Sur le gouvernement des sujets
Lettre à la comtesse de Flandre
Saint Thomas dfAquin,
Docteur des docteurs de l'Eglise
Opuscule 21
(Oeuvre authentique)
Introduction, traduction et notes par Stéphane Mercier
Été
2001; revu: printemps 2004
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2004
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
Note du père Bataillon op, de la commission Léonine: "la lecture
sans explication de la Lettre à la
Duchesse de Brabant sur la conduite à tenir à lfégard des juifs, fera juger
à bien des internautes que saint Thomas était très antisémite, alors qufen fait
il se montre beaucoup plus tolérant que la plupart de ses contemporains. Donc
on ne devrait mettre sur Internet que des textes bien introduits et
sérieusement annotés." C'est le cas ici.
1) Est-il permis, à un quelconque moment, de lever des
impôts sur les Juifs.
2) Dans le cas où un Juif a commis un crime, il le faut
punir dfune amende en argent?
3) Est-il est permis dfaccepter un don volontaire en
argent ou un autre cadeau de la part des Juifs?
5): Le Prince peut-il vendre à ses officiers des
offices ou recevoir dfeux des gages?
6) Le Prince peut-il lever des impôts sur ses sujets
chrétiens ?
7) Que doit faire le prince lorsque ses officiers ont
extorqué de lfargent à ses sujets?
8) Les Juifs doivent-ils porter un signe qui les distingue
des chrétiens?
[Destinataire] Si lfauthenticité
de cette lettre de saint Thomas dfAquin ne fait aucun
doute, on sfest longtemps interrogé sur la destinataire et la date de
composition. Une grande majorité des manuscrits adressent cette lettre à la
duchesse de Brabant, mais son identité précise a posé question: sfagissait-il dfAlix
(Adélaïde) de Bourgogne, régente du duché de Brabant de 1261 à 1267 ou bien
plutôt de Marguerite de France, qui épousa le duc Jean I de Brabant en
1270 ? Les défenseurs des deux hypothèses ont avancé des arguments dont le
P. Dondaine propose un résumé dans son introduction à lfédition critique du
texte (1979): les deux « ont leur vraisemblance et aussi leur faiblesse,
surtout la seconde ». Des recherches ultérieures ont pris en compte une
troisième possibilité, évoquée par une partie minoritaire de la tradition
manuscrite et qui destine cette lettre non plus à une duchesse de Brabant mais
à la comtesse de Flandre. Cette hypothèse a depuis été confirmée, et lfon sfaccorde
généralement aujourdfhui à reconnaître que cfest bien à Marguerite de
Constantinople, fille du comte Baudouin I de Flandre et empereur latin de
Constantinople, et elle-même comtesse de Flandre de 1245 à 1278, que saint
Thomas adressa cette lettre, écrite à Paris en 1271.
[Titre et contenu] La lettre
est une réponse à des questions concrètes que Marguerite de Constantinople se
pose relativement à lfadministration de son comté. Ceci explique le sous-titre
de regimine subditorum qufil
faut préférer à de Judæis ou de regimine
Judæorum, plus répandus mais moins adéquats. Les
questions abordées sont les suivantes: (1)
Est-il permis de lever des impôts sur les Juifs ? (2) Peut-on punir dfune amende en argent un Juif ne possédant
rien sinon les intérêts des prêts qufil accorde ? (3) Peut-on accepter dfun Juif un don volontaire ? (4) Que faire au cas où un Juif
restitue une somme supérieure à ce que réclame le Chrétien lésé ? (5) Est-il permis de vendre des offices
publics ou de recevoir des gages de ceux qui souhaitent en être titulaires ?
(6) Peut-on lever des impôts sur les
Chrétiens ? (7) Que faire si
des officiers publics extorquent de lfargent de façon illicite aux gens ? (8) Peut-on obliger les Juifs à porter
un signe qui les distingue des autres personnes ? À vrai dire, la lecture
de ces questions semble légitimer les sous-titres que nous avons écartés. Mais
il faut avoir à lfesprit que la Comtesse identifie apparemment
« juif » et « prêteur à intérêt », un implicite que saint
Thomas rectifie dans ses réponses, tout juif nfétant pas usurier, ni tout
usurier juif. Il est pourtant juste de noter que cet implicite est fondé dans
la mesure où, lfÉglise condamnant à cette époque le prêt à intérêt, les
chrétiens ne pouvaient pas se faire usuriers. La raison en était que la
monnaie était conçue comme un simple moyen dféchange. Par conséquent, il
nfétait pas juste dfexiger un intérêt sur le prêt puisque cfeût été attribuer
un coût à lfobjet et ensuite à son usage, comme si lfon vendait du vin et
ensuite sa consommation (cf. Sum. theol., IIa-IIae, q. 78, a. 1-5). Dfautre part, comme les banques nfexistaient pas encore, celui
qui voulait emprunter de lfargent devait sfadresser à un particulier. Par conséquent,
seuls les juifs (qui nfétaient pas astreints aux lois ecclésiastiques) et des
chrétiens peu scrupuleux prêtaient de lfargent, en se faisant rétribuer pour
cela. Une autre remarque importante concerne le terme eusuref. Dans son
acception actuelle, ce terme désigne un prêt à intérêt excessif. Le terme latin
usura ne contient pas cette connotation excessive et
est donc équivalent à eprêt à intérêtf. Pour la commodité de la traduction,
nous traduisons usura par eusuref, que nous employons
par conséquent dans le sens plus large qufil avait au Moyen-Âge.
Sur le gouvernement des sujets
˜
Traduction
À son illustre seigneurie [Marguerite de
Constantinople, comtesse de Flandres], Thomas dfAquin de lfOrdre des frères
prêcheurs: salut etc.
Jfai reçu la lettre de votre excellence, qui mfa fait pleinement comprendre la pieuse sollicitude que vous aviez pour le gouvernement de vos sujets tout comme la dévote affection que vous portiez envers les frères de notre Ordre. Je rends grâce à Dieu dfavoir suscité en votre cœur de si grands principes de vertu. Il mfa toutefois été bien difficile de répondre aux questions que vous me posiez sur divers sujets dans cette lettre, tant à cause des activités liées à la charge de lecteur que parce que je préférerais que vous demandiez conseil au sujet de ces choses à dfautres personnes, plus versées dans ces matières. Mais, parce qufil serait inconvenant de me montrer négligent envers votre sollicitude ou ingrat envers votre affection, jfai veillé à répondre à vos questions, sous totale réserve dfun avis meilleur.
[Première
question]Votre excellence demandait donc pour
commencer sfil vous était permis, à un quelconque moment, de lever des impôts
sur les Juifs.
[Réponse] Voici quelle réponse on peut donner à cette question, ainsi formulée
dans lfabsolu: quoique les juifs soient voués à la servitude perpétuelle par
leur propre faute et que les seigneurs puissent prendre leurs biens fonciers
comme leur appartenant (ainsi que lfaffirme le Droit[1]),
nous devons toutefois nous « conduire honorablement même envers ceux du
dehors » (1 Th 4, 12) « pour que le nom de Dieu ne soit pas
blasphémé » (1 Tm 6, 1). Et lfApôtre exhorte par son exemple les
fidèles à « nfêtre en
scandale ni aux Juifs, ni aux Gentils, ni à lfÉglise de Dieu » (1 Co 10, 32). Il semble que nous devions nous tenir à cette
exigence, en sorte que, conformément à lfenseignement du Droit[2],
la servitude qufils ont contractée ne soit pas exigée de la part de ceux qui
nfy pas été habitués, lfinaccoutumé étant généralement la cause dfun grand
trouble dans les âmes. Cependant, tout en gardant ce précepte touchant la
manière de gouverner, il vous est permis de lever des impôts sur les juifs,
conformément à lfusage de vos prédécesseurs et à condition que rien dfautre ne
sfy oppose. Dfaprès ce que jfai pu voir dans la suite de vos demandes, il me
semble que votre hésitation provient essentiellement de ce que les Juifs qui
sont sur vos terres paraissent nfavoir rien dfautre que ce qufils ont acquis
par le vice dfusure. Cfest pourquoi vous avez raison de demander sfil est
permis dfexiger quelque chose dfeux, étant donné que des biens ainsi acquis de
façon illicite doivent être restitués. Sur ce point, voici quelle réponse
paraît devoir être formulée: puisque les Juifs ne peuvent conserver les biens
qufils ont extorqués aux autres par voie usuraire, il sfensuit que, si vous les
avez reçus dfeux, vous ne pouvez pas non plus les conserver, sauf peut-être si ces
biens vous ont été extorqués, à vous ou à vos prédécesseurs. Si par contre il
sfagit de biens dont dfautres personnes ont été dépossédées, vous êtes tenue de
leur restituer ce que les Juifs devaient leur rendre. Voilà pourquoi, si lfon
trouve des personnes dont il certain qufon leur a extorqué des biens en leur
concédant un prêt à intérêt, il faut les leur restituer. Autrement, ces biens
doivent être employés à de pieux usages, selon lfavis de lfévêque diocésain ou
dfautres hommes de bien, ou bien lfon peut encore les utiliser en vue de
lfutilité commune des hommes, si une nécessité le requiert ou lfexige. De plus,
il ne serait pas même illicite dfexiger une nouvelle fois ces biens des Juifs,
selon la coutume de vos prédécesseurs, afin de le dépenser à de pieux usages.
[Deuxième
question] Vous souhaitez ensuite savoir si, dans le
cas où un Juif a commis un crime, il le faut punir dfune amende en argent,
puisqufil ne possède rien sinon ce que les intérêts de ses prêts lui ont
rapporté.
[Réponse] Dfaprès ce que nous avons dit, la réponse à cette question semble être
la suivante: il est avantageux de punir ce juif par des amendes en argent, de
sorte qufil ne tire pas profit de son iniquité. Il me semble également qufun
Juif ou nfimporte quel usurier devrait être frappé dfune amende plus lourde que
qui que ce soit dfautre pour un crime équivalent, dfautant plus lourde que
lfargent qui lui est retiré lui appartient moins. On peut également ajouter
dfautres peines aux amendes en argent, de peur que lfon ne pense que la simple
restitution de ce qui est dû aux autres suffise pour la peine. Il nfest
toutefois pas permis, au cas où les coupables ne possèdent rien sinon ce que
les intérêts de leurs prêts leur ont rapporté, de conserver lfargent qui leur a
été retiré en amende, mais il le faut dépenser aux fins déjà mentionnées. Si
lfon objectait que, pour ce motif, les princes des terres sont lésés, il faut
répondre qufils sont eux-mêmes les responsables du préjudice qufils subissent,
puisque celui-ci provient de leur négligence: mieux vaudrait contraindre les juifs
à travailler pour gagner leur propre subsistance (comme le font les princes
italiens) plutôt que de les laisser sfenrichir par le prêt à intérêt en menant
une vie oisive. Par cette négligence donc, les princes se privent eux-mêmes de
revenus, de même que sfils permettaient, par leur propre faute, à leurs sujets
de sfenrichir par le brigandage, auquel cas ils seraient en effet tenus à
restituer la totalité de ce qufils réclament.
[Troisième
question] En troisième lieu, il sfagit de savoir sfil
est permis dfaccepter un don volontaire en argent ou un autre cadeau[3]
[Réponse] Il semble que lfon puisse répondre par lfaffirmative. Et si le donateur
vit exclusivement de ses prêts, il est bon de le rendre à ceux auxquels il
revient ou de lfemployer à une autre fin, comme on lfa dit.
[Quatrième question] Vous demandez en
quatrième lieu ce qufil faut faire au cas où le juif restitue une somme
supérieure à ce que réclame le chrétien lésé.
[Réponse] La réponse à cette question ressort des précédentes
considérations. Deux cas se présentent dans cette hypothèse. [A] Si le juif possédait dfautres biens que les
intérêts des prêts, vous pouvez conserver cette somme surnuméraire en observant
la manière de gouverner dont il a été question plus haut; il semble que lfon
puisse agir de la même façon si les juifs acceptent de leur débiteur les
intérêts versés de bonne foi alors que par ailleurs ils
étaient prêts à leur remettre ces intérêts. [B] Dans un autre cas il se peut que ceux dont
les juifs ont reçus [des intérêts] soient décédés ou demeurent dans dfautres
contrées. Il leur faut alors les restituer, mais puisque lfidentité précise de
ces personnes nfest pas connue, il semble qufil faille procéder de la manière
exposée plus haut. Ce que nous avons dit des Juifs sfapplique également aux Cahorsins[4]
ainsi qufà tous ceux qui sfadonnent à ce vice qufest lfusure.
[Cinquième
question] La cinquième question a pour objet vos
baillis et officiers: pouvez-vous leur vendre des offices ou recevoir dfeux des
gages [pour être titulaires de ces offices] en attendant les bénéfices qufils
en retireront.
[Réponse] Cette question semble renfermer deux difficultés. [A] La première relève de la vente des offices
publics. Dfaprès moi, il faut à ce sujet tenir compte de la parole de lfApôtre:
« Beaucoup de choses inutiles [me] sont permises » (1 Co 6, 12). Or, puisque seul un pouvoir dfoffice temporel
échoit aux baillis et aux officiers, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez
pas mettre en vente de tels offices, pour peu que vous les cédiez à des
personnes que lfon puisse supposer aptes à sfen acquitter et de plus pas trop
cher, de peur qufils ne leur soit pas possible de récupérer leur investissement
sinon aux dépends de vos sujets. Néanmoins, une telle vente ne paraît
absolument pas nécessaire. Tout dfabord parce que les plus aptes à exercer de
tels offices sont souvent pauvres au point de ne pouvoir les acheter. Ensuite, même riches, les meilleurs nfambitionnent ni ne convoitent
ces charges pour en retirer du profit. [En procédant à la vente], il sfensuit
donc tout au plus que ce sont les plus mauvais, les plus ambitieux et les plus
cupides qui prennent en main les offices sur vos terres. Ces personnes
oppriment de surcroît vos administrés et ne sont pas fidèles dans les services
qufils vous rendent. La meilleure solution est par conséquent que vous
choisissiez vous-même des hommes bons et capables, même si cela nfest guère de
leur goût et si vous êtes forcée de les contraindre à accepter de prendre en
main les offices [que vous leur destinez]. Vous et vos sujets gagneriez davantage
en agissant de la sorte plutôt qufen vendant ces charges. Le beau-père de Moïse
lui donna ce conseil: « Choisis parmi le peuple des hommes avisés,
craignant Dieu, en qui demeure la vérité et ennemis de lfavarice; établis-les
chefs de milliers, de centaines, de cinquantaines et de dizaines. Ce sont eux
qui jugeront le peuple en temps ordinaire » (Ex 18, 21-22). [B] La seconde hésitation touche la question des
gages. À ce propos, il semble qufun prêt accordé dans le contrat dfacquisition
dfune charge rende ce contrat usuraire (étant donné que lfacquisition est fondée
sur le prêt). Ce faisant, vous donnez aux emprunteurs une occasion de péché, et
eux-mêmes sont tenus de renoncer à la charge ainsi obtenue. Il nfy aurait
cependant pas dé péché si vous leur confiiez gratuitement cette charge et
receviez ensuite de leur part la somme empruntée, somme qufils auront pu
obtenir par leur office.
[Sixième
question] Pouvez-vous lever des impôts sur vos sujets
chrétiens ? Tel est lfobjet de votre sixième question.
[Réponse] Vous devez à ce sujet considérer que les princes de la terre sont
établis par Dieu non pour sfenrichir en propre mais pour veiller à lfutilité
commune du peuple. Ézéchiel adresse en effet ce reproche à certains princes: « Ses
princes sont là comme des loups qui déchirent leur proie, pour verser le sang
et perdre les âmes en sfassurant des profits » (Ez
22, 27[5]).
Le même Prophète dit encore à un autre endroit: « Malheur aux bergers
dfIsraël qui ne cherchent que leur propre pâture ! Nfest-ce pas leur
troupeau que doivent paître les bergers ? Mais vous, le lait, vous le
buvez; la laine, vous vous en revêtez; la bête grasse, vous la sacrifiez, et tout
cela sans nourrir le troupeau » (Ez 34,
2-3). Cfest donc pour en vivre en sfabstenant de spolier leurs sujets que les
revenus des terres ont été établis pour les princes; voilà pourquoi le Seigneur
fait dire au même Prophète: « Ce sera la terre du prince, sa propriété
en Israël; et mes princes nfopprimeront plus mon peuple » (Ez 45, 8). Quelquefois, les princes ne disposent cependant
pas de revenus suffisants pour protéger leurs terres et faire raisonnablement
face à dfautres événements. Dans ce cas, la justice demande aux sujets
dfapporter leur contribution pour que lfon puisse veilleur au bien commun de
tous. De là vient cette ancienne coutume dans certaines régions selon laquelle
les seigneurs lèvent des impôts qui, à condition de nfêtre pas excessifs,
peuvent être exigés sans péché. Selon lfApôtre, personne ne porte les armes à ses
propres frais (1 Co 9, 7) et cfest pour ce motif que le
prince qui prend les armes pour défendre le bien commun doit en vivre régir les
affaires publiques, soit par les revenus qui lui sont rapportés, soit – si
ceux-ci ne suffisent pas – par des impôts levés sur les personnes. On se
trouve dans une situation de ce type lorsqufil est nécessaire de réaliser une
dépense importante en vue du bien commun ou pour conserver au prince une
situation décente, si les revenus propres ou les impôts habituels sont
insuffisants: prenons par exemple le cas dfune invasion ennemie ou dfautres
événements semblables. Dans pareil cas, les princes ont le droit de lever des
impôts supplémentaires en plus des impôts ordinaires dans lfintérêt de tous.
Mais ils ne peuvent en aucun cas exiger de leurs sujets plus que dfordinaire en
raison dfune soif de possession ou en vue de dépenses déraisonnables et
excessives. Cfest pourquoi Jean-Baptiste dit aux soldats venus à lui: « Ne
pratiquez ni violence ni fraude envers personne, mais contentez-vous de votre solde »
(Lc 3, 14); les revenus des princes sont en effet
comme leur solde, et ils doivent sfen satisfaire sans demander plus, sinon pour
le motif déjà mentionné en vue du bien commun.
[Septième
question] En septième lieu, vous demandez que faire au
cas où vos officiers ont extorqué de lfargent de façon illicite à vos sujets,
que cet argent vous parvienne ou non entre les mains.
[Réponse] La réponse est facile: si cette somme vous parvient, vous devez soit la
restituer à la personne qui en a été dépossédée si cfest possible, soit la
dépenser à de pieux usages ou en vue du bien commun au cas où il ne vous aura
pas été possible dfidentifier les personnes précises qui ont été spoliées. Mais
si cette somme ne vous parvient pas, vous devez contraindre vos officiers de la
rendre (même si vous qui précisément a été lésé), de telle façon que ces
officiers ne tirent pas profit de leur injustice; bien plus, vous devez pour
cela les punir sévèrement pour qufà lfavenir les autres sfabstiennent de les
imiter. Salomon dit en effet: « Frappe lfhomme pernicieux, et le sot
deviendra sage » (Pr 19, 25).
[Huitième
question] Enfin, vous voulez savoir sfil est bon que
les juifs de votre province soient obligés de porter un signe qui les distingue
des chrétiens.
[Réponse] La réponse est facile: le Concile[6] statue que les juifs de lfun et lfautre sexe doivent se distinguer par le vêtement qufils portent dans toute province chrétienne et en tout temps. Cfest aussi ce que leur demande la Loi, qui leur enjoint de porter des franges aux coins de leurs vêtements, grâce auxquelles ils se distingueront des autres (Nb 15, 38 et Dt 22, 12).
Telles sont, illustre et
religieuse Souveraine, les réponses qui me viennent présentement à la pensée;
mais, plutôt que de suivre mon opinion propre, je vous engage à vous conformer
à celle de personnes plus expérimentées. Longue vie à votre règne.
[1] Décretales, V, tit.
6, c. 13.
[2] Décretales, V, tit.
6, c. 9.
[3] De la part dfun juif ou de
toute autre personne vivant du prêt à intérêt sfentend
ici.
[4] Les Cahorsins sont les habitants de Cahors, ville connue à lfépoque pour ses banquiers usuraires. On emploie communément ce terme à lfépoque pour désigner un usurier.
[5] Et non Ez 9, 9 comme lfindique la Léonine.
[6] Latran IV, chap. 68.