LES PROPOSITIONS MODALES
SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE
OPUSCULE 39
(Œuvre probablement non authentique)
Traduction Abbé Bandel, Editions Louis Vivès, 1857
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2004
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
Puisque la proposition modale reçoit son nom de mode, il faut d’abord savoir ce qu’on entend par mode, afin de comprendre ce qu’est la proposition modale. Le mode est une attribution faite à un objet, laquelle s’opère en ajoutant un adjectif, pour déterminer le substantif. Par exemple: Cet homme est blanc, ou par un adverbe qui détermine le verbe; par exemple, cet homme court bien, Il y a trois modes, dont l’un détermine le sujet de la proposition, comme "un homme blanc court." L’autre fixe l’attribut, comme, Jacques est un homme blanc, ou Jacques court avec vélocité. Le troisième détermine l’accord de l’attribut avec le sujet, comme par exemple: Il est possible que Jacques courre. C’est ce troisième mode qui seul fait la proposition modale. On appelle de messe, ou absolue, celles qui ne sont pas modales. Les modes qui indiquent la composition ou l’ordre sont au nombre de six, à savoir, le vrai, le faux, le nécessaire, l’impossible, le possible, le contingent. Or, le vrai et le faux n’ajoutent rien à la signification d’une proposition absolue (in esse). Car c’est la même chose de dire, Jacques ne court pas; ou, il est faux que Jacques courre; Jacques court; ou, il est vrai que Jacques courre. Ce qui n’a pas lieu pour les quatre autres oppositions; car ce n’est pas la même chose de dire, Jacques court, ou il est possible que Jacques courre. C’est pourquoi, sans nous attacher à ce qu’il y a ici de vrai et de faux, examinons les quatre autres propositions.
Comme l’attribut détermine le sujet, et qu’il n’en est pas ainsi du sujet à l’égard de l’attribut, il faut, pour qu’une proposition soit modale, admettre les quatre modes dont nous venons de parler, et que le verbe qui lie les termes entre eux soit pris pour le sujet. Ce qui arrive si, à la place de l’indicatif du verbe de la proposition, on emploie l’infinitif, comme dans cette proposition. Il est possible Jacques courir; on a dit Jacques courir. Lors donc que le verbe est mis à la place du sujet et le mode à celle de l’adjectif ou de l’attribut, on fait une proposition modale, comme quand on dit: Jacques courir est possible. Mais si on intervertit les termes, elle sera absolue, ou in esse. Il y a des propositions modales de mots et d’autres qui le sont de fait, La proposition modale de mots est celle où tout le mot est le sujet, et l’attribut est exprimé ensuite, comme, que Jacques courre est possible. La modale de fait est celle où le mode précède le fait, comme, il est possible que Jacques courre. Nous ferons observer que toutes les propositions modales sont particulières, parce que le mode est attribué à telle ou telle chose, comme à un objet particulier. Cette espèce de propositions se divise en générale, particulière, indéfinie, ou singulière, selon le sujet du terme, de même que les propositions absolues (In esse). En sorte que celle-ci, il est possible que tout homme courre, est générale; et ainsi des autres. Il faut encore observer qu’une proposition modale est affirmative ou négative, selon que le modèle est affirmatif ou négatif, sans que le mot la détermine à aucun de ces sens, qu’il soit l’un ou l’autre. Tellement, que cette proposition, que Jacques ne courre pas est possible, est une proposition affirmative, et que celle-ci, que Jacques courre n’est pas possible, est négative.
Il faut remarquer cependant que le nécessaire ressemble au signe universel affirmatif, parce que ce qui est nécessairement est toujours, et l’impossible au signe universel négatif, parce que ce à quoi il est impossible d’être n’est jamais. Le possible, au .contraire, et le contingent ressemblent au signe particulier, parce que ce qui est contingent et possible tantôt est, et tantôt n’est pas. C’est pour cette raison que le nécessaire est possible, et le possible est le non-être sont des propositions contraires, etc. Le nécessaire est l’être et le possible est l’être, sont des propositions qui s’alternent, de même que celles-ci : l’impossible est l’être et le possible est le non-être. Mais le nécessaire est l’être et le possible est le non-être sont contradictoires, de même que l’impossible est l’être et le possible est l’être, comme on le voit dans la figure ci-dessous. Nous devons faire observer que toutes les propositions qui sont dans le même ordre, sont équivalentes. Or la règle et le mode d’argumentation dans les contraires, les subalternes et les contradictoires, est la même que dans les propositions absolues, ou d’in-esse. Mais il faut savoir que, quant à l’équivalent des propositions modales, l’effet de la négation appliquée au mode est le même que dans les propositions d’in-esse. La négation dans les propositions modales, placée avant le mode, le rend équivalent à son contradictoire; ainsi le non nécessaire est l’être et l’impossible est le non-être, sont équivalents, et la négation, appliquée au mot, équivaut à son contraire; et si elle est placée avant l’un et l’autre, elle équivaut à leur subalterne. Ce qui nous démontre que le possible et le contingent ont la même signification; tellement que les propositions possibles contingentes, placées dans le même ordre, sont équivalentes. Mais toutes les propositions équivalentes entre elles sont du même ordre; d’où l’on peut voir qu’il y a quatre ordres. Le premier ordre est, le possible est l’être, avec tous ses équivalents; le second, le possible est le non-être, avec ses équivalents; le troisième est l’impossible est l’être, avec ses équivalents; le quatrième est le nécessaire est l’être, avec ses équivalents. D’où l’on voit que le quatrième ordre est contraire au troisième. Donc le premier est sous-opposé au second. Le troisième est contradictoire; le troisième est contradictoire au premier, le second au quatrième. Le premier alterne avec le quatrième et le second avec le troisième. Ce qui a donné lieu aux vers suivants:
Le troisième ordre est toujours contraire au quatrième.
Le second détruit le quatrième, en le contredisant.
Que votre première ligne soit le sous-contraire
de la seconde.
Le troisième ordre et le premier sont contradictoires.
Le premier dépend du quatrième, puisqu’il fait l’office d’un ordre
particulier
Mais il appartient à l’ordre suivant, par la règle du second.
Le subalterne appartient également ou premier et au second.
Le premier, nous aimerons, le second, édentés.
Le troisième jaune, et le reste pourpre.
U détruit tout, mais a rétablit l’un
et l’autre.
E supprime le mot, et i le mode.
Pourpre. Le non-possible est le non-être. Le non-contingent est le non-être. L’impossible est le non.être. Le nécessaire est l’être. |
Propositions contraires |
Jaune Le non-possible est l’être. Le non-contingent est l’être. L’impossible est l’être. Le nécessaire est le non-être. |
Subalternes. Le possible est l’être. Le contingent est l’être. Le non-possible est l’être. Le non-nécessaire est l’être. Nous aimerons. |
Sous-contraire |
Subalternes. Le possible est le non-être. Le contingent est le non-être. L’impossible est la non-être. Le non-être est l’être. Edentés. |
Fin du trente-neuvième Opuscule de saint
Thomas d’Aquin, des propositions modales.