Préface aux
Commentaires des épîtres de saint Paul
SAINT THOMAS D’AQUIN
Docteur de l'Eglise catholique
Traduction Abbé Bralé,
édition Louis Vivès, 1870
Entièrement reprise par
Charles Duyck, avril 2006
Édition numérique, 2006, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
I° Paul, apôtre extraordinaire
3° A l’égard de la destination
II° Les quatorze épîtres de Paul
Textum
Taurini 1953 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias
magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit |
Traduction Abbé Bralé, édition Louis Vivès, 1870, Entièrement reprise par Charles Duyck, avril 2006 |
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Prooemium |
PROLOGUE GÉNÉRAL AUX ÉPÎTRES
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[86165]
Super Rom., pr. Vas
electionis est mihi iste, et
cetera. Act. IX, v. 15. Homines in sacra Scriptura inveniuntur vasis
comparati propter quatuor, scilicet : propter constitutionem, repletionem,
usum et fructum. |
"C'est un vase d'élection" (Actes IX, 15). Quatre points de rapprochement font comparer, dans l'Ecriture, les
hommes à des vases : la formation, la capacité, la destination, enfin
l'utilité. |
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1° La formation d'abord
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Primo
enim quantum ad constitutionem. Vas enim artificis arbitrio subiacet. Ier. c. XVIII, 4 : fecit
illud vas alterum, sicut placuerat ei. Sic et constitutio hominum subiacet Dei arbitrio, de quo
in Ps. XCIX, 3 : ipse fecit nos et non ipsi nos. Unde Isaias c. XLV, 9
dicit : numquid dicit lutum figulo suo : quid facis? Et infra IX, 20 : numquid
dicit figmentum ei, qui se finxit : quid me fecisti sic? Et inde est quod
secundum voluntatem Dei artificis diversa invenitur vasorum constitutio. I
Tim. II, 20 : in magna autem domo non solum sunt vasa aurea et argentea,
sed etiam lignea et fictilia. |
De même en effet que le vase dépend de la volonté de l'ouvrier,
(Jérémie XVIII, 4) : "Il a fait un autre vase ainsi qu'il lui a
plu.", ainsi la formation de l'homme est dans les mains de
Dieu ; (Psaume XCIX, 2 : "C'est lui qui nous a fait et nous ne
nous sommes pas faits nous-mêmes." Ce qui fait dire à Isaïe (XLV,
9) : "L’argile dit-il au potier : Que fais-tu?" et à Paul
(Romains IX, 20) : "un objet façonné dit-il à l'ouvrier qui l'a formé
:
pourquoi m’as-tu fait ainsi ?" Voilà pourquoi les vases, selon la
volonté de Dieu, l'ouvrier suprême, sont diversement constitués ; (2 Tim
II, 20) : "Dans une grande maison, on ne trouve pas que des vases d’or
et d’argent; il en est aussi de bois et de terre." |
Beatus autem Paulus, quia
vas electionis nominatur in verbis propositis, quale vas fuerit, patet per id
quod dicitur Eccli. l, 10 : quasi vas auri solidum ornatum omni lapide
pretioso. Aureum quidem vas fuit propter fulgorem sapientiae, de qua
potest intelligi quod dicitur Gen. II, 12 : et aurum terrae illius optimum
est, quia, ut dicitur Prov. III, 15, pretiosior est cunctis opibus.
Unde et beatus Petrus testimonium perhibet ei dicens. II Petr. c. III, 15 : sicut
et charissimus frater noster Paulus secundum datam sibi sapientiam scripsit
vobis. Solidum quidem fuit virtute charitatis, de qua dicitur Cant. ultimo
: fortis est ut mors dilectio. Unde et ipse dicit Rom. c. VIII, 38 s. : certus sum enim quia neque mors neque vita, etc. poterunt
nos separare a charitate Dei. Ornatum autem fuit omni lapide pretioso,
scilicet omnibus virtutibus, de quibus dicitur I Cor. III, 12 : si quis
superaedificat supra fundamentum hoc, aurum, argentum, lapides pretiosos,
et cetera. Unde et ipse dicit II Cor. I, v. 12 : gloria nostra haec est,
testimonium conscientiae nostrae, quod in simplicitate cordis et in
sinceritate Dei et non in sapientia carnali, sed in gratia Dei conversati
sumus in hoc mundo. Quale autem fuerit istud vas patet ex hoc quod talia
propinavit : docuit enim excellentissimae divinitatis mysteria, quae ad
sapientiam pertinent, ut patet I Cor. II, 6 : sapientiam loquimur inter
perfectos, commendavit etiam excellentissime charitatem, I Cor. XIII,
instruxit homines de diversis virtutibus, ut patet Col. III, 12 : induite
vos sicut electi Dei, sancti et dilecti, viscera misericordiae et cetera.
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Si donc le bienheureux Paul est appelé, dans les paroles précitées : "un
vase d’élection," nous comprenons quel genre de vase il fut par ce
qui est dit au livre de l’Ecclésiastique (L, 10) : "Il fut comme un
vase d'or massif, orné de toutes sortes de pierres précieuses". Paul
fut un vase d'or par l'éclat de cette sagesse, à laquelle on peut appliquer
ces paroles de la Genèse (II, 12) : "L’or de cette terre est le plus
pur" parce que, comme il est dit au livre des Proverbes (III, 15) : "La
sagesse est plus précieuse que toutes les richesses." Aussi saint
Pierre rend-il à cet apôtre ce témoignage, en disant (II Pierre, III, 15) : "Comme
Paul, notre très cher frère, vous a écrit selon la sagesse qui lui a été
donnée." Il a été solide par la vertu de charité, dont il est dit
(Cantique VIII, 6) : "L’amour est fort comme la mort." Ce qui
fait ajouter à saint Paul lui-même (Rom, VIII, 38) : "Je suis assuré
que ni la mort, ni la vie, etc..., ne pourront nous séparer de la charité de
Dieu." De plus, ce vase fut orné de toutes sortes de pierres
précieuses, c’est-à-dire de toutes les vertus, dont il est dit (I Corinth.,
III, 12) : "Si l’on élève sur ce fondement l’or, l’argent, des pierres
précieuses, etc..." C’est ce qui fait dire à l'Apôtre lui-même (II
Cor., I, 12) : "C'est ce qui fait notre gloire, c'est le témoignage
que nous rend notre conscience d’avoir vécu en ce monde dans la simplicité de
notre coeur et la sincérité de Dieu, et non d’après la sagesse charnelle,
mais selon la grâce de Dieu. On connaît encore le prix de ce vase par
l’excellence des vérités qu’il nous a présentées, car il a enseigné les
mystères de la divinité la plus haute, qui sont l'objet de la sagesse, comme
on le voit dans la première épître aux Corinthiens (II, 6) : "Nous
prêchons la sagesse parmi les parfaits." Il a de plus très
excellemment loué la charité (I Cor., XIII, 1 à 13), et enseigné aux hommes la
pratique des différentes vertus ; (Colossiens III, 12) : "Revêtez-vous,
comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés, d’entrailles de miséricorde,
etc.". |
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2° La nature des vases
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Secundo
etiam ad vasa pertinere videtur ut liquore aliquo impleantur, secundum illud
IV Reg. IV, 5 : illi offerebant vasa et illa infundebat. Invenitur
etiam inter vasa diversitas quantum ad huiusmodi plenitudinem. Nam quaedam
inveniuntur vasa vini, quaedam olei, et diversa diversi generis. Sic etiam et homines diversis gratiis, quasi
diversis liquoribus, replentur divinitus, I Cor. XII, 8 : alii datur per
spiritum sermo sapientiae, alii, et cetera. |
Il est aussi dans leur nature de recevoir quelque liquide, suivant ce
qui est dit (IV livre des Rois, IV, 5) : "Ses enfants lui présentèrent
les vases, et elle y versait [l’huile]." Il y a en outre de la
diversité parmi les vases, en raison de ce qu’ils contiennent : dans
quelques-uns on met du vin, dans d’autres de l’huile, ou d’autres liquides.
C’est ainsi également que les hommes reçoivent des mains de Dieu des grâces
diverses, sortes de liqueurs d’espèce différente ; (I Cor., XII, 8) : "L’un
reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre, etc." |
Hoc autem vas, de quo nunc
agitur, plenum fuit pretioso liquore, scilicet nomine Christi, de quo dicitur
Cant. I, 3 : oleum
effusum nomen tuum. Unde dicitur ut portet nomen meum. Totus enim videtur fuisse hoc nomine plenus,
secundum illud Apoc. III, 12 : scribam super eum nomen meum. Habuit enim
hoc nomen in cognitione intellectus, secundum illud I Cor. II, 2 : non enim
iudicavi me scire aliquid inter vos nisi Christum. Habuit etiam hoc nomen
in dilectione affectus, secundum illud Rom. VIII, 35 : quis nos separabit a
charitate Christi. I Cor. c. ultimo : si quis non amat dominum nostrum
Iesum Christum, sit anathema. Habuit etiam ipsum in tota vitae suae
conversatione. Unde dicebat Gal. II, 20 : vivo autem iam non ego vivit vero
in me Christus. |
Or Paul, ce vase dont nous parlons, a été rempli d’une liqueur
précieuse, c'est-à-dire le nom du Christ, dont il est dit (Cant., I, 3) : "Votre
nom est comme une huile pénétrante;" aussi est-il dit de cet apôtre :
"Pour porter mon nom". Il parut en effet tout rempli de ce
nom divin, vérifiant cette parole de l’Apoc. (III, 12) : "J écrirai
sur lui le nom de mon Dieu." Il eut ce nom dans la connaissance de
l’intelligence, comme il le dit lui-même (I Cor., II, 2) : "Je n'ai
pas prétendu savoir autre chose parmi vous, si ce n’est Jésus-Christ."
Il eut ce nom dans l’affection du coeur; lui-même le dit encore (Rom., VIII,
35) : "Qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ?" et (I
Cor., XVI, 22) : "Si quelqu’un n’aime point notre Seigneur
Jésus-Christ., qu’il soit anathème." Il l’a eu dans toute la conduite
de sa vie; ce qui lui faisait dire aux Galates (II, 20) : "Je
vis, ou plutôt ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en
moi." |
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3° A l’égard de la destination
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Tertio, quantum ad usum
considerandum est quod omnia vasa alicui usui deputantur, sed quaedam ad
honorabiliorem, quaedam ad viliorem, secundum illud Rom. IX, 21 : an non habet
potestatem figulus luti ex eadem massa facere aliud quidem vas in honorem,
aliud vero in contumeliam? Sic
etiam homines, secundum divinam ordinationem, diversis usibus deputantur,
secundum illud Eccli. XXXIII, 10-11 : omnes homines de solo et ex terra,
unde et creatus est Adam. In multitudine disciplinae dominus separavit eos et
immutavit vias eorum. Ex ipsis benedixit et exaltavit, maledixit et
humiliavit. |
Observez que chaque vase a son usage propre, les uns plus honorable,
les autres moins, selon ce qui est écrit aux Romains (IX, 21) : "Le
potier n’a-t-il pas le pouvoir de tirer de la même masse d’argile un vase
pour un usage noble et un vase pour un usage vulgaire ?" Ainsi les hommes,
selon les décrets divins, ont chacun leur destination particulière, d’après
ce qu’on lit dans l’Ecclésiastique (XXXIII, 10) : "Tous les hommes ont
été tirés de la boue et de la terre dont Adam a été formé. Mais, dans la
plénitude de sa sagesse, le Seigneur a établi entre eux des différences, et a
diversifié leurs voies. Il en a béni et élevé; il en a maudit et
humilié." |
Hoc autem vas ad nobilem
usum est deputatum, est enim vas portatorium divini nominis, dicitur enim ut
portet nomen meum, quod quidem nomen necessarium erat portari quia longe
erat ab hominibus, secundum illud Is. XXX, 27 : ecce nomen domini venit de
longinquo. Est autem nobis longinquum propter peccatum, secundum illud
Ps. CXVIII, 155 : longe a peccatoribus salus. Est etiam nobis longinquum
propter intellectus obscuritatem, unde et de quibusdam dicitur, Hebr. XI, 13,
quod erant a longe aspicientes, et Num. XXIV, v. 17, dicitur : videbo
eum, sed non modo; intuebor illum, sed non prope. Et ideo sicut Angeli
divinas illuminationes ad nos deferunt, tamquam a Deo distantes, ita apostoli
evangelicam doctrinam a Christo ad nos detulerunt. Et sicut in veteri
testamento post legem Moysi leguntur prophetae, qui legis doctrinam populo
tradebant secundum illud Mal. III, 22 : mementote Moysi servi mei ita
etiam in novo testamento, post Evangelium, legitur apostolorum doctrina, qui,
ea quae a domino audierunt, tradiderunt fidelibus, secundum illud I Cor. XI,
23 : accepi a domino quod et tradidi vobis. Portavit autem beatus
Paulus nomen Christi : primo quidem in corpore, conversationem et passionem
eius imitando, secundum illud Gal. ultimo : ego enim stigmata Christi Iesu
in corpore meo porto. Secundo in ore, quod patet in hoc quod in epistolis
suis frequentissime Christum nominat : ex abundantia enim cordis os
loquitur, ut dicitur Matth. XII, 34. Unde potest significari per
columbam, de qua dicitur, Gen. VIII, 11, quod venit ad arcam portans ramum
olivae in ore suo. Quia enim oliva misericordiam significat, congrue per
ramum olivae accipitur nomen Iesu Christi, quod etiam misericordiam
significat, secundum illud Matth. I, 21 : vocabis nomen eius Iesum; ipse
enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum. Hunc autem ramum,
virentibus foliis, detulit ad arcam, scilicet Ecclesiam, quando eius virtutem
et significationem multipliciter expressit, Christi gratiam et misericordiam
ostendendo.
Unde iste dicit I Tim. I, 16 : ideo misericordiam consecutus sum, ut in me primo
ostenderet Iesus Christus omnem patientiam. Et inde est quod sicut inter
Scripturas veteris testamenti maxime frequentantur in Ecclesia Psalmi David,
qui post peccatum veniam obtinuit, ita in novo testamento frequentantur
epistolae Pauli, qui misericordiam consecutus est, ut ex hoc peccatores ad
spem erigantur; quamvis possit et alia ratio esse, quia in utraque Scriptura
fere tota theologiae continetur doctrina. |
Quant à Paul, il est un vase qui a été choisi pour un noble usage, car
il est destiné à porter le nom divin : "Pour porter mon nom."
Il était nécessaire que ce nom fût porté, parce qu’il était loin des hommes,
selon ces paroles d’Isaïe (XXX, 27) : "Voilà que le nom du Seigneur
vient de loin." En effet, le nom du Seigneur est loin de nous à
cause du péché, d’après le Psalmiste (CXVIII, 155) : "Le salut est
loin des pécheurs." Il est encore loin de nous, à cause des ténèbres
de notre intelligence; aussi est-il dit de quelques-uns (Hébr., XI, 13) : "Ils
voyaient de loin." Et au livre des Nombres (XXIV, 17) : "Je
le verrai, mais non pas comme présent; je le contemplerai mais non pas de
près." De même donc que les anges nous apportent ces divines
révélations, à cause de notre éloignement de Dieu, les apôtres transmirent la
doctrine évangélique de la part de Jésus-Christ aux hommes; et comme, dans
l’Ancien Testament, après la loi de Moïse, on lit les prophètes qui exposent
au peuple la doctrine de la loi, suivant ces paroles de Malachie (III, 22) : "Souvenez-vous
de la loi de Moïse, mon serviteur;" de même dans le Nouveau Testament
on lit, après l’Évangile, les écrits des apôtres, qui annoncèrent aux fidèles
ce qu’ils avaient entendu de la bouche du Seigneur, suivant cette parole (I
Corinth., XI, 23) : "C’est du Seigneur lui-même que j’ai
reçu ce que je vous ai transmis." Or, le bienheureux Paul a porté le nom du Christ : 1° dans son corps, en
imitant sa vie, ses souffrances, ainsi qu'il disait aux Galates (VI, 17) : "Je
porte imprimés sur mon corps les marques du Seigneur Jésus;" 2° sur ses lèvres,
comme on le voit dans ses Epîtres, où le nom du Christ revient très
fréquemment. "Mais la bouche parle de l’abondance du coeur,"
est-il dit en saint Matthieu (XII, 34); et ceci peut être figuré par la
colombe, dont il est dit (Genèse, VIII, 11) : "Qu’elle revint dans
l’arche, portant à son bec un rameau d’olivier;" car, l’olivier
signifiant la miséricorde, on a raison de désigner par le rameau d’olivier le
nom de Jésus-Christ, qui signifie aussi miséricorde, ainsi qu’il est dit en
saint Matthieu (I, 21) : "Vous lui donnerez le nom de Jésus, car c’est
lui qui délivrera son peuple de ses péchés." Et ce rameau au
feuillage verdoyant, Paul l’a porté à l’arche, c’est-à-dire à l’Église, alors
que, sous des formes diverses, il en a exprimé la vertu et la signification,
en annonçant la grâce et la miséricorde du Christ. Aussi dit-il lui-même (1
Tim I, 16) : "J’ai obtenu miséricorde afin que je fusse le premier en
qui Jésus-Christ fît éclater toute sa patience." De là vient que, de
même que parmi les livres de l’Ancien Testament on chante de préférence dans
l’Église les psaumes de David, qui après avoir péché a obtenu son pardon, on
choisit aussi de préférence, dans le Nouveau Testament, les épîtres de Paul,
qui obtint miséricorde, afin que ces exemples portent davantage les pécheurs
à l’espérance. On peut toutefois assigner aussi à cela une autre raison :
c’est que la doctrine théologique est contenue presque tout entière dans ces
deux parties de l’Écriture. |
Tertio portavit non solum ad
praesentes sed etiam ad absentes et futuros, sensum Scripturae tradendo,
secundum illud Is. c. VIII, 1 : sume tibi librum grandem et scribe in eo
stilo hominis. In hoc autem officio portandi nomen Dei ostenditur eius excellentia
quantum ad tria. Primo quidem, quantum ad electionis gratiam, unde dicitur vas
electionis. Eph. c. I, 4 : elegit nos in Christo ante mundi
constitutionem. Secundo quantum ad fidelitatem quia nihil sui quaesivit
sed Christi, secundum illud II Cor. IV, 5 : non enim nosmetipsos
praedicamus, sed Christum Iesum. Unde dicit : vas electionis est mihi. |
3° Paul a porté le nom
du Christ non seulement à ceux qui étaient présents, mais aux absents et à
ceux qui devaient venir, en exposant le sens même de la divine Écriture,
suivant ces paroles d’Isaïe (VIII, 1) : "Prends un grand livre, et
écris sur ce livre avec le style d’un homme." Or, cet office de porter le nom de Dieu nous explique la dignité de Paul sous trois aspects : 1. par rapport à la grâce de son élection qui le fait appeler "vase d’élection" (Eph., I, 4) : "Il nous a élus en Jésus-Christ avant la création du monde;" 2. Sous le rapport de
sa fidélité; car jamais il n’a rien cherché pour lui-même, mais pour le
Christ, suivant cette parole (II Cor., IV, 5) : "Nous ne nous prêchons
pas nous-mêmes, mais nous prêchons Jésus-Christ" ; c’est
pourquoi il est dit : "Ce vase d’élection est à moi" |
Tertio
quantum ad singularem excellentiam, unde ipse dicit, I Cor. XV, 10 : abundantius illis omnibus laboravi.
Unde signanter dicit vas electionis est mihi, quasi prae aliis
singulariter. |
3. Sous le rapport de
sa prééminence particulière, ce qui lui fait dire à lui-même (I Cor., XV, 10)
: "J’ai travaillé plus que tous les autres." Aussi le
Seigneur dit-il expressément : "Il est à moi ce vase d’élection,"
comme s’il lui appartenait de préférence à tout autre. |
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4° L’utilité des vases
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Quantum ad fructum
considerandum est quod quidam sunt quasi vasa inutilia, vel propter peccatum
vel propter errorem, secundum illud Ier. LI, 34 : reddidit me quasi vas
inane. Sed beatus Paulus fuit purus a peccato et errore, unde fuit vas
electionis utile, secundum illud II Tim. II, 21 : si quis emundaverit se ab
istis, scilicet erroribus et peccatis, erit vas in honorem
sanctificatum utile domino. Unde utilitas sive fructus huius vasis
exprimitur cum dicitur coram gentibus, quarum doctor fuit secundum
illud I Tim. II, 7 : doctor gentium in fide et veritate; et regibus,
quibus fidem Christi annuntiavit sicut Agrippae, ut habetur Act. XVI, 38, et
etiam Neroni et eius principibus; unde dicitur Phil. c. I, 12-13 : quae
circa me sunt magis ad profectum venerunt Evangelii, ita ut vincula mea
manifesta fierent in Christo in omni praetorio; Is. XLIX, 7 : reges
videbunt et consurgent principes. Et filiis Israel, contra quos de
Christo disputabat, Act. IX, 22 : Saulus autem magis convalescebat et
confundebat Iudaeos, qui habitabant Damasci, affirmans quoniam hic est
Christus. |
Il faut considérer que certains sont comme des vases inutiles, soit à
cause du péché, soit à cause de l’erreur, selon cette parole de Jérémie (LI,
34) : "Il m’a rendu comme un vase vide." Quant au bienheureux
Paul, pur d’erreur et de péché, il a été un vase d’élection utile; tel que
celui qu’il dépeint à Timothée (2 Tim II, 21) : "Celui qui se
conservera pur de ces souillures," c’est-à-dire de l’erreur et du
péché, "sera un vase d'honneur sanctifié et propre au service du
Seigneur." L’utilité ou le bénéfice de ce vase spirituel se reconnaît
par cette parole : "Devant les Gentils," dont il
fut le docteur, selon ce qu’il dit : (1 Tim II, 7) : "Docteur des
nations dans la foi et la vérité" et "Devant les rois,"
auxquels il annonça la foi du Christ, par exemple à Agrippa (Actes, XVI),
Néron même et aux grands de sa cour. D’après ce qu’il dit dans l’épître aux
Philippiens (I, 12) : "[Je suis bien aise] que ce qui m’arrive ait
beaucoup servi au progrès de l’Évangile; en sorte que mes chaînes au service
du Christ sont devenues célèbres dans tous les prétoires." (Isaïe,
XLIX, 7) : "Les rois verront, les princes se lèveront." Et
aux "enfants d’Israël" contre lesquels l’Apôtre disputait
pour la gloire de Jésus-Christ (Actes, IX, 22) : "Saul se fortifiait
de plus en plus, et confondait les Juifs qui habitaient à Damas, affirmant
que Jésus était le Christ." |
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II° Les quatorze épîtres de Paul
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Sic igitur ex verbis
praemissis possumus accipere quatuor causas huius operis, scilicet
epistolarum Pauli, quas prae manibus habemus. Primo quidem auctorem in vase.
Secundo materiam in nomine Christi, quae est plenitudo vasis, quia tota
doctrina haec est de doctrina Christi. Tertio modum in usu portationis;
traditur enim haec doctrina per modum epistolarum, quae per nuntios portari
consueverunt, secundum illud II Par. c. XXX, 6 : perrexerunt cursores cum
epistulis ex regio imperio, et cetera. Quarto distinctionem operis in
utilitate praedicta. Scripsit enim quatuordecim epistolas quarum novem
instruunt Ecclesiam gentium; quatuor praelatos et principes Ecclesiae, id est
reges; una populum Israel, scilicet quae est ad Hebraeos. |
Ainsi donc, d’après ce que nous venons de dire, nous pouvons donc voir dans cet ouvrage, c’est-à-dire dans les Epîtres de saint Paul, que nous avons dans les mains, quatre choses : 1° l’auteur, dans le vase même; 2° le sujet, dans le nom du Christ qui remplit le vase, parce que toute la doctrine que ces Épîtres contiennent se rapporte à la grâce de Jésus-Christ; 3° le mode ou la
forme, dans la manière dont cette doctrine est annoncée; car elle est
transmise par le moyen de ces épîtres, d’ordinaire portées par des messagers,
selon cette parole du 2° livre des Chroniques (Paralipomènes) (XXX, 6) : "Les
courriers partirent avec des lettres, d’après le commandement du roi, etc...
" 4° la division de
l’oeuvre, en rapport avec l’utilité que nous avons signalée : car saint Paul a
écrit quatorze épîtres, dont neuf pour l’instruction de l’Église des Gentils,
quatre pour les évêques et les princes de l’Église, c’est-à-dire les rois, et
une pour le peuple d’Israël, celle aux Hébreux. |
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III° La doctrine de Paul
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Est enim haec doctrina tota de gratia Christi,
quae quidem potest tripliciter considerari. Uno modo secundum quod est in
ipso capite, scilicet Christo, et sic commendatur in epistola ad Hebraeos.
Alio modo secundum quod est in membris principalibus corporis mystici, et sic
commendatur in epistolis quae sunt ad praelatos. Tertio modo secundum quod in
ipso corpore mystico, quod est Ecclesia, et sic commendatur in epistolis quae
mittuntur ad gentiles, quarum haec est distinctio : nam ipsa gratia Christi
tripliciter potest considerari. Uno modo secundum se, et sic commendatur in
epistola ad Romanos; alio modo secundum quod est in sacramentis gratiae et
sic commendatur in duabus epistolis ad Corinthios, in quarum prima agitur de
ipsis sacramentis, in secunda de dignitate ministrorum, et in epistola ad
Galatas in qua excluduntur superflua sacramenta contra illos qui volebant
vetera sacramenta novis adiungere; tertio consideratur gratia Christi secundum
effectum unitatis quem in Ecclesia fecit. |
Toute la doctrine de l’Apôtre peut, en effet, se rapporter à la grâce de Jésus-Christ. On peut la considérer sous trois aspects différents : 1° dans le chef même, c’est-à-dire Jésus-Christ : elle est ainsi proposée dans l’épître aux Hébreux; 2° dans les membres principaux de son corps mystique : elle est ainsi considérée dans les épîtres qui s’adressent aux évêques; 3° dans ce corps mystique lui-même qui est l’Église : elle est ainsi expliquée dans les épîtres adressées aux Gentils. Or, ces épîtres se divisent de la manière suivante; car on peut envisager la grâce de Jésus-Christ de trois manières : a) en elle-même : elle est considérée sous ce point de vue dans l’épître aux Romains; b) en tant que contenue dans les sacrements de la grâce : elle est ainsi envisagée dans les deux épîtres aux Corinthiens; car la première traite des sacrements mêmes, la seconde de la dignité de leurs ministres; et dans l’épître aux Galates, où saint Paul rejette les sacrements inutiles, contre ceux qui voulaient adjoindre aux sacrements de la loi nouvelle ceux de la loi ancienne; c) comme produisant le
lien de l’unité dans l’Église. |
Agit
ergo apostolus, primo quidem, de institutione ecclesiasticae unitatis in
epistola ad Ephesios; secundo, de eius confirmatione et profectu in epistola
ad Philippenses; tertio, de eius defensione, contra errores quidem, in
epistola ad Colossenses, contra persecutiones vero praesentes, in I ad
Thessalonicenses, contra futuras vero et praecipue tempore Antichristi, in
secunda. Praelatos vero Ecclesiarum
instruit et spirituales et temporales. Spirituales quidem de institutione, instructione et
gubernatione ecclesiasticae unitatis in prima ad Timotheum, de firmitate
contra persecutores in secunda, tertio de defensione contra haereticos in
epistola ad Titum. Dominos vero temporales instruit in epistola ad Philemonem.
Et sic patet ratio distinctionis et ordinis omnium epistolarum. Sed videtur
quod epistola ad Romanos non sit prima. Prius enim videtur scripsisse ad
Corinthios secundum illud Rom. c. ultimo : commendo autem
vobis Phoeben, sororem nostram, quae est in ministerio Ecclesiae quae est
Cenchris, ubi est portus Corinthiorum. |
L’Apôtre traite donc : 1° dans l’épître aux Éphésiens, de l’institution de l’unité ecclésiastique; 2° dans celle aux
Philippiens, de sa confirmation et de son progrès;
3° de sa défense contre les erreurs, dans l’épître aux Colossiens; contre les persécutions présentes, dans la première aux Thessaloniciens; contre les persécutions futures, particulièrement au temps de l’Antéchrist, dans la seconde aux mêmes Thessaloniciens. Il instruit ensuite les chefs spirituels et temporels de l’Église : a) les spirituels, dans la première épître à Timothée, en traitant de l’institution et du gouvernement de l’unité ecclésiastique; dans la seconde, du courage contre les persécuteurs; dans l’épître à Tite, de la résistance aux hérétiques; b) les temporels, dans l’épître à Philémon. Ainsi apparaît la raison logique de la distinction et de l’ordre de toutes les épîtres. Mais il semble que l’épître aux Romains ne paraît point être la
première en date : saint Paul aurait écrit d’abord aux Corinthiens, suivant ce
qu’on lit au dernier chapitre de l’épître aux Romains (XVI, I) : "Je
vous recommande Phébé, notre soeur, employée au service des églises à
Cenchrées," où était situé le port de Corinthe. |
Sed
dicendum quod epistola ad Corinthios prior est in tempore Scripturae. Sed
epistola ad Romanos praemittitur, tum propter dignitatem Romanorum qui aliis
gentibus dominabantur quia hic confutabatur superbia quae est initium
omnis peccati; ut dicitur Eccli. X, 14; tum quia etiam hoc exigit ordo
doctrinae ut prius gratia consideretur in se quam ut est in sacramentis. Item
quaeritur unde apostolus hanc epistolam scripsit. Augustinus dicit quod de
Athenis; Hieronymus quod de Corintho. Nec est contradictio, quia forte
Athenis incepit eam scribere sed Corinthi consummavit. Item obiicitur contra
id quod in Glossa dicitur quod aliqui fideles, antequam Petrus, Romanis
praedicaverunt. In ecclesiastica vero historia dicitur quod Petrus primus
praedicavit eis. Sed intelligendum
est primus inter apostolos et cum sequela magni fructus. Ante vero praedicaverat Romae
Barnabas ut habetur in itinerario Clementis. |
Mais il faut dire que l’épître aux Corinthiens est la première dans l’ordre du temps, quoique l’épître aux Romains prenne rang avant elle, soit à cause de la dignité des Romains, qui dominaient alors toutes les nations; aussi l’Apôtre y réfute-t-il l’orgueil, "commencement de tout péché", a comme il est dit au chap. X, 15, de l’Ecclésiastique; soit parce que l’ordre logique de la doctrine exige que l’on considère la grâce en elle-même, avant de la considérer dans les sacrements. On demande encore en quel lieu l’Apôtre écrivit l’épître aux Romains. Saint Augustin prétend que c’est à Athènes; saint Jérôme, que c’est à Corinthe. Il n’y a en cela aucune contradiction, parce que saint Paul a peut-être commencé à l’écrire à Athènes et l’a finie à Corinthe. On objecte encore, ce qui est dit dans la Glose, que quelques fidèles
prêchèrent aux Romains, avant S Pierre Or, l'histoire ecclésiastique rapporte
que S Pierre prêcha le premier a Rome Mais il faut par la entendre le premier
d’entre les apôtres, et avec des fruits abondants de sa prédication : car
saint Barnabé avait prêché à Rome avant saint Pierre, ainsi qu’il est
rapporté dans l’"Itinéraire Clémentin" [1]. |
© 2000 Enrique Alarcón et Societas CAEL quoad hanc
editionem Iura omnia asservantur |
Fin de la préface aux Commentaires des épîtres de
saint Paul, par saint Thomas d'Aquin |
[1] Cet Itinéraire de S, Pierre, appelé Clémentin du nom de son
auteur, est rangé parmi les livres apocryphes.