SUR LES USURES EN GÉNÉRAL ET SUR
LES CONTRATS USURAIRES
SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE
OPUSCULE 72
(Œuvre authentique)
Traduction Abbé Védrine, Editions Louis Vivès, 1857
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2004
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
PREMIÈRE PARTIE: CE QU'EST L'USURE_
CHAPITRE I: Ce que l’on entend par usure.
CHAPITRE II: De la matière propre de l’usure, de ses
espèces et de ses modes.
CHAPITRE III: Comment il a usure per se dans le seul acte
du prêt
CHAPITRE IV: Comment l’usure est un péché mortel suivant
la loi de Dieu?
CHAPITRE V: Comment suivant la loi divine, le domaine ne
se transfère pas dans l’usure?
DEUXIÈME PARTIE: LE MAL DANS L'USURE
CHAPITRE VIII: Comment la malice de l’usure affecte en général
les contrats de vente et d’achat.
CHAPITRE IX: Comment se trouve l’usure dans l’achat des
revenus à vie.
CHAPITRE IX (suite): Comment si est permis d’acheter des
revenus pour un temps déterminé.
CHAPITRE X: Comment sont coupables d’usure ceux qui
vendent plus cher à cause du retard du payement.
CHAPITRE XIII: Comment se commet l’usure dans le change.
TROISIÈME PARTIE: RÉPARER CE MAL …_
CHAPITRE XV: Comment et pourquoi on doit restituer les
profits usuraires.
CHAPITRE XVI: A qui doit-on restituer?
CHAPITRE XVII: Qui sont ceux qui sont obligés à
restitution.
CHAPITRE XVIII: Comment il faut restituer et dans quel
ordre.
CHAPITRE XIX: Comment on doit rendre la même chose ou une
chose équivalente.
CHAPITRE XX: Comment il faut rest4uer les fruits et
revenus de l’usure.
CHAPITRE XXI: Quels sont ceux qu’il faut contraindre
restituer, et comment le faire.
Tout homme qui n’a pas dégénéré aime la vérité, et désire la connaître avant tout. Elle se manifestera d’elle-même à celui qui la convoite cordialement et qui la cherche dans la simplicité de son coeur; Dieu qui en a fait la promesse te trompe pas, et il en fait don à ceux qui l’aiment, comme il est écrit dans le livre VI de la Sagesse: "Il prévient ceux qui le désirent, et se neutre à eux tout d’abord." Dans le livre I de l’Ecclésiastique: "Mon fils, si vous désirez la sagesse, mettez-vous à sa recherche et le Seigneur vous la donnera." C’est donc elle que j’invoque, afin qu’elle ne me laisse pas tomber, au péril de mon âme, dans les dangers et dans les filets d’autrui mais qu’elle daigne éclairer les ténèbres de mes yeux de sa propre lumière, sans laquelle nul ne peut en aucune façon atteindre la lumière de la vérité. Ainsi soit-il.
Comme dans les choses douteuses dont la vérité connue est un moyen de salut et inconnue un danger pour le salut de l’homme, il est souverainement utile de se livrer à la recherche de cette vérité; comme aussi nous avons appris que de nos jours il s’était élevé une foule de discussions parmi les savants, non sur des sujets d’histoire naturelle, mais même sur des sujets de morale, dans les quels il est dangereux d’avoir des sentiments et des opinions diverses surtout dans cette partie de la justice que les philosophes appellent commutative, et dans cette autre partie qui réprime le péché d’usure, nous nous sommes proposé en conséquence dans cet ouvrage de faire connaître la vérité en cette matière et d’éclaircir ce qui est douteux, autant que Dieu nous en rendra capable et que nos faibles moyens nous le permettront.
I. Il faut donc rechercher d’abord ce que l’on
entend sous le nom d’usure en général,
1° et de combien de manières les
savants l’entendent;
2° quelle est sa matière propre,
ses divers modes et espèces;
3° les actes humains qui en sont
l’occasion ou l’objet;
4° si elle est toujours un mal, et
ce qu’il y a de mauvais en elle;
5° de la translation des usures,
c’est-à-dire si le domaine est transféré dans l’usure;
6° si la raison du doute ou du
danger peut servir d’excuse à l’usure dans les contrats où il y a usure,
suivant certains auteurs;
7° quand est-ce que les conditions réelles ou personnelles sont une excuse pour l’usure.
II. Il faut ensuite s’occuper du mal de l’usure,
1° et d’abord comment elle
s’opère, non seulement dans le prêt, mais encore en général dans les contrats
de vente et d’achat;
2° s’il y a usure dans l’achat
des revenus à vie;
3° des riches qui vendent à
terme des forêts plus qu’elles ne valent au temps de la vente;
4° de ceux qui confient aux
autres marchands leur argent et d’autres biens, moyennant le tiers ou la moitié
du profit;
5° des biens des orphelins qui
sont confiés aux tuteurs, aux parents ou aux commerçants des villes moyen nant
un profit sauf le sort;
6° des changeurs et de
l’échange, s’il y a usure;
7° des marchands qui promettent de payer dans les foires pour leurs associés absents, parce qu’ils avaient reçu de la monnaie d’une autre espèce qui n’avait pas la même valeur dans les foires.
III. On traitera ensuite de la restitution des
usures,
1° et d’abord pourquoi;
2° à qui;
3° par qui;
4° de quelle manière, en public
ou en particulier;
5° si l’on doit restituer
numériquement les mêmes choses ou seulement l'équivale
6° s’il faut restituer les
fruits et les profits qui en sont résultés;
7° faut-il contraindre à la restitution, et comment?
Comme la science humaine procède des signes aux choses et des
sensibles aux intelligibles, ainsi que l’enseigne l’expérience et que le
confirme l’autorité des philosophes, et comme une légère erreur dans les
principes, ou l’ignorance de ces principes, produit de graves erreurs dans la
poursuite du but qu’on se propose, pour connaître la vérité sur l’usure, il
faut nécessairement comprendre d’abord ce que les auteurs entendent sous le nom
d’usure. En effet, les noms étant les signes des choses, et ne pouvant pas
faire entrer les choses elles-mêmes dans la discussion de la vérité à leur
sujet, obligés de nous servir des mots à la place des choses, il y a nécessité
de savoir ce que signifient ces noms. Suivant les grammairiens, le nom d’usure
vient d’usage, et signifie dans son premier intellect la chose acquise par r
d’une autre, comme rasure vient de raser, tonsure de tondre. Mais comme le
grammairien ne s’occupe principalement que des signes, non pas à raison des
choses qu’ils signifient, mais à cause du mode de signification qu'ils
présentent, comme par exemple, c’est tantôt par le mode de substance, tantôt le
mode d’acte, tantôt le mode d’accident de la substance, tantôt le mode
d’accident que le signe est attribué à l’acte, c'est pourquoi les physiciens se
servent plutôt des noms pour désigner des choses déterminées, dans un genre
quelconque. Aussi, comme souvent les physiciens et les logiciens n’établissent
pas des noms ayant une signification suivant le nombre des choses, parce que
l’art n’égale pas la nature, il arrive que le physicien ou le logicien
désignent plusieurs choses par un seul mot, et il se produit ainsi des
équivoques. Quelquefois, au contraire, le physicien applique à une chose
spéciale un mot qui, de sa nature, a une signification générale et universelle,
tantôt c’est par analogie, d’autres fois par contrariété; par exemple, le nom
d’apôtre veut généralement dire envoyé, et cependant le théologien, l’applique
d’une manière particulière aux envoyés spéciaux du Christ, et encore plus
particulièrement à la personne de Paul, quand il est employé seul. Nous
appelons physicien ou philosophe celui qui raisonne
sur les choses ou naturellement, ou mathématiquement, ou théologiquement. Nous
appelons logicien celui qui traite du discours ou des signes d’un manière
quelconque. Et c’est de cette manière que les philosophes naturels ou moraux et
les écrivains religieux emploient le terme d’usure, pour désigner une chose
déterminée provenant de l’usage des choses, conformément à une raison
particulière de l’usage de la chose. Or, comme par le droit naturel toute chose
qui tombe dans l’usage de l’homme produit, par la nature de cet usage, plus de
diminution que d’accroissement, et que cela se voit si en matière d’argent;
aussi on a appelé usure, pour une raison la chose qui s’acquiert par l’usage de
l’argent; c’est pourquoi les philosophes appellent cette usure acquise en
quelque sorte par l’usage de l’argent. D’où il est dit dans le Ps. XIV:
"Il n’a pas prêté son argent à usure."
Les théologiens au contraire, considérant les raisons du juste et de l’injuste, exposant d’une manière plus subtile les termes qui les dé signent, étendent largement la signification de ce terme aux accroissements qui proviennent de l’usage de toutes choses par un usage semblable, une même raison, et non pas seulement en argent. C’est pourquoi les docteurs appellent usure toute surabondance d’un chose quelconque que produit l’usage, semblable à celle qui a donné primitivement son nom à l’usure, comme il est dit dans Ezéch., XXII: "Vous avez reçu un profit et un intérêt illégitime, vous avez calomnié vos frères pour satisfaire votre avarice, et vous m’avez mis en oubli, dit le Seigneur votre Dieu." Le Prophète prend ainsi l’usure comme la surabondance d’une chose quelconque qui a le caractère de l’usure. Donc le mot usure signifie d’abord l’accroissement que produit l’argent par son usage.
Secondairement il signifie la surabondance que produit toute espèce
de chose par un usage semblable à celui de l’argent. Conséquemment, comme une
telle surabondance provient quelquefois d’un usage illégitime, d’autres fois
d’un usage légitime, le mot d’usure est pris en sens divers dans l’Ecriture.
Parfais il est pris dans un mauvais sens, quand il s’agit d’un usage
illégitime, d’autres fois il est pris dans un bon sens, quand il y a usage
légitime. Il se prend aussi de trois manières dans le bon sens,
1°
quand il est suivant la loi de la charité divine, comme dans saint Matthieu,
XXV: "Vous deviez mettre mon argent entre les mains des banquiers, afin
qu'à mon retour je retirasse avec usure ce qui est à moi."
2°
Quand il est la loi de la charité fraternelle, comme dans ce passage des
Proverbes, XXVIII: "celui qui amasse de grandes richesses par des usures
et des intérêts, les amasse pour un homme qui sera libéral envers les pauvres."
Et cet autre des Proverbes, XIX: "Celui qui a pitié du pauvre prête
au Seigneur avec intérêt."
3° Quand il est suivant la loi de la justice et de l’équité, comme dans cet endroit du Ps LXXI: "Il rachètera leurs âmes des usures et de l’iniquité, etc."
Dans le premier sens, sous te nom d’usure est désignée la surabondance des récompenses dans la vie future, par rapport aux mérites dé la vie présente. Dans le second sens est désignée la surabondance de mérites dans la vie présente, par rapport à la grâce donnée. Dans le troisième sens est désignée la surabondance des peines légitimement dues, par rapport à la faute présente, et sous ces trois rapports, c’est plutôt une usure spirituelle pie corporelle. Dans un autre sens on appelle l’usure la surabondance des choses corporelles et temporelles, etc., à raison de laquelle le mot d’usure signifie un certain défaut de l’espèce de l’avarice engendré par la cupidité, qui est la source de tous les maux. Dans cette acception du mot usure, elle est générale ment condamnée par les docteurs. On voit donc par là ce que signifie le mot usure, et quelles sont ses diverses acceptions.
Passant main tenant à l’acception de l’usure, qui signifie surabondance ou accroissement des choses corporelles ou temporelles, nous allons dire quelle est d’abord sa matière propre, quelles sont ses espèces et ses modes. Nous trouvons sa matière propre déterminée, suivant les auteurs, par trois conditions parce que toute chose qui tombe dans l’usage de l'homme et se détermine par le nombre, le poids et la mesure, est proprement et par soi matière de l’usure. On l’expose ainsi. On a déjà dit que le mot usure, dans le sens où les docteurs sacrés la condamnent, signifie surabondance ou accroissement provenant de l’usage d’une chose quelconque. C’est pourquoi la surabondance étant quelque chose d’extrême, par rapport à une chose juste et égale, exprimé dans les moeurs, il faut que l’égal et le juste dans les moeurs soit déterminé dans les choses d’où provient la surabondance appelée usure. En effet, si les choses dont l’usage produit la surabondance condamnable n’étaient pas déterminées par rapport au juste et à l’égal, la surabondance elle-même ne pourrait pas non plus être déterminée sous ce rapport. Or les choses qui tombent dans l’usage de l’homme ne peuvent se déterminer par rap port au juste et au licite, que suivant ce que nous avons dit, à savoir, suivant le nombre par lequel l’égal et l’inégal sont généralement déterminés dans toutes les choses qui se distinguent par un nombre distinct; suivant la mesure par laquelle l’égal et l’inégal sont généralement déterminés dans les choses continues, en tant qu’elles passent dans l’usage de l’homme, comme le blé, le vin, l’huile, et autres choses semblables; troisièmement, suivant le poids par lequel l’égal et l’inégal sont déterminés dans les autres choses qui ne peuvent pas être égalisées et divisées avec promptitude, tels principalement les métaux. C’est uniquement par ces moyens, ni plus ni moins, qu’on peut opérer une détermination juste à l’égard des choses qui tombent dans l’usage de l’homme, parce qu’une chose de ce genre est distincte et distinguée d’elle-même, ou elle ne l’est pas; si elle est distincte, comme en toutes les distinctes la première manière de distinction est le nombre, il faut nécessairement se servir de l’égalité des nombres pour déterminer l’égalité des choses en tant que distinct. Par exemple: si nous voulons déterminer l’égalité entre maison et lit, qui sont des choses distinctes et séparées, il faut mettre dans un certain nombre l’estimation de ces deux choses. S’il y a cinq maisons et un lit, on opérera l’égalité en ajoutant cinq lits aux cinq maisons. Car cinq et Cinq sont égaux, et il en est ainsi pour toutes les choses séparées et distinctes d’elles-mêmes. Mais si les choses ne sont pas distinctes, elles ne peuvent être distinguées et déterminées sous le rapport de l’égalité que de deux manières, ou par une certaine mesure déterminée, comme lorsqu’une chose a une quantité divisible et palpable par elle-même, tels que des champs, du drap et les fruits de la terre; ou par un poids égal, comme lorsqu’une chose n’est pas facilement divisible, et que toute sa bonté se considère à raison de son poids, tels que l’airain, le fer, l’étain, l’or et l’argent. Par conséquent, comme la surabondance que les auteurs appellent usure, dit l’extrême par rapport à l’égalité dans les choses qui tombent dans l’usage de l’homme, la matière de l’usure doit être connue et déterminée par ces trois choses, parce que dans la matière les extrêmes communiquent avec les moyens. On voit par là que ce n’est pas seule ment l’argent ou la monnaie qui est appelée matière de l’usure, ce sont aussi toutes les choses déterminables par le nombre, le poids, la mesure qui tombent dans l’usage de l’homme. C’est pour cela qu’il est dit dans l’Ecriture, XXIII, du Deutéronome: "Vous ne prêterez à usure à votre frère ni de l’argent, ni du grain, ni quelque autre chose que ce sait."
Il y a deux espèces de l’usure corporelle légale, l’une appelée communément usure du sort, qui a lieu lorsqu'on cherche un certain profit dans son prêt à cause de la chance; l’autre appelée intérêt l’intérêt, qui est dite justement profit malhonnête, et qui rend un homme infâme. Elle s’appelle intérêt de l’intérêt, parce que les profits usuraires produits par le sort produisent d’autres intérêts dans la proportion de ce qu’a produit le sort. Il y a aussi deux modes d’usures, les uns condamnés par le droit, à savoir l’usure appelée centesima, qui ne faisait qu’égaler le sort dans une année; l’autre appelée emiola, du mot emi, qui est le moyen, et olon, qui est toute l’année, parce, qu’elle ne produisait pendant toute l’année que la moitié du sort. Il en est question, XLVII° dist., cap. Quoniam multa. On voit donc clairement d’après cela en quelle matière se produit l’usure, et quelles sont ses espèces ou modes suivant les auteurs.
Comme nous voyons des surabondances particulières provenant d’une foule de choses qui n’offrent ni la dénomination, ni le délit de l’usure, comme celles qui se multiplient par la semence, et même celles que l’on se procure par un travail humain et par des contrats justes. Il faut consigner ici les actes par lesquels et dans lesquels la surabondance des choses prend le nom et la culpabilité de l’usure. Que la surabondance prenne le nom d’usure principalement d’après et par l’acte de justice commutative qui consiste à prêter ou à emprunter une chose, c’est ce qui est prouvé d’abord par les écrivains sa On lit en effet dans l’Exode, chap. XXII: "Si vous prêtez de l'argent à ceux de mon peuple qui seraient pauvres parmi vous, vous ne les presserez pas comme un exacteur impitoyable, et vous ne les accablerez pas par des, usures." Et dans le Deutéronome, XXIII: "Vous prêterez à votre frère ce dont il a besoin sans exiger d’intérêt." On le prouve ainsi par la raison, lorsqu’on parle de l’usure comme signifiant un accroissement provenant de l’usage d’une chose, il faut considérer qu’on, peut user de deux manières d’une chose que l’on a en sa possession, comme il est dit dans le livre de la Politique; l’une, qui est la matière propre, est d’user de la chose pour la nécessité de la vie, par exemple de la chaussure pour se chausser, l’autre manière est l’usage impropre de la chose, quoiqu’il s’y trouve per se, par lequel on acquiert commutativement une autre chose par le moyen d celle-ci, par exemple lorsqu’on change une chaussure par vente, échange, ou avec de l’argent, ou lorsqu’on acquiert une autre chose par son moyen. L’usage entendu dans le premier sens étant donc déterminé par une fin convenable au but, parce que tout ce qui peut être possédé a été fait et créé pour l’utilité et la vie de l’homme, il s’ensuit que tout accroissement des choses produit par un semblable usage a de soi un caractère de bien et non de mal, aussi dans un tel usage il n’y a pas per se l’usure qui est un accroissement présentant un caractère de culpabilité. Il s’ensuit donc que de l’usage d’une chose prise dans le second sens il résulte un usage qui consiste dans l’échange d’une chose avec une autre. Or ce mode s’opère aussi de deux manières; ou en effet il y a une fin convenable ou il n’y en a pas. S’il y a une fin convenable, on peut alors opérer l’échange par un mode légitime et convenable à la fin, et cela de deux manières: l’un qui est le premier, c’est le mode de libéralité, comme dans une donation gratuite. Ce mode par lui-même ne produit aucun accroissement, par la raison que la possession d’une chose et son usage est libéralement transféré à un autre. Un autre mode qui est légitime, c’est le mode d’égalité et de justice, comme lorsqu’on échange ou qu’on transmet à un autre une chose quelconque ou son usage à raison d’une autre chose d’égale valeur et de son usage, soit par le moyen de l’argent, du travail ou de tout autre chose. Il faut observer qu’une chose est quelquefois transférée justement en même temps que son usage, comme dans la vente, l’achat et l’échange. Quelquefois on transfère seulement l’usage de la chose et non la possession, comme dans les choses prêtées et louées. Il n’y a donc rien de naturellement répréhensible dans les choses qui sont justement transférées d’une manière libérale si elles le sont pour une fin qui leur convienne. Or nous appelons fin convenable ce qui est utile et nécessaire à la vie humaine. Il faut tirer de là cette conclusion que toute sur abondance provenant de l’usage des choses par les moyens que nous avons désignés relativement à une fin convenable n'ont pas le caractère d’usure. Mais si elle s’opère en dehors d’une fin convenable ou d’un mode légitime, il y a usure. C’est pourquoi il faut que le caractère de l’usure se trouve d’abord et per se dans un des actes dont nous venons de parier comme manquant d’un mode légitimé ou d’une fin convenable ou de l’un et de l’autre. Or il est constant que antérieurement et per se, l’usage d’une chose est en rapport avec la fin convenable: c’est pourquoi, comme tout usage contracte simplement le caractère de bonté clans la relation à une fin convenable, il en résultera qu’il contractera communément dans l’abstraction d’une fin convenable un caractère de malice, non pas de telle ou telle spécialement.
Donc le caractère spécial d’usure en tant que condamnée comme vice ne proviendra pas de la relation de l’usage d’une chose à la fin. On peut, en effet, commettre l’usure, de même que voler, pour se procurer les choses nécessaires à la vie. Mais ce n’est pas une raison pour commettre l’usure ou voler. C’est pourquoi c’est le mode illégitime dans l’usage des choses qui donne à l’usure son caractère.
Outre cela l’usure altère l’un et l’autre mode légitime à la fois par la surabondance qui résulte du prêt à raison du prêt, parce que la surabondance qui provient d’une collation gratuite, n’est pas vicieuse parce qu’elle n’altère pas la libéralité, car si elle l’altérait il n’y aurait pas eu de collation gratuite. De même la surabondance d’une échange ou d’une vente juste n’a pas non plus le défaut d’inégalité, autrement ni l’échange, ni la vente n’auraient été justes. Il n’y a que la seule surabondance qui provient du prêt à raison du prêt qui altère la libéralité et la justice; la libéralité, car le prêt de sa nature doit être gratuit; c’est ce qui est exprimé dans saint Luc, VI: "Prêtez sans en rien espérer." C’est aussi ce qu’exprime la force des mots, car on prête quand on donne ce qui est mien ou ce qui est tien à toi ou à moi. Elle altère aussi la justice, car dans l’action de prêter se trouve désignée l’action de rendre. Par conséquent lorsqu’on rend plus que l’on a reçu, il y a inégalité. On voit donc d’après cela que le caractère d’usure trouve avant tout et per se dans l’acte seul du prêt par rapport à l’échange des choses, aussi c’est avec bon droit que les docteurs le regardent comme une surabondance condamnable de l’usage des choses. On trouve dans les autres contrats quelque chose qui ressemble à ce vice par une certaine assimilation des autres sur abondances à ce défaut, comme on le dira plus loin.
On peut déjà voir d’après ce qui vient d’être dit ce qui donne le caractère de culpabilité à cette espèce d’usure. Tout acte devient mauvais ou par la loi ou par la nature. Par la nature, quand un acte fait contrairement à la nature n’est pas rapporté à une fin convenable à la nature, car c’est la fin convenable qui donne à tout le caractère de bonté. Par la loi, quand on fait quelque chose de contraire à une loi écrite ou gravée dans l’âme, et l’usure devient mauvaise de ces deux manières. En effet, si l’usage propre des choses est déterminé par leur nature à une fin convenable, l’échange de ces choses trouvé pour leur usage propre doit être rapporté à la même fin par sa nature. C’est pourquoi s’il s’effectue en dehors d’une fin convenable et n’est pas rapporté à la fin qui est sa raison d’être, il aura de sa nature un caractère de malice. Or toutes les fois qu’il se fait un échange de choses pour leur accroissement et leur multiplication, c’est en dehors d’une fin convenable, parce que, lorsqu’on a en vue l’augmentation et la multiplication, il ne peut avoir une fin convenable; il est facile de le voir dans un homme avare et usurier qui poursuit avec une ardeur incessante l’accroissement et la multiplication des richesses qu’il entasse, sans assouvir jamais sa cupidité: En effet, plus il est riche, plus la soif d’or devient ardente, et si nous en croyons les écrits des philosophes, il est aussi pauvre, par ce qu’il a que p te qu’il n’a pas, c’est pourquoi on ne peut trouver une fin convenable dans l’accumulation usuraire des richesses, et dans l’usure on tend toujours à l’infini, parce que plus on acquiert, plus on veut acquérir encore, et plus on donne à ses désirs le caractère de l’infini, comme l’affirme Aristote dans le I° livre de la Politique, chap. V. Car tout ce qui tend à une fin est fini. Donc, comme usure dit surabondance et accroissement provenant de l’usage d’une chose, d’après la signification du mot elle désignera une chose en dehors de la fin de l’échange naturel qui ne s’opère que pour les besoins de la vie humaine, lesquels sont naturellement bornés. C’est la raison que donne le philosophe non seulement dans l’usure proprement dite appelée thokon, c’est-à-dire produit de l’argent, mais encore dans tout échange où l’on ne se propose directement que le lucre et la multiplicité des choses et non les besoins de la vie. Le Philosophe en parle dans le I° livre de la Politique sur la fin du chap. V, lorsqu’il dit: Il y a une sortes d’usure lucrative appelée chrysmatique, l’une kalipique qui fait produire l’argent pour l’argent, l’autre économique qui sert au gouvernement de la maison ou de la cité ou au bien commun, et celle appelée naciocique, qui acquiert pour conserver avec économie ce qui est bon, bon parce que c’est fini, et laquelle est ordonnée par la nature à une fin légitime. Mais c’est avec raison que l’on blâme celle qui est translative. Ce philosophe appelle translative une autre usure commutative, par laquelle une chose est transférée de l’un à l’autre, non pas en vue de l'usage propre des choses et des besoins de la vie, mais uniquement pour le lucre afin de multiplier de plus en plus ses richesses. Et comme on fait de l’argent à la faveur de cette translation, comme le dit le Philosophe au même endroit, le mal est plus apparent dans la translation de capitaux dans la vue de les multiplier. Il s’ensuit conséquemment que la translation, qui s’opère pour amasser de l’argent par la translation des capitaux, n’est pas conforme à la nature. C’est là la conséquence. Mais il n’y a pas réciprocité, parce que il y a translation d’argent pour de l’argent, et non pour quelque autre chose nécessaire à la vie humaine. C’est donc avec la plus grande raison qu’on déteste cette commutation appelée obolétique, où l’on donne une obole, c’est-à-dire un poids minime et déterminé pour un autre de même genre en vue de l’augmentation. Ce qui motive l’horreur qu’on en a, c’est que par son moyen on devient possesseur et maître d’user d’un argent pour une chose contraire à la destination de la nature, parce qu’il est arrivé qu’à la faveur de cette translation, il s’est fait par son moyen une autre translation des choses en tant que nécessaires à la vie, et non pour amasser et favoriser l’a varice. Le Philosophe en vient immédiatement à cette espèce de lucre qui s’opère spécialement par l’usure proprement dite appelée en grec toxon, c’est-à-dire en latin partum produit, parce que les capitaux se reproduisent d’eux-mêmes dans l’usure, ce qui signifie qu’ils se multiplient et s’accroissent par leur translation. Or dans le prêt l’argent se transfère à raison de lui-même uniquement et non pour une fin nécessaire à la vie dans la condition du prêt. C’est pourquoi Aristote dit au même endroit, dans le thokos, on fait de l’argent avec de l’argent même. Aussi c’est tout-à-fait contre la raison et la nature que s’opère cette acquisition d’argent qui se fait par le thokos, dans le prêt d’argent pour gagner de l’argent. Il parle surtout ainsi par rapport à cette acquisition qui s’effectue dans les autres contrats uniquement par cupidité, laquelle est mauvaise et contre nature; le profit qui s’opère par l’exercice des passions honteuses est encore pire; mais ce dernier est tout-à-fait contre nature, parce qu’il oblige le coupable à la restitution de ce qu’il a reçu, ce que ne font pas les deux premiers modes.
On voit donc de cette façon comment il y a du mal dans l’usure par la nature, et à raison de la manière suivant le Philosophe. Nous pouvons montrer d’une autre manière que l’usure devient spécialement mauvaise à raison de la nature de l’acte propre qui la produit, lequel est de prêter. En effet, prêter est un acte propre dont l’altération produit la malice de l’usure, ainsi qu’il a été dit dans le chapitre précédent, et comme cet acte est un acte de libéralité et de faveur, ainsi que nous le montrerons, nécessairement tout ce qui modifie cet acte et lui fait perdre la libéralité, le détourne de sa nature et altère par conséquent vertu de la justice universelle. C’est pourquoi il a le caractère d'injure et de même celui de faute. Que prêter à un autre une chose dont on est maître soit un acte propre de libéralité et de faveur, c’est évident d’abord d’après le genre de l’acte qui est la donation elle-même, laquelle désigne la libéralité du donateur. Or ce qui détruit la libéralité importe ou la violence d’un agent extérieur, ou une nécessité de la nature intérieure, ou une dette de justice. Ce qui est transféré de l’un à l’autre par violence, n’est pas donné, mais enlevé. Ce qui est transféré par une nécessité de la nature, comme dans les successions, n’est pas donné, mais laissé. De même ce qui est transféré par une dette de justice, comme dans les ventes justes, les échanges, et les récompenses, est plutôt rendu que donné. C’est pour quoi la libéralité ne doit nullement s’altérer dans la translation où l’on doit proprement avoir en vue l’acte de donner. Mais dans l’acte du prêt on a réellement en vue cet acte, comme le prouvent les autorités de l’une et l’autre loi. C’est pourquoi s’il se mêle à cet acte quelque circonstance qui altère la libéralité du don, cet acte sera mauvais, vicieux et péché. Or il s’y produit une circonstance de cette nature toutes les fois que la concession du prêt s’effectue en vue de quelque profit soit en espérance soit en réalité, par la raison que ce qui se fait en vue d’un gain quelconque ne fait pas par pure libéralité. D’où il suit qu’il y a toujours malice et péché, non seulement d’après la nature de la fin et de sa matière, mais aussi d’après la nature de l’acte propre qui eu est l’objet. La raison qui se tire en troisième lieu du côté de la justice de la possession des usures n’est pas moindre. En effet, tout ce que l’on acquiert dans le but de le posséder et qui ne peut l’être avec justice n’est ni bien acquis ni bien possédé et produit la culpabilité et dans celui qui acquiert, et dans celui qui possède; mais il en est ainsi dans l’usure, comme on le fera connaître. C’est pourquoi l’usure est un péché. En effet, tout ce qu’on fait sien et qui ne l’est pas sans un juste titre et par fraude à l’égard d’une chose qui n’appartient pas, est acquis injustement et possédé de même. Mais dans l’usure il y a une chose que l’on a fait sienne de non sienne qu’elle était sans un juste titre et par fraude d’une chose dont on n’était pas maître, comme on le verra bientôt. C’est pourquoi il y a acquisition et possession injuste. La raison de cela c’est que la translation d’une chose d’un maître à un autre ne peut se faire justement que par trois moyens, ou par droit de nature, quand par exemple une chose est dévolue par la mort des pères ou des parents aux enfants ou aux héritiers, lequel mode ne se trouve pas dans l’usure; ou par droit de faveur ou de libéralité, quand le maître d’une chose donne gratuitement à un autre ce qui lui appartenait. Sous ce rapport l’usure se excusable jusqu’à un certain point, parce qu’on dit que le maître donne volontairement à l’usurier le profit de l’usure; mais cela n’est pas une excuse, parce que nous appelons usurier celui qui ne prête pas gratuitement, mais dans l’espoir de quelque profit qu’il reçoit ou espère recevoir. Et quoique l’emprunteur lui donne on veuille lui donner volontairement un certain profit, de la part de celui qui reçoit ou espère recevoir quelque chose, il n’y a plus de faveur ni de libéralité, quant à ce qui constitue cet acte et par conséquent ce qu’il reçoit ne devient pas sien par droit de libéralité, pour ce qui est de celui qui reçoit, et conséquemment le droit de faveur n’est pas conservé à son égard. Ce profit peut devenir sien de non sien qu’il était; et ceci arrive lorsqu’en vertu du droit on fait une compensation quelconque, comme dans les ventes et les achats; ou un dédommagement du travail lorsqu’on récompense ceux qui ont travaillé. Or il est constant que sous ce rapport il ne peut se trouver d’usure en raison de la juste possession et acquisition.
Premièrement, parce qu’un contrat de ce genre n’a pas le caractère d’une vente, d’un achat ou. d’un échange, comme on le voit par les termes, et par la translation de l’argent et de la chose prêtée, laquelle de sa nature a été donnée, ou déterminée sous le rapport du nombre, du poids et de la mesure. Il ne dépend pas de la volonté de celui qui transfère d’empêcher l’injustice qui se commet si l’on exige à cause de cela ensuite plus qu’il n’est donné. Car dans la chose donnée rien ne se trouve égal au profit reçu ensuite, ni gratuitement, ni par droit de nature.
Secondement on voit qu’il y a iniquité dans une acquisition usuraire, parce qu’on fait par fraude une chose sienne de non sienne qu’elle était. Il y a donc dans l'usure vice et malice par le moyen d’une fausse équité. Ce qui devient ainsi évident.
Un usurier en transférant une chose ou de l’argent, pour recevoir par cette translation quelque chose de plus qu’il n’a donné, met toujours en avant une certaine justice à recevoir ce profit, laquelle ne peut se trouver que dans le temps où il a fait cette concession et celui où il attend le profit dont. il a couru la, chance,. C’est clair, car suivant que le temps est plus ou moins long le profit est augmenté ou diminué. C’est donc par le temps que l’usurier se propose de faire la compensation en recevant plus qu’il n’avait donné. Or le temps est un bien commun, ce n’est la propriété de personne et Dieu le donne également à tout le monde. C’est pourquoi l’usurier de ce genre, qui prétend égaler et compenser la chose reçue avec une chose qui n’est pas sienne, qui appartient également à celui qui reçoit et à celui qui donne et que Dieu donne gratuitement à tout le monde, commet une fraude, et à l’égard du prochain à qui appartient le temps qu’il lui vend, et à l’égard de Dieu dont il met à prix un don gratuit. Il est également constant qu’on ne peut pas faire de compensation à l’égard du travail dans un contrat ou une acquisition usuraire, car l’usurier gagne autant en dormant qu’en veillant, dans les jours de fête que dans les jours ouvrables. C’est pourquoi il résulte de tout cela que les profits usuraires ne peuvent être ni acquis, ni possédés par droit ou titre légitime. C’est donc un acte mauvais de sa nature et condamnable, parce qu’il s’opère par la volonté humaine. On voit aussi d’après ce qui vient d’être dit pourquoi certaines usures sont permises comme licites dans l‘Ecriture sainte et même dans les lois humaines, parce que quelquefois un profit usuraire peut être pris comme une chose légitime d’après quelque titre valable, dans ce cas il n’y a pas de culpabilité. Il en est ainsi quand une chose est retenue de vive force. Nous venons de dire que l’usure est quelque chose de mauvais et de condamnable et pourquoi; mais il faut dire maintenant ce que c’est que ce mal et quelle est sa gravité. Car suivant la théologie l’usure est condamnée comme un péché grave et mortel. C’est qui est dit dans Ezéch., XVIII: Quiconque commettra ces abominations sera puni de mort, et l’usure y est désignée; donc le péché de l’usure est détestable et digne de mort. Outre cela saint Ambroise dit dans le livre de la bonne mort, XVII, q. 4: Celui qui commettra l’usure et la rapine sera privé de la vie. Mais il faut remarquer que l’usure diffère du vol et de la rapine en ce que le vol et la rapine n’ont aucune apparence d’équité, parce qu’ils par une violence occulte et ouverte. Ils ne procurent aucun avantage à l’Etat, ils troublent plutôt la paix et engendrent le désordre, tandis que l’usure a une certaine apparence de justice qu’il paraît juste et convenable de payer un service reçu d’une certaine manière, quoique en réalité il ne soit rien dû par justice, mais bien par bienveillance, ce qui est alors une faveur et une reconnaissance. Pareillement il semble qu’il y a quelque avantage pour l’état dans l’usure, parce que par son moyen une, foule d’héritages sont conservés, une foule de dommages évités, c’est pour cette raison que les lois humaines la permettent et ne la punissent pas comme elles punissent le vol et la rapine. On voit donc d’après tout ce qui vient d’être dit que l’usure est un mal condamnable suivant la loi de la nature et un péché mortel suivant la loi divine, et que c’est une espèce, une manière de rapine et de vol.
Comme on a dit que l’usure se trouve renfermée dans le genre du vol et de la rapine, comme un mode spécial, et qu’elle n’en peut avoir le caractère qu’à raison de la détention du bien d’autrui malgré le propriétaire, ce n’est pas sans raison qu’on pose aux habiles cette question, l’usure est-elle Vraiment une chose d’autrui, n’est-elle pas la véritable propriété de celui qui reçoit? D’après cela les docteurs demandent communément si le domaine se transfère dans l’usure: ceux-ci se partagent entre deux opinions, quelques-uns de ceux qui procèdent plus théologiquement affirment simplement que le domaine ne se transfère pas dans l’usure, les autres qui s’occupent davantage du droit écrit et des lois humaines affirment que le domaine se transfère simplement. Afin que la vérité puisse luire suivant notre intention, nous allons ajouter ce chapitre. Les théologiens qui enseignent que le domaine ne se transfère pas, allèguent en faveur de leur opinion, certaines autorités et des raisons qui en découlent. En effet, saint Augustin dit à Macédonius, XIV, q. 4, art. "Que dirai-je des usures que les lois comme les juges font restituer? Est-il plus cruel celui qui soustrait ou enlève quelque chose au riche que celui qui égorge le pauvre par ses usures?" Il y a donc possession injuste dans ces cas et autres semblables. Voilà comment saint Augustin dit que comme la possession du produit du vol et de la rapine est illégitime, il en est de même par rapport à l’usure. Il ajoute au même endroit, je voudrais qu’on les restituât. Mais il ne faut restituer que ce qui appartient à autrui et dont on n’est pas maître; c’est pourquoi les usures ne sont pas dans le domaine de celui qui les possède, car le bien d’autrui et le sien propre sont des choses contraires, et ne tombent pas sous le, même rapport. De même saint Augustin; dans le livre De verbis domini, traité XXX, Ne faites pas l’aumône avec les fruits de l’usure et des exactions; mais il est certain que chacun peut faire l’aumône avec ce qu’il possède; on voit en conséquence que les usures ne sont pas dans le domaine et le pouvoir de celui qui les possède.
En outre, on ne doit restituer une chose qu’à celui qui en est le vrai maître; c’est pourquoi une chose ne pouvant avoir en même temps deux maîtres différents et égaux, et toute usure devant être restituée, suivant la loi divine à celui duquel elle a été reçue, il s’ensuit que celui qui restitue n’en a pas le véritable domaine, et ainsi ce domaine n’avait pas été transféré à celui qui avait reçu le profit usuraire. Au contraire certains légistes et jurisconsultes se préoccupent de cette pensée, suivant toutes les lois, le bien d’autrui dont le domaine n’est pas I duit toujours être restitué à son véritable maître, qui que ce soit q le possède, avec une identité numérique. Mais cette condition n?.est pas mentionnée même dans la loi divine; si, en effet, quelqu’un a reçu d’un autre d’une manière usuraire un cheval, ou de l’argent ou toute autre chose, il n’est pas tenu de restituer la même chose avec une identité numérique, suivant les lois, il suffit d’en restituer la valeur. Outre cela, si un usurier a vendu à un autre un cheval dont il est devenu possesseur d’une manière usuraire, ou s’il le lui a donné, il est certain, d les lois, que le domaine est transféré, et que celui qui avait donné le cheval à l’usurier comme prêt usuraire n’est pas compétent pour en réclamer la restitution. Mais si le domaine n’avait pas été transféré à l’usurier, celui-ci ne pourrait pas le donner à un autre ou le vendre en transférant un domaine qu’il n’a pas. C’est pourquoi il semble que le domaine est transféré dans l’usure. Il y a une autre raison naturelle de cela; celui qui emprunte fait acte d’une seule et même volonté en empruntant et en promettant le gain ou le profit. Donc comme la volonté qui demande à emprunter est complètement libre et exempte de coaction, la volonté qui promet le profit sera également libre, mais on doit accomplir sa promesse avec la même volonté qui l’a faite. C’est pourquoi cette sorte de profit sera rendue librement par celui qui est le vrai maître de la chose; mais si le véritable mettre d’une chose en transfère le domaine à quelque possesseur que ce soit, il le transfère réellement. C’est pourquoi il semble que le domaine est réellement transféré de droit naturel. Et ainsi les partisan de cette opinion s’efforcent de montrer que le domaine se transfère dans l’usure et par la loi divine qui n’oblige pas à restituer avec une identité numérique, et par les lois humaines qui n’obligent pas à restituer les usures et ne punissent pas ceux qui prennent des profits usuraires comme s’ils prenaient le bien d’autrui, et par la loi naturelle. Pourquoi donc faut-il les restituer si ce n’est pas un bien appartenant à autrui? Et c’est le bien d’autrui comment peut-on le vendre ou le donner en toute propriété? Ce n’est pas sans raison qu’il s’élève ici de l’incertitude. Pour résoudre cette difficulté il faut savoir d’abord que la loi divine considère le bien d’autrui autrement que la loi humaine. La loi divine appelle bien d’autrui tout ce qui est possédé contrairement à la loi de Dieu, qui est seul le vrai maître. En conséquence tout ce que l’on possède, si on le possède contre la volonté de Dieu, est possédé in justement, et est possédé malgré le maître comme bien d’autrui, et saint Augustin le dit expressément en écrivant à Macédonius, XIV, q. 5; chap. Que dirai-je? Accuserons-nous de posséder-le bien d’autrui tous ceux qui se réjouissent de leurs acquisitions et ne savent pas en user? ce que l’on possède avec droit n’est certainement pas le bien d’autrui: or on possède avec droit ce qu’on possède justement, et on possède justement ce que l’on possède d’une manière convenable. Donc tout ce qui possède d’une manière qui n’est pas convenable est le bien d’autrui, or celui-là possède mal qui use mal. Il est donc ainsi évident que l’usurier n’est pas le véritable maître de ses profits usuraires, pas plus que le ravisseur de ses rapines, parce que l’un et l’autre possèdent d’une manière qui n’est pas convenable, aussi c’est le bien d’autrui qu’ils possèdent et non le leur. Mais le véritable maître possède comme sien ce qu’il possède comme maître; ce qui prouve que suivant la loi de Dieu le domaine n’est pas transféré dans l’usure, c’est pourquoi la loi divine ordonne de restituer les profits usuraires comme les rapines. J’appelle loi divine celle qui est consignée dans le canon de l’Ecriture sainte, dans les décrets des saints Pères,'et dans les conciles. La loi humaine de son côté ne considère comme bien d’autrui que ce qui est pris ou retenu contre la volonté qui est le maître des choses suivant la loi humaine. C’est pourquoi, comme dans le vol ou la rapine se trouve l’acception ou la détention des choses contre la volonté de l’homme qui en est regardé comme le maître par tout le monde, c’est avec justice que la loi humaine punit ces actes et oblige à la restitution comme pour un bien appartenant à autrui. Mais ce qui est pris ou retenu dans l’usure ne semble pas l’être contre la volonté du donateur, par la raison que ce n’est ni donné par ignorance, ni enlevé par force. C’est pourquoi la loi humaine ne regarde pas les profits usuraires comme un bien appartenant à autrui. Néanmoins d’après ce qui a été dit il reste un doute, à savoir si la loi divine regarde vraiment le produit de l’usure comme le bien d’autrui, puisqu’elle n’oblige pas de restituer avec une identité numérique? A cela nous répondons qu’en vertu de la loi divine l’usurier doit être obligé à une restitution numériquement identique, si la chose qui est en sa possession est restée la même, à moins qu’il en soit délivré par le consentement du réclamant; dans le cas contraire il est tenu d’en restituer l valeur. Mais si la chose n’est plus au pouvoir de l’usurier, et est détruite, ou transférée à un autre maître qui est possesseur de bonne foi, alors il faut obliger l’usurier à rendre l’équivalent. Mais il s’élève un nouveau doute, C’est de savoir Comment l’usurier peut rendre un autre maître d’une chose qui ne lui appartient pas â lui-même. Je réponds qu’il ne le peut pas en vertu de ce qui fait juger que cette chose ne lui appartient pas, mais en raison de ce qui fait qu’elle lui appartient. Mais comme elle est regardée comme le bien d’autrui d’après la loi divine, on doit estimer d’après la même loi qu’il ne peut pas avec justice la transférer à un autre, sans le consentement du véritable maître. Comment donc peut-on retenir des choses donnés par un usurier ou achetées de lui, sachant que c’est un produit de l’usure? Pour quoi dans ce cas n’obligerait-on pas à la restitution comme on le fait pour celui qui garde le fruit de la rapine ou du vol sans le consentement du maître de quelque manière qu’il en soit devenu possesseur? À il faut dire que la loi divine considère principalement le juste dans chaque personne, ou le juste en tant que tel par la disposition à une fin qui est la vie éternelle. Tandis que la loi humaine ne le considère que sous ce rapport qu’il établit parmi les hommes le bien être civil, qui consiste à vivre dans l’honnêteté et la paix commune. Or la loi divine se sert de la loi humaine comme d’un instrument toutes les fois que par les oeuvres civiles l’homme peut être conduit à la vie éternelle ou en être éloigné. De même que toute la nature est un instrument de la divine puissance non par besoin, mais à raison de l’excellence de la vertu divine, qui opère certaines choses par elle-même, et d’autres par la nature. Donc comme les choses acquises par l’usure altèrent le domaine de la personne qui l’acquiert et le garde, mais non le bien civil et humain, c’est-à-dire la paix, par ce qu’ils n’ont pas été reçus contre la volonté du donateur sans condition, aussi il suffit au juge, qui juge suivant la loi de Dieu, que l’usurier satisfasse à l’égard de Dieu, c’est-à-dire qu’il restitue tout ce qu’il a pris contre la loi de Dieu. Mais comme la chose reçue ne produit l’injustice du côté du donateur dans la loi humaine, comme dans la loi du Dieu, que par la raison qui vient du côté de l’usurier, c’est pour cela que le juge ne fait pas restituer la même chose en vertu d’une loi quelconque, et ce n’est pas nécessaire pour les raisons que nous avons dites. Donc d’après tout ce que nous avons dit, nous croyons que dans l’usure le domaine ne se transfère pas suivant la loi divine, ce n’est qu’en vertu de la loi humaine que nous le regardons comme transféré.
Comme, on rencontre certains temps dans le droit qui semblent exprimer l’opinion que le doute et les dangers éventuels semblent complètement mettre à l'abri de l'accusation d'usure dans certains échanges et contrats, il faut en conséquence rechercher dans quels contrats, quand et comment la chose a lieu, comme aussi quand elle n’a pas lieu. Il faut d’abord savoir que c’est une règle générale admise par tous les docteurs, règle qui doit être stable, que nulle condition ou circonstance ne peut excuser un acte ou une habitude vicieuse, qu’à raison de ce qui peut en faire disparaître le caractère vicieux. En effet, lorsque les Hébreux sont excusés de vol au sujet des dépouilles des Egyptiens, c’est uniquement parce que des biens qui ne leur appartenaient pas sont devenus leurs par l’ordre du Maître supérieur. Si donc le doute ou le danger peuvent excuser, c’est seulement à la condition d’avoir la vertu de faire disparaître le caractère d’usure proprement dite. Et comme dans les prêts il y a le vice d’usure par la raison qu’ils se font dans l’espoir du gain qui est contre la nature du prêt, il en résulte que le doute et le danger n’en faisant pas disparaître le caractère vicieux, ne peuvent excuser du vice de l’usure. C’est ce qui est prouvé par la décrétale naviganti. En effet, si on a prêté de l’argent à un navigateur dans l’espoir de quelque gain, quoiqu’en prenant la responsabilité du danger, on est regardé comme usurier, même en perdant le tout. De même si on a prêté de l’argent à quelqu’un, par exemple cent livres pour dix ans, de manière que si pendant ce temps Fun vient à mourir, l’autre soit délivré de la dette et du prêt, mais que s’ils survivent, celui qui a emprunté donnera au bout de dix ans deux cinquante livres au prêteur, le doute et le danger n’excusent pas d’usure dans ce cas. Mais toutes les fois qu’ils peuvent faire disparaître le caractère vicieux d’usure, ils excusent, et c’est ce qui arrive dans certains contrats. Pour connaître d’une manière spéciale comment et dans quels contrats cela peut arriver, il faut considérer au sujet de ces contrats ou échanges dans lesquels on reçoit plus qu’on ne donne, que si c’est à raison du temps que cet échange s’effectue, il y a déjà nue espèce d’usure mauvaise, par la raison que ce profit ne peut être ramené à une égalité de justice ni par un travail légitime, ni par l’usage d’une chose appartenant en propre, ni par les compensations d’une autre chose. Si ce n’est pas à cause du temps que ce profit est reçu ou espéré, le caractère de doute ou de danger peut jusqu’à un certain point suppléer l’égalité de justice. Par exemple si quelqu'un achète une chose moins qu’elle ne vaut au moment de l’achat, ou autant qu’elle vaut, pour la prendre cependant dans un temps où il espère qu’elle aura plus de valeur; ou si quelqu’un vend une chose au dessus de sa valeur au temps de la vente, espérant néanmoins qu’elle vaudra autant au temps payement, s’il doutait avec quelque apparence de vérité si elle pourra valoir plus ou moins dans le temps pour lequel elle était vendue ou achetée, dans ces cas le motif du doute peut excuser et opérer l’égalité de la justice, quoiqu’on reçoive plus qu’on ne donne, parce que le doute établit l’estimation de la valeur des choses d'après la nature de choses qui peuvent valoir plus ou moins dans tel temps. C’est pourquoi ce n’est pas seulement à raison du temps que l’on attend davantage, c’est aussi à cause de la nature de la chose qui vaut quelquefois plus dans un temps que dans un autre et quelquefois moins de cette manière le doute et le danger même local peuvent excuser certains contrats qui autrement seraient regardés comme usuraires. C’est ce qui est prouvé par ce chapitre Naviganti. Tout ceci va devenir plus clair par des exemples. Supposons donc qu’un marchand ait à vendre après le mais d’août beaucoup de blé ou de vin, et que dans ce moment la mesure de blé ne vaille que trois sols et la mesure de vin dix sols, le marchand vend son blé quatre sols et son vin douze avec la clause qu’il touchera son argent à la saint Jean, ne,voulant pas donner sa marchandise meilleur marché même au comptant, par la raison qu’il juge qu’elle vaudra probablement ce prix à l’époque du payement; je dis que le vendeur ne commet pas d’usure, quoiqu’il reçoive en espérance plus qu’il ne donne au temps de la vente, parce qu’il ne le reçoit pas à cause du temps, mais bien à raison de la nature de la chose qu’il peut juger avec probabilité et vraisemblance devoir valoir ce prix au temps pour lequel il l’a vendue quoiqu’elle n’ait pas eu la même valeur à l’époque d la vente. Cette raison peut s’appliquer à quelques autres contrats, même quand la chose est achetée au dessous de sa valeur au temps de l’achat, pour être prise néanmoins dans un autre temps auquel on peut raisonnablement douter si elle vaudra plus ou moins qu’au moment de l’achat. Ce que nous avons dit du doute dans le prêt et les autres contrats, on peut le dire également du danger, parce que le motif du danger, même à l’égard du sort, n’efface pas le caractère d’usure dans le prêt, comme il est prouvé dans le chapitre Naviganti. On en voit la raison dans ce qui a été dit. Dans les autres contrats où l’on semble prendre plus qu’on ne donne, il peut y avoir une excuse quand le motif du danger peut compenser cet excédant de profit. En effet, les choses de même espèce que l’on possède sans danger sont plus estimées que celles qui sont exposées au danger, aussi la compensation s’opère à raison de la nature de la chose, qui est jugée valoir plus ou moins à. cause du danger.
Nous voyons qu’il y a certaines conditions qui, suivant le droit, semblent excuser du péché d’usure dans les contrats simplement usuraires, ainsi qu’on lit dans le Deutéronome XXIII, "vous ne prêterez pas à usure à votre frère, mais bien à un étranger, est-il dit ensuite; c’est pourquoi il semble que les profits usuraires que l’on reçoit d’un étranger, surtout de celui qui appartient à un culte différent, n’ont pas un caractère coupable, et de cette façon il paraît que la condition de la personne qui appartient à un culte différent excuse du péché d’usure. De même, suivant saint Ambroise XIV, quest. 4, livrez-vous à l’usure a l’égard de celui à qui vous avez un légitime désir de nuire; on a le droit d’exercer l’usure vis à vis de celui que l’on a le droit de combattre les armes à la main. On voit par là que la condition qui rend un ennemi digne de mort; excuse du péché d’usure. La troisième condition se tire aussi du droit où on la trouve à raison de la dot ou de la promesse paternelle; Celui, par exemple, qui en se mariant a reçu pour dot un héritage, un fonds de terre, ou des revenus annuels pour une certaine somme donnée en gage, peut percevoir ces revenus, sans aucune diminution de la dot, tant que dure l’impignoration. On trouve cela dans les Extrav. sur l’usure, ch. Salubriter. La quatrième condition peut se tirer de la nature de la chose, quand par exemple, la chose reçue en gage appartient de droit à celui qui la reçoit en gage, mais est retenue violemment de fait par un autre, celui-ci peut percevoir les fruits excédants du gage, parce qu’alors il les perçait comme son bien et non comme le bien d’autrui. Ceci se trouve dans la première Décrétale de usuris, chap. Pluris. La cinquième condition qui peut excuser c’est la compensation du dommage, et non l’espoir du gain, comme lorsqu’on a prêté sans intérêt pour un temps déterminé à l’expiration duquel on a besoin de son argent pour une cause quelconque, si à cette époque ce qui a été prêté n’est pas rendu, il est permis de réclamer tout ce qui est nécessaire pour réparer le dommage causé par le défaut de payement. De cette manière le fidéjusseur peut exiger du débiteur l’intérêt qu’il a payé au prêteur à raison du défaut de payement de la part du débiteur. Cette opinion est confirmée dans les Extrav. de fidejussoribus, dans deux décrétales. Sixièmement il n’y a pas non plus usure dans l’offre libre de quelque excédant, parce que suivant saint Grégoire, I qu 2, Une offre ne rend personne coupable lorsque elle n’a pas été sollicitée. La raison pour laquelle ces sortes de conditions excusent du péché d’usure est suffisamment claire et évidente, si l’on considère que dans le chapitre précédent il a été dit que nulle circonstance en morale ne peut changer le bien en mal ou le mal en bien, si ce n’est celle qui fait disparaître de sa nature le caractère de bonté ou de malice. Or l’usure en tant que coupable peut s’exercer d'abord et per se dans les prêts, secondairement ensuite dans les autres contrats. L’usure dans le prêt est un péché, d parce qu’elle altère la libéralité qui consiste à prêter gratuitement, la dernière condition fait disparaître ce caractère vicieux je veux dire quand on donne ou qu’on reçoit librement quelque ex cédant. L’usure altère aussi dans le prêt la fin légitime, parce qu’on la reçoit par l’espoir du gain et sans compensation aucune, cette ma lice disparaît avec la première, la seconde et la cinquième condition. La première, en effet, est celle qui montre que Dieu est le seul maître de toutes choses, que tout a été donné pour développer le culte de Dieu, aussi dans ce cas la malice de l’usure est détruite par la vertu de la foi, parce qu’alors ce n’est pas l’espoir du gain qui fait agir. Il en est de même dans le second cas par le zèle de la justice et de la charité qui s’efforce autant que possible d’anéantir les ennemis de la foi, c’est-à-dire les tyrans et les hérétiques, et avec le même droit quand on ne peut s’emparer de ce qui leur appartient autrement que par l’usure. Dans le cinquième on voit clairement la raison de la justice, parce qu’alors ce n’est pas par cupidité qu’on reçoit, mais par compensation d’un dommage éprouvé, aussi cet excédant de profit se trouve justement acquis. Il arrive aussi qu’on prend quelquefois un profit usuraire dans d’autres contrats, où l’on demande sans cause plus qu’on n’a donné. A cela on peut trouver une excuse dans les raisons que nous avons et dans deux autres encore. Ceci peut arriver quand ce qu’on prend en sus devient un bien propre par droit de nature, comme les fruits des gages donnés pour dot ou pour apanage d’enfants: cet excédant peut devenir un bien propre par raison de justice, comme la chose même donnée en gage, quand elle appartenait de droit à celui qui perçait les fruits. C’est assez sur les conditions qui peuvent excuser du péché d’usure, sur leurs qualités, leur nombre et les cas dans lesquels elles peuvent ou ne peuvent pas excuser.
Comme le mauvais grain de la cupidité et de l’avarice semé parmi les hommes par l’antique ennemi a produit le péché d’usure, non seulement dans le prêt d’où l’extirpe la lumière de la vérité divine dans l’Ecriture sainte qui la condamne ouvertement, mais encore dans les autres contrats dans lesquels, sous l’apparence d’équité et de justice humaine, elle opère d’une manière latente; cherchant donc dans cette partie à découvrir cette malice, nous parlerons des contrats où elle se cache. Or nous disons d’abord que nous avons déclaré dès le principe qu’il y a usure dans tout ce qui excède sans titre dans le prêt comme dans les autres contrats. Or, ce qui se fait dans les contrats à cause du temps comme dans le prêt, est sans titre, parce que le vendeur s’approprie une chose par fraude, en vendant le temps qui appartient à Dieu et qui à été donné comme un bien commun à tous les hommes. Il ne peut pas y avoir un titre de succession naturelle ou de donation gratuite, ou d’un juste profit à raison d’un travail propre et légitime, ou par compensation d’une chose propre. C’est ce qui fait que tout contrat où l’on reçoit plus qu’on ne donne, en espérance comme en réalité, et cela uniquement à cause du temps, s’appelle contrat usuraire. C’est ce qui est dit dans les Décrétales, extra de usuris, in civitate et consuluit. Or il faut considérer ce que l’on appelle proprement ici sort, et ce que c’est qui est accidens sorti. Le mot sort est pris en deux sens dans i’Ecriture sainte. Premièrement pour un signe servant à distinguer entre elles des choses confuses, suivant ce passage des Proverbes, XVIII: "Le sort apaise les différends," et cet autre: "Les sorts sont jetés dans le sein, mais ils sont dirigés par le Seigneur. Et ce passage des Actes, I " Le sort tomba sur Matthias." Le mot sort est pris dans un autre sens pour office, pour un bien propre possédé justement, ou dans la division de quelques personnes ou possessions, comme on appelle sort des enfants d’Israël les portions justes et distinctes assignées à chaque tribu ou personne. C’est aussi dans ce sens qu’on le prend ici pour une chose juste que l’on possède ou qui est due à quelqu’un. On dit accidentel au sort ce qui n’appartient pas à la propriété du sort. D’où il résulte clairement que l’usage propre d’une chose et son produit ne sont pas accidentels au sort, parce que celui qui a un droit de propriété sur une chose ou sur un bien en a aussi de droit l’usage et le produit. Par conséquent, celui qui achète une terre ou un cheval, pour retirer plus de fruité à raison des fruits et à raison du cheval qu’il achète, ne prend rien de plus que ce qui est accidentel au sort, car tout appartient au sort, usage et fruits. Il faut considérer en second lieu que les produits et l’usage des choses peuvent augmenter ou diminuer de prix suivant les temps, et cela peut arriver de trois manières, sans que le temps en soit la cause per se.
Premièrement, quand la raison de cette augmentation n’est pas dans l’usage de la chose;
Secondement, à raison de la petite quantité ou de l’abondance de ces mêmes choses. En effet, les choses qui diminuent par l’usage se consomment naturellement par le temps, et sont plus rares à mesure qu’elles s’éloignent de leur angine; comme par exemple, le blé est naturellement plus abondant en automne qu’en été.
Troisièmement, cela arrive d’après la nature des choses qui augmentent de valeur par le temps, comme les terres ensemencées, les forêts et les animaux.
Et troisièmement aussi, d’après la nature de la chose rapportée à la condition du lieu.
Il faut donc généralement tenir pour constant que dans tous les
contrats où le vendeur et l’acheteur reçoivent plus qu’ils ne donnent, sans
qu’il y ait de raison de cette augmentation dans l’usage de la chose ou dans la
nature de la chose elle-même, ni qu’il s’en trouve dans quelque condition de
temps résidant dans les choses elles-mêmes, comme on le voit dans les trois
manières précédentes, mais où l’augmentation se fonde sur le temps accordé par
le vendeur ou l’acheteur, afin de recevoir davantage pour ce motif; dans ce cas
ce profit pris en sus de ce qui est donné, s’appelle usure, il a la malice de
l’usure, parce qu’il s’opère sans une juste cause dans ces contrats et prêts.
C’est ce que les jurisconsultes appellent comme tout le monde, vendre ou
acheter à crédit. Mais si l’on reçoit simplement plus qu’on ne donne à raison
de l’estimation du vendeur ou de l’acheteur plus large dans un temps que dans
l’autre, pour quelqu’une des trois causes dont nous avons parlé, on peut le
faire sans se rendre coupable d’usure, parce que cet excédant est compensé par
la plus value de la chose en elle-même suivant le temps, à rai duquel on le
prend, et non à cause du retard. Il faut observer. que dans ces contrats, bien
qu’on puisse être innocent du péché d’usure pour les raisons que nous avons
dites, on n’est pas pour cela exempt de tout péché de cupidité, c’est pourquoi
on appelle cela dans le droit canon un profit honteux, comme on le voit quest.
XIV, chap. 4, Si quis clericus,
et dans le chap. Quaecumque temporum messis. On l’appelle
un profit honteux, parce qu’il se perçait à raison du temps, comme usure,
quoique d’une manière différente. On l’appelle aussi profit honteux à raison de
la fin, parce que ces sortes de contrats ne se font pas comme la plupart, pour
le besoin ou l’utilité des hommes, mais bien pour augmenter sa fortune par une
cupidité qui n’a pas de fin, parce que l’avare ne se rassasie pas d’argent;
c’est pour c qu’ils ont un caractère de malice. Néanmoins, si ces contrats ont
pour objet des besoins de la vie, ils cessent d’être honteux, comme il est dit
dans les chapitres cités, XIV, quest. 4. On voit aussi par là qu’il n’y a pas
d’usure, parce que l’usure n’est jamais excusable, quelques rapports qu’elle
ait avec les besoins de la vie. On peut aussi voir d’après cela qu’il peut y
avoir usure, non seulement par la concession de temps, mais aussi d’après la
nature de la chose rapportée à la condition du temps. Il peut y en avoir aussi
d’après la nature de la chose rapportée à la condition du lieu, comme par
exemple, lorsqu’on prête certaines choses ou de l’argent, à la charge d’être
rendues avec identité d’espèce, de nombre, de poids et de mesure, dans,
l’espérance que ces objets auront numériquement plus de valeur au temps fixé ou
dans le lieu désigné, à raison de quoi on a fixé la reddition du prêt dans tel
temps ou un tel lieu, comme dans un temps ou un lieu déterminé; je dis qu’il y
a dans ce cas une véritable usure, parce qu’on espère retirer du prêt ou à
cause du prêt plus qu’on n’a donné. Par la même raison il peut y avoir usure
dans les autres contrats où l’on reçoit plus qu’on ne donne, comme par exemple,
si un a vendu ou acheté du vin ou du blé dans un temps pour en retirer dans un
autre plus qu’on n'a donné à raison du temps, quoique ces denrées soient
vendues ou achetées à leur valeur dans ce temps, il y a déjà usure à cause de
l'usuraire. On aurait pu néanmoins être exempt de péché si l’on n’avait eu en
vue que la nature de la chose, et non le motif du temps ou du lieu, qui ne font
en aucune façon partie de la chose, et qui, par conséquent, ne produisent per se dans les choses ni utilité, ni
charité. Il est donc évident que dans le même contrat, suivant l'espèce, il
peut y avoir péché d’usure d’après l’intention mauvaise, et
péché d’avarice sans celui d’usure, à raison du profit honteux. Il peut
aussi dans d’autres cas n’y avoir aucune espèce d’usure, quand on n’a en vue
que les besoins de la vie. Par là est aussi détruit le doute manifesté par
quelques-uns, à savoir, si l’anticipation du, temps peut produire l’usure comme
le retard ou la prolongation; par exemple, un homme doit à un autre cent écus,
qu’il doit lui rendre après un certain nombre d’années ou par annuités, en deux
ou trois termes, le prêteur consent à lui remettre le tiers, le quart ou le
cinquième de sa créance, s’il veut le payer au commence ment de l’année ou
avant les termes fixés, s’il le demande. Il est constant que dans ce cas on
reçoit plus que l’on ne donne à raison du temps, par exemple, le débiteur
devait légitimement cent écus, tandis qu’il n’en a payé que quatre-vingts à
raison du temps. Il reçoit donc plus qu’il ne donne, c’est-à-dire vingt écus de
plus: ces vingt écus appartenaient au prêteur, et ils ont passé dans les mains
du débiteur, à cause de l’anticipation du temps. Il semble donc qu’il y a ici
profit usuraire, d’après la règle qui a été donnée sur la cause du péché dans
l’usure, lequel a lieu quand on reçoit plus qu’on ne donne à raison du temps.
Mais il peut y avoir dans ce cas un double motif d’excuse
1°
quand le prêteur fait librement et par générosité cette concession au débiteur,
et quand celui-ci la reçoit sans égard pour le temps;
2° quand le débiteur compense cet excédant de profit par quelque dommage dans son bien, comme lorsqu’il ne peut se procurer d’argent pour payer avant le terme, sans aliéner ou perdre quelque partie de son bien, autrement il y aurait usure.
Mais la difficulté spéciale semble se trouver dans ces contrats dans lesquels on achète ou l’on vend des choses auxquelles le temps donne plus de valeur ou d’utilité, comme les terres ensemencées, les produits des animaux, les fruits des arbres, la coupe des forêts, comme ces sortes de produits se vendent et s’achètent la plupart du temps avant qu’ils puissent être utiles ou mis en usage, et qu’ils sont achetés moins qu’ils ne doivent valoir dans le temps où on doit les prendre pour en user, c’est avec raison qu’on demande si c’est un contrat usuraire de recevoir ou d’en espérer davantage à cause du temps où on doit les recevoir. Il y en a qui font une distinction: ou l’acheteur, ayant déjà le domaine de cette chose, quelle qu’elle sait, dès le temps de l’achat prend sur lui la responsabilité du péril, ou c’est le vendeur qui court les risques; dans le premier cas ils prétendent que le contrat est légitime à cause du danger, comme celui qui afferme son bien et qui reçoit au-delà de ce qu’il donne, trouve une excuse dans ce qu’il reste responsable de cet objet, comme il est dit, dist. LXXXVIII, Emens. Dans le second cas ils condamnent le contrat; mais à bien considérer la chose, cette distinction ne peut pas avoir lieu ici. En effet, si celui qui loue un objet reçoit quelque chose de plus, il y a justice, ce surplus est compensé par l’usage de la chose louée qui est sa propriété, et qui se trouve dans la responsabilité de la chose louée, dont la propriété simple reste à celui qui loue. Mais quand on vend une chose quelconque avec la propriété et non pas seulement l’usage, il est évident que les chances reviennent de droit à l’acheteur. Lors donc que celui qui vend des choses de ce genre garde par devers lui les chances à courir, le domaine n’est pas transféré, et il n’y a pas d’échange de vente légitime; mais il est constant que celui qui achète a déjà transféré le domaine de l’argent qu’il a donné, c’est pourquoi ce contrat a bien plutôt le caractère du prêt. Si l’on espère quelque chose de plus qu’on n’a donné à cause de la détermination du temps, il s’ensuit qu’il y a usure. En conséquence, il me semble qu’on peut sans inconvénient faire dans ces contrats une distinction différente, vu surtout qu’il ne se rencontre guère de péril de la chose dans les coupes de bois, ainsi que dans les antres ventes. En effet, ces objets peuvent être achetés ou pour l’usage de ceux qui achètent, ou pour faire du profit seulement: dans le premier cas, il n’y a pas d’usure, quoique ces objets doivent probablement valoir davantage à l’époque où on les recevra, bien qu’estimés à leur valeur au moment du contrat, ce qui est conforme à la loi de la nature et aux usages de la société, pt qu’on ne peut estimer convenablement une chose nécessaire à la vie qu’en raison de la nécessité de son usage, et cela simplement ou pour un temps déterminé. Et comme les sages estiment une chose parfaite plus qu’une chose imparfaite, et qu’on estime pour un temps déterminé une chose qui peut se vendre parmi les hommes, conséquemment, bien que ces sortes de choses se vendent moins dans un état d’imperfection que lorsqu’elles sont parfaites, il ne me semble pas qu’on reçoive d’excédant, parce que les chances de l’acheteur ont été vendues, avec l’accroissement de valeur et d’utilité. Dans le second cas, si ces contrats se font en vue du gain, on ne peut encore y trouver un profit honteux qu’à cause de la cupidité, qui provient de la condition du temps, comme on l’a dit plus haut des autres. Il peut encore y avoir usure, quand on ne stipule ce gain que d’après le temps, qu’il n’y a pas péril, ou qu’on ne peut raisonnablement douter si les choses peuvent avoir une valeur plus ou moins grande à raison du temps. Il suffit de ces données générales sur la nature des contrats où il semble que peut parfais se rencontrer l’odieux de l’usure.
Après avoir traité simplement suivant notre intention dans le
chapitre précédent de l’équité et de la justice des contrats, il nous paraît
convenable de parler plus au long des contrats faits pour un temps déterminé.
Sur cela il est très utile de rechercher deux choses,
1° est-il permis d'acheter des biens, comme des revenus ou
des propriétés pour la vie? Ce qui est un temps indéterminé?
2° Est-il licite d’acheter quelqu’une de ces choses pour un temps
déterminé, par exemple pour dix ou vingt ans? Comme on le fait souvent de notre
temps…
1° Sur la première question il faut considérer les assertions aussi bien que les raisons de certains jurisconsultes qui condamnent ces sortes de contrats comme usuraires. Nous ferons avant tout l’aveu que nous n’avons rien entendu ni rien lu ayant trait à cette question, soit dans le droit canon; soit dans les extravagantes, soit dans le recueil des lois. C’est dans les écrits de certains docteurs que nous avons trouvé ce que nous en dirons, et autant que nous le pourrons, nous tâcherons d’appuyer sur la raison toutes nos affirmations. Goffrédus, qui fait autorité dans le droit canonique, dans son résumé des titres des décrétales, s’exprime ainsi sur le titre De usura, chap. VII, Qui naviganti. Cet auteur dit expressément dans cet endroit que c’est un contrat usuraire que de donner de l’argent ou une somme d’argent à une Eglise pour certaines propriétés dont le bailleur de fonds doit jouir pendant sa vie et qui doivent revenir à cette Eglise après sa mort; et il en donne cette raison que le fermier a l’espérance de vivre au-delà du temps qu’il lui faudra pour recouvrer sur les revenus tout l’argent qu’il aura déboursé. Or l’espérance seule rend usuraire, voilà le sentiment de cet auteur et la raison alléguée par lui. lin théologien adoptant cette opinion ajoute d’autres raisons, montrant d’abord qu’un contrat de ce genre ne peut s’excuser à raison du doute ou du danger, parce que c’est un contrat pareil dans lequel un individu donne cent livres pour en recevoir dix par an tant qu’il vivra, espérant bien vivre onze ans et plus, ou avec la clause de recevoir cent dix livres la onzième année, en ajoutant même la condition que s’il vient mourir avant, il ne sera rien reçu de toute la somme. Or il est constant qu’il y a usure dans ce second contrat, et ce caractère d’usure n’est pas effacé par le motif du doute ou du danger, comme on le prouve dans le chapitre Naviganti. Par la même raison il y aura aussi usure dans le premier, malgré le motif du doute, parce qu’il y a toujours l’espérance de recevoir davantage. Le même docteur veut pour cette raison que le vendeur aussi bien que l’acheteur tombent dans le péché d’usure, parce que suivant cette raison, de même que l’acheteur reçoit en espérance plus qu’il ne donne, il en est ainsi du vendeur, parce qu’il espère ou au moins désire la prompte mort de l’acheteur; et s’il arrive que celui-ci vienne à mourir dans la première ou la seconde année, il est évident qu’il recevra plus qu’il n’aura donné. Mais je n’ai jamais entendu dire ni lu dans aucun auteur que l’on étende cette usure au vendeur. Cet auteur semble appuyer cette opinion qu’il adopte comme son sentiment personnel sur les paroles d’Aristote qui en deux endroits de ses écrits, à savoir dans le livre X de l’Ethique et le premier de sa Politique parle de la monnaie, montrant que l’intention de la monnaie se fait par translation, c’est-à-dire que par elle se transfèrent les autres choses nécessaires à la vie de l’homme; aussi quand il s’opère une translation de monnaie à un autre pour grandir sa fortune et multiplier ses richesses, c’est le thokos c’est-à-dire l’usure, ainsi qu’il résulte des paroles de ce Philosophe. C’est pour quoi, couine dans l’achat des revenus à vie il se fait une translation d’argent dans le but de le multiplier, il semble toujours et naturellement qu’il y a un caractère d’usure Outre cela, ce sentiment paraît s’appuyer sur la loi divine; il est dit dans le Lévitique, chap. XXV "Quand vous vendrez quelque chose à quelqu’un de vos concitoyens ou que-vous achèterez quelque chose de lui, vous n’attristerez pas votre frère, mais vous achèterez de lui à proportion des années qui restent jusqu’au jubilé, et il vous vendra la chose à proportion de ce qu’elle peut produire jusqu'à ce temps." La Glose dit en expliquant ce passage, quando vende etc. Ce passage nous donne, pris à la lettre, un enseignement moral et nous apprend à avoir des égards pour flotte prochain dans les contrats, à ne pas profiter par cupidité du besoin du pauvre, à ne pas mettre trop d’ardeur à se rendre maître du bien des autres, mais bien à prêter aux indigents et à retirer peu à peu ce que l’on a prêté du produit des champs. D’après cette autorité et la Glose il parait que lorsqu’on achète les propriétés de son prochain en donnant les produits pour payement, il n’est permis à l'acheteur de prendre rien au-delà: quiconque par conséquent achète des propriétés à vie ou des viagers quelconques espère recevoir quelque chose en sus du prix, ou reçoit quelque chose s’il vit au-delà de son espérance, fait un contrat illicite et contraire à la loi divine. Ce que nous avons dit sur la cause de l’usure semble venir à l’appui, parce que dans ces contrats on espère ou on reçoit toujours plus qu’on ne donne unique ment à cause du temps; or cette cause rend un contrat usuraire. Sans oser taxer de faux le sentiment d’auteurs qui ont une telle autorité, comme il y a parmi les anciens et parmi les modernes des auteurs d’une égaie autorité qui ont embrassé l’opinion contraire, il nous paraît convenable de discuter la vérité de cette question à la lumière de la raison dans la mesure des faibles moyens que Dieu nous a donnés.
Il faut savoir d’abord que nous avons mis à néant le sentiment d’un certain docteur en droit fameux, qui condamnait ces sortes de contrats non comme usuraires, mais comme vicieux pour une circonstance annexée au péché, à savoir le désir de la mort de l’acheteur de la part du vendeur. Si c’est là un mal, il ne vient pas de la nature du contrat, c’est une circonstance extérieure qui ne doit pas faire condamner le contrat; c’est pourquoi, suivant le susdit docteur, si l’on faisait de pareils contrats pour la vie des vendeurs, ils ne seraient nullement mauvais. En cherchant donc ce qu’il peut y avoir de justice dans ces contrats, et s’ils peuvent se faire licitement, et les moyens de réfuter les raisons de ceux qui pensent différemment, nous disons d’abord que celui qui est maître d’une chose est également maître de l’usage de cette chose. Nous disons aussi en second lieu que le véritable maître d’une chose peut la transférer à un autre gratuitement ou même moyennant un prix ou au moyen d’un échange. Nous disons de plus en troisième lieu que le Maître peut transférer l’usage et les fruits d’une chose qui lui appartient. Nous disons quatrièmement que comme le véritable maître d’une chose peut donner ou vendre simplement et pour toujours la ‘propriété de cette chose, ou son usage ou les fruits d’un bien, il peut de même la donner ou la vendre pour un temps déterminé ou particulier. Tout cela se prouve par la véritable nature du domaine. Il faut remarquer aussi que dans le prêt on ne doit estimer la substance d’une chose et sa valeur que suivant la nature de la substance et non suivant celle de l’usage de la chose ou du fruit, parce que cela doit se faire gratuitement d’après la nature du prêt. C’est pourquoi le prêteur ne doit rien espérer de l’usage de la chose prêtée au-delà de la valeur de cette chose, parce que c’est à raison de la substance que le prêt est transféré et non à raison de l’usage; il en est autrement dans les choses prêtées pour l’usage. En effet, la substance d’une chose en elle-même ne reçoit ni plus ni moins, mais dans le contrat de vente et d’achat, on n’estime pas seulement la substance de la chose, mais encore ses fruits et son usage or il arrive que les fruits des choses ou leur usage augmentent ou diminuent parmi les hommes leur valeur, aussi d’après la nature de semblables contrats, on peut espérer plus qu ne donne, ou même craindre de recevoir moins qu’on n’a donné; c’est pour cela que les marchands peuvent espérer un profit de leur commerce tandis que ceux qui prêtent ne le peuvent pas. Il faut remarquer aussi, ainsi que le dit le Philosophe qui traite ce sujet dans le premier livre de sa Politique; que tout échange parmi les hommes se fait pour les besoins de la vie, il faut en conséquence est leur valeur d’après le degré de leur utilité ou nécessité pour la vie humaine. Or cette utilité éprouve bien des modifications;
l° le temps,
2°
par le lieu,
3°
par leur condition,
4° par leur nature.
Comme dans la vente d’une chose est transférée avec son usage ou
simplement ou pour un temps. Quand c’est simple ment, il est constant que
l’acheteur peut recevoir plus sans péché, parce que l’utilité de la chose et
ses fruits ont été transférés pour toujours avec la substance de la chose. Mais
quand dans la vente la substance d’une chose et son utilité ne sont transférées
que pour un temps et non simplement il n’est pas juste suivant la nature d’une
chose, d’estimer une chose dont la substance n’est possédée que pour un temps
autant que celle dont la possession doit être perpétuelle, parce qu’il n’y a
pas en elle pour celui qui la possède une utilité aussi grande; quoique l’on
reçoive ou espère recevoir plus qu’on n’a donné il n’y a pas d’autre injustice,
surtout quand l’acheteur a l’intention d’acheter en vue des besoins et de
l’utilité de la vie, et non en vue du gain et d’un accroissement de richesse,
ce qui dans tous les autres achats produit la culpabilité, suivant Aristote.
Pour ce qui est des vendeurs, comme pour la plupart ils ont toujours en vue
quelque utilité ou de leur famille, ou de l’Eglise, ou de la Cité, et
n’agissent pas pour le gain, ils sont plus susceptibles d’être excusés. Nous
disons aussi,
5° que le droit qu’on a de recevoir plus qu’on n’a donné dans l’achat pur et simple des propriétés, on l’a aussi pour recevoir plus qu’on n’a donné dans l’achat à vie des propriétés ou des revenus; parce que tout ce qu’on reçoit de plus appartient au prix par la raison qu’on a acheté la substance d’une chose avec l’usage et les fruits, comme lorsqu’on a fait un achat pour toujours. Mais il y a encore du doute dans ce sentiment, à savoir si le vendeur peut retenir la substance qu’il a reçue quand l’acheteur n’a pas survécu on a vécu peu de temps après l’achat pour un temps déterminé, parce que à raison du doute et du danger résultant d’un contrat de ce genre, ce bien lui appartient. Cette raison excuse quelquefois dans les contrats par leur nature, ce qui n’a pas lieu dans les prêts, parce qu’alors c’est une circonstance étrangère à la nature du contrat. Quelquefois le danger vient de la nature du contrat comme aussi le doute, tant du coté du vendeur que de celui de l’acheteur; il serait juste alors d’acheter ou de vendre une chose au-dessous de sa valeur, ce qui ne serait pas permis si le péril ou le doute ne venait pas de la nature du contrat. Par con séquent le contrat est juste de sa nature lorsqu’il y a de part et d’autre le même doute si l’on reçoit ou si l’on doit recevoir plus ou moins. En effet, si un individu achète un cheval et en donne cent livres, il est constant que si le cheval vient à périr immédiatement après le paye ment, le vendeur a le droit de garder les cent livres, quoique l’acheteur n’ait retiré aucune utilité de son achat, par la raison &i4 a transféré en toute justice son bien à l’acheteur. De même de celui qui a vendu une p pour un temps indéterminé, dont la détermination dépend de la nature et non de l’homme, si le temps vient à être déterminé contre l’intention de l’homme, il a transféré son bien autant que de droit, et cette translation lui revient d’après la nature du contrat. Il faut en outre considérer que dans ces sortes de ventes et d’achats à vie il se trouve par la nature d contrat une égale liberté de volonté tant du côté du vendeur que du côté de l’acheteur, surtout quand ce sont des riches qui vendent et des pauvres qui achètent, ce qui est plus fréquent par la nature du contrat, parce que les uns et les autres le font pour leur utilité particulière. En effet, le riche n’est pas forcé de vendre pas plus que le pauvre d’acheter; le pauvre n’est pas tenu non plus de donner ou de prêter gratuitement au riche, comme je n’est pas tenu de son côté de donner une part de son bien à tel pauvre; c’est pourquoi toute translation, qui se fait par la libre volonté des maîtres, s’opère conformément à la justice. Il résulte de cela que le vendeur et l’acheteur reçoivent en bonne justice et comme un bien qui leur est devenu propre tout ce qu’ils reçoivent au-delà de. ce qu’ils ont donné. Mais dans le prêt on ne peut trouver le même de justice quand ou retire du prêt quelque profit excédant; car celui qui emprunte comme celui qui prête agit volontairement et librement; mais ce n’est pas avec une même liberté de volonté que l’emprunteur promet quelque chose de plus, c’est par une espèce de violence qui lui est faite par la perversité du prêteur, lequel ne veut pas faire sans espoir de gain ce qu’il est tenu de faire gratuitement. On ne peut donc pas assimiler ce surplus qu’il reçoit au prêt qui lui est rendu, il n’a aucun juste titre pour l’accepter. Il faut conclure de ce qui vient d’être dit que, tant à raison de la juste estimation des choses au temps du contrat, parce qu’une chose n’est justement estimée qu’autant qu’elle se rapporte à l’utilité du possesseur et n’a de valeur qu’autant qu’elle peut être vendue sans fraude, tant à raison du danger qui accompagne le contrat par sa nature du côté de l’un comme de l’autre des deux maîtres; tant aussi à raison de la libre volonté des maîtres dans la translation de leurs biens avec leurs revenus, ces sortes de contrats sont de leur nature exempts de tout caractère usuraire. Nous avons dit de leur nature, car ces contrats peuvent contracter accidentellement le caractère de honteux profit et quelquefois même d’usure. Il y a lucre honteux sans usure quand un riche, dans une position à se suffire pour la vie, sous le rapport de sa fortune, de sa personne et de sa condition, achète ces revenus pour s’enrichir encore et multiplier ses richesses sans une nécessité juste et honnête; on appelle alors cette action un profit honteux, parce qu’alors on n’agit pas pour une fin convenable à la vie humaine, mais par avarice, en quoi il n’y a pas de but. D’un autre côté il y a usure dans cette sorte de contrats quand un homme pressé par le besoin est forcé de vendre malgré lui ses revenus ou ses biens par la nécessité, et cela parce qu’il ne peut trouver à emprunter chez les riches. Il y a aussi usure quand les riches, considérant le besoin de leurs voisins, achètent au-dessous de leur juste valeur le bien des pauvres auxquels la charité fraternelle leur fait un devoir de venir en aide en le prêtant. C’est de ce cas que parle la loi de Moïse, Lévitique, XXV, comme on le voit par le texte et par la Glose; lorsqu’elle dit qu’il faut compatir au besoin de son prochain, ne pas exploiter les nécessités des pauvres, leur prêter, et retirer peu à peu ce qu’on leur a prêté du produit des champs. On voit par là qu’en pareil cas la vente se fait parce qu’on ne peut trouver à emprunter, qu’il y a achat au lieu d’emprunt, et que l’estimation de l’acheteur est moins conforme à la justice à cause de la nécessité du vende c’est pourquoi l’acheteur n’a pas de titre pour devenir un juste possesseur de ce qu’il a reçu au-delà de ce qu’il a donné. Aussi sous ce point de vue l’usure peut se glisser non seulement dans les achats à vie, mais aussi dans les simples achats à perpétuité. Il faut donc en général considérer que lorsqu’on achète un bien quelconque, soit pour un temps, soit définitivement en vue du gain que l’on attend uniquement à raison du temps et non d’après la nature de la chose dont on est devenu possesseur, un pareil contrat est vicieux,et un semblable profit est appelé dans le droit profit honteux. Mais si achète un bien par spéculation l’estimant au-dessous de sa valeur à cause du besoin du vendeur, tandis que ce serait un devoir de fraternelle de prêter à son prochain pour l’empêcher de tomber dans une profonde misère, ainsi que l’ordonnait l’ancienne lois le profit que l’on fait en pareil cas dans l’achat prend le caractère de l’usure per oequipollentiam mutuationis, parce qu’on reçoit plus qu’on ne donne sans un juste titre à la possession de la chose. Mais si on achète une chose à un autre sans aucune pensée de gain, mais pour sa nécessité ou son utilité, quoiqu’on reçoive plus par le laps du temps qu’on n’avait donné à l’époque du contrat, comme c’est d’après la nature du contrat qu’on le reçoit per se et que le temps n’y entre qu’accidentellement pour quelque chose, je crois qu’il n’y a rien d’illicite.
Nous allons nous occuper maintenant de répondre aux assertions et aux raisons de nos adversaires, et nous dirons 1° d’abord que rien dans le droit canon ne confirme le sentiment de Goffrédus, 2° que l’exemple qu’il cite n’est bon que lorsqu’une Eglise, sous la pression de quelque besoin, est obligée d’engager ses biens qu’elle ne peut ni ne veut aliéner d’une manière définitive; alors effectivement il n’y a pas proprement de vente, mais une impignoration, parce que celui qui ne peut vendre d’une manière définitive un bien ou une chose quelconque, ne peut pas non plus par la même raison l’aliéner pour un temps. En effet, il est constant que, bien que certaines Eglises aient de grandes propriétés, elles ne peuvent néanmoins aliéner leur droit de possession ni pour toujours, ni pour un temps, sans l’autorisation du supérieur ecclésiastique. C’est pour cela que les ventes faites par ces Eglises sont des impignorations; aussi pour cette raison ces contrats sont usuraires, parce qu’il n’est pas permis de percevoir les produits des objets mis en gage au-delà du prix stipulé, par la raison qu’ils ne sont pas de même nature. Quant à ce que dit notre docteur sur l’espérance de vivre assez pour recevoir plus qu’on n’a donné, il faut répondre que cette espérance ou cette acception d’un surplus ne constitue l’usure que lorsque ce que l’on espère ou reçoit en sus survient dans le prix, sans être de même nature. Autrement tous ceux qui achètent des terres ou des animaux, pour bénéficier sur les revenus par le laps du temps, ou sur les choses mêmes vendues dans un autre temps, seraient usuriers, ce qui serait une absurdité, parce que de cette manière tout marchand serait usurier. Mais dans les ventes justes, quand un maître transfère purement et simplement, ou pour un temps, le domaine de son bien avec l’usage et les produits, il est constant que tout produit de la chose vendue est de la nature du prix et non un accident, aussi cette espérance ou l’acception d’un surplus ne rend pas il contrat usuraire, et je le dis sans intention d manquer à ce qui est dû à un si grand maître. Pour ce qui est allégué par un autre docteur en théologie, il nous semble qu’il faut répondre qu’il y a deux espèces de doute, l’un qui excuse, l’autre qui n’excuse pas. Le doute excuse quand il fait disparaître l’inégalité et la juste estimation de ce qui est donné et reçu quant à la nature et l’usage des choses échangées, par exemple, lorsqu’on achète une rente à dix pour cent, dont on paie immédiatement le montant pour la recevoir pendant la durée de sa vie ou de celle d’un autre. En considérant l’utilité de chacune de ces éventualités par rapport au possesseur, il y a un doute raisonnable sur la valeur de l’avantage à cause du temps qui est indéterminé, et par conséquent il y a une estimation équivalente à raison du doute. On voit d’après cela que le motif du doute constitue la justice de l’estimation, conséquemment tout ce qui est donné ou reçu, de plus par l’acheteur ou par le vendeur est reçu comme faisant partie du prix. Quant au doute qui peut s’élever uniquement par rapport à la perte ou au profit, d’après la détermination du temps, il ne peut excuser, parce qu’il ne provient pas de ce doute une estimation juste, par la raison qu’on espère qu’il résultera quelque profit par le fait de la détermination du temps, ce qui ne peut faire une juste compensation, aussi est-il évident que les choses extra-posées ne sont pas de la même nature. Car pour celui qui espère recevoir tout à la fois cent dix livres la onzième année, il y a déjà. compensation de l’inégalité à raison de la détermination du temps, et il fait ainsi un contrat usuraire; mais à l’égard de celui qui n’espère recevoir un surplus que dans un temps indéterminé et d’une chose achetée justement, suivant sa nature, dans ce cas, comme nous l’avons fait voir,-on ne reçoit Tien au-delà du prix, mais ou espère le tout comme son bien, et un bien dont on est devenu maître, non à raison du temps, mais bien à cause de la nature du contrat. On peut aussi réfuter de cette manière ce qui est cité d’Aristote pour confirmer cette opinion D’abord la pensée de ce philosophe, comme on le voit d’après ses paroles, est que la monnaie a été inventée pour l’échange des choses nécessaires aux besoins de la vie, par conséquent, lors qu’on fait une translation de monnaie, pour multiplier par son moyen les autres choses de même genre, on abuse de la monnaie, c’est un contrat déshonnête que l’on appelle thokos. Aussi il me semble évident que le contrat dont il s’agit n’est pas le thokos; d’abord parce que, quoique les revenus soient achetés à prix d’argent pour la vie, le contrat de sa nature ne fait pas qu’ils soient achetés pour ajouter de l’argent à de l’argent, mais bien que l’on achète avec cet argent acheté des choses nécessaires à la vie. Et cette fin est contraire à celle que le thokos a en vue. On peut encore dégager ce contrat du caractère d’usure par une autre raison, c’est que pour l’ordinaire dans ce contrat, ce n’est pas l’argent monnayé que l’on achète, mais bien les choses qui, par leurs produits; se rapportent à l’usage de l’homme, comme un champ et d’autres biens, ou qui s’y rapportent immédiatement par elles-mêmes, comme le blé, le vin, l’huile, et autres choses de cette nature. Mais le thokos, comme dit Aristote, est la monnaie de la monnaie. La troisième raison pour laquelle le thokos ne se trouve pas dans ces sortes de contrats, c’est que, suivant Aristote, il y a thokos, quand on acquiert de l’argent avec de l’argent, à la manière des choses qui produisent leurs semblables. Or il est constant que lorsque des choses engendrent leurs semblables, ces choses qui produisent ne s’altèrent pas dans la génération; mais lorsqu’on donne cent livres pour en retirer dix par an pendant sa vie, il n’y a pas là un caractère de génération, par la raison que les cent livres ne restent pas au pouvoir ou dans le domaine de celui qui les donne avec leur produit, il y a eu translation complète de sa part, il ne conserve même pas le droit de les réclamer, comme il se fait dans le thokos, aussi ce contrat doit-il s’appeler plutôt l’échange d’une chose pour une autre, que la production d’une chose par une autre.
On voit par là que le thokos n’est pour rien dans ce que nous nous sommes proposé de dire sur cette espèce de contrats. Mais pour ce qui est de la loi divine relativement à ces contrats, il faut dire d’abord que cette loi, prise à la lettre, est appelée divine, mais qu’elle est néanmoins temporaire, comme beaucoup d’autres lois qui furent données à ce peuple d’une manière figurative suivant le sens littéral, par conséquent, comme le peuple chrétien n’est pas obligé d’observer la loi du jubilé, il n’est pas non plus obligé d’exécuter les lois faites en vue du jubilé, dont on en a cité une. Et encore une fois, si l’on considère ce qu’il y a de mortel dans cette loi expliquée dans le pas sage de la Glose qui a été cité, il se trouve qu’il n’y a rien contre la nature de ces contrats, mais uniquement contre les intentions perverses dès riches qui achètent, qui, suivant la Glose Molesti, exploitent les besoins des pauvres, et s’évertuent à se rendre maîtres du bien d’autrui, quand la charité fraternelle leur fait un devoir de prêter aux indigents, et de rattraper peu à peu ce qu’ils ont prêté, par le moyen du produit des champs. Ainsi il est évident que c’est accidentel au contrat et non de sa nature, puisque la plupart du temps on ne vend que par besoin, tandis qu’on achète dans des conditions différentes; et ni la loi, ni la Glose n’entachent d’usure par la nature, mais bien per accidens. Pour ce qui est dit du temps, la vérité est. évidente, si l’on se rappelle ce qui a été dit, que le temps peut se rapporter à certains changements opérés dans les choses, comme donnant ou faisant perdre quelque chose de la juste valeur. Sous ce rapport, si l’on vend plus ou moins à raison du temps, il n’y aura pas d’usure. En effet, la mesure de froment est estimée à juste titre plus haut en été qu’en automne, toutes choses égales d’ailleurs, c’est-à-dire pour ce qui concerne la nature du temps, c’est pourquoi on ne regarde pas comme usurier celui qui vend en été son blé plus cher qu’il ne l’a acheté en automne, pourvu qu’il ait l’intention de vendre son blé dans ce temps-là seulement, et non dans un autre. Il est évident aussi de cette manière qu’on a raison d’estimer davantage dix livres par an pour toujours que pour un temps particulier, de même que pour un temps on estime plus, un cheval jeune qu’un vieux, et cela d’après la nature du temps. Et cependant si quelqu’un a acheté dix livres pour toujours, on ne regarde pas comme usure ce qu’il a reçu de plus qu’il n’a donné, quoique ce soit à raison que cela lui arrive, et d’une manière certaine. Aussi on ne doit pas regarder comme usurier celui qui reçoit plus d’une chose qu’il a achetée pour un temps particulier. L’unique cause de cela, c’est que, par la nature du temps, cette chose est devenue sienne avec tous ses revenus, et le tout appartient au capital. On peut aussi dans les contrats considérer le temps comme n’ajoutant ou n’ôtant rien à la valeur de la chose de sa nature, mais seulement comme une mesure extrinsèque de durée. Donc lorsque, à raison du temps considéré ainsi, on reçoit ou que l’on espère quelque chose de plus qu’on a donné l’usure ou l’injustice sont évidentes, parce que ce qui est reçu de plus que ce qui a été donné n’est pas compensé par la nature de la chose, pas plus qu’il n’est donné ou reçu gratuitement; par conséquent, ce surplus ne peut à aucun titre devenir un bien propre, il reste au contraire toujours un bien étranger.
Voilà ce qu nous avions à dire sur
l’achat et la vente des revenus et des biens à vie: nous prions tous ceux qui a
occasion de lire cet écrit, de nous excuser si nous nous sommes trompés par
ignorance, et de corriger ce que nous avons dit de peu exact, parce que notre
intention ici, comme partout ailleurs, n’est pas de désavouer ce que nous avons
dit ou écrit.
Nous allons passer maintenant à la seconde partie de ce chapitre et
nous occuper des contrats dans lesquels on achète
certains revenus ou des propriétés pour un temps déterminé.
Par exemple: un particulier a des revenus certains, d’une paroisse,
d’une prébende, de son patrimoine ou d’ailleurs, il veut vendre ces revenus pour
six ou dix ans, ou pour un temps déterminé pour avoir tout de suite une
certaine somme d’argent; on demande s’il est permis de les acheter moins qu’ils
ne valent en les payant chaque année? Il semble qu’on le peut parce que,
suivant ce qui a été dit précédemment, on estime davantage des choses présentes
et réunies que des choses futures et divisées, et encore une fois celui qui
vend ces sortes de revenus en retire autant et quelquefois plus de profit qu’il
ferait de la jouissance. Outre cela l’Eglise permet aux clercs qui ont pris la
croix de vendre les revenus de leurs bénéfices pour trois ans, or elle ne le
ferait pas s’il y avait usure dans ces sortes de contrats. Mais ceci est évidemment
contredit par ce que nous avons dit de l’usure, que l’acheteur dans ce contrat
reçoit ou espère avec certitude plus qu’il ne donne, et ce contrat ne présente
de sa nature ni danger, ni doute, aussi paraît il tout simplement usuraire du
côté de l’acheteur. Nous pensons, sauf meilleur avis, que ces contrats ne sont
pas défectueux du côté du vendeur, pour ce qui est de la nature du contrat
lui-même; mais pour ce qui est du temps ils peuvent paraître usuraires du côté
de l’acheteur par la raison qu’il recevra plus qu’il ne donnera, non pas
seulement en espérance, mais en réalité, et cela uniquement à raison du temps.
Or quand le moins donné par rapport à ce qui est reçu est compensé sous le
rapport de la surabondance de ce qui est reçu par la seule raison du temps,
nous estimons dans ce cas qu’un tel contrat est usuraire, parce que cette
surabondance st transférée sans un juste titre. Il me semble qu’il peut
s’effectuer aussi un contrat juste du côté de l’acheteur, et que ce contrat est
juste de sa nature. Mais il peut devenir injuste par accident de deux manières.
1° Quand il détruit la charité
qui est due à un frère, par exemple quand l’acheteur voit son frère dans un
besoin pressant du corps ou de l’âme qui l’oblige à aliéner ses revenus ou ses
biens, dans ce cas, s’il est riche et qu’il puisse se courir son prochain sans
nuire à es propres intérêts, je dis, sauf meilleur avis, qu’il est tenu de lui
prêter, et de prendre en gage ses revenus et ses biens jusqu’à ce qu’il aura
recouvré ce qu’il avait prêté, et cela se prouve par cette loi du Lévitique
XXIV et sa Glose.
2° Ce Contrat peut devenir
injuste du côté de l’acheteur à raison de l’altération de la fin
légitime qui est le besoin de la vie. C’est pourquoi lorsqu’il s’opère
uniquement pour bénéficier et augmenter ses richesses, c’est alors un profit
honteux, mais il est entaché d’usure sous le premier point de vue. Mais le
contrat de sa nature a eu lui trois choses qui manifestent la justice;
1° La première est la libéralité
du vendeur qui est maître de donner gratuitement son bien ou de l’échanger pour
une chose d’un moindre prix, sous ce rapport l’acheteur n’est nullement
coupable parce que ce qu’il reçoit provient en totalité de la volonté libre du
maître.
2° La seconde, c’est l’équité de
l’échange des choses, parce que quand une chose est vendue suivant la juste
estimation qui en est faite, soit par le vendeur, soit par l’acheteur ou par
ceux qui connaissent les lois positives, alors la justice est observée dans
l’échange mais il est constant que le vendeur ne peut recevoir davantage à
raison du temps de la vente, et puis les choses qui doivent se produire par le
cours du temps ne s’estiment pas autant que celles qui se trouvent réunies dans
le même moment, et ne sont pas aussi utiles à eaux qui les possèdent, aussi la
justice demande qu’elles soient moins estimées.
3° La troisième est la nature du sort, parce que ce qui est reçu en sus de ce qui est donné est de la nature du sort, par la raison que l’acheteur achète tout ce qui doit provenir dans un temps déterminé, et par conséquent il ne reçoit rien au delà de ce qui lui appartient, pas plus que celui qui achète des revenus d’une manière définitive.
Telles sont les raisons qui établissent la justice de ce contrat et détruisent la raison contraire qui semblait prouver-le vice d’usure dans ce contrat, parce que quoiqu’on reçoive plus qu’on ne donne, cela se fait en vertu de la nature de la chose échangée, et ce surplus n’est pas quelque chose d’accidentel au sort, mais fait partie de ce qui appartient à l’acheteur; de même que l’on reçoit plus qu’on ne donne dans les biens achetés comme héritage définitif. C’est assez sur ce qui regarde les ventes et les achats pour un temps déterminé.
Comme nous avons déjà dit que les contrats sont entachés d’usure quand les choses sont vendues plus cher uniquement à cause du retard, et que nous trouvons ce caractère dans les ventes de ces fagots qui se vendent par centaines et par milliers généralement, c’est avec raison que nous allons examiner sur ce sujet s’il peut y avoir justice dans ces contrats, ou si ils sont tout simplement usuraires. Il nous semble qu’ils sont usuraires, parce que la vente se fait à un prix plus élevé uniquement à cause du temps, ou il y a dans les objets une moindre utilité et conséquemment une moindre valeur à raison du temps où ils sont vendus, l’été par exemple ou le printemps; c’est pourquoi si alors une partie est donnée à plus bas prix, ce qui arrive toujours k cause de l’argent qui est tout prêt, qu’on ne le ferait si il n’y avait pas d’argent, on vend en conséquence le reste plus cher à cause du retard de payement; mais c’est là ce qui rend un contrat usuraire, donc, etc. Il y a aussi double raison de douter, parce que se rencontre dans les maîtres principaux qui vendent des forêts et des bais par lots; cela se voit aussi dans les marchands qui achètent de ces maîtres des lots de bais et en font des fagots qu’ils vendent en suite par nombres déterminés. Les uns et les autres donc vendent ces bais plus qu’ils ne valent au temps de la vente à cause du crédit temporaire qu’ils accordent. Si donc les choses qui sont vendues par les marchands, soit pour le présent, soit pour le temps de la moisson, sont estimées au temps de la vente suivant les règles de la justice et de l’équité, moins qu’elles ne sont vendues, et si on prend quelque chose au delà d’une juste estimation pour le crédit accordé, ce contrat est rigoureusement usuraire, ce qui peut se prouver par le même chapitre de Extrav. consuluit, où l’on appelle formellement contrat usuraire celui par lequel on vend beaucoup plus cher, en raison de la longueur du crédit, qu’on ne le ferait au comptant, et où il est dit qu’il faut faire restituer ce qui a été reçu de cette manière.
Mais d’un autre côté il y a la coutume générale vue et tolérée par
l'Eglise. Outre cela, suivant la justice chaque chose doit avoir plus de prix
et de valeur dans le temps et pour le temps où l’on peut en user que pour un
autre temps où ce même usage ne serait ni si utile, ni si nécessaire; mais ceux
qui vendent des bois et des fagots et autres choses de cette nature n’en
exigent le payement en les vendant que pour un temps où leur usage est plus
utile qu’au temps de la vente c’est pourquoi on peut les estimer et les vendre
plus cher qu’ils ne valent au temps de la vente. Pour cette raison je pense,
sauf meilleur avis, qu’on peut excuser ces contrats d’usure lorsqu’on peut
douter de la plus ou moins grande valeur de ces choses
au temps du paye ment. On prouve cela dans les Extrav.
chap. in civitate. Ce
n’est donc pas à raison de la longueur du crédit que ces choses sont vendues
plus cher; mais parce que suivant une juste appréciation on vend plus cher les
choses qui doivent avoir selon toute probabilité plus, de valeur au temps fixé
pour le payement qu’au temps de la vente, et ainsi on ne reçoit pas plus qu’on
ne donne uniquement à raison du temps, comme le disaient ceux qui prétendent le
contraire, mais on tient la balance égale entre ce qui est donné et ce qui est
reçu pour le temps de la vente. Aussi il faut remarquer qu’on peut, sans se
rendre coupable, faire crédit dans les contrats pour trois raisons.
1° Par la
bienveillance et la générosité du vendeur, quand la chose est vendue suivant
une juste estimation pour le temps de la vente ou de l’échange, et quand le
vendeur attend généreusement le payement un certain temps par bienveillance
pour l’acheteur. De cette manière le crédit n’est en rien illicite et ne rend
pas le contrat vicieux.
2° Il
peut y avoir dans un contrat un crédit licite à raison de la justice du contrat
et non par la faveur du vendeur, comme par exemple si on vend une chose dans
tin temps où elle n’est ni si utile, ni si nécessaire à la vie qu’elle le sera
dans un autre temps suivant la nature du temps, et si le vendeur a l’intention
de vendre la chose pour le temps où elle sera plus nécessaire ou plus utile et
où elle vaudra plus que dans le temps de la vente, il est juste d’après la
nature du contrat, que le vendeur attende au moins le temps en vue duquel il
fait une estimation plus élevée, et par conséquent un pareil crédit n’entache
en rien ni le contrat ni les contractants. Ceci se prouve par les Extrav. même ch. Naviganti.
3° En troisième lieu, il peut y avoir un crédit accidentel par la malice, la pauvreté ou l’impuissance de l’acheteur. De cette manière en vendant sa chose plus qu’elle ne vaut au temps de la vente, ou même plus qu’elle ne vaudra probablement plus tard, au temps fixé, le vendeur peut être excusable par son intention, quoique de soi le contrat soit vicieux.
En effet, si le vendeur a l’intention de vendre sa propriété plus cher, non pas seulement à raison du temps, mais aussi à cause du dommage qui résultera pour lui du retard de payement, mais encore pour compensation des désagréments probables qu’il a à craindre dans la réclamation de ce qui lui est du à cause de la méchanceté ou de l’impuissance du débiteur, dans ce cas il est exempt de toute culpabilité et l’estimation dans ces contrats est justifiée par la compensation du dommage que l’on a raisonnablement à craiu4re en faisant crédit. On reconnaît la droiture de cette intention quand le vendeur aimerait mieux ne pas vendre à telles personnes que de vendre à crédit, et quand il préférerait vendre moins cher et être pas comptant que de vendre plus cher mais à crédit à ces personnes. Il y a une espèce, de crédit qui rend un contrat usuraire, c’est quand à raison du crédit, on vend une chose plus cher que sa valeur réelle ou qu’elle vaudra probablement au temps du payement; dans lequel cas cependant le vendeur ne vendrait pas ses denrées s’il ne bénéficiait pas à raison du crédit. On voit d’après cela dans quels cas peuvent être licites les contrats sur la vente des forêts par lots et des bais par fagots, dans quels cas aussi et comment ils deviennent usuraires. Mais sur la seconde partie de ce chapitre il y a doute si les contrats sont licites quand on achète certaines choses meilleur marché en les payant comptant, par exemple, du blé en terre pendant l’hiver, des taillis qui doivent pousser encore trois ans ou plus que l’on achète avant le temps de la moisson ou de la coupe moins cher qu’ils ne vaudront alors. Ainsi le blé se vend eu hiver moins qu’il ne vaudra raisonnablement au mais d’août au moment de la récolte, et ainsi des forêts et des taillis. Le contrat paraît usuraire du coté de l’acheteur parce qu’il reçoit plus qu’il ne donne à raison du retard temporaire, comme on voit dans les exemples proposés. C’est là ce qui rend les contrats usuraires, comme nous l’avons dit souvent. Outre cela ces contrats ne peuvent trouver leur justification dans le doute ou le danger parce qu’il n’y a pas raisonnablement lieu de douter si ces choses au moment où on les recevra vaudront plus que le prix qui en a été payé à l’époque de la vente. Mais ce qui vient à l’encontre c’est que la juste estimation de chaque chose dépend de son utilité ou de sa nécessité; mais il est évident qu’une chose imparfaite n’est ni aussi utile, ni aussi nécessaire que lorsqu’elle est parfaite, aussi ne doit-elle pas être estimée quand elle est imparfaite et éloignée de sa perfection autant que lorsqu’elle est parfaite. Mais lorsque ces choses sont achetées tant qu’elles sont imparfaites, elles doivent être estimées à un prix moins élevé dans leur état d’imperfection qu’elles ne pourront valoir quand elles se seront perfectionnées. Outre cela la plus value qu’une chose acquiert par le temps appartient en toute justice au maître de cette chose; par exemple, si l’on achète des terres, des arbres ou des animaux susceptibles de produire, tout ce qui est le produit du temps et pas seulement du travail appartient au propriétaire. C’est pourquoi lorsque par la nature du temps le blé mis en terre, comme les forêts acquièrent par le temps une plus grande valeur, c’est une conséquence que tout ce qui en provient en sus du prix d’achat appartient de droit à l’acheteur, et devient pour lui un capital, aussi ne reçoit-il rien au-delà de ce qui lui revient quoiqu’il reçoive plus qu’il n’a donné en achetant. C’est là notre conviction, sauf meilleur avis. Ce que nous disons ici est relatif à la nature du contrat, quoique néanmoins par accident et par l’intention de l’acheteur il puisse y avoir profit honteux quand l’acheteur n’envisage que l’augmentation possible de son lucre et de sa fortune provenant du temps, sans travail et sans crainte de danger. Le contrat peut aussi être usuraire d’une autre manière, quand, par exemple, on vend avant le temps convenable sous la pression du besoin qui fait un devoir de charité fraternelle à l’acheteur de prêter au vendeur s’il en a besoin et s’il le désire. Mais si on con sidère la nature du contrat en lui-même, ce n’est pas en raison du temps que l’acheteur prend davantage, mais à raison de la nature et de l’utilité de la chose tirée ou provenant de la nature du temps.
Il est question maintenant des choses qui sont confiées à autrui de
bonne foi en vue du lucre. Il y a un double point de vue dans cette question,
il s’agit de confier de l’argent, où il s’agit de confier d’autres oses qui
d’elles-mêmes entrent dans l’usage de l’homme, comme lest terres, les animaux,
les jardins. Quelques-uns voient l'usure dans le premier cas;
1° D’abord
parce qu’il semble n’y avoir aucune différence la nature de la chose entre
confier de l’argent à la bonne foi de quelqu’un et le lui prêter; mais celui
qui prête de l’argent à intérêt commet l’usure tout en demeurant responsable du
péril, Comme on le voit dans les extrav. même chapitre Naviganti. De
même celui qui confie son argent à la bonne foi d’un autre dans l’espoir du
gain commet l’usure.
2° Secondement la chose paraît aussi, parce que le profit qu’on espère de la sorte ou que l’on reçoit en sus, ne peut être possédé à aucun titre juste, par la raison que ce n’est ni un don gratuit, ni le produit d’un travail personnel, ni une compensation quelconque, aussi il paraît qu’il y a purement et simplement injustice à l’espérer ou à se l’approprier. Outre cela, bien qu’en con fiant d’autres choses qui peuvent produire du fruit d’elles-mêmes, on puisse trouver une excuse, comme néanmoins l’argent ne produit d’autre utilité que lui-même, il semble qu’en confiant de l’argent en vue du gain il y a toujours le thokos, qui est l'usure suivant Aristote, c’est-à-dire la production de dix écus par un antre, ce qui est contraire à sa nature. A cela il me semble qu’on doit répondre que, ou l’on confie l’argent de telle façon que l’on transfère en tout ou à partir du domaine de la chose confiée à celui à qui elle est confiée, ou on le confie de manière que le domaine n’est pas aliéné, mais que la chose demeure en totalité dans le domaine de celui qui la confie. Dans le premier cas il y a usure, parce qu’on veut tirer profit d’une chose qui n’appartient plus, transférée qu’elle est par la commission au domaine d’un autre, en quoi il y a assimilation au prêt, comme le prouve la première raison que nous avons donnée. Dans le second cas on peut se proposer un profit sans commettre l’usure, parce qu’alors l’argent ou la chose a été confiée comme à un serviteur, un agent qui font fructifier les biens de leur maître pour son intérêt, c’est pour cela que celui qui confie peut espérer de bénéficier comme sur une chose qui lui appartient, et ainsi il n’y a rien d’éventuel, et ce profit n’est pas pris sans titre, parce que on le reçoit comme le produit d’une chose dont on est le maître, mais non cependant comme le produit immédiat d’un écu par un autre écu, mais bien comme le produit des choses acquises par argent dans un juste échange. Nous avons dit ci-dessus en tout ou en partie, parce que si l’on confie à quelqu’un cent écus, de manière qu’on lui en prête la moitié et que l’on garde le domaine de l’autre, avec la convention que celui qui reçoit ces cent écus les fera valoir à son profit, je dis que ce lucre est entaché d’usure par la raison qu’il ne vient pas seulement d’une chose confiée, mais aussi d’une chose tout à la fois confiée et prêtée. En effet, de même qu’en logique on estime fausse une locution dans laquelle se trouve du faux, quoique directement elle signifie la vérité, comme si l’on disait, l’homme volant est un animal, de même en morale une action est jugée vicieuse lorsqu’il y a quelque chose de vicieux, comme dans le cas proposé. On voit donc d cela ce qu’il y a de vrai dans la seconde question, à savoir quand choses productives sont confiées en vue du gain. Il fau cependant remarquer que dans ces choses confiées pour bénéficier, se manifeste moins la justice commutative, parce que, quand on donne un champ ou des terres à cultiver pour bénéficier, on voit assez qu’il n’y a en cela rien que de juste, parce qu’il n’y a pas là translation du domaine, et que l’on ne prend rien au-delà du produit d’une chose dont on est le maître. On ne voit pas aussi bien la justice partout, comme quand on donne à nourrir des brebis, des boeufs, des porcs, avec un profit stipulé, parce qu’il arrive quelquefois qu’il se glisse dans ces commissions quelque fraude usuraire, comme par exemple, quand celui qui confie quelque chose décline toute responsabilité dans les chances de perte, ainsi on donne à nourrir cent brebis avec une part dans le profit, à la condition qu’on retirera toujours les cent brebis, quoi qu’il arrive. Dans ce cas il peut y avoir fraude usuraire, quand celui qui donne les brebis fixe lui-même, et en dehors d’une juste estimation, la part du bénéfice qu’il entend devoir lui revenir, laquelle détruit la compensation du travail et des soins de l’éleveur, suivant une juste estimation. Il se commet d’ordinaire une autre fraude dans ces contrats, quand un riche prête cent livres à un pauvre, afin qu’il achète avec cette somme des brebis ou des boeufs, pour les élever au profit du prêteur, comme à celui de l’éleveur. Je dis qu’il y a en cela de l’usure, parce que la source de ce lucre pro vient du prêt, ce qui fait qu’une semblable commission est entachée d’usure. Donc ces sortes de commissions peuvent se faire licitement, quand le prêt ou quelque chose ressemblant au prêt ne s’y trouve pas mêlé, mais que l’on garde la responsabilité des chances périlleuses avec le domaine, ou même quand on communique le domaine de la chose à celui qui l’a prise pour la faire fructifier en vue du profit, et que les deux parties courent les mêmes dangers; comme aussi lors qu’on fixe d’après une estimation juste le profit qui doit dédommager l’éleveur de son travail et de ses soins. C’est assez sur cette matière.
On regarde comme des lois justes certaines pratiques passées en coutume, que l’on devrait plutôt appeler des infamies que des coutumes approuvées; c’est ce que nous voyons en matière d’usure dans différentes villes et contrées, par rapport aux mineurs et aux orphelins. Nous croyons qu’il ne sera pas inutile d’examiner s’il n’y a pas péché d’usure dans les mineurs, lorsque, parvenus à l’âge de majorité, où ils deviennent par le fait maîtres de leurs biens et délivrés de la tutelle suivant les lois, et entrent en jouissance de leurs biens propres, comme de ceux qu’ils ont reçus par succession, accrus par une gestion usuraire, ou du moins sans diminution aucune, grâce à cette pratique usuraire. Ces tuteurs sont aussi dans l’habitude de tirer un profit des biens de leurs pupilles, et même de s’arroger quelque chose de plus qu’il ne leur est dû, pour la nourriture de ces enfants, ou pour avoir fait fructifier leurs biens; de même qu villes ou cités ont l’habitude de prendre les biens des mineurs, en excluant même leurs parents de la tutelle, et de donner un salaire annuel à leurs tuteurs sur ces biens ainsi détenus, tout en respectant le capital. Il semble que dans ces cas il y a deux motifs pour excuser d’usure les pupilles; d’abord parce que ce n’est pas leur fait, puisque ce ne sont pas eux qui ont donné à usure leurs biens et leurs capitaux, c’est pourquoi tout ce qui en provient à leur profit en dehors du droit, ils le reçoivent non comme provenant de prêt ou de quelque commission de leur part dans l’espoir du gain, et ils ont ainsi un juste titre pour le garder; c’est ce qui fait dire à saint Grégoire, I, 2 quest.: Nulle oblation ne rend coupable celui qui la reçoit, lorsqu’elle n’est pas le résultat d’une demande et de la convoitise. Secondement, parce que quand on est petit on n’est pas différent de l’esclave, suivant l’Apôtre aux Galates, IV. Et conséquence c’est au tuteur qu’appartient l’usagé légitime, comme aussi il lui est loisible d’en abuser, aussi il semble que l’usure ne leur est pas imputable; mais lorsqu’il n’y a pas de faute dans la possession, il n’y a pas de restitution à faire.
Mais voici ce qui est contraire à ce que nous venons de dire, c’est que le bien qu’un serviteur acquiert au profit de son maître ne peut devenir la propriété légitime de celui-ci à cause de soit ignorance, sans qu’il soit tenu à la restitution quand il connaît la vérité. Les mineurs ne peuvent donc pas retenir les profits usuraires de leurs biens, lorsqu’ils viennent à en être instruits. Il faut distinguer ici d’abord à l’égard de la cause et de l’origine de ces profits, ou ils pro viennent du produit de ce q appartient aux mineurs, comme des champs, des animaux, etc., ou ils proviennent de la translation de ces choses; et comme l’argent est la seule cause établie de translation, ainsi que le dit Aristote, cette cause se manifeste surtout dans l’usage de l’argent, qui s’effectue dans la translation des produits.
S’il s’opère de la première manière quelques profits au bénéfice des mineurs, ils ne sont en aucune façon de leur nature entachés d’usure, parce qu’on ne trouve pas en cela de lucre provenant d’un prêt, parce qu’il n’y a rien d’accidentel au sort, par la raison que le produit de ces choses les suit tout naturellement comme étant de la nature du sort, sans s’y adjoindre. Il faut aussi distinguer sous le second rapport, parce que ces profits qui s’opèrent en faveur des mineurs, par la translation des choses ou de l’argent, est un lucre pro venant de la détention de leurs biens, et de cette manière il ne leur est pas permis de le garder, parce que la détention des choses ne donne lieu au lucre, à raison de leur détention, qu’à cause de leur utilité et des produits qui en résultent. Mais si ces bénéfices ne sont pas donnés comme un lucre, mais bien comme une générosité, un don, il est alors permis de les garder. Ce sont là les deux premières raisons. Cette raison est ce qui excuse d’usure la coutume de plusieurs villes. La preuve que c’est un don gratuit se tire de ce qui détermine en faveur des tuteurs et en dehors de la volonté des pupilles, les bénéfices qui leur sont alloués, et qu’ils ne demandent et ne font jamais rien réclamer à leurs pupilles. On voit clairement d’après cela que si les tuteurs prêtent sciemment par eux ou par d’autres, à un taux usuraire, l’argent de leurs pupilles, ces profits sont le bien d’autrui, et ne peuvent être légitimement gardés par les mineurs, quand ils viennent à en avoir connaissance; que si les pupilles ne veulent pas les restituer, il faut y obliger les tuteurs.
Entre les commutations qui s’opèrent dans la société, il y en a une certaine espèce qu’on appelle change, laquelle n’a pas le caractère de prêt, parce que dans cette commutation on n’espère pas de profit à raison du temps, parce qu’on ne rend pas les valeurs au changeur en même nombre, même espèce et même poids, car il donne des francs et reçoit des livres sterling, ou une autre espèce de monnaie. De même aussi elle n’a pas proprement le caractère de l’échange qu’on appelle vente ou achat, parce que cette sorte d’échange s’opère sur des choses appréciables dont les prix sont déterminés et mesurés par la monnaie; cette espèce s’effectue par l’échange de monnaie de différentes espèces, d’où il suit que l’art du changeur, qui est une sorte de commutation, s’appelle simplement permutation. Mais on appelle généralement permutation, recevoir une chose pour une autre qu’on a donnée, et ainsi la permutation renferme toute commutation. Il y a aussi permutation, quand une chose déterminée pour l’utilité des hommes procure naturellement une utilité différente, par son échange contre une autre chose de même nature.
Il s’agit ainsi des permutations dans le droit civil et dans le
droit canonique; comme, par exemple, lorsqu’on veut permuter une paroisse
contre une prébende, ou une prébende contre une autre, et ainsi de suite; en
troisième lieu la permutation, considérée plus spécialement sous le rapport de la
matière de la monnaie, peut s’appeler commutation de la monnaie. C’est dans ce
sens que nous appelons change la permutation des monnaies qui s’exerce
communément en vue du gain; c’est de ce gain qu’il est question dans ce
chapitre, où l’on examine s’il est juste ou injuste. Il semble qu’il est
injuste sous trois rapports, suivant la nature.
1° Parce qu’il procède de
l’usage illégitime d’une chose, par la raison que la monnaie, suivant Aristote,
ne produit pas la monnaie, mais le changeur use de la monnaie pour faire du
gain.
2° Parce que l’acte de change,
s’il est juste, semble devoir se faire pour l’utilité de celui qui reçoit du
changeur, ou qu’il doit être fait gratuitement.
3° Parce que, suivant
l'Evangile, Dieu chasse des temples de pareils hommes. Il faut donc dire que le
change est juste de soi. C’est pourquoi il faut répondre à la première raison,
que l’acte de change se sert de la nature de la monnaie pour un usage
convenable; c’est la raison pour laquelle le surplus que reçoivent les changeurs
dans cette permutation de monnaies n’est pas pris à raison de l’argent, qui est
de soi invendable, mais à raison du danger ou de la nécessité pour payer le
prix des pensions, des édifices, des ministres, et aussi pour le travail et la
dépense qui se font dans un art nécessaire et licite, et pour ne pas laisser
sans salaire ses peines et ses fatigues dans une chose licite pour l’utilité
d’autrui. A la seconde il faut dire que la profession de changeur est juste
pour deux motifs, d’abord parce qu’elle désigne un acte de justice et de
liberté, par l'utilité plus grande de ce qui est donné par le changeur à celui
qui s’adresse à lui que de ce qu’il en reçoit, et en second lieu, parce que le
change de sa nature ne doit pas être gratuit comme le prêt; c'est pourquoi
l’excédant qui est reçu passe dans le domaine de celui qui le reçoit par la
simple volonté de celui qui le donne.
3° A ce qui est allégué de l’Evangile il faut dire que le Seigneur chasse les changeurs du temple, à cause du lieu qui n’était destiné qu’aux choses spirituelles; c’est pourquoi leur commerce était contraire au respect dû au lieu saint, et leur cupidité honteuse devenait ainsi manifeste. Ou il faut dire que de tels industriels doivent être chassés du temple, parce qu’il n’est pas permis aux ministres du temple, c’est-à-dire aux ecclésiastiques, de se livrer à un semblable commerce.
Il est donc une seconde fois question des marchands. Premièrement est-il permis de donner de l’argent pour en retirer un profit sans q il y ait usure à un homme qui va aux foires. Il y a ici une distinction à faire, ou c’est simplement une commission de son propre bien à la bonne foi d’un autre, dans ce cas il n’y aurait pas usure, comme nous l’avons fait voir plus haut, ch. 2, ou bien c’est une commission secundum quid, mais purement et simplement une translation, comme dans le prêt. Or j’appelle commission secundum quid, celle ou celui qui confie quelque chose ne garde pas par devers lui la responsabilité des chances. Et c’est ainsi que, à raison de la translation qui devait se faire gratuitement et sans espoir de gain, il y a usure. C’est sur ce cas que s’exprime la Décrétale, I Pour cette dernière chose si l’on fait une question à l’égard de ceux qui prêtent une somme déterminée d’argent à d’autres marchands à la charge par eux de payer une pareille somme en nombre et en poids aux créanciers de ceux qui la leur ont donnée, dans certaines foires déterminées pour le temps et le lieu, Par exemple, Baudouin emprunte à Gautier cent livres sterling en France au mais d’août, à la charge par Baudoin de payer aux créanciers de Gautier au mois de janvier suivant ce que celui-ci devait leur donner à cette époque, ou si ce n’est pas aux créanciers, au prêteur lui-même dans tel temps et tel lieu. Il y a à distinguer, ou le préteur estime au temps de la translation que cette monnaie vaudra davantage au temps et au lieu où elle doit être payée, par exemple les livres sterling ont plus de valeur en Angleterre qu’en France, dans ce cas il n’y a rien de coupable; ou il craint la dépréciation des livres sterling avant l’époque fixée; dans ce cas il faut dire que le prêteur commet l’usure, parce qu’il attend un profit du prêt, ou en prêtant il n’a en vue aucun bénéfice soit du côté du temps, soit du côté du lieu, et il ne le fait que par bienveillance et pour obliger son prochain, dans ce cas il ne se rend coupable en rien. Mais on peut élever un autre doute sur cette matière on a dit que l’espoir du gain dans le prêt constituait le péché d’usure: en conséquence il semble que si, ayant un argent particulier dont on craint la dépréciation dans un avenir quelconque suivant les décrets de la loi positive, on prête à raison de cela cet argent avec la condition qu’il sera rendu en même valeur qu’au temps du prêt, il semble que ce prêt paraissant être fait dans l’espoir du gain il y a usure. Par exemple, un particulier ayant des livres sterling valant quatre livres tournois, craint que plus tard en vertu de quelque loi positive ces livres sterling ne vaillent plus que trois livres tournois, c’est pour cette raison qu’il les prête, et après qu’elles ont diminué de valeur il ne réclame pas autant de livres sterling qu’il en avait prêté en nombre et en poids, mais il veut que le payement se fasse en livres tournais suivant qu’elles valaient à l’époque du prêt. A cela il faut dire qu’autre chose est d’éviter un dommage, et autre chose attendre un profit. En effet, quiconque attend un profit en prêtant commet une usure suivant l'Evangile, Luc, VI: "Prêtez sans espoir d’en rien retirer," mais il n’en est pas ainsi de celui qui veut éviter un dommage. On ne peut faire la première chose sans commettre une injure envers Dieu qui l’a défendu, ni sans nuire au prochain à qui est obligé de rendre gratuitement le service dont on veut retirer du profit, ce qui est contraire à la charité, tandis qu’on peut en toute justice faire la se chose, parce qu’il n’y a pas d’injure à Dieu ni aucune loi qui le défende, on ne blesse pas non plus le prochain, parce qu’on ne donne au temps du prêt rien de moins qu’il ne soit obligé de rendre; parce que ce qui est prêté vaut au temps du prêt autant que ce qui doit être rendu. Il n’y aurait même rien de mauvais quand le prêteur déterminerait le temps où probablement l’argent prêté aurait moins de valeur qu’au temps du prêt, parce que la dépréciation ne vient pas du retard temporaire seul, mais bien plutôt de la volonté de la loi positive et de la nature de l’argent, et en cela l’emprunteur n’éprouve aucun dommage parce qu’il n’emprunte pas pour garder l’argent jusqu’au temps où vraisemblablement il aura moins de valeur, mais pour en user dans le temps où il jouira de la valeur qu’il avait au temps du prêt. On demande aussi à ce sujet ce qu’il en est de celui qui prête du blé, du vin ou de l’huile suivant certaines mesures, et cela dans un temps où ces denrées ont une valeur moindre à la charge de les rendra dans les mêmes mesures et aux mêmes poids et dans la même qualité dans un temps où probablement elles auront une plus grande valeur. Il semble d’après ce que nous avons dit qu’il est permis de prêter dans ces conditions, parce que dans ce cas on ne reçoit rien de plus qu’on ne donne, vu que ces denrées sont rendues en réalité dans les mêmes nombres, poids et mesures. Outre cela dans ce cas le prêteur semble se précautionner contre une perte plutôt qu’attendre un gain, parce que si ces choses se vendaient dans un temps où elles ont moins de valeur, le propriétaire en éprouverait du dommage. Aussi il peut même les vendre pour le temps où elles auront probablement de la valeur, et il n’y a pas d’usure, comme on le voit dans les Extrav. chap. Naviganti. C’est pourquoi il semble de même qu’il peut licitement vendre ces mêmes choses avec la condition qu’elles lui seront rendues en même nombre au temps où elles auront probablement plus de valeur. A cela nous disons que dans ce cas la conscience accuse ou excuse, parce que si en réalité on doit prêter gratuitement et sans espoir d’en rien retirer, et si toutes les fois que dans le prêt et à cause du prêt on attend un profit quelconque, il y a usure, il n’en est pas de même dans l’achat et la vente. Or l’espoir du gain peut être exclus de l’intention du prêteur de deux manières, la première, quand le prêteur est disposé à recevoir en tout temps ce qu’il a prêté, même avant le temps fixé où vraisemblablement les denrées devraient être plus chères. De cette manière, quoique on ait, per accidens, un espoir de profit, on ne l’a pas per se, parce que cet espoir n’ôte pas au prêt sou caractère de gratuité. La seconde manière, c’est quand le prêteur a fixé un temps où les denrées auront probablement plus de valeur, uniquement pour se garantir du dommage. En effet, il se met à l'abri du dommage q dans la vue de ses propres besoins, il se propose de conserver les choses qui lui sont le plus nécessaires à la vie, et qu’il serait obligé d’acheter ailleurs s’il ne les avait pas, ce qui ferait qu’il aurait à souffrir de sa générosité envers le prochain: cette intention en prêtant met donc à l’abri de toute inculpation d’usure.
Nous allons en venir maintenant à la troisième chose que nous nous sommes proposée dans cet ouvrage et traiter de la restitution des profits usuraires. Que les lois obligent à cette restitution, c’est ce qui résulte clairement de leur nature. Comme, en effet, nous avons déclaré dans la première partie de cet ouvrage, chap. IV, que les profits usuraires ne pouvaient être possédés à aucun titre légitime, de même aussi on ne peut les garder avec justice et leur possession est injuste. Mais, comme dit saint Augustin, LXXIV, quest. 4, ce qui est possédé sans droit et est étranger à une personne doit être le bien propre d’une autre. C’est pourquoi tout profit usuraire étant comme le bien d’autrui pour l’usurier qui le possède injustement, il s’ensuit que c’est le bien propre d’un autre qui en a été dépossédé, mais une chose conforme à toutes les lois, c’est que ce qui a été pris contrairement à la justice soit restitué; car la restitution se rapporte toujours à la dépossession, aussi suivant toute justice naturelle toute usure doit être restituée. Mais on dira peut être que ces profits n’ont pas été perçus contre toute justice, puisque la dépossession semble s’être opérée d’une manière volontaire et aussi parce que les lois humaines, qui doivent punir le mal, n’ont pas de pénalité pour cela; aussi il paraît qu’il n'y a rien de contraire à la justice humaine. Il faut remarquer sur cela que la volonté humaine se rapporte quelquefois à ce qui est voulu propter se, et d’autres fois propter aliud. Quand c’est propter se, si ce qui est voulu est simplement juste et bon, la volonté est bonne alors, et l’oeuvre qui en procède est bonne et juste: mais si c’est injuste et mauvais, de même aussi la volonté est mauvaise. Si au contraire la volonté a trait à ce qui est voulu non propter se, mais propler aliud, par exemple un individu veut jeter ses marchandises à la mer pour échapper au danger de faire naufrage, ou la raison pour laquelle on veut une chose a le caractère de juste ou d’injuste ou est indifférente, et de cette première manière la volonté est estimée juste et bonne comparativement, néanmoins elle peut être injuste simplement, comme si l’on voulait ‘voler pour donner aux pauvres. Mais suivant la seconde manière la volonté peut être estimée juste et libre absolument quand ce qui est voulu est de sa nature juste et bon, mais elle est comparativement injuste et non libre quand ce qui est voulu a une mauvaise fin. C’est pourquoi quand on veut donner quelque chose de son bien, il n’y a en cela rien de mauvais ni d’injuste en soi, et quant à cela la volonté est libre et absolue; mais quand on veut le donner à raison du prêt qu’on ne peut obtenir autrement, cette volonté comparée à la fin qui est injuste en soi, contracte déjà un caractère d’injustice, et cesse d’être libre. Et comme c’est plutôt à l’égard du patient que de l’agent que se commet cette injustice, celui qui donne cet excédant en souffre sans être coupable. Quelquefois les lois tiennent compte de cette justice en tant qu’elle est conservatrice de la paix extérieure parmi les hommes en conséquence les lois ne punissent les coupables que dans le cas où ils troublent cette paix. Quelquefois aussi suivant qu’elles sont plus éclairées de la lumière de la foi et du droit divin, elles con sidèrent aussi la justice vraie et intérieure; c’est ainsi que les lois canoniques prohibent et punissent l’usure. Il est écrit dans Isaïe, XLII: "La paix est l’oeuvre de la justice," en conséquence, ceux qui font les lois s’attribuent une justice conforme à la paix qu’ils cherchent. Nous disons donc que c’est principalement en vertu du droit divin que doit se faire la restitution des usures, parce que dans l’Ecriture sainte et suivant la loi ancienne ceux qui prêtent à un taux usuraire sont condamnés. Il est donc contraire à la loi divine de toucher des profits usuraires. La loi nouvelle défend de rien espérer du prêt, aussi recevoir quelque chose sera bien plus contraire à la loi évangélique mais ce qui est contraire à la loi de Dieu ne petit être ni vrai, ni juste suivant nulle autre loi, parce que la loi divine est la source première et universelle de toutes les lois justes, comme Dieu est la source de tous les êtres. L’usure est aussi contraire à la loi naturelle, parce qu’elle cor rompt la fin conforme à la nature des actes humains. Car l’acte du prêt a naturellement une fin convenable qui est la société commune la charité fraternelle qui s’exerce en subvenant aux besoins du prochain, c’est pour cela qu’il doit naturellement être gratuit. En con séquence toutes les fois que cet acte se fait dans l’espoir de quelque lucre ou profit il perd la fin qui lui est naturelle, et s’opère contre la loi naturelle, aussi est-il contraire au droit naturel. Ce n’est donc pas seulement une transgression de la loi de Dieu c’est aussi une violation de la loi naturelle.
Puisqu’il faut restituer les profits usuraires, il faut savoir à qui
la restitution doit être faite. Il semble que la restitution ne doit être faite
qu’à Dieu et à ses ministres, parce que, suivant ce qui a été dit dans la I°
partie, chap. V, dans l’usure le domaine n’est pas transféré de droit divin,
mais seulement de droit humain; mais en droit suivant la raison on doit rendre
ce que l’on possède injustement, c’est pourquoi il semble que cette restitution
ne doit se faire qu’à Dieu et à l’Eglise. Mais voici ce qui est contre, c’est
que la terre appartient au Seigneur, avec tout ce qu’elle renferme, qui que ce
soit qui l’a possède, justement ou injustement; aussi il ne peut être en
réalité dépossédé de rien. On déduit de là une règle générale, qu’il faut
rendre une chose à celui qui est injustement dépossédé de cette chose ou de
l’équivalant. En effet, comme on ne doit restituer que la chose que l’on
possède injustement, de même aussi il rie faut la restituer qu’à celui ou ceux
qui en ont été injustement privés. On conclut de là,
1°
qu’il ne faut faire la restitution qu’à ceux qui étaient possesseurs légitimes
des choses restituées avant d’en avoir été privés injustement.
2° Que, si ceux qui avaient été dépouillés sont morts, la restitution doit être faite à leurs successeurs ou à leurs ayant droit, qui sont leurs légitimes héritiers.
Mais si par hasard le défunt avait légué tous ses biens aux pauvres, aux églises ou à d’autres personnes, comme en vertu du testament les pauvres ou les autres légataires acquièrent le droit à tous les biens présents du défunt, ils ont de même droit en toute justice à tout ce qui lui est dû à quelque titre que ce sait. En conséquence les exécuteurs testamentaires du défunt doivent restituer aux lieux ou aux personnes en faveur desquels il a testé tout ce qui de lui être restitué de son vivant. Si par hasard on ne connaît pas ses héritiers, et que l’on ne sache pas parfaitement à qui la restitution doit se faire, si ceux qui y ont droit sont dans des pays éloignés, sans espoir de retour, si l’on n’a pas la faculté de la leur faire parvenir ou d’aller les trouver, il faut s’adresser d’abord dans le premier cas à l’Eglise et avoir recours à son autorité, car d’après le droit divin, c’est à l’Eglise qu’appartient la restitution due à un homme qui était membre et enfant de l’Eglise; or l’Eglise c’est l’évêque. Dans le second cas il faut aussi suivre le conseil de l’Eglise, avec la clause que l'Eglise rendra ce qu’elle aura reçu sue retour inopiné des personnes auxquelles la restitution devait se faire rendait la chose nécessaires. On conclut donc de ce qui vient d?être dit, que si c’était de la main d’un serviteur, d’une servante, d’un enfant, d’une fille, d’un ravisseur, d’un voleur ou de tout autre usurier, chrétien ou juif qu’on avait reçu des profits usuraires, toutes personnes que celui qui veut restituer soit bien n’être pas les vrais maîtres des biens qui les ont produits, on conclut, dis-je, que ce n’est pas à ceux de qui on les a reçus qu’il faut restituer ces profits, mais bien aux véritables maîtres ou à leurs héritiers si on peut les retrouver. Néanmoins cette restitution doit se faire avec beaucoup de prudence pour ne pas scandaliser les personnes dont nous avons parlé. Mais si l’on croit avec quelque probabilité que ces personnes ont agi, le fils au su de son père, le serviteur du gré de son maître, le moine d’après celui de son Abbé, le ravisseur et l’usurier en vertu de possessions légitimes, dans ce cas on peut restituer aux personnes lésées; il faut eu dire autant d’une femme du vivant de son mari.
Il faut maintenant voir de toute nécessité quels sont ceux qui doivent restituer les gains usuraires. Que tout possesseur légitime ou non d’une chose injustement détenue par un autre, soit tenu quelquefois de restituer cette chose ou un équivalent, c’est ce qui est de toute évidence d’après le droit divin comme d’après le droit naturel;
1°
premièrement, parce que d’après le droit divin, le péché n’est pas remis sans
la restitution du bien volé, s’il est possible. Donc c’est celui qui est
coupable d’un semblable péché qui doit restituer; mais il n’y a de coupable que
celui qui a pris ou qui retient sans juste titre une
chose qui ne lui appartient pas, donc c’est à lui à faire la restitution. De
plus, le droit naturel dit Faites aux autres ce que vous voulez qu’on vous
fasse à vous-même, mais celui qui a été dépouillé de son droit veut avec juste
raison, que celui qui l’a dépouillé lui fasse restitution, c’est pourquoi
pareillement le déprédateur est justement obligé à faire restitution à sa
victime. Mais qui peut-on appeler ravisseur ou détenteur du bien d’autrui en
matière d’usure, de telle façon qu’il soit obligé à restitution, ce n’est pas
également clair dans tous les cas. En conséquence on demande d’abord si la
femme d’un usurier est tenue de restituer pour son mari défunt.
2°
Si elle est obligée de restituer les choses qui servent à son entretien dans la
maison de son mari.
3°
Si elle peut le faire licitement à l’insu de son mari et de son vivant.
4° On fait la même question au sujet des enfants, des serviteurs, des
ou des usuriers.
5°
On fait encore la même question au sujet des gens de peine, des marchands qui
mettent leurs personnes et leurs biens à la disposition des usuriers pour en
retirer du profit, on demande s’ils sont tenus de restituer ce qu’ils ont reçu.
6°
Si ceux qui en reçoivent des offrandes, des aumônes et des présents sont
obligés à restitution.
7° Même question à l’égard de ceux qui les favorisent, leur prêtent secours et les protègent dans leurs pratiques usuraires, comme font certaines cités, et certains princes qui favorisent et défendent ces sortes d’usuriers appelés caursini lesquels n’oseraient sans cela pratiquer leurs usures. Sur ce dernier cas il faut savoir d’abord que, comme les voleurs, les complices des voleurs et ceux qui Courent avec eux sont condamnés comme tels dans l’Ecriture, de même aussi tous ceux dont nous venons de parler, puisqu’ils coopèrent à la perpétration de l’usure, comme moteurs, auteurs ou participant au lucre, comme fauteurs ou défenseurs des usuriers, doivent être considérés comme coupables d’usure. Et comme on ne satisfait à Dieu pour une offense commise contre lui que par la pénitence, on ne satisfait de même au prochain pour un tort qu’on lui a causé qu’en lui faisant restitution suivant la justice, et cette restitution doit se faire dans la mesure du mal qui a été commis, par exemple l’un pèche comme moteur seulement, c’est pourquoi il est obligé à engager le coupable à faire restitution, et s’il n’a pas assez d’influence pour cela il doit réclamer l’aide du supérieur; s’il est encore impuissant ou s’il néglige de le faire, je pense, sauf meilleur avis, que dans ce cas le promoteur est tenu de restituer ce que ses mauvais conseils ont fait prendre injustement. S’il a été acteur principal ou secondaire, les deux sont tenus solidairement à la restitution du tout, de sorte néanmoins que si l’un restitue, l’autre est hors de cause relativement au tort fait au prochain. S’il n’a fait que participer aux bénéfices, il l’a fait ou sciemment ou sans le savoir; si c’est avec connaissance de cause, il se peut qu’il ait agi justement, pour une nécessité corporelle, quand on ne peut trouver facilement d’autres moyens, comme il arrive pour les pauvres qui mendient. C’est ainsi que sont excusables les enfants des usuriers qui ne peuvent se procurer autrement les ressources nécessaires à la vie; il en est de même de l’épouse; ou c’est pour une nécessité spirituelle, comme faisait Notre Seigneur qui mangeait avec les publicains pour les convertir. On agit encore juste ment quand c’est à raison ou d’une compensation faite ou que l’on espère faire. C’est sous ce rapport que les ouvriers, les gens de peine, les domestiques peuvent légitimement recevoir quelque chose des usuriers parce qu’ils rendent aux usuriers en travail et en ouvrage par compensation autant qu’ils en reçoivent, de manière que les usuriers ne deviennent pas par là impuissants à restituer. Néanmoins si ces ouvriers croient que les usuriers n’ont aucun bien, et s’ils ont autant de facilité de gagner leur vie avec d’autres, ils pèchent en se mettant sciemment à la disposition des usuriers en vue d’un gain qu’ils savent être le bien d’autrui, mais surtout à cause du scandale. Sous le second point de vue les enfants et l’épouse peuvent y participer, dans l’espoir d’opérer plus tard nue compensation, quand ils ont l’espérance probable de jouir plus tard de facultés qu’ils n’ont pas dans le moment de leur participation. Mais tous ceux qui y participent sciemment eu dehors de quelqu’une de ces trois causes, serait-ce même par ignorance, ou avec une connaissance peu certaine, sont tenus à restitution par leur part de participation au bien d’autrui?
On pourra ainsi par le moyen de ces raisons générales répondre aux questions précédentes.
1- 2° A la première et à la seconde question relative à l’épouse, il faut
dire que la femme de l’usurier est tenue à restituer pour son mari défunt en
tant que les mal acquis lui ont été dévolus, ou qu’elle en a usé du vivant de
son mari. Que si elle n’a rien hérité de ces biens, si les revenus de sa dot
étaient suffisants pour es besoins et ceux du ménage, dans ce cas elle n’est
pas tenue à restituer à moins qu’elle n’ait usé des biens de son mari dans
l’espérance de faire plus tard une compensation, ou qu'elle n’ait pris après la
mort de son mari quelque chose ne lui appartenant pas mais elle ne doit
restituer que ce qui n’est pas sien.
3° A la troisième question il faut dire que réponse n’étant pas la maîtresse des biens, mais bien son mari, elle est néanmoins unie à son mari pour lui venir en aide et pour user des biens communs; c’est pourquoi, comme elle ne peut aliéner les biens de son mari contre sa volonté, de même elle ne peut restituer malgré lui ce qu’il a touché du bien d’autrui. Mais comme elle est entrée dans le mariage pour contribuer à la génération, elle a été de même adjointe à son mari pour coopérer à la conservation et à l’accroissement honnête et utile des biens communs, et de plus au salut de son mari. C’est pourquoi l’Apôtre dit I aux Corinthiens, VII: "Le mari infidèle sera sauvé par le moyen de la femme fidèle." En conséquence, comme il lui est permis de faire des aumônes modérées avec les biens d’un mari usurier à son insu et quand il ne le défend pas, parce qu’elle agit ainsi dans ses intérêts, obligée qu’elle est de travailler à son salut et à la conservation aussi bien qu’à l’accroisse ment de ses biens, je pense donc qu’elle peut faire des restitutions des biens illégitimes de son mari à son insu et pourvu qu’il ne le dé fende pas, parce que en agissant ainsi elle travaille dans ses intérêts. Que si elle le fait au su de son mari qui feint de ne pas s’en apercevoir,-elle peut agir avec d’autant plus de sécurité, parce que c’est déjà une preuve que son mari approuve dès lors qu’il ne désapprouve pas. Mais si le mari le défend, ou s’il l’a maltraitée avant ou après, et qu’elle continue ou veuille continuer, elle ne le peut plus dans ce cas, parce que la femme se trouve comme les biens sous la puissance du mari, aussi doit-elle obéir à son mari et lui être soumise en tout suivant la recommandation de l’Apôtre. Et si elle ne doit pas l’obéissance pour faire le mal, elle la doit pour omettre le bien, parce que ce bien n’est pas nécessaire pour son propre salut: par conséquent si la femme ne fait pas ce qui lui semble bon, elle n’est pas coupable, mais bien celui qui l’en empêche.
4- 5° La réponse à la quatrième et à la cinquième question est évidente
d’après ce qui a été dit sur ceux qui participent. Quant à la sixième question
sur ceux qui reçoivent des aumônes, des offrandes et des cadeaux, on doit dire
ou qu’ils savent qu’ils sont usuriers, ou qu’ils ne le savent pas en recevant
ni après; s’ils l’ignorent, ils ne pèchent pas et ne sont pas tenus à
restitution. Mais s’ils le savent en recevant ou qu’ils viennent ensuite à
l’apprendre, ou c’est par nécessité qu’ils le font, ou non; si c’est par
nécessité, ils ne pèchent pas et ne sont pas tenus à restitution. Si au
contraire il n’y a pas nécessité, ou bien encore ils sont usuriers notoires, ou
ils ne le sont pas; s’ils sont usuriers notoires, dans ce cas en recevant
quelque chose d’eux on pèche à raison du scandale et parce qu’ils sont
excommuniés par le droit. Par conséquent il y a toujours obligation de
restituer, mais pas toujours à eux. Si au contraire ils ne sont pas notoirement
usuriers, ou bien ils passent pouf avoir quelque bien propre en dehors de leurs
usures, ou non: de ce dernier cas ceux qui en reçoivent quelque chose sont
obligés à restitution. Mais si ils ont quelque chose, alors on peut recevoir
d’eux sans péché des présents et d’autres choses de ce genre sans être obligés
à restitution.
6° A la dernière question il faut répondre que celui-là seul est obligé à. restitution qui prend ou retient injustement le bien t’autrui; c’est pourquoi si l’usurier qui prête dans l’espoir seul du gain n’a rien reçu, bien qu’il ait espéré recevoir quelque chose et qu’il soit coupable d’usure, il n’est pas néanmoins obligé à restitution; en conséquence celui-là seul est obligé à restitution qui retient ou prend injustement le bien d’autrui. Aussi les fauteurs et les protecteurs des usuriers ne sont tenus à restitution comme tels qu’en tant qu’ils ont participé au gain, c’est-à-dire pour avoir prêté leur concours afin de partager avec les usuriers. Néanmoins ils pèchent contre Dieu quel que soit l’avantage du pays ou de la ville qu’ils ont en vue, parce qu’ils favorisent les pécheurs dans leurs péchés. Il n’en est pas ainsi de ceux qui prêtent leur autorité, et de ceux qui choient, protégent et accueillent les acteurs, parce que ceux-ci sont cause per se, d’un acte mauvais, tandis que ceux-là ne sont pas cause de l’acte lui-même, mais de choses accidentelles par rapport à l’acte pour sa conservation et un plus ample profit.
Comme en toute chose il faut de l’ordre, il nous reste à examiner de quelle manière doit se faire la restitution des usures, et d'abord doit-on faire publiquement ou en particulier, ensuite doit-on le faire avant ou après le payement des dettes ou des legs; en troisième lieu, la restitution doit-elle se faire à une personne plutôt qu’à une autre doit-on restituer également en proportion de ce qui a été pris, ou inégalement à raison de la condition et des besoin des personnes.
I. Sur le premier
point il faut savoir qu’il y a une chose nécessaire en parlant de la nécessité
de la satisfaction et une autre en parlant de celle de sa perfection. Or deux
choses suffisent pour la nécessité de la satisfaction, l’une par rapport à
Dieu, à savoir l’humilité d’un vrai repentir du mépris de Dieu; l’autre par
rapport au prochain, à savoir la restitution pleine et entière de ce qu’on a
pris injustement au prochain en réparation du tort qui lui a été fait. Mais
pour la perfection de la satisfaction on exige deux marques finales, à savoir
le témoignage des choses que nous venons de dire où est le mérite de la
parfaite humilité à l’égard de Dieu, et la réhabilitation de la réputation
personnelle pour réparer le scandale produit par le péché vis-à-vis de
l’Eglise. Et en cela pour l’usurier notoire il n’est pas seulement nécessaire
pour la parfaite satisfaction, mais aussi pour le public de promettre d’une manière
authentique de faire des restitutions entre les mains de l’Eglise, parce
qu’autrement il serait privé par le droit des derniers sacrements et de la
sépulture chrétienne. C’est pour cela que l’Apôtre dit dans la I° Epître à
Timothée: "Reprenez cinq fois publiquement celui qui pèche."
Sur ce que nous nous étions proposé en second lieu relativement à l’ordre, il
faut savoir qu’il est communément d’usage chez nous de payer d’abord les dettes
qui sont claires, de faire ensuite les restitutions, puis enfin d’acquitter les
legs. On peut considérer comme raison de cette coutume que les legs ne sont des
dons que secundum quid et non pas simpliciter. En effet, le caractère de legs renferme
deux choses, à savoir qu’il n’est un don simpliciter
que par la mort du légateur, ce qui fait qu’il peut
toujours être révoqué du vivant du légateur et que
les legs sont faits en vue d’une utilité quelconque du légateur
après sa mort. On peut voir d’après cela que les legs, comme tels, n’obligent
pas de justice rigoureuse, mais dévotion et à cause de l’utilité qui en résulte
pour le légateur. C’est pourquoi, comme les choses
nécessaires au salut passent avant celles qui ne sont que de dévotion et de
surérogation, c’est avec bon droit qu’on acquitte-les dettes avant les legs.
Mais il est d’une justice plus rigoureuse de restituer ce qui a été enlevé
avant de payer les dettes, puisque par là on accomplit la justice qui répare
l’injure faite à Dieu et le tort fait au prochain. Mais en payant les dettes on
ne répare aucune injustice, on ne fait que payer ce qui est juste. C’est
pourquoi d’après cela il semble qu’il faut restituer ce qui a été pris avant de
payer " qui est dû. C’est pourtant le contraire qui se fait la plupart du
temps, et on peut en trouver la raison dans deux considérations:
1° La
première quand les dettes sont évidentes et manifestes, tandis que les
restitutions ne le sont pas, mais offrent quelque chose à débrouiller, et ce
qui est clair passe toujours dans le droit humain avant ce qui est obscur.
2° Secondement, quand la chose qui est due est déterminée, à savoir cent ou dix, et qu’il n’en est pas ainsi des restitutions. Mais ce qui est déterminé passe de droit avant ce qui est indéterminé comme tel.
On conclut de là que quand les restitutions à faire sont claires, évidentes et déterminées par l’aveu précis de celui qui restitue, elles doivent de droit passer avant toutes les dettes, chose que l’on voit rarement néanmoins, parce que peu de personnes ont égard au droit. Suivant ce que l’on vient de dire, on voit quand on peut restituer à une personne avant une autre, c’est-à-dire quand la restitution due à l’une est claire et déterminée, et que celle due à l’autre ne l’est pas, toutes choses égales d’ailleurs.
II. En second lieu, si l’une de ces personnes est riche et l’autre pauvre, ayant un besoin plus réel des choses qui doivent être restituées, et si la restitution est également claire de part et d’autre, on peut encore faire passer le pauvre avant le riche avec justice, parce qu’il a éprouvé un plus grand dommage, et qu’il a plus besoin de ce qui lui revient. Néanmoins, s’ils sont l’un et l’autre d’égale condition, pauvres ou riches, si la restitution qui les concerne est également claire, dans ce cas celui qui a été le premier lésé doit de droit naturel passer avant l’autre. De même si la restitution doit se faire d’une manière partielle, il faut restituer à chacun proportionnellement, suivant le tort qui lui a été fait, de manière que s’il n’y a que le tiers ou la moitié, ou toute autre partie de ce qui a été pris, il faut faire à tous, toutes choses égales d’ailleurs, la restitution d’un tiers de ce qui a été pris; la raison de cela, c’est de pouvoir montrer à tous la bonne volonté de restituer la totalité, si la chose était possible, et de cette manière chacun est plus disposé à faire condonation du tort dont il a été victime en voyant cette preuve de bonne volonté.
De ce que nous avons dit surgit une autre question sur la matière et la quantité de la restitution, à savoir si celui qui a reçu ultra sortem une brebis, un boeuf, ou toute autre chose, est tenu de rendre cette même chose, ou s’il suffit d’en payer la valeur. Sur cela on peut voir qu’il est obligé de rendre la même chose, non pas numériquement, mais le double, à cause de ce précepte de la loi de Moïse, XXII, où il est dit que le voleur est obligé de restituer la même chose au double, une brebis au quadruple, et un boeuf au quintuple. Il faut répondre à cela qu’il faut juger du vol et de la rapine autrement que de l’usure, parce que dans l’usure il y a d’une certaine manière translation du domaine jure fori, quoiqu’il n’y en ait pas jure poli, tandis que cela n’a lieu en aucune façon dans les autres cas. C’est pourquoi un cheval volé, en quelques mains qu’il ait passé, doit toujours être restitué même in jure fori. Il n’en est pas de même si le cheval est un profit usuraire; c’est pourquoi il faut juger tout différemment dans l’usure, et dire qu’il suffit de restituer la valeur; il y a deux raisons de cela. Nous en avons déjà donné une, c’est que ce qui est reçu ultra sortem n’est pas enlevé par une violence quelconque faite au maître, comme dans le vol et la rapine; aussi ne peut-on pas le qualifier de chose enlevée, mais plutôt de chose prise contre le droit naturel et divin, par Lia volonté de celui qui le donne; mais ce qui a été enlevé doit être rendu avec une identité numérique, quand même il y aurait eu amélioration. L’autre raison se tire de la nature de la permutation, où l’on prend au-delà du sort, ce qui est la nature du prêt. En effet, comme dans les prêts il n’est pas nécessaire de rendre numériquement la même chose, mais seulement une valeur équivalente, de même il n’est pas nécessaire de restituer identiquement le surplus touché à raison du prêt, il suffit d’en donner l’équivalent. Quant à ce qui est écrit dans la loi du double, du quadruple et du quintuple, ce n’est pas dans l’usure que ceci a lieu, mais uniquement dans les vols et les rapines, parce que ces usures ne portent pas atteinte de leur nature au bien de l’Etat, comme les vols et les rapines, elles ne font qu’altérer le bien personnel ou le bien fraternel, et cela non en occasionnant du mal, mais en ne produisant pas une dette légitime. Nous en avons parlé plus au long dans le septième précepte du décalogue, c’est donc assez sur ce sujet.
Puisque, dit le Seigneur, un mauvais arbre ne peut porter de bons
fruits, et que tout ce qui provient d’une mauvaise racine semble en avoir la
nature, beaucoup estiment qu’il ne faut pas seulement restituer ce qui a été
enlevé ou pris injustement, mais encore tous les revenus et tous les bénéfices
qui en proviennent, parce que ce qui provient du bien d’autrui a le caractère
du bien d’autrui, d’après le droit. Ce sentiment est exposé dans les extrav. De restitutione spoliatorum, chap. Gravis, où l’on voit qu’il y
a obligation de restituer les choses avec leurs fruits qu’on a perçus, et ce
que l’on aurait touché des parties lésées; ceci est formellement exprimé dans
la loi, extrav. De rei vendicatione, chap. Majus,
où il est dit qu’on est redevable de tous les profits perçus, ou qu’on aurait
pu percevoir. Mais la nature de l’usure semble démontrer le contraire.
1° Premièrement,
parce que dans ce cas ne se trouve pas le caractère d’une spoliation violente
ou opérée par le vol dont parlent les lois mention nées plus haut.
2° Secondement,
parce que dans l’usure le profit se trouve avant tout et per se dans l’argent qui, de sa nature, ne produit pas de fruit, par
la raison qu’il à été déterminé comme moyen de translation des autres choses.
3° Troisièmement, dans une restitution on ne doit généralement restituer qu’au prorata du dommage causé, mais ordinairement le dommage n’est pas aussi considérable que le profit qui résulte pour le voleur d’une chose volée ou enlevée, par la raison que le voleur, par son travail et son industrie, a fait fructifier la chose volée, ce que n’aurait pas fait le véritable maître.
Que dirai-je donc là-dessus? Je dis, sauf meilleur avis, qu’il ne
faut pas raisonner des restitutions usuraires comme des restitutions pour vol
et rapine. En effet, il faut restituer ce que l’on ne peut s’approprier en
vertu d’aucune loi, ni divine, ni humaine. En conséquence, ce n’est pas
seulement faire injure à Dieu que de retenir des choses ainsi enlevées, aussi
bien que leurs fruits et bénéfices, c’est encore un tort fait au prochain
d’après le droit commun, comme d’après la conscience. Mais il n’en est pas de
même dans l’usure, quoique, en effet, les usures soient contre le droit divin
et contre le droit naturel de la nature spirituelle, qui ne regarde que le
devoir de bienveillance et de charité, elles ne sont pourtant pas directement
contre le droit humain, le bien de l’Etat et la justice; sous ce rapport, par
conséquent, il y a dans l’usure translation de domaine, sans aucun caractère de
rapine. Or il est constant que les lois mentionnées parlent des choses enlevées
par violence, où ne se trouve nulle racine de juste possession. Néanmoins il
faut généralement considérer que dans toute restitution tous les fruits et tous
les bénéfices, par cela même qu’ils proviennent d’une chose que l’on est obligé
de restituer, tant à raison de leur injuste possession que parce qu’ils
proviennent d’une chose retenue sans droit contre la justice divine, ces fruits
et bénéfices ont le caractère d’un bien d’autrui, suivant saint Augustin. Aussi
ne peuvent-ils être gardés en conscience qu’en vertu de l’autorité divine. Il
faut encore considérer en second lieu qu’on n’est obligé à restituer à un
individu que ce en quoi il a été lésé dans son bien. Or il y a certaines choses
dont la possession est de sa nature fructueuse et utile, soit parce qu’elles
croissent et se multiplient par le laps de temps, soit parce qu’elles profitent
du travail et de l’industrie de l’homme, comme les terres, les champs; ces
sortes de choses doivent être restituées avec leurs produits, parce que l’homme
à qui il a été fait tort éprouve du dommage non seulement relativement à la
substance de la chose, mais encore par rapport à son usage et aux fruits qui en
proviennent, et c’est dans ce sens qu’il faut entendre les lois alléguées. Il
faut considérer en troisième lieu que la restitution doit toujours être faite à
celui qui a souffert le tort et le dommage. Si donc quelqu’un a eu à souffrir
une injure sans dommage, il ne faut pas lui faire un droit de restitution
réelle, il ne faut lui faire qu’une réparation et une satisfaction équivalente
suivant l’injure qu’il a reçue. C’est pour quoi celui qui frappe le prochain
sans lui causer aucun dommage n’est pas tenu à une restitution réelle, parce
que toute restitution réelle due à quelqu’un doit être proportionnée au dommage
causé. C’est pour cette raison que la loi de Moïse condamnait généralement le
voleur d chose usuelle et utile à la restitution du double, l’un pour la
substance de la chose, et l’autre pour son usage, d’où il faut conclure que
dans toute restitution on doit considérer tant le dom mage de la chose que
l’usage qui s’en fait par la nature même de la chose. Si donc un usurier se
procure un profit quelconque en dehors de la chose et de son usage par son
travail et son industrie sans porter aucun dommage à autrui, je dis, sauf
meilleur avis, qu’il n’est pas tenu de restituer cette sorte de profit. Par
exemple, un usurier a gagné par ses usures cent marcs d’argent qu’il a
convertis en une statue qu’il a vendue cent dix marcs, je crois, sauf meilleur
avis, qu’il n’est pas tenu de restituer ces dix marcs de profit à celui duquel
il a reçu les cent premiers marcs, néanmoins il ne peut les garder en
conscience, parce qu’il les a acquis contre la loi de Dieu avec le bien d’autrui.
Aussi il ne faut avoir recours qu’à l’autorité de l’Eglise pour restituer et
distribuer ces sortes de profits. Il surgit de là une question: celui qui vend
immédiatement après le vol une chose qu’il a volée ou la fait servir à son
usage personnel par une consommation totale, s’il ne restitue pas immédiatement
et veut restituer plus tard, est-il tenu de restituer tous les fruits que le véritable
maître aurait perçus pendant ce temps là en usant de cette chose? Par exemple,
quelqu’un a volé un poulain ou un veau que le maître véritable voulait garder
jusqu’à ce qu’ils auraient eu acquis toute leur valeur, et les a vendus
immédiatement, et s’est débarrassé du vol. On demande si le voleur est tenu de
restituer uniquement la valeur du poulain, où celle du poulain devenu cheval,
c’est ce que semblent prescrire les lois rapportées. En outre, il est obligé
d’après la loi à restituer le profit; à plus forte raison par conséquent le
dommage causé. On demande aussi à ce propos au sujet d’un argent enlevé ou
possédé injustement, comme il peut arriser que celui a qui il a été pus ou de
qui il a été indûment reçu, et qui l'aurait accru en le mettant dans le
commerce, ou a peut-être été obligé à cause de cela de vendre son bien et en a
souffert beaucoup de dommage, on demande si celui qui retient ou qui touche cet
argent sans un juste titre est obligé de rendre tous les profits que le
véritable possesseur en aurait retirés, ou de réparer absolument tous les
dommages qui en sont résultés pour lui? A ces deux questions nous répondons,
sous toute réserve, que dans toute restitution il y a deux choses à considérer
principalement, la valeur de la chose qui a été enlevée ou reçue indûment, et
le dommage causé à celui qui a subi l’injure.
1° Sur
le premier point, je dis qu’il faut restituer la chose même qui a été prise,
ait une chose équivalente, de même espèce et de même valeur.
2° Sur le second point, il faut remarquer qu’il y a un dommage causé proprie et per se, et un antre per accidens.
Dans le premier cas le coupable est obligé de réparer tout le dommage quel qu’il sait, tandis qu’il n’y a pas d’obligation dans le second cas. Pour faire comprendre ceci nous allons poser un cas: quelqu’un a éprouvé du dommage d’une soustraction d’argent qu’il voulait employer à acheter des choses nécessaires à la vie, ou à payer des acquisition à payer des dettes, par suite die cela il a souffert un dommage parce qu’il a été obligé de s des biens qui lui étaient utiles, ou d’emprunter de l’argent à un taux usuraire, ou il a éprouvé tout autre désagrément, je dis qu’un semblable dommage provient per se du vol, de la rapine; et qu’en conséquence il faut restituer à celui qui l’a éprouvé.
Outre cela il peut encore y avoir un dommage accidentel, si, par exemple, l’individu qui a perdu son argent n’a pu à cause de cela réaliser un bénéfice qu’il avait en vue, sans toutefois éprouver d’autre dommage; je dis, sauf meilleur avis, qu’un pareil profit ne doit pas être restitué à celui qui a éprouvé ce dommage. Mais si les choses enlevées sont de telle nature qu’elles puissent augmenter de valeur par le laps du temps, dans ce cas le ravisseur est tenu de proportionner la restitution à la valeur que ces choses doivent avoir par le temps et la nature à l’époque où il veut restituer. On voit là la réponse à ces questions. Il faut faire cette même considération dans les usures par rapport aux choses que l’on reçoit comme profits usuraires.
Après avoir parlé dans ce qui précède de la restitution des usures, de ceux qui doivent restituer, de ceux à qui il faut restituer, de ce que l’on doit restituer et de la manière de restituer, nous allons ex-poser dans ce dernier chapitre comment il faut y contraindre d’après les lois et le droit canonique. Il faut supposer d’abord que la faute comme acte contraire à l’amour de Dieu n’est ni effacé, ni expiée par la coaction, mais seulement par une pénitence volontaire, qui produit l’amendement. Mais la faute qui va directement contre l’amour du prochain doit trouver une répression dans les lois divines et humaines. Donc comme l’usure est directement contraire à l’amour de Dieu qui la défend et la condamne dans ses commandements, et qu’elle est également contraire à l’amour du prochain, voyons comment elle doit être réprimée. Pour concevoir cela, il faut savoir que les punitions publiques ne doivent être infligées que pour des délits publics; aussi les usuriers publics doivent-ils être passibles des peines édictées par le droit, il faut aussi quelquefois, à raison de la contumace, 'ajouter une peine judiciaire. Il y a trois peines portées par le droit, l’éloignement de la communion, le refus des offrandes à l’autel, et la privation de la sépulture chrétienne. Ces trois peines se trouvent dans les extrav. chap Quare in omnibus fere. Il y a une autre peine pour ceux qui ont agi contre les premières, celle de la suspense, à moins qu’ils n’aient accompli une satisfaction imposée par l’évêque; il y a en outre une note d’infamie qui atteint accidentellement les coupables. C’est pourquoi les usuriers publics, quand ils réclament de quelqu’un de l’argent qu’il avait donné par usure, peuvent être repoussés par exception, jusqu’à ce qu’ils aient satisfait, extrav., même chap. Quia frustra legis. En vertu de ces peines les clercs peuvent être suspendus de droit quand ils son usuriers, extrav. même chap. Plures clericorum. Quant aux récalcitrants que ces peines n’amendent pas, le juge peut et doit les frapper d’une sentence de déposition ou de suspense, et d’excommunication pour les laïcs, extrav. même chapitre Proedicta. En outre, si la justice ecclésiastique n’est pas suffisante. Il faut avoir recours à la justice séculière extrav. Beinde. Cum vero ab homme, distinct. XVII, nec licuit. Dans le for de la pénitence où il s’agit de la punition du péché comme acte surtout contraire à la loi de Dieu, il faut contraindre les usuriers à la restitution en leur refusant l’absolution, s’ils ne veulent pas faire, autant qu’ils le peuvent, une restitution pleine et entière, à moins qu’ils n’aient demandé un répit à ceux auxquels ils doivent restituer. S’ils sont pauvres ou dans l’impossibilité de le faire, il faut qu’ils promettent à Dieu et à leur con fesseur de restituer un jour suivant leurs moyens, si leurs affaires redeviennent prospères. Il faut au moins qu’ils obtiennent un abandon de ceux à qui ils doivent restituer, sans cela ils ne doivent pas être absous au tribunal de la pénitence. Tout cela se prouve par l’autorité de saint Augustin, qui dit que pour obtenir la rémission de son péché il faut restituer ce qu’on a pris. Donc, comme le confesseur déclare absous de Dieu celui que sa parole a absout, il ne doit prononcer la formule de l’absolution que lorsqu’il voit dans le pénitent les signes d’une volonté décidée à restituer, lesquels signes se trouvent dans ce que nous avons dit suivant les divers états de celui qui restitue.
Voilà ce que j’avais à dire, suivant les faibles moyens dont Dieu m’a gratifié, sur le péché de l’usure, sur l’usure en général et les contrats usuraires, et sur la restitution des profits usuraires. Si j’ai avancé quelque chose d’inexact ou d’erroné, je réclame l’indulgence, disposé que je suis à faire mon profit des observations qui seront faites. J’ai la conscience de mon insuffisance, et de mon peu de pénétration en jurisprudence et en droit, au milieu des ténèbres de l’ignorance qui m’enveloppent. C’est pourquoi je ne cesse d’implorer la lumière de la vie qui luit dans les ténèbres, afin qu’en illuminant mon coeur, elle dissipe en moi les ténèbres du péché et de l’erreur, et afin qu’elle daigne me conduire à la perfection de l’éternelle vie, Celui qui vit et règne avec le Père des lumières, dans l’union de l’éternel et consubstantiel amour du Saint Esprit, seul et unique Dieu dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Fin du soixante-douzième et dernier Opuscule de saint Thomas d’Aquin, de l’ordre religieux des frères prêcheurs, sur l’usure en général, sur les contrats usuraires dans les ventes, prêts et achats, et sur la restitution des bénéfices usuraires.