RÉPONSE A SIX ARTICLES DU LECTEUR DE BYZANCE

SAINT THOMAS D'AQUIN

DOCTEUR DE L'ÉGLISE

OPUSCULE 12

 

 

Traduction des Editions Louis Vivès, 1857 vérifiée et mise à jour par Charles Duyck, 2005

Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2008

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

Prologue_ 1

Question 1, 2, 3 — La forme de l'étoile des mages ? Une forme de croix ? Une forme humaine ? La forme d’un crucifié ?  1

Question 4 — Les petites mains de l’enfant Jésus ont-elles créé les étoiles ?_ 2

Question 5 — Depuis que le (saint) vieillard Siméon dit à la bienheureuse Vierge "un glaive percera ton âme," la sainte Vierge repassa-t-elle sept fois par jour ces paroles, jusqu’à la résurrection du Christ, avec une violente douleur ?  3

Question 6 — Doit-on se confesser des circonstances, non notablement aggravantes, qui entraînent avec elles une autre espèce de péché, même en faisant connaître la personne avec laquelle on a commis le péché ?  3

 

 

 

Textum Taurini 1954 editum
ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas
denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

Traduction des Editions Louis Vivès, 1857 vérifiée et mise à jour par Charles Duyck, 2005

 

 

Prooemium

Prologue

 [70793] De 6 articulis, pr. Carissimo sibi in Christo fratri Gerardo Bisuntino ordinis fratrum praedicatorum, frater Thomas de Aquino eiusdem ordinis confraterna dilectione salutem. Percepi litteras vestras quosdam articulos continentes, super quibus vobis per me responderi petebatis. Et licet in pluribus essem occupatus, tamen ne vestrae caritatis petitioni deessem, quam cito facultas se obtulit, vobis rescribere curavi.

A son cher frère en Jésus-Christ, Gérard de Byzance, de l’ordre des Frères prêcheurs, son frère Thomas d’Aquin, du même ordre, salut cordial et fraternel. J’ai reçu votre lettre contenant six questions auxquelles vous me priez de répondre. Quoique fort occupé, cependant, j’ai veillé à vous répondre, aussitôt que l’opportunité s’en est présentée, de peur de manquer à cette demande, inspirée par votre affection.

Quaestio 1 [70794] De 6 articulis, q. 1 arg. Prima ergo quaestio fuit, an stella quae magis apparuit, haberet figuram crucis.

 

Quaestio 2 [70795] De 6 articulis, q. 2 arg. Secunda, an haberet figuram hominis.

 

Quaestio 3 [70796] De 6 articulis, q. 3 arg. Tertia an haberet figuram crucifixi.

Question 1, 2, 3 — La forme de l'étoile des mages ? Une forme de croix ? Une forme humaine ? La forme d’un crucifié ?

[70797] De 6 articulis, q. 3 ad arg. His simul respondeo, quod Chrysostomus (auctor operis imperfecti) quaedam similia narrat super Matth., non quasi asserendo, sed potius quasi ab aliis dictum recitando. Et quia pro certo non habetur, non reputo hoc esse praedicandum; praesertim quia non videtur probabile quod sacri doctores, ut Augustinus, Leo Papa, Gregorius et alii in suis sermonibus tacuissent, si aliquod robur auctoritatis haberet. Non enim decet praedicatorem veritatis ad fabulas ignotas divertere. Si autem ab aliquo sit praedicatum, non arbitror esse necessarium quod revocetur, nisi forte ex hoc populo scandalum sit exortum; et tunc non deberet ut erroneum reprobari, sed ut incertum exponi.

La première question est celle-ci : L’étoile qui apparut aux mages avait-elle la forme d’une croix ? La seconde, ou bien celle d’un homme ? La troisième, enfin, celle d’un homme crucifié ? Je réponds à la fois à ces trois questions, que saint Chrysostome, (auteur d’une œuvre imparfaite) raconte quelque chose d’à peu près semblable, dans son commentaire sur saint Matthieu, non comme un fait qu’il assure, mais comme quelque chose qu’il rapporte pour l’avoir entendu d’autres. Mais comme il n’y a rien de certain, je crois qu’on ne doit pas le répandre, surtout lorsqu’il ne paraît pas probable que les saints docteurs, tels que saint Augustin, le pape Léon, saint Grégoire et les autres, aient passé sous silence ce phénomène dans leurs écrits s’il avait quelque preuve d’autorité. Il ne convient pas, en effet, à celui qui prêche la vérité, de s’occuper de fables inconnues. Cependant, si on venait à en parler, je ne crois pas qu’on puisse en faire un sujet de blâme, à moins que le peuple ne s’en scandalise, et alors on ne devrait pas le réprouver comme un conte, mais le donner comme un fait douteux.

 

 

Quaestio 4 [70798] De 6 articulis, q. 4 arg. Quarta quaestio, an parvulae manus pueri Iesu nati creaverint stellas.

Question 4 — Les petites mains de l’enfant Jésus ont-elles créé les étoiles ?

[70799] De 6 articulis, q. 4 ad arg. Ad quod respondeo, quod locutio haec non est propria. Nam parvulae manus sunt manus humanitatis, quarum non est creare. Sed quia unus et idem Christus est in divina et humana natura perfectus, potest huiusmodi locutio sane exponi, ut dicatur: manus parvulae istius pueri creaverunt stellas; idest, iste puer habens manus parvulas, creavit stellas. Tali enim modo loquendi ad quandam unionis expressionem aliquando doctores utuntur, sicut in quibusdam cantatur Ecclesiis: manus quae nos plasmaverunt, clavis confixae sunt. Non tamen haec sunt extendenda, vel praedicanda populo. Sed tamen si praedicatum sit, non arbitror revocandum; nisi super hoc error aut scandalum oriatur, in quo casu oporteret sanae locutionis sensum exponi. Non sunt autem in talibus, quantum fieri potest, simplicium animi sollicitandi.

À cela je réponds que cette expression est impropre. Parce que ces petites mains sont des mains humaines, auxquelles il n’appartient pas de créer. Mais comme c’est un seul et même Jésus-Christ, parfait dans la nature divine et dans la nature humaine, on peut tourner la phrase et dire : Les petites mains de cet enfant ont créé les étoiles, c’est-à-dire, cet enfant ayant de petites mains, a créé les étoiles. Les docteurs se servent quelquefois de cette manière de parler, pour exprimer l’union (des deux natures), comme l’Eglise le chante en plusieurs circonstances. "Les mains qui nous ont formés ont été percées de clous." Cependant on ne doit pas abuser de ce langage et parler ainsi devant le peuple. Pourtant, si on l’emploie dans la prédication, je ne crois pas cette façon de parler (très) répréhensible, à moins qu’elle ne fasse naître des hérésies ou qu’elle excite des scandales; et, dans ce cas, il faudrait expliquer le sens de ces sages paroles. Car il ne faut pas, autant qu’il est possible, inquiéter les âmes simples.

 

 

Quaestio 5 [70800] De 6 articulis, q. 5 arg. Quinta quaestio est, an ex quo Simeon dixit beatae virgini, tuam ipsius animam pertransibit gladius, quolibet die naturali usque ad resurrectionem Christi septies illud recoleret pia virgo cum dolore vehementi.

Question 5 — Depuis que le (saint) vieillard Siméon dit à la bienheureuse Vierge "un glaive percera ton âme," la sainte Vierge repassa-t-elle sept fois par jour ces paroles, jusqu’à la résurrection du Christ, avec une violente douleur ?

[70801] De 6 articulis, q. 5 ad arg. Ad hoc etiam respondeo, quod istud eadem facilitate contemnitur qua dicitur, cum nullius auctoritatis robore fulciatur. Nec aestimo huiusmodi frivola esse praedicanda, ubi tanta suppetit copia praedicandi ea quae sunt certissimae veritatis. Neque tamen oportet quod revocetur, si praedicatum fuerit, nisi ex hoc scandalum fuisset exortum.

Je réponds à ceci, qu’il convient de mépriser ces paroles avec la même désinvolture qu’on a mis à les prononcer, parce qu’elles ne sont étayées d’aucune autorité. Je ne pense pas qu’on doive prêcher des frivolités de ce genre, lorsqu’il y a tant de vérités certaines à enseigner. Cependant, si on l’emploie dans la prédication, il ne faut pas trop le blâmer, s’il n’y a pas de scandale.

 

 

Quaestio 6

[70802] De 6 articulis, q. 6 arg. Sexta quaestio est, an circumstantias peccati trahentes in alterum genus, non notabiliter aggravantes, teneatur homo confiteri etiam innotescendo personam cum qua peccaverit.

Question 6 — Doit-on se confesser des circonstances, non notablement aggravantes, qui entraînent avec elles une autre espèce de péché, même en faisant connaître la personne avec laquelle on a commis le péché ?

[70803] De 6 articulis, q. 6 ad arg. Ad hoc respondendum videtur, quod omnino debet has homo confiteri: non enim homo confitetur peccatum suum nisi speciem confiteatur peccati, quae cognosci non potest nisi per circumstantias trahentes in aliud genus, ex quibus peccatum specificatur. Circumstantias vero non aggravantes, quae in aliud genus peccati non trahunt, non tenetur homo confiteri, sicut nec peccata venialia; licet sit laudabile quod homo ea confiteatur. Eadem enim ratio videtur esse de huiusmodi circumstantiis, et de venialibus peccatis. Circumstantiae autem dicuntur in aliud genus trahere quae specialem repugnantiam important ad aliquod praeceptorum divinae legis; sicut furtum simplex repugnat huic praecepto, non furtum facies; si autem furtum in loco sacro committatur, habet iam repugnantiam ad aliud praeceptum, quod est de veneratione sacrorum, et sic additur nova species peccati: unde consequens est quod addat aliam repugnantiam ad legem Dei; et ideo novam deformitatem peccati mortalis habebit, quod ex necessitate confiteri tenebitur. Sic igitur huiusmodi circumstantias aggravantes, quae non trahunt in aliud genus peccati, non credo quod aliquis teneatur confiteri. De expressione autem personae cum qua aliquis peccavit, videtur mihi quod non sit in confessione facienda, quando potest vitari. Primo quidem, quia prodere crimen alterius et laedere famam est peccatum; quod maxime vitandum est in confessione, per quam quis quaerit praeterita peccata delere. Secundo, quia a domino, Matth. XVIII, est forma denuntiandi peccatum proximi descripta, contra quam agere non licet. Tertio, quia in confessione est credendum peccatori confitenti et pro se et contra se; sed contra alium nullo modo est ei credendum; alioquin daretur multis occasio fictae confessionis et fraudulentae infamationis. Et ideo si potest speciem peccati confiteri non innotescendo personam cum qua peccavit, peccat eam exprimendo, nisi forte salvato correctionis ordine, quem dominus statuit. Si vero speciem peccati exprimere non possit nisi exprimendo personam cum qua peccavit, puta si cum sorore concubuit, necesse est ut exprimendo peccati speciem, exprimat personam. Sed si fieri potest, debet quaerere talem confessorem, qui personam sororis penitus non cognoscat. Quod autem dixi, circumstantias aggravantes quae non trahunt in aliud genus peccati, non esse de necessitate confitendas, non est referendum ad numerum, quem aliquis confiteri tenetur, si potest: quia iam non est unum peccatum, sed multa. Haec sunt, frater carissime, quae ad praesens mihi occurrunt quaestionibus a vobis propositis respondenda: pro quo mihi, si placet, orationum suffragia impendatis.

Il me semble devoir répondre à cela qu’on doit absolument en faire l’aveu, parce qu’on n’avoue pas ses fautes, si on n’en fait pas connaître l’espèce, que l’on ne peut savoir autrement que par les circonstances qui entraînent avec elles une autre espèce de péché, et par lesquelles il est spécifié. Mais on n’est pas tenu à confesser les circonstances non aggravantes et qui ne sont pas accompagnées d’une autre espèce de péché, de même non plus que les péchés véniels, quoiqu’il soit louable de le faire. Car le même raisonnement me semble convenir pour les circonstances du péché et pour les péchés véniels. Les circonstances qui entraînent une autre espèce de péché, sont celles qui renferment une opposition particulière à quelque commandement de la loi divine; comme, par exemple, le vol simple opposé à ce commandement : "Tu ne déroberas pas." Mais si le vol est commis dans un lieu saint, il est opposé encore à un autre précepte qui commande le respect aux objets consacrés à Dieu; et ainsi, il renferme une autre espèce de péché. D’où il suit qu’il ajoute une infraction à la loi de Dieu, et par conséquent il aura une autre tache de péché mortel, qui devra nécessairement être confessée. Je ne crois donc pas qu’on est tenu à confesser les circonstances aggravantes qui n’entraînent pas dans une autre espèce de péché. Mais quant à révéler la personne avec laquelle on a péché, il me semble qu’il ne faut pas le faire en confession, lorsqu’on peut l’éviter, parce que d’abord c’est un péché de dévoiler les fautes des autres et de nuire à leur réputation, ce que l’on doit surtout éviter dans le sacrement de la pénitence, dans lequel on cherche à effacer les péchés passés. Parce que, secondement, le Sauveur a, au chapitre XVIII de l’Evangile de saint Matthieu, prescrit la manière de faire connaître les péchés d’autrui : il n’est pas permis d’agir à l’encontre de ce précepte. Troisièmement, parce que, dans la confession, il faut faire confiance au pécheur qui fait l’aveu de ses fautes, pour lui et contre lui, mais on ne doit pas ajouter foi à ce qu’il dit contre une autre personne, parce que autrement on fournirait matière à de nombreuses fausses confessions, à des diffamations calomnieuses; par conséquent, si on peut avouer le genre de ses péchés sans faire connaître la personne avec laquelle on a péché, on commet une faute en la nommant, à moins que ce soit en vue de procurer la correction fraternelle, que Notre Seigneur a prescrite. Mais si on ne peut découvrir l’espèce de son péché, sans dévoiler la personne avec laquelle on l’a commis, par exemple, si on a eu commerce avec sa propre soeur, il est nécessaire de nommer la personne, afin de confesser l’espèce du péché dont on s’est souillé. Mais on doit, s’il est possible, choisir un confesseur qui ne connaisse pas bien cette personne.

Quant à ce que j’ai dit qu’il n’était point nécessaire de confesser les circonstances aggravantes qui ne conduisent pas à une autre espèce de péché, ou ne doit pas entendre ces paroles du nombre des péchés dont on doit faire l’aveu autant que possible, parce qu’il n’y a pas seulement un seul péché mais plusieurs. Voilà, très cher frère, ce que j’ai à vous dire, pour l’instant, relativement aux questions que vous m’avez proposées.

Veuillez, s’il vous plaît, me payer de ma peine, par vos bonnes prières.

 

Fin du douzième Opuscule ou réponse de saint Thomas d’Aquin, au lecteur de Byzance, sur six articles.