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Le Seigneur par ces paroles nous convie au banquet salutaire dans lequel il nous a préparé un aliment précieux, à savoir son corps et son sang, conformément à ces paroles des Proverbes, chap. VI: "Traitez votre affaire avec votre ami, et ne révélez point votre secret à un étranger." L’affaire secrète, c’est le sacrement de l’Autel, c’est comme un secret sacré, dont la cause ne doit pas se révéler aux infidèles, mais aux fidèles seuls. Remarquez que trois causes ont contribué à l’institution de ce sacrement. Ce sont, le souvenir du Sauveur, le sacrifice de l’autel, la nourriture de l’homme. La sagesse divine a disposé ces trois choses dans ce sacrement en Opposition avec les maux anciens, à savoir contre l’oubli de Dieu, contre la dette fruit de la rapine du bien d’autrui, contre la corruption qui découle du fruit mortifère. Nos premiers parents trompés par la ruse du serpent tombèrent dans ces trois espèces de maux, et par eux la dépravation passa à leurs successeurs. Quant au premier, il est écrit Ecclésiastique, chap. X: "Le commencement de l’orgueil de l’homme fut de commettre une apostasie à l’égard de Dieu; parce que son coeur se retira de celui qui l’a créé;" ceci est le résultat de l’oubli qui précède les soins qu’il donne à une affaire coupable qu’il traite avec le serpent; c’est encore ce qui a coutume d’arriver à certains insensés. Quant au second, il est écrit Gen., chap. III: "La femme donc voyant que le fruit de cet arbre était bon à manger et agréable à la vue en prit, en mangea, et en donna à son mari qui en mangea comme elle;" ils se rendirent par là coupables l’un et l’autre de rapine. Ils se rendent coupables d’une rapine semblable, ceux qui dans l’usage des créatures et des choses outrepassent les bornes de la justice par un autre côté. Quant au troisième, il est écrit Gen., chap. II: "Ne mangez point du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal; quelque soit le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort;" et quant au bien de l’immortalité du corps, il est écrit Ps. XIII: "Ils se sont corrompus, et sont devenus abominables etc." Ceux pareillement qui emploient le poison du péché, tuent les âmes, et les corrompent. Ce sacrement a par conséquent été institué contre ces trois maux anciens. Il est écrit dans saint Luc chap. XXII: "Prenez et mangez, ceci est mon corps qui sera livré pont vous: faites ceci en mémoire de moi. "Fait ceci, dit-il, en mémoire de moi." Voici la première cause; à savoir le souvenir du Sauveur, pour préserver de l’oubli. Qui sera livré pour vous; c’est-à-dire, pour que l’a de Dieu fut offert, et c’est ici la seconde cause, à savoir le sacrifice de l’autel contre la rapine. "Prenez et mangez," voici la troisième cause; à savoir, une nourriture médicinale contre la corruption. La première cause est donc le souvenir du Sauveur contre l’oubli auquel nous pourrions nous laisser aller; et cela afin qu’avertis, nous nous soustrayons aux maux qui pourraient nous atteindre, et que nous reportions entièrement à Dieu tous nos sens et tout notre esprit que nous détournons de lui, et que parfois nous laissons divaguer dans des pensées et des délectations mauvaises. De là il dit: "Faites ceci en mémoire de moi." Eusèbe dit: "Parce que après la manducation de son corps, le Seigneur devait disparaître de devant les regards des hommes, et être emporté dans les cieux, il était par conséquent nécessaire qu’au jour de la cène, il nous consacrât le sacrement de son corps et de son sang, pour que l’on offrît perpétuellement en mystère ce corps et ce sang qu’il offrait une fois comme rançon, et que la mémoire de cette victime perpétuelle se conservât, et qu’elle fût continuellement présente par la grâce."

Il faut remarquer que la charité du Sauveur nous pousse par trois raisons, à ne jamais l’oublier; ce sont la rémission des péchés, le rachat de ceux qui étaient insolvables, et la continuation de ses bienfaits.

I. Quant à la première, il est écrit dans Isaïe, XLIII: "C’est moi qui efface vos iniquités pour l’amour de moi, et je ne me souviendrai pas de vos péchés, ressouvenez-vous de moi." Quant à la seconde, il est écrit Ecclésiastique, chap. XXIX: "N'oubliez jamais la grâce que vous fait celui qui répond pour vous, de manière que vous l’aimiez à cause d’elle, et que vous lui rendiez par vos prières et vos bonnes oeuvres ce que vous lui devez." On lit an livre des Cantiques, chap. V: "Ouvrez-moi, ma soeur, mon amie, parce que ma tète est chargée de rosée, et rues cheveux des gouttes de la nuit." Ouvrez-moi, c’est-à-dire recevez-moi dans votre esprit, dans votre mémoire et votre affection; parce que nia tête, c’est-à-dire ma divinité, est pleine de rosée, c’est-à-dire de miséricorde pour remettre les péchés; et mes cheveux, c’est-à-dire mon humanité, des gouttes de la nuit, c’est-à-dire de la sueur des larmes que j’ai versées, et du sang que j’ai répandu pendant ma passion, pour l’acheter votre héritage qui était insolvable et pour la satisfaction de vos péchés. Quant à la troisième, il est écrit au Deutéronome, chap. VIII: "Prenez garde avec un soin tout particulier de n’oublier jamais le Seigneur Votre Dieu, et de ne point négliger ses préceptes; de peur qu’après que vous aurez mangé, que vous aurez bu, que vous serez rassasié, et que vous aurez eu de toutes espèces de choses, votre coeur ne s’élève et que vous ne vous ressouveniez plus du Seigneur votre Dieu." Le Commentaire de l’Ecclésiastique, chap. XVII, dit: "Comme il n’est pas un instant où l’homme n’use de la bonté de Dieu, il doit aussi l’avoir toujours présent à la mémoire."

II. La seconde cause de l’institution de ce sacrement, c’est le sacrifice de l’autel, contre une certaine rapine quotidienne de nos péchés, afin que comme le corps du Seigneur a été offert une fois sur la croix pour le péché originel, il soit pareillement offert sans interruption sur l’autel pour nos péchés de tous les jours, et qu’en cela l’Eglise ait pour apaiser Dieu un don qui soit et plus précieux et agréable que tous les sacrifices de la loi. Il est écrit dans Malachie, chap. III: "Le sacrifice de Juda et de Jérusalem sera agréable au Seigneur, comme celui du roi et de la milice;" c’est-à-dire de l’Eglise du Christ. Le pape Alexandre dit: "Il ne peut rien y avoir de plus grand dans les sacrifices de l’Eglise que le corps et le sang de Jésus-Christ. Il n’est pas d’oblation qui puisse lui être préférée, celle-ci l’emporte sur toutes les autres; il faut pour l’offrir à Dieu que la conscience soit pure, comme il faut un coeur pur pour la recevoir. Comme ce sacrifice l’emporte en excellence sur les autres, il est aussi plus digne de notre vénération." Pour approuver ce sacrifice, il faut observer qu’il y eut trois raisons de changer l’ancien sacrifice.

1° La première se tire de la puissance de l’auteur de notre sacrifice, à savoir de Jésus-Christ; qui non seulement parce qu’il est Dieu roi de toute la terre, mais encore parce que le souverain sacrifice a été transféré sur lui, a pu et dû changer le sien en un sacrifice plus par fait. Il est écrit Ps. CIX: "Le Seigneur a juré, et il ne se repentira pas, etc." Il ne dit pas selon l’ordre d’Aaron, ou selon le rituel des Lévites qui offrirent les chairs des boucs et des taureaux; mais selon l’ordre de Melchisédech qui offrit le pain et le vin. Il est écrit, Hébreux, chap. VIII: "Qu’il fut nécessaire qu’un nouveau sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech surgît, et qu’il ne de voit pas être selon l’ordre d’Aaron." Le sacerdoce ayant été transféré, la loi devait nécessairement l’être aussi. Mais il est évident que le Seigneur est sorti de la tribu de Juda, à laquelle d’après la loi n’appartenaient pas les prêtres.

2° La seconde cause qui fit changer le sacrifice, c’est l’exigence de nos dettes. La dette de nos premiers parents était si grande, soit à cause de la rapine et de l’ingratitude du ravisseur, soit à cause de la grandeur de celui qui avait été lésé, à savoir le Créateur, que non seulement les sacrifices de la loi, mais que le monde entier avec toutes les créatures qu’elle contient, était insuffisant à payer cette même dette.

Il est écrit dans l’épître aux Hébreux, chap. X: "Le Christ entrant dans le monde dit: Vous ayez rejeté les hosties et les oblations, et vous m’avez donné un corps;" le Commentaire ajoute; entrant dans le monde, c’est-à-dire, s’étant fait homme, dit: "Vous avez rejeté l’hostie des animaux, et les oblations des autres choses;" c’est-à-dire, elles ne vous ont pas été agréables; mais vous m’avez donné un corps qui l’emporte sur tous les autre sacrifices, parce qu’il est exempt de péché; vous me l’avez adapté, c’est-à-dire que vous me l’avez donné apte et propre à vivre, de manière qu’il pût être offert pour la rédemption de tout ce qui existe. Il est écrit Ps. LVIII: "Ce que je n’ai pas dérobé, je le payais alors;" c’est-à-dire que je le payais lorsque j’offrais sur la croix un sacrifice suffisant pour payer la dette de tous.

3° La troisième raison de changer le sacrifice, c’était l’insuffisance des sacrifices de la loi; et cela se prouve par trois raisons: à savoir parce qu’ils n’étaient pas agréables à Dieu, parce qu’ils n’effaçaient pas le péché, et parce qu’ils ne conféraient pas la grâce. Et d’abord, Jérémie dit, chap. VI: "Vos holocaustes rie me sont pas agréables, vos victimes ne m’ont pas plu." Il est dit dans Osée, chap. VI: "C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice." Le Psalmiste dit, XXIX de la seconde: "Vous n’avez pas demandé d’holocauste pour le péché." L’Apôtre dit, Rom., chap. III: "Nul homme ne sera justifié devant Dieu par les oeuvres de la loi." Le même Apôtre dit aux Hébreux, chap. X: "Le sang des boucs et des taureaux est impuissant à effacer les péchés." Ezéchiel XX dit de la troisième: "Je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons, et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie;" je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons, c’est-à-dire qui sont moins bons, et des sacrifices, c’est-à-dire des rituels, où ils ne trouveront pas la vie; parce que ces sacrifices ne conféreraient pas la vie de la grâce. L’Apôtre dit, Hébreux, chapitre XII: "Que l’ancienne loi a été aussi réprouvée à cause de son inutilité et de sa faiblesse, elle l’a pour ainsi dire été à cause de sa stérilité et parce qu’elle ne conférait pas la grâce."

III. La troisième cause de l’institution de ce sacrement, c’est l’aliment de l’homme. Aliment, dirai-je, efficace contre la corruption du fruit mortifère; corruption qui s’était si bien insinuée dans les premiers parents du genre humain, qu’elle eut été incurable, si on n’eût pas eu recours à un remède si efficace que la prudence de Dieu seul pouvait le procurer. Il est écrit Ecclésiastique, chap. XXXVIII: "Le Très Haut a créé un remède de la terre," c’est-à-dire de la chair de la Vierge, "et l’homme prudent n’en aura pas horreur." Saint Ambroise dit: "Le corps de Jésus-Christ est un remède spirituel, qui pris avec respect purifie ceux qui lui sont dévoués. Pour connaître la raison de la nécessité du remède du corps de Jésus-Christ, en tant que le serpent infernal a insinué dans l’homme par le poison du fruit défendu, il faut savoir qu’il a insinué en lui une triple corruption; à savoir, les ténèbres de l’ignorance dans l’âme, dans le corps la maladie d’une Concupiscence mauvaise, et la mort, dans l’un et l’autre." C’est contre Cette triple corruption qu’a été institué comme remède le sacrement du corps de Jésus-Christ; il chasse les ténèbres de l’ignorance, il guérit de la maladie de la concupiscence, et donne la mort à notre mort. On peut à cause de ces effets le comparer à une nourriture triplement douce et médicinale; à savoir au miel à cause du premier, au fruit du figuier pour le second, et au fruit de la vigne pour le troisième. Quant au premier, il est écrit Proverbes, chapitre XXXIV: "Mange, mon fils, le miel, parce qu’il est bon." La douceur du miel signifie celle du corps de Jésus-Christ. Celui-ci est bon parce qu’il illumine les ténèbres de l’esprit. Il est écrit I Rois, chap. XIV: "Vous avez vu que mes yeux ont été éclairés, parce que j’ai goûté un peu de miel." Isaïe dit, chap. VII: "Quiconque aura été laissé, mangera le beurre et le miel pour qu’il sache réprouver le mal et choisir le bien." On lit, Ps. XXVI: "Le Seigneur est ma lumière, etc. Approchez-vous de lui, et il vous éclairera." Quant au second, il est dit dans Jérémie chap. XXIV: "Le figuier produit de bonnes figues, des figues excellentes." Ce mot figue répété deux fois exprime la douceur du corps de Jésus-Christ Dieu et homme en même temps. Ces deux choses sont parfaites l’une et l’autre, parce qu’elles guérissent l’esprit et la chair de la maladie de la concupiscence mauvaise. On lit, IV Rois, chap. XX: "Isaïe fit apporter une quantité de figues, dès qu’il les eut placées sur l’ulcère du roi, il fut guéri." L’ulcère du roi signifie la concupiscence de la chair, la quantité de figues le corps de Jésus-Christ qui contient la douceur d’une infinité de biens propres à guérir les mauvais désirs. Pour ce qui est du troisième, il écrit dans saint Luc, chap. I Béni le fruit de votre ventre; à savoir le corps de Jésus-Christ, qui est le fruit de vie, fruit assez puissant pour détruire l’enfer et procurer la vie éternelle. On lit, Proverbes, chap. III: "Il est l’arbre de vie pour ceux qui l’auront saisie," c’est-à-dire pour ceux qui auront obtenu la sagesse incarnée de Pieu. C’est pour cela qu’il est dit dans Osée, chap. XIII: "Je serai ta mort, Ô mort!" Il est dit dans saint Jean, chap. VI: "Je suis le pain de vie, etc. Celui qui mange ma chair, etc." Il est encore dit: "Celui qui me mange vivra pour moi." Saint Hilaire dit: "Lorsqu’on a reçu la chair de Jésus-Christ et qu’on a bu son sang, il en résulte que nous sommes en lui, et qu’il est en nous. La source de notre vie vient donc de ce que Jésus-Christ, qui est véritablement la vie, demeure en nous qui sommes charnels, par sa chair, et que nous devons vivre par lui, comme il vit lui-même par son Père qui demeure en lui."

CHAPITRE II: La première cause de l’institution de ce sacrement, c’est le souvenir du Sauveur, en lui-même, et la préparation à son jugement.

"Venez, mangez le pain de vie, etc. Votre affaire, etc." Argument spécial. Il est aussi écrit: "En souvenir éternel. Faites ceci en mémoire de moi," et dans saint Luc, chap. XXII " L’objet, etc." Il est aussi écrit: "Soyez prêts, car à l’heure que vous ignorez," Luc, chap. XII.

La première cause de l’institution du sacrement du corps du Seigneur, c’est le souvenir du Sauveur. On peut sur ce point rechercher quatre choses.

1° Quel mal il résulte de l’ou du Seigneur. Il faut répondre qu’il en résulte trois espèces de maux, qui sont la perte de la grâce divine, la soumission au pouvoir du démon, et la difformité énorme du péché. Quant au premier mal, il est écrit dans le Deutéronome, chap. XXXII: "C’est Dieu qui vous a engendré, et vous l’avez abandonné, etc." Et il dit: "Je cacherai ma face, et je considérerai," c’est-à-dire je retirerai ma grâce. Là où la source se tarit, le ruisseau dessèche. Isaïe dit, chap. XVII: "Tu seras déserte, parce que tu as oublié Dieu ton créateur." Il est écrit Ecclésiastique, chap. XX: "La prière des insensés s’écoulera comme l’eau." Quant au second mal, il est écrit au livre des Juges, chap. IV: "Ils ont oublié leur Dieu et il les a livrés aux mains de Sisara;" c’est-à-dire au pouvoir du démon. Tobie dit, chap. VI: "Ceux qui contractent mariage de manière à éloigner Dieu et d’eux et de leur esprit; c’est sur ceux-là que le démon du pouvoir." Pour ce qui est du troisième mal qui résulte de cet oubli, l’Apôtre dit, Rom., chap. 1: "Comme ils n’approuvèrent," c’est-à-dire ne voulurent pas connaître Dieu, "il les a abandonnés à leur sens réprouvé, pour qu’ils fassent ce qu’ils ne convient pas;" et ceci, hélas! a souvent lieu jusqu’à la mort. On lit, Ps. IX: "Il n’y a pas de Dieu à ses yeux, etc." Et dans Joël, ch. I: "Les bêtes de somme sont, pourries dans leurs ordures." Les bêtes de somme impudiques et privées de sens, sont les hommes insensés et charnels, qui n’ont jamais Pieu présent à leurs yeux. Pourrir de la sorte sur ses ordures, c’est terminer sa vie dans la luxure et les autres péchés.

2° On demande quelles sont les choses concernant le Sauveur dont il ne faut pas perdre le souvenir. On répond qu’il y en a trois, ce sont le passé, le présent et l’avenir. Pour ce qui concerne le passé, il faut se rappeler le Sauveur comme notre rédempteur; parce que son infinie charité l’a fait nous délivrer par sa mort d’une mauvaise mort. Pour le présent, il faut se le rappeler comme voyant tout, comme voyant toujours par sa présence cachée toutes nos actions. Pour ce qui est de l’avenir, il faut nous le rappeler comme un juge équitable, qui par sa toute puissance jugera toute mauvaise action qui n’aura pas été expiée. Pour le premier pas, il est écrit dans Jérémie, Lament., chap. III: "Souvenez-vous de la pauvreté où je suis, de l’excès de mes maux," c’est-à-dire de ma profonde humiliation, de l’absinthe et du fiel où je suis plongé; c’est-à-dire de l’amertume de ma passion. Ezéchiel dit, chap. IX: "Marquez un signe Thau sur le front des hommes qui gémissent et qui sont dans la douleur de voir toutes les abominations qui se commettent dans cette ville." Le Thau à la figure de la croix, c’est-à-dire qu’il rappelle la passion du Christ que les bons ne doivent jamais bannir de leur esprit. Quant au second point, il est écrit Psaume XCIX " Sachez que le Seigneur lui-même est Dieu, à savoir qu’il est partout, qu’il voit tout et que tout lui est connu." C’est ce qui faisait dire au Psalmiste, Ps. XV " Je regardais le Seigneur, et l’avais toujours présent devant les yeux." Il est écrit Ecclésiastique, chap. XXXIX: "L’oeuvre de toute chair est présent à la vue du Seigneur, et rien n’est caché à ses yeux." On lit dans le Cantique des Cantiques, chap. II: "Voici qu’il se tient lui-même derrière notre muraille; c’est-à-dire qu’il est revêtu du mur de notre chair;" il regarde à travers les fentes; parce que bien que caché intérieurement et que nous ne puissions pas le voir, il voit néanmoins toutes nos oeuvres. Pour ce qui est du troisième point, le prophète Isaïe dit, chap. XXX: "Voilà la majesté du Seigneur qui vient de loin, il paraîtra dans une fureur ardente dont nul ne pourra soutenir l’effet: "Voici qu’il vient;" c’est-à-dire tenez-vous sur vos gardes, car bientôt il viendra pour le juste jugement. Il est dit dans saint Matthieu, chap. XXIV: "Veillez, etc." Saint Jérôme s’exprime en ces termes : "Que je boive, que je mange, quelque chose que je fasse, j’entends toi retentir à mes oreilles comme le bruit éclatant de la trompette, cette voix terrible: levez-vous morts, venez au jugement." il est dit en même temps de ces trois points, Psaume CX: "Le Seigneur a l’appelé la mémoire de ses merveilles," comme s’il disait: Le Seigneur nous a donné une nourriture, c’est-à-dire qu’il s’est donné lui-même pour perpétuer le Souvenir de ses merveilles: de ses mer veilles passées, de nous avoir racheté; de ses merveilles présentes, parce qu’il voit tout ce qui se passe en nous; des merveilles futures, de ce qu’enfin il jugera sévèrement.

3° On demande à quoi sert le souvenir de notre Sauveur. On répond qu’il sert à trois choses. Le souvenir de la première de ces choses, à Savoir de la passion de Jésus-Christ, sert à enflammer notre coeur de son amour. Le souvenir de la seconde, à savoir de la vue continuelle qu’il a sur nous, sert à nous préserver du péché. Le souvenir de la troisième, c’est-à-dire du jugement sévère, nous fait faire des efforts pour nous préparer au jugement futur. Le souvenir de la première de es choses nous fait aimer le bien, celui de la seconde nous fait dé tester le mal, celui de la troisième nous fait précautionner contre un danger imminent. Quant au premier souvenir, saint Luc dit, ch. XII: "Je suis venu apporter le feu sur la terre, mon désir n’est-il pas qu’il brûle?" Je suis venu apporter le feu, c’est-à-dire, j’ai apporté sur la terre comme cause d’amour le bienfait de ma passion; si on en con serve un pieux souvenir, elle enflammera le coeur d’un amour immense. Il est dit Psaume, XXXVIII: "Mon coeur s’est enflammé au dedans de moi, etc." Saint Bernard s’exprime en ces termes: "Le calice que vous avez bu, oeuvre de ma rédemption, vous a rendu pour moi, ô bon Jésus! aimable par-dessus toute chose." Le même saint dit encore: "Plus le Seigneur s’est abaissé pour moi, plus il m’est devenu cher." Pour ce qui est du souvenir de la seconde, il est écrit Prov., chap. VIII: "La crainte du Seigneur fait haïr le mal." La crainte, dirai-je, par laquelle l’esprit considère Dieu comme toujours présent et comme voyant toute chose préserve du péché, et vice versa. Il est écrit Ecclésiastique ch. XXIII: "Tout homme qui viole la foi du lit con jugal, méprise son âme;" et il dit: "Qui est-ce qui me voit? Les ténèbres m’environnent, les murailles me couvrent, etc." il ne comprend pas cet homme là, comment l’oeil de Dieu voit tout, et il bannit de son coeur la crainte de ce même Dieu. Ezéchiel dit, chap. VIII: "Fils de l’homme, vous avez vu d’une manière certaine ce que les vieillards font dans les ténèbres. Car ils disent: Le Seigneur ne voit pas." Le Commentaire ajoute: "Si nous nous rappelions sans cesse que le Seigneur est toujours présent, qu’il voit tout, qu’il juge tout, nous ne pécherions jamais ou presque jamais." Boèce dit: "Nous somme dans la nécessité de bien vivre, puisque tout ce que nous faisons, s’accomplit sous les yeux d’un juge à qui rien n’échappe." Pour ce qui est du souvenir de la troisième chose, il est écrit Exode, ch. XIX: "Sanctifiez le peuple; et qu’ils soient prêts pour le troisième jour; car le troisième jour le Seigneur descendra en présence de tout le peuple." Ce qui est comme s’il disait: Souvenez-vous que le Seigneur irrité viendra pour le jugement rigoureux; préparez-vous donc pour le troisième jour. Le premier jour est celui de notre naissance, le second le temps que nous passons sur la terre, le troisième, celui de notre mort, où de l’arrivée du jugement rigoureux. Saint Luc dit, chap. XII: "Soyez prêts." On doit remarquer trois choses relativement à la préparation au jugement; ce sont le mode, la prévision d’échapper aux châtiments réservés à ceux qui ne sont pas préparés, l’avantage qu’il y a de posséder la vie éternelle avec ceux qui sont préparés. Quant au premier point, il est écrit Ecclésiastique, chap. XVIII: "Avant le jugement, rendez-vous la justice propice;" à savoir en faisant pénitence. Il est dit dans saint Matthieu, ch. III: "Faites pénitence, le royaume du ciel est proche;" c’est-à-dire le équitable du roi du ciel. Joël dit, chap. II: "Le jour du Seigneur est grand, il est terrible, qui pourra le supporter?" Le Seigneur dit donc "maintenant, convertissez à moi, etc." comme s’il disait: Préparez-vous au jour du Seigneur par la pénitence et par la fuite des péchés du monde. Pour ce qui est du second; il est écrit dans l’Apocalypse, chap. XVIII: "Sors de Babylone, Ô mon peuple! pour ne pas participer à ses crimes, et pour échapper à ses châtiments!" Sortez de Babylone, c’est-à-dire préparez-vous au jugement par la pénitence et par la fuite des péchés du monde; c’est par une telle prévoyance que vous échapperez à ses châtiments. On lit dans saint Luc, chap. XII: "Si le père de famille savait, etc." Le Commentaire ajoute: "L’ignorance du père de famille fait que le voleur fait invasion dans la maison; parce que pendant que l’esprit ne veille pas à sa propre garde, la mort de la chair que l’on ne prévoyait pas s’empare de la demeure et précipité l’âme dans les supplices." Mais il résisterait au voleur, s’il veillait, et s’il se précautionnait contre l’arrivée secrète et imprévue du juge, s’il allait à sa rencontre par la pénitence; et par là il échapperait au châtiment de ceux qui dorment, c’est-à-dire qui ne sont pas préparés. Quant au troisième, on lit dans saint Matthieu, chap. XV: "Pendant que les vierges folles," c’est-à-dire, les âmes qui ne sont pas préparées, allèrent acheter au marché du démon avec Eve, ou Diane; à ce marché où l’on donne beaucoup de besogne pour peu de chose, l’époux vint, et celles qui étaient prêtes, etc. Voici le triple avantage que procure la préparation au jugement; ce sont, la possession du royaume du ciel, la Société ineffable de l’époux, et la jouissance de toute espèce de biens. On peut ici remarquer trois choses; premièrement elles entrèrent, secondement, avec l'époux, troisièmement, aux noces. Il est dit de la première dans saint Matthieu, chap. XXV: "Venez les bénis de mon Père." Il est dit de la seconde, I Thes., chap. IV: "Nous serons toujours avec le Seigneur, sans lui nulle part on n’est bien, avec lui nulle part on ne pourra être mal." On lit dans saint Jean, chap. XVII: "Mon Père, ceux que vous m’avez donnés, je veux, etc., qu’ils voient la lumière que vous m’avez donnée." Il est dit de la troisième dans Isaïe chap. LXVI: "Réjouissez-vous avec Jérusalem;" c’est-à-dire, avec la société pacifique et délicieuse de tous les bienheureux, pour que vous soyez remplis par le lait de la consolation tiré de ses mamelles.

CHAPITRE III: De la seconde cause de l’institution du sacrement de l’Eucharistie, à savoir du sacrifice de l’autel.

"Venez, mangez, etc. Pareillement, votre affaire, etc." thème ou argument propre. Le sacrifice de Juda est comme celui du roi et de la milice, c’est-à-dire, de l’Eglise de Jésus-Christ, Malachie, chap. III.

La seconde cause de l’institution du sacrement du corps du Seigneur, c’est le sacrifice de l’autel. Trois choses sont à observer touchant ce sacrifice; ce sont la forme, la question du sacrifice légal et l’excellence de notre sacrifice. Nous traiterons les deux premières questions dans ce chapitre et nous laisserons la troisième pour le chapitre suivant. La première chose à considérer c’est la forme, et elle est triple. La première est celle des anciennes oblations qui le figuraient à l’avance. La seconde consiste dans la vérité de la forme humaine, la troisième consiste dans les espèces du pain et du vin. La première fut confiée à la synagogue sous la loi; la seconde, offerte sur la croix, est celle de la charité divine; la troisième, consacrée sur la table de l’Eglise, est celle de l’âme fidèle. La première fut donnée en figure; la seconde comme le prix de l’homme, la troisième comme une consolation. Il est écrit de la première, Lévit., chap. IV: "Si tout Israël a péché par ignorance, qu’il offre un veau pour son péché;" c’est-à-dire le Christ, ajoute le Commentaire: ceci se faisait en figure et non en personne: l’agneau sans tache que les Juifs immolaient pour la Pâque et dont ils mangeaient les chairs, Exode, chap. XII, était aussi la figure de Jésus-Christ, dit saint Grégoire. Isaïe dit de la seconde forme, chap. LIII: "Il a été conduit à la mort comme une brebis, il a été couvert de plaies à cause, etc. Il a été offert parce qu’il l’a voulu." Ceci s’est véritablement réalisé sur la croix quant à la forme humaine. Il est écrit aux Hébreux, chap. X: "Nous sommes sanctifiés une fois par l’oblation du corps de Jésus-Christ;" à savoir sur la croix. Quant à la troisième, il est dit, Psaume CIX: "Vous êtes prêtre pour l’éternité, etc." Lequel, comme il est dit dans la Genèse, chap. XIV: "Offrit le pain et le vin." De même le Christ donne son corps et son sang dans le sacrifice de l’autel, sous les espèces du pain et du vin. On lit dans saint Matthieu, chap. XXVI: "Jésus prit le pain, le bénit et dit: Ceci est mon corps;" il prit aussi le calice, c’est-à-dire un petit vase avec du vin, il rendit grâce, disant: "Ceci est mon sang, etc."

On remarque en second lieu la question peu importante du sacrifice légal, et en traitant cette question on fait trois choses. 1° On fait connaître les difficultés que l’on oppose contre l’insuffisance imputée au sacrifice légal. 2° On résout ces difficultés. 3° On assigne la cause de ce même sacrifice.

1° On oppose à l’insuffisance imputée à ces sacrifices, à savoir qu’ils n’ont pas été agréables à Dieu, qu’ils n’effacèrent pas les péchés, d’après ces paroles de Jérémie, chap. VI: "Je n’ai pas eu pour agréables vos sacrifices, vos victimes ne m’ont pas plu, etc." et autres raisons semblables; les paroles suivantes du Lévitique, ch. IV: "Si quelqu’un d’entre le peuple a péché, etc., il offrira une chèvre sans défaut, etc., le prêtre la brûlera sur l’autel, devant le Seigneur, comme un parfum qui lui est agréable, et sa faute lui sera pardonnée." il est donc démontré par là que le sacrifice légal fut agréable à Dieu et que par conséquent il remit les péchés. L’Apôtre dit aux Hébreux, chap. XI: "Tous les péchés sont presque purifiés par le sang suivant la loi; et le sang des animaux immolés remet les péchés de ceux qui s’en rendent coupables." Donc les sacrifices légaux furent agréables à Dieu et ils remirent les péchés.

2° On peut répondre comme il suit à ces difficultés. Il y eut toujours trois choses dans le sacrifice; ce sont le sacrifice lui-même, les personnes qui l’offrent, et la rémission des péchés. Deux choses devaient être observées dans celles que nous venons d’indiquer. Dans le sacrifice, on devait considérer la chair et le sang de l’animal que l’on offrait; on devait en outre considérer, ce qui valait beaucoup mieux, à savoir la chose spirituelle qu’il signifiait; par exemple le Christ, que signifiaient l’agneau et le veau, la pénitence représentée par la chèvre, la vie robuste et active exprimée par le boeuf, la vie sublime et contemplative signifiée par l’oiseau, etc. Les personnes qui offrent sont pareillement de deux espèces, les unes dignes, les autres indignes. Les personnes indignes étaient celles qui ne considéraient dans les sacrifices que la partie charnelle. Les personne dignes au contraire étaient celles qui envisageaient dans les sacrifices la partie spirituelle, et qui croyaient explicitement ou implicitement au Christ figuré par eux; et qui conformaient leur vie à cette intelligence spirituelle qu’ils en avaient. On peut aussi dire, que là il y a rémission des péchés en deux choses; il y avait rémission quant à la peine, c’est-à-dire quant à l’irrégularité légale; on quant à la faute, c’est-à-dire quant à la souillure de la conscience. Ceci étant établi, il n’est pas difficile de résoudre les difficultés que les Ecritures semblent contenir relativement aux sacrifices. Véritablement, en effet, ces sacrifices en eux-mêmes, à savoir opera operata, c’est-à-dire, les chairs et le sang de boucs ne furent pas agréables à Dieu, et ce ne fut pas à cause de ces mêmes sacrifices que la faute fut remise quant à la faute elle-même, c’est-à-dire quant à la souillure de la conscience; cependant aux yeux des hommes elle était considérée comme remise quant à la peine légale. C’est ce qui fait que quand l’Apôtre dit dans un endroit: "Il est impossible que le sang des boucs efface les péchés," et dans un autre: "Tous les péchés sont presque effacés dans le sang d’après la loi," on peut interpréter le premier de ces passages de la souillure de l’âme; et le second de la peine de la chair. C’est ce qui lui fait dire aux Hébreux, chapitre IX: "Le sang des boucs, des taureaux, et l’aspersion de l’eau mêlée avec la cendre d’une génisse, sanctifient ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle." Le Commentaire ajoute: "Sanctifié, c’est-à-dire purifié du péché," ou pour parler plus exactement, de la peine légale, ils ne sont propres en effet qu’à purifier la chair et non l’âme. Les sacrifices des justes néanmoins, non pas en eux-mêmes, comme nous venons de le dire, mais à cause de la foi qu’ils avaient dans le Sauveur, dont ces mêmes sacrifices figuraient la venue, et qu’ils croyaient eux de voir être le Rédempteur du monde, plaisaient à Dieu sous ce rapport et leur procuraient la rémission des péchés, et quant à la peine dont nous avons parlé, et quant à la coulpe ou souillure de l’âme. L’Apôtre dit, Galat., chap. III: "Les oeuvres de la loi lie justifièrent l’homme que par la foi en Jésus-Christ." Le même Apôtre dit aux Hébreux, chap. XI: "C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu une hostie plus excellente que Caïn," plus excellente, c’est-à-dire plus agréable, et qui lui fut plus profitable. Il comprit en effet et il crut par l’agneau qu’il offrit à Dieu à une hostie plus salutaire, c’est-à-dire le Sauveur; ce que ne comprirent ni Caïn, ni les autres personnes indignes, qui offrirent des sacrifices. On lit dans la Genèse, chap. X: "Dieu jeta ses regards sur Abel et ses présents."

3° Troisièmement, nous allons ici faire connaître la cause de l’institution des sacrifices légaux. Comme ces sacrifices ont été en effet institués par Dieu qui ne fait rien sans cause, et que pourtant ils devaient être changés, on peut rechercher la raison qui les fit instituer. Pour cela faire, nous dirons en peu de mots, que, bien que ces sacrifices n’eussent pas par eux-mêmes la propriété de remettre la coulpe ou souillure, ils furent néanmoins d’un grand avantage pour l’enseignement de la sagesse. On les donne en effet temporairement à des esclaves, comme la figure de sacrifices meilleurs; et presque comme on donne aux enfants les caractères imprimés sur les livres; afin qu’aidés par les propriétés de ces mêmes sacrifices et par les règles employées pour les offrir, ils fissent des progrès dans la science de la vraie foi; et qu’après avoir acquis la science véritable, les éléments disparussent, que les ombres et les figures fussent dissipées par la vérité reçue par ce moyen. Il est écrit au Deutéronome, chap. XI: "Imprimez ces paroles que je vous dis dans vos coeurs et dans vos esprits, tenez-les attachées à vos mains, écrivez-les sur les jambages et sur les portes de vos maisons." Gravez dans vos coeurs les sacrifices légaux, gravez-les y, en tant qu’ils touchent à la morale, puis qu’il faut toujours en ce point être fidèle à les offrir. Tenez-les attachés à vos mains; en ce qui concerne les tabernacles édifiés de main d’homme, et les autres choses de ce genre qui doivent être enlevées dans un temps; écrirez sur les jambages et sur les portes de vos maisons les sacrifices, à savoir les brebis et les boeufs; comme les lettres que l’on donne aux petits enfants; on apprendra par ce moyen une foule de bonnes choses; ce seront surtout la foi au Sauveur, la règle des moeurs, et l’espérance des biens célestes. Ils pouvaient apprendre la première de ces choses par les sacrifices des brebis; la seconde par le sacrifice des taureaux; la troisième par celui des animaux que l’on brûlait en dehors des camps. Isaïe dit du premier de ces sacrifices, chap. LIII: "Comme une brebis, etc." Ils pouvaient par conséquent, lorsqu’on offrait une brebis, apprendre trois choses de la véritable foi; ce sont, l’innocence du Sauveur, la mansuétude du genre humain, et la rédemption opérée par Jésus-Christ. Daniel dit du second, ch. III: "En esprit d’humilité, etc., comme dans les holocaustes des béliers et des taureaux." Par conséquent, lorsqu’on offrait pour l’holocauste les animaux cornus, c’est-à-dire lorsqu’on les offrait pour les réduire en cendres par le feu; ils pouvaient apprendre trois choses concernant les bonnes moeurs; ces choses sont, qu’il faut résister aux démons et à tous les vices; qu’il faut brûler de l’amour de Dieu et du prochain, et qu’il est nécessaire de conserver en toutes choses l’humilité du coeur et du corps. Quant au troisième, il est dit, Lévitique, chap. IV; Hébreux, chap. XII: "Que le sang des animaux est porté par le Pontife dans le Saint des saints pour leurs péchés, et que les corps de ces animaux sont brûlés en dehors du camp." De l’exécution de ces choses, ils pouvaient recueillir trois enseignements relatifs à l’espoir d’obtenir la gloire céleste; ce sont la pénitence des vivants, le devoir du Sauveur, et le suffrage des bons. Ce sacrifice nous apprend en premier lieu, que les corps étaient brûlés en dehors du camp; et cette action de brûler les corps en dehors du camp figure les fidèles qui font pénitence loin des délices et des voluptés du monde. Secondement, la translation du sang dans le Saint des Saints par le Pontife représente la translation des âmes des justes dans le ciel après cette vie par Jésus-Christ. Troisièmement, ce sacrifice nous apprend que si le sang transporté par le Pontife dans le Saint des saints eut le pouvoir de remettre les péchés des hommes vivants; ceci nous représente que les âmes des justes qui ont été déjà conduites dans le ciel par Jésus-Christ peuvent prier peur les péchés de ceux qui sont encore sur cette terre d’exil. L’Apôtre dit, quant au premier point, Tim. II, ch. II: "C’est une vérité très certaine que si nous mourons avec Jésus-Christ en faisant pénitence, nous vivrons avec lui en recevant la vie éternelle, si nous souffrons avec lui, nous règnerons aussi avec lui." Il dit aussi, Rom., chap. VIII "Les souffrances de la vie présente n’ont pas de proportions, etc." Voici que faire pénitence, supporter les maux qui nous arrivent, nous donnent l’espoir d’obtenir la gloire du ciel. Pour ce qui est du second, il est écrit dans saint Jean, chap. XIV: "Je viens de nouveau vers vous, et je vous recevrai auprès de moi," et ici le de voir de la piété donne l’espérance des biens célestes. On lit ce qui suit dans le livre des Cantiques, chap. V: "Où est allé votre bien-aimé, ô la plus belle des femmes!" La bienheureuse Vierge répond "Mon bien-aimé est descendu dans son jardin, vers le carreau des parfums, pour se nourrir dans ses jardins et y cueillir des lis;" c’est-à-dire pour enlever du monde et les conduire au ciel les âmes chastes et bien heureuses. Il est dit du troisième dans Osée, chap. I: "J’exaucerai les cieux, et ils exauceront la terre," c’est-à-dire que les prières des saints qui sont dans le ciel sauvent ceux qui demeurent sur la terre; voici en quoi les prières des saints sont propres à nous donner l’espérance des biens du ciel. Il est écrit dans l’Apocalypse, chap. VIII: "La fumée des parfums composés des prières des saints, s’élevant de la main de l’ange, monta devant Dieu;" ceci arrive, parce que les saints offrent à Jésus-Christ pour nous leurs prières, et qu’il les offre lui à son Père, pour nous faire obtenir la rémission de nos péchés, et pour nous associer à eux.

CHAPITRE IV: Troisième observation à faire sur le sacrifice, ou excellence de notre sacrifice.

"Venez et mangez, etc." On remarque en troisième lieu, l’excellence de notre sacrifice qui est le sacrifice du corps de Jésus-Christ; excellence qui l’emporte sur celle de tous les sacrifices légaux, sous trois rapports, qui sont, celui de l’honnêteté quant au siècle, de la dignité quant à Dieu, et de la puissance par rapport aux effets de son excellence.

I. Il l’emporte premièrement sous le rapport de l’honnêteté, et ceci se prouve de trois manières; par son apparence extérieure, par son origine toute virginale, et par sa douceur spirituelle. On prouve d’abord cette honnêteté par son apparence extérieure; il n’eut pas été possible en effet, quelle qu’eût été la qualité de la nourriture employée, de l’administrer d’une manière et si convenable, et si belle, et si pure que sous les espèces du pain et du vin. Il n’est pas en effet accompagné de tous les inconvénients inséparables des sacrifices sanglants de la loi. On lit au livre des Proverbes, chap. XIV: "Mieux vaut un peu de pain sec avec la joie, qu’une maison pleine de victimes avec la discorde." La bouchée de pain sec, c’est, notre sacrifice sous l’espèce pure et décente du pain. Zacharie dit, ch. IX "Car qu’est-ce que le Seigneur a de bon et d’excellent, sinon le froment des élus et le vin qui fait germer les vierges." On prouve, en second lieu, sa décence par son origine, car il vient d’une fleur virginale, et n’est en tachée d’aucune corruption. Il est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. XXIV: "Mes fleurs portent des fruits d’honneur, etc." Ce qui est comme s’il disait; les fleurs de la chasteté et de la virginité se sont changées au fruit de la lignée la plus décente et la plus noble. Saint Augustin dit: "La noblesse de la Mère lui vient de la divinité de son enfant, et celle de l’enfant de la virginité de sa mère. On lit au livre des Cantiques, chap. III: "Sortez, etc." Le Commentaire ajoute de l’ignorance, de l’infidélité, et voyez le roi, c’est-à-dire Jésus-Christ; sous son diadème, c’est-à-dire sous la chair dont sa mère l’a couronné, c’est-à-dire l’a embelli parce qu’elle est Vierge. On prouve, en troisième lieu, l’honnêteté de ce sacrifice par la douceur spirituelle de la piété par laquelle il attire à lui tous les chrétiens. Comme le dit Tullius, "Cela est honnête qui par sa propre force nous attire et nous entraîne," tel par exemple, que ce qui a de la vertu; mais il n’y a rien de plus propre à atteindre ce but que ce en quoi abonde la douceur de la piété, et c’est précisément ce qu’est le sacrement du corps du Seigneur. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XLIX: "La mémoire de Josias est comme un parfum d’une odeur délicieuse composé par un parfumeur habile." La mémoire de Josias, c’est le souvenir du Sauveur, ou le sacrifice de l’autel. Ceci est l’oeuvre d’un parfumeur, c’est-à-dire est le résultat des oeuvres de sa divinité et de son humanité, afin que par l’odeur très suave de l’honnêteté et de la piété, il attire à lui tous les fidèles de l’Eglise. On lit dans le Cantique des Cantiques, chap. I: "Votre nom est une huile répandue." C’est ce qui fait que ceux qui croient véritablement, viennent fréquemment et pleins de ferveur à l’Eglise, poussés qu’ils y sont par l’espérance de la grâce et de la dévotion, pour voir ce sacrifice et l’adorer.

II. Il excelle secondement à cause de sa dignité; et ce qui le prouve ce sont les trois choses excessivement précieuses qui le constituent, à savoir la chair infiniment pure de Jésus-Christ, son âme parfaite ment juste et sa divinité très grande. Ces trois choses étaient figurées dans l’agneau pascal, et elles se trouvent dans toute leur perfection dans notre sacrifice. On lit dans l’Exode, chap. XII: "Vous mangerez la tête de l’agneau avec les pieds et les intestins." La tête de l’agneau signifie la divinité, les intestins l’âme, les pieds la chair: voici en Jésus-Christ: Dieu, l’âme et le corps; ce qui fait que l’on dit: "Salut, Sauveur du monde, Divinité parfaite, Homme véritable composé de chair et d’âme." L’excellence de cette dignité infinie fait que notre sacrifice jouit d’une triple prérogative que n’ont pas les autres sacrifices. Il est agréable à Dieu en lui-même, il est digne de la vénération des Anges et il mérite aussi l’adoration des hommes. Il est digne de la première, parce que son âme est juste; la pureté de sa chair le rend digne de la seconde, et sa divinité souveraine fait qu’il mérite la troisième. Malachie dit de la première de ces prérogatives, chap. III: "Le sacrifice de Juda sera agréable à Dieu;" c’est-à-dire le sacrifice de Jésus-Christ qui est le roi juste. Le sacrifice de Juda plaît au Seigneur, parce que Dieu le père approuve l’oblation du corps de Jésus-Christ: corps dans lequel il est profondément humilié et qu’il a rendu obéissant à son Père jusqu’à la mort; par lequel il a triomphé du démon et a racheté le genre humain. L’Ecclésiastique dit, chap. XXX: "Le sacrifice du juste est agréable à Dieu, il est d’une agréable odeur en présence du Très Haut." Saint Matthieu dit de la seconde, chap. XXII: "Quelque part que soit le corps, là les aigles s’assembleront." Le pape saint Léon dit: "Les aigles qui volent autour du corps du Seigneur sont celles qui volent sur des ailes spirituelles," c’est-à-dire les saints Anges, les esprits purs, amants de la pureté et qui protègent de leur présence les fidèles. On lit dans saint Grégoire: "Quel est celui des fidèles qui pourrait douter qu’au moment de l’immolation les cieux s’ouvrent, que les choeurs des anges assistent à ce mystère de Jésus-Christ, et que le ciel s’associe à la terre?" Le Palmiste dit de la troisième, Ps. XCV: "Adorez l’escabeau, etc." Isaïe, chap. LXVI, s’exprime comme il suit: "Mais la terre est l’escabeau de mes pieds." La terre escabeau des pieds de Dieu, signifie la chair de Jésus-Christ, qui tire son origine de la terre. Nous devons l’adorer parce qu’elle est sainte, parce qu’elle est unie à la divinité. Saint Augustin dit "il nous importe de savoir qu’il n’y a pas d’impiété à adorer la terre, c’est-à-dire la chair en Jésus-Christ." Celui, en effet, qui adore la terre, n’a pas en vue la terre, mais bien plutôt celui dont elle est l’escabeau, et qui est cause qu’on l’adore. On lit dans saint Augustin: "Les hérétiques disent: comment se fait-il que vous adoriez sa chair, que vous reconnaissez être une créature, et que vous l’adoriez avec la divinité, et que vous lui rendiez le même culte qu’à celle-ci? Je réponds: ce qui fait que j’adore la chair du Seigneur, qui est l’humanité parfaite, c’est parce que la divinité l’a prise et qu’elle se l’est unie en union de personne. Si vous séparez l’homme de Dieu, je cesse de croire à lui, je ne le sers plus. Il en est comme si quelqu’un trouvait étendue à terre la pourpre ou le diadème d’un roi, il ne leur rendra pas les honneurs dus au roi. Mais lorsque le roi en est revêtu, il s’expose à la mort, s’il dédaigne de lui rendre en même temps qu’au roi l’honneur qui lui est dû. Dans Jésus-Christ pareillement, ce n’est pas l’humanité seule et une que nous adorons, c’est l’humanité unie à la divinité, à savoir le Fils unique de Dieu, Dieu véritable et vrai homme, et si quelqu’un dé daigne de l’adorer il mourra pour l’éternité. Le pape Alexandre dit: "il ne peut y avoir rien de plus grand dans les sacrifices que le corps et le sang de Jésus-Christ."

III. Il l’emporte troisièmement sur les autres sacrifices par sa puissance, c’est-à-dire par les effets de sa bonté. Il produit trois espèces de biens dans les trois états des fidèles; dans le monde, dans le purgatoire dans le ciel. Dans le premier de ces états, il délivre des péchés, dans le second, il allège la gravité du châtiment, dans le troisième il est la source d’une joie sans bornes. C’est ce qui fait que l’on célèbre des messes pour trois fins, pour le salut des vivants, pour le corps des défunts et pour la gloire des bienheureux. C’est aussi pour démontrer la puissance du sacrifice du corps du Seigneur sur ce triple état que l’hostie est rompue en trois parties. Quant au premier de ces biens, on lit dans le Lévitique, chap. V: "L’âme qui aura péché par ignorance, offrira un bélier sans tache," c’est-à-dire Jésus-Christ. Voilà, dit le Commentaire, la raison pour laquelle on chante "agneau de Dieu, etc." Saint Grégoire dit: "Le Seigneur nous a donné ce sacrement du salut, pour que, comme il ne peut plus mourir pour nous, et que nous péchons tous les jours, nous obtenions par ce même sacrement la rémission de nos péchés." Quant au second, il est dit dans le Lévitique, chap. XVII: "Je vous ai donné le sang, afin que vous l’offriez sur l’autel pour l’expiation de vos âmes, et que ce sang vous serve d’expiation." C’est pourquoi, on offre avec justice le corps et le sang de Jésus-Christ pour les âmes des défunts, afin de les délivrer des peines du purgatoire, où les ont fait reléguer les restes de pénitence qu’ils avaient à faire. Saint Augustin dit: "Il n’est pas douteux que les prières et les aumônes de la sainte Eglise et le sacrifice salutaire ne soulagent les âmes des défunts, pour que le Seigneur agisse plus miséricordieusement envers elles, qu’elles ne le méritèrent en ce monde par leurs péchés." Pour ce qui est du troisième, il est écrit dans le Lévitique, chap. X: "Vous mangerez, vous, votre fils et vos filles avec vous, dans un lieu très pur, la poitrine qui a été offerte." La poitrine qui est ce qu’il y a de meilleur et de plus succulent dans l’animal, signifie la douceur du corps de Jésus-Christ en ce qu’il est pour les bienheureux un objet de délices dans le ciel, parce que le souvenir du Rédempteur, l’aspect de notre salut, l’admiration que produit en eux la bonté divine, font que ce sacrifice leur fait éprouver la plus grande joie et le bonheur le plus parfait. La raison pour laquelle on mangera la poitrine dans un lieu très pur, c’est peut-être parce que les bienheureux jouissent dans le ciel d’une Vue manifeste de la douceur du corps du Seigneur, dont nous nous nourrissons ici-bas sous le voile du sacrement. On lit, Apocalypse, chap. II: "Je donnerai au Vainqueur la manne cachée;" le Commentaire ajoute: "Je me donnerai moi-même, moi qui suis le pain de vie; que si maintenant il demeure une manne cachée, alors il sera apparent et plein d’une saveur indicible. C’est pour cela que la collecte s’exprime en ces termes: "Que les sacrements produisent en nous, Seigneur," qu’ils contiennent; afin que nous jouissions réellement et en vérité de ce que nous portons en espèce." C’est-à-dire que nous jouissions du corps de Jésus-Christ par une vue claire et manifeste; comme le disent les paroles suivantes: "Celui qui m’aime, mon Père qui est dans les cieux l’aimera." Cette vision du Seigneur fera que nous jouirons pleinement de toute espèce de biens. Il est écrit, Psaume XVI: "Votre présence me remplira de joie, j’en serai rassasié lorsque votre gloire m’aura apparu."

CHAPITRE V: Troisième cause de l’institution de ce sacrement; c’est la nourriture de l’homme.

"Ma chair est une véritable nourriture, etc." Voilà la raison pour laquelle il donne son corps en aliment. La nourriture de l’homme est la troisième cause de l’institution de ce sacrement. On peut assigner trois raisons à la sagesse de Dieu, par rapport à l’acte par lequel le Seigneur donne son corps en aliment. Ce sont la grandeur de la libéralité divine, comme il est le souverain bien, il lui convient d’être souverainement libéral; mais il ne peut pas y avoir de libéralité plus grande que celle-la. Ce fait prouve sa libéralité par rapport à trois choses, qui sont: 1° la magnificence du don; 2° la noblesse du donateur; 3° l’utilité de celui qui reçoit.

I. Cette action prouve la libéralité de celui qui donne quant à la magnificence du don, parce que celui de qui viennent tous les biens se donne lui-même dans ce sacrement, et il le fait avec la plus grande largesse, parce qu’il donne son propre corps en nourriture, comme il le dit " Prenez et mangez. C’est là le plus haut degré de la largesse di vine quant au don. On peut dire ici quelques-uns des degrés de la largesse divine, par lesquels elle a départi à l’homme tous les biens qu’il possède, et on démontrera par là que c’est ici le de parfait de cette même largesse. Le premier degré de cette largesse consiste en ce que Dieu a accordé à l’homme le ciel et la terre et qu’il lui a aussi donné pour le servir toutes les créatures privées de raison. On lit, Ecclésiastique, chap. XVII: "Dieu a créé l’homme de la terre, et il lui a donné pouvoir sur tout ce qui se trouve sur la terre." Il est écrit dans la Genèse, chap. II: "Faisons l’homme à notre image et ressemblance." On lit dans le Deutéronome, chap. IV: "Dieu a créé le soleil, la lune et tous les astres du ciel pour le service de toutes les nations. Il est dit dans saint Matthieu, chap. V: "Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants." Il est écrit au livre des Actes, chap. XIII: "Dieu s’est rendu témoignage à lui-même, faisant du bien, faisant tomber la pluie du ciel, donnant un temps propre à faire croître les fruits de la terre et remplissant nos coeurs de joie, et accordant les aliments nécessaires." Dieu faisant du bien s’est rendu témoignage; c’est-à-dire qu’il l’a fait par ses bienfaits, et il a prouvé qu’il était et le Dieu et le libérateur de la créature. On lit, Psaume XVIII: "Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous soi de lui?" Le second degré de cette largesse divine, c’est que par elle il a donné à l’homme pour le servir, les plus nobles des créatures raisonnables et célestes qui sont les saints anges. Il est dit, aux Hébreux, chap. I: "Tous les Anges ne sont-ils pas des esprits destinés pour servir, et envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut." On lit dans saint Matthieu, chap. XVIII: "Leurs anges voient toujours la face du Père." On leur donne le nom d’ange, parce qu’il est donné à chacun au moment de sa naissance un ange pour le servir. C’est pourquoi on lit dans les Ecritures, que souvent ils ont rendu des services aux hommes, et qu’ils eu rendent chaque jour, parce qu’ils convertissent les pécheurs, en préservent plusieurs des maux qui les menacent et conduisent les justes au ciel. On lit dans l’Exode, chap. XIV: "Voici que j’envoie mon ange pour qu’il marche devant vous;" à savoir pour qu’il vous fasse connaître la vertu, qu’il vous garde pendant le chemin, qu’il vous défende contre le feu du purgatoire, et que vous conduisant vers les astres du royaume céleste il vous y introduise.

Le troisième degré de la largesse divine, c’est celui par lequel Dieu s’est donné lui-même. On lit dans saint Luc, chap. I: "Béni le Seigneur Dieu d’Israël." Mais il s’est donné de plusieurs manières. 1° Il s’est fait le compagnon de notre pèlerinage. Il est écrit dans Baruch, chap. III: "C’est lui qui est notre Dieu; c’est lui qui a trouvé la science, et qui l’a donnée à Israël son bien-aimé, et après cela il a été vu sur la terre, etc." C’est absolument comme s’il disait: "Parce qu’il a tracé à l’homme la voie de son pèlerinage, lui donnant des préceptes pour ne jamais s’écarter d’une vie honnête, et pour que la voie ne parut pas un fardeau trop lourd à l’homme, Dieu s’est fait homme, et s’est par là associé à notre pèlerinage ici-bas." On lit dans saint Luc, chap. VIII: "Jésus parcourait les villes et les hameaux, prêchant et évangélisant le royaume de Dieu, ayant avec lui ses douze apôtres, il était aussi accompagné des femmes qui avaient été délivrées d esprits impurs, de Marie Magdeleine, de Jeanne, de Susanne et de autres; et la foule vint à lui." Véritablement bon par lui-même, il se fit bon compagnon, parce qu’il réconforta par des dis cours excellents ses compagnons fatigués, il les délivra des dangers auxquels ils étaient exposés, il guérit les malades, ressuscita les morts. Le quatrième degré de la libéralité divine, c’est qu’il s’est fait notre serviteur dans nos besoins. Il est écrit aux Philippiens, chap. II: "Il s’est abaissé lui-même prenant la forme d’un esclave, etc." Par suite de cela, il a donné à boire à ceux qui avaient soif, à manger à ceux qui avaient faim, et il a lavé les pieds de ses apôtres. On lit dans saint Matthieu, chap. XX: "Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, etc." Et dans saint Luc, chap. XXII: "Je suis au milieu, de vous comme celui qui sert."

Le cinquième degré consiste en ce qu’il s’est fait le prix de notre rédemption. li est écrit aux Philippiens, chap. II: "Jésus-Christ nous a aimé, et il s’est livré pour nous à Dieu son Père comme une hostie et une oblation d’agréable odeur." On lit dans saint Matthieu, chap. XX: "Le Fils de l’homme est venu donner sa vie pour en racheter un grand nombre.

Le sixième et le plus parfait degré de cette libéralité, consiste en ce qu’il donne son corps à l’homme en nourriture. On lit dans Osée, ch. XI: "Je me suis rendu comme le père nourricier d’Ephraïm, et je leur ai présenté de quoi manger." Il est écrit dans saint Jean, ch. VI: "Le pain que je donnerai." Saint Grégoire dit: "Le Seigneur qui est le bon pasteur a donné sa vie pour ses brebis, pour changer son corps et son sang en notre sacrement, pour rassasier de l’aliment de sa chair les brebis qu’il avait rachetées; et c’est ici l’expression de, la libéralité la plus grande et de l’amour le plus intense." C’est beau coup, sans doute, que de se faire le compagnon de notre pèlerinage, notre serviteur dans nos besoins, c’est plus encore de se faire notre rédemption; ce on néanmoins laisse une séparation entre le donateur et celui auquel il se donne; mais lorsqu’il se donne en nourriture, il n’y a plus ombre de séparation, il y a union parfaite. La nourriture et celui qui la prend s’unissent en effet en union de corps. Il est écrit dans saint Jean, chap. VI: "Celui qui mange ma chair demeure en moi, etc." Il est par conséquent évident d’après cela que ce don est l’expression la plus parfaite de la libéralité de la bonté divine.

II. Secondement, cette action constate aussi l’excellence de la largesse de Dieu quant à la noblesse de celui qui donne. La largesse de Dieu dans ce sacrement va si loin; qu’il donne son corps avec profusion et sans mesure; parce que ce n’est pas à ses amis et à ceux qui en sont dignes seuls auxquels il le donne, il ne le soustrait même pas à ceux qui en sont indignes, aux méchants et à ses ennemis. On lit Psaume XXVI: "Ceux qui veulent rue perdre sont prêts à fondre sur moi, comme pour me manger tout vivant." Celui qui a permis aux mains des méchants de le crucifier une fois, permet aux méchants de le toucher de leurs mains, il permet à ses ennemis et aux hommes impurs de déchirer son corps de leurs propres dents. Aussi est-il dit dans les Ecritures, qu’il donne à Judas son ennemi, à Judas qui le trahit, son corps dans la cène, comme il le donne aux autres disciples. Il fait lever la vérité de sa présence sur les bons et suries méchants comme il le fait du soleil; il se donne dans ce sacrement et à ceux qui en sont dignes et à ceux qui n’en sont pas dignes, bien que les effets n’en soient pas les mêmes pour tous, il produit dans ceux qui le reçoivent avec les dispositions voulues les mêmes effets. Celui qui a les dispositions voulues, reçoit les effets de la bonté de Dieu, pendant qu’il ne produit dans l’in digne que la sévérité; il en est de lui comme du soleil par rapport à l’oeil sain et à l’oeil malade. Il faut remarquer, que c’est une grande chose que de faire de grands dons à des amis et à des proches; que c’en est une plus grande de les faire à des serviteurs et des servantes, que c’est une chose plus grande encore de les faire à des inconnus et à des étrangers, mais que les faire à des ennemis voilà qui est le comble de toute chose. C’est ce qui les fait accuser d’une ingratitude profonde. On lit dans Job, chap. XIX: "Pourquoi me persécutez-vous comme Dieu et vous plaisez-vous à vous rassasier de ma chair?" L’Apôtre dit, Rom., chap. II: "Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience, et de sa longue tolérance ? Ignorez-vous que’ la bonté de Dieu vous invite à la pénitence?" La bonté, la bénignité, la libéralité immenses de la noblesse de Dieu, qui font qu’il accorde tant de biens à ses ennemis et à une foule de personnes qui prêchent contre lui, éclatent plus encore lorsqu’il leur permet de prendre son propre corps afin de les convertir par cette libéralité sans bornes.

III. Troisièmement on prouve son excellence par l’utilité immense qu’il a pour celui qui le reçoit; celui en effet qui reçoit Dieu dans ce Sacrement avec de saintes dispositions lui devient semblable; c’est-à-dire qu’il devient en quelque sorte semblable à Dieu, par la grâce de la bonté et par l’imagination de l’imitation. On lit dans saint Jean, chap. I: "Mais à tous ceux qui le reçurent, etc." C’est-à-dire qu’ils sont semblables à Dieu par la grâce de la bonté. Saint Ambroise dit: "Parce que notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu et homme, vous qui recevez sa chair, vous devenez par cet aliment participant de sa substance, mais la substance divine est la bonté." Donc participer par cet aliment à la substance divine, c’est être assimilé par la grâce à la bonté divine. On lit dans les Proverbes, chap. XII: "Celui qui est bon puisera la grâce du Seigneur." Mais la grâce est l’influence de la bonté divine sur l’âme; la grâce par cette bonté assimile l’âme à Dieu, et la rendra digne de la vie éternelle. Il ne suffit pas à la libéralité divine, dans ce sacrement ou cette nourriture, d’illuminer l’intellect, de guérir le mal fait, de réjouir la mémoire, de réconforter l’homme tout entier dans le bien, de l’associer à son corps mystique; cette libéralité l’assimile encore à Dieu par la grâce dans la vie présente, et le lui assimilera par la gloire dans la vie future: il n’est pas possible de la pousser plus loin.

CHAPITRE VI: Des deux autres raisons pour lesquelles le Christ nous donne son corps en aliment.

"Venez, mangez, etc.," et les autres preuves comme plus haut. La seconde raison pour laquelle le Seigneur nous donne son corps en aliment, c’est la corruption de la nature humaine qui avait besoin du remède d’une telle nourriture, et cela pour trois choses.

I. Premièrement, pour que le commencement de la guérison fût convenable; parce que comme la corruption et la mort avaient commencé parle fruit défendu, à savoir par le fruit de la science du bien et du mal, de même le principe de la justification et de la vie devait venir d’une nourriture, à savoir de l’arbre de vie, c’est-à-dire du corps du Seigneur. Il est écrit de la première de ces choses, Genèse, ch. VIII: "De l’arbre de la science, etc." Il est écrit de la seconde, Jean, ch. VI: "Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, etc."

II. Secondement, la guérison complète de cette corruption exigeait telle nourriture. Le serpent infernal répandu dans l’homme tout entier par le poison du fruit défendu une triple corruption: dans l’âme, ce furent les ténèbres de l’ignorance, dans. chair la maladie de la mauvaise concupiscence et la mort dans l et l’autre, Il est écrit Genèse, ch. III: "Le serpent m’a trompé, etc." Il est dit du premier de ces maux. Psaume XLVIII: "Lorsque l’homme était en honneur, etc. On lit dans la Genèse, ch. I: "Les ténèbres." c’est-à-dire l’ignorance," planaient sur la face de l’abîme," c’est-à-dire du coeur de l’homme trompé par le démon. Il est dit du second de ces maux, Galat., chap. V: "La chair convoite contre l’esprit;" dans l’épître aux Romains, ch. VII: "Je vois dans mon corps une autre loi opposée à celle de mon esprit." La loi du corps et la maladie de la concupiscence qui pousse ce même corps aux actes mauvais. Il est dit du troisième, Sagesse, chap. II: "La jalousie du démon a introduit la mort dans le monde." Saint Augustin dit de tous ces maux ensemble: "Si l’ange qui s’était précipité lui-même hors du ciel n’eut pas été écouté, nous n’eussions pas été précipités nous-mêmes dans la mort; le serpent fatigué vint du ciel dehors, et il répandit son propre venin, il parla de lui-même; goûtez, leur dit-il, et vous serez comme des dieux; et ceux-ci, désirant être ce qu’ils n’étaient pas, perdirent ce qu’ils avaient reçu, à savoir la vie intellective, la vie de justice, et la possibilité de ne pas mourir. Par conséquent, comme le démon avait répandu une triple corruption au moyen d’un fruit vénéneux, il fut nécessaire pour la guérir complètement que le médecin, c’est-à-dire notre Sauveur nous donnât une nourriture médicinale contre ces trois genres de corruptions, et cette nourriture c’est son corps; il chasse les ténèbres de l’ignorance de l’esprit de ceux qui le reçoivent avec piété, il guérit la maladie de la concupiscence mauvaise, il triomphe en détruisant la mort elle-même." Quant au premier des biens qu’il produit, il est dit, Psaume XXVI: "Le Seigneur est ma lumière;" il est aussi dit, Psaume XXX: "Approchez-vous de lui et il vous éclairera." Le corps de Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, c’est-à-dire la vraie lumière dans la chair humaine comme dans un flambeau, parce qu’il illumine l’âme fidèle. Quant au second, il est dit, Psaume LXXVII: "Il a fait venir la manne pour les nourrir, etc." On lit dans l’Exode, chap. XVI: "Et le matin la terre autour du camp fut couverte d’une rosée semblable à de la neige. Le pain du ciel ressemblait donc à de la neige et à de la rosée, et cela, parce que le corps du Seigneur refroidit la concupiscence mauvaise." Il est dit du troisième, saint Jean, chap. VI: "Vos pères mangèrent la manne dans le désert et ils sont morts. C’est là le pain descendu du ciel, si quelqu’un mange de ce pain il ne mourra pas;" par conséquent ce pain détruit la mort. Il a été question de ces trois choses un peu plus haut vers la fin du discours. Troisièmement, la conservation parfaite de cette santé exigeait une telle nourriture. Il est en effet certains hommes qui se repentent pendant un temps de leurs péchés et qui sont en quelque sorte guéris, mais au temps de la tentation ils récidivent, et sont encore corrompus. On lit Psaume XXXVII: "Elles se sont corrompues et se sont remplies de pourriture, etc." Mais cette nourriture sert à la conservation de la santé de l’âme, et préserve la bonne vie de la corruption. Il est écrit aux Cantiques, chap. I: "Mon bien-aimé est pour moi comme un faisceau de myrrhe." Comme la myrrhe préserve les corps de la corruption, de même le corps du Seigneur pris avec piété en préserve les coeurs.

III. La troisième raison de la sagesse divine, qui a porté le Seigneur à donner son corps à l’homme en aliment; c’est la condition de la nature humaine qui a été créée raisonnable et qui a été unie à un corps. On peut considérer la créature raisonnable sous trois points de vue divers; ce qui fait qu’elle a besoin en même temps d’une triple nourriture. Et d’abord, on la considère autant qu’elle est incorporelle, et purement spirituelle, comme la nature angélique. On la considère secondement, comme étant unie à un corps, c’est-à-dire comme choses dissemblables unies ensemble, l’esprit uni à la chair. La troisième manière de la considérer, c’est en tant que les deux natures, l’âme et le corps, sont unies dans chaque personne humaine par un amour admirable et formant une société intime. Mais quel que soit celui de ces trois modes sous lequel on considère la créature raisonnable, elle a besoin d’un aliment approprié à sa condition. Considérée de la première manière, elle a besoin d’un aliment qui la fasse vivre et subsister, et c’est le Verbe éternel de Dieu, incorporel par nature, et qui est la sagesse éternelle de Dieu. On lit dans Tobie, ch. XII: "J’use d’une nourriture invisible, et d’un breuvage que l’on ne peut pas voir." Il est écrit, Proverbes, ch. III: "Elle est un arbre de vie pour ceux qui l’aiment," c’est-à-dire la sagesse de Dieu. L’Ecclésiastique dit, ch. I: "La source de la sagesse, c’est le Verbe de Dieu qui rassasie au plus haut des cieux," c’est-à-dire qui rassasie les anges dans le ciel. La créature raisonnable envisagée sous le second mode, en tant qu’elle est unie au corps comme une chose dissemblable à une chose dissemblable, l’esprit à la chair, une chose vile à une chose précieuse, a besoin d’une nourriture en rapport avec les besoins de chaque nature, mais dissemblable; parce que l’esprit a besoin d’une nourriture spi rituelle comme les anges, et le corps d’une nourriture corporelle comme la brute Quant à la première de ces nourritures, on lit, Psaume LXXVII: "Le pain des anges, etc." Il est écrit en I Cor., ch. X: "Nos pères mangèrent tous la même nourriture spirituelle, etc." Il est écrit, Sagesse, chap. IX: "Car encore que quelqu’un paraisse consommé parmi les enfants des hommes, il sera néanmoins considéré comme rien si votre sagesse n’est pas avec lui;" parce que celui qui manquera de la nourriture spirituelle qui la sagesse de Dieu, perdra la vie spirituelle. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XV: "Le Seigneur l’a nourri, etc." Il est dit de la seconde au second livre des Rois, chap. XII: Un pauvre avait une brebis qui mangeait de son pain." Il est écrit Ecclésiastique, ch. XXXIX: "Le commencement des choses nécessaires à la vie de l’homme, sont le lait et le pain, le miel et le vin, et l’huile; toutes ces choses se changent en bien pour les bons, et en mal pour les impies." On lit de l’une et de l’autre de ces nourritures, Deutéronome, chap. VIII, et saint Matthieu, chap. IV: "L’homme ne vit pas seulement de pain, etc. Saint Augustin dit: "Comme l’âme est la vie du corps, mais qu’elle ne le vivifie pas sans la nourriture corporelle; de même Dieu est la vie de l’âme, mais il ne la vivifie pas sans la nourriture spirituelle; c’est-à-dire sans le Verbe de Dieu, et ainsi ces deux natures de l’homme, dissemblables entre elles, vivent d’une nourriture dissemblable, elles ne mangent pas de la même manière, et il y a une grande distance entre les aliments qu’elles mangent; la nourriture du corps ne con vient pas à l’esprit, ni celle de l’esprit au corps."

La créature raisonnable considérée sous le troisième mode en tant que ces deux natures, c’est-à-dire l‘âme et le corps, sont dans chaque personne humaine unies d’un amour parfait et dans une société intime; ils ont dès lors besoin, pour leur salut éternel, d’un aliment propre à l’homme tout entier; c’est-à-dire qui convienne à l’une et à l’autre nature d’un aliment spirituel en même temps que corporel; c’est-à-dire du Verbe fait chair, qu’ils mangent sous un certain sacrement, afin que, par sa vertu, l’âme parvienne des misères de la vie présente à la béatitude de la vie éternelle, et que le corps qui demeure pendant un peu de temps conservé dans la terre, pour enfin ressusciter glorieux. Saint Jean dit de cette nourriture, ch. VI: "Ma chair, c’est-à-dire la chair de Dieu, la chair humaine unie au Verbe de Dieu, est une vraie nourriture ayant la propriété de nourrir tout l’homme, et l’âme et le corps." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. I: "Le Très Haut est le seul créateur de toutes choses; c’est lui qui a créé la sa gesse de son esprit, et il la donne à ceux qui l’aiment, selon son Ch.: Il a créé la sagesse de son esprit; c’est-à-dire que, par sa puissance, il a pris la créature de la chair de la Vierge, et il l’a unie à sa sagesse; selon son don; c’est-à-dire qu’il la donne selon sa libéralité à ceux qui l’aiment, c’est-à-dire aux fidèles, pour qu’elle serve, comme nous l’avons dit, à l’âme et au corps. C’est de ce banquet du corps et de l’âme dont parle Isaïe, chap. IX: "Le veau et l’ours mangeront ensemble." Le veau signifie le corps qui, dans le sacrifice, doit être immolé à Dieu; l’ours signifie l’esprit, qui doit être terrible pour les moeurs et les mouvements brutaux, comme l’ours l’est pour les bêtes fauves. Ils mangeront ensemble la nourriture véritable, c’est-à-dire la chair de Jésus-Christ, pour que cette nourriture serve en même temps et à l’âme et au corps. Saint Jean dit de la première, chap. VI: "Celui qui mange ma chair, etc.;" du second: "Et je le ressusciterai, etc."

CHAPITRE VII: De la forme de la donation, c’est-à-dire quelle est la cause pour laquelle il nous donne ce sacrement voilé.

"Venez, mangez le pain, etc." Argument spécial " Comment peut-il nous donner sa chair, etc." Argument propre: "Il est bon de tenir caché le secret du roi," Tobie, chap. XII.

Il faut en second lieu obscure surtout, par rapport à ce sacrement, la forme sous laquelle il nous le donne, et relativement à cette même forme il y a trois considérations à faire. La première, c’est que le Seigneur nous donne son corps voilé. La seconde, c’est qu’il le donne voilé sous les espèces du pain. La troisième, c’est qu’il le donne voilé sous les espèces du pain de froment.

I. Il importe de savoir pour ce qui est du premier point, qu’il nous le donne voilé et non à découvert, d’après les paroles suivantes, Apocalypse, chap. II: "Je donnerai la manne cachée comme une nourriture céleste voilée." Mais parce que le sens humain hésite et est étonné, puisqu’il voit autre chose, le Seigneur emploie ce voile pour quatre raisons. La première, c’est l’indignité des méchants qui exige qu’il soit voilé, comme l’oeil malade veut être privé des rayons du soleil et de toute autre lumière: en cela la miséricorde du Sauveur agit avec la plus grande bonté envers eux; car si les méchants le voyaient à découvert, et qu’ils le vissent manger aux fidèles, à cet aspect ils seraient scandalisés, et ils péri raient misérablement de trois manières; dans leur coeur par l’horreur, dans leur bouche par la détraction, dans leur âme par la mort spirituelle. Et d’abord ils périraient par l’horreur que leur inspirerait cet aliment. On lit dans saint Jean, chapitre VI, où le Seigneur dit: "Ma chair est une véritable nourriture, etc.," il suit: "A ces mots plusieurs de ses disciples se retirèrent," ayant horreur de ces paroles, comme si elles leur eussent imposé l’obligation de manger de la chair humaine. On lit dans saint Ambroise: "Vous direz peut-être: Comment est-ce un sang véritable? parce que vous ne voyez pas la forme de la chair;" mais considérez les paroles de Jésus-Christ: "entendant qu’il donnait sa chair à manger, ils se retiraient; Pierre seul dit: Seul vous avez les paroles de la vie éternelle, vers qui irions-nous?" Par conséquent, pour empêcher la foule de se scandaliser, et comme si on avait éprouvé quelque horreur de la chair humaine, et pour que la gloire du Rédempteur fût plus grand vous le recevez sous la forme de sacrement, mais vous obtenez la gloire et la vertu de la vraie nature. Il est parlé du second genre dé mort, auquel ils seraient exposés, dans le même endroit; là où le Seigneur dit "Le pain que je vous donnerai, c’est ma chair, etc. C’est pourquoi les Juifs discutaient entre eux, etc." Mais cette discussion, c’est le murmure et la détraction; et c’est pourquoi il dut être voilé. On lit, Psaume LIV: "Si celui qui me haïssait, etc." On lit du troisième genre au livre des Nombres, chap. IV: "Aaron et son fils entreront, ils disposeront eux-mêmes les oeuvres," c’est-à-dire ils couvriront les choses secrètes, et il ne leur est permis de les voir avant qu’elles ne soient dérobées à la vue sous aucun autre prétexte de curiosité, autrement ils mourraient. On lit au premier livre des Rois, chap. VI: "Le Seigneur en frappa un grand nombre, parce qu’ils avaient vu l’arche du Seigneur;" et cela parce qu’il ne leur était pas permis de la voir découverte. L’arche est la figure du corps de Jésus-Christ qui doit être voilé aux méchants, pour les empêcher de mourir spirituellement, s’ils le voyaient; car leur aveuglement le leur feraient regarder comme fantastique. On lit dans l'Ecclésiaste, chap. III: "Il est plusieurs des oeuvres de Dieu qui ne doivent pas piquer votre curiosité." Il n’est pas nécessaire que vous voyiez de vos propres yeux les choses cachées.

II. La seconde raison pour laquelle on le reçoit voilé, c’est la foi des bons, et cette raison en renferme trois autres pour lesquelles il doit être voilé; ces raisons sont que voilé il est l’objet de la foi, il est un véritable remède contre l’infidélité mauvaise, il rend aussi la foi méritante.

1° Pour que la foi existe réellement, il faut que le corps de Jésus-Christ nous soit donné voilé. Il est écrit aux Hébreux, chap. X "La foi a pour objet les choses cachées." La foi, comme le dit saint Augustin, consiste à croire ce que vous ne voyez pas, c’est-à-dire à croire sur parole une chose cachée qui existe réellement, et que ce pendant on ne voit pas de l’oeil. Nous avons plutôt la science que la foi des choses que nous voyons. On lit dans la première Epître de saint Pierre chap. I: "Vous croyez à Jésus-Christ, bien que maintenant vous ne le voyiez pas."

2° L’infidélité exige comme remède que le corps de Jésus-Christ soit voilé, et cela pour que le mode de satisfaction soit en rapport avec la faute d’infidélité. Ce qui fait que comme l’incrédulité de nos premiers parents vient de ce qu’ils entendirent la parole du démon, qui leur persuadait de manger une nourriture qui renfermait cachée en elle la mort, et que leurs sens se délectèrent vainement dans cette nourriture; de même il convient que la foi de ceux qui doivent être sauvés ait son principe dans l’audition de la parole du Sauveur, qui conseille une nourriture qui contient cachée en elle la vie véritable, nourriture qui trompe tous nos sens, sauf l’ouïe, puisque la foi vient de l’ouïe et non de la vue, ni des autres sens; elle vient de l’ouïe qui nous transmet la parole de Jésus-Christ. Une figure parfaite de ceci, c’est la bénédiction de Jacob, Genèse, chap. XXVII, où les sens d’Isaac sont trompés, car il pense sentir Esaü pendant qu’il sent Jacob qui, voilé, lui ressemble. Il importe aussi de savoir que dans cette figure du corps du Seigneur, il y avait deux personnes, Isaac et Rébecca; l’homme et la femme comme signifiant les deux natures qui existent en nous, c’est-à-dire l'âme et le corps; l'homme qui d’ordinaire est plus en évidence, et qui s’occupe davantage des affaires extérieures, est la figure de l’homme extérieur, c’est-à-dire du corps avec ses sens; la femme qui demeure à la maison et qui dirige la famille, est la figure de l’homme intérieur, c’est-à-dire de l’âme qui prend soin de son salut et de celui des autres. Jacob bon et beau, habitant les tentes qu’aime Rébecca, c’est-à-dire l’âme fidèle, signifie le vrai corps de Jésus-Christ. Esaü qu’aimait Isaac, c’est-à-dire le corps qui se nourrit d’une nourriture qui lui est propre, signifie la substance du pain avec ses accidents, à savoir la couleur, la saveur, etc. C’est pourquoi pendant qu’Isaac, comme homme extérieur, c’est-à-dire prêtre, doit bénir Esaü, c’est-à-dire la substance du pain, elle s’éloigne, il ne reste que l’apparence d’Esaü à savoir les habits avec l’odeur, les peaux avec leurs poils, la nourriture avec sa saveur, c’est-à-dire les accidents du pain ou la similitude; Jacob conserve autour de lui la couleur, l’odeur, la saveur, la fermeté, et nos sens sont trompés. La vue obscurcie d’Isaac est trompée en ce point, c’est-à-dire la vue débile de notre corps, qui fait qu’il se figure avoir devant lui Esaü, c’est-à-dire l’espèce ou apparence, alors que Jacob est caché sous le voile de cette même apparence, Jacob, c’est-à-dire le corps de Jésus-Christ. Le goût est ici trompé, parce qu’il croit manger la nourriture d’Esaü, c’est-à-dire le pain, et qu’il n’en goûte que l’apparence. Ici l’odorat est trompé, parce qu’il croit sentir l’odeur d’Esaü c’est-à-dire du pain qui n’y est réellement pas; il ne sent que l’odeur de ses habits, c’est-à-dire la forme du pain dont est revêtu Jacob, c’est-à-dire le corps de Jésus Christ. Isaac était sage, mais son jugement était en défaut dans la connaissance qu’il croyait avoir d’Esaü; de même notre homme extérieur est en défaut dans le jugement qu’il porte sur le pain de l’autel, l’ouïe seule éclaire; c’est pour cela qu’il dit: La voix à la vérité est la voix de Jacob, etc., les mains que je touche sont les mains d’Esaü il n’y a rien de plus faux; mais la voix que j’entends me dire, c’est moi, est la voix de Jacob, rien n’est plus vrai. Pareillement, le sacrement que je touche, c’est la substance du pain; il n’y a rien de plus faux; la voix de Jésus-Christ me dit: Ceci est mon corps, il n’y a rien de plus vrai. L’infidélité exige donc d’abord comme remède que nous recevions le corps de Jésus-Christ sous un voile, parce que comme les sens du premier homme prenaient un vain plaisir à manger le fruit de perdition, il faut que les sens de notre corps soient trompés sur l’aliment de bénédiction, comme le furent ceux d’Isaac; ils doivent l’être toutefois de manière que Rébecca, c’est-à-dire l’âme, ne le soit pas dans sa foi. L’âme croit en effet que, dans la bénédiction sainte, se trouve Jacob, c’est-à-dire le corps du Christ voilé sous comme Esaü, c’est-à-dire l’espèce du pain. Troisièmement pour que la foi soit méritante, il faut que nous recevions le corps de Jésus-Christ sous un voile, parce que, comme dit saint Grégoire, la foi n’a aucun mérite dès que la raison humaine fournit une preuve qui la supplée suffisamment. Dieu a voulu nous donner son corps sous un voile, parce qu’il a voulu qu’il y eût pour nous un grand mérite à nous en rapporter plutôt à sa parole qu’à nos sens. On lit dans saint Jean, chapitre XX, vers. 9: "Bienheureux ceux qui n’ont pas vu." Le mérite ou le fruit de cette foi est de trois espèces; ce sont: l’abondance parfaite des biens spirituels, l’abondance des biens temporels, et la surabondance des biens éternels. C’est ce qui fait dire à Rébecca, c’est-à-dire à l’âme fidèle: "Que cette malédiction retombe sur moi, mon fils, c’est-à-dire cette triple bénédiction:

"Que Dieu fasse pleuvoir sur toi la rosée du ciel," voilà pour la première;

"qu’il te donne l’abondance de la graisse de la terre," voilà pour la seconde; "qu’il te donne avec profusion le froment, le vin et l’huile, voilà pour la troisième. Il est écrit de la première, saint Jean, chap. VII: "Celui qui croit en moi, les fleuves, etc." On lit dans Osée, chap. XIV: "Je serai comme la rosée, etc." Il est écrit de la seconde, Hébreux, chap. XI: "C’est par la foi que les saints ont reçu les promesses, etc.;" à savoir des biens temporels. On lit dans Isaïe, chap. I: "Si vous le voulez et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre." On lit dans saint Matthieu, ch. VI: "Cherchez d’abord le royaume de Dieu, par une foi droite: et sa justice, par une vie juste; et toutes ces choses, etc."

III. Quant à la troisième, il est écrit I Pierre, chap. I: "Croyant en Jésus-Christ que vous ne voyez pas maintenant, vous tressaillerez d’une joie ineffable et pleine de gloire; remportant le salut de vos âmes comme le prix de votre foi." On lit au livre des Proverbes, chap. I: "Celui qui aura écouté, reposera sans terreur, il jouira de l’abondance, à l’abri de la crainte de toute espèce de maux."

CHAPITRE VIII: Des deux autres raisons pour lesquelles nous recevons le corps de Jésus-Christ sous un voile.

"Venez, mangez... Comment le secret du roi peut, etc." La formation des moeurs, est la troisième raison qui fait que Jésus-Christ nous donne son corps sous un voile. On lit dans Job, chap. XXVIII " La sagesse a une origine secrète d’oui elle se tire."

Ce sacrement renferme trois choses secrètes qui concourent à former les moeurs; ce sont, la personne du Sauveur, la beauté de cette brillante lumière, et l’oeuvre admirable du Tout-Puissant. Isaïe dit de la première, chap. XLV: "Vous êtes vraiment un Dieu caché, le Dieu sauveur d’Israël." Le même Isaïe dit de la seconde, chap. VII: "J’attendrai le Seigneur, parce qu’il a voilé sa face." Il est dit de la troisième, Ecclésiastique, chap. XLIII: "Il est beaucoup de choses cachées qui sont plus grandes que celles-ci, nous n’en avons vu qu’un petit nombre." Ces trois choses nous apprennent que parfois aussi la vertu peut nous faire cacher trois choses, qui sont notre personne, la beauté de notre corps, l’intention de nos bonnes oeuvres. Nous devons soustraire la première à la fureur des persécuteurs; la seconde aux regards indiscrets des insensés; la troisième à la faveur des hommes.

1° Le juste apprend à cacher sa personne pour trois raisons; c’est pour laisser le persécuteur en repos, pour accomplir dans toute sa perfection le précepte du Seigneur, et pour acquérir une couronne plus glorieuse. Il est dit de la première de ces choses dans Isaïe, chap. XXVI: "Allez mon peuple, tenez-vous un peu caché pour un moment jusqu’à ce que ma colère soit passée;" on lit de plusieurs justes qu’ils se sont con duits de la sorte. Il est écrit de la seconde, II Cor., chap. XI: "Etant à Damas, etc." On lit pareillement de Tobie que le roi ayant ordonné de le mettre à mort, il prit la fuite sans rien emporter et qu’il se cacha afin de pouvoir accomplir les oeuvres de miséricorde qu’il avait commencées. Quant à la troisième, il est écrit I Rois, ch. XXVI: "David fuyant la présence de Saul se cache dans la vallée d’Alchilé;" c’est-à-dire dans le Seigneur. Alchilé veut dire, celui qui le reçoit, d’où viennent ces mots: "Seigneur, c’est vous qui me recevez." Mais il se cache dans le Seigneur, pour conserver par les faits brillants et glorieux de son règne, la couronne. On lit dans saint Jean, chap. VIII: "Les Juifs prirent des pierres pour les lui jeter, etc."

2° Le juste apprend aussi par là à soustraire la beauté de son corps aux regards indiscrets de la foule; parce que la beauté extérieure et la parure furent pour plusieurs une occasion de chute. La beauté corporelle se dérobe aux regards de trois manières, qui sont la pauvreté des habits, l’austérité des jeûnes, l’assiduité à faire de bonnes oeuvres. On lit de la première de ces trois choses dans Job, chap. XVI: "J’ai étendu un sac sur ma chair, et j’ai couvert ma tète de cendres." On lit dans la Genèse, chap. XXIV: "Rébecca en présence d’Isaac, prit son voile et s’en couvrit." Il est écrit I Cor., chap. XI: "La femme doit avoir le visage voilé à cause des anges," c’est-à-dire des bons. On lit de la seconde, Galat., chap. VI: "Le monde m’est crucifié et moi je le suis au monde;" ce qui est comme s’il disait: le monde est pour moi digne de mépris, à cause du châtiment qui est réservé à sa propre sollicitude; et moi je suis digne de mépris aux yeux du monde, parce que je châtie mon corps. Saint Augustin dit: "Domptez votre chair, etc." Il est écrit de la troisième, Psaume XXXVIII: "Vous avez fait dessécher son âme comme l’araignée, etc." Comme l’araignée tire de ses entrailles l’oeuvre qui est de sa nature, ceci la fait maigrir; de même le juste qui par charité se livre continuellement à des oeuvres pénibles maigrit et son corps pâlit. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXXIII: "Le joug et les cordes font courber le col le plus dur, et le travail continuel rend l’esclave souple." Il est écrit, Cant., chap. I: "Ne considérez pas que je suis, etc.," le soleil, effet de la chaleur la plus brûlante, c’est-à-dire oeuvre de l’amour, Jésus-Christ a pris la forme d’un esclave, et sous cette forme il a caché la clarté de sa divinité. Isaïe dit à cette occasion, ch. XXXIII: "Il n’a ni éclat, ni beauté, etc." Son visage est voilé et couvert d’opprobre.

3° Troisièmement, le juste apprend par là à dérober l’intention de ses bonnes oeuvres à la faveur du monde. On lit dans saint Matthieu, ch. XIII: "Le royaume des cieux est semblable;" la gloire, c’est-à-dire la conversation des justes; "à un trésor," c’est-à-dire à une bonne oeuvre,"caché dans un champ," c’est-à-dire dans le coeur. Saint Grégoire dit: "Que la bonne oeuvre que l’on fait en public soit telle que l’intention en demeure secrète pour donner au prochain l’exemple des bonnes oeuvres, et n’avoir pourtant que le désir de plaire à Dieu seul, ce qui doit nous en faire désirer le secret. Elle est surtout trois espèces de biens que nous devons désirer de soustraire à la faveur des hommes; ce sont l’aumône, le jeûne et la prière." Il est dit du premier de ces biens, Matth., ch. V: "Quand vous faites l’aumône, ne faites pas sonner de la trompette devant vous;" la trompette de l’orgueil et de la jactance, comme le font les hypocrites, qui désirent être vus des hommes. "Je vous dis en vérité qu'ils ont reçu leur récompense. Mais pour vous, quand vous faites l’aumône, que votre gauche ne sache pas, etc." Votre gauche, c’est-à-dire, l’intention mauvaise, ce que fait votre droite, c’est-à-dire l’intention pure; "pour que votre aumône se fasse en secret, etc." Quant au second, il est écrit dans saint Matthieu, ch. V: "Lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre chambre, etc.;" c’est-à-dire dans le secret de votre esprit, "et il vous rendra." Il est dit du troisième de ces biens, au même endroit: "Lorsque vous jeûnez, oignez votre tête;" c’est-à-dire, réconfortez Jésus-Christ, en distribuant à ses membres, c’est-à-dire aux pauvres, les oeuvres de miséricorde par lesquelles vous vous enlevez à vous-mêmes ce qui vous appartient: "Lavez votre visage; c’est-à-dire, purifiez les péchés du coeur et des sens par les larmes de la pénitence, de peur que les hommes ne sachent que votre jeûnez; et que votre Père seul en soit instruit."

4° La quatrième raison pour laquelle nous le recevons sous un voile, c’est la faiblesse de notre raison. La faiblesse des hommes exigeait qu’il en fût ainsi, et on le prouve de trois manières. Et d’abord on le prouve par une figure tirée du livre de la Loi; on lit dans l’Exode, chap. XXXIII: "Les enfants d’Israël voyant l’éclat de la figure de Moïse à la suite de son entretien avec Dieu, craignirent de s’approcher de lui;" ce qui fit qu’il se voilait la face quand il leur parlait. La face de Moïse reçut des rapports fréquents et familiers qu’il eut avec la lumière divine un tel éclat, qu’elle paraissait rayonnante aux yeux des hommes, ce qui faisait qu’ils ne pouvaient pas en soutenir l’éclat à moins qu’elle ne fût voilée. Ainsi assurément et à bien plus forte raison, le corps de Jésus-Christ glorifié et spiritualisé par sa résurrection, devenu semblable à Dieu ou déiforme, ne peut être vu d’aucun oeil mortel s’il n’est caché sous une espèce étrangère. On le prouve en second lieu, par ce qui arriva à Marie mère de Dieu qui ne put soutenir l’éclat de la présence de son Fils, non plus que sa gloire, sans qu’il fût voilé. Mais il a été possible à la Vierge et il nous est possible à nous, de voir la majesté divine voilée par la chair qui vient de la Vierge et qui est l’oeuvre de l’Esprit saint; c’est pourquoi le Verbe s’est fait chair. Mais cette chair après la passion ayant été glorifiée par la résurrection, et clarifiée à l’image de Dieu, comme le dit saint Jean, chap. XVII: "Glorifiez-moi mon Père;" est passée à un état tel que les yeux ne peuvent la voir sous sa forme propre et naturelle, si elle n’est voilée sous quelque espèce visible. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XI: "Les oeuvres du Très Haut sont admirables, elles sont pleines de gloire, elles sont secrètes, elles sont immenses." Il est écrit dans l’Exode, chap. XXXII: "L’homme ne me verra pas et il vivra," à savoir dans sa propre espérance. L’Apôtre dit, I Cor., chap. XIII: "Nous le voyons maintenant à travers un miroir;" le miroir de la raison, et en énigme, c’est-à-dire sous la figure du pain. On le prouve en troisième lieu par une raison de nature, qui est la différence immense qu’il y a entre la lumière de notre oeil et la clarté de la lumière du corps de Jésus-Christ. Notre oeil en effet est de peu d’étendue, maladif et corruptible. Mais la clarté du corps de Jésus-Christ est incorruptible, elle est en quelque sorte immense, comme il a été dit de ce qui n’a pas de forme. La raison par laquelle une lumière quelconque est visible, c’est la ressemblance de celui qui voit avec cette lumière. Et plus il y a de similitude avec une lumière infinie, plus aussi la vision est douce et limpide. Voilà pourquoi l’oeil qui n’est pas malade, peut jusqu’à un certain point voir le corps nu du soleil, et qu’il ne peut pas voir le corps de Jésus-Christ; car il y a entre l’oeil et le soleil quelque similitude de lumière et de corruptibilité, que le corps de Jésus-Christ n’a pas. Si l’oeil en effet ne ressemblait pas par quelque côté à la lumière céleste, il ne pourrait pas la voir, non plus que l’oreille, le doigt, ou l’oeil privé de la lumière, et cela à cause de la dissemblance qui existerait entre eux. Par conséquent, comme notre faiblesse et la trop grande lumière du corps de Jésus-Christ, lumière qui a été glorifiée et qui est devenue incorruptible, ne nous permettent pas de voir de deux manières d’oeil à oeil l’éclat du corps du Seigneur, nous devons au moins le contempler de l’oeil de l’esprit; c’est-à-dire avec la pureté d’intention du coeur, comme nous l’apprennent les paroles suivantes de saint Luc, chap. XI: "Si votre oeil est simple;" c’est-à-dire si l’intention de votre coeur est pure,"votre corps tout entier sera lumineux pour voir la clarté de Jésus-Christ." Saint Jean dit, I Jean., chap. III: "Nous savons que lorsqu’il aura apparu, nous serons semblables à lui, et que nous le verrons tel qu’il est." Il paraît juste en effet que la vérité pénètre dans notre âme par la partie de nos yeux la plus clairvoyante. Mais ceci, ô mon âme! nous est réservé pour l’avenir, lorsque nous le verrons face à face. Et cette vision est la vie éternelle.

CHAPITRE IX: De la forme du don, qui nous est fait sous l’espèce du pain.

"Venez, mangez, etc. Argument propre." Il l’a nourri de pain, etc." Le Commentaire interlinéaire ajoute, c’est-à-dire du corps de Jésus-Christ.

Secondement, le Seigneur nous donne son corps sous l’espèce du pain pour trois raisons. On peut prouver qu’il a été déterminé à le donner sous l’espèce de pain plutôt que sous toute autre espèce de nourriture, parce que le pain convient mieux que toute autre nourriture, vu les propriétés qu’il possède et cela, tant par rapport à ceux qui le reçoivent que pour ceux qui l’administrent. Cette manière d’agir repose sur les trois considérations suivantes. Premièrement, parce qu’il est plus facile de trouver l’espèce du pain en tout temps et en tout lieu que tout autre aliment. Secondement, parce que s’il faut le conserver, le porter, l’élever, on peut le faire plus commodément sous l’espèce du pain que sous celle de toute autre nourriture il est écrit Psaume CIX: "Le Seigneur a juré et il ne se repentira pas, vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech," qui n’a offert ni des brebis, ni des boeufs, ni des chèvres, mais le pain et le vin. Troisièmement il convient mieux pour l’administrer, parce qu’on peut le toucher avec plus de décence et de propreté; sur l’autel, on peut plus facilement le diviser; il peut être reçu avec plus de convenance et par ceux qui se portent bien et par les malades que toute autre nourriture.

Il se donne secondement à nous sous l’espèce du pain, afin de nous donner la connaissance et la foi du signe par lequel il se manifeste à nous. "Le signe, dit saint Augustin, est une chose qui, outre l’espèce quelle laisse apercevoir aux sens, fait connaître d’elle-même quelque autre chose." Il y a trois espèces de signes, qui sont le signe naturel, le signe artificiel et le signe sacramentel. Le signe naturel exprime la chose naturelle, comme la fumée signifie le feu, la rougeur du ciel Je soir, signifie le beau temps. On lit dans saint Matthieu, chap. XVI: "Lorsque le soir " venu, vous dites: il fera beau demain, parce que le ciel est rouge. Le signe artificiel signifie ce que les hommes veulent lui faire signifier, et il est de deux espèces. L’un ne contient pas ce qu’il signifie, comme le cercle, le vin. L’autre contient ce qu’il signifie, comme l’instrument qui reçoit les pluies, les signifie et les contient, le pain signifie et contient les viandes, Les signes sacramentels signifient ce que Dieu veut qu’ils expriment, ils sont aussi de deux espèces. Les uns ne contiennent pas ce qu’ils signifient, comme les sacrements légaux, comme le serpent d’airain élevé dans le désert qui signifiait le Sauveur, mais il ne le contenait pas, comme le cercle suspendu devant la maison signifie le vin que cependant il ne contient pas. On lit au livre des Nombres, chap. XXI: "Moïse fit un serpent d’airain, et il le plaça comme un signe, et ceux qui étaient frappés et qui le regardaient étaient guéris." Il est écrit au livre de la Sagesse, chap. XVI: "Ayant un signe de salut, ce n'était pas parce qu’ils le voyaient qu’ils étaient guéris, mais ils l’étaient par vous qui êtes le Sauveur de tous les hommes." L’agneau pascal et la circoncision signifiaient pareillement une chose figurée, mais ils ne la contenaient pas, parce qu’ils ne justifiaient pas par eux-mêmes. L’Apôtre dit aux Romains, chap. III: "Nul homme ne sera justifié devant Dieu par les oeuvres de la loi." Il y a aussi des signes sacramentels qui ne signifient que ce qu’on a Voulu leur faire signifier; comme les sacrements évangéliques, tels que le Baptême et l’Eucharistie. Hugues dit: "Le sacrement évangélique est un élément matériel, proposé extérieurement d’une manière sensible, représentant par similitude, signifiant par institution, et contenant par sanctification quelque grâce spéciale." Le baptême signifie la purification de l’âme, et la con tient réellement, parce qu’il produit ce qu’il figure, à savoir la rémission des péchés. Il est écrit au livre des Actes, chap. II: "Pierre dit: Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la ré mission des péchés." Le sacrement de l’autel signifie pareillement le vrai corps de Jésus-Christ et le contient en réalité, parce qu’après la consécration du pain, sous l’espèce du pain, c’est-à-dire sous ce signe du pain, que Dieu a déterminé pour signifier le corps du Seigneur, est le Christ tout entier; comme dans le signe positif de l’homme, à savoir dans un pâté, sont des chairs cachées. On lit dans saint au chap. XXVI: "Jésus prit du pain, le bénit, et dit Ceci est mon corps," signifié sous l’espèce du pain. Il est écrit dans saint Jean, chap. V: "Le Fils de l’homme vous donnera un pain qui demeure éternellement." Dieu a signifié ce pain. Donc si, lorsque je vois un signe positif de l’homme, je crois que là, sous une couche légère de pain se trouve de la viande, à bien plus forte raison lorsque je vois un signe positif de Dieu, tel que le sacrement de l’autel, je dois croire que là, sous l’espèce du pain, se trouve le vrai corps du Christ à cause de la similitude des choses qui sont ici signifiées. Trois choses sont ici signifié et cette espèce du pain en est le sacrement ou le signe, et il contient en lui-même une similitude parfaite de ces mêmes choses. La première chose signifiée, c’est le corps naturel du Seigneur, et il y est contenu. La seconde chose signifiée, c’est son corps mystique, il y est signifié, mais il n’y est point contenu. La troisième chose signifiée, c’est l’effet qu’opère le sacrement dans l’âme fidèle.

1° L’espèce du pain possède la similitude de la première chose signifiée ici, c’est-à-dire du vrai corps de Jésus-Christ, non pas par elle-même, mais à cause du sujet qu’elle contenait avant la consécration, c’est-à-dire du pain qui exista d’abord. Comme ce pain est composé de grains nombreux et purs; de même le corps de Jésus-Christ consiste dans la réunion de plusieurs membres purs et sans tache. On lit au livre des Cantiques, chap. VII: "Votre ventre est comme un monceau de froment entouré de lis." Il est écrit Exode, chap. XXV: "Faites une arche de bois de Sétim;" le Commentaire ajoute: l’arche signifie le corps de Jésus-Christ. L’arche est construite avec des bois de Sétim qui ne se pourrissent pas, parce que le corps de Jésus-Christ est composé de membres très purs et exempts de toute espèce de vice.

2° L’espèce du pain est aussi la ressemblance de la seconde chose signifiée, c’est-à-dire du corps mystique de Jésus-Christ, à savoir de l'Eglise, qui est la réunion des fidèles. Car comme un seul pain est composé d’un grand nombre de grains purs; de même l’unité de l’Eglise consiste dans la multitude des fidèles purs et exempts de péché mortel, unis ensemble par les liens de la charité. I Cor., chap. IX: "Il importe ici de savoir que l’on observe une triple union dans le pain, triple union qui signifie la fraternité ou la cause et le lien de l’amour qui doit exister entre les fidèles. 1° On recueille des grains beaux et semblables. 2° On arrose la farine avec l’eau et ou en fait de la pâte. 3° Pour solidifier le pain on le fait cuire au feu." Les grains semblables signifient la fraternité et l’amour naturel, parce que nous sommes tous nés d’un seul premier père.

3° La pâte qui n’est autre chose que de la farine arrosée d’eau, signifie la fraternité sacramentelle, parce que nous sommes tous régénérés dans un même sacrement du baptême.

4° Le pain solidifié par le feu signifie la fraternité spirituelle, parce que le même esprit nous réunit tous dans une même religion, qui est la religion chrétienne. On lit du premier de ces points, Gen., chap. XLII: "Les frères de Joseph vinrent en Egypte pour y acheter du blé;" parce que les fidèles s’humilièrent afin d’acquérir l’amour naturel de tous les hommes. Il est écrit Ecclésiastique, chap. XIII: "Tout animal aime son semblable, et tout homme a de l’affection pour son prochain." Il est écrit du second, I Cor., chap. V "Afin que vous soyez une pâte toute nouvelle, comme vous êtes vraiment les pains purs et sans levain;" c’est-à-dire une seule et même chose par la fraternité sacramentelle. li est dit dans la première Epître de saint Jean, chap. IV: "Nous avons reçu de Pieu ce commandement, c’est que celui qui aime Pieu, aime aussi son prochain." On lit du troisième de ces points, Exode, chap. XII: "Ils firent cuire la farine convertie en pâte, et ils firent des pains;" c’est-à-dire qu’ils en vinrent jusqu’à l’amour spirituel. Il est écrit dans saint Jean, ch. XIV: "Ceci est mon commandement, etc." Saint Augustin dit: "Il n’est pas charnel, mais il est spirituel."

5° L’espèce du pain en tant qu’il était pain a en soi la similitude de la troisième chose qui y est signifiée; c’est-à-dire de l’effet que produit le sacrement dans l’âme fidèle. Car comme le pain produit trois effets, il nourrit, rassasie et conserve la vie; deuxièmement, le pain du sacrement donne à l’âme fidèle la force de se débarrasser du péché, il la rassasie pour la dégoûter du monde, il lui conserve la vie pour lui faire toujours louer Dieu. Il est dit du premier de ces effets, Psaume CIII: "Le pain, pour qu’il fortifie le coeur de l’homme, "pour éviter toute espèce de vices. C’est pour cela qu’il est écrit Psaume XVII: "Je vous aimerai, Seigneur, etc. Vous qui m’avez donné la force pour le combat." Il est écrit du second, Psaume CIV: "Il les a rassasiés du pain du ciel;" afin de leur inspirer du dégoût pour le monde. On lit au livre des Proverbes, ch. XXVII: "L’âme rassasiée foulera aux pieds le rayon de miel." Il est écrit du troisième, Ecclésiastique, chap. XXXIII: "Le pain des malheureux est la vie des pauvres, "pour leur faire continuellement louer Pieu. On lit, Psaume CXLV: "Loue le Seigneur, ô mon âme!" Et dans le deuxième livre des Paralipomènes, vers la fin: "Je vous louerai toujours Seigneur, je vous louerai pendant tous les jours de ma vie, parce que toutes les vertus du ciel vous louent."

CHAPITRE X: De la forme du don qui nous est fait sous l’espèce du pain de froment.

"Venez, mangez, etc." Argument propre. "Ils se convertiront et ils vivront du pur froment" Osée, chap. XIV; ou toute autre chose semblable sur le blé ou le pur froment.

Il faut observer en troisième lieu, relativement à la forme du don du corps du Seigneur, qu’il nous le donne sous l’espèce du pain de froment pur, et non de toute autre espèce de pain, il agit de la sorte pour trois raisons.

1° C’est parce que ce pain est naturellement fait du plus noble de tous les grains. Trois choses prouvent qu’il en est ainsi; ce grain est en effet très pur, il sert à faire un pain d’un usage général; et il nourrit la chair d’une manière parfaite. Et d’abord, le grain de froment est très pur; parce que cette espèce seule entre toutes les autres atteint le complément de la pureté, c’est-à-dire qu’il atteint la pureté la plus grande. Car comme le disent les Alchimistes, c’est-à-dire les affineurs, dans certaines espèces qui semblent en admettre plusieurs autres, il y en a toujours une qui parmi elles atteint le complément de la perfection, et les autres diffèrent de celle-ci par quelque infériorité, comme c’est une chose prouvée pour l’or; car on dit que tout métal, soumis à une purification matérielle assez grande se change en or. Nous voyons pareillement pour ce qui concerne les grains, que la qualité de la terre purifie le blé, et qu’elle en fait le froment le plus pur. C’est pourquoi le pain de pur froment est à cause de son excellence et de sa qualité supérieure, simplement et absolument parlant le pain. Secondement, le grain de pur froment sert à faire le pain le plus commun, parce que ce pain convient et aux malades et à ceux qui se portent bien; il est même bon pour tout animal qui mange du pain. Le pain de pur froment convient aux oiseaux, comme le prouve l’exemple des colombes, il convient mieux aux animaux, tel qu’aux chiens, parce que les uns et les autres le mangent plus volontiers; par conséquent le pain de froment est véritablement le pain commun à cause de la noblesse de sa convenance. Troisièmement, le grain de froment pur a la propriété de nourrir d’une manière spéciale la chair, parce que par sa pureté naturelle, par sa convenance commune et par sa viscosité, lorsqu’on le prend en nourriture, il s’attache d’une manière particulière aux membres, et ces trois propriétés font qu’il nourrit et réconforte d’une manière particulière. Par conséquent le pain de froment est un pain pur, le grain de pur froment est de tous les grains le plus noble, il est aussi à cause de sa noblesse une nourriture d’une convenance commune. Cette raison fait qu’il convient que les enfants de Dieu reçoivent sous la forme du plus noble des pains le plus noble des corps comme la plus noble des nourritures.

2° Jésus nous donne son corps sous l’espèce du pain de froment pur, pour montrer qu’il signifie exactement les fidèles. Car comme le froment peut être considéré dans trois états divers, l’en semble des fidèles à continuer d’être distingué en trois états différents.

On le considère en tant qu’il est debout dans les champs, en tant que les grains sont séparés de la paille et en tant que déjà purifié on le place dans les greniers. Il y a pareillement parmi les fidèles trois états divers; ce sont, celui de ceux qui commencent, celui de ceux qui progressent, et celui de ceux qui sont arrivés à la perfection. Le froment qui est debout dans les champs signifie les premiers, celui qui est séparé de la paille les seconds, celui que l’on place dans les greniers exprime les troisièmes. Les premiers désirent que les prédicateurs les instruisent, les seconds désirent la purification fréquente; les troisièmes le repos éternel des bienheureux. On lit du premier de ces points, Job, chap. XXXVII: "Le froment désire les nuages, et les nuages répandent autour d’eux leur lumière, et ils arrosent tout ce qui se trouve autour d’eux." Saint Grégoire dit: "Les élus sont le froment de Dieu qui doit être amassé dans les greniers du ciel. Le froment désire les nuages; parce que chacun des élus désire la présence des saints prédicateurs; ils répandent la lumière, par laquelle les saints prédicateurs répandent au loin les exemples d’une sainte vie et par leur conduite droite et par leurs saintes exhortations. Les nuages arrosent tout ce qui les entoure; parce que la lumière de la prédication éclaire jusqu’aux confins du monde." Il est écrit du second au livre des Juges, chapitre VI: "Lorsque Gédéon était occupé à battre du blé dans le pressoir, et à le vanner pour fuir ensuite devant les Madianites, l’ange du Seigneur lui apparut." Gédéon signifie chacun des élus, qui avec l’ombre de la croix, la rectitude du jugement, le bâton de la confession, séquestre pour ainsi dire de son coeur la paille des vices, et la consolation divine le fortifie contre les tentations du dé mon. On lit, Ecclésiastique, chap. IV: "Ceux qui craignent le Seigneur, prépareront leurs coeurs et sanctifieront leurs âmes en sa présence." Il es écrit du troisième point, Job, chap. V: "Ne rejetez donc pas le jugement de Dieu, et vous entrerez riche dans le tom beau, etc." Le sépulcre, c’est-à-dire, le lieu qui vous est préparé dans le royaume de Dieu; comme un monceau de blé qui est serré dans son temps; c’est-à-dire le reste de la multitude des bienheureux. On lit dans saint Luc, chap. III: "Il en viendra un après moi qui est plus fort que moi, il prendra le van en main, et il nettoiera son aire, et il amassera son blé dans son grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteindra jamais."

3° Jésus-Christ nous donne son corps sous l’espèce du pain de froment pour exprimer la similitude parfaite qu’il y a entre le pain et son corps. On peut en effet considérer le froment sous trois autres aspects; à savoir en tant qu’il est en monceau, en tant qu’il tombe dans le champ, en tant qu’il est en complément dans le pain. Considéré sous le premier aspect, il signifie le corps de Jésus-Christ conçu dans le sein de la Vierge; sous le second, il signifie ce même corps souffrant dans le monde pour nous; sous le troisième, il nous le représente glorifié dans le ciel. Dans le premier la Mère de Jésus-Christ est singulièrement honorée; dans le second, le pécheur est délivré, dans le troisième le bienheureux trouve une joie parfaite. Il est dit du premier, Cantiq., chap. VII "Votre ventre est comme un monceau de blé;" le ventre signifie le corps de la bienheureuse Vierge. On lit dans saint Luc, chap. XI: "Bienheureux le sein qui vous a porté." Le monceau de blé signifie les membres purs de Jésus-Christ, en tant qu’ils sont conservés dans un sein virginal; les lis signifient la beauté de la chasteté parfaite qui orne les membres et les sens de la bienheureuse Vierge. On lit du second, saint Jean, chap. XII: "A moins que le grain de blé, etc. il produit beaucoup de fruit." Jésus-Christ par sa mort a en effet délivré le genre humain de la mort éternelle. L’Apôtre dit, Romains, chap. V: "Mais ce qui fait éclater davantage l’amour de Dieu pour nous, c’est que lors même que nous étions pécheurs, Jésus-Christ n’a pas laissé de mourir pour nous." Par là même que le Seigneur dit qu’il est le grain de blé, il s’ensuit que c’est là la seule espèce sous laquelle l’Eglise peut consacrer le corps du Seigneur. Il est écrit du troisième, Zach., ch. IX: "Qu’est-ce que le Seigneur a de bon et d’excellent, sinon le froment des élus?" Le corps de Jésus-Christ est en effet dans la gloire pour les bienheureux, le pain le plus beau, le plus doux et le plus noble. C’est pour quoi il importe de savoir qu’il procurera aux bienheureux un triple don; il les préparera à jouir de toute espèce de délices, ils y trouveront l’accomplissement de tous leurs désirs, ainsi que la jouissance sûre et éternelle de tous les biens. On lit du premier de ces dons, Genèse, chap. XLIX: "Le pain d’Aser est gras, et les rois y trouveront leurs délices." On lit Psaume LXVII: "Vous avez, ô Dieu! préparé par un effet de votre douceur, une nourriture pour le pauvre;" et dans le livre de la Sagesse, chap. XVI: "Vous leur avez fait pleuvoir du ciel un pain préparé sans aucun travail, qui renfermait en soi tout ce qu’il a de délicieux et tout ce qui peut être agréable au goût;" dans la première Epître aux Corinthiens, chap. 11: "L’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, etc." Il est écrit du second, Psaume CXLVII et CIII: "Jérusalem loue le Seigneur, etc. et il le rassasie de la graisse du froment." On lit encore: "Béni le Seigneur ô mon âme!" Il est écrit dans Jérémie, chap. XXXI: "J’enivrerai et engraisserai l’âme des prêtres, et mon peuple sera tout rempli de mes biens;" et dans le livre de la Sagesse, chap. XVI: "Vous faisiez voir combien est grande votre sagesse et votre douceur envers vos enfants; puisque, s’accommodant à la volonté de chacun d’eux, elle se changeait en tout ce qui leur plaisait." On lit du troisième, Luc, chap. XIV: "Bienheureux celui qui mange du pain dans le royaume de Dieu," bienheureux, parce qu’il possédera là en paix la jouissance sans fin de tous les biens. Il est écrit dans Isaïe, chap. LXII: "Le Seigneur a juré sur sa droite. Je ne donnerai plus dorénavant votre froment en nourriture à des ennemis, les enfants des étrangers ne boiront plus le vin que vous aurez récolté; parce que ceux qui le recueillent le mangeront, et ceux qui le transportent le boiront dans mes saints tabernacles." Ici les bons mangeront avec les méchants, mais là les méchants en seront empêchés par un arrêt éternel, pendant que les bons participeront éternellement et en paix au banquet du Seigneur. On lit Psaume XV: "Vous me remplirez de joie."

CHAPITPRE XI: Des trois merveilles qui s’opèrent dans la consécration.

"Venez, mangez etc." Argument propre. "Vos oeuvres sont admirables, et mon âme les connaîtra parfaitement;" ou toute autre chose semblable des oeuvres admirable de Dieu, ou de ses miracles.

La troisième chose qui doit surtout fixer notre attention relativement au sacrement du corps du Seigneur, ce sont les merveilles de l’opération divine, tels que les miracles ou les merveilles de la puissance divine. Ces merveilles ou miracles de l’opération divine doivent être considérés dans trois choses différentes, elles doivent l’être dans la consécration du corps du Seigneur, dans la possession de ce même corps et dans l’acte par lequel il se donne à nous. 1° Nous le consacrons; 2° nous le possédons; 3° nous le recevons.

I. Dans la consécration, il faut considérer et croire trois merveilles de l’opération divine. Premièrement, c’est que là sous l’espèce du pain se trouve le vrai corps de Jésus-Christ. Secondement, c’est que la substance du pain se change au corps de Jésus-Christ. Troisièmement, c’est que toute la substance du pain se change au corps de Jésus-Christ, de manière toutefois que les accidents du pain de meurent. La première de ces choses est admirable, la seconde l’est plus encore, la troisième ne peut pas l’être davantage. Nous parlerons ici des deux premières, et nous traiterons de la troisième dans le chapitre suivant.

Le premier miracle qui s’opère dans la consécration du sacrement de l’autel, c’est que là nous l’espèce du pain se trouve le vrai corps de Jésus-Christ, qu’il a pris dans le sein de la Vierge. Et cette vérité se démontre de trois manières.

1° On la démontre par des témoignages dignes de foi.

2° Par le témoignage de signes positifs.

3° On la démontre par des miracles. On prouve cette première merveille par des témoignages dignes de foi, conformément à ce qui est écrit dans la loi, Peut., ch. XIX: "Sur la déposition de deux on trois, etc. On entend donc des témoins véridiques et suffisamment aptes à établir cette vérité. Saint Augustin dit: "La parole se joint à l’élément et le sacrement existe;" c’est-à-dire la parole de Dieu désignée par Jésus-Christ se prononce sur le pain, et bientôt il y a un secret sacré, à savoir le corps du Sauveur sous l’espèce du pain. Saint Augustin dit encore: "Voici ce que nous nous sommes efforcé d’établir de toutes les manières; c’est que le sacrement de l’Eglise est composé de deux choses; de l’espèce visible des éléments, et de la chair et du sang invisible du Christ, comme la personne de Jésus-Christ est l’ensemble de Dieu et de l’homme." Saint Ambroise dit: "Ce pain que nous prenons dans le mystère, comme je l’entends, est celui qui le Saint Esprit a formé de ses mains dans le sein de la Vierge, et qui a été cuit par le feu de la passion sur l’autel de la croix. Le pain des anges est en effet devenu le pain des hommes." Saint Grégoire dit: "Ce mystère est grand et redoutable, parce que autre est ce que l’on voit, autre ce que l’on entend. On voit la figure du pain et du vin, et par l’opération divine on en tend le corps et le sang de Jésus-Christ." Eusèbe dit: "Hostie vraiment unique et parfaite de l’Eglise, que l’on doit apprécier par la foi, et non par l’apparence; qui ne doit pas être considérée d’après la vue extérieure, mais bien par l’intellect intérieur, ce qui fait que l’autorité du ciel confirme cette vérité: "Prenez et mangez, etc." Comme l’auteur du don est lui-même le témoin de la vérité, le doute de l’in fidélité doit par conséquent disparaître."

II. On prouve encore cette vérité par le témoignage de signes positifs. La raison des signes positifs est que la chose est telle que le signe lui-même. Mais il y a deux espèces de signes; ce sont celui de l’homme et celui de Dieu; le signe de l’homme est artificiel; celui de Dieu est sacramentel. Le signe positif de l’homme ne signifie que ce qu’il veut lui faire signifier, et il est de deux espèces. L’un ne contient pas ce qu’il signifie, comme le cercle le vin; l’autre contient ce qu’il signifie, comme le petit pâté qui signifie la viande, en contient réellement de cachée dans son intérieur. Pareillement le signe positif de Dieu qui se trouve dans les sacrements, signifie ce que Dieu a voulu lui faire signifier; il est lui aussi de deux espèces. L’un ne contient pas ce qu’il signifie, tel que les sacrements légaux, qui ne produisent pas ce qu’ils figurent; comme l’agneau pascal et les autres du même genre. L’autre contient ce qu’il signifie, tels sont les sacrements de l’Evangile, comme l’Eucharistie. Il signifie en effet, d’après la signification que Dieu lui a imposé, une chose sacrée, à savoir le corps de Jésus-Christ, et elle le contient réellement d’où il dit: "Ceci est mon corps." Le signe extérieur demeure, à savoir l’espèce du pain, et sous ce signe se trouve le corps du Sauveur. On lit dans l’Ecclésiastique, chapitre III: "Renouveliez vos signes, changez vos merveilles;" ce qui est comme s’il disait parce que les anciens signes ne contenaient pas la grâce qu’ils figuraient; faites-en de nouveaux qui contiennent ce qu’ils figurent. Saint Augustin dit: "On les appelle sacrements parce qu’ils sont les signes d chose sacrée; parce qu’on voit en eux autre chose que ce que l’on entend." Ce que l’on voit aune apparence corporelle; ce que l’on entend produit un fruit spirituel. Sous les espèces du pain et du vin que nous voyons, nous honorons des choses invisibles, à savoir le corps et le sang de Jésus-Christ. Saint Augustin traite cette question plus haut, vers le milieu de son neuvième Sermon.

III. On prouve encore cette vérité par les miracles. Il est écrit Exode, ch. XXXIV: "Je ferai des prodiges qui n’ont jamais été vus sur la terre, ni dans aucune nation, etc." Paschase dit: "Il n’est personne de ceux qui ont lu les vies ou les exemples des saints qui ignore que souvent les sacrements du corps et du sang de Jésus-Christ n’aient été rendus visibles, soit à cause de ceux qui doutaient, soit à cause de ceux dont l’amour était plus brûlant, sous l’apparence d’un agneau, ou sous la forme d’un petit enfant, ou encore avec la couleur de la chair et du sang; et cela, pour qu’un miracle mit à nu ce qu’un mystère dérobait à la vue." Saint Basile célébrant les saints mystères, un jour de Pâques, un Juif se glissa parmi le peuple fidèle, dans l’intention de découvrir le mystère de l’office: il vit dans les mains de Basile un enfant qui fut partagé, il le vit recevoir par tous ceux qui communièrent; il vint lui-même à la table de la communion, et l’hostie qu’il reçut devint une chair véritable. Conservant ce qui restait, il revint dans sa maison, le montrai à son épouse, et lui raconta ce qu’il avait vu de ses propres yeux. Croyant donc, il s’écria: "Le sacrement des chrétiens est horrible, mais en même temps digne d’admiration." Le lendemain, il vint trouver Basile et il reçut le baptême avec toute sa famille. On lit encore: un prêtre du nom d’Egidius, homme fort religieux, qui menait une sainte vie, se mit à demander à Dieu dans ses ferventes prières, de lui faire voir la nature du corps et du sang du Seigneur. Il arriva donc un jour que ce même prêtre, comme il en avait l’habitude, célébrait les saints mystères; et après ces mots, Agneau de Dieu, fléchissant le genou: Créateur, dit-il, et Rédempteur, Dieu tout-puissant, montrez-moi dans ce mystère qui paraît si peu de chose, la nature du corps de Jésus-Christ, afin qu’il me soit permis de la voir sous la forme de l’enfant qui reposa autrefois vagissant sur le sein de sa mère. Et voici qu’il ange du ciel lui dit: Levez-vous, hâtez-vous, si vous voulez voir Jésus-Christ, il est là présent, revêtu d’un voile corporel, et il porte la pourpre sacrée. Or le prêtre tremblant se lève, et voit un enfant assis sur l’autel. L’Ange lui dit: Parce que vous avez désiré voir Jésus-Christ que vous avez consacré par des paroles mystiques, sous l’espèce du pain, voyez-le maintenant de vos propres yeux, touchez-le de vos mains. Le prêtre fortifié alors par un rayon de la lumière céleste, ô merveille! reçoit l’enfant dans ses bras tremblants, il joint sa poitrine à la poitrine de Jésus-Christ, le pressant ensuite dans ses bras, il le couvre de doux baisers, il presse de ses lèvres les lèvres sacrées de Jésus-Christ. Après cela il repose l’enfant sur l’autel, se prosterne de nouveau à terre, et prie le Seigneur de vouloir reprendre sa première forme. Se levant il trouve que le corps de Jésus-Christ a repris sa forme première, et il communie à ce même corps sous la forme voulue.

Le second miracle qui s’opère dans la consécration du sacrement de l’autel c’est que la substance du pain se change au corps que Jésus-Christ a pris dans le sein de la Vierge; et cela se fait par la puissance du Verbe ou parole de Dieu. On prouve de trois manières que cela peut st faire; On le prouve par ce que peuvent un pouvoir semblable, un pouvoir inférieur et un pouvoir supérieur.

1° On le prouve par ce que peut un pouvoir identique; parce que le Verbe de Dieu a changé une substance en une autre; ce qui fait que l’on lit, saint Jean, chap. II: "Que le Seigneur changea l’eau en vin aux noces de Cana." Par conséquent ce qu’il peut là, il le peut ici; on juge des choses semblables de la même manière; là où une puissance semblable donne le même ordre, il doit y avoir un même effet.

2° On le prouve par ce que peut un pouvoir inférieur: c’est de ce que les choses qui sont moins puissantes que le Verbe de Dieu changent une substance en une autre. C’est pour cela qu’il importe de savoir que la Providence de Dieu a voulu que les choses changeassent de trois manières, en dehors des changements opérés par le Verbe de Dieu. Ces modes sont l’art, la nature et la grâce. L’art de l’homme change en effet une substance en une autre, comme le prouve l’exemple du fabricant de verre, qui change une vile poussière en un verre beau et éclatant. Donc à plus forte raison la puissance de la parole de Dieu peut-elle changer le pain en son corps et le vin en son sang. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. VIII: "La parole de Dieu est toute puissante, et personne ne peut lui dire, pourquoi faites-vous cela?" Eusèbe dit: "Le prêtre invisible change les créatures visibles en la substance de son corps et de son sang, par sa parole, en vertu d’une puissance secrète, et les fait ce même corps, ce même sang. La nature change pareillement une substance en une autre; ainsi dans la vigne l’eau se change en vin, et le travail des abeilles change le suc des fleurs en rayons de miel par un secret de la na Le pain que nous mangeons tous les jours, par un changement semblable se convertit aussi en notre propre chair." Donc à plus forte raison la puissance de la parole de Dieu peut changer le pain en la substance de son corps. La grâce que reçoit l’homme change aussi une substance en une autre. Ainsi Moïse en vertu d’une grâce spéciale changea la verge en serpent, et l’eau en sang. Donc à plus forte raison la puissance de la parole de Dieu peut-elle changer le pain en son corps et le vin en son sang. Saint Ambroise dit: "Moïse prit la verge, la jeta à terre et elle se changea en serpent." Vous voyez par conséquent qu’elle fut transformée par la grâce prophétique, et que la puissance de la grâce est plus grande que celle de la nature. Si la bénédiction a été assez puissante pour changer la nature, que dirons-nous de la consécration divine elle-même, où les paroles mêmes du Sauveur opèrent? Par conséquent, si vous demandez comment il peut se faire que le pain devienne le corps de Jésus-Christ, je réponds que cela s’opère par la consécration qui se fait par la parole de Jésus-Christ.

3° On prouve cette même vérité par ce que peut une plus grande puissance;le Verbe de Dieu fait et peut en effet faire des chose s bien plus grandes que de transformer le pain au corps de Jésus-Christ. C’est ce que prouve tout ce qui se lit depuis ces mots: "Au commencement était le Verbe;" jusqu’à ces autres: "Et tout a été fait par lui." Saint Ambroise dit: "On lit de toutes les oeuvres du monde: Il a dit, et tout a été fait, etc." La parole qui peut faire de rien ce qui n’existait pas, ne peut-elle donc, pas changer ce qui existe en ce qui n’était pas? Ne faut-il pas autant de puissance pour donner aux choses de nouvelles natures que pour changer celles qui existent? Et ainsi, ce qui avant la consécration, était du pain, est devenu le corps de Jésus-Christ après, parce que la parole a changé la créature. Par conséquent, lorsqu’une créature irrationnelle et inanimée, à savoir le pain, est changée en une créature meilleure, qui est le corps de Jésus-Christ, Verbe de Dieu; il est étonnant que la vie mauvaise de l’homme pécheur ne puisse être changée en une vie meilleure par de no avertissements, de grands bienfaits, le blâme et les promesses réitérées?

mmmCHAPITRE XII: Du troisième miracle qui s’opère dans la consécration.

"Venez, mangez, etc." Argument propre. "Vos oeuvres sont admirables, etc."

La troisième merveille, bien plus, le prodige le plus étonnant qui s’accomplisse dans la consécration du sacrement de l’autel, c’est que toute la substance du pain se change au corps de Jésus-Christ, de tell manière toutefois que les accidents du pain, c’est-à-dire la saveur, l’odeur, la couleur, etc., demeurent. Ce qui entoure le corps de Jésus-Christ est exposé à l’appréciation de nos sens. Il a été déjà prouvé que le pain se change au corps de Jésus-Christ; que les accidents demeurent exposés à l’appréciation des sens de l’homme, c’est une chose évidente. Un tel changement est sur naturel, on l’appelle proprement conversion ou transsubstantiation. Car on ne trouve rien dans la nature qui puisse lui être comparé. On peut cependant démontrer la possibilité de cette conversion dans le sacrement de l’Eucharistie, par une triple similitude de comparaison. La première similitude par laquelle on établit que la substance du pain se convertit au corps de Jésus-Christ, de telle sorte que les accidents restent, se tire de la grâce accordée aux prophètes. A cette occasion il est écrit, IV Rois, chap. II: "Elisée jeta du sel dans les eaux amères, et elles devinrent douces." Quatre choses doivent être considérées concernant cette conversion; on doit considérer le contenant, le contenu celui qui opère et l’oeuvre opérée. Le contenant, c’est cette apparence ou éclat extérieur; le contenu, c’est l’amertume intérieure qui passe et se change en la quatrième, à savoir l’oeuvre opérée, c’est-à-dire la douceur, et cela se fait par la troisième, à savoir celui qui opère, c’est-à-dire par la grâce dont jouit le prophète. Il en est en quelque sorte de même dans le changement du pain au corps de Jésus-Christ. La première chose, à savoir le contenant, c’est-à-dire l’apparence extérieure du pain demeure. La seconde, à savoir le contenu, c’est-à-dire la substance du pain se change en la quatrième, qui est le corps de Jésus-Christ, et cela s’opère par, la troisième, ou celle qui opère, c’est-à-dire par le Verbe de Dieu. La seconde similitude qui sert à établir la possibilité de cette conversion, se tire de la conversion spirituelle dont il est parlé au premier livre des Rois, chap. X, où Samuel dit à Saül, qui est la personnification du pécheur: "L’esprit se répandra sur vous, et vous serez changé en un autre homme." On peut faire sur cette conversion ou changement les quatre mêmes considérations qui ont été déjà faites, à savoir, que l’on peut considérer le contenant, le contenu, celui qui opère et la chose opérée. Dans l’état de péché, en effet, notre homme extérieur est sain et beau; mais notre homme intérieur est plein d’amertume; il est infecté du venin du péché, il est malade. Pendant que l’esprit de Dieu le change, l’apparence extérieure du corps demeure la même, mais l’amertume et la langueur intérieure du péché se changent en la douceur et en la santé de la grâce.

La première, à savoir l’apparence extérieure du corps demeure;

La seconde, à savoir l’amertume intérieure du péché se change en la quatrième, qui est la douceur de la grâce; et ceci s’opère par la troisième, à savoir par l’esprit de Dieu; il se fait la même chose dans la consécration du corps du Seigneur, comme nous l’avons dit précédemment. Eugène écrit à une personne récemment convertie: "Qu’ils sont grands, qu’ils sont dignes d’être célébrés les bienfaits opérés par la force de la bonté divine; vous ne devez tenir ni pour nouveau ni pour impossible que les choses terrestres se changent en la substance de Jésus-Christ; interrogez-vous vous-même, vous qui, après avoir déposé votre ignominie passée, vous êtes tout-à-coup revêtu d’une bonté nouvelle; vous ne vous êtes rien ajouté extérieurement, et tout votre intérieur a été changé."

La troisième similitude qui sert à établir la possibilité de cette transsubstantiation se tire des changements qui s’opèrent dans la nature. Nous voyons, en effet, que les oeufs placés sous un oiseau, sous une poule ou sous une colombe, se changent, par la puissance de la nature, en chair, se changent même, ce qui est plus extraordinaire, en un petit oiseau vivant.

On peut pareillement trouver dans le changement qui s’opère ici les quatre choses dont nous avons parlé. Là, en effet, se trouvent le contenant, c’est la coquille, qui est comme l’apparence extérieure de l’oeuf; le contenu, à savoir le jaune de l’oeuf, qui est comme la substance intérieure de l’oeuf; celui qui opère, à savoir la nature, et l’oeuvre accomplie, à savoir la chair du petit poulet. La première, à savoir la coquille, qui est l’apparence extérieure, demeure; la seconde, le jaune d’oeuf, ou la substance intérieure, passe et se change en la quatrième, le corps vivant du poulet; et cela s’opère par la troisième, à savoir la nature qui opère. La similitude est ici admirable, parce que la chose extérieure parait pendant quelques jours entière, comme si ce qui n’est pas un oeuf, mais le corps vivant d’un poulet, voilé sous une coquille, était véritablement un oeuf. Comme donc ici la colombe opère par la nature, de même dans le sacrement de l’autel le Saint Esprit opère par sa toute puissance. Donc, si vous placez un, ou deux, ou plusieurs oeufs sous ces oiseaux; il les change, aidé de la nature, intérieurement en chair, et la coquille extérieure demeure; le Saint Esprit, par sa puissance, change intérieurement d’une manière subite et bien plus parfaite au corps de Jésus-Christ, une ou plusieurs hosties de pain, bien qu’elles conservent l’apparence de ce même pain: remarquez que le verset où il est parlé du corps de Jésus-Christ ne dit pas de la substance du pain, qu’elle est la matière du corps de Jésus-Christ, mais que le pain se change au corps de Jésus-Christ. Le corps qui se trouve ici sous le pain est le corps né de la Vierge. Le premier vient d’un changement opéré dans le pain, mais le second est matériel. On peut ici faire cette observation morale: Quand la créature irrationnelle, à savoir le pain, est changé en quelque chose de plus parfait par le Verbe de Dieu et de son esprit, combien est grande la dureté du pécheur que ne peuvent convertir ni plusieurs paroles, ni les oeuvres du Saint Esprit. On lit dans Jérémie, chap. V: " Ils ont rendu leurs fronts plus durs que le rocher, et ils n’ont pas voulu revenir à vous." Cet endurcissement, c’est l’impénitence finale qui procède d’une triple cause. La première, c’est une longue habitude de pécher. La seconde, c’est l’incrédulité sur la justice de Dieu. La troisième, la séduction de l’ennemi. Il est écrit de la première au livre de la Sagesse, ch. XIV: "Cette coutume mauvaise s’étant de plus en plus autorisée, l’erreur fut observée comme une loi." On lit dans Jérémie, chap. XIII: "Si un Ethiopien peut changer sa peau, ou le léopard la variété de ses couleurs, vous pourrez aussi faire le bien, vous qui n’avez appris qu’à faire le mal." Le commentaire ajoute: "L’habitude de pécher devient en quelque sorte nature. Mais ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu; il peut se faire que l’Ethiopien ne le soit plus, comme, que le léopard cesse de l’être, à savoir que les vieux pécheurs paraissent changer par eux-mêmes leur nature; mais c’est Dieu qui produit en eux ce résultat." Saint Augustin dit: "Vous m’appeliez, Seigneur, je soupirais; mais j’étais lié, ce n’était pas par un fer étranger, mais bien par ma propre volonté. L’ennemi s’était emparé de ma volonté, il en avait fait une chaîne, et il m’en avait en lacé; car la passion mauvaise est le fruit d’une volonté perverse, et pend qu’on est asservi à cette passion mauvaise, on contracte l'habitude et tant qu’on ne résiste pas à l’habitude, elle devient une nécessité."

Il est dit de la seconde, dans Sophonie, chap. I: "Et je visiterai dans ma colère ceux qui se sont enfoncés dans leurs ordures; qui disent dans leurs coeurs, le Seigneur ne fera ni bien, ni mal," le Commentaire ajoute: "Ils anéantissent la providence du Seigneur, pensant qu’il ne peut pas récompenser les bons de leurs bonnes oeuvres, et punir les méchants du mal qu’ils ont fait, mais que tout est régi par Le hasard." On lit, Psaume XIII: "L’insensé a dit dans sou coeur, il n’y a pas de Dieu, de juste juge, qui juge les péchés;" ce qui fait que le Psalmiste ajoute immédiatement: "Ils se sont corrompus et sont devenus abominables dans toutes leurs affections et leurs désirs dé réglés."

Il est écrit de la troisième dans Osée, chap. V: "Ils ne permettront pas à leurs pensées de se reporter vers le Seigneur, parce que l’esprit de fornication est au milieu d’eux, et qu’ils n’ont pas connu le Seigneur;" c’est comme si le Prophète disait: Le méchant esprit les assiège, les aveugle, pour les empêcher de connaître le Seigneur, il les séduit par des promesses fallacieuses, ce qui fait que leur conversion est impossible. On lit, Ecclésiastique, ch. XXIX: "L’engagement à répondre mal à propos en a perdu plusieurs." Il est écrit Gen., chap. XXXIV: "Dina étant sortie pour voit les femmes du pays, Sichem, prince de ce pays, la vit," c’est-à-dire le démon, il l’aima, l’enleva, dormit avec elle et la viola, et son âme demeura attachée à Dina par les liens d’une passion violente, et la voyant triste, il tâcha de la gagner par ses caresses; il lui promit les prospérités du monde, des fautes légères, une longue vie, mais ce n’était là que mensonge. Michée dit au troisième livre des ois, chap. XXII: "Mais l’esprit malin étant sorti, il dit: Je tromperai Achab; j’irai, et j serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses Prophètes;" ses Prophètes lui disaient: "Montez dans Ramoth-Galaad, et allez, vous serez heureux, le Seigneur livrera vos ennemis en vos mains," et c’est en en quoi il le trompa: "Car étant parti pour livrer bataille, quelqu’un ayant lancé une flèche sans viser, cette même flèche l’atteignit entre le poumon et l’estomac et le blessa grièvement, et il mourut le même soir."

CHAPITRE XIII: Des trois merveilles que l’on doit considérer dans la possession du corps de Jésus-Christ.

"Venez, mangez. Vos oeuvres sont admirables, etc."

Nous allons ici parler des trois merveilles qui s’opèrent par la puissance et la perfection de la consécration, qui s’observent dans la possession de ce même corps, et que nous possédons encore après la consécration.

I. La première merveille qui s’opère dans la possession du corps du Seigneur, c’est qu’une chose aussi grande que l’est le corps du Seigneur, soit contenue sous l’apparence d’un si petit pain; on donne de cela trois raisons.

1° La première raison, c’est la manifestation de la grandeur de la sagesse de l’auteur d’une chose si merveilleuse, à savoir de l’Esprit saint. Nous voyons en effet que plus les artistes sont habiles dans l’art de sculpter, plus les images qu’ils sculptent sont petites et délicates ce qui fait que si l’on présente aux artistes une pierre précieuse, ou un morceau de métal fort petit, et qu’on les prie d’y faire une fort petite figure, l’artiste moins habile répondra, qu’il ne lui est pas possible de la faire, pendant qu’un artiste fort habile l’y fera facilement. Ainsi pour prouver la sagesse du Saint Esprit, il lui est facile de faire que le corps de Jésus-Christ tout entier réside sous la plus petite espèce de pain. C’est pour cela qu’il est écrit au livre de la Sagesse ch. VII: "Il est dit de l’Esprit saint qu’il est subtile." Il n’est pas possible en effet de placer sur l’autel une parcelle de pain si petite, qu’il ne sache et qu’il ne puisse la convertir au vrai corps de Jésus-Christ. Saint Damascène expliquant ces paroles: "Comment cela se fera-t-il, dit la Vierge, parce que je ne connais aucun’ homme, l’ange lui répondit: l’Esprit saint viendra en vous, etc." dit: "Et vous, vous demandez comment le pain se change au corps de Jésus-Christ; et moi je vous dis: Le Saint Esprit viendra, et il opérera lui-même ce prodige qui surpasse à la fois et la nature et l’intelligence."

2° La seconde raison pour laquelle il en est ainsi, c’est la parité qui existe entre la puissance de Jésus-Christ et celle de Dieu. Tout ce que peut en effet par nature le Fils de Dieu, le Fils de l’homme le peut pareillement en vertu de l’unité de personne. On lit dans saint Matthieu, ch. ult.: "Tout pouvoir m’a été donné, etc." Saint Ambroise expliquant ces paroles: "Celui-ci sera grand, et il sera appelé le Fils du Très Haut," s’exprime ainsi: "C’est pourquoi il sera grand non pas parce qu’il ne l’aura pas été avant l’enfantement de la Vierge;, mais il le sera, parce qu’il recevra dans le temps la puissance qu’il avait naturellement avant le temps comme Fils de Dieu; parce que comme le Fils de Dieu et le Fils de l’homme seront confondus dans une seule personne; de même il n’y aura qu’une seule et même puissance du Fils de Dieu et de l’homme: mais le Verbe Fils de Dieu a reçu du Père la puissance de se revêtir et de s’enfermer sous cette partie infiniment petite du corps de la Vierge qui en fut séparé par la puissance du Saint Esprit; comme le prouvent ces paroles: "Et le Verbe s’est fait chair." Dont le Christ-homme a reçu un semblable pouvoir, à savoir le pouvoir de renfermer son corps sous la plus petite espèce de pain. On lit, Psaume XCVIII "Le Seigneur est grand dans Sion." Sion s’interprète d’un miroir, comme le disent Papias et saint Augustin. Il n’y a pas de doute qu’une image ne soit aussi fidèlement et aussi intégralement reproduite par un petit que par un grand miroir. On dit donc, le Seigneur est grand dans Sion; c’est-à-dire dans un miroir, parce que c’est avec justesse que l’on croit que le vrai corps de Jésus-Christ est aussi intégralement sous la plus petite espèce du pain que sous la plus grande.

3° La troisième raison pour laquelle il en est ainsi; c’est qu’il y a ici une cause suffisante d’atteindre la fin du sacrement. La fin du sacrement, c’est de nourrir spirituellement l’âme fidèle, de la fortifier dans le bien, et de la prémunir contre le mal. Le corps de Jésus-Christ est la cause efficiente qui doit produire et effet; et il peut tout aussi bien le produire sous une petite espèce de pain que sous une grande, parce qu’il est aussi bien uni à Dieu sous l’une sous l’autre, et que c’est de lui que découle toute la force du sacrement. Quelque petite en effet que soit l’espèce du pain, le corps de Jésus-Christ y est tout entier par conversion, son sang par connexion, son âme par conjonction, et sa divinité tout entière par union; ce qui fait qu’il a tout ce qu’il faut pour nourrir spirituellement, et pour conforter l’âme. On lit dans l’Exode, chap. XVI: "Celui qui avait moins recueilli de manne en trouve autant que celui qui en avait plus recueilli." Saint Hilaire dit: "Là où se trouve une partie du corps, c’est-à-dire la plus petite partie du sacrement; là est le corps tout entier." Il y a pour le corps du Seigneur la même raison que pour la manne, qui le précéda et qui en était la figure, et de laquelle il est dit: "Celui qui en recueille plus, n’en a pas d et celui qui en avait moins préparé en a au tant." Ce n’est pas la quantité visible qu’en ceci il faut apprécier, mais bien la vertu spirituelle; ce qui fait que celui qui consacre beaucoup de pains ou qui en consacre un grand ne reçoit rien de plus que le vrai corps de Jésus-Christ pour son salut.

II. Le second prodige qu’il faut ici considérer, c’est que le seul et même s se trouve en plusieurs lieux à la fois; et ceci se prouve de trois manières,

1° On le prouve par les paroles suivantes du prophète Malachie chap. I, adressées aux Juifs: "Mon affection n’est pas en vous, dit le Seigneur, je ne recevrai pas de présents de votre main. Car depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, mon nom est grand parmi les nations, et l’on me sacrifie en tous lieux, et l’on offre à mon nom une oblation toute pure." Il exprime ici plusieurs lieux et il ne parle que d’une seule oblation pure, son Fils. On lit dans l’Exode, chap. XX " Partout où l’on conservera le souvenir de mon nom, je viendrai vers vous, et je vous bénirai." Le souvenir du nom du Seigneur, c’est le sacrifice de l’autel, à savoir le corps de Jésus-Christ, qu’il a ordonné de consacrer en mémoire de lui; ceci se fait dans un grand nombre d’endroits, et dans cette consécration vient un seul Seigneur pour nous bénir.

2° Ceci se prouve par une raison péremptoire; c’est que le Fils de l’homme participe à la puissance du Fils de Dieu en vertu de l’union de personne. Saint Ambroise dit: "Comme le Fils de Dieu et le Fils de l’homme n’ont qu’une personnalité, ils n’ont de même qu’une seule et même puissance." Ce qui fait que comme le Fils de Dieu est par essence en toutes choses, il a p été donné au Fils de l’homme que son corps pût être en plusieurs lieux sous le sacrement. Saint Augustin dit: "On doit entendre que le corps de Jésus-Christ est dans un seul lieu; c’est-à-dire qu’il est au ciel, où il est monté à la droite du Père; c’est-à-dire qu’il y est sous la forme humaine et visible. Sa ‘vérité toutefois, c’est-à-dire sa divinité est partout. Quant à sa vérité, c'est-à-dire son véritable corps, il est sacramentellement sur tout autel où se célèbre le sacrifice." Innocent III dit: "La profondeur des conseils célestes a fait que, comme les trois personnes, à savoir le Père, le Fils, et le Saint Esprit, ne font qu’un par l’essence, de même il a été statué que trois substances fussent confondues en unité de personnes, à savoir la divinité de Jésus-Christ, son corps et son âme." Par conséquent, comme Jésus-Christ existait de trois manières dans les créatures en tant que Dieu, à savoir qu’il existait eu toutes choses par essence, dans les seuls justes par la grâce, et dans l’homme dont il s’est revêtu par union, il a voulu exister lui-même selon la nature humaine de trois manières. Dans le ciel d’une manière locale, dans la parole ou verbe personnellement, et sur l’autel sacramentellement. D’où il suit que, comme il est par essence en toutes choses selon la divinité, de même il est sacramentellement tout entier en plusieurs lieux selon l’humanité,

3° On prouve la même vérité par une similitude visible, et qui se produit pour tous devant un miroir. Car si vous placez plusieurs miroirs en face de vous, votre visage sera intégralement et également reproduit dans tous les miroirs; et si vous brisez un de vos miroirs en plusieurs petits morceaux, chacun de ces morceaux reproduira pareillement d’une manière adéquate votre figure. Et, bien que le miroir soit brisé en plusieurs morceaux; votre figure demeure pour tant une dans chacun de ces morceaux, et elle n’est pas changé. Il en est absolument de même dans le sacrement de Jésus-Christ, que l’on appelle le miroir et l’image de sa bonté. Par conséquent si le miroir, c'est-à-dire la forme du pain est divisée en plusieurs parties, dans chacune de ces parties la forme se trouvera unie à Dieu, c’est-à-dire que là se trouvera le véritable corps de Jésus-Christ. Saint Jérôme dit: "Chacun des fidèles reçoit Jésus-Christ tout entier, se trouve tout entier dans chaque partie; il ne reçoit aucun amoindrissement de la réception de chacun, mais il se donne tout entier à chaque individu."

III. Le troisième prodige qui doit en ce point fixer notre attention, c’est que le corps du Seigneur, bien qu’il soit en plusieurs lieux, dans plusieurs hosties ou parties d’hosties ‘à la fois, n’est nullement divisé par parties, mais demeure tout entier et parfaitement uni en lui-même. On lit, I Cor., chap. I: "Le Christ est divisé," ce qui est absolument comme s’il disait, le Christ n’est pas divisé; car bien qu’il soit localement dans le ciel, spirituellement dans le coeur du juste, en plusieurs lieux sacramentellement il ne forme cependant qu’un en lui-même; et la raison de ce prodige, è’est l’union ineffable de l’homme et de Dieu, de la chair et du Verbe. Il suit de là que, comme le Verbe de Dieu est partout, et qu’il remplit et le ciel et le monde tout entier, tout en restant un, il a accordé la même faculté au corps qu’il a pris de la Vierge, et il l’a donné aux apôtres. La divinité qui est en effet partout, remplit tout, elle fait de tout une seule chose, et elle fait que comme elle n’est qu’un, de même la vérité du corps de Jésus-Christ ne soit en réalité qu’un seul corps. Saint Augustin dit: "Quand nous mangeons Jésus-Christ nous ne le divisons pas, mais il arrive dans le sacrement, que chacun le reçoit véritablement tout entier." Chacun reçoit sa part dans le sacrement, et il demeure tout entier en lui-même. Il demeure tout entier dans le ciel, et il demeure tout entier dans votre coeur. Il était tout entier dans le Père quand il vint dans la Vierge, il la remplit de lui-même, et il ne quitta pas le ciel. Il se fit chair pour que les hommes le mangeassent; et il demeurait tout entier dans le Père, pour rassasier les anges. Nous devons donc demander au Seigneur dans nos prières que, bien que divisés les uns des autres corporellement, nous soyons toujours spirituellement unis dans la charité, et qu’il nous rassasie dignement par son sacrement dans la vie présente et qu’il nous comble de la plénitude de sa vue avec les anges dans la vie future. Ainsi soit-il.

CHAPITRE XIV: Des trois merveilles qui s’opèrent dans la perception du corps de Jésus-Christ.

"Venez, mangez, etc. Vos oeuvres sont admirables, etc."

Nous allons ici traiter des trois dernières merveilles qu’il faut considérer relativement à la perception du corps de Jésus-Christ.

I. La première merveille, c’est que le corps du Seigneur, quand on le mange, n’en souffre aucun amoindrissement, et cette proposition est coutre les hé rétiques qui soutiennent que quand même le corps du Seigneur eut été aussi grand qu’une montagne, les clercs l’auraient absorbé tout entier. Le prodige si étonnant de l’inconsumptibilité du corps de Jésus-Christ dans la manducation peut s’interpréter par les trois raisons suivantes.

1° La première de ces raisons, c’est le pouvoir de consacrer tous les jours; car nous pouvons, d’après le précepte de Jésus-Christ, consacrer tous les jours et dans tous les lieux où il y a des fidèles, sous tout autant d’hosties qu’il en faut pour les fidèles, son vrai et unique corps; c’est pourquoi quand nous le mangeons, nous ne pouvons ni le consumera ni même le diminuer quant à la quantité. Car comme le salut éternel qui est le fruit de la manducation de ce corps est toujours en nous une cause de le manger; comme l’effet qu’il produit en nous subsiste toujours, il doit en être de même du pouvoir de le consacrer; et lorsque nous le mangeons ce qui a été consacré, nous ne l’amoindrissons nullement; parce que ce qui demeure toujours véritablement entier en soi, pour ne pas manquer dans l’Eglise, doit continuellement être conservé sous la forme du pain, et nous conservons le sacrement en le renouvelant et comme en le nourrissant; les pains de propositions sont de ceci une figure admirable. On lit dans l’Exode, chap. XXV: "Place continuellement sur ma table en ma présence les pains de proposition." Et comme il est écrit dans le Lévitique, chap. XXIV: "Vous prendrez douze pains et vous les placerez sur ma table, pour qu’ils soient un souvenir de l’oblation du Seigneur; par une alliance éternelle on les changera à chaque sabbat." Il en est dit autant du feu dans le Lévitique, chap. VI: "Le feu brûlera toujours sur mon autel, le prêtre l’alimentera, et il y mettra du bois chaque matin." Ce feu brûlera toujours sur l’autel, mais cet autel des Juifs manquera avec les pains, et le feu manquera avec l’autel. Quoi donc? Dieu a-t-il mentit assurément non, mais l’ombre s’évanouit, la vérité persévère d la synagogue, elle se conserve aussi dans l’Eglise. Car notre prêtre entretient toujours le sacrement parla Consécration et le corps de Jésus-Christ qui dans ce sacrement demeure toujours le même, ne s’épuise jamais par la manducation des fidèles.

2° La seconde raison de l’inconsumptibilité du corps de Jésus-Christ c’est l’incorruptibilité véritable de ce même corps, qui est ressuscité glorifié, immortel, immuable et impassible, et qui ne peut pas se cor rompre. On lit, Psaume XV: "Vous ne laisserez pas votre saint se corrompre." C’est ce qui fait que quand nous le mangeons, il ne se corrompt pas comme toute autre espèce de nourriture, mais il déverse en nous un aliment spirituel sans se corrompre lui-même. Une figure parfaite de cette incorruptibilité, c’est ce qui se lit au troisième livre des Rois, chap. XVII, où il est parlé de cette petite quantité de farine qui restait dans la maison de la veuve, et qui conformément aux paroles d’Elie servit à nourrir pendant longtemps sa famille tout entière. Saint Augustin dit: "Celui qui me mange, dit le Seigneur, vivra pour moi;" car quand on mange ce pain, on mange la vie; on ne lui donne pas la mort eu le mangeant, il ne tue pas, mais il vivifie les morts. Il vit quand il est mangé, parce qu’il est ressuscité après avoir été mis à mort. On le compare encore pour cette raison à la pierre précieuse, de laquelle il s’échappe une vertu; comme de mettre en fuite les fantômes, de dissiper les tumeurs ou d’opérer d’autres choses de ce genre, sans rien perdre de sa substance. On lit au Deutéronome, chap. XXXII: "Il a établi l’homme pour sucer le miel de la pierre, et tirer l’huile des plus durs rochers." Mais Jésus-Christ était la pierre. I Cor., chap. X. Comme donc la pierre précieuse ne souffre aucun amoindrissement tout en répandant sa puissance; de même le corps de Jésus-Christ en nous nourrissant ne perd rien non plus.

3° La troisième raison de l’inconsumptibilité du corps de Jésus-Christ c’est la cause infinie de nourrir; ceux en effet qui peuvent s’approcher de lui, trouvent de quoi se nourrir, ce qui fait qu’on l’appelle une fontaine la lumière véritable. On lit dans la Genèse de la première, ch. II: "Une fontaine montait de la terre;" c’est-à-dire Jésus-Christ. Le Commentaire ajoute: "Arrosant la surface de la terre tout entière;" c’est-à-dire, soufflant dans le coeur des inspirations utiles et honnêtes. Il est écrit dans Jérémie, ch. Il: "ils m’ont abandonné moi la source d’eau vive." De la seconde, il est dit dans saint Jean, chap. I: "II était la lumière véritable, etc." Donc, comme la fontaine arrose la terre, et qu’elle nourrit, sans rien perdre. de son abondance, des herbes et des arbres sans nombre; de même Jésus-Christ nourrit son Eglise pareillement, comme le soleil ne perd rien de sa propriété tout en éclairant le monde tout entier, de même Jésus-Christ conserve son intégrité en nourrissant l’Eglise tout entière. On peut aussi prendre par exemple le feu d’une chandelle, de laquelle on peut prendre des, de fois autant de feu qu’elle en a, sans pour cela diminuer sa lumière. Donc à plus forte raison, le Christ nous nourrit de son propre corps sans rien perdre pour cela. On lit, Psaume CXLIV: "Les yeux de tous les hommes espèrent en vous, Seigneur," on lit encore, Psaume CI: "mais vous êtes vous-même, etc."

II. La seconde merveille qui s’opère dans la perception du corps du Seigneur, c’est qu’il diminue eu quelque sorte si on ne le mange pas. Pour comprendre une merveille si extraordinaire, il nous faut savoir qu’il y a deux corps mystiques dans ce monde; ce sont: le corps mystique de Jésus-Christ, et le corps mystique du démon ou antéchrist; tous les hommes qui sont sur la terre appartiennent à l’un de ces corps. Le corps mystique de Jésus-Christ, c’est la sainte Eglise, elle est comme son épouse chaste et fidèle il est son chef, et chacune des personnes des fidèles, exempts de péchés graves sont ses membres, et tous ceux qui reçoivent dignement son corps deviennent ses propres membres. On lit, I Cor., chap. X: "Nous ne sommes tous ensemble qu’un seul corps, parce que nous participons tous au même pain." Le corps mystique du démon, c’est l’ensemble des méchants; il lui sert comme de nourrice adultère, il est le chef de ce corps, et chaque personne méchante est un de ses membres. Job dit, chap. XLI: "Son corps est semblable à des boucliers d’airain fondu, et couvert d’écailles qui se serrent et qui se pressent." Saint Grégoire dit: "Le corps du démon, ce sont tous les méchants, qui, à cause de leur endurcissement qui vient de leur obstination et de la fragilité de leur vie, sont comparés à des boucliers d’airain fondu." Il importe de savoir que comme le Christ par lui-même et par les siens s’applique continu à retrancher les membres du démon, et à les incorporer à ses propres membres, ainsi que nous l’apprennent les paroles suivantes du livre des Actes, ch. III: "Levez-vous, Pierre, tuez et mangez; de même, le démon fait par lui-même ou par les siens tous ses efforts pour en lever les membres de Jésus-Christ, et les unir aux membres dégoûtants de sa prostituée." On lit, I Petr., chap. V: "Soyez sobres et veillez, etc." et dans le Deutéronome, ch. XXXI: "Ce peuple deviendra fornicateur à la suite des dieux étrangers, il m’abandonnera." Il est écrit I Cor., chap. VI: "Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres de Jésus-Christ. Arracherai-je donc à Jésus-Christ ses propres membres, pour en faire les membres d’une prostituée?" C’est comme s’il disait: A Dieu ne plaise que je me rende coupable d’un si grand forfait. C’est pourtant, hélas! ce dont se rendent coupables un grand nombre de personnes. Saint Augustin dit: "Ils ne peuvent pas être en même temps membres de Jésus-Christ, et membres de la prostituée. On ne doit pas dire d’eux qu’ils mangent spirituellement le corps de Jésus-Christ, quand bien même ils le mangeraient sacramentellement. Mais ils ne mangent pas spirituellement le corps de Jésus-Christ, et en vivant mal, ils enlèvent à Jésus-Christ ses membres, et ils en font les membres du démon, et par conséquent ils diminuent autant qu’ils le peuvent le corps de Jésus-Christ. Ce que le démon gagne sur les âmes, Jésus-Christ le perd; et ainsi le corps mystique de Jésus-Christ s’amoindrit."

III. La troisième merveille qui s’opère dans la perception du corps de Jésus-Christ, c’est que quand les fidèles le mangent, il augmente. On prouve cette vérité de deux manières; et par la raison, et par une comparaison. Et d’abord on la prouve par cette raison: c’est que quand on mange le corps de Jésus-Christ, on ne le convertit pas en son propre corps comme cela se pratique pour les autres aliments, au contraire, celui qui le mange véritablement se convertit et se change spirituellement en lui; car le Seigneur fait membre de son corps mystique celui qui le mange, et il se l’incorpore avec le corps qu’il a pris de la Vierge, il n’en fait en quelque sorte qu’un seul corps. "Bien que nous soyons plusieurs qui participons au pain, nous ne faisons qu’un seul corps." On lit encore, I Cor., XIV: "Vous êtes le corps de Jésus-Christ et les membres les uns des autres." Saint Augustin dit: "Jésus-Christ a confié à ce sacrement son Corps et son sang, et nous a fait nous-mêmes son corps; car nous sommes devenus nous-mêmes son corps." Notre chair en effet est unie à sa chair, elle lui est incorporée notre corps ne fait qu’un avec le sien. On lit dans Osée, chap. ult.: "Ils se convertiront, et ils se reposeront sous son ombre, ils vivront de pur froment;" ce qui est comme s’il disait: les fidèles vivront du pur froment, c’est-à-dire du sacrement du corps du Seigneur. Ce sacrement s’appelle l’ombre de Jésus-Christ parce que dans ce sacrement il ne se donne pas dans la Splendeur de sa lumière, mais sous un voile; ceux qui le mangent dans cet état se convertiront, parce qu’ils seront changés au corps de Jésus-Christ. Il est par conséquent démontré que, si un grand nombre de fidèles mangent le corps de Jésus-Christ, ils sont changés en ce corps, et deviennent les membres de ce même corps, et que le corps de Jésus-Christ, loin de diminuer quand on le mange, prend de l’accroissement Secondement, on prouve cette vérité en la comparant à la science humaine; car plus un homme répand les sciences qu’il possède plus aussi cette science s’accroît. On lit dans saint Matthieu, chap. XXV: "Seigneur, vous m’avez donné cinq talents, en voici cinq autres, etc.," La science, dit Boèce, est une noble propriété de l’esprit, qui dédaigne le possesseur avare. Si on ne la publie pas, elle s’en va, si on la répand au contraire elle prend de l’accroissement De même la sagesse divine incarnée, donnée en nourriture, fait des sages, et elle change en quel que sorte en elle ceux qui la reçoivent ce qui fait que loin de diminuer quand on la mange, elle augmente. li est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. I: "Le créateur de toutes choses a créé la sagesse par l’esprit; à savoir qu’il l’a fait s’incarner, et il la donne selon le partage qu’il en a fait à ceux qui l’aiment." Ce qui fait que la sagesse de Dieu croît tout eu faisant croître en sagesse un grand nombre de personnes. On lit, Ephes., chap. IV: "Que nous croissions en toutes choses en Jésus-Christ, qui est notre tête, et c’est de lui qu’est composé tout le corps dont les parties sont jointes ensemble;" à savoir par la foi, et liées par la charité, selon la mesure qui est propre à chaque membre, afin qu’il se forme et s’édifie par la charité.

CHAPITRE XV: Qualités de la préparation requise de nous pour recevoir ce sacrement.

"Venez, mangez..." Argument spécial. "Que l’homme s’éprouve lui-même, etc." I Cor., ch. XI: "Que l’homme s’éprouve;" c’est-à-dire, qu’il se prépare, qu’il s’examine, qu’il se purifie. Autre argument: "Préparez vos coeurs pour le Seigneur," I° Rois., chap. VII.

La quatrième chose qui mérite surtout de fixer notre attention relativement à la réception du sacrement du corps du Seigneur, c’est la qualité de notre préparation.

I. Il est parfaitement juste que nous ne nous approchions pas sans préparation et sans dévotion d’un aliment si digne de respect et de vénération, et qui n’est autre que le Seigneur de tous les hommes en personne; il faut au contraire que nous ne nous approchions de lui qu’après nous y être préparés d’une manière convenable. On lit dans l’Exode, chap. XIX: "Que les prêtres qui s’approchent du Seigneur se sanctifient, de peur qu’il ne les frappe;" il faut que les autres en fassent autant. Notre préparation peut être considérée par rapport à trois choses. Elle peut l’être par rapport à la dignité du corps sacré du Seigneur. Comme ce corps est d’une pureté parfaite, qu’il est uni et qu’il est plein du Dieu vivant, il faut par conséquent que celui qui veut le recevoir s'y prépare par trois choses; à savoir par la plénitude de la foi. On lit épître aux Hébreux, ch. X: "Approchons-nous de lui avec un coeur vraiment sincère, et avec une pleine foi:" avec un coeur sincères c’est-à-dire, avec un intellect libre de toute erreur; avec une foi pleine, c’est-à-dire, ayant une pleine foi en ce que nous ne voyons pas, à savoir que sous l’espèce de pain se trouve Jésus-Christ tout entier, le vrai homme et le Dieu véritable. Le mérite immense de cette foi fait qu’il st dit, Il Petr., ch. I: "Croyant en Jésus-Christ que vous ne voyez pas, vous tressaillerez d’une inénarrable joie."

II. La seconde raison de nous préparer à le recevoir, c’est sa pureté parfaite; il convient en effet que le vase qui va recevoir un corps infiniment pur, soit pur lui aussi. Il est écrit dans l’Exode, chap. XXI: "Prenez un vase, et mettez-y la main." Un vase, comme étant pur d’une manière particulière et parfaite. L’Apôtre dit à cette occasion, Hebr., chap. IX: "Que ce vase est une urne d’or." Il convient en effet que le coeur qui doit recevoir le pain céleste, soit semblable par sa pureté parfaite à l’or le plus épuré. Le pape Alexandre dit: "Il ne peut rien y avoir dans les sacrifices de plus grand que le corps et le sang de Jésus-Christ; nulle oblation ne lui est préférable, il l’emporte sur toutes, il faut pour l’offrir une conscience pure, de même que pour la recevoir, il faut un esprit sans souillures." Hugues dit: "La con science est pure quand le passé n’offre aucune accusation juste qui pèse sur elle, quand présentement elle n’est atteinte d’aucune délectation injuste, et que pour l’avenir sa volonté est juste." On lit dans saint Matthieu, chap. XXVII: "Joseph demanda à Pilate le corps de Jésus, et l’ayant revu, il l’enveloppa d’un suaire sans tache." Le Commentaire ajoute: "Celui-là enveloppe le corps de Jésus d’un suaire sans tache qui le reçoit dans une âme sans souillure." C’est encore pour cette raison que l’Eglise est dans l’usage de célébrer le sacrement de l’autel sur un linge pur, et non sur la soie, ou une étoffe de couleur. Par les trois choses qui rendent blanc le corporal de lin, on entend, les trois choses qui procurent notre propre pureté. Premièrement, on le lave, deuxièmement on le tord, troisièmement, on le fait sécher. Si quelqu’un veut acquérir une pureté parfaite pour recevoir le Seigneur, il doit d’abord se purifier par l’eau des larmes; secondement se tordre par les oeuvres de la pénitence; troisièmement sécher l’humidité des désirs de la chair par la ferveur de l’amour de Dieu. Il est dit de la première de ces choses, Hebr., chap. X: "Approchons-nous de lui avec un coeur purifié des souillures de la mauvaise con science, après que notre corps a été lavé dans l’eau pure;" c’est-à-dire purifiés par les larmes des péchés du coeur et du corps. Il est écrit dans l’Exode, chap. XXX: "Aaron et ses fils laveront leurs mains et leurs pieds;" c’est-à-dire leurs oeuvres et leurs pensées, dans l’eau de la componction et de la confession, quand ils devront approcher de l’autel, de peur qu’ils ne meurent." Jérémie dit, chap. IV: "Jérusalem, lave ton coeur de sa méchanceté pour que tu sois sauvée; jusqu’à quand les pensées mauvaises persévéreront-elles en toi." On lit, Psaume XXXI: "J’arroserai chaque nuit," c’est-à-dire pour chacun de mes péchés, "mon lit," c’est-à-dire ma conscience, etc. Il est dit de la seconde, Exode, chap. XXVI: "Vous ferez les courtines du tabernacle," c’est-à-dire les ornements de l’âme,"de fin lin retors," c’est-à-dire par les oeuvres de la pénitence, les jeûnes, les prières, les châtiments," etc. On lit, I Cor., ch. XII: "Je châtie mon corps, etc."

Dans l’Exode, chap. XXXIII: "Au serviteur malveillant," c’est-à-dire au corps la torture et les chaînes," appliquez-le au travail, pour qu il ne soit pas oisif." Dans le Psaume XXXIII: "Les tribulations des justes sont nombreuses." Il est écrit de la troisième, Psaume XIII: "Il a placé sa tente dans le soleil," et c’est afin de se sécher par l’amour divin, afin de devenir entièrement pur et beau; dans le Cantique des Cantiques, ch. IV: "Vous êtes toute belle ma bien-aimée, etc.," et c’est parce que vous êtes bien lavée, bien tordue et bien séchée. On lit dans le livre des Nombres, chap. IX: "Sanctifiez-vous, demain vous mangerez des viandes."

III. La troisième raison de nous préparer, c’est la dévotion ou le dévouement de la prière. On lit, Psaume CIV: "Ils demandèrent et le Seigneur leur envoya des cailles, et il les rassasia avec le pain du ciel;" dans Job, chap. III: "Je soupire avant de manger." C’est pour cela que Marie-Madeleine et les autres saintes femmes portaient des parfums lorsqu’elles cherchaient le corps du Seigneur, Luc, chap. XXII: "C’est ainsi que nous devons, quand nous sommes sur le point de nous approcher du corps du Seigneur, faire précéder cet acte de la dévotion de la prière, afin que si par hasard nous n’étions pas assez préparés par le jeûne et la confession, l’oblation des parfums spirituels," c’est-à-dire des prières, y suppléât. On lit au second livre des Paralipomènes, chap. XXX: "Une grande partie du peuple qui ne s’était pas non plus sanctifié, ne laissa pas que de manger la Pâque, et le roi Ezéchias pria pour eux, disant: "Le Seigneur est bon, il fera miséricorde à tous ceux qui le cherchent de tout leur coeur, et il ne leur imputera pas leur défaut de sanctification." Saint Augustin dit: "Celui qui est souillé par le péché véniel doit, bien qu’il ait la volonté de ne plus pécher, satisfaire par ses larmes et ses prières, et ensuite il peut s’approcher avec confiance et courage de l’Eucharistie, s’abandonnant sans réserve à la miséricorde du Seigneur."

Le second mode de notre préparation se tire de la considération de l’hostie qui est de pain. Car comme les grains de froment, au moyen de l’ait de l’homme, arrivent par gradation jusqu’à un pain parfait; de même l’âme pécheresse parvient, aidée de la grâce de Dieu, jusqu’à un état de sainteté tel, qu’il lui est permis de recevoir licitement le corps du Seigneur. Les grains desquels est composée l’hostie signifient pour trois raisons l’état du pécheur. Ils sont durs, ils sont recouverts d’une espèce d’écorce ou crasse, ils sont distincts les uns des autres; le pécheur pareillement est dur par son coeur, vu qu’il ne veut pas se convertir de son iniquité au Seigneur qui est la douceur même. Jérémie dit, chap. V: "Ils ont rendu leurs fronts plus durs que le rocher, et ils n’ont pas voulu revenir à vous." Le pécheur est aussi couvert, par la difformité du péché, comme d’une espèce de crasse. On lit dans Jérémie, chap. II: "Que vous êtes de venue méprisable en retombant dans vos premiers égarements!" Le pécheur est encore séparé de son prochain, parce qu’il n’a pas la charité. Il est écrit dans Osée, chap. X: "Leur coeur est divisé, maintenant ils sont morts." Quant à l’état où se trouvent les grains dans l’hostie, voilà comment ils y parviennent.

1° Leur dureté est broyée par la meule, ils sont réduits en parties excessivement minces.

2° Ils sont séparés de leur écorce ou crasse.

3° La farine est pétrie ensemble au moyen de l’eau, elle est cuite au feu, et devient un pain solide

De même le pécheur qui veut être digne de recevoir le corps du Seigneur, doit s’y préparer par les trois choses que signifie ce que nous venons de dire: il doit s’y préparer par la contrition, par la confession orale, et par l’amour du prochain. Il est écrit de la première dans Isaïe, chap. XLVII: "Tournez la meule, et faites moudre la farine." Ce qui équivaut à dire: Faites en vous un moulin spirituel au moyen de deux meules, et cela en considérant la miséricorde de Dieu et sa justice, et ce sera pour amollir la dureté de votre coeur; considérez la miséricorde comme la pierre supérieure qui maintenant opère et tourne, mais qui cessera d’agir après cette vie. On lit, Psaume LXXXV: "Grande a été votre miséricorde pour moi, etc." On peut aussi considérer la justice comme la pierre inférieure, qui maintenant est privée de mouvement et est couchée, mais qui, après cette vie, est élevée, agit et tourne. On lit dans Osée, chap. VIII: "Je vous jugerai d’après vos actions, mon oeil ne vous épargnera pas, je serai sans pitié;" dans saint Matthieu, ch. XXI " Celui sur qui tombera cette pierre, elle l’écrasera;" dans l’Epître aux Romains, ch. XI: "Considérez la bonté de Dieu et sa sévérité;" dans Job, chap. V: "Dieu a amolli mon coeur, et le Tout Puissant a jeté "moi le trouble." Il est de la nature de Dieu d’être miséricordieux; il est tout-puissant, et c’est lui qui doit juger avec justice. Il est écrit, Psaume V: "Un esprit brisé de douleur est un sacrifice digne de Dieu." Il est écrit de la seconde dans Amos, chapitre IX: "Car je m’en vais donner mes ordres, et je ferai que la maison d’Israël sera agitée parmi toutes les nations, comme le blé est remué dans le crible;" dans le crime où le grain est séparé de la balle, ce qu’il y a de pur de ce qu’il y a d’impur; de même, par la confession, l'âme se purifie de la laideur du péché. On lit, Psaume XCV: "La confession et la beauté, etc." On lit au premier livre des Macabées, chap. III: "Judas dit et ses frères dirent avec lui;" c’est-à-dire ceux qui se confessent: "Voici que nos ennemis sont terrassés, mon tons maintenant à Jérusalem purifier ce que nous avons de saint." Il est écrit, Ecclésiaste, chap. II: "Ceux qui craignent le Seigneur prépareront leurs coeurs, et ils sanctifieront leurs âmes en sa présence;" le Commentaire ajoute: "Heureuse l’âme qui, chaque jour, purifie son coeur, pour y faire habiter son Dieu; celui qui le possède ne manque d’aucun bien, puisqu’il possède l’auteur même de tous les biens." Il est écrit de la troisième dans la Genèse, chap. XVIII: "Hâtez-vous, mêlez trois mesures de fleur de farine, et faites des pains cuits sous la cendre;" et cela pour manger avec eux un veau très gras. Celui qui veut manger le veau très gras, c’est-à-dire le corps de Jésus-Christ, doit d’abord préparer avec trois sacs de fleur de farine un pain, et lui donner de la solidité en le faisant cuire au feu; c’est-à-dire qu’il doit être animé d’une charité sincère pour les hommes qui se trouvent dans les conditions qui suivent pour ses supérieurs, ses égaux et ses inférieurs. Il est écrit, I. Cor., chap. X: "Nous ne sommes tous ensemble qu’un seul pain et un seul corps, parce que nous participons tous à un même pain et à un même calice." Saint Augustin dit: "Celui qui reçoit le mystère de l’unité, et qui ne conserve pas le lien de l’unité, ne reçoit pas le mystère pour mais contre soi." Il est dit dans saint Matthieu, chap. XX: "Le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et il en vit un qui n’était pas revêtu de la robe nuptiale;" c’est-à-dire qui n’avait pas la charité "et il dit à ses serviteurs: Liez-lui les pieds et les mains, etc." On lit encore dans le même, ch. V: "Si vous offrez votre présent, etc." Le Commentaire ajoute: "Si vous avez offensé votre frère, réconciliez-vous avec lui; quand il serait votre ennemi, soyez-lui bienveillant pour en faire votre ami, et alors vous offrirez votre présent; par ce moyen vous le rendrez agréable à Dieu." C’est à cause des observations que nous venons de faire qu’il est écrit dans l’Exode, chap. XII: "Vous mangerez les azimes" c’est-à-dire le pain sans levain; "il sera comme un signe dans votre main, et comme monument devant vos yeux," à savoir qu’il signifie ce que nous avons dit, c’est-à-dire la contrition du coeur, la confession de bouche, et l’amour du prochain, qui sont les moyens que nous devons employer pour nous préparer à nous approcher dignement du corps de Jésus-Christ.

CHAPITRE XVI: De notre préparation à un troisième point de vue, ou en tant que l’agneau pascal est la figure du sacrement eucharistique.

"Venez, mangez," ou encore, "que l’homme s’éprouve lui même." Argument spécial. "Sanctifiez-vous, demain vous mangerez les viandes", Nombres, chap. IX. Argument propre. "Voici l’agneau de Dieu," S. Jean, chap. I.

Nous allons dire ici comment doit être con le mode de notre préparation, en tant que l’agneau pascal est la figure du corps de Jésus-Christ; figure de laquelle il est parlé dans l’Exode, ch. XII. Cette figure doit être divisée en trois parties. La première partie, c’est l’agneau qui doit être mangé; la seconde, les mets qui doivent être mangés avec lui; la troisième, le costume de ceux qui doivent le manger.

I. La première nous apprend à nous y préparer par l’intégrité de la foi, la seconde nous apprend à nous préparer par la force de l’esprit, la troisième par la décence de la vie. La première partie de cette figure, c’est l’agneau lui-même qui doit être mangé, suivant la prescription de la loi, et sur ce point il faut considérer trois choses. Premièrement, le temps où il doit être mangé; c’était pendant la nuit, dans un moment où l’on ne voyait pas parfaitement l’agneau lui-même; et ceci signifie que nous devons croire que le corps de Jésus-Christ a dû nous être donné présentement, non pas à découvert à nous, mais bien voilé sous le sacrement. On lit dans Tobie, chapitre XII: "Il est bon de cacher le secret ou sacrement du roi;" dans le troisième livre des Rois, chapitre VIII: "Le Seigneur a dit qu’il habiterait dans une nuée." Secondement, c’est qu’on n’en mangerait aucune partie de crue; ce qui signifie que nous ne devons pas croire que Jésus-Christ est un pur homme. Pareillement, parce qu’on ne le mange pas cuit dans l’eau, cela signifie que nous ne devons pas croire que Jésus-Christ ait été conçu, ni qu’il soit né, comme sont conçus et comme naissent les autres hommes. Comme ils le mangèrent seulement rôti au feu, cela signifie que nous devons croire que l’incarnation et la consécration sont l’oeuvre de la puissance du Saint Esprit. Troisièmement, de ce qu’il est ordonné de le manger entier, la tête avec les pieds et les intestins; ceci signifie que nous sommes obligés de croire que Jésus-Christ est tout entier sous Je sacrement, qu’il y est avec sa divinité, son corps et son âme, et qu’on le reçoit aussi tout entier. La seconde partie de cette figure, ce sont les trois mets qu’ils avaient coutume de manger avec l’agneau, à savoir des laitues sauvages, des pains azimes, et le sang de l’agneau. On lit dans l’Exode, chap. XII: "Vous mangerez les chairs de l’agneau et les pains azimes, avec des laitues sauvages; et ils prendront du sang de l’agneau, et ils en mettront sur les deux jambages et sur Tes linteaux de la porte des maisons." Le premier mets, à savoir les laitues sauvages, sont la figure de la douleur des péchés; le second, à savoir les pains azymes, signifient l’intention pure unie aux bonnes oeuvres; le troisième, à savoir le sang de l’agneau, exprime la mémoire et l’imitation de la passion du Seigneur, par lesquelles l’âme fidèle doit être préparée. Saint Grégoire dit du premier de ces mets, en expliquant les paroles suivantes du livre de l’Exode, chap. XII: "Les laitues sauvages sont très amères, mais il faut manger les chairs de l’agneau avec elles"; parce que lorsque nous recevons le corps de Jésus-Christ, nous devons être pleins du repentir de nos péchés, afin que l’amertume de la pénitence nous purifie de l’amour d’une vie perverse. On lit dans Isaïe, chap. XXXVIII " Je vous rappellerai le souvenir de toutes les années de ma vie, etc." Il est écrit du second, I Cor., chap. V: "Célébrons le festin de la Pâque, non avec le vieux levain, c’est-à-dire dans la corruption de l’orgueil, qui s’élève contre Dieu, ni avec le levain de la malice qui s’élève contre le prochain et de la corruption qui nous atteint nous-mêmes; mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité; c’est-à-dire avec la sincérité qui ne connaît pas le vice, la vérité des bonnes oeuvres, et cela pour que nous nous appliquions à vivre d’une vie nouvelle, complètement exempte de la fraude du vieux levain." On lit dans saint Grégoire: "Il mange des pains sans levain celui qui fait des bonnes oeuvres exemptes de la corruption de l’orgueil que produit le levain de la méchanceté." Pareillement, il mange des pains sans le levain de la malice, celui qui fait les oeuvres de la miséricorde sans y mêler le péché, et qui se garde d’enlever injustement ce qu’il dispense avec l’apparence de la justice. Le prophète Amos dit à cette occasion par forme de blâme, chap. IV: "Offrez avec du levain des sacrifices d’action de grâces." Celui-là offre un sacrifice d’action de grâce avec du levain, qui tient le sacrifice qu’il offre au Seigneur de la rapine et du levain de l’iniquité. On lit dans l’Exode, chap. XII: "Celui qui mangera du pain levé périra du milieu d’Israël." Manger du pain levé, c’est se délecter de la corruption du péché que l’on commet dans son coeur. Il est écrit, Psaume XXIII: "L’injuste a dit pour pécher, etc."

Saint Grégoire s’exprime comme il suit à l’égard du troisième mets, dont il a été parlé plus haut: "On met le sang de l’agneau sur l’un et l’autre jambage, quand ce n’est pas seulement par la bouche du corps que l’on puise ce sang, mais qu’on le puise encore avec la bouche de l’esprit, et que l’on pense de toute la force de son esprit a imiter la passion du Seigneur." Car celui qui reçoit le sang du Seigneur et qu n’est pas disposé à imiter sa passion ne place ce sang que sur l’un des jambages. Il faut aussi placer le sang de l’agneau sur les linteaux des portes, car ce n’est pas seulement dans la mémoire qu’il faut porter la croix de la passion de Jésus-Christ, il est encore nécessaire de la porter ostensiblement. Il est écrit, Gal., chap. ult.: "A Dieu ne plaise que je me glorifie, etc." D’où je porte les stigmates de Jésus-Christ dans mon corps.

La troisième partie de cette figure, c’est le costume, ou les trois insignes de ceux qui mangèrent l’agneau; savoir, la ceinture qui ceignait leurs reins, la chaussure qu’ils avaient aux pieds, et le bâton qu’ils tenaient à la main. Il est dit dans l’Exode, chap. XII: "Vous mangerez ainsi l’agneau, vous ceindrez vos reins, vous mettrez vos chaussures à vos pieds, vous tiendrez ton bâton à la main." La première de ces choses signifie la continence de la chair et de l’esprit; la seconde que nous devons suivre l’exemple de nos pères; la troisième que nous devons corriger nos vices; et c’est ce qui est exigé pour la préparation de ceux qui communient. Le premier moyen de se préparer, c’est d’être continent dans la chair et dans l’esprit, et c’est cette continence que figure la ceinture qui ceint les reins. Saint Grégoire dit: "La délectation de la chair vient des reins;" ce qui fait qu’il est dit, Ps. XXV: "Brûlez mes reins et mon coeur." Par conséquent, que celui qui mange la Pâque ceigne ses reins. Parce que celui qui reçoit le corps du Seigneur dompte la volupté, et met un frein à la luxure; cette préparation de la continence doit être considérée par rapport à trois genres d’hommes, qui sont les hommes mariés, ceux qui se repentent de leur incontinence, et les hommes spirituels. Les premiers doivent garder quelque petite continence avant de communier, les seconds doivent la garder pins longtemps, et les troisièmes doivent la garder continuellement. Il est dit concernant David, à la première de ces choses, I Rois, XXI: "Si les enfants sont purs, surtout du côté des femmes, qu’ils mangent, à savoir le pain sanctifié." David répondit: "S’il est question de nous nous en sommes abstenus depuis hier et avant hier." Le prêtre leur donna donc le pain sanctifié. On lit dans l’Exode, ch. XIX: "Le Seigneur descendit en présence d t le peuple sur le mont Sinaï, et il le fit au milieu des éclairs dans l'épaisseur des nuages: Soyez donc prêts pour le troisième jour et ne vous approchez pas de vos épouses." Si pour la figure on a gardé une telle continence, à combien plus forte raison est-on obligé de la garder pour la vérité du corps de Jésus-Christ. Quant à la seconde, il est écrit au livre du Lévitique, chap. XIII: "L’homme qui aura été lépreux, ou qui aura éprouvé une perte de sang;" c’est-à-dire, celui qui aura péché par l’incontinence de la chair, "ne mangera pas de ce qui aura été sanctifié pour moi jusqu’à ce qu’il soit guéri par la pénitence." C’est pour cette raison que l’on a établi quarante jours de pénitence avant Pâques; afin qu’après les avoir passés dans les jeûnes, la prière, la continence et les autres bonnes oeuvres, les pénitents puissent alors communier avec les autres bons chrétiens. C’est ce qui fait que saint Augustin expliquant les parole suivantes I Cor., chap. XI: "Si nous nous jugions nous-mêmes, etc." s’exprime comme il suit: "L’esprit du pénitent doit prononcer contre lui-même une sentence telle, qu’il se juge indigne de participer au corps, au sang du Seigneur; de manière qu’en vertu de la discipline ecclésiastique il soit séparé pour un temps du sacrement du pain céleste. Celui-là le reçoit en effet indignement, qui le reçoit lorsqu’il devrait faire pénitence; c’est-à-dire, quand il commence. Il faut donc d’abord se juger soi-même, afin qu’après s’être jugé, on ne le soit pas par le Seigneur." Quant à la troisième, à savoir la continence perpétuelle et éternelle, c’est-à-dire, la chasteté complète et perpétuelle qu’il faut garder, on lit dans le Lévitique, chap. XXI: "Le prêtres seront saints pour le Seigneur, et ils ne souilleront pas son nom; car ils offrent l’encens au Seigneur et les pains leur Dieu, c’est pourquoi ils seront saints." Bède dit: "Si les prêtres de l’Ancien Testament qui devaient entrer dans le temple pour y offrir des victimes suivant l’ordre de leur fonction, étaient tenus de s’abstenir de leurs épouses, "combien plus forte raison, nos prêtres qui doivent toujours être prêts à consacrer le corps sacré du Seigneur, sont-ils tenus de garder une continence perpétuelle et absolue?"

II. Le deuxième moyen de se préparer, c’est d’imiter l’exemple des pères, figuré par la chaussure de leurs pieds. Saint Grégoire dit: "Avoir sa chaussure à ses pieds, c’est contempler la vie des pères qui ne sont plus, et préserver nos pas des blessures du péché." On lit au livre des Cantiques, chap. VII: "Que vos démarches sont belles, ô fille du Prince!" à cause de l’agrément de votre chaussure; les démarches expriment les progrès faits; à cause de la chaussure, c’est-à-dire à cause de l’observation attentive de la vie des pères.

III. Le troisième moyen de se préparer, consiste dans sa propre correction, figurée par le bâton que les pères tenaient à leurs mains. Le bâton signifie la rectitude de justice avec laquelle nous devons juger nous-mêmes nos excès avant de communier. On lit, Ps. XLIV: "Le sceptre de votre règne sera un sceptre de rectitude et d’équité." Ps. II: "Embrassez étroitement la discipline, etc." I Cor., chap. XI: "Celui qui mange et boit indignement, etc. Que si nous nous jugions nous-mêmes, etc." Saint Augustin s’exprime sur ce point comme il suit: "Montez ici sur le tribunal de votre esprit contre vous-même, et ayant établi un jugement dans votre coeur, que votre pensée soit l’accusateur, votre conscience le témoin, et la crainte du Seigneur le bourreau, ce qui fait que le sang de l’âme de celui qui s’avoue coupable coule pour ainsi dire par les larmes, et ainsi la vengeance divine est arrêtée dans sou cours, lorsque l’aveu et le châtiment surpassent ce qu’il y a d’humain, et par ce moyen l’homme se rend digne de recevoir présentement le corps de Jésus-Christ dans le Sacrement et de jouir de lui d’une manière parfaite dans la vie future." Il est écrit de la première de ces choses au Deutéronome, chap. VIII: "Le Seigneur vous a affligé par la détresse, et il vous a donné la manne pour nourriture; ce que vous ignoriez." Il vous a affligé, c’est-à-dire, il a fait que vous vous affligeassiez et que vous vous corrigeassiez; par la dé tresse, c’est-à-dire par le châtiment de votre volonté et par la privation de ce qui vous délectait, et alors il vous "donné le pain céleste de son corps. Il est dit de la seconde, Héb., chap. XII: "Or tout châtiment, lorsqu’on le reçoit, semble être un sujet de tristesse et non de joie;" mais ensuite il fait recueillir en paix les fruits de la justice à ceux qui auront été ainsi exercés.

La manducation spirituelle peut pareillement être un moyen de se préparer à recevoir le corps du Seigneur, en tant que ceux qui sont parfaits le mangent par le moyen de la méditation. Nous traiterons de ce moyen dans le dix-neuvième discours, et avant et au milieu de ce même discours.

CHAPITRE XVII: De la triple manière de manger le corps du Seigneur et d’abord de la manière de le manger dans le Sacrement.

"Venez, mangez, etc." Argument propre: "Quiconque aura mangé ce pain, et bu ce sang du Seigneur indignement, sera coupable du sang et du corps du Seigneur." I Cor., chap. XI.

La cinquième observation principale que nous devons faire relativement au sacrement du corps du Seigneur, c’est la manière de le manger, et il y en a trois; la première, c’est de le manger seulement d’une manière sacramentelle; la seconde, c’est de le manger spirituellement; la troisième, c’est de le manger à la fois et spirituellement et sacramentellement. Pour comprendre ceci, il importe de savoir qu’il y a deux choses dans l’aliment de l’autel, ce sont le sacrement et la puissance du sacrement. Le sacrement, comme le dit saint Augustin, consiste en deux choses, qui sont l’espèce visible du pain et du vin, et la chair et le sang invisible de Jésus-Christ. Quant à la du sacrement, elle consiste, dans la guérison de la damnation qui est la mort éternelle. Tous ceux qui devaient être sauvés, dès le commencement du monde crurent à cette puissance du sacrement et ils la goûtèrent spirituellement; tous les bons chrétiens la goûtent aussi chaque jour. Les méchants le reçoivent de cette seconde manière tout aussi bien que les bons, cependant il y a cette différence, c’est que les méchants ne mangent que le sacrement seulement; c’est-à-dire qu’ils mangent le corps du Seigneur sous l’espèce visible du pain, mais ils ne reçoivent pas par cette manducation la puissance spirituelle du sacrement, c’est-à-dire le salut pour la vie éternelle: quant aux bons eux, ils reçoivent l’un et l’autre à la fois, à savoir le sacrement et la puissance du sacrement.

I. Ce qui précède prouve évidemment qu’il y a trois manières de manger le corps du Seigneur.

1° La première, c’est de le manger sacramentellement seulement;

2° la seconde, c’est de le manger seulement d’une manière spirituelle;

3° la troisième, c’est de le manger à la fois spirituellement et sacramentellement.

Les mauvais chrétiens le mangent de la première manière; tous ceux qui doivent être sauvés le mangent de la seconde; les bons chrétiens seuls le mangent de la troisième. Les premiers mangent et ne mangent pas: les seconds ne mangent pas et cependant ils mangent; les troisièmes mangent et sont mangés. La première manière de manger le corps du Seigneur, c’est de le manger d’une manière sacramentelle seulement, et c’est ainsi que le mangent les mauvais chrétiens, parce que recevant dans une bouche souillée par le péché mortel le corps adorable du Seigneur, ils ferment par leurs péchés cruels et abominables, comme avec du mortier et des pierres, leurs coeurs aux effets de l’influence de la puissance de sa bonté. On lit dans Ezéchiel, chap. XIV: " Ils placèrent dans leurs coeurs leurs impuretés, et l’idole," c’est-à-dire qu’ils placèrent le scandale de leur iniquité devant leur visage. Ceux-ci mangent et r as ils mangent parce qu’ils reçoivent sacramentellement le corps du Seigneur; toutefois ils ne mangent pas, parce qu’ils ne perçoivent pas la puissance spirituelle, c’est-à-dire le salut de l’âme. On lit dans l’Ecclésiaste, chap. VI: "Il y a un autre mal que j’ai vu sous le soleil, et qui est ordinaire parmi les hommes." L'homme à qui Dieu a donné des richesses, du bien, de l’honneur, et il ne lui a pas donné le pouvoir d’en manger: dans l’épître aux Hébreux, chap. ult: "Nous avons un autel, dont les ministres du tabernacle n’ont pas le pouvoir de manger;" c’est-à-dire ceux qui s’abandonnent aux péchés de la chair. Dans la première épître aux Corinthiens, chap. X: "Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, et boire le calice des démons, etc." Saint Grégoire dit: "La vraie chair et le vrai sang de Jésus-Christ sont présents dans les pécheurs qui les reçoivent indignement d’une présence essentielle, mais ils ne le sont pas par une efficacité salutaire." Saint Augustin dit: "Celui qui ne s’accorde pas avec Jésus-Christ ne mange pas sa chair, ni ne boit son sang; et s’il prend chaque jour ce grand sacrement, c’est pour son jugement." Celui-là s’éloigne de Jésus-Christ qui détourne de lui les affections de son coeur, et l’abandonne au péché; on peut dire avec vérité d’un tel homme qu’il est un misérable, puisqu’il ne reçoit ou ne perçoit aucun avantage, tout en participant fréquemment à un si grand bien.

II. Il y a trois genres d’hommes qui mangent de cette manière, c’est-à-dire sacramentellement le corps du Seigneur;

1° les premiers, ce sont ceux qui sont animés d’une mauvaise volonté;

2° les seconds, ce sont les fourbes;

3° les troisièmes, ce sont les présomptueux. Les premiers sont ceux qui reçoivent le corps du Seigneur avec la volonté de pécher. Les seconds sont les hypocrites qui extérieurement paraissent bons, et qui intérieurement sont mauvais, et qui s’approchent de l’autel comme s'ils étaient justes. Les troisièmes, sont ceux qui sont tout-à-fait mauvais, et qui pourtant ont la présomption de communier; nous parlerons ici des deux premiers genres et nous traiterons du troisième dans le chapitre suivant.

1° Du premier genre des méchants qui communient, à savoir de ceux qui sont animés d’une mauvaise intention, on lit dans Isaïe, chap. XXIX: "Ce peuple s’approche de moi de bouche; mais que son coeur est éloigné de moi;" il s’approche de moi de bouche, en me recevant dans le sacrement, mais son coeur est éloigné de moi à cause de la volonté qu’il a de pécher. Trois espèces de maux accompagnent de tels hommes: ce sont l’aggravation de leur péché, la perte de la grâce de Jésus-Christ, et la condamnation au supplice éternel. On lit du premier de ces maux, Matth., ch. XV: "Il n’est pas bon de prendre le pain, etc., aux chiens," c’est-à-dire, à ceux qui sont animés d’une mauvaise volonté. Saint Augustin dit: "Je dis que la perception de l’Eucharistie aggrave plutôt la faute de ceux qui ont la volonté de pécher qu’elle ne la purifie." On lit du second, Sagesse, ch. I: "Les pensées mauvaises séparent de Dieu, etc." Il est écrit du troisième, I Cor., chap. XI: "Quiconque mangera ce pain, etc." Saint Ambroise dit: "Il est indigne celui qui s’approche de l’Eucharistie sans un esprit dévoué, ou qui persévère dans la volonté de pécher; il est coupable du corps et du sang du Seigneur," c’est-à-dire qu’il sera puni comme s’il avait mis Jésus-Christ à mort.

2° Quant au second genre des méchants qui communient, à savoir les fourbes ou les hypocrites, il est écrit Il Tim., chap. III: "Dans les derniers jours il viendra des temps dangereux, car il y aura des hommes amoureux d’eux-mêmes, qui auront l’apparence de la piété, mais qui en ruineront l’esprit et la vérité;" ayant l’apparence de la piété, c’est-à-dire, ajoute le Commentaire: "L’apparence de la religion; parce qu’ils ont les mêmes sacrements que les hommes pieux," la vertu de la piété c’est-à-dire qu’ils renonceront à la charité, commettant secrètement une foule de crimes, et excusant à l’aide de la fourberie, ceux qui se présentent à la vue. Les trois maux suivants accompagneront pareillement de tels hommes; ils deviendront les compagnons du traître Juda, ils seront couverts de confusion à la face du monde entier, ils cesseront de faire partie de la société des bons. On lit du premier de ces maux, saint Jean, chap. XIII: "Celui qui mange du pain avec moi lèvera le pied contre moi;" c’est de Juda et de ses pairs dont, il est ici parlé, à savoir des faux amis du Seigneur. Le Commentaire ajoute à cette occasion: "Celui qui mange le pain avec moi, et qui n’a pas la volonté d’avancer, mais bien de se cacher, celui-là me foulera aux pieds, c’est-à-dire me livrera." Celui par conséquent qui se cache dans son péché sous l’apparence complète de la religion, à l’aide de la communion, devient semblable et se constitue le compagnon du traître Juda. Il est écrit du second, Ecclésiast., ch. I: "Ne soyez pas rebelle aux impressions de la crainte de Dieu, et ne vous approchez pas de lui avec un coeur double; ne soyez pas hypocrite devant les hommes, de peur que par hasard Dieu découvre ce qui était caché en vous et qu’il vous brise au milieu de l’assemblée; parce que vous vous êtes approché du Seigneur avec une disposition mauvaise, et que votre coeur est plein de déguisement et de tromperie." On lit dans Nahum, chap. III: "Je viens à vous qui êtes belle, dit le Seigneur," c’est-à-dire, à vous, âme belle extérieurement et pleine d’éclat aux yeux des hommes, mais intérieurement impure "Je vous dépouillerai de tous vos vêtements qui couvrent ce qui doit être caché, et j’exposerai votre nudité aux nations et votre ignominie à tous les royaumes; et je ferai retomber sur vous vos abominations, je vous couvrirai d’infamie."

3° Il est dit du troisième dans saint Matthieu, chap. XXIII: "Malheur à vous hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis, qui extérieurement paraissent beaux aux hommes, mais intérieurement sont pleins des os des morts, et de toute espèce de saleté;" c’est-à-dire de pourriture, de vers et d’immondices; vous pareillement, vous paraissez justes extérieurement et aux yeux des hommes, mais intérieurement tout en vous est hypocrisie et iniquité. "Vous êtes plein d’hypocrisie," c’est-à-dire de L’amour des vaines louanges; "d’iniquité;" c’est-à-dire que vous ne soupirez qu’après les biens temporels et que voue détestez la vérité, et c’est pourquoi, il est dit d’abord: "Malheur à vous!" Ce qui exprime le bannissement malheureux de la société des bons. On lit dans le Lévitique, chap. VII: "L’homme qui étant souillé;" et le Commentaire interlinéaire ajoute "par l’hypocrisie," "de la chair des hosties pacifiques," c’est-à-dire du corps du Seigneur, qui auront été offertes au Seigneur, "périra du milieu de son peuple," c’est-à-dire sera rejeté du nombre de ceux qui doivent être sauvés, pour être condamné à la mort éternelle.

III. Mais voici que la clémence divine donne contre ces maux immenses un remède facile, parce que la conclusion spirituelle, c’est que le bien se fait du mal. On lit Psaume XXXIII: "Eloignez-vous du mal et faites le bien, etc." L’habitude de faire bien fait que l’homme devient bon. Et lorsque l’homme est bon, il est accompagné des trois biens suivants, qui sont la rémission plénière du châtiment mérité, le recouvrement de la grâce divine, l’obtention de la gloire éternelle.

1° Il est dit du premier de ces biens, troisième livre des Rois, ch. I: "Si l’homme est bon, il ne tombera pas même un de ses cheveux sur la terre;" c’est-à-dire qu’il sera exempt de tout péché. On lit dans Ezéchiel, chap. XXXIII: "Si je dis à l’impie: tu mourras de mort, et qu’il vienne à faire pénitence de son péché, il vivra et il ne mourra pas."

2° Il est écrit du second, Psaume CXXIV: "Faites du bien Seigneur, à ceux qui sont bons et dont le coeur est droit;" au livre des Proverbes, chap. XII "Celui qui est bon puisera la grâce dans le Seigneur."

3° Il est dit du troisième dans saint Matthieu, chap. XIV: "Courage, bon serviteur, etc. "Courage," c'est-à-dire réjouissez-vous bien, "serviteur fidèle," "parce que en peu de choses," c’est-à-dire dans les biens qui vous ont été confiés, vous avez fait prospérer ce que vous possédez, "je vous établirai à la tète de biens plus importants," c’est-à-dire vous donnerai les biens de la joie éternelle. "Entrez dans la joie," et cela pour que vous jouissiez en tout point du bonheur. On lit dans Isaïe, chap. LI: "Qu’ils viennent à Sion chantant ses louanges, et ils seront comblés et couronnés d’une allégresse éternelle;" parce que la contemplation du Seigneur leur roi sera pour eux la source d’une éternelle joie. Il est écrit dans Jérémie, chap. XXXI: "Ils viendront et ils loueront Dieu la montagne de Sion, et ils accourront en foule pour jouir des biens du Seigneur." La bienheureuse Vierge Marie se réjouira alors, elle qui préside au choeur céleste, les jeunes gens, c’est-à-dire tous les saints, les vieillards, c’est-à-dire les anges se réjouiront aussi, ceux-ci loueront bien, et ils se réjouiront de tous ces biens, c’est-à-dire que leur joie n’aura pas de fin.

CHAPITRE XVIII: Du troisième genre de ceux qui communient indignement, à savoir des présomptueux.

" Venez, mangez, etc.," et encore: "quiconque mangera ce pain, etc."

Nous allons parler ici du troisième genre de ceux qui communient indignement, à savoir des présomptueux, qui, bien que coupables de crimes énormes et publics ne craignent pas de communier ou de célébrer. C’est d’eux dont parte l’Apôtre lorsqu’il dit, I. Cor. chap. XI: "Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement," c’est-à-dire que c’est là pour lui un mal énorme. Il importe à cette occasion de savoir que le corps du Seigneur produit un double effet, c’est un effet de bonté pour ceux qui sont bons, et un effet de sévérité pour les méchants, et pourtant il est toujours bon et immuable en soi; mais, par un juste jugement, l'effet qu’il produit n’est pas le même pour ceux qui le reçoivent dans des dispositions mauvaises. Saint Augustin dit: "Les choses saintes peuvent être nuisibles aux méchants, parce que celui qui mange indignement le corps du Seigneur, mange son propre jugement;" non pas que ce qu’il reçoit soit mauvais, mais bien parce que méchant, il reçoit dans de mauvaises dispositions ce qui est bon. Le soleil et le vin nous en fournissent un exemple. Car, comme la même lumière du soleil reçue par un oeil qui n’est sujet à aucune infirmité produit sur lui une impression agréable et lui donne une force nouvelle, de même cette lumière jette le trouble dans l’oeil malade. Le vin que boit un homme qui est en bonne sauté l’égaie et lui donne de la force, pendant que s’il a la fièvre, ce même vin accroît son mal, et quelquefois même lui procure la mort. C’est pour cela que ceux qui communient indignement sont affligés des trois maux suivants, qui sont une grande faute, l’offense de Dieu, des châtiments infinis.

I. Le premier des maux de ceux qui communient indignement, c’est une faute énorme. On lit dans Jérémie, chap. XI: "La chair sainte des victimes où vous avez mis votre gloire vous purifiera-t-elle de votre malice?" Saint Isidore s’exprime à cette occasion comme il suit: "Ceux qui vivent criminellement dans l'Eglise de Dieu, et qui malgré cela continuent de communier, pensant que ces communions les purifieront, doivent savoir qu’elles ne serviront nullement à les réformer," puisque le même prophète ajoute: "D’où vient que mon bien-aimé a commis plusieurs crimes dans ma maison? La chair sainte des victimes vous purifiera-t-elle de votre malice?" Ce qui est absolument comme s’il disait: loin de purifier de vos iniquités, elle les augmente. Il y a de ceci trois raisons;

1° ce sont l’intention mauvaise. Toute action volontaire procède d’un principe ou d’une source triple, elle vient ou de la nature, ou d’une vertu véritable, ou d’une passion mauvaise. L’action qui procède de la nature ou d’une vertu véritable est bonne, mais celle qui procède d’une passion mauvaise, est mauvaise. Mais l’action de celui qui est sciemment en état de péché mortel, et qui communie, ne peut pas de la nature; la vertu ne peut non plus en aucune manière conseiller à quelqu’un placer dans un lieu ou dans un vase impur une chose et si sainte et si digne de vénération, ce qui fait que l’action du pécheur qui reçoit le corps du Seigneur par la communion et qui le place dans une bouche et dans un corps souillés procède d’une passion mauvaise, c’est-à-dire d’une intention perverse, tel qu’un avantage temporel, l’amour effréné de la louange, ou bien l’intention de tromper quelqu’un.

2° La seconde raison de leur culpabilité, c’est qu’ils transgressent le précepte divin. Car comme le Seigneur permit dans l’état d’innocence de manger le fruit de l’arbre de vie, et qu’il défendit d’y toucher dans l’état de péché; de même il nous permet, lorsque nous sommes en état de grâce, de manger le corps de Jésus-Christ, et il nous le défend lorsque nous sommes en état de péché. On lit dans saint Matthieu, chap. VI: "Ne donnez pas aux chiens," c’est-à-dire aux pécheurs impurs, "les choses saintes." il est écrit dans le Lévitique chap: "L’homme qui aura quelque défaut," c’est-à-dire quelque péché, "ne présentera pas les pains à son Dieu, et il ne s’approchera pas du ministère de son autel."

3° La troisième raison de leur culpabilité; c’est leur profonde ingratitude: Peut-il en effet avoir une ingratitude plus grande que celle de l’homme qui ayant un souverain duquel il aurait reçu tout ce qu’il a de bien, et que ce même souverain aurait délivré par sa mort, de la potence à laquelle il était attaché, le précipiterait par sa trahison dans l’étable la plus immonde de son ennemi, et là le foulerait aux pieds et le mettrait de nouveau à mort. Ils se rendent coupables de cette ingratitude sans borne ceux qui reçoivent le corps du Seigneur en état de péché mortel. On lit, Psaume XXXIV: "Ils me rendaient le mal pour le bien, et la haine pour l’amour." On lit encore, Psaume LV: "Mes ennemis m’ont foulé aux pieds, etc." L’Apôtre dit, Hébreux, chap. X: "Combien donc pensez-vous que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et qui aura tenu pour une chose profane le sang de l’alliance par le quel il avait été sanctifié?" à savoir par la mort de Jésus-Christ. Saint Ambroise dit: "Celui-là foule Jésus-Christ aux pieds qui pèche volontairement et sans crainte, qui ne s’en repent pas, et qui néanmoins participe indignement à son corps." Pareillement, il agit absolument comme s’il le mettait à mort, celui qui reçoit Jésus indignement. Saint Augustin s’écrie: "qu’il y a de témérité, qu’il est abominable, de toucher avec des mains couvertes de sang le Fils de la Vierge sans tache? Qui pourrait entendre parler d’un semblable crime? Quel est le regard qui ne serait pas confondu à la vue d’un tel spectacle? Quel est celui dont l’esprit ne serait pas enflammé de colère, en voyant le prix du monde entier précipité dans un fumier? Le crime est aussi grand de recevoir le Fils de Dieu dans une bouche souillée par le péché que de le précipiter dans la boue."

II. Le second mal de ceux qui communient en état de péché, c’est l’offense énorme dont ils se rendent coupables envers Dieu. On lit dans Zacharie, chap. I: "J’ai conçu une grande colère contre les nations puissantes qui l’ont affligé avec excès lorsque j’étais seulement un peu en colère contre elles." C’est absolument comme si le Seigneur disait: "Les péchés que les hommes commettent contre le prochain m’irritent peu contre eux, mais ce qui m’irrite surtout ce soi les péchés dont ils se rendent coupables envers Dieu." On lit au premier livre des Rois, chap. II: "Si un homme pèche contre un homme, on peut lui rendre Dieu favorable; mais si un homme pèche contre le Seigneur, qui priera pour lui?" Le Commentaire ajoute: "La grandeur de l’offense est proportionnée à la gloire de celui qui est offensé." Il est écrit dans Malachie, chap. I: "Je m’adresse à vous, ô Prêtres qui méprisez mon nom, et qui offrez sur mon autel un pain impur." Le Commentaire ajoute: "Ces paroles du Seigneur sont un blâme pour les évêques, et pour les ministres de l'Eglise qui négligent leurs devoirs; de même que pour tous ceux que l’on considère comme agissant au nom de Jésus-Christ, il leur dit pourquoi ils méprisent son nom, et il leur fait connaître la cause de la faute qu’ils commettent envers lui, ce qui fait qu’ils lui offrent un pain impur." Il souille le pain, c’est-à-dire le corps de Jésus-Christ, celui qui s’approche indignement de la table et de l’autel du Seigneur; si ce n’est pas par une voix criminelle qu’il le méprise, il le fait par une action mauvaise, et lorsqu’on viole les sacrements, on profane aussi celui qui les a institués.

III. Le troisième mal de ceux qui communient en état de péché, ce sont les châtiments nombreux qu’ils attirent sur eux; la vengeance de Dieu pour être terrible ne laisse pas que d’être juste. Comme il y avait anciennement, pour le peuple d’Israël, un grand crime et une source des malédictions les plus terribles à abandonner Dieu par l’idolâtrie, et qu’il en fut de même dans la suite pour les Juifs impies qui ne reçurent pas Jésus-Christ; il y a pareillement de nos jours un péché énorme et une cause de châtiment sans nombre pour les chrétiens à recevoir indignement le corps du Sauveur. Saint Grégoire dit: "Le Créateur de toutes choses a daigné, par le mystère de l’Incarnation, visiter la Judée; mais parce qu’elle n’a pas connu le temps de sa visite, elle est a plusieurs reprises devenue la proie des païens, et enfin elle a été livrée aux Romains, et toutes les malédictions écrites dans le livre de la loi sont descendues sur elle " la condamnation de ceux qui reçoivent sans reconnaissance la grâce du Seigneur n’est pas moins certaine que celle des Juifs. Quelqu’un venait-il à violer la loi de Moise, on le mettait à mort sans miséricorde; combien plus grands sont les supplices que mérite celui qui foule aux pieds le Fils de Dieu, et qui aura souillé le sang de l’alliance? On peut appeler ces supplices, des châtiments de trois espèces. Le premier de ces châtiments, c’est la perte immense des biens spirituels; le second, c’est la stérilité de la terre ou le manque complet des biens temporels; le troisième, c’est la peste pour les corps, ou le carnage des hommes.

1° Le Prophète dit du premier de ces châtiments, Lam., chap. I: "Les ennemis ont porté la main a tout ce qu’elle avait de plus désirable, elle a vu entrer dans son sanctuaire des nations, au sujet desquelles vous aviez ordonné qu’elles n’entreraient jamais dans votre assemblée." L’antique ennemi, ajoute le Commentaire, porte la main sur les biens désirables de l’Eglise, il arrache à ses membres leur ornement spirituel, il pro fane la foi, il détruit les effets du baptême, c’est-à-dire qu’il anéantit la grâce conférée par le Baptême, il corrompt la doctrine, il traite in dignement le corps et le sang de Jésus-Christ et les vases précieux; c’est-à-dire que comme le loup il ravage le troupeau de Jésus-Christ; et devient la cause de ces maux affreux, parce que les gentils, c’est-à-dire les hommes charnels, et ceux qui ne portent pas la circoncision de Jésus-Christ, deviennent les ministres de l’autel.

2° Quant au second châtiment, il est écrit, Deutéronome, chapitre XXVIII: "Si vous ne voulez pas écouter la voix du Seigneur votre Dieu, pour pratiquer toutes ses ordonnances, toutes ses malédictions fondront sur vous. Le fruit de votre terre sera maudit, aussi bien que vos troupeaux de boeufs et vos troupeaux de brebis. Le Seigneur enverra parmi vous la famine et l’indigence, il répandra sa malédiction sur toutes vos oeuvres." Ces châtiments vous sont réservés, si vous ne voulez pas obéir aux ordonnances de Dieu; et cela, surtout si vous ne traitez pas convenablement le corps de Jésus-Christ, conformément à ce qui est écrit au livre du Lévitique, chap. XXI: "Que l’homme qui est souillé par le péché n’offre pas à Dieu le pain, qu’il ne s’approche pas pour le ministère de l’autel. On lit dans la Genèse, chap. III: "Parce que vous avez mangé du fruit auquel je vous avais défendu de toucher, la terre sera maudite pour vous, et elle ne vous produira que des chardons et des épines."

3° Quant au troisième châtiment, l’Apôtre dit dans sa première Epître aux Corinthiens, chap. XI: "Que l’homme s’éprouve lui-même, etc. Celui qui mange indignement mange son propre jugement, etc.," c’est-à-dire qu’il se condamne à la mort, et le crime d’un seul fait que souvent plusieurs autres sont frappés, d’où l’Apôtre ajoute: "C’est pour cette raison qu’il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort, soit qu’ils aient été frappés de Dieu, ou qu’ils le doivent à l’adversité des combats." Il est écrit au livre des Nombres, chap. XI: "La chair de ces oiseaux était encore entre leurs dents, et ils n’avaient pas fini de manger que la fureur du Seigneur s’enflamma contre le peuple, et le frappa d’une très grande plaie." Mais voici contre ces châtiments et tous les maux dont nous venons de parler, un triple remède. Le premier, c’est l’amendement de la vie par la pénitence volontaire; le second, c’est la correction de la méchanceté par la soumission aux supérieurs; le troisième, c’est le changement d’une personne incorrigible par la rigueur de la justice. Le Prophète Joël dit du premier de ces remèdes, chap. I: "Le pays a été ravagé, la terre a versé des larmes;" c’est-à-dire les habitants de la terre, "parce que les moissons des champs ont été détruites," c’est-à-dire les biens spirituels et les biens temporels. "Prêtres, ceignez vos habits, et pleurez, jetez de grands cris, ministres de l’autel; allez au temple et couchez-vous sur le sac." Prêtres, ceignez-vous, et vous ministres de l’autel, ceignez vous du lien de la pénitence, pleurez dans la sincérité de votre coeur, poussez de grands cris en confessant Nos fautes, priez aussi à voix, entrez par la pénitence dans l’Eglise d’où vous êtes sortie par le péché, couchez-vous sur le sac, c’est-à-dire compensez par une vie austère les délices qui vous ont fait offenser Dieu, afin de pouvoir par ce moyen apaiser sa colère Le prophète Malachie, chap. I. Il dit du second de ces remèdes: "Voici que le Seigneur viendra comme un feu qui purifie," à savoir par les prélats équitables;" et il fiera les enfants de Lévi," c’est-à-dire les ministres de l’autel et ils offriront au Seigneur des sacrifices;" et par conséquent percé de semblables plaies, sa colère se calmera. Le Prophète Ezéchiel dit du troisième de ces remèdes, chap. XXI: "Je vous jugerai, dit le Seigneur, je vous soumettrai à mon sceptre, et je choisirai d’entre vous les transgresseurs de la loi et les impies, et ce sera pour rejeter ceux qui persévèrent dans le mal;" c’est-à-dire les incorrigibles. Le commentaire ajoute: "Afin de mettre les justes à leur place." Il est dans Isaïe, chap. I: "J’étendrai ma main sur vous, je vous purifierai de toute votre écume par le feu, j’ôterai tout l’étain qui est en et je rétablirai vos juges comme ils furent d’abord; et vos coi ers comme ils étaient autrefois," à savoir au temps de Moïse, des Macabées et des Apôtres; "et après cela vous serez appelé la cité du juste et la ville fidèle." On lit au premier livre des Macabées, chap. IV: "Judas délibéra sur ce qu’il ferait de l’autel des holocaustes qui avait été profané; et ils prirent un bon conseil qui fut de le détruire, de peur qu’il rie leur devînt un sujet d’opprobre ayant été souillé par les nations, ainsi ils le démolirent, et ils en mirent les pierres sur la montagne du temple, dans un lieu propre pour cela, en attendant qu’il vînt un prophète qui déclarât ce qu’on en ferait; et ils prirent des pierres entières selon la loi, et ils en bâtirent un autel nouveau, semblable au premier."

CHAPITRE XIX: Du second mode de communier ou de la communion spirituelle seulement.

"Venez, mangez, etc. Argument propre. "Nos pères mangèrent tous la même nourriture spirituelle, "I Cor., chap. X: C’est-à-dire que tous les saints de l’ancienne loi crurent à l'existence d’une nourriture invisible cachée sous la manne; ils comprirent que Jésus-Christ y était contenu spirituellement, ils le crurent, ils goûtèrent toutes ses douceurs et ce fut ce qui les délivra de la mort éternelle.

Le second mode de manger le corps de Jésus-Christ, c’est de le recevoir spirituellement seulement: c’est de cette manière que le mangèrent tous ceux qui furent sauvés depuis le commencement du monde, et que le mangent aussi ceux qui doivent être sauvés. "Ne mangeant pas il mange, et mangeant il ne mange pas, dit Saint Ambroise, et cela a lieu parce que ne mangeant pas sacramentellement, il mange spirituellement, et vice versa." On lit dans l’Ecclésiaste, chap. VI: "Il y a un homme auquel Dieu a donné du bien, de l’honneur, et il ne lui a pas accordé de pouvoir en manger, mais un étranger dévorera tout; et il le fera par le grand désir de manger spirituellement dont il sera animé."

Trois observations sont à faire relativement à la maison spirituelle; ce sont la différence des personnes qui communient de la sorte; la raison de communier spirituellement, et les effets que produit cette communion:

I. La première chose a examiner sur ce point, c’est la différence des personnes qui communient de la sorte; elles sont de trois espèces: Ce sont les personnes qui commencent, celles qui avancent dans la voie spirituelle, et celles qui sont par faites. On lit dans saint Mathieu, chap. XV: "Le nombre des hommes qui mangèrent fut de quatre mille, sans y comprendre les femmes et les enfants." Les enfants désignent les commençants; les femmes, ceux qui avancent; les hommes, ceux qui sont parfaits.

II. La seconde chose à examiner, c’est la raison pour laquelle on dit des personnes dont il a été parlé qu’elles communient spirituellement. C’est pour cela que nous devons savoir que les premiers, c’est-à-dire ceux qui commencent, communient spirituellement par la foi source du salut; les secondes communient de la sorte par leurs entretiens pieux, et les troisièmes par leurs méditations dévotes. Le prophète Habacuc dit des premiers, chap. II, et l’Apôtre, Héb., chap. X: "Le juste vit de la foi, comme d’une nourriture spirituelle." "Croyez, dit saint Augustin, et vous avez mangé." Croire en Jésus-Christ, c’est en effet aller à lui par la foi, s’attacher à lui de coeur, c’est trouver en lui le bonheur, et s’incorporer à ses membres par une charité véritable. Les seconds, c’est-à-dire ceux qui avancent, communient de la sorte en raison de leurs conversations pieuses. Il est écrit dans saint Jean, chap. IV: "J’ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas, c’est ma nourriture, etc." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXIV: "Celui qui craint Dieu, fera de bonnes oeuvres, et Dieu lui donnera le pain de vie." Cet aliment de la conversation est le résultat de trois vertus, comme de trois mets; ce sont l’innocence, la pénitence et la miséricorde. Il est écrit du premier de ces mets, Ps. CI: "J’ai été frappé comme l’herbe, et mon coeur s’est desséché, parce que j’ai oublié de manger mon pain;" savoir l’innocence, pendant que je me délectais dans la malice comme si c’eut été nu aliment délicieux. Manger spirituellement le pain de l’a c’est, dit saint Augustin, "porter l’innocence au pied de l’autel, et pardonner les péchés de ceux qui ont offensé." Le Psalmiste dit du second de ces mets, Psaume CXXVI: "Levez-vous après vous être assis, vous qui mangez le pain de la douleur," c’est-à-dire le pain de la pénitence pour vos péchés. On lit dans Tobie, chap. I: "J’ai mangé mon pain dans le deuil et dans la crainte, "Rappelant ici les paroles d’Amos: "Vos jours de fêtes, c’est-à-dire les jours que vous passiez dans la joie et le péché, se changeront en jours de deuil et de larmes." Il est écrit, Psaume CI: "Je mangeais la cendre comme mon pain," c’est à:dire comme le pain de la pénitence, Il est écrit du troisième de ces mots, Prov., chap. XI: "L’homme charitable fait du bien à son âme, parce que pendant qu’il réconforte l’indigent, Dieu lui donne une nourriture spirituelle bien plus avantageuse." On lit dans l’Apocalypse, chapitre III: "Voici que je me tiens debout à la porte et je frappe comme un pauvre, pour voir si quelqu’un m’ouvrira," etc.

Les troisièmes, à savoir ceux qui sont parfaits, mangent spirituellement par leurs méditations dévotes, et il se trouve dans cette manducation les trois choses qui constituent l’ordinaire du manger corporel; ce sont l’appétit, la mastication, et le plaisir ou délectation. Premièrement, nous devons avoir faim spirituellement de Jésus-Christ notre nourriture, et le désirer du fond du coeur; nous devons secondement en quelque sorte le mâcher, en l’ayant sans cesse dans notre pensée; nous devons troisièmement nous délecter en lui, en choisissant sa douceur.

1° Nous devons premièrement avoir faim spirituellement de Jésus-Christ, par le désir ardent que nous avons de le posséder. Il est écrit dans Job, chap. XXXI: "Si les gens de ma maison n’ont pas dit de moi, qui nous donnera de sa chair, afin que nous en mangions? comme s’ils souhaitaient, s’ils désiraient être rassasiés." On lit, Eccles., chap. XXIII: "Ceux qui me mangent auront encore faim, etc." La satiété dans les délices spirituelles engendre l’appétit, dit saint Grégoire; parce que plus ou les savoure, plus on les connaît, et plus aussi on les aime. Isaïe dit, chap. XX: "Seigneur, mou âme soupire après votre nom et votre souvenir, etc." On lit au Psaume XXXVII: "Seigneur, mon désir est exposé à vos yeux." Nous devons en second lieu mâcher spirituellement Jésus-Christ tout entier, à savoir et ses membres et sa tête, c’est-à-dire que par une discussion détaillée nous devons penser à nous-mêmes, aux saints, et au Sauveur du monde, nous devons penser à nous pour nous juger, nous devons nous occuper de la vie des saints afin de les imiter, nous devons penser à l’incarnation de Jésus-Christ pour repasser avec un esprit entièrement soumis, ses bienfaits. Et d’abord les hommes parfaits se mâche en quelque sorte, par l’examen attentif qu’ils font d’eux-mêmes et par le jugement qu’ils portent ensuite sur eux. L’Apôtre dit, I Corinth., chap. XI: "Que l’homme s’éprouve lui-même," c’est-à-dire qu’il s’examine, qu’il se purifie, non pas un autre, mais lui-même; tout entier, c’est-à-dire, son coeur, sa langue, sa main, etc., et qu’après s’être éprouvé de la sorte, il mange.

2° En second lieu, les hommes parfaits mâchent les saints qui ne sont plus sur la terre, et les hommes parfaits qui vivent encore en examinent leur vie afin de les imiter. On lit dans saint Matthieu, chap. XXII: "Voici que j’ai préparé mon festin, mes boeufs et tout ce que j’avais engraissé, etc." Les boeufs, ce sont les prophètes et les Apôtres, qui soutenus parla force de la foi, comme par des cornes, résistèrent aux princes du monde, et qui ayant souffert de leur part, nous ont laissé l’exemple de leur courage. Les Altilia ou la volaille engraissés sont ainsi appelés du verbe alere qui veut dire nourrir; ce sont les volailles grasses, et elles signifient les saints qui sont engraissés par la charité intérieure, et qui s’élèvent dans le ciel emportés sur les ailes de la contemplation: elles sont tuées, soit parce que par la pénitences ou par la mort de la chair, ils sont déjà dans le lieu du repos; nous devons les mâcher spirituellement, c’est-à-dire que nous devons examiner avec soin leurs exemples afin de les imiter. On lit dans le Deutéronome, chap. XIV: "Tout ce qui est pur, mangez-le. Ne mangez d’aucune bête qui sera morte d’elle-même." Tout ce qui est pur, c’est-à-dire, toutes les paroles honnêtes et les moeurs pures; mangez-le, gravez-le dans votre coeur pour l’imiter: mais pour ce qui est mort de soi-m c’est-à-dire qui est souillé par le péché, ne vous en nourrissez pas en y consentant ou en le faisant. L’Apôtre dit, Phil., chap. IV: "Enfin, mes frères, que tout ce qui est véritable et sincère, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui petit vous rendre aimables, tout ce qui est d’édification et de bonne odeur, tout ce qui est vertueux, et tout ce qui est louable dans le règlement des moeurs, soit l’entretien de vos pensées; pratiquez ce que vous avez reçu de moi, et ce que vous avez vu en moi, et le Dieu de paix sera avec vous."

3° Troisièmement, les hommes parfaits mâchent spirituellement la chair de Jésus-Christ; ils le font en méditant dévotement les sacrements de son Incarnation, et les bienfaits qui en découlent. On lit dans saint Jean, chap. VI: "Celui qui mange ma chair, etc.," c’est-à-dire qui la mâche spirituellement. Selon saint Augustin, c’est là la vertu même du Sacrement, et non le Sacrement visible; savoir que celui qui mange intérieurement ne mange pas extérieurement, celui qui mange de coeur ne presse pas sous sa dent, et c’est pour cela que l’Apôtre dit avec tant de soin des bons seulement: "tous mangèrent la même nourriture."

Nous devons en troisième lieu nous délecter dans la manducation spirituelle d’une douceur intérieure qui procède de la mastication de Jésus-Christ. Isaïe dit, chap. LV: "Ecoutez-moi avec attention, nourrissez-vous de la bonne nourriture, et votre âme en étant comme en graissée sera dans la joie;" c’est-à-dire jouira de la douceur spirituelle de la grâce. Il est écrit au livre de la Sagesse, chap. VIII: "Entrant dans ma maison, je me reposerai avec la sagesse de mon Dieu;" c’est-à-dire avec Jésus-Christ qui est la science sage par excellence. Il n’y a pas d’amertume à le conserver, sa société n’engendre pas l’ennui, elle procure au contraire la joie et le bonheur; c’est dans son amitié que se trouve la vraie jouissance. On lit, Ps. XXX: "Combien est grande, Seigneur, l’abondance de votre douceur. Goûtez et voyez, etc." Il est écrit au livre des Cantiques, chap. III: "Le lait et le miel sous ma langue," c’est-à-dire, la douceur spirituelle dans la méditation du coeur; cette douceur spirituelle est une espèce d’avant-goût du bonheur du ciel, qui nous fortifie contre trois maux qui se trouvent dans le monde. Ici-bas les choses agréables dont nous devons user ne présentent qu’une fausse douceur, l’adversité que nous sommes obligés de supporter est pleine d’amertume; le bien que nous devons faire n’est qu’une triste image du bien véritable.

Il est écrit au livre des Proverbes, chap. XI, de la première de ces choses: "Les eaux dérobées sont plus douces, et le pain pris en cachette est plus agréable;" mais c’est une fausse douceur, car elle est la perdition de l’âme. On lit dans Job, chap. XXXIV: "La douceur de leur ver;" dans l'Ecclésiaste, chap. IX: "Comme les poissons sont pris à l’hameçon, de même les hommes le sont parle temps mauvais. La nourriture flatte extérieurement, mais intérieurement elle transperce de son aiguillon." Il est écrit dans Job, chap. XXI: "Ils coulent leur vie dans la jouissance des biens terrestres." Le Psalmiste dit de la seconde, Ps. CIII: "Que cette mer est grande et d’une vaste étendue;" et cela, parce que dans ce monde l’amertume est grande et sans borne. On lit dans Jérémie, chap. IX: "Je rassasierai ce peuple d’absinthe, et je lui donnerai à boire de l’eau saturée de fiel." Job dit, chap. XIV: "L’homme né de la femme, etc." Il est écrit de la troisième dans saint Matthieu, chap. IX: Le Seigneur dit à un homme riche: "Allez, vendez tout ce que vous possédez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel; et suivez-moi; celui-ci contristé par ce qu’il venait d’entendre s’en alla chagrin." On lit au premier livre des Rois, ch. XXV: "Les gens de David dirent à Nabal, tout ce qui vous tombera sous la main, donnez-le à vos gens et à David, votre serviteur. Celui-ci leur répondit: Prendrai-je tout ce que j’ai de pain, d’eau et de viande, et le donnerai-je à des hommes dont j’ignore la patrie?" Il est écrit dans la Genèse, chap. IV: "Il arriva qu’après un longtemps, Caïn offrit au Seigneur des présents avec les fruits de la terre, mais Dieu ne jeta ses regards ni sur lui, ni sur ses dons." Ce qui en fut la cause, c’est qu’il les offrit dans de mauvaises dispositions, c’est-à-dire avec un coeur et un visage où se peignaient la tristesse. La douceur spirituelle est toute puissante contre ces maux, parce qu’elle, rend insipide la fausse douceur du monde, qu’elle adoucit la plus grande amertume, et quelle ramène la joie sur la figure la plus triste. Il est écrit de la première de ces choses au livre des Proverbes, chap. XXVII: "L’âme rassasiée foulera aux pieds le rayon de miel." Saint Grégoire dit: "Toute chair devient insipide lorsqu’on a goûté les douceurs de l’esprit." L’Apôtre dit, Philip., chap. III: "Ce que je considérais alors comme un gain et un avantage, m’a paru depuis, en regardant Jésus-Christ, un désavantage et une perte; ce qui fait que j’ai tout considéré à cause de lui comme du fumier." Il est dit de saint Augustin: "Tout ce qu’il faisait dans le siècle lui déplaisait, etc." Il est dit de la seconde, Deutéronome, chap. XXXIII: "Ils suceront comme le lait les richesses de la mer," c’est-à-dire que pleins des douceurs spirituelles, ils surmontent l’amertume du monde. On lit au quatrième livre des Rois, chap. II: "Il mit du sel dans les eaux qui étaient amères et elles perdirent leur amertume;" de même Jésus-Christ, guérit l’amertume par la saveur spirituelle. C’est ce qui fit que les pierres du torrent furent douces Etienne; les chardons, les vêtements brûlants, parurent pleins de la suavité des roses à plusieurs saints; il en est un grand nombre qui sont dans la joie au milieu des tribulations. Le prophète Daniel dit de la troisième de ces choses, chapitre I: "Et après les dix jours leur visage parut meilleur, et dans un embonpoint tout autre que celui de tous les jeunes hommes qui mangeaient les viandes du Roi." Les visages de ceux que rassasia le pain descendu du ciel, dit le Commentaire, apparurent plus brillants de beauté, et plus gais pour faire le bien. On lit au livre des Proverbes, chap. XV: "Le coeur qui est dans la joie égaie le visage." L’Apôtre dit, Il Cor., chap. IX: "Dieu aime celui qui donne avec joie."

III. La troisième chose que nous devons examiner relativement à la communion spirituelle, ce sont les effets de cette même communion, et elle en produit trois; ce sont la rémission des péchés; la préservation de la mort éternelle, et la participation réelle au corps de Jésus-Christ pour le salut éternel, Il est dit de la première de ces choses: "Donnez-nous notre pain quotidien;" c’est-à-dire, "une nourriture spirituelle, etc." Ceux, dit saint Ambroise, "qui mangent spirituellement la vertu du corps et du sang de Jésus-Christ, sont censés le prendre et le manger réellement, parce qu’ils reçoivent chaque jour l’efficacité même de ce corps," c’est-à-dire la rémission des péchés. Il est écrit de la seconde dans saint Jean, ch. VI: "C’est là le pain descendu du ciel, si quelqu’un mange de ce pain, il ne mourra pas, à savoir de la mort éternelle." Nos pères, dit saint Augustin, expliquant les actes des Apôtres, "mangèrent la même nourriture spirituelle que nous; quant à la nourriture corporelle elle n’était pas la même, ils mangèrent la manne qui était la figure de Jésus-Christ, et qui produisait le même effet en ceux qui croyaient. Quant aux autres qui mangèrent et qui ne crurent pas, ils sont morts pour l’éternité, ce qui n’a pas eu lieu pour Moïse et les autres justes. Et pourquoi cela? la raison, c’est qu’ils eurent spirituellement l’idée de cette nourriture invisible, qu’ils en eurent faim spirituellement, et qu’ils la goûtèrent en esprit, afin d’être guéris en esprit, et cela, de la mort éternelle. Nous sommes, nous aussi, pareillement délivrés de la mort éternelle en mangeant spirituellement cette nourriture." L’Apôtre dit de la troisième de ces choses, I Corinthiens, chap. X: "Nous sommes un seul pain et un seul corps participant à un seul pain." "Il n’y a nul doute, dit saint Augustin, que chacun ne devient participant du corps et du sang de Jésus-Christ, dès lors qu’il devient membre du même Jésus-Christ, et il ne peut être privé, de la participation à ce pain, quand même il viendrait à mourir avant de l’avoir reçu, étant uni au corps de Jésus-Christ, parce qu’on n’est pas privé du bienfait de ce corps, quand on se trouve uni avec ce dont ce Sacrement est l’expression. Mais on trouve ce que signifie le Sacrement, quand on devient membre de Jésus-Christ, et quand on mange spirituellement par la foi et par l’amour, parce qu’on se change véritablement ainsi au corps de Jésus-Christ pour vivre éternellement avec lui."

CHAPITRE XX: De la troisième manière de communier, c’est-à-dire de la communion spirituelle et sacramentelle simultanée.

"Venez, mangez. Recevez et mangez." Saint Luc, chapitre XXII.

La troisième manière de manger le corps de Jésus-Christ, c’est de le recevoir en même temps et sacramentellement et spirituellement comme le font les bons chrétiens qui communient. Nous pouvons par conséquent faire sur ce mode de communier trois observations.

I. La première, c’est qu’il y a un grand nombre de personnes qui ne communient pas, à savoir les méchants. Comme en effet, il y a trois manières de communier, à savoir la communion purement sacramentelle, par laquelle les mauvais chrétiens mangent et pourtant ne mangent pas. La communion seulement spirituelle par laquelle les justes mangent, bien qu’ils ne mangent pas. La communion qui est en même temps spirituelle et sacramentelle, qui fait que les seuls bons chrétiens mangent et sont mangés. Il reste pour établir convenablement cette division, un certain nombre de méchants qui ne mangent, ni ne sont mangés, et cela, parce qu’ils ne mangent pas le corps de Jésus-Christ, ce qui fait qu’ils seront les victimes de la mort éternelle. Ces derniers sont de trois espèces, ou forment trois groupes. Les infidèles sont les premiers, les négligents les seconds, et les contempteurs les troisièmes. Les infidèles sont ceux dont les coeurs sont tellement aveuglés par la méchanceté fallacieuse du démon, qu’ils ne peuvent ni croire, ni connaître les sacrements divins que l’admirable sagesse de Dieu a institués pour le salut du monde. Les négligents sont ceux qui se livrent si exclusivement à leurs intérêts temporels et aux affaires du siècle, qu’ils négligent complètement de recevoir la sainte communion dans les temps marqués pour cela. Les contempteurs sont ceux qui sont si intimement attachés au crime, qu’ils ne regardent que comme une chose de peu d’importance la réception du corps de Jésus-Christ. Les paroles suivantes de saint Jean, chap. VI: "Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair, etc.," s’entendent des premiers, et c’est comme s’ils répondaient à ce qu’il leur dit: Nous ne croyons pas qu’il puisse nous donner sa chair. On lit, Sag., chap. V: "Les impies sont tombés dans l’erreur, leur malice les a aveuglés, ils ont ignoré les sacrements de Dieu." Sain Jean dit: "Ce lui qui ne croit pas au Fils, ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui." Les paroles suivantes de saint Matthieu, chap. XXII: "Le roi envoya ses serviteurs appeler ceux qui étaient invités, disant: Voici que mon festin est prêt, etc.," s’appliquent aux seconds, mais "négligeant ce qu’ils devaient faire, ils s’en allèrent, l’un à sa campagne, l’autre à ses affaires." Aller à sa campagne, dit le Commentaire, c’est se livrer sans mesure au travail terrestre, et se livrer à son commerce, c’est avoir un trop vif désir des intérêts d’ici-bas. Tels sont ceux qui négligent le festin du Sacrement divin; bien qu’ils paraissent avoir la foi, et quelques oeuvres de charité, ils périront néanmoins s’ils ne font pas pénitence. On lit dans saint Jean, chap. VI: "Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, etc." Le Commentaire des paroles suivantes, Eph., chap. III: "Je prie pour que vous puissiez comprendre quelle est l’élévation et quelle est la profondeur;" ajoute: "Les mystères impénétrables de la charité, ce sont les sacrements de l’Eglise; ils sont profonds, impénétrables, c’est sur eux que repose la charité, sans eux elle ne peut rien, c’est-à-dire que les signes extérieurs de la charité ne sont d’aucune utilité pour le salut éternel de ceux qui négligent de recevoir les sacrements." On lit au livre des Nombres, chap. IX: "Si quelqu’un est pur et qu’il ne soit pas en voyage, c’est-à-dire s’il n’a pas d’empêchement légitime, et qu’il ne célèbre pas la Pâque, qu’il soit exterminé du milieu du peuple, parce qu’il n’ai pas offert au Seigneur le sacrifice au temps prescrit, seul il portera son péché." Les paroles suivantes du second livre des Paralipomènes, chap. XXX: "Les courriers partirent donc par le commandement du roi et des princes, étant chargés de lettres, et ils passèrent dans tout Israël, publiant partout ce que le roi avait ordonné: Enfants d’Israël, revenez au Seigneur votre Dieu, venez à son sanctuaire;" et cela, pour célébrer la Pâque, c’est-à-dire pour recevoir le corps du Seigneur s’appliquent aux troisièmes. Il y en eut quelques-uns qui acquiescèrent à leur conseil et qui vinrent, d’autres se moquèrent d’eux et les tournèrent en dérision. On lit dans saint Jean, chapitre III: "Et le sujet de cette condamnation c’est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises;" ce qui est comme s’il disait: il est juste le jugement qui excommunie et qui condamne ceux qui aiment mieux demeurer attachés au péché que de se préparer et de recevoir Jésus-Christ. On lit dans le Droit canon: "Ceux qui passent deux ou trois années sans communier, à cause de leurs péchés, doivent être excommuniés jusqu’à ce qu’ils fassent pénitence." On lit dans saint Luc, chap. XIV: "Nul de ces hommes que j’avais appelés, ne goûtera de mon souper."

II. La seconde chose que nous devons ici considérer, c’est le bonheur infini des bons qui reçoivent dignement Jésus-Christ. On prouve cette vérité par les trois raisons suivantes, et d’abord, c’est parce qu’ils choisissent la meilleure part, ensuite, parce qu’ils participent aux dons de l’Esprit saint, enfin, parce que Jésus-Christ habite en eux d’une manière véritable. Le bonheur immense de ceux qui communient dignement se prouve premièrement par le choix qu’ils ont fait de la meilleure part; parce que, comme la bienheureuse Vierge, des trois choses qui lui étaient proposées, et qui étaient d’être mère et de ne pas être vierge, ou d’être vierge et de ne pas être mère, ou d’être mère et vierge à la fois, choisit ce dernier parti, ils choisissent eux aussi parmi les trois moyens de manger le corps de Jésus-Christ, le plus parfait des trois, qui est de le manger à la fois et spirituellement et sacramentellement. Ils choisissent ce der nier parti, qui est de manger sacramentellement, d’après le premier mode, et de manger spirituellement, d’après le second; ce qui fait qu'ils mangent de l’une et l’autre manière; ce qui est infiniment préférable; c’est pourquoi ils sont parfaitement heureux. On lit dans l’Ecclésiaste, chapitre VIII: "C’est ce qui m’a porté à louer la joie. J’ai cru que le bien que l’on pouvait avoir sous le soleil, était de boire et de manger, et de se réjouir;" ce qui est absolument comme s’il disait: J’ai expérimenté plusieurs espèces de bonheurs et de joies de la chair et du monde, et tout cela n’est que vanité et se termine par le chagrin et le deuil; ce qui fait que j’ai surtout loué la joie, mais la joie véritable, c’est-à-dire le témoignage d’une con science pure; et j’ai dit qu’il n’y a rien de meilleur sous le soleil pour l’homme, c’est-à-dire dans ce monde, que de manger le pain, mais le pain descendu du ciel, et de boire le vin qui réjouit le coeur, et ce vin est le sang du Seigneur. On prouve en second lieu leur bonheur par leur participation réelle au Saint Esprit. Il est écrit Ps. LXXX: "Il les a rassasiés du miel de la pierre;" parce que heureux d’avoir reçu le corps de Jésus-Christ, ils sucent en quelque sorte les douceurs du Saint Esprit. On lit dans le livre de la sagesse, chap. XII: "Que votre esprit est doux en nous, Seigneur;" votre esprit, qui de votre corps se déverse sur nous. L’homme vit, dit saint Augustin, par la participation du corps et du sang de Jésus-Christ, parce qu’il ne reçoit pas seulement le sacrement, ce que font aussi les méchants; mais parce qu’il va jusqu’à participer à l’Esprit saint, afin de demeurer membre du corps de Jésus-Christ et de vivre de son esprit. L’habitation réelle de Jésus-Christ en eux, prouve en troisième lieu leur bon heur. On lit dans saint Jean, chap. VI: "Celui qui mange ma chair, etc." Saint Hilaire dit: "Il arrive qu’après que nous avons reçu la chair de Jésus-Christ, et que nous avons bu son sang, qu’il est en nous et que nous sommes en lui, Jésus-Christ est en nous par sa chair quand nous le recevons, et nous sommes en lui, nous, pendant que ce qui fait que nous subsistons est en Dieu."

III. La troisième chose que nous devons considérer sur ce point, c’est la raison qu’il y a pour ceux qui mangent dignement, d’être mangés à leur tour. C’est parce qu’ils sont mangés à leur tour, que l’on dit des hommes qui mangent de la sorte, qu’ils mangent et qu’ils sont mangés. Et la raison de ceci, c’est que les fidèles qui mangent dignement le corps du Seigneur, ne le convertissent pas en leur propre substance comme tout autre aliment, au contraire, celui qui le mange véritablement, se change spirituellement en lui. Ce qui fait cela, c’est que le Seigneur fait membre de son corps celui qui le mange; il se l’incorpore et se l'unit par la charité, il le rend l’image fidèle de sa bonté. L’Apôtre dit I Cor., chap. X "Nous ne sommes tous ensemble qu’un seul corps, parce que nous participons tous à un même pain." Le même Apôtre dit encore, I Cor., chap. XII: "Or vous êtes le corps de Jésus-Christ et les membres les uns des autres." Que, en mangeant le corps de Jésus-Christ nous ne le changions pas en nous, mais que nous nous changions en lui, c’est ce qui se prouve par une triple comparaison. La première se tire de la puissance de notre propre amour. La force de l’amour est telle en effet, que le coeur de celui qui aime se transforme en celui qui est aimé; c’est-à-dire que les fortunes bonnes ou mauvaises de celui qui aime et de celui qui est aimé sont semblables. "La force de l’amour est telle, dit Hugues, qu’il est nécessaire que vous vous transformiez en quelque sorte par la société de l’amour en celui à qui vous unit l’affection et qu vous deveniez semblable à lui." On lit au livre des Cantiques, chap. VIII: "Placez-moi comme un sceau sur votre coeur;" sur votre coeur comme sur de la cire chaude, pure et fondue, propre à recevoir l’impression d’une image. Le corps de Jésus-Christ est donc placé comme un sceau sur le coeur chaud de l’amour de Dieu, pur de sa propre pureté, amolli par l’amour filial du prochain, non pas pour qu’il se change en nous puisqu’il est immuable, mais pour que nous devenions l’image de sa bonté. La seconde comparaison se tire de la puissance d’une chose plus importante par elle-même. Si en effet on verse une goutte d’eau dans un grand vase plein de vin, la puissance de la quantité de vin fait que l’eau se change complètement en vin: mais la puissance du corps du Seigneur est d’une grandeur ineffable, et nous, nous sommes infiniment petits à côté de cette grandeur. On lit, Ps. CXLVI: "Le Seigneur est grand, etc." On lit encore, Ps. XXXVIII: "Le temps que j’ai à vivre est devant vous comme un néant." Il est écrit dans Isaïe, chap. XL: "Voici que les nations ne sont devant lui que comme une goutte d’eau." C’est pourquoi la grandeur de la puissance et de la douceur de Jésus-Christ, lors qu’elle est répandue dans notre coeur humble et extrêmement borné, le vainc, et fait qu’il se convertit en cette même grandeur, afin que nous cessions d’être semblables aux hommes du monde, à nous mêmes, et que nous ressemblions à Jésus-t dans notre volonté, nos discours et nos entretiens. On lit, Psaume CXVIII: "Mon âme est tombée en défaillance dans l’attente de votre secours salutaire." La troisième comparaison qui prouve cette vérité se tire de la puissance de la branche d’un arbre. La puissance de la greffe est telle en effet que si on la place sur un tronc même sauvage, par sa puissance naturelle elle change l’amertume du premier arbre, et elle lui donne et sa douceur et ses autres qualités, et lui fait porter un aussi bon fruit que le sien propre. Greffé sur nous, pareillement le corps de Jésus-Christ fait disparaître nos défauts, et nous plonge dans l’abîme de sa bonté, pour que nous fassions par lui des feuilles, des fleurs et fruits de justice, tels qu’il les fait lui-même. Le Saint Esprit dit à cette occasion, Ezéch., ch. XVII: "Je prendrai de la moelle du plus grand cèdre, je couperai du haut de ses branches une branche tendre, et je la planterai sur une montagne haute et élevée, et elle poussera un rejeton, et elle portera du fruit." Le cèdre le plus élevé, c’est Dieu le Père; les branches les plus hautes, ce sont les anciens pères; le sommet des branches, c’est la bienheureuse Vierge; la moelle du cèdre, c’est la sagesse éternelle de Dieu; la partie supérieure des branches, c’est la chair prise de la Vierge. Donc le Saint Esprit a pris la moelle du cèdre, et la partie la plus élevée des branches, parce que c’est lui qui a opéré l’incarnation de Jésus-Christ, et il le plante comme une très noble greffe sur une haute montagne, lorsqu’il accorde aux fidèles, après les avoir élevés des désirs terrestres aux désirs célestes, le sacrement du corps du Seigneur. Il produit ensuite des fruits, parce que le coeur fidèle, après avoir renoncé à l’amertume propre de ses vices, produit par la puissance du corps du Seigneur les feuilles, les fleurs et les fruits spirituels des vertus et des bonnes oeuvres qui ressemblent à celles de Jésus-Christ. De là il a été dit, à saint Augustin, "Je suis la nourriture de ce qu’il y a de plus élevé." On lit au livre des Cantiques, chap. II: "Attirez-moi après vous," et cela, en me changeant en vous-même par la violence de mon amour et par la grandeur du vôtre, greffez-moi inébranlablement sur vous-même, pour qu’il ne reste en moi aucune trace d’amertume, et que la puissance et la douceur de votre bonté prévalent dans mes actions. L’Apôtre dit au chap. VI: "Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, etc."

CHAPITRE XXI: Des douze effets ou fruits du corps du Seigneur, opposés à nos douze langueurs: et d’abord des quatre premiers.

"Venez, mangez," etc. Argument spécial. Mon Père ne cesse pas d’agir jusqu’à présent, saint Jean, chap. V. On lit encore dans l’Ecclésiastique, chap. XXXVIII: "C’est le très haut qui a produit tout ce qui guérit." Argument propre. "Béni le fruit de votre ventre, saint Luc, chap. I. "Je monterai sur le palmier," c’est-à-dire sur la croix, et je cueillerai ses fruits," Cant., chap. VII.

La chose qui mérite surtout de fixer notre attention relativement au sacrement du corps du Seigneur, ce sont ses effets, ou sa puissance spirituelle. Car, comme nos premiers parents avaient été corrompus en mangeant du fruit auquel Dieu leur avait défendu de toucher et qu’ils transmirent à leur postérité les mauvais fruits de cette transgression, il était nécessaire que le Sauveur nous procurât un remède à ces maux. Il nous importe de savoir sur ce point, que les maux qui en sont résultés pour nous sont de trois espèces générales; ce sont les liens de la faute, la privation de la grâce, le châtiment de la mort.

Le Psalmiste dit du premier genre de ces maux, Ps. CXVIII: "Les liens des pécheurs m’ont enveloppé." On lit au second livre des Paralipomènes, chap. XXXVI, dans la prière de Manassé: "Je suis courbé sous un lieu pesant de fer," c’est-à-dire sous le lien du péché. Il est écrit du second genre, Ps. CXXX VIII: "Ils virent mon imperfection," et Ps. CXLII: "Mon âme est à vos yeux comme une terre sans eau," c’est-à-dire, qu’elle est stérile, parce que la grâce ne découle pas en elle, et qu’elle est privée du germe des vertus. Les paroles suivantes du Ps. XVII: "Les douleurs de la mort me pressent de toute part," s’entendent du troisième genre. Il en est de même des suivantes "Eloignez de moi vos coups," Ps. XXXVIII. On lit dans Job, chap. XVI: "Mon ennemi est venu fondre sur moi, comme un géant il m’a déchiré et il m’a fait plaie sur plaie." Chacune de ces trois espèces générales de maux contiennent quatre maux spéciaux, qui sont comme quatre langueurs spéciales que les douze effets ou fruits du corps du Seigneur ont pour objet dé guérir. On lit dans l’Apocalypse, chap. XXII: "L’ange me montra l’arbre de vie, qui porte douze fruits, et qui donne son fruit chaque mois;" c’est-à-dire qui est destiné à guérir nos douze défauts ou langueurs. On lit Psaume CII: "Bénis, ô mon âme! le Seigneur qui te pardonne toutes tes iniquités etc."

Nos quatre premiers maux ou langueurs sont comme les liens du péché lui-même, qui étreignent les âmes; et ce sont, la tentation du démon, l’amortissement de l’émotion, la souillure du coeur, l’offense du Créateur. Le fruit de la Vierge, c’est-à-dire le corps du Sauveur, est tout-puissant contre ces divers maux. L’Apôtre dit de la première de ces langueurs, Eph., chap. VI: "Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, pour pouvoir vous défendre des embûches et des artifices du démon." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXI: "Les embûches du fourbe sont nombreuses;" c’est-à-dire qu’il nous tente par divers vices et de différentes manières. Il est écrit, I Petr., chap. V: "Veillez, parce que votre ennemi, etc.," et le Commentaire ajoute: "Rode comme un ennemi, qui assiégeant des murailles closes de toutes parts, les explore pour voir s’il n’est pas quelque partie du mur qui soit moins solide, afin de pouvoir par là pénétrer dans l’intérieur de la place." Il offre aux regards, afin de ruiner la chasteté, des images illicites, et des voluptés faciles; il tente l’oreille par des chants harmonieux, dans le but d’amollir la rigidité chrétienne, il provoque la 1angue par l’injure; il pousse les mains au carnage par des offenses blessantes, il promet les honneurs de la terre dans le dessein de priver de ceux du ciel. Il est écrit, Ps. CXLII: "L’ennemi a persécuté mon âme." L’Apôtre dit de la seconde de ces langueurs, Gal., chap. V "La chair convoite contre l’esprit." Le même Apôtre dit encore, Rom., chap. V: "Je vois dans mon corps une loi qui répugne à la loi de mon esprit." "Je vois une autre loi dans mon corps," c’est-à-dire, dit saint Augustin, je vois en moi un foyer de péché; par exemple, je vois dans mes yeux quelque chose qui me porte à la convoitise, dans ma langue quelque chose qui me porte à médire, dans mes mains quelque chose qui me pousse à mal faire, etc., qui répugne à la loi de mon esprit, c’est-à-dire à la loi de Dieu. Jérémie dit de la troisième de ces langueurs, chap. II: "Quand vous vous seriez lavés dans le nitre, vos iniquités vous souilleraient encore à mes yeux." On lit au livre des Proverbes, chap. XX: "Quel est celui qui peut dire, mon coeur est exempt de souillure, je ne suis pas entaché de péché." Il est écrit dans l’Ecclésiaste, chap. VII: "Il n’est pas d’homme juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche pas." Il est écrit de la quatrième de ces langueurs, Peut., chap. IX: "Souvenez vous, et n’oubliez pas comment vous avez provoqué le Seigneur votre Dieu à la colère. Souvenez-vous aussi, que plus la faute est grande, plus aussi la colère de Dieu contre le pécheur est grande." On lit dans Zacharie, chap. I: "J’étais seulement un peu en colère, mais elles m’y ont porté davantage." "La justice de Dieu, dit saint Augustin, ne permet pas que l’on méprise la faute, sans estimer le châtiment qu’elle mérite."

Les quatre premiers fruits du corps du Seigneur ont pour objet de faire disparaître ces quatre maux; ils nous délivrent des liens du péché. Le corps du Seigneur met le démon en fuite, il calme le foyer du mal qui est en nous, il purifie le coeur de ses souillures, il apaise la colère de Dieu. Les paroi suivantes du livre de Tobie, ch. VI: "Si vous mettez un morceau du coeur sur les charbons ardents, la fumée qui en sort chasse toutes sortes de démons, s’entendent du premier de ces remèdes." Le fleuve dans lequel se trouvent ces poissons est la figure du monde; tous les poissons qui s’y trouvent représentent les divers genres d’hommes; ce grand poisson figure la nation juive; le coeur du poisson, comme étant la partie la plus noble, et celle de laquelle dé coule la vie, est la figure de la bienheureuse Vierge; la particule du coeur représente le corps que le Sauveur a pris de la Vierge. Ce corps doit être servi sur les charbons, c’est-à-dire qu’il doit être donné aux fidèles qui sont embrasés du feu divin; alors sa fumée, c’est-à-dire la vertu spirituelle qui en sort, éloigne les tentations du démon. On lit, Ps. LXVII: "Que le Seigneur se lève, et que ses ennemis soient dissipés," etc. On lit dans le même Psaume du second remède: "Selmon montagne de Dieu, montagne grasse." La montagne de Dieu, c’est Jésus-Christ. Le mot Selmon signifie ombre. Jésus-Christ est donc une ombre rafraîchissante pour nous; parce que, comme le dit le Commentaire: Du corps de Jésus-Christ découle l’ombre de la grâce, qui nous protège contre l’aiguillon des vices et de la concupiscence charnelle c’est pour cela qu’il a été dit de la bienheureuse Vierge: "La puissance du Très Haut vous couvrira de son ombre;" c’est-à-dire ‘vous ombragera. L’ombre, en effet, est le résultat et du corps et de la lumière; la lumière, c’est le Verbe de Dieu; le corps, c’est la chair de Jésus-Christ. La lumière se joint au corps, c’est-à-dire le Verbe à la chair. Le Verbe, en effet, s’est fait chair. Par conséquent lorsque le fidèle prend le corps de Jésus-Christ, il reçoit un rafraîchissement spirituel, qui vient en quelque sorte de l’ombre de la grâce qui découle de ce même corps. On lit dans le prophète Osée, ch. XIV: "Je suis comme la rosée, et Israël germera comme le lis." Les paroles sui vantes du prophète Isaïe, chap. VI: "L’un des Séraphins vola vers moi tenant en sa main un charbon ardent, qu’il avait pris avec des pinces de dessus l’autel, et m’en ayant touché la bouche, il me dit: "ce charbon a touché vos lèvres, votre iniquité sera effacée, et vous serez purifié de votre péché," s’entendent du troisième fruit. Cette pierre détachée et enlevée de l’autel, est la figure du corps de Jésus-Christ qui, lorsqu’il touche la bouche du coeur, le purifie du péché véniel. Saint Grégoire dit: "Le Seigneur nous a donné le sacrement du salut, afin que s’il ne peut plus mourir pour nos péchés, nous puissions par lui obtenir la rémission de ceux que nous commettons journellement. Il est dit du quatrième de ces fruits, Proverbes, ch. XXI: "Un présent secret éteint la colère." On lit dans le Lévitique, ch. II: "Si l’oblation se fait d’un pain rôti sur le gril, ce pain sera fait avec de la fleur de farine pétrie avec de l’huile. Le prêtre en réservera ce qui doit être mis sur l’autel pour servir de mémoire devant le Seigneur, et il le brûlera sur l’autel comme un sacrifice d’agréable odeur." Le pain cuit sur le gril, offert et pétri avec de l’huile, c’est le corps de Jésus-Christ qui a souffert pour nous sur la croix, et qui est tout plein de l’Esprit saint. Le souvenir de ce sacrifice, c’est l’hostie que l’on offre en mémoire de la passion du Seigneur. Cette hostie doit être brûlée sur l’autel, c’est-à-dire quelle doit être embrasée, parce qu’elle doit être reçue par le coeur fidèle avec la ferveur du désir et de la dévotion. Tel est l’ordre de la douceur de Dieu, c’est-à-dire qui est si agréable à Dieu, que puisse t-il, à cause de sa grâce, calmer sa colère envers nous, nous réconcilier avec lui et nous conduire à la paix éternelle. Ainsi soit-il.

CHAPITRE XXII: Des quatre seconds fruits.

"Venez, mangez," etc.

Les quatre seconds maux ou langueurs dont nous souffrons, sont les quatre privations de la grâce dont souffrent un grand nombre d’âmes: ces défauts sont: une privation dans la connaissance de soi-même, un amour imparfait du prochain, une privation de la douceur spirituelle, une privation dans la consommation du bien. Le corps du Sauveur, fruit du ventre de la bienheureuse Vierge, est tout-puissant contre ces divers maux. Les paroles suivantes de la Genèse, chap. I: "Et les ténèbres couvraient la surface de l’abîme," s’entendent de la première de ces langueurs, parce que dès le principe le coeur de l’homme fut enveloppé de sa propre ignorance. On lit dans Jérémie, chap. XVII: "Le coeur de l’homme est mauvais, il est insondable, qui le connaîtra?" On lit, Ps. CXVIII: "Qui comprend les fautes, etc.," à savoir les fautes que j’ai fait commettre aux autres, ou les péchés d’autrui auxquels j’ai consenti. On lit dans saint Matthieu, chap. VII: "Pourquoi voyez-vous une paille dans l’oeil de votre frère, vous qui ne voyez pas une poutre dans le vôtre." Saint Matthieu dit de la seconde de ces langueurs, chap. XXIII: "Parce que l’iniquité a surabondé, la charité de plusieurs s’est refroidie." II est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. XLIII: "Lorsqu’il fait souffler le vent froid de l’aquilon l’eau se glace aussitôt." Le défaut d’amour se prouve par des signes extérieurs. On lit dans saint Jean, I Epître, chap. III: "Si quelqu’un a les biens de ce monde, et que voyant sons frère dans le besoin, il lui ferme son coeur et ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui?" Le prophète Jérémie dit, chap. IX: "Que chacun se garde de son prochain, et que nul ne se fie à son frère, parce que le frère ne pense qu’à perdre son frère, et que l’ami use de tromperie à l’égard de son ami. Chacun d’eux se rit de son frère, et ils ne disent pas la vérité." Il est écrit au livre des Proverbes, chap. X: "Le double poids et la double mesure sont l’un et l’autre abominables aux yeux de Dieu." Celui-là, dit le commentaire, a deux poids et deux mesures dans sa maison, l’un pour se mesurer lui-même, l’autre pour mesurer le prochain, qui dans toutes ses actions ne cherche que ce qu’il y a de louable, et qui dans celles d’autrui au contraire ne cherche que ce qu’il y a à reprendre; mais celui qui, dans les choses temporelles, s’étudie à se mesurer avec la plus grande mesure, et qui mesure le prochain avec la plus petite, déplaît à Dieu, parce qu’il pèche par défaut de charité. Il en est de même de celui qui attriste, blesse, ou cause du dommage au prochain, par des propos mauvais, ou par de mauvaises actions. Les paroles suivantes de Jérémie, chap. XXXI: "Quiconque aura mangé des raisins verts, ses dents seront agacées," s’entendent de la seconde. "Or, dit saint Grégoire, qu’est-ce que le raisin vert, si ce n’est le péché?" Le raisin vert, c’est un fruit cueilli avant le temps. Qui conque désire jouir à satiété des plaisirs de la vie présente, mange pour ainsi dire à la hâte les fruits avant le temps. Mais les dents de celui qui mange le raisin pendant qu’il est encore vert sont agacées, parce que celui qui se nourrit des joies du monde et de la vie pré sente, enchaîne ses sens intérieurs de manière qu’ils ne peuvent pas goûter la douceur des biens spirituels. On trouve de ceci une figure au livre des Nombres, chap. XXI: Cette figure, c’est le peuple d’Israël qui avait mangé à satiété, pendant qu’il était dans l’Egypte, de la viande, de l’aille et des poireaux, et qui se prit à convoiter ces mets lorsqu’il fut dans le désert, rejetant avec dégoût le pain céleste, c’est-à-dire la manne à cause de sa douceur extrême. L’Apôtre dit, I Cor., II: "L’homme animal ne perçoit pas les choses de Dieu." "On appelle homme animal, dit saint Augustin, l’homme charnel, qui se laisse emporter par la corruption libidineuse de son âme?" L’Apôtre dit de la quatrième de ces langueurs, Galat., chap. III: "Etes-vous si in sensés, qu’après avoir commencé par l’esprit vous finissiez mainte nant par la chair?" Il est écrit au livre des Proverbes, chap. II: "Ils quittent la voie droite et marchent dans les sentiers des ténèbres."

On lit dans saint Luc, chap. VIII: "Celui qui tombe sur la pierre, ce sont ceux qui lorsqu’ils entendent la parole de Dieu, la reçoivent avec joie, mais ils n’ont pas de racine;" c’est-à-dire qu’ils n’ont pas une volonté ferme et stable, "parce qu’ils ne croient que pendant un certain temps, etc." II est écrit au livre des Cantiques, chap. VII "Levons-nous dès le matin pour aller aux vignes; voyons si la vigne a fleuri, si les fleurs produisent des fruits," et cela, parce qu’il n’est pas étonnant que quelqu’un commence une bonne oeuvre, mais il est tout-à-fait étonnant que son intention ne se pervertisse pas en faisant cette bonne oeuvre.

Les quatre seconds fruits du corps du Seigneur qui nous perfectionnent ici-bas dans la grâce, ont pour fin de détruire les quatre maux dont nous venons de parler. La grâce illumine en effet l’intellect de manière qu’il se connaisse; elle enflamme la volonté ou l’affection de l’amour de Dieu, elle délecte la mémoire d’une douceur spi rituelle, elle confirme l’homme tout entier dans le bien. Il est dit du premier de ces fruits, au livre des Proverbes, chap. XXIV: "Mangez, mon fils, le miel, parce qu’il est bon. "Le miel, c’est l’éternelle sagesse de Dieu, qui nous est préparée comme un aliment d’une indicible douceur. C’est un remède tout spirituel, parce qu’il illumine l’esprit."

Il est écrit au premier livre des Rois, chap. XIV: "Vous avez vu que mes yeux ont été tout à coup illuminés parce que j’ai goûté un peu de miel." On lit dans Isaïe, chap. VII: "Quiconque aura été épargné, mangera le beurre et le miel, afin de savoir rejeter le mal et choisir le bien." Il est écrit, Psaume XXVI: "Le Seigneur est ma lumière, approchez-vous de lui, et il vous éclairera," c’est-à-dire qu’il vous fera connaître à vous-même. Les paroles suivantes d’Isaïe, chap. VI: "L’Ange prit un charbon enflammé sur l’autel, et il en toucha les lèvres d’Isaïe," s’entendent du second de ces fruits. Le mot petit caillou n’est autre chose qu’un petit charbon de feu ainsi appelé, qui est en flammé comme un charbon, et qui est la figure du corps du Seigneur pris sur l’autel, il est enflammé par la charité, parce qu’il embrase d’amour les coeurs des fidèles. Les paroles suivantes du Psaume XXXIII: "Goûtez et voyez combien le corps du Seigneur est doux, etc.," s’entendent du troisième fruit. On lit dans l’Ecclésiastique, ch. XLIX "La mémoire de Josias est comme un parfum d’une odeur admirable, composé par un habile parfumeur. Son souvenir sera doux à la bouche de tous les hommes comme le miel." Josias, qui veut dire la force du Seigneur, est la figure de Jésus-Christ; et le Commentaire ajoute: "Le souvenir de Jésus-Christ," c'est le sacrement de son corps, qu’il a ordonné de consacrer en mémoire de lui, voilà le parfum admirable, oeuvre d’un parfumeur habile; c’est-à-dire du Saint Esprit, qui l’a composé d’espèces infiniment précieuses, qui sont une chair virginale et la sagesse de Dieu. Si par une pensée pieuse on songe que c’est sa puissance qui a sauvé le genre humain, il devient dès lors doux dans la bouche du coeur, comme le miel. On lit au livre des Cantiques, ch. II: "Je me suis assis à l’ombre de celui que je désirais."

Premièrement l’âme fidèle désire Jésus-Christ, son esprit brûle de le posséder, elle a soif de lui.

Secondement, elle soupire après l’ombre dans l’espérance d’obtenir le fruit.

Troisièmement, elle s’as sied, attend, prie afin de recevoir dans sa plénitude le fruit, pour qu’il la ravive et qu’il renouvelle ses forces.

Quatrièmement, elle goûte avec délices sa douceur, une fois qu’elle s’est répandue en elle.

Mais remarquez que quelqu’un pourrait peut-être dire ici: Je me prépare le plus souvent que je le puis, je reçois le corps du Seigneur, et je ne sens pas la douceur de la consolation spirituelle. Je réponds à cela: Cette nourriture ou ce fruit est un remède pour l’homme, ce qui fait que comme un médecin habile donne parfois et à certaines personnes des remèdes qui flattent l palais du corps, et que d’autres fois il leur en donne qui lui sont amers, mais qui sont doux au palais de l’esprit, bien qu’ils ne soient pas doux au gosier, ils le sont néanmoins à la raison en tant qu’ils flattent l’esprit qui jouit de ses facultés. Le Seigneur pareillement donne aux fidèles son corps qui est inséparable de la douceur; mais il fait connaître cette douceur, aux uns d’une manière, aux autres de l’autre, selon qu’il soit qu’il y a avantage pour chacun. De là vient que quelques personnes goûtent cette douceur par l’affection du coeur, et qu’elles font leurs délices d’une dévotion plus ardente; d’autres goûtent la même douceur par une action pieuse de l’intellect, et tirent de leur foi en ceci des forces suffisantes pour leur état et comprennent que cette sainte nourriture leur fera obtenir la vie véritable. Par conséquent, bien que vous ne goûtiez pas cette douceur du Seigneur de la première manière, c’est-à-dire par l’affection d’une dévotion solide, vous la goûtez toutefois de la seconde manière, à savoir parce que vous comprenez qu’elle vous est d’un avantage immense. Les paroles suivantes d’Isaïe, chap. LV: "Ecoutez-moi avec attention, nourrissez-vous de la bonne nourriture," s’en tendent de la première manière de goûter cette douceur. Saint Ambroise dit: "C’est un pain qui possède à la perfection toute espèce de charmes, et des douceurs de tout genre, il nous réconforte toujours, qu’il soit l’aliment de mou coeur et qu’il en goûte la douceur." O pain très doux, guérissez mon âme, etc. Faites qu’elle éprouve toute la suavité de votre amour. Guérissez ce, etc. Les paroles suivantes: "Son fruit est doux à mon palais," s’expliquent de la seconde; c’est-à-dire qu’il est doux à l’esprit pieux et fidèle, qui croit et qui comprend que cette sainte nourriture est pour lui de la plus grande utilité. Le Commentaire ajoute: "Ce fruit est doux au palais du coeur;" parce qu’il comprend que, même tout en le recevant corporellement, il est pour lui la source de la vie. Cette douceur fortifie contre les trois maux qui sont dans le monde. Rappelez-vous ce qui a été dit plus haut, chapitre dix-neuvième. Il est en dernier lieu écrit du quatrième fruit, Psaume CIII: "Et le pain pour qu’il fortifie le coeur de l’homme;" et cela parce que le corps de Jésus-‘Christ confirme les fidèles dans leur vie exemplaire et leur donne des forces nouvelles. Il est enfin écrit au troisième livre des Rois, ch. XIX: "Héli mangea le pain que lui procura l’ange, etc." Horeb veut dire table. Cette montagne est par conséquent la montagne de la table de Dieu; et elle est la figure de la satiété de la gloire céleste. C’est pour quoi Je corps de Jésus-Christ nous donne des forces pour bien vivre et pour faire de bonnes oeuvres pendant quarante jours et quarante nuits; c’est-à-dire pendant tout le temps de la pénitence actuelle. Jusqu’à la montagne et à la table de Dieu;.c’est-à-dire encore jusqu’à ce que nous arrivions à la hauteur de la sécurité parfaite, et à la pleine jouissance de la gloire éternelle. Il est dit en figure et en même temps de ces quatre fruits au quatrième livre des Rois, chap. IV: "Elisée se coucha sur l’enfant, il mit sa bouche sur sa bouche, ses yeux sur ses yeux, et ses mains sur ses mains, et il réchauffa le corps de l’enfant." L’enfant est la figure de l’âme fidèle, Elisée celle du Seigneur, celui-ci comme un sceau de cire s’unit de la nième manière à l’âme, il place ses yeux sur les siens, parce qu’il illumine son intellect, il réchauffe sa chair, parce qu’il l’enflamme de l’affection de la charité; il place sa bouche sur la sienne, parce qu’il lui fait goûter les douceurs spirituelles, il place ses mains sur ses mains, parce qu’il l’a fait persévérer dans l’accomplissement des bonnes oeuvres jusqu’à la fin, par conséquent il perfectionne l’homme tout entier afin de le conduire à la vie éternelle. Ainsi soit-il.

CHAPITRE XXIII: Des quatre troisièmes fruits.

"Venez, mangez, ou autres paroles dont l’effet est, le même.

Nos quatre troisièmes maux, ou langueurs, sont comme les plaies de la mort, dont sont accablées une foule d’âmes, ce sont la dette de la mort éternelle, l’écoulement d’une bonne vie, l’exil des misères du monde, l’incinération de la matière corporelle. Le corps du Sauveur, fruit de la bienheureuse Vierge, est tout-puissant contre ces divers maux. L’Apôtre dit de la première de ces langueurs, Rom., ch. VI: "Mais pour moi, je suis charnel, étant vendu pour être asservi au péché." Nos premiers parents se constituèrent en effet les esclaves du démon eux et leur postérité; et c’est là la mort éternelle, et ils le firent pour une légère jouissance du péché. On lit dans la Genèse, chap. II: "Ne mangez pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort;" c’est-à-dire que vous vous soumettrez vous et votre postérité à la mort éternelle. L’Apôtre dit, Rom., chap. VI: "Le péché a été introduit dans ce monde par un seul homme, et par le péché la mort." La mort, c’est-à-dire la certitude de la mort temporelle, et la dette de la mort éternelle, si la rédemption du Sauveur n’y eut mis un obstacle. L’Apôtre dit, Ephes., ch. II: "Nous étions par nature enfants de colère," comme les autres sont débiteurs de la mort. Il est écrit du second de ces maux, Psaume XI: "Mes jours se sont évanouis comme l’ombre." Il est pareillement écrit, Psaume XI: "Sauvez-moi, Seigneur, parce qu’il n’y a plus de saint." On lit dans la Genèse, ch. XLVII: "Le temps de mon pèlerinage est de cent trente ans, temps court et mauvais, et je ne suis pas encore venu à l’âge de mes pères." On lit encore dans le même livre, ch. VI: "Le coeur humain est dès son enfance porté au mal par ses sentiments et sa pensée." Il est écrit du troisième de ces maux, au livre de la Genèse, ch. III: "Le Seigneur chassa Adam du paradis de délices, afin qu’il travaillât la terre." On lit Psaume CXIX: "Hélas, que mon pèlerinage est long," L’Apôtre dit, Epît. aux Hébreux, ch. XI: "Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant pas reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant, et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils sont étrangers et voyageurs sur la terre." Ceux qui tiennent ce langage indiquent qu’ils cherchent la patrie; ils se fussent assurément rap pelé de celle qu’ils avaient quitté, ils avaient le temps d’y retourner; mais maintenant ils cherchent une patrie meilleure, c’est-à-dire qu’ils cherchent la patrie céleste. Voilà pourquoi l’Eglise chante en pleurant: "Nous vous saluons, notre Reine, vous qui êtes la mère de miséricorde." Le Commentaire des paroles su de l’épître canonique de saint Jacques: "Ne vous indignez pas si vous voyez les méchants prospérer dans le monde, et si vous êtes malheureux," dit c’est qu’il n’est pas de la dignité chrétienne d’être exalté ici-bas, il vaut mieux y être humilié. La raison c’est que les méchants n’ont rien dans le ciel, pendant que vous n’avez rien sur la terre vous. Ce qui fait que l’espérance du bien vers lequel vous tendez doit vous remplir de joie, quoiqu’il vous arrive dans la voie. Il est écrit du quatrième de ces maux au livre de la Genèse, ch. III: "Vous mangerez votre pain à la sueur de votre front jusqu’à ce que vous retourniez dans la terre de laquelle vous avez été tirés, parce que vous êtes poussière et que vous redeviendrez poussière." On lit dans Job, ch. IV: "Souvenez-vous, je vous en conjure, que vous m’avez fait de boue." Il est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. XVIII: "Toute chair se fane comme l’herbe et comme la feuille qui croît sur les arbres verts." Le Commentaire ajoute: "Comme l’herbe qui croît sur la terre et comme la feuille qui pousse sur l’arbre verdit, perd ses forces, se dessèche et tombe;" il en est de même de notre chair.

Quatre fruits qui rayonnent pour ainsi dire du corps du Seigneur et qui nous préservent des coups de la mort, ont pour objet de faire disparaître les quatre maux dont nous venons de parler. Le corps du Seigneur nous délivre de la mort éternelle, il multiplie les mérites d’une bonne vie, il nous conduit à la patrie de la vie véritable, il ressuscite le corps pour la vie éternelle. Il est écrit du premier de ces fruits dans saint Jean, chap. VI: "Je suis le pain de vie, vos pères mangèrent la manne et ils sont morts. C’est là le pain descendu du ciel, si quelqu’un mange de ce pain, il ne mourra pas;" et cela, parce que la puissance du corps de Jésus-Christ ne nous délivre pas seulement de la mort éternelle, qui a l’enfer pour empire, mais qu’il nous soustrait encore à la mort qui régna dans les limbes. Et qui plus est, il change cette mort passagère du corps, pour la vie éternelle qui se trouve dans le ciel. On lit dans le prophète Osée, chap. XIII: "Je délivrerai mon peuple de la main de la mort." Il est écrit du second de ces fruits dans saint Jean, chap. XI: "Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde," parce qu’il multipliera les mérites d’une vie vertueuse. Car comme l’enfant qui est tout jeune encore acquiert, par la nourriture corporelle, qu’il prend, de la taille, des forces et de la beauté, de même le fidèle augmente par cette nourriture spirituelle les mérites d’une vie vertueuse. On lit dans saint Jean, ch. X: "Je suis le bon pasteur," et plus bas: "Je suis venu pour les brebis aient la vie et qu’elles l’aient abondamment." Il est écrit Psaume CXXXVII: "Vous augmenterez la force de mon âme." Saint Jean parlant au nom du Seigneur dit, chap. XIV: "Celui qui demeure en moi, moi je demeure en lui, etc."

Il est écrit du troisième de ces fruits dans saint Jean, ch. VI: "Je suis le pain vivant;" c’est-à-dire je conduirai l’homme de l’exil de la vie présente au ciel. Saint Ambroise dit: "La figure du corps du Seigneur l’a précédé, quand il fit pleuvoir la manne dans le désert pour nos pères; parce que comme ce pain servit à conduire le peuple à travers le désert dans la terre promise, de même cette nourriture céleste transporte au ciel les fidèles qui traversent le désert du siècle." C'est pour cela qu’on l’appelle avec raison, viatique; parce que réconfortent dans la voie, elle conduit jusqu’à la patrie véritable. On lit dans Jérémie, ch. XII: "Je reconduirai l’homme vers son héritage."

Il est écrit au livre des Proverbes, chap. III: "Elle est un arbre de vie pour ceux qui l’aiment." Le Commentaire ajoute: "Comme il y eut dans le paradis un arbre de vie; de même la sagesse de Dieu qui est Jésus-Christ vivifie l’Eglise, et elle reçoit maintenant de lui comme gage de la vie éternelle le sacrement de son corps et de son sang." Si le corps de Jésus-Christ une fois reçu est le gage de la vie éternelle, on ne se dessaisit du gage qu’autant qu’on a été en possession de ce pourquoi on l’a reçu, il est certain par conséquent que ce corps nous conduit à la vie éternelle. On lit du quatrième de ces fruits dans saint Jean, ch. VI "Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, etc., (jusqu’au dernier jour)." Car il ressuscitera vrai homme. Il est écrit I Cor., chapitre XV: "Comme la mort est venue d’un seul homme," à savoir la mort de tous les hommes, "de même viendra par un seul homme," à savoir par Jésus-Christ, "la résurrection de tous les hommes." Mais il y a ici une dissemblance marquée, ce qui fait qu’il est écrit plus bas: "Nous ressusciteront tous, mais nous ne serons pas tous changés." On lit, Rom., ch. XIV: "Nous comparaîtrons tous au tribunal de Jésus-Christ, etc." Il est écrit I Cor., ch. XV: "Il faut que nous comparaissions tous au tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun rapporte les actions propres de son corps, selon qu’il a bien ou mal agi;" mais nous ne serons pas tous changés, parce que les seuls élus, à cause de la participation soit sacramentelle, soit spi rituelle au corps de Jésus-Christ, se lèveront plus brillants que des soleils; quant aux réprouvés, ils se lèveront avec des infirmités et des cicatrices. On lit dans Daniel, chap. XII: "Ceux qui dorment dans la poussière, s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, et ils brilleront à l’égal du firmament, les autres pour la réprobation, ce sera pour vivre toujours;" mais comme le dit Isaïe, chap. III: "Ils seront en proie aux tortures et aux douleurs de l’enfantement, leurs visages seront brûlés." Le fruit qui sort de la terre est tel que la semence qu’on lui a confiée. Pareillement, telle aura été votre vie quand vous mourrez, telle sera votre résurrection en son temps. Sème-t-on de l’i vraie, il sort de cette semence une herbe difforme et désagréable à la vue. Sème-t-on du froment, il en sort un blé magnifique. Ceci est figuré dans la Genèse par le songe du Roi, chap. XLI: "Sept épis s’élançaient de la même tige pleins et magnifiques, sept autres sortaient de la même paille, légers et brûlés par la chaleur," c’est-à-dire par un vent brûlant, qui les a déformés et noircis. Les sept épis difformes, sont la figure de tous les réprouvés, qui apparaîtront au tribunal de Dieu avec d’affreuses difformités. Les sept épis magnifiques figurent tous les élus qui ressusciteront avec des corps glorieux. Il est écrit des premiers dans le prophète Nahum, ch. III: "Je viens à vous, ânes méchants," c’est-à-dire, je viendrai à vous tous les réprouvés, dit le Seigneur des armés, "je vous dépouillerai de tous vos vêtements qui couvrent ce qui doit être caché, et j’exposerai votre nudité aux nations et votre ignominie à tous les royaumes." L’Apôtre dit des seconds, Philippiens, chap. III: "Nous attendons le Sauveur, etc." Dans la première aux Corinthiens, chap. XV: "On met en terre un corps plein de corruption, il en ressuscitera un corps incorruptible; on met en terre un corps privé de mouvement, il en ressuscitera un corps plein de vigueur; on met en terre un corps animal, il en ressuscitera un corps spirituel; il est mis en terre un corps tout difforme, il en ressuscitera un corps glorieux." Ainsi soit-il.

CHAPITRE XXIV: Des trois effets principaux.

"Venez, mangez, etc.," ou tout autres passages semblables sur les effets ou fruits de ce sacrement.

Le corps saint et sacré du Seigneur produit trois effets principaux. Le premier, c’est la destruction du péché. Le second, c’est la profusion des biens spirituels, ou au moins l’accroissement de ces mêmes biens. Le troisième, c’est qu’il donne aux âmes de nouvelles forces, ou qu’il leur confère la vie éternelle. Il est écrit du premier de ces effets dans le prophète Daniel chap. II: "Selon ce que je voyais, une pierre s’est détachée de la montagne sans le secours d’aucune main humaine, elle a frappé la statue;" c’est-à-dire les figures des péchés, "elle l’a réduite en poussière." Saint Jean dit dans sa première Epître, chap. III: "Et c’est pour détruire les oeuvres du diable que le Fils de Dieu est venu au monde." Il est écrit du second au livre des Proverbes, chap. XII: "Celui qui est bon puisera la grâce dans le Seigneur, parce qu’il est la source de toute grâce." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXIV: "En moi est toute la grâce de la vie, venez vers moi, vous tous." Il est écrit du troisième de ces effets, Psaume CIII: "Le pain confirme le coeur de l’homme." On lit dans la Genèse chap. XVIII: "Et je vous servirai un peu de pain, pour reprendre vos forces."

Le premier des effets principaux que produit le corps de Jésus-Christ, c’est de détruire le péché; et cela pour trois choses: c’est pour purifier le coeur de ses souillures, pour calmer l’aiguillon de la chair, et donner la force de résister aux pensées mauvaises. Il est écrit de la première de ces choses, Psaume LXVII: "Ils deviendront blancs comme la neige du mont Selmon." Selmon est la montagne du Seigneur, elle signifie ombre, et comme le dit le Commentaire, "elle est la figure du corps de Jésus-Christ," parce que comme l’ombre est le résultat d’un corps et de la lumière, de même, il y a dans le corps de Jésus-Christ la lumière de la divinité et la chair de l’humanité. Les fidèles à l’ombre de cette montagne deviendront plus blancs que la neige, parce que la puissance du corps de Jésus-Christ purifie les souillures du péché d’une manière incomparable. On lit dans Isaïe, ch. XLIII: "C’est moi-même qui efface les iniquités, et je le fais à cause de moi."

Il est écrit de la seconde de ces choses, dans l’Exode, chap. XVI: "Et le matin la terre fut couverte d’une rosée qui ressemblait à de la neige." Le Commentaire ajoute: "Le pain céleste qui ressemblait à de la rosée, avait extérieurement la forme de la neige, parce que le corps de Jésus-Christ calme la chaleur brûlante des péchés." On lit Psaume LXXXVIII: "Vous dominez la puissance de la mer." La mer est la figure des misères sans nombre de l’homme; le mouvement des flots est celle de l’aiguillon de la chair. Il est écrit de la troisième de ces choses, au livre des Cantiques, chap. I: "Mon bien-aimé est pour moi comme un faisceau de myrrhe." La myrrhe préserve les corps de la corruption des vers, de même le corps de Jésus-Christ pré serve les coeurs des fidèles des blessures des pensées mauvaises, parce que, lorsque nous recevons le Seigneur qui est notre bien-aimé, si notre coeur est pieusement occupé du de myrrhe, c’est-à-dire de l’amertume de la passion, nous repoussons loin de nous les vers des pensées mauvaises.

Le second des effets principaux que produit le corps de Jésus-Christ, c’est d’augmenter en nous les biens spirituels, et cela pour trois choses; pour la beauté de la chasteté, pour la ferveur de la charité et pour nous faire goûter la douceur. On lit dans Daniel de la première de ces choses, chap. I: "Leurs visages parurent en meilleur état que ceux de tous les enfants qui se nourrissaient des mets du roi." Le Commentaire ajoute: "Les visages de ceux que rassasiait le pain descendu du. ciel, parurent et plus beaux et en meilleur état;" c’est-à-dire que la chasteté les rendit plus beaux. C’est pour cela que ces enfants furent chastes. On lit dans le livre des Cantiques, chap. VII: "Que vous êtes belle et pleine de grâce, ô vous qui êtes ma très chère et les délices de mon coeur!" Car comme une bonne nourriture rend le corps plus beau, de même les délices de la nourriture spirituelle ajoutent à la beauté de la chasteté, l’augmentent. On lit dans Ezéchiel, chap. XXXVI: "Vous avez mangé la plus pure farine, le miel et l’huile, et vous êtes devenue toute belle." On lit de la seconde de ces choses dans l’Ecclésiastique, chap. XXXII: "L’escarboucle enchâssée dans l’or." Le Commentaire ajoute: "L’escarboucle tient la première place parmi les pierres brillantes, et est ainsi appelée parce quelle brille comme un charbon enflammé." Mais elle est la figure du corps de Jésus-Christ qui orne le coeur de celui qui le reçoit de la chasteté et qui l’enflamme du feu de la charité. On lit, Psaume, XLIX "Le feu brûle en sa présence les charbons, etc." De là il est écrit au quatrième livre des Rois, chap IV: "Elisée se courbant se coucha sur l’enfant, et la chair de l’enfant fut réchauffée." Il est écrit de la troisième de ces choses dans la Genèse, chap. XLIX: "Le pain d’Aser est gras et les rois y trouveront leurs délices." On lit au de la Sagesse, chap. XVI: "Vous avez nourri votre peuple de la nourriture des anges, et vous leur avez donné le pain du ciel, qui renferme toute espèces de charmes et de douceurs." La substance de ce pain mon trait en effet toute la douceur que vous avez pour vos enfants. On lit au livre des Cantiques, chap. V: "J’ai mangé le rayon avec mon miel;" c’est-à-dire la douceur de la chair de Jésus-Christ, avec la douceur de sa divinité; "j’ai bu le vin avec mon lait;" c’est-à-dire j’ai goûté la douceur du sang de Jésus-Christ en même temps que la douceur de la consolation spirituelle.

Le troisième des effets principaux que produit le corps de Jésus-Christ, c’est qu’il réconforte les âmes, et cela pour trois choses; pour combattre avec succès les démons, pour supporter avec courage l’adversité, et pour faire de bonnes oeuvres. Il est écrit de la première de ces choses dans le premier livre des Rois, ch. XXX: "Les hommes de David trouvèrent dans les champs un Egyptien qu’ils lui amenèrent, et ils lui donnèrent du pain à manger et de l’eau à boire, et il revint à lui et reprit ses sens; il conduisit David vers les voleurs, et celui-ci les chargea et les tailla en pièce." L’homme de l’Egypte est la figure du pécheur que les prédicateurs ramènent à Jésus-Christ par la conversion; raffermi dans cette même conversion par le pain du corps du Seigneur, il devient chef de l’armée de Jésus-Christ pour défaire les démons. L’Apôtre dit, Ephèse, chap. VI: "Raffermissez-vous dans le Seigneur et dans la puissance de sa vertu pour que vous puissiez vous tenir fermes contre les embûches du démon." On lit au premier livre des Rois, chapitre VII: "Mais il arriva lorsque Samuel offrait en holocauste un agneau, que le Seigneur jeta l’épouvante parmi les Philistins, et qu’ils furent taillés en pièce par les enfants d’Israël." Il est écrit de la seconde de ces choses au troisième livre des Rois, chap. XXII: "Mettez-en prison l’homme juste, et nourrissez-le du pain de la tribulation," celui-là est jeté en prison, qui dans ce monde est en proie à l’adversité. Le pain de la tribulation dont il est nourri, c’est le pain, de la vie éternelle, qui le fortifie contre l’adversité et la lui fait supporter. On lit au livre des Actes, chap. XXVII: "Paul dit à ceux qui étaient exposés au dangers de la mer: je vous exhorte à prendre de la nourriture pour pouvoir vous sauver, et tous reprirent courage et se fortifièrent en prenant de la nourriture." L’Apôtre dit, Philippiens, chapitre III: "Je puis tout en celui qui me fortifie." Il est écrit de la troisième de ces choses au livre des Proverbes, chapitre ult.: "La femme forte se leva pendant qu’il était encore nuit, elle donna à manger à ses serviteurs et à ses servantes." La femme forte, c’est l’Eglise des gentils; elle se lève de nuit, parce qu’en entendant la parole, elle vient des ténèbres du péché à Jésus-Christ; elle donna à manger à ses serviteurs et à ses servantes, parce qu'elle s’empare avec le plus vif désir des sacrements institués pour l’Eglise juive et que celle-ci a dédaignés, et qu’elle en nourrit sa famille, c’est-à-dire les fidèles. Et elle le fait dans le but de les fortifier pour l’accomplissement de trois espèces de biens; pour leur donner la force de faire les oeuvres de la miséricorde, pour leur faire gagner des âmes, et pour qu’ils acquièrent des trésors célestes. C’est pour cela qu’il est écrit après qu’il a été parlé de cette nourriture céleste: "Elle examina un champ, l’acheta, et du fruit de ses mains y planta une vigne." La première de ces choses est désignée par le fruit des mains, la secondé par la plantation de la vigne, la troisième par l’acquisition du champ. Et d’abord, le corps du Seigneur nous donne la force de faire le bien. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXV: "Le fourrage, le bâton et la charge à l’âne, le pain, la correction et le travail à l’esclave." Comme la pâture donne à l‘âne la force de porter les fardeaux, de même le pain du ciel donne au serviteur de Dieu la force de faire des bonnes oeuvres. L’Apôtre dit, II Tim., chap. I: "Je rends grâces à celui qui me fortifie en Jésus-Christ." Celui qui considère parfaitement l’immense libéralité de Dieu envers lui dans ce sacrement, doit fortifier par là sa piété envers le prochain. Secondement, ce sacrement nous donne de nouvelles forces pour gagner des âmes. On lit au livre des Actes, chap. IX: "Cet homme est un instrument que j’ai choisi pour faire connaître mon nom;" c’est-à-dire Jésus-Christ, il est comme une huile céleste pour le salut des âmes. Il est écrit au livre des Cantiques, chap. I: "Votre nom est comme une huile de parfum que l’on a répandue," il s’échappe du coeur de Jésus qui en est plein, une huile de grâce pour le salut de l’âme. Il nous donne en troisième lieu la force d’acquérir les biens célestes: de là il a été dit plus haut, que la femme forte a considéré un champ et qu’elle l’a acheté du fruit de ses mains; c’est-à-dire par ses bonnes oeuvres. On lit dans Jérémie, chap. XXXII: "On y achètera des champs, on en écrira les contrats, et on y mettra le sceau en présence des témoins." La vertu et les bonnes oeuvres, tel est le prix par lequel on acquiert l’héritage des biens célestes, et les acheteurs comme les champs seront inscrits dans le livre de vie, et le sceau, à savoir la croix de Jésus-Christ, sera imprimé dans le coeur de l’acheteur, et la lumière de l’image de Dieu servira de gage et sera employée comme témoin, parce que au jour public du jugement, le Seigneur attestera que c’est véritablement au prix de vos bonnes oeuvres que vous avez acquis le royaume du ciel. On peut aussi dire que le troisième des principaux effets du corps du Seigneur, c’est de nous conférer la vie éternelle. On lit dan Jean, chap. VI: "Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement." Et cela se réalisera dans les trois choses suivantes: dans la préparation de toutes les délices, dans l’entier accomplissement de tous les désirs, et dans la jouissance sûre et éternelle de tous les biens. On peut revoir ceci vers la fin du chapitre dixième.

CHAPITRE XXV: Des effets du corps de Jésus-Christ tirés des trois noms qu’on lui donne.

"Venez, mangez, etc." ou autres textes cités plus haut, ou même semblables, et qui concernent les effets ou les noms du corps de Jésus-Christ.

On peut prendre les effets du corps du Seigneur des trois noms qu’on a coutume de lui donner. On l’appelle en effet parfois, pain véritable, parfois sacrement de l’autel, et quelquefois aussi sacrement de charité.

I. Il est dit du premier de ces noms dans saint Jean, chap. VI: "Mon Père vous donne le vrai pain du ciel." Il est dit du second dans Malachie, chap. III: "Le sacrifice de Juda et de Jérusalem sera agréable à Dieu." L’Apôtre dit du troisième, Tim., chap. III, I° Epître: "C’est un grand mystère de piété que celui qui a été manifesté dans la chair," par l’enfantement de la Vierge, "prêché aux nations," par les saints Apôtres, "cru dans le monde," c’est-à-dire donné aux fidèles en aliment du salut, ce qui fait qu’on lui donne avec justice le nom de sacrement de charité.

Premièrement, le corps du Seigneur s’appelle pain véritable, et considéré sous ce point de vue, il produit trois effets. Car comme le pain confère surtout au corps trois biens, c’est-à-dire qu’il le rassasie, le fortifie et lui conserve la vie, de même ce pain rassasie l’esprit, de manière à lui inspirer le dégoût du monde, il fortifie l’esprit contre le mal, et lui donne la force de vaincre le mal du péché; il conserve la vie pour qu’on puisse louer éternellement Dieu. Il est écrit de la première de ces choses, Psaume CXXXI: "Je rassasierai ses pauvres de pain." Voilà pour les choses qui devaient s’accomplir. "Vous avez rassasié, Seigneur, votre famille de vos dons sacrés," vous l’avez rassasiée pour lui inspirer le dégoût du monde. On lit, Proverbes, chap. XXII "L’âme est rassasiée foule aux pieds le rayon de miel," c’est-à-dire, dit saint Grégoire, "que quand on a goûté la douceur de l’esprit, la chair n’a plus de saveur."

Il est écrit de la seconde, Psaume CIII: "Le pain, pour qu’il fortifie le coeur de l’homme contre le mal," c’est-à-dire pour vaincre le mal du péché parce que les vices dominent ceux qui ne sont pas fortifies par ce pain. Il est écrit au quatrième livre c!es Rois, chap. XXV: "Le roi de Babylone marcha avec toute son armée contre Jérusalem, et il mit le siège devant la ville, et il ne se trouvait pas de pain pour nourrir lé peuple, et tous les combattants s’enfuirent pendant la nuit vers le jardin du roi," c’est-à-dire qu’ils se livrèrent aux voluptés de la chair, "et vers les campagnes du désert;" c’est-à-dire vers la voie large qui conduit à la mort. Il est écrit de la troisième dans l’Ecclésiastique, chap. XXXIV: "Le pain des malheureux est la vie du pauvre." On lit dans saint Jean, chap. VI: "Je suis le pain vivant descendu du ciel. Je vis pour mon Père, et celui qui me mange vit pour moi," et c’est cette vie qui loue toujours le Seigneur. Il est écrit Psaume CXLV: "Loue le Seigneur, ô mon âme! etc." Il a été traité de ces choses précédemment dans le chapitre neuvième.

II. Secondement, le corps du Seigneur s’appelle sacrement de l’autel, et en tant qu’il est ainsi considéré, il produit un triple effet, qui correspond aux trois états des fidèles; c’est-à-dire qu’il produit un effet montré dans ce monde, dans le ciel, et dans le purgatoire. Dans ce monde, il délivre des étreintes du p dans le purgatoire, il allège les châtiments, dans le ciel, il augmente la gloire. Il est écrit du premier de ces états, c’est-à-dire de l’état du monde, dans le Lévitique, chap. V: "L’âme qui aura péché par ignorance, offrira un agneau sans tache;" à savoir Jésus-Christ, sans cela le péché n’est pas remis. Il ne sert de rien d’immoler une chèvre, c’est-à-dire l'offrir l'offrande de la pénitence, si l’on ne s’est pas appliqué à mettre toute sa confiance dans l’immolation de Jésus-Christ. On lit dans saint Jean, chap. I: "Voici l’agneau de Dieu, voici, etc.," Paschase ajoute: "Bien que tous les péchés aient été remis dans le baptême, l’infirmité, c’est-à-dire le foyer du péché demeure toujours dans la chair." Et comme nous tombons chaque jour dans le péché, au moins le péché véniel, voilà pourquoi Jésus-Christ s’immole chaque jour pour nous, afin que celui qui a triomphé une fois de la mort en mourant, remette par ces sacrements nos péchés réitérée. Saint Ambroise dit: "Comme ce que l’on offre partout n’est qu’un seul corps, de nième il n’y a qu’un sacrifice; Jésus-Christ a offert une seule fois pour tous une hostie sur la et n’est cette hostie que nous offrons maintenant; mais ce que nous faisons, n’est que la mémoire de son sacrifice, cela ne rappelle nullement sa faiblesse, mais ne fait que signaler la nôtre, parce que nous péchons tous les jours." Il est écrit du second au livre du Lévitique, ch. XVII: "Je vous ai donné le sang, afin que vous l’offriez sur mon autel pour l’expiation de vos âmes." Ceci est une figure de la puissance qu’a le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ de soulager des peines du purgatoire. Nous devons savoir ici, que l âmes de ceux qui meurent sont rangées dans trois catégories. La première, c’est celle des pécheurs, la seconde, celle des pénitents, et la troisième, celle de ceux qui sont innocents. Le sacrifice n’est d’aucun secours pour ceux de la première; il allège le châtiment de ceux qui composent la seconde, il conduit au ciel sans souffrances ceux de la troisième. Il est écrit de la première dans le premier livre des Rois, chap. III: "J’ai juré à la maison d’Héli, que l’iniquité de cette mai son ne sera jamais expiée, ni par des victimes, ni par des présents." Sa maison, c’est-à-dire tous ceux qui persévèrent dans le péché. On lit dans Jérémie, chap. VII: "Parce que je vous ai parlé et que vous ne m’avez pas écouté, que je vous ai appelé et que vous ne m’avez pas répondu, je vous rejetterai de devant ma face;" c’est-à-dire, que je vous éloignerai de tout bien et céleste et terrestre. "Pour vous, gardez-vous donc de prier pour le peuple, et ne faites pas entendre la louange pour eux," c’est-à-dire gardez-vous d’offrir pour eux le sacrifice de la louange, "ne faites pas obstacle à ma colère, parce que je ne vous exaucerai pas." On lit au livre des Proverbes, ch. VI: "Celui qui est adultère," c’est-à-dire qui aime et s’attache à la créature plus que ne le permet la justice, perdra son âme, parce que mon zèle pour la justice et ma fureur seront sans pitié pour l’homme au jour de la vengeance, et je ne me laisserai fléchir par les prières de personne, et je ne recevrai pas pour le rachat les dons les plus considérables, tel que le sacrifice très précieux de Jésus-Christ. Nous avons dit plus haut du second de ces états: "Je vous ai donné le sang, afin que vous l’offriez sur l’autel pour l’expiation de vos âmes." Je vous ai donné le sang, c’est-à-dire le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ. Le sang se prend pour le corps tout entier, et la partie pour le tout, et comme le sang se trouve sur l’autel en même temps que le corps, et que le corps n’y est pas sans le sang, pour les âmes, c’est-à-dire pour les âmes qui sont dans le purgatoire. "Il n’est pas douteux, dit saint Augustin, que les prières, les aumônes de l’Eglise, ainsi que le sacrifice salutaire ne soulagent les âmes des défunts, pour que le Seigneur agisse plus miséricordieusement envers elles que leurs péchés ne le méritèrent en ce monde." On lit dans Zacharie, chap. XIII: "Il y aura deux partis qui seront dispersées et qui périront;" c’est-à-dire que les infidèles et les mauvais chrétiens seront condamnés, "et il y aura un troisième parti qui demeurera;" c’est-à-dire les pénitents, "et je ferai passer ces derniers par le feu;" c’est-à-dire que je ferai passer les âmes des pénitents par le purgatoire, "et je les épurerai comme on épure l’argent, et je les éprouverai comme on éprouve l’or m’appellera par mon nom, et je l’exaucerai." Lui-même, à savoir le peuple chrétien qui reste sur la terre, il m’invoquera par se prières, ses aumônes, et par le sacrifice de l’autel pour la partie qui passera par le feu, c’est-à-dire pour les âmes qui sont dans le purgatoire, et je l’exaucerai, et cela, en allégeant et en abrégeant leurs peines. Il est écrit de la seconde au livre des Proverbes, ch. XXXI: "Le présent caché éteint la colère," à savoir la colère de Dieu, c’est-à-dire les peines du purgatoire, il l’éteint pour les âmes innocentes, ou pour celles qui ont été suffisamment purifiées par les tribulations et les maux qu’elles ont endurés ici-bas. On lit Psaume XXXVII: "Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur et ne -me punissez pas dans votre colère. Parce que je suis percé de vos flèches, etc." La fureur de Dieu brûle dans l’enfer, sa colère s’exerce dans le purgatoire, et es flèches, ou la correction de son amour, a lieu dans ce monde. Celui par conséquent qui supporte avec résignation les flèches de la correction du Seigneur, échappera sain et sauf, conduit par le Seigneur, à la fureur de l’enfer, et à la colère du feu du purgatoire. On lit dans Isaïe, ch. XLIII: "Ne craignez pas, mou serviteur, quand vous passerez par le feu, je serai avec vous, et les fleuves ne vous submergeront pas; lorsque vous marcherez dans le feu, vous n’en serez pas brûlé, parce que je suis votre Sauveur." On lit dans Daniel, chap. III: "Or l’ange du Seigneur était descendu vers Azarias et ses compagnons dans la fournaise, et écartant les flammes, il avait formé au milieu de la fournaise un vent frais et une douce rosée, et le feu ne les toucha en aucune sorte, il ne les incommoda pas et ne leur fit aucun mal. Alors ils louaient Dieu dans la fournaise, disant: "Bénissez le Seigneur qui nous a arrachés de l’enfer, et qui nous a tirés du milieu des flammes." Il est écrit dans Isaïe, ch. LV: "Car vous sortirez avec joie, et vous serez conduits dans la paix. Les montagnes et les collines retentiront devant vous de cantiques de louanges, et tous les arbres du pays feront entendre leurs applaudissements."

III. Quant à la troisième chose de laquelle il a été question plus haut, à savoir que le sacrifice de l’autel augmente en quelque manière la gloire des bienheureux dans le ciel, il est écrit dans le Lévitique, chap. X: "Vous mangerez aussi, vous, vos fils et vos filles, dans un lieu très pur, la poitrine qui a été offerte." La poitrine de l’animal qui à été offert en sacrifice, est ce qu’il y a de meilleur et de plus succulent; elle est par conséquent la figure de la douceur des effets que produit le corps de Jésus-Christ, en tant qu’on le mange dans un lieu très pur, c’est-à-dire en tant qu’il réjouit les bienheureux qui sont dans le ciel, parce que ce sacrifice, en leur rappelant la rédemption, produit en eux un bonheur et une joie indicibles. La vue de notre salut et l’admiration que produit en eux la bonté divine, les transportent aussi de joie et d’allégresse. Saint Grégoire dit, parlant de ce sacrifice: "Au même moment, il est emporté dans le ciel, par le ministère des anges, pour y être uni au corps de Jésus-Christ, et il paraît sur l’autel sous les yeux du prêtre." Il est emporté, et cela pour être uni au corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire pour porter la joie dans le coeur des justes. Le sacrifice étant sur le pas d’être achevé, on dit: "Nous avons reçu, Seigneur, les divins mystères, faites qu’ils nous profitent pour la vie éternelle, comme ils profitent à vos saints pour leur gloire."

Troisièmement, le corps du Seigneur s’appelle aussi le sacrement de la charité, et sous ce rapport, il produit trois effets, parce qu’il produit principalement en nous trois biens; il nous rend réellement participants du Saint Esprit; il fait véritablement habiter en nous Jésus-Christ, il nous transforme en l’image et ressemblance de Dieu.

Il est écrit du premier de ces effets, Psaume LXXX: "Et il les a rassasiés du tiré de la pierre;" et cela parce que les fidèles sucent du côté de Jésus-Christ la douceur du Saint Esprit. On lit au livre de la Sagesse, chap. XII: "Oh qu’il est bon! qu’il est suave en nous, Seigneur, votre esprit," à savoir l’esprit qui, de votre corps, découle en nous. "L’homme, dit saint Augustin, vit par la participation au corps de Jésus-Christ, s’il ne le prend pas seulement sacramentellement, ce que font les méchants eux mais s’il va jusqu’à participer au Saint Esprit, de même qu’il demeure membre de Jésus-Christ, et qu’il vive de son esprit." Il est écrit du second de ces effets, dans saint Jean, chap VI: "Celui qui mange ma chair, etc." Saint Hilaire ajoute: "Après avoir reçu la chair du Seigneur et bu le calice, il arrive que nous sommes en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est en nous. Jésus-Christ réside en effet en nous par sa chair que nous avons reçue, et nous sommes en lui en tant que ce que nous sommes est en Dieu." Ou lit dans saint Jean, chap. I: "Le Verbe s’est fait chair, etc." Le Verbe, en se faisant chair, a habité notre chair, et nous, lorsque nous recevons en nourriture le Verbe incarné, il ha bite lui-même en nous. Ou lit du troisième de ces effets dans saint Jean, chap. I: "Mais il donne à tous ceux qui le reçoivent le pouvoir de devenir enfants de Dieu," c’est-à-dire déiformes, ou ressemblants à Dieu quant à l’image; il est impossible de porter plus haut la créature, que de l’assimiler à son Créateur. Mais la puissance du corps de Jésus-Christ assimile l’homme à Dieu eu trois choses; il le lui assimile par la bonté intérieure du coeur, par la fertilité extérieure de l’action; et l’héritage supérieur du royaume céleste qu’il lui donne. Il est écrit du premier de ces effets dans la seconde Epître de saint Pierre, chap. I: "Jésus-Christ, par sa propre gloire et sa propre vertu, nous a communiqué les grandes et précieuses grâces qu’il avait promises, pour vous rendre par ces grâces participants de la nature divine;" les grandes promesses qu’il nous avait faites, c’est-à-dire lui-même. De là le serment par lequel il promit à Abraham notre père de se donner à nous pour nous rendre participants de la nature divine, c’est-à-dire de la bonté divine, parce que la bouté est de la nature de Dieu. "Comme notre Seigneur, ainsi que le dit saint Ambroise, participe à la fois et de la divinité et du corps, il s’ensuit que vous participez à la substance divine par cet aliment, vous qui recevez sa chair, c’est-à-dire qu’il vous rend véritablement bons." Il est dit du second de ces effets dans Ezéchiel, chap. XVII: "Je prendrai de la moelle du plus grand cèdre, je couperai du plus haut de ses branches, une branche, et je la planterai sur une montagne haute et élevée, et elle portera du fruit." La moelle du plus grand cèdre, c’est la sagesse éternelle de Dieu; ses branches les plus élevées, ce sont les saints Pères; le sommet des rameaux, c’est la bienheureuse Vierge, la partie la plus élevée des rameaux, c’est la chair que Jésus-Christ a prise de la Vierge. Par conséquent, le rejeton pris de la moelle et du sommet, c’est le corps de Jésus qui est tout plein de la divinité. Il est planté sur une montagne élevée, c’est-à-dire dans le coeur du juste élevé dans le ciel, il produit le fruit d’une oeuvre qui ressemble à Jésus-Christ. L’Apôtre dit de l’un et de l’autre de ces effets, Galat., chap. II: "Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi," en moi, c’est-à-dire qu’il m’assimile à lui par la bonté intérieure, et par les bonnes oeuvres extérieures. De là saint Augustin a entendu ces paroles " Je suis la nourriture de ceux qui sont grands, dans ce sens, profite et tu me mangeras, et tu ne me changeras pas, etc." Il est écrit dans saint Jean, du troisième de ces effets, chap. VI: "Mais il a donné à tous ceux qui l’ont reçu de devenir enfants de Dieu;" donc il les a aussi constitués ses héritiers. L’Apôtre dit, Epître aux Romains, chap. VIII: "Si vous êtes les enfants, vous êtes les héritiers, Vous êtes par conséquent les cohéritiers de Jésus-Christ." On lit dans la première Epître de saint Pierre, chap. II: "Béni soit le Dieu qui nous a régénérés," c’est-à-dire qui de fils du démon, nous a faits enfants de Dieu," pour acquérir un héritage où rien ne peut se détruire, ni se corrompre, ni se flétrir, et qui vous est réservé dans le ciel. Ainsi soit-il.

CHAPITRE XXVI: Des effets tirés des autres trois noms que l’on donne au corps de Jésus-Christ.

"Venez, mangez, etc." Argument relatif aux effets ou aux noms du corps du Seigneur.

Les effets du corps du Seigneur peuvent se prendre des trois noms mentionnés plus haut. On l’appelle quelquefois

1° remède spirituel, quelquefois

2° manne, c’est-à-dire pain céleste, on l’appelle aussi quelquefois

3° Eucharistie, c’est-à-dire bonne grâce de l’âme fidèle.

I. Il est dit du premier dans l’Ecclésiastique, ch. XXXVIII: "Le Très Haut a créé le remède de la terre et l’homme prudent n’en n’aura pas horreur." Saint Augustin ajoute: "Jésus-Christ a pris de la terre la terre, et il a reçu de la chair de Marie la chair, et il nous l’a donnée à manger pour notre salut." Il est écrit du second au livre de l’Apocalypse, ch. Il: "Je donnerai la manne au vainqueur, etc." Ce qui est absolument comme s’il disait à celui qui se prépare par la victoire de ses vices, "je lui donnerai la manne," c’est-à-dire le pain céleste, à savoir mon corps dans lequel sont cachés une multitude de biens. On lit dans saint Jean, chap. VI: "Voici le pain descendu du ciel." Il est écrit du troisième au livre de ‘ ch. XXXII: "Ecoutez en silence, et votre retenue vous acquerra beaucoup de grâce," ce qui est absolument comme s’il disait: Préparez-vous en écoutant la parole de Dieu, et obéisse afin de vous taire; c’est-à-dire soyez plein de respect en faisant le bien, et alors vous recevrez la bonne grâce, qui en grec s’appelle "Eucharistie," c’est-à-dire le corps de Jésus-Christ. Le Maître des Sentences IV, dit: "Le nom d’Eucharistie, c’est-à-dire bonne grâce, convient parfaitement au sacrement de l’autel, parce que dans ce sacrement nous ne recevons pas seulement une augmentation de grâces et de vertus, mais nous y recevons encore dans sa plénitude celui qui est la source de toutes grâces."

Premièrement, le corps du Seigneur s’appelle remède spirituel, et, considéré sous ce point de vue, il produit trois effets. Le serpent infernal déversa dans le genre humain tout entier par le poison du fruit défendu une triple corruption; il répandit dans l’âme les ténèbres de l’ignorance, dans la chair la maladie de la concupiscence mauvaise, et la mort dans l’une et l’autre. Le corps de Jésus-Christ, comme remède, "la propriété de guérir ces trois maux. Il dissipe les ténèbres de l’ignorance, il guérit la maladie de la concupiscence mauvaise, et il triomphe de la mort en l’anéantissant. Il est écrit de la première de ces choses, Psaume CXXXI: "J’ai préparé une lampe à mon Christ, etc." La lampe est une lumière à travers un corps diaphane, c’est-à-dire translucide, de même le corps de Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, qui est la lumière véritable dans une chair, exempte de toute souillure et qui chasse de toute notre’ personne les ténèbres de l’ignorance. On lit dans saint Luc, chap. II: "Mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous avez donné, etc." Il est écrit Psaume XXVI: "Le Seigneur est ma lumière, etc." On lit encore Psaume XXXIII: "Approchez-vous de lui et il vous éclairera." Il est écrit de la seconde dans Isaïe, chap. XXXVIII, et dans le quatrième livre des Rois, chap. XX: "Alors on commanda que l’on prît une masse de figues et qu’on en fît un cataplasme sur le mal d’Ezéchias, pour lui faire recouvrer la santé." La blessure ou ulcère du roi, c’est la concupiscence de la chair. On lit Psaume VI: "Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, etc." Il est écrit de la troisième d ces choses dans saint Luc, chap. I: "Béni le fruit de votre ventre," à savoir le corps de Jésus-Christ qui est le ‘fruit de vie, qui a la puissance de guérir de la mort éternelle. On lit au livre des Proverbes, chap. III: "Elle est un arbre de vie pour ceux qui l’aiment, à savoir la sagesse incarnée de Dieu." Il est écrit dans Osée, ch. XIII: "Je serai ta mort, Ô mort!" Nous avons parlé de cette triple corruption et de son remède au commencement du chapitre sixième.

II. Secondement on appelle le corps du Seigneur, manne, c’est-à-dire pain céleste, et cela parce que la manne ressemble par le goût, au froment, à l’huile et au miel. Il ‘est écrit des deux premières de ces choses au livre de l’Exode, ch. XVI: "Il a le goût de la fleur de froment mêlée au miel." Il est écrit de la troisième au livre des Nombres, chap. XI: "Et ils firent avec cela des gâteaux qui avaient comme le goût de pain." Le prophète Ezéchiel dit de ces trois choses en même temps, ch. XVI: "Son goût est absolument comme si vous aviez mangé de la farine pure, du miel et de l’huile, et, sous ce rapport, le corps de Jésus-Christ produit un triple effet." Il rend en effet les moeurs honnêtes, il donne la douceur du coeur, il produit aussi la piété envers le prochain; le froment est la figure de la première de ces choses, le miel est la figure de la seconde, l’huile représente enfin la troisième. Zacharie dit de la première de ces choses, ch. IX: "Car qu’est-ce que le Seigneur a de bon et d’excellent, sinon le froment des élus?" Le pain de froment est beau et bon en soi, il l’est même dans ses effets, parce qu’il rend beau, par conséquent le corps de Jésus-Christ rend les moeurs honnêtes, bonnes et pures. On lit ‘dans le prophète Daniel, chap. I: "Leurs visages parurent et plus frais, et plus gras que ceux des enfants qui mangeaient des aliments de l table du roi." Le Commentaire ajoute: "Les visages de ceux que rassasiait le pain descendu du ciel." Il est écrit de la seconde au livre des Proverbes, chap. XXIV: "Mon fils, mangez le miel parce qu’il est bon, et le rayon de miel parce qu’il est très doux à votre bouche." On lit au livre de la Sagesse, chap. XVI: "Vous leur avez fait pleuvoir du ciel un pain préparé sans aucun travail, qui renfermait en soi tout ce qu’il y a de délicieux, et tout ce qui peut être agréable au goût." Il est écrit de la troisième au livre de Job, chap. XXIX: "Qui m’accordera d’être encore comme dans ces jours, où le Seigneur habitait en secret dans ma maison, et que la pierre répandait pour moi des ruisseaux d’huile?" c’est-à-dire, la grâce de la piété pour le bien du prochain. On lit au livre des Proverbes, chap. XXI: "Il y a un trésor précieux et de l’huile dans la maison du juste." Il est écrit au quatrième livre des Rois, chap. IV: "Ils présentaient les vases, et la femme versait l’huile," et Elisée dit: "Vendez l’huile et rendez à votre créancier ce que vous lui devez; pour vous et vos enfants, vivez de ce qui vous reste." Voici que l’huile, c’est-à-dire l’oeuvre de la piété, refait les forces du prochain, paye des dettes, et nous nourrit nous-mêmes. Ce qui donne l’intelligence de la première de ces choses, c’est qu’elle versait de l’huile dans les vases de ses proches; ce qui nous explique la seconde, c’est qu’au moyen de l’huile elle paya ce qu’elle devait à son créancier; ce qui nous fait connaître la troisième, c’est qu’elle vécut, elle et ses enfants, au moyen de l’huile.

III. Troisièmement, on appelle le corps du Seigneur, Eucharistie, c’est-à-dire bonne grâce; mais comme le disent les Docteurs, la grâce est l’influence de la bonté divine sur l’âme, elle l’assimile à Dieu par cette influence, elle la lui rend agréable, et digne de la vie éternelle, et sous ce rapport, le corps du Seigneur produit trois effets, il rend l’âme semblable à Dieu, il la lui rend chère et agréable, il lui donne la vie éternelle. Il est écrit du premier de ces effets dans la seconde Epître d saint Pierre, chap. I: "Jésus-Christ qui nous a appelés par sa propre gloire et par sa vertu, nous a communiqué les grandes et précieuses grâces qu’il avait promises pour nous rendre par ces grâces participants de la nature divin" c’est-à-dire semblables à Dieu par la bonté véritable. Il est écrit du second au livre des Cantiques, ch. VII: "Que vous êtes belle, que vous êtes pleine de charmes et de délices!" Ce qui est comme s’il disait: "Vous avez été nourrie par l’aliment plein de douceur et par le breuvage plein de charmes du corps et du sang de Jésus-Christ, ce qui vous a rendu belle, et par conséquent agréable et chère à Dieu." Il est écrit du troisième de ces effets dans saint Jean, chap. VI: "Celui qui mange ma chair, etc., a la vie éternelle." On appelle encore, le corps du Seigneur, Eucharistie, c’est-à-dire bonne grâce, et sous ce rapport, il produit un effet parfait; c’est que quand nous le mangeons, il ne se transforme pas en nous comme une autre nourriture, mais c’est nous qui sommes transformés en lui. Car parce que comme il a été dit plus haut, la grâce est l’influence de la bonté divine sur l’âme, et c’est elle qui l’assimile à Dieu, cette bonne grâce, à savoir le corps de Jésus-Christ, nous communique sa bonté, par laquelle, au lit de nous l’assimiler, il nous assimile à lui, et nous transforme en sa bonté. Cette transformation de nous-mêmes en Jésus-Christ peut su prouver par trois figures; la première se tire de la puissance de notre amour; la seconde se tire de la puissance d’une chose pins grande; la troisième se tire de la puissance de la greffe d’un arbre. On peut revoir ces plus haut vers la fin du chapitre vingtième.

CHAPITRE XXVII: Du sang de Jésus-Christ considéré sous trois points de vue divers; et d’abord, en tant qu’il le verse sur la croix.

"Venez, mangez mon pain, et buvez le vin que je vous ai pré paré." Proverbes; ch. IX. Le Seigneur par ces paroles nous invite au banquet salutaire dans lequel il nous a préparé comme une nourriture précieuse et comme un breuvage ineffable son corps et son sang. C’est pourquoi après avoir traité plus haut du corps de Jésus-Christ, nous allons parler ici de son sang." C’est là celui qui est venu par l’eau et le sang," c’est-à-dire Jésus-Christ, I° Epître’ de saint Jean, chap. II. On lit encore ailleurs, Matth., chap. XX: "Vous boirez mon calice." Argument propre: "Vous êtes digne, Seigneur, etc. parce que vous nous avez rachetés dans votre sang;" Apocalypse, chap. II. Ou tout autre texte semblable.

La septième chose que nous devons surtout considérer relativement au sacrement du corps du Seigneur, c’est son sang sacré. Il nous importe par conséquent de savoir que le sang du Seigneur peut être considéré de trois manières différentes. On peut premièrement le considérer en tant en tant qu’il a été versé sur la croix pour le salut de tous les hommes; secondement en tant que les fidèles le reçoivent dans le sacrement; troisièmement en tant que ceux qui doivent être sauvés le boivent spirituellement. Considéré de la première manière, sa dignité inestimable nous le rend recommandable. On peut faire concernant ce prix immense quatre observations. La première chose que l’on peut considérer relativement à ce prix immense, c’est ce qui établit le prix même de ce sang; la seconde, c’est la raison de donner un si grand prix; la troisième, c’est la grandeur de la puissance de ce sang, la quatrième, c’est la multitude des personnes qu’il a rachetées.

I. La première chose qu’il faut surtout observer relativement au prix de ce sang, c’est la preuve même de ce prix infini; et ceci s’établit par les trois raisons suivantes; ce sont la source virginale de laquelle il vient, la dignité de son innocence, et son union avec Dieu. Il est écrit de la première de ces raisons, dans l’Ecclésiastique, ch. XXIV: "J’ai fructifié comme la vigne, etc." Le fruit de la vigne, à savoir de la bienheureuse Vierge; "le raisin et le vin," c’est-à-dire le corps de Jésus-Christ et son sang. Donc le vin d’honneur sorti de la fleur de la vigne, c’est le sang précieux de Jésus procédant de la virginité. Ce qui recommande surtout la noblesse et le prix du sang de Jésus-Christ, c’est qu’il n’est pas comme tout autre sang le fruit de la corruption, mais qu’il vient d’une fleur virginale. Il est écrit de la seconde de es rai sons, Psaume XCIII: "Les méchants tendront des pièges à l’aine du juste, et ils condamneront l’innocent." Plus le sang est innocent, plus il est précieux et cher. On lit dans la première Epître de saint Pierre, chap. I: "Vous n’avez pas été rachetés par l’or ou l’argent qui se détériorent, mais par le sang précieux de Jésus-Christ, qui est comme l’agneau pur et sans tache." Il est dit de la troisième dans Jérémie, ch. XIII: "Je me suis agglutiné toute la maison d’Israël, dit le Seigneur;" c’est-à-dire je me suis inséparablement uni toute la nature de l’homme, à savoir l’âme, le corps et le sang. On lit dans l’Epître aux Hébreux, chap. II: "Comme les enfants sont d’une nature mortelle composée de chair et de sang; c’est pour cela que lui-même a pris aussi cette même nature, afin de détruire par sa mort, etc." lui, c’est-à-dire que le Fils de Dieu, pour sauver l’homme qui a la chair et le sang, a pris la chair de l’homme et son sang, et se les est si intimement unis, et les a tellement ennoblis, qu’on peut véritablement les appeler la chair et le sang de Dieu. On lit au livre des Actes, chapitre XX: "Le Saint Esprit vous a établis pour gouverner l’Eglise qu’il s’est acquise au prix de son sang." Donc le sang de Jésus-Christ est véritablement le sang de Dieu, bien plus il est si précieux qu’une seule goutte vaut plus que le monde tout entier.

La seconde chose qui mérite surtout de fixer notre attention relativement au prix immense du de Jésus-Christ, c’est la raison qui fait donner pour l’homme un sang d’un si grand prix, et cette raison est triple. La première, c’est qu'il fallait payer une dette énorme; la seconde, c’est, que par là Dieu une preuve de son amour in fini; la troisième, c’est que ce sang faisait recouvrer un bien immense. La première raison qui a fait donner pour l’homme un sang d’un si grand prix, à savoir le sang d’un Dieu, c’est qu’il fallait satisfaire à une dette énorme. Le premier homme avait en effet contracté une dette énorme, car il était tenu de satisfaire à Dieu, et pour lui et pour le genre humain tout entier qu’il avait soustrait à son empire et qu’il avait mis à mort en mangeant le fruit défendu; ce qui fit qu’il fut or donné de l’enfermer lui et toute sa postérité dans les sombres de meures de l’enfer, jusqu’à ce qu’il eût satisfait à toute sa dette par une hostie suffisante. Il est de justice en effet, que la satisfaction soit proportionnée et à la grandeur du péché et à la dignité de la majesté offensée, et on peut pour cela établir trois degrés divers. Il faut une moindre satisfaction pour la faute plus petite; pour la faute plus grande, il faut une plus grande satisfaction; et pour une faute immense, il faut aussi une satisfaction immense. C’est pour cela que la loi prescrivait pour la transgression des divers préceptes de la loi d’offrir quelque pièce de même bétail, ou de les immoler et d’en répandre le sang mais pour une faute plus grave, ou pour un simple homicide, il était prescrit de mettre à mort l’homicide et de verser son sang. Il suit de là qu’à cause des homicides sans nombre de notre premier père, qui donne la mort à tous les hommes, puisque c’est à cause de lui que tous les hommes meurent, et qu’à cause de la majesté du tout-puissant qui avait été offensé, il fallait offrir à Dieu, immoler et verser le sang d’une hostie d’un prix qu’elle fût au moins équivalente à tous les hommes qui furent mis à mort; mais comme aucune créature ne pouvait en fournir de semblable, il fallut pour payer cette dette énorme, et pour arracher le genre humain des cachots de l’enfer, que le Fils de Dieu se fît homme, et homme d’un prix supérieur à celui de toutes les créatures, et que ce même Fils de Dieu fût immolé, et que son sang fût versé pour satisfaire à la dette de l’homme. On lit dans le Lévitique, chap. IV: "Celui qui aura péché par ignorance en transgressant certains commandements de Dieu, offrira à Dieu un veau ou un agneau, et quelqu’autre chose de ce genre, pour qu’on l’immole et qu’on en répande le sang." L’Apôtre dit, Hébreux, ch. IX: "Les fautes d’après la loi se purifient presque toutes par le sang, et il n’y a pas de rémission sans effusion de sang." On lit dans la Genèse, chap. IX, pour le second genre de fautes: "On versera le sang de celui qui aura versé le sang de l’homme, car l’homme a été créé à l’image de Dieu." II est écrit au livre des Nombres, chap. XXXV: "Celui qui a versé le sang d’autrui, ne peut expier sa faute que par l’effusion de son propre sang." Le prophète Osée dit du troisième genre de fautes, chap. XII: "Je les délivrerai des mains de la mort, je les rachèterai de la mort au prix de mon sang." Le Commentaire interlinéaire ajoute, de la mort; c’est-à-dire du fléau et de la dette de la mort éternelle. Saint Bernard dit: "Le Fils de Dieu est condamné à mort, afin que son sang soit pour nos blessures un remède pré cieux. Reconnais ô mon âme! combien sont graves les blessure pour lesquelles le Seigneur Jésus-Christ a du être frappé, si elles n’avaient pas conduit à la mort éternelle, le Fils de Dieu n’eut pas enduré la mort pour elles!"

II. La seconde raison pour laquelle Jésus-Christ a donné pour notre rachat un si grand prix, c’était pour prouver l’amour immense qu’il a pour nous. On lit dans saint Jean, chap. V: "Il y a trois choses qui rendent témoignage sur la terre, ce sont l’esprit, l’eau et le sang." L’esprit qui s’échappe de son corps, l’eau qui coule de son côté, et le sang qui se répandit de son coeur; ce sont là les témoins de son amour infini. On lit, Psaume CXXIX: "La miséricorde est en Dieu, etc." Et c’était afin de nous prouver la grandeur de son amour pour nous. Saint Bernard dit: "La rédemption opérée par Jésus-Christ a été véritablement abondante, parce que son sang a coulé largement et à flots de cinq parties de son corps, quand une seule goutte de ce sang précieux eût suffi pour racheter le genre humain tout entier; mais il l’a versé à profusion pour nous faire connaître par la grandeur du don, la puissance de celui qui aime." Pour vous prouver combien il vous aimait, il a voulu mourir pour vous délivrer de la mort. O mon âme ce n’est ni par l’or, ni par les richesses de la terre que tu as été rachetée, le sang immaculé de l’agneau t’a servi de rançon; vois par là combien tu es précieuse, pense à ce qui a été donné pour toi! Ne te perds donc pas toi-même, puisque Jésus-Christ a versé son sang pré cieux pour toi, dit S. Augustin!

III. La troisième raison qui a fait donner un si grand prix pour notre rançon, c’est que nous recouvrons un bien immense que nous avions perdu, et ce bien est triple. Nous recouvrons la liberté en nous arrachant à la servitude du démon, nous hommes introduits par là dans le royaume du ciel, nous sommes admis à l’héritage des enfants de Dieu. II est écrit la première de ces choses dans Jérémie, chap. XXX: "Le Dieu de Jacob l’a racheté et l’a délivré du pouvoir d’un plus puissant." Il la délivré par le sang précieux de Jésus-Christ. Il est écrit dans saint Jean, chap. VIII: "Si le Fils vous délivre, vous serez véritablement libres." On lit, Psaume CV: "Il les a délivrés du pouvoir de l’ennemi." Il est dit dans saint Luc, chap. I: "Béni le Seigneur Dieu d’Israël, etc." L’Apôtre dit de la seconde, Hébreux, ch. IX; "Jésus-Christ est entré une fois dans le sanctuaire éternel, après avoir opéré la rédemption." On lit encore, chap. X: "C’est pourquoi, mes frères, puisque nous avons la liberté d’entrer avec con fiance dans le sanctuaire par le sang de Jésus-Christ." "Le sang de Jésus-Christ, dit saint Jérôme "est la clef du paradis." Par la passion de Jésus-Christ, en effet, le ciel qui avait été longtemps fermé, a été ou vert comme si les sceaux en avaient été brisés par le prix de ce sang. On lit dans saint Jean, chap. XIX: "Un des soldats lui ouvrit le côté, etc." C’est avec raison que l’Apôtre a employé cette parole, il n’a pas dit, il le blessa, mais bien il l’ouvrit, afin que dans ce même endroit s’ouvrit en quelque sorte la porte d’où se sont découlés les sacrements de l’Eglise sans lesquels on ne peut pas entrer dans la vie. Le sang a été en effet versé pour la rémission des péchés, et l’eau pour la régénération, le genre humain ayant été chassé du paradis à cause de la dette de ses péchés et de la difformité qu’ils lui avaient causée, devait pour y rentrer être déchargé de sa dette par le prix du sang de Jésus-Christ, il de voit être purifié de ses souillures par l’eau salutaire du baptême. On lit dans le Lévitique, relativement à la troisième de ces choses, ch. XXV: "Si votre frère vend le petit héritage qu’il possédait, le plus près de ses parents pourra, s’il le veut, racheter ce que celui-là aura vendu;" c’est ce qu’a fait Jésus-Christ, et il l’a fait au prix de son sang. De là, on lit au livre des Nombres, ch. XXXV: "Les homicides ayant été chassés de leur terre natale, on ne leur permettra pas d’y rentrer, si ce n’est après la mort du souverain Pontife." Jérémie dit, chap. XI: "Je ramènerai l’homme à son héritage." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXXIII: "Si vous avez un esclave fidèle, qu’il vous cher à l’égal de votre vie, traitez-le comme votre frère, parce que vous l’avez acquis au prix de votre sang;" c’est-à-dire que savez racheté au prix de votre sang votre héritage qu’il ne pou v pas racheter pour lui, par conséquent traitez-le comme votre frère partageant votre héritage avec lui. C’est pourquoi saint Luc dit, chap. XXIII: "Le larron crie du haut de la croix: Seigneur, souvenez-vous de moi, et Jésus lui répondit: En vérité, je vous dis que vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis."

CHAPITRE XXVIII: Des deux autres considérations à faire relativement au prix du sang de Jésus-Christ.

On peut se servir ici des arguments relatifs au sang de Jésus-Christ cités précédemment, ou même d’autres arguments semblables.

La troisième chose qui mérite une considération spéciale touchant le prix de Jésus-Christ en tant qu’on le considère comme versé sur la croix, c’est la grandeur de sa puissance, grandeur qui consiste dans les trois choses suivantes. Cette puissance détruit l’empire du démon, elle rachète le monde, et elle réconcilie avec Dieu.

I. Il est écrit de la première de ces choses au livre de Job, chap. XL; dans une autre version "Est-ce que vous prendrez Léviathan à l’hameçon," il faut ajouter; donc comme Léviathan est le diable, l’hameçon ou la pointe aigue, c’est le Fils de Dieu caché sous la chair humaine dont il s’est revêtu, donnée on nourriture. Le diable s’est laissé tromper et prendre à cet hameçon, parce que, pendant qu’il a la présomption de déchirer la chair innocente de Jésus-Christ sur la croix, et de verser injustement son sang, l’aiguillon caché de la divinité transperce et détruit sa puissance. On lit dans Amos, chap. V: "J’ai exterminé l’Amorrhéen;" c’est-à-dire: mauvais ennemi, dont la hauteur est égale à celle des ce4res, et la force à celles du chérie. Daniel nous donne une figure de ceci, ch. XIV: "Il y avait dans la ville un grand dragon que les Babyloniens adoraient, et Daniel prit de la poix, de la graisse et des poils, et ayant fait cuire tout cela ensemble, il en fit des masses qu’il jeta dans la gueule du dragon, et le dragon en creva." Les poils et la poix sont l’image de la chair du péché, la graisse est la figure du sang de Jésus-Christ, la masse qui renferme ces diverses choses est la figure des membres sacrés du Sauveur livrés au pouvoir de l’ennemi, mais pendant qu’il s’efforce de les déchirer injustement, son pouvoir est justement réduit à néant.

II. L’Apôtre dit de la seconde de ces choses, I Cor., chap. VI: "Vous avez été achetés au moyen d’un grand prix." Le même Apôtre dit, Ephes., chap. I: "Nous trouvons la rédemption par son sang, et la rémission des péchés selon les richesses’ de sa grâce." L’Apôtre saint Pierre dit dans sa première Epître, ch. I: "Vous n’avez pas été rachetés par l’or ou l’argent corruptibles, etc." Ce qui fait que l’Eglise chante: "Nous vous prions donc de venir au secours de vos serviteurs que vous ayez rachetés au prix de votre sang." Il est écrit de l’une et l’autre de ces deux choses dans l’Epître aux Hébreux, chap. II: "Comme donc les enfants sont d’une nature mortelle, composée de chair et de sang, c’est pour cela que lui-même aussi il a pris cette même nature, afin de détruire par sa mort celui qui était le principe de la mort, c’est-à-dire, le diable, et de les mettre en liberté." Saint Augustin dit: "Qu’a fait le Rédempteur à celui qui le retenait captif?" Il lui a tendu un piège dans sa croix, il y a posé son corps et son sang comme un aliment. Mais ce n’est pas le sang du débiteur qu’il y verse, ce qui fait qu’il reçoit l’ordre de rendre les débiteurs. C’est pour cela que l'Eglise chante: "O croix glorieuse qui a vaincu le diable, et qui a racheté le monde par le sang de Jésus-Christ."

III. L’Apôtre dit de la troisième de ces choses dans l’Epître aux Ephésiens, chap. II: "Vous qui étiez autrefois éloignés de Dieu, vous en êtes approchés en vertu du sang de Jésus-Christ." C’est lui qui est notre paix, c’est-à-dire qu’il nous fait faire la paix avec Dieu. Le même Apôtre dit, Col., I: "Jésus-Christ est la tête de l'Eglise, il pacifie par son sang tout ce qui se trouve, et sur la terre et dans les cieux." C’est pour cela qu’après sa passion et sa résurrection il montra à ses disciples ses mains ensanglantées et son côté, disant: "La paix soit avec vous." Cette paix ou réconciliation avec Dieu se fait par le sang de Jésus-Christ pour trois raisons. La première, c’est qu’il nous décharge de nos dettes par le prix suffisant qu’il renferme; la seconde, c’est qu’il nous donne une beauté qui nous rend agréables à Dieu; la troisième, c’est l'amour infiniment précieux dont il nous a donne la preuve dans cette action. Il est écrit de la première de ces raisons, Psaume LXVIII: "Mes ennemis m’ont persécuté, etc., jusqu’à la mort de la croix." J’ai payé ce que je n’avais pas pris, je l’ai payé au prix de mon sang et pour le bien de la paix. On lit dans saint Matthieu, chap. XXVI: "Mon sang sera versé pour vous tous, afin que vos péchés vous soient remis." L’Apôtre dit de la seconde dans l’Epître aux Ephésiens, chap. V: "Jésus-Christ nous a aimés, et s’est livré pour nous, en s’offrant à Dieu comme une oblation et une victime d’agréable odeur," et cela pour nous réconcilier avec Dieu, et c’est sa charité sans bornes qui en a été la cause. Car, si comme il est écrit dans l’Ecclésiastique, chap. XLIV, Noé qui était juste fut, eu égard à sa justice, une cause de réconciliation au temps de la colère, Jésus-Christ nous réconcilie à bien plus forte raison à cause de son infinie charité, parce qu’il a offert à Dieu pour nous son propre sang. L’Apôtre dit de la troisième, Rom., chap. V: "Justifiés dans le sang de Jésus-Christ, c’est-à-dire que de coupables nous sommes devenus justes, de souillés nous sommes devenus sans tache;" nous serons délivrés par lui de la colère de Dieu; nous serons glorifiés en Dieu, par Notre Seigneur Jésus-Christ, par qui nous avons maintenant obtenu cette réconciliation. Le même Apôtre dit encore, Rom., chap. I "A vous tous qui êtes chéris d Dieu, et saints par votre vocation," c’est-à-dire qui avez été lavés du sang de Jésus-Christ, "que la grâce et la paix soient avec vous." On lit dans saint Jean, ch. XIII: "Il mit de l’eau dans un bassin." Le Commentaire ajoute: "Il versa son sang sur la terre, et il commença à laver les pieds de ses disciples," et cela, parce qu’en nous purifiant avec son sang qui était d’une pureté parfaite, il nous rendit beaux et agréables à Dieu. Il est écrit au livre de l’Apocalypse, chap. I: "Il nous a aimés, et il nous a lavés de nos péchés dans son sang, et il nous a fait être les royaumes et les prêtres de Dieu son Père." Voici que Dieu a lavé les pécheurs dans son sang, il les a rendus beaux, il leur a donné l’éclat de la rose, il les a rendus agréables à Dieu, et il les a réconciliés afin de les rendre princes de la cour de Dieu.

IV. La quatrième chose qui mérite surtout de fixer notre attention touchant le prix infini du sang de Jésus-Christ, c’est le grand nombre de ceux qu’il a rachetés. Sou sang a racheté trois grandes armées; ce sont ses ennemis déclarés, les anciens justes et les amis douteux. Il a délivré les premiers des liens du péché, les seconds des bords de l’enfer, les troisièmes des doutes qui les empêchaient de croire; c’est pour ces trois choses que son sang a coulé de trois parties diverses de son corps, de ses mains, de ses pieds et de son côté. Et d’abord le sang a coulé de ses mains, afin de briser les liens des péchés, par la puissance de son sang, et de rappeler à lui après les en avoir débarrassés, Il est écrit de la première de ces choses, Ecclésiastique, chap. L: "Le grand prêtre a étendu sa main pour faire des libations, et il a répandu le sang de la vigne, et cela pour rompre les liens des péchés." On lit au Psaume CXV "Vous avez rompu mes liens, etc." "Jésus-Christ, dit saint Augustin, a versé son sang pour laver nos péchés." Ce par quoi le diable nous tenait enchaînés a été rompu par le sang du Rédempteur; mais il ne nous tenait enchaînés que par les liens des péchés. Il est écrit de la seconde de ces choses qui consistait à rappeler à lui ceux qu’il aurait délivrés, dans Isaïe, chap. XLIV: "Revenez à moi, parce que je vous ai rachetés;" le Commentaire ajoute," par mon sang;" si vous le faites, le ciel, la terre et tous les éléments se réjouiront de ce que vous avez été sauvés; tout au contraire combattra contre vous si vous ne le faites pas." Il est écrit au livre de la Sagesse, chap. V: "Il armera la créature, etc." C’est pourquoi Jésus-Christ a étendu ses mains sur la croix, et a offert son sang en libation, et il a délivré tous les hommes des liens des péchés, et il rappelle encore en quelque sorte à lui, avec ses mains couvertes de sang, le pécheur qui s’éloignait. On lit dans Isaïe, chap. XLVI: "C’est moi qui appelle l’oiseau de l’Orient, comme d’un lieu éloigné;" c’est-à-dire que je rappelle l’âme mobile et transfuge de l’état du péché. Le sang coule en second lieu de ses pieds, pour nous faire voir que les anciens justes devaient être tirés des bords de l’enfer, et qu’il allait les conduire à la céleste patrie. Il est écrit de la première de ces choses dans les Lamentations, chap. I: "Le Seigneur a foulé lui-même le pressoir contre la fille de Juda." L’arbre et la torture de l’arbre sont la figure de la passion de Jésus-Christ sur l’arbre de la croix; quant à celui qui foule dans le pressoir, ii verse le sang de la vigile de ses pieds, pour en rendre par ce moyen un grand nombre joyeux. Jésus Christ a donc foulé le pressoir contre la fille de Juda, lui qui a versé son sang sur la croix pendant sa passion, et qui a réjoui les justes dont la foi avait été corrompue, en les délivrant de l’enfer. On lit dans Zacharie, chap. IX: "Vous aussi, par le sang de votre testament, avez délivré de l’abîme dans lequel il n’y a pas d’eau, ceux qui y étaient enchaînés," dans lequel, il n’y a pas d’eau, c’est de rafraîchissement céleste. Il est écrit de la seconde de ces choses, qui consiste à ramener dans la céleste patrie, ceux qui ont été tirés de l’enfer, Hébr., ch. IX: "Mais Jésus-Christ, le pontife des biens, etc.," (jusqu’au mot entra); mais il n’était pas seul, il était accompagné d’un nombre considérable de justes qu’il avait tirés de l’enfer, et qu’il conduisait avec lui. Il est écrit Psaume LXVII: "Montant au ciel, etc." On lit dans Isaïe, ch. LX: "Les anges disent: quel est celui qui vient d etc.," et un peu plus loin, "marchant dans la multitude de sa puissance;" c’est-à-dire, montant au ciel accompagné d’un grand nombre de fidèles, que par sa puissance il a arrachés de l’enfer et qu’il conduit avec lui. Troisièmement, le sang coula de la blessure de son côté et de son coeur; c’est pour détruire les doutes que ses disciples pouvaient avoir sur la foi, c’était pour en raffermir un grand nombre d’autres dans la foi contre les tentations, et les fortifier dans une vie vertueuse, c’était même pour réchauffer ceux qui sont froids et comme morts, c’était pour les raviver, et qu’après les avoir ravivés par son sang, il leur fit connaître le chemin, pour que dans leur course ils se précipitassent à sa suite. il est écrit de la première de ces choses dans saint Jean, ch. XIX: "Un des soldats lui ouvrit le côté avec sa lance, et aussitôt il en sortit du sang," sang qui est chaud, et dans lequel se trouve la vie de l’homme, c’était pour réchauffer la foi de ceux en qui elle était froide, et pour raffermir dans une bonne vie ceux qui étaient comme morts. On lit Psaume CI: "Je suis devenu semblable au pélican solitaire." Le pélican est un oiseau qui tue ses petits peu de temps après leur naissance, dès qu’ils se révoltent contre lui, et qui pleure pendant trois jours leur mort, après quoi il s’ouvre le côté avec son bec, et il les ravive en répandant sur eux son sang; de même Jésus-Christ vient avec le sang de son coeur, au secours de ceux dont la foi est froide, et que le pécheur privés de vie. Il est écrit de la seconde; c’est-à-dire, qu’après les avoir ravivés à l’exemple de la bête féroce s’est blessée, il leur fait connaître le chemin du ciel au moyen de son sang et leur apprend à le suivre. Il est écrit au livre des Cantiques, ch. IV: "Vous avez blessé mon coeur, ma soeur, mon épouse," considérez donc que je suis blessé à cause de vous, voyez mon sang et suivez-moi. On lit dans saint Jean, ch. XX: "Jésus vint, et il montra à ses disciples ses mains et son côté, il les leur montra couverts de sang, non seulement pour les raffermir dans la foi, mais encore pour leur apprendre qu’on n’y parvient qu’en passant par les tribulations." On lit dans la première Epître de saint Pierre, ch. VIII: "Jésus-Christ a souffert pour nous, vous donnant l’exemple, etc." Il est écrit Hébr., chap. XIII: "Jésus, pour sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte. Allons donc à lui en dehors des camps," à savoir en fuyant les délices de la chair et en l’imitant dans sa passion. On lit vers la fin du livre des Cantiques: "Fuyez, ô mon bien-aimé! et soyez semblable à un chevreuil, et à un faon de cerf," comme s’il disait Courez devant nous, comme une bête sauvage blessée au coeur, et montrez-nous avec votre sang le chemin du ciel, jusqu’à ce que nous vous possédions, et que nous jouissions en vous des délices éternelles. L’Apôtre dit, I Cor., chap. III: "Courez de telle sorte que vous saisissiez, etc." Ainsi soit-il.

CHAPITRE XXIX: Du sang de Jésus-Christ considéré au second point de vue ou en tant qu’on le reçoit dans le sacrement.

" Buvez-en tous, car ceci est mon sang." Matth., chap. XXVI.

On peut considérer le sang de Jésus-Christ de trois manières différentes. Premièrement, en tant que les infidèles le versèrent sur la croix; secondement, en tant que les fidèles le reçoivent dans le sacrement; troisièmement, en tant que ceux qui doivent être sauvés le reçoivent en dehors du sacrement.

I. Considéré de la première manière, son prix infini nous le rend recommandable au-dessus de toute expression. Considéré de la seconde manière, ce qui nous le rend recommandable, c’est son utilité multiple. Considéré de la troisième, ce qui nous le rend recommandable, c’est sa douceur spirituelle. Quant à la première manière, il est digne d’une mémoire éternelle; quant à la seconde, il mérite nos respects; quant à la troisième, nous devons soupirer après lui. On lit dans l’Apocalypse, ch. V, du sang de Jésus-Christ considéré de la première manière: "Vous êtes digne, Seigneur, parce que vous avez été mis à mort, et que vous nous avez rachetés par votre sang." On lit de ce sang considéré sous le second point de vue, Matth., chap. XIV: "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance." L’Apôtre dit de ce même sang considéré de la troisième manière, I. Cor., ch. X: "Nos pères burent tous le même breuvage spirituel." Nous avons déjà parlé dans les deux chapitres précédents de ce sang considéré de la première manière.

II. La seconde manière de considérer le sang de Jésus-Christ, c’est en tant que les fidèles le reçoivent dans le sacrement; considéré à ce point de vue, on examine trois choses. 1° Premièrement, pourquoi reçoit-on le sacrement sous deux espèces? 2° Secondement, pourquoi le peuple ne reçoit-il pas le sang comme le prêtre sous l’espèce du vin? 3° Troisièmement, quelle est l’utilité du sang de Jésus-Christ comme les fidèles le prennent dans le sacrement?

1° Premièrement, on demande la raison pour laquelle on prend le sa sous l’espèce d’aliment et de breuvage, ou du pain et du vin; il y a de ceci trois raisons. La première, c’est pour que le festin royal soit parfait; la seconde, c’est afin de rendre parfaite la rédemption simultanée de nos corps et de nos âmes ? La troisième, c’est pour représenter la mémoire de la passion du Seigneur de manière plus parfaite. Il est écrit de la première de ces raisons au livre d’Esther, chap. I: "Le roi Assuérus troisième année de son règne, fit un festin magnifique à tous les princes de sa cour et à tous ses officiers." On servait des mets et du vin, comme il:convenait à la magnificence royale. Ce roi est la figure de Jésus-Christ qui ne fait pas la première ou la seconde année, c’est-à-dire ni avait la loi ni sous la loi, mais bien la troisième, c’est-à-dire au temps de la loi d grâce, un festin il rassasie et abreuve tous les grands et les serviteurs fidèles. Afin de nous faire connaître les ornements et la perfection de son festin et de sa table, il nous donne le sacrement de l’autel à la fois sous les espèces du pain et du vin. Car si l’une de ces deux choses manquait le festin serait peu digne d’éloges. Il est écrit de la seconde, Psaume CIX: "Vous êtes prêtre selon l’ordre de Melchisédech, pour l’éternité," de Melchisédech qui offrit en figure le pain et le vin. Le pain figurait la rédemption future de nos corps, le vin celle de nos âmes. On lit dans le Maître des Sentences, liv. IV: "Pourquoi prend-on le sacrement de l’autel sous les deux espèces, puisque Jésus-Christ st tout entier sous chaque espèce?" C’est afin de nous prouver qu’il s revêtu de la nature humaine tout entière, c’est-à-dire qu’il "pris le corps et l’aine, et qu’il a racheté en même temps cette nature dans toute son intégrité. Le pain se rapporte à la chair, puisqu’il la nourrit, le vin à l’âme, parce que le vin produit le sang; et que c’est d’après les Physiciens le sang qui est le siège de l’âme. C’est pour cela que si on ne le recevait que sous l’une ou l’autre espèce, il ne figurerait pas la puissance qu’il a de les délivrer tous le deux, il figurerait seulement la puissance de délivrer l’un des deux, c’est-à-dire ou l’âme ou le corps. Il est écrit de la troisième, I. Corinthiens, chap. XL: " Ceci est le calice de la nouvelle alliance de mon sang; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez;" c’est-à-dire vous boirez mon sang en mémoire de ma passion. La considération du sang de Jésus-Christ nous rappelle en effet d’une manière plus expresse sa passion que la considération de son corps. On lit dans l’Exode, chap. XII: "Ce sang qui sera sur vos portes, sera un signe qui me fera reconnaître les maisons où vous demeurez." Sera un signe; car comme l’agneau sans tache est immolé en souvenir de la délivrance du peuple d’Israël de l’Egypte, de même le sang de Jésus-Christ rappelle d’une manière formelle et expresse sa passion. On lit au quatrième livre des Rois, chap. III: "Les Moabites virent les eaux, et elles leur parurent rouges comme du sang, et ils se dirent entre eux: c’est du sang qui a été répandu par l’épée; les rois se sont battus l’un contre l’autre;" les rois Jésus-Christ et le diable, Jésus-Christ le roi des humbles, le diable le roi des superbes, ils se sont combattus dans la passion du Seigneur, pour que l’un d’entre eux amenât l’homme à le servir; tous deux sont gravement blessés. On lit du premier au livre de Job, chap. XVI: "Mon ennemi s’est précipité sur moi comme un géant, et il m’a fait blessures sur blessures." On lit du second dans Isaïe, chap. LI: "N’avez-vous pas frappé l’orgueilleux, Seigneur, n’avez-vous pas fait une blessure profonde au dragon?" il lui a fait une blessure profonde: l'aiguillon caché de la divinité à énervé sa puissance en le transperçant au moment où il avait la présomption de déchirer la chair innocente de Jésus-Christ.

2° On demande en second lieu, quelle est la raison pour laquelle le peuple ne reçoit pas le sang sous l’espèce du vin, comme le fait le Prêtre: il y a trois raisons qui font qu’il en est ainsi.

1. La première, c’est la difficulté qu’il y a d’avoir un vase convenable pour contenir ce sang. Car comme le vin exige pour le conserver un vase qui soit préparé et avec plus de soin, et d’une manière plus spéciale, que le pain, ainsi on accorde aux seuls prêtres de recevoir le sang de Jésus-Christ sous l’espèce du vin, comme étant des vases spécialement consacrés au Seigneur pour cela, liés à lui par la religion sainte, et plus parfaitement ornés de la beauté de toutes les vertus; c’est pour cela qu’ils sont comparés dans les Ecritures à un triple vase d’élection, à savoir à l’autel consacré, à la cuve entourée de liens, et à la coupe d’or. Il est écrit de la première de ces choses au livre du Deutéronome, chap. XII: "Vous mangerez la chair des hosties, et vous répandrez leur sang sur l’autel;" c’est-à-dire vous le donnerez au prêtre, qui doit être un vase spécialement consacré pour cela, un vase saint, et un autel digue de recevoir le sang du Seigneur. Le Commentaire du livre de l’Exode, chap. XXX, dit: "L’autel des holocaustes est la figure de la vie des justes, qui crucifient chaque jour leur chair avec les vices et la concupiscence, et qui l’offrent à Dieu comme une hostie vivante." L’Apôtre dit, Rom., chap. XII: "L’autel des holocaustes, c’est la foi pure, la doctrine sans tache, et la conversation sans défaut des ministres de Jésus-Christ." On lit, Psaume LXXXIII: "Que vos autels, Dieu des vertus, etc." C’est comme s’il disait: "O que les vases qui contiennent le sang de Jésus-Christ doivent être saints, de quel éclat ils doivent briller, qu’ils doivent vous être chers." Il est écrit de la seconde au livre de l’Exode, chap. XXIV: "Moïse prit la moitié du sang des victimes et il le mit dans des coupes ou cuves." La cuve est un vase destiné à recevoir le vin, et ce vase qui est entouré de plusieurs liens, est l’image de la vie des prêtres pieux, cette vie est sous la protection des vertus, et elle les rend aptes à recevoir le sang de Jésus-Christ. On lit au livre de l’Ecclésiastique, chap. VI: "Mettez vos pieds dans ses fers, et engagez votre cou dans ses chaînes, car il y a en elle une beauté qui donne la vie, et ses liens sont des bandages salutaires." On lit encore plus bas: "La crainte du Seigneur de toute science, c’est la piété." La piété conserve le coeur et le juste. Elle donnera le bonheur et la joie. On lit de la troisième au livre de l’Ecclésiastique, chap. L: "Le prêtre est comme un vase d'or massif, orné de toute espèce de pierres précieuses, c’est-à-dire de toutes les vertus." Le Commentaire ajoute "C’est pourquoi on exige pour recevoir le sang de Jésus-Christ sous l’espèce du vin un vase spécial, choisi et tel qu’il vient d’être dit."

2. La seconde raison pour laquelle les fidèles ne reçoivent pas le sang de Jésus-Christ sous l’espèce du vin, c’est afin d’éviter le danger de le répandre à cause du grand nombre de personnes qui se pressent autour de l’autel. C’est pour cette raison que le Seigneur pendant la cène ne donna pas seulement à ses Apôtres qui étaient peu nombreux, et comme à ses prêtres, son corps sous l’espèce du pain, mais qu’il leur donna encore son sang sous l’espèce du vin. Il distribua à la multitude qui se trouvait dans le désert des vivres, mais il ne leur donna pas à boire.

3. La troisième raison, c’est pour éviter tout danger d’erreur. En effet si le peuple qui n’est pas instruit recevait le sang sous l’espèce du vin, à peine croirait-il qu’il se trouve sous l’espèce du pain, bien cependant qu’il soit véritablement sous l’une et l’autre espèce. Car comme le sang de Jésus-Christ est sous l’espèce du pain consacré, par transsubstantiation, le corps y est pareillement par annexion, et comme le corps de Jésus-Christ est sous l’espèce du pain consacrée, par transsubstantiation, de même le sang y est véritablement par annexion, car ici ces deux choses, le corps et le sang du Christ, et ce qui est plus encore, ces quatre choses, le corps le sang l’âme et la divinité ne peuvent plus être séparés, ce qui fait que, comme le prêtre prend sacramentellement le sang de Jésus-Christ dans le calice, de même le peuple le reçoit intellectuellement par le corps même de Jésus-Christ, et il leur est et aussi utile et aussi agréable qu’aux prêtres qui le reçoivent sous l’espèce du vin dans le calice. On lit au livre des Cantiques, ch. I: "Mon bien-aimé est pour moi comme une grappe de raisins de Chypre;" je prends deux choses dans la grappe de raisin, ce sont le raisin, à savoir le corps du Seigneur que je prends comme nourriture, et du raisin je suce, comme breuvage; le sang de Jésus-Christ dont la douceur est parfaite. On lit dans le Deutéronome, ch. XXXIII: "Le Seigneur l’a établi pour boire le vin très pur du raisin." Le Seigneur par ce breuvage corrige les défauts de l’âme jusqu’à ce qu’il la conduise à la vie éternelle. Il est écrit dans saint Jean, chap. VI: "Celui qui boit mon sang a la vie éternelle." Il est parlé de la douceur de ce sang, plus bas, vers le milieu du chapitre trente-deuxième.

CHAPITRE XXX: Troisième question sur le sang de Jésus-Christ, et de son utilité quand on le reçoit dignement.

Quelle est l’utilité de mon sang, ou autres choses semblables dites précédemment.

"Celui qui boit mon sang a la vie éternelle."

On demande en troisième lieu, touchant le sang de Jésus-Christ, tel que les fidèles le reçoivent dans le sacrement, quelle est son utilité, ou quels sont les effets qu’il produit. Pour savoir de quelle utilité il est, il nous importe de savoir, que pris de la sorte nous pouvons l’envisager de trois manières différentes; nous pouvons le considérer I. comme un breuvage d’eau vive, II. comme un vin spirituel, III. ou comme le mystère sacré de l’Eglise.

I. Il est écrit de ce sang considéré de la première manière, Psaume LXXVII: "Il frappa la pierre, et il en coula des eaux." Comme la pierre est la figure du corps de Jésus-Christ, de même lés eaux sont la figure de son sang qui est un breuvage d’eau véritable et vivante. Il est écrit de ce sang considéré de la seconde manière, Proverbe, chap. IX: "Venez, buvez le vin que je vous ai préparé," c’est-à-dire le sang de Jésus-Christ qui est plein d’une douceur parfaite. Il est écrit de ce même sang considéré de la troisième manière, Hébreux, chap. XIII: "Jésus souffrit en dehors des portes de la ville, afin de sanctifier le peuple par son sang." Donc le sang de Jésus-Christ est une chose qui est sainte à la fois et qui sanctifie. Pour arriver à ce but nous disons: "Faites, Seigneur, nous vous supplions, que ces sacrés mystères soient pour nous un remède et pour le temps présent et pour l’avenir." Le sang de Jésus-Christ d’après l’examen et d’après la figure de chacune des trois choses que nous venons de dire, produit un triple effet.

1° Premièrement, le breuvage du sang de Jésus-Christ peut être considéré comme un breuvage d’eau vive, mais le breuvage d’eau vive, ainsi que le disent les Physiciens, humecte ce qui est aride, éteint le feu qui brûle, et dilate les aliments de manière à les faire passer dans les membres. Le sang de Jésus-Christ pareillement, en tant qu’il est figuré par l’eau, produit un triple effet dans l’âme fidèle. Il humecte ce qu’il y a d’aride en elle, et il en fait un tout, il éteint le feu dévorant qui la consume et la rafraîchit, il transporte dans ses membres la nourriture de la parole de Dieu, pour que leurs oeuvres soient parfaites. Il est écrit du premier de ces effets dans Isaïe, chapitre XLIV: "Je répandrai les eaux sur les champs altérés, et les fleuves sur la terre sèche;" et c’est afin que l’âme qui est comme une poussière aride aille puiser de l’eau à la source, et que portée au mal, après avoir été arrosée par le sang de Jésus-Christ, elle s’allie au bien, ne fasse plus qu’une même chose avec lui, et se fortifie dans l’accomplissement de ce même bien. On lit, Psaume I: "Il n’en est pas ainsi des impies, non il n’en est pas ainsi, mais ils sont comme la poussière que le vent emporte et balaie de dessus la terre," parce que le démon disperse par ses tentations, leurs pensées, leurs désirs, leurs paroles et leurs actions, au milieu de vices sans nombre. On lit dans l’Exode, chap. V: "Le peuple a té dispersé sur toute la surface de l’Egypte pour ramasser des pailles," c’est-à-dire les vanités du monde. Il est écrit au con traire de Jésus-Christ dans saint Jean, chap. XI: "Jésus allait mourir," il faut ajouter, "et donner son sang," non pas pour une nation seule, mais pour réunir en 1m seul corps les enfants de Dieu qui étaient dispersés sur toute la terre, en ne faisant de tous qu’un seul coeur, en leur apprenant à mortifier leur langue, à régler leurs sens et leurs moeurs, en leur enseignant à mener une vie religieuse, en leur inspirant l’amour qu’ils se doivent mutuellement. L’Apôtre dit, I Cor., chap. V: "Soyez une pâte toute nouvelle, comme vous êtes vraiment des pains purs et sans levain;" c’est-à-dire que par le Baptême étant devenus purs de toute espèce de vices, il faut pareillement, ‘arrosés par le sang de Jésus-Christ vous soyez comme la pâte, mis en une vie nouvelle et exempte de fautes.

2° Il est écrit du second de ces effets, Psaume LXXVII: "Il frappa les pierres et il en sortit des eaux pour rafraîchir," à savoir pour éteindre les ardeurs d’une soif mauvaise. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. III: "L’eau éteint le feu qui brûle;" et cela, parce que le sang figuré par l’eau, éteint l’ardeur de la colère, de l’avarice, de l’amour dépravé et de la concupiscence. "Ecrivez dans mon coeur, Seigneur Jésus-Christ, dit saint Augustin, de votre sang précieux, vos blessures, afin que je lise dans ces mêmes blessures vos douleurs pour supporter toute espèce de douleurs, que j’y lise Votre amour, afin de mépriser pour vous tout amour mauvais;" ceci prouve par conséquent que le sang produit en nous les mêmes effets que l’eau coutre les incendies désastreux.

3° Il est écrit du troisième effet au troisième livre des Rois, ch. XIX: "Hélie mangea, et il but de l’eau, et il marcha," l'animal transporte la nourriture dans ses membres et le pousse à marcher ou à travailler; de même le breuvage du sang de Jésus-Christ porte dans les coeurs la nourriture de la parole de Dieu ou de ses préceptes, pour que les puissances de l’âme et les membres du corps vivent, soient guidés et agissent conformément à cette même parole. Il est écrit au livre des Proverbes, chap. IX: "Mangez, buvez, et cessez d’être enfants, vivez et marchez dans les sentiers de la prudence." Mangez l’aliment de la parole de Dieu et de ses préceptes, et buvez le sang de Jésus-Christ, pour qu’il porte dans votre coeur, dans vos sens et dans vos membres les préceptes de Dieu, et qu’il vous avertisse d’abandonner ce qui est mauvais, et de faire ce qui est bon.

II. Le sang de Jésus-Christ peut en second lieu être considéré comme un vin spirituel, et à ce point de vue, il produit un triple effet, parce qu’il lave, réchauffe et réjouit. Il lave les souillures du péché, il réchauffe les coeurs par la charité, il réjouit par la douceur spirituelle qu’il possède.

1° Il est écrit du premier de ces effets au livre de la Genèse, chap. XLIX: "Celui qui est l’attente des nations lavera sa robe dans le vin, et son manteau dans le sang du raisin," sa robe, c’est-à-dire l'âme fidèle. Il est écrit dans la première Epître de saint Jean, chap. I: "Si nous marchons dans la lumière, nous avons ensemble une société mutuelle, et le sang de Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous purifie de tout péché." L’Apôtre dit, Hébreux, chap. IX: "Son sang des boucs et des taureaux, et l’aspersion..., sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant la pureté charnelle, à combien plus forte raison le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant." On lit dans l’Apocalypse, ch. XXII: "Heureux ceux qui lavent leurs vêtements dans le sang de l’agneau, afin qu’ils aient droit à l’arbre de vie."

2° Il est écrit du second de ces effets, au livre du Deutéronome, chap. XXXII " Il l’a établi pour manger la plus pure farine de froment;" c’est-à-dire le corps plein de douceur du Seigneur,"et pour boire le sang le plus doux du raisin," c’est-à-dire le sang pur et chaud; pur pour effacer les souillures de l’iniquité, chaud, par les effets qu’il pro duit: On lit dans Esther, ch. I: "Assuérus, c’est-à-dire le bienheureux," après avoir bu abondamment, "fut échauffé par le vin," c’est-à-dire est enflammé par la charité. Il est écrit au livre des Cantiques, ch. II: "Il m’a fait entrer dans le cellier où il met son vin, il a réglé dans moi mon amour." Le cellier n’est autre chose que l’Eglise, où l’on reçoit le sang de Jésus-Christ qui est un vin plein de chaleur qui embrase les coeurs de l’amour de Dieu et du prochain.

3° Il est écrit du troisième de ces effets, Psaume CIII: "Le vin réjouit le coeur de l’homme." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XXXI: "Le vin pris avec modération réjouit et l’âme et le coeur, le vin," c’est-à-dire le sang de Jésus-Christ mesuré sur la foi. Il est dit a livre des Cantiques, chap. I "Mon bien-aimé est pour moi comme une grappe de raisin de Chypre;" et cela, parce que je prends avec son sang la douceur de la joie spirituelle, qui me fait oublier la douleur des misères de la ‘vie présente. Il est écrit au livre des Proverbes, chap. XXXI: "Donnez de la bière à ceux qui sont dans l’affliction, et du vin à ceux dont le coeur est accablé de douleur, qu’ils boivent et qu’ils ont leur détresse."

III. On peut en troisième lieu considérer le sang de Jésus-Christ comme le mystère saint et sacré de l’Eglise; c’est-à-dire comme une chose sa crée et mystérieuse, dans laquelle est cachée la puissance infinie de Dieu, et considéré sous ce point de vue, il produit trois effets surnaturels, il triomphe des démons, il obtient la grâce, et conserve dans une vie régulière jusqu’à ce qu’il conduise à la vie éternelle. Il est écrit du premier de ces effets au livre de l’Exode, chap. XII: "Lors que le Seigneur verra le sang de l’agneau sur les linteaux des portes," c’est-à-dire dans l’âme des fidèles, "il ne permettra pas à l’ange exterminateur d’entrer dans vos maisons et de vous frapper." "Ce sang, dit saint Chrysostome, chasse les démons, et les repousse loin de nous." On lit au premier livre des Macabées, chap. VI: "Ils présentèrent aux éléphants le sang du raisin et du mûrier pour les exciter au combat." A bien pins forte raison, le sang de Jésus-Christ, quand on le prend, fait-il triompher des ennemis spirituels. Il est écrit au livre de l’Apocalypse, ch. XII: "Il y eut un combat, etc., et un peu plus loin, ils triomphèrent de lui par le verbe de l’alliance, par le sang de l’agneau." II est écrit du second de ces effets dans la première Epître de saint Pierre, ch. I: "Que la grâce soit avec vous dans le sang de Jésus-Christ." On lit dans l’Epître aux Hébreux, chap. XII: "Vous vous êtes approchés de la montagne de Dieu, et de ce sang dont on fait l’aspersion et qui parle plus avantageusement que celui d’Abel;" il parie pins avantageusement, parce que le sang d’Abel crie vengeance vers Dieu, pendant que le sang de Jésus-Christ demande et obtient grâce. "O sang souverainement digne de nos respects, s’écrie saint Bernard, sur l’autel vous nous servez de breuvage, sur la croix vous nous servez de rançon, dans le ciel vous êtes notre avocat auprès du Père." Il est écrit du troisième de ces effets dans saint Jean, chap. VI: "Si vous ne mangez pas la chair du Fils de Dieu, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous; que si vous le buvez, vous aurez la vie véritable." On lit dans le Lévitique, chap. XVII: "L’âme tout entière de la chair est dans le sang;" l’âme, c’est-à-dire la vie. "La corruption et la vieillesse, dit le Philosophe, ne sont autre chose que le manque de sang, et lorsque le corps n’en a plus, il se corrompt; c’est ce qui fait qu’un grand nombre de personnes meurent parce qu’ils n’ont pas de sang." C’est pourquoi, comme notre vie corporelle réside dans notre sang, de même le sang de Jésus-Christ conserve notre vie spirituelle et nous conduit à l’état de la vie immortelle. On lit dans saint Jean, ch. VI: "Celui qui boit mon sang a la vie éternelle."

CHAPITRE XXXI: Du sang de Jésus-Christ considéré de la troisième manière, ou, en tant que les fidèles le reçoivent spirituellement.

Nos pères burent tous le "breuvage spirituel." I Cor., ch. X." Ils burent, dit saint Augustin le même breuvage spirituel que nous, mais pour le breuvage matériel, il ne fut pas le même, parce que l’eau qui sortit du rocher fut la figure du sang de Jésus-Christ, que nous buvons nous, même spirituellement."

La troisième manière de considérer le sang de Jésus-Christ, c’est que les fidèles qui doivent être sauvés le boivent spirituellement en dehors du sacrement. On peut sur ce point faire trois questions. Premièrement, quel est le lieu où se trouve ce breuvage; secondement, quel est l’usage pour lequel on le cherche; troisièmement, quelle est la douceur de la grâce qui découle de l’usage de ce breuvage?

I. Premièrement, on demande quel est le lieu où se trouve ce breuvage spirituel. On ré pond à cela, qu’il y a autant de lieux où il se trouve que Jésus-Christ a de blessures. On lit, Ps. LXXVII: "Il frappa le rocher, et il en sortit de l’eau;" comme les Juifs puisèrent de l’eau dans les fentes du rocher, de même les fidèles puisent le sang spirituel de Jésus-Christ dans ses blessures. On lit dans Zacharie, ch. III: "Quelles sont ces plaies que l’on voit au milieu de vos mains?" La réponse, "c’est pour que nous y sucions son sang spirituel." Il est écrit dans Isaïe, ch. XII: "Vous puiserez pleins de joie des eaux dans les sources du Sauveur;" c’est-à-dire, vous puiserez dans les blessures de Jésus-Christ un sang spirituel en méditant avec piété sa passion, et ce sera pour éteindre en vous la soif du mal. Mais à quoi sert la blessure du côté? On lit dans Isaïe, chap. XL: "Vos fils viendront de loin; et vos filles se lèveront de votre côté." Le Commentaire ajoute " C’est parce que le sang de la rédemption coula du côté de Jésus-Christ qui avait été ouvert sur la croix." Des enfants vous viendront donc de loin, parce que les élus feront pénitence de leurs péchés, et des filles se lèveront de votre côté, parce que les âmes dévotes boiront, par la méditation pieuse votre passion, le sang spirituel de la dévotion qui coule de la blessure de votre côté. C’est pour cette raison que l’on peint à droite de l’image de Jésus crucifié, tine jeune fille couronnée, au visage riant et éclatant de beauté, qui est 1a figure de l’Eglise, et qui reçoit avec respect le sang de Jésus-Christ dans une coupe; à gauche on peint la synagogue les yeux bandés, le visage triste, la tète inclinée, et une couronne qui tombe de dessus sa tète, elle verse ce même sang, et elle est encore pleine de mépris pour lui; cette image nous apprend que la synagogue de même que tout homme qui pèche mortellement perd les trois biens suivants: la lumière de la grâce, la joie de la conscience, et la couronne de gloire. De là, il est écrit Lamentations, ch. V: "Malheur à nous, parce que nous avons péché, c’est pourquoi nos yeux se sont obscurcis, notre coeur est devenu triste et chagrin, la couronne est tombée de notre tête." La jeune fille qui est à la droite, reçoit le sang de Jésus-Christ dans un calice, parce que l’âme fidèle appliquant un coeur pur sur les blessures de Jésus-Christ prend spirituellement son sang avec une dévotion parfaite, ce qui fait qu’elle acquiert la lumière du coeur, la joie, et la couronne de la gloire éternelle.

2° Il demande en second lieu, quel est l’usage pour lequel on cherche le sang de Jésus-Christ. Il nous importe de savoir que c’est pour abreuver et inonder l’âme tout entière avec ses trois facultés ou puissance l’intellect, la volonté et la mémoire. On lit au livre de l’Exode, chaire XII: "Trempez un bouquet d’hysope dans le sang qui sera sur le seuil de la porte, et jetez-en par aspersion sur les jambages, et sur le linteau de vos portes." Le bouquet d’hysope est la figure de la perfection et de l’intégrité de la foi, le seuil de la maison de Jésus-Christ, par lequel il nous est donné d’entrer dans le ciel. Tremper le bouquet d’hysope dans le sang qui est sur le seuil, c’est dévorer par une foi droite le sang de la passion de Jésus-Christ et raffermir cette même foi; mais nous devons arroser par aspersion l’un et l’autre des montants de la porte, de même que le linteau; c’est-à-dire que nous devons arroser l’intellect, la faculté affective ou volonté, et la mémoire du sang de Jésus-Christ, et en enivrer spirituellement, au point que l’intellect reconnaisse la puissance de ce sang envers le genre humain, que la faculté effective goûte par amour le bienfait immense qu’elle reçoit de lui, et que la mémoire se rappelle toujours et n’oublie jamais le sacrement d’un si grand et si généreux amour.

3° On demande en troisième lieu, quelle est la suavité de la grâce spirituelle qui découle d’un tel usage de ce sang, ou de l’effusion du sang dont ou vient de parler; on peut dire de la suavité de cette grâce, qu’elle fait de l’âme comme un paradis où habite Dieu. On lit dans la première Epître de saint Pierre, ch. I: "Que par l’aspersion du sang de Jésus-Christ, Dieu vous comble de plus en plus de sa grâce et de sa paix;" de la grâce des vertus, qu’il vous donne la fécondité, la paix, la douceur et la sérénité du coeur. La suavité de cette grâce que procure le sang de Jésus-Christ à ceux qui en sont arrosés, est comparée au paradis que Dieu. Il est écrit dans l’Ecclésiaste, chap. LX: "Les bienfaits sont comme un jardin délicieux et béni du ciel;" c’est-à-dire comme le jardin de Dieu où se trouvent les fruits divers des délices. Jérémie dit, chap. XXXI: "Leur âme sera comme un jardin que l’on arrose." L’âme arrosée de la douceur du sang de Jésus-Christ produit en effet la triple suavité de la grâce; à savoir, les douces fleurs des vertus, les feuilles des paroles, et les fruits des oeuvres.

1. Premièrement l’effusion spirituelle du sang de Jésus-Christ fait naître dans l’âme, comme dans le jardin de Dieu, les fleurs douces et variées des vertus. Car comme le sang de l’homme a trois couleurs, qu’il est rouge lorsqu’il n’est pas vicié, qu’il est très blanc lorsqu’il est cuit, tel que le lait dans les mamelles, et que lorsqu’il est très cuit il de vient noir; de même l’influence spirituelle du sang de Jésus-Christ produit dans l’aine comme dans le paradis de Dieu, les fleurs des vertus de diverses couleurs; à savoir les roses de la charité, les lis de la chasteté, et les violettes de l’humilité. Il est écrit du premier de ces effets, dans l’Ecclésiastique, chap. L: "Le juste est comme la fleur des roses au printemps," et cela, parce que le sang couleur de rose de Jésus-Christ brille en lui par la vertu de charité. On lit au livre des Cantiques, chap. VII: "La chevelure de votre tête brille comme la pourpre royale, laquelle est teinte avec le sang d’un certain animal." La chevelure de sa tête, c’est-à-dire de Jésus-Christ, ce sont les fidèles qui l’ornent de leurs bonnes moeurs. Ils sont comme la pourpre royale, parce que, arrosés spirituellement du sang de Jésus-Christ, ils ont la couleur de la pourpre comme la rose, par la vertu de charité.

2. Il est écrit du second de ces effets, Eccles., chap. L: "Le juste est comme les lis qui croissent sur le bord des eaux," à savoir qui naissent de la chasteté, et dont le coeur est bien orné par le sang de Jésus Christ dont ils sont arrosés. On lit dans l’Apocalypse, chap. VI "Ils lavèrent leurs robes et ils les blanchirent dans le sang de l’agneau." Il est écrit Cant., chap. V: "Ses yeux," c’est-à-dire les fidèles qui pourvoient à leurs besoins futurs, sont comme les colombes lavées dans le lait, ses yeux sont comme les yeux des personnes simples qui purifiés dans les mamelles de leurs coeurs, ont recouvré tout l’éclat de leur blancheur par le sang de Jésus-Christ dont ils ont été arrosés, et sont devenus chastes. On lit encore dans le prophète Osée, ch. XIV: "Je serai comme la rose, et Israël germera comme le lis."

3. Il est écrit du troisième de ces effets, au livre des Cantiques, ch. II: "L’hiver est déjà passé, les pluies ont cessé, et se sont entièrement dissipées, les fleurs paraissent sur notre terre." Les violettes à la cou leur noire, sont les premières fleurs qui paraissent après l’hiver, elles sont belles, elles ont une odeur délicieuse, elles s’élèvent peu, au-dessus de l terre. Ces fleurs sont l’image des âmes que la contemplation du sang de Jésus-Christ et des souffrances sans nombre qu’il a supportées a rendues humbles, et qui sont comme dénigrées à leurs propres yeux; c’est-à-dire qu’elles se considèrent comme des âmes viles, et que les orgueilleux les méprisent. On lit dans Ezéchiel, chap. XXXI: "J’enlèverai aux étoiles du ciel leur éclat;" c’est-à-dire que je rendrai noirs et obscurs, au moyen du sang de Jésus-Christ, ceux en qui brûle le feu de la charité, et qui brillent par la parole de la vérité; je leur donnerai la couleur de la violette noire et brillante, et je les rendrai noirs par la vertu d’humilité. On lit au livre des Can tiques, ch. I: "Je suis noire, mais je suis belle." Il est écrit de ces trois genres de fleurs du paradis de Dieu et de leurs couleurs, Lam., ch. IV: "Ses Nazaréens étaient plus blancs," c’est-à-dire que leur couleur était plus blanche que la neige, "plus purs que le lait," parce que le lis est l’image de leur chasteté; "plus rouges que le vieil ivoire," parce que la rose est la figure de leur charité; "plus beaux que le saphir," qui est l’image de leur humilité.

II. Secondement, le sang de Jésus-Christ pris en breuvage ou répandu spirituellement fait croître dans l’âme les feuilles des bonnes paroles et des douces conversations. On lit dans Job, chap. XIV: "Un arbre n’est pas sans espérance bien qu’on le coupe. Quand sa racine serait vieille dans la terre, il ne laissera pas que de pousser aussitôt qu’il aura senti l’eau, et il se couvrira de feuilles comme une nouvelle plante." Il est écrit dans l’Ecclésiastique, ch. XXXIX: "Portez des fleurs, et poussez des branches de grâce," et cela parce que les élus ne produisent pas seulement les fleurs des vertus, mais qu’ils produisent encore les feuilles des bonnes paroles, en buvant le sang de Jésus-Christ, qui produit en eux une triple grâce, à savoir la Conversion des pécheurs, la réconciliation des ennemis, et la consolation des affligés. C’est pourquoi on lit, des arbres arrosés qu’ils produisent trois espèces de feuilles, ce sont des feuilles médicinales, des feuilles d’ornementation, et des feuilles pleines de verdeur. II est écrit de la première de ces espèces de feuilles dans l’Apocalypse, chap. XXII, et dans Ezéchiel, chap. XLVII: "Les feuilles de l’arbre du jardin de Dieu sont un remède et servent à guérir les nations," c’est-à-dire les pécheurs, parce que ses eaux sortent du sanctuaire. L'eau du sanctuaire, c’est le breuvage spirituel de Jésus-Christ qui produit les paroles de la sainte prédication pour le salut des pécheurs. On lit dans Malachie, chap. II: "La loi de vérité est dans sa bouche, et elle a éloigné un grand nombre d’hommes de l’iniquité." Il est écrit de la seconde, dans le prophète Daniel, chap. IV: "Il me semblait que je voyais un arbre, et ses feuilles étaient très belles, et les bêtes privées et les bêtes sauvages habitaient dessous, et les oiseaux du ciel demeuraient sur ses branches," ce qui est Gomme s’il disait: Sous son beau feuillage vivaient en paix des animaux ennemis entre eux, tels que le loup et l’agneau, l’ours et la colombe, parce que les paroles des hommes sages réconcilient entre eux les ennemis. On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XL: "La flûte et le psaltérion produisent une douce mélodie," c’est-à-dire, l’accord des voix, et de plus que l’un et l’autre, la langue pleine de douceur produit l’accord parmi les ennemis. On lit encore, chap. VI: "La parole douce multiplie les amis, et calme les ennemis, et le langage de la douceur, c’est-à-dire de la bonne grâce, "abondera sur la langue de l’homme de bien." Il est écrit de la troisième dans Jérémie, chap. XVII: "Béni l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur, il sera comme l’arbre transplanté sur le bord des eaux, son feuillage sera vert." La couleur verte qui se voit, surtout sur les herbes et les feuilles, remet les yeux troublés dans leur assiette et leur donne de nouvelles forces. C’est ce qui fait que ces feuilles sont l’image des paroles des hommes de bien, qui consolent et les affligés et les malheureux. On lit dans l’Ecclésiastique, ch. XL: "La grâce du corps et la beauté du visage plaisent à l’oeil, mais la verdure d’un champ semé l’emporte sur l’un et l’autre." Il est écrit au livre des Proverbes, chap. XXVII: "Le parfum et la variété des odeurs sont la joie du coeur, et les bons conseils d’un ami sont les dé lices de l’âme." On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XLVIII: "Ezéchias est le consolateur éternel de ceux qui pleurent." On lit dans Job, chap. XXIX: "Lorsque je siégeais comme un roi, j’étais cependant le consolateur des affligés."

III. Troisièmement, le breuvage du sang de Jésus-Christ produit dans l’âme, comme dans le jardin de Dieu, les fruits des bonnes oeuvres. On lit dans l'Ecclésiastique, ch. XXIV: "J’arroserai les plantes de mon jardin, et je rassasierai d’eau le fruit de mon pré." J’arroserai du sang de Jésus-Christ le jardin de l’âme, je le rassasierai avec le fruit des bonnes oeuvres dont la douceur est toute céleste, c’est-à-dire que ceux qui sont arrosés par le breuvage du sang de Jésus-Christ produisent le fruit des bonnes oeuvres pour le bien du prochain, ils le mangent aussi eux-mêmes comme une récompense céleste. On lit dans Amos, ch. IX: "Ils feront des jardins et ils en mangeront les fruits." Nous allons traiter vers la fin du chapitre suivant, du triple fruit que produit le sang de Jésus-Christ.

CHAPITRE XXXII: Des trois manières de boire le sang de Jésus-Christ.

"Mon sang est véritablement un breuvage." Jean, chap. VI.

On peut encore citer les arguments rapportés plus haut et qui sont relatifs au sang de Jésus-Christ. Le breuvage du sang de Jésus-Christ est triple comme le prouve ce que nous avons dit précédemment; il est I. sacramentel, II. intellectuel et III. spirituel. Sacramentel en tant que les prêtres seuls le reçoivent sous l’espèce du vin dans le calice. Intellectuel, en tant que les peuples chrétiens le reçoivent sous l’espèce du pain par le corps même de Jésus-Christ. Spirituel, en tant que tous ceux qui doivent être sauvés le reçoivent par la méditation de la passion de Jésus-Christ.

I. Reçu de la première manière, il délivre des fautes de chaque jour; reçu de la seconde manière, il remplit l’esprit du fidèle de sa douceur; reçu de la troisième manière, il féconde l’âme tout entière en l’arrosant. La première manière de boire le sang de Jésus-Christ s’appelle sacramentelle, parce que les prêtres seuls le reçoivent di le calice de l’autel. On lit dans saint Matthieu, chap. XXVI: "Jésus prenant le calice, le bénit, etc., buvez-en tous," c’est-à-dire que tous les apôtres en boivent, comme étant seuls prêtres. Ce breuvage quand on le reçoit dignement remet les péchés de chaque jour, et cela pour trois raisons: parce que le péché véniel renferme trois espèces de maux, qui sont une certaine souillure de la conscience, une certaine tristesse afflictive, et une certaine opposition avec Dieu qui résulte de l’offense même de Dieu. Le breuvage du sang de Jésus-Christ a une efficacité réelle contre ces divers maux, car il est pur, il est doux, il est précieux: en raison de sa pureté il lave, en raison de sa douceur il guérit, en raison de son prix il apaise. Je dis qu’il lave la conscience, en effaçant la souillure de l’âme. Il délivre de la tristesse afflictive, en consolant les coeurs des fidèles. Il apaise l’offense de la justice divine, en interpellant pour nous auprès de Dieu. Il est écrit du premier de ces effets, dans l'Epître aux Hébreux, ch. IX: "Le sang de Jésus-Christ purifiera votre conscience." On lit dans la Genèse, chap. XLIX: "l’attente des nations lavera son manteau dans le sang du raisin," son manteau, c’est-à-dire nos âmes. Il est écrit du second dans Zacharie, chap. X: "Il réjouira leur coeur comme le vin." Le vin est le sang du raisin, et il est la figure du sang de Jésus-Christ, que nous recevons à l’autel. Ce breuvage réjouit le coeur de ceux qui sont bons, parce qu’en leur conférant la consolation de la joie spirituelle, il les guérit de la tristesse du péché. On lit, Psaume XXII: "Que mon calice qui a la farce d’enivrer est admirable!" L’Apôtre dit du troisième de ces effets, Hébreux, chap. XII: "Vous vous êtes approchés de l’aspersion de ce sang qui parle plus avantageusement que celui d’Abel," parce que le sang d’Abel crie vengeance vers Dieu, pendant que le sang de Jésus-Christ demande et obtient le pardon. Saint Bernard s’écrie: "O sang de Jésus-Christ infiniment digne de nos respects, vous qui sur l’autel êtes notre breuvage, sur la croix notre rançon, qui dans le ciel êtes notre avocat auprès du Père!"

Il importe de savoir qu’il y a trois espèces de personnes que blâment sévèrement les saintes Ecritures, et qui se rendent gravement coupables envers le sang de Jésus-Christ. Les premiers sont ceux qui ne sont pas purs de corps; les seconds sont ceux dont le coeur est en durci; les troisièmes sont ceux qui administrent mal. Les premiers sont ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ bien qu’ils soi coupables de péchés graves; les seconds sont ceux qui ne veulent as se convertir à la puissance du sang de Jésus-Christ; les troisièmes emploient à de mauvais usages le profit qu’ils tirent du sang de Jésus-Christ. L’Apôtre dit des premiers, I Cor., chap. X: "Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, et le calice du démon." La luxure de 1a chair et du monde sont le calice du démon. On lit dans le Deutéronome, chap. XXXII: "Le fiel des dragons est leur vin." Ceux qu s’enivrent de ce breuvage immonde et fangeux, et qui versent sur ce même breuvage le prix du sang de Jésus-Christ, le profanent autant qu’il est en leur pouvoir; ce qui fait qu’ils méritent un châtiment sévère. On lit dans la Genèse, ch. IV: "Vous serez maudit sur la terre," qui a ouvert sa bouche; sur la terre, c’est-à-dire plus que votre chair. L’Apôtre dit, Hébreux, chap. X: "Celui qui viole la loi de Moïse doit mourir sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins;" à combien plus forte raison devez-vous penser qu’il mérite des supplices plus grands encore, celui qui a foulé aux pieds le Fils de Dieu et qui a pollué le sang du testament dans lequel il a été sanctifié, et qui a outragé le Saint Esprit. Jérémie dit des seconds, chap. V: "Ils ont endurci leurs faces au-dessus du rocher, et ils ont refusé de revenir;" ce qui est absolument comme s’il disait: Il est certains hommes dont l’opiniâtreté dans le mal rend les coeurs pins durs que le rocher, à savoir que le diamant le plus dur, qui, bien que rien ne puisse le briser, est néanmoins mis en pièce par le sang du bouc. Quant à ces hommes là, ils sont plus durs, puisque la puissance du sang de Jésus-Christ ne peut ni les amollir, ni les arracher à leur dépravation. Et encore: "Ils sont plus durs que la pierre," à savoir que la pierre la plus compacte, car du cri que poussa Jésus-Christ sur la croix, et lorsqu’il versa son sang, la terre trembla et les rochers se fendirent. Mais ceux-là, ni la voix terrible de la prédication, ni la puissance du sang de Jésus-Christ ne sauraient les amollir et les arracher à leur dépravation. Il est écrit des troisièmes dans Jérémie, chap. XXII: "Malheur à celui qui bâtit sa maison dans l’injustice, qui s’y fait faire de grandes fenêtres, des lambris de cèdre qu’il peint d’un rouge éclatant," c’est-à-dire auquel il donne une couleur rouge ou la couleur du sang de Jésus-Christ. Le Commentaire ajoute: "Celui qui construit une maison avec des biens mal acquis, ou qui la décore avec trop de luxe au prix du sang de Jésus-Christ, c’est-à-dire des biens de l’Eglise acquis par le sang de Jésus-Christ, pèche gravement;" mais celui-là pèche bien plus gravement qui édifie une maison spirituelle, c’est-à-dire une fa mille dépravée, telle que des femmes corrompues, des fils et des filles, faisant en quelque sorte partie de la maison, et étant comme les fenêtres par lesquelles diable et les voleurs pénètrent, et les lambris comme les filets du démon, qu’il bâtit et peint, c’est-à-dire qu’il revêt et orne au prix du sang de Jésus-Christ. A ceux-là, il est dit: "Malheur!" c’est-à-dire qu’ils sont blâmés avec sévérité et menacés de châtiments éternels.

II. Le sang de Jésus-Christ pris de la seconde manière est un breuvage intellectuel, que reçoit le peuple chrétien sous l’espèce du pain de son corps même. Car comme le corps de Jésus-Christ se trouve par transsubstantiation sous l’espèce du pain consacré, et son sang par annexion; de même son sang se trouve parti sous l’espèce du vin consacré, et son corps par annexion. Ce qui fait que comme le prêtre reçoit sacramentellement le sang de Jésus-Christ dans le calice, de même le peuple chrétien le reçoit intellectuellement. Il est écrit du corps même de Jésus-Christ dans Job, ch. XXXIX: "Les petits de l’aigle lèchent le sang." Les petits de l’aigle sont les sujets de l’Eglise, et ceux-ci lèchent le sang de Jésus-Christ, non pas dans le calice, mais dans son propre corps. Ce breuvage remplit l’âme fidèle de sa douceur. On lit au livre des Cantiques: "Mon bien-aimé est pour moi comme une grappe de raisins de Chypre." Il y a deux choses dans la grappe de raisin, il y a le raisin qui sert d’aliment, et dans le raisin son sang doux qui sert de breuvage. Il est écrit Psaume LXXX: "Il les a rassasiés du miel de la pierre." Comme la pierre est la figure du corps incorruptible de Jésus-Christ, de même le miel de la pierre figure la douceur du sang de Jésus-Christ. Cette douceur produit trois espèces de biens; elle fait mépriser le vice, elle donne la grâce des bonnes conversations, elle fait désirer les biens éternels, II est écrit de la première de ces choses, Proverbes, ch. XXVII: "L'âme rassasiée foulera aux pieds les rayons." Ceux en effet qui sont rassasiés par le miel du sang qui découle de la pierre du corps de Jésus-Christ, ont un souverain mépris pour la douceur du péché. On lit au livre des Juges, ch. IX: "L’arbre appelé figuier," c’est-à-dire l’âme fidèle dit: "Puis-je abandonner la douceur de mon suc, pour venir m’établir au-dessus des arbres?"Ce qui est absolument comme s’il disait: La beauté de Dieu me fait mépriser la gloire et les plaisirs du monde. Il est écrit de la seconde au livre des Cantiques, ch. IV "Vos lèvres sont comme le rayon qui distille le miel; le lait et le miel sont sous votre langue;" c’est-à-dire votre coeur est plein de la douceur spirituelle, ce qui fait que vous abondez en paroles douces et utiles. On lit dans saint Matthieu, chapitre XII: "La bouche parle de l’abondance du coeur," il en est du coeur comme d’un vase. Le vase plein de fiel répand l’amertume, celui qui est plein de miel, au con traire, répand la douceur. C’est pour cela qu’il est écrit dans saint Luc, ch. VI: "L’homme de bien tire de bonnes choses du bon trésor de son coeur, et vice versa." Il est écrit de la troisième de ces choses, Ecclésiastique, chap. XXIV: "Celui qui me boit aura encore soif." Dans les choses corporelles, dit saint Grégoire, le désir plaît et l’expérience déplaît. Quant à la douceur spirituelle au contraire, plus on la goûte, plus on soupire après elle, parce que pendant qu’elle s’écoule goutte à goutte de la plénitude de sa source dans le coeur pur, celui-ci en goûtant sa douceur, désire de plus en plus s’abreuver pleinement à la plénitude de cette même source. On lit dans le psaume LXI: "Elle se réjouira dans ses pluies par les fruits qu’elle produit." On lit encore, Psaume XLI: "Mon âme est toute brûlante de soif pour Dieu qui est une fontaine Vivante."

III. Le troisième breuvage du sang de Jésus-Christ est un breuvage spirituel, que tous ceux qui doivent être sauvés reçoivent par la méditation pieuse de la passion de Jésus-Christ. L’Apôtre dit, I Cor., ch. X: "Nos pères burent tous le même breuvage spirituel." Comme tous les pères religieux qui aimaient Dieu burent l’eau qui découlait des ouvertures du rocher, et crurent qu’elle était la figure du sang de Jésus-Christ versé pendant sa passion, et en goûtèrent par la foi la douceur spirituelle; de même les bons chrétiens ont coutume de boire par de pieuses méditations le sang qui coule de ses blessures. On lit dans Isaïe, chap. LX: "Vos enfants viendront de loin, etc." Ce breuvage en arrosant l’âme, comme si elle était le jardin de Dieu, la rend féconde et lui fait produire de bons fruits: Il est écrit au livre de l’Ecclésiastique, chap. XXIV: "J’arroserai les plantes de mon jardin, et je rassasierai d’eau le fruit de mon pré;" c’est-à-dire, les âmes rassasiées du sang de Jésus-Christ produiront le fruit des bonnes oeuvres. L’Apôtre dit, Col., chap. I: "Produisant toute espèce de bonnes oeuvres." Le fruit des hommes de bien est de trois espèces; c’est-à-dire que leurs conversations sont honnêtes, leur dévotion est sainte, et leur piété douce. L’homme se nourrit du premier fruit; le second est l’aliment de Dieu, et le troisième est celui du prochain.

1° Il est écrit du premier de ces fruits, Eccles., chap, XXIII: "J’ai poussé comme la vigne des fleurs d’une agréable odeur, et mes fleurs sont des fruits de gloire et d’abondance;" c’est-à-dire d’une conversation honnête. L’Apôtre dit, Ephes., chap. V: "Or le fruit de la lumière consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité." Quant aux choses qui se font en secret par les enfants des ténèbres, il est honteux de les nommer. On lit dans saint Matthieu, ch. VII: "Tout bon arbre porte de bons fruits, etc." Chacun se nourrit du fruit d’une bonne vie. Il est écrit Proverbes, chap. XXVII: "Celui qui garde le Seigneur mangera de son fruit." Le prophète Isaïe dit, chap. III: "Dites lui qu’il espère bien, parce qu’il recueillera le fruit de ses oeuvres." On lit au livre des Proverbes, chap. XV: "L’âme tranquille st cor un festin continuel, l’âme tranquille à cause de l’honnêteté de sa vie." L’Apôtre dit, II Cor., chapitre I: "Le sujet de notre gloire, est le témoignage que nous rend notre conscience, de nous être conduits dans ce monde, et surtout à votre égard, dans la simplicité, dans la sincérité de Dieu, et non dans la sagesse de la chair."

2° Il est écrit du second (leur dévotion est sainte), Cant., chap. IV: "Ma soeur est un jardin fermé, vos plants forment comme un jardin de délices rempli de pommes de grenades." Ces plants sont les fruits de la dévotion. C’est ce qui fait qu’il est écrit de suite après, (de nard, le safran, et le cinnamome," qui sont des, espèces de plants aromatiques, sont à cause de leur bonne odeur et de leur vertu, la figure de la dévotion des fidèles qui plaît à Dieu, et qui consiste dans de saints désirs, dans les diverses vertus, dans les gémissements et les prières. L’âme fidèle nourrit Dieu de ces fruits, ce qui fait’ qu’il est écrit immédiatement après au même endroit "Que mon bien-aimé vienne, etc., et qu’il mange du fruit de ses arbres." On lit dans l’Exode, chap. XXX: "Prenez des aromates de bonne odeur, et vous en composerez un parfum," Papias dit que le parfum est une composition de bonne odeur que l’on brûle sur l’autel du Seigneur pour l’honorer. Saint Grégoire dit: "Nous composons un parfum d’aromates, lorsque s’exhale sur l’autel de notre coeur l’odeur de toutes les vertus." Il est écrit au livre des Proverbes, chap. VIII: "Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes;" et cela, parce qu’il est heureux de se reposer dans notre amour et notre dévotion.

3° Il est écrit du troisième de ces fruits, à savoir de la piété qui soulage le prochain, Psaume LI: "J’ai fructifié comme l’olivier dans la maison de Dieu." L’olivier produit l’huile qui éclaire, qui guérit et fortifie les autres, Le qui fait qu’il est l’image des oeuvres de la piété et par lesquelles on vient au secours du prochain. On lit au livre des Proverbes, ch. XXI: "Il y a un trésor précieux et de l’huile dans la maison du juste, et c’est pour soulager... le prochain." Il est écrit dans saint Luc, chap. X: "Un Samaritain voyant un homme que des voleurs venaient de dépouiller, et qu’ils avaient blessé, le considéra comme un malheureux qui a besoin de secours; il en fut touché de compassion, il s’approcha de lui, banda ses blessures, et versa de l’huile et du vin, comme s’il lui eût donné à boire et à manger, et il prit soin de lui." L’Apôtre dit, I Tim., IV: "Exercez-vous à la piété, car la piété est utile à tout, elle a la promesse et de la vie présente et de la vie future à laquelle daigne nous conduire celui qui est béni dans les siècles des siècles." Ainsi soit-il.

Fin du cinquante-septième Opuscule de saint Thomas d’Aquin sur le sacrement de l’Autel.