DE LA MANIÈRE DE SE CONFESSER,
ET DE LA PURETÉ DE CONSCIENCE.

 

SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

 

OPUSCULE 63

(Écrit non authentique, probablement écrite par de Matthieu de Cracovie)

 

Traduction Abbé Védrine, Éditions Louis Vivès, 1857

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2009

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

 

 

Préambule_ 2

La confession doit être franche_ 2

Sincère_ 2

Entière_ 3

Le lieu_ 3

Le temps 3

Les témoins 4

La durée_ 4

Le nombre_ 4

Des mouvements de vanité, comment s’en confesser 5

De la désobéissance_ 7

De l’intention dans le péché_ 7

De l’occasion et de la cause des péchés 7

Occasion de péché offerte au prochain_ 9

Complaisance dans le souvenir du péché_ 10

Le temps de la mort 11

Des pensées déshonnêtes 11

Des mouvements de la chair 12

Du danger de la familiarité des dames ou des femmes 13

Des paroles inutiles 15

Du mensonge_ 16

De la dissimulation_ 16

Science nécessaire pour remplir ses obligations 17

Manière de se connaître_ 18

Source des péchés 19

Péchés contre le Saint-Esprit 20

Description du péché_ 20

Confession ou acte d’humilité de l’auteur 21

 

 

 

Préambule

 

« Comme le fondement et la porte des vertus, aussi bien que le principe de toute grâce et de toute consolation spirituelle se trouvent dans la netteté de la conscience et la pureté du coeur que l’on obtient principalement et surtout par la pure, sincère, entière et parfaite confession de ses péchés, étant appelés comme nous le sommes à vivre dans l’état de grâce, à acquérir les vertus et à éviter les vices, c’est un devoir rigoureux pour nous plus que pour les autres de nous instruire avec un soin scrupuleux de ce qu’il faut pour que la confession soit bonne et de la manière de se confesser, ainsi que doivent le faire des hommes élus pour un état de perfection.

 

La confession doit être franche

« Et d’abord la confession doit être franche, parce que les péchés doivent être déclarés simplement, sans duplicité ni excuse, comme on sait que Dieu les connaît. Il ne faut pas se servir de termes propres à pallier, à voiler, à diminuer le péché, comme il en est qui font, racontant de belles sornettes et de longues histoires avant de faire connaître leurs péchés, pour montrer par cette manœuvre qu’ils sont moins coupables dans le péché qui rejettent tout à la fin de leur verbiage inutile. Il faut donc éviter les paroles inutiles et les excuses, mais dire franchement ses péchés, et s’accuser simplement. De même il ne faut pas dire ce qui pourrait diffamer un tiers, ou indisposer le confesseur contre quelqu’un et lui donner sujet de le mépriser. En conséquence, s’il était nécessaire de faire connaître les péchés d’un autre en confessant les siens, il faut les expliquer de manière que le confesseur ne puisse en aucune façon connaître la personne avec la quelle on a péché et le complice du péché, par exemple, si vous avez donné à Pierre l’occasion de pécher et qu’il ait réellement péché, vous ne devez pas le nommer, mais il vous suffit de dire : J’ai été cause qu’une personne a commis tel péché.

 

Sincère

« La confession doit être sincère, de sorte qu’on ne dise sciemment rien de faux, et qu’on n’affirme rien de douteux ; ce qui est certain doit être déclaré comme certain, et ce qui est douteux comme douteux. Dites tout simplement. « J’ai fait telle et telle chose, j’ai eu tel et tel désir, j’ai eu la volonté bien arrêtée de commettre tel péché et je n’y ai renoncé que parce que je n’ai pas pu, ou n’ai pas su, ou parce que j’ai craint la honte ou la peiné temporelle. » Il y en a cependant qui par ignorance, ou par honte, ou parce que ils ne se soucient pas de spécifier leurs péchés, mentent formellement en confession, en disant des choses générales, avec une certaine précaution, sous lesquelles ils renferment les péchés qu’ils ont commis. Ils disent par exemple, je m’accuse d’avoir mal surveillé mes cinq sens, savoir la vue, l’ouïe, etc. Si néanmoins on les interrogeait sur chaque sens en particulier, il se trouverait qu’il en est quelqu’un par lequel ils n’ont pas péché, surtout après s’être confessés ; il en est de même pour les péchés capitaux sur les quels ils ne sont pas universellement coupables, ainsi que le font entendre leurs paroles. Il faut donc éviter une pareille manière de s’accuser, surtout quand on se confesse souvent, il faut dire ce qui est vrai et nécessaire et laisser de côté ce qui est faux et superflu.

« Il faut aussi avant la confession s’examiner avec soin et dire d’abord les fautes viles et graves que l’on soit sûrement avoir commises ; sans porter atteinte à la vérité en voulant faire de l’humilité ou pour toute autre raison. Ensuite on peut dire les choses générales et légères que l’on ne peut pas spécifier en détail, comme les pensées, les paroles oiseuses, la négligence et la paresse dans l’oraison, la perte de temps, les distractions dans la récitation de l’office, ou dans la prière, l’ingratitude pour les bienfaits de Dieu, les soucis superflus pour son corps ou pour les choses temporelles ; les petits ressentiments contre le prochain, les jugements téméraires peu graves, le mépris du prochain dans sa personne, sa vie, ses moeurs, le défaut de contentement de ce que Dieu a fait, fait ou laisse faire, et autres choses semblables qui étant une suite inévitable de l’infirmité de l’âme, ne peuvent être déclarées numériquement ; il vaut beaucoup mieux les effacer chaque jour par ses larmes, ou les reconnaître comme des défaillances de l’âme et se maintenir dans l’humilité convenable.

 

Entière

« La confession doit être entière, de telle sorte que l’on confesse tous les péchés dont on se souvient, ou que l’on avait oublié de déclarer et qui reviennent en mémoire, sans en dire une partie à un confesseur et une autre partie à un autre, parce que un semblable partage est absolument interdit. C’est ce que font ces pénitents qui craignent d’être méprisés par leur confesseur ou de perdre quelque chose dans son estime, redoutant plus la honte des hommes que la désobéissance à Dieu, et plus avides de la gloire extérieure que de la paix intérieure de l’âme et de la pureté de la conscience. De même si dans votre confession vous avez oublié quelques péchés et que vous vous en souveniez le lendemain ou un autre jour, il faut avoir recours au même confesseur pour vous confesser si vous en avez la faculté, ou à un autre, ou autrement la bonne volonté que vous avez suffit pour vous mettre ainsi de conscience. Si au contraire ce n’est pas par oubli mais par une mauvaise disposition ou par honte que vous avez oublié ou omis de confesser quelque péché, vous êtes tenu de recourir au premier confesseur. Si vous voulez recourir à un autre, vous êtes tenu de confesser de nouveau tous les péchés que vous aviez déclarés d’abord, aussi bien que ce que vous aviez omis avec ce que vous avez fait depuis votre confession ; vous êtes obligé, en outre, de vous confesser du mensonge ou de la dissimulation que vous avez commis, parce que vous avez donné à entendre à votre confesseur que vous vous étiez confessé d’abord intégralement.

 

Le lieu

« La confession doit également être complète, parce qu’elle doit renfermer les circonstances aggravantes qui sont le lieu où on a péché, par la raison qu’il y a plus de mal à pécher dans une église ou dans un lieu sacré que dans une maison ; il y a plus de mal aussi à se livrer à des pensées déshonnêtes, en disant la messe, l’office ou les heures qu’en écrivant ; il y a plus de mal à regarder et à toucher avec une disposition déshonnête les parties du corps qui sont voilées que la main ou le pied, parce que la délectation libidineuse[1] est plus grande. Il faut donc faire ainsi la différence des lieux.

 

Le temps

« Le temps où l’on a péché, parce qu’il y a plus de mal à perdre la messe ou à se livrer à la fainéantise un jour de dimanche ou de fête solennelle qu’un jour ordinaire ; le péché dans un jour de grande solennité est plus grave qu’en un autre temps, il y a plus de mal à négliger l’oraison, à tenir de mauvais propos, à se livrer à la gourmandise quand on doit communier ou que l’on a communié, que dans un autre temps.

 

Les témoins

« Il y a plus de mal à dire ou à faire quelque chose devant celui qui peut en prendre occasion de pécher, que de le dire ou faire en secret ; il y a plus de mal à dissimuler la haine que l’on a dans le cœur que de se montrer indisposé envers telle personne, tel que l’on est, sans donner pourtant par là à personne l’occasion de se livrer à la haine ou de suivre un mauvais exemple, comme le dit saint Grégoire. En conséquence, il ne suffit pas de dire : Je me suis irrité d’une parole que l'on m'a dite, mais il faut dire et ajouter : et j’ai feint de ne pas ressentir l’injure dans mes paroles et mes gestes, pour paraître humble quand j’étais orgueilleux, et j’ai ajouté ainsi le mensonge à la colère que j'ai dissimulée. De même, il y a plus de mal à toucher Berthe en l’embrassant que si on la touchait au même endroit avec le pied, parce que cette manière de toucher est plus impudique. C’est pourquoi il ne suffit pas de dire : J'ai touché Berthe d’une manière déshonnête, il faut encore dire la partie du corps, si c’est la main ou le sein, sur les habits ou à nu, avec la bouche, la main, ou le pied, etc.

 

La durée

« Comme le péché est plus grand quand il a une plus grande durée, dans la délectation corporelle comme dans la délectation mentale, soit que l’on garde la haine pendant un mois ou pendant un an, il faut aussi examiner avec soin quelle a été la durée dans le péché de la pensée, parce que il faut voir si la raison succombe à la sensualité en consentant à une œuvre de volonté délibérée qui serait commise s’il y avait possibilité, et alors la faute est aussi grande que si le péché avait été réellement commis, parce que, en pareil cas, la volonté est réputée pour le fait. Si au contraire la raison ne fait que succomber sensuellement à une délectation qu’elle ne veut pas traduire en acte, dans l’unique intention de se procurer intérieurement une délectation voluptueuse, dans ce cas, quoique il n’y ait pas un consentement plein et entier, il y a néanmoins péché mortel, ainsi que l’enseigne saint Augustin, mais il est moins grave que le premier dans lequel il y a consentement à la délectation et à l’acte. Mais s’il n’y a de consentement ni pour l’un ni pour l’autre, si l’on ne fait que s’y arrêter malgré soi, ou parce que on n’y a pas fait attention ou qu’on n’a pas pu s’en débarrasser, il faut alors faire connaître l’occasion qui a été donnée. Quoique ce sentiment assez sévère s’applique aux péchés charnels ou criminels, il peut cependant trouver son application dans l’homicide et dans plusieurs autres péchés. Quoi qu’il en soit, il est avantageux pour la pureté de la conscience de faire cet examen pour les mauvaises pensées qui se sont longtemps prolongées.

 

Le nombre

« En effet, il y a plus de mal à commettre deux fois qu’une un péché ou du cœur ou des sens ; c’est pourquoi, lorsqu’on peut s’en souvenir, il faut spécifier le nombre des mauvaises pensées que l’on a eues, ou des mouvements libidineux que l’on a éprouvés, aussi bien que la volonté de commettre quelque péché, le nombre de regards que l’on a jeté sur quelqu’un par délectation sensuelle ; il faut également dire combien de fois on a fait mettre quelqu’un en colère, ou on a murmuré, et ainsi de suite. Si l’on ne peut point se rappeler le nombre, il faut dire avec simplicité et bonne foi qu’on a fait tel péché tant de fois, autant qu’on en peut juger. Il faut noter que les péchés peu graves de pensée ou de parole ne doivent pas être déclarés numériquement, à moins qu’ils n’aient été l’occasion de quelque péché grave ou de quelque faute considérable, ou s’ils étaient de leur nature de l’espèce des péchés capitaux ; si néanmoins on était longtemps distrait pendant l’oraison ou la psalmodie par quelque pensée légère, je crois qu’il serait bon de l’expliquer, si on s’en souvenait, à cause du grand dommage qu’on en éprouve. De même, lorsqu’on s’impatiente quelquefois pour quelque parole légère, ou qu’il peut naître quelque mauvais soupçon, il faut alors spécifier à cause des mauvais effets qui s’ensuivent, de telle sorte qu’il faut spécifier ces paroles oiseuses ou légères quand elles sont cause de quelque péché ou de quelque faute grave, ou une occasion de péché pour quelqu’un. Il suffit donc de dire en gros toutes les distractions que l’on a eues dans l’oraison et dans la récitation de l’office pour des pensées légères, de cette manière : « Je m’accuse de toutes les distractions et divagations d’esprit que j’ai eues dans l’oraison, pendant la messe, en disant l’office, à cause des pensées inutiles et oiseuses dont je me suis trop occupé et qui ont fait que je n’ai pas été attentif comme je le devais et le pouvais. » Quant aux mauvaises pensées que l’on a accueillies avec plaisir, il faut les expliquer autant que possible sous le rapport de la quantité, de la durée et du nombre, ainsi qu’il a été dit. Pour ce qui est de celles, quelque mauvaises qu’elles soient, que l’on n’a ni recherchées, ni accueillies avec plaisir, auxquelles on ne s’est pas arrêté et on n’a pas donné occasion par intempérance dans le boire ou le manger, mais qui se sont dissipées après être venues inopinément, qui ont déplu, que l’on a éloignées, autant qu’on l’a pu, ou qu’on a cherché à éloigner, dès qu’on s’en est aperçu, en s’occupant à lire ou à méditer, il n’est pas nécessaire de s’en confesser, parce que non seulement l’homme n’en est point coupable, mais même il y acquiert du mérite comme athlète combattant et vainqueur. Ce qui fait dire à saint Jérôme : « Heureux celui qui dès qu’il lui vient une mauvaise pensée, la détruit immédiatement et l’écrase contre la pierre, c’est-à-dire contre le Christ. » Il y en a aujourd’hui qui se confessent de telles pensées pour en tirer vanité et par vaine gloire, afin que leur confesseur les juge avancés dans la spiritualité, tandis qu’il faudrait cacher tout cela et n’en rien dire en confession, parce que le pénitent doit faire connaître avec simplicité l’état de son âme : aussi de tels pénitents sont des larrons du trésor de Dieu, avides qu’ils sont de vaine gloire ils doivent donc subir le châtiment des voleurs. Car l’Apôtre parlant de ces mauvaises pensées auxquelles on résiste, dit qu’« avec la tentation, Dieu vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter (1 Co 10, 13), » par la raison que la résistance est un moyen de mérites pour l’homme ; c’est que j’estime dignes d’être blâmés tous ceux qui sous prétexte de charité, ou pour soi-disant demander conseil, ou pour tout autre raison, dévoilent et font connaître malicieusement et par fourberie les secrets que Dieu seul connaît.

 

Des mouvements de vanité, comment s’en confesser

« Comme c’est un plus grand péché de tirer vanité d’une grâce spirituelle que l’on a reçue de Dieu, que d’une œuvre manuelle de l’homme, il en résulte qu’il faut se confesser de la vaine gloire ou spirituelle ou corporelle, et il y a plus de mal à s’attrister du bien spirituel de quelqu’un que de son bien corporel, parce que le premier déplaisir provient de l’envie que l’on éprouve des avantages de son frère, ce qui est un péché contre le Saint-Esprit, par conséquent irrémissible. Le second déplaisir vient de la simple jalousie, conséquemment, il ne suffit pas de dire : « J’ai eu du déplaisir du bien du prochain par envie », il faut encore spécifier si c’est du bien spirituel ou du bien corporel. Par la même raison il y a plus de mal de se réjouir du dommage du prochain, comme d’un péché qu’il a commis, ou de son infamie, ou parce qu’il a perdu la grâce de Dieu qu’il possédait, que d’un dommage temporel. Toutefois, il faut prendre garde à la manière de se confesser du péché de vaine gloire dont on vient de parler relativement à un bien spirituel, pour ne pas commettre un péché de vanité plus grand en s’accusant de cette faute. Car en donnant à comprendre à votre confesseur que vous avez eu de la vanité parce qu’on vous a vu faire oraison, ou répandre des larmes pendant la messe, ou parce qu'on vous a loué pour avoir bien prêché, vous pouvez tirer vanité de tout cela, ou commettre le péché de vaine gloire, parce que votre confesseur peut juger par là que vous êtes versé dans la spiritualité. Vous devez donc expliquer avec précaution les dons que Dieu vous a faits dans l’oraison, ou l’effusion des larmes, ou autres choses de ce genre. Vous pouvez cependant vous exprimer ainsi : « Pendant que je disais ou entendais la messe, ou que je prêchais, j’ai fait certaines choses que j’ai cru pouvoir faire penser aux personnes qui me voyaient que je jouissais de quelque don spirituel. Et comme je me suis complu dans cette pensée et que j’y ai consenti sans peine, je m’en accuse. » Ou encore de cette manière : « J’ai désiré qu’on me crût favorisé de dons particuliers quoiqu’il n’en fût rien, et pour le faire croire, je me suis livré à certaines manœuvres » ; il en est de même pour les autres péchés. De même, il faut user de discrétion en accusant les péchés de vanité que l’on a eue en faisant des actes de vertu. Il suffit de dire sans autre explication : « J’ai fait certains actes dans lesquels je n’ai pas cherché uniquement la gloire de Dieu mais bien plutôt celle des hommes, parce que je n’ai pas seulement voulu être estimé de celui à qui j’ai dit ou fait quelque chose de bien, mais que j’ai désiré en outre donner de la publicité à ma bonne œuvre. » Remarquez qu’il ne faut se confesser des pensées de vaine gloire que lorsqu’il y a complaisance, consentement, délectation morose. Si donc, lorsqu’elles viennent, vous reconnaissez que vous ne devez pas vous y livrer, et que par suite elles vous déplaisent sur-le-champ, et si vous avez recours à Dieu pour les chasser, ou si du moins vous faites vos efforts pour ne pas y consentir, soyez certain que vous ne péchez pas, mais qu’au contraire vous en acquérez du mérite. Dites donc dans votre cœur aussitôt que vous vous en apercevez : « Seigneur, venez à mon aide (Ps 6, 9, 1). » Ou bien encore : « Seigneur, je suis attaqué, défendez-moi (Es, 38, 14). » Et prenez bien garde que ces orages ou ces pensées orageuses ne vous empêchent pas de commencer ou ne vous fassent pas abandonner une bonne œuvre qui a le bien pour motif principal, ainsi que plusieurs font aujourd’hui par défiance spirituelle, persuadés qu’ils perdent tout le fruit de leurs œuvres, parce qu’il leur vient dans ces bonnes œuvres des pensées de vaine gloire. Voilà ce qu’il faut répondre à ces suggestions scrupuleuses : « ce n’est pas pour toi que je fais et veux faire cette bonne œuvre, et tu ne me la feras pas abandonner. » C’est pourquoi, quand bien même vous donneriez une certaine complaisance et un certain consentement à ces pensées, confessez-vous-en avec douleur et franchise, et n’abandonnez pas pour cela un bien commencé principalement en vue de Dieu, mais au contraire résistez avec courage et constance, priant Dieu de protéger son œuvre. Si pourtant vous éprouvez vivement l’aiguillon de la vaine gloire comme il yen a qui ne peuvent rien dire ni faire de bon sans la sentir, je vous conseille de ne pas prendre plaisir à parler longuement de Dieu, ou de la spiritualité, en enseignant les autres sous prétexte de charité, car assurément il se cache sous le voile de la charité un poison bien doux. J’estime qu’il est plus sûr et plus expédient de vous humilier et de garder un silence salutaire, crainte de vous blesser en guérissant les autres ; parce que votre esprit a encore besoin de tuteur, et votre langue de frein, tant que ce danger menace votre cœur, autrement, comme je viens de le dire, en voulant sauver et guérir les autres, vous portez un coup funeste à votre santé. Croyez-en mon expérience, instruire et guérir les autres, c’est le privilège des âmes parfaites. Si il se rencontre une nécessité inévitable, considérable, ou une suffisante raison de convenance pour parler, il faut alors parler de telle façon que vous ayez l’air de vous adresser à vous-même comme aux autres la réprimande ou l’instruction. Et comme dans ce cas-là, même l’esprit de vaine gloire ne fera point défaut, se glissant par ce moyen, vous serez réputé humble et discret. Si même il se fait sentir quand vous garderez le silence et que vous vous excuserez de parler, je ne vous connais plus d’autre remède que d’avoir recours à une confession franche et aux larmes pour neutraliser cette détestable disposition d’esprit. Il est grandement à craindre que, pour échapper au mépris des hommes, vous négligiez de vous accuser de cette faute toutes les fois que vous reconnaîtrez y avoir succombé, et que pour éprouver moins de confusion vous ne changiez fréquemment de confesseur, tandis que pour vous humilier davantage vous devez vous appliquer à vous confesser au même plus fréquemment et plus clairement que de coutume. Car rien ne chasse plus promptement ce mauvais esprit que la vertu d’une humble confession. Et s’il se glisse dans votre confession, vous inspirant le désir d’être estimé pour la sincérité et l’humilité de votre confession, si vous vous sentez atteint, ne craignez pas à la fin de la confession de dévoiler la blessure.

 

De la désobéissance

« Il faut savoir qu’il y a plus de mal à manquer d’obéissance ou de respect à son père ou à sa mère qu’à un autre à qui l’on ne doit pas l’obéissance ou le respect au même degré. Il y a aussi plus de mal à tourmenter un homme saint ou à le tourner en ridicule, qu’un méchant homme. Il y a plus de mal à porter une personne appartenant à l’état religieux à un péché contraire à sa profession que si c’était séculier. Il y a plus de mal à jeter des regards impudiques sur la jeune religieuse que sur une séculière, parce que suivant saint Grégoire, il n’est pas permis de considérer ce qu’il n’est pas permis de convoiter. Je dis par conséquent qu'il y a plus de mal à considérer avec une intention mauvaise ce qu’il n’est pas permis de convoiter pour un mauvais usage ; je dis la même chose des attouchements aussi bien que des actions et des paroles impudiques. Pour ce qui est de la personne avec laquelle vous avez péché, l’exemple ci-dessus suffit pour vous éclairer. Ne vous contentez donc pas de dire : « Je n’ai pas bien veillé sur mes regards », ou de dire : « J’ai jeté plusieurs fois des regards impudiques avec complaisance sur une personne », il faut faire connaître sa qualité et sa condition. Et s’il est bon de faire cette explication relativement aux regards, c’est nécessaire à plus forte raison lorsqu’il s’agit de paroles impudiques provoquant au péché, d’attouchement ou de sensations libidineuses de la chair produites par de mauvais propos ou par le contact de quelque personne.

 

De l’intention dans le péché

« Il y a plus de mal à commettre un péché quelconque avec l’intention de pécher ou de porter quelqu’un à commettre ce même péché ou quelque autre semblable, que de le commettre pour soi seul, comme si, connaissant les défauts de quelqu’un, vous cherchiez à le faire mépriser, ou à diminuer la bonne réputation dont il jouit, par jalousie ou par quelque autre motif pervers ; ou si vous avez fait quelque chose du regard ou des mains contre une personne quelconque pour la porter au mal, il en est de même des autres péchés commis avec intention non seulement au dam de celui qui les fait, mais encore au détriment du prochain. Il ne suffit pas de s’accuser de ces péchés sans expliquer les intentions mauvaises. C’est à bon droit que des pécheurs de ce genre sont assimilés aux démons parce qu’ils travaillent à perdre les âmes pour le salut desquelles le Christ a versé son sang. Il faut aussi examiner avec soin la progression des péchés, un péché simple n’est pas aussi grave qu'un autre qui aurait été l’occasion de plusieurs autres. C’est pourquoi si vous avez commis une faute dont un autre a été accusé, et si vous avez souffert qu’il fût victime de l’injustice sans vous occuper de le justifier ; ou si pour défendre un mensonge vous avez proféré des paroles injurieuses, ou fait commettre plusieurs autres mensonges ; ou si pour excuser un mensonge vous avez commis un parjure, et par suite un autre a été injustement puni, ou soupçonné, ou il en est résulté de la haine ou de la mésintelligence, toutes ces circonstances et autres semblables qui sont dérivées du premier péché doivent être clairement expliquées avec le péché principal qui en a été la source.

 

De l’occasion et de la cause des péchés

« Il est encore nécessaire pour l’intégrité de la confession de déclarer non seulement les circonstances dont nous venons de parler, ou autres semblables, mais aussi les occasions et les causes des péchés qui vous ont fait commettre ces péchés, parce que vous avez négligé de les éviter comme vous auriez pu ou su. Or il faut faire connaître les causes de manière à vous accuser en déclarant vos péchés et non vous excuser, comme il y en a qui font, rejetant leur faute sur le démon, à l’exemple d’Ève qui dit, c’est le serpent qui m’a trompée ; ils disent en effet il m’a tellement tenté pour ce péché, que j’ai été obligé de consentir et que je n’ai pu m’en défendre. Ce n’est point là une confession ni l’expression de la cause du péché, c’est bien plutôt une accusation de vous-même et une excuse du démon, qui peut-être n’y est pour rien, car tous les péchés ne se commettent pas par la suggestion du diable, et toute tentation ne vient pas du démon. Car suivant saint Jacques (1, 14) : « Chacun dans les tentations est entraîné ou séduit par sa concupiscence qui l’entraîne et le séduit. » Il y en a donc beaucoup qui mentent en disant : C’est le démon qui m’a porté à tel péché que j’ai commis sous son inspiration, tandis qu’on n’a succombé que par l’entraînement de sa concupiscence seule. En conséquence il faut dire : « Quand je me sentais excité à commettre tel péché, j’ai négligé d’éviter les occasions qui m’y portaient comme le lieu, le temps, la personne ; j’ai aussi négligé de chercher du secours dans le jeûne et la prière, et les autres choses nécessaires, ainsi que je le savais et le pouvais. C’est pourquoi, par suite de ma négligence et de ma malice, j’ai commis ce péché, aimant mieux obéir au diable, à l’orgueil et à ma propre chair qui m’y portait, qu’au Saint-Esprit qui m’inspirait de résister à cette tentation. » D’autres rejettent leurs fautes sur le prochain, comme fit Adam lorsqu’il dit à Dieu : « C’est la femme que tu m’as donnée pour compagne qui m’a présenté du fruit de l’arbre de la science, et j’en ai mangé. » Ils disent effectivement : « Une telle personne a tant insisté auprès de moi par ses prières, ses caresses et ses présents, que personne au monde n’aurait pu s’en défendre, de sorte qu’à la fin j’ai dû consentir. » Quelques-uns disent : « On m’a dit tant de mal de cette personne qu’on m’a fait murmurer contre elle et la mépriser. »

« Mais c’est là une confession vicieuse. Accusez-vous donc ainsi du premier péché : « Quoique je visse bien que des entretiens et des conversations avec cette personne m’étaient inutiles dangereux, bien que je sentisse que je m’attachais à cette personne et qu’elle s’attachait à moi par une affection personnelle qui n’était pas selon Dieu, mais plutôt selon la chair, que j’éprouvasse à sa vue et à sa présence une très grande complaisance sensuelle qui me donnait continuellement de mauvaises pensées sur elle en excitant en moi des sensations libidineuses, et que j’eusse dû la fuir pour cette raison, je me suis laissé aller malgré cela aux plaisirs de la chair, de manière que j’en suis arrivé avec elle à un tel acte et que nous avons été pris ensemble au filet. » Pour le second voici comment vous direz : « Ayant entendu dire du mal d’une personne, je l’ai cru plus facilement que si c’eût été du bien, à cause de la légèreté de mon cœur et de mon défaut de curiosité  et quand j’ai dû prendre part aux propos de celui qui murmurait et excuser dans mon cœur ce qui le faisait mal parler, j’ai fait absolument comme lui en confirmant le mal qu’il disait ou en ajoutant à ce qu’il disait et par là je lui ai donné l’occasion d’en dire davantage. » Et remarquez bien qu’il ne faut pas nommer le médisant ni ce qui faisait le sujet de la médisance, ni la personne qui en était l’objet, quand une telle révélation pourrait être une excuse pour le pénitent et une cause de diffamation pour le prochain.

« De même si vous vous accusez d’avoir ressenti de la colère contre le prochain, de la colère excitée surtout par quelque faute, vous ne devez pas exprimer cette faute, pour ne pas montrer par là que vous avez eu de justes raisons d’être mécontent, et paraître moins coupable, n’ayant agi que par un mouvement de zèle. Il y en a en effet qui disent en confession J’ai vu commettre telle faute, ou entendu tel propos, et j’en ai été grandement indigné, parce que c’était contre l’honneur dû à Dieu, contre les bonnes mœurs, et d’un mauvais exemple. » Malheureux hypocrite, que dites-vous ? vous ne faites simplement que faire votre éloge, vous ne confessez rien, vous ne dites rien du péché que vous avez fait en voyant la faute d’autrui et non la vôtre qui a été peut-être plus grave que celle qui vous a ému, parce que vous avez méprisé le pécheur auquel vous deviez compatir, et vous mentez en disant que ce qui a excité votre colère c’est l’amour de Dieu et du prochain, tandis que ce n’était que votre orgueil, et parce que vous n’avez pas l’amour du prochain qui n’admet pas la colère contre le prochain. Vous vous accuserez donc ainsi : « En voyant ou en entendant faire ou dire quelque chose que j’ai cru mauvais, et peut-être plus mal que ce n’était, à raison de ma malice, qui ne m’a pas permis d’excuser le fait ou l’intention du coupable, comme je le pouvais ou le devais, je n’ai pas été porté à compatir à la faiblesse, ou à prier pour lui comme la charité m’en faisait un devoir, je me suis plutôt laissé aller à la colère contre lui, je l’ai méprisé, sévèrement jugé, j’ai désiré qu’il fût puni sur le champ, j’ai souhaité avoir le pouvoir de le punir, et cela est arrivé par ma dureté de cœur et parce que je ne considère pas la patience de Dieu qui m’a supporté dans des péchés plus graves sans me punir, et ainsi des autres. » Il y en a d’autres qui font plus clairement leur éloge en confession en disant : « Par la grâce de Dieu, je me suis assez bien conduit depuis tel temps et je me suis abstenu de tel ou tel péché, parce que je me suis bien acquitté de mon office, de la messe, de la prédication, et de mes prières ; fasse le mal qui voudra, pour moi j’ai l’intention de bien faire et d’éviter le péché mieux que ne le font la plupart de mes voisins, et parce que j’aimerais mieux souffrir la mort que de commettre tel péché, et que je ne me reconnais d’autre défaut que d’être ingrat envers Dieu pour ses bienfaits, et que je ne suis pas capable de le remercier de m’avoir délivré de ces péchés que tant d’autres commettent. » Grand Dieu ! ces hommes ressemblent au pharisien qui alla au temple pour prier et dont la prière ne fut qu’une vanterie personnelle au détriment des autres. De même ces pénitents qui devraient tout simplement s’accuser en confession et font leur éloge en racontant le bien qu’ils font, sans rien dire de l’orgueil et de la présomption qu’ils ont dans le cœur. Il y en a d’autres qui, en se confessant, rejettent toute la faute sur Dieu, car ils s'expriment de cette manière : « Dieu m’a donné une nature si mauvaise et tellement portée à tel péché, que je ne puis pas m’en préserver. » Ils parlent comme Adam qui dit : « La femme que tu m’as donnée… », comme s’il avait dit : « Si tu ne m’eus pas donné cette femme je n’aurais pas péché. » Mais ces pénitents font un mensonge évident. Car, suivant saint Grégoire, le démon ne peut vaincre que celui qui le veut bien, quoiqu’on dise de lui qu’il n’y a sur terre nulle puissance comparable à la sienne. Donc à plus forte raison personne ne peut être violemment entraîné par la concupiscence naturelle. D’autres disent : « J’ai succombé à telle tentation, parce que Dieu m’a refusé son secours, quoique j’aie jeûné, prié et réclamé son aide. » ; mais ces pénitents ne s’occupent pas de leur paresse et de leur négligence à éviter l’occasion du péché et à persévérer dans la prière. Ils taxent Dieu d’impiété et de mensonge quoiqu’il dise dans le Psaume 40 : « Il criera vers moi et je l’exaucerai. » Et ailleurs : « Venez à moi vous qui êtes dans la peine » ; et ailleurs encore : « Demandez et vous recevrez. » Et l’Apôtre dans la première aux Corinthiens, 10 : « Dieu est un fidèle exécuteur de ses promesses, il ne permettra pas que vous soyez tentés au dessus de vos forces, mais il vous fera tirer profit de la tentation. » Qu’ils sachent donc que s’ils sont abandonné de Dieu, c’est parce qu’ils prient sans ferveur et sans foi, et ne veulent pas combattre contre eux-mêmes ni persévérer avec patience demandant le secours de Dieu comme il convient, ils veulent au contraire obtenir la grâce tout de suite et sans peine, la demandant à Dieu sans humilité, mais avec présomption comme en étant dignes, et comme si Dieu la leur devait. Ils prient même avec une certaine sécurité comme devant être exaucés immédiatement et suivant leur bon plaisir et non au bon plaisir de Dieu, pensant ainsi l’amener à les secourir, tandis qu’ils ne font que provoquer son abandon, parce qu’ils vont à lui avec orgueil et présomption. C’est donc l’orgueil qui est la véritable cause de leur chute, aussi bien que leur négligence dont ils doivent s’accuser simplement.

 

Occasion de péché offerte au prochain

« Il faut aussi expliquer en confession les occasions de péché qu’on a données aux autres, parce que l’homme participe à tous les péchés auxquels il a donné occasion par malice ou non. C’est pourquoi vous devez déclarer si par malice ou par ignorance vous avez donné à quelqu’un occasion de pécher sans nommer directement ou indirectement la personne à qui vous avez donné cette occasion, vous contentant de faire connaître l’occasion. Quant au péché qui a été commis par un autre à votre occasion, il peut être révélé explicitement quand le confessant le connaît, sans connaître le coupable. Autrement il ne faut exprimer que la qualité du péché en disant : « J’ai fait commettre un péché mortel ou grave par les paroles que j'ai proférées, ou par le mauvais exemple que j’ai donné. » De même si vous avez eu en voyage un différend avec quelque compagnon de route, ou dans quelque autre circonstance, ou si vous avez mal récité votre office à cause de celui avec qui vous le disiez, parce qu’il prononçait mal, vous ne devez pas dire : « Mon compagnon m’a mis en colère dans l’action, ou j’ai mal récité mon office par la faute de mon compagnon », parce que en parlant ainsi vous accusez votre compagnon qui peut venir à la connaissance de votre confesseur. Vous direz donc : « J’ai eu dispute avec quelqu’un à cause de mon orgueil, parce que je lui ai dit des paroles injurieuses et je l’ai porté à m’en dire. » Et s’il y a faute de sa part, dites : « Je me suis disputé avec quelqu’un à cause de mon impatience, pour n’avoir pas voulu le supporter charitablement à raison de quelques paroles qu’il avait dites. » Ou bien : « J’ai mal récité telle heure de mon office ; et quoique ma conscience me conseillât de la réciter de nouveau j’ai négligé de le faire. »

 

Complaisance dans le souvenir du péché

« Il faut savoir que lorsque vous pensez aux injures que vous avez reçues, et que vous éprouvez intérieurement un mouvement d’imagination qui dure quelque temps, que vous désirez vous venger ou vous être vengé, que vous regrettez de ne pas l’avoir fait par vous-même ou par un autre, que vous songez à le faire, ou à garder dans le cœur quelque sentiment de vengeance, il faut se confesser de tout cela et des autres choses semblables, si vous en avez le ressentiment dans le cœur à raison de ces injures. Mais si en vous rappelant les maux passés que vous avez faits, sans en avoir de la douleur mais plutôt du plaisir, et si cette complaisance vous y fait arrêter, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de spécifier les péchés qui vous reviennent en mémoire, si d’ailleurs vous vous en êtes bien confessé, et si vous n’avez éprouvé d’autre sentiment que celui de la complaisance, il suffit de dire : « Il m’est revenu en mémoire certaines méchancetés, certaines injures que j’ai faites, ou certains péchés graves que j’ai commis, et non seulement je n’ai pas eu de regret en y songeant, mais j’ai pris grand plaisir à y penser. » ; et si vous trouvez quelque chose qui, à raison de cette complaisance, vous paraisse aggraver le péché charnellement ou spirituellement, vous devez aussi vous en confesser. Si vous vous êtes souvenu d’un péché de luxure commis par vous, si vous en avez éprouvé une sensation charnelle et avez regretté de n’avoir pas commis plusieurs fois ce péché et avec plusieurs personnes, vous devez alors le déclarer ainsi : « Le plaisir que j’ai ressenti à penser à un certain péché de luxure m’a occasionné des sensations charnelles où je me suis complu, et j’ai désiré l’avoir commis plusieurs fois et avec plusieurs personnes », et ainsi il n’est pas nécessaire de déclarer au confesseur que vous avez fait ce péché, à moins que vous ne le lui ayez déclaré d’autres fois, et que pour vous humilier davantage et avoir plus de mérite, vous veuillez aussi lui en faire l’aveu. Si vous vous souvenez que vous avez eu l’occasion favorable pour commettre un péché que vous n’avez pas commis, et si vous n’éprouvez pas de satisfaction d’avoir évité ce péché et n’en rendez pas grâces à Dieu qui vous en a préservé et vous a enlevé l’occasion aussi bien que la volonté de le commettre, tout cela doit être pleinement déclaré, car il parait y avoir en cela de l’ingratitude et une culpabilité volontaire. Mais si dans ce ressouvenir des péchés et surtout des péchés de la chair, vous ne pouviez pas éviter une certaine complaisance et des mouvements charnels en cherchant à vous les rappeler pour vous exciter à la componction et à la douleur, je crois qu’il est expédient de ne pas chercher à vous les rappeler en détail pas plus que les autres péchés auxquels vous ne pouvez penser sans complaisance, comme par exemple, la vengeance que vous avez tirée de votre ennemi ou par vous ou par un autre, le dommage ou la mort de celui que vous avez tué. Vous devez donc, si vous voulez confesser vos péchés en général, les ranger sous deux catégories, l’orgueil et le plaisir de la chair, en vous servant de cette formule que vous prononcez de bouche pendant que vous y songez de cœur : « Je m’accuse d’avoir eu de l’orgueil vis à vis du prochain par colère, par envie, en provoquant les autres, en convoitant la gloire du monde, en jugeant mon prochain, en méprisant les créatures de Dieu, en m’estimant trop et méprisant les autres, en murmurant contre les œuvres de Dieu, contre ses jugements, et contre ce qu’il permet, en négligeant ses bonnes inspirations et tous ses bienfaits, en me laissant aller à des accès coupables de colère, en blasphémant et en proférant le Nom de Dieu en vain, en laissant ma langue porter librement atteinte à la vérité par le mensonge, la dissimulation, la duplicité, l’adulation, les jurements et une foule de paroles coupables, en vivant dans la paresse et l’insouciance, ayant en moi une confiance excessive, me laissant aller à des doutes contre la foi, en scrutant avec présomption la raison des œuvres cachées de Dieu, cherchant à m’instruire plus qu’il ne convient des choses de Dieu, du prochain et du monde par curiosité, ne recevant pas avec humilité la grâce de Dieu, publiant témérairement ses faveurs secrètes, usant d’hypocrisie et de fourberie devant Dieu et les hommes, et en faisant par orgueil plusieurs autres œuvres, soit spirituelles, soit corporelles.

 

Le temps de la mort

« Après que vous vous êtes confessé, dites à votre âme, surtout quand vous vous serrez près de mourir : « Ô mon âme, ton départ de ce monde approche, le terme de ton orgueil est là tout près, aussi bien que la fin des plaisirs de ce monde et de ta chair que tu as comblée de jouissances corporelles en l’aimant plus que Dieu, en ayant plus d’égards pour elle que pour toi, en travaillant plus pour elle que pour toi, en te montrant plus docile à ses convoitises qu’aux inspirations et aux conseils de Dieu, lorsque, par exemple, tu t’es prêtée à la satisfaire par les jouissances de la gourmandise, de la luxure, et par différents moyens d’actions et de volonté, à rassasier de volupté sa vue, son ouïe, son goût, son tact et son odorat, de toute manière possible, que tu as consenti par amour pour elle à perdre la plus grande partie de ton temps à dormir sans nécessité, en faisant sa volonté dans une foule d’œuvres coupables, eu t’occupant avec trop de soin et de sollicitude des choses temporelles et corporelles, et en t’y livrant plus par avarice et par amour du plaisir que par nécessité. Telle a été ma vie, c’est ainsi que j’ai passé mon temps. Où es-tu maintenant, ô vanité, orgueil où je me suis complu ? Qu’êtes-vous devenues, jouissances de ma chair ? Quel bien m’avez-vous procuré ? Que m’avez-vous laissé en retour de la soumission et de l’obéissance que j’ai montrées à votre service pendant tant d’années ? Pour vous j’ai donné en échange la vie éternelle, j’ai perdu Dieu et mérité l’enfer, j’ai perdu un bonheur infini, et j’ai gagné le désespoir éternel. Je me suis privé de la société des saints et des anges, et je me suis rendu digne de partager le séjour des citoyens de l’enfer. Considère donc, ô mon âme, ce que Dieu t’a fait en te créant à son image et ressemblance, et maintenant tu t’es tellement souillée par le péché que tu ne retrouves en toi aucune vertu. Considère plutôt en toi l’image de ton séducteur qui t’a peinte avec les couleurs de l’orgueil, de la gourmandise, de la luxure, de l’avarice, de la vaine gloire, de l’envie, de la haine, de l’ingratitude, de la négligence et de la vengeance. Il t’a inspiré le mépris de Dieu, et t’a donné en revanche l’amour du monde ; il t’a porté à murmurer contre le prochain, à le juger mal, à le tromper, à le mépriser, à médire de lui, à faire valoir les fautes des autres et à fermer les yeux sur les plus graves que tu as commises. Je ne vois donc, ô mon âme, d’autre ressource pour toi, que de gémir, te désoler, pleurer, t’affliger, te lamenter et crier avec ferveur et humilité au Seigneur : « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère… ; Ayez pitié de moi, ô mon Dieu… »

 

Des pensées déshonnêtes

« La plupart sont dans le doute s’il faut faire connaître les pensées déshonnêtes. Je pense que c’est un avantage pour la pureté et la perfection et qu’il y a un grand mérite à le faire ; mais je ne crois pas que ce soit toujours nécessaire, si ce n’est dans le cas où, par la trop grande durée de la pensée, on s’est senti porté à faire et à exécuter ce que l’on pensait, si on en avait eu l’occasion, ou si l’on avait éprouvé une pollution par le fait de cette pensée prolongée, ou si on a senti une affection désordonnée pour quelque personne, et si on avait été grandement tourmenté à son sujet dans cette pensée en éprouvant des sensations charnelles et en s’imaginant faire avec elle des attouchements impudiques. Il faut faire connaître cette affection désordonnée avec les pensées et les mouvements de la chair qui en sont résultés, en disant de cette affection : « J’ai eu une affection désordonnée et sensuelle pour une femme, ou pour un jeune homme de telle condition, et j’ai conçu cette affection par le plaisir que j’ai pris à me trouver avec cette personne, à la considérer et à causer avec elle. J’ai eu tant de fois des pensées déshonnêtes, en contemplant des yeux du corps ou dans mon imagination, sa figure ou une autre partie de son corps, me figurant que je me livrais avec elle à des embrassades, des baisers, ou à tel acte impudique, je m’y suis longtemps arrêté, quoique je ressentisse des mouvements dans la chair. Cela m’est arrivé notamment dans l’oraison, ou pendant la messe, et j’ai toujours négligé de faire tous mes efforts pour éloigner ces pensées à cause de la grande jouissance que j’y trouvais ; je n’ai pas non plus pris soin de détourner mes regards de cette personne quand je me suis trouvé avec elle. » On serait bientôt délivré de ces pensées et de ces affections mauvaises si on les accusait ainsi, pourvu qu’à la confession on joignît l’oraison et la garde de ses sens ; car le démon qui est orgueilleux et impur, ennemi de toute humilité et de toute pureté, ne peut supporter l’humilité d’une bonne confession. Par conséquent il n’y a rien de meilleur et de plus facile pour se préserver des tentations d’orgueil et de luxure et de toutes les pensées mauvaises avec toutes leurs circonstances qui se rencontrent dans la chair ou dans l’esprit, que de les découvrir clairement et souvent à son confesseur, et cela toutes les fois qu’elles se renouvellent.

 

 

Des mouvements de la chair

« Il faut savoir qu’un mouvement de la chair qui ne provient pas d’une pensée impure, qui se produit sans le concours de la volonté, sans une cause de la vue ou de l’ouïe, ou toute autre cause extrinsèque et déshonnête, est sans aucun doute l’effet de quelque excès dans le boire et le manger. Il en est pourtant qui pensent qu’il provient d’une veille trop prolongée, ce qui peut être, surtout quand on est certain qu’il n’est produit par aucune des causes dont nous venons de parler. L’homme doit donc être sobre dans son régime de vie, tant pour la qualité que pour la quantité, quand il est tourmenté sous ce rapport contre sa volonté et à son grand déplaisir. En effet, il y a de cela une cause dans le corps, c’est parce que, suivant saint Jérôme, le ventre et les parties génitales sont voisins. Il faut entendre cela dans le cas où nulle cause extérieure n’y a de part il faut alors éviter les regards, la conversation, les approches des personnes dont la présence excite ces délectations sensuelles, autrement ce qui paraît être un mouvement naturel deviendrait coupable. Quoiqu’il y ait sécurité à se confesser de ces mouvements qui procèdent ainsi sans mauvaise cause, et semblent en effet de l’intempérance, on n’en contracte aucune souillure, pourvu toutefois que l’amour et le désir de la pureté n’en éprouvent dans le cœur aucune atteinte. Si au contraire ils résultent d’une cause criminelle, il faut s’en confesser et déclarer la cause, le lieu, le temps, la durée, le nombre, ainsi qu’on l’a dit en parlant des circonstances des péchés ; car il ne suffit pas de s’accuser des mouvement il faut s’exprimer ainsi : « Étant à l’église, ou à la messe, ou pendant l’oraison, la prédication, j’ai pensé à tel acte honteux, ou à telle personne dont la vue avait déjà excité en moi la concupiscence, ou un amour désordonné, ou, j’ai pris à l’église un plaisir déshonnête à considérer telle personne, ce qui a excité en moi des mouvements impurs de la chair, tant de fois et pendant tel temps. Et si vous lui avez adressé quelques paroles gracieuses, ou si vous lui avez rendu quelque service avec une intention mauvaise, de manière à prendre un plaisir libidineux, et que vous ayez ressenti, à raison de la durée, des mouvements charnels, vous devez vous confesser du tout, par la raison surtout que la présence de cette personne ne vous aurait pas procuré une jouissance libidineuse, si vous n’aviez pas passé autant de temps à lui parler ou à lui rendre service.

 

Du danger de la familiarité des dames ou des femmes

« Comme beaucoup semblent négliger de connaître leurs affections vicieuses et par conséquent ne se mettent pas en peine de s’en confesser, malgré l’obligation où l’on est de les scruter avec soin et de les déclarer avec les péchés qui en résultent, je vais donc dire ici que beaucoup s’attachent trop par eux-mêmes, quelques-uns à certaines personnes, d’autres aux honneurs, d’autres aux richesses temporelles. Et parce que toutes ces choses sont comme un mur entre Dieu et l’âme, il en résulte que nul homme ou femme ? qui est dominé par quelqu’une de ces affections, ne peut avancer dans les voies de Dieu, ni prier dignement, surtout quand c’est une affection charnelle pour une personne ; c’est de cette dernière que je vais m’occuper dans ce moment. En effet, une semblable affection, sous couleur d’amitié spirituelle, détourne comme elle a détourné de l’oraison un grand nombre d’hommes livrés à la spiritualité. C’est une agitation funeste de l’esprit, qui vicie et annihile l’oraison mentale et la prière vocale, et qui engendre et met en activité dans l’âme des sentiments contraires à l’oraison ; car comme l’oraison faite avec la pureté de l’âme purifie et illumine, réjouit, fortifie et engraisse, de même une affection charnelle et impure souille l’âme et la plonge dans les ténèbres, la rend triste, l’affaiblit et la dessèche, et le corps participe à cette malédiction. Et comme je parle à des hommes qui font profession de spiritualité et que c’est pour eux que j’écris, qu’ils sachent bien que l’amour charnel, bien que funeste et dangereux pour tout le monde, l’est encore plus pour eux, surtout lorsqu’ils ont à converser avec une personne faisant aussi profession de spiritualité ; car quoique leur intention semble pure, la familiarité est néanmoins un danger domestique, un dommage plein de charmes, un mal secret dissimulé sous une gracieuse enveloppe plus cette familiarité croît, plus aussi le motif qui en était le principe va s’affaiblissant, et la pureté des deux personnes finit par être atteinte. On ne s’inquiète pas d’abord de cela, car l’archer ne décoche pas tout de suite ses flèches empoisonnées, mais seulement des traits qui ne font que des blessures légères, et qui font croître l’amour. Mais on en vient bientôt à tel point que l’on se voit plus et ne s’entretient plus avec cette pureté angélique qui existait au début, mais que l’on se considère mutuellement sous la forme charnelle, et que les cœurs se réveillent par l’influence de propos affectueux et de paroles doucereuses paraissant avoir leur source dans la dévotion qui en a été la première cause. Il arrive en suite que l’un commence de désirer la présence corporelle de l’autre, parce que la forme ou l’apparence du corps gravée dans leur imagination respective les porte à vouloir la présence corporelle, jouissant déjà de la présence mentale, et ainsi la dévotion, de spirituelle qu’elle était d’abord, devient peu à peu corporelle et charnelle, de cette manière leurs âmes qui, dans l’oraison, avaient coutume de s’entretenir avec Dieu sans intermédiaire, mettent maintenant entre Dieu et eux leur image corporelle respective qu’ils voilent et masquent en associant l’image de Dieu à celle de la créature, et ce qui n’est pas moins affreux, au lieu de reconnaître leur erreur et de s’en corriger, ils entretiennent cette erreur en attribuant le tout à une ardente charité, par mérite de laquelle, sans doute, par une déception dont ils sont victimes, ils rapportent toute la jouissance qu’ils se procurent l’un à l’autre, comme s’ils étaient forcés de prier l’un pour l’autre par la grâce et la vertu divine, et cette consolation sensuelle qu’ils obtiennent ainsi, ils jugent, affirment même et assurent que c’est une grâce spirituelle et divine.

« Mais il serait horrible et presque impossible de faire connaître quelles illusions l’archer dont j’ai parlé donne particulièrement aux femmes qui croient facilement aux illusions mentales. Elles sentent en effet dans cette prière dont je parle et cette représentation mentale un trait de feu décoché par l’archer qu’elles s’imaginent et disent être le feu de la charité communiqué par l’Esprit Saint pour unir l’esprit de l’un à l’esprit de l’autre par le lien de la charité, tandis que ce n’est en réalité que le feu de l’amour impur, comme la suite le prouve et cependant elles décident qu’étant ainsi unis spirituellement, ils peuvent en toute sûreté, avoir ensemble de longs entretiens, et en tirer profit, loin d’y perdre leur temps. En conséquence elles trouvent des moyens extraordinaires et des ressources admirables pour se procurer de colloques, alléguant fréquemment, pour se rencontrer, des prétextes d’utilité ou de nécessité, bien qu’au fond il y ait d’autre raison que ce poids dans lequel la raison est sur le point de succomber. C’est pourquoi, ainsi aveuglés par la concupiscence charnelle ou par le plaisir naturel, ce temps, qu’on avait coutume de donner à l’oraison et d’employer spirituellement, on le perd maintenant dans ces familiarités et ces entretiens, et ainsi, ce qui est déplorable, abandonnant les entretiens de Dieu pour ceux de la chair, on ne peut plus se quitter, et on ne se sépare que lorsqu’on y est contraint par l’arrivée de la nuit ou par toute autre cause inévitable, et c’est avec déchirement de cœur et tristesse. Cette tristesse est un indice certain que le cœur est pris ; c’est aussi ce qui sert à discerner les faveurs et les consolations divines de celles qui sont charnelles et diaboliques. Enfin elles s’exposent à une foule de dangers et commettent quantité de péchés en estimant dans leur conscience aveuglée que par motif de spiritualité elles peuvent se permettre certaines choses qui ne peuvent se faire sans danger et sans péché.

« Peut-être vaudrait-il mieux ne rien écrire sur cette matière, je ne puis cependant m’empêcher d’en dire quelque chose par la raison surtout qu’il n’y a pas longtemps on a eu le spectacle le cette triste réalité.

« Enfin ces personnes, toutes spirituelles, en viennent à se laisser aller à des attouchements familiers sous prétexte de charité, se donnant mutuellement des témoignages de l’immense amour qu’ils ont dans le cœur l’un pour l’autre et qu’ils ont l’impudence d’appeler charité. Ô ces démonstrations d’amour sont souverainement dangereuses ; elles se transforment en flèches qui font à leurs âmes des plaies empoisonnées et mortelles. Et ce qui me semble horrible plus que tout, aussi bien qu’à Dieu, aux anges, aux hommes et aux démons, il s’est trouvé de ces prétendues femmes spirituelles possédées de l’esprit de luxure, qui, pour excuser leur passion, ont eu l’effronterie de dire qu’en se livrant à ces actes impudiques, elles s’étaient senties plus d’amour pour Dieu. Ce n’était là, à mon avis, qu’un stimulant pour aller plus avant, et commettre quelque chose de pire. Dites-moi donc, vous qui donnez créance à de telles hallucinations, si ces personnes sont vraiment spirituelles, comme vous l’assurez ? Que devraient-elles dire ou faire, si ce n’est ce qui vient du Saint-Esprit ? Or l’Esprit Saint ne produit rien de mauvais, mais bien ce qui est utile et honnête. Et quel rapport y a t-il entre le Saint-Esprit et des attouchements et des baisers, quel honneur Dieu en retire t-il, quelle utilité ou quelle nécessité y a t-il pour votre salut ou celui d’autrui de faire ces attouchements et de donner ces baisers ? Qu’y a t-il de commun entre l’esprit et les passions libidineuses de la chair ? Quelle est donc votre insolente audace de faire au Saint-Esprit l’affront de lui attribuer une infamie capable de révolter même les démons ? Quelle est donc votre témérité, dis-je, femme hypocrite et abandonnée de Dieu, d’appeler grâce et consolation divine le plaisir lascif de la chair ? Loin d’ici, monstre horrible, dont la présence fait fuir les démons eux-mêmes ce n’est donc pas sans quelque raison, mes chers frères, que je parle de ces choses dans cet ouvrage, afin que chacun sache que cette affection funeste qui se forme sous le manteau de la spiritualité, est un grand obstacle à la bonté de la confession et à la pureté du cœur, et s’empresse de s’en garantir comme d’une rouille criminelle qui peut difficilement être enlevée quand une fois elle s’est attachée à une âme, principalement parce que ces sortes de personnes, tant qu’elles portent dans le flanc la flèche qui les a blessées, ne font presque jamais de confession sincère et entière, par la raison qu’elles ont honte de déclarer à leur confesseur si souvent une passion si incessante dans une personne dévote, et n’osent pas exprimer certaines circonstances concomitantes dont elles ne parlent pas ou qu’elles énoncent d’une manière imparfaite, se servant d’expressions propres à dissimuler leur plaie. Ainsi elles ont l’esprit presque continuellement occupé de la personne qu’elles aiment ; leur mémoire et leur imagination leur en retracent sans cesse l’image, et leur cœur s’enivre de la douce volupté produite par ces pensées sensuelles ; elles n’ont aucun soin de fuir la présence de l’objet de leurs affections et lui communiquent tout ce qu’elles ressentent. Aussi ces pénitents changent-ils souvent de confesseur, ou voudraient en changer s’ils le pouvaient, et ils sont ordinairement tristes et de mauvaise humeur, tant à cause de cette affection dont leur esprit est le jouet, que de l’insuffisance de leurs confessions dont ils s’affligent eux-mêmes. Mais ce qu’il y a de pire, c’est que bien loin de chercher des médecins spirituels, prudents, habiles et expérimentés, capables de connaître leur maladie et ses causes et d’y appliquer une médication convenable, chose qu’ils se gardent bien de faire, s’ils viennent à en rencontrer un de ce genre, ils s’empressent de le fuir et se gardent bien de retourner à lui. Ils cherchent donc des confesseurs ignorants et simples qui ne connaissent ni leur maladie, ni ses causes, et ne savent par conséquent la traiter convenablement.

« C'est assez sur ce sujet pour porter à mener une vie pure et sans tache et à éviter comme un mal contagieux la familiarité les femmes dévotes, dont la fuite est le meilleur préservatif. En vain celui qui serait atteint de cette passion chercherait-il à se mortifier par les jeûnes, les veilles, les disciplines, en vain se livrerait-il à l’oraison ; s’il ne fuit pas la personne et ne se met pas en garde contre les occasions, il ne guérira jamais de sa maladie, et la plaie ne fera que s’envenimer de plus en plus. C’est pourquoi suivons le conseil de saint Jérôme : « Quand, dit-il, vous rencontrez une femme d’un commerce aimable, vous pouvez lui donner une affection spirituelle, mais gardez-vous de la fréquenter ; car la passion impure prend sa source dans les rapports fréquents qu’on a avec les femmes, et ce n’est qu’en fuyant qu'on peut vaincre le monde et les femmes, parce que si absolument parlant on peut lutter corps à corps contre les autres vices ou maladies, on ne peut se préserver de celle-là que par la fuite. » Et dans un autre endroit : « Si la femme a pu vaincre l’homme qui était déjà dans le paradis, il n’est pas étonnant qu’elle séduise ceux qui n’y sont pas encore. » Le même docteur dit encore : « Ne vous arrêtez jamais avec une femme seule et sans témoin. » Et ailleurs : « Ne demeurez pas avec une femme sous le même toit, et ne vous fiez pas à votre chasteté passée, parce que vous n’êtes ni plus fort que Samson, ni plus sage que Salomon. Si vous veniez me dire que vos sens sont déjà morts, je vous répondrais : Le diable est plein de vie, lui, et son souffle peut faire flamber l'incendie dans une cendre froide. » Le même Père dit aussi : « Ayez pour toutes les vierges du Christ et pour toutes les femmes ou la même affection ou la même indifférence. » Saint Augustin dit quelque part : « Tout entretien avec les femmes doit être court et sévère. » Il ne faut pas se défier moins de celles qui sont plus vertueuses. Car, plus elles sont vertueuses, plus l’inclination est forte, et sous le charme de leur parole se glisse le virus de la plus funeste passion, croyez-en mon expérience, je suis évêque et je parle à un évêque, je dis la vérité. J’ai vu les cèdres du Liban, c’est-à-dire des hommes d’une génie sublime, les béliers du troupeau, c’est-à-dire d’illustres prélats de l’Église, tomber dans ce dangereux abîme, eux que je croyais sûrs comme Jérôme et Ambroise. Saint Bernard dit aussi : « Vous êtes sans cesse avec les femmes et vous voulez qu’on vous croie chaste ? Je veux que vous le soyez, mais vous n’en excitez pas moins des soupçons, vous me scandalisez. Faites disparaître le sujet et la langue du scandale parce que, « Malheur à celui par qui vient le scandale » (Mt 18, 6).

 

Des paroles inutiles

« Les paroles inutiles et qui ont un caractère de gravité, doivent être déclarées en confession suivant leurs différences et avec leurs circonstances et leurs occasions. Si vous vous confessez de propos tenus sur les défauts d’une personne absente, il faut dire si ces propos avaient ou n’avaient pas de fondement, quel en était le motif, comme par exemple, si par haine ou vengeance vous avez porté ou voulu porter quelqu’un à médire, si vous en avez conçu du mépris, si vous avez fait du mal à cause de cela, si vous avez excité des sentiments de répulsion pour celui dont vous avez mal parlé, s’il en est arrivé du mal ou si vous avez désiré qu’il en arrivât. Il ne suffit donc pas de dire sans autre explication « J’ai souvent mal parlé de plusieurs personnes ». Ne faites cependant pas connaître le défaut dont vous vous êtes entretenu s’il est vrai, ni le nom de la personne, mais bien la qualité de la personne qui est une circonstance aggravante, comme si c’est votre père, un homme vertueux, un prélat, dites aussi la cause. Si le défaut n’est pas vrai, vous devez le faire connaître aussi bien que la personne que vous avez calomniée, et vous devez rétracter votre calomnie devant ceux en présence de qui vous l’avez faite, surtout si c’est une faute pouvant être nuisible. Il y en a cependant qui, pour ne pas déplaire à leur confesseur, font connaître la personne à qui ils ont fait injure ou dont ils ont médit, quand cette personne est presque universellement décriée ou détestée, afin de paraître moins coupables. Mais c’est un mal, parce qu’on doit estimer dans son cœur et montrer en confession qu’on vaut moins que la personne qu’on nomme pour s’excuser. Il en est qui font pis encore, qui pour se faire estimer de leur confesseur, nomment la personne dont ils ont médit ou qu’ils ont offensée en lui enlevant quelque chose ou mettant quelque obstacle à son bien, parce qu’ils savent que cette personne n’est pas bien vue du confesseur. Ils font plus de mal en se confessant ainsi qu’en confessant le péché même, car ils pèchent doublement contre la charité, parce qu’ils donnent de la joie au confesseur pour le péché dont ils se confessent et pour l’injure qu’ils font à une autre, et il s’ensuit qu’ils n’ont pas la contrition du péché qu’ils déclarent, mais plutôt du plaisir, pensant gagner par là la bienveillance du confesseur, laquelle est plus coupable que le péché ; parce que la médisance est comme un homicide spirituel secret, comme si lorsqu’on entend dire du bien de quelqu’un, vanter sa vertu, sa loyauté, on cherche à faire perdre à celui qui en fait l’éloge ou à ceux qui l’entendent la bonne opinion qu’ils en ont, en niant ces bonnes qualités, ou en les taxant d’hypocrisie, et disant que tout ce qu’il fait, il le fait pour gagner la louange des hommes. Or ce péché se commet par jalousie ou vaine gloire. Car le médisant veut être loué plus que les autres et surtout plus que celui dont il médit, ou craint d’être moins estimé que celui dont on fait l’éloge. Il en résulte un péché grave parce qu’on désire la mort ou l’expulsion, la disgrâce ou la chute de celui dont l’éloge cause du chagrin, et on est tout disposé à apprendre avec joie de lui une semblable nouvelle ; c’est le péché de quelques dévots qui n’ont pas reçu le Paraclet. Il y en a d’autres qui ostensiblement ne s’entretiennent pas du prochain et ne médisent pas, pour ne pas se faire mépriser ou pour qu’on ne dise pas de mal d’eux ; mais ils sont bien aises que d’autres le fassent. Il faut se confesser entièrement de tout cela avec les motifs et les causes.

 

Du mensonge

« Il y a une certaine duplicité qu’on appelle mensonge, laquelle a lieu quand la parole et l’intention ne s’accordent pas, parce que l’on fait entendre et croire ce qui n’est pas. Les duplicités sont quelquefois une trahison, comme dans Judas, quand il dit : « Je vous salue, Maître. » Ces fourbes ont du miel sur la langue, tout en cherchant à enfoncer le poignard par derrière, comme fit Judas qui, après avoir donné son baiser au Christ, le fit arrêter.

 

De la dissimulation

« L’hypocrisie a lieu quand on a dans l’esprit le contraire de ce que l’on fait entendre par ses paroles, ses gestes, ou ses actes extérieurs. C’est le propre de l’hypocrite. L’hypocrisie est la fausseté dissimulée sous les couleurs de la vérité, ou le vice sous le masque de la vertu en paroles ou en actes. Il y a fourberie quand vous vous dites peu sage et vicieux pour passer pour humble, et que vous faites en sorte qu’on n’en croie rien, parce que vous voulez vous faire la réputation d’homme vertueux et habile, et que vous seriez désolé de passer pour vicieux. C'est donc de l’humilité en paroles et de l’orgueil dans le cœur. Il y a hypocrisie dans l’œuvre, quand on fait un acte de vertu dans l’unique but d’une bonne réputation. Il y a simulation dans les signes, quand on fait parade de modestie dans les sens externes, tandis que le cœur en est complètement dépourvu et que c’est le seul défaut d’occasion qui empêche d’être trahi par ses œuvres. C’est ainsi que certains religieux, quand ils sont le jour sous les yeux du public, mettent une soin extrême à composer leur extérieur, pour être réputés vertueux et honnêtes, font dans le chœur surtout et pendant l’office des inclinations profondes et autres semblables démonstrations, mais ne font aucun signe de dévotion la nuit, lorsqu’ils savent que personne ne les voit. D’autres pratiquent une sévère abstinence pour se donner l’air et la réputation d’hommes religieux. Il en est qui font admirer en eux la vertu de patience en laissant le sourire s’épanouir sur leurs lèvres, tandis qu’au fond de l’âme, pleins d’humeur et de colère, ils sont exaspérés de l’injure qui leur est faite. Et ainsi, tout hypocrite est un fourbe pétri de duplicité et de fausseté, et par conséquent c’est un traître et un ennemi de la vérité. En conséquence de cela, comme ce vice est accompagné d’un grand nombre d’autres, il faut soigneusement s’examiner en confession, afin de se débarrasser de son virus. Il faut déclarer les mensonges suivant leurs espèces. Il y en a qui sont nuisibles à autrui et plus graves que ceux qui ne le sont pas. Il en est qui sont délibérés et qui sont plus graves que ceux qui vous échappent. Il en est de joyeux qui font rire et amusent : les hommes qui tendent à la perfection ne doivent pas se les permettre.

« Ceux qui mentent par inadvertance, en racontant des histoires par exemple, ou dans un caquetage prolongé, doivent déclarer comme faux ce qu’ils reconnaissent comme tel. Ceux qui dans leurs prédications, racontent de faux miracles ou des fables ridicules, ou donnent un sens forcé au texte de la sainte Écriture pour en faire l’application à leurs discours, ceux-là font mal et ils doivent s’en confesser, parce qu’il ne manque pas dans l’Écriture de choses que l’on peut citer, et Dieu n’a pas besoin du mensonge. Le flatteur qui débite des cajoleries pour plaire, se faire estimer et regarder comme un cœur bienveillant ou en vue de quelque profit, doit en confession s’accuser de mensonge en exprimant l’intention qu’il a eue, surtout ceux qui cherchent à captiver par leurs gestes, le jeu de leurs mains, qui font les yeux doux, pour montrer leur affection et leur compatissance, parce que ces personnages sont tous des menteurs et des fourbes.

 

Science nécessaire pour remplir ses obligations

« Pour mieux apprendre à vous confesser, ayez soin de vous examiner une fois le jour et de rechercher comment vous avez passé votre temps, heure par heure, en songeant où vous avez été, avec qui vous vous êtes trouvé, ce que vous avez pensé, ce que vous avez dit, ce que vous avez entendu, ce que vous avez fait, afin de connaître les licences coupables que vous avez permises à votre langue, à votre cœur et à vos sens, ou les occasions de péché que vous avez données aux autres ; classez tout cela dans votre esprit, comme vous vous rappelez l’avoir commis, parce que en en gardant le souvenir, vous pourrez mieux l’expliquer ; revenez-y plusieurs fois et faites-en la revue dans votre esprit ; qu’un pareil examen ne vous effraye pas, parce que la paix et la joie du cœur qui en seront le fruit, surpassent toutes les joies de ce monde. Si vous voulez ne pas trouver trop de difficulté et éprouver une grande tranquillité d'âme dans la pratique de cette méthode, appliquez-vous à faire peu de fautes, afin que vous en ayez moins à recueillir et à confesser. Choisissez-vous un confesseur compatissant, éprouvé dans les tentations, exercé dans l’usage de la continence ; confessez-vous souvent à lui, faites-lui connaître clairement et sans détour tous vos défauts, aussi bien que les tentations que vous éprouvez. Qu’il soit plein de charité, d’humilité, de discrétion, et d’intelligence, de façon que vous puissiez recourir à lui avec confiance, et qu’il sache vous appliquer les remèdes convenables : « Autrement si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont l’un et l’autre dans le fossé (Mt 15, 14). » Pour arriver plus facilement à cela, la solitude vous est nécessaire parce qu’elle est le meilleur moyen pour acquérir la pureté du cœur ; comme elle en est la sauvegarde. C’est pourquoi si vous êtes religieux, si vous cherchez la paix, vous en serez d’autant moins disposé à sortir de votre solitude, suivant ces vers : « Que votre cellule soit pour vous comme le paradis où vous contemplez les choses célestes ; c’est là qu’il faut vous occuper à lire, à prier, à méditer, à pleurer vos péchés ; la paix règne dans la cellule, et la guerre bouleverse tout au dehors. » Si au contraire vous êtes séculier, évitez toute liaison autant que possible, à moins d’une utilité ou d’une nécessité évidente. Il est aussi expédient d’entretenir dans votre cœur la résolution de prendre tous les moyens de n’offenser ni Dieu, ni le prochain, et vous devez vous couvrir de l’armure de la prière en disant : « Seigneur, venez à mon aide », parce qu’il est impossible de vous préserver de tout péché sans le secours de Dieu. Et quoique Dieu permette, malgré vos prières et vos oraisons, que vous tombiez dans quelque faute, gardez-vous d’abandonner pour cela votre bonne résolution de bien faire, parce que Dieu n’a permis cette chute que pour vous faire sentir votre faiblesse et vous apprendre que vous avez continuellement besoin de son secours, et que vous ne pouvez faire aucun bien par vous-même malgré vos bons désirs et vos bonnes résolutions. C'est pourquoi « Il faut prier toujours sans se lasser jamais. » Or celui-là prie toujours qui ne cesse de bien faire, et qui désire éviter le mal. Si au contraire vous abandonniez le bien que vous avez commencé parce que vous n’auriez pas été exaucé dans l’oraison, ce serait alors un signe que votre édifice spirituel, qui est la pureté de conscience, manque du fondement dans lequel se trouve la connaissance de sa propre indignité, à laquelle s’adjoint la vertu d’humilité, qui affermit l’âme dans le bien, et fait que l’homme est satisfait de ce que Dieu ordonne ou permet à l’égard des créatures et de lui-même. En effet, si vous vous connaissez réellement, vous vous montrez compatissant pour tout le monde, vous ne ressentez de haine ni d’inimitié pour personne, vous trouvez plus de plaisir dans les souffrances et les peines de la vie que dans les jouissances charnelles, parce que vous comprenez que vous avez mérité votre sort, qu’il est utile de souffrir, et qu’il y a du danger dans les plaisirs de la vie. Si donc le péché est la seule chose que vous n’aimiez pas, ne craignez rien que le péché, n’ayez d’affection que pour Dieu, que rien ne vous contriste que le péché, et comme c’est dans la solitude et l’oraison mentale que l’on acquiert la connaissance et l’appréciation de soi-même par la pureté de l’esprit, quiconque désire arriver à cette pureté doit nécessairement s’enfermer dans la solitude qui est la source de toute pureté, et par la lecture et l’examen approfondi de son cœur, s’exercer chaque jour de manière à se disposer et se préparer à une confession sincère, pleine et entière, en évitant toute oisiveté et mettant de côté et méprisant tout respect humain.

 

Manière de se connaître

« En dernier lieu, celui qui veut parvenir promptement et facilement à acquérir une connaissance parfaite de lui-même, aussi bien qu’une paix complète de la conscience, doit d’abord dégager son cœur de tout amour et de toute affection sensuelle, de toute personne ou chose temporelle, de sorte qu’il n’y ait nul obstacle entre Dieu et son cœur, qu’il n’aime rien en dehors de Dieu, et alors cette affection ne sera pas un obstacle, mais plutôt un auxiliaire et une préparation ; secondement, qu’il se dépouille de l’amour désordonné de lui-même. De sorte qu’il ne soit pas un voleur et un larron de louange et d’honneur en désirant quelques-unes des choses qui ne sont dues proprement qu’à Dieu seul. Qu’il ne désire rien des choses d’ici-bas, si ce n’est pour le service de Dieu, pour l’utilité de son âme ou celle du prochain ; qu’il fasse abnégation de sa propre volonté qu’il aime mieux faire la volonté d’autrui que la sienne propre, et que son esprit soit toujours d’accord avec la volonté de Dieu et son bon plaisir. Troisièmement, qu’il entretienne les remords de sa conscience par le souvenir de ses fautes passées et en s’accusant de sa négligence, de sa concupiscence et de sa malice. Il doit s’accuser de négligence, s’il n’a pas bien veillé sur son cœur, s’il a dissipé son temps, s’il n’a pas rapporté ses actions à leur légitime fin. Il doit encore s’en accuser, s’il a négligé l’oraison, la lecture et la pratique des bonnes œuvres, toutes choses dont l’une ne suffit pas sans l’autre. De même encore, s’il a négligé de faire pénitence de ses péchés passés, de résister aux tentations qui lui sont arrivées par la permission de Dieu, de profiter des avantages qui lui ont été offerts. Il doit se regarder comme coupable de concupiscence, s’il reconnaît que la concupiscence existe ou a existé en lui avec le plaisir sensuel, en désirant des douceurs et des sensualités, des aliments délicats, des vêtements somptueux, et les recherches de la volupté qu’il faut repousser dès qu’on s’en aperçoit. De même, s’il a eu ou s’il a encore la passion de la curiosité, en désirant de connaître les secrets de Dieu ou des créatures, de voir de belles choses, d’avoir des choses précieuses, et autres choses semblables, qui ont leur source dans l’avarice. De même encore, s’il a eu ou s’il a toujours la passion de la vanité, en convoitant les faveurs des hommes, les honneurs, les louanges, sa propre gloire ; toutes ces choses qui rendent l’homme vain, et qui doivent être évitées par tout le monde, mais surtout par le religieux qui doit marcher dans la vérité, devant Dieu et devant les hommes, dans toutes ses bonnes œuvres, et régler son cœur, ses paroles et ses actions pour la gloire de Dieu, l’édification du prochain et son utilité propre, en ne désirant rien en dehors de Dieu. Il s’accusera de malice s’il est sujet à mettre de la colère dans ses paroles, à la garder dans le cœur ou à la manifester extérieurement, ou s’il a provoqué quelqu’un à cette passion. Or ce défaut ne peut se corriger que par l’esprit de vérité, en considérant ce qu’il a mérité par le péché mortel et se pénétrant de la bonté de Dieu aussi bien que de sa patience qui l’a supporté jusqu’à présent, et qui ne veut pas encore le damner, quoiqu’il le puisse avec justice toutes les fois qu’il a commis ou commet quelque péché mortel. Lors donc que la vérité s’introduit dans une âme et y séjourne, le cœur impatient et dur devient humble et doux, et sa dureté se change en piété et en compatissance. Mais cette transformation ne s’opère que dans un cœur purifié. Qu’il examiné aussi s’il est sujet à la passion de l’envie qui s’afflige du bien et se réjouit du mal d’autrui, vice directement contraire à l’Esprit Saint ; aussi c’est de l'envie que provient le péché contre le Saint-Esprit appelé jalousie, au sujet duquel il est écrit (Mt, 20, 15) : « Ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » « Et conséquemment ce péché n’est remis ni dans ce monde, ni dans l’autre (Mt 12, 32). Qu’il s’examine aussi s’il est sujet à l’apathie qui provient de l’ennui du bien ou d’une excessive oisiveté, de la crainte ou du chagrin de quelque mal. Cette passion engendre les méchants soupçons, les pensées malignes, les blasphèmes, la défiance de Dieu et le désespoir final. C’est ordinairement là que vont aboutir ceux qui sont adonnés à l’insolence, et qui négligent de s’exercer aux bonnes œuvres et d’employer utilement leur temps comme aussi celui qui est vicieux et ambitieux à l’excès, en se laissant aller au désir exagéré de la gloire, ainsi en ne mesurant pas ses désirs à son mérite, on n’obtient jamais ce qu’on désire, mais, par un juste jugement de Dieu, c’est tout le contraire qui arrive, et ces hommes sont d’autant plus abaissés qu’ils ont été plus ardents à chercher l’élévation par eux-mêmes ou avec le secours d’autrui. Celui qui veut par conséquent se préserver de ce vice, doit s’appliquer à fuir l’oisiveté, à vaincre la paresse de corps et d’esprit, en détruire les occasions qui sont l’amour du repos et l’intempérance dans la nourriture, deux causes qui ont fait commettre des crimes abominables. C’est ce qui attira la colère divine sur Sodome et Gomorrhe. C’est pour cela que les saints Pères, qui quittaient le monde pour se retirer au désert, s’empressaient de s’armer contre ce vice funeste qui gâte et détruit tout bien par la tempérance, le travail et la continence, afin d’échapper à l’oisiveté, qui est la source de tous les maux.

 

Source des péchés

« Tous les péchés capitaux ont une origine commune, c’est l’ingratitude. Il y a une double racine, à savoir, la crainte qui déprime, et l’amour qui produit une fatale ardeur. Il y a trois choses qui sont un aliment, la concupiscence de la chair et des yeux, et l’orgueil de la vie ; sept sources, l’orgueil, la colère, l’envie, l’apathie, l’avarice la gourmandise, la luxure. Dans ce nombre, il y en a cinq qui sont des péchés spirituels et deux des péchés charnels, quoique néanmoins le péché mortel ne soit autre chose que l’éloignement de Dieu, par le mépris qu’on fait de lui ou de ses commandements. Or, c’est par l’orgueil que se fait le mépris de Dieu, il faut donc nécessairement que la culpabilité mortelle du péché prenne sa source dans l’orgueil. Mais parce qu’on ne méprise Dieu ou ses préceptes que parce qu’on craint ou qu’on espère quelque chose de sa part, il faut donc que tout péché actuel provienne de cette double cause, ou de l’amour, ou de la crainte. Or toute crainte a sa source dans l’amour, parce qu’on ne craint de perdre que ce qu’on aime, et par conséquent l’amour et la crainte ont le même aliment. Et comme l’amour désordonné a pour objet un bien temporel, c’est intérieurement sa propre excellence, extérieurement l’argent, et dans la partie inférieure le plaisir de la chair ; il y a donc trois causes qui engendrent les péchés actuels, trois causes radicales auxquelles se rapportent tous les péchés actuels, quand elles agissent sur l’âme d’une manière désordonnée. Comme aussi cela se fait de sept différentes manières, il y a par conséquent sept péchés capitaux générateurs de tous les autres péchés.

 

 

Péchés contre le Saint-Esprit

« Quoique tout péché soit contre Dieu un et trin, on distingue cependant des péchés particuliers contre le Père, contre le Fils et contre le Saint-Esprit. Les péchés contre le Saint-Esprit sont irrémissibles dans ce monde et dans l’autre. Non qu’ils ne puissent être remis dans ce monde, mais parce qu’ils ne le sont que rarement ou presque jamais dans ce monde quant à la faute, « et très rarement dans l’autre quant à la peine. » Il y en a de six espèces :

l’envie du bien spirituel du prochain,

une hostilité active contre la vérité connue,

la désespérance,

la présomption,

l’obstination et

l’impénitence finale.

Le premier est contre l’amour de Dieu, en tant qu’on est fâché de la bonté de Dieu, qui, en vertu de cette bonté, accorde des grâces spirituelles ; il est aussi contre l’amour du prochain. Le second est contre la vérité de la foi qui est le fondement de notre salut. Le troisième est contre la miséricorde de Dieu, parce qu’on croit avoir fait trop de mal pour obtenir de Dieu son pardon. Le quatrième est contre la justice de Dieu, parce qu’on présume tellement de sa miséricorde, qu’on croit ne devoir pas être puni de ses péchés, et que dans cette confiance on s’abandonne au péché, sans s’inquiéter de faire pénitence. Le cinquième est contre la grâce de la pénitence qui retire du péché. Le sixième est contre la grâce de pénitence qui fait éviter et empêche de commettre le péché en tant que l’impénitence finale est la résolution de ne pas faire pénitence, et se trouve être ainsi une espèce des péchés contre le Saint-Esprit. Mais l’impénitence finale, comme persévérance dans le péché jusqu’à la fin, est une conséquence de tous le péchés mortels qui ne sont pas rejetés dans ce monde, et surtout de toutes les espèces de péchés contre le Saint-Esprit ; c’est ainsi que tout péché prend sa source dans l’orgueil, et aboutit à l’impénitence finale qui conduit aux peines de l’enfer celui qui y meurt, et dont on ne peut être préservé, en péchant mortellement, que par la grâce de Jésus-Christ, notre médiateur.

 

Description du péché

« Comme tout péché signifie écart de la volonté de son premier principe, en tant qu’elle est destinée à agir sous son action, en conformité avec lui et à cause de lui, il s’ensuit que tout péché est un désordre de l’esprit ou de la volonté, qui est la cause déterminante des vertus ou des vices. Donc le péché actuel est un désordre actuel de la volonté, ou, suivant saint Augustin, le péché actuel est une parole, une action ou un désir contre la loi de Dieu. Or, ou ce désordre a une gravité qui affecte radicalement l’ordre de la justice, et c’est alors un péché mortel, lequel de sa nature donne la mort à l’âme en la séparant de Dieu, qui donne la vie à l’âme du juste ; ou il est si léger qu’il ne détruit pas cet ordre et ne fait qu’y porter une faible atteinte, et c’est dans ce cas un péché véniel dont nous pouvons promptement obtenir le pardon, par la raison qu’il ne fait point perdre la grâce, ni encourir l’inimitié de Dieu. Or l’ordre de la justice consiste à préférer le bien éternel au bien temporel, le bien honnête à celui qui est utile, la volonté de Dieu à sa volonté propre, et en ce que le jugement de la raison préside toujours à la sensualité humaine. Comme la loi de Dieu en fait un précepte et défend le contraire, il s’ensuit que quand or préfère le bien temporel au bien éternel, ce qui est utile à ce qui est honnête, la sensualité à la raison, sa propre volonté à celle de Dieu, on commet un péché mortel que saint Ambroise déclare être une transgression de la loi de Dieu et une désobéissance aux préceptes divins. Or on commet cette désobéissance quand on omet ce que la loi commande ou que l’on fait ce qu’elle défend. D’où il résulte une double sorte de péché, le délit et l’omission. Quand, au contraire, on aime le bien temporel plus qu’il ne convient, mais sans le préférer au bien éternel, qu’on préfère ce qui est utile à ce qui est honnête, que l’on aime sa volonté naturelle plus qu’il ne faut, sans néanmoins la préférer à la volonté divine, que l’on ne fait point passer la concupiscence de la chair avant le jugement de la droite raison, il n’y a alors que péché véniel, parce que dans ce cas ce que l’on fait, quoique n’étant pas conforme à la loi divine, n’est pas cependant directement contre elle. Or l’appétit sensuel n’est préféré à la raison que lorsque la raison y donne son consentement, et par conséquent il n’y a pas de péché mortel sans consentement. Si la sensualité se produit d’une manière désordonnée, comme ce désordre entraîne au mal, quoiqu’ici la raison ne consente pas au péché, il y a néanmoins une certaine atteinte à l’ordre de la justice ; tandis que dans l’état d’innocence, la sensualité étant gouvernée par la raison, il ne pouvait pas y avoir de péché véniel. Dans l’état actuel, comme la sensualité répugne à la raison, bon gré mal gré ses premiers mouvements nous font commettre un péché véniel ; et quoiqu’on puisse en éviter quelques-uns en particulier, on ne peut néanmoins se préserver de tous, parce que, comme péchés, ils sont aussi la peine du péché originel et actuel ; c’est pour cela qu’à bon droit on les nomme véniels, parce qu’en effet ils sont dignes de pardon. Mais comme la raison n’est pas forcée d’y consentir, si après avoir consenti au plaisir on consent à l’acte, alors il y a plein consentement, et le péché est par cela même consommé par la complète adhésion de la partie supérieure de la raison, d’où dépend la plénitude de consentement. Mais comme par le consentement non seulement à l’acte, mais même à la délectation, il y a un consentement dans lequel la partie inférieure adhère à la sensualité, si la raison admet la sensualité dans la délectation sensuelle et y succombe, il résulte qu’il y a subversion de l’ordre légitime, et il se fait par là une subversion de la justice ; il y a donc péché mortel, quoique moins grave, parce qu’il n’est pas seulement imputé à la partie inférieure de la raison, mais aussi à la partie supérieure, qui aurait dû réprimer et maîtriser la partie inférieure, et l’empêcher de consentir.

 

 

Confession ou acte d’humilité de l’auteur

« Je viens de dépeindre le cœur pur et la conscience nette, tout impur et couvert de souillures que je sois ; habile sur bien des points, je ne me connais pas moi-même ; je juge les défauts des autres et ne vois pas les miens ; je décris les vices et leurs occasions, et je ne prends aucun soin de me corriger des miens ; je vois une paille dans l’œil des autres, et ne remarque pas une poutre dans le mien ; j’ai la présomption de vouloir diriger les autres, et je ne sais pas me gouverner moi-même ; je censure les mœurs des autres, et je ne songe pas à réformer les miennes ; je ne vois rien dans ce qui me concerne, et je suis plein de perspicacité à l’égard des autres ; néanmoins, pressé par la charité fraternelle, comme j’aime sincèrement les âmes de tous mes frères, d’autant plus que je sais qu’elles aspirent à la pureté du cœur, à l’acquisition de laquelle elles donnent tous leurs soins c’est pour la leur faciliter que j’ai écrit ces pages. Votre charité vous les fera donc agréer avec bienveillance et humilité, et y voir comme dans un miroir et une peinture fidèle la voie et la porte par laquelle l’âme peut pénétrer dans le portique de la maison du Seigneur, lequel est la pureté de l’âme, bien persuadés que dans cette vie nul ne peut atteindre cet heureux portique, s’il ne s’applique de la manière que j’ai dite à se connaître soi-même, suivant les lumières que Dieu lui aura données, à maintenir sa conscience nette et pure, par le moyen d’une confession franche, sincère et entière, ainsi que je l’ai dit plus haut. Car la pratique de la confession est entièrement basée sur l’humilité, et procède d’une crainte filiale de Dieu, laquelle ne permet point que le péché habite dans le cœur, pas plus que les circonstances du péché, de nature à offenser Dieu, sans se hâter de s’en débarrasser promptement par la confession, suivant la possibilité et la connaissance qu’elle en a, et cette attention à garder pur son cœur et sa conscience est une preuve évidente qu’on est inscrit parmi les enfants et les élus de Dieu. C’est pourquoi une âme semblable peut dire en toute vérité : « Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta maison, » c’est-à-dire, la pureté de mon âme, et le lieu qu’habite ta gloire, c’est-à-dire la pureté de ma conscience. Et la raison, c’est que tu as donné à la pureté de mon âme une vigoureuse beauté, et c’est avec justice que je paraîtrai pur et sans tache en ta présence, et je serai rassasié de délices quand se manifestera ta gloire. Puisse nous y conduire tous, le Dieu qui vit et règne dans tous les siècles. »



[1] Tendance particulière pour les plaisirs de la chair, le manifester, ou s'adonner à ces plaisirs avec excès.