LES PRINCIPES DE LA RÉALITE
NATURELLE
au Frère Sylvestre (1255)
De principiis naturae
ad fratrem Sylvestrum
DE SAINT THOMAS D'AQUIN
Traduction Serge Pronovost,
Docteur angélique, 2019
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2019
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
Chapitre 1 — TROIS PRINCIPES DE TOUTE PRODUCTION : MATIÈRE,
FORME ET PRIVATION
Chapitre 2 — ÉTUDE DE LA MATIÈRE
Chapitre 3 — LES QUATRE CAUSES MATIÈRE, FORME, AGENT ET FIN
Chapitre 4 — INTERDENDANCE DES QUATRE CAUSES
Chapitre 5 — DIVERSES MANIÈRES D’ÊTRE DES QUATRE CAUSES
Chapitre 6 — LE SENS UNIVOQUE, LE SENS ÉQUIVOQUE ET LE SENS
ANALOGUE
Cet opuscule, le
De Principiis Naturae, les principes
de la nature, Saint-Thomas l’a sans doute écrit comme mû par une préoccupation de
pédagogue, de père spirituel. Oser s’avance sur le difficile chemin de la
philosophie, c’est comme se lancer à l’escalade de l’Éverest. Il est facile de
s’y perdre et cette aventure périlleuse exige une préparation soignée. Le
docteur angélique, lui-même enseignant, voyait les obstacles que rencontraient
même les élèves les mieux intentionnés. Aussi a-t-il jugé bon d’écrire ce petit
ouvrage dans lequel il présente l’essentiel des notions fondamentales qui
assurent, avec la logique, la stabilité et la solidité de toute l’architecture
philosophique.
C’est ainsi que
dans un même document nous sont successivement expliquées par exemple les
notions de matière, forme et privation, la distinction et l’interdépendance des
quatre causes, les notions de puissance et d’acte, de mouvement et d’être, la
notion de genre et les différentes formes d’attribution. Aussi les
considérations du De Principiis Naturae ne portent pas seulement sur un contenu
qui est propre au physicien, au scientifique qui étudie la nature en tant que
telle, mais aussi sur un contenu logique, à savoir surtout sur la notion de
genre, d’espèce, et sur celle de l’attribution prise en ses différentes
formes : univoque, équivoque et analogue. Toutes ces notions sont des
¨magnum virtute¨, c’est-à-dire des notions qui s’appliquent à l’ensemble des
traités philosophiques en raison de leur universalité.
Elles méritent
donc, par une attention soignée et répétée, de constituer l’alimentation de
base de l’intelligence, tout comme les fondations sont un fondement permanent
pour la maison. Ce sont ces notions qui, une fois assimilées, font la
différence entre une intelligence formée, préparée à accueillir, situer et à
bien peser ce qui se présentera à elle par la suite, parce qu’elle maîtrise les
principes, et une intelligence qui sait beaucoup de choses mais sans
ordre : c’est une chose de posséder un château, autre chose d’en posséder
les matériaux. Ces notions sont comme des clefs passe-partout qui donnent accès
à toutes les pièces de ce château du savoir. On pourrait encore dire qu’elles
sont comme le tronc de l’arbre du savoir auquel se rattachent dans l’ordre
chacune des branches des disciplines particulières et qui fait de cette
multiplicité un tout unifié et hiérarchisé et, pour utiliser la métaphore présentée
plus haut, un château plutôt qu’un tas de matériaux disparates.
Le titre de cet
opuscule, en latin, est De principiis
Naturae. Je me suis demandé s’il fallait traduire ce titre en français
d’une manière purement littérale, à savoir Les
principes de la Nature, ou s’il n’était pas préférable de le rendre par Les principes de la réalité naturelle.
Or les termes natura et nature ont de multiples significations,
mais le terme nature signifie plus proprement le principe des choses
naturelles, tout comme l’art signifie le principe des choses artificielles.
Bien sûr, on peut attribuer le terme nature aux choses naturelles elles-mêmes,
mais comme secondairement et improprement, comme lorsqu’on appelle nature
l’ensemble des choses naturelles pour cette raison qu’elles procèdent de la
nature et qu’elles se définissent par elle. C’est bien ce que dit Saint-Thomas
dans son Commentaire à la Physique
d’Aristote : ¨Compositum ex
materia et forma, ut homo, non est ipsa natura, sed est aliquid a natura ; quia
natura habet rationem principii, compositum autem habet rationem principiati¨.
En conséquence,
puisque le terme natura signifie proprement et ¨per prius¨ la nature comme
principe, le titre de cet opuscule prête pour le moins à confusion si on le
traduit littéralement par Les principes
de la Nature car cela signifierait étrangement qu’on y examine les
principes de ce principe qu’est la Nature. Mais à tout principe correspond ce
qui procède de ce principe, le ¨principiatum¨, comme à toute cause correspond
un ¨causatum¨, un causé, un effet. C’est pourquoi, pour plus de clarté, il est
préférable de traduire ce titre par Les
principes des réalités ou des choses naturelles.
En outre, avec
un titre pareil, on est en droit de se demander pourquoi l’auteur inclut dans
cet opuscule dont l’examen a pour objet la nature, des considérations sur
l’espèce, le genre, en plus d’ajouter un chapitre entier, le dernier, sur les
différentes sortes d’attribution, considérations qui sont de nature logique.
C’est que les termes utilisés dans cet opuscule pour traiter des principes des
réalités naturelles, par exemple les termes de matière, de forme, de principe,
de cause, de puissance, d’acte, etc., appliqués à des réalités de genres
différents, ne gardent plus la même signification. Il m’a semblé nécessaire
d’insister sur ce point en présentant une multiplicité d’exemples tirés des
termes mêmes utilisés par Saint-Thomas dans cet opuscule, termes qui
s’appliquent dans ce contexte à cette matière, à savoir les principes de la
réalité naturelle, mais qui présentent formellement un aspect logique de par la
manière dont ils sont attribués.
C’est ainsi que,
dès les premières lignes de cet opuscule, Saint-Thomas dit qu’Il y a de l’être
en puissance et de l’être en acte. Mais si l’être s’attribue à la puissance et
à l’acte, ce n’est pas tout à fait dans le même sens. À proprement parler,
l’être, dans sa signification complète, s’attribue à l’acte et se dit
proprement de ce qui existe actuellement de manière achevée, tandis qu’il se
dit de la puissance comme de quelque chose d’incomplet. Le signe en est que la
puissance ne se définit que par rapport à l’acte : la puissance en effet
est ce qui est ordonné à un acte et est comme appelé à le recevoir.
Aussi, le terme
puissance s’attribue à la fois à l’être substantiel et à l’être accidentel,
mais non dans le même sens, d’une manière égale, mais à la substance ¨per
prius¨, en priorité, et à l’accident ¨per posterius¨, secondairement, parce que
l’accident par nature n’existe que dans une substance et qu’une puissance
accidentelle ne peut être comprise que par rapport à une substance qui la
fonde : le signe en est que la définition d’une puissance accidentelle
inclut la substance dont elle est la puissance.
De même,
Saint-Thomas affirme que ce qui est en puissance à l’existence substantielle,
tout comme ce qui est en puissance à l’existence accidentelle, peut être appelé
matière, mais par analogie, car par exemple, ce que le sperme est à l’homme,
l’homme l’est à la blancheur ou à la vertu. En effet, la notion de puissance se
vérifie davantage dans celle du devenir substantiel car la matière première est
ce qui ne possède présentement aucune existence complète, existence qu’elle
reçoit de la forme substantielle; au contraire, le sujet, ¨matière¨ du devenir
accidentel, en tant que substance, possède déjà une existence achevée puisqu’il
est un composé de matière et de forme et, pour cette raison, est la cause de la
forme accidentelle à devenir. C’est pourquoi Saint-Thomas dit que c’est ce qui
est en puissance à l’existence substantielle qui se dit proprement
matière.
En outre, le
terme ¨principe¨ s’attribue à la fois à la matière, la forme et la privation,
mais dans ce dernier cas c’est ¨per accidens¨ et dans les deux premiers c’est
¨per se¨. En effet, pour qu’il y ait devenir, il faut que la matière soit au
départ privée de la forme à l’égard de laquelle elle est en puissance. Mais ce
n’est pas la privation même de cette forme qui contribue à la faire exister. Ce
rôle revient aux causes (la matière, la forme, l’agent et la fin) de faire
exister un effet. C’est pourquoi toute cause est un principe mais tout principe
n’est pas une cause, si on inclut dans principe simplement ce qui est premier
dans le devenir, le point de départ. Or la privation est principe dans le sens
où au départ elle coïncide avec la matière. Et c’est pourquoi elle n’est
principe que par accident. Principe se dit donc ¨per prius¨ de la matière avec
laquelle la privation coïncide car la privation d’une forme n’est pas pure
négation, mais négation dans une matière déterminée apte à recevoir cette forme
dont elle est présentement privée. La matière et le sujet sont par nature
antérieurs à la privation dont ils sont la matière ou le sujet et c’est
pourquoi ils doivent entrer dans sa définition. La cécité, à proprement parler,
est une privation chez un animal qui est fait pour voir. C’est pour cette
raison aussi que ¨principe¨ se dit en priorité de la matière, secondairement de
la privation.
De même encore,
le terme ¨cause¨ se dit à la fois de la matière, de la forme, de l’agent et de
la fin, mais ¨per prius¨ de la fin, ¨per posterius¨ des autres causes, car la
fin est la cause de la causalité même des autres causes. Toutes les autres
causes sont dites causes selon une hiérarchie qui se détermine selon la plus ou
moins grande proximité de la cause finale. C’est la fin, qui a raison de bien,
qui meut l’agent à agir et à déterminer une forme, à laquelle se conformera une
matière, pour parvenir à cette fin.
Il en est encore
de même pour le terme ¨acte¨ qui peut s’attribuer à la fois à la forme
substantielle, à la forme accidentelle, à l’opération qui découle de la forme
et même à l’être qui est l’acte du composé, de la substance naturelle. Le terme
¨premier¨ est un autre des multiples termes qui s’attribue par analogie car on
peut dire à la fois de l’enfant et de l’homme mûr qu’ils sont premiers :
l’enfant dans l’ordre de la génération et du temps, l’homme mûr dans l’ordre de
la perfection et de l’intention; mais il y a un ordre entre ces deux ordres et
celui de la fin est premier ou, pour parler autrement, premier s’attribue ¨per
prius¨, c’est-à-dire en priorité à l’homme mûr, puisque c’est parce que la
nature a l’intention de produire un homme mûr qu’elle rend les humains capables
de concevoir des enfants, tout comme c’est parce que l’art de la construction à
pour fin de produire une maison qu’elle commence par en poser les fondations.
Qu’est-ce qu’un embryon, un fœtus, un enfant humain sinon ce qui est ordonné,
destiné à devenir un humain adulte et mature? Qu’est-ce qu’une fondation sinon
ce qui est ordonné à assurer la stabilité de la maison?
Et si la signification ou la définition n’est plus la même alors que le même terme est attribué à une multiplicité de sujets, alors le terme n’est plus univoque; mais il n’est pas non plus équivoque car il reste du commun entre les différentes significations qui se rapportent toutes à l’une d’elles comme à une première et dont elles dépendent pour être saisies, et le terme sera alors analogue. Et c’est pourquoi Saint-Thomas fait encore dans le chapitre 5 des considérations sur la notion de genre qui est au fondement même de la notion du terme analogue car ce dernier est le terme qui s’attribue à des sujets de genres différents.
Serge Pronovost,
2019.
Textum Leoninum
Romae 1976 editum |
Traduction Serge Pronovost, 2019. |
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Caput 1 |
Chapitre 1 — TROIS PRINCIPES DE TOUTE PRODUCTION : MATIÈRE, FORME ET PRIVATION |
[69878] De principiis naturae, cap. 1 Nota quod quoddam potest esse licet non sit,
quoddam vero est. Illud quod potest esse dicitur esse potentia; illud quod
iam est, dicitur esse actu. Sed duplex est esse : scilicet esse essentiale
rei, sive substantiale ut hominem esse, et hoc est esse simpliciter. Est
autem aliud esse accidentale, ut hominem esse album, et hoc est esse aliquid.
Ad utrumque esse est aliquid in potentia. Aliquid enim est in potentia ut sit
homo, ut sperma et sanguis menstruus; aliquid est in potentia ut sit album,
ut homo. Tam illud quod est in potentia ad esse substantiale, quam illud quod
est in potentia ad esse accidentale, potest dici materia, sicut sperma
hominis, et homo albedinis. Sed in hoc differt : quia materia quae est in
potentia ad esse substantiale, dicitur materia ex qua; quae autem est in
potentia ad esse accidentale, dicitur materia in qua. Item, proprie loquendo,
quod est in potentia ad esse accidentale dicitur subiectum, quod vero est in
potentia ad esse substantiale, dicitur proprie materia. Quod autem illud quod
est in potentia ad esse accidentale dicatur subiectum, signum est quia;
dicuntur esse accidentia in subiecto, non autem quod forma substantialis sit
in subiecto. Et secundum hoc differt materia a subiecto : quia subiectum est
quod non habet esse ex eo quod advenit, sed per se habet esse completum,
sicut homo non habet esse ab albedine. Sed materia habet esse ex eo quod ei
advenit, quia de se habet esse incompletum. Unde, simpliciter loquendo, forma
dat esse materiae, sed subiectum accidenti, licet aliquando unum sumatur pro
altero scilicet materia pro subiecto, et e converso. Sicut autem omne quod
est in potentia potest dici materia, ita omne a quo aliquid habet esse,
quodcumque esse sit sive substantiale, sive accidentale, potest dici forma;
sicut homo cum sit potentia albus, fit actu albus, per albedinem et sperma,
cum sit potentia homo, fit actu homo per animam. Et quia forma facit esse in
actu, ideo forma dicitur esse actus. Quod autem facit actu esse substantiale,
est forma substantialis, et quod facit actu esse accidentale, dicitur forma
accidentalis. Et quia generatio est motus ad formam, duplici formae respondet
duplex generatio : formae substantiali respondet generatio simpliciter;
formae vero accidentali generatio secundum quid. Quando enim introducitur
forma substantialis, dicitur aliquid fieri simpliciter. Quando autem
introducitur forma accidentalis, non dicitur aliquid fieri simpliciter, sed
fieri hoc; sicut quando homo fit albus, non dicimus simpliciter hominem fieri
vel generari, sed fieri vel generari album. Et huic duplici generationi
respondet duplex corruptio, scilicet simpliciter, et secundum quid. Generatio
vero et corruptio simpliciter non sunt nisi in genere substantiae; sed
generatio et corruptio secundum quid sunt in aliis generibus. Et quia
generatio est quaedam mutatio de non esse vel ente ad esse vel ens, e
converso autem corruptio debet esse de esse ad non esse, non ex quolibet non
esse fit generatio, sed ex non ente quod est ens in potentia; sicut idolum ex
cupro, ad quod idolum est (cuprum) in potentia, non in actu. Ad hoc ergo quod
sit generatio, tria requiruntur : scilicet ens potentia, quod est materia; et
non esse actu, quod est privatio; et id per quod fit actu, scilicet forma.
Sicut quando ex cupro fit idolum, cuprum quod est potentia ad formam idoli,
est materia; hoc autem quod est infiguratum sive indispositum, dicitur privatio;
figura autem a qua dicitur idolum, est forma, non autem substantialis quia
cuprum ante adventum formae seu figurae habet esse in actu, et eius esse non
dependet ab illa figura; sed est forma accidentalis. Omnes enim formae
artificiales sunt accidentales. Ars enim non operatur nisi supra id quod iam
constitutum est in esse perfecto a natura. |
Remarque que certaines choses peuvent exister bien qu’elles n’existent pas encore, et que d’autres existent. On dit de ce qui peut exister qu’il existe en puissance et de ce qui existe déjà qu’il existe en acte. Mais il y a deux sortes d’existence : à savoir l’existence essentielle ou substantielle de la chose, comme l’existence de l’homme, et c’est là l’existence prise absolument ; il y a cependant une autre forme d’existence, l’existence accidentelle, comme pour l’homme d’être blanc, qui est une existence considérée sous un rapport particulier. Et c’est sous ces deux rapports que quelque chose est en puissance à exister. Il y a en effet quelque chose qui est en puissance à être un homme, comme le sperme et le sang menstruel, et il y a quelque chose, l’homme par exemple, qui est en puissance à être blanc. On peut appeler matière aussi bien ce qui est en puissance à l’existence substantielle, comme le sperme pour l’homme, que ce qui est en puissance à l’existence accidentelle, comme l’homme par rapport à la blancheur. Mais il y a une différence entre ces deux sortes de matière. Car on dit de la matière qui est en puissance à l’existence substantielle qu’elle est une matière à partir de laquelle et de celle qui est en puissance à l’existence accidentelle qu’elle est une matière dans laquelle. En outre, à parler proprement, ce qui est en puissance à l’existence accidentelle s’appelle un sujet alors que c’est ce qui est en puissance à l’existence substantielle qui s’appelle proprement matière. Mais qu’on doive appeler proprement sujet ce qui est en puissance à l’existence accidentelle, un signe en est que c’est au sujet des accidents qu’on dit qu’ils existent dans un sujet mais on ne dit pas cela de la forme substantielle. Et c’est en cela que la matière diffère du sujet : car le sujet ne tient pas son existence de l’accident qui lui survient mais il possède déjà de lui-même une existence complète, tout comme l’homme ne tient pas son existence de la blancheur. Mais la matière (qui est en puissance à l’existence substantielle) au contraire tient son existence de ce qui lui advient car d’elle-même elle ne possède qu’une existence incomplète. Aussi, bien qu’on prenne parfois l’un pour l’autre, à savoir la matière pour le sujet et inversement, il résulte de là, à parler absolument, que la forme donne l’existence à la matière alors que le sujet la donne à l’accident. Mais comme tout ce qui est en puissance peut être appelé matière, de même tout ce par quoi quelque chose possède l’existence, que cette existence soit substantielle ou accidentelle, peut être appelé forme ; par exemple l’homme, lorsqu’il est blanc en puissance devient blanc en acte par la forme de la blancheur et lorsqu’il est homme en puissance, c’est par cette forme qu’est l’âme qu’il devient un homme en acte. Et parce que c’est la forme qui fait exister en acte, c’est pourquoi on dit de la forme qu’elle est un acte. Mais ce qui fait exister en acte d’une manière substantielle, c’est la forme substantielle et ce qui fait exister en acte d’une manière accidentelle, on l’appelle la forme accidentelle. Et parce qu’une génération est un mouvement vers une forme, on observe deux sortes de génération correspondant à deux sortes de forme : à la forme substantielle correspond la génération prise absolument alors qu’à la forme accidentelle correspond la génération sous un rapport particulier. En effet, quand il y a apparition d’une forme substantielle, on dit qu’il y a génération absolue d’une chose mais quand c’est une forme accidentelle qui survient, on ne dit pas d’une chose qu’elle a été engendrée purement et simplement, mais plutôt qu’elle a été l’objet d’un devenir particulier ; par exemple, quand un homme devient blanc, on ne dit pas qu’un homme a été engendré purement et simplement, mais plutôt qu’il est devenu blanc. Et à ces deux sortes de génération correspondent deux sortes de corruption, à savoir la corruption absolue et la corruption partielle. Cependant, la génération et la corruption absolues ne se trouvent que dans le genre de la substance alors que la génération et la corruption partielles se retrouvent dans les autres genres. Et parce que la génération est un certain changement ou un passage du non-être à l’être et que la corruption à l’inverse doit être un passage de l’être au non-être, ce ne sera pas à partir de n’importe quel non-être que se fera la génération, mais à partir d’un non-être qui est de l’être en puissance ; par exemple, la statue vient du cuivre et le cuivre, bien qu’il ne soit pas la statue en acte, l’est cependant en puissance. Donc, pour qu’il y ait génération, trois principes sont nécessaires : à savoir l’être en puissance qui est la matière, le non-être en acte qui est la privation, et ce par quoi ce qui était en puissance devient en acte, à savoir la forme. Par exemple lorsqu’une statue est produite à partir du cuivre, le cuivre, qui est en puissance par rapport à la forme de la statue, est la matière ; mais le caractère informe ou désordonné du cuivre s’appelle la privation ; cependant, la figure par laquelle on dit qu’il y a statue, c’est la forme qui n’est pas une forme substantielle mais accidentelle car le cuivre possédait déjà une existence en acte avant de recevoir la figure ou la forme et son existence ne dépend pas de cette figure. En effet, toutes les formes artificielles sont accidentelles. L’art en effet n’opère ou n’agit que sur ce qui est déjà constitué par la nature dans une existence parfaite. |
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Caput 2 |
Chapitre 2 — ÉTUDE DE LA MATIÈRE |
Caput 2 [69879] De principiis naturae, cap. 2 Sunt igitur tria principia naturae, scilicet
materia, forma et privatio; quorum alterum, scilicet forma, est id ad quod
est generatio; alia duo sunt ex parte eius ex quo est generatio. Unde materia et
privatio sunt idem subiecto, sed differunt ratione. Illud enim idem quod est aes est infiguratum ante
adventum formae; sed ex alia ratione dicitur aes, et ex alia infiguratum.
Unde privatio dicitur esse principium non per se, sed per accidens, quia scilicet
concidit cum materia; sicut dicimus quod hoc est per accidens : medicus
aedificat : non enim ex eo quod medicus, sed ex eo quod aedificator, quod
concidit medico in uno subiecto. Sed duplex est accidens : scilicet
necessarium, quod non separatur a re, ut risibile hominis; et non
necessarium, quod separatur, ut album ab homine. Unde, licet privatio sit
principium per accidens, non sequitur quod non sit necessarium ad
generationem, quia materia a privatione non denudatur; inquantum enim est sub
una forma, habet privationem alterius, et e converso, sicut in igne est
privatio aeris, et in aere privatio ignis. Et sciendum, quod cum generatio
sit ex non esse, non dicimus quod negatio sit principium, sed privatio, quia
negatio non determinat sibi subiectum. Non videt enim potest dici etiam de
non entibus, ut Chimaera non videt; et iterum de entibus quae non nata sunt
habere visum, sicut de lapidibus. Sed privatio non dicitur nisi de
determinato subiecto, in quo scilicet natus est fieri habitus; sicut caecitas
non dicitur nisi de his quae sunt nata videre. Et quia generatio non fit ex
non ente simpliciter, sed ex non ente quod est in aliquo subiecto, et non in
quolibet, sed in determinato (non enim ex quolibet non igne fit ignis, sed ex
tali non igne, circa quod nata sit fieri forma ignis), ideo dicitur quod
privatio est principium. Sed in hoc differt ab aliis, quia alia sunt
principia et in esse et in fieri. Ad hoc enim quod fiat idolum, oportet quod
sit aes, et quod ultima sit figura idoli; et iterum, quando iam idolum est
oportet haec duo esse. Sed privatio est principium in fieri et non in esse :
quia dum fit idolum, oportet quod non sit idolum. Si enim esset, non fieret,
quia quod fit non est, nisi in successivis. Sed ex quo iam idolum est, non
est ibi privatio idoli, quia affirmatio et negatio non sunt simul, similiter
nec privatio et habitus. Item privatio est principium per accidens, ut supra
expositum est, alia duo sunt principia per se. Ex dictis igitur patet quod
materia differt a forma et a privatione secundum rationem. Materia enim est
id in quo intelligitur forma et privatio : sicut in cupro intelligitur figura
et infiguratum. Quandoque quidem materia nominatur cum privatione, quandoque
sine privatione : sicut aes, cum sit materia idoli, non importat privationem,
quia ex hoc quod dico aes, non intelligitur indispositum seu infiguratum, sed
farina, cum sit materia respectu panis, importat in se privationem formae
panis, quia ex hoc quod dico farinam, significatur indispositio sive
inordinatio opposita formae panis. Et quia in generatione materia sive
subiectum permanet, privatio vero non, neque compositum ex materia et
privatione, ideo materia quae non importat privationem, est permanens : quae
autem importat, est transiens. Sed sciendum, quod quaedam materia habet
compositionem formae : sicut aes, cum sit materia respectu idoli, ipsum tamen
aes est compositum ex materia et forma; et ideo aes non dicitur materia
prima, quia habet materiam. Ipsa autem materia quae intelligitur sine
qualibet forma et privatione, sed subiecta formae et privationi, dicitur
materia prima, propter hoc quod ante ipsam non est alia materia. Et hoc etiam
dicitur yle. Et quia omnis definitio et omnis cognitio est per formam, ideo
materia prima per se non potest cognosci vel definiri sed per comparationem
ut dicatur quod illud est materia prima, quod hoc modo se habet ad omnes
formas et privationes sicut aes ad idolum et infiguratum. Et haec dicitur
simpliciter prima. Potest etiam aliquid dici materia prima respectu alicuius
generis, sicut aqua est materia liquabilium. Non tamen est prima simpliciter,
quia est composita ex materia et forma, unde habet materiam priorem. Et
sciendum quod materia prima, et etiam forma, non generatur neque corrumpitur,
quia omnis generatio est ad aliquid ex aliquo. Id autem ex quo est generatio,
est materia; id ad quod est forma. Si igitur materia vel forma generaretur,
materiae esset materia, et formae forma, in infinitum. Unde generatio non est
nisi compositi, proprie loquendo. Sciendum est etiam, quod materia prima
dicitur una numero in omnibus. Sed unum numero dicitur duobus modis :
scilicet quod habet unam formam determinatam in numero, sicut Socrates : et
hoc modo materia prima non dicitur unum numero, cum in se non habeat aliquam
formam. Dicitur etiam aliquid unum numero, quia est sine dispositionibus quae
faciunt differre secundum numerum : et hoc modo dicitur materia prima unum
numero, quia intelligitur sine omnibus dispositionibus a quibus est
differentia in numero. Et sciendum quod licet materia non habeat in sua
natura aliquam formam vel privationem, sicut in ratione aeris neque est
figuratum neque infiguratum; tamen nunquam denudatur a forma et privatione :
quandoque enim est sub una forma, quandoque sub alia. Sed per se nunquam
potest esse, quia cum in ratione sua non habeat aliquam formam, non habet
esse in actu, cum esse in actu non sit nisi a forma, sed est solum in
potentia. Et ideo quicquid est actu, non potest dici materia prima. |
Les principes de la nature sont donc au nombre de trois : la matière, la forme et la privation. L’un d’eux, à savoir la forme, est le terme de la génération alors que les deux autres se tiennent du côté du point de départ de la génération. Il résulte de là que la matière et la privation sont la même chose de par le sujet dans lequel elles se trouvent, mais elles diffèrent par la raison: le bronze et son caractère informe sont une seule et même chose avant la réception de la forme, mais c’est pour des raisons différentes qu’on parle du bronze et de son caractère informe. Il résulte de là qu’on dit de la privation qu’elle est un principe par accident et non un principe par soi, à savoir parce qu’elle coincide avec la matière, tout comme nous disons que c’est par accident que le médecin construit : en effet, ce n’est pas parce qu’il est médecin, mais parce qu’il est un architecte, lequel coincide avec le médecin dans un même sujet, qu’il construit. Mais il y a deux sortes
d’accidents : il y a ceux qui sont nécessaires et qui ne sont pas
séparés de la chose, comme la capacité de rire pour l’homme, et ceux qui ne
sont pas nécessaires et qui peuvent être séparés de la chose, comme le fait
d’être blanc peut être séparé de l’homme. À partir de là, bien que la
privation soit un principe par accident, il ne s’ensuit pas pour cette raison
qu’elle ne soit pas nécessaire à la génération car la matière en effet ne se
présente pas sans la privation ; dans la mesure en effet où elle se
tient sous une forme, elle implique nécessairement la privation d’une autre
forme et inversement, tout comme dans la forme du feu il y a la privation de
la forme de l’air et inversement. Et il faut savoir que puisque la génération vient d’un non-être, nous ne disons pas que c’est la négation qui est un principe mais la privation car la négation ne précise pas un sujet auquel elle se rattache. En effet, on peut dire que même ce qui n’existe pas ne voit pas, comme lorsqu’on dit que la Chimère ne voit pas ; et en outre on peut le dire même des êtres, comme les pierres, qui ne possèdent aucune aptitude naturelle à voir. Mais la privation ne peut se dire que d’un sujet déterminé dans lequel est présente une aptitude naturelle à posséder telle forme, tout comme la cécité ne se dit que de ce qui est naturellement apte à posséder la forme de la vision. Et parce que la génération ne provient pas d’un non-être absolu mais d’un non-être qui est dans un sujet et pas dans n’importe quel sujet mais dans un sujet déterminé (le feu en effet ne provient pas de n’importe quel non-feu, mais de ce non-feu qui est naturellement apte à recevoir la forme du feu), c’est pour cette raison que nous disons que la privation, contrairement à la négation, est un principe. Mais ce principe diffère des autres principes en ceci que les autres sont des principes à la fois du devenir et de l’existence ou de l’être. En effet, pour qu’il y ait devenir de la statue, il faut qu’il y ait la présence du bronze et de la figure dernière de la statue ; et en outre une fois la statue réalisée, il faut que ces deux principes existent. Mais la privation, de son côté, n’est principe que du devenir et non de l’existence : car tant qu’il y a devenir de la statue, il faut que la statue n’existe pas car si elle existait, elle ne serait plus en devenir car ce qui est en train de devenir n’existe pas encore, sauf pour ce qui est successif. Mais du fait que la statue existe déjà, il n’y a plus privation de la forme de la statue, car l’affirmation et la négation ne pouvant tenir simultanément, il en est de même pour la privation et la possession. En outre la privation est un principe par accident comme nous l’avons expliqué plus haut alors que la matière et la forme sont des principes par soi. Il est donc clair à partir de ce que nous avons dit que la matière diffère de la forme et de la privation par la raison. La matière en effet est ce dans quoi se comprend la forme et la privation, tout comme c’est dans le cuivre que se comprend la figure et le caractère informe. Certes, il arrive parfois que la matière soit nommée avec la privation, parfois sans la privation : par exemple le bronze, bien qu’il soit la matière de la statue, n’implique pas une privation car lorsque je dis ¨bronze¨, je n’entends pas aussitôt par là un désordre ou un caractère informe ; mais la farine, puisqu’elle n’est une matière que par rapport au pain, implique nécessairement en elle la privation de la forme du pain car du fait même que je dise ¨farine¨, je dis une indisposition ou un désordre qui s’oppose à la forme du pain. Et parce que dans la génération la matière ou le sujet demeure mais non la privation ni le composé de matière et de privation, c’est pourquoi la matière qui n’implique pas une privation demeure alors que celle qui en implique une est transitoire. Mais il faut savoir qu’il existe une matière qui présente une composition avec la forme : par exemple le bronze, bien qu’il soit une matière par rapport à la statue, est cependant lui-même composé de matière et de forme et c’est pourquoi on ne dit pas de lui qu’il est la matière première pour cette raison qu’il possède une matière. C’est plutôt cette matière qui se comprend sans aucune forme et privation, mais qui est le sujet de la forme et de la privation, qu’on appelle la matière première, pour cette raison qu’il n’y a aucune autre matière qui lui est antérieure. Et c’est elle qu’on appelle aussi ¨yle¨ en grec. Et parce que toute définition et toute connaissance s’effectue grâce à la forme, c’est pour cette raison que la matière première ne peut être connue ou définie par elle-même mais seulement par comparaison ou proportion, comme lorsqu’on dit que la matière première est ce qui se rapporte à toutes les formes et à toutes les privations de la même manière que le bronze se rapporte à la statue et au caractère informe. Et c’est de cette matière qu’on dit qu’elle est absolument première. On pourrait aussi appeler quelque chose matière première par rapport à un genre déterminé, comme l’eau qui peut être appelée matière première de tous les liquides. Cependant l’eau n’est pas la matière première prise absolument car elle est elle-même un composé de matière et de forme qui présuppose une matière qui lui est antérieure. Et il faut savoir que la matière première, tout comme la forme elle-même, n’est pas sujette à la génération et à la corruption car toute génération va d’un point de départ à un point d’arrivée. Mais le terme d’où procède la génération est une matière et celui qu’elle vise est une forme. Si donc la matière ou la forme était engendrée, il y aurait matière de matière et forme de forme, à l’infini. Il résulte de là qu’il n’y a génération, à proprement parler, que pour un composé. Il faut aussi savoir qu’on dit de la matière première qu’elle est une, numériquement parlant, pour toutes les choses. Mais cette expression, à savoir ¨un par le nombre¨, c’est de deux manières qu’on peut l’entendre: à savoir ce qui ne possède numériquement qu’une seule forme déterminée, comme Socrate qui n’a comme forme que la sienne ; et ce n’est pas en ce sens que la matière première est dite ¨une par le nombre¨ puisqu’elle ne possède aucune forme. On appelle aussi ¨un par le nombre¨ ce qui est privé de toutes les dispositions qui le rendraient différent des autres par le nombre : et c’est en ce sens qu’on dit que la matière première est une numériquement car elle s’entend en faisant abstraction de toutes les dispositions par lesquelles il y aurait une différence dans le nombre, une multiplicité numérique. Et il faut savoir que bien que la matière ne possède en sa nature aucune forme et aucune privation, tout comme dans la notion de bronze on ne retrouve ni la forme ni le caractère informe, on ne peut cependant nulle part la rencontrer sans une forme et une privation : tantôt en effet elle est sous une forme, tantôt sous une autre. Mais elle ne peut jamais exister par elle-même car comme sa notion n’implique aucune forme, elle ne possède pas d’existence en acte mais seulement en puissance, puisque toute existence en acte n’est possible que par une forme. Et c’est pourquoi rien de ce qui existe en acte ne peut être appelé matière première. |
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Caput 3 |
Chapitre 3 — LES QUATRE CAUSES MATIÈRE, FORME, AGENT ET FIN |
[69880] De principiis naturae, cap. 3 Ex dictis igitur patet tria esse naturae
principia scilicet materia, forma et privatio. Sed haec non sunt sufficientia
ad generationem. Quod enim est in potentia, non potest se reducere ad actum :
sicut cuprum quod est potentia idolum, non facit se idolum, sed indiget
operante, qui formam idoli extrahat de potentia in actum. Forma etiam non
extraheret se de potentia in actum (et loquor de forma generati, quam diximus
esse terminum generationis); forma enim non est nisi in facto esse : quod
autem operatur est in fieri, idest dum res fit. Oportet ergo praeter materiam
et formam esse aliquod principium quod agat, et hoc dicitur esse efficiens,
vel movens, vel agens, vel unde est principium motus. Et quia, ut dicit
Aristoteles in secundo Metaph., omne quod agit, non agit nisi intendendo
aliquid, oportet esse aliud quartum, id scilicet quod intenditur ab operante
: et hoc dicitur finis. Et sciendum, quod omne agens tam naturale quam
voluntarium intendit finem, non tamen sequitur quod omne agens cognoscat
finem, vel deliberet de fine. Cognoscere enim finem est necessarium in his quorum
actiones non sunt determinatae, sed se habent ad opposita, sicut se habent
agentia voluntaria; et ideo oportet quod cognoscant finem per quem suas
actiones determinent. Sed in agentibus naturalibus sunt actiones determinatae : unde non est necessarium eligere ea quae
sunt ad finem. Et ponit
exemplum Avicenna de citharaedo quem non oportet de qualibet percussione
chordarum deliberare, cum percussiones sint determinatae apud ipsum; alioquin
esset inter percussiones mora, quod esset absonum. Magis autem videtur de
operante voluntarie quod deliberet, quam de agente
naturali. Et ita patet per locum a maiori, quod
possibile est agens naturale sine deliberatione intendere finem : et hoc
intendere nihil aliud erat quam habere naturalem inclinationem ad aliquid. Ex
dictis ergo patet, quod sunt quatuor causae : scilicet materialis, efficiens,
formalis et finalis. Licet autem principium et causa dicantur
convertibiliter, ut dicitur in quinto Metaph., tamen Aristoteles in Lib.
Physic., ponit quatuor causas et tria principia. Causas autem accipit tam pro
extrinsecis quam pro intrinsecis. Materia et forma dicuntur intrinsecae rei,
eo quod sunt partes constituentes rem; efficiens et finalis dicuntur
extrinsecae, quia sunt extra rem. Sed principia accipit solum causas
intrinsecas. Privatio autem non nominatur inter causas, quia est principium
per accidens, ut dictum est. Et cum dicimus quatuor causas, intelligimus de
causis per se, ad quas tamen causae per accidens reducuntur, quia omne quod
est per accidens, reducitur ad id quod est per se. Sed licet principia ponat
Aristoteles pro causis intrinsecis in primo Physic., tamen, ut dicitur in
undecimo Metaph., principium dicitur proprie de causis extrinsecis, elementum
de causis quae sunt partes rei, idest de causis intrinsecis, causa dicitur de
utrisque. Tamen aliquando unum ponitur pro altero. Omnis enim causa potest
dici principium, et omne principium causa. Sed tamen causa videtur addere
supra principium communiter dictum, quia id quod est primum, sive consequatur
esse posterius sive non, potest dici principium, sicut faber dicitur
principium cultelli, ut ex eius operatione est esse cultelli. Sed quando
aliquid movetur de nigredine ad albedinem, dicitur quod nigrum est principium
illius motus; et universaliter omne id a quo incipit esse motus dicitur
principium : tamen nigredo non est id ex quo consequatur esse albedo. Sed
causa solum dicitur de illo primo ex quo consequitur esse posterioris : unde
dicitur quod causa est ex cuius esse sequitur aliud. Et ideo illud primum a
quo incipit esse motus, non potest dici causa per se etsi dicatur principium
: et propter hoc privatio ponitur inter principia, et non inter causas, quia
privatio est id a quo incipit generatio. Sed potest etiam dici causa per
accidens, inquantum concidit materiae, ut supra expositum est. Elementum vero
non dicitur proprie nisi de causis ex quibus est compositio rei, quae proprie
sunt materiales. Et iterum non de qualibet causa materiali, sed de illa ex
qua est prima compositio : sicut nec membra elementa sunt hominis, quia
membra etiam sunt composita ex aliis; sed dicimus quod terra et aqua sunt elementa,
quia haec non componuntur ex aliis corporibus, sed ex ipsis est prima
compositio corporum naturalium. Unde Aristoteles in quinto Metaph. dicit quod
elementum est id ex quo componitur res primo, et est in ea, et non dividitur
secundum formam. Expositio primae particulae, ex quo componitur res primo,
patet per ea quae diximus. Secunda particula, scilicet et est in ea, ponitur
ad differentiam illius materiae quae ex toto corrumpitur per generationem :
sicut panis est materia sanguinis, sed non generatur sanguis nisi corrumpatur
panis; unde panis non remanet in sanguine : unde non potest dici panis
elementum sanguinis. Sed elementa oportet aliquo modo manere, cum non
corrumpantur, ut dicitur in libro de Gener. Tertia particula, scilicet et non
dividitur secundum formam, ponitur ad differentiam eorum scilicet quae habent
partes diversas in forma, idest in specie, sicut manus, cuius partes sunt
caro et ossa, quae differunt secundum speciem. Sed elementum non dividitur in
partes diversas secundum speciem, sicut aqua, cuius quaelibet pars est aqua.
Non enim oportet ad esse elementi ut non dividatur secundum quantitatem, sed
sufficit si non dividatur secundum speciem : et si etiam non dividatur,
dicitur elementum, sicut litterae dicuntur elementa dictionum. Patet igitur
quod principium quodam modo in plus habet se quam causa; et causa in plus
quam elementum. Et hoc est quod dicit Commentator in quinto Metaph. |
Il est donc
évident à partir de ce que nous avons dit que les principes de la réalité
naturelle sont au nombre de trois: la matière, la forme et la privation. Mais
ces principes ne suffisent pas à entraîner une génération. En effet, ce qui
est en puissance ne peut de lui-même s’établir dans un acte : par exemple
ce n’est pas le cuivre, lequel est statue en puissance, qui devient
de lui-même une statue, mais il a plutôt besoin d’un agent qui fait
passer la forme de la statue de la puissance à l’acte. Ce n’est pas davantage
la forme qui se ferait passer elle-même de la puissance à l’acte (et je parle
ici de la forme qui est engendrée et que nous avons appelée le terme de la
génération) ; la forme en effet n’existe que dans l’objet réalisé :
l’objet sur lequel opère l’agent est en devenir tant que la fabrication de la
chose n’est pas terminée. Il faut donc, en dehors de la matière et de la
forme, qu’il y ait un principe qui agisse et qu’on appelle le principe
efficient, le moteur, l’agent ou encore le principe d’où commence le
mouvement. Et parce que, comme le dit Aristote au second livre de sa Métaphysique, tout ce qui agit n’agit qu’en vue de quelque chose vers quoi il tend, il faut qu’il y ait encore un autre principe, à savoir cela même qui est recherché par l’agent : et c’est ce qu’on appelle la fin. Et il faut savoir que tout agent, aussi bien un agent naturel qu’un agent volontaire, tend vers une fin ; il ne s’ensuit cependant pas que tout agent connaisse la fin ou délibère sur la fin vers laquelle il tend. Connaître la fin en effet est nécessaire pour ceux dont les actions ne sont pas déterminées à l’avance mais peuvent prendre des directions opposées comme c’est le cas pour les agents volontaires ; et c’est pourquoi il faut que ces derniers connaissent la fin grâce à laquelle ils déterminent leurs actions. Mais les actions des agents naturels sont déjà déterminées à l’avance : d’où il ne leur est pas nécessaire de choisir les moyens qui sont ordonnés à la fin. Et Avicenne donne l’exemple du joueur de cithare qui n’a pas à délibérer pour savoir quelle corde il doit toucher, car ces touches sont déjà déterminées en lui; autrement il y aurait interruption entre les notes et cela serait discordant. Cependant la délibération est davantage évidente chez l’agent volontaire que chez l’agent naturel et ainsi il est clair par le lieu du plus que, s’il est possible à un agent volontaire d’agir parfois sans délibération, alors il faut admettre qu’il est à plus forte raison possible à un agent naturel de tendre vers une fin sans délibération, et dans ce cas tendre vers une fin n’est rien d’autre que d’avoir en soi une inclination naturelle vers quelque chose. Il est donc clair, en partant de ce que nous avons dit, qu’il y a quatre sortes de cause, à savoir la matière, l’agent, la forme et la fin. Cependant, bien que les termes ¨principe¨ et ¨cause¨ se disent de manière à pouvoir se convertir mutuellement, ainsi qu’on le dit au cinquième livre de la Métaphysique, cependant Aristote, dans sa Physique, pose quatre causes et trois principes. Il entend par cause aussi bien ce qui est extérieur que ce qui est intérieur à la chose. On dit de la matière et de la forme qu’elles sont intérieures à la chose du fait qu’elles sont des parties constitutives de la chose ; mais on dit de l’agent et de la fin qu’ils sont extrinsèques parce qu’ils sont extérieurs à la chose. Mais ici, par ¨principe¨, il entend seulement les causes intérieures. Quant à la privation, il ne l’appelle pas cause car, ainsi que nous l’avons dit, elle est un principe par accident. Et lorsque nous parlons des quatre causes, nous pensons aux causes par soi auxquelles se ramènent cependant les causes par accident car tout ce qui existe par accident se ramène à ce qui existe par soi. Cependant, bien qu’Aristote pose les principes comme étant les causes intérieures au premier livre de sa Physique, néanmoins, ainsi qu’il le dit lui-même au onzième livre de sa Métaphysique, ¨principe¨ se dit proprement des causes extérieures, ¨élément¨ des causes qui sont les parties de la chose, c’est-à-dire des causes intérieures, alors que ¨cause¨ se dit des deux. Parfois cependant l’un se dit pour l’autre. En effet, toute cause peut être appelée principe et tout principe peut être appelé cause. Le terme cause semble cependant ajouter quelque chose au terme de principe tel qu’on le dit communément car ce qui est premier, qu’il en découle ou non une existence postérieure, peut être appelé principe : par exemple, on dit du ciseleur qu’il est le principe du couteau en tant que l’existence du couteau découle ou procède de son opération. Mais, aussi bien, quand quelque chose passe du noir au blanc, on dit que le noir est le principe de ce mouvement ; et universellement tout point de départ d’un mouvement, ou tout ce à partir de quoi un mouvement commence à exister s’appelle principe : la noirceur n’est cependant pas ce d’où procède l’existence de la blancheur. C’est seulement de la cause au contraire qu’on dit qu’elle est ce principe d’où procède l’existence de quelque chose d’autre. Et c’est pourquoi on ne peut appeler cause par soi ce qui est premier et par quoi commence l’existence du mouvement, son point de départ, bien qu’on l’appelle principe : et c’est pour cette raison que la privation est rangée parmi les principes mais non parmi les causes car la privation est seulement le point de départ de la génération. Elle peut cependant être appelée cause par accident parce qu’elle coïncide avec la matière comme nous l’avons dit plus haut. Mais le terme élément ne se dit proprement que des causes qui entrent dans la composition de la chose et qui sont à proprement parler les causes matérielles. Et en outre ce terme ne se dit pas de n’importe quelle cause matérielle, mais de celle à partir de laquelle se fait la première composition : ainsi, les membres ne sont pas les éléments de l’homme car les membres eux-mêmes sont composés d’autres parties matérielles ; mais nous disons au contraire que la terre et l’eau sont des éléments car elles ne sont pas composées d’autres corps, mais c’est à partir d’eux qu’a lieu la première composition des corps naturels. C’est pourquoi Aristote dit, au cinquième livre de sa Métaphysique, que l’élément est ce d’où procède la première composition de la chose, tout en étant en elle et n’est pas divisible selon la forme. Si on veut expliquer la première partie de cette définition, elle devient évidente par la seule considération de ce que nous avons dit. Si on examine la deuxième partie de la définition, à savoir que l’élément est présent dans la chose, cela est dit pour le distinguer d’une matière qui est entièrement corrompue par la génération, comme le pain qui est la matière du sang alors qu’il n’y a génération du sang que si le pain est détruit et c’est pourquoi le pain ne demeure pas présent dans le sang ; d’où il résulte qu’on ne peut dire du pain qu’il est l’élément du sang. Mais il faut que les éléments demeurent d’une certaine manière puisqu’ils ne sont pas détruits comme on le dit au livre de la Génération des Animaux. La troisième partie de la définition, celle qui dit que l’élément n’est pas divisible selon la forme, est présentée pour distinguer l’élément des choses ayant des parties qui se distinguent par la forme, c’est-à-dire par l’espèce, comme la main dont les parties sont les os et la chair, lesquels diffèrent par l’espèce. Mais l’élément ne se divise pas en des parties qui diffèrent par l’espèce, comme c’est le cas pour l’eau dont chacune des parties reste toujours de l’eau. En effet, il n’est pas nécessaire à l’existence de l’élément qu’il ne se divise pas selon la quantité, mais il suffit qu’il ne se divise pas selon l’espèce : et même s’il ne se divise pas par la quantité, on l’appelle toujours élément, comme on le voit pour les lettres dont on dit qu’elles sont les éléments des mots. Il est donc clair que le terme de principe a plus d’extension que le terme cause et qu’à son tour le terme cause en a davantage que le terme élément. Et c’est ce que dit le Commentateur au cinquième livre de la Métaphysique. |
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Caput 4 |
Chapitre 4 — INTERDENDANCE DES QUATRE CAUSES |
[69881] De principiis naturae, cap. 4 Viso igitur quod quatuor sunt causarum
genera, sciendum est quod non est impossibile quod idem habeat plures causas
: ut idolum cuius causa est cuprum et artifex, sed artifex ut efficiens,
cuprum ut materia. Non autem est impossibile ut idem sit causa contrariorum :
sicut gubernator est causa salutis navis et submersionis, sed huius per
absentiam, illius quidem per praesentiam. Sciendum est etiam quod possibile
est ut aliquid idem sit causa et causatum respectu eiusdem, sed diversimode :
ut deambulatio est causa sanitatis ut efficiens, sed sanitas est causa deambulationis
ut finis : deambulatio enim est aliquando propter sanitatem. Et etiam corpus
est materia animae, anima vero est forma corporis. Efficiens enim dicitur
causa respectu finis, cum finis non sit in actu nisi per operationem agentis
: sed finis dicitur causa efficientis, cum non operetur nisi per intentionem
finis. Unde efficiens est causa illius quod est finis : ut sit sanitas; non
tamen facit finem esse finem, et ita non est causa causalitatis finis, idest
non facit finem esse finalem : sicut medicus facit sanitatem esse in actu,
non tamen facit quod sanitas sit finis. Finis autem non est causa illius quod
est efficiens, sed est causa ut efficiens sit efficiens : sanitas enim non
facit medicum esse medicum (et dico sanitatem quae fit operante medico), sed
facit ut medicus sit efficiens. Unde finis est causa causalitatis
efficientis, quia facit efficiens esse efficiens : similiter facit materiam
esse materiam, et formam esse formam, cum materia non suscipiat formam nisi
per finem, et forma non perficiat materiam nisi per finem. Unde dicitur quod
finis est causa causarum, quia est causa causalitatis in omnibus causis.
Materia enim dicitur causa formae, inquantum forma non est nisi in materia;
et similiter forma est causa materiae, inquantum materia non habet esse in
actu nisi per formam. Materia enim et forma dicuntur relative ad invicem,
ut dicitur in secundo physicorum. Dicuntur enim ad compositum sicut partes ad
totum, et simplex ad compositum. Sed
quia omnis causa, inquantum est causa, naturaliter prior est causato,
sciendum quod prius dicitur duobus modis, ut dicit Aristoteles in decimosexto
de Animal.; per quorum diversitatem potest aliquid dici prius et posterius
respectu eiusdem, et causa et causatum. Dicitur enim aliquid prius altero
generatione et tempore, et iterum in substantia et complemento. Cum ergo
naturae operatio procedat ab imperfecto ad perfectum, et ab incompleto ad
completum, imperfectum est prius perfecto, secundum generationem et tempus,
sed perfectum est prius in complemento : sicut potest dici quod vir est ante
puerum in substantia et complemento, sed puer est ante virum generatione et
tempore. Sed licet in rebus generabilibus imperfectum sit prius perfecto, et
potentia prior actu, considerando in aliquo eodem quod prius est imperfectum
quam perfectum, et in potentia quam in actu, simpliciter tamen loquendo,
oportet actum et perfectum prius esse : quia quod reducit potentiam ad actum,
actu est, et quod perficit imperfectum, perfectum est. Materia quidem est
prior forma generatione et tempore : prius enim est cui advenit, quam quod
advenit. Forma vero est prior materia perfectione, quia materia non habet
esse completum nisi per formam. Similiter efficiens prior est fine
generatione et tempore, cum ab efficiente fiat motus ad finem; sed finis est
prior efficiente inquantum est efficiens, in substantia et complemento, cum
actio efficientis non compleatur nisi per finem. Igitur istae duae causae,
scilicet materia et efficiens, sunt prius per viam generationis; sed forma et
finis sunt prius per viam perfectionis. Et notandum quod duplex est
necessitas : scilicet necessitas absoluta et necessitas conditionalis.
Necessitas quidem absoluta est quae procedit a causis prioribus in viam
generationis, quae sunt materia et efficiens : sicut necessitas mortis quae
provenit ex materia et ex dispositione contrariorum componentium; et haec
dicitur absoluta quia non habet impedimentum. Haec etiam dicitur necessitas
materiae. Necessitas autem conditionalis procedit a causis posterioribus in
generatione, scilicet a forma et fine : sicut dicimus quod necessarium est
esse conceptionem, si debeat generari homo; et ista est conditionalis, quia
hanc mulierem concipere non est necessarium simpliciter, sed sub conditione,
si debeat generari homo. Et haec dicitur necessitas finis. Et est sciendum
quod tres causae possunt incidere in unum, scilicet forma, finis, et
efficiens : sicut patet in generatione ignis. Ignis enim generat ignem, ergo
ignis est causa efficiens inquantum generat; et iterum ignis est forma
inquantum facit esse actu quod prius erat potentia; et iterum est, finis
inquantum est intentum ab agente et inquantum terminantur ad ipsum
operationes ipsius agentis. Sed duplex est finis, scilicet finis
generationis, et finis rei generatae : sicut patet in generatione cultelli.
Forma enim cultelli est finis generationis; sed incidere, quod est operatio
cultelli, est finis ipsius generati, scilicet cultelli. Finis autem
generationis concidit ex duabus dictis causis aliquando, scilicet quando fit
generatio a simili in specie, sicut homo generat hominem, et oliva olivam :
quod non potest intelligi de fine rei generatae. Sciendum autem quod finis
incidit cum forma in idem numero, quia illud idem in numero quod est forma
generati est finis generationis. Sed cum efficiente non incidit in idem numero, sed
in idem specie. Impossibile est enim ut faciens et factum sint idem numero,
sed possunt esse idem specie : ut quando homo
generat hominem, homo generans et generatus sunt diversa in numero sed idem
in specie. Materia autem non concidit cum aliis, quia materia, ex eo quod est
ens in potentia, habet rationem imperfecti, sed aliae causae cum sint actu,
habent rationem perfecti; perfectum autem et imperfectum non concidunt in
idem. |
Ayant donc vu qu’il y a quatre genres de cause, il faut savoir qu’il n’est pas impossible qu’une même chose ait plusieurs causes : par exemple la statue a pour causes à la fois le cuivre et le sculpteur, mais le sculpteur à titre de cause efficiente et le cuivre à titre de cause matérielle. Il n’est pas impossible en outre que la même chose soit la cause d’effet contraires : par exemple le pilote est la cause du salut du navire et de sa perte mais de cette dernière par son absence et du premier par sa présence. Il faut aussi savoir qu’il est possible à une même chose d’être à la fois cause et effet à l’égard d’une autre, mais sous des rapports différents : par exemple la marche est la cause de la santé à titre de cause efficiente et la santé est la cause de la marche à titre de cause finale : il arrive en effet que la marche ait lieu en vue de la santé. Et il en est de même pour le corps qui est la matière de l’âme alors que l’âme est la forme du corps. On dit encore que l’agent est la cause de la fin parce que la fin n’existe en acte que par l’opération de l’agent mais on dit de la fin qu’elle est cause de l’agent en tant qu’agent puisque ce dernier n’agit qu’en vue de réaliser la fin. C’est pourquoi l’agent est cause de ce qui tient lieu de fin, par exemple de la santé, mais ce n’est cependant pas lui qui est responsable de la fin en tant que cause et ainsi ce n’est pas lui qui fait que la fin soit cause finale : par exemple, c’est le médecin qui fait que la santé existe en acte, mais ce n’est pas lui qui fait que la santé soit une fin. Par ailleurs la fin n’est pas la cause de celui qui tient lieu d’agent, mais elle est la cause de l’agent en tant qu’agent : la santé en effet ne fait pas que le médecin soit médecin (et je parle de la santé qui est réalisée par l’opération du médecin) mais elle est responsable du médecin en tant que cause efficiente. D’où il résulte que la fin est la cause de la causalité de l’agent car c’est elle qui fait que l’agent agisse ; et de la même manière c’est elle qui fait que la matière soit matière et que la forme soit forme car la matière ne reçoit la forme que par la fin et ce n’est que grâce à la fin que la forme donne sa perfection à la matière. Et c’est pourquoi on dit que la fin est la cause des causes, car elle est la cause de la causalité de toutes les causes. On dit en effet que la matière est la cause de la forme selon que la forme n’existe que dans la matière et on dit de même que la forme est la cause de la matière selon que la matière ne possède d’existence en acte que par la forme. En effet, la matière et la forme se disent relativement l’une par rapport à l’autre ainsi qu’on l’affirme au deuxième livre des Physiques. En effet, elles se disent par rapport au composé comme les parties par rapport au tout et comme le simple par rapport au composé. Mais parce que toute cause, en tant que cause, est par nature antérieure à son effet, il faut savoir que le terme antérieur ou premier se dit d’après deux significations ainsi que le dit Aristote dans le seizième livre des Parties des Animaux, et c’est d’après la différence de ces significations qu’une même chose peut être qualifiée de première ou de seconde, et donc de cause ou d’effet, par rapport à une autre. On dit en effet d’une chose qu’elle est antérieure à une autre soit par la génération et le temps, soit par la substance et ce qui complète. Donc, puisque l’opération de la nature procède de l’imparfait au parfait et de l’incomplet au complet, l’imparfait est antérieur au parfait dans l’ordre de la génération et du temps, mais le parfait est antérieur dans l’ordre de ce qui complète : par exemple, on peut dire que l’homme est antérieur à l’enfant dans l’ordre de la substance et de ce qui complète, mais aussi que l’enfant est antérieur à l’homme dans l’ordre de la génération et du temps. Mais bien que l’imparfait soit antérieur au parfait et que la puissance soit antérieure à l’acte pour les choses qui sont sujettes à la génération, si on considère que dans un seul et même être l’imparfait est antérieur au parfait et la puissance est antérieure à l’acte, néanmoins à parler absolument il faut bien que le parfait et l’acte soient antérieurs car il faut bien que ce qui conduit la puissance à l’acte soit en acte et que soit parfait ce qui fait passer de l’imparfait au parfait. La matière en effet est antérieure à la forme par la génération et le temps car ce à quoi il advient quelque chose est antérieur à ce qui lui advient. Mais la forme est antérieure à la matière par la perfection car ce n’est que grâce à la forme que la matière possède une existence complète. De même, l’agent est antérieur à la fin par la génération et le temps puisque c’est de l’agent que procède le mouvement vers la fin ; mais par la substance et ce qui complète, la fin est antérieure à l’agent en tant qu’agent puisque l’action de l’agent ne trouve son achèvement que dans la fin. Donc ces deux causes, à savoir la matière et l’agent, sont antérieures dans l’ordre de la génération mais la forme et la fin sont antérieures dans l’ordre de la perfection. Et il faut remarquer qu’il y a deux sortes de nécessité : la nécessité absolue et la nécessité conditionnelle. La nécessité absolue est celle qui procède des causes qui sont premières dans l’ordre de la génération, à savoir la matière et l’agent : par exemple la mort est nécessaire parce qu’elle procède de la matière et que nous sommes composés d’éléments contraires ; et on dit de cette nécessité qu’elle est absolue parce qu’elle ne rencontre pas d’obstacle et on l’appelle aussi nécessité matérielle. Mais la nécessité conditionnelle procède des causes qui sont postérieures dans l’ordre de la génération, à savoir de la forme et de la fin : par exemple, nous disons que si un homme doit être engendré, il est nécessaire qu’il soit d’abord conçu ; et c’est là une nécessité conditionnelle car il n’est pas nécessaire, à parler absolument, que cette femme conçoive, mais seulement à la condition qu’un homme soit engendré. Et cette nécessité, on l’appelle nécessité de la fin en ce sens qu’elle relève de la fin. Et il faut savoir en outre qu’il y a trois causes qui peuvent se rencontrer dans une même chose, à savoir la forme la fin et l’agent, ainsi qu’on peut le voir par la génération du feu. Le feu en effet engendre du feu et donc à ce titre, en tant qu’il engendre, il est la cause efficiente du feu ; de plus le feu est forme dans la mesure où il fait que ce qui existait en puissance existe maintenant en acte ; et en outre il est fin en ce sens qu’il est ce qui est recherché par l’agent et qu’il est le terme de ses opérations. Mais il y a deux sortes de fin, à savoir la fin de la génération et la fin de la chose engendrée, ainsi qu’on peut le voir dans la génération du couteau. En effet, c’est la forme du couteau qui est la fin de la génération ; mais couper, qui est l’opération du couteau, est la fin de la chose engendrée elle-même, c’est-à-dire du couteau. Cependant la fin de la génération coïncide parfois, c’est-à-dire quand il y a génération du semblable au semblable comme lorsqu’un homme engendre un homme ou qu’une olibe engendre une olive, avec deux causes dont nous avons parlé, à savoir la forme et l’agent, ce qui n’est pas le cas pour la fin qui est l’opération de la chose engendrée. Il faut cependant savoir que la fin coïncide avec la forme dans ce qui est identique par le nombre car c’est la même chose numériquement parlant qui est à la fois la forme de la chose engendrée et la fin de la génération. Mais la fin ne coïncide pas avec l’agent dans une seule et même chose qui est numériquement une, mais seulement dans ce qui est un et le le même par l’espèce. Il est en effet impossible que celui qui fait et ce qui est fait soient identiques par le nombre, mais ils peuvent être identiques par l’espèce : par exemple, lorsqu’un homme engendre un homme, l’homme qui engendre et celui qui est engendré diffèrent par le nombre mais sont identiques par l’espèce. La matière cependant ne coïncide pas avec les autres causes car, du fait qu’elle est de l’être en puissance, elle a raison d’imperfection alors que les autres causes, étant de l’être en acte, ont raison de perfection, et que le parfait et l’imparfait ne peuvent se ramener au même. |
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Chapitre 5 — DIVERSES MANIÈRES D’ÊTRE DES QUATRE CAUSES |
Caput 5 |
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[69882] De principiis naturae, cap. 5 Viso igitur quod sint quatuor causae,
scilicet efficiens, materialis, formalis et finalis, sciendum est quod
quaelibet istarum causarum dividitur multis modis. Dicitur enim aliquid causa
per prius, et aliquid per posterius, sicut dicimus quod ars et medicus sunt
causa sanitatis : sed ars est causa per prius, et medicus per posterius; et similiter
in causa formali, et in aliis causis. Et nota quod semper debemus reducere
quaestionem ad primam causam, ut si quaeratur : quare est iste sanus?
Dicendum est : quia medicus sanavit et iterum, quare medicus sanavit propter
artem sanandi quam habet. Sciendum est quod idem est dictu causa propinqua
quod causa posterior, et causa remota quod causa prior. Unde istae duae
divisiones causarum : alia per prius, alia per
posterius; et causarum alia remota, alia propinqua, idem significant. Hoc autem observandum est, quod semper illud
quod universalius est, causa remota dicitur, quod autem specialius, causa
propinqua : sicut dicimus quod forma hominis propinqua est sua definitio,
scilicet animal rationale mortale, sed animal est magis remota, et iterum
substantia remotior est. Omnia enim superiora sunt formae inferiorum. Et
similiter materia idoli propinqua est cuprum, sed remota est metallum, et
iterum remotius corpus. Item causarum alia est per se, alia per accidens.
Causa per se dicitur causa alicuius rei inquantum huiusmodi, sicut
aedificator est causa domus, et lignum materia scamni. Causa per accidens est
illa quae accidit causae per se, sicut cum dicimus grammaticus aedificat.
Grammaticus enim dicitur causa aedificationis per accidens, non enim inquantum
grammaticus, sed inquantum accidit aedificatori. Et similiter est in aliis
causis. Item causarum quaedam est simplex, et quaedam composita. Simplex
causa dicitur quando solum dicitur causa illud quod per se est causa, vel
etiam solum illud quod est per accidens : sicut si dicamus aedificatorem esse
causam domus, et similiter si dicamus medicum esse causam domus. Composita
autem dicitur quando utrumque dicitur causa, ut si dicamus : aedificator
medicus est causa domus. Potest etiam dici causa simplex, secundum quod
exponit Avicenna, illud quod sine adiunctione alterius est causa, sicut
cuprum idoli, sine adiunctione enim alterius materiae ex cupro fit idolum; et
sicut dicitur quod medicus facit sanitatem, vel quod ignis calefacit.
Composita autem causa est, quando oportet plura advenire ad hoc quod sit
causa : sicut unus homo non est causa motus navis, sed multi; et sicut unus
lapis non est materia domus, sed multi. Item causarum quaedam est actu,
quaedam potentia. Causa in actu est quae actu causat rem, sicut aedificator
cum aedificat, vel cuprum cum ex eo est idolum. Causa autem in potentia est
quae licet non causet rem in actu, tamen potest causare : ut aedificator, dum
non aedificat. Et sciendum quod loquendo de causis in actu, necessarium est
causam et causatum simul esse, ita quod si unum sit, et alterum. Si enim est
aedificator in actu, oportet quod aedificet; et si sit aedificatio in actu,
oportet quod sit aedificator in actu. Sed hoc non est necessarium in
causis quae sunt solum in potentia. Sciendum est autem quod causa universalis comparatur causato
universali, causa vero singularis comparatur causato singulari : sicut
dicimus quod aedificator est causa domus, et hic aedificator huius domus. |
Ayant donc vu qu’il existe quatre sortes de cause, à savoir la cause efficiente, la cause matérielle, la cause formelle et la cause finale, il faut savoir que chacune d’elles se divise de plusieurs manières. Une cause en effet peut être première et une autre seconde, comme lorsque nous disons que l’art de la médecine et le médecin sont les causes de la santé, nous signifions que l’art est cause à titre premier et le médecin à titre second ; et il en est de même pour la cause formelle et pour les autres causes. Et il faut remarquer que nous devons toujours ramener la question à la cause première, comme lorsqu’on demande : pourquoi cet homme est-il en santé ? Il faut répondre : parce que le médecin l’a guéri ; et en outre qu’il l’a guéri à cause de l’art de la médecine qu’il possède. Il faut savoir que lorsqu’on parle de cause prochaine et de cause seconde on dit la même chose, comme c’est le cas aussi lorsqu’on parle de cause éloignée et de cause première. Il résulte de là que ces deux divisions relatives aux causes, à savoir celle qui distingue la cause première de la cause seconde et celle qui distingue la cause éloignée de la cause prochaine, ont la même signification. Il faut cependant observer ceci, à savoir que toujours on appelle cause éloignée ce qui est le plus universel, et cause prochaine ce qui est plus particulier : par exemple, nous disons que la forme prochaine de l’homme est sa définition, à savoir animal rationnel et mortel, alors qu’animal est une forme plus éloignée et que substance l’est encore bien davantage. Toujours en effet le supérieur est la forme de l’inférieur. Et il en est de même pour la matière prochaine de la statue qui est le cuivre, alors que sa matière éloignée est le métal et que sa matière encore plus éloignée est le corps solide. En outre parmi les causes il y a celles qui sont par soi ou essentielles et celles qui sont par accident. On appelle cause par soi celle qui, en tant que telle, est la cause de la chose, comme le constructeur qui, en tant que constructeur, est la cause de la maison et le bois qui est celle de l’escabeau. De son côté, la cause par accident est celle qui survient à la cause par soi, comme lorsque nous disons que le grammairien construit. On dit en effet du grammairien qu’il est cause de la construction par accident, non pas en tant qu’il est grammairien, mais en tant qu’il arrive au constructeur d’être grammairien. Et il en est de même pour les autres causes. Et en outre parmi les causes certaines sont simples et d’autres sont composées. On dit que la cause est simple lorsqu’on parle seulement de celle qui est la cause par soi ou encore seulement de celle qui est la cause par accident, par exemple lorsque nous disons que le constructeur est la cause de la maison ou encore que le médecin en est la cause. Mais on dit que la cause est composée lorsqu’on présente les deux causes, comme lorsque nous disons que le constructeur qui est médecin est la cause de la maison. Mais on peut aussi appeler cause simple, selon les dires d’Avicenne, ce qui est cause sans l’ajout d’autre chose, comme c’est le cas pour le cuivre par rapport à la statue, car la statue procède du cuivre sans l’ajout d’une autre matière, et aussi pour le médecin qui produit la santé ou le feu qui réchauffe. Mais une cause est composée lorsqu’elle implique la contribution d’une multiplicité pour qu’il y ait cause : par exemple ce n’est pas un seul homme qui est la cause du mouvement du navire mais plusieurs et la cause matérielle de la maison ne se réduit pas à une seule pierre. En outre parmi les causes certaines sont en acte, d’autres en puissance. C’est une cause en acte qui cause une chose en acte, comme le constructeur lorsqu’il construit ou le cuivre dont la statue est faite. La cause en puissance par ailleurs est celle qui, bien qu’elle ne cause pas la chose en acte, peut cependant la causer comme le constructeur alors qu’il n’est pas en train de construire. Et il faut savoir que lorsqu’on parle de cause en acte, il est nécessaire que la cause et l’effet existent simultanément de telle manière que si l’un est présent, l’autre l’est aussi simultanément. Si en effet il y a constructeur en acte, il faut qu’il construise ; et s’il y a construction en acte, il faut qu’il y ait constructeur en acte. Mais cela n’est pas nécessaire pour les causes qui ne sont qu’en puissance. Il faut cependant savoir qu’une cause universelle se compare à un effet universel et qu’une cause particulière se compare à un effet particulier, comme lorsqu’on dit que le constructeur est la cause de la maison et que tel constructeur est la cause de telle maison. |
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Caput 6 |
Chapitre 6 — LE SENS UNIVOQUE, LE SENS ÉQUIVOQUE ET LE SENS ANALOGUE |
[69883] De principiis naturae, cap. 6 Sciendum est etiam quod loquendo de
principiis intrinsecis, scilicet materia et forma, secundum convenientiam
principiatorum et differentiam est convenientia et differentia principiorum :
quaedam enim sunt idem numero, sicut Socrates et hic homo demonstrato
Socrate; quaedam sunt diversa numero et sunt idem in specie, ut Socrates et
Plato, qui, licet conveniant in specie humana, tamen differunt numero. Quaedam autem
differunt specie, sed sunt idem genere, sicut homo et asinus conveniunt in
genere animalis; quaedam autem sunt diversa in genere, sed sunt idem solum
secundum analogiam, sicut substantia et quantitas, quae non conveniunt in
aliquo genere, sed conveniunt solum secundum analogiam :
conveniunt enim in eo solum quod est ens. Ens autem non est genus, quia non praedicatur univoce,
sed analogice. Ad huius intelligentiam sciendum est, quod tripliciter aliquid
praedicatur de pluribus : univoce, aequivoce et analogice. Univoce
praedicatur quod praedicatur secundum idem nomen et secundum rationem eamdem,
idest definitionem, sicut animal praedicatur de homine et de asino. Utrumque
enim dicitur animal, et utrumque est substantia animata sensibilis, quod est
definitio animalis. Aequivoce praedicatur, quod praedicatur de aliquibus
secundum idem nomen, et secundum diversam rationem : sicut canis dicitur de
latrabili et de caelesti, quae conveniunt solum in nomine, et non in
definitione sive significatione : id enim quod significatur per nomen, est
definitio, sicut dicitur in quarto Metaph. Analogice dicitur praedicari, quod
praedicatur de pluribus quorum rationes diversae sunt sed attribuuntur uni
alicui eidem : sicut sanum dicitur de corpore animalis et de urina et de potione,
sed non ex toto idem significat in omnibus. Dicitur enim de urina ut de signo
sanitatis, de corpore ut de subiecto, de potione ut de causa; sed tamen omnes
istae rationes attribuuntur uni fini, scilicet sanitati. Aliquando enim ea
quae conveniunt secundum analogiam, id est in proportione vel comparatione
vel convenientia, attribuuntur uni fini, sicut patet in praedicto exemplo;
aliquando uni agenti, sicut medicus dicitur et de eo qui operatur per artem
et de eo qui operatur sine arte, ut vetula, et etiam de instrumentis, sed per
attributionem ad unum agens, quod est medicina; aliquando autem per
attributionem ad unum subiectum, sicut ens dicitur de substantia, de
qualitate et quantitate et aliis praedicamentis. Non enim ex toto est eadem
ratio qua substantia est ens, et quantitas, et alia, sed omnia dicuntur ex eo
quod attribuuntur substantiae, quod est subiectum aliorum. Et ideo ens
dicitur per prius de substantia, et per posterius de aliis.
Et ideo ens non est genus substantiae et quantitatis, quia nullum genus
praedicatur per prius et posterius de suis speciebus, sed praedicatur
analogice. Et hoc est quod diximus quod substantia et quantitas differunt
genere, sed sunt idem analogia. Eorum igitur quae sunt idem numero, forma et
materia sunt idem numero, ut Tullii et Ciceronis. Eorum autem quae sunt idem
in specie diversa numero, etiam materia et forma non est eadem numero, sed
specie, sicut Socratis et Platonis. Et similiter eorum quae sunt idem genere,
et principia sunt idem genere : ut anima et corpus asini et equi differunt
specie, sed sunt idem genere. Et similiter eorum quae conveniunt secundum
analogiam tantum, principia sunt eadem secundum analogiam tantum, sive
proportionem. Materia enim et
forma et privatio, sive potentia et actus, sunt principia substantiae et
aliorum generum. Tamen materia substantiae et quantitatis, et similiter forma
et privatio differunt genere, sed conveniunt solum secundum proportionem in
hoc quod, sicut se habet materia substantiae ad substantiam in ratione
materiae, ita se habet materia quantitatis ad quantitatem. Sicut tamen
substantia est causa ceterorum, ita principia substantiae sunt principia
omnium aliorum. |
Il faut encore savoir que lorsqu’on parle des principes intrinsèques, à savoir la matière et la forme, la ressemblance et la différence des principes est conforme à la ressemblance et à la différence des effets qui en découlent. Certains en effet sont identiques par le nombre, tout comme Socrate et cet homme qui est montré comme étant Socrate ; d’autres diffèrent par le nombre et sont identiques par l’espèce comme Socrate et Platon qui, bien qu’ils se rencontrent dans l’espèce humaine, diffèrent cependant par le nombre. D’autres encore diffèrent par l’espèce et sont identiques selon le genre, comme l’homme et l’âne qui ont en commun le genre animal. D’autres enfin diffèrent même par le genre et ne sont identiques que par analogie, comme la substance et la quantité qui ne se rencontrent pas dans un même genre mais ne présentent qu’une ressemblance selon l’analogie : ils n’ont en effet que l’être en commun. L’être cependant n’est pas un genre car il ne s’attribue pas de manière univoque mais de manière analogue. Pour le comprendre, il faut savoir qu’il existe trois modalités pour un même terme de s’attribuer à une multiplicité de sujets, à savoir de manière univoque, de manière équivoque et de manière analogue. L’attribution univoque se fait selon le même nom et la même signification, c’est-à-dire la même définition, comme lorsqu’animal s’attribue à la fois à l’homme et à l’âne. On dit en effet des deux qu’ils sont des animaux, et les deux se définissent comme étant des substances animées et sensibles, ce qui constitue la définition même de l’animal. L’attribution équivoque a lieu lorsque le même terme s’attribue à une multiplicité d’après des significations différentes, comme lorsque le terme chien est attribué à la fois à l’animal qui jappe et à la constellation, lesquels n’ont en commun que le nom et non la signification ou la définition : ce qui est signifié en effet par le nom, c’est la définition ainsi que le dit Aristote au quatrième livre de sa Métaphysique. Mais l’attribution se présente de manière analogue lorsque le même terme est attribué à une multiplicité de sujets dont les définitions différentes mais qui se rapportent toutes à une seule et même chose : par exemple, ¨sain¨ se dit à la fois du corps de l’animal, de l’urine et de la potion, mais il ne signifie pas tout à fait le même rapport dans tous les cas. Ce terme se dit de l’urine comme du signe de la santé, du corps comme de son sujet et de la potion comme de sa cause : tous ces rapports cependant s’attribuent à une seule et même fin, à savoir à la santé. Parfois, les choses qui ont en commun un rapport selon l’analogie, c’est-à-dire selon la proportion ou la convenance, s’attribuent à une même fin comme on le voit dans l’exemple qui précède ; mais parfois c’est à un même agent qu’elles se rapportent, comme le terme médical qui se dit à la fois de celui qui opère par l’art et de celui qui opère sans art comme l’apprenti, et même des instruments, mais par rapport à un seul et même agent qui est l’art de la médecine ; mais parfois c’est par rapport à un seul et même sujet, comme c’est le cas pour l’être qui se dit de la substance, de la qualité et de la quantité et des autres catégories. En effet, ce n’est pas tout à fait pour la même raison que la substance est de l’être, et que la qualité, la quantité et les autres catégories reçoivent aussi l’attribution de l’être, mais on dit de toutes les autres catégories qu’elles sont de l’être du fait qu’elles s’attribuent à la substance qui est leur sujet. Et c’est pourquoi l’être s’attribue ¨per prius¨, c’est-à-dire premièrement ou en priorité à la substance et ¨per posterieus¨, c’est-à-dire secondairement aux autres catégories. Et c’est pourquoi l’être n’est pas le genre de la substance et de la quantité, mais il s’attribue plutôt à eux par analogie car aucun genre ne s’attribue à ses espèces par priorité à l’une et secondairement aux autres. Et c’est ce que nous avons dit, à savoir que la substance et la quantité diffèrent par le genre mais sont une par analogie. Donc pour les choses qui sont une par le nombre, la forme et la matière sont une par le nombre, comme c’est le cas pour Tullius et Cicéron. Mais pour celles qui sont une par l’espèce et différentes par le nombre, la matière et la forme aussi ne sont pas une par le nombre mais seulement par l’espèce, comme Socrate et Platon. Et de même pour celles qui sont une par le genre, les principes aussi sont un par le genre : par exemple le corps et l’âme de l’âne et du cheval diffèrent par l’espèce mais sont un par le genre. Et il en est encore de même pour les choses qui se rencontrent selon l’analogie seulement : leurs principes ne sont un que par l’analogie ou la proportion. En effet, la matière, la forme et la privation, ou la puissance et l’acte, sont les principes de la substance et des autres genres. Cependant la matière de la substance et celle de la quantité, et cela est vrai aussi pour leur forme, diffèrent par le genre et n’ont en commun que la proportion en ceci que ce que la matière de la substance est à la substance sous le rapport de la matière, la matière de la quantité l’est également à la quantité. Cependant, tout comme la substance est la cause des autres catégories, de même les principes de la substance sont les causes de tous les autres principes. |
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FIN DE L'OPUSCULE 45 : LES PRINCIPES DE LA RÉALITE NATURELLE |