Lettre sur la légitimité du recours à l'astrologie
De iudiciis astrorum
Du même Docteur Saint Thomas,
sur le jugement des astres.
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
2010
Relue et corrigée par Bernard
Lauret
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
Prooemium [69900] De iudiciis astrorum, pr. Quia petisti ut tibi scriberem an liceret
iudiciis astrorum uti, tuae petitioni satisfacere volens, super ea quae a
sacris doctoribus traduntur, scribere curavi. |
Prologue Puisque tu m’as demandé
de t’écrire <pour te faire savoir> s’il était permis de faire appel à
la consultation des astres, j’ai pris soin de t’écrire, voulant satisfaire à
ta requête, sur ce que les saint docteurs nous ont transmis. |
[69901] De
iudiciis astrorum, co. In primis
ergo oportet te scire, quod virtus caelestium corporum ad immutanda inferiora
corpora se extendit. Dicit enim
Augustinus, V de civitate Dei: non usquequaque absurde dici potest, ad
solas corporum differentias afflatus quosdam sidereos pervenire. Et ideo
si aliquis iudiciis astrorum utatur ad praenoscendum corporales effectus,
puta tempestatem et serenitatem aeris, sanitatem vel infirmitatem corporis,
vel ubertatem et sterilitatem fructuum, et cetera huiusmodi quae ex
corporalibus et naturalibus causis dependent, nullum videtur esse peccatum. |
(7) Il te faut donc savoir tout d'abord que la force
brute des corps célestes s'étend à la motion des corps inférieurs. Saint
Augustin dit en effet, dans le cinquième livre de la Cité de Dieu: Il n'est pas
absolument absurde de dire que certains souffles <venus> des astres
peuvent parvenir à opérer des changements physiques (corporels)[2].
C'est la raison pour laquelle il semble n'y avoir aucun péché dans le cas où quelqu'un recourt au
jugement des astres pour connaître à l'avance certains effets sur les corps,
comme par exemple une tempête ou un temps serein, la santé ou la faiblesse
d'un corps, la fécondité ou la stérilité des fruits ainsi que d'autres choses
de cette sorte et qui tombent sous le coup de causes physiques et naturelles. |
Nam omnes homines
circa huiusmodi effectus aliqua observatione utuntur caelestium corporum:
sicut agricolae seminant et metunt certo tempore, quod observatur secundum
motum solis; nautae navigationes vitant in plenilunio, vel in lunae defectu;
medici circa aegritudines criticos dies observant, qui determinantur secundum
cursum solis et lunae. |
(8) En vérité, tous les hommes recourent à une certaine
observation des corps célestes en vue de connaître des effets de cette sorte:
ainsi les agriculteurs sèment et moissonnent à des périodes précises d'après
l'observation du mouvement du soleil; les marins évitent de naviguer durant
la pleine lune ou les nuits sans lune; les médecins examinent les maladies à
des jours critiques, déterminés par le cours du soleil et celui de la lune.
Il n'y a donc pas d'inconvénient à utiliser, concernant des effets physiques
(corporels) l’observation des astres selon quelques autres observations plus
cachées. |
Unde non est
inconveniens secundum aliquas alias occultiores observationes stellarum circa
corporales effectus uti astrorum iudicio. Hoc autem omnino tenere oportet,
quod voluntas hominis non est subiecta necessitati astrorum; alioquin periret
liberum arbitrium: quo sublato non deputarentur homini neque bona opera ad
meritum, neque mala ad culpam. Et ideo certissime tenendum est cuilibet
Christiano, quod ea quae ex voluntate hominis dependent, qualia sunt omnia
humana opera, non ex necessitate astris subduntur: et ideo dicitur Ierem. X,
2: a signis caeli nolite metuere, quae gentes timent. |
(9) Mais il faut absolument maintenir que la volonté de
l'homme n'est pas sujette à la nécessité propre aux astres, sans quoi c'en
serait fini du libre arbitre. Et sans celui-ci, les bonnes actions ne
seraient pas méritoires pour l'homme et il n'y aurait pas de culpabilité à
commettre le mal. C'est pourquoi tout chrétien doit tenir avec une totale
certitude que ce qui dépend de la volonté de l'homme - toutes les œuvres humaine
sont de cette espèce - n'est pas soumis à la nécessité propre aux astres.
Voilà pourquoi on peut lire chez Jérémie: Ne
redoutez pas les phénomènes du ciel que craignent les nations [3]. |
Sed Diabolus ut
omnes pertrahat in errorem, immiscet se operibus eorum qui iudiciis astrorum
intendunt. Et ideo Augustinus dicit in II super Gen. ad litteram: fatendum,
quando ab astrologis vera dicuntur, instinctu quodam occultissimo dici, quem
nescientes humanae mentes patiuntur: quod cum ad decipiendos homines fit, spirituum
immundorum et seductorum operatio est; quibus quaedam vera de temporalibus
rebus nosse permittitur. Et ideo Augustinus dicit in II de doctrina
Christiana, quod huiusmodi observationes astrorum referendae sunt ad quaedam
pacta cum Daemonibus habita. |
(10) Mais le diable, afin d'induire tout le monde en
erreur, s'immisce dans les oeuvres de ceux qui se tournent vers la
consultation des astres. C'est pourquoi saint Augustin, dans son Commentaire
littéral sur la Genèse, dit qu'il faut reconnaître que, lorsque les
astrologues disent des choses vraies, c'est en raison de quelque influence
très occulte que les esprits humains subissent à leur insu; et lorsque cela
se produit avec l'intention de tromper les hommes, c'est l'œuvre des esprits
impurs et séducteurs, à qui il est permis d’avoir certaines connaissances
vraies des réalités temporelles [4].
C'est pour cette raison que saint Augustin dit encore dans le deuxième livre
de son traité Sur la doctrine
chrétienne que des observations des astres de cette espèce se rapportent
à certains pactes conclus avec les démons [5]. |
Est autem omnino
Christiano vitandum pactum vel societatem cum Daemonibus habere, secundum
illud apostoli, I Corinth. X, 20: nolo vos fieri socios Daemoniorum.
Et ideo pro certo tenendum est, grave peccatum esse, circa ea quae a
voluntate hominis dependent, iudicio astrorum uti. |
(11) Mais le chrétien doit absolument éviter de conclure
un pacte ou de s'associer avec des démons, selon cette parole de l'Apôtre: Je ne veux pas que vous deveniez associés
des démons [6]. Il faut donc tenir pour certain [7]
que le recours à la consultation des astres au sujet de ce qui dépend de la
volonté de l'homme est un péché grave. |
Notes
(14) [1] Le destinataire de cette
lettre n'est pas identifié. Le ton familier employé par saint Thomas nous
autorise cependant à penser qu'il s'agissait d'un de ses confrères, mais il
reste que les manuscrits ne nous apprennent rien à ce sujet.
(15) [2] La Cité de Dieu, V,
6.
(16) [3] Jer. X, 2.
(17) [4] Comm. litt. sur la Genèse,
II, 17.
(18) [5] Sur la doctrine
chrétienne, II, 23.
(19) [6] I Co. X, 20. Il faut remarquer avec quelle insistance, quelle fermeté et quelle vigueur saint Thomas exhorte le destinataire de la lettre à ne pas recourir à la consultation des satres en vue d'acquérir la connaissance des affaires humaines à venir: "Il faut absolument maintenir (omnino tenere oportet) que la volonté de l'homme n'est pas sujette à la nécessité <propre au cours> des astres"; "Tout chrétien doit tenir avec une totale certitude (certissime tenendum)"; "Le chrétien doit absolument éviter (omnino [...] vitandum) de conclure un pacte ou de s'associer avec des démons" et enfin: "Il faut donc tenir pour certain (pro certo tenendum est) que etc."