EXPLICATION DES CÉRÉMONIES DE LA MESSE.

OPUSCULE 65

Editions Louis Vivès, 1857

 

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

De la cause de la messe. 1

Pourquoi on emploie dans la Messe du pain, du vin et de l'eau. 2

Pourquoi ce sacrement se réitère. 3

Pourquoi en troisième lieu on fait deux signes de croix. 4

Pourquoi en quatrième lieu on fait cinq signes de croix. 5

Pourquoi le prêtre étend les bras en forme de croix. 5

Pourquoi on met deux classes de saints dans la première et la quatrième partie, et pourquoi de plus grands et un plus grand nombre dans la première. 5

Pourquoi en cinquième lieu on fait trois croix. 6

Raison de cette diversité dans les signes de croix. 6

Pourquoi on prend à la main le corps entier du Christ. 7

Pourquoi on dit l'oraison dominicale dans cette partie. 7

 

 

(1) Il y a dans la vertu de la sainte Croix et du sacrement de l'autel une haute convenance et une grande efficacité, puisque par leur moyen les choses contraires sont exclues, et l'Eglise se renouvelle et se sanctifie. Il y a deux manières de se renouveler, la première est de se dépouiller de ce qui est vieux, la seconde de revêtir ce qui est neuf. Il y a dans le sacrement de l'autel sept choses dont on s'occupe généralement, savoir, la cause de la messe, la différence, la fin, la vertu, l'ordre, la raison et l'utilité.

 

 

De la cause de la messe.

 

(2) Il y a trois causes pour lesquelles on dit la messe, l'honneur des saints, le salut des vivants et le repos des morts. On commence par un préliminaire qui est une prière ou invocation à la Trinité, et qui fait sommairement connaître la cause de la messe qui va suivre. Suscipe sancta Trinitas, etc... Là se trouve la demande qu'elle puisse servir à l'honneur des saints, à notre salut et au repos des défunts. Il y a donc trois différences, car il y a pour les messes trois différences qui répondent aux trois parties de l'Eglise, c'est-à-dire que l'on dit des messes pour les saints, d'autres pour les vivants, d'autres pour les, fidèles défunts. L'Eglise, en effet, se divise en trois parts, l'une qui est dans la joie, l'autre qui est eu pèlerinage, et la troisième qui est dans l'attente. Les saints qui ont marché sur les traces de Jésus-Christ sont dans la joie, les vivants sont en pèlerinage, exposés aux vicissitudes de la vie et aux tribulations, les fidèles défunts sont dans l'attente des secours de leurs frères et du repos éternel. Suivant ces trois différences de partie, il y a aussi trois différences de fin pour les messes et les offices. La messe pour les saints a une fin spéciale, parce qu'on dit: Ite missa est; la messe pour les vivants en a une autre, parce qu'on dit: Benedicamus Domino; la messe pour les défunts en a également une autre, puisqu'on dit: Requiescant in pace. A la fin de la messe pour les saints, nous sommes conviés à la gloire dont ils sont déjà en possession par Vite missa est, qui signifie, la victime nous a été envoyée par le Père, ou elle a été renvoyée par nous vers le Père; c'est pourquoi, "hâtez-vous d'entrer dans ce repos," He 4,11. La fin de la messe pour les vivants nous exhorte, nous qui sommes dans le pèlerinage de cette vie, à rendre constamment à Dieu honneur et gloire, suivant ce passage du Ps 114,18: "Nous qui sommes vivants, nous bénissons Dieu, etc... " A la fin de la messe pour les défunts, nous leur souhaitons le repos par ces mots, qu'ils reposent en paix, c'est le même souhait que nous faisons pour eux en commençant, requiem aeternam, etc. La croix du Christ appartient à la vertu de la messe, puisqu'elle est un sacrement de l'autel, et qu'elle consacre et sanctifie les sacrements de l'Eglise. - De l'ordre de la croix dans la suite du canon. Remarquez qu'il y a sept ordres de la croix dans la suite du canon, établis par le Saint Esprit avec une souveraine sagesse. Le premier ordre commence à Te igitur, clementissime Pater, jusqu'à ces mots, quam oblationem; le second prend à quam oblationem, jusqu'à ceux-ci, qui pridie; le troisième à qui pridie jusqu'à unde et memores; le quatrième à unde et memores jusqu'à per quem haec omnia; le cinquième à per quem haec omnia jusqu'à per ipsum; le sixième à per ipsum jusqu'à pax Domini; le septième à pax Domini jusqu'à la fin de la messe. Or chacun de ces ordres recèle des raisons mystérieuses et de profondes questions, que le Saint-Esprit cache ou découvre à qui bon lui semble. Dans la première partie du canon, nous exposons trois choses, nous prions Dieu pour trois ordres de créatures, nous demandons trois choses, c'est pour cela que nous faisons trois croix. 

 

 

Pourquoi on emploie dans la Messe du pain, du vin et de l'eau.

 

(3) Nous employons dans la messe trois choses, le pain, le vin et l'eau. Pourquoi, dira-t-on, ces trois choses plutôt que d'autres ? Il y a de cela trois raisons. La première, c'est que parmi les choses les plus nécessaires pour entretenir la vie de l'homme, les principales, les plus communes, les plus utiles et les plus nécessaires sont le pain, le vin et l'eau. C'est pour cela qu'elles ont dû être préférées à d'autres pour être transformées en ce qu'il y a de meilleur et de plus utile à tous, comme de plus nécessaire pour obtenir la vie éternelle, je veux dire le corps et le sang de Jésus-Christ. La seconde raison, c'est que l'on y trouve l'effet et la vertu du sacrement, sans quoi on s'en approche indignement et on le reçoit pour sa condamnation, et non. pour son salut. En effet, dans l'eau on trouve la foi qui est cachée et qui se nourrit dans les eaux; l'espérance dans le vin qui réjouit et donne du cœur; la charité dans le pain qui répare et soutient les forces. Ou bien dans le pain qui fortifie, on conçoit le Père qui est la force universelle. Dans le vin qui réjouit, on voit le Fils qui est la joie de tous, "que personne ne nous enlèvera," saint Jn 16,22. Dans l'eau qui lave et purifie, le Saint Esprit, ce qui a fait dire à Ez 26,25: "Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures." Ou encore, on peut trouver dans l'eau la pureté de la chasteté, dans le pain la force et les œuvres de la piété, dans le vin qui anime la droiture de l'intention. Ces trois choses sont tellement nécessaires à ceux qui s'approchent de l'autel, que sans cela personne ne peut le faire d'une manière utile pour son salut, aussi l'autel est placé dans un lieu élevé, afin que ceux qui doivent en monter les degrés s'appliquent à s'y bien préparer. C'est pourquoi dans la quatrième partie du canon, avant de dire, panem sanctum vitae aeternae et calicem salutis perpetuae, nous offrons comme nécessaire, hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam; mais nous parlerons de cela plus tard. La troisième raison pour laquelle on emploie à la messe du pain, du vin et de l'eau, c'est que nous prions pour trois classes d'hommes, et que nous demandons trois sortes de grâces. C'est donc à raison de cela que nous usons de ces trois choses et que nous faisons trois espèces de demandes pour trois classes d'êtres. Nous prions d'abord généralement pour tout le monde en disant: In primis quae tibi offerimus pro Ecclesiâ, etc.... Secondement pour nos amis absents, par ces mots: Mémento, Domine, famulorum famularumque, etc. Troisièmement pour les assistants, en disant: Et omnium circumstantium, etc. Nous demandons aussi trois choses, d'abord que nos jours s'écoulent dans la paix, secondement d'être délivrés de la damnation éternelle, troisièmement de mériter d'être comptés dans le troupeau du Seigneur; toutes ces demandes sont renfermées dans ces mots: Diesque nostros in tuâ pace disponas, atque ab aeternâ damnatione nos eripi et in electorum tuorum jubeas grege numerari. Donc, par la raison que nous employons trois choses, que nous demandons par la même raison, nous faisons trois croix, pour bénir d'abord par la vertu de la croix les objets présents, secondement pour obtenir de la force pour ceux qui sont le but de l'oblation, et troisièmement, afin d'obtenir ce que l'on demande. Voilà la raison pour laquelle nous faisons d'abord trois signes de croix. Ainsi s'explique pourquoi on fait trois signes de croix dans cette partie en disant à la majesté divine, haec dona, haec munera, haec sancta sacrificia illibata, c'est pour rapporter ces dons à la nature, ces présents à la grâce, et ces sacrifices saints et sans tache à la gloire de l'incorruption. Mais pourquoi ce sacrement se réitère-t-il, comment le reçoit-on dignement, quels sont ses effets, quand il est dignement reçu, pourquoi la vérité se cache-t-elle sous cette forme sacramentelle, voilà autant de questions intéressantes qui se présentent ici. 

 

 

Pourquoi ce sacrement se réitère.

 

(4) Il y a trois raisons de cela. La première c'est que retombant tous les jours nous sommes par ce moyen relevés tous les jours. La seconde c'est que comme l'arbre de vie se trouvait au milieu du paradis, de même le corps du Christ doit être au milieu de l'église continuellement, pour que les pécheurs obstinés en soient écartés jusqu'à ce que purifiés par la pénitence et réconciliés par lui ils se convertissent et reviennent à lui. La troisième c'est afin que nous ne fassions qu'un avec le Christ, et par le moyen du Christ avec Dieu. Ce qui fait dire à saint Jn 6,57. "Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui." Ou le reçoit d'une manière digne en s'y préparant par une foi complète, une bonne confession, et une pénitence convenable. Quand on l'a reçu il produit trois effets. Premièrement, il efface les péchés, secondement, il rend ferme dans la vertu, troisièmement, il ressuscite pour la vie éternelle. Saint Jn 6,55. "Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour." Pourquoi ce sacrement est-il voilé sous des espèces, pourquoi la vérité se cache-t-elle sous les espèces du sacrement, ou se trouve-t-elle voilée ? Il y a trois raisons. La première c'est pour exercer notre foi, la seconde pour augmenter nos mérites, la troisième pour ménager notre faiblesse. En effet, l'homme a d'abord recours à la foi pour admettre et consentir, secondement il acquiert du mérite dans cette épreuve de la foi, troisièmement Dieu ménage notre infirmité en ne se manifestant pas dans la splendeur de sa majesté, mais en se cachant sous un voile. Dans la première partie nous demandons que les choses offertes soient bénites, et dans la seconde nous demandons que ce qui a été béni soit transformé en un vrai et magnifique sacrifice. C'est pourquoi secondement nous faisons cinq signes de croix. Nous faisons cinq signes de croix parce que nous demandons que ce qui a été béni soit transformé en ce qui l'emporte sur tout sous cinq rapports, d'une triple prérogative et d'une double charité. C'est pourquoi nous disons, benedictam pour la plénitude des grâces, adscriptam pour la souveraine dignité et l'honneur, ratam pour la suprême et éternelle puissance; mais comme cette triple prérogative nous serait peu profitable si elle ne présentait la double charité, c'est pour cela que nous disons, ut nobis corpus et sanguis fiat dilectissimi Filii tui Domini nostri Jesu Christi; lequel manifesta une double charité à l'égard de son Père et de son troupeau; en obéissant à son Père et en mourant pour son troupeau, ou cette double charité par laquelle il se sépara de son corps et de son âme. Nous faisons aussi les cinq signes de croix sous un autre rapport pour obtenir en vertu des choses que nous avons dites ce qui nous est le plus nécessaire savoir, la rémission de nos péchés par la participation du sang, l'unité et la société des saints par la participation du corps, la crainte et l'exactitude à observer les commandements par la suprême et éternelle puissance, l'honnêteté de la vie et des mœurs par la souveraine dignité et l'honneur, et la plénitude des récompenses par la plénitude des grâces. 

 

 

Pourquoi en troisième lieu on fait deux signes de croix.

 

(5) Nous demandons dans la troisième partie que ce qui a été béni dans la première et la seconde soit transformé en un vrai et sublime sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, et c'est pour cela que nous faisons deux signes de croix. Remarquez bien que cette partie est plus courte que l'autre, mais plus sublime et remplie d'une sagesse plus profonde. Aussi on fait ici deux questions, la première, pourquoi on ne fait que deux signes de croix, la seconde, pourquoi c'est dans cette partie plutôt que dans les autres que la substance du pain et du vin est changée au vrai corps et au vrai sang de Jésus-Christ. La réponse à la première question, c'est qu'il n'y avait à racheter d'autre nature que la double nature de l'homme, savoir son corps et son âme. Or c'est dans cette partie que nous célébrons notre rédemption et notre réhabilitation qui ont été la délivrance de la nature humaine, aussi fait-on un double signe de croix à cause de la rédemption de cette double nature. La réponse à la seconde question, c'est que il y a trois ordres, l'ordre de la nature, celui de la justice et celui de la grâce. Dans l'ordre de la nature la fleur précède le fruit, dans l'ordre de la justice la peine suit le péché, dans l'ordre de la grâce, la grâce surabonde au-dessus du péché, et la miséricorde s'épanche où il n'y a point de mérite précédent. C'est pourquoi, ce n'est ni en vertu de la puissance de la nature, ni des droits de la justice que le pain et le vin sont changés en corps ou chair et sang, c'est la seule grâce divine qui l'a pu et voulu, qui l'a fait et le fait encore. Comme aussi il y a trois temps, savoir le temps avant la loi, le temps sous la loi, et le temps après la loi, ou temps delà grâce. Notre Seigneur Jésus-Christ est venu qui a célébré et institué ce sacrement, comme dans cette troisième partie du canon il consacre le pain et le vin et le transforme en son corps et en son sang. Remarquez bien que ces trois choses sont nécessaires pour ce sacrement, l'ordre, l'action et l'intention. L'ordre, il faut être prêtre, l'action, il faut proférer les paroles que notre Seigneur prononça dans la cène, l'intention, il faut avoir l'intention de faire ce que fit notre Seigneur. Ces trois choses sont aussi requises dans les autres sacrements excepté dans le baptême qui est de nécessite. Quelquefois on prononce d'une manière qui n'est pas sérieuse les paroles sacramentelles, ou pour instruire les ignorants, elles n'ont pas alors l'efficacité d'opérer le sacrement. Dans la quatrième partie, le vrai et souverain prêtre étant présent, le Père connaît déjà nos prières en présence de la vraie et souveraine hostie, il s'écoule si peu clé temps en célébrant les trois merveilles qu'il a opérées, que la clémence du Père se trouve fléchie soit par lui, soit par ce qu'il a fait.

 

Pourquoi en quatrième lieu on fait cinq signes de croix.

 

(6) Nous faisons donc cinq signes de croix, non pour sanctifier le Saint des saints qui est présent, mais afin d'offrir et de recevoir par la vertu de sa pénitence une hostie salutaire et de mériter par son secours d'être admis dans la société des saints. Car notre Seigneur Jésus-Christ a été dans sa passion une victime pure, dans sa résurrection une victime sainte, dans son ascension une victime immaculée, un pain de la vie éternelle pour ceux qui ont faim, un calice du salut éternel pour ceux. qui pratiquent la justice; nous devons donc nous rendre semblables et nous conformer à lui, nous qui montons à l'autel pour l'offrir et le recevoir.

 

 

Pourquoi le prêtre étend les bras en forme de croix.

 

(7) Mais comme cela ne peut se faire sans imiter sa passion, sa résurrection et son ascension, nous en faisons mémoire en disant: Unde et memores, etc... Afin de nous rendre purs par la chasteté en songeant à la passion, d'obtenir la droiture d'intention par l'imitation de la résurrection, et d'offrir une hostie immaculée, par la perception du pain consacré la vertu de la vie éternelle et la force de la charité, et par la réception du calice du salut éternel la gloire et l'éternité. Nous faisons donc précéder trois choses dans cet ordre saint, parce que nous devons nécessairement offrir d'abord ces trois choses, pour approcher du pain sacré de la vie éternelle et du calice du salut perpétuel. Une autre raison pourquoi on fait cinq signes de croix dans cette quatrième partie, c'est parce que nous faisons cinq demandes spéciales et que nous demandons cinq choses. Nous faisons cinq demandes, la première, généralement pour tous les fidèles vivants, supra quae propitio ac sereno vultu respicere digneris; la seconde spécialement pour ceux qui participent au sacrifice de l'autel, supplices te rogamus, etc..., ut quotquot, etc...; la troisième pour nos parents morts, memento etiam, Domine, famulorum famularumque tuarum, etc.; la quatrième généralement pour tous les fidèles défunts, ipsis et omnibus in Christo, etc... Nous demandons cinq choses, deux pour nous, c'est-à-dire pour les vivants, et trois pour les défunts. Deux pour nous, savoir, ut omni benedictions coelesti et gratia repleamur. Trois pour les fidèles défunts, savoir, refrigerii sedem, quietis beatitudinem, et luminis charitatem. C'est pourquoi dans cette quatrième partie on fait mémoire de tous les pères qui ont existé avant la loi, savoir Abel, Abraham, Melchisédech, parce que leurs personnes et leurs sacrifices figuraient la personne et le sacrifice du Christ. 

 

 

Pourquoi on met deux classes de saints dans la première et la quatrième partie, et pourquoi de plus grands et un plus grand nombre dans la première.

 

(8) La raison de cela c'est que, comme dans cet office et dans ce ministère il s'opère des choses admirables et incompréhensibles, c'est-à-dire la transformation de la substance du pain et de la substance du vin au vrai corps et au vrai sang de Jésus-Christ, nous avons besoin de secours plus puissants et plus nombreux. Mais dans cette partie, c'est-à-dire dans la quatrième, après la consécration on en trouve un moindre nombre et d'un ordre inférieur que Ton invoque afin que, par la vertu du sacrement que nous célébrons et offrons, secourus par leurs prières et leurs mérites, nous puissions monter les quinze degrés de la charité, et entrer triomphalement dans la société des saints. Donc la conversion de la substance du pain et du vin au vrai corps et au vrai sang de Jésus-Christ est quelque chose de plus sublime et de plus admirable que l'admission dans la société des saints.

 

 

Pourquoi en cinquième lieu on fait trois croix.

 

(9) Dans la cinquième partie, pour donner de l'efficacité à nos demandes, nous cherchons à nous concilier une triple bienveillance; nous invoquons la personne du Père, celle du Fils et celle du Saint-Esprit. Nous nous recommandons à la personne du Père par l'ineffable puissance, en disant, Domine sancte Pater, etc., à la personne du Saint Esprit par sa généreuse munificence, en disant, et praestas nobis, etc., et à la personne du Fils en disant, per quem haec omnia, par l'admirable et profonde sagesse avec laquelle a été ordonné le canon, de manière qu'on ne fait pas de signe de croix au mot de création, tandis qu'on en fait aux trois choses qui suivent, sanctificas, vivificas, benedicis. Et pourquoi trois ? En voilà la raison, c'est que la nature humaine n'a retiré de l'état de sa première condition ni un profit de vertu, ni une stabilité de bonnes œuvres, ni une consommation de béatitude. Dans son premier état de création, elle jouissait de la raison naturelle, du libre arbitre, mais par elle-même elle ne pouvait ni se maintenir, ni faire des progrès sans le secours de la grâce et la vertu de la sainte croix, tandis que par la vertu de la sainte croix et le secours de la grâce elle se maintient et se sanctifie; c'est pour cela qu'au premier mot de création nous ne faisons pas le signe de la croix. Nous faisons encore trois choses, sanctificas, par la foi et la rémission des péchés, vivificas, par le sacrement de la foi et la vertu des bonnes œuvres, benedicis, par la plénitude des grâces et la consommation des biens. En conséquence nous faisons trois signes de croix parce que par sa vertu et son amour nous obtenons les trois choses dont nous avons besoin avant tout, ou nous glorifions, la personne du Fils par une puissance multiple, en montrant qu'il est d'abord le Dieu de la nature, secondement le Dieu de la miséricorde, troisièmement la source de la vie, quatrièmement le roi de gloire. Il a la première puissance, parce qu'il peut tout tirer du néant, la seconde, parce qu'il peut pardonner les péchés, la troisième, parce qu'il peut donner et augmenter la grâce et la vertu, la quatrième, parce qu'il peut couronner dans le bonheur et la gloire ceux qui font pénitence ou qui persévèrent dans le bien. Dans ces mots, per quae, Domine, haec omnia semper bona creas, on voit le Dieu de la nature, dans celui-ci, sanctificas, le Dieu de miséricorde, dans celui-là, vivificas, le Dieu qui est la source de la vie et la plénitude de la vertu et de la grâce, et dans cet autre, benedicis, le roi et la couronne de l'éternelle gloire. Dans la sixième partie, par le moyen de celui qui est venu dans le sixième âge et par la vertu de la croix, nous connaissons déjà plus pleinement toute vérité, par lui nous honorons et glorifions Dieu, alors prenant confiance et nous armant d'audace pour atteindre le faîte et le couronnement de toutes les prières, nous récitons la prière, Pater noster. 

 

 

Raison de cette diversité dans les signes de croix.

 

(10) Nous faisons cinq signes de croix dans cette partie, afin de monter parla vertu et l'amour de la croix cinq degrés dans la connaissance de la vérité, sans lesquels il est impossible de faire son salut. Le premier degré est celui de la foi sur l'éternité du Père, le second sur l'égalité du Fils, le troisième sur l'unité de l'essence divine, le quatrième sur le mode d'être, le cinquième sur l'unité du Saint Esprit avec l'un et l'autre, c'est-à-dire avec le Père et le Fils. Remarquez bien que dans cette partie on observe une tout autre pratique que dans les autres, par la raison qu'il y a une grande différence dans les signes de croix, que l'on prend à la main le corps entier du Sauveur, et que dans cette partie se trouve l'oraison dominicale, toutes choses qui donnent lieu à une foule de questions. La première est pourquoi il se rencontre une si grande différence dans la manière de faire les signes de croix. Quelle est donc cette différence ? La première, c'est que le signe de croix s'étend de chaque côté en dehors du calice, la seconde, c'est qu'il se fait dans le calice sans en dépasser les bords, la troisième, c'est qu'il est étroitement limité au pied du calice, la quatrième et la cinquième, qu'il se fait d'une manière inclinée sur le devant du calice. Dans le premier signe de croix est figurée l'éternité du Fils avec le Père, dans le second leur égalité, dans le troisième, l'unité du Saint Esprit, dans le quatrième et le cinquième, l'éternité et l'unité de Dieu. En disant, per ipsum, on entend la création, cum ipso, l'opération, in ipso, la conservation; car le Père a créé par le Fils, et avec le Fils le Père tire du néant toute créature; avec l'Esprit saint il régit, dispose et conserve tout, en raison de quoi l'on dit: Est tibi Deo Patri  

 

 

Pourquoi on prend à la main le corps entier du Christ.

 

(11) La seconde question est celle-ci, pourquoi en faisant ces signes de croix, prend-on à la main le corps entier du Christ? La raison de cela, c'est qu'il a paru dans le sixième âge comme homme entier et parfait, s'est montré parfait et entier, et s'est offert pour nous; c'est pourquoi dans la sixième partie nous le prenons tout entier à la main pour l'imiter parfaitement dans notre foi et dans nos œuvres.

 

 

Pourquoi on dit l'oraison dominicale dans cette partie.

 

(12) On demande en troisième lieu pourquoi on dit l'oraison dominicale dans cette partie plutôt que dans les autres. A cela l'on répond que Nôtre Seigneur étant venu dans le sixième âge et ayant appris aux hommes l'oraison dominicale, il était plus convenable de la mettre dans cette sixième partie que dans les autres. La septième partie commence par la paix et tend à la paix, c'est pourquoi on dit, Pax Domini, car il y a une paix désordonnée des orgueilleux qui, méprisant leur supérieur, obéissent à l'inférieur; il y a une paix feinte des traîtres, Jr 14,13, Sg 14,22. Il y a une paix immonde des libertins, il y a une paix bruyante des rebelles et des schismatiques, il y a une paix gracieuse des justes. C'est là la paix du Seigneur, ordonnée parce qu'elle favorise l'ordre, vraie parce qu'elle ne trompe personne, pure parce qu'elle a horreur de toutes les souillures; pudique et éternelle parce qu'elle n'a point de fin. Il se présente dans cette partie plusieurs questions qui se résolvent avec les lumières de l'Esprit saint.

 

La première est celle-ci, pourquoi fait-on trois signes de croix à cet endroit, pax Domini, etc. En voici la raison, c'est qu'il y a trois vies dans la nature humaine, l'une de l'âme unie au corps, la seconde de l'âme séparée du corps, la troisième de Famé réunie de nouveau au corps. Dans la première vie on a besoin de la paix qui éloigne du crime, dans la seconde de celle qui exempte de la crainte, la troisième de celle qui met à l'abri de l'un et de l'autre dans la consommation de la gloire et de la béatitude, c'est pour cela que l'on dit Pax Domini sit semper vobiscum.

Seconde question: pourquoi ces signes de croix ne se font-ils pas sur le calice ou en dehors du calice, mais bien dans l'intérieur. C'est que dans le septième âge, quand on recevra la consommation de la paix du huitième il n'y aura plus de douleurs extérieures, mais des joies intérieures; voilà pourquoi l'on ne fait pas les signes de croix à l'extérieur du calice, mais dans l'intérieur

Troisième question: Pourquoi en faisant les signes de croix, tient-on à la main une des trois parts du corps du Seigneur. Réponse. Cette troisième part que l'on tient à la main en faisant les signes de croix, c'est la partie triomphante de l'Eglise qui jouit avec le Christ de l'éternelle béatitude.

Quatrième question: Pourquoi laisse-t-on tomber dans le calice cette troisième partie après les signes de croix. Il faut répondre que, signifiant le travail et l'imitation de la passion du Sauveur, elle désigne un effet intérieur et un effet extérieur. Extérieurement, peine et tribulation, intérieurement, joie et consolation. Aussi on laisse tomber cette parcelle dans le calice, parce que après les misères de cette vie, on entrera avec le Christ dans l'éternel repos.

Cinquième question: Pourquoi en laisse-t-on deux parts hors du calice ? Réponse: Les deux parties du corps de Seigneur qui restent hors du calice sont deux parties de l'Eglise, l'une qui est dans le pèlerinage de cette vie, l'autre qui est dans l'attente du bonheur.

Sixième question. Pourquoi dit on trois fois, Agnus Dei ? Pourquoi les deux premières se ressemblent-elles, tandis qu'il y a une différence dans la troisième, Dona nobis pacem ? réponse: C'est qu'il y a trois temps, dont les deux premiers sont des temps de miséricorde, et le troisième un temps de paix et de justice. Donc comme dans le temps de la tribulation on espère et attend la miséricorde, au temps de la résurrection, on acquiert une paix et une justice permanentes. C'est pour cela qu'en disant, Agnus Dei, on le répète deux fois de la même manière, et on ajoute une différence à la troisième. 

 

Fin du soixante-cinquième Opuscule.