RÉPONSE
A 36 QUESTIONS DU LECTEUR DE VENISE
PAR SAINT THOMAS
D'AQUIN
DOCTEUR DES
DOCTEURS DE L'ÉGLISE
(écrit
authentique)
Editions Louis Vivès, 1857
Entièrement reprise et corrigée par
Georges Comeau, 2009
Deuxième
édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
2009
Les
œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
I ─ QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA MATIÈRE
Article 1 ─ Les anges sont-ils les moteurs des corps célestes ?
Article 2 ─ Quelques auteurs ont-ils pensé que cette assertion a été prouvée de
façon infaillible ?
Article 4 ─
Les anges qui gouvernent les corps célestes appartiennent-ils au choeur des
Vertus ?
Article 7 ─ L’ange a-t-il une puissance infinie ici-bas ?
II ─ QUESTIONS SUR LES SPHÈRES CÉLESTES
III ─ QUESTIONS SUR L'ACTION DE DIEU
Article 12 ─ Après l’oeuvre des six jours, Dieu aucun corps n’a-t-il été mû
immédiatement par Dieu ?
Article 13 ─ Dieu peut-il ou veut-il mouvoir certains corps immédiatement
et par lui-même ?
Article 15 ─ Dieu fait-il des miracles par le ministère des anges ?
IV ─ QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITÉS
Article 23 ─ Le Christ n’est-il surtout venu sur la terre que pour effacer le
péché originel ?
Article 24 ─ L’enfer est-il au centre ou autour du centre de la terre ?
IX ─ QUESTIONS SUR L'EUCHARISTIE
Article 33 ─ Est-il vrai que le Corps du Christ dans ce sacrement ne se trouve pas
dans un lieu ?
X ─ La connaissance des démons
Textum Taurini 1954 editum |
Traduction par Georges Comeau, 2009 Texte édité à Turin en 1954 et copié par
machine sur bandes magnétiques par Roberto Busa, S.J., puis relu et programmé
par Enrique Alarcon. |
Prooemium |
INTRODUCTION
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[70541] De
36 articulis, pr. Lectis
litteris vestris, in eis inveni articulorum multitudinem numerosam, super
quibus a me responderi infra quatriduum vestra caritas postulabat. Et quamvis
essem in aliis plurimum occupatus, ne tamen deessem vestrae dilectionis
obsequio, dilatis parumper aliis quibus me intendere oportebat, quaestionibus
a vobis propositis proposui per singula respondere. |
J’ai trouvé dans les lettres que vous m’avez
écrites une foule de demandes auxquelles votre charité me prie de répondre
d’ici quatre jours. Quoique je sois surchargé d’occupations, pour éviter de
mal répondre à votre affection, laissant de côté pour un peu de temps mes
autres obligations, j’ai voulu répondre à vos questions une par une. |
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I ─ QUESTIONS SUR LA PUISSANCE DES ANGES SUR LA
MATIÈRE
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Articulus 1 [70542] De 36 articulis, a. 1 arg. Primus articulus est quod Angeli sunt
motores caelestium corporum. |
Article 1 ─ Les anges sont-ils les moteurs des
corps célestes ?
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[70543] De
36 articulis, a. 1 ad arg. Super
quo duxi taliter respondendum quod hoc non solum a philosophis multipliciter
est probatum, verum etiam a sacris doctoribus evidenter asseritur. Dicit enim
Augustinus in 3 de Trinitate, quod sicut corpora grossiora et inferiora
per subtiliora et superiora quodam ordine reguntur, ita omnia corpora per
spiritum vitae rationalem. In libro etiam L33 quaestionum dicit: unaquaeque
res visibilis in hoc mundo habet potestatem angelicam sibi praepositam.
Gregorius etiam dicit in IV dialogorum quod in hoc mundo visibili nihil
nisi per creaturam invisibilem disponi potest. |
J’ai considéré qu’il fallait répondre que non
seulement cela est prouvé de plusieurs manières, par les philosophes, mais
c’est affirmé positivement par les saints docteurs. Saint Augustin dit en
effet, dans le livre 3 du traité De la
Trinité, que « de même que les corps grossiers et inférieurs sont
tenus dans un certain ordre par les corps supérieurs plus subtils, de même
tous le sont par un esprit de vie doué de raison ». Il dit aussi, au
livre des Quatre-vingt-trois questions,
que « toute chose visible en ce monde a été confiée au pouvoir des
anges ». Saint Grégoire dit, au livre IV des Dialogues, que « dans ce monde visible rien ne peut être disposé
que par une créature invisible.» |
[70544] De 36 articulis, a. 2 arg. Secundus articulus est quod aliqui
estimaverunt semper infallibiliter hoc esse probatum. |
Article 2 ─ Quelques auteurs ont-ils pensé que
cette assertion a été prouvée de façon infaillible ?
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[70545] De
36 articulis, a. 2 ad arg. Ad
hoc respondeo quod libri philosophorum hujusmodi probationibus abundant, quas
ipsi demonstrationes putant; mihi igitur videtur quod demonstrative probari
potest quod ab aliquo intellectu corpora caelestia moveantur, vel a Deo
immediate vel mediantibus Angelis; sed quod mediantibus Angelis ea moveat,
magis congruit ordini rerum, quem Dionysius infallibilem asserit, ut
inferiora a Deo per media secundum cursum communem administrentur. |
Je réponds que les écrits des philosophes
sont remplis de telles preuves, qu’ils considèrent être des démonstrations.
Quant à moi, il me semble qu'on peut prouver par démonstration que les corps
célestes sont mus par une intelligence, que ce soit par Dieu immédiatement ou
par l’intermédiaire des anges. Leur médiation est plus conforme à l’ordre des
choses, que Denys appelle infaillible, à savoir que les réalités inférieures,
dans le cours ordinaire des choses, sont gouvernées par Dieu à travers des
intermédiaires. |
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Articulus 3 [70546] De 36 articulis, a. 3 arg. Tertius articulus est quod Angeli movent caelestia
corpora suo imperio, potestate sibi a Deo tradita. |
Article 3 ─ Les anges meuvent-ils les corps
célestes par leur commandement, en vertu du pouvoir que Dieu leur a donné ?
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[70547] De
36 articulis, a. 3 ad arg. Super
quo quid dubium esse possit, plene non video. Non enim aestimo aliquem
dubitare quin omne quod Angeli faciunt, operentur potestate a Deo donata. Si
vero hoc convertatur in dubium quod dicitur eos movere caelestia corpora suo
imperio, irrationabilis dubitatio videtur. Non enim possunt movere aliquod corpus per contactum quantitatis, cum
sint incorporei, sed per contactum virtutis. Nihil autem est altius in
Angelis quam eorum intellectus, cum et ipsi a Dionysio intellectus vel mentes
nominentur: unde eorum motiones a virtute intellectus procedunt. Ipsa autem
conceptio intellectus, secundum quod habet efficaciam aliquid transmutandi,
imperium nominatur; unde si movent, nullo modo nisi per imperium movere
possunt. |
Je ne vois pas clairement comment il peut y
avoir un doute sur cette question. Personne, je pense, ne doutera que tout ce
que font les anges, ils le font en vertu d’un pouvoir donné par Dieu; et si
on met en doute qu’ils meuvent les corps célestes par leur commandement, ce
doute semble déraisonnable. Car étant des substances incorporelles, ils ne
peuvent mouvoir un corps par un contact quantitatif, mais par le contact de
leur puissance. Mais les anges n’ont rien de plus élevé que leur
intelligence, car Denys les appelle intelligences ou esprits; donc leurs
mouvements procèdent d’une puissance de leur intelligence. Or, la conception
de l’intelligence, en tant qu’elle a le pouvoir de transformer quelque chose,
s’appelle commandement; donc, si les anges meuvent les astres, ils ne le
peuvent pas le faire autrement que par un commandement. |
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Articulus 4 [70548] De 36 articulis, a. 4 arg. Quartus articulus est quod Angeli moventes
corpora caelestia sint de ordine virtutum. |
Article 4 ─ Les anges qui gouvernent les corps
célestes appartiennent-ils au choeur des Vertus ?
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[70549] De
36 articulis, a. 4 ad arg. Hoc
quidem et mihi videtur: praecipue si ordo virtutum dicatur medius ordo
secundae hierarchiae, ut Dionysius vult. Hic enim ordo primum locum tenet
inter exequentes exteriora ministeria: unde et Dionysius dicit V3 cap.
caelestis hierarchiae quod nomen virtutum ostendit divinam quandam et
inconcussam fortitudinem ad omnes deiformes operationes. Nihil autem in exterioribus ministeriis majus esse videtur quam
dispositio universalium causarum: unde maxime videtur administratio
caelestium corporum ad ordinem virtutum pertinere. Unde Origenes exponens
illud Matth. 2IV, 29 virtutes caelorum commovebuntur, dicit quod conveniens
est caelorum rationabiles virtutes pati stuporem, remotas scilicet a primis
functionibus suis. Hoc tamen omnino asserendum non videtur. |
C’est ce qu’il me semble, surtout si le chœur
des Vertus est à l’échelon du milieu de la seconde hiérarchie, comme le veut
Denys. Car ce choeur tient le premier rang parmi les anges qui exercent des
ministères ordonnés vers l’extérieur; c’est pourquoi Denys affirme, au
chapitre V3 de la Hiérarchie céleste, que
« le nom même de Vertu signifie la puissance céleste et invincible
d’accomplir toutes les oeuvres d’aspect divin ». Or, rien ne paraît plus
élevé dans les ministères extérieurs que la disposition des causes
universelles; c’est pourquoi la direction des corps célestes semble
appartenir surtout au chœur des Vertus. De là vient qu’Origène, en expliquant
Mt 24, 9 (les Vertus des cieux seront
ébranlées), affirme : « Il est convenable que les Vertus
raisonnables des cieux soient frappées de stupeur en se voyant écartées de
leurs premières fonctions. » Cependant, il ne me semble pas qu’on puisse
affirmer cela de façon catégorique. |
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Articulus 5 [70550] De 36 articulis, a. 5 arg. Quintus articulus est quod Angelus suo
imperio potest movere totam molem terrae usque ad globum lunae. |
Article 5 ─ Un ange peut-il, par son
commandement, soulever le globe entier de la terre jusqu’à la lune ?
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[70551] De
36 articulis, a. 5 ad arg. Istud
enim asserendum non videtur. Virtutes enim creaturarum se
extendunt ad naturales effectus: et ideo Angeli caelestia corpora movere
possunt secundum motus convenientes naturis eorum; aliis autem motibus ea
movere non possent secundum propriam virtutem, sed hoc divinitus miraculose
fieri potest. Potest autem fieri non solum virtute Angeli, sed etiam virtute
hominis quod aliqua pars terrae per violentiam sursum feratur: sed quod totum
unum elementum extra suum ordinem naturalem ponatur, non credo subjacere
angelicae potestatI : et quod virtus Angeli sit
infinita inferius, non est sic intelligendum quod non determinetur ad
determinatos effectus, sed quia in suis effectibus producendis non patitur
lassitudinem aut defectum. |
Il ne me semble pas qu’on puisse faire une
telle affirmation. En effet, les forces des créatures se déploient vers des
effets naturels; c’est pourquoi les anges peuvent imprimer aux corps célestes
des mouvements qui conviennent à leur nature. Toutefois, ils ne peuvent pas
leur imprimer d’autres mouvements par leur propre puissance, sinon
miraculeusement et par la puissance divine. un ordre de Dieu. Il peut
arriver, non seulement par la puissance d’un ange mais même par celle d’un
homme, qu’une partie de la terre aille vers le haut par violence; mais je ne
crois pas qu’il soit au pouvoir d’un ange qu’un élément tout entier se
déplace hors de son cercle naturel. Quand on dit que la puissance des anges
est infinie ici-bas, il ne faut pas prendre cela dans le sens qu’elle n’est
pas orientée vers des effets déterminés, mais au sens où, en produisant ses
effets, elle n’éprouve aucune lassitude et ne fait jamais défaut. |
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Articulus 6 [70552] De 36 articulis, a. 6 arg. Sextus articulus est quod id quod dicitur
Eccle. I, 6: in circuitu pergit spiritus, potest sane ita
exponI : spiritus angelicus pergit in circuitu, scilicet per
operationem, qua movet caelum secundum circulum. |
Article 6 ─ Peut-on raisonnablement expliquer
les paroles de de 1’Ecclésiaste, L’esprit se promène en rond (Qo 1, 6), au
sens où l’esprit angélique fait sa ronde par l’activité dans laquelle il
imprime au ciel un mouvement circulaire ?
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[70553] De
36 articulis, a. 6 ad arg. Non
video quare non possit sane exponi, cum haec sententia vera sit secundum
praedicta, et iste modus loquendi a consuetudine sacrae Scripturae non
discrepet; sicut dicitur Roman. V3 quod spiritus interpellat, id est
interpellare facit. |
Je ne vois pas pourquoi cette explication ne
serait pas raisonnable, puisque cette doctrine est vraie d’après ce qui
précède et qu’elle ne s’écarte pas de la manière de parler ordinaire de
l’Ecriture, d’après ce qui est écrit (Rm 8, 26) : L’esprit intercède, c’est-à-dire fait intercéder. |
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Articulus 7 [70554] De 36 articulis, a. 7 arg. Septimus articulus est quod Angelus habeat
virtutem infinitam inferius. |
Article 7 ─ L’ange a-t-il une puissance infinie
ici-bas ?
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[70555] De
36 articulis, a. 7 ad arg. Hoc
potest et bene et male intelligi. Si enim sic intelligatur quod Angelus
habeat infinitam virtutem supra ea quae infra ipsum sunt, est falsus et
erroneus intellectus; sic enim posset creare aliquid infra se, et convertere
quodlibet in quodlibet, quod patet esse falsum. Est ergo sic intelligendum
quod virtus Angeli consequitur naturam ipsius. Sicut ergo finitum et
infinitum invenitur in natura ejus, ita et in virtute. Habet autem Angelus
finitam naturam secundum operationem ad suum superius quod est Deus, qui est
ens et bonum infinitum, cujus similitudo in Angelo participatur finite; cum
tamen Angelus non habeat formam in materia, non limitatur vel contrahitur per
aliquam naturam, sicut formae materiales. Unde virtus Angeli finita est
secundum quod extenditur ad determinatos effectus, prout participat finite
similitudinem primae causae; est tamen infinita quantum ad hoc quod non
contrahitur virtus ejus ad agendum secundum exigentiam materiae vel organi
corporalis, sicut formae materiales et corporeae, et hoc modo etiam dicendum
est quod habet virtutem infinitam duratione ex parte post, quia potest in
perpetuum durare ejus natura, non enim ejus duratio aliquo modo temporis
mensuratur. |
Cet énoncé peut être bien ou mal compris. En
effet, si on le comprend au sens où les anges ont une puissance infinie sur
ce qui leur est inférieur, c’est une interprétation fausse et erronée, car
ils pourraient alors créer des êtres inférieurs et transformer n’importe quoi
en n’importe quoi, ce qui est manifestement faux. Il faut donc comprendre cet
énoncé au sens où la puissance des anges découle de leur nature. Alors,
puisqu’on trouve le fini et l’infini dans leur nature, il en va de même pour
leur puissance. Or, l’ange a une nature finie dans son
activité envers son supérieur, qui est Dieu, Être et Bien infini, à qui
l’ange ressemble par une participation finie; cependant, puisque l’ange n’a
pas une forme dans la matière, il n’est pas limité ou resserré par une
nature, comme les formes matérielles. Il s’ensuit que la puissance des anges
est finie en tant qu’elle vise des effets déterminés, du fait qu’elle
participe de façon finie à la ressemblance de la cause première; mais leur
puissance est infinie en ce qu’elle n’est pas restreinte à agir selon les
exigences de la matière ou des organes corporels, comme les formes
matérielles et corporelles. De cette façon, il faut également dire que l’ange
a une puissance infinie dans sa durée à venir, car sa nature peut durer
éternellement; en effet, sa durée n’est mesurée par aucun laps de temps. |
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Articulus 8 [70556] De 36 articulis, a. 8 arg. Octavus articulus est quod Angeli sunt
causa omnium quae naturaliter generantur et corrumpuntur in hoc mundo. |
Article 8 ─ Les anges sont-ils la cause de
toutes les choses qui sont engendrées ou se corrompent naturellement en ce monde ?
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[70557] De
36 articulis, a. 8 ad arg. Hoc
ex necessitate sequitur, si sunt causa motus caeli, qui est causa
generationis et corruptionis in inferioribus corporibus ut Dionysius dicit IV
cap. de Div. Nom. Quod enim est causa causae, est causa causati. |
Cela est une conséquence nécessaire, s’ils
sont la cause du mouvement du ciel, qui est la cause de la génération et de
la corruption des corps inférieurs, comme l’affirme Denys au chapitre IV des Noms divins, car ce qui est cause de
la cause est cause de l’effet. |
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Articulus 9 [70558] De 36 articulis, a. 9 arg. Nonus articulus est quod Angeli sunt
factores omnium corporum naturaliter compositorum, sive humanorum, sive
aliorum; quia causare aliquid ex aliquo est facere. |
Article 9 ─ Les anges sont-ils ceux qui font
tous les corps composés de façon naturelle, qu’ils soient humains ou autres ?
En effet, causer quelque chose à partir de quelque chose, c’est faire.
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[70559] De
36 articulis, a. 9 ad arg. Hoc
potest calumniam habere, eo quod verbo faciendi ut plurimum utimur in
operibus artis, et non operibus naturae; non enim consuete dicitur quod pater
facit filium; unde et secundum hunc modum loquendi philosophus dicit in VI Ethic.
quod ars est recta ratio factibilium; et secundum hoc inconsuetum videtur
quod Angeli vel caelestia corpora faciant corpora humana vel alia corpora
composita naturaliter generata. Id enim videmur facere quod est in arbitrio
nostro quale futurum sit; cujusmodi sunt corpora artis. Opera autem naturae
non subsunt arbitrio naturalium causarum, sed consequuntur necessitatem
ordinis naturalis subjectam arbitrio Dei instituentis naturam: unde facere
effectus naturales magis solet attribui Deo. Invenitur tamen verbum faciendi
attributum etiam causis naturalibus, secundum quod consuevit dici quod omne
agens facit simile sibi; prout ignis dicitur calefacere, quod nihil est aliud
quam facere calidum; et secundum istum modum loquendi dici posset quod
corpora caelestia et etiam Angeli faciunt corpora composita inferiora. Sed in
talibus sequendus est magis usus loquendi, quia secundum philosophum
nominibus est utendum ut plures; quamvis vanum videatur contendere de
nominibus, ubi constat de rebus. |
Cette question peut être controversée du fait
que la plupart du temps, nous employons le verbe « faire » pour les
œuvres de l’art et non pour les œuvres de la nature. En effet, on n’a pas
l’habitude de dire que le père fait son fils; c’est pourquoi le Philosophe,
selon cette manière de parler, dit au livre VI de l’Éthique que l’art est la règle correcte des choses faisables, et
en conséquence, il semble inusité de dire que les anges ou les corps célestes
font les corps humains ou les autres corps composés qui sont engendrés naturellement.
En effet, on voit que nous faisons ce qui est en notre pouvoir pour l’avenir,
et c’est le travail de l’art. Par contre, les œuvres de la nature ne sont pas
soumises au jugement des causes naturelles, mais elles découlent
nécessairement de l’ordre naturel, soumis au vouloir de Dieu qui a institué
la nature; c’est pourquoi il est plus courant d’attribuer à Dieu la
production des effets naturels. Il arrive pourtant que le verbe
« faire » soit appliqué aussi aux causes naturelles, comme on a
l’habitude de dire que tout agent fait ce qui lui ressemble; ainsi, on dit
que le feu réchauffe, ce qui est la même chose que faire du chaud. Selon
cette manière de parler, on peut dire que les corps célestes, et aussi les
anges, font les corps inférieurs composés. Mais dans de tels cas, il vaut
mieux suivre l’usage le plus courant, car, d’après le Philosophe, il faut
employer les mots les plus usuels; cependant, il semble bien inutile
d’ergoter sur les mots, quand les choses sont évidentes. |
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Articulus 10 [70560] De 36 articulis, a. 10 arg. Decimus articulus est quod faber
naturaliter non posset movere manum ad martellum vel aliud naturaliter
operandum sine Angelis moventibus corpora caelestia. |
Article 10 ─ Un ouvrier serait-il incapable de
manier naturellement le marteau ou de faire autre chose naturellement si les
anges ne mouvaient pas les corps célestes ?
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[70561] De
36 articulis, a. 10 ad arg. Hoc
non habet explicitam veritatem. Manifestum est enim quod omnia corpora mixta conservantur
in esse per motum corporum caelestium, ex hoc quod certo modo caelestis motus
et conservantur et corrumpuntur et secundum aliquam elongationem vel
appropinquationem aliquorum corporum caelestium generantur, conservantur et
corrumpuntur. Si ergo sic intelligatur quod dictum est quod cessante motu
caelestium corporum qui est per Angelos, corrumpentur humana corpora et
fabrorum et martellorum et omnia corpora mixta secundum naturae ordinem nisi
supernaturali virtute conservaretur in esse; veritatem habet quod dicitur; si
enim corpus fabri dissolveretur, manifestum est quod non posset faber manum
movere ad martellum. Si autem intelligamus quod supernaturali Dei virtute
humana corpora conserventur etiam motu caeli cessante, convenienter oportet
dicere quod remaneant corpora humana eamdem habitudinem habentia ad animas
quam nunc habent vel etiam quod sint eis magis subjecta, unde sicut modo
anima fabri potest movere manum ad martellum, ita etiam et cessante motu
caeli si tamen sapientia divina hoc habeat quod martelli conserventur in illo
statu sicut conservabuntur humana corpora quod tamen probabile non videtur,
neque impedit quod dicitur de aeris divisione quia et si aer non sit
corruptibilis motu caeli cessante, suam tamen naturam non perdet, secundum
quam est facile divisibilis ratione suae humiditatis et subtilitatis, ita
etiam ut instrumentum vocalis laudis esse possit. |
La vérité de cet énoncé n’est pas claire. Il
est évident, en effet, que tous les corps mixtes sont maintenus dans
l’existence par le mouvement des corps célestes, car c’est parce que le ciel
se meut d’une certaine façon qu’ils subsistent et se corrompent, et c’est à
cause de l’éloignement ou du rapprochement de certains corps célestes qu’ils
sont engendrés, subsistent et se corrompent. Si donc on prend cet énoncé au
sens où, si le mouvement imprimé aux corps célestes par les anges cessait,
les corps humains se corrompraient, ainsi que les ouvriers, les marteaux et
tous les corps composés selon l’ordre de la nature, à moins que leur être ne
soit conservé par une puissance surnaturelle, cet énoncé est vrai; il est
évident en effet que si le corps de l’ouvrier se décomposait, sa main ne
pourrait pas se tendre vers le marteau. Par contre, si notre interprétation
est que, par la puissance surnaturelle de Dieu, les corps subsisteraient même
si le mouvement du ciel avait cessé, il est convenable et obligatoire de dire
que les corps garderaient avec leurs âmes le même rapport qu’ils ont
actuellement, ou même qu’ils sont plus soumis à leurs âmes. C’est pourquoi,
de même que maintenant l’âme de l’ouvrier peut mouvoir la main vers le
marteau, elle le pourrait encore même si le mouvement du ciel cessait, pourvu
que la sagesse divine dispose que les marteaux soient conservés dans leur
état actuel aussi bien que les corps humains, ce qui ne semble cependant pas
probable. Rien n’empêche de dire non plus, au sujet de la division de l’air,
que si l’air n’était pas corruptible non plus après la cessation du mouvement
du ciel, il ne perdrait quand même pas sa nature, qui le rend facilement
divisible en raison de son humidité et de sa délicatesse, de sorte qu’il
pourrait aussi être le transmetteur de la louange à haute voix. |
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II ─ QUESTIONS SUR LES SPHÈRES CÉLESTES
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Articulus 11 [70562] De 36 articulis, a. 11 arg. Undecimus articulus est quod cessantibus
motibus caelestium corporum, omne corpus elementatum corruptibile in elementa
solveretur in momento. |
Article 11 ─ Si le mouvement des corps célestes
cessait, tous les corps corruptibles composés d’éléments se sépareraient-ils
instantanément en ces éléments ?
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[70563] De
36 articulis, a. 11 ad arg. Hoc
quidem aliquo modo intellectum credo esse verum, et aliquo modo falsum.
Necesse est enim quod motus caeli, sicut et quilibet motus, cesset in momento
quia ultimum instans temporis respondet ultimo instanti motus. Si ergo
intelligatur corruptionem istorum corporum, vel resolutionem in elementa esse
in instanti, quantum ad suum principium, verum est; si autem quantum ad suum
terminum, falsum est. Corpora enim caelestia sunt causae causantes et
conservantes sicut causae moventes, unde et corruptio et resolutio quae ex
substractione talis causae accidit, oportet quod sit per motum. Nullius autem
motus terminus et principium potest esse in eodem momento; sed omnis motus
indiget aliquo tempore. Secus autem est de substractione conservationis
divinae; quia enim ipse est essendi rebus, immobiliter operans, sicut in
momento res in esse produxit creando et non tempore, ita ejus operatione cessante,
res in momento esse deficerent, et non per aliquem motum. |
Je crois que cette proposition est vraie ou
fausse selon la manière de la comprendre. En effet, il est nécessaire que le
mouvement du ciel, comme tout autre mouvement, cesse instantanément, car le
dernier instant du temps correspond au dernier instant du mouvement. Si donc
on veut dire que la corruption des corps, ou la séparation de leurs éléments,
se fait instantanément, cela est vrai quant au début du changement mais faux
quant à sa fin. En effet, les corps célestes causent l’existence et la
conservation, ainsi que le mouvement, de sorte que la corruption et la
séparation des corps provoquées par la suppression de cette cause doivent
doit se faire dans un mouvement. Or, la fin et le début d’un mouvement ne
peuvent jamais être au même moment, mais tout mouvement nécessite un certain
temps. Il en va autrement si Dieu cesse de conserver les choses : en
effet, il agit sur l’existence des choses en restant immobile, et de même
qu’il a produit l’existence des choses par création en un instant et non dans
le temps, de même, s’il cessait son opération, les choses cesseraient
d’exister en un instant et non par suite d’un mouvement. |
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III ─ QUESTIONS SUR L'ACTION DE DIEU
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Articulus 12 [70564] De 36 articulis, a. 12 arg. Duodecimus articulus est, quod post opera
sex dierum nullum corpus Deus moverit immediate. |
Article 12 ─ Après l’oeuvre des six jours, Dieu
aucun corps n’a-t-il été mû immédiatement par Dieu ?
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[70565] De
36 articulis, a. 12 ad arg. Hoc
verum est quantum ad illas corporis motiones quae per creaturam fieri
possunt. Sunt enim aliquae corporis motiones quae nullo modo per creaturam
fieri possunt, sicut quod corpora mortua reviviscant, quod caeci illuminentur
et similia; et tales corporum transmutationes Deus immediate operatur quantum
ad principalem effectum licet quantum ad aliquos effectus conjunctos non
ministerium Angelorum. |
Cela est vrai dans le cas des mouvements qui
peuvent être imprimés aux corps par des créatures. En effet, certains
mouvements corporels ne peuvent être produits en aucune façon par des
créatures, comme quand les morts ressuscitent, les aveugles voient et des
choses du genre : de telles transformations corporelles sont opérées
immédiatement par Dieu quand à leur effet principal, même si certains effets
connexes sont produits par le ministère des anges. |
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Articulus 13 [70566] De 36 articulis, a. 13 arg. Tertiusdecimus articulus est quod Deus non potest
nec vult movere aliquod corpus immediate. |
Article 13 ─ Dieu peut-il ou veut-il mouvoir
certains corps immédiatement et par lui-même ?
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[70567] De
36 articulis, a. 13 ad arg. Iste
articulus implicite proponitur. Ex una parte dicitur quod Deus sua virtute
potest omne corpus immediate movere; quod non video quin repugnet ei quod
dicitur, quod non potest corpus movere immediate, referatur ad hoc quod
subditur. Ita quod movere quod est divisibile et mensuratum tempore sit actio
Dei, quae est ejus essentia simplicissima; hoc enim Deus nec facere nec vult
quod ejus actio quae est sua essentia sit divisibilis et tempore mensurata.
Sed cum dicitur Deus movet aliquod corpus, per hoc verbum movet non
importatur actio divisibilis et tempore mensurata, sed actio simplex, quae
est sua essentia: nam non solum Deus sed etiam quilibet intellectus movet per
imperium, ut supra dictum est. Imperium autem intellectus nihil est aliud
quam conceptio effectus ordinata ad implendum. Velle autem et intelligere Dei
non est aliud quam ejus essentia: unde sicut actio qua Deus creavit res, ita
et actio qua Deus potest immediate movere corpus, nihil est aliud quam ejus
intelligere et ejus velle. |
Cette question est posée de façon complexe. D’une
part, on dit que Dieu, par sa puissance, peut mouvoir tout corps
immédiatement, et je ne vois pas comment cela n’est pas contraire au fait de
dire qu’« il ne peut pas mouvoir un corps immédiatement », ce qui
nous amène à considérer l’idée suivante : l’acte de mouvoir, qui est
divisible et mesuré par le temps, est l’action de Dieu, qui est sa propre
essence infiniment simple. En effet, Dien ne peut ni faire ni vouloir que son
action, qui est son essence, soit divisible et mesurée par le temps. Mais quand
on dit que Dieu meut un corps, le verbe « mouvoir » ne désigne pas
une action divisible et mesurée par le temps, mais une action simple, qui est
son essence; en effet, ce n’est pas seulement Dieu, mais aussi toute
intelligence qui peut par commandement, comme je l’ai dit plus haut. Or, le
commandement de l’intelligence n’est rien d’autre que la conception d’un
effet qui est disposée vers l’accomplissement de cet effet. De plus, en Dieu,
l’acte de vouloir et de comprendre n’est rien d’autre que son essence; il
s’ensuit que l’action par laquelle Dieu peut mouvoir un corps immédiatement,
tout autant que l’action par laquelle il a créé les choses, n’est rien
d’autre que que son acte de vouloir et de comprendre. |
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Articulus 14 [70568] De 36 articulis, a. 14 arg. Quartusdecimus articulus est quod si nulla
essent lumina stellarum, et nullus esset motus caelestium corporum, omnia
animalia corruptibilia in momento morerentur. |
Article 14 ─ Si les étoiles perdaient leur
lumière et si les corps célestes cessaient de se mouvoir, tous les animaux
corruptibles mourraient-ils à l’instant ?
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[70569] De
36 articulis, a. 14 ad arg. De
hoc quid mihi videtur, supra dictum est. Mors enim est per separationem animae
a corpore; quae non fit nisi per aliquam mutationem corporis a naturali
dispositione, quae non potest esse in instanti tota, sed ejus causa et
principium potest esse in instanti. |
J’ai déjà dit ce que j’en pense, car la mort
est la séparation de l’âme et du corps, qui ne se produit que par un
changement où le corps perd sa disposition naturelle, changement qui ne peut
être complet instantanément, bien que sa cause et son principe puissent être
instantanés. |
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Articulus 15 [70570] De 36 articulis, a. 15 arg. Quintusdecimus articulus est quod Deus
facit miracula ministerio Angelorum. |
Article 15 ─ Dieu fait-il des miracles par le
ministère des anges ?
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[70571] De
36 articulis, a. 15 ad arg. Hoc puto
verum esse; ita tamen quod in omnibus miraculis operatio Angelorum se potest
extendere ad principales effectus. |
Je pense que c’est vrai, mais au sens où,
dans tous les miracles, l’action des anges peut s’étendre jusqu’aux aux
effets principaux. |
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Articulus 16 [70572] De 36 articulis, a. 16 arg. Sextusdecimus articulus est, quod Deus non
tantum aliqua miracula sed etiam omnia miracula faciat ministerio Angelorum
sive visibili. |
Article 16 ─ Dieu accomplit-il non seulement
certains es miracles, mais tous les miracles par le ministère des anges,
qu’il soit visible ou non ?
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[70573] De
36 articulis, a. 16 ad arg. Et
hoc etiam verum puto quantum ad aliquod Angelorum ministerium; ita tamen quod
ministerium Angelorum non extendatur ad omnia quae fiunt in miraculo, sicut
in praedictis exemplis patet, et in formatione corporis Christi ex virgine. |
Je pense que cela aussi est vrai quant au
fait que les anges exercent un certain ministère, mais de sorte que le
ministère des anges n’accomplit pas tout ce qui se fait dans un miracle,
comme il est évident pour les exemples précédents et pour la formation du
corps du Christ dans le sein de la Vierge. |
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Articulus 17 [70574] De 36 articulis, a. 17 arg. Septimusdecimus articulus est quod
divinitas in Christo faciebat miracula auctoritate, et humanitas in eodem
faciebat eadem miracula ministerio. |
Article 17 ─ La divinité faisait-elle des
miracles dans le Christ par autorité, et son humanité faisait-elle ces
miracles en tant que subordonnée ?
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[70575] De
36 articulis, a. 17 ad arg. Dicendum
quod hoc verum est; nam divinitas Christi operabatur per humanitatem sicut
per organum, ut Damascenus dicit. Eadem autem est in operando ratio organi et
ministri, quia utrumque movet per hoc quod est ab alio motu. |
Il faut affirmer que c’est vrai, car la
divinité du Christ agissait par l’humanité comme par un instrument, comme le
dit saint Jean Damascène. Or, l’instrument et le subordonné exercent la même
fonction dans l’action, car les deux meuvent du fait qu’ils sont mus par un
autre. |
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Articulus 18 [70576] De 36 articulis, a. 18 arg. Octavusdecimus articulus est quod omnia
miracula quae fiunt ab aliqua creatura ministerio, fiunt auctoritate divina,
id est per virtutem divinam, sine qua nihil fieri potest. |
Article 18 ─ Tous les miracles accomplis par le
ministère d’une créature sont-ils produits par l’autorité de Dieu,
c’est-à-dire sa puissance, sans laquelle rien ne peut être fait ?
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[70577] De
36 articulis, a. 18 ad arg. Hoc
verum est, si intelligatur de veris miraculis et dico vera miracula quae
nulla naturali virtute alicujus creaturae perfici possunt. Sunt tamen aliqua miracula
non simpliciter, sed quoad aliquos, qui eorum causas ignorant; sicut quaedam
etiam arte humana facta, miracula ignorantibus artem videntur, et multo magis
arte angelica, et talia possunt fieri virtute alicujus creaturae, licet non
exclusa virtute divina. |
Cela est vrai si on parle des vrais miracles,
et j’appelle vrais miracles ceux qui ne peuvent jamais être accomplis par la
puissance naturelle d’une créature. Cependant, certains faits sont des
miracles, non de façon absolue, mais aux yeux de certains qui en ignorent la
cause; ainsi, même certaines œuvres de la technique ou de l’art humains
semblent être des miracles pour ceux qui ignorent ces techniques, et bien
plus encore les œuvres des anges semblent miraculeuses; ces choses peuvent
être accomplies par la puissance d’une créature, sans cependant en exclure
l’intervention divine. |
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IV ─ QUESTIONS SUR LES CORPS RESSUSCITÉS
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Articulus 19 [70578] De 36 articulis, a. 19 arg. Nonusdecimus articulus est quod post diem judicii
corpora sanctorum erunt incorruptibilia tribus modis; scilicet per divinam
justitiam, item per gloriam, item per naturam sive naturaliter. |
Article 19 ─ Après le jour du jugement, les
corps des saints seront-ils incorruptibles de trois manières, c’est-à-dire
par un bienfait de la justice divine, par un effet de la gloire éternelle, ou
par nature ou naturellement ?
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[70579] De
36 articulis, a. 19 ad arg. Hoc
quidem quantum ad duo prima calumniam habere non potest; quantum autem ad
tertium posset habere calumniam, si intelligatur quod ad corruptionem humani
corporis sola natura sufficiat, quasi corruptio humani corporis ex natura
causetur sicut ab agente. Non enim ad hoc se extendit virtus alicujus naturae
creatae ut rebus corruptibilibus incorruptibilitatem possit conferre. Dictum
est etiam supra quod secundum ordinem naturae corpora humana et omnia corpora
mixta cessante motu caeli dissoluta corrumperentur. Immortalitas ergo
humanorum corporum post resurrectionem non erit ex virtute naturae, sed ex
virtute divina, per quam corpora humana conservabuntur in esse. Sed verum est
quod naturalis causa corruptionis, quae est motus caeli, subtracta erit.
Motus enim caeli sicut est causa generationis et conservationis mixtorum
corporum, ita etiam est causa corruptionis eorum. Supposita ergo conservatione humanorum corporum per virtutem divinam,
non erit aliqua causa agens ad corruptionem. Et secundum hoc aliquo modo
posset sustineri quod illa incorruptio esset per naturam: quia scilicet causa
naturalis corruptionis subtracta erit: eo modo loquendi quo dici posset, quod
submersio navis est per gubernatorem, quia per ejus essentiam periclitatur. |
On ne peut rien trouver à redire quant aux
deux premiers points; quant au troisième, on peut le contester si on considère
que la nature seule est une cause siffisante de la corruption du corps
humain, au sens où la corruption du corps humain est causée par la nature
comme par un agent. En effet, aucune nature créée n’a une puissance telle
qu’elle aille jusqu’à conférer l’immortalité aux choses corruptibles. Nous
avons déjà dit en effet que, selon l’ordre de la nature, les corps humains et
tous les corps mixtes se corrompraient par désagrégation si le mouvement du
ciel cessait. Donc, les corps humains ne seront pas immortels après la
résurraction du fait de la nature, mais de par la puissance divine, qui
maintiendra les corps humains dans l’existence. Mais il est vrai que la cause
naturelle de la corruption, qui est le mouvement du ciel, aura disparu. En
effet, le mouvement du ciel, de même qu’il est la cause de la génération et
de la conservation des corps mixtes, est aussi la cause de leur corruption.
Donc, une fois admise la conservation des corps humains par la puissance
divine, il n’y aura pas de cause agente de corruption. En ce sens, on peut
soutenir que d’une certaine façon ils sont incorruptibles par nature, du fait
que la cause naturelle de leur corruption sera supprimée, de la même manière
qu’on dit que le pilote est la cause du naufrage parce que le navire, de par
son essence, va à sa perte. |
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Articulus 20 [70580] De 36 articulis, a. 20 arg. Vicesimus articulus est quod post diem
judicii corpora damnatorum erunt incorruptibilia duobus modis; scilicet per divinam
justitiam, item per naturam sive naturaliter. |
Article 20 ─ Après le jour du jugement, les
corps des damnés seront-ils incorruptibles de deux manières, par la justice
divine et par nature, ou naturellement ?
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[70581] De 36 articulis, a.
20 ad arg. Hoc habet eamdem rationem
cum praecedenti. |
Cette question est résolue de la même manière
que la précédente. |
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Articulus 21 [70582] De 36 articulis, a. 21 arg. Vicesimus primus articulus est quod corpora
damnatorum cum erunt in Inferno erunt passibilia, et patientur ab igne
Inferni, quia recipient speciem ignis Inferni per modum afflictivi vel
laesivi. |
Article 21 ─ Quand les corps des damnés seront
dans l’enfer, seront-ils passibles, et souffriront-ils du feu de l’enfer en
recevant l’espèce du feu de l’enfer d’une manière douloureuse ou blessante ?
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[70583] De
36 articulis, a. 21 ad arg. Hoc
non video quam calumniam habere posset. Si enim impassibilitas ponitur
communiter dos corporis gloriosi, consequens est quod corpora non gloriosa
passibilia erunt. Quod autem speciem ignis in se per modum afflictivi
recipiant, hoc negari non potest nisi ab eo qui negat huiusmodi corpora ignem
Inferni sentire. Necesse est enim speciem sensibilis
fieri in sensu ad hoc quod sequatur afflictio. |
Je ne trouve rien à redire à cette idée. Si
on croit généralement que l’impassibilité est un don conféré aux corps
glorieux, il s’ensuit que les corps non glorieux pourront souffrir. La seule
manière de nier qu’ils recevront en eux l’espèce du feu de façon douloureuse
est de nier que ces corps percevront le feu de l’enfer. En effet, pour être
affligés, il faut nécessairement qu’ils perçoivent l’espèce sensible par
leurs sens. |
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Articulus 22 [70584] De 36 articulis, a. 22 arg. Vicesimus secundus articulus est quod
potest disputari in scholis an anima Christi et omnes aliae animae rationales
sint ex traduce. |
Article 22 ─ Est-il permis de disputer, dans
les écoles, si l’âme de Jésus-Christ et toutes les autres âmes raisonnables
ont été faites par transmission héréditaire ?
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[70585] De
36 articulis, a. 22 ad arg. Non
video cur hoc non liceat; nisi forte in casu si ex hoc apud aliquos scandalum
oriretur; sicut aliquando contingit quod aliqui supplices audientes etiam de
hiis quae sunt fidei, disputari in scholis, credunt ea ratione de his
disputari, quasi dubitetur de fidei veritate. Sed in tali casu posset
disputans ad hanc opinionem amputandam protestari quod disputaret non propter
dubitationem de veritate, sed propter inquirendam veritatis rationem. |
Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas
permis, sauf peut-être dans le cas où cela scandaliserait quelqu'un, comme il
arrive parfois que des gens simples, qui entendent qu’on discute même les questions
qui sont de foi dans les écoles, croient qu’on en discute parce qu’on en met
la vérité en doute. Mais dans un tel cas, pour prévenir une telle pensée,
celui qui débat la question pourrait avertir qu’il ne le fait pas parce qu’il
doute de la vérité, mais pour chercher les raisons sur lesquelles s’appuie la
vérité. |
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V ─ LE MOTIF DE LA REDEMPTION
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Articulus 23 [70586] De 36 articulis, a. 23 arg. Vicesimus tertius articulus est quod Christus
principaliter non venerit tollere nisi peccatum originale. Ad quod dicendum
est quod Christus principaliter venit ad introducendum homines in vitam
aeternam, sicut dicit ipse Joan. X, 10: ego veni ut vitam habeant;
unde omne impedimentum vitae aeternae venit removere ex consequenti et ideo
venit tollere omne peccatum. |
Article 23 ─ Le Christ n’est-il surtout venu
sur la terre que pour effacer le péché originel ?
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[70587] De
36 articulis, a. 23 ad arg. Sed sicut
bonum commune est melius quam bonum particulare unius, ita malum multorum est
pejus; unde principalius venit tollere peccatum originale quod totam humanam
naturam infecerat, quam singulorum particularia peccata: unde super illud
Joan. I, 29: ecce qui tollit peccatum mundi, dicit Glossa: peccatum
mundi dicitur originale peccatum est quod commune totius mundi, et infra:
quod originale et omnia peccata superaddita gratia relaxat. Melius
ergo dicendum videtur affirmative quod Christus venit principalius tollere
originale peccatum quam alia quam negative; sicut ponitur quod Christus
principaliter non venit tollere nisi originale peccatum: nam etiam tollere
actualia peccata pertinet ad principalem intentionem Christi, qui venit
mundum salvare, secundum illud Luc. V, 32: veni vocare peccatores in
poenitentiam. |
Il faut répondre que le Christ est venu
surtout pour faire entrer les hommes dans la vie éternelle, comme il le dit
en Jn 10, 10 : Je suis venu pour
qu’ils aient la vie. C’est par voie de conséquence qu’il est venu écarter
tout empêchement à la vie éternel, et donc effacer tout péché. Mais de même
que le bien commun est meilleur que le bien d’un seul, de même le mal d’un
grand nombre est pire; c’est pourquoi il était plus important d’effacer le
péché originel, qui avait infecté toute la nature humaine, que les péchés
individuels de chacun; de là vient que la Glose, commentant Jn 1, 29 (Voici celui qui enlève le péché du monde),
affirme que « le péché du monde signifie le péché originel, qui est
commun à tout le genre humain », et plus loin : « il délie par
sa grâce le péché originel et tous les péchés qui s’y sont ajoutés ». Il
semble donc qu’il vaut mieux répondre affirmativement, que le Christ est venu
effacer le péché originel plus spécialement que les autres péchés, que
négativement, en disant que le Christ n’est venu principalement que pour
effacer le péché originel. En effet, le fait d’effacer les péchés actuels
relève de l’intention principale du Christ, qui est venu sauver le monde,
comme il est écrit (Lc 5, 32) : Je
suis venu appeler les pécheurs au repentir. |
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VI ─ ESCHATOLOGIE
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Articulus 24 [70588] De 36 articulis, a. 24 arg. Vicesimus quartus articulus est quod Infernus
est in centro vel circa centrum terrae. |
Article 24 ─ L’enfer est-il au centre ou autour
du centre de la terre ?
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[70589] De
36 articulis, a. 24 ad arg. Circa
quod nihil mihi temere asserendum videtur, praecipue cum Augustinus neminem
arbitretur scire in quo loco sit. Non enim aestimo quod sit in centro terrae,
quia ille est locus, quo naturaliter feruntur gravia: nec videtur intentionem
non frustrari, convenienter dici quod sequeretur, si ad centrum corpora
gravia non pervenirent. Et iterum si naturaliter terra circa centrum esset
concava, non posset assignari naturalis causa quae totum pondus terrae
sustineret, ne perveniret ad centrum. Si autem dicatur hoc miraculose fieri
divina virtute, nulla subest miraculi ratio. Praeparatio autem Inferni ab
initio mundi fuit, secundum illud Isai. 3, 33: praeparata est ab heri
Tophet, secundum expositionem Glossae. In prima autem rerum institutione
non est considerandum quid Deus facere possit, sed quid natura rerum habeat
ut fiat, sicut Augustinus dicit 2 super Genes. ad litteram. Non autem dicitur
Christus descendisse ad infimas partes terrae sed ad inferiores; ad cujus
veritatem sufficit qualitercumque inferiores nobis dicantur. |
Il me semble qu’on ne doit faire aucune
affirmation téméraire à ce sujet, surtout quand saint Augustin pense que
personne ne sait où l’enfer se trouve. En effet, je ne crois pas qu’il soit
au centre de la terre, car c’est le lieu vers lequel tendent naturellement
les corps pesants, et rien n’indique que cette tendance est contrecarrée; or,
il convient de dire qu’elle serait si les corps pesants ne parvenaient pas
jusqu’au centre de la terre. De plus, si le centre de la terre était
naturellement creux, on ne saurait trouver une cause naturelle qui
soutiendrait tout le poids de la terre et l’empêcherait de parvenir au
centre. Si on dit par contre que cela se fait miraculeusement par la
puissance divine, aucune raison ne justifierait ce miracle. Or, l’enfer a été
préparé dès le commencement du monde, selon l’explication de la Glose sur le
verset : Topheth est dès longtemps
préparé (Is 30, 33). Dans la fondation du monde, il ne faut pas réfléchir
à ce que Dieu pouvait faire, mais à ce qui peut résulter de la nature des
choses, comme le dit saint Augustin au livre 2 du Commentaire de la Genèse au sens littéral. On ne dit pas que le
Christ est descendu au plus profond de la terre, mais dans les parties
inférieures, et pour que cet énoncé soit vrai, il suffit que ces lieux soient
inférieurs à nous de quelque faécon. |
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Articulus 25 [70590] De 36 articulis, a. 25 arg. Vicesimus quintus articulus est quod possit
sciri distantia a superficie terrae usque ad Infernum, supposito Infernum
esse in centro vel circa centrum terrae. |
Article 25 ─ Peut-on savoir la distance qu’il y
a de la surface de la terre à l’enfer, étant admis que l’enfer soit au centre
ou autour du centre de la terre ?
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[70591] De
36 articulis, a. 25 ad arg. Puto
sciri posse distantiam a superficie terrae usque ad centrum, non tamen usque
ad Infernum, quia non credo ab homine sciri ubi sit Infernus. |
Je pense qu’on peut connaître la distance de
la surface de la terre au centre, mais non à l’enfer, car je ne crois pas
qu’il soit possible à l’homme de savoir où est l’enfer. |
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VII ─ Philosophie du vivant
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Articulus 26 [70592] De 36 articulis, a. 26 arg. Vicesimus sextus articulus est an corpus
spermatis, cum quo exit spiritus, qui est virtus principii animae, est
separatum a corpore et est res divina et talis dicitur intellectus sic
potest vel debet exponI : id est ille spiritus sive virtus formativa
dicitur intellectus per similitudinem, quia sicut intellectus operatur sine
organo, ita et illa virtus. |
Article 26 ─ L’énoncé [d’Aristote] ─
« La matière du sperme, avec laquelle sort l’esprit qui est la vertu du
principe de l’âme, est séparée du corps et est une chose divine appelée
intelligence », peut-il ou doit-il être expliqué au sens où cet esprit ou cette puissance formatrice est appelé intelligence
par analogie, parce que, comme l’intelligence, il agit sans organe ?
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[70593] De
36 articulis, a. 26 ad arg. Hanc
expositionem Commentator ponit in V2 Metaph. super illud: ergo sicut
dictum est quod in substantiis est principium et cetera, et sunt haec
ejus verba. Ideo dicit Aristoteles in libro de animalibus quod virtutes
quae sunt in seminibus, sunt similes intellectui, scilicet quia agunt actione
intellectus, et quod istae virtutes assimilantur intellectui in hoc quod non
agunt per instrumentum corporale. |
C’est l’explication donnée par le
Commentateur au sujet du passage suivant du livre V2 des Métaphysiques :
« donc, comme nous avons dit qu’il y a dans les substances un principe,
etc. ». Voici son commentaire : « C’est pourquoi Aristote,
dans les Mouvements des animaux, dit
que la puissance qui se trouve dans le sperme est semblable à l’intelligence,
du fait qu’elle agit par une action de l’intelligence et que cette puissance
est comparée à l’intelligence parce qu’elle n’agit pas par un moyen d’action
corporel. » |
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VIII ─ ESCHATOLOGIE (SUITE)
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Articulus 27 [70594] De 36 articulis, a. 27 arg. Vicesimus septimus articulus est quod
opinari est sine periculo, quod post communem resurrectionem, luna lucebit quantum
nunc sol, sol autem in septuplum quam modo luceat; corpora vero beatorum
septies magis sole. |
Article 27 ─ Peut-on croire sans danger
qu’après la résurrection générale, la lune aura autant d’éclat que le soleil
actuel, que le soleil aura sept fois plus d’éclat que maintenant, et que les
corps des bienheureux auront sept fois plus d’éclat que le soleil ?
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[70595] De
36 articulis, a. 27 ad arg. Nullum
periculum hic video si assertio desit, quae posset ad praesumptionem
imputari. |
Je ne vois aucun danger si cette assertion
est fausse, mais elle peut avoir été faite avec présomption. |
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Articulus 28 [70596] De 36 articulis, a. 28 arg. Vicesimus octavus articulus est quod aliquid
dicitur venire ad compositionem alterius duobus modis. Uno modo per essentiam
suam per modum principii materialis et formalis: et sic nullo modo aliquid de
natura corporis caelestis venit in compositionem corporis humani, vel aliorum
corporum mixtorum. Secundo modo venit aliquid
ad compositionem alterius per effectum suae virtutis; et hoc modo natura
corporis caelestis venit ad compositionem corporis humani et omnium corporum
mixtorum. |
Article 28 ─ Est-il vrai qu’une chose entre dans la
composition d’une autre de deux façons ? L’une d’elles serait par essence, en
tant que principe matériel et formel ; et ainsi, rien de la nature du
corps céleste n’entre en aucune façon dans la composition du corps humain ou
d’autres corps mixtes. L’autre serait d’entrer dans la composition d’une
chose par un effet de sa puissance, et de cette façon, la nature du corps
céleste entre dans la composition du corps humain et de tous les corps
mixtes.
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[70597] De 36 articulis, a. 28 ad arg. Hoc est ex necessitate verum: cum corpora
caelestia sunt causa generationis et corruptionis in istis inferioribus, ut
Dionysius dicit. |
Cela est nécessairement vrai, puisque les corps célestes sont la cause
de la génération et de la corruption des corps inférieurs, comme le dit Denys. |
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Articulus 30 [70598] De 36 articulis, a. 30 arg. Vicesimus nonus et tricesimus articuli
continent quod Angeli nec dolent nec lacrymantur, sed ad modum dolentium se
habent. |
QUESTIONS 29 et 30 ─ Les anges, sans gémir ni
verser de larmes, se comportent-ils à la manière de ceux qui sont dans la
douleur ?
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[70599] De
36 articulis, a. 30 ad arg. Hoc
ex necessitate verum est; et sententia est Augustini, qui dicit in IX de
Civit. Dei c. V : sancti Angeli et sine ira puniunt quos accipiunt
aeterna Dei lege puniendos, et miseris sine miseriae compassione subveniunt,
et periclitantibus eis quos diligunt, sine timore opitulantur; et tamen
istarum nomina passionum per consuetudinem locutionis humanae etiam in eos
usurpantur propter quamdam operum similitudinem, non propter affectionum
infirmitatem. |
Cela est nécessairement vrai, et c’est la
doctrine de saint Augustin, qui écrit au livre IX de la Cité de Dieu : « les saints anges punissent sans colère ceux
que la loi éternelle de Dieu leur ordonne de punir, comme ils assistent les
misérables sans éprouver la compassion, et secourent ceux qu’ils aiment dans
leurs périls sans ressentir la crainte; et cependant, le langage ordinaire
leur attribue ces passions humaines à cause d’une certaine ressemblance entre
nos actions et les leurs et non parce qu’ils sont atteints par la faiblesse
des passions ». |
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IX ─
QUESTIONS SUR L'EUCHARISTIE
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Articulus 31 [70600] De 36 articulis, a. 31 arg. Tricesimus primus articulus est quod facta
transubstantiatione substantiae panis in substantiam corporis Christi
naturaliter sine miraculo in hoc sacramento est sub dimensionibus hostiae,
quae remanserunt, eo quod substantia ex hoc quod est substantia, non
prohibetur esse in magna et parva dimensione. |
Article 31 ─ Après la transsubstantiation de la
substance du pain en la substance du Corps de Jésus-Christ, cette dernière
demeure-t-elle naturellement et sans miracle dans ce sacrement, sous les
espèces de l’hostie, puisque rien n’empêche cette substance, en tant que
substance, d’avoir de grandes ou de petites dimensions ?
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[70601] De
36 articulis, a. 31 ad arg. Credo
primum esse falsum. Sicut enim non naturaliter, sed miraculose substantia
panis in substantiam corporis Christi convertitur; ita etiam miraculose sub
dimensionibus conservatur et non naturaliter. Ut Augustinus enim dicit V3 super Genes. ad
litteram, Deus eo modo conservat res quo eas operatur. Non enim est sicut
aedificator, qui operatur tantum ad domus factionem et postea eam dimittit;
sed Deus continue certam rem operatur. Quod autem pro ratione inducitur quod substantia
ex hoc quod est substantia, non prohibetur esse in magna et parva dimensione,
non est sic intelligendum, quod de ratione cujuslibet substantiae sit quod
possit esse in magna vel parva dimensione; sed contrarium non est de ratione
substantiae in quantum est substantia; sicut non est de ratione animalis quod
sit rationale; non tamen est de ratione animalis quod sit sine ratione. Sic
ergo esset de ratione substantiae quod non prohiberetur esse in parva vel
magna dimensione, sequeretur quod substantia corporis Christi secundum suam
naturam haberet ut esset aequaliter sub magna vel parva dimensione. Sed quia
hoc non est de ratione substantiae, quod possit esse in magna vel parva
dimensione, nec tamen est vel contra rationem substantiae, patet quod
substantiam corporis Christi in magna vel parva dimensione, non implicat
contradictionem, si aliquid attribuatur alicui quod repugnat ejus rationi. Ad
hoc ergo inducitur illa ratio quod excludatur
contradictio, non ad hoc quod ostendatur esse naturale. |
Je crois que le premier point est faux. En
effet, de même que la substance du pain n’est pas transformée naturellement,
mais miraculeusement en la substance du Corps du Christ, de même elle est
conservée miraculeusement et non naturellement dans les dimensions de
l’hostie. En effet, comme le dit saint Augustin au livre V3 du Commentaire de la Genèse au sens littéral,
Dieu conserve les choses de la même manière qu’il les fait. En effet,
Dieu n’est pas comme un constructeur, qui ne travaille qu’à bâtir une maison,
puis ne s’en occupe plus, mais il exerce une action continuelle sur son
œuvre. Quant à la raison avancée (que rien n’empêche la substance, sous sa
raison de substance, d’occuper un grand ou un petit espace), on ne doit pas
la prendre au sens où il est inclus dans la notion de toute substance de pouvoir
occuper un grand ou un petit espace, mais au sens où cela n’est pas contraire
à la notion de substance en tant que substance, comme cela n’est pas
contraire à la notion d’animal d’être raisonnable; mais il n’est pas non plus
contraire à la notion d’animal d’être dépourvu de raison. Donc, s’il faisait
partie de la notion de substance de ne pas être empêchée d’occuper un grand
ou un petit espace, il s’ensuivrait que la substance du Corps du Christ
aurait, par sa nature, l’égale capacité d’occuper un grand ou un petit
espace. Mais, comme le fait d’occuper un grand ou un petit espace n’est pas
inclus dans la notion de substance, sans être pourtant contraire à la notion
de substance, il est évident que la présence du Corps du Christ dans un grand
ou un petit espace n’entraîne pas une contradiction comme si on attribuait à
un objet une propriété contraire à sa nature. Cet argument a donc pour effet
de montrer qu’il n’y a pas contradiction, et non de montrer que cela est une
chose naturelle. |
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Articulus 32 [70602] De 36 articulis, a. 32 arg. Tricesimus secundus articulus est quod
dimensiones propriae corporis Christi et dimensiones panis, quae remanserunt,
non sunt aequales. |
Article 32 ─
Les dimensions propres du Corps du Christ et les dimensions du pain qui
persistent sont-elles inégales ?
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[70603] De
36 articulis, a. 32 ad arg. Istud
enim manifestatur verum et contrarium dicere est haereticum: sequeretur enim
quod sub una particula parva hostiae non esset totum corpus Christi. |
Cette proposition est manifeste et le
contraire est hérétique, car il s’ensuivrait que le Corps du Christ ne
pourrait être contenu tout entier dans une petite parcelle de l’hostie. |
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Articulus 33 [70604] De 36 articulis, a. 33 arg. Tricesimus tertius articulus est quod
corpus Christi in hoc sacramento non est in loco. |
Article 33 ─
Est-il vrai que le Corps du Christ dans ce sacrement ne se trouve pas dans un lieu ?
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[70605] De
36 articulis, a. 33 ad arg. Istud
non est verum. Verum enim est dicere corpus Christi esse in altari vel in
Ecclesia, sed hoc verum est quod corpus Christi non est in sacramento ut in
loco; non enim comparatur ad sacramentum ut locatum ad locum, quia non
commensuratur ei secundum proprias dimensiones. |
Non, ce n’est pas vrai. En effet, il est vrai
de dire que le Corps du Christ est sur l’autel ou dans l’église, mais il est
également vrai de dire que le Corps du Christ n’est pas dans le sacrement en
tant que lieu; en effet, il ne se compare pas au sacrement comme l’objet dans
un lieu et le lieu, parce qu’il ne lui est pas proportionné par ses
dimensions propres. |
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Articulus 34 [70606] De 36 articulis, a. 34 arg. Tricesimus quartus articulus est quod
corpus Christi in hoc sacramento ad motum hostiae non movetur. |
Article 34 ─
Est-il vrai que, lorsqu’on déplace l’hostie, le Corps du Christ dans le
sacrement ne se meut pas ?
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[70607] De
36 articulis, a. 34 ad arg. Verum est quod non movetur per
se vel per accidens in loco; quia nec hoc modo est in loco in quo est
sacramentum, sicut corpora sunt in loco per se vel per accidens, cum aliam
habeat comparationem ad dimensiones sacramentales quam corpus ad dimensiones
proprias secundum quas movetur per se et ad vehiculum, secundum quod movetur
per accidens. Sed eo modo quo convenit corpori Christi esse in loco ratione
dimensionum sacramentalium, convenit sibi moveri in loco. |
Il est vrai que son Corps ne se meut localement
ni en soi ni par accident, car il n’est pas dans le lieu où se trouve le
sacrement de la même façon que les corps sont dans un lieu en soi ou par
accident, puisque son rapport avec l’espace occupé par le sacrement diffère
du rapport entre un corps et son espace propre selon lequel il se meut par
soi ou sous l’action d’un principe qui le fait se mouvoir par accident. Mais,
de la même façon qu’il convient au Corps du Christ d’être dans un lieu en
raison des dimensions sacramentelles, il lui convient aussi de se mouvoir
localement. |
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Articulus 35 [70608] De 36 articulis, a. 35 arg. Tricesimus quintus articulus est quod
species sacramentales sine subjecto remanentes possunt naturaliter agere,
immutare et corrumpi, sicut prius. |
Article 35 ─
Les espèces sacramentelles, demeurant sans sujet, peuvent-elles agir
naturellement et être sujettes au changement et à la corruption, comme
auparavant ?
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[70609] De
36 articulis, a. 35 ad arg. Quantum
ad aliquid verum est et quantum ad aliquid non. Nihil enim potest agere vel
pati nisi praesupposito suo esse. Quod autem in esse conserventur absque
subjecto, miraculosum est; et quantum ad hoc actio consequens miraculosa est,
et similiter passio, sed supposita conservatione in esse actio procedit ulterius
secundum habitudinem naturalem et etiam quodam modo passio, secundum quod
dimensio miraculose subsistens, miraculose habet officium subjecti et
materiae, cujus est pati. |
Cette proposition est vraie sous un aspect et
fausse sous un autre aspect. Car rien ne peut agir ou subir, s’il n’existe
pas pour commencer. Or, la conservation des espèces sans sujet est un
miracle; à ce point de vue, l’agir qui s’ensuit est un miracle, et le fait de
subir également. Cependant, une fois admise la conservation de l’existence,
l’agir en découle selon la façon d’être naturelle, et le pâtir également
d’une certaine façon, du fait que les dimensions, subsistant miraculeusement,
remplissent par un miracle la fonction du sujet et de la matière, qui est de
subir. |
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X ─ La
connaissance des démons
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Articulus 36 [70610] De 36 articulis, a. 36 arg. Ultimus articulus est quod omnes
cogitationes cordis quae habent imagines in phantasia vel quas concomitantur
aliquae passiones in corpore, Daemones scire possunt. |
Article 36 ─
Les démons peuvent-ils connaître toutes les pensées du coeur qui comportent
des images dans l’imagination ou qui sont accompagnées de passions corporelles ?
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[70611] De
36 articulis, a. 36 ad arg. Puto
hoc verum esse de illis cogitationibus quas comitantur aliqui motus
corporales quicumque et hoc etiam Augustinus dicit in libro de divinatione
Daemonum: hominum, inquit, dispositiones Daemones non solum voce
prolatas, verum etiam cogitatione conceptas, consignant; quae dum ex anima
exprimuntur in corpore, tota facultate perdiscunt, et de hoc verbo in
libro Retractationum faciens mentionem, sic dicit: dixi hoc audaciore
asseveratione quam debui; nam pervenire ista ad notitiam Daemonum, per
nonnulla etiam experimenta compertum est. Sed utrum signa quaedam dentur ex
corpore cogitantium illis sensibilia, nos autem latentia, aut alia vi
spirituali cognoscant, aut difficillime potest ab hominibus, aut omnino non
potest inveniri. Sed si spirituali vi cogitationes cognoscunt, multo
magis motus corporales, ex quibus etiam homines interdum interiores
dispositiones cognoscunt: unde secundum non excludit primum, sed amplius
dicit. Solas autem species in phantasia existentes non reputo sufficiens esse
ad hoc quod Daemones cogitationes humanas cognoscere possint; quia homo
virtute rationis et liberi arbitrii potest una specie in vi imaginativa
conservata multipliciter uti ad diversas cogitationes, vel etiam totaliter
actu non uti. Haec igitur karissime, quae ad articulos a vobis transmissos
respondeo, diffusius quam petistis; non enim absolute responderi poterat ad
ea quae diversum sensum poterant continere; praesertim cum non scripseritis
quid contra huiusmodi articulos obiiceretur. Sic enim potuisset, et
absolutius et certius responderi. Valeat caritas vestra diu et pro hoc labore
mihi orationum suffragia rependatis. |
Je crois que cela est vrai dans le cas des
pensées qui sont accompagnées de quelque mouvement corporel que ce soit;
c’est aussi ce que dit saint Augustin dans le livre De la Divination des démons : « les démons, dit-il,
connaissent avec une parfaite facilité les dispositions des hommes, non
seulement proférées par la parole, mais conçues dans la pensée, lorsque
quelques signes de l’âme s’expriment par le corps. » Dans le livre des Rétractations, Il revient sur ce qu’il
a dit, en ces termes : « J’ai écrit là avec plus d’assurance que je
n’aurais dû, car plusieurs expériences établissent bien que les démons
parviennent à cette connaissance; mais il est très difficile, ou plutôt
impossible, de découvrir si le corps de ceux qui pensent donne des signes qui
soient sensibles pour eux mais cachés pour nous, ou s’ils connaissent nos
dispositions par quelque autre faculté spirituelle. » Mais s’ils
connaissent nos pensées par une puissance spirituelle, ils connaissent bien
davantage les mouvements corporels, grâce auxquels même les hommes
connaissent parfois les dispositions intérieures de quelqu’un; c’est pourquoi
la deuxième affirmation, loin de contredire la première, dit encore
davantage. Mais je ne crois pas que les seules espèces qui existent dans
l’imagination suffisent pour permettre aux démons de connaître les pensées
des hommes, car l’homme, grâce à sa raison et à son libre arbitre, peut
utiliser de multiples façons et pour diverses pensées, ou ne pas du tout
utiliser en acte, la même espèce conservée dans sa puissance imaginative. Voilà donc, très cher, ce que je réponds aux
questions que vous m’avez envoyées, et plus longuement que vous ne l’avez demandé;
en effet, on ne pouvait pas répondre de façon catégorique à des énoncés qui
se prêtaient à plusieurs sens, étant donné surtout que vous ne m’avez pas
indiqué quelles étaient vos objections à ces questions; en effet, cela
aujrait permis d’y répondre de façon plus catégorique et plus certaine. Je
souhaite à votre charité une santé durable. En retour de ce travail, veuillez
prier pour moi. |