DE
LA NATURE DE LA MATIÈRE ET DES DIMENSIONS INDÉFINIES
PAR SAINT THOMAS d’AQUIN
Opuscule 31
(1252-1256)
(Authenticité discutée, auteur inconnu)
Editions Louis Vivès, 1857
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
(Authenticité discutée, auteur inconnu)
CHAPITRE III: Il y a trois espèces de formes.
CHAPITRE VI: Il existe véritablement des dimensions
indéterminées.
Après avoir parlé des principes, il nous reste à traiter plus en détail de la nature de la matière. Disons donc que la causalité de la créature n’atteint pas Fa matière, parce que l’action de la créature s’exerce sur un autre Fond; et la matière n’a pas de sujet duquel aucune puissance puisse la tirer, parce que la matière est sans matière, en sorte qu’elle n’est susceptible ni d’être engendrée, ni d altérée; parce que tout ce qui est engendré est issu de la matière; et tout ce qui est altéré se convertit en matière, parce qu’elle est le premier principe dont une chose quelconque est tirée et le dernier dans lequel elle se résout par la corruption, selon le Philosophe, Je livre du Traité de Physique. En sorte qu’elle ne sort que du néant et ne peut retombe que dans le néant. Mais comme la créature ne peut faire rien sortir du néant, de même tout être retombe dans le néant par la soustraction tic la puissance créatrice; donc la créature ne peut produire la matière. Puisque l’agent physique n’a d’action que par l’intermédiaire d’un instrument matériel, l’action qui excite un corps. est le mouvement; aussi toute action de l’agent physique est dans le mouvement, lequel existe dans un objet mobile comme dans son sujet, ainsi qu’il est dit au III livre du Traité de Physique. Or la matière n’est pas mobile, parce qu’il faut nécessairement supposer la matière dans tout objet mis en mouvement, comme on le voit au III° livre du Traité de la métaphysique. Car tout ce qui est mobile est composé de différentes parties; or la matière n’a de parties que sous le rapport de la quantité; donc le sujet d’une action physique sera mobile en tant qu’existant en acte. Mais tout ce qui est mobile est mû de son mouvement propre cri vertu d’une qualité inhérente à sa nature, qui est pour lui le principe passif de son mouvement, telles sont la pesanteur et la légèreté dans un mouvement local. Ces qualités renferment la vertu du principe générateur du mouvement local, dans ces êtres inférieurs. Ce qui fait qu’on donne quelquefois à ces qualités le nom de principes actifs du mouvement, en tant qu’ils sont les instruments du générateur, qui est le moteur principal des corps lourds et légers; et d’autres fois celui de principes passifs, en tant qu’effets du générateur. L’effet a la raison du principe passif, car il a lieu par l’interposition du sujet d’où il est produit. Il y a des agents qui ne produisent pas seulement les effets qui leur sont propres, mais encore leurs instruments, par exemple, le principe producteur du feu n’occasionne pas seule ment son mouvement, mais il transforme en feu les matières légères qui produisent sont mouvement, en sorte que les matières légères sait actives, sait passives, sont appelées le principe du mouvement. Mais ces qualités des corps mobiles ne peuvent être des qualités premières, parce qu’elles ne tiennent qu’à des conditions étrangères au mouvement d’un objet, c’est-à-dire au mouvement local, lequel ne donne pas à un objet de forme substantielle; c’est pourquoi il importe quelles y soient précédées par d’autres qualités qui sont les instruments du générateur de la forme substantielle. Car il est nécessaire que cette forme sait antérieure à son mouvement local, parce qu’il exige la quantité et différentes parties dans l’objet mobile. Mais la forme substantielle est antérieure à toute quantité; et la forme du générateur de la production de la forme est une altération, dont le terme est la destruction de la forme primitive et la possession d’une nouvelle forme; ainsi donc la décomposition de l’une est la génération de l’autre. Et puisque l’altération est une action physique, elle n’a lieu que par l’intermédiaire d’un instrument corporel, ainsi que nous l’avons dit, et cette action ne s’opère que par le mouvement. C’est pour quoi l’altération dont le terme est la génération, exige un sujet existant en acte, comme un corps mobile, lourd ou léger; or la décomposition est un mouvement, comme il est dit au V° livre du Traité de Physique. Donc, comme il y a repos à la fin de toute espèce de mouvement, en rapport avec la nature de ce mouvement, par exemple, dans le mouvement local, il y a repos à l’endroit où finit le mouvement, ainsi dans le mouvement de l’action de blanchir, le repos est la blancheur qui termine l’action de blanchir; c’est pourquoi dans la fin de cette action, le repos est la production de la forme substantielle. Donc l’altération qui prive la matière de la forme primitive, exige en soi un sujet existant en acte, parce qu’elle est elle-même mouvement, ainsi qu’il a été dit. Mais elle ne l’exige pas dans son terme qui est la génération; d’où il suit que la génération n’exige de sujet qu’en puissance. Il n’y reste donc que cela dans la génération, que le sujet seul sait nécessaire à la chose dont il est le sujet. Puisque donc la génération n’est pas un mouvement, mais un changement, comme il est dit au V° livre du Traité de Physique, celle-ci étant le terme d’une action physique, c’est-à-dire de la décomposition qui exige toujours un sujet existant en acte à cause de la nature du mouvement, la matière qui est le sujet de la génération n’est jamais sans forme; c’est pourquoi l’agent qui n’a pas besoin d’être précédé dans son action par un terme quelconque d’action, peut produire quelque chose de la matière sans qu’il y ait décomposition, ou bien du néant ou de quelque mouvement présupposé. Car son action n’étant pas un mouvement, ni le terme du mouvement, un être en puissance seulement peut changer subitement sans qu’il y ait altération qui la précède, parce qu’il ne faut pas de temps qui sait la mesure de l’action d’un objet naturel, à moins d’un mouvement surajouté; tellement qu’il ne serait pas nécessaire que la matière fût unie à la forme, par une intervention de la providence, à laquelle serait soumise cette union (le la forme, mais par une action physique qui ne peut s’exercer sur un être seulement en puissance, mais dans son terme, où finit le mouvement. C’est donc du terme de l’action physique qu’on peut tirer le moyen de connaître la nature de la matière, comme le fait Aristote dans le 1er livre de son Traité de Physique.
Nous devons donc considérer attentivement qu’il y a deux termes de l’action physique; savoir, un premier et un second. Le premier est la génération, qui est le terme de l’altération physique. Le second est la forme, qui est la fin de la génération, bien que la forme ne sait pas toujours le produit de la génération, laquelle forme est la fin de la génération, comme on le voit pour l’âme de l’homme, qui n’est pas le résultat de l’action d’un agent physique. En sorte que le premier terme de l’action physique dans la génération de l’homme est une condition suffisante pour l’adjonction de l’âme. Aristote donne le nom de génération, dans le second livre de son Traité de Physique, parce que l’homme et le soleil engendrent l’homme. Mais la génération propre ment dite a lieu, quand la forme est unie au sujet qui es& produit de la nature du générateur, ce qui arrive quand le principe d’action n’excède pas le mode d’action sous aucun rapport, ainsi qu’il en est de toutes les formes imprimées dans la matière. Car ces formes ne sont pas un principe d’action, par quelque chose d’inhérent à elles mêmes, comme s’il y avait quelque chose en elles, qui ne fût pas uni à la matière, et autre chose qui y fût comme plongé; mais elles sont parfaitement le principe d’action des objets dont elles sont la forme; et c’est en vertu de cette action, qu’il est produit un objet ressemblant à ces choses, en genre et en espèce. Mais l’âme de l’homme excède le mode de son action et de sa génération, parce que l’âme de l’homme n’est pas une forme entièrement perdue dans la matière Car la puissance génératrice de l’homme n’est pas toute la vertu de l’âme humaine, mais seulement une partie qui ne dépasse pas les conditions de la matière; et c’est pour cette raison que, dans la génération de l’homme, on ne reproduit pas le même sujet en espèce eu vertu de la génération, comme dans les autres générations. Car quel que disposée que la matière sait naturellement pour l’âme humaine, Dieu pouvait cependant l’empêcher de la créer. On peut donc comprendre quelle est la nature de la matière par la génération, qui est le premier terme de l’action physique. En effet, puisqu’il n’est pas besoin dans l’action physique d’un sujet eu acte, excepté pour le mouvement, ainsi que nous l’avons dit de l’altération, et qu’il faut que le sujet sait dans tout le mouvement, il s’ensuit nécessairement, qu’il faut que le sujet sait en acte, tant qu’il y a altération et mouvement. Mais quand cesse le mouvement de décomposition, l’actualité du sujet cesse également. Or, elle subsiste dans son terme, qui est la génération; d’où il suit que toute l’actualité du sujet décomposé cesse dans la génération. Il n’y reste donc que l’être en puissance. Or, l’être en puissance est la seule matière; ce qui fait que la matière seule est le sujet de la génération. Puisque donc la matière est un obstacle à sa connaissance, et qu’une chose n’est connue qu’autant qu’elle est en acte, comme il est dit au IX° Livre de la métaphysique, la matière rie peut être connue que dans ses rapports avec la forme, ainsi que le dit Aristote au premier livre de son Traité de Physique; il faut d’abord commencer par connaître la forme, et chercher son aide la nature de la matière car la forme est le terme de l’action physique, ainsi que nous l’avons dit. Il faut savoir que, dans le terme de tout mouvement, il n’y a rien qui ne sait occupé par le mouvement, comme dans le terme du mouvement local, il n’y a rien dans l’espace occupé par où commence le mouvement local, ainsi que dans le terme de l’action de blanchir, il n’y a aucun pas noir par où cette action commence. Puisque donc l’altération de l’acte de la forme substantielle et son composé sont altérés par la décomposition de la matière, afin de lui enlever à elle-même tout acte qu’elle avait précédemment, ainsi que nous l’avons dit, son terme sera nécessairement privé de son premier acte, Car ce qui est le premier dans la constitution d’un objet, est le dernier dans sa décomposition; et c’est là l’acte de la forme substantielle. Donc la matière est ce qu’abandonne la forme substantielle, parce que l’action de la créature ne nous réduit pas au néant, comme nous l’avons dit. Ainsi donc on peut connaître la matière par la forme.
CHAPITRE
III: Il y a trois espèces de formes.
Nous devons remarquer qu’il y a trois espèces
de formes. Il y en a une qui est son être à elle-même et qui n’est pas reçue
dans un sujet préexistant et qui ne se communique pas à un être postérieur.
Cette forme est Dieu; c’est pour cette raison que lui seul est absolument
infini. Il y na d’autres qui, pour n’être pas appliquées à la matière, ne sont
pas néanmoins leur être propre, puisqu’elles reçoivent une composition
d’essence et d’être; ce qui fait que, d’un côté. Elles sont finies et infinies
de l’autre. Elles sont finies par rapport à leur être, bornées par en haut,
mais non par, en bas, puisqu’elles ne Sont pas appliquées à un être inférieur.
C’est la pensée du commentateur, dans le Traité des causes. D’autres sont
finies de toutes pari tenant leur être d’un autre qui est commun à toute créature,
et qui sont pourtant reçues dans une matière. Il y a cependant entre elles une
grande différence, parce qu’elles sont d’autant moins confondues avec la
matière; et de cette façon l’âme humaine est tout en quelque sorte, comme il
est écrit dans le troisième livre du Traité de l’âme. Celle en effet qui
n’est pas confondue avec la matière, ainsi que les autres formes, garde une
espèce d’infinité. C’est ce qui fait que l’intellect s’applique à un grand
nombre de sujets et les sens à un petit nombre. Cette plus grande extension de
sa puissance ne fait pas qu’il s’étend à plusieurs objets, mais il demeure uni
dans son application à un plus grand nombre de sujets intelligibles, que le
sens qui ne s’applique qu’à un petit nombre d’objets sensibles, et cela, par
l’effet d’une plus grande unité du moyen par lequel elle arrive à la connaissance,
qui a plus d’unité que le milieu à l’aide duquel les sens arrivent à la
connaissance de leur objet. Ce qui nous prouve donc, d’une manière évidente,
que les formes prises en elles-mêmes sont unies et non séparées. Et comme elles
sont reçues dans la matière et confondues avec elle, elles sont sujettes à
division dans la nature de leur être; et de même que l’espèce suit la forme, il
n’y a pas de différence de suppôts dans les formes séparées d la matière, ou de
multiplicité dans la même espèce ou dans la raison formelle, chaque suppôt
réunit en lui toute son espèce. Mais dans les formes reçues dans la matière, on
trouve une seule espèce dans plusieurs suppôts ceci ne vient pas de la nature
de la matière prise en général, puisque la matière suit la nature de l’espèce
des objets matériels, et de l’application de la forme à la matière, en tant que
premier sujet. Car puisque le sujet d’une espèce ou une partie du sujet est une
substance qui reçoit le nom d’individu, ce qui a la raison du premier sujet est
la cause de l’individuation et de la division de l’espèce dans les suppôts. Or,
le premier sujet qui ne peut être reçu dans un autre ainsi que les formes
séparées, par là même qu’elles ne peuvent être reçues dans un autre, ont la
raison du premier sujet et l’individualisent d’elles-mêmes. Et comme elles
n’ont rien autre que la forme, elle y est selon la raison de la forme; et
puisqu’elles ont le même suppôt et la forme, lequel est cause qu’elles
s’individualisent par elles-mêmes, en tant qu’elles ont la raison du premier
sujet pour multiplier les suppôts, la forme est multipliée en elles selon la
raison de la forme en elle-même, et non par un autre sujet, puisqu’elles ne
sont pas reçues dans un autre. Or, cette multiplication multiplie l’e en sorte
qu’elles renferment autant d’espèces qu’il y a d’individus. Mais dans les
autres formes qui en renferment plusieurs, parte qu’elles sont reçues dans un
autre objet qui a la raison du premier sujet et non celle de la forme, la même
forme reste dans les différents suppôts. Ce récipient est la matière, non pas
prise en général, ainsi que nous l’avons dit, puisqu’elle tire son origine de
l’intellect de l’espèce philosophique, mais en tant qu’elle a la raison du
premier sujet, sois caractère distinctif est d’être sous certaines dimensions,
qui le font tomber sous les sens hic et nunc. Il n’est pas nécessaire d’une
dimension indéterminée de la matière, pour opérer cette division de la forme;
car la matière est le principe de l’individuation comme il est le premier
sujet, ainsi qu’il a été dit, et seulement ainsi. Car tant qu’il y a un objet
susceptible d’être encore reçu, on ne peut reconnaître le dernier qui n’en est
pas susceptible: que s’il y a des dimensions indéfinies, on les trouvera
nécessairement dans la matière comme dans leur sujet. Or, la matière avec ses
trois dimensions, n’est pas le premier sujet mais en elle- même et prise dans
sa nature dans le sens qui fait qu’elle n’appartient pas à la nature de
l’espèce, mais en tant qu’elle est reçue par l’intellect, à qui il est donné de
percevoir la détermination ou l’intention de l’espèce. Puisque donc la forme
est reçue dans la matière, toutes les dimensions étant circonscrites par
l’intellect, il a alors quelque chose qui est dans le genre de l’espèce; le
dernier ayant la raison parfaite de l’individu dans la substance: mais sa
démonstration immédiate est impossible en dehors de dimensions fixes et
déterminées qu’il est nécessaire d’avoir, parce que la forme est reçue dans la
matière, ce qui est impossible sans le corps de la substance dont la forme
propre est les dimensions elles-mêmes. Aussi dit-on que la matière, sous certaines
dimensions, est la cause de l’individuation, non en ce sens qu’elles produisent
l’individu, puisque l’accident ne peut être la cause de son sujet, mais parce
qu’elles servent à la manifestation immédiate de l’individu, comme un signe
particulier et inséparable de l’individu.
Ce que nous venons de dire prouve clairement l’erreur d’Averroès, dans son ouvrage sur la Substance de l’Univers, où il soutient que les dimensions indéterminées sont préexistantes à la matière, et cela nécessairement pour la production des formes substantielles; sa preuve principale repose sur la division, parce que plusieurs formes différentes ne peuvent s’appliquer à une même partie de matière, et que celle-ci n’a diverses parties que par la quantité. On peut comprendre une quantité aya un terme, à moins qu’elle n’ait été précédée par une forme substantielle; c’est pourquoi il avance que le Philosophe admet que des dimensions in sont nécessaires pour la constitution des êtres naturels, qu’elles préexistence dans l’essence de la matière et qu’elles ont leur terme dans l’adjonction de la forme substantielle. Mais il dit que l’essence de la matière ne peut être dépouillée de ces dimensions, autrement un corps ne serait pas formé d’un corps, les dimensions n’appelleraient pas d’autres dimensions, ce qu’il regarde cependant comme possible. Mais s’il y a une forme qui ne sait pas scindée par la réception de la matière, comme la forme du ciel, il n’est pas nécessaire d’admettre de semblables dimensions; voilà pourquoi on dit qu’Avicenne s’est trompé, non parce qu’il les a admises, mais ‘parce qu’il a soutenu que le premier principe inhérent à la matière, est la forme substantielle. Le commentateur fait ressortir plusieurs inconvénients qui sont la conséquence de l’opinion d’Avicenne, par exemple, que, de cette façon, la forme ne serait pas divisée par la matière, et que celle-ci n’en recevrait qu’une, qui serait immuable. Telle est l’opinion d’Averroès sur les dimensions indéfinies, qu’il est nécessaire de réfuter, afin de pouvoir découvrir le vrai mode de génération des créatures. Nous prouverons en dernier lieu qu’il est impossible et déraisonnable d’admettre des dimensions indéfinies: de cette manière nous croirons pouvoir atteindre notre but.
Il raisonne ainsi ces dimensions, qui sont essentiellement des quantités, malgré qu’elles n’appartiennent pas à un ordre de quantité, ou bien dérivent de la puissance de la matière qui lui est soumise, ou non. Si elles sont déduites de la puissance de la matière, elles ne subsistaient dans la matière qu’à l’état de puissance, par un certain mode de déduction de la matière; donc la matière peut être privée de ces dimensions, ce que nie Averroès. Ensuite, ce qui est tiré de la puissance de la matière, l’est par la transformation de la matière: or ceci ne peut se faire que par le passage (le la puissance de la matière en acte de forme substantielle. D’ait il suit que ces dimensions doivent suivre toutes les formes substantielles de la matière. Mais toutes les dimensions qui sont le produit de la forme ont le même terme que la forme à laquelle elles sont soumises. Que si elles ne dérivent pas de la puissance de la matière, elles ne seront pas seulement les deux principes constitutifs des êtres naturels, c’est-à-dire la forme et la matière; mais elles en formeront un troisième, savoir, ces mêmes dimensions. Car tout ce qui subsiste en soi et ne dérive pas d’un autre, est essentiellement principe, comme on le voit au premier livre du Traité de Physique d’Aristote. Et de plus, les accidents ont quelques principes déduits des principes de la substance, c’est-à-dire, ces dimensions, que le commentateur revendique en faveur de son système, en disant que les dimensions déterminées se tirent des dimensions indéterminées. En outre, ces dimensions indéfinies séparent d’elles les parties de la matière ou bien les confondent avec elles-mêmes. Si elles les séparent, comme toute différence se fait par un acte, la matière aurait des parties distinctes en acte et non d’une forme substantielle. Au contraire, si elles ne les distinguent qu’en puissance, il ne sert de rien de les placer dans la matière, parce que la matière informe a une puissance pour différencier les parties, faculté qu’elle acquiert par l’adjonction de la forme, ce qui est alors un tout composé de différentes parties. Enfin, on conçoit l’essence de l’être dans les substances, avant leur existence, comme le récipient doit naturellement exister avant le contenu: mais comme les accidents n’ont pas l’être par eux-mêmes, mais par réception dans leurs sujets dans lesquels ils existent, l’être qu’ils out dans leurs sujets doit naturellement être antérieur à l’essence qu’ils ont, eu égard à leur genre. Il est donc impossible de concevoir l’essence des dimensions de la matière en dehors de leur être, qui est le premier de tous les actes. On ne peut donc concevoir les dimensions de la matière sans acte. Nous ajouterons encore, que les dimensions indéterminées et la matière ne produisent, qu’un même objet ou non. Si cet objet n’est qu’un, il l’est par lui-même, ou par accident ce n’est pas en lui-même, parce qu’il serait nu par l’accident et le sujet, ce qui est contre 4ristote. Si c’est par accident, cela est impossible à admettre, puisque tout accident pouvant être réduit à lui-même, il faut quelque chose de préexistant, par quoi il sait un en soi ce qui ne peut être qu’un composé de matière et de forme substantielle. Il faut donc qu’une forme substantielle existe avant toute espèce de dimensions. Si au contraire la matière et ces dimensions indéfinies ne forment pas un seul objet, l’être de l’accident existera simultané ment avec celui auquel il est uni, ce qui est impossible, à moins qu’ils ne soient deux principes séparés. La matière n’aura donc pas de dimensions indéterminées avant la forme substantielle. Nous devons dire aussi, que tout ce qui appartient à un genre, ou est contenu dans ce genre, comme espèce, genre, ou individu, toute espèce étant définie ou déterminée par rapport à son genre, comme l’individu relativement à son espèce; mais ils ne sont pas contenus dans le genre de la quantité, comme le principe dans le genre de son dérive, car le principe des dimensions n’est pas une dimension. En effet, la première dimension est la ligne, dont le principe est le pas, qui n’a pas de dimensions, puisqu’il n’est pas composé de parties. Ainsi donc, puisqu’il y a des principes de toutes les di déterminées qui sont indivisibles, on ne peut admettre de dimensions indéterminées dans la matière, comme les principes de dimensions déterminées, lesquelles ne peuvent être ramenées au genre de quantité, puisque les privations n’ont pas d’être; bien qu’on donne pourtant le nom d’être à ces dimensions, elles ne peuvent y être ramenées comme les parties à leur entier. Car le nombre entier a des parties déterminées par certaines dimensions, tandis que lès quantités indéfinies ne sont pas des parties d’une quantité déterminée. En outre, il est possible de définir ce qui a une essence, malgré que ce ne sait pas l’être, parce qu’une définition indique l’essence d’un objet; mais on ne peut pas définir l’accident autrement que par son sujet dans lequel il reçoit l’être, parce que son être ne suit pas son essence dans son genre propre. On ne peut donc admettre l’essence d’un accident en dehors de l’être de son sujet: et comme la matière n’existe pas sans la forme, il est impossible d’admettre des dimensions dans la matière, sans une forme substantielle. Puis enfin, ce qui est indéfini ne détermine aucun nombre dans la quantité; mais dans tout objet naturel il y a une certitude de quantité, en deçà et au delà de la quelle toute application d’examen matériel est impossible, selon Aristote, 2° livre du Traité de l’âme. Aussi le Philosophe n’entend-il pas parler de la matière, quand il admet des êtres au-dessous des plus petites substances organisées, comme on le voit dans le premier livre de son Traité de Physique, mais seulement par métaphore et au pas de vue spéculatif, parce que parlant ainsi, il n’a en vue que la forme matérielle et physique, qui est toujours déterminée. L’idée des dimensions indéterminées n’est donc pas applicable à l’ordre naturel. Le commentateur prétend néanmoins qu’Aristote les y a trouvées, mais à tort et parce qu’il ne fait pas réflexion que le Philosophe con sidère la question mathématiquement, et la pousse jusqu’au terme qui excède l’espèce; en effet l’ordre physique n’admet pas et ne renferme pas les dimensions indéterminées.
Nous dirons encore, d’après Aristote dans son premier livre du Traité de Physique: quand un homme est engendré, il est nécessairement engendré un homme animal, non d’un certain animal; mais si un animal était engendré simplement, il le serait nécessairement de ce qui ne serait pas simplement animal. Cette raison suffit à elle seule, à prouver que Dieu en tant que cause absolue de l’être, a tout créé de rien, lequel sera nécessairement de non-être simplement, ce qui n’est rien absolument. Or donc, comme les simples dimensions sont définies et parfaites, elles dériveront des non dimensions simplement, ce qui n’a pas d’existence avant les dimensions: le commentateur ne veut pas admettre cette proposition. En outre, le principe de toutes les dimensions est le pas: en sorte que le pas est le pas de départ de toutes les définitions de la ligne, laquelle est la première dimension. Car les deux extrémités de la ligne sont deux points, comme dit Euclide. Or, on ne peut admettre une chose et nier son principe; donc on ne peut admettre la ligne sans le pas. Mais il n’est pas indéterminé, puis qu’au contraire il est le terme de toutes les autres dimensions. Donc il n’est pas indéterminé et il ne peut pas l’être. Enfin, comme une dimension indéfinie est déterminée par l’introduction de la forme, elle se trouve ou dans la matière, comme dans son sujet, ou dans le composé de la matière. Or, il est impossible de la placer dans la matière, car il n’y a rien de plus intimement uni à la matière ‘que la forme substantielle; et cette dimension ne serait pas davantage la mesure de son composé, mais seulement de la matière; car la quantité seule est la mesure de son sujet; ce qui est faux. Elle ne sera pas non plus dans le composé, car l’indéfini et le défini ne changeant pas l’essence des dimensions, il faudrait que le même accident passât en essence, d’un sujet à un autre sujet: car il existe une immense différence entre la matière informe et son composé. Il est donc évident, d’après tout ce que nous venons de dire, qu’on ne peut pas admettre de dimensions indéterminées dans la matière, ni leur antériorité à toute forme substantielle, qu’au pas de vue spéculatif, ainsi que le disent les mathématiciens. Nous traiterons plus tard cette question.
Nous avons à examiner maintenant le mode de formation d’un être. Nous observerons d’abord qu’il n’y n absolument rien de commun entre l’absence de la forme et la forme elle-même, que la matière in forme, parce que le terme de l’action physique, c’est-à-dire la génération, s’applique à l’essence informe de la matière, puisqu’elle n’a d’autre accident que son sujet. Or, le sujet d’une modification est un être composé, par le fait, de diverses parties, parce qu’une modification est un mouvement qui exige plusieurs parties, pour exercer sou action. Car nous entendons parler de cette modification, qui soustrait toujours quelque chose de l’objet modifié, et dont le terme est la génération. Il est impossible, en effet, que la matière ait en soi différentes parties, parce que la diversité des parties est le propre d’un composé, qui consiste en diverses parties. Tellement que, de même que la matière est en puissance à la forme, dont l’application est la génération d’un composé consistant en différentes parties, de même est-elle en puissance pour la diversité des parties de ce composé, qui est engendré d’elle. En effet la forme, par elle-même, n’est pas engendrée de la matière, d’après Aristote, parce que ce dont un être est engendré par lui-même est une partie de lui-même. Mais la matière n’est pas une partie de la forme, mais seulement de son composé; voilà pourquoi il est écrit au premier livre du Traité de Métaphysique, que le composé est produit en lui-même. On appelle composé ce qui a plusieurs parties; par conséquent, la diversité des parties n’appartient ni à la matière, ni à la forme, mais seulement à leur composé. Le composé ne consiste donc en rien autre chose que dans l’application de la matière à la forme qu’elle avait en puissance. D’où il est manifestement clair que la matière n’est eu puissance, à des parties déterminées et distinctes, que par où elle est en puissance à la forme, dont l’application est la génération d’un composé de parties, ainsi qu’il a été dit plus haut. D’où il résulte encore qu’on ne doit attribuer à la matière aucune puissance que celle qui est produite par a forme substantielle, dont la matière et la forme sont les générateurs. Or la puissance à laquelle appartiennent les dimensions dont nous avons parlé, n’est pas le résultat de la forme substantielle, puisqu’elle n’appartient pas à cet ordre de substance. Toute autre puissance de la matière, à l’égard de la forme substantielle et des diverses parties de son composé produit par l’application de la forme à la matière, est donc inadmissible. C’est ce qui fait ressortir l’erreur d’Averroès, qui admet que les dimensions indéterminées, dans la matière, ont une espèce de puissance pour les dimensions déterminées, et une autre espèce de puissance de la matière, par rapport à la forme substantielle. Mais nous avons suffisamment traité cette matière plus haut.
Lors donc qu’une forme substantielle perfectionne la matière, comme la puissance de la matière est réduite en acte par la forme, elle est ramenée à la distinction et la terminaison des parties de tout le composé, par ce même acte. Car la forme substantielle possède non seulement une puissance perfectible de la matière, mais encore une faculté de division du tout par parties; ce qui implique nécessairement, de la part de la matière, une faculté correspondante productive de son complément par la forme et la diversité de ses parties essentielles. Pour bien pénétrer cette idée, il faut faire réflexion que ai l’on considère toute la matière des êtres actifs et passifs, on reconnaît bientôt que sa puissance consiste dans une certaine étendue, qui n’est autre chose que celle de ses proportions à toutes les formes, dont elle est susceptible. Car si par impossible, on pouvait la priver entièrement de toute la forme qu’elle a maintenant, il est certain qu’on ne trouverait aucune division entre ses parties différentes, puisque la matière ne peut avoir de quantité sans la forme substantielle, ainsi qu’il a été dit. Mais ce n’est pas pour cela qu’on pourrait faire sortir d la puissance de réceptivité des formes, tout ce qu’on peut en tirer, quand même un agent assez actif parviendrait à en produire toutes celles qui sont actuellement. Que si quelque matière en particulier, sait l’air ou le feu, était dépouillée de sa forme, il est clair qu’elle ne posséderait plus une aussi. grande puissance pour fournir à la production des formes, que dans la matière ayant toute son intégrité; en sorte qu’un agent quelconque, par l’effet de sa seule puissance réduite en acte, ne pourrait en tirer ni un aussi ‘grand nombre de formes sensibles, ni une aussi forte quantité. Il est donc prouvé que la matière est susceptible de recevoir à la fois plusieurs formes, telles que les quatre formes élémentaires et les formes diverses des mélanges selon l’étendue des proportions de la matière avec ses formes, et non de toute autre diversité préexistante dans la ‘matière, par une quantité quelconque. En sorte que s’il faut absolument que la matière ait une diversité de parties préexistantes, afin d’être susceptible de recevoir différentes formes, il faut aussi qu’elle en ait une postérieure, parce que l’application des formes différentes est la, génération de différents composés consistant, comme nous l’avons dit, en diverses parties et en diverses formes. Mais il préexiste nécessairement dans la matière une certaine proportion de capacité qui nous échappe, à moins que nous en jugions par la pluralité des formes que nous apercevons simultanément en elle, comme dans toute la matière, ou seulement une seule, comme dans la matière d’un objet en particulier. Telle ment qu’en supposant dans la matière une division telle qu’elle comme indispensable à l’acceptation simultanée de diverses formes, et préexistante, c’est supposer que des formes viennent en dehors de la matière, laquelle ayant en elle-même une diversité, il semble qu’il s’ensuit cette conséquence que la matière a une diversité de parties, par la nature de la quantité, susceptibles de plusieurs formes, puisqu’elles ne peuvent être reçues dans une seule partie. Mais les formes n’étant pas extraites du dehors, mais bien de la nature de la matière, par transmutation, d’après Aristote, et la matière étant ce qui est en puissance pour la réception des formes substantielles, qui sont son acte, on ne peut admettre en elle aucune division ou forme substantielle, puisque l’acception de la forme est la génération d’un composé, à qui seul il appartient d’avoir des parties en soi, tandis que la matière et la forme n’ont pas de parties en soi, mais seulement par accident, tellement qu’elle n’est divisible que par accident, dans toutes les parties de son entier. D’où il résulte clairement que, antérieurement à la constitution d’un composé, la matière n’avait aucune division, puis qu’elle n’a cette faculté que par accident.
Ce que nous venons de dire prouve donc que le raisonnement du commentateur n’oblige pas à admettre la nécessité de dimensions indéterminées préexistantes ou antérieures dans la matière, pour la réception de diverses formes substantielles, puisqu’il peut y avoir d’autres motifs suffisants. Son erreur vient de ce qu’il applique, à la matière en général, ses observations sur une matière particulière. Car nous remarquons qu’il y a dans la matière d’un objet en particulier, deux tout, à savoir, le tout de l’essence, et le tout de la quantité, ce qui n’est l’attribut de la matière qu’accidentellement; où peut raisonner ainsi quant à la forme d’un objet en parti culier. La matière est tout entière en essence dans chaque partie d’un objet, mais non tout entière en quantité; et ainsi de la forme d’un objet en particulier. Car, par exemple, toute la forme du feu est dans la totalité de son essence dans chaque partie de la matière, puisque le nom de feu peut être appliqué à chacune de ses parties, mais non eu égard à la totalité de sa quantité.
A l’égard des formes particulières, nous devons savoir que l'âme humaine n’est telle ni en soi, ni par accident. C’est dans ce sens qu’Averroès pensait, que la matière était dans son entier et dans la totalité de son essence dans chaque objet en particulier, qui est une partie du produit de la matière; c’est ce qui lui fit admettre dans la matière une quantité entière en soi; tellement qu’elle était diversifiée par accident, mais qu’elle n’était pas entière par la totalité de la quantité dans chaque objet en particulier, dans lequel elle était néanmoins en entier par la totalité d’essence. Mais comme nous n’avons à traiter de la matière que dans ses rapports avec sa forme, selon le Philosophe, il est évident qu’il n’y a pas de parité entre la forme en général et la forme en particulier. Car la forme en général est tout ce qu’il y a dans la matière ou ce qu’on peut tirer de la puissance de la matière. La différence est donc sensible, parce que la forme particulière est tout entière dans son essence, en chaque partie de la matière, et- que celle-ci l’est également sous chaque partie de la forme, comme il a été dit. Au lieu que toute la forme, en général, n’est pas dans chaque partie de la matière, dans la totalité de son essence; autrement, dans la matière sous forme d’air, par exemple, il y aurait l’essence de la forme du feu et de tout les autres éléments qui sont le produit de la matière. D’où il suit nécessairement, que toute la matière en général ne sera pas sous la forme d’un des produits de la matière, en vertu de la proportion de la matière à la forme. Cette totalité de la matière est donc la proportion de la capacité de son essence à la forme, et non une diversité quelconque produite par quelque quantité. Car de même que la forme consiste dans une certaine étendue d’essence, qui embrasse tous les produits possibles de la matière, ainsi trouve-t-on une étendue de sa capacité correspondante selon la raison essentielle de la matière des êtres corruptibles, comme il a été dit. Car autrement le tout pourrait être produit de la matière dans chaque objet en particulier, lequel tout n’est que le résultat de toute la matière, ce qui est évidemment faux, puisque aucune autre forme ne peut être produite du plus petit de tous qui peut être le feu.
CHAPITRE
VI: Il existe véritablement des dimensions indéterminées.
Il nous reste maintenant à faire voir comment on peut admettre des dimensions, et en quel sens elles peuvent être appelées indéfinies. Il faut savoir, pour démontrer cette vérité, que d’autres philosophes les ont admises pour d’autres motifs, plus plausibles que les raisons alléguées par Averroès. En effet, ils ont avancé que la forme de seconde espèce, c’est-à-dire celle du corps appliqué à la matière, lui donne un certain être incomplet susceptible de devenir un être complet en acte, qui est appliqué à la matière par le moyen d’une autre forme plus parfaite. Ils prétendent - donc que par cette forme incomplète, il y a trois dimensions indéfinies dans un objet, dont le terme est la formation d’une autre forme plus parfaite. Et ils rai sonnent d’autant plus rigoureusement qu’Averroès, qu’ils n’ad mettent pas comme lui une matière informe pour sujet de quelques dimensions, mais un composé de matière et de forme substantielles. Néanmoins ces philosophes se trompent également, parce qu’on ne peut pas admettre plusieurs formes substantielles se coordonnant ensemble dans la matière, parce qu’elle est en puissance, relative ment aux formes qui sont déduites d’elle. Que s’il y avait plu sieurs formes substantielles, susceptibles de se coordonner ensemble dans la matière, une forme plus complète, ou serait tirée de la puissance pure de la matière, ou de la puissance de tout le composé de la matière ou de cette forme incomplète; mais elle n’est pas déduite de la puissance de tout le composé de la matière de cette forme, parce que, de même que nous l’avons dit, le terme de l’action physique, c’est-à-dire la génération s’applique à l’essence pure de la matière. Puis donc que la forme qui est le terme de l’action, l’est seulement du sujet, auquel elle s’applique seulement par la génération, il est impossible que cette forme parfaite sorte de la puissance de ce composé de matière et de forme imparfaite. En sorte que, ad mettre plusieurs formes qui se coordonnent ensemble, c’est anéantir la génération simple, et par là même on est forcé à tirer cette conclusion, que toutes les formes; l’une exceptée, c’est-à-dire la forme primitive, sont toutes des accidents. Si, au contraire, la forme postérieure est produite de la puissance pure de la matière, chaque forme substantielle produit à elle seule la puissance d’où elle est tirée, par conséquent la forme qu’ils appellent postérieure ne sera pas la perfection de ce composé, mais seulement de la matière informe; et par suite il n’y aura plus d’ordre entre le formes substantielles fixées simultané ment dans la même matière. Aristote fait la même observation dans le septième livre de sa Métaphysique. Il faut donc savoir, que toutes les dimensions sont des accidents qui suivent la matière dans ses rap ports avec la forme, que la matière doit revêtir la première et qui est la forme d’un corps, parce qu’il faut que toute la matière sait renfermée sous une forme sensible. Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait qu’une seule forme de corps, créée ou incréée, qui imprime la première forme à la matière, parce que, le commentateur, la matière première a une aptitude primordiale, à se plier aux formes élémentaires et ensuite aux formes composées. D’où il résulte clairement, que la forme d’un corps simple est la même que celle d’un élément et d’un corps composé; mais il faut premièrement que ces formes composent un genre de corps et ensuite des espèces complètes. Car la matière est absolument indivisible dans sa quiddité, parce qu’en effet, soustraction faite de la quantité, la substance reste indivisible, comme il est dit au premier livre du Traité de Physique. Mais il résulte de l’organisation d’un corps que suivent les dimensions de quantité en acte, la division de la matière, qui lui faisant prendre diverses positions, lui fait prendre, par là même, différentes espèces de formes. Car l’ordre, dans la place qu’occupent les corps, est une preuve de leur noblesse; comme, par exemple, le feu qui est au-dessus de l’air; mais cette réception de formes ne prouve pas l’ordre de temps, mais de nature. Il est donc évident que les dimensions indéterminées ne prennent pas leur origine dans tout degré que produit la forme du feu dans le feu, mais seulement du premier. Cependant le feu est dans son entier le sujet des dimensions, puisqu’on peut le mesurer dans son tout, ce qui a également lieu pour les formes des corps composés. Mais il est bon. d’observer que dans ces corps il y a des formes qui sont extraites de la puissance de la matière et d’autres qui ne le sont pas, telles, par exemple, que l’âme humaine, qui n’est pas susceptible de division, puisqu’elle n’a pas de dimension, ni naturellement, ni accidentelle ment. Car les formes qui ne sont pas tirées de la puissance de la matière, fussent-elles dans la matière, ne sont aucunement susceptibles de division. Puisqu’en effet les accidents essentiels prennent leur source dans les principes constitutifs d’un objet, et ont leur existence dans l’objet lui-même, ils seront des accidents en acte, comme dans un sujet. Mais si la forme d’un objet est tirée de la matière elle-même, qui a nécessairement des dimensions, la forme les aura également, non pas d’une manière invariable, mais pour la plupart du temps, et sera divisible par accident, ainsi qu’elle l’est, dans la pierre et dans le bois, dont les dimensions sont toujours les mêmes que la forme des objets. Que si, au contraire, la forme n’est pas extraite de la matière, elles ne sont plus relatives à la forme: voilà pourquoi notre âme n’est pas susceptible de division. Il est donc constant que l’âme humaine n’est pas le terme des rapports de la matière à la forme, dans l’application des dimensions en acte, à moins que ce sait par un autre mode seulement, c’est-à-dire en les mettant en acte, ce qui a lieu dans un tel homme dans lequel elles sont comme des accidents dans leur sujet. Or, l’ordre de la matière dans la réception des formes qui ne sont pas relatives à la forme, n’a d’autre terme que la forme qui en est déduite. Mais pour cela l’âme’ n’en a pas moins de puissance que toute autre forme, parce qu’il n’en est ainsi pour cette forme, qu’en tant qu’elle est extraite de la matière, ce qui n’e pas de la raison de la forme, comme forme, autrement toute espèce de forme serait tirée de la matière, ce qui est une fausseté. Car tout ce que peut la forme la plus imparfaite, en sa qualité de forme, l’âme humaine le peut aussi et bien davantage. Puisque donc la dimensionnalité de la forme signifie puissance et non acte, on peut admettre que le terme de la matière dans ses rapports avec la forme est la puissance, et que les dimensions potentielles suivent les rapports de la matière avec la forme. Et comme la dimension signifie une forme voisine de l’acte, c’est-à-dire de l’être même, lequel est son produit, les dimensions suivent donc les rapports tic la matière à la forme, qui a la plus grande affinité avec l’acte, qui est l’être. Mais pourtant il n’y a pas plusieurs essences de dimensions dans le même sujet, parce que le même peut être en même temps en acte dans un sens, et en puissance dans un autre.
On peut donc facilement comprendre, d’après ce que nous venons de cure, comment on peut reconnaître que les dimensions sont indéterminées. En effet, puisque l’être des objets est le terme de leurs essences, et que l’être est formel, avant qu’on puisse dire quelle est son essence, elles ne sont pas considérées au pas de vue de l’acte, ni de leur terme; aussi c’est pour cette raison que ces dimensions sont indéterminées avant qu puisse dire qu’elles sont en acte; et malgré qu’elles soient en acte dans un homme, comme dans un sujet o elles ont la raison de leur terme, qui leur est propre, puisqu’elles ont l’être en acte, elles ont cependant l’être en puissance et ne sont pas en acte dans ce dont elles dépendent relativement à leur origine, comme dans un sujet, et en tant que relatives aux formes, dans l’un et l’autre sens avant que l’être sait en acte; aussi ne peuvent-elles le déterminer, parce que ce qui n’a pas encore d’être propre n’a pas de mesure propre. Mais un homme vient à tomber. en dissolution, alors paraît une forme qui lui donne un nouvel être, et alors cette forme est celle à laquelle les dimensions se rattachaient, en tant que relatives à la matière ou à la forme; ce qui fait pie les mêmes dimensions se trouvent, par essence, dans un corps vivant comme dans un corps mort, parce qu’il y a toujours dans la matière les mêmes relations avec la même forme, mais elles ne restent pas, quant à l’être en acte, sinon dans un certain rapport d’égalité. Il en est de même des autres accidents qui sont la conséquence du mélange des éléments, tels que le noir et le blanc, qui ne subsistent plus dans un corps mort, quant à l’être en, si ce n’est quelque chose qui leur ressemble. Cependant les essences de tels accidents ne disparaissent que par la destruction de l’origine, à laquelle ils sont essentiellement inhérents et ils sont amenés à l’être en acte, en se confondant avec la matière dont ils dépendent, selon que nous l’avons dit, par rapport à la ferme, ce qui fait qu’un homme est toujours un homme. Et c’est pour cela que ces accidents ne disparaissent pas, en abandonnant leur sujet, parce que ce qu’ils en ont acquis se perd par la dissolution du sujet; voilà pourquoi les dimensions étaient indéterminées dans un corps vivant, quant à l’être en acte, d’un sujet postérieur, dont elles tiennent leur ordre ou leur origine. Et elles reçoivent leur terme, en prenant l’être en acte de ce sujet, duquel elles dépendent radicalement, ce qui fait qu’elles sont la mesure propre, même d’un homme mort.
D’après ces préliminaires, il est donc évident qu’on est forcé d’admettre l’essence d’une certaine foi dans un homme sans l’être, où la nature duquel sont attachées ces mêmes dimensions, de la manière que nous avons exposée et dont nous traiterons dans les chapitres suivants. Il est donc clair que, tant que subsiste le sujet, ses dimensions sont les mêmes, et qu’après sa- dissolution il retourne dans la même matière élémentaire, d’où on ne peut tirer les mêmes dimensions en nature et en nombre égal. Tellement que si les mêmes dimensions en nature étaient extraites en espèce, elles ne seraient pas aptes à être réduites à l’être, en acte de la même âme. Si pourtant, par un mi racle, elles étaient extraites en même nombre, elles deviendraient aptes à passer dans le même acte de l’âme. D’où il suit évidemment qu’on ressuscitera numériquement le même et non un autre sujet, puisque tous les éléments constitutifs se réuniront en même nombre. En effet, après la mort, l’âme humaine reste numériquement la même dans sa simplicité, jouissant de toute la plénitude de ses facultés pour perfectionner la matière, selon toutes ses aptitudes, de même qu’elle faisait auparavant. Et bien qu’elle sait devenue incorruptible, la matière reste également la même dans ces conditions. Car il faut que les mêmes dimensions demeurent dans la matière, bien que ce ne sait qu’en puissance, sans cela l’agent physique produirait les mêmes en nombre, ce qui est faux. La matière reste donc potentiellement toujours la même en nombre, par rapport à l’agent divin; car, sans cela, l’individu ne serait plus le même en nombre, puisque lés dimensions tendent à individualiser, de même qu’il a été dit plus haut. Et c’est pour cela que le même homme en nombre et non un autre sortira, au jour de la résurrection, de la même matière et des mêmes dimensions.
Il nous reste à démontrer maintenant comment on peut admettre l’essence d’une forme dans un homme, indépendamment de son être substantiel. Nous avons, en effet, admis cette hypothèse plus haut. Pour prouver l’évidence de ce que nous avançons, il faut faire attention que c’est le propre de la substance d’être simplement; de telle manière que la génération dont la forme est le terme ou l’être de la substance, est une simple génération; et le propre de l’accident est l’être secundum quid, comme la génération d’un objet dont le terme est l’être d’un objet dans la forme accidentelle est la génération, secundum quid ou relative, et l’être simple n’est autre chose que l’être absolu, indépendant de tout autre, comme inhérent à lui, quoique tout dépende de Dieu, comme de sa cause première. C’est ainsi qu’un objet quelconque a une parfaite raison d’être, en tant que cette par faite raison d’être est en lui, ainsi qu’il est dit au septième livre du Traité de Métaphysique d’Aristote. Et tout ce qui rend toutes les parties de sa substance participantes de l’être absolu, est tel parce qu’elles participent toutes du genre de tout son être; tandis que l’être de l’accident n’y tient que par mode d’adhésion: aussi les accidents ne participent-ils pas à la nature de l’être auquel ils adhèrent. D’où l’on peut apercevoir facilement la différence qui existe entre l’être de la partie d’un tout et l’être d’un accident. L’être absolu d’un tout est quelquefois l’effet particulier de la providence, par exemple, quand quelque chose est tiré du néant, dans tous ses principes, et amené à l’être parfait, comme cela eut lieu à la création de tout l’univers, dans laquelle la causalité de Dieu agit jusque sur la matière elle-même. Il arrive quelquefois que la production de l’être est l’effet de la créature, par exemple, quand un agent physique opère sur un sujet et qu’il ne produit pas tout ce qui dépend de l’être de l'objet, mais seulement la forme, en y soumettant la matière. Car l’action de la créature ne s’étend pas à la matière, ainsi que nous l’avons déjà dit. L’agent divin agit, en effet, de concert avec l’agent physique, parce que l’action de l’un et de l’autre est limitée à l’être absolu, qui est le dernier terme de la transmutation ou de la simple émanation, quoiqu’il n’y ait ni antériorité, ni postériorité dans la simple émanation, si ce n’est sous le pas de vue spéculatif. Puisque donc cet être absolu est le terme des deux actions dont nous venons de parler, et que la matière n’est pas l’être, ni du sujet, ce qui est l’être absolu, ni de la forme matérielle, puisqu’elle n’a pas d’être, bien qu’elle sait ce par quoi une chose existe, comme la matière est ce en quoi une chose a son existence, les deux actions n’ont pas pour terme la matière ou la forme matérielle, mais l’être d’un composé, à qui il appartient d’avoir l’être absolu, et une existence en soi. Car l’intellect existe en lui-même, ce qui n’est pas de la raison ni de l’intellect de l’essence. En effet, il y a, dans ce composé, deux éléments indispensables, savoir, l’essence et son composé, lesquels sont nécessairement différents dans un objet matériel, puisque l’individualité ajoute un grand nombre de propriétés à la nature de l’espèce, qui embrasse l’essence seulement, qui différencie le composé de tout l’objet et de son être. On trouve cependant une autre composition dans les créatures immatérielles, c’est-à-dire celle de l’objet et celle de l’être. Elles n’ont pas une essence qui ait l’être par quelque chose qui sait essentiellement différent d’elle-même, puisque l’essence et la chose qui est déterminée, comme ayant l’être, sont la même chose. C’est pourquoi elles n’ont pas seulement l’essence, comme un principe qu’on reconnaît comme la cause de l’être d’un objet, mais comme ayant l’être absolu, non adhérent. Mais les substances composées et matérielles, dont l’essence diffère essentiellement du suppôt, ont une essence qui n’a l’être que par un suppôt, qui est par nature, simple et absolu; en sorte que l’essence n’est pas en elles, comme ayant l’être, mais comme réduite à l’être par un suppôt individuel, à qui appartient l’être absolu, qui est la limite de l’action de l’agent producteur. Puisque donc la forme matérielle n’entraîne pas après elle la nécessité d’un suppôt ou d’un individu, qui seul a l’être absolu, auquel vient se briser l’action de l’agent producteur, comme il a été dit; il est possible d’admettre une substance sans l’être, de même qu’il est possible d’admettre ce qui est principe sans relation de principe et sans conséquence. Ceci n’a pas lieu dans les choses intellectuelles, puisqu’elles n’ont pas d’essence qui ne sait un suppôt; en sorte que si on admet leur essence, il faut nécessairement admettre leur être, qui est un suppôt. Au contraire, pour la formation d’un suppôt matériel ou d’un individu, il faut une quantité déterminée, qui, quelque part qu’elle soit, déterminera nécessairement l’existence d’un individu, puisqu’elle est la marque propre et infaillible de l’individu, de même que nous l’avons dit.
A toutes les formes élémentaires, il faut des quantités déterminées et différentes entre elles; en sorte que la présence d’une forme élémentaire indique nécessairement celle d’un suppôt, dont le propre est d’avoir un être complet et une quantité déterminée. Aussi les formes élémentaires ne peuvent pas subsister dans un objet, en même temps que leurs essences, comme on peut le voir dans le traité de la Génération et de la Corruption. Mais pour les composés, où la forme n’est pas tirée de la matière de la quantité, elle n’est pas subordonnée à la matière pour telle ou telle forme, malgré que ce sait par elle qu’elle ait l’être dans un objet, comme nous l’avons dit, puisque la quantité répond toujours au principe, ou est ramenée au principe où elle a pris naissance. Or l’âme de l’homme n’a pas de quantité, ni en soi, ni par accident, ainsi que nous l’avons fait observer; il ne répugne donc pas d’admettre en elle une essence de forme, qui détermine a quantité d’après son origine, ou d’après l’être, dans ses rapports avec cette forme, comme un principe avec ses conséquences. La raison de l’acte ne convient donc pas à l’essence de cette forme, pas plus qu’à la matière, puisque l’être est un acte général et princier, non- seulement des matières, mais encore des formes de telle sorte que, sans l’être, la forme n’est plus un acte. Car il n’y a seulement que la nature substantielle de l’être dans les substances, qui sait un obstacle à l’existence de deux formes simultanées, dans la même matière, parce que l’être substantiel est un être simple; en sorte que tout ce qu’il reçoit ne peut être qu’un accident. L’être même de la substance est comme une unité d’objet, parce qu’ils ne font qu’un en sorte que rien ne peut avoir deux êtres substantiels, que sous la condition de perdre son unité, en se divisant; ce qui fait qu’il n’y a qu’une unité relative dans un objet composé d’une substance et d’un accident. Nous ne serons donc pas en contradiction avec nous-mêmes, en admettant, dans un objet, des formes indépendantes de l’être simple. En effet, la pluralité des formes substantielles d’un même objet est détruite simplement par la nature de l’être simple, qui est dans la substance. Ce qui établit comme un fait certain, qui d’ailleurs a été prouvé par les philosophes, qu’il est impossible qu’il y ait plusieurs êtres substantiels dans un même objet, et qu’il ne peut avoir que la forme propre à l'être, car les autres ne lui conviennent pas. Nous démontrerons par la suite comment il faut entendre cela.
On doit donc savoir que la matière est en puissance pour toutes les formes que l’on peut en extraire. En sorte que plus elle en reçoit, plus sa puissance est perfectionnée; aussi la matière est très imparfaite, dans ses éléments, parce que chaque élément n’a qu’une forme à la fois. Et s’il lui arrive quelquefois d’avoir la qualité de la forme d’un autre élément, ce n’est pas à l’état fixe, mais par un mode de changement ou de destruction, comme, par exemple, quand la chaleur pénètre le bronze pour le faire rougir comme le feu. La matière, il est vrai, est plus parfaite dans les corps mixtes, car ils ont avec la forme du mélange, laquelle donne l’être, toutes les formes des éléments, en puissance néanmoins et non en essence, parce que chacune d’elles exige la quantité et le terme qui leur sont propres, comme nous l’avons fait observer; en sorte que quand il n’y a qu’un suppôt du composé et un seul être, il n’y a qu’une forme. Mais il y a des suppôts composés qui sont vivants, et principalement l’homme, dont la forme ne dérive pas de la qualité de la matière préparée pour le composé; d’où il est nécessaire d’admettre que, dans les êtres animés, il y a des essences de quelques formes, sans l’être. Car ce en quoi les êtres animés peuvent dépasser les corps simplement composés, c’est-à-dire en perfectionnant leur matière, par la réception de plusieurs formes simultanées, leur est très intime, comme nous voyons qu’un être simple se forme d’une façon de corps composés et d’un autre de la matière première, qui n’a en elle aucune action pour la production de la forme, avant sa formation, de même qu’il n’y a rien clans le bronze de la forme d’une vase, avant sa production; comme il n’y a rien dans le bois de la forme d’un lit, avant qu’on en ait fait un lit. La matière première est à l’égard de ses produits, ce que l’argent est à une statue, et le bois au lit, comme il est écrit au premier livre du Traité de la métaphysique. Mais dans un composé, les formes des éléments mélangés restent en puissance, selon le Philosophe. Or, la puissance appartient à l’acte, et c’est pour cela que le composé renferme une force d’action pour la génération de l’un des composés, selon que la puissance dépasse la proportion qui maintenait les formes du composé; d’où vient qu’une fois que le composé est désorganisé, il reste un corps simple; car ce qui formait ce composé lui est enlevé par cette transformation; et, il ne garde que la matière première; mais dans la formation de ce composé il perd tous les corps simples, de manière à ne conserver que la matière première, sans quoi les qualités des corps simples lui seraient enlevées; et cependant le con traire arrive. En sorte qu’il n’y a pas de corruption simple, au moyen de laquelle s’opère la formation d’un composé, puisque les éléments ne sont pas entièrement détruits, ainsi qu’il est dit au premier livre du Traité Météores, parce qu’il n’y a mélange que de ce qui peut être séparé: on ne mêle, en effet, que ce qui est apte à exister en soi. Il en est de même de la matière soumise à une altération opérée sur elle-même et sur un composé; car, dans ce cas, elle doit recevoir la vertu de la forme, en puissance. En sorte que sa puissance n’est plus aussi éloignée de l'acte de la forme qu’avant l’altération. Alors, en effet, la matière n’avait qu’une puissance éloignée à l’acte, mais quand son altération commence, sa puissance se rap proche de l’acte, comme si l’un des éléments du composé s’approchait de l’acte de simple élément. Et à mesure que l’altération augmente, plus il marche vers l’acte; en sorte qu’une fois accomplie, la matière est établie en acte. La p de la matière pure et encore exempte de toute altération, diffère donc de la puissance du composé, dans la quelle réside la faculté d’altération; ce qui fait qu’elle est plus rapprochée de l’acte et plus parfaite que celle-ci, parce qu’elle tend plus à son acte. Par conséquent, s’il y avait dans un composé la forme d’un élément simple, ce qui est d’ailleurs impossible, comme nous l’avons fait voir plus haut, elle existerait aussitôt, en soi, par le fait seul de sa puissance. En effet, l’être tient de très près à l’essence de la forme, malgré leur différence relative dans les objets matériels. Aussi, bien que la puissance de la matière dans laquelle sont les éléments du composé, sait plus rapprochée de son acte que la puissance de la matière seule, qui n’a rien de l’acte, il lui faut cependant une altération pour qu’elle soit unie à son acte. C’est pourquoi les éléments d’un composé sont alors très rapprochés de l’acte, s’ils se trouvent dans de raisonnables proportions, et pourtant ils sont alors très éloignés de leur acte dans ce genre, bien qu’ils ne le soient pas autant que la puissance de la matière simple. Mais la puissance qui renferme des parties organiques de l’être est plus rapprochée de l’être externe, que la puissance du composé lui même, parce que, de même qu’il est dit au septième Livre de la métaphysique d’Aristote, les parties des êtres organisés sont en puissance de leur acte propre par leur séparation de l’ensemble, ce qui est vrai quant à celui-ci, même s'il demeure dans son état le plus imparfait. En sorte que, toutes les fois que la puissance d’altération qui se rencontre dans les êtres animés, en tant qu’ils sont composés des quatre corps primitifs élémentaires, n’a action, c’est-à-dire quand ces éléments sont réduits à cet état, comme dans l’homme, par exemple, dans lequel il n’y a aucune opposition entre ces éléments, les parties des êtres animés sont néanmoins encore en puissance très rapprochée de leur acte, bien que l’altération sait encore très éloignée de son terme.
D’où il faut conclure que cette appropriation ne tient pas à la dis position de la matière par le moyen d’une certaine altération, dont le terme est la production d’une nouvelle forme. Il est certain cependant, qu’il y a une forme substantielle dans la partie séparée du tout: en sorte que, comme il est impossible d’admettre deux êtres substantiels dans un même objet, comme nous l’avons dit plus haut, la partie ne peut être rapprochée de son acte en puissance, par une altération antérieure, pas plus que l’altération ne peut faire prendre une nouvelle forme. Tellement que, ni le ciel, qui est l’agent universel à l’égard de ces objets inférieurs, ni aucun de ces agents particuliers n’aura d’action sans la condition de changer; voilà pourquoi le ciel est le principal agent d’altération, selon le Philosophe, il semble donc qu’il s’ensuit de là nécessairement, qu’on doit admettre une forme dans une partie d’un objet, indépendamment de l’être; et qu’une partie est en parfaite puissance rapprochée de l’acte. L’être, en effet, tient de très près à la forme, ainsi qu’il a été dit, parce qu’il n’est pas nécessaire pour cela que l’être de la substance suive sa forme propre, à moins qu’on admette qu’il est un objet en soi, ce qui ne peut avoir lieu que par un acte unique.
Nous avons démontré clairement dans les chapitres qui précèdent, qu’il y a trois puissances différentes, dans l’une desquelles se trouve l’être, c’est-à-dire la puissance de la matière, laquelle ne renferme rien qui sait en puissance. La seconde est celle du composé ou de la matière en altération, qui, malgré qu’elle ne soit pas l’essence de la forme à produire, en est cependant le principe. La troisième est la puissance de l’ensemble, au moyen de laquelle les différentes parties forment un tout, et qui est le plus rapprochée de l’acte propre, d’après le Philosophe. En sorte qu’aucune d’elles n’est un agent aussi puissant pour l’acte propre, que lorsque l’harmonie est parfaite entre ces puissances; car dans ce cas, les essences des formes sont très rapprochées de leur être. Il faut donc savoir que le lien d’unité le plus ordinaire se rencontre dans les objets matériels, lequel est l’unité de continuité. Cette unité se présente, en effet, dans tous les objets matériels. Car la quantité est le premier accident qui sait une conséquence de la matière. L’unité de sa forme propre se rencontre à l’égard de plusieurs objets dans cette unité, plus parfaite dans les uns et moins dans les autres, ainsi qu’on le voit au Ive livre du Traité de métaphysique. L’unité potentielle de continuité se présente surtout dans un objet connu, parce que tout ce qui est continu, est un en acte et multiple en puissance; de même que les points d’une ligne ne sont pas deux, mais en un acte unique tandis que la ligne est deux en puissance; et si on la divise, elle devient deux en acte, car il suffit de la solution de continuité pour faire l’être en acte. Il semble cependant qu’il y ait là une espèce de corruption ou de changement, parce que le premier acte qui était le fait de l’ensemble, fait place à la puissance qui est réduite à l’acte postérieur par le fait seul de la- division. Ce même fait s’opère dans la pierre et dans le feu et généralement dans tous les êtres corruptibles inanimés. Car la forme du tout qui donne à ces objets une certaine unité de nature, à l’égard de l’unité de quantité, pour toute la raison de la forme, est dans chaque partie de ces objets: en sorte qu’après la division, l’essence de la même forme reste dans les parties qui sont différentes entre elles. Car chaque partie du feu est du feu, et chaque partie d’une pierre est pierre. Il y a cependant une apparence de corruption et de génération dans ces solutions de continuité, non pas en ce sens qu’elles donnent de nouvelles formes aux objets, mais parce que l’être ou le premier acte n’existe plus par le fait de la division, et que la puissance est amenée à l’acte propre. Outre ceux-ci, il y a encore les êtres animés incomplets, tels que les plantes et les reptiles ou animaux annulés, pour lesquels nous admettrons le même fait. En effet, quand on détache un rameau d’un arbre, il ne se fait pas une autre essence végétale, mais cette essence qui était tout entière dans un arbre, était en même temps multiple en puissance dans un seul acte, et perd un nouvel être par la solution de continuité; de là il est résulté plusieurs actes. De même, il y a dans les animaux annulés une seule vie en acte et un seul être, mais il y en a plusieurs en puissance accidentelle. En sorte qu’une fois la division terminée, le premier acte ayant été supprimé, ainsi que l’unité d’acte, il yen a plusieurs en acte. De cette manière, il est facile de comprendre comment l’essence d’une forme est en puissance accidentelle à l’être, qu’elle n’a pourtant pas encore. Et tout cela a lieu à cause de l’imperfection de ces formes, parce qu’étant sous un seul acte, elles dé pendent en même temps d’une puissance multiple, quant aux différents êtres, qu’elles acquièrent sans aucune corruption dans leurs essences, mais seulement par la division.
Mais dans les animaux complets, particulièrement dans l’homme, la forme qui est une en acte n’est pas multiple en puissance pour constituer, par la division, la même essence de la forme dans différents êtres et en plusieurs actes; l’âme de l’homme, ainsi que nous l’avons fait déjà observer, n’étant divisible, ni en soi, ni jar accident.
En sorte que, de même que dans l’homme il y a une certaine unité de continuité, laquelle est particulièrement plus apparente dans sa chair et dans ses os que dans les autres organes qui lui sont unis par la nature même de la continuité; de même, il doit nécessairement y avoir en lui une autre essence de forme qui ait l’être en acte, par le fait seul de la division de l’ensemble; et c’est ce que l’on voit partout où il y a continuité. Car c’est là la forme à l’égard de laquelle la quantité est une conséquence de la matière, à cause de son influence sur la forme, comme nous l’avons fait observer plus haut. En effet, la forme où la quantité prend sa source, est toujours divisible par accident. Ceci paraît évident; car, puisque les différentes parties qui constituent l’homme sont dans les mêmes rapports d’aptitude à être en soi, que les parties des autres objets parfaits, ainsi qu’il a été dit, la division ne produit pas une nouvelle essence de forme par l’effet de la division, mais un nouvel être est créé. Mais la forme de l’homme ne pouvant subir de division pour qu’il y ait en elle multiplicité et diversité d’êtres, l’essence de la forme de l’homme différera donc nécessairement de l’essence de celle qui obtient l’être par le moyen seul de la division.
C’est en cela que consiste la différence entre les animaux complets et les animaux incomplets; car cette essence n’existait pas sans l’être simple dans les imparfaits, quoiqu’elle y fût sans l’être formé par division. Dans les parfaits, au contraire, elle y était sans l’être simple qui lui est naturel, parce qu’on ne peut pas admettre l’existence simultanée de deux êtres substantiels dans un même objet, comme nous l’avons déjà reconnu. Il existe encore une autre différence résultant de sa division, parce qu’elle ne peut être divisée qu’en tant qu’elle est une quantité en acte or dans un homme, la quantité n’est pas en acte par le moyen de la forme à l’égard de laquelle elle est unie à la matière comme soumise à la forme, mais seulement par le fait de l’âme d’où dérive tout acte de l’homme. Mais dans le feu et dans la pierre, la quantité est en acte par la forme à laquelle la quantité est soumise dans la matière; il se fait de là que la division, dans l’homme, est dans la quantité en acte par l’action de l’âme. Tandis que ce que fait la division dans l’être acquis, n’est pas de l’essence de I’âme en tant que cela appartient à l’être, mais bien quelque chose de l’essence de la forme, originelle de sa quantité, à laquelle est conféré l’être en acte par le moyen de la division. Au contraire, dans les objets imparfaits, la division est en acte en quantité, et cela par la forme à laquelle se rattache la quantité, à laquelle la division enlève un être en acte, qu’elle possédait antérieurement, et elle en obtient deux ou davantage, selon les divisions que subit l’essence qui d’abord était une, et qui établissait un seul être dans un objet avant la division. Mais malgré qu’il n’y eût qu’un seul être dans les objets avant cet acte, cette même essence était néanmoins en puissance actuelle -pour différents êtres simultanés avec le seul être en acte, qu’elle avait déjà, et son sujet était une seule matière, la même en nombre. Et ce pendant il est certain que la matière a un autre rapport avec l’être primitif en acte, et divers autres avec les autres êtres formés en elle par la division, tous relatifs, cependant, à la même essence de la forme, avant les êtres en acte. Car quoique la puissance de la matière ne diffère pas de son essence, en tant que la puissance exprime un principe susceptible de réception, elle diffère cependant en tant que signifiant une relation de la matière avec la forme; et de cette façon, il peut y avoir plusieurs rapports dans la matière, quoique l’unité d’essence reste toujours. Ainsi donc, de même que la matière n’a toujours qu’un seul être sous un rapport, sous d’autres, au contraire, elle en a beaucoup d’essence et de forme, indépendants de l’être correspondant qui lui est donné par la division; de même, dans la forme parfaite, telle que l’âme de l’homme, on ne découvre qu’un être seulement dans la matière de l’homme, quoiqu’elle renferme les essences d’autres formes en dehors de l’être, ce qu’elles n’ont pourtant que par suite de la division. Nous en trouvons un exemple dans la ligne et le pas. En effet, tirez une ligne; le pas qui la termine a l’être en tant qu’il est la fin de la ligne; mais il y a, dans ce même pas, un grand nombre de différents rapports, en tant que ce pas peut terminer plusieurs lignes; mais sous un rapport on ne peut ad mettre qu’une ligne pour ce pas. En sorte que pour les autres lignes qui prennent ensemble leur origine à ce pas, le prolongement de cette première ligne ne lui donne aucun être à leur pas d’arrêt; et quand même elles ne seraient pas prolongées, le pas n’en aurait pas moins l’être dans le pas d’arrêt de la première ligne. Cette comparaison nous explique sa matière et ses différents rapports, puis qu’elle est indivisible de sa nature et absolument sans parties, ainsi que le pas, quoi qu’ils aient entre eux d’autres différences essentielles. Donc, sous un rapport, il est impossible que son être sait en lui autre chose qu’une forme qui lui donne l’être par une ligne, telle ment que les attributs de la substance lui étant dévolus, sous le rapport, que le pas reçoit la ligne dans une de ses parties, il est impossible que les attributs contenus dans la ligne prédicamentelle de la substance, sous différentes formes, soient attribués à Sortès, mais dans une seule et même substance. Mai quant à ses autres rapports qu’il tient de sa proximité avec l’être, il sera susceptible de l’essence des formes, sans avoir l’être néanmoins. Car la puissance de la matière est immense et on n peut l’apprécier, si on ne connaît pas tout ce qui a l’être en elle; c’est-à-dire en énumérant les formes qui ont leur être en elle, comme il est expliqué au 1er livre du Traité de la Métaphysique d’Aristote.
Fin de l'opuscule 31 de saint Thomas, sur la nature de la
matière, ou des dimensions indéfinies.