à savoir en tant qu’il y a convenance dans la matière. |
#1159. — Ensuite (1140a17), il montre avec quoi convient l'art en matière. Il dit alors que la chance et l'art portent sur le produit de l'intelligence; mais l'art avec raison, la chance sans raison. C'est cette convenance qu'Agathon a désignée, en disant que l'art a aimé la chance et la chance, l'art, en tant qu'ils conviennent en matière. |
[73864] Sententia Ethic., lib. 6 l. 3
n. 19 Deinde cum dicit: ars
quidem igitur etc., determinat de arte per comparationem ad eius oppositum.
Et dicit, quod sicut ars, ut praedictum est, est quidam habitus factivus cum
vera ratione, ita athennia, id est inertia, e contrario est habitus
factivus cum ratione falsa circa contingens aliter se habere. |
1160.- Il détermine l'art par comparaison à son opposé. Il dit que, puisque l'art, d'après ce qui précède, est un certain habitus factif avec la raison vraie, ainsi l’"athecnie", c'est-a-dire le défaut d'art, est, au contraire, un habitus factif avec raison fausse par rapport à ce qui peut être autre qu'il n’est. |
#1160. — Ensuite (1140a20), il détermine de l'art par comparaison à son opposé. Il dit que, comme l'art, ainsi qu'on l'a déjà dit (#1153), est un habitus qui fait produire avec raison vraie, de même l'atechnie, c'est-à-dire l'inertie, est au contraire un habitus qui fait produire avec raison fausse, dans ce qui peut être autrement. |
|
|
|
Lectio
4 |
Leçon 4 : [Prudence, science et art]
|
|
|
IL MANIFESTE CE QU’EST LE PRUDENT, CE QU’EST LA PRUDENCE, LA DIFFERENCE ENTRE LA SCIENCE ET L'ART. |
|
[73865] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 1 De prudentia autem sic
utique assumamus et cetera. Postquam philosophus determinavit de arte, hic
determinat de prudentia. Et primo ostendit quid sit prudentia. Secundo
ostendit quid sit subiectum eius, ibi: duabus autem entibus et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit quid sit prudentia; secundo ostendit
differentiam eius ab arte, quantum ad rationem virtutis, ibi, sed tamen artis
quidem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quis sit prudens.
Secundo, quid sit prudentia, ibi, consiliatur autem nullus et cetera. Circa
primum tria facit. Primo determinat modum agendi. Et dicit, quod sic oportet
assumere de prudentia quid sit, considerando qui dicantur prudentes. |
1161.- Après avoir traité de l'art, le Philosophe détermine ici la prudence. Et, en premier, il montre ce qu’est la prudence. En second, il montre quel est son objet. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'est la prudence. Dans la seconde, il montre comment elle se distingue de l’art, au point de vue de la notion de la vertu. La première partie se subdivise en deux. En premier, il montre qui est prudent. En second, ce qu'est la prudence. Nouvelle subdivision de la première partie. En premier, il montre quelle est la manière de procéder. Et il dit qu'il faut saisir ce qu'est la prudence en considérant ceux que l'on appelle prudents. |
#1161. — Après avoir traité de l'art, le Philosophe traite ici de la prudence. En premier, il montre ce qu'est la prudence (1140a24). En second, il montre ce qu'est son objet (1140b25). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est la prudence. En second, sa différence d'avec l'art, quant à la nature de la vertu (1140b21). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qui est le prudent. En second, ce qu'est la prudence (1140a31). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de sa façon de procéder. Et il dit qu'il faut découvrir ce qu'est la prudence en considérant qui on dit prudent. |
[73866] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 2 Secundo ibi: videtur autem
prudentis esse etc., ostendit qui sint prudentes. Et dicit quod ad prudentem
videtur pertinere, quod sit potens ex facultate habitus bene consiliari circa
propria bona et utilia, non quidem in aliquo particulari negotio, puta qualia
sint bona vel utilia ad sanitatem vel fortitudinem corporalem; sed circa ea
quae sunt bona et utilia ad hoc quod tota humana vita sit bona. |
1162.- En second, il montre quels sont les prudents. Il dit qu'il semble appartenir au prudent d'être capable, grâce à la puissance de son habitus, de bien délibérer sur ce qui est bon et utile pour lui-même, non pas dans quelque catégorie particulière d'activités, en délibérant par exemple sur ce qui est bon et utile à la santé ou à la force physique, mais sur ce qui est bon et utile pour rendre toute la vie humaine bonne. |
#1162. — En second (1140a25), il montre quels sont les prudents. Il dit qu'il semble appartenir au prudent d'être fort pour ce qui est de disposer de l'habitus de bien délibérer concernant les biens propres et utiles, non, certes, dans une affaire particulière — par exemple, qu'est-ce qui serait bon ou utile à la santé ou à la force corporelle; mais concernant ce qui est bon et utile pour que la vie humaine entière soit bonne. |
[73867] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 3 Tertio ibi: signum autem
etc., manifestat quod dictum est per signum: quia scilicet illi dicuntur
prudentes non simpliciter, sed circa aliquid determinatum, qui possunt bene
ratiocinari de his quae sunt bona et utilia ad aliquem finem determinatum,
dummodo ille finis sit bonus; quia ratiocinari de his quae pertinent ad malum
finem est contrarium prudentiae, et dummodo hoc sit circa ea quorum non est
ars; quia bene ratiocinari de huiusmodi non pertinet ad prudentiam, sed ad
artem. Si ergo ille qui est bene consiliativus ad aliquid particulare est
prudens particulariter in aliquo negotio; consequens est, quod ille sit
totaliter et simpliciter prudens qui est bene consiliativus de his quae
pertinent ad totam vitam. |
1163.- Au troisième, il manifeste ce qu'il vient de dire par un signe. C’est que l'on appelle prudents, non pas de façon absolue, mais relativement à un domaine particulier, ceux qui peuvent bien délibérer sur ce qui est bon et utile pour atteindre une fin particulière ou déterminée, du moment que cette fin est bonne; car délibérer sur ce qui relève d'une fin mauvaise est contraire à la prudence, à la condition que cette délibération ne concerne pas la matière de l'art: la délibération dans ce domaine appartient à l'art. Si donc celui qui délibère bien par rapport à quelque chose de particulier est prudent relativement à cette activité particulière, il s'ensuit que celui-là est totalement et absolument prudent qui est bon "délibérateur" en ce qui appartient à toute la vie humaine. |
#1163. — En troisième (1140a28), il manifeste ce qui a été dit par un signe: car ils sont dits prudents, non pas strictement, certes, mais concernant une chose déterminée, ceux qui peuvent considérer efficacement ce qui est bon ou utile à une fin déterminée. Pour autant que cette fin est bonne, du moins, parce que considérer ce qui appartient à une fin mauvaise est contraire à la prudence; et pour autant que cela concerne ce pour quoi il n'existe pas d'art, car bien considérer cela n'appartient pas à la prudence, mais à l'art. Si, donc, celui qui délibère bien pour une chose particulière est prudent particulièrement en cette affaire, il s'ensuit que celui-là est totalement et strictement prudent aussi, qui délibère bien pour ce qui appartient à la vie entière. |
[73868] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 4 Deinde cum dicit
consiliatur autem etc., ostendit quid sit prudentia. Et primo ponit
definitionem prudentiae. Secundo manifestat eam per signa, ibi, propter quod
Periclea et tales et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit ex
praedictis differentiam prudentiae ad alios habitus supra positos, scilicet
scientiam et artem. Secundo concludit definitionem prudentiae, ibi,
relinquitur ergo et cetera. Tertio assignat rationem cuiusdam quod dixerat,
ibi: factionis quidem enim et cetera. Dicit ergo primo, quod nullus
consiliatur, neque de his quae sunt simpliciter impossibilia aliter se
habere, neque de his quae sunt impossibilia agere illi. Accipiamus ergo ea
quae supra dicta sunt: scilicet quod scientia est per demonstrationem: et
iterum, quod demonstratio non potest esse de his quorum principia contingit
aliter se habere, quia si principia possunt aliter se habere, omnia quae ex
principiis illis consequuntur possunt aliter se habere non enim potest esse
quod principia debilius esse habeant, quam ea quae sunt ex principiis.
Coniungamus autem cum his ea quae nunc dicta sunt, scilicet quod consilium
non sit de his quae sunt ex necessitate, et quod prudentia sit circa
consiliabilia; quia dictum est supra, quod prudentis est bene consiliari. Ex
quibus omnibus sequitur quod prudentia, neque sit scientia, neque ars. |
1164.- Il montre ce qu'est-la prudence. Et, en premier, il pose la définition de la prudence. En second, il manifeste sa définition par des signes. Son premier point se divise en trois parties. Dans la première, il montre, à partir de ce qu'il a déjà dit, la différence entre la prudence et les autres habitus mentionnés plus haut, à savoir la science et l'art. En second, il conclut la définition de la prudence. En troisième, il assigne la raison d'une considération qu'il avait faite. Il dit donc, en premier, que personne ne délibère ni sur ce qui il est impossible d'être autre qu'il n'est, ni sur ce qui n'est pas en son pouvoir d'accomplir. Nous prenons donc pour acquis ce qui fut dit auparavant, à savoir que la science se fait par démonstration et que, de plus, la démonstration ne peut porter sur ce dont les principes peuvent être autres qu'ils ne sont autrement, tout ce qui découle des principes peut être autre qu'il n'est. En effet, il n'est pas possible que les principes aient une existence plus fragile que ce qui découle de ces principes. Si nous joignons à ces considérations nos réflexions actuelles, à savoir que le conseil ne porte pas sur ce qui est par nécessité et que la prudence porte sur les objets du conseil, parce que nous avons dit plus haut qu'il appartenait au prudent de bien délibérer, il s'ensuit de toutes ces considérations que la prudence n’est ni science ni art. |
#1164. — Ensuite (1140a31), il montre ce qu'est la prudence. En premier, il pose la définition de la prudence. En second, il la manifeste par des signes (1140b7). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre, à partir de ce qui a été dit, la différence de la prudence d'avec les autres habitus posés plus haut, la science et l'art. En second, il conclut la définition de la prudence (1140b4). En troisième, il donne la raison d'une [chose] qu'il a dite (1140b6). Il dit donc, en premier, que personne ne délibère ni sur ce à quoi il est strictement impossible d'être autrement, ni sur ce qui n'est pas en son pouvoir. Nous reprenons ce qui a été dit plus haut, que la science vient par démonstration; et qu'en outre, la démonstration ne peut concerner ce dont les principes peuvent être autrement: car alors, tout ce qui procède de ces principes pourrait en aller autrement. Or il ne se peut pas que les principes soient plus faibles que ce qui en procède. Nous joignons ensuite à cela ce qui vient d'être dit, à savoir, que la délibération ne porte pas sur ce qui est nécessairement, et que la prudence porte sur ce dont on délibère; car il a été dit plus haut (#1162, 1163) qu'il appartient au prudent de bien délibérer. De tout cela, il s'ensuit que la prudence n'est ni science, ni art. |
[73869] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 5 Et quod non sit scientia,
patet per hoc quod agibilia de quibus est consilium et circa quae est
prudentia, contingit aliter se habere, et circa talia non est scientia. Quod
autem prudentia non sit ars, patet per hoc, quod aliud est genus actionis et
factionis. Unde prudentia quae est circa actiones, differt ab arte quae est
circa factiones. |
1165.- Qu'elle ne soit pas la science, en voici l'évidence: les opérables qui sont objet du conseil et sur lesquels porte la prudence, peuvent être autres qu'ils ne sont, et par rapport à ces opérables il n'y a pas de science. Que la prudence ne soit pas l’art, cela ressort du fait que le genre de l’agir est autre que celui du faire. C'est pourquoi, la prudence qui porte sur les actions diffère de l'art qui porte sur les productions (les "factions"). |
#1165. — Qu'elle ne soit pas science devient manifeste par le fait que les [opérations] à exécuter, sur lesquelles porte la délibération, et sur lesquelles porte la prudence, peuvent se faire autrement, et que, sur un tel sujet, il n'existe pas de science. Qu'en outre, la prudence ne soit pas un art, cela devient manifeste par le fait qu'autres sont les genres de l'action et de la production. D'où la prudence, qui porte sur les actions, diffère de l'art, qui porte sur les productions. |
[73870] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 6 Deinde cum dicit
relinquitur ergo etc., concludit ex praemissis definitionem prudentiae. Et
dicit, quod ex quo prudentia non est scientia, quae est habitus
demonstrativus circa necessaria; et non est ars, quae est habitus cum ratione
factivus; relinquitur, quod prudentia sit habitus cum vera ratione activus,
non quidem circa factibilia, quae sunt extra hominem, sed circa bona et mala
ipsius hominis. |
1166.- Il conclut des prémisses la définition de la prudence. Il dit que du fait que la prudence n'est pas la science, qui est un habitus démonstratif en matière nécessaire, ni l'art, qui est un habitus factif avec a raison, il reste qu'elle est un habitus actif avec la raison vraie, ne portant pas, sur des choses productibles, qui sont en dehors de l'homme, mais sur le bien et le mal de l’homme lui-même. |
#1166. — Ensuite (1140b4), il conclut, à partir de ce qui a été dit, la définition de la prudence. Il dit qu'étant donné que la prudence n'est pas une science, laquelle est un habitus démonstratif portant sur le nécessaire, et qu'elle n'est pas un art, lequel est un habitus qui fait produire avec raison, il reste que la prudence soit un habitus qui fasse agir avec raison vraie, quoique non sur des produits qui sont à l'extérieur de l'homme, mais sur des biens et des maux de l'homme même. |
[73871] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 7 Deinde cum dicit factionis
quidem enim etc., assignat rationem eius quod dixerat: scilicet quod
prudentia sit habitus activus circa hominis bona et mala. Manifestum est
enim, quod semper finis factionis est aliquid alterum ab ipsa factione, sicut
finis aedificationis est aedificium constructum. Ex quo patet, quod bonum ipsius
factionis non est in faciente, sed in facto. Sic igitur ars, quae est circa
factiones, non est circa hominis bona vel mala, sed circa bona vel mala
artificiatorum. Sed finis actionis non semper est aliquid alterum ab actione,
quia quandoque euprasia, idest bona operatio est finis ipsi, idest
sibimet, vel etiam agenti: quod tamen non est semper, nihil enim prohibet
unam actionem ordinari ad aliam sicut ad finem: sicut consideratio effectuum
ordinatur ad considerationem causae. Finis autem est bonum uniuscuiusque. Et
sic patet, quod bonum actionis est in ipso agente. Unde prudentia, quae est
circa actiones, dicitur esse circa hominis bona. |
1167.- Il donne la raison de cette affirmation, à savoir que la prudence est un habitus actif portant sur le bien et le mal de l’homme lui-même. En effet, il est manifeste que la fin de la production est toujours quelque chose d'autre que la production elle-même, comme la fin de la construction est l'édifice construit. Ce qui rend évident que le bien de la production elle-même, à faire lui-même, n'est pas dans l'artisan, mais dans la chose fabriquée. Ainsi donc, l’art, qui porte sur le faire, ne porte pas sur les biens et les maux de l'homme, mais sur le bien et le mal des œuvres artificielles. Mais la fin de l'action n'est pas toujours quelque chose d'autre que l'action elle-même: mais, quelquefois, "l’eupraxie", c’est-à-dire la bonne action, est sa propre fin, ou encore la fin de l'opérant: ce qui cependant n'arrive pas toujours. Rien n'empêche, en effet, que l'action soit ordonnée à une autre comme à sa fin: ainsi la considération des effets est ordonnée à la considération de la cause. Or, la fin est le lien de chaque chose. Et ainsi, il est évident que le bien de l'action demeure dans l’agent lui-même. C'est pourquoi on dit que la prudence, qui porte sur les actions, concerne le bien de l'homme. |
#1167. — Ensuite (1140b6), il donne la raison de ce qu'il a dit, que la prudence est un habitus qui fait agir en rapport aux biens et aux maux de l'homme. Il est manifeste, en effet, que la fin d'une production est toujours autre chose que la production elle-même, comme la fin de la construction est l'édifice construit. Par là il devient manifeste que le bien de la production elle-même ne réside pas dans le producteur, mais dans ce qu'il produit. Ainsi donc, l'art, qui porte sur des productions, ne porte pas sur des biens ou des maux de l'homme, mais sur des biens ou des maux d'[objets] artificiels. Néanmoins, la fin d'une action n'est pas toujours autre chose que l'action: quelquefois, la bonne action, c'est-à-dire la bonne opération, est à elle-même sa propre fin, c'est-à-dire elle-même ou son agent: mais cela n'arrive pas toujours. Rien, en effet, n'empêche une action d'être ordonnée à une autre comme à une fin, comme la considération des effets est ordonnée à la considération de la cause. Or sa fin est le bien de chaque [chose]. Ainsi devient-il manifeste que le bien de l'action réside dans l'agent même. D'où la prudence, qui porte sur les actions, est dite porter sur des biens de l'homme. |
[73872] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4
n. 8 Deinde cum dicit propter
quod Periclea etc., manifestat definitionem propositam per duo signa. Quorum
primum est, quod quia prudentia est circa hominis bona et mala, propter hoc
quendam qui dicebatur Pericles et alios similes existimamus esse prudentes,
ex eo quod possunt considerare quae sint bona non solum sibiipsis, sed etiam
aliis. Tales autem, scilicet qui sibi et aliis possunt bona speculari,
existimamus oeconomicos idest dispensatores domorum, et politicos, id est
gubernatores civitatum. |
1168.- Il manifeste la définition donnée par deux signes. Le premier est le suivant: parce que la prudence a comme objet les biens et les maux de l’homme, on pense que Péricles et ses pareils sont prudents, du fait qu’ils sont capables de voir ce qui est bon non seulement pour eux, aussi pour les autres hommes. Or, ceux qui peuvent ainsi calculer ce qui est bon pour eux et pour les autres, on juge qu’ils sont des économes, c’est-à-dire des administrateurs des biens (chefs de famille), et des politiques, c’est-à-dire des chefs de cités. |
#1168. — Ensuite (1140b7), il manifeste la définition proposée par deux signes, dont le premier est que, comme la prudence porte sur des biens et des maux de l'homme, quelqu'un qui s'appelait Périclès, et d'autres semblables, ont été considérés comme prudents, par le fait de pouvoir considérer ce qui est bon non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres. De pareilles [gens], par ailleurs, à savoir, qui peuvent considérer les biens pour eux et pour les autres, nous les considérons comme économes, c'est-à-dire dispensateurs des biens, et politiques, c'est-à-dire gouverneurs de la cité. |
[73873] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4 n. 9 Secundum signum ponit ibi, hinc et temperantiam et
cetera. Et dicit quod quia prudentia est circa bona vel mala agibilia, inde
est quod temperantia vocatur in Graeco soffrosini, quasi salvans mentem, a
qua etiam prudentia dicitur fronesis. Temperantia autem, in quantum moderatur
delectationes et tristitias tactus, salvat talem existimationem, quae
scilicet est circa agibilia quae sunt hominis bona vel mala. Et hoc patet per
contrarium: quia delectabile et triste quod moderatur temperantia, non
corrumpit, scilicet totaliter, neque pervertit, in contrarium deducendo,
quamcumque existimationem, puta speculativam, scilicet quod triangulus habeat
vel non habeat tres angulos aequales duobus rectis. Sed delectatio et
tristitia corrumpit et pervertit existimationes quae sunt circa iudicia
operabilium. |
1169.- Il donne le second signe. Il dit que, la prudence portant sur les actions bonnes et mauvaises, il s’ensuit que la tempérance s’appelle en grec "sophrosunè", qui signifie presque: sauvegarde de la raison, d'où provient le nom de la prudence: phronèsis. La tempérance, en tant qu’elle modère les délectations et les tristesses du toucher, sauvegarde le jugement qui porte sur les "opérables", (objets des actions) qui constituent le bien et le mal de l'homme. Ce qu’on peut voir par son contraire: l'objet du plaisir ou de la tristesse, qui est tempéré par la tempérance, ne corrompt pas totalement, ni ne fausse tout jugement en induisant au jugement contraire. Ainsi, il ne corrompt pas ou ne fausse pas le jugement spéculatif pour lui faire dire que tout triangle a ou n’a pas ses angles égaux à deux droits. Cependant, la délectation et la tristesse corrompent et pervertissent les jugements qui portent sur ce qui est l’objet des actions. |
#1169. — Il présente ensuite son second signe (1140b11). Il dit que, parce que la prudence porte sur des biens ou des maux à opérer, il s'ensuit que la tempérance est appelée en grec sophrosyne, au sens de sauvant l'esprit, à partir de quoi aussi la prudence est dite phronesis. Or la tempérance, en tant qu'elle modère les plaisirs et les tristesses du toucher, sauve ce discernement, celui qui porte sur les actions à poser, bonnes ou mauvaises pour l'homme. Cela devient manifeste par le contraire: le plaisant et le triste à modérer par la tempérance ne corrompt pas, du moins totalement, ni ne pervertit en portant au contraire, n'importe quel discernement, par exemple, spéculatif, par exemple, que le triangle a ou n'a pas trois angles égaux à deux droits. Inversement, le plaisir et la tristesse corrompent et pervertissent le discernement qui porte sur les actions à poser. |
[73874] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4 n. 10 Qualiter fiat talis corruptio, ostendit consequenter.
Manifestum est enim quod principia operabilium sunt fines, cuius gratia fiunt
operabilia, qui ita se habent in operabilibus sicut principia in
demonstrabilibus, ut habetur in secundo physicorum. Quando autem est vehemens
delectatio vel tristitia, apparet homini quod illud sit optimum per quod
sequitur delectationem et fugit tristitiam: et ita corrupto iudicio rationis
non apparet homini verus finis qui est principium prudentiae circa operabilia
existentis, nec appetit ipsum, neque etiam videtur sibi quod oporteat omnia
eligere et operari propter verum finem, sed magis propter delectabile.
Quaelibet enim malitia, idest habitus vitiosus, corrumpit principium,
inquantum corrumpit rectam existimationem de fine. Hanc autem corruptionem
maxime prohibet temperantia. |
1170.- Il montre conséquemment comment se fait cette déviation. En effet, il est manifeste que les principes des opérables sont les fins, en vue desquelles ils sont faits: car les fins jouent le même rôle dans les opérations que les principes dans les démonstrations, comme on le sait par le second livre de Physiques. Or, lorsque le plaisir ou la tristesse sont intenses, il apparaît à l'homme que ce qu'il y a de meilleur c'est ce qui lui permet de posséder son plaisir ou de fuir sa tristesse: et ainsi, le jugement de la raison étant corrompu, la vraie fin, qui est principe de la prudence de tournée dans son existence vers les opérables, disparaît de son regard, et cette fin il ne la désire plus, en même temps qu'il cesse de voir qu'il lui faut tout choisir et opérer en vue d'elle. C'est le plaisir qui usurpe le titre de fin. En effet, toute malice, c’est-à-dire tout habitus vicieux, corrompt le principe, en tant qu'il corrompt le jugement droit sur la fin. Mais la tempérance travaille avec grande efficacité à préserver de cette corruption. |
#1170. — Comment, par ailleurs, se produit une telle corruption, il le montre par la suite. Il est manifeste, en effet, que les principes des actions à poser sont les fins en vue desquelles ces actions se font: les fins prennent, dans les actions à poser, la place que prennent les principes dans les démonstrations, comme il en a été traité au second [livre] de la Physique (ch. 9). Or, quand le plaisir ou la tristesse sont véhéments, l'homme a l'impression que le mieux soit ce par quoi il atteint le plaisir et échappe à la tristesse; ainsi corrompu le jugement de sa raison, l'homme ne voit plus la vraie fin qui est le principe de la prudence en regard des opérations à poser, il ne la désire plus, et il ne lui paraît même plus qu'il faille tout choisir et opérer pour la fin vraie, mais plutôt pour le plaisir. N'importe quelle malice, en effet, c'est-à-dire n'importe quel habitus vicieux, corrompt le principe, pour autant qu'il corrompe le discernement correct de la fin. C'est d'ailleurs cette corruption que la tempérance empêche au plus haut point. 212 |
[73875] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4 n. 11 Et sic concludit ex praedictis signis, quod necesse est
prudentiam esse habitum operativum circa humana bona cum ratione vera. |
1171.- Et ainsi il conclut, à partir des signes susdits, qu’il est nécessaire que la prudence soit un habitus opératif portant sur les biens humains avec raison vraie. |
#1171. — Ainsi conclut-il, partant des signes précédents, que, nécessairement, la prudence est un habitus qui fait agir sur des biens humains avec raison vraie. |
[73876] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4 n. 12 Deinde cum dicit: sed tamen artis etc., ostendit
differentiam duplicem inter artem et prudentiam, secundum rationem virtutis
humanae. Quarum prima est, quod circa artem requiritur virtus moralis, quae
scilicet rectificet usum eius. Potest enim esse quod aliquis habet habitum
artis quo potest bonam domum aedificare, tamen non vult propter aliquam aliam
malitiam. Sed virtus moralis, puta iustitia, facit quod artifex recte arte
sua utetur. Sed circa usum prudentiae non requiritur aliqua virtus moralis.
Dictum est enim quod principia prudentiae sunt fines, circa quos conservatur
rectitudo iudicii per virtutes morales. Unde prudentia, quae est circa humana
bona, ex necessitate habet secum adiunctas virtutes morales tamquam salvantes
sua principia; non autem ars quae est circa bona exteriora, sed postquam iam
habetur ars, adhuc requiritur virtus moralis quae rectificet usum eius. |
1172.- Il montre la double différence entre l’l’art et la prudence, d'après la notion de la vertu humaine. La première est que la vertu morale est requise à l’art pour le rectifier dans son usage. Il peut en effet arriver que quelqu’un puisse se servir de son art pour construire une excellente maison, sans le vouloir à cause de quelque malice. Mais la vertu morale, par exemple la justice, fait en sorte que l'artisan se serve de son art à bon escient. Mais la prudence, dans son usage, ne requiert pas l'aide d'une vertu morale. En effet, on a dit que les principes de la prudence sont les fins, par rapport auxquelles les vertus morales conservent la rectitude du jugement. De là vient que la prudence, qui a comme objet le bien humain, est reliée par nécessité aux vertus morales qui sont gardiennes de ses principes. Ce qui n'est pas le cas de l'art qui porte sur les biens extérieurs. Mais après l'acquisition de la vertu d'art, la vertu morale est encore requise pour rectifier son usage. |
#1172. — Ensuite (1140b21), il montre la double différence entre l'art et la prudence, selon la nature de la vertu humaine. La première en est qu'il est requis à l'art une vertu morale pour rectifier son usage. En effet, il se peut que qu'on ait l'usage d'un art par lequel on puisse édifier une bonne maison, mais qu'on ne le veuille pas, en raison d'une autre malice. C'est la vertu morale, par exemple, la justice, qui fait que l'artisan utilise correctement son art. Tandis que, pour l'usage de la prudence, il n'est pas requis de vertu morale [supplémentaire]. On a dit, en effet, que les principes de la prudence sont les fins en regard desquelles la rectitude du jugement se conserve grâce aux vertus morales. D'où la prudence, qui porte sur les biens humains, a nécessairement adjointes à elle les vertus morales, en tant qu'elles sauvent ses principes. Ce n'est pas le cas pour l'art, qui porte sur des biens extérieurs: une fois l'art possédé, encore une vertu morale est requise, pour rectifier son usage. |
[73877] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4 n. 13 Secundam differentiam ponit ibi: et in arte quidem et
cetera. Manifestum est enim quod si aliquis peccat in arte ex propria voluntate,
reputatur melior artifex quam si hoc non faciat sponte, quia tunc videretur
ex imperitia artis procedere; sicut patet de his qui loquuntur incongrue
propria sponte. Sed circa prudentiam minus laudatur qui volens peccat quam
qui nolens, sicut et circa virtutes morales. Et hoc ideo quia ad prudentiam
requiritur rectitudo appetitus circa fines, ad hoc quod sint ei salva sua
principia. Ex quo patet, quod prudentia non est ars, quasi in sola veritate
rationis consistens: sed est virtus ad modum moralium virtutum requirens
rectitudinem appetitus. |
1173.- Il propose la seconde différence. En effet, il est manifeste que si quelqu'un pèche dans son art par sa volonté propre, il est considéré comme meilleur artisan que s’il ne le fait pas volontairement, car une faute involontaire semblerait provenir d'une maladresse ou d'une ignorance de son art. Ce que l'on peut remarquer chez ceux qui, de leur plein gré, parlent incorrectement. Mais en ce qui concerne la prudence, on loue moins celui qui pèche en le voulant plutôt qu'en ne le voulant pas, comme il en est pour les vertus morales. La raison en est que la prudence requiert la rectitude de l’appétit par rapport aux fins. Il est donc évident que la prudence n’est pas l'art, consistant pour ainsi dire dans la seule vérité de la raison: mais elle est une vertu à la manière des vertus morales: elle requiert la rectitude de l’appétit. |
#1173. — Il présente ensuite la seconde différence. Il est manifeste, en effet, que si l'on est fautif en art de sa propre volonté, on est réputé meilleur artisan que si on ne l'est pas de soi-même, car cela semblerait alors procéder de l'inexpertise de l'art; comme c'est manifeste chez ceux qui, de leur propre volonté, parlent incorrectement. Concernant la prudence, cependant, on est moins loué si c'est en le voulant qu'on est fautif, que si c'est en ne le voulant pas, comme c'est le cas aussi pour les vertus morales. Cela s'explique du fait que la rectitude de l'appétit sur les fins est requise à la prudence, pour que ses principes soient saufs. Par quoi il devient manifeste que la prudence n'est pas un art, comme si elle consistait dans la seule vérité de la raison, qu'elle est plutôt une vertu à la manière des vertus morales, requérant la rectitude de l'appétit. |
[73878] Sententia Ethic., lib. 6 l. 4 n. 14 Deinde cum dicit: duabus autem entibus etc., ostendit
quid sit subiectum prudentiae. Et dicit quod cum duae sint partes animae
rationalis, quarum una dicitur scientificum et alia ratiocinativum sive
opinativum, manifestum est quod prudentia est virtus alterius horum, scilicet
opinativi. Opinio enim est circa ea quae contingit aliter se habere, sicut et
prudentia. Et tamen quamvis prudentia sit in hac parte rationis sicut in
subiecto, ratione cuius dicitur virtus intellectualis; non tamen est cum sola
ratione sicut ars vel scientia, sed requirit rectitudinem appetitus. Et huius
signum est, quia habitus qui est in sola ratione potest oblivioni tradi,
sicut ars et scientia, nisi sit habitus naturalis, sicut intellectus:
prudentia non traditur oblivioni per dissuetudinem, aboletur cessante
appetitu recto qui. Quandiu manet, facit rationem continue exerceri circa ea
quae sunt prudentiae, ita quod oblivio subrepere non potest. |
1174.- Il montre quel est le sujet de la prudence. Il dit que, puisqu'il y a deux parties de l’âme rationnelle, dont l'une est dite scientifique et l'autre ratiocinative ou opinative, il est manifeste que la prudence est une vertu de la seconde partie, c'est-à-dire opinative. En effet, l'opinion porte sur ce qui peut être autre qu'il n'est, comme la prudence elle-même. Et bien que cependant la prudence existe dans cette partie de la raison comme dans son sujet, en raison de quoi on l'appelle vertu intellectuelle, elle n’est pas uniquement avec la raison, comme l'art et la science, mais elle requiert la rectitude de l’appétit. Et le signe de cela C’est que l’habitus qui n’existe que dans la raison peut disparaître par la voie de l’oubli, comme l’art et la science), à moins qu’il ne soit un habitus naturel, comme l'intelligence. Cependant, la prudence n'est pas livrée à l’oubli par défaut d'exercice (désaccoutumance), mais elle disparaît une fois que cesse la rectitude de l'appétit: aussi longtemps que se maintient l’appétit droit, elle continue son activité sur ce qui relève d'elle, de telle sorte que l'oubli ne peut s’y introduire. |
#1174.
— Ensuite (1140b25), il montre ce qu'est le sujet de la prudence. Il dit que,
comme il y a deux parties de l'âme rationnelle, dont l'une est dite
scientifique et l'autre raisonnante ou opinative, il est manifeste que la
prudence est la vertu de la seconde d'entre elles, à savoir, de l'opinative.
L'opinion, en effet, porte sur ce à quoi il arrive d'être autrement, comme
aussi la prudence. Cependant, quoique la prudence réside dans cette partie de
la raison comme en son sujet, en raison de quoi elle est dite vertu
intellectuelle, elle n'est pas seulement question de raison, cependant, comme
l'art ou la science, mais elle requiert en plus la rectitude de l'appétit. Un
signe en est que l'habitus qui est dans la seule raison peut être susceptible
d'oubli, comme l'art et la science, à moins qu'il ne soit un habitus naturel,
comme l'intelligence; la prudence, elle, n'est pas susceptible d'oubli par
désaccoutumance, mais elle disparaît, l'appétit droit cessant, alors que,
tant que l'appétit droit reste, il se trouve continuellement exercé sur ce
qui appartient à la prudence, de sorte que l'oubli ne peut intervenir. |
|
|
|
Lectio
5 |
Leçon 5 : [L’habitus d’intelligence] |
|
|
ON TRAITE DE L'INTELLIGENCE, QUI PORTE SUR LES PRINCIPES DE LA DEMONSTRATION. IL NE S’AGIT PAS DE L'INTELLIGENCE QUI DESIGNE LA PUISSANCE INTELLECTIVE, MAIS L'HABITUS. |
|
[73879] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 1 Quia autem scientia de universalibus et cetera.
Postquam philosophus determinavit de virtutibus intellectualibus quae
perficiunt intellectum circa ea quae sunt ex principiis, hic determinat de
virtutibus intellectualibus perficientibus intellectum circa ipsa principia.
Et primo quidem determinat de intellectu, qui est circa principia
demonstrationis. Secundo determinat de sapientia quae est circa principia
entium, ibi, sapientiam autem in artibus et cetera. Ostendit ergo primo, quod
praeter alias virtutes intellectuales, necesse est esse intellectum circa
principia demonstrationis. Est enim scientia quaedam existimatio de
universalibus et de his quae sunt ex necessitate particularia enim et
contingentia non possunt attingere ad certitudinem scientiae, quia non sunt
nota nisi secundum quod cadunt sub sensu. |
1175.- Après avoir traité des vertus intellectuelles qui perfectionnent l'intelligence par rapport à ce qui découle des principes, le Philosophe traite ici des vertus intellectuelles qui parfont l'intelligence par rapport aux principes eux-mêmes. Ce qu’il fait en deux points. En premier, il étudie l’intelligence qui porte sur les principes de la démonstration. En second, il traite de la sagesse qui porte sur les principes des êtres. Il montre donc, en premier lieu, qu'à part les autres vertus intellectuelles, il est nécessaire qu'il existe l'intelligence portant sur les principes des démonstrations. En effet, la science est un certain jugement à propos des universaux des choses qui sont par nécessité. Les singuliers et les contingents ne peuvent comporter la certitude scientifique, parce qu'ils ne sont connus qu'en autant qu'ils tombent sous les prises du sens. |
#1175. — Après avoir traité des vertus intellectuelles qui amènent à sa perfection l'intelligence pour ce qui est de procéder de principes, le Philosophe traite ici des vertus intellectuelles qui amènent à sa perfection l'intelligence concernant les principes eux-mêmes. Il fait là deux [considérations]. En premier, certes, il traite de l'intelligence, qui porte sur les principes de la démonstration (1140b31). En second, il traite de la sagesse, qui porte sur les principes des êtres (1141a9). Il montre donc, en premier, qu'à côté des autres vertus intellectuelles, il existe nécessairement une intelligence portant sur les principes de la démonstration. La science, en effet, est une appréciation des universels et de ce qui existe nécessairement. En effet, les particuliers et les contingents ne peuvent accéder à la certitude de la science, car ils ne sont connus que pour autant qu'ils tombent sous le sens. 213 |
[73880] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 2 Est autem tertio considerandum circa scientiam quod
eorum quae demonstrantur (et) ipsius scientiae quae est circa demonstrabilia
necesse est esse quaedam principia quod ex hoc patet: quod scientia est cum
ratione demonstrativa procedente ex principiis in conclusiones. Quia ergo ita
se habet circa scientiam, necesse est quod principiorum scientiae neque sit
scientia, neque ars, neque prudentia, de quibus iam dictum est. |
1176.- Il faut cependant considérer, par rapport à la science des choses qui sont démontrées, qu’il doit y avoir des principes de la science elle-même, qui porte sur ce qui est démontrable. Ce qui est évident par la raison suivante: la science existe avec la raison démonstrative procédant des principes aux conclusions. Parce qu'il en est ainsi de la science? Il est nécessaire que le principe de la science ne soit ni science, ni l'art, ni la prudence, dont nous avons déjà parlé. |
#1176. — Or il est à considérer, touchant la science de ce que l'on démontre, que, pour la science qui porte sur le démontrable, il y a nécessairement des principes. Cela devient évident du fait que la science est démonstrative, et ce selon un raisonnement qui procède de principes à des conclusions. Parce que, donc, il en va ainsi pour la science, il s'ensuit nécessairement que le principe de la science n'est ni science, ni art, ni prudence, à la façon dont on en a déjà traité. |
[73881] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 3 Quod autem horum non sit scientia, patet: quia id de
quo est scientia est demonstrabile, prima autem demonstrationum principia non
sunt demonstrabilia, alioquin procederetur in infinitum. Quod autem non sit
horum principiorum ars vel prudentia, patet per hoc quod hae duae virtutes
sunt circa ea quae contingit aliter se habere, quod non potest dici de
principiis demonstrationis. Oportet enim ea esse certiora conclusionibus quae
sunt ex necessitate. Ex hoc etiam patet quod horum principiorum non potest
esse sapientia, quae est alia virtus intellectualis, de qua post dicetur;
quia ad sapientem pertinet quod habeat demonstrationem de aliquibus rebus,
idest de primis causis entium; principia autem sunt indemonstrabilia, ut
dictum est. |
1177.- Qu'il ni y ait p8.S science concernant les principes, en voici l'évidence: parce que ce dont il y a science est démontrable; or, les principes premiers des démonstrations sont indémontrables: autrement, il y aurait processus à l’infini. Que ni l'art ni la prudence ne portent sur ces principes, cela est évident du fait que ces deux vertus portent sur les choses qui peuvent être autres qu'elles ne sont: ce qu'on ne peut attribuer aux principes de la démonstration. En effet, il faut que les principes soient plus certains que les conclusions qui sont par nécessité. Ce qui donne aussi la raison pourquoi la sagesse, qui est une autre vertu intellectuelle dont nous parlerons plus loin, ne peut pas porter sur ces principes: c'est qu’il relève du sage de posséder une démonstration au sujet de certaines choses, c'est-à-dire des premières causes des êtres; or, les principes sont indémontrables, comme on l’a dit. |
#1177. — Qu'il n'y ait pas science à leur sujet, c'est manifeste, car cela dont il y a science est démontrable; or les principes premiers des démonstrations sont indémontrables; autrement, on procéderait à l'infini. Que, par ailleurs, touchant ces principes, il n'y ait pas art ou prudence, cela devient manifeste du fait que ces deux vertus portent sur ce à quoi il arrive de se trouver autrement, ce qui exclut les principes de la démonstration. Il faut, en effet, que les principes soient plus certains que les conclusions, lesquelles sont de nécessité. Il s'ensuit aussi de cela que, touchant ces principes, il ne peut y avoir sagesse, une autre vertu intellectuelle dont on parlera par la suite: car il appartient à la sagesse d'avoir démonstration de certaines choses, c'est-à-dire des premières causes des êtres; or les principes sont indémontrables, comme il a été dit. |
[73882] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 4 Si ergo virtutes intellectuales quibus ita verum
dicimus quod eis nunquam subest mendacium, sive circa necessaria quae non
contingit aliter se habere, sive circa contingentia, sunt isti habitus,
scientia, prudentia (sub qua comprehendit artem quae est etiam circa
contingentia), et iterum sapientia et intellectus: cum nullum trium quae sunt
prudentia, sapientia et scientia, possit esse circa principia
indemonstrabilia, ut ex praedictis patet; relinquitur quod horum principiorum
sit intellectus. |
1178.-. Si donc les vertus intellectuelles, dont nous disons qu'elles comportent le vrai à tel point que jamais elles ne laissent prises au mensonge, soit par rapport aux choses nécessaires qui ne peuvent être autres qu’elles ne sont, soit par rapport aux contingents, sont les habitus suivants: la science, la prudence (sous laquelle on comprend l’art qui a aussi comme domaine les contingents), la sagesse et l’intelligence, et que ni la prudence, ni la sagesse ni la science ne peuvent porter sur les principes indémontrables, comme il appert par les considérations précédentes, il reste que l'intelligence soit l’habitus de ces principes. |
#1178. — Si donc les vertus intellectuelles, dont nous disons que le vrai les concerne au point qu'il ne se trouve jamais en elle de mensonge, soit touchant le nécessaire, auquel il n'arrive jamais de se trouver autrement, soit touchant le contingent, sont les habitus suivants: la science, la prudence (sous laquelle il comprend l'art, qui porte aussi sur le contingent), et aussi la sagesse et l'intelligence: puisque aucun de ces trois, la prudence, la sagesse et la science, ne peut porter sur les principes indémontrables, comme il est devenu manifeste par ce qu'on a dit, il reste qu'à propos de ces principes on ait l'intelligence. |
[73883] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 5 Accipitur autem hic intellectus non pro ipsa potentia
intellectiva, sed pro habitu quodam quo homo ex virtute luminis intellectus
agentis naturaliter cognoscit principia indemonstrabilia. Et satis congruit
nomen. Huiusmodi enim principia statim cognoscuntur cognitis terminis.
Cognito enim quid est totum et quid pars, statim scitur quod omne totum est
maius sua parte. Dicitur autem intellectus ex eo quod intus legit intuendo
essentiam rei. Unde et in tertio de anima dicitur, quod obiectum proprium
intellectus est quod quid est. Et sic convenienter cognitio principiorum quae
statim innotescunt cognito quod quid est circa terminos intellectus
nominatur. |
1179.- On prend ici l’intelligence non pas pour la puissance intellective elle-même, mais pour un certain habitus par lequel l'homme, grâce à la vertu de la lumière de l’intellect agent, connaît naturellement les principes indémontrables. Et le nom est assez bien choisi. En effet, les principes de cette sorte sont immédiatement connus du moment que les termes qui les constituent sont connus. Une fois connus ce qu'est le tout et ce qu'est la partie, on sait immédiatement que le tout est plus grand que sa partie. Or, on a appelé la puissance intellectuelle: intelligence, du fait qu'elle lit à 1lintérieur, ayant l'intuition de l'essence de la chose. C'est pourquoi on dit, dans le troisième livre de l'Ame, que l'objet propre de l'intelligence est l'essence. Il convient donc que la connaissance des principes qui sont immédiatement manifestes une fois que l’essence est connue, se nomme intelligence. |
#1179. — Toutefois, l'intelligence, ici, n'est pas prise pour la puissance intellective même, mais pour un habitus grâce auquel, par la vertu de la lumière de l'intellect agent, on connaît naturellement les principes indémontrables. Son nom convient assez. Des principes de la sorte, en effet, sont connus dès que les termes en sont connus. En effet, dès que l'on connaît ce qu'est un tout et ce qu'est une partie, on sait aussitôt que tout tout est plus grand que sa partie. Or on nomme l'intelligence [ainsi] du fait qu'elle lit intérieurement, atteignant l'essence de la chose. D'où aussi, au troisième [livre] De l'Ame, il est dit que l'objet propre de l'intelligence est ce qu'est [la chose considérée]. Ainsi, la connaissance des principes que l'on connaît immédiatement dès que l'on connaît ce qu'est [la chose considérée], se nomme convenablement intelligence. |
[73884] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 6 Deinde cum dicit sapientiam autem etc., determinat de
sapientia. Et primo ostendit quid sit sapientia. Secundo infert quoddam
correlarium ex dictis, ibi: oportet ergo sapientem et cetera. Circa primum
duo facit. Primo ostendit quid dicatur sapientia particulariter sumpta. Et
secundo ex hoc quid sit sapientia simpliciter, ibi, esse autem quosdam et
cetera. Dicit ergo primo, quod inter artes nos assignamus nomen sapientiae
certissimis artibus, quae scilicet cognoscentes primas causas in genere
alicuius artificii dirigunt alias artes quae sunt circa idem genus; sicut
architectonica ars dirigit manualiter operantes. Et secundum hunc modum
dicimus Phydiam fuisse sapientem latomum, id est lapidum incisorem, et
Policlitum sapientem statuificum, idest factorem statuarum: ubi nihil
aliud dicimus sapientiam, quam virtutem artis, idest ultimum et perfectissimum
in arte, quando scilicet aliquis attingit ad id quod est ultimum et
perfectissimum in arte. Hoc enim est virtus uniuscuiusque rei, ut dicitur in
I de caelo et mundo. |
1180.- Il traite de la sagesse. Et, en premier, il montre ce qu'elle est. En second, il tire un corollaire de ce qu’il a dit. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il montre ce que l'on appelle sagesse en particulier. En second, ce qu'est la sagesse de façon absolue. Il dit donc, en premier, que, dans les arts, nous attribuons le nom de sagesse aux arts les plus certains, à savoir à ceux qui, connaissant les causes premières dans un genre particulier d'œuvres d'art, dirigent les autres arts qui sont contenus dans le même genre; ainsi l’art, architectonique dirige les manœuvres. Et selon cette manière de dire, nous disons que Phydias fut le sage dans la sculpture des pierres et des frises et Polyclète le sage statuaire: là, ce que nous entendons par sagesse n’est nul autre que la vertu de l'art, C’est-à-dire ce qu'il y a de plus achevé et de plus parfait dans l'art, à savoir la vertu par laquelle quelqu'un atteint au sommet et à la suprême perfection dans sont art. En effet, telle est la vertu de chaque chose, comme on le dit dans le premier livre du de Caelo. |
#1180. — Ensuite (1141a9), il traite de la sagesse. En premier, il montre ce qu'est la sagesse. En second, il infère un corollaire de ce qui a été dit (1149a17). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce que c'est que l'on appelle sagesse, à le prendre de manière particulière. En second, ce qu'est la sagesse strictement (1141a12). Il dit donc, en premier, que, parmi les arts, nous assignons le nom de sagesse aux arts les plus certains, qui, parce qu'ils connaissent les premières causes, dans le genre d'un domaine artificiel, dirigent les autres arts qui portent sur le même genre, comme l'art de l'architecte dirige les ouvriers manuels. C'est de cette manière que nous disons Phydias un sage tailleur de briques et de pierres, et Polyclète un sage statuaire, c'est-à-dire faiseur de statues: là, nous n'assimilons la sagesse à rien d'autre qu'à la vertu de l'art, c'est-à-dire à ce qu'il y a d'ultime et de plus parfait en art, par quoi on atteint à ce qui est ultime et le plus parfait dans l'art. C'est cela, en effet, la vertu de chaque chose, comme il est dit dans le premier [livre] Du Ciel. |
[73885] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 7 Deinde cum dicit: esse autem quosdam etc., ostendit
quid sit sapientia simpliciter dicta. Et dicit quod sicut existimamus quosdam
esse sapientes in aliquo artificio, ita etiam existimamus quosdam esse
sapientes totaliter, idest respectu totius generis entium et non
secundum aliquam partem, etiam si non sint sapientes circa aliquod aliud
artificium; sicut Homerus dicit de quodam quod dii eum posuerant non fossorem
neque aratorem neque aliquod aliud particulare artificium sapientem, sed
sapientem simpliciter. Unde manifestum est, quod sicut ille qui est sapiens
in aliquo artificio est certissimus in illa arte, ita illa quae est sapientia
simpliciter est certissima inter omnes scientias, inquantum scilicet attingit
ad prima principia entium, quae secundum se sunt notissima, quamvis aliqua
eorum, scilicet immaterialia, sint minus nota quoad nos. Universalissima
autem principia sunt etiam quoad nos magis nota, sicut ea quae pertinent ad
ens inquantum est ens: quorum cognitio pertinet ad sapientiam simpliciter
dictam, ut patet in quarto metaphysicae. |
1181.- Il montre ce qu’est absolument la sagesse. Il dit que, comme nous jugeons qu’il existe certains sages dans un domaine particulier de l'art, ainsi aussi pensons-nous qu'il y a des sages qui le sont totalement, c’est-à-dire par rapport au genre complet des êtres et non pas par rapport à une partie, même s'ils ne sont pas sages relativement à quelque autre œuvre d'art. Comme le dit Homère de quelqu'un: "Ainsi donc, les dieux ne l'avaient fait ni piocheur ni laboureur, ni maître en quelque autre domaine", mais ils l'avaient fait simplement sage. Il est donc manifeste que, comme celui qui est sage dans un domaine particulier de l’art est le plus certains dans cet art-là, ainsi la vertu qui est la sagesse de façon absolue est la plus certaine de toutes les sciences, à savoir en tant qu’elle atteint aux premiers principes des êtres, qui sont en eux-mêmes les plus connus, bien que quelques-uns d'entre eux, à savoir les principes immatériels, soient les moins connus pour nous. Or, les principes les plus universels sont aussi pour nous plus connus, comme les principes qui appartiennent à l'être en tant qu'être, dont la connaissance appartient à la sagesse dite de façon absolue, comme il est évident par le quatrième livre de la Métaphysique. |
#1181. — Ensuite (1141a12), il montre ce qu'est strictement la sagesse. Il dit que, de même que nous pensons qu'il existe des sages à l'intérieur d'un domaine d'art, de même aussi nous pensons qu'il existe des sages totalement, c'est-à-dire en regard de tout genre d'êtres et non en rapport à une partie, même s'ils ne sont pas sages concernant un autre domaine d'art; ainsi Homère dit-il de quelqu'un que les dieux l'avaient institué non pas fossoyeur, ni agriculteur, ni artisan en un autre domaine particulier, mais sage strictement. D'où il est manifeste que comme celui qui est sage en un domaine d'art est plein d'assurance, dans cet art, de même cette sagesse stricte est la plus assurée 214 parmi toutes les sciences, en tant qu'elle atteint aux premiers principes des êtres, qui, en euxmêmes, sont les plus intelligibles, quoique certains d'entre eux, à savoir, les immatériels, sont moins faciles à connaître pour nous. Par ailleurs, les principes les plus universels sont aussi plus faciles à connaître pour nous, de même que ce qui appartient à l'être en tant qu'il est être: et la connaissance en appartient au sage ainsi dit, comme il appert au quatrième [livre] de la Métaphysique (ch. 1). |
[73886] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 8 Deinde cum dicit: oportet ergo etc., infert quoddam
corollarium ex dictis. Et dicit quod quia sapientia est certissima, principia
autem demonstrationum sunt certiora conclusionibus, oportet quod sapiens non
solum sciat ea quae ex principiis demonstrationum concluduntur circa ea de
quibus considerat; sed etiam quod verum dicat circa ipsa principia, non
quidem quod demonstret ea, sed in quantum ad sapientem pertinet notificare
communia, puta totum et partem, aequale et inaequale, et alia huiusmodi,
quibus cognitis statim principia demonstrationum innotescunt; unde et ad
huiusmodi sapientem pertinet disputare contra negantes principia, ut patet in
quarto metaphysicae. |
1182.- Il tire un certain corollaire de ce qu'il a dit. Il dit que, parce que la sagesse est la plus certaine, et que les principes des démonstrations sont plus certains que les conclusions, il faut que le sage, dans ce qui relève de sa considération, non seulement connaisse ce qui est conclu à partir des principes des démonstrations, mais doit aussi savoir qui il dit la vérité dans les principes premiers eux-mêmes: non pas qu’il les démontre, mais en tant qu'il lui appartient de manifester les termes communs, par exemple le tout et la partie, l'égal et l'inégal et les autres noms de cette sorte qui, une fois connus, font connaître les principes des démonstrations. C'est pourquoi, il appartient à ce sage de disputer contre ceux qui nient les principes, comme on le voit dans le quatrième livre de la Métaphysique. |
#1182. — Ensuite (1149a17), il infère un corollaire de ce qui a été dit. Il dit que la sagesse comporte le plus de certitude et que les principes des démonstrations sont plus certains que leurs conclusions; pour cette raison, ajoute-t-il, il faut que le sage, à propos des [choses] qu'il considère, non seulement sache ce qui se conclut des principes des démonstrations, mais aussi qu'il dise vrai concernant les principes premiers eux-mêmes. Non, certes, qu'il les démontre, mais en tant qu'il appartient aux sages de faire connaître les [choses] communes, par exemple, le tout et la partie, l'égal et l'inégal, et d'autres [choses] de la sorte, moyennant lesquelles, une fois connues, on connaît les principes des démonstrations. D'où aussi il appartient à une sagesse de la sorte de disputer contre ceux qui nient les principes, comme il appert au quatrième [livre] de la Métaphysique (ch. 3). |
[73887] Sententia Ethic., lib. 6 l. 5 n. 9 Sic ergo ulterius concludit, quod sapientia, inquantum
dicit verum circa principia, est intellectus; inquantum autem scit ea quae ex
principiis concluduntur, est scientia. Distinguitur tamen a scientia
communiter sumpta, propter eminentiam quam habet inter alias scientias: est
enim virtus quaedam omnium scientiarum. |
1183.- En dernier, il conclut donc que la sagesse, en tant qui elle donne la vérité par rapport aux principes, est intelligence; en tant qu'elle connaît ce qui est conclu des principes, elle est science. Cependant, elle se distingue de la science prise communément, à cause de l'éminence qu'elle a parmi les sciences: en effet, elle est une certaine vertu de toutes les sciences. |
#1183.
— Ainsi donc, conclut-il par la suite, la sagesse, en tant qu'elle dit vrai
concernant les principes, est intelligence; mais en tant qu'elle sait de
science ce qui se conclut des principes, elle est science. Elle se distingue,
cependant, de la science prise communément, par l'éminence qu'elle a parmi
les autres sciences: elle se présente, en effet, comme la vertu de toutes les
sciences. |
|
|
|
Lectio
6 |
Leçon 6 : [La sagesse] |
|
|
ON AFFIRME QUE LA SAGESSE A LA PREMIERE PLACE PARMI LES VERTUS INTELLECTULLES. ON EXCLUT L'ERREUR DE CEUX QUI ONT ATTRIBUE A LA POLITIQUE LA PREMIERE PLACE PARMI TOUTES LES VERTUS. |
|
[73888] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 1 Et quemadmodum caput habens et cetera. Postquam
philosophus determinavit de singulis virtutibus intellectualibus, hic
ostendit quae sit praecipua inter eas. Et primo ostendit, quae sit praecipua
simpliciter. Secundo, quae sit praecipua in genere agibilium humanorum, ibi,
erit autem utique quaedam et hic et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit, quod sapientia sit simpliciter praecipua inter omnes. Secundo
infert quoddam corollarium ex dictis, manifestans per signum quoddam ea quae
dicta sunt, ibi, propter quod Anaxagoram et cetera. Circa primum tria facit.
Primo proponit quod intendit. Secundo excludit errorem contrarium, ibi, inconveniens
enim et cetera. Tertio concludit veritatem, ibi, ex dictis utique manifestum
et cetera. Dicit ergo primo, quod sapientia non est qualiscumque scientia,
sed scientia rerum honorabilissimarum, id est divinarum, ac si ipsa habeat
rationem capitis inter omnes scientias. Sicut enim per sensus, qui sunt in
capite, diriguntur motus et operationes omnium aliorum membrorum, ita
sapientia dirigit omnes alias scientias, dum ab ea omnes aliae sua principia
supponunt. |
1184.- Après avoir traité de chacune des vertus intellectuelles, le Philosophe montre quelle est celle qui tient la première place (la plus noble - la reine), Et, en premier, il montre quelle est celle qui est la meilleure de façon absolue. En second, quelle est celle qui tient la première place dans le domaine de l'agir humain. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il montre que la sagesse est la plus haute, la plus élevée de toutes les vertus. Dans la seconde partie, il tire un corollaire des considérations qu'il a faites, en manifestant par un certain signe ces mêmes considérations. La première partie se subdivise en trois. En premier, il montre ce qu'il a l'intention de traiter. En effet, comme les sens qui sont situés dans la tête dirigent les mouvements et les opérations de tous les autres membres, ainsi la sagesse dirige toutes les autres sciences, du fait que toutes les autres sciences supposent leurs principes prouvés par elles. |
#1184. — Après avoir traité des vertus intellectuelles une à une, le Philosophe montre, ici, quelle est parmi elles la principale. En premier, il montre quelle est la principale strictement (1141a19). En second, quelle est la principale dans le genre des actes humains à poser (1141b22). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la sagesse est, strictement, la principale entre toutes. En second, il en infère un corollaire, en le manifestant à l'aide d'un signe tiré de ce qu'il a dit (1141b3). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose ce qu'il vise. En second, il exclut une erreur contraire (1141a20). En troisième, il conclut la vérité (1141b2). Il dit donc, en premier, que la sagesse n'est pas n'importe quelle science, mais la science des choses les plus honorables et divines, comme si elle-même jouait rôle de tête parmi l'ensemble des sciences. De même, en effet, que nos mouvements et les opérations de tous nos autres membres sont dirigés par nos sens, qui sont dans la tête, de même la sagesse dirige toutes les autres sciences, puisque toutes tirent leurs principes d'elle. |
[73889] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 2 Deinde cum dicit inconveniens enim etc., excludit
quorumdam errorem, qui attribuebant principalitatem inter omnes scientias
politicae, per quam gubernatur multitudo, vel prudentiae per quam aliquis
gubernat seipsum, attendentes ad utilitatem magis, quam ad scientiae
dignitatem. Scientiae enim speculativae, ut dicitur in principio metaphysicae
non quaeruntur quasi ad aliquid utiles, sed sicut per se honorabiles. Unde
circa hoc duo facit. Primo excludit hunc errorem. Secundo removet quamdam
obiectionem, ibi, si autem, quoniam optimum et cetera. Circa primum ponit
duas rationes. |
1185.- Il exclut l'erreur d'un certain nombre qui, portant davantage attention à l’utilité plutôt qu'à la dignité de la science, attribuaient la première place (le rôle présidentiel) parmi toutes les sciences à la politique, qui gouverne la multitude, ou à la prudence, qui permet à chacun de se bien conduire. En effet, les sciences spéculatives, comme on le dit au début de la Métaphysique, ne sont pas recherchées comme si elles étaient utiles à quelque chose, mais comme des sciences honorables par elles-mêmes. C'est pourquoi, Aristote divise sa réponse en deux points. En premier, il exclut cette erreur. En second, il s'attaque à une certaine objection. Dans son premier point, il donne deux raisons. |
#1185. — Ensuite (1141a20), il exclut l'erreur de certains qui attribuaient la principauté parmi toutes les sciences à la politique, qui gouverne le grand nombre, ou à la prudence, par laquelle on se gouverne soi-même, en regardant plus à l'utilité qu'à la dignité de la science. En effet, les sciences spéculatives, comme il est dit au début de la Métaphysique, ne visent pratiquement pas à de l'utile, mais sont par soi honorables. Aussi fait-il deux considérations à ce propos. En premier, il exclut cette erreur. En second, il enlève une objection (1141a33). Sur le premier [point], il présente deux raisons. |
[73890] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 3 Circa quarum primam dicit, quod inconveniens est si
quis politicam vel prudentiam aestimet esse scientiam studiosam, idest
optimam inter scientias. Quod quidem esse non posset nisi homo esset optimum
eorum quae sunt in mundo. Scientiarum enim una est melior et honorabilior
altera ex eo quod est meliorum et honorabiliorum, ut dicitur in primo de
anima. Hoc
autem est falsum quod homo sit optimum eorum quae sunt in mundo. Ergo neque politica seu prudentia, quae sunt circa res
humanas, sunt optimae inter scientias. |
1186.- Dans sa première raison, il dit qu'il ne convient pas que quelqu’un pense que la politique ou la prudence sont les meilleures de toutes les sciences. Ce qui ne pourrait être qu'à la condition que l'homme soit l'être le meilleur parmi les êtres de l'univers. En effet, dans les sciences, l'une est meilleure et plus honorable qu'une autre du fait qu'elle porte sur des choses meilleures et plus honorables, comme on le dit dans le premier livre de l'Ame. Mais cela est faux que l’homme soit ce qu'il y a de meilleur dans le monde; donc, ni la politique ni la prudence qui portent sur les choses humaines ne sont les plus nobles de toutes les sciences. |
#1186. — Il en dit la première: on rencontre un inconvénient, si l'on estime que la politique ou la prudence est la science la plus honorable, c'est-à-dire la meilleure des sciences. Cela ne se peut que si l'homme est le meilleur des êtres de ce monde. Une science, en effet, est meilleure et plus honorable qu'une autre, du fait qu'elle porte sur des objets meilleurs et plus honorables, comme il est dit au premier [livre] De l'Ame (ch. 1). Or il est faux que l'homme soit le meilleur des êtres de ce 215 monde: donc, ni la politique ni la prudence, qui portent sur les choses humaines, ne sont les meilleures parmi les sciences. |
[73891] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 4 Secundam rationem ponit ibi si utique sanum et cetera.
Quae quidem procedit ex hoc, quod quaedam sunt quorum ratio consistit in
proportione et habitudine ad aliquid. Et ideo huiusmodi non possunt esse
eadem quantum ad omnia; sicut patet quod non idem est sanum et bonum
hominibus et piscibus. Quaedam vero dicuntur absolute, sicut album in
coloribus et rectum in figuris. Et quia sapientia est de his quae in se et
absolute sunt talia (est enim de primis entium), oportet ab omnibus dici quod
idem sit quod est sapiens in omnibus, et quod sit eadem sapientia simpliciter
respectu omnium. Sed id quod est prudens oportet quod sit alterum apud
diversos, propter hoc, quod prudentia dicitur secundum proportionem et
habitudinem ad aliquid. Ille enim qui potest bene speculari singula quae
pertinent ad seipsum, dicitur esse prudens, et tali conceditur sive
attribuitur prudentia. Et inde est, quod per quandam similitudinem homines
dicunt quasdam bestias esse prudentes, quaecumque scilicet videntur habere
quamdam potentiam provisivam circa propriam vitam, non quidem ex ratione,
quod proprie ad prudentiam pertinet. Sic igitur manifestum est quod
sapientia, quae est praecipua inter omnes, non est idem quod politica. |
1187.- Voici la seconde raison. Elle procède du fait qu'il y a des choses dont la raison (nature) consiste dans une proportion et un rapport à quelque chose. C'est pourquoi/ces choses ne peuvent être les mêmes dans tous les cas: ainsi, il est évident que la santé et le bien ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les poissons. Cependant, certaines choses se disent de façon absolue, comme le blanc dans les couleurs et le droit dans les figures. Et parce que la sagesse traite des êtres qui sont tels en eux-mêmes et de façon absolue (en effet elle s'occupe des premiers êtres), tout le monde doit admettre que le sage est partout identique et que c'est la même sagesse qui existe de façon absolue par rapport à tous les êtres. Mais ce qui fait le prudent doit varier dans des sujets différents du fait que la prudence se dit par proportion et comparaison à quelque chose, En effet, celui qui peut bien considérer chaque chose qui lui appartient en propre, on le dit être prudent et on lui concède ou attribue la prudence. De là vient que, par similitude ou analogie, les hommes disent que certaines bêtes sont prudentes, à savoir toutes celles qui semblent posséder une certaine faculté de prévoyance en ce qui concerne leur propre vie, bien que, il est vrai, cette prévoyance ne vienne pas de la raison, qui est pourtant proprement exigée par la prudence. Ainsi donc, il est manifeste que la sagesse, qui est la plus noble, n'est pas identique à la politique. |
#1187. — Il présente sa seconde raison (1141a22), qui tient au fait qu'il existe des [choses] dont la définition réside dans une proportion et une relation à autre chose. C'est pourquoi elles ne peuvent demeurer les mêmes devant n'importe quoi; ainsi, il est manifeste que la même [chose] n'est pas saine et bonne pour les hommes et pour les poissons. À l'opposé, certaines [choses] se disent absolument, comme le blanc dans les couleurs et le droit dans les figures. Puisque la sagesse porte sur ce qui est comme il est en soi et absolument (elle porte en effet sur les premiers êtres), tous doivent admettre que la même [chose] demeure sage à tous regards, et que la même sagesse, strictement, s'impose en regard de tout. Au contraire, ce qui est prudent doit différer chez des [personnes] différentes, du fait que la prudence surgit d'une proportion et d'une relation à autre chose. On dit prudent, en effet, celui qui porte un regard correct sur les singuliers qui le concernent, et c'est à lui qu'on concède ou attribue la prudence. Aussi, en raison d'une certaine ressemblance, on dit certaines bêtes prudentes, à savoir, toutes celles qui paraissent avoir un pouvoir de prévision sur leur propre vie, non pas, bien sûr, grâce à la raison, ce qui appartient proprement à la prudence. Ainsi donc, il devient manifeste que la sagesse, qui est principale, n'est pas la même [chose] que la politique. |
[73892] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 5 Si enim poneremus quod illa scientia, quae est circa
utilia qualis est politica, esset sapientia quae est omnium caput, sequeretur
quod essent multae sapientiae. Non enim potest esse una aliqua ratio circa ea
quae sunt bona omnibus animalibus; sed oportet, quod circa singula animalia
sit altera consideratio considerans quid sit bonum unicuique. Et eadem ratio
est de medicina, quae non potest esse una omnium. Dictum est enim supra, quod
sicut sanum, ita et bonum est alterum hominibus et piscibus. Oportet autem esse
solam unam sapientiam, quia ad eam pertinet considerare ea quae sunt communia
omnibus entibus. Unde relinquitur, quod
politica, quae est gubernativa humanae multitudinis, non potest esse
sapientia simpliciter; et multo minus prudentia communiter dicta, quae est
gubernativa unius. |
1188.- En effet, si nous posions que la science qui a comme objet l'utile, comme c'est le cas pour la politique, était la sagesse qui est la tête de toutes les sciences, il s'ensuivrait qu'il y aurait plusieurs sagesses. Car, il ne peut y avoir une seule mesure rationnelle (ratio), une seule notion normative par rapport à ce qui est bon pour tous les animaux, mais il faut, en fonction de chaque animal particulier, une considération différente pour établir quel est son bien propre. La raison est identique pour le cas de la médecine qui ne peut être une pour tous les animaux. En effet, on a dit plus haut que, comme la santé, le bien est différent pour les hommes et les poissons. Or, il ne peut y avoir qu'une seule sagesse, parce qu'il lui appartient de considérer ce qui est commun à tous les êtres. Il reste donc que la politique, qui gouverne la multitude humaine, ne peut être absolument la sagesse; et encore moins la prudence communément dite, qui ne gouverne que la vie personnelle de chacun. |
#1188. — Si, en effet, nous posions que cette science qui porte sur les [choses] utiles, la politique, s'identifiait à la sagesse qui forme la tête de toutes [sciences], il s'ensuivrait qu'il y aurait plusieurs sagesses. En effet, les [choses] bonnes pour tous les animaux ne peuvent avoir une nature unique; au contraire, chacun des animaux commande une considération différente concernant ce qui est bon pour lui. La même raison s'applique à la médecine, qui ne peut demeurer unique pour tous [les animaux]. Il a été dit plus haut, en effet, que le sain, comme le bien, diffère pour les hommes et les poissons. Il faut pourtant qu'il y ait une sagesse unique, parce que c'est à la même [science] qu'il convient de considérer ce qui est commun à tous les êtres. D'où il reste que la politique, qui gouverne la multitude humaine, ne peut constituer la sagesse au sens strict; et encore moins la prudence communément dite, qui ne gouverne qu'un seul homme. |
[73893] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 6 Deinde cum dicit: si autem quoniam etc., excludit
quamdam obiectionem. Posset enim aliquis dicere, politicam seu prudentiam,
cum sit de rebus humanis, esse praecipuam, quia homo est excellentior inter
alia animalia. Sed hoc nihil refert ad propositum: quia quaedam alia secundum suam
naturam sunt multum diviniora propter sui excellentiam, quam homo. Et ut taceamus de Deo et substantiis separatis quae non
subiacent sensibus, etiam ipsa quae manifestissima sunt sensui, ex quibus
mundus constat, scilicet caelestia corpora, sunt homine potiora, sive
comparemus corpus corpori, sive comparemus substantias moventes animae
humanae. |
1189.- Il rejette une certaine objection. En effet, quelqu'un pourrait dire que la politique ou la prudence, puisqu'elles traitent des choses humaines, est la plus élevée des sciences, parce que l’homme est le plus excellent des animaux. Mais ceci ne diminue pas la portée de l’argument: il y a d'autres êtres qui, par leur excellence naturelle, sont beaucoup plus divins que l'homme. Pour ne pas parler de Dieu et des substances séparées qui ne sont pas objets des sens, on peut mentionner des choses qui sont absolument manifestes au sens, parmi lesquelles on constate que le monde, à savoir les corps célestes, est plus noble que l'homme, que l’on compare les corps célestes au corps humain, ou que l'on compare les substances motrices à l'âme humaine. |
#1189. — Ensuite (1141a33), il exclut une objection. On pourrait dire, en effet, que la politique ou la prudence sont principales, du fait qu'elles portent sur les choses humaines, parce que l'homme est le plus excellent parmi les animaux. Mais cela n'est en rien pertinent au propos, car d'autres [choses] ont une nature beaucoup plus divine et excellente que l'homme. Même en ne parlant pas de Dieu, ni des substances séparées, qui ne tombent pas sous les sens, certaines [choses], parmi les plus manifestes au sens, et dont le monde est constitué, à savoir, les corps célestes, sont plus puissantes que l'homme, soit que nous les comparions corps à corps, soit que nous les comparions substances motrices à âme humaine. |
[73894] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 7 Deinde cum dicit: ex dictis utique manifestum etc.,
concludit veritatem intentam, scilicet quod sapientia sit scientia et
intellectus, ut prius dictum est, non circa quaecumque, sed circa
honorabilissima. Et hoc est ex dictis manifestatum, quia, si aliqua scientia
esset honorabilior, hoc praecipue conveniret politicae et prudentiae, quod
supra est improbatum. |
1190.- Il conclut la vérité, à savoir que la sagesse est, comme on l’a dit auparavant, la science et l'intelligence, non pas par rapport à quoi que ce soit, mais par rapport aux choses les plus honorables. Ce qui est clair par les considérations précédentes. S’il y avait une science de plus honorable, elle serait à juste titre la politique et la prudence: ce que l'on vient de rejeter plus haut. |
#1190. — Ensuite (1141b2), il conclut la vérité, à savoir que la sagesse est science et intelligence, comme il a été dit plus haut, non pas sur n'importe quoi, mais sur ce qu'il y a de plus honorable. Ce qu'on a dit le rend manifeste. Car, si une science était plus honorable, cela conviendrait principalement à la politique et à la prudence, ce qui a été infirmé plus haut. |
[73895] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 8 Deinde cum dicit propter quod Anaxagoram etc., infert
quoddam corollarium ex praemissis; per quod manifestantur quaedam quae dicta
sunt. Et circa hoc duo facit. Primo inducit corollarium. Secundo manifestat
quandam partem ipsius, ibi: neque enim prudentia et cetera. Dicit ergo primo
quod quia prudentia est circa bona humana sapientia autem circa ea quae sunt
homine meliora, inde est, quod homines dicunt Anaxagoram, et quemdam alium
philosophum qui vocabatur Thales, et alios similes esse quidem sapientes, non
autem prudentes, eo quod homines vident eos ignorare ea quae sunt sibi ipsis
utilia, et dicunt eos scire quaedam superflua, id est inutilia, et
admirabilia, quasi excedentia communem hominum notitiam, et difficilia, quia
indigent diligenti inquisitione, et divina propter nobilitatem naturae. |
1191.- Il tire un corollaire des considérations précédentes, corollaire qui manifeste quelques-unes des affirmations susdites. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il introduit le corollaire. En second, il manifeste une de ses parties. Il dit donc, en premier, qu'on a appelé sages et non prudents, Anaxagore et un autre philosophe du nom de Thalès et d'autres philosophes semblables, précisément parce que la prudence s'occupe des biens humains et que la sagesse traite de ce qui est supérieur à l'homme: on s'est rendu compte que ces philosophes ignoraient ce qui leur était utile, alors qu'on disait qu'ils connaissaient des choses inutiles et admirables. On soulignait par là qu'ils connaissaient des choses qui transcendent la connaissance ordinaire des hommes, des choses difficiles qui exigent une recherche minutieuse, et divines, à cause de la noblesse de leur nature. |
#1191. — Ensuite (1141b3), il infère un corollaire, par lequel deviennent manifestes des [choses] dites auparavant. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il induit le corollaire. En second, il manifeste l'une de ses parties (1141b14). Il dit donc, en premier, que, parce que la prudence porte sur les biens humains, la sagesse, par ailleurs, sur ce qui est meilleur que l'homme, il s'ensuit qu'on dise qu'Anaxagore, et un autre philosophe, appelé Thalès, et d'autres semblables ont été sages, certes, mais non prudents, puisqu'on les voient ignorer leur propre utilité, et qu'on dit qu'ils savent des [choses] inutiles et admirables, comme excédant la commune connaissance des hommes, et des [choses] difficiles, qui demandent une investigation diligente, et des [choses] divines, en raison de la noblesse de leur nature. |
[73896] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 9 Ponit autem specialiter exemplum de Thale et Anaxagora,
qui specialiter super hoc reprehensi fuerunt. Cum enim Thales exiret domum,
ut astra consideraret, incidit in foveam; eoque lugente, dixit ad eum quaedam
vetula: tu quidem, o Thales, quae ante pedes nequis videre et quae in caelo
sunt putas cognoscere? Anaxagoras etiam, cum nobilis et dives esset, paterna
bona suis dereliquit, et speculationi naturalium se dedit, non curans de
politicis, unde ut negligens reprehendebatur. Et dicenti sibi: non est tibi
curae patria?, Respondit: mihi patria valde curae est, ostenso caelo. |
1192.- Cependant, il s'arrête spécialement au cas de Thalès et d'Anaxagore, parce qu'ils eurent particulièrement répréhensibles là-dessus. En sortant de sa maison pour contempler les astres, Thalès tomba dans un fossé. Pendant qu'il se lamentait, un vieillard lui dit: Et toi, ô Thalès, tu penses connaître les merveilles du ciel et tu ne peux voir ce qu'il y a à tes pieds? Anaxagore, lui, qui était noble et riche, abandonna les biens paternels aux siens pour se donner à l'étude de la nature, sans aucun souci de la chose publique. On le blâma donc à cause de sa négligence. A quelqu'un qui lui reprochait de ne pas s'intéresser à sa patrie, il répondit qu'il avait pour elle le plus grand intérêt, en indiquant le ciel. |
#1192. — De fait, il pose exprès l'exemple de Thalès et d'Anaxagore, parce qu'ils ont été réprimandés spécialement à ce [propos]. En effet, comme Thalès sortait de chez lui pour contempler les 216 astres, il tomba dans une fosse; et comme il se lamentait, une petite vieille lui dit: C'est toi, ô Thalès, qui ne peux voir ce qu'il y a devant tes pieds, alors que tu penses connaître ce qu'il y a dans le ciel? Anaxagore, quant à lui, alors qu'il était noble et riche, abandonna aux siens ses biens paternels et se voua à la contemplation des [choses] naturelles, sans se préoccuper des [choses] politiques; aussi le blâmait-on comme négligent. Comme on lui disait: tu ne te soucies pas de ta patrie? il répondit, en montrant le ciel: je me soucie au plus haut point de ma patrie. |
[73897] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 10 Ideo autem homines dicunt eos scire inutilia, quia non
inquirunt de bonis humanis, propter quod etiam non dicuntur esse prudentes.
Nam prudentia est circa bona humana, de quibus contingit consiliari.
Prudentis autem maxime videtur esse opus bene consiliari. Nullus autem
consiliatur de necessariis, quae impossibile est aliter se habere, cuiusmodi
sunt res divinae de quibus sapientes praedicti considerant. Neque etiam
potest esse consilium de quibuscumque rebus non ordinatis ad aliquem finem,
qui est operabile bonum, de quibus considerant scientiae speculativae, etiam
si sint circa corruptibilia. Ille autem est simpliciter bonus consiliator, et
per consequens prudens, qui ratiocinando potest coniicere quid sit optimum
homini ad operandum. |
1193.- C'est pourquoi les hommes disent qu'ils connaissent des choses inutiles, parce qu'ils ne s'enquièrent pas des biens humains. Voilà aussi pourquoi on dit qu'ils ne sont pas prudents. En effet, la prudence porte sur les biens humains qui peuvent être objets de délibération. L'œuvre la plus grande (principale) du prudent semble être de bien délibérer. Mais personne ne délibère sur les choses nécessaires, pour lesquelles il est impossible d'être autres qu'elles ne sont. Et, précisément, les choses divines que considèrent les sages ci-haut mentionnés font partie de ce genre d'être. Le conseil d'ailleurs ne peut pas non plus porter sur quoi que ce soit qui n’est pas ordonné à une fin, qui ne serait un bien opérable. Ce que les sciences spéculatives considèrent même si elles portent sur les choses corruptibles. Celui-là est absolument bon "délibérateur" et, par conséquent, prudent qui, en délibérant, peut prévoir ce qu’il y a de mieux à faire pour l’homme. |
#1193. — Voilà pourquoi, par ailleurs, on dit que les [sages] connaissent des [choses] inutiles: c'est qu'ils ne s'enquièrent pas des biens humains; aussi ne sont-ils pas considérés comme prudents. En effet, la prudence porte sur les biens humains, sur lesquels il est loisible de délibérer. Ce semble la fonction suprême du prudent de bien délibérer. Or personne ne délibère des [choses] nécessaires, auxquelles il est impossible d'être autrement, et c'est de cette sorte que sont les choses divines que les sages dont on a parlé contemplent. En outre, il ne peut y avoir délibération sur rien qui ne soit ordonné à une fin, c'est-à-dire qui ne soit un bien opérable, tandis que les sciences spéculatives considèrent un tel objet, même quand elles portent sur du corruptible. À parler strictement, d'ailleurs, le bon délibérateur et, par conséquent, le prudent, c'est celui qui raisonne de manière à découvrir ce qu'il y a de mieux à faire pour l'homme. |
[73898] Sententia Ethic., lib. 6 l. 6 n. 11 Deinde cum dicit neque enim prudentia etc., manifestat
quiddam quod dixerat, assignans scilicet rationem quare prudentia sit circa
operabilia. Prudentia enim non considerat solum universalia, in quibus non
est actio; sed oportet quod cognoscat singularia, eo quod est activa,
idest principium agendi. Actio autem est circa singularia. Et inde est, quod
quidam non habentes scientiam universalium sunt magis activi circa aliqua
particularia, quam illi qui habent universalem scientiam, eo quod sunt in
aliis particularibus experti. Puta si aliquis medicus sciat quod carnes leves
sunt bene digestibiles et sanae, ignoret autem quales carnes sint leves; non
poterit facere sanitatem. Sed ille qui scit quod carnes volatilium sunt leves
et sanae, magis poterit sanare. Quia igitur prudentia est ratio activa,
oportet quod prudens habeat utramque notitiam, scilicet et universalium et
particularium; vel, si alteram solum contingat ipsum habere, magis debet
habere hanc, scilicet notitiam particularium, quae sunt propinquiora
operationi. |
1194.- Il manifeste une considération qu'il a faite, en donnant la raison pour laquelle la prudence a comme matière les opérables. En effet, la prudence ne considère pas seulement les universels, où il n’y a pas d'action, mais doit aussi connaître les singuliers, du fait qu'elle est active, c'est-à-dire principe de l’agir. Or, l'action porte sur les singuliers. Voilà pourquoi certains hommes qui ne possèdent pas la science des universaux sont plus actifs (mieux armés pour l'action) dans des domaines particuliers que ceux qui ont une connaissance universelle, du fait qu’ils sont expérimentés dans d'autres domaines. Si un médecin sait, en effet, que les viandes légères sont facilement digestibles et saines, et qu'il ignore quelles sont ces viandes légères, il ne pourra produire la santé. Mais celui qui sait que la viande des volailles est légère et saine pourra davantage produire la santé. Donc, parce que la prudence est une raison active, il faut que le prudent possède cette double connaissance, à savoir et celle de l’universel et celle des singuliers, Et s'il arrive qu'il n'en possède qu'une, il doit surtout posséder la connaissance des singuliers qui sont plus proches de l'opération. |
#1194.
— Ensuite (1141b14), il manifeste une chose qu'il avait dite; il assigne la
raison pour laquelle il appartient au prudent [de parler] sur les actions à
poser. La prudence, en effet, non seulement considère les universels, dans
lesquels il n'y a pas d'action; mais elle doit connaître les singuliers,
puisqu'elle est active, c'est-à-dire principe d'agir. Or l'action porte sur
les singuliers. D'où il s'ensuit que, même privé de la science des universels,
on soit plus actif en certains cas, qu'avec une science universelle due à une
expertise en d'autres particuliers. Par exemple, si un médecin sait que les
chairs légères sont bien digestibles et saines, mais ignore quelles chairs
sont légères, il ne pourra produire la santé. Tandis que celui qui sait que
les chairs des oiseaux sont légères et saines pourra mieux guérir. Parce que,
donc, la prudence est une raison qui rend actif, il faut que le prudent ait
l'une et l'autre connaissances, à savoir et des universels et des
particuliers; ou s'il arrive qu'il n'en ait qu'une, il doit plutôt avoir
celle-ci, à savoir la connaissance des particuliers, qui sont plus proches de
l'action. |
|
|
|
Lectio
7 |
Leçon 7 : [Prudence en éthique et politique] |
|
|
IL MONTRE QUE LA PRUDENCE EST LA PREMIERE VERTUS DANS LES CHOSES HUMAINES. IL MONTE LA DIFFERENCE ET LA CONFORMITE QUI EXISTENT ENTRE ELLE ET LA POLITIQUE. |
|
[73899] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 1 Erit autem utique quaedam
et cetera. Postquam philosophus ostendit quid sit praecipuum simpliciter
inter omnes virtutes intellectuales, hic ostendit quid sit praecipuum circa
res humanas. Et primo ostendit propositum. Secundo manifestat quiddam quod
supra dixerat, ibi, signum autem est eius et cetera. Circa primum tria facit.
Primo proponit quod intendit. Secundo manifestat propositum, ibi: est autem
(et) politica etc.; tertio excludit quendam errorem, ibi: et videtur quae
circa seipsum et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis in cognitione rerum
humanarum non consistat sapientia quae est simpliciter principalis inter
omnia, tamen est quaedam architectonica, idest principativa et
dominativa ratio sive notitia hic, idest in genere rerum humanarum. |
1195.- Après avoir montré quelle vertu est à la tête de toutes les vertus intellectuelles, le Philosophe montre ici quelle est celle qui tient la première place dans les choses humaines. Et, en premier, il propose son dessein. En second, il manifeste une de ses affirmations. Le premier point se divise en trois parties. Il propose tout d'abord ce qu'il veut dire; en second, il manifeste son propos; en troisième, il exclut une certaine erreur. Il dit donc en premier que, bien que dans la connaissance des choses humaines la sagesse qui est absolument première en tout n'ait pas de place, il existe une vertu architectonique, c'est-à-dire une connaissance royale, impérative et dominative, ici-bas, c'est-à-dire dans le genre des choses humaines. |
#1195. — Après avoir montré ce qui est principal, strictement, parmi toutes les vertus intellectuelles, le Philosophe montre ici ce qui est principal en ce qui a trait aux choses humaines. En premier, il montre son propos (1141b22). En second, il manifeste une chose dite plus haut (1142a11). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. En second, il manifeste son propos (1141b23). En troisième, il exclut une erreur (1142a1). Il dit donc, en premier, que, quoique la sagesse, qui est principale, strictement, entre toutes [choses], ne consiste pas dans la connaissance des choses humaines, il se trouve cependant là, c'est-à- dire dans le genre des choses humaines, quelque chose d'architectonique, c'est-à-dire une connaissance ou un travail rationnel principal et dominant. |
[73900] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 2 Deinde cum dicit: est
autem et politica etc., manifestat propositum, distinguens ea quae pertinent
ad notitiam rerum humanarum. Et primo distinguit politicam et prudentiam.
Secundo determinat de politica, ibi, eius autem quae circa civitatem etc.;
tertio determinat de prudentia, ibi, videtur autem et prudentia et cetera.
Dicit ergo primo quod politica et prudentia sunt idem habitus secundum
substantiam, quia utraque est recta ratio rerum agibilium circa humana bona
vel mala; sed differunt secundum rationem. Nam prudentia est recta ratio
agibilium circa unius hominis bona vel mala, idest suiipsius. Politica autem
circa bona vel mala totius multitudinis civilis. Ex quo patet quod ita se habet
politica ad prudentiam, sicut iustitia legalis ad virtutem, ut supra in
quinto habitum est. Positis autem duobus
extremis, intelligitur medium, scilicet oeconomica quae medium est inter unum
hominem et civitatem. |
1196.- Il manifeste sa proposition en distinguant ce qui appartient à la connaissance des choses humaines. Et, en premier, il distingue la politique et la prudence. En second, il détermine la politique. En troisième, il détermine la prudence. Il dit donc, en premier, que la prudence et la politique sont substantiellement le même habitus, parce que l'une et l'autre sont la raison droite des opérables dans le domaine des biens et des maux humains, mais elles diffèrent selon leur notion. En effet, la prudence est la raison droite de l'agir qui porte sur le bien et le mal d'un seul homme, c’est-à-dire sur le bien et le mal "personnels". La politique, elle, est la raison droite de l'agir qui porte sur le bien et le mal de toute la multitude civile. De là, il est évident que la politique est à la prudence, comme la justice légale est à la vertu, comme on l'a vu dans le cinquième livre. Les deux extrêmes étant posés on peut comprendre le milieu, à savoir l'économique qui est milieu entre un seul homme et la cité (La prudence économique qui est intermédiaire entre la prudence politique et la prudence personnelle). |
#1196. — Ensuite (1141b23), il manifeste son propos, en divisant ce qui appartient à la connaissance des choses humaines. En premier, il distingue la politique et la prudence. En second, il traite de la politique (1141b24). En troisième, il traite de la prudence (1141b29). Il dit donc que la prudence et la politique constituent, en substance, le même habitus, parce que l'une et l'autre constituent la raison droite3 d'actions à poser en matière de biens ou de maux 3Recta ratio, notion correcte. 217 humains; elles diffèrent cependant de définition. Car la prudence est la notion correcte des actions à poser en matière de biens ou de maux pour un homme unique, c'est-à-dire pour soi, tandis que la politique vise les biens ou les maux de toute la société civile. Par là, il devient manifeste que la politique entretient avec la prudence le rapport que la justice légale entretient avec la vertu, comme on en a traité plus haut, au cinquième [livre] (#906-910). Une fois posées ces deux extrêmes, on en comprend le milieu, à savoir l'économique, qui intervient entre l'homme et sa cité. |
[73901] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 3 Deinde cum dicit: eius
autem quae circa civitatem etc., determinat de politica. Et distinguit eam in
duas partes; dicens quod eius habitus qui est circa totam civitatem, una pars
est quasi prudentia architectonica, quae dicitur legis positiva. Dicitur enim ars
architectonica quae determinat aliis quid sit agendum. Unde principes
imponentes legem suis subditis, ita se habent in civilibus sicut
architectores in artificialibus. Et propter hoc ipsa lex positiva,
idest ratio recta secundum quam principes leges rectas ponunt, dicitur
architectonica prudentia. Alia autem pars politicae communi nomine vocatur
politica, quae scilicet consistit circa singularia operabilia; leges enim
comparantur ad opera humana, sicut universalia ad particularia, ut de iustis
legalibus dictum est in quinto. Et sicut
legis positiva est praeceptiva, ita et politica est activa et conservativa
eorum quae lege ponuntur. |
1197.- Il traite de la politique. Il la distingue en deux parties, en disant qu'une partie de cet habitus qui a comme objet toute la cité est quasi une prudence architectonique, qu'on appelle législative. En effet, on appelle partie architectonique celle qui détermine aux autres ce qu'ils ont à faire. De là vient que les chefs qui dictent la loi à leurs sujets sont dans les cités comme les architectes dans les œuvres d'art. C’est pourquoi, la prudence législative, c'est-à-dire la raison droite selon laquelle les chefs font des lois justes (bonnes), s'appelle prudence architectonique. La seconde partie s'appelle la prudence politique, c'est-à-dire celle qui a comme matière les opérables singuliers. En effet, les lois sont comparées aux œuvres humaines, comme l'universel au particulier, comme on l'a dit des œuvres légales justes dans le cinquième livre. Et comme la prudence législative est préceptive, ainsi la prudence politique est active et conservatrice de ce qui est prescrit par la loi. |
#1197. — Ensuite (1141b24), il traite de la politique, qu'il divise en deux parties: une partie de cet habitus, portant sur la cité entière, se présente comme une prudence architectonique, dite législative4. On appelle architectonique, en effet, la partie qui fixe pour les autres ce qu'elles ont à faire. Ainsi, les chefs qui imposent une loi à leurs subordonnés jouent en matière civile le rôle des architectes en matière d'art. Par suite, la loi positive elle-même, c'est-à-dire la notion correcte d'après laquelle les chefs posent des lois correctes, est aussi appelée prudence architectonique. L'autre partie de la politique, celle qui porte sur les opérations singulières à poser, garde le nom commun de politique. En effet, les lois se comparent aux œuvres humaines comme l'universel au particulier, ainsi qu'il a été dit à propos du juste légal, au cinquième [livre] (#902-903). En outre, la [politique] législative prescrit et, en corrélation, la politique [commune] agit et conserve ce qu'institue la loi. |
[73902] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 4 Et hoc patet, quia ad
huiusmodi politicam executivam pertinet sententia: quae nihil est aliud quam
applicatio rationis universalis ad aliquod particulare operabile, non enim
dicitur sententia nisi de aliquo operabili. Et quia omne operabile est
singulare, inde est quod sententia est alicuius extremi, idest
singularis: quod dicitur extremum, quia et ab eo incipit nostra cognitio ad
universalia procedere, et ad ipsum terminatur in via descensus. Potest etiam
et ipsa sententia dici extrema, quia est applicatio legis universaliter
positae ad singulare operabile. Et quia ista executiva legis positae retinet
sibi commune nomen politicae, inde est quod isti soli qui exequuntur leges
positas dicuntur conversari civiliter, quia isti soli operantur in civilibus,
sicut chiroteginae, id est manuales artifices, in artificialibus; et
comparantur ad legis positores, sicut ad architectores. |
1198.- Et par là, il est clair qu’à cette prudence politique exécutive appartient le décret, qui n’est rien d'autre que l'application de la loi (ratio) universelle au singulier opérable. En effet, le décret ne se dit que par rapport à quelque opérable. Et parce que tout opérable est singulier, le décret appartient à un extrême, c'est-à-dire à l'extrême singulier. On l'appelle extrême, parce que notre connaissance qui va à l'universel part de ce singulier, et lui revient par voie de descente. On peut aussi appeler extrêmes les décrets, parce qu’ils constituent l'application de la loi prescrite universellement au singulier opérable. Et parce que cette prudence exécutive de la prudence législative retient pour elle le nom commun de politique, il s'ensuit que ceux-là seuls qui exécutent les décrets sont dits exercer la vie civile (mener la vie politique), car ils sont les seuls à opérer dans les choses politiques, comme les manœuvres dans les œuvres artificielles. Et on les compare aux législateurs comme aux architectes. |
#1198. — Il est manifeste que c'est à cette sorte de politique exécutive qu'appartient le jugement, lequel n'est rien d'autre que l'application de la raison universelle à une opération particulière à poser. En effet, il n'est question de jugement qu'à propos d'une opération à poser. Comme, par ailleurs, toute opération à poser est singulière, il s'ensuit que le jugement porte sur un extrême, c'est-à-dire sur un singulier: celui-ci s'appelle extrême, parce que c'est avec lui que commence notre connaissance pour aller jusqu'à l'universel, et c'est encore avec lui qu'elle se termine dans sa voie de descente. Le jugement aussi peut s'appeler extrême, parce qu'il est l'application d'une loi posée universellement à une opération singulière à poser. Comme, enfin, cette [politique] exécutive de la [politique] législative retient pour elle le nom commun de politique, il s'ensuit que ceux-là seuls qui exécutent les lois posées sont considérés se comporter civilement, parce que ceux-là seuls opèrent en matière civile, comme les ouvriers, c'est-à-dire les artisans manuels en matière d'art; et [les premiers] sont comparés aux législateurs comme [les seconds] aux architectes. |
[73903] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 5 Deinde cum dicit: videtur
autem etc., agit de prudentia. Et primo ostendit quae dicatur prudentia.
Secundo infert quoddam corollarium ex dictis, ibi, species quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis politica tam legis positiva quam
executiva sit prudentia, tamen maxime videtur esse prudentia quae est circa
unum tantum, scilicet circa seipsum. Et talis ratio suiipsius gubernativa
retinet sibi commune nomen prudentiae; quia aliae partes prudentiae habent
propria nomina, quibus nominantur; earum enim quaedam quidem dicitur yconomia,
id est prudentia dispensativa domus; quaedam vero dicitur legis positio,
idest prudentia ponendi leges; quaedam vero est politica, idest
prudentia exequendi leges, et quaelibet harum dividitur in consiliativam et
iudicativam. Oportet enim in agibilibus, primo per inquisitionem consilii
aliquid invenire, secundo de inventis iudicare. |
1199.- Il traite de la prudence. Et en premier il montre laquelle s’appelle prudence. En second, il tire un corollaire de ses réflexions. Il dit donc en premier que, bien que la politique, aussi bien la législative que l’exécutive, soit prudence, il semble cependant que la prudence est surtout celle qui a pour objet un individu unique, c’est-à-dire le sujet lui-même. C’est pour cette raison que la prudence qui dirige (gouverne) le sujet lui-même s'approprie le nom commun de prudence: les autres parties de la prudence ont leur nom propre qui les désigne. L'une d'elle s'appelle économique, c'est-à-dire la prudence qui administre la maison; une autre s'appelle législative, c'est-à-dire la prudence de faire les lois; une autre s'appelle politique, c'est-à-dire la prudence d'exécuter les lois, Et chacune d’elle se divise en prudence délibératrice et judicative (judiciaire), En effet, dans les actions, il faut tout d'abord trouver quelque chose par la recherche de la délibération et, en second, juger les résultats, les moyens fournis par la délibération. |
#1199. — Ensuite (1141b29), il traite de la prudence. En premier, il montre ce qui est dit prudence. En second, il infère un corollaire de ce qui a été dit (1141b33). Il dit donc, en premier, que [toute] la politique, tant législative qu'exécutive, est de la prudence, mais que c'est celle qui porte sur un [homme] seulement, à savoir sur soi-même, qui paraît le plus être de la prudence. En outre, cette connaissance, qui habilite à se gouverner soi-même, retient pour elle le nom commun de prudence, du fait que les autres parties de la prudence ont leur propres noms pour les désigner. L'une d'elles, en effet, est nommée économique, c'est-à-dire prudence administratrice de la maison; l'autre, elle, est nommée législative, c'est-à-dire prudence d'instituer les lois; la dernière, enfin, est la politique, c'est-à-dire la prudence d'exécuter les lois. De plus, chacune d'entre elles se divise en délibérative et judicative. En matière d'actions, en effet, il faut, en premier, trouver quelque chose par une investigation délibérative, et, en second, juger de ce qu'on a trouvé. |
[73904] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 6 Est autem considerandum,
quod sicut supra dictum est, prudentia non est in ratione solum, sed habet
aliquid in appetitu. Omnia ergo de quibus hic fit mentio, in tantum sunt
species prudentiae, inquantum non in ratione sola consistunt, sed habent
aliquid in appetitu. Inquantum enim sunt in sola ratione, dicuntur quaedam
scientiae practicae, scilicet Ethica oeconomica et politica. |
1200.- Il faut cependant considérer que, comme on l'a dit plus haut, la prudence n'est pas uniquement dans la raison, mais possède quelque chose dans l'appétit, Donc, toutes les prudences dont on vient de faire mention sont des espèces de prudence en autant qu'elles ne tiennent pas uniquement du côté de la raison, mais possèdent quelque chose dans l'appétit (un enracinement du côté de l'appétit), Si elles existent dans la seule raison, on leur donne le nom de sciences pratiques, à savoir l'éthique économique et politique, |
#1200. — Il faut aussi considérer que, comme il a été dit plus haut (#1174), la prudence ne réside pas dans la raison seulement, mais aussi en partie dans l'appétit. Tout ce dont il est fait mention ici, donc, ce sont des espèces de la prudence dans la mesure où elles ne se tiennent pas tout entières dans la raison, mais possèdent une part dans l'appétit. Dans la mesure où elles résident dans la seule raison, en effet, on les appellera des sciences pratiques, à savoir, l'éthique, l'économique et la politique. 4Legis positiva. 218 |
[73905] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 7 Est etiam considerandum,
quod quia totum principalius est parte et per consequens civitas quam domus,
et domus quam unus homo, oportet quod prudentia politica sit principalior
quam oeconomica, et haec quam illa quae est suiipsius directiva. Unde et
legis positiva est principalior inter partes politicae et simpliciter
praecipua circa omnia agibilia humana. |
1201.- Il faut aussi considérer que, parce que le tout est plus excellent que la partie, et, par conséquent, parce que la cité est plus noble (importante-de-plus grande valeur) que la maison, et la maison plus que l'homme singulier, il faut que la prudence politique soit supérieure à la prudence économique, et celle-ci supérieure à la prudence individuelle. C'est pourquoi, la prudence législative est la plus élevée (première) parmi les prudences politiques, et absolument première par rapport aux opérations humaines. |
#1201. — Il faut aussi considérer que, le tout jouant davantage un rôle principal que la partie, et, par suite, la cité davantage que la maison, et la maison que l'homme seul, la prudence politique joue davantage que l'économique un rôle principal, et celle-ci davantage que celle par laquelle on se dirige soi-même. Par suite aussi, la [politique] législative joue davantage un rôle principal, parmi les parties de la politique, et le rôle strictement principal en matière d'actions humaines. |
[73906] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 8 Deinde cum dicit: species
quidem igitur etc., infert quoddam corollarium ex dictis. Et dicit quod ex
quo prudentia quae est circa seipsum est pars communis prudentiae, consequens
est quod scire ea quae sunt sibi ipsi bona, quod pertinet ad hanc prudentiam,
sit quaedam species cognitionis humanae quae habet multam differentiam vel ab
aliis speciebus cognitionis humanae vel propter diversitatem eorum quae ad
unum hominem pertinent. |
1202.- Il tire un corollaire de ce qu’t il a dit. Il dit que, du fait que la prudence qui porte sur le sujet lui-même est une partie de la prudence commune, il s'ensuit que connaître ce qui est bon pour soi, laquelle connaissance appartient à cette prudence, soit une espèce de la connaissance humaine qui diffère énormément ou bien des autres espèces de la connaissance humaine ou bien à cause de la diversité de ce qui appartient au même homme. |
#1202. — Ensuite (1149b33), il infère un corollaire de ce qui a été dit. Il dit que, du fait que la prudence qui porte sur soi-même est partie de la prudence commune, il s'ensuit que connaître ce qui est bien pour soi, qui appartient à cette prudence, est une espèce de la connaissance humaine qui présente beaucoup de différence: soit avec les autres espèces de la connaissance humaine, ou à cause de leur diversité à l'intérieur de ce qui concerne déjà l'homme pris isolément. |
[73907] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 9 Deinde cum dicit: et
videtur quae circa se ipsum etc., excludit quemdam errorem. Et primo ponit
ipsum. Secundo inducit probationem eius, ibi, propter quod et Euripides et
cetera. Tertio solvit improbans errorem, ibi, quamvis forte et cetera. Dicit
ergo primo, quod quibusdam videtur solus ille esse prudens qui habet
scientiam et exercitium circa ea quae ad seipsum pertinent. Illi autem qui
sunt politici non videntur esse prudentes, sed magis polipragmones,
idest intromittentes se de multis, scilicet quae ad multitudinem pertinent. |
1203.- Il exclut une certaine erreur. Et tout d’abord, il la pose; en second il en apporte une preuve; en troisième, il en résout la preuve. Il dit donc, en premier, que, pour plusieurs, il semble que celui-là seul est prudent qui possède la science et s'occupe de ce qui lui appartient (de son propre intérêt). Mais les hommes politiques ne semblent pas être prudents mais plutôt "polipragmones", c'est-à-dire ils semblent se mêler de beaucoup d’affaires qui appartiennent à la multitude. |
#1203. — Ensuite (1142a1), il exclut une erreur. En premier, il la pose. En second, il induit sa preuve (1142a2). En troisième, il résout celle-ci, en infirmant l'erreur (1142a9). Il dit, donc, en premier, que certains imaginent que celui-là seul est prudent qui a science et exercice sur ce qui le concerne lui-même. Par suite, ceux qui nourrissent un intérêt politique ne leur paraissent pas des [gens] prudents, mais plutôt des activistes, se mêlant de bien des [affaires] qui concernent la société. |
[73908] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 10 Deinde cum dicit propter
quod et Euripedes etc., inducit probationem praedicti erroris. Et primo
quidem per dictum Euripidis poetae, qui inducit quemdam pro sua civitate
militantem talia dicentem: qualiter ego essem prudens, cui, scilicet mihi,
aderam innegotiose, idest cum ego mea negotia non tractarem, sed quum sim
numeratus inter multos, participo militia aequali mihi et aliis? |
1204.- Il apporte la preuve de cette erreur. Et tout d'abord par un vers du poète Euripide, qui fait dire à un défenseur de sa cité ces propos: "Comment pourrais-je passer pour prudent, Alors que je suis dans l'inaction. Alors que je ne puis m’occuper de mes propres affaires; Simple chiffre perdu dans la foule de l'armée, je partage également avec les autres le sort commun de la milice". |
#1204. — Ensuite (1142a2), il induit la preuve de l'erreur annoncée. En premier, certes, à travers le mot du poète Euripide, qui introduit une personne travaillant pour sa cité en disant: Mais comment serais-je prudent, moi, alors que je me trouvais exempté du souci des affaires, c'est-à-dire que je ne m'occupais pas de mes propres affaires, mais me trouvais compté avec bien d'autres, membre de l'armée sur le même pied que les autres? |
[73909] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 11 Secundo ibi: superfluos
enim etc., inducit ad idem rationem. Et dicit quod quidam dicunt politicos
non esse prudentes, tamquam superfluos, id est supervacaneis rebus
intendentes, et tamquam operantes aliquid amplius quam ad eos spectet.
Homines enim propter privatum amorem quem inordinate ad seipsos habent,
quaerunt solum id quod est sibiipsis bonum. Et existimant quod hoc solum
oporteat unumquemque operari, quod scilicet sibi est bonum. Et ex hac
opinione hominum venit quod illi soli sint prudentes qui propriis negotiis
intendunt. |
1205.- Il apporte une autre raison pour prou ver la même chose. Il dit que certains disent que les hommes politiques ne sont pas prudents, parce qu'ils s'occupent de choses superflues, c'est-à-dire inutiles et vaines, et parce qu'ils s'occupent des affaires qui ne les regardent pas. Les hommes, en effet, à cause de l'amour exagéré et inordonné qu'ils ont pour eux-mêmes, ne recherchent que ce qui est bon pour eux-mêmes (leur propre intérêt). Et ils jugent que cela doit être l'unique préoccupation et occupation: leur propre bien singulier. Et, à partir de cette opinion, les hommes en sont venus à croire que ceux-là seuls sont prudents qui ne s'occupent que de leurs propres affaires. |
#1205. — En second (1142a6), il conduit un raisonnement à l'appui de la même [position]. Il rapporte comment certains disent que les [hommes] politiques ne sont pas prudents, du fait de se mêler de choses superflues, c'est-à-dire supplémentaires, et du fait de faire les choses en plus grand que cela ne les regarde. En effet, en raison d'un amour propre qu'on nourrit de manière désordonnée pour soi-même, on cherche seulement ce qui est bon pour soi. Et on estime que chacun ne doit faire que ce qui est bon pour lui. C'est de cette opinion générale que vient [cette impression] que ceux-là seuls sont prudents qui se mêlent de leurs propres affaires. |
[73910] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 12 Deinde cum dicit quamvis
forte etc., excludit hunc errorem. Et dicit quod proprium bonum uniuscuiusque
singularis personae non potest esse sine yconomia, id est recta
dispensatione domus, neque sine urbanitate, id est recta dispensatione
civitatis, sicut nec bonum partis potest esse sine bono totius. Unde patet
quod politici et oeconomici non intendunt circa aliquid superfluum, sed circa
id quod ad seipsos pertinet. |
1206.- Il rejette cette erreur. Il dit que le bien propre de chaque personne singulière ne peut exister sans l'économique, c’est-à-dire sans la juste gestion de la maison, ni sans le civisme, C’est-à-dire sans la juste gestion d’e la ci té, comme le bien de la partie ne peut exister sans le bien du tout. C’est pourquoi, il appert que les politiques et les économes ne poursuivent pas quelque chose de superflu, mais ce qui leur appartient à eux-mêmes. |
#1206. — Ensuite (1142a9), il exclut cette erreur. Il dit que le bien propre de chaque personne singulière ne peut aller sans économie, c'est-à-dire sans administration correcte de la maison, ni sans civilité, c'est-à-dire sans administration correcte de la cité, comme, non plus, le bien d'une partie ne peut aller sans le bien du tout. De là, il devient manifeste que les [hommes] politiques et économiques ne se mêlent pas de quelque chose de superflu, mais de ce qui les concerne. |
[73911] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 13 Nec tamen sufficit
politica et oeconomica sine prudentia propriorum. Quia recte disposita
civitate et domo, adhuc est immanifestum qualiter oportet disponere ea quae
ad seipsum pertinent. Et ideo oportet ad hoc intendere per prudentiam quae
est circa proprium bonum. |
1207.- On ne peut dire non plus que les prudences politiques et économiques sont suffisantes sans la prudence qui conserve les biens personnels propres. En effet, une fois que la cité et la maison sont bien ordonnées, il n'est pas encore manifeste comment il faut disposer ce qui appartient à soi-même. C'est pourquoi, il faut tendre à ce but par la prudence qui porte sur son bien propre. |
#1207. — Cependant, la politique et l'économique ne suffisent pas, sans la prudence [portant sur les biens] propres. Car, même une fois correctement disposées la cité et la maison, il n'est pas encore manifeste comment chacun doit disposer ce qui le touche lui-même. C'est pourquoi il faut s'en occuper par la prudence qui porte sur son propre bien. |
[73912] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 14 Deinde cum dicit: signum
autem etc., manifestat quiddam quod supra dictum est: scilicet quod prudentia
non sit solum circa universalia, sed etiam circa singularia. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit propositum. Secundo ex hoc comparat prudentiam
scientiae et intellectui, ibi, quoniam autem prudentia et cetera. Circa
primum ponit duas rationes. Circa quarum primam duo facit: primo manifestat
propositum per signum quoddam. Secundo circa hoc quamdam quaestionem inducit,
ibi: quia et hoc utique aliquis et cetera. Dicit ergo primo quod signum (est)
eius quod supra dictum est, scilicet quod prudentia non sit solum circa universalia
sed etiam circa particularia, quia iuvenes fiunt geometrici et
disciplinati, idest in scientiis disciplinalibus sive mathematicis
instructi, et fiunt sapientes in talibus, id est ad perfectionem et
terminum harum scientiarum pertingentes, non autem videtur quod iuvenis fiat
prudens. Cuius causa est, quia prudentia est circa singularia quae fiunt
nobis cognita per experientiam. Iuvenis autem non potest esse expertus, quia
ad experientiam requiritur temporis multitudo. |
1208.- Il manifeste une considération qu'il a faite auparavant, à savoir que la prudence n'a pas uniquement comme objet l’universel, mais aussi les singuliers. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il montre son intention. En second, il compare, à partir de là, la prudence à la science et à l'intelligence. Dans son premier point, il donne deux raisons. La première raison se divise en deux parties. Dans la première; il montre ce qu'il a l'intention de développer par un certain signe. En second, il soumet sur ce sujet un certain problème. Il dit donc, en premier, que le signe de ce qu'il a dit plus haut, à savoir que la prudence ne porte pas uniquement sur les universaux, mais aussi sur les singuliers, est que les jeunes deviennent géomètres et acquièrent les disciplines, c'est-à-dire deviennent des maîtres dans les sciences qui peuvent s’enseigner ou les mathématiques, et deviennent sages dars ces disciplines. C’est-à-dire dans tout ce qui appartient à la perfection de ces sciences; et pourtant, il ne semble pas que le jeune homme devienne prudent. La raison en est que la prudence porte sur les singuliers qui nous sont connus par l’expérience. Or, le jeune homme ne peut être expérimenté parce que l'expérience requiert grande longueur de temps. |
#1208. — Ensuite (1142a11), il manifeste une chose dite plus haut (#1194): la prudence ne porte pas seulement sur les universels, mais aussi sur les singuliers. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. À partir de cela, il compare, en second, la prudence à la science et à l'intelligence (1142a23). Sur le premier [point], il présente deux raisons. À propos de la première d'entre elles, il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos par un signe. En second, il induit une question à ce [sujet] (1142a16). Il dit donc, en premier, qu'un signe de ce qui a été dit plus haut, à savoir, que la prudence ne porte pas seulement sur les universels, mais aussi sur les particuliers, est que les jeunes se font géomètres et disciplinés, c'est-à-dire se font enseigner dans les sciences où on peut se faire instruire, ou mathématiques, et deviennent sages en de telles [choses], c'est-à-dire touchant à la perfection de 219 ces sciences; mais il ne semble toutefois pas que le jeune se fasse prudent. La cause en est que la prudence porte sur les singuliers, qui se font connaître de nous à travers l'expérience. Or le jeune ne peut pas être un expert, puisque l'[acquisition d']expérience requiert beaucoup de temps. |
[73913] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 15 Deinde cum dicit quia et
hoc utique etc., movet circa hoc quaestionem, scilicet quare puer posset
fieri mathematicus, non autem possit fieri sapiens, id est
metaphysicus, vel physicus, id est naturalis. Et ad hoc respondet
quantum ad naturalem quia haec quidem, scilicet mathematica, cognoscuntur per
abstractionem a sensibilibus quorum est experientia; et ideo non requiritur
ad cognoscendum talia temporis multitudo, sed principia naturalium, quae non
sunt abstracta a sensibilibus, per experientiam considerantur, ad quam requiritur
temporis multitudo. |
1209.- Là-dessus il ouvre un problème, à savoir pourquoi l'enfant peut devenir mathématicien, alors qu'il ne peut devenir sage, c'est-à-dire métaphysicien ou physicien, c’est-à-dire philosophe de la nature. A cela, le Philosophe répond que c'est parce que les objets des mathématiques sont connus par abstraction des choses sensibles, sur lesquelles porte l'expérience; c'est pourquoi, la connaissance des entités mathématiques ne requiert pas "longueur de temps". Mais les principes naturels qui ne sont pas abstraits des choses sensibles sont connus par l’expérience, qui requiert beaucoup de temps. |
#1209. — Ensuite (1142a16), il soulève une question à ce [propos], à savoir pourquoi un enfant peut devenir mathématicien, mais ne peut devenir sage, c'est-à-dire métaphysicien ou physicien, c'est-à-dire naturaliste. À quoi le Philosophe répond que ces [choses], bien sûr, à savoir les [objets] mathématiques, se connaissent abstraction faite des [choses] sensibles sur lesquelles porte l'expérience; aussi, pour les connaître, beaucoup de temps n'est pas requis. Mais les principes naturels, qui ne sont pas abstraits des [choses] sensibles, sont considérés par l'expérience, en vue de laquelle beaucoup de temps est requis. |
[73914] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7 n. 16 Quantum autem ad sapientiam, subiungit quod iuvenes
sapientialia quidem scilicet metaphysicalia non credunt, idest non
attingunt mente, licet ea dicant ore, sed circa mathematica non est
immanifestum eis quod quid est. Cuius ratio est quia rationes mathematicorum
sunt rerum imaginabilium, sapientialia autem sunt pure intellectualia;
iuvenes autem de facili possunt capere ea quae sub imaginatione cadunt, sed
ad illa quae excedunt sensum et imaginationem non attingunt mente, quia nondum
habent intellectum validum et exercitatum ad tales considerationes, tum
propter parvitatem temporis, tum propter plurimas mutationes naturae. |
1210.- En ce qui a trait à la sagesse, il ajoute que les jeunes ne croient pas aux objets de la sagesse ou de la métaphysique, c’est-à-dire qu'ils ne les saisissent pas vraiment dans leur esprit, bien qu'ils récitent des mots; mais l'essence des objets mathématiques ne leur est pas caché, leur est facilement accessible, parce que les notions des mathématiques appartiennent aux choses imaginables; mais les objets de la métaphysique sont purement intelligibles. Or, les jeunes gens peuvent facilement saisir ce qui tombe sous l'imagination. Mais ils n'atteignent pas intellectuellement ce qui transcende le sens et l'imagination, parce qu'ils n'ont pas encore l’intelligence exercée et formée à de telles considérations, et à cause du manque de temps (du peu de temps) et à cause des multiples transformations de leur nature. |
#1210. — Quant à la sagesse, il ajoute que les jeunes, certes, n'adhèrent pas aux [objets] de sagesse, à savoir, métaphysiques, [et que] leur esprit ne les rejoint pas, bien qu'ils en parlent avec leur bouche; mais pour les [objets] mathématiques, ce qu'ils sont n'est pas immanifeste pour eux, parce que les définitions des [objets] mathématiques portent sur des choses imaginables, tandis que les [objets] de sagesse sont purement intelligibles. Or les jeunes peuvent facilement appréhender ce qui tombe sous leur imagination. Mais leur esprit ne rejoint pas ce qui excède leur sens et leur imagination, parce qu'ils n'ont pas encore une intelligence exercée à de telles considérations, tant à cause du manque de temps, qu'à cause de plusieurs changements de nature. |
[73915] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 17 Erit ergo hic congruus
ordo addiscendi, ut primo quidem pueri logicalibus instruantur, quia logica
docet modum totius philosophiae. Secundo autem instruendi sunt in mathematicis quae
nec experientia indigent, nec imaginationem transcendunt. Tertio autem in
naturalibus, quae, etsi non excedant sensum et imaginationem, requirunt tamen
experientiam; quarto autem in moralibus, quae requirunt et experientiam et
animum a passionibus liberum, ut in primo habitum est. Quinto autem in sapientialibus et divinis quae transcendunt
imaginationem et requirunt validum intellectum. |
1211.- Et donc, l'ordre convenable d'apprendre (des études) sera d'instruire les enfants en logique, parce que la logique enseigne la méthode de toute la philosophie. Ensuite, il faudra leur enseigner les mathématiques qui n’exigent pas d'expérience et qui ne dépassent pas l'imagination. En troisième, il faudra leur enseigner les choses de la nature qui, bien qu'elles ne dépassent pas le sens et l’imagination, requièrent cependant l’expérience. En quatrième lieu, il faudra les instruire dans les choses morales qui requièrent l’expérience et une âme libérée des passions, comme il est acquis par le premier livre. En cinquième, il faudra les instruire dans les choses sapientiales et divines qui transcendent l’imagination et exigent une intelligence vigoureuse. |
#1211. — Ce sera donc un ordre convenable, pour l'apprentissage, qu'en premier, certes, les enfants soient instruits des [choses] logiques, parce que la logique enseigne le mode de la philosophie entière. En second, par ailleurs, ils doivent être instruits en mathématiques, pour quoi ils n'ont pas besoin non plus d'expérience. En troisième, par ailleurs, dans les [choses] naturelles; même si elles n'excèdent pas le sens et l'imagination, elles requièrent cependant de l'expérience. En quatrième, dans les choses morales, qui requièrent de l'expérience et un esprit libre des passions, comme on en a traité au premier [livre] (#38-40). En cinquième, enfin, dans les [choses] sapientielles et divines, qui transcendent l'imagination et requièrent une intelligence valide. |
[73916] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 18 Secundam rationem ponit
ibi, adhuc peccatum et cetera. Dictum est enim quod prudentis opus est bene
consiliari. In consiliando autem dupliciter contingit peccare. Uno modo circa
universale: puta an hoc sit verum, quod omnes aquae ponderosae sint pravae. Alio modo circa
singulare, puta an haec aqua sit ponderosa. Ergo
oportet, quod prudentia sit directiva, et circa universalia, et circa
singularia. |
1212.- En effet, on a dit que l'œuvre du prudent est de bien délibérer. Or, dans la délibération on peut pécher de deux manières. D'une première façon, par rapport à l'universel; par exemple, s'il est vrai que toutes les eaux lourdes sont malsaines. D’une seconde façon, par rapport au singulier: par exemple, si cette eau-ci est lourde. Il faut donc que la prudence dirige et par rapport aux universaux et par rapport aux singuliers. |
#1212. — Il présente une seconde raison (1142a20). Il a été dit, en effet (#1164) que la tâche du prudent est de bien délibérer. En délibérant, par ailleurs, on peut se rendre fautif de deux manières. D'une manière, à propos de l'universel: par exemple, si c'est vrai, que toutes les eaux lourdes soient nocives. D'une autre manière, à propos du singulier, par exemple, si cette eau-ci est lourde. La prudence doit donc se faire directive à la fois quant aux universels et quant aux singuliers. |
[73917] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 19 Deinde cum dicit: quoniam
autem prudentia etc., comparat secundum praedicta (prudentiam) primo quidem
scientiae. Secundo autem intellectui, ibi: susceptibiles quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo, quod ex praedictis est manifestum, quod prudentia
non est scientia. Scientia enim est universalium, ut supra habitum est,
prudentia autem est extremi, id est singularis, quia est operabilis
quod est singulare. Et sic patet, quod prudentia non est scientia. |
1213.- D’après ce qu’il vient de dire, il compare la prudence: d'abord à la science; en second, à l'intelligence. Il dit donc, en premier, que d'après les considérations précédentes la prudence n'est pas la science. La science, en effet, a comme objet l'universel, comme on l'a dit plus haut; mais la prudence porte sur l'extrême, c'est-à-dire le singulier, parce qu’elle a comme objet l'opérable, qui est singulier. Et ainsi, il est clair que la prudence n'est pas la science. |
#1213. — Ensuite (1142a23), il compare la prudence à des [vertus] mentionnées. En premier, bien sûr, à la science. En second, par ailleurs, à l'intelligence (1142a25). Il dit donc, en premier, qu'il devient manifeste, à partir de ce qui a été dit, que la prudence n'est pas une science. La science, en effet, porte sur les universels, comme il en a été traité plus haut (#1145-1175); mais la prudence, elle, [porte] sur l'extrême, c'est-à-dire sur le singulier, parce qu'elle porte sur l'action à poser, qui est singulière. Ainsi devient-il manifeste que la prudence n'est pas une science. |
[73918] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 20 Deinde cum dicit:
susceptibiles quidem etc., comparat prudentiam intellectui. Et primo ostendit
convenientiam. Secundo differentiam, ibi, quaerere autem et cetera. Dicit
ergo primo, quod tam scientia quam prudentia sunt susceptibiles, vel attingibiles
(secundum aliam litteram) intellectui, idest habent aliquam
cohaerentiam cum intellectu, qui est habitus principiorum. Dictum est enim
supra; quod intellectus est quorumdam terminorum sive extremorum,
idest principiorum indemonstrabilium, quorum non est ratio, quia non possunt
per rationem probari, sed statim per se innotescunt. Haec autem, scilicet
prudentia, est extremi, scilicet singularis operabilis, quod oportet accipere
ut principium in agendis: cuius quidem extremi non est scientia, quia non
probatur ratione, sed est eius sensus, quia aliquo sensu percipitur, non
quidem illo quo sentimus species propriorum sensibilium, puta coloris, soni
et huiusmodi, qui est sensus proprius; sed sensu interiori, quo percipimus
imaginabilia, sicut in mathematicis cognoscimus extremum trigonum,
idest singularem triangulum imaginatum, quia etiam illic, idest in
mathematicis statur ad aliquod singulare imaginabile, sicut etiam in
naturalibus statur ad aliquod singulare sensibile. |
1214.- Il compare la prudence à l'intelligence. Et, en premier, il montre leur convenance. En second, il manifeste leur différence. Il dit donc, en premier que la prudence aussi bien que la science sont susceptibles d’intelligence ou du moins atteignent l’intelligence (d'après une autre traduction), c’est-à-dire possèdent une certaine ressemblance avec l'intelligence, qui est l'habitus des premiers principes. En effet, on a dit plus haut que l'intelligence a comme objet certains termes ou extrêmes, c'est-à-dire que c’est d'elle que relèvent les principes indémontrables, qui ne sont pas l’objet de la raison, parce qu’ils ne peuvent être prouvés par la raison, mais sont immédiatement connus par eux-mêmes. Mais la prudence a comme objet l'extrême, à savoir le singulier opérable, qu’il faut prendre comme principe dans les actions. La science non plus ne porte pas sur cet extrême, parce qu'il n'est pas prouvé par la raison, mais est objet du sens, étant perçu par un certain sens. Il ne s'agit pas du sens par lequel nous sentons les espèces des sensibles propres, de la couleur ou du son par exemple, qui est le sens propre; mais il s’agit d'un sens intérieur, par lequel nous percevons les objets imaginables, comme dans les mathématiques nous connaissons le triangle extrême, c'est-à-dire le triangle singulier imaginé; car dans ce domaine aussi, c’est-à-dire dans les mathématiques, on s'arrête à un singulier imaginable. Ainsi en est-il aussi dans les choses naturelles, où l'on s'arrête à un singulier sensible. |
#1214. — Ensuite (1142a25), il compare la prudence à l'intelligence. En premier, il montre leur convenance. En second, leur différence (1142a31). Il dit donc, en premier, que tant la science que la prudence sont susceptibles, ou accessibles — selon une autre lettre — d'intelligence, c'est-à-dire ont une convenance avec l'intelligence, qui est l'habitus des principes. Il a été dit plus haut (#1175-1179), en effet, que l'intelligence porte sur certains termes, ou extrêmes, c'est-à-dire sur des principes indémontrables, dont il n'existe pas de raison, parce qu'ils ne peuvent être prouvés par raison, mais sont connus aussitôt par soi. Celle-ci, par ailleurs, à savoir, la prudence, porte sur un extrême, à savoir, l'action singulière à poser, qu'il faut prendre comme principe dans les actions à poser: or de cet extrême, certes, il n'y a pas de science, parce qu'il n'est pas prouvé par raison, mais il y en a sens, parce qu'il est perçu par un sens: non pas, certes, par celui par lequel nous sentons les espèces des sensibles propres, par exemple, de la 220 couleur, du son et de [choses] de la sorte, qui constitue le sens propre; mais par le sens interne, par lequel nous percevons les [choses] imaginables, comme dans les mathématiques nous connaissons l'extrême trigone, c'est-à-dire le triangle singulier imaginé, parce que, même là, c'est-à-dire en mathématiques, on s'arrête à un singulier imaginable, comme aussi, dans les [choses] naturelles, on s'arrête à un singulier sensible. |
[73919] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 21 Et ad istum sensum, idest
interiorem, magis pertinet prudentia, per quam perficitur ratio particularis
ad recte aestimandum de singularibus intentionibus operabilium. Unde et
animalia bruta, quae habent bonam aestimativam naturalem dicuntur participare
prudentia. Sed illius sensus, qui est circa propria sensibilia, est quaedam
alia species perfectiva, puta industria quaedam discernendi colores et
sapores et alia huiusmodi. Et ita prudentia convenit cum intellectu in hoc,
quod est esse alicuius extremi. |
1215.- Et la prudence, qui perfectionne la raison particulière pour qu'elle juge correctement des intentions singulières des opérables, appartient davantage à ce sens intérieur. De là vient que les brutes, qui ont un bon discernement naturel, sont dites prudentes. Mais c'est une autre espèce qui perfectionne le sens qui porte sur les sensibles propres: par exemple, une certaine attention à discerner les couleurs, les saveurs et les sensibles de cette sorte (Il s'agit du développement de la capacité d'observation- une certaine acuité de ces sens). Et ainsi la prudence ressemble à l'intelligence en ceci qu'elle porte sur un extrême. |
#1215. — Et ce sens, ce sens interne, relève plutôt de la prudence, par laquelle la raison particulière est amenée à sa perfection, de manière à apprécier correctement les intentions singulières des actions à poser. Par suite, les animaux brutes qui ont une bonne estimative naturelle sont aussi appelés prudents. Mais pour ce sens qui porte sur les sensibles propres, il existe une autre espèce d'[habitus] perfectif, une sorte d'application à discerner les couleurs, et les saveurs, et les autres [objets] du genre. Ainsi, la prudence convient avec l'intelligence en cela qu'elle porte sur un extrême. |
[73920] Sententia Ethic., lib. 6 l. 7
n. 22 Deinde cum dicit:
quaerere autem etc., ostendit differentiam inter prudentiam et intellectum.
Intellectus enim non est inquisitivus; prudentia autem est inquisitiva: est
enim consiliativa. Consiliari autem et quaerere differunt sicut proprium et
commune. Nam consiliari est quoddam quaerere, ut in tertio dictum est. |
1216.- Il montre la différence entre la prudence et l'intelligence. En effet, l'intelligence n'est pas inquisitive, mais la prudence l'est: elle est délibératrice. Cependant la délibération et la recherche diffèrent comme le propre et le commun. La délibération est une certaine recherche, comme on l'a dit dans le troisième livre. |
#1216. — Ensuite (1142a31), il montre la différence entre prudence et intelligence. L'intelligence, en effet, n'est pas investigatrice, tandis que la prudence est investigatrice: elle est, en effet, délibérative. Or délibérer et investiguer diffèrent comme le propre et le commun. En effet, délibérer est une sorte d'investigation, comme on a dit au troisième [livre] (#473, 476, 482). |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
|
|
|
[73921] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 1 Oportet autem assumere et
cetera. Postquam philosophus determinavit de prudentia et aliis virtutibus
intellectualibus principalibus, hic determinat de quibusdam virtutibus
adiunctis prudentiae. Et primo determinat de singulis earum secundum se.
Secundo comparat eas adinvicem et ad prudentiam, ibi, sunt omnes habitus et
cetera. Circa primum tria facit: primo determinat de eubulia; secundo de
synesi, ibi: est autem et synesis etc.; tertio de gnome, ibi, vocata autem
gnome et cetera. Circa primum tria facit. Primo inquirit genus eubuliae,
ostendens, quod sit quaedam rectitudo. Secundo ostendit cuius sit rectitudo,
ibi, neque scientiae autem et cetera. Tertio ostendit qualis rectitudo sit,
ibi: quia autem rectitudo et cetera. Circa primum duo facit: primo (dicit) de
quo est intentio. Secundo exequitur, ibi, scientia quidem et cetera. Dicit
ergo primo, quod post tractatum de principalibus virtutibus intellectualibus,
oportet assumere ad complementum cognitionis praedictarum virtutum de
eubulia, quae dicitur bona consiliatio, quid sit: utrum scilicet sit scientia
quaedam, vel saltem opinio, vel etiam Eustochia, idest bona
coniecturatio, vel in quo alio genere sit. |
|
#1217. — Après avoir traité de la prudence et des autres vertus intellectuelles principales, le Philosophe traite ici de certaines vertus adjointes à la prudence. En premier, il traite de chacune en elle-même (1142a32). En second, il les compare entre elles et avec la prudence (1143a25). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il s'enquiert du genre de la bonne délibération5. En second, du discernement6 (1142b34). En troisième, de la réflexion7 (1143a19). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il s'enquiert du genre de la bonne délibération, en montrant qu'il consiste en une rectitude. En second, il montre de quoi elle est la rectitude (1142b9). En troisième, il montre quelle sorte de rectitude elle est (1142b17). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi porte son intention. En second, il l'exécute (1142a34). Il dit donc, en premier, qu'après le traité des principales vertus intellectuelles, il faut considérer, pour compléter la connaissance des vertus présentées, la nature de la délibération, c'est-à-dire de la bonne délibération: est-ce une science, ou plutôt une opinion, ou encore une clairvoyance8, c'est-à-dire une habileté à conjecturer? ou alors, en quel autre genre se trouve-t-elle? |
[73922] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 2 Deinde cum dicit: scientia
quidem etc., ostendit quid sit genus eubuliae. Et primo ostendit in quo
genere non sit; secundo concludit genus eius, ibi: sed quia qui quidem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod eubulia non sit
scientia; secundo quod non sit Eustochia, ibi, sed tamen neque Eustochia
etc.; tertio quod non sit opinio, ibi, neque utique opinio et cetera. Dicit
ergo primo quod eubulia non est scientia. Quod quidem patet per hoc, quod
habentes scientiam iam non quaerunt de illis de quibus sciunt, sed habent
certam notitiam de eis. Eubulia autem, cum sit quoddam consilium, est cum
quadam inquisitione. Ille enim, qui consiliatur, quaerit et ratiocinatur. Sed
scientia habetur in termino inquisitionis; ergo eubulia non est scientia. |
|
#1218. — Ensuite (1142a34), il montre quel est le genre de la délibération. En premier, il manifeste quel n'est pas son genre. En second, il conclut son genre (1142b7). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la délibération, comme vertu, n'est pas une science. En second, il montre qu'elle n'est pas une clairvoyance (1142b2). En troisième, il montre qu'elle n'est pas non plus une opinion (1142b6). Il dit donc, en premier, que la délibération n'est pas une science. Cela, certes, devient manifeste du fait que ceux qui possèdent une science n'enquêtent plus sur ce qu'ils savent de science: ils en ont déjà, au contraire, une connaissance assurée. Or la bonne délibération, comme elle constitue une délibération, s'accompagne de recherche. Celui qui délibère, en effet, enquête et raisonne. Or le 220 raisonnement n'est obtenu qu'au terme de la recherche. Donc, la bonne délibération n'est pas une science. |
[73923] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 3 Deinde cum dicit: sed
tamen neque Eustochia etc., ostendit, quod eubulia non sit Eustochia, duplici
ratione. Quarum prima talis est. Eustochia, idest bona coniecturatio
est sine rationis inquisitione et est velox; provenit enim aliquibus ex hoc
quod habent promptum iudicium intellectus vel sensitivae partis ad recte
existimandum de aliquo, propter subtilitatem spirituum, et bonitatem
imaginationis, et puritatem sensitivorum organorum. Cooperatur etiam ad hoc multa
experientia. Et haec duo desunt eubuliae. Eubulia
enim, ut dictum est, est cum inquisitione rationis, et ex alia parte non est
velox, sed magis boni consiliatores consiliantur multo tempore, ut diligenter
perquirant omnia quae pertingunt negotium; unde et in proverbio dicunt quod
oportet ea quae sunt determinata in consilio velociter exequi, sed consiliari
tarde. Unde patet, quod eubulia non est Eustochia. |
|
#1219. — Ensuite (1142b2), il montre que la délibération n'est pas une clairvoyance, avec deux raisons. La première est la suivante. La clairvoyance, c'est-à-dire l'habileté à conjecturer, agit sans investigation rationnelle, et elle est rapide. Elle survient, en effet, du fait qu'on exerce, avec son intelligence ou sa partie sensible, un jugement prompt pour aboutir à l'appréciation correcte d'une chose, grâce à la subtilité des pensées, et à la bonté de l'imagination, et à la pureté des organes sensibles. La quantité de l'expérience y contribue aussi. Or ces deux [éléments] manquent à la délibération. La bonne délibération, en effet, comme il a été dit (#1218), s'accompagne d'investigation rationnelle; de plus, elle n'est pas rapide: au contraire, ceux qui délibèrent bien y mettent beaucoup de temps, pour examiner avec diligence et exhaustivité tout ce qui concerne leur affaire. Aussi des proverbes disent-ils, concernant les choses déterminées dans une délibération, qu'il faut les exécuter vite, mais en délibérer lentement. |
[73924] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 4 Secundam rationem ponit
ibi adhuc sollertia et cetera. Quae talis est. Si eubulia esset idem quod
Eustochia, oporteret quod quicquid continetur sub Eustochia contineretur sub
eubulia. Sed sollertia est quaedam species Eustochiae, est enim bona
coniecturatio circa inventionem medii, differt tamen solertia ab eubulia,
quia eubulia non est circa finem, qui se habet in operabilibus sicut medium
in syllogismis: non enim est consilium de fine, ut dictum est in tertio. Ergo
eubulia non est idem quod Eustochia. |
|
#1220. — Il amène ensuite sa seconde raison (1142b5), qui est la suivante. Si la délibération était la même [chose] que la clairvoyance, il faudrait que tout ce qui est contenu sous la clairvoyance soit contenu sous la délibération. Or la vivacité9 est une espèce de clairvoyance. C'est, en effet, la conjecture qui porte sur la découverte du moyen [terme]. Cependant, la vivacité diffère de la délibération, parce que la délibération ne porte pas sur la fin, qui tient, dans les opérations à poser, la place que tient le moyen, dans les syllogismes: en effet, il n'y a pas de délibération sur la fin, comme il a été dit au troisième [livre] (#473-474). Donc, la délibération n'est pas la même chose que la clairvoyance. |
[73925] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 5 Deinde cum dicit: neque
utique opinio etc., ostendit, quod eubulia non sit opinio: ita scilicet quod
non solum non omnis opinio sit eubulia, sed quod neque una, id est nulla,
opinio sit eubulia. Et hoc patet eadem ratione quam supra proposuit de
scientia. Licet enim opinans non sit certus, tamen iam determinavit se ad
unum; quod non contingit consilianti. |
|
#1221. — Ensuite (1142b6), il montre que le bon conseil n'est pas une opinion: au point que non seulement ce n'est pas toute opinion qui relève du bon conseil, mais même il n'y a pas une seule opinion qui s'assimile au bon conseil. Cela se rend manifeste par la même raison amenée plus haut à propos de la science (#1145, 1165). En effet, celui qui tient une opinion n'est sans doute pas certain; cependant, il s'est déjà fixé sur une [contradictoire]; cela n'est pas encore le cas pour celui qui délibère. |
[73926] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 6 Deinde cum dicit sed quia
qui quidem etc., ostendit quid sit verum genus eubuliae, per hoc, quod ille
qui male consiliatur, dicitur peccare in consiliando; qui autem bene
consiliatur, dicitur recte consiliari. Et talis est Eubulus; unde manifestum
est quod eubulia est quaedam rectitudo. |
|
#1222. — Ensuite (1142b7), il montre quel est le vrai genre du bon conseil, partant de ce qu'on dit que celui qui délibère mal commet une faute en délibérant, et que celui qui délibère bien délibère correctement. Or c'est lui le bon conseiller. Aussi est-il manifeste que le bon conseil consiste en une rectitude. |
[73927] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 7 Deinde cum dicit: neque
scientiae autem etc., ostendit cuius sit rectitudo. Et primo ostendit cuius
non sit rectitudo. Secundo cuius sit, ibi, sed rectitudo quaedam et cetera.
Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit, quod eubulia
non est rectitudo, neque scientiae, neque opinionis. |
|
#1223. — Ensuite (1142b9), il montre de quoi il est la rectitude. En premier, il montre de quoi il n'est pas la rectitude. En second, de quoi il l'est (1142b16). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il vise. Et il dit que le bon conseil n'est la rectitude ni de la science, ni de l'opinion. |
[73928] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 8 Secundo ibi, scientiae
quidem etc., ostendit propositum. Et primo quantum ad scientiam. Illud enim
videtur indigere rectitudine, qua rectificetur, in quo contingit esse
peccatum; sed in scientia non contingit esse peccatum, cum sit semper
verorum; ergo eubulia non est rectitudo scientiae. |
|
#1224. — En second (1142b10), il montre son propos. En premier, quant à la science. Car ce qui a besoin d'une rectitude par laquelle il soit rectifié, c'est manifestement ce en quoi il peut y avoir faute. Or il ne peut y avoir de faute dans la science, comme elle porte sur ce qui est toujours vrai et nécessaire. Donc, le bon conseil n'est pas la rectitude de la science. |
[73929] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 9 Secundo ibi: opinionis
autem etc., ostendit propositum quantum ad opinionem. Et hoc duplici ratione.
Quarum prima talis est. Opinionis quidem, quia in ea contingit esse peccatum,
potest esse aliqua rectitudo. Sed rectitudo eius non dicitur bonitas, sed
veritas, sicut et peccatum eius dicitur falsitas. Ergo eubulia, quae a
bonitate denominatur, non est rectitudo opinionis. |
|
#1225. — En second (1142b11), il montre son propos quant à l'opinion. Et cela avec deux raisons, dont la première est la suivante. Pour l'opinion, certes, comme elle peut comporter faute, il peut exister une rectitude. Toutefois, sa rectitude ne se dit pas bonté, mais vérité, comme aussi sa faute se dit fausseté. Donc, le bon conseil, qui est dénommé à partir de la bonté, n'est pas la rectitude de l'opinion. |
[73930] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 10 Secundam rationem ponit
ibi, similiter autem et cetera. Et dicit, quod omne illud de quo habetur
opinio, iam est determinatum quantum ad opinantem, licet non sit determinatum
quantum ad rei veritatem. Et in hoc eubulia deficit ab opinione, quia non est
sine ratione inquirente. Eubulia enim non est enunciatio alicuius rei, sed
inquisitio. E contrario autem opinio non est inquisitio, sed quaedam
enuntiatio opinati; opinans enim dicit verum esse quod opinatur. Sed ille qui
consiliatur vel bene vel male adhuc quaerit aliquid et ratiocinatur, nondum
autem enuntiat ita esse vel non esse. Ergo eubulia non est rectitudo
opinionis. |
|
#1226. — Il présente ensuite sa seconde raison (1142b11). 220 Il dit que tout ce sur quoi il existe une opinion est déjà établi, pour celui qui en a opinion, bien que ce ne soit pas établi, au regard de la vérité de la chose. En cela, le bon conseil décline de l'opinion, parce qu'il ne va pas sans raison investigatrice. En effet, le bon conseil n'est l'énonciation d'aucune chose, mais son investigation, tandis qu'au contraire, l'opinion n'est pas une investigation, mais l'énonciation de celui qui la tient. Celui qui tient une opinion, en effet, prétend vrai l'objet de son opinion, tandis que celui qui délibère bien ou mal, cherche un autre [appui] et raisonne pour y parvenir: aussi n'énonce-t-il pas encore qu'il en soit ou n'en soit pas ainsi. Donc, le bon conseil n'est pas la rectitude de l'opinion. |
[73931] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8 n. 11 Deinde cum dicit: sed rectitudo quaedam etc., ostendit
cuius sit rectitudo eubulia. Et dicit, quod ex quo non est rectitudo
scientiae neque opinionis, relinquitur, quod sit quaedam rectitudo consilii,
ut ipsum nomen significat. Et inde est, quod ad perfectam notitiam eubuliae
oportet inquirere quid sit consilium, et circa quid sit. Et haec supra
determinata sunt in tertio; unde non oportuit quod hic resumerentur. |
|
#1227. — Ensuite (1142b16), il montre de quoi le bon conseil est la rectitude. Comme ce n'est pas la rectitude de la science, ni de l'opinion, il reste, dit-il, qu'il soit la rectitude de la délibération, comme son nom même le signifie. Il s'ensuit que, pour se faire une idée exacte du bon conseil, il faut chercher quelle est la nature de la délibération, et sur quoi elle porte. Or cela a été traité plus haut, au troisième [livre] (#458-482); aussi cela n'a-t-il pas dû être repris ici. |
[73932] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 12 Deinde cum dicit: quia
autem rectitudo etc., ostendit qualis rectitudo sit eubulia. Et circa hoc
determinat quatuor conditiones eubuliae per ordinem. Dicit ergo primo quod
rectitudo multipliciter dicitur. Uno modo proprie, alio modo metaphorice. Proprie
quidem dicitur in bonis; secundum similitudinem autem etiam dicitur in malis,
ut si dicamus quod aliquis sit rectus fur, sicut dicimus quod est bonus fur. |
|
#1228. — Ensuite (1142b17), il montre quelle sorte de rectitude est le bon conseil. À ce [sujet], il détermine quatre conditions du bon conseil, dans l'ordre. Il dit donc, en premier, que la rectitude se dit de plusieurs [manières]. D'une manière, proprement, d'une autre manière, métaphoriquement. Elle se dit proprement, certes, en matière de biens; par ressemblance, toutefois, elle se dit en matière de maux, comme si nous parlions d'un voleur correct, pour dire que c'est un bon voleur. |
[73933] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 13 Manifestum est autem quod
non omnis rectitudo consilii est eubulia: non enim est rectitudo consilii in
malis, sed in bonis tantum. Incontinens enim et pravus quandoque adipiscitur
per suam ratiocinationem illud quod proponit cognoscere, puta cum invenit
viam per quam possit peccatum perpetrare. Unde per similitudinem dicitur
recte consilians, inquantum scilicet invenit viam efficaciter ducentem in
finem, sed tamen assumit pro fine quoddam magnum malum, puta furtum vel
adulterium. Sed bene consiliari, quod significat nomen eubuliae, videtur esse
quoddam bonum. Unde manifestum est quod talis rectitudo consilii est eubulia,
per quam aliquis adipiscitur bonum finem. |
|
#1229. — Il est manifeste, par ailleurs, que toute rectitude de délibération n'est pas bon conseil: en effet, il n'existe pas de rectitude de délibération en matière de maux, mais seulement en matière de biens. L'incontinent et le méchant arrivent parfois, par leur raisonnement, à ce qu'ils se proposent de connaître, par exemple, lorsqu'ils trouvent la manière efficace de perpétrer leur faute. Aussi, par ressemblance, on dit qu'ils délibèrent correctement, dans la mesure où ils découvrent la méthode qui conduit efficacement à leur mauvaise fin. Pourtant, ils prennent pour fin un grand mal, par exemple, le vol ou l'adultère. Mais bien délibérer, ce que signifie le nom du bon conseil, est manifestement un bien. Aussi, il est manifeste que le bon conseil est une rectitude de délibération propre à faire atteindre une fin bonne. |
[73934] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 14 Secundam conditionem
ponit ibi: sed est et hoc et cetera. Ubi considerandum est quod contingit in
syllogisticis aliquando concludi veram conclusionem per falsum syllogismum.
Et ita etiam in operabilibus contingit quandoque pervenire ad bonum finem per
aliquam malam viam. Et hoc est quod dicit, quod contingit aliquando sortiri
bonum finem quasi falso syllogismo, ita scilicet quod aliquis consiliando
perveniat ad id quod oportet facere, sed non per quod oportet, puta cum
aliquis furatur, ut subveniat pauperi, et hoc est ac si in syllogismo aliquis
ad veram conclusionem assumeret medium aliquem falsum terminum. |
|
#1230. — Il présente ensuite sa seconde condition (1142b22). Là, il est à considérer qu'il arrive, en matière de syllogismes, de conclure parfois une conclusion vraie avec un syllogisme faux. De même aussi, en matière d'actions à poser, il arrive parfois que l'on parvienne à une fin bonne au moyen d'un mal. C'est ce qu'il dit, qu'il arrive parfois que l'on tire la fin bonne comme d'un faux syllogisme, de la manière suivante: on parvient, grâce à une délibération, à ce qu'il faut faire, mais pas avec le moyen qu'il faut, par exemple, lorsqu'on vole pour assister un pauvre. Tout se passe comme si, en syllogisant pour en venir à une conclusion vraie, on assumait comme moyen un terme faux. |
[73935] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 15 Licet enim in intentione
finis sit sicut principium et medius terminus, tamen in via executionis quam
inquirit consiliator, finis se habet sicut conclusio, et id quod est ad finem
sicut medius terminus. Manifestum est autem quod non dicitur recte
syllogizare qui veram conclusionem per falsum medium concluderet: unde
consequens est quod non sit vere eubulia, secundum quam aliquis adipiscitur
finem quem oportet, non autem per viam per quam oportet. |
|
#1231. — En effet, bien que, dans l'intention, la fin agisse comme principe et moyen terme, cependant, dans la voie de l'exécution, que cherche celui qui délibère, la fin tient lieu de conclusion, et ce qui est en vue de la fin tient lieu de moyen terme. Il est manifeste, par ailleurs, qu'on ne dirait pas que syllogise correctement celui qui conclurait une conclusion vraie avec un moyen faux: aussi est-il conséquent que ce n'est pas vraiment par bonne délibération que l'on atteint la fin qu'il faut, mais non par la voie qu'il faut. |
[73936] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 16 Tertiam condicionem ponit
ibi: adhuc est multum tempus et cetera. Et dicit quod quandoque contingit
quod aliquis multum tempus ponit in consilio, ita quod forte aliquando
elabitur opportunitas exequendi. Contingit etiam quod aliquis nimis velociter
et praecipitanter consiliatur. Unde nec ista est vere eubulia, sed talis
rectitudo consilii quae attendit id quod est utile ad finem et finem quem
oportet et modum et tempus. |
|
#1232. — Il présente ensuite sa troisième [condition] (1142b26). Il dit que, parfois, il arrive que l'on prenne beaucoup de temps pour la délibération, de sorte que parfois, peut-être, le temps d'exécuter sera passé. Il se peut aussi que l'on délibère trop vite et avec précipitation. Aussi, ce n'est pas encore vraiment cela le bon conseil, mais la rectitude de délibération qui fait respecter ce qui est utile à la fin qu'il faut, et à la manière et au temps [qu'il faut]. |
[73937] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 17 Quartam conditionem ponit
ibi: adhuc est simpliciter et cetera. Et dicit quod contingit aliquem esse
qui bene consiliatur simpliciter ad finem totius vitae. Contingit etiam
aliquem esse qui recte consiliatur ad aliquem finem particularem. Unde
eubulia simpliciter erit quae dirigit consilium ad finem communem totius
humanae vitae, illa autem quae dirigit ad quemdam finem particularem, non est
eubulia simpliciter, sed eubulia quaedam. Quia cum prudentium sit bene
consiliari, oportet quod eubulia simpliciter sit rectitudo consilii in ordine
ad illum finem, circa quem veram aestimationem habet prudentia simpliciter
dicta; et hic est finis communis totius humanae vitae, ut supra dictum est. |
|
#1233. — Il présente ensuite sa quatrième condition (1142b28). Il dit qu'il se peut que l'on délibère bien strictement en rapport à la fin de la vie entière. Il se peut aussi que l'on délibère correctement en rapport à une fin particulière. Par conséquent, le bon conseil 220 sera strictement ce qui dirige la délibération en rapport à la fin commune de la vie humaine. Cette [rectitude], par ailleurs, qui rectifie en rapport à une fin particulière n'est pas du bon conseil strictement, mais une espèce de bon conseil. En effet, comme il appartient aux prudents de bien délibérer, il faut que le bon conseil soit strictement la rectitude de la délibération en rapport à cette fin sur laquelle la prudence strictement dite tient une appréciation vraie; or cette [fin] est la fin commune de la vie humaine toute entière, comme il a été dit plus haut (#1163). |
[73938] Sententia Ethic., lib. 6 l. 8
n. 18 Ex omnibus ergo quae
dicta sunt accipi potest quod eubulia est rectitudo consilii ad finem bonum
simpliciter per vias congruas et tempore convenienti. |
|
#1234. — De tout ce qu'on a dit, on peut donc garder que la [vertu de] délibération assure la rectitude de la délibération qui porte sur une fin bonne strictement, par des moyens convenables et dans le temps qui convient. |
Lectio 9 [73939]
Sententia Ethic., lib. 6 l. 9 n. 1 Est autem et synesis et cetera.
Postquam philosophus determinavit de eubulia, hic determinat de synesi. Et
circa hoc duo facit. Primo comparat synesim scientiae et opinioni. Secundo
prudentiae, ibi, propter quod et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit quod non omnis scientia vel opinio est synesis. Secundo ostendit
quod nulla scientia est synesis, ibi, neque aliqua una et cetera. Dicit ergo
primo quod synesis, secundum quam dicimus aliquos esse synechos, id
est sensatos, et contrarium eius quod est asynesia, secundum quam dicimus
aliquos esse asynecos, idest insensatos, non est totaliter idem quod
scientia vel opinio. Nullus enim est qui non habeat aliquam scientiam vel
opinionem. Si ergo omnis scientia vel opinio esset synesis, sequeretur quod
omnes homines essent sensati. Quod patet esse falsum. |
|
#1235. — Après avoir traité du bon conseil, le Philosophe traite ici du discernement10. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare le discernement à la science et à l'opinion. En second, il compare le discernement à la prudence (1143a6). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que toute science et toute opinion ne relèvent pas de ce discernement. En second, il montre qu'aucune science n'est ce discernement (1143a2). Il dit donc, en premier, que le discernement, en regard duquel nous disons que certaines [personnes] sont avisées11, c'est-à-dire sensées, et son contraire, la sottise12, en regard de laquelle nous disons que certaines [personnes] sont sottes13, c'est-à-dire insensées, n'est pas tout à fait la même [chose] que la science ou l'opinion. Il n'y a, en effet, personne qui n'ait aucune science ni opinion. Si, donc, toute science ou opinion était discernement, il s'ensuivrait que tous les hommes seraient sensés. Ce dont il est manifeste que c'est faux. |
[73940] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 2 Deinde cum dicit: neque
aliqua una etc., ostendit quod nulla scientia sit synesis. Et dicit quod
synesis non est aliqua scientiarum particularium. Quia si esset medicina,
esset de sano et aegro. Si autem esset geometria, esset circa magnitudines.
Quaedam autem aliae scientiae sunt de rebus sempiternis et immobilibus, sicut
scientiae divinae circa quas non dicitur esse synesis. Neque etiam dicitur
esse de his quae fiunt sive a natura, sive ab homine, de quibus sunt
scientiae naturales et artificiales: sed est de illis de quibus aliquis
potest dubitare et consiliari. Et sic patet quod synesis non est aliqua
scientia. |
|
#1236. — Ensuite (1143a2), il montre qu'aucune science n'est le discernement. Il dit que le discernement n'est aucune des sciences particulières. Car s'il était la médecine, il porterait sur le sain et le malade. Et s'il était la géométrie, il porterait sur des grandeurs. En outre, d'autres sciences portent sur des choses éternelles et immobiles, comme les sciences divines, où le discernement n'intervient pas. Il n'intervient pas non plus quant à ce qui vient soit de la nature, soit de l'homme, et quant à ce sur quoi il existe des sciences naturelles et artificielles: mais il porte sur ce dont on peut douter et délibérer. Ainsi, il devient manifeste que le discernement n'est pas une science. |
|
|
|
|
|
Leçon 9
|
[73941] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 3 Deinde cum dicit propter
quod etc., comparat synesim prudentiae. Et primo concludit ex praemissis
convenientiam utriusque: quia enim synesis est circa consiliabilia, circa
quae etiam est prudentia, ut supra ostensum est, sequitur quod synesis sit
circa eadem cum prudentia. |
|
#1237. — Ensuite (1143a6), il compare le discernement à la prudence. En premier, il conclut, à partir de ce qui précède, une convenance de l'un à l'autre. Parce qu'en effet, le discernement porte sur ce dont on peut délibérer, sur quoi porte aussi la prudence, comme on l'a montré plus haut (#1164), il s'ensuit que le discernement porte sur la même matière que la prudence. |
[73942] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 4 Secundo ibi: non est autem
idem etc., ostendit differentiam utriusque. Et primo ostendit quod synesis
non est prudentia. Secundo quod non sit prudentiae generatio, ibi, est autem
non habere prudentiam et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis synesis et
prudentia sint circa eadem, non tamen sunt omnino idem. |
|
#1238. — En second (1143a7), il montre la différence de l'un à l'autre. En premier, il montre que le discernement n'est pas de la prudence. En second, qu'il n'est pas la formation de la prudence (1143a11). Il dit donc, en premier, que, quoique le discernement et la prudence portent sur la même [matière], ils ne sont cependant pas tout à fait la même [chose]. |
[73943] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 5 Ad cuius evidentiam
considerandum quod in speculativis, in quibus non est actio, est solum duplex
opus rationis: scilicet invenire inquirendo, et de inventis iudicare. Et haec
quidem duo opera sunt (etiam) rationis practicae, cuius inquisitio est
consilium, quod pertinet ad eubuliam, iudicium autem de consiliatis pertinet
ad synesim. Illi enim dicuntur sensati, qui possunt bene iudicare de agendis.
Non
autem stat hic ratio practica, sed ulterius procedit ad agendum. Et ideo
necessarium est tertium opus quasi finale et completivum, scilicet praecipere
quod procedatur ad actum: et hoc proprie pertinet ad prudentiam. |
|
#1239. — À l'évidence de quoi, il est à considérer qu'en matière spéculative, où il n'y a pas d'action, il existe seulement deux œuvres de la raison: découvrir, en investiguant, et juger des découvertes 220. Ces deux œuvres, bien sûr, se retrouvent dans la raison pratique, dont l'investigation est la délibération, qui relève de la [vertu de] délibération, et le jugement sur les [matières] délibérées relève du discernement. Ceux-là, en effet, sont dits sensés, qui peuvent bien juger des actions à poser. La raison pratique, toutefois, ne s'arrête pas là, mais passe ensuite à l'action. C'est pourquoi une troisième œuvre devient nécessaire, comme finale et complémentaire: décider14 de passer à l'acte. C'est cela, proprement, qui relève de la prudence. |
[73944] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 6 Unde dicit quod prudentia
est praeceptiva, inquantum scilicet est finis ipsius determinare quid
oporteat agere vel non agere, sed synesis est solum iudicativa. Et pro eodem
accipitur synesis et eusynesia, idest bonus sensus, sicut et idem
dicuntur synechi et eusynechi, id est sensati et bene sensati, quorum
est bene iudicare. Et sic patet quod prudentia est eminentior quam synesis,
sicut et synesis quam eubulia. Inquisitio enim ordinatur ad iudicium sicut ad
finem; et iudicium ad praeceptum. |
|
#1240. — Aussi dit-il que la prudence consiste à décider, en tant que c'est sa fin de fixer l'action à poser, tandis que le discernement rend seulement apte à juger. On tient pour identiques, ici, le discernement et le bon discernement15, c'est-à-dire le bon sens, comme aussi ce sont les mêmes que l'on dit avisés et pleins de discernement, c'est-à-dire sensés et de bon sens, dont il relève de bien juger. Il devient ainsi manifeste que la prudence est plus éminente que le discernement, comme le discernement l'est plus que la [vertu de] délibération. L'investigation, en effet, est ordonnée au jugement comme à sa fin, et le jugement à la décision. |
[73945] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 7 Deinde cum dicit: est
autem non habere etc., ostendit quod synesis non est generatio prudentiae. Et
dicit quod synesis, sicut non est idem quod prudentia, ita non est idem cum
hoc quod est habere prudentiam, aut cum hoc quod est sumere, idest
acquirere eam. Sed sicut in Graeco discere, quod est quidam usus scientiae,
dicitur syniene, sic et syniene dicitur in hoc quod aliquis utitur opinione
practica in hoc quod iudicat de his de quibus est prudentia. Quod quidem
(multi) ab alio potest dici iudicare bene; eu enim in Graeco idem est ei quod
est bene. Unde nomen synesis, secundum quam dicuntur aliqui eusyneci, quasi
bene iudicantes vel bene sensati, venit ex ea voce, scilicet syniene quae
dicitur circa hoc quod est discere. Multoties enim discere nominamus syniene.
|
|
#1241. — Ensuite (1143a11), il montre que le discernement n'est pas la formation de la prudence. Il dit que, de même que le discernement n'est pas la même [chose] que la prudence, de même il n'est pas la même [chose] que d'avoir la prudence, ou que de l'obtenir, c'est-à-dire de l'acquérir. Mais comme, en grec, apprendre, qui se présente comme un usage de la science, se dit synienai, de même on dit aussi synienai pour exprimer l'usage fait d'une opinion pratique pour juger de ce qui fait l'objet de la prudence. Certes, sous un autre [angle], cela peut se dire bien juger: eu, en effet, en grec, dit la même [chose] que bien. Par conséquent, le nom discernement (synesis), d'après lequel on qualifie de plein de discernement (eusyneti), comme jugeant bien ou de bon sens, provient de ce mot synienai, dont on fait usage pour dire le fait d'apprendre. C'est de plusieurs [manières], en effet, que nous nommons apprendre synienai. |
[73946] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 8 Est ergo sensus quod
syniene in Graeco significat aliquem usum alicuius intellectualis habitus,
qui quidem usus non solum est discere sed etiam iudicare. Synesis autem
dicitur a syniene ratione illius usus qui est iudicare, non ratione illius
usus qui est discere. Unde synesis non est idem quod habere vel discere
prudentiam, ut quidam putaverunt. |
|
#1242. — Le sens, donc, est que synienai, en grec, signifie l'usage d'un habitus intellectuel, et cet usage, certes, consiste non seulement à apprendre, mais aussi à juger. Or le discernement (synesis) se dit de synienai au sens de juger, non au sens d'apprendre. Par conséquent, le discernement n'est pas la même [chose] que d'avoir ou d'apprendre la prudence, comme certains l'ont pensé. |
[73947] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 9 Deinde cum dicit: vocata
autem gnome etc., determinat de tertia virtute quae vocatur gnome. Et ad
huius virtutis evidentiam resumendum est quod supra dictum est in V de differentia
epiichiae et iustitiae legalis. Iustum enim legale determinatur secundum id
quod in pluribus contingit. Sed id quod est epiiches est directivum iusti
legalis, ex eo quod necesse est legem deficere in paucioribus. Sicut ergo
synesis importat iudicium rectum circa ea quae ut in pluribus contingunt, ita
gnomyn importat rectum iudicium circa directionem iusti legalis. Et ideo
dicit, quod illa virtus quae vocatur gnomyn, secundum quam aliquos dicimus eugnomonas,
idest bene sententiantes, et habere gnomen, idest attingere ad rectam
sententiam, nihil est aliud quam rectum iudicium eius, quod est obiectum
epiichiae. |
|
#1243. — Ensuite (1143a19), il traite de la troisième vertu, appelée pondération16. Pour bien voir la nature de cette vertu, on doit réitérer ce qu'on a dit, plus haut (#1070-1090), sur la différence entre l'équité et la justice légale: le juste légal est fixé au regard de ce qui arrive ordinairement, tandis que l'équitable vient corriger le juste légal, du fait qu'en quelque [cas], nécessairement, la loi est déficiente. De même, donc, que le discernement assure un jugement correct sur ce qui arrive ordinairement, de même la pondération assure un jugement droit en correction du juste légal. C'est pourquoi il dit que cette vertu appelée pondération, d'après laquelle nous qualifions de pondéré, c'est-à-dire doué de bon jugement, et de doué de pondération, c'est-à-dire capable de produire un jugement correct, n'est rien d'autre que le jugement correct sur ce qui fait l'objet de l'équité. |
[73948] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 10 Et huius signum est quia
hominem, qui est epiiches maxime dicimus esse signomonicum, quasi per quandam
clementiam contemperantem sententiam. Et id quod est epiikes dicitur habere signomen,
idest quamdam contemperantiam veniae. Et ipsa virtus, quae dicitur syngnome,
est recte iudicativa eius, quod est epiiches. Et in hoc est recta, quod verum
iudicat. |
|
#1244. — Le signe en est que c'est à l'homme équitable que nous attribuons le plus d'être doué de pondération, comme grâce à une clémence qui modère le jugement. C'est aussi à la [chose] équitable qu'on attribue le plus la pondération, c'est-à-dire la mesure devant la faute légère. Et la vertu même de pondération juge correctement de ce qui est équitable. Elle est correcte en cela qu'elle juge vrai. |
[73949] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 11 Deinde cum dicit: sunt
autem omnes etc., comparat praedictas virtutes adinvicem, et ad prudentiam.
Et circa hoc tria facit. Primo ponit convenientiam inter hos habitus. Secundo
probat, ibi: et in eo quidem etc.; tertio infert quaedam correlaria ex
dictis, ibi: propter quod et principium et cetera. Dicit ergo primo, quod
omnes praedicti habitus tendunt in idem. Et hoc rationabiliter. Et quod in
idem tendant, patet, quia eisdem attribuuntur; nominamus enim gnomyn et
synesim et prudentiam, et intellectum, eisdem attribuentes habere gnomin et
intellectum, quos dicimus prudentes et synetos. Et quod rationabiliter eisdem
attribuantur, patet per hoc quod omnia praedicta, quae vocat potentias, quia
sunt actionum principia, sunt circa singularia, quae in operabilibus sunt
sicut extrema, sicut supra dictum est de prudentia. |
|
#1245. — Ensuite (1143a25), il compare les vertus précédentes entre elles, et à la prudence. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il affirme la convenance entre ces habitus. En second, il la prouve (1143a29). En troisième, il en infère un corollaire (1143b9). Il dit donc, en premier, que tous les habitus précédents tendent à la même [chose]. Et cela raisonnablement. Qu'ils tendent à la même [chose], c'est manifeste, puisqu'ils sont attribués aux 220 mêmes [sujets]. Car nous parlons de pondération, et de discernement, et de prudence, et d'intelligence, en attribuant pondération et intelligence à ceux-là mêmes que nous disons prudents et avisés. Et que ces [vertus] leur sont attribuées raisonnablement, cela devient manifeste du fait que tout ce dont il a été question, qu'il appelle des puissances, parce qu'elles sont des principes d'actions, porte sur les singuliers; or ce sont ceux-ci, en matière d'action à poser, qui servent d'extrêmes, comme on l'a dit plus haut (#1191-1194), à propos de la prudence. |
[73950] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 12 Deinde cum dicit: et in
eo quidem etc., probat quod dixerat. Et primo per rationem. Secundo per
signum, ibi: propter quod et naturalia et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit synesim et gnomen esse circa extrema et singularia, sicut et
prudentia. Secundo ostendit idem de intellectu, ibi: et intellectus et cetera.
Dicit ergo primo quod manifestum est synesim et gnomyn esse extremorum
singularium, in quantum synechus (et) eugnomen, id est bene
sententians, vel signomyn, id est contemperanter sententians, est
iudicativus de illis de quibus prudens praecipit. Ea enim quae sunt epiikia,
de quibus est gnomyn, possunt communiter se habere ad omnia bona humana,
quorum est prudentia, inquantum unumquodque eorum se habet ad alium, quod est
de ratione iustitiae; dictum est enim supra, quod epiiches est quoddam
iustum; sic bene dictum est, quod gnomi sit de his de quibus est prudentia.
Quod autem omnia ista sint circa singularia et extrema patet per hoc quod
operabilia sunt singularia et extrema; prudentia autem, synesis et gnomin
circa operabilia sunt. Unde patet, quod sunt circa extrema. |
|
#1246. — Ensuite (1143a29), il prouve ce qu'il a dit. En premier, par une raison. En second, par un signe (1143b6). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le discernement et la pondération portent sur des extrêmes et des singuliers, comme aussi la prudence. En second, il montre la même [chose] à propos de l'intelligence (1143a35). Il dit, donc, en premier: il est manifeste que le discernement et la pondération portent sur des extrêmes singuliers, en tant que l'avisé très pondéré, c'est-à-dire de bon jugement, ou doué de pondération, c'est-à-dire de jugement modéré, est apte à juger de cela que le prudent décide. En effet, ce qui est équitable, sur quoi porte la pondération, peut se rapporter communément à tous les biens humains, qui relèvent de la prudence, en tant qu'il se rapporte toujours à autre chose, ce qui est de la nature de la justice. Il a été dit plus haut (#1078), en effet, que l'équitable est une sorte de juste. Ainsi donc, c'est bien parlé, que de faire relever de la pondération ce qui relève de la prudence. Que, par ailleurs, toutes [ces vertus] portent sur des singuliers et des extrêmes, c'est manifeste, du fait que les actions à poser sont singulières et extrêmes, et que la prudence et le discernement et la pondération portent sur les actions à poser. Aussi est-il manifeste qu'ils portent sur des extrêmes. |
[73951] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 13 Deinde cum dicit: et
intellectus etc., ostendit quod etiam intellectus sit circa extrema. Et
dicit, quod intellectus in utraque cognitione, scilicet tam speculativa quam
practica, est extremorum, quia primorum terminorum et extremorum, a quibus
scilicet ratio procedere incipit, est intellectus et non ratio. Est autem
duplex intellectus. Quorum hic quidem est circa immobiles terminos et primos,
qui sunt secundum demonstrationes, quae procedunt ab immobilibus et primis
terminis, idest a principiis indemonstrabilibus, quae sunt prima cognita et
immobilia, quia scilicet eorum cognitio ab homine removeri non potest. Sed
intellectus qui est in practicis, est alterius modi extremi, scilicet
singularis, et contingentis et alterius propositionis, idest non
universalis quae est quasi maior, sed singularis quae est minor in syllogismo
operativo. |
|
#1247. — Ensuite (1143a35), il montre que l'intelligence porte sur des extrêmes. Il dit que l'intelligence, dans l'une et l'autre connaissance, à savoir, tant spéculative que pratique, porte sur des extrêmes, parce que c'est de l'intelligence et non de la raison qui porte sur les premiers termes et les extrêmes à partir desquels la raison prend le départ. Mais il existe deux intelligences. L'une d'elles, certes, porte sur les termes immobiles et premiers, en regard des démonstrations, car cellesci procèdent de termes immobiles et premiers, c'est-à-dire de principes indémontrables, qui constituent les premiers [principes] connus immobiles, étant donné qu'on ne peut se trouver privé de leur connaissance. Mais en matière pratique, l'intelligence porte sur une autre sorte d'extrême, à savoir, le singulier et le contingent, et porte sur une autre [sorte de] proposition, c'est-à-dire, non pas l'universelle qui sert de majeure, mais la singulière qui sert de mineure, dans le syllogisme opératif. |
[73952] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 14 Quare autem huiusmodi
extremi dicatur intellectus, patet per hoc, quod intellectus est
principiorum; haec autem singularia, quorum dicimus esse intellectum
huiusmodi, principia eius sunt quod est cuius gratia, id est sunt
principia ad modum causae finalis. |
|
#1248. — Pourquoi, par ailleurs, l'intelligence se dit de cette sorte d'extrême, c'est manifeste par le fait que l'intelligence porte sur les principes. Or les singuliers sur lesquels nous disons que porte l'intelligence sont principes pour ce qui vise quelque chose, c'est-à-dire sont principes de la manière dont l'est une cause finale. |
[73953] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 15 Et quod singularia
habeant rationem principiorum, patet, quia ex singularibus accipitur
universale. Ex hoc enim, quod haec herba fecit huic sanitatem, acceptum est,
quod haec species herbae valet ad sanandum. Et quia singularia proprie
cognoscuntur per sensum, oportet quod homo horum singularium, quae dicimus
esse principia et extrema, habeat sensum non solum exteriorem sed etiam
interiorem, cuius supra dixit esse prudentiam, scilicet vim cogitativam sive
aestimativam, quae dicitur ratio particularis. Unde hic sensus vocatur
intellectus qui est circa singularia. Et hunc philosophus vocat in tertio de
anima intellectum passivum, qui est corruptibilis. |
|
#1249. — Que les singuliers ont raison de principes, c'est manifeste, parce que c'est des singuliers qu'on tire l'universel. Du fait, en effet, que telle herbe a rendu à un tel la santé, on a tiré que cette espèce d'herbe aide à guérir. Et parce que les singuliers sont connus proprement par le sens, pour [apercevoir] ces singuliers que nous faisons principes et extrêmes, et dont il a dit, plus haut (#1214- 1215), qu'ils relèvent de la prudence, il faut que l'on ait non seulement un sens externe, mais aussi un sens interne, à savoir, la puissance cogitative ou estimative, que l'on appelle la raison particulière. Aussi ce sens est-il appelé intelligence, bien qu'il porte sur des sensibles ou des singuliers. C'est celui-là aussi que le Philosophe appelle, au troisième [livre] De l'âme (ch. 5), intelligence passible, du fait qu'il soit corruptible. |
[73954] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9 n. 16 Deinde cum dicit propter quod et naturalia etc.,
manifestat quod dixerat per signum. Quia enim praedicti habitus sunt circa
singularia, oportet quod aliquo modo attingant virtutes sensitivas, quae
operantur per organa corporea. Et ideo praedicti habitus videntur esse
naturales: non quod totaliter sint a natura, sed quod ex naturali
dispositione corporis aliqui sunt prompti ad hos habitus, ita quod per
modicam experientiam complentur in eis: quod non accidit circa habitus
intellectuales, qui sunt circa naturalia, puta geometriam vel metaphysicam. |
|
#1250. — Ensuite (1143b6), il manifeste par un signe ce qu'il a dit. Parce qu'en effet, les habitus mentionnés portent sur des singuliers, il faut que, d'une certaine manière, ils touchent les vertus sensibles, opérées par des organes corporels. C'est pourquoi les habitus mentionnés paraissent naturels: non qu'ils soient totalement donnés par la nature, mais parce qu'en raison d'une disposition naturelle du corps, certaines [gens] sont promptes à [acquérir] ces habitus, de façon que déjà, avec une expérience modique, ils possèdent ces [habitus] au complet: or cela n'arrive pas en matière 220 d'habitus intellectuels, qui portent sur des universels, par exemple, la géométrie ou la métaphysique. |
[73955] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 17 Et hoc est quod subdit
quod nullus dicitur sapiens, idest metaphysicus, nec geometer,
secundum naturam, non quin aliqui secundum naturam sint magis apti ad hoc
quam alii: sed hoc est secundum dispositionem remotam non secundum
dispositionem propinquam, secundum quam aliqui dicuntur naturaliter habere
gnomyn et synesim et intellectum, quem diximus esse circa singularia. |
|
#1251. — C'est ce qu'il ajoute: On ne dit personne sage, c'est-à-dire métaphysicien, ni géomètre par nature. Non pas que certains ne soient pas par nature plus aptes à cela que d'autres, mais c'est d'après une disposition éloignée, et non prochaine, comme on dit de certains qu'ils ont naturellement de la pondération, et du discernement, et de cette intelligence que nous disons porter sur les singuliers. |
[73956] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 18 Et signum huius quod
huiusmodi secundum naturam insint aliquibus est quia aestimamus quod
consequantur aetates hominum, secundum quas transmutatur natura corporalis.
Est enim aliqua aetas, scilicet senilis, quae propter quietationem
transmutationum corporalium et animalium habet huiusmodi intellectum et
gnomyn, quasi natura sit horum causa. |
|
#1252. — Le signe que cette sorte d'[habitus] appartiennent par nature à certains est que nous pensons spontanément qu'ils dépendent de l'âge, lequel s'accompagne d'une transformation de la nature corporelle. Il y a, en effet, un âge, l'âge du vieillard, qui, à cause du repos qu'il [implique] en regard des transformations corporelles et animales, possède l'intelligence et la pondération, comme si la nature en était cause. |
[73957] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 19 Deinde cum dicit propter
quod et principium etc., infert duo corollaria ex dictis. Quorum primum est,
quod intellectus, qui est bene discretivus singularium in practicis, non
solum se habet sicut principium, sicut in speculativis, sed etiam sicut
finis. In speculativis enim demonstrationes procedunt ex principiis quorum
est intellectus; non tamen demonstrationes dantur de eis. Sed in operativis,
demonstrationes et procedunt ex his scilicet singularibus, et dantur de his
scilicet singularibus. Oportet enim in syllogismo operativo, secundum quem
ratio movet ad agendum, esse minorem singularem, et etiam conclusionem quae
concludit ipsum operabile, quod est singulare. |
|
#1253. — Ensuite (1143b9), il en infère deux corollaires. Le premier en est que l'intelligence qui est apte à bien distinguer les singuliers en matière pratique tient lieu non seulement de principe, comme en matière spéculative, mais aussi de fin. En effet, en matière spéculative, les démonstrations procèdent des principes dont il y a intelligence, mais aucune démonstration n'en est donnée. En matière d'action, au contraire, les démonstrations à la fois procèdent de ces singuliers, et se donnent sur ces singuliers. Il doit, en effet, dans le syllogisme qui habilite à agir, selon lequel la raison meut à agir, y avoir une mineure singulière, et aussi une conclusion qui conclut l'action même à poser, qui est singulière. |
[73958] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 20 Secundum corollarium
ponit ibi: quare oportet et cetera. Quia enim dictum est supra, quod
intellectus, qui est principiorum operabilium, consequitur experientiam et
aetates et perficitur per prudentiam; inde est, quod oportet attendere his
quae opinantur et enuntiant circa operabilia homines experti et senes et
prudentes, quamvis non inducant demonstrationes, non minus quasi ipsis
demonstrationibus, sed etiam magis. Huiusmodi enim homines, propter hoc quod
habent ex experientia visum, idest rectum iudicium de operabilibus,
vident principia operabilium. Principia autem sunt certiora conclusionibus
demonstrationum. |
|
#1254. — Il amène ensuite son second corollaire (1143b11). Parce qu'en effet, il a été dit, plus haut (#1252), que l'intelligence, qui porte sur les principes des actions à poser, vient de l'expérience, et de l'âge, et reçoit sa perfection de la prudence, il s'ensuit qu'il faut porter attention à ce que pensent et disent sur les actions à poser les hommes experts, et les vieillards, et les [gens] prudents; [et y porter attention], même s'ils n'amènent pas de démonstrations, pas moins qu'aux démonstrations mêmes, et même plus. En effet, les hommes de la sorte, du fait de disposer de la vue de l'expérience, c'est-à-dire d'un jugement correct sur les opérations à poser, voient les principes des actions à poser; or les principes des démonstrations sont plus certains que leurs conclusions. |
[73959] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9
n. 21 Est autem considerandum
circa ea quae hic dicta sunt quod sicut pertinet ad intellectum absolutum in
universalibus iudicium de primis principiis, ad rationem autem pertinet
discursus a principiis in conclusiones, ita etiam circa singularia vis
cogitativa hominis vocatur intellectus secundum quod habet absolutum iudicium
de singularibus. Unde ad intellectum dicit pertinere prudentiam et synesim et
gnomen. Dicitur autem ratio particularis, secundum quod discurrit ab uno in
aliud. Et ad hanc pertinet eubulia, quam philosophus his non connumeravit nec
dixit eam esse extremorum. |
|
#1255. — Sur ce qui a été dit ici (#1254), il y a encore à considérer que, de même qu'en matière universelle, le jugement absolu des premiers principes appartient à l'intelligence, et qu'appartient à la raison le processus des principes aux conclusions, de même aussi, en ce qui a trait aux singuliers, la puissance cogitative est appelée intelligence du fait d'avoir le jugement absolu des singuliers. C'est pour cela qu'on fait relever de l'intelligence la prudence et le discernement et la pondération. La [cogitative] s'appelle aussi raison particulière, pour autant qu'elle discoure d'une chose à une autre. C'est à elle qu'appartient la [vertu de] délibération, que le Philosophe n'énumère pas ici avec les autres. Aussi a-t-il dit qu'elle porte sur les extrêmes. |
[73960] Sententia Ethic., lib. 6 l. 9 n. 22 Ultimo autem epilogat, dicens quod dictum est quid sit
prudentia, quae est principalis in agibilibus, et sapientia, quae est
principalis in speculativis, et circa quae sunt utraque earum, et quod non
sint in eadem parte animae rationalis. |
|
#1256. — En dernier, il épilogue, rappelant qu'on a dit ce qu'est la prudence, principale en matière d'action, et la sagesse, principale en matière spéculative, et sur quoi portent l'une et l'autre d'entre elles, et qu'elles ne résident pas dans la même partie de l'âme rationnelle. |
|
|
|
Lectio
10 |
Leçon 10 : [Utilité de la prudence] |
Leçon 10 |
|
IL POSE UNE DIFFICULTE: QUELLE EST L’UTILITE DE LA PRUDENCE ET DE LA SAGESSE, PUISQUE LA PRUDENCE NE SEMBLE PAS NECESSAIRE A L'HOMME. |
|
|
|
|
[73961] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 1 Dubitabit autem utique
aliquis et cetera. Postquam philosophus determinavit de virtutibus
intellectualibus, hic movet quasdam dubitationes de utilitate ipsarum. Et
circa hoc duo facit. Primo proponit dubitationes. Secundo solvit eas, ibi:
primum quidem igitur dicimus et cetera. Circa primum duo facit. Primo movet
dubitationem de utilitate sapientiae et prudentiae, ad quas aliae reducuntur
sicut ad principaliores. Secundo de comparatione harum duarum ad invicem,
ibi: ad haec autem inconveniens et cetera. Circa primum duo facit. Primo
proponit dubitationem. Et dicit, quod aliquis potest dubitare ad quid vel
quomodo sapientia et prudentia sint utiles. |
1257.- Après avoir traité des vertus intellectuelles, le Philosophe pose ici certaines difficultés qui touchent à leur utilité. Ce qu'il fait en deux points. En premier, 0il pose les difficultés. En second, il y répond. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il pose le problème de l'utilité de la sagesse et de la prudence, auxquelles se réduisent les autres vertus comme aux deux vertus maîtresses. Dans la seconde, il traite de la comparaison de ces deux vertus entre elles. La première partie se subdivise en deux. En premier, il propose le problème. Il dit qu'on peut se demander à quoi ou de quelle manière la sagesse et la prudence sont utiles |
#1257. — Après avoir traité des vertus intellectuelles, le Philosophe soulève quelques difficultés sur leur utilité. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose les difficultés (1143b18). En second, il les résout (1144a1). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il soulève une difficulté sur l'utilité de la sagesse et de la prudence, auxquelles les autres [vertus intellectuelles] se réduisent comme aux principales. En second, [il soulève une difficulté] sur la comparaison de ces deux-là entre elles (1143b33). 220 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose la difficulté: il dit que l'on peut douter à quoi ou comment la sagesse et la prudence sont utiles. |
[73962] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 2 Secundo ibi, sapientia
quidem enim etc., prosequitur dubitationem. Et primo quantum ad sapientiam,
quae videtur ad nihil utilis esse. Quicquid enim est utile in rebus humanis
valet ad felicitatem, quae est ultimus finis vitae humanae, ad quam nihil
videtur valere sapientia. Non enim videtur speculari aliquid eorum per quae
homo fit felix; quod quidem est per operationem virtutis, ut supra in primo
habitum est. Sapientia autem nullius generationis, idest operationis
est considerativa, cum sit de primis principiis entium. Sic ergo videtur,
quod sapientia non sit utilis homini. |
1258.- En second, il pose le problème. Et tout d’abord par rapport à la sagesse, qui semble être inutile. En effet, tout ce qui est utile dans les choses humaines dispose efficacement au bonheur, qui est la fin ultime la vie humaine, à l'obtention de laquelle la sagesse ne semble être d’aucune efficacité. En effet, elle ne semble spéculer sur aucun des moyens qui rendent l’homme heureux. En effet, le bonheur s’obtient par l'opération vertueuse, comme on le sait par le premier livre. Or, la sagesse ne considère aucune génération, c’est-à-dire aucune opération, puisque son objet est les premiers principes des êtres. Ainsi donc, il semble qu’elle ne soit pas utile homme. |
#1258. — En second (1143b19), il traite de la difficulté. En premier, quant à la sagesse, qui paraît inutile. En effet, tout ce qui est utile, dans les choses humaines, sert au bonheur, qui est la fin ultime de la vie humaine; or la sagesse ne paraît servir en rien à cette [fin]. Manifestement, en effet, elle ne regarde rien de ce grâce à quoi on devient heureux. Car cette [fin], certes, s'atteint par l'opération de la vertu, comme il a été traité plus haut, au premier [livre] (1224-230). Or la sagesse, comme elle porte sur les premiers principes des êtres, n'est propre à considérer aucune génération, c'est-à-dire aucune opération. Ainsi donc apparaît-il manifestement que la sagesse n'est pas utile à l'homme. |
[73963]
Sententia Ethic., lib. 6 l. 10 n. 3 Secundo ibi: prudentia autem
etc., prosequitur dubitationem quantum ad prudentiam. Et primo inducit in
rationem quod prudentia non sit necessaria homini. Secundo excludit quamdam responsionem, ibi, si autem
non horum et cetera. Dicit ergo primo quod prudentia habet (hoc), quod
scilicet sit considerativa operationum humanarum ex quibus homo fit felix.
Sed non propter hoc videtur quod homo habeat opus ipsa. Est enim prudentia circa
ea quae sunt iusta in comparatione ad alios, et pulchra idest honesta,
et bona idest utilia homini secundum seipsum, quae quidem operari
pertinet ad bonum virum. Non videtur autem aliquis esse operativus eorum quae
sunt secundum aliquem habitum ex eo quod scit ipsa, sed ex eo quod habet
habitum ad ea. |
1259.- Il pose le problème par rapport à la prudence. Et tout d’abord, il apporte la raison qui veut que la prudence ne soit pas nécessaire à l'homme. En second, il rejette une certaine réponse. Il dit donc tout d’abord que le propre de la prudence est d’être une considération des opérations humaines par lesquelles l'homme devient heureux. Mais il ne semble pas que ce soit à cause de la considération prudentielle que l’homme accomplisse l'œuvre. En effet, la prudence porte sur ce qui est juste par comparaison à autrui, sur ce qui est beau, c'est-à-dire honnête, et sur ce qui est bon, c'est-à-dire ce qui est utile à l'homme lui-même. Mais il appartient à l'homme bon d’accomplir ces choses. Or, il ne semble pas que quelqu’un soit en mesure de faire les choses qui dépendent d'une disposition habituelle par le seul fait qu'il les connaît, mais du fait qu'il possède un habitus par rapport à elles. |
#1259. — En second (1143b20), il examine la difficulté quant à la prudence. En premier, il donne une raison comme quoi la prudence n'est pas nécessaire à l'homme. En second, il exclut une certaine réponse (1143b28). Il dit donc, en premier, que la prudence a dans sa nature de regarder les actions humaines grâce auxquelles on devient heureux. Mais manifestement, on ne les pose pas de ce fait ces actions. En effet, la prudence porte sur ce qui est juste en rapport aux autres, et beau, c'est-à-dire honnête, et bon, c'est-à-dire utile à l'homme pour lui-même; et voilà, certes, des [opérations] qui reviennent à l'homme bon. Mais manifestement, encore, on ne se rend pas apte à poser les opérations conformes à un habitus simplement en les connaissant, mais en acquérant l'habitus pertinent. |
[73964] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 4 Sicut patet in
corporalibus, quod per hoc quod homo habet scientiam medicinalem vel
exercitativam non est magis operativus eorum quae pertinent ad hominem sanum
vel ad bene se habentem, dummodo ea non consistant solum in eo quod est
facere, sed in eo quod est esse ab aliquo interiori habitu. Contingit enim
quandoque quod aliquis per notitiam artis operatur quaedam opera sani quasi
confingens ea et non secundum quod procedunt ab habitu sanitatis, prout
scilicet operatur ea homo sanus. Sic enim non magis procedit ab homine ex eo quod
scit medicinam, sed ex eo solum quod sit sanus. Cum igitur virtutes sint
habitus, opera virtutum secundum quod ab eis procedunt et ducunt ad
felicitatem non magis operatur homo ex hoc quod habet eorum notitiam per
prudentiam. Et sic prudentia non est boni
operativa. |
1260.- Comme on le voit très bien dans les choses corporelles où la possession de la science médicale ou de celle de la gymnastique ne rend pas l'homme capable de mieux opérer les œuvres qui appartiennent à l'homme sain ou en bonne forme physique, à la condition que ces œuvres ne consistent pas uniquement à produire la santé ou la bonne condition physique, mais qu’elles soient le fruit d'un habitus interne (d1un état habituel de santé ou de forme physique). En effet, il arrive quelquefois que quelqu’un, grâce à la connaissance de son art, produise certaines œuvres de l'homme sain de façon plus ou moins accidentelle, et non pas en tant que ces œuvres procèdent de l’habitus de santé, à savoir de la manière que l’homme sain les fait. En effet, la connaissance de la médecine n'aide aucunement à opérer, selon que l'opération doive provenir d'une disposition habituelle de santé: cette opération ne procède de l’homme que du seul fait qu'il est en santé. Donc, puisque les vertus sont des habitus, les œuvres de ces vertus, en tant qu'elles proviennent de ces vertus mêmes et conduisent au bonheur, l'homme ne les accomplit pas davantage du fait qu'il en a connaissance par la prudence. Et ainsi, la prudence n'est pas opérative du bien. |
#1260. — Ainsi est-il manifeste, en matière de corps, que d'avoir la science médicale ou celle de l'exercice n'habilite pas davantage à poser les opérations propres à l'homme sain ou bien disposé, du moins s'il ne s'agit pas seulement d'opérer, mais aussi d'[y] être [disposé] par quelque habitus intérieur. Il se peut, en effet, que, parfois, grâce à la connaissance de l'art, on accomplisse des actes d'[homme] sain, un peu par chance et non en les tirant de l'habitus de santé, les accomplissant du fait d'être en santé. Ainsi, en effet, [cela] ne vient pas davantage du fait qu'on connaisse la médecine, mais du fait seulement qu'on soit sain. Comme, donc, les vertus sont des habitus, les œuvres des vertus, selon qu'elles procèdent d'elles et conduisent au bonheur, l'homme ne les opère pas plus du fait qu'il en ait connaissance par la prudence. Et ainsi la prudence ne fait pas agir bien. |
[73965] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 5 Deinde cum dicit: si autem
non horum etc., excludit quamdam responsionem. Posset enim aliquis dicere
quod, licet homo ex quo est virtuosus non magis sit operativus operum
virtutis per hoc quod cognoscit ea secundum prudentiam, est tamen prudentia
necessaria ad hoc quod homo fiat virtuosus, sicut ars medicinae est
necessaria non ad hoc quod sanus opera sanitatis exequatur, sed ad hoc quod
fiat sanus. Et sic ponendum est quod homo
debet esse prudens non gratia horum, scilicet operum virtutis, sed gratia
eius quod est fieri virtuosum. Hanc autem responsionem excludit duabus rationibus.
|
1261.- Il exclut une certaine
réponse. En effet, quelqu'un pourrait répliquer que, malgré que la connaissance
prudentielle n’aide pas l’homme vertueux à opérer des œuvres de vertu, la
prudence est cependant nécessaire pour qu'il le devienne vertueux, comme
l'art de la médecine est nécessaire, non pas pour faire accomplir à l'homme
sain des œuvres de santé, mais pour le rendre sain. Et ainsi, il faut écrire que
l'homme doit être prudent non pas en vue des œuvres de la vertu, mais dans le
but de rendre vertueux. Aristote exclut cette réponse par deux raison. |
#1261. — Ensuite (1143b28), il exclut une certaine réponse. On pourrait dire, en effet, que, bien que, lorsqu'on est vertueux, on n'augmente pas sa capacité d'accomplir des actes de vertu du fait de les connaître par la prudence, la prudence reste cependant nécessaire pour devenir vertueux, comme l'art de la médecine est nécessaire non pas pour que l'homme sain pose des actes de santé, mais pour qu'il devienne sain. Ainsi doit-on poser que l'on doit être prudent non en vue d'elles, à savoir des œuvres de la vertu, mais en vue de devenir vertueux. Mais il exclut cette réponse pour deux raisons. |
[73966] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 6 Quarum prima est quia, ex
quo homines essent studiosi, id est virtuosi, ad nihil esset eis utilis
prudentia, quod manifeste videtur inconveniens. |
1262.- La première des deux est que la prudence ne serait d’aucune utilité du fait que les hommes seraient vertueux. Ce qui semble hautement inconvenable. |
#1262. — La première en est que, une fois que l'on serait honnête, à savoir, vertueux, la prudence ne serait plus utile en rien; cela est manifestement d'une suprême inconvenance. |
[73967] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 7 Secundam rationem ponit
ibi, adhuc autem et cetera. Videtur enim quod secundum responsionem
praedictam non solum (habentibus virtutem, sed) etiam non habentibus virtutem
non esset necessaria prudentia. Videtur enim quod nihil differat ad hoc quod
aliqui fiant virtuosi, utrum ipsi habeant prudentiam vel persuadeantur ab
aliis qui habent, quum per hoc sufficienter se habet homo ad hoc quod fiat
virtuosus, sicut patet circa sanitatem. Cum enim volumus sani esse, non
propter hoc curamus addiscere medicinam, sed sufficit nobis uti consilio
medicorum. Ergo, pari ratione, ad hoc quod efficiamur virtuosi, non oportet
quod nos ipsi habeamus prudentiam, sed sufficit quod a prudentibus
instruamur. |
1263.- Il donne la seconde raison. En effet, il semble que, d'après la réponse susdite, même à ceux qui ne sont pas vertueux, la prudence ne serait pas nécessaire. En effet, il semble qu’il importe peu, à seule fin de devenir vertueux, que le novice possède lui-même la prudence ou qu'il soit persuadé par ceux qui la possèdent, puisque cette dernière condition est suffisante pour le conduire à la vertu, comme on le voit dans le cas de la santé. En effet, lorsque nous souhaitons être en bonne santé, nous ne travaillons pas pour autant à apprendre la médecine. Donc, pour la même raison, pour que nous devenions vertueux. Nous n’avons pas besoin de posséder nous-mêmes la prudence, mais il suffit que nous soyons conseillés par les prudents. |
#1263. — Il présente ensuite sa seconde raison (1143b30). En effet, il s'ensuit de la réponse précédente que la prudence ne serait même pas nécessaire à ceux qui n'ont pas la vertu. Il est manifeste, en effet, que cela ne change rien, pour ce qui est de devenir vertueux, que l'on ait soi-même la prudence ou qu'on soit persuadé par d'autres qui l'ont, puisqu'on tient là assez pour devenir vertueux, comme cela devient manifeste en rapport à la santé. Lorsqu'en effet, on veut être sain, on ne s'efforce pas, à cette [fin], d'apprendre la médecine, mais il suffit d'appliquer le conseil des médecins. Donc, par une raison semblable, pour devenir vertueux, il n'est pas nécessaire d'avoir soi-même la prudence, mais il suffit d'être instruit par des [gens] prudents. |
[73968] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 8 Deinde cum dicit: ad haec
autem etc., movet dubitationem circa comparationem sapientiae et prudentiae.
Ostensum est enim supra quod prudentia est deterior, id est inferior in
dignitate quam sapientia; et tamen videtur esse principalior, idest
magis principativa quia prudentia et operatur et praecipit circa singula.
Continetur enim sub prudentia etiam politica: dictum est enim in prooemio
libri quod haec praeordinat quas disciplinas debitum est esse in civitatibus
et quales unumquemque addiscere et usquequo. Et sic videtur prudentia
principari sapientiae, cum praecipere sit opus iudicantis. Et hoc videtur
inconveniens quod deterior principetur meliori. |
1264.- Il pose une difficulté au sujet de la comparaison de la prudence à la sagesse. On a montré plus haut que la prudence est inférieure en dignité à la sagesse; et pourtant elle semble plus souveraine, c'est-à-dire elle semble commander davantage que la sagesse, puisqu'elle opère et commande dans les cas particuliers. En effet, la prudence a comme partie la politique: on a dit, dans l'introduction, que la politique pré-ordonne quelles disciplines doivent exister dans les cités et quelles disciplines on doit apprendre et pendant combien de temps. Et ainsi, il semble que la prudence commande à la sagesse, puisque commander est l'œuvre de celui qui juge. Mais cela semble un inconvénient que l'inférieur commande à un supérieur. |
#1264. — Ensuite (1143b33), il soulève une difficulté concernant la comparaison de la prudence avec la sagesse. Il a été montré plus haut (#1186-1189), en effet, que la prudence est moins bonne et inférieure 220 en dignité à la sagesse; cependant, elle paraît davantage principale, c'est-à-dire davantage en commandement que la sagesse17, puisqu'elle opère et commande en rapport à chacune [des autres sciences]. Même la politique, en effet, est contenue sous la prudence: il a été dit, en effet, dans le prologue de ce livre (#26-31), que la politique détermine d'avance quelles disciplines il est convenable d'avoir dans les cités et quelle sorte chacun doit apprendre et jusqu'à quel point. Ainsi, il semble que la prudence commande à la sagesse, car commander est la fonction de celui qui juge. Or cela est manifestement inconvenable que le moins bon commande au meilleur. |
[73969] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 9 Subdit autem, continuans
se ad sequentia, dicens quod de his quae proposita sunt dicendum est, nunc
autem tacta sunt solum per modum dubitationis. |
1265.- Il ajoute, pour établir la continuité avec ce qui suit, qu'on devra traiter de ce qui vient d'être proposé; actuellement, on n’a fait que le mettre en doute. |
#1265. — Il ajoute, par ailleurs, en se rattachant à la suite, qu'il faut traiter de ce qui a été proposé, maintenant que cela a été touché par mode de problèmes. |
[73970] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 10 Deinde cum dicit: primum
quidem igitur etc., solvit praemissas dubitationes. Et primo solvit
dubitationem de utilitate sapientiae et prudentiae. Secundo de comparatione
utriusque, ibi, sed tamen neque principalis et cetera. Circa primum duo
facit. Primo solvit dubitationem communiter quantum ad sapientiam et prudentiam.
Secundo specialiter quantum ad prudentiam, ibi, adhuc opus et cetera. Circa
primum ponit duas solutiones. Quarum prima ostendit quod rationes quas
inducit non efficaciter concludunt. Non enim sequitur, si per sapientiam et
prudentiam nihil operatur homo ad felicitatem, quod propter hoc sint
inutiles. Quia etiam si neutra ipsarum
haberet aliquam operationem, tamen essent secundum se eligibiles cum sint
virtutes perficientes utramque partem animae rationalis, ut ex dictis patet.
Unicuique autem est eligibilis sua perfectio. |
1266.- Il résout les
difficultés précédentes, En premier, il résout le problème de l'utilité de la
sagesse et de la prudence. En second, il résout la question de leur
comparaison. Le premier problème se divise en deux points. En premier, il
donne une solution commune à la sagesse et à la prudence. En second, il
traite particulièrement du cas de la prudence. Dans son premier point, il
donne deux solutions. La première montre que les raisons qu’il a apportées ne
sont pas réellement concluantes. En effet, même si la sagesse et la prudence
n'aident aucunement l’homme à atteindre le bonheur, il ne s’ensuit pas qu'elles
soient pour cela inutiles. Car, même si ni l'une ni l’autre ne possédaient
une opération, elles seraient quand même éligibles en elles-mêmes, puisqu'elles
sont des vertus qui perfectionnent les deux parties de l’âme rationnelle, comme
il est évident par les considérations déjà faites. Est éligible à chacun sa
propre perfection. |
#1266. — Ensuite (1144a1), il résout les difficultés soulevées. En premier, il résout la difficulté en rapport à l'utilité de la sagesse et de la prudence. En second, [la difficulté] en rapport à la comparaison de l'une avec l'autre (1145a6). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il résout la difficulté communément quant à la sagesse et à la prudence. En second, spécialement quant à la prudence (1144a6). Sur le premier [point], il présente deux solutions. Dans la première, il montre que les raisons induites ne concluent pas efficacement. Il ne s'ensuit pas, en effet, si, par la sagesse et la prudence, l'on ne fait rien en vue du bonheur, qu'elles soient inutiles. Parce que, même si ni l'une ni l'autre d'entre elles n'avait une opération, cependant elles pourraient être choisies pour elles-mêmes, comme elles sont des vertus qui amènent à sa perfection l'une et l'autre parties de l'âme rationnelle, comme il appert de ce qui a été dit (#1255). Or chaque [être] peut opter pour sa propre perfection. |
[73971] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10 n. 11 Secundo solvit per interemptionem ibi: deinde et
cetera. Et dicit quod sapientia et prudentia faciunt quidem aliquid ad
felicitatem. Sed exemplum quod inducebatur non erat conveniens. Non enim hoc modo
se habet sapientia, vel prudentia ad felicitatem, sicut ars medicinae ad
sanitatem, sed magis sicut sanitas ad opera sana; ars enim medicinae facit
sanitatem sicut quoddam opus exterius operatum; sed sanitas facit opera sana,
quasi quemdam usum habitus sanitatis. Felicitas autem non est opus exterius
operatum, sed est operatio procedens ab habitu virtutis. Unde, cum sapientia
sit quaedam species virtutis communis, ex hoc ipso quod aliquis habet
sapientiam et operatur secundum eam, est felix. Et eadem ratio est de
prudentia. Sed specialiter expressit sapientiam, quia in operatione eius
consistit potior felicitas, ut infra in X dicetur. |
1267.- Il dit que la sagesse et la prudence apportent leur contribution au bonheur. Cependant, l'exemple qu’il apportait ne convenait pas, car la sagesse ou la prudence n’est pas au bonheur de la même manière que l’art de la médecine est à la santé; elles sont au bonheur comme la santé est aux œuvres de santé. En effet, l'art de la médecine apporte sa contribution à la santé, à la manière d'une œuvre opérée extérieurement, mais la santé produit des œuvres saines, à la manière d’un certain usage de l’habitus de santé. Or, la félicité n'est pas une œuvre produite extérieurement, mais est une opération procédant de l'habitus de vertu. C'est pourquoi, puisque la sagesse est une certaine espèce de la vertu commune, il s’ensuit que du fait même que quelqu'un possède la sagesse et opère conformément à elle, il est heureux. La même raison vaut pour la prudence. Mais Aristote fait particulièrement mention de la sagesse, parce que dans son opération consiste un plus grand et plus noble bonheur, comme on le dira dans le dixième livre. |
#1267. — En second, il résout en cassant l'inférence (1144a3). Il dit que la sagesse et la prudence font certes quelque chose au bonheur. Mais que l'exemple induit ne convenait pas. En effet, la sagesse ou la prudence ne se rapportent pas au bonheur comme l'art de la médecine à la santé, mais plutôt comme la santé aux actes de santé. En effet, l'art de la médecine agit en vue de la santé comme une œuvre opérée de l'extérieur; mais la santé fait les actes de santé par usage de l'habitus de santé. Or le bonheur n'est pas une œuvre opérée de l'extérieur, mais une opération procédant de l'habitus de vertu. Aussi, comme la sagesse est une espèce de vertu commune, il s'ensuit que de cela même que l'on a la sagesse et qu'on l'opère, on est heureux. La même raison vaut pour la prudence. Mais il l'a exprimée spécialement pour la sagesse, parce que son opération comporte un bonheur plus puissant, comme il sera dit plus bas, au dixième [livre] (#2121-2125). |
[73972] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 12 Deinde cum dicit: adhuc
opus etc., solvit ea quae specialiter ad prudentiam pertinent. Et primo
quantum ad hoc quod obiiciebatur, quod prudentia nihil facit ad opera virtutis.
Secundo quantum ad hoc quod obiiciebatur, quod prudentia non est necessaria
ad hoc quod homo sit virtuosus, ibi, de eo autem quod est et cetera. Dicit ergo primo,
quod adhuc specialiter quantum ad prudentiam fallit quod obiiciebatur, quod
per prudentiam non sumus magis operativi operum virtutis. Hoc enim patet esse falsum, quia opus virtutis
perficimus secundum utrumque, scilicet secundum prudentiam et secundum
moralem virtutem. |
1268. Il résout les difficultés qui concernent particulièrement la prudence. Et tout d’abord, par rapport à l'objection qui voulait que la prudence ne collabore pas aux œuvres de la vertu. En second, par rapport à son objection qui posait que la prudence n’est pas nécessaire pour que l'homme devienne vertueux. Il dit donc, en premier, que l'objection qui s'attaquait à la prudence, voulant que, par elle, nous ne produisions pas des opérations de la vertu, manque son but, et particulièrement en ce qui la concerne. En effet, cela peut être faux, parce que nous faisons l'œuvre de la vertu selon l'une et l'autre, à savoir selon la prudence et selon la vertu morale. |
#1268. — Ensuite (1144a6), il résout ce qui appartient spécialement à la prudence. En premier, quant à ce qui était objecté, que la prudence ne fait rien pour les actes de vertu. En second, quant à ce qui était objecté, que la prudence n'est pas nécessaire pour que l'on soit vertueux (1144a11). Il dit donc, en premier, qu'il y a un défaut spécial dans ce qu'on objectait quant à la prudence, à savoir, que par la prudence on n'est pas rendu capable d'actes de vertu. Cela, en effet, peut être faux, parce que nous amenons à perfection l'œuvre de la vertu en conformité à l'une et à l'autre, à savoir, en conformité à la prudence et en conformité à la vertu morale. |
[73973] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 13 Duo enim sunt necessaria
in opere virtutis, (scilicet) quorum unum est ut homo habeat rectam
intentionem de fine; quod quidem facit virtus moralis, inquantum inclinat
appetitum in debitum finem. Aliud autem est quod homo bene se habeat circa ea
quae sunt ad finem: et hoc facit prudentia quae est bene consiliativa et
iudicativa et praeceptiva eorum quae sunt ad finem. Et sic ad opus virtutis
concurrit et prudentia quae est perfectiva rationalis per essentiam, et
virtus moralis quae est perfectiva appetitivae quae est rationalis per
participationem. Sed quare alterius particulae animae quae est penitus
irrationalis, scilicet nutritivae, non sit talis virtus quae concurrat ad
operationem humanam, ratio in promptu est, quia in nutritiva potentia non est
operari vel non operari, et hoc requiritur ad operationem virtutis humanae,
ut ex supradictis patet. |
1269.- En effet, deux choses sont nécessaires dans l'œuvre vertueuse. L'une d'elle exige que l'homme ait une intention rectifiée par rapport à la fin; ce que fait la vertu morale, en tant qu'elle incline l'appétit vers la fin due. La seconde exige que l'homme soit bien disposé à l'égard des moyens; et cela est l'œuvre de la prudence qui perfectionne la délibération, le jugement et le commandement par rapport aux moyens. Et ainsi, à l'œuvre vertueuse, concourent et la prudence qui perfectionne le rationnel par essence, et la vertu morale qui perfectionne l'appétit, qui est le rationnel par participation. Mais pourquoi il n'existe pas une vertu semblable, qui concoure à l'opération humaine dans l’autre partie de l'âme qui est tout à fait irrationnelle, à savoir la nutritive, la réponse est prompte: dans la puissance nutritive, il n’est pas question d'agir ou de ne pas agir. Et cela est requis à l'opération de la vertu humaine, comme on le voit par les considérations des livres précédents. |
#1269. — Il y a, en effet, deux [choses] nécessaires dans l'œuvre de la vertu. La première en est que l'on vise correctement la fin; c'est ce qu'assure la vertu morale, en tant qu'elle incline l'appétit à la fin due. L'autre est que l'on soit bien disposé quant aux moyens: c'est cela qu'assure la prudence, qui habilite à bien délibérer et juger et décider des moyens. Ainsi, et la prudence concourt à l'œuvre de vertu, étant par essence de nature à perfectionner la [partie] rationnelle, et la vertu morale, étant de nature à perfectionner la [partie] appétitive, rationnelle par participation. La raison pour laquelle l'autre particule de l'âme, qui est tout à fait irrationnelle, à savoir, la nutritive, ne comporte pas une vertu qui concoure à l'opération humaine, ressort tout de suite: dans la puissance nutritive, il n'y a 17Le texte met ici prudentia, par erreur, selon toute apparence. 220 pas lieu d'opérer et de ne pas opérer. Or cela est requis à l'opération de la vertu humaine, comme il appert de ce qui a été dit plus haut (#305, 308, 382, 496, 502, 503). |
[73974] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 14 Deinde cum dicit: de eo
autem quod est nihil etc., solvit id quod obiciebatur quod sine prudentia
possit aliquis esse et fieri virtuosus. Et circa hoc duo facit. Primo
ostendit quod prudentia non possit esse sine virtute morali. Secundo ostendit
quod virtus moralis non possit esse sine prudentia, ibi, intendendum utique
rursus et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit quod ad hoc quod
aliquis sit virtuosus, requiritur non solum virtus moralis, sed etiam quoddam
aliud operativum principium. Secundo ostendit quid sit illud, ibi, dicendum
autem et cetera. Tertio ostendit quod prudentia super illud principium addit
adiunctionem virtutis moralis, ibi, est autem prudentia et cetera. Dicit ergo
primo, quod ad solvendum hoc quod dictum est, quod propter prudentiam non
magis homo operabitur bona et iusta ad hoc quod fiat virtuosus, oportet parum
superius incipere resumentes quaedam eorum quae dicta sunt. |
1270.- Il résout l'autre difficulté qui exposait que quelqu'un pouvait être et devenir vertueux sans la prudence. Ce qu'il fait en deux points. En premier, il montre que la prudence ne peut exister sans la vertu morale. En second, il montre que la vertu morale ne peut exister sans la prudence. Le premier point se divise en trois parties. En premier, il montre que, pour que quelqu'un soit vertueux, il faut non seulement la vertu morale, mais aussi un certain autre principe opératif. En second, il montre quel est ce principe. En troisième, il montre que la prudence ajoute à ce principe l'adjonction de la vertu morale. Il dit donc, en premier, que, pour résoudre le problème posé: à cause de la prudence l’homme ne produit pas davantage des œuvres bonnes et justes qui le conduisent à la vertu, il faut reprendre l'argumentation d’un peu plus haut, en résumant certaines considérations déjà faites. |
#1270. — Ensuite (1144a11), il résout ce qui avait été montré, que sans prudence on pourrait être et devenir vertueux. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la prudence ne pourrait aller sans vertu morale. En second, il montre que la vertu morale ne pourrait aller sans prudence (1144b1). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que, pour que l'on soit vertueux, non seulement la vertu morale est requise, mais aussi un autre principe d'opération. En second, il montre quel est ce [principe] (1144a22). En troisième, il montre que la prudence ajoute à ce principe l'implication de la vertu morale (1144a28). Il dit donc, en premier, que pour résoudre ce qui a été dit, qu'avec la prudence, on n'opérera pas davantage ce qui est bon et juste de manière à devenir vertueux, il faut reprendre un peu au-dessus, en rappelant certaines des [choses] dites. |
[73975] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 15 Et incipiemus hinc, quod,
sicut supra dictum est, quidam operantur iusta, et tamen non dicimus esse
iustos: sicut cum aliqui operantur ea quae sunt statuta legibus vel inviti,
vel propter ignorantiam, aut propter aliquam aliam causam, puta propter
lucrum, et non propter amorem ipsorum operum iustitiae: et tales inquam non
dicuntur iusti, quamvis operentur ea quae oportet eos facere, et etiam ea
quae oportet facere bonum virum. Et ita etiam in singulis virtutibus oportet
hominem aliqualiter operari ad hoc quod sit bonus ut sit bonus sive
virtuosus, ut scilicet operetur ex electione et quia placeant ei ipsa opera
virtutis. Iam autem supradictum est, quod virtus moralis facit electionem
rectam, quantum scilicet ad intentionem finis, sed ea quae nata sunt fieri
propter finem non pertinent ad virtutem moralem, sed ad quamdam aliam
potentiam, idest ad quoddam aliud operativum principium, quod ingeniatur
vias ducentes ad fines. Et sic huiusmodi principium est necessarium ad hoc
quod homo sit virtuosus. |
1271.- Notre point de départ est que, comme nous l’avons dit auparavant, certains opèrent des œuvres justes, sans que nous disions qui ils sont justes: par exemple, lorsque certains accomplissent ce qui est établi par les lois, ou bien malgré eux, ou bien par ignorance, ou bien à cause de quelque autre motif tel que le lucre, mais non par amour des œuvres mêmes de la justice. Ceux-là, dis-je, on ne les dit pas justes, bien qui ils font ce que l'homme bon doit faire. Et cela est requis dans chacune des vertus que l'homme opère d'une certaine façon s’il veut être bon ou vertueux; il lui faut opérer par élection et parce que les œuvres elles-mêmes de la vertu lui plaisent. On a déjà dit auparavant que la vertu morale rectifie l'élection par rapport à l’intention de la fin: mais ce qu'on doit naturellement accomplir pour assurer la réalisation de la fin, cela ne relève pas de la vertu morale; cela appartient à une certaine autre puissance, c’est-à-dire à un certain autre principe opératif qui aurait comme fonction de trouver les voies conduisant aux fins. Et ainsi, un principe de cette sorte est nécessaire pour que l’homme devienne vertueux. |
#1271. — Nous commencerons de ceci, que, comme il a été dit plus haut (#1035-1049), il y a des gens qui font ce qui est juste, sans que cependant nous les disions des justes: par exemple, lorsque certains accomplissent ce qui est statué par les lois, mais soit contre leur volonté, soit par ignorance, ou pour une autre raison, par exemple, pour le gain et non pour l'amour de la justice de ces actes: de telles [gens], dis-je, on ne les dit pas justes, quoiqu'elles opèrent ce qu'il faut qu'elles fassent, et même ce qu'il faut que fasse l'homme bon. Ainsi, même dans les vertus singulières, il faut que l'on opère d'une certaine manière pour être bon ou vertueux: que l'on opère par choix, et parce que nous plaisent les actes mêmes de la vertu. Par ailleurs, il a été dit plus haut (#1269), déjà, que la vertu morale rend le choix correct quant à la fin visée: cependant, ce qui a nature de moyen n'appartient pas à la vertu morale, mais à une autre puissance, c'est-à-dire à un autre principe d'opération, qui découvre les voies qui conduisent aux fins. Aussi un principe de la sorte est-il nécessaire pour que l'on soit vertueux. |
[73976] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 16 Deinde cum dicit dicendum
autem etc., ostendit quid sit istud principium. Et dicit quod de praedictis
aliquid est ulterius dicendum ut manifestius sciantur. Est itaque quaedam
potentia, idest operativum principium, quam vocant dinoticam, quasi
ingeniositatem quamdam sive industriam, quae talis est ut per eam homo possit
operari ea quae ordinantur ad intentionem quam homo praesupposuit, sive bonam
sive malam, et quod per ea quae operatur possit sortiri, idest
consequi, finem. Et si quidem intentio sit bona, huiusmodi ingeniositas est
laudabilis, si autem sit prava, vocatur astutia; quae sonat in malum, sicut
prudentia sonat in bonum. Et quia dinotica communis est utrique, inde est,
quod tam prudentes quam astutos dicimus esse dinos, id est ingeniosos
sive industrios. |
1272.- Il montre quel est ce principe. Il dit qu’il faut ajouter quelque chose aux considérations précédentes dans le but de les faire connaître avec plus de clarté. Il existe, assurément, une certaine puissance c’est-à-dire un principe opératif, qu’on appelle "dinotica": habileté, qui est une certaine ingéniosité ou "débrouillardise". (Faculté d'initiative). Cette faculté est ainsi faite que, par elle, l’homme peut accomplir toutes les choses qui sont ordonnées au but qu'il s’est proposé, que ce but soit bon ou mauvais. Cette faculté fait aussi qui il exploite efficacement à l'obtention de son but ce qu'il opère. Et si l’intention qui porte sur le but est bonne, cette ingéniosité devient louable. Cependant, si elle est vile ou dépravée. On l'appelle astuce (coquinerie - fourberie): cette dernière a l'accent du mal, comme la prudence évoque le bien. Et parce que l'habileté ou l'ingéniosité est commune aux deux, il s'ensuit que nous appelons habiles et ingénieux aussi bien les prudents que les astucieux. |
#1272. — Ensuite (1144a22), il montre quel est ce principe. Il dit que, sur ce sujet, quelque chose reste à dire pour plus de clarté. C'est qu'il y a une puissance, c'est-à-dire un principe d'opération, qu'on appelle l'habileté, une espèce d'ingéniosité ou d'industrie, telle que par elle on puisse opérer les moyens ordonnés à l'intention fixée, soit bonne soit mauvaise, et que puisse se trouver accomplie la fin, par le moyen de ce que l'on fait. Si, bien sûr, l'intention est bonne, cette sorte d'ingéniosité devient louable. Si, par ailleurs, la fin est mauvaise, cette ingéniosité est appelée de l'astuce, et elle se prend péjorativement, comme la prudence se prend méliorativement. Parce que l'habileté est commune à l'une et à l'autre, il s'ensuit que nous disons habiles, c'est-à-dire ingénieux ou industrieux, tant les prudents que les astucieux. |
[73977] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10
n. 17 Deinde cum dicit: est
autem prudentia etc., ostendit quid prudentia addat supra praedictum
principium. Et dicit, quod prudentia non est omnino idem quod praedicta potentia,
scilicet dinotica. Sed tamen non potest esse sine ea; sed in anima, huic
visui idest huic cognoscitivo principio scilicet dinoticae, habitus
prudentiae non fit sine virtute morali, quae se habet semper ad bonum, ut
dictum est et ratio eius est manifesta. Quia sicut syllogismi speculativi
habent sua principia, ita syllogismorum operabilium principium est, quod
talis finis sit bonum et optimum, qualiscumque finis sit ille propter quem
aliquis operatur, et ponatur, exempli gratia, quodcumque, puta temperato
optimum et quasi principium est attingere medium in concupiscentiis tactus:
sed quod hoc sit optimum non apparet nisi bono, idest virtuoso, qui
habet rectam existimationem de fine, cum virtus moralis faciat rectam
intentionem finis. |
1273.- On montre ce que la prudence ajoute au principe susdit. Il dit que la prudence ne s'identifie pas complètement à la puissance ci-haut mentionnée, à savoir à la "dinotica", quoiqu'elle ne puisse exister sans elle; mais dans l'âme, l'habitus de prudence ne perfectionne pas cette vision (cet œil -cette intuition), c'est-à-dire ce principe cognitif qui est la "dinotica", sans la vertu morale, qui dit toujours rapport au bien, comme on l'a dit. La raison de cela est manifeste: comme les syllogismes spéculatifs ont leurs principes, ainsi le principe des autres opérables, c'est que telle fin soit bonne et la meilleure, quelle que soit la fin pour laquelle quelqu'un opère. On peut prendre comme exemple la première fin qui vient à l'idée; disons que, pour le tempérant, ce qui est quasi principe et le meilleur est d'atteindre le milieu dans les plaisirs du toucher: mais qu'atteindre ce milieu soit ce qu'il y a de meilleur, cela n'apparaît qu'à l'homme bon, c'est-à-dire vertueux, qui possède un jugement rectifié sur la fin, puisque la vertu morale fait l'intention droite de la fin (Tel on est, tel on juge !)
|
#1273. — Ensuite (1144a28), il montre que la prudence ajoute au principe précédent. Il dit que la prudence ne s'identifie pas tout à fait à la puissance précédente, à savoir, l'habileté. Cependant, elle ne peut aller sans elle; mais dans l'âme, pour cette vue, c'est-à-dire pour ce principe cognitif, à savoir, l'habileté, l'habitus de la prudence ne va pas sans la vertu morale, qui se rapporte toujours au bien, comme il a été dit (#712). La raison en est manifeste: parce que, comme les syllogismes spéculatifs ont leurs principes, de même il y a un principe pour les autres opérations à poser, et une telle fin est bonne et la meilleure, quelle que soit la fin en vue de laquelle on opère. Une chose intervient en guise d'exemple: pour le tempéré, le mieux, et comme le principe, c'est d'atteindre le milieu en matière de désir du toucher: mais que cela soit le mieux n'apparaît qu'au bon, c'est-à-dire au vertueux, qui détient une estimation correcte de la fin, comme la vertu morale rend correcte la fin visée. |
[73978] Sententia Ethic., lib. 6 l. 10 n. 18 Et quod aliis malis non appareat id quod vere est
optimum, patet per hoc, quod malitia opposita virtuti pervertit iudicium
rationis, et facit mentiri circa fines, qui sunt circa practica principia.
Sicut intemperato videtur optimum sequi concupiscentias. Non autem recte
potest syllogizari si erretur circa principia. Cum ergo ad prudentem
pertineat recte syllogizari de operabilibus, manifestum est, quod impossibile
est esse prudentem illum qui non est virtuosus, sicut non posset esse sciens
qui erraret circa principia demonstrationis. |
1274.- Que pour les vicieux n'apparaisse pas ce qui est le meilleur bien, cela est évident du fait que la malice opposée à la vertu pervertit le jugement de la raison, et fait mentir sur les fins, qui portent sur les principes pratiques. Ainsi, pour l'intempérant, il n'y a rien de mieux que de suivre ses concupiscences. En effet, il ne peut raisonner correctement s’il fait erreur sur les principes. Donc, puisqu’il appartient au prudent de bien raisonner sur les opérables, il est manifeste qu'il est impossible d'être prudent à celui qui n'est pas vertueux, comme celui qui se trompe sur les principes de la démonstration ne peut être savant. |
#1274. — Que, par ailleurs, ce qui est vraiment le mieux n'apparaît pas aux méchants, cela devient évident du fait que la malice opposée à la vertu pervertit le jugement de la raison, et fait errer sur les fins, qui sont les principes pratiques. Par exemple, il paraît le mieux à l'intempérant de suivre ses désirs. En effet, il ne peut pas syllogiser correctement, s'il est trompé sur les principes. Comme, donc, il appartient au prudent de syllogiser correctement sur les actions à poser, il est manifeste 220 qu'il est impossible d'être prudent à celui qui n'est pas vertueux, comme il ne peut être savant celui qui se tromperait sur les principes de la démonstration. |
|
|
|
Lectio
11 |
Leçon 11 : [La vertu morale n’existe pas sans la prudence] |
|
|
ON SE DEMANDE ENCORE SI LA VERTU MORALE PEUT EXISTER SANS LA PRUDENCE, PUISQUE LA VERTU MORALE ET LA PRUDENCE SEMBLENT AVOIR UNE TRES GRANDE AFFINITE ENTRE ELLES. |
|
[73979] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 1 Intendendum utique rursus et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod prudentia non potest esse sine morali virtute, hic
ostendit quod moralis virtus non potest esse sine prudentia. Et circa hoc
tria facit. Primo ostendit propositum. Secundo ex hoc solvit quamdam
dubitationem incidentem, ibi, sed et ratio sic dissolvetur et cetera. Tertio
concludit principale intentum, ibi, manifestum autem quamvis et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit propositum per rationem. Secundo per dicta
aliquorum, ibi, propter quod aiunt omnes et cetera. Dicit ergo primo, quod ex
quo ostensum est, quod prudentia non potest esse sine virtute morali, rursus
intendendum est de virtute morali, utrum scilicet possit esse sine prudentia.
Ita enim se habet circa virtutem moralem, sicut dictum de prudentia et
dinotica, quod scilicet sicut ista duo non sunt idem penitus, sed tamen
habent aliquam similitudinem ad invicem inquantum utraque adinvenit
convenientes vias ad finem propositum. Ita etiam videtur se habere circa
virtutem naturalem et principalem, idest moralem, quae est perfecta
virtus. |
1275.- Après avoir montré que la prudence ne peut exciter sans la vertu morale, le Philosophe montre maintenant que la vertu morale ne peut exister sans la prudence. Ce qu'il divise en trois points. En premier, il montre ce qu’il a l'intention de dire. En second, il résout, à partir de là, une difficulté incidente. En troisième, il conclut l'objet principal de sa recherche. Le premier point se divise en deux parties. Dans la première, il montre ce qu'il se propose par une raison logique. Dans la seconde, il montre la même chose par les propos des autres. Il dit donc, en premier, que, du fait qu’on a montré que la prudence ne peut être sans la vertu morale, il faut reprendre l'examen de la vertu morale, pour savoir si elle peut exister sans la prudence. En effet, il y a dans la vertu quelque chose d'analogue au rapport qu'on a décrit entre la prudence et la "dinotica", qui, bien qu'elles ne soient pas identiques, ont quand même une certaine ressemblance entre elles, en tant que toutes deux trouvent les voies qui mènent à lâ fin désirée. Le même rapport semble exister entre la vertu naturelle et la vertu principale, c'est-à-dire morale, qui est la vertu parfaite. |
#1275. — Après avoir montré que la prudence ne peut aller sans vertu morale, le Philosophe montre ici que la vertu morale ne peut aller sans prudence. Sur ce [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre son propos (1144b1). En second, il résout, partant de là, une difficulté qui se présente (1144b32). En troisième, il conclut son intention principale (1145a2). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos par une raison. En second, par les dires d'autres (1144b17). Il dit donc, en premier, que, à partir de ce qui a été montré, que la prudence ne peut aller sans vertu morale, il faut chercher inversement, à propos de la vertu morale, si elle pourrait aller sans prudence. Il en va, en effet, en rapport avec la vertu morale, comme il a été dit de la prudence et de l'habileté (#1272-1274), que, bien qu'elles ne soient pas tout à fait la même [chose], elles gardent cependant une similitude entre elles, en tant que l'une et l'autre découvrent les moyens qui conviennent à la fin proposée. On trouve manifestement aussi le même rapport entre la vertu naturelle et [la vertu] principale, c'est-à-dire [la vertu] morale, qui est la vertu accomplie. |
[73980] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 2 Et quod sit aliqua virtus naturalis quae praesupponitur
morali, patet per hoc quod singuli mores virtutum vel vitiorum videntur
aliqualiter existere aliquibus hominibus naturaliter; statim enim quidam
homines a sua nativitate videntur esse iusti, vel temperati vel fortes
propter naturalem dispositionem, qua inclinantur ad opera virtutum. Quae
quidem naturalis dispositio quantum ad tria potest attendi. |
1276.- Qu'il y ait une vertu naturelle, qui est présupposée à la vertu morale, cela est évident du fait que les mœurs caractéristiques des vertus ou des vices semblent exister naturellement chez certains hommes. En effet, dès leur naissance, certains hommes semblent êtres justes ou tempérants ou courageux à cause d'une disposition naturelle, par laquelle ils sont inclinés aux œuvres des vertus. Cette disposition naturelle peut être relative à trois parties de l'âme. |
#1276. — Que, par ailleurs, il existe une vertu naturelle, qui soit présupposée à la [vertu] morale, cela appert du fait que les mœurs propres des vertus ou des vices existent manifestement de manière naturelle chez certains; en effet, certains sont manifestement justes tout de suite, dès leur naissance, ou tempérants, ou courageux, à cause de leur disposition naturelle, qui les incline aux actes de ces vertus. Cette disposition naturelle, bien sûr, peut se regarder en regard de trois [facultés]. |
[73981] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 3 Primo quidem ex parte rationis, cui naturaliter indita
sunt prima principia operabilium humanorum, puta nulli esse nocendum, et
similia. Secundo ex parte voluntatis, quae de se naturaliter movetur a bono
intellecto, sicut a proprio obiecto. Tertio ex parte appetitus sensitivi,
secundum quod ex naturali complexione quidam sunt dispositi ad iram, quidam
ad concupiscentias, vel ad alias huiusmodi passiones aut magis aut minus aut
mediocriter, in quo consistit virtus moralis. Sed prima duo communia sunt
omnibus hominibus, sed hoc tertium est quod differentiam facit in hominibus. |
1277.- En premier, du côté de la raison, puisque les premiers principes des objets de l'opération humaine sont naturellement innés, par exemple, qu'il ne faille nuire à personne et d’autres principes semblables. En second, du côté de la volonté, qui est de soi naturellement mue par le bien connu de l'intelligence comme par son objet propre. En troisième, du côté de l'appétit sensitif, en tant que par complexion naturelle certains sont disposés à la colère, d'autres sont enclins aux plaisirs ou aux autres passions, et cela, soit vers l'excès, soit vers le défaut, soit vers le milieu, en quoi consiste la vertu morale, Mais les deux première dispositions naturelles (du côté de la raison et du côté de la volonté) sont communes à tous les hommes. |
#1277. — En premier, certes, en regard de la raison, puisqu'ils sont naturellement innés, les premiers principes des actions humaines à poser, par exemple, qu'il ne faut nuire à personne, et d'[autres] semblables. En second, en regard de la volonté, mue de soi naturellement par le bien intelligé comme par son objet propre. En troisième, en regard de l'appétit sensible, d'après lequel, par complexion naturelle, certains sont disposés à la colère, certains aux désirs, ou à d'autres passions, ou plus, ou moins, ou modérément, en quoi consiste la vertu morale. Les deux premiers [points], toutefois, sont communs à tous les hommes. |
[73982] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 4 Unde secundum hoc dicit hic philosophus quosdam esse
naturaliter fortes vel iustos: et tamen requiritur in his qui naturaliter
sunt tales aliquid aliud quod sit principaliter bonum, ad hoc quod praedictae
virtutes secundum perfectiorem modum in nobis existant, quia praedicti
naturales habitus sive inclinationes etiam pueris et bestiis insunt, sicut
leo naturaliter est fortis et liberalis, sed tamen huiusmodi habitus
naturales videntur esse nocivi nisi adsit discretio intellectus. |
1278.- C'est pourquoi, d'après ce qu'on vient d'exposer, le Philosophe dit que certains hommes sont naturellement courageux ou justes: cependant quelque chose de bon principalement (de proprement bon) est requis chez ceux qui sont naturellement vertueux, pour que ces vertus ci-haut mentionnées existent dans l'homme selon un mode plus parfait que celui qui caractérise ces vertus naturelles ou ces inclinations qui existent dans les enfants et les bêtes. Ainsi, le lion est-il naturellement courageux et libéral. Cependant, les habitus naturels de cette sorte semblent être nuisibles, à moins que soit présente le discernement de l'intelligence. |
#1278. — Par conséquent, d'après cela, le Philosophe dit que certains sont naturellement courageux ou justes: et cependant, chez ceux qui sont naturellement tels, quelque chose [de plus] est requis, qui soit radicalement bon, pour que les vertus mentionnées atteignent leur mode le plus accompli. En effet, ces habitus naturels, ou ces inclinations, sont présents chez les enfants et chez les bêtes — le lion est naturellement courageux et libéral — mais des habitus naturels de cette sorte s'avèrent nocifs, à moins que ne s'y ajoute le discernement de l'intelligence. |
[73983] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 5 Et videtur, quod sicut in motu corporali si corpus
fortiter moveatur absque visu dirigente, accidit, quod id quod movetur
impingat et fortiter laedatur, ita etiam est et hic; si enim aliquis habeat
fortem inclinationem ad opus alicuius virtutis moralis et non adhibeat
discretionem, accidet gravis laesio, vel corporis proprii, sicut in eo qui
inclinatur ad abstinentiam sine discretione, vel rerum exteriorum, si
inclinetur ad liberalitatem: et simile est in aliis virtutibus. Sed si
huiusmodi inclinatio coaccipiat in operando intellectum, ut scilicet cum
discretione operetur, tunc multum differet secundum excellentiam bonitatis,
et habitus, qui erit similis tali operationi cum discretione factae, erit
proprie et perfecte virtus, quae est moralis. |
1279.- Ce que l'on peut observer dans le mouvement corporel. Si le corps se meut fortement sans la vue pour le diriger, il arrive qu'il se heurte à un obstacle et se blesse gravement: ainsi en est-il dans le cas qui nous occupe. En effet, si quelqu'un a une forte inclination à l'œuvre d'une vertu morale et qu'il n'y applique aucun discernement (tact), il lui arrive quelque blessure ou maladie grave, ou bien dans son propre corps, comme chez celui qui est incliné à l'abstinence sans aucune discrétion, ou bien par rapport aux choses extérieures, s'il est enclin à la libéralité. Le cas est semblable pour les autres vertus. Mais si cette inclination est associée à celle de l'intelligence, à savoir pour qu'elle opère avec discrétion, alors, oui ! elle diffère énormément de l'autre selon l'excellence de la bonté. Et l'habitus, qui sera semblable à cette opération faite avec discernement (tact), sera proprement- et parfaitement vertu, qui est la vertu morale. |
#1279. — Dans un mouvement corporel, si un corps est mû fortement sans se trouver dirigé par la vue, ce qui est mû peut bien heurter [quelque chose] et s'en trouver fortement endommagé; manifestement, [il en va] de même ici aussi. Si, en effet, on a une forte inclination à l'acte d'une vertu morale et si on ne met pas de discernement à son exercice, il s'ensuivra un dommage grave, soit pour son propre corps, comme chez celui qui est incliné à l'abstinence sans discernement, soit au regard des [biens] extérieurs, si on est incliné à la libéralité: et il en va de même dans les autres vertus. Mais si une inclination de la sorte prend avis d'intelligence dans son opération, de sorte que l'on opère avec discernement, cela fait beaucoup de différence pour l'excellence de la bonté. L'habitus qui s'assimilera à une telle opération faite avec discernement constituera proprement et parfaitement la vertu morale. 220 |
[73984] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 6 Sicut igitur in parte animae opinativa sunt duae
species principiorum operativorum, scilicet dinoches et prudentia, ita etiam
in parte appetitiva, quae pertinet ad mores, sunt duae species, scilicet
virtus naturalis et moralis, quae est principalis: et haec non potest fieri
sine prudentia, sicut ostensum est. |
1280.- Donc, comme il y a dans la partie opérative de l'âme deux espèces de principes opératifs, à savoir la "dinotica" et la prudence, ainsi il y a aussi dans la partie appétitive, qui appartient aux choses morales, deux espèces de principes opératifs, à savoir la vertu naturelle et morale. Cette dernière est la vertu principale et elle ne peut s'engendrer sans prudence, comme on l’a montré. |
#1280. — Comme, donc, dans la partie de l'âme qui fait agir, il existe deux espèces de principes opératifs, à savoir l'habileté et la prudence, de même aussi, dans la partie appétitive, dont relèvent les [vertus] morales, il y a deux espèces, à savoir, la vertu naturelle et [la] morale, qui est la principale: or celle-ci ne peut aller sans prudence, comme il a été montré (#1275). |
[73985] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 7 Deinde cum dicit propter quod aiunt etc., manifestat
propositum per dicta aliorum. Et primo per dictum Socratis. Secundo per
dictum eorum, qui suo tempore erant, ibi, signum autem et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit dictum Socratis. Et dicit, quod propter praedictam
affinitatem virtutis moralis ad prudentiam, Socratici dixerunt omnes virtutes
morales esse prudentias. |
1281.- Il manifeste son avancé par les dires des autres. Et, en premier, par l'opinion de Socrate. En second, par les propos de ses contemporains. Le premier point se divise en deux parties. En premier, il expose les paroles de Socrate. Il dit qu'à cause de l'affinité susdite entre la vertu morale et la prudence, Socrate a affirmé que toutes les vertus 'morales étaient des prudences. |
#1281. — Ensuite (1144b17), il manifeste son propos par les dires des autres. En premier, par le mot de Socrate. En second, par les dires des gens de son temps (1144b21). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose le mot de Socrate. Et il dit, que, en raison de l'affinité mentionnée de la vertu morale avec la prudence, Socrate a dit que toutes les vertus morales étaient des prudences. |
[73986] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 8 Secundo ibi: et Socrates etc., ostendit in quo
deficiebant. Et dicit, quod in hoc dicta Socratis inquisitio quantum ad
aliquid erat recta, quantum autem ad aliquid peccabat; in hoc enim quod
existimabat omnes virtutes morales esse prudentias, peccabat; cum virtus
moralis et prudentia sint in diversis partibus animae. Sed quantum ad hoc
bene dicebat, quod virtus moralis non potest esse sine prudentia. |
1282.- En second, il montre où se trouvait la faiblesse des propos socratiques. Il dit que, par ces propos, la recherche de Socrate était dans la bonne voie sous un certain rapport, mais faisait fausse route sous un autre rapport. En effet, en croyant que toutes les vertus morales étaient des sortes de prudence, il se trompait, puisque la vertu morale et la prudence se situent dans diverses parties de l'âme. Mais quand il affirmait que la vertu morale ne peut être sans prudence, il disait bien. |
#1282. — En second (1144b18), il montre en quoi cela fait défaut. Il dit que, dans ce mot de Socrate, l'investigation se faisait correcte sous un rapport, mais fautive sous un autre rapport. Car, dans le fait d'estimer que toutes les vertus morales étaient des prudences, il était fautif, la vertu morale et la prudence habitant des parties différentes de l'âme. Mais il disait bien, quant à ceci que la vertu morale ne peut aller sans prudence. |
[73987] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 9 Deinde cum dicit: signum autem etc., confirmat idem per
dicta modernorum. Et primo ponit dictum eorum. Secundo ostendit in quo
deficiant, ibi, oportet autem et cetera. Dicit ergo primo, quod signum huius,
quod virtus moralis non sit sine prudentia, est, quia etiam inter omnes
definientes virtutem, ponentes eam in genere habitus, dicunt ad quae se
extendat virtus, et quod hoc sit secundum rationem rectam. Manifestum est
autem ex praemissis, quod ratio recta in agibilibus est, quae est secundum
prudentiam. Si igitur omnes sic definientes, etsi non distincte determinent,
videntur tamen aliqualiter divinare sive coniecturare quod virtus est talis
habitus, qui est secundum prudentiam. |
1283.- Il confirme son avancé par les propos de ces contemporains. Et, en premier, il expose leurs opinions; en second, il montre où se trouvaient leurs erreurs. Il dit donc, en premier, que le signe de ce que la vertu morale n'est pas sans prudence se trouve dans le fait que tous ceux qui ont défini la vertu, la posant dans le genre de l'habitus, disent à quels objets la vertu s'étend et ajoutent que le rapport aux objets doit être conforme à la raison droite. Or, il est manifeste, d'après les prémisses, que la raison droite dans l'agir est celle qui est selon la prudence. Et donc, tous ceux qui définissent ainsi la vertu, même s'ils ne le font pas clairement, semblent deviner confusément que la vertu est cette sorte d'habitus qui est conforme à la prudence. |
#1283. — Ensuite (1144b21), il confirme la même [chose] par les dires de modernes. En premier, il pose leurs dires. En second (1144b25), il montre en quoi ils font défaut. Il dit donc, en premier, qu'un signe que la vertu morale ne va pas sans prudence est que tous ceux qui définissent la vertu, en la posant dans le genre de l'habitus, disent à quoi s'étend la vertu, et précisent que cela se fait selon la raison droite. Avec ce qui a été dit, par ailleurs, il est manifeste que la raison droite en matière d'actions est ce qui se conforme à la prudence. Si donc tous définissent ainsi, ils semblent bien deviner de quelque manière, ou conjecturer, même s'ils n'en traitent pas distinctement, que la vertu est un habitus de nature à se conformer à la prudence. |
[73988] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 10 Deinde cum dicit: oportet autem etc., ostendit in quo
deficiant sic dicentes. Et dicit quod oportet parum transcendere eorum
dictum, aliquid addendo. Non enim solum hoc habet virtus moralis quod sit
secundum rationem rectam; quia sic posset aliquis esse virtuosus moraliter
sine hoc quod haberet prudentiam, per hoc, quod esset instructus per rationem
alterius: sed oportet ulterius dicere quod virtus moralis est habitus cum
ratione recta, quae quidem est prudentia. Sic igitur patet, quod Socrates
plus dixit quam oporteret dum aestimavit quod omnes virtutes morales essent
rationes et non cum ratione, quia dicebat eas esse scientias sive prudentias.
|
1284.- Il montre quelle est la faiblesse de ceux qui parlent ainsi. Il dit qu'il faut dépasser un peu ce qu'ils disent: la vertu morale n'a pas uniquement que d'être selon la raison droite, pare que de cette manière quelqu'un pourrait être moralement vertueux sans pour cela posséder la prudence, mais en étant instruit (conseillé), par la raison d'un autre. Il faut donc aller plus loin et dire que la vertu morale est un habitus avec la raison droite, ce qui est en vérité la prudence. On voit donc ainsi que Socrate a dit plus qu'il ne le faillait, quand il a cru que toutes les vertus morales étaient des raisons et non avec raison, parce qu'il disait qu'elles étaient des sciences ou des prudences. |
#1284. — Ensuite (1144b25), il montre en quoi font défaut ceux qui parlent ainsi. Il dit qu'il faut dépasser un peu leur dire, en y ajoutant quelque chose. Ce n'est pas seulement la vertu morale qui arrive à se conformer à la raison droite; alors, en effet, on pourrait être moralement vertueux sans avoir la prudence, du fait de se trouver instruit par la raison d'un autre. En correction, il faut dire en outre que la vertu morale est un habitus qui s'accompagne d'une raison droite, laquelle, bien sûr, est la prudence. Ainsi donc, il appert que Socrate a dit plus qu'il ne fallait, quand il a estimé que toutes les vertus morales étaient des raisons plutôt qu'accompagnées de raison, parce qu'il disait qu'elles étaient des sciences ou des prudences. |
[73989] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 11 Alii vero minus dixerunt quam oporteret, ponentes
virtutes esse solum secundum rationem, Aristotiles vero medium tenuit, ponens
virtutem moralem esse secundum rationem et cum ratione. Sic igitur manifestum
est ex dictis, quod non est possibile aliquem hominem esse bonum principaliter,
idest secundum virtutem moralem, sine prudentia, neque etiam prudentem sine
morali virtute. |
1285.- Les autres ont dit moins qu'il ne le faut, en disant que les vertus morales sont uniquement conformes à la raison. Aristote tient le milieu en disant que la vertu morale est conforme à la raison et avec la raison. Ainsi donc, nos considérations rendent manifeste qu'il n'est pas possible qu'un homme soit bon principalement, c'est-à-dire selon la vertu morale, sans la prudence, ni, non plus, prudent sans la vertu morale. |
#1285. — D'autres, toutefois, ont dit moins qu'il ne fallait, en la posant seulement conforme à la raison. Aristote, quant à lui, tient le milieu, en posant que la vertu morale est conforme à la raison et s'accompagne de raison. Ainsi donc, il devient manifeste qu'il n'est pas possible qu'on soit radicalement bon, c'est-à-dire avec vertu morale, sans prudence, ni non plus [qu'on soit] prudent sans vertu morale. |
[73990] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 12 Deinde cum dicit: sed et ratio etc., solvit ex
praemissis quamdam incidentem quaestionem. Et primo movet dubitationem. Secundo
solvit, ibi, hoc enim secundum quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod per
praemissa potest solvi ratio, quam quidam inducunt disputantes ad hoc, quod
virtutes abinvicem separentur, ita scilicet quod una virtus absque altera
possit haberi. Videmus enim quod non idem homo est optime natus ad omnes
virtutes, sed alius ad liberalitatem, alius ad temperantiam, et sic de aliis;
facile autem unusquisque perducitur in id ad quod naturaliter inclinatur.
Difficile autem est aliquid assequi contra naturae impulsum; sequetur ergo
quod homo qui est naturaliter dispositus ad unam virtutem et non ad aliam, scivit,
idest assecutus est hanc virtutem, ad quam naturaliter erat dispositus (et
loquitur secundum Socraticos, qui ponebat virtutes esse scientias): hanc
autem, scilicet virtutem ad quam non est naturaliter dispositus, nequaquam
consequetur. |
1286.- Il résout, à partir des prémisses, une question incidente. Et, en premier, il pose la difficulté. En second, il y répond. Il dit donc, en premier, que les considérations précédentes nous permettent de résoudre l'argument par lequel on voudrait prouver que les vertus existent séparément, à savoir de telle sorte qu'une vertu pourrait être possédée sans l'autre. En effet, nous voyons que ce n'est pas le même homme qui est incliné à toutes les vertus, mais que l'un est incliné à la libéralité, un autre à la tempérance, et ainsi de suite. Et c'est facilement que l'on atteint à ce à quoi la nature incline, alors qu'il est difficile de poursuivre quelque chose contre l'impulsion de la nature. Il s'ensuit donc que l'homme qui est naturellement disposé à une vertu sans l'être à une autre, a déjà su, c'est-à-dire a déjà acquis la vertu à laquelle il est naturellement disposé (Aristote parle à la manière de Socrate qui posait que les vertus étaient des sciences): mais l'autre vertu, à savoir celle à laquelle il n'est pas naturellement disposé, il ne la possédera, jamais. |
#1286. — Ensuite (1144b32), il résout à partir de ce qui a été dit une question qui se présente. En premier, il soulève la difficulté. En second (1144b35), il la résout. Il dit donc, en premier, que, grâce à ce qui a été dit, on peut résoudre une raison que certains apportent en disputant, à l'effet que les vertus seraient séparées l'une de l'autre, de façon que l'on pourrait posséder une vertu sans posséder l'autre. Nous constatons, en effet, que le même homme n'est pas incliné à toutes les vertus, mais l'un à la libéralité, l'autre à la tempérance, et ainsi des autres. En effet, chacun est facilement conduit à ce à quoi il est incliné naturellement. Par ailleurs, il est difficile de tenir contre l'impulsion de la nature. Il s'ensuit donc que l'homme naturellement disposé à une vertu et non à une autre a su, c'est-à-dire a poursuivi cette vertu, à laquelle il était disposé naturellement (il parle comme Socrate, qui posait que les vertus étaient des sciences): mais que cette autre, par ailleurs, la vertu à laquelle il n'est pas naturellement disposé, il ne l'a pas cherchée du tout. |
[73991] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 13 Deinde cum dicit: hoc enim etc., solvit dubitationem
praedictam. Et dicit quod hoc quod dictum est verificatur secundum virtutes
naturales, non autem secundum virtutes morales, secundum quas aliquis dicitur
simpliciter bonus. Et hoc ideo, quia nulla earum potest haberi sine
prudentia, nec prudentia sine eis, ut ostensum est, et sic, quando prudentia
quae est una virtus inerit, omnes simul inerunt cum ea, quarum nulla erit
prudentia non existente. |
1287.- Ce que l'on vient de dire se vérifie dans le cas des vertus naturelles, non dans les vertus morales, selon lesquelles quelqu’un se dit absolument bon. Et cela parce qu'aucune des vertus morales ne peut exister sans la prudence, ni la prudence exister sans les vertus morales, comme on l'a montré. Et ainsi, quand la prudence, qui est une vertu, existe dans quelqu'un, toutes les autres vertus morales y seront présentes simultanément avec elle (inhèreront ensemble), et aucune d'elles n’y sera en l'absence de la prudence. |
#1287. — Ensuite (1144b35), on trouve vrai cela pour les vertus naturelles, mais non pour les vertus morales; or c'est à partir d'elles, strictement, qu'on est dit bon. La raison en est qu'aucune d'elles ne 220 peut être possédée sans prudence, ni la prudence sans elles, comme il a été montré. Ainsi, quand la prudence, une vertu unique, appartient à quelqu'un, toutes lui appartiennent ensemble avec elle, tandis qu'aucune ne sera, la prudence n'étant pas. |
[73992] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 14 Signanter autem dicit uni existenti, quia si essent
diversae prudentiae circa materias diversarum virtutum moralium, sicut sunt
diversa artificiorum genera, nihil prohiberet unam virtutem moralem esse sine
alia, unaquaque earum habente prudentiam sibi correspondentem. Sed hoc non potest
esse; quia eadem sunt principia prudentiae ad totam materiam moralem, ut
scilicet omnia redigantur ad regulam rationis. Et ideo propter prudentiae
unitatem omnes virtutes morales sunt sibi connexae. Potest autem contingere,
quod alicui habenti alias morales virtutes, dicatur aliqua virtus deesse
propter defectum materiae, sicut pauperi virtuoso deest magnificentia, quia
non habet unde faciat magnos sumptus. Ex
ipsa tamen prudentia quam habet est taliter constitutus, ut in promptu habeat
magnificus fieri, si materia non desit. |
1288.- Aristote dit clairement sans la prudence "qui est une", parce que s'il y avait diverses prudences portant sur les diverses matières des vertus morales, comme il y a divers genres d'œuvres d’art, rien n'empêcherait qu'une vertu morale existe sans une autre, chacune d'elle possédant une prudence qui lui correspondrait. Ce qui ne peut être: parce que les principes de la prudence à l'égard de toute la matière morale sont les mêmes, à savoir que tout soit ramené à la règle de la raison. C’est pourquoi, à cause de l'unité de la prudence, toutes les vertus morales sont connexes entre elles (il y a connexion de toutes les vertus morales). Cependant, il peut arriver qu’on dise qu'une vertu fait défaut à celui qui possède toutes les autres à cause du défaut de la matière, comme il arrive au pauvre vertueux de ne pas avoir la magnificence, parce qu'il ne possède pas ce qu’il faut pour faire de grandes dépenses. Cependant à cause de la prudence elle-même qu'il possède, il est disposé de telle sorte qu'il peut devenir magnificient très rapidement, si la matière ne fait pas défaut. |
#1288. — Il dit significativement, par ailleurs, «une vertu unique», parce que, s'il y avait des prudences différentes sur les matières des différentes vertus morales, comme il y a des [arts] différents par genre de [choses] artificielles, cela n'empêcherait pas qu'une vertu morale existe sans l'autre, chacune d'elles ayant la prudence qui lui correspond. Mais cela ne peut être; parce que les mêmes principes servent à la prudence pour ramener à la règle de la raison toute la matière morale. C'est pourquoi, à cause de l'unité de la prudence, toutes les vertus morales sont connexes entre elles. Toutefois, il peut arriver que quelqu'un qui a les autres vertus morales soit dit manquer d'une vertu en raison du défaut de sa matière; ainsi, au vertueux pauvre manque la magnificence, parce qu'il n'a pas d'où faire des dépenses somptueuses. Cependant, la prudence qu'il a le prépare à devenir rapidement magnifique, si la matière venait à ne plus lui manquer. |
[73993] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 15 Deinde cum dicit manifestum autem etc., concludit
principale intentum, epilogans quae dicta sunt. Et dicit, manifestum esse ex
praedictis quod, etiam si prudentia non esset operativa, quod homo indigeret
ipsa propter hoc quod est virtus perfectiva cuiusdam particulae animae. Et
iterum manifestum est quod est operativa, quia electio recta, quae requiritur
ad operationem virtutis, non est sine prudentia nec (sine) virtute morali,
quia virtus moralis ordinat ad finem, prudentia autem dirigit circa ea quae
sunt ad finem. |
1289.- Il conclut l'objet principal de son intention, épiloguant sur ce qu'il a dit. Il dit que les considérations précédentes manifestent que, même si la prudence n'était pas opérative, l'homme en aurait encore besoin à cause du fait qu'elle est une vertu qui perfectionne une partie de l'âme. Et de plus, il fut manifesté qu'elle est opérative, parce que l'élection droite, qui est requise à l'opération de la vertu, n'existe pas sans la prudence et la vertu morale. Parce que la vertu morale ordonne à la fin, alors que la prudence dirige par rapport aux moyens. |
#1289. — Ensuite (1145a2), il conclut son propos principal en épiloguant sur ce qui a été dit. Il dit qu'il est manifeste de par ce qui a été dit que, même si la prudence ne faisait pas agir, l'homme en aurait besoin à cause de ce qu'elle est une vertu qui amène à perfection toute partie de l'âme. De plus, il est manifeste qu'elle habilite à agir, parce que le choix correct, requis à toute opération de vertu, ne va pas sans prudence et vertu morale. Car la vertu morale ordonne à la fin, et la prudence dirige quant aux [moyens] en vue de la fin. |
[73994] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 16 Deinde cum dicit: sed tamen etc., solvit dubitationem
motam de comparatione prudentiae et sapientiae. Et dicit, quod prudentia non
principatur sapientiae, neque id quod est deterius principatur meliori. Et
inducit ad hoc duo exempla. Quorum primum est quod ars medicinae praecipit
quidem quid debeat fieri ad sanitatem consequendam; non tamen principatur
sanitati, quia non utitur ipsa sanitate, quod est proprium artis vel
scientiae principantis, ut scilicet utatur ea cui principatur praecipiendo
illi. Sed ars medicinae praecipit qualiter fiat sanitas, ita quod praecipit
propter sanitatem, sed non sanitati. Et similiter prudentia, etiam politica,
non utitur sapientia praecipiens illi qualiter debeat iudicare circa res
divinas, sed praecipit propter illam, ordinans scilicet qualiter homines possint
ad sapientiam pervenire. Unde sicut sanitas est potior quam ars medicinae,
cum sit eius finis, ita sapientia prudentiae praeminet. |
1290.- Il répond au doute soulevé sur la comparaison de la prudence et de la sagesse. Il dit que la prudence ne commande pas à la sagesse, ni ce qui est inférieur ne commande à ce qui est supérieur. Pour manifester ce oc point, il apporte deux exemples. Le premier est le suivant: l'art médical ordonne, en vérité, ce qu'il faut faire pour acquérir la santé, mais il ne commande pas pour cela à la santé, parce qu'il ne se sert pas de la santé: ce qui est le propre de l'art ou de la science qui commande, à savoir qu'elle se serve (fasse usage) de la chose, dont elle est maîtresse, en lui commandant. Mais l'art de la médecine ordonne sur la manière d'acquérir la santé, de telle sorte qu'elle commande en vue de la santé, mais non à la santé. Et, pareillement, la prudence, même politique, ne se sert pas (n'a pas la sagesse à son service) de la sagesse en lui commandant comment elle doit juger sur les choses divines mais commande en vue de la sagesse, à savoir en ordonnant de quelle manière les hommes peuvent parvenir à la sagesse. Voilà pourquoi, comme la santé est supérieure à l'art médical, puisqu'elle est sa fin, ainsi la sagesse est supérieure à la prudence. |
#1290. — Ensuite (1145a6), il résout la difficulté soulevée lors de la comparaison entre la prudence et la sagesse. Il dit que la prudence ne domine pas la sagesse, et que ce qui est moins bon ne domine pas le meilleur. Il apporte deux exemples pour le [montrer]. Le premier en est que l'art de la médecine commande, certes, ce qui est à faire pour arriver à la santé; mais il ne domine pas la santé, cependant, parce qu'il n'use pas de la santé même, ce qui est le propre de l'art ou de la science qui domine, à savoir, d'user de ce qu'elle domine en lui commandant. Mais l'art de la médecine commande de quelle manière produire la santé, de sorte qu'il commande pour la santé, mais non à la santé. De manière semblable, la prudence, même politique, n'use pas de la sagesse en lui commandant comment juger les choses divines, mais elle commande pour elle, en ordonnant la manière de parvenir à la sagesse. Par conséquent, comme la santé est plus puissante que l'art de la médecine, puisqu'elle en est la fin, de même la sagesse a prééminence sur la prudence. |
[73995] Sententia Ethic., lib. 6 l. 11 n. 17 Secundum exemplum est, quod cum politica praecipiat de
omnibus quae sunt in civitate, consequens est, quod praecipiat de his quae
pertinent ad cultum divinum, sicut praecipit de his quae pertinent ad studium
sapientiae. Simile igitur est propter hoc, prudentiam aut politicam praeferre
sapientiae, ac si aliquis praeferret eam Deo: quod manifestum est
inconveniens. Et sic terminatur sententia sexti libri. |
1291.- Il donne le second exemple. Puisque la politique exerce son commandement sur tout ce qui se trouve dans la cité, il s'ensuit qu'elle légifère sur ce qui appartient au culte divin, comme elle commande sur ce qui appartient à l'étude de la sagesse. Voilà donc en quoi consiste la similitude: préférer la prudence ou la politique à la sagesse serait comme si quelqu'un préférait l'une ou l'autre à Dieu: ce qui est manifestement inconvenable. Ainsi se termine la doctrine du sixième livre. |
#1291. — Le second exemple est que, comme la politique exerce son commandement sur tout ce qui est dans la cité, il s'ensuit qu'elle l'exerce sur ce qui a trait au culte divin, comme sur ce qui a trait à l'étude de la sagesse. À cause de cela, c'est pareil préférer la prudence ou la politique à la sagesse, et la préférer à Dieu: ce qui comporte une manifeste inconvenance. Ainsi se termine l'exposé du sixième livre. |
|
|
|
Liber 7
|
|
LIVRE 7 : [La tempérance et le plaisir] (Traduction
Professeur Yvan Pelletier, 1999)
|
|
|
|
Lectio
1 |
|
Leçon 1
|
[73996] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 1 Post haec autem dicendum, aliud facientes principium et
cetera. Postquam philosophus supra determinavit de virtutibus moralibus et
intellectualibus, hic incipit determinare de quibusdam quae consequuntur ad
virtutem. Et primo de continentia, quae est quiddam imperfectum in genere
virtutis. Secundo de amicitia, quae est quidam effectus virtutis, in octavo
libro, ibi, post haec autem de amicitia et cetera. Tertio de fine virtutis,
in X libro, ibi: post haec autem de delectatione et cetera. Circa primum duo
facit. Primo determinat de continentia et eius opposito. Secundo de
delectatione et tristitia quae sunt earum materia, ibi: de delectatione autem
et tristitia et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit continentiam
ab aliis quae sunt eiusdem generis. Secundo de ea determinat, ibi: videtur
utique continentia et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit
continentiam et eius oppositum ab his quae sunt eiusdem generis. Secundo ostendit
de quibus eorum sit dictum, et de quibus restet dicendum, ibi, sed de hac
quidem dispositione et cetera. Circa primum duo facit. Primo enumerat habitus
seu dispositiones circa moralia vituperabiles. Secundo ponit eorum opposita,
ibi: contraria autem duobus et cetera. |
|
#1292. — Après avoir traité plus haut des vertus morales et intellectuelles, le Philosophe commence ici à traiter de [réalités] qui se suivent l'une l'autre. En premier, de la continence, quelque chose d'imparfait dans le genre de la vertu (1145a15). En second, au huitième livre (1155a3), de l'amitié, un effet de la vertu. En troisième, au dixième livre (1172a16), de la fin de la vertu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de la continence et de son opposé. En second, du plaisir et de la tristesse, qui constituent leur matière (1152b1). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue la continence d'autres [choses] du même genre. En second, il en traite (1145b8). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue la continence et son opposé d'autres [choses] du même genre. En second, il montre desquelles d'entre elles il a déjà été traité, et desquelles il reste à traiter (1145a33). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il énumère les habitus ou dispositions blâmables en matière morale. En second, il pose leurs opposés (1145a17). |
[73997] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 2 Dicit ergo primo, quod post ea quae dicta sunt de
virtutibus moralibus et intellectualibus, ad hoc quod nihil moralium
praetermittatur, oportet ab alio principio resumere, ut dicamus, quod eorum
quae sunt circa mores fugienda, tres species sunt: scilicet malitia,
incontinentia et bestialitas. |
|
#1293. — Il dit donc, en premier, que, de manière à ce qu'aucune partie de la matière morale ne soit oubliée, il faut, après ce traité des vertus morales et [des vertus] intellectuelles, repartir d'un autre principe et dire que les [maux] à éviter, en matière de mœurs, comptent trois espèces: la malice, l'incontinence et la bestialité. |
[73998] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 3 Et horum quidem differentiam sic oportet accipere. Cum
enim, ut in VI dictum est, bona actio non sit sine ratione practica vera et
appetitu recto, per hoc quod aliquid horum duorum pervertitur, contingit quod
aliquid sit in moribus fugiendum. Si quidem igitur sit perversitas ex parte
appetitus ut ratio practica remaneat recta, erit incontinentia, quae scilicet
est, quando aliquis rectam aestimationem habet de eo quod est faciendum vel
vitandum, sed propter passionem appetitus in contrarium trahit. Si vero
intantum invalescat appetitus perversitas ut rationi dominetur, ratio
sequetur id in quod appetitus corruptus inclinat, sicut principium quoddam
existimans illud ut finem et optimum; unde ex electione operabitur perversa,
ex quo aliquis dicitur malus, ut dictum est in quinto. Unde talis dispositio
dicitur malitia. |
|
#1294. — Voici comment les distinguer: il a été dit, au sixième livre ( #1269), qu'une bonne action ne va pas sans raison pratique et appétit droit; par suite, dès que l'un de ces deux [éléments] se trouve perverti, il en résulte un [mal] à éviter en matière de mœurs. Si, donc, l'appétit est perverti mais que la raison pratique demeure droite, ce sera de l'incontinence, laquelle se produit quand, malgré une appréciation correcte de ce qui est à faire ou à éviter, on tend au contraire, à cause de la passion de l'appétit. Cependant, quand la perversité de l'appétit grandit au point de dominer la raison, la raison opte pour ce à quoi l'appétit corrompu incline en le prenant comme principe, l'estimant comme la fin la meilleure. Par suite, on opère des [choses] perverses par choix, et on en est considéré mauvais, comme il a été dit au cinquième [livre] (#1058). Aussi une telle disposition est-elle appelée une malice. |
[73999] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 4 Est autem considerandum ulterius quod perversitas in
unaquaque re contingit ex eo quod corrumpitur contemperantia debita illius
rei, sicut aegritudo corporalis in homine provenit ex hoc quod corrumpitur
humorum debita harmonia huic homini; et similiter perversitas appetitus quae
interdum rationem pervertit in hoc consistit quod corrumpitur commensuratio
affectionum humanarum. Talis autem corruptio dupliciter contingit:
consonantia enim sive contemperantia alicuius rei non consistit in
indivisibili, sed habet latitudinem quandam, sicut patet de contemperantia
humorum in corpore humano, salvatur enim natura humana et cum maiori vel cum
minori caliditate, et similiter contemperantia humanae vitae salvatur
secundum diversas maneries affectionum. |
|
#1295. — Il est encore à considérer que la perversité, en chaque chose, se produit du fait que se corrompt la tempérance correcte pour cette chose, à la manière dont la maladie corporelle, dans l'homme, suit la corruption de la proportion correcte des humeurs chez tel homme. De manière semblable, la perversité de l'appétit, qui s'étend parfois à la raison, consiste en cela que se corrompt la commensuration des affections humaines. Une telle corruption, par ailleurs, ne constitue pas [quelque chose d']indivisible, mais présente une certaine largeur, comme il appert de la tempérance des humeurs dans le corps humain. En effet, la nature humaine se préserve avec une chaleur plus ou moins grande et, de manière semblable, la contempérance de la vie humaine se préserve avec des mesures différentes entre affections. |
[74000] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 5 Uno igitur modo potest contingere perversitas in tali
consonantia, ita quod non exeatur extra limites humanae vitae: et tunc
dicetur simpliciter incontinentia vel malitia humana, sicut aegritudo humana
corporalis, in qua salvari potest natura humana. Alio modo potest corrumpi
contemperantia humanarum affectionum, ita quod progrediatur ultra limites
humanae vitae in similitudinem affectionum alicuius bestiae, puta leonis,
ursi aut porci, et hoc est quod vocatur bestialitas. Et est simile, sicut si
ex parte corporis complexio alicuius mutaretur in complexionem leoninam vel
porcinam. |
|
#1296. — D'une manière, donc, la perversité peut se produire avec une consonance telle qu'on ne sorte pas des limites de la vie humaine: alors, on parle strictement d'incontinence ou de malice humaine, comparable à une maladie humaine corporelle, où la nature humaine peut être préservée. D'une autre manière, la contempérance des affections humaines peut se corrompre de manière qu'on sorte des limites de la vie humaine, à la ressemblance des affections d'une bête, par exemple, du lion ou du porc. C'est ce qu'on appelle bestialité. Cela s'assimile à ce qu'il en serait si, du côté du corps, la complexion de quelqu'un était changée en celle du lion ou du porc. 234 |
[74001] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 6 Deinde cum dicit: contraria autem etc., ponit
contrarias dispositiones praedictis. Et primo proponit duo de quibus est
manifestum. Et dicit quod contraria duobus praedictorum sunt manifesta: nam
malitiae contrariatur virtus, incontinentiae autem continentia. |
|
#1297. — Ensuite (1145a17), il pose les dispositions contraires à celles mentionnées. En premier, il en propose deux pour lesquelles c'est manifeste. Il dit que les contraires des deux [dispositions] mentionnées sont manifestes: en effet, à la malice est contraire la vertu, et l'incontinence à la continence. |
[74002] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 7 Secundo ibi: ad bestialitatem autem etc., ostendit quid
opponatur tertio, scilicet bestialitati. Et primo proponit quod intendit.
Secundo manifestat propositum, ibi, quemadmodum Homerus et cetera. Dicit ergo
primo quod bestialitati congruenter dicitur opponi quaedam virtus, quae
communem hominum modum excedit et potest vocari heroica vel divina; heroas
enim gentiles vocabant animas defunctorum aliquorum virorum insignium, quos
etiam deificatos dicebant. |
|
#1298. — En second (1145a18), il montre ce qui est opposé à la troisième, à savoir à la bestialité. En premier, il propose son intention. En second, il manifeste son propos (1145a20). Il dit donc, en premier, qu'à la bestialité on dit avec convenance que s'oppose la vertu qui excède le mode commun des hommes, et qu'on peut appeler héroïque ou divine. En effet, les gentils appelaient des héros les âmes des hommes défunts insignes, qu'ils disaient aussi se déifier. |
[74003] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 8 Ad cuius evidentiam considerandum est, quod anima
humana media est inter superiores substantias et divinas, quibus communicat
per intellectum, et animalia bruta quibus communicat in sensitivis potentiis.
Sicut ergo affectiones sensitivae partis aliquando in homine corrumpuntur
usque ad similitudinem bestiarum et hoc vocatur bestialitas supra humanam
malitiam et incontinentiam; ita etiam rationalis pars quandoque in homine
perficitur et confortatur ultra communem modum humanae perfectionis, quasi in
similitudinem substantiarum separatarum, et hoc vocatur virtus divina supra
humanam virtutem et continentiam; ita enim se habet rerum ordo, ut medium ex
diversis partibus attingat utrumque extremum. Unde et in humana natura est
aliquid quod attingit ad id quod est superius, aliquid vero quod coniungitur
inferiori, aliquid vero quod medio modo se habet. |
|
#1299. — À l'évidence de quoi, il est à considérer que l'âme humaine est intermédiaire entre les substances supérieures et divines, avec lesquelles elle communique par l'intelligence, et les animaux brutes, avec lesquels elle communique dans les puissances sensibles. Comme, donc, les affections de la partie sensible sont quelquefois corrompues chez l'homme jusqu'à la similitude des bêtes — ce qu'on appelle bestialité — au-dessus de la malice et de l'incontinence humaine; de même aussi, la partie rationnelle atteint quelquefois chez l'homme une perfection et une forme au-delà du mode de la perfection humaine, à la similitude des substances séparées; on nomme cette vertu divine, au-dessus de la vertu humaine et commune. En effet, l'ordre des choses est tel que le milieu, par ses différentes parties, touche l'un et l'autre extrêmes. Par suite, dans la nature humaine aussi, il y a quelque chose qui touche à ce qui lui est supérieur, et quelque chose qui est uni à l'inférieur, et quelque chose, aussi, qui tient le mode intermédiaire. |
[74004] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit quemadmodum Homerus etc., manifestat
quod dixerat. Et primo manifestat, quod sit in hominibus quaedam virtus
heroica vel divina. Secundo ostendit, quod talis virtus opponatur
bestialitati, ibi, etenim quemadmodum et cetera. Primum autem manifestat
dupliciter. Uno modo per dictum Homeri, qui introducit Priamum de filio suo
Hectore dicentem, quod erat excellenter bonus, ita quod non videbatur
mortalis hominis existere filius, sed Dei, quia scilicet quiddam divinum
apparebat in eo ultra communem hominum modum. Secundo manifestat idem per
commune dictum gentilium, qui dicebant quosdam homines deificari, quod
Aristoteles non dicit esse credendum, quantum ad hoc quod homo vertatur in
naturam divinam, sed propter excellentiam virtutis supra communem modum
hominum. Ex quo patet esse in hominibus aliquibus quamdam virtutem divinam,
et concludit hanc virtutem esse bestialitati oppositam. |
|
#1300. — Ensuite (1145a20), il manifeste ce qu'il a dit. En premier, il manifeste qu'il existe chez les hommes une vertu héroïque ou divine. En second, il montre qu'une telle vertu s'oppose à la bestialité (1145a25). Par ailleurs, il manifeste son premier [point] de deux manières. D'une manière, par le mot d'Homère, qui fait parler Priam de son fils Hector en le disant si excellemment bon qu'il ne paraissait pas le fils d'un homme mortel mais de Dieu, parce que quelque chose de divin se faisait voir en lui, au-delà du mode commun des hommes. En second, il manifeste la même [chose] par le mot commun des Gentils, selon qui certains hommes se trouvaient déifiés, ce qu'Aristote ne dit pas être à croire quant à cela qu'un homme serait changé dans la nature divine, mais comme signe de l'excellence de sa vertu au-dessus du mode commun des hommes. Par quoi appert qu'il y a chez certains hommes une vertu divine, et il conclut que cette vertu est opposée à la bestialité. |
[74005] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 10 Deinde cum dicit: et enim quemadmodum etc., probat
propositum duplici ratione. Primo quidem quia malitiam vel virtutem dicimus
quasi propriam homini. Unde neque malitia attribuitur bestiae quae est infra
hominem, neque virtus Deo qui est supra hominem. Sed virtus divina est
honorabilior virtute humana quam simpliciter virtutem nominamus. Perversitas autem bestiae est quoddam alterum genus
malitiae a malitia humana quae simpliciter malitia dicitur. |
|
#1301. — Ensuite (1145a25), il prouve son propos par une double raison. En premier, certes, parce que nous admettons une malice ou une vertu propre à l'homme. Par suite, cette malice n'est pas attribuée à la bête, qui est sous l'homme, ni cette vertu à Dieu, qui est au-dessus de l'homme. Mais la vertu divine est plus honorable que la vertu humaine, que nous nommons simplement vertu. Or la perversité de la bête est un autre genre de malice que la malice humaine, dite simplement malice. |
[74006] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 11 Secundam rationem ponit ibi, quia autem et cetera. Et
dicit quod homines in quibus invenitur tanta bonitas quod raro invenitur in
hominibus videntur esse divini viri, unde Lacones, scilicet quidam Graeciae
cives, quando valde admirantur alicuius hominis bonitatem, dicunt iste est
vir divinus. Et similiter ex parte malitiae, bestialis raro invenitur inter
homines. |
|
#1302. — Il amène ensuite sa seconde raison (1145a27), et il dit que les hommes chez qui on trouve tant de bonté que cela se trouve rarement chez les hommes paraissent des hommes divins. Par suite, les Lacédémoniens, citoyens quelconques de Grèce, quand ils admiraient à l'extrême la bonté d'un homme, disaient: “Voici un homme divin.” Et semblablement, pour ce qui est de la malice, la [malice dite] bestiale se trouve rarement chez les hommes. |
[74007] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 12 Et ponit tres modos secundum quos aliqui fiunt
bestiales. Quorum primus est ex conversatione gentis, sicut apud barbaros qui
rationabilibus legibus non reguntur, propter malam convivendi consuetudinem
aliqui incidunt in malitiam bestialem. Secundo contingit aliquibus propter
aegritudines et orbitates, idest amissiones carorum, ex quibus in
amentiam incidunt et quasi bestiales fiunt. Tertio propter magnum augmentum
malitiae, ex quo contingit quod quosdam superexcellenter infamamus dicentes
eos bestiales. Quia igitur, sicut virtus divina raro in bonis invenitur, ita
bestialitas raro in malis: videntur sibi per oppositum respondere. |
|
#1303. — Il pose trois modes selon lesquels des [gens] deviennent bestiaux. Le premier en est par fréquentation d'un peuple, comme certains barbares qui n'utilisent pas de lois rationnelles: à cause d'une mauvaise habitude commune, certains tombent dans une malice bestiale. En second, il arrive à certains, à cause de maladies et de privations, c'est-à-dire la perte d'êtres chers, de tomber en démence et de devenir quasi bestiaux. En troisième, à cause d'une grande augmentation de malice: il arrive alors que nous diffamions certaines gens au point de les dire bestiaux. Parce que, donc, comme la vertu divine se trouve rarement chez les bons, de même la bestialité chez les mauvais, elles paraissent se répondre par mode d'opposition. |
[74008] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 13 Deinde cum dicit sed de hac quidem etc., ostendit quid
de talibus dictum sit et quid restet dicendum. Et primo continuat se ad
praecedentia et sequentia; secundo determinat modum agendi, ibi, oportet
autem et cetera. Dicit ergo primo, quod de hac dispositione, scilicet
bestiali, posterius fiet quaedam recordatio, scilicet in hoc eodem libro. De
malitia autem virtuti opposita dictum est prius, ubi determinatum est de
virtutibus sed de incontinentia, quae vituperatur circa delectationes, et
mollitie et delitiis quae vituperantur circa tristitias, dicendum est nunc,
similiter et de continentia, quae laudatur circa delectationes; et
perseverantia quae laudatur circa tristitias: ita tamen quod non existimemus
hos habitus, neque eosdem virtuti et malitiae, neque ut genere diversos. |
|
#1304. — Ensuite (1145a33), il montre ce qui a été dit de telles [choses] et ce qu'il en reste à dire. 235 En premier, il se rattache à ce qui précède et à ce qui suit. En second (1145b2), il démontre son mode de procéder. Il dit donc, en premier, qu'il sera fait plus tard, en ce même livre (#1401-1403), un rappel de cette disposition, à savoir bestiale. De la malice, par ailleurs, opposée à la vertu, il a été traité antérieurement (#528-1108), là où il a été traité des vertus morales. De l'incontinence, enfin, qui est blâmée à propos des plaisirs, et de la mollesse et de la sensualité1, qui sont blâmées à propos des tristesses, c'est maintenant qu'il faut en parler (#1306-1468). Et de manière semblable, de la continence, qui est louée à propos des plaisirs; et de l'endurance, qui est louée à propos des tristesses2: de manière, cependant, que nous ne pensions pas que ces habitus s'identifient à la vertu et à la malice, ni ne leur soient différents en genre. |
[74009] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 14 Deinde cum dicit: oportet autem etc., ostendit modum
procedendi. Et dicit quod oportet hic procedere sicut in aliis rebus, ut
scilicet positis his quae videntur probabilia circa praedicta, primo
inducamus dubitationes de eis et sic ostendemus omnia quae sunt maxime
probabilia circa praedicta: et si non omnia, quia non est hominis ut nihil a
mente eius excidat, ostendemus plurima et principalissima. Quia si in aliqua
materia dissolvantur difficultates et derelinquantur quasi vera illa quae
sunt probabilia, sufficienter est determinatum. |
|
#1305. — Ensuite (1145b2), il montre le mode de procéder. Il dit qu'il faut procéder ici comme ailleurs, à savoir de manière que, une fois posé ce qui semble probable sur ce dont il est question, nous soulevions d'abord des difficultés: c'est ainsi que nous montrerons tout ce qui est le plus probable à ce propos: et sinon, parce qu'il n'appartient pas à l'homme que rien n'échappe à son esprit, nous en montrerons le plus et le principal. Car si, en une matière, les difficultés sont dissoutes et qu'est laissé comme vrai ce qui est probable, on aura traité de manière suffisante. |
[74010] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 15 Deinde cum dicit: videtur utique etc., determinat de
continentia et incontinentia, et perseverantia, et mollitie. Et, secundum id
quod determinatum est, primo ponit probabilia; secundo inducit dubitationes,
ibi, dubitabit autem utique aliquis etc.; tertio solvit, ibi: primum quidem
igitur et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit probabilia circa
ipsam continentiam et incontinentiam. Secundo circa comparationem eorum ad
alia, ibi, et temperatum quidem et cetera. Tertio circa eorum materiam, ibi,
adhuc incontinentes et cetera. Circa primum ponit tria probabilia. Quorum
primum pertinet ad bonitatem et malitiam praedictorum. Et dicit quod
probabiliter videtur quod continentia et perseverantia sint studiosa et
laudabilia, incontinentia autem et mollities sint prava et vituperabilia.
Secundum pertinet ad rationes definitivas ipsorum. Et dicit quod idem videtur
esse continens quod ille qui permanet in ratione, idest in eo quod
secundum rationem iudicat esse agendum, incontinens autem videtur ille qui
egreditur a iudicio rationis. Tertium pertinet ad operationes eorum. Et dicit
quod incontinens scit aliqua esse prava, et tamen agit ea propter passionem.
Continens autem patitur quidem concupiscentias quas scit esse pravas unde non
sequitur eas propter iudicium rationis. Et haec duo sunt etiam extendenda ad
perseverantiam et mollitiem, sed circa tristitias. |
|
#1306. — Ensuite (1145b8), il traite de la continence et de l'incontinence, de l'endurance, et de la mollesse. Ainsi qu'il en a été décidé, il propose en premier ce qui est probable. En second, il soulève des difficultés (1145b21). En troisième, il résout (1146b8). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose la [matière] probable concernant la continence et l'incontinence mêmes. En second, sur leur comparaison avec autre chose (1145b14). En troisième, sur leur matière (1145b19). Sur le premier [point], il apporte trois [énoncés] probables. Le premier touche la bonté et la malice de ce dont il a été question. Il dit qu'il semble probable que la continence et l'endurance soient honnêtes et louables, tandis que l'incontinence et la mollesse soient mauvaises et blâmables. Le second touche leurs définitions. Il dit que ce semble la même [chose], un continent et quelqu'un qui s'en tient à la raison, c'est-à-dire à ce qu'il juge qu'on doit faire, en conformité à la raison. L'incontinent, lui, paraît quelqu'un qui sort du jugement de la raison. Le troisième touche leurs opérations. Il dit que l'incontinent sait que certaines [choses] sont mauvaises, et les fait quand même, par passion, tandis que le continent souffre de désirs qu'il sait mauvais, mais ne les suit pas, à cause du jugement de la raison. Ces deux [considérations] sont aussi à étendre à l'endurance et à la mollesse, en relation aux tristesses. |
[74011] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 16 Deinde cum dicit: et temperatum quidem etc., ponit duo
probabilia circa comparationem eorum ad alia. Quorum primum accipitur
secundum comparationem continentiae ad temperantiam. Et dicit quod videtur
temperatus esse continens et perseverativus. Sed quidam dicunt quod omnis
continens et perseverativus est temperatus, quidam autem dicunt quod non;
circa opposita vero horum, quidam dicunt quod omnis intemperatus est
incontinens et e converso confuse, idest absque aliqua distinctione.
Quidam autem dicunt eos esse alteros. |
|
#1307. — Ensuite (1145b14), il apporte deux [énoncés] probables concernant leur comparaison avec autre chose. Le premier se prend dans la comparaison de la continence à la tempérance. Il dit que le tempérant paraît continent et endurant. Toutefois, certains disent que tout continent et tout endurant est tempérant, tandis que certains disent que non. Concernant leurs opposés, néanmoins, certains disent que tout intempérant est incontinent et à l'inverse confusément, c'est-à-dire sans aucune distinction, tandis que certains disent qu'ils sont différents. |
[74012]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 1 n. 17 Secundum accipitur per
comparationem ad prudentiam. Et dicit quod
quandoque dicunt homines quod non contingit prudentem esse incontinentem,
quandoque autem dicunt quod quidam prudentes et divini, idest
ingeniosi, sunt incontinentes. |
|
#1308. — Le second est pris dans une comparaison avec la prudence. Il dit: on dit quelquefois qu'il ne se peut pas que le prudent soit incontinent, tandis qu'on dit d'autres fois que des gens prudents et divins, c'est-à-dire ingénieux, sont incontinents. |
[74013] Sententia Ethic., lib. 7 l. 1
n. 18 Deinde cum dicit: adhuc
incontinentes etc., ponit unum probabile circa materiam praedictorum. Et
dicit quod quandoque dicuntur aliqui incontinentes, non solum
concupiscentiarum, sed etiam irae, honoris et lucri. Ista igitur sunt sex
quae communiter solent dici de continentia et incontinentia et perseverantia
et mollitie. |
|
#1309. — Ensuite (1145b19), il apporte un [énoncé] probable sur la matière de ce dont il a été question. Il dit qu'on appelle parfois des gens incontinents non seulement en rapport à des désirs, mais aussi en 1Delitiis. 2 , continentia et incontinentia, la continence (la retenue) et l'incontinence (le dérèglement), qui habilitent à se maîtriser ou ne pas se maîtriser face aux plaisirs sensibles; ( ), perseverantia et mollitia (et delitiae), l'endurance et la mollesse (et la sensualité), qui habilitent à tenir ou abandonner dans la tristesse. — , et se nomment à partir de , dureté, force. 236 rapport à de la colère, à l'honneur et au gain. Voici donc six [énoncés] communément dits sur la continence et l'incontinence et sur l'endurance et la mollesse. |
|
|
|
Lectio
2 |
|
Leçon 2
|
[74014] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 1 Dubitabit autem (utique)
aliquis et cetera. Postquam philosophus posuit ea quae videntur esse
probabilia circa continentiam et incontinentiam, hic movet dubitationes
contra omnia praedicta, non tamen eodem ordine quo ea proposuit. Proposuit
enim ea eo ordine quo cadunt in prima hominis consideratione, qui primo
considerat circa aliquid id quod est commune, puta an sit bonum vel malum. Secundo considerat
propriam rationem rei. Tertio operationem eius. Quarto comparationem eius ad
alia cum quibus convenientiam habet. Quinto
comparationem eius ad illa a quibus differt; et ultimo ea quae exterius
circumstant. |
|
#1310. — Après avoir apporté ce qui est manifestement probable sur la continence et l'incontinence, le Philosophe soulève ici des difficultés sur tout ce qui a été apporté, mais non, cependant, dans l'ordre même selon lequel il l'a proposé. Il l'a proposé, en effet, dans l'ordre où cela s'impose à un premier regard. Or, sur quoi que ce soit, on regarde en premier ce qui est commun, par exemple, si cela est bon ou mauvais. En second, on regarde la définition propre de la chose. En troisième, son opération. En quatrième, sa comparaison avec autre chose avec quoi il y a convenance. En cinquième, sa comparaison avec quoi il y a différence; et, enfin, ce qui l'entoure de l'extérieur. |
[74015] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 2 In ponendo autem
dubitationes praemittit illud quod est magis dubitabile. Sic ergo contra sex
praedicta ponit sex dubitationes; primam quidem contra tertium probabile, de
actu continentis et incontinentis. Secundo ponit aliam contra quintum, quod
erat de comparatione ad prudentiam, ibi, prudentia ergo contratendente etc.;
tertia dubitatio est circa quartum dubitabile quod erat de comparatione ad
temperantiam, et hoc ibi: adhuc si quidem etc.; quarta dubitatio est contra
secundum probabile, quod erat de diffinitione continentiae, et hoc ibi:
adhuc, si omni opinioni etc.; quinta dubitatio est contra primum probabile,
quod erat de bonitate et malitia continentiae et incontinentiae, et hoc ibi:
adhuc in persuaderi etc.; sexta dubitatio est contra sextum probabile, de
materia continentiae et incontinentiae, ibi, adhuc si circa omnia et cetera. |
|
#1311. — Tandis qu'en apportant des difficultés, on met en premier ce qui fait le plus difficulté. Ainsi donc, en rapport aux six [énoncés] précédents, il apporte six difficultés; la première, certes, à propos du troisième [énoncé] probable, concernant l'acte du continent et de l'incontinent. En second, il en apporte une en rapport au cinquième, qui portait sur la comparaison avec la prudence (1146a4). La troisième difficulté touche le quatrième [énoncé] probable, qui portait sur la comparaison avec la tempérance (1146a9). La quatrième difficulté touche le second [énoncé] probable, qui portait sur la définition de la continence et de l'incontinence (1146a16). La cinquième difficulté touche le premier [énoncé] probable, qui portait sur la bonté et la malice de la continence et de l'incontinence (1146a31). La sixième difficulté touche le sixième [énoncé] probable, à propos de la matière de la continence et de l'incontinence (1146b2). |
[74016] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 3 Circa primum duo facit.
Primo proponit dubitationem. Et dicit quod aliquis potest de hoc dubitare,
quomodo aliquis qui habet rectam existimationem est incontinens operando
contraria. |
|
#1312. — En rapport à la première [difficulté], en premier, il propose la difficulté. À ce propos, il dit que l'on peut se demander comment il se peut qu'avec une estimation correcte, on soit incontinent et fasse le contraire. |
[74017] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 4 Secundo ibi, scientem
quidem igitur etc., prosequitur dubitationem. Et primo obiicit ad unam
partem. Secundo obiicit ad aliam, ibi, iste quidem igitur et cetera. Tertio
excludit quorumdam solutionem, ibi, sunt autem quidam et cetera. Dicit ergo
primo, quod quidam dicunt non esse possibile quod aliquis existimans recte,
ita quod sit sciens, sit incontinens. Non enim fortius vincitur a debiliori.
Cum igitur scientia sit quid fortissimum in homine, difficile videtur quod,
existente scientia in homine, aliquid aliud imperet scientiae et trahat ipsam
quasi servam, cum magis ratio cuius perfectio est scientia, dominetur et
imperet sensibili parti sicut servae. Et haec fuit ratio Socratis. Unde
totaliter insistebat huic rationi, quasi incontinentia non sit; putabat enim
quod nullus qui recte aestimat operaretur aliquid praeter id quod est
optimum; sed quod omne peccatum accidat propter ignorantiam. |
|
#1313. — En second (1145b22), il poursuit la difficulté. En premier, il objecte à l'une de ses parties. En second, il objecte à l'autre (1145b27). En troisième, il exclut la solution de certains (1145b31). Il dit donc, en premier, que, selon certains, il n'est pas possible qu'avec une estimation correcte, du niveau de la science, on soit incontinent. En effet, le plus fort ne se fait pas vaincre par le plus faible. Alors même, donc, que la science est ce qu'il y a de plus fort chez l'homme, il semble que, la science se trouvant présente, quelque chose d'autre lui commande et l'entraîne comme une esclave, alors que ce devrait plutôt être la raison, dont elle est la perfection, qui domine et commande à la partie sensible comme à son esclave. Voilà l'explication de Socrate. D'où son insistance totale sur ce raisonnement faisait qu'il n'y avait quasi pas d'incontinence. Il pensait, en effet, que personne, avec une estimation correcte, n'agit en dehors du mieux, que toute faute, au contraire, arrive par ignorance. |
[74018] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 5 Deinde cum dicit: iste
quidem igitur etc., obiicit in contrarium. Et dicit quod iste sermo Socratis
dubitationem inducit contra ea quae sunt apparentia manifeste, manifeste enim
videntur aliqui operari illud quod sciunt esse malum. Et si ita sit quod peccent
propter ignorantiam quae adveniat eis dum sunt in passione, puta
concupiscentiae vel irae, optimum est quaerere qualis ignorantia sit ista.
Manifestum est enim quod incontinens antequam passio superveniat, non
existimat faciendum illud quod per passionem postea facit. |
|
#1314. — Ensuite (1145b27), il objecte contre le contraire. Il dit que ce discours de Socrate fait douter du plus manifeste. En effet, nous voyons très clairement des gens faire ce qu'ils savent mauvais. Or s'ils se rendent fautifs à cause d'une ignorance due à un moment de passion, par exemple, de désir ou de colère, il vaut mieux chercher quelle sorte d'ignorance est-ce. Il est manifeste, en effet, que l'incontinent, avant que la passion ne l'emporte, n'estime pas à faire ce qu'ensuite, il fait par passion. |
[74019] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 6 Deinde cum dicit: sunt
autem quidam etc., excludit solutionem quorumdam. Et primo ponit eam, dicens
quod quidam concedunt quaedam dictorum a Socrate, scilicet quod scientia non
trahitur, quaedam autem non concedunt, scilicet quod nullus peccet nisi
propter ignorantiam. Confitentur enim quod nihil est melius et fortius quam
scientia, quod scilicet possit eam trahere. Non tamen confitentur quod nullus
possit operari praeter id quod opinatur esse melius. Et inde est, quod dicunt
quod incontinens qui superatur a voluptatibus non habet scientiam, sed
opinionem. |
|
#1315. — Ensuite (1145b31), il exclut la solution de certains. En premier, il la propose, disant qu'on concède parfois une chose à Socrate, à savoir, que la science ne se laisse pas emporter, sans lui concéder une autre chose, à savoir, que personne ne se rend fautif sinon par ignorance. En effet, on admet alors que rien n'est meilleur et plus fort que la science, capable de l'emporter; cependant, on n'admet pas que personne ne puisse opérer en dehors de ce qu'on pense le meilleur. Aussi disent-ils que l'incontinent, emporté par les voluptés, n'a pas la science, mais une opinion. 237 |
[74020] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 7 Secundo ibi: sed tamen
etc., excludit solutionem praedictam. Et dicit quod incontinens, aut habet
opinionem fortem aut debilem. Si fortem, eadem ratio videtur de ea et de
scientia, quia non minus inhaeretur uni quam alii, ut infra dicetur. Si autem
non sit fortis opinio tendens contra concupiscentias, sed est quieta
idest remissa et debilis, sicut accidit in his qui dubitant, videtur hoc non
esse imputandum, sed venia dignum, quod scilicet homo non immaneat debiliter
opinatis contra concupiscentias fortes. Non autem datur venia neque malitiae,
neque alicui aliorum vituperabilium, inter quae est incontinentia, ita
scilicet quod totaliter ei non imputetur. |
|
#1316. — En second (1145b36), il exclut la solution précédente. Il dit que l'incontinent se fait une opinion ou forte ou faible. S'[il s'en fait une] forte, la même raison vaudra pour elle et pour la science, parce qu'on n'adhère pas moins à l'une qu'à l'autre, comme on le dira plus loin (#1337). Si, par ailleurs, elle n'est pas forte, l'opinion qui tend contre les désirs, mais calme, c'est-à-dire lâche et faible, comme quand on doute, il n'y a alors manifestement rien à imputer, mais cela appelle l'indulgence, si, contre des désirs forts, on ne s'en tient pas à ce qu'on pense faiblement. Or, ni à la malice, ni à aucune autre [chose] blâmable, à quoi appartient l'incontinence, on n'accorde une indulgence qui fasse qu'elle ne soit absolument pas à imputer. |
[74021] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 8 Deinde cum dicit prudentia
ergo etc., movet dubitationem circa comparationem continentiae ad prudentiam,
quod erat quintum probabile. Et primo obiicit ad unam partem: concludens ex
praemissis, quod aliquis potest esse incontinens licet habeat prudentiam quae
in contrarium tendat. Si enim incontinens habet opinionem contra tendentem
concupiscentiis pravis et non habet debilem, quia sic non esset ei
imputandum, relinquitur ergo quod habeat fortem opinionem contra tendentem.
Sed inter opiniones prudentia est fortissima. Ergo incontinens maxime habet
prudentiam contra tendentem. |
|
#1317. — Ensuite (1146a4), il soulève une difficulté à propos de la comparaison de la continence avec la prudence, ce qui formait le cinquième [énoncé] probable. En premier, il objecte à l'une des parties, car ce qui a été dit porte à conclure que l'on peut être incontinent même avec la prudence, qui tend au contraire. Si, en effet, l'incontinent s'est fait une opinion opposée à ce qu'on tende à des désirs mauvais et qu'il ne l'a pas faible, [cette opinion], parce qu'ainsi, ce ne devrait pas lui être imputé, il reste donc qu'il ait une forte opinion opposée à ce qu'on y tende. Or, parmi les opinions, la prudence est la plus forte. Donc, l'incontinent possède à un haut degré la prudence opposée à ce qu'on tende [à des désirs mauvais]. |
[74022] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 9 Secundo ibi: sed
inconveniens etc., ostendit hoc esse inconveniens, duplici ratione. Quarum
prima est, quod secundum hoc sequetur quod idem simul sit prudens et
incontinens, quod videtur esse impossibile; nullus enim dicet ad prudentem
pertinere quod volens operetur pravissima. Dictum est enim supra in VI quod
circa prudentiam peior est qui voluntarius peccat. |
|
#1318. — En second (1146a5), il en montre l'inconvenance, avec une double raison. La première en est qu'avec cela, il s'ensuivra que la même [personne] soit en même temps prudente et incontinente, ce qui est manifestement impossible. Personne, en effet, n'admet qu'il appartienne à la prudence qu'on fasse ce qu'il y a de plus mauvais en le voulant. Il a été dit plus haut, en effet, au sixième [livre] (#1173), qu'à propos de la prudence, est pire celui qui se rend volontairement fautif. |
[74023] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 10 Secundam rationem ponit
ibi, cum his autem et cetera. Est enim supra ostensum quod prudens non solum
est cognoscitivus, sed est etiam activus, quia est aliquis extremorum, id est
habens aestimationem rectam circa operabilia singularia quae supra in VI
dixit esse extrema, et est etiam habens alias virtutes, scilicet morales, ut
in sexto ostensum est. Unde non videtur possibile quod aliquis prudens contra
virtutes operetur. |
|
#1319. — Il amène ensuite sa seconde raison. Il a été montré plus haut (#1208-1212), en effet, que la prudence est aptitude à connaître parce que non seulement elle porte sur les extrêmes, c'est-à-dire comporte une estimation correcte des opérations singulières à poser, lesquelles, plus haut, dans le sixième [livre] (#1214), on a appelées extrêmes, mais aussi elle s'accompagne des autres vertus, à savoir, [les vertus] morales, comme il a été montré au sixième [livre] (#1172). Par suite, il n'est manifestement pas possible que l'on opère avec prudence à l'encontre des vertus. |
[74024] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 11 Deinde cum dicit: adhuc
si quidem etc., movet dubitationem circa comparationem continentiae et
temperantiae, quod erat quartum probabile. Oportet enim alterum trium dicere.
Quorum primum est quod continens dicatur aliquis ex eo quod habet
concupiscentias pravas et fortes a quibus non deducatur contra rationem. Et
si hoc est verum, temperatus non erit continens, neque continens erit
temperatus. Ille enim qui est perfecte temperatus, non habet pravas
concupiscentias. Et sic habere pravas concupiscentias vehementes repugnat ei
quod est esse temperatum; oporteret autem quod temperatus haberet pravas
concupiscentias si esset continens, facta priori suppositione. Secundum autem
trium est quod continens habeat concupiscentias non pravas, sed bonas; et sic
sequetur quod quicumque habitus prohibet eas sequi, sit pravus. Talis autem habitus
est continentia. Ergo non omnis continentia erit studiosa. Tertium trium est
quod concupiscentiae quas habet continens non sint vehementes, sed infirmae
et debiles; et tunc, si non sunt pravae sed indifferentes, esse continentem
non erit venerabile vel laudabile, et si sint pravae et tantum debiles, non
erit magnum eis resistere. Et tamen continentia habetur tamquam aliquid
magnum et venerabile. Videtur ergo sequi inconveniens, quidquid horum trium
dicatur. |
|
#1320. — Ensuite (1146a9), il soulève une difficulté à propos de la comparaison de la continence avec la tempérance, ce qui formait le quatrième [énoncé] probable. Il faut, en effet, admettre l'une de trois [suppositions]. La première en est que l'on soit dit continent du fait que, malgré des désirs mauvais et forts, on ne se laisse pas entraîner à l'encontre de la raison. Si cela est vrai, le tempérant ne sera pas continent, ni le continent ne sera tempérant. Celui, en effet, qui est parfaitement tempérant, n'a pas de désirs mauvais; avoir ainsi des mauvais désirs violents répugne au fait d'être tempérant. Il faudrait, en outre, que le tempérant, s'il était continent, ait de mauvais désirs, selon la supposition qui précède. La seconde des trois, ensuite, est que le continent ait des désirs non pas mauvais, mais bons. Ainsi, il s'ensuivrait que tout habitus qui empêche de les suivre, soit mauvais. Or la continence est un tel habitus. Donc toute continence ne sera pas honnête. La troisième des trois est que les désirs du continent ne soient pas violents, mais chétifs et faibles. Alors, s'ils ne sont pas mauvais, être continent ne sera ni respectable ni louable. S'ils sont mauvais, mais faibles, ce ne sera pas grand chose de leur résister. Cependant, la continence est tenue pour quelque chose de grand et de respectable. Un inconvénient s'ensuit manifestement, quelque [supposition] que l'on admette entre ces trois-là. |
[74025] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 12 Deinde cum dicit adhuc si
omni opinioni etc., movet dubitationem contra ipsam definitionem continentiae,
quod erat secundum probabilium propositorum. Et primo movet dubitationem
contra rationem continentiae, prout supra dictum est quod idem est continens
et permansivus in ratione. Et dicit quod si continentia facit permansivum
omni opinioni, idest si facit homini esse persuasum quod omni opinioni
immoretur non recedens ab ea, sequetur quod quaedam continentia sit prava.
Contingit enim aliquam opinionem esse falsam, a qua discedere est bonum. Unde
ab ea detineri est pravum: cum tamen continentia laudetur quasi aliquid
bonum. |
|
#1321. — Ensuite (1145a16), il soulève une difficulté à propos de la définition même de la continence, qui formait le second des [énoncés] probables proposés. En premier, il soulève une difficulté à propos de la notion de continence, en autant que l'on a dit, plus haut (#1306), que c'est la même [chose], se contenir et persister dans la raison. Il dit que si la continence fait persister en n'importe quelle opinion, c'est-à-dire si elle persuade de s'accrocher à n'importe quelle opinion, sans s'en détacher, il s'ensuit que certaine continence soit mauvaise. Il arrive, en effet, qu'une opinion soit fausse, et qu'il soit bon de s'en écarter. Par suite, en être captif est mauvais, alors que, cependant, la continence est louée comme un bien. 238 |
[74026] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 13 Secundo ibi, et si ab
omni etc., obiicit contra rationem incontinentiae, prout supra dictum est
quod incontinens est egressivus a ratione. Et hoc tribus rationibus. Quarum
prima est: quod si incontinentia sit egressiva a quacumque opinione sive
ratione, sequetur quod aliqua incontinentia sit bona, cum tamen semper
vituperetur ut mala. Et hoc ideo, quia aliqua opinativa ratio persuadet
aliquod malum fieri, quod vitare est bonum. Et ponit exemplum de hoc quod
quidam poeta, nomine Sophocles, narrat quod Neoptolemus qui fuit in bello
Troiano, persuasus fuit ab Odrisco quod mentiretur Philotethi propter quamdam
causam quae videbatur honesta: qui tamen postea non permansit in opinione
quae sibi fuerat persuasa, propter hoc quod erat ei triste et grave mentiri;
et in hoc est laudabilis. |
|
#1322. — En second (1146a18), il objecte contre la notion d'incontinence, en autant que l'on a dit, plus haut (#1306), que ne pas se contenir est sortir de la raison. [Il fait] cela avec trois raisons. La première en est que, si l'incontinence fait sortir de n'importe quelle opinion ou raison, il s'ensuit que certaine incontinence soit bonne, alors que cependant elle est toujours blâmée comme mauvaise. Car il arrive qu'une opinion persuade de faire du mal, et qu'il soit bon de l'éviter. Il en pose en exemple l'histoire que raconte un poète, du nom de Sophocle, que Néoptolème, présent à la guerre de Troie, se trouva persuadé par Ulysse de mentir à Philoctète pour une raison qui semblait honnête: lui, cependant, il n'a pas persisté, par la suite, dans l'opinion qu'il s'était fait persuader, pour la raison qu'il lui était triste et pénible de mentir; et, en cela, il est louable. |
[74027] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2 n. 14 Secundam rationem ponit ibi: adhuc sophisticus sermo et
cetera. Et dicit quod ratio sophistica mentiens, idest concludens
falsum, est dubitatio, idest dubitationis causa. Quia enim sophistae
ad hoc quod appareant sapientes volunt concludere inopinabilia, cum ad hoc
pertingant syllogizando, syllogismus factus inducit dubitationem: mens enim
audientis manet ligata, cum ex una parte non velit permanere in eo quod ratio
concludit, propter id quod conclusio ei non placet, et ex alia parte non
potest procedere ad contrarium, quia non habet in sua potestate solutionem
argumentationis. Nec tamen propter hoc quod iste non permanet in ratione,
quam solvere nescit, est vituperabilis. Non ergo videtur quod egredi a
quacumque ratione sit incontinentia. |
|
#1323. — Il amène ensuite sa seconde raison (1145a21), et il dit qu'une opinion sophistique qui ment, c'est-à-dire qui conclut du faux, est une difficulté, c'est-à-dire une cause de difficulté. Parce qu'en effet, les sophistes, pour paraître sages, veulent conclure des choses impensables, et, comme ils y arrivent en syllogisant, le syllogisme qui résulte fait difficulté: l'esprit de l'auditeur demeure lié, en effet, étant donné que, d'un côté, il ne veut pas en rester à ce que la raison conclut, parce que la conclusion ne lui plaît pas, et que, d'un autre côté, il ne peut passer au contraire, parce qu'il ne tient pas en son pouvoir la solution de l'argumentation. Cependant, pour ne pas en rester à une raison qu'il ne sait pas résoudre, il n'est pas blâmable. Il n'est donc pas manifeste que l'incontinence, ce soit sortir de n'importe quelle raison. |
[74028] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 15 Tertiam rationem ponit
ibi, accidit autem et cetera. Si enim egredi a quacumque ratione sit
incontinentia, sequetur per quandam rationem quod imprudentia incontinentiae
iuncta sit virtus. Et sic virtus componetur ex duobus vitiis: quod est
impossibile. Et quod sequatur id quod dictum est, videtur per hoc quod,
secundum hoc quod dictum est, quod aliquis operetur contraria his quae
opinatur, est propter incontinentiam; opinatur autem quod bona sint mala, et
quod non oporteat ea operari; quod est imprudentiae. Unde sequetur quod
operetur bona et non mala, quod videtur esse virtutis. |
|
#1324. — Il amène ensuite une troisième raison (1146a27). Si, en effet, l'incontinence, c'est sortir de n'importe quelle raison, il s'ensuit, en rapport à certaines raisons, que l'imprudence, jointe à l'incontinence, devienne une vertu. Ainsi, on aura une vertu composée de deux vices, ce qui est impossible. Pourtant, que cela s'ensuive, c'est manifeste. Si on fait le contraire de ce qu'on pense, en effet, c'est par incontinence; penser, ensuite, que tel bien est un mal, et qu'il ne faut pas le faire, cela relève de l'imprudence. De là il s'ensuivra que l'on fasse le bien et non le mal, et cela relève manifestement de la vertu. |
[74029] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 16 Deinde cum dicit adhuc in
persuaderi etc., movet dubitationem circa bonitatem et malitiam continentiae
et incontinentiae. Videtur enim quod ille qui operatur mala ex eo quod est
sibi persuasum quod sint bona, et inde est quod persequitur et eligit
delectabilia tamquam per se bona (quod facit intemperatus) sit melior eo qui
operatur mala non propter ratiocinationem qua sit deceptus, sed propter
incontinentiam. Ille enim qui est persuasus videtur esse sanabilior propter
hoc quod de facili potest sibi dissuaderi quod credit. Sed incontinens non
videtur iuvari ex aliqua bona suasione. Quinimmo videtur esse reus proverbii,
quod dicimus quod quando aqua, cuius scilicet potus reficit sitientem,
suffocat bibentem, quid adhuc valet ei bibere? Et similiter si aliquis ageret
mala quasi persuasus, idest deceptus, desisteret agere dissuasus,
idest remota illa suasione, sicut sitis cessat adhibito potu aquae. Nunc
autem incontinens suasus est et credit ea quae recta sunt et nihilominus alia
agit; unde aqua bonae suasionis eum non iuvat, sed suffocat. |
|
#1325. — Ensuite (1146a31), il soulève une difficulté à propos de la bonté et de la malice de la continence et de l'incontinence. Il semble bien, en effet, que celui qui fait du mal du fait d'être persuadé que ce soit du bien, et qui, pour cela, poursuit et choisit du délectable comme si c'était du bon par soi — or, c'est ce que fait l'intempérant — est meilleur que celui qui fait du mal non en raison d'un raisonnement par lequel il est trompé, mais par incontinence. Celui, en effet, qui est persuadé est manifestement plus sain, du fait qu'il peut facilement être dissuadé de ce qu'il croit, tandis que l'incontinent n'est manifestement pas aidé par une bonne exhortation. Bien plus, il est manifestement digne du proverbe que, si l'eau qu'on boit, assoiffé, pour se désaltérer, étouffe celui qui la boit, à quoi bon boire? De manière semblable, si on faisait du mal persuadé [que c'est du bien], c'est-à-dire trompé, on s'arrêterait une fois dissuadé, c'est-à-dire sauvé de cette persuasion, comme la soif cesse, une fois l'eau bue. Tandis que l'incontinent, une fois persuadé, croit aussi ce qu'il est correct de croire, et néanmoins fait autre chose; ainsi, l'eau bonne de la persuasion ne l'aide pas, mais l'étouffe. |
[74030] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 17 Deinde cum dicit: adhuc
si circa omnia etc., movet dubitationem circa materiam continentiae et
incontinentiae, quod erat sextum propositorum. Et dicit, quod si continentia
et incontinentia non solum sunt circa concupiscentias, sed circa iras et
lucrum, et omnia huiusmodi, non poterit determinari quis sit simpliciter
incontinens. Nullus enim invenitur, qui habeat omnes incontinentias. Dicimus
autem esse quosdam simpliciter incontinentes. Non ergo videtur esse verum
quod supra dictum est, quod continentia et incontinentia sit circa omnia. |
|
#1326. — Ensuite (1146b2), il soulève une difficulté à propos de la matière de la continence et de l'incontinence, ce qui formait le sixième [énoncé] parmi ceux proposés. Il dit que, si la continence et l'incontinence ne sont pas seulement à propos de désirs, mais à propos de colères et de gain, et de toute [chose] de la sorte, on ne pourra pas déterminer qui est strictement incontinent. Il n'est personne, en effet, qui ait toutes les incontinences. Nous disons, par ailleurs, qu'il y a des gens incontinents strictement. Cela semble donc bien ne pas être vrai, qu'on a dit plus haut (#1225), que la continence et l'incontinence portent sur tout. |
[74031] Sententia Ethic., lib. 7 l. 2
n. 18 Ultimo autem epilogando
concludit quod tales quaedam dubitationes accidunt contra prius proposita, et
quasdam harum dubitationum oportet interimere quasi falsum concludentes et
quasdam relinquere quasi concludentes verum. Haec est enim vera solutio
dubitationis, cum invenitur quid sit verum, circa id quod dubitatur. |
|
#1327. — En dernier (1146b6), il conclut, en épiloguant que voilà les difficultés qui surgissent à propos de ce qui a été proposé antérieurement. Il faut détruire certaines de ces difficultés comme portant au faux, mais en garder certaines comme concluant du vrai. C'est là, en effet, la vraie solution d'une difficulté, lorsqu'on découvre ce qu'il y a de vrai dans ce qui fait difficulté. 239 |
Lectio 3 [74032]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 3 n. 1 Primum quidem igitur
intendendum et cetera. Postquam philosophus positis quibusdam probabilibus
circa continentiam et incontinentiam movit contra singula dubitationes, hic
accedit ad solvendum. Considerandum autem est quod non eodem ordine
solutiones inducit neque quo probabilia praesupposuit neque quo dubitationes
induxit, sed secundum quod exigit ratio doctrinae; prout scilicet unius
dubitationis solutio ex altera dependet. Primo igitur dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, est autem principium et cetera.
Dicit ergo primo, quod ad solvendum praedictas dubitationes, primo est
considerandum utrum aliqui cum hoc, quod sunt scientes, possunt esse incontinentes
vel non, et si sic, per quem modum sciant. Et haec dubitatio primo solvitur,
quia eius solutio pertinet ad considerandum an sit incontinentia vel non.
Dictum est enim supra, quod contentio Socratis ad hoc erat quasi
incontinentia non esset. Prius autem de unoquoque oportet considerare an est.
|
|
#1328. — Après avoir proposé des [conceptions] probables sur la continence et l'incontinence, puis avoir soulevé des difficultés sur chacune, le Philosophe en vient ici aux solutions. Il est à considérer, toutefois, qu'il n'amène pas les solutions dans le même ordre dans lequel il a présupposé les [conceptions] probables, ni dans lequel il a soulevé les difficultés, mais selon que le commande la nature de l'enseignement, en se conformant à la manière dont la solution d'une difficulté dépend [de celle] d'une autre. En premier, donc, il dit sur quoi porte son intention (1146b8). En second, il exécute son propos (1146b14). Il dit donc, en premier, que, pour résoudre les difficultés qui précèdent, il est à considérer, d'abord, si l'on peut être incontinent en connaissance de cause, ou non. Et si c'est le cas, de quelle manière alors on sait. Cette difficulté est résolue en premier, parce que sa solution revient à considérer s'il existe ou non de l'incontinence. Il a été dit, en effet, plus haut (#1313), que l'impression de Socrate sur ce [point] était que l'incontinence n'existait pas. Or, à n'importe quel propos, il faut considérer en premier si cela existe. |
[74033] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 2 Deinde secundo oportet
considerare circa qualia debeamus ponere aliquem dici continentem vel
incontinentem, utrum scilicet circa omnem delectationem et tristitiam, vel
circa quasdam determinatas; et haec dubitatio secundo solvitur, licet fuerit
sexto loco proposita, quia principium inquirendi quis sit aliquis habitus est
considerare materiam ipsius, sicut patet ex modo procedendi Aristotelis in
praecedentibus. Et quia continens et perseverativus secundum materiam
differunt, simul cum hoc considerandum est utrum sint idem vel differant. Et
similiter considerandum est de omnibus aliis, quaecumque habent coniunctionem
et convenientiam cum hac consideratione. |
|
#1329. — Ensuite, il faut considérer en second en rapport à quelles sortes de choses nous devons poser que l'on est incontinent ou continent: est-ce en rapport à toute délectation et tristesse, ou à certaines déterminément. Cette difficulté est résolue en second, bien qu'elle ait été proposée en sixième lieu, parce que la recherche de ce qu'est un habitus prend son principe dans la considération de sa matière propre, comme il appert de la façon de procéder d'Aristote dans les [matières] précédentes. Comme, de plus, le continent et le persévérant comportent une matière différente, il faut considérer en même temps s'ils comportent une définition différente. Il faut aussi considérer d'une manière semblable n'importe quelle autre chose qui aurait un lien et une convenance avec cette considération. |
|
|
|
|
|
Leçon 3
|
[74034] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 3 Deinde cum dicit: est
autem principium etc., incipit solvere dubitationes supra motas. Et primo
determinat an sit continentia et incontinentia, determinando primam
dubitationem, quae movebatur contra tertium probabile; secundo determinat
materiam continentiae et incontinentiae, solvendo sextam dubitationem, quae
movebatur contra sextum probabile; et quia temperantia et continentia
conveniunt in materia, simul in hac parte ostendit differentiam temperantiae
et continentiae, solvendo tertiam dubitationem, quae movebatur contra quartum
probabile. Ostendit etiam quis sit peior, utrum intemperatus vel incontinens,
solvendo quintam dubitationem, quae movebatur contra primum probabile; et
haec secunda pars incipit ibi: utrum autem est aliquis incontinens et cetera.
|
|
#1330. — Ensuite (1146b14), il commence à résoudre les difficultés soulevées plus haut. En premier, il détermine s'il existe une continence et une incontinence, en traitant de la première difficulté, soulevée à propos de la troisième [conception] probable. En second (1147b20), il détermine la matière de la continence et de l'incontinence, en résolvant la sixième difficulté, soulevée à propos de la sixième [conception] probable. Puis, parce que la tempérance et la continence conviennent en matière, en même temps, dans cette partie, il montre la différence de la tempérance et de la continence, en résolvant la troisième difficulté, soulevée à propos de la quatrième [conception] probable. Il montre aussi quel est le pire, si [c'est] l'intempérant ou l'incontinent, en résolvant la cinquième difficulté, soulevée à propos de la première [conception] probable. |
[74035] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 4 Tertio ostendit quid sit
continentia et incontinentia solvendo quartam dubitationem, quae movebatur
contra secundum probabile, et cum hoc solvit secundam quaestionem, quae
movebatur contra quintum probabile, ostendendo, quod prudens non potest esse
incontinens. Et haec tertia pars incipit, ibi, utrum igitur continens est et
cetera. Circa
primum tria facit. Primo praemittit quaedam, quae sunt necessaria ad
solvendum. Secundo excludit falsam
solutionem, ibi, de eo quidem igitur et cetera. Tertio ponit veram, ibi, sed
quia dupliciter et cetera. Circa primum duo facit. Primo dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur, ibi, neque enim et cetera. |
|
#1331. — En troisième (1151a29), il montre ce qu'est la continence et l'incontinence, en résolvant la quatrième difficulté, soulevée à propos de la seconde [conception] probable. Avec cela, il résout la seconde question, qui était soulevée à propos de la cinquième [conception] probable, en montrant que le prudent ne peut être incontinent. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente certaines [notions], nécessaires pour résoudre. En second (1146b24), il exclut une fausse solution. En troisième (1146b31), il amène la vraie. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (1146b20), il l'exécute. |
[74036]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 3 n. 5 Dicit ergo primo, quod ad
determinandum praedicta, oportet primo intendere, ut sciamus haec duo. Quorum
primum est utrum continens et incontinens habeant differentiam,
scilicet specificam, per quam ab omnibus aliis differant, in circa quae, id
est ex hoc quod habeant materiam determinatam circa quam sint, sicut
differentia mansuetudinis est ex hoc quod est circa iras, vel in qualiter,
idest in modo se habendi circa quamcumque materiam, sicut prudentia est circa
omnem materiam moralem, non tamen eodem modo sicut virtutes morales. |
|
#1332. — Il dit donc, en premier, que pour traiter de ce qui précède, il faut, en premier, chercher à savoir deux [choses], dont la première est si le continent et l'incontinent ont une différence, une différence spécifique, par laquelle ils diffèrent de toute autre [chose]: soit de propos, c'est-à-dire du fait qu'ils auraient une matière déterminée sur laquelle porter, comme la différence de la douceur vient de ce qu'elle porte sur les colères: soit encore de manière, c'est-à-dire tenant à une manière de se 240 rapporter à toute matière, comme la prudence porte sur toute la matière morale, mais pas cependant de la même manière que les vertus morales. |
[74037] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 6 Et ad exponendum quod
dixerat, subdit quod considerandum est, utrum aliquis dicatur incontinens
solum ex hoc quod est circa aliquam materiam, vel solum in ut, idest
solum ex hoc, quod aliquo modo se habeat indifferenter circa omnem materiam.
Vel non solum per hoc vel per illud dicatur aliquis continens vel
incontinens, sed in ex ambobus, idest et ex determinato modo et ex
determinata materia. |
|
#1333. — Pour expliciter ce qu'il a dit, il ajoute qu'on doit considérer si on est dit incontinent du fait seulement qu'on ait rapport à une matière, ou encore seulement par la manière, c'est-à-dire seulement du fait qu'on se tienne d'une manière, indifféremment à toute matière. Ou si c'est non seulement par cela ou par ceci qu'on est dit continent ou incontinent, mais des deux façons, c'est-à-dire à la fois pour une manière déterminée et pour une matière déterminée. |
[74038] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 7 Secundum quod oportet
praeconsiderare est, si continentia et incontinentia sint circa omnia vel
non, sed circa determinatam materiam. |
|
#1334. — Le second [point] qu'il faut considérer d'avance est si la continence et l'incontinence portent sur toutes choses ou non, ou sur une matière déterminée. |
[74039] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 8 Deinde cum dicit neque
enim etc., determinat quod dixerat. Et primo secundum: dicens, quod continens
et incontinens non dicitur aliquis simpliciter circa omnia, sed circa illam
determinatam materiam, circa quam dicitur aliquis temperatus vel
intemperatus; scilicet circa concupiscentias et delectationes tactus. |
|
#1335. — Ensuite (1146b19), il traite de ce qu'il a annoncé. En premier, du second [point]: on n'est pas dit strictement continent et incontinent en rapport à toutes [choses], dit-il, mais en rapport à cette matière déterminée pour laquelle on est dit tempérant ou intempérant, et c'est en matière de désirs et de plaisirs du toucher. |
[74040] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 9 Secundo ibi: neque in ad
haec etc., determinat primum: et dicit quod non dicitur aliquis continens et
incontinens solum in ad haec, id est respectu alicuius determinatae
materiae (sic enim idem esset et intemperatus, cum sint circa eamdem
materiam): sed dicitur aliquis incontinens in sic habere, idest ex hoc
quod aliqualiter se habet circa determinatam materiam. Quia hic,
scilicet intemperatus, ex electione ducitur ad peccandum, quasi existimans
quod semper aliquis debeat persequi, id est accipere, delectabile sibi
praesentialiter oblatum. Sed incontinens non hoc existimat, sed tamen
persequitur delectabile, quando est sibi praesens. |
|
#1336. — En second (1146b20), il détermine le premier [point]: il dit qu'on n'est pas dit continent et incontinent seulement en cela, c'est-à-dire en regard d'une matière déterminée (alors, en effet, le tempérant et l'intempérant seraient la même [chose], comme ils ont rapport à la même matière): mais on est dit incontinent du fait de se tenir de telle manière, c'est-à-dire du fait qu'on se tient d'une certaine manière sur une matière déterminée. En effet, celui-ci, à savoir l'intempérant, c'est par choix qu'il se rend fautif, parce qu'il croit qu'il doit toujours rechercher telle chose, c'est-à-dire prendre le plaisir offert présentement. L'incontinent, lui, n'estime pas cela, mais recherche pourtant le plaisir, quand il se présente. |
[74041] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 10 Deinde cum dicit: de eo
quidem igitur etc., excludit falsam solutionem, quam etiam supra tetigit. Et
dicit quod nihil differt ad praesentem rationem si dicatur, quod illa
cognitio praeter quam aliqui incontinenter agunt sit vera opinio, sed non sit
scientia. Ex facti enim evidentia constat, quod quidam incontinenter
operantium non habent debilem inhaesionem quasi dubitantes, sed aestimant se
per certitudinem scire illud, contra quod agunt. Si ergo aliquis dicere
velit, quod propter hoc magis opinantes praeter opinionem agunt quam
scientes, quia quiete, idest debiliter inhaerent opinatis,
considerandum est, quod in hoc nihil differt scientia ab opinione. Quidam
enim non minus inhaerent opinionibus etiam falsis quam alii verae scientiae:
et hoc potest videri per Heraclitum, qui adeo firmiter tenebat omnia semper
moveri, et non esse veritatem aliquam diu permanendi in rebus, quod in fine
vitae suae nolebat loqui, ne veritas interim transmutaretur, sed solum
movebat digitum ad aliquid enunciandum, ut dicitur in quarto metaphysicae. |
|
#1337. — Ensuite (1146b24), il exclut la fausse solution qu'il avait touchée plus haut (#1316). Il dit que cela ne change rien au présent examen si on dit que la connaissance à cause de laquelle certains agissent avec incontinence est opinion vraie, mais pas science. De toute évidence, en effet, il s'avère que parfois, en opérant avec incontinence, on n'a pas une adhésion faible comme si on doutait, mais on estime savoir avec certitude ce contre quoi on agit. Si, donc, à cause de cela, à savoir parce qu'on adhère calmement, c'est-à-dire faiblement à ses opinions, on veut dire que c'est plutôt en opinant qu'en sachant qu'on agit, il est à considérer que, sous ce rapport, cela ne change rien entre science et opinion. Certains, en effet, n'adhèrent pas moins à leurs opinions, même fausses, que d'autres à une science vraie. On peut le voir à travers Héraclite, qui tenait si fermement que tout se meut toujours et qu'il n'y a pas une vérité qui dure toujours dans les choses qu'à la fin de sa vie il ne voulait pas parler, de peur que la vérité n'ait changé entretemps, mais, en guise d'énoncé, il bougeait seulement le doigt vers quelque chose, comme il est dit au quatrième [livre] de la Métaphysique. |
[74042] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 11 Deinde cum dicit sed quia
dupliciter etc., ponit veram solutionem. Et primo solvit dubitationem per
quasdam distinctiones. Secundo per naturam ipsius operativae scientiae, ibi:
adhuc autem, et si naturaliter et cetera. Circa primum ponit tres
distinctiones. Quarum prima est, quod dupliciter dicimus aliquem scire: uno
quidem enim modo dicitur scire ille qui habet habitum, sed non utitur eo,
puta geometra cum non considerat geometricalia; alio modo dicitur scire ille
qui utitur sua scientia, scilicet considerando ea quae sunt illius scientiae;
multum autem differt utrum aliquis agat ea quae non oportet habens habitum
scientiae sed non utens, vel quod aliquis habeat habitum et utatur
speculando. Hoc enim videtur esse durum, scilicet quod aliquis agat contra id
quod actu speculatur. Non autem videtur esse durum si aliquis agat contra id
quod habitualiter scit sed non considerat. |
|
#1338. — Ensuite (1146b31), il apporte la vraie solution. En premier, il résout la difficulté par certaines distinctions. En second (1147a24), par la nature de la science opérative elle-même. Sur le premier [point], il apporte trois distinctions. La première en est que nous disons de deux manières qu'on sait. D'une manière, en effet, on dit savoir celui qui a un habitus, mais n'en fait pas usage: par exemple, le géomètre qui n'est pas en train de considérer des [matières] géométriques. D'une autre manière, on dit savoir celui qui fait usage de sa science, au moment où il considère ce qui [appartient] à cette science. Cela fait beaucoup de différence, d'ailleurs, si on fait ce qu'il ne faut pas en ayant l'habitus de science, mais sans en faire usage, et si on a l'habitus et qu'on en use, en y pensant justement. Cela, en effet, est manifestement dur, à savoir d'agir à l'encontre de ce qu'on est en train de penser. Mais il ne semble pas dur, d'agir à l'encontre de ce qu'on sait habituellement, mais qu'on n'est pas justement en train de penser. |
[74043] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 12 Secundam distinctionem
ponit ibi: adhuc quia duo modi et cetera. Et dicit quod duo sunt modi
propositionum quibus utitur ratio practica, scilicet universalis propositio
et singularis: nihil autem prohibere videtur, quod aliquis operetur praeter
scientiam, qui habitu quidem cognoscit utramque propositionem, sed in actu
considerat tantum universalem, non autem particularem; et hoc ideo, quia
operationes sunt circa singularia. Unde si aliquis non considerat singulare,
non est mirum si aliter agat. |
|
#1339. — Il apporte ensuite une seconde distinction (1146b35). Il dit que parce qu'il y a deux sortes de propositions dont fait usage la raison pratique, à savoir la proposition universelle et la singulière, il semble bien que rien n'empêche d'agir à l'encontre de la science, si on connaît par habitus l'une et l'autre proposition, mais qu'on soit en train de penser 241 seulement l'universelle et non la particulière. C'est que les actions portent sur les singuliers. Par suite, si on ne pense pas au singulier, il n'est pas étonnant qu'on agisse autrement. |
[74044] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 13 Sciendum tamen quod
dupliciter potest accipi universale. Uno quidem modo prout est in seipso:
puta si dicamus quod omni homini conferunt sicca. Alio modo secundum quod est
in re singulari, puta si dicamus quod iste est homo vel talis cibus est
siccus; potest ergo contingere quod aliquis sciat et in habitu et in actu
universale secundum se consideratum; sed universale consideratum in hoc
singulari vel non habet, idest in habitu non cognoscit, vel non
operatur, id est non cognoscit in actu. |
|
#1340. — On doit savoir, cependant, que l'universel peut être pris de deux manières. D'une manière, certes, comme il est en lui-même: par exemple, si nous disons que manger maigre, c'est bon pour tous. De l'autre manière, comme il se trouve dans un singulier; par exemple, si nous disons qu'un tel [est] un homme ou que telle nourriture est maigre. Il peut donc arriver que l'on sache à la fois en habitus et en acte l'universel pris en lui-même; mais qu'ou bien on n'ait pas, c'est-à-dire qu'on ne connaisse pas en habitus, l'universel considéré dans tel singulier, ou bien qu'on ne l'applique pas, c'est-à-dire que l'on ne soit pas en train d'y penser. |
[74045] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3 n. 14 Secundum igitur hos modos sciendi differentes intantum
differt impossibile quod Socrati videbatur, ut nullum inconveniens videatur
eum qui incontinenter agit uno modo, scire scilicet in universali tantum vel
etiam in singulari, in habitu sed non in actu. Si autem alio modo sciret ille
qui incontinenter agit, videretur esse inconveniens, scilicet si sciret
singulare in actu. |
|
#1341. — En regard, donc, de ces différentes manières de savoir, ce qui semblait impossible à Socrate diffère d'autant. En conséquence, il n'y a manifestement aucun inconvénient à ce que celui qui, d'un côté, agit avec incontinence, sache pourtant, mais en universel seulement, ou même en singulier, mais en habitus et non en acte. Si, cependant, celui qui agit avec incontinence savait d'une autre manière, cela serait manifestement inconvenant, à savoir s'il connaissait le singulier en acte. |
[74046] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 15 Tertiam distinctionem
ponit ibi: adhuc habere et cetera. Et primo ponit distinctionem. Secundo
excludit obiectionem, ibi, dicere autem sermones et cetera. Dicit ergo primo,
quod praeter dictos modos adhuc invenitur in hominibus alius modus sciendi.
Quod enim aliquis sciat habitu et non actu, differentiam quamdam videtur
habere. Aliquando enim est habitus solutus, ut statim possit exire in actum
cum homo voluerit. Aliquando autem est habitus ligatus ita quod non possit
exire in actum. Unde quodammodo videtur habere habitum et quodammodo non
habere, sicut patet in dormiente vel maniaco aut etiam ebrioso. Et hoc modo
sunt dispositi homines dum sunt in passionibus. Videmus enim quod irae et
concupiscentiae venereorum et quaedam huiusmodi passiones manifeste
transmutent et corpus exterius et non solum animales motus, puta cum ex his
incalescit corpus; et quandoque tantum increscunt huiusmodi passiones quod
quosdam in insanias deducunt. Et sic manifestum est quod incontinentes
similiter disponuntur dormientibus, aut maniacis aut ebriosis, quod scilicet
habent habitum scientiae practicae in singularibus ligatum. |
|
#1342. — Il amène ensuite sa troisième distinction (1147a10). En premier, il amène la distinction. En second (1147a18), il exclut une objection. Il dit donc en premier, que, en plus des manières mentionnées, il se trouve encore chez les hommes une autre manière de savoir. En effet, que l'on sache en habitus et non en acte, cela comporte manifestement une différence. Parfois, en effet, l'habitus est délié, de sorte qu'il peut passer à l'acte dès qu'on le veut. Parfois, au contraire, l'habitus est lié, de sorte qu'on ne peut passer à l'acte. D'où, on paraît parfois avoir l'habitus et parfois ne pas l'avoir, comme il appert en sommeil, ou en démence, ou en ébriété. C'est dans une disposition semblable qu'on se trouve, lorsqu'on est sous la passion. Nous voyons, en effet, que les colères et les convoitises de la chair et certaines passions de la sorte transforment manifestement le corps extérieur, par exemple, lorsque par elles le corps se réchauffe. Parfois, ces passions réchauffent tellement qu'elles conduisent à des folies. C'est ainsi qu'il manifeste que les incontinents sont disposés de manière semblable à des gens en sommeil, en démence ou en ébriété, qui ont l'habitus de la science pratique lié, en rapport aux singuliers. |
[74047] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 16 Deinde cum dicit: dicere
autem sermones etc., excludit obiectionem. Posset enim aliquis obiicere
contra praedicta, quod incontinentes quandoque dicunt verba scientialia etiam
in singulari et ita videtur quod non habeant habitum ligatum. Sed ipse hoc
removet, dicens quod hoc quod dicunt sermones scientiae non est signum quod
habeant habitum solutum. Et hoc probat per duo exempla. |
|
#1343. — Ensuite (1147a18), il exclut une objection. On pourrait, en effet, objecter aux [considérations] qui précèdent que les incontinents disent parfois des paroles scientifiques, même [en les appliquant] au [cas] singulier. Il semble ainsi qu'ils n'aient pas l'habitus lié. Mais il retire cette [objection], en disant que le fait qu'ils prononcent des discours de science n'est pas signe qu'ils aient l'habitus délié. Il le prouve par deux exemples. |
[74048] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 17 Quorum primum est quod
etiam illi qui sunt in passionibus praedictis, puta ebrii et maniaci,
proferunt voce demonstrationes, puta geometricas, et dicunt verba Empedoclis,
quae erant difficilia ad intelligendum, quia metrice philosophiam scripsit.
Secundum exemplum est de pueris quando primo addiscunt, qui coniungunt
sermones quos ore proferunt sed nondum eos sciunt, ita scilicet quod mente
intelligant. Ad hoc enim requiritur quod illa quae homo audit fiant ei quasi
connaturalia, propter perfectam impressionem ipsorum intellectui, ad quod
homo indiget tempore in quo intellectus per multiplices meditationes firmetur
in eo quod accepit. Et ita est etiam de incontinente. Etsi enim dicat, non
est mihi bonum nunc persequi tale delectabile tamen non ita sentit in corde.
Unde sic existimandum est, quod incontinentes dicant huiusmodi verba quasi
simulantes, quia scilicet aliud sentiunt corde et aliud proferunt ore. |
|
#1344. — Le premier en est que même les gens qui souffrent des passions mentionnées, par exemple, les gens en ébriété et en démence, profèrent vocalement des démonstrations, par exemple, géométriques, et citent des paroles d'Empédocle, difficiles à comprendre, parce qu'il a écrit de la philosophie en vers. Le second exemple porte sur les enfants, quand ils commencent à apprendre; ils assemblent des discours qu'ils prononcent vocalement, mais ne saisissent pas encore assez pour les comprendre en esprit. Pour cela, en effet, il est requis que ce que l'on entend devienne presque connaturel, en raison d'une impression parfaite dans l'intelligence, en vue de quoi on a besoin d'un temps dans lequel l'intelligence, par des méditations multiples, s'affermisse en ce qu'elle a reçu. Il en est ainsi aussi de l'incontinent. Même, en effet, s'il dit: il n'est pas bon maintenant, pour moi, de rechercher tel [objet] délectable, il ne le sent cependant pas ainsi en son cœur. Aussi, il faut considérer que les incontinents disent de ces paroles comme en les simulant, car ils sentent une chose en leur cœur et profèrent autre chose vocalement. |
[74049] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 18 Deinde cum dicit: adhuc
autem, et si naturaliter etc., solvit propositam dubitationem secundum
naturalem processum practicae scientiae, applicando praedictas distinctiones
ad propositum. Et primo determinat veritatem quaestionis. Secundo respondet
obiectioni Socratis. Circa primum duo facit. Primo proponit naturalem
processum scientiae practicae in agendis; secundo ostendit impedimentum quod
accidit in incontinente, ibi, quando quidem igitur et cetera. Dicit ergo
primo, quod si aliquis velit considerare causam, quare incontinentes praeter
scientiam agant secundum naturalem processum practicae scientiae, oportet
scire quod in eius processu est duplex opinio. Una quidem universalis, puta
omne inhonestum est fugiendum. Alia autem est singularis circa ea quae
proprie per sensum cognoscuntur, puta: hic actus est inhonestus. Cum autem ex
his duabus opinionibus fiat una ratio, necesse est quod sequatur conclusio. |
|
#1345. — Ensuite (1147a24), il résout la difficulté proposée selon le processus naturel de la science pratique, en appliquant au propos les distinctions qui précèdent. En premier, il détermine de la vérité de la question. En second, il répond à l'objection de Socrate (1147b9). 242 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose le processus naturel de la science pratique en action. En second, il montre l'empêchement qu'il reçoit chez l'incontinent (1147a31). Il dit donc, en premier, que, si on veut considérer selon le processus naturel de la science pratique la cause pour laquelle les incontinents agissent contrairement à la science, il faut savoir que, dans ce processus, interviennent deux opinions. L'une, certes, universelle, par exemple que tout ce qui est déshonnête est à éviter; l'autre, par ailleurs, singulière, à propos de ce qui est proprement connu par le sens, par exemple, que telle [chose] est déshonnête. Quand, par ailleurs, un raisonnement se forme à partir de ces deux opinions, la conclusion suit nécessairement. |
[74050]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 3 n. 19 Sed in speculativis anima solum
dicit conclusionem. In factivis autem statim eam operatur. Ut, si opinio
universalis sit quod omne dulce oportet gustare, opinio autem particularis
sit quod hoc, demonstrato aliquo particulari, sit dulce, necesse est quod
ille qui potest gustare statim gustet, nisi sit aliquid prohibens. Et hoc quidem fit in syllogismo temperati, qui non
habet concupiscentiam repugnantem rationi proponenti quod omne inhonestum est
vitandum. Et similiter in syllogismo intemperati, cuius ratio concupiscentiae
non repugnat quae inclinat ad hoc quod omne delectabile sit sumendum. |
|
#1346. — Mais en matière spéculative, l'âme dit la conclusion et c'est tout. En matière d'action, au contraire, on passe à l'action aussitôt. De sorte que si l'opinion universelle est qu'il faut manger de tout ce qui est sucré, et que l'opinion particulière est que telle chose, en montrant une chose particulière, est sucrée, nécessairement celui qui peut manger mange aussitôt, s'il n'y a rien qui l'en empêche. C'est ce qui se produit dans le syllogisme du tempérant, chez qui aucun désir ne répugne à la raison quand elle propose que tout déshonnête est à éviter. C'est semblable dans le syllogisme de l'intempérant, dont la raison de concupiscence ne répugne pas à ce qu'on propose, elle qui incline à ce que tout plaisir soit à prendre. |
[74051] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 20 Deinde cum dicit: quando
quidem igitur etc., ostendit qualiter accidat defectus in incontinente. Et
primo ostendit aliquid in eo esse prohibens; secundo ostendit causam
prohibitionis, ibi: non contrarie autem etc.; tertio ostendit qualiter ista
prohibitio cesset, ibi: qualiter autem et cetera. Circa primum considerandum
est, quod in incontinente ratio non totaliter obruitur a concupiscentia quin
in universali habeat veram sententiam; sit ergo ita quod ex parte rationis
proponatur una universalis prohibens gustare dulce inordinate, puta si
dicatur, nullum dulce oportet gustare extra horam, sed ex parte
concupiscentiae proponitur quod omne dulce est delectabile, quod est per se
quaesitum a concupiscentia. Et quia in particulari concupiscentia ligat
rationem, non assumitur sub universali rationis, ut dicatur hoc esse praeter
horam; sed assumitur sub universali concupiscentiae, ut dicatur hoc esse
dulce. Et ita sequitur conclusio operis; et sunt in hoc syllogismo
incontinentis quatuor propositiones, sicut iam dictum est. |
|
#1347. — Ensuite (1147a31), il montre de quelle manière cela fait défaut chez l'incontinent. En premier, il montre qu'il y a chez lui quelque chose qui bloque. En second, il montre la cause du blocage (1147b1). En troisième, il montre de quelle manière ce blocage cesserait (1147b6). Sur le premier [point], il faut voir que, chez l'incontinent, la raison ne se trouve pas totalement empêchée par la concupiscence d'avoir la science vraie d'une manière universelle. Mettons donc qu'à l'instigation de la raison, on propose3 une universelle qui interdit de goûter du dessert de manière désordonnée: par exemple, on dit qu'on ne doit pas goûter de dessert quand ce n'est pas le temps. À l'instigation de la concupiscence, cependant, on assume que tout dessert est délectable, ce que cherche par soi la concupiscence. Puis, parce que, dans le particulier, la concupiscence lie la raison, on n'assume pas sous la raison universelle, de manière à dire aussi que ce n'est pas le temps; plutôt, on assume sous l'universel de la concupiscence, pour dire que c'est du dessert. Alors s'ensuit la conclusion de l'action [à poser]. Il y a quatre propositions dans ce syllogisme de l'incontinent, comme on l'a déjà dit. |
[74052] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 21 Et quod hoc modo se
habeat quandoque processus rationis practicae, patet per hoc quod forte
insurgente concupiscentia ratio dicit hoc concupiscibile esse fugiendum
secundum universalem sententiam, ut dictum est: concupiscentia autem ducit ad
hoc libere proponendo et assumendo absque prohibitione rationis, quae est
ligata, quia concupiscentia quando est vehemens potest movere quamlibet
particulam animae, etiam rationem, si non sit sollicita ad resistendum. Et
sic accidit conclusio operis, ut scilicet aliquis agat incontinenter contra
rationem et opinionem universalem. |
|
#1348. — Que la démarche de la raison pratique se fasse parfois de cette manière, cela appert par cela que, à l'occasion, même si la concupiscence se rebelle, la raison affirme que tel concupiscible est à fuir, de manière universelle, comme il a été dit: la concupiscence y pousse quand même librement, de son côté, en proposant et en assumant sans que l'en empêche la raison, qui est liée, car la concupiscence, quand elle est véhémente, peut mouvoir n'importe quelle partie de l'âme, et même la raison, si on ne la sollicite pas à résister. Alors arrive la conclusion de l'action [à poser]: on agit incontinemment, contre la raison et l'opinion universelle. |
[74053] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 22 Deinde cum dicit: non
contrarie autem etc., ostendit causam praedictae repugnantiae. Et dicit, quod
non est ibi contrarietas ex parte rationis per se, sicut accidit in
dubitantibus, sed solum per accidens, inquantum scilicet concupiscentia
contrariatur universali rationi rectae. Non autem aliqua opinio per se
contrariatur rectae rationi, sicut quidam dicebant. |
|
#1349. — Ensuite (1147b1), il montre la cause de la résistance décrite. Il dit que là, à savoir, dans ce fait que la concupiscence s'oppose à la raison droite universelle, l'opposition ne vient pas de la raison par soi, comme c'est le cas quand on doute, mais seulement par accident. Ce n'est pas qu'une opinion s'oppose par soi à la raison droite, comme certains le disaient[48]. |
[74054] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 23 Et ex hoc infert quoddam
correlarium, quod scilicet bestiae non dicuntur continentes aut
incontinentes, quia non habent universalem opinionem moventem cui
contrariatur concupiscentia, sed moventur solum ex fantasia et memoria
singularium. |
|
#1350. — De cela il induit aussi un corollaire, à savoir que les bêtes ne sont pas dites continentes ou incontinentes, parce qu'elles n'ont pas une opinion universelle motrice à laquelle contrarie leur concupiscence, mais elles sont mues seulement par l'imagination et la mémoire des singuliers. |
[74055] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 24 Deinde cum dicit:
qualiter autem solvitur etc., ostendit qualiter cessat talis repugnantia. Et
dicit quod qualiter solvatur ignorantia quam incontinens habet circa
particulare et rursus redit ad rectam scientiam, eadem ratio est quod de
vinolento et dormiente, quae quidem passiones solvuntur facta aliqua
transmutatione circa corpus, et similiter quia per passiones animae, puta per
concupiscentiam vel iram transmutatur corpus, oportet cessare hanc
transmutationem corporalem ad hoc quod homo redeat ad sanam mentem. Et ideo
haec ratio non est propria huius considerationis, sed magis oportet eam
audire a physiologis, idest naturalibus. |
|
#1351. — Ensuite (1147b6), il montre de quelle manière cesse une telle résistance. Donc, comment se résout l'ignorance de l'incontinent sur le particulier et comment celui-ci revient à la science droite, il dit qu'il en va comme quand on est ivre ou qu'on dort: ces passions, certes, se résolvent avec une transformation corporelle. De manière semblable, comme le corps subit une transformation lors des passions de l'âme, par exemple, au moment du désir ou de la colère, il faut bien que cesse cette transformation corporelle pour que l'on revienne à un esprit sain. Aussi, cette raison ne relève pas de cette discipline, mais il faut plutôt l'apprendre des physiologues, c'est-à-dire des naturalistes. |
[74056] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 25 Deinde cum dicit: quia
autem ultima etc., secundum praemissa solvit hanc rationem Socratis. Et
dicit, quod propositio et opinio ultima, scilicet singularis,
accipitur per sensum et principatur in actionibus quae sunt circa singularia.
Huiusmodi autem propositionem aut opinionem ille qui est in passione vel
omnino non habet in habitu vel habet habitum ligatum ut non possit in actu
scire, sed hoc modo loquitur de his, sicut ebrius dicit verba Empedoclis.
Quia ergo ista sunt vera, et quia universale quod per scientiam
comprehenditur non est extremus terminus operabilium, videtur sequi illud
quod Socrates quaerebat. Patet enim ex praedictis quod passio non fit in
praesentia principalis scientiae quae est circa universale, quum passio sit
solum in particulari. Neque universalis scientia trahitur a passione, sed
solum aestimatio sensibilis, quae non est tantae dignitatis. |
|
#1352. — Ensuite (1147b9), il résout, d'après ce qui précède, le raisonnement de Socrate. Et il dit que la proposition et opinion ultime, la singulière, est reçue par le sens5 et c'est elle qui sert de principe pour les actions, car elles portent sur des singuliers. Or une proposition ou une opinion de la sorte, celui qui est sous le coup de la passion ou bien ne l'a pas du tout en habitus ou bien en a un habitus lié, de sorte qu'il ne puisse la savoir en acte, mais en parle comme un homme ivre récite les mots d'Empédocle. Parce que cela est vrai, et parce que l'universel qui est compris par la science n'est pas le terme extrême de ce que l'on peut faire, il paraît s'ensuivre ce sur quoi Socrate questionnait. Il appert, en effet, de ce que l'on a dit, que la passion n'est pas en présence de la science principale, laquelle porte sur l'universel, puisque la passion porte seulement sur le particulier. Et que ce n'est pas la science universelle qui est entraînée par la passion, mais seulement l'estimation sensible6, qui n'a pas autant de dignité. |
[74057] Sententia Ethic., lib. 7 l. 3
n. 26 Ultimo autem epilogat,
tanta dicta esse de hoc quod sciens incontinenter agat, vel ille qui non est
sciens, et quomodo incontinens sit sciens. |
|
#1353. — Puis, il conclut finalement qu'on en a assez dit à propos de ce qu'on agit avec incontinence en connaissance de cause, ou sans connaissance de cause, ou comment l'incontinent a connaissance de cause. |
|
|
|
Lectio
4 |
|
Leçon 4
|
[74058] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4 n. 1 Utrum autem est aliquis incontinens et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod praeter scientiam potest aliquis prava operari, per
quod sciri potest an continentia et incontinentia sit, hic determinat de
materia continentiae et incontinentiae. Et primo ostendit quae sit materia
utriusque. Secundo comparat ea aliis habitibus qui sunt circa eamdem
materiam, ibi, circa eas autem quae per tactum et cetera. Circa primum duo
facit. Primo dicit de quo est intentio. Secundo manifestat propositum, ibi:
quoniam quidem igitur et cetera. Est autem considerandum quod supra, sextam
dubitationem proponens, dixit quod si continentia et incontinentia essent
circa omnia, nullus esset simpliciter incontinens. Et ideo hanc dubitationem solvere
intendens, duo proponit tractanda. Quorum primum est, utrum aliquis sit
simpliciter incontinens vel omnes dicantur incontinentes particulariter.
Secundum est, si aliquis est simpliciter incontinens, circa qualem materiam
est. |
|
#1354. — Après avoir montré que l'on peut agir mal même en connaissance de cause (par quoi on peut savoir s'il existe de la continence et de l'incontinence), le Philosophe traite de la matière de la continence et de l'incontinence. En premier, il montre quelle est la matière de l'une et de l'autre (1147b20). En second (1150a9), il les compare aux autres habitus qui portent sur la même matière. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il annonce son intention. En second (1147b21), il manifeste son propos. Il faut se rappeler que, plus haut ( #1326), en proposant la sixième difficulté, il a dit que si la continence et l'incontinence portaient sur toutes choses, personne ne serait incontinent de manière absolue. C'est pourquoi, en voulant résoudre cette difficulté, il propose deux [points] à traiter. Le premier en est si on est incontinent de manière absolue, ou si on est toujours déclaré incontinent sous un aspect particulier. Le second examine sur quelle matière cela porte, si on est incontinent de manière absolue. |
[74059] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 2 Deinde cum dicit: quoniam
quidem igitur etc., exequitur propositum. Et primo proponit materiam
generalem ut manifestam. Et dicit manifestum esse quod continentes et
incontinentes, perseverantes et molles dicuntur circa delectationes et
tristitias. |
|
#1355. — Ensuite (1147b21), il exécute son propos. En premier, il présente une matière générale. Il dit qu'il est manifeste qu'on parle de continents et d'incontinents, comme d'endurants et de mous, à propos de plaisirs et de tristesses. |
[74060]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 4 n. 3 Secundo ibi: quia autem sunt
haec etc., inquirit specialem materiam praedictorum. Et primo ostendit, quomodo diversimode dicatur
continentia et incontinentia circa diversas delectationes; secundo comparat
incontinentias diversarum delectationum adinvicem, ibi, quoniam autem est
minus turpis et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quomodo
dicatur aliquis diversimode continens vel incontinens secundum differentiam
humanarum delectationum adinvicem. Secundo secundum differentiam humanarum
delectationum ad bestiales, ibi: quia autem sunt quaedam et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo manifestat quaedam quae
dixerat, ibi, quia autem concupiscentiarum et cetera. Circa primum tria
facit. Primo distinguit delectationes humanas. Secundo ostendit quomodo circa
eas diversimode dicitur aliquis continens vel incontinens, ibi, eos quidem
igitur etc.; tertio infert quaedam correlaria ex dictis, ibi: et propter hoc
in idem et cetera. |
|
#1356. — En second (1147b23), il recherche la matière spéciale des [qualités] énumérées. 5Per sensum. La mineure du raisonnement pratique est l'objet de la cogitative, ratio particularis. 6Existimatio sensibilis. Autre nom de la cogitative, ou raison particulière. 244 En premier, il montre comment, en rapport à des plaisirs différents, on parle de continence en des manières différentes. En second (1149a24), il compare entre elles les incontinences qui portent sur des plaisirs différents. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment on déclare quelqu'un continent ou incontinent de manière différente en référence à la différence des plaisirs humains entre eux. En second (1148b15), en référence à la différence des plaisirs humains par rapport au [plaisir] bestial. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1148a22), il manifeste certains [points] présentés. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il distingue les plaisirs humains. En second (1147b31), il montre comment c'est selon des manières différentes qu'à leur propos, on déclare quelqu'un continent ou incontinent. En troisième (1148a13), il infère certains corollaires de ce qui précède. |
[74061]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 4 n. 4 Dicit ergo primo, quod eorum
quae faciunt delectationem homini quaedam sunt necessaria ad vitam humanam,
quaedam autem non sunt necessaria, sed secundum se considerata sunt eligibilia
homini, quamvis possit in eis esse superabundantia et defectus: quod apponit
ad differentiam virtutum, in quibus non potest esse superabundantia et
defectus. Et dicit necessaria esse corporalia quaedam, puta quae pertinent ad
cibum et venerea, et alia huiusmodi corporalia, circa quae supra posuimus
temperantiam et intemperantiam. Sed
eligibilia secundum seipsa, non autem necessaria dicit esse, sicut victoriam,
honorem, divitias et alia huiusmodi bona et delectabilia. |
|
#1357. — Il dit donc, en premier, que, parmi les [choses] qui procurent du plaisir à l'homme, certaines sont nécessaires à la vie humaine, tandis que d'autres ne sont pas nécessaires, mais, considérées en elles-mêmes, restent éligibles, quoiqu'il puisse en elles y avoir de l'excès et du défaut: ce qu'il amène à la différence des vertus, en lesquelles il ne peut y avoir de l'excès et du défaut. Il précise que sont nécessaires certaines [choses] corporelles, par exemple, qui concernent la nourriture ou le breuvage et le [domaine] sexuel, et d'autres [choses] corporelles de la sorte, à propos desquelles nous avons posé plus haut (#267, 595, 597, 599, 603) la tempérance et l'intempérance. Il compte, toutefois, comme éligibles en elles-mêmes, mais non nécessaires, [des choses] comme la victoire, l'honneur, les richesses et d'autres biens et plaisirs de la sorte. |
[74062] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 5 Deinde cum dicit: eos
quidem igitur etc., ostendit quomodo circa praedicta dicatur aliquis
continens vel incontinens. Et primo quomodo circa non necessaria. Secundo
quomodo circa necessaria, ibi, eorum autem qui circa corporales et cetera.
Dicit ergo primo, quod illi qui circa praedicta bona non necessaria
superexcellenter student praeter rectam rationem quae in ipsis est non
dicuntur simpliciter incontinentes, sed cum aliqua additione; puta
incontinentes pecuniarum vel lucri, vel honoris aut irae, quasi alteri sint
simpliciter incontinentes et illi qui secundum similitudinem incontinentes
dicuntur: quod signat appositio. Sicut cum dicitur homo qui Olimpia vicit,
circa hunc quidem communis ratio hominis parum differt a propria quam
appositio designat. Sed tamen aliquo modo est alia. |
|
#1358. — Ensuite (1147b31), il montre comment, en regard de ce qu'on a énuméré, on est dit continent ou incontinent. En premier, comment [il en va] à propos du non nécessaire. En second (1148a4), comment [il en va] à propos du nécessaire. Il dit donc, en premier, que ceux qui consacrent aux biens non nécessaires mentionnés des efforts excessifs, au delà de la droite raison les concernant, on ne les déclare pas incontinents absolument, mais avec une précision; par exemple, incontinents d'argent ou de gain, ou d'honneur ou de colère, comme si d'autres étaient incontinents absolument tandis que ceux-là seraient déclarés incontinents par ressemblance [avec eux]: ce que marque la précision. Comme quand on parle de “l'homme qui a vaincu à Olympie”, la notion commune d'homme diffère peu, à propos de lui, de la [notion] propre que cette précision désigne. Cependant, elle en est différente de quelque manière. |
[74063] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 6 Et inducit signum ad hoc
quod circa praedicta non dicatur aliquis simpliciter incontinens, quia
incontinentia vituperatur non solum ut peccatum quoddam quod potest
contingere etiam cum aliquis persequitur aliquod bonum, sed inordinate.
Vituperatur autem incontinentia, sicut malitia quaedam per quam scilicet
tenditur in aliquod malum. Quae quidem vel est malitia simpliciter, puta cum
ratio et appetitus tendunt in malum, et haec est vera malitia quae opponitur
virtuti; vel est secundum quamdam partem, quia scilicet appetitus tendit in
malum, non autem ratio, sicut contingit circa incontinentiam; sed nullus
praedictorum incontinentium vituperatur ut malus, sed solum ut peccans; quia
in bonum tendit, sed ultra quam oportet: unde nullus eorum est incontinens
simpliciter. |
|
#1359. — Puis, il introduit un signe quant à ce que, en regard des [matières] mentionnées, l'on ne soit pas déclaré incontinent de manière absolue, tiré de ce qu'on ne blâme pas l'incontinence seulement comme une faute qui peut arriver aussi lorsqu'on poursuit un bien, mais désordonnément. Au contraire, on blâme l'incontinence comme une malice par laquelle on tend à un mal. Celle-ci, bien sûr, constitue une malice ou bien de manière absolue, par exemple lorsque et la raison et l'appétit tendent au mal (voilà la vraie malice, opposée à la vertu), ou bien de manière particulière, parce que l'appétit tend au mal, mais non la raison, ainsi qu'il arrive dans l'incontinence. Toutefois, aucun des incontinents en question n'est blâmé comme mauvais, mais seulement comme fautif; c'est qu'il tend au bien, mais plus qu'il ne faut: aussi aucun d'eux n'est-il incontinent de manière absolue. |
[74064] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 7 Deinde cum dicit: eorum
autem qui circa corporales etc., ostendit qualiter dicatur aliquis
incontinens circa necessaria. Et dicit quod illi qui male se habent circa
corporales voluptates circa quas est temperantia et intemperantia, non ita
quod ex electione persequantur superabundantias delectationum et fugiant
tristitias, puta famem et sitim et alia huiusmodi, quae pertinent ad gustum
et tactum, sed praeter rectam electionem quam habent et praeter intellectum
rectum qui in eis est persequuntur et fugiunt praedicta; tales inquam
dicuntur incontinentes non quidem cum aliqua additione, sicut dicebatur
incontinens irae, sed simpliciter. Et ad hoc inducit signum. Quia molles qui
sunt propinqui incontinentibus dicuntur aliqui circa huiusmodi tristitias:
puta quia non possunt pati famem aut sitim, aut aliquid huiusmodi, non autem
dicuntur circa aliquid aliorum; puta quia non possunt sustinere paupertatem,
aut aliquid huiusmodi. |
|
#1360. — Ensuite (1148a4), il montre de quelle manière on est déclaré incontinent en regard du nécessaire. Il dit que ceux qui se conduisent mal en regard des voluptés corporelles, sur lesquelles portent la tempérance et l'intempérance, non en ceci que par choix ils poursuivent des excès de plaisirs et fuient des tristesses, par exemple, la faim, la soif et autres choses de la sorte, qui appartiennent au goût et au toucher, mais qu'ils poursuivent et fuient les [matières] en question sans conformité avec le choix correct qu'ils font et sans conformité avec la droite raison qui règle ces [matières]; de telles gens, dit-il, on les déclare incontinents non pas avec une précision, comme on était déclaré incontinent de colère, mais de manière absolue. Pour cela, il introduit un signe. C'est que les mous, qui se rapprochent des incontinents, on les pointe en regard de tristesses de cette sorte: par exemple, parce 245 qu'ils ne peuvent souffrir la faim ou la soif, ou autre chose du genre. Et non en regard de l'une des autres [matières], par exemple, parce qu'ils ne pourraient supporter la pauvreté, ou autre chose du même genre. |
[74065] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 8 Deinde cum dicit: et
propter hoc in idem etc., infert quaedam corollaria ex dictis. Quorum primum
est, quod in idem ponuntur incontinens et intemperatus, et continens et
temperatus. Non ita quod unum eorum sit alterum; sed quia sunt aliqualiter
circa eadem, scilicet corporales voluptates et tristitias, sed non eodem
modo. Sed temperatus et intemperatus cum electione, continens autem et
incontinens sine electione. |
|
#1361. — Ensuite (1148a13), il infère quelques corollaires de ce qui a été dit. Le premier en est que c'est dans la même [matière] que sont posés l'incontinent et l'intempérant, ainsi que le continent et le tempérant. Non pas de cette manière que l'un d'entre eux soit l'autre; mais parce qu'ils se rapportent de quelque manière aux mêmes [matières], à savoir, aux voluptés et aux tristesses corporelles, mais non de la même manière. Le tempérant et l'intempérant avec choix, le continent et l'incontinent sans choix7. |
[74066] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 9 Secundum quod ex hoc
sequitur ponit ibi: propter quod magis et cetera. Et dicit, quod ex
praedictis patet quod magis peccat et vituperatur intemperatus eo quod peccat
persequendo superfluas delectationes et fugiendo moderatas tristitias, non
quia patiatur concupiscentiam, vel patitur quiete, idest remisse. Et
ideo est peior quam homo qui peccat in praedictis propter vehementem
concupiscentiam, qualis est incontinens. Qui enim absque concupiscentia
peccat, quid faceret, si adesset ei fortis concupiscentia qualis est iuvenum,
et fortis tristitia circa indigentiam venereorum? |
|
#1362. — Il présente ensuite le second corollaire (1148a17). Il dit qu'il appert de ce qui précède (#1360) que l'intempérant est fautif et blâmé surtout en ce que sa faute consiste plutôt à poursuivre des plaisirs superflus et à fuir des tristesses modérées, sans les désirer, ou en les désirant calmement, c'est-à-dire peu. C'est pourquoi il est pire que celui qui se rend fautif en ces matières par suite d'un désir violent, c'est-à-dire l'incontinent. Celui, en effet, qui se rend fautif sans désir, que ferait-il, si lui survenait un désir puissant comme celui des jeunes et une tristesse puissante en rapport au manque du nécessaire? |
[74067] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 10 Deinde cum dicit: quia
autem concupiscentiarum etc., manifestat quae dixerat, assignans causam quare
circa non necessaria non sit simpliciter incontinentia. Et primo ostendit
quare circa ea non sit simpliciter incontinentia. Secundo, quare circa ea
dicatur incontinentia cum additione, ibi, propter similitudinem autem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quales sint huiusmodi
delectationes non necessariae; secundo concludit quale sit studium circa ea;
tertio concludit ulterius quod circa ea non est malitia neque incontinentia
simpliciter, ibi, malitia quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo quod
quaedam concupiscentiae et delectationes sunt eorum, quae secundum genus suum
sunt bona et laudabilia. |
|
#1363. — Ensuite (1148a22), il manifeste ce qu'il a dit et explique pourquoi il n'y a pas, en rapport au non nécessaire, de l'incontinence de manière absolue. En premier, il montre pourquoi, en rapport au non nécessaire, ce n'est pas de l'incontinence de manière absolue. En second (1148b6), pourquoi, en rapport à cela, on parle d'incontinence avec précision. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose quelles qualités revêtent ces plaisirs non nécessaires. En second (1148a28), il conclut quelle qualité revêt l'effort qui y porte. En troisième (1148b2), il conclut en plus qu'en rapport à elles, il n'y a, de manière absolue, ni malice ni incontinence. Il montre donc, en premier, que ce qui est génériquement bon et louable comporte des désirs et des plaisirs. |
[74068]
Sententia Ethic., lib. 7 l. 4 n. 11 Sunt enim tria genera
delectabilium. Quaedam sunt secundum naturam eligibilia, ad quae
scilicet natura inclinat; quaedam autem sunt contraria his, sicut ea quae
sunt contra inclinationem naturae; quaedam vero sunt media inter ista, sicut
patet de pecunia et lucro et victoria et honore. Unde circa omnia huiusmodi intermedia non vituperantur
aliqui ex hoc solum quod patiuntur eorum concupiscentiam et amorem, sed ex
modo concupiscendi qui est superabundans. |
|
#1364. — Il y a en effet, trois genres de délectable. L'un est éligible par nature, à savoir, ce à quoi la nature incline; un autre, par ailleurs, lui est contraire, comme ce qui va contre l'inclination de la nature; un autre, enfin, est intermédiaire entre eux, comme il appert de l'argent et du gain et de la victoire et de l'honneur. Aussi, en rapport à ce qui tient ainsi lieu d'intermédiaire, on n'est pas blâmé de cela seul qu'on en ait du désir et de l'amour, mais d'une manière excessive de les désirer. |
[74069] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 12 Deinde cum dicit propter
quod quanti etc., concludit ex praemissis quale sit studium hominum circa
praedicta. Et dicit, quod illi qui praeter rationem vel habent vel
persequuntur aliquid eorum quae sunt naturaliter pulchra et bona, non
vituperantur quasi mali: puta illi qui student circa honorem adipiscendum,
vel circa curam filiorum vel parentum magis quam oportet. Haec enim sunt
bona, et laudantur illi qui circa haec student sicut oportet. Sed tamen in
talibus potest esse quaedam superabundantia vitiosa. Sicut si aliqua mulier
propter amorem filiorum superfluum contra Deum rebellet, puta propter
filiorum mortem, sicut legitur de quadam muliere quae vocatur Niobes; vel si
quis propter nimium amorem parentum aliquid insipienter agat, sicut quidam
nomine Sathirus, qui cognominatus est Philopator, id est amator patris, valde
videbatur desipere propter amorem quem circa patrem habebat. |
|
#1365. — Ensuite (1148a28), il conclut à partir de ce qui précède quelle qualité revêt l'effort des hommes en rapport à ce qui précède. Il dit que ceux qui, contrairement à la raison, ou bien ont ou bien poursuivent du naturellement beau et bon, ne sont pas blâmés comme mauvais: par exemple, ceux qui s'efforcent d'obtenir de l'honneur, ou d'assurer le soin de leurs enfants ou de leurs parents plus qu'il ne faut. Cela, en effet, est bon, et on loue ceux qui y travaillent comme il faut. Mais cependant, en pareille matière, il peut y avoir un excès vicieux. Comme si une femme, par amour excessif pour ses enfants, se rebelle contre Dieu, par exemple, à l'occasion de la mort de ses enfants, comme on le lit à propos d'une femme du nom de Niobe. Ou si quelqu'un, par amour trop grand pour ses parents, fait quelque chose qui ne soit pas sage; ainsi, quelqu'un du nom de Satyrus, que l'on a nommé philopère, c'est-à-dire amant de son père, avait manifestement perdu l'esprit, à cause de l'amour qu'il avait pour son père. 7Cum electione, sine electione. Le choix étant une volonté délibérée, on peut opposer la continence et l'incontinence à la tempérance et à l'intempérance par le fait que, contrairement à elles, les actions qu'elles déterminent ne suivent pas un véritable choix, la délibération qui caractérise le choix étant empêchée par la passion qui lie la raison particulière. — L'incontinent, peut-on dire, n'agit pas selon son choix, ne se conforme pas au choix qu'il ferait à froid; le continent, quant à lui, s'y conforme, mais péniblement, en devant résister au choix que suggère fortement la concupiscence. 246 |
[74070] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 13 Deinde cum dicit: malitia
quidem igitur etc., concludit, quod circa praedicta non est malitia; propter
hoc scilicet quod unumquodque eorum in se consideratum, est naturaliter
eligibile, sed solae superabundantiae eorum sunt pravae et fugiendae. Et
similiter nec incontinentia est simpliciter circa praedicta: quia
incontinentia non solum est aliquid fugiendum sicut peccatum, sed etiam est
vituperabile sicut turpe. Et ideo circa delectationes corporales, quae sunt
turpes et serviles, ut in tertio dictum est, proprie est incontinentia. Nec
sunt huiusmodi delectationes appetendae homini, nisi propter necessitatem. |
|
#1366. — Ensuite (1148b2), il conclut qu'il n'existe pas de malice pour ce qui précède, étant donné que n'importe lequel, considéré en soi, est naturellement éligible, et que seulement leur excès est mauvais et à éviter. Semblablement, il n'y a pas non plus, de manière absolue, d'incontinence, à propos de ce qui précède, parce que l'incontinence est non seulement quelque chose à éviter comme faute, mais aussi quelque chose de blâmable comme laid. C'est pourquoi, à propos des plaisirs corporels, qui sont laids et serviles, comme on l'a dit au troisième [livre] (#612), il y a proprement incontinence. Des plaisirs de la sorte ne sont pas à convoiter, pour l'homme, sauf par nécessité. |
[74071] Sententia Ethic., lib. 7 l. 4
n. 14 Deinde cum dicit: propter
similitudinem autem etc., ostendit quare dicatur circa non necessaria
incontinentia cum additione. Et dicit, quod hoc accidit propter similitudinem
passionis: quia scilicet sicut aliquis immoderate concupiscit voluptates
corporales, ita pecuniam et alia praedicta. Et est simile, sicut cum dicimus
aliquem hominem esse malum medicum vel malum ypocritam, id est
repraesentatorem, qui tamen non dicitur simpliciter malus. Sic igitur in his
quae sic dicuntur mala, non dicimus malitiam simpliciter circa unumquodque
eorum, sed secundum quandam proportionalem similitudinem, quia scilicet ita
se habet malus medicus ad ea quae sunt medici, sicut malus homo ad ea quae
sunt hominis; ita etiam et in genere continentiae solam illam dicimus
simpliciter continentiam et incontinentiam, quae est circa eadem temperantiae
et intemperantiae. Sed circa iram dicimus incontinentiam secundum
similitudinem: et ideo addimus incontinentem irae, sicut incontinentem
honoris et lucri. |
|
#1367. — Ensuite (1148b6), il montre pourquoi on parle, à propos du non nécessaire, d'incontinence avec précision. Il dit que cela arrive à cause de la similitude de passion: car on désire l'argent et le reste de la manière dont on désire de manière immodérée les plaisirs corporels. C'est semblable à quand nous disons qu'un homme est mauvais médecin ou comédien, c'est-à-dire acteur, sans, cependant, le dire mauvais de manière absolue. Ainsi donc, en ce qu'on dit ainsi mauvais, nous ne parlons pas de manière absolue de malice à propos de n'importe quoi, mais par ressemblance proportionnelle: en somme, le rapport qu'entretient le mauvais médecin aux matières médicales, le mauvais homme l'entretient avec ce qui appartient à l'homme. Ainsi aussi, dans le genre de la continence, nous appelons de manière absolue continence et incontinence seule celle qui porte sur les mêmes [matières] que la tempérance et l'intempérance. Mais à propos de la colère, nous disons incontinence selon une ressemblance: c'est pourquoi nous précisons incontinence de colère, comme incontinent d'honneur et de gain. |
|
|
|
Lectio
5 |
|
Leçon 5
|
[74072] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5 n. 1 Quia autem sunt quaedam et cetera. Postquam philosophus
ostendit quod diversimode dicitur aliquis continens et incontinens secundum
diversas concupiscentias et delectationes humanas, hic ostendit, quod
diversimode dicitur aliquis continens et incontinens circa concupiscentias et
delectationes humanas et bestiales. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit,
diversitatem concupiscentiarum et delectationum humanarum et bestialium.
Secundo ostendit, quomodo diversimode circa eas dicatur continentia et
incontinentia, ibi: quantis quidem igitur natura causa et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit differentiam delectationum. Secundo
manifestat quod dixerat, per exempla, ibi, dico autem bestiales et cetera.
Dicit ergo primo, quod delectabilium, quaedam sunt delectabilia secundum
naturam, quaedam autem non secundum naturam. Et utrumque horum subdividitur: |
|
#1368. — Après avoir montré que c'est d'une manière différente qu'on est dit continent et incontinent pour des désirs et des plaisirs humains divers, le Philosophe montre ici que c'est d'une manière différente qu'on est dit continent et incontinent pour des désirs et des plaisirs humains et bestiaux. À ce sujet, il fait deux [considérations]. En premier, il montre la différence entre les désirs et les plaisirs humains et bestiaux (1148b15). En second (1148b31), il montre comment c'est d'une manière différente qu'on parle, à leur propos, de continence et d'incontinence. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose une distinction entre les plaisirs. En second (1148b19), il manifeste, par des exemples, ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, que, parmi les plaisirs, certains plaisent par nature, d'autres, par ailleurs, non par nature. De plus, l'un et l'autre membre se divisent. |
[74073] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 2 Eorum enim, quae sunt
delectabilia secundum naturam, quaedam sunt delectabilia omni habenti sensum,
puta dulce est naturaliter delectabile omni habenti gustum. Quaedam vero sunt
naturaliter delectabilia quibusdam differentiis et animalium et hominum. Alii
enim cibi sunt naturaliter delectabiles animalibus comedentibus carnes, et
animalibus comedentibus fructus. Similiter etiam inter homines, cholericis
delectabilia sunt naturaliter frigida quae temperant eorum complexionem,
phlegmaticis vero calida. |
|
#1369. — Parmi ceux, en effet, qui plaisent par nature, certains plaisent à tout ce qui est doué de sens: par exemple, le doux plaît naturellement à tout ce qui est doué de goût. D'autres, par ailleurs, plaisent naturellement en raison de différences entre les animaux et entre les hommes: ce sont, en effet, des nourritures autres qui plaisent naturellement aux animaux qui mangent de la chair et aux animaux qui mangent des fruits; pareillement aussi, parmi les hommes, aux bilieux, ce sont des [aliments] froids qui plaisent naturellement, car ils tempèrent leur complexion, mais aux flegmatiques, ce sont des [aliments] chauds. |
[74074] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 3 Eorum vero quae sunt
delectabilia non naturaliter, quaedam fiunt propter orbitates, idest
propter aliquas supervenientes aegritudines corporales, aut etiam tristitias
animales, ex quibus transmutatur natura ad aliam dispositionem. Quaedam vero
fiunt delectabilia propter malam consuetudinem, quae fit quasi quaedam
natura. Quaedam vero fiunt delectabilia propter perniciosas naturas, puta cum
aliqui homines habent corruptas et perversas complexiones corporis et
secundum hoc sequitur quod in his sint perversissimae tam apprehensiones
imaginationis quam etiam affectiones sensibilis appetitus, quas quidem vires,
cum sint organorum corporalium actus, necesse est, quod sint corporali
complexioni proportionatae. |
|
#1370. — Parmi ceux, d'autre part, qui plaisent mais non naturellement, certains y arrivent à la suite de privations, c'est-à-dire à la suite de maladies corporelles qui arrivent, ou aussi de tristesses de l'âme, en suite desquelles la nature est transformée en une disposition différente. Certains, par ailleurs, viennent à plaire par suite d'une mauvaise habitude, qui devient comme une nature. Certains, enfin, viennent à plaire à cause de natures vicieuses. Par exemple, lorsque des hommes ont des complexions corporelles corrompues et perverses. Par suite, en eux, tant les appréhensions de l'imagination que les affections de l'appétit sensible deviennent extrêmement perverses. Et ces puissances, bien sûr, comme elles sont les actes d'organes corporels, sont nécessairement proportionnées à la complexion corporelle. 247 |
[74075] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 4 Et quia secundum
diversitatem obiectorum diversificantur habitus, necesse est, quod singulis
praedictorum delectabilium respondeant similes habitus. Puta, quod sint
quidam habitus naturales et quidam non naturales. |
|
#1371. — Comme les habitus se différencient selon la diversité des objets, nécessairement, à chacun des plaisirs mentionnés répondent des habitus semblables. [Il s'ensuit], par exemple, qu'il y a des habitus naturels et des habitus non naturels. |
[74076] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 5 Deinde cum dicit: dico
autem bestiales etc., manifestat per exempla singulas differentias
innaturalium delectabilium. Et primo de his quae fiunt delectabilia propter
perniciosam naturam hominum qui sunt quasi bestiales, quia propter
corruptelam complexionis assimilantur bestiis; sicut de quodam homine
dicebatur, quod scindebat ventres praegnantium mulierum, ut pueros in utero
conceptos devoraret. Et simile est, si quis delectetur in talibus qualibus
dicunt delectari quosdam silvestres homines in silvis, scilicet scitas
commorantes circa mare Ponticum. Quorum quidam comedunt carnes crudas, quidam
vero carnes humanas, quidam vero sibiinvicem ad celebranda convivia suos
filios accommodant; et similia sunt ea quae dicuntur circa Phalarim quemdam,
scilicet crudelissimum tyrannum, qui in ipsis cruciatibus hominum
delectabatur. Hi igitur qui in talibus delectantur, sunt quasi similes
bestiis. |
|
#1372. — Ensuite (1148b19), il manifeste, à travers des exemples, chacune des différences entre les plaisirs non naturels. En premier, concernant ceux qui plaisent à cause de la nature pernicieuse d'hommes qui sont presque bestiaux, parce qu'à cause de la corruption de leur complexion, ils s'assimilent à des bêtes; on parlait ainsi, à propos de quelqu'un, parce qu'il ouvrait les ventres de femmes enceintes, pour dévorer les enfants conçus dans leur utérus. Il en va de même, si on prend plaisir à ce dont on dit que se délectent certains sauvages, qui habitent en solitaires, dans les forêts des environs de la mer du Pont. Certains d'entre eux mangent des chairs crues, d'autres, par ailleurs, des chairs humaines, et d'autres, pour fêter entre eux, se font cuire leurs enfants. Il en va de même de ce qu'on dit à propos d'un certain Phalaris, tyran très cruel, qui prenait son plaisir à même les tortures des gens. Ceux, donc, qui prennent plaisir à de telles [choses], sont presque semblables à des bêtes. |
[74077] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 6 Secundo ibi: hi autem
propter aegritudines etc., exemplificat de his quae fiunt innaturaliter delectabilia
propter orbitates. Et dicit quod quibusdam fiunt delectabilia ea quae sunt
contra naturam propter aliquas aegritudines, puta propter maniam vel furiam,
aut aliquid huiusmodi: sicut de quodam legitur, quod factus maniacus
sacrificavit matrem et comedit et etiam occidit conservum suum et comedit
epar eius. |
|
#1373. — En second (1148b25), il exemplifie concernant ce qui vient à plaire, tout en étant contre nature, à la suite de maladies, par exemple, par folie ou par démence ou pour quelque chose de la sorte: comme on lit, à propos de quelqu'un, que, devenu dément, il a sacrifié sa mère et l'a mangée, et qu'il a tué son compagnon et a mangé son foie. |
[74078] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 7 Tertio ibi: hi autem
aegritudinales etc., exemplificat de his quae fiunt contra naturam
delectabilia ex consuetudine. Et dicit, quod quibusdam accidunt innaturales
delectationes propter interiorem aegritudinem vel corruptionem provenientem
ex consuetudine. Sicut quidam propter consuetudinem delectantur evellere sibi
pilos, et corrodere ungues, et comedere carbones et terram, nec non et uti
coitu masculorum. Omnia autem praedicta, quae sunt contra naturam
delectabilia, possunt reduci ad duo: quibusdam enim accidunt ex natura
corporalis complexionis, quam acceperunt a principio. Quibusdam vero accidunt
ex consuetudine, puta quia assuefiunt ad huiusmodi a pueritia. Et simile est
de his qui in hoc incidunt ex aegritudine corporali. Nam prava consuetudo est
quasi quaedam aegritudo animalis. |
|
#1374. — En troisième (1148b27), il exemplifie concernant ceux qui viennent à plaire contre nature par coutume. Et il dit que, chez certains, se développent des plaisirs non naturels à cause d'une maladie intérieure ou d'une corruption suite à une habitude. Ainsi, certains, par habitude, prennent plaisir à arracher leurs cheveux, ou à se ronger les ongles, ou à manger de la cendre et de la terre, de même aussi qu'à effectuer le coït avec des hommes. Or tout ce qui précède, qui constitue des plaisirs contre nature, peut se réduire à deux [groupes]. Chez certains, en effet, cela arrive par la nature d'une complexion corporelle qu'ils ont reçue dès le début. Chez d'autres, par contre, cela arrive par habitude, parce que, par exemple, ils se sont habitués à des choses de la sorte depuis leur enfance. Il en va de même chez ceux qui tombent là par une maladie corporelle. En effet, une mauvaise habitude est comme une maladie de l'âme. |
[74079] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5 n. 8 Deinde cum dicit: quantis quidem igitur etc., ostendit
quod circa praedicta delectabilia innaturalia non est incontinentia
simpliciter, sed secundum quid. Et hoc dupliciter. Primo quidem ratione
accepta ex conditione eorum qui delectantur. Secundo ratione accepta ex
conditione delectabilium, ibi, habere quidem igitur et cetera. Dicit ergo
primo quod nullus potest rationabiliter dicere hos esse simpliciter
incontinentes in quibus natura bestialis est causa talium delectationum.
Dictum est enim supra, quod bestias non dicimus continentes vel
incontinentes, quia non habent universalem opinionem, sed singularium
phantasiam et memoriam. Huiusmodi autem homines, qui propter perniciosam
naturam sunt bestiis similes, habent quidem aliquid universalis
apprehensionis sed valde modicum, propter hoc quod ratio in eis est oppressa
ex malitia complexionis, sicut manifeste opprimitur in infirmis propter
indispositionem corporalem; illud autem quod est modicum quasi nihil esse
videtur. Nec contingit de facili quod modica vis rationis concupiscentias
fortes repellat. Et ideo tales non dicuntur neque continentes simpliciter
neque incontinentes, sed solum secundum quid, inquantum remanet in eis
aliquid de iudicio rationis. |
|
#1375. — Ensuite (1148b31), il montre qu'à propos des plaisirs non naturels mentionnés, il n'y a pas d'incontinence de manière absolue, mais sous un certain aspect. Et cela de deux manières. En premier, bien sûr, pour une raison qui vient de la condition de ceux qui prennent ainsi plaisir. En second (1148b34), pour une raison qui vient de la condition des plaisirs mêmes. Il dit donc, en premier, que personne ne dirait raisonnablement qu'ils sont incontinents d'une manière absolue, ceux chez qui une nature bestiale est cause de tels plaisirs. Il a été dit, en effet, plus haut (#1350), que nous ne disons pas les bêtes continentes ou incontinentes, parce qu'elles n'ont pas connaissance universelle, mais imagination et mémoire des singuliers. Or des hommes de cette sorte, qui, en raison d'une nature pernicieuse, ressemblent à des bêtes, tiennent, bien sûr, quelque chose de l'appréhension universelle, mais très peu, à cause de ce fait que leur raison est opprimée par la malice de leur complexion, comme elle est manifestement opprimée chez les malades, à cause d'une disposition corporelle. Or ce qui est peu paraît n'être comme rien. Et il n'est pas facilement possible qu'une puissance modique de la raison repousse des désirs forts. C'est pourquoi ceux-là, on ne les dit pas incontinents ni continents de manière absolue, mais seulement sous un certain aspect, en tant qu'il reste en eux quelque chose du jugement de la raison. |
[74080] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 9 Et ponit exemplum de
mulieribus in quibus, ut in pluribus, modicum viget ratio propter
imperfectionem corporalis naturae. Et ideo, ut in pluribus, non ducunt
affectus suos secundum rationem, sed magis ab affectibus suis ducuntur.
Propter quod raro inveniuntur mulieres sapientes et fortes. Et ideo non
simpliciter possunt dici continentes vel incontinentes. Et eadem ratio
videtur esse de his qui aegrotative se habent, idest qui habent
corruptam dispositionem propter malam consuetudinem, quae etiam opprimit
iudicium rationis ad modum perversae naturae. |
|
#1376. — Il pose en exemple les femmes, chez lesquelles, dans la plupart des cas, la raison n'est pas très forte, à cause de l'imperfection de leur nature corporelle. C'est pourquoi, dans la plupart des cas, elles ne mènent pas leurs affections selon leur raison, mais plutôt sont menées par leurs affections. À cause de quoi, on trouve rarement des femmes sages et courageuses. C'est pourquoi on ne peut pas les dire de manière absolue, continentes ou incontinentes. La même raison paraît jouer aussi, concernant ceux qui sont malades, c'est-à-dire qui ont leur disposition corrompue à cause d'une mauvaise habitude, qui opprime aussi le jugement de la raison à la manière d'une nature perverse. 248 |
[74081] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 10 Deinde cum dicit: habere
quidem igitur etc., ostendit, quod circa innaturalia delectabilia non est
simpliciter incontinentia, sed secundum quid, ex conditione ipsorum
delectabilium. Et primo proponit quod intendit. Secundo manifestat
propositum, ibi: omnis enim superabundans et cetera. Primo autem duo
proponit. Quorum primum est quod habere singula horum, idest pati
concupiscentias praedictorum delectabilium excedit terminos malitiae humanae,
sicut et de bestialitate dictum est supra. |
|
#1377. — Ensuite (1148b34), il montre encore, à propos des plaisirs non naturels, qu'il n'y a pas incontinence de manière absolue, mais sous un certain aspect, à partir d'une condition des plaisirs eux-mêmes. En premier, il propose ce qu'il entend. En second (1149a4), il manifeste son propos. En premier, par ailleurs, il propose deux [considérations]. La première en est que d'«avoir chacun d'eux», c'est-à-dire d'entretenir des désirs pour les plaisirs mentionnés, cela dépasse les limites de la malice humaine, comme il a été dit, aussi, de la bestialité, plus haut (#1296, 1299). |
[74082] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 11 Secundum ponit ibi:
habentem autem et cetera. Et dicit quod si aliquis habeat concupiscentias et
superet eas, non dicetur continens simpliciter, sed secundum similitudinem:
vel si superetur ab eis, non dicetur incontinens simpliciter, sed secundum
similitudinem: sicut et supra de incontinentia irae dictum est. |
|
#1378. — En second (1149a1), il dit aussi que si on a de [tels] désirs et qu'on les vainc, on ne sera pas dit continent de manière absolue, mais en regard d'une certaine ressemblance: ou si on est vaincu par eux, on ne sera pas dit incontinent de manière absolue, mais en regard d'une ressemblance: comme aussi, plus haut (#1367), il a été dit de l'incontinence de colère. |
[74083] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 12 Deinde cum dicit: omnis
enim superabundans etc., manifestat quod dixerat. Et primo quantum ad
malitiam. Secundo quantum ad continentiam et incontinentiam, ibi, horum autem
et cetera. Circa primum considerandum est quod huiusmodi superexcessus
malitiae potest esse circa vitia omnibus virtutibus opposita, sicut circa
insipientiam quae opponitur prudentiae, circa timiditatem quae opponitur
fortitudini, circa intemperantiam quae opponitur temperantiae, et circa
crudelitatem quae opponitur mansuetudini et circa singula eorum quaedam sunt
dispositiones bestiales propter perniciosam naturam, quaedam vero
aegritudinales quae sunt propter aegritudinem corporalem vel animalem quae
est ex mala consuetudine. Et quia supra exempla posuit circa intemperantiam
et crudelitatem, hic exemplificat, primo quidem de timiditate. |
|
#1379. — Ensuite (1149a4), il manifeste ce qu'il a dit. En premier, quant à la malice. En second (1149a12), quant à la continence et à l'incontinence. Sur le premier [point], il est à considérer qu'il peut se produire un tel excès de malice à propos des vices opposés à toutes les vertus: à propos de la sottise, opposée à la prudence; à propos de la lâcheté, opposée au courage; à propos de l'intempérance, opposée à la tempérance; et à propos de la cruauté, opposée à la douceur. Et cela en chaque type: certaines dispositions, en effet, sont bestiales en raison d'une nature pernicieuse; d'autres, par ailleurs, sont maladives à cause d'une maladie corporelle ou de l'âme, c'est-à-dire une mauvaise habitude. Comme, plus haut, il a déjà posé des exemples pour l'intempérance et la cruauté, il exemplifie ici en premier à propos de la lâcheté. |
[74084] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 13 Ibi: hic quidem enim et
cetera. Et dicit quod aliquis est naturaliter sic dispositus, ut omnia
timeat, etiam sonitum muris, et talis est timidus bestialiter. Quidam vero propter
aegritudinem incidit in talem timiditatem quod timebat mustelam. |
|
#1380. — En second (1149a8), plus loin. Il dit qu'on peut être naturellement disposé de manière à craindre tout, même le bruit d'une souris; on est alors lâche de manière bestiale. Quelqu'un, déjà, à cause d'une maladie, est tombé dans une telle lâcheté qu'il craignait une belette. |
[74085] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 14 Secundo ibi: et
insipientium etc., exemplificat circa insipientiam; et dicit quod quidam
naturaliter sunt irrationales, non quia nihil habeant rationis, sed valde
modicum et circa singularia quae sensu apprehendunt, ita quod vivunt solum
secundum sensum. Et tales sunt quasi secundum naturam bestiales. Quod
praecipue accidit circa quosdam barbaros in finibus mundi habitantes. Ubi
propter intemperiem aeris etiam corpora sunt malae dispositionis, ex qua
impeditur rationis usus in eis; quidam vero efficiuntur irrationabiles
propter aliquas aegritudines, puta epilentiam vel maniam. Et hi sunt
aegritudinaliter insipientes. |
|
#1381. — En troisième (1149a9), il exemplifie à propos de la sottise. Il dit que certains sont naturellement irrationnels, non pas qu'ils n'aient aucune raison, mais une très petite, confinée aux singuliers qu'ils appréhendent par le sens, de sorte qu'ils vivent seulement selon le sens. Ceux-là sont comme par nature bestiaux. Cela arrive principalement à certains barbares, qui habitent aux confins du monde, où, à cause des intempéries, même les corps sont de mauvaise disposition, ce qui leur empêche l'usage de leur raison. D'autres deviennent irrationnels après certaines maladies, par exemple, l'épilepsie ou la démence. Ceux-là sont sots par maladie. |
[74086] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 15 Deinde cum dicit: horum
autem etc., manifestat quod dixerat quantum ad incontinentiam. Et primo
quomodo circa praedicta est quaedam similitudo continentiae et
incontinentiae. Et dicit, quod contingit quandoque quod aliquis homo habeat
quasdam praedictarum passionum innaturalium et non superetur ab eis, quod est
simile continentiae; puta si Phalaris tyrannus teneat puerum et concupiscat
eum vel ad usum comestionis vel ad incongruam delectationem veneream, ad
neutrum tamen eo utatur. Quandoque autem contingit quod homo non solum habeat
huiusmodi concupiscentias, sed etiam ab eis superetur; et hoc est simile
incontinentiae. |
|
#1382. — Ensuite (1149a12), il manifeste ce qu'il a dit quant à l'incontinence. En premier, comment, dans ce qui précède, il y a une ressemblance avec la continence et l'incontinence. Il dit qu'il arrive quelquefois qu'on ait certaines des passions mentionnées comme non naturelles et qu'on ne soit pas vaincu par elles; cela ressemble à la continence. Par exemple, si Phalaris, le tyran, tient un enfant et le désire, soit pour le manger ou pour une délectation sexuelle incongrue, et si cependant il n'en fait pas cet usage. Quelquefois, par ailleurs, il arrive que l'on n'ait pas seulement des désirs de la sorte, mais aussi qu'on soit vaincu par eux; cela ressemble à l'incontinence. |
[74087] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 16 Secundo ibi, quemadmodum
autem etc., ostendit quod in talibus non est simpliciter continentia vel
incontinentia. Et dicit quod sicut malitia quae est secundum humanum modum
simpliciter dicitur malitia, quae autem est innaturalis homini dicitur cum
additione malitia bestialis vel aegritudinalis et non malitia simpliciter;
eodem modo et incontinentia innaturalis dicitur cum additione, puta bestialis
vel aegritudinalis, sed simpliciter incontinentia dicitur sola illa quae est
secundum temperantiam humanam. |
|
#1383. — En second (1149a16), il montre qu'alors il n'y a pas continence ou incontinence de manière absolue. Il dit que, de même que seule la malice qui suit le mode humain est dite malice de manière absolue, et que celle qui n'est pas naturelle à l'homme est dite malice en ajoutant bestiale ou maladive, et non malice de manière absolue; de la même manière aussi, l'incontinence non naturelle l'est dite en ajoutant, par exemple, bestiale ou maladive; mais de manière absolue, seule celle qui l'est en rapport à la tempérance humaine est dite incontinence. |
[74088] Sententia Ethic., lib. 7 l. 5
n. 17 Ultimo autem epilogando
concludit manifestum esse ex praedictis, quod continentia et incontinentia
simpliciter solum est circa illa, circa quae est temperantia et
intemperantia. Circa alia vero est quaedam species incontinentiae quae
dicitur secundum metaphoram et non simpliciter. |
|
#1384. — En dernier, il conclut, en épiloguant qu'il est manifeste, de par ce qui précède, qu'il y a continence et incontinence de manière absolue seulement à propos de ce sur quoi il y a tempérance et intempérance. À propos d'autre chose, il y a une espèce d'incontinence qui se dit métaphoriquement, non de manière absolue. 249 |
|
|
|
Lectio
6 |
|
Leçon 6
|
[74089] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 1 Quoniam autem est minus
turpis et cetera. Postquam philosophus ostendit quomodo est diversimode
incontinentia circa diversa, hic comparat diversas incontinentias adinvicem.
Et primo incontinentiam concupiscentiarum tactus, quae est incontinentia
simpliciter, ad incontinentiam irae, quae est incontinentia secundum quid. Secundo comparat
incontinentiam humanam ad incontinentiam bestialem vel aegritudinalem, ibi,
ipsarum autem harum et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit considerandum esse
quod incontinentia irae est minus turpis quam incontinentia concupiscentiarum
tactus, circa quas est temperantia et intemperantia. |
|
#1385. — Après avoir montré comment il y a incontinence d'une manière différente pour des [objets] différents, le Philosophe compare ici les différentes incontinences entre elles. En premier, [il compare] l'incontinence des désirs du toucher, qui est de l'incontinence de manière absolue, à l'incontinence de colère, qui est de l'incontinence sous un certain aspect. En second (1149b26), il compare l'incontinence humaine à l'incontinence bestiale ou maladive. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier (1149a24), il propose ce qu'il entend. Il dit qu'il est à considérer que l'incontinence de colère est moins honteuse que l'incontinence des désirs du toucher, sur lesquels portent la tempérance et l'intempérance. |
[74090] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 2 Secundo ibi: videtur enim
etc., probat propositum quatuor rationibus. Circa quarum primam dicit, quod
ira videtur aliqualiter audire rationem, inquantum scilicet iratus quodammodo
ratiocinatur quod propter iniuriam sibi factam debeat inferre vindictam, sed obaudit,
idest imperfecte audit rationem, quia non curat attendere iudicium rationis
circa quantitatem et modum vindictae. In animalibus autem carentibus ratione
invenitur quidem ira, sicut et alia opera rationi similia, ex naturali
instinctu. |
|
#1386. — En second (1149a25), il prouve son propos avec quatre raisons. Il en donne la première, que la colère semble de quelque manière entendre raison, pour autant que, d'une certaine manière, celui qui est en colère raisonne que, à cause de l'injure qui lui a été faite, il devrait exercer une vengeance. Mais il obéit, c'est-à-dire entend raison, imparfaitement, parce qu'il n'a cure d'attendre le jugement de la raison sur la mesure et la manière de la vengeance. Néanmoins, on trouve de la colère, certes, chez les animaux privés de raison, comme aussi d'autres œuvres semblables de la raison, dues à leur instinct naturel. |
[74091] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 3 Inducit autem ad
manifestationem propositi duo exempla. Quorum primum est de ministris qui
sunt valde veloces, qui ante quam audiant totum quod eis dicitur currunt ad
exequendum, et sic sequitur quod peccent in executione mandati quod non
perfecte audierunt. Aliud exemplum est de canibus qui ad primum sonitum
pulsantis ad ostium latrant antequam attendant si ille qui pulsat ad ostium
sit aliquis de familiaribus vel amicis. Et ita est de ira: quod audit quidem
in aliquo rationem; sed propter naturalem caliditatem et velocitatem cholerae
commoventis ad iram, antequam audiat totum praeceptum rationis, movet ad
puniendum. |
|
#1387. — Pour la manifestation de son propos, par ailleurs, il apporte deux exemples. Le premier se tire des serviteurs trop prompts: avant d'avoir entendu tout ce qu'on leur dit, ils courent l'exécuter; ainsi s'ensuit-il qu'ils se rendent fautifs dans l'exécution de leur mandat, parce qu'ils ne l'ont pas entendu au complet. L'autre exemple se tire des chiens: au premier son de quelqu'un frappant à la porte, ils se mettent à japper, sans attendre [de savoir] si celui qui frappe à la porte est un des familiers ou des amis. Il en va ainsi de la colère: car elle entend bien sûr raison de quelque [manière]; mais à cause de la chaleur naturelle et de la promptitude de la bile qui meut à la colère, avant d'avoir entendu tout le précepte de la raison, elle meut à punir. |
[74092] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 4 Quomodo autem hoc fiat,
ostendit subdens: (ratio quidem enim etc.) Manifestatur enim homini quod sit
sibi facta iniuria vel contemptus: quandoque quidem per rationem, sicut
quando hoc verum est; quandoque autem per phantasiam, puta cum homini ita
videtur licet non sit, homo autem iratus quasi syllogizat quod iniuriantem
oportet impugnare, et determinat modum indebitum et sic statim irascitur
movens ad vindictam antequam determinetur ei a ratione modus vindictae. Sed concupiscentia,
statim quod denunciatur sibi delectabile per rationem vel per sensum, movet
ad fruendum illud delectabile absque aliquo syllogismo rationis. |
|
#1388. — Comment cela se passe, il le montre en développant. Il devient manifeste à quelqu'un qu'on lui a fait injure ou mépris: parfois à raison, quand c'est vrai; parfois en imagination, lorsque ce lui semble ainsi, bien que ce ne soit pas vrai. Puis, en colère, il syllogise, en somme, qu'il doit s'attaquer à l'injuriant, et il en fixe une manière indue, et sa colère le meut aussitôt à la vengeance, avant que la manière ne lui en soit indiquée par la raison. Mais le désir, aussitôt que la raison ou le sens pointe un plaisir, meut à en jouir, sans aucun syllogisme de la raison. |
[74093] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6 n.
5 Et huius differentiae ratio
est, quia delectabile habet rationem finis per se appetibilis, qui est sicut
principium insyllogizatum: nocumentum autem alteri inferendum non est per se
appetibile ut finis qui habet rationem principii, sed sicut utile ad finem
quod habet rationem conclusionis in agibilibus. Et ideo concupiscentia non
movet syllogizans, sed ira movet syllogizans. Sed inde est quod ira
aliqualiter consequitur rationem, non autem concupiscentia quae sequitur
solum impetum proprium. Per hoc autem est aliquid turpe in rebus humanis quod
est praeter rationem. Sic igitur patet quod incontinens concupiscentiae est
turpior quam incontinens irae; quia incontinens irae aliqualiter vincitur a
ratione, non autem incontinens concupiscentiae. |
|
#1389. — La raison, pour cette différence, est que le plaisir a raison de fin désirable par soi, ce qui en fait comme un principe non syllogisé. Mais qu'un dommage soit fait à autrui n'est pas par soi désirable, comme une fin qui ait raison de principe; ce l'est comme utile à une fin qui a raison de conclusion dans les actions à poser. C'est pourquoi le désir ne meut pas à travers un syllogisme, tandis que la colère le fait. C'est ainsi que la colère suit d'une certaine façon la raison, mais non le désir, qui suit seulement son propre élan. Or quelque chose est honteux, dans les choses humaines, du fait de se trouver en dehors de la raison. Ainsi donc, il appert que l'incontinent de désir est plus sujet de honte que l'incontinent de colère; parce que l'incontinent de colère est, d'une certaine façon, vaincu par la raison, mais non l'incontinent de désir. |
[74094] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 6 Secundam rationem ponit
ibi: adhuc naturalibus et cetera. Et dicit quod si aliquis peccat circa ea
quae naturaliter appetit, magis meretur veniam. Et huius signum est, quia
concupiscentiis communibus, puta cibi et potus, magis datur venia, quia sunt
naturales, tamen si accipiantur inquantum sunt communes. Nam concupiscentia
cibi est communis et naturalis, non autem concupiscentia cibi sic praeparati.
Ira autem naturalior est et difficilius ei resistitur quam concupiscentiis,
non quidem communibus, quae sunt necessariae et naturales circa quas non
multum peccatur, sed illis concupiscentiis quibus quaedam superflua
concupiscuntur, quae non sunt necessariae, circa quas supra in tertio dixit
esse temperantiam et intemperantiam. |
|
#1390. — Il apporte ensuite une seconde raison (1149b4). Il dit que si on se rend fautif sur ce qu'on désire naturellement, on mérite davantage d'indulgence. Un signe en est que, pour les désirs communs, comme, par exemple, la nourriture et la boisson, on accorde davantage d'indulgence, parce qu'ils sont naturels, à condition toutefois de les prendre en tant qu'ils sont communs. En effet, le désir de la nourriture est commun et naturel, non toutefois le désir de la nourriture préparée. Or la colère est plus naturelle et on lui résiste plus difficilement qu'aux désirs, non, bien sûr, aux communs, qui sont nécessaires et naturels, à propos desquels on ne se rend pas beaucoup fautif, mais à ces désirs dont on désire des choses superflues, qui ne sont pas nécessaires; c'est sur eux que, plus haut (#619-624), au troisième livre, il a dit que portent la tempérance et l'intempérance. 250 |
[74095] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 7 Est quidem enim naturale
homini ut sit animal mansuetum, secundum communem naturam speciei, inquantum
est animal sociale: (omne enim animal gregale est naturaliter tale); sed
secundum naturam alicuius individui, quod in corporis complexione consistit,
quandoque consequitur magna pronitas ad iram propter caliditatem et
subtilitatem humorum facile inflammabilium. Concupiscentia autem
superfluorum, puta cibi delicate praeparati, magis consequitur imaginationem
et est passio animalis magis quam naturalem complexionem sequens. |
|
#1391. — Il est certes naturel à l'homme, en effet, d'être un animal doux, d'après sa nature commune spécifique, en tant qu'il s'agit d'un animal social; tout animal grégaire, en effet, est naturellement tel. Mais d'après sa nature individuelle, qui réside dans la complexion de son corps, il tient parfois un grand penchant à la colère, à cause de la chaleur et de la sécheresse des humeurs faciles à enflammer. Or le désir du superflu, de la nourriture délicate, par exemple, suit davantage l'imagination et est une passion de l'âme plus qu'elle ne suit la complexion naturelle. |
[74096] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6 n. 8 Unde pronitas ad iram de facili propagatur a patre in
filium, quasi consequens naturalem complexionem, ut patet in exemplo quod
subdit. Quidam enim patrem percutiens reprehensus respondit quod iste,
idest pater suus percusserat etiam patrem suum, et ille etiam percusserat
superiorem patrem, et ostenso filio suo dixit, et iste etiam quando veniet ad
virilem aetatem me percutiet. Hoc est enim connaturale generi nostro. Ponit
etiam aliud exemplum de eo qui, cum traheretur a filio suo, iussit quod
quiesceret quando pervenerit ad ostium, quia ipse usque ad illum locum
traxerat patrem suum. Sic ergo quia ira naturalior est, minus est turpis
incontinens irae. |
|
#1392. — Aussi, le penchant à la colère se transmet facilement du père au fils, comme si cela suivait la complexion naturelle, comme il appert dans un exemple qu'il soumet. Quelqu'un, en effet, réprimandé d'avoir frappé son père, répondit que celui-là, c'est-à-dire son père, avait frappé lui aussi son père, et que celui-là aussi avait frappé son père antérieurement: en outre, en montrant son fils, il dit: «Celui-là aussi, quand il deviendra un homme, me frappera. Car c'est connaturel, dans notre famille.» Il apporte aussi un autre exemple, à propos de celui qui, traîné [dehors] par son fils, lui dit de s'arrêter en arrivant à la porte, parce que lui-même n'avait traîné son père que jusque-là. Ainsi donc, parce que la colère est plus naturelle, l'incontinent de colère est moins sujet de honte. |
[74097] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 9 Tertiam rationem ponit
ibi, adhuc iniustiores et cetera. Et dicit quod illi qui magis ex insidiis
peccant sunt iniustiores, quia cum hoc quod laedunt etiam decipiunt.
Iracundus autem non agit tamquam insidiator, sed manifeste vult inferre
vindictam: non enim esset contentus, nisi ille qui ab eo laeditur sciret se
propterea esse laesum, quia eum offenderat), neque etiam ira insurgit latenter
et insidiose, sed cum quodam impetu. Sed concupiscentia delectabilium
insurgit latenter et quasi insidiose. Quia enim delectabile per se natum est
movere appetitum, statim cum apprehensum fuerit trahit ad se appetitum nisi
ratio fuerit diligens ad prohibendum. |
|
#1393. — Il apporte ensuite une troisième raison (1149b13). Il dit que ceux qui se rendent fautifs en cachette sont davantage injustes, parce que, en plus de faire du tort, ils trompent aussi. Mais le type en colère n'agit pas en cachette: il veut exercer une vengeance manifeste; il ne serait pas satisfait, en effet, si celui qui reçoit de lui un tort ne savait pas qu'on lui a fait du tort parce qu'il l'avait offensé. La colère non plus ne vient pas en cachette et insidieusement, mais avec un certain élan, tandis que le désir des plaisirs vient en cachette et comme insidieusement. Parce qu'en effet, le plaisir est de nature, par soi, à mouvoir l'appétit, aussitôt qu'il a été appréhendé, il traîne à lui l'appétit, à moins que la raison n'ait été diligente à l'interdire. |
[74098] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 10 Unde quidam dicunt, de
Venere loquentes: dolosae Ciprigenae; Venus enim fuit regina Cypri, unde
dicitur Cyprigena quasi in Cypro genita. Et attribuunt ei aliquid quasi
dolosae. Et eius corrigiam dicunt esse variam, per quam intelligitur
concupiscentia quae mentes ligat. Et dicitur esse varia, quia tendit in
aliquid quod apparet bonum, inquantum est delectabile, et tamen est
simpliciter malum. Et Homerus dicit quod deceptio Veneris est furata
intellectum spisse, idest multum sapientis, quia etiam interdum
latenter subintrat concupiscentia corda eorum qui sunt multum sapientes et
ligat iudicium rationis in eis in singulari. |
|
#1394. — Aussi certains traitent-ils Vénus de Fourbe Cyprigène, car Vénus fut Reine de Chypre, d'où elle est dite cyprigène, comme née à Chypre. Et on lui attribue quelque chose comme à quelqu'un de fourbe. On dit que sa ceinture est de plusieurs couleurs, par quoi on entend le désir, qui lie les esprits. On la dit de plusieurs couleurs, parce qu'elle tend à quelque chose qui paraît bon, en tant qu'il plaît, qui, cependant, est mauvais, de manière absolue. Et Homère dit que la tromperie de Vénus peut voler l'intelligence intensément, c'est-à-dire d'un très sage, parce qu'elle lie le jugement de la raison devant une opération singulière à poser. |
[74099] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 11 Unde haec incontinentia
quae est circa concupiscentias est iniustior et turpior illa quae est circa
iram et, si hoc est verum, sequitur quod sit simpliciter (incontinentia)
incontinentia quae est circa concupiscentias, ut supra dictum est; et quod
sit aliqualiter malitia, inquantum est insidiosa; non quia ex ratione agat,
sed quia latenter subintrat. |
|
#1395. — D'où cette incontinence qui porte sur les désirs est plus injuste et plus honteuse que celle qui porte sur la colère. Si cela est vrai, il s'ensuit que soit de l'incontinence de manière absolue celle qui porte sur les désirs, comme on l'a dit plus haut (#1384); et qu'elle soit d'une certaine manière une malice, en tant qu'elle agit en cachette; non pas qu'elle procède de la raison, mais parce qu'elle s'introduit en cachette. |
[74100] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 12 Quartam rationem ponit
ibi, adhuc nullus et cetera. Et dicit quod nullus cum tristitia agens
iniuriatur. Ostensum est enim supra in quinto, quod ille qui involuntarie
aliquid facit, per se loquendo non facit iniustum nisi per accidens,
inquantum accidit id quod agit esse iniustum. Quod autem cum tristitia
facimus, involuntarie facere videmur; omnis autem qui facit aliquid per iram,
facit hoc contristatus non quia tristetur de vindicta quam infert, sed magis
de ea gaudet; tristatur autem de iniuria sibi illata et ex hoc movetur ad
iram: et sic non est simpliciter involuntarius, quia nullo modo sibi
imputaretur quod facit, sed habet voluntarium mixtum cum involuntario, unde
minus sibi imputatur quod facit, inquantum provocatus facit. Ille autem qui
iniuriatur quasi per se iniustum faciens, operatur voluntarius et cum delectatione.
Si ergo illa videntur esse iniustiora contra quae maxime iuste irascimur,
sequitur quod incontinentia quae est propter concupiscentiam sit iniustior,
quia contra eam iustius irascimur, utpote contra male agentem totaliter
voluntarie et cum delectatione. In ira autem non est primo iniuria, sed magis
in eo qui ad iram provocavit. Unde minus iuste irascimur contra iratum qui
provocatus cum tristitia peccat et sic est minus iniustus. |
|
#1396. — Il apporte ensuite une quatrième raison (1148b29). Il dit que personne ne fait bombance avec tristesse. Il a été montré plus haut, en effet, au cinquième [livre] (#1035-1036), que celui qui fait quelque chose involontairement, ne commet pas d'injustice, à parler par soi, sauf par accident, en tant qu'il arrive que cela qu'il fait soit injuste. Or ce que nous faisons avec tristesse, manifestement, nous le faisons involontairement. Et quand on agit sur-le-coup par colère, on s'en attriste toujours, non qu'on s'attriste de la vengeance qu'on exerce — on s'en réjouit, plutôt — mais on s'attriste du tort subi et à cause de lui on est mû à la colère: ainsi, ce n'est pas de manière absolue qu'on agit involontairement; alors, en effet, on ne nous imputerait d'aucune manière ce qu'on fait; mais on mélange du volontaire avec de l'involontaire. Aussi, on nous impute moins ce qu'on fait, en tant qu'on le fait sous provocation. Mais celui cependant qui cause un tort en commettant quelque chose d'injuste par soi, opère volontairement et avec plaisir. Si donc les choses sont manifestement plus injustes contre lesquelles nous nous fâchons le plus justement, il s'ensuit que l'incontinence causée par le désir est plus injuste, parce contre elle nous nous fâchons plus justement, à savoir contre celui qui agit mal totalement, volontairement et avec plaisir. D'ailleurs, le tort ne vient pas en premier dans la colère, mais plutôt chez celui qui a provoqué à la colère. Aussi, nous nous fâchons avec moins de justice contre l'homme en colère qui, une fois provoqué, se rend fautif avec tristesse; il est donc moins injuste. 251 |
[74101] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 13 Sic ergo epilogando
concludit, manifestum esse quod incontinentia quae est circa concupiscentias
est turpior ea quae est circa iram, et quod incontinentia et continentia
simpliciter est circa concupiscentias et delectationes corporales. |
|
#1397. — Ainsi donc, il conclut en épiloguant qu'il est manifeste que l'incontinence qui porte sur les désirs est plus honteuse que celle qui porte sur la colère, et que, de manière absolue, l'incontinence et la continence portent sur les désirs et les plaisirs. |
[74102] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 14 Deinde cum dicit: ipsarum
autem harum etc., comparat incontinentiam humanam incontinentiae bestiali. Et
circa hoc tria facit. Primo resumit differentiam concupiscentiarum et
delectationum. Secundo ostendit circa quas harum sit temperantia et
intemperantia, et per consequens continentia et incontinentia, ibi, harum
autem circa primas etc.; tertio comparat humanam malitiam vel incontinentiam bestiali,
ibi, minus autem bestialitas et cetera. Dicit ergo primo, quod quia
continentia et incontinentia sunt circa delectationes corporales, oportet
assumere earum differentias. Sunt enim quaedam earum, ut prius dictum est,
humanae et naturales, id est consonae naturae humanae, et quantum ad
genus, quod consideratur secundum ea quae appetuntur, et quantum ad
magnitudinem quae attenditur secundum modum appetendi, vel intensum vel
remissum. Aliae vero non sunt naturales, sed bestiales propter perniciosam naturam;
vel adveniunt propter orbitates et aegritudines, inter quas computantur etiam
pravae consuetudines. |
|
#1398. — Ensuite (1149b26), il compare l'incontinence humaine à l'incontinence bestiale. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il rappelle la différence entre les désirs et entre les plaisirs. En second (1149b30), il montre sur lesquels d'entre eux portent la tempérance et l'intempérance et, par conséquent, la continence et l'incontinence. En troisième (1150a1), il compare la malice et l'incontinence humaines à la bestiale. Il dit donc, en premier, que, parce que la continence et l'incontinence portent sur des plaisirs corporels, il faut prendre leurs différences. Il y en a, en effet, certains d'entre eux, comme on l'a dit plus haut (#1368-1371), humains et naturels, c'est-à-dire consonants à la nature humaine: et quant à leur genre, qui est considéré selon ce qui est désiré, et quant à leur grandeur, mesurée d'après le mode de désirer, ou fort, ou faible. D'autres, cependant, ne sont pas naturels, mais bestiaux, dûs à une nature vicieuse; ou bien, ils adviennent à cause de privations et de maladies, parmi lesquelles on compte aussi les mauvaises habitudes. |
[74103] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 15 Deinde cum dicit: harum
autem etc., ostendit circa quas harum concupiscentiarum sit temperantia. Et
dicit quod temperantia et intemperantia est solum circa primas
concupiscentias, scilicet humanas et naturales. Et inde est quod bestias non
dicimus, proprie loquendo, neque temperatas, neque intemperatas, sed forte
metaphorice loquendo de uno animali per comparationem ad aliud, prout
scilicet unum genus animalium differt ab alio in contumelia, id est in hoc
quod unum est magis contumeliosum, id est turpe et immundam habens vitam,
quam aliud, sicut porcus quam ovis. Et sinamoria, idest omnimoda
stultitia, in hoc scilicet quod unum est stultius alio, sicut asinus equo, et
in hoc quod unum est vorax in omnibus, sicut lupus; |
|
#1399. — Ensuite (1149b30), il montre sur lesquels, parmi ces désirs, porte la tempérance. Il dit que la tempérance et l'intempérance portent seulement sur les désirs humains et naturels. Par conséquent, nous n'appelons pas les bêtes, à parler proprement, ni tempérantes, ni intempérantes, sauf peut-être métaphoriquement, en parlant d'un animal par comparaison à un autre, pour autant qu'un genre d'animaux diffère d'un autre en matière de lascivité, l'un se montrant plus lascif qu'un autre, avec une vie honteuse et immonde, comme le porc, comparé à l'agneau. Et en matière de gloutonnerie, c'est-à-dire en totale stupidité, l'un se montrant plus stupide que l'autre, comme l'âne, comparé au cheval. Et dans le fait que l'un se montre vorace parmi tous, comme le loup. |
[74104] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6
n. 16 Unde per comparationem
horum animalium quae superfluunt in talibus, alia genera animalium dicuntur
secundum similitudinem temperata vel prudentia, non autem proprie, quia
nullum eorum habet electionem neque potest ratiocinari, sed est separatum a
natura rationali, sicut etiam homines insani (qui) amiserunt usum rationis.
Dictum est autem supra, quod temperatus et intemperatus agit cum electione;
et ideo temperantia et intemperantia non est in bestiis neque in bestialibus
hominibus, neque etiam circa bestiales concupiscentias. |
|
#1400. — Ainsi, par comparaison avec ces animaux portés à tant d'excès, d'autres genres d'animaux sont dits par extension tempérants ou prudents, mais non pas proprement: car aucun d'entre eux n'a libre arbitre ni ne peut raisonner; chacun est privé de la nature rationnelle, de même que tous les insensés ont perdu l'usage de la raison. Il a été dit plus haut (#1336), par ailleurs, que le tempérant et l'intempérant agissent par choix; c'est pourquoi la tempérance et l'intempérance ne résident pas dans des bêtes ni dans des hommes bestiaux, ni non plus [ne portent] sur des désirs bestiaux. |
[74105] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6 n. 17 Deinde cum dicit: minus autem bestialitas etc.,
comparat bestialem malitiam vel incontinentiam humanae. Et dicit quod bestialitas
minus habet de ratione malitiae si consideretur conditio bestiae vel hominis
bestialis. Sed bestialitas est terribilior, quia facit maiora mala. Et quod
minus habeat de malitia bestialitas, probat per hoc quod in bestia id quod
est optimum, scilicet intellectus, non remanet, sicut corruptum et
depravatum, prout remanet in homine malo; sed totaliter ita corruptum est
quod nihil habet de illo. |
|
#1401. — Ensuite (1150a1), il compare la malice ou l'incontinence bestiales à l'humaine. Il dit que la bestialité a moins raison de malice, si on la regarde comme la condition de la bête ou de l'homme bestial. Mais la bestialité est plus effrayante, parce qu'elle cause de plus grands maux. Que la bestialité comporte moins de malice, il le prouve par cela que le meilleur, à savoir l'intelligence, ne demeure pas dans la bête, comme corrompu et dépravé, ainsi qu'il demeure dans l'homme mauvais; mais il y est si totalement corrompu qu'il n'en a rien. |
[74106] Sententia Ethic., lib. 7 l. 6 n. 18 Unde simile est comparare bestiam homini malo utrum sit
peius sicut comparare inanimatum animato. Inanimata quidem possunt plus
laedere, sicut cum ignis urit, aut lapis conterit, sed plus recedit a ratione
culpae. Semper enim pravitas eius qui non habet principium actionum est innocentior,
quia minus potest ei imputari aliquid ad culpam, quae propter hoc homini
imputatur, quia habet principium per quod est dominus suorum actuum: quod
quidem principium est intellectus qui in bestiis non est. Sicut ergo
comparatur bestia ad hominem, ita comparatur iniustitia ad hominem iniustum. |
|
#1402. — D'où, c'est semblable de comparer la bête à l'homme mauvais [pour se demander] lequel est le pire et de comparer l'inanimé à l'animé. Certes, les inanimés peuvent causer plus de tort, comme lorsque le feu brûle, ou que la pierre broie, mais cela décline de la raison de faute. Toujours, en effet, la perversité de ce qui ne détient pas [en soi] le principe de ses actions est plus innocente, parce que là on peut moins imputer comme faute. On impute [des choses] à l'homme, en effet, parce qu'il détient [en lui] le principe par lequel il est maître de ses actes: et ce principe est l'intelligence, qui est absente dans les bêtes. Ainsi donc, l'injustice se compare à l'homme injuste comme la bête à l'homme. |
[74107] Sententia
Ethic., lib. 7 l. 6 n. 19 Nam habitus iniustitiae
secundum propriam naturam habet inclinationem ad malum; sed homo iniustus
habet in sua potestate in bonum vel malum inclinari. Est enim quodammodo utrumque peius, scilicet et
iniustus quam iniustitia et homo malus quam bestia, quia unus homo malus
decies millies potest plura mala facere quam bestia, propter rationem quam
habet ad excogitandum diversa mala. Sic ergo sicut bestia minus habet de
culpa quam homo malus sed est terribilior, ita etiam bestialis malitia seu
incontinentia terribilior quidem est, sed minoris culpae et innocentior quam
incontinentia seu malitia humana. Unde si aliqui amentes vel naturaliter
bestiales peccent, minus puniuntur. |
|
#1403. — En effet, l'habitus d'injustice comporte de sa propre nature une inclination au mal, tandis que l'homme injuste a en son pouvoir d'être incliné au bien ou au mal. En effet, l'un et l'autre est d'une certaine façon pire, à savoir l'homme injuste, comparé à l'injustice, et l'homme mauvais, comparé à la bête, parce qu'un homme mauvais peut agir mal dix mille fois plus qu'une bête, à cause de la raison qu'il a pour préméditer des maux différents. Ainsi donc, comme la bête a moins de faute que l'homme mauvais, mais est plus effrayante, de même aussi la malice ou encore l'incontinence bestiales sont certes plus effrayantes, mais comportent moins de faute et plus d'innocence que l'incontinence ou la malice humaines. De sorte que si, sans esprit ou naturellement bestial, on se rend fautif, on est moins puni. 252 |
|
|
|
Lectio
7 |
|
Leçon 7
|
[74108] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 1 Circa eas autem quae per tactum et cetera. Postquam
philosophus ostendit quae sit materia circa quam est continentia et
incontinentia simpliciter dicta; hic comparat ea ad alia quae communicant eis
in materia. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit differentiam continentis
et incontinentis ad perseverativum et mollem et temperatum et intemperatum:
in quo solvitur tertia dubitatio quae proponebatur contra quartum probabile.
Secundo ostendit quis sit peior, utrum incontinens vel intemperatus: per quod
solvitur quinta dubitatio quae proponebatur contra primum probabile, et hoc,
ibi, est autem intemperatus et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit differentiam incontinentiae ad alia. Secundo
distinguit diversas incontinentiae species, ibi, incontinentiae autem et
cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit continentiam et
incontinentiam a temperantia et intemperantia, a perseverantia et mollitie.
Secundo comparat ea secundum bonitatem et malitiam, ibi: omni autem utique
videbitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit continentiam et
incontinentiam a perseverantia et mollitie. Secundo distinguit utramque a
temperantia et intemperantia, ibi, quia autem quaedam et cetera. Circa primum
duo facit. Primo ponit convenientiam. Secundo differentiam, ibi, horum autem
hic quidem et cetera. Circa primum designat duas convenientias. |
|
#1404. — Après avoir montré la nature de la matière sur laquelle portent la continence et l'incontinence dites de manière absolue, le Philosophe les compare ici à autre chose qui communique avec elles par leur matière. Sur ce [point], il fait deux considérations. En premier, il montre la différence qu'entretiennent l'incontinent et le continent avec le persévérant et le mou, ainsi qu'avec le tempérant et l'intempérant: avec cela, se résout la troisième difficulté, soulevée contre la quatrième [conception] probable (#1321-1324). En second (1150b29), il montre lequel est le pire, si c'est l'incontinent ou l'intempérant: avec cela, se résout la cinquième difficulté, soulevée au sujet de la première [conception] probable. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre la différence entre l'incontinence et les autres. En second (1150b19), il distingue différentes espèces d'incontinence. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue la continence et l'incontinence de la tempérance et de l'intempérance, de l'endurance et de la mollesse. En second (1150a27), il les compare sous l'angle de la bonté et de la malice. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue la continence et l'incontinence de l'endurance et de la mollesse. En second (1150a16), il distingue l'une et l'autre de la tempérance et de l'intempérance. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente leur ressemblance. En second (1150a13), leur différence. Sur le premier [point], il désigne deux ressemblances. |
[74109] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 2 Quarum prima est secundum materiam, in qua etiam cum
temperantia communicant. Sunt enim circa delectationes et tristitias, et
concupiscentias et fugas quae pertinent ad actum et gustum, circa quas etiam
est temperantia et intemperantia, ut supra determinatum est in tertio.
Secunda convenientia est quantum ad modum se habendi circa passiones.
Contingit enim quosdam sic se habere circa praedictas passiones ut vincantur
a talibus passionibus quibus multi sunt meliores, idest fortiores;
quasi dicat, quas multi vincunt. Contingit etiam quod aliqui superent tales
passiones quibus multi sunt minores, idest debiliores; quasi dicat, a
quibus multi superantur. |
|
#1405. — La première se rapporte à leur matière, dans laquelle elles communiquent aussi avec la tempérance. Elles portent, en effet, sur les plaisirs et les tristesses, et sur les désirs et les répugnances qui appartiennent au toucher et au goût, sur lesquelles portent aussi la tempérance et l'intempérance, comme il en a été traité plus haut, au troisième [livre] (#339, 342, 616, 618, 651). La seconde ressemblance se rapporte à leur tenue devant les passions. Il arrive, en effet, que des gens aient comme tenue, devant les passions mentionnées, qu'ils s'en trouvent vaincus, alors que la plupart se montrent meilleurs qu'elles, c'est-à-dire plus forts, c'est-à-dire que la plupart les vainquent. Il arrive aussi que des gens dominent de telles passions, alors que la plupart se montrent plus petits qu'elles, c'est-à-dire plus faibles, c'est-à-dire que la plupart s'en voient dominés. |
[74110] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 3 Deinde cum dicit horum autem etc., ponit differentiam.
Et dicit quod horum qui superant et superantur circa delectationes et
tristitias praedictas, circa delectationes (hic) quidem, scilicet superatus a
delectationibus tactus quas multi superant, est incontinens, hic autem,
scilicet superans delectationes tactus a quibus multi superantur, est
continens. Sed circa tristitias contrarias, hic scilicet superatus ab his
quas multi superant, dicitur mollis. Hic autem scilicet superans eas, a
quibus multi superantur, dicitur perseverans. |
|
#1406. — Ensuite (1150a13), il présente leur différence. Il nomme chacun de ceux qui dominent et sont dominés, en rapport aux plaisirs et aux tristesses mentionnés. En rapport aux plaisirs, celui que dominent des plaisirs du toucher que la plupart dominent, c'est l'incontinent, tandis que celui qui domine des plaisirs du toucher qui dominent la plupart, c'est le continent. En rapport aux tristesses contraires, par ailleurs, celui que dominent celles que la plupart dominent, on l'appelle mou, tandis que celui qui domine celles par lesquelles la plupart sont dominés, on l'appelle persévérant. |
[74111] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 4 Et quia diversi sunt gradus delectationum et
tristitiarum et hominum qui eas superant et ab eis superantur, manifestum est
quod praedicti habitus possunt esse inter plura medii. Sed tamen illi qui
sonant in malum magis declinant ad deteriores. Magis enim dicuntur incontinentes vel molles qui a minoribus
delectationibus et tristitiis vincuntur; sicut et boni habitus magis
declinant ad meliores. Magis enim dicuntur continentes et perseverantes qui
maiores delectationes et tristitias superant. Potest etiam intelligi quod
homines magis inclinentur ad deteriores habitus, scilicet ad incontinentiam
et mollitiem. |
|
#1407. — Comme il y a plusieurs degrés de plaisirs et de tristesses, et de gens qui les dominent et en sont dominés, il est manifeste que les habitus annoncés peuvent intervenir comme intermédiaires entre plusieurs [autres]. Cependant, ceux qui sonnent mal vont vers le pire. En effet, on est considéré comme plus incontinent ou plus mou quand on est vaincu par de plus petits plaisirs ou tristesses, comme aussi les bons habitus vont vers le mieux. En effet, on est davantage considéré comme continent et persévérant quand on domine de plus grands plaisirs et tristesses. On peut aussi comprendre que les gens sont inclinés aux habitus pires, à savoir, à l'incontinence et à la mollesse. |
[74112] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 5 Deinde cum dicit: quia autem quaedam etc., ostendit
differentiam praedictorum ad temperantiam et intemperantiam. Et dicit quod
delectationum gustus et tactus quaedam sunt necessariae, sicut cibi et potus.
Quaedam non necessariae, sicut diversorum condimentorum, et illae quae sunt
necessariae, sunt usque ad aliquem terminum necessariae (est enim aliqua
mensura cibi et potus homini necessarii), sed neque superabundantiae sunt
necessariae neque etiam defectus; et similiter se habet circa concupiscentias
et tristitias. |
|
#1408. — Ensuite (1150a16), il montre la différence entre les [habitus] annoncés et la tempérance. Il dit que certains des plaisirs du goût et du toucher sont nécessaires, comme ceux [qui portent] sur la nourriture et la boisson. Certains [ne sont] pas nécessaires, comme ceux [qui portent] sur différents condiments. Et [que] ceux qui sont nécessaires le sont jusqu'à un certain point. En effet, il y a une certaine mesure nécessaire de nourriture et de boisson, mais l'excès n'est pas nécessaire, ni même le défaut. Et il en va de même pour les désirs et les tristesses. 253 |
[74113] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 6 Ille ergo intemperatus dicitur qui persequitur ex
proposito superabundantias delectationum praedictorum; vel, etiam si non
quaerat superabundantes delectationes, quaerit tamen eas secundum
superabundantias, id est superabundanter concupiscendo eas; vel etiam quaerit
eas ex electione propter ipsas et non propter aliquid aliud; habet enim eas
quasi finem. Et quia ei immobiliter homo inhaeret, quod propter se ex
proposito quaerit, necesse est quod intemperatus non poeniteat de
delectationibus quas quaesivit: et ideo non potest sanari a suo vitio, a quo
nullus sanatur nisi per displicentiam, quia virtus et vitium in voluntate
est. Et sicut intemperatus superabundat in quaerendo delectationes, ita
insensibilis qui ei est oppositus, deficit in huiusmodi, ut in tertio dictum
est. Ille autem qui medio modo se habet circa huiusmodi, est temperatus. Et
sicut intemperatus quaerit ex electione corporales delectationes, ita fugit
corporales tristitias; non propter hoc quod vincatur ab eis, sed propter
electionem. |
|
#1409. — Celui-là, donc, est appelé intempérant, qui poursuit de propos [délibéré] l'excès, qui le recherche, d'ailleurs, par excès, c'est-à-dire avec un désir excessif, ou le recherche par choix, pour lui-même et non pour autre chose, car il le tient pour sa fin. Parce qu'il s'y attache fixement, et parce qu'il le recherche de propos [délibéré] pour lui-même, nécessairement, l'intempérant n'a pas de regret, quant au plaisir qu'il a recherché; c'est pourquoi il ne peut pas se guérir de son vice, car on n'en guérit qu'à la condition d'en ressentir du mécontentement, parce que la vertu et le vice siègent dans la volonté. Par ailleurs, alors que l'intempérant recherche les plaisirs avec excès, l'insensible, qui lui est opposé, est en manque dans ce type de choses, comme il a été dit au troisième [livre] (#630-631), tandis que celui qui se tient au milieu, dans le même type de choses, est tempérant. Comme l'intempérant cherche par choix des plaisirs corporels, il fuit aussi les tristesses corporelles; non du fait qu'il soit vaincu par elles, mais par choix. |
[74114] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 7 Sed eorum qui non ex electione peccant, hic quidem,
scilicet incontinens, ducitur ex vi delectationis: hic autem, scilicet
mollis, ducitur ex horrore tristitiae quae sequitur a concupiscentia,
inquantum scilicet privatur quis re concupita; unde patet quod differunt
abinvicem incontinens et mollis et intemperatus. |
|
#1410. — Mais parmi ceux qui ne se rendent pas fautifs par choix, un tel, à savoir, l'incontinent, y est conduit par la force du plaisir; tel autre, à savoir, le mou, y est conduit par l'horreur de la tristesse qui s'ensuit du désir, pour autant qu'on se trouve privé d'une chose qu'on désire. Il appert ainsi que diffèrent entre eux l'incontinent, le mou et l'intempérant. |
[74115] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7 n. 8 Est autem hic advertendum quod supra, philosophus
determinans materiam continentiae et incontinentiae, ne error subreperet, ex
incidenti tetigit differentiam intemperati et incontinentis quam hic ex
principali intentione prosequitur. |
|
#1411. — Il faut noter ici, d'ailleurs, que, plus haut (#1361-1362), en traitant de la matière de la continence et de l'incontinence, le Philosophe, pour éviter une erreur, a touché en passant la différence entre l'intempérant et l'incontinent, dont il fait ici son intention principale. |
[74116] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 9 Deinde cum dicit: omni
autem etc., comparat praedicta secundum bonitatem et malitiam. Et primo
comparat incontinentem et mollem intemperato. Secundo incontinentem molli,
ibi, opponitur autem et cetera. Dicit ergo primo, quod omnino videtur esse
deterior si quis operatur aliquid turpe omnino non concupiscens, vel quiete,
idest remisse concupiscens, quam si vehementer concupiscens turpe operetur:
sicut etiam deterior est, si quis non iratus percutit, quam si iratus
percutiat. Quid enim faceret passione superveniente qui absque passione
peccat? Et inde est quod intemperatus qui non vincitur passione sed ex
electione peccat, est deterior incontinente qui concupiscentia vincitur. Et
similiter horum duorum unum magis pertinet ad speciem mollitiei, scilicet
vinci passione, scilicet fuga tristitiae; aliud autem pertinet ad
intemperatum, scilicet ex electione peccare. Unde etiam deterior est
intemperatus quam mollis. |
|
#1412. — Ensuite (1150a27), il compare les [habitus] qui précèdent selon leur bonté et leur malice. En premier, il compare l'incontinent et le mou à l'intempérant. En second (1150a32), l'incontinent au mou. Il dit donc, en premier, que cela est manifestement bien pire de faire quelque chose de honteux en ne le désirant nullement, ou tranquillement, c'est-à-dire en le désirant peu, que de faire quelque chose de honteux avec un désir violent; comme c'est pire aussi de frapper sans colère, que de frapper en colère. Que ferait, en effet, dominé par la passion, celui qui se rend déjà fautif sans passion? Aussi, l'intempérant qui n'est pas vaincu par la passion, mais se rend fautif par choix est pire que l'incontinent, vaincu, lui, par le désir. Semblablement, entre ces deux-là, l'un appartient davantage à l'espèce du mou, à savoir, d'être vaincu par la passion, à savoir, de fuir la tristesse; l'autre, par ailleurs, appartient à l'intempérant, à savoir, de se rendre fautif par choix. Aussi, encore, l'intempérant est pire que le mou. |
[74117] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 10 Deinde cum dicit
opponitur autem etc., comparat mollem incontinenti et perseverantem
continenti. Et circa hoc tria facit: primo ostendit quis eorum sit melior.
Secundo manifestat quamdam convenientiam supra positam, ibi, deficiens autem
et cetera. Tertio excludit quemdam errorem, ibi: videtur autem et lusivus et
cetera. Dicit ergo primo, quod incontinenti opponitur continens, et molli
opponitur perseverativus. Perseverare autem dicitur aliquis ex eo quod tenet
se contra aliquid impellens, sed continentia dicitur ex eo quod est superare.
Illud enim quod continemus, in nostra potestate habemus. Et hoc necessarium
est: quia delectationes sunt refrenandae vel cohibendae, contra tristitias
autem est standum: unde perseverans ad continentem comparatur, sicut non
vinci ad id quod est vincere: quod est manifeste melius. Unde melior est
continentia quam perseverantia. Mollities autem videtur peior quam
incontinentia; quia utraque consistit in hoc quod est vinci; sed incontinens
vincitur a fortiori passione. |
|
#1413. — Ensuite (1150a32), il compare le mou à l'incontinent, et le persévérant au continent. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre lequel d'entre eux est le meilleur. En second (1150b1), il manifeste une ressemblance présentée plus haut. En troisième (1150b16), il exclut une erreur. Il dit donc, en premier, qu'à l'incontinent s'oppose le continent, et qu'au mou s'oppose le persévérant. On est dit persévérer, par ailleurs, du fait de tenir contre un assaillant. Mais on attache la continence au fait de dominer. Cela, en effet, que nous contenons, nous l'avons en notre pouvoir. Et cela est nécessaire: parce que les plaisirs sont à freiner ou à empêcher, mais contre les tristesses, il faut se tenir; aussi, le persévérant se compare au continent, comme de ne pas être vaincu à vaincre, ce qui est manifestement mieux. Par conséquent, meilleure est la continence que l'endurance, tandis que la mollesse est manifestement pire que l'incontinence, parce qu'alors que l'une et l'autre consistent dans le fait d'être vaincu, l'incontinent est vaincu par une passion plus forte. |
[74118] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 11 Deinde cum dicit:
deficiens autem etc., manifestat convenientiam quamdam quam supra tetigit
inter mollem et incontinentem; quod scilicet vincuntur a passionibus quas
multi superant. Et dicit, quod ille dicitur mollis et delicatus qui deficit
in his contra quae multi et contratendunt, resistendo, et possunt, vincendo.
Ideo autem mollis et delicatus in idem ponuntur. Delitia enim est quaedam
species mollitiei. Mollities enim refugit inordinate omnem tristitiam, sed
delitia proprie refugit tristitiam laboris. Ille enim qui trahit vestimentum
suum per lutum, ut non laboret se subcingendo, quod pertinet ad delicatum,
vincitur secundum illam tristitiam quam reputat sibi imminere si levaret
vestimenta. Et licet imitetur laborantem in hoc quod vestimenta trahit, et
per hoc videtur non esse miser, tamen habet similitudinem cum misero
inquantum fugiens laborem sustinet laborem. |
|
#1414. — Ensuite (1150b1), il manifeste la ressemblance qu'il a touchée, plus haut (#1413), entre le mou et l'incontinent; qu'à savoir, ils sont vaincus par des passions que la plupart dominent. Il dit que tel est dit mou et délicat qui défaille dans les [passions] contre lesquelles beaucoup s'efforcent de résister et arrivent à vaincre. Par ailleurs, le mou et le délicat reviennent au même. La délicatesse, en effet, est une espèce de mollesse, car la mollesse fuit désordonnément toute tristesse, alors que la délicatesse fuit proprement la tristesse liée au travail. Celui, en effet, qui laisse traîner son vêtement dans la boue, pour ne pas se donner la peine de le retrousser — et cela appartient au délicat — est vaincu sous le rapport de cette tristesse dont il se penserait menacé s'il levait ses vêtements. Or, bien qu'il imite le 254 vaillant, du fait de traîner ses vêtements, et en cela a tout l'air de ne pas être misérable, il a cependant une similitude avec le misérable, du fait que c'est en fuyant l'effort qu'il fait un effort. |
[74119] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 12 Et sicut dictum est de
mollitie, ita etiam se habet circa continentiam et incontinentiam. Non enim
est admirabile, si quis vincitur a fortibus et superexcellentibus
delectationibus et tristitiis, ut propter hoc debeat dici incontinens vel
mollis, sed magis ei condonatur, si tamen nitatur resistere et non statim
cedat. Et ponit exemplum de Philotethe: de quo Theodoctus poeta narrat quod
percussus a vipera gravem dolorem passus nitebatur continere planctum, sed
non potuit. Et simile est de quadam muliere, quae vocabatur Malopes, percussa
a quodam nomine Carcino; et sicut etiam accidit illis qui tentant se
continere a risu, et tamen supervincuntur ut repente effuse rideant, sicut
accidit Senophanto. |
|
#1415. — Il en va, en rapport à la continence et à l'incontinence, comme il a été dit de la mollesse. Cela ne surprend pas, en effet, qu'on soit vaincu par des plaisirs et des tristesses plus forts et plus excellents, de sorte qu'on doive, pour cela, être traité d'incontinent ou de mou; mais on nous pardonne plus, cependant, si on s'efforce de résister et qu'on ne cède pas tout de suite. Là, il pose l'exemple de Philoctète, à propos de qui Théodecte le poète raconte que, mordu par une vipère, souffrant d'une grave douleur, il s'efforçait de supporter la douleur, mais ne le put. Il en va de même d'une certaine femme, appelée Melopes, frappée par un certain Carcino8. Il arrive pareil, encore, à qui tente de se retenir de rire et qui finit par être emporté; il s'effondre tout d'un coup, comme il est arrivé à Xénophante. |
[74120] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 13 Sed tunc dicitur aliquis
incontinens et mollis si quis vincitur a talibus tristitiis et
delectationibus contra quas multi possunt, si tamen hoc quod non potest
resistere huiusmodi passionibus non sit propter naturam generis ex qua posset
ei esse grave quod aliis esset leve, sed propter aegritudinem, scilicet
animi, quae provenit ex mala consuetudine; sicut mollities propter naturam
generis invenitur in regibus Scytharum qui delicate nutriti non possunt
labores et tristitias ferre, et sicut etiam est de feminis per comparationem
ad masculos propter infirmitatem naturae. |
|
#1416. — Mais on est traité d'incontinent et de mou si on est vaincu par des tristesses et des plaisirs auxquels la plupart peuvent résister; à la condition, cependant, que cette incapacité de résister à ces passions ne soit pas due à la nature de son genre, pour qui serait chose sérieuse ce qui est chose légère pour les autres, mais qu'elle soit due à une maladie de l'âme provenant d'une mauvaise habitude. Par exemple, on trouve cette mollesse due à la nature du genre chez les rois des Scythes qui, élevés délicatement, ne peuvent supporter efforts ni tristesses; ainsi en va-t-il aussi des femmes, à cause de la faiblesse de leur nature, par comparaison aux hommes. |
[74121] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 14 Deinde cum dicit: videtur
autem et lusivus etc., excludit quemdam errorem. Posset enim alicui videri
quod lusivus, idest qui nimis amat ludere, sit intemperatus, quia in
ludo est quaedam delectatio. Sed ipse dicit quod magis est mollis. Ludus enim
est quaedam quies et remissio animi quam superabundanter quaerit lusivus.
Unde continetur sub molli, cuius est fugere difficultates et labores. |
|
#1417. — Ensuite (1150b16), il exclut une erreur. On pourrait penser, en effet, que le folâtre, celui qui aime trop jouer, est un intempérant, parce que dans le jeu il y a du plaisir; mais lui, il dit qu'il est plutôt un mou. Le jeu, en effet, est un repos et une détente de l'âme que recherche excessivement le folâtre. Aussi, il est contenu sous le mou, à qui il appartient de fuir les difficultés et les efforts. |
[74122] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 15 Deinde cum dicit
incontinentiae autem etc., distinguit species incontinentiae. Et circa hoc
tria facit. Primo ponit divisionem. Et dicit quod incontinentia dividitur in
duo, quorum unum est praevolatio et aliud est debilitas. |
|
#1418. — Ensuite (1150b19), il distingue les espèces de l'incontinence. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il pose la division, et dit que l'incontinence se divise en deux [espèces], dont l'une est l'impétuosité et l'autre, la faiblesse. |
[74123] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 16 Secundo ibi: hi quidem
enim etc., exponit membra divisionis. Et dicit quod quidam incontinentes sunt
qui superveniente concupiscentia consiliantur quidem, sed non permanent in
his quae consiliati sunt, propter passionem a qua vincuntur. Et talis
incontinentia dicitur debilitas. Quidam vero ducuntur a passione propter hoc
quod non consiliantur, sed statim concupiscentia superveniente eam sequuntur.
Et haec incontinentia dicitur praevolatio, propter sui velocitatem qua
anticipat consilium. Si autem consiliarentur, non ducerentur a passione. |
|
#1419. — En second (1150b19), il expose les membres de la division. Il dit qu'il existe des incontinents qui, certes, lorsque survient le désir, délibèrent, mais ne s'en tiennent pas au résultat de leur délibération, à cause de leur passion, par laquelle ils se trouvent vaincus. On appelle de la faiblesse une telle incontinence. D'autres, eux, sont menés par leur passion du fait qu'ils ne délibèrent pas, mais suivent leur désir dès qu'il survient. Cette incontinence-là s'appelle de l'impétuosité, à cause de sa vitesse, qui lui fait anticiper la délibération. Mais s'ils délibéraient, la passion ne les mènerait pas. |
[74124] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 17 Sicut enim quidam qui
prius titillant seipsos, postea non moventur cum ab aliis titillantur. Sic et
illi qui praesentiunt motum concupiscentiae et praesciunt quid est illud in
quo concupiscentia inclinat et praesuscitantes, idest provocantes
seipsos et ratiocinationem suam ad resistendum concupiscentiae, ex hoc
consequuntur quod non vincantur a passione; neque delectationis a qua
vincitur incontinens, neque tristitiae a qua vincitur mollis. |
|
#1420. — Il y a des gens, en effet, qui se chatouillent d'abord eux-mêmes, puis ne se trouvent pas dérangés ensuite, quand d'autres les chatouillent9. De même aussi, ceux qui sentent d'avance le mouvement du désir et prévoient où le désir incline; ils s'excitent d'avance, c'est-à-dire se provoquent eux-mêmes, avec leur raisonnement, à résister au désir, et, en conséquence, ils ne sont pas mus par une passion, ni pour le plaisir, qui vainc l'incontinent, ni pour la tristesse, qui vainc le mou. |
[74125] Sententia Ethic., lib. 7 l. 7
n. 18 Tertio ibi: maxime autem
et acuti etc., ostendit quibus competat haec secunda species incontinentiae
quae dicitur praevolatio. Et dicit quod maxime sunt incontinentes secundum
incontinentiam quae non refrenatur consilio, quae dicta est praevolatio acuti,
idest cholerici et melancholici. Neutri enim expectant rationem consiliantem,
sed sequuntur primam phantasiam concupiscibilis. Cholerici quidem propter
velocitatem motus colerae, melancolici autem propter vehementiam motus
melancholiae accensae, cuius impetum non de facili potest homo ferre. Nam et
terra accensa vehementius ardet. E contrario autem est intelligendum, quod
sanguinei et phlegmatici habent incontinentiam debilitatis propter
humiditatem complexionis, quae non est fortis ad resistendum impressioni. |
|
#1421. — En troisième (1150b25), il montre chez qui on trouve cette seconde espèce d'incontinence, appelée impétuosité. Il dit que les plus incontinents, selon cette incontinence que n'arrive pas à freiner la délibération, que l'on appelle de l'impétuosité, ce sont les [gens] vifs, c'est-à-dire bilieux, et les[49] [gens] nerveux. Car ni les uns ni les autres n'attendent la raison délibérante, mais ils suivent la première imagination que suggère leur [appétit] concupiscible. Les bilieux, certes, à cause de la vitesse de la bile; les nerveux, par ailleurs, à cause de la violence du mouvement de la bile noire, une fois allumée, dont on ne peut pas arrêter facilement l'élan. En effet, même la terre, une fois allumée, brûle avec plus de violence. Il faut comprendre, au contraire, que les sanguins et les flegmatiques ont une incontinence de faiblesse, à cause de l'humidité de leur complexion, qui n'a pas de force pour résister à l'impression. |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
[74126] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8 n. 1 Est autem intemperatus quidem et cetera. Postquam
philosophus ostendit differentiam incontinentis ad intemperatum, hic ostendit
quis eorum sit peior: per quod solvitur dubitatio supra quinto loco proposita
contra primum probabile; dixit autem hoc supra Aristoteles, sed breviter ex
incidenti tangendo, hic autem perfectius hoc determinat ex principali
intentione. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo
manifestat quiddam quod proposuerat, ibi: quia autem hic quidem talis et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, intemperatum esse peiorem
incontinente. Secundo ostendit similitudinem inter eos, ibi, quoniam quidem
igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo comparat incontinentem
intemperato. Secundo comparat duas species incontinentiae adinvicem, ibi,
ipsorum autem et cetera. Circa primum ponit tres rationes, per quas
ostenditur intemperatus peior incontinente. |
|
#1422. — Après avoir montré la différence entre l'incontinent et l'intempérant, le Philosophe montre ici lequel d'entre eux est le pire. Par là, il résout la difficulté [soulevée] plus haut (#1325), en cinquième lieu, concernant la première [conception] probable. Cela, toutefois, Aristote en a traité plus haut (#1325), mais brièvement, y touchant comme en passant; mais ici, il en traite plus complètement, à titre d'intention principale. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier (1150b29), il montre son propos. En second (1151a11), il manifeste une chose qu'il avait supposée. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'intempérant est pire que l'incontinent. En second (1151a5), il montre la ressemblance [qu'il y a] entre eux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il compare l'incontinent à l'intempérant. En second (1151a1), il compare entre elles les deux espèces de l'incontinence. Sur le premier [point], il présente trois raisons, par lesquelles l'intempérant se montre pire que l'incontinent. |
[74127] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 2 Circa quarum primam dicit,
quod sicut supra dictum est, intemperatus non est poenitivus, quia peccat ex
electione in qua permanet eo quod eligit delectationes corporales tamquam
finem. Omnis autem incontinens de facili poenitet, cessante passione a qua
vincebatur. Unde patet quod sicut supra dictum est, intemperatus est
insanabilis, hic autem, scilicet incontinens, est sanabilis. Et sic per
interemptionem solvitur dubitatio supra posita, quae procedebat ex hoc quod
incontinens sit insanabilior intemperato. Quia
vero intemperatus est insanabilior, potest concludi quod sit peior, sicut et
morbus corporalis qui est incurabilis deterior est. |
|
#1423. — Il en énonce la première: c'est que, comme il a été dit plus haut (#1409), l'intempérant ne regrette pas, puisqu'il se rend fautif par un choix dans lequel il demeure, du fait qu'il choisit les plaisirs corporels en tant que fin. Au contraire, tout incontinent regrette facilement, dès que cesse la passion par laquelle il était vaincu. Aussi appert-il que, comme il a été dit plus haut (#1409), l'intempérant est incurable, tandis que celui-ci, à savoir, l'incontinent, est curable. Se résout ainsi, par annulation, la difficulté soulevée plus haut (#1409), qui procédait de ce que l'incontinent serait plus incurable que l'intempérant. Au contraire, c'est l'intempérant qui est plus incurable; aussi peut-on conclure qu'il est le pire, comme c'est aussi le malade corporel incurable qui est le pire. |
[74128] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 3 Secundam rationem ponit
ibi, assimulatur autem et cetera. Et dicit quod malitia, scilicet
intemperantia, assimilatur illis aegritudinibus quae continue insunt homini,
sicut hydropisis et phtysis. Sed incontinentia assimilatur aegritudinibus
quae non continue hominem invadunt sicut epilentiae; et hoc ideo, quia
intemperantia et quaelibet malitia est continua. Habet enim habitum
permanentem per quem eligit mala. Sed incontinentia non est continua, quia
movetur ad peccandum incontinens solum propter passionem quae cito transit.
Et sic incontinentia est quasi quaedam malitia non continua. Continuum autem
malum est peius non continuo. Ergo intemperantia est peior quam
incontinentia. |
|
#1424. — Il présente ensuite sa seconde raison (1150b32). Il dit que la malice, à savoir, l'intempérance, s'assimile à ces maladies qui affectent en permanence, comme l'hydropisie et la phtisie, alors que l'incontinence s'assimile aux maladies qui n'attaquent pas en permanence, comme l'épilepsie. La raison en est que l'intempérance, comme toute malice, est permanente. Elle implique, en effet, un habitus permanent par lequel on choisit le mal. Au contraire, l'incontinence n'est pas permanente, parce que l'incontinent est mû à se rendre fautif seulement à cause de la passion, qui passe vite. Et ainsi, l'incontinence est comme une malice non permanente. Or un mal permanent est pire qu'un non permanent. Donc, l'intempérance est pire que l'incontinence. |
[74129] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 4 Tertiam rationem ponit
ibi, et omnino autem et cetera. Et dicit quod alterum genus est
incontinentiae et malitiae, sub qua intemperantia continetur. Malitia enim
latet, eum scilicet cui inest qui est deceptus, ut aestimet bonum illud quod
facit. Sed incontinentia non latet eum cui inest; scit enim per rationem
malum esse id in quod a passione ducitur. Malum autem latens est periculosius
et insanabilius. Ergo intemperantia est peior quam incontinentia. |
|
#1425. — Il présente ensuite sa troisième raison (1150b35). Il dit que l'incontinence et la malice, sous laquelle l'intempérance est contenue, relèvent d'un genre différent. La malice, en effet, échappe à celui qu'elle affecte, qui se trompe jusqu'à croire bon ce qu'il fait. L'incontinence, elle, n'échappe pas à celui qu'elle affecte; il sait, en effet, avec sa raison, que ce en quoi il est conduit par sa passion est mauvais. Or le mal caché est plus dangereux que le mal non caché. Donc, l'intempérance est pire que l'incontinence. |
[74130] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8 n. 5 Deinde cum dicit: ipsorum autem etc., comparat species
incontinentiae adinvicem. Et dicit quod inter incontinentes, meliores,
idest minus mali, sunt excessivi, idest praevolantes, quam debiles qui
habent quidem rationem consiliantem sed non permanent in ea. Duplici autem
ratione sunt peiores debiles. Primo quidem, quia vincuntur a minori passione.
Nam praevolantes vincuntur a passione excedente, vel secundum velocitatem vel
secundum vehementiam. Et secundum hanc rationem supra probavit quod
intemperatus est peior incontinente. Quae potest esse quarta ratio adiuncta
tribus praedictis. Secunda ratio est, quia debiles non sunt impraeconsiliati,
sicut alii, idest praevolantes. Et haec ratio supra inducebatur de
incontinente et intemperato, quasi incontinens esset praeconsiliatus, non
autem intemperatus. Et hoc est falsum, quia etiam intemperatus
praeconsiliatus est, peccat enim ex electione, et ideo videtur hic hoc
inducere ad ostendendum quod ibi locum non habet. |
|
#1426. — Ensuite (1151a1), il compare entre elles les espèces de l'incontinence. Il dit que les meilleurs des incontinents, c'est-à-dire les moins mauvais, sont les excessifs, c'est-à-dire les impétueux, [plutôt] que les faibles, qui ont certes une raison délibérante mais ne s'en tiennent pas à elle. C'est ensuite pour deux raisons que les faibles sont les pires. En premier, certes, parce qu'ils sont vaincus par une passion plus petite. En effet, les impétueux sont vaincus par une passion qui les dépasse, ou par sa vitesse ou 256 selon sa violence. C'est avec cette raison, plus haut (#1423), qu'il a prouvé que l'intempérant est pire que l'incontinent. Elle peut servir de quatrième raison, à ajouter aux trois qui précèdent. La seconde raison est que les faibles ne sont pas privés de délibération, comme les autres, c'est-à-dire les impétueux. Cette raison avait été amenée plus haut (#1419-1420), à propos de l'incontinent et de l'intempérant, mais comme si c'était l'incontinent qui délibérait, et pas l'intempérant. Or cela est faux, parce que l'intempérant délibère. C'est par choix, en effet, qu'il se rend fautif. C'est pourquoi, manifestement, il présente cela ici pour montrer que cela n'avait pas sa place antérieurement. |
[74131] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 6 Ponit autem quoddam
exemplum dicens, quod incontinens debilis est similis illis qui velociter,
idest de facili, inebriantur et a pauco vino et minori quam multi. Et sicut
isti peius sunt dispositi secundum corpus, ita et debiles, quia minori
passione vincuntur, sunt peiores secundum animam. |
|
#1427. — Il présente un exemple, en outre, en disant que l'incontinent faible ressemble à ceux qui s'enivrent vite, c'est-à-dire facilement, et avec peu de vin, et avec moins que la plupart. Or tout comme ceux-là sont disposés de pire manière, selon leur corps, de même les faibles, parce qu'ils sont vaincus par une passion plus petite, sont pires, selon leur âme. |
[74132] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 7 Deinde cum dicit: quoniam quidem
igitur etc., ostendit convenientiam incontinentis ad intemperatum quantum ad
duo. Primum quidem quantum ad hoc quod incontinentia, etsi non sit malitia
simpliciter, est tamen malitia secundum quid, sicut supra dictum est, quod
est quasi malitia non continua. Et quod non sit malitia simpliciter, patet;
quia incontinentia peccat praeter electionem, malitia autem cum electione. |
|
#1428. — Ensuite (1151a5), il montre la ressemblance de l'incontinent avec l'intempérant, quant à deux [points]. Comme premier [point], certes, quant à cela que l'incontinence, même si, de manière absolue, elle n'est pas une malice, reste cependant une malice sous un certain [aspect], à la manière dont il a été dit, plus haut (#1379), qu'elle est comme une malice non permanente. Que, de fait, elle n'est pas une malice de manière absolue, c'est évident, parce que l'incontinence se rend fautive sans choix, tandis que la malice [le fait] par choix. |
[74133] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 8 Secundam convenientiam
ponit ibi: insuper et cetera. Et dicit quod incontinentia et malitia habent
similitudinem in actione, sicut quidam Dymodokes, id est censor
populi, dixit ad Milesios reprehendens eos: Milesii non sunt stulti, sed
operantur similia opera operibus stultorum. Similiter, etiam incontinentes
non sunt mali vel iniusti vel intemperati, sed faciunt opera iniusta et mala.
|
|
#1429. — Il présente ensuite la seconde ressemblance (1151a7). Il dit que l'incontinence et la malice présentent une ressemblance dans l'action, comme un certain Démodocus, c'est-à-dire un ancien du peuple, l'a dit aux Milésiens, en les réprimandant: les Milésiens ne sont pas stupides, [disait-ils], mais ils posent des actes semblables à ceux de [gens] stupides. De façon semblable, aussi, les incontinents ne sont pas des méchants ou des injustes ou des intempérants, mais ils posent des actes injustes et mauvais. |
[74134] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 9 Deinde cum dicit: quia
autem hic quidem etc., assignat rationem eius quod supra dixerat, scilicet
quare intemperatus non paeniteat sicut incontinens. Et primo assignat huius
rationem quare intemperatus non paenitet; secundo quare incontinens paenitet,
ibi: est autem aliquis et cetera. Dicit ergo primo quod aliquis est qui
persequitur superabundanter et praeter ordinem rectae rationis corporales
delectationes, non quia sic est dispositus, ut sit ei persuasum quod tales
delectationes sint sequendae sicut bonae. Et iste est incontinens. Alius
autem est, scilicet intemperatus, cui persuasum est, quod tales delectationes
sint eligendae, quasi per se bonae; et hoc propter dispositionem quam habet
ex habitu. Unde ille cui non est persuasum delectationes esse per se bonas ex
habituali dispositione sed solum ex passione, scilicet incontinens, sed habet
falsam aestimationem de eis in particulari, facile recedit a sua credulitate
passione cessante. Ille autem qui ex habituali dispositione aestimat
delectationes corporales per se esse eligendas, scilicet intemperatus, non de
facili recedit a sua credulitate. |
|
#1430. — Ensuite (1151a11), il donne la raison de ce qu'il avait dit plus haut (#1423), à savoir, que l'intempérant ne regrette pas, comme l'incontinent. En second, [il précise] pourquoi l'incontinent regrette. Il dit donc, en premier, qu'il en est qui poursuivent avec excès et en dehors d'un ordre de la raison droite les plaisirs corporels, mais sans se trouver disposés de manière à être persuadés que de tels plaisirs sont à poursuivre comme bons. Ce sont les incontinents. Il en est d'autres, par contre, à savoir, les intempérants, qui sont persuadés que de tels plaisirs sont à choisir comme bons par soi; et cela, en raison d'une disposition qu'ils ont par habitus. Par conséquent, ceux qui ne sont pas persuadés par une disposition habituelle mais seulement par passion que les plaisirs sont par soi bons, à savoir, les incontinents, qui ont, néanmoins, une estimation fausse à leur sujet dans un [contexte] particulier, [ceux-là] sortent facilement de leur impression, dès que la passion cesse. Ceux, cependant, qui estiment en raison d'une disposition habituelle que les plaisirs corporels sont par soi à choisir, à savoir, les intempérants, ne sortent pas facilement de leur impression. |
[74135] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 10 Et huius rationem
(assignat) consequenter assignat, dicens quod virtus et malitia respiciunt
principium operabilium quod malitia corrumpit, virtus autem salvat:
principium autem in actionibus est finis, cuius gratia aliquid agitur: quod
ita se habet in agibilibus, sicut suppositiones, idest prima principia
in demonstrationibus mathematicis. Sicut enim in mathematicis principia non docentur
per rationem, sed statim intellecta creduntur, ita etiam in agibilibus fines
non docentur per rationem, sed per habitum virtutis, sive naturalis sive per
assuetudinem acquisitae, consequitur rectam aestimationem circa principium
agibilium quod est finis. |
|
#1431. — Il en donne la raison par la suite, en disant que la vertu et la malice regardent le principe des opérables, que la malice corrompt, mais que la vertu sauve. Or le principe, dans les actions, c'est la fin en vue de laquelle on fait quelque chose. Celle-ci tient dans les actions à poser, en effet, la place des suppositions, c'est-à-dire des premiers principes, dans les démonstrations mathématiques. Dans les mathématiques, en effet, les principes ne s'enseignent pas en raisonnant; de même, dans les actions à poser, la fin ne s'enseigne pas non plus en raisonnant. C'est plutôt par l'habitus d'une vertu, ou naturelle ou acquise par accoutumance, qu'on atteint à une estimation correcte sur ce principe des actions à poser qu'est leur fin. |
[74136] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 11 Ille igitur qui habet
rectam aestimationem de fine circa delectationes corporales, ut scilicet
aestimet medium in eis bonum et finem, superabundantias autem malum, est
temperatus. Ille autem qui habet contrariam aestimationem propter habitum
malitiae, est intemperatus. Manifestum est autem quod ille qui errat circa
principia non potest de facili revocari ab errore, quia non invenitur ratio doctiva
principii; unde intemperatus, qui errat circa principium in agibilibus, non
potest revocari aliqua persuasione a suo errore et ideo non est
transcredibilis vel paenitivus, nisi forte secundum quod per longam
consuetudinem contrariam tollitur habitus causativus erroris. |
|
#1432. — Celui, donc, qui fait une estimation correcte de la fin, concernant les plaisirs corporels, de manière à estimer que c'est le milieu, en eux, [qui est] bon et [qui est leur] fin, tandis que leurs excès sont mauvais, est tempérant. Mais celui qui fait une estimation contraire, à cause d'un habitus de malice, est intempérant. Il est manifeste, par ailleurs, que celui qui se trompe sur les principes ne peut pas facilement sortir de l'erreur, parce qu'il n'est pas donné de raisonnement qui enseigne les principes. C'est pourquoi il ne peut se surpasser ni regretter, sauf peut-être pour autant qu'une longue accoutumance contraire enlèverait l'habitus producteur de l'erreur. 257 |
[74137] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 12 Deinde cum dicit: est
autem aliquis etc., ostendit qualiter incontinens sit transcredibilis et
poenitivus. Et dicit quod aliquis homo est qui propter passionem excedit
quidem a ratione recta quantum ad hoc quod passio eum superat, ut non agat
secundum rationem rectam. Non autem superat eum quantum ad hoc ut sit ei
persuasum quod oporteat persequi delectationes corporales quasi per se bonas
absque omni prohibitione. Et ideo talis, cessante passione quae cito transit,
remanet in recta aestimatione finis. Et iste est incontinens; qui propter hoc
est melior intemperato, et non est pravus simpliciter, quia salvatur in eo optimum
principium, scilicet recta aestimatio finis. Est autem pravus secundum
quid, inquantum scilicet in aliquo particulari aestimat operandum praeter rationem
rectam. Alius autem, scilicet continens, est contrarius incontinenti, qui
permanet in ratione recta, et nullo modo excedit eam propter passionem etiam
quantum ad agere. |
|
#1433. — Ensuite (1151a20), il montre de quelle manière l'incontinent peut se surpasser et regretter. Il dit qu'il en est qui, à cause de la passion, dépassent certes la raison droite, dans la mesure où la passion les domine, de manière qu'ils n'agissent pas selon la raison droite. Mais elle ne les domine pas au point qu'ils soient persuadés qu'il faut poursuivre les plaisirs corporels comme bons par soi, sans aucune limite. C'est pourquoi, tels qu'ils sont, dès que cesse la passion, qui passe vite, ils gardent une estimation correcte de la fin. Ce sont les incontinents. À cause de cela, ils restent meilleurs que les intempérants, et ne sont pas mauvais de manière absolue, puisque se trouve sauvé en eux le principe le meilleur, à savoir, l'estimation correcte de la fin. Ils sont toutefois mauvais sous un certain [aspect], en tant que, dans un [contexte] particulier, ils estiment devoir agir en dehors de la raison droite. D'autres, à savoir les continents, sont contraires aux incontinents: ils demeurent dans la raison droite et ne la dépassent d'aucune façon à cause de la passion, même dans l'action. |
[74138] Sententia Ethic., lib. 7 l. 8
n. 13 Ex quo manifestum est
quod continentia est bonus habitus quia permanet in ratione. Incontinentia
autem pravus, quia recedit a ratione recta in agendo. Et hoc erat primum
probabile quod nunc concludit, soluta quinta dubitatione quae contra hoc
proponebatur. |
|
#1434. — Il en devient manifeste que la continence est un habitus bon, puisqu'elle demeure dans la raison. Mais l'incontinence, elle, est un mauvais [habitus], parce qu'elle sort de la raison droite dans l'action. Ce qu'il conclut maintenant, c'était la première [conception] probable, et voilà résolue la cinquième difficulté proposée à ce [sujet]. |
|
|
|
Lectio
9 |
|
Leçon 9
|
[74139] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 1 Utrum igitur continens est
et cetera. Postquam philosophus determinavit dubitationem per quam scitur an
continentia et incontinentia sint, ostendit etiam materiam circa quam sint,
hic determinat dubitationem per quam scitur quid continentia est. Et circa
hoc duo facit. Primo enim ostendit, utrum continens sit immansivus cuilibet
rationi et incontinens a qualibet egressivus: per quod solvitur quarta
dubitatio proposita contra secundum probabile. Secundo ostendit, utrum
prudens possit esse incontinens: per quod solvitur secunda dubitatio mota
contra quintum probabile, ibi, neque simul prudentem et cetera. Circa primum
duo facit. Primo ostendit, quomodo continentia se habeat ad propriam rationem
quae accipitur secundum hoc quod est immanere rationi. Secundo ostendit,
quomodo se habeat ad communem rationem virtutis quae consistit in hoc quod
est in medio esse, ibi, quia autem est aliquis et cetera. Circa primum tria
facit. Primo ostendit, cui rationi continens laudabiliter immanet, et a qua
incontinens vituperabiliter egreditur. Secundo ostendit, quomodo aliqui
rationi vituperabiliter immanent, ibi, sunt autem quidam immansivi etc.;
tertio quomodo aliqui laudabiliter a ratione egrediuntur ibi, sunt autem
quidam et cetera. Circa primum duo facit. |
|
#1435. — Après avoir traité de la difficulté dont l'examen fait savoir s'il existe de la continence et de l'incontinence, et avoir montré aussi la matière sur laquelle elles portent, le Philosophe traite ici de la difficulté dont l'examen fait savoir ce qu'est la continence. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier (1151a29), il montre, en effet, si le continent s'en tient à n'importe quelle raison et [si] l'incontinent sort de n'importe laquelle; avec cela, on résout la quatrième difficulté (#1321), proposée contre la seconde [conception] probable. En second (1152a6), il montre si le prudent peut être incontinent; avec cela, on résout la seconde difficulté, soulevée à propos de la cinquième [conception] probable. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre le rapport de la continence avec sa définition propre, prise du fait de s'en tenir à la raison. En second (1151b23), il montre son rapport avec la définition commune de la vertu, qui consiste à se trouver au milieu. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre à quelle raison le continent s'en tient en se rendant louable, et de laquelle l'incontinent sort en se rendant blâmable. En second (1151b4), il montre comment on peut s'en tenir à la raison et se rendre blâmable. En troisième (1151b17), comment on peut sortir de la raison et se rendre louable. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. |
[74140] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 2 Primo movet quaestionem:
quae quidem est, utrum continens dicatur qui immanet qualicumque rationi,
idest sive rectae sive falsae, et qualicumque electioni, id est sive
rectae sive falsae: vel solum ille dicitur continens qui immanet rationi
rectae et electioni. Et similis dubitatio est, utrum incontinens dicatur qui
non immanet qualicumque rationi et electioni, vel solum qui rectae non
immanet. Vel etiam potest sic moveri quaestio: an possit dici incontinens qui
non immanet falsae rationi et electioni, sicut supra in dubitationibus
propositum est? |
|
#1436. — En premier, il soulève une question: certes, c'est si on appelle continent celui qui s'en tient à n'importe quelle sorte de raison, qu'elle soit droite ou fausse, ou à n'importe quel choix, qu'il soit droit ou faux, ou si on appelle continent celui seulement qui s'en tient à la raison et au choix droits. Une difficulté semblable, c'est si on appelle incontinent celui qui ne s'en tient pas à la raison et au choix quels qu'ils soient, ou celui seulement qui ne s'en tient pas au droit. On peut encore soulever ainsi la question: si on peut appeler incontinent celui qui ne s'en tient pas à une raison et à un choix faux, comme on l'a présenté, plus haut (#1322), parmi les difficultés. |
[74141] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 3 Secundo ibi: vel secundum
accidens etc., solvit propositam quaestionem: et dicit quod dicitur continens
et incontinens qui immanet vel non immanet qualicumque rationi, secundum
accidens; sed per se loquendo qui immanet vel non immanet verae rationi et
rectae electioni. Et hoc quidem sic exponit. Si enim aliquis eligit vel
persequitur, id est quaerit hoc propter hoc, idest hoc loco huius,
puta si eligit fel loco mellis, quia scilicet propter similitudinem coloris
aestimat illud esse mel, manifestum est quod per se loquendo eligit et
quaerit hoc propter quod alterum eligit et quaerit, puta mel; sed per
accidens eligit et quaerit id quod prius est, id est illud quod eligit loco
alterius, puta fel. |
|
#1437. — En second (1151a33), il résout la question proposée. Il dit que l'on peut appeler continent et incontinent celui qui s'en tient ou ne s'en tient pas à n'importe quelle raison, [mais] par accident; à parler par soi, néanmoins, [le continent et l'incontinent], c'est celui qui s'en tient ou ne s'en tient pas à la raison vraie et au choix droit. Voici comment il l'explique. Si on choisit ou poursuit, c'est-à-dire [si on] recherche telle chose pour telle autre, c'est-à-dire telle chose au lieu de telle autre, par exemple, si on choisit du fiel au lieu de miel, parce qu'en raison d'une ressemblance de couleur, on pense que c'est du miel, il est manifeste qu'à parler par soi, on choisit et recherche la chose pour laquelle on choisit et recherche l'autre, à savoir, le miel; mais c'est par accident qu'on choisit la mauvaise chose, celle qu'on choisit au lieu de l'autre, à savoir, le fiel. 258 |
[74142] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 4 Et ratio huius est, quia
in appetibilibus illud est per se ad quod refertur intentio appetentis. Bonum
enim, inquantum est apprehensum, est proprium obiectum appetitus. Illud autem
quod est praeter intentionem, est per accidens. Unde ille qui intendit
eligere mel et eligit fel praeter intentionem, per se quidem eligit mel, sed
per accidens fel. Sit ergo aliquis qui falsam rationem aestimet veram: puta
si quis aestimet hoc esse verum quod bonum est fornicari. Si ergo immaneat
huic rationi falsae putans eam esse veram, per se quidem immanet verae
rationi, per accidens autem falsae. Intendit enim verae immanere. Et eadem
ratio est de incontinente qui egreditur a ratione falsa, quam putat esse veram.
|
|
#1438. — La raison en est que, en [matière] désirable, ce qui est par soi, c'est ce à quoi se rapporte l'intention de celui qui désire. C'est le bien, en effet, en tant qu'appréhendé, qui est l'objet propre de l'appétit. Ce qui, par contre, reste en dehors de son intention, [ne l']est [que] par accident. Aussi, celui dont l'intention est de choisir du miel, mais qui choisit du fiel en dehors de son intention, il choisit par soi du miel, certes, mais, par accident, du fiel. Imaginons donc que l'on pense vraie une raison fausse: par exemple, si l'on pense vrai qu'il est bien de forniquer. Si, alors, on reste dans cette raison fausse, en pensant qu'elle est vraie, par soi, certes, on s'en tient à la raison vraie, mais, par accident, à la fausse. On a pour intention, en effet, de s'en tenir à la vraie. La même raison vaut pour l'incontinent qui sort d'une raison fausse qu'il pense vraie. |
[74143] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 5 Sic ergo patet quod
continens vel incontinens per se immanet vel non immanet rationi verae, per
accidens autem falsae. Simpliciter autem dicimus id quod est per se. Quod
autem est per accidens dicitur secundum quid. Et ideo contingit quidem
secundum aliquem modum quod continens vel incontinens immanet qualicumque
opinioni etiam falsae; sed simpliciter continens vel incontinens dicitur qui
immanet vel non immanet rationi seu opinioni verae. |
|
#1439. — Ainsi donc, il appert que le continent ou l'incontinent s'en tient ou ne s'en tient pas par soi à la raison vraie, mais par accident à la fausse. Nous disons de manière absolue, par ailleurs, ce qui est par soi, et ce qui est par accident, on le dit sous un certain [aspect]. C'est pourquoi on appelle continent ou incontinent, d'une certaine manière, celui qui s'en tient à n'importe quelle opinion, même fausse; mais, de manière absolue, c'est celui qui s'en tient ou ne s'en tient pas à la raison, ou à l'opinion, vraie. |
[74144] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 6 Deinde cum dicit: sunt
autem quidam immansivi etc., ostendit, quomodo aliqui vituperabiliter
immanent rationi. Et primo ostendit qui sint; secundo quomodo se habeant ad
continentem, ibi, qui simile quidem etc.; tertio quomodo se habeant ad
incontinentem, ibi: sunt autem ischirognomones et cetera. Dicit ergo primo,
quod sunt quidam nimis immanentes propriae opinioni. Et hi sunt illi quos
homines vocant ischyrognomones, idest fortis sententiae sive
pertinaces, quia scilicet difficile persuadetur eis aliquid et, si fuerit eis
aliquid persuasum, non de facili transmutantur ab illa suasione. Quod maxime
videtur accidere melancholicis, qui difficile recipiunt, sed recepta fortiter
tenent ad modum terrae. |
|
#1440. — Ensuite (1151b4), il montre comment on peut s'en tenir à la raison et se rendre blâmable. En premier, il montre qui le fait. En second (1151b6), son rapport avec le continent. En troisième (1151b8), il en montre la différence. En quatrième (1151b12), son rapport avec l'incontinent. Il dit donc, en premier, que certaines [gens] s'en tiennent trop à leur opinion propre. Ce sont ceux que l'on appelle opiniâtres, c'est-à-dire têtes fortes ou entêtés, parce qu'il est difficile de les persuader de quelque chose; puis, si on les a persuadés de quelque chose, ils ne sont pas faciles à faire changer d'idée. Cela, manifestement, arrive le plus aux nerveux, qui acceptent difficilement [quelque chose], mais, comme la terre, tiennent fermement à ce qu'ils ont fini par accepter. |
[74145] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 7 Deinde cum dicit: qui
simile quidem etc., comparat tales continenti. Et dicit quod tales videntur
aliquid simile habere continenti, quia per excessum habent id quod est
continentis, sicut prodigus habet aliquid simile liberali, et audax confidenti,
idest forti. Tales enim immanent rationi plusquam debent, continens autem
secundum quod debet. |
|
#1441. — Ensuite (1151b6), il compare de pareilles [gens] au continent. Il dit que de pareilles [gens] ont ressemblent manifestement au continent, parce qu'ils ont à l'excès ce qui caractérise le continent, comme le prodigue ressemble au libéral, et l'audacieux à l'assuré, c'est-à-dire au courageux. De pareilles [gens], en effet, s'en tiennent à la raison plus qu'ils ne doivent, tandis que le continent [le fait] selon qu'il le doit. |
[74146] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 8 Secundo ibi: sunt autem
alteri etc., ostendit differentiam; et dicit quod praedicti secundum multa
differunt a continente. Ad cuius evidentiam considerandum est quod dupliciter
potest aliquis removeri a sua opinione: uno modo ex parte ipsius rationis;
puta si superveniat aliqua ratio fortior. Alio modo ex parte passionis quae
pervertit iudicium rationis in particulari operabili. |
|
#1442. — En troisième (1151b8), il montre leur différence. Il dit que ceux qui précèdent présentent beaucoup différences avec le continent. Pour en avoir l'évidence, on doit prendre en compte que l'on peut être amené de deux manières à changer d'opinion. D'une manière, à partir de la raison même, si, par exemple, se présente une raison plus forte. D'une autre manière, à partir d'une passion qui pervertisse le jugement de la raison, à propos, principalement, d'une action particulière à poser. |
[74147] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 9 Praecipue igitur secundum
hoc est differentia, quia hic quidem, scilicet continens, non
transmutatur a ratione propter concupiscentiae passionem; sed tamen quando
oportet bene persuasibilis erit ab alia ratione meliori inducta. Unde
laudabilis est, quia non vincitur concupiscentia, sed ratione. Hic autem,
scilicet pertinax, non mutatur a sua opinione propter aliquam rationem
inductam, sed recipiunt concupiscentias. Et multi eorum ducuntur a
delectationibus extra rationem. Sic ergo vituperabiles sunt, quia cum non
permittant se vinci a ratione, vincuntur tamen a passione. |
|
#1443. — Voici donc la différence. Celui-ci, certes, à savoir le continent, ne change pas de raison à cause de sa passion de désir; cependant, quand il faudra, il sera facile à persuader avec l'apport d'une meilleure raison. Aussi est-il louable, n'étant pas vaincu par le désir, mais par la raison. Celui-là, par ailleurs, à savoir, l'entêté, ne change pas d'opinion pour une raison apportée, mais accepte des désirs. Or beaucoup de ces [gens] vont en dehors de la raison menés par leurs plaisirs. Ainsi donc, ils se rendent blâmables, parce qu'alors qu'ils ne se permettent pas d'être vaincus par la raison, ils sont cependant vaincus par la passion. |
[74148] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9
n. 10 Deinde cum dicit: sunt
autem ischirognomones etc., ostendit, quomodo se habeant tales ad
incontinentem. Et dicit quod isti quos dicimus ischyrognomones, dicuntur et idiognomones,
idest propriae sententiae, sive proprii sensus homines; et sunt
indisciplinati, quia nolunt ab alio instrui, et sunt etiam agrestes, quia dum
semper volunt sequi proprium sensum, non de facili possunt cum aliis
commorari. Sunt autem idiognomones, idest proprii sensus, propter hoc
quod aliquam delectationem nimis quaerunt, et aliquam tristitiam nimis
fugiunt. Gaudent enim quando conferendo cum aliis vincunt, si scilicet non
transmutentur per aliquam suasionem a sua opinione. Tristantur autem si ea
quae sunt ipsorum, scilicet sententiae, appareant infirmae, ita quod oporteat
eas deserere. Hoc autem est proprium incontinentis et mollis, superabundanter
appetere delectationes et fugere tristitias. Unde patet quod pertinaces magis
assimilantur incontinenti quam continenti. |
|
#1444. — Ensuite (1151b12), il montre leur rapport avec l'incontinent. Il dit que ceux qu'on appelle opiniâtres, on les traite aussi d'accrochés à leur idée, c'est-à-dire de gens à pensée propre, ou à sentiment propre. En outre, ils sont indisciplinés, parce qu'ils refusent d'être instruits par quiconque; ils sont même rustres, parce que, du fait qu'ils veulent toujours suivre leur propre sentiment, ils ne peuvent pas vivre facilement avec d'autres. Enfin, ils sont accrochés à leur idée, c'est-à-dire à leur propre sentiment, pour le fait qu'ils cherchent trop le plaisir, et fuient trop la tristesse. Car ils ont plaisir à vaincre, dans une discussion avec d'autres, quand on n'arrive pas à les persuader de changer d'opinion; tandis qu'ils s'attristent, si ce qui vient d'eux-mêmes, à savoir leurs pensées, paraît assez faible pour qu'ils doivent l'abandonner. Or c'est le propre de l'incontinent et du mou, de désirer les plaisirs et de fuir les tristesses avec excès. Il appert de là que les entêtés s'assimilent plutôt à l'incontinent qu'au continent. 259 |
[74149] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 11 Deinde cum dicit: sunt autem quidam qui his etc.,
ostendit, quomodo aliqui discedunt laudabiliter a ratione. Et dicit quod
quidam sunt qui non immanent his quae eis videntur, non propter
incontinentiam, sed propter amorem virtutis. Sicut narratur in libro quem de
Philoctete Sophocles scripsit, quod Neoptolemus non permansit in his quae ei
videbantur, non tamen propter incontinentiam, quamvis hoc fecerit propter
aliquam delectationem non malam, sed bonam. Appetebat enim quasi quoddam
bonum dicere verum et hoc erat ei delectabile. Sed persuasum fuerat ei ab
Ulysse quod diceret falsum in utilitatem patriae, cui quidem persuasioni ipse
non immansit propter delectationem veritatis. Nec tamen propter hoc fuit
incontinens. Non enim omnis qui propter delectationem aliquid operatur est
intemperatus, sive pravus sive incontinens, sed solum ille qui propter turpem
delectationem aliquid operatur. |
|
#1445. — Ensuite (1151b17), il montre comment on s'éloigne de la raison en se rendant louable. Il dit qu'il existe des [gens] qui n'en restent pas à leur idée, non par incontinence, mais par amour de la vertu. Ainsi raconte-t-on, dans le livre qu'a écrit Sophocle, au sujet de Philoctète, que Néoptolème ne s'en est pas tenu à son idée; [ce n'était] cependant pas par incontinence, quoiqu'il ait agi pour un plaisir, [un plaisir] non mauvais, mais bon. C'est qu'il désirait comme un bien de dire la vérité et que cela lui procurait du plaisir; il avait toutefois été persuadé par Ulysse de dire une fausseté, pour le bien de la patrie; mais il ne s'en est pas tenu à cette idée persuadée, à cause du plaisir qu'il prenait à la vérité. Cependant, il n'en fut pas pour autant incontinent, car ce n'est pas toujours qu'en faisant quelque chose pour le plaisir, on est intempérant, ou mauvais ou incontinent, mais seulement quand on fait quelque chose pour un plaisir honteux. |
[74150] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 12 Deinde cum dicit: quia autem est aliquis etc.,
ostendit, quomodo continentia se habeat ad rationem virtutis, ad quam
pertinet in medio esse. Et circa hoc duo facit. Primo manifestat continentiam
in medio esse, sicut et temperantiam. Secundo, ostendit quod quandoque
continentia propter similitudinem temperantia nominatur, ibi, quia autem
secundum similitudinem et cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit
quorum continentia sit medium. Et dicit quod aliquis homo invenitur sic
dispositus qui minus gaudet corporalibus delectationibus quam oporteat. Et
hoc est non propter finem boni, sed propter fastidium. Propter quod non
permanet in ratione iudicante, quod oportet, secundum quod necesse est
talibus delectationibus uti. De incontinente autem iam dictum est quod non
immanet rationi propter hoc quod gaudet talibus delectationibus plusquam
oportet. |
|
#1446. — Ensuite (1151b23), il montre le rapport de la continence avec la définition de la vertu, de laquelle il relève de se tenir dans le milieu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste que la continence se tient dans le milieu, comme le fait la tempérance. En second (1151b32), il montre que la continence est parfois nommée tempérance, en raison d'une ressemblance. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre entre quoi et quoi la continence est le milieu. Il dit qu'il se trouve quelqu'un qui soit disposé de manière à se réjouir moins qu'il ne faut des plaisirs corporels. Et cela non en prenant pour fin un bien, mais par ennui. C'est à cause de cela qu'il ne s'en tient pas à la raison qui juge de ce qu'il faut, d'après laquelle il est nécessaire d'user de pareils plaisirs. Pour l'incontinent, par ailleurs, on a déjà dit (#1444) qu'il ne s'en tient pas à la raison parce qu'il se réjouit de tels plaisirs plus qu'il ne faut. |
[74151] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 13 Unde horum duorum medius est continens. Nam incontinens
non immanet rationi propter aliquid maius. Ille autem alius propter aliquid
minus. Quia scilicet ille vult plus uti delectationibus quam oportet, et iste
minus. Sed continens immanet rationi et non transmutatur ab ea, nec propter
alterum praedictorum, idest neque propter maius, neque propter minus. |
|
#1447. — Celui donc qui tient le milieu entre ces deux-là, c'est le continent. En effet, l'incontinent ne s'en tient pas à la raison en raison d'un excès. L'autre, c'est en raison d'un défaut. Celui-là veut user de plaisirs plus qu'il ne faut, et celui-ci moins, tandis que le continent s'en tient à la raison et n'en change pas, en raison ni de l'un ni de l'autre des cas en présence, c'est-à-dire ni en raison d'un excès, ni en raison d'un défaut. |
[74152] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 14 Secundo ibi: oportet autem, si quidem etc., ostendit,
qualiter se habeant ad bonitatem et malitiam. Manifestum est autem ex
praedictis quod continentia est aliquid bonum. Unde oportet quod utrique
habitus qui ei contrariantur, scilicet et secundum plus et secundum minus,
sint mali, sicut et apparet ex hoc ipso quod non immanent rationi, sed
accipiunt, aut plus aut minus. |
|
#1448. — En second (1151b28), il montre leur rapport avec la bonté et la malice. Il ressort manifestement de ce qui a été dit (#1433-1434) que la continence est quelque chose de bon. Aussi faut-il que l'un et l'autre habitus qui la contrarient, à savoir, tant selon l'excès que selon le défaut, soient mauvais; comme cela devient manifeste, du fait même qu'ils ne s'en tiennent pas à la raison, mais acceptent ou l'excès ou le défaut. |
[74153] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 15 Tertio ibi: sed propter alterum etc., respondet tacitae
quaestioni: quare scilicet sola incontinentia videatur esse contraria
continentiae, cum habeat duos habitus contrarios. Et dicit quod hoc contingit
propter hoc quod alterum in paucis accidit, quod scilicet aliquis egrediatur
a ratione in minus. Et ideo non est adeo manifestum sicut alterum extremum.
Nam in pluribus accidit quod circa delectationes corporales fiat egressus a
recta ratione in plus. Et propter eamdem rationem temperantia videtur esse
contraria soli intemperantiae, quia insensibilitas non est manifesta propter
hoc quod in paucioribus accidit. |
|
#1449. — En troisième (1151b30), il répond à une question tacite: pourquoi donc semble-t-il que l'incontinence seule soit contraire à la continence, quand elle a deux habitus contraires. Il dit que c'est du fait que l'autre arrive rarement, que l'on sorte de la raison du côté du défaut. C'est pourquoi ce n'est pas aussi manifeste que l'autre extrême. En effet, pour la plupart, en matière de plaisirs corporels, sortir de la raison droite se fait vers l'excès. Pour la même raison, d'ailleurs, la tempérance semble bien avoir pour contraire la seule intempérance, car l'insensibilité n'est pas manifeste, se produisant rarement. |
[74154] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 16 Est autem hic considerandum, quod continentiae
assignantur dupliciter extrema. Uno modo ex parte rationis cui inhaeret: et
secundum hoc supra dixit quod pertinax se habet ad continentem, sicut
prodigus ad liberalem. Alterum autem extremum est ad minus vitium
instabilitatis. Alio modo assignantur ei extrema ex parte concupiscentiae
quam vincit. Et sic continentia est medium inter extrema nunc posita. |
|
#1450. — Il faut d'ailleurs considérer, ici, que les extrêmes s'assignent de deux manières à la continence. D'une manière, du côté de la raison à laquelle elle s'attache; c'est ainsi qu'il a dit, plus haut (#1441-1443), que l'opiniâtre a avec le continent le rapport du prodigue avec le libéral. L'autre extrême, par ailleurs, du côté du défaut, c'est le vice de l'instabilité. D'une autre manière, les extrêmes s'assignent à elle du côté du désir qu'elle vainc. C'est ainsi que la continence est le milieu entre les extrêmes posés ici. |
[74155] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 17 Deinde cum dicit: quia autem secundum similitudinem
etc., ostendit, quod continentia propter similitudinem quandoque dicitur
temperantia. Et primo comparat secundum hoc continentiam temperantiae.
Secundo incontinentiam intemperantiae, ibi: similes autem et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit quod quia multa
nominantur metaphorice sive secundum similitudinem, inde est quod etiam
continentia consequitur quandoque nomen temperantiae similitudinarie. |
|
#1451. — Ensuite (1151b32), il montre que la continence se dit parfois tempérance, en raison de leur ressemblance. En premier, il compare sous ce regard la continence à la tempérance. En second (1152a4), l'incontinence à l'intempérance. 260 Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. Et il dit que, parce que l'on nomme beaucoup métaphoriquement, ou d'après une ressemblance, il s'ensuit que même la continence commande parfois le nom de tempérance, pour sa ressemblance. |
[74156] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 18 Secundo ibi: et enim continens etc., ostendit in quo
sit similitudo. Continens enim habet facultatem, ut nihil praeter rationem
operetur propter delectationes corporales. Et hoc idem potest facere
temperatus. |
|
#1452. — En second (1151b34), il montre en quoi il y a une ressemblance. Le continent, en effet, a la capacité de ne rien faire en dehors de la raison pour des plaisirs corporels. Or c'est la même [chose] que peut faire le tempérant. |
[74157] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 19 Tertio ibi: sed hic quidem etc., ponit duas
differentias. Quarum prima est, quod continens habet pravas concupiscentias,
sed temperatus non habet eas, quia eius concupiscibilis est per habitum
temperantiae ordinata. Secunda differentia est quam ponit ibi, et hic quidem
et cetera. Quod scilicet temperatus est sic dispositus per habitum
temperantiae quod non delectatur praeter rationem, continens autem est sic
dispositus, ut delectetur quidem praeter rationem, sed non ducatur a
passione. |
|
#1453. — En troisième (1152a1), il présente deux différences. La première en est que le continent a des désirs dépravés, tandis que le tempérant n'en a pas, son [appétit] concupiscible se trouvant ordonné par l'habitus de tempérance. Il pose ensuite la seconde différence, que le tempérant est disposé par son habitus de tempérance de manière à ne pas prendre de plaisir en dehors de la raison. Le continent, lui, est disposé de manière à trouver du plaisir en dehors de la raison, mais il n'y est pas conduit par la passion. |
[74158] Sententia Ethic., lib. 7 l. 9 n. 20 Deinde cum dicit: similes autem etc., comparat
incontinentiam intemperantiae. Et dicit quod etiam incontinens et
intemperatus sunt similes, cum tamen differant. Unde eodem modo incontinens
dicitur intemperatus per similitudinem. Sunt enim similes in hoc quod utrique
persequuntur, idest quaerunt delectabilia corporalia. Differunt autem in
hoc: quod intemperatus existimat oportere huiusmodi delectabilia sequi
propter habitum pervertentem iudicium de fine. Incontinens autem non hoc
existimat, quia salvatur in eo principium, ut supra dictum est. |
|
#1454. — Ensuite (1152a4), il compare l'incontinence à l'intempérance. Il dit que l'incontinent et l'intempérant se ressemblent, bien qu'ils diffèrent, cependant. Aussi, de la même manière, l'incontinent se dit intempérant, par ressemblance. Car ils se ressemblent en ceci que l'un et l'autre poursuivent, c'est-à-dire recherchent, des plaisirs corporels. Ils diffèrent, cependant, en cela: l'intempérant pense qu'il faut poursuivre des plaisirs de la sorte, à cause de l'habitus qui pervertit son jugement sur la fin; l'incontinent, lui, ne pense pas cela, parce que le principe est sauvé en lui, comme il a été dit, plus haut (#1312, 1426, 1428-1430). |
|
|
|
Lectio
10 |
|
Leçon 10
|
[74159] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10
n. 1 Neque simul prudentem et
cetera. Postquam philosophus ostendit quomodo continens et incontinens
immaneat vel non immaneat rationi, hic ostendit utrum contingat quod
prudentia quae est recta ratio agibilium, sit simul cum incontinentia. Et per
hoc solvitur secunda dubitatio quae movebatur contra quintum probabile. Et
circa hoc duo facit. Primo ostendit quod prudentem non contingit esse incontinentem
secundo ostendit quomodo se habeat incontinens ad prudentiam, ibi, et
secundum quidem rationem et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit
quod intendit: et dicit quod non contingit, quod idem homo sit simul prudens
et incontinens. |
|
#1455. — Après avoir montré comment le continent et l'incontinent s'en tiennent ou ne s'en tiennent pas à la raison, le Philosophe montre ici s'il arrive que la prudence, qui est la définition correcte des actions à poser, nous appartienne simultanément à l'incontinence. Voilà qui résout la seconde difficulté, soulevée concernant la cinquième [conception] probable (#1317-1319). En premier, il montre qu'il ne se trouve jamais qu'on soit à la fois prudent et incontinent (1152a6). En second (1152a13), il montre quel rapport entretient l'incontinent avec le prudent. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention: il dit qu'il n'arrive pas que le même homme soit à la fois prudent et incontinent. |
[74160] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 2 Secundo ibi, simul enim etc., probat propositum duabus
rationibus. Quarum prima est, quod sicut supra in sexto ostensum est,
prudentia simul est cum virtute morali. Et sic simul est aliquis prudens et
studiosus secundum virtutem moralem. Sed incontinens non est studiosus
secundum virtutem moralem, quia non deduceretur a passionibus. Ergo non
potest esse quod aliquis sit simul prudens et incontinens. |
|
#1456. — En second (1152a7), il prouve son propos avec deux raisons. La première en est que, comme il a été montré plus haut, au sixième livre (#1172, 1273, 1275, 1285, 1287), la prudence accompagne la vertu morale. Ainsi, on est à la fois prudent et honnête au sens de la vertu morale. Mais l'incontinent n'est pas honnête au sens de la vertu morale, parce qu'il ne serait pas séduit, alors, par les passions. Donc, il ne se peut pas que l'on soit à la fois prudent et incontinent. |
[74161] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 3 Secundam rationem ponit ibi: adhuc non in scire et
cetera. Non enim dicitur aliquis prudens ex hoc solum quod est sciens; sed ex
hoc etiam quod est practicus, idest operativus. Dictum est enim supra
in sexto, quod prudentia est praeceptiva opera et non solum consiliativa et
iudicativa. Sed incontinens deficit ab eo quod sit practicus. Non enim operatur
secundum rationem rectam. Prudens ergo non
potest esse incontinens. |
|
#1457. — Il présente ensuite sa seconde raison (1152a8). On n'est pas dit prudent, en effet, de cela seul que l'on soit connaissant; mais du fait aussi que l'on soit praticien, c'est-à-dire agissant. Il a été dit plus haut, en effet, au sixième [livre] (#1216, 1239, 1240, 1269, 1289), que la prudence commande l'agir, et n'est pas seulement délibérative et judicative. Mais à l'incontinent manque le fait d'être praticien. En effet, il n'agit pas en conformité avec la raison droite. Le prudent, donc, ne peut être incontinent. |
[74162] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 4 Tertio ibi: dynum autem etc., assignat rationem, quare
quandoque videantur prudentes esse incontinentes. Et dicit quod nihil
prohibet dinum, idest ingeniosum seu industrium, esse incontinentem.
Et ex hoc contingit quod quandoque videtur, quod quidam prudentes sint
incontinentes, quia scilicet dini reputantur prudentes propter hoc quod
dinotica differt a prudentia secundum modum praedictum in VI, quia scilicet
prudentia se habet ex additione ad dynoticam. |
|
#1458. — En troisième (1152a10), il donne la raison pour laquelle, parfois, des prudents donnent fortement l'impression d'être incontinents. Il dit que rien n'empêche l'habile, c'est-à-dire l'ingénieux ou l'industrieux, d'être incontinent. C'est de là que vient cette forte impression que, parfois, des prudents soient incontinents: c'est que les habiles sont pris pour prudents du fait que l'habileté ne diffère de la prudence que de la manière décrite auparavant, au sixième [livre] (#1279, 1275, 1280), à savoir, que la prudence s'ajoute à l'habileté. |
[74163] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 5 Deinde cum dicit: et secundum quidem rationem etc.,
comparat incontinentem prudenti. Et circa hoc duo facit. Primo comparat
incontinentem prudenti. Secundo comparat incontinentes adinvicem, ibi,
sanabilior autem et cetera. Circa primum duo facit: primo ponit
comparationem; secundo adhibet similitudinem, ibi: et assimulatur utique et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit comparationem. Secundo infert
corollarium ex dictis, ibi, quare semimalus et cetera. Circa primum tria
facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit quod incontinens secundum
aliquid propinquus est prudenti, scilicet secundum rationem, quia uterque
habet rationem rectam. Sed differunt secundum electionem, quam prudens
sequitur, incontinens non sequitur. |
|
#1459. — Ensuite (1152a13), il compare l'incontinent au prudent. 261 À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare l'incontinent au prudent. En second (1152a27), il compare les incontinents entre eux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la comparaison. En second (1152a19), il applique la ressemblance. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la comparaison. En second (1152a17), il infère un corollaire de ce qui a été dit. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. Il dit que l'incontinent s'approche, sous un certain [aspect], du prudent: c'est en rapport à leur raison, parce que l'un et l'autre ont leur raison droite. Mais ils diffèrent dans leur choix, du fait que le prudent suit [sa raison], [tandis que] l'incontinent ne [la] suit pas. |
[74164] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 6 Secundo ibi: neque utique etc., manifestat qualiter
sint propinqui secundum rationem. Et dicit quod hoc non est ita quod
incontinens sit sicut sciens in habitu et speculans, idest considerans
in actu particularia eligibilia. Sed se habet sicut dormiens et vinolentus,
in quibus est habitus rationis ligatus, sicut supra expositum est. |
|
#1460. — En second (1152a14), il manifeste de quelle manière ils se rapprochent, en rapport à leur raison. Il dit que ce n'est pas que l'incontinent se présente comme quelqu'un qui sait par habitus et est en train de spéculer, c'est-à-dire de considérer en acte les actions particulières à choisir. Il ressemble plutôt à celui qui dort ou est ivre, chez qui l'habitus de la raison est lié, comme il a été exposé plus haut (#1351-1352). |
[74165] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 7 Tertio ibi: et volens quidem etc., manifestat quod
dixerat de differentia secundum electionem. Et dicit, quod incontinens peccat
quidem volens. Scit enim quodammodo, scilicet in universali, et illud quod
facit, et cuius gratia facit, et alias circumstantias. Unde voluntarie agit.
Non tamen est malus, quia non agit ex electione, sed electio eius est epiikes,
idest bona, quando est extra passionem. Sed quando supervenit passio,
corrumpitur eius electio, et vult malum. Et ideo secundum electionem
incontinens differt a prudenti, quia prudentis electio non corrumpitur,
incontinentis autem corrumpitur. |
|
#1461. — En troisième (1152a15), il manifeste ce qu'il avait sur leur différence dans leur choix. Il dit que c'est certes en le voulant que l'incontinent se rend fautif. Car il connaît d'une certaine manière, il sait en gros à la fois cela qu'il fait, en vue de quoi il le fait, ainsi que les autres circonstances. Aussi agit-il volontairement. Mais il n'est pas un mauvais, parce qu'il n'agit pas par choix. Son choix, au contraire, est équitable, c'est-à-dire bon, tant qu'il est en dehors de la passion. Mais quand survient la passion, son choix se corrompt et il veut le mal. C'est pourquoi c'est par le choix que l'incontinent diffère du prudent, car le choix du prudent n'est pas corrompu, tandis que celui de l'incontinent est corrompu. |
[74166] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 8 Deinde cum dicit: quare semimalus etc., infert
correlarium ex dictis. Quia enim ante passionem habet bonam electionem, sed
per passionem vult malum, sequitur quod sit ex media parte malus, in quantum
scilicet vult malum, et non sit iniustus vel malus simpliciter, quia non est
insidiator, quasi ex consilio et electione agens malum. Incontinentium enim
quidam, scilicet debiles, consiliantur quidem, sed non immanent consiliatis:
melancholici autem et acuti, quos supra dixit praevolantes, totaliter non
consiliantur. Unde patet, quod neutri ex consilio et electione agunt malum. |
|
#1462. — Ensuite (1152a17), il infère un corollaire de ce qui a été dit. Comme l'incontinent fait un bon choix, avant la passion, mais veut le mal par passion, il s'ensuit qu'il ne soit qu'à demi mauvais, en ce qu'il veut le mal, mais ne soit pas injuste ou mauvais de manière absolue, puisqu'il n'est pas perfide, à faire le mal délibérément et par choix. Certains incontinents, toutefois, à savoir, les faibles, délibèrent, certes, mais ne s'en tiennent pas à ce qu'ils ont délibéré; mais les nerveux et les vifs, qu'il a appelés, plus haut (#1421), des impétueux, ne délibèrent pas du tout. Aussi appert-il que ni les uns ni les autres ne font le mal délibérément et par choix. |
[74167] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 9 Ex his autem, quae dicta sunt, accipere possumus quid
sit subiectum continentiae et incontinentiae. Non enim potest dici, quod
utriusque subiectum sit concupiscibilis: quia non differunt secundum
concupiscentias, quas uterque, scilicet continens et incontinens, habet
pravas: neque etiam subiectum utriusque est ratio, quia uterque habet
rationem rectam. Relinquitur ergo, quod subiectum utriusque sit voluntas,
quia incontinens volens peccat, ut dictum est, continens autem volens immanet
rationi. |
|
#1463. — De ce qu'on a dit (#1455-1462), nous pouvons tirer ce qui fait le sujet de la continence et de l'incontinence. On ne peut pas dire, en effet, que leur sujet commun soit l'[appétit] concupiscible: car leurs désirs ne sont pas différents; l'un et l'autre, à savoir, le continent et l'incontinent, en ont de dépravés. Leur sujet commun n'est pas non plus la raison, puisque l'un et l'autre ont leur raison droite. Il reste donc, que leur sujet commun soit la volonté, parce que c'est en le voulant que l'incontinent se rend fautif, comme on l'a dit (#1461), tandis que le continent, c'est en le voulant qu'il s'en tient à la raison. |
[74168] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 10 Deinde cum dicit: et assimulatur utique etc., adhibet
similitudinem ad praedicta. Et circa hoc duo facit. Primo proponit
similitudinem. Et dicit, quod incontinens assimilatur civitati, cui omnia
necessaria calculantur, idest dispensantur, et quae habet bonas leges,
sed nulla earum utitur. Sicut Anaxandrides convitiando dixit, quod civitas
quaedam volebat leges, cui nihil erat curae de observantia legum. Et
similiter incontinens non utitur recta ratione quam habet. Malus autem, puta
intemperatus, assimilatur civitati utenti legibus, sed malis. Utitur enim
malus perversa ratione. |
|
#1464. — Ensuite (1152a19), il applique la ressemblance aux [termes] comparés. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il propose la ressemblance. Il dit que l'incontinent s'assimile à une cité où toutes [choses] nécessaires sont calculées, c'est-à-dire administrées, et avec de bonnes lois, mais sans qu'on n'en respecte une seule. À la manière dont Anaxandrides, par mode d'injure, a dit d'une cité qu'elle voulait des lois, sans qu'on n'y ait cure de l'observance de lois. De manière semblable, l'incontinent ne respecte pas la raison droite qu'il a. Le mauvais, lui, par exemple, l'intempérant, s'assimile à une cité qui respecte des lois, mais de mauvaises. En effet, le mauvais respecte une raison pervertie. |
[74169] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 11 Secundo ibi: est autem incontinentia etc., manifestat
quod dixerat: qualiter scilicet incontinens sit similis civitati non utenti
rectis legibus. Non enim quilibet excessus rationis rectae facit
incontinentem; sed continentia et incontinentia dicuntur secundum id quod
excellit habitum, idest facultatem multorum. Continens enim immanet
rationi rectae magis quam multi possint, quia vincit concupiscentias, a
quibus multi superantur. Incontinens autem minus immanet quam multi possint;
quia vincitur a concupiscentiis, quas multi vincunt, ut supra dictum est. |
|
#1465. — En second (1152a25), il manifeste ce qu'il avait dit de la manière dont l'incontinent ressemble à une cité qui ne respecte pas des lois correctes. Car n'importe quel écart de la raison droite ne fait pas l'incontinent; la continence et l'incontinence sont dites selon ce qui dépasse l'habitus, c'est-à-dire la faculté, de la plupart. Le continent, en effet, s'en tient à la raison droite plus que beaucoup ne le peuvent, parce qu'il vainc des désirs par lesquels la plupart sont dominés. L'incontinent, lui, s'en tient 262 moins à la raison que la plupart ne le peuvent, parce qu'il est vaincu par des désirs que la plupart vainquent, comme il a été dit plus haut (#237, 439, 1406, 1410). |
[74170] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 12 Deinde cum dicit: sanabilior autem etc., comparat
incontinentes adinvicem secundum duplicem differentiam. Primo enim dicit,
quod inter incontinentias illa est sanabilior quam melancolici incontinenter agunt,
scilicet non praeconsiliantes, incontinentia eorum qui consiliantur, sed non
immanent; quia illi adhibito consilio videntur posse sanari, non autem isti,
ut supra dictum est. |
|
#1466. — Ensuite (1152a27), il compare les incontinents entre eux d'après une double différence. En premier, en effet, il dit que, parmi les incontinences, celle par laquelle les nerveux agissent de manière incontinente, à savoir, sans en avoir délibéré, se soigne mieux que l'incontinence de ceux qui délibèrent, mais ne s'en tiennent pas [à leur jugement]; car ceux-là semblent pouvoir se soigner, par l'usage de délibération, mais pas ceux-ci, comme il a été dit plus haut (#1442-1443). |
[74171] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 13 Secundo ibi: et per consuetudinem etc., comparat incontinentes
secundum aliam differentiam. Et dicit, quod illi qui sunt incontinentes per
consuetudinem sunt sanabiliores illis qui sunt incontinentes per naturam,
scilicet corporalis complexionis ad hoc inclinantis. Quia facilius potest
transmutari consuetudo, quam natura. Quia propter quod unumquodque, illud
magis. Consuetudo autem propter hoc est difficilis ad immutandum, quia
assimilatur naturae, sicut Evenus poeta dicit: aio, idest dico, diuturnam
meditationem, idest consuetum studium immanere amice, idest amicabiliter,
seu conformiter: et dico hanc finientem, idest quando perficitur,
omnibus esse naturam. |
|
#1467. — En second (1152a29), il compare les incontinents d'après une autre différence. Il dit que ceux qui sont incontinents par habitude se soignent mieux que ceux qui sont incontinents par nature, qui sont incontinents à cause d'une complexion corporelle qui les y incline. Car l'habitude peut se changer plus facilement que la nature. Parce que ce pourquoi chacun est tel l'est lui-même davantage. Or l'habitude est difficile à changer à cause de cela justement qu'elle s'assimile à la nature, comme le dit le poète Evenus: Je prétends, c'est-à-dire je dis, qu'une méditation perpétuelle, c'est-à-dire un effort habituel, reste aimablement, c'est-à-dire amicalement, ou conformément: et je dis que celle-ci, à la fin, c'est-à-dire une fois complète, est pour tous leur nature. |
[74172] Sententia Ethic., lib. 7 l. 10 n. 14 Ultimo autem epilogando concludit, dictum esse quid sit
continentia et incontinentia, et perseverantia et mollities, et qualiter hi
habitus se habeant adinvicem. |
|
#1468. — Épiloguant en dernier, par ailleurs, il conclut qu'on a dit ce qu'est la continence et l'incontinence, et l'endurance et la mollesse, et quels rapports ces habitus entretiennent entre eux. |
|
|
|
Lectio
11 |
|
Leçon 11
|
[74173] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 1 De delectatione autem et tristitia et cetera. Postquam
philosophus determinavit de continentia et incontinentia, ostendens quod sunt
circa delectationes et tristitias, hic intendit determinare de
delectationibus et tristitiis. Et primo ostendit quod haec consideratio
pertinet ad praesentem intentionem. Secundo, exequitur propositum, ibi, his
quidem igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod
intendit: et dicit quod considerare de delectatione et tristitia pertinet ad
eum, qui circa scientiam politicam philosophatur, ad quam tota moralis
doctrina reducitur sicut ad principalem, ut in principio habitum est. |
|
#1469. — Après avoir traité de la continence et de l'incontinence, en montrant qu'elles portent sur les plaisirs et les tristesses, le Philosophe entend ici traiter des plaisirs et des tristesses. En premier (1152b1), il déclare que cette considération appartient à la présente intention. En second (1152b8), il exécute son propos. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention: il dit que traiter du plaisir et de la tristesse appartient à celui qui philosophe sur la science politique, à laquelle tout l'enseignement moral se réduit comme à une [science] principale, comme il en a été question au début (#26-30). |
[74174] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 2 Secundo ibi: iste enim finis etc., probat propositum
tribus rationibus. Quarum prima est quod sicut finis architectonicae artis
est ille ad quem respiciunt, sicut ad quamdam mensuram, omnia quae sub illa
arte continentur, ita se habet delectatio in his quae pertinent ad moralem
doctrinam. Respiciendo enim ad delectationem, dicimus aliquid esse malum et
aliquid simpliciter bonum. Illum enim dicimus esse bonum, qui in bonis
delectatur; malum autem eum, qui in malis. Et in his etiam quae fiunt, idem
iudicium observatur. Iudicamus enim esse malum id quod ex mala delectatione
procedit, bonum autem quod ex bona. In qualibet autem scientia maxime
considerandum est id quod habetur pro regula. Unde ad philosophum moralem
maxime pertinet considerare de delectatione. |
|
#1470. — En second (1152b2), il prouve son propos avec trois raisons. La première en est que, de même que la fin de l'art architectonique est ce à quoi regarde comme à sa mesure tout ce qui est contenu sous cet art, de même le plaisir en ce qui relève de l'enseignement moral. En effet, c'est en regardant au plaisir que nous disons que quelque chose est mauvais et, de pareille manière, que quelque chose est bon. Car nous disons bon [celui] qui prend plaisir à ce qui est bon; et mauvais, celui qui [prend plaisir] à ce [qui est] mauvais. De plus, on observe le même jugement aussi pour ce qui se produit. Car nous jugeons mauvais ce qui procède d'un plaisir mauvais, et bon ce qui [procède] d'un bon. Or, en n'importe quelle science, on doit accorder le plus de considération à ce que l'on tient pour règle. Aussi, au philosophe moral, c'est du plaisir qu'il convient le plus de traiter. |
[74175] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 3 Secundam rationem ponit ibi: adhuc autem et cetera. Et
dicit quod non solum conveniens est morali considerare de delectatione; sed
etiam est ei necessarium, quia ad ipsum pertinet considerare virtutes et
malitias. Ostensum est autem supra in secundo, quod virtus et malitia moralis
sunt circa delectationes et tristitias. Ergo necessarium est morali
considerare de delectatione et tristitia. |
|
#1471. — Il présente ensuite sa seconde raison (1152b4). Il montre qu'il est non seulement convenable au moraliste de traiter du plaisir, mais que ce lui est même nécessaire, parce qu'il lui revient à lui de traiter des vertus et des malices. Il a été montré, par ailleurs, plus haut, au second livre] (#266-272), que la vertu et la malice morales portent sur des plaisirs et des tristesses. Il est donc nécessaire au moraliste de traiter du plaisir et de la tristesse. |
[74176] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 4 Tertiam rationem ponit ibi, et felicitatem et cetera. Ad philosophum enim
moralem pertinet considerare felicitatem, sicut ultimum finem. Sed plures
ponunt esse felicitatem cum delectatione, inter quos etiam et ipse, unde et
apud Graecos beatus nominatur a gaudendo; ergo ad moralem philosophum
pertinet determinare de delectatione. |
|
#1472. — Il présente ensuite sa troisième raison (1152b6). Il appartient, en effet, au moraliste de traiter du bonheur, comme fin ultime. Or plusieurs, dont lui-même, prétendent que le bonheur s'accompagne de plaisir. Chez les Grecs, d'ailleurs, on nomme même la personne heureuse à partir de sa joie. Il revient donc au philosophe moral de traiter du plaisir. |
[74177] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 5 Deinde cum dicit: his quidem igitur etc., determinat de
delectatione et tristitia. Et primo determinat de eis in communi. Secundo
specialiter determinat de corporalibus delectationibus, circa quas posuit
esse continentiam et incontinentiam, ibi, de corporalibus autem utique et
cetera. Circa primum duo facit. Primo prosequitur opiniones impugnantium
delectationem. Secundo determinat contrariam veritatem, ibi, sed tamen
quoniam et tristitia malum et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit
opiniones impugnantium delectationes. Secundo inducit rationes eorum, ibi,
totaliter quidem igitur et cetera. Tertio solvit, ibi, quoniam autem non
accidit et cetera. Circa primum ponit tres opiniones. Quibusdam enim
videbatur, quod nulla delectatio esset bona, neque per se neque per accidens.
Et si contingat quod aliquod delectabile sit bonum, non tamen idem est in eo
id quod est bonum et delectatio. Alii autem dixerunt, quod delectationes
quaedam sunt bonae, sed multae sunt pravae. Et ita non omnis delectatio est
bonum. Tertii autem dixerunt, quod etiam si omnes delectationes essent bonae,
non tamen continget aliquam delectationem esse optimum. |
|
#1473. — Ensuite (1152b8), il traite du plaisir et de la tristesse. 263 En premier, il traite d'eux en général. En second (1154a8), il traite spécialement des plaisirs corporels, sur lesquels il a déclaré que portent la continence et l'incontinence. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il poursuit les opinions de ceux qui s'attaquent au plaisir. En second (1153b1), il traite de la vérité contraire. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose les opinions de ceux qui s'attaquent aux plaisirs. En second (1152b12), il amène leurs raisons. En troisième (1152b25), il résout. Sur le premier [point], il présente trois opinions. Certains, en effet, étaient d'avis qu'aucun plaisir n'est bon, ni par soi ni par accident. Que, s'il arrive qu'un plaisir soit bon, ce n'est toutefois pas la même chose, en lui, le bien et le plaisir. D'autres, par ailleurs, ont dit que certains plaisirs sont bons, mais la plupart dépravés. Ainsi pas tout plaisir n'est bon. De troisièmes, par ailleurs, ont dit que, même si tous les plaisirs étaient bons, il ne se pourrait tout de même pas que le meilleur bien soit un plaisir. |
[74178] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 6 Deinde cum dicit: totaliter quidem igitur etc., inducit
rationes ad praedictas opiniones. Et primo ad primam; secundo ad secundam,
ibi: huius autem etc.; tertio ad tertiam, ibi: quod autem non optimum et
cetera. Circa primum ponit sex rationes. Quarum prima, sumitur ex definitione
delectationis quam ponebant, dicentes quod delectatio est quaedam sensibilis
generatio in naturam. Dum enim aliquid sensibiliter aggeneratur naturae
nostrae, quasi nobis connaturale, ex hoc delectamur, sicut patet in sumptione
cibi et potus. Nulla autem generatio est de genere finium, sed potius
generatio est via in finem, sicut aedificatio non est domus. Sed bonum habet
rationem finis. Ergo nulla generatio, et per consequens nulla delectatio, est
bonum. |
|
#1474. — Ensuite (1152b12), il présente des raisons pour les opinions énumérées. En premier, pour la première. En second (1152b20), pour la seconde. En troisième (1152b22), pour la troisième. Sur le premier [point], il présente six raisons. La première se tire de la définition donnée du plaisir, comme quoi le plaisir est la production sensible d'une nature. Le temps, en effet, que quelque chose s'ajoute sensiblement à notre nature, comme connaturel à nous, nous en tirons plaisir, comme c'est clair en prenant de la nourriture et de la boisson. Or aucune production n'est du genre des fins; la production est plutôt la voie vers la fin, comme l'édification n'est pas la maison. Le bien, lui, a raison de fin. Aucune production, donc, et, par conséquent, aucun plaisir, n'est un bien. |
[74179] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 7 Secundam rationem ponit ibi adhuc temperatus et cetera.
Quae talis est. Nullus virtuosus laudatur ex hoc, quod fugit quod bonum est.
Temperatus autem laudatur ex hoc quod fugit delectationes. Ergo delectatio
non est aliquid bonum. |
|
#1475. — Il présente ensuite sa seconde raison (1152b15). Elle va comme suit. Aucun vertueux ne reçoit de louange à fuir ce qui est bon. Or le tempérant en reçoit une à fuir les plaisirs. Le plaisir n'est donc pas un bien. |
[74180] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 8 Tertiam rationem ponit ibi, adhuc prudens et cetera.
Quae talis est. Sicut prudens persequitur, idest quaerit non tristari,
ita etiam quaerit non delectari. Sed tristitia non est bonum. Ergo neque
delectatio. |
|
#1476. — Il présente ensuite sa troisième raison (1152b15). Elle va comme suit. Le prudent tâche, c'est-à-dire cherche à ne pas s'attrister, et de même il cherche à ne pas prendre de plaisir. Or la tristesse n'est pas un bien. Le plaisir non plus, donc. |
[74181] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 9 Quartam rationem ponit ibi, adhuc impedimentum et
cetera. Quae talis est. Nullo bono impeditur prudentia. Impeditur autem per
delectationes; et tanto magis, quanto sunt maiores; ex quo videtur quod per
se et non per accidens impediant: sicut patet quod delectatio venereorum,
quae est maxima, intantum impedit rationem quod nullus in ipsa delectatione
actuali potest aliquid actu intelligere; sed tota intentio animae trahitur ad
delectationem. Ergo delectatio non est aliquid bonum. |
|
#1477. — Il présente ensuite sa quatrième raison (1152b16). Elle va comme suit. Aucun bien ne fait obstacle à la prudence. Or les plaisirs lui font obstacle, et d'autant plus qu'ils sont plus grands, ce qui rend manifeste que c'est par soi et non par accident qu'ils font obstacle; il est évident, par exemple, que le plaisir sexuel, qui est le plus grand, fait assez obstacle à la raison pour que personne, au moment même du plaisir, ne puisse intelliger quelque chose en acte, l'âme se trouvant toute tendue vers le plaisir. Le plaisir n'est donc pas un bien. |
[74182] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 10 Quintam rationem ponit ibi, adhuc ars et cetera. Quae
talis est. Omne bonum humanum videtur esse opus alicuius artis, quia bonum
hominis ex ratione est. Sed delectatio non est opus alicuius artis, quia
nulla ars est ad delectandum. Ergo delectatio non est aliquid bonum. |
|
#1478. — Il présente ensuite sa cinquième raison (1152b18). Elle va comme suit. Tout bien humain est manifestement l'œuvre d'un art, parce que le bien de l'homme procède de la raison. Or le plaisir n'est l'œuvre d'aucun art, parce qu'aucun art ne vise au plaisir. Donc le plaisir n'est pas non plus un bien. |
[74183] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 11 Sextam rationem ponit ibi, adhuc pueri et cetera. Quae
talis est. Illud quod est in homine puerile et bestiale vituperatur. Sed
pueri et bestiae persequuntur, id est quaerunt, delectationes. Ergo
delectatio non est aliquid bonum. |
|
#1479. — Il présente ensuite sa sixième raison (1152b19). Elle va comme suit. On blâme ce qu'il y a de puéril et de bestial chez quelqu'un. Or les enfants et les bêtes poursuivent, c'est-à-dire recherchent, les plaisirs. Le plaisir n'est donc pas un bien. |
[74184] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 12 Deinde cum dicit: huius autem etc., ostendit quod non
omnes delectationes sint ostendit quod non omnes delectationes sunt bonae. Et
dicit quod huius quod est non omnes delectationes esse bonas, ostensivum est
quod sunt quaedam delectationes turpes, idest inhonestae, et probrosae,
id est infames, et cum hoc etiam quaedam delectationes sunt nocivae.
Quod patet ex hoc quod quaedam delectabilia inducunt homini aegritudinem. Et
sic patet quod non omnes delectationes sunt bonae. |
|
#1480. — Ensuite (1152b20), il montre que tous les plaisirs ne sont pas bons. Il dit que ce qui montre que tous les plaisirs ne sont pas bons, c'est que certains plaisirs sont honteux, c'est-à-dire malhonnêtes et dignes d'opprobre, c'est-à-dire infâmes, et qu'avec cela, en plus, certains plaisirs sont nocifs. Cela devient évident du fait que certaines [choses] plaisantes produisent de la maladie chez des gens. Il en devient évident que tous les plaisirs ne sont pas bons. |
[74185] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 13 Deinde cum dicit: quod autem non optimum etc.,
probat quod nulla delectatio sit optimum, etiam si omnes essent bonae. Finis
enim est id quod est optimum. Delectatio autem non est finis, sed magis
generatio quaedam. Ergo delectatio non est optimum. |
|
#1481. — Ensuite (1152b22), il prouve qu'aucun plaisir n'est le meilleur bien, même si tous étaient bons. C'est la fin, en effet, qui est le meilleur bien. Or le plaisir n'est pas la fin, mais plutôt sa production. Donc le plaisir n'est pas le meilleur bien. 264 |
[74186] Sententia Ethic., lib. 7 l. 11 n. 14 Ultimo autem epilogando concludit, quod ea quae
dicuntur de delectatione fere haec sunt. |
|
#1482. — En dernier, par ailleurs, il conclut en épiloguant que voilà, à peu près, ce qui se dit du plaisir. |
|
|
|
Lectio
12 |
|
Leçon 12
|
[74187] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 1 Quoniam autem non accidit et cetera. Postquam philosophus
posuit rationes ad opiniones praemissas, hic intendit eas solvere. Et primo proponit quod intendit, dicens quod ex
sequentibus erit manifestum, quod propter praedictas rationes non sequitur
neque quod delectatio non sit bona, neque quod non sit optima. Praetermittit
autem mediam opinionem quae ponebat: non omnes delectationes esse bonas quia
est aliqualiter vera; has autem duas simul commemorat quia ex similibus
rationibus procedunt, unde et simul solvuntur. |
|
#1483. — Après avoir présenté des raisons pour les opinions annoncées, le Philosophe entend ici les résoudre. En premier (1152b25), il propose ce qu'il entend dire: qu'il deviendra manifeste, avec ce qui suit, que les raisons qui précèdent n'entraînent ni que le plaisir ne soit pas bon, ni qu'il ne soit pas le meilleur bien. Mais il omet l'opinion intermédiaire présentée, que tous les plaisirs ne sont pas bons, parce que, d'une certaine manière, elle est vraie. Et il rappelle les deux autres ensemble, parce qu'elles ont des raisons apparentées. |
[74188] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 2 Secundo ibi, primum quidem etc., solvit praedictas
rationes. Et primo praemittit quasdam distinctiones per quas potest sciri
qualiter delectatio sit bona vel non bona. Secundo solvit rationes inductas,
ibi: adhuc non necessarium et cetera. Circa primum ponit duas distinctiones.
Quarum utraque sumitur secundum distinctionem boni, quod est delectationis
obiectum. Dicit ergo primo, quod bonum dupliciter dicitur. Uno modo id quod
est bonum simpliciter. Alio modo id quod est bonum alicui. Et quia omnia in
bonum tendunt, consequenter ad hoc se habent et naturae et habitus, qui
scilicet ordinantur vel ad bonum simpliciter vel ad id quod est alicui bonum.
Et quia motiones et generationes ex quibusdam naturis et habitibus procedunt,
oportet quod etiam consequenter eodem modo se habeat circa eas, ut scilicet
quaedam earum sint bonae simpliciter et quaedam sint bonae alicui. Sic
igitur, supposito quod delectationes sint motiones et generationes, ut
adversarius dicit, distinguenda sunt quatuor genera delectationum. |
|
#1484. — En second (1152b26), il résout les raisons précédentes. En premier, il met certaines distinctions qui aident, de quelque manière, à juger si le plaisir est bon ou pas. En second (1153a7), il résout les raisons présentées. Sur le premier [point], il présente deux distinctions. L'une et l'autre se tirent de la division du bien, qui est l'objet du plaisir. Il dit donc, en premier, que le bien se dit de deux manières. D'une manière, ce qui est un bien de manière absolue. D'une autre manière, ce qui est un bien pour quelque chose. Or, comme tout tend au bien, il s'ensuit que les natures et les habitus se rapportent à cette [division], et sont ordonnés ou à ce qui est bien de manière absolue, ou à ce qui est un bien pour quelque chose. Comme, en plus, les mouvements et les générations procèdent de natures et d'habitus, il faut, par suite, qu'il en aille de la même manière à leur sujet, et que certains d'entre eux soient bons de manière absolue et que certains soient bons pour quelque chose. Ainsi donc, en supposant que les plaisirs soient des mouvements et des générations, comme l'adversaire le dit, il y a à distinguer quatre genres de plaisirs. |
[74189] Sententia
Ethic., lib. 7 l. 12 n. 3 Quarum quaedam sunt bonae
simpliciter, sicut delectationes in operibus virtutum. Quaedam autem
delectationes simpliciter quidem videntur pravae, sed quantum ad aliquem unum
non sunt pravae, sed eligibiles ei propter aliquam necessitatem, sicut
infirmanti sumere medicinalia. Tertio autem gradu quaedam neque huic sunt
simpliciter eligibiles et bonae, sed aliquando et per paucum tempus, non
tamen sunt ei eligibiles simpliciter, sicut furari cibum in articulo extremae
necessitatis. Quarto autem gradu sunt quaedam delectationes, quae etiam non
sunt vere delectationes, sed apparent propter corruptam dispositionem eius
qui in talibus delectatur, sicut quaecumque delectationes sunt cum tristitia
vel dolore, assumuntur ut medicinae illius doloris. Sicut patet de his in quibus delectantur laborantes,
idest infirmantes. Delectabile enim videtur quandoque infirmo vertere se per
lectum et sumere aliqua acerba vel aliquid simile. |
|
#1485. — Certains d'entre eux sont bons de manière absolue, comme les plaisirs qui ont trait aux œuvres des vertus. Certains plaisirs, au contraire, sont manifestement dépravés de manière absolue, sauf que, sur un aspect, ils ne sont pas dépravés, mais éligibles pour quelqu'un, en raison d'une nécessité, comme, pour le malade, le fait de prendre des médicaments. À un troisième degré, certains [plaisirs] ne sont pas toujours éligibles pour un tel, mais parfois, et pour peu de temps: en effet, ils ne sont pas éligibles pour lui de manière absolue, comme voler de la nourriture, à l'article d'une extrême nécessité. Au quatrième degré, enfin, il y a des plaisirs qui, même, ne sont pas de vrais plaisirs, mais en prennent l'apparence, à cause de la disposition corrompue de celui qui y prend plaisir, comme tous les plaisirs qui s'accompagnent de tristesse ou de douleur, et sont assumés comme des traitements pour cette douleur. C'est le cas évident de ce à quoi prennent plaisir ceux qui souffrent, c'est-à-dire les malades. Car c'est parfois manifestement plaisant, pour un malade, de se mettre au lit, et de prendre des choses acerbes, ou des choses semblables. |
[74190] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 4 Secundam distinctionem ponit ibi: adhuc quia boni et
cetera. Et dicit quod duplex est bonum: quoddam quidem se habet per modum
operationis, sicut consideratio; quoddam autem per modum habitus, sicut
scientia. Horum autem, operatio est sicut bonum perfectum, quia est perfectio
secunda; habitus autem est sicut bonum imperfectum, quia est perfectio prima.
Unde et delectatio vera et perfecta consistit in bono quod est operatio.
Illae vero actiones vel motiones quae constituunt hominem in habitum
naturalem, idest quae sunt naturalis habitus constitutivae, sunt quidem
delectabiles, sed secundum accidens. Nondum enim habent rationem boni, quia
praecedunt etiam ipsum habitum qui est perfectio prima. Sed secundum ordinem
ad hoc bonum, habent rationem boni et delectabilis. |
|
#1486. — Il présente ensuite sa seconde distinction (1152b33). Il dit qu'il y a bien de deux manières: il y a, certes, ce qui se tient par mode d'opération, comme la considération; il y a ensuite ce [qui se tient] par mode d'habitus, comme la science. Entre les deux, par ailleurs, l'opération a fonction de bien parfait, parce qu'elle est perfection seconde, tandis que l'habitus, lui, tient lieu de bien imparfait, parce qu'il est perfection première. Aussi, le plaisir vrai et parfait s'attache au bien qui réside dans l'opération, tandis que les actions ou mouvements qui font accéder à un habitus naturel, c'est-à-dire qui produisent des habitus naturels, comportent certes du plaisir, mais par accident. En effet, ils n'ont pas encore raison de bien, puisqu'ils précèdent même l'habitus qui donne la perfection première. Mais en rapport à ce bien, ils ont raison de bon et de plaisant. |
[74191] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 5 Manifestum est autem, quod operatio delectabilis quae
est in concupiscentia non est operatio habitus perfecti, quia perfecto habitu
non remanet aliquid concupiscendum quod ad istum habitum pertineat. Unde
oportet quod talis operatio procedat ex aliquo principio habituali seu
naturali, quod est cum tristitia. Non enim est absque tristitia quod aliquis
concupiscat perfectionem naturalem quam nondum habet. |
|
#1487. — Il est manifeste, par ailleurs, qu'une opération plaisante qui garde du désir n'est pas l'opération d'un habitus parfait, parce qu'avec la perfection de l'habitus, il ne reste rien à désirer qui appartienne à cet habitus. Aussi s'ensuit-il nécessairement qu'une telle opération procède d'un principe 265 habituel ou naturel accompagné de tristesse. Il ne va pas sans tristesse, en effet, que l'on désire la perfection naturelle que l'on n'a pas encore. |
[74192] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 6 Quod autem non omnes operationes delectabiles sint
tales, patet: quia inveniuntur quaedam delectationes quae sunt sine tristitia
et concupiscentia, sicut patet de delectatione quae est circa operationes
speculationis. Talis enim delectatio non est cum aliqua indigentia naturae,
sed potius procedit ex naturae perfectione, puta ex ratione perfecta per
habitum scientiae. Sic ergo vere et per se delectationes sunt illae quae sunt
circa operationes procedentes ex habitibus, seu naturis et formis iam
existentibus. Illae autem delectationes quae sunt circa operationes
constitutivas habituum et naturarum non sunt vere et simpliciter
delectationes, sed per accidens. |
|
#1488. — Mais il est évident que toutes les opérations plaisantes ne sont pas telles: parce qu'il se trouve des plaisirs sans tristesse ni désir, comme il en va manifestement du plaisir qui touche les opérations de la spéculation. Un tel plaisir, en effet, ne va pas avec une indigence de la nature, mais procède plutôt de la perfection de la nature, par exemple, de la raison parfaite par l'habitus de science. Ainsi donc, les plaisirs vrais et par soi sont ceux-là qui touchent des opérations qui procèdent d'habitus, ou de natures et de formes déjà présentes. Les plaisirs, par contre, qui accompagnent la constitution d'habitus et de natures, ne sont pas vraiment et de manière absolue des plaisirs, mais par accident. |
[74193] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 7 Et huius signum est, quia si essent huiusmodi vere
delectabilia, in omni statu delectabilia essent: quod patet esse falsum; quia
non eodem delectabili gaudet natura superimpleta, puta cum homo nimis
comedit, et natura constituta, idest bene disposita. Natura enim bene
disposita gaudet his quae sunt simpliciter delectabilia, quae scilicet sunt
convenientia naturae humanae. Sed natura superimpleta gaudet in quibusdam
contrariis his quae sunt simpliciter delectabilia. Gaudent enim homines
repleti quibusdam acutis et amaris eo quod faciunt digerere cibum, cum tamen
nihil eorum sit naturaliter delectabile, quia non est simile naturae humanae,
sed in excessu se habens. Ex quo sequitur quod neque etiam sint simpliciter
delectationes quae ab eis causantur. Quia sicut se habent delectabilia
adinvicem, ita etiam se habent et delectationes quae ab eis causantur. |
|
#1489. — Le signe en est que si des [plaisirs] de la sorte l'étaient en vérité et de manière absolue, ils seraient plaisants en toute situation, ce qui n'est manifestement pas le cas, car la nature trop repue, par exemple, lorsque l'on a trop mangé, ne prend pas plaisir à la même chose que la nature constituée, c'est-à-dire bien disposée. La nature bien disposée, en effet, prend plaisir à ce qui plaît de manière absolue, à ce qui convient à la nature humaine. Mais la nature trop repue prend plaisir à des choses contraires à ce qui plaît de manière absolue. Les hommes repus, en effet, prennent plaisir à des choses piquantes et amères, du fait qu'elles font digérer la nourriture, alors que pourtant aucune ne plaît naturellement, ne ressemblant pas à la nature humaine, mais se tenant en excès. D'où s'ensuit aussi que les plaisirs causés causés par elles ne sont pas des plaisirs de manière absolue. En effet, les plaisirs entretiennent entre eux le même rapport que l'on observe entre leurs sources. |
[74194] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 8 Deinde cum dicit adhuc non necessarium etc., solvit
rationes supra inductas. Et primo solvit rationem inductam ad tertiam
opinionem. Secundo rationem inductam ad secundam, ibi, esse autem pravas et
cetera. Tertio rationes quae sunt inductae ad primam, ibi, impedit autem et
cetera. Dicit
ergo primo, quod non est necessarium quod delectatio non sit optimum, sed
aliquid aliud sit melius delectatione. Quod quidam hac ratione dicunt, quia
finis est melior generatione. Delectationem vero ponunt generationem. |
|
#1490. — Ensuite (1153a7), il résout les raisons apportées plus haut (#1473-1481). En premier, il résout la raison apportée pour la troisième opinion. En second (1153a17), la raison apportée pour la seconde. En troisième (1153a20), les raisons qui ont été apportées pour la première. Il dit donc, en premier, qu'il n'est pas nécessaire que le plaisir ne soit pas le meilleur bien, et qu'il existe autre chose de meilleur que le plaisir. Ce que certains soutiennent, pour la raison que la fin est meilleure que sa production, comme ils donnent le plaisir pour une production. |
[74195] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 9 In quo quidem falsum supponunt: quia, ut ex praemissis
patet, non omnes delectationes sunt generationes aut cum generatione. Tales
enim sunt solae illae quae sunt cum tristitia et concupiscentia constitutivae
habituum, sed quaedam sunt operationes. Et ex hoc habent rationem finis, quia
operatio est perfectio secunda, ut dictum est. Et huiusmodi delectationes non
accidunt factorum, idest his quae fiunt, sed utentium, idest
utentibus, quasi dicat: non consistunt huiusmodi delectationes in ipso fieri
habituum, sed in usu eorum iam existentium. Et secundum hoc patet, quod non
oportet quod omnium delectationum alterum aliquid sit finis, sed solummodo
illarum delectationum quae sequuntur operationes ducentes ad perfectionem
naturae quae sunt cum concupiscentia. |
|
#1491. — En cela, cependant, ils postulent quelque chose de faux, car, comme il appert de ce qui précède (#1487-1489), tous les plaisirs ne sont pas des productions ni accompagnés de production. Ne sont tels, en effet, que ceux qui, avec tristesse et désir, concourent à la production d'habitus; or certains sont des opérations. Pour cela, ils ont raison de fin, parce que l'opération est perfection seconde, comme il a été dit (#1486). Des plaisirs de la sorte n'arrivent pas pour le fait, c'est-à-dire à ce qui se fait, mais pour les usagers, c'est-à-dire à ceux qui en usent. C'est comme s'il disait: des plaisirs de la sorte ne consistent pas dans la production des habitus, mais dans leur usage une fois qu'ils sont produits. D'après cela, il s'ensuit que tous les plaisirs n'ont pas nécessairement autre chose comme fin; mais seulement ces plaisirs qui suivent des opérations conduisant à la perfection de la nature, car elles comportent désir. |
[74196] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 10 Et ex hoc etiam tollitur definitio delectationis quae
inducebatur in prima ratione primae opinionis. Non enim bene se habet dicere
quod delectatio sit generatio sensibilis, quod convenit imperfectis
delectationibus; sed magis dicendum est, secundum quod convenit perfectis
delectationibus, quod delectatio sit operatio habitus connaturalis iam
existentis. |
|
#1492. — Cela détruit aussi la définition du plaisir apportée lors de la première raison pour la première opinion. Il ne va pas bien, en effet, de dire que le plaisir est production sensible, mais cela ne convient qu'aux plaisirs imparfaits; il faut plutôt parler en accord avec les plaisirs parfaits et dire que le plaisir est l'opération d'un habitus connaturel déjà existant. |
[74197] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 11 Et loco eius quod posuerunt sensibilem, ponamus nos non
impeditam, ut sit haec diffinitio delectationis: delectatio est operatio
non impedita habitus qui est secundum naturam, idest qui naturae
habentis congruit. Impedimentum autem operationis difficultatem causat in operando, quae
delectationem excludit. Ideo autem quibusdam visum est quod delectatio esset
generatio quaedam, quoniam delectatio est circa id quod est principaliter
bonum, idest circa operationem quam existimant esse idem generationi, cum
tamen non sit idem, sed aliquid posterius. Nam
generatio est via in naturam, operatio autem est usus naturalis formae aut
habitus. |
|
#1493. — À la place de ce sensible qu'on a mis, mettons, nous, «non contrariée», de sorte que la définition du plaisir devienne: le plaisir est l'opération non contrariée d'un habitus en accord avec la nature, c'est-à-dire convenant au détenteur de telle nature. Tandis qu'une contrariété opposée à l'opération produit une difficulté à opérer, qui exclut le plaisir. D'ailleurs, la raison pour laquelle on a cru que le plaisir est une production, c'est que le plaisir porte sur ce qui est principalement un bien, c'est-à-dire sur l'opération, qu'on assimile à la production [de l'habitus], alors qu'elle n'est pas la même [chose], toutefois, mais quelque chose de postérieur [à lui]. En effet, la production est la voie vers la nature, tandis que l'opération est l'usage d'une forme ou d'un habitus naturel. |
[74198] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 12 Deinde cum dicit: esse autem pravas etc., solvit
rationem inductam pro secunda opinione. Et dicit quod hoc quod probabatur
esse quasdam delectationes pravas, quia sunt quaedam delectabilia inducentia
aegritudinem, idem est ac si concluderetur quod quaedam sanativa sunt prava
quia nocent pecuniae, quae in ea expenditur. Dicendum est igitur quod ambo,
scilicet delectabilia et sana, sunt prava ex una parte, scilicet
inquantum nocent delectabilia quidem sanitati, sanativa vero pecuniae, sed
non sunt prava secundum hoc, idest inquantum sunt sanativa vel
delectabilia. Quia secundum eamdem rationem posset concludi quod speculatio
veritatis esset prava, quia aliquando nocet sanitati. |
|
#1494. — Ensuite (1153a17), il résout la raison apportée pour la seconde opinion. Il dit que trouver la preuve qu'il y a des plaisirs dépravés dans le fait que des [choses] plaisantes amènent de la maladie, 266 c'est la même [chose] que de conclure que certains traitements sont dépravés du fait qu'ils nuisent pour l'argent qu'on dépense sur eux. On doit donc dire que les deux, à savoir, ce qui plaît et ce qui guérit, sont dépravés d'une part, à savoir, en tant qu'ils nuisent, ce qui plaît, certes, à la santé, ce qui guérit, à l'argent, mais ne sont pas dépravés de ce fait, c'est-à-dire en tant qu'ils guérissent ou plaisent. Car, pour la même raison, on pourrait conclure que la contemplation de la vérité est dépravée, parce qu'elle nuit parfois à la santé. |
[74199] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 13 Deinde cum dicit: impedit autem etc., solvit rationes
inductas pro prima opinione: quarum prima iam soluta est. Unde primo solvit
quartam. Secundo quintam, ibi, artis autem non esse et cetera. Tertio simul
secundam, tertiam et sextam, ibi, temperatum autem fugere et cetera. Dicit
ergo primo, quod non praestat impedimentum neque prudentiae neque alicui alii
habitui delectatio propria, quae scilicet est ab unoquoque, sed alienae
delectationes unicuique impedimentum praestant, quin immo delectationes
propriae coadiuvant ad unumquodque. Sicut delectatio qua quis delectatur in
speculando et discendo facit hominem magis speculari et discere. Et sic non
sequitur quod delectatio sit malum simpliciter, sed quod aliqua delectatio
sit mala alicui. |
|
#1495. — Ensuite (1153a20), il résout les raisons apportées pour la première opinion; or la première en a déjà été résolue (#1490-1494). Aussi, en premier, il résout la quatrième. En second (1153a23), la cinquième. En troisième (1153a27), la seconde, la troisième et la sixième ensemble. Il dit donc, en premier, que ce qui entraîne une contrariété, ce n'est ni la prudence, ni, pour un autre habitus, son plaisir propre, celui, à savoir, qui procède de chacun; ce sont plutôt des plaisirs étrangers qui entraînent une contrariété pour chacun. Bien plus, les plaisirs propres aident à chacun. Ainsi, le plaisir que l'on prend à spéculer et à apprendre fait spéculer et apprendre davantage. Ainsi, il ne s'en ensuit pas que le plaisir soit mauvais pour quoi que ce soit. |
[74200] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 14 Deinde cum dicit: artis autem non esse etc., solvit
quintam rationem. Et dicit quod rationabiliter accidit quod nulla delectatio
sit opus artis; ea enim quae est vere et proprie delectatio consequitur
operationem, non autem generationem. Ars autem est factiva generationis, quia
est recta ratio factibilium, ut in VI dictum est, non est autem ars factiva
operationis, sed potentiae alicuius ex qua procedit operatio. Quamvis posset solvi
per interemptionem; quia pigmentaria ars et pulmentaria videtur ordinari ad
delectationem; tamen non sunt ipsius delectationis factivae sed
delectabilium. |
|
#1496. — Ensuite (1153a23), il résout la cinquième raison. Il dit assez raisonnable qu'aucun plaisir ne soit l'œuvre d'un art. C'est qu'en effet, à parler en vérité et proprement, le plaisir suit l'opération, pas la production. Or c'est la production que l'art assure, parce qu'il est la raison droite des [choses] à produire, comme on le dit au sixième [livre] (#1153, 1160, 1166); il n'est donc pas au principe d'une opération, mais d'une puissance dont procède ensuite une opération. Mais on pourrait aussi résoudre en cassant l'inférence, car les arts culinaire et de la peinture sont manifestement ordonnés au plaisir; mais cependant ils ne produisent pas le plaisir lui-même mais ce qui plaît. |
[74201] Sententia Ethic., lib. 7 l. 12 n. 15 Deinde cum dicit temperatum autem etc., solvit simul
secundam, tertiam et sextam rationem. Et dicit quod hoc quod temperatus fugit
delectationes (quod erat secunda ratio) et hoc quod prudens quaerit vitam
sine tristitia (quod erat tertia ratio) et hoc quod pueri et bestiae quaerunt
delectationes (quod erat sexta ratio), omnia habent eandem solutionem. Dictum
est enim quod quaedam delectationes sunt bonae simpliciter, et quomodo non
omnes sunt tales. Et huiusmodi delectationes, quae scilicet non sunt bonae
simpliciter quaerunt pueri et bestiae, et harum tristitiam fugit prudens. Et
loquimur de corporalibus delectationibus quae sunt cum concupiscentia et tristitia.
Et tales sunt huiusmodi delectationes, scilicet non bonae simpliciter. Et
secundum harum superabundantias dicitur aliquis intemperatus. Unde et hae
sunt illae delectationes quas temperatus fugit. Sunt autem quaedam
delectationes propriae temperati, prout scilicet in operatione propria
delectatur; et has non fugit, sed quaerit. |
|
#1497. — Ensuite (1153a27), il résout ensemble la seconde, la troisième et la sixième raison. Il dit que le fait que le tempérant fuit les plaisirs — ce qui constituait la seconde raison —, le fait que le prudent cherche la vie sans tristesse — ce qui constituait la troisième raison — et le fait que les enfants et les bêtes recherchent les plaisirs — ce qui constituait la sixième raison — reçoivent tous la même solution. Il a été dit, en effet, que certains plaisirs sont bons de manière absolue, et comment ils ne sont pas tous tels. Or ce sont des plaisirs de cette sorte, de ceux qui ne sont pas bons de manière absolue, que recherchent les enfants et les bêtes, et dont le prudent fuit la tristesse. Nous parlons des plaisirs corporels, qui s'accompagnent de désir et de tristesse. Voilà ces plaisirs, ceux qui en sont pas bons de manière absolue. C'est d'après les excès de ceux-là qu'on est dit intempérant. Ce sont encore ces plaisirs que fuit le tempérant. Il y a, par ailleurs, des plaisirs propres au tempérant, dans la mesure où il tire plaisir de son opération propre; ceux-là, il ne les fuit pas, mais les recherche. |
|
|
|
Lectio
13 |
|
Leçon 13
|
[74202] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 1 Sed tamen quoniam et tristitia malum et cetera.
Postquam philosophus prosecutus est opiniones impugnantium delectationem et
solvit rationes eorum, hic ostendit contrariam veritatem. Et primo per
rationes ostensivas. Secundo ducendo ad inconveniens, ibi, manifestum autem
et quoniam et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quod delectatio
sit bonum. Secundo, quod aliqua delectatio sit optimum, ibi: optimum autem
nihil prohibet et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit rationem. Secundo
excludit quamdam responsionem, ibi, ut enim Speusippus et cetera. Dicit ergo
primo, quod confessum est ab omnibus quod tristitia est simpliciter malum
aliquid et fugiendum. Sed hoc dupliciter. Quaedam enim tristitia est
simpliciter malum, sicut tristitia quae est de bono, quaedam autem est mala
secundum quid, inquantum scilicet est impeditiva boni. Quia etiam tristitia
quae est de malo impedit animum ne prompte et expedite operetur bonum. |
|
#1498. — Après avoir cerné les opinions qui s'attaquent au plaisir et avoir résolu leurs raisons, le Philosophe montre ici la vérité contraire. En premier (1153b1), avec des raisons directes. En second (1154a1), en réduisant à un inconvénient. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le plaisir est un bien. En second (1153b7), qu'il y a un plaisir qui est le meilleur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la raison. En second (1153b4), il exclut une réponse. Il dit donc, en premier, qu'il est admis de tous que la tristesse est de manière absolue un mal et à fuir. Mais cela de deux manières. Certaine tristesse, en effet, est mauvaise de manière absolue, comme la tristesse qui porte sur le bien; certaine, par ailleurs, est mauvaise sous un certain [aspect], en tant qu'elle met obstacle au bien. Car même la tristesse en réaction au mal empêche l'âme d'opérer promptement et résolument le bien. 267 |
[74203] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 2 Manifestum est autem quod ei quod est malum et fugiendum
invenitur duplex contrarium. Unum quidem quod est fugiendum et malum. Aliud
autem quod est bonum. Sicut timiditati quae est mala contrariatur fortitudo
tamquam bonum et audacia tamquam malum. Tristitiae autem contrariatur
delectatio. Unde concludit necesse esse quod delectatio sit quoddam bonum. |
|
#1499. — Il est manifeste, toutefois, que c'est de deux manières qu'on trouve un contraire à ce qui est mauvais et à fuir. L'un des deux est aussi à fuir et mauvais. L'autre, néanmoins, est bon. Ainsi, pour la timidité, qui est mauvaise, le courage tient lieu de contraire, en tant que bien, et l'audace, en tant que mal. Pour la tristesse, par ailleurs, le plaisir tient lieu de contraire comme un bien; aussi, il conclut que, nécessairement, le plaisir est un bien. |
[74204] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 3 Deinde cum dicit: ut enim Speusippus etc., excludit
quamdam solutionem praedictae rationis. Videbatur enim praedicta ratio non
valere: eo quod concludit a disiunctiva ad alteram eius partem: scilicet si
fugibili contrariatur bonum vel fugibile, quod delectatio quae contrariatur
tristitiae fugibili sit aliquid bonum. |
|
#1500. — Ensuite (1153b4), il exclut une solution pour la raison qui précède. En effet, la raison qui précède ne valait manifestement pas, du fait qu'elle conclut d'une disjonctive à sa contrepartie: à savoir, si à une [chose] à fuir contrarie soit un bien soit une [autre chose] à fuir, manifestement un plaisir qui contrarie une tristesse à fuir est un bien. |
[74205] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 4 Et ideo Speusippus, qui fuit nepos et successor
Platonis in schola, solvebat dicens, quod sicut maius contrariatur minori et
aequali, ita tristitia contrariatur delectationi non quidem tamquam aequali,
sed sicut maius minori aut e converso, id est non sicut malum extremum bono
medio, sed sicut unum malum extremum alteri, puta quod est in defectu ei quod
est in excessu aut e converso. |
|
#1501. — C'est pourquoi Speusippe, qui fut neveu et successeur de Platon dans l'école, résolvait en disant que le plus grand contrarie à la fois le plus petit et l'égal, et que de même la tristesse contrarie le plaisir non certes en tant qu'égal, mais comme le plus le plus petit et inversement. Et non comme le mal extrême [contrarie] le bien milieu, mais comme un mal extrême [contrarie] l'autre, par exemple, ce qui est en défaut ce qui est en excès, ou inversement. |
[74206] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 5 Sed Aristoteles dicit, hanc solutionem non esse
convenientem: quia sequeretur quod delectatio esset vere malum, scilicet
secundum suam propriam rationem, sicut superabundantia vel defectus. Sed hoc
nullus dicit. |
|
#1502. — Mais Aristote dit que cette solution ne convient pas, car il s'ensuivrait que le plaisir serait vraiment un mal, à savoir, de par sa raison propre, comme l'excès ou le défaut. Mais cela, personne ne le dit. |
[74207] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 6 Platonici enim, quorum erat haec opinio quod delectatio
non sit bonum, non ponebant quod delectatio sit malum simpliciter et secundum
se, sed negabant eam esse bonum aliquid, in quantum est quiddam imperfectum
vel impeditivum virtutis, sicut patet ex processu praemissarum rationum. |
|
#1503. — En effet, les Platoniciens, dont provenait cette opinion, que le plaisir n'est pas un bien, ne posaient pas que le plaisir est un mal de manière absolue et par soi, mais niaient qu'il soit un bien, en tant qu'il est quelque chose d'imparfait ou un obstacle à la vertu, comme cela ressort de l'articulation des raisons précédentes. |
[74208] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 7 Deinde cum dicit: optimum autem etc., ostendit quod
aliqua delectatio sit optimum. Et primo ostendit propositum. Secundo assignat
causam erroris, ibi: sed et assumpserunt et cetera. Primum ostendit duabus
rationibus, quarum secunda incipit ibi: et persequi autem omnia et cetera.
Circa primum duo facit. Primo ponit rationem. Secundo manifestat quod dixerat
per quaedam signa, inferendo quaedam corollaria ex dictis, ibi, et propter
hoc omnes et cetera. Circa primum duo facit. Primo excludit quandam rationem
contrariam. Videntur enim quaedam delectationes esse pravae, ex quo posset
aliquis aestimare quod delectatio non sit aliquid optimum. Sed ipse dicit
quod hoc nihil prohibet quin delectatio sit optimum, sicut etiam videmus quod
aliqua scientia est optima, scilicet sapientia, ut in sexto dictum est, et
tamen quaedam scientiae sunt pravae, non quidem inquantum sunt scientiae, sed
propter aliquem defectum quem habent vel ex defectu principiorum, quia
scilicet procedunt ex falsis principiis, vel ex defectu materiae, sicut patet
in scientiis operativis, quarum usus inducit ad malum. |
|
#1504. — Ensuite (1153b7), il montre qu'un plaisir est le meilleur bien. En premier, il montre son propos. En second (1153b33), il donne la cause de l'erreur. Il montre le premier [point] avec deux raisons, dont la seconde commence plus loin (1153b25). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la raison. En second (1153b14), il manifeste ce qu'il avait dit avec certains signes, en inférant des corollaires de ce qui a été dit. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il exclut une raison en sens contraire. Certains plaisirs, en effet, sont manifestement dépravés, partant de quoi on peut penser que le plaisir n'est pas un bien optimal. Mais lui-même dit que cela n'empêche en rien que le plaisir ne soit le meilleur bien, comme aussi nous voyons qu'une science est la meilleure, à savoir, la sagesse, comme il a été dit au sixième [livre] (#1184), alors que, cependant, certaines sciences sont dépravées, non, certes, en tant qu'elles sont des sciences, mais à cause d'un défaut qu'elles ont ou d'un défaut de leurs principes, soit qu'elles procèdent de principes faux, ou en raison d'un défaut de matière, comme il appert dans les sciences actives dont l'usage conduit au mal. |
[74209] Sententia
Ethic., lib. 7 l. 13 n. 8 Secundo ibi: forte autem
necessarium etc., inducit rationem ad propositum. Et dicit quod uniuscuiusque habitus sunt operationes
aliquae non impeditae. Felicitas autem est operatio non impedita, vel omnium
bonorum habituum vel alicuius eorum, ut patet ex his quae in primo dicta
sunt. Unde necessarium est, huiusmodi operationes non impeditas esse per se
appetibiles. Operatio autem non impedita est delectatio, ut supra dictum est.
Unde consequens est quod aliqua delectatio sit optimum, illa scilicet in qua
consistit felicitas, licet multae delectationes sint pravae, etiam si
contingat quod sint pravae simpliciter. |
|
#1505. — En second (1053b9), il introduit sa raison pour son propos. Il dit que pour chaque habitus il y a des opérations non contrariées. Le bonheur, par ailleurs, est une opération non contrariée, soit de tous les bons habitus, soit de n'importe lequel d'entre eux, comme il appert dans ce qui a été dit au premier [livre] (#118-130). Aussi, nécessairement, ce type d'opérations non contrariées est par soi désirable. Or l'opération non contrariée, c'est le plaisir, comme il a été dit plus haut (#1492-1493). Aussi, il s'ensuit qu'un plaisir soit le meilleur; c'est celui-là en lequel consiste le bonheur, bien que de nombreux plaisirs soient dépravés de manière absolue. |
[74210] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 9 Deinde cum dicit: et propter hoc omnes etc., manifestat
quod dixerat per signa, inducendo tria corollaria. Quorum primum est, quod
quia operatio non impedita est felicitas, et hoc etiam delectationem causat,
inde est quod omnes aestimant vitam felicem esse delectabilem et
rationabiliter adiungunt delectationem felicitati. Quia nulla operatio
perfecta est impedita. Felicitas autem est perfectum bonum, ut in primo
ostensum est. Unde est operatio non impedita, quod delectationem causat. |
|
#1506. — Ensuite (1153b14), il manifeste avec des signes ce qu'il avait dit, en apportant trois corollaires. Le premier en est que, parce qu'une opération non contrariée est le bonheur, et que cela produit aussi du plaisir, il s'ensuit que tous pensent que la vie heureuse est plaisante. C'est raisonnablement qu'ils ajoutent le plaisir au bonheur, car aucune opération parfaite ne se laisse contrarier. Le bonheur, par ailleurs, est un bien parfait, comme il a été montré au premier [livre] (#111, 112, 117, 118, 201, 222). Aussi, il est une opération non contrariée, parce qu'il produit du plaisir. 268 |
[74211] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 10 Ex hoc autem concludit ulterius ibi: propter quod
indiget etc., quod quia felicitas est operatio non impedita, felix indiget
bonis corporis, puta sanitate et incolumitate et bonis exterioribus, quae
dicuntur bona fortunae, ut per horum defectum non impediatur felix in sua
operatione. Illi autem qui dicunt, si homo est virtuosus est felix, etiam si
circumferatur et subdatur magnis infortuniis, nihil rationabile dicunt, sive
hoc dicant volentes, quasi interius huic dicto assentientes, sive hoc dicant
nolentes, quasi per rationem coacti contra id quod eis videtur; et innuit
Stoicos, quorum erat ista opinio. |
|
#1507. — De cela, par ailleurs, il conclut par la suite (1153b17) que, parce que le bonheur est une opération non contrariée, l'[homme] heureux a besoin des biens du corps, par exemple, de la santé et de la conservation, et des biens extérieurs, qu'on appelle biens de fortune, de façon que leur défaut ne contrarie pas l'[homme] heureux dans son opération. Ceux, par ailleurs, qui prétendent que si on est vertueux on est heureux, même si on est assailli et écrasé par de grandes infortunes, ne disent rien de raisonnable, qu'ils le disent volontiers, parce qu'adhérant avec leur intelligence à cet énoncé, ou qu'ils le disent sans le vouloir, comme forcés par la raison contre ce qui leur est manifeste; là, il pointe les Stoïciens, dont c'était l'opinion. |
[74212] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 11 Tertium corollarium infert ibi, propter indigere autem
et cetera. Et dicit, quod quia felicitas indiget bona fortuna, quibusdam
visum est quod idem sit felicitas et bona fortuna: quod tamen non est verum.
Quia ipsa superexcellentia bonorum fortunae est impeditiva felicitatis,
inquantum scilicet aliqui per hoc impediuntur ab operatione virtutis, in qua
consistit felicitas, et tunc non est iustum quod talis superexcellentia
vocetur bona fortuna; quia terminus, idest finis, vel ratio bonae
fortunae est per comparationem ad felicitatem, ut scilicet in tantum dicatur
bona in quantum iuvat ad felicitatem. |
|
#1508. — Il infère ensuite son troisième corollaire (1153b21). Il dit que parce que le bonheur a besoin des biens de fortune, il a paru manifeste à d'aucuns que c'est la même [chose] que le bonheur et la chance; cela, cependant, n'est pas vrai, car l'excès même des biens de la fortune contrarie le bonheur; à cause de cela, en effet, certains sont empêchés de faire œuvre de vertu, en quoi consiste le bonheur. Alors, il n'est pas juste qu'un tel excès soit appelé bonne fortune; parce que le terme, c'est-à-dire la fin ou la définition de la bonne fortune se prend par comparaison au bonheur. |
[74213] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 12 Deinde cum dicit: et persequi autem omnia etc., ponit
secundam rationem, ad ostendendum quod felicitas sit aliquid optimum. Et
sumitur per quoddam signum. Unde primo ponit ipsum. Et dicit quod hoc quod
omnia persequuntur, idest quaerunt delectationem, est quoddam signum quod
aliqualiter delectatio sit optimum. Illud enim in quod omnes vel plures
consentiunt, non potest esse omnino falsum. Unde in proverbio dicitur, quod
non perditur omnino fama, quae apud multos populos divulgatur. Et huius ratio
est, quia natura non deficit, neque in omnibus neque in pluribus, sed solum
in paucioribus. Unde id quod invenitur ut in omnibus aut in pluribus videtur
esse ex inclinatione naturae, quae non inclinat neque ad malum neque ad
falsum. Et sic videtur, quod delectatio, in quam concurrit omnium appetitus,
sit aliquid optimum. |
|
#1509. — Ensuite (1053b25), il apporte sa seconde raison, pour montrer que le bonheur soit un bien le meilleur. On y arrive avec un signe. Aussi, en premier, il le présente. Il dit que le fait que tous poursuivent, c'est-à-dire recherchent, le plaisir, est un signe que, d'une certaine manière, le plaisir est le meilleur bien. En effet, ce en quoi tous ou la plupart s'entendent ne peut être tout à fait faux. Aussi dit-on en proverbe que ce ne peut être tout à fait rien qui acquière une réputation auprès de beaucoup de peuples. La raison en est que la nature ne fait jamais défaut en tous ni en la plupart, mais seulement en quelques-uns. Aussi, ce qui se trouve chez tous ou la plupart est manifestement dû à l'inclination de leur nature, qui n'incline ni au mal ni au faux. Ainsi, il semble que le plaisir, auquel tend l'appétit de tous, est un bien le meilleur. |
[74214] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 13 Secundo ibi: sed quia non eadem etc., excludit quiddam
quod possit reputari contrarium, scilicet quod non omnes appetunt contrarium,
quod scilicet non omnes appetunt eamdem delectationem. Sed ipse ostendit, per
hoc non impediri principale propositum, duplici ratione. Primo quidem, quia
non est eadem natura et habitus optimus omnium neque secundum veritatem neque
secundum apparentiam, alia est enim optima dispositio hominis, alia equi.
Item alia iuvenis, alia senis. Et quia unicuique est delectabile id quod est
sibi conveniens, inde est, quod non omnes appetunt eamdem delectationem,
quamvis omnes appetant delectationem. Quia scilicet delectatio est optimum
omnibus, sed non eadem; sicut nec eadem dispositio naturae est omnibus
optima. |
|
#1510. — En second (1153b29), il exclut quelque chose que l'on pourrait tenir pour contraire, à savoir, que pas tous ne désirent le même plaisir. Mais Aristote montre, avec une double raison, que le propos principal ne se voit pas contrarié par cela. En premier, certes, parce que ce n'est pas la même nature et le même habitus qui est le meilleur pour tous, ni en vérité ni en apparence. En effet, autre est la meilleure disposition de l'homme, autre [celle] du cheval. De plus, autre [celle] du jeune, autre [celle] du vieux. Comme il y a quelque chose de plaisant qui convient à chacun, il s'ensuit que pas tous ne désirent le même plaisir, quoique tous désirent le plaisir. C'est que le plaisir est le meilleur bien pour tous, mais non pas le même; ainsi, la même disposition de nature n'est pas la meilleure pour tous. |
[74215] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 14 Secundam rationem ponit ibi, forte autem et cetera. Et
potest dici quod omnes homines appetunt eamdem delectationem secundum
naturalem appetitum, non tamen secundum proprium iudicium; non enim omnes
existimant corde, neque dicunt ore eamdem delectationem esse optimam, natura
tamen omnes inclinat in eandem delectationem sicut in optimam, puta in contemplationem
intelligibilis veritatis, secundum quod omnes homines natura scire
desiderant. Et hoc contingit, quia omnia habent naturaliter in se ipsis
quiddam divinum, scilicet inclinationem naturae, quae dependet ex
principio primo; vel etiam ipsam formam, quae est huius inclinationis
principium. |
|
#1511. — Il présente ensuite sa seconde raison (1053b31). Il dit qu'on peut dire que tous les hommes désirent le même plaisir selon leur appétit naturel, non cependant selon leur jugement propre. Car pas tous ne pensent de cœur ni ne disent de bouche que le même plaisir est le meilleur. Naturellement, cependant, tous sont inclinés au même plaisir comme au meilleur, par exemple, à la contemplation de la vérité intelligible, selon que tous les hommes désirent par nature savoir. Cela arrive parce que toutes [choses] ont en elles-mêmes quelque chose de divin, à savoir, une inclination de nature, qui dépend du principe premier; ou même la forme elle-même, qui est le principe de cette inclination. |
[74216] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 15 Deinde cum dicit: sed et assumpserunt etc., assignat
rationem, quare aliqui opinati sunt delectationem non esse bonum aut optimum.
Et dicit, quod ratio huius est, quia corporales delectationes assumpserunt
sibi, quasi hereditarie nomen delectationis propter hoc, quod frequentius
inclinamur in ipsas, utpote adiunctas necessariis vitae et quia omnes
participant ipsas, utpote sensibiles et omnibus notas. Et quia ipsae solae
sunt cognitae communiter ab omnibus, propter hoc existimant has solas esse
delectationes. Et ideo, quia huiusmodi delectationes non sunt optimae,
existimant quidam, quod delectatio non sit optimum. |
|
#1512. —Ensuite (1053b33), il donne la raison pour laquelle certains ont pensé que le plaisir n'est pas un bien, ni le meilleur bien. Il dit que la raison en est que les plaisirs corporels ont pris pour eux, comme en héritage, le nom de plaisir, en raison du fait que c'est à eux, le plus fréquemment, que nous sommes inclinés, étant donné qu'ils sont adjoints aux nécessités de la vie et que tous y participent, puisque sensibles et connus de tous. Parce qu'eux seuls sont connus communément, pour cette raison, on pense qu'eux-seuls sont des plaisirs. C'est pourquoi, comme des plaisirs de ce type ne sont pas les meilleurs, certains pensent que le plaisir n'est pas le meilleur bien. |
[74217] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 16 Deinde cum dicit manifestum autem et quoniam etc.,
ostendit propositum ducendo ad inconveniens. Ducit autem ad tria
inconvenientia. Quorum primum est, quod si delectatio et operatio
delectabilis non sit quoddam bonum, sequetur quod felix non vivat
delectabiliter. Cum enim felicitas sit per se bona, non requireret
delectationem vita felicis, si delectatio non esset quoddam bonum. |
|
#1513. — Ensuite (1154a1), il montre son propos en menant à l'absurde. Il conduit à trois inconvénients. Le premier en est que si le plaisir et l'opération plaisante n'est pas un bien, il s'ensuit que l'[homme] heureux ne vit pas de manière plaisante. Comme, en effet, le bonheur ne serait pas par soi bon, la vie de l'[homme] heureux ne requerrait pas le plaisir, si le plaisir n'était pas un bien. 269 |
[74218] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 17 Secundo ibi: sed et triste etc., et dicit, quod si
delectatio non sit aliquod bonum, continget quod vivere in tristitia non sit
aliquod malum. Si enim delectatio non sit neque bona neque mala, sequeretur
idem de tristitia quae ei contrariatur. Et sic tristitia non esset fugienda. |
|
#1514. — Ensuite (1154a3), il dit que si le plaisir n'est pas un bien, il se trouve que vivre dans la tristesse ne soit pas un mal. Si, en effet, le plaisir n'est ni bon ni mauvais, il s'ensuit la même [chose] pour la tristesse qui lui est contraire. Ainsi, la tristesse ne serait pas à fuir. |
[74219] Sententia Ethic., lib. 7 l. 13 n. 18 Tertio ibi: neque utique etc., ducit ad tertium
inconveniens. Sequetur enim quod vita virtuosi non sit delectabilis, si
operationes eius non sunt delectabiles; quod iam esset si delectatio non
esset aliquid bonum. Manifestum est enim quod virtus est operativa boni. |
|
#1515. — En troisième (1154a5), il conduit au troisième inconvénient. Il s'ensuit que la vie de l'[homme] vertueux ne soit pas plaisante, si ses opérations ne plaisent pas; ce qui serait déjà le cas, si le plaisir n'était pas un bien. Il est manifeste, en effet, que la vertu produit le bien. |
|
|
|
Lectio
14 |
|
Leçon 14
|
[74220] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 1 De corporalibus utique
delectationibus et cetera. Postquam philosophus determinavit de delectatione
et tristitia in generali, hic specialiter determinat de corporalibus
delectationibus circa quas est continentia et incontinentia. Et circa hoc
tria facit. Primo proponit intentum. Secundo movet dubitationem, ibi, propter
quid igitur et cetera. Tertio assignat causam quorumdam, quae accidunt circa
delectationes, ibi, non semper autem et cetera. Dicit ergo primo, quod post
ea quae dicta sunt de delectatione in communi, intendendum est nobis de
corporalibus delectationibus, ut dicamus, quod quaedam delectationes sunt valde
eligibiles, scilicet illae quae sunt naturaliter bonae, corporales
autem delectationes, circa quas aliquis fit intemperatus, non sunt tales. |
|
#1516. Après avoir traité du plaisir et de la tristesse en général, le Philosophe traite ici des plaisirs corporels, sur lesquels portent la continence et l'incontinence. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier (1154a8), il propose son propos. En second (1154a10), il soulève une difficulté. En troisième (1154b20), il donne la cause de certaines [choses] qui arrivent à propos des plaisirs. Il dit donc, en premier, qu'après ce qui a été dit sur le plaisir en général (#1473-1515), nous devons tourner notre intention vers les plaisirs corporels aussi, de manière à dire que certains plaisirs sont éligibles au plus haut point, à savoir, ceux qui sont naturellement bons. Cependant, ce n'est pas le cas des plaisirs corporels, à propos desquels on devient intempérant. |
[74221] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 2 Deinde cum dicit: propter
quid igitur etc., movet dubitationem contra praedicta. Et primo proponit
dubitationem; secundo solvit eam, ibi, vel sic bonae et cetera. Tertio
assignat causam dictorum, ibi, quia autem non solum oportet et cetera. Est
autem circa primum considerandum, quod philosophus supra, ad probandum
delectationem esse bonum, sumpsit argumentum a malitia tristitiae et quia
tunc dixerat corporales delectationes non esse bonas, resumit idem medium pro
obiectione. Si enim malo contrariatur bonum, remanet dubitatio, ex quo
delectationes corporales dicuntur esse non bonae, quare contrariae tristitiae
sint malae. |
|
#1517. — Ensuite (1154a10), il soulève une difficulté sur ce qui précède. En premier, il présente la difficulté. En second (1154a11), il la résout. En troisième (1154a22), il donne la cause de ce qu'il a dit. Sur le premier [point], il y a à considérer que le Philosophe, plus haut (#1498-1499), pour prouver que le plaisir est un bien, a tiré argument de la malice de la tristesse. Parce qu'il avait dit, alors, que les plaisirs corporels ne sont pas bons, il reprend le même moyen [terme] en guise d'objection. Car si le bien contrarie le mal, il reste une difficulté, si on prétend que les plaisirs corporels ne sont pas bons: pourquoi les tristesses contraires seraient-elles mauvaises? |
[74222] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 3 Deinde cum dicit vel sic
bonae etc., solvit obiectionem dupliciter. Primo enim dicit, quod
delectationes corporales sunt aliqualiter bonae, inquantum scilicet sunt
necessariae ad depellendas contrarias tristitias. Quia et per hunc modum omne
illud quod non est malum in sua natura potest dici bonum. |
|
#1518. — Ensuite (1154a11), il résout l'objection de deux manières. En premier, en effet, il dit que les plaisirs corporels sont d'une certaine manière bons, pour autant qu'ils sont nécessaires en vue de repousser les tristesses contraires. Car, de cette manière, on peut aussi dire bon tout ce qui n'est pas mauvais de sa nature. |
[74223] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 4 Secundam solutionem ponit
ibi, vel usque ad hoc et cetera. Et dicit, quod delectationes corporales sunt
quidem bonae, non autem absolute sed usque ad hoc, id est usque ad
certum terminum. Et huius rationem assignat. Cum enim omnis delectatio
consequatur habitum aliquem et motum sive operationem, oportet quod si
habituum et motuum sive operationum non potest esse superabundantia
melioris, idest superexcessus a bono, quod neque delectationis
consequentis posset esse superexcessus, sicut huius operationis quae est
contemplatio veritatis, non potest esse superexcessus melioris, quia quanto
plus aliquis veritatem contemplatur, tanto melius est; unde et delectatio
consequens est bona absolute, et non solum usque ad aliquam mensuram. Si
autem habituum et motuum sive operationum sit superexcessus melioris, ita
etiam se habebit et circa delectationem consequentem. Manifestum est autem,
quod circa corporalia bona potest esse superabundantia melioris. |
|
#1519. — Il présente ensuite sa seconde solution (1154a13). Il dit que les plaisirs corporels sont certes bons, non pas de manière absolue, toutefois, mais jusque là, c'est-à-dire jusqu'à un certain point. Il en donne la raison. Comme, en effet, tout plaisir suit un habitus, et un mouvement ou une opération, nécessairement, quand, pour les habitus [concernés], et pour les mouvements ou les opérations [concernés], il ne peut y avoir d'excès de mieux, c'est-à-dire d'excès de bien, il ne peut non plus y avoir d'excès pour le plaisir qui s'ensuit; ainsi, pour cette opération que constitue la contemplation de la vérité, il ne peut y avoir d'excès de mieux, parce que plus on contemple la vérité, d'autant meilleur on est; aussi, même le plaisir qui s'ensuit est bon de manière absolue, et non seulement dans une certaine mesure. Quand, par ailleurs, pour les habitus, et les mouvements ou les opérations [concernés], il y a excès de mieux, il en ira de même aussi pour le plaisir qui s'ensuit. Or il est manifeste que, pour les biens corporels, il peut y avoir excès de mieux. |
[74224] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 5 Et huius signum est, quod
ex hoc aliquis dicitur pravus quod horum bonorum superabundantiam quaerit,
etiam si nulli alii noceat. Non tamen ex hoc ipso, quod quaerit corporalia
bona et delectatur in eis est pravus, quia omnes homines aliqualiter gaudent
pulmento et vino et venereis: sed ex hoc vituperantur aliqui, quod gaudent in
eis, non secundum quod oportet. Ex quo patet, quod delectatio corporalis est
bona usque ad aliquam mensuram, superabundantia autem ipsius est mala. |
|
#1520. — Le signe en est que, du fait de chercher à l'excès ces biens, on est dit dépravé, même si on ne nuit à personne. Mais on n'est pas dit dépravé, cependant, du fait même que l'on recherche des biens corporels, et qu'on y prend plaisir; car tous tirent quelque joie de la bonne chère, du vin et du sexe, mais certains sont blâmés de ce qu'ils en tirent joie autrement qu'il ne faut. De là, il appert que le plaisir corporel est bon dans une certaine mesure, mais que son excès est mauvais. |
[74225] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 6 E contrario autem se habet
in tristitia; quia non solum eius superabundantiam fugit virtuosus, sed
totaliter omnem tristitiam. Tristitia enim non est contraria superabundantiae
delectationis corporalis, quia sic aliquis non tristaretur nisi de maximo
recessu a superabundantia delectationum. Quae quidem tristitia non multum
vituperabilis esset, sed aliqualiter toleranda. Sed magis tristitia inhaeret
ei, qui persequitur superabundantiam delectationum. Ex hoc enim contingit,
quod ex modico defectu delectabilium tristatur. Et inde est, quod sicut
superabundantia delectationum corporalium est mala, ita et tristitia. |
|
#1521. — Cependant, il en va au contraire de la tristesse, car c'est non seulement son excès que fuit le vertueux, mais toute tristesse entièrement. La tristesse, en effet, n'est pas contraire à l'excès du plaisir 270 corporel, car alors on ne s'attristerait que d'un retrait excessif de l'excès des plaisirs. Certes, la tristesse, alors, ne serait pas très blâmable, mais à tolérer, d'une certaine manière. En fait, la tristesse touche davantage celui qui poursuit à l'excès des plaisirs. C'est pour cela, en effet, qu'il arrive que l'on s'attriste d'un léger manque de plaisirs. Il vient de là aussi que, de même que l'excès des plaisirs corporels est mauvais, de même aussi la tristesse. |
[74226] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 7 Deinde cum dicit: quia
autem etc., assignat rationem praedictorum. Et primo dicit de quo est
intentio. Secundo exequitur propositum, ibi, primum quidem utique et cetera. Dicit ergo primo,
quod non solum oportet dicere solutionem obiectionis, sed assignare causam
falsitatis quae erat in obiectione. Hoc enim multum confert ad hoc quod fides
adhibeatur veritati. Cum enim appareat ratio propter quam videtur esse verum
illud quod non est verum, hoc facit magis credere veritati. Et ideo dicendum
est, quare corporales delectationes videantur multis esse eligibiliores aliis
delectationibus, cum tamen illae sint bonae absolute, corporales autem solum
usque ad aliquam mensuram. |
|
#1522. — Ensuite (1154a22), il donne la raison de ce qui précède. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (1154a26), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, qu'il faut non seulement dire la solution de la difficulté, mais aussi donner la cause de la fausseté présente dans l'objection, car cela aide beaucoup à faire adhérer à la vérité. Quand, en effet, apparaît la raison pour laquelle paraît vrai ce qui n'est pas vrai, cela fait davantage adhérer à la vérité. C'est pourquoi il faut dire pourquoi les plaisirs corporels donnent tellement l'impression à la plupart d'être plus éligibles que les autres plaisirs, alors que cependant ceux-là sont bons de manière absolue, tandis que les corporels le sont seulement dans une certaine mesure. |
[74227] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 8 Deinde cum dicit: primum
quidem igitur etc., exequitur propositum. Et primo assignat rationem quare
delectationes corporales videantur magis appetibiles. Secundo assignat
rationem quare aliae sint magis appetibiles secundum rei veritatem, ibi: quae
autem sine tristitia et cetera. Circa primum assignat duas rationes. Quarum
secunda ponitur ibi: adhuc persecutae sunt et cetera. Circa primum duo facit.
Primo assignat rationem quare delectationes corporales videantur magis
appetibiles. Secundo assignat rationem quare delectationes non videantur
bonae universaliter, ibi, et non studiosum utique et cetera. Dicit ergo
primo, quod prima ratio quare delectationes corporales videantur esse magis
eligibiles est quia expellunt tristitiam; et quia delectatio corporalis
propter sui superabundantiam est medicina contra tristitiam. Non enim
quacumque delectatione tristitia tollitur, sed vehementi, inde est quod
homines quaerunt delectationem superabundantem et corporalem, cui tristitia
contrariatur. Delectationi autem intellectuali, puta quae est in
considerando, non contrariatur aliqua tristitia; quia non est in fieri, sed
in facto esse, ut supra dictum est. |
|
#1523. — Ensuite (1154a26), il exécute son propos. En premier, il donne la raison pour laquelle les plaisirs corporels paraissent tellement plus désirables. En second (1154b15), il donne la raison pour laquelle d'autres sont plus désirables selon la vérité de la chose. Sur le premier [point], il donne deux raisons. La seconde est présentée plus loin (1154b2). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il donne la raison pourquoi les plaisirs corporels paraissent plus désirables. En second (1154a31), il donne la raison pour laquelle les plaisirs corporels paraissent d'une manière universelle ne pas être bons. Il dit donc, en premier, que la première raison pour laquelle les plaisirs corporels paraissent plus éligibles est qu'ils chassent la tristesse. Et parce que le plaisir corporel, dans son excès, sert de médecine contre la tristesse. En effet, la tristesse ne s'enlève pas avec n'importe quel plaisir, mais en demande un violent: c'est pour cela que l'on recherche le plaisir excessif et corporel, auquel la tristesse tient lieu de contraire. Mais, pour le plaisir intellectuel, celui, par exemple, que l'on trouve à étudier, il n'existe pas de tristesse contraire; c'est qu'il ne se trouve pas dans un devenir, mais dans un fini, comme il a été traité plus haut. |
[74228] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 9 Ex hoc autem ipso quod
corporales delectationes sunt medicinae contra tristitias, videntur esse
vehementes, quia mensurantur non solum ex sui natura, sed etiam ex contrario
quod pellunt; et inde est quod valde quaeruntur, propter hoc quod magis
apparent iuxta suum contrarium positae, sicut delectatio potus magis apparet
si affuerit sitis. Et ideo illi qui quaerunt delectationem potus praeparant
sibi sitim per comestionem salsorum, ut magis in potu delectentur. |
|
#1524. — Du fait même, d'ailleurs, que les plaisirs corporels servent de médecines contre les tristesses, ils paraissent violents, parce qu'on les mesure non seulement à partir de leur nature, mais aussi à partir du contraire qu'ils chassent. Voilà pourquoi ils sont très recherchés, à cause de ce qu'ils paraissent plus, en présence de leur contraire, comme le plaisir de boire paraîtrait plus si on avait soif. C'est pourquoi ceux qui cherchent plaisir dans la boisson avivent leur soif par la comestion d'[aliments] salés, de façon à prendre davantage plaisir à boire. |
[74229] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 10 Deinde cum dicit: et non
studiosum utique etc., assignat rationem quare delectationes non videantur
bonae universaliter. Et dicit quod propter delectationes corporales, sicut
etiam supra dictum est, visum fuit quibusdam quod delectatio non esset
aliquid bonum. In delectationibus enim corporalibus duo inveniuntur. Quaedam
enim earum sunt pravae naturaliter, utpote consequentes pravas operationes,
quae quidem sunt appetibiles quibusdam ab ipsa sua nativitate, sicut bestiis
et bestialibus hominibus; quibusdam autem sunt appetibiles propter
consuetudinem, sicut delectationes pravorum hominum. Quaedam vero
delectationum corporalium sunt medicinae contra aliquem defectum. |
|
#1525. — Ensuite (1154a31), il donne la raison pour laquelle les plaisirs paraissent, de manière universelle, ne pas être un bien. Il dit qu'à l'occasion des plaisirs corporels, comme aussi il a été dit plus haut (#1512), «il a semblé à certains» que le plaisir n'était pas quelque chose de bon. Dans les plaisirs corporels, en effet, on trouve deux [situations]. Certains d'entre eux, en effet, sont dépravés naturellement, parce que faisant suite à des actions dépravées, qui sont désirables pour certains dès leur naissance, comme pour les bêtes et les hommes bestiaux, et [qui le] sont pour d'autres en raison d'une accoutumance, comme les plaisirs des hommes dépravés. Par contre, certains plaisirs corporels sont des médecines à un manque. |
[74230] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 11 Et huius signum est, quia
non sunt nisi indigentis. Non enim aliquis delectatur in cibo quo non indiget
et sic delectatio cibi est medicina contra tristitiam famis. Et manifestum
est quod melius est esse aliquem iam perfectum quam fieri. Huiusmodi autem
delectationes, quas dicimus esse medicinales, accidunt his qui perficiuntur,
non autem his qui iam sunt perfecti. Causantur enim ex hoc quod per
id quod sumitur tollitur naturae indigentia. Sic igitur patet quod non sunt
bonae secundum se, sed per accidens, inquantum scilicet sunt ad aliquid
necessariae. |
|
#1526. — Le signe en est qu'ils ne concernent que l'indigent. On ne prend pas plaisir à la nourriture, en effet, quand on n'en a pas besoin. Ainsi, le plaisir de la nourriture sert de médecine contre la tristesse de la faim. Il est manifeste qu'on est mieux déjà parfait qu'en devenir. Par ailleurs, des plaisirs de la sorte, que nous disons médicinaux, arrivent aux gens en voie vers leur perfection, mais non aux gens déjà parfaits. Leur cause, en effet, vient de ce que par leur moyen on satisfait au besoin de la nature. Ainsi donc, il devient évident qu'ils ne sont pas bons par soi, mais par accident, en tant qu'ils sont nécessaires à quelque chose. 271 |
[74231] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 12 Et has duas rationes
supra tetigit in duabus solutionibus. Nam illae delectationes excedunt
mensuram debitam quae consequuntur pravas operationes. Quia ergo corporales
delectationes non sunt secundum se bonae, cum tamen videantur magis
appetibiles, quidam aestimaverunt universaliter delectationes non esse bonas.
|
|
#1527. — Ces deux raisons, il les a touchées plus haut, en deux solutions (#1510-1511). En effet, les plaisirs qui font suite à des opérations dépravées dépassent la mesure due. Parce que, donc, les plaisirs corporels ne sont pas bons par soi, alors même qu'ils paraissent plus désirables, certains ont estimé de manière universelle que les plaisirs ne sont pas bons. |
[74232] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 13 Deinde cum dicit: adhuc
persecutae sunt etc., ponit secundam rationem. Et circa hoc duo facit. Primo
ponit rationem. Secundo manifestat quiddam quod supposuerat, ibi, etenim
multis et cetera. Dicit ergo primo, quod quia corporales delectationes sunt
vehementes, quaeruntur ab his qui non possunt aliis delectationibus gaudere,
scilicet ab hominibus qui solis sensibilibus inhaerent et delectationes
intellectuales non percipiunt. Et inde est quod tales homines praeparant
sibiipsis quamdam sitim talium delectationum, dum scilicet sponte seipsos
incitant ad earum concupiscentiam, sicut dictum est de illis qui comedunt
salsa, ut concupiscant potum. Et ideo, quia praedicti homines non habent alia
delectabilia in quibus recreentur, non est increpabile si corporales
delectationes accipiant, dum tamen tales delectationes non noceant, nec eis
nec aliis: si autem sint nocivae, hoc est pravum et increpabile, sicut patet
de delectatione adulterii vel cibi nocivi. |
|
#1528. — Ensuite (1154b2), il présente sa seconde raison. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la raison. En second (1154b6), il manifeste quelque chose qu'il avait supposé. Il dit donc, en premier, que parce que les plaisirs corporels sont violents, les recherchent ceux qui sont incapables de tirer joie d'autres plaisirs, à savoir, ceux qui adhèrent seulement aux [plaisirs] sensibles et ne perçoivent pas les plaisirs intellectuels. Voilà pourquoi ceux-là avivent en eux-mêmes la soif de tels plaisirs, c'est-à-dire qu'ils excitent eux-mêmes leur désir, comme on a dit de ceux qui mangent des salaisons, de manière à désirer boire. C'est pourquoi, comme les gens mentionnés n'ont pas d'autres objets de plaisir dans lesquels se recréer, il n'y a pas lieu à blâme s'ils s'adonnent aux plaisirs corporels, tant du moins que pareils plaisirs ne nuisent pas, ni à eux ni aux autres; s'ils deviennent nocifs, cependant, cela devient dépravé et blâmable, comme il appert du plaisir de l'adultère et de la nourriture dommageable. |
[74233] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 14 Deinde cum dicit: et enim
multis etc., assignat rationem cuiusdam quod supposuerat, scilicet quod omnes
homines indigeant aliqua delectatione recreari. Et primo assignat huiusmodi
rationem communiter quantum ad omnes; secundo quantum ad iuvenes, ibi,
similiter autem et cetera. Tertio quantum ad melancholicos, ibi, melancholici
autem et cetera. Dicit ergo primo, quod ideo non est increpabile, quod aliqui
utantur delectationibus corporalibus cum non habeant alias, quia indigent
eis, sicut medicina contra tristitias. Quantum enim ad multa, tristitia
advenit hominibus propter naturales motus et operationes. Semper enim animal
vigilans est in labore. Labor autem est contristativus, sicut naturales
sermones testantur. |
|
#1529. — Ensuite (1154b6), il donne la raison de quelque chose qu'il avait supposé, à savoir, que tous les gens ont besoin de se recréer avec du plaisir. En premier, il donne cette raison communément pour tous. En second (1154b9), pour les jeunes. En troisième (1154b11), pour les nerveux. Il dit donc, en premier, que la raison pour laquelle ce n'est pas un motif de blâme si certains usent de plaisirs corporels, quand ils n'en ont pas d'autres, c'est qu'ils en ont besoin, comme d'une médecine contre les tristesses. C'est en rapport à beaucoup [de choses], en effet, que la tristesse advient aux gens, à l'occasion de mouvements et d'opérations naturels. Toujours, en effet, le vivant éveillé est en travail. Or le travail porte à la tristesse, comme en attestent nos façons spontanées de parler. |
[74234] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 15 Qui dicunt quod videre et
audire ingerit tristitiam in quantum est laboriosum: ratione cuius animal
indiget quiete somni, ut dicitur in libro de somno et vigilia. Sed ideo non
percipimus huiusmodi tristitiam, quia iam sumus consueti continue eam pati.
Videre tamen et audire, etsi habeant laborem et tristitiam naturalem ex parte
organorum corporalium, habent tamen delectationem animalem ratione
cognitionis sensibilium. |
|
#1530. — Car on dit que de voir et d'entendre sans arrêt produit de la tristesse, tellement c'est du travail; c'est pourquoi l'animal a besoin du repos du sommeil, comme il est dit au livre Du songe et de la veille (ch. 1). La raison, toutefois, pour laquelle nous ne percevons pas ce type de tristesse, c'est que nous sommes désormais habitués à l'endurer continuellement. Voir, cependant, et entendre, même si cela comporte labeur et tristesse naturelle du côté des organes corporels, cela comporte toutefois du plaisir animal en raison de la connaissance [que cela donne] des [réalités] sensibles. |
[74235] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 16 Deinde cum dicit:
similiter autem etc., assignat rationem quare iuvenes maxime indigent
delectatione. Et dicit quod in iuvenibus propter augmentum sunt multae
commotiones spirituum et humorum sicut etiam accidit vinolentis. Et ideo
propter huiusmodi laborem, iuventus maxime quaerit delectationem. |
|
#1531. — Ensuite (1154b9), il donne la raison pour laquelle les jeunes surtout ont besoin de plaisir. Il dit que, chez les jeunes, en raison de leur croissance, il se passe beaucoup de commotions d'esprits et d'humeurs, comme il arrive aussi chez les gens ivres. C'est pourquoi, à cause de ce type de labeur, c'est la jeunesse qui recherche le plus le plaisir. |
[74236] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 17 Deinde cum dicit melancholici
autem etc., assignat rationem ex parte melancholicorum. Et dicit, quod
melancholici secundum naturalem dispositionem semper indigent medicina contra
tristitias, quia corpus eorum patitur corrosionem quamdam propter siccitatem
complexionis. Et ideo habent vehementem appetitum delectationis per quam
huiusmodi tristitia repellatur. Delectatio enim expellit tristitiam, non
solum contrariam, puta delectatio cibi tristitiam famis; sed si delectatio
sit fortis expellit quamcumque aliam tristitiam, quia omnibus tristitiis
contrariatur secundum genus, licet non secundum speciem. Et quia melancholici
vehementer appetunt delectationes, inde est quod plerumque fiunt intemperati
et pravi. |
|
#1532. — Ensuite (1154b11), il donne cette raison pour les nerveux. Il dit que les nerveux, d'après leur disposition naturelle, ont toujours besoin de médecine contre les tristesses, parce que leur corps souffre une usure spéciale en raison de la sécheresse de leur complexion. C'est pourquoi ils ont un violent appétit de plaisir avec lequel repousser ce type de tristesse. Le plaisir, en effet, repousse non seulement la tristesse contraire, [comme], par exemple, le plaisir de la nourriture [repousse] la tristesse de la faim; quand le plaisir est fort, il repousse parfois aussi une autre tristesse, parce qu'il contrarie en genre toutes les tristesses, même quand ce n'est pas en espèce. Comme, toutefois, les nerveux désirent violemment les plaisirs, voilà pourquoi, fréquemment, ils deviennent intempérants et dépravés. |
[74237] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 18 Deinde cum dicit: quae
autem sine tristitia etc., assignat rationem, quare delectationes
intellectuales secundum rei veritatem sint meliores. Et dicit quod quia
huiusmodi delectationes non habent contrariam tristitiam quam expellant, inde
est quod non habent superabundantiam ex qua reddantur vitiosae. Huiusmodi
enim delectationes sunt circa ea quae sunt delectabilia secundum sui naturam
et non secundum accidens. Et haec duo exponit. Primo quidem, quid sit
delectabile secundum accidens. Et dicit quod illa sunt delectabilia secundum
accidens quae delectant in quantum sunt medicativa. Quia enim dum aliquis
patitur sanationem, accidit quod sanum ibi aliquid operetur, propter hoc
videtur operatio esse delectabilis. Et inde est quod quando quaeruntur
huiusmodi delectabilia ultra necessitatem medicinae, sunt delectationes
inordinatae. Consequenter autem exponit, quod delectabilia secundum naturam
sunt illa quae faciunt operationem talis naturae. Unicuique enim naturae
delectabilis est operatio propria, cum sit eius perfectio. Et ideo homini
delectabilis est operatio rationis. |
|
#1533. — Ensuite (1154b15), il donne la raison pour laquelle les plaisirs intellectuels sont meilleurs, selon la vérité de la chose. Il dit que, parce que ce type de plaisirs ne comporte pas une tristesse contraire à repousser, il s'ensuit qu'ils ne comportent pas non plus d'excès par lequel ils deviennent vicieux. En effet, ce type de plaisirs portent sur ce qui plaît par nature et non par accident. Ici, il explique deux [choses]. En premier, bien sûr, ce qu'est ce qui plaît par accident. Il dit que cela plaît par accident, qui plaît comme médicament. Parce que, en effet, pendant que l'on guérit, par accident quelque chose, là, devient sain, à cause de cela l'opération paraît plaisante. Voilà pourquoi, quand on 272 cherche de type de plaisirs au-delà de la nécessité de la médecine, ce sont des plaisirs désordonnés. Par après, par ailleurs, il explique que ce qui plaît par nature, c'est ce qui fait une opération de telle nature. Pour chaque nature, en effet, son opération propre plaît, comme elle constitue sa perfection. Voilà pourquoi pour l'homme c'est l'opération de la raison qui plaît. |
[74238] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 19 Deinde cum dicit: non
semper autem etc., assignat rationem duorum quae accidunt circa delectationes
humanas. Quorum unum est quod nihil idem est semper delectabile homini. Et
huius rationem dicit esse, quia natura nostra non est simplex, sed est ex
multis composita et ex uno in aliud transmutabilis, inquantum subiacet
corruptioni. Et ideo, si homo secundum aliquam sui dispositionem agat aliquam
actionem sibi delectabilem, haec delectatio est praeternaturalis homini
secundum alteram eius dispositionem. Sicut contemplari est naturale homini
ratione intellectus, sed est praeternaturale homini ratione organorum
imaginationis, quae laborant in contemplando. Et ideo contemplatio non est
semper homini delectabilis. Et est simile de sumptione cibi quae est
naturalis corpori indigenti, praeter naturam autem corpori iam repleto. Cum
autem homo appropinquet ad contrariam dispositionem, tunc id quod prius erat
delectabile secundum praecedentem dispositionem, neque adhuc videtur triste,
quia nondum contraria dispositio totaliter advenit, neque videtur delectabile,
quia iam fere alia dispositio recessit. |
|
#1534. — Ensuite (1154b20), il donne la raison de deux [choses] qui se produisent à l'occasion des plaisirs humains. L'une, c'est que rien, en restant pareil, ne plaît toujours à l'homme. Il dit que la raison en est que notre nature n'est pas simple, mais composée, et transformable d'un état à un autre, en tant qu'elle est soumise à la corruption. C'est pourquoi, si quelqu'un, dans sa disposition à lui, fait une action plaisante pour lui, ce plaisir reste en dehors de sa nature pour quelqu'un dans une autre disposition. Ainsi, contempler, c'est naturel à l'homme en raison de son intelligence, mais en dehors de sa nature en raison des organes de l'imagination, que la contemplation fait travailler. C'est pourquoi la contemplation ne plaît pas toujours à l'homme. Il en va de même pour l'acte de manger, qui est naturel à celui qui a faim, mais en dehors de sa nature pour le corps déjà repu. D'ailleurs, quand on s'approche de la disposition contraire, ce qui, auparavant, dans la disposition précédente, plaisait, n'attriste pas encore, parce que la disposition contraire n'est pas encore tout à fait présente, ni ne plaît plus, parce que déjà l'autre disposition est presque disparue. |
[74239] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 20 Et ex hoc concludit
quoddam corollarium, ibi: quare si huius et cetera. Et dicit, quod si natura
alicuius rei delectantis esset simplex et immutabilis, semper eadem actio
esset sibi delectabilissima. Puta si homo esset solum intellectus, semper in
contemplando delectaretur. Et inde est quod, quia Deus est simplex et
immutabilis, semper gaudet una et simplici delectatione, quam scilicet habet
in contemplatione suiipsius. Non enim est operatio, quae delectationem
causat, solum in motu consistens, sed etiam in immobilitate; sicut patet de
operatione intellectus. Et illa delectatio quae est absque motu est maior
quam illa quae est in motu: quia illa quae est in motu est in fieri, illa
autem quae est in quiete est in esse perfecto, ut ex supra dictis patet. |
|
#1535. — Il conclut de cela un corollaire (1154b24). Il dit que, si la nature d'une chose plaisante était simple et immuable, ce serait la même action qui resterait la plus plaisante pour elle. Par exemple, si l'homme était seulement intellectuel, il aurait toujours plaisir à contempler. Voilà pourquoi, comme Dieu est simple et immuable, il tire toujours sa joie d'un seul et simple plaisir, celui qu'il prend dans la contemplation de lui-même. Car ce qui cause du plaisir, ce n'est pas seulement l'opération, toute entière dans le mouvement, mais [c'est] même [ce qui se tient] dans l'immobilité, comme il appert de l'opération de l'inteligence. Et ce plaisir hors du mouvement est plus grand que celui qui accompagne le mouvement. Car celui qui est dans le mouvement est en devenir, tandis que celui qui est dans le repos est dans l'être parfait, comme il appert de ce qui a été dit (#1523). |
[74240] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 21 Deinde cum dicit
transmutatio autem etc., assignat causam secundi accidentis circa
delectationes, quod scilicet transmutatio, secundum dictum cuiusdam poetae,
est maxime delectabilis hominibus. Et hoc dicit accidere propter quamdam malitiam,
idest defectum naturae, quae non semper potest in eadem dispositione
consistere. Sicut enim mali hominis est quod de facili transmutetur et non
habeat mentem fixam in uno, ita est de natura quae indiget transmutatione,
quia non est simplex neque perfecte bona. Est enim motus actus imperfecti, ut
dicitur in tertio physicorum. |
|
#1536. — Ensuite (1154b28), il assigne la cause d'un second accident concernant les plaisirs: le changement, selon le mot d'un poète, plaît davantage à l'homme. Cela, dit-il, provient d'une malice, c'est-à-dire du défaut d'une nature qui ne peut pas toujours consister dans la même disposition. En effet, il appartient à l'homme mauvais de changer facilement et de ne pas tenir son esprit fixé sur une [chose]; de même en va-t-il de la nature qui a besoin de changement; c'est qu'elle n'est pas simple, ni parfaitement bonne. Le mouvement, en effet, est l'acte de l'imparfait, comme il est dit au troisième [livre] de la Physique (#ch. 2). |
[74241] Sententia Ethic., lib. 7 l. 14
n. 22 Ultimo autem epilogando
concludit, dictum esse in hoc septimo libro de continentia et incontinentia,
delectatione et tristitia, quid unumquodque eorum est, et qualiter sint bona
vel mala. Unde iam dicendum est de amicitia. Et sic terminatur sententia
septimi libri. |
|
#1537. — En dernier, par ailleurs, épiloguant, il conclut qu'on a parlé, dans ce septième livre, de la continence et de l'incontinence, du plaisir et de la tristesse, de ce que chacun d'eux est, et comment ils sont bons ou mauvais. On doit donc maintenant parler de l'amitié. Voici terminé le contenu du septième livre. |
|
|
|
Liber 8
|
|
LIVRE 8 : [L’amitié] (Traduction Professeur Yvan
Pelletier, 1999)
|
|
|
|
Lectio
1 |
|
Leçon 1
|
[74242] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 1 Post haec autem de amicitia et cetera. Postquam
philosophus determinavit de virtutibus moralibus et intellectualibus et continentia,
quae est quiddam imperfectum in genere virtutis, hic consequenter determinat
de amicitia, quae supra virtutem fundatur, sicut quidam virtutis effectus. Et
primo prooemialiter dicit de quo est intentio. Secundo incipit de amicitia
tractare, ibi, forte autem utique et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit, quod ad moralem pertinet de amicitia tractare. Secundo ostendit
quae sint circa amicitiam tractanda, ibi, dubitantur autem de ipsa et cetera.
Circa primum inducit sex rationes ad ostendendum, quod de amicitia sit
considerandum. Dicit ergo primo, quod post praedicta considerandum est de
amicitia pertranseunter, ut scilicet consideremus circa eam ea quae pertinent
ad considerationem moralis philosophi, praetermissis his quae pertinent ad considerationem
naturalis philosophi. Et prima ratio quare de amicitia sit tractandum, est,
quia consideratio virtutis pertinet ad moralem philosophum; amicitia autem
est quaedam virtus, inquantum scilicet est habitus electivus, ut infra
dicetur: et reducitur ad genus iustitiae, inquantum exhibet proportionale, ut
infra dicetur, vel saltem est cum virtute, inquantum scilicet virtus est
causa verae amicitiae. |
|
#1538. Après avoir traité des vertus morales et intellectuelles, et de la continence, quelque chose d'imparfait dans le genre de la vertu, le Philosophe traite ensuite de l'amitié, fondée sur la vertu, et comme un effet de la vertu. En premier, il dit, à titre de prologue, sur quoi porte son intention. En second (1155b17), il commence à traiter de l'amitié. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il appartient au moraliste de traiter de l'amitié. En second (1155a32), il montre ce qu'il y a à traiter à propos de l'amitié. Sur le premier [point], il apporte six raisons pour montrer que l'on doit porter attention à l'amitié. Il dit donc, en premier, qu'après ce dont on a parlé, on doit porter attention à parcourir l'amitié, tenant compte de ce qui relève de la considération de la philosophie morale, mais laissant de côté ce qui relève de la considération du philosophe naturel. La première raison pour laquelle on doive traiter de l'amitié est que la considération de la vertu relève de la philosophie morale. Or l'amitié est une espèce de vertu, en tant qu'elle est un habitus électif, comme on le dira plus loin (#1559, 1602-1604, 1645, 1831); de plus, elle se ramène au genre de la justice, en tant qu'elle manifeste quelque chose de proportionnel, comme on le dira plus loin; au moins, elle s'accompagne de vertu, dans la mesure où la vertu est la cause de l'amitié véritable. |
[74243] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 2 Secundam rationem ponit ibi: adhuc maxime et cetera.
Moralis enim philosophia habet considerationem circa omnia quae sunt
necessaria vitae humanae, inter quae maxime necessarium est amicitia:
intantum, quod nullus bene dispositus eligeret vivere cum hoc, quod haberet
omnia alia exteriora bona sine amicis. Illis enim, qui maxime possident
exteriora bona, scilicet divitibus et principibus et potentatibus, maxime videntur
esse necessarii amici. Primo quidem ad usum horum bonorum. Nulla enim est
utilitas bonorum fortunae, si ex his aliquis nulli benefaciat. Beneficium
autem maxime et laudabilissime fit ad amicos. Secundo ad conservationem
talium bonorum, quae non possunt conservari sine amicis. Quia bona fortuna
quanto est maior, tanto est minus secura, quia habet plures insidiatores. Nec solum in bona
fortuna sunt utiles amici, sed etiam in contraria. |
|
#1539. — Il présente ensuite la seconde raison (1155a4). La philosophie morale, en effet, tient une considération sur tout ce qui est nécessaire à la vie humaine, entre quoi le plus nécessaire est l'amitié, dans la mesure où personne de bien disposé ne choisirait de vivre dans cette [condition], qu'il aurait tous les autres biens extérieurs, mais sans amis. C'est, en effet, à ceux qui possèdent le plus les biens extérieurs, à savoir, aux riches et aux chefs et aux puissants, que paraissent le plus nécessaires des amis. En premier, certes, pour l'usage de ces biens: il n'y a aucune utilité dans les biens de la fortune, en effet, si on n'en fait bénéficier personne. Or le bénéfice s'en tire le plus et le plus louablement pour les amis. En second, pour la conservation de tels biens, que l'on ne peut conserver sans amis. Car la bonne fortune, plus elle est grande, moins elle est sûre, car elle suscite plus de cupidités. De plus, ce n'est pas seulement dans la bonne fortune que les amis sont utiles, mais aussi dans les contrariétés. |
[74244] Sententia
Ethic., lib. 8 l. 1 n. 3 Quia in paupertate homines existimant amicos
esse singulare refugium. Sic ergo in omni fortuna amici sunt necessarii. Sunt
etiam necessarii in omni aetate. Quia iuvenibus sunt necessarii ad hoc quod
per amicos cohibeantur a peccato. Sunt enim secundum seipsos proni ad
concupiscentias delectationum, ut in septimo dictum est. Senioribus autem
sunt utiles amici ad serviendum propter defectus corporales. Et quia
deficiunt in suis actionibus propter debilitatem, sunt eis amici necessarii
ad adiutorium. Illis autem qui sunt in summo, idest in perfecta
aetate, sunt utiles ad bonas actiones exequendas. Quando enim duo conveniunt
sunt potentiores. Et in opere intellectualis speculationis, dum unus videt
quod alius videre non potest; et ad opus exterioris actionis, in quo
manifeste unus alii auxiliatur. Et sic
patet quod de amicitia considerandum est, sicut de re omnibus necessaria. |
|
#1540. — Car, dans la pauvreté, les gens pensent que les amis sont un singulier refuge. Ainsi donc, en toute fortune, les amis sont nécessaires. Pareillement, l'amitié est nécessaire aux jeunes, pour que leurs amis les empêchent de commettre des fautes. En effet, ils sont d'eux-mêmes enclins aux désirs des plaisirs, comme on l'a dit au septième [livre] (#1531). Aux plus âgés, par ailleurs, les amis sont utiles pour se maintenir, à cause des défauts corporels. Comme ils défaillent dans leurs actions, à cause de leur faiblesse, leurs amis leur sont utiles comme aide. Quant à ceux qui sont au plus haut, c'est-à-dire, dans la perfection de l'âge, [les amis] leur sont utiles pour exécuter leurs bonnes actions. En effet, quand deux s'entendent, ils sont plus puissants. À la fois dans l'œuvre intellectuelle de la spéculation, dans la mesure où l'un voit ce que l'autre ne peut pas voir; et pour l'œuvre de l'action extérieure, dans laquelle on sert le plus d'aide à l'autre. Ainsi appert-il que l'on doive porter attention à l'amitié comme à une chose nécessaire à tous. |
[74245] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 4 Tertiam rationem ponit ibi, naturaque inesse videtur et
cetera. Et dicit, quod etiam amicitia inest secundum naturam generanti ad
genitum. Et hoc non solum in hominibus, sed etiam in volatilibus, quae
manifeste longo tempore studium adhibent ad educationem prolis. Et idem etiam
est in aliis animalibus. Est etiam naturalis amicitia inter eos, qui sunt
unius gentis adinvicem, inquantum communicant in moribus et convictu. Et
maxime est naturalis amicitia illa, quae est omnium hominum adinvicem,
propter similitudinem naturae speciei. Et ideo laudamus philanthropos,
idest amatores hominum, quasi implentes id quod est homini naturale, ut
manifeste apparet in erroribus viarum. Revocat enim quilibet alium etiam
ignotum et extraneum ab errore, quasi omnis homo sit naturaliter familiaris
et amicus omni homini. Ea autem, quae sunt naturaliter bona, sunt
consideranda a morali. Et sic debet de amicitia considerare. |
|
#1541. — Il présente ensuite la troisième raison (1155a16). Il dit que l'amitié se développe par nature chez le géniteur envers sa progéniture. Ceci, non seulement chez les hommes, mais aussi chez les volatiles, qui, manifestement, s'appliquent très longtemps à l'éducation de leur progéniture. Il en va pareillement aussi chez les autres animaux. L'amitié se développe encore par nature entre ceux qui appartiennent à une seule nation, en tant qu'ils ont en commun les mœurs et la vie. De plus, cette amitié est la plus naturelle qui a lieu entre tous les hommes, à cause de la ressemblance de nature de leur espèce. C'est pourquoi nous louons 274 les philanthropes, c'est-à-dire, les amants de l'humanité, comme accomplissant ce qui est naturel à l'homme, comme il appert le plus dans les erreurs de chemin. En effet, n'importe qui sort de l'erreur l'autre même qu'il ne connaît pas, comme si tout homme lui était naturellement familier, et qu'il soit un ami pour tout homme. Or ce qui est naturellement bon relève de la considération du moraliste. Ainsi doit-il porter attention à l'amitié. |
[74246] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 5 Quartam rationem ponit ibi, videtur autem et civitates
et cetera. Et dicit, quod per amicitiam videntur conservari civitates. Unde
legislatores magis student ad amicitiam conservandam inter cives, quam etiam
ad iustitiam, quam quandoque intermittunt, puta in poenis inferendis, ne dissensio
oriatur. Et hoc patet per hoc, quod concordia assimilatur amicitiae. Quam
quidem, scilicet concordiam, legislatores maxime appetunt, contentionem autem
civium maxime expellunt, quasi inimicam salutis civitatis. Et quia tota
moralis philosophia videtur ordinari ad bonum civile, ut in principio dictum
est, pertinet ad moralem considerare de amicitia. |
|
#1542. — Il présente ensuite la quatrième raison (1155a22). Il dit que c'est par l'amitié que paraissent se conserver les cités. Aussi les législateurs s'efforcent davantage de conserver l'amitié entre les citoyens que même la justice, qu'ils omettent parfois, par exemple, pour les châtiments à infliger, pour que ne surgisse pas de dissension. Ceci appert du fait que la concorde s'assimile à l'amitié. C'est elle, certes, la concorde, que les législateurs désirent le plus, et c'est la dissension1 des citoyens qu'ils repoussent le plus, comme ennemie du salut de la cité. Comme, donc, toute la philosophie morale est manifestement ordonnée au bien civil, comme on l'a dit au début (#25), il relève du moraliste de porter attention à l'amitié. |
[74247] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 6 Quintam rationem ponit ibi, et amicis quidem et cetera.
Et dicit quod, si aliqui sint amici, in nullo indigerent iustitia proprie
dicta, quia haberent omnia quasi communia, cum amicus sit alter ipse; non est
autem iustitia ad seipsum. Sed si sint iusti, nihilominus indigent amicitia
adinvicem. Et illud quod est maxime iustum videtur esse conservativum et
reparativum amicitiae. Multo ergo magis ad moralem pertinet considerare de
amicitia quam de iustitia. |
|
#1543. — Il présente ensuite la cinquième raison (1155a26). Il dit que si des gens sont amis, ils n'auront en rien besoin de la justice proprement dite, parce qu'ils auront toutes choses quasi en commun, puisque l'ami est un autre soi-même; or il n'y a pas de justice envers soi-même. Tandis que s'ils sont justes, ils auront néanmoins besoin de l'amitié entre eux. Même que ce qui est le plus juste paraît être conservateur et réparateur de l'amitié. Il relève donc beaucoup plus du moraliste de porter attention à l'amitié qu'à la justice. |
[74248] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 7 Sextam rationem ponit ibi, non solum autem et cetera.
Et dicit, quod non solum de amicitia considerandum est quia est quiddam
necessarium humanae vitae, sed etiam quia est quiddam bonum, idest
laudabile et honestum. Laudamus enim philophilos, idest amatores
amicorum, et philophilia, id est amicitia multorum, videtur esse
aliquid boni, in tantum quod quidam existimant eosdem esse viros bonos et
amicos. |
|
#1544. — Il présente ensuite la sixième raison (1155a28). Il dit que l'on ne doit pas seulement porter attention à l'amitié du fait qu'elle est quelque chose de nécessaire à la vie humaine, mais aussi parce qu'elle est un bien, c'est-à-dire, louable et honorable. Nous louons les philophiles, en effet, c'est-à-dire, les amateurs d'amis, et la polyphilie, c'est-à-dire, l'amité de plusieurs, paraît être quelque chose de bon, dans la mesure où l'on pense que ce sont les mêmes, les hommes bons et les amis. |
[74249] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 8 Deinde cum dicit: dubitantur autem etc., ostendit, quae
sint de amicitia consideranda. Et primo praemittit quamdam dubitationem, quae
circa amicitiam apparet. Secundo ostendit quales dubitationes sint circa
amicitiam determinandae, ibi: naturalia quidem igitur etc.; tertio excludit
quorundam errorem, ibi, unam quidem enim et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ponit diversas opiniones quorumdam in rebus humanis circa amicitiam.
Secundo in rebus naturalibus, ibi, et de his ipsis et cetera. Dicit ergo
primo, quod de amicitia non pauca dubitantur. Et primo hoc manifestatur ex
diversis opinionibus. Quidam enim volunt, quod amicitia sit quaedam
similitudo, et quod similes sunt sibiinvicem amici. Et ad hoc inducunt
proverbium quod dicitur quod simile vadit ad suum simile et coloyus ad
coloyum (sunt autem quaedam aves gregales sicut sturni) et inducunt etiam
quaecumque similia proverbia. Alii vero e contrario dicunt quod omnes figuli
contrariantur sibiinvicem, inquantum scilicet unus impedit lucrum alterius.
Est autem veritas quaestionis, quod simile per se loquendo est amabile.
Habetur autem odio per accidens, in quantum scilicet est impeditivum proprii
boni. |
|
#1545. — Ensuite (1155a32), il montre ce qu'il y a à considérer à propos de l'amitié. En premier, il met de côté une difficulté, qui surgit à propos de l'amitié. En second (1155b8), il montre quelles difficultés sont à traiter à propos de l'amitié. En troisième (1155b13), il exclut l'erreur de certains. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente différentes opinions de certains dans les choses humaines à propos de l'amitié. En second (1155b1), dans les choses naturelles. Il dit donc, en premier, que pas peu de choses font difficulté à propos de l'amitié. En premier, cela devient manifeste à partir de différentes opinions. En effet, certains veulent que l'amitié soit une certaine ressemblance, et que les semblables soient amis entre eux. À cela ils appliquent le proverbe où l'on dit que le semblable va avec son semblable, le choucas avec le choucas — ce sont des espèces d'oiseaux grégaires, comme les étourneaux. Ils allèguent aussi tout proverbe semblable. D'autres, par contre, disent le contraire, que tous les potiers s'opposent entre eux, dans la mesure où l'un fait obstacle au profit de l'autre. Mais la vérité, en cela, est que le semblable est aimable, à parler par soi. Mais on le tient en haine par accident, dans la mesure où il est un empêchement à son propre bien. |
[74250] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit et de his ipsis etc., ponit circa idem
contrarias opiniones in rebus naturalibus: et dicit quod de hac eadem
quaestione quidam inquirunt superius, idest altius et magis
naturaliter, sicut Euripides qui dixit quod terra desiccata desiderat pluviam
quasi amans sibi contrarium, et quod caelum venerabile propter sui dignitatem
quando est impletum pluvia desiderat cadere in terram, idest quod
pluviam in terram emittat, quod est contrarium eius altitudini et
plenitudini. Heraclitus etiam dixit quod contrarium confert suo contrario,
sicut homini supercalefacto conferunt frigida, inquantum ex differentibus et
contrariis fit optima harmonia, idest contemperantia. Dixit etiam contrarium
esse conferens inquantum omnia sunt facta secundum litem, per quam elementa
prius confusa sunt distincta. Sed e contrario his dixerunt quidam alii, et
praecipue Empedocles. Qui dixit quod simile appetit sibi simile. |
|
#1546. — Ensuite (1155b1), il présente, sur le même [sujet], des opinions contraires, dans les choses naturelles. Il dit que, sur la même question, certains cherchent avant, c'est-à-dire, plus haut et de manière plus naturelle, comme Euripide, qui a dit que la terre desséchée désire la pluie comme l'amant son contraire, et que le ciel, vénérable pour sa dignité, désire, quand il est plein de pluie, tomber sur la terre, c'est-à-dire, jeter sa pluie sur la terre, ce qui est contraire à sa hauteur et à sa plénitude. Héraclite aussi a dit que le contraire est utile à son contraire, comme à l'homme en fièvre est utile le froid, en tant que du différent et du contraire sort la meilleure harmonie, c'est-à-dire, le 275 mélange complet. Il a dit, par ailleurs, que le contraire était utile, du fait que toutes choses sont constituées par la haine, par laquelle les éléments d'abord confus se trouvent distingués. Mais certains autres ont dit le contraire, et principalement Empédocle, qui a dit que le semblable désire ce qui lui est semblable. |
[74251] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 10 Solvitur autem haec dubitatio eodem modo per hoc quod
simile, per se loquendo, est desiderabile et amabile naturaliter, per
accidens autem desideratur contrarium, in quantum est conferens et
medicinale, sicut (supra) de delectationibus corporalibus supra dixit. |
|
#1547. — Cette difficulté se résout, par ailleurs, de la même manière, du fait que le semblable, à parler par soi, est naturellement désirable, tandis que c'est par accident que l'on désire le contraire, en tant qu'il est utile et médicinal, comme on l'a dit plus haut, à propos des plaisirs corporels. |
[74252] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 11 Deinde cum dicit: naturalia quidem igitur etc.,
ostendit quae dubitationes sint determinandae circa amicitiam. Et dicit quod
naturales quaestiones sunt relinquendae, quia non sunt propriae praesentis
intentionis, sed quaecumque sunt humana, utpote pertinentia ad mores et
passiones humanas, de his intendamus, sicut utrum possit esse amicitia in
omnibus hominibus, vel non possit esse in malis. Et utrum sit una species
amicitiae vel plures. |
|
#1548. — Ensuite (1155b8), il montre quelles difficultés sont à déterminer à propos de l'amitié. Il dit que les questions naturelles sont à laisser de côté, parce qu'elles n'appartiennent pas proprement à l'intention présente. Mais vers toutes celles qui sont humaines, en tant que pertinentes aux mœurs et aux passions humaines, nous tournons notre intention, comme s'il peut y avoir amitié chez tous les hommes, ou s'il ne peut y en avoir chez les méchants; et s'il y a une seule espèce d'amitié, ou plusieurs. |
[74253] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 12 Deinde cum dicit: unam quidem etc., excludit quorundam
errorem qui aestimabant quod esset una sola species amicitiae, propter hoc
quod omnes species amicitiae sunt comparabiles secundum magis et minus. Puta
cum dicimus quod maior est amicitia honesti quam utilis. Sed ipse dicit quod
non crediderunt sufficienti signo; quia etiam ea quae differunt specie
recipiunt magis et minus, inquantum scilicet conveniunt in genere; puta si
dicamus quod album est coloratius nigro; vel secundum analogiam, puta si
dicamus quod actus est melior potentia et substantia accidente. |
|
#1549. — Ensuite (1155b13), il exclut l'erreur de certains, qui pensaient qu'il n'y aurait qu'une seule espèce d'amitié, du fait que toutes les espèces d'amitié sont comparables selon le plus et le moins. Par exemple, lorsque nous disons qu'elle est plus grande l'amitié d'honorabilité que d'utilité. Mais lui, il dit qu'ils ne se sont pas fiés à un signe suffisant, car même ce qui diffère d'espèce admet le plus et le moins, en tant qu'ils conviennent en un genre. Par exemple, si nous disons que le blanc est plus coloré que le noir; ou par analogie, par exemple, si nous disons que l'acte est meilleur que la puissance, et la substance que l'accident. |
[74254] Sententia Ethic., lib. 8 l. 1 n. 13 Ultimo autem dicit quod de praedictis quae pertinent ad
res humanas circa amicitiam dicendum est superius, id est a prioribus
incipiendo. |
|
#1550. — Enfin, il dit que, pour ce dont on vient de parler, ce qui relève des choses humaines à propos de l'amitié, on l'a dit plus haut, c'est-à-dire, en commençant par les premières. |
|
|
|
Lectio
2 |
|
Leçon 2
|
[74255] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 1 Forte autem utique de his
et cetera. Postquam philosophus prooemialiter ostendit quod oportet de
amicitia determinare et quae sunt de ea determinanda, hic incipit de amicitia
tractare. Et primo ostendit quid sit amicitia. Secundo distinguit species
eius, ibi, differunt autem haec ad invicem etc.; tertio determinat quasdam
amicitiae proprietates in IX libro, ibi: in omnibus autem dissimilium
specierum et cetera. Circa primum duo facit. Primo investigat quatuor partes
definitionis amicitiae. Secundo concludit amicitiae diffinitionem, ibi:
oportet igitur et cetera. Primo autem investigat particulam quae est ex parte
obiecti. Circa quod tria facit. Primo determinat obiectum amicitiae. Secundo
movet dubitationem, ibi, utrum igitur et cetera. Tertio solvit, ibi: videtur
autem et cetera. Dicit ergo primo quod de praedictis quaestionibus forte fiet
aliquid manifestum si cognoscamus quid sit amabile quod est obiectum
amationis a qua dicitur amicitia. |
|
#1551. Après avoir montré, en guise de prologue, qu'il faut traiter de l'amitié, et ce qu'il y a lieu de traiter à son sujet, le Philosophe commence ici à traiter de l'amitié. En premier, il montre ce qu'est l'amitié. En second (1156a6), il distingue ses espèces. En troisième (1163b29), il présente les propriétés des espèces de l'amitié, au début du neuvième livre. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il investigue quatre parties de la définition de l'amitié. En second (1156a3), il conclut la définition de l'amitié. En premier, par ailleurs, il investigue la partie qui concerne l'objet. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il détermine l'objet de l'amitié. En second (1155b21), il soulève une difficulté. En troisième (1155b23), il en présente la solution. Il dit donc, en premier, qu'à propos des questions qui précèdent, peut-être quelque chose deviendra- t-il manifeste, si nous connaissons quel objet aimable est celui de l'amour qui fait parler d'amitié. |
[74256] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 2 Non enim quodcumque
indifferenter amatur, quia malum in quantum huiusmodi non amatur, sed, sicut
videtur visibile, ita amatur amabile, quod quidem est vel per se bonum,
scilicet honestum, vel delectabile vel utile. Hoc autem tertium, scilicet
utile, videtur esse id per quod pervenitur ad bonum honestum vel delectabile,
unde bonum honestum et delectabile sunt propter se amabilia ut fines, utile
autem est amabile propter alterum, sicut id quod est ad finem. Bonum autem et
delectabile si communiter sumerentur, non distinguerentur subiecto abinvicem,
sed solum ratione. Nam bonum dicitur aliquid secundum quod est in se
perfectum et appetibile. Delectabile autem secundum quod in eo quiescit
appetitus. Sic autem non sumuntur hic, sed verum bonum hominis hic dicitur
quod ei convenit secundum rationem, delectabile autem quod est sibi
conveniens secundum sensum. |
|
#1552. — Ce n'est pas n'importe quoi indifféremment que l'on aime, en effet, car on n'aime pas le mal en tant que tel. On aime ce qui est aimable, et cela, certes, c'est ou bien ce qui est bon par soi, c'est-à-dire, l'honorable, ou ce qui est plaisant, ou l'utile. Ce troisième [objet], l'utile, est manifestement ce par quoi l'on parvient au bien honorable et plaisant, lesquels sont aimables pour euxmêmes, comme des fins. L'utile, quant à lui, est aimable pour autre chose, comme [tout] ce qui sert une fin. Par ailleurs, le bien et le plaisant, si on les prenait communément, ne se distingueraient pas entre eux quant à leur sujet, mais seulement quant à leur notion. En effet, on dit bonne une chose selon qu'elle est parfaite en elle-même et désirable. Et plaisante, par ailleurs, selon que l'appétit s'y repose. Mais ici, ce n'est pas ainsi qu'on le prend. On appelle plutôt, ici, vrai bien de l'homme ce qui lui convient d'après la raison, et plaisant, ce qui lui convient d'après le sens. 276 |
[74257] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 3 Deinde cum dicit: utrum
igitur etc., movet circa hoc dubitationem, utrum scilicet homines ament id
quod est bonum simpliciter vel id quod est bonum ipsis. Haec enim quandoque
abinvicem dissonant. Sicut philosophari est bonum simpliciter, non tamen est
bonum indigenti necessariis. Et eadem dubitatio est circa ipsum delectabile.
Nam aliquid est delectabile simpliciter sicut dulce, quod non est delectabile
huic, scilicet habenti gustum infectum. |
|
#1553. — Ensuite (1155b21), il soulève une difficulté à ce sujet, à savoir, si les gens aiment ce qui est bon de manière absolue ou ce qui est bon pour eux. Car il y a parfois différence entre les deux. Par exemple, philosopher est bon de manière absolue, mais ce n'est pas bon pour qui manque du nécessaire. La même difficulté vaut pour le bien plaisant. En effet, une chose est plaisante de manière absolue, comme le doux, qui n'est pas plaisante pour un tel, à savoir, pour celui qui a le goût dérangé. |
[74258] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 4 Deinde cum dicit: videtur
autem etc., solvit praedictam quaestionem. Et primo ponit solutionem. Et
dicit quod unusquisque videtur amare id quod est sibi bonum, quia quaelibet
potentia fertur in obiectum sibi proportionatum: sicut visus uniuscuiusque
videt id quod est sibi visibile. Et sicut simpliciter amabile est id quod est
simpliciter bonum, ita unicuique amabile est id quod est sibi bonum. |
|
#1554. — Ensuite (1155b23), il résout la question qui précède. En premier, il présente la solution. Il dit que chacun paraît aimer ce qui est bon pour lui, parce que toute puissance se porte vers l'objet proportionné à elle; ainsi, la vue de chacun voit ce qui est visible pour elle. De même que ce qui aimable de manière absolue, c'est ce qui est bon de manière absolue, de même, ce qui est aimable pour chacun, c'est ce qui est bon pour lui. |
[74259]
Sententia Ethic., lib. 8 l. 2 n. 5 Secundo ibi: amat autem etc.,
obiicit in contrarium. Et dicit quod unusquisque
homo amat non illud quod est sibi bonum, sed illud quod apparet sibi bonum.
Appetitus enim non fertur in aliquid nisi prout est apprehensum, unde videtur
falsum esse quod unicuique sit amabile id quod est sibi bonum. |
|
#1555. — En second (1155b25), il objecte en sens contraire. Il dit que chacun aime non ce qui est bon pour lui, mais ce qui lui paraît bon. L'appétit, en effet, ne se porte vers un [objet] que pour autant qu'on l'appréhende. Aussi paraît-il faux que soit aimable pour chacun ce qui est bon pour lui. |
[74260] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 6 Tertio ibi: differt autem
etc., solvit dicens, quod hoc nihil differt ad propositum. Quia cum amatur
aliquid apparens bonum amatur ut sibi bonum. Unde etiam poterit dici quod
amabile est apparens bonum. |
|
#1556. — En troisième (1155b26), il résout, en disant que cela ne fait aucune différence pour le propos. Car lorsque l'on aime un bien apparent, on l'aime en tant que bon pour soi. Aussi peut-on dire encore que l'aimable, c'est le bien apparent. |
[74261] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 7 Secunda particula pertinet
ad qualitatem amationis, quam ponit ibi, tribus autem entibus et cetera. Et
dicit quod, cum tria sint propter quae homines amant, scilicet bonum,
delectabile et utile, in illa amatione qua dicitur amare inanimata, puta
vinum aut aurum, non dicitur esse amicitia. Et hoc ostendit dupliciter. Primo
quidem, quia in tali amatione non potest esse redamatio quae requiritur ad
amicitiam. Non enim vinum amat hominem, sicut homo amat vinum. Secundo, quia
non sic amamus inanimata ut insit nobis voluntas boni illorum. Ridiculum enim
esset dicere quod aliquis vellet vino bonum: sed hoc bonum quod est vinum
homo vult sibi. Unde per hoc quod homo amat vinum, non est benivolus vino,
sed sibiipsi. |
|
#1557. — La seconde partie touche à la qualité de l'amour, et c'est elle qu'il présente ensuite (1155b27). Il dit qu'alors qu'il y a trois [motifs] pour lesquels les gens aiment, à savoir, le bien, le plaisant et l'utile, dans cet amour dont on dit que l'on aime des [êtres] inanimés, par exemple, du vin ou de l'or, on ne dit pas qu'il y a de l'amitié. Il montre cela de deux manières. En premier, certes, parce que, dans un pareil amour, il ne peut y avoir l'amour en retour qui est requis pour l'amitié. En effet, le vin n'aime pas l'homme comme l'homme aime le vin. En second, parce que nous n'aimons pas des [êtres] inanimés de manière à leur vouloir du bien. Il serait ridicule, en effet, de dire que l'on voudrait du bien au vin; au contraire, ce bien qu'est le vin, on le veut pour soi. Aussi, du fait d'aimer le vin, ce n'est manifestement pas pour le vin qu'on a de la bienveillance, mais pour soi-même. |
[74262] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 8 Et si aliquis dicat quod
homo vult vino bonum, quia vult quod conservetur, considerandum est quod homo
vult salvari vinum, ut ipse habeat illud et ita non vult salutem vini in
quantum est bonum vini, sed in quantum est bonum suiipsius. Et hoc est contra
rationem amicitiae. Dicitur enim quod oportet amico velle bonum gratia illius
et non propter bonum amantis. |
|
#1558. — Si, d'ailleurs, on dit que l'on veut du bien au vin, parce qu'on veut qu'il se conserve, on doit tenir compte que l'on veut conserver le vin pour l'avoir; et on ne veut pas le salut du vin en tant qu'il est un vin bon, mais en tant qu'il est bon pour soi-même. Or, cela va contre la définition de l'amitié. On dit, en effet, qu'il faut vouloir du bien à son ami en vue de son bien à lui et non en vue du bien de celui qui l'aime. |
[74263] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 9 Tertia particula pertinet
ad vicissitudinem amandi, quam ponit ibi: volentes autem et cetera. Et dicit
quod si aliqui velint bona alicui illius gratia, dicimus eos benevolos; sed
non dicimus eos amicos, si non idem fiat ab illo, ut scilicet amatus velit
bonum amanti eius gratia. Quia amicitiam dicimus esse benevolentiam in
contrapassis, ut scilicet amans ametur. Habet enim quamdam commutationem
amoris secundum formam commutativae iustitiae. |
|
#1559. — La troisième partie touche à l'échange dans l'acte d'aimer, et c'est elle qu'il présente ensuite (1155b32). Il dit que si des gens veulent du bien à quelqu'un pour lui-même, nous les appelons bienveillants; mais nous ne les appelons pas amis, si cela ne vient pas aussi de lui, à savoir, que l'aimé veuille du bien pour lui-même à celui qui l'aime. Car nous disons que l'amitié est une bienveillance réciproque, en sorte que l'amant soit aimé. Il y a [là], en effet, une espèce d'échange à la manière de la justice commutative. |
[74264] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2
n. 10 Quarta particula sumitur
secundum conditionem mutui amoris, et hanc ponit ibi: vel apponendum et
cetera. Et dicit quod adhuc apponendum est ad complendam rationem amicitiae,
quod sit benevolentia mutua non latens: multi enim sunt benevoli aliquibus,
quos nunquam viderunt, inquantum ex auditis existimant eos esse epiiches,
idest virtuosos, vel utiles sibi. Et potest esse quod idem patiatur aliquis
illorum ad eum qui sic est benivolens. Huiusmodi ergo homines videntur esse
benevoli adinvicem, sed non possunt dici amici, cum lateat eos qualiter se
habent ad invicem. |
|
#1560. — La quatrième partie se prend d'après la condition de l'amour mutuel, et c'est elle qu'il présente ensuite (1155b34). Il dit que l'on doit ajouter à cela, pour compléter la définition de l'amitié, qu'elle est une bienveillance mutuelle non cachée; en effet, bien des gens sont bienveillants envers d'autres qu'ils n'ont jamais vus, du fait de penser, par ouï-dire, qu'ils sont honnêtes, c'est-à-dire, vertueux, ou utiles pour eux. Et il se peut que l'un d'entre eux ressente la même chose envers celui qui est ainsi bienveillant [envers lui]. Des gens de cette sorte sont certes bienveillants entre eux, mais ils ne peuvent s'appeler des amis, puisque leur échappe quelle relation ils entretiennent. |
[74265] Sententia Ethic., lib. 8 l. 2 n. 11 Deinde cum dicit: oportet igitur etc., concludit ex
praemissis definitionem amicitiae. Et dicit, quod oportet ad rationem
amicitiae, quod per eam aliqui sibi bene velint adinvicem, et quod hoc non
lateat eos, et quod hoc sit propter unum aliquod praedictorum, scilicet
propter bonum vel delectabile vel utile. |
|
#1561. — Ensuite (1156a3), il conclut, de ce qui précède, la définition de l'amitié. Il dit qu'il faut, pour la définition de l'amitié, que, par elle, des gens se veuillent du bien entre eux, et que cela ne 277 leur soit pas caché, et que cela soit pour l'un des [motifs] mentionnés, à savoir, pour le bien, le plaisant, ou l'utile. |
|
|
|
Lectio
3 |
|
Leçon 3
|
[74266] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 1 Differunt autem haec et cetera. Postquam philosophus
ostendit quid est amicitia, hic distinguit species eius. Et primo distinguit
species amicitiae. Secundo ostendit, in quibus amicitiae speciebus fiant
accusationes seu conquestiones, ibi: trinis itaque existentibus, et cetera.
Circa primum duo facit. Primo distinguit species amicitiae, quae in
aequalitate personarum salvatur. Secundo distinguit species amicitiae, quae
est inter inaequales personas, ibi: altera est autem amicitiae species et cetera.
Circa primum duo facit. Primo distinguit amicitiae species. Secundo ostendit
eas in aequalitate existere, ibi: sunt autem igitur dictae amicitiae et
cetera. Circa primum tria facit. Primo distinguit amicitiae species. Secundo
determinat de eis per comparationem ad actum, ibi, quemadmodum autem in
virtutibus et cetera. Tertio per comparationem ad subiectum, ibi, in severis
autem et senibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit specierum
distinctionem. Secundo determinat de singulis speciebus, ibi, qui quidem
igitur et cetera. |
|
#1562. Après avoir montré ce qu'est l'amitié, le Philosophe distingue ici les espèces de l'amitié. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue les espèces de l'amitié. En second (1162a34), il montre dans quelles espèces de l'amitié surgissent des accusations ou des plaintes. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue les espèces de l'amitié qui commandent égalité des personnes. En second (1158b11), il distingue les espèces de l'amitié qui a lieu entre personnes inégales. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue les espèces de l'amitié. En second (1158b1), il montre qu'elles consistent en une égalité. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il distingue les espèces de l'amitié. En second (1157b5), il traite d'elles en comparaison de leur acte. En troisième (1158a1), en comparaison de leur sujet. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la distinction des espèces. En second (1156a10), il traite des espèces une à une. |
[74267] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 2 Dicit ergo primo, quod cum
sint tria amabilia, sicut dictum est: scilicet bonum simpliciter, delectabile
et utile: haec differunt specie abinvicem, non quidem sicut tres species ex
aequo dividentes aliquod genus, sed secundum prius et posterius se habent. Et
quia secundum differentiam obiectorum diversificantur actus, consequens est,
quod amationes secundum haec tria differant specie: ut scilicet alia sit
species amationis qua amatur aliquid propter bonum, et alia qua amatur
aliquid propter delectabile, et alia qua propter utile. Et quia amicitiae
actus est amatio, consequens est, quod etiam sint tres species amicitiae,
aequales numero amabilibus. Quarum una est amicitia propter honestum, quod
est bonum simpliciter; alia propter delectabile; et tertia, propter utile. |
|
#1563. — Il dit donc, en premier, qu'alors qu'il y a trois objets d'amour, ainsi qu'on l'a dit, à savoir, le bien absolu, le plaisir et l'utilité, ceux-ci diffèrent spécifiquement entre eux; non pas, certes, à la manière de trois espèces qui divisent un genre sur un pied d'égalité; plutôt, ils entretiennent une relation d'antérieur à postérieur. Puisque les actes se différencient d'après la différence de leurs objets, il s'ensuit que les formes d'amour diffèrent spécifiquement en regard de ces trois [objets]. En conséquence, autre est l'espèce d'amour dont on aime une chose parce que bonne, autre, celle dont on aime une chose parce que plaisante, et autre, celle dont [on aime une chose] parce qu'utile. Puisqu'en plus, l'acte de l'amitié est une forme d'amour, il s'ensuit aussi qu'il y ait trois espèces d'amitié, égales en nombre aux objets d'amour. L'une en est l'amitié pour l'honorable, qui est le bien absolu; l'autre, pour le plaisir; et la troisième, pour l'utilité. |
[74268] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 3 In singulis enim horum salvatur ratio amicitiae
supraposita, quia secundum unumquodque horum trium potest esse redamatio non
latens. Et secundum haec tria possunt sibi bona velle adinvicem secundum quod
amant. Puta si amant se propter virtutem, volunt sibi invicem bonum virtutis.
Si autem propter utile, volunt sibiinvicem bona utilia. Et si propter
delectationem, delectabilia. |
|
#1564. — En effet, dans chacune d'elles, on satisfait à la définition de l'amitié présentée plus haut, puisqu'en chacune des trois, on peut trouver une forme d'amour réciproque non caché entre des personnes. De plus, pour les trois, des gens peuvent se vouloir du bien entre eux en rapport à ce qu'ils aiment. Par exemple, s'ils s'aiment pour la vertu, ils se veulent les uns aux autres le bien de la vertu, tandis que si [c'est] pour l'utilité, ils se veulent les uns aux autres des biens utiles, et que si [c'est] pour le plaisir, [ils se veulent] des plaisirs. |
[74269] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 4 Deinde cum dicit: qui
quidem igitur etc., determinat de praedictis amicitiae speciebus, quae quidem
non aequaliter sub amicitia continentur, sed secundum prius et posterius. Sic
ergo tria facit. Primo determinat de amicitia utilis et de ea quae est
delectabilis, quae per posterius rationem amicitiae participant. Secundo
determinat de amicitia honesti, quod est bonum simpliciter, cui primo et per
se competit ratio amicitiae, ibi, perfecta autem est bonorum et cetera.
Tertio comparat alias amicitias ad istam, ibi, quae autem propter delectabile
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quales sint amicitiae
species imperfectae; secundo ostendit quibus competunt, ibi, maxime autem in
senibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit amicitias utilis et
delectabilis esse amicitias per accidens. Secundo ostendit, quod sunt facile
dissolubiles, ibi: facile solubiles utique et cetera. |
|
#1565. — Ensuite (1156a10), il traite des espèces mentionnées de l'amitié, lesquelles, bien sûr, ne sont pas contenues sous l'amitié de manière égale, mais comme un antérieur et un postérieur. Ainsi donc, il fait trois [considérations]. En premier, il traite de l'amitié fondée sur l'utilité, et de celle qui est fondée sur le plaisir, car elles participent par après2 de la définition de l'amitié. En second (1156b7), il traite de l'amitié fondée sur l'honorabilité, qui est le bien absolument, à quoi, en premier et par soi, convient la définition de l'amitié. En troisième (1156b35), il compare les autres amitiés à celle-là. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre quelles sont les espèces d'amitié imparfaite. En second (1156a24), à qui elles conviennent. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'amitié fondée sur l'utile et sur le plaisir sont des amitiés par accident. En second (1156a19), il montre qu'elles sont faciles à dissoudre. 2Per posterius. 278 |
[74270] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 5 Dicit ergo primo, quod
illi qui amant se adinvicem propter utilitatem, unus non amat alterum propter
seipsum, sed secundum quod ab altero accipit sibi aliquod bonum. Et simile
est in his qui se amant propter delectationem. Non enim unus amat alium
propter hoc quod est taliter dispositus, puta, quod est eutrapelus,
idest virtuose se habens circa ludos; sed solum inquantum est sibi
delectabilis. Et sic patet, quod tam illi qui amant propter utile, amant
propter bonum quod eis provenit, quam etiam illi qui amant propter
delectationem, amant propter delectabile quod percipiunt. Et ita non amant
amicum secundum quod ipse in se est, sed secundum quod accidit ei, scilicet
secundum quod est utilis vel delectabilis. Unde patet quod huiusmodi
amicitiae non sunt per se amicitiae, sed per accidens, quia non amatur homo
secundum id quod ipse est, sed secundum quod aliquid exhibet, scilicet
utilitatem vel delectationem. |
|
#1566. — Il dit donc, en premier, que, [chez] ceux qui s'aiment réciproquement pour l'utilité, l'un n'aime pas l'autre pour lui-même, mais pour autant qu'il reçoit de l'autre quelque bien pour soi-même. Il en va pareillement chez ceux qui s'aiment pour le plaisir. En effet, l'un n'aime pas l'autre pour le fait qu'il est disposé de telle manière, par exemple, qu'il est enjoué, c'est-à-dire, disposé de manière vertueuse en rapport aux jeux, mais seulement pour autant qu'il est plaisant pour lui. Ainsi appert-il qu'à la fois ceux qui aiment pour l'utilité aiment à cause d'un bien qui leur advient et que ceux qui aiment pour le plaisir aiment à cause d'un plaisir qu'ils ressentent. De la sorte, ils n'aiment pas leur ami d'après ce qu'il est en lui-même, mais d'après un caractère qu'il se trouve avoir, dans la mesure où il est utile ou plaisant. Aussi appert-il que des amitiés de la sorte ne sont pas des amitiés par soi, mais par accident; car on n'y est pas aimé selon ce que l'on est soi-même, mais selon l'utilité ou le plaisir [que l'on procure]. |
[74271] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 6 Deinde cum dicit: facile
solubiles etc., ostendit huiusmodi amicitias facile esse dissolubiles. Sunt
enim propter aliquid, quod accidit hominibus qui amantur, in quo homines non
permanent semper sibi similes; sicut non semper idem homo est delectabilis
vel utilis. Quando igitur illi qui amabantur desinunt esse delectabiles vel
utiles, amici eorum quiescunt ab amando. Et hoc maxime manifestum est in
amicitia utilis. Non enim semper est idem utile homini, sed aliud et aliud
secundum diversa tempora et loca. Sicut in aegritudine est utilis medicus, in
navigando nauta, et sic de aliis. Quia ergo amicitia non habebatur ad ipsum
hominem secundum se, sed ad utilitatem quae ab ipso erat, consequens est, quod
dissoluta amicitiae causa, etiam amicitia dissolvatur. Et simile contingit
circa amicitiam delectationis. |
|
#1567. — Ensuite (1156a19), il montre que les amitiés de la sorte sont faciles à dissoudre. Elles existent, en effet, à cause d'une chose que se trouvent avoir les gens qui sont aimés, et en quoi les gens ne restent pas toujours semblables à eux-mêmes; par exemple, le même homme n'est pas toujours plaisant ou utile. Quand, donc, ceux que l'on aime cessent d'être plaisants ou utiles, leurs amis cessent de les aimer. Cela est le plus manifeste dans l'amitié pour l'utilité. En effet, ce n'est pas toujours la même [chose] qui est utile à quelqu'un, mais autre chose et autre chose, selon des temps et des lieux différents. Par exemple, dans la maladie, c'est le médecin qui est utile, et pour naviguer, le marin, et ainsi du reste. Parce que, donc, l'amitié n'était pas tenue pour la personne en elle-même, mais pour l'utilité qu'on en tirait, il s'ensuit qu'une fois dissoute la cause de l'amitié, l'amitié aussi se dissout. Pareille [chose] se produit avec l'amitié pour le plaisir. |
[74272] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 7 Deinde cum dicit: maxime
autem in senibus etc., ostendit quibus huiusmodi amicitiae competant. Et
primo ostendit quibus competat amicitia utilis. Secundo quibus competat
amicitia delectabilis, ibi, iuvenum autem amicitia et cetera. Ponit autem
primo tria genera hominum quibus competit amicitia utilis. Et primo dicit,
quod maxime talis amicitia videtur fieri in senibus, qui non quaerunt
delectabile propter debilitatem caloris et sensuum, sed quaerunt utile,
inquantum scilicet indigent ut subveniatur naturae iam deficienti. |
|
#1568. — Ensuite (1156a24), il montre à qui conviennent les amitiés de la sorte. En premier, il montre à qui convient l'amitié pour l'utilité. En second (1156a31), à qui convient l'amitié pour le plaisir. Il présente, par ailleurs, trois genres d'hommes auxquels convient l'amitié pour l'utilité. En premier, il dit que pareille amitié se produit manifestement le plus chez les vieillards, qui ne recherchent plus le plaisir, à cause de la faiblesse de leur corps et de leurs sens, mais recherchent l'utilité, pour autant qu'ils ont besoin que l'on subvienne à leur nature désormais déficiente. |
[74273] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 8 Secundo ibi: et eorum qui
in adolescentia etc., dicit quod haec amicitia competit etiam adolescentibus
et iuvenibus qui quaerunt utile. Et hi quidem non omnino sunt tales ut se
mutuo ament, neque etiam convivunt adinvicem, quia quandoque non sunt
sibiinvicem delectabiles, nec unus indiget societate alterius nisi solum
propter utilitatem. Intantum enim mutua societas est eis delectabilis,
inquantum per hoc habent aliquam spem boni, ad quod sit eis utilis talis
societas. |
|
#1569. — En second (1156a26), il dit que cette amitié convient aux adultes3 et aux jeunes4, qui, précisément, recherchent l'utilité. Ceux-là, bien sûr, ne sont pas tout à fait de nature à s'aimer mutuellement, ni non plus à vivre ensemble, car parfois ils ne sont pas plaisants les uns pour les autres, et l'un n'a besoin de la compagnie de l'autre qu'à cause de son utilité. Leur compagnie mutuelle leur est plaisante, en effet, dans la mesure où ils ont l'espoir d'atteindre quelque bien pour lequel pareille compagnie leur soit utile. |
[74274]
Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 9 Tertio ibi, in has autem dicit,
quod ad amicitias quae sunt propter utilitatem quidam reducunt etiam
amicitiam peregrinorum, qui seinvicem amare videntur propter utilitatem quam
unus ab alio habet in sua peregrinatione. |
|
#1570. — En troisième (1156a30), il dit que certains réduisent aussi aux amitiés qui se développent pour l'utilité l'amitié des voyageurs, qui paraissent s'aimer entre eux pour l'utilité que l'un tire de l'autre en son voyage. |
[74275] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 10 Deinde cum dicit: iuvenum
autem etc., ostendit quibus competat amicitia delectabilis. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit quibus competat huiusmodi amicitia: et dicit, quod
amicitia quae est propter delectationem maxime videtur esse iuvenum. Quia
vivunt secundum quod feruntur a passionibus, nondum roborato in eis iudicio
rationis, quo passiones ordinentur. Et quia passiones omnes terminantur ad
delectationem et tristitiam, ut in secundo habitum est; consequens est, quod
ipsi maxime persequuntur id quod est eis delectabile secundum praesens
tempus. Passiones
enim pertinent ad partem sensitivam, quae maxime respicit praesens. Amare
autem aliquid propter hoc quod est factivum delectationis in futurum, iam
accedit ad rationem utilis. |
|
#1571. — Ensuite (1156a31), il montre à qui convient l'amitié pour le plaisir. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre à qui convient une amitié de la sorte: il dit que l'amitié qui se développe pour le plaisir appartient manifestement surtout aux jeunes. C'est qu'ils vivent ainsi que les mènent leurs passions, car en eux le jugement de la raison, par lequel les passions sont ordonnées, n'est pas encore raffermi. Et puisque toutes les passions se terminent au plaisir et à la tristesse, comme on en a traité au second [livre] (#296, 441), il s'ensuit qu'ils recherchent surtout ce qui leur est plaisant pour le temps présent. En effet, les passions relèvent de la partie sensible, qui regarde surtout le présent. D'ailleurs, aimer telle [chose] parce que productrice de plaisir dans le futur, cela accède déjà à la raison d'utile. 3Adolescentes, , ceux qui ont grandi, qui ont atteint la force de l'âge. 4Juvenes. On ferait un contresens, ici, en interprétant jeune avec une mentalité trop contemporaine. Le jeune, dans le monde gréco-romain, c'est déjà un homme fait, avec des intérêts d'adulte. 279 |
[74276] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 11 Secundo ibi: aetate autem
etc., ostendit horum amicitias esse facile mutabiles dupliciter. Primo quidem
ex parte delectabilium, quia scilicet transeunte aetate fiunt eis alia
delectabilia. Non enim eadem sunt in quibus delectantur pueri, adolescentes
et iuvenes et ideo tales de facili fiunt amici, et de facili cessant, quia
simul transmutato delectabili transit amicitia. Iuvenilis autem delectationis
est velox transmutatio, eo quod tota eius natura in quadam transmutatione
consistit. |
|
#1572. — En second (1156a33), il montre que les amitiés de ces [gens] sont faciles à changer, de deux manières. En premier, bien sûr, du côté des plaisirs, parce qu'une fois l'âge passé, c'est d'autres [choses] qui leur deviennent plaisantes. Ce ne sont pas les mêmes [choses], en effet, dans lesquelles prennent plaisir les enfants et les adultes et les jeunes, et c'est pourquoi de pareilles [gens] se font facilement amis, et cessent facilement de l'être, car en même temps que le plaisir change, passe l'amitié. La transformation du plaisir du jeune est rapide, par ailleurs, du fait que toute sa nature consiste en une transformation. |
[74277] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 12 Secundo ibi: et amativi
autem etc., ostendit idem ex parte amantium. Et dicit, quod iuvenes sunt amativi,
idest prompti et vehementes in amore, quia scilicet amant non ex electione,
sed secundum passionem, et inquantum concupiscunt delectationem. Et ideo
vehementer et intense amant. Et quia passio facile transit sicut et facile
advenit, inde est quod tales sicut de facili amare incipiunt, ita cito
quiescunt ab amando, et multoties eadem die amicitiam ineunt et dissolvunt.
Sed quamdiu amicitia durat, volunt tales per totum diem sibiinvicem commanere
et convivere sibiipsis, inquantum sunt sibi mutuo delectabiles. Isto enim
modo disponitur in eis amicitia. |
|
#1573. — En second (1156b1), il montre la même [chose] du côté des amis. Il dit que les jeunes sont portés sur l'amour5, c'est-à-dire, prompts et véhéments en amour, parce qu'ils n'aiment pas par choix, mais par passion, et parce qu'ils désirent le plaisir. C'est pourquoi ils aiment de manière véhémente et intense. Mais comme la passion passe facilement, comme aussi elle survient facilement, il s'ensuit que de pareilles [gens] commencent facilement à aimer, mais cessent tout d'un coup d'aimer, et souvent le même jour entreprennent et dissolvent une amitié. Mais tout le temps que l'amitié dure, de pareilles [gens] veulent demeurer ensemble tout le jour et vivre les uns avec les autres, du fait qu'ils se plaisent mutuellement. C'est de cette manière, en effet, que l'amitié est disposée en eux. |
[74278] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 13 Deinde cum dicit:
perfecta autem est etc., determinat de amicitia principali quae est propter
bonum virtutis. Et primo proponit huiusmodi amicitiam esse perfectam. Et
dicit quod tertia amicitia, quae est bonorum et sibi invicem similium
secundum virtutem, est perfecta amicitia. |
|
#1574. — Ensuite (1156b7), il traite de l'amitié principale, qui existe pour le bien de la vertu. En premier, il affirme que l'amitié de cette sorte est parfaite. Il dit que cette amitié, qui se développe pour des biens et des ressemblances réciproques en rapport à la vertu, est une amitié parfaite. |
[74279] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 14 Secundo ibi: isti enim
bona etc., probat quod dixerat, ostendendo conditiones huius amicitiae. Et
primo ostendit quod huiusmodi amicitia est per se et non per accidens.
Secundo ostendit quod nihil ei deest, ibi: et est uterque simpliciter bonus
et cetera. Tertio quod est rara, ibi, raras autem verisimile et cetera. Circa
primum tria facit. Primo ostendit praedictam amicitiam esse per se et non per
accidens. Illi enim qui sunt sibi similes in virtute, volunt sibiinvicem
bona, inquantum sunt boni. Sunt autem boni secundum seipsos. Nam virtus est
quaedam perfectio faciens hominem bonum et opus ipsius. Ergo patet quod tales
volunt sibi bona secundum seipsos. Unde eorum amicitia est per se. |
|
#1575. — En second (1156b8), il prouve ce qu'il avait dit, en montrant les conditions d'une amitié de la sorte. Il montre, en premier, qu'une amitié de la sorte est par soi et non par accident. En second (1156b12), il montre que rien ne lui manque. En troisième (1156b24), qu'elle est rare. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que l'amitié dont on vient de parler est par soi et non par accident. En effet, ceux qui sont semblables entre eux en vertu se veulent du bien l'un à l'autre en tant qu'ils sont bons. Or ils sont bons en eux-mêmes. En effet, la vertu est une perfection qui rend bons l'homme et son action. Donc, il appert que de pareilles [gens] se veulent du bien pour eux-mêmes. Aussi leur amitié est-elle par soi. |
[74280] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 15 Secundo ibi, volentes
autem bona etc., ex hoc concludit quod talis amicitia sit maxima. Semper enim
illud quod est per se est potius eo quod est per accidens. Cum igitur haec
amicitia sit per se, aliae autem per accidens, consequens est quod virtuosi
qui volunt bona amicis propter eos et non propter aliquid quod sibi ex eis
proveniat, sunt maxime amici. |
|
#1576. — En second (1156b9), il en conclut que pareille amitié en soit une au plus haut point. Toujours, en effet, ce qui est par soi est plus fort que ce qui est par accident. Comme, donc, cette amitié est par soi, et les autres, par accident, il s'ensuit que les vertueux qui veulent du bien à leurs amis pour eux-mêmes et non pour quelque chose qui leur en provient sont le plus des amis. |
[74281] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 16 Tertio ibi, permanet
igitur etc., concludit ulterius quod, ex quo tales amant seipsos propter hoc
quod boni sunt, consequens est quod eorum amicitia permaneat quousque sunt
boni secundum virtutem. Virtus autem est habitus permanens et non de facili
transiens, ut patet ex his quae in secundo dicta sunt. Ergo talis amicitia
est diuturna. |
|
#1577. — En troisième (1156b11), il conclut davantage: du fait que de pareilles [gens] s'aiment eux-mêmes pour le fait qu'ils sont bons, il s'ensuit que leur amitié dure tant qu'ils sont bons en rapport à la vertu. Or la vertu est un habitus permanent et ne passe pas facilement, comme il appert de ce que l'on a dit au second [livre] (#305). Donc, pareille amitié est durable. |
[74282] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 17 Deinde cum dicit: et est
uterque simpliciter etc., ostendit quod huic amicitiae nihil deest quod
pertinet ad rationem perfecti, ut patet in tertio physicorum. Et circa hoc
tria facit. Primo ostendit quod haec amicitia comprehendit in se ea quae sunt
in aliis amicitiis. Et dicit quod in ista amicitia uterque amicus est bonus
non solum simpliciter, scilicet secundum seipsum, sed etiam per
comparationem ad suum amicum, quia illi qui sunt virtuosi sunt et simpliciter
boni et utiles sibi invicem. Et similiter sunt simpliciter delectabiles et
etiam ad invicem; et hoc ideo quia unicuique sunt delectabiles propriae actiones,
et tales, idest actiones similes propriis. Actiones autem virtuosorum
sunt quidem quae unius, propriae sibi, et quae alterius, similes propriis. Non enim
contrariantur sibi operationes quae sunt secundum virtutem, sed omnes sunt
secundum rationem rectam. Sic ergo
manifestum est quod amicitia virtuosorum non solum habet bonum simpliciter,
sed etiam delectationem et utilitatem. |
|
#1578. — Ensuite (1156b12), il montre qu'à cette amitié, rien ne manque qui touche à la définition de parfait, comme il appert au troisième [livre] de la Physique (ch. 6; lect. 9). À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que cette amitié comprend ce qu'il y a dans les autres amitiés. Il dit que, dans cette amitié, l'un et l'autre ami est bon non seulement absolument, à savoir, en lui-même, mais aussi par comparaison avec son ami. C'est que ceux qui sont vertueux sont à la fois bons absolument, et utiles entre eux et plaisants absolument. La raison en est qu'à chacun sont plaisantes ses propres actions, et de pareilles, c'est-à-dire, des actions semblables aux siennes. Or, chez les [gens] vertueux, il y a, bien sûr, des actions qui sont le fait de l'un, propres à lui, et d'autres, le fait d'un autre, mais semblables aux siennes propres. En effet, les actions qui se conforment à la vertu ne se contrarient pas entre elles; au contraire, toutes se conforment à la raison droite. Ainsi donc, il est manifeste que l'amitié des [gens] vertueux comporte non seulement du bien, absolument, mais aussi plaisir et utilité. 5Amativi. 280 |
[74283] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 18 Secundo ibi: talis autem
amicitia etc., concludit iterum quod talis amicitia rationabiliter est diu
permansiva et non facile transiens, quia in ea coniunguntur omnia quaecumque
requiruntur ad amicos. Omnis enim amicitia est propter bonum vel propter
delectationem: et hoc vel simpliciter, puta quia id quod amatur est
simpliciter bonum et delectabile, vel quia est bonum et delectabile amanti:
et hoc est esse bonum et delectabile non simpliciter et proprie, sed secundum
quamdam similitudinem ad id quod est vere et proprie bonum et delectabile. In hac autem
amicitia omnia praedicta existunt non per accidens, sed per se. Illi enim qui sunt similes secundum hanc amicitiam
virtutis, et reliqua bona habent; quia quod est simpliciter bonum est etiam
delectabile. Et sic, quia huiusmodi amicitia habet omnia quae ad amicitiam
requiruntur, non de facili dissolvitur. Illud enim praetermitti consuevit in
quo defectus aliquis invenitur. |
|
#1579. — En second (1156b17), il conclut encore que pareille amitié, raisonnablement, est longtemps permanente et ne passe pas facilement, car, en elle, s'unit tout ce qui est requis à des amis. En effet, toute amitié existe pour le bien ou pour le plaisir; et cela, soit absolument, par exemple, lorsque ce que l'on aime est bon et plaisant absolument, soit parce que c'est bon ou plaisant pour l'ami. Mais cela est être bon et plaisant non pas absolument et proprement, mais par ressemblance à ce qui est vraiment et proprement bon et plaisant. Dans cette amitié, en effet, tout ce qui précède existe non pas par accident, mais par soi. En effet, ceux qui sont semblables par cette amitié pour la vertu ont aussi le reste des biens, car ce qui est bon absolument est aussi plaisant. Et ainsi, parce qu'une amitié de la sorte comporte tout ce qui est requis à l'amitié, elle ne se dissout pas facilement. En effet, ce qui a coutume de passer, c'est ce en quoi se trouve un défaut. |
[74284] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3
n. 19 Tertio ibi: maxime itaque
etc., concludit iterum hanc amicitiam esse maximam, quia scilicet illa in
quibus coniunguntur omnes rationes amandi, sunt maxime amabilia. Et talia
sunt bona honesta, quia et sunt bona simpliciter et sunt delectabilia et
utilia, unde per consequens oportet quod etiam amare in his maxime accidat,
et amicitia horum sit maxima. |
|
#1580. — En troisième (1156b23), il conclut encore que cette amitié est la plus grande, parce que les [objets] en lesquels s'unissent toutes les raisons d'aimer sont le plus aimables. Et ce sont les biens honorables qui sont de cette nature, car ils sont à la fois bons absolument, et plaisants et utiles. Aussi, par conséquent, il faut qu'aimer se trouve le plus en eux, et que l'amitié pour eux soit la plus grande. |
[74285] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 20 Deinde cum dicit: raras autem etc., ostendit praedictam
amicitiam esse raram, quod est signum perfectionis, nam perfecta in quolibet
genere rarius inveniuntur. Circa hoc autem tria facit. Primo ostendit
propositum duabus rationibus. Quarum prima est, quia haec amicitia est
virtuosorum. Pauci autem sunt tales propter difficultatem attingendi medium,
ut dictum est in secundo. Unde verisimile est quod tales amicitiae sint
rarae. |
|
#1581. — Ensuite (1156b24), il montre que l'amitié dont on vient de parler est rare, ce qui est le signe de la perfection. En effet, la perfection, en tout genre, se trouve rarement. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1156b29), il exclut l'opposé. En troisième (1156b33), il conclut. Il montre son propos, par ailleurs, avec deux raisons. La première en est que cette amitié est le fait de [gens] vertueux. Or il y a peu de pareilles gens, à cause de la difficulté d'atteindre le milieu, comme on l'a dit au second [livre] (#370). Aussi, il est vraisemblable que de pareilles amitiés soient rares. |
[74286] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 21 Secundam rationem ponit ibi, adhuc autem et cetera.
Quia scilicet amicitia talium indiget longo tempore et mutua assuetudine ut
se invicem possint cognoscere et virtuosos et amicos, quia secundum quod
dicitur in proverbio, non contingit quod aliqui seinvicem cognoscant antequam
simul comedant mensuram salis. Non oportet autem quod unus acceptet alium ad
hoc quod sit eius amicus antequam unus appareat alteri amandus et credatur
ita esse; et hoc raro contingit. Unde tales amicitiae sunt rarae. |
|
#1582. — Il présente ensuite la seconde raison (1156b25). L'amitié pour de pareils [biens] a besoin de beaucoup de temps et d'une accoutumance mutuelle, pour que l'on puisse se connaître réciproquement comme vertueux et amis. Car, comme on le dit en proverbe, il ne se peut pas que des gens se connaissent entre eux avant d'avoir mangé ensemble leur mesure de sel. Or il ne faut pas que l'un accepte l'autre pour être son ami avant que l'un apparaisse à l'autre digne d'amour et soit cru tel; et cela arrive rarement. Aussi, de pareilles amitiés sont rares. |
[74287] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 22 Secundo ibi: qui autem cito etc., excludit obiectionem
de illis qui videntur cito fieri amici. Et dicit quod illi qui cito
sibiinvicem exhibent opera amicitiae, manifestant quod volunt esse amici, non
tamen adhuc sunt, quousque sciant quod sint amabiles invicem. Et sic patet
quod cito fit in homine voluntas amicitiae, sed non ita est de ipsa amicitia.
|
|
#1583. — En second (1156b29), il exclut l'objection de ceux qui paraissent devenir vite des amis. Il dit que ceux qui se montrent vite réciproquement des actes d'amitié manifestent qu'ils veulent être amis, mais ils ne le sont pas encore, jusqu'à ce qu'ils sachent qu'ils sont aimables l'un par l'autre. Ainsi appert-il que se produit vite chez l'homme la volonté de l'amitié, mais que, cependant, il n'en va pas ainsi de l'amitié. |
[74288] Sententia Ethic., lib. 8 l. 3 n. 23 Tertio ibi: haec quidem igitur etc., epilogando
concludit quod praedicta amicitia est perfecta, et secundum tempus quia est
diuturna, et secundum reliqua quae dicta sunt. Et perficitur secundum omnia
quae sunt in aliis amicitiis et similis sit uterque amicorum ab altero; quod
requiritur ad amicitiam, propter hoc scilicet quod sunt similes in virtute. |
|
#1584. — En troisième (1156b33), il conclut en épiloguant que l'amitié dont on vient de parler est parfaite, à la fois quant au temps, puisqu'elle est durable, et quant au reste de ce que l'on a dit. En outre, elle est rendue parfaite quant à tout ce qu'il y a dans les autres amitiés. Enfin, pareille [chose] se passe pour l'un et l'autre des amis, de la part de l'autre, ce qui est requis à l'amitié, pour le fait qu'ils sont semblables en vertu. |
|
|
|
Lectio
4 |
|
Leçon 4
|
[74289] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 1 Quae autem propter delectabile et cetera. Postquam
philosophus determinavit de tribus amicitiae speciebus, hic comparat eas
adinvicem. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit in quo aliae amicitiae
sint similes perfectae. Secundo in quo ab ea differant, ibi, propter
delectationem quidem igitur etc.; tertio epilogat quae dicta sunt, ibi,
species autem amicitiae et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit similitudinem
aliarum amicitiarum ad perfectam quantum ad causam amandi. Et dicit quod illa amicitia quae est propter
delectabile habet similitudinem perfectae amicitiae inquantum virtuosi sunt
sibiinvicem delectabiles. Et similiter amicitia quae est propter utile, est
similis perfectae amicitiae, inquantum virtuosi sunt sibiinvicem utiles. |
|
#1585. Après avoir traité des trois espèces de l'amitié, le Philosophe les compare ici entre elles. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre en quoi les autres amitiés sont semblables à la parfaite. En second (1157a16), en quoi elles en diffèrent. En troisième (1157a30), il conclut ce qu'il a dit. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre la ressemblance des autres amitiés avec la parfaite quant à la cause de l'amour. Il dit que l'amitié qui se développe pour le plaisir présente une ressemblance avec l'amitié parfaite du fait que les [gens] vertueux sont plaisants 281 les uns pour les autres. Pareillement, l'amitié qui se développe pour l'utilité ressemble à l'amitié parfaite du fait que les [gens] vertueux sont utiles les uns pour les autres. |
[74290] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 2 Secundo ibi, maxime autem etc., ostendit similitudinem
quantum ad permanentiam amicitiae. Et circa hoc duo facit: primo ostendit
quomodo etiam amicitiae utilis et delectabilis sint permansivae; secundo quae
earum sit permanentior, ibi, qui autem propter utile et cetera. Circa primum
duo facit: primo ponit duos modos quibus praedictae duae amicitiae sunt
permanentes, et in hoc habent similitudinem perfectae amicitiae; secundo
ponit modum in quo deficiunt a permanentia, ibi: qui autem non delectabile et
cetera. Primo ergo ponit primum modum permanentiae; dicens, quod etiam in his
qui sunt amici propter utile et delectabile, maxime sunt amicitiae
permanentes, cum idem et aequale sibiinvicem rependant, puta delectationem
pro delectatione. Et quia secundum diversa delectabilia sunt diversae delectationes
specie et quantitate differentes, oportet quod ad permanentiam amicitiae non
solum rependatur delectatio, sed etiam ab eodem delectabili, sicut accidit in
eutrapelis quorum unus delectatur in ludo alterius. Non autem oportet sic
esse, sicut accidit inter duas personas se amantes amore venereo, quia
quandoque tales non delectantur in eisdem. |
|
#1586. — En second (1157a3), il montre leur ressemblance quant à la durée de l'amitié. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment les amitiés fondées sur l'utilité et le plaisir sont durables. En second (1157a14), laquelle d'entre elles est la plus durable. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente deux modes selon lesquels les deux amitiés mentionnées sont permanentes, et ont en cela de la ressemblance avec l'amitié parfaite. En second (1157a12), il présente des modes dans lesquels elles manquent de permanence. En premier, donc, il présente un premier mode de permanence. Il dit que, même chez ceux qui sont amis pour l'utilité et pour le plaisir, les amitiés sont très permanentes, lorsqu'ils s'échangent entre eux du même et de l'égal, par exemple, plaisir pour plaisir. Comme, en rapport à des objets de plaisir différents, il y a des plaisirs différents en espèce et en quantité, il faut que, pour la permanence de l'amitié, non seulement on s'échange du plaisir, mais [que ce soit] aussi en partant d'un même objet de plaisir, comme il se trouve chez les [gens] enjoués, dont l'un prend plaisir au jeu de l'autre. Cela n'a pas à se passer comme entre deux personnes qui s'aiment en rapport au sexe, car, parfois, de pareilles gens ne prennent pas plaisir aux mêmes [choses]. |
[74291] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 3 Sed amator delectatur in hoc quod videt personam amatam
quae delectatur in hoc quod recipit servitium ab amatore; quibus cessantibus,
quandoque cessat amicitia, dum scilicet ab una parte cessat visio et ex alia
parte cessat servitium. |
|
#1587. — Plutôt, l'amoureux prend plaisir à voir la beauté de celui qu'il aime, tandis que celui qu'il aime, c'est dans le fait de recevoir les attentions de son amoureux. Cela cessant, l'amitié pour le plaisir cesse aussi parfois, quand, d'un côté, la vision cesse et, de l'autre, cessent les attentions. |
[74292] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 4 Secundum modum permanentiae ponit ibi: multi autem
rursus et cetera. Et dicit, quod etiam in amicitia utilis et delectabilis,
multi permanent in amicitia si unus diligat mores alterius sicut luxuriosus
diligit mores alterius luxuriosi, vel unus cupidus lucri mores alterius, non
quod tales mores sint secundum se diligibiles sicut mores virtuosi, sed sunt
diligibiles ex consuetudine, in quantum scilicet ambo sunt similis
consuetudinis. Similitudo autem est per se causa amicitiae, nisi per accidens
impediat privatum bonum, ut supra dictum est; unde, cum mores etiam mali ex
consuetudine acquisiti sint permanentes, sequitur quod talis amicitia sit
permansiva. |
|
#1588. — Il présente ensuite un second mode de permanence (1157a10). Il dit que, même dans l'amitié d'utilité et de plaisir, beaucoup demeurent en amitié si l'un aime les mœurs de l'autre, comme un luxurieux aime les mœurs d'un autre luxurieux, ou un avide de profit aime les mœurs d'un autre; non pas que de pareilles mœurs soient aimables en elles-mêmes; mais par conformité à la coutume, du fait que les deux relèvent d'une coutume semblable. La ressemblance, en effet, est par soi cause d'amitié, sauf si, par accident, elle fait obstacle au bien propre, comme on l'a dit plus haut (#1566). Aussi, comme les mauvaises mœurs, une fois acquises par l'accoutumance, sont permanentes, il s'ensuit que pareille amitié soit durable. |
[74293] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 5 Deinde cum dicit: qui autem non delectabile etc. ponit
modum, quo amicitia deficit in permanendo. Et dicit, quod illi, qui in
amabilibus non recompensant delectabile pro delectabili sed utile pro
delectabili, sunt minus amici propter minorem similitudinem, unde et minus
permanent in amicitia. |
|
#1589. — Ensuite (1157a12), il présente un mode d'après lequel l'amitié manque de permanence. Il dit que ceux qui, dans leurs [actions] aimables, ne rendent pas plaisir pour plaisir, mais utilité pour plaisir, sont moins des amis, à cause de leur plus petite ressemblance. Aussi demeurent-ils moins en amitié. |
[74294] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit: qui autem propter utile etc.,
comparat permanentiam utriusque amicitiae. Et dicit, quod illi qui sunt amici
propter utile simul separantur ab amicitia cessante utilitate, quia non erant
adinvicem amici sui ipsorum, sed utilitatis. Delectatio autem magis provenit
ab ipso amico secundum seipsum, quam utilitas, quae est quandoque secundum
aliquam rem exteriorem. |
|
#1590. — Ensuite (1157a14), il compare la permanence de l'une et l'autre amitié. Il dit que ceux qui sont amis pour l'utile s'écartent pareillement de l'amitié, une fois que cesse l'utilité, parce qu'ils n'étaient pas entre eux des amis d'eux-mêmes, mais de l'utilité. Toutefois, le plaisir provient davantage de celui-là même que l'on aime en lui-même que l'utilité, qui est parfois en rapport à une chose extérieure. |
[74295] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 7 Deinde cum dicit: propter delectationem quidem etc.,
ponit duas differentias duarum amicitiarum ad perfectam. Primo ergo concludit
ex praemissis, quod propter delectationem et utilitatem possunt sibiinvicem
fieri amici homines cuiuscumque condicionis, scilicet et mali malis et boni
malis et etiam illi qui nec sunt virtuosi nec vitiosi, et ad utroslibet et
adinvicem. Sed secundum perfectam amicitiam, qua homines propter seipsos
amantur, non possunt fieri amici nisi boni. Quia in malis non invenitur
aliquid, unde possint seinvicem amare aut in se delectari, nisi propter
aliquam utilitatem. |
|
#1591. — Ensuite (1157a16), il présente deux différences de ces [deux] amitiés avec la parfaite. En premier, donc, il conclut, de ce qui a été dit auparavant, que, pour le plaisir et l'utilité, des gens de n'importe quelle condition peuvent devenir entre eux des amis: des bons avec des bons, et des méchants avec des méchants, et même ceux qui ne sont ni vertueux ni vicieux, à la fois avec n'importe qui et entre eux. Mais quant à l'amitié parfaite, par laquelle les gens s'aiment pour eux-mêmes, ne peuvent devenir des amis que des bons. C'est que, chez les méchants, on ne trouve rien d'où ils pourraient s'aimer entre eux ou se plaire en eux-mêmes, sauf pour une utilité. |
[74296] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 8 Secundam differentiam ponit ibi, et sola autem et
cetera. Et dicit, quod sola amicitia bonorum, quae est perfecta, est de se
intransmutabilis. Transmutatur enim amicitia maxime per hoc, quod unus
amicorum invenit in alio id quod amicitiae contrariatur. Sed hoc non potest
contingere in amicitia bonorum; quia homo non de facili credit alicui malum
de illo quem multo tempore probavit, et nunquam invenit eum aliquid iniustum
facientem, et in quo invenit omnia quaecumque reputantur digna ad veram
amicitiam. Unde talis amicitia non dissolvitur, tum quia est per se et non per
accidens; tum quia est perfecta omnia in se continens quae ad amicitiam
requiruntur, quae rationes supra sunt positae, tum etiam quia non compatitur
impedimentum amicitiae, quod nunc pro ratione inducitur. |
|
#1592. — Il présente ensuite une seconde différence (1157a20). Il dit que seule l'amitié des bons, qui est parfaite, ne se prête pas d'elle-même au changement. En effet, l'amitié change surtout du fait que l'un des amis trouve dans l'autre quelque chose qui contrarie l'amitié. Mais cela ne peut se produire dans l'amitié des bons, car on ne croit pas facilement à du mal chez celui que l'on a éprouvé longtemps, sans jamais le trouver à faire quelque 282 chose d'injuste, et en y trouvant tout ce qui est réputé digne d'une amitié véritable. Aussi, pareille amitié ne se dissout pas, tant parce qu'elle est par soi et non par accident, que parce qu'elle est parfaite, contenant en elle tout ce qui est requis à l'amitié — raisons que l'on a présentées plus haut (#1578-1582) —, qu'aussi parce qu'elle ne souffre pas d'empêchement à l'amitié — ce que l'on apporte maintenant comme raison. |
[74297] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 9 Sed in aliis amicitiis, nihil prohibet quod unus credat
malum de alio, et quod unus iniustum faciat alii. Unde non essent secundum
has amicitias dicendi aliqui amici. Sed quia homines consueverunt tales
vocare amicos tam illos qui propter utile amant (sicut dicitur esse amicitia
inter civitates, propter utilitatem compugnationis contra inimicos), quam
etiam eos qui diligunt se invicem propter delectationem, sicut patet de
pueris; ideo oportet, quod etiam nos sequendo consuetudinem communiter
loquentium, tales nominemus amicos. |
|
#1593. — Mais dans les autres amitiés, rien n'empêche que l'un croie du mal de l'autre, et que l'un fasse une injustice à l'autre. Aussi, il n'y aurait pas lieu, en regard de ces amitiés, de dire des gens amis. Mais les gens ont pris l'habitude d'appeler de pareilles [gens] des amis, tant ceux qui s'aiment pour l'utilité — par exemple, on dit qu'il y a de l'amitié entre les citoyens, pour l'utilité du combat commun contre les ennemis —, que ceux qui s'aiment entre eux pour le plaisir — comme il appert chez les enfants. C'est pourquoi il faut que nous aussi, nous conformant à la manière commune habituelle de parler, nommions de pareilles [gens] des amis. |
[74298] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 10 Deinde cum dicit: species autem amicitiae etc.,
epilogat quae dicta sunt de speciebus amicitiae. Et dicit, quod plures sunt
amicitiae species. Et primo quidem et principaliter est amicitia bonorum,
secundum quod sunt boni. Reliquae autem amicitiae dicuntur secundum
similitudinem huius; in tantum enim dicuntur secundum illas amicitias aliqui
amici, inquantum est ibi aliqua similitudo verae amicitiae. Manifestum est
enim quod delectabile videtur esse quoddam bonum amatoribus delectationum. Et
ita huius amicitia habet aliquam similitudinem eius quae est propter
simpliciter bonum; et eadem ratio est de amicitia utilis. |
|
#1594. — Ensuite (1157a30), il conclut ce qui a été dit des espèces de l'amitié. Il dit qu'il y a plusieurs espèces de l'amitié. En premier, certes, et principalement, il y a l'amitié des bons en tant qu'ils sont bons. Le reste des amitiés, ensuite, on en parle en raison d'une ressemblance avec celle-là. En effet, on parlera d'amis, en rapport à ces amitiés, dans la mesure où il s'y trouve une ressemblance avec l'amitié véritable. En effet, il est manifeste que ce qui est plaisant paraît être un bien pour les amateurs de plaisirs. Par là, cette amitié a une certaine ressemblance avec ce qui est bon absolument. La même raison vaut pour l'amitié fondée sur l'utilité. |
[74299] Sententia Ethic., lib. 8 l. 4 n. 11 Non tamen hae duae amicitiae semper coniunguntur, ut
scilicet sint iidem amici propter utile et delectabile; quia ea quae sunt
secundum accidens non coniunguntur universaliter, sicut musicum et album,
quae per accidens coniunguntur in sorte, non in omnibus coniunguntur;
praedictae autem amicitiae sunt per accidens, sicut supra dictum est: unde
non semper coniunguntur. Sic igitur, cum in praedictas species amicitia
dividatur, mali possunt sibiinvicem esse amici propter delectationem vel
utilitatem, in quantum scilicet sunt sibi invicem similes in altero horum,
sed boni sunt (amici propter se ipsos, in quantum scilicet sunt amici
secundum quod boni sunt). Unde soli boni sunt simpliciter amici. Alii autem
sunt amici secundum similitudinem, inquantum scilicet assimilantur bonis. |
|
#1595. — Cependant, ces deux amitiés ne vont pas toujours ensemble, de façon que ce seraient les mêmes [qui seraient] des amis pour l'utilité et pour le plaisir. C'est que ce qui est par accident ne va pas ensemble universellement: par exemple, le musicien et le blanc. Or les amitiés mentionnées en sont par accident, comme on l'a dit plus haut (#1566); aussi, elles ne vont pas toujours ensemble. Ainsi donc, étant donné que l'amitié se divise en les espèces dont on a parlé, les méchants peuvent être des amis entre eux, du fait d'être semblables l'un à l'autre en l'un de ces [objets]. Mais ce sont les bons seuls qui sont des amis absolument. Les autres, eux, sont des amis par ressemblance, dans la mesure où on les assimile à des bons. |
|
|
|
Lectio
5 |
|
Leçon 5
|
[74300] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 1 Quemadmodum autem in
virtutibus et cetera. Postquam philosophus distinxit species amicitiae, hic
determinat de eis per comparationem ad actum proprium amicitiae. Et circa hoc
duo facit. Primo distinguit amicitiam per habitum et actum. Secundo probat
quod supposuerat, ibi, assimilatur autem amatio et cetera. Circa primum tria
facit. Primo distinguit amicitiam per habitum et actum; secundo ostendit
quomodo quidam privantur amicitia propter defectum actus, ibi: si autem
diuturna etc.; tertio ostendit amicitiam bonorum esse maximam ex ratione
ipsius actus amicitiae, ibi, maxime quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo
quod sicut est in aliis virtutibus, quod quidam dicuntur boni, idest
virtuosi secundum habitum, puta fortes vel liberales, etiam quando actum
virtutis non exercent, quidam vero dicuntur virtuosi secundum hoc quod actu
exercent operationem virtutis: ita etiam est et in amicitia quod quidam
dicuntur actu amici inquantum convivunt cum delectatione adinvicem et
sibiinvicem bene faciunt, quae duo videntur pertinere ad actum amicitiae:
quidam vero non operantur actu opera amicitiae, sed tamen sic sunt dispositi
secundum habitum ut inclinentur ad operandum huiusmodi opera, sicut patet de
amicis quando dormiunt, vel quando abinvicem loco separantur. Non enim ipsa
amicitia simpliciter dissolvitur per distantiam locorum, sed sola amicitiae
operatio. Et sic patet, quod amicitia
remanet habitu etiam operatione cessante. |
|
#1596. — Après avoir distingué les espèces de l'amitié, le Philosophe, ici, en traite par comparaison à l'acte propre de l'amitié. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue l'amitié en habitus et acte. En second (1157b28), il prouve ce qu'il avait supposé. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il distingue les amitiés en habitus et acte. En second (1157b11), il montre que certains perdent l'amitié par défaut de l'exercer. En troisième (1157b25), il montre que c'est l'amitié des bons qui procède le plus de la notion de l'acte même d'amitié. Il dit donc, en premier, que, dans les autres vertus, on appelle des personnes bonnes, c'est-à-dire, vertueuses, par habitus, courageuses, par exemple, ou libérales, même quand elles n'exercent pas l'acte de la vertu; tandis qu'on en appelle d'autres vertueuses du fait d'exercer en acte l'action de la vertu. De même en va-t-il aussi dans l'amitié, dit-il, de sorte que l'on appelle des personnes des amis en acte, dans la mesure où elles trouvent du plaisir à vivre ensemble l'une avec l'autre et où elles se font du bien l'un à l'autre, deux [comportements] qui ont manifestement rapport à l'acte de l'amitié, alors que d'autres, sans exercer en acte les œuvres de l'amitié, sont cependant ainsi disposées, selon leur habitus, à se sentir inclinées à opérer ce type d'actions, comme il appert des amis quand ils dorment, ou quand ils sont séparés l'un de l'autre par le lieu. En effet, ce n'est pas l'amitié, de manière absolue, qui se dissout à cause de la distance des lieux, mais seulement l'action de l'amitié. Ainsi appert-il que l'amitié demeure comme habitus, même si l'action cesse. 283 |
[74301] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 2 Deinde cum dicit: si autem
diuturna etc., ostendit, quomodo in quibusdam deficit amicitia propter
defectum actus. Et primo ostendit propositum. Secundo probat quod
supposuerat, ibi, nihil enim sic est et cetera. Ostendit autem propositum
circa tria genera hominum. Primo quidem circa eos, qui diu abinvicem
separantur. Unde dicit, quod si absentia amicorum abinvicem sit diuturna,
videtur facere oblivionem amicitiae praecedentis. Sicut et alii habitus per
dissuetudinem operandi debilitantur et tandem destruuntur; oportet enim quod
sicut habitus per consuetudinem operum acquiruntur ita etiam per idem
conserventur, nam unumquodque conservatur per suam causam. Et ideo dictum est
in proverbio, quod multae amicitiae dissolvuntur per hoc, quod unus alium non
appellat, id est non colloquitur et convivit alteri. |
|
#1597. — Ensuite (1157b11), il montre comment, chez certains, l'amitié vient à faire défaut, par manque à l'exercer. En premier, il montre son propos. En second (1157b19), il prouve ce qu'il avait supposé. Il montre son propos, par ailleurs, en regard de trois genres d'hommes. En premier, certes, en regard de ceux qui sont séparés longtemps l'un de l'autre. Aussi dit-il que si l'absence des amis dure, elle paraît entraîner l'oubli de l'amitié qui a précédé. De même aussi, les autres habitus, par désaccoutumance d'agir, s'affaiblissent et finalement font défaut, car il faut, puisque les habitus s'acquièrent par l'habitude de leurs actes, qu'ils trouvent leur conservation là-même. Car chaque chose se conserve grâce à sa cause. C'est pourquoi il est dit en proverbe que beaucoup d'amitiés se dissolvent du fait que l'un n'appelle pas l'autre et ne s'entretient ni ne vit avec lui. |
[74302] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 3 Secundo ibi: non videntur
autem etc., ostendit idem circa senes et severos. Et dicit, quod neque etiam
senes, neque severi, idest homines austeri in verbis et convictu,
videntur esse amativi, idest apti ad amicitiam, propter hoc scilicet
quod non sunt apti ad amicitiae actum, qui est convivere. Parum enim
invenitur in eis de delectatione. Et ideo non possunt de facili convivere
aliis, quia nullus potest per diem, id est per aliquod longum tempus,
morari cum homine qui contristat vel qui etiam non delectat. Maxime enim
videtur secundum naturam hominibus et aliis animalibus, quod fugiant
tristitiam et appetant delectationem, quae nihil aliud esse videtur, quam
quies appetitus in bono desiderato. |
|
#1598. — En second (1157b13), il montre la même chose en regard des vieillards et des [gens] moroses6. Il dit que ni les vieillards non plus, ni les gens moroses, c'est-à-dire, austères en mots et dans la vie commune, ne paraissent être enclins à l'amour, c'est-à-dire, aptes à l'amitié, à cause du fait qu'ils ne sont pas aptes à l'acte de l'amitié, qui est de vivre ensemble. En effet, on trouve peu de plaisir chez eux. C'est pourquoi ils ne peuvent pas facilement vivre ensemble, parce que personne ne peut demeurer jour après jour, c'est-à-dire, pour longtemps, avec une personne qui le contriste, ou avec quelqu'un qui ne lui procure aucun plaisir. Il est manifestement naturel, en effet, de fuir la tristesse et de chercher le plaisir, qui n'est manifestement rien d'autre que le repos de l'appétit dans le bien désiré. |
[74303] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 4 Tertio ibi: qui autem
recipiunt etc., ostendit idem circa tertium genus hominum, qui scilicet
recipiunt se adinvicem in hoc scilicet, quod unus acceptat mores et
conversationem alterius, et tamen propter aliquam causam nunquam convivunt
adinvicem. Et dicit, quod tales magis sunt similes benevolis quam amicis,
quia amicitia convictum per aliquod tempus requirit. |
|
#1599. — En troisième (1157b17), il montre la même [chose] en regard d'un troisième genre d'hommes, ceux qui s'acceptent entre eux en ceci que chacun accepte les mœurs et la conversation de l'autre, mais pourtant, pour quelque raison, ne vivent jamais ensemble. Il dit que pareilles [gens] sont plus semblables à des [gens] bienveillants qu'à des amis, parce que l'amitié requiert la vie commune pour quelque temps. |
[74304] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 5 Deinde cum dicit nihil
enim etc., probat quod supposuerat, scilicet quod convivere requiratur ad
amicitiam, sicut proprius actus eius. Et dicit quod nihil sic est proprium
amicorum sicut convivere. Posuit enim duo supra ad actum amicitiae pertinere:
scilicet convivere et tribuere invicem bona, quod est utilitatem afferre
amico: quam quidem utilitatem non omnes in amicis quaerunt, sed soli
indigentes; sed commorari simul per diem, idest per aliquod longum
tempus cum amicis appetunt etiam beati, idest homines in bonis
abundantes, quibus non convenit quod sint solitarii. Nec possunt homines
simul ad invicem conversari, si non sint sibi mutuo delectabiles et non
gaudeant in eisdem; quae duo inveniuntur in amicitia eorum, qui sunt simul
nutriti. Sic ergo patet quod praecipuus actus amicitiae est convivere amico. |
|
#1600. — Ensuite (1157b19), il prouve ce qu'il avait supposé, à savoir, que de vivre ensemble est requis à l'amitié comme son acte propre. Il dit que rien n'est le propre des amis comme de vivre ensemble. En effet, il a présenté plus haut deux choses comme appartenant à l'acte de l'amitié, à savoir, vivre ensemble et se procurer entre eux des biens, ce qui est apporter une utilité à son ami; toutefois, cette utilité, tous ne la cherchent pas de leurs amis, mais seuls les [gens] en besoin. Mais demeurer ensemble jour après jour, c'est-à-dire, pour longtemps, avec ses amis, même les [gens] heureux le désirent, c'est-à-dire, les gens qui abondent en biens, car il ne leur convient pas d'être solitaires. Or les gens ne peuvent pas converser ensemble, s'ils ne sont pas mutuellement plaisants et ne tirent pas leur joie des mêmes [choses]; or ces deux [choses] se retrouvent dans l'amitié de ceux qui se nourrissent ensemble. Ainsi donc, il appert que le principal acte de l'amitié, c'est de vivre avec son ami. |
[74305] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 6 Deinde cum dicit: maxime
quidem igitur etc., concludit ex praemissis quod sit maxima amicitia illa
quae est bonorum, sicut iam pluries dictum est. Hoc enim videtur esse amabile
et eligibile secundum se et simpliciter, quod est simpliciter bonum vel
delectabile. Sed unicuique est amabile et eligibile, quod est tale,
(id est) bonum vel delectabile, quantum ad ipsum. Sed unus virtuosus est
amabilis et eligibilis alteri propter ambo haec, quia scilicet uterque est
bonus et delectabilis simpliciter, et uterque est bonus et delectabilis
alteri. Unde maxime possunt virtuosi delectabiliter adinvicem convivere. |
|
#1601. — Ensuite (1157b25), il conclut, de ce qui a été dit, que celle-là est le plus une amitié, qui appartient aux bons, comme on l'a déjà dit plusieurs fois (#1574-1579, 1592). Cela, en effet, paraît être aimable et objet de choix en soi-même et absolument, qui est bon ou plaisant absolument. Mais pour chacun, est aimable et objet de choix, ce qui est de cette nature, à savoir, bon ou plaisant pour lui-même. Or un vertueux est aimable et objet de choix pour un autre pour les deux [motifs] ensemble, car l'un et l'autre est bon et plaisant absolument, et l'un et l'autre est bon et plaisant pour l'autre. Aussi, ce sont surtout les vertueux qui peuvent vivre ensemble avec plaisir. |
[74306] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 7 Deinde cum dicit
assimilatur autem etc., probat quod supposuerat, scilicet quod amicitia non
solum dicatur secundum actum, sed etiam secundum habitum. Et circa hoc tria
facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit, quod amatio videtur importare
passionem. Sed amicitia videtur importare habitum, et esse similis aliis
habitibus. |
|
#1602. — Ensuite (1157b28), il prouve ce qu'il avait présenté plus haut, que l'amitié ne se dit pas seulement d'après l'acte, mais aussi d'après l'habitus. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention: il dit que l'amour implique manifestement passion, tandis que l'amitié implique manifestement habitus, et ressemble aux autres habitus. 6Severi, . L'idée de base est, en grec, le goût âpre, en latin, l'inflexibilité; pour le français morose, qui origine du latin morosus, c'est la mauvaise humeur. 284 |
[74307] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 8 Secundo ibi: amatio enim
etc., probat propositum duabus rationibus. Quarum prima est quia amatio
simplex potest etiam ad inanimata esse, sicut dicimus amare vinum vel aurum.
Sed redamare, quod pertinet ad rationem amicitiae, ut supra dictum est, est
cum electione; non enim est nisi rationabilium adinvicem. Quod autem fit ex electione,
non fit ex passione sed magis ab habitu. Ergo amicitia est habitus. |
|
#1603. — En second (1157b29), il prouve son propos avec deux raisons. La première en est que l'amour simple peut viser aussi l'inanimé, comme on dit aimer le vin ou l'or. Mais rendre l'amour, ce qui appartient à la notion de l'amitié, comme on l'a dit plus haut (#1557), s'accompagne de choix; en effet, cela n'appartient qu'aux [êtres] raisonnables entre eux. Or ce qui se fait par choix ne se fait pas par passion, mais plutôt par habitus. Donc, l'amitié est un habitus. |
[74308] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 9 Secundam rationem ponit
ibi: et bona volunt et cetera. Et dicit quod homines secundum amicitiam
volunt bona amicis propter ipsos amicos; nam si eis vellent bona propter seipsos,
hoc magis esset diligere se quam alios. Amare autem alios eorum gratia, non
est secundum passionem; quia passio, cum pertineat ad appetitum sensitivum,
non excedit proprium bonum amantis. Unde relinquitur quod hoc sit secundum
habitum et sic amicitia est habitus. |
|
#1604. — Il présente ensuite une seconde raison (1157b31). Il dit que les gens veulent, par amitié, du bien à leurs amis pour leurs amis eux-mêmes. En effet, s'ils leur voulaient du bien pour eux-mêmes, cela serait plus s'aimer qu'[aimer] les autres. Or aimer les autres pour eux ne tient pas de la passion, car la passion, comme elle relève de l'appétit sensible, ne dépasse pas le bien propre de celui qui aime. Aussi en découle-t-il que ce soit par habitus; et ainsi, l'amitié est un habitus. |
[74309] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5
n. 10 Tertio ibi: et amantes
amicum etc., respondet cuidam tacitae obiectioni. Dictum est enim supra, quod
unicuique est amabile, quod est ei bonum. Contra quod videtur esse quod homo
amet amicum illius gratia. Sed ipse respondet, quod illi qui amant amicum,
amant id quod est bonum sibiipsis. Nam, quando ille qui est bonus in se est
factus amicus alicui, fit etiam bonum amico suo. Et sic uterque, dum amat
amicum, amat quod sibi bonum est et uterque retribuit aequale suo amico, et
quantum ad voluntatem inquantum scilicet vult ei bonum, et quantum ad speciem
voluntatis inquantum scilicet vult ei bonum non sui, sed illius gratia; quia
amicitia quaedam aequalitas est, inquantum scilicet requirit mutuam
amationem. Et hoc videtur addere super modum virtutis; nam in qualibet virtute
sufficit actus virtuosi. Sed in amicitia non sufficit actus unius, sed
oportet quod concurrant actus duorum mutuo se amantium; et ideo philosophus
supra non dixit absolute quod esset virtus, sed addidit: vel cum virtute,
quia videtur aliquid addere supra rationem virtutis. |
|
#1605. — En troisième (1157b33), il répond à une objection tacite. Il a été dit plus haut (#1601), en effet, que, pour chacun, ce qui est aimable, c'est ce qui est bon pour lui. Il paraît aller à l'encontre de cela que l'on aime un ami pour lui-même. Il répond qu'au contraire, en aimant un ami, on aime ce qui est bon pour soi. En effet, quand celui qui est bon en lui-même devient un ami pour quelqu'un, il devient aussi bon pour son ami. Et ainsi, l'un et l'autre, pendant qu'ils aiment leur ami, aiment ce qui est bon pour eux; et l'un et l'autre rendent de l'égal à leur ami, déjà en voulant — ils lui veulent du bien —, et en voulant de telle manière — ils lui veulent du bien non pour eux mais pour lui-même; c'est que l'amitié est une espèce d'égalité: elle requiert une forme d'amour mutuel. Cela ajoute manifestement au mode de la vertu. En effet, en toute vertu, l'acte du vertueux suffit. Tandis qu'en amitié, l'acte d'un seul ne suffit pas, mais il faut le concours des actes de deux [personnes] qui s'aiment mutuellement. C'est pourquoi le Philosophe n'a pas dit, de manière absolue, qu'elle est une vertu, mais a ajouté: ou avec vertu, car elle ajoute manifestement quelque chose à la notion de la vertu. |
[74310] Sententia Ethic., lib. 8 l. 5 n. 11 Haec autem quae nunc dicta sunt de amicitia, maxime
videntur inveniri in amicitia bonorum. |
|
#1606. — Par ailleurs, ce que l'on a dit de l'amitié se trouve manifestement le plus dans l'amitié des bons. |
|
|
|
Lectio
6 |
|
Leçon 6
|
[74311] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 1 In severis autem et senibus et cetera. Postquam
philosophus distinxit diversas amicitiae species, hic determinat de huiusmodi
amicitiis per comparationem ad subiectum, quod sunt ipsi amici. Et circa hoc
tria facit. Primo enim agit de aptitudine et ineptitudine quorumdam ad
amicitiam. Secundo agit de multitudine amicorum, ibi: multis autem esse etc.;
tertio de distinctione eorum, ibi: qui autem in potestatibus et cetera. Dicit
ergo primo, quod in hominibus severis et senibus tanto minus fit amicitia
quanto magis sunt discoli, quia scilicet de se ipsis praesumentes
sensum suum sequuntur. Et ideo cum aliis concordare non possunt; minus etiam
gaudent colloquiis aliorum; tum quia sibiipsis intendunt; tum propter
suspicionem quam de aliis habent. Ista autem maxime videntur esse amicitiae
opera et causativa ipsius; scilicet concordia et colloquium amicorum. |
|
#1607. Après avoir distingué les différentes espèces de l'amitié, le Philosophe traite ici de ces amitiés en comparaison de leur sujet, les amis eux-mêmes. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, en effet, il traite de l'aptitude et de l'inaptitude des gens à l'amitié. En second (1158a10), il traite du nombre des amis. En troisième (1158a27), de leur distinction. Il dit donc, en premier, que, chez les gens moroses et les vieillards, l'amitié se développe d'autant moins qu'ils sont plus difficiles, à savoir, que, se fiant à eux-mêmes, ils suivent leur sentiment. Aussi est-ce pourquoi ils ne peuvent s'accorder avec d'autres. Par ailleurs, ils tirent moins de joie des entretiens des autres, tant parce qu'ils regardent à eux-mêmes, que pour le soupçon qu'ils entretiennent face aux autres. Or manifestement c'est là, surtout, que résident les actes de l'amitié et leur cause: la concorde et l'entretien avec les amis. |
[74312] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 2 Et inde est, quod iuvenes,
qui multum in colloquiis gaudent et de facili aliis assentiunt, cito fiunt
amici. Quod non contingit de senibus. Non enim possunt fieri amici illis, de
quorum convictu et colloquio non gaudent. Et eadem ratio est de severis, qui
scilicet sunt litigiosi, et mordaces eorum quae ab aliis aguntur. Tales
autem, scilicet senes et severi, possunt esse benevoli, inquantum aliis bona
volunt in affectu, et etiam in effectu subveniunt in necessitatibus; non
tamen fiunt vere amici, propter hoc quod non convivunt, neque gaudent in
societate amicorum, quae maxime videntur esse amicitiae opera. |
|
#1608. — De là vient que les jeunes, qui retirent beaucoup de joie des entretiens et sont facilement d'accord avec les autres, deviennent vite des amis. Il n'en va pas ainsi des vieillards. En effet, ils ne peuvent devenir amis avec ceux avec qui la vie commune et l'entretien ne leur procure pas de plaisir. La même raison vaut pour les [gens] moroses, qui sont chicaniers7 et mordants à l'endroit de ce que font les autres. De pareilles [gens], cependant, à savoir, les vieillards et les [gens] moroses, peuvent se montrer bienveillants, en ce qu'ils veulent du bien aux autres, de cœur, et subviennent aussi de fait à leurs besoins; mais ils ne deviennent pas véritablement des amis, parce qu'ils ne 7Litigiosi. 285 vivent pas avec [les autres], ni ne retirent de joie dans la société d'amis, alors que ce sont manifestement là les principaux actes de l'amitié. |
[74313] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 3 Deinde cum dicit: multis
autem esse amicum etc., agit de multitudine amicorum. Et circa hoc tria
facit. Primo enim ostendit, quod secundum perfectam amicitiam, quae est
bonorum, non contingit habere multos amicos. Secundo ostendit quod hoc
contingit in aliis duabus amicitiis, quae scilicet sunt propter utile et
delectabile, ibi, propter utile autem et cetera. Tertio comparat utrosque
amicos ad invicem, ibi: horum autem magis et cetera. Ostendit ergo primo,
quod secundum perfectam amicitiam, quae est propter bonum virtutis, non
contingit aliquem esse multis amicum, tribus rationibus. Quarum prima est,
quia cum talis amicitia sit perfecta et maxima, habet similitudinem cuiusdam
superabundantiae in amando, si scilicet consideretur quantitas amoris; sed si
consideretur ratio amandi, non potest ibi esse superabundantia, non enim
contingit virtutem et virtuosum ab alio virtuoso, qui ratione ordinat suos
affectus, nimis amari. Superabundans autem amor, non est natus fieri ad
multos, sed ad unum tantum; sicut patet in amore venereo, secundum quem non
contingit quod unus homo simul multas mulieres superabundanter amet. Ergo
perfecta amicitia bonorum non potest haberi ad multos. |
|
#1609. — Ensuite (1158a10), il traite du nombre des amis. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'en regard de l'amitié parfaite, celle entre les bons, il ne se peut pas que l'on ait beaucoup d'amis. En second (1158a16), il montre que cela se peut dans les deux autres amitiés, celles pour l'utilité et le plaisir. En troisième (1158a18), il compare l'une et l'autre amitiés entre elles. Il montre donc, en premier, qu'en regard de l'amitié parfaite, celle pour le bien de la vertu, il ne se peut pas qu'il y ait beaucoup d'amis, pour trois raisons. La première en est que, comme pareille amitié est parfaite et la plus grande, elle ressemble à quelque chose d'excessif en amour, si l'on regarde la quantité de l'amour [impliqué] — alors que si l'on regarde la notion de l'amour, il ne peut y avoir excès; en effet, il ne se peut pas que la vertu et le vertueux reçoivent trop d'amour d'un autre vertueux, qui ordonne ses affections selon la raison. Or un amour excessif n'est pas de nature à se développer envers beaucoup, mais envers un seul, comme il appert dans l'amour à caractère sexuel, quant auquel il ne se peut pas qu'un homme aime à l'excès plusieurs femmes en même temps. Donc, la parfaite amitié des bons ne peut s'entretenir avec beaucoup. |
[74314] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 4 Secundam rationem ponit
ibi: multos autem et cetera. Quae talis est. Secundum perfectam amicitiam
amici valde invicem sibi placent. Sed non est facile, quod simul eidem multi
valde placeant. Quia non multi inveniuntur, in quibus non inveniatur aliquid
quod displiceat homini aliqualiter affecto, propter multos defectus hominum
et contrarietates eorum adinvicem. Ex quo fit, ut dum unus multum placet,
alius multum placere non possit. Forte etiam non esset bonum et expediens, ut
uni homini multi valde placerent; quia dum multis conviveret, non posset
sibiipsi intendere. Non ergo secundum perfectam amicitiam sunt multi amici. |
|
#1610. — Il présente ensuite la seconde raison (1158a13), qui va comme suit. Selon l'amitié parfaite, les amis se plaisent énormément l'un à l'autre. Or il n'est pas facile que beaucoup plaisent énormément au même en même temps. C'est que l'on n'en trouve pas beaucoup en qui l'on ne trouve pas quelque chose qui déplaise de quelque manière, à cause des nombreux défauts des gens et de leurs contrariétés entre eux. D'où il se fait que, pendant que l'un plaît beaucoup, l'autre ne peut pas plaire beaucoup. Peut-être aussi ne serait-il pas bon et commode que beaucoup plaisent énormément à un seul8, puisque, pendant qu'il vivrait avec beaucoup, il ne pourrait pas regarder à lui-même. Il n'y a donc pas, quant à l'amitié parfaite, beaucoup d'amis. |
[74315] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 5 Tertiam rationem ponit
ibi, oportet autem et cetera. Quae talis est. In amicitia perfecta oportet ex
assuetudine experientiam accipere de amico. Hoc autem est valde difficile; et
sic non potest in multis contingere. Non ergo secundum perfectam amicitiam
sunt plures amici. |
|
#1611. — Il présente ensuite la troisième raison (1158a14), qui va comme suit. Dans l'amitié parfaite, il faut, en le fréquentant, mettre son ami à l'épreuve. Or cela est très difficile; aussi cela ne peut-il pas se faire avec beaucoup. Il n'y a donc pas, quant à l'amitié parfaite, plusieurs amis. |
[74316] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 6 Deinde cum dicit: propter
utile autem etc., ostendit, quod in aliis duabus amicitiis, quae scilicet
sunt propter utile et delectabile, contingit, quod homo habeat multos amicos,
quibus placeat: et hoc propter duo. Primo quidem, quia multi inveniuntur
tales, qui possunt esse utiles et delectabiles. Secundo, quia non requiritur
experientia longi temporis; sed sufficit ad tales amicitias ut etiam in pauco
tempore sibi invicem subministrent delectationem vel etiam aliquam
utilitatem. |
|
#1612. — Ensuite (1158a16), il montre que, dans les deux autres amitiés, celles pour l'utilité et le plaisir, il se peut que l'on ait beaucoup d'amis à qui on plaise, et cela pour deux [raisons]. En premier, certes, parce qu'il se trouve beaucoup de [gens] de nature à pouvoir se montrer utiles et plaisants. En second, parce que cela ne requiert pas l'épreuve d'un long temps; mais il suffit à pareilles amitiés, que l'on se soit, même peu de temps, apporté réciproquement du plaisir ou de l'utilité. |
[74317] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 7 Deinde cum dicit: horum
autem etc., comparat amicos duarum amicitiarum adinvicem. Et primo proponit
quod intendit. Et dicit, quod inter amicos praedictos, qui possunt esse
multi, magis videtur esse amicitia (amicitia) eorum qui propter delectabile
sunt amici. Si tamen idem fiat ab ambobus, ut scilicet uterque alteri
exhibeat delectationem. Sic enim in eisdem adinvicem gaudent, quod est
proprium amicitiae. Est enim signum quod
sit eorum una (anima) qui in eisdem gaudent. Sed hoc non contingit quando ex
una parte exhibetur delectabile et ex alia parte utile. Sunt autem tales
amicitiae iuvenum, qui scilicet utrimque propter delectabile se amant. |
|
#1613. — Ensuite (1158a18), il compare les amis des deux amitiés entre eux. En premier, il propose son intention. Il dit que, parmi les amis dont on a parlé, qui peuvent être plusieurs, l'amitié de ceux qui sont amis pour le plaisir l'est manifestement davantage. Si, toutefois, c'est la même [chose] qui se rend des deux parts, à savoir, que l'un et l'autre procurent à l'autre du plaisir. Ainsi, en effet, ils se font plaisir réciproquement dans les mêmes [choses], ce qui est le propre de l'amitié. Mais il n'en va pas ainsi quand, d'un côté, on procure du plaisir et de l'autre, de l'utilité. De pareilles amitiés, toutefois, appartiennent aux jeunes, qui s'aiment des deux côtés pour le plaisir. |
[74318] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6
n. 8 Secundo ibi: magis enim in
his etc., probat propositum duabus rationibus. Quarum prima est quia in
amicitia delectabilis amici magis se liberaliter amant quam in amicitia
utilis, in qua requiritur recompensatio lucri et sic huiusmodi amicitia
videtur esse quasi negotiatio quaedam. Et ita amicitia quae est propter
delectabile est potior, utpote similior perfectae amicitiae, quae est maxime
liberalis, inquantum secundum ipsam propter se amici amantur. |
|
#1614. — En second (1158a20), il prouve son propos avec deux raisons. La première en est que, dans l'amitié pour le plaisir, les amis s'aiment plus libéralement que dans l'amitié pour l'utilité, dans laquelle on requiert compensation de gain. De cette façon, l'amitié de ce type paraît être comme une espèce de commerce. Aussi l'amitié pour le plaisir est-elle plus forte, en tant que plus[50] semblable à l'amitié parfaite, qui est la plus libérale, du fait que, à son regard, les amis s'aiment pour eux-mêmes. |
[74319] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 9 Secundam rationem ponit ibi: et beati autem et cetera.
Quae talis est. Homines beati, id est bonis abundantes, non indigent
utilibus amicis, quia beati sunt sibi sufficientes: indigent autem amicis
delectabilibus, quia oportet quod aliquibus convivant; quod non potest fieri
sine delectatione. Sustinent enim homines aliquid triste per modicum tempus,
sed continue nullus posset aliquid cum tristitia sustinere, neque etiam ipsum
bonum honestum si esset ei triste. Et inde est quod homines qui non
delectantur in operibus virtutis non possunt in eis perseverare. Sic ergo
patet quod amicitia delectabilis potior est quam amicitia utilis, utpote
pluribus et melioribus necessaria. |
|
#1615. — Il présente ensuite la seconde raison (1158a22), qui va comme suit. Les gens heureux, c'est-à-dire, les gens dans l'abondance, n'ont pas besoin d'amis utiles, car heureux, on se suffit. Cependant, ils ont besoin d'amis plaisants, puisqu'il faut qu'ils vivent avec d'autres, ce qui ne peut se faire, sans plaisir. En effet, les gens supportent quelque chose de triste pour un temps limité, mais personne ne pourrait supporter de manière continue une chose qui comporte tristesse, pas même le bien honorable, s'il était triste pour soi. En conséquence, les gens qui ne prennent pas plaisir aux actions de la vertu ne peuvent persévérer en elles. Ainsi donc, il appert que l'amitié pour le plaisir est plus puissante que l'amitié pour l'utilité, en tant que nécessaire à plus de gens et à de meilleurs. |
[74320] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 10 Tertio ibi: propter quod amicos etc., infert quoddam
corollarium ex dictis. Quia enim etiam bonum honestum, si sit triste, non
potest aliquis continue sustinere, inde etiam est quod amicos propter
virtutem oportet esse delectabiles invicem. Oportet etiam insuper, quod sicut
sunt boni in se, ita etiam sint boni sibi invicem, sic enim habebunt
quaecumque requiruntur in amicitia. |
|
#1616. — En troisième (1158a25), il infère un corollaire de ce qui a été dit. En effet, parce que le bien honorable, s'il est triste, on ne peut le supporter de manière continue, il s'ensuit aussi qu'il faut que ceux qui sont amis à cause des vertus se plaisent entre eux. Il faut même en plus que, comme ils sont bons en eux-mêmes, de même aussi ils soient bons entre eux. C'est ainsi, en effet, qu'ils auront ce qui est requis dans l'amitié. |
[74321] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 11 Deinde cum dicit: qui autem in potestatibus etc., agit
de divisione amicorum et circa hoc tria facit. Primo proponit quod intendit:
scilicet quod homines qui sunt in potestatibus constituti utuntur divisis
amicis, ita scilicet quod alii amicorum sunt eis utiles et alii delectabiles.
Non autem contingit de facili quod iidem homines sint eis amici utroque modo.
|
|
#1617. — Ensuite (1158a27), il traite de la distinction des amis. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention, à savoir, que les gens qui sont constitués en pouvoirs usent d'amis différents, de sorte que d'autres de leurs amis leur sont utiles et d'autres plaisants. Il n'arrive pas facilement, d'ailleurs, que les mêmes gens leur soient des amis de l'une et l'autre manière. |
[74322] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 12 Secundo ibi: neque enim delectabiles etc., probat
propositum; quia scilicet huiusmodi potentes non quaerunt delectabiles
secundum virtutem. Haec enim delectatio habet utilitatem annexam. Neque etiam quaerunt
utiles ad bona honesta; quae quidem utilitas habet delectationem adiunctam.
Sed ad delectationem appetunt quosdam eutrapelos, idest lusivos, puta
histriones. Causa vero utilitatis appetunt
amicos quosdam dimos, idest industrios ad exequendum quodcumque
praeceperint, sive sit bonum sive malum. Ista autem duo non fiunt in eodem,
scilicet industria et iocularitas, quia homines industrii non dant se iocis,
sed seriis; unde patet quod potentes habent amicos divisos. |
|
#1618. — En second (1158a30), il prouve son propos. C'est que des puissants de cette sorte ne recherchent pas des [amis] plaisants en rapport à la vertu — ce plaisir-là, en effet, comporte une utilité annexée. Ils ne recherchent pas non plus des [amis] utiles pour les biens honorables — laquelle utilité, certes, comporte un plaisir adjoint. Mais pour le plaisir, ils désirent des [gens] enjoués, c'est-à- dire, portés sur les jeux, par exemple, des comédiens. Tandis qu'en vue de l'utilité, ils désirent des amis habiles, c'est-à-dire, zélés à exécuter tout ce qu'ils ont commandé, que ce soit bon ou mauvais. Or ces deux [choses] ne se retrouvent pas chez le même, à savoir, le zèle et l'humeur gaie, car les gens zélés ne s'adonnent pas aux plaisanteries, mais aux [choses] sérieuses. Aussi appert-il que les puissants ont différents amis. |
[74323] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 13 Tertio ibi: delectabilis autem etc., respondet cuidam
obiectioni. Posset enim aliquis dicere quod potentibus sunt amici iidem et
delectabiles et utiles, quia, sicut supra dictum est, studiosus, idest
virtuosus, est simul et delectabilis et utilis. Sed ipse respondet quod
virtuosus non fit amicus homini superexcellenti in potentia vel divitiis,
nisi etiam virtuosus superexcellatur a potentiori etiam in virtute. Sed si
hoc non contingat, ille potentior qui est superexcessus in virtute, non adaequat
secundum analogum, id est non recompensat virtuoso secundum proportionem;
ut scilicet, sicut virtuosus defert ei ut potentiori, ita ipse deferat
virtuoso ut meliori. |
|
#1619. — En troisième (1158a33), il répond à une objection. On pourrait dire, en effet, que, pour les puissants, ce sont les mêmes amis, les plaisants et les utiles, car, comme on l'a dit plus haut (#1585), l'honnête homme, c'est-à-dire, le vertueux, est en même temps à la fois plaisant et utile. Mais il répond que le vertueux ne se fait pas ami avec un homme éminent en pouvoir ou en richesses, à moins que le vertueux ne soit dépassé par le puissant en vertu aussi. Mais si cela ne se trouve pas, le plus puissant qui est dépassé en vertu ne se compare pas à un analogue à lui, c'est-à-dire, ne récompense pas le vertueux en proportion, de façon que, de même que le vertueux s'incline devant lui comme devant un plus puissant, de même lui il s'incline devant le vertueux comme devant un meilleur. |
[74324] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 14 Plerumque enim homines, quantum excellunt in potentia
et divitiis, tantum aestimant se meliores. Non autem consueverunt inveniri
tales potentes, qui etiam in virtute excedant, aut virtuoso deferant tamquam
melioribus. |
|
#1620. — Généralement, en effet, les gens, autant ils excellent en puissance et en richesses, autant ils s'estiment meilleurs. Par ailleurs, on n'a pas coutume de trouver des puissants de nature à dépasser aussi en vertu ou à s'incliner devant les vertueux comme devant de meilleurs. |
[74325] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 15 Deinde cum dicit: sunt autem etc., ostendit quod
praedictae amicitiae species in aequalitate consistunt. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit propositum; concludens ex praemissis, quod praedictae
amicitiae in aequalitate consistunt. Et quia de amicitia quae est propter
bonum hoc est manifestum, probat propositum in amicitia utilis et delectabilis,
quia scilicet vel eadem volunt et faciunt sibiinvicem, scilicet
recompensantes delectationem delectationi aut utilitatem utilitati; vel
commutant alterum pro altero, scilicet utilitatem pro delectatione aut e
converso. |
|
#1621. — Ensuite (1158a34), il montre que les espèces d'amitiés dont on a parlé consistent en une égalité. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos, en concluant de ce qui a été dit que les amitiés dont on a parlé consistent en une égalité. Comme, ensuite, concernant l'amitié pour le bien, cela est manifeste, il prouve son propos dans l'amitié d'utilité et de plaisir, parce qu'ou bien ils veulent et se font entre eux la même chose, compensant un plaisir par un plaisir ou une utilité par une utilité; ou bien ils échangent l'un pour l'autre, à savoir, l'utilité pour le plaisir, ou inversement. 287 |
[74326] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 16 Secundo ibi: quoniam autem etc., ostendit quomodo duae
species se habeant ad rationem amicitiae: et dicit manifestum esse ex
praedictis quod sunt minus amicitiae et minus permanent quam perfecta
amicitia quae est bonorum, secundum cuius similitudinem et dissimilitudinem
videntur esse amicitiae et non esse. Inquantum enim habent similitudinem ad
perfectam amicitiam, videntur esse amicitiae, prout scilicet una earum habet
delectabile et alia utile. Perfecta autem amicitia habet et utrumque. |
|
#1622. — En second (1158b4), il montre comment les deux espèces se comportent en regard de la notion d'amitié; il dit qu'il est manifeste, à partir de ce que l'on a dit, que celles qui sont moins des amitiés durent moins que l'amitié parfaite, celle entre les bons, en ressemblance et en dissemblance avec quoi on paraît être des amis, mais n'en est pas. En tant, en effet, qu'elles comportent une ressemblance avec l'amitié parfaite, elles paraissent des amitiés, en tant que l'une d'elles comporte du plaisant et l'autre, de l'utile. Mais l'amitié parfaite comporte l'un et l'autre à la fois. |
[74327] Sententia Ethic., lib. 8 l. 6 n. 17 Sed quantum ad alia sunt dissimiles, prout scilicet
perfecta amicitia est immutabilis et permansiva, aliae autem velociter
transmutantur. Differunt etiam in multis aliis, ut ex praedictis patet. Et
propter hanc dissimilitudinem non videntur esse verae amicitiae. |
|
#1623. — Mais quant à autre chose, elles sont dissemblables, pour autant que l'amitié parfaite est immuable et durable, tandis que les autres se transforment rapidement. Elles diffèrent aussi sous beaucoup d'autres [aspects], comme il appert de ce que l'on a dit (#1594-1595). À cause de cette dissemblance, elles ne paraissent pas être de véritables amitiés. |
|
|
|
Lectio
7 |
|
Leçon 7
|
[74328] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 1 Altera autem est amicitiae
species et cetera. Postquam philosophus distinxit amicitiae species quae in
aequalitate consistunt, hic distinguit species amicitiae quae est inter
inaequales personas. Et circa hoc duo facit. Primo determinat ea quae in
communi pertinent ad talium amicitiarum distinctionem. Secundo determinat de distinctione harum amicitiarum
secundum speciales earum rationes, ibi, videtur autem quemadmodum et cetera.
Circa primum duo facit. Primo agit de amicitiis superexcedentis ad
superexcessum; sicut patris ad filium, viri ad uxorem et huiusmodi; secundo
agit de amicitiis quae videntur esse inter contrarios, puta inter pauperem et
divitem, et huiusmodi, ibi, ex contrariis autem et cetera. Circa primum tria
facit. Primo distinguit huiusmodi amicitiae genus a praecedentibus amicitiis.
Secundo distinguit huiusmodi amicitias abinvicem, ibi, differunt autem et
cetera. Tertio ostendit quomodo huiusmodi amicitiae conservantur, ibi: eadem
quidem utique et cetera. |
|
#1624. Après avoir distingué les espèces des amitiés qui consistent en une égalité, le Philosophe distingue ici les espèces de l'amitié qui ont lieu entre personnes inégales. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il traite de ce qui appartient en commun à la distinction de pareilles amitiés. En second (1159b25), il traite de la distinction des amitiés d'après leurs définitions spéciales. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite des amitiés des supérieurs envers les inférieurs, comme du parent envers son enfant, du mari envers sa femme. En second (1159b12), il traite des amitiés qui se développent entre [gens] contraires, comme entre pauvre et riche, et autres de la sorte. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il distingue le genre d'une amitié de la sorte des amitiés précédentes. En second (1158b14), il distingue les amitiés de la sorte entre elles. En troisième (1158b20), il montre comment se conservent des amitiés de la sorte. |
[74329] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 2 Dicit ergo primo, quod
praeter praedictas amicitias quas diximus in aequalitate consistere, eo quod
sunt similium secundum virtutem vel utilitatem vel delectationem; est quaedam
alia species amicitiae, quae est secundum superabundantiam, inquantum
scilicet una persona excedit aliam, sicut amicitia quae est patris ad filium,
et universaliter senioris ad iuniorem et viri ad uxorem et universaliter
omnis eius qui habet imperium super aliquem, ad eum super quem habet
imperium. |
|
#1625. — Il dit donc, en premier, qu'en dehors des amitiés mentionnées, dont nous avons dit qu'elles consistent en une égalité, du fait qu'elles se développent entre des [gens] semblables en rapport à la vertu, à l'utilité ou au plaisir, il existe une autre espèce d'amitié, qui comporte dépassement, en ce qu'une personne dépasse l'autre, comme l'amitié que développe un parent pour son enfant et, d'une manière universelle, un plus vieux pour un plus jeune, et un mari pour sa femme, et, d'une manière universelle, tout détenteur d'un pouvoir sur quelqu'un pour celui sur qui il a pouvoir. |
[74330] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 3 Deinde cum dicit:
differunt autem etc., ostendit differentiam harum amicitiarum ad invicem. Et
primo proponit quod intendit. Et dicit quod huiusmodi amicitiae differunt
specie abinvicem. Et assignat duas differentias. Unam quidem secundum
diversas relationes superabundantiae. Alia est enim amicitiae species patris
ad filios et alia imperantis ad subditos quibus imperat. Alia vero
differentia est secundum diversam relationem excedentis et excessi. Non enim
eadem est amicitia patris ad filium et filii ad patrem neque etiam eadem est
viri ad uxorem et uxoris ad virum. |
|
#1626. — Ensuite (1158b14), il présente la différence entre ces amitiés. En premier, il présente son intention. Il dit que des amitiés de la sorte diffèrent spécifiquement entre elles. Il assigne deux différences. L'une, bien sûr, d'après des relations différentes de supériorité. Autre, en effet, est l'espèce d'amitié d'un parent pour ses enfants, et autre [celle] de qui commande pour les sujets auxquels il commande. L'autre différence, elle, vient de la relation différente de supérieur à inférieur. Ce n'est pas la même, en effet, l'amitié du parent pour son enfant, et de l'enfant pour son parent; ni n'est la même, celle du mari pour sa femme, et celle de la femme pour son mari. |
[74331] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 4 Secundo ibi: altera enim
etc. ostendit propositum duabus rationibus. Quarum prima est, quia cum
amicitia dicatur secundum habitum et secundum actum, necesse est quod
cuilibet amico insit aliqua habitualis virtus ad exequendum ea quae sunt
amicitiae, et etiam ipsum opus amicitiae. Manifestum est autem in singulis
praedictorum quod non est idem opus, puta patris ad filium et viri ad uxorem
aut etiam filii ad patrem; et per consequens non est eadem virtus. Ergo etiam
sunt diversae amicitiae. |
|
#1627. — En second (1158b17), il montre son propos, avec deux raisons. La première en est qu'étant donné que l'amitié se dit d'après l'habitus et d'après l'acte, il faut qu'à tout ami appartienne une vertu habituelle pour exécuter ce qui relève de l'amitié, et aussi la [façon d']agir même de l'amitié. Il est manifeste, par ailleurs, en chacune des [amitiés] mentionnées, que la [façon d']agir n'est pas la même, par exemple, [celle] du parent envers son enfant, et du mari envers sa femme, ou même de l'enfant envers son parent; et par conséquent, ce n'est pas la même vertu. Donc, les amitiés aussi sont différentes. |
[74332] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 5 Secundam rationem ponit
ibi: altera autem et cetera. Quae talis est. In praedictis amicitiis
inveniuntur diversae rationes propter quas amant. Alia enim ratione pater
amat filium, et filius patrem, et vir uxorem. Sed secundum diversas rationes
amandi sunt diversae amationes, et per consequens diversae amicitiae. |
|
#1628. — Il présente ensuite la seconde raison (1158b18), qui va comme suit. Dans les amitiés mentionnées, on trouve des raisons différentes pour lesquelles on aime. En effet, c'est pour une autre raison que le parent aime son enfant, et l'enfant, son parent, et le mari, sa femme. Or d'après des 288 raisons différentes d'aimer, il se développe des façons différentes d'aimer, et par conséquent, des amitiés différentes. |
[74333] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 6 Deinde cum dicit: eadem
quidem etc., ostendit quomodo praedictae amicitiae conservantur. Et primo
ostendit quod conservantur per hoc quod invicem sibi exhibent quae oportet
secundum amare et amari. Secundo ostendit quomodo amare et amari se habeant
ad amicitiam, ibi, multi autem videntur et cetera. Circa primum tria facit.
Primo ostendit quomodo praedictae amicitiae conservantur per hoc quod
sibiinvicem exhibent quae oportet. Secundo ostendit quod ista considerantur
secundum analogiam, ibi, analogon autem et cetera. Tertio ostendit quomodo
hoc diversimode competat iustitiae et amicitiae, ibi, non similiter autem et
cetera. Dicit ergo primo quod in his amicitiis non fiunt eadem ab utraque
parte amicorum: neque etiam oportet eadem requirere quae quis facit. Sicut
filius non debet requirere a patre reverentiam, quam ei exibet, sicut in
praedictis amicitiis pro delectatione requirebatur delectatio, et pro
utilitate utilitas, sed quando filii exhibent parentibus quae oportet
exhibere principiis suae generationis, et parentes exhibent filiis quae
oportet exhibere a se genitis, tunc talium amicitia erit permansiva et epiiches,
id est virtuosa. |
|
#1629. — Ensuite (1158b20), il montre comment se conservent les amitiés dont on a parlé. En premier, il montre qu'elles se conservent par le fait que l'on se rend l'un à l'autre ce qu'il faut, en ce qui a trait à aimer et à être aimé. En second (1159a12), il montre quelle relation aimer et être aimé entretiennent avec l'amitié. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre comment les amitiés mentionnées se conservent par le fait que l'on se rend l'un à l'autre ce qu'il faut. En second (1158b23), il montre que cela se regarde selon une proportion. En troisième (1158b29), il montre comment cela touche de manière différente à la justice et à l'amitié. Il dit donc, en premier, que, dans ces amitiés, ce n'est pas la même [chose] qui se fait de part et d'autre par les amis; et il ne faut pas non plus requérir que l'on fasse la même [chose] — par exemple, l'enfant ne doit pas requérir de son parent le respect qu'il lui montre —, alors que, dans les amitiés dont on a parlé avant, pour le plaisir on requérait du plaisir, et pour l'utilité, de l'utilité. Mais quand ils rendent à leurs parents ce qu'il faut rendre aux principes de sa génération, et que les parents rendent à leurs enfants ce qu'il faut rendre à ceux que l'on a engendrés, [alors] l'amitié entre tels sera durable et équitable, c'est-à-dire, vertueuse. |
[74334] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 7 Deinde cum dicit: analogon
autem etc., ostendit qualiter exhibeatur, quod oportet in his amicitiis. Et
dicit, quod in omnibus amicitiis quae sunt secundum superabundantiam unius
personae ad aliam, oportet fieri amationem secundum proportionem, ut scilicet
melior plus ametur quam amet: et similis ratio est de utiliori et
delectabiliori, vel qualitercumque aliter excellentiori: cum enim uterque
ametur secundum dignitatem, tunc fiet quaedam aequalitas, scilicet
proportionis, quae videtur ad amicitiam pertinere. |
|
#1630. — Ensuite (1158b23), il montre de quelle manière on rend ce qu'il faut dans ces amitiés. Il dit que, dans toutes les amitiés qui comportent supériorité d'une personne sur une autre, il faut que l'amour se rende selon une proportion, de façon que le meilleur soit plus aimé qu'il n'aime; pareille raison vaut du plus utile et du plus plaisant, ou de n'importe quelle autre manière [dont on serait] plus excellent: en effet, lorsque l'un et l'autre est aimé selon sa dignité, alors se fait l'égalité, celle de proportion, qui paraît appartenir à l'amitié. |
[74335] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 8 Deinde cum dicit: non
similiter autem etc., ostendit, quomodo hoc diversimode conveniat iustitiae
et amicitiae. Et primo ponit differentiam. Secundo manifestat per signum,
ibi, manifestum autem et cetera. Tertio solvit quamdam dubitationem, ibi, et
unde dubitatur etc. Dicit ergo primo, quod aequalitas et proportio, quae
secundum dignitatem attenditur, non similiter se habet in iustitia et
amicitia. Nam sicut supra in quinto dictum est circa iustitiam, oportet quod
primo attendatur vel aestimetur dignitas secundum proportionem; et tunc fiet
commutatio secundum aequalitatem. Sed in amicitia oportet e converso, quod
primo attendatur aliqua aequalitas inter personas mutuo se amantes, et
secundo exhibeatur utrique quod est secundum dignitatem. Et huius
diversitatis ratio est, quia amicitia est quaedam unio sive societas
amicorum, quae non potest esse inter multum distantes, sed oportet quod ad
aequalitatem accedant. Unde ad amicitiam pertinet aequalitate iam constituta
ea aliqualiter uti; sed ad iustitiam pertinet inaequalia ad aequalitatem
reducere. Aequalitate autem existente
cessat iustitiae opus. Et ideo aequalitas est ultimum in iustitia, sed primum
in amicitia. |
|
#1631. — Ensuite (1158b29), il montre comment cela convient de manière différente à la justice et à l'amitié. En premier, il présente la différence. En second (1158b33), il la manifeste par un signe. En troisième (1159a5), il résout une difficulté. Il dit donc, en premier, que l'égalité et la proportion que l'on attend selon la dignité n'a pas lieu de la même manière en justice et en amitié. En effet, comme on l'a dit plus haut, au cinquième [livre] (#935), à propos de la justice, il faut d'abord que l'on regarde ou apprécie la dignité selon une proportion; alors se fera l'échange selon l'égalité. Mais en amitié, il faut, à l'inverse, que l'on regarde d'abord à l'égalité entre les personnes qui s'aiment mutuellement, et en second que l'on rende à l'une et à l'autre ce qui s'accorde avec sa dignité. |
[74336] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 9 Deinde cum dicit
manifestum autem etc., manifestat quod dixerat per signum. Et circa hoc tria
facit. Primo proponit signum. Et dicit, quod hoc quod dictum est, scilicet
quod aequalitas requiratur primo in amicitia: manifestum est per hoc, quod si
sit multa distantia, vel virtutis vel malitiae vel cuiuscumque alterius, non
remanent homines amici neque etiam dignum reputatur quod aliqui habeant
amicitiam cum his qui multum a se distant. |
|
#1632. — La raison de cette différence est que l'amitié est une espèce d'union ou de société d'amis qui ne peut avoir lieu entre des gens trop distants; il faut, au contraire, qu'ils accèdent à l'égalité. Aussi, il appartient à l'amitié d'user de manière égale d'une égalité déjà constituée; tandis qu'il appartient à la justice de ramener les inégaux à l'égalité. L'égalité une fois en place, s'arrête l'œuvre de la justice. C'est pourquoi l'égalité est le [terme] ultime en justice, mais le principe en amitié. |
[74337] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 10 Secundo ibi:
manifestissimum autem etc., ponit triplex exemplum. Primum quidem de diis,
qui plurimum superexcellunt homines in omnibus bonis. Unde non habent
amicitiam cum hominibus, ut scilicet conversentur et convivant cum eis; vocat
autem deos more gentilium substantias separatas. Secundum autem
exemplum ponit de regibus, quorum amicitia non se reputant dignos illi qui
multum ab eis deficiunt. Tertium exemplum ponit de optimis et sapientissimis
viris, quibus non fiunt amici illi qui sunt omnino indigni. |
|
#1633. — Ensuite (1158b33), il manifeste ce qu'il avait dit par un signe. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente le signe. Il dit que cela que l'on a dit, à savoir, que l'égalité est requise dès l'abord en amitié, est manifeste du fait que s'il y a trop de distance, soit de vertu, soit de malice, soit de n'importe quoi d'autre, les gens ne restent pas amis; on ne juge pas non plus qu'il vaille la peine d'entretenir une amitié, pour ceux entre qui il y a trop de distance. |
[74338] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 11 Tertio ibi: certa quidem
etc., respondet tacitae quaestioni. Posset enim aliquis quaerere in quanta
distantia possit amicitia salvari, et in quanta non. Sed ipse respondet, quod
in talibus non potest dari certa determinatio. Sed hoc in generali sufficit
scire, quod multis ablatis ab uno quae insunt alii, adhuc remanet amicitia.
Et si multum distent, puta sicut homines a Deo, non adhuc remanet talis
amicitia, de qua loquimur. |
|
#1634. — En second (1158b35), il présente un triple exemple. En premier, certes, [celui] de ceux qui dépassent énormément les hommes en tous biens. Aussi n'entretiennent-ils pas avec les hommes d'amitié qui les fassent converser et vivre avec eux. Il appelle dieux, par ailleurs, à la manière des gentils, les substances séparées. Il présente comme second exemple [celui] des rois, de l'amitié de qui ne se jugent pas dignes ceux qui leur font trop défaut. Il apporte comme troisième exemple 289 [celui] des gens les meilleurs et les plus sages, avec qui ne se font pas amis ceux qui en sont tout à fait indignes. |
[74339] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 12 Deinde cum dicit: unde et
dubitatur etc., solvit quamdam dubitationem incidentem. Et primo movet eam.
Et dicit, quod ex praedictis dubitatur utrum amici velint suis amicis maxima
bona, puta esse deos, vel reges, aut virtuosissimos. Et videtur quod non;
quia iam non remanebunt eis amici, et ita perdent ipsi magna bona, scilicet
ipsos amicos. |
|
#1635. — En troisième (1159a3), il répond à une question tacite. On pourrait demander, en effet, jusqu'à quelle distance pourrait se conserver l'amitié, et jusqu'à laquelle non. Mais il répond lui-même qu'en pareille [matière], on ne peut fixer une limite certaine. Il suffit, plutôt, de savoir en général que, même quand bien des [choses] manquent à l'un qui appartiennent à l'autre, l'amitié demeure encore. Mais que s'ils sont trop distants, par exemple, comme les hommes par rapport à Dieu, l'amitié dont nous parlons ne demeure plus. |
[74340] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 13 Secundo ibi: si itaque
etc., solvit praedictam dubitationem, dupliciter. Primo quidem quia, cum
dictum est supra quod amicus vult bona amico eius gratia, oportet supponere,
quod habitis illis bonis, ille ipse remaneat qualiscumque est; vult enim
maxima bona amicus amico tamquam existenti homini, non tamquam translato ad
deos. |
|
#1636. — Ensuite (1159a5), il résout une difficulté incidente. En premier, il la soulève. Il dit qu'en ce qui précède, on doute si les amis veulent pour leurs amis les plus grands biens, par exemple, qu'ils soient dieux, ou rois, ou très vertueux. Et il semble que non; car alors ils ne resteront pas pour eux des amis, et ils perdront ainsi eux-mêmes de grands biens, à savoir, leurs amis. |
[74341] Sententia Ethic., lib. 8 l. 7
n. 14 Secundam solutionem ponit
ibi: forte autem et cetera. Et dicit, quod amicus vult bona amico, non magis
quam omnibus aliis. Quia unusquisque vult maxime sibi ipsi bona, unde non
oportet quod velit amico illa bona, per quae ipse perdet amicum, quod est
magnum bonum. |
|
#1637. — En second (1159a8), il résout la difficulté qui précède, de deux manières. En premier, certes, parce que, comme on a dit, plus haut (#1604), que l'ami veut des biens à son ami pour lui-même, il faut supposer qu'en possession de ces biens, il reste lui-même tout ce qu'il est. L'ami veut pour son ami les plus grands biens, en effet, en tant qu'il est un homme, non en tant que transporté chez les dieux. |
|
|
#1638. — Il présente ensuite la seconde solution (1159a11). Il dit que l'ami veut du bien à son ami, mais pas plus qu'à tout autre. Car c'est à soi que chacun veut du bien le plus. Aussi n'y a-t-il pas nécessité qu'il veuille pour son ami les biens par lesquels il perdra son ami, qui est un grand bien. |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
[74342] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 1 Multi autem videntur et
cetera. Postquam philosophus posuit quod amicitia inaequalium personarum
salvatur secundum hoc, quod est amare et amari proportionaliter, hic ostendit
qualiter amari et amare se habeant ad amicitiam. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit quod amare magis est proprium amicitiae quam amari: secundo
ostendit, quod per hoc quod est amare secundum dignitatem sive
proportionaliter amicitia conservatur, ibi, magis autem amicitia et cetera.
Circa primum tria facit. Primo ostendit quare aliqui magis volunt amari, quam
amare. Secundo comparat id quod est amari, ei quod est honorari, ibi, non
propter seipsum autem et cetera. Tertio ostendit, quod amare magis proprium
est amicitiae, quam amari, ibi, videtur autem in amare magis et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit, quod multi
videntur magis velle amari, quam amare. Et hoc, quia sunt amatores honoris.
Pertinet enim ad excellentiores, quibus debetur honor, quod magis amentur
quam ament. |
|
#1639. Après avoir affirmé que l'amitié entre personnes inégales se conserve pour autant qu'on aime et est aimé en proportion, le Philosophe montre ici quelle relation être aimé et aimer entretiennent avec l'amitié. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'aimer est davantage propre à l'amitié qu'être aimé. En second (1159a33), il montre que c'est du fait qu'on aime en conformité avec la dignité, ou en proportion, que l'amitié se conserve. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre pourquoi les gens veulent plus être aimés qu'aimer. En second (1159a17), il compare ce qui concerne être aimé à ce qui concerne être honoré. En troisième (1159a27), il montre qu'aimer est davantage propre à l'amitié qu'être aimé. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que la plupart paraissent vouloir davantage être aimés qu'aimer. Cela, c'est qu'ils aiment l'honneur. En effet, il revient aux plus excellents, à qui l'honneur est dû, d'être aimés plus qu'ils n'aiment. |
[74343] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 2 Secundo ibi, propter quod
amatores etc., probat quod dixerat per signum. Ex hoc enim quod multi volunt
magis amari quam ament, procedit quod multi sunt amatores adulationis, qui
scilicet delectantur in hoc, quod aliquis eis adulatur. Adulator enim, vel in
rei veritate est amicus superexcessus, quia minorum est adulari, vel adulando
aliquis fingit se talem et quod magis amat quam ametur. |
|
#1640. — En second (1159a14), il prouve ce qu'il a dit par un signe. En effet, du fait que la plupart veulent davantage être aimés qu'aimer, il s'ensuit que la plupart aiment la flatterie, c'est-à-dire, qu'ils prennent plaisir à ce qu'on les flatte. Le flatteur, en effet, ou bien est en réalité un ami d'ordre inférieur, car il appartient aux plus petits de flatter, ou bien, en flattant, on feint d'être tel, et d'aimer plus que l'on est aimé. |
[74344] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 3 Tertio ibi: amari autem
etc., exponit quiddam quod dixerat quod scilicet propter amorem honoris
contingat, quod homo velit magis amari quam amet. Et dicit, quod amari
videtur esse propinquum ei quod est honorari, quod desideratur a multis.
Honor enim est quoddam signum bonitatis eius qui honoratur: amatur autem
unumquodque quia est bonum vel apparens bonum. |
|
#1641. — En troisième (1159a16), il explique quelque chose qu'il a dit (#1639), à savoir, que c'est pour l'amour de l'honneur que l'on veut davantage être aimé qu'aimer. Il dit qu'être aimé paraît bien proche d'être honoré, que la plupart désirent. En effet, l'honneur est un signe de la bonté de celui qui est honoré; or on aime tout ce qui est bon, ou apparemment bon. |
[74345] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 4 Deinde cum dicit: non
propter se ipsum autem etc., comparat id quod est amari ei quod est honorari.
Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quare aliqui volunt honorari. Et
dicit, quod homines videntur desiderare honorem non propter ipsum honorem,
sed per accidens. A duobus enim generibus hominum maxime quaerunt homines
honorari. |
|
#1642. — Ensuite (1159a17), il compare ce qu'il en est d'être aimé à ce qu'il en est d'être honoré. 290 À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre pourquoi les gens veulent être honorés. Il dit que les gens désirent manifestement l'honneur non pour l'honneur même, mais par accident. Car c'est par deux genres d'hommes que l'on cherche le plus à être honoré. |
[74346] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 5 Multi enim gaudent si
honorentur a potentibus, non propter ipsum honorem, sed propter spem quam
inde concipiunt. Existimant enim ab his a quibus honorantur se adepturos
aliquid quo indigent. Et ita gaudent de honore quasi de quodam signo bonae
passionis, idest bonae affectionis honorantium ad eos. Alii autem sunt,
qui appetunt honorari ab epiikibus, id est a virtuosis, et scientibus,
quia per hoc appetunt firmare propriam opinionem de sua bonitate. Et ita per
se gaudent de eo, quod sunt boni; quasi hoc credentes iudicio proborum, qui
hoc ipso quod eos honorant, videntur dicere eos esse bonos. |
|
#1643. — La plupart, en effet, se réjouissent à être honorés par des puissants, non pour l'honneur même, mais pour l'espoir qu'ils conçoivent à partir de là. En effet, ils estiment qu'ils vont obtenir ce dont ils manquent de ceux par qui ils sont honorés. C'est pourquoi ils se réjouissent de l'honneur comme d'un signe de bon sentiment, c'est-à-dire, de bonne affection envers eux de la part de ceux qui les honorent. Il y en a d'autres, par ailleurs, qui désirent l'honneur qui vient des gens honnêtes, c'est-à-dire, des vertueux et des sages, parce qu'ils désirent confirmer par là leur propre opinion de leur bonté. Aussi, ils se réjouissent par soi de ce qu'ils sont bons, croyant presque le tenir du jugement des gens honnêtes, qui, du fait même de les honorer, paraissent dire qu'ils sont bons. |
[74347] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 6 Secundo ibi: in amari
autem etc., dicit quod homines gaudent de hoc quod amantur, etiam secundum
seipsum: quia hoc ipsum, quod est habere amicos, videtur esse praecipuum
inter exteriora bona. |
|
#1644. — En second (1159a25), il dit que les gens se réjouissent du fait d'être aimés, même par soi, car cela même, d'avoir des amis, paraît être le principal parmi les biens extérieurs. |
[74348] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 7 Tertio ibi: propter quod
videbitur etc., concludit propositum. Quia enim id quod est per se potius est
eo quod est per accidens, sequitur ex praemissis, quod amari sit melius eo
quod est honorari, inquantum amicitia est secundum se eligibilis. |
|
#1645. — En troisième (1159a25), il conclut son propos. C'est pourquoi, comme ce qui est par soi est plus fort que ce qui est par accident, il s'ensuit de ce qui précède qu'être aimé soit mieux qu'être honoré, dans la mesure où l'amitié est par soi préférable. |
[74349] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 8 Deinde cum dicit: videtur
autem etc., ostendit in quo consistat magis amicitiae virtus, utrum in amare
vel in amari. Et dicit quod magis consistat in amare. Amicitia enim dicitur
per modum cuiusdam habitus, ut supra ostensum est; habitus autem
determinantur ad operationes. Amare autem est bene operari; amari autem
potius est quasi bene pati; unde magis est proprium amicitiae amare, quam
amari. |
|
#1646. — Ensuite (1159a27), il montre en quoi consiste davantage la vertu d'amitié, si [c'est] à aimer ou à être aimé. Il dit qu'elle consiste plus à aimer. En effet, l'amitié se dit par manière d'habitus, comme il a été montré plus haut (#1596, 1602, 1627). Or l'habitus prépare à agir. Par ailleurs, aimer est agir bien, tandis qu'être aimé est plutôt comme subir bien. Aussi, il est davantage propre à l'amitié d'aimer que d'être aimé. |
[74350] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 9 Et hoc manifestat per
quoddam signum. Matres enim, quarum est vehemens amicitia ad filios,
delectantur magis in hoc quod ament filios quam quod amentur ab eis; quaedam
enim matres dant filios suos aliis ad nutriendum; et scientes eos esse
filios, amant eos, non tamen multum quaerunt quod ab eis reamentur, si hoc
fieri non potest, sed videtur eis sufficere si videant quod bene agant et
bene se habeant; et ita ipsae amant filios, quamvis ipsi non possint
attribuere matri convenientem amorem propter ignorantiam, qua scilicet
ignorant eas esse matres. |
|
#1647. — Il manifeste cela par un signe. Les mères, en effet, chez qui on trouve une amitié véhémente envers leurs enfants, prennent plus plaisir à aimer leurs enfants qu'à en être aimées. Certaines mères, en effet, confient leurs enfants à d'autres pour les nourrir. Elles aiment leurs enfants du seul fait de savoir qu'ils le sont, mais ne cherchent pas beaucoup à être aimées d'eux en retour, comme cela ne peut se faire; il semble bien, plutôt, qu'il leur suffise de voir qu'ils agissent bien et se comportent bien. Ainsi, elles aiment leurs enfants, bien qu'eux ne puissent rendre à leur mère l'amour qui convient, par ignorance, car ils ignorent qu'elles sont leurs mères. |
[74351] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 10 Deinde cum dicit: magis
autem etc., ostendit quomodo per hoc quod est amare secundum dignitatem, sive
proportionaliter, amicitia conservetur. Et primo ostendit quomodo amicitia
sit permansiva secundum hoc quod est amare proportionaliter. Secundo comparat
quantum ad praedicta diversas amicitiae species, ibi, et maxime quidem eorum
et cetera. Dicit ergo primo quod cum amicitia magis consistat in amare quam
in amari, amici laudantur ex hoc quod amant, non ex eo quod amantur. Haec
enim est laus amantium. |
|
#1648. — Ensuite (1159a33), il montre comment c'est du fait qu'on aime en conformité avec la dignité, ou en proportion, que l'amitié se conserve. En premier, il montre comment l'amitié est durable selon que l'on aime en proportion. En second (1159b3), il compare différentes espèces d'amitiés en regard de ce dont il a parlé. Il dit donc, en premier, que, comme l'amitié consiste plus à aimer qu'à être aimé, on loue les amis du fait d'aimer, non du fait d'être aimés. C'est là, en effet, la louange de ceux qui aiment. |
[74352] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 11 Et quia unusquisque
laudatur secundum propriam virtutem, consequens est quod amicorum virtus
attendatur secundum hoc quod est amare. Et ideo in quibuscumque hoc contingit
quod ament amicos secundum proportionem dignitatis eorum, tales permanent
amici, et eorum amicitia est perseverans. Sic enim dum se invicem amant
secundum suam dignitatem, etiam illi qui sunt inaequalis conditionis poterunt
esse amici, quia per hoc aequabuntur; dum unus eorum quo magis deficit in
bonitate, aut in quacumque excellentia, eo plus amat: et ita abundantia
amoris recompensat defectum conditionis. Et sic per quamdam aequalitatem et
similitudinem, quae proprie pertinet ad amicitiam, fiunt et perseverant
amici. |
|
#1649. — Parce qu'on loue chacun selon sa vertu propre, il s'ensuit que la vertu de qui aime se prenne selon qu'il aime. C'est pourquoi, chez tous ceux qui se trouvent à aimer leurs amis en proportion de leur dignité, de pareilles [gens] demeurent amis, et leur amitié persévère. Ainsi, en effet, pour autant qu'ils s'aiment mutuellement en conformité à leur dignité, même ceux qui sont de condition inégale pourront être amis, parce qu'ils deviendront égaux tant que l'un aime d'autant plus qu'il manque en bonté, ou en n'importe quelle excellence; et ainsi, l'abondance de l'amour compense le défaut de condition. Cela reste donc par l'égalité et la ressemblance, qui appartient proprement à l'amitié, que se font et persévèrent les amis. |
[74353] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 12 Deinde cum dicit: et
maxime quidem etc., comparat diversas amicitiae species secundum praedicta.
Et primo ostendit quae amicitia sit maxime permansiva. Et dicit quod
similitudo, quae est amicitiae factiva et conservativa, maxime videtur esse
inter virtuosos. Ipsi enim et permanent similes in seipsis, quia non de
facili mutantur ab uno in aliud, et permanent etiam in amicitia adinvicem. Et
hoc ideo, quia unus eorum non indiget quod alius pro eo faciat aliquid
pravum; quod esset contra facientis virtutem, et neuter eorum servit alteri
de aliquo pravo, sed, si potest dici quod inter virtuosos sit aliquid pravum,
magis unus eorum prohibet alterum prave operari. Ad bonos enim pertinet quod
neque ipsi peccent, neque sustineant quod amici eorum peccata exhibeant. |
|
#1650. — Ensuite (1159b3), il compare différentes espèces d'amitié en regard de ce dont on a parlé. En premier, il montre quelle amitié est le plus durable. Il dit que la ressemblance productrice et conservatrice de l'amitié se produit manifestement surtout entre [gens] vertueux. Eux, en effet, à la fois demeurent semblables à eux-mêmes, du fait qu'ils ne changent pas facilement d'un état à un autre, et demeurent aussi en amitié entre eux. C'est que l'un n'a pas besoin que l'autre fasse pour lui quelque chose de mauvais, ce qui irait contre la vertu de celui qui le ferait. De plus, ni l'un ni l'autre ne sert à l'autre pour quoi que ce soit de mauvais. Mais s'il peut être dit que quelque chose de mau- 291 vais intervient entre [gens] vertueux, c'est plutôt que l'un empêche l'autre d'agir mal. Il appartient aux bons, en effet, qu'eux-mêmes ne se rendent pas fautifs et qu'ils ne supportent pas non plus que leurs amis se rendent fautifs. |
[74354] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 13 Secundo ibi: mali autem
etc., ostendit quae amicitia sit minime permansiva. Et dicit quod homines
mali non habent aliquid firmum et stabile in seipsis. Quia enim malitia, cui
insistunt, est secundum seipsam odibilis, oportet quod per diversa eorum
affectus varietur, dum nihil inveniunt in quo voluntas eorum quiescere
possit, et ita neque sibi ipsis diu permanent similes, sed volunt contraria
eorum quae prius voluerunt: et sic ad paucum tempus fiunt amici, quamdiu
scilicet gaudent malitia in qua concordent. |
|
#1651. — En second (1159b7), il montre quelle amitié est le moins durable. Il dit que les gens mauvais n'ont rien de ferme et de stable en eux-mêmes. Car la malice, sur laquelle ils se fondent, est en elle-même haïssable; ainsi, leur affection change, comme ils ne trouvent rien en quoi leur volonté puisse se reposer, tellement qu'ils ne restent pas même longtemps semblables à eux-mêmes. Mais ils veulent le contraire de ce qu'ils voulaient avant; ainsi, c'est pour peu de temps qu'ils deviennent amis, tant qu'ils se réjouissent de la malice en laquelle ils concordent. |
[74355] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 14 Tertio ibi: utiles autem
etc., ostendit quae amicitiae circa hoc medio modo se habeant. Et dicit quod
amici utiles et delectabiles sibiinvicem magis permanent in amicitia quam
mali. Utilitas enim et delectatio in se habent, unde amentur. Unde tantum
durat talium amicitia, quamdiu mutuo sibi tribuunt delectationes vel
utilitates. Secus autem est de his qui sunt amici propter malitiam, quae
secundum se nihil amabilitatis habet. |
|
#1652. — En troisième (1159b10), il montre quelles amitiés tiennent le milieu à ce regard. Il dit que les amis utiles et plaisants demeurent davantage en amitié entre eux que les méchants. En effet, l'utilité et le plaisir ont en eux de quoi être aimés. Aussi, l'amitié entre tels dure tant qu'ils se rendent mutuellement des plaisirs ou des utilités. Il en va autrement de ceux qui sont amis pour leur malice, car ils n'ont rien d'aimable en eux-mêmes. |
[74356] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8 n. 15 Deinde cum dicit: ex contrariis autem etc., determinat
de amicitia contrariorum adinvicem. Et primo ostendit in qua specie amicitiae
hoc contingat quod videatur esse amicitia inter contraria. Secundo ostendit
quomodo contrarium appetat suum contrarium, ibi, forte autem et cetera. Circa
primum tria facit. Primo ostendit quod huiusmodi contrarietas amicorum maxime
videtur esse in amicitia utilis. Et dicit quod amicitia quae est ex
contrariis, puta quod pauper amet divitem et indoctus scientem, maxime
videtur esse propter utilitatem, in quantum scilicet unus amicorum appetens
ab alio id quo ipse indiget redonat ei aliquid aliud; sicut pauper appetit
consequi divitias a divite pro quibus impendit ei obsequium. |
|
#1653. — Ensuite (1159b12), il traite de l'amitié des [gens] contraires entre eux. En premier, il montre en quelle espèce d'amitié cela se produit qu'il semble y avoir amitié entre [gens] contraires. En second (1159b19), il montre comment le contraire désire son contraire. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que cette espèce de contrariété des amis se voit surtout pour l'utilité, en tant que l'un des amis désire de l'autre ce dont il a lui-même besoin, et lui rend quelque chose d'autre; comme le pauvre désire obtenir des richesses du riche, pour lesquelles il rend un service. |
[74357] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 16 Secundo ibi: hic autem
utique etc., ostendit quomodo hoc etiam possit pertinere ad amicitiam
delectabilis. Et dicit quod ad hunc modum amicitiae potest etiam aliquis
attrahere amorem venereum, quo amator amat amatum; est enim ibi quandoque
contrarietas, sicut inter pulchrum et turpe. In amicitia autem quae est
propter virtutem, nullo modo habet locum contrarietas, quia in tali amicitia
est maxima similitudo, ut supra dictum est. |
|
#1654. — En second (1159b15), il montre comment cela peut appartenir aussi à l'amitié plaisante. Il dit que l'on peut ramener aussi à ce mode de l'amitié l'amour sexuel, dont l'amant aime l'aimé. Il y a parfois là de la contrariété, en effet, comme entre le beau et le laid. Mais dans l'amitié qui se développe pour la vertu, on ne trouve d'aucune manière de la contrariété, parce que c'est en pareille amitié que l'on trouve le plus de ressemblance, comme on l'a dit (#1580). |
[74358] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 17 Tertio ibi, propter quod
videntur etc., infert quoddam corollarium ex dictis. Et dicit quod, quia
inter amatorem et amatum est quandoque contrarietas, sicut inter turpe et
pulchrum, inde est quod quandoque videntur deridendi amatores qui reputant se
dignos ut tantum amentur quantum ament; quod quidem dignum est, si aequaliter
sint amabiles. Sed si nihil habeant tale, quo scilicet sint digni tantum
amari, ridiculum est si hoc quaerunt. |
|
#1655. — En troisième (1159b16), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. Il dit que, du fait qu'il y ait parfois de la contrariété entre amant et aimé, comme entre le laid et le beau, il s'ensuit que parfois les amants ont l'air ridicules, quand ils se pensent dignes d'être aussi aimés qu'ils aiment. Car cela ne convient que s'ils sont aimables de manière égale. Mais s'ils n'ont rien de nature à se trouver dignes d'être aimés autant, il leur est ridicule de le chercher. |
[74359] Sententia Ethic., lib. 8 l. 8
n. 18 Deinde cum dicit: forte
autem etc., ostendit quomodo contrarium appetat suum contrarium. Et dicit
quod hoc non est secundum se, sed secundum accidens. Per se enim appetitur medium,
quod est bonum subiecto quod afficitur per unum contrarium in excessu. Puta, si corpus alicuius hominis sit valde siccum, non
est ei bonum et appetibile fieri humidum per se loquendo, sed venire ad
medium, quod accidit superveniente humido. Et eadem ratio est de calido et
aliis huiusmodi contrariis. Et quia haec magis pertinent ad physicam
considerationem, ideo dicit hic ea esse praetermittenda. |
|
#1656. — Ensuite (1159b19), il montre comment le contraire désire son contraire. Il dit que cela ne va pas par soi, mais par accident. Par soi, en effet, il désire le milieu, qui est bon pour le sujet affligé à l'excès par un contraire. Par exemple, si le corps d'un homme est très sec, il ne lui est pas bon et désirable de devenir humide à parler par soi, mais d'en venir entre deux, ce qui se produit avec l'intervention de l'humide. La même raison vaut du chaud et des contraires de la sorte. Mais comme cela appartient davantage à la considération naturelle, il dit que l'on doit l'omettre ici. |
|
|
|
Lectio
9 |
|
Leçon 9
|
[74360] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 1 Videtur autem, quemadmodum
in principiis et cetera. Postquam philosophus in communi tetigit diversas
species amicitiarum quae sunt inaequalium personarum, hic distinguit
huiusmodi species secundum proprias rationes earum. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit quod huiusmodi amicitiarum species consequuntur politicas
communicationes. Secundo distinguit amicitiarum species secundum
distinctiones politicarum, ibi, politicae autem sunt tres species et cetera.
Circa primum ponit talem rationem. Omnis amicitia in communicatione quadam
consistit; omnis autem communicatio reducitur ad politicam. Ergo omnes
amicitiae species secundum politicas communicationes sunt accipiendae. Circa
hoc ergo tria facit: primo probat primum; secundo secundum, ibi,
communicationes autem omnes et cetera. Tertio infert conclusionem, ibi: omnes
itaque communicationes et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod
amicitia omnis in communicatione consistit. Secundo ostendit quod amicitia
secundum diversitatem communicationis diversificatur, ibi, sunt autem
fratribus et cetera. Primum ostendit tripliciter. |
|
#1657. — Après avoir touché les différentes espèces d'amitiés qui se développent entre personnes inégales, le Philosophe distingue ici ces espèces selon leurs définitions propres. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que les espèces des amitiés de cette sorte suivent dans leurs distinctions les relations9 politiques. En second (1160a31), il distingue les espèces des amitiés d'après les distinctions entre les relations politiques. 9Communicationes. 292 Sur le premier [point], il présente une raison [qui va] comme suit. Toute amitié consiste en une relation. Toute relation se ramène à une [relation] politique. Donc, toutes les amitiés sont à prendre en regard de relations politiques. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il prouve la première [proposition]. En second (1160a8), la seconde. En troisième (1160a28), il infère la conclusion. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que toute amitié consiste en une relation. En second (1159b32), il montre que l'amitié se diversifie d'après la variété des relations. Il montre le premier [point] de trois manières. |
[74361] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 2 Primo, quidem per
rationem, quae talis est. Sicut supra dictum est, circa eadem est iustitia et
amicitia. Sed iustitia consistit in communicatione. Quaelibet est enim
iustitia ad alterum, ut in V dictum est. Ergo et amicitia in communicatione
consistit. |
|
#1658. — En premier, certes, avec une raison qui va comme suit. Comme on l'a dit plus haut ( #1632), c'est sur la même [matière] que portent la justice et l'amitié. Or la justice consiste en une relation. En effet, toute justice s'exerce envers autrui, comme on l'a dit au cinquième [livre] (#885, 886, 906, 909, 934). Donc, l'amitié aussi consiste en une relation. |
[74362] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 3 Secundo ibi, appellant
igitur etc., ostendit idem ex usu loquendi. Homines enim consueverunt
appellare amicos eos, qui secundum aliquam communicationem sibi communicant;
puta connavigatores qui communicant in navigando, et commilitones qui
communicant in militia. Et eadem ratio est in aliis communicationibus, quia
tantum videtur esse amicitia inter aliquos quantum sibi communicant. Et
secundum hoc est etiam inter eos iustitia. |
|
#1659. — En second (1159b27), il montre la même [chose] à partir de la manière usuelle de parler. En effet, les gens ont l'habitude d'appeler leurs amis ceux qui ont une relation de quelque forme avec eux; par exemple, leurs compagnons de navigation, avec qui ils ont comme relation le fait de naviguer ensemble, et leurs compagnons d'arme, avec qui ils ont comme relation de se trouver ensemble dans l'armée. La même raison vaut dans les autres relations, car il paraît y avoir de l'amitié entre les gens en autant qu'ils ont des relations entre eux. En effet, c'est aussi sous ce regard qu'il y a entre eux de la justice. |
[74363] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 4 Tertio ibi: et proverbium
etc., probat idem per commune proverbium. Vulgo enim dicitur in proverbio
quod ea quae sunt amicorum sunt communia, et hoc recte dicitur, quia amicitia
in communicatione consistit. |
|
#1660. — En troisième (1159b31), il prouve la même [chose] avec un proverbe commun. On dit communément, en effet, que pour les amis tout est commun. Donc, l'amitié consiste en une relation. |
[74364] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 5 Deinde cum dicit: sunt
autem fratribus etc., ostendit quod secundum diversas communicationes
differunt amicitiae. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit diversitatem
amicitiarum secundum diversitatem communicationis. Videmus enim quod
fratribus et personis ita coniunctis sunt omnia communia, puta domus, mensa
et alia huiusmodi. Aliis autem amicis sunt quaedam discreta. Et quibusdam
plura et quibusdam pauciora. Et secundum hoc etiam amicitiarum quaedam sunt
maiores, scilicet inter illos qui habent plura communia, quaedam vero
minores, scilicet inter illos qui in paucioribus communicant. Et ex hoc
manifeste apparet quod, si nulla esset communicatio non posset esse amicitia.
|
|
#1661. — Ensuite (1159b32), il montre qu'en regard de relations différentes les amitiés sont différentes. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre la diversité des amitiés, suivant la diversité des relations. Nous voyons, en effet, que, pour les frères et autres personnes ainsi unies, tout est commun, par exemple, la maison, la table et ainsi de suite. Pour les autres amis, par contre, des [choses] sont séparées. Pour certains plus et pour d'autres moins. Sous ce regard aussi, certaines amitiés sont plus grandes, à savoir, entre ceux qui ont plus en commun; et certaines amitiés sont moindres, comme celles qui ont cours entre ceux qui ont moins de choses en commun. C'est de là qu'apparaît le plus que s'il n'y avait aucune relation il ne pourrait y avoir d'amitié. |
[74365] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 6 Secundo ibi, differunt
autem etc., ostendit quod etiam iustitia diversificatur secundum diversas
communicationes. Non enim idem est iustum in qualibet communicatione, sed
differens: sicut patet quod non idem est iustum inter patres et filios et
inter fratres adinvicem. Et similiter aliud est iustum inter etairos,
idest coaetaneos et connutritos, et inter cives, quia alia sibi mutuo tamquam
debita exhibent. Et eadem ratio est in aliis amicitiis. Et sic patet, quod
altera iusta sunt inter singulos praedictorum. |
|
#1662. — En second (1159b35), il montre que la justice est différente, selon que les relations sont différentes. En effet, ce n'est pas la même [chose] qui est juste en toute forme de relation, mais une différente; ainsi, il est évident que ce n'est pas la même [chose] qui est juste entre parent et enfants, et entre frères. Pareillement encore, c'est autre chose qui est juste entre compagnons, c'est-à-dire, d'âge10 et d'éducation11, et entre citoyens, car ce sont d'autres [choses] qu'ils se rendent mutuellement en se les devant. La même raison vaut dans les différentes amitiés. Ainsi appert-il que ce sont d'autres choses qui sont justes dans chacun des [cas] mentionnés. |
[74366] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 7 Tertio ibi: et
augmentationem etc., ostendit, quomodo iustitia diversificatur secundum
differentiam amicitiae. Et dicit, quod iustitia et iniustitia accipiunt
augmentum ex hoc, quod sunt ad magis amicos. Quia scilicet magis amico bene
facere quidem est iustius, nocere autem iniustius; sicut quod aliquis privet
pecuniis per furtum aut rapinam hominem sibi familiarem et connutritum est
durius et iniustius quam si privaret civem, et similiter si subtrahat
auxilium fratri quam si subtraheret extraneo; et si percutiat patrem, quam si
percutiat quemcumque alium. |
|
#1663. — En troisième (1160a3), il montre comment la justice comporte les mêmes différences que l'amitié. Il dit que la justice et l'injustice croissent du fait de s'exercer envers des [personnes] davantage amies. Car agir mieux envers un ami est certes plus juste, et lui nuire, plus injuste. Par exemple, dépouiller de son argent, par vol ou rapine, un homme qui nous est familier et avec qui on vit est plus dur et plus injuste, que dépouiller un citoyen [quelconque]. Pareillement, priver d'aide un frère, [plus injuste] que d'en priver un étranger; et frapper son parent, que frapper n'importe qui[51]. |
[74367] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 8 Quod autem simul augetur
amicitia et iustum, procedit ex hoc, quod in eisdem existunt, et utrumque
pertinet ad quamdam aequalitatem communicationis. Et per hoc signum
confirmatur quod supra dictum est. |
|
#1664. — Par ailleurs, que l'amitié et le juste croissent ensemble, cela vient de ce qu'ils existent chez les mêmes [personnes], et que l'un et l'autre concernent une égalité de relation. Par ce signe se confirme ce que l'on a dit plus haut (#1361). |
[74368] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9
n. 9 Deinde cum dicit communicationes
autem omnes etc., ostendit, quod omnes communicationes ad politicam
communicationem reducuntur. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit, quod
omnes communicationes similitudinem habent cum communicatione politica.
Secundo ostendit, quod omnes aliae continentur sub politica, ibi, aliae
quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod omnes communicationes habent
aliquam similitudinem cum partibus politicae communicationis. Videmus enim,
quod omnes communicantes conveniunt in aliquo utili; ad hoc scilicet quod
acquirant aliquid eorum, quae sunt necessaria vitae. Et hoc etiam videtur
habere politica communicatio: quia propter utilitatem communem videntur
cives, et a principio simul convenisse, et in hoc etiam perseverare. Quod
patet ex duobus. |
|
#1665. — Ensuite (1160a8), il montre que toutes les relations se ramènent à une [relation] politique. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que toutes les relations ont de la ressemblance avec la relation politique. En second (1160a14), il montre que toutes les autres relations sont contenues sous la [relation] politique. Il dit donc, en premier, que toutes les relations ont de la ressemblance avec des parties de la relation politique. Nous voyons bien, en effet, que tous ceux qui ont des relations se retrouvent en quelque chose d'utile, à savoir, pour acquérir quelque chose de nécessaire à la vie. La relation politique a aussi manifestement de cela, car c'est pour l'utilité commune que, manifestement, les citoyens se retrouvent ensemble dès le début, et persévèrent en cela. Et cela appert à partir de deux [sources]. |
[74369] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9 n. 10 Primo quidem, quia legislatores ad hoc maxime tendere
videntur, ut procurent utilitatem communem; secundo quia homines hoc dicunt
esse iustum in civitate quod communiter civibus confert. |
|
#1666. — En premier, certes, parce que les législateurs paraissent tendre surtout à procurer l'utilité commune. En second, parce que les gens disent que cela est juste dans une cité, qui est communément utile aux citoyens. |
[74370] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9 n. 11 Deinde cum dicit: aliae quidem igitur etc., ostendit,
quod aliae communicationes sub politica continentur. Et circa hoc tria facit.
Primo ostendit, quomodo quaedam aliarum communicationum ordinantur ad aliquam
particularem utilitatem. Et dicit, quod communicationes aliae praeter
politicam intendunt aliquod particulare conferens: puta connavigantes
intendunt acquirere pecuniam si sint mercatores, vel aliquid aliud huiusmodi
sicut civitatem aliquam si sint bellatores; commilitones autem intendunt
acquirere illud propter quod est bellum, sive hoc sit pecunia sive sola
victoria, sive dominium alicuius civitatis; et similiter etiam illi, qui sunt
unius tribus vel unius plebis, ad aliquod particulare commodum conveniunt. |
|
#1667. — Ensuite (1160a14), il montre que les autres relations sont contenues sous la politique. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre comment certaines des autres relations visent à une utilité particulière. Il dit que les autres relations, à part la [relation] politique, cherchent une utilité particulière; par exemple, les compagnons de navigation cherchent à acquérir de l'argent, s'ils sont des marchands, ou quelque autre chose de la sorte. Par ailleurs, s'ils sont des guerriers, ils se retrouvent ensemble pour la [fin] pour laquelle se fait la guerre; que ce soit de l'argent, ou la seule victoire, ou la maîtrise de quelque cité. Ainsi aussi, ceux qui sont d'une tribu ou d'un peuple se retrouvent pour une commodité particulière. |
[74371] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9 n. 12 Secundo ibi, quaedam autem etc., ostendit, quod etiam
communicationes, quae videntur fieri propter delectationem, fiunt propter
aliquid utile. Et dicit quod quaedam communicationes videntur fieri propter
delectationem, sicut conchoreantium, idest eorum qui simul cantant in
choro vel chorea; et aeranistarum, idest eorum qui utuntur sonis
aereorum instrumentorum, puta tubis vel cymbalis. Huiusmodi autem
communicationes consueverunt fieri causa sacrificii, ut ibi delectabiliter
homines detineantur, et causa connubii, id est nuptiarum, ut vir et
uxor magis se ament, cum in tanta iocunditate conveniant. |
|
#1668.
— En second (1160a19), il montre que même les relations qui paraissent se
faire pour le plaisir se font pour quelque chose d'utile. Il dit que
certaines relations paraissent se faire pour le plaisir, par exemple, pour
les compagnons de chœur, c'est-à-dire, pour ceux qui chantent ensemble dans
un chœur ou une chorale; et pour les airainistes 12, c'est-à-dire,
pour ceux qui se servent des sons d'instruments d'airain, par exemple, de
trompette ou de cymbales. Des relations de la sorte ont eu coutume de se
faire en vue d'un sacrifice, pour que les gens y restent avec plus de
plaisir, et en vue du mariage, c'est-à-dire, des noces, pour que le mari et
la femme aient plus de plaisir, en se mettant en relation dans tant
d'agrément. |
[74372] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9 n. 13 Tertio ibi:
omnes autem etc., ostendit ex praemissis quod omnes praedictae
communicationes sub politica continentur. Et dicit, quod omnes consueverunt
esse sub politica, inquantum scilicet consuetum est, quod omnes per politicam
ordinantur. Et huius rationem assignat; quia aliae communicationes, sicut
dictum est, ordinantur ad aliquam particularem utilitatem. Politica autem non
intendit aliquod particulare et praesens commodum, sed intendit ad id quod
est utile per totam vitam. Et hoc specialiter ostendit circa communicationes
delectantium; et maxime in sacrificiis, de quibus minus videtur. |
|
#1669. — En troisième (1160a21), il montre, à partir de ce qu'il a dit, que toutes les autres relations mentionnées sont contenues sous la politique. Il dit que toutes ont coutume de se trouver sous la politique, dans la mesure où il est de coutume que toutes soient ordonnées par la politique. Il en assigne la raison, que les autres relations, comme on l'a dit (#1667), visent à une utilité particulière. La politique, elle, ne vise pas à une commodité particulière et présente, mais elle vise ce qui est utile pour la vie totale. Cela, il le montre spécialement pour les relations d'agrément, et surtout à propos des sacrifices, où cela appert le moins. |
[74373] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9 n. 14 Et dicit, quod illi qui faciunt sacrificia in huiusmodi
congregationibus, intendunt honorem tribuere Deo, et sibi ipsis acquirere
requiem cum aliqua delectatione, quod ordinatur ad utilitatem vitae. Unde et apud
antiquos post collectionem fructuum, scilicet in autumno, fiebant sacrificia
et congregationes hominum, puta ad solvendum primitias. Hoc enim erat tempus
aptum ad hoc quod homines vacarent; tum ut requiescerent a praecedentibus
laboribus, tum quia suppetebat eis copia victualium. Et sic patet, quod omnia
ista subduntur ordinationi politicae, quasi pertinentia ad utilitatem vitae. |
|
#1670. — Il dit que ceux qui font des sacrifices dans des réunions de la sorte, visent à rendre honneur à Dieu, et à acquérir pour eux-mêmes du repos avec du plaisir, ce qui vise à l'utilité de la vie. Aussi, même chez les anciens, après la moisson des fruits, à savoir, en automne, se faisaient des sacrifices et des réunions de gens, par exemple, pour offrir les prémices. En effet, c'était là le temps adéquat pour que les gens vaquent, tant pour se reposer des travaux précédents, que parce que l'abondance des victuailles le leur permettait. Ainsi appert-il que tout cela est soumis à l'ordonnance politique, comme pertinent à l'utilité de la vie. 12Aerenistae. 294 |
[74374] Sententia Ethic., lib. 8 l. 9 n. 15 Deinde cum dicit: omnes itaque communicationes etc.,
inducit conclusionem intentam; videlicet, quod omnes communicationes
continentur sub politica, sicut quaedam partes eius; inquantum aliae
ordinantur ad quaedam particularia commoda, politica autem ad communem
utilitatem. Et quia amicitiae consequenter se habent ad tales
communicationes, consequens est etiam, quod amicitiarum distinctio secundum
politicam attendatur. |
|
#1671. — Ensuite (1160a28), il induit la conclusion cherchée, à savoir, que toutes les relations sont contenues sous la politique, comme de ses parties, en tant que les autres visent à des commodités particulières, tandis que la politique [vise] à l'utilité commune. Puisque les amitiés s'ensuivent de pareilles relations, il s'ensuit aussi que la distinction des amitiés est à attendre d'après [celle de] la politique. |
|
|
|
Lectio
10 |
|
Leçon 10
|
[74375] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 1 Politicae autem sunt species tres et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod amicitiae species reducuntur ad politicam
communicationem, hic distinguit eas secundum distinctionem politicae
communicationis. Et circa hoc duo facit. Primo distinguit amicitiarum
species, secundum distinctionem politicae communicationis. Secundo subdividit
huiusmodi amicitiae species, ibi: in communicatione quidem igitur et cetera.
Circa primum duo facit. Primo distinguit politicas communicationes adinvicem.
Secundo distinguit, secundum eas, amicitiarum species, ibi, secundum
unamquamque autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo distinguit species
communicationis politicae. Secundo ad earum similitudinem assignat species
communicationis oeconomicae, ibi, similitudines autem et cetera. Circa primum
tria facit. Primo assignat species politicarum. Secundo comparat eas adinvicem,
ibi, harum autem et cetera. Tertio ostendit, quomodo corrumpantur, ibi,
transgressio autem regni et cetera. |
|
#1672. Après avoir montré que les espèces de l'amitié se ramènent à une relation politique, le Philosophe les distingue ici d'après la distinction entre les relations politiques. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue les espèces d'amitiés d'après les différences entre les relations politiques13. En second (1161b11), il subdivise les espèces de ces amitiés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue entre elles les relations politiques. En second (1161a10), il distingue, d'après elles, les espèces d'amitiés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue les espèces de relations politiques. En second (1160b22), il assigne à leur ressemblance les espèces de relations économiques. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il assigne les espèces de [relations] politiques. En second (1160a35), il les compare entre elles. En troisième (1160a36), il montre comment elles se corrompent. |
[74376] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 2 Dicit ergo primo, quod tres sunt species politicae
communicationis, et totidem sunt corruptiones sive transgressiones earum.
Rectae quidem politicae sunt tres: scilicet regnum quod est principatus
unius; et aristocratia, quae est potestas optimorum eo quod huiusmodi
civilitas per virtuosos gubernatur. Videtur autem conveniens, quod sit
quaedam alia species, licet quidam eam non ponant ut patet in IV politicae,
quae convenienter nominatur timocratia a pretiis (timos enim pretium
dicitur), quia videlicet in hac politia pretia dantur pauperibus, et damna
inferuntur divitibus, si non conveniant ad publicas congregationes, ut patet
in quarto politicae. Quidam autem consueverunt eam vocare communi nomine
politicam, eo quod est communis et divitibus et pauperibus, ut patet in
quarto politicae. |
|
#1673. — Il dit donc, en premier, qu'il y a trois espèces de la relation politique, et autant de corruptions ou de déviations pour elles. Il y a, bien sûr, trois [relations] politiques correctes, à savoir, la royauté14, qui est le gouvernement d'un seul, l'aristocratie, qui est le pouvoir des meilleurs, du fait qu'une organisation civile15 de la sorte est gouvernée par les [gens] vertueux. Il semble bien convenable, toutefois, qu'il y ait une autre espèce, bien qu'on ne la présente pas, comme il appert au quatrième [livre] de la Politique (c. 4; lect. 7), et on la nomme avec convenance timocratie, de timos. Timos signifie prix16, car dans cette [relation] politique, on donne des primes aux pauvres, et on impose des amendes aux riches, s'ils ne viennent pas aux réunions politiques, comme il appert au quatrième [livre] de la Politique (c. 7; lect. 8). Certains, cependant, ont pris coutume de l'appeler du nom commun de politique17, du fait qu'elle est commune aux riches et aux pauvres, comme il appert au quatrième [livre] de la Politique (c. 3; lect. 2). |
[74377] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 3 Deinde cum dicit: harum autem etc., comparat huiusmodi
politias ad invicem. Et dicit, quod inter eas optima est regnum, in
quo unus optimus principatur: pessima autem, id est minus bona, est timocratia,
in qua plures mediocres principantur; media autem est aristocratia, in qua
pauci optimi principantur, quorum tamen non est tanta potestas ad bene
agendum sicut unius optimi habentis plenitudinem potestatis. |
|
#1674. — Ensuite (1160a35), il compare ces [relations] politiques entre elles. Il dit qu'entre elles, la meilleure est la royauté, dans laquelle un seul et le meilleur commande, tandis que la pire, c'est-àdire, la moins bonne, est la timocratie, où plusieurs médiocres commandent; est, par ailleurs, intermédiaire l'aristocratie, dans laquelle peu parmi les meilleurs commandent, dont cependant le pouvoir à bien faire n'est pas aussi grand que celui du seul et meilleur agent, qui a plénitude de pouvoir[52]. |
[74378] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 4 Deinde cum dicit transgressio autem etc., agit de
corruptione sive transgressione praedictarum politicarum. Et primo de
corruptione regni. Secundo de corruptione aristocratiae, ibi, ex aristocratia
autem et cetera. Tertio de corruptione timocratiae, ibi: ex timocratia autem
et cetera. Circa primum duo facit. Primo quidem proponit quod intendit. Et
dicit quod transgressio sive corruptio regni vocatur tyrannus. Et hoc
manifestat, primo quidem per hoc quod genere conveniunt. Ambo enim sunt monarchiae,
idest principatus unius: sicut enim in regno principatur unus, ita et in
tyrannide. |
|
#1675. — Ensuite (1160a36), il traite de la corruption ou de la déviation des [relations] politiques mentionnées. En premier, de la corruption de la royauté. En second (1160b12), de la corruption de l'aristocratie. En troisième (1160b16), de la corruption de la timocratie. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que la déviation ou corruption de la royauté s'appelle tyrannie. Il manifeste cela, en premier du fait qu'elles conviennent quant au genre. En effet, les deux sont des monarchies, c'est-à-dire, commandements d'un seul; de même, en effet, que, dans la royauté, un seul commande, de même aussi dans la tyrannie. |
[74379] Sententia
Ethic., lib. 8 l. 10 n. 5 Secundo assignat differentiam
eorum adinvicem. Et dicit quod plurimum
differunt. Et ex hoc apparet quod sunt contraria. Contraria enim sunt quae
plurimum differunt et in eodem genere. Hanc autem differentiam manifestat,
dicens quod tyrannus intendit in suo regimine quod est utile sibiipsi, rex
autem intendit id quod est utile subditorum. |
|
#1676. — En second, il assigne leur différence entre elles. Il dit qu'elles diffèrent au plus haut point. Il en appert qu'elles sont contraires. En effet, les contraires sont ce qui diffère le plus dans le même genre. Il manifeste cette différence, par ailleurs, en disant que le tyran cherche, dans son gouvernement, ce qui lui est utile à lui-même, tandis que le roi cherche ce qui est utile à ses sujets. |
[74380] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 6 Et hoc probat quia non potest vere dici rex qui non est
per se sufficiens ad regendum, ut scilicet sit superexcellens in omnibus
bonis, et animae et corporis, et exteriorum rerum, ut sit dignus et potens ad
principandum. Cum autem talis sit, non indiget aliquo, et ideo non intendet
ad utilitatem suam, quod est indigentium, sed ad hoc quod bene faciat
subditis, quod est superabundantium. Ille enim qui non est talis,
scilicet superexcellens in omnibus bonis, magis potest dici clerotes,
quasi sorte assumptus ad principandum, quam rex. Sed tyrannus se habet per
contrarium ad regem, quia quaerit bonum sibi. Unde
patet quod ipsa corruptio est pessima. Pessimum enim est contrarium optimo.
Transgreditur autem aliquis ex regno, quod est optimum, sicut dictum est, in
tyrannidem, quae nihil est aliud quam pravitas monarchiae, id est principatus
unius, et rex quando fit malus dicitur tyrannus. Unde patet quod tyrannus est
pessima. |
|
#1677. — Il prouve cela du fait que l'on ne peut pas avec vérité appeler roi celui qui ne se suffit pas par soi pour régner, de sorte qu'il abonde extrêmement en tous biens, et d'âme et de corps, et de choses extérieures, de façon à obtenir dignité et puissance pour commander. Lorsque l'on est tel, on n'a pas besoin d'autre chose, et c'est pourquoi on ne cherche pas son utilité propre, ce qui est le cas des indigents, mais à faire du bien à ses sujets, ce qui est le cas de ceux qui vivent dans l'abondance. En effet, celui qui n'est pas tel, à savoir, avec surabondance en tous biens, on peut davantage le dire tiré au sort, comme choisi par le sort pour gouverner, que roi. Le tyran, lui, entretient une relation de contrariété avec le roi, parce qu'il cherche son bien à lui. Aussi appert-il que cette corruption-là est la pire. Le pire, en effet, c'est le contraire du meilleur. Or on dévie de la royauté, qui est ce qu'il y a de mieux, comme on l'a dit (#1676), à la tyrannie, qui n'est rien d'autre que la malice de la monarchie et du gouvernement d'un seul, et le roi, quand il devient mauvais, on le dit tyran. Aussi appert-il que le tyran est ce qu'il y a de pire. |
[74381] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 7 Deinde cum dicit: ex aristocratia autem etc., agit de
corruptione aristocratiae. Et dicit quod ex aristocratia fit transgressio in
oligarchiam, quae est principatus paucorum. Et hoc propter malitiam eorum qui
principantur; qui bona civitatis non distribuunt secundum dignitatem, sed
omnia bona civitatis vel plurima eorum usurpant sibiipsis, et semper
principatus eisdem conferunt, hoc plurimum intendentes, ut ditentur ipsi et
amici eorum. Et ex hoc contingit quod loco maxime virtuosorum qui praesunt
aristocratiae, principantur pauci et mali. |
|
#1678. — Ensuite (1160b12), il traite de la corruption de l'aristocratie. Il dit que de l'aristocratie, on dévie à l'oligarchie, qui signifie commandement de peu. Et cela, à cause de la malice de ceux qui commandent, lesquels ne distribuent pas les biens de la cité selon la dignité [des citoyens], mais usurpent tous les biens de la cité ou la plupart d'entre eux pour eux-mêmes, et confèrent toujours le gouvernement aux mêmes, cherchant surtout à s'enrichir eux-mêmes et leurs amis. Par là, il se trouve qu'au lieu des plus vertueux, qui président à l'aristocratie, commandent peu de gens et de méchants. |
[74382] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 8 Deinde cum dicit: ex timocratia autem etc., agit de
corruptione timocratiae. Et dicit quod corrumpitur in democratiam quae est
potestas populi. Ambae enim hae politicae sunt conterminales, idest vicinae.
Assimilantur enim in duobus. Primo quidem, quia etiam timocratia quae est
potestas pretiorum, est principatus multitudinis, sicut et democratia.
Secundo quia in utraque politica omnes qui sunt in honoribus constituti, sunt
aequales. Differunt autem quia in timocratia intenditur commune bonum divitum
et pauperum. In democratia autem intenditur solum bonum pauperum. Unde minima
perversitas est democratiae. Parum enim recedit a timocratia quae est rectae
politicae species. |
|
#1679. — Ensuite (1160b16), il traite de la corruption de la timocratie. Il dit qu'elle se corrompt en la démocratie, qui est le pouvoir du peuple. Ces deux [relations] politiques, en effet, sont contiguës, c'est-à-dire, voisines. Elles s'assimilent sur deux [points]. En premier, certes, parce que la timocratie aussi, qui est le pouvoir de [ceux qui payent le] cens, est le gouvernement de la multitude, comme la démocratie. En second, parce qu'en l'une et l'autre politie18, tous ceux qui sont constitués dans les honneurs sont égaux. Cependant, elles diffèrent, parce que, dans la timocratie, on cherche le bien commun des riches et des pauvres, tandis que, dans la démocratie, on cherche seulement le bien des pauvres. Aussi la perversité de la démocratie est-elle la moins grande. Elle s'écarte peu, en effet, de la timocratie, qui est une espèce de politique correcte. |
[74383] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 9 Concludit igitur quod politicae maxime sic
transmutantur invicem et ita de facili corrumpuntur, sicut praedictum est. |
|
#1680. — Il conclut donc que les [relations] politiques passent beaucoup de l'une à l'autre, et ainsi se corrompent facilement, comme il a été dit (#1675-1679). |
[74384] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 10 Deinde cum dicit similitudines autem etc., distinguit
secundum praedictorum similitudinem communicationes yconomicas. Et primo
ostendit quid in his respondeat regno et tyrannidi. Secundo quid
aristocratiae et oligarchiae, ibi, viri autem et uxoris et cetera. Tertio
quid timocratiae et democratiae, ibi, timocraticus autem et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit quod similitudo et
exemplum praedictarum politicarum, potest accipi in rebus domesticis. |
|
#1681. — Ensuite (1160b22), il distingue, à la ressemblance de ce dont il vient de parler, entre les [relations] politiques et économiques. En premier, il montre ce qui, en elles, correspond à la royauté et à la tyrannie. En second (1160b32), ce qui [correspond] à l'aristocratie et à l'oligarchie. En troisième (1161a3), ce qui [correspond] à la timocratie et à la démocratie. 18Politia, , constitution. 296 Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que l'on peut trouver, dans les choses domestiques, une ressemblance et un exemple des [relations] politiques dont on a parlé. |
[74385] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 11 Secundo ibi: patris quidem enim etc., ostendit quid in
huiusmodi respondeat regno. Et eius opposito. Et primo quid respondeat regno.
Et dicit quod communicatio quae est inter patrem et filios habet
similitudinem regni; quia pater habet curam filiorum, sicut rex subditorum.
Et inde est quod Homerus Iovem, propter regiam potestatem, appellavit patrem.
Principatus enim patris in domo est quasi quoddam regnum. |
|
#1682. — En second (1160b24), il montre ce qui, en cela, correspond à la royauté. Il dit que la relation qui existe entre père et enfants ressemble à la royauté, car le père a soin de ses enfants, comme le roi de ses sujets. C'est pour cela qu'Homère a appelé Jupiter, à cause de son pouvoir royal, père. En effet, le gouvernement du père en sa maison est comme une royauté. |
[74386] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 12 Secundo ibi: in Persis autem etc., ostendit quid
respondeat in domibus tyrannidi: et ponit duos modos. Quorum unus est
secundum quod apud Persas patres se habent ad filios; qui utuntur filiis
quasi servis. Secundus autem modus est quo domini se habent ad servos; quia
domini utuntur servis intendendo ad suipsorum utilitatem. Hi autem duo modi
differunt, nam unus videtur esse rectus, quo scilicet domini utuntur servis
ad suam utilitatem, alius autem est perversus, quo scilicet Persae utuntur
filiis quasi servis. Oportet enim quod diversis aliquis diversimode
principetur. Unde perversum est quod aliquis principetur similiter liberis et
servis. |
|
#1683. — En troisième (1160b27), il montre ce qui correspond, dans les maisons, à la tyrannie. Il en présente deux modes. L'un est la relation que, chez les Perses, les pères entretiennent avec leurs enfants, eux qui usent de leurs enfants comme d'esclaves. Le second mode, lui, est la relation que les maîtres entretiennent avec leurs esclaves, car les maîtres usent de leurs esclaves en cherchant leur propre utilité. Toutefois, ces deux modes diffèrent: en effet, l'un paraît plus correct, celui dont les maîtres usent de leurs esclaves pour leur utilité, tandis que l'autre paraît pervers, dont les pères usent de leurs enfants comme d'esclaves. En effet, il faut qu'à des [sujets] différents on commande de manière différente. Aussi est-il pervers que l'on commande de façon pareille aux [hommes] libres et aux esclaves. |
[74387] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 13 Deinde cum dicit: viri autem et uxoris etc., ostendit
quid in domibus respondeat aristocratiae et eius opposito. Et circa hoc duo
facit. Primo ostendit quid respondeat aristocratiae. Et dicit quod
principatus quo vir et uxor dominantur in domo, est aristocraticus; quia vir
habet dominium et curam circa ea quae pertinent ad virum secundum suam
dignitatem, et dimittit uxori illa quae pertinent ad eam. |
|
#1684. — Ensuite (1160b32), il montre ce qui, dans les maisons, correspond à l'aristocratie et à son opposé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qui correspond à l'aristocratie. Il dit que le gouvernement selon lequel mari et femme sont maîtres dans la maison est aristocratique; car le mari a maîtrise et soin de ce qui appartient au mari selon sa dignité, et laisse à sa femme ce qui lui appartient. |
[74388] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 14 Secundo ibi, omnium autem etc., ponit duos modos
respondentes oligarchiae. Quorum unus est, quando vir vult omnia disponere et
nullius rei dominium relinquit uxori. Hoc enim non est secundum dignitatem
nec secundum quod melius est. Alius autem modus est, quando uxores totaliter
principantur eo quod ipsae sunt haeredes, et tunc principatus non fit
secundum virtutem sed propter divitias et potentiam, sicut accidit in
oligarchiis. |
|
#1685. — En second (1160b35), il présente deux modes qui correspondent à l'oligarchie. L'un d'eux, c'est quand le mari veut tout disposer et ne laisse maîtrise de rien à sa femme. Car cela ne va pas selon la dignité ni selon ce qui est le mieux. L'autre mode, c'est quand les femmes commandent complètement du fait d'être héritières; le gouvernement, alors, ne se fait pas selon la vertu, mais à cause des richesses et de la puissance, comme il arrive dans les oligarchies. |
[74389] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 15 Deinde cum dicit timocraticus autem etc., ostendit quid
respondeat timocratiae et eius opposito. Et primo quid respondeat
timocratiae. Et dicit, quod principatus quo fratres dominantur in domo
videtur esse timocraticus, eo quod fratres sunt aequales, nisi inquantum
differunt secundum aetatem; in qua si multum differant, non videtur fraterna
amicitia, sed quasi paterna. |
|
#1686. — Ensuite (1161a3), il montre ce qui correspond à la timocratie et à son opposé. En premier, ce qui correspond à la timocratie. Il dit que le gouvernement par lequel des frères sont maîtres dans la maison paraît être timocratique, du fait que les frères sont égaux, sauf pour autant qu'ils diffèrent d'âge; et en cela, s'ils diffèrent beaucoup, il ne semble pas y avoir amitié fraternelle, mais quasi paternelle. |
[74390] Sententia Ethic., lib. 8 l. 10 n. 16 Secundo ibi, democratia autem etc., ostendit quid
respondeat democratiae. Et dicit, quod quaedam similitudo democratiae est in
habitationibus quae non habent dominium, sicut cum socii morantur in
hospitio. Ibi enim omnes sunt aequales; et si aliquis principetur, habet
debilem principatum, sicut qui praeficitur ad expensas faciendas; et
unusquisque sociorum habet potestatem in domo, sicut in democratiis quilibet
de populo habet potestatem, quasi ex aequali et principes parum possunt. |
|
#1687. — En second (1161a6), il montre ce qui correspond à la démocratie. Il dit que l'on trouve une certaine ressemblance avec la démocratie dans les habitations qui n'ont pas de maître, comme quand des compagnons demeurent dans un hôtel. Là, en effet, tous sont égaux; et si quelqu'un commande, il détient un gouvernement faible, comme celui que l'on assigne pour faire les dépenses. Chacun des compagnons a pouvoir dans la maison, comme dans les démocraties n'importe qui du peuple a pouvoir, quasi à égalité, et les chefs ont peu de pouvoir. |
|
|
|
Lectio
11 |
|
Leçon 11
|
[74391] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 1 Secundum unamquamque autem et cetera. Postquam
philosophus distinxit diversas species politicae et oeconomicae
communicationis, hic distinguit amicitiarum species secundum praedicta. Et
circa hoc duo facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit quod secundum
unamquamque urbanitatem id est politicae ordinem, videtur esse quaedam
amicitiae species accipienda, eo quod in unaquaque politia invenitur aliquid
iustum. Amicitia autem et iustitia quodammodo circa idem sunt, ut supra
dictum est. |
|
#1688. Après avoir distingué les différentes espèces de relation politique et économique, le Philosophe distingue ici à leur regard les espèces d'amitiés. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit qu'en rapport à chaque modèle urbain, c'est-à-dire, chaque ordre de [relation] politique, on doit manifestement s'attendre à une [autre] espèce d'amitié, du fait qu'en chaque constitution, on reconnaît autre chose comme juste. Or l'amitié et la justice portent d'une certaine manière sur le même [objet], comme on l'a dit plus haut (#1658, 1664). 297 |
[74392] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 2 Secundo ibi: regi quidem etc., manifestat propositum.
Et primo quidem quantum ad politias rectas. Secundo quantum ad politias
perversas, ibi, in transgressionibus autem et cetera. Circa primum tria
facit. Primo ostendit qualiter sit amicitia secundum regnum. Secundo qualiter
secundum aristocratiam, ibi, sed et viri ad uxorem et cetera. Tertio qualiter
secundum timocratiam, ibi: quod autem fratrum et cetera. Circa primum duo
facit. Primo ostendit qualiter sit amicitia inter regem et subditos. Secundo
comparat amicitiam paternam amicitiae regali, ibi, talis autem et paterna et
cetera. Dicit
ergo primo, quod inter regem et subditos est amicitia superabundantiae
secundum rationem beneficii, sicut est beneficentis ad beneficiatum. Pertinet
enim ad regem ut benefaciat subditis; si enim sit bonus, habet curam
subditorum ut bene operentur: intendit enim subditos facere virtuosos. Unde et nominatur ex hoc quod dirigit subditos, sicut
pastor oves. Propter quod Homerus regem Agamenonem nominavit pastorem
populorum. |
|
#1689. — En second (1161a11), il manifeste son propos. En premier, certes, quant aux constitutions19 correctes. En second (1161a30), quand aux constitutions perverses. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre de quelle manière une amitié se conforme à la royauté. En second (1161a22), de quelle manière elle se conforme à l'aristocratie. En troisième (1161a25), de quelle manière elle se conforme à la timocratie. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière il y a amitié entre roi et sujets. En second (1161a15), il compare l'amitié parentale à l'amitié royale. Il dit donc, en premier, qu'entre roi et sujets, il y a amitié d'inégalité20, en rapport à la notion de bienfait, comme il y en a de bienfaiteur à bénéficiaire. Il appartient au roi, en effet, de faire du bien à ses sujets. Car s'il est bon, il a soin de ses sujets pour qu'ils agissent bien; en effet, il vise à rendre ses sujets vertueux. Aussi est-il nommé du fait qu'il dirige ses sujets comme un pasteur ses brebis. C'est pourquoi Homère a nommé le roi Agamemnon pasteur de peuples. |
[74393] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 3 Deinde cum dicit: talis autem et paterna etc., comparat
paternam amicitiam regali. Et circa hoc quatuor facit. Primo comparat
amicitiam paternam regali. Et dicit quod amicitia paterna est talis, scilicet
similis regali. |
|
#1690. — Ensuite (1161a15), il compare l'amitié parentale à la royale. À ce [sujet], il fait quatre [considérations]. En premier, il compare l'amitié parentale à la royale. Il dit que l'amitié parentale est ainsi, à savoir, semblable à la royale. |
[74394] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 4 Secundo ibi: differt autem etc., ostendit differentiam
utriusque amicitiae. Et dicit, quod praedictae duae amicitiae differunt
secundum magnitudinem beneficiorum. Quamvis enim beneficium regis simpliciter
sit maximum inquantum respicit totam multitudinem, tamen per comparationem ad
unam personam, beneficium patris est maius. Est enim pater filio causa trium
maximorum bonorum: primo enim generando est sibi causa essendi, quod
reputatur esse maximum. Secundo educando est sibi causa nutrimenti; tertio
instruendo est sibi causa disciplinae. Haec
autem tria non solum attribuuntur patribus respectu filiorum, sed etiam progenitoribus,
idest avis et proavis, respectu nepotum et pronepotum. |
|
#1691. — En second (1161a16), il montre la différence entre les deux amitiés. Il dit que les deux amitiés mentionnées diffèrent quant à la grandeur des bienfaits. En effet, quoique le bienfait du roi soit absolument le plus grand, en tant qu'il regarde toute la multitude, cependant, en regard d'une seule personne, le bienfait du parent est plus grand. En effet, le parent est cause, pour son enfant, des trois biens les plus grands. En premier, en effet, en l'engendrant, il est pour lui cause de son être, ce que l'on répute pour [le bien] le plus grand. En second, en l'éduquant, il est pour lui cause de son alimentation. En troisième, il est pour lui cause de son instruction21. Toutefois, ces trois [biens] sont attribués non seulement aux parents en regard de leurs enfants, mais aussi aux ancêtres, c'est-à-dire, aux grands-parents et aux arrière-grands-parents en regard de leurs petits-enfants et de leurs arrière-petits-enfants. |
[74395] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 5 Tertio ibi: et natura enim etc., probat, quod dixerat,
scilicet quod talis sit amicitia paterna sicut et regalis. Naturaliter enim
pater principatur filiis et progenitores nepotibus sicut et rex subditis.
Unde et filii sunt in potestate patris, et nepotes in potestate avi, sicut et
subditi in potestate regis. |
|
#1692. — En troisième (1161a18), il prouve ce qu'il avait dit, à savoir, que l'amitié parentale est de la nature de la royale. Par nature, en effet, le parent sert de principe à son enfant, et les arrière-grands-parents à leurs arrière-petits-enfants, comme aussi le roi à ses sujets. Aussi, les enfants sont au pouvoir de leur parent, et les petits-enfants au pouvoir de leur grands-parents, comme aussi les sujets au pouvoir du roi. |
[74396] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 6 Quarto ibi: in superexcessu autem etc., ostendit in quo
conveniant omnes huiusmodi amicitiae. Et ponit duo. Quorum unum est, quod
omnes huiusmodi amicitiae consistunt in quodam superexcessu unius ad alterum;
et quia in rege et subditis hoc est manifestum, manifestat hoc circa patres
et filios. Quia enim pater est superexcedens, inde est, quod parentes
honorantur a filiis. Honor enim superexcellenti debetur, ut in primo habitum
est; et idem dicendum est circa progenitores. Aliud autem est quod in
huiusmodi amicitiis non est idem iustum ex utraque parte ut scilicet rex idem
faciat subdito quod subditus regi, vel pater filio quod filius patri; sed
attenditur utrimque iustum secundum dignitatem, ut scilicet uterque faciat
alteri quod dignum est: quia sic etiam amicitia inter eos consideratur, ut
unus alterum amet secundum quod dignum est. |
|
#1693. — En quatrième (1161a20), il montre en quoi se retrouvent toutes les amitiés de la sorte. Il présente deux [points]. Le premier en est que toutes les amitiés de la sorte consistent en une espèce de supériorité22 de l'un sur l'autre. Comme cela est manifeste entre le roi et ses sujets, il le manifeste quant aux parents et aux enfants. Du fait, en effet, que le parent est supérieur, il s'ensuit que les parents sont honorés par leurs enfants. En effet, c'est au supérieur que l'honneur est dû, comme on en a traité au premier [livre] (#214); on doit dire la même [chose] concernant les arrière-grands- parents. L'autre, par ailleurs, c'est qu'en des amitiés de la sorte, ce n'est pas la même [chose] qui est juste des deux parts, de façon que le roi agirait envers son sujet de la même manière que le sujet envers son roi, ou le parent envers son enfant de la même manière que l'enfant envers son parent. Plutôt, on doit s'attendre aux deux endroits à ce qui est juste en rapport à la dignité, de sorte que l'un agisse envers l'autre comme il est digne de le faire; car c'est aussi ainsi que l'amitié se considère entre eux, de façon que l'un aime l'autre comme il en est digne. |
[74397] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 7 Deinde cum dicit: sed et viri etc., ostendit qualiter
sit amicitia secundum aristocratiam. Et dicit, quod amicitia quae est inter
virum et uxorem, est talis sicut ea quae est in aristocratia, in qua
praeficiuntur aliqui secundum virtutem et propter eam amantur. Et quia illi
qui praeficiuntur sunt meliores, ideo attribuitur eis plus de bono, inquantum
scilicet aliis praeferuntur et unicuique tamen attribuitur id quod ei
convenit. Virtuosi enim in principatu constituti non subtrahunt subditis
bonum, quod eis congruit. Et per hunc etiam modum conservatur iustitia
secundum aristocratiam: et ita est etiam in amicitia viri et uxoris. Vir
enim, quia melior est praeficitur uxori, tamen vir non praeripit ea quae sunt
uxoris. |
|
#1694. — Ensuite (1161a22), il montre de quelle manière l'amitié se conforme à l'aristocratie. Il dit que l'amitié qui existe entre mari et femme est de même nature que celle qu'il y a en aristocratie, où 19Politia, . 20Surabondantia. 21Disciplina. 22Superexcessus. 298 les gens ont priorité selon leur vertu et se font aimer à cause d'elle. Comme ceux qui ont priorité sont les meilleurs, pour cette raison, on leur attribue davantage de bien, dans la mesure où on les préfère à d'autres, et à chacun, toutefois, on attribue ce qui lui convient. En effet, les [gens] vertueux constitués en commandement ne soustraient pas à leurs sujets le bien qui leur revient. C'est de cette manière aussi que se conserve la justice, en aristocratie, et il en va aussi ainsi dans l'amitié entre mari et femme. Le mari, en effet, comme il est meilleur, a priorité sur sa femme; cependant, le mari ne s'empare pas de ce qui est à sa femme. |
[74398] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 8 Deinde cum dicit: quod autem fratrum etc., ostendit
qualiter amicitia accipiatur secundum timocratiam. Et dicit, quod amicitia
quae est inter fratres assimulatur etairikae, id est amicitiae
coaetaneorum. Fratres enim sunt aequales et coaetanei. Et tales videntur esse
unius disciplinae, et unius moris ut plurimum, eo quod mores sequuntur
consuetudinem vitae, ut in secundo habitum est. Et ex hoc patet, quod tali
amicitiae assimilatur amicitia quae est secundum timocratiam, in qua cives,
qui praeficiuntur, sunt aequales et epiiches, idest virtuosi. Unde
iustum est, quod in parte principentur, ita scilicet quod unus non habeat
totum principatum sed particularem, ita quod in principatu aequentur; et sic
etiam est amicitia inter eos. Et hoc etiam manifeste observatur in amicitia
fratrum et coaetaneorum sive connutritorum. |
|
#1695. — Ensuite (1161a25), il montre de quelle manière l'amitié se conforme à la timocratie. Il dit que l'amitié qu'il y a entre frères s'assimile à une camaraderie23, c'est-à-dire, à l'amitié entre gens de même âge. Les frères, en effet, sont égaux et contemporains. De pareilles [gens] sont manifestement d'une seule instruction, et le plus souvent d'un seul [type de] mœurs, du fait que les mœurs découlent de la façon coutumière de vivre, comme on en a traité au second [livre] (#248, 315). De là, il appert que s'assimile à pareille amitié l'amitié qui se conforme à la timocratie, dans laquelle les citoyens qui ont priorité restent égaux, et honnêtes, c'est-à-dire, vertueux. Aussi est-il juste qu'ils commandent en partie, de manière que l'un n'ait pas le commandement total, mais un particulier, de sorte qu'ils soient égaux jusque dans le commandement. Ainsi en va-t-il aussi de l'amitié entre eux. Cela s'observe manifestement aussi dans l'amitié des frères et des gens de même âge ou de même éducation. |
[74399] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 9 Deinde cum dicit: in transgressionibus autem etc.,
ostendit qualiter sit amicitia, secundum politias corruptas. Et circa hoc
tria facit. Primo ostendit, quod in huiusmodi politiis est parum de amicitia.
Secundo ostendit in qua earum sit minimum de amicitia, ibi: et minime in
pessima etc.; tertio in qua earum sit plurimum, ibi, quae autem in
democratiis et cetera. Dicit ergo primo, quod in transgressionibus,
idest in politiis corruptis, sicut parum est de iustitia, ita etiam parum est
de amicitia, quae est quodam modo circa idem iustitiae. |
|
#1696. — Ensuite (1161a30), il montre de quelle manière l'amitié se conforme aux constitutions corrompues. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que, dans des constitutions de la sorte, il y a peu d'amitié. En second (1161a31), il montre dans laquelle d'entre elles il y a le moins d'amitié. En troisième (1161b9), dans laquelle d'entre elles il y en a le plus. Il dit donc, en premier, que, dans les déviations, c'est-à-dire, dans les constitutions corrompues, de même qu'il y a peu de justice, de même aussi il y a là peu d'amitié, puisqu'elle porte d'une certaine manière sur le même [objet] que la justice. |
[74400] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 10 Deinde cum dicit: et minime in pessima etc., ostendit
in qua corruptarum politiarum sit minimum de amicitia. Et circa hoc tria
facit. Primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, in
quibus enim nihil et cetera. Tertio ostendit qualiter debeat intelligi quod
dictum est, ibi, secundum quod quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo,
quod cum in corruptis politiis sit parum de amicitia, consequens est, quod
minimum sit de amicitia in pessima politiarum corruptarum, scilicet in
tyrannide, in qua aut nihil aut valde parum est de amicitia. |
|
#1697. — Ensuite (1161a31), il montre dans laquelle des constitutions corrompues il y a le moins d'amitié. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1161a32), il prouve son propos. En troisième (1161b5), il montre de quelle manière on doit comprendre ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, que, comme il y a peu d'amitié dans les constitutions corrompues, il s'ensuit qu'il y ait le moins d'amitié dans la pire des constitutions corrompues, à savoir, dans la tyrannie, en laquelle ou il n'y a pas ou il y a très peu d'amitié. |
[74401] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 11 Deinde cum dicit in quibus enim etc., probat
propositum. Quia enim amicitia in communicatione consistit, ut supra ostensum
est, manifestum est, quod si inter imperantem et imperatum nihil sit commune,
puta cum imperans suum proprium bonum intendit; neque amicitia inter eos esse
poterit, sicut neque iustitia est inter eos, inquantum scilicet imperans
usurpat sibi totum bonum, quod debetur imperato. Hoc autem accidit in
tyrannide, quia tyrannus non intendit bonum commune, sed proprium, et sic ita
se habet ad subditos sicut artifex ad instrumentum, et anima ad corpus, et dominus
ad servum. Utitur enim tyrannus subditis ut servis. |
|
#1698. — Ensuite (1161a32), il prouve son propos. Puisqu'en effet, l'amitié consiste en une relation, comme on l'a montré plus haut (#1656-1661), il est manifeste que, s'il n'y a rien de commun entre le commandant et le commandé, par exemple, lorsque le commandant vise à son propre bien, l'amitié non plus ne pourra se développer entre eux, de même qu'il n'y a pas non plus de justice entre eux, pour autant que le commandant se réserve tout le bien qui est dû au commandé. C'est par ailleurs ce qui arrive dans la tyrannie, parce que le tyran ne vise pas au bien commun, mais au sien propre; aussi entretient-il avec ses sujets la relation d'artisan à instrument, et d'âme à corps, et de maître à esclave. Le tyran use en effet de ses sujets comme d'esclaves. |
[74402] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 12 Haec enim tria, quae dicta sunt, iuvantur ab his quae
utuntur eis inquantum moventur ab eis, scilicet servus a domino, corpus ab
anima, instrumentum ab artifice. Non tamen est amicitia utentium ad ea quibus
utuntur; quia et si in aliquo prosunt eis, non intendunt per hoc bonum eorum
nisi secundum quod refertur ad proprium bonum. Et hoc praecipue manifestum
est de artifice in comparatione ad instrumenta inanimata, ad quae non est
amicitia neque iustitia, quia non communicant in operatione humanae vitae. Et
similiter non est amicitia ad equum vel bovem, quamvis sint animata. Et ita
etiam non est amicitia domini ad servum inquantum est servus, quia non habent
aliquid commune sed totum bonum servi est domini, sicut totum bonum
instrumenti est artificis. Servus enim est quasi instrumentum animatum, sicut
et e converso instrumentum est quasi servus inanimatus. |
|
#1699. — Les trois [entités] mentionnées reçoivent de l'aide de celui qui en use en ce qu'elles sont mues par lui, l'esclave par le maître, le corps par l'âme, l'instrument par l'artisan. Cependant, il n'y a pas d'amitié de ce qui use à ce dont il use; car même s'il lui est utile en quelque chose, il ne vise pas en cela son bien, sauf pour autant que cela renvoie à son propre bien. C'est surtout manifeste chez l'artisan en comparaison avec ses instruments inanimés, envers lesquels il n'y a ni amitié ni justice, puisqu'ils n'ont pas de relation en termes d'action de vie humaine. Pareillement, il n'y a pas d'amitié 23Etairicia, , de camarade. 299 envers le cheval et le bœuf, même s'ils sont animés. De même encore, il n'y a pas d'amitié du maître pour son esclave, en tant qu'il est esclave, car il n'a rien de commun; au contraire, tout le bien de l'esclave appartient au maître, comme tout le bien de l'instrument appartient à l'artisan. En effet, l'esclave est comme un instrument animé, de même qu'inversement, l'instrument est comme un esclave inanimé. |
[74403] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 13 Deinde cum dicit secundum quod quidem igitur etc.,
ostendit qualiter sit intelligendum quod dictum est. Et dicit, quod secundum
praemissa non est amicitia domini ad servum inquantum est servus, est tamen
amicitia ad ipsum inquantum est homo. Potest enim esse aliqua iustitia
cuiuslibet hominis ad omnem hominem, in quantum possunt communicare in aliqua
lege et in aliqua compositione, idest in aliquo pacto vel
promisso, et per hunc etiam modum potest esse amicitia domini ad servum
inquantum est homo. Et sic patet, quod in tyrannide, in qua principes utuntur
subditis ut servis, parum est de amicitia et iustitia. |
|
#1700. — Ensuite (1161b5), il montre de quelle manière on doit comprendre ce qu'il a dit. Il dit que, d'après ce qui précède, il n'y a pas d'amitié du maître pour l'esclave en tant qu'il est esclave; cependant, il y a amitié envers lui en tant qu'il est homme. Il peut, en effet, y avoir de l'amitié de n'importe quel homme pour tout homme, en tant qu'ils peuvent entretenir une relation par une loi et dans un arrangement, c'est-à-dire, dans un contrat ou une promesse. De cette manière, il peut y avoir amitié du maître pour l'esclave en tant qu'il est homme. Ainsi appert-il que, dans la tyrannie, où les chefs usent des sujets comme d'esclaves, il y a un peu d'amitié et de justice. |
[74404] Sententia Ethic., lib. 8 l. 11 n. 14 Deinde cum dicit: quae autem in democratiis etc.,
ostendit in qua corruptarum politiarum sit plurimum de amicitia. Et dicit,
quod in democratia: quia in hac politia illi qui principantur in multis
intendunt ad commune bonum, inquantum volunt aequari populares insignibus,
intendentes principaliter ad bonum popularium. Oligarchia autem medio modo se
habet: quia neque intendit ad bonum multitudinis sicut democratia, neque ad
bonum unius tantum sicut tyrannis, sed ad bonum paucorum. |
|
#1701. — Ensuite (1161b9), il montre dans laquelle des constitutions corrompues il y a le plus d'amitié. Il dit que [c'est] dans la démocratie. C'est que, dans cette [relation] politique, ceux qui commandent visent en beaucoup de [choses] au bien commun, dans la mesure où ils veulent égaliser les gens du peuple aux [citoyens] insignes, cherchant principalement le bien des gens du peuple. Par ailleurs, l'oligarchie tient un moyen terme, car elle ne vise ni au bien de la multitude, comme la démocratie, ni au bien d'un seul, comme la tyrannie, mais au bien de quelques-uns. |
|
|
|
Lectio
12 |
|
Leçon 12
|
[74405] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 1 In communicatione quidem igitur et cetera. Postquam
philosophus distinxit species amicitiae, secundum species politicae et
oeconomicae communicationis, hic subdividit praedictas amicitiarum species.
Et circa hoc duo facit. Primo ponit commune principium dividendi amicitias;
secundo specialiter agit de quibusdam amicitiis, ibi, sed et cognata videtur
et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit commune principium
distinguendi amicitias: concludens ex praemissis, quod sicut supra dictum
est, omnis amicitia in communicatione consistit. |
|
#1702. Après avoir distingué les espèces de l'amitié en regard des espèces de relation politique et économique, le Philosophe subdivise ici les espèces d'amitiés dont il a parlé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente un principe commun pour diviser et subdiviser les amitiés. En second (1161b16), il traite spécialement de certaines amitiés. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente un principe commun pour distinguer les amitiés, concluant, à partir de ce qui précède, que, comme on l'a dit plus haut (#1698), toute amitié consiste en une relation. |
[74406] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 2 Secundo ibi: dividet autem utique etc., distinguit
secundum communicationem species amicitiae, de quibus minus videtur. Et
dicit, quod secundum diversitatem communicationis potest aliquis distinguere
abinvicem et ab aliis amicitiam cognatam, idest quae est inter
consanguineos, et ethairicam, id est quae est inter connutritos.
Cognati enim communicant in origine, etairi autem in nutritione. |
|
#1703. — En second (1161b12), il distingue, en regard de la relation, les espèces de l'amitié pour lesquelles c'est moins évident. Il dit que l'on peut, d'après la différence de relation, distinguer entre elles et des autres l'amitié congénitale24, c'est-à-dire, qui a lieu entre consanguins, et de camaraderie, c'est-à-dire, qui a lieu entre compagnons d'éducation. Les enfants de mêmes parents, en effet, se relient dans leur origine, et les camarades, dans leur éducation. |
[74407] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 3 Tertio ibi: politicae autem etc., distinguit secundum
hoc amicitias, de quibus magis videtur. Et dicit quod amicitiae politicae,
idest quae sunt inter concives, et quae sunt contribulium, idest inter
homines eiusdem tribus, et quae sunt connavigantium, idest inter eos
qui simul navigant, et quaecumque aliae tales, puta commilitantium vel
constudentium, magis habent similitudinem communicationis quam cognata et
etayrica; in his enim amicitiis manifeste confiteri oportet, quod ratio
amicitiae sit communicatio. Inter quas et potest ordinari amicitia quae est
inter eos qui simul peregrinantur. Sed in amicitia cognata et ethayrica non
est aliquid praesens et permanens id in quo communicatur, unde magis latet. |
|
#1704. — En troisième (1161b13), il distingue à ce regard les amitiés pour lesquelles c'est plus évident. Il dit que les amitiés politiques, c'est-à-dire, qui se développent entre concitoyens, et qui se développent entre compagnons de tribu, c'est-à-dire, entre gens de la même tribu, et qui se développent entre compagnons de navigation, c'est-à-dire, entre ceux qui naviguent ensemble, et toutes autres de la sorte, par exemple, entre compagnons d'armes ou d'études, ont encore plus l'air d'une relation que l'[amitié] congénitale et celle de camaraderie. Dans ces amitiés, en effet, il faut manifestement admettre que la notion d'amitié tient à une relation. C'est avec elles aussi que l'on peut ranger l'amitié qui se développent entre ceux qui voyagent ensemble. Mais dans l'amitié congénitale et de camaraderie, il n'y a rien de présent et de permanent en quoi on se relie. Aussi cela échappe-t-il davantage. |
[74408] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 4 Deinde cum dicit: sed et cognata etc., determinat
specialiter de quibusdam amicitiis. Et primo de amicitia cognata. Secundo de
amicitia quae est inter virum et uxorem ibi, viro autem et uxori et cetera.
Circa primum duo facit. Primo distinguit cognatam amicitiam. Secundo
proprietates partium singularium assignat, ibi, est autem ad parentes quidem
et cetera. Circa primum tria facit. Primo agit de amicitia patris ad filium.
Secundo de amicitia fratrum adinvicem, ibi, fratres autem adinvicem et
cetera. Tertio de amicitia aliorum consanguineorum, ibi: nepotes autem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit, quomodo se habeat paterna
amicitia ad alias consanguineorum amicitias. Et dicit quod cum amicitia
cognatorum videatur esse multifaria, idest in multas species divisa
propter diversos consanguinitatis gradus, omnes tamen huiusmodi amicitiae
dependent ex paterna sicut ex principio, ut ex sequentibus patebit. |
|
#1705. — Ensuite (1161b16), il traite en particulier de certaines amitiés. En premier, de l'amitié congénitale. En second (1162a16), de l'amitié qu'il y a entre mari et femme. 24Cognata, . 300 Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il distingue l'amitié congénitale. En second (1162a4), il assigne les propriétés des parties singulières. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de l'amitié du parent pour son enfant. En second (1161b30), de l'amitié des frères entre eux. En troisième (1162a1), de l'amitié entre les autres consanguins. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la relation qu'entretient l'amitié parentale avec les autres amitiés entre consanguins. Il dit que, alors que l'amitié entre consanguins paraît être variée, c'est-à-dire, divisée en plusieurs espèces, à cause des différents degrés de consanguinité, toutes les amitiés de la sorte, cependant, dépendent de la parentale comme de leur principe, comme ce deviendra manifeste par la suite. |
[74409] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 5 Secundo ibi, parentes quidem enim etc., assignat
rationem huius amicitiae. Et dicit, quod parentes diligunt filios eo quod
sunt aliquid ipsorum. Ex semine enim parentum filii procreantur. Unde filius
est quodammodo pars patris ab eo separata. Unde haec amicitia propinquissima
est dilectioni qua quis amat seipsum, a qua omnis amicitia derivatur, ut in
nono dicetur. Unde rationabiliter paterna amicitia ponitur esse principium.
Filii autem diligunt parentes, inquantum habent esse ab eis, sicut si pars
separata diligeret totum a quo separatur. |
|
#1706. — En second (1161b18), il assigne la définition de cette amitié. Il dit que les parents aiment leurs enfants en ce qu'ils sont quelque chose d'eux-mêmes. En effet, les enfants sont procréés à partir de la semence de leurs parents. Aussi, l'enfant est d'une certaine manière une partie de son parent, séparée de lui. Aussi cette amitié est-elle très près de l'affection dont quelqu'un s'aime lui-même, de laquelle toute amitié est dérivée, comme on le dira au neuvième [livre] (#1797). Aussi, c'est de manière raisonnable que l'on place l'amitié parentale au principe. Les enfants, quant à eux, aiment leurs parents en tant qu'ils tiennent l'être d'eux, comme une partie séparée qui aimerait le tout dont elle serait séparée. |
[74410] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 6 Tertio ibi: magis autem sciunt etc., comparat amicitiam
paternam ad filialem. Et circa hoc tria facit. Primo praefert amicitiam
paternam filiali. Secundo praefert amicitiam maternam paternae, ibi, ex his
autem manifestum et cetera. Tertio manifestat quiddam quod dixerat, ibi:
parentes quidem enim et cetera. Circa primum ponit tres rationes. Quarum
prima talis est. Tanto aliquem rationabile est magis amare quanto magis
cognoscit dilectionis causam. Sicut autem dictum est, causa quare parentes
amant filios est, quia sunt aliquid ipsorum. Causa autem quare filii diligunt
est, quia sunt a parentibus. Magis autem possunt scire patres qui sint ex eis
nati, quam filii ex quibus parentibus sint orti. Parentibus enim nota fuit
generatio, non autem filiis, qui nondum erant. Unde rationabile est quod
parentes magis ament filios quam e converso. |
|
#1707. — En troisième (1161b19), il compare l'amitié parentale à la filiale. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il fait passer l'amitié parentale avant la filiale. En second (1161b26), il fait passer l'amitié maternelle avant la paternelle. En troisième (1162b27), il manifeste quelque chose qu'il avait dit. Sur le premier [point], il présente trois raisons. La première en va comme suit. Il est d'autant plus raisonnable d'aimer davantage que l'on connaît plus les causes de l'affection. Or, comme il a été dit (#1076), la cause pour laquelle les parents aiment leurs enfants est qu'ils sont quelque chose d'eux-mêmes, tandis que la cause pour laquelle les enfants aiment leurs parents est qu'ils proviennent d'eux. Cependant, les parents peuvent bien plus savoir qui sont ceux qui sont nés d'eux que les enfants [ne peuvent savoir] de quels parents ils sont issus. En effet, les parents ont eu connaissance de la génération, mais pas les enfants, qui n'étaient pas encore. Aussi est-il raisonnable que les parents aiment plus leurs enfants que l'inverse. |
[74411] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 7 Secundam rationem ponit ibi: et magis quo approximatur
et cetera. Quae talis est. Ratio dilectionis in omni amicitia cognata est
propinquitas unius ad alterum. Sed ille a quo, scilicet generans,
propinquior est genito quam factum facienti, id est quam genitum generanti.
Genitum enim, sicut dictum est, est quasi quaedam pars generantis separata.
Unde videtur comparari ad generantem, sicut partes separabiles ad totum, puta
dens vel capillus vel si quid est aliud huiusmodi; huiusmodi autem partes
quae separantur a toto magnam propinquitatem habent ad totum, quia totum in
se continet ipsas, non autem e converso et ideo ad partes vel nihil videtur
attinere totum, vel minus quam e converso. Pars enim, etsi sit aliquid
totius, non tamen est idem ipsi toti, sicut tota pars concluditur in toto.
Unde rationabile est quod parentes magis diligant filios quam e converso. |
|
#1708. — Il apporte ensuite la seconde raison (1161b21), qui va comme suit. La raison de l'affection, en toute amitié parentale, est la proximité de l'un à l'autre. Mais celui de qui, à savoir, le géniteur, est plus proche de sa progéniture que le fait [ne l'est] de l'agent, et que la progéniture de son géniteur. La progéniture, en effet, comme on l'a dit (#1707, 1707), est comme une partie séparée de son géniteur. Aussi paraît-elle se comparer à son géniteur, comme les parties séparables à leur tout, par exemple, la dent, ou le cheveu, ou toute autre de la sorte. Or, de pareilles parties qui sont séparées du tout ont une proximité au tout, parce que le tout les contient en lui-même, mais non pas l'inverse. C'est pourquoi, pour les parties, rien ne paraît toucher le tout, ou moins que l'inverse. La partie, en effet, même si elle est quelque chose du tout, n'est cependant pas la même chose que le tout lui-même, de la façon dont toute partie est enfermée dans le tout. Aussi est-il raisonnable que les parents aiment plus leurs enfants que l'inverse. |
[74412] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 8 Tertiam rationem ponit ibi, sed cum multitudine et
cetera. Manifestum est enim quod amicitia per diuturnitatem temporis
confirmatur. Manifestum est autem quod in maiori multitudine temporis
parentes diligunt filios quam e converso; parentes enim diligunt filios
statim natos. Sed filii diligunt parentes processu temporis quando accipiunt intellectum,
idest intellectus usum, vel ad minus sensum ad discernendum parentes ab aliis.
Nam a principio omnes viros appellant patres et feminas matres, ut dicitur in
primo physicorum. Unde rationabile est quod parentes plus diligant filios
quam e converso. |
|
#1709. — Il apporte ensuite la troisième raison (1161b24). Il est manifeste, en effet, que l'amitié se confirme par la durée du temps. Il est encore manifeste que les parents aiment leurs enfants sur une plus grande quantité de temps que l'inverse. Les parents, en effet, aiment leurs enfants dès qu'ils sont nés. Mais les enfants aiment leurs parents avec le passage du temps, quand ils reçoivent l'intelligence, c'est-à-dire, l'usage de l'intelligence, ou au moins le sens de discerner leurs parents des autres. En effet, au début, ils appellent tous les hommes pères et les femmes mères, comme il est dit au premier [livre] de la Physique (c. 1; lect. 1). Aussi est-il raisonnable que les parents aiment plus leurs enfants que l'inverse. |
[74413] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 9 Deinde cum dicit: ex his autem etc., comparat maternam
dilectionem paternae. Et dicit quod ex praedictis rationibus potest esse
manifestum quare matres magis ament filios, quam etiam patres. Et hoc quidem
manifestum est quantum ad primam rationem. Magis enim possunt scire matres
qui sint eorum filii quam patres. Similiter etiam quantum ad tertiam; prius
enim tempore matres ex convictu concipiunt amoris affectum ad filios quam
patres. Sed quantum ad secundam rationem partim quidem sic, partim autem
aliter se habet. Nam pater dat filio principaliorem partem scilicet formam, mater vero
materiam, ut dicitur in libro de generatione animalium. |
|
#1710. — Ensuite (1161b26), il compare l'affection maternelle à la paternelle. Il dit que peut devenir manifeste, par les raisons qui précèdent, pourquoi les mères aiment plus leurs enfants que même les 301 pères. Cela, bien sûr, est manifeste quant à la première raison. En effet, les mères peuvent davantage savoir qui sont leurs enfants que les pères. Pareillement aussi, quant au temps. En effet, c'est avant les pères, dans le temps, que les mères, à cause de leur communauté de vie, conçoivent l'affection de l'amour pour leurs enfants. Mais quant à la seconde raison, il en va en partie ainsi, certes, mais en partie autrement. En effet, le père donne à l'enfant sa partie principale, à savoir, sa forme, tandis que la mère lui donne sa matière, comme il est dit au livre De la génération des animaux (II, c. 1). |
[74414] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 10 Deinde cum dicit: parentes quidem enim etc., manifestat
id quod dixerat in secunda ratione, quod scilicet filii magis sint proximi
parentibus quam e converso. Hoc enim contingit, quia parentes diligunt
filios, quasi seipsos. Filii enim qui ex parentibus generantur sunt quasi
ipsi parentes, alteri ab eis existentes in hoc solum quod ab eis separantur,
sed filii diligunt parentes non quasi aliquid ipsorum existentes, sed
inquantum sunt ab eis nati. |
|
#1711. — Ensuite (1162b27), il manifeste ce qu'il avait dit dans la seconde raison, à savoir, que les enfants sont plus proches des parents que l'inverse. En effet, cela arrive parce que les parents aiment leurs enfants comme [d'autres] eux-mêmes. En effet, les enfants qui sont engendrés à partir de parents sont presque leurs parents eux-mêmes, se trouvant autres et à part d'eux, en cela seulement qu'ils sont séparés d'eux. Mais les enfants aiment leurs parents non parce qu'ils se trouvent quelque chose d'eux-mêmes, mais en tant qu'ils en sont nés. |
[74415] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 11 Deinde cum dicit: fratres autem etc., determinat de
amicitia fraterna. Et primo ponit rationem huius amicitiae. Secundo ostendit
per quid huiusmodi amicitia confirmetur, ibi, magnum autem et cetera. Dicit
ergo primo, quod fratres se amant adinvicem ex eo quod ab eisdem nascuntur. Quae enim uni et
eidem sunt eadem, sibiinvicem sunt quodammodo eadem. Unde, cum filii sint
quodammodo idem parentibus, sicut dictum est, identitas filiorum ad illa,
idest ad parentes, facit ipsos filios quodammodo esse idem. Et inde est quod fratres dicimus esse idem secundum
sanguinem et secundum radicem et secundum alia huiusmodi. Et quamvis sanguis
parentum (qui est radix communis) sit idem simpliciter, remanet tamen
aliqualiter ista identitas etiam in filiis, qui dividuntur a parentibus et
abinvicem. |
|
#1712. — Ensuite (1661b30), il traite de l'amitié fraternelle. En premier, il présente la définition de cette amitié. En second (1161b33), il montre par quoi une amitié de la sorte se confirme. Il dit donc, en premier, que les frères s'aiment entre eux du fait qu'ils sont nés du même [géniteur]. En effet, ceux qui sont les mêmes qu'un et seul même autre sont d'une certaine manière les mêmes entre eux. Aussi, comme les enfants sont d'une certaine manière les mêmes que leurs parents, comme on l'a dit, l'identité des enfants à ceux-là, c'est-à-dire, à leurs parents, fait que, d'une certaine manière, les enfants eux-mêmes sont les mêmes. Il s'ensuit que nous disons que les frères sont les mêmes, selon le sang, et selon la racine, et selon d'autres [critères] de la sorte. Et quoique le sang des parents (qui sert de racine commune) soit le même absolument, cette identité reste d'une certaine manière aussi dans les enfants, qui sont divisés des parents et entre eux. |
[74416] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 12 Deinde cum dicit: magnum autem etc., ostendit per quid
huiusmodi amicitia confirmetur. Et dicit quod multum confert ad fraternam
amicitiam quod fratres sint connutriti et propinqui secundum aetatem, quia
naturaliter coaetanei seinvicem diligunt. Et homines etairi, idest
simul nutriti, consueverunt esse unius moris, quod est causa mutuae
dilectionis. Et inde est quod amicitia fraterna similis est etayricae, id est
connutritivae. |
|
#1713. — Ensuite (1161b33), il montre par quoi une amitié de la sorte se confirme. Il dit que cela contribue beaucoup à l'amitié fraternelle que les frères soient éduqués ensemble et proches d'âge, parce que les gens de même âge s'aiment naturellement entre eux. De plus, les compagnons d'éducation, c'est-à-dire, éduqués ensemble, ont coutume d'être d'une seule coutume, ce qui est cause d'affection mutuelle. De là, il s'ensuit que l'amitié fraternelle est semblable à celle des compagnons d'éducation, c'est-à-dire, de coéducation. |
[74417] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 13 Deinde cum dicit: nepotes autem etc., determinat de
amicitia aliorum consanguineorum. Et dicit quod nepotes et alii consanguinei
appropinquant sibiinvicem propinquitate generis et amicitiae, inquantum sunt ex
his, idest inquantum procedunt ex fratribus qui sunt filii eorumdem
parentum. Ex hoc enim dicuntur consanguinei quod ab eisdem procedunt.
Dicuntur autem huiusmodi magis vel minus propinqui, inquantum sunt
propinquiores vel remotiores a praeduce, id est a prima radice
consanguinitatis. Primum enim oportet accipere mensuram in omnibus. |
|
#1714. — Ensuite (1162a1), il traite de l'amitié entre les autres consanguins. Il dit que les petits-enfants et les autres consanguins sont proches entre eux de la proximité de la génération et de l'amitié, en tant qu'ils proviennent d'eux, c'est-à-dire, en tant qu'ils viennent de frères qui sont les enfants des mêmes parents. C'est pour cela, en effet, qu'on les appelle consanguins, parce qu'ils proviennent des mêmes. Des gens de la sorte, on les dit, par ailleurs, plus ou moins proches, en tant qu'ils sont plus proches ou plus éloignés de leur producteur, c'est-à-dire, de la première racine de leur consanguinité. En effet, en tout il faut prendre le premier comme mesure. |
[74418] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 14 Deinde cum dicit: est autem ad parentes etc., ponit
proprietates praedictarum amicitiarum. Et primo paternae. Secundo fraternae,
ibi, sunt autem et in fraterna et cetera. Tertio eius quae est inter alios
consanguineos, ibi, analogum autem et cetera. Circa primum ponit duas
proprietates. Quarum prima est quod filii habent amicitiam ad parentes, sicut
ad quoddam bonum superexcellens, quia ipsi sunt maxime benefactores,
inquantum ipsi sunt filiis causa essendi et nutriendi et disciplinae; et
talis est etiam amicitia hominis ad Deum. |
|
#1715. — Ensuite (1162a4), il présente les propriétés des amitiés dont on a parlé. En premier, de la parentale. En second (1162a9), de la fraternelle. En troisième (1162a15), de celle qui se développe entre les autres consanguins. Sur le premier [point], il présente deux propriétés. La première en est que les enfants ont de l'amitié pour leurs parents, comme pour quelque bien supérieur, car ce sont eux qui le leur font le plus de bien, étant causes, pour leurs enfants, d'être, et d'être éduqués, et d'instruction. Telle est aussi l'amitié de l'homme pour Dieu. |
[74419] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 15 Secundam proprietatem ponit ibi: habet autem et cetera.
Et dicit quod amicitia quae est inter filios et parentes habet etiam
delectationem et utilitatem, tanto magis quam amicitia extraneorum quanto
magis communem vitam gerunt. Ex quo provenit quod sunt sibiinvicem maxime
utiles et delectabiles. |
|
#1716. — Il présente ensuite la seconde propriété (1162a7). Il dit que l'amitié qu'il y a entre enfants et parents comporte aussi du plaisir et de l'utilité d'autant plus que l'amitié entre étrangers qu'ils mènent plus une vie commune. De là provient qu'ils sont entre eux le plus utiles et plaisants. 302 |
[74420] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 16 Deinde cum dicit: sunt autem etc., ponit proprietatem
fraternae amicitiae. Et dicit quod in fraterna amicitia inveniuntur eadem
quae inveniuntur in amicitia etayrica, id est connutritorum. Et si
fratres sint epiiches, idest virtuosi et totaliter sibi similes in
moribus, tanto magis ex connutritione est inter eos amicitia quanto
sibiinvicem sunt proximiores. Et hoc quidem secundum tria. Primo quidem
secundum diuturnitatem temporis, quia statim nati seinvicem dilexerunt.
Secundo vero secundum perfectiorem similitudinem. Magis enim videntur esse
unius moris fratres qui sunt ex eisdem geniti, et sic videntur habere eamdem
naturalem dispositionem et sunt simul nutriti et similiter disciplinati a
parentibus. Tertio secundum experientiam amicitiae, quia secundum multum
tempus unus probavit alium, et ideo horum amicitia est maxima et firmissima. |
|
#1717. — Ensuite (1162a9), il présente la propriété de l'amitié fraternelle. Il dit que, dans l'amitié fraternelle, on trouve les mêmes [éléments] que l'on trouve dans l'amitié d'éducation, c'est-à-dire, entre gens éduqués ensemble. Si, de plus, les frères sont honnêtes, c'est-à-dire, vertueux et totalement semblables entre eux dans leurs mœurs, il y a d'autant plus d'amitié entre eux en raison de l'éducation commune qu'ils sont plus proches les uns des autres. Et ceci, bien sûr, en rapport à trois [aspects]. En premier, bien sûr, selon la durée du temps, puisque, aussitôt nés, ils se sont aimés entre eux. En second, par ailleurs, selon la ressemblance plus parfaite. En effet, sont manifestement davantage d'un même comportement, des frères qui sont issus des mêmes géniteurs, et ont ainsi manifestement la même disposition naturelle et sont éduqués ensemble et instruits de façon semblable par leurs parents. En troisième, selon l'expérience de l'amitié, puisque l'un a testé l'autre pour beaucoup de temps, et c'est pourquoi leur amitié est la plus grande et la plus ferme. |
[74421] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 17 Deinde cum dicit: analogum autem etc., ponit
proprietatem amicitiae quae est inter alios consanguineos. Et dicit, quod ea
quae pertinent ad amicitiam consanguineorum aliorum oportet accipere secundum
proportionem amicitiae fraternae, quia alii consanguinei derivantur a
fratribus, ut supra dictum est. |
|
#1718. — Ensuite (1162a15), il présente la propriété de l'amitié qui a lieu entre les autres consanguins. Il dit que ce qui touche à l'amitié entre les autres consanguins, il faut le prendre en proportion avec l'amitié fraternelle, parce que les autres consanguins sont issus de frères, comme on l'a dit plus haut (#1714). |
[74422] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 18 Deinde cum dicit: viro autem et uxori etc., determinat
de amicitia viri et uxoris. Et circa hoc tria facit. Primo assignat rationes
huius amicitiae. Secundo ostendit per quid huiusmodi amicitia confirmetur,
ibi, coniunctio autem et cetera. Tertio respondet cuidam quaestioni, ibi,
qualiter autem convivendum et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit
proprias rationes huius amicitiae. Secundo ostendit quomodo haec amicitia se
habeat ad communes rationes amicitiae, ibi: propter haec autem etc.
Circa primum duo facit. Primo ponit propriam rationem huius amicitiae quae
communiter competit tam hominibus quam aliis animalibus. Secundo ponit
rationem quae proprie se habet ad homines, ibi, aliis quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo, quod inter virum et uxorem videtur esse quaedam
amicitia naturalis. Et hoc probat per locum a minori: homo enim est animal
naturaliter politicum; et multo magis est in natura hominis quod sit animal
coniugale. Et hoc probat duabus rationibus. |
|
#1719. — Ensuite (1162a16), il traite de l'amitié du mari et de la femme. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il assigne des définitions de cette amitié. En second (1162a27), il montre par quoi une amitié de la sorte se confirme. En troisième (1162a29), il répond à une question. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les définitions propres de cette amitié. En second (1162a24), il montre quelle relation cette amitié entretient avec les définitions communes de l'amitié. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la définition propre de cette amitié qui convient tant aux hommes qu'aux autres animaux. En second (1162a19), il présente une autre définition qui touche proprement les hommes. Il dit donc, en premier, qu'il y a manifestement une amitié naturelle entre mari et femme. Il le prouve par le lieu du plus. En effet, l'homme est un animal naturellement politique; or il est beaucoup plus dans la nature de l'homme qu'il soit un animal conjugal. Il le prouve avec deux raisons. |
[74423] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 19 Quarum prima est quia ea quae sunt priora et
necessariora magis videntur ad naturam pertinere: societas autem domestica,
ad quam pertinet coniunctio viri et uxoris, est prior quam societas civilis
sicut pars est prior toto. Est etiam magis necessaria, quia societas domestica
ordinatur ad actus necessarios vitae, scilicet generationem et nutritionem. Unde patet quod homo naturalius est animal coniugale
quam politicum. Secunda ratio est, quia procreatio filiorum, ad quam
ordinatur coniunctio viri et uxoris, est communis aliis animalibus, et ita
sequitur naturam generis. Et sic patet, quod homo magis est secundum naturam
animal coniugale quam politicum. |
|
#1720. — La première en est que ce qui est antérieur et nécessaire appartient manifestement plus à la nature. Or, la société domestique, à laquelle appartient l'union du mari et de la femme, est antérieure à la société civile. La partie, en effet, est antérieure au tout. Elle est aussi plus nécessaire, car la société domestique vise à des actes nécessaires à la vie, à savoir, la génération et l'alimentation. Aussi appert-il que l'homme est plus naturellement un animal conjugal que politique. La seconde raison est que, comme la procréation des enfants, à laquelle vise l'union du mari et de la femme, est commune aux autres animaux, elle suit ainsi la nature du genre. Ainsi appert-il que l'homme est plus par nature un animal conjugal que politique. |
[74424] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 20 Deinde cum dicit: aliis quidem igitur etc., assignat
propriam rationem amicitiae coniugalis quae convenit tantum hominibus;
concludens ex praemissis, quod in aliis animalibus est communicatio inter
marem et feminam in tantum sicut dictum est, idest solum ad
procreationem filiorum; sed in hominibus mas et femina cohabitant non solum
causa procreationis filiorum, sed etiam propter ea quae sunt necessaria ad
humanam vitam. Statim enim apparet quod opera humana quae sunt necessaria ad
vitam sunt distincta inter marem et feminam; ita quod quaedam conveniunt
viro, puta ea quae sunt exterius agenda, et quaedam uxori, sicut nere et alia
quae sunt domi agenda. Sic igitur sibiinvicem sufficiunt, dum uterque propria
opera redigit in commune. |
|
#1721. — Ensuite (1162a19), il assigne la définition propre de l'amitié conjugale qui convient seulement aux hommes, concluant de ce qui précède que, chez les autres animaux, il y a union entre mâle et femelle seulement comme on l'a dit, c'est-à-dire, seulement pour la procréation des petits, tandis que, chez les hommes, le mâle et la femelle ont des relations non seulement en vue de la procréation des enfants, mais aussi à cause de ce qui est nécessaire à la vie humaine. En effet, il apparaît tout de suite que les actions humaines qui sont nécessaires à la vie sont distinctes entre mâle et femelle, en sorte que certaines conviennent au mari, par exemple, ce qu'il y a à faire à l'extérieur, et certaines à la femme, comme donner naissance et le reste de ce qu'il y a à faire à la maison. C'est ainsi, donc, qu'ils se suffisent entre eux, tant que l'un et l'autre met en commun ses actions propres. |
[74425] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 21 Unde patet quod amicitia coniugalis in hominibus non
solum est naturalis sicut in aliis animalibus, utpote ordinata ad opus
naturae quod est generatio, sed etiam est oeconomica utpote ordinata ad
sufficientiam vitae domesticae. |
|
#1722. — De là il appert que l'amitié conjugale, chez les hommes, n'est pas seulement naturelle, comme chez les autres animaux, en tant que visant à l'acte de la nature qu'est la génération, mais est aussi économique, en tant que visant à la suffisance de la vie domestique. 303 |
[74426] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 22 Deinde cum dicit propter haec autem etc., ostendit
qualiter haec amicitia se habeat ad communes amicitiae rationes. Et dicit,
quod ex praedictis apparet quod amicitia coniugalis habet utilitatem,
inquantum scilicet per eam fit sufficientia vitae domesticae. Habet etiam
delectationem in actu generationis, sicut et in ceteris animalibus. Et si vir et uxor sint epiiches, idest virtuosi,
poterit eorum amicitia esse propter virtutem. Est enim aliqua virtus propria
utriusque, scilicet viri et uxoris, propter quam amicitia redditur iucunda
utrique. Et sic patet quod huiusmodi amicitia potest esse et propter virtutem
et propter utile et propter delectabile. |
|
#1723. — Ensuite (1162a24), il montre quelle relation entretient cette amitié avec les définitions communes de l'amitié. Il dit qu'il apparaît, de ce qui a été dit, que l'amitié conjugale comporte une utilité, en tant que, par elle, se réalise la suffisance de la vie domestique. Elle comporte aussi du plaisir, dans l'acte de la génération, comme aussi chez les autres animaux. De plus, si le mari et la femme sont honnêtes, c'est-à-dire, vertueux, leur amitié pourra se développer pour la vertu. Il y a, en effet, une vertu propre à l'un et à l'autre, à savoir, au mari et à la femme, à cause de laquelle l'amitié est rendue agréable à l'un et à l'autre. Ainsi appert-il qu'une amitié de la sorte peut être à la fois pour la vertu, pour l'utilité et pour le plaisir. |
[74427] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 23 Deinde cum dicit coniunctio autem etc., ostendit per
quid firmetur huiusmodi amicitia. Et dicit, quod causa stabilis et firmae
coniunctionis videntur esse filii. Et inde est quod steriles, qui
scilicet carent prole, citius ab invicem separantur. Fiebat enim apud
antiquos separatio matrimonii sterilitatis causa. Et huius ratio est quia
filii sunt commune bonum amborum, scilicet viri et uxoris, quorum coniunctio
est propter prolem. Illud autem quod est commune continet et conservat
amicitiam quae, ut supra dictum est, in communicatione consistit. |
|
#1724. — Ensuite (1162a27), il montre par quoi une amitié de la sorte se confirme. Il dit que la cause de l'union stable et ferme, ce sont manifestement les enfants. De là, il s'ensuit que les stériles, ceux qui sont privés de progéniture, se séparent plus vite l'un de l'autre. Il existait chez les anciens, en effet, une dissolution du mariage pour raison de stérilité. La raison en est que les enfants sont un bien commun aux deux, à savoir, au mari et à la femme, dont l'union se fait en vue de la progéniture. Or ce qui est commun contient et conserve l'amitié, qui, même, comme on l'a dit plus haut (#1702), consiste en une relation. |
[74428] Sententia Ethic., lib. 8 l. 12 n. 24 Deinde cum dicit: qualiter autem etc., respondet cuidam
quaestioni: scilicet qualiter debeant convivere vir et uxor. Sed ipse
respondet, quod quaerere hoc nihil est aliud quam quaerere qualiter se habeat
id quod iustum est inter virum et uxorem. Sic enim debent adinvicem
convivere, ut uterque servet alteri quod iustum est. Quod quidem diversificatur
secundum diversos. Non enim idem iustum videtur esse observandum ad amicum et
extraneum et connutritum et discipulum; et ideo huiusmodi consideratio
pertinet ad oeconomicam, seu politicam. |
|
#1725. — Ensuite (1162a29), il répond à une question: de quelle manière mari et femme doivent-ils mener vie commune? Il répond lui-même que chercher cela n'est rien d'autre que chercher de quelle nature se trouve ce qui est juste entre mari et femme. En effet, ils doivent mener vie commune l'un avec l'autre de manière que l'un et l'autre procure à l'autre ce qui est juste. Et cela se différencie en regard de différents [aspects]. En effet, ce n'est pas la même justice qui paraît être à observer envers l'ami, envers l'étranger, envers le compagnon d'éducation, envers le disciple; c'est pourquoi une considération de la sorte appartient à l'économique, ou à la politique. |
|
|
|
Lectio
13 |
|
Leçon 13
|
[74429] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 1 Trinis itaque existentibus et cetera. Postquam
philosophus distinxit amicitiae species, hic ostendit qualiter in eis fiant
accusationes seu conquestiones. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit, quid
oporteat in amicitiis observari ad querimonias vitandas. Secundo ostendit in
quibus amicitiis fiunt querimoniae, ibi, fiunt autem accusationes et cetera.
Tertio ostendit quae sit ratio querimoniae, ibi, videtur autem quemadmodum
iustum et cetera. Dicit ergo primo, quod sunt tres species amicitiae, sicut
supra dictum est, scilicet propter virtutem, propter delectabile et propter
utile. Et secundum unamquamque earum possunt amici se habere vel secundum
aequalitatem vel secundum superexcellentiam. Et hoc manifestat per singulas
species. |
|
#1726. Après avoir distingué les espèces de l'amitié, le Philosophe montre ici de quelle manière, en elles, se produisent des accusations ou des réclamations. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qu'il faut observer, dans les amitiés, pour éviter les plaintes. En second (1162b5), il montre en quelles amitiés se produisent des plaintes. En troisième (1162b21), il montre quelle est la définition de la plainte. Il dit donc, en premier, qu'il y a trois espèces d'amitié, comme on l'a dit plus haut (#1561, 1563, 1579, 1594), à savoir, pour la vertu, pour le plaisir et pour l'utilité. Selon chacune d'elles, les amis peuvent entretenir une relation d'égalité ou d'inégalité. Il manifeste cela pour chaque espèce. |
[74430] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 2 In amicitia enim quae est secundum virtutem possunt
amici fieri et illi qui sunt aequaliter boni, et etiam melior peiori. Et
similiter in amicitia delectabilis possunt esse aequaliter delectabiles, vel
in hoc secundum excellentiam et defectum se habere. Et iterum in amicitia
quae est propter utile possunt secundum utilitates adaequari, et etiam
differre secundum magis et minus. Si igitur sint aequales amici secundum
quamcumque speciem amicitiae, oportet quod adaequentur et quantum ad hoc quod
est amare, ut scilicet aequaliter uterque ab altero diligatur, et quantum ad
reliqua, sicut sunt obsequia amicorum. Si autem fuerint inaequales, oportet
quod utrique eorum assignetur aliquid secundum proportionem excessus et
defectus. |
|
#1727. — En effet, dans l'amitié qui se développe en rapport à la vertu, peuvent devenir des amis à la fois ceux qui sont également bons, et aussi le meilleur avec le pire. Pareillement, dans l'amitié de plaisir, [les amis] peuvent être également plaisants, ou, en cela, entretenir une relation d'excès à défaut. Encore, dans l'amitié qui se développe pour l'utilité, [les amis] peuvent être égaux, en rapport aux utilités, et aussi différer du plus au moins. Si, donc, des amis sont égaux, en rapport à n'importe quelle espèce de l'amitié, il faut qu'ils soient égaux à la fois quant au fait de l'amour, de sorte que l'un se trouve aimé également par l'autre, et quant au reste, comme, par exemple, pour les services entre les amis; tandis que, s'ils se trouvent inégaux, il faut qu'à l'un et à l'autre la chose se remette d'après la proportion de leur excès et de leur défaut. |
[74431] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 3 Deinde cum dicit: fiunt autem accusationes etc.,
ostendit in quibus amicitiis fiant querelae. Et primo proponit quod intendit.
Secundo manifestat propositum, ibi, qui quidem enim et cetera. Dicit ergo
primo, rationabiliter contingere quod accusationes et querelae, prout
scilicet unus amicus accusat alterum vel conqueritur de altero, fiunt vel in
sola amicitia quae est propter utile, vel maxime in ea. |
|
#1728. — Ensuite (1162b5), il montre en quelles amitiés se produisent des plaintes. En premier, il présente son intention. En second (1162b6), il manifeste son propos. Il dit donc, en premier, qu'il arrive raisonnablement que des accusations et des plaintes, au sens qu'un ami accuse l'autre ou se plaint de l'autre, se produisent, soit dans la seule amitié qui se développe pour l'utile, soit surtout en elle. |
[74432] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 4 Deinde cum dicit: qui quidem enim etc., manifestat
propositum. Et primo ostendit quod in amicitia quae est propter virtutem non
fit accusatio vel querela. Secundo, quod nec etiam multum fit in amicitia
quae est propter delectabile, ibi, non omnino autem et cetera. Tertio
ostendit quod maxime fit accusatio et querela in amicitia quae est propter
utile, ibi, quae autem propter utile et cetera. Dicit ergo primo, quod illi qui
sunt amici propter virtutem, prompti sunt ad hoc quod sibiinvicem
benefaciant. Haec enim est propria
operatio et virtutis et amicitiae, scilicet bene operari ad amicum. Et cum
ita sit quod uterque ad hoc intendat, ut obsequatur amico, non potest
contingere quod exinde proveniant accusationes et pugnae. |
|
#1729. — Ensuite (1162b6), il manifeste son propos. 304 En premier, il montre que, dans l'amitié qui se développe pour la vertu, il ne se produit pas d'accusation ou de plainte. En second (1162b13), que [cela] ne se produit pas beaucoup non plus dans l'amitié qui se développe pour le plaisir. En troisième (1162b16), il montre que c'est surtout dans l'amitié qui se développe pour l'utilité que se produisent accusation et plainte. Il dit donc, en premier, que ceux qui deviennent des amis pour la vertu sont prompts à se faire du bien l'un à l'autre. C'est là, en effet, l'action propre de la vertu et de l'amitié: agir bien envers son ami. Et comme il en va ainsi que l'un et l'autre tendent à cela, à servir leur ami, il ne peut se produire que de là proviennent des accusations et des affrontements. |
[74433] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 5 Nullus enim vult contristare eum qui se amat et sibi
benefacit, sed, si sit gratus, ille qui recipit beneficium studet ad
retribuendum per aliud beneficium. Et si detur quod unus eorum sit
superexcellens, quamvis non tantum recipiat quantum impendit, tamen si
sortitur illud quod appetit, non accusabit amicum suum. Hoc autem quod ab
utroque appetitur est bonum, idest conveniens et honestum; et hoc est
illud quod non excedit facultatem amici. |
|
#1730. — Personne, en effet, ne veut contrister celui qui l'aime et lui fait du bien; au contraire, si celui qui se fait faire du bien est reconnaissant, il s'efforce de le rendre en procurant un autre bien. Et s'il se trouve que l'un d'eux l'emporte et ne reçoive pas autant qu'il dépense, cependant, comme il retire ce qu'il désire, il n'accusera pas son ami. Or ce que désirent l'un et l'autre, c'est le bien, c'est-à- dire, le convenable et l'honorable; et cela ne dépasse pas la capacité de l'ami. |
[74434] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 6 Deinde cum dicit: non omnino autem etc., ostendit
qualiter se habeat circa amicitiam delectabilis. Et dicit quod neque etiam in
amicitiis quae sunt propter delectationem passim fiunt accusationes et
querelae, etsi aliquando contingant fieri. Si enim in mutua societate
gaudent, uterque habet quod quaerit, scilicet delectationem. Et ideo nullus
est locus querelae. Si autem unus ab altero delectationem non recipiat,
ridiculum est quod ille alter eorum accuset illum qui delectationem non
exhibet, cum in sua potestate habeat cum illo non morari. |
|
#1731. — Ensuite (1162b13), il montre comment cela se passe avec l'amitié de plaisir. Il dit que, dans les amitiés qui se développent pour le plaisir, ne se produisent pas non plus à tout moment des accusations et des plaintes, même s'il en arrive quelquefois. Si, en effet, on prend plaisir à sa société mutuelle, chacun a ce qu'il veut, à savoir, du plaisir. C'est pourquoi il n'y a aucune occasion de plainte. Si, par ailleurs, l'un ne reçoit pas de plaisir de l'autre, il se rendrait ridicule en accusant celui qui ne lui donne pas de plaisir, puisqu'il a en son pouvoir de ne pas rester avec lui. |
[74435] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 7 Deinde cum dicit: quae autem propter utile etc.,
ostendit qualiter se habeat in amicitia utilis. Et dicit quod illa amicitia
quae est propter utile, maxime patitur accusationes et querelas. Illi enim
qui utuntur se invicem ad utilitatem, semper pluri indigent quam eis detur,
et existimant quod minus recipiant quam eis conveniat. Et ideo conqueruntur
quod non tanta recipiant quantis indigent; praesertim cum sint tantorum digni.
E contrario autem benefactores dicunt, quod non possunt ad tanta danda
sufficere quantis indigent illi qui ab eis bene patiuntur. |
|
#1732. — Ensuite (1162b16), il montre comment il en va dans l'amitié d'utilité. Il dit que c'est l'amitié qui se développe pour l'utilité qui souffre le plus les accusations et les plaintes. En effet, ceux qui usent l'un de l'autre pour une utilité ont toujours besoin de plus que ce qu'on leur donne, et pensent qu'ils reçoivent moins qu'il ne leur convient. C'est pourquoi ils se plaignent qu'ils ne reçoivent pas autant qu'ils ont besoin, surtout quand ils méritent tant. Inversement, ceux qui font du bien disent qu'ils ne peuvent suffire à donner tant qu'ont besoin ceux à qui ils font du bien. |
[74436] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 8 Deinde cum dicit: videtur autem, quemadmodum etc.,
assignat rationem, quare contingit querela in amicitia utilis. Et primo
quantum ad aequales. Secundo quantum ad inaequales, ibi, differunt autem, et
in his et cetera. Circa primum duo facit. Primo assignat rationem. Secundo
movet dubitationem, ibi, dubitationem autem habet et cetera. Circa primum duo
facit: primo assignat rationem querelarum, quae sunt in amicitia utilis.
Secundo docet huiusmodi querelas vitare, ibi, potenti autem et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit rationem. Secundo exponit quod dixerat, ibi,
est autem legalis quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod duplex est iustum.
Unum quidem, quod non est scriptum sed rationi inditum, quod supra nominavit
iustum naturale. Aliud autem est iustum secundum legem scriptam, quod supra in quinto
nominavit iustum legale. |
|
#1733. — Ensuite (1162b21), il assigne la raison pour laquelle surgit une plainte dans l'amitié d'utilité. En premier, quant aux égaux. En second (1163a24), quant aux inégaux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il assigne la raison. En second (1163a9), il soulève une difficulté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la raison des plaintes qui se produisent dans l'amitié d'utilité. En second (1163a1), il enseigne à éviter les plaintes de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la raison. En second (1162b25), il explique ce qu'il avait dit. Il dit donc, en premier, qu'il y a deux objets de justice. L'un n'est pas écrit, mais il est empreint dans la raison; c'est celui que, plus haut (#1081), on a nommé naturellement juste. L'autre, par ailleurs, est juste en rapport à la loi écrite: c'est celui que, plus haut, au cinquième [livre] (#1081), on a nommé légalement juste. |
[74437] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 9 Et similiter est duplex utilitas, quam oportet in
amicitiis consequi. Quarum una est moralis, quando scilicet unus exhibet
utilitatem alteri secundum quod pertinet ad bonos mores. Et haec utilitas
respondet iusto non scripto. Alia autem est utilitas legalis, prout scilicet
unus exhibet utilitatem alteri, secundum quod est lege statutum. Maxime
igitur fiunt accusationes in amicitia utilis quando non secundum idem fit
commutatio utilitatis; puta cum unus exhibet utilitatem secundum exigentiam
legis, alter vero requirit eam secundum convenientiam bonorum morum. Et sic
fit dissolutio amicitiae. |
|
#1734. — Pareillement, il y a double utilité à poursuivre dans les amitiés. L'une est morale: elle a lieu quand l'un procure à l'autre une utilité en ce qui touche aux bonnes mœurs; cette utilité correspond au juste non écrit. L'autre est l'utilité légale: elle a lieu dans la mesure où l'un procure à l'autre une utilité en rapport à ce qui est statué par une loi. C'est surtout, donc, quand l'échange d'utilité ne se fait pas sous le même rapport que se produisent des accusations dans l'amitié d'utilité; par exemple, quand l'un procure une utilité en rapport à une exigence de loi, tandis que l'autre la requiert en rapport à la convenance des bonnes mœurs. Ainsi se produit la dissolution de l'amitié. |
[74438] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 10 Deinde cum dicit: est autem legalis etc., manifestat
quod dixerat. Et primo quantum ad utilitatem legalem. Secundo quantum ad
moralem, ibi, moralis autem et cetera. Dicit ergo primo, quod legalis
utilitas consistit in dictis, idest in conventionibus, quae fiunt ex
condicto utriusque. Et haec est duplex. Quaedam enim est omnino foralis, id
est per modum emptionis et venditionis, quae scilicet est ex manu in manum,
scilicet cum aliquis statim accipit quod ei promittitur pro obsequio impenso.
Alia autem est liberalior, quae habet temporis dilationem, sed tamen
determinatum est quid pro quo debeat dari. Et sic non est dubium, sed
manifestum, quid sit debitum, est tamen hic quaedam amicabilis dilatio eius
quod debetur. Et ideo apud quosdam talium, non oportet per aliquem iudicem
iustitiam exhibere, sed fidelitatem servant in commutationibus et aestimatur
quod propter hoc sint diligendi. |
|
#1735. — Ensuite (1162b25), il manifeste ce qu'il avait dit. En premier, quant à l'utilité légale. En second (1162b31), quant à la morale. Il dit donc, en premier, que l'utilité légale consiste en accords, c'est-à-dire, en conventions qui se font par contrat de l'un avec l'autre. Et celle-ci est double. L'une, en effet, est tout à fait formelle, 305 c'est-à-dire, sous mode d'achat et de vente faits de main à main, lorsque l'on reçoit aussitôt ce qui est promis pour un service rendu. L'autre, elle, est plus libérale, et elle comporte un temps pour la remise; cependant, on a fixé quoi doit être rendu pour quoi. Ainsi, il n'y a pas doute, mais évidence, sur ce qui est dû. Il y a, en effet, une espèce de remise amicale de ce qui est dû. C'est pourquoi, chez certaines [gens], en [matières] de cette nature, il n'y a pas lieu que l'on procure la justice par jugement, mais ils restent fiables dans les échanges et on estime pour cela devoir les aimer. |
[74439] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 11 Deinde cum dicit: moralis autem etc., exponit quae sit
moralis utilitas. Et dicit, quod moralis utilitas non consistit in dictis, id
est in conventionibus quae fiunt ex condicto sed sicut consuevit aliquid gratis
dari amico, ita unus dat cuicumque alii sine pacto foris expresso; sed tamen
quantum ad intentionem ille qui dat dignum reputat, ut reportet aliquid
aequale, vel etiam maius, ac si non esset gratis dans, sed accommodans. Si
autem non hoc modo fiat commutatio, ut scilicet ille qui accepit restituat et
solvat aequale aut maius, ille qui dedit accusabit recipientem et conqueretur
de eo. |
|
#1736. — Ensuite (1162b31), il explique quelle est l'utilité morale. Il dit que l'utilité morale ne consiste pas en accords, à savoir, en conventions faites par contrat, mais, comme on a coutume de donner gratuitement quelque chose à un ami, de même l'un donne à n'importe qui sans contrat exprimé extérieurement; cependant, dans son intention, le donneur croit mériter qu'on lui rapporte quelque chose d'égal, ou même plus, comme s'il ne donnait pas gratuitement, mais à titre de prêt. Si, d'ailleurs, l'échange ne se fait pas de cette manière, que le récipiendaire rende et paye l'égal ou plus, le donneur accusera le récipiendaire et s'en plaindra. |
[74440] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 12 Consequenter autem assignat praedictorum causam. Et
dicit, quod hoc quod dictum est, scilicet quod ille qui gratis dat
retributionem quaerit, ideo accidit quia omnes vel plures volunt, idest
approbant honesta, sed tamen in suis actibus eligunt ea quae sibi sunt
utilia; quod autem aliquis benefaciat alteri non ea intentione, ut contra
patiatur restitutionem beneficii, est honestum. Et ideo, ut homines sint
aliis accepti, volunt videri hoc modo benefacere. Sed quod aliquis beneficia
recipiat est utile et ideo homines (hoc) eligunt, quantumcumque aliud
praetendant. |
|
#1737. — Par suite, il donne la cause de ce dont il vient de parler. Il dit que cela que l'on a dit, que celui qui donne gratuitement attend une rétribution, cela se produit parce que tous ou la plupart veulent, c'est-à-dire, approuvent extérieurement, l'honorable, mais choisissent cependant dans leurs actes ce qui leur est utile. Or, que l'on fasse du bien à un autre sans intention d'en recevoir en retour restitution du bien fait, c'est honorable. C'est pourquoi, pour ce que l'on est reçu par les autres, on veut avoir l'air de faire du bien de cette manière. Mais se faire faire du bien est utile. C'est pourquoi on choisit l'utile, quoi que ce soit qu'on prétende d'autre. |
[74441] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 13 Deinde cum dicit: potenti autem etc., ostendit quomodo
huiusmodi querimonia sit vitanda. Et dicit, quod ille qui recipit beneficium,
si potest, debet retribuere secundum dignitatem eorum quae recepit, et hoc
propria sponte, quia non debet aliquis facere amicum involuntarium, ut
scilicet velit gratis accipere ab eo qui noluit gratis dare. Sed in hoc
peccavit a principio ille qui beneficium accepit quod hoc passus est ab eo a
quo non oportuit; non enim recepit beneficium a vero amico, neque ab homine
qui beneficium contulit propter ipsum cui datum est, sed propter utilitatem
inde speratam. Ille igitur qui beneficium recepit debet solvere danti, sicut
fit in dictis, idest in conventionibus quae fiunt ex condicto. Et si
potest reddere aequivalens ei quod recepit, debet confiteri, scilicet
protestando, se totum restituisse. Si vero non possit reddere, neque etiam
ille qui dedit beneficium dignum reputat ut sit ab eo exigendum. |
|
#1738. — Ensuite (1163a1), il montre comment éviter des plaintes de la sorte. Il dit que celui qui reçoit un bienfait, s'il le peut, doit rendre selon la valeur de ce qu'il reçoit, et cela très spontanément, car on ne doit se faire de personne un ami malgré lui, en voulant recevoir gratuitement de qui n'a pas voulu donner gratuitement. Mais en cela, s'est rendu fautif dès le début celui qui a accepté l'avantage, car il l'a accepté de qui il ne fallait pas. En effet, il ne l'a pas accepté d'un ami véritable, ni d'un homme qui lui faisait du bien pour son bien à lui, à qui il le faisait, mais pour l'utilité qu'il en attendait. Celui, donc, qui se fait faire du bien, doit payer à celui qui le lui fait, comme cela se fait dans les accords, c'est-à-dire, dans les conventions faites par contrat. S'il peut rendre à égalité ce qu'il a reçu, il doit affirmer, et ouvertement, qu'il a tout rendu. Si, toutefois, il ne peut pas rendre, ni celui qui a fait du bien, ni non plus celui qui s'en est fait faire ne croit valable qu'on exige de lui. |
[74442] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 14 Est ergo hoc observandum, quod tali benefactori, qui
retributionem intendit, sit retribuendum, si recipiens possit. Sed a
principio, quando homo beneficium recipit, debet attendere a quo recipiat;
utrum scilicet ab amico gratis dante, vel ab eo qui retributionem quaerit, et
similiter debet homo attendere in qua re beneficium recipiat, utrum scilicet
possit recompensare vel non, ut sic sustineat se beneficiari vel non. |
|
#1739. — On doit donc respecter cela, qu'un tel bienfaiteur, qui vise une rétribution, on doit le rétribuer, si le récipiendaire le peut. Mais dès le début, quand on accepte du bien, on doit faire attention de qui on le reçoit: si c'est d'un ami qui donne gratuitement, ou de qui attend une rétribution. Pareillement, on doit faire attention en quelle matière on reçoit un bienfait: si on peut restituer ou non, de manière à accepter ou non de se faire faire du bien ainsi. |
[74443] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 15 Deinde cum dicit dubitationem autem habet etc., movet
dubitationem circa praedicta. Et primo proponit dubitationem. Et dicit, quod
dubitatio est utrum retributionem faciendam oporteat mensurare secundum
utilitatem eius qui recepit beneficium vel secundum operationem eius qui
dedit beneficium. |
|
#1740. — Ensuite (1163a9), il soulève une difficulté sur ce qui précède. En premier, il présente la difficulté. Il dit qu'il y a difficulté de savoir si, pour faire la rétribution, on doit mesurer en regard de l'utilité de qui se fait faire du bien, ou en regard de l'action de qui a fait du bien. |
[74444] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 16 Secundo ibi: patientes quidem enim etc., assignat
rationem dubitationis. Illi enim, qui recipiunt beneficia intendentes
attenuare suscepta beneficia, dicunt se talia recepisse a beneficis quae
parva erant illis ad dandum et quae illi poterant de facili ab aliis
recipere. E converso autem benefactores volentes magnificare sua beneficia,
dicunt se contulisse maxima eorum quae habebant, et qualia non poterant ab
aliis recipere et quod ea contulerunt in periculis et in magnis
necessitatibus. |
|
#1741. — En second (1163a12), il assigne la raison de la difficulté. Ceux, en effet, qui se font faire du bien, pour atténuer le bien qu'on leur a fait, disent qu'ils ont reçu de leurs bienfaiteurs des choses qui n'étaient pas grand chose pour eux à donner et qu'ils auraient facilement pu les recevoir d'autres. Inversement, par ailleurs, les bienfaiteurs, en voulant magnifier le bien qu'ils ont fait, disent qu'ils ont fourni le mieux de ce qu'ils avaient, même des [choses] que l'on ne pouvait attendre d'eux, et qu'ils les ont fournies en souffrant grands dangers et indigences. |
[74445] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 17 Tertio ibi: igitur propter utile etc., solvit
dubitationem. Et dicit quod, si amicitia sit propter utile, mensura
retributionis debet accipi secundum utilitatem quam percepit ille qui passus
est beneficium. Iste enim est, qui indiguit beneficio. Et sufficit ei quod
tentet reddere aequalem retributionem; tantum ergo fuit adiutorium
benefactoris quantum recipiens fuit adiutus, et ideo tantum debet reddere
quantum accepit de adiutorio. Et si plus faciat, melius est. In amicitiis
autem quae sunt secundum virtutem, non sunt quidem accusationes, sicut supra
dictum est. |
|
#1742. — En troisième (1163a16), il résout la difficulté. Il dit que la mesure de la rétribution doit se prendre d'après l'utilité perçue par qui s'est fait faire du bien. C'est lui, en effet, qui a eu besoin qu'on lui fasse du bien. Il suffit qu'on essaie de rendre une rétribution égale, et que l'on ait été autant en aide à son bienfaiteur qu'on a reçu d'aide de lui. Mais si on fait plus, c'est mieux. Dans les amitiés, par ailleurs, qui sont en rapport à la vertu, il n'y a pas d'accusations, comme on l'a dit plus haut (#1729-1730). 306 |
[74446] Sententia Ethic., lib. 8 l. 13 n. 18 Est tamen in eis facienda recompensatio. Et hic electio
vel voluntas conferentis beneficium habet similitudinem mensurae. Quia
mensura uniuscuiusque generis est id quod est principale in genere illo.
Principalitas autem virtutis et moris consistit in electione. Et ideo in
amicitia quae est secundum virtutem, debet fieri recompensatio secundum
voluntatem eius qui beneficium contulit, etiam si parvum aut nullum auxilium
ex hoc est aliquis consequutus. |
|
#1743. — Cependant, il y a, en elles, une restitution à faire. En cela, le choix ou la volonté de celui qui fait le bien tient lieu d'espèce de mesure. Car la mesure de chaque genre est ce qui est principal en ce genre. Or le principal, dans la vertu et les mœurs, réside dans le choix. C'est pourquoi, dans l'amitié qui se développe en rapport à la vertu, la restitution doit se faire selon la volonté de celui qui a fait du bien, même si peu ou aucune aide en a résulté. |
|
|
|
Lectio
14 |
|
Leçon 14
|
[74447] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 1 Differunt autem et in his et cetera. Postquam
philosophus ostendit qualiter fiant accusationes in amicitia utilis, quae est
secundum aequalitatem, hic ostendit, quomodo fiant accusationes in amicitiis
quae sunt secundum superexcellentiam. Et circa hoc tria facit. Primo proponit
controversiam quae in talibus amicitiis fieri consuevit. Secundo assignat
controversiae rationem, ibi, existimat enim melior etc.; tertio determinat veritatem,
ibi, videtur autem uterque et cetera. Dicit ergo primo, quod etiam in
amicitiis, quae sunt secundum superexcellentiam, est quaedam differentia et
discordia inter amicos, dum uterque, scilicet et maior et minor, dignum
reputat quod ipse plus habeat. Et si hoc non fiat, dissolvitur propter hoc
amicitia. |
|
#1744. Après avoir montré de quelle manière se font les accusations dans l'amitié d'utilité en situation d'égalité, le Philosophe montre ici comment se font les accusations dans les amitiés en situation d'inégalité. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la discussion qui a coutume de se produire en pareilles amitiés. En second (1163a26), il assigne la raison de cette discussion. En troisième (1163b1), il établit la vérité. Il dit donc, en premier, que, dans les amitiés en situation d'inégalité aussi, il se produit différence et discorde entre amis, quand l'un et l'autre, à savoir, le plus grand comme le plus petit, jugent mériter plus. Puis, si on n'en vient pas là, l'amitié se dissout à cause de cela. |
[74448] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 2 Deinde cum dicit existimat enim etc., assignat rationem
praedictae discordiae. Et primo ponit rationem quae movet maiores. Secundo
rationem quam inducunt minores, ibi, indigens autem et cetera. Dicit ergo
primo, quod quantum ad amicitiam quae est secundum virtutem, ille qui est
melior existimat conveniens esse sibi quod plus habeat. Si enim bono debetur
bonum, conveniens est quod meliori plus de bono attribuatur. Et similiter in
amicitia quae est secundum utile, ille qui est utilior aestimat quod ipse
debeat plus habere. |
|
#1745. — Ensuite (1163a26), il assigne la raison de la discorde mentionnée. En premier, il présente la raison qui meut les plus grands. En second (1163a32), la raison qu'apportent les plus petits. Il dit donc, en premier, que, pour ce qui est de l'amitié qui se développe en rapport à la vertu, celui qui est meilleur estime mériter plus. Si, en effet, c'est au bon qu'on doit le bien, il convient qu'au meilleur on attribue plus de bien. Pareillement, dans l'amitié qui se développe en rapport à l'utilité, celui qui est plus utile estime devoir avoir plus. |
[74449] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 3 Non enim oportet, sicut dicunt, quod ille qui est
inutilis aequalia recipiat ei qui utilior est. Esset enim quaedam ministratio,
idest servitus, et non amicitia, si commoda quae ex amicitia proveniunt non
distribuerentur secundum dignitatem operum, ut scilicet ille qui melius
operatur plus habeat. Existimatur enim, quod sicut in mercationibus ex
communi pecunia plura recipiunt illi qui plus posuerunt, ita etiam debeat
fieri in amicitia quod qui plura apposuit ad amicitiam plura recipiat. |
|
#1746. — Il ne faut pas, en effet, comme on dit, que celui qui est moins utile reçoive en égalité avec celui qui est plus utile. Car il y aurait comme un service, c'est-à-dire, un esclavage, et non de l'amitié, si on ne distribuait pas les accommodements qui proviennent de l'amitié en se référant à la valeur des actions, de façon que celui qui agit mieux ait plus. On pense, en effet, que, de même qu'en achat et vente, en général, ceux qui ont investi plus reçoivent plus d'argent, de même, en amitié aussi, il doit se faire que qui a investi plus pour l'amitié reçoive plus. |
[74450] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 4 Deinde cum dicit: indigens autem etc., ponit rationem
quam inducunt inferiores. E converso enim loquuntur indigens in amicitia
utilis et deterior in amicitia virtutis. Dicunt enim, quod ad amicum
excellentem in bono pertinet quod ipse sufficienter provideat amicis
indigentibus. Nulla enim videretur esse
utilitas, quod aliquis inferior esset amicus alicui virtuoso vel potenti, si
nihil ab eo recipere debeat. |
|
#1747. — Ensuite (1163a32), il présente les raisons qu'apportent les inférieurs. C'est à l'inverse, en effet, que parlent l'indigent, dans l'amitié utile, et le pire, dans l'amitié pour la vertu. Ils disent, en effet, qu'il appartient à l'ami qui abonde en bien de pourvoir avec suffisance à ses amis indigents. Car il n'y aurait manifestement aucune utilité à ce qu'étant inférieur, on se fasse ami avec quelqu'un de vertueux ou de puissant, si on n'en devait rien recevoir. |
[74451] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 5 Deinde cum dicit: videtur autem etc., determinat
veritatem. Et primo proponit veritatem. Secundo manifestat eam, ibi: virtutis
quidem enim etc.; tertio infert quoddam corollarium ex dictis, ibi, propter
quod et utique et cetera. Dicit ergo primo quod uterque, scilicet et
superior et inferior, recte videtur aestimare id quod dignum est, quia
utrique oportet aliquid plus dare, non tamen de eodem; sed ei qui
superexcellit debet plus dari de honore, ei autem qui indiget debet plus dari
de lucro. |
|
#1748. — Ensuite (1163b1), il établit la vérité. En premier, il présente la vérité. En second (1163b3), il la manifeste. En troisième (1163b18), il infère un corollaire de ce que l'on a dit. Il dit donc, en premier, que l'un et l'autre, à savoir, le supérieur et l'inférieur, paraissent estimer correctement ce qui convient, parce qu'à l'un et à l'autre il faut donner quelque chose de plus; cependant, [ce n'est] pas en même [matière]; plutôt, à celui qui excelle davantage, on doit donner plus d'honneur, tandis qu'à celui qui a plus besoin, on doit donner plus de gain. |
[74452] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 6 Deinde cum dicit: virtutis quidem enim etc., manifestat
quod dictum est. Et primo per rationem. Secundo per exemplum, ibi, sic autem
habere et cetera. Tertio probat quiddam quod dixerat, ibi: possibile enim et
cetera. Dicit ergo primo, quod ideo superexcellenti debet dari plus de
honore, quia honor est propria retributio pro operibus virtutis et pro
beneficiis praestitis, in quibus excedunt maiores. Sed per lucrum praestatur
auxilium contra indigentiam, quam patiuntur inferiores. |
|
#1749. — Ensuite (1163b3), il manifeste ce qu'il a dit. En premier, avec une raison. En second (1163b5), avec un exemple. En troisième (1163b15), il prouve quelque chose qu'il avait dit. Il dit donc, en premier, que la raison pour laquelle on doit donner plus d'honneur au plus excellent, c'est que l'honneur est la rétribution propre pour les actes de vertu et pour le bien que l'on a fait à autrui, [choses] en lesquelles les plus grands dépassent [les autres]. Tandis que, par le gain, on prête de l'aide contre l'indigence dont souffrent les inférieurs. 307 |
[74453] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 7 Deinde cum dicit: sic autem habere hoc etc., manifestat
idem per exemplum. Sic enim videmus accidere in urbanitatibus, id est in
dispositionibus civitatum; non enim in civitatibus honoratur ille qui nullum
bonum tribuit communitati, sed ei qui aliquod beneficium communitati
contulit, datur commune bonum, quod est honor. Non enim de facili contingit,
quod aliquis a communitate simul et divitias et honores recipiat. Non enim
aliquis sustineret quod haberet minus quantum ad omnia; scilicet et quantum
ad divitias et quantum ad honores. Sed ei qui diminutus est in pecuniis
propter expensas quas in servitium communitatis fecit, tribuunt civitates
honorem, ei vero, qui propter sua servitia expectat dona, tribuunt pecunias. |
|
#1750. — Ensuite (1163b5), il manifeste la même [chose] avec un exemple. En effet, c'est ainsi que nous voyons que [les choses] se passent, dans les organisations civiles. En effet, on n'y honore pas celui qui n'a contribué aucun bien à la communauté, tandis qu'à celui qui a fait quelque bien à la communauté, on donne de ce bien commun qu'est l'honneur. Il n'arrive pas facilement, en effet, que l'on reçoive en même temps de la communauté richesses et honneurs. Car on ne supporterait pas d'avoir moins sur tous les [plans], à savoir, à la fois quant aux richesses et quant aux honneurs. Plutôt, celui qui a diminué en argent, à cause des dépenses qu'il a faites dans le service de la communauté, la cité le rétribue en honneur, tandis que celui qui, à cause de ses services, attend des dons, on le rétribue en argent. |
[74454] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 8 Dictum est enim supra, quod illud quod est secundum
dignitatem observatum et exhibitum facit aequalitatem proportionalem in
amicitiis et sic amicitias conservat. Sicut igitur civitates quibusdam
exhibent honores, quibusdam pecuniam secundum eorum dignitatem, sic faciendum
est quando sunt amici inaequales: ut scilicet ei qui suo beneficio in pecuniarum
exhibitione utilis fuit, vel qui opera virtuosa peregit, reddatur honor, ita
quod retributio fiat, etsi non de aequivalenti, tamen de eo quod fieri
potest. |
|
#1751. — On a dit plus haut (#1693), en effet, que ce que l'on respecte et procure au mérite réalise l'égalité en proportion entre amis, et ainsi conserve les amitiés. Comme, donc, les cités procurent des honneurs à certains, et à d'autres de l'argent, selon leur mérite, ainsi faut-il faire, quand des amis sont inégaux, de sorte qu'à celui qui, en faisant du bien, s'est rendu utile en fournissant de l'argent, ou bien qui a exécuté des actions vertueuses, on rend de l'honneur, de sorte qu'une rétribution se fait, même si elle ne porte pas sur l'équivalent, mais sur ce qui peut se faire. |
[74455] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 9 Deinde cum dicit possibile enim etc., probat quod
sufficiat reddere quod contingit; quia amicitia requirit id quod est
possibile amico, non autem semper id quod esset dignum, quia quandoque non
esset possibile. Non enim potest in omnibus beneficiis retribui condignus
honor, sicut patet in honoribus qui exhibentur Deo et parentibus, quibus
nullus potest aliquando retribuere condignum. Si tamen aliquis famuletur Deo
et parentibus secundum suam potentiam, videtur esse epiiches, idest
virtuosus. |
|
#1752. — Ensuite (1163b15), il prouve qu'il suffit de rendre ce que l'on peut, car l'amitié requiert ce qui est possible à l'ami, et non toujours ce qui serait mérité, parce que ce serait parfois tout à fait impossible. En effet, on ne peut pas rétribuer en tous les biens que l'on nous fait un honneur de mérite égal, comme il appert dans les honneurs que l'on montre à Dieu et aux parents, où personne ne peut jamais rétribuer en valeur égale. Cependant, si on sert Dieu et ses parents selon sa puissance, on est manifestement honnête, c'est-à-dire, vertueux. |
[74456] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 10 Deinde cum dicit propter quod et utique etc., infert
quoddam corollarium ex dictis. Et primo concludit ex dictis, quod non licet
filio abnegare patrem, sed patri licet quandoque abnegare filium. |
|
#1753. — Ensuite (1163b18), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. En premier, il conclut de ce qu'il a dit qu'il n'est pas permis à un enfant de renier son parent, bien qu'il soit parfois permis à un parent de renier son enfant. |
[74457] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 11 Secundo ibi: debentem enim etc., manifestat, quod
dictum est, duabus rationibus. Quarum prima est quia filius, cum sit
constitutus debitor patri propter suscepta beneficia, debet ei retribuere,
nec potest aliquid dignum facere beneficiis receptis. Unde semper remanet
debitor. Et ideo non licet ei abnegare patrem. Sed illi quibus debetur
aliquid, habent potestatem dimittendi eos qui sibi debent. Et ita pater habet
potestatem dimittendi filium. |
|
#1754. — En second (1163b20), il manifeste ce qu'il a dit, avec deux raisons. La première en va comme suit: l'enfant, comme il est constitué débiteur de son parent à cause du bien qu'il lui a fait, doit le rétribuer et ne peut rien faire de valeur égale au bien qu'on lui a fait. Aussi reste-t-il toujours débiteur. C'est pourquoi il ne lui est pas permis de renier son parent. Mais ceux à qui on doit ont le pouvoir de remettre à ceux qui leur doivent. Ainsi le parent a-t-il le pouvoir de remettre à son enfant. |
[74458] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 12 Secundam rationem ponit ibi simul autem forte et
cetera. Et dicit, quod nullus filius videtur recedere a patre abnegando
ipsum, nisi forte per excellentem malitiam, quia, praeter amicitiam naturalem
quae est inter filium et patrem, humanum est, quod aliquis non expellat eum
qui sibi auxiliatus est. Et ita iniquissimum est, quod filius expellat
patrem. Sed si filius sit malus, pater debet fugere eum vel ad minus non dare
magnam operam ad providendum ei sufficienter, quia per hoc in malitia
cresceret. Multi enim sunt qui volunt bene pati ab aliis, sed fugiunt
benefacere ac si hoc esset inutile. |
|
#1755. — Il présente ensuite la seconde raison (1163b22). Il dit que, manifestement, aucun enfant ne sera abandonné ni renié par son parent, sauf peut-être pour une malice suréminente, parce qu'à part de l'amitié naturelle qui se développe entre parent et enfant, il est humain que l'on ne repousse pas celui qui nous vient en aide. Aussi est-ce ce qu'il y a de plus inique, qu'un enfant chasse son parent. Mais si un enfant est mauvais, son parent doit le chasser, ou au moins ne pas faire grand effort à pourvoir pour lui en suffisance, parce qu'avec cela, il croîtrait en malice. Il y en a beaucoup, en effet, qui veulent se faire faire du bien par les autres, mais évitent d'en faire [à d'autres], comme si cela était inutile. |
[74459] Sententia Ethic., lib. 8 l. 14 n. 13 Ultimo autem epilogando concludit quod de his, quae ad
species amicitiae pertinent in tantum dictum est. Et sic terminatur sententia
octavi libri. |
|
#1756. — Enfin, il conclut, en épiloguant, que l'on a assez parlé de ce qui appartient aux espèces de l'amitié. Voilà, pour la pensée du huitième livre. |
|
|
|
Liber
9 |
|
LIVRE 9 : [L’amitié, suite] (Traduction Professeur Yvan
Pelletier, 1999)
|
|
|
|
Lectio
1 |
|
Leçon 1
|
[74460] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 1 In omnibus autem dissimilium et cetera. Postquam
philosophus ostendit quid est amicitia, et determinavit de amicitiae
speciebus, hic in nono libro determinat de amicitiae proprietatibus. Et primo
ponit proprietates amicitiae. Secundo movet quasdam dubitationes circa
praedeterminata, ibi, dubitatur autem utrum oportet et cetera. Circa primum
duo facit. Primo determinat ea quae pertinent ad conservationem et
dissolutionem amicitiae. Secundo determinat de amicitiae effectibus, ibi,
amicabilia autem quae ad amicos et cetera. Circa primum duo facit. Primo
determinat ea quae pertinent ad conservationem amicitiae. Secundo determinat quaedam, quae pertinent ad
dissolutionem ipsius, ibi, habet autem dubitationem et de eo et cetera. Circa
primum tria facit. Primo proponit id quod est amicitiae conservativum.
Secundo ostendit quomodo per huius defectum amicitia turbatur, ibi: hic
quidem igitur inventa est et cetera. Tertio docet remedia contra huiusmodi
periculum, ibi: dignitatem autem et cetera. |
|
#1757. — Après avoir
montré ce qu'est l'amitié, puis traité des espèces de l'amitié, le Philosophe
traite ici, au neuvième livre, des propriétés de l'amitié. En premier, il
présente les propriétés de l'amitié. En second (1168a28), il soulève des
difficultés sur ce qu'il a établi. Sur le premier [point], il fait deux
[considérations]. En premier, il traite de ce qui touche à l'entretien[53] et à la rupture[54] de l'amitié. En second (1166a1), il traite
des effets de l'amitié. Sur le premier [point], il fait deux
[considérations]. En premier, il traite de ce qui touche à l'entretien de
l'amitié. En second (1165a36), il traite de ce qui touche à sa rupture. Sur
le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente
ce qui est propre à entretenir l'amitié. En second (1164a1), il montre comment,
à défaut de cela, l'amitié se rompt. En troisième (1164a22), il enseigne des
remèdes contre ce type de rupture. |
[74461] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 2 Et quia in amicitiis aequalium manifestum est, quod
amicitia conservatur per hoc quod aequivalens redditur, manifestat primo
qualiter possit conservari amicitia, quae est dissimilium personarum
adinvicem, quod magis dubium esse videbatur. Et dicit, quod in omnibus
talibus amicitiis dissimilium personarum puta patris ad filium, regis ad
subditum, et sic de aliis, adaequat et conservat amicitiam hoc, quod
exhibetur analogum, id est id quod est proportionale utrique. Et hoc
manifestat per exemplum eius quod accidit in politica iustitia, secundum
quam, ut dictum est in V: coriario pro calciamentis quae dedit fit retributio
secundum dignitatem, quod est secundum proportionem; et idem est de textore,
et de reliquis artificibus. |
|
#1758. — Il est déjà manifeste, dans les amités entre égaux, que ce qui entretient l'amitié, c'est de rendre à égalité; aussi manifeste-t-il d'abord de quelle manière on pourrait entretenir l'amitié développée entre des personnes dissemblables, ce qui paraissait bien plus douteux. Il dit qu'en toutes amitiés de cette nature, entre personnes dissemblables, par exemple, du parent pour son enfant, du roi pour son sujet, et ainsi des autres, ce qui établit l'égalité et entretient l'amitié, c'est le fait de rendre en proportion, à savoir, [de régler l'échange sur] ce qui est proportionnel à l'un et l'autre. Il manifeste cela avec l'exemple de ce que l'on trouve en justice politique, en rapport à ce qu'on a dit au cinquième [livre] (#975-976), qu'au cordonnier, pour les chaussures qu'il a fournies, la rémunération se fait d'après leur valeur, qui va d'après une proportion; et il en va de même du tisserand, et des autres artisans. |
[74462] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 3 Deinde cum dicit: hic quidem igitur etc., ostendit
quomodo propter defectum analogi turbatur amicitia. Et circa hoc duo facit.
Primo proponit causam quare huiusmodi perturbatio contingere non potest circa
iustitiae commutationem. Et dicit, quod hic, scilicet in commutationibus
politicis inventa est quaedam communis mensura, scilicet denarius, ad
quem sicut ad mensuram omnia, commutabilia referuntur. Et eorum pretium per
denarios mensuratur. Et ideo certum esse potest quid pro quo reddendum sit.
Sed ea quae secundum amicitiam commutantur, puta affectus et obsequia
amicorum, appretiari pecunia non possunt. |
|
#1759. — Ensuite (1164a1), il montre comment, à défaut de proportion, l'amitié se trouve rompue. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la cause pour laquelle une rupture de la sorte ne peut se produire dans un échange [sur une base] de justice. Il dit qu'ici, à savoir, dans les échanges politiques, on a trouvé une commune mesure, à savoir, la monnaie, à laquelle tous les objets d'échange sont rapportés comme à leur mesure. Leur prix est mesuré en monnaie; c'est pourquoi on peut être certain de quoi l'on doit rendre pour quoi. Mais ce que l'on échange en amitié, par exemple, les affections et les services entre amis, cela ne peut s'apprécier en argent. |
[74463] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 4 Et ideo secundo ibi, in amicitia autem etc., ostendit
quomodo propter defectum analogi amicitia perturbatur. Et primo ostendit ex
eo quod non fit recompensatio ab uno amico alteri. Secundo ex eo quod non
recompensatur id quod quaerebatur, ibi, contendunt autem et cetera. Circa
primum duo facit: primo ponit causam perturbationis amicitiae. Secundo
ostendit in quibus amicitiis hoc contingat, ibi, accidunt autem talia et
cetera. Circa primum considerandum est, quod recompensatio amicitiae
attenditur secundum duo. Primo quidem quantum ad interiorem affectum amoris,
et quantum ad hoc dicit, quod quandoque in amicitia contingit quod amator
accusat eum quem amat, quoniam cum ipse superabundanter amet, non redamatur
ab eo quem amat. Et quandoque sua accusatio est iniusta, puta si contingat,
quod nihil habeat in se unde sit dignus amari. Secundo fit recompensatio
amicitiae quantum ad exteriora dona vel obsequia. Et quantum ad hoc dicit,
quod multoties ille qui amatur accusat amatorem, quia cum prius repromiserit
sibi omnia, tandem nihil perficit. |
|
#1760. — C'est pourquoi, en second (1164a2), il montre comment, à défaut de proportion, l'amitié se trouve rompue. En premier, il [le] montre du fait que la rémunération ne se trouve pas faite, d'un ami à l'autre. En second (1164a13), du fait que l'on ne rémunère pas avec ce que l'autre voulait. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la cause de la rupture de l'amitié. En second (1164a6), il montre en quelles amitiés cela se produit. Sur le premier [point], on doit tenir compte de ce que la rémunération de l'amitié s'attend sous deux [regards]. En premier, quant au sentiment intérieur d'amour. Quant à cela, il dit qu'il arrive parfois, dans des amitiés, que celui qui aime accuse celui qu'il aime de ce que, alors que lui-même l'aime en surabondance, il ne reçoit pas d'amour en retour de celui qu'il aime. Parfois, son accusation est injuste, par exemple, s'il se trouve qu'il n'ait rien en lui par quoi il mérite d'être aimé. En second, la rémunération de l'amitié se fait quant aux dons et services extérieurs. Quant à cela, il dit que, souvent, celui qui est aimé accuse celui qui l'aime, parce qu'alors qu'au début, il lui avait tout promis, à la fin, il ne fait rien. |
[74464] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 5 Deinde cum dicit: accidunt autem etc., ostendit in
quibus amicitiis haec contingant. Et dicit, quod praedictae mutuae
accusationes inter amatorem et amatum accidunt, quando amator amat amatum
propter delectationem, amatus autem amat amatorem propter utile. Contingit
autem quandoque, quod ista non existunt; quia scilicet nec amatus exhibet
amatori delectationem nec amator amato utilitatem, et ideo fit dissolutio
amicitiae, cum non permaneant illa, propter quae sola amicitia erat. Non enim
seinvicem propter seipsos amabant, sed propter praedicta, scilicet utilitatem
et delectationem, quae non sunt permanentia, et ideo nec tales amicitiae sunt
permanentes. Sed, sicut supra dictum est, amicitia quae est propter bonos
mores est permanens, quia secundum eam amant seinvicem amici propter seipsos.
|
|
#1761. — Ensuite (1164a6), il montre en quelles amitiés ces [accusations] arrivent. Il dit que les accusations mutuelles dont on vient de parler arrivent, entre celui qui aime et celui qu'il aime, quand celui qui aime aime pour le plaisir, tandis que son ami aime celui qui l'aime pour une utilité. Il arrive parfois, d'ailleurs, que ces [accusations] ne se produisent pas, parce que ni à celui qui l'aime celui qu'il aime ne procure de plaisir, ni celui qui aime [ne procure] d'utilité à celui qu'il aime. C'est pourquoi se produit la rupture de l'amitié, puisque les [biens] n'existent plus, pour lesquels seuls il y avait amitié. En effet, ce n'était pas pour eux-mêmes qu'ils s'aimaient, mais pour les [biens] mentionnés, à savoir, l'utilité et le plaisir, qui ne durent pas, et c'est pourquoi des amitiés de cette nature ne sont pas non plus permanentes. Mais, comme on l'a dit plus haut (#1622-1623), l'amitié qui se développe pour les bonnes mœurs est permanente, parce qu'en rapport à elle, les amis s'aiment entre eux pour eux-mêmes. |
[74465] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 6 Deinde cum dicit contendunt autem etc., ostendit
quomodo amicitia turbatur per hoc quod non recompensatur id quod quaerebatur,
sed aliud. Et dicit, quod multoties amici contendunt adinvicem, cum non
recompensentur eis illa quae appetunt, sed quaedam alia. Cum enim aliquis non
potitur eo quod desiderat, simile est ac si nihil ei fieret. |
|
#1762. — Ensuite (1164a13), il montre comment l'amitié se rompt du fait qu'on ne rémunère pas avec ce que l'on voulait, mais avec autre chose. Il dit que, souvent, des amis se disputent entre eux parce qu'ils ne sont pas rémunérés avec ce qu'ils désirent, mais avec autre chose. Lorsqu'en effet, on ne jouit pas de ce que l'on désire, c'est pareil à si on ne nous faisait rien. |
Et ponit exemplum de quodam cytharoedo, cui quidam
repromisit, quod quanto melius cantaret, tanto plus ei daret; cum autem in
mane post cantum petiisset repromissiones sibi adimpleri, respondit
promissor, quod ipse pro delectatione reddiderat ei delectationem, quia versa
vice in aliquo eum delectaverat. Et si quidem citharoedus quaerebat
delectationem, sufficienter se habet recompensatio facta. Si vero promissor
quaerebat delectationem, cytharoedus autem lucrum, non est bene facta
communicatio, quia unus eorum habet quod quaerebat, alius autem non. Ille
enim qui exhibet aliquid, ad illa attendit quibus indiget, et horum gratia
dat illa quae dat. |
|
#1763. — Il présente l'exemple d'un cithariste à qui on a promis qu'on lui donnerait d'autant plus qu'il jouerait mieux. Comme, le lendemain après avoir joué, il demandait qu'on remplisse ses promesses, le prometteur répondit qu'il lui avait rendu plaisir pour plaisir, car, réciproquement, il lui avait fait plaisir en quelque chose. Certes, si le cithariste cherchait un plaisir, elle est suffisante la rémunération. Mais si le prometteur cherchait un plaisir, et le cithariste un profit, l'échange n'est pas bien fait, car l'un d'eux a ce qu'il cherchait, tandis que l'autre non. En effet, celui qui procure quelque chose, s'attend à ce dont il a besoin, et c'est en vue de cela qu'il donne ce qu'il donne. |
[74466] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 7 Deinde cum dicit dignitatem autem etc., docet remedia
contra praedictas amicitiae turbationes. Et circa hoc duo facit. Primo docet
quae sint observanda, ad hoc quod pax amicitiae conservetur. Secundo
determinat quamdam dubitationem, ibi, dubitationem autem habent et cetera. Circa primum duo
facit. Primo ostendit ad quem pertineat aestimare dignam recompensationem in
amicitiis. Secundo ostendit qualiter
huiusmodi recompensatio fiat, ibi, in quibus autem non fit et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit, quod aestimatio dignae recompensationis
pertinet ad eum qui primo accepit beneficium. Secundo ostendit quomodo ex
eius defectu sequitur accusatio in amicitiis, ibi, praeaccipientes autem et
cetera. |
|
#1764. — Ensuite (1164a22), il enseigne les remèdes contre les ruptures d'amitié dont il a parlé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il enseigne ce qu'il y a à observer, pour entretenir la paix de l'amitié. En second (1164b22), il traite d'une difficulté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre à qui il appartient d'apprécier la rémunération valable dans les amitiés. En second (1164a33), il montre de quelle manière se fait une rémunération de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'appréciation de la rémunération valable relève de celui qui tire un bénéfice en premier. En second (1164a27), il montre comment, à défaut de cela, une accusation s'ensuit dans les amitiés. |
[74467] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 8 Dicit ergo primo, quod ordinare dignitatem
recompensationis pertinet ad utrumque: scilicet ad eum qui ante dedit, et ad
eum qui ante accepit beneficium. Sed tamen ille qui ante dedit, videtur
concedere iudicium recompensationis illi qui accepit, sicut dicitur de
Protagora philosopho, quod cum doceret discipulos, iubebat quod discipulus
honoraret eum muneribus quantum dignum sibi videbatur dare pro his quae eo
docente sciebat; et tantum accipiebat ab unoquoque eorum. In talibus enim
amicitiae obsequiis sufficit quibusdam quod eis redditur secundum
aestimationem recipientium beneficia. Et
sic videntur sufficienter mercedem recipere; quia merces datur viro, scilicet
benefico, non autem rei exhibitae. Et ideo sufficiens videtur esse merces
quae sufficit viro, etiam si non aequiparet beneficium. |
|
#1765. — Il dit donc, en premier, que de régler la valeur de la rémunération relève de l'un et de l'autre, à savoir, de celui qui, avant, a donné, et de celui qui, avant, a tiré un bénéfice. Mais cependant, celui qui, avant, a donné paraît bien concéder le jugement de la rémunération à celui qui a reçu, comme on dit de Protagoras, le philosophe, que, quand il enseignait à ses disciples, il jugeait que le disciple lui fasse l'honneur d'une rémunération à la mesure qu'il lui semblait valable de donner pour les choses que son enseignement lui permettait de savoir; et il recevait de chacun d'eux dans cette mesure. Dans de tels services d'amitié, en effet, il suffit à certains qu'on leur rende d'après l'appréciation de ceux qui ont tiré un bénéfice. Ainsi semblent-ils recevoir un salaire suffisant, car on donne un salaire à quelqu'un, à savoir, à qui a fait du bien, et non à la chose procurée. C'est pourquoi le salaire paraît suffisant, qui suffit à l'homme, même s'il n'égale pas le bénéfice. |
[74468] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 9 Deinde cum dicit praeaccipientes autem etc., ostendit
quomodo perturbatio amicitiae provenit ex defectu eorum qui primo accipiunt.
Et dicit, quod illi qui primo accipiunt pecuniam, ante scilicet quam
serviant, deinde nihil faciunt eorum quae promiserunt, quia forte
promissiones fuerunt superfluae, convenienter accusantur, quia non perficiunt
ea quae promiserunt. Et hoc coguntur facere sophistae, quia pro omnibus quae
sciunt nihil daretur eis, si committerent arbitrio discentium sicut
Protagoras faciebat, eo quod tota eorum scientia in quibusdam apparentibus et
frivolis consistit. Sic igitur isti convenienter accusantur, dum non
faciebant illa pro quibus mercedem accipiebant. |
|
#1766. — Ensuite (1164a27), il montre comment la rupture de l'amitié provient du défaut de ceux qui ont reçu d'abord. Il dit que ceux qui, d'abord, reçoivent de l'argent, à savoir, avant de servir, mais ne font ensuite rien de ce qu'ils ont promis, peut-être parce que leurs promesses ont été excessives, on les accuse avec convenance, parce qu'ils ne font pas ce qu'ils ont promis. Cela, les Sophistes sont forcés de le faire, parce que, pour toutes les [choses] qu'ils savent, rien ne leur serait donné, si on s'en remettait à l'arbitre de leurs élèves; parce que toute leur science consiste en des apparences et frivolités. Ainsi donc, on les accuse avec justice, tant qu'ils ne font pas ce pour quoi ils ont pris un salaire. |
[74469] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 10 Deinde cum dicit: in quibus autem etc., ostendit
quomodo debeat fieri recompensatio in amicitiis. Et primo quantum ad
amicitias quae sunt secundum virtutem. Secundo quantum ad alias amicitias,
ibi, non tali autem existente et cetera. Dicit ergo primo, quod si non fiat
collatio beneficii propter confessionem, idest promissionem alicuius
certi ministerii, sicut in praedictis fiebat: (contingit quandoque) quod illi
qui ante dant beneficia aliquibus propter ipsos accipientes, et non intuitu
alicuius recompensationis. Manifestum est ex praedictis in VIII quod tales
sunt inaccusabiles. Hoc enim pertinet ad amicitiam quae est secundum virtutem, in qua
facienda est retributio, respiciendo ad electionem, sive affectum facientis.
Electio enim maxime pertinet ad amicitiam et virtutem, sicut supra dictum
est. |
|
#1767. — Ensuite (1164a33), il montre comment doit se faire la rémunération dans les amitiés. En premier, quant aux amitiés qui se développent en rapport à la vertu. En second (1164b6), quant aux autres amitiés. Il dit donc, en premier, que, si la contribution d'un bénéfice ne se fait pas pour une attestation, c'est-à-dire, pour la promesse d'un certain service, comme cela se faisait dans les [cas] précédents, il arrive parfois que des gens procurent dès l'abord des bénéfices à d'autres pour ceux-là mêmes qui les reçoivent, et non en considération d'une rémunération. Il est manifeste, à partir de ce que l'on a dit au huitième [livre] (#1743), que des [amis] de cette nature, on le peut les accuser. Cela, en effet, appartient à l'amitié qui se développe en rapport à la vertu, en laquelle la rémunération doit se faire en regard du choix, ou de l'affection de celui qui la fait. En effet, c'est le choix, surtout, qui appartient à l'amitié et à la vertu, comme on l'a dit (#1538). |
[74470] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 11 Et sicut hoc observatur in amicitia quae consistit in
communicatione virtutis, sic etiam observandum est in communicatione
philosophiae, puta inter magistrum et discipulum. Non enim dignitas
philosophiae quam quis addiscit, potest mensurari secundum pecuniam nec
potest discipulus aequivalens pretium magistro reddere; sed forte reddendum
est illud quod sufficit, sicut etiam Deo et parentibus. |
|
#1768. — De même que l'on respecte cela dans l'amitié qui consiste en une relation basée sur la vertu, de même aussi on doit le respecter où la relation est basée sur la philosophie, par exemple, entre maître et disciple. En effet, la valeur de la philosophie que l'on apprend ne peut pas se mesurer en argent et le disciple ne peut la rendre à son maître à un prix égal; mais sans doute doit-on rendre ce qui suffit, comme à Dieu et à ses parents. |
[74471] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 12 Deinde cum dicit: non tali autem etc., ostendit
qualiter fiat recompensatio in aliis amicitiis. Et circa hoc tria facit.
Primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, quantum enim et
cetera. Tertio respondet tacitae quaestioni, ibi, oportet autem forte et
cetera. Dicit ergo primo, quod si non sit talis datio, quod scilicet aliquis
det amico propter seipsum sed in aliquo recipiendo sit dantis intentio,
oportet quod fiat retributio quae videatur ambobus digna, scilicet et danti
et accipienti. Et si hoc non contingat, debet aestimare dignam compensationem
ille qui prius habuit beneficium. Et hoc non solum est necessarium, sed etiam
iustum. |
|
#1769. — Ensuite (1164b6), il montre de quelle manière se fait la rémunération dans les autres amitiés. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1164b10), il prouve son propos. En troisième (1164b20), il répond à une question tacite. Il dit donc, en premier, que, si le don n'est pas donné à son ami pour lui-même, mais que l'intention du donneur soit de recevoir quelque chose, il faut que se fasse une rémunération qui apparaisse valable aux deux, à savoir, à la fois au donneur et au récipiendaire. Si cela ne se produit pas, celui-là doit apprécier la rémunération valable, qui a d'abord tiré un bénéfice. Et cela n'est pas seulement nécessaire, c'est aussi juste. |
[74472] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 13 Deinde cum dicit quantum enim utique etc., probat
propositum. Et primo per rationem. Secundo per auctoritatem legis, ibi,
alicubi autem et cetera. Dicit ergo primo, quod quantum aliquis est adiutus
per beneficium amici in amicitia utilis, aut quantum acceptat delectationem
in amicitia delectabilis, tantum dignum est quod recompenset, quia sic etiam
videtur fieri in emptionibus, quod scilicet quantum aliquis aestimat rem, pro
tanto emat eam. Quantum autem aliquis sit adiutus ex beneficio, vel quantum
acceptet delectationem, ipse maxime scire potest qui est adiutus vel
delectatus. Et ideo necessarium et iustum est quod eius existimationi
committatur recompensatio. |
|
#1770. — Ensuite (1164b10), il prouve son propos. En premier, avec une raison. En second (1164b13), avec l'autorité de la loi. Il dit donc, en premier, qu'on doit rémunérer dans la mesure où on tire d'aide du bénéfice d'un ami, en amitié utile, ou dans la mesure où on reçoit du plaisir, en amitié de plaisirs. Car c'est ainsi, il semble bien, que l'on procède, dans les achats: on achète une chose pour autant qu'on l'apprécie. Or, combien on tire d'aide d'un bénéfice, ou combien on prend de plaisir, c'est surtout celui-là même qui tire aide ou à qui on a fait plaisir qui doit l'apprécier. C'est pourquoi il est nécessaire et juste que la rémunération soit échangée selon son estimation à lui. |
[74473] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 14 Deinde cum dicit: alicubi autem etc., ostendit idem ex
auctoritate legis. Et dicit quod in aliquibus civitatibus lege statuitur,
quod non fiat aliqua vindicta circa voluntarias conventiones si postea
aliquis eorum se deceptum reputet, quasi oporteat ut, si aliquis voluntarie
credidit alicui beneficium suum vel obsequium, quod solvatur secundum eius
iudicium cui credidit secundum modum primae communicationis. Existimant enim
legislatores quod ille cui a principio concessum est, magis iuste debet
ordinare recompensationem quam ille qui ei concessit. Et hoc ideo, quia multa
sunt quae non aequaliter appretiantur illi qui iam habent ea et illi qui de
novo volunt ea accipere. Videtur enim singulis quod propria bona quae dant
sint digna multo pretio. Sed tamen retributio debet fieri in tantum quantum
aestimant recipientes. |
|
#1771. — Ensuite (1164b13), il montre la même [chose] avec l'autorité de la loi. Il dit qu'en certaines cités, il est statué par la loi qu'il ne se fasse pas de punition après des conventions volontaires, si par la suite quelqu'un se croit trompé. C'est qu'il faut que, si on a volontairement fait confiance à quelqu'un pour [lui procurer] un bénéfice ou un service, qu'on soit payé selon le jugement de celui à qui on a fait confiance, en gardant l'esprit[55] du premier échange. En effet, les législateurs estiment que celui à qui on a fourni au début doit régler la rémunération de manière plus juste que celui qui lui a fourni. Cela, c'est parce qu'il y a bien des choses que n'apprécient pas également ceux qui les ont déjà et ceux qui veulent les acquérir. Chacun a l'impression, en effet, que ses biens propres qu'il donne sont de grande valeur; mais la rémunération doit plutôt se faire d'après l'estime que leur accordent ceux qui les reçoivent. |
[74474] Sententia Ethic., lib. 9 l. 1 n. 15 Deinde cum dicit: oportet autem etc., respondet tacitae
quaestioni dicens, quod ille qui recipit beneficium debet appretiare ipsum
non secundum hoc quod ei videtur dignum postquam iam habet, sed quantum
appretiabatur antequam haberet. Solent enim homines appretiari bona
temporalia adepta minus quam quando ea non habita cupiebant, et praecipue in
necessitate existentes. |
|
#1772. — Ensuite (1164b20), il répond à une question tacite, en disant que celui qui tire un bénéfice doit l'apprécier non à la valeur qu'il lui accorde une fois qu'il l'a, mais à celle qu'il lui donnait avant de l'avoir. En effet, les gens ont coutume d'apprécier les biens temporels, une fois reçus, moins que lorsqu'ils les désiraient, avant de les avoir, et s'en trouvant en grande nécessité. |
|
|
|
Lectio
2 |
|
Leçon 2
|
[74475] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 1 Dubitationem autem habent et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod amicitia conservatur per recompensationem
proportionalem, hic movet quasdam dubitationes circa beneficia amicorum et
recompensationes eorundem. Et primo movet dubitationes. Secundo solvit eas,
ibi, igitur omnia talia et cetera. Circa primum movet tres dubitationes.
Quarum prima est: utrum circa omnia oportet magis beneficia patri
(attribuere) et oboedire ei quam quibuscumque personis aliis, vel circa
quaedam sit magis obediendum aliis: puta quod laborans, idest
infirmus, magis debet obedire medico quam patri; et homo bellicosus magis
debet ordinari praecepto ducis exercitus quam praecepto patris. Secunda
dubitatio est, utrum aliquis magis debeat ministerium exhibere amico suo vel
homini virtuoso. Tertia dubitatio est utrum homo debeat magis retribuere
benefactori pro gratia suscepta quam dare amico, si ita contingat quod homo non
possit utrique satisfacere. |
|
#1773. — Après avoir montré que l'amitié s'entretient avec une rémunération proportionnelle, le Philosophe soulève ici des difficultés sur les biens que nous font les amis et sur leurs rémunérations. En premier, il soulève des difficultés. En second (1164b27), il les résout. Sur le premier [point], il soulève trois difficultés. La première, c'est: est-ce que, sur tout, il faut davantage faire du bien à son père et lui obéir qu'à n'importe quelles autres personnes? ou bien si, sur certaines [choses] on doit obéir davantage à d'autres: par exemple, est-ce que, souffrant, c'est-à-dire, malade, on doit davantage obéir au médecin qu'à son père? et est-ce que le guerrier doit obéir davantage au commandement du chef d'armée qu'au commandement de son père? La seconde difficulté est si l'on doit donner plus de service à son ami ou à quelqu'un de vertueux. La troisième difficulté est si l'on doit plutôt rémunérer celui qui nous fait du bien pour le service qu'on en reçoit que de donner à un ami, s'il se trouve que l'on ne puisse satisfaire à l'un et l'autre. |
[74476] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 2 Deinde cum dicit igitur omnia talia etc., solvit
praedictas quaestiones. Et primo solvit in generali; secundo solvit in
speciali, ibi: et beneficia quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod omnia
huiusmodi determinare per certitudinem non est facile, quia circa praedicta
potest attendi differentia multipliciter et secundum omnem modum: scilicet
secundum magnitudinem et parvitatem, puta quod aliquis est virtuosus, vel
amicus, vel benefactor, vel multum vel parum. Et similiter quandoque est
differentia secundum bonum et necessarium: puta ministrare virtuoso seu amico
videtur esse melius, sed ministrare benefactori videtur esse magis necessarium.
Hoc tamen in talibus est manifestum quod non omnia sunt eidem exhibenda; sed
quaedam eis, quaedam aliis. |
|
#1774. — Ensuite (1164b27), il résout les questions soulevées. En premier, il [les] résout en général. En second (1164b31), en particulier. Il dit donc, en premier, qu'il n'est pas facile de fixer tout cela avec certitude, parce que, sur ce dont on a parlé, on peut trouver une différenciation multiple et à tout regard: à savoir, selon la grandeur et la petitesse, par exemple, si l'on est vertueux, ou ami, ou bienfaiteur, soit beaucoup soit peu. Pareillement, il y a parfois une différence selon le bien et le nécessaire: par exemple, servir le vertueux ou l'ami est manifestement mieux, mais servir son bienfaiteur est manifestement plus nécessaire. C'est manifeste, cependant, en de pareilles [choses], que ce n'est pas tout que l'on doit procurer au même, mais certaines [choses] à certains, d'autres à d'autres. |
[74477] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 3 Deinde cum dicit: et beneficia quidem etc., solvit
praemissas quaestiones in speciali. Et primo solvit tertiam dubitationem.
Secundo solvit primam, per quam etiam datur intelligi solutio secundae, ibi,
quoniam quidem igitur non eadem et cetera. Circa primum tria facit. Primo
docet quid sit communiter observandum. Et dicit quod ut in pluribus magis
debet homo retribuere benefactori quam dare gratis amico, si utrumque fieri
non possit: sicut etiam magis debet reddi mutuum quam gratis dari amico. Eodem enim modo homo
tenetur secundum moralem honestatem ad retribuendum beneficia, sicut secundum
legalem iustitiam ad mutuum reddendum. |
|
#1775. — Ensuite (1164b31), il résout de manière particulière les questions proposées. En premier, il résout la troisième difficulté. En second (1165a14), il résout la première, par quoi est aussi donnée à comprendre la solution de la seconde. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il enseigne ce qu'il y a à observer de manière commune. Il dit que, dans la plupart des [cas], on doit plutôt rémunérer celui qui nous a fait du bien que de donner gratuitement à un ami, si on ne peut pas faire l'un et l'autre; comme aussi on doit plutôt rendre la pareille que de donner gratuitement à un ami. C'est de la même manière, en effet, que l'on est tenu, par honnêteté morale, à rémunérer le bien que l'on nous fait et, par justice légale, à rendre la pareille. |
[74478] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 4 Secundo ibi: forte autem neque hoc etc., ponit casum in
quo fallit hoc quod dicitur. Et dicit quod forte hoc quod dictum est non est
semper observandum, puta in casu in quo aliquis potest liberari a latronibus,
potest esse dubitatio quid horum trium sit potius faciendum. Quorum primum
est, utrum scilicet homo debeat liberare de manu latronum eum qui quandoque
ipsum solvit a vinculis, quicumque ille sit. Secundum est, si benefactor non
sit captus et petat sibi in aliquo alio satisfieri, an sit ei retribuendum.
Tertium est, utrum homo debeat liberare patrem a latronibus: et hoc tertium
est prae omnibus magis eligendum. Videtur enim quod homo debeat magis
liberare patrem etiam quam seipsum. |
|
#1776. — En second (1164b33), il présente un cas qui fait exception à ce que l'on a dit. Il dit que peut-être ce que l'on a dit n'est pas toujours à observer, par exemple, dans le cas où quelqu'un peut être libéré de bandits. Une difficulté peut surgir sur lequel de ces trois on doit plutôt faire. Le premier en est si l'on doit libérer de la main de bandits celui qui, déjà, nous a tiré de liens, quiconque soit-il. Le second est si celui qui nous a fait du bien n'est pas captif et demande d'être satisfait lui-même en quelque chose d'autre, si on doit le rémunérer. Le troisième est si l'on doit libérer son père de bandits: et ce troisième est à choisir de préférence à tous les autres. Il est manifeste, en effet, que l'on doive même libérer plutôt son père que soi-même. |
[74479] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 5 Tertio ibi: quod igitur dictum est etc., ostendit
qualiter sit observandum quod prius dictum est. Et primo ostendit propositum.
Secundo infert quoddam corollarium ex dictis, ibi, quod quidem igitur et
cetera. Dicit ergo primo, quod illud quod dictum est, scilicet quod debitum
sit reddendum magis quam gratis dandum, est universaliter observandum. Sed si
gratuita donatio excedat in bono virtutis, puta si sit alicui multum virtuoso
ministrandum, vel si excedat in necessario, puta cum imminet alicui liberare
patrem, debet magis ad hoc declinare. Quandoque enim contingit quod non
potest aequiparari hoc quod aliquis retribuit beneficiis praeexistentibus
alicui gratuitae dationi: puta cum ex una parte aliquis beneficium confert ei
quem scit esse virtuosum, ex alia parte fit retributio ei quem aliquis
aestimat malum esse. |
|
#1777. — En troisième, il montre de quelle manière on doit observer ce que l'on a dit auparavant. En premier, il montre son propos. En second (1165a12), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, que ce que l'on a dit, à savoir, qu'on doive rendre ce que l'on doit plutôt que de donner gratuitement, est à observer universellement. Mais si la donation gratuite dépasse en bien de vertu, par exemple, s'il est question de servir quelqu'un de très vertueux, ou si elle dépasse en nécessité, par exemple, lorsqu'il est urgent pour quelqu'un de libérer son père, on doit plutôt incliner à cela. Parfois, en effet, il arrive que l'on ne peut mettre sur le même pied ce que l'on rémunère pour des biens que l'on nous a faits antérieurement et une donation gratuite; par exemple, lorsque, d'un côté, on procure un bien à quelqu'un que l'on sait être vertueux, et que, de l'autre côté, la rémunération se fait à quelqu'un que l'on estime être méchant. |
[74480] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 6 Nec est mirum, si benefactori quandoque non est
retribuendum, quia neque etiam accommodanti quandoque debet homo
reaccommodare; contingit enim quandoque quod aliquis malus accommodet alicui
virtuoso, aestimans se acquirere aliquod lucrum ex eo. Virtuosus autem non
sperat lucrum si mutuet malo; si igitur secundum veritatem ita se habet quod
ille sit malus, manifestum est quod non est aequalis dignitas quod
retribuatur ei et quod detur bono. Si autem non ita se habet quod benefactor
sit malus, sed ita existimat ille qui recepit beneficium, non videtur
inconveniens facere, si magis det gratis studioso. |
|
#1778. — Et cela n'est pas étonnant, si parfois on ne doit pas rendre à celui qui nous a fait du bien; car parfois, on ne doit pas non plus prêter à qui nous prête. Il arrive parfois, en effet, qu'un méchant prête à un vertueux, dans l'idée de tirer quelque profit de lui. Mais le vertueux n'espère pas de profit s'il prête au méchant en retour. Si donc, en vérité, il en va ainsi que celui-là soit méchant, il est manifeste qu'il n'y a pas égale dignité à le rémunérer et à donner à un bon. Mais s'il n'en va pas ainsi que le bienfaiteur soit mauvais, mais que c'est celui qui en a reçu un bien qui le croit, il ne semble pas non plus faire quelque chose d'inconvenable, s'il préfère donner gratuitement au vertueux. |
[74481] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 7 Deinde cum dicit: quod quidem igitur etc., infert
quoddam corollarium ex dictis. Patet enim ex his quae nunc dicta sunt, verum
esse id quod multotiens dictum est, scilicet quod rationes quae sunt circa
actiones et passiones humanas non possunt habere aliquid determinatum
secundum certitudinem, sicut nec ea circa quae sunt. |
|
#1779. — Ensuite (1165a12), il infère un corrollaire de ce qu'il a dit. Il appert, en effet, de ce que l'on vient de dire, que soit vrai ce que l'on a souvent dit, à savoir, que les raisons qui portent sur les actions et les passions humaines ne peuvent comporter quoi que ce soit de fixé avec certitude, ni ce sur quoi elles portent. |
[74482] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 9 Deinde cum dicit: quoniam quidem igitur etc., solvit
primam dubitationem. Et primo ostendit quod non omnia sunt patri exhibenda.
Secundo determinat quae quibus exhibenda sint, ibi: videbitur autem utique et
cetera. Dicit ergo primo non esse immanifestum quod non sunt eadem omnibus
reddenda. Unde nec patri sunt reddenda omnia, sicut nec apud gentiles omnia
sacrificantur Iovi, sed quaedam aliis diis. Quia ergo alia debentur
parentibus et fratribus et amicis et benefactoribus singulis eorum sunt
attribuenda ea quae sunt eis propria et quae ad eos pertinent. Et eadem ratio
est de virtuosis. |
|
#1780. — Ensuite (1165a14), il résout la première difficulté. En premier, il montre que l'on ne doit pas tout procurer à son père. En second (1165a21), il établit qu'est-ce que l'on doit procurer à qui. Il dit donc, en premier, qu'il est assez manifeste que ce ne sont pas les mêmes [choses] que l'on doit rendre à tous. Aussi ne doit-on pas rendre toutes [choses] à son père, tout comme, chez les Gentils, on ne sacrifie pas tout à Jupiter, mais certaines [choses] à d'autres dieux. Parce que, donc, autre chose est due aux parents et aux frères et aux amis et à ceux qui nous ont procuré un bien, à chacun d'eux on doit attribuer ce qui lui est propre et ce qui lui appartient. Et la même raison vaut concernant les vertueux. |
[74483] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 10 Et hoc etiam homines observare videntur: quia ad
nuptias, secundum quas fit propagatio generis, vocant homines cognatos,
quibus est commune genus. Et similiter ad actiones quae sunt circa nuptias
vocantur consanguinei. Et propter eamdem rationem aestimant homines quod
consanguinei debeant occurrere in kedea, id est in conventione in qua
tractatur de nuptiis agendis. |
|
#1781. — C'est aussi cela que les gens paraissent observer: car aux noces, où se règle la propagation du genre, on invite la parenté, avec qui il y a communauté de genre. Pareillement, pour les actions qui concernent les noces, on invite les consanguins. Pour la même raison, les gens croient que ce sont encore les consanguins qui doivent intervenir dans l'alliance[56], c'est-à-dire, dans la convention où l'on traite des noces à faire. |
[74484] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 11 Deinde cum dicit: videbitur autem etc., ostendit quae
quibus sint attribuenda. Et primo manifestat propositum. Secundo ostendit in
quibus hoc sit facile et in quibus difficile: ibi: eorum quidem igitur et
cetera. Dicit
ergo, quod in his quae pertinent ad sustentationem quae est per nutrimentum,
videtur quod filii maxime debeant sufficientiam praebere parentibus. Sunt enim
in hoc debitores eis, sicut causis essendi per generationem. Unde et circa haec quae pertinent ad conservationem
ipsius esse, magis debent subvenire parentibus quam sibiipsis. Similiter
etiam parentibus debent homines honorem tamquam causis essendi, sicut et
diis. |
|
#1782. — Ensuite (1165a21), il montre qu'est-ce que l'on doit attribuer à qui. En premier, il manifeste son propos. En second (1165a33), il montre en quoi c'est facile et en quoi [c'est] difficile. Il dit donc qu'en ce qui touche le support qui s'apporte avec de la nourriture, il semble bien que les enfants doivent surtout assurer une suffisance à leurs parents. C'est en cela, en effet, qu'ils sont leur débiteurs, à eux qui sont les causes de leur être par génération. Aussi, en ce qui touche à la conservation de l'être, on doit plus subvenir à ses parents qu'à soi-même. Pareillement aussi, les gens doivent de l'honneur à leurs parents en tant que causes de leur être, comme aussi aux dieux. |
[74485] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 12 Non tamen omnem honorem debent homines parentibus: quia
neque eumdem honorem debent patri et matri, neque iterum patri debet homo
honorem qui debetur sapienti vel qui debetur duci exercitus. Sed patri debet
homo honorem paternum et matri maternum. Similiter etiam et cuilibet seni
debetur honor propter aetatem in assurgendo et inclinando eis et in
huiusmodi. Amicis autem et fratribus debet homo fiduciam et communicationem
omnium. Et similiter consanguineis et his qui sunt unius tribus, et
concivibus et reliquis huiusmodi semper tentandum est attribuere id quod est
proprium unicuique, et adaptare singulis ea quae eis competunt secundum
proprietatem, puta aetatis et virtutem, puta sapientiae, et usum officii,
sicut duci exercitus. |
|
#1783. — Cependant, ce n'est pas tout honneur que les gens doivent à leurs parents: car ce n'est pas même le même honneur qu'ils doivent à leur père et à leur mère, et de plus l'on ne doit pas à son père l'honneur qui est dû au sage ou qui est dû au chef d'armée. Au contraire, on doit à son père l'honneur paternel et à sa mère [l'honneur] maternel. Pareillement aussi, dans les cités, on doit au vieillard de l'honneur pour son âge, en se levant ou en s'inclinant devant lui, et des choses de la sorte. Tandis qu'à ses amis et à ses frères, on doit d'être fiable et de partager les choses, et pareillement à ses consanguins et à ceux qui sont de la même tribu, et à ceux avec qui on vit et au reste des gens de la sorte. Toujours, on doit tenter d'attribuer ce qui est propre à chacun, et d'adapter à chacun ce qui relève de lui selon sa propriété, par exemple, d'âge et de vertu, par exemple, de sagesse, et selon l'usage de sa charge, comme au chef d'armée. |
[74486] Sententia Ethic., lib. 9 l. 2 n. 13 Deinde cum dicit: eorum quidem igitur etc., ostendit in
quibus hoc sit facile et difficile. Et dicit quod iudicium de talibus est
facile in his quae sunt unius generis, puta quod magis est subveniendum magis
consanguineo inter duos consanguineos, vel magis sapienti inter duos
sapientes. Sed difficilius est iudicare de differentibus: puta utrum magis
sit subveniendum sapientiori, vel magis consanguineo. Et quamvis hoc sit
difficile determinare, non tamen oportet recedere ab huiusmodi
consideratione; sed determinare id quod dictum est, sicut fieri potest. |
|
#1784. — Ensuite (1165a33), il montre en quoi c'est facile et difficile. Il dit que le jugement sur de pareilles [choses] est facile en ce qui va d'un seul genre, par exemple, que l'on doit subvenir davantage à celui qui est plus consanguin entre deux consanguins, ou au plus sage entre deux sages. Mais il est plus difficile de juger de [cas] différents: par exemple, si l'on doit subvenir davantage au plus sage ou au plus consanguin. Mais quoique cela soit difficile à établir, il ne faut cependant pas renoncer à une considération de la sorte, mais établir ce que l'on a dit comme ce peut être fait. |
|
|
|
Lectio
3 |
|
Leçon 3
|
[74487] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 1 Habet autem dubitationem et cetera. Postquam
philosophus determinavit de his quae pertinent ad conservationem amicitiae,
hic determinat ea quae spectant ad eius dissolutionem. Et circa hoc duo
facit. Primo inquirit quando debeat dissolvi amicitia. Secundo ostendit
qualiter homo se debeat habere ad amicum post amicitiae dissolutionem, ibi: utrum
igitur nihil alienius et cetera. Circa primum duo facit. Primo inquirit de
dissolutione amicitiae ad eos qui mutantur a pristina conditione. Secundo de
dissolutione amicitiae ad eos qui in eodem statu permanent, ibi, si autem hic
quidem permaneat et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit
dubitationem. Secundo ponit solutionem quantum ad amicitiam utilis et
delectabilis, ibi: vel ad eos quidem etc.; tertio quantum ad amicitiam quae
est propter virtutem, ibi, si autem acceptet et cetera. Dicit ergo primo,
quod dubitatio est, utrum debeat dissolvi amicitia vel non debeat ad eos qui
non permanent in eadem conditione secundum quam amici erant. |
|
#1785. — Après avoir
traité de ce qui touche à l'entretien de l'amitié, le Philosophe traite ici
ce qui regarde sa rupture. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En
premier, il cherche quand on doit rompre une amitié. En second (1165b31), il
montre de quelle manière on doit se comporter avec un ami, après la rupture
d'une amitié. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En
premier, il enquête sur la rupture de l'amitié pour ceux qui ont changé
depuis leur condition originelle. En second (1165b23), sur la rupture de
l'amitié pour ceux qui demeurent dans le même état. Sur le premier [point],
il fait trois [considérations]. En premier, il présente une difficulté. En
second (1165b1), il présente la solution quant à l'amitié d'utilité et de
plaisir. En troisième (1165b13), quant à l'amitié qui se développe pour la
vertu. Il dit donc, en premier, qu'il se pose cette difficulté, si l'on doit
rompre l'amitié ou si on ne le doit pas, avec ceux qui ne demeurent pas dans
la même condition au regard de laquelle on était des amis. |
[74488] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 2 Deinde cum dicit vel ad eos quidem etc., solvit
dubitationem quantum ad amicitiam utilis vel delectabilis. Et primo ostendit
qualiter huiusmodi amicitiae dissolvantur. Secundo ostendit quomodo circa eas
fiant iustae accusationes, ibi, accusabit autem et cetera. Dicit ergo primo,
quod non est inconveniens, si dissolvatur amicitia ad eos qui sunt amici
propter utile vel propter delectabile cessante utilitate vel delectatione;
quia secundum has amicitias homines amant delectationem et utilitatem, non
personas hominum propter seipsas. Unde, deficiente utilitate vel
delectatione, rationabile est quod desinat amicitia. |
|
#1786. — Ensuite
(1165b1), il résout la difficulté quant à l'amitié d'utilité ou de plaisir.
En premier, il montre de quelle manière on rompt des amitiés de cette sorte.
En second (1165b4), il montre comment deviennent justes les accusations, en
ce qui les concerne. Il dit donc, en premier, qu'il n'est pas inconvenant de
rompre une amitié avec des gens que l'on a comme amis pour l'utilité ou pour
le plaisir, une fois que cesse cette utilité ou ce plaisir, car, dans ces
amitiés, ce sont les plaisirs et l'utilité que les gens aiment, et non les
personnes de leurs amis pour elles-mêmes. Aussi, si l'utilité ou le plaisir
fait défaut, il est raisonnable que fasse aussi défaut l'amitié. |
[74489] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 3 Deinde cum dicit: accusabit autem etc., ostendit
quomodo circa huiusmodi amicitias oriantur iuste accusationes. Et dicit quod
iuste aliquis accusabit illum qui cum amet propter utilitatem vel delectationem,
simulat se amare propter moralem virtutem. Ut enim in principio huius
tractatus dictum est, plures sunt differentiae amicitiae. Unde potest
contingere quod non similiter, idest secundum unam amicitiae speciem,
aliqui sunt amici et existimantur esse, puta si sunt amici propter utilitatem
et existimantur esse propter virtutem. Et in hoc casu, si ille qui se
existimat amari propter virtutem decipiatur ex seipso, ita quod ille qui eum
amat nihil operetur ad huiusmodi deceptionem, ille qui deceptus est debet
causari contra se ipsum; |
|
#1787. — Ensuite (1165b4), il montre comment, en ce qui concerne les amitiés de la sorte, c'est avec justice que surgissent des accusations. Il dit que c'est avec justice que l'on accusera celui qui, alors qu'il aime pour l'utilité ou le plaisir, fait semblant d'aimer pour la vertu morale. En effet, au début de ce traité, on a dit qu'il y a plusieurs spécifications de l'amitié. Aussi peut-il arriver que certains ne soient pas des amis de pareille manière, c'est-à-dire, selon la même espèce d'amitié qu'ils pensent l'être: par exemple, s'ils sont des amis pour une utilité et pensent qu'ils le sont pour la vertu. Dans ce cas, si celui qui pense être aimé pour la vertu se trompe lui-même, de sorte que celui qui l'aime ne fasse rien pour accréditer cette erreur, celui qui se trompe doit s'accuser lui-même. |
[74490] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 4 Sed quando decipitur per alterius simulationem, iustum
est quod accuset decipientem, multo magis quam eos qui corrumpunt numismata,
in quantum malignitas illius qui simulat virtutem consistit in operatione
quae est circa rem honorabiliorem. Multo enim honorabilior virtus quam pecunia: unde
qui falso simulant virtutem, maligniores sunt his qui fingunt falsam monetam.
|
|
#1788. — Mais quand il est trompé par la simulation de l'autre, il est juste qu'il accuse celui qui le trompe, beaucoup plus que ceux qui corrompent la monnaie, en autant que la malignité de celui qui simule la vertu porte sur une action qui touche une chose plus honorable. En effet, la vertu est beaucoup plus honorable que l'argent; aussi, ceux qui simulent faussement la vertu sont plus mauvais que ceux qui fabriquent une fausse monnaie. |
[74491] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 5 Deinde cum dicit: si autem acceptet etc., solvit
praedictam quaestionem quantum ad amicitiam quae est secundum virtutem. Et
primo ostendit quod ad eos qui non permanent in virtute est amicitia
dissolvenda. Secundo quomodo sit dissolvenda, ibi, utrum igitur et cetera.
Circa primum duo facit. Primo iterat quaestionem. Si enim aliquis acceptet ad
suam amicitiam quasi bonum et postea fiat malus, ita quod eius malitia
videatur manifeste, quaestio est: utrum debeat postmodum amari. |
|
#1789. — Ensuite (1165b13), il résout la question précédente quant à l'amitié qui se développe en rapport à la vertu. En premier, il montre qu'avec ceux qui ne demeurent pas dans la vertu, on doit rompre l'amitié. En second (1165b17), comment on doit la rompre. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il répète la question. Si, en effet, on a laissé entrer dans son amitié quelqu'un pour sa bonté et qu'ensuite il devienne mauvais, de sorte que sa malice apparaisse manifestement, la question est, si on doit encore l'aimer par la suite. |
[74492] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 6 Secundo ibi: vel non possibile etc., solvit hanc
quaestionem. Et dicit duo, quorum unum est: quod non est possibile quod ille
cuius malitia manifestatur, ametur a virtuoso, quia virtuoso non potest esse
amabile quodcumque, sed solum bonum honestum. Secundum est, quod non oportet
eum qui iam factus est malus amari; idest non est utile neque decens, quia
non oportet quod homo amet malum neque assimiletur pravo viro. Et hoc
sequeretur si conservaretur amicitia ad eum qui est malus. Dictum est enim
supra, quod simile simili est amicum: et ita non potest esse quod diu
conservetur amicitia ad malum nisi sit aliqua similitudo malitiae. |
|
#1790. — En second (1165b17), il résout la question répétée. Il dit deux [choses]. La première en est qu'il n'est pas possible que celui dont la malice est manifeste se fasse aimer par un vertueux, car, pour le vertueux, n'importe quoi ne peut pas être aimable, mais seulement un bien honorable. La seconde est qu'on ne doit pas aimer qui est désormais devenu mauvais; c'est-à-dire, ce n'est ni utile ni décent, car on ne doit pas aimer le mauvais ni se laisser assimiler à l'homme dépravé. Et cela s'ensuivrait, si l'on gardait de l'amitié pour qui est mauvais. On a dit, en effet, plus haut (#1654), que le semblable est ami avec le semblable; ainsi, il ne peut se faire que l'on garde longtemps de l'amitié avec un mauvais sans développer quelque ressemblance avec sa malice. |
[74493] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 7 Deinde cum dicit: utrum igitur etc., ostendit qualiter
sit talis amicitia dissolvenda. Et primo proponit quaestionem: utrum scilicet
homo statim debeat dissolvere amicitiam ad eum qui factus est malus. |
|
#1791. — Ensuite (1165b17), il montre de quelle manière on doit rompre une amitié de cette nature. En premier, il présente la question, si l'on doit rompre tout de suite son amitié avec qui est devenu mauvais. |
[74494] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 8 Secundo ibi: vel non omnibus etc., solvit quaestionem.
Et dicit quod hoc non est faciendum in omnibus, ut statim amicitia
dissolvatur; sed solum in illis qui propter magnitudinem malitiae sunt
insanabiles, id est non possunt de facili reduci ad statum virtutis. Si autem
aliqui sunt qui suscipiant directionem, ut scilicet possint reduci ad statum
rectitudinis, magis est eis auxilium ferendum ad recuperandum bonos mores
quam ad recuperandum substantiam amissam, inquantum virtus melior est et
magis propria amicitiae quam pecunia. Cum autem dissolvit aliquis amicitiam
ad eum qui factus est malus non videtur aliquid inconveniens facere: quia non
erat amicus huic vel tali, idest vitioso, sed virtuoso. Et ideo, ex
quo alteratur a prima dispositione, amicus qui non potest eum reducere ad
salutem, convenienter recedit ab eius amicitia. |
|
#1792. — En second (1165b18), il résout la question. Il dit que ce n'est pas ce qu'il faut faire dans tous les cas, de rompre tout de suite l'amitié, mais seulement avec ceux qui, vu la grandeur de leur malice, ne sont pas curables, c'est-à-dire, ne peuvent pas facilement se ramener à l'état de la vertu. Mais si certains sont susceptibles de redressement, de sorte qu'on puisse les ramener à un état de rectitude, il est encore mieux de leur apporter de l'aide pour récupérer leurs bonnes mœurs que pour récupérer le patrimoine qu'ils auraient perdu, puisque la vertu est meilleure et plus propre à l'amitié que l'argent. Mais lorsque l'on rompt son amitié avec qui est devenu mauvais, on ne fait manifestement pas quelque chose d'inconvenant, parce qu'on n'était pas ami avec lui tel qu'il est, c'est-à-dire, vicieux, mais vertueux. Et c'est pourquoi, du fait qu'il ait perdu sa première disposition, l'ami qui ne peut pas le ramener au salut, s'écarte avec convenance de son amitié. |
[74495] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 9 Deinde cum dicit: si autem hic quidem etc., agit de
dissolutione amicitiae (ad eos qui in eodem statu permanent). Et primo movet
quaestionem. Si enim unus amicorum permaneat in pristino statu; alius autem
fiat magis virtuosus, ita quod fiat magna differentia virtutis inter
utrumque; quaestio est utrum ille qui profecit in virtute debeat uti ut amico
illo qui non profecit. |
|
#1793. — Ensuite (1165b23), il traite de la rupture de l'amitié. En premier, il soulève la question. Si, en effet, l'un des amis demeure dans l'état originel, tandis que l'autre devient plus vertueux, de façon que se crée une grande différence de vertu entre l'un et l'autre, se pose la question si celui qui a progressé dans la vertu doit user comme d'un ami de celui qui n'a pas fait de progrès. |
[74496] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 10 Secundo ibi: vel non contingit etc., solvit
quaestionem. Et dicit quod hoc non est possibile, ut scilicet proficiens
conservet amicitiam ad non proficientem. Et hoc maxime apparet in magna
distantia amicorum: puta in amicitiis quae fiunt ex pueritia. Si enim unus
permanet puer secundum mentem, alius autem fiat optimus vir, non poterunt
remanere amici, cum non complaceant sibi in eisdem, neque etiam de eisdem
gaudeant et tristentur. Et sine hoc non potest amicitia conservari, ad quam
maxime requiritur quod amici convivant. Non possunt autem sibiinvicem
convivere, nisi eadem eis placeant et de eisdem gaudeant et tristentur. Et de
his dictum est supra. |
|
#1794. — En second (1165b24), il résout la question. Il dit que cela n'est pas possible, à savoir, qu'en faisant des progrès, on garde de l'amitié avec qui ne progresse pas. Cela se voit d'autant plus que la distance est grande entre les amis, par exemple, dans les amitiés qui se sont développées dès l'enfance. Si, en effet, l'un demeure enfant d'esprit, tandis que l'autre devient un excellent homme, ils ne pourront demeurer des amis, puisqu'il n'y aura pas d'agrément entre eux, et qu'ils ne se réjouiront ni ne s'attristeront des mêmes choses. Or, sans cela, on ne peut garder d'amitié, car pour elle il est surtout requis que les amis vivent ensemble. Or des gens ne peuvent pas vivre ensemble, si ce ne sont pas les mêmes [choses] qui leur plaisent, et dont ils se réjouissent, et dont ils s'attristent. D'ailleurs, on en a parlé plus haut (#1607-1623). |
[74497] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 11 Deinde cum dicit: utrum igitur nihil etc., inquirit
qualiter aliquis se debeat habere ad amicum post amicitiae dissolutionem. Et
primo movet quaestionem, utrum scilicet post dissolutionem amicitiae nihil
alienius vel familiarius se debeat homo habere ad amicum, quam si nunquam de
praeterito fuisset amicus. |
|
#1795. — Ensuite (1165b31), il cherche de quelle manière on doit se comporter envers un ami après la rupture de son amitié. En premier, il soulève la question, à savoir, si, après la rupture de l'amitié, on ne doit avoir rien de plus distant ou de plus familier avec son ami, que si on n'avait jamais été son ami dans le passé. |
[74498] Sententia Ethic., lib. 9 l. 3 n. 12 Secundo ibi: si autem memoriam etc., solvit
quaestionem. Et dicit, quod, quia oportet habere memoriam praeteritae
consuetudinis, sicut existimamus, quod magis debeat homo aliquid exhibere
amicis quam extraneis, ita etiam et his qui in praeterito fuerunt amici debet
homo se magis exhibere propter praeteritam amicitiam, nisi in uno casu,
scilicet quando propter abundantem malitiam facta est dissolutio amicitiae;
tunc enim nihil familiarius homo debet exhibere ei ad quem dissolvit
amicitiam. |
|
#1796. — En second (1165b32), il résout la question. Il dit que, parce qu'il faut garder souvenir de l'habitude passée, comme nous pensons que l'on doit plus se manifester à des amis qu'à des étrangers, de même aussi, à ceux qui ont été nos amis dans le passé, on doit plus se manifester, à cause de l'amitié passée, sauf dans un cas, à savoir, quand la rupture de l'amitié s'est faite en raison de l'abondance de malice de l'ami; alors, en effet, on ne doit en rien manifester plus de familiarité à celui avec qui on a rompu l'amitié. |
Lectio
4 [74499] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 1 Amicabilia
autem et cetera. Postquam philosophus determinavit de conservatione et
dissolutione amicitiae, hic agit de eius effectibus. Et primo ostendit, qui
sunt effectus amicitiae. Secundo determinat de eis, ibi, benevolentia autem
et cetera. Circa primum tria facit. Primo ponit, qui sunt amicitiae effectus;
secundo ostendit quomodo ad eos se habeant boni, ibi, ad se ipsum autem etc.;
tertio quomodo ad praedicta se habeant mali, ibi, videntur autem dicta et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit originem effectuum sive actuum
amicitiae. Secundo enumerat huiusmodi effectus vel actus, ibi, ponunt enim
amicum et cetera. Dicit ergo primo, quod amicabilia id est amicitiae opera,
quibus aliquis ad amicos utitur, et secundum quae determinantur amicitiae,
videntur processisse ex his quae sunt homini ad seipsum. Sic enim videtur
esse unus homo alteri amicus, si eadem agit ad amicum quae ageret ad seipsum.
|
|
#1797. — Après avoir traité de l'entretien et de la rupture de l'amitié, le Philosophe traite ici de ses effets. En premier, il montre quels sont les effets de l'amitié. En second (1166b30), il en traite. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente quels sont les effets de l'amitié. En second (1166a10), il montre quels rapports les bonnes [gens] entretiennent avec eux. En troisième (1166b2), quels rapports entretiennent les mauvaises [gens] avec les [effets] mentionnés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente l'origine des effets ou actes de l'amitié. En second (1166a2), il énumère les effets ou actes de la sorte. Il dit donc, en premier, que l'exercice de l'amitié[57], c'est-à-dire, les actes de l'amitié, ceux dont on use envers ses amis, et d'après lesquels on définit l'amitié, paraît bien ressortir du rapport que l'on entretient avec soi-même. Ainsi, en effet, on paraît bien être l'ami d'un autre, si l'on fait pour son ami ce que l'on ferait pour soi-même. |
|
|
|
|
|
Leçon 4
|
[74500] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 2 Deinde cum dicit: ponunt enim amicum etc., enumerat
opera amicitiae. Et ponit tria: quorum primum consistit in voluntaria
exhibitione beneficiorum. Et dicit quod homines ponunt illum esse amicum qui
vult et operatur ad amicum bona, vel apparentia, gratia ipsius amici. Dicit
autem volentem et operantem, quia unum sine altero non sufficit ad
amicitiam. Neque enim videtur esse amicabilis beneficientia si unus alteri
benefaciat invitus, vel si voluntatem opere explere negligat. Dicit autem bona
vel apparentia, quia interdum aliquis ex amicitia exhibet alteri, quae
aestimat ei bona, etsi non sint. Dicit autem illius gratia, quia si
homo exhiberet voluntarius alicui beneficia, non quasi intendens bonum
illius, sed sui ipsius, non videretur esse vere amicus illius, sed sui
ipsius, sicut cum aliquis nutrit equum propter commodum suum. |
|
#1798. — Ensuite (1166a2), il énumère les actes de l'amitié. Il en présente trois, dont l'un consiste dans le fait de procurer volontairement des biens. Il dit que l'on prétend que l'ami, c'est celui qui veut et fait pour son ami des biens, ou des [choses] qui en ont l'air, et pour le bien de son ami lui-même. Il dit, par ailleurs, veut et fait, car l'un sans l'autre ne suffit pas à l'amitié. En effet, la bienfaisance ne paraît pas bien amicale, si l'on fait du bien à l'autre malgré soi, ou si l'on néglige de mettre en œuvre sa volonté [d'en faire]. Il dit, par ailleurs, des biens, ou des [choses] qui en ont l'air, car, parfois, par amitié, on procure à l'autre ce que l'on croit bon pour lui, même si ce ne l'est pas. Il dit, par ailleurs, pour son bien à lui, parce que si l'on faisait volontiers du bien à quelqu'un, non pas en recherchant son bien à lui mais le sien à soi, on ne paraîtrait pas son ami véritable mais le sien propre, comme quand on nourrit un cheval pour sa commodité à soi. |
[74501] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 3 Secundum pertinet ad benevolentiam: quod ponit ibi: vel
volentem esse et cetera. Et dicit, quod amicus vult suum amicum esse, et
vivere gratia ipsius amici et non propter seipsum, ut scilicet quaerat ex eo
solum proprium commodum. Et hoc patiuntur matres ad filios, quod scilicet
volunt eos esse et vivere; et similiter amici, cum intervenit aliqua
amicitiae offensa. Etsi enim non velint propter offensam amicabiliter amicis
convivere, saltem volunt eos esse et vivere. |
|
#1799. — Le second touche à la bienveillance, et il le présente ensuite (1166a4). Il dit que l'ami veut que son ami soit, et vive, pour le bien de son ami lui-même et non pour le sien à soi, c'est-à-dire, comme si on attendait de lui seulement sa commodité à soi. C'est ce que ressentent les mères envers leurs enfants: elles veulent qu'ils soient et vivent; et pareillement les amis, quand leur amitié souffre quelque heurt. En effet, même s'ils ne veulent pas, à cause du heurt, vivre amicalement avec leurs amis, ils veulent quand même qu'ils soient et vivent. |
[74502] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 4 Tertium pertinet ad concordiam: quod ponit ibi: hi
autem et cetera. Quae quidem potest attendi quantum ad tria. Primo quantum ad
exteriorem convictum. Secundo quantum ad electionem. Tertio quantum ad
passiones, ad quas omnes sequitur gaudium et tristitia. Unde dicit, quod quidam determinant illum esse amicum
qui convivit, quantum ad primum, et qui eadem eligit quantum ad secundum, et
qui condolet et congaudet quantum ad tertium. Et haec etiam considerantur in
matribus respectu filiorum. |
|
#1800. — Le troisième touche à la concorde, et il le présente ensuite (1166a6). Celui-là, on peut le rattacher à trois [aspects]. En premier, à la vie commune extérieure. En second, au choix. En troisième, aux passions, toutes suivies de joie et de tristesse. Aussi dit-il que certains disent que celui-là est ami, qui mène vie commune, sous le premier [aspect], et qui choisit les mêmes [choses], sous le second [aspect], et qui accompagne dans la douleur et la joie, sous le troisième [aspect]. On observe encore ces [choses-là] chez les mères, en rapport à leurs enfants. |
[74503] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 5 Subdit autem, quasi epilogando, quod per aliquod
dictorum determinatur amicitia; aestimant enim homines inter illos esse
amicitiam in quibus horum aliquod invenitur. |
|
#1801. — Il ajoute toutefois, en guise d'épilogue, que c'est à l'un des [éléments] mentionnés que l'on discerne l'amitié. En effet, les gens croient qu'il y a amitié entre ceux chez qui on trouve l'un de ces [éléments]. |
[74504] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 6 Deinde cum dicit: ad se ipsum autem etc., ostendit
qualiter circa haec se habeant boni. Et primo ostendit qualiter se habeat
circa haec bonus ad se ipsum; secundo quomodo se habeat ad alterum, ibi, ad
amicum autem etc.; tertio movet quandam quaestionem, ibi: ad se ipsum autem
et cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Secundo
assignat rationem cuiusdam quod dixerat, ibi, videtur enim et cetera. Tertio
manifestat principale propositum, ibi, iste enim et cetera. Dicit ergo primo,
quod unumquodque praedictorum convenit homini virtuoso respectu suiipsius.
Aliis autem, qui non sunt virtuosi, in tantum praedicta conveniunt respectu
suiipsorum, inquantum se aestimant virtuosos esse. |
|
#1802. — Ensuite (1166a10), il montre quels rapports entretiennent les bonnes [gens] avec cela. En premier, il montre quels rapports entretient le bon avec lui-même sur ce [sujet]. En second (1166a30), quel rapport il entretient avec un autre. En troisième (1166a33), il soulève une question. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1166a12), il assigne la raison d'une chose qu'il avait dite. En troisième (1166a13), il manifeste son propos principal. Il dit donc, en premier, que chacun des [actes] mentionnés convient à l'homme vertueux en rapport à lui-même. Aux autres, par contre, qui ne sont pas vertueux, ce que l'on a mentionné convient en rapport à eux-mêmes dans la mesure où ils se croient vertueux. |
[74505] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 7 Deinde cum dicit videtur enim etc., assignat rationem
eius quod secundo dictum est. Ideo enim unusquisque amicabilia patitur ad
seipsum, secundum quod aestimat se virtuosum, quia virtus et virtuosus
videntur esse mensura unicuique homini. In unoquoque enim genere habetur pro
mensura id quod est perfectum in genere illo, inquantum scilicet omnia alia
iudicantur vel maiora vel minora, secundum propinquitatem vel remotionem a
perfectissimo. Unde, cum virtus sit propria perfectio hominis, et homo
virtuosus sit perfectus in specie humana, consequens est, ut ex hoc
accipiatur mensura in toto humano genere. |
|
#1803. — Ensuite (1166a12), il assigne la raison de ce que l'on a dit en second (#1802). La raison, en effet, pour laquelle chacun ressent des [sentiments] amicaux envers lui-même, pour autant qu'il se croit vertueux, c'est que la vertu et le vertueux sont manifestement une mesure pour chaque homme. En effet, en chaque genre, il faut tenir pour mesure ce qui est parfait en ce genre, en tant que tout le reste est jugé ou plus grand ou plus petit selon sa proximité ou son écart du plus parfait. Aussi, comme la vertu est la perfection propre de l'homme, et que l'homme vertueux est le parfait dans l'espèce humaine, il est convenable qu'on en tire la mesure pour tout le genre humain. |
[74506] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 8 Deinde cum dicit: iste enim etc., manifestat principale
propositum. Et primo ostendit, quod virtuoso convenit respectu suiipsius id quod
pertinet ad beneficientiam. Secundo id quod pertinet ad benevolentiam, ibi:
et vivere autem vult etc.; tertio id quod pertinet ad concordiam, sed et
convivere et cetera. Dicit ergo primo,
quod virtuosus maxime vult sibiipsi bona et vera et apparentia. Eadem enim
sunt apud ipsum vera et apparentia bona. Vult enim sibi bona virtutis, quae
sunt vera hominis bona; nec huiusmodi voluntas in eo est vana, sed huiusmodi
bona etiam operatur ad seipsum, quia boni hominis est ut laboret ad
perficiendum bonum. |
|
#1804. — Ensuite (1166a13), il manifeste son propos principal. En premier, il montre que convient au vertueux, en regard de lui-même, ce qui appartient à la bienfaisance. En second (1166a17), ce qui appartient à la bienveillance. En troisième (1166a23), ce qui appartient à la concorde. Il dit donc, en premier, que le vertueux veut le plus pour lui-même les biens et véritables et apparents. Il veut pour lui, en effet, les biens de la vertu, qui sont les biens véritables de l'homme; et sa volonté n'est pas vaine en cela, mais aussi il agit pour lui-même des biens de la sorte, parce qu'il est bon pour l'homme qu'il travaille à parfaire son bien. |
[74507] Sententia
Ethic., lib. 9 l. 4 n. 9 Dictum est enim in secundo, quod virtus
facit habentem bonum, et opus eius etiam reddit bonum. Et hoc etiam vult et operatur gratia suiipsius,
idest gratia intellectivae partis quae est principalis in homine. Unumquodque
autem videtur id maxime esse, quod est principale in eo, virtuosus autem
semper ad hoc tendit ut operetur id quod est conveniens rationi. Et sic
patet, quod semper vult sibi bonum secundum seipsum. |
|
#1805. — On a dit, en effet, au second [livre] (#222, 307, 309, 874, 1124), que la vertu rend bon celui qui l'a, et rend bonne aussi son action. C'est cela qu'il veut et agit pour son propre bien, c'est-à-dire, pour le bien de la partie intellectuelle, qui est principale en l'homme. Chaque chose, d'ailleurs, paraît bien être le plus ce qu'il y a de principal en elle. Or le vertueux tend toujours à agir ce qui convient à sa raison. Ainsi, il appert qu'il veut toujours pour lui le bien en lui-même. |
[74508] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 10 Deinde cum dicit: et vivere autem etc., ostendit,
quomodo virtuoso respectu suiipsius conveniat id quod pertinet ad
benevolentiam. Et dicit, quod virtuosus maxime vult vivere seipsum, et
conservari in esse, et praecipue quantum ad illam animae partem, cui inest
sapientia. Si enim homo est virtuosus, oportet quod velit id quod est sibi
bonum, quia unusquisque vult sibiipsi bona. Bonum autem est virtuoso suum
esse, quod scilicet sit virtuosus. |
|
#1806. — Ensuite (1166a17), il montre comment convient au vertueux, en regard de lui-même, ce qui touche à la bienveillance. Il dit que le vertueux veut le plus vivre lui-même, et se conserver dans l'être, et surtout quant à cette partie de l'âme à laquelle appartient la sagesse. Si, en effet, un homme est vertueux, il faut qu'il veuille ce qui est le bien pour lui, parce que chaque chose veut pour elle-même le bien. Or pour le vertueux, le bien, c'est son être, à savoir, qu'il soit vertueux. |
[74509] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 11 Si autem contingeret, quod aliquis homo fieret alius,
puta si secundum fabulas homo transformaretur in lapidem vel asinum, nullus
curaret an illud in quod transformaretur haberet omnia bona et ideo
unusquisque vult se esse inquantum conservatur id quod ipse est. Id autem,
quod maxime conservatur idem in suo esse, est Deus; qui quidem non vult sibi
aliquod bonum, quod nunc non habeat, sed nunc habet in se perfectum bonum. Et
ipse semper est quod aliquando est, quia est immutabilis. Deo autem maxime
sumus similes secundum intellectum, qui est incorruptibilis et immutabilis.
Et ideo esse uniuscuiusque hominis maxime consideratur secundum intellectum.
Unde virtuosus, qui totus vivit secundum intellectum et rationem, maxime vult
seipsum esse et vivere. Vult enim se esse et vivere secundum id quod in eo
permanet. Qui autem vult se esse et vivere principaliter secundum corpus,
quod transmutationi subiacet, non vere se vult esse et vivere. |
|
#1807. — S'il arrivait, par ailleurs, qu'un homme en devienne un autre, ou, par exemple, si, comme dans les fables, on se transformait en pierre ou en âne, personne ne se préoccuperait que ce qui se transforme ait tous les biens. C'est pourquoi chacun veut être dans la mesure où il reste ce qu'il est lui-même. Or ce qui reste le plus le même dans son être, c'est Dieu; et certes, il ne veut pas pour lui quelque bien qu'il n'a pas maintenant, mais il a maintenant en lui le bien parfait. Il est lui-même toujours ce qu'il est une fois, parce qu'il est immuable. À Dieu, par ailleurs, nous sommes semblables surtout en regard de notre intelligence, qui est incorruptible et immuable. C'est pourquoi l'être de chaque homme se considère surtout d'après son intelligence. Aussi, le vertueux, qui vit tout entier en conformité à l'intelligence et à la raison, veut le plus que lui-même soit et vive. Il veut aussi être et vivre, en regard de ce qui dure en lui. Or celui qui veut être et vivre principalement selon le corps, soumis au changement, ne veut pas vraiment être et vivre. |
[74510] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 12 Deinde cum dicit: sed et convivere etc., ostendit,
quomodo virtuoso competat respectu suiipsius id quod pertinet ad concordiam.
Et primo quantum ad convictum. Et dicit, quod virtuosus maxime vult convivere
sibiipsi, scilicet revertendo ad cor suum, et secum meditando. Hoc enim facit
delectabiliter: uno quidem modo quantum ad memoriam praeteritorum, quia
memoria bonorum, quae operatus est, est sibi delectabilis. Secundo quantum ad
spem futurorum. Habet enim spem bene operandi in futuro, quae est sibi
delectabilis. Tertio quantum ad cognitionem praesentium. Abundat enim
secundum mentem theorematibus, idest considerationibus veris et
utilibus. |
|
#1808. — Ensuite (1166a23), il montre comment ce qui touche à la concorde est pertinent au vertueux en regard de lui-même. En premier, quant à la vie commune. Il dit que le vertueux veut le plus vivre avec lui-même, à savoir, en se tournant vers son cœur, et en méditant avec lui-même. Cela, en effet, il le fait avec plaisir: d'une manière, quant à la mémoire du passé, parce que sa mémoire des bonnes [choses] qu'il a faites lui donne plaisir. En second, quant à l'espoir du futur. En effet, il a espoir de bien agir dans le futur, et cela lui donne plaisir. En troisième, quant à la connaissance du présent. En effet, il a l'esprit plein d'idées, c'est-à-dire, de considérations vraies et utiles. |
[74511] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 13 Secundo ibi, condoletque etc., ostendit, quod virtuosus
habet concordiam ad seipsum secundum passiones. Et dicit, quod ipse maxime
condolet et condelectatur sibiipsi, quia toti sibi, idest quantum ad
partem sensitivam et intellectivam, est idem triste et delectabile, et non
aliud alii; quia videlicet pars sensitiva in eo adeo est rationi subiecta,
quod sequitur motum rationis, vel saltem non vehementer renititur: non enim
ducitur a passionibus sensitivae partis, ut postea passione cessante
poeniteat de eo quod iam fecit contra rationem. Sed quia semper secundum
rationem agit, non de facili poenitet, et ita maxime consentit sibiipsi. |
|
#1809. — En second (1166a27), il montre que le vertueux possède concorde avec lui-même quant aux passions. Il dit que c'est lui-même qui souffre et prend plaisir le plus avec lui-même, parce que, pour tout lui-même, c'est-à-dire, à la fois quant à sa partie sensible et [sa partie] intellectuelle, c'est la même [chose] qui est triste et plaisante, et non pas une autre pour chaque [partie]. C'est que la partie sensible est en lui à ce point soumise à la raison qu'elle suit le mouvement de la raison, ou du moins ne lui est pas réticente avec véhémence; en effet, il n'est pas mené par les passions de sa partie sensible, de façon qu'ensuite, la passion cessant, il s'en repente, du fait d'avoir agi contre la raison. Mais comme il agit toujours en conformité avec la raison, il ne se repent pas facilement, et ainsi se trouve le plus en accord avec lui-même. |
[74512] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 14 Ultimo autem epilogando concludit, quod praedicta
conveniunt virtuoso respectu suiipsius. |
|
#1810. — Il conclut à la fin, comme en épiloguant, que ce que l'on a dit convient au vertueux en regard de lui-même. |
[74513] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 15 Deinde cum dicit ad amicum autem etc., ostendit,
quomodo praedicta conveniant virtuoso respectu amici. Et dicit, quod
virtuosus se habet ad amicum sicut ad seipsum, quia amicus secundum affectum
amici est quasi alius ipse, quia scilicet homo afficitur ad amicum sicut ad
seipsum. Videtur igitur, quod amicitia in aliquo praedictorum consistat, quae
homines ad seipsos patiuntur; et quod illi vere sint amici quibus praedicta
existunt. |
|
#1811. — Ensuite (1166b30), il montre comment ce que l'on a dit convient au vertueux en regard de son ami. Il dit que le vertueux entretient avec son ami la même relation qu'avec lui-même, parce que son ami, du fait de son affection d'ami, est comme un autre lui-même, c'est-à-dire, que l'on est affecté envers son ami comme envers soi-même. Il semble donc que l'amitié consiste en l'un des [choses] dont l'on a dit que les gens les ressentent envers eux-mêmes; et que ceux-là sont vraiment des amis, auxquels les [choses] que l'on a dites appartiennent. |
[74514] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 16 Deinde cum dicit: ad se ipsum autem etc., movet quamdam
dubitationem; utrum scilicet sit amicitia hominis ad seipsum. Et dicit quod
ista quaestio relinquenda est in praesenti, quia magis pertinet ad nomen quam
ad rei veritatem. Amicitia enim videtur esse inter quoscumque, secundum quod
eis competunt duo vel tria ex praedictis. Et cum ad aliquos
superabundanter amicitiam habemus, haec assimilatur dilectioni quam habet
homo ad seipsum. Unde, cum aliquis vult commendare amicitiam suam ad alterum
consuevit dicere: ego diligo eum sicut meipsum. Unde non refert, quantum ad
rei veritatem, utrum nomen amicitiae dicatur respectu suiipsius, ex quo ipsa
res amicitiae superabundanter competit homini ad seipsum. |
|
#1812. — Ensuite (1166a33), il soulève une difficulté, s'il existe une amitié envers soi-même. Il dit que cette question est à laisser de côté pour le moment, car elle relève plus du nom que de la vérité de la chose. En effet, il paraît y avoir amitié entre des gens, selon que leur appartiennent deux ou trois des [éléments] mentionnés. Et lorsque nous avons une amitié extrême envers des gens, on l'assimile à l'affection que l'on a envers soi-même. Aussi, quand l'on veut faire valoir son amitié envers un autre, on a coutume de dire: ‘Moi, je t'aime comme moi-même’. Aussi, cela n'est pas pertinent, quant à la vérité de la chose, si on use du nom de l'amitié en rapport à soi-même, étant donné que la chose elle-même, l'amitié, quelqu'un l'a de la manière la plus extrême envers soi-même. |
[74515] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 17 Deinde cum dicit: videntur autem etc., ostendit qualiter
mali se habeant ad praedicta amicitiae opera. Et primo ostendit quod haec non
possunt convenire malis. Secundo infert quoddam corollarium ex dictis, ibi,
si utique et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit.
Secundo manifestat propositum, ibi: differunt autem et cetera. Dicit ergo
primo, quod praedicta amicitiae opera videntur multis convenire respectu
suiipsorum quamvis sint pravi. Tamen considerandum est quod in tantum
participant praedictis amicitiae operibus ad seipsos, inquantum placent
sibiipsis et aestimant se esse virtuosos. Sed nulli eorum qui sunt valde
pravi et nefarii, neque praedicta conveniunt, neque convivere videntur. Et
fere nullis pravis videntur convenire praedicta. Raro enim inveniuntur
homines pravi qui aestiment se virtuosos suam malitiam non cognoscentes. |
|
#1813. — Ensuite (1166b2), il montre quelle relation les mauvaises [gens] entretiennent avec les actions de l'amitié dont nous avons parlé. En premier, il montre qu'elles ne peuvent pas convenir aux mauvaises [gens]. En second (1166b26), il infère un corollaire de ce qu'il a dit. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1166b7), il manifeste son propos. Il dit donc, en premier, que ces actions de l'amitié dont nous avons parlé paraissent convenir à bien des gens, en regard d'eux-mêmes, bien qu'ils soient dépravés. Cependant, on doit tenir compte qu'ils participent à ces actions de l'amitié dont nous avons parlé envers eux-mêmes dans la mesure où ils se plaisent à eux-mêmes et se croient vertueux. Mais de fait, les [actes] dont nous avons parlé ne conviennent à personne de très dépravé et scélérat, et, manifestement, ils ne vivent pas ensemble non plus. C'est manifestement que ces [actes] dont nous avons parlé ne conviennent presque à aucun dépravé, car il est rare que l'on trouve des gens dépravés qui se croient vertueux et ne connaissent pas leur malice. |
[74516] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 18 Deinde cum dicit: differunt autem etc., manifestat
propositum. Et primo ostendit quod pravis non convenit respectu suiipsorum
opus amicitiae quod pertinet ad beneficentiam. Secundo, quod neque illud quod
pertinet ad benevolentiam, ibi, quibus autem multa etc.; tertio quod nec
etiam illud quod pertinet ad concordiam, ibi: quaeruntque mali et cetera.
Dicit ergo primo, quod mali differunt a seipsis, inquantum scilicet alia
concupiscunt secundum partem sensitivam et alia volunt secundum rationem;
sicut patet de incontinentibus, qui loco eorum quae secundum rationem
iudicant esse sibi bona, appetunt delectabilia quae sunt eis nociva. Alii
autem propter timiditatem et pigritiam praetermittunt operari ea quae
secundum rationem iudicant sibi bona. Et sic dupliciter carent beneficentia
ad seipsos: uno modo, inquantum operantur sibi nociva; alio modo, inquantum
vitant sibi proficua. |
|
#1814. — Ensuite (1166b7), il manifeste son propos. En premier, il montre qu'aux dépravés ne convient pas, en regard d'eux-mêmes, l'action de l'amitié qui touche à la bienfaisance. En second (1166b11), que pas plus ce qui touche à la bienveillance. En troisième (1166b13), que pas non plus ce qui touche à la concorde. Il dit donc, en premier, que les mauvaises [gens] s'opposent à eux-mêmes, en tant qu'ils désirent autre chose avec leur partie sensible et veulent autre chose avec leur raison; comme il appert des incontinents, qui, au lieu de ce qu'ils jugent bon pour eux d'après leur raison, désirent des plaisirs qui leur sont nocifs. D'autres, par ailleurs, à cause de leur timidité et de leur paresse, omettent de mettre en action ce qu'ils jugent bon pour eux avec leur raison. Et ainsi, de deux manières, ils manquent à la bienfaisanse envers eux-mêmes: d'une manière, en tant qu'ils se font des dommages; d'une autre, en tant qu'ils omettent des avantages pour eux. |
[74517] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 19 Deinde cum dicit: quibus autem etc., ostendit quod eis
non convenit ad seipsos opus quod competit ad benevolentiam. Et dicit quod
illi a quibus facta sunt multa et gravia mala, ita quod propter seipsos ab
hominibus odiuntur, non volunt se esse et vivere; sed est eorum vita eis
taediosa, cognoscentes se omnibus esse graves, et ita fugiunt vivere in
tantum quod quandoque interimunt seipsos. |
|
#1815. — Ensuite (1166b11), il montre que ne leur convient pas non plus, envers eux-mêmes, l'action qui touche à la bienveillance. Il dit que ceux par qui sont faits beaucoup de maux, et de graves, de sorte qu'ils sont haïs par les gens à cause d'eux-mêmes, ne veulent pas être ni vivre; au contraire, la vie leur est fastidieuse, du fait qu'ils se savent fâcheux pour les gens. Et ainsi, ils fuient la vie, parfois jusqu'à se suicider. |
[74518] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 20 Deinde cum dicit: quaeruntque mali etc., ostendit quod
non conveniat malis opus pertinens ad concordiam. Et primo quantum ad
convictum. Non enim possunt mali sibiipsis convivere revertendo ad cor suum,
sed quaerunt alios cum quibus commorentur, colloquendo et cooperando eis
secundum exteriora verba et facta. Et hoc ideo, quia statim secum cogitando
de seipsis recordantur multa et gravia mala quae in praeterito commiserunt,
et praesumunt se similia facturos in futurum, quod est eis dolorosum. Sed quando sunt cum
aliis hominibus, diffundendo se ad exteriora, obliviscuntur suorum malorum.
Et sic, cum nihil in seipsis habeant quod sit dignum amari nil amicabile
patiuntur ad seipsos. |
|
#1816. — Ensuite (1166b13), il montre que ne convient pas aux mauvaises [gens] l'action qui touche à la concorde. En premier, quant à la vie commune. En effet, les mauvaises [gens] ne peuvent pas vivre avec eux-mêmes, en se tournant vers leur cœur, mais cherchent d'autres avec qui passer leur temps, en conversant et en coopérant avec eux en paroles et actes extérieurs. La raison en est que, dès qu'ils pensent en eux-mêmes d'eux-mêmes, ils se rappellent beaucoup de maux, et de graves, qu'ils ont commis dans le passé, et ils présument qu'ils en feront de semblables dans le futur, et cela leur est douloureux. Mais quand ils sont avec d'autres gens, en se répandant dans des choses extérieures, ils oublient leurs maux. Ainsi, comme ils n'ont rien en eux-mêmes qui soit digne d'être aimé, ils ne ressentent rien d'amical envers eux-mêmes. |
[74519] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 21 Secundo ibi: neque gaudent etc., manifestat quod non
habent secum concordiam quantum ad passiones. Et dicit quod tales neque
congaudent neque condolent sibiipsis. Anima enim eorum est in quadam
contentione contra seipsam, inquantum scilicet pars sensitiva repugnat
rationi; et ex una parte dolet si recedat a delectabilibus propter malitiam
in eo dominantem, quae causat huiusmodi tristitiam in parte sensitiva: ex
alia autem parte delectatur secundum rationem quae iudicat mala esse vitanda:
et sic una pars animae trahit hominem malum ad unam partem, alia autem pars
trahit eum ad partem contrariam, ac si anima eius in diversas partes
discerperetur et contra seipsam discreparet. |
|
#1817. — En second (1166b18), il manifeste qu'ils n'ont pas de concorde avec eux-mêmes même quant aux passions. Il dit que des [gens] de cette nature n'ont ni joie ni peine avec eux-mêmes. En effet, leur âme est en une certaine lutte contre elle-même, en tant que leur partie sensible répugne à leur raison; aussi, d'un côté, elle souffre si la personne s'écarte des plaisirs, à cause de la malice qui domine en elle, qui cause une tristesse de la sorte dans la partie sensible; de l'autre côté, elle a du plaisir, selon la raison qui juge qu'il faut éviter les maux; et ainsi, une partie de l'âme entraîne l'homme mauvais d'un côté, et l'autre partie l'entraîne du côté contraire, comme si son âme était déchirée en différents partis et luttait contre elle-même. |
[74520] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 22 Tertio ibi: si autem non possibile etc., removet
quandam dubitationem. Posset enim aliquis dicere non esse possibile quod homo
pravus simul de eodem doleat et delectetur: et hoc quidem verum est quantum
ad sensum utriusque, quamvis causa utriusque simul inesse possit secundum
diversas animae partes. Dicit ergo quod si non sit possibile quod homo pravus
simul perfecte tristetur et delectetur, tamen parum post delectationem
tristatur de hoc ipso quod delectatus est, et vellet quod huiusmodi
delectabilia non recepisset. Homines enim pravi replentur poenitentia, quia videlicet
impetu malitiae vel passionis cessante, quo mala faciunt, secundum rationem
cognoscunt se mala egisse, et dolent. Et sic patet quod pravi non disponuntur
amicabiliter ad seipsos, propter hoc quod non habent in seipsis aliquid
amicitia dignum. |
|
#1818. — En troisième (1166b22), il enlève une difficulté. Si, en effet, on disait qu'il n'est pas possible que l'homme dépravé souffre à la fois et prenne plaisir de la même [chose], cela, certes, est vrai, à prendre l'un et l'autre comme tels, bien que la cause de l'un et de l'autre puisse se trouver en même temps en lui, en des parties différentes de l'âme. Il dit donc que, s'il n'est pas possible que l'homme dépravé s'attriste et se réjouisse en même temps, cependant, peu après [avoir eu du] plaisir, il s'attriste de cela même à quoi il a pris plaisir, et voudrait ne pas avoir pris de plaisirs de la sorte. En effet, les gens dépravés sont pleins de regret, parce que, l'impulsion de la malice ou de la passion cessant, pour autant qu'ils ont fait du mal, ils connaissent avec leur raison qu'ils ont mal agi, et en ont de la peine. Ainsi appert-il que les [gens] dépravés n'ont pas de dispositions amicales envers eux-mêmes, à cause de ce qu'ils n'ont en eux-mêmes rien de digne d'amitié. |
[74521] Sententia Ethic., lib. 9 l. 4 n. 23 Deinde cum dicit: si utique sic habere etc., concludit
ex praemissis, quod si valde miserum est sic se habere absque amicitia ad
seipsum, intense, idest vehementi studio fugere debemus malitiam et
conari ad hoc quod simus virtuosi. Per hunc enim modum se habebit aliquis
amicabiliter ad seipsum, et fiet etiam aliis amicus. |
|
#1819. — Ensuite (1166b26), il conclut, à partir de ce qui précède, que s'il est si misérable de se trouver ainsi sans amitié pour soi-même, il faut intensément, c'est-à-dire, avec un effort véhément, fuir la malice et s'efforcer de devenir vertueux. C'est de cette manière, en effet, que l'on se trouvera amical envers soi-même, et que l'on deviendra aussi ami pour d'autres. |
|
|
|
Lectio
5 |
|
Leçon 5
|
[74522] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 1 Benivolentia autem et cetera. Postquam philosophus
ostendit quae sunt opera amicitiae et quibus conveniant, hic determinat de
singulis horum. Praedicta autem amicitiae opera reducuntur ad tria: scilicet
beneficentiam, benevolentiam et concordiam, ut dictum est; et ideo de his
tribus nunc determinat. Primo quidem de benevolentia, quae consistit in
interiori affectu respectu personae. Secundo de concordia, quae etiam in
affectu consistit, sed respectu eorum quae sunt personae, ibi, amicabile
autem et cetera. Tertio de beneficentia, quae consistit in exteriori effectu,
ibi, benefactores autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit
quod benevolentia non est amicitia. Secundo
ostendit quod est amicitiae principium, ibi, videtur utique et cetera. Circa
primum duo facit. Primo ostendit quod benevolentia non est amicitia, quae
significatur per modum habitus. Secundo, quod non est amatio, quae
significatur per modum passionis, ut in octavo dictum est, ibi, sed neque
amatio et cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Et
dicit quod benevolentia videtur esse aliquid simile amicitiae, inquantum
scilicet oportet omnes amicos esse benevolos. Non tamen est idem quod
amicitia. |
|
#1820. — Après avoir montré quels sont les actes de l'amitié et à qui ils conviennent, le Philosophe traite ici de chacun d'eux. Les actes de l'amitié dont nous avons parlé se ramènent à trois, à savoir, la bienfaisance, la bienveillance et la concorde, comme on l'a dit (#1798-1801); c'est pourquoi il traite maintenant de ces trois-là. En premier, certes, de la bienveillance, qui consiste en une affection intérieure envers la personne. En second (1167a22), de la concorde, qui consiste aussi en une affection, mais envers ce qui appartient à la personne. En troisième (1167b17), de la bienfaisance, qui consiste en un effet extérieur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la bienveillance n'est pas l'amitié. En second (1167a3), il montre qu'elle est principe d'amitié. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la bienveillance n'est pas l'amitié que l'on signifie par mode d'habitus. En second (1166b32), qu'elle n'est pas une forme d'amour, lequel on signifie par mode de passion, comme on l'a dit au huitième [livre]. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que la bienveillance est manifestement quelque chose de semblable à l'amitié, dans la mesure où il faut que tous les amis soient bienveillants [entre eux]. Cependant, elle n'est pas la même [chose] que l'amitié. |
[74523] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 2 Secundo ibi: fit enim etc., probat propositum per duo
media. Quorum primum est, quod benevolentia potest fieri ad homines ignotos,
quorum scilicet experientiam aliquis non accepit cum eis familiariter
conversando. Sed hoc non potest esse in amicitia. Secundum medium est, quod
benevolentia potest esse latens eum ad quem benevolentiam habemus; quod de amicitia
dici non potest; et haec supra in principio octavi dicta sunt. |
|
#1821. — En second (1166b31), il prouve son propos avec deux moyens [termes]. Le premier en est que la bienveillance peut se ressentir envers des inconnus, dont on n'a pas acquis connaissance en vivant familièrement avec eux. Or il ne peut en être ainsi en amitié. Le second moyen [terme], c'est que la bienveillance peut échapper à celui envers qui nous avons de la bienveillance, ce que l'on ne peut dire de l'amitié. Cela, on l'a dit plus haut, au début du huitième [livre] (#1560). |
[74524] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 3 Deinde cum dicit: sed neque amatio etc., ostendit quod
benevolentia non sit amatio, duplici ratione. Quarum prima est, quod
benevolentia non habet distensionem animi, neque appetitum, idest
passionem in appetitu sensitivo, quae animum suo impetu distendit quasi cum
quadam violentia ad aliquid movens. Quod quidem accidit in passione amationis;
non autem in benevolentia, quae consistit in simplici motu voluntatis. |
|
#1822. — Ensuite (1166b32), il montre que la bienveillance n'est pas une forme d'amour, avec une double raison. La première en est que la bienveillance ne comporte pas de tension de l'âme, ni de désir, c'est-à-dire, de passion de l'appétit sensible, qui tend l'âme avec son impulsion, comme le poussant à quelque chose avec une certaine violence. Or cela arrive dans les passions d'amour, mais non dans la bienveillance, qui consiste en un simple mouvement de la volonté. |
[74525] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 4 Secundam rationem ponit ibi, et amatio quidem et
cetera. Et dicit quod amatio fit cum consuetudine. Importat enim amatio, ut
dictum est, quemdam vehementem impetum animi. Non autem consuevit animus
statim vehementer ad aliquid moveri; sed paulatim ad maius perducitur. Et
ideo per quamdam consuetudinem amatio crescit: sed quia benevolentia importat
simplicem motum voluntatis, potest repente fieri, sicut accidit hominibus
videntibus pugnas agonistarum. Fiunt enim benevoli ad alterum pugnantium; et
placeret aspicientibus quod hic vel ille vinceret; tamen nullam operam ad hoc
darent, quia ut dictum est, homines fiunt repente benivoli et diligunt superficialiter
idest secundum solum et debilem motum voluntatis, non prorumpentem in opus. |
|
#1823. — Il présente ensuite la seconde raison (1166b34). Il dit que l'amour se développe à travers une accoutumance. L'amour comporte, en effet, comme on l'a dit, une impulsion véhémente de l'âme. Or l'âme l'a pas coutume de se mouvoir tout d'un coup avec véhémence à une chose; mais elle est conduite peu à peu à plus. C'est pourquoi l'amour croît à travers une accoutumance; mais comme la bienveillance implique un simple mouvement de la volonté, elle peut se produire subitement, comme il arrive à des gens qui regardent des combats d'athlètes. Ils deviennent en effet bienveillants envers l'un des athlètes; et il plairait aux spectateurs que tel ou tel l'emporte; cependant, ils ne feraient rien pour cela, car, comme on l'a dit, les gens sont subitement bienveillants et aiment superficiellement, c'est-à-dire, selon le seul et faible mouvement de la volonté, sans passer à l'action. |
[74526] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 5 Deinde cum dicit: videtur utique etc., ostendit, quod
benevolentia sit principium amicitiae. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit
benevolentiam esse amicitiae principium. Secundo ostendit cuius amicitiae
principium sit, ibi: non eam quae propter utile et cetera. Dicit ergo primo
quod benivolentia videtur esse principium amicitiae, sicut delectari in aspectu
alicuius mulieris, est principium amationis eius. Nullus enim incipit amare
aliquam mulierem nisi prius fuerit delectatus in eius pulcritudine, nec tamen
statim tunc cum gaudet in aspectu formae mulieris amat eam; sed hoc est
signum amationis completae, quando si sit absens desiderat eam, quasi
graviter ferens eius absentiam, et praesentiam concupiscens. Et similiter se
habet de amicitia et benevolentia. Non enim possibile est aliquos esse
amicos, nisi prius facti fuerint benevoli. |
|
#1824. — Ensuite (1167a3), il montre que la bienveillance est principe d'amitié. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que la bienveillance est principe d'amitié. En second (1167a12), il montre de quelle amitié elle est principe. Il dit donc, en premier, qu'on dit la bienveillance principe d'amitié, comme prendre plaisir à l'apparence d'une femme est principe d'amour pour elle. En effet, personne ne commence à aimer une femme sans d'abord avoir pris plaisir à sa beauté. Cependant, ce n'est pas tout de suite quand on a du plaisir à l'apparence de sa forme qu'on l'aime; le signe d'un amour complet, c'est plutôt quand, si elle est absente, on la désire, comme supportant péniblement son absence et désirant sa présence. Il en va pareillement de l'amitié et de la bienveillance. Il n'est pas possible, en effet, que des gens soient des amis, sans d'abord être devenus bienveillants [l'un envers l'autre]. |
[74527] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 6 Nec tamen propter hoc, quod sunt benevoli, possunt dici
amici: quia ad benevolos pertinet hoc solum, quod velint bona illis quibus
sunt benevoli; ita tamen, quod nihil pro eis facerent, neque pro eorum malis
turbarentur. Unde potest aliquis translative loquendo dicere, quod
benevolentia est quaedam amicitia otiosa, quia scilicet non habet operationem
amicabilem adiunctam. Sed quando diu durat homo in benevolentia, et
consuescit bene velle alicui, firmatur animus eius ad volendum bonum, ita
quod voluntas non erit otiosa, sed efficax; et sic fit amicitia. |
|
#1825. — Cependant, ce n'est pour le seul fait qu'ils sont bienveillants qu'on peut les dire amis, car cela seulement appartient aux bienveillants, qu'ils veulent du bien à ceux envers qui ils sont bienveillants, de sorte, cependant, qu'ils ne feraient rien pour eux, ni ne seraient troublés par leurs maux. Aussi peut-on dire, en parlant métaphoriquement, que la bienveillance est une espèce d'amitié oisive, car l'action amicale ne lui pas adjointe. Mais quand on reste longtemps en bienveillance, et qu'on a coutume de vouloir du bien à quelqu'un, on s'affirme l'âme à lui vouloir du bien, de sorte que la volonté cesse d'être oisive, et devient efficace; c'est ainsi que se produit l'amitié. |
[74528] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 7 Deinde cum dicit: non eam quae propter utile etc.,
ostendit cuius amicitiae benevolentia sit principium. Et primo ostendit cuius
non sit principium. Secundo cuius sit principium, ibi, totaliter autem et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit quod intendit. Et dicit, quod
benevolentia per diuturnitatem et consuetudinem non perducitur ad veram
speciem amicitiae, quae est propter utile aut delectabile. |
|
#1826. — Ensuite (1167a12), il montre de quelle amitié la bienveillance est principe. En premier, il montre de laquelle elle n'est pas principe. En second (1167a18), de laquelle elle est principe. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que la bienveillance durable et accoutumée ne conduit pas à cette véritable espèce de l'amitié qui se développe pour l'utilité ou le plaisir. |
[74529] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 8 Secundo ibi: non enim etc., probat propositum. Non enim
benevolentia in illam amicitiam transit, in qua benevolentia locum non habet;
non autem habet benivolentia locum in praedictis amicitiis. Et hoc quidem
manifeste apparet in amicitia delectabilis, in qua uterque amicorum vult sibi
ex altero delectationem, quae quandoque est cum malo alterius, et sic
tollitur benevolentia. Sed in amicitia utilis potest esse benivolentia
quantum ad eum qui iam recepit beneficia; qui si iuste operetur, retribuit
saltem benevolentiam pro beneficiis quae recepit. |
|
#1827. — En second (1167a13), il prouve son propos. La bienveillance, en effet, ne passe pas à l'amitié dans laquelle la bienveillance n'a pas lieu. Or la bienveillance n'a pas lieu en les amitiés mentionnées. Cela apparaît manifestement, certes, dans l'amitié de plaisir, en laquelle l'un et l'autre des amis veut tirer pour soi de l'autre du plaisir, et cela va parfois avec du mal pour l'autre, et ainsi disparaît la bienveillance. Mais dans l'amitié d'utilité, il peut y avoir bienveillance du côté de celui qui a déjà reçu des avantages, et celui-ci, s'il se comporte avec justice, rémunère au moins avec de la bienveillance les biens qu'il a reçus. |
[74530] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 9 Sed si aliquis de aliquo velit quod bene se habeat et
bene operetur propter spem quam habet ut per illum in bonis abundet, non
videtur esse benevolus ad illum, per quem sperat se abundare; sed magis ad se
ipsum, sicut etiam non videtur esse amicus alicuius qui aliquam curam apponit
ad bonum eius propter aliquam sui utilitatem, ut scilicet ad aliquid ipso
utatur. |
|
#1828. — Toutefois, si on veut qu'il en aille bien pour quelqu'un, et qu'il réussisse, pour l'espoir que l'on a que par lui on abonde en biens, on n'est manifestement pas bienveillant envers celui par le biais de qui on espère ainsi tirer de l'abondance, mais plutôt envers soi-même; de même aussi, il n'est manifestement pas l'ami de quelqu'un, celui qui prend soin de son bien pour une utilité qu'il en attend, à savoir, pour en user pour quelque chose. |
[74531] Sententia Ethic., lib. 9 l. 5 n. 10 Deinde cum dicit: totaliter autem etc., ostendit cuius
amicitiae benevolentia sit principium. Et dicit, quod universaliter
benevolentia videtur esse ad aliquem propter aliquam eius virtutem et
epiichiam, cum scilicet alicui videatur, quod ille ad quem est benevolus sit
bonus aut fortis aut aliquid huiusmodi, propter quae homines consueverunt
laudari; sicut dictum est de agonistis, quibus efficimur benevoli propter
fortitudinem quae apparet in eis, vel propter aliquid huiusmodi. |
|
#1829. — Ensuite (1167a18), il montre de quelle amitié la bienveillance est principe. Il dit qu'universellement, la bienveillance s'adresse manifestement à quelqu'un pour sa vertu et son honnêteté, quand, à savoir, il semble à quelqu'un que celui envers qui il est bienveillant soit bon ou courageux ou quelque chose de la sorte pour quoi les gens ont coutume de se faire louer; comme on a dit des athlètes, envers qui nous devenons bienveillants pour le courage qui apparaît en eux, ou pour quelque chose de la sorte. |
|
|
|
Lectio
6 |
|
Leçon 6
|
[74532] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 1 Amicabile autem et cetera. Postquam philosophus
determinavit de benevolentia, hic determinat de concordia. Et primo ostendit
quid sit concordia; secundo ostendit quibus conveniat, ibi: est autem talis
et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit quid sit concordia; secundo
quomodo se habeat ad amicitiam politicam, ibi: politica autem amicitia et
cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat genus concordiae. Secundo
materiam ipsius, ibi: neque circa quodcumque et cetera. Dicit ergo primo,
quod concordia videtur ad genus amicitiae pertinere. Dictum est enim supra,
quod ad amicos pertinet, quod eadem eligant, in quo consistit ratio
concordiae. Et ex hoc patet, quod concordia non est homodoxia, per
quod significatur unitas opinionis. Potest enim contingere, quod sint eiusdem
opinionis etiam illi qui se invicem non cognoscunt, inter quos tamen non est
concordia, sicut nec amicitia. |
|
#1830. — Après avoir traité de la bienveillance, le Philosophe traite ici de la concorde. En premier, il montre ce qu'est la concorde. En second (1167b2), quelle relation elle entretient avec l'amitié politique. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il établit le genre de la concorde. En second (1167a24), sa matière. Il dit donc, en premier, que la concorde appartient manifestement au genre de l'amitié. On a dit plus haut (#1800), en effet, qu'il appartient aux amis de choisir les mêmes [objets], en quoi consiste la notion de concorde. De là, il appert que la concorde n'est pas simple homodoxie, par quoi on veut dire une unité d'opinion. Il peut arriver, en effet, qu'ils soient de la même opinion, ceux-là même qui ne se connaissent pas, sans qu'il n'y ait cependant de concorde entre eux, ni non plus d'amitié. |
[74533] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 2 Deinde cum dicit: neque circa quodcumque etc., inquirit
materiam concordiae. Et primo ostendit circa quae non sit concordia. Et
dicit, quod non dicuntur concordare homines, qui concordant circa quodcumque,
sicut illi qui consentiunt sibiipsis in speculativis, puta de his quae
pertinent ad corpora caelestia. Consentire enim sibi invicem in his non
pertinet ad rationem amicitiae, quia amicitia ex electione est, iudicium
autem de rebus speculativis est ex necessitate conclusionis et ideo nihil
prohibet aliquos amicos diversa circa huiusmodi sentire, et aliquos inimicos
in his sibi consentire. Unde patet concordiam, quae ad rationem amicitiae
pertinet, circa talia non esse. |
|
#1831.
— Ensuite (1167a24), il recherche la matière de la concorde. En premier, il
montre sur quoi ne porte pas la concorde. Il dit qu'on ne dit qu'il y a
concorde entre les gens qui s'entendent sur n'importe quoi, comme entre ceux
qui s'entendent sur des [choses] spéculatives, par exemple, sur ce qui
touche aux corps célestes. S'entendre dans ces choses, en effet, ne relève
pas de la notion d'amitié, car l'amitié procède du choix, tandis que le
jugement des choses spéculatives ne tire pas sa nécessité du choix. C'est
pourquoi rien n'empêche des amis d'avoir des avis différents sur des [objets]
de la sorte, et des ennemis de s'entendre sur elles. Aussi, il appert que la
concorde, qui relève de la notion d'amitié, ne porte pas sur de tels [objets].
|
[74534] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 3 Secundo ibi: sed civitates etc., ostendit circa quae
sit concordia. Et primo ostendit in generali, quod est circa operabilia. Et
dicit, quod civitates dicuntur concordare sibiinvicem quando consentiunt
circa utilia, ita quod eadem eligunt, et communiter operantur ea quae
opinantur esse utilia. Et sic patet, quod concordia est circa operabilia. |
|
#1832.
— En second (1167a26), il montre sur quoi porte la concorde. En premier, il
montre, en général, qu'elle intervient en matière d'action. Il dit que l'on
dit qu'il y a concorde entre cités, quand elles s'entendent sur des utilités,
de manière à choisir les mêmes, et réaliser en commun ce qu'elles pensent
être utile. Ainsi appert-il que la concorde intervient en matière d'action. |
[74535] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 4 Secundo ibi: et horum circa quae etc., ostendit in
speciali circa quae operabilia sit concordia. Et ponit duo. Quorum unum est,
quod concordia attenditur circa ea quae habent aliquam magnitudinem. Non enim
tollitur concordia aliquorum ex hoc quod in aliquibus minimis dissentiunt.
Aliud autem est, quod illa, circa quae est concordia, sint talia, quae
possint convenire utrique concordantium, vel etiam omnibus, sive hominibus,
sive civibus unius civitatis. Si enim aliquis consentiat alicui, quod habeat
id quod nullus alius potest habere, non multum pertinet ad concordiam. |
|
#1833.
— En troisième (1167a29), il montre plus spécialement en quelle matière
d'action intervient la concorde. Il présente deux [items]. Le premier, c'est
qu'on s'attend à de la concorde sur ce qui a de l'importance. En effet, la
concorde n'est pas compromise, entre des gens, du fait qu'ils ne s'entendent
pas sur de très petites [choses]. L'autre, c'est que ce sur quoi porte la concorde
est de nature à pouvoir convenir à l'un et à l'autre de ceux entre qui il y a
concorde, ou même à tous les hommes, ou à tous les citoyens d'une cité. Si,
en effet, on s'entend avec quelqu'un pour avoir ce que personne ne peut
avoir, cela ne regarde pas beaucoup la concorde. |
[74536] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 5 Et ponit exemplum de civitatibus, in quibus dicitur
esse concordia, quando omnibus civibus idem videtur; puta, quod principes
assumantur per electionem, non autem sorte vel per successionem, vel cum
videtur Atheniensibus, quod ineant societatem cum Lacedaemoniis ad simul
pugnandum contra hostes; vel quando omnibus civibus videtur, quod talis homo,
puta Putacus, principetur, si tamen et ipse voluerit principari. Tunc enim,
qui hoc volunt ei concordant. |
|
#1834.
— Puis, il apporte l'exemple de cités en lesquelles on dit qu'il y a de la
concorde, quand tous les citoyens sont du même avis; par exemple, que les
chefs sont désignés par élection, et non par hasard ou par succession; ou
quand les Athéniens dont d'avis de former société avec les Lacédémoniens
pour combattre ensemble des ennemis; ou quand tous les citoyens sont d'avis
qu'un tel, par exemple, Pindare, devienne chef, à condition que lui-même le
veuille aussi. Alors, en effet, ceux qui veulent cela ont de la concorde
avec lui. |
[74537] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 6 Sed cum quilibet vult seipsum principari, sequitur,
quod contendant, sicut de quibusdam recitatur in Formistis, id est in
quibusdam poematibus. Non enim consistit concordia in hoc quod uterque velit
sibiipsi bonum, quamvis videatur similitudo voluntatis secundum proportionem,
quia uterque vult bonum sibi. Quinimo hoc est contentionis causa. Sed oportet, ad
hoc quod sit concordia, quod consentiant in eodem secundum numerum: sicut cum
in aliqua civitate tam plebs quam virtuosi in hoc concordent, quod optimi
principentur. Per hunc enim modum omnibus fit illud quod desiderant, quando
in eodem omnes consentiunt. |
|
#1835.
— Mais quand n'importe qui veut lui-même commander, il s'ensuit de la lutte,
comme on le raconte de certains dans les Phéniciennes,
c'est-à-dire, dans certains poèmes. La concorde, en effet, ne consiste pas en
ce que l'un et l'autre veuillent pour soi-même un bien, quoique apparaisse
alors en proportion une similitude de volonté, parce que l'un et l'autre
veulent un bien pour soi-même. Même que cela est cause de lutte. Il faut
plutôt, pour qu'il y ait concorde, que l'on s'entende sur la même [chose]
numériquement; comme lorsque, dans une cité, tant le bas peuple que les gens
vertueux s'entendent sur ce que les meilleurs gouvernent. De cette manière,
en effet, tous ont ce qu'ils désirent, quand tous s'entendent sur la même
[chose]. |
[74538] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 7 Deinde cum dicit: politica autem etc., ostendit
qualiter se habeat concordia ad amicitiam politicam. Et dicit, quod amicitia
politica, sive sit civium unius civitatis adinvicem, sive sit inter diversas
civitates, videtur idem esse quod concordia. Et ita etiam homines dicere
consueverunt; scilicet quod civitates, vel cives concordes, habent amicitiam
adinvicem. Est enim amicitia politica circa utilia et circa ea quae
conveniant ad vitam humanam, circa qualia dicimus esse concordiam. |
|
#1836.
— Ensuite (1167b2), il montre quelle relation entretient la concorde avec
l'amitié politique. Il dit que l'amitié politique, tant entre citoyens d'une
même cité qu'entre cités différentes, paraît être la même [chose] que la
concorde. C'est ainsi, d'ailleurs, que les gens ont coutume de dire que les
cités ou que les citoyens entre qui il y a concorde ont de l'amitié entre
eux. L'amitié politique, en effet, porte sur l'utile, et sur ce qui sert à la
vie humaine, sur quoi nous avons dit que porte la concorde. |
[74539] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 8 Deinde cum dicit: est autem talis etc., ostendit in
quibus inveniatur concordia. Et primo ostendit quod invenitur in bonis.
Secundo ostendit quod non invenitur in pravis, ibi, pravos autem et cetera.
Dicit ergo primo, quod concordia talis, qualis determinata est, invenitur in
his qui sunt virtuosi. Huiusmodi enim homines sic se habent, quod quilibet
eorum, et sibiipsi concordat, et etiam concordant adinvicem inquantum
immobiliter permanent in eisdem, et electionibus, et operibus; quia sicut
supra dictum est, boni sunt quasi impoenitibiles. Sed addit ut est dicere
quia non est possibile, quod homines in hac vita omnimodam immutabilitatem
habeant. |
|
#1837.
— Ensuite (1167b4), il montre à qui convient la concorde. En premier, il
montre qu'on la trouve chez les bons. En second (1167b9), il montre qu'on ne
la trouve pas chez les mauvais. Il dit donc, en premier, que la concorde,
telle qu'on l'a définie, on la trouve chez ceux qui sont vertueux. En effet,
des gens de la sorte se comportent de telle façon que, pour n'importe lequel
d'entre eux, il y a à la fois concorde avec lui-même, et aussi concorde avec
les autres, pour autant qu'ils restent en toute immobilité au même [endroit],
en termes de choix et d'actes, car, comme on l'a dit plus haut (#1592), les bons sont presque inaccessibles au
regret. Mais il ajoute: pour ainsi dire,
parce qu'il n'est pas possible que des gens, dans cette vie, jouissent d'une
immuabilité à tout point de vue. |
[74540] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 9 Et ad expositionem dictorum subdit, quod ideo dicuntur
in eisdem existentes, quia voluntates talium hominum manent fixae in bono et
non transfluunt ex uno in aliud, sicut Euripus, idest quidam locus
maritimus in Graecia, in quo aqua fluit et refluit. Et huiusmodi homines
virtuosi volunt iusta et utilia, et talia communiter appetunt. |
|
#1838.
— Pour l'explication de ce qu'il a dit, il ajoute que la raison pour laquelle
on les dit rester dans le même [endroit], c'est que la volonté de tels hommes
demeure fixe dans le bien, et ne passe pas d'une chose à une autre, comme
l'Euripe[58],
c'est-à-dire, un lieu maritime en Grèce, où l'eau flue et reflue. De
pareilles gens de vertu veulent du juste et de l'utile, et les désirent en
commun. |
[74541] Sententia Ethic., lib. 9 l. 6 n. 10 Deinde cum dicit: pravos autem etc., ostendit quod in
pravis non est concordia. Et dicit quod pravi non possunt concordare, nisi
forte parum, sicut et parum possunt esse amici. Ideo autem concordare non
possunt, quia volunt superabundanter habere in bonis utilibus, sed volunt deficere,
idest minus habere, in laboribus qui communiter imminent sustinendi vel etiam
in ministrationibus, idest quibuscumque tributis vel servitiis. Et, dum sibi
unusquisque vult haec, scilicet superabundare in bonis et deficere in malis,
inquirit de proximo suo et impedit eum ne hoc adipiscatur quod ipse cupit. Et
ita dum non servant bonum commune quod est iustitia, destruitur inter eos
communitas concordiae. Et sic accidit inter eos contentio, dum unus cogit
alium ad hoc quod servet ei id quod est iustum, sed tamen ipse non vult
alteri iustitiam facere, sed vult superabundare in bonis et deficere in malis,
quod est contra aequalitatem iustitiae. |
|
#1839.
— Ensuite (1167b9), il montre que, chez les dépravés, il n'y a pas de concorde.
Il dit que les dépravés ne peuvent pas s'entendre, sauf peut-être un peu,
comme aussi ils peuvent un peu être des amis. La raison, par ailleurs, pour
laquelle ils ne peuvent pas s'entendre, c'est parce qu'ils veulent avoir à
l'excès en tout ce qui est utile, mais faire défaut, c'est-à-dire, avoir
moins, dans les travaux qui se font en commun et qu'il presse de réaliser, ou
dans des ministères, c'est-à-dire, dans n'importe quel tributs ou services à
assurer. Or tant que chacun veut cela pour soi, à savoir, avoir à l'excès en
biens et faire défaut en maux, il surveille son prochain et l'empêche
d'obtenir ce qu'il désire. Et ainsi, tant qu'on ne sert pas le bien commun
qui est la justice, on détruit entre eux la communauté de concorde. Ainsi se
produit entre eux de la lutte, pendant que l'un force l'autre à lui servir ce
qui est juste, tandis que lui-même ne veut pas rendre justice à l'autre,
mais veut avoir à l'excès les biens et faire défaut en maux, ce qui va contre
l'égalité de la justice. |
|
|
|
Lectio
7 |
|
Leçon 7
|
[74542] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 1 Benefactores autem et cetera. Postquam philosophus
determinavit de benevolentia et concordia, hic determinat de beneficentia. Et
primo proponit id quod circa eam accidit. Et dicit quod benefactores magis
videntur amare eos quibus benefaciunt, quam illi qui bene patiuntur ab eis
ament operantes sibi bona. |
|
#1840.
— Après avoir traité de la bienveillance et de la concorde, le Philosophe
traite ici de la bienfaisance. En premier, il présente ce qui arrive à son
sujet. Il dit que ceux qui font du bien paraissent davantage aimer ceux à
qui ils font du bien que ceux qui se font faire du bien par eux n'aiment ceux
qui leur font du bien. |
[74543] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 2 Secundo ibi: et ut praeter rationem etc., movet super
hoc quaestionem. Et dicit, quod hoc quod dictum est habet quaestionem, quia
videtur praeter rationem contingere. Beneficiati enim ex debito
obligantur ad amandum benefactores, sed non e converso. |
|
#1841.
— En second (1167b18), il soulève sur cela une question. Il dit que ce que
l'on a dit amène une question, parce que cela paraît aller contre raison. Ce
sont les bénéficiaires, en effet, qui sont dûment obligés d'aimer leur bienfaiteurs,
et non l'inverse. |
[74544] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 3 Tertio ibi: pluribus quidem igitur etc., solvit
praedictam quaestionem, assignans rationem praedicti accidentis. Et primo
ponit rationem apparentem. Secundo assignat rationes veras, ibi, videbitur
autem et cetera. Dicit ergo primo, quod pluribus videtur ratio praedicti
accidentis esse, quia beneficiati debent aliquid benefactoribus: sed benefactoribus
aliquid debetur, sicut et mutuantibus. Hoc autem videmus in mutuis accidere,
quod illi qui debent vellent non esse illos quibus debent, ad hoc quod essent
immunes a debito. Sed accommodantes, quibus debetur, curam gerunt de salute
debentium eis, ne perdant id quod eis debetur; ita etiam videtur quod
benefactores velint esse et vivere illos qui ab ipsis bene passi sunt ut
acquirant ab eis gratiarum actionem. Sed illi qui beneficia receperunt non
curant reddere gratias, sed magis vellent absolvi ab hoc debito. Et ideo non
multum amant benefactores. |
|
#1842.
— En troisième (1167b19), il résout la question précédente, en assignant la
raison de l'accident mentionné. En premier, il présente une raison apparente.
En second (1167b28), il assigne des raisons véritables. Il dit donc, en
premier, que, pour la plupart, la raison de l'accident mentionné paraît être
que les bénéficiaires doivent quelque chose à leurs bienfaiteurs, et qu'à
des bienfaiteurs, on doit quelque chose comme en matière de prêts. Or nous
voyons qu'il arrive ceci, dans les prêts, que les débiteurs souhaitent que
ceux à qui ils doivent n'existent plus, de manière à être exemptés de leur
dette, tandis que les prêteurs, à qui on doit, ont soin du salut de leurs
débiteurs, pour ne pas perdre ce qui leur est dû. C'est ainsi aussi que les
bienfaiteurs veulent que soient et vivent ceux qui ont reçu du bien d'eux, de
manière à acquérir d'eux action de grâces, tandis que ceux qui ont reçu des
biens ne se préoccupent pas tant de rendre grâces que d'être absous de leur
dette. C'est pourquoi ils n'aiment pas beaucoup leurs bienfaiteurs. |
[74545] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 4 Et hanc quidem rationem Eppicarinus, id est quidam
philosophus vel poeta, approbans: (hanc rationem) forte dicet quod hanc
rationem dicant quidam considerantes malitiam hominum; assimilatur enim
humanae consuetudini quae apud plures invenitur. Multi enim sunt immemores
beneficiorum et magis appetunt bene recipere ab aliis quam benefacere. |
|
#1843.
— À regarder cette raison, Épicharme, philosophe ou poète, dira peut-être que
certains ont apporté cette raison en regard de la malice des hommes. Car on
assimile à la coutume humaine ce que l'on trouve chez la plupart. En effet,
beaucoup sont oublieux des bien reçus et désirent plus recevoir du bien des
autres que de leur en faire. |
[74546] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 5 Deinde cum dicit: videbitur autem etc., assignat veras
rationes quatuor. Circa quarum primam duo facit. Primo praefert hanc rationem
ei quam supra posuit. Et dicit quod causa eius quod dictum est naturalior
esse videtur ea quae nunc dicetur, quia videlicet sumitur ab ipsa natura
beneficii, nec est similis rationi supra assignatae quae sumpta est ex parte
accommodantium. Accommodantes enim non amant illos quibus accommodant; sed
quod volunt eos conservari in esse non est ex amore, sed propter lucrum. Sed
benefactores amant secundum appetitum sensitivum, et diligunt secundum
electionem eos qui ab eis bona recipiunt, etiam si in nullo sint eis utiles
in praesenti, nec exspectent aliquam utilitatem in futuro. |
|
#1844.
— Ensuite (1167b28), il assigne quatre raisons véritables. Sur la première
d'entre elles, il fait deux [considérations]. En premier, il donne à cette
raison la préférence sur celle qu'il a présentée plus haut. Il dit qu'en
rapport à ce que l'on vient de dire, ce que l'on va dire maintenant paraît
plus naturel, du fait que c'est tiré de la nature même du bien fait, et que
cela ne ressemble pas à la raison assignée plus haut, qui est tirée des
prêteurs. Les prêteurs, en effet, n'aiment pas ceux à qui ils prêtent; ce
n'est pas par amour qu'ils veuillent les conserver dans l'être, mais pour le
profit. Tandis que les bienfaiteurs aiment, en leur appétit sensible, et ont
de l'affection, par choix, pour ceux qui reçoivent des biens d'eux, même
s'ils ne leur sont utiles en rien pour le présent, ni ne laissent attendre
aucune utilité pour le futur. |
[74547] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 6 Secundo ibi: quod et in artificibus etc., ponit primam
rationem. Et dicit quod idem accidit de benefactoribus ad beneficiatos, quod
accidit in artificibus respectu suorum operum. Omnis enim artifex diligit
proprium opus magis quam diligatur ab eo, etiam si esset possibile quod opus
illud fieret animatum. Et hoc maxime videtur accidere circa poetas qui
superabundanter diligunt propria poemata, sicut parentes amant filios.
Poemata enim magis ad rationem pertinent secundum quam homo est homo, quam
alia mechanica opera. Et huic assimilatur hoc quod accidit circa benefactores
diligentes eos quibus benefaciunt. Quia ille qui bene patitur ab aliquo est
quasi opus eius. Et ideo magis diligunt benefactores opus suum, scilicet beneficiatos,
quam e converso. |
|
#1845.
— En second (1167b33), il présente la première raison. Il dit que la même
chose arrive chez les bienfaiteurs, envers les bénéficiaires, qui arrive
chez les artisans, en regard de leurs œuvres. En effet, tout artisan aime son
œuvre propre plus qu'il n'en est aimé, même s'il était possible que son œuvre
devienne animée. Cela semble arriver surtout chez les poètes, qui aiment à
l'excès leurs propres poèmes, comme les parents aiment leurs enfants. Les
poèmes, en effet, appartiennent plus que les autres œuvres mécaniques à la
raison, selon laquelle l'homme est homme. On assimile à cela ce qui arrive
aux bienfaiteurs, en ce qu'ils aiment ceux à qui ils font du bien. Parce que
celui qui se fait faire du bien par quelqu'un est comme son œuvre. C'est
pourquoi les bienfaiteurs aiment plus leur œuvre, c'est-à-dire, leurs bénéficiaires,
que l'inverse. |
[74548] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 7 Positis autem exemplis subiungit omnium rationem. Et
dicit quod causa praedictorum est, quia omnibus hominibus est eligibile et
amabile suum esse. Unumquodque enim in quantum est bonum est, bonum autem est
eligibile et amabile. Esse autem nostrum consistit in quodam actu. Esse enim
nostrum est vivere, et per consequens operari. Non est enim vita absque vitae
operatione quacumque. Unde unicuique est amabile operari opera vitae. Faciens
autem in actu est quodammodo ipsum opus facientis. Actus enim moventis et
agentis est in moto et patiente. Ideo itaque diligunt opus suum et artifices
et poetae et benefactores, quia diligunt suum esse. Hoc autem est naturale,
scilicet quod unumquodque suum esse amet. |
|
#1846.
— Une fois présentés les exemples, il ajoute la raison commune. Il dit que la
cause de ce qui précède, c'est que, pour tous les hommes, c'est leur être qui
est objet de choix et d'amour. Chaque [être], en effet, c'est dans la mesure
où il est qu'il est bon. Et le bien est objet de choix et d'amour. Or notre
être consiste en un acte. Notre être, en effet, c'est de vivre, et par
conséquent d'agir. Il n'y a pas de vie, en effet, sans opération vitale
quelconque. Aussi est-il aimable pour chacun de pratiquer les œuvres de la
vie. Par ailleurs, l'agent est en acte, d'une certaine manière, l'œuvre même
qu'il fait, car l'acte de celui qui meut et agit est en ce qu'il meut et qui
reçoit son action. Aussi, la raison pour laquelle les artisans, et les
poètes, et les bienfaiteurs aiment leur œuvre, c'est qu'ils aiment leur être.
Or cela est naturel, que chacun aime son être. |
[74549] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 8 Rationem autem huius consequentiae, scilicet quod
diligant opus, quia diligunt esse: manifestat subdens quod est potentia hoc
actu opus nunciat. Homo enim est inquantum habet animam rationalem: anima
autem est actus primus corporis physici potentia vitam habentis, id est quod
est in potentia ad opera vitae. Sic igitur primum esse hominis consistit in hoc quod
habeat potentiam ad opera vitae. Huius autem potentiae reductionem in actu
denunciat ipsum opus quod homo facit exercendo actu opera vitae. |
|
#1847.
— Par ailleurs, la raison de cette conséquence, qu'ils aiment leur œuvre
parce qu'ils aiment leur être, il la manifeste en ajoutant que «ce qui est en
puissance tel, son œuvre le manifeste en acte». L'homme, en effet, existe
dans la mesure où il a une âme rationnelle; or l'âme est l'acte premier d'un
corps naturel qui a en puissance la vie, c'est-à-dire, qui est en puissance
aux œuvres de la vie. Ainsi donc, le premier être de l'homme consiste en ce
qu'il ait puissance pour les œuvres de la vie. Ce qui exprime la réduction en
acte d'une puissance de la sorte, c'est l'œuvre que l'homme fait en exerçant
en acte les œuvres de la vie. |
[74550] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 9 Secundam rationem ponit ibi simul autem et cetera.
Circa quod duo facit. Primo proponit rationem dicens quod unusquisque (enim)
diligit proprium bonum. Bonum autem benefactoris consistit in suo actu, quo
scilicet beneficia tribuit. Est enim actus virtutis. Et ideo benefactor
delectatur in beneficiato sicut in eo in quo invenitur eius bonum; sed bene
patiens, qui scilicet recipit beneficium, non habet aliquod bonum honestum in
operante, id est in benefactore non enim est virtutis actus recipere
ab alio beneficia. Sed si habet aliquod
bonum, hoc est bonum utile, quod est minus delectabile et amabile quam bonum
honestum. Et ita patet quod minus est amabilis benefactor beneficiato quam e
converso. |
|
#1848.
— Il présente ensuite la seconde raison (1168a9). À ce [sujet], il fait deux
[considérations]. En premier, il présente la raison, et dit que chacun aime
son propre bien. Or le bien du bienfaiteur consiste en son acte, par lequel
il attribue des biens, car c'est l'acte de sa vertu. C'est pourquoi le
bienfaiteur trouve un plaisir dans son bénéficiaire, comme là où se trouve
son bien. Mais son patient, c'est-à-dire, celui qui reçoit un bien de lui,
n'a pas de bien honorable en celui qui le fait, c'est-à-dire, en son
bienfaiteur. Ce n'est pas, en effet, un acte de vertu que de recevoir des
biens d'un autre. S'il a quelque bien, toutefois, c'est un bien utile, moins
plaisant et moins aimable qu'un bien honorable. Ainsi appert-il que le
bienfaiteur soit moins aimable pour le bénéficiaire que l'inverse. |
[74551] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 10 Secundo ibi delectabilis autem etc., probat quod
supposuerat, dupliciter. Primo quidem quia delectabile quidem circa praesens
est ipse actus sive operatio; circa futurum autem spes; circa factum autem
sive praeteritum memoria: inter quae tria delectabilissimum est actus, et
similiter magis amabile quam spes vel memoria. Benefactori autem manet
honestas proprii operis, quia bonum honestum non cito transit, sed est
diuturnum; et ita delectatur in eo cui benefecit sicut in praesenti suo bono.
Sed
utilitas quam patiens recepit de facili transit. Et ita beneficiatus
delectatur in benefactore secundum memoriam praeteriti. Magis ergo est delectabile
et amabile benefactori bonum honestum quod habet in beneficiato, quam
beneficiato bonum utile quod habet in benefactore. |
|
#1849.
— En second (1168a13), il prouve ce qu'il avait supposé, de deux manières.
En premier, certes, universellement. Parce que ce qui est plaisant, dans le
présent, c'est l'acte même, l'action; dans le futur, c'est l'espoir; dans le
déjà fait, dans le passé, c'est le souvenir. Entre les trois, le plus
plaisant, c'est l'acte, qui, pareillement, se prête plus à l'amour que l'espoir
ou la mémoire. Or l'honorabilité de sa propre action reste au bienfaiteur,
car le bien honorable ne passe pas vite, mais dure; et ainsi il tire du
plaisir de celui à qui il a fait du bien, comme de son bien présent. Par
contre, l'utilité qu'on reçoit passe facilement, de sorte qu'un bénéficiaire
tire du plaisir de son bienfaiteur par le souvenir de [choses] passées. Donc,
le bien honorable qu'un bienfaiteur tire de son bénéficiaire est plus
plaisant et aimable que ne l'est, pour un bénéficiaire, le bien utile qu'il
tire de son bienfaiteur. |
[74552] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 11 Secundo ibi: et memoria etc., probat idem dicens quod
memoria bonorum, idest honestorum, quae quis in praeterito fecit, est
delectabilis. Sed memoria bonorum utilium quae quis quandoque habuit, vel
omnino non est delectabilis, puta cum circa eorum amissionem est quis
contristatus; vel minus est delectabilis, quam memoria honestorum, puta
quando aliquid ex eis remanet; sed circa expectationem futurorum videtur e
converso se habere, scilicet quod magis est delectabile expectare utilia quam
expectare honesta. |
|
#1850.
— En second (1168a17), il prouve la même [chose] en disant que le souvenir
de biens, c'est-à-dire, de [biens] honorables, que l'on a faits dans le
passé, comporte du plaisir. Mais le souvenir de biens utiles que l'on a eus
autrefois ou bien ne comporte aucun plaisir, par exemple, lorsque l'on est attristé
de leur perte, ou en comporte moins que le souvenir des honorables, entre
autres parce que quelque chose en reste. Pour l'attente de [biens] futurs,
néanmoins, il semble en aller au contraire: il est plus plaisant d'en
attendre d'utiles que d'en attendre d'honorables. |
[74553] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 12 Huius autem diversitatis ratio est, quia bonum ignotum
non delectat, sed solum bonum cognitum; honesta autem nemo cognoscit nisi qui
habet. Unde cognoscuntur si sint praeterita, non autem si solum sint futura.
Bona autem utilia cognoscuntur et praeterita et futura; sed auxilium
praeteritorum iam pertransiit. Auxilium autem quod ex eis in futurum expectatur
delectat quasi remedium quoddam contra futuras necessitates. Unde plus
delectatur homo in spe utilium quam in memoria eorumdem, vel etiam quam in
spe honestorum. Sed in memoria honestorum plus delectatur homo, quam in
memoria utilium. Benefactor autem habet in beneficiato memoriam boni honesti,
beneficiatus autem in benefactore memoriam boni utilis. Delectabilior ergo et amabilior est benefactori
beneficiatus, quam e converso. |
|
#1851. — La raison de cette différence est qu'un bien inconnu ne donne pas de plaisir, mais seulement un bien connu. Or personne ne connaît des biens honorables, sauf celui qui les a. Aussi sont-ils connus s'ils sont passés, mais non s'ils sont seulement futurs, tandis que les biens utiles sont connus, autant passés que futurs. Toutefois, l'aide passée est déjà périmée, tandis que l'aide attendue dans le futur donne du plaisir, comme remède contre les besoins futurs. Aussi, on prend plus plaisir à espérer des [biens] utiles qu'à s'en souvenir, plus aussi qu'à en espérer des honorables. Par contre, on a davantage de plaisir au souvenir de [biens] honorables qu'à celui de [biens] utiles. Or un bienfaiteur trouve en son bénéficiaire le souvenir d'un bien honorable, et un bénéficiaire, par ailleurs, [trouve] en son bienfaiteur le souvenir d'un bien utile. Donc, le bénéficiaire donne plus de plaisir et prête plus à l'amour pour le bienfaiteur, que l'inverse. |
[74554] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 13 Tertiam rationem ponit ibi, et amatio quidem et cetera.
Et dicit, quod amare assimilatur ei quod est facere. Pertinet enim ad
amantem, quod velit et operetur bonum ei quem amat, sed amari assimilatur ei
quod est pati. Faciens autem superexcellit patienti. Et ideo rationabiliter
his qui superexcellunt in agendo, scilicet benefactoribus, et artificibus et
poetis consequitur, quod ament et habeant ea quae ad amorem consequuntur. |
|
#1852. — Il présente ensuite la troisième raison (1168a19). Il dit qu'aimer s'assimile à ce qui concerne faire. En effet, il relève de qui aime de vouloir et de réaliser pour lui le bien qu'il aime. Réciproquement, être aimé s'assimile à ce qui concerne pâtir. Or l'agent surpasse le patient. C'est pourquoi, comme conséquence raisonnable, ceux agissent avec excellence, à savoir, les bienfaiteurs, et les artisans, et les poètes, aiment et ont ce qui suit l'amour. |
[74555] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 14 Quartam rationem ponit ibi, adhuc autem et cetera. Illa
enim, quae laboriose fiunt ab omnibus magis diliguntur. Sicut illi, qui
proprio studio et labore possident divitias magis amant eas quam illi qui
accipiunt eas ex successione parentum, vel ex gratuito dono alicuius, unde
sic accipientes magis sunt liberales, ut in quarto dictum est. Quod autem aliquis recipiat
beneficium ab aliquo est sine eius labore. Sed quod aliquis alteri benefaciat
est operosum, idest requirens operam et laborem. Unde rationabile est,
quod benefactores magis ament beneficiatos, quam e converso. |
|
#1853. — Il présente ensuite la quatrième raison (1168a21). Ce qui leur a demandé de la peine, en effet, tous l'aiment davantage. Ainsi, ceux qui possèdent des richesses en suite de leur propre effort et peine les aiment plus que ceux qui les reçoivent par succession de leurs parents, ou par le don gratuit de quelqu'un; aussi, quand on les reçoit de cette façon, on est plus libéral, comme on l'a dit au quatrième [livre] (#674). Or recevoir un bien de quelqu'un ne demande aucune peine propre, tandis que faire du bien à un autre est de l'ouvrage, c'est-à-dire, requiert travail et peine. En conséquence, il est raisonnable que des bienfaiteurs aiment plus leurs bénéficiaires, que l'inverse. |
[74556] Sententia Ethic., lib. 9 l. 7 n. 15 Et hanc rationem confirmat per exemplum matrum, quae
magis amant filios quam patres. Tum quia magis laborant circa eorum
generationem portando et pariendo eos, quam patres. Tum etiam quia matres
magis possunt scire, quod sint earum filii quam patres. Et hoc etiam videtur
esse proprium benefactorum, ut scilicet ament beneficiatos inquantum circa
eos laborant. |
|
#1854. — Il confirme cette raison avec l'exemple des mères, qui aiment plus leurs enfants que les pères. Tant parce qu'elles se donnent plus de peine que les pères à les engendrer, en les portant et en les accouchant; tant aussi parce que les mères peuvent plus que les pères savoir qu'ils sont leurs enfants. Cela aussi est manifestement propre aux bienfaiteurs, d'aimer leurs bénéficiaires pour autant qu'ils se donnent de la peine pour eux. |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
[74557] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 1 Dubitatur autem et cetera. Postquam philosophus
determinavit de conservatione et dissolutione amicitiae, et iterum de
amicitiae operibus, hic movet quasdam dubitationes circa amicitiam. Et primo
ex parte amantis. Secundo ex parte amatorum, ibi, utrum igitur quam plurimos
et cetera. Circa primum duo facit. Primo solvit dubitationem de amore amantis
quem habet ad seipsum. Secundo de amore amantis quem habet ad alterum, ibi,
dubitatur autem, et circa felicem et cetera. Circa primum tria facit. Primo
proponit dubitationem. Secundo ostendit eam esse rationabilem, ibi, increpant
enim et cetera. Tertio solvit, ibi, forte igitur tales et cetera. Dicit ergo
primo, quod dubitatio est, utrum oporteat quod aliquis diligat seipsum
maxime, vel aliquem alium magis quam se. |
|
#1855. — Après avoir traité de l'entretien et de la rupture de l'amitié, et aussi des actes de l'amitié, le Philosophe soulève ici quelques difficultés sur l'amitié. En premier, du côté de celui qui aime. En second (1170b20), [du côté] de ceux que l'on aime. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il résout une difficulté sur l'amour que celui qui aime a pour lui-même. En second (1169b3), sur l'amour que celui qui aime a pour un autre. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la difficulté. En second (1168a29), il montre qu'elle est raisonnable. En troisième (1168b12), il la résout. Il dit donc, en premier, qu'il y a difficulté de savoir si l'on doit s'aimer soi-même le plus, ou quelqu'un d'autre plus que soi. |
[74558] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 2 Deinde cum dicit increpant enim etc., ostendit
dubitationem esse rationabilem. Et primo obiicit pro una parte. Secundo pro
alia, ibi, rationibus autem his et cetera. Tertio concludit dubitabilitatem
quaestionis, ibi, dubitatur autem et cetera. Circa primum primo inducit hoc
quod homines increpant illos, qui maxime amant seipsos. Et hoc, quod aliqui
sint amatores sui, reputatur quasi ad malum. |
|
#1856. — Ensuite (1168a29), il montre que la difficulté est raisonnable. En premier, il argumente dans un sens. En second (1168a35), dans l'autre. En troisième (1168b10), il conclut à la réelle difficulté de la question. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il signale ceci, que les gens blâment ceux qui s'aiment surtout eux-mêmes. Et ceci, que des gens soient en amour avec eux-mêmes, est pratiquement considéré comme mauvais. |
[74559] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 3 Secundo ibi: videturque etc., inducit, quod homo pravus
omnia facit propter suam utilitatem; et tanto hoc magis observat quanto peior
est, et quanto hoc magis facit, magis accusatur ab hominibus, velut qui nihil
facit extra seipsum, idest quod sit propter bonum aliorum, sed solum propter
suum. Sed homines virtuosi non agunt solum propter se ipsos, sed magis agunt
propter bonum honestum et propter amicos, propter quae plerumque praetereunt
suas utilitates. |
|
#1857. — En second (1168a30), il signale que l'homme dépravé fait tout pour sa propre utilité, et qu'il se conforme d'autant plus à ceci qu'il est pire. En outre, plus il le fait, plus il est accusé par les gens, du fait de ne rien faire en dehors de lui, c'est-à-dire, qui soit pour le bien d'autrui, mais tout pour le sien. Au contraire, les hommes vertueux n'agissent pas seulement pour eux-mêmes; au contraire, ils réalisent surtout le bien honorable, tant pour eux-mêmes que pour leurs amis. À cause de cela, très souvent ils en oublient leurs avantages. |
[74560] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 4 Deinde cum dicit rationibus autem etc., obiicit pro
parte contraria. Et dicit, quod a praemissis rationibus dissonant opera,
secundum quae homines maxime ostenduntur amare seipsos. Et hoc non
irrationabiliter. Primo quidem, quia sicut communiter homines dicunt, oportet
hominem maxime amare, eum qui maxime est nobis amicus; ille autem est alicui
maxime amicus qui maxime vult ei bonum eius gratia, etiam si nullus alius
sciret. Quae quidem maxime existunt homini ad seipsum. Unusquisque enim
maxime vult sibi bona. Sic ergo patet, quod homo maxime debet amare seipsum. |
|
#1858. — Ensuite (1168a35), il argumente dans le sens contraire. Il dit que les actions sont en discordance avec les raisons qui précèdent, car on y voit les gens s'aimer eux-mêmes le plus. Et ceci, non déraisonnablement. En premier, certes, parce que, comme les gens le disent communément, on doit aimer le plus son meilleur ami. Or celui-là est le meilleur ami de quelqu'un, qui veut le plus son bien, [et qui le veut] pour l'amour de lui, même si personne d'autre ne le savait. Cela, certes, on le trouve surtout, chez un homme, envers lui-même. En effet, c'est son bien que chacun veut le plus pour soi. Ainsi donc, il appert que c'est soi-même que l'on doit aimer le plus. |
[74561] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 5 Secundo ibi: et reliqua etc., inducit pro hac parte id
quod dictum est. Et dicit, quod reliqua omnia quibus determinatur et
definitur quid sit amicus, maxime existunt homini ad se ipsum, unde supra
dictum est quod omnia amicabilia quae considerantur in comparatione ad alios,
proveniunt ex amicabilibus quae patitur homo ad seipsum. |
|
#1859. — En second (1168b4), il signale, en ce sens, ce que l'on a dit plus haut (#1858). Il dit que tout le reste de ce par quoi on fixe et définit ce qu'est un ami se retrouve le plus, chez un homme, envers lui-même, comme on l'a dit plus haut; car toutes les [affections] amicales que l'on considère en rapport à d'autres proviennent d'[affections] amicales que l'on ressent envers soi-même. |
[74562] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 6 Tertio ibi: sed et proverbia etc., inducit ad idem
quaedam proverbia. Et dicit, quod omnia proverbia quae vulgariter dicuntur,
consentiunt in hanc partem, quod homo maxime diligat se ipsum, sicut quod
dicitur unam esse animam duorum amicorum. Et quod, ea quae sunt amicorum sunt
communia. Et quod, amicitia est quaedam aequalitas. Et quod, amicus se habet
ad amicum sicut genu ad tibiam, quae habent maximam propinquitatem. Per haec
autem omnia datur intelligi, quod amicitia in quadam unitate consistit, quae
maxime est alicuius ad seipsum. Et sic omnia praedicta proverbia maxime
verificantur de aliquo respectu suiipsius. Et hoc ideo, quia homo maxime est
amicus sibiipsi, et sic homo maxime debet seipsum amare. |
|
#1860. — En troisième (1168b6), il signale dans le même sens des proverbes. Il dit que tous les proverbes que l'on dit populairement s'entendent avec ce sens, que l'on s'aime le plus soi-même. Comme ce que l'on dit, que deux amis n'ont qu'une âme. Et que les [biens] des amis leur sont communs. Et que l'amitié est une égalité. Et que l'ami entretient avec son ami la relation du genou à la jambe, qui ont la plus grande proximité[59]. Par tout cela, on donne à comprendre que l'amitié consiste en une certaine unité, que l'on retrouve le plus entre quelqu'un et lui-même. Ainsi, tous les proverbes qui précèdent se vérifient le plus de quelqu'un en rapport à soi. La raison en est que l'homme est le plus ami avec soi-même; ainsi on doit s'aimer le plus soi-même. |
[74563] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 7 Deinde cum dicit dubitatur autem etc., concludit
dubitabilitatem quaestionis. Et dicit quod convenienter dubitatur quas
rationes praedictorum sit debitum sequi, cum ambae habeant aliquid credibile.
|
|
#1861. — Ensuite (1168b10), il conclut à la difficulté de la question. Il dit que l'on doute avec convenance quelles raisons on est tenu de suivre, puisque les deux ont quelque chose de crédible. |
[74564] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 8 Deinde cum dicit: forte igitur etc., solvit praemissam
dubitationem. Et primo determinat modum solvendi. Secundo solvit, ibi, in
opprobrium quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod tales sermones,
qui habent rationes probabiles pro utraque parte, oportet distinguere et
determinare quantum ex utraque parte verum dicatur, et in quo. Et sic si
accipiamus qualiter aliquis dicatur amator sui secundum utramque partem
obiectionum, fiet manifestum illud quod quaeritur. |
|
#1862. — Ensuite (1168b12), il résout la difficulté qui précède. En premier, il établit la manière de résoudre. En second (1168b15), il résout. Il dit donc, en premier, qu'avec des raisonnements de cette nature, qui comportent des raisons probables dans les deux sens, il faut distinguer et regarder ce que l'on dit de vrai dans l'un et l'autre sens, et en quoi. Ainsi, si nous regardons de quelle manière on est dit en amour avec soi dans les deux sens des arguments, la vérité que l'on cherche ressortira. |
[74565] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 9 Deinde cum dicit: in opprobrium quidem igitur etc.,
solvit distinguendo praedictam dubitationem. Et primo ostendit qualiter
dicatur amator sui, secundum quod vituperatur. Secundo qualiter dicatur,
secundum quod laudatur, ibi, videbitur autem utique et cetera. Circa primum
duo facit. Primo manifestat propositum. Secundo probat quod dixerat, ibi,
quoniam autem talia et cetera. Dicit ergo primo, quod illi qui in opprobrium
reputant esse amatorem sui, illos vocant sui amatores, qui tribuunt sibiipsis
plus in bonis corporalibus, scilicet in pecuniis, et honoribus, et in
delectationibus corporalibus, quales sunt ciborum et venereorum. Huiusmodi
enim bona multitudo hominum appetit. Et attendunt ad ipsa homines, ac si
essent optima. |
|
#1863. — Ensuite (1168b15), il résout, en apportant des distinctions à la précédente difficulté. En premier, il montre de quelle manière on est dit en amour avec soi, quand on le blâme. En second (1168b28), de quelle manière on le dit, quand on le loue. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste son propos. En second (1168b23), il prouve ce qu'il avait dit. Il dit donc, en premier, que ceux qui jugent digne d'opprobre que l'on soit en amour avec soi, disent en amour avec soi ceux qui s'attribuent plus à eux-mêmes en biens corporels, à savoir, en argent, et en honneurs, et en plaisirs corporels, à savoir, ceux de la nourriture et du sexe. Ce sont des biens de la sorte, en effet, que la multitude des gens désire, et les gens les regardent comme si c'étaient les meilleurs. |
[74566] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 10 Et quia multi quaerunt in his superabundantiam, quam
non possunt omnes simul habere, sequitur, quod circa huiusmodi bona fiant
pugnae et contentiones. Illi autem qui circa talia plus abundant, horum
abundantiam convertunt ad satisfaciendum concupiscentiis, et universaliter
aliis passionibus; et per consequens irrationali parti animae, ad quam
pertinent passiones. Et sic illi, qui talia bona appetunt, amant seipsos
secundum partem animae irrationalem, scilicet sensitivam. Multitudo autem
hominum talis est, quod magis sequitur sensum quam intellectum. Et ideo ipsa
appellatio amantis seipsum, sumpta est ab eo quod est pravum, quod multis
convenit. Et sic patet quod philautus, id est amator sui ipsius,
secundum hanc acceptionem prout in pluribus invenitur, iuste exprobratur. |
|
#1864. — Comme beaucoup recherchent en ces [biens] une extrême abondance que tous ne peuvent avoir ensemble, il s'ensuit que des combats et des luttes se font à propos de tels biens. Par ailleurs, ceux qui abondent le plus en de tels [biens] tournent leur abondance à la satisfaction de leurs désirs et, universellement, de leurs autres passions; et, par conséquent, de la partie irrationnelle de leur âme, à laquelle appartiennent les passions. Et ainsi, ceux qui désirent des biens de cette nature s'aiment eux-mêmes selon la partie irrationnelle, à savoir, sensible, de leur âme. En somme, la multitude des gens est de nature à suivre plus le sens que l'intelligence. C'est pourquoi l'appellation même de celui qui est en amour avec lui-même est empruntée à ce qui est dépravé, qui convient à beaucoup. Ainsi, égoïste [60], c'est-à-dire, en amour avec soi-même, dans cette acception où cela convient au grand nombre, est blâmé avec justice. |
[74567] Sententia Ethic., lib. 9 l. 8 n. 11 Deinde cum dicit: quoniam autem etc., probat quod
dixerat. Et dicit manifestum esse quod multi consueverunt illos dicere philautos,
idest amatores suiipsorum, qui plus tribuunt sibi de bonis praedictis, quae
pertinent ad partem irrationalem; quia si aliquis velit superabundare in
bonis rationis, quae sunt opera virtutum, puta si velit inter alios maxime
agere opera iustitiae vel temperantiae vel quaecumque alia virtutis opera,
ita quod semper velit sibi bonum honestum acquirere, nullus de praedicta
multitudine vocabit eum philautum, idest amatorem sui; vel si aliquis
sapiens vocet eum philautum, hoc non dicet in eius vituperium. |
|
#1865. — Ensuite (1168b23), il prouve ce qu'il avait dit. Il dit qu'il est manifeste que beaucoup ont coutume d'appeler égoïstes, c'est-à-dire, en amour avec eux-mêmes, ceux qui s'attribuent plus à eux-mêmes des biens dont on a parlé, qui relèvent de la partie irrationnelle; car si on veut abonder à l'extrême dans les biens de la raison, qui sont les actes des vertus, par exemple, si on veut poser le plus, entre tous les autres, les actes de la justice, ou de la tempérance, ou n'importe quels autres actes d'une vertu, de sorte que l'on veuille toujours acquérir pour soi le bien honorable, personne de la multitude dont on a parlé ne l'appellera égoïste, c'est-à-dire, en amour avec soi; et si un sage l'appelle égoïste, il ne le dira pas pour le blâmer. |
|
|
|
Lectio
9 |
|
Leçon 9
|
[74568] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 1 Videbitur autem utique talis et cetera. Postquam
philosophus ostendit qualiter dicatur aliquis amator sui secundum quod est
exprobrabile, hic ostendit qualiter aliquis dicatur amator sui secundum quod
est laudabile. Et circa hoc duo facit. Primo ostendit esse quemdam modum quo
aliquis est amator sui, alium a praedicto. Secundo ostendit quod secundum
hunc modum esse amatorem sui est laudabile, ibi, circa bonas quidem igitur et
cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit illum esse amatorem sui qui
sibi tribuit abundantiam bonorum rationis. Secundo ostendit quod virtuosus
est talis, ibi quoniam quidem igitur et cetera. Tertio ostendit hunc modum
amandi se esse differentem a praemisso, ibi, secundum alteram speciem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit quod
talis, qui scilicet studet excellere in operibus virtutis, magis videtur esse
philautus, idest amator sui, quam ille qui tribuit sibi
superabundantiam bonorum sensibilium. |
|
#1866. — Après avoir montré de quelle manière on est dit en amour avec soi en un sens vitupérable, le Philosophe montre ici de quelle manière on est dit en amour avec soi en un sens louable. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il y a une manière dont on est en amour avec soi, différente de celle dont on a parlé. En second (1169a6), il montre que, de cette manière, être en amour avec soi est louable. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que celui-là est en amour avec soi, qui s'attribue en abondance les biens de raison. En second (1169a2), il montre que le vertueux est tel. En troisième (1169a4), il montre que cette manière de s'aimer est différente de la précédente. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que celui qui est de nature à s'efforcer d'exceller dans les actions de vertu est manifestement davantage égoïste, c'est-à-dire, en amour avec soi, que celui qui s'attribue en extrême abondance les biens sensibles. |
[74569] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 2 Secundo ibi: tribuit enim etc., probat propositum
duabus rationibus. Quarum prima est quia tanto aliquis magis amat seipsum,
quanto maiora bona sibi attribuit. Sed ille qui studet superexcedere in
operibus virtutis, tribuit sibi optima, quae scilicet sunt maxime bona,
scilicet bona honesta. Ergo talis maxime diligit seipsum. |
|
#1867. — En second (1168b29), il prouve son propos avec deux raisons. La première en est que l'on s'aime d'autant plus soi-même que l'on s'attribue des biens meilleurs. Or celui qui s'efforce d'exceller dans les actions de vertu s'attribue les meilleurs, les biens qui sont les meilleurs, à savoir, les biens honorables. Donc, c'est quelqu'un de tel qui s'aime lui-même le plus. |
[74570] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 3 Secundam rationem ponit ibi: et largitur et cetera.
Quia scilicet talis largitur bona ei quod est principalissimum in ipso,
scilicet intellectui. Et facit quod omnes partes animae intellectui
oboediunt; tanto autem aliquis magis amat se ipsum quanto magis amat id quod
est principalius in eo. Et ita patet quod ille qui vult superexcellere in
operibus virtutis maxime amat seipsum. |
|
#1868. — Il présente ensuite la seconde raison (1168b30), que quelqu'un de cette nature prodigue des biens à ce qui est le principal en lui-même, à savoir, à son intelligence. Il fait que toutes les parties de son âme obéissent à son intelligence. Or on aime d'autant plus une chose que l'on aime plus ce qui est le principal en elle. Ainsi appert-il que celui qui veut exceller à l'extrême dans les actes de vertu s'aime le plus lui-même. |
[74571] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 4 Tertio ibi, quemadmodum autem etc., probat quod
supposuerat: scilicet quod ille qui amat id quod est principalissimum in ipso
scilicet intellectum vel rationem, maxime amat seipsum. Et hoc ostendit
tribus rationibus. Quarum prima est, quod civitas maxime videtur esse id quod
est principalissimum in ea, unde illud quod faciunt in ea rectores civitatis
dicitur tota civitas facere, et eadem ratio est de omni alia re ex pluribus
constituta. Unde et homo maxime est id quod est principale in eo, scilicet
ratio vel intellectus; et sic ille qui diligit intellectum vel rationem et ei
largitur bona, maxime videtur esse philautus, idest amator sui. |
|
#1869. — En troisième (1168b31), il prouve ce qu'il avait supposé, à savoir, que celui qui aime ce qui est le principal en lui-même, à savoir, son intelligence ou sa raison, s'aime le plus lui-même. Et il le montre avec trois raisons. La première en est que la cité est manifestement le plus ce qui est le principal en elle. Aussi, ce que font en elle les gouvernants de la cité, on dit que toute la cité le fait. La même raison vaut de toute autre chose constituée de plusieurs [éléments]. Aussi, même l'homme est le plus ce qui est principal en lui, à savoir, sa raison ou son intelligence. Ainsi, celui qui aime son intelligence ou sa raison et lui prodigue les biens est manifestement le plus égoïste, c'est-à-dire, le plus en amour avec soi. |
[74572] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 5 Secundam rationem ponit ibi: et continens et cetera.
Dicitur enim aliquis continens quasi se tenens et incontinens quasi se non
tenens, et hoc inquantum homo retinet intellectum sedendo (ad) eius iudicium
per continentiam vel non retinet per incontinentiam, quasi unusquisque homo
sit hoc, idest suus intellectus. Et ita videtur quod ille homo vere se
amet qui amat intellectum. |
|
#1870. — Il présente ensuite la seconde raison (1168b34). On appelle quelqu'un continent, en effet, en ceci qu'il se tient, et incontinent, en ceci qu'il ne se tient pas. Et cela dans la mesure où l'on retient l'intelligence, en en restant à son jugement, ou qu'on ne [la] retient pas, par incontinence, en ceci que chacun est cela, c'est-à-dire, son intelligence. De sorte qu'il semble bien que cet homme-là s'aime vraiment, qui aime son intelligence. |
[74573] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 6 Tertiam rationem ponit ibi, et egisse videntur et
cetera. Et dicit, quod illa quae homines faciunt per rationem maxime videntur
ipsimet fecisse et voluntarie facta esse: quae autem homo facit per
concupiscentiam vel iram quasi non videtur ipse fecisse propria voluntate,
sed extraneo motu ductus. Et sic patet quod homo est praecipue id quod est
secundum intellectum et rationem. Unde maxime se amat, quando amat
intellectum et rationem. |
|
#1871. — Il présente ensuite la troisième raison (1168b35). Il dit que ce que les gens font par raison, c'est cela surtout qu'ils ont fait eux-mêmes et qui a été fait volontairement, tandis que ce que l'on fait par désir ou colère, on a presque l'air de ne pas l'avoir fait soi-même, de sa propre volonté; on paraît plutôt avoir été mené par un mouvement étranger. Ainsi appert-il que l'on est principalement ce qui va en conformité avec son intelligence et sa raison. Aussi, on s'aime le plus quand on aime son intelligence et sa raison. |
[74574] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 7 Deinde cum dicit: quoniam quidem igitur etc., ostendit
cui competit secundum praedictum modum esse amatorem sui. Et dicit,
manifestum esse ex praedictis, quod unusquisque est hoc, scilicet
intellectus vel ratio. Vel quia aliqua alia concurrunt ad esse hominis,
potest dici quod homo maxime est hoc, scilicet intellectus vel ratio,
quia hoc est formale et completivum speciei humanae. Manifestum est etiam
quod virtuosus maxime diligit hoc, scilicet intellectum et rationem,
quia totaliter conservat ipsum et in omnibus obedit ei. Unde manifestum est
quod virtuosus maxime est philautus, id est amator sui. |
|
#1872. — Ensuite (1169a2), il montre à qui il appartient, de la manière dont on vient de parler, d'être en amour avec soi. Il dit qu'il est manifeste, à partir de ce que l'on a dit, que chacun est cela, à savoir, son intelligence ou sa raison. Ou bien, comme d'autres choses concourent à l'être de l'homme, on peut dire que l'homme est surtout cela, c'est-à-dire, son intelligence ou sa raison, parce que cela forme et complète la nature humaine. Il est manifeste, aussi, que le vertueux aime le plus cela, à savoir, l'intelligence et la raison, parce qu'il la conserve totalement et lui obéit en tout. Aussi est-il manifeste que le vertueux est égoïste, c'est-à-dire, en amour avec soi. |
[74575] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 8 Deinde cum dicit secundum alteram speciem etc.,
ostendit hunc modum amandi se, differre specie a praemisso. Et dicit quod
virtuosus est amator sui secundum alteram speciem amandi se ab eo quod
exprobratur, ut supra dictum est. Et assignat duas differentias: quarum una
est ex parte actionis. Virtuosus enim amat seipsum inquantum vivit secundum
rationem. Sed ille qui vituperatur vivit secundum passionem. Sequitur enim
passiones irrationabilis animae, ut supra dictum est. Alia vero differentia
est ex parte finis. Nam virtuosus amat se ipsum in quantum sibi appetit id
quod est simpliciter bonum, ille autem qui vituperatur amat seipsum,
inquantum appetit sibi id quod apparet bonum utile, cum tamen sit nocivum. |
|
#1873. — Ensuite (1169a4), il montre que cette manière de s'aimer diffère en espèce de la précédente. Il dit que le vertueux est en amour avec soi d'après une espèce de s'aimer soi-même qui est différente de celle selon laquelle on est réprouvé, comme on l'a dit plus haut (#1863-1865). Il assigne deux différences, dont l'une vient du côté de l'action. En effet, le vertueux s'aime lui-même en tant qu'il vit en conformité avec la raison, tandis que celui que l'on blâme vit en conformité avec la passion, car il suit les passions de l'âme irrationnelle, comme on l'a dit plus haut (#1864). Il y a une autre différence, par ailleurs, du côté de la fin. En effet, le vertueux s'aime soi-même en tant qu'il désire pour lui ce qui est bon absolument, tandis que celui que l'on blâme s'aime lui-même en tant qu'il désire pour lui ce qui lui paraît bon sur le plan de l'utilité. |
[74576] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 9 Deinde cum dicit: circa bonas quidem igitur actiones
etc., ostendit quod amare seipsum hoc secundo modo est laudabile. Et primo
ostendit propositum. Secundo excludit ab eo qui secundo modo amat seipsum id
propter quod amator sui vituperatur, ibi: verum enim quod de studioso et
cetera. Circa primum tria facit. Primo ostendit, quod ille qui amat seipsum
secundum rationem est laudandus. Talis enim, ut dictum est, ad hoc studet, ut
superexcellat in operibus virtutum. Manifestum
est autem quod omnes acceptant et laudant illos qui student ad bonas actiones
differenter ab aliis, idest superabundantius aliis: et sic patet quod ille
qui amat se secundum virtutem est laudabilis. |
|
#1874. — Ensuite (1169a6), il montre que s'aimer soi-même de cette seconde manière est louable. En premier, il montre son propos. En second (1169a18), il exclut de celui qui s'aime lui-même de la seconde manière ce pourquoi, en amour avec soi, on est blâmé. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que celui qui s'aime lui-même en conformité avec la raison est à louer. En effet, quelqu'un de tel, comme on l'a dit (#1867), s'efforce d'exceller à l'extrême dans les actes des vertus. Or il est manifeste que tous acceptent et louent ceux qui s'efforcent aux bonnes actions différemment des autres, c'est-à-dire, en plus extrême abondance que les autres; et ainsi, il appert que celui qui s'aime en conformité avec la vertu est louable. |
[74577] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 10 Secundo ibi: omnibus autem etc., ostendit quod etiam
est utilis et sibi et aliis. Dictum enim est quod ille qui amat se ipsum
secundum virtutem studet superexcellenter bene agere. Si autem omnes
contenderent ad bonum, ita scilicet quod unusquisque intenderet excellere
alium in bonitate optime agendo, sequeretur quod omnes communiter haberent ea
quibus indigent; quia unus alteri subveniret, et propria uniuscuiusque
fierent illa quae sunt maxima bonorum, scilicet virtutes. |
|
#1875. — En second (1169a8), il montre qu'en plus, il est utile et à soi et aux autres. On a dit, en effet, que celui qui s'aime lui-même en conformité avec la vertu s'efforce de bien agir en extrême excellence. Or si tous luttaient pour le bien, de manière que chacun cherche à dépasser l'autre en agissant avec la plus grande bonté, il s'ensuivrait que tous auraient communément ce dont ils ont besoin, car l'un subviendrait à l'autre et les biens propres de chacun deviendraient ceux qui sont le plus des biens, à savoir, les vertus. |
[74578] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 11 Tertio ibi: quare bonum etc., infert duo corollaria ex
praedictis. Quorum primum est oportunum esse quod bonus amet se ipsum, quia
bona agendo et se et alios iuvabit. Sed non oportet quod malus amet seipsum;
quia sequendo pravas passiones, et seipsum laedet privando se virtutibus, et
proximos privando eos bonis sensibilibus. |
|
#1876. — En troisième (1169a11), il infère deux corollaires de ce qui a été dit. Le premier en est qu'il est très bien que l'homme bon s'aime lui-même, parce qu'en réalisant des biens, il aidera et soi et d'autres. Mais il ne faut pas que le mauvais s'aime lui-même, parce qu'en poursuivant ses passions dépravées, il se fera du mal à lui-même, en se privant des vertus, et [en fera] à ses proches, en les privant des biens sensibles. |
[74579] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 12 Secundo ponit ibi, malo quidem igitur et cetera. Dicit
quod in malo homine contraria sunt ea quae agit et quae oportet ipsum agere.
Agit enim contra intellectum et rationem. Omnis autem intellectus eligit id
quod est optimum sibiipsi. Et ita malus non agit ea quae oportet ipsum agere.
Sed hoc convenit virtuoso qui in omnibus obedit intellectui. |
|
#1877. — Il présente ensuite le second (1169a15). Il dit que, chez un homme mauvais, c'est le contraire qu'il agit et qu'il doit agir. En effet, il agit contre son intelligence et sa raison. Or toute intelligence choisit ce qui est le mieux pour soi. Ainsi, le mauvais ne fait pas ce qu'il doit faire. Mais cela convient au vertueux, qui en tout, obéit à son intelligence. |
[74580] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 13 Deinde cum dicit verum enim quod de studioso etc.,
excludit ab eo qui amat se secundum virtutem id quod supra positum est in
accusationem amantis seipsum, scilicet quod nihil facit propter alium. Et
circa hoc tria facit. Primo proponit quod intendit. Secundo manifestat
propositum, ibi, paucum enim tempus et cetera. Tertio epilogando concludit
veritatem quaestionis, ibi, sic quidem igitur et cetera. Dicit ergo primo,
verum esse quod dicitur de virtuoso, quod multa faciet gratia amicorum et
prime, id est maxime inter omnes alios, et etiam si oporteat eum mori, non
deseret amicum. Pecunias vero et honores et omnia exteriora bona circa quae
homines pugnant quasi proiiciet et contemnet propter amicum: per quae omnia
procurat sibiipsi bonum, scilicet honestum quod est eminentius. Unde
et in hoc etiam magis amat seipsum, quod sibi maius bonum procurat. |
|
#1878. — Ensuite (1169a18), il exclut de celui qui s'aime en conformité à la vertu ce qui a été mentionné plus haut (#1855-1865), dans l'accusation de celui qui s'aime lui-même, à savoir, qu'il ne fait rien pour autrui. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente son intention. En second (1169a22), il manifeste son propos. En troisième (1169b1), il conclut, sous forme d'épilogue, la vérité de la question. Il dit donc, en premier, que c'est vrai, ce qui est dit du vertueux, qu'il fera bien des [choses] en vue de ses amis et de sa patrie, c'est-à-dire, le plus parmi tous les autres. Même s'il faut qu'il meure, il n'abandonnera pas un ami. Son argent, par ailleurs, et ses honneurs, et tous les autres biens extérieurs pour lesquels les gens se battent, il les rejettera presque et les méprisera pour un ami; et par tout cela, il se procure un bien, à savoir, l'honorable, qui est le plus éminent. Aussi, même en cela, il s'aime plus soi-même, et se procure le plus le bien. |
[74581] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 14 Deinde cum dicit paucum enim tempus etc., manifestat
quod dixerat. Et primo quantum ad mortem quam virtuosus sustinet pro amico.
Secundo quantum ad hoc quod propter amicum contemnit exteriora bona, ibi, et
pecunias et cetera. Tertio quantum ad actiones virtuosas quas quandoque
virtuosus amico concedit, ibi, contingit autem et cetera. Dicit ergo primo,
quod ideo moriens pro amico procurat sibiipsi bonum, quia magis eligit per
paucum tempus multum delectari in magno opere virtutis, quam per multum tempus
quiete, idest mediocriter delectari in mediocribus operibus virtutis. |
|
#1879. — Ensuite (1169a22), il manifeste ce qu'il avait dit. En premier, quant à la mort que le vertueux supporte pour un ami. En second (1169a26), quant à ce que, pour un ami, il méprise les biens extérieurs. En troisième (1169a32), quant à des actions vertueuses que, parfois, le vertueux concède à un ami. Il dit donc, en premier, que la raison pour laquelle il se procure à lui-même un bien en mourant pour son ami, c'est qu'il choisit de prendre beaucoup de plaisir pour peu de temps à un grand acte de vertu, plutôt que de prendre pour beaucoup de temps un plaisir tranquille, c'est-à-dire, ordinaire, dans des actes ordinaires de vertu. |
[74582] Sententia
Ethic., lib. 9 l. 9 n. 15 Et magis eliget excellenter
bene vivere per unum annum, quam per multos annos mediocriter. Et similiter etiam magis eliget unam actionem bonam et
magnam, quam multas bonas et parvas. Hoc autem accidit his qui moriuntur
propter virtutem; quia licet minus vivant, in una tamen sola actione, qua se
pro amico exponunt, maius bonum faciunt, quam in aliis multis actionibus. Et
ita in hoc quod se exponunt morti pro amicis virtuose agendo, magnum bonum
sibiipsis eligunt. Et in hoc manifestum est quod maxime se amant. |
|
#1880. — De plus, il choisira plutôt de vivre de manière excellente pendant une année, qu'ordinairement pendant bien des années. Pareillement aussi, il chosira plutôt une action bonne et grande que beaucoup de bonnes et petites. Or c'est cela qui arrive chez ceux qui meurent pour la vertu, car, bien qu'ils vivent moins, cependant, dans une seule action, par laquelle ils s'exposent pour un ami, ils font un bien plus grand que dans beaucoup d'autres actions. Ainsi, en ce qu'ils s'exposent à la mort pour des amis, en agissant avec vertu, ils choisissent pour eux-mêmes un grand bien. Et en cela, il est manifeste qu'ils s'aiment le plus. |
[74583] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 16 Deinde cum dicit: et pecunias etc., manifestat idem
quantum ad contemptum exteriorum bonorum. Et primo quantum ad pecuniam. Et
dicit quod virtuosi causa amicorum proiiciunt, idest contemnunt vel
dispergunt pecunias, ita scilicet quod eorum amici plura circa pecunias
accipiant, et in hoc etiam magis se amant secundum veritatem. Dum enim
aliquis pecuniam concedit amico et sibiipsi acquirit bonum honestum,
manifestum est quod maius bonum sibiipsi attribuit, et hic magis se amat. |
|
#1881. — Ensuite (1169a26), il manifeste la même [chose] quant au mépris des biens extérieurs. En premier, quant à l'argent. Il dit que les vertueux renoncent, pour leurs amis, c'est-à-dire, méprisent ou dissipent leur argent, de sorte que leurs amis reçoivent plus en matière d'argent. En cela aussi, ils s'aiment plus en vérité. En effet, pendant que l'on concède de l'argent à un ami et que l'on acquière pour soi un bien honorable, il est manifeste que l'on s'attribue plus de bien à soi-même, et qu'on s'aime plus. |
[74584] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 17 Secundo ibi: et circa honores etc., ostendit idem circa
honores et dignitates. Et dicit quod eodem modo se habet circa honores et
principatus: omnia enim haec virtuosus de facili derelinquet amico, quia hoc
ipsum est quoddam bonum: (id est) opus virtutis et laudabile. Et sic patet
quod virtuosus convenienter facit pro omnibus: (id est) loco omnium
exteriorum bonorum, eligens bonum virtutis, quod est maximum, et sic maxime
diliget se ipsum. |
|
#1882. — En second (1169a29), il montre la même [chose], quant aux honneurs et quant aux dignités. Il dit qu'il en va de la même manière pour les honneurs et les commandements: en effet, tout cela, le vertueux l'abandonne facilement pour un ami, parce que cela même est une bonne action de vertu et louable. Ainsi, il appert que le vertueux agit avec convenance, en choisissant, au lieu de tous les biens extérieurs, le bien de la vertu, qui est grand; et ainsi, il s'aime le plus. |
[74585] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 18 Deinde cum dicit: contingit autem etc., ostendit idem
quantum ad ipsas actiones virtutis. Et dicit, quod contingit quandoque quod
virtuosus etiam actiones virtuosas concedat suo amico: puta si sit aliquod
opus virtutis faciendum per ipsum vel per alterum, concedit quod fiat per
amicum, ut ex hoc proficiat et laudetur. Et tamen in hoc etiam accipit sibi
id quod est melius. Melius est enim et magis virtuosum, quod ipse sit causa
amico suo talia faciendi, quam etiam si ipse facit, praesertim cum sibi
remaneat opportunitas, alias talia vel maiora faciendi. Sic igitur patet quod
virtuosus plus sibi tribuit de bono quantum ad omnia laudabilia, et sic
maxime amat seipsum. |
|
#1883. — Ensuite (1169a32), il montre la même [chose], quant aux actions mêmes de vertu. Il dit qu'il arrive parfois que le vertueux concède même des actions vertueuses à un ami. Par exemple, s'il faut faire une action de vertu pour lui ou pour autrui, il concède qu'elle soit faite par un ami, de façon qu'il en profite et en soit loué. Cependant, en cela aussi, il prend pour lui ce qui est mieux. Il est mieux, en effet, et plus vertueux, que l'on soit cause pour un ami qu'il fasse des [choses] de cette nature, plutôt que de les faire soi-même; surtout quand reste l'opportunité de faire d'autres [actions] de cette nature ou de plus grandes. Ainsi donc, il appert que le vertueux s'attribue plus de bien quant à tout ce qui est louable, et qu'ainsi il s'aime lui-même le plus. |
[74586] Sententia Ethic., lib. 9 l. 9 n. 19 Ultimo autem epilogando concludit, quod oportet esse
amatorem sui sic, sicut dictum est de virtuoso; non autem sicut multi
homines, qui scilicet non sunt virtuosi, amant seipsos. |
|
#1884. — En dernier, il conclut, sous forme d'épilogue, qu'il faut être en amour avec soi de cette manière, comme on l'a dit du vertueux; mais non comme la plupart des gens, qui ne sont pas vertueux, s'aiment eux-mêmes. |
|
|
|
Lectio
10 |
|
Leçon 10
|
[74587] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 1 Dubitatur autem et circa felicem et cetera. Postquam
philosophus solvit quaestionem quae movebatur ex parte amantis respectu
suiipsius, hic solvit dubitationem quae movetur ex parte amantis respectu
alterius. Et primo proponit dubitationem. Secundo ostendit dubitationem esse
rationabilem, ibi, nihil enim aiunt et cetera. Tertio solvit, ibi, quid
igitur et cetera. Dicit ergo primo, quod dubitatio est circa felicem, utrum
indigeat amicis vel non. |
|
#1885. — Après avoir examiné et résolu la question soulevée du côté de celui qui aime, en regard de lui-même, le Philosophe résout ici la difficulté soulevée du côté de celui qui aime, en regard d'autrui. En premier, il présente la difficulté. En second (1169b4), il montre que la difficulté est raisonnable. En troisième (1169b22), il la résout. Il dit donc, en premier, qu'il y a difficulté [de savoir], à propos de l'[homme] heureux, s'il a besoin d'amis ou non. |
[74588] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 2 Deinde cum dicit nihil enim aiunt etc., ostendit
dubitationem esse rationabilem, obiiciendo ad utramque partem. Et primo
obiicit ad partem negativam. Secundo ad partem affirmativam, ibi, assimilatur
autem et cetera. Circa primum obiicit dupliciter. Primo quidem per rationem.
Dicunt enim quidam, quod beati, cum sint sibi per se sufficientes, non
indigent amicis. Cum enim omnia bona ipsis existant habentes per se bonorum
sufficientiam, nullo alio videntur indigere. Amicus autem videtur esse
necessarius, quia cum sit alter ipse, tribuit ea quae homo per seipsum habere
non potest; et sic videtur quod (felix) sive beatus non indigeat amicis. |
|
#1886. — Ensuite (1169b4), il montre que la difficulté est raisonnable, en argumentant dans les deux sens. En premier, il argumente dans le sens négatif. En second (1169b8), dans le sens affirmatif. Sur le premier [point], il argumente de deux manières. En premier, certes, avec une raison, car certains disent que les [gens] heureux, comme ils se suffisent à eux-mêmes, n'ont pas besoin d'amis. Comme, en effet, ils ont par eux-mêmes de tous les biens, et en suffisance, ils paraissent bien n'avoir besoin de rien d'autre. Et de fait, un ami paraît nécessaire pour autant que, comme il est un autre soi-même, il fournit ce que l'on ne peut pas avoir par soi-même. Ainsi semble-t-il que l'[homme] heureux n'ait pas besoin d'amis. |
[74589] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 3 Secundo ibi: unde: cum Daemon etc., inducit ad idem
quoddam proverbium quod tempore gentilium dicebatur, scilicet quod cum Daemon
aliquid boni det, non est opus amicis. Ponebant enim gentiles, et maxime
Platonici, hunc esse providentiae ordinem quod res humanae mediantibus
Daemonibus per divinam providentiam gubernarentur; Daemonum tamen dicebant
quosdam esse bonos et quosdam malos; est ergo sensus proverbii quod, cum per
divinam providentiam homini proveniunt bona, sicut videtur contingere
felicibus, non indiget homo humano auxilio amicorum. |
|
#1887. — En second (1169b7), il apporte à l'appui de la même [chose] un proverbe qui se disait, au temps des gentils: «Quand le génie est généreux, il n'y a pas besoin d'amis.»[61] En effet, les gentils prétendaient, et surtout les Platoniciens, que l'ordre de la providence était de nature à ce que les choses humaines fussent gouvernées par la divine providence par l'intermédiaire de démons; parmi les démons, cependant, on disait qu'il y en avait de bons et de mauvais. |
[74590] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 4 Deinde cum dicit assimilatur autem etc., obiicit ad
partem contrariam tribus rationibus. Videtur enim esse inconveniens, quod
omnia exteriora bona dentur felici, et amici non sibi dentur, cum tamen
amicus sit aliquid maximum inter exteriora bona. |
|
#1888. — Ensuite (1169b8), il argumente en sens contraire, avec trois raisons. [Il présente la première raison.] Il est manifestement inconvenant, en effet, que l'on accorde tous les biens extérieurs à l'[homme] heureux, et qu'on ne lui accorde pas d'amis, quand, pourtant, un ami est ce qu'il y a de plus grand parmi les biens extérieurs. |
[74591] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 5 Secundam rationem ponit ibi: sique amici et cetera. Et
circa hoc duo facit. Primo ponit rationem. Ut enim supra dictum est: magis
pertinet ad amicum benefacere, quam benepati. Proprium autem est virtutis
benefacere. Felicitas autem consistit in operatione virtutis, ut in primo
dictum est. Et sic necesse est felicem
esse virtuosum, et per consequens, quod benefaciat. Melius autem est quod
homo benefaciat amicis quam extraneis, ceteris paribus; quia hoc homo
delectabilius et promptius facit. Ergo felix cum sit virtuosus indiget
amicis, quibus benefaciat. |
|
#1889. — Il présente ensuite la seconde raison (1169b10). À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la raison. En effet, on l'a dit, plus haut (#1840), il appartient plus à l'ami de faire du bien que de s'en faire faire. Par ailleurs, le propre de la vertu est de faire le bien. De plus, le bonheur consiste en une action de vertu, comme on l'a dit au premier [livre] (#127-128). Ainsi est-il nécessaire que l'[homme] heureux soit vertueux et, par conséquent, fasse du bien. Or il est mieux de faire du bien à des amis qu'à des étrangers, le reste se trouvant pareil, car on le fait avec plus de plaisir et de promptitude. Donc, l'[homme] heureux, comme il est vertueux, a besoin d'amis à qui faire du bien. |
[74592] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 6 Secundo ibi, propter quod et quaeritur etc., concludit
ex praemissis quamdam dubitationem: utrum scilicet homo magis indigeat amicis
in bonis fortunis, quam (in) infortuniis: in utraque enim fortuna videtur
homo indigere amicis; infortunatus enim indiget amicis, qui ei benefaciant,
sed bene fortunatus indiget amicis quibus ipse benefaciat. Hanc autem
dubitationem inferius prosequetur. |
|
#1890. — En second (1169b13), il conclut de ce qui précède une difficulté: est-ce que l'on a davantage besoin d'amis dans la bonne fortune que dans l'infortune? En effet, dans l'une et l'autre fortune, on paraît avoir besoin d'amis; car l'infortuné a besoin d'amis qui lui fassent du bien, mais le fortuné, d'amis à qui lui-même fasse du bien. On poursuivra sur cette difficulté plus bas (#1925-1943). |
[74593] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 7 Tertiam rationem ponit ibi, inconveniens autem et
cetera. Et dicit, quod hoc videtur esse inconveniens, quod beatus sit
solitarius. Hoc enim est contra communem omnium electionem: nullus enim
eligeret ut semper viveret secundum se ipsum, scilicet solus, etsi
omnia alia bona haberet; quia homo naturaliter est animal politicum et aptus
natus convivere aliis. Quia igitur felix habet ea quae sunt naturaliter bona
homini, conveniens est quod habeat cum quibus convivat. Manifestum est autem,
quod melius est ipsum convivere amicis et virtuosis, quam extraneis et
quibuscumque. Sic ergo manifestum est, quod felix indiget amicis. |
|
#1891. — Il présente ensuite la troisième raison (1169b16). Il dit que cela est manifestement inconvenant, que l'[homme] heureux soit solitaire. En effet, cela va contre tout choix de tous. Car personne ne choisirait de toujours vivre par lui-même, c'est-à-dire, tout seul, même une fois qu'il aurait tous les autres biens, parce que l'homme est naturellement un animal politique et apte de nature à vivre avec d'autres. Comme, donc, l'[homme] heureux possède ce qui est naturellement bon à l'homme, il s'ensuit qu'il ait des [gens] avec qui vivre. Or il est manifeste qu'il est mieux de vivre avec des amis et des [gens] vertueux qu'avec des étrangers et des [gens] quelconques. Ainsi donc, il est manifeste que l'[homme] heureux a besoin d'amis. |
[74594] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 8 Deinde cum dicit: quid igitur dicunt etc., solvit
praedictam dubitationem. Et primo ostendit, quomodo verum dicant qui negant felicem
indigere amicis. Secundo quomodo dicant falsum, ibi, hoc autem non est et
cetera. Dicit ergo primo, quod cum probatum sit, quod felix indigeat amicis,
oportet considerare, quid sit quod primi dicunt, negantes felicem indigere
amicis, et quantum ad quid verum dicant. |
|
#1892. — Ensuite (1169b22), il résout la difficulté annoncée. En premier, il montre de quelle manière disent vrai ceux qui nient que l'[homme] heureux ait besoin d'amis. En second (1169b28), de quelle manière ils disent faux. Il dit donc, en premier, que, comme on a prouvé (#1888-1891) que l'[homme] heureux a besoin d'amis, il faut regarder qu'est-ce que c'est que les premiers disent, en niant que l'[homme] heureux a besoin d'amis, et en rapport à quoi de vrai ils le disent. |
[74595] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 9 Circa quod considerandum est quod multi existimant
illos esse amicos, qui sunt eis utiles in collatione exteriorum bonorum, quae
sola populares homines cognoscunt. Talibus ergo amicis non indiget beatus,
quia sufficit sibi in bonis quae habet. Similiter etiam non indiget amicis
propter delectabile, nisi parum, inquantum scilicet in conversatione humana
necesse est quandoque uti ludicris ad quietem, sicut in quarto dictum est.
Felicis enim vita cum sit delectabilis secundum seipsam, ut in primo dictum
est, non indiget superinducta delectatione, propter quam sint sibi necessarii
amici. Et, cum non indigeat talibus amicis, scilicet utilibus et
delectabilibus, videtur non indigere amicis. |
|
#1893. — À ce [sujet], on doit tenir compte que beaucoup pensent que ceux-là sont leurs amis, qui leur sont utiles, surtout dans la cueillette des biens extérieurs, les seuls que les gens du peuple connaissent. De tels amis, donc, l'[homme] heureux n'en a pas besoin, parce qu'il se suffit à lui-même avec les biens qu'il a. Pareillement aussi, il n'a pas besoin d'amis pour le plaisir, sauf un peu, en tant qu'il est nécessaire, dans les rencontres humaines, d'user de jeux pour le repos, comme on l'a dit au quatrième [livre] (#844-845). En effet, la vie heureuse, puisqu'elle est plaisante en elle-même, comme on l'a dit au premier [livre] (#145), n'a pas besoin de plaisir surajouté, pour lequel seraient absolument nécessaires des amis. Comme [l'homme heureux] n'a pas besoin d'amis de cette nature, à savoir, d'utilité et de plaisir, il semble bien ne pas avoir besoin d'amis. |
[74596] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 10 Deinde cum dicit: hoc autem non est forte verum etc.,
ostendit non esse omnino verum quod dicunt. Et primo hoc ostendit quibusdam rationibus
moralibus. Secundo per quamdam rationem magis naturalem, ibi, naturalius
autem intendentibus et cetera. Circa primum ponit tres rationes, primo dicens
non esse verum quod dictum est, scilicet quod si felix non indiget amicis
utilibus et delectabilibus, quod propter hoc non indigeat amicis. Sunt enim
amici quidam propter virtutem quibus indiget. Cuius prima ratio est, quia
sicut in primo dictum est, felicitas est operatio quaedam. |
|
#1894. — Ensuite (1169b28), il montre que ce qui est dit n'est pas tout à fait vrai. En premier, il montre cela avec des raisons morales. En second (1170a13), avec une raison plus naturelle. Sur le premier [point], il présente trois raisons. En premier, que ce que l'on a dit n'est pas vrai, à savoir, que si l'[homme] heureux n'a pas besoin d'amis d'utilité et de plaisir, pour cette [raison], il n'a pas besoin d'amis. Ce sont, en effet, d'amis pour la vertu dont il a besoin. La première raison en est que, comme on l'a dit au premier [livre] (#144, 145, 180, 1267), le bonheur est une action. |
[74597] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 11 Manifestum est autem, quod operatio consistit in fieri
et non est quiddam existens ad modum rerum permanentium, sicut si esset
aliqua possessio, qua habita, esset homo felix, ita quod non oporteret eum
aliquid operari. Sed esse felicem consistit in vivere et operari continue.
Oportet autem, quod operatio boni viri sit bona et delectabilis secundum
seipsam, quia est per se bona, sicut in primo libro dictum est. Est autem
operatio bona inter delectabilia proprium delectabile virtuosi non enim esset
virtuosus qui non delectaretur in operatione virtutis, ut in primo dictum
est. Requiritur
ergo ad felicitatem, quod felix delectetur in opere virtutis. |
|
#1895. — Or il est manifeste qu'une action consiste en un mouvement et n'est pas quelque chose qui existe à la manière des choses permanentes, comme s'il s'agissait d'une possession grâce à laquelle, une fois qu'on l'aurait, on serait heureux, de sorte qu'il n'y aurait plus à faire quelque chose. Au contraire, être heureux consiste à vivre et à agir continuellement. Or il faut que l'action d'un homme bon soit bonne et plaisante en elle-même, parce qu'elle est bonne par soi, comme on l'a dit au premier [livre] (#156). Par ailleurs, l'action bonne est, parmi les plaisirs, le plaisir propre de l'[homme] vertueux. En effet, il ne serait pas vertueux, s'il ne se plaisait pas à l'action de vertu, comme on l'a dit au premier [livre] (#158). Il est donc requis au bonheur que l'[homme] heureux prenne plaisir à l'action de vertu. |
[74598] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 12 Non autem possumus delectari nisi in eo quod
cognoscimus, magis autem possumus speculari proximos, quam nos ipsos; et
actiones illorum quam nostras, quia uniuscuiusque iudicium in propriis magis
deficit propter privatum affectum, quem habet ad seipsum. Sic igitur patet,
quod bonis hominibus delectabiles sunt actiones eorum, qui sunt et boni et
amici, in quibus inveniuntur ambo, quae sunt secundum naturam delectabilia,
scilicet bonum et amatum. Sic igitur beatus indigebit talibus amicis,
scilicet virtuosis, in quantum quaerit considerare bonas actiones et sibi
appropriatas, quales quidem sunt actiones viri boni, qui est amicus. Quia
enim amicus hominis est quasi alter ipse, actiones amici sunt sibi quasi
propriae. |
|
#1896. — Par ailleurs, nous ne pouvons prendre plaisir qu'à ce que nous connaissons. Or nous pouvons davantage regarder nos proches que nous-mêmes, et leurs actions que les nôtres, parce que le jugement de chacun sur ses propres [choses] fait plus défaut, à cause de l'affection privée que l'on a envers soi-même. Ainsi donc appert-il que, pour les hommes bons, sont plaisantes les actions de bonnes [gens] et d'amis, où on trouve les deux [éléments] de ce qui plaît par nature, à savoir, que ce soit bon et qu'on l'aime. Ainsi donc, l'[homme] heureux aura besoin de tels amis vertueux, pour autant qu'il cherche à voir des actions bonnes, d'un homme bon qui soit un ami. Comme, en effet, l'ami d'un homme est comme un autre soi-même, les actions de son ami sont comme les siennes propres. |
[74599] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 13 Secundam rationem ponit ibi existimant autem et cetera.
Dicit quod communiter existimatur quod felicem oportet delectabiliter vivere.
Est enim delectatio unum eorum quae requiruntur ad felicitatem, ut in primo
dictum est. Ille autem qui solitarius vivit, patitur difficilem, idest
gravem vitam. Oportet enim quod interrumpatur sua delectatio quae operationem
consequitur. Non enim est facile quod homo secundum seipsum, idest
solitarius existens, continue operetur; sed hoc est facile si cum alteris
existat, fit enim quaedam vicissitudo operationum, dum ad seinvicem bona
operantur. Et sic continuatur delectatio. |
|
#1897. — Il présente ensuite la seconde raison (1170a4). Il dit que l'on pense communément que l'[homme] heureux doit vivre avec plaisir. En effet, le plaisir est l'une des [choses] requises au bonheur, comme on l'a dit au premier [livre] (#158). Par contre, celui qui vit solitaire souffre une vie difficile, c'est-à-dire, pénible. Il doit, en effet, interrompre son plaisir, lequel suit l'action. En effet, il n'est pas facile à un homme, par lui-même, c'est-à-dire, se trouvant solitaire, d'agir continuellement. Mais cela est facile, s'il vit avec autrui. Il se produit, en effet, une continuité d'actions, pendant qu'entre eux ils se font du bien. Et ainsi se continue le plaisir. |
[74600] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 14 Si igitur homo cum amicis moretur, operatio eius quae
est delectabilis secundum seipsam, scilicet virtuosa, erit magis continua. Et
hoc oportet existere circa beatum, ut scilicet continue delectetur in
operibus virtutis. Virtuosus enim, inquantum huiusmodi, gaudet in actionibus
virtuosis, sive a se, sive ab aliis factis. Et contristatur in operibus
contrariis quae ex malitia alicuius procedunt, sicut musicus delectatur in
bonis melodiis et offenditur in malis. |
|
#1898. — Si donc on reste avec des amis, son action, qui est plaisante en elle-même, à savoir, vertueuse, sera plus continue. Et il faut qu'il en soit ainsi pour l'[homme] heureux, qu'il ait continuellement du plaisir dans les actions de vertu. En effet, le vertueux, en tant que tel, se réjouit dans des actions vertueuses, faites ou bien par lui, ou bien par d'autres. Et il s'attriste dans des actions contraires, qui procèdent de la malice d'un autre, comme le musicien prend plaisir aux bonnes mélodies et est incommodé par les mauvaises. |
[74601] Sententia Ethic., lib. 9 l. 10 n. 15 Tertiam rationem ponit ibi, fiet autem et cetera. Et
dicit quod ex hoc quod virtuosus convivit amicabiliter bonis viris, (fiet)
askesis, id est consociatio in virtute, sicut dixit Theonis, quidam poeta. Et
talis societas opportuna est cuilibet virtuoso, sicut et alia humana opera
melius perficiuntur in societate. |
|
#1899. — Il présente ensuite la troisième raison (1170a11). Il dit que de ce fait, que le vertueux vive amicalement avec des hommes bons, procède l'entraînement, c'est-à-dire, une association dans la vertu, comme dit Théognis, un poète. Or une société de cette nature est opportune pour n'importe quel vertueux, de même que les autres actions humaines se réalisent mieux en société. |
|
|
|
Lectio
11 |
|
Leçon 11
|
[74602] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 1 Naturalius autem intendentibus et cetera. Postquam
philosophus assignavit quasdam rationes morales ex quibus apparet quod felix
indiget amicis, nunc ostendit idem per quamdam rationem magis naturalem. Et
primo ostendit quod felici eligibile est habere amicum. Secundo concludit
ulterius quod felix amico indiget, ibi: quod autem est ipsi eligibile et
cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit quod
si quis velit considerare per rationem magis naturalem, manifeste apparebit
quod virtuoso et felici amicus virtuosus est naturaliter eligibilis, etiam
magis quam alia et exteriora bona. |
|
#1900. — Après avoir assigné des raisons morales par lesquelles il apparaît que l'[homme] heureux a besoin d'amis, le Philosophe montre maintenant la même [chose] avec une raison plus naturelle. En premier, il montre qu'il est désirable[62], pour l'[homme] heureux, d'avoir un ami. En second (1170b17), il conclut par la suite que l'[homme] heureux a besoin d'amis. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention. Il dit que si l'on veut y regarder avec une raison plus naturelle, il apparaîtra manifestement que, pour l'[homme] vertueux et heureux, un ami vertueux est naturellement désirable, plus même que les autres biens extérieurs. |
[74603] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 2 Secundo ibi, natura enim etc., probat propositum. Et
primo ostendit quid sit naturaliter eligibile et delectabile virtuoso
respectu suiipsius. Secundo ostendit quid sit sibi eligibile et delectabile
respectu amici, ibi, ut autem ad seipsum et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit quod virtuoso naturaliter est eligibile esse et vivere.
Secundo ostendit quod est sibi delectabile et eligibile hoc sentire, ibi,
videns autem quia videt et cetera. Circa primum ponit talem rationem. Omne
quod est bonum naturaliter, est virtuoso bonum et delectabile secundum
seipsum, ut patet in his quae supra in septimo dicta sunt. Sed esse et vivere
naturaliter bonum est et delectabile viventibus. Ergo esse et vivere est
bonum et delectabile virtuoso. |
|
#1901. — En second (1170a14), il prouve son propos. En premier, il montre qu'est-ce qui est naturellement désirable et plaisant pour l'[homme] vertueux, en rapport à lui-même. En second (1170b5), il montre qu'est-ce qui est désirable et plaisant pour lui, en rapport à l'ami. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que ce qui est naturellement désirable, pour l'[homme] vertueux, c'est d'être et de vivre. En second (1170a29), il montre qu'il est plaisant et désirable pour lui de le sentir. Sur le premier [point], il présente une raison qui va comme suit. Tout ce qui est bon naturellement est bon et plaisant par soi pour l'[homme] vertueux, comme il appert en ce que l'on a dit, plus haut, au septième [livre] (#1533). Or, être et vivre est naturellement bon et plaisant pour les vivants. Donc, être et vivre est à la fois bon et plaisant pour l'[homme] vertueux. |
[74604] Sententia
Ethic., lib. 9 l. 11 n. 3 Maior per se patet in litera. Minorem ponit ibi: vivere autem et cetera. Circa quam
tria facit. Primo enim manifestat in quo consistat vivere. Et dicit quod in
omnibus animalibus communiter determinatur vivere secundum potentiam sensus.
In hominibus autem determinatur secundum potentiam sensus quantum ad id quod
habet commune cum aliis animalibus, vel secundum potentiam intellectus
quantum ad id quod est proprium sibi. Omnis autem potentia reducitur
ad operationem sicut ad propriam perfectionem; unde id quod est principale
consistit in operatione, et non in potentia nuda. Actus enim est potior quam potentia, ut probatur in IX
metaphysicae, et ex hoc patet quod principaliter vivere animalis vel hominis,
est sentire vel intelligere. Dormiens enim, quia non actu sentit vel
intelligit, non perfecte vivit, sed habet dimidium vitae, ut in primo dictum
est. |
|
#1902. — La majeure est évidente d'elle-même littéralement. Il présente ensuite la mineure (1170a16). À son [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, en effet, il manifeste en quoi consiste vivre. Il dit que, chez tous les animaux, on définit communément le fait de vivre en rapport à la puissance sensible. Chez les hommes, par ailleurs, on le définit en rapport à la puissance sensible, quant à ce qu'il a de commun avec les autres animaux, ou en rapport à la puissance intellectuelle, quant à ce qui lui est propre. Or toute puissance se réduit à son opération comme à sa perfection propre. Aussi, le principal consiste en l'opération, non en la puissance nue. En effet, l'acte est plus fort que la puissance, comme on le prouve au neuvième [livre] de la Métaphysique (lect. 7-8, #1844-1866). De là appert que vivre, pour l'animal ou pour l'homme, c'est principalement sentir ou intelliger. En dormant, en effet, parce qu'on ne sent ni n'intellige pas en acte, on ne vit pas parfaitement, mais on vit à moitié, comme on l'a dit au premier [livre] (#234-235). |
[74605] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11
n. 4 Secundo ibi: vivere autem
etc., ostendit quod vivere sit naturaliter bonum et delectabile. Et dicit
quod ipsum vivere est de numero eorum quae sunt secundum se bona et
delectabilia, et hoc probat per hoc quod est determinatum. Illud autem quod
est determinatum pertinet ad naturam boni. |
|
#1903. — En second (1170a19), il montre que vivre est naturellement bon et plaisant. Il dit que le fait même de vivre compte au nombre de ce qui est par soi bon et plaisant. Il le prouve en se rapportant à ce qui est déterminé. Or ce qui est déterminé appartient à la nature du bien. |
[74606] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11
n. 5 Ad cuius evidentiam
considerandum est, quod potentia quantum est de se indeterminata est, quia se
habet ad multa; determinatur autem per actum, sicut patet in materia et
forma. Potentia autem sine actu est potentia cum privatione, quae facit
rationem mali, sicut perfectio quae est per actum facit rationem boni; et
ideo, sicut aliquid quando est indeterminatum est malum, ita determinatum,
inquantum huiusmodi, est bonum. |
|
#1904.
— Pour en avoir l'évidence, on doit tenir compte que la puissance, en tant
que telle, est indéterminée, car elle a relation à beaucoup [de choses]; or
c'est l'acte qui la détermine, comme il appert avec la matière et la forme.
En outre, la puissance sans l'acte est une puissance avec privation, et elle
produit la notion de mal, comme la perfection qui a lieu par l'acte produit
la notion de bien. C'est pourquoi, de même qu'une chose, en tant qu'elle est
indéterminée, est mauvaise, de même, déterminée, en tant que telle, elle est
bonne. |
[74607] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 6 Vivere autem determinatum est, praesertim secundum quod
principaliter in operatione consistit, ut dictum est. Unde patet quod vivere
est naturaliter bonum. Id autem quod est naturaliter bonum est etiam virtuoso
bonum, ut dictum est, cum virtuosus sit mensura in genere humano, ut dictum
est. Et ideo, quia vivere est naturaliter bonum, videmus quod omnibus est
delectabile. |
|
#1905. — Or vivre est déterminé, surtout du fait que cela consiste principalement en une opération, comme on l'a dit (#1902). Aussi appert-il que vivre est naturellement bon. Ensuite, ce qui est naturellement bon est bon aussi pour l'[homme] vertueux, puisque le vertueux est mesure, dans le genre humain, comme on l'a dit (#1898). C'est pourquoi, comme vivre est naturellement bon, nous voyons que c'est plaisant pour tous. |
[74608] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 7 Tertio ibi: non oportet autem etc., removet dubium;
dicens quod in eo quod dictum est, quod vivere est naturaliter bonum et
delectabile, non oportet accipere vitam malam, idest vitiosam et corruptam,
idest recedentem a naturae ordine, neque etiam vitam quae est in tristitiis.
Talis enim vita non est naturaliter bona, quia est indeterminata,
idest debita perfectione carens, sicut et ea quae circa ipsam existunt. Quia
enim unumquodque determinatur per id quod in eo existit, si illud fuerit
indeterminatum, et ipsum indeterminatum erit: puta si aegritudo est
indeterminatum et corpus aegrum erit indeterminatum; et sic vita quae est cum
malitia seu tristitia est indeterminata et mala sicut et ipsa malitia et
corruptio seu tristitia. Et hoc magis erit manifestum in habitis, idest in
consequentibus, in quibus de tristitia agetur. |
|
#1906. — En troisième (1170a22), il enlève un doute, précisant qu'en ce que l'on a dit (#1901, 1903-1905), que vivre est naturellement bon et plaisant, il ne faut pas entendre une vie mauvaise, c'est-à-dire, vicieuse et corrompue, c'est-à-dire, à l'écart de l'ordre véritable; ni non plus une vie qui se passe en tristesses. Pareille vie, en effet, n'est pas naturellement bonne, parce qu'elle reste indéterminée, c'est-à-dire, manque de la perfection due, comme aussi tout ce qui a rapport à elle. En effet, chaque chose est déterminée par ce qu'il y a en elle; aussi, si cela se trouvait indéterminé, elle-même sera indéterminée: par exemple, si la maladie est indéterminée, le corps malade aussi sera indéterminé et mauvais, comme aussi la malice elle-même et la corruption ou la tristesse. Cela deviendra plus manifeste dans les traités à venir où on traitera de la tristesse (#2048-2049). |
[74609] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 8 Deinde cum dicit: si autem ipsum vivere etc., infert
conclusionem praedictae rationis. Et dicit, quod si ipsum vivere est
naturaliter bonum et delectabile (quod non solum apparet ex ratione praedicta,
sed etiam ex hoc quod omnes appetunt ipsum), sequetur quod maxime virtuosis
et beatis sit bonum et delectabile vivere. Quia enim horum vita est
perfectissima et beatissima, ideo est ab eis magis eligenda. |
|
#1907. — Ensuite (1170a25), il infère la conclusion de la raison précédente. Il dit que si le fait même de vivre est naturellement bon et plaisant — ce qui apparaît non seulement par la raison précédente, mais aussi du fait que tous le désirent —, il s'ensuit qu'il soit surtout bon et plaisant de vivre pour les [gens] vertueux et heureux; parce qu'en effet, leur vie est la plus parfaite et heureuse, elle est encore plus désirable pour eux. |
[74610] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 9 Deinde cum dicit: videns autem etc., ostendit quod
sentire se vivere est eligibile et delectabile virtuoso. Ille enim qui videt
se videre sentit suam visionem, et similiter est de illo qui audit se audire;
et similiter contingit in aliis quod aliquis sentit se operari. In hoc autem
quod nos sentimus nos sentire et intelligimus nos intelligere, sentimus et
intelligimus nos esse: dictum est enim supra quod esse et vivere hominis
principaliter est sentire vel intelligere. Quod autem aliquis sentiat se
vivere est de numero eorum quae sunt secundum se delectabilia; quia, sicut
supra probatum est, vivere est naturaliter bonum. Quod autem aliquis sentiat
bonum esse in se ipso est delectabile. Et sic patet quod cum vivere sit
eligibile, et maxime bonis quibus est bonum esse et delectabile, quod etiam
percipere se sentire et intelligere est eis delectabile; quia simul cum hoc
sentiunt id quod est eis secundum se bonum, scilicet esse et vivere; et in
hoc delectantur. |
|
#1908. — Ensuite (1170a29), il montre que sentir qu'il vit est désirable et plaisant pour le vertueux. Celui qui voit qu'il voit, en effet, sent sa vision, et il en va pareillement de celui qui entend qu'il entend; et il en va pareillement dans les autres [actes] où l'on sent qu'on est en opération. Dans le fait, d'ailleurs, de nous sentir sentir et de nous intelliger intelliger, nous sentons et nous intelligeons que nous sommes, car on a dit, plus haut (#1902), qu'être et vivre, c'est, pour l'homme, principalement sentir ou intelliger. En outre, de sentir que l'on vit compte au nombre de ce qui est par soi-même plaisant, parce que, comme on l'a prouvé plus haut (#1093-1905), vivre est naturellement bon. Or, sentir qu'il y a du bien en soi, c'est plaisant. Ainsi appert-il que, de même que vivre est désirable, surtout pour les bons, pour qui il est bon et plaisant d'être, de même percevoir que l'on sent et intellige est plaisant pour eux; c'est qu'avec cela, ils sentent en même temps ce qui est par soi bon pour eux, être et vivre, et ils y prennent plaisir. |
[74611] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 10 Deinde cum dicit: ut autem ad se ipsum etc., ostendit
ex praemissis, quid sit virtuoso et felici eligibile et delectabile respectu
amici. Et dicit quod virtuosus ita se habet ad amicum sicut ad seipsum, quia
amicus quodammodo est alter ipse. Sicut igitur unicuique virtuoso est
eligibile et delectabile quod ipse sit, sic est ei eligibile et delectabile
quod amicus sit. Et si non aequaliter, tamen propinque. Maior est enim unitas
naturalis quae est alicuius ad seipsum, quam unitas affectus quae est ad
amicum. Dictum est autem supra quod virtuoso est eligibile et delectabile
suum esse et vivere propter hoc quod sentit suum esse et vivere esse bonum.
Talis autem sensus est delectabilis secundum seipsum, quo scilicet aliquis
sentit bonum sibi inesse. Sicut ergo aliquis delectatur in suo esse et vivere
sentiendo ipsum, ita ad hoc quod delectetur in amico, oportet quod simul
sentiat ipsum esse, |
|
#1909. — Ensuite (1170b5), il montre, à partir de ce qui précède, qu'est-ce qui est désirable et plaisant pour l'[homme] vertueux et heureux, en rapport à l'ami. Il dit que l'[homme] vertueux entretient avec son ami la même relation qu'avec lui-même, parce que l'ami est d'une certaine manière un autre soi-même. Comme, donc, il est désirable et plaisant à tout [homme] vertueux que lui-même soit, de même il lui est désirable et plaisant que son ami soit. Sinon à égalité, presque cependant. L'unité naturelle, en effet, entre soi et soi-même, est plus grande que l'unité d'affection entre soi et son ami. On a dit plus haut (#1907, 1908), par ailleurs, qu'il est désirable, pour l'[homme] vertueux, d'être et de vivre, à cause de ce qu'il sent qu'il lui est bon d'être et de vivre. Pareille sensation est plaisante en elle-même, par laquelle on sent qu'un bien inhère à soi. De la même manière, donc, qu'on prend plaisir à être et à vivre soi-même, et à le sentir, de même, à ce que l'on trouve du plaisir dans son ami, il on doit absolument avoir sensation qu'il est. |
[74612] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 11 Quod quidem continget convivendo sibi secundum
communicationem sermonum et considerationum mentis; hoc enim modo homines
dicuntur proprie sibi convivere, secundum scilicet vitam quae est homini
propria, non autem secundum hoc quod simul pascantur, sicut contingit in
pecoribus. |
|
#1910. — Or cela se produira en vivant avec lui dans la relation de parole et le regard de l'esprit. C'est de cette manière, en effet, qu'on dit que des gens vivent proprement ensemble avec eux-mêmes, de la vie qui est propre à l'homme, et non à paître ensemble, comme cela se passe pour le bétail. |
[74613] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 12 Sic ergo ex omnibus praemissis concludit id quod
proposuerat; dicens quod si beato est secundum se eligibile suum esse,
inquantum est naturaliter bonum et delectabile; cum esse et vita amici sint
quantum ad eius affectum propinqua propriae vitae, consequens est quod etiam
amicus sit eligibilis virtuoso et felici. |
|
#1911. — Ainsi donc, de tout ce qui précède, il conclut ce qu'il avait proposé, en disant que si, pour l'[homme] heureux, son être est par soi désirable, en tant que naturellement bon et plaisant, comme l'être et la vie de son ami sont, quant à son affection, proches de sa propre vie, il s'ensuit que son ami aussi soit désirable, pour l'[homme] vertueux et heureux. |
[74614] Sententia Ethic., lib. 9 l. 11 n. 13 Deinde cum dicit: quod autem est etc., ostendit
ulterius quod felici sint necessarii amici. Quod enim est felici eligibile,
oportet ei inesse, alioquin remanebit in indigentia, quod est contra rationem
felicitatis, quae requirit sufficientiam. Requiritur ergo quod ille qui est
in statu felicitatis opus habeat amicis virtuosis. Loquitur autem hic de
felicitate qualis potest esse in hac vita, sicut in primo dictum est. |
|
#1912. — Ensuite (1170b17), il montre qu'aux [gens] heureux, des amis sont nécessaires. En effet, ce qui est désirable pour l'[homme] heureux doit lui appartenir; autrement, il lui restera un besoin, ce qui va contre la définition du bonheur, qui requiert suffisance. Il reste donc requis que celui qui est dans l'état de bonheur ait besoin d'amis vertueux. Il parle, par ailleurs, ici, du bonheur tel qu'il peut exister dans cette vie, comme on l'a dit au premier [livre] (#113). |
|
|
|
Lectio
12 |
|
Leçon 12
|
[74615] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 1 Utrum igitur quam plurimos amicos et cetera. Postquam
philosophus prosecutus est quasdam dubitationes circa amicitiam ex parte
amantium, hic prosequitur dubitationes ex parte eorum qui amantur. Ponit
autem circa hoc tres dubitationes. Quarum prima est de numero amicorum.
Secunda de necessitate ipsorum ibi, utrum autem in bonis fortunis etc.;
tertia de convictu eorum, ibi, utrum igitur quemadmodum et cetera. Circa
primum duo facit. Primo proponit dubitationem, utrum scilicet aliquis debeat
sibi facere quam plurimos amicos vel non: sed sicut prudenter videtur esse
dictum de peregrinatione in proverbio cuiusdam dicentis: non vocer multum
peregrinus, neque non peregrinus, idest non dicatur de me quod nimis
discurram per diversas terras inutiliter, neque etiam quod nunquam extra
domum exeam causa peregrinationis, ita etiam congruit et circa amicitiam
esse; ut scilicet neque aliquis nulli sit amicus, neque etiam sit amicus
multis secundum superabundantiam. |
|
#1913. — Après avoir examiné quelques difficultés sur l'amitié en rapport à ceux qui aiment, le Philosophe examine ici des difficultés en rapport à ceux que l'on aime. Il présente à ce [sujet] trois difficultés. La première porte sur le nombre des amis. La seconde (1171a21), sur leur nécessité. La troisième (1171b29), sur leur vie commune. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la difficulté, si, à savoir, on doit se faire le plus d'amis possible ou non. Ou s'il en va comme il semble bien qu'on le dise avec prudence à propos des voyages, dans le proverbe où quelqu'un dit: «Que l'on ne m'appelle ni grand voyageur, ni casanier!»[63] C'est-à-dire, qu'on ne dise de moi ni que je parcours un trop grand nombre de pays inutilement, ni non plus que je ne sors jamais de chez moi pour un voyage. De même aussi convient-il qu'il en aille pour l'amitié, qu'on ne soit ni l'ami de personne, ni non plus l'ami de beaucoup à l'excès. |
[74616] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 2 Secundo ibi: his quidem igitur etc., solvit praedictam
quaestionem. Et primo quantum ad amicitiam utilis. Et dicit quod id quod
dictum est de vitanda superflua multitudine amicorum, totaliter videtur
congruere in amicis qui sunt ad opportunitatem, idest ad utilitatem:
quia si homo habeat multos tales amicos a quibus recipiat obsequia, oportet
etiam quod e converso multis obsequatur. Et hoc est valde laboriosum, ita
quod non sufficit tempus vitae his qui hoc volunt agere. |
|
#1914. — En second (1170b23), il résout la question annoncée. En premier, quant à l'amitié utile. Il dit que ce que l'on a dit, d'éviter la multitude superflue des amis, convient manifestement tout à fait pour les amis que l'on a pour l'opportunité, c'est-à-dire, pour l'utilité. Car si on a beaucoup de tels amis, de qui on reçoit des services, on doit aussi réciproquement servir beaucoup [de gens]. Cela devient très pénible, de sorte que le temps de la vie ne suffit plus à qui veut agir ainsi. |
[74617] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 3 Si igitur sint plures amici utiles, quam sint
necessarii ad propriam vitam, nimis distrahunt hominem et impediunt ipsum a
bona vita, quae consistit in operatione virtutis, quia dum homo superflue
intendit negotiis aliorum, consequens est quod non possit debitam curam
gerere de seipso. Et ita patet quod non est opus homini habere plurimos
amicos utiles. |
|
#1915. — Si donc les amis utiles sont plus nombreux que ce qui est nécessaire à sa propre vie, ils distraient trop et font obstacle à ces biens de la vie qui consiste dans l'action de vertu. Car pendant que l'on s'occupe de manière superflue des affaires des autres, il s'ensuit qu'il ne soit plus possible de se donner à soi le soin que l'on se doit. Ainsi appert-il qu'il ne convient pas que l'on ait plusieurs amis utiles. |
[74618] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 4 Secundo ostendit idem in amicitia delectabilis. Et
dicit quod etiam ad delectationem sufficiunt pauci amici. Delectatio enim
exterior quae per tales amicos exhibetur, quaeritur in vita humana sicut
condimentum in cibo quod, etiam si parum sit, sufficit. Unde et pauci amici
sufficiunt homini ad delectationem, ut cum eis per aliquod tempus recreetur. |
|
#1916. — En second (1170b28), il montre la même [chose] dans l'amitié de plaisir. Il dit qu'au plaisir aussi peu d'amis suffisent. En effet, le plaisir extérieur que l'on se procure avec pareils amis est à rechercher, dans la vie humaine, comme les condiments dans la nourriture, où cela suffit, même s'il y en a peu. Aussi, peu d'amis suffisent pour le plaisir, de manière à se récréer quelque temps avec eux. |
[74619] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 5 Tertio ibi: studiosos autem etc., solvit quaestionem
quantum ad amicos secundum virtutem. Et primo ostendit propositum per
rationem. Secundo per experimentum, ibi, sic autem videtur habere et cetera.
Circa primum tria, facit. Primo resumit quaestionem. Et dicit quod remanet
considerandum, utrum aliquis debeat sibi facere amicos virtuosos plures
numero, ita quod quanto plures habet melius sit, vel oporteat quamdam
mensuram adhibere circa multitudinem amicorum, sicut patet de multitudine
civitatis quae neque constat ex decem hominibus tantum et, si constat ex
decem miriadibus, idest centum millibus (nam myrias, idem est quod
decem milia, iam prae multitudine non erit civitas, sed quaedam regio. Sed
quanta multitudo sit necessaria ad civitatem, non est determinatum secundum
aliquid unum; quia potest esse civitas maior et minor. Sed possunt accipi duo
extrema, inter quae quicquid est medium potest determinari ut congruens
multitudini civitatis. |
|
#1917. — En troisième (1170b29), il résout la question, quant aux amis en rapport à la vertu. En premier, il montre son propos avec une raison. En second (1171a13), avec l'expérience. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il reprend la question. Il dit qu'il reste à regarder si l'on doit se faire des amis vertueux en grand nombre, de sorte que plus on en ait mieux ce soit; ou s'il faut mettre une certaine mesure au nombre de ses amis, comme il appert du nombre des citoyens, qui ne réside pas en dix hommes seulement, ni ne réside en dix myriades, c'est-à-dire, en cent milles — car une myriade, c'est la même chose que dix mille; en effet, au-delà de ce nombre, on n'aura désormais plus une cité, mais un pays. Mais quel nombre est nécessaire pour la cité, ce n'est pas déterminé à l'unité près; parce qu'une cité peut être plus grande ou plus petite. Mais on peut prendre deux extrêmes, entre lesquels tout ce que l'on trouve peut se déterminer comme convenant au nombre d'une cité. |
[74620] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 6 Secundo ibi: et amicorum etc., solvit quaestionem
dicens quod etiam non oportet esse immensa multitudo amicorum, sed debet esse
quaedam determinata multitudo eorum. Et hoc probat tribus rationibus. Quarum
prima est, quod plures possunt esse amici cum quibus tamen possit homo
convivere; hoc enim inter cetera magis videtur esse amicabile, idest
congruens amicitiae quae est secundum virtutem. Manifestum est autem quod non
est possibile quod homo convivat immoderate multitudini hominum, et quod
quodammodo distribuat se inter multos. Et sic patet quod non possunt esse
multi amici secundum virtutem. |
|
#1918. — En second (1170b34), il résout la question, en disant que le nombre des amis ne doit pas être immense, mais qu'il doit y en avoir un nombre déterminé. Il prouve cela avec trois raisons. La première en est que les amis [ne] peuvent [pas] être plus nombreux que ceux avec qui on pourrait vivre. C'est cela, en effet, entre autres [choses], qui semble le plus amical, c'est-à-dire, convenable à l'amitié en rapport à la vertu. Or il est manifeste qu'il n'est pas possible que l'on vive avec un nombre illimité de gens, et que l'on se distribue de quelque manière à beaucoup. Ainsi appert-il qu'il ne peut pas y avoir beaucoup d'amis en rapport à la vertu. |
[74621] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 7 Secundam rationem ponit ibi, adhuc autem et cetera.
Manifestum est enim, quod amicos oportet adinvicem convivere. Et ita, si
aliquis habeat multos amicos, oportet quod omnes etiam illi sint amici
sibiinvicem. Aliter enim non possunt adinvicem commorari, et per consequens
neque convivere amico. Hoc autem est difficile quod in multis servetur,
scilicet ut sint amici adinvicem. Et ita, non videtur possibile quod unus
homo habeat plures amicos. |
|
#1919. — Il présente ensuite la seconde raison (1171a4). Il est manifeste, en effet, que des amis doivent vivre ensemble. Aussi, si on a beaucoup d'amis, tous doivent aussi être amis entre eux. Autrement, en effet, il n'y a pas moyen de passer du temps ensemble, ni, par conséquent, de vivre avec son ami. Or cela est difficile, avec beaucoup, d'assurer qu'ils soient amis entre eux. Ainsi, il ne semble pas possible qu'un homme ait plusieurs amis. |
[74622] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 8 Tertiam rationem ponit ibi, difficile autem et cetera.
Dictum est enim supra, quod amicus congaudet amico. Difficile est autem quod
aliquis familiariter congaudeat et condoleat multis. Verisimiliter enim simul
concidet quod oporteat cum uno delectari et cum alio tristari, quod est
impossibile. Et ita non est possibile habere plures amicos. |
|
#1920. — Il présente ensuite la troisième raison (1171a6). On a dit plus haut (#1894-1898), en effet, qu'un ami participe à la joie de son ami. Or il est difficile de se réjouir et de s'attrister ensemble familièrement à beaucoup. Vraisemblablement, en effet, il arrivera qu'il faille se réjouir avec l'un et s'attrister avec l'autre, ce qui est impossible. Ainsi, il n'est pas possible d'avoir plusieurs amis. |
[74623] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 9 Tertio ibi: forte igitur bene habet etc., concludit
propositum ex dictis: scilicet quod non bene se habet quod homo inquirat
fieri amicissimus multis, sed tot quot potest sufficere ad convictum: quia
etiam hoc non videtur esse contingens quod homo sit valde amicus multis (unde
etiam nec secundum amorem libidinosum unus homo amat plures mulieres intenso
amore). Quare perfecta amicitia in quadam superabundantia amoris consistit,
quae non potest observari nisi ad unum, vel ad valde paucos. Semper enim id
quod est abundans, paucis competit; quia non potest in multis contingere quod
ad summam perfectionem perveniatur propter multiplices defectus et
impedimenta. |
|
#1921. — En troisième (1171a8), il conclut son propos à partir de ce que l'on a dit, qu'il ne convient pas bien que l'on cherche à devenir très ami avec beaucoup, mais avec autant avec qui on puisse assurer la vie commune; d'autant plus que cela ne paraît pas pouvoir se faire que l'on soit très ami avec beaucoup. Aussi, même en rapport à l'amour sexuel, un homme n'aime pas plusieurs femmes d'un amour intense, parce que l'amitié parfaite consiste en une extrême abondance de l'amour, laquelle ne peut se déveloper qu'envers un seul, ou envers très peu. Toujours, en effet, le très abondant convient à peu, parce qu'il ne peut se faire qu'on parvienne en beaucoup à la plus haute perfection, à cause de multiples défauts et empêchements. |
[74624] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 10 Deinde cum dicit: sic autem videtur etc., ostendit
propositum per experientiam. Ita enim videmus in rebus contingere, quod unus
ad paucos habet amicitiam. Non enim inveniuntur esse multi amici unius
secundum amicitiam etayricam, id est sodalium vel connutritorum. Quod
probat quodam proverbio quo dicuntur aliqui hymnizare in duobus. |
|
#1922. — Ensuite (1171a13), il montre son propos avec l'expérience. Car c'est ainsi que nous voyons qu'il en arrive dans les faits, qu'un seul a de l'amitié envers peu. On ne trouve pas, en effet, que le même ait beaucoup d'amis en rapport à l'amitié de camaraderie, c'est-à-dire, entre camarades ou compagnons d'éducation. Ce qu'il prouve avec un proverbe selon lequel on dit que c'est à deux que l'on chante des hymnes[64]. |
[74625] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 11 Consuetum est enim ut plurimum, quod iuvenes socialiter
bini incedunt cantantes. Sed polyphili, idest amatores multorum, qui
scilicet omnibus familiariter potiuntur, non videntur esse vere amici alicui,
quia nulli diu convivunt sed pertranseunter se habent familiariter ad unumquemque.
Sed tamen tales vocantur amici politice, idest secundum quod est
consuetum in civitatibus, in quibus amicitia ex talibus applausibus et
familiaritatibus iudicatur. Hos autem qui sic sunt amici multorum vocant homines
placidos, quod sonat in vitium superabundantiae in condelectando, ut supra in
quarto dictum est. |
|
#1923. — Car il est de coutume que les jeunes, la plupart du temps, commencent deux par deux à chanter en société. Tandis que les polyphiles, c'est-à-dire, les amis de beaucoup, qui, à savoir, s'accaparent familièrement de tous, ne paraissent pas être vraiment les amis de quelqu'un en particulier, parce qu'il ne vivent longtemps avec personne, mais ont de la familiarité avec chacun comme en passant. Néanmoins, de pareilles [gens] sont appelés des amis par politesse, c'est-à-dire, selon qu'il est de coutume dans les cités, où l'amitié se juge à pareils frottements et familiarités. Ces [gens], qui sont ainsi les amis de beaucoup, on les appelle des gens complaisants, ce qui sonne comme un vice par excès de complaisance, comme il a été dit plus haut, au quatrième [livre] (816-828). |
[74626] Sententia Ethic., lib. 9 l. 12 n. 12 Deinde cum dicit: politice quidem igitur etc., ostendit
secundum quam amicitiam dicuntur aliqui esse amici multorum. Et dicit, quod
hoc contingit esse secundum amicitiam politicam, non solum eo modo quo
aliquis placidus est amicus multorum, sed etiam hoc potest competere alicui
vere virtuoso. Dictum est enim supra, quod politica amicitia videtur idem
esse quod concordia. Virtuosus autem cum multis concordat in his quae
pertinent ad vitam politicam. Non tamen contingit quod virtuosus habeat
amicitiam ad multos propter virtutem, ita quod diligat eos propter seipsos,
et non solum propter utile vel delectabile. Quinimo multum debet esse homini
amabile et carum, si paucos tales amicos possit invenire, scilicet propter
virtutem et secundum seipsos. |
|
#1924. — Ensuite (1171a17), il montre en rapport à quelle amitié on dit que des [gens] sont les amis de beaucoup. Il dit que cela peut être en rapport à l'amitié politique, non seulement en cette manière où un complaisant est l'ami de beaucoup, mais aussi cela peut convenir à quelqu'un de vraiment vertueux. Il a été dit plus haut (#1836), en effet, que l'amitié politique paraît être la même [chose] que la concorde. Or l'[homme] vertueux s'entend avec beaucoup en ce qui touche à la vie politique. Il ne se peut pas, cependant, que le vertueux ait de l'amitié envers plusieurs pour la vertu, de sorte qu'il les aime pour eux-mêmes, et non seulement pour l'utilité ou pour le plaisir. D'ailleurs, ce doit être très aimable et cher à chacun, si on peut trouver peu d'amis de cette nature, à savoir, pour la vertu et [aimables] pour eux-mêmes. |
|
|
|
Lectio
13 |
|
Leçon 13
|
[74627] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 1 Utrum autem in bonis et cetera. Postquam philosophus
solvit dubitationem de multitudine amicorum, hic proponit dubitationem de
necessitate eorum. Et circa hoc tria facit. Primo proponit dubitationem.
Secundo solvit eam, ibi: necessarium magis quidem etc.; tertio probat quiddam
quod supposuerat, ibi: est enim et praesentia et cetera. Dicit ergo primo
quod dubitari potest utrum homo habeat opus amicis magis in bonis fortunis
vel infortuniis. Manifestum est enim, quod in utraque fortuna requiruntur
amici. In infortuniis enim homo habet opus amicis, qui ei ferant auxilia
contra infortunia. In bonis autem fortunis homines habent opus amicis, quibus
convivant et quibus benefaciant. Si enim virtuosi sint, volunt bene operari. |
|
#1925. — Après avoir résolu la difficulté sur le nombre des amis, le Philosophe présente la difficulté sur leur nécessité. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la difficulté. En second (1171a24), il la résout. En troisième (1171a27), il prouve quelque chose qu'il avait supposé. Il dit donc, en premier, que l'on peut se demander si l'on a davantage besoin d'amis dans la bonne fortune ou dans la mauvaise. Il est manifeste, en effet, que dans l'une et l'autre fortune on a besoin d'amis. Dans les infortunes, en effet, on a besoin d'amis qui apportent de l'aide contre ces infortunes. Dans la bonne fortune, par ailleurs, on a besoin d'amis avec qui vivre et à qui faire du bien. Car si l'on est vertueux, on veut faire du bien. |
[74628] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 2 Deinde cum dicit necessarium magis etc., ponit
solutionem quaestionis; concludens ex praemissis, quod habere amicos est
homini magis necessarium in infortuniis, in quibus indiget auxilio, quod fit
per amicos, ut dictum est. Et inde est, quod in tali statu homo habet opus
amicis utilibus qui ei auxilium ferant. Sed in bonis fortunis est melius,
idest magis honestum habere amicos. Et inde est, quod in hoc statu quaerunt
homines amicos virtuosos. Quia eligibilius est talibus benefacere, et cum eis
conversari. |
|
#1926. — Ensuite (1171a24), il présente la solution de la question, concluant, à partir de ce qui précède, qu qu'il est davantage nécessaire d'avoir des amis dans les infortunes, où on a besoin de l'aide que des amis apportent, comme on l'a dit (#1925). Il s'ensuit qu'en pareille situation, on a besoin d'amis utiles qui apportent de l'aide. Mais dans la bonne fortune, il est meilleur, c'est-à-dire, plus honorable, d'avoir des amis. Il s'ensuit qu'en cette situation, les gens recherchent des amis vertueux. Car il est plus désirable de faire du bien à des [gens] de cette nature, et d'entretenir des relations avec eux. |
[74629] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 3 Deinde cum dicit est enim et praesentia etc., probat
quod supposuerat; scilicet quod amicis in utraque fortuna sit opus. Et primo
proponit quod intendit. Et dicit, quod ipsa praesentia amicorum est
delectabilis, tam in bonis fortunis quam in infortuniis. |
|
#1927. — Ensuite (1171a27), il prouve ce qu'il avait supposé, à savoir, que l'on a besoin d'amis dans l'une et l'autre fortune. En premier, il présente son intention. Il dit que la présence même d'amis est plaisante, tant dans la bonne fortune que dans la mauvaise. |
[74630] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 4 Secundo ibi, alleviantur enim etc., probat propositum.
Et primo quantum ad infortunia. Secundo quantum ad bonas fortunas, ibi: in
bonis fortunis et cetera. Tertio infert quoddam correlarium ex dictis. Circa
primum tria facit. Primo manifestat propositum. Et dicit, quod homines qui
sunt in tristitia, alleviationem quamdam sentiunt ex praesentia amicorum eis
condolentium. |
|
#1928. — En second (1171a29), il prouve son propos. En premier, quant aux infortunes. En second (1171b12), quant à la bonne fortune. En troisième (1171b15), il infère un corollaire de ce que l'on a dit. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il manifeste son propos. Il dit que les gens qui sont dans la tristesse sentent un soulagement de la présence d'amis qui ont de la peine avec eux. |
[74631] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 5 Secundo ibi, propter quod etc., inquirit, quae sit
causa huius, quod dictum est. Et ponit duas causas sub dubitatione, quae
earum potior sit. Quarum prima sumitur ex exemplo eorum, qui portant aliquod
pondus grave; quorum unus alleviatur ex societate alterius onus illud secum
sumentis. Et similiter videtur, quod onus tristitiae melius ferat unus
amicorum, si alius secum idem onus tristitiae ferat. |
|
#1929. — En second (1171a30), il cherche quelle est la cause de que l'on a dit. Il présente deux causes, avec un doute sur laquelle est la plus forte. Il en tire la première de l'exemple des [gens] qui portent un poids lourd, dont l'un est soulagé de la compagnie de l'autre qui assume avec lui ce labeur. Il en va manifestement pareil en ce qu'un ami porte mieux le poids de sa tristesse si l'autre ami porte avec lui le même poids de tristesse. |
[74632] Sententia
Ethic., lib. 9 l. 13 n. 6 Sed haec similitudo non videtur
congruere quantum ad ipsam tristitiam. Non
enim eiusdem tristitiae numero, quam quis patitur, alius partem sibi assumit,
ut ex hoc alterius tristitia minuatur. Potest tamen congruere quantum ad
tristitiae causam: puta si aliquis tristatur ex damno, quod passus est, dum
amicus partem damni subit minuitur damnum alterius, et per consequens
tristitia. |
|
#1930. — Mais cette similitude ne paraît pas convenir quant à la tristesse elle-même. Ce n'est pas de la même tristesse numériquement, en effet, que l'un souffre et dont l'autre assume pour lui une partie, de sorte que la tristesse de l'autre en soit diminuée. Cependant, elle peut convenir quant à la cause de la tristesse; par exemple, si l'on est triste d'un dommage que l'on a subi, pour autant que son ami subit une partie du dommage, le dommage de l'autre diminue, et par conséquent sa tristesse. |
[74633] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 7 Secunda causa melior est, et competit quantum ad ipsam
tristitiam. Manifestum est enim, quod quaelibet delectatio superveniens tristitiam
minuit: amicus autem praesens et condolens delectationem ingerit dupliciter.
Uno modo, quia ipsa praesentia amici est delectabilis. Alio modo, quia dum
intelligit eum sibi condolere, delectatur in eius amicitia, et sic eius
tristitia minoratur. |
|
#1931. — La seconde cause est meilleure, et convient quant à la tristesse même. Il est manifeste, en effet, que tout plaisir qui arrive diminue la tristesse; or l'ami présent qui a de la peine avec [son ami] entraîne du plaisir de deux manières. D'une manière, parce que la présence même d'un ami est plaisante; de l'autre, parce qu'en prenant conscience qu'il a de la peine avec soi, on prend plaisir dans son amitié, et ainsi la tristesse diminue. |
[74634] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 8 Et quia hoc est praeter principale propositum,
subiungit, quod ad praesens dimittendum est inquirere, utrum propter hoc quod
dictum est, vel propter aliquid aliud alleviantur homines tristati ex
praesentia amicorum condolentium. Manifeste tamen apparet accidere, hoc, quod
dictum est. |
|
#1932. — Comme cela est en dehors de son propos principal, il ajoute que, pour le moment, on va laisser faire pour ce qui est d'examiner si c'est pour ce que l'on a dit (#1929-1931), ou pour autre chose que les gens tristes se sentent soulagés de la présence d'amis qui ont de la peine avec eux. Cependant, manifestement, ce que l'on a dit paraît bien se produire. |
[74635] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 9 Tertio ibi: videtur autem etc., ostendit, quod
praesentia amici condolentis habet quamdam tristitiam admixtam. Et primo
ostendit propositum. Secundo infert quoddam corollarium ex dictis, ibi,
propter quod viriles quidem et cetera. Dicit ergo primo, quod praesentia
amicorum condolentium videtur quamdam mixtionem habere ex delectabili et
tristabili. Ipsa enim visio amicorum est delectabilis, et propter aliam
rationem communem, et specialiter homini infortunato, qui ab amico adiuvatur
ad hoc quod non contristetur, inquantum amicus consolatur suum amicum, et ex
visione, et etiam ex sermone si sit epidexius, idest idoneus ad
consolandum. Cognoscit enim unus amicus morem alterius et in quibus amicus
suus delectatur et tristatur; et sic potest ei conveniens remedium adhibere
contra tristitiam. Per hunc igitur modum praesentia amici condolentis est
delectabilis. Sed ex alia parte est tristis, inquantum homo sentit amicum
suum contristari in suis infortuniis. Quilibet enim homo bene dispositus
refugit quantum potest esse causa tristitiae suis amicis. |
|
#1933. — En troisième (1171a34), il montre que la présence d'un ami qui a de la peine avec soi comporte un mélange de tristesse. En premier, il montre son propos. En second (1171b6), il infère un corollaire de ce que l'on a dit. Il dit donc, en premier, que la présence d'amis qui ont de la peine avec soi semble bien comporter un mélange de plaisir et de peine. En effet, la fait de voir des amis est plaisant, à la fois pour une autre raison commune, et spécialement pour l'homme infortuné, qui est aidé par son ami à ne pas s'attrister, en ceci qu'un ami console son ami à la fois par le fait qu'on le voie, et aussi par sa parole, s'il est adroit, c'est-à-dire, habile à consoler. En effet, un ami connaît la mentalité de l'autre, et en quoi son ami prend plaisir et peine; et ainsi, il peut lui procurer le remède qui lui convient contre la tristesse. De cette manière, donc, la présence d'un ami qui a de la peine avec soi est plaisante. Mais d'un autre côté, elle est triste, en tant que l'on sent son ami s'attrister de ses infortunes. Tout homme bien disposé, en effet, refuse autant qu'il peut d'être une cause de tristesse pour ses amis. |
[74636] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 10 Deinde cum dicit propter quod viriles etc., concludit
ex praemissis, quod homines, qui sunt viriles animi naturaliter verentur et
cavent ne amici eorum propter ipsos contristentur. Est enim de natura
amicitiae, quod amicus velit benefacere amico, non autem esse ei causa
alicuius mali. Et nullo modo sustinent viriles homines, quod amici eorum
propter eos contristentur nisi superexcedat auxilium, quod ab amicis sibi
praebetur ad non contristandum tristitiam amicorum. Sustinent enim, quod per
modicam amicorum tristitiam sua tristitia sublevetur. Et universaliter, virilibus hominibus non complacet
habere comploratores, quia ipsi viriles homines non sunt plorativi. |
|
#1934. — Ensuite (1171b6), il conclut, de ce qui précède, que les gens qui ont l'esprit viril se font naturellement du scrupule et évitent que leurs amis, à cause d'eux, ne s'attristent. Car il est de la nature de l'amitié de vouloir faire du bien à son ami et de ne pas lui être cause de quelque mal. Aussi, les gens virils ne supportent d'aucune manière que leurs amis, à cause d'eux, ne s'attristent, à moins que l'aide qui leur soit apportée par leurs amis pour ne pas s'attrister ne dépasse la tristesse de leurs amis. Ils supportent, en effet, que leur tristesse soit soulagée par une tristesse modérée de leurs amis. Et universellement, il ne plaît pas aux gens virils d'avoir des compagnons de lamentations, parce que les gens virils ne sont pas portés eux-mêmes à se lamenter. |
[74637] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 11 Sunt autem quidam viri muliebriter dispositi, qui
delectantur in hoc, quod habeant aliquos simul secum angustiatos, et amant
eos qui sibi condolent quasi amicos. Sed in hac diversitate hominum oportet
imitari quantum ad omnia meliores, videlicet viriles. |
|
#1935. — Il y a toutefois des hommes de disposition efféminée, qui prennent plaisir à avoir avec eux des gens inquiets, et qui aiment comme des amis ceux qui se lamentent avec eux. Mais dans cette diversité entre les hommes, il faut imiter en tout les meilleurs, à savoir, les virils. |
[74638] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 12 Deinde cum dicit: in bonis fortunis autem etc.,
ostendit secundam partem propositi, scilicet quod praesentia amicorum in
bonis fortunis sit laudabilis. Et dicit, quod in bonis fortunis praesentia
amicorum duo delectabilia habet. Primo quidem conversationem amicorum. Quia
delectabile est cum amicis conversari. Secundo hoc quod homo intelligit
amicos suos delectari in propriis bonis. Quaerit enim unusquisque esse amicis
suis delectationis causa. |
|
#1936. — Ensuite (1171b12), il montre la seconde partie de son propos, à savoir, que la présence des amis est louable dans la bonne fortune. Il dit que, dans la bonne fortune, la présence des amis comporte deux [éléments] de plaisir. En premier, certes, la relation avec des amis. Car il est plaisant d'entretenir des relations avec des amis. En second, en ceci que l'on prend conscience que ses amis prennent plaisir à ses propres biens. En effet, chacun cherche à être pour ses amis une cause de plaisir. |
[74639] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 13 Deinde cum dicit propter quod videbitur etc., infert
quoddam corollarium ex dictis, continens in se quaedam documenta moralia. Et
primo quantum ad eos, qui convocant amicos. Secundo quantum ad eos, qui
sponte ad amicos accedunt, ibi: ire autem e converso et cetera. Circa primum
ponit tria documenta moralia. Primo quidem concludens ex praemissis, quod
quia delectabile est quod homo intelligat amicos in propriis bonis delectari,
oportet, quod homo prompte vocet amicos ad suas bonas fortunas, ut eas
scilicet amico communicet; oportet enim quod bonus homo benefaciat amico. |
|
#1937. — Ensuite (1171b15), il infère un corollaire de ce que l'on a dit, contenant en lui des leçons morales. En premier, quant au fait d'appeler ses amis à soi. En second, quant au fait d'aller spontanément à ses amis. Sur le premier [point], il présente trois leçons morales. En premier, certes, en concluant à partir de ce qui précède que, parce qu'il est plaisant de prendre conscience que ses amis prennent plaisir à ses propres biens, il faut que l'on appelle promptement ses amis à [participer à] sa bonne fortune, pour la communiquer à ses amis. Car il faut que l'homme bon fasse du bien à son ami. |
[74640] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 14 Secundum documentum est, quod homo tarde et cum quadam
pigritia vocet amicum ad sua infortunia. Debet enim homo tradere amico de
suis malis quantum minimum potest. Et ad hoc inducit proverbium cuiusdam
dicentis: sufficienter ego infortunans, quasi dicat: sufficit quod ego
infortunium patiar, non oportet quod etiam amici mei haec patiantur. |
|
#1938. — La seconde leçon, c'est que l'on appelle lentement et avec paresse son ami à [participer à] ses infortunes. On doit, en effet, entretenir son ami de ses maux aussi peu qu'on le peut. À ce [sujet], il apporte le proverbe de quelqu'un qui dit: «C'est assez de ma propre infortune», comme s'il disait: il suffit que moi je souffre de cette infortune, il ne faut pas que mes amis aussi en souffrent. |
[74641] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 15 Tertium documentum est, quod tunc maxime sunt amici ad
infortunia vocandi, quando cum pauca sua turbatione possunt amico magnum
iuvamen praestare. |
|
#1939. — La troisième leçon est que c'est alors surtout que les amis doivent être appelés à [participer à] ses infortunes, quand, avec peu de dérangement pour eux, ils peuvent procurer à leur ami une grande assistance, etc. |
[74642] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13
n. 16 Deinde cum dicit: ire
autem e converso etc., ponit tria documenta ex parte sponte euntium ad
amicos. Quorum primum est, quod ad amicos in infortuniis existentes oportet
aliquem prompte ire, etiam non vocatum; quia amici est benefacere amicis et
maxime illis qui sunt in necessitate, et qui non dignificant, idest
qui non dignum ducunt hoc requirere ab amico. Sic enim dum auxilium
praestatur non requirenti, ambobus, scilicet praestanti et recipienti,
fit melius, id est honestius, quia et ille qui dat maius opus virtutis
facit et etiam ille qui recipit: (ille enim qui dat) videtur magis sponte
dare et ille qui recipit, virtuose agit, nolendo gravare amicum. Est etiam
ambobus delectabilius, quia et recipienti parcitur a verecundia, quam quis
patitur in requirendo amicum et dans magis delectatur quasi ex seipso non
provocatus faciens opus virtutis. |
|
#1940. — Ensuite (1171b20), il présente trois leçons du côté du fait d'aller de soi-même à ses amis. La première en est qu'il faut parfois aller promptement à ses amis, lorsqu'ils se trouvent en des infortunes, même sans y être appelé, parce que c'est le propre d'un ami de faire du bien à ses amis, et surtout à ceux qui sont dans le besoin, et qui ne croient pas que cela en vaille la peine, c'est-à-dire, ne jugent pas digne de le demander de leur ami. Ainsi, en effet, quand on offre de l'aide à qui n'en requiert pas, c'est pour les deux, à savoir, pour qui en offre et pour qui en est offert, que cela se passe pour le mieux, c'est-à-dire, de la manière la plus honorable. Parce que à la fois celui qui donne paraît donner de meilleur gré et celui qui reçoit agit de manière plus vertueuse, en ne voulant pas incommoder son ami. C'est aussi plus plaisant pour les deux, car à la fois celui qui reçoit ne souffre pas de la pudeur que l'on ressent en demandant à un ami, et aussi celui qui donne a plus de plaisir, comme faisant de lui-même une action de vertu sans y être poussé. |
[74643] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13
n. 17 Secundum documentum est,
quod ad bonas fortunas amici prompte se debet homo offerre ad cooperandum ei,
cum necesse fuerit; quia ad hoc indiget homo amicis, ut scilicet ei
cooperentur. |
|
#1941.
— La second leçon est que l'on doit s'offrir promptement à coopérer à la
bonne fortune de son ami, quand cela est nécessaire, parce que c'est pour
cela que l'on a besoin d'amis, qu'ils coopèrent avec soi. |
[74644] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 18 Tertium documentum est, quod ad hoc quod homo bene
patiatur ab amico bene fortunato, debet homo accedere quiete, id est
remisse, et non de facili. Non enim est bonum, quod homo reddat se promptum
ad suscipiendum iuvamen ab amico. Sed homo debet vereri et cavere opinionem
indelectationis, idest ne hanc famam incurrat, quod ipse non sit
delectabilis amico in hoc, quod est onerosum esse, idest propter hoc quod
ipse se reddit onerosum amico. Quod manifestum est quandoque accidere: dum
enim aliqui nimis se ingerunt beneficiis recipiendis, reddunt se onerosos, et
indelectabiles suis amicis. Vel secundum aliam literam, debet homo revereri, id
est cavere, opinionem delectationis in morari, id est ne amicus eius opinetur
de eo quod delectetur in morari circa ipsum propter beneficia. |
|
#1942. — La troisième leçon est que, pour ce qui est d'avoir du plaisir avec son ami pour sa bonne fortune, on doit y aller tranquillement, c'est-à-dire, avec réticence, et non facilement. En effet, il n'est pas bon de se mettre promptement en situation de recevoir de l'aide d'un ami; au contraire, on doit y avoir du scrupule, et éviter la réputation de profiteur, c'est-à-dire, d'encourir cette réputation de ne pas être plaisant pour son ami dans le fait d'être onéreux, c'est-à-dire, pour le fait que l'on se rende soi-même onéreux à son ami. Et il est manifeste que cela arrive parfois. En effet, pour autant que des gens se mêlent trop de recevoir des biens, ils se rendent onéreux et désagréables à leurs amis. Ou, selon une autre lettre, on doit avoir du scrupule, c'est-à-dire, éviter la réputation de profiteur dans le fait de coller, c'est-à-dire, que son ami ne pense de soi que l'on a plaisir à se tenir près de lui pour en tirer des biens. |
[74645] Sententia Ethic., lib. 9 l. 13 n. 19 Ultimo autem ex praemissis concludit, quod praesentia
amicorum in omnibus, videtur esse eligibilis. |
|
#1943. — En dernier, il conclut, à partir de ce qui précède, que la présente des amis paraît désirable en toutes [choses]. |
|
|
|
Lectio
14 |
|
Leçon 14
|
[74646] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 1 Utrum igitur, quemadmodum
et cetera. Pertractatis quaestionibus de multitudine et necessitate amicorum,
hic inquirit de convictu eorum. Et circa hoc tria facit. Primo proponit
quaestionem. Secundo manifestat veritatem, ibi: communicatio enim et cetera.
Tertio infert corollarium ex dictis, ibi, fit igitur et cetera. Quaestio
igitur, prima fundatur in quadam assimulatione amicitiae ad amationem
libidinosam: in qua quidem videmus, quod amantibus est maxime appetibile
videre illas quas amant. Et magis eligunt hunc sensum, videlicet visus,
quam alios exteriores sensus; quia, sicut supra dictum est, per visionem
incipit fieri maxime passio amoris, et secundum hunc sensum conservatur.
Provocatur enim talis amor praecipue ex pulchritudine quam visus percipit. |
|
#1944. — Une fois traitées les questions qui portent sur le nombre et la nécessité des amis, il enquête ici sur leur vie commune. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la question. En second (1171b32), il manifeste la vérité. En troisième (1172a8), il infère un corollaire à partir de ce qu'il a dit. Il dit donc que la vie commune se fonde sur une certaine ressemblance de l'amitié avec l'amour sexuel; c'est là, certes, que nous voyons que ce qu'il y a de plus désirable pour les amants, c'est de voir celles qu'ils aiment. Et ils ont une préférence pour ce sens, la vue, sur les autres sens extérieurs, parce que, comme on l'a dit plus haut (#1822-1823), c'est par la vision surtout que commence à se développer la passion de l'amour, et c'est par ce sens qu'elle se conserve. L'amour de cette nature, en effet, est incité principalement par la beauté que la vue perçoit. |
[74647] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 2 Est ergo quaestio quid sit
proportionale visioni in amicitia: utrum scilicet ipsum convivere; ut
scilicet, sicut amantes maxime delectantur in mutuo aspectu: (ita) amici
maxime delectentur in mutuo convictu. Secundum tamen aliam literam non
inducitur hoc per modum quaestionis, sed per modum conclusionis: quae quidem
litera sic habet: iam igitur quemadmodum et cetera. Et potest hoc
concludi ex eo quod supra probatum est praesentiam amicorum in omnibus esse
delectabilem. |
|
#1945. — Il y a donc cette question de ce qui est proportionnel à la vision dans l'amitié: si c'est le fait même de vivre ensemble, de façon que, somme les amants ont leur plus grand plaisir à se voir mutuellement, de même les amis [l'auraient] à vivre ensemble. Selon une autre lettre, toutefois, cela n'est pas amené sous forme de question, mais sous forme de conclusion; cette lettre se lit ainsi: «Il faut donc admettre, désormais, que…» Cela peut se conclure de ce que l'on a prouvé plus haut (#1936, 1943), que la présence des amis plaît en toutes [circonstances]. |
[74648] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 3 Deinde cum dicit communicatio
enim etc., manifestat veritatem praemissae, sive quaestionis sive
conclusionis, triplici ratione. Quarum prima est, quia amicitia in
communicatione consistit, ut patet ex his quae dicta sunt in octavo. Maxime
autem seipsos sibiinvicem communicant in convictu. Unde convivere videtur
esse maxime proprium et delectabile in amicitia. |
|
#1946. — Ensuite (1171b32), il manifeste la vérité de ce qui précède, soit question, soit conclusion, avec une triple raison. La première en est que l'amitié consiste en une relation[65], comme il appert de ce qui a été dit au huitième [livre] (#1698, 1702, 1724). Or c'est surtout dans la vie commune que s'entretient une relation entre des personnes. Aussi, vivre ensemble est-il le plus manifestement propre et plaisant en amitié. |
[74649] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 4 Secundam rationem ponit
ibi: et ut ad se ipsum et cetera. Sicut enim homo se habet ad amicum, ut ex
supra dictis patet. Ad seipsum autem ita se habet, quod est sibi eligibile et
delectabile quod sentiat se ipsum esse; ergo hoc etiam est ei delectabile
circa amicum. Sed hoc fit in convivendo. Quia per mutuas operationes quas
vident, seinvicem esse sentiunt. Convenienter ergo amici appetunt adinvicem
convivere. |
|
#1947. — Il présente ensuite la seconde raison (1171b33). On entretient avec son ami la même relation que l'on entretient avec soi-même, comme il appert de ce que l'on a dit plus haut (#1797). Or, en rapport à soi, certes, il se trouve qu'il est désirable et plaisant de se percevoir soi-même. Donc, cela est plaisant aussi en rapport à son ami. Or cela se fait à vivre ensemble. Car à travers les actions mutuelles qu'ils se voient poser, les amis se perçoivent entre eux. Il y a donc convenance à ce que les amis désirent vivre ensemble. |
[74650] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 5 Tertiam rationem ponit
ibi, et quod aliquando est et cetera. Quae sumitur ab experimento. Videmus
enim quod homines volunt cum suis amicis conversari secundum actionem in qua
principaliter delectantur, quam reputant suum esse, et cuius gratia eligunt
suum vivere, quasi ad hoc totam vitam suam ordinantes. |
|
#1948. — Il présente ensuite la troisième raison (1172a1), qui se tire de l'expérience. Nous voyons, en effet, que les gens veulent se tenir avec leurs amis pour l'action dans laquelle ils prennent principalement plaisir, qu'ils prennent pour leur être, et dont ils font la fin de leur vie, y subordonnant pratiquement toute leur vie. |
[74651] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 6 Et inde est quod quidam
cum amicis volunt simul potare. Quidam autem simul ludere ad aleas, quidam
autem simul exercitari, puta in torneamentis, luctationibus et aliis
huiusmodi, vel etiam simul venari vel simul philosophari, ita quod singuli in
illa actione volunt commorari cum amicis, quam maxime diligunt inter omnia
huius vitae. Quasi enim volentes convivere cum amicis, huiusmodi actiones
faciunt in quibus maxime delectentur et in quibus reputant consistere totam
vitam suam. Et in talibus actionibus communicant amicis, quarum
communicationem existimant esse convivere. Et sic patet quod convivere est
eligibilissimum in amicitia. |
|
#1949. — De là, il suit que certains veulent boire avec leurs amis; d'autres, par ailleurs, jouer ensemble aux dés; d'autres, par ailleurs, s'exercer, par exemple, dans les tournois, à la lutte et en d'autres choses de la sorte, ou même chasser ensemble, ou philosopher ensemble, de sorte que chacun veut passer son temps avec ses amis à cette action qu'il affectionne le plus parmi toutes les [choses] de cette vie. En effet, c'est pour autant qu'ils veulent vivre avec leurs amis qu'ils font avec eux des actions de la sorte, celles auxquelles ils prennent le plus de plaisir, et en lesquelles ils pensent que consiste toute leur vie. Ils entretiennent avec leurs amis une relation dans des actions de nature à ce qu'ils pensent que la vie commune réside en pareille relation. Ainsi, il appert que vivre ensemble est très désirable en amitié. |
[74652] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 7 Deinde cum dicit: fit
igitur pravorum etc., concludit ex praemissis primo quidem circa pravos, quod
eorum amicitia est mala. Delectantur enim maxime in pravis operibus. Et in
his sibiinvicem communicant. Et cum sint instabiles, semper de malo in peius
procedunt, quia unus efficitur malus accipiendo similitudinem malitiae
alterius. |
|
#1950. — Ensuite (1172a8), il conclut, à partir de ce qui précède concernant l'amitié des bons et des dépravés. En premier, certes, à propos des dépravés, que leur amitié est mauvaise. En effet, ils prennent le plus de plaisir à des actions dépravées. C'est en elles qu'ils entretiennent entre eux une relation. Et comme ils sont instables, ils vont toujours de mal en pis, parce que l'un devient mauvais, en prenant la ressemblance de l'autre. |
[74653] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14
n. 8 Secundo ibi: quae autem
eorum etc., concludit quantum ad bonos, quod amicitia virtuosorum est bona,
et semper bonis colloquiis in virtute coaugetur. Et ipsi amici fiunt meliores
in hoc quod simul operantur et seinvicem diligunt. Unus enim ab alio recipit
exemplum virtuosi operis in quo sibi complacet. Unde in proverbio dicitur, quod
bona homo sumit a bonis. |
|
#1951. — En second (1172a10), il conclut, quant aux bons, que l'amitié des vertueux est bonne, et s'augmente toujours en vertu par de bons entretiens. Les amis eux-mêmes deviennent meilleurs, en ce qu'ils agissent ensemble et s'aiment entre eux. En effet, l'un reçoit de l'autre l'exemple d'une action vertueuse dans laquelle il se complaît. Aussi est-il dit en proverbe que l'on tire le bien des bons. |
[74654] Sententia Ethic., lib. 9 l. 14 n. 9 Ultimo autem epilogando concludit, quod de amicitia in
tantum dictum est, et quod consequenter dicendum est de delectatione. Et sic
terminatur sententia noni libri. |
|
#1952. — Enfin, il conclut, sous forme d'épilogue, que l'on a assez parlé de l'amitié, et que l'on doit parler maintenant du plaisir (#1953-2064). Ainsi se termine la pensée du neuvième livre. |
|
|
|
Liber
10 |
|
LIVRE 10 : [Le plaisir, la vie contemplative, le bonheur]
(Traduction Professeur Yvan Pelletier, 1999)
|
|
|
|
Lectio
1 |
|
Leçon 1
|
[74655] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1 n. 1 Post haec autem de delectatione et cetera. Postquam
philosophus determinavit de virtutibus moralibus et intellectualibus, et
etiam de continentia et amicitia quae quamdam affinitatem cum virtute habent,
in hoc decimo libro intendit determinare de fine virtutis. Et primo quidem de
fine virtutis qui est hominis in seipso. Secundo autem de fine virtutis in
respectu ad bonum commune, quod est bonum totius civitatis, ibi, utrum igitur
si et de his et cetera. Circa primum duo facit. Primo determinat de
delectatione, quae a quibusdam esse ponitur finis virtutis; secundo
determinat de felicitate, quae secundum omnes est finis virtutis, ibi: dictis
autem his quae circa virtutes et cetera. Circa primum duo facit. Primo
prooemialiter ostendit quod determinandum est de delectatione. Secundo
prosequitur suum propositum, ibi, Eudoxus igitur delectationem et cetera.
Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. |
|
#1953. — Après avoir traité des vertus morales et intellectuelles, et aussi de la continence et de l'amitié, comme elles entretiennent une certaine affinité avec la vertu, le Philosophe entend traiter, dans ce dixième livre, de la fin de la vertu. En premier, bien sûr, de la fin de la vertu qui appartient à un homme en lui-même. En second (1179a33), par ailleurs, de la fin de la vertu en regard du bien commun, qui constitue le bien de toute la cité. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite du plaisir, dont certains font la fin de la vertu. En second (1176a30), il traite du bonheur, dont tous font la fin de la vertu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre, à titre de prologue, ce dont il y a à traiter sur le plaisir. En second (1172b9), après le prologue, il poursuit son propos. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. |
[74656] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 2 Et dicit quod post
praedicta consequens est, ut pertranseunter, idest breviter, de
delectatione tractetur. Tractaverat quidem supra in septimo de delectatione,
inquantum est materia continentiae, unde potissime sua consideratio
versabatur circa delectationes sensibiles et corporales. Nunc autem intendit
determinare de delectatione secundum quod adiungitur felicitati. Et ideo
praecipue determinat de delectatione intelligibili et spirituali. |
|
#1954. — Il dit qu'après ce qu'on a dit (#245-1952), il suit qu'en passant, c'est-à-dire brièvement, on traite du plaisir. Bien sûr, plus haut, au septième [livre] (#1354-1367), il avait déjà traité du plaisir, en tant que matière de la continence. Là, aussi, sa considération roulait principalement sur les plaisirs sensibles et corporels. Maintenant, par ailleurs, il entend traiter du plaisir en tant qu'il s'adjoint au bonheur. C'est pourquoi il traite principalement du plaisir intelligible et spirituel. |
[74657] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 3 Secundo ibi: maxime enim
etc., probat quod de delectatione sit agendum, tribus rationibus. Quarum
prima sumitur ex affinitate delectationis ad nos. Videtur enim delectatio
maxime connaturaliter appropriari humano generi et inde oiakizontes id
est gubernatores domorum, maxime erudiunt pueros per delectationem et
tristitiam; volentes enim eos provocare ad bonum et declinare a malo, bene
agentes eos student delectare, puta aliquibus munusculis, male autem agentes
contristant, puta verberibus. Et quia moralis philosophia de rebus humanis
considerat, pertinet ad moralem de delectatione considerare. |
|
#1955. — En second (1176a16), il prouve, avec trois raisons, qu'il y a à traiter du plaisir. La première d'entre elles se tire d'une affinité entre le plaisir et nous. C'est au genre humain, en effet, que, manifestement, le plaisir est le plus connaturellement approprié. C'est pourquoi les maîtres, c'est-à-dire les gouvernants, dans les maisons, éduquent les enfants surtout à l'aide des plaisirs et de la tristesse. En effet, dans l'idée de les inciter au bien et de les éloigner du mal, ils s'efforcent, quand ils agissent bien, de leur procurer du plaisir, et, quand ils agissent mal, de les attrister, entre autres par des coups. Comme, donc, la philosophie morale traite des affaires humaines, il lui appartient de traiter du plaisir. |
[74658] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 4 Secundam rationem ponit
ibi: videtur autem et cetera. Quae sumitur per comparationem ad virtutem. Et dicit
quod maxime videtur ad moralem virtutem pertinere quod homo gaudeat in quibus
oportet et odiat ea quae oportet et contristetur in eis. Praecipue enim
consistit virtus moralis in ordinatione appetitus, quae cognoscitur per
ordinationem delectationis et tristitiae, quae consequuntur omnes appetitivos
motus, ut supra in II dictum est. Et hoc est
quod subdit: quod haec, scilicet delectatio et tristitia, protenduntur
ad omnia quae sunt humanae vitae, et habent magnam potestatem ad hoc quod
homo sit virtuosus et feliciter vivens, quod non potest esse si inordinate
delectetur, vel tristetur. |
|
#1956. — Il donne ensuite sa seconde raison (1176a21). Celle-ci se tire d'une comparaison avec la vertu. Il dit qu'il relève manifestement le plus de la vertu morale que l'on prenne sa joie à ce qu'il faut et qu'on haïsse ce qu'il faut, et qu'on s'en attriste. La vertu morale, en effet, consiste principalement dans une ordonnance de l'appétit, connue à travers une ordonnance du plaisir et de la tristesse, lesquels suivent tous les mouvements de la partie appétitive, comme il a été dit plus haut, au second [livre] (#296). Voilà ce qu'il ajoute: ceux-là, à savoir, le plaisir et la tristesse, s'étendent à tout ce qui touche la vie humaine, et ont grand pouvoir pour ce qu'on soit vertueux et vive heureusement; ce qui ne se peut pas, si on prend plaisir ou s'attriste de manière désordonnée. |
[74659] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 5 Homines enim frequenter
eligunt delectabilia etiam mala, et fugiunt tristia etiam bona. Nequaquam
autem videtur quod homo qui vult esse virtuosus et felix debeat eligere
delectationem et fugam tristitiae pro talibus, scilicet pro hoc quod
incurrat aliquas malas operationes vel quod careat operibus virtutis. Et e
converso potest dici quod non est eligendum facere mala, aut vitare bona pro
talibus, idest pro delectabilibus accipiendis et tristibus fugiendis. Et
sic patet quod ad moralem philosophum pertinet considerare de delectatione,
sicut et de virtute morali et de felicitate. |
|
#1957. — On choisit fréquemment, en effet, ce qui plaît, même mauvais, et on fuit ce qui attriste, même bon. Pourtant, il ne paraît nullement que, voulant être vertueux et heureux, on doive choisir un plaisir et fuir une tristesse à ce point, à savoir, au point de risquer d'agir mal ou d'échouer dans les actions de la vertu. À l'inverse, on peut dire qu'on ne doit pas choisir de faire le mal, ou d'éviter le bien dans ce but, c'est-à-dire dans l'idée d'accepter des plaisirs et de fuir des tristesses. Ainsi appert-il qu'il appartient au philosophe moral de traiter du plaisir, comme aussi de la vertu morale et du bonheur. |
[74660] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 6 Tertiam rationem ponit
ibi, aliterque et cetera. Quae quidem sumitur ex dubitatione existente circa
delectationem. Et circa hoc duo facit. Primo enumerat diversas opiniones
circa delectationem, ex quibus dubitatio probatur; secundo reprobat quiddam
quod in opinionibus dictum est, ibi, ne forte autem et cetera. Dicit ergo
primo, quod alia ratione determinandum est de delectatione et tristitia, quia
habent multam dubitationem. Quod patet ex diversitate loquentium de eis. |
|
#1958. — Il donne ensuite sa troisième raison (1172a27). Celle-ci se tire d'une difficulté qui surgit à propos du plaisir. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il énumère, sur le plaisir, diverses opinions dont la difficulté procède. En second (1172a33), il réprouve une chose dite dans ces opinions. Il dit donc, en premier, qu'une autre raison oblige à traiter du plaisir et de la tristesse: c'est qu'ils comportent beaucoup de difficulté. Cela appert de la diversité [qu'on trouve] chez ceux qui en parlent. |
[74661] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 7 Quidam enim dicunt,
delectationem esse quiddam bonum, quidam vero e contrario dicunt,
delectationem esse aliquid valde pravum. Et hoc diversimode. Nam quidam hoc
dicunt, quia persuasum est eis, quod ita se habeat et ita credunt se verum
dicere, alii vero, licet non credant hoc verum esse quod delectatio sit
aliquid pravum, tamen existimant melius esse ad vitam nostram enunciare, quod
delectatio sit quiddam pravum, quamvis non sit, ad retrahendum homines a
delectatione ad quam multi inclinantur et inserviunt delectationibus, et ideo
oportet homines in contrarium ducere, ut scilicet abhorreant delectationes,
enunciando eas esse malas; sic enim pervenietur ad medium, ut scilicet homo
moderate delectationibus utatur. |
|
#1959. — En effet, certains disent que le plaisir est un bien. Certains, au contraire, disent que le plaisir est quelque chose de très dépravé. Et cela de plusieurs manières. En effet, certains le disent parce qu'ils sont persuadés qu'il en est ainsi et, parlant ainsi, ils croient dire vrai. D'autres, par contre, sans croire que le plaisir soit quelque chose de dépravé, estiment cependant mieux pour notre vie de déclarer le plaisir chose dépravée, même s'il ne l'est pas, pour éloigner les gens du plaisir, auquel beaucoup sont inclinés jusqu'à en être esclaves. C'est pourquoi il faut mener les gens au contraire, et faire qu'ils abhorrent les plaisirs, en les prétendant mauvais. C'est ainsi, en effet, qu'on parvient au milieu et qu'on use modérément des plaisirs. |
[74662] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 8 Deinde cum dicit: ne forte
autem etc., reprobat id quod ultimo dictum est. Non enim videtur esse bene
dictum, quod homines falso enuncient delectationes esse malas, ad hoc, quod
homines retrahantur ab eis: quia circa actiones et passiones humanas minus
creditur sermonibus, quam operibus. Si enim aliquis operetur quod dicit esse
malum, plus provocat exemplo quam deterreat verbo. |
|
#1960. — Ensuite (1172a33), il réprouve ce qui vient d'être dit. Car cela ne paraît pas correct de prétendre faussement les plaisirs mauvais afin d'en éloigner les gens: parce qu'en matière d'actions et de passions humaines, on croit moins les paroles que les actes. Si, en effet, on fait ce qu'on dit mauvais, on incite plus par l'exemple qu'on effraie par les mots. |
[74663] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 9 Et huius ratio est, quia
unusquisque videtur eligere id quod sibi videtur esse bonum in particulari,
circa quod sunt passiones et operationes humanae. Quando ergo sermones
alicuius dissonant ab operibus sensibiliter in ipso apparentibus, tales
sermones contemnuntur. Et per consequens interimitur verum quod per eos
dicitur. Et ita acciderit in proposito. |
|
#1961. — La raison en est que, manifestement, chacun choisit ce qui lui semble bon en chaque cas, et que c'est cela que touchent les passions et les opérations humaines. Quand donc, chez quelqu'un, ses paroles ne s'harmonisent pas aux actions qu'on lui observe, on ne tient pas compte de ses paroles. Par conséquent, la vérité qu'ils disent s'annule. C'est ce qui arrivera dans notre propos. |
[74664] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1
n. 10 Si enim aliquis
vituperans omnem delectationem aliquando videretur ad aliquam delectationem
inclinari daret intelligere, quod omnis delectatio esset eligenda. Multitudo
enim vulgaris non potest determinare distinguendo hoc esse bonum et illud
malum, sed indistincte accipit esse bonum, quod in uno bonum apparet. Sic igitur sermones
veri non solum videntur esse utiles ad scientiam, sed etiam ad bonam vitam. Creditur enim eis inquantum concordant cum operibus. Et
ideo tales sermones provocant eos, qui intelligunt veritatem ipsorum ut
secundum eos vivant. |
|
#1962. — Car si, blâmant tout plaisir, on est manifestement attiré par un plaisir, on donnera à comprendre que tout plaisir est à chercher. En effet, la multitude ne peut arriver à distinguer que cela est bon et cela mauvais; indistinctement, elle reçoit plutôt pour bon ce qui paraît bon dans un [cas]. Ainsi donc, manifestement, les paroles vraies non seulement sont utiles à la science, mais aussi à la bonne vie. On y adhère, en effet, tant qu'elles s'harmonisent avec les actes. C'est pourquoi de telles paroles incitent ceux qui comprennent leur vérité à vivre dans leur conformité. |
[74665] Sententia Ethic., lib. 10 l. 1 n. 11 Ultimo autem epilogando concludit, quod de talibus
sufficienter dictum est. Oportet autem procedere ad ea quae dicta sunt ab
aliis de delectatione. |
|
#1963. — En dernier, par ailleurs, épiloguant, il conclut qu'on a suffisamment parlé de ces sujets. Il faut maintenant procéder à ce que les autres ont dit à propos du plaisir. |
|
|
|
Lectio
2 |
|
Leçon 2
|
[74666] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 1 Eudoxus igitur delectationem et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod determinandum est de delectatione, hic incipit de
ea tractare. Et primo prosequitur opiniones aliorum. Secundo determinat
veritatem, ibi: quid autem est vel quale quid et cetera. Circa primum duo
facit. Primo prosequitur opinionem ponentium delectationem in genere bonorum.
Secundo prosequitur opinionem contrariam
ibi, tali utique (...) ratione et cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit
rationes ex quibus probabat Eudoxus delectationem esse in genere bonorum.
Secundo ponit rationes, ex quibus probabat eam esse maximum bonum, ibi,
maxime autem eligibile et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit,
quomodo Eudoxus probabat delectationem esse de genere bonorum ex parte ipsius
delectationis. Secundo quomodo hoc probabat ex parte contrarii, ibi, non
minus autem et cetera. Circa primum duo facit: primo ponit opinionem et
rationem Eudoxi. Secundo ostendit, quare eius opinioni et rationi credebatur,
ibi, credebantur autem et cetera. |
|
#1964. — Après avoir montré ce dont il y a à parler sur le plaisir, le Philosophe commence ici à en traiter. En premier, il examine les opinions des autres. En second (1174a13), il traite de la vérité. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il examine l'opinion de ceux qui mettent le plaisir dans le genre des biens. En second (1172b28), il examine l'opinion contraire. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il donne les raisons avec lesquelles Eudoxe prouvait que le plaisir est dans le genre des biens. En second (1172b20), il donne les raisons avec lesquelles il prouvait qu'il constitue le plus grand bien. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment Eudoxe prouvait que le plaisir est du genre des biens en partant du plaisir lui-même. En second (1172b18), comment il le prouvait en partant du contraire. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose l'opinion et la raison d'Eudoxe. En second (1172b15), il montre pourquoi on adhérait à son opinion et à sa raison. |
[74667] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 2 Dicit ergo primo, quod Eudoxus existimabat
delectationem esse de genere bonorum, quia videbat quod omnia desiderant
ipsam, tam rationalia scilicet homines, quam irrationalia, scilicet bruta
animalia. Illud autem quod est apud omnes eligibile, videtur esse epiiches,
idest bonum, et maxime potens in bonitate, ex quo potest trahere ad se omnem
appetitum. Et sic quod omnia ferantur ad idem, scilicet ad delectationem, denunciat,
quod delectatio non solum est bonum, sed etiam quiddam optimum; manifestum
est enim, quod unumquodque quaerit invenire id quod est sibi bonum, sicut
cibus est bonum omnibus animalibus, a quibus communiter appetitur. Sic ergo
patet delectationem, quam omnia appetunt, esse aliquid bonum. |
|
#1965.
— Il dit donc, en premier, qu'Eudoxe pensait que le plaisir est du genre des
biens, parce qu'il voyait que tout [être] le désire, tant les [êtres]
rationnels, à savoir, les hommes, que les irrationnels, à savoir, les
animaux brutes. Or ce qui est éligible pour tous, est manifestement
équitable, c'est-à-dire bon, et c'est ce qu'il y a de plus puissant en bonté,
à cause de quoi il peut tirer à lui tout appétit. Ainsi, le fait que tout
[être] tende à la même [chose], à savoir, au plaisir, indique que le plaisir
est non seulement bon, mais aussi ce qu'il y a de mieux. Il est manifeste, en
effet, que chacun cherche à trouver ce qui est bon pour lui, comme la
nourriture est bonne pour tous les animaux par lesquels communément elle est
désirée. Ainsi donc, il appert que le plaisir, que tout [être] désire, est
quelque chose de bon. |
[74668] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 3 Deinde cum dicit credebantur autem sermones etc.,
ostendit quare Eudoxo maxime credebatur. Et dicit, quod sermones Eudoxi magis
credebantur propter moralem virtutem dicentis, quam etiam propter eorum
efficaciam. Ipse enim erat temperatus circa delectationes differenter, quasi
excellentius aliis. Et ideo cum laudabat delectationem, non videbatur hoc
dicere quasi amicus delectationis, sed quia sic se habet secundum rei
veritatem. |
|
#1966.
— Ensuite (1172b15), il montre pourquoi surtout on croyait Eudoxe. Il dit
qu'on croyait aux paroles d'Eudoxe plus en raison de la vertu morale de leur
auteur que pour leur efficacité. Il était lui-même tempérant, en effet, sur
les différents plaisirs, de manière plus excellente que les autres. C'est
pourquoi, quand il louait le plaisir, il ne paraissait pas parler en ami du
plaisir, mais en se fondant sur la vérité de la chose. |
[74669] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 4 Deinde cum dicit: non minus autem etc., ponit rationem
Eudoxi, quae sumebatur ex parte contrarii. Et dicit, quod Eudoxus existimabat
esse manifestum delectationem esse de genere bonorum non minus ex
contrario, scilicet ex parte ipsius delectationis. Manifeste enim
apparet, quod tristitia secundum se est omnibus fugienda. Unde contrarium,
scilicet delectatio, videtur esse omnibus eligendum. |
|
#1967.
— Ensuite (1172b18), il pose la raison d'Eudoxe tirée du contraire. Il dit
que ce n'était pas moins en partant du contraire qu'Eudoxe pensait que le
plaisir est manifestement du genre des biens, à savoir, en partant de la tristesse,
qu'en partant du plaisir même. Manifestement, en effet, il se trouve que la
tristesse est en elle-même à fuir pour tous. Aussi, son contraire, à savoir,
le plaisir, paraît bien être à choisir pour tous. |
[74670] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 5 Deinde cum dicit: maxime autem etc., inducit duas
rationes Eudoxi, ad ostendendum, quod delectatio sit maximum bonum. Quarum
prima est. Illud autem videtur esse maxime eligibile, et per consequens
maxime bonum, quod non eligitur propter alterum quod ei accidat, neque gratia
alicuius sicut finis. Hoc autem manifeste confitentur omnes circa
delectationem. Nullus enim quaerit ab alio, cuius gratia velit delectari;
quasi delectatio sit secundum seipsam eligibilis. Ergo delectatio est maxime
bonum. |
|
#1968.
— Ensuite (1172b20), il introduit deux raisons d'Eudoxe pour montrer que le
plaisir constitue le plus grand bien. La première va comme suit. La [chose],
en effet, manifestement la plus à choisir, et par conséquent le plus grand
bien, c'est celle qui n'est pas choisie pour quelque accident qui s'y
rapporte, ni en vue d'autre chose comme fin. Or, manifestement, tous accordent
cela au plaisir. Personne, en effet, ne cherche ailleurs une raison pour
vouloir avoir du plaisir; comme si le plaisir était en lui-même à choisir.
Donc, le plaisir est le plus grand bien. |
[74671] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 6 Secundam rationem ponit ibi: appositamque et cetera. Et
circa hoc duo facit. Primo ponit ipsam rationem. Hoc enim apparet circa
delectationem, quod apposita cuicumque bono facit ipsum eligibilius. Sicut si
apponatur ei quod est iuste agere, vel temperatum esse, auget horum
bonitatem. Melior enim est, qui delectatur in operatione iustitiae seu
temperantiae. Et ex hoc volebat concludere, quod delectatio esset optimum,
quasi omnibus bonitatem augens. |
|
#1969.
— Il donne ensuite la seconde raison (1172b23). À ce [sujet], il fait deux
[considérations]. En premier, il donne la raison même: il se vérifie à propos
du plaisir, que, appliqué à n'importe quel bien, il le rend plus éligible.
Ainsi, si on l'applique au fait d'agir justement, ou d'être tempérant, il
augmente leur bonté. Il est meilleur, en effet, celui qui prend plaisir à
l'action de la justice ou de la tempérance. Partant de là, il voulait
conclure que le plaisir était le meilleur bien, du fait qu'il augmente la
bonté de tout. |
[74672] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 7 Secundo ibi: videtur autem etc., ostendit defectum
huius rationis. Et dicit, quod praedicta ratio videtur concludere, quod
delectatio sit de genere bonorum, non autem quod sit magis bonum aliquo alio.
De quocumque enim bono hoc etiam verificatur, quod alteri bono coniunctum,
est melius quam si sit solitarium per seipsum. |
|
#1970.
— En second (1172b26), il montre le défaut de cette raison. Il dit que la
raison précédente fait conclure que le plaisir appartient au genre des biens,
mais non qu'il soit davantage qu'un autre un bien. De n'importe quel bien, en
effet, cela se vérifie encore, qu'adjoint à un autre bien, il est meilleur
que s'il demeure seul. |
[74673] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 8 Deinde cum dicit: tali utique ratione etc., prosequitur
opinionem ponentium, delectationem non esse bonum. Et primo ostendit, quomodo
obviant praemissis rationibus. Secundo ponit rationes eorum, quas in
contrarium adducunt, ibi, non tamen si non qualitatum et cetera. Circa primum
duo facit. Primo ostendit, quomodo ratione superius inducta, ad ostendendum
delectationem esse optimum, utebantur ad contrarium. Secundo ostendit,
quomodo obviabant aliis rationibus, ibi, instantes autem et cetera. Circa
primum duo facit. Primo manifestat, quomodo Plato praemissa ratione ad
oppositum utebatur; secundo solvit processum Platonis, ibi, manifestum autem
et cetera. Dicit ergo primo, quod per rationem immediate praemissam Plato,
qui erat contrariae opinionis, interimere conabatur, quod dictum est,
ostendendo, quod delectatio non est per se bonum. Manifestum est enim, quod
delectatio est eligibilior si adiungatur prudentiae. Quia igitur delectatio
commixta alteri melior est, concludebat, quod delectatio non sit per se
bonum. Illud enim, quod est per se bonum, non fit eligibilius per
appositionem alterius. |
|
#1971.
— Ensuite (1172b28), il examine l'opinion de ceux qui pensent que le plaisir
n'est pas un bien. En premier, il montre comment ils répondent aux raisons
qui précèdent. En second (1173a13), il pose leurs raisons pour aboutir au
contraire. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier,
il montre comment, pour [mener au] contraire, ils se servaient de la raison
introduite plus haut pour montrer que le plaisir est ce qu'il y a de mieux.
En second (1172b35), il montre comment ils répondaient aux autres raisons.
Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste
comment Platon se servait de la raison précédente pour [mener à] l'opposé. En
second (1172b32), il résout la démarche de Platon. Il dit donc, en premier,
qu'à l'aide de la raison qui précède immédiatement, Platon, qui était d'un
avis contraire, s'efforçait d'annuler ce qui a été dit (#1965-1970), en montrant que le plaisir n'est pas
bon par soi. Il est manifeste, en effet, que le plaisir est plus élibible
s'il est adjoint à la prudence. Comme donc le plaisir est meilleur mêlé à
autre chose, il concluait que le plaisir n'est pas bon par soi. Ce qui, en
effet, est bon par soi ne devient pas plus éligible par ajout d'autre chose. |
[74674] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 9 Circa quod sciendum est, quod Plato per se bonum
nominabat id quod est ipsa essentia bonitatis, sicut per se hominem ipsam
essentiam hominis. Ipsi autem essentiae bonitatis nihil potest apponi, quod
sit bonum alio modo, quam participando essentiam bonitatis. Et ita quicquid
bonitatis est in eo quod additur est derivatum ab ipsa essentia bonitatis. Et
sic per se bonum non fit melius aliquo addito. |
|
#1972.
— À ce sujet, il faut savoir que Platon donnait comme bon par soi ce qui fait
l'essence même de la bonté, et homme par soi l'essence même de l'homme. Or
rien ne peut s'apposer à l'essence même de la bonté qui soit bon d'une autre
manière qu'en participant à l'essence de la bonté. Ainsi, tout ce qu'il y a
de bonté en ce qui est ajouté est dérivé de l'essence même de la bonté. Par
conséquent, le bon par soi ne devient pas meilleur avec un ajout. |
[74675] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 10 Deinde cum dicit manifestum autem etc., improbat
Aristoteles processum Platonis. Manifestum est enim quod secundum hanc
rationem nihil aliud in rebus humanis erit per se bonum, cum quodlibet
humanum bonum fiat eligibilius additum alicui per se bono. Non enim potest
inveniri aliquid in communicationem humanae vitae veniens quod sit tale, ut
scilicet non fiat melius per appositionem alterius. Tale autem aliquid
quaerimus, quod scilicet in communicationem humanae vitae veniat. Qui enim
dicunt delectationem esse bonum, intendunt eam esse quoddam humanum bonum,
non autem ipsum divinum bonum, quod est ipsa essentia bonitatis. |
|
#1973.
— Ensuite (1172b32), Aristote réprouve la démarche de Platon. Il est
manifeste qu'avec cette raison, rien ne sera par soi bon dans les choses humaines,
puisque n'importe quel bien humain devient plus éligible quand il s'ajoute à
quelque chose de bon par soi. Car on ne peut rien trouver qui intervienne
dans la communication de la vie humaine et soit tel que, à savoir, il ne
devienne pas meilleur par ajout d'autre [chose]. C'est pourtant quelque chose
de tel que nous cherchons, à savoir, qui intervienne dans la communication
de la vie humaine. Ceux, en effet, qui disent que le plaisir est un bien
entendent qu'il est un bien humain, et non le bien divin même, essence même
de la bonté. |
[74676] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 11 Deinde cum dicit: instantes autem etc., ostendit
quomodo Platonici obviabant rationibus Eudoxi probantibus delectationem esse
bonum. Et primo quomodo obviabant rationi quae sumebatur ex parte ipsius
delectationis; secundo quomodo obviabant rationi quae sumebatur ex parte
contrarii, ibi, videtur autem et cetera. Obviabant autem primae
rationi interimendo istam: bonum est quod omnia appetunt. Sed Aristoteles hoc
improbat dicens, quod illi qui instant rationi Eudoxi dicentes quod non est
necessarium esse bonum id quod omnia appetunt, nihil dicere videntur. |
|
#1974.
— Ensuite (1172b35), il montre comment les Platoniciens répondaient aux
raisons d'Eudoxe prouvant que le plaisir est un bien. En premier, comment ils
répondaient à la raison qui se tirait du plaisir lui-même. En second
(1173a5), ils répondaient à la raison qui se tirait du contraire. Or ils
répondaient à la première raison en annulant son inférence: le bien est ce
que tout [être] désire. Mais Aristote réprouve cela en disant que ceux qui
objectent à la raison d'Eudoxe en disant qu'il n'est pas nécessaire que soit
bon ce que tout [être] désire parlent manifestement pour ne rien dire. |
[74677] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 12 Illud enim quod videtur omnibus dicimus ita se habere;
et hoc habetur quasi principium. Quia non est possibile quod naturale
iudicium in omnibus fallat; cum autem appetitus non sit nisi eius quod
videtur bonum, id quod ab omnibus appetitur omnibus videtur bonum. Et sic
delectatio quae ab omnibus appetitur est bona. |
|
#1975.
— Car ce qui paraît tel à tous, nous disons qu'il en va ainsi; et cela est
tenu comme un principe. Parce qu'il n'est pas possible que le jugement
naturel se trompe chez tous. Comme, par ailleurs, il n'y a pas de désir,
sinon de ce qui paraît bon, ce que tous désire paraît à tous un bien. Ainsi,
le plaisir que tous désirent est bon. |
[74678] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2
n. 13 Ille autem qui hoc quod
ab omnibus creditur interimit, non dicit totaliter credibiliora. Posset enim
sustineri illud quod dicitur, si sola ea quae sine intellectu agunt, sicut
bruta animalia et homines pravi appeterent delectationes; quia sensus non
iudicat bonum nisi ut nunc: et sic non oporteret delectationem esse bonum
simpliciter, sed solum quod sit bonum ut nunc. Sed cum etiam habentes
sapientiam appetant aliquam delectationem, omnino non videntur aliquid verum
dicere. |
|
#1976.
— Celui, par ailleurs, qui annule ce que tous croient, n'énonce pas quelque
chose de tout à fait plus crédible. On pourrait, peut-être, soutenir ce que
l'on dit si c'était seulement ceux qui agissent sans intellect, comme les
animaux brutes et les hommes dépravés, qui désiraient des plaisirs; parce que
le sens ne juge pas le bien, sauf pour le moment présent: et ainsi, il ne
s'ensuivrait pas nécessairement que le plaisir soit un bien de manière
absolue, mais seulement qu'il soit un bien pour le moment présent. Mais dans
la mesure où même ceux qui détiennent de la sagesse désirent du plaisir, manifestement,
on ne dit absolument rien. |
[74679] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 14 Et tamen, si omnia quae agunt sine intellectu
appeterent delectationem, adhuc esset probabile quod delectatio esset quoddam
bonum: quia etiam in pravis hominibus est quoddam naturale bonum quod
inclinat in appetitum convenientis boni; et hoc naturale bonum est melius
quam pravi homines, inquantum huiusmodi. Sicut enim virtus est perfectio
naturae, et propter hoc virtus moralis est melior quam virtus naturalis, ut
in sexto dictum est; ita cum malitia sit corruptio naturae, bonum naturale
est melius, sicut integrum corrupto. Manifestum est autem quod secundum id
quod ad malitiam pertinet pravi homines diversificantur. Sunt enim malitiae
sibiinvicem contrariae. Et ideo id secundum quod omnes pravi conveniunt,
scilicet delectationem appetere, videtur magis ad naturam quam ad malitiam
pertinere. |
|
#1977.
— Cependant, même si tout ce qui agit sans intellect désirait du plaisir, il
resterait encore probable que le plaisir soit un bien, parce que, même dans
les hommes dépravés, il se trouve un bien naturel qui incline au désir du
bien qui convient; et ce bien naturel est meilleur que les hommes dépravés
en tant que tels. Comme, en effet, la vertu est la perfection de la nature, et
à cause de cela, la vertu morale est meilleure que la vertu naturelle, comme
il a été dit au sixième [livre] (#1275-1280);
ainsi, comme la malice est une corruption de la nature, le bien naturel est
meilleur, comme l'intègre que le corrompu. Il est manifeste, par ailleurs,
qu'en ce qui appartient à la malice, les hommes dépravés diffèrent. Les
malices, en effet, sont contraires entre elles. C'est pourquoi ce de quoi les
hommes dépravés conviennent, à savoir, désirer le plaisir, appartient
manifestement davantage à la nature qu'à la malice. |
[74680] Sententia Ethic., lib. 10 l. 2 n. 15 Deinde cum dicit: non videtur autem etc., ostendit
quomodo obviabant rationi quae sumebatur ex parte tristitiae. Dicebant enim
quod non sequitur, si tristitia est malum, quod propter hoc delectatio sit
bonum. Quia invenitur quod malum opponitur non solum bono sed etiam malo:
sicut audacia non solum fortitudini, sed etiam timiditati; et ambo scilicet
bonum et malum, opponuntur ei quod neque est bonum neque malum, sicut extrema
opponuntur medio. Est autem aliquid tale secundum suam speciem consideratum,
sicut levare festucam de terra vel aliquid huiusmodi. |
|
#1978. — Ensuite (1173a5), il montre comment ils répondaient à la raison qui se tirait de la tristesse. Ils disaient, en effet, qu'il ne s'ensuit pas, si la tristesse est mauvaise, que pour cela le plaisir est bon. Parce qu'on trouve que le mal s'oppose non seulement au bien mais aussi au mal: comme l'audace [ne s'oppose] pas seulement au courage, mais aussi à la lâcheté; et tous deux, à savoir, le bien et le mal, s'opposent à ce qui n'est ni bien ni mal, comme les extrêmes s'opposent au milieu. Il y a tout de même quelque chose de tel quant à son espèce, comme lever un brin de terre ou quelque chose de la sorte. |
[74681] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 2 n. 16 Sed hunc processum Aristoteles
improbans dicit, quod non dicunt male quantum ad istam oppositionem mali ad
malum: sed tamen non dicunt verum in proposito. Non enim tristitia opponitur delectationi sicut malum
malo. Si enim ambo essent mala, oporteret quod ambo essent fugienda, sicut
enim bonum inquantum huiusmodi, est appetibile; ita malum inquantum
huiusmodi, est fugiendum. Si autem neutrum eorum esset malum, neutrum esset
fugiendum vel similiter se haberet circa utrumque. Sed nunc omnes videntur fugere
tristitiam tamquam malum, et appetere delectationem tamquam bonum. Sic ergo opponuntur adinvicem sicut bonum et malum. |
|
#1979. — Mais, réprouvant ce procédé, Aristote dit qu'ils ne disent pas mal quant à cette oppositon du mal au mal: mais cependant, ils ne disent pas vrai dans le propos. En effet, la tristesse ne s'oppose pas au plaisir comme le mal au mal. Si, en effet, les deux étaient mauvais, il faudrait que tous deux soient à fuir. Comme, en effet, le bien en tant que tel est désirable; de même le mal en tant que tel est à fuir. Si, par ailleurs, aucun d'entre eux n'était mauvais, aucun d'entre eux ne serait à fuir; ou semblablement, il se tiendrait de manière semblable quant à l'un et à l'autre. Mais maintenant, tous paraissent fuir la tristesse comme mauvaise, et désirer le plaisir comme un bien. Ainsi donc, ils s'opposent entre eux comme le bien et le mal. |
|
|
|
Lectio
3 |
|
Leçon 3
|
[74682] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 1 Non tamen si non qualitatum et cetera. Postquam philosophus
removit obviationes Platonicorum ad rationes Eudoxi hic ponit rationes eorum
contra ipsam positionem Eudoxi. Et circa
hoc duo facit. Primo proponit rationes ad ostendendum quod delectatio non sit
de genere bonorum. Secundo ponit rationes ad ostendendum quod delectatio non
sit per se et universaliter bonum, ibi, manifestare autem videtur et cetera.
Et quia primae rationes falsum concludunt, ideo Aristoteles simul ponendo
eas, destruit eas. Ponit ergo circa primum quatuor rationes. Quarum prima
talis est. Bonum videtur ad genus qualitatis pertinere: quaerenti enim quale
est hoc, respondemus, quoniam bonum. Delectatio autem non est qualitas; ergo
non est bonum. |
|
#1980. — Après avoir écarté la solution des Platoniciens pour les raisons d'Eudoxe, le Philosophe donne ici leurs propres raisons contre la position même d'Eudoxe. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il donne les raisons avec lesquelles ils montrent que le plaisir n'appartient pas au genre des biens. En second (1173b31), il donne des raisons pour montrer que le plaisir n'est pas par soi universellement le bien. Or comme les premières raisons concluent du faux, Aristote les détruit tout en les donnant. Il donne donc, pour le premier [point], quatre raisons. La première va comme suit. Le bien semble bien appartenir au genre de la qualité: à qui demande, en effet, de quelle qualité est ceci, nous répondons que c'est bon. Or le plaisir n'est pas une qualité; donc, il n'est pas un bien. |
[74683] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 2 Sed hoc Aristoteles removet dicens: quod non sequitur,
si delectatio non sit de genere qualitatum, quod propter hoc non sit de
genere bonorum, quia etiam operationes virtutis et ipsa felicitas, quae
manifeste sunt de genere bonorum, (non sunt qualitates). Bonum enim dicitur
non solum in qualitate, sed etiam in omnibus generibus, sicut in primo dictum
est. |
|
#1981. — Mais Aristote écarte cela en disant qu'il ne s'ensuit pas, si le plaisir n'est pas du genre des qualités, que pour cela il ne soit pas du genre des biens. Le bien, en effet, se dit non seulement dans la qualité, mais aussi dans tous les genres, comme il a été dit au premier [livre] (#81). |
[74684] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 3 Secundam rationem ponit ibi: dicunt autem et cetera. Et
primo ponit ipsam rationem Platonicorum: dicebant enim quod esse bonum est
determinatum, ut patet ex his quae supra in nono dicta sunt. Delectatio
autem, ut dicunt, est indeterminata. Quod probabant per hoc quod recipit
magis et minus. Et sic concludebant quod delectatio non esset de genere
bonorum. |
|
#1982. — Il donne ensuite la seconde raison (1173a15). En premier, il donne la raison même des Platoniciens: ils disaient, en effet, que le bien comporte détermination, comme il appert de ce qui a été dit au neuvième [livre]. Or le plaisir, comme on dit, est indéterminé. Ce qu'on prouvait du fait qu'il admet le plus et le moins. Ainsi concluaient-ils que le plaisir n'était pas du genre des biens. |
[74685] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 4 Secundo ibi, siquidem igitur etc., destruit huiusmodi
processum. Circa quod considerandum est, quod dupliciter aliquid recipit
magis et minus. Uno modo in concreto. Alio modo in abstracto. Semper enim
dicitur aliquid magis et minus per accessum ad aliquid unum vel per recessum
ab eo; quando igitur id quod inest subiecto est unum et simplex, ipsum quidem
in se non recipit magis et minus. Unde non dicitur magis et minus in
abstracto. Sed potest dici magis et minus in concreto, ex eo quod subiectum
magis et minus participat huiusmodi formam. Sicut patet in luce, quae est una
et simplex forma. Unde non dicitur ipsa lux secundum magis et minus. Sed
corpus dicitur magis vel minus lucidum, eo quod perfectius vel minus perfecte
participat lucem. |
|
#1983. — En second (1173a17), il détruit ce style de démarche. À ce sujet, il est à considérer qu'une chose admet le plus et le moins de deux manières. D'une manière, concrètement. D'une autre manière, abstraitement. Toujours, en effet, on est dit plus et moins [tel] selon qu'on s'approche ou s'éloigne d'une [forme] unique. Quand donc la [forme] qui appartient au sujet est unique et simple, elle-même n'admet pas le plus et le moins en elle, bien sûr. Alors, elle ne reçoit pas l'attribution du plus et du moins abstraitement. Mais elle peut recevoir l'attribution du plus et du moins concrètement, du fait que son sujet participe plus ou moins d'une forme de la sorte. Ainsi en va-t-il de la lumière, qui est une forme une et simple. Aussi, la lumière même ne reçoit pas l'attribution du plus et du moins; mais un corps se dit plus ou moins lumineux, du fait de participer plus ou moins parfaitement de la lumière. |
[74686] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 5 Quando autem est aliqua forma quae in sui ratione
importat quamdam proportionem multorum ordinatorum ad unum, talis forma etiam
secundum propriam rationem recipit magis et minus. Sicut patet de sanitate et
pulchritudine; quorum utrumque importat proportionem convenientem naturae
eius quod dicitur pulchrum vel sanum. Et quia huiusmodi proportio potest esse
vel magis vel minus conveniens, inde est quod ipsa pulchritudo vel sanitas in
se considerata dicitur secundum magis et minus. Et ex hoc patet quod unitas
secundum quam aliquid est determinatum est causa quod aliquid non recipiat magis
et minus. Quia ergo delectatio recipit magis et minus, videbatur non esse
aliquid determinatum et per consequens non esse de genere bonorum. |
|
#1984. — Quand, par ailleurs, on a une forme dont la définition implique la proportion de plusieurs [éléments] mis en ordre pour [faire] un, une telle forme admet aussi, par sa définition propre, le plus et le moins. Ainsi en va-t-il de la santé et de la beauté: l'une et l'autre impliquent la proportion qui convient à la nature de ce qu'on dit beau ou sain. Or, comme une proportion de la sorte peut convenir plus ou moins, il s'ensuit que la beauté ou la santé, considérées en elles-mêmes, reçoivent l'attribution du plus et du moins. Il en devient patent que l'unité qui donne à une chose sa détermination cause que cette chose n'admette pas le plus et le moins. Comme donc le plaisir admet le plus et le moins, il semblait bien ne pas être quelque chose de déterminé et, par conséquent, ne pas être du genre des biens. |
[74687] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 6 Aristotiles igitur huic obviando dicit quod, si
Platonici iudicant delectationem esse aliquid indeterminatum ex eo quod
recipit magis et minus in concreto, videlicet per hoc quod contingit aliquem
delectari magis et minus, erit idem dicere circa iustitiam et alias virtutes,
secundum quas aliqui dicuntur esse aliquales magis et minus. Sunt enim aliqui
magis et minus iusti et fortes. Et idem etiam accidit circa actiones.
Contingit enim quod aliquis agat iuste et temperate magis et minus. Et
secundum hoc, vel virtutes non erunt de genere bonorum, vel praedicta ratio
non removet delectationem esse de genere bonorum. |
|
#1985. — Aristote, donc, en résolvant cette [difficulté], dit que, si les Platoniciens disent que le plaisir est quelque chose d'indéterminé du fait qu'il admette le plus et le moins concrètement, c'est-à-dire du fait qu'il se puisse que quelqu'un prenne plus et moins plaisir, il faudra dire la même chose pour la justice et les autres vertus, en rapport auxquelles on reçoit de quelque manière l'attribution du plus et du moins. En effet, on est plus et moins juste et courageux. La même chose encore arrive avec les actions. Il se peut, en effet, que l'on agisse de manière juste et tempérante plus et moins. Ainsi, ou bien les vertus ne seront pas du genre des biens, ou bien la raison précédente n'écarte pas le plaisir du genre des biens. |
[74688] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 7 Si vero dicant delectationem recipere magis et minus ex
parte ipsarum delectationum: considerandum est ne forte eorum ratio non
referatur ad omnes delectationes, sed assignent causam quod quaedam
delectationes sunt simplices et immixtae, puta delectatio quae sequitur
contemplationem veri, quaedam autem delectationes sunt mixtae, puta quae
sequuntur contemperantiam aliquorum sensibilium, sicut quae sequuntur
harmoniam sonorum, aut commixtionem saporum, seu colorum. Manifestum est
enim, quod delectatio simplex secundum se non recipiet magis et minus, sed
sola mixta; inquantum scilicet contemperantia sensibilium quae delectationem
causat potest esse magis vel minus conveniens naturae eius qui delectatur. |
|
#1986. — Si, par ailleurs, ils disent que le plaisir admet du plus et du moins du côté des plaisirs mêmes, il est à considérer que, peut-être, leur raison ne renvoie pas à tous les plaisirs; ils assignent plutôt comme cause que certains plaisirs sont simples et sans mélange, par exemple, le plaisir qui suit la contemplation du vrai, tandis que certains plaisirs sont mixtes, par exemple, ceux qui suivent l'harmonie de certains sensibles, comme ceux qui suivent l'harmonie des sons, ou le mélange des saveurs ou des couleurs. Il est manifeste, en effet, que le plaisir simple n'admet pas en lui-même le plus et le moins, mais seul le mixte, pour autant, en fait, que l'harmonie des sensibles qui cause le plaisir peut convenir plus ou moins à la nature de celui qui y prend plaisir. |
[74689] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 8 Sed tamen neque etiam delectationes quae secundum se
recipiunt magis et minus ratione suae mixtionis, oportet non esse
determinatas, neque bonas. Nihil enim prohibet quin delectatio recipiens
magis et minus sit determinata, sicut et sanitas. Huiusmodi enim determinata
dici possunt, inquantum aliqualiter attingunt id ad quod ordinantur, licet
possent propinquius attingere. Sicut commixtio humorum habet rationem
sanitatis ex eo quod attingit convenientiam humanae naturae; et ex hoc
dicitur determinata, quasi proprium terminum attingens. |
|
#1987. — Cependant, pas même les plaisirs qui, d'après eux, admettent le plus et le moins en raison de leur mélange sont nécessairement indéterminés, et pas bons. Rien n'empêche, en effet, que le plaisir qui admet le plus et le moins ne soit déterminé, comme [l'est] d'ailleurs la santé. Ce type de choses, en effet, peuvent se dire déterminées, dans la mesure où, d'une certaine manière, elles réalisent ce à quoi elles sont ordonnées, bien qu'elles pourraient le réaliser de manière plus prochaine. Comme le mélange des humeurs a raison de santé de cela qu'il réalise l'exigence de la nature humaine; par là, elle est dite déterminée, comme réalisant son propre terme. |
[74690] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 9 Sed complexio quae nullo modo ad hoc attingit, non est
determinata, sed est procul a ratione sanitatis. Ideo autem sanitas secundum
se recipit magis et minus, quia non est eadem commensuratio humorum in
omnibus hominibus, neque etiam in uno et eodem est semper eadem. Sed etiam si
remittatur, permanet ratio sanitatis usque ad aliquem terminum. Et sic
differt sanitas secundum magis et minus. Et eadem ratio est de delectatione
mixta. |
|
#1988. — Tandis que la complexion qui ne réalise cela d'aucune façon n'est pas déterminée, mais reste loin de la raison de santé. C'est pourquoi, par ailleurs, la santé admet en elle le plus et le moins, parce qu'elle n'est pas la même commensuration des humeurs chez tous les hommes, ni même n'est toujours la même dans un seul et même. Mais même si elle diminue, la raison de santé demeure jusqu'à un certain terme. Ainsi, la santé diffère selon le plus et le moins. La même raison vaut pour le plaisir mixte. |
[74691] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 10 Tertiam rationem ponit ibi, perfectumque et cetera. Et
circa hoc duo facit. Primo ponit ipsam rationem. Ponebant enim Platonici, id
quod est per se bonum esse quiddam perfectum; omnes autem motiones et
generationes sunt imperfectae. Est enim motus actus imperfecti, ut dicitur in
tertio physicorum. Unde nullam motionem seu generationem ponunt esse de
genere bonorum. Nituntur autem affirmare quod delectatio sit motio vel
generatio. Unde concludunt quod delectatio non est per se bonum. |
|
#1989. — Il donne ensuite la troisième raison (1173a29). À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il donne la raison même. En effet, posaient les Platoniciens, ce qui est le bien par soi est quelque chose de parfait. Or tout mouvement ou génération est imparfait. Le mouvement, en effet, est l'acte de l'imparfait, comme on le dit, au troisième [livre] de la Physique (ch. 2). Aussi, ils ne posent aucun mouvement ou génération dans le genre des biens, tout en s'efforçant d'affirmer que le plaisir est un mouvement ou une génération. Aussi, ils concluent que le plaisir n'est pas par soi un bien. |
[74692] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 11 Secundo ibi: non bene autem etc., excludit hanc
rationem dupliciter. Primo quidem quantum ad hoc, quod dicunt delectationem
esse motionem. Et dicit quod non bene videntur dicere dum dicunt,
delectationem esse motionem. Omnis enim motio videtur esse velox aut tarda.
Velocitas autem et tarditas non conveniunt motioni absolute secundum seipsam,
sed per respectum ad aliud. Sicut motio mundi, idest motus diurnus, quo
revolvitur totum caelum, dicitur velox per respectum ad alios motus. |
|
#1990. — En second (1173a31), il exclut cette raison de deux manières. En premier, certes, quant à cela qu'ils disent que le plaisir est un mouvement. Il dit qu'ils ont bien l'air de ne pas bien s'exprimer, quand ils disent que le plaisir est un mouvement. En effet, tout mouvement, manifestement, est rapide ou lent. Or la rapidité et la lenteur ne conviennent pas de manière absolue au mouvement en lui-même, mais en regard d'autre chose. Ainsi, le mouvement du monde, c'est-à-dire le mouvement diurne, dans lequel tourne tout le ciel, est dit rapide en regarde d'autres mouvements. |
[74693] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 12 Et huius ratio est, quia sicut in IV physicorum
habetur, velox est quod in pauco tempore multum movetur: tardum autem quod in
multo parum, multum autem et paucum dicuntur ad aliquid, ut habetur in
praedicamentis. Sed delectationi non competit neque velocitas neque tarditas.
Contingit quidem quod aliquis pervenit velociter ad delectationem, sicut
aliquis velociter provocatur ad iram. Sed quod aliquis delectetur velociter
vel tarde, non dicitur, neque etiam per respectum ad alterum, sicut velociter
dicitur aliquis aut tarde ire, aut augeri, et omnia huiusmodi. Sic igitur
patet quod contingit (quod) velociter et tarde aliquis transponatur in
delectationem, idest quod perveniat ad ipsam. |
|
#1991. — La raison en est que, comme il en est question au sixième [livre] de la Physique (ch. 2), est rapide ce qui est mû beaucoup en peu de temps, et lent, par ailleurs, ce qui [est mû] peu en beaucoup [de temps]. Or beaucoup et peu se disent en relation à autre chose, comme il en est question, dans les Prédicaments (ch. 4). Or au plaisir ne conviennent ni la rapidité ni la lenteur. Il arrive, certes, que l'on parvient rapidement au plaisir, comme on est rapidement mis en colère. Mais que l'on ait du plaisir rapide ou lent, cela ne se dit pas, pas même en comparaison avec autre chose, comme on dit quelqu'un s'en aller, ou augmenter rapidement ou lentement, et faire [rapidement ou lentement] toutes [choses] de la sorte. Ainsi donc, il est évident qu'il se peut que l'on soit rapidement ou lentement porté au plaisir, c'est-à-dire que l'on y parvienne [ainsi]. |
[74694] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 13 Et hoc ideo, quia per aliquem motum potest perveniri ad
delectationem. Sed non contingit velociter operari secundum delectationem, ut
scilicet aliquis velociter delectetur. Quia ipsum delectari magis est in
factum esse quam in fieri. |
|
#1992. — La raison en est que l'on peut parvenir au plaisir au moyen d'un mouvement. Mais il ne se peut pas que l'on prenne rapidement du plaisir, au sens d'avoir un plaisir rapide. C'est que le fait même d'avoir du plaisir tient davantage au fait d'être terminé qu'à celui de se faire. |
[74695] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 3 n. 14 Secundo ibi: et generatio etc.,
excludit rationem Platonicorum quantum ad hoc, quod ponebant delectationem
esse generationem. Et circa hoc duo facit.
Primo ostendit, quod delectatio non sit generatio. Secundo ostendit originem
huius opinionis, ibi, opinio autem et cetera. Dicit ergo primo, quod delectatio
non videtur esse generatio. Non enim videtur quidlibet ex quolibet generari.
Sed unumquodque, ex quo generatur, in hoc dissolvitur. Et oportet, si
delectatio est generatio, quod eiusdem tristitia sit corruptio, cuius
delectatio est generatio. Et hoc quidem Platonici asserunt. Dicunt enim quod
tristitia est defectus eius quod est secundum naturam, videmus enim quod ex
separatione eius quod naturaliter unitur sequitur dolor. Et similiter dicunt,
quod delectatio sit repletio: quia cum apponitur aliquid alicui, quod ei
convenit secundum naturam, sequitur delectatio. |
|
#1993. — En second (1173b4), il exclut la raison des Platoniciens quant à ce qu'ils posaient que le plaisir est une génération. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le plaisir n'est pas une génération. En second (1173b13), il montre l'origine de cette opinion. Il dit donc, en premier, que le plaisir n'est manifestement pas une génération. Manifestement, en effet, n'importe quoi n'est pas engendré de n'importe quoi. D'ailleurs, chaque chose se dissout dans ce dont elle est engendrée. Il faut en outre, si le plaisir est une génération, que la tristesse soit une corruption de la même chose dont le plaisir est la génération. Cela, de fait, les Platoniciens l'affirment. Ils disent, en effet, que la tristesse est le manque de ce que commande la nature. Nous observons, d'ailleurs, qu'une douleur suit de la séparation de ce à quoi on est naturellement uni. Semblablement, ils disent que le plaisir est une satiété: car c'est quand s'ajoute à quelqu'un une chose qui lui convient de nature que suit le plaisir. |
[74696] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 15 Sed hoc ipse improbat, quia separatio et repletio sunt
corporales passiones. Si ergo delectatio est repletio eius quod est secundum
naturam, sequetur illud delectari in quo est repletio. Sequetur ergo quod
corpus delectetur. Sed hoc non videtur esse verum; quia delectatio est passio
animae. Patet ergo, quod delectatio non est ipsa repletio seu generatio, sed
quiddam ad hoc consequens, facta enim repletione aliquis delectatur sicut
facta incisione aliquis dolet et tristatur. |
|
#1994. — Mais Aristote n'est pas d'accord, parce que la séparation et la satiété sont des passions corporelles. Si donc le plaisir est une satiété de ce que commande la nature, il suit que prend plaisir ce en quoi il y a satiété. Il s'ensuit donc que c'est le corps qui prend plaisir. Mais cela ne paraît pas vrai, parce que le plaisir est une passion de l'âme. Il appert donc que le plaisir n'est pas la satiété même ou la génération, mais quelque chose qui s'ensuit de cela. Une fois réalisée la satiété, en effet, on prend plaisir comme, l'incision faite, on a mal et on s'attriste. |
[74697] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 16 Deinde cum dicit: opinio autem etc., ostendit originem
huius opinionis. Et dicit, quod haec opinio quae ponit delectationem esse
repletionem, et tristitiam subtractionem, videtur provenisse ex tristitiis et
delectationibus, quae sunt circa cibum. Illi enim qui prius fuerunt tristati
propter indigentiam cibi, postea delectantur in ipsa repletione. Sed hoc non
accidit circa omnes delectationes; inveniuntur enim quaedam delectationes in
quibus non est repletio alicuius defectus. Delectationes enim quae sunt in
considerationibus mathematicis, non habent tristitiam oppositam, quam ponunt
in defectu consistere. Et ita huiusmodi delectationes non sunt ad repletionem
defectus. Et idem apparet in delectationibus quae sunt secundum sensus, puta
per olfactum, auditum, et visum praesentium sensibilium; |
|
#1995. — Ensuite (1173b13), il montre l'origine de cette opinion. Il dit que cette opinion qui pose le plaisir comme satiété, et la tristesse comme manque, semble bien provenir des tristesses et des plaisirs qui portent sur la nourriture. Ceux, en effet, qui se sont d'abord trouvés tristes en raison de leur manque de nourriture prennent ensuite plaisir de leur satiété. Mais cela ne se passe pas ainsi dans tous les plaisirs où ne se produit pas satiété après un manque. Car les plaisirs qui résident dans les considérations mathématiques ne comportent pas une tristesse opposée que l'on ferait consister dans un manque. Ainsi, des plaisirs de la sorte n'ont pas rapport à une satiété après un manque. La même [chose] se produit dans les plaisirs qui suivent les sensations, par exemple, l'odorat, l'ouïe, la vue de sensibles présents. |
[74698] Sententia Ethic., lib. 10 l. 3 n. 17 Sunt etiam multae species memoriae delectabiles; nec
causa potest assignari, cuius generationes sunt huiusmodi delectationes; quia
non inveniuntur aliqui defectus praecedentes quorum fiat repletio per
huiusmodi delectationes. Dictum est autem supra, quod cuius generatio est
delectatio, eius corruptio est tristitia. Unde, si aliqua delectatio
invenitur absque defectu tristitiae, sequitur quod non omnis delectatio sit
repletio. |
|
#1996. — Beaucoup d'images, aussi, plaisent à la mémoire, et on ne peut en donner pour cause les générations de ce sur quoi portent ces plaisirs, parce qu'il ne se trouve pas de manques antérieurs pour lesquels des plaisirs de la sorte assurent une satiété. Il a été dit plus haut (#1993), par ailleurs, que ce dont la génération est un plaisir, sa corruption est une tristesse. Aussi, si un plaisir existe sans une tristesse pour laquelle il compense, il s'ensuit que pas tout plaisir ne comporte une tristesse correspondante. |
|
|
|
Lectio
4 |
|
Leçon 4
|
[74699] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 1 Ad proferentes autem et cetera. Postquam philosophus
exclusit tres rationes Platonicorum concludentium delectationem non esse de
genere bonorum, hic excludit quartam, quae sumitur ex turpitudine quarumdam
delectationum. Platonici enim proferebant in medium quasdam opprobriosas
delectationes, puta adulteriorum et ebrietatum, ut ex his ostenderent
delectationes non esse de genere bonorum. Sed ad hoc Aristoteles tripliciter
obviat. |
|
#1997. — Après avoir exclu trois raisons des Platoniciens concluant que le plaisir n'est pas du genre des biens, le Philosophe en exclut ici une quatrième, qui se tire de la honte attachée à certains plaisirs. Les Platoniciens, en effet, avançaient certains plaisirs blâmables, comme l'adultère et l'ébriété, de manière à montrer par eux que les plaisirs ne sont pas du genre des biens. Mais à cela, Aristote apporte une triple solution. |
[74700] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 2 Primo quidem, ut aliquis dicat, quod huiusmodi turpia
non sunt simpliciter delectabilia. Non enim sequitur, si aliqua sunt
delectabilia male dispositis, quod propter hoc sint delectabilia simpliciter;
nisi quod sunt delectabilia his, id est male dispositis, sicut etiam
neque sunt simpliciter sana illa quae sunt sana infirmis neque etiam sunt
simpliciter dulcia vel amara, quae videntur huiusmodi habentibus gustum
infectum; neque etiam sunt simpliciter alba, quae videntur talia his qui
patiuntur obtalmiam. Et haec quidem solutio procedit secundum quod
delectabile dicitur simpliciter homini id quod est ei delectabile secundum
rationem. Quod non contingit de huiusmodi turpibus, quamvis sint delectabilia
secundum sensum. |
|
#1998. — En premier, certes (1173b20), comme on dirait, parce que ces [plaisirs] honteux ne plaisent pas absolument. Il ne s'ensuit pas, en effet, si quelque chose plaît à des gens mal disposées, qu'il soit pour cela plaisant absolument, mais qu'il le soit pour eux, qui sont mal disposés. De même manière, n'est pas sain absolument ce qui paraît sain à des malades; n'est pas non plus doux ou amer absolument ce qui paraît tel à qui a le goût infecté; n'est pas non plus blanc absolument ce qui le semble à qui souffre d'ophtalmie. Cette solution procède de ce que le plaisir se dit absolument, pour l'homme, de ce qui lui plaît en conformité à sa raison. Ce n'est pas le cas de ces plaisirs corporels, quoiqu'ils soient délectables selon son sens. |
[74701] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 3 Secundam obviationem ponit ibi, vel sic utique et
cetera. Potest enim dici, quod omnes delectationes sint eligibiles, non tamen
omnibus, sicut etiam ditari bonum est; non tamen est bonum quod ditetur ille
qui est proditor patriae; quia sic potest magis nocere. Similiter etiam esse
sanum bonum est, non tamen est bonum ei qui comedit aliquid nocivum. Sicut
serpens comestus, quandoque curat leprosum, licet perimat sanum. Et similiter
delectationes bestiales, bestiis quidem sunt appetibiles, non autem
hominibus. |
|
#1999. — Il présente ensuite sa seconde réplique (1173b25). On peut dire, en effet, que tous les plaisirs sont éligibles, mais non pour tous. Par exemple, il est bon d'être riche, mais il n'est toutefois pas bon que soit riche le traître à sa patrie, parce qu'ainsi, il peut nuire davantage. De manière semblable, être en santé, c'est bon aussi, mais pas, cependant, pour qui mange quelque chose de nocif. Par exemple, manger du serpent guérit parfois un lépreux, mais cela tue quelqu'un en santé. De manière semblable, les plaisirs bestiaux sont désirables pour les bêtes, mais non pour les hommes. |
[74702] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 4 Tertiam obviationem ponit ibi, vel specie et cetera. Et
dicit, quod delectationes specie differunt. Aliae enim sunt secundum
speciem delectationes quae causantur a bonis operibus, ab illis quae
causantur a turpibus. Differunt enim
passiones secundum obiecta. Et ita ille qui non est iustus, non potest
delectari delectatione quae est propria iusti, sicut nec ille qui non est
musicus potest delectari delectatione musici. Et idem est de aliis
delectationibus. |
|
#2000. — Il présente ensuite sa troisième réplique (1173b28). Il dit que les plaisirs diffèrent en espèce. En effet, les plaisirs produits par de bonnes actions diffèrent en espèce de ceux produits par des actions honteuses. Les passions diffèrent, en effet, selon leurs objets. Qui n'est pas juste ne peut prendre plaisir au plaisir propre au juste, comme aussi qui n'est pas musicien ne peut prendre plaisir au plaisir du musicien. Il en va de même pour les autres plaisirs. |
[74703] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 5 Deinde cum dicit manifestare autem etc., probat quod
delectatio non sit per se et universaliter bonum. Et hoc tribus rationibus.
Circa quarum primam dicit, quod hoc, quod delectatio non sit bonum, vel quod
sint diversae species delectationis, quarum quaedam sint bonae et quaedam
malae, manifestat differentia quae est inter amicum et adulatorem. Amicus enim
colloquitur amico propter bonum, adulator autem propter delectationem. Unde adulator vituperatur, amicus autem laudatur: et
sic patet, quod propter diversa colloquuntur. Est ergo aliud delectatio, et
aliud bonum. |
|
#2001. — Ensuite (1173b31), il prouve que le plaisir n'est pas par soi et universellement bon. Et cela, avec trois raisons. Pour la première d'entre elles, il dit que ce fait qu'un plaisir ne soit pas un bien, ou que différentes espèces de plaisir existent, dont certaines soient bonnes et certaines mauvaises, devient manifeste avec la différence qui existe entre l'ami et le flatteur. L'ami, en effet, parle à son ami en vue du bien, tandis que le flatteur [le fait] en vue du plaisir. Aussi le flatteur est-il blâmé, tandis que l'ami est loué: par là il appert qu'ils parlent pour des raisons différentes. Autre chose, donc, est le plaisir, et autre chose le bien. |
[74704] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 6 Secundam rationem ponit ibi: nullusque utique et
cetera. Et dicit, quod nullus eligeret per totam vitam suam habere mentem
pueri, ita quod semper delectaretur in quibus pueri delectantur, qui tamen
aestimantur maxime delectari. Neque etiam aliquis eligeret gaudere faciendo
turpissima per totam vitam suam, etiam si nunquam deberet tristari. Quod
dicit contra Epicuros, qui ponebant quod turpes delectationes non sunt
vitandae, nisi propter hoc quod inducunt in maiores tristitias. Et sic patet,
quod delectatio non est per se bonum, quia quolibet modo esset eligenda. |
|
#2002. — Il présente ensuite sa seconde raison (1174a1). Il dit que personnne ne chosisirait d'avoir toute sa vie un esprit d'enfant, de manière à toujours prendre plaisir ce à quoi les enfants se délectent, même si on estime que ce sont eux qui ont le plus de plaisir. On ne choisirait pas non plus de se réjouir à faire toute sa vie ce qu'il y a de plus honteux, même si on ne devait jamais en retirer tristesse. Il dit cela à l'encontre des Épicuriens, qui prétendaient que les plaisirs honteux ne sont pas à éviter, sauf en raison de ce qu'ils conduisent dans de plus gandes tristesses. Ainsi, il appert que le plaisir n'est pas un bien par soi, parce qu'il serait alors à choisir de toute façon. |
[74705] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 7 Tertiam rationem ponit ibi, et circa multa et cetera.
Manifestum est enim, multa esse ad quae homo studeret, etiam si nulla
delectatio ex his sequeretur: sicut videre, recordari, scire, virtutem
habere. Nihil autem differt ad propositum si ex his sequuntur delectationes,
quia etiam praedicta eligerentur nulla delectatione ab his consequente. Id
autem quod est per se bonum tale est sine quo nihil est eligibile ut patet de
felicitate. Sic ergo delectatio non est per se bonum. |
|
#2003. — Il présente ensuite sa troisième raison (1174a4). Il est manifeste, en effet, que bien des [choses] existent auxquelles on s'efforce, même si aucun plaisir n'en devait suivre: par exemple, voir, se souvenir, savoir, avoir vertu. Et il ne fait aucune différence, pour notre propos, si des plaisirs en suivent de fait, parce que les biens mentionnés seraient choisis même sans aucun plaisir attaché à eux. Mais ce qui est un bien par soi, cependant, est tel que, sans lui, rien n'est éligible, comme il appert du bonheur. Ainsi donc, le plaisir n'est pas un bien par soi. |
[74706] Sententia Ethic., lib. 10 l. 4 n. 8 Ultimo autem epilogando concludit, quod manifestum
videtur esse ex praemissis, quod delectatio non sit per se bonum, et quod non
omnis delectatio sit eligibilis. Et quod quaedam delectationes sunt
eligibiles, quae vel secundum seipsas differunt specie a malis
delectationibus, vel secundum ea a quibus causantur. Et sic sufficienter
tractatum est de his, quae ab aliis dicuntur de delectatione et tristitia. |
|
#2004. — En dernier, par ailleurs, épiloguant, il conclut qu'il semble bien être manifeste, d'après ce qui précède, que le plaisir ne soit pas le bien par soi, et que tout plaisir ne soit pas éligible. Et que certains plaisirs sont éligibles, qui diffèrent en espèce des mauvais plaisirs, soit en eux-mêmes, soit quant à ce qui les cause. On a ainsi suffisamment traité de ce qui a été dit par d'autres concernant le plaisir et la tristesse. |
|
|
|
Lectio
5 |
|
Leçon 5
|
[74707] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 1 Quid autem est vel quale quid et cetera. Postquam
philosophus determinavit de delectatione secundum aliorum opinionem, hic
determinat de ea secundum veritatem. Et primo ostendit delectationem non esse
in genere motus, seu generationis sicut a Platonicis ponebatur. Secundo
determinat naturam et proprietatem ipsius, ibi, sensus autem omnis et cetera.
Circa primum duo facit. Primo dicit de quo est intentio, et modum agendi. Et
dicit, quod manifestius fiet per sequentia, quid sit delectatio, secundum
genus suum, vel quale quid sit, idest utrum sit bona vel mala, si a principio
resumamus considerationem de ipsa. |
|
#2005.
— Après avoir traité du plaisir d'après l'opinion d'autres, le Philosophe en
traite ici en vérité. Il montre, en premier (1174a13), que le plaisir
n'appartient pas au genre du mouvement, ou de la génération, comme les
Platoniciens l'affirmaient. En second (1174b14), il traite de sa nature et de
sa propriété. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En
premier, il dit sur quoi porte son intention, et [quel est] son mode de
procéder. Il dit que ce qu'est le plaisir deviendra plus manifeste par ce qui
suit, en son genre, ou en sa qualité, c'est-à-dire s'il est bon ou mauvais, à
condition d'en reprendre du début la considération. |
[74708] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 2 Secundo ibi, videtur enim etc., exequitur propositum.
Et circa hoc tria facit. Primo praemittit quoddam principium necessarium ad
propositum ostendendum. Secundo ostendit propositum, ibi, propter quod neque
motus et cetera. Tertio concludit principale intentum, ibi, ex his autem
manifestum et cetera. Dicit ergo primo, quod operatio sensus visus, quae
dicitur visio est perfecta, secundum quodcumque tempus. Non enim indiget
aliquo posterius advenienti, quod perficiat eius speciem. Et hoc ideo, quia
visio completur in primo instanti temporis; si autem requireretur tempus ad
eius complementum, non quodcumque tempus ad hoc sufficeret; sed oporteret
esse tempus determinatum, sicut accidit in ceteris quae fiunt in tempore,
quorum generatio certam temporis mensuram requirit. Sed visio statim in
momento perficitur. Et idem est de delectatione. |
|
#2006.
— En second (1174a14), il exécute son propos. À ce [sujet], il fait trois
[considérations]. En premier, il présente un principe nécessaire en vue de
montrer son propos. En second (1174a19), il montre son propos. En troisième
(1174b9), il conclut son intention principale. Il dit donc, en premier, que
l'opération du sens de la vue, que l'on appelle vision, est parfaite en
n'importe quel temps. En effet, elle n'a pas besoin d'un ajout postérieur qui
en rende la forme parfaite. La raison en est que la vision est complétée dans
au premier instant de sa durée. Si, à l'inverse, elle requérait du temps
pour devenir complète, n'importe quel temps n'y suffirait pas, et il y
faudrait un temps donné, comme cela se passe pour tout ce qui se fait dans le
temps, et dont la génération requiert une certaine mesure de temps. Mais la
vision est déjà parfaite à son premier moment. Or il en va de même du
plaisir. |
[74709] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 3 Delectatio enim est quoddam totum, idest
completum in primo instanti quo incipit esse, ita quod non potest accipi
aliquod tempus in quo sit delectatio quod requirat amplius tempus ad speciem
delectationis perficiendam, sicut contingit in his quorum generatio est in
tempore; potest enim accipi aliquod tempus generationis humanae quod requirat
amplius tempus ad speciem humanam perficiendam. |
|
#2007.
— Le plaisir, en effet, est un tout, complet au premier instant où il
commence à être, de sorte qu'on ne peut trouver un temps où se passe le plaisir,
qui requière davantage de temps pour que devienne parfaite la forme du
plaisir, comme c'est le cas pour ce dont la génération demande du temps. En
effet, on peut pointer un moment de la génération humaine où davantage de
temps soit requis pour que devienne parfaite la forme humaine. |
[74710] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 4 Deinde cum dicit propter quod neque motus etc.,
ostendit propositum duabus rationibus. Quarum prima talis est. Omnis motus
seu generatio perficitur in determinato tempore, in cuius parte nondum est
motus perfectus. Hoc autem non accidit circa delectationem. Ergo delectatio
non est motus, neque generatio. |
|
#2008.
— Ensuite (1174a19), il montre son propos avec deux raisons. La première
procède comme suit. Tout mouvement, ou génération, se parfait en un temps
donné, en chaque partie duquel il n'est pas encore mouvement parfait. Or cela
ne se passe pas ainsi pour le plaisir. Donc, le plaisir n'est pas un
mouvement, ni une génération. |
[74711] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 5 Circa hanc autem rationem primo ponit conclusionem;
concludens ex praemisso principio, in quo virtualiter tota ratio continetur,
quod delectatio non est motus. |
|
#2009.
— En donnant cette raison, par ailleurs, il met en premier la conclusion, et
il conclut, à partir du principe présenté auparavant, dans lequel, virtuellement,
toute la raison est contenue, que le plaisir n'est pas un mouvement. |
[74712] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 6 Secundo autem ibi: in tempore enim etc., ponit maiorem
praemissae rationis; videlicet quod omnis motus est in tempore, et omnis
motus est alicuius finis, idest habens aliquem finem, ad quem
ordinatur, ad quem determinato tempore pervenit. Et hoc manifestat primo
quidem circa generationem. Ars enim aedificativa perficit suam operationem,
quando perficit id quod intendit, scilicet domum; quod quidem facit in toto
aliquo determinato tempore, in cuius partibus omnes generationes sunt
imperfectae, et differunt specie a tota generatione completa, et etiam
adinvicem. Cuius ratio est, quia generatio speciem recipit secundum formam,
quae est finis generationis. |
|
#2010.
— En second (1174a19), il met la majeure de la raison précédente; à savoir,
que tout mouvement se produit en un temps, et que tout mouvement vise une
fin, c'est-à-dire, a une fin à laquelle il est ordonné, à laquelle il
parvient en un temps donné. Il le manifeste en premier, certes, pour la génération.
En effet, l'art de la construction amène son opération à perfection, quand il
rend parfait ce qu'il vise, à savoir, la maison; ce qu'il fait, bien sûr,
dans le tout du temps donné, dont chaque partie comporte une génération
imparfaite, et qui diffère spécifiquement de la génération entièrement complétée,
et même des autres partielles. La raison en est que la génération tient son
espèce de sa forme, qui est la fin de la génération. |
[74713] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 7 Manifestum est autem quod aliud est forma totius et
aliud sunt formae singularium partium. Unde et generationes differunt specie
abinvicem. Si enim aliquod templum aedificetur in aliquo determinato tempore,
in aliqua parte illius temporis componuntur lapides ad parietis
constructionem. In alia vero parte temporis virgantur columnae, idest in modum
virgarum sculpuntur. Sed in toto tempore construitur ipsum templum. Et haec tria differunt specie: scilicet lapidum
compositio, columnarum virgatio, et templi aedificatio. |
|
#2011.
— Par ailleurs, autre est la forme du tout, et autre les formes de ses
parties singulières. Par suite, les générations diffèrent aussi spécifiquement
entre elles. Si, en effet, un temple est construit dans un temps donné, en
une partie de ce temps on fabrique les pierres en vue de la construction du
mur. En une autre partie de ce temps, par ailleurs, les colonnes deviennent
des vierges, c'est-à-dire se font sculpter sur le modèle de vierges. Mais
dans l'entier du temps, c'est le temple même qui est construit. Or les trois
diffèrent spécifiquement, à savoir, la fabrication des pierres, que les
colonnes deviennent des vierges, et la construction du temple. |
[74714] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 8 Est tamen circa hoc considerandum, quod sicut forma
totius templi est perfecta, formae autem partium sunt imperfectae, ita etiam
ipsa constructio templi est generatio perfecta, nullo enim exteriori indiget
ad propositum aedificatoris explendum; sed generatio fundamenti est
imperfecta, et similiter generatio trisculpti, idest columnarum
sculptarum in tres ordines dispositarum supra fundamentum. Quia utrumque
horum est generatio partis, quae habet rationem imperfecti. Sic ergo patet,
quod praedictae generationes totius et partium differunt specie; et quod non
est accipere, quod species motus perficiatur in quocumque tempore, sed
perficitur in toto tempore. |
|
#2012.
— Il y a toutefois à prendre en ligne de compte, à ce sujet, que de même que
la forme de tout le temple est parfaite, les formes des parties, elles, sont
imparfaites, de même aussi la construction même du temple est une génération
parfaite — car elle n'a besoin de rien d'extérieur pour compléter le propos
du constructeur —, tandis que la génération des fondations est imparfaite, et
de manière semblable, la génération de la trisculpture,
c'est-à-dire des colonnes sculptées disposées en trois rangées sur les fondations.
L'une et l'autre d'entre elles est la génération d'une partie, qui a raison
d'imparfait. Ainsi donc, il appert que les générations mentionnées, du tout
et des parties, diffèrent spécifiquement; et qu'il n'est pas question
d'admettre que la forme du mouvement est parfaite en n'importe quel temps,
mais qu'elle devient parfaite dans le temps en son entier. |
[74715] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 9 Secundo ibi: similiter autem etc., manifestat idem in
motu locali. Et dicit quod id quod dictum est de generatione, similiter
videtur esse verum in ambulatione, et in omnibus aliis motibus. Manifestum
est enim quod latio, id est motus localis, est motus unde et quo,
idest a termino et ad terminum. Et sic oportet, quod specie diversificetur
secundum diversitatem terminorum. Sunt autem diversae species motus localis
in animalibus volatus qui convenit avibus, ambulatio quae convenit
gressibilibus, saltatio quae convenit locustis, et alia huiusmodi quae
differunt secundum diversas species principiorum moventium: non enim sunt
eiusdem speciei animae diversorum animalium. |
|
#2013.
— En second (1174a29), il rend la même [chose] manifeste à propos du
mouvement local. Il dit que ce qu'il en est de la génération paraît tout
aussi vrai dans la marche, et dans tout autre mouvement. Il est manifeste, en
effet, que tout déplacement, c'est-à-dire, mouvement local, est un mouvement
d'où et où, c'est-à-dire à partir d'un terme et vers un terme. Ainsi, il doit
être différent spécifiquement d'après la différence des termes. Il existe,
par ailleurs, des espèces diverses de mouvement local chez les animaux: le
vol, qui convient aux oiseaux; la marche, qui convient aux marcheurs; le
saut, qui convient aux sauterelles; et d'autres encore, qui diffèrent d'après
différentes espèces de principes mouvants. C'est que qu'elles ne sont pas de
la même espèce, les âmes des différents animaux. |
[74716] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 5 n. 10 Nec solum praedicto modo
diversificantur species localium motuum; sed etiam in una dictarum specierum,
puta ambulatione, diversae species inveniuntur. Si enim accipiatur motus quo quis perambulat stadium,
et motus quo quis ambulat aliquam partem eius, non est utrobique idem unde
et quo, idest terminus a quo et terminus ad quem. Et simile est de
motibus, quibus aliquis perambulat hanc et illam partem stadii, quia non sunt
idem termini, non enim est idem secundum speciem pertransire hanc lineam et
illam, quamvis omnes lineae in quantum huiusmodi sint eiusdem speciei. |
|
#2014.
— En outre, les espèces de mouvements locaux ne diffèrent pas seulement de
la manière qui précède; car, même à l'intérieur de l'une des espèces
mentionnées, la marche, par exemple, on trouve des espèces différentes. Si,
en effet, on prend le mouvement dans lequel on parcourt le stade, et le
mouvement dans lequel on parcourt une partie du stade, on ne trouve pas dans
l'un et l'autre cas le même d'où et le même où, c'est-à-dire le même terme de
départ et le même terme d'arrivée. Il en va semblablement des mouvements
dans lesquels on parcourt telle partie et telle partie du stade, parce que
les termes n'en sont pas les mêmes. Ce n'est pas pareil spécifiquement, en
effet, que de traverser telle ligne et telle ligne, même si toutes les
lignes, comme telles, sont de la même espèce. |
[74717] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 11 Tamen secundum quod in certo situ seu loco
constituuntur, accipiuntur ut specie differentes secundum diversitatem
locorum, quae attenditur secundum diversum ordinem ad primum continens. Ille autem qui
pertransit lineam, non solum pertransit lineam, sed lineam in loco
existentem; quia in alio loco est una linea ab alia. Et ita manifestum est,
quod secundum diversitatem terminorum, differt specie totus motus localis a
singulis partibus; ita tamen, quod totus motus habet perfectam speciem,
partes autem habent speciem imperfectam. |
|
#2015.
— Car, selon que des [mouvements] se constituent en tel lieu ou place, ils
se reçoivent différents spécifiquement d'après la différence des lieux, que
l'on attend d'après un rapport différent avec le premier contenant. En effet,
qui traverse une ligne, ne traverse pas seulement une ligne, mais une ligne
qui se trouve en un lieu; parce qu'une ligne est en un autre lieu qu'une
autre. Ainsi, il devient manifeste que, d'après la différence de leurs
termes, le mouvement local entier diffère spécifiquement de ses parties singulières;
de façon, toutefois, que le mouvement entier a sa forme parfaite, tandis que
ses parties ont leur forme imparfaite. |
[74718] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 12 Et quia ad manifestationem praedictorum requireretur
plene cognoscere naturam motus, subiungit, quod in aliis, idest in libro
physicorum, dictum est de motu per certitudinem, idest sufficienter et
complete. Sed hoc sufficit hic de motu dixisse, quod motus non est perfectus
in omni tempore; sed multi sunt motus imperfecti et differentes specie in
diversis partibus temporis, ex eo, quod unde et quo, idest termini
motus, specificant motum. |
|
#2016. — Come, pour la manifestation de ce qui précède, on aurait besoin de connaître pleinement la nature du mouvement, il ajoute qu'ailleurs, c'est-à-dire au livre de la Physique (I, ch. 1-3), on a traité rigoureusement du mouvement, c'est-à-dire suffisamment et complètement. Mais il suffit ici d'avoir dit du mouvement que le mouvement n'est pas parfait en tout temps; et qu'il y a beaucoup de mouvements imparfaits, différents dans des parties différentes du temps, étant donné que ce sont d'où et où, c'est-à-dire les termes du mouvement, qui spécifient le mouvement. |
[74719] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 13 Sic igitur manifestata propositione maiori, subiungit
minorem, scilicet quod species delectationis est perfecta in quocumque
tempore, et hoc manifestum est ex supra dictis. Unde concludit manifestum
esse, quod delectatio et generatio sive mutatio, sunt alterae adinvicem; et
quod delectatio est aliquid de numero totorum et perfectorum, quia scilicet
in qualibet parte temporis delectatio habet complementum suae speciei. |
|
#2017. — Ainsi donc, une fois manifestée la proposition majeure, il ajoute la mineure, à savoir, que la forme du plaisir est parfaite en n'importe quel temps, ce qui est manifeste de ce qui a été dit plus haut (#2007). De là, il conclut qu'il est manifeste que le plaisir et la génération ou le changement sont autres l'un de l'autre; et que le plaisir est quelque chose du nombre des touts et des parfaits, parce que, dans n'importe laquelle de ses parties, le plaisir a sa forme complète. |
[74720] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 14 Secundam rationem ponit ibi: videbitur autem et cetera.
Quae talis est: non contingit moveri in non tempore, ut in sexto physicorum
probatum est. Delectari autem contingit in non tempore. Sic enim dictum est,
quod delectari est aliquid totum, quia contingit etiam delectari in nunc, hoc
enim dicitur hic esse totum quod statim in ipso nunc habet suum complementum;
ergo delectatio non est motus. |
|
#2018. — Il présente ensuite sa seconde raison (1174b7). Elle procède comme suit. Il ne se peut pas que l'on soit mû sans que ce soit dans un temps, comme il a été prouvé au sixième [livre] de la Physique (ch. 3). Mais il se peut que l'on ait du plaisir autrement qu'en un temps. C'est ainsi qu'il a été dit (#2017), en effet, que d'avoir du plaisir est un tout, parce qu'il se peut même qu'on ait du plaisir dans un instant, avec aussitôt sa [forme] complète. Donc, le plaisir n'est pas un mouvement. |
[74721] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 15 Et est considerandum, quod differentia ex qua procedit
haec ratio, est causa differentiae ex qua prima ratio procedebat. Ideo enim
species delectationis est perfecta in quocumque tempore, non autem species
motus, quia delectatio est in instanti, motus autem omnis in tempore. Et hoc
designat ipse modus loquendi philosophi cum dicit videbitur autem utique hoc,
et ex non contingere et cetera. |
|
#2019. — On doit prendre conscience que la différence dont procède cette raison est cause de la différence dont la première raison procédait. Le motif, en effet, pour lequel la forme du plaisir est parfaite en n'importe quel temps, mais non celle du mouvement, c'est que le plaisir est dans un instant, tandis que tout mouvement est dans le temps. La façon même de parler du Philosophe l'indique, lorsqu'il dit: «Cela pourrait aussi apparoir du fait que…» |
[74722] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 16 Deinde cum dicit: ex his autem manifestum etc.,
concludit ex praemissis principale intentum. Et dicit manifestum esse ex
praemissis, quod non bene dicunt, dicentes delectationem esse motum vel
generationem. Ratio enim motus et generationis non potest cuique attribui,
sed solum divisibilibus, quae non sunt tota, idest quae non statim
habent suum complementum. |
|
#2020. — Ensuite (1174b9), à partir de ce qui précède, il conclut son intention principale. Il dit qu'il est manifeste, à partir de ce qui a été dit, qu'ils ne parlent pas correctement ceux qui disent que le plaisir est un mouvement ou une génération. La raison, en effet, du mouvoement et de la génération ne peut pas s'attribuer à n'importe quoi, mais seulement à ce qui est divisible, qui n'est pas un tout, c'est-à-dire qui n'a pas tout de suite son complément. |
[74723] Sententia Ethic., lib. 10 l. 5 n. 17 Neque enim potest dici quod generatio sit visionis, ita
scilicet quod visio successive compleatur. Sic etiam non potest dici de
puncto et unitate. Haec enim non generantur, sed consequuntur generationem
quorumdam. Similiter non potest his attribui motus. Unde nec delectationi,
quae etiam est quoddam totum, idest in indivisibili perfectionem
habens. |
|
#2021. — On ne peut pas non plus dire, en effet, que la génération touche la vision, en ce sens que la vision serait complétée en succession. On ne peut pas le dire non plus du point ni de l'unité. Ces [entités], en effet, ne se génèrent pas, mais suivent la génération de certaines autres. Pareillement, le mouvement ne peut leur être attribué. Aussi, il ne le peut pas non plus au plaisir, qui est aussi un tout, trouvant sa perfection dans l'indivisible. |
|
|
|
Lectio
6 |
|
Leçon 6
|
[74724] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 1 Sensus autem omnis et cetera. Postquam philosophus
ostendit quod delectatio non est in genere motus sicut quidam posuerunt, hic
ostendit naturam et proprietates delectationis. Et primo ostendit quid sit
delectatio. Secundo agit de differentia delectationum adinvicem, ibi, unde
videntur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quid sit
delectatio. Secundo ex hoc determinat quasdam delectationis proprietates,
ibi, usquequo autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quod
delectatio est quaedam operationis perfectio; secundo manifestat quaedam quae
dixerat, ibi: secundum unumquemque autem et cetera. Circa primum tria facit.
Primo ostendit quae sit perfecta operatio. Secundo ostendit quod perfectio
operis sit delectatio, ibi, haec autem utique et cetera. Tertio ostendit
qualiter delectatio operationem perficiat, ibi, perficit autem operationem et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit propositum. |
|
#2022. — Après avoir montré que le plaisir n'est pas dans le genre du mouvement, comme on l'a prétendu, le Philosophe montre ici la nature et les propriétés du plaisir. En premier, il montre ce qu'est le plaisir. En second (1175a21), il traite de la différence des plaisirs entre eux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre ce qu'est le plaisir. En second (1174b33), il traite à partir de cela de quelques propriétés du plaisir. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le plaisir est une perfection de l'acte. En second (1174b26), il manifeste ce qu'il avait dit. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quelle est l'opération parfaite. En second (1174b19), il montre que la perfection de l'acte, c'est le plaisir. En troisième (1174b23), il montre de quelle manière le plaisir rend parfaite l'opération. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. |
[74725] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 2 Et dicit, quod cuiuslibet sensus operatio est alicuius
operantis in respectu ad sensibile, quod est sensus obiectum; sic igitur in
operatione sensus duo considerantur: scilicet ipse sensus qui est operationis
principium, et sensibile quod est operationis obiectum. Ad hoc igitur quod
operatio sensus sit perfecta, requiritur optima dispositio ex parte
utriusque, scilicet sensus et obiecti. Et ideo subdit, quod tunc perfecte
sensus operatur quando est operatio sensus bene dispositi ad aliquid
pulcerrimum, idest convenientissimum eorum quae sensui subiacent. Hoc enim maxime
videtur esse perfecta operatio, quod scilicet a sensu progreditur in
comparatione ad tale obiectum. |
|
#2023. — Il dit que, en n'importe quel sens, l'opération relève d'une chose qui opère en rapport à un sensible qui se trouve l'objet de ce sens. Ainsi donc, dans l'opération du sens, on a deux [choses] à considérer: le sens même, principe de l'opération, et le sensible, objet de l'opération. L'opération du sens requiert donc, pour être parfaite, la meilleure disposition de la part de l'un et de l'autre, à savoir, du sens et de l'objet. C'est pourquoi il ajoute que le sens opère parfaitement quand précisément l'opération du sens est bien disposée à la chose la plus belle, c'est-à-dire la plus convenable, de celles qui sont soumises au sens. Celle-là, en effet, paraît le plus être une opération parfaite, qui se passe entre le sens et un tel objet. |
[74726] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 3 Secundo ibi: ipsum autem etc., facit mentionem de
quadam dubitatione. Quia enim dixerat sensum esse operantem, et in primo de
anima dictum est, quod anima non operatur, sed homo per animam; ideo
subiungit quod nihil differt ad propositum, utrum ipse sensus operetur vel
homo sive animal in quo est sensus. Quia quicquid horum dicatur, manifestum
est quod circa unumquodque optima operatio est operantis optime dispositi per
respectum ad id quod est potissimum inter ea quae subiacent virtuti talis
operantis. Ex his enim duobus videtur maxime dependere operationis perfectio;
scilicet ex principio activo et obiecto. |
|
#2024. — En second (1174b17), il fait mention d'une difficulté. Parce qu'en effet, il a dit que le sens opère, et que, dans le premier [livre] De l'âme, il est dit ( ch. 4) que l'âme n'opère pas, mais que c'est l'homme qui opère par l'âme, il ajoute donc que cela ne change rien au propos si c'est le sens même qui opère, ou l'homme, ou l'animal dans lequel se trouve le sens. Parce que, quel que ce soit celui d'entre eux que l'on nomme, il est manifeste que, pour chacun, l'opération la meilleure est celle de l'opérant le mieux disposé en rapport au plus puissant des [objets] soumis à la vertu d'un tel opérant. C'est de ces deux-là, en effet, que paraît bien le plus dépendre la perfection de l'opération, à savoir, du principe actif et de l'objet. |
[74727] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 4 Deinde cum dicit: haec autem etc., ostendit quod
delectatio sit operationis perfectio. Videmus enim quod eadem operatio, quam
diximus esse perfectissimam, est etiam delectabilissima. Ubicumque enim
invenitur in aliquo cognoscente operatio perfecta, ibi etiam invenitur
operatio delectabilis. Est enim delectatio non solum secundum tactum et
gustum, sed et secundum omnem sensum. Nec solum secundum sensum, sed etiam
secundum speculationem intellectus, inquantum scilicet speculatur aliquid
verorum per certitudinem. |
|
#2025. — Ensuite (1174b19), il montre que le plaisir est la perfection de l'opération. Nous voyons, en effet, que la même opération, que nous avons dite la plus parfaite, est aussi la plus plaisante. Partout, en effet, où l'on trouve dans un connaissant l'opération parfaite, là aussi on trouve l'opération plaisante. Il y a, en effet, plaisir non seulement selon le toucher et le goût, mais aussi selon tout sens. Et non seulement selon le sens, mais aussi selon la spéculation de l'intelligence, en tant qu'on considère une chose vraie avec certitude. |
[74728] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 5 Et inter huiusmodi operationes sensus et intellectus
illa est delectabilissima quae est perfectissima. Perfectissima autem operatio
est quae est sensus vel intellectus bene dispositi in comparatione ad optimum
eorum quae subiacent sensui vel intellectui. Si igitur operatio perfecta est
delectabilis, perfectissima autem delectabilissima, consequens est quod
operatio inquantum est perfecta, sit delectabilis. Delectatio ergo est
operationis perfectio. |
|
#2026. — En outre, parmi de telles opérations du sens et de l'intelligence, celle-là est la plus plaisante qui est la plus parfaite. Or l'opération la plus parfaite est celle qui appartient au sens ou à l'intelligence bien disposés en rapport au meilleur [objet] soumis au sens ou à l'intelligence. Si, donc, l'opération parfaite est plaisante, et la plus parfaite la plus plaisante, il s'ensuit que l'opération est plaisante en tant qu'elle est parfaite. Le plaisir, donc, est la perfection de l'opération. |
[74729] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 6 Deinde cum dicit: perficit autem etc., ostendit
qualiter delectatio perficiat operationem. Et dicit, quod non eodem modo
delectatio perficit operationem, puta sensus, sicut perficit eam obiectum
quod est sensibile et principium activum quod est sensus, quae omnia sunt
quaedam bona et bonitatem operationi tribuentia. Sicut etiam eius quod est
sanari non eodem modo est causa sanitas et medicus; sed sanitas quidem per
modum formae, medicus autem per modum agentis. Similiter autem operationem
perficit per modum quidem formae delectatio, quae est ipsa perfectio eius,
per modum autem agentis perficit ipsam sensus bene dispositus sicut movens
motum. Sensibile autem conveniens, sicut movens non motum. Et eadem ratio est
circa intellectum. |
|
#2027. — Ensuite (1174b23), il montre de quelle manière le plaisir parfait l'opération. Il dit que le plaisir ne parfait pas de la même manière l'opération, par exemple, du sens, que la parfait l'objet, c'est-à-dire le sensible, et le principe actif, c'est-à-dire le sens, qui sont tous des biens qui apportent de la bonté à l'opération. De même encore, pour ce qui est guérir, la santé et le médecin ne sont pas causes de la même manière; plutôt, la santé, c'est sous mode de forme, tandis que le médecin, c'est sous mode d'agent. De manière semblable, le plaisir parfait l'opération sous le mode de la forme, qui est sa perfection même, mais sous le mode de l'agent, c'est le sens bien disposé qui la parfait, comme un moteur mû, et le sensible convenable, comme un moteur non mû. La même raison vaut aussi pour l'intelligence. |
[74730] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 7 Deinde cum dicit secundum unumquemque autem etc., manifestat
quaedam quae dixerat. Et primo dicit, manifestum esse quod secundum
unumquemque sensum est delectatio, ut supra dictum est, per hoc quod dicimus
et experimur visiones esse delectabiles, puta pulchrarum formarum et etiam
auditiones, puta suavium melodiarum. |
|
#2028. — Ensuite (1174b26), il manifeste ce qu'il avait dit. En premier, il dit qu'il est manifeste que, selon chaque sens, il y a plaisir, comme il a été dit plus haut, du fait que nous disons et expérimentons que voir est plaisant, par exemple, de belles formes, et aussi entendre, par exemple, des mélodies suaves. |
[74731] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 8 Secundo ibi, manifestum autem etc., manifestat aliud
praemissorum dicens, manifestum esse per experimentum quod visio et auditio
et quaelibet operatio sensus maxime est delectabilis quando et sensus est potentissimus,
idest optime vigens in sua virtute, et quando operatur respectu talis
obiecti, scilicet maxime convenientis. Et quamdiu in tali dispositione manet
et ipsum sensibile et animal habens sensum, tamdiu manet delectatio, sicut et
in aliis apparet quod quandiu permanet eadem dispositio facientis et
patientis, necesse est quod permaneat idem effectus. |
|
#2029. — En second (1174b28), il manifeste autre chose qu'il avait dit, et note qu'il est manifeste par l'expérience que voir et entendre et n'importe quelle opération d'un sens est le plus plaisant quand à la fois le sens est le plus puissant, c'est-à-dire le plus dans la force de sa vertu, et il opère en regard de tel objet, c'est-à-dire le plus convenable. Et aussi longtemps que demeurent en une telle disposition le sensible lui-même et l'animal sensible, aussi longtemps demeure le plaisir, comme il en est d'autres choses. Car aussi longtemps que demeure la même disposition de l'agent et du patient, le même effet demeure nécessairement. |
[74732] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 9 Tertio ibi: perficit autem etc., manifestat quod supra
dictum est de modo quo delectatio perficit operationem. Dictum est enim, quod
delectatio perficit operationem non effective, sed formaliter; est autem
duplex formalis perfectio. Una quidem intrinseca, quae constituit essentiam
rei. Alia autem quae supervenit rei in sua specie constitutae. |
|
#2030. — En troisième (1174b31), il manifeste ce qui a été dit plus haut (#2027) sur la manière d'après laquelle le plaisir rend parfaite l'opération. Il a été dit, en effet, que le plaisir rend parfaite l'opération non à titre d'agent mais à titre de forme. Or la perfection formelle est double. L'une, certes, intrinsèque, qui constitue l'essence de la chose. L'autre, par ailleurs, qui s'ajoute à la chose déjà constituée en son espèce. |
[74733] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 10 Dicit ergo quod delectatio perficit operationem non
sicut habitus qui inest, id est non sicut forma intrans essentiam rei,
sed (ut) quidam finis, id est quaedam perfectio superveniens, sicut
pulchritudo supervenit iuvenibus non quasi existens de essentia iuventutis,
sed quasi consequens bonam dispositionem causarum iuventutis. Et similiter delectatio
consequitur bonam dispositionem causarum operationis. |
|
#2031. — Il dit donc, en premier, que le plaisir rend parfaite l'opération non comme un habitus inhérent, c'est-à-dire non comme une forme intrinsèque, essence de la chose, mais comme une fin, c'est-à-dire une perfection surajoutée, à la manière dont la beauté advient aux jeunes non comme appartenant à l'essence de la jeunesse, mais comme une conséquence de la bonne disposition des causes de la jeunesse. C'est de manière semblable que le plaisir s'ensuit d'une bonne disposition des causes de l'opération. |
[74734] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 11 Deinde cum dicit: usquequo autem etc., determinat
rationes quarumdam proprietatum delectationis ex his quae praedeterminata
sunt de eius quidditate. Et primo agit de duratione delectationis. Secundo de
eius appetibilitate, ibi, appetere autem et cetera. Circa primum tria facit.
Primo ostendit quamdiu debeat durare delectatio. Et dicit, quod tamdiu erit
delectatio in operatione, quamdiu ex una parte obiectum quod est sensibile,
vel intelligibile est in debita dispositione, et ex alia parte ipsum operans
quod est discernens per sensum vel speculans per intellectum. Et huius ratio
est quod, quandiu in activo et passivo manet eadem dispositio et eadem habitudo
ad invicem, tandiu manet idem effectus; unde si bona dispositio potentiae
cognoscitivae et obiecti est causa delectationis, ea durante necesse est
delectationem durare. |
|
#2032. — Ensuite (1174b33), il traite des raisons de certaines propriétés du plaisir, à partir de ce qui a été traité de son essence. En premier, il traite de la durée du plaisir. En second (1175a10), de son appétibilité. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre combien longtemps doit durer le plaisir. Il dit qu'il y aura plaisir dans l'opération aussi longtemps que, d'une part, l'objet, qui est le sensible, ou l'intelligible, reste dans la disposibion due et, d'autre part, que [fait de même] celui même qui opère, en discernant avec le sens ou en considérant avec l'intelligence. La raison en est que tant qu'entre les [principes] actif et passif demeure la même disposition et la même relation, le même effet demeure. D'où, si la bonne disposition de la puissance cognitive et de l'objet est cause de plaisir, tant qu'elle dure, nécessairement le plaisir dure. |
[74735] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 12 Secundo ibi: qualiter igitur etc., assignat rationem
quare delectatio non possit esse continua. Et dicit, quod ideo nullus
continue delectatur, quia laborat in operatione quam consequitur delectatio.
Et sic operatio efficitur non delectabilis. Hoc autem ideo est, quia omnia
quae habent corpora passibilia non possunt continue operari propter hoc, quod
eorum corpora immutantur a sua dispositione per motum qui coniungitur
operationi; cuilibet autem operationi rei habentis corpus, ipsum corpus
aliqualiter deservit; vel immediate, sicut operationi sensitivae quae per
organum corporeum producitur; vel mediate, sicut operationi intellectivae
quae utitur operationibus virtutum sensitivarum quae fiunt per organa
corporea. Sic igitur ex quo non potest
esse continua operatio, neque etiam delectatio potest esse continua.
Delectatio enim sequitur operationem, ut dictum est. |
|
#2033. — En second (1175a3), il assigne la raison pour laquelle le plaisir ne peut pas être continu. Il dit que voilà pourquoi personne n'a du plaisir de façon continue: c'est qu'il y a labeur dans l'opération que suit le plaisir. Ainsi, l'opération ne demeure pas plaisante. La raison en est que tout ce qui a corps passible ne peut pas opérer continuellement, étant donné que leur corps change de disposition à travers le mouvement conjoint à l'opération. À n'importe quelle opération, en effet, d'une chose ayant corps, son corps même sert de quelque manière; ou immédiatement, comme dans l'opération sensitive, produite avec un organe corporel; ou médiatement, comme dans l'opération intellective, qui use des opérations des vertus sensitives, faites avec des organes corporels. Ainsi donc, puisque l'opération ne peut pas être continue, le plaisir non plus ne peut pas être continu. Le plaisir, en effet, suit l'opération, comme il a été dit. |
[74736] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 13 Tertio ibi: quaedam autem delectant etc., assignat
rationem quare nova magis delectant. Et dicit quod quaedam quando sunt nova
delectant, postea autem non aequaliter delectant. Et huius ratio est, quia a
principio mens inclinatur studiose circa huiusmodi propter desiderium et
admirationem, et ita intense, idest vehementer circa huiusmodi
operatur. |
|
#2034. — En troisième (1175a6), il assigne la raison pour laquelle le nouveau plaît davantage. Il dit que tant qu'il reste nouveau il plaît davantage, tandis qu'il ne plaît pas autant par la suite. La raison en est qu'au début, l'esprit s'empresse auprès de ce qui est tel, à cause du désir et de l'étonnement; aussi opère-t-on avec intensité et véhémence sur un [objet] de la sorte. |
[74737] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 14 Et ex hoc sequitur delectatio vehemens: sicut patet de
illis qui studiose aspiciunt aliquid quod prius non viderunt, propter
admirationem. Postea autem quando consueti sunt videre, non fit talis
operatio, ut scilicet ita attente videant vel quidlibet aliud operentur sicut
prius; sed negligenter operantur; et ideo etiam delectatio obscuratur,
idest minus sentitur. |
|
#2035. — Il s'ensuit un plaisir véhément: comme il appert de ceux qui regardent avec empressement, à cause de leur étonnement, une chose qu'ils n'avaient pas vue auparavant. Ensuite, par ailleurs, une fois habitués à la voir, l'opération ne se fait plus ainsi, de manière qu'on regarde ou fasse quoi que ce soit d'autre comme avant, mais on opère négligemment; c'est pourquoi aussi le plaisir est voilé, c'est-à-dire moins senti. |
[74738] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 15 Deinde cum dicit: appetere autem etc., assignat
rationem quare delectatio ab omnibus appetatur. Et circa hoc duo facit. Primo
manifestat propositum. Et dicit quod ideo potest aliquis rationabiliter
existimare quod omnes appetant delectationem, quia omnes naturaliter appetunt
vivere. Vita
autem secundum suam ultimam perfectionem in quadam operatione consistit, ut
in nono ostensum est. Et inde est quod
unusquisque circa illa maxime operatur et his operationibus insistit quae
maxime diligit. Sicut musicus maxime insistit ad audiendum melodias; et ille
qui est amator sapientiae maxime insistit ad hoc, quod mente theoremata,
idest considerationes, speculetur. Unde, cum delectatio perficiat
operationem, ut supra dictum est, consequens est, quod perficiat ipsum
vivere, quod omnes appetunt. Et ita rationabile est, quod omnes appetant
delectationem, ex eo quod perficit vivere, quod est omnibus eligibile. |
|
#2036. — Ensuite (1175a10), il assigne la raison pour laquelle le plaisir est désiré par tous. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il manifeste son propos. Il dit que voilà pourquoi on peut raisonnablement estimer que tous désirent le plaisir: c'est que tous désirent naturellement vivre. Or la vie, selon son ultime parfection, consiste en une opération, comme il a été montré au neuvième [livre] (#1846). Par suite, chacun opère et s'attarde le plus sur l'[objet] et dans les opérations qu'il aime le plus. Ainsi, le musicien s'attarde le plus à écouter des mélodies; et l'amateur de sagesse s'attarde le plus à considérer mentalement ses spéculations, c'est-à-dire ses considérations. D'où, puisque le plaisir rend parfaite l'opération, comme il a été dit plus haut, il s'ensuit qu'il rend parfait le vivre lui-même, que tous désirent. Ainsi, il est raisonnable que tous désirent le plaisir, du fait qu'il rend parfait le vivre, éligible par tous. |
[74739] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 16 Secundo ibi: utrum autem etc., movet quamdam
dubitationem ex dictis. Dictum est enim quod omnes appetant delectationem, et
similiter omnes appetunt vivere quod in operatione perficitur. Appetibilia
autem habent ordinem adinvicem, sicut et scibilia. Potest ergo esse dubitatio
utrum homines appetant vitam propter delectationem, vel e converso
delectationem propter vitam. |
|
#2037. — En second (1175a18), il soulève une difficulté sur ce qu'il a dit. On a dit (#2037), en effet, que tous désirent le plaisir et que, de manière semblable, tous désirent vivre, ce qui devient parfait dans une opération. Or les objets d'appétit ont un ordre entre eux, de même que les objets de science. La difficulté surgit donc, de savoir si on désire la vie pour le plaisir ou, à l'inverse, le plaisir pour la vie. |
[74740] Sententia Ethic., lib. 10 l. 6 n. 17 Et dicit quod haec dubitatio dimittenda est ad
praesens: quia ista duo ita coniunguntur adinvicem, quod nullo modo
separantur. Non enim fit delectatio sine operatione, neque rursus potest esse
perfecta operatio sine delectatione, ut supra dictum est. Videtur tamen
principalius esse operatio quam delectatio. Nam delectatio est quies
appetitus in re delectante, qua quis per operationem potitur. Non autem
aliquis appetit quietem in aliquo, nisi in quantum aestimat sibi conveniens.
Et ideo ipsa operatio, quae delectat sicut quiddam conveniens, videtur per
prius appetibilis, quam delectatio. |
|
#2038. — Il dit que la difficulté est à laisser de côté pour le moment, car les deux sont tellement liés entre eux qu'on ne peut les séparer d'aucune façon. Le plaisir ne va pas, en effet, sans opération, ni inversement l'opération ne peut être rendue parfaite sans plaisir, comme il a été dit plus haut. Mais l'opération est manifestement principale, par rapport au plaisir. En effet, le plaisir est le repos de l'appétit dans la chose plaisante, dont on entre en possession par l'opération. Mais on ne désire pas se reposer en une [chose], sinon pour autant qu'on estime qu'elle convient. C'est pourquoi l'opération même, qui plaît comme quelque chose qui convient, semble appétible en priorité sur le plaisir. |
|
|
|
Lectio
7 |
|
Leçon 7
|
[74741]
Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 1 Unde videntur et specie differre et cetera. Postquam philosophus
ostendit naturam delectationis et proprietates ipsius, hic determinat de
differentia delectationum ad invicem. Et circa hoc duo facit. Primo
determinat de differentia delectationum quae sumitur ex parte operationum.
Secundo de differentia delectationum quae sumitur ex parte subiecti, ibi,
videtur autem esse et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit, quomodo
delectationes differant specie secundum differentiam operationum. Secundo,
quomodo differant in bonitate et malitia, ibi, differentibus autem
operationibus et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit per rationem,
quod delectationes differunt specie secundum differentiam operationum. Secundo manifestat idem per signa, ibi, apparebit autem
utique et cetera. Dicit ergo primo, quod cum delectatio sit operationis
perfectio, consequens est, quod sicut operationes differunt specie, ita etiam
et delectationes differre videantur; ita enim existimamus communiter, quasi
per se notum, quod ea quae sunt diversa secundum speciem, perficiuntur
perfectionibus specie differentibus. Quod quidem manifestum est circa
perfectiones essentiales, quae constituunt speciem. Idem autem necesse est
esse et circa alias consequentes perfectiones, dummodo sint propriae, quia
consequuntur ex essentialibus principiis speciei. Et hoc videmus accidere,
tam circa naturalia quam circa artificialia. |
|
#2039. — Après avoir montré la nature du plaisir et ses propriétés, le Philosophe traite ici de la différence entre les plaisirs. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier (1175a21), il traite de la différence que l'on trouve entre les plaisirs, du côté des opérations. En second (1176a3), de la différence que l'on trouve entre les plaisirs, du côté du sujet. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment les plaisirs diffèrent spécifiquement d'après la différence qu'il y a entre les opérations. En second (1175b24), comment ils diffèrent en bonté et en malice. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre, avec une raison, que les plaisirs diffèrent spécifiquement d'après la différence qu'il y a entre les opérations. En second (1175a29), il manifeste la même [chose] par des signes. Il dit donc, en premier, que, puisque le plaisir est la perfection de l'opération, il s'ensuit que, de même que les opérations diffèrent spécifiquement, de même aussi, manifestement, diffèrent les plaisirs. Ainsi, nous estimons communément comme connu par soi que ce qui diffère spécifiquement est rendu parfait par des perfections différentes spécifiquement. Cela, certes, est manifeste pour les perfections essentielles, qui constituent l'espèce. Nécessairement, c'est encore pareil aussi pour les autres perfections conséquentes, tant qu'elles sont propres, parce qu'elles découlent des principes essentiels de l'espèce. Nous voyons cela se produire en [matière] tant naturelle qu'artificielle. |
[74742] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 2 Circa naturalia quidem: quia alia est perfectio
animalium, quae scilicet consistit in perspicacitate sensus, et alia arborum,
quae consistit in earum fecunditate. Circa artificialia vero, quia alia est
perfectio picturarum, ut scilicet sint delectabilibus coloribus distinctae,
et alia est perfectio imaginum, ut scilicet bene repraesentent ea quorum sunt
imagines. Similiter etiam alia est perfectio domus, ut scilicet sit firmum
receptaculum, et alia vasis, ut scilicet sit bonae capacitatis. Unde oportet quod
operationes specie differentes perficiantur a delectationibus specie
differentibus. |
|
#2040. — En [matière] naturelle, bien sûr: car autre est la perfection des animaux, qui consiste dans la perspicacité du sens, autre [celle] des arbres, qui consiste dans leur fécondité. En [matière] artificielle, par ailleurs, car autre est la perfection des peintures, comme qu'elles soient nuancées en couleurs plaisantes, et autre est la perfection des images, comme qu'elles représentent bien ce dont elles sont les images. De manière semblable aussi, autre est la perfection de la maison, comme qu'elle offre un refuge solide, et autre [celle] du vase, comme qu'il soit de bonne capacité. Aussi faut-il que les opérations qui diffèrent spécifiquement soient rendues parfaites par des plaisirs qui diffèrent spécifiquement. |
[74743] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 3 Manifestum est autem, quod operationes mentis,
idest intellectus, differunt specie ab operationibus sensus. Et similiter
operationes sensuum ab invicem, diversificantur enim et secundum obiecta, et
secundum potentias quae sunt operationum principia. Unde relinquitur, quod
delectationes, quae perficiunt operationes, differant specie. |
|
#2041. — Or il est manifeste que les opérations de l'esprit, c'est-à-dire de l'intelligence, diffèrent spécifiquement des opérations du sens. Et, de manière semblable, les opérations des sens entre elles. Elles diffèrent, en effet, selon leurs objets, et selon les puissances qui servent de principes à leurs opérations. Aussi reste-t-il que les plaisirs qui rendent parfaites les opérations diffèrent spécifiquement. |
[74744] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 4 Deinde cum dicit: apparebit autem etc., manifestat idem
per signa. Et primo per hoc, quod operatio per propriam delectationem
confortatur; secundo per hoc quod per extraneam delectationem impeditur, ibi:
adhuc autem magis et cetera. Dicit ergo primo quod hoc, scilicet differentia delectationum
secundum operationes, apparet ex eo quod quaelibet delectatio quadam
affinitate appropriatur operationi quam perficit, quia unaquaeque operatio
per propriam delectationem augetur, sicut quidlibet natum est augeri per id
quod est sibi simile et conforme. |
|
#2042. — Ensuite (1175a29), il manifeste la même [chose] avec des signes. En premier, du fait que l'opération est renforcée par un plaisir propre. Il dit donc, en premier, que celle-ci, à savoir, la différence des plaisirs d'après les opérations, apparaît du fait que n'importe quel plaisir est approprié par une certaine affinité à l'opération qu'il rend parfaite, parce que chaque opération est augmentée par son plaisir propre, comme n'importe quoi est de nature à être augmenté par ce qui lui est semblable et conforme. |
[74745] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 5 Videmus enim quod illi qui delectabiliter operantur
quodcumque opus rationis magis possint singula diiudicare et per certitudinem
exquirere ea circa quae delectabiliter negotiantur; sicut geometrae, qui
delectantur in considerationibus geometriae, magis possunt intelligere
singula huiusmodi considerationis, quia mens magis detinetur in eo in quo
delectatur. Et eadem ratio est de omnibus aliis, sicut de his qui amant
musicalia et delectantur in eis, et de his qui delectantur in arte
aedificativa, et de omnibus aliis, quod per hoc quod gaudent in tali opere,
magnum augmentum faciunt ad proprium opus. Et sic patet, quod delectationes
augent operationes. Manifestum est autem, quod ea quae augent sunt propria
his quae augentur. Unde oportet, quod diversa diversis augeantur. Si igitur
operationes, quae augentur per delectationes, specie differunt, ut ostensum
est, consequens est quod et ipsae delectationes augentes specie differant. |
|
#2043. — Nous voyons, par ailleurs, que ceux qui opèrent avec plaisir n'importe quelle œuvre de raison peuvent davantage juger dans le détail, et examiner rigoureusement ce sur quoi ils s'affairent avec plaisir. Ainsi, les géomètres, qui prennent plaisir à des considérations de géométrie, peuvent davantage comprendre les détails de ce type de considération, parce que l'esprit se garde davantage en ce en quoi il prend plaisir. La même raison vaut pour toute le reste, comme pour ceux qui aiment la musique et y prennent plaisir, et pour ceux qui prennent plaisir dans l'art de la construction, et pour toute autre chose: du fait qu'on a joie à tel acte, on augmente beaucoup l'acte propre. Ainsi appert-il que les plaisirs augmentent les opérations. Mais il est manifeste que ce qui augmente est propre à ce qui est augmenté. Aussi faut-il que ce qui est différent soit augmenté par du différent. Si, donc, les opérations qui sont augmentées par les plaisirs diffèrent spécifiquement, comme il a été montré, il s'ensuit que les plaisirs mêmes qui augmentent diffèrent aussi spécifiquement. |
[74746] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 6 Deinde cum dicit: adhuc autem magis etc., inducit aliud
signum, quod sumitur ex impedimento quod affertur operationibus per extraneas
delectationes. Et primo ex hoc ostendit differentiam delectationum. Secundo
comparat extraneas delectationes propriis tristitiis, ibi, fere enim alienae
et cetera. Dicit ergo primo, quod id quod dictum est de differentia
delectationum secundum operationes, magis apparet ex eo quod operationes
impediuntur per delectationes ab aliis operationibus factas. Ideo autem magis
per hoc manifestatur propositum, quia hoc, quod delectationes augent
operationes, posset attribui communi rationi delectationis, non autem
propriae huius delectationis, secundum quam differunt delectationes
adinvicem. |
|
#2044. — Ensuite (1175b1), il apporte un autre signe, pris de l'empêchement apporté aux opérations par des opérations étrangères. En premier, il montre par là la différence des plaisirs. En second (1175b16), il compare les plaisirs étrangers aux tristesses propres. Il dit donc, en premier, que ce qui a été dit de la différence des plaisirs d'après les opérations apparaît davantage dans le fait que les opérations sont empêchées par des plaisirs causés par d'autres actes. La raison pour laquelle cela manifeste davantage le propos, c'est que cela, que les plaisirs augmentent les opérations, pourrait être attribué à une raison commune du plaisir, mais non [à une raison] propre selon laquelle les plaisirs diffèrent entre eux. |
[74747] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 7 Sed manifeste apparet, quod delectationes specie
differunt, dum invenitur, quod propria delectatio auget operationem et
extranea impedit. Videmus enim quod illi qui sunt amatores sonitus
fistularum, non possunt attendere sermonibus qui eis dicuntur quando audiunt
aliquem fistulantem, ex eo quod magis gaudent in opere fistulativae artis
quam in praesenti operatione, scilicet in auditione sermonum sibi
dictorum. Et sic patet, quod delectatio, quae fit secundum operationem
fistulativae artis corrumpit operationem secundum sermonem. Et ita videmus accidere in aliis, cum occurrit alicui,
quod simul circa aliqua duo operetur. |
|
#2045. — Mais il apparaît manifestement que les plaisirs diffèrent spécifiquement, quand on trouve que le plaisir, propre, augmente l'opération, tandis que, étranger, il l'empêche. Nous voyons, en effet, que les amateurs de flute de pan ne peuvent écouter ce qu'on leur dit, quand ils entendent un joueur de flute; c'est qu'ils tirent davantage de joie de l'opération de l'art de la flûte que de l'opération actuelle, à savoir d'écouter ce qu'on leur dit. Ainsi appert-il que le plaisir produit par l'opération de l'art de la flûte corrompt les opérations en rapport à la conversation. C'est ainsi que nous voyons que cela se passe ailleurs, lorsqu'il arrive qu'on opère simultanément sur deux plans. |
[74748] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 8 Manifestum est enim quod delectabilior operatio
excludit aliam, intantum, quod si sit magna differentia in excessu
delectationis, homo totaliter omittit operari secundum operationem minus sibi
delectabilem. Et inde est, quod quando vehementer delectamur in aliquo
quocumque, nihil aliud possumus operari. Sed quando aliqua placent nobis quiete,
idest remisse vel parum, possumus etiam quaedam alia facere; sicut patet de
his qui in theatris, id est in spectaculis ludorum, quia parum ibi
delectantur in his quae vident, possunt intendere comestioni leguminum, quae
non est multum delectabilis. Et hoc maxime faciunt homines quando inspiciunt
aliquos non bene pugnantes in agone, ita quod inspectio talis pugnae non sit
eis delectabilis. |
|
#2046. — Il est manifeste, en effet, que l'opération plus plaisante exclut l'autre, tellement que, si la différence est grande dans l'excès de plaisir, on omet totalement d'opérer d'après l'opération moins plaisante pour soi. Par conséquent, quand nous prenons un fort plaisir à quoi que ce soit, nous ne pouvons rien faire d'autre. Mais quand quelque chose nous plaît modérément, c'est-à-dire moins ou peu, nous pouvons faire autre chose en même temps, comme il appert de ceux qui prennent plaisir au théâtre, c'est-à-dire dans les spectacles des jeux. Car celui qui prend peu de plaisir à ce qu'il voit là peut s'occuper en même temps à manger des légumes, ce qui n'est pas tellement plaisant. Cela, on le fait le plus quand on regarde des gens qui ne mènent pas un beau combat, de sorte que les regarder combattre ne nous plaît pas. |
[74749] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 9 Quia ergo propria delectatio confirmat operationes ex
quibus consequitur, ut scilicet homo vehementius eis intendat, et facit eas
diuturniores, ut scilicet homo magis in eis perseveret, et facit eas meliores,
idest perfectius finem attingentes; et cum hoc delectationes alienae,
idest quae consequuntur quasdam alias operationes, officiunt, idest
nocent, manifeste consequitur, quod delectationes multum differunt adinvicem;
quia quod una delectatio iuvat, alia impedit. |
|
#2047. — Parce que, donc, le plaisir propre renforce les opérations dont il s'ensuit, de sorte que l'on s'y occupe avec plus de vigueur, et qu'on les fait durer davantage, de sorte que l'on y persévère davantage, et qu'on les fait mieux, c'est-à-dire en atteignant plus parfaitement leur fin; et parce qu'à cela des plaisirs étrangers, c'est-à-dire qui s'ensuivent d'autres opérations, font obstacle, c'est-à-dire nuisent, il découle manifestement que les plaisirs diffèrent beaucoup entre eux; car ce qu'un plaisir aide, l'autre l'empêche. |
[74750] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 10 Deinde cum dicit fere enim etc., comparat alienas
delectationes tristitiis propriis, ut ex hoc magis appareat delectationum
differentia. Et dicit, quod fere eumdem effectum habet circa aliquam
operationem delectatio aliena, scilicet quae causatur ex aliqua alia
operatione, et tristitia propria secundum quam scilicet aliquis tristatur de
ipsa operatione. Manifestum est enim, quod tristitia quae est de aliqua
operatione corrumpit ipsam. Sicut si alicui scribere vel ratiocinari sit non
delectabile, vel magis triste, neque scribet neque ratiocinabitur propter
tristitiam sibi provenientem ex tali operatione. |
|
#2048. — Ensuite (1175b16), il compare les plaisirs étrangers aux tristesses propres, de sorte que de là apparaît davantage la différence des plaisirs. Il dit que c'est presque le même effet qu'ont sur une opération le plaisir étranger, produit par une autre opération, et la tristesse propre, selon laquelle on s'attriste de l'opération même. Il est manifeste, en effet, que la tristesse qui porte sur une opération la corrompt. Ainsi, si écrire à quelqu'un, ou raisonner, n'est pas plaisant, ou plutôt est triste, on n'écrira ni ne raisonnera, à cause de la tristesse qui provient d'une telle opération. |
[74751] Sententia Ethic., lib. 10 l. 7 n. 11 Sic igitur circa operationes contrarium effectum habent
delectationes propriae et tristitiae propriae, quae scilicet ex ipsis
operationibus causantur, alienae autem sunt quae causantur ex aliis
operationibus. Et dictum est, quod extraneae delectationes faciunt aliquid
propinquum tristitiae propriae. Ex utraque enim parte corrumpitur operatio,
non tamen similiter; sed magis per tristitiam propriam quae directe et
secundum se delectationi contrariatur. Aliena vero delectatio contrariatur
secundum aliud, scilicet secundum operationem. |
|
#2049. — Ainsi donc, pour les opérations, c'est un effet contraire que produisent les plaisirs propres et les tristesses propres, c'est-à-dire produits par les opérations mêmes, alors que [plaisirs et tristesses] étrangers sont produits par d'autres opérations. Il a été dit que les plaisirs étrangers font quelque chose d'assimilable aux tristesses propres. D'une part comme de l'autre, en effet, l'opération est corrompue, mais non de la même manière; davantage par la tristesse propre, qui contrarie directement et par soi le plaisir, tandis que le plaisir étranger contrarie sous un autre aspect, à savoir, selon l'opération. |
|
|
|
Lectio
8 |
|
Leçon 8
|
[74752] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 1 Differentibus autem operationibus et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod delectationes secundum differentiam operationum
differunt specie, hic ostendit quod secundum earum operationum differentiam
differunt in bonitate et malitia. Et primo quantum ad bonitatem moralem.
Secundo quantum ad bonitatem naturalem quae attenditur secundum puritatem et
impuritatem, ibi: differt autem visus et cetera. Circa primum duo facit.
Primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, etenim concupiscentiae
et cetera. Dicit ergo primo, quod cum operationes differant secundum epiikiam
et pravitatem, idest secundum virtutem et malitiam, ita scilicet quod
quaedam operationes sunt eligibiles sicut operationes virtuosae, quaedam
autem fugiendae sicut operationes vitiosae, quaedam autem secundum suam
speciem neutro modo se habent sed possunt ad utrumque trahi, ita etiam se
habet et circa delectationes. Quia cum unicuique operationi sit aliqua
delectatio propria, ut supra dictum est, delectatio quae est propria
virtuosae operationi est virtuosa et illa quae est propria pravae operationi
est mala. |
|
#2050. — Après avoir montré que les plaisirs diffèrent spécifiquement selon la différence qui existe entre les opérations, le Philosophe montre ici qu'ils diffèrent aussi en bonté et en malice selon la différence qui existe entre les opérations. En premier, quant à la bonté morale. En second (1175b36), quant à la bonté naturelle, que l'on attend selon la pureté et l'impureté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. En second (1175b28), il prouve son propos. Il dit donc, en premier, que les opérations diffèrent selon l'équité et la perversité, c'est-à-dire selon la vertu et la malice, de sorte que des opérations sont à choisir, comme opérations vertueuses, d'autres à fuir, comme opérations vicieuses, tandis que d'autres n'appartiennent spécifiquement à aucun de ces modes, mais peuvent être entraînées à l'un comme à l'autre; et que, par conséquent, il en va pareillement à propos des plaisirs. C'est qu'à chaque opération appartient un plaisir propre, comme il en a été traité plus haut (#2039); aussi, le plaisir propre à l'opération vertueuse est bon, tandis que celui propre à l'opération vicieuse est mauvais. |
[74753] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 2 Deinde cum dicit: et enim concupiscentiae etc., probat
propositum ratione sumpta ex parte concupiscentiarum. Videmus enim quod
concupiscentiae quibus aliqua bona, idest honesta, concupiscuntur, sunt
laudabiles: puta si aliquis concupiscat iuste aut fortiter agere.
Concupiscentiae autem rerum turpium sunt vituperabiles; puta si aliquis
concupiscat furari aut moechari. Manifestum est autem, quod magis sunt
propinquae et propriae operationibus delectationes quibus in ipsis
operationibus delectamur, quam concupiscentiae quibus eas concupiscimus. |
|
#2051. — Ensuite (1185b28), il prouve son propos avec une raison prise du côté des désirs. On constate, en effet, que les désirs dans lesquels c'est le bien, c'est-à-dire l'honorable, qui est désiré, sont louables: par exemple, si on désire agir justement ou courageusement. À l'inverse, les désirs de ce qui est honteux sont blâmables; par exemple, si on désire voler, ou commettre l'adultère. Il est manifeste, cependant, que les plaisirs que nous prenons aux opérations mêmes sont davantage proches et propres aux opérations, que les désirs dans lesquels nous les désirons. |
[74754] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 3 Concupiscentiae enim distinguuntur ab operationibus
tempore. Ante enim concupiscimus aliquid operari quam illud operemur.
Distinguuntur etiam secundum naturam; quia operatio est actus perfecti,
concupiscentia autem imperfecti et nondum habentis. Sed delectationes sunt
propinquae operationibus, quia utrumque est alicuius perfecti. Sunt etiam et
indiscretae secundum tempus; quia si nondum aliquis operatur, in tali
operatione non delectatur; eo quod delectatio est rei praesentis, sicut
concupiscentia rei futurae: et in tantum delectatio propinqua est operationi,
quod videtur esse dubitabile, utrum operatio sit idem delectationi. |
|
#2052. — En effet, les désirs se distinguent des opérations par le temps. C'est avant de le faire, en effet, que nous désirons faire quelque chose. Ils se distinguent aussi en nature, car l'opération est l'acte du parfait, tandis que le désir [appartient] à l'imparfait et à celui qui n'a pas encore. À l'inverse, les plaisirs sont proches des opérations, parce que les uns et les autres appartiennent au parfait. De plus, ils sont aussi exempts de distinction quant au temps; tant qu'on n'opère pas, en effet, on ne prend pas encore plaisir à cette opération. C'est que le plaisir porte sur le présent, comme le désir sur le futur. Le plaisir est tellement proche de l'opération, qu'on tend même à douter si l'opération ne serait pas la même [chose] que le plaisir. |
[74755] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 4 Nec tamen dicendum est quod sit ita. Non enim potest
esse delectatio nisi in operatione sensus vel intellectus. Ea enim quae
cognitione carent delectari non possunt. |
|
#2053. — On ne doit cependant pas dire qu'il en soit ainsi. En effet, le plaisir ne peut être que dans l'opération du sens ou de l'intelligence. En effet, ce qui est dépourvu de connaissance ne peut prendre plaisir. |
[74756]
Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 5 Nec tamen est idem quod
operatio intellectus, neque idem quod operatio sensus. Nam delectatio magis
ad appetitivam partem pertinet. Est autem inconveniens si delectatio
aliquibus videatur esse idem operationi, propter hoc quod ab operatione
tempore non separatur. |
|
#2054. — Il n'est néanmoins ni la même [chose] que l'opération de l'intelligence, ni la même [chose] que l'opération du sens. Car le plaisir appartient davantage à la partie appétitive. Il y a par ailleurs inconvénient à identifier le plaisir à l'opération, parce qu'il n'est pas séparé de l'opération. |
[74757] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 6 Sic igitur patet quod, sicut operationes sunt alterae
secundum virtutem et malitiam, ita etiam et delectationes. Ex quo patet,
inconvenienter enuntiasse quosdam universaliter de delectationibus quod sint
bonae vel malae. |
|
#2055. — Ainsi donc, il devient évident que de même que les opérations diffèrent en vertu et malice, de même aussi les plaisirs. Par quoi il devient évident qu'on ait affirmé à tort, pour les plaisirs, qu'ils sont bons et [qu'ils sont] mauvais. |
[74758] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 7 Deinde cum dicit: differt autem visus etc., ostendit
differentiam delectationum secundum puritatem et impuritatem. Manifestum est
enim, quod operationes sensuum secundum puritatem differunt. Purior est enim
operatio visus quam tactus; et similiter operatio auditus et olfactus quam
operatio gustus. Dicitur autem aliqua operatio purior quae est immaterialior.
Et secundum hoc, inter omnes sensitivas operationes purissima est operatio
visus, quia est immaterialior, veluti minus habens admixtum de
dispositionibus materiae; et ex parte obiecti quod fit sensibile in actu per
lumen, quod derivatur a corpore caelesti; et ex parte medii quod sola
spirituali transmutatione immutatur. Et propter easdem causas operatio tactus
est maxime materialis; quia eius obiecta sunt conditiones materiae passibilis
(et) medium eius non est extrinsecum, sed coniunctum. Et eadem differentia
puritatis attenditur inter delectationes sensuum adinvicem. Sunt etiam
operationes et delectationes intellectus puriores operationibus et
delectationibus sensitivis, utpote magis immateriales. |
|
#2056. — Ensuite (1175b36), il montre la différence [qui existe] entre les plaisirs, selon leur pureté et leur impureté. En effet, il est manifeste que les opérations des sens diffèrent en pureté, car l'opération de la vue est plus pure que celle du toucher; et, de manière semblable, l'opération de l'ouïe et de l'odorat que l'opération du goût. Or on dit une opération plus pure pour autant que plus immatérielle. D'après cela, parmi toutes les opérations sensibles, la plus pure est l'opération de la vue, parce qu'elle est plus immatérielle, du fait qu'elle soit moins concernée par les dispositions de la matière: à la fois du côté de son objet, qui devient sensible en acte grâce à la lumière, qui dérive d'un corps céleste, et du côté de son moyen, altérée par une transformation seulement spirituelle. Pour les mêmes causes, l'opération du toucher est la plus matérielle, car ses objets sont des conditions de la matière passible et que son moyen n'est pas extrinsèque, mais conjoint. On s'attend à la même différence de pureté entre les plaisirs des différents sens. En outre, les opérations et les plaisirs de l'intelligence sont plus purs que les opérations et les plaisirs sensibles, car plus immatériels. |
[74759] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 8 Deinde cum dicit: videtur autem esse unicuique etc.,
ostendit quae sit differentia delectationum ex parte obiecti. Et primo
quantum ad animalia diversarum specierum. Secundo quantum ad homines qui sunt
unius speciei, ibi: differunt autem non parum et cetera. Dicit ergo primo,
quod cum delectatio consequatur operationem, videtur quod unicuique rei sit
propria delectatio, sicut et propria operatio. Quod autem sit propria
operatio uniuscuiusque rei, apparet ex hoc quod operationes sequuntur formas
rerum secundum quas res specie differunt. Quod autem singulorum sit propria
delectatio, apparet, si quis velit in unoquoque considerare. |
|
#2057. — Ensuite (1176a3), il montre quelle différence il y a entre les plaisirs, du côté du sujet. En premier, pour les animaux des différentes espèces. En second (1176a10), pour les hommes, qui sont d'une seule espèce. Il dit donc, en premier, que comme le plaisir suit l'opération, il semble qu'il y ait pour chaque chose un plaisir propre, comme il y a une opération propre. Que, par ailleurs, il y ait une opération propre à chaque chose, cela ressort du fait que les opérations suivent les formes des choses et que c'est selon elles que les choses diffèrent en espèce. Que, par ailleurs, existe un plaisir propre à chacun, cela se vérifie à regarder en chacun. |
[74760] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 9 Manifestum est enim, quod alia est delectatio equi et
alia canis et alia hominis, sicut Heraclitus dicit quod asinus magis eligit
fenum quam aurum. Quia delectabilius est sibi nutrimentum quod exhibetur ei
per fenum, quam aurum. Sic igitur patet quod eorum quae differunt specie sunt
delectationes specie differentes. Sed eorum quae non differunt specie,
rationabile est quod sit indifferens delectatio consequens naturam speciei. |
|
#2058. — Il est manifeste, en effet, qu'autre est le plaisir du cheval, et autre [celui] du chien, et autre [celui] de l'homme, comme Héraclite dit que l'âne préfère le foin à l'or. Lui plaît davantage que l'or, en effet, la nourriture que représente pour lui le foin. Ainsi donc, il devient évident que, pour ceux qui diffèrent spécifiquement, il y a des plaisirs différents spécifiquement. Mais que, pour ceux qui ne diffèrent pas spécifiquement, il est raisonnable qu'il n'y ait pas de différence dans le plaisir qui suit la nature spécifique. |
[74761] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 10 Deinde cum dicit: differunt autem etc., ostendit
differentiam delectationum in hominibus. Et primo ostendit quod hominum sint
diversae delectationes. Secundo ostendit quod in virtuoso sit verior
delectatio, ibi, videtur autem in omnibus etc.; tertio ostendit quae sit
potior delectatio inter delectationes virtuosi, ibi, earum autem et cetera.
Dicit ergo primo, quod quamvis rationabile videatur, quod indifferentium
specie sit indifferens delectatio; et ita sit in aliis animalibus; tamen in
hominibus, qui omnes sunt eiusdem speciei, multum differunt delectationes,
sicut et operationes. |
|
#2059. — Ensuite (1176a10), il montre la différence [qu'il y a, sur le plan] des plaisirs, entre les hommes. En premier, il montre que, d'un homme à l'autre, les plaisirs diffèrent. En second (1176a15), il montre que chez le vertueux le plaisir est plus vrai. En troisième (1176a24), il montre quel est le plus puissant parmi les plaisirs du vertueux. Il dit donc, en premier, que, quoiqu'il semble raisonnable que, pour ceux qui ne diffèrent pas spécifiquement, le plaisir ne diffère pas; et qu'il en soit ainsi chez les autres animaux; cependant, chez les hommes, qui sont tous de la même espèce, les plaisirs diffèrent beaucoup, comme aussi les opérations. |
[74762] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 11 Cuius ratio est, quia operationes et delectationes
aliorum animalium consequuntur naturalem inclinationem, quae est eadem in
omnibus animalibus eiusdem speciei. Sed operationes et delectationes hominum
proveniunt a ratione quae non determinatur ad unum. Et inde est quod eadem
quosdam homines delectant, et quosdam contristant. Et quibusdam sunt tristia
et odibilia, quibusdam autem et delectabilia et amicabilia. |
|
#2060. — La raison en est que les opérations et les plaisirs des autres animaux suivent une inclination naturelle, qui reste la même chez tous les animaux de la même espèce. Mais les opérations et les plaisirs des hommes proviennent de la raison, qui n'est pas fixée sur un [objet] unique. Il s'ensuit que certaines [choses] donnent du plaisir à certains, et en attristent d'autres. Qu'elles sont attristantes et haïssables pour certains, mais aussi plaisantes et aimables pour d'autres. |
[74763] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 12 Quae quidem se consequuntur, quia unusquisque
delectatur in eo quod amat; et accidit hoc, quia quidam sunt melius vel peius
dispositi secundum rationem. Et idem accidit circa gustum dulcium; quia non
videntur eadem dulcia febricitanti qui habet gustum infectum, et sano qui
habet gustum bene dispositum; (et idem accidit circa tactum:) quia non
videtur idem esse calidum ei qui habet debilem tactum, et ei qui bene se
habet. Et ita etiam est in aliis. |
|
#2061. — Cela, certes, s'ensuit de ce que chacun prend plaisir à ce qu'il aime. Et cela arrive parce que certains sont disposés mieux ou pire, en rapport à la raison. Il en va de même pour le goût du doux, car ce n'est pas le même [objet] qui semble doux au fiévreux, dont le goût est infecté, et au sain, dont le goût est bien disposé; et que ce n'est pas le même [objet] qui paraît chaud à celui qui a le toucher faible, et à celui qui l'a bien disposé. Ainsi en est-il pour le reste. |
[74764] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 13 Deinde cum dicit: videtur autem in omnibus etc.,
ostendit, quod delectatio virtuosorum sit potior inter delectationes humanas.
Et dicit, quod in omnibus talibus quae pertinent ad passiones et operationes
humanas, illud videtur esse verum, quod apparet studioso qui habet rectum
iudicium circa talia, sicut sanus circa dulcia. Et si hoc bene dicitur, sicut
videtur, ita quod virtus sit mensura secundum quam iudicetur de omnibus rebus
humanis, et bonus inquantum est virtuosus, sequitur quod illae sint verae
delectationes, quae videntur virtuoso et illa vere sint delectabilia quibus
virtuosus gaudet. |
|
#2062. — Ensuite (1176a15), il montre que le plaisir des vertueux est le plus puissant des plaisirs humains. Il dit qu'en tout ce qui est de nature à appartenir aux passions et aux opérations humaines, cela semble vrai qui apparaît tel à l'homme honnête, qui a un jugement droit à son endroit, comme le sain l'a sur les [objets] doux. Si cela est correct, comme il le semble, et que la vertu soit la mesure selon laquelle on doive juger de toutes choses humaines, et le bon en tant qu'il est vertueux, il s'ensuit que les vrais plaisirs soient ceux qui le semblent au vertueux, et que les vrais objets de plaisirs soient ceux dans lesquels le vertueux trouve joie. |
[74765] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 14 Si autem aliqua de quibus tristatur virtuosus appareant
aliis delectabilia, non est admirandum. Hoc enim accidit propter multas
corruptiones, et multiplicia hominum nocumenta, ex quibus pervertitur ratio
et appetitus. Et sic illa quae repudiat virtuosus non sunt simpliciter
delectabilia, sed solum male dispositis. Sic ergo manifestum est, quod illae
delectationes quas omnes confitentur esse turpes, non dicendae sunt
delectationes nisi hominibus corruptis. |
|
#2063. — Si, néanmoins, certaines [choses] dont s'attriste le vertueux paraissent plaisantes à d'autres, il ne faut pas s'en étonner. Cela, en effet, arrive en raison de bien des corruptions, et de multiples dommages chez les hommes, par où sa raison est pervertie, ainsi que son appétit. En conséquence, ce que rejette le vertueux n'est pas plaisant absolument, mais seulement à des gens mal disposés. Ainsi donc, il est manifeste que les plaisirs que tous admettent comme honteux ne sont pas à concéder comme des plaisirs, sauf à des gens corrompus. |
[74766] Sententia Ethic., lib. 10 l. 8 n. 15 Deinde cum dicit: earum autem etc., ostendit quod
aliqua est potior inter delectationes virtuosi. Et dicit, quod considerandum
est inter delectationes virtuosas qualis vel quae sit praecipua delectatio
hominis. Et hoc dicit esse manifestum ex operationibus ad quas consequuntur
delectationes; quia sive sit una operatio, sive plures, quae sunt propriae
hominis perfecti et beati, manifestum est, quod delectationes consequentes
has operationes sunt principaliter delectationes hominis. Reliquae vero
secundario et multipliciter sub principalibus delectationibus, sicut et circa
operationes accidit. |
|
#2064. — Ensuite (1176a24), il montre qu'il en existe un plus puissant, parmi les plaisirs du vertueux. Il dit qu'on doit se demander, parmi les plaisirs vertueux, de quelle sorte et lequel est le plaisir principal de l'homme. Il dit qu'il ressort manifestement des opérations dont suivent les plaisirs; car il y a ou une opération ou plusieurs qui sont propres à l'homme parfait et heureux; il est donc manifeste que les plaisirs qui suivent ces opérations sont des plaisirs pour l'homme d'une manière principale. Les autres, par ailleurs, le sont de façon secondaire et multiple, sous les plaisirs principaux, comme il en arrive aussi dans les opérations. |
|
|
|
Lectio
9 |
|
Leçon 9
|
[74767] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 1 Dictis autem his quae circa virtutes et cetera.
Postquam philosophus determinavit de delectatione, hic determinat de
felicitate. Et primo continuat se ad praecedentia. Secundo exequitur
propositum, ibi, diximus autem et cetera. Circa primum tria facit. Primo
narrat ea quae supra tractata sunt; dictum est enim supra de virtutibus, de
II libro usque ad VIII, de amicitiis, in VIII et IX, de delectatione, in
prima parte huius decimi. Secundo dicit de quo restat dicendum; quia de
felicitate, de qua oportet pertransire, id est breviter dicere typo, idest
figuraliter, sicut et de ceteris moralibus supra dictum est. Ideo autem de
felicitate dicendum est, quia communiter omnes ponunt eam finem omnium
humanorum. Finem autem oportet esse non ignotum, ad hoc quod absque errore
operationes dirigantur ad finem. Tertio determinat modum tractandi de
felicitate. Et dicit quod oportet resumere ea quae supra in primo dicta sunt
de ipsa, sic enim erit brevior sermo si non a principio de ipsa tractetur. |
|
#2065. — Après avoir traité du plaisir, le Philosophe traite ici du bonheur. En premier, il se rattache à ce qui précède. En second (1176a33), il exécute son propos. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il rappelle ce qui a été traité plus haut. On a parlé plus haut, en effet, des vertus, du second livre jusqu'au huitième; des amitiés, aux huitième et neuvième; et du plaisir, dans la première partie de ce dixième [livre]. En second, il dit de quoi il reste à parler: du bonheur, qu'il faut parcourir, et dont il faut traiter en gros, c'est-à-dire figurément, comme on a aussi parlé du reste de ce qui est moral. La raison, par ailleurs, de parler du bonheur, c'est que tous, communément, le posent comme fin de toutes les [affaires] humaines. Or la fin ne doit pas être ignorée, pour que les actions y soient dirigées sans erreur. En troisième, il détermine la manière de traiter du bonheur. Il dit qu'il faut tout résumer ce qui a été dit à son sujet plus haut, au premier [livre]. Ce sera, en effet, plus bref d'en traiter ainsi depuis le début. |
[74768] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 2 Deinde cum dicit: diximus autem etc., exequitur
propositum. Et primo manifestat genus felicitatis, ostendens quod non est
habitus, sed operatio. Secundo ostendit, quod est operatio secundum virtutem,
ibi, operationum autem et cetera. Tertio investigat cuius virtutis sit
operatio, ibi, si autem felicitas et cetera. Dicit ergo primo, quod supra in
primo dictum est, quod felicitas non est habitus. Sequerentur enim duo
inconvenientia: quorum unum est, quod cum habitus remaneant in dormiente,
sequeretur, si felicitas esset habitus, quod inesset etiam dormienti per
totam vitam suam, vel per maximam partem eius. Et hoc est inconveniens; quia
dormiens non habet perfecte operationes vitae, nisi eas quae pertinent ad
animam vegetabilem, quae invenitur in plantis, quibus felicitas attribui non
potest; manifestum est enim quod sensus et motus exteriores cessant in
dormiente. Interiores autem phantasiae sunt inordinatae et imperfectae. Et
similiter, si qua sit operatio intellectus in dormiente, est imperfecta.
Solae autem operationes nutritivae partis perfectae sunt. |
|
2066. — Ensuite (1176a33), il exécute son propos. En premier, il manifeste le genre du bonheur, en montrant que ce n'est pas un habitus, mais une opération. En second (1176b1), il montre que c'est une opération conforme à la vertu. En troisième (1177a12), il recherche de quelle vertu c'est l'opération. Il dit donc, en premier, que, plus haut, au premier [livre] (#118-130, 152-153), il a été dit que le bonheur n'est pas un habitus. Il s'ensuivrait, en effet, deux inconvénients. Le premier, c'est que, comme les habitus demeurent, chez celui qui dort, il s'ensuivrait, si le bonheur était un habitus, qu'il appartiendrait aussi à qui dort toute sa vie, ou sa plus grande partie. Or cela ne convient pas, parce que celui qui dort n'a pas en perfection les opérations de la vie, sauf celles qui appartiennent à l'âme végétative, présente dans les plantes, auxquelles le bonheur ne peut s'attribuer. Il est certain, en effet, que la sensation et les mouvements extérieurs cessent chez celui qui dort. Les imaginations intérieures, quant à elles, sont désordonnées et imparfaites. De manière semblable, s'il est une opération de l'intelligence chez celui qui dort, elle est imparfaite. Seules les opérations de la partie nutritive sont parfaites. |
[74769] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 3 Aliud autem inconveniens est, quia in infortunatis manent
habitus virtutum; operationes autem virtutum impediuntur in eis propter
infortunia. Si igitur felicitas sit habitus, sequeretur quod infortunati
essent vere felices. Hoc autem Stoici pro inconvenienti non habent, ponentes
exteriora bona nullo modo esse hominis bona et ideo per infortunia nihil
posse homini de sua felicitate diminui. Hoc tamen est contra opinionem
communem, quae infortunium repugnare felicitati existimat. Secundum ergo
illos, quibus ista inconvenientia non placent, dicendum est quod felicitas
non sit habitus, sed magis sit inter operationes ponenda, sicut in primo
dictum est. |
|
#2067. — Un autre inconvénient, par ailleurs, c'est que chez les misérables les habitus des vertus demeurent; mais leur misère fait obstacle aux opérations des vertus. Si donc le bonheur était un habitus, il s'ensuivrait que les misérables seraient vraiment heureux. Cela, toutefois, les Stoïciens ne le tenaient pas pour un inconvénient, du fait qu'ils refusaient que les biens extérieurs ne soient de quelque manière des biens de l'homme. C'est pourquoi la misère ne pourrait rien faire diminuer du bonheur de l'homme. Cela, cependant, va contre l'opinion commune, qui pense que la misère répugne au bonheur. D'après ceux, donc, à qui ces inconvénients répugnent, on doit dire que le bonheur n'est pas un habitus, mais qu'il compte plutôt parmi les opérations à poser, comme on l'a dit au premier [livre]. |
[74770] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 4 Deinde cum dicit operationum autem etc., ostendit, quod
felicitas sit operatio secundum virtutem. Et circa hoc tria facit. Primo
ostendit felicitatem contineri sub operationibus, quae sunt secundum se
eligibiles. Secundo dividit huiusmodi operationes in operationes virtutis et
operationes ludi, ibi, tales autem esse videntur etc.; tertio ostendit sub
quibus harum felicitas contineatur, ibi, refugiunt autem et ad tales et
cetera. Circa primum duo facit. Primo ponit quamdam operationum divisionem.
Et dicit quod operationum quaedam sunt necessariae ad aliud, et eligibiles
propter quaedam alia, utpote non appetibiles nisi propter finem, quaedam vero
sunt eligibiles secundum seipsas; quia, et si nihil aliud ab eis proveniret,
tamen in seipsis habent unde appetantur. |
|
#2068. — Ensuite (1176b2), il montre que le bonheur est une opération conforme à la vertu. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le bonheur est contenu sous des opérations qui sont à choisir par soi. En second (1176b7), il divise les opérations de la sorte en opérations de vertu et opérations de jeu. En troisième (1176b12), il montre sous lesquelles d'entre elles le bonheur est contenu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose une division des opérations. Il dit que certaines opérations sont nécessaires à autre chose, et à choisir en raison d'autres, de sorte que non désirables, sauf en vue d'une fin, tandis que d'autres sont à choisir en elles-mêmes, car, même si rien d'autre n'en provenait, elles auraient quand même en elles-mêmes de quoi être désirées. |
[74771] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 5 Secundo ibi, manifestum etc., ostendit quod felicitas
contineatur sub illis operationibus quae sunt eligibiles secundum se ipsas,
non autem sub illis quae sunt eligibiles propter aliud. De ratione enim felicitatis
est, quod sit per se sufficiens et non indigeat aliquo alio, ut patet ex his
quae dicta sunt in primo. Illae autem operationes dicuntur secundum se
eligibiles, ex quibus nihil aliud quaeritur praeter ipsam operationem, quasi
nullo alio indigentes ad hoc quod sint eligibiles, illae vero quae sunt
eligibiles propter aliud indigent alio ad hoc quod sint eligibiles. Et sic
patet quod felicitas est operatio secundum se eligibilis. |
|
#2069. — En second (1176b3), il montre que le bonheur est contenu sous ces opérations à choisir en elles-mêmes, mais non sous celles à choisir pour autre chose. En effet, il est de la raison du bonheur qu'il suffise par soi et n'ait pas besoin d'autre chose, comme il appert de ce qui a été dit au premier [livre] (#118). Or ces opérations sont dites à choisir en elles-mêmes, auxquelles on ne demande rien d'autre que l'opération même, comme elles n'ont besoin de rien d'extrinsèque pour se faire choisir. Ainsi devient-il évident que le bonheur est une opération à choisir en elle-même. |
[74772] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 6 Deinde cum dicit: tales autem etc., subdividit
operationes secundum se eligibiles. Et dicit, quod primo quidem tales esse
videntur operationes quae sunt secundum virtutem: quia hoc est per se
eligibile homini, quod eligat ea quae sunt per se bona et honesta. Unde et
honestum a quibusdam dicitur, quod sua vi nos trahit et sua dignitate nos
allicit. Secundo videntur esse per se eligibiles etiam operationes
delectabiles quae sunt in ludo. Non enim videtur quod homines tales
operationes propter aliquam utilitatem eligant, cum magis per tales
operationes homines laedantur quam iuventur. Videntur enim homines propter
ludos negligere et corpora, quae laboribus et periculis exponunt, et
possessiones, propter expensas quae in ludis fiunt. |
|
#2070. — Ensuite (1176b7), il subdivise les opérations à choisir en elles-mêmes. Il dit qu'en premier, certes, telles semblent être les opérations conformes à la vertu, car il est par soi à choisir que l'on choisisse ce qui est par soi bon et honorable. Aussi décrit-on l'honnête comme ce qui nous entraîne par sa force et nous attire par sa dignité. En second, sont manifestement aussi à choisir par soi les actions plaisantes qu'il y a dans le jeu. Il ne semble pas, en effet, que l'on choisisse pareilles actions pour une utilité, car on est davantage réjoui qu'aidé par elles. Il semble bien, en effet, que l'on néglige, pour des jeux, à la fois son corps, qu'on expose à l'effort et au danger, et ses possessions, par les dépenses que les jeux entraînent. |
[74773] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 7 Deinde cum dicit: refugiunt autem etc., ostendit sub
quibus harum contineatur felicitas. Et primo ostendit, quare videatur
quibusdam felicitas esse in operatione ludi; secundo excludit rationem ad hoc
inductam, ibi: nullum autem forte signum etc.; tertio determinat veritatem,
ibi, etenim inconveniens et cetera. Dicit ergo primo, quod multi eorum, qui
apud homines reputantur felices, confugiunt ad tales conversationes, volentes
scilicet in ludis conversari. Et inde est, quod tyranni approbant in
conversatione ludi eutrapelos, qui scilicet sciunt convenienter
ludere. |
|
#2071. — Ensuite (1176b12), il montre sous lesquelles d'entre elles est contenu le bonheur. En premier, il montre pourquoi il semble à certains que le bonheur soit dans l'opération du jeu. En second (1176b17), il exclut la raison qui y induit. En troisième (1176b28), il en traite en vérité. Il dit donc, en premier, que beaucoup de ceux que l'on pense heureux, parmi les hommes, s'en tiennent à pareilles occupations, et veulent s'occuper à des jeux. C'est pour cela que les tyrans admettent chez eux des gens enjoués, qui manient convenablement le jeu. |
[74774] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 8 Vocat autem huiusmodi potentes tyrannos, quia non
videntur communi utilitati intendere, sed propriae delectationi, qui in ludis
conversantur. Ideo autem tyranni approbant eutrapelos, quia tales lusores
exhibent se tyrannis delectabiles in his quae ipsi tyranni appetunt; scilicet
in delectationibus ludi, ad quas indigent talibus hominibus. Sic igitur
videtur quod felicitas in talibus consistat propter hoc quod huiusmodi vacant
illi qui sunt in potentatibus constituti, quos homines reputant felices. |
|
#2072. — Il appelle ce type de puissants des tyrans, parce qu'ils ne tendent pas manifestement à l'utilité commune, mais à leur plaisir propre, ceux qui s'occupent à des jeux. La raison pour laquelle les tyrans admettent chez eux les gens enjoués, c'est que ces joueurs leur plaisent dans ce qu'eux-mêmes, tyrans, désirent, à savoir, dans les plaisirs du jeu, pour lesquels ils ont besoin de tels hommes. Ainsi donc, le bonheur consiste en pareilles [choses], puisqu'y vaquent les gens constitués en pouvoirs, que l'on pense heureux. |
[74775] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 9 Deinde cum dicit: nullum autem etc., excludit
praedictam rationem. Et dicit, quod ex huiusmodi potentibus non potest accipi
sufficiens signum, quod felicitas in ludo consistat. In his enim non
invenitur excellentia prae aliis hominibus, nisi secundum potentiam mundanam,
ex qua non sequitur quod operationes eorum sint virtuosae, quia virtus
moralis et intellectualis, quae sunt principia bonarum operationum, non
consistit in hoc quod aliquis sit potens. Et ideo non oportet, quod
operationes ludi, quibus potentes vacant, sint optimae. |
|
#2073. — Ensuite (1176b17), il exclut la raison qui précède. Il dit qu'avec ce type de puissants, on ne peut tenir un signe suffisant que le bonheur consiste dans le jeu. Avec eux, en effet, on ne trouve pas une excellence au-dessus des autres, sauf en puissance mondaine, qui ne garantit pas que leurs opérations soient vertueuses, parce que les vertus morale et intellectuelle, principes des opérations bonnes, ne consistent pas à être puissant. C'est pourquoi il ne s'ensuit nécessairement pas que les opérations du jeu, auxquelles vaquent les puissants, soient les meilleures. |
[74776] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 10 Et similiter etiam quantum ad appetitum, qui per
virtutem rectificatur, non oportet quod potentes bene se habeant et ideo, si
potentes interiori gustu non percipiunt delectationem virtutis activae vel
speculativae, quae est sincera, idest absque corruptione eius qui
delectatur, et liberalis, quia est secundum rationem, secundum quam homo est
liber in operando; et propter hoc confugiunt ad corporales delectationes,
inter quas comprehenduntur delectationes ludicrae: non propter hoc est
existimandum, quod huiusmodi delectationes sive operationes sint aliis
eligibiliores. Quia videmus quod etiam pueri, quia carent intellectu et
virtute, reputant quaedam puerilia in quibus conversantur esse pretiosa et
optima, quae tamen non sunt magni ponderis, nec a viris perfectis aliquid
reputantur. Rationabile est igitur, quod sicut pueris et viris perfectis alia
et alia videntur pretiosa esse, ita etiam pravis et virtuosis. |
|
#2074. — De manière semblable aussi, il ne s'ensuit pas nécessairement que le puissant soit correctement disposé en rapport à l'appétit, qui se rectifie par la vertu. Même si les puissants ne perçoivent pas, par un goût intérieur, le plaisir lié à la vertu active ou spéculative — sincère, c'est-à-dire sans corruption pour celui qui y prend plaisir, et libéral, parce que conforme à la raison, grâce à laquelle l'homme agit librement —, même si, à cause de cela, ils s'en tiennent aux plaisirs corporels, entre lesquels on comprend les plaisirs du jeu, il ne faut pas, pour cela, estimer que les plaisirs ou les opérations de la sorte soient préférables à d'autres. Car nous voyons que même les enfants, à qui manquent l'intelligence et la vertu, pensent précieuses et les meilleures les puérilités auxquelles ils s'occupent, lesquelles, pourtant, n'ont pas grand poids ni ne sont jugées quelque chose par des adultes. Il est donc raisonnable que, de même qu'aux enfants et aux adultes, c'est autre chose et autre chose qui semble précieux, de même aussi aux pervers et aux vertueux. |
[74777] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 11 Ostensum est autem supra multoties, quod illa sunt vere
pretiosa et delectabilia, quae talia iudicantur a virtuoso, qui est regula
humanorum actuum. Sicut autem unicuique videtur esse maxime eligibilis
operatio, quae convenit sibi secundum proprium habitum, ita etiam virtuoso
est maxime eligibilis et pretiosa operatio quae est secundum virtutem. Et ideo in tali
operatione est ponenda felicitas, non autem in operatione ludi. |
|
#2075. — Par ailleurs, il a été montré plusieurs fois, plus haut (#494, 1905), que cela est vraiment précieux et plaisant, qui est jugé tel par le vertueux, règle des actes humains. Comme, d'ailleurs, à chacun semble préférable l'opération qui lui convient en conformité avec son habitus propre, de même aussi ce qui est préférable et le plus précieux pour le vertueux, c'est l'opération conforme à la vertu. C'est pourquoi on doit mettre le bonheur en une telle opération, et non dans l'opération du jeu. |
[74778] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 12 Deinde cum dicit: et enim inconveniens etc., determinat
veritatem; probans, quod in operatione ludi non sit felicitas, duabus
rationibus. Quarum prima sumitur ex hoc, quod felicitas est finis, quia
scilicet, si felicitas consisteret in ludo, sequeretur hoc inconveniens, quod
finis totius humanae vitae esset ludus, ita scilicet quod homo negotiaretur et
omnia alia laboriosa et mala pateretur solum ut luderet; et hoc ideo
sequeretur, quia fere omnia alia eligimus alterius gratia, praeter
felicitatem, quae est ultimus finis; hoc autem quod homo studeat
speculationi, et laboret in actione propter ludum, videtur esse stultum et
valde puerile. |
|
#2076. — Ensuite (1176b28), il en traite en vérité, prouvant que le bonheur ne réside pas dans l'opération du jeu, avec deux raisons. La première est tirée de ce que le bonheur est une fin. Aussi, s'il consistait dans le jeu, il s'ensuivrait cet inconvénient que le jeu constituerait la fin de toute la vie humaine, de sorte que l'on trafiquerait, et pâtirait tout autre effort, seulement pour jouer. La raison en est que nous choisissons pratiquement tout en vue d'autre chose, sauf le bonheur, qui est la fin ultime. Or, que l'on s'adonne à la contemplation, et qu'on s'efforce à l'action en vue du seul jeu, cela paraît stupide et très puéril. |
[74779] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 9 n. 13 Sed e converso, recte se videtur
habere secundum sententiam Anacharsis, quod aliquis ludat ad horam ad hoc
quod postea diligentius studeat. Quia in ludo est quaedam relaxatio et
requies animae, homines autem, cum non possint continue laborare, indigent
requie; unde patet quod requies sive ludus non est finis, quia requies
quaeritur propter operationem, ut scilicet homo postea vehementius operetur. Et sic patet, quod felicitas non consistit in ludo. |
|
#2077. — Mais, à l'inverse, il semble bien conforme au mot d'Anacharsis que l'on joue à l'heure et qu'ensuite on travaille avec plus de diligence. C'est que, dans le jeu, il y a une relaxation et un repos. Comme, par ailleurs, on ne peut pas travailler continuellement, on a besoin de repos. Aussi devient-il évident que le jeu, ou le repos, n'est pas une fin, car le repos est en vue de l'action, de façon que l'on agisse ensuite avec plus d'énergie. Ainsi devient-il évident que le bonheur ne consiste pas dans le jeu. |
[74780] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 14 Secundam rationem ponit ibi, videtur autem et cetera. Ideo enim ponunt
aliqui felicitatem in ludo, propter delectationem quae in ludo est. Habet
autem felicitas delectationem quamdam, quia est operatio secundum virtutem,
quae cum gaudio existit. Non tamen cum gaudio ludi. Quia cum felicitas sit
summum bonum hominis, oportet quod in optimis consistat. Meliora autem dicimus virtuosa, quae serie aguntur,
quam ridiculosa, quae fiunt ludo. Et hoc sic patet quia operatio quae est
melioris particulae animae, et quae est propria hominis, est magis virtuosa.
Patet autem, quod operatio, quae est melioris partis, est melior, et per
consequens felicior. |
|
#2078. — Il présente ensuite sa seconde raison (1177a1). La raison de mettre le bonheur dans le jeu, c'est le plaisir que l'on trouve dans le jeu. Or le bonheur comporte un plaisir, parce qu'il est une opération conforme à la vertu, laquelle s'accompagne de joie. Mais non cependant de la joie du jeu. Car, comme le bonheur est le bien suprême de l'homme, il faut qu'il consiste dans ce qu'il y a de mieux. Or nous disons le vertueux, qui se fait sérieusement, meilleur que le ridicule, qui se fait par jeu. Voici pourquoi c'est évident: c'est que l'opération qui relève de la meilleure partie de l'âme, et qui est propre à l'homme, est plus vertueuse. Il est évident, d'ailleurs, que l'opération qui relève de la meilleure partie est meilleure, et, par conséquent, plus heureuse. |
[74781] Sententia Ethic., lib. 10 l. 9 n. 15 Potest autem contingere, quod corporalibus
delectationibus potest potiri quicumque homo, etiam bestialis, non minus quam
optimus quicumque vir. Felicitatem autem nullus attribuit homini bestiali,
neque etiam parti animae brutali, sicut non attribuitur ei vita quae est
propria hominis. Et sic patet, quod in talibus conversationibus, scilicet in
delectationibus corporalibus, inter quas computantur delectationes ludi, non
consistit felicitas, sed solum in operationibus quae sunt secundum virtutem,
sicut et prius dictum est. |
|
#2079. — Mais il est possible à n'importe qui, même à quelqu'un de bestial, de jouir des plaisirs corporels, non moins qu'à n'importe quel homme excellent. Or personne n'attribue le bonheur à quelqu'un de bestial, ni même à une partie brutale de l'âme, comme on ne lui attribue pas la vie propre à l'homme. Ainsi, il devient évident que le bonheur ne consiste pas dans de telles occupations, à savoir, dans les plaisirs corporels, entre lesquels on compte les plaisirs du jeu, mais seulement dans des opérations conformes à la vertu, comme il a aussi été dit, plus haut (#2075, 2078). |
|
|
|
Lectio
10 |
|
Leçon 10
|
[74782] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 1 Si autem felicitas est et cetera. Postquam philosophus
ostendit quod felicitas est operatio secundum virtutem, hic incipit ostendere
cuius virtutis sit operatio. Et primo ostendit hoc in generali. Secundo in
speciali, ibi, quoniam autem est speculativa et cetera. Dicit ergo primo,
quod cum felicitas sit operatio secundum virtutem, sicut et hic et in primo
ostensum est, rationabiliter sequitur, quod sit operatio secundum virtutem
optimam. Ostensum est enim in primo, quod felicitas est optimum inter omnia
humana bona, cum sit omnium finis. Et quia melioris potentiae melior est
operatio, ut supra dictum est; consequens est quod operatio optima hominis
sit operatio eius, quod est in homine optimum. Et hoc quidem secundum rei
veritatem est intellectus. |
|
#2080. — Après avoir montré que le bonheur est une opération conforme à la vertu, le Philosophe commence à montrer, ici, de quelle vertu il est l'opération. En premier, il le montre en général. En second (1177a17), dans le détail. Il dit donc, en premier, que, comme le bonheur est une opération en conformité à la vertu, comme cela a aussi été montré au premier [livre] (#119, 124, 128, 131, 151, 160, 164, 173, 175, 187, 190), il s'ensuit raisonnablement qu'il soit l'opération conforme à la meilleure vertu. Il a été montré au premier [livre] (#65, 67, 128, 167, 169, 171), en effet, que le bonheur est ce qu'il y a de mieux entre tous les biens humains, puisqu'il est leur fin à tous. Or puisqu'à une puissance meilleure appartient une meilleure opération, comme il a été dit plus haut (#2078), il s'ensuit que la meilleure opération de l'homme soit l'opération de ce qu'il y a de meilleur en l'homme. Cela, en vérité, c'est son intelligence. |
[74783] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 2 Sed quia circa hoc diversimode sunt aliqui opinati, nec
est nunc locus talia discutiendi, sub dubio ad praesens relinquit, utrum
optimum hominis sit intellectus, vel aliquid aliud. Ponit tamen signa
quaedam, ex quibus potest cognosci, quod intellectus sit optimum eorum, quae
sunt in homine. |
|
#2081. — Sur cela, néanmoins, on a pensé de manière différente, et ce n'est pas ici le lieu d'en discuter; aussi laisse-t-il cela en doute, pour le moment, si ce qu'il y a de mieux en l'homme c'est son intelligence ou autre chose. Il présente cependant des signes par lesquels on peut savoir que c'est son intelligence qu'il y a de mieux entre tout ce qu'il y a dans l'homme. |
[74784] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 3 Et primo quidem, per comparationem ad ea quae infra
intellectum sunt, quibus intellectus propter sui excellentiam principatur et
dominatur. Principatur quidem respectu irascibilis et concupiscibilis, quibus
ratio sive intellectus praesidet quasi politico principatu, quia in aliquo
resistere possunt rationi. Dominatur autem corporeis membris, quae ad nutum
obediunt imperio rationis absque contradictione. Et ideo ratio vel
intellectus praesidet corpori, quasi servo, despotico principatu ut dicitur
primo politicae. |
|
#2082. — En premier, certes, moyennant une comparaison avec ce qui est inférieur à l'intelligence, sur quoi l'intelligence, à cause de son excellence, gouverne et domine. Elle gouverne, bien sûr, sur l'irascible et le concupiscible, à quoi la raison ou l'intelligence préside comme par un gouvernement politique, parce qu'ils peuvent résister de quelque manière à la raison. Tandis qu'elle domine sur les membres corporels, qui obéissent au doigt au commandement de la raison, sans contredire. C'est pourquoi la raison ou l'intelligence préside au corps comme à un esclave, par un gouvernement despotique, comme il est dit, au premier [livre] de la Politique (ch. 2). |
[74785] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 10 n. 4 Secundo vero, ponit signa
excellentiae intellectus per comparationem ad superiora, scilicet ad res
divinas, ad quas dupliciter comparatur. Uno
modo secundum habitudinem, quasi ad obiecta. Solus enim intellectus habet
intelligentiam de rebus essentialiter bonis, quae sunt res divinae. Alio modo
comparatur intellectus humanus ad res divinas, secundum connaturalitatem ad
ipsas, diversimode quidem secundum diversorum sententias. |
|
#2083. — En second, par ailleurs, il présente des signes de l'excellence de l'intelligence moyennant une comparaison avec ce qui lui est supérieur, à savoir, avec les choses divines, auxquelles il la compare de deux manières. D'une manière, selon la relation [qu'elle entretient avec elles], comme à ses objets. Seule, en effet, l'intelligence intellige les choses essentiellement bonnes, que sont les choses divines. L'intelligence humaine se compare d'une autre manière aux choses divines, d'après sa connaturalité avec elles, d'une manière qui varie, certes, d'une science à l'autre, selon leur différence d'objets. |
[74786] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 5 Quidam enim posuerunt intellectum humanum esse aliquid
sempiternum et separatum. Et secundum hoc ipse intellectus esset quiddam
divinum. Dicimus enim res divinas esse, quae sunt sempiternae et separatae.
Alii vero intellectum partem animae posuerunt, sicut Aristoteles. Et secundum
hoc intellectus non est simpliciter quiddam divinum, sed est divinissimum
inter omnia quae in nobis, propter maiorem convenientiam quam habet cum
substantiis separatis, secundum quod eius operatio est sine organo corporeo. |
|
#2084. — On a prétendu, en effet, que l'intelligence humaine est quelque chose d'éternel et de séparé. Et, d'après cela, que l'intelligence même est quelque chose de divin. Nous appelons des choses divines, en effet, celles qui sont éternelles et séparées. On a mis aussi l'intelligence du côté de l'âme, comme Aristote. D'après cela, l'intelligence n'est pas quelque chose de divin de manière absolue, mais elle est ce qu'il y a de plus divin de tout ce qui est en nous, à cause de la plus grande convenance qu'elle a avec les substances séparées, du fait que son opération se fait sans organe corporel. |
[74787] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 6 Quocumque autem modo se habeat, necesse est secundum
praedicta, quod perfecta felicitas sit operatio huius optimi secundum
virtutem propriam sibi. Non enim potest esse perfecta operatio, quod
requiritur ad felicitatem, nisi potentiae perfectae per habitum qui est
virtus ipsius secundum quam reddit operationem bonam. |
|
#2085. — Quoi qu'il en soit, par ailleurs, il est nécessaire, d'après ce qu'on a dit, que le bonheur parfait soit l'opération d'un meilleur de la sorte, en conformité avec sa vertu propre. En effet, l'opération parfaite requise pour le bonheur ne peut être que celle d'une puissance parfaite par un habitus qui soit sa propre vertu, moyennant laquelle elle rende bonne son opération. |
[74788] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 7 Deinde cum dicit: quoniam autem est speculativa etc.,
ostendit in speciali cuius virtutis operatio sit perfecta felicitas. Et circa
hoc duo facit. Primo ostendit, quod in operatione speculativae virtutis
consistit perfecta felicitas. Secundo comparat felicitatem perfectam ad res
exteriores, ibi, opus erit autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit, quod perfecta felicitas consistit in operatione speculationis.
Secundo praefert hanc felicitatem felicitati quae consistit in actione, ibi,
secundo autem qui secundum aliam virtutem et cetera. Circa primum duo facit.
Primo ostendit, quod felicitas consistit in operatione speculativa. Secundo
ostendit qualiter se habeat ad hominem, ibi: talis autem utique erit et
cetera. Circa primum duo facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit, quod
ex supra dictis in sexto manifestum est, quod speculativa operatio est
intellectus secundum propriam virtutem eius, scilicet secundum sapientiam
principaliter, quae comprehendit intellectum et scientiam. Et quod in tali
operatione consistat, felicitas, videtur esse consonum eis, quae in primo
dicta sunt de felicitate, et etiam ipsi veritati. |
|
#2086. — Ensuite (1177a17), il montre par le détail de quelle vertu le bonheur est l'opération parfaite. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le bonheur parfait consiste dans l'opération de la vertu spéculative. En second (1178b33), il compare le bonheur parfait aux choses extérieures. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le bonheur parfait consiste dans l'opération spéculative. En second (1178a9), il préfère ce bonheur au bonheur qui consiste dans l'action. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le bonheur consiste dans l'opération spéculative. En second (1177b26), il montre de quelle manière elle se rapporte à l'homme. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. Il dit que, d'après ce qui a été dit plus haut, au sixième [livre] (#1190), il est manifeste que l'opération spéculative appartient à l'intelligence selon sa propre vertu, à savoir, selon la sagesse principalement, qui comprend intelligence et science. Or, que le bonheur consiste dans une telle opération paraît s'accorder avec ce qui a été dit au premier [livre] sur le bonheur, et aussi avec la vérité même. |
[74789] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 8 Secundo ibi: optima et enim etc., probat propositum sex
rationibus. Prima ergo ratio talis est. Dictum est prius, quod felicitas est
optima operatio. Optima autem inter operationes humanas est speculatio
veritatis. Et hoc patet ex duobus, ex quibus pensatur dignitas operationis.
Uno modo ex parte potentiae, quae est operationis principium. Et sic patet
hanc operationem esse optimam, sicut et intellectus est optimum eorum quae in
nobis sunt, ut prius ostensum est. Alio modo ex parte obiecti, quod dat
speciem operationi. Et secundum hoc etiam haec operatio est optima; quia
inter omnia cognoscibilia optima sunt intelligibilia, et praecipue divina. Et
sic in eorum speculatione consistit perfecta humana felicitas. |
|
#2087. — En second (1177a19), il prouve son propos avec six raisons. La première, donc, procède comme suit. On a dit, auparavant (#2080), que le bonheur est l'opération la meilleure; or la meilleure opération, parmi les opérations humaines, c'est la spéculation de la vérité, ce qui devient évident avec deux [critères] d'après lesquels on pèse la dignité d'une opération. D'une manière, partant de la puissance, principe d'opération. Ainsi, il devient évident que c'est cette opération la meilleure, comme aussi l'intelligence est ce qu'il y a de mieux dans ce qui est en nous, comme il a été montré auparavant (#2080-2085). D'une autre manière, partant de l'objet, qui spécifie l'opération. Ainsi encore, c'est cette opération la meilleure, car, de tout ce qu'il y a à connaître, le mieux, c'est l'intelligible, et principalement le divin. C'est donc dans sa spéculation que consiste le bonheur humain parfait. |
[74790] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 9 Secundam rationem ponit ibi: adhuc autem continuissima
et cetera. Ostensum enim est in I quod felicitas est maxime continua et
permanens. Inter omnes autem operationes humanas continuissima est speculatio
veritatis. Manifestum est enim, quod magis continue potest homo perseverare
in speculatione veritatis, quam in quacumque alia operatione. |
|
#2088. — Il présente ensuite sa seconde raison (1177a21). Il a été montré au premier [livre] (#129), en effet, que le bonheur est ce qu'il y a de plus continu et permanent. De toutes les opérations humaines, par ailleurs, la plus continue est la spéculation de la vérité. Il est manifeste, en effet, que l'on peut persévérer de manière plus continue dans la spéculation de la vérité que dans n'importe quelle autre opération. |
[74791] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 10 Cuius ratio est, quia necesse est discontinuari
operationem nostram propter laborem quem non possumus continue ferre. Labor
autem et fatigatio accidit in operationibus nostris propter passibilitatem
corporis, quod alteratur et removetur a naturali dispositione sua; unde, cum
intellectus in sua operatione minimum utatur corpore, sequitur quod minimum
eius operationi adveniat labor et fatigatio. Quae nulla esset si intellectus
in speculando non indigeret phantasmatibus existentibus in organis corporeis.
Et sic patet quod maxime invenitur felicitas in speculatione veritatis
propter eius continuitatem. |
|
#2089. — La raison en est qu'il est nécessaire de suspendre notre opération à cause du travail que nous ne pouvons supporter de manière continue. Or le travail et la fatigue arrivent dans nos opérations à cause de la passibilité du corps, altéré et retiré de sa disposition naturelle. D'où, comme l'intelligence use le moins du corps dans son opération, il s'ensuit que c'est à son opération qu'advient le moins de travail et de fatigue. Il n'y en aurait même pas, si l'intelligence n'avait pas besoin, en spéculant, de fantasmes présents dans les organes du corps. Ainsi devient-il évident que le bonheur se trouve le plus dans la spéculation de la vérité, à cause de sa facilité. |
[74792] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 11 Tertiam rationem ponit ibi, existimamusque et cetera.
Et dicit, quod sicut in primo dictum est, communiter existimamus quod
felicitati delectatio adiungatur. Inter omnes autem operationes virtutis
delectabilissima est contemplatio sapientiae, sicut est manifestum et
concessum ab omnibus. Habet enim philosophia in sapientiae contemplatione
delectationes admirabiles, et quantum ad puritatem, et quantum ad firmitatem.
Puritas quidem talium delectationum attenditur ex hoc, quod sunt circa res
immateriales. Firmitas autem earum attenditur secundum hoc, quod sunt circa
res immutabiles. |
|
#2090. — Il présente ensuite sa troisième raison (1177a22). Il dit que, comme il a été dit au premier [livre] (#154), nous estimons communément que du plaisir s'ajoute au bonheur. Or parmi toutes les opérations de la vertu, la plus plaisante, c'est la contemplation de la sagesse, comme c'est manifeste et concédé de tous. En effet, la philosophie trouve, dans la contemplation de la sagesse, des plaisirs merveilleux, à la fois quant à leur pureté et quant à leur solidité. La pureté de tels plaisirs vient de ce qu'ils portent sur des choses immatérielles. Leur solidité, quant à elle, vient de ce qu'ils portent sur des choses immuables. |
[74793] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 12 Qui enim delectatur circa res materiales, incurrit
quamdam impuritatem affectus ex hoc quod circa inferiora occupatur. Qui autem
circa res mutabiles delectatur, non potest firmam delectationem habere, quia
mutata re aut corrupta quae delectationem afferebat, delectatio cessat, et
quandoque in tristitiam vertitur. Dicit autem delectationes philosophiae esse
admirabiles propter inconsuetudinem talium delectationum apud multitudinem hominum,
qui in rebus materialibus delectantur. |
|
#2091. — En effet, qui prend plaisir à des choses matérielles encourt une impureté d'affection, du fait qu'il s'occupe à de l'inférieur, tandis que qui prend plaisir à des choses muables ne peut avoir un plaisir solide, parce qu'une fois changée ou corrompue la chose qui apportait le plaisir, le plaisir cesse, et quelquefois tourne en tristesse. Par ailleurs, il donne les plaisirs de la philosophie comme merveilleux à cause du manque d'habitude de tels plaisirs dans la multitude des hommes, qui prennent leurs plaisirs dans les choses matérielles. |
[74794] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 13 Speculatio veritatis est duplex: una quidem quae
consistit in inquisitione veritatis; alia vero quae consistit in contemplatione
veritatis iam inventae et cognitae. Et hoc perfectius est, cum sit terminus
et finis inquisitionis. Unde et maior est delectatio in consideratione
veritatis iam cognitae, quam in inquisitione eius. Et ideo dicit quod
delectabilius conversantur illi, qui iam sciunt veritatem, habentes
intellectum perfectum per intellectualem virtutem, quam illi qui adhuc
inquirunt eam. Unde perfecta felicitas non consistit in quacumque
speculatione intellectus, sed in ea quae est secundum propriam virtutem
ipsius. |
|
#2092. — Par ailleurs, la spéculation de la vérité est double: l'une, certes, consiste dans la recherche de la vérité, tandis que l'autre consiste dans la contemplation de la vérité déjà découverte et connue. Celle-ci est plus parfaite, comme elle est le terme et la fin de la recherche. Aussi, le plaisir est plus grand à la considération de la vérité déjà connue qu'à sa recherche. C'est pourquoi il dit que ceux-là s'entretiennent dans plus de plaisir qui savent déjà la vérité, avec leur intelligence parfaite par sa propre vertu intellectuelle. D'où le bonheur parfait ne consiste pas dans n'importe quelle spéculation, mais dans celle qui se fait selon sa propre vertu. |
[74795] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 14 Quartam rationem ponit ibi, et quae dicitur et cetera. Ostensum est enim in
primo, quod per se sufficientia, quae Graece dicitur autarchia, requiritur ad
felicitatem. Huiusmodi autem per se sufficientia maxime invenitur circa
speculativam operationem, ad quam homo non indiget nisi his quae sunt necessaria
omnibus ad communem vitam: indiget enim necessariis vitae tam sapiens,
scilicet speculativus, quam etiam iustus, et reliqui habentes virtutes
morales, quae perficiunt vitam activam. |
|
#2093. — Il amène ensuite sa quatrième raison (1177a27). Il a été montré au premier [livre] (#107-114), en effet, qu'est requise au bonheur la suffisance par soi, qui s'appelle, en grec, de l'autarchie. Or cette suffisance par soi, on la trouve le plus à propos de l'opération spéculative, pour laquelle on n'a besoin que de ce qui est nécessaire à tous pour la vie commune; car ils ont tous besoin du nécessaire à la vie, autant le sage, à savoir, le spéculatif, que le juste, et le reste des dépositaires des vertus morales qui rendent parfaite la vie active. |
[74796] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 10 n. 15 Si autem alicui dentur
sufficienter necessaria vitae, adhuc pluribus indiget virtuosus, secundum
virtutem moralem. Indiget enim iustus ad suam operationem aliis. Et primo
quidem illis ad quos debet iuste agere, quia iustitia ad alterum est, ut
dictum est in quinto. Secundo autem indiget aliquibus, cum quibus operetur
iustitiam, ad quod indiget homo frequenter multorum auxilio. Et eadem ratio est de temperato et forti, et de aliis
virtuosis moraliter. |
|
#2094. — Mais, une fois assuré le nécessaire de la vie, le détenteur de la vertu morale a besoin d'encore plus de choses. Comme juste, il a en effet besoin d'autres choses pour agir. En premier, certes, de ceux en rapport à qui il doit agir avec justice, parce que la justice se rapporte à autrui, comme il a été dit, au cinquième [livre] (#909, 934). En second, par ailleurs, il a besoin de gens, avec qui opérer la justice, en vue de quoi on a souvent besoin de bien des gens. La même raison vaut pour le tempérant et le courageux, et pour les autres détenteurs de vertus morales. |
[74797] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 16 Sed non est ita de sapiente speculativo, qui potest
speculari veritatem, etiam si solus secundum seipsum existat. Quia contemplatio
veritatis est operatio penitus intrinseca ad exterius non procedens. Et tanto aliquis magis poterit solus existens speculari
veritatem, quanto fuerit magis perfectus in sapientia. Quia talis plura
cognoscit, et minus indiget ab aliis instrui vel iuvari. |
|
#2095. — Mais il n'en va pas ainsi du sage spéculatif, qui peut contempler la vérité, même s'il est tout à fait seul, car la contemplation de la vérité est une opération tout à fait intrinsèque, qui ne sort pas à l'extérieur. On pourra d'autant mieux contempler la vérité, seul, qu'on sera plus parfait en sagesse. Parce qu'alors, on connaît plus de choses, et on a moins besoin de l'instruction ou de l'aide des autres. |
[74798] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 17 Nec hoc dicitur quia contemplantem non iuvet societas;
quia ut in octavo dictum est, duo simul convenientes et intelligere et agere
magis possunt. Et ideo subdit, melius esse sapienti, quod habeat cooperatores
circa considerationem veritatis, quia interdum unus videt quod alteri, licet
sapientiori, non occurrit. Et quamvis sapiens ab aliis iuvetur, tamen inter
omnes ipse per se magis sibi sufficit ad propriam operationem. Et sic patet,
quod maxime in operatione sapientiae invenitur felicitas. |
|
#2096. — Il ne dit pas cela parce que la société ne procure aucune aide à la contemplation; en effet, comme on l'a dit au huitième [livre] (#1540), deux ensemble peuvent intelliger et agir davantage. C'est pourquoi il ajoute qu'il est mieux pour le sage d'avoir des collaborateurs pour la considération de la vérité, parce que parfois l'un voit ce que l'autre n'a pas l'occasion de voir, même en étant plus sage. Mais bien que le sage soit aidé par les autres, entre tous, cependant, c'est lui qui se suffit le plus par soi pour sa propre opération. Ainsi, il devient évident que le bonheur se trouve le plus dans l'opération de la sagesse. |
[74799] Sententia Ethic., lib. 10 l. 10 n. 18 Quintam rationem ponit ibi, videbitur autem utique et
cetera. Ostensum est enim in primo, quod felicitas est ita per se
appetibilis, quod nullo modo appetitur propter aliud. Hoc autem apparet in
sola speculatione sapientiae, quod propter seipsam diligatur et non propter
aliud. Nihil enim homini accrescit ex contemplatione veritatis praeter ipsam
veritatis speculationem. Sed ex exterioribus operabilibus semper homo
acquirit aliquid praeter ipsam operationem, aut plus aut minus; puta honorem
et gratiam apud alios, quae non acquirit sapiens ex sua contemplatione, nisi
per accidens, inquantum scilicet veritatem contemplatam aliis enunciat, quod
iam pertinet ad exteriorem actionem. Sic ergo patet quod felicitas
maxime consistit in operatione contemplationis. |
|
#2097. — Il présente ensuite sa cinquième raison (1177b1). Il a été montré, en effet, au premier [livre] (#111), que le bonheur est par soi tellement désirable qu'il n'est désiré d'aucune manière en vue d'autre chose. Or c'est la seule spéculation de la sagesse que l'on aime pour elle-même et non pour autre chose. En effet, on ne tire rien de la contemplation de la vérité, sauf la spéculation même de la vérité. Mais dans les actions extérieures, on acquiert toujours quelque chose en dehors de l'opération même, ou plus ou moins; par exemple, l'honneur et la grâce auprès des autres, que ne tire pas le sage de sa contemplation, sauf par accident, pour autant qu'il énonce aux autres la vérité qu'il a contemplée, ce qui relève déjà d'une action extérieure. Ainsi donc, il devient évident que le bonheur consiste surtout dans l'opération de la contemplation. |
|
|
|
Lectio
11 |
|
Leçon 11
|
[74800] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 1 Videturque felicitas et cetera. Positis quinque
rationibus ex quibus ostendebatur, quod felicitas consistit in speculatione
veritatis secundum convenientiam ad ea quae supradicta sunt, hic addit sextam
quae procedit ex quadam conditione felicitatis, quam supra non posuerat.
Felicitas enim consistit in quadam vacatione. Vacare enim dicitur aliquis
quando non restat ei aliquid agendum: quod contingit cum aliquis iam ad finem
pervenerit. Et ideo subdit, quod non vacamus ut vacemus, idest laboramus
operando, quod est non vacare, ut perveniamus ad quiescendum in fine, quod
est vacare. Et hoc ostendit per exemplum bellantium, qui ad hoc bella gerunt
quod ad pacem adoptatam perveniant. |
|
#2098. — Une fois posées ses cinq raisons pour montrer que le bonheur consiste dans la spéculation de la vérité, en convenance avec ce qui a été dit plus haut, il en ajoute ici une sixième, qui procède d'une condition du bonheur qu'il n'avait pas présentée plus haut. Le bonheur, en effet, consiste d'une certaine manière à ne rien faire. On dit qu'on ne fait rien, en effet, quand il ne reste plus rien à faire, ce qui arrive lorsqu'on est déjà parvenu à sa fin. C'est pourquoi il ajoute qu'il ne s'agit pas de ne rien faire pour ne rien faire; plutôt, nous travaillons à faire quelque chose, ce qui n'est pas ne rien faire, en vue de parvenir à nous reposer dans notre fin, ce qui est ne rien faire. Il le montre par l'exemple des guerriers, qui mènent les guerres en vue de parvenir à la paix qu'ils souhaitent. |
[74801] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 11 n. 2 Est tamen considerandum, quod
supra philosophus dicit, quod requies sit gratia operationis. Sed ibi locutus
fuit de requie, qua intermittitur operatio ante consequutionem finis propter
impossibilitatem continue operandi, quae quidem requies ordinatur ad
operationem sicut ad finem. Vacatio autem est requies in fine ad quem
ordinatur operatio, et sic felicitati, quae est ultimus finis, maxime
competit vacatio. Quae quidem non invenitur in operationibus virtutum
practicarum, quarum praecipue sunt illae quae consistunt in rebus politicis,
utpote ordinantes bonum commune, quod est divinissimum; vel in rebus
bellicis, quibus ipsum bonum commune defenditur contra hostes, et tamen his
operibus non competit vacatio. |
|
#2099. — Il faut cependant tenir compte de ce que le Philosophe dit plus haut (#2077), que le repos vise l'opération. Mais alors, il a parlé du repos par lequel on interrompt une opération avant d'en avoir atteint la fin, à cause de l'impossibilité de poursuivre l'opération; certes, ce repos-là est ordonné à l'opération comme à sa fin. Mais ne plus rien faire constitue le repos dans la fin à laquelle l'opération est ordonnée. C'est ainsi au bonheur, qui est l'ultime fin, qu'appartient le plus de ne rien faire. Ce qu'on ne trouve certes pas trouvée dans les opérations des vertus pratiques, auxquelles appartiennent principalement celles qui consistent dans les affaires politiques, pour autant qu'elles ordonnent le bien commun, ce qu'il y a de plus divin; ou dans les affaires guerrières, avec lesquelles on défend le bien commun même contre ses ennemis. Ce n'est toutefois pas en ces domaines qu'il s'agit de ne rien faire. |
[74802] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 3 Et primo quidem, circa bellicas operationes hoc est penitus
manifestum, quia nullus eligit bella gerere aut praeparare bella solum gratia
bellandi, quod esset vacationem habere in rebus bellicis. Quia si in bellis
gerendis finem suum constitueret, sequeretur quod esset violentus et occisor,
in tantum, quod etiam de amicis faceret impugnatores ad hoc, quod posset
pugnare et occidere. |
|
#2100. — En premier, certes, c'est tout à fait manifeste pour les opérations de guerre, parce que personne ne choisit de faire des guerres ou d'en préparer seulement en vue de faire la guerre, ce que serait trouver dans les affaires de guerre [ce fait] de ne rien faire. Parce que si on faisait sa fin de faire des guerres, il s'ensuivrait qu'on serait violent et tueur, tellement que l'on ferait même de ses amis des combattants, pour pouvoir combattre et tuer. |
[74803] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 4 Secundo etiam hoc manifestum est in actionibus
politicis, quod non est in eis vacatio; sed praeter ipsam conversationem
civilem vult homo acquirere aliquid aliud, puta potentatus et honores; vel,
quia in his non est ultimus finis ut in primo ostensum est, magis est decens,
quod per civilem conversationem aliquis velit acquirere felicitatem sibi ipsi
et civibus, ita quod huiusmodi felicitas, quam intendit aliquis acquirere per
politicam vitam, sit altera ab ipsa politica vita; sic enim per vitam
politicam, quaerimus eam quasi alteram existentem ab ipsa. Haec est enim
felicitas speculativa, ad quam tota vita politica videtur ordinata; dum per
pacem, quae per ordinationem vitae politicae statuitur et conservatur, datur
hominibus facultas contemplandi veritatem. |
|
#2101. — En second, il est manifeste dans les actions politiques que ce n'est pas là qu'on trouve à ne rien faire; et qu'en dehors de l'occupation civile même, on veut acquérir autre chose, par exemple, pouvoirs et honneurs. Ou, parce que la fin ultime ne s'y trouve pas, comme il a été montré au premier [livre] (#60-72), il convient davantage que, avec l'occupation civile, on veuille acquérir le bonheur pour soi-même et n'importe qui, de sorte que ce bonheur que l'on entend acquérir par la vie politique est autre chose que la vie politique même. C'est ainsi, en effet, que, par la vie politique, nous le cherchons comme quelque chose d'autre qu'elle. Voilà, en effet, le bonheur spéculatif, à quoi toute la vie politique semble bien ordonnée, puisque par la paix, que l'on établit et conserve par l'ordonnance de la vie politique, on fournit l'opportunité de contempler la vérité. |
[74804] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 5 Si igitur inter omnes actiones virtutum moralium
excellunt politicae et bellicae, tam pulchritudine, quia sunt maxime
honorabiles, quam etiam magnitudine, quia sunt circa maximum bonum, quod est
bonum commune; cum huiusmodi operationes non habeant in seipsis vacationem,
sed agantur propter appetitum alterius finis et non sint eligibiles propter
seipsas, non erit in operationibus virtutum moralium perfecta felicitas. |
|
#2102. — Parmi toutes les actions des vertus morales excellent les [occupations] politiques et guerrières, tant en beauté, parce qu'elles sont ce qu'il y a de plus honorable, qu'aussi en grandeur, parce qu'elles portent sur le bien le plus grand, le bien commun; or comme ce n'est pas en des opérations de la sorte qu'on trouve à ne plus rien faire — au contraire, elles sont agies à cause du désir d'une autre fin — et qu'elles ne sont pas à choisir pour elles-mêmes, on ne trouvera pas le bonheur parfait dans les opérations des vertus morales. |
[74805] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 11 n. 6 Sed operatio intellectus, quae
est speculativa, videtur a praemissis operationibus differre secundum
rationem studii; quia scilicet homo vacat huiusmodi operationi propter
seipsam, ita quod nullum alium finem praeter ipsam appetit. Habet etiam
huiusmodi operatio propriam delectationem ex ipsa procedentem, quae auget
eam. Sic igitur patet, quod secundum
huiusmodi operationem speculativam intellectus manifeste apparent omnia
existere in homine quaecumque solent attribui beato, scilicet quod sit per se
sufficiens, et quod vacet, et quod non laboret. Et hoc dico quantum possibile
est homini mortalem vitam agenti, in qua vita huiusmodi non possunt perfecte
existere. |
|
#2103. — Mais l'opération spéculative de l'intelligence, semble bien différer des opérations qui précèdent, en regard de notre propos; parce qu'en une opération de la sorte, on ne fait rien d'autre, au sens qu'on ne désire aucune autre fin en dehors d'elle. Une opération de la sorte comporte aussi un plaisir propre issu d'elle, qui l'augmente. Il devient donc ainsi évident qu'avec ce type d'opération spéculative de l'intelligence, on trouve manifestement dans en un homme tout ce qu'on a coutume d'attribuer à l'homme heureux: de se suffire par soi, de ne rien faire, et de ne pas se forcer. Ce que je dis en autant que c'est possible à un homme qui mène une vie mortelle, dans laquelle ces [caractéristiques] ne peuvent se réaliser parfaitement. |
[74806] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 7 Sic igitur in contemplatione intellectus consistit
perfecta felicitas hominis dummodo adsit diuturnitas vitae. Quae quidem
requiritur ad bene esse felicitatis, secundum quod oportet nihil eorum, quae
pertinent ad felicitatem, esse imperfectum. |
|
#2104. — Ainsi donc, c'est dans la contemplation de l'intelligence que consiste le bonheur parfait de l'homme, du moins tant que s'y ajoute la permanence de la vie. Car elle est certes requise au bien-être du bonheur, selon que rien de ce qui appartient au bonheur ne doit être imparfait. |
[74807] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 8 Deinde cum dicit: talis autem utique etc., ostendit
qualiter huiusmodi vita contemplativa se habeat ad hominem. Et primo ostendit
propositum. Secundo excludit errorem, ibi, oportet autem non secundum
suadentes et cetera. Dicit ergo primo, quod talis vita, quae vacat
contemplationi veritatis, est melior quam vita quae est secundum hominem. Cum
enim homo sit compositus ex anima et corpore, habens sensitivam naturam et
intellectivam, vita homini commensurata videtur consistere in hoc, quod homo
secundum rationem ordinet affectiones et operationes sensitivas et
corporales. Sed vacare soli operationi intellectus videtur esse proprium
supernarum substantiarum in quibus invenitur sola natura intellectiva, quam
(homo) participat secundum intellectum. |
|
#2105. — Ensuite (1177b27), il montre quel rapport ce type de vie spéculative entretient avec l'homme. En premier, il montre son propos. En second (1177b31), il exclut une erreur. Il dit donc, en premier, qu'une telle vie, où on ne fait rien que contempler la vérité, est meilleure que la vie proportionée à l'homme. L'homme, en effet, se compose d'âme et de corps, du fait d'avoir une nature sensible et intellectuelle; aussi, la vie proportionnée à l'homme paraît consister à ordonner selon sa raison des affections et des opérations sensibles et corporelles. Or ne rien faire que l'opération de l'intelligence paraît plutôt approprié aux substances supérieures, dans lesquelles on ne trouve que la nature intellectuelle, qu'elles participent avec leur intelligence. |
[74808] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 9 Et ideo manifestans quod dictum est, subdit quod homo
sic vivens, scilicet vacando contemplationi, non vivit secundum quod homo,
qui est compositus ex diversis, sed secundum quod aliquid divinum in ipso
existit, prout scilicet secundum intellectum divinam similitudinem
participat. Et ideo quantum intellectus in sua puritate consideratus differt
a composito ex anima et corpore, tantum distat operatio speculativa ab
operatione quae fit secundum virtutem moralem, quae proprie est circa humana.
Sicut ergo intellectus per comparationem ad hominem est quiddam divinum, ita
et vita speculativa, quae est secundum intellectum, comparatur ad vitam
moralem, sicut divina ad humanam. |
|
#2106. — C'est pourquoi, en manifestant ce qui a été dit, il ajoute que l'homme qui vit ainsi, à savoir, en ne faisant rien d'autre que la contemplation, ne mène pas une vie d'homme, comme composé d'[éléments] divers; il se conforme plutôt à quelque chose de divin qui se trouve en lui, du fait que par son intelligence il ressemble au divin. C'est pourquoi, à regarder l'intelligence dans sa pureté, il diffère d'un composé d'âme et de corps, autant que l'opération spéculative est distante de l'opération issue de la vertu morale, plus appropriée aux [affaires] humaines. De même, donc, que l'intelligence, par comparaison aux hommes, est quelque chose de divin, de même aussi la vie spéculative, qui est vie d'intelligence, se compare à la vie morale, comme la [vie] divine à l'humaine. |
[74809] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 10 Deinde cum dicit: oportet autem etc., excludit
quorumdam errorem, qui suadebant, quod homo debeat intendere ad sapiendum
humana et mortalis ad sapiendum mortalia. Et fuit hoc dictum Simonidis
poetae, ut patet in principio metaphysicae. Quod quidem philosophus dicit
esse falsum, quia homo debet tendere ad immortalitatem quantum potest, et
secundum totum posse suum facere ad hoc quod vivat secundum intellectum, qui
est optimum eorum quae sunt in homine, qui quidem est immortalis et divinus.
Quamvis enim hoc optimum sit parvum mole, quia est incorporeum et
simplicissimum, et per consequens caret magnitudine molis, tamen quantitate
virtutis et pretiositatis multum excedit omnia quae in homine sunt. |
|
#2107. — Ensuite (1177b31), il exclut l'erreur de certains, qui arguaient que l'homme doit chercher à connaître des [choses] humaines, et les mortels à connaître des [choses] mortelles. Ce fut le dire de Simonide le poète, comme il ressort du début de la Métaphysique (ch. 2). Cela, bien sûr, le Philosophe le dit faux, car l'homme doit tendre à l'immortalité autant qu'il le peut, et mettre tout son pouvoir à vivre en intelligence, qui est ce qu'il y a de mieux en l'homme, et qui est immortel et divin. Quoiqu'en effet ce meilleur soit petit de masse, du fait d'être incorporel et tout à fait simple, et d'être privé par conséquent d'une grandeur de masse, il dépasse beaucoup cependant, en quantité de vertu et de prix, tout ce qui se trouve en l'homme. |
[74810] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 11 Virtute quidem sive potentia excedit in suis
operationibus, quibus superioribus coniungitur, et inferioribus principatur,
et sic quodammodo omnia complectitur; pretiositate autem quantum ad
dignitatem suae naturae, quia intellectus est immaterialis et simplex,
incorruptibilis et impassibilis. Unumquodque autem, idest totus homo videtur
esse hoc, scilicet intellectus, si ita est, immo quia ita est, quod
intellectus est principalius et melius, quod sit in homine. |
|
#2108. — Cela dépasse en vertu dans ses opérations, dans lesquelles il est uni à ce qu'il y a de supérieur et gouverne ce qu'il y a d'inférieur, de sorte que, de quelque manière, il embrasse tout; en prix aussi, par la diginité de sa nature, car l'intelligence est immatérielle et simple, incorruptible et impassible. Chacun, par ailleurs, c'est-à-dire tout l'homme paraît être cela, à savoir, intelligence, s'il en va ainsi, mieux: puisqu'il en va ainsi, que l'intelligence est ce qu'il y a de principal et de meilleur en l'homme. |
[74811] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 12 Dictum est enim supra in nono quod unumquodque
potissime videtur esse id quod est principalius in eo, quia omnia alia sunt
quasi instrumenta illius. Et sic dum homo vivit secundum operationem
intellectus, vivit secundum vitam maxime sibi propriam. Esset autem
inconveniens si aliquis eligeret vivere non secundum vitam propriam
suiipsius, sed secundum vitam alicuius alterius. Unde inconvenienter dicunt
qui suadent, quod homo non debeat vacare speculationi intellectus. Et cum hoc
dictum sit prius in nono, quod id quod est secundum intellectum est proprium
homini, congruit etiam et nunc in proposito. Illud enim quod est optimum
secundum naturam in unoquoque est maxime proprium sibi: quod autem est
optimum et proprium, consequens est quod sit delectabilissimum, quia
unusquisque delectatur in bono sibi convenienti; sic igitur patet quod, si
homo maxime est intellectus tamquam principalissimum in ipso, quod vita, quae
est secundum intellectum, est delectabilissima homini, et maxime sibi
propria. |
|
#2109. — On a dit plus haut, en effet, au neuvième [livre] (#1868, 1872), que toute chose paraît être surtout ce qu'il y a de principal en elle, parce que tout le reste lui sert comme d'instrument. Ainsi, tant que l'homme vit en rapport à l'opération de son intelligence, il vit en rapport à la vie qui lui est le plus propre. Ce serait inconvenant, en effet, que l'on choisisse de vivre non pas sa vie propre, mais la vie d'un d'autre. Aussi, on s'exprime avec inconvenance, quand on prétend que l'homme ne doit pas ne rien faire d'autre que spéculer avec son intelligence. En outre, ce qui a été dit auparavant, au neuvième [livre] (#1807, 1847, 1869, 1870, 1871, 1872), que ce qui s'accorde avec l'intelligence est propre à l'homme, est encore pertinent avec le propos actuel. Car ce qui, en chaque chose, est le mieux en accord avec sa nature est ce qu'elle a de plus propre: et ce qui convient le mieux et proprement est par suite ce qui plaît le plus, parce que chacun prend plaisir au bien qui lui convient. Ainsi donc, il appert que si l'homme est surtout intelligence, en tant que c'est ce qu'il y a de principal en lui, la vie en rapport avec l'intelligence est la plus plaisante pour l'homme, et la plus propre à lui. |
[74812] Sententia Ethic., lib. 10 l. 11 n. 13 Nec hoc est contra id quod supra dictum est, quod non
est secundum hominem, sed supra hominem: non est enim secundum hominem
quantum ad naturam compositam, est autem propriissime secundum hominem
quantum ad id quod est principalissimum in homine: quod quidem perfectissime
invenitur in substantiis superioribus, in homine autem imperfecte et quasi
participative. Et tamen istud parvum est maius omnibus aliis quae in homine
sunt. Sic ergo patet, quod iste qui vacat speculationi veritatis est maxime
felix, quantum homo in hac vita felix esse potest. |
|
#2110. — Cela ne va pas contre ce qui a été dit plus haut (#2106), qu'elle n'est pas proportionnée à l'homme, mais au-dessus de lui: car elle n'est effectivement pas proportionnée à l'homme quant à sa nature composée; mais elle est la plus proprement proportionnée à l'homme quant à ce qu'il y a de principal dans l'homme: cela, certes, se trouve le plus parfaitement dans les substances supérieures, mais c'est déjà dans l'homme imparfaitement et comme par participation. Cependant, ce peu est plus grand que toute autre chose qui se trouve dans l'homme. Ainsi donc, il appert que celui qui ne fait rien d'autre que la spéculation de la vérité est le plus heureux, dans la mesure où l'homme peut être heureux dans cette vie. |
|
|
|
Lectio
12 |
|
Leçon 12
|
[74813] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 1 Secundo autem qui secundum aliam virtutem et cetera.
Postquam philosophus ostendit quod perfecta felicitas est et principalis
secundum speculationem intellectus, hic inducit quamdam aliam secundariam
felicitatem, quae consistit in operatione moralium virtutum. Et primo
proponit quod intendit; dicens, quod cum ille qui vacat speculationi
veritatis sit felicissimus, secundario est felix ille qui vivit secundum
aliam virtutem, scilicet secundum prudentiam, quae dirigit omnes morales
virtutes. Sicut enim felicitas speculativa attribuitur sapientiae, quae
comprehendit in se alios habitus speculativos tamquam principalior existens,
ita etiam felicitas activa, quae est secundum operationes moralium virtutum,
attribuitur prudentiae, quae est perfectiva omnium moralium virtutum, ut in
sexto ostensum est. |
|
#2111. — Après avoir montré que le bonheur parfait est d'abord et principalement dans la spéculation de l'intelligence, le Philosophe présente ici un autre bonheur, secondaire, qui consiste dans l'opération des vertus morales. En premier, il propose son intention: alors que celui qui ne s'adonne qu'à la spéculation de la vérité est le plus heureux, il jouit d'un bonheur de second ordre celui qui conforme sa vie à une autre vertu, à savoir, à la prudence, qui dirige toutes les vertus morales. C'est qu'en effet, de même qu'on attribue le bonheur spéculatif à la sagesse, qui, comme principale, comprend en elle les autres habitus spéculatifs, de même aussi on attribue à la prudence le bonheur actif, qui se conforme aux opérations des vertus morales, car c'est elle qui amène toutes les vertus morales à leur perfection, comme il a été montré au sixième [livre] (#1275-1284). |
[74814] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 2 Secundo ibi, secundum ipsam enim etc., ostendit
propositum quatuor rationibus. Quarum prima est, quia operationes quae sunt
secundum alias virtutes activas sunt operationes humanae. Sunt enim circa res
humanas. Primo quidem circa res exteriores, quae in usum hominis veniunt.
Opera enim iustitiae et fortitudinis et aliarum virtutum, quae adinvicem
agimus existunt in commutationibus, prout secundum iustitiam homines invicem
sua bona commutant. Existunt etiam in necessitatibus, prout scilicet unus
homo alteri subvenit in sua necessitate. Existunt etiam in quibuscumque
actionibus et passionibus humanis, circa quas secundum virtutes morales
conservatur id quod convenit unicuique. Omnia autem praedicta videntur esse
quaedam humana. |
|
#2112.
— En second (1178a9), il montre son propos avec quatre raisons. La première
en est que les opérations qui se conforment aux autres vertus actives sont
des opérations humaines. Elles portent, en effet, sur les affaires humaines.
En premier, certes, sur les choses extérieures qui tombent sous l'usage de
l'homme. En effet, les actes de justice, et de courage, et d'autres vertus,
que nous posons entre nous résident en des relations, étant donné qu'en
justice, les hommes s'échangent leurs biens entre eux. Ils résident aussi
dans le nécessaire, pour autant qu'on subvient à autrui dans sa nécessité.
Ils résident aussi dans n'importe quelles actions et passions humaines, à
propos desquelles, d'après les vertus morales, on conserve à chacune ce qui
lui convient. Or tout ce que l'on vient d'énumérer est manifestement
quelque chose d'humain. |
[74815] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 12 n. 3 Secundo autem, quaedam ad
virtutes pertinentia videntur pertinere ad corpus et ad animae passiones,
quibus virtus moralis, secundum quamdam affinitatem, appropriatur. Multae
enim moralium virtutum sunt circa passiones, sicut ex praedictis patet. Sic
igitur virtus moralis est circa humana bona in quantum est circa bona
exteriora, et circa bona corporis et circa animae passiones. |
|
#2113.
— En second, par ailleurs, ce qui touche les vertus paraît toucher le corps
et les passions de l'âme, auxquelles, par une certaine affinité, la vertu
morale est appropriée. Car plusieurs vertus morales portent sur des passions,
comme il ressort de ce qui précède (#367).
Ainsi donc, la vertu morale porte sur les biens humains, puisqu'elle porte
sur des biens extérieurs, et sur des biens du corps, et sur des passions de
l'âme. |
[74816] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 4 Morali autem virtuti coniungitur prudentia
intellectualis virtus existens, secundum quamdam affinitatem, et e converso,
quia principia prudentiae accipiuntur secundum virtutes morales, quarum fines
sunt principia prudentiae. Rectitudo autem moralium virtutum accipitur secundum
prudentiam, quae facit rectam electionem eorum quae sunt ad finem, ut patet
ex his quae in sexto dicta sunt. Ea autem,
scilicet virtus moralis et prudentia, simul copulantur cum passionibus, quia
scilicet secundum utramque modificantur passiones. Passiones autem sunt
communes totius compositi ex anima et corpore, cum pertineant ad partem
sensitivam. |
|
#2114.
— À la vertu morale, par ailleurs, on adjoint, en raison d'une certaine
affinité, la prudence, qui est une vertu intellectuelle, et réciproquement,
parce que les principes de la prudence se prennent par le biais des vertus
morales, dont les fins sont les principes de la prudence. Par ailleurs, la
rectitude des vertus morales se prend d'après la prudence, parce qu'elle redresse
le choix des moyens, comme il ressort de qui a été dit au sixième [livre] (#1268-1269). Elles aussi, la vertu morale et la
prudence, sont liées avec les passions, parce que c'est en conformité à l'une
et l'autre que les passions sont modérées. Les passions, par ailleurs, sont
communes à tout le composé d'âme et de corps, comme elles appartiennent à la
partie sensible. |
[74817] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 5 Unde patet, quod tam virtus moralis quam prudentia sunt
circa compositum. Virtutes autem compositi proprie loquendo sunt humanae,
inquantum homo est compositus ex anima et corpore, unde et vita quae secundum
has, id est secundum prudentiam et virtutem moralem, est humana, quae dicitur
vita activa. Et per consequens felicitas, quae in hac vita consistit, est
humana. Sed vita et felicitas speculativa, quae est propria intellectus, est
separata et divina. |
|
#2115.
— De là il appert qu'autant la vertu morale que la prudence portent sur le
composé. Les vertus du composé, à proprement parler, sont humaines, en tant
que l'homme est composé d'âme et de corps. Aussi, même la vie qui s'y
conforme, à savoir, à la prudence et à la vertu morale, est humaine, et on
l'appelle vie active. Par conséquent, le bonheur qui consiste en cette vie
est humain. Mais la vie et le bonheur spéculatifs, propres à l'intelligence,
est séparée et divine. |
[74818] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 6 Et tantum dicere ad praesens de ipsa sufficiat. Quod
autem magis per certitudinem explicetur, est aliquid maius quam pertineat ad
propositum. Agitur enim de hoc in tertio de anima, ubi ostenditur, quod
intellectus est separatus. Sic igitur patet, quod felicitas speculativa est
potior quam activa, quanto aliquid separatum et divinum est potius quam id
quod est compositum et humanum. |
|
#2116.
— En dire tant suffit pour le moment. Une explication plus rigoureuse
dépasserait notre propos. On en traite au troisième [livre] De l'âme (ch. 4 et 5), où on montre
que l'intelligence est séparée. Ainsi donc, il devient clair que le bonheur
spéculatif est plus puissant que le [bonheur] actif, dans la mesure où le
séparé et le divin est plus puissant que ce qui est composé et humain. |
[74819] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 7 Secundam rationem ponit ibi: videbitur autem utique et
cetera. Et dicit, quod speculativa vita et felicitas videtur parum, vel
saltem minus quam moralis, indigere quod homini largiantur exteriora bona.
Verum est enim quod ambobus, idest tam speculativo quam morali, opus
est habere necessaria vitae, puta cibum et potum et alia huiusmodi; quamvis
circa corpus magis laboret activus quam speculativus, quia exteriores
actiones per corpus aguntur; tamen quantum ad hoc non est magna differentia,
quin aequaliter necessariis uterque indigeat. Sed quantum ad operationes utriusque,
magna est quantum ad hoc differentia, quia virtuosus multis indiget ad suas
operationes, sicut patet quod liberali opus est pecuniis ad agendum
liberaliter, et similiter iustus indiget pecuniis ad hoc quod reddat illa
quae debet. |
|
#2117.
— Il présente ensuite sa seconde raison (1178a23). Il dit que la vie et le
bonheur spéculatif paraît avoir peu, ou, en tout cas, moins que [la vie et le
bonheur] moral, avoir besoin d'une abondance de biens extérieurs. Il est
vrai, toutefois, que, pour les deux [vies], c'est-à-dire tant spéculative que
morale, on ait besoin d'avoir le nécessaire à la vie, par exemple, la
nourriture, le breuvage et le reste; l'homme d'action, néanmoins, travaille
davantage que le spéculatif, pour ce qui est du corps, parce que les actions
extérieures se font avec le corps; cependant, cela ne fait pas de grande
différence pour ce qui est que l'une et l'autre ait également besoin du
nécessaire. C'est en regard des opérations de l'une et de l'autre, que [la
différence] est grande, car le vertueux a besoin de beaucoup [de choses]
pour ses opérations: il est évident que le libéral a besoin d'argent pour
agir libéralement, et que, de manière semblable, le juste a besoin d'argent
rendre ce qu'il doit. |
[74820] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 8 Et si quis dicat, quod actus liberalitatis est etiam
velle dare, et actus iustitiae velle reddere, quod potest esse etiam sine
pecuniis; considerandum est, quod voluntates hominum non sunt manifestae sine
operationibus exterioribus. Multi enim qui non sunt iusti simulant se velle
iuste agere. Sed ad hoc, quod sit manifestum de aliquo an sit fortis, indiget
aliquo exteriori, si debet aliquod opus exterius fortitudinis perficere. Et
similiter, temperatus indiget potestate utendi delectabilibus ad hoc quod
manifestetur temperantia. Aliter enim, nisi adsit facultas operandi, non
poterit esse manifestus neque iste virtuosus, scilicet temperatus vel fortis,
neque aliquis alius. |
|
#2118.
— Si quelqu'un remarque que l'acte de la libéralité consiste aussi à vouloir
donner, et l'acte de la justice à vouloir rendre, ce qui peut se faire sans
argent, on doit tenir compte que les volontés des hommes ne sont pas
manifestes, sans opérations extérieures. Beaucoup, en effet, sans être justes,
font semblant de vouloir agir avec justice. Aussi, pour que devienne manifeste
qu'on est courageux, on a besoin de chose extérieure. On doit accomplir
extérieurement un acte de courage. De manière semblable, le tempérant a
besoin du pouvoir d'user des plaisirs pour que devienne manifeste sa
tempérance. Autrement, en effet, s'il n'a pas la faculté actuelle d'agir, il
ne pourra se rendre manifeste, ni ce vertueux, à savoir, le tempérant ou le
courageux, ni un autre. |
[74821] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 12 n. 9 Et ideo potest quaeri, quid sit
principalius in virtute morali: utrum electio interior vel actiones
exteriores, cum utrumque ad virtutem exigatur. Et quamvis electio sit
principalior in virtute morali, ut supra dictum est, tamen manifestum est
quod ad omnimodam perfectionem virtutis moralis requiritur non solum electio,
sed etiam operatio exterior. Ad actiones
autem exteriores opus est homini quod habeat multa, et tanto plura quanto
actiones debent esse maiores et meliores. |
|
#2119.
— C'est pourquoi on peut se demander ce qui constitue le principal dans la
vertu morale: est-ce le choix intérieur ou les actions extérieures, puisque
l'un et l'autre sont exigés pour la vertu. Or quoique le choix soit le
principal, dans la vertu morale, comme on l'a dit plus haut (#322, 1129), il reste cependant manifeste qu'à la
perfection complète de la vertu morale non seulement le choix est requis,
mais aussi l'action extérieure. En vue des actions extérieures, toutefois,
on a besoin de beaucoup [de choses], et d'autant plus que les actions
doivent être plus grandes et meilleures. |
[74822] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 12 n. 10 Sed ille qui vacat
speculationi, nullo talium indiget ad suam operationem. Quinimmo potest dici,
quod exteriora bona impediunt hominem a speculatione, propter sollicitudinem
quae ex eis ingeritur homini, distrahens animum hominis ne totaliter possit
speculationi vacare. Sed si homo
speculativus indigeat exterioribus rebus, hoc erit inquantum est homo
indigens necessariis, et inquantum convivit pluribus hominibus, quos interdum
oportet iuvare; et inquantum homo contemplativus eligit vivere secundum
virtutem moralem. Et sic indigebit talibus ad hoc quod humaniter conversetur.
Sic igitur patet, quod felicitas speculativa est potior quam activa, quae est
secundum virtutem moralem. |
|
#2120.
— Mais celui qui ne s'adonne qu'à la spéculation n'a besoin de rien de tel
pour opérer. Même qu'on peut aller jusqu'à dire que les biens extérieurs
écartent de la spéculation, à cause de la préoccupation qu'ils impliquent,
qui distrait l'âme de s'adonner tout entière à la spéculation. Si le
spéculatif a besoin de choses extérieures, ce sera qu'en tant qu'homme il a
besoin du nécessaire, et qu'en tant qu'il vit avec d'autres, il doit parfois
les aider; et qu'en tant qu'il choisit de vivre en se conformant à la vertu
morale. Ainsi, il aura besoin de telles [choses] pour s'adonner à des occupations
humaines. Il s'ensuit que le bonheur spéculatif est plus puissant que le
[bonheur] actif, qui consiste à se conformer à la vertu morale. |
[74823] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 11 Tertiam rationem ponit ibi, perfecta autem felicitas et
cetera. Et dicit, quod hoc, quod felicitas perfecta consistat in quadam
speculativa operatione, ex hoc apparet, quod diis, idest substantiis
separatis, maxime videtur competere quod sint felices et beati. Nec tamen
possumus eis attribuere actiones moralium virtutum. Si quis enim attribueret
eis iustitiae operationes, apparerent deridendi, utpote commutationes
facientes, vel etiam sua bona apud alios deponentes, vel quaecumque alia
opera iustitiae facientes. Et similiter non potest eis attribui fortitudo, ut
scilicet sustineant terribilia et pericula propter bonum commune. Similiter
etiam non competit eis liberalitas prout est virtus humana. |
|
#2121.
— Il présente ensuite sa troisième raison (1178b7). Il dit que le fait que le
bonheur parfait consiste dans une opération spéculative ressort de ce qu'il
paraît bien le plus appartenir aux dieux, c'est-à-dire aux substances
séparées, d'être heureux et bien. Pourtant, nous ne pouvons leur attribuer
les actions des vertus morales. Si, en effet, on leur attribuait les
opérations de la justice, ils paraîtraient ridicules, à faire des échanges,
ou aussi à confier en dépôt leurs biens à d'autres, ou à faire n'importe
quels autres actes. De manière semblable, on ne peut leur attribuer le
courage, de façon qu'ils endureraient des [choses] terribles et dangereuses
en vue du bien commun. De manière semblable, aussi, il ne leur appartient pas
d'être libéraux, pour autant que la libéralité est une vertu humaine. |
[74824] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 12 Non enim erit assignare cui mortalium dent huiusmodi
bona quae dant homines liberaliter, quia inconveniens est quod aliquis dicat
eos uti ad dandum denarium vel aliquid huiusmodi. Si autem aliquis attribuat
eis temperantiam, huiusmodi laus magis erit onerosa Deo quam grata. Non enim
est laudabile Deo, quod non habeat pravas concupiscentias, quia non est natus
eas habere. Sic igitur pertranseundo, omnes actiones moralium virtutum,
apparet, quod sunt parva, et indigna diis, idest substantiis
superioribus. |
|
#2122.
— C'est qu'il n'y a pas lieu de leur assigner auquel des mortels faire des
dons de la manière qu'on en donne avec libéralité, car il ne convient pas
qu'on leur dise d'user d'argent pour donner, ou d'autres choses de la sorte.
Si, par ailleurs, on leur attribue la tempérance, la louange en sera plus onéreuse
à Dieu qu'agréable. En effet, il n'est pas louable pour Dieu de n'avoir pas
de désirs dépravés, parce qu'il n'est pas de nature à en avoir. Ainsi donc,
en parcourant toutes les actions des vertus morales, il apparaît qu'elles
sont petites, et indignes des dieux, c'est-à-dire de substances supérieures. |
[74825] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 13 Sed tamen omnes opinantur quod vivant et per consequens
quod operentur. Non enim convenit eis quod nihil operentur, sicut dormientes,
sicut dicitur de quodam philosopho qui diu vixit dormiens. Si igitur a vita
divina auferamus agere moralium virtutum et prudentiae, et adhuc multo magis
auferamus a divina vita facere, quod est proprium artis, nulla alia operatio
relinquitur Deo praeter speculationem. Et sic patet quod operatio Dei, quae
excellit in beatitudine, est speculativa et per speculationem sapientiae suae
omnia fecit. Ex quo patet quod inter operationes humanas illa quae est
simillima divinae speculationi est felicissima. |
|
#2123. — On pense cependant qu'ils vivent et, par conséquent, qu'ils agissent. En effet, il ne convient pas eux qu'ils ne fassent rien, comme s'ils dormaient, comme on dit d'un philosophe qu'il a longtemps vécu en dormant. Si, donc, nous enlevons de la vie divine l'agir des vertus morales et de la prudence, et que bien plus nous enlevons de la vie divine de fabriquer, ce qui est propre à l'art, il ne reste plus aucune opération à Dieu, qui excelle en bonheur, sauf la spéculative. C'est par la spéculation de la sagesse qu'il fait toutes les siennes. Aussi devient-il clair que, dans les opérations humaines, la plus semblable à la divine spéculation est la plus heureuse. |
[74826] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 14 Quartam rationem ponit ibi: signum autem et cetera. Et
dicit, quod signum huius, quod perfecta felicitas consistat in contemplatione
sapientiae, est quod animalia irrationabilia, quae carent felicitate, omnino
sunt privata tali operatione; quia non habent intellectum, quo nos speculamur
veritatem. Aliquo autem modo participant operatione virtutum moralium, sicut
leo actu fortitudinis et liberalitatis et ciconia actu pietatis ad parentes.
Et hoc rationabiliter. |
|
#2124. — Il présente ensuite sa quatrième raison (1178b24). Il dit qu'un signe que le bonheur parfait consiste dans la contemplation de la sagesse est que les animaux irrationnels, à qui manque le bonheur, sont tout à fait privés d'une telle opération, du fait qu'ils n'ont pas l'intelligence avec laquelle nous spéculons la vérité. Mais ils participent jusqu'à un certain point aux opérations des vertus morales, comme le lion à l'acte du courage et de la libéralité, et la cygogne à l'acte de la piété filiale. Tout cela est raisonnable. |
[74827] Sententia Ethic., lib. 10 l. 12 n. 15 Diis enim, idest substantiis separatis, quia habent
solam intellectualem vitam, tota eorum vita est beata, homines autem in
tantum sunt beati, inquantum existit in eis quaedam similitudo talis
operationis, scilicet speculativae. Sed nullum aliorum animalium est felix, quia
in nullo communicant speculatione. Et sic
patet, quod quantum se extendit speculatio, tantum se extendit felicitas. Et
quibus magis competit speculari, magis competit esse felices, non secundum
accidens, sed secundum speculationem, quae est secundum se honorabilis. Unde
sequitur, quod felicitas principaliter sit quaedam speculatio. |
|
#2125. — Chez les dieux, en effet, c'est-à-dire chez les substances séparées, comme ils ont seulement la vie intellectuelle, toute la vie est bonne. Les hommes, eux, sont heureux dans la mesure où existe en eux une similitude de pareille opération, à savoir, spéculative. Mais nul autre animal n'est heureux, parce qu'il ne communique en rien à la spéculation. Et ainsi appert-il que autant s'étend en eux une similitude d'une telle opération, à savoir spéculative. Mais aucun des autres animaux n'est heureux, parce qu'ils ne communiquent en rien à la spéculation. Ainsi devient-il évident que le bonheur ne s'étend qu'autant que la spéculation le fait. À qui appartient de spéculaer davantage, il appartient d'être plus heureux; non seulement par accident, mais en rapport à la spéculation comme telle honorable. D'où il suit que le bonheur soit principalement spéculation. |
|
|
|
Lectio
13 |
|
Leçon 13
|
[74828] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 1 Opus erit autem et exteriori et cetera. Postquam
philosophus ostendit quae sit perfecta felicitas, hic ostendit quomodo se
habeat ad exteriora. Et primo ostendit, quomodo se habeat felix ad bona
inferiora. Secundo quomodo se habeat ad Deum, ibi, secundum intellectum autem
et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quantum indigeat felix
exterioribus et terrenis bonis. Secundo confirmat per auctoritatem
sapientium, ibi, et Solon autem et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit, quod felix indiget exterioribus bonis; secundo ostendit quod non
indiget multis et magnis, ibi: non tamen existimandum et cetera. Dicit ergo primo,
quod felix cum sit homo, opus habet exteriori prosperitate. Humana enim
natura non est per se sufficiens ad speculandum propter conditionem corporis,
quod ad sui sustentationem indiget exterioribus rebus. Substantia autem intellectualis incorporea per se
sufficiens est ad speculandum. |
|
#2126. — Après avoir montré ce qu'est le bonheur parfait, le Philosophe montre ici son rapport avec l'extérieur. En premier, il montre quel rapport l'[homme] heureux entretient avec les biens inférieurs. En second (1179a22), quel rapport il entretient avec Dieu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre combien l'[homme] heureux a besoin des biens extérieurs et terrestres. En second (1179a22), il confirme avec l'autorité des sages. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'[homme] heureux a besoin de [biens] extérieurs. En second (1179a1), il montre qu'il n'en a pas besoin de beaucoup ni de grands. Il dit donc, en premier, que l'[homme] heureux, puisqu'il est un homme, a besoin de prospérité extérieure. En effet, la nature humaine ne suffit pas pour qu'on s'adonne à la vie spéculative, à cause de la condition du corps, qui a besoin, pour se sustenter, de choses extérieures, tandis que la substance intellectuelle, incorporelle, se suffit à soi pour s'assurer la vie spéculative. |
[74829] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 2 Homini autem, ad hoc quod speculetur, opus est primo
habere corpus sanum; quia per infirmitatem corporis debilitantur vires
sensitivae quibus homo utitur in speculando. Distrahitur etiam intentio
mentis ab attentione speculationis; indiget etiam homo cibo ad nutritionem
corporis, et reliquo famulatu, ut scilicet sibi ministrentur omnia alia, quae
sunt sibi necessaria ad vitam humanam. |
|
#2127. — Pour s'adonner, lui, à la vie spéculative, l'homme a d'abord besoin d'avoir un corps sain, car la faiblesse corporelle affaiblit les forces sensibles dont il se sert dans sa spéculation. De plus, elle détourne l'intention de l'esprit de l'attention requise par la spéculation. L'homme a aussi besoin de nourriture, et de nutrition du corps, et d'esclavage, de façon à se procurer tous le reste du nécessaire à la vie humaine. |
[74830] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 3 Deinde cum dicit: non tamen existimandum etc.,
ostendit, quod homo non indiget multis exterioribus rebus ad felicitatem. Et
dicit, quod etsi non contingat aliquem esse beatum beatitudine huius vitae
absque exterioribus rebus necessariis ad vitam humanam, non tamen est
existimandum quod ad hoc quod aliquis fiat felix, indigeat multis et magnis
divitiis. Quod enim aliquis sit sibi per se sufficiens, quod requiritur ad
felicitatem, non consistit in superabundantia divitiarum. Paucis enim indiget
natura. Superabundantia autem facit minus per se sufficientes. Indiget enim
homo multorum auxilio seu ministerio ad custodiendas seu gubernandas
superabundantes divitias. Similiter etiam rectitudo iudicii tam rationis
speculativae quam practicae, et exterior actio virtuosa potest esse absque
divitiarum superabundantia. |
|
#2128. — Ensuite (1179a1), il montre que l'homme n'a pas besoin de beaucoup de choses extérieures pour son bonheur. Il dit que, bien qu'il ne se puisse pas, sans les choses extérieures nécessaires à la vie humaine, que l'on arrive au bonheur accessible dans cette vie, il ne faut cependant pas penser qu'afin de devenir heureux, on ait besoin de beaucoup et de grandes richesses. Qu'en effet, on se suffise à soi, ce qui est requis au bonheur, ne consiste pas dans l'excès des richesses. La nature, en effet, a besoin de peu. Même que l'excès fait que l'on se suffit moins à soi. En effet, on a besoin de l'aide de beaucoup de gens pour garder et pour gouverner des richesses excessives. De manière semblable, aussi, la rectitude du jugement, tant de la raison spéculative que pratique, et l'action extérieure vertueuse peuvent s'assurer sans excès de richesses. |
[74831] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 4 Et quia hoc manifestum erat quantum ad iudicium
rationis, manifestat hoc consequenter quantum ad actionem virtutis, quae
pluribus indigere videtur, ut supra dictum est. Et dicit, quod possibile est,
quod illi qui non sunt principes terrae et maris, quasi in divitiis non
superabundantes, bene operari. Si enim aliquis moderate habeat de bonis
exterioribus, poterit operari secundum virtutem. Quod manifesto apparet
experimento: homines enim ydiotae, id est popularem et privatam vitam
agentes, videntur agere virtuosa non minus quam potentes, sed etiam magis,
quia potentes impediuntur a multis virtuosis actibus tum propter nimias
occupationes et sollicitudines, tum etiam propter superbiam quam etiam
superabundantia divitiarum gignit. Sufficit autem ad felicitatem quod homo
tantum habeat de exterioribus bonis, quod possit virtuosa operari: quia si
aliquis operetur secundum virtutem, erit vita eius felix, cum felicitas in
operatione virtutis consistat, sicut prius dictum est. |
|
#2129. — Comme c'était manifeste pour le jugement de la raison, il le manifeste par la suite pour l'action de la vertu, qui paraît nécessiter bien des [choses], comme il a été dit plus haut (#2112-2116). Il dit qu'il est possible, à ceux qui ne sont pas des princes sur terre et sur mer, c'est-à-dire dont les richesses ne sont pas excessives, de bien opérer. Si, en effet, on possède des biens extérieurs modérés, on pourra opérer en conformité avec la vertu. Cela apparaît manifestement à l'expérience. En effet, des hommes particuliers, c'est-à-dire du peuple, paraissent accomplir, dans leur vie privée, des [actions] vertueuses, pas moins que des puissants. En effet, les puissants sont empêchés d'accomplir beaucoup d'actions vertueuses, tant à cause de d'un excès d'occupations et de préoccupations, qu'à cause aussi de l'orgueil, et de l'abondance des richesses. D'ailleurs, il suffit au bonheur que l'on ait assez de biens extérieurs pour pouvoir accomplir des [actions] vertueuses: parce que, si on agissait en conformité à la vertu, sa vie serait heureuse, car le bonheur consiste dans l'opération de la vertu, comme il a été dit antérieurement. |
[74832] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 5 Deinde cum dicit: et Solon autem etc., confirmat quod
dictum est per dicta sapientum. Et primo proponit eorum dicta. Secundo
ostendit in proposito eis esse credendum, ibi, consonare itaque et cetera.
Circa primum duo facit. Primo introducit dictum Solonis, qui illos enunciavit
esse felices, qui moderate sunt ditati quantum ad exteriora bona. Huiusmodi
enim maxime inveniuntur agere virtuosa et vivere temperate: quia aliqui moderatas
divitias possidentes possunt agere quae oportet: a quo impediuntur tam illi
qui superabundant in divitiis propter nimiam sollicitudinem, vel propter
elationem, quam etiam illi qui in talibus deficiunt, quos oportet nimis
sollicitari circa victum quaerendum. Deficit etiam eis in pluribus
opportunitas bene operandi. |
|
#2130. — Ensuite (1179a9), il confirme ce qui a été dit, avec des dires de sages. En premier, il propose leurs dires. En second (1179a16), il montre qu'en ce qui concerne son propos, on doit les croire. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il introduit le dire de Solon, qui a déclaré heureux ceux qui sont modérément nantis de biens extérieurs. Ce sont, en effet, les gens de cette sorte que l'on voit le plus accomplir des [actions] vertueuses et vivre de manière tempérante. C'est que ceux qui possèdent des richesses modérées peuvent faire ce qu'il faut, alors qu'en sont empêchés tant ceux qui excèdent en richesses, par excès de préoccupations ou par choix, que même ceux qui manquent de telles [choses], à qui il faut trop s'inquiéter de chercher sa nourriture. Elle leur fait défaut à eux aussi, le plus souvent, l'occasion d'agir bien. |
[74833] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 6 Secundo ibi: videtur autem etc., inducit ad idem
sententiam Anaxagorae, cui videbatur, quod aliquis neque dives neque potens
potuit esse felix. Nec mirabitur, si hoc videatur inconveniens multis. Quia
multitudo hominum iudicat secundum exteriora bona quae sola cognoscit,
ignorant autem bona rationis, quae sunt vera hominis bona, secundum quae
aliquis est felix. |
|
#2131. — En second (1179a13), il présente, dans la même [intention], l'opinion d'Anaxagore, à qui il semblait que, sans être ni riche ni puissant, on ait pu devenir heureux. On ne s'en étonnera pas, si cela paraît inconvenant à beaucoup. C'est que la multitude des hommes juge d'après les biens extérieurs; ce sont les seuls qu'elle connaît. Elle ignore, par ailleurs, les biens de la raison, les vrais biens de l'homme, par lesquels on est heureux. |
[74834] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 7 Deinde cum dicit consonare itaque etc., ostendit quod
dictis sapientum in hac materia est acquiescendum; concludens ex praedictis,
quod opiniones sapientum consonant rationibus, unde videntur habere quandam
fidem. Sed in operabilibus magis iudicatur verum circa dictum alicuius ex
operibus et modo vivendi ipsius, quam etiam ex ratione; quia dominans,
id est id quod est principale circa operabilia, consistit in his, scilicet in
operibus et modo vivendi. Non enim circa talia principaliter quaeritur
cognitio sed opus, ut in secundo habitum est. Et ideo ea quae dicta sunt,
oportet considerare per comparationem ad opera et vitam sapientum. Et ea
quibus opera sapientum consonant, sunt acceptanda; puta quod non requirantur
ad felicitatem superabundantes divitiae, quas sapientes non quaerunt; si vero
dissonent opera, suspicandum est quod sint soli sermones veritatem non
habentes. Sicut patet de sententia Stoicorum, qui dicebant exteriora nullum
bonum hominis esse; cuius contrarium in operationibus eorum apparet. Appetunt
enim ea et quaerunt tamquam bona. |
|
#2132. — Ensuite (1179a16), il montre que, dans cette matière, il faut acquiescer aux dires des sages: il conclut de ce qui précède que les opinions des sages s'harmonisent avec les raisonnements. Aussi paraissent-elles revêtir une certaine vraisemblance. Toutefois, en matière d'actions, on juge davantage le vrai, sur ce que chacun avance, en se fiant à ses actes et à sa manière de vivre, qu'en se fiant au raisonnement. En effet, ce qui domine, c'est-à-dire le principal, en matière d'actions, consiste en cela, à savoir, en des actes et en un mode de vivre. Sur ce genre de [choses], en effet, on ne cherche pas principalement de la connaissance, mais des actes, comme il a été traité au second [live] (#255-256). C'est pourquoi ce qui a été dit, il faut le considérer par comparaison à des actes et une vie de sages. Ce avec quoi les actes des sages s'harmonisent est à accepter; par exemple, que ne soient pas requises au bonheur des richesses excessives, que les sages ne recherchent pas. Tandis que si leurs actes ne s'accordent pas [avec leurs dires], il est à soupçonner que ce soient des paroles sans vérité. Comme il en est de la pensée des Stoïciens, qui disaient que les choses extérieures n'amenaient aucun bien à l'homme, alors que le contraire ressort de leurs actions. En effet, ils les désirent et les recherchent comme des biens. |
[74835] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 8 Deinde cum dicit: secundum intellectum autem etc.,
ostendit quomodo felix se habeat ad superiora, scilicet ad Deum: et dicit,
quod felix felicitate speculativa, quia operatur secundum intellectum
contemplando veritatem, et curam suam apponit ad bonum intellectus, videtur
esse optime dispositus, inquantum excellit in eo quod est optimum hominis, et
etiam amantissimus Deo. Supposito enim, sicut rei veritas habet, quod Deus
habeat curam et providentiam de rebus humanis, rationabile est, quod
delectetur circa homines de eo quod est optimum in eis, et quod est cognatissimum,
idest simillimum Deo. Quod quidem est intellectus, ut ex praemissis patet. Et
per consequens rationabile est, quod Deus maxime benefaciat his qui amant
intellectum, et honorant ipsum bonum intellectus omnibus praeferentes, quasi
ipsi dii curent de his qui sunt eis amici; rationabile etiam est quod
beneficia conferant his qui recte et bene operantur. |
|
#2133. — Ensuite (1179a22), il montre le rapport de l'[homme] heureux avec le supérieur, à savoir, avec Dieu: il dit que l'[homme] heureux de bonheur spéculatif, comme il agit en conformité avec l'intelligence, en contemplant la vérité, et qu'il met son soin aux biens de l'intelligence, semble être le mieux disposé, pour autant qu'il excelle en ce qu'il y a de meilleur dans l'homme; en conséquence, il est celui qui aime le plus Dieu. Supposé, en effet, comme c'est le cas en fait, que Dieu ait soin et providence des choses humaines, il est raisonnable qu'il prenne plaisir, concernant les hommes, à ce qu'il y a de meilleur en eux, et qui se trouve le plus parent, c'est-à-dire le plus semblable à Dieu. Cela, bien sûr, c'est leur intelligence, comme il ressort de ce qui précède (#2109). Par conséquent, il est raisonnable que Dieu fasse profiter le plus ceux qui aiment l'intelligence et honorent le bien même de l'intelligence, en le préférant à tout autre, les Dieux prenant soin de ceux qui agissent correctement et bien. |
[74836] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 9 Manifestum est autem, quod omnia praedicta conveniunt
sapienti. Sapiens enim diligit et honorat intellectum, qui maxime amatur a
Deo inter res humanas. Sapiens etiam et recte et bene operatur. Relinquitur
ergo, quod ipse sit Deo amantissimus. Ille autem est felicissimus, qui maxime
amatur a Deo qui est fons omnium bonorum. Relinquitur igitur quod, etiam
secundum hoc quod felicitas hominis dicitur esse per hoc quod amatur a Deo,
sapiens est maxime felix. |
|
#2134. — Il est manifeste, par ailleurs, que tout ce qui précède convient au sage. Le sage, en effet, aime et honore l'intelligence, chose la plus aimée de Dieu dans les choses humaines. Le sage, aussi, agit bien et correctement. Il reste, donc, que lui-même soit celui qui aime le plus Dieu. Celui-là, par ailleurs, est le plus heureux, qui le plus est aimé par Dieu, source de tous les biens. Il reste aussi, d'après cela, que, comme le bonheur de l'homme provient de ce qu'il est aimé de Dieu, que le sage est le plus heureux. |
[74837] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 10 Ex quo patet, quod ultimam felicitatem humanam ponit
Aristoteles in operatione sapientiae, de qua supra in sexto determinavit, non
autem in continuatione ad intelligentiam agentem, ut quidam fingunt. |
|
#2135. — Il en ressort qu'Aristote met l'ultime bonheur humain dans l'opération de la sagesse, dont il a traité plus haut, au sixième [livre] (#1267), mais non dans la continuation à l'intelligence agente, comme certains se le figurent. |
[74838] Sententia Ethic., lib. 10 l. 13 n. 11 Attendendum etiam, quod in hac vita non ponit perfectam
felicitatem, sed talem qualis potest competere humanae et mortali vitae.
Unde, et supra in primo dixit, beatos autem ut homines. |
|
#2136. — Il faut remarquer aussi qu'il ne suppose pas, en cette vie, un bonheur parfait, mais tel qu'il puisse appartenir à la vie humaine et mortelle. Aussi a-t-il dit plus haut, au premier [livre] (#202), “heureux, bien sûr, comme des hommes”. |
|
|
|
Lectio
14 |
|
Leçon 14
|
[74839] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 1 Utrum igitur, si et de his et cetera. Postquam
philosophus determinavit de fine virtutis, considerato in ipso homine
virtuoso, qui est delectatio vel felicitas, hic determinat alium finem qui
accipitur per comparationem ad bonum commune, ostendens, quod praeter
praedictam doctrinam moralium, necesse est esse aliam legis positivam, quae
intendit ad bonum commune. Et circa hoc tria facit. Primo ostendit
necessariam esse legispositionem; secundo necessarium esse, quod aliquis fiat
legis positivus, ibi, in sola autem Lacedaemoniorum etc.; tertio ostendit
quomodo possit fieri legis positivus, ibi, igitur post hoc intendendum et
cetera. Circa primum duo facit. Primo movet quaestionem, utrum scilicet, si
sufficienter dictum est in tipis, id est quantum tipice et figuraliter
dici debuit, de his scilicet quae pertinent ad felicitatem, et de virtutibus,
et de amicitia et delectatione, existimandum sit quod electio nostra habeat
finem et complementum, qua scilicet eligimus tractare de bono humano, vel
adhuc est aliquid superaddendum. |
|
#2137. — Après avoir traité de la fin de la vertu regardée en l'[homme] vertueux même: le plaisir ou le bonheur, le Philosophe en traite ici en rapport à une autre fin, prise en regard du bien commun. Il montre qu'en dehors de l'enseignement qui précède, sur la [matière] morale, il en est besoin d'un autre, législatif, qui tend au bien commun. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'il y a besoin d'une législation. En second (1180a24), qu'il y a besoin que l'on devienne législateur. En troisième (1180b28), il montre de quelle manière on peut devenir législateur. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il se demande si cela suffit, qu'on a dit en gros, c'est-à-dire pour autant qu'on a dû parler en gros et d'une manière figurée, de ce qui touche au bonheur, et des vertus, et de l'amitié et du plaisir. Doit-on estimer notre propos achevé et complété, celui dans lequel nous nous proposions de traiter du bien humain? ou reste-t-il encore quelque chose à ajouter? |
[74840] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 2 Secundo ibi: vel quemadmodum dicitur etc., determinat
veritatem; ostendens, quod adhuc aliquid aliud requiritur. Et primo ostendit,
quod requiritur aliquem fieri bonum. Secundo ostendit, quod ad hoc quod
aliquis fiat bonus, requiritur consuetudo vitae bonae, ibi, siquidem igitur
essent sermones etc.; tertio ostendit quod ad hanc consuetudinem habendam
requiritur legis positio, ibi, ex iuvene autem et cetera. Dicit ergo primo,
quod finis scientiae quae est circa operabilia, non est cognoscere et speculari
singula, sicut in scientiis speculativis, sed magis facere ipsa. Et quia
secundum virtutem sumus boni et operatores bonorum, non sufficit ad
scientiam, quae intendit bonum humanum, quod aliquis cognoscat virtutem. Sed
tentandum est, quod aliquis habeat eam, scilicet secundum habitum, et utatur
ea scilicet secundum actum: vel si aliquis aestimet, quod per alium modum
possit homo fieri bonus, quam per virtutem, tentandum est illud habere. |
|
#2138. — En second (1179a35), il traite de la vérité, et montre qu'il y a encore autre chose de requis. En premier, il montre qu'il est requis que l'on devienne bon. En second (1179b4), il montre que, pour que l'on devienne bon, l'accoutumance d'une vie bonne est requise. En troisième (1179b31), il montre que cette accoutumance prérequiert l'établissement d'une loi. Il dit donc, en premier, que la fin de la science qui porte sur les actions à poser n'est pas de connaître et de spéculer chacune une à une, comme dans les sciences spéculatives, mais plutôt de les accomplir. Et comme c'est par la vertu que l'on est bon et agent du bien, la science qui vise le bien humain ne se satisfait pas que l'on connaisse la vertu. Mais il faut s'efforcer de l'avoir, à savoir, en habitus, et d'en user, à savoir, en acte: ou si on estime que c'est autrement que par la vertu que l'on peut devenir bon, c'est cela qu'il faut s'efforcer d'avoir. |
[74841] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 3 Deinde cum dicit: si quidem igitur etc., ostendit, quod
ad hoc quod aliquis fiat bonus, requiritur consuetudo. Et primo ostendit,
quod ad hoc non sufficit solus sermo persuasivus. Secundo ostendit, quod
necessaria est consuetudo, ibi, amabile autem et cetera. Dicit ergo primo,
quod si sermones persuasivi per se sufficerent ad faciendum homines studiosos,
multae et magnae mercedes deberentur alicui secundum thegnin, id est secundum
artem persuadendi ad bonum, et esset omnino necessarium, quod magnae mercedes
retribuerentur persuasoribus. Sed non ita est universaliter. |
|
#2139. — Ensuite (1179b4), il montre que devenir bon requiert une accoutumance. En premier, il montre qu'à cette [fin] ne suffit pas une simple parole persuasive. En second (1179b18), il montre qu'une accoutumance est nécessaire. Il dit donc, en premier, que si les paroles persuasives suffisaient par soi à rendre les hommes honnêtes, beaucoup et de grands honoraires seraient dus à quelqu'un [qui en ferait], pour son art[66], c'est-à-dire à cause de son art de persuader au bien. Et il serait tout à fait nécessaire de rétribuer par de grands honoraires ceux qui persuadent. Mais il n'en va pas universellement ainsi. |
[74842] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 4 Videmus enim quod sermones persuasivi, possunt
provocare et movere ad bonum iuvenes liberales, qui scilicet non sunt
subiecti vitiis et passionibus, et qui habent nobiles mores, inquantum sunt
apti ad operationes virtutis, et qui vere amant bonum possunt fieri
cathacotini, id est repleti virtute et honore. Tales enim qui sunt bene
dispositi ad virtutem, ex bonis persuasionibus provocantur ad perfectionem
virtutis. |
|
#2140. — Nous voyons, en effet, que des paroles persuasives peuvent inciter et mouvoir au bien des jeunes libéraux, des jeunes qui ne sont pas assujettis aux vices et aux passions, et qui ont des mœurs nobles, en ce qu'ils sont aptes aux opérations des vertus. Ce sont ceux qui aiment [déjà] vraiment le bien qui en peuvent devenir les possesseurs, c'est-à-dire [gens] pleins de vertu et d'honneur. Ce sont eux, en effet, déjà bien disposés à la vertu, que de bonnes persuasions incitent à la perfection de la vertu. |
[74843] Sententia
Ethic., lib. 10 l. 14 n. 5 Sed multi hominum non possunt
per sermones provocari ad bonitatem, quia non oboediunt verecundiae, quae
timet turpitudinem, sed magis coercentur timore poenarum. Non enim recedunt a pravis operibus propter eorum
turpitudinem, sed propter poenas quas timent: quia enim vivunt secundum
passiones, et non secundum rationem, (proprias delectationes persequuntur,)
per quas passiones propriae magis in eis crescunt, et fugiunt tristitias
contrarias quaesitis delectationibus, quae per poenas eis inferuntur, non
autem intelligunt id quod est vere bonum et delectabile, neque etiam
dulcedinem eius gustu percipere possunt. Tales autem homines nullo sermone
transmutari possunt. |
|
#2141. — Mais beaucoup ne peuvent pas être incités au bien par des paroles, parce qu'ils n'obéissent pas à la vergogne, qui craint la honte, mais se forcent plutôt avec la crainte de peines. En effet, ils ne renoncent pas aux actions dépravées à cause de leur caractère honteux, mais à cause de peines qu'ils craignent [d'encourir]: parce qu'en effet, ils vivent selon leurs passions, et non selon leur raison, [ils poursuivent les plaisirs en cause], par lesquels les passions concernées vont plutôt s'accroître en eux, et ils fuient les tristesses contraires aux plaisirs qu'ils recherchent, lesquelles leur sont infligées par des peines. Aussi ne comprennent-ils pas ce qui est vraiment bon et plaisant, ni même ne peuvent-ils percevoir sa douceur au goût. Pareils hommes ne peuvent être convertis par aucune parole. |
[74844] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 6 Ad hoc enim quod aliquis sermone transmutetur,
requiritur quod proponatur homini aliquid quod accipiat, ille autem cui non
sapit bonum honestum, sed inclinatur ad passiones, non acceptat quicquid
proponatur sermone inducente ad virtutem. Unde non est possibile, vel saltem
non est facile, quod aliquis per sermonem possit hominem transmutare ab his
quae per antiquam consuetudinem comprehendit. Sicut etiam in speculativis, non
posset reduci ad veritatem ille qui firmiter adhaereret contrariis
principiorum, quibus in operabilibus proportionantur fines, ut supra dictum
est. |
|
#2142. — Car, pour que l'on soit converti par une parole, il est requis que l'on se fasse proposer quelque chose que l'on accepte. Or celui pour qui le bien honorable ne goûte rien, et qui, plutôt, est incliné aux passions, n'accepte aucune proposition que ce soit, de paroles qui entraînent à la vertu. Aussi n'est-il pas possible, ou du moins pas facile, par des paroles, de détourner un homme de ce qu'il a d'enraciné en lui par une accoutumance ancienne. Il en va de même dans les [sciences] spéculatives, ou on ne pourrait réduire à la vérité celui qui adhère fermement aux contraires des principes, à quoi, dans les actions à poser, sont proportionnées les fins, comme il a été dit plus haut (#223, 474, 1431). |
[74845] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 7 Deinde cum dicit: amabile autem etc., ostendit, quod
requiritur consuetudo ad hoc quod aliquis fiat bonus. Et dicit, quod non
debemus esse contenti solis sermonibus ad acquirendum virtutem. Sed multum
debet esse carum nobis, si etiam habitis omnibus per quae homines videntur
fieri virtuosi, consequamur virtutem. Circa quae triplex est opinio. Quidam
enim dicunt, quod homines fiunt boni per naturam: puta ex naturali
complexione cum impressione caelestium corporum; quidam vero dicunt, quod
homines fiunt boni per exercitium: alii vero dicunt, quod homines fiunt boni
per doctrinam. Haec quidem tria aliqualiter vera sunt. |
|
#2143. — Ensuite (1179b18), il montre qu'on a besoin d'accoutumance pour devenir bon. Il dit que nous ne devons pas nous satisfaire de simples paroles pour acquérir la vertu. Mais ce doit nous être très précieux, même une fois que l'on est en possession de tout ce par quoi on semble devenir vertueux, d'atteindre la vertu. À ce sujet, il y a trois opinions. Certains, en effet, disent que c'est par nature que les hommes deviennent bons: ce serait du fait de leur complexion naturelle assistée de l'influence des corps célestes; d'autres disent que les hommes deviennent bons par l'exercice; d'autres encore disent que les hommes deviennent bons par l'enseignement. Et certes les trois [opinions] sont vraies de quelque façon. |
[74846] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 8 Nam et naturalis dispositio proficit ad virtutem;
secundum quod in sexto dictum est, quod quidam mox a nativitate videntur
fortes vel temperati, secundum quamdam naturalem inclinationem. Sed huiusmodi
naturalis virtus est imperfecta, ut ibidem dictum est. Et ad eius
perfectionem exigitur, quod superveniat perfectio intellectus seu rationis.
Et propter hoc exigitur doctrina, quae sufficeret si in solo intellectu seu
ratione virtus consisteret secundum opinionem Socratis, qui ponebat virtutem
esse scientiam. Sed quia requiritur ad virtutem rectitudo appetitus, necessaria est
(quod) tertio consuetudo per quam appetitus inclinetur ad bonum. |
|
#2144. — En effet, la disposition naturelle aussi sert à la vertu, comme on a dit, au sixième [livre], que des gens paraissent, dès leur naissance, courageux ou tempérants, en raison d'une inclination naturelle. Mais une vertu naturelle de la sorte est imparfaite, comme il a été dit au même lieu (#1276-1280). À sa perfection est exigé que s'ajoute la perfection de l'intelligence ou de la raison. C'est pour cela qu'est exigé l'enseignement, qui suffirait si, comme c'était l'opinion de Socrate, qui posait que la vertu est une science, la vertu consistait dans la seule intelligence ou raison. Mais comme la rectitude de l'appétit est aussi requise à la vertu, devient nécessaire l'accoutumance par laquelle l'appétit sera incliné au bien. |
[74847] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 9 Sed illud, quod ad naturam pertinet, manifestum est,
quod non existit in potestate nostra, sed provenit hominibus ex aliqua divina
causa; puta ex impressione caelestium corporum quantum ad corporis humani
dispositionem, et ab ipso Deo, qui solus est supra intellectum quantum ad hoc
quod mens hominis moveatur ad bonum. Et ex hoc homines vere sunt
bene fortunati, quod per divinam causam inclinantur ad bonum, ut patet in
capitulo de bona fortuna. |
|
#2145. — Toutefois, ce qui appartient à la nature n'est manifestement pas en notre pouvoir, mais provient de quelque cause divine; par exemple, de l'influence des corps célestes, quant à la disposition du corps humain, et de Dieu même, qui seul transcende l'intelligence quant à ce que l'esprit de l'homme soit mû au bien. On est véritablement bien chanceux, quand, par une cause divine, on se trouve incliné au bien, comme cela devient clair, dans le chapitre sur la bonne Fortune. |
[74848] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 10 Dictum est autem supra, quod sermo et doctrina non
habet efficaciam in omnibus, sed oportet quod, ad hoc quod efficaciam habeat
in aliquo, quod auditoris anima ex multis bonis consuetudinibus sit
praeparata ad gaudendum de bonis et ad odiendum mala; sicut etiam oportet
terram esse bene cultam ad hoc quod nutriat semen; sic enim se habet sermo
auditus in anima, sicut semen in terra. Ille enim qui vivit secundum
passiones, non libenter audiet sermonem monentis, neque etiam intelliget, ita
scilicet quod iudicet illud esse bonum ad quod inducitur. Unde non potest ab
aliquo persuaderi. |
|
#2146. — Il a été dit, plus haut (#2139-2142), que les paroles et l'enseignement n'ont pas partout leur efficacité. Pour qu'ils trouvent leur efficacité en quelque chose, il faut que l'âme de l'auditeur soit préparée, par beaucoup de bonnes accoutumances, à goûter le bien et à haïr le mal; comme il faut aussi que la terre soit bien cultivée pour bien nourrir la semence. La parole entretient, en effet, avec l'ouïe dans l'âme, le même rapport que la semence avec la terre: qui vit selon ses passions n'écoutera pas librement les paroles de celui qui l'admoneste; il ne comprendra même pas de manière à juger bon ce à quoi elles conduisent. Aussi ne peut-il être persuadé par personne. |
[74849] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 11 Et ut universaliter loquamur, passio quae per
consuetudinem firmata in homine dominatur, non cedit soli sermoni, sed
oportet adhibere violentiam, ut scilicet homo compellatur ad bonum. Et sic patet, quod
ad hoc, quod sermo monentis in aliquo efficaciam habeat, oportet praeexistere
consuetudinem, per quam homo acquirat morem proprium virtutis, ut scilicet
diligat bonum honestum, et abominetur turpe. |
|
#2147. — Pour parler universellement, la passion qui, confirmée par l'accoutumance, domine dans l'homme, ne cède pas à de simples paroles, mais il faut y mettre de la violence, de manière à forcer au bien. Il devient donc évident que, pour que les paroles de celui qui admoneste soient efficaces pour quelqu'un, il faut qu'elles soient précédées par une accoutumance par laquelle on acquiert les mœurs propres de la vertu, de manière à aimer le bien honorable, et à détester ce qui est honteux. |
[74850] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 12 Deinde cum dicit: ex iuvene autem etc., ostendit, quod
ad bonam consuetudinem requiritur legis positio. Et primo ostendit, quod per
legem omnes fiunt boni. Secundo ostendit, quod hoc sine lege congrue fieri
non potest, ibi, si igitur, quemadmodum dictum est et cetera. Circa primum
duo facit. Primo ostendit propositum. Secundo inducit ad hoc quoddam signum,
ibi: propter quod existimant et cetera. Circa primum duo facit. Primo
ostendit propositum quantum ad iuvenes. Secundo quantum ad alios, ibi: non
sufficiens autem et cetera. Dicit ergo primo, quod difficile est quod aliquis
ab ipsa iuventute manuducatur ad virtutem secundum bonas consuetudines, nisi
nutriatur sub bonis legibus, per quas quaedam necessitas inducitur homini ad
bonum. |
|
#2148. — Ensuite (1179b31), il montre que la bonne accoutumance requiert l'établissement d'une loi. En premier, il montre que c'est par la loi que tous deviennent bons. En second (1180a14), il montre que cela ne peut se faire convenablement sans loi. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1180a5), il présente pour cela un signe. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos en ce qui concerne les jeunes. En second (1180a1), en ce qui concerne les autres. Il dit donc, en premier, qu'il est difficile, dès sa jeunesse, d'être conduit par la main à la vertu en conformité à de bonnes accoutumances, si l'on n'est pas éduqué sous de bonnes lois, qui conduisent au bien avec une certaine nécessité. |
[74851] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 13 Quod enim aliquis vivat temperate, abstinendo
scilicet a delectabilibus, et perseveranter, ut scilicet non recedat a
bono propter labores et tristitias, non est delectabile multis hominibus, et
specialiter iuvenibus, qui sunt proni ad delectationes, ut in septimo dictum
est. Et ideo oportet, quod nutritiones puerorum et adinventiones eorum, id
est viae operandi quas homines adinveniunt, sint ordinatae per bonas leges ex
quibus quodam modo iuvenes compellantur consuescere bona, quae quando iam in
consuetudinem venerint, non erunt tristia, sed magis delectabilia. |
|
#2149. — En effet, vivre avec tempérance, en s'abstenant de plaisirs, et avec persévérance, de manière à ne pas renoncer au bien à cause des efforts et des tristesses, ce n'est pas plaisant, pour la plupart, et spécialement pour les jeunes, qui sont enclins aux plaisirs, comme il a été dit au septième [livre] (#1531). C'est pourquoi il faut que l'éducation des enfants et leurs découvertes soient ordonnées par de bonnes lois, par lesquelles ils soient de quelque manière contraints par force à s'accoutumer au bien, qui, une fois tourné en accoutumance, ne sera plus triste, mais plus plaisant. |
[74852] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 14 Deinde cum dicit: non sufficiens autem etc., ostendit
quod etiam alii indigent legislatione. Et dicit, quod non sufficit, quod
homines solum dum sunt iuvenes bene nutriantur secundum leges et bona cura de
eis habeatur, sed etiam plus quando aliquis factus est vir, oportet, quod
adinveniat vias honestas ad operandum, et quod in talibus consuescat. Et ad
hoc indigemus legibus; et non solum a principio, quando scilicet aliquis
incipit fieri vir, sed etiam universaliter per totam vitam hominis. Multi
enim sunt, qui magis obediunt necessitati, idest coactioni, quam
sermoni. Et magis obediunt iacturae, idest damno, quod incurrunt pro
poenis, quam bono honesto. |
|
#2150. — Ensuite (1180a1), il montre que même les autres ont besoin de législation. Il dit qu'il ne suffit pas que l'on soit éduqué d'après des lois et que l'on fasse attention à tout cela pendant que l'on est jeune, mais qu'il faut encore plus, une fois adulte, que l'on trouve les voies honnêtes pour agir, et que l'on s'accoutume à elles. Pour cela, nous avons besoin de lois; et non seulement au début, quand on commence à devenir adulte, mais universellement, pendant toute la vie humaine. Il y en a beaucoup plus, en effet, qui obéissent davantage à la nécessité, c'est-à-dire à la contrainte qu'aux paroles. Ils obéissent davantage au préjudice, c'est-à-dire au dommage qu'ils encourrent par des peines, qu'à l'honnêteté. |
[74853] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 15 Deinde cum dicit propter quod existimant etc., inducit
quoddam signum ad propositum. Et dicit, quod quia ad bonam vitam hominis
requiritur necessitas inducta per legem, inde est, quod quidam legis
positores existimant, quod oportet homines advocare ad virtutem, ita scilicet
ut virtuosi, qui propria sponte obediunt rebus honestis, per praecedentes
consuetudines provocentur per bonum, puta ostendendo eis honestatem eius quod
proponitur. Sed his qui sunt inobedientes et mores degeneres habent, apponunt
poenas corporales, puta flagella et diversas punitiones, vituperando eos et
in propriis rebus damnificando. Illos autem, qui sunt totaliter insanabiles,
exterminant, sicut cum suspendunt latronem. |
|
#2151. — Ensuite (1180a5), il donne un signe de son propos. Il dit que, comme la nécessité induite par la loi est requise à la vie humaine bonne, il s'ensuit que des législateurs estiment qu'il faut appeler les hommes à la vertu, de manière que les [gens] vertueux, qui obéissent spontanément à l'honnêteté, de leur propre chef, grâce à des accoutumances antérieures, soient incités au bien, du fait de leur montrer l'honnêteté de ce qui est proposé. Pour ceux qui sont désobéissants et de mœurs dégénérées, cependant, ils apposent des peines corporelles, par exemple, le fouet et diverses punitions, de manière à leur procurer le reproche et le dommage approprié. Quant à ceux, enfin, qui sont totalement incurables, ils les exterminent, comme lorsqu'ils pendent le voleur. |
[74854] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 16 Et hoc ideo, quia virtuosus qui suam vitam ordinat ad
bonum, soli sermoni oboedit quo ei bonum proponitur, sed homo pravus qui
appetit delectationem debet puniri per tristitiam seu dolorem, quemadmodum subiugale,
idest sicut asinus ducitur flagellis. Et inde est, quod sicut dicunt, oportet
tales tristitias adhibere quae maxime contrariantur amatis delectationibus;
puta si aliquis inebriavit se, quod detur ei aqua ad bibendum. |
|
#2152. — La raison en est que le vertueux, qui ordonne sa vie au bien, obéit à la simple parole où le bien est proposé. Mais l'homme dépravé, parce qu'il désire le plaisir, doit être puni avec de la tristesse ou de la douleur, à la manière d'un [animal] sous le joug, c'est-à-dire comme on mène un âne au fouet. Il s'ensuit que, comme on le dit, il faut appliquer les tristesses qui contrarient le plus les amateurs de plaisirs; par exemple, si on s'est enivré, qu'on nous donne de l'eau à boire. |
[74855] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 17 Deinde cum dicit: si igitur, quemadmodum dictum est
etc., ostendit, quod lex est necessaria ad hoc quod homo fiat bonus. Et hoc
duabus rationibus. Quarum prima est, quia oportet eum, qui est futurus bonus,
bene nutriri et consuescere, et quod postea vivat secundum adinventiones
rectarum viarum, ita quod abstineat a pravis, sive propria voluntate sive
etiam contra suam voluntatem coactus. Quod quidem non contingit nisi vita
hominis dirigatur per aliquem intellectum, qui habeat, et rectum ordinem ad
hoc quod ducat ad bonum, et habeat fortitudinem, idest vim coactivam
ad hoc quod compellat nolentes; quam quidem vim coactivam non habet
praeceptum paternum, neque cuiuscumque alterius hominis persuadentis, qui non
sit rex, vel in aliquo alio principatu constitutus. Sed lex habet coactivam
potentiam, in quantum est promulgata a rege vel principe. Et est sermo
procedens ab aliqua prudentia et intellectu dirigente ad bonum. Unde patet,
quod lex necessaria est ad faciendum homines bonos. |
|
#2153. — Ensuite (1180a14), il montre que la loi est nécessaire pour que l'on devienne bon. Il le montre avec deux raisons. La première en est qu'il faut que celui qui doit devenir bon reçoive bonne éducation et coutume, et qu'il vive par la suite en conformité aux voies correctes découvertes, de manière à s'abstenir des choses dépravées soit par sa volonté propre, soit même en étant contraint contre sa volonté. Certes, cela n'arrive que l'on voit sa vie dirigée par une intelligence qui détient à la fois l'ordre correct, pour conduire au bien, et la force, c'est-à-dire une puissance de coercition, pour contraindre ceux qui ne veulent pas. Or le précepte paternel n'a pas cette force de coercition, et elle n'est pas non plus le fait de quelque autre homme persuasif, qui ne soit pas roi, ni constitué en une autre forme de gouvernement. Mais la loi a ce pouvoir de coercition, du fait d'être promulguée par un roi ou un chef. Elle est aussi une parole procédant d'une prudence et d'une intelligence qui dirige vers le bien. Aussi appert-il que la loi est nécessaire pour rendre les hommes bons. |
[74856] Sententia Ethic., lib. 10 l. 14 n. 18 Secundam rationem ponit ibi: et hominum quidem et
cetera. Et dicit, quod homines qui volunt contrariari motibus alicuius
habentur odio ab eo cui contrariantur, etiam si recte hoc faciant,
aestimantur enim quod faciant hoc ex aliquo malo zelo. Sed lex quae praecepit
honesta, non est onerosa, id est gravis vel odiosa, quia communiter
proponitur. Unde relinquitur, quod lex est necessaria ad faciendum homines
bonos. |
|
#2154. — Il présente ensuite sa seconde raison (1180a22). Il dit qu'on est tenu en haine par ceux que l'on contrarie, quand on veut contrarier les mœurs, même si on le fait correctement. On croit, en effet, qu'ils le font par mauvais zèle. Tandis que la loi qui prescrit l'honnêteté n'est pas onéreuse, c'est-à-dire trop lourde ou odieuse, parce qu'elle est proposée communément. Il en reste que la loi est nécessaire pour rendre des hommes bons. |
|
|
|
Lectio
15 |
|
Leçon 15
|
[74857] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 1 In sola autem Lacedaemoniorum et cetera. Postquam
philosophus ostendit quod legis positio necessaria est ad hoc quod homines
fiant boni, hic ostendit quod necessarium sit hominem esse legis positivum.
Et primo proponit quod intendit. Secundo probat propositum, ibi, communes
quidem enim et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis, sicut praedictum est,
necessaria sit legumpositio ad nutritiones et operationes hominum, tamen in
sola civitate Lacedaemoniorum cum paucis aliis legislator videtur habuisse
curam, ut legibus ordinaret nutritiones puerorum, et vias inventas ad
operandum. Sed in pluribus civitatibus talia sunt neglecta, in quibus
unusquisque vivit sicut vult disponens de filiis et uxore secundum suam
voluntatem ad modum Cyclopum, idest quarumdam gentium barbararum, quae
legibus non utuntur. Optimum igitur est, quod habeatur recta cura de
nutritionibus puerorum, et virtuosis actionibus civium, secundum publicam
auctoritatem; et quod homo instruatur, ut possit hoc idonee operari. |
|
#2155. — Après avoir montré qu'une législation est nécessaire pour que les gens deviennent bons, le Philosophe montre ici qu'il est nécessaire qu'il y ait un législateur. En premier, il propose son intention. En second (1180a34), il prouve son propos. Il dit donc, en premier, que, quoique, comme on l'a dit antérieurement (#2148-2154), une législation soit nécessaire pour l'éducation et l'action humaine, c'est cependant dans la seule cité des Lacédémoniens, avec bien peu d'autres, que le législateur paraît avoir pris soin d'ordonner par des lois l'éducation des enfants et les voies d'action découvertes. Tandis que, dans la plupart des cités, pareilles [dispositions] sont négligées; là, chacun vit comme il veut, et dispose de ses enfants et de sa femme à sa guise, à la manière des Cyclopes, c'est-à-dire de certaines nations barbares qui ne font pas usage de lois. Le mieux, donc, c'est qu'on prenne un soin correct de l'éducation des enfants et des actions vertueuses des citoyens, par autorité publique, et qu'on soit instruit de manière à pouvoir faire cela adéquatement. |
[74858] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 2 Sed cum homines negligant hoc in communi, quia scilicet
non exhibent ad hoc publicam curam, videtur esse conveniens unicuique
privatae personae ut conferat suis filiis et amicis aliquid ad hoc quod sint
virtuosi, vel si non potest conferre, quod saltem eligat ea per quae hoc
possit fieri. Quod quidem maxime videtur posse fieri, secundum praedicta, si
aliquis fiat legis positivus, idest si acquirat idoneitatem, qua
possit condere rectas leges. Et sic esse legis positivum principaliter
competit publicae personae, secundario tamen competit etiam privatae. |
|
#2156. — Mais comme les gens le négligent communément, du fait de ne pas y mettre un soin public, il semble revenir à chaque particulier d'assurer à ses enfants et à ses amis le moyen de devenir vertueux; ou, s'il ne peut assurer cela, au moins de choisir comment ce puisse être fait. Or, bien sûr, d'après ce qu'on a dit, cela paraît le plus pouvoir être fait si l'on devient législateur, c'est-à-dire si l'on acquiert la capacité d'établir des lois correctes. C'est ainsi qu'il appartient principalement à la personne publique d'être législateur, mais en second cela appartient aussi au particulier. |
[74859] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 3 Deinde cum dicit: communes quidem enim etc., probat
propositum per duas rationes. Dicit ergo primo manifestum esse, quod communes
curae, scilicet quae fiunt per publicas personas, quarum est leges condere,
fiunt per leges. Sic enim videntur de aliquibus curare in quantum super his leges
statuunt. Bonae autem curae sunt quae fiunt per bonas leges. |
|
#2157. — Ensuite (1180a34), il prouve son propos avec deux raisons. Il dit donc, en premier, qu'il est manifeste que les soins communs, les soins qui relèvent de personnes publiques, auxquelles il appartient de légiférer, se donnent à travers des lois. Manifestement, en effet, il est pris soin pour des [choses], comme et en tant que des lois en statuent. Et les bons soins sont ceux dont on dispose par de bonnes lois. |
[74860] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 4 Nec differt ad propositum, utrum hoc fiat per leges
scriptas vel non scriptas vel per leges quibus unus instruatur aut plures.
Sicut etiam patet in musica et exercitativa et in aliis eruditionibus; quod
non differt quantum ad praesens tempus utrum documentum proferatur cum
scripto vel sine scripto. Nam Scriptura adhibetur ad conservationem memoriae
in futurum. Similiter etiam, non differt utrum in talibus documentum
proponatur uni tantum aut pluribus; et ita videtur eiusdem rationis esse,
quod aliquis paterfamilias instruat filium suum, vel paucos domesticos
sermone admonitorio sine Scriptura et quod aliquis princeps ferat legem
scriptam ad ordinandam totam multitudinem civitatis. Sicut enim se habent
leges publicae, et mores per eos introducti in civitatibus, sic se habent in
domibus paterni sermones et mores per eos introducti; |
|
#2158. — Cela ne change rien, pour notre propos, si on en dispose par des lois écrites ou non écrites, ou par des lois qui instruisent une seule ou plusieurs [personnes]. En musique aussi, et en entraînement, et en les autres domaines, il est évident que cela ne change rien au fait de la loi, que l'annonce en soit faite par écrit ou sans écrit. Car l'écriture ne sert qu'à la conservation dans la mémoire pour le futur. De manière semblable aussi, cela ne change rien, en pareils [domaines], que l'annonce soit faite à une seule ou à plusieurs [personnes]. Ainsi encore, il paraît bien relever de la même raison qu'un père de famille instruise son enfant, ou les quelques gens de la maison, par admonestation orale ou écrite, et qu'un chef établisse une loi écrite pour ordonner tout l'ensemble de la cité. Car le lieu que tiennent dans les cités les lois publiques et les mœurs qu'elles introduisent, les paroles paternelles et les mœurs qu'elles induisent le tiennent dans les maisons. |
[74861] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 5 Haec autem sola differentia est: quod paternus sermo
non habet plenarie vim coactivam sicut sermo regius, ut supra dictum est.
Consequenter autem ostendit, quod quantum ad aliquid hoc magis competit
privatae personae quam publicae, ex cognatione et beneficiis, scilicet
propter quae filii diligunt parentes, et de facili obediunt naturali
amicitiae, quae est filiorum ad patrem. Sic igitur, licet sermo regius magis
possit per viam timoris, tamen sermo paternus magis potest per viam amoris,
quae quidem via est efficacior in his qui non sunt totaliter male dispositi. |
|
#2159. — En voici, d'ailleurs, la seule différence: c'est que la parole paternelle n'a pas pleinement force de coercition, comme la parole du roi, ainsi qu'on l'a dit plus haut (#2153). En conséquence, il montre que, sous un aspect, la [chose] revient davantage à la personne privée qu'à la publique, en raison du lien de sang et des bienfaits pour lesquels les enfants aiment leurs parents, et obéissent facilement, de par l'amitié naturelle qui existe entre enfants et père. Ainsi donc, bien que la parole royale ait davantage de pouvoir par voie de crainte, cependant la parole paternelle a davantage de pouvoir par voie d'amour, voie certes plus efficace chez ceux qui ne sont pas totalement mal disposés. |
[74862] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 6 Secundam rationem ponit ibi adhuc autem et cetera. Et
dicit, quod disciplina, quae est utilis in communi, habet aliquam
differentiam circa aliquod particulare; sicut patet in arte medicinali; quia
in universali, febricitantibus utilis est abstinentia et quies, ut natura non
gravetur per abundantiam cibi, et calor non excitetur per motum. Sed forte
alicui homini febricitanti hoc non expedit, quia abstinentia nimis
debilitaret virtutem et forte aliquis febricitans indiget motu ad hoc quod
resolvantur grossi humores. Et idem etiam patet in agonistis, quia pugil non
utitur eodem modo pugnandi contra unumquemque. Et secundum hoc certius
videbitur procedi in operatione uniuscuiusque artis activae, si adhibeatur
propria cura circa unumquodque. Sic enim unusquisque magis potietur eo quod
sibi convenit. |
|
#2160. — Il présente ensuite sa seconde raison (1180b7). Il dit que la discipline utile communément comporte des différences sur des points particuliers. C'est clair dans l'art médicinal: par exemple, universellement, abstinence et repos sont utiles aux fiévreux, pour ne pas appesantir leur nature par l'abondance de nourriture, ni exciter la chaleur par le mouvement. Mais peut-être cela ne conviendra-t-il pas à telle fiévreuse, parce que l'abstinence affaiblirait trop sa capacité; et peut-être telle [personne] fiévreuse a-t-elle besoin de mouvement pour résoudre ses abondantes sécrétions. La même [chose] est claire aussi chez les combattants, parce que le pugilat n'use pas de la même manière de combattre contre chacun. Avec cela, il paraîtra plus sûr de procéder, dans l'opération de chaque art actif, en mettant un soin propre à chaque [chose]. Ainsi, en effet, chacun entrera-t-il davantage en possession de ce qui lui convient. |
[74863] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 7 Sed tamen optime adhibebitur cura ad aliquid faciendum,
si medicus, et exercitativus et quilibet alius artifex operativus cognoscat
universale, puta quid communiter omnibus conferat, puta omnibus hominibus,
vel quid conferat omnibus talibus, puta cholericis. Et hoc ideo quia scientiae,
et dicuntur esse et sunt de communibus: optime ergo curare poterit qui ex
scientia universali procedit ad curandum de aliquo particulari. Non tamen
solum hoc modo potest medicus curare, sed etiam quantum ad curationem
alicuius particularis hominis nihil prohibet, quod bene curet eum, etiam si
nesciat communia, dum tamen propter experientiam consideret diligenter
accidentia cuiuscumque particularis hominis: sicut et quidam videntur esse
optimi medici sui ipsorum, propter hoc, quod sunt experti accidentia propria,
non tamen sufficiunt ad adiuvandum alios. |
|
#2161. — On mettra cependant le meilleur soin à ce qu'il faut faire, si le médecin, et l'entraîneur, et n'importe quel autre artisan d'action connaît dans l'universel, par exemple ce qui vaut communément pour tous, ou bien ce qui vaut pour tous ceux d'une sorte, par exemple, pour les bilieux. La raison en est qu'aux sciences, on attribue à la fois d'être et de porter sur le commun: pourra donc mettre le meilleur soin celui qui procède d'une science universelle pour s'appliquer à un particulier. Ce n'est cependant pas seulement de cette manière que le médecin peut soigner; pour soigner un particulier, rien n'empêche qu'on le soigne bien, même sans connaître le commun, pourvu qu'à cause de l'expérience, on considère attentivement les accidents de chaque particulier. C'est ainsi que certains semblent les meilleurs médecins pour eux-mêmes, à cause de leur expérience de leurs accidents propres, alors qu'ils n'arrivent pas à en assister d'autres. |
[74864] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 8 Quamvis autem aliquis sine scientia universali possit
bene operari circa aliquod particulare, nihilominus tamen ille qui vult fieri
artifex debet tendere ad cognitionem universalis, ut aliquo modo illud
cognoscat; sicut hoc etiam necessarium est ei qui vult esse speculativus,
puta geometra vel naturalis. Dictum est enim quod scientiae sunt circa haec,
scilicet circa universalia. Et ita etiam se habet in his qui curam adhibent
ut faciant bonos. |
|
#2162. — On peut donc, sans science universelle, agir bien concernant un particulier; néanmoins, celui qui veut devenir artisan doit tendre à la connaissance universelle, de façon à l'atteindre de quelque manière; comme c'est nécessaire, aussi, à qui veut être spéculatif, par exemple, au géomètre ou au naturaliste. Il a été dit (#1213, 1352), en effet, que les sciences portent sur cela, à savoir, sur l'universel. Il en va pareillement chez ceux qui se préoccupent de rendre bons. |
[74865] Sententia Ethic., lib. 10 l. 15 n. 9 Possibile enim est, quod sine arte et scientia, qua
cognoscatur universale, aliquis possit hunc vel illum hominem facere bonum,
propter experientiam quam habet de ipso. Tamen si aliquis velit per suam
curam aliquos facere meliores, sive multos sive paucos, debet tentare ut
perveniat ad scientiam universalem eorum, per quae quis fit bonus, idest ut
fiat legispositivus, id est ut sciat artem qua leges bene ponantur, cum per
leges boni fiamus, ut supra habitum est. Quia quod aliquis possit bene
disponere quamcumque bonam habitudinem hominis inducendo ipsam, et oppositam
removendo ipsam, puta sanitatem et aegritudinem, virtutem et malitiam, non
est cuiuscumque, sed solum alicuius scientis communia; sicut patet in arte
medicinali, et in omnibus aliis rebus quibus adhibetur cura et prudentia
humana. In omnibus enim oportet, quod aliquis non solum cognoscat singularia,
sed etiam quod habeat scientiam communium; quia forte occurrent aliqua, quae
comprehenduntur sub scientia communi, non autem sub cognitione singularium
accidentium. |
|
#2163. — On peut, en effet, sans art ni science, par quoi on connaisse l'universel, rendre bon un tel ou un tel, grâce à l'expérience qu'on a de lui. Cependant, si l'on veut s'employer à en rendre meilleurs plusieurs, tant peu que beaucoup, on doit tenter de parvenir à savoir universellement ce par quoi on devient bon, c'est-à-dire de devenir législateur, de manière à posséder l'art par lequel bien établir des lois, puisque c'est par des lois que l'on devient bon, comme on en a traité plus haut (#2153-2154). En effet, pouvoir bien disposer n'importe quelle bonne accoutumance de l'homme, en l'induisant et en enlevant son opposée, par exemple, la santé et la maladie, la vertu et la malice, cela n'appartient pas à n'importe qui, mais seulement à qui a science du commun; c'est clair pour l'art médicinal, et pour toutes les autres choses auxquelles on applique l'attention et la prudence humaine. En toutes choses, en effet, on doit non seulement connaître le singulier, mais aussi posséder la science du commun; c'est qu'éventuellement, des [choses] se produiront qui soient comprises sous la science commune, mais non sous la connaissance des accidents singuliers. |
|
|
|
Lectio
16 |
|
Leçon 16
|
[74866] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 1 Igitur post hoc
intendendum et cetera. Postquam philosophus ostendit quod necessarium est
homini quod fiat legis positivus, hic inquirit qualiter aliquis legis
positivus fieri possit. Et primo dicit de quo est intentio; concludens ex
praemissis quod cum ostensum sit, expedire homini quod fiat legis positivus,
oportet post praedicta intendere unde aliquis fiat legispositivus, utrum
scilicet ex consuetudine vel ex doctrina; et qualiter per hunc vel per istum
modum. |
|
#2164. — Après avoir montré qu'il est nécessaire de devenir législateur, le Philosophe s'enquiert ici de la façon de le devenir. En premier, il dit sur quoi porte son intention, et conclut de ce qui a été dit que, comme on a montré (#2157-2163) qu'il importe de devenir législateur, il faut, après ce qui précède, trouver d'où on devient législateur: si [cela vient] par accoutumance ou par enseignement, et comment [cela vient] de l'une ou de l'autre manière. |
[74867] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 2 Secundo ibi: vel
quemadmodum etc., exequitur propositum. Et primo ostendit, quod ea quibus
priores utebantur, non sufficiebant ad hoc quod aliquis fieret legis
positivus. Secundo concludit hoc sibi tractandum esse, ibi, relinquentibus
igitur et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit qualiter oporteret
aliquem fieri legispositivum; secundo ostendit hoc non observari, ibi, vel
non simile videtur et cetera. Dicit ergo primo, quod videtur esse conveniens,
quod inde et taliter aliquis fiat legis positivus, sicut accidit in aliis
operativis scientiis quae sunt praeter politicam. Nec est inconveniens, si
dum intendo de legis positiva, loquor de politica: quia, ut in sexto dictum
est, legis positiva est quaedam pars politicae prudentiae. Est enim legis
positiva quaedam architectonica politica. |
|
#2165. — En second (1180b29), il exécute son propos. En premier, il montre que ce que les anciens faisaient ne suffisait pas pour devenir législateur. En second (1181b12), il conclut qu'il doit en traiter. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre la manière à suivre pour devenir législateur. En second (1180b31), il montre qu'elle n'est pas respectée. Il dit donc, en premier, qu'il paraît convenable de devenir législateur en partant du [point] et en procédant de la façon dont on le fait en d'autres sciences de l'action qui existent en vue de la politique. Et ce n'est pas sans convenance, en visant la législative, de parler de la politique, car, comme on l'a dit au sixième [livre] (#1197-1198), la législative est une partie de la prudence politique. La législative, en effet, est comme une politique architectonique. |
[74868] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 3 Deinde cum dicit: vel non
simile etc., ostendit hoc non observari, quod videtur conveniens propter
diversitatem eorum, qui se intromittunt de legis positiva. Et primo proponit
eorum diversitatem. Secundo ostendit eorum insufficientiam, ibi: qui
videbuntur utique et cetera. Dicit ergo primo, quod quamvis rationabile
videretur quod similiter esset in hoc sicut in aliis, tamen non videtur
simile observari circa politicam et circa alias artes operativas, quae
dicuntur scientiae quantum ad id quod habent cognitionis, potentiae vero
inquantum sunt operationis principia. In aliis enim artibus operativis idem
videntur esse qui tradunt huiusmodi artes scilicet docendo eas, et qui
operantur secundum ipsas: sicut medici, et medicinam docent et secundum
medicinam operantur. Et eadem ratio est de scriptoribus, et quibuscumque
aliis secundum artem operantibus. |
|
#2166. — Ensuite (1180b31), il montre que ce qui paraît convenable n'est pas respecté, en raison de la distinction entre ceux qui se mêlent de législative. En premier, il propose leur distinction. En second (1181a1), il montre leur insuffisance. Il dit donc, en premier, que, bien qu'il paraîtrait raisonnable qu'il en aille de manière semblable en cela comme en autre chose, cependant on ne respecte manifestement pas une manière semblable en matière de politique et en matière d'autres arts d'action, dits sciences pour la connaissance qu'ils comportent, mais puissances pour ce qu'ils sont principes d'action. Dans les autres arts d'action, en effet, ce sont manifestement les mêmes qui transmettent l'art, en l'enseignant, et qui agissent d'après lui. Ainsi, de sont les médecins qui, à la fois, enseignent la médecine et agissent d'après elle. La même raison vaut pour les écrivains, et pour n'importe qui d'autre qui agit en se conformant à un art. |
[74869] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 4 Sed circa politicam,
aliter esse videtur. Quidam enim, scilicet sophistae, profitentur se docere
legis positivam, cum tamen nullus eorum secundum eam agat. Sed quidam alii
videntur ea uti, illi scilicet qui civiliter conversantur. |
|
#2167. — En politique, pourtant, il est clair qu'il en va autrement. Car les uns, à savoir, les Sophistes, assurent qu'ils enseignent la législative, alors que pourtant aucun d'entre eux n'agit d'après elle, et que ce sont d'autres qui paraissent en user, ceux qui mènent la vie civile. |
[74870] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 5 Deinde cum dicit: qui
videbuntur utique etc., ostendit insufficientiam utrorumque. Et primo
civiliter conversantium. Secundo sophistarum, ibi, sophistarum autem et
cetera. Circa primum tria facit. Primo proponit quod intendit de defectu
civiliter conversantium: quia scilicet opera civilia, quae exercent, magis
videntur facere ex quadam potentia, idest ex quodam habitu per
consuetudinem acquisito, et ex quadam experientia, quam ex mente,
idest intellectu vel scientia. |
|
#2168. — Ensuite (1181a1), il montre l'insuffisance des uns et des autres. En premier, de ceux qui mènent la vie civile. En second (1181a12), des sophistes. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention, concernant le défaut de ceux qui mènent la vie civile: c'est que ces actions civiles qu'ils exercent paraissent davantage procéder d'une puissance, c'est-à-dire d'un habitus acquis par accoutumance, et d'une expérience, que d'un esprit, c'est-à-dire d'intelligence et de science. |
[74871] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 6 Secundo ibi: neque enim
scribentes etc., probat propositum per duo signa. Quorum primum est, quod
illi qui agunt secundum scientiam possunt tradere scripto vel verbo rationes
eorum quae agunt, illi autem qui civiliter conversantur non videntur neque
scripto neque verbo aliquid tradere circa politicam, quamvis hoc esset multo
melius scribere, quam sermones iudicativos, secundum quos scilicet aliqui
instruuntur per quasdam leges positas qualiter debeant iudicare, et
concionativos, per quos scilicet aliqui instruuntur concionari secundum
rhetoricam. |
|
#2169. — En second (1181a3), il prouve son propos par deux signes. Le premier en est que ceux dont l'action procède d'une science peuvent exprimer, par écrit ou oralement, les raisons de ce qu'ils font. Or ceux qui mènent la vie civile n'expriment manifestement ni par écrit ni oralement quoi que ce soit sur la politique, quoiqu'il serait beaucoup mieux d'écrire toutes les paroles judicatives, celles par lesquelles on est instruit, moyennant des lois établies, de la manière de juger, et [toutes les paroles] oratoires, celles par lesquelles on est instruit à parler en conformité à la rhétorique. |
[74872] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 7 Secundum signum est, quia
illi qui operantur secundum scientiam possunt facere alios operatores
instruendo eos. Huiusmodi autem homines, qui politice conversantur, non
faciunt politicos, neque filios suos neque aliquos amicorum suorum. Et tamen
rationabile est quod facerent si possent. Nihil enim melius possent praestare
suis civitatibus, quod relinqueretur post eos, quam si facerent aliquos esse
bonos politicos. Similiter etiam nihil esset magis eligibile quantum ad
ipsos, quam habere potentiam faciendi alios esse politicos; neque etiam
amicissimis suis possent aliquid utilius conferre. |
|
#2170. — Le second signe, c'est que ceux qui agissent en se conformant à une science peuvent former d'autres agents en les instruisant. Or ces gens qui mènent une vie politique ne rendent politiques ni leurs fils ni leurs amis. Pourtant, il est raisonnable qu'ils le feraient, s'ils le pouvaient. En effet, ils ne pourraient offrir rien de mieux leurs cités que de laisser après eux des gens qu'ils rendraient bons politiques. De manière semblable, aussi, rien ne leur serait préférable à eux-mêmes que d'avoir la puissance de former d'autres [personnes] politiques; et ils ne pourraient non plus procurer quelque chose de plus utile à leurs plus chers amis. |
[74873] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 8 Tertio ibi: non tamen
parvum etc., excludit errorem. Posset enim aliquis ex praemissis existimare,
quod experientia conversationis civilis esset inutilis. Sed ipse dicit, quod
quamvis non sufficiat, non tamen parvum aliquid confert ad hoc quod homo fiat
politicus. Alioquin non fierent aliqui magis politici per consuetudinem
politicae vitae, et his qui desiderant scire aliquid de politica, videtur
esse necessaria experientia vitae politicae. |
|
#2171. — En troisième (1181a9), il exclut une erreur. En effet, on pourrait, avec ce qui précède, penser que l'expérience de la vie civile n'est pas utile. Mais il dit lui-même que, sans suffire, elle n'aide cependant pas peu à devenir politique. Autrement, on ne deviendrait pas davantage politique par l'habitude de la vie politique; or pour ceux qui désirent savoir quelque chose de la politique, l'expérience de la vie politique est manifestement nécessaire. |
[74874] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 9 Deinde cum dicit
sophistarum autem etc., ostendit defectum quem patiuntur sophistae. Et circa
hoc tria facit. Primo proponit quod intendit. Et dicit, quod sophistae, qui
promittunt se docere politicam videntur valde longe esse ab hoc quod doceant.
Videntur enim totaliter ignorare, et qualis scientia sit politica, et circa qualia
consistat. |
|
#2172. — Ensuite (1181a12), il montre le défaut dont souffrent les sophistes. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose son intention. Il dit que les Sophistes, qui promettent d'enseigner la politique, sont manifestement trop loin de ce qu'ils enseignent. Manifestement, en effet, ils ignorent totalement à la fois quelle sorte de science est la politique, et sur quelles sortes d'[objets] elle porte. |
[74875] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 10 Secundo ibi: non enim
utique etc., ostendit propositum per signa. Et primo quantum ad hoc quod
dixerat eos nescire quale quid est. Si enim hoc scirent, non ponerent quod
politica esset eadem cum rhetorica vel potius peior quam rhetorica: rhetorica
enim potest persuadere tam circa laudes et vituperia alicuius personae quam
in consiliis quam etiam in iudiciis, secundum triplex genus causae;
demonstrativum, deliberativum et iudiciale. Sed secundum istos, politica
persuasiva est solum in iudiciis. Reputant enim illos esse bonos politicos,
qui sciunt inducere leges ad aliquod iudicium. |
|
#2173. — En second (1181a14), il montre son propos par des signes. En premier, quant à ce qu'il avait dit qu'ils ne savent pas quelle nature elle a. S'ils le savaient, en effet, ils ne prétendraient pas que la politique soit la même [chose] que la rhétorique. La rhétorique, en effet, peut persuader autant sur les louanges et les blâmes que mérite quelqu'un, que dans les conseils et que dans les jugements, selon le triple genre de cause: démonstratif, délibératif et judiciaire. D'après eux, pourtant, la politique ne persuade que dans les jugements. Car ils réputent comme bons politiciens ceux qui savent user des lois pour un jugement. |
[74876] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 11 Secundum signum ponit
quantum ad hoc quod dixerat, eos nescire circa qualia sit politica. Si enim
hoc scirent, non existimarent, quod facile esset ponere leges, secundum legis
positivam quae est principalis pars politicae, per hoc scilicet quod ad
ponendum leges sufficit, quod aliquis congreget diversas leges approbatas, et
eligat optimas earum, et illas instituat. |
|
#2174. — Il présente un second signe, quant à ce qu'il avait dit qu'ils ne savent pas sur quelle sorte d'[objets] porte la politique. S'ils le savaient, en effet, ils ne penseraient pas qu'il soit facile d'établir des lois, selon la législative, qui est la partie principale de la politique, et qu'il suffise, pour établir des lois, de comparer différentes lois déjà approuvées, de choisir les meilleures d'entre elles et de les instituer. |
[74877]
Sententia Ethic., lib. 10 l. 16 n. 12 In quo quidem quantum ad duo
peccant. Uno modo quantum ad hoc quod ponunt, quod congregare leges et
eligere optimas earum sit sufficiens ad hoc quod fiat legispositivus, cum per
legispositivam aliquis non solum debeat iudicare de inventis legibus, sed
etiam novas adinvenire ad similitudinem aliarum artium operativarum. Medicus
enim non solum habet iudicium de remediis adinventis ad sanandum, sed etiam
nova remedia adinvenire potest. Alio modo quem tangit primo praetermisso.
Quia hoc non est facile, quod aliquis eligat optimas leges, sicut electione
non pertinente ad solum intellectum, et iudicio recto existente quodam
maximo, sicut patet etiam in musica. |
|
#2175. — En quoi, certes, ils se rendent fautifs sous deux [aspects]. Sous un premier aspect, en prétendant que comparer des lois et choisir les meilleures d'entre elles suffise pour devenir législateur; car, avec la législative, on ne doit pas seulement juger de lois déjà découvertes, mais aussi en découvrir de nouvelles, à la similitude des autres arts d'action. Le médecin, en effet, non seulement juge des remèdes déjà découverts pour soigner, mais aussi il peut découvrir de nouveaux remèdes. Sous un autre aspect, qu'il touche en mettant le premier de côté, parce qu'il n'est pas facile de choisir les meilleures lois, car le choix n'appartient pas à la seule intelligence et le jugement droit constitue une excellence, comme il appert aussi en musique. |
[74878] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 13 Illi enim qui sunt
experti circa singula, habent rectum iudicium de operibus, et intelligunt per
quas vias et qualiter huiusmodi opera perfici possunt, et qualia opera
qualibus personis vel negotiis concordent. Sed rationabile est quod
inexpertos lateat, utrum bene vel male fiat opus secundum quod inveniunt
traditum in Scriptura. Latet enim eos applicatio eius quod in Scriptura
inveniunt, ad opus. Leges autem instituendae assimilantur operibus politicis.
Instituuntur enim quasi regulae politicorum operum. Unde illi, qui nesciunt
qualia sunt opera convenientia, non possunt scire quales sunt leges
convenientes. |
|
#2176. — Ceux, en effet, qui détiennent l'expérience du singulier, portent un jugement droit sur les actions, et comprennent par quelles voies et comment on peut mener à terme des actions de la sorte, et quelles sortes d'actions s'harmonisent à quelles sortes de personnes ou d'affaires. Mais il est raisonnable qu'échappe aux gens dépourvus d'expérience si telle action est bien ou mal faite, confrontée à ce qu'ils ont trouvé traité par écrit. En effet, l'application à l'action leur échappe, de ce qu'ils trouvent par écrit. Or les lois à instituer s'assimilent aux actions politiques, car elles sont instituées comme des règles des actions politiques. Aussi, ceux qui ne savent pas de quelles sortes sont les actions qui conviennent ne peuvent savoir quelles lois conviennent. |
[74879] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 14 Sic igitur ex legibus
congregatis non potest aliquis fieri legispositivus vel iudicare quales leges
sint optimae, nisi habeat experientiam. Sicut etiam non videtur homines posse
fieri bene medicantes per sola scripta remedia; quamvis illi qui tradunt in
scriptis illa remedia, conentur ponere non solum curas, sed etiam modos
sanandi et qualiter oporteat distribuere remedia ad singulas habitudines
hominum. Sed tamen omnia haec videntur esse utilia solis expertis. Illis
autem qui nesciunt singularia, propter inexperientiam videntur esse inutilia.
|
|
#2177. — Ainsi donc, en partant de la comparaison des lois, on ne peut devenir législateur, ou juger quelles sont les meilleures lois, si on n'a pas d'expérience. Comme aussi on ne peut manifestement pas devenir bon médecin en prenant connaissance des seuls remèdes écrits, même si ceux qui décriivent par écrit ces remèdes s'efforcent de présenter non seulement les traitements, mais aussi les manières de soigner, comment il faut adapter les remèdes aux situations singulières des gens. Tout cela, cependant, ne paraît utile qu'au seul expert, tandis que pour ceux qui ne connaissent pas les singuliers, à cause de leur inexpérience, cela semble inutile. |
[74880] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 15 Tertio ibi: forte igitur
etc., concludit ex praemissis exclusionem cuiusdam erroris quo aliquis posset
opinari quod congregatio legum scriptarum esset omnino inutile. Et dicit,
quod sicut dictum est se habere circa remedia medicinalia conscripta, ita
etiam se habet in proposito; scilicet quod congregare leges et politias,
idest ordinationes civitatum diversarum, utile est illis, qui propter
consuetudinem possunt considerare et iudicare, quae opera vel leges bene vel
male se habeant et qualia qualibus congruant. Sed illi qui non habent habitum
per consuetudinem acquisitum, et volunt tales conscriptiones pertransire, non
possunt de talibus bene iudicare nisi casualiter; fiunt tamen magis dispositi
ad intelligendum talia, per hoc, quod transcurrunt leges et politias
conscriptas. |
|
#2178. — En troisième (1181b6), il conclut, de ce qui a été présenté, l'exclusion d'une erreur, selon laquelle on pourrait penser que la comparaison des lois écrites serait tout à fait inutile. Il dit que, comme on a dit (#2177) qu'il en allait pour les remèdes médicinaux enregistrés, de même aussi en va-t-il pour notre propos: comparer des lois et des constitutions, c'est-à-dire l'ordonnance de différentes cités, est utile à ceux qui, grâce à leur accoutumance, peuvent considérer et juger quelles actions ou lois se trouvent bonnes ou mauvaises, et quelles sortes de [choses] conviennent à quelles sortes de [gens]. Mais ceux qui n'ont pas d'habitus acquis par accoutumance et veulent parcourir de tels enregistrements ne peuvent en juger bien, sauf par hasard. On devient cependant mieux disposé à comprendre de telles [matières] du fait de parcourir des lois et des constitutions écrites. |
[74881] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 16 Deinde cum dicit
relinquentibus igitur etc., promittit se docturum qualiter aliquis fiat
legispositivus. Et primo ostendit hoc sibi imminere. Et dicit, quod ex quo priores,
idest sapientes, qui ante ipsum fuerunt, reliquerunt non bene perscrutatum
illud, quod pertinet ad legis positionem: melius est quod nos ipsi intendamus
ad tractandum de legis positione, et universaliter de tota politia, cuius
pars est legis positiva, ut sic perficiamus philosophicam doctrinam ad
potentiam, id est scientiam operativam, quae est circa humana, quam
secundum hoc ultimo tradidisse videtur. |
|
#2179. — Ensuite (1181b12), il se propose de dire de quelle manière on devient législateur. En premier, il montre que c'en est bientôt le temps. Étant donné, dit-il, que les anciens, c'est-à-dire les sages qui l'ont précédé, ont laissé sans traitement adéquat ce qui concerne la législative, il vaut mieux essayer nous-mêmes de traiter de la législative et, universellement, de toute la constitution, dont la législative est une partie, de façon à compléter l'enseignement philosophique avec la politique, c'est-à-dire avec la science de l'action, qui porte sur les [affaires] humaines, car il semble que c'est pour cela qu'on en a traité en dernier. |
[74882] Sententia Ethic., lib. 10 l. 16
n. 17 Secundo ibi: primum
quidem igitur etc., ostendit quo ordine hoc executurus sit. Et dicit, quod
primo tentabit pertranseunter tangere si quid in parte bene dictum est circa
politicam a progenitoribus, idest a prioribus sapientibus. Quod faciet
in secundo politicae. Deinde ex diversis politiis considerabit quales
politiae salvant civitates, scilicet politiae rectae, quae sunt regnum,
aristocratia et politia, et quales corrumpunt, scilicet perversae politiae,
quae sunt tyrannis, oligarchia et democratia. Et iterum considerandum est
qualia conservent vel corrumpunt singulas politias et propter quas causas
quaedam civitates bene agunt civiliter, quaedam autem male. Et hoc
determinabit a tertio libro politicae usque ad septimum: ubi post praedicta
considerata incipit conspicere, qualis sit optima politia, et qualiter debeat
esse ordinata, et quibus legibus et consuetudinibus utatur. Sed ante omnia
haec ponit quaedam principia politicae in libro I, a quibus dicit se
incepturum. Quod quidem est continuatio ad librum politicae et terminatio
sententiae totius libri Ethicorum. |
|
#2180. — En second (1181b15), il montre dans quel ordre cela devra se faire. Il dit qu'en premier, il tentera de vérifier rapidement si les aïeux, c'est-à-dire les sages antérieurs, ont dit quelque chose de partiellement bien sur la politique. Il le fera au second [livre] de la Politique. Ensuite, à partir des différentes constitutions, il considérera quelles sortes de constitutions sauvegardent les cités, c'est-à-dire les constitutions droites, qui sont le règne, l'aristocratie, et la politique; et quelles sortes [la] compromettent, à savoir, les constitutions perverses, qui sont la tyrannie, l'oligarchie et la démocratie. Il faudra considérer encore quelles sortes conservent ou compromettent chacune des constitutions, et pour quelles causes certaines cités agissent bien, civilement, et d'autres mal. Il en traitera du troisième livre de la Politique jusqu'au septième. Alors, après les considérations précédentes, il commence à regarder de quelle sorte est la meilleure constitution, et comment elle doit s'ordonner, et de quelles lois et accoutumances elle use. Mais avant tout cela, il présente, au premier livre, certains principes de la politique par lesquels il dit qu'il va commencer. Voilà qui rattache au livre de la Politique, et termine tout le livre de l'Éthique. |
[1] Considerare.
Saint Thomas fait un usage abondant de ce mot qui nomme de manière très
commune l'acte dans lequel la raison se représente son objet, sans précision de
son intention, spéculative ou pratique, ni de son mode résolutif ou compositif.
Il est difficile de se fixer sur un mot français unique qui ne soit pas plus
précis. Aussi la traduction variera-t-elle dans les lignes suivantes: observer,
penser, opérer, réfléchir.
[2] Intellectus
appetitivi. On doit lire appetitus intellectivi, comme on lit, un
peu plus haut, appetitu rationali.
[3] Politicarum.
“Politiarum”?
[4] Honestum
[5] Quel
est le sens de cette remarque?
[6] Studiosum quasi studio dignum.
[7] Le
commentaire étouffe quelque peu l'exemple d'Aristote; il vaudrait mieux lire:
«comme le médecin qui guérit les yeux doit s'intéresser à tout le corps».
[8] Humains,
plutôt qu'extérieurs ? On dirait ici une distraction de copiste, la
ligne précédente parlant de biens extérieurs.
[9] Parvificentia.
[10] De fait,
le terme aristotélicien, (de , abîme et caínw,
s'entrouvrir), réfère plutôt au manque de consistance de l'objet dont
l'extérieur gonflé cache un intérieur plein de trous et d'espaces vides. Il n'y
a aucun rapport étymologique avec les termes donnés ensuite par saint Thomas. 4 , brûlure. 5 , fumée. 6 , fumeux. 7Philotimus, de , amoureux de l'honneur. 8Aphilotimus,
de , indifférent à l'honneur.
[11] Eutrapelus,
de , au sens de bien tourné, en toutes circonstances. 10Un farceur. 11 . 12 . Le terme est difficile à traduire, même en latin. La
translittération de Moerbeke est assez maladroite: elle inverse les deux
derniers éléments, et , et elle prend le pour un . En somme, il s'agit d'une
disposition qui porte à se réjouir du mal qui arrive à autrui. Bien que ce soit
assez courant, on n'a pas en français de terme
[12] adéquat. Malveillance,
comme traduit Tricot, nomme plutôt un antécédent de cette disposition que la
disposition elle-même.
[13] Studiosus,
en traduction de
[14] Traduction du texte d'Aristote : Eschyle fut accusé devant l'Aréopage d'avoir révélé les secrets des Mystères: il se défendait en disant qu'il n'était pas initié et que par conséquent il avait dit ce qui lui était venu à la bouche sans savoir que c'était un secret: il fut acquitté." Cf. Ethique à Nicomaque, Gauthier et Jolif.
[15] Son nom
grec: , prise [d'une chose] avant [une autre].
[16] En tenant compte du sens des mots: terreur, épouvante, effroi, peur crainte, etc.
[17] Ce n’est pas le lieu de clarifier tout ce vocabulaire, puisqu'il s'agit de l'objet d’une autre vertu du moins chez saint Thomas.
[18] C'est-à-dire, quant à la nature commune.
[19] Illiberalitas. Sans le faire jusque dans la formation
matérielle du mot, en usant d'un préfixe privatif, parcimonie nomme
quand même le vice le plus opposé à la libéralité à partir de son opposition
même; autant libéralité connote le détachement, autant parcimonie —
de parcere : «sens premier ‘retenir, contenir’ (Ernout-Meillet, 482) —
connote l'attachement. Cette étymologie permettra à la traduction de ne pas
trop jurer, plus bas (voir #705), quand saint Thomas signalera «que l'on nomme
avec raison la parcimonie à partir de son opposition à la libéralité». 2Copulamus. 3Substantia, . Les deux termes combinent le sens de
substance, c'est-à-dire, l'être, l'essence, la personne même, et de patrimoine,
c'est-à-dire, ces biens et cet avoir nécessaires pour l'entretien de la vie.
[20] 4Parci,
donné en traduction de . Les deux mots nomment le parcimonieux en renvoyant à
l'idée de petitesse; a été rapproché de findo, ce qui suggère qu'on
perçoit le parcimonieux comme quelqu'un qui coupe toujours sur ce dont il disposerait
pour donner, qu'il le fend en sa plus petite partie. Chiche a une
étymologie comparable; tiré de , qui, en grec tardif, désigne le zeste, tout
petit morceau de la pelure d'un fruit amer, il image bien combien le
parcimonieux donne petit. 5Tenaces, . Les deux mots attachent au parcimonieux
l'image d'un être gluant, auquel son argent colle comme une saleté, une crasse
indécrottable. On retrouve quelque chose de cela dans ladre, qui —
d'après Lazare, le pauvre de l'évangile — nomme d'abord un lépreux, à qui on ne
peut enlever ses plaies, et dans sordide (de sordes, saleté),
aussi fondu dans le plus bas intérêt qu'un miséreux dans sa saleté. 6Cymibiles,
. Pour traduire rigoureusement, il aurait fallu donner, en translittération,
quelque chose comme cumibles. J'ai préféré revenir au terme grec, plus
éclairant que l'étymologie fantaisiste que propose saint Thomas, sans doute
conduit par la version latine à faire une association avec un terme qui
intervient plus loin (1121b27): , scieur de cumin — traduit cyminivenditor,
au lieu de cuminisector. nomme un insecte grignoteur qui n'abandonne
rien de comestible, même sur le bois. Avare, de l'ancien français avere,
désirer vivement, renvoie bien à cet autre aspect du parcimonieux, de ne
pouvoir se délester de rien sans rétribution. On ne peut d'ailleurs oublier ce
mot, dans l'énumération des termes principaux par lesquels on désigne le
parcimonieux. 7Le même cymibiles, dont saint Thomas
semble maintenant faire un singulier, donné maintenant en traduction de . Voir
la note précédente. Le scieur de cumin, qui va jusqu'à scier en deux un grain
de cumin, pour arriver au compte juste avec ce qu'on lui paie, fournit un
saisissant patronyme du parcimonieux le plus extrême.
[21] En grec et
en latin, l'opposition est marquée jusque dans la formation du mot, le vice
portant simplement le nom de la vertu surtout modifié par un préfixe privatif:
, en opposition à , illiberalitas, en opposition à liberalitas. Voir,
supra, note 1, au #654.
[22] Sumptus.
Tout à fait synonyme de expensae. Je traduirai par frais,
quand saint Thomas donne les deux termes et dans la mesure où le contexte ne
fait pas trop artificiel de ne pas simplement dire dépenses.
[23] 10Parvificentia,
. Il n'y a pas, en français, de vocable spécialement imposé à ce vice, indépendamment
de la parcimonie, i.e. de l'opposition à la libéralité. Petitesse et médiocrité,
quant à eux, n'étant pas assez précis, renvoient plus spontanément au vice
opposé à la magnanimité. 11Bannausia, , qualité attachée aux réalisations de peu de
goût d'une personne peu cultivée. 12 signifie
effectivement fourneau, mais son implication dans l'étymologie de est
hypothétique. De toute manière, l'usage qu'en fait saint Thomas est quelque peu
fantaisiste; si de fait vient de , cela est en lien avec son premier sens de travail
manuel, lequel fait usage d'un four. Le mot en vient à nommer la vulgarité,
le manque de goût dans les grandes dépenses, par analogie avec la façon
déplacée dont l'artisan peu éduqué applique ses plus grands frais.
[24] Praeparationes,
. Le terme grec désigne toute espèce d'aménagement, de la construction
d'édifices, et, par exemple, de temples, à leur équipement mobilier.
[25] 14Inops, ,
le pauvre, celui qui doit même s'astreindre à travailler pour assurer sa vie.
[26] Voir supra,
notes, #711.
[27] Insipiens,
contraire du sapiens, le sage. Il n'y a malheureusement pas, en
français, de nom de même racine pour le contraire du sage.
[28] 17Formosi. 18Pulchri. En français, beau a un sens plus large,
et j'ai dû, pour rendre le sens, l'accompagner d'un adverbe qui en fait sentir
le caractère superlatif dans le contexte. 19Chaymus, , dont l'imposition de sens est très voisine de
celle de vanus, nommant le défaut de celui qui se prend à tort pour
quelqu'un de grande valeur à partir de l'idée du vide, du poreux, du béant. Chaymus,
peut-être par association à , fumée, ou à , fumant, imagine une
représentation du vaniteux inspirée de la fumée.
[29] 20Beneficia.
[30] 21Otiosus,
en traduction d' .
[31] 22Chaymus. Voir,
supra, la note au #739.
[32] Inirascibilitas, .
[33] Mansuetudo, . Les deux termes dénotent d'abord,
chez les animaux, l'idée d'apprivoisement et, en latin, de domptage, comme
l'indique l'étymologie apportée par saint Thomas. Le terme paraît donc
davantage convenir à l'absence de colère plutôt qu'à la colère ressentie
correctement. Le terme français, qui, de son côté, tiré du latin dulcis,
apparente celui qui ne se fâche pas à un goût faible ou sucré, se prête aussi
aux remarques d'Aristote et de saint Thomas comme quoi on tend à nommer cette
vertu par un mot qui connote plus spontanément le manque que le milieu.
[34] 25Acrocholi,
, de , qui désigne la bile, avant de nommer la colère, et d' , extrême. En
français, supercolérique a même sens, à peu près même étymologie,
l'aspect extrême connoté par se rendant assez bien par super.
[35] Placidi,
. L'étymologie des deux termes connote le plaisir; il s'agit de gens qui se
conduisent comme avec la règle absolue qu'il ne faut procurer que du plaisir à
ses congénères.
[36] Dyscoli,
.
[37] 28Litigiosi,
.
[38] 29Blanditor sive adulator, .
[39] Iron, . L'image de départ est l'idée de diminuer, de
rapetisser. On ne peut dire simplement ironique, en français, puisque
l'ironie s'est spécialisée à l'ironie socratique, qui rapetisse en matière de
connaissance: on fait semblant, en questionnant un autre, de ne pas savoir ce
que de fait l'on sait. On pourrait dire réticent, en partant du fait de
taire obstinément des choses que l'on devrait dire.
[40] 30Jactantia,
. Le mot latin image ce vice par l'action de lancer sans cesse des choses
devant soi, tandis que le mot grec renvoie au comportement peu distingué d'une
tribu thrace, les . En français, on a dérivé vantardise du latin
ecclésiastique vanitare, action d'exercer sa vanité.
31Fictio, .
33Autocastos, , qui désigne que chacun soit lui-même.
Franc nomme plus par opposition au vice par manque, à partir d'une certaine
liberté de mouvement et de parole, comme en niant toute inclination à
dissimuler.
[41] 34Autophastos,
translittération plus travaillée, qui suppose, au lieu de , un adjectif
rattaché à , en rapport avec la manière dont on se montre. Sincère — sine
cera, sans cire — nomme à partir de la simplicité, de l'absence de mélange
avec une substance étrangère à soi.
[42] 36Blatopanurgi,
. désigne la personne très adroite, trop adroite, peut-être, jusqu'à la
fourberie, et précise que son adresse porte sur l'affectation, la réticence, la
tendance à se faire prier.
[43] De fait, , d'étymologie inconnue, est un
terme populaire appliqué à l'efféminé, au maniéré, qui se conduit et s'abaisse
comme une courtisane.
[44] 35Videntur habere mores gratiosiores, .
38Ludus, . L'un et l'autre mot désigne toute
action non sérieuse, faite sans autre motif que le plaisir qui l'accompagne; le
terme grec attache cette notion à l'activité de l'enfant, distincte de celle de
l'adulte justement du fait de n'être pas ordonnée à une fin sérieuse. Jeu dérive
de jocus, qui a d'abord désigné plus spécialement les paroles non
sérieuses, avant de remplacer ludus, jusque dans les langues romanes,
pour désigner tout divertissement, en action ou en parole.
[45] Derisio, , ce qui prête à rire.
[46] 45Epydexiotis,
. Saint Thomas paraît avoir interprété le terme abstrait pour le concret.
L'aptitude à bien faire les choses est nommée à partir du fait que l'on se
trouve à droite, ou tourné vers la droite. On a une étymologie
comparable avec adresse. Des mots davantage réservés à marquer la
dextérité ici concernée seraient doigté, tact. 46Modestus,
. Les deux termes impliquent l'idée de mesure, de convenance.
47Liberalis, .
48Saint
Thomas paraît passer à côté du signe présenté par Aristote, du progrès moral
observable des comédies anciennes, où on faisait rire avec de la grossière
obscénité, aux comédies nouvelles, où on fait rire avec de fines allusions.
[47] C'est-à-dire, avoir maîtrise et pouvoir sur la
connaissance de la vérité ou sur l'action. 2On
dirait qu'ici, saint Thomas prend l'appétit au sens restreint de l'appétit
sensible, puisqu'il l'exclut comme le sens de la maîtrise de l'action
(d'ailleurs, comme le sens, l'appétit sensible est déjà présent chez la brute,
qui n'agit pas), tandis qu'Aristote le prenait de manière assez large pour
recouvrir aussi l'appétit rationnel, puisqu'il lui assigne une fonction dans la
maîtrise de l'action humaine.
[48] 4 3Proponatur. Dans
ce contexte, proposer est pris au sens de procurer la majeure, la
conception universelle appelée à donner toute sa force au raisonnement. Dans la
suite du paragraphe, ponere et assumere, traduits assumer,
sont pris tout aussi techniquement pour l'énoncé de la mineure, qui range sous
la majeure ce à quoi on pense comme un cas auquel l'appliquer. 4La résistance à la raison qui va entraîner l'incontinence
ne consiste pas à ce qu'à ce qu'elle sait fermement de manière universelle, la
raison oppose directement l'opinion qu'il en va autrement dans le cas en
question; plutôt, la concupiscence empêche la raison particulière de regarder
ce cas en regard de cette conception universelle; l'en distrayant, elle la
porte à le confronter plutôt à une autre notion universelle vraie, qui lui est
plus sympathique.
[49] 8Plus exactement, Aristote fait allusion à Cercyon, dans
la tragédie d'Alopé, du poète Carcinos; Cercyon, ne pouvant supporter le
fait que sa fille ait commis un adultère, se suicida. Voir Tricot, 351, note 5.
9Le texte et l'exemple d'Aristote sont difficiles
à comprendre, et de même l'interprétation de saint Thomas, qui ne paraît pas
tout à fait adéquate. Saint Thomas paraît dire qu'on n'arrive pas à chatouiller
certaines personnes, si elles se sont d'abord chatouillées elles-mêmes. Cela paraît
forcé, d'autant plus que, de l'avis d'Aristote, personne ne se chatouille
soi-même (voir Problèmes, XXXV, 6, 965a11). Selon J. Burnet, Aristote
«veut dire sans doute que les impétueux sont semblables à ceux qu'on chatouille
sans prévenir, et à qui le chatouillement n'aurait donné aucune sensation
désagréable s'ils s'y fussent attendu» (Tricot, 352). En somme, le texte
d'Aristote est plus facile à saisir, si on en accepte la variante passive: , une
fois qu'on les a chatouillés on n'arrive plus à les chatouiller. Il y a des
gens qu'on ne peut chatouiller que par surprise; alors, la seconde fois, ça ne
marche plus.
[50] 8La traduction latine induit ici saint Thomas à entendre
autre chose que ce que dit Aristote, qui émet un doute quant à l'existence de
nombreux gens de bien: , peut-être d'ailleurs n'y a-t-il pas [tant de] gens
de bien — forte autem neque bonum esset, peut-être d'ailleurs ne
serait-ce pas bon.
[51] 10Coaetanei. 11Connutriti, littéralement: nourris ensemble. En
latin, la nutrition sert de patronyme à tous les services par lesquels des
parents aident leurs enfants à devenir des adultes accomplis; ainsi, des gens
nourris ensemble sont des gens éduqués ensemble. Voir, infra, #1691:
«Educando est sibi causa nutrimenti.»
[52] 13Politicae communicationes. À cause de la traduction sur laquelle il s'appuie, saint
Thomas garde le même vocabulaire et continue à parler de relation politique,
alors qu'Aristote, lui, qui parlait de dans le chapitre précédent, parle ici de
, de constitutions. Cela a l'intérêt de nous faire regarder la
constitution comme la définition de la relation, ou communauté, politique. 14Regnum. 15Civilitas. 16Pretium. S.
Thomas confond ici deux aspects de la troisième constitution. Aristote
caractérise celle-ci par le cens, c'est-à-dire, par l'égalité politique
reconnue à tous les citoyens qui s'acquittent du cens, espèce d'impôt fixé de
façon qu'on prouve son aptitude à servir la cité. S. Thomas confond ici ce cens
avec une mesure qui devient nécessaire dans ce régime, si l'on veut assurer que
tous les censitaires puissent participer au gouvernement: que l'on récompense
la présence des pauvres par un salaire et que l'on punisse l'absence des riches
par une amende. 17Politica. De fait, on dit plus communément politia, de , ou
l'on traduit respublica, république.
[53]Conservatio.
[54]Dissolutio.
[55]Modus.
[56]Kedea, kÆdh. De fait, Aristote parle plutôt des funérailles, amenant
ainsi un autre exemple, mais le terme dont il use peut aussi désigner la
parenté par alliance, ce qui explique
le quiproquo.
[57]Amicabilia.
[58]E`Îripow, détroit entre l'Eubée et la Béotie, renommé
pour l'agitation de ses flots.
[59]Le proverbe cité par Aristote (1168b8) — gÒnu
knÆmhw ¶ggion — dit plutôt
que «le genou est plus près que la jambe». «Ce proverbe signifie qu'il faut
d'abord aller au plus près. Or le plus près de moi, c'est moi.» (Tricot, 476,
note 8)
[60]Philautus, filaÊtow.
[61]«Cum daemon aliquid boni dat, non est opus
amicis.» Aliquid boni dat paraît
faible, en regard de la traduction est
généreux, mais la formule de saint Thomas affaiblit de fait la lettre
aristotélicienne — ˜tan ı da¤mvn eÈ did“, t¤ de› f¤lvn; quand le
démon donne bien, à quoi bon des amis? —, même dans la traduction latine dont disposait saint
Thomas: bene det. Le jeu de mots est
à noter ici. Le bonheur se dit eÈdaimon¤a, comme si on le comprenait comme dépassant les forces de
l'homme et, par conséquent, comme le don, la bonne action d'un démon, d'un
génie plus puissant que l'homme. Ainsi, dire: si le démon donne bien, c'est dire, sous une forme étymologique: si on est heureux.
[62]Eligibile, aflretÒn. Littéralement, c'est l'objet de son choix normal, donc,
ce qu'il y a de mieux, de plus désirable.
[63]Saint Thomas prend à rebours l'exemple présenté
par Aristote. «MÆte polÊjeinow mÆtÉ êjeinow», cela signifie Ni
très hospitalier, ni inhospitalier, et constitue un exemple plus approprié:
de même qu'il ne faut pas recevoir trop d'hôtes, pour rester à même de bien
s'en occuper, de même il ne faut pas non plus avoir trop d'amis.
[64]Un contresens, apparemment. Aristote dit plutôt
que ce sont les amitiés à deux sur lesquelles on chante des hymnes.
[65]Communicatio.
[66]Où Aristote mentionne Théognis, poète gnomique,
comme patronyme des gens de bon conseil, saint Thomas semble avoir lu texnÆ, art.