LA DÉMONSTRATION

SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE L'ÉGLISE

 

OPUSCULE 37

(Œuvre non authentique)

Traduction Abbé Bandel, Editions Louis Vivès, 1857

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Pour comprendre ce qu’on entend par démonstration, il faut qu’on sache d’abord qu’elle est un syllogisme formé de prémisses vraies, immédiates, antérieures, évidentes, et des causes de la conclusion, cette démonstration est la plus probante. Ou bien il est composé de ces prémisses qui tirent le principe de leur connaissance d’autres prémisses vraies et: fondamentales. Celle-ci est moins rigoureuse. De là, il est nécessaire de savoir qu’il faut trois choses pour une démonstration, à savoir: le sujet, l’attribut et la convenance ou la relation. Le sujet est ce à quoi on donne l’attribut. Celui-ci est ce qui peut être en soi, converti dans le sujet, duquel il est affirmé. La démonstration est donc complète et rigoureuse, quand l’attribut est affirmé d’un sujet général par un milieu, lequel est la définition qui explique ce qu’il est et pourquoi il l’est.

Le sujet universel d’un attribut est celui qui peut être converti en son attribut, et qui renferme en lui la raison de son attribut. Ainsi, le triangle est le sujet universel de l’attribut, auquel il appartient d'avoir trois angles, qui peut se changer en son attribut, etc., en sens inverse; le triangle est triangle, parce qu’il a trois angles.

Le sujet particulier est celui qui ne peut pas se changer en son attribut et n’en contient pas la raison, en lui, par exemple, le tringle isocèle; parce qu’il n’est pas isocèle, à cause qu’il a trois angles, parce que tout ce qui a trois angles, n’est pas isocèle; l’isocèle n’étant tel, non parce qu’il a trois angles, mais parce qu’il a trois côtés égaux. La définition exprimant ce qu’est une chose, est la définition par l’essence d’un objet; c’est la définition du sujet comme, par exemple, un triangle est une figure plane renfermée entre trois lignes. La définition, propter quid, ou pourquoi, est la définition pour la cause, qui est la définition de l’attribut, parce que la définition de l’attribut donne la raison de l’application de l’attribut au sujet, qui est la raison d’être de l’attribut. Par exemple: trois angles égaux à deux angles droits, signifient un angle saillant égal à deux angles droits rentrants, opposés entre eux, et pour cela l’attribut manque au triangle par sa définition. Si on demande pourquoi le triangle a, etc., on répondra qu’il a un angle saillant égal à deux droits opposés entre eux; et je dis que la définition expliquant ce qu’est une chose et pourquoi elle est ainsi, est une définition par les opposés. Ainsi il y a dans la définition du sujet et de l’attribut un moyen pour arriver à la définition la plus rigoureuse, qui donne au sujet universel, un attribut propre et adéquate. Par exemple toute figure plane renfermée dans trois lignes, a un angle saillant égal à deux angles rentrants opposés entre eux. Cette majeure renferme le premier mode de parler en soi, qui a lieu quand l’objet signifié est attribué à sa définition; toute figure plane à trois côtés a un angle saillant égal à deux angles rentrants, opposés entre eux. A cette mineure appartient le premier mode, qui a lieu quand la définition ou une partie de la définition du sujet est donnée avec une double raison, comme par exemple, une éclipse de lune, à cause de l’interposition de la terre entre elle et le soleil, et un mort qui a péri parce qu’on l’a tué. L’autre exemple est relatif à la démonstration complète. Tout corps naturel, éclairé par le soleil, privé de lumière par l’interposition de la terre, est éclipsé. La lune est dans ce cas; donc la lune disparaît. Et l’attribut est prouvé par la définition qui explique quoi et comment.

La démonstration incomplète a lieu de plusieurs manières. D’abord quand l’attribut est donné à un sujet particulier par un milieu qui est le sujet de cet attribut; parce que le sujet est la cause prochaine de l’attribut dans le sujet particulier, comme par exemple, s’il est démontré qu’il y a trois angles isocèles dans le triangle. Tout triangle a trois angles; l’isocèle est un triangle; donc l’isocèle a trois angles; d’où il suit que ce syllogisme peut être faux, ou juste, ou qu’il y a une démonstration particulière.

Le syllogisme est faux, si on argumente à l’égard d’un sujet particulier, comme d’un sujet universel et convertissable à cause de la ressemblance de l’isocèle avec le triangle. Car, lorsqu’on est porté à croire ce que l’on dit de l’un et de l’autre, à cause de l’identité d’une partie du sujet avec l’attribut, il y a erreur d’accident.

Il y a un bon et véritable syllogisme, quand on lui donne l'attribut, comme à l’isocèle, à cause du triangle, comme à un sujet particulier, en tant qu’il y a un attribut commun à plusieurs sujets. Parce qu’il est évident que dans un syllogisme en forme, il y a un attribut commun à plusieurs sujets. De même la preuve est particulière, quand l’attribut est affirmé de l’isocèle, comme d’un sujet particulier, par le triangle, en tant que cause prochaine de l’attribut, dans un sujet particulier En effet, le triangle est la cause prochaine, pour laquelle l’isocèle a trois angles car ce n’est pas en tant qu’isocèle, qu’il a trois angles, mais en tant que triangle. La démonstration moins logique a encore lieu d’un autre façon, savoir, quand l’effet est prouvé par la cause éloignée, ou quand la cause l’est par l’effet; comme, par exemple, si on prouve que l’isocèle a trois angles, non à cause du triangle, qui est la cause prochaine et immédiate de l’isocèle, ainsi que nous l’avons dit, mais par la figure plane, etc., qui est la définition du triangle et de son attribut, en disant quoi et comment, ce qui est la cause prochaine à l’égard du sujet universel; et la cause éloignée, à l’égard du sujet particulier.

La démonstration moins exacte se fait encore d’une autre manière, en démontrant la cause par l’effet, par exemple, si l’on prouve le rapprochement d’une planète parce qu’elle ne scintille pas, de cette manière: tout corps lumineux, qui ne scintille pas, est près de l’oeil: or, il en est ainsi des planètes; donc, elles sont très rapprochées de nous. Dans ce cas, la cause est prouvée par l’effet, parce que le rapprochement est cause que les planètes ne scintillent pas; mais non, en sens inverse. Car ce n’est pas parce que les planètes ne scintillent pas, qu’elles sont rapprochées de nous, mais c’est parce qu’elles sont près de nous qu’elles ne scintillent pas. Mais si on prouve le non scintillement par le corps lumineux, l’effet sera prouvé par la cause. De même, si on prouve que la lune est ronde, parce que ses phases se produisent circulairement, en argumentant de cette manière: tout corps lumineux, ou propre à recevoir les rayons lumineux, dans lequel le mouvement les rayons lumineux se fait circulairement, est rond. Les phases de la lune se font-en forme de cercle, donc elle est ronde. Mais parce qu’elle est ronde et sphérique, les phases de la lune ont lieu en forme de cercle; ainsi on voit l’évidence de ce que nous avons dit.           

Fin du trente-septième opuscule de saint Thomas d’Aquin, de la démonstration.