LECTURE
DE L’ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU
par saint Thomas
d’Aquin
© Copyright Dominique Pillet (Chapitre 3 à 5, table),
Jacques Ménard (Prologue 1, 2 et Chapitres 6
jusqu’à la fin), et Sœur Marie-Hélène Deloffre, o.s.b.
(Extraits des chapitres 26, 27, 28).
2004-2005
Première édition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique mars 2005
TABLE DES MATIÈRES
Leçon 4
– Mt 5, 13‑14a [Commentaire suppléé par Pierre de Scala] n° 710
Leçon 5
– Mt 5, 14b‑16, n° 733
Leçon 1
– Mt 6, 1‑4 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 859
Leçon 2
– Mt 6, 5‑8 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 880
Leçon 3
– Mt 6, 9‑12 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 893
Leçon 4
– Mt 6, 13‑18 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 928
Leçon 5
– Mt 6, 19‑34 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 935
Leçon 1
– Mt 7, 1‑16 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 961
Leçon 2
– Mt 7, 17‑29 [Commentaire de Pierre de Scala] n° 989
Leçon 2
– Mt 8, 5‑13 ; n° 1037
Leçon 3
– Mt 8, 14‑27 ; n° 1055
Leçon 4
– Mt 8, 28‑34 ; n° 1080
Leçon 2
– Mt 9, 9‑13 ; n° 1111
Leçon 3
– Mt 9, 14‑17 ; n° 1125
Leçon 5
– Mt 9, 27‑34 ; n° 1154
Leçon 1
– Mt 10, 1-15 ; n° 1181
Leçon 2
– Mt 10, 16-37 ; n° 1220
Leçon 3
– Mt 10, 38‑42 ; n° 1280
Leçon 1
– Mt 11, 1-15 ; n° 1288
Leçon 2
– Mt 11, 16-19 ; n° 1325
Leçon 3
– Mt 11, 20-30 ; n° 1337
Leçon 1
– Mt 12, 1-22 ; n° 1370
Leçon 2
– Mt 12, 22-37 ; n° 1419
Leçon 3
– Mt 12, 38‑45 ; n° 1468
Leçon 4
– Mt 12, 46-50 ; n° 1493
Leçon 1
– Mt 13, 1-23 ; n° 1506
Leçon 2
– Mt 13, 24-30 ; n° 1563
Leçon 3
– Mt 13, 31-43 ; n° 1595
Leçon 4
– Mt 13, 44-58 ; n° 1624
Leçon 1
– Mt 14, 1-14 ; n° 1651
Leçon 2
– Mt 14, 15-34 ; n° 1681
INDEX DES
PRINCIPAUX LIEUX THÉOLOGIQUES
1. Sauf quelques passages qui sont de la
main même de Thomas d’Aquin et ceux qui sont de la main de Pierre de Scala
(commentaire de Mt 5, 11-7, 29), le texte de la Lecture sur
l’évangile de saint Matthieu nous est parvenu principalement sous la forme
d’une reportatio, c’est-à-dire d’une reconstitution de l’exposé de
Thomas d’Aquin à partir de notes prises par un auditeur (Pierre de Andrea). En
l’absence d’une édition critique, la présente traduction française se fonde sur
l’édition électronique des Opera omnia
de Thomas d’Aquin, réalisée par Enrique Alarcón, dans le cadre du Corpus thomisticum (Université de
Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org/. Tout changement au texte de l’édition
du Corpus thomisticum
(explicitations, ajouts de références, etc.) est signalé par des crochets.
2. Les abréviations des livres bibliques
sont celles de La Bible de Jérusalem, Paris,
1998. Les différences de numérotation entre la version latine de la Bible et
celle de La Bible de Jérusalem sont
signalées entre crochets. Pour faciliter la lecture, les références aux
chapitres de la Bible, qui seules apparaissent dans le texte de la reportatio,
ont été complétées par les références aux versets, chaque fois que ceux-ci
ont pu être identifiés. La traduction française des textes bibliques suit
d’aussi près que possible la version latine de la Bible utilisée par Thomas
d’Aquin.
4. Les passages du prologue de saint
Jérôme et de l’évangile de saint Matthieu commentés par Thomas d’Aquin sont mis
en majuscules dans le corps du texte. Afin de faciliter le repérage des
passages commentés, la référence au chapitre et au verset est donnée en
caractères gras entre crochets à l’endroit où débute le commentaire de Thomas d’Aquin
sur ce passage.
5. L’introduction a été rédigée par Carolyn
Muessig. Le prologue et les chapitres 1 à 2, 6 à 25 ont été traduits par
Jacques Ménard. Les chapitres 3 à 5 ont été traduits par Dominique Pillet. Sœur
Marie-Hélène Deloffre, o.s.b., a collaboré à la traduction des chapitres 26 à
28. Jacques Ménard a assuré la révision générale de la traduction, Dominique
Pillet la dernière relecture et l’index thématique. L’index des citations, la
coordination et la mise en forme de l’édition électronique ont été effectués
par Arnaud Dumouch, pour le site http ://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
[Prologue]
1. Prologue sur Mathieu : MATTHIEU VENU DE JUDÉE, etc. Jérôme a fait précéder l’évangile de Matthieu d’un prologue, dans lequel il fait trois choses : en premier lieu, il décrit l’auteur lui-même ; en deuxième lieu, il dévoile les mystères de l’évangile, en cet endroit : EN SUPPOSANT LES PRINCIPES DE DEUX RÉALITÉS DANS LA GÉNÉRATION DU CHRIST ; en troisième lieu, il manifeste son intention, en cet endroit : TEL A ÉTÉ NOTRE PROPOS DANS L’ÉTUDE DU SUJET.
[Description de
l’auteur]
2. Il décrit l’auteur sous quatre aspects : premièrement, par son nom, lorsqu’il dit : MATTHIEU ; deuxièmement, par son origine, lorsqu’il dit : VENU DE JUDÉE ; troisièmement, par l’ordre dans lequel il a écrit, en cet endroit : DE MÊME QU’IL EST PREMIER PAR L’ORDRE ; quatrièmement, par son appel, en cet endroit : DONT L’APPEL AU SEIGNEUR, c’est-à-dire, au Christ, etc. Sur ce point, Mt 11, 9 et Lc 5, 27. À noter que la Glose interlinéaire, qui dit : Le premier, c’est-à-dire, avant qui aucun, etc., semble vouloir dire que les autres qui ont suivi Matthieu ont écrit en Judée, ce qui n’est pas vrai : en effet, seul Matthieu a écrit en Judée ; Marc a écrit en Italie, Luc, en Achaïe, Jean, en Asie.
[Dévoilement des
mystères]
3. Ensuite, [Jérôme] dévoile les mystères de l’évangile lui-même. Et d’abord, il dévoile les mystères entourant le début de l’évangile ; en second lieu, il montre que ces mêmes mystères doivent être recherchés tant au milieu qu’à la fin, en cet endroit : DANS CET ÉVANGILE, IL EST UTILE, etc.
4. En ce qui concerne le début de l’évangile, deux points sont abordés. D’abord, [Matthieu] donne comme un titre, là où il dit : LIVRE DE LA GÉNÉRATION [Mt 1, 1] ; en second lieu, la suite des générations est décrite, lorsqu’il dit : ABRAHAM ENGENDRA ISAAC, etc. [Mt 1, 2s]. [Jérôme] présente donc d’abord les mystères du titre ou de ce qui est abordé dans le titre ; en second lieu, les mystères de la génération, en cet endroit : ET AINSI, EN QUATORZIÈME LIEU [Mt 1, 17-18].
5. Ainsi, le titre se lit : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST. Là sont mentionnés deux principes, à savoir David et Abraham. Et cela, parce que le commandement au sujet de la circoncision a d’abord été donné à Abraham, Rm 4, 11 : Il reçut le signe de la circoncision, le sceau de la justice par la foi dans le prépuce, afin d’être le père de tous les croyants. Mais David fut choisi par le Seigneur, 1 R [1 S] 13, 14 : J’ai trouvé un homme selon mon cœur. Pour cette raison, les deux sont mentionnés, afin de signaler que le Christ tire son origine de pères circoncis et [de pères] élus ; c’est ce que signifie DEUX hommes ou deux principes, c’est-à-dire deux principes, à savoir David et Abraham.
6. Ensuite, il présente les mystères qui sont abordés dans la généalogie. En premier lieu, il aborde les mystères de l’évangile même ou de l’évangéliste ; en second lieu, du Christ lui-même : DE TOUTES CES CHOSES, etc. Et c’est un mystère que l’évangéliste ait réparti la généalogie du Christ en trois groupes de quatorze, dont le premier va d’Abraham à David, le second, de David jusqu’à la déportation [à Babylone], et le troisième, jusqu’au Christ, afin de montrer que le Christ est issu de circoncis, d’élus et de déportés. Et cela est INDIQUÉ SOUS TROIS FORMES, c’est-à-dire répété trois fois : plus haut, dans la généalogie, PAR LA FOI EN CE QU’IL FAUT CROIRE, c’est-à-dire, par Abraham lui-même, qui fut le premier modèle de la foi, EN ALLANT JUSQU’À L’ÉPOQUE DE L’ÉLECTION, c’est-à-dire jusqu’à David lui-même ; ET DEPUIS L’ÉLECTION, c’est-à-dire depuis David lui-même, JUSQU’AU JOUR DE LA DÉPORTATION ; ET DU JOUR DE LA DÉPORTATION POUR TERMINER PAR LE CHRIST. Cela est clair. RAPIDE, c’est-à-dire [que la généalogie] est abordée brièvement et succinctement. IL MONTRE LA GÉNÉRATION DU SEIGNEUR ET COMMENT ELLE EST ADÉQUATE PAR LE NOMBRE ET PAR LE TEMPS. Cela est clair.
7. DE TOUTES CES CHOSES, etc. On peut remarquer que, dans le déroulement de cette génération, quatre points sont abordés : le temps, le nombre, l’ordre et la disposition ou raison. CAR D’ABRAHAM JUSQU’À DAVID, etc. Tout cela ne montre rien d’autre que le fait que le Christ est Dieu : en effet, cela signifie, selon la disposition et l’explication allégorique, que le Christ est Dieu. CE QU’IL EST NÉCESSAIRE DE CROIRE, c’est-à-dire, que LE CHRIST EST DIEU, à savoir qu’en tout cela, il n’y rien de plus à croire que le fait que le Christ est Dieu. QUI EST NÉ D’UNE FEMME, etc. Il faut remarquer, expliquer et noter les subdivisions. ET IL FIXA TOUT À LA CROIX, à savoir, les péchés, du fait qu’il a supprimé la condamnation portée contre nous [Col 2, 14]. Mieux encore : le Christ, qui, étant Dieu et homme, est tout, selon Jn 12, 32 : Et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tout à moi, et Ph 2, 10 : Afin qu’au nom du Seigneur, tout fléchisse le genou, au ciel, sur la terre et dans les enfers. AFIN QUE TRIOMPHANT DE TOUT EN LUI-MÊME, car par le trophée de la croix, il s’est soumis toutes choses et a triomphé de tout.
8. ET LE NOM DE PÈRE [A ÉTÉ DONNÉ] AU FILS CHEZ LES PÈRES. Pour éclairer ce point, il faut remarquer que, dans le déroulement de la génération, certains sont mentionnés qui sont pères, et certains qui sont fils, comme cela est clair. De même, il y est mentionné un père qui n’a pas de père, tel Adam, et un fils qui n’a pas de fils, tel Jésus. De même, sont mentionnés certains qui sont pères et fils, comme c’est le cas de tous les intermédiaires. Or, cela indique mystiquement que, dans la Trinité, il y a le Père et le Fils, comme dans cette généalogie certains sont pères et certains sont fils. De même, par le fait que le premier père n’a pas de père dans ce déroulement et que le dernier fils n’a pas de fils, il est montré que ceux-ci existent éternellement. Aussi, par le fait que [celui qui est à la fois] père et fils est une seule et même [réalité] par rapport aux autres, on signale que [le Père et le Fils] sont une seule réalité, non pas par la personne, mais par la nature. Et c’est cela qu’il dit : transmettant LE NOM DE PÈRE AU FILS CHEZ LES PÈRES, à savoir que le fils a un père ; CHEZ LES PÈRES, à savoir que certains présentés ici sont pères. ET TRANSMETTANT LE NOM DE PÈRE, à savoir que le père a un fils, et [ce nom] AUX FILS, à savoir, par le fait qu’y sont mentionnés certains qui sont fils sans principe et sans fin, car le premier père n’a pas de père, et le dernier fils n’a pas de fils. MONTRANT QU’IL NE FAIT QU’UN AVEC LE PÈRE, à savoir, un par la nature, PAR LE FAIT D’ÊTRE UN par la personne, à savoir qu’il est [en même temps] père et fils par rapport aux autres dans ladite généalogie. Il faut remarquer la [Glose] interlinéaire qui dit : UN SEUL CHRIST, dont on ne dit rien.
9. Ensuite, il montre qu’il faut chercher des mystères similaires dans ledit évangile, non seulement au début, mais aussi en son milieu et en sa fin. Et c’est cela [qu’il veut dire] par DANS CET ÉVANGILE, à savoir, celui de Matthieu. IL EST UTILE POUR CEUX QUI RECHERCHENT DIEU, à savoir de la même manière que nous avons dite, DE CONNAÎTRE LES PREMIÈRES CHOSES, c’est-à-dire, le début, LES CHOSES DU MILIEU OU LES DERNIÈRES, la fin et la consommation. AFIN QUE LA VOCATION DE L’APÔTRE, etc. Il est écrit dans Ph 3, 12 : Je poursuis donc afin de comprendre, car, pour nous. Ici, il dévoile son intention, à savoir qu’il entend que ce qui est dit ici est vrai selon l’histoire, mais doit cependant être compris spirituellement.
[Intention de
l’auteur]
10. TEL A ÉTÉ NOTRE PROPOS, c’est-à-dire [notre] intention, DANS L’ÉTUDE DU SUJET, à savoir, du prologue.
Leçon 1 [Mt 1, 1] 1, 1 Telle fut la génération du Christ, fils de David,
fils d’Abraham :
Leçon 2 [Mt 1, 2-6] 1, 2 Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob,
Jacob engendra Juda et ses frères, 1, 3 Juda engendra Pharès et Zara, de
Thamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram, 1, 4 Aram engendra
Aminadab, Aminadab engendra Naasson, Naasson engendra Salmon, 1, 5 Salmon
engendra Booz, de Rahab, Booz engendra Jobed, de Ruth, Jobed engendra Jessé,
Leçon 3 [Mt 1, 6-11] 1, 6 Jessé engendra le roi David. David engendra
Salomon, de la femme d’Urie, 1, 7 Salomon engendra Roboam, Roboam engendra
Abia, Abia engendra Asa, 1, 8 Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra
Joram, Joram engendra Ozias, 1, 9 Ozias engendra Joatham, Joatham engendra
Achaz, Achaz engendra Ezéchias, 1, 10 Ezéchias engendra Manassé, Manassé
engendra Amon, Amon engendra Josias, 1, 11 Josias engendra Jéchonias et
ses frères ; ce fut alors la déportation à Babylone.
Leçon 4 [Mt 1, 12-20] 1, 12 Après la déportation à Babylone, Jéchonias
engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, 1, 13 Zorobabel engendra
Abioud, Abioud engendra Eliakim, Eliakim engendra Azor, 1, 14 Azor
engendra Sadok, Sadok engendra Akhim, Akhim engendra Elioud, 1, 15 Elioud
engendra Eléazar, Eléazar engendra Matthan, Matthan engendra Jacob, 1, 16
Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l’on
appelle Christ. 1, 17 Toutes les générations : d’Abraham à David,
quatorze générations : de David à la déportation de Babylone, quatorze
générations : de la déportation de Babylone au Christ, quatorze
générations.
1, 18 Or, telle fut la genèse de Jésus, le Christ.
Sa mère, Marie, était fiancée à Joseph : or, avant qu’ils eussent
cohabité, elle fut trouvée enceinte par le fait de l’Esprit Saint. 1, 19
Comme Joseph, son mari, était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer
publiquement, il résolut de la répudier sans bruit. 1, 20 Alors qu’il
avait pensé à cela, voici que l’Ange du Seigneur apparut en songe et lui
dit : «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta
femme : car ce qui est né en elle vient de l’Esprit Saint ;
Leçon 5 [Mt 1, 21-23] 1, 21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le
nom de Jésus : car il sauvera son peuple de ses péchés.» 1, 22
Tout ceci arriva afin que s’accomplît ce que dit le Seigneur par le
prophète : 1, 23 Voici qu’une vierge concevra, elle enfantera un
fils, et il sera appelé Emmanuel, ce qui signifie : «Dieu avec nous.»
Leçon 6 [Mt 1, 24-25] 1, 24 Une fois réveillé, Joseph fit comme l’Ange lui avait ordonné : et il prit chez lui sa femme ; 1, 25 et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta son fils premier-né. Il l’appela du nom de Jésus.
11. Parmi les évangélistes, Matthieu est celui qui s’attache le plus à l’humanité du Christ. C’est pourquoi, selon Grégoire, il est représenté par l’homme dans la figure des quatre vivants [Ap 4, 7]. Ainsi, c’est par son humanité que le Christ est entré dans le monde, y a grandi et en est sorti. C’est pourquoi l’ensemble de cet évangile est divisé en trois parties. L’évangéliste traite d’abord de l’entrée de l’humanité du Christ dans le monde ; en second lieu, de son parcours ; en troisième lieu, de sa sortie [du monde]. La seconde partie commence en 3, 1, en cet endroit : en ces jours, survint Jean-Baptiste, prêchant dans le déseRT DE JUDÉE ; la troisième, en 21, 1 : ET comme ils approchaient de Jérusalem et étaient arrivés à Bethphagé, au Mont des Oliviers.
12. Dans la première partie, [Matthieu] fait deux choses : d’abord, la généalogie du Christ est décrite [1, 1s] ; en second lieu, vient la manifestation de cette même généalogie, au chapitre 2, en cet endroit [2, 1] : JÉSUS ÉTANT NÉ À BETHLÉEM DE JUDÉE, AU TEMPS DU ROI HÉRODE.
13. Dans la première partie, [Matthieu] fait trois choses. D’abord, il place en tête une sorte de titre pour l’ensemble du livre, lorsqu’il est dit [1, 1] : livre de la génération du ChriST ; puis la suite des pères est élaborée [1, 2s] : Abraham engendra Isaac… ; en troisième lieu, lorsqu’il est dit [1, 18] : OR, TELLE FUT la génération de Jésus, c’est la génération de Jésus qui est décrite d’une manière particulière.
14. Le titre qui est placé en tête est celui-ci : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST [1, 1]. Et cela semble être une phrase incomplète, car il y a là un nominatif sans verbe. Mais il n’en est rien. En effet, Matthieu a écrit son évangile pour des Hébreux ; c’est pourquoi il a conservé l’usage des Juifs en écrivant. C’est la coutume, chez les Hébreux, de s’exprimer ainsi, par exemple, quand il est dit : Vision d’Isaïe, fils d’Amos [Is 1, 1], on sous-entend : Ceci est…, et il ne faut rien ajouter. De même, ici, quand il est dit : livre de la génération, on sous-entend : Ceci est…Il s’agit d’ailleurs d’une façon de parler qui nous est coutumière : si, en effet, nous voulons donner un titre à un livre, nous disons : Priscien majeur ou mineur, et il n’y a pas lieu d’ajouter : Ceci est ou Ici commence.
15. On se demande aussi pourquoi, alors qu’une petite partie de ce livre porte sur la génération du Christ, [Matthieu] a intitulé son livre de cette manière. La réponse est que Matthieu, qui a écrit pour des Hébreux, a conservé en écrivant l’usage des Hébreux. Or, les Hébreux avaient l’habitude d’intituler leurs livres par le début de ceux-ci, comme on dit : Genèse, parce qu’il y est question de génération ; d’où Gn 5, 1 : Voici le livre de la génération d’Adam ; et aussi, Livre de l’Exode, parce que, dans la première partie, il s’agit de la sortie d’Égypte des fils d’Israël.
16. Mais on se demande pourquoi il a ajouté : DE JÉSUS, LE CHRIST. La réponse est que, selon l’Apôtre, 1 Co 15, 22, de même qu’en Adam tous meurent, de même tous revivront dans le Christ. Matthieu avait vu le premier livre de l’Ancien Testament où il est question de génération, dans lequel il était dit en 5, 1 : Voici le livre de la génération d’Adam. Ainsi, pour que le Nouveau Testament, où il est question de régénération et de renouvellement, lui réponde par son contraire, il dit : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST, afin de montrer que tous deux ont le même auteur.
17. Mais on s’interroge sur le fait qu’on dise ici : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST. En effet, on a le contraire en Is 53, 8, où il est dit : Qui racontera sa génération ? Mais, selon Jérôme, le sens est que, dans le Christ, il y a une double génération, à savoir, la divine, qui ne peut être racontée, car, même si nous disons que le Fils est d’une certaine manière engendré, ni l’homme ni l’ange ne peuvent comprendre la façon dont il est engendré ; l’autre [génération] est humaine : c’est de celle-ci qu’il traite. Toutefois, même à propos de celle-ci, il existe plusieurs difficultés. C’est pourquoi, selon Rémi, ceux qui peuvent la raconter sont très peu nombreux. On se demande à ce sujet pourquoi il dit : GÉNÉRATION, puisque plusieurs générations sont ici élaborées. La réponse est que, même si plusieurs générations sont énumérées, toutes sont présentées en vue d’une seule, à savoir, en vue de la génération du Christ, dont il est question plus loin [1, 18] : TELLE FUT LA GÉNÉRATION DU CHRIST.
18. Or, celui dont la génération est élaborée est décrit d’abord par son nom, lorsqu’il est dit : JÉSUS ; ensuite, par sa fonction, lorsqu’il est dit : LE CHRIST ; en troisième lieu, par son origine, lorsqu’il est dit : FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM.
19. Bien que d’autres se soient appelés Jésus, comme Jésus, fils de Navé, en Si 46, 1 : Fort au combat, Jésus, [fils de] Navé, successeur de Moïse parmi les prophètes, et un autre, à l’occasion de la construction du temple, dont il est question en Za 3, 1, ceux-ci ne furent Jésus que par le nom et comme des figures, à savoir, pour autant qu’ils étaient la figure de celui-ci. Ce Jésus-là fit entrer le peuple d’Israël dans la terre de la promesse ; ce Jésus-ci, à savoir, notre Sauveur, ne nous fit pas entrer dans une terre charnelle, mais céleste, He 12, 2 : Nous avons en lui celui qui, par son sang, a été l’auteur et le réalisateur, etc. Et c’est à juste titre qu’il est appelé JÉSUS, ce nom lui convenant selon les deux natures, à savoir la divine et l’humaine. Car, selon la nature humaine, il a souffert dans sa chair et a accompli le mystère de notre rédemption ; et puisque cette passion n’aurait pas eu d’efficacité si la nature divine ne lui avait pas été unie, pour cette raison il est dit plus loin [1, 21] : Son nom sera Jésus ; en effet, il sauvera son peuple de ses péchés.
20. Mais on se demande pourquoi [Matthieu] dit : LE CHRIST. JÉSUS n’aurait-il pas suffi ? Je réponds que cela a été fait parce que, comme on l’a dit, d’autres aussi ont été appelés Jésus. Lorsqu’il dit : LE CHRIST, c’est-à-dire : «Oint», il le décrit par sa fonction. Il faut remarquer qu’il existe trois onctions dans la loi ancienne. Aaron a été oint pour devenir prêtre, Lv 8, 11. Saül a été oint pour devenir roi, 1 R [1 S] 10, 1, ainsi que David, 1 R [1 S] 16, 13. Et Élisée a été oint pour devenir prophète, 1 R 19, 16. Parce que le Christ a été le véritable prêtre, selon Ps 109[110], 4 : Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech, etc., roi et prophète, il est donc appelé à juste titre CHRIST, en raison des trois fonctions qu’il a lui-même exercées.
21. FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM. Ici se pose une double question, à savoir, sur le nombre et sur l’ordre. Et d’abord, pourquoi a-t-il nommé ces deux-là ? Pour la raison qui a été donnée dans le prologue, à savoir qu’Abraham fut un prophète : en Gn 20, 7, le Seigneur dit à Abimélech, roi de Gérar : Rends sa femme à cet homme, car c’est un prophète. Il fut aussi prêtre, Gn 15, 9, lorsqu’il accomplit la fonction de prêtre en offrant la victime au Seigneur : Prends, dit-il, ma vache de trois ans, etc. David aussi fut prophète, comme il apparaît en Ac 2, 30. Il fut aussi roi, comme il apparaît en 2 R [2 S] 2, 4. Ainsi, puisque le Christ fut roi, prophète et prêtre, c’est donc à juste titre qu’il est appelé fils de ceux-ci. Si [Matthieu] n’avait nommé qu’Abraham, il n’aurait pas été indiqué que le Christ était roi. De même, [s’il n’avait nommé] que David, la dignité sacerdotale du Christ n’aurait pas été soulignée. C’est pourquoi il a mentionné les deux.
22. À propos du second point [l’ordre], la réponse est que, selon Jérôme, David est placé en premier et que l’ordre est changé pour les besoins de l’élaboration de la généalogie. En effet, s’il avait dit en premier lieu : FILS D’ABRAHAM, et en second lieu : FILS DE DAVID, il lui aurait fallu répéter : ABRAHAM, pour poursuivre l’ordre de la généalogie. Mais, selon Ambroise, la réponse est que David est placé en premier en raison de sa dignité : en effet, c’est à David qu’a été faite la promesse dont il est question dans ce chapitre, Ps 131[132], 11 : C’est le fruit de tes entrailles que je placerai sur ton trône. Mais, dans le cas d’Abraham, c’est en raison de ses membres [qu’il vient en second], à savoir, de l’Église ; d’où, en Gn 22, 18 : En ta descendance seront bénies toutes les nations de la terre.
23. Il faut aussi noter qu’on a fait beaucoup d’erreurs [corr. : terreurs/erreurs] au sujet du Christ. En effet, certains se sont trompés à propos de sa divinité, comme Paul de Samosate, Photin et Sabellius, certains, à propos de son humanité, et certains à propos des deux. Mais d’autres se sont trompés à propos de sa personne. À propos de son humanité, le premier à se tromper fut Mani, qui disait que [le Christ] n’avait pas reçu un corps véritable, mais apparent. À cela s’oppose ce que dit le Seigneur en Lc 4, 39 : Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’en ai. En second lieu, après lui, Valentin s’est trompé : il disait que, de même que [le Christ] avait pris un corps céleste, mais ne l’avait pas reçu d’une vierge, de même [ce corps] avait-il plutôt traversé celle-ci comme l’eau un canal. Mais à cela s’oppose ce qui est dit en Rm 1, 3 : Lui qui est issu de la lignée de David selon la chair. La troisième erreur fut celle d’Apollinaire, qui dit de lui qu’il n’avait reçu qu’un corps, et non une âme, mais que la divinité occupait la place de l’âme. À cela s’oppose ce qui est souvent dit : Maintenant, mon âme est troublée [Jn 13, 21]. Mais, pour cette raison, lui-même changea par la suite d’opinion et dit que le Christ avait une âme végétative et sensible, mais non rationnelle, et qu’à la place de celle-ci, il avait la divinité. Mais alors, il en découlerait quelque chose qui ne convient pas, à savoir que [le Christ] ne serait pas plus un homme que ne l’est un des animaux [sans raison]. Or, les évangélistes se sont réparti ces erreurs pour ainsi dire au sort. En effet, Marc et Jean ont anéanti les erreurs concernant sa divinité. Ainsi, dès le début, Jean dit : Au commencement était le Verbe. Et le début de Marc se lit ainsi : Commencement de l’évangile de Jésus, le Christ, Fils de Dieu ; il ne dit pas : Fils d’Abraham. Mais Matthieu et Luc anéantissent dès le départ les erreurs qui concernent son humanité. Ainsi, notez que lorsqu’il est dit : FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM, ils écartent toutes les erreurs qui concernaient l’humanité du Christ. Car on ne dit de quelqu’un qu’il est le fils d’un autre qu’en raison d’une génération univoque, c’est-à-dire qui convient à l’espèce. En effet, chaque fois que quelque chose est engendré par un homme, si cela ne participe pas à la même nature selon l’espèce, jamais on ne dit que c’est un fils, comme cela est manifeste dans le cas des poux et des choses de ce genre. Si donc le Christ est le fils de David et d’Abraham, il faut qu’il ait la même nature selon la même espèce : il n’aurait pas la même nature selon l’espèce s’il n’avait pas un corps véritable et naturel, ni s’il avait reçu celui-ci du ciel ; pas davantage s’il n’avait pas d’âme sensible ou rationnelle. Ainsi apparaît l’exclusion de toute erreur.
[1, 2]
24. Une fois présenté le titre, la suite de la généalogie est ici élaborée, et elle se divise en trois parties, d’après les trois groupes de quatorze selon lesquels cette généalogie est distribuée. Le premier groupe de quatorze va d’Abraham jusqu’à David et passe par les patriarches [1, 2-6]. Le second va de David jusqu’à la déportation de Babylone et passe par les rois. Le troisième va de la déportation de Babylone jusqu’au Christ : il commence par les dirigeants, puis se poursuit par les personnes privées. La deuxième partie [commence] en cet endroit : ET LE ROI DAVID ENGENDRA SALOMON [1, 6-11]. La troisième [commence] à cet endroit : ET APRÈS LA DÉPORTATION DE BABYLONE, etc. [1, 11-17].
25. La première [partie] est divisée en trois. En effet, en premier lieu, sont présentés les pères qui vécurent avant l’entrée en Égypte. En deuxième lieu, sont présentés ceux qui vécurent pendant la sortie [d’Égypte] même et l’entrée dans la terre promise. En troisième lieu, [sont présentés] ceux qui vécurent après l’entrée dans la terre promise.
26. [Matthieu] dit donc d’abord : ABRAHAM ENGENDRA ISAAC. Ici, il faut observer, avant d’aller plus loin, que deux évangélistes traitent de la génération du Christ selon la chair, à savoir, Luc et Matthieu, mais de manière différente. Et cette différence porte sur cinq points. En effet, ils diffèrent d’abord par l’endroit ; deuxièmement, par l’ordre ; troisièmement, par le mode ; quatrièmement, par le terme ; cinquièmement, par les personnes énumérées.
27. En premier, je dis qu’ils diffèrent par l’endroit, car Matthieu commence à élaborer la génération du Christ au début de l’évangile, alors que Luc ne [le fait] pas au début, mais après le baptême [de Jésus]. Et la raison en est, selon Augustin, que Matthieu a entrepris de décrire la génération charnelle du Christ, et ainsi devait la situer dès le début. Mais l’intention principale de Luc était de mettre en relief dans le Christ la personne sacerdotale, car c’est du prêtre que relève l’expiation des péchés. Et ainsi la génération du Christ est convenablement placée par Luc après le baptême, par lequel se réalise l’expiation des péchés.
28. Deuxièmement, Luc et Matthieu diffèrent par l’ordre de composition de la généalogie du Christ, car Matthieu a établi la généalogie du Christ en commençant par Abraham et en descendant jusqu’au Christ ; mais Luc a commencé par le Christ pour remonter jusqu’à Abraham, et même au-delà. Et la raison en est, selon l’Apôtre, en Rm 4, 25, qu’il y avait deux choses dans le Christ, à savoir, l’humilité par laquelle il a pris la déchéance de notre nature, et la puissance de la divinité et de la grâce, par laquelle il a expié pour nous la déchéance de celle-ci, Rm 8, 3 : Dieu a envoyé son Fils avec une chair semblable à celle du péché, pour la première, et, à partir du péché, a condamné le péché dans la chair, pour la seconde. Ainsi, Matthieu, qui a en vue la génération charnelle du Christ, par laquelle il s’abaisse jusqu’à prendre notre infirmité, décrit convenablement sa génération en descendant. Mais Luc, qui met chez lui en relief la dignité sacerdotale par laquelle nous sommes réconciliés avec Dieu et sommes nous-mêmes unis au Christ, l’a convenablement présentée en remontant.
29. Troisièmement, [Matthieu et Luc] diffèrent par le mode, car dans la description de la généalogie, Matthieu emploie le mot ENGENDRA, mais Luc, le mot fut [le fils de…]. La raison en est que Matthieu, dans toute sa description, ne présente que les pères selon la chair ; mais Luc présente plusieurs pères selon la loi ou par adoption. C’était en effet un précepte de la loi [Dt 25, 5-10] que, si quelqu’un mourait sans laisser de fils, son frère prenait son épouse et lui donnait des fils ; ainsi, ces fils n’étaient pas ceux de celui qui engendrait, mais étaient attribués au premier en vertu d’une certaine adoption. Pour cette raison, Luc, qui présente plusieurs fils engendrés par adoption, ne dit pas engendra, mais fut [le fils de…], car même s’ils ne les avaient pas eux-mêmes engendrés, [ces fils] leur appartenaient cependant en vertu d’une certaine adoption. Mais Matthieu, qui ne présente que les pères charnels, dit ENGENDRA. La raison en est que, comme on l’a dit, Matthieu s’attache surtout à l’humanité du Christ. Et parce que, selon la chair, [le Christ] est né de pères charnels, personne n’est présenté dans la généalogie de Matthieu qui n’ait été un père charnel. Mais Luc met surtout en relief dans le Christ la dignité sacerdotale, par laquelle nous sommes adoptés comme fils de Dieu ; ainsi, il n’a pas présenté seulement les pères charnels, mais aussi les [pères] selon la loi.
30. Quatrièmement, [Matthieu et Luc] diffèrent par le terme, car Matthieu fait débuter sa génération par Abraham et la poursuit jusqu’au Christ ; mais Luc, en commençant par le Christ, [remonte] non seulement jusqu’à Abraham, mais même jusqu’à Dieu. On peut en trouver la raison dans le fait que Matthieu écrivait pour des Hébreux. Or, les Hébreux se glorifiaient par-dessus tout d’Abraham, Jn 8, 33 : Nous sommes la descendance d’Abraham, qui fut à la toute première origine de la foi ; et ainsi, Matthieu a commencé par Abraham. Mais Luc a écrit pour des Grecs, qui ne connaissaient rien d’Abraham qu’à travers le Christ : si le Christ n’avait pas existé, ils n’auraient jamais rien su d’Abraham. C’est pourquoi Luc a commencé par le Christ et a fini non seulement par Abraham, mais par Dieu.
31. Cinquièmement, [Matthieu et Luc] diffèrent par les personnes énumérées, car, dans toute la suite de la généalogie de Luc, il n’est fait aucune mention d’une femme ; mais, en Matthieu, certaines femmes apparaissent. La raison en est, selon Ambroise, que Luc, comme on l’a dit, met surtout en relief la dignité sacerdotale. Or, pour un prêtre, la plus grande pureté est requise. Mais Matthieu a élaboré une génération charnelle ; c’est pourquoi y apparaissent quelques femmes. Il faut cependant noter que, dans toute la généalogie de Matthieu, n’apparaissent que des femmes pécheresses, ou qui s’étaient fait connaître par un péché particulier, comme Thamar, qui avait forniqué, Gn 38, 24, et Ruth, qui fut idolâtre puisque païenne, et l’épouse d’Urie, qui fut adultère, 2 R [2 S] 11, 2s. Selon Jérôme, le but de cela est de montrer que celui dont la généalogie est élaborée est venu pour racheter les pécheurs. Une autre raison est mentionnée par Ambroise, à savoir que la honte de l’Église soit enlevée. En effet, si le Christ a voulu naître de pécheresses, les infidèles ne doivent pas s’en moquer, à condition que ceux qui ont péché viennent vers l’Église. Une autre raison peut être donnée (je pense qu’elle l’est par Chrysostome) : que soit montrée l’imperfection de la loi et que le Christ est venu accomplir la loi. En effet, par le fait que sont mentionnées certaines femmes pécheresses, il est montré que ceux qui étaient les plus grands sous la loi étaient pécheurs, comme David et Juda. Et par cela, il montre l’imperfection des autres. En effet, si ceux-ci furent pécheurs, les autres le furent encore bien davantage, Rm 3, 23 : Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. C’est la raison pour laquelle ceux-là sont placés dans la génération du Christ, afin de montrer que celui-ci avait accompli la loi. À noter cependant que ces femmes, même si elles étaient toutes pécheresses, ne l’étaient pas au moment où leur généalogie a été élaborée, mais avaient déjà été purifiées par la pénitence.
32. [Matthieu] dit donc : ABRAHAM ENGENDRA ISAAC. À noter tout d’abord qu’ici deux choses doivent être prises en considération selon la lettre ou le sens littéral. En premier lieu, le Christ est désigné par les pères mentionnés ; en second lieu, même ces choses se rapportent et peuvent se rapporter à notre enseignement.
33. Il dit donc en premier lieu : ABRAHAM ENGENDRA ISAAC. Et on trouve ceci en Gn 21 : Et Isaac engendra Jacob, et en Gn 25 : Et Jacob engendra Juda et ses frères. Ici, on peut se demander, puisque Abraham a eu un autre fils qu’Isaac, à savoir Ismaël, et de même Isaac, pourquoi on ne les mentionne pas, comme il est dit ici : Juda et ses frères. De même, pourquoi Juda est-il nommément mentionné plutôt que les autres. La raison en est que Juda et ses frères demeurèrent dans le culte du Dieu unique ; c’est pourquoi on les mentionne dans la génération du Christ, mais non Isaac et Ismaël, ni Jacob et Ésaü. En second lieu, cela s’est produit afin que soit montré l’accomplissement dans le Christ de la prophétie de Jacob, Gn 49, 10 : Le sceptre ne sera pas enlevé à Juda et un chef sortira de sa cuisse jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé. Et c’est lui qu’attendront les nations. En effet, il est manifeste que le Seigneur est issu de Juda, comme il est dit en He 7, 14. Ainsi, il est plutôt fait mention de lui que des autres.
34. Ici on se demande, puisque le Seigneur n’est pas né de Zara mais de Pharès, pourquoi on le mentionne. De même, pourquoi est-il nommément désigné ? En effet, il avait dit auparavant : et ses frères. Pourquoi donc [Matthieu] a-t-il mentionné le nom de Zara ? Selon Ambroise, il faut répondre que cela a été fait en mystère. Pour le montrer, remarquez l’histoire qui se trouve en Gn 38, 27s, à savoir que, lors de l’accouchement de Thamar, Zara se présenta le premier, et l’accoucheuse lui attacha un fil écarlate en disant : «Celui-ci est sorti le premier», et elle lui donna ainsi le nom de Zara. Par la suite, comme celui-ci avait retiré sa main, l’autre est sorti, et l’accoucheuse dit : «Pourquoi as-tu ouvert le mur ?» Or, Zara, qui était apparu le premier, signifie «peuple des Juifs», à la main de qui l’accoucheuse a attaché un fil écarlate, c’est-à-dire la circoncision, qui se réalisait par effusion de sang. Mais comme celui-ci avait retiré sa main, etc., l’autre est sorti ; car une partie d’Israël a été frappée de cécité [Rm 11, 25]. En effet, c’est ainsi que le peuple païen écarté a eu accès à la lumière de la foi, en sortant du sein de l’ignorance et de l’infidélité.
35. En second lieu, il faut remarquer que, par les pères mentionnés dans la génération du Christ, le Christ est désigné en raison du nom, de la réalité ou de quelque chose d’autre, comme il est de soi évident. En effet, Abraham signifie «père d’une multitude de nations», et signifie le Christ, dont il est dit en He 2, 10 : …qui a conduit de nombreux fils à la gloire. De même, Abraham quitta son pays sur ordre du Seigneur, Gn 12, 4, et il s’agit du Christ qui disait en Jr 12, 17 : J’ai quitté ma demeure, j’ai abandonné mon héritage, etc. De même, Abraham, qui rit en disant : Maintenant, le Seigneur m’a fait rire, Gn 21, 6, et il s’agit du Christ, à la naissance de qui la joie a été annoncée non seulement à une seule personne, mais au monde entier, Lc 1, 10 : Voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple, car il vous est né aujourd’hui un sauveur, qui est le Christ Seigneur. De même, [le Christ est-il désigné] par Jacob, en raison de l’interprétation comme en raison de la réalité, comme il apparaît par le fait qu’il plaça une pierre, à savoir, la dureté de la croix, sous sa tête. De même [le Christ est-il indiqué] par Juda et Pharès, qui signifie «séparation»: en effet, c’est lui qui séparera les brebis des boucs, plus loin, 25, 32.
36. Selon le sens moral, l’état de notre justification est désigné par ces générations eu égard aux six éléments nécessaires à la justification. La foi, par Abraham justifié par la justice de la foi ; en effet, ailleurs, il est lui-même appelé l’origine de la foi, Rm 4, 11 : Afin qu’il soit le père de tous les croyants par le prépuce. L’espérance, en Isaac, parce qu’il signifie «rire», Rm 12, 12 : [Nous] réjouissant dans l’espérance. La charité, en Jacob, qui eut deux épouses : Lia, qui signifie «celle qui travaille», et Rachel ; ce sont les deux vies qui existent dans la charité selon les deux préceptes de celle-ci : en effet, la vie contemplative se complaît en Dieu ; mais la vie active est celle par laquelle on vient au secours du prochain. La confession, en Juda, qui existe sous deux formes : celle de la foi, Rm 10, 10 : C’est par le cœur qu’on croit en vue de la justice, et par la bouche qu’on confesse en vue du salut ; et celle des péchés : Confessez vos péchés les uns aux autres, Jc 5, 16. Or, de cela découle un double effet, à savoir, la destruction des vices, qui est désignée par Pharès, et la source des vertus, qui est signifiée par Zara. Et cela vient de Thamar, qui signifie «amertume», Is 38, 15 : Je placerai sous ton regard toutes mes années dans l’amertume de mon âme.
37. PHARÈS ENGENDRA ESRON. Ici est présentée la suite de la généalogie des pères qui sont nés en Égypte ou lors de la sortie [d’Égypte]. En effet, de même que par Pharès, qui signifie «séparation», le Christ est signifié, plus loin, 25, 32 : Il séparera les agneaux des boucs, de même par Esron, qui signifie «flèche» ou «salle». En effet, il est appelé «flèche» en raison de l’efficacité de la prédication, par laquelle il a pénétré le cœur de ceux qui écoutaient, Ps 44[45], 6 : Tes flèches sont aiguisées, les peuples se soumettront à toi ; les ennemis du roi [perdent] cœur. Mais [il est appelé] «salle» en raison de l’étendue de la charité, car celle-ci aime non seulement les amis, mais aussi les ennemis, Rm 5, 10 : Alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils ; Is 53, 12 : Lui-même a prié pour les ennemis ; et de même Lc 23, 34 : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.
38. ESRON ENGENDRA ARAM. Aram signifie «élu» ou «très grand», Is 42, 1 : Voici mon fils, et il est exalté au-dessus de tous ; Ep 1, 21 : Il l’a placé au-dessus de toute principauté.
39. ARAM ENGENDRA AMINADAB, qui signifie «spontané». C’est en sa personne que le Psalmiste dit, 53[54], 8 : Je m’offrirai volontairement à toi en sacrifice et je confesserai ton nom, car cela est bon, Seigneur ; et Is 53, 7 : Il fut offert parce qu’il le voulait, et il n’ouvrit pas la bouche, etc. ; Jn 6, 38 : Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé.
40. AMINADAB ENGENDRA NAASSON, qui signifie «augure» ou «serpent», car le Christ a connu non seulement le présent, mais aussi le passé et l’avenir, He 4, 13 Tout est à nu sous ton regard. De même, [il signifie] «serpent» en raison de sa prudence : en effet, la prudence est attribuée au serpent, plus loin, 10, 16 : Soyez prudents comme des serpents ; Jb 12, 16 : Il connaissait celui qui trompait et celui qui est trompé. Il faut remarquer que ce Naasson vécut au temps de Moïse et sortit d’Égypte avec lui, et fut un des chefs de la tribu de Juda au désert, comme on le trouve dans Nb 1, 7. Mais il faut prendre garde que, en Ex 13, 18, où notre texte se lit : Les fils d’Israël montèrent d’Égypte en armes, le mot «aigle» traduit «informés» en raison d’une équivoque. Le texte des Septante est meilleur : Les fils d’Israël sortirent d’Égypte à la cinquième génération. Mais, en sens inverse, [on peut invoquer] que ce Naasson ne fut pas le cinquième après Jacob, mais le septième, comme on le voit lorsqu’on relève Jacob, Juda, etc., jusqu’à Naasson. Il ne s’agit donc pas de la cinquième, mais de la septième génération. Mais on doit dire qu’il ne faut pas calculer selon la tribu de Juda, mais selon la tribu de Lévi, sous la conduite de qui les fils d’Israël sortirent d’Égypte, Ps 76[77], 21 : Tu guidas ton peuple comme un troupeau par la main de Moïse et d’Aaron. Et il est clair qu’il n’y a que cinq générations. En effet, Jacob engendra Lévi, Lévi engendra Caath, Caath engendra Amram, Amram engendra Moïse et Aaron, comme il est clair dans Ex 2 ; et ils sortirent d’Égypte sous la direction de Moïse.
41. À ce point, il faut remarquer que, de
toutes les tribus, c’est la tribu de Juda qui se multipliait le plus, et cela
parce qu’étaient issus d’elle les rois à venir, qui devaient combattre. Parmi
toutes, c’est la tribu de Lévi qui se multipliait le moins, et cela parce
qu’elle était prédestinée à l’office divin et au sacerdoce, pour lesquels un
nombre moindre suffisait. Et ainsi, [Matthieu] entend que, même en comptant
selon la tribu de Juda, soit vrai ce qui est dit en Gn 25, 16 : À
la cinquième génération, ils en
reviendront.
Jérôme affirme donc que ce qui est dit là doit s’entendre en comptant selon la tribu de Lévi, mais ce qui est dit ici, selon la tribu de Juda. En effet, Pharès lui-même pénétra avec Jacob et Juda, son père, en Égypte. Et c’est pourquoi ces générations ne doivent pas être comptées à partir de Jacob, mais à partir de Pharès, qui lui-même entra en Égypte. Et il est clair que Naasson est le cinquième à partir de Pharès. De même, Lévi lui-même entra en Égypte avec son père Jacob. Ainsi, les générations doivent être comptées à partir de Lévi, et non de Jacob. Or, il est clair que Moïse fut le quatrième à partir de Lévi.
42. NAASSON ENGENDRA SALMON. Salmon veut dire «sensible» et signifie le Christ, en qui se trouvent tous les trésors de la sagesse et de la science [Col 2, 3].
43. Au sens moral, il faut noter que, de même que, dans la première génération, est signifié l’ordre de notre justification pour ce qui est de l’état des débutants, de même, dans cette seconde génération, qui comporte aussi cinq points, est signifié l’avancement de ceux qui progressent. En effet, le premier point, qui découle du fait que l’homme est justifié du péché, est que lui-même a le zèle des âmes. Et c’est pourquoi Pharès a à juste titre engendré Esron, qui signifie «flèche», en raison de l’efficacité de la prédication par laquelle sont pénétrés les cœurs des auditeurs, Is 49, 2 : Il a fait de moi sa flèche préférée. Et il faut adapter les autres points de la même façon.
44. SALMON ENGENDRA BOOZ, etc. Ici sont présentés les pères qui sont nés après l’entrée dans la Terre promise. En effet, Salmon fut engendré dans le désert et entra avec Josué dans la terre promise ; il prit comme épouse la prostituée Rahab, de laquelle il engendra Booz. Booz signifie «fort», Jr 16, 19 : Le Seigneur est ma force et mon abri. Mais Rahab signifie «faim» ou «étendue», et elle symbolise l’Église, car c’est à elle que revient cette béatitude, Mt 5, 6 : Bienheureux les affamés et les assoiffés de justice, car ils seront rassasiés, etc. L’interprétation d’ «étendue» est que l’Église est répandue par toute la terre, Is 54, 2 : Élargis l’espace de ta tente et déploie les toiles de tes tentes, etc. Elle signifie aussi «élan», car, par l’élan de la prédication, elle convertit les rois et les philosophes. De même, elle signifie l’Église en raison de la réalité [qu’elle désigne]. Rahab plaça un cordon écarlate à la fenêtre, grâce auquel elle fut sauvée du bouleversement de Jéricho, Jos 2, 21. Notre fenêtre est la bouche ; le cordon à la fenêtre est donc la confession de la passion du Christ, par laquelle l’Église est libérée de la mort. De même, en raison de son mariage, car, de même que Rahab a été unie par mariage à Salmon, qui était un prince de la tribu de Juda, de même le Christ s’est-il donné l’Église comme épouse, 1 Co 11, 2 : En effet, je vous ai fiancés à un seul homme, comme une vierge pure à présenter au Christ.
45. Mais, ici, puisque Rahab était une prostituée, on se demande, selon la lettre, comment elle a été mariée à un tel prince, qui était le plus grand de tous. La réponse est que Rahab a fait quelque chose de très grand, du fait que, en méprisant son peuple et la religion paternelle, elle choisit le culte du Dieu d’Israël. C’est pourquoi elle fut donnée au prince le plus noble pour l’honorer au plus haut point.
46. BOOZ ENGENDRA OBED, DE RUTH. Ceci se trouve au dernier chapitre de Ruth [Rt 4, 21]. Obed veut dire «esclave» ou «esclavage», et signifie le Christ, dont le prophète [dit] : Par vos péchés, vous avez fait de moi un esclave, Is 43, 24. Mais Ruth signifie l’Église issue des Gentils en raison du lieu : en effet, elle était une Moabite. Moab signifie «venu du père», Jn 8, 44 : Vous venez de votre père, le Diable. Aussi, en raison de son mariage, comme il apparaît dans la Glose.
47. Mais on se demande pourquoi ces femmes sont nommées ici, puisqu’elles étaient des pécheresses. Jérôme donne pour Ruth la raison qu’elle accomplissait la prophétie de Is 16, 1 : Seigneur, envoyez l’agneau, le maître du pays de la pierre, en direction du désert. La pierre est celle du désert, c’est-à-dire du mal, et c’est elle que signifie Ruth, la Moabite. Mais Ambroise donne une explication en disant qu’en effet l’Église serait dans l’avenir rassemblée de toutes les nations infidèles, et qu’elle aurait pu ainsi rougir et être confuse si on ne voyait pas que même le Christ est né de pécheresses. Ainsi, pour que soient écartées leur honte et leur confusion, elles devaient être nommées.
48. Mais une question se pose : en Dt 23, 3, il est dit : Les Moabites et les Ammonites n’entreront pas dans l’assemblée. Ainsi donc, puisque Ruth était moabite, pourquoi fut-elle accueillie dans l’Église ? Il faut dire avec l’Apôtre, Ga 5, 18, que ceux qui sont conduits par l’Esprit ne sont pas sous la loi. En effet, dans la loi, l’intention du législateur doit toujours être observée plutôt que les mots de la loi. Or, quelle avait été la raison pour laquelle le Seigneur avait interdit qu’elles entrent dans l’Église ? Parce qu’Il avait trouvé en elles de l’idolâtrie, afin qu’elles n’entraînent pas les Juifs à l’idolâtrie. Ainsi, celle qui était déjà convertie n’était pas idolâtre, et, dès lors, elle n’était pas soumise à l’interdiction.
49. OBED ENGENDRA JESSÉ, dernier [chapitre] de Ruth [Rt 4, 22]. Or, Jessé veut dire «sacrifice» ou «feu», et signifie celui qui s’est offert en sacrifice à Dieu avec une odeur suave. Mais une question se pose : puisque celui-ci porte un autre nom, celui d’Isaïe, comme il apparaît en 1 R [1 S] en de nombreux endroits, et que ce nom est plus solennel, pourquoi l’évangéliste ne lui a-t-il pas donné ce nom ? Il faut dire que cela s’est produit pour montrer que, dans le Christ, s’est accompli ce qui est dit par le prophète Isaïe, 11, 1 : Un rejeton sortira de la souche de Jessé.
50. JESSÉ ENGENDRA LE ROI DAVID. David veut dire «bras fort» et «désirable au regard», toutes choses qui conviennent au Christ, comme cela est clair. En effet, celui-là est fort qui l’emporte sur le Diable, Lc 11, 22 : Mais si un plus fort survient et l’emporte sur lui, il lui enlèvera toutes ses armes, dans lesquelles il avait confiance, et distribuera ses dépouilles. De même, il est lui-même plus beau que tous les fils des hommes, Ps 44[45], 3.
51. Mais une question se pose ici : puisque plusieurs autres ont été rois, pourquoi seul [David] est-il appelé roi ? La réponse est que ce premier roi appartenait à la tribu de Juda, dont est issu le Seigneur. Bien que Saül ait été roi, il était toutefois de la tribu de Benjamin. La deuxième raison est que les autres ont régné en raison du mérite de David lui-même, Ps 88[89], 30 : J’établirai pour toujours sa lignée, et son trône comme les jours des cieux. Troisième raison, afin de montrer l’accomplissement de la prophétie, Jr 23, 5 : Je susciterai en David une descendance juste et un roi régnera : il sera sage, il exercera le droit et la justice dans le pays ; Is 9, 7 : Sur le trône de David et sur son royaume, siégera, etc.
52. Selon le sens moral, par cette génération est désigné le fruit des parfaits, comme par les autres, le fruit des débutants et de ceux qui progressent. En effet, ce qui est requis en premier lieu dans l’homme parfait, c’est qu’il soit fort pour s’attaquer à l’adversité, c’est-à-dire qu’il ne ralentisse pas en raison d’une difficulté ; et cela est signifié par Booz, qui veut en effet dire «fort», Is 40, 31 : Ceux qui espèrent dans le Seigneur renouvelleront leur force, ils déploieront leurs ailes comme des aigles, ils courront sans s’épuiser, ils marcheront sans se fatiguer ; dernier chapitre de Pr 9, 10 : Une femme forte, qui la trouvera, etc. ? En second lieu, [est requise] l’humilité du serviteur, de sorte que plus il est grand, plus il s’humilie en toutes choses ; et cela est signifié par Obed, qui veut lui-même dire «esclave» ou «servitude», Lc 22, 26 : Que celui qui est le plus grand parmi vous se fasse serviteur. En troisième lieu, [est requise] la ferveur de la charité signifiée par Jessé, qui veut dire «encens» ou «feu», Ps 140[141], 2 : Que monte ma prière comme l’encens devant ta face, etc. Et par cela, on parvient au royaume et à la gloire, car Jessé a engendré David, 1 P 2, 9 : Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis.
[1, 6]
53. Une fois présentée la suite de la généalogie des pères qui parcourt les patriarches, [Matthieu] présente ici [1, 6-11] la suite des pères selon la lignée des rois, et elle se divise en deux. D’abord, sont présentés les rois qui sont nés en Israël sans mélange avec une semence étrangère [1, 6-8] ; ensuite, sont présentés les rois qui sont issus de rapports avec des étrangers, à cet endroit : JORAM ENGENDRA OZIAS [1, 8-11].
54. Ici se pose une double question. Luc, en comptant la génération du Christ, remonte en passant par l’intermédiaire de Nathan. Mais Matthieu, en descendant, passe de David au Christ par l’intermédiaire de Salomon. Il semble ainsi y avoir une contradiction. Mais, comme on l’a dit, il faut dire que Luc, dans la généalogie du Christ, présente plusieurs pères qui ne furent pas pères par reproduction selon une origine charnelle, mais selon une adoption légale ; mais Matthieu n’en présente aucun qui ne soit un père charnel. Et il est vrai que, selon la chair, le Seigneur descend de David par l’intermédiaire de Salomon, et non pas de Nathan ; cependant, selon Augustin, ne laisse pas d’être mystérieux le fait que Matthieu descende jusqu’au Christ à partir de David par l’intermédiaire de Salomon, et que Luc remonte depuis le Christ jusqu’à David par l’intermédiaire de Nathan. En effet, Matthieu avait entrepris d’écrire la génération charnelle du Christ selon laquelle le Christ s’abaissa jusqu’à ressembler à la chair de péché [Rm 8, 3] ; c’est donc à juste titre que, dans sa génération, il descend de David par l’intermédiaire de Salomon, avec la mère duquel David lui-même a péché. Mais Luc, qui veut surtout mettre en relief dans le Christ la dignité sacerdotale, par laquelle se réalisa l’expiation des péchés, remonte à juste titre, en passant par Nathan, jusqu’à David, qui fut un homme juste. À noter cependant que, selon le même Augustin, dans le livre des Rétractations, il ne faut pas comprendre que Nathan le prophète, qui fit des reproches [à David], était le même que le fils qu’il engendra : ils ne se ressemblaient que par le nom.
55. En second lieu, on se demande pourquoi Bersabée n’est pas désignée par son nom, comme Thamar, Rahab et Ruth. Et il faut dire que les autres, bien qu’elles aient été pécheresses pendant un certain temps, se convertirent toutefois par la suite et firent pénitence ; mais celle-ci commit d’une manière honteuse le crime d’adultère et consentit à un homicide. C’est pourquoi son nom est passé sous silence par pudeur. À noter cependant que, dans l’Écriture, les péchés des grands sont racontés, comme c’est le cas pour David et pour d’autres, et cela, parce que le Diable n’a pas terrassé que les petits et les inférieurs, mais aussi les grands. Il est en effet notre adversaire. Et c’est par précaution que [les péchés des grands] sont racontés, afin que celui qui est debout prenne garde de tomber [1 Co 10, 12]. Une autre raison est qu’on ne doit pas penser que [les grands] sont plus que des hommes. En effet, si l’on ne voyait en eux que la perfection, on pourrait s’égarer par idolâtrie ; mais lorsqu’on les voit tomber par le péché, on ne croit pas qu’il y a en eux plus que de l’homme. À noter aussi, selon Grégoire, que parfois ce qui est fait au sens littéral est mal et ce qui est signifié est bon ; mais parfois, ce qui est fait est bon et ce qui est signifié est mal. En effet, Urie était un homme bon et juste, et personne dans l’Écriture ne lui fait de reproches ; cependant, il signifie le Diable. Mais Bersabée fut une pécheresse, et cependant elle signifie une réalité bonne, à savoir, l’Église, comme le note la Glose sur 2 R [2 S] 12, et aussi la Glose dont on dit qu’elle explique la figure selon le sens allégorique. En effet, Urie veut dire «Dieu est ma lumière», et signifie le Diable, qui a désiré la lumière de Dieu, Is 14, 14 : Je serai semblable au Très-Haut. Bersabée veut dire «sept puits» ou «puits de la communauté», et elle signifie l’Église des Gentils en raison de la grâce baptismale septiforme. Le Diable l’avait d’abord épousée, mais David, c’est-à-dire le Christ, la lui enleva, s’unit à elle et tua le Diable lui-même. Autre [interprétation] : Bersabée signifie la loi, sur les chemins de laquelle a été entraîné le peuple qui ne veut pas entrer dans la maison par l’intelligence spirituelle ; ainsi, il emporte les lettres qui le condamnent à mort, car la lettre tue, 2 Co 3, 6. Mais David, c’est-à-dire le Christ, enleva la loi aux Juifs, lorsqu’il enseigna qu’elle devait être interprétée spirituellement.
56. SALOMON ENGENDRA ROBOAM. De même que David veut dire «bras fort» ou «désirable au regard», de même Salomon veut dire «pacifique». Et ceci est correct, car la paix de la conscience vient de la force d’une bonne action, Ps 118[119], 165 : Grande paix pour ceux qui aiment ta loi. Or, il arrive que, pour la paix de sa conscience, un homme veuille que d’autres fassent le bien. Ainsi, SALOMON ENGENDRA ROBOAM, qui veut dire «élan», car il est mû par l’élan de la prédication, en possédant la paix de la conscience en vue de diffuser le nom du Christ, comme on lit à propos des apôtres, Is 27, 6 : Ils rejoindront Jacob par leur élan, Israël fleurira et germera, et ils rempliront la surface de la terre. Or, les deux signifient le Christ, car lui-même est la paix. De même, Roboam qui convertit le peuple par l’élan de la prédication.
57. ROBOAM ENGENDRA ABIA, qui veut dire «Dieu père», car, par le fait qu’un homme s’applique au progrès spirituel des autres ou à leur [progrès] corporel par les œuvres de miséricorde, il est rendu digne de la paternité de Dieu, comme [on le voit] plus loin, 5, 44 : Faites du bien à ceux qui vous haïssent, afin d’être les fils de votre Père qui est au ciel, etc. Et Lc 6, 36 : Soyez miséricordieux. Cela convient aussi au Christ, à qui il est dit : Je serai pour lui un Père, et il sera pour moi un Fils [He 1, 5].
58. ABIA ENGENDRA ASA, qui veut dire «s’élevant», car parfois l’homme, du fait qu’il devient père et supérieur à d’autres, encourt une certaine négligence de sa sécurité. Ainsi, ABIA ENGENDRA ASA, à savoir, afin que l’homme soit en progrès continuel et s’élève toujours vers des réalités plus grandes. Cela aussi convient au Christ, dont on dit qu’il «s’élève», c’est-à-dire, «croît», Lc 2, 40 : Or, l’enfant croissait. Ou encore, [on dit qu’il] «enlève», parce qu’il a enlevé les péchés du monde.
59. ASA ENGENDRA JOSAPHAT, qui veut dire «judicieux», car, par le fait que grandit continuellement l’homme spirituel, il devient judicieux, 1 Co 2, 15 : L’homme spirituel juge de tout. Et cela convient au Christ, car le Père a confié tout jugement au Fils [Jn 5, 22].
60. JOSAPHAT ENGENDRA JORAM, qui veut dire «habitant dans les hauteurs», car celui qui est établi comme juge doit habiter dans les hauteurs, Is 33, 16 : Celui-ci habitera dans les hauteurs. Comment cela se réalise, l’Apôtre le dit : Notre demeure est dans les cieux [Ph 3, 20]. Et ceci convient au Christ, car le Seigneur règne sur toutes les nations, Ps 112[113], 4.
61. JORAM ENGENDRA OZIAS. Ici se pose une question à propos de la lettre. Car, en 1 Ch 3, 11, on dit que Joram engendra Ochozias. Or, Ochozias engendra Joram, et Joram engendra Amasias, qui porte aussi le nom d’Azarias. Et Amasias engendra Ozias. Ainsi donc, l’évangéliste semble avoir erré sur deux points dans la suite de la généalogie : premièrement, parce que Joram n’a pas engendré Ozias, mais Amasias ; deuxièmement, parce qu’il a omis trois générations.
62. Sur le premier point, il faut dire qu’on peut comprendre de deux façons le fait d’engendrer quelqu’un : de manière médiate ou immédiate. De manière immédiate, comme lorsque le père charnel engendre un fils sans intermédiaire, et ainsi Joram n’a pas engendré Ozias. D’une autre façon, comme lorsque nous sommes appelés les fils d’Adam, et ainsi on peut dire d’un fils qu’il est engendré par un grand-père ou un arrière-grand-père, parce qu’il descend de lui d’une manière médiate.
63. Pourquoi [Matthieu] a omis trois rois, on en donne trois raisons. La première [est donnée] par Jérôme, qui dit, comme il est écrit en Ex 20, 5 : Le Seigneur visite les fautes des pères jusqu’à la troisième et à la quatrième génération pour ceux qui imitent les fautes de leurs pères. Or, Joram a pris comme épouse la fille de Jézabel, c’est-à-dire Athalie, qui l’entraîna vers l’idolâtrie. Ochozias aussi s’adonna à l’idolâtrie plus que son père. Et de même Joram, qui, en plus du péché d’idolâtrie, tua aussi Zacharie, fils de Ioiadas. Ainsi, ces trois sont écartés de la génération du Christ parce qu’ils étaient indignes. Chrysostome donne une autre raison. En effet, le Seigneur a ordonné à Jéhu, fils de Nansi, en 4[2] R 9, d’extirper lui-même la maison d’Achab ; il se montra empressé à accomplir ce précepte, et cependant il ne s’écarta pas du culte des dieux, puisqu’il adora des veaux en métal. Et parce qu’il accomplit avec empressement l’ordre du Seigneur en détruisant la maison d’Achab, il lui fut dit que ses fils siégeraient sur le trône de la maison d’Israël jusqu’à la quatrième génération. Ainsi, de même que Jéhu mérita le royaume d’Israël jusqu’à la troisième ou quatrième génération, de même, en sens contraire, Joram, qui s’unit à des femmes de Gentils et transmit l’iniquité de la maison d’Israël à la maison de Juda, dut-il perdre le nom de sa postérité dans la généalogie du Christ jusqu’à la quatrième génération pour expier son péché. Augustin, dans ses Questions sur le Nouveau et l’Ancien Testament, donne une autre raison. Il dit en effet que certains furent bons et eurent des pères bons, comme Isaac et Jacob ; mais certains furent mauvais et eurent cependant des pères bons, comme Salomon, qui fut pécheur, mais eut cependant comme père David, un homme juste et bon. Mais certains ne furent pas bons et n’eurent pas non plus des pères bons, tels ces trois, comme il est clair par ce qui a déjà été dit. Joram pécha et son péché se poursuivit jusqu’en Ozias, qui ne fit presque rien de mal, si ce n’est de faire brûler de l’encens. Or, la continuation de la faute est la cause ou la raison de la destruction. Et c’est pourquoi ces trois, qui demeurèrent dans l’idolâtrie, sont exclus de la généalogie du Christ.
64. Au sens mystique, la raison est donnée par rapport aux trois groupes de quatorze selon lesquels Matthieu entend décrire la généalogie du Christ. Car Ozias veut dire «le fort du Seigneur», et signifie le Christ, dont il est dit en Ps 117[118], 14 : Ma force et ma louange, c’est le Seigneur ; il fut pour moi le salut, etc. Au sens mystique, JORAM ENGENDRA OZIAS, parce que ceux qui habitent dans les hauteurs doivent agir avec force. À noter que c’est sous cet Ozias qu’Isaïe a prophétisé, Is 1, 1. En effet, en raison du péché des dirigeants, des rois et même du peuple, Dieu avait fait disparaître la prophétie et l’enseignement ; c’est pourquoi, sous un roi bon, la prophétie a commencé à nouveau à se manifester.
65. OZIAS ENGENDRA JOATHAM, qui veut dire «celui
qui progresse», et signifie le Christ, par lequel l’Église progresse chaque
jour. Et ainsi, Joatham a à juste titre engendré Joatham, parce que ceux qui
agissent avec force progressent continuellement, Ps 83[84], 8 : Ils iront de vertu en vertu.
66. JOATHAM ENGENDRA ACHAZ, qui signifie «celui qui comprend» ; car, en progressant continuellement dans les vertus, l’homme parvient à la connaissance de Dieu, Ps 108[109], 104 : Par tes commandements, j’ai compris ; pour cette raison, j’ai haï tout ce qui mène à l’injustice ; Ps 63[64], 10 : Ils ont annoncé les œuvres du Seigneur, et ses actions, ils les ont comprises. Pour cette raison, Paul dit aux Philippiens, 3, 12 : Je poursuis ma course pour tâcher de comprendre, ayant été moi-même saisi par le Christ Jésus. Et cela convient au Christ, qui seul comprend parfaitement la divinité, Lc 10, 22 : Personne ne connaît le Père sinon le Fils.
67. ACHAZ ENGENDRA ÉZÉCHIAS, c’est-à-dire, «le Seigneur fort», car celui-ci tient sa force du Seigneur, 2 R [2 S] 22, 2 : Le Seigneur est ma force et ma forteresse. Et cela convient au Christ, qui est fort au combat.
68. ÉZÉCHIAS ENGENDRA MANASSÉ, qui veut dire «oubli», car, celui qui connaît déjà Dieu parfaitement oublie les réalités temporelles, Ps 44[45], 11 : Oublie ton peuple et la maison de ton père ; Gn 41, 51 : Dieu m’a fait oublier toutes mes souffrances. Et cela convient au Christ, dont il est dit en Ez 18, 21 : Si l’impie se repent de tous les péchés qu’il a faits, de toutes les iniquités qu’il a faites, je ne me souviendrai plus.
69. MANASSÉ ENGENDRA AMON, qui veut dire «fidèle» et «nourrissant», car celui-là est vraiment fidèle qui méprise les réalités temporelles. En effet, selon Grégoire, la mauvaise foi est fille de l’avarice ; c’est pourquoi celui qui méprise totalement les réalités temporelles ne porte déjà plus attention à l’infidélité. Ainsi, Manassé a à juste titre engendré Amon. Cela peut aussi signifier «nourrissant», car celui qui méprise les réalités temporelles doit en conséquence nourrir les pauvres par miséricorde, plus loin, 19, 21 : Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, voilà le mépris [des réalités temporelles], et donne-le aux pauvres, voilà la nourriture. Or, cela convient au Christ qui est vraiment fidèle, Ps 144[145], 13 : Le Seigneur est fidèle en toutes ses œuvres ; [il est] aussi nourricier, Os 11, 3 : Moi qui ai nourri Éphraïm, je les portais dans mes bras, et ils n’ont pas reconnu que je prenais soin d’eux ; plus loin [Mt] 23, 37 : Combien de fois ai-je voulu rassembler tes fils comme les poules rassemblent leurs poussins sous leurs ailes, et tu n’as pas voulu ?
70. AMON ENGENDRA JOSIAS, qui veut dire «salut du Seigneur» ou «encens», car l’homme obtient le salut par le fait qu’il oublie aussi les choses temporelles et les dispense ou distribue. Ou bien, «encens». Cela convient au Christ, Ps 73[74], 12 : Celui qui a réalisé le salut au milieu de la terre, et s’est offert à Dieu en sacrifice d’agréable odeur, Ep 5, 2.
71. JOSIAS ENGENDRA JÉCHONIAS ET SES FRÈRES, qui veut dire «préparation du Seigneur» ou «résurrection» ; et il signifie le Christ, qui nous a préparé un endroit, Jn 14, 2, et qui dit en Jn 11, 25 : Je suis la résurrection et la vie, et par celle-ci nous parvenons à la résurrection.
72. Ici se pose une triple question à propos de la lettre. Premièrement, on se demande comment on peut dire que Josias a engendré Jéchonias, et pourtant ce n’est pas lui qu’il a engendré, mais son père, Joachim. À cela il y a une double réponse. En effet, selon Chrysostome, avec qui Augustin est d’accord, le nom de Joachim est complètement laissé de côté, et cela parce qu’il n’a pas régné sur l’ordre de Dieu, mais par la puissance de Pharaon, qui l’imposa comme roi, après avoir incarcéré son frère premier-né, Joathan, qui avait régné avant lui. À ce sujet, [il faut] remarquer l’histoire en 4[2] R 22 et 2 Ch 36, 1s. Or, Josias eut trois fils : Joathan, Joachim, qui est aussi appelé Éliacin, et Sédéchias. Si, comme le dit Augustin, ces trois rois sont écartés de la généalogie parce qu’ils ont été corrompus par l’idolâtrie, à bien plus forte raison celui qui a été établi roi, non pas par Dieu ou par une prophétie, mais par la décision d’un païen, [n’aurait-il pas dû être écarté] ? La réponse est non, selon ce que dit Jérôme et ce qu’entend Ambroise, qui est d’accord avec cela : les deux sont appelés Joachim, celui qui est placé à la fin du [deuxième] groupe de quatorze et celui qui est placé au début du troisième groupe de quatorze, et les deux Jéchonias et Joachim sont le même personnage. Aussi faut-il remarquer que Josias a eu trois fils : Joachim, qui est aussi Éliacin, Joathan et Sédécias. Lorsque Josias mourut, Joathan régna à sa place, à titre de fils intermédiaire ; lorsque celui-ci fut capturé par Pharaon, le roi d’Égypte, [celui-ci] établit comme roi son frère premier-né, Joachim, en lui imposant un tribut. Par la suite, Nabuchodonosor, le roi de Babylone, l’ayant emporté sur le roi d’Égypte, assiégea Jérusalem et captura Joachim, qu’il renvoya à Jérusalem en échange d’un tribut. Par la suite, lorsque Joachim voulut se rebeller contre le roi de Babylone, en comptant sur l’aide du roi d’Égypte, Nabuchodonosor monta à Jérusalem, le captura et le tua, et le remplaça par son fils, Joachim, qu’il appela Jéchonias, du nom de son père. Cela fait, Nabuchodonosor, craignant que celui-ci, se rappelant la mort de son père, ne s’allie au roi d’Égypte, revint à Jérusalem et l’assiégea ; et Jéchonias, ou ce Joachim, le fils de l’autre, se livra au roi Nabuchodonosor, ainsi que son épouse et ses fils, sur le conseil de Jérémie. Et c’est de ceux-ci dont on dit qu’ils ont à proprement parler été déportés lors de la déportation. Mais Nabuchodonosor établit comme roi Sédécias, le frère de son père, et amena Joachim lui-même à Babylone. Et c’est de lui dont il est dit plus loin : Et après la déportation [Mt 1, 12]. Mais pourquoi a-t-il été appelé Jéchonias, alors que son nom était Joachim ? Il faut dire que ce nom lui avait été donné par le prophète, à savoir, Jérémie, Jr 22, 24 : Voici ce que dit le Seigneur : Si Jéchonias, fils de Joachim, roi de Juda, était un anneau dans ma main droite, je l’arracherais ; et plus loin [Jr 22, 28] : Est-ce que ce Jéchonias n’est pas un vase d’argile brisé ? C’est pourquoi l’évangéliste lui donne plutôt ce nom, afin de montrer que l’évangéliste est d’accord avec le prophète. Il faut remarquer aussi que, bien que le nom soit le même, il est écrit différemment. Le nom du premier Joachim est écrit avec un k, et on semble le prononcer Joakim ; mais le nom du second est écrit avec un ghimel, de sorte qu’il est prononcé Joachim. Ils ont ainsi une interprétation différente. Le premier veut dire «résurrection», mais le second [veut dire] «préparation du Seigneur».
73. En second lieu, on se demande pourquoi on dit : JÉCHONIAS ET SES FRÈRES. En effet, nombreux ont été les rois qui ont eu des frères, mais on ne dit jamais ou on ne mentionne jamais qu’ils avaient des frères. Il faut dire, selon Ambroise, que partout où l’on mentionne des frères, comme lorsqu’on dit : Juda et ses frères, et : Pharès et Zara, fils de Thamar, cela signifie qu’ils étaient égaux en sainteté ou en malice. Or, ces trois sont mauvais. Ou l’on peut dire que parce que l’un de ces frères a régné, comme il est clair par ce qui a été dit, il n’en fut pas ainsi des frères des autres rois.
74. En troisième lieu, on se pose une question sur le fait qu’on dise : LORS DE LA DÉPORTATION. Cela semble faux, car Josias n’a pas été déporté. Il faut dire que ceci est considéré du point de vue de la prescience divine, selon laquelle il avait été ordonné que ceux qu’il engendrait alors devaient être déportés. Ou bien on peut dire que LORS DE LA DÉPORTATION est la même chose que près de la déportation, c’est-à-dire, alors que la déportation était imminente.
75. Ici est présenté le troisième groupe de
quatorze de la généalogie du Christ, qui se déroule selon les personnes
privées. À propos de ce Jéchonias, comme on l’a dit plus haut, deux opinions ont
été exprimées. En effet, Jérôme et Ambroise veulent que le second ait été celui
qui est présenté à la fin du deuxième groupe de quatorze et ait été appelé
Joakim, l’autre, celui qui est appelé Joachim. Mais, pour Augustin, [on verra]
ce qui a été dit plus haut. En effet, cette déportation des fils d’Israël
signifie le passage de la foi aux Gentils, Ac 13, 46 : Il fallait que la parole de Dieu fût d’abord
adressée à vous. Dans cette déportation, les Juifs se reflètent d’une
certaine manière dans les Gentils. De sorte qu’apparaît une sorte d’angle. Et
c’est pourquoi ce Jéchonias signifie le Christ, qui est devenu la pierre
d’angle [Ep 2, 20 ; 1 P 2, 6], en unissant en
lui-même les deux peuples, les Juifs et les Gentils, Ps 117[118], 22 :
La pierre que les constructeurs avaient
écartée est devenue la pierre d’angle.
76. Mais ici on se pose une question. En Jr 22, 30, il est dit : Écris que cet homme est un homme stérile, qui ne se multipliera pas au cours de sa vie ; en effet, personne parmi sa descendance ne siégera sur le trône de David. Comment donc peut-on dire que le Christ est issu de David par l’intermédiaire de Sédécias, puisque Isaïe a écrit au sujet du Christ, Is 9, 2 : Il s’assoira sur le trône de David et régnera sur son royaume ? Selon Ambroise, il faut dire que lorsqu’on dit que le Christ s’assoit sur le trône, il faut l’entendre d’un royaume spirituel, et non pas corporel, sinon dans la mesure où le royaume corporel de David signifie le [royaume] spirituel.
77. SALATHIEL ENGENDRA ZOROBABEL. À l’encontre de [cette affirmation], on dit en 1 Ch 3, 17 que les fils de Jéchonias furent Asir, Salathiel, Melchiram et Phadaia. Or, Phadaia eut comme fils Zarobabel et Semel ; par la suite, il n’y est fait aucune mention d’Abioud [Mt 1, 13]. Il semble donc que l’évangéliste dit à tort que Salathiel engendra Zarobabel, et que Zorobabel engendra Abioud. À cela, la Glose apporte une triple réponse. Une réponse est que, dans le livre des Chroniques, beaucoup de passages ont été corrompus en raison de la défaillance des scribes, principalement lorsqu’il s’agit des nombres et des noms. De sorte que l’Apôtre interdit de trop s’arrêter à ces générations corrompues, qui soulèvent davantage de questions qu’elles ne sont utiles, 1 Tm 1, 4. Une autre réponse est que Salathiel a porté deux noms : en effet, il était appelé Salathiel et Caphadra. C’est pourquoi le livre des Chroniques dit que Zorobabel est le fils de Capha, alors que l’évangéliste dit qu’il était le fils de Salathiel [Lc 3, 27]. Il n’y a donc pas d’opposition. Une troisième réponse, et la plus vraie, est que Salathiel et Caphadra étaient des frères, comme le dit le livre des Chroniques. Or, Caphadra engendra un fils à qui il donna le même nom, à savoir, Zorobabel, et celui-ci engendra Abioud. Il faut dire aussi que le livre des Chroniques raconte la généalogie de Capha lui-même, et l’évangéliste, la génération de Salathiel, parce que de lui devait naître le Christ.
78. Or, il faut noter que, de ceux qui vécurent depuis Abioud jusqu’à Joseph [Mt 1, 13‑16], aucune mention n’est faite dans la Sainte Écriture, mais qu’ils ont été tirés des annales des Hébreux, qu’Hérode a fait brûler pour une grande part afin de cacher la bassesse de sa naissance.
79. Le sens de la lettre est clair. Recherchons le sens mystique. À noter donc que, dans cette partie de la généalogie, sont présentés trois ordres. Le premier est l’ordre des docteurs, et il comporte quatre générations. En effet, avant la prière, une préparation est nécessaire, selon Si 18, 23 : Avant de prier, prépare ton âme. C’est pourquoi de Jéchonias, qui veut dire «préparation du Seigneur», est issu Salathiel, qui veut dire «ma demande» ; et ils désignent le Christ, qui a en tout été écouté en raison de sa piété, He 5, 7. Or, la prière doit précéder l’enseignement, selon Ep 6, 19 : Priez afin qu’il me soit donné d’ouvrir la bouche pour parler ; et ainsi, Salathiel suit Zorobabel, qui veut dire «maître de Babel», c’est-à-dire de la confusion. Car, par l’enseignement et la prédication des apôtres, les nations ont été rappelées au vrai Dieu, et cela, pour la confusion de l’idolâtrie. Et cela convient principalement au Christ, qui dit : Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, Jn 13, 13. Or, par l’enseignement et la prédication, l’homme acquiert la dignité de père. C’est ainsi que [les prédicateurs] sont appelés les pères de ceux qu’ils instruisent spirituellement, 1 Co 4, 15 : Auriez-vous en effet des milliers de pédagogues dans le Christ, vous n’auriez pas plusieurs pères : en effet, c’est par l’évangile que nous sommes fils dans le Christ Jésus. Et c’est ainsi que suit : ZOROBABEL ENGENDRA ABIOUD, qui veut dire «celui-ci est mon père» ; et cela convient au Christ, Ps 88[89], 27 : Celui-ci m’invoquera : «Tu es mon père.»
80. ABIOUD ENGENDRA ÉLIACIN. Ici est désigné l’ordre des débutants, c’est-à-dire des auditeurs. En premier lieu, ce qui est réalisé par la prédication chez l’auditeur et ce que doit viser le prédicateur, c’est qu’il sorte des vices [pour se diriger] vers les vertus, selon Ep 5, 4 : Réveille-toi, toi qui dors ; et c’est pourquoi ABIOUD ENGENDRA ÉLIACIN, qui veut dire «résurrection». Et cela convient au Christ, qui dit, Jn 11, 26 : Tous ceux qui croient en moi ont la vie éternelle. Or, celui qui se réveille ne peut parvenir à l’état de justice que par l’aide de Dieu ; et ainsi, après qu’il est ressuscité, l’homme a besoin de l’aide de Dieu, selon Ps 120[121], 2 : Le Seigneur me vient en aide. On poursuit alors : ÉLIACIN ENGENDRA AZOR, qui veut dire «aidé». Et ceci convient au Christ, dont il est dit en Ps 26[27], 9 : Viens à mon aide, Seigneur.
81. Et par cette aide, on parvient à la justice, d’où : AZOR ENGENDRA SADOCH, qui veut dire «juste», Rm 3, 22 : La justice de Dieu par la foi destinée à tous et pour tous ceux qui croient en lui. Or, la consommation de la justice ou sa fin est la charité : La fin de la justice, c’est le Christ ; la fin de la loi est la charité, 1 Tm 1, 5. Il n’y a que deux préceptes, à savoir, l’amour de Dieu et du prochain, 1 Jn 4, 21 : Et nous tenons ce commandement de Dieu, que celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère.
82. Et c’est pourquoi SADOCH suit ACHIM, et ACHIM, ÉLIOUD. Achim veut dire «mon frère» ; il désigne donc l’amour du prochain, Ps 132, 1 : Comme il est bon, comme il est agréable d’habiter ensemble comme des frères. Cela convient au Christ, qui est notre chair et notre frère. Et parce qu’il ne peut pas y avoir d’amour du prochain sans amour de Dieu, il en découle que Achim a engendré Élioud. Élioud veut dire «mon Dieu», Ps 17[18], 2 : Je t’aimerai, Seigneur. Et cela convient au Christ, Ps 30[31], 15 : Tu es mon Dieu.
83. ÉLIOUD [corr. : Achim/Élioud] ENGENDRA ÉLÉAZAR. Ici est désigné l’ordre de ceux qui progressent. On ne peut en effet progresser sans l’aide divine. Ainsi, ce qui est d’abord requis pour progresser est l’aide divine ; c’est pourquoi Éléazar suit à juste titre Élioud, qui veut dire «Dieu est mon secours», Ps 83[84], 6 : Bienheureux l’homme dont le secours vient de toi. Mais, alors que Dieu peut aider au salut de plusieurs manières, comme par l’enlèvement des empêchements et en donnant des occasions, son aide la plus puissante se fait par le don de sa grâce, 1 Co 15, 10 : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. Et ainsi, ÉLÉAZAR ENTRAÎNE MATHAN, qui veut dire «don», à savoir, de la grâce de Dieu. Et cela convient au Christ, qui est aussi le donateur, Jn 3, 16 : Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique ; Ep 4, 8 : Il a donné des dons aux hommes. Mais parce que l’homme pourrait s’en remettre seulement au don de la grâce au point de tomber dans la négligence en ne coopérant pas à la grâce par son libre arbitre, c’est pourquoi suit Jacob, qui veut dire «lutteur» ; pour cette raison, [on trouve] en 1 Co 15, 10 : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et on poursuit : Et la grâce n’a pas été vaine en moi ; 2 Co 6, 1 : Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu.
84. Et maintenant vient Joseph, c’est-à-dire «accroissement», car par la grâce et l’effort du libre arbitre, l’homme en vient à la croissance, Pr 4, 8 : Le sentier des justes se déroule comme une lumière resplendissante et monte jusqu’au plein jour. Ainsi, JACOB ENGENDRA JOSEPH, L’ÉPOUX DE MARIE.
85. Mais ici se pose une double question. Premièrement, on s’interroge en effet sur la divergence qui semble exister entre Luc et Matthieu. Car, Luc dit que Joseph était le fils d’Héli, le fils de Mathat ; mais Matthieu dit qu’il était le fils de Jacob. Il semble donc y avoir une divergence entre eux. Mais, sur ce point, il faut dire que les deux étaient de la même lignée, mais non de la même famille, à savoir, Mathan et Mathat. En effet, ils étaient de la lignée de David, mais l’un descendait de la lignée de David par Salomon, à savoir, Mathan ; l’autre, par Nathan, à savoir, Mathat. Mathan prit donc une épouse qui portait le nom de Hesta, de laquelle il engendra Jacob ; mais après la mort de Mathan, comme la loi n’interdisait pas d’épouser une veuve, elle épousa le frère de celui-ci, Mathat, qui engendra d’elle Héli. Ainsi, Jacob et Héli étaient frères par la même mère, mais non par le même père. Héli prit une épouse et mourut sans enfants, de sorte que Jacob, afin de donner une descendance à son frère, la prit comme épouse et engendra Joseph. Ainsi Joseph était fils de Jacob selon la chair, mais fils d’Héli par adoption. Et c’est pourquoi Matthieu, qui ne présente dans la généalogie du Christ que les pères charnels, dit que Joseph était le fils de Jacob ; mais Luc, qui en présente plusieurs qui n’étaient pas des pères charnels, dit qu’il était le fils d’Héli. La raison de cette différence a été donnée plus haut. Mais il faut remarquer que lorsqu’un frère prenait l’épouse de son frère afin de lui donner une descendance, il ne faut pas comprendre que le fils qui était engendré était nommé du nom du défunt : en effet, Booz, qui a pris Ruth afin de donner une descendance à Élimélech, engendra un fils, qu’il n’appela pas Élimélech, mais Obed. Mais on dit qu’il donne une descendance à son frère dans la mesure où ce fils lui était imputé selon la loi. Et ceci n’est pas inconvenant, car, comme il est dit dans l’histoire ecclésiastique, les apôtres et les évangélistes eux-mêmes ont été instruits de la généalogie du Christ par les proches parents du Christ, qui la conservaient en partie dans leur cœur par la mémoire et en partie par ce qui est écrit dans les livres des Chroniques.
86. La seconde question est [la suivante] : Matthieu voulait écrire la généalogie du Christ. Or, comme le Christ n’était pas le fils de Joseph, mais [celui] de Marie seulement, pourquoi était-il nécessaire d’étendre la généalogie du Christ depuis Abraham jusqu’à Joseph ? Sur ce point, il faut dire que c’était la coutume, chez les Juifs, et ce l’est encore jusqu’à aujourd’hui, de prendre une épouse à l’intérieur de sa tribu ; ainsi, en Nb 36, 6s, il est dit que chacun prenne une épouse de sa tribu et de son clan. Et bien que ceci n’ait pas été nécessairement respecté, cela était respecté de manière coutumière. Ainsi, Joseph prit Marie comme épouse parce qu’elle lui était la plus proche. Et parce qu’ils étaient de la même lignée, afin que soit montré que Joseph descendait de David, il est aussi montré que Marie et le Christ étaient de la descendance de David.
87. Mais d’où peut-on tirer que Joseph et Marie étaient de la même tribu ? Cela s’éclaire par ce qui est dit en Lc 2, 4, car, lorsqu’on dut faire un recensement, Joseph lui-même et Marie montèrent vers la ville de David, qui est Bethléem. Ainsi, par le fait qu’il l’amena avec lui, il est clair qu’ils étaient de la même famille. Mais on se demande pourquoi il ne montre pas que le Christ descend de David à travers Marie. Il faut dire que ce n’est pas la coutume chez les Hébreux, pas davantage que chez les Gentils, de décrire une généalogie par les femmes. De sorte que le Christ, qui venait pour le salut des hommes, voulut imiter ou respecter sur ce point les habitudes des hommes. Et ainsi, sa généalogie n’est pas décrite selon les femmes, surtout que sa généalogie pouvait être connue selon les hommes sans risque pour la vérité.
88. L’ÉPOUX DE MARIE. Jérôme [commente] : «Lorsque tu entends “ époux ”, ne mets pas en doute qu’il s’agisse d’un mariage.» En sens contraire, ne s’agissait-il pas d’un vrai mariage ? Il faut dire qu’il en était bien ainsi, car là se trouvent les trois biens du mariage : la descendance, Dieu lui-même ; la fidélité, car il n’y a pas adultère ; et le sacrement, car existe l’indivisible union des âmes. Que faut-il donc dire ? [La question qui se pose] concerne l’accomplissement du mariage, qui se réalise par l’union charnelle. Ainsi donc, comme le dit Augustin, [Joseph] est appelé «époux» de Marie afin qu’il soit montré que le mariage existe entre deux [personnes] continentes, qui veulent également l’être. Mais comment cela fut-il un mariage ? Car un vœu empêche de contracter mariage et annule celui qui a été contracté. Or, comme la bienheureuse Vierge avait fait vœu de virginité, il ne semble avoir existé aucun mariage. De plus, s’il y eut mariage, elle a consenti à l’union charnelle. Mais il faut dire que la bienheureuse Vierge était préoccupée par deux choses : d’une part, elle était préoccupée par la malédiction de la loi à laquelle était soumise la femme stérile ; d’autre part, elle était préoccupée par son propos de conserver la chasteté. C’est pourquoi elle se proposait de demeurer vierge, à moins que le Seigneur n’en dispose autrement ; elle s’en remit donc à la décision divine. À propos de ce qui est dit, à savoir qu’elle a consenti à l’union charnelle, [il faut dire] que non ; mais [elle a consenti] de manière directe au mariage, et à l’union charnelle de manière implicite, si Dieu le voulait.
89. DE LAQUELLE EST NÉ JÉSUS, QUE L’ON APPELLE
CHRIST. Ici, une double erreur est écartée. L’une qui dit que le Christ était
le fils de Joseph, et cela est exclu par le fait qu’on dise : DE LAQUELLE.
En effet, s’il avait été le fils de Joseph, [Matthieu] aurait dit : duquel, ou tout au moins : desquels. Une autre erreur est exclue, à
savoir celle de Valentin, qui dit que le Christ ne tient pas son corps de la
bienheureuse Vierge, mais l’a apporté du ciel, et que celui-ci est passé par la
bienheureuse Vierge comme par un canal. À cela s’oppose le fait que [Matthieu]
dise : DE LAQUELLE. En effet, s’il en était comme [Valentin] le dit,
l’évangéliste aurait dit non pas : de
laquelle, mais : par
l’intermédiaire de laquelle, ou : par
l’action de laquelle, ou : à
partir de laquelle, ou quelque chose du genre. Car cette préposition «de» [de] indique toujours la
consubstantialité, mais non la préposition «à partir de» [ex]. Ainsi, on peut dire : «Le jour vient du matin», et
«L’arche vient de l’artisan», mais on ne dit jamais : «[L’arche est faite
de] l’artisan.» Ainsi, par le fait que [Matthieu] dise DE [LAQUELLE], il indique que le corps du Christ a
été formé à même le corps de la bienheureuse Vierge, Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme,
placé sous la loi.
90. Ici, il faut éviter l’erreur de Nestorius, qui affirmait qu’il y avait deux personnes dans le Christ ; il ne reconnaissait donc pas que Dieu était né ou avait souffert, et il n’attribuait pas à l’homme [qu’était le Christ] les autres choses qui appartiennent à Dieu, comme d’être éternel ou d’avoir créé les étoiles. Ainsi, dans une de ses lettres, il cite ce texte pour appuyer son erreur : «De laquelle est né Jésus. [L’évangéliste] ne dit pas : Dieu, mais : Jésus, qui est un nom d’homme, et le Christ.» Mais, si l’on suivait cela, il n’y aurait pas d’union dans le Christ, et on ne dirait pas que le Christ est un. Il faut remarquer, donc, que, dans le Christ, parce que se réalise l’union de deux natures en une seule personne, se fait la communication des idiomes, de sorte que ce qui appartient à Dieu est attribué à l’homme, et inversement. Et on peut donner comme un certain exemple deux accidents dans un sujet, comme lorsqu’on dit d’un fruit qu’il est blanc et savoureux : on peut dire que ce qui est savoureux est blanc, en raison de quoi le fruit est blanc, et inversement.
91. QU’ON APPELLE CHRIST. Il faut remarquer qu’on dit simplement «Christ», sans ajout, pour montrer qu’il était oint d’une huile invisible, et non matérielle, comme les rois ou les prophètes sous la loi, Ps 44[45], 8 : Dieu t’a oint, ton Dieu, d’une huile de joie, plus que tous tes parents.
92. Après avoir présenté la généalogie du Christ, [Matthieu] conclut ainsi le nombre des générations, et il les divise en trois groupes de quatorze. Le premier groupe de quatorze va d’Abraham à David inclusivement, à savoir que David est compté dans ce premier groupe de quatorze. Ainsi : TOUTES LES GÉNÉRATIONS. Le deuxième groupe de quatorze se déploie à partir de David exclusivement, à savoir que David n’est pas compté, mais qu’on débute par Salomon, et il se termine à la déportation à Babylone. Ainsi : DE DAVID À LA DÉPORTATION DE BABYLONE. Le troisième débute par la déportation de Babylone et se termine au Christ, de sorte que le Christ est le quatorzième.
93. Mais on se demande pourquoi l’évangéliste
a réparti avec autant de soin et d’attention la généalogie du Christ en trois
groupes de quatorze. Chrysostome en donne une raison : parce que, dans ces
trois groupes de quatorze, s’est toujours produit un certain changement dans le
peuple d’Israël. En effet, dans le premier groupe de quatorze, il était sous la
direction de chefs ; dans le second, sous la direction de rois ; dans
le troisième, sous celle de prêtres. Et le Christ lui-même est chef, roi et
prêtre, Is 33, 22 : Le
Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, le Seigneur est
notre roi. À propos de son sacerdoce, il est dit en
Ps 109, 4 : Tu es prêtre
pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech.
94. Le même [Chrysostome] donne une autre raison, à savoir que soit montrée la nécessité de la venue du Christ. En effet, dans le premier groupe de quatorze, [le peuple] demanda des rois contre la volonté de Dieu, et il a transgressé la loi. Dans le second, ils ont été emmenés en exil en raison de leurs péchés. Mais, dans le troisième, nous sommes libérés de toute faute, de la misère et de la servitude spirituelle du péché.
95. Jérôme donne une troisième raison, à savoir que par ces [groupes] sont indiquées trois époques que traverse la vie de tous les hommes. En effet, par le premier, est indiqué le temps avant la loi, parce que, dans celui-ci, sont présentés certains pères antérieurs à la loi ; par le deuxième, le temps sous la loi, parce que tous ceux qui y sont présentés vécurent sous la loi ; mais, par le troisième, le temps de la grâce, car il se termine par le Christ, par lequel la grâce et la vérité sont apparues, Jn 1, 17.
96. Cette distinction est aussi conforme au mystère, car le groupe de quatorze est un nombre composé de quatre et de dix. Par dix s’entend donc l’Ancien Testament, qui a été donné dans les dix commandements. Mais par quatre, l’évangile, qui est réparti en quatre livres. Par ailleurs, les trois groupes de quatorze désignent la foi en la Trinité. De sorte que par le fait que Matthieu divise la généalogie en trois groupes de quatorze, est indiqué le fait que l’on parvient au Christ par le Nouveau et l’Ancien Testaments dans la foi en la Trinité.
97. Cependant, au sujet des générations, il existe une double opinion. En effet, selon Jérôme, qui dit que le Jéchonias de la fin du premier groupe de quatorze est différent de celui du début du deuxième groupe, il existe quarante-deux générations : tel est, en effet, la somme de trois groupes de quatorze. Mais, selon Augustin, il n’y a que quarante et une générations, et le Christ compte pour une. Et ceci est conforme au mystère. En effet, le nombre quarante vient de la multiplication de quatre par dix, et inversement. Or, selon les platoniciens, quatre est le nombre des corps, car le corps est composé de quatre éléments. Mais dix est le nombre qui vient de l’addition de nombres en série : en effet, un, deux, trois et quatre donnent dix. Et parce que Matthieu entend manifester comment le Christ est descendu jusqu’à nous par une lignée, le Christ est ainsi venu jusqu’à nous par quarante générations. Mais Luc, qui veut mettre en relief la dignité sacerdotale dans le Christ, à qui revient l’expiation des péchés, plus loin, 18, 22 : Je ne te dis pas sept fois, mais soixante dix-sept fois sept fois, etc., présente soixante-dix-sept générations : en effet, ce nombre provient de la multiplication de sept par onze, car sept fois onze donnent soixante-dix-sept. Par onze, s’entend donc la transgression du décalogue ; par sept, la grâce septiforme, par laquelle se réalise la rémission des péchés. Mais que, selon Jérôme, il y ait quarante-deux générations n’est pas non plus dépourvu de mystère, parce que, par ces deux, s’entendent les deux préceptes de la charité, ou les deux testaments, le Nouveau et l’Ancien.
98. Une fois présentée la généalogie du Christ d’une manière générale, ici est décrite sa génération d’une manière particulière ; et elle se divise en trois parties : premièrement, [Matthieu] donne un titre [1, 18] ; deuxièmement, l’évangéliste décrit le mode de la génération, en cet endroit : ALORS QUE SA MÈRE, MARIE, ÉTAIT FIANCÉE À JOSEPH [1, 18] ; troisièmement, il démontre le mode de la génération, en cet endroit : OR, JOSEPH, SON ÉPOUX [1, 19].
99. [Matthieu] dit donc : OR, TELLE FUT LA GÉNÉRATION DU CHRIST [1, 18]. Ceci se lit de deux façons. En effet, selon Chrysostome, il s’agit pour ainsi dire d’un prologue à ce qui va être dit ; mais, selon Rémi, il s’agit pour ainsi dire d’un épilogue à ce qui a été dit. Selon la première manière, on lit donc : «On a ainsi dit à propos de la génération du Christ comment Abraham engendra Isaac, etc. par l’union charnelle, mais la génération du Christ s’est faite ainsi», en ajoutant : «comme il est dit dans ce qui suit». Selon la seconde façon, on y lit l’épilogue de ce qui précède : «Ainsi, Abraham, etc., jusqu’au Christ : Telle fut la génération du Christ», en ajoutant : «comme, depuis Abraham en passant par David et les autres, elle s’étend jusqu’au Christ».
100. Ensuite, [Matthieu] décrit le mode de la génération. En premier lieu, il décrit la personne qui engendre, lorsqu’il dit : ALORS QU’ELLE ÉTAIT FIANCÉE ; en second lieu, la génération même du Christ, lorsqu’il dit : AVANT QU’ILS EUSSENT COHABITÉ, ELLE SE TROUVA ENCEINTE ; troisièmement, l’auteur de la génération : DU SAINT-ESPRIT.
101. [Matthieu] décrit la personne qui engendre par trois points : en premier lieu, par sa condition, lorsqu’il dit : FIANCÉE… JOSEPH ; deuxièmement, par sa dignité : SA MÈRE ; troisièmement, par son nom propre : MARIE.
102. [Matthieu] dit donc : ALORS QUE SA MÈRE, MARIE, ÉTAIT FIANCÉE À JOSEPH [1, 18]. Mais aussitôt surgit une question. Puisque le Christ a voulu naître d’une vierge, pourquoi a-t-il voulu que sa mère soit fiancée ? Une triple raison est donnée par Jérôme. La première, pour que le témoignage rendu à sa virginité apparaisse plus crédible. En effet, si elle n’avait pas été fiancée et avait dit qu’elle était vierge, alors qu’elle était enceinte, elle n’aurait pas semblé faire autre chose que cacher une faute d’adultère. Mais, comme elle était fiancée, il ne lui était pas nécessaire de mentir. Ainsi, il serait plus facile qu’on la croie, Ps 92[93], 5 : Tes témoignages sont rendus plus crédibles. Une autre raison était qu’elle eût la protection d’un homme, lorsqu’elle s’enfuirait en Égypte ou lorsqu’elle en reviendrait. Une troisième, pour que son enfantement soit caché au Diable, de crainte que, si celui-ci le connaissait, il empêche la passion [de Jésus] et le fruit de notre rédemption, 1 Co 2, 8 : S’ils l’avaient su, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire. [Ce passage] est expliqué comme s’appliquant au Démon, à savoir qu’il n’aurait pas permis qu’il soit crucifié.
103. Mais, en sens contraire, est-ce que celui-ci ne savait pas qu’elle était vierge ? En effet, sa virginité consistait en ce que sa chair n’était pas corrompue. Le Diable pouvait donc savoir qu’elle était vierge. Mais il faut dire, selon Ambroise, qui donne aussi cette raison, que les diables peuvent agir par une certaine subtilité de nature, mais non pas cependant sans une permission divine. Ainsi, le Diable aura connu la virginité [de Marie], à moins que, par un dessein divin attentif, il n’en ait été empêché par Dieu.
104. Selon Ambroise, une triple raison est donnée. Le Seigneur ne voulait pas que les hommes doutent de sa naissance, pas plus que de la chasteté de sa mère. Aussi voulut-il qu’elle soit fiancée afin que soit écarté le soupçon d’adultère : en effet, il était venu accomplir la loi, et non l’abolir, Mt 5, 17 : Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Il est dit en Ex 20, 2 : Honore ton père et ta mère. Autre raison : afin que, pour les vierges reconnues, l’excuse de l’adultère soit écartée. En effet, si la mère du Seigneur n’avait pas été fiancée et était pourtant enceinte, [celles-ci] pourraient de cette manière prendre excuse sur elle, Ps 140[141], 4 : N’incline pas ton cœur à des paroles malicieuses pour te justifier de tes péchés. Troisième raison : parce que le Christ a pris l’Église comme fiancée, car elle est vierge, 2 Co 11, 2 : Je vous ai fiancés. C’est pourquoi il a voulu naître d’une vierge fiancée en signe qu’il avait épousé l’Église.
105. ALORS QU’ELLE ÉTAIT FIANCÉE. Mais à qui ? À Joseph. Selon Chrysostome, Joseph était menuisier, et il désigne le Christ, qui par le bois de la croix a tout rétabli, les choses célestes et les terrestres, etc. [Ep 1, 10].
106. SA MÈRE. Ici est montrée la dignité [de celle-ci] : en effet, à aucune autre créature, ni à un homme ni à un ange, n’a été accordé d’être le père ou la mère de Dieu, mais ceci fut le privilège d’une grâce singulière qu’elle devienne mère non seulement d’un homme, mais de Dieu. C’est pourquoi, en Ap 12, 1, il est dit : Une femme revêtue du soleil, comme si elle était remplie de la divinité. Ce que Nestorius niait, et cela, parce que la divinité n’avait pas été accueillie par une vierge. Contre lui, le martyr Ignace emploie un bel exemple pour montrer qu’elle était la mère de Dieu. «Il est clair, dit-il, que, dans la génération des hommes ordinaires, une femme est appelée mère, et cependant cette femme ne donne pas l’âme raisonnable, qui vient de Dieu, mais fournit la substance pour la formation du corps. Pour cette raison, la femme est appelée mère de tout l’homme, parce que ce qui vient d’elle est uni à l’âme raisonnable. De même, puisque l’humanité du Christ provient de la bienheureuse Vierge, en raison de l’union à la divinité, la bienheureuse Vierge est appelée non seulement mère d’un homme, mais aussi mère de Dieu, bien que la divinité ne vienne pas d’elle, comme chez les autres, l’âme raisonnable ne vient pas de la mère.»
107. MARIE, un nom propre. Il veut dire «étoile de la mer» ou «illuminatrice» et, dans sa langue, «maîtresse». Ainsi, en Ap 12, 1, elle est décrite avec la lune sous ses pieds.
108. AVANT QU’ILS EUSSENT COHABITÉ, etc. Ici, Elvidius fait une objection : si [cela se passa] avant qu’ils eussent cohabité, ils cohabitèrent donc à un certain moment. Il concluait en niant la virginité de la mère du Christ : elle fut connue par un homme, non pas avant la naissance, ni durant la naissance, mais après la naissance. Et Jérôme répond que, sans aucun doute, le fait de dire «avant» se rapporte toujours au futur. Mais ceci peut se faire de deux façons : soit en raison du motif, soit selon la perception par l’intelligence. En effet, si on dit : «Avant de manger dans le port de Rome, j’ai navigué vers l’Afrique», cela ne veut pas dire qu’après avoir navigué vers l’Afrique, j’ai mangé, mais que, alors que je me proposais de manger, empêché par la navigation, je n’ai pas mangé. Il en est de même ici. Il ne faut donc pas entendre que, par la suite, ils ont effectivement cohabité, comme le dit cet impie ; mais, par le fait même qu’elle lui était fiancée selon l’opinion commune, il leur était permis de cohabiter à un certain moment, bien qu’ils n’aient jamais cohabité. Rémi donne une autre explication : que ceci s’entende de la célébration solennelle des noces. En effet, les fiançailles existaient et se faisaient quelques jours avant et, entre-temps, la fiancée n’était pas sous la garde de l’homme ; la célébration solennelle des noces avait lieu après, et [la fiancée] était alors conduite à la maison de son mari. Ici, l’évangéliste parle de ces noces. Et, de ce fait, l’objection d’Elvidius ne tient pas.
109. Il faut remarquer la justesse du mot : en effet, on dit à proprement parler que quelque chose a été «trouvé» lorsque cela n’était pas attendu ou qu’on n’y pensait pas ; et cependant, Joseph avait une si grande opinion de la chasteté de Marie, qu’il fut dépassé de la trouver enceinte.
110. ENCEINTE. Il faut ajouter : Joseph [la trouva enceinte], lui qui, comme le dit Jérôme, «en raison de ce qu’autorisait le mariage, connaissait presque tous ses secrets».
111. PAR LE FAIT DE L’ESPRIT SAINT. Ici est mentionné l’auteur de la conception. Mais il faut lire cela séparément de ce qui précède. En effet, il ne faut pas entendre que Joseph trouva qu’elle était enceinte de l’Esprit Saint, mais seulement qu’il la trouva enceinte. Et pour que ne surgisse pas entre-temps chez les auditeurs un soupçon d’adultère, il ajoute : PAR LE FAIT DE L’ESPRIT SAINT, c’est-à-dire par la puissance du Saint-Esprit, et non de la substance [de celui-ci], afin qu’on ne croie pas que [l’enfant] était le fils du Saint-Esprit, Lc 1, 35 : L’Esprit Saint se posera sur toi et l’ombre du Très-Haut t’a recouverte. Or, bien que, selon Augustin, les opérations de la Trinité soient indivisibles, et donc que non seulement le Saint-Esprit, mais aussi le Père et le Fils aient réalisé la conception, cependant, en vertu d’une certaine appropriation, elle est attribuée à l’Esprit Saint. Et cela, pour trois raisons. La première raison est que le Saint-Esprit est amour. Or, cela fut le signe de l’amour le plus grand que Dieu veuille que son Fils s’incarne, Jn 3, 16 : Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique. La deuxième [raison est] que la grâce est attribuée au Saint-Esprit, 1 Co 12, 4 : Les grâces sont réparties, mais l’Esprit est le même ; et cela fut la plus grande grâce. La troisième raison est donnée dans les actes du concile de Nicée. Elle consiste en ce qu’en nous, il y a un double verbe : le verbe du cœur et le verbe de la parole. Le verbe du cœur est la conception même de l’intelligence, qui est cachée aux hommes, à moins qu’elle ne soit exprimée par la parole ou par le verbe de la parole. Or, le Verbe éternel avant l’incarnation se compare au verbe du cœur, alors qu’Il était auprès du Père [Jn 1, 1] et nous était caché ; mais le Verbe incarné, qui est apparu parmi nous, se compare au verbe de la parole. Puis, il est exprimé. Mais le verbe du cœur n’est uni à la parole que par l’intermédiaire de l’esprit ; et ainsi, c’est à juste titre que l’incarnation du Verbe, par laquelle celui-ci nous est apparu visiblement, s’est réalisée par l’intervention du Saint-Esprit.
112. Il faut remarquer ici les quatre raisons pour lesquelles le Christ a voulu naître d’une vierge.
113. La première de celles-ci est que la descendance contracte le péché originel par le fait de l’union de l’homme et de la femme ; de sorte que, si le Christ était né d’une union conjugale, il aurait contracté le péché originel. Mais cela aurait été inconvenant, puisqu’il était venu dans le monde afin d’enlever nos péchés. Il ne devait donc pas être atteint par la contagion du péché. La deuxième [raison] est que le Christ a été le principal docteur de la chasteté, plus loin, 19, 12 : Il y a des eunuques qui se sont castrés en vue du royaume des cieux. Troisième [raison], en raison de la pureté et de la clarté : La sagesse ne pénètrera pas une âme mal disposée, Sg 1, 4. Il convenait donc que le ventre de sa mère n’ait été atteint d’aucune corruption. Quatrième [raison], en raison de la propriété du verbe : car, de même que le verbe émane du cœur sans corruption, de même le Christ a voulu naître d’une vierge, et il fallait que ce fût sans corruption.
114. Après avoir présenté le mode de la génération, [Matthieu] le confirme ici par un témoignage. En effet, comme l’évangéliste avait dit plus haut que la mère de Jésus fut trouvée enceinte et que cela était le fait de l’Esprit Saint, on pourrait croire que l’évangéliste avait ajouté cela pour plaire au maître. C’est pourquoi, ici, l’évangéliste confirme le mode de la génération déjà mentionné. En premier lieu, [il le confirme] par l’annonce prophétique : CECI ADVINT [1, 22] ; en second lieu, par la révélation angélique, en cet endroit : SE LEVANT, JOSEPH [1, 24].
115. Dans la première partie, on trouve trois choses. D’abord, est présentée la personne à qui la révélation a été faite [1, 19] ; en deuxième lieu, la personne qui révèle, en cet endroit : ALORS QU’IL PENSAIT À CELA, VOICI QUE L’ANGE DU SEIGNEUR APPARUT [1, 20] ; en troisième lieu, les paroles de la révélation, en cet endroit : JOSEPH, FILS DE DAVID [1, 20s].
116. La personne à qui la révélation est faite est mise en évidence sous deux aspects, à savoir, d’abord, par le fait que [Joseph] était juste, et donc ne mentait pas ; ensuite, par le fait qu’il était l’époux, ou l’homme, et pour cette raison ne supporterait pas de faute chez elle, Pr 6, 34 : La jalousie et la colère frapperont sans merci au jour de la vengeance. [Matthieu] dit donc : ELLE FUT TROUVÉE par Joseph ENCEINTE, mais COMME JOSEPH, SON ÉPOUX, ÉTAIT UN HOMME JUSTE ET NE VOULAIT PAS LA DÉNONCER [1, 19].
117. Sur ce point, il y a deux opinions chez les saints, à savoir, Ambroise et Augustin. En effet, Augustin veut que Joseph, qui n’était pas présent lorsque fut faite l’annonce angélique, la trouvant enceinte à son retour, soupçonna un adultère. Mais alors, la question surgit aussitôt : comment était-il juste, s’il ne voulait pas dénoncer celle qu’il soupçonnait d’adultère, c’est-à-dire rendre sa faute publique ? En effet, il semblait par cela consentir à son péché, et en Rm 1, 32, on dit : Non seulement ceux qui agissent, mais aussi ceux qui sont de mèche avec ceux qui agissent sont dignes de mort.
118. Mais à cela, il y a une triple réponse. La première est que, selon Chrysostome, il y a une double justice. En effet, il existe une justice qui est une vertu cardinale, et qui est appelée spéciale ; l’autre justice est [la justice] selon la loi, qui inclut toutes les vertus, y compris la piété, la clémence, et les choses de ce genre. Ainsi, lorsqu’on dit que Joseph était un homme juste, il faut l’entendre de la justice générale, de sorte que la justice s’entende de la piété. Ainsi, parce qu’il était juste, et d’autant plus [qu’il l’était], il ne voulut pas la dénoncer.
119. Une deuxième réponse est celle d’Augustin, qui dit qu’il existe un double péché : le péché occulte et le péché manifeste. En effet, le péché occulte ne doit pas être discuté en public, mais il faut lui apporter un autre remède. Ainsi donc, le soupçon d’adultère qu’eut Joseph était le soupçon d’un péché occulte, et non pas manifeste, parce qu’il était le seul à le connaître ; de plus, si d’autres savaient qu’elle était enceinte, ils ne pourraient penser autrement que c’était de son fait. C’est pourquoi il ne devait pas rendre sa faute publique.
120. La troisième réponse est celle de Raban : que Joseph était juste et pieux. En effet, parce qu’il était pieux, il ne voulait pas rendre la faute publique ; mais du fait qu’il voulait la renvoyer, il paraissait juste : il savait en effet que celui dont la femme est adultère est stupide et insensé, Pr 18, 22. Mais, selon Jérôme et Origène, il ne soupçonna pas l’adultère. Joseph connaissait en réalité la chasteté de Marie ; il avait lu dans l’Écriture qu’une vierge concevrait, Is 7, 14 et 11, 1 : Un rejeton sortira de la souche de Jessé, et un surgeon poussera de ses racines, etc. Il savait aussi que Marie descendait de la lignée de David. Il lui était donc plus facile de croire que cela s’accomplissait en elle que [de croire] qu’elle avait forniqué. Et ainsi, s’estimant indigne de cohabiter avec une telle sainteté, il voulut la renvoyer secrètement, comme Pierre dit : Loin de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur, Lc 5, 8. Il ne voulait donc pas la traduire [en justice], c’est-à-dire [selon l’étymologie de traducere] l’attirer à lui et la prendre comme épouse, s’en estimant indigne. Ou, selon l’opinion de certains autres, ignorant la fin, [il ne voulait pas] être considéré comme coupable s’il la cachait et la prenait avec lui.
121. ALORS QU’IL PENSAIT À CELA. Ici est présentée la personne qui révèle. Trois points sont abordés : en effet, on aborde en premier lieu le temps ; en second lieu, la personne qui révèle est présentée : VOICI QUE L’ANGE ; en troisième lieu, le mode de la révélation est exprimé : APPARUT EN SONGE.
122. [Matthieu] dit donc : ALORS QU’IL PENSAIT À CELA, c’est-à-dire, alors qu’il retournait cela dans son esprit, VOICI QUE L’ANGE DU SEIGNEUR APPARUT. Il faut remarquer que deux choses sont mises en évidence à propos de Joseph, à savoir, sa sagesse et sa clémence. La sagesse, par le fait qu’avant d’agir, il délibéra, Pr 4, 25 : Que ton regard précède tes pas, c’est-à-dire, ne fais rien sans le jugement et la délibération de la raison. Et la clémence ou la piété, par le fait qu’il ne rendit pas la condition [de Marie] publique, à l’opposé de ceux, nombreux, qui veulent publier aussitôt à l’extérieur ce qu’ils ont dans le cœur, Pr 25, 28 : Comme une ville puissante qui n’est pas entourée de murailles, ainsi l’homme qui ne peut maîtriser son esprit en parlant. C’est pourquoi, il mérita d’être renseigné et consolé. D’où ce qui suit : VOICI QUE L’ANGE DU SEIGNEUR APPARUT, comme si l’aide de Dieu survenait promptement, Ps 9, 10 : Mon secours dans les difficultés et dans la détresse ; Ps 53[54], 6 : Voici que Dieu vint à mon aide et que le Seigneur accueillit mon âme.
123. L’ANGE DU SEIGNEUR. En effet, personne ne peut mieux disculper que celui qui est conscient de la préservation de la virginité. On croit donc que le même ange qui a été envoyé à Marie, Lc 1, 6, a été envoyé à Joseph, Ps 33[34], 8 : L’ange du Seigneur viendra autour de ceux qui le craignent, c’est-à-dire Marie et Joseph, afin de la libérer de l’infamie et de ne pas abandonner Joseph à son trouble.
124. Mais ici on se demande pourquoi la révélation ne fut pas faite dès le début à Joseph, avant qu’il ne soit ainsi troublé. De plus, pourquoi Marie ne lui révéla-t-elle pas l’annonce angélique qui lui avait été faite. Sur le premier point, il faut dire que cela arriva afin que le témoignage [de Joseph] soit plus crédible. En effet, de même que le Seigneur permit que l’apôtre Thomas doute de sa résurrection, afin qu’il touche en doutant et croie en touchant [Jn 20, 24‑29], et en croyant enlève en nous la blessure de l’incroyance, de même le Seigneur permit que Joseph doute de la chasteté de Marie, afin qu’en doutant, il reçoive la révélation de l’ange et, en la recevant, croie plus fermement.
125. [L’ANGE] APPARUT EN SONGE. Voilà le mode
de la révélation. Il faut remarquer qu’apparaître est de la nature de ce qui
est par nature invisible, mais qui a le pouvoir d’être vu, comme Dieu et
l’ange. En effet, on ne dit pas des choses qui par leur nature peuvent être
vues qu’elles apparaissent. C’est pourquoi on parle d’une apparition divine ou
angélique. [Matthieu] dit donc à juste titre : [L’ANGE] APPARUT EN SONGE.
126. Mais on se demande ici pourquoi en songe. La raison en est donnée dans la Glose : Joseph était d’une certaine façon dans le doute, de sorte que, pour ainsi dire, il dormait ; et c’est pourquoi on dit que l’ange lui apparut en songe. Une autre raison, meilleure, peut être donnée : comme le dit en effet l’Apôtre, 1 Co 14, 22 : La prophétie a été donnée pour ceux qui croient, mais les signes pour ceux qui ne croient pas. Car, au sens propre, la révélation qu’on appelle prophétique a lieu en songe, Nb 12, 6 : S’il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai ou je lui parlerai en songe. Et c’est pourquoi, parce que Joseph était juste et fidèle, une apparition devait lui être faite qui convienne à un croyant, à savoir, une révélation en quelque sorte prophétique. Or, comme l’apparition corporelle est miraculeuse, une telle apparition ne lui convenait pas, puisqu’il avait la foi et était croyant. Mais alors, on se demande pourquoi une apparition visible s’est produite pour Marie, alors qu’elle était la plus croyante. Il faut dire que le mystère de l’incarnation a été révélé au départ à la Vierge Marie, alors qu’il était plus difficile d’y croire ; c’est pourquoi, il fallait qu’une apparition visible lui advienne. Mais, à Joseph, [le mystère de l’incarnation] ne fut pas révélé dès le départ, mais plutôt alors qu’il était pour une grande part déjà accompli, puisqu’il voyait déjà le ventre [de Marie] se gonfler, afin qu’il pût croire plus facilement. C’est pourquoi il lui suffit d’une apparition qui eut lieu comme en songe.
127. JOSEPH, FILS DE DAVID. Ici sont présentées les paroles de la révélation. Elles se divisent en trois parties, en fonction des trois choses que l’ange fait. En effet, il interdit d’abord le divorce à Marie et à Joseph. En second lieu, il dévoile le mystère de l’incarnation, lorsqu’il dit : CE QUI EST NÉ EN ELLE VIENT DE L’ESPRIT SAINT. En troisième lieu, il annonce à l’avance le service que Joseph allait rendre, c’est-à-dire qu’il rendait à l’enfant : ELLE ENFANTERA UN FILS [1, 21].
128. [L’ange] dit donc : JOSEPH. Il
l’appelle afin de le rendre attentif à écouter et pour le rappeler à lui-même.
Ceci est courant dans l’Écriture, à savoir que, lorsqu’une apparition est
présentée comme venant d’en haut, elle exige de la part de l’auditeur une
certaine élévation et attention de l’esprit, Ez 2, 1 : Fils d’homme, lève-toi et je te parlerai,
et plus loin : Fils d’homme, écoute
comme je t’ai parlé et ne sois pas exaspérant ;
Ha 2, 1 : Je me tiendrai
sur mes gardes.
129. FILS DE DAVID. Ainsi, il précise la lignée afin d’éviter ce qui est dit en Is 7, 13 : Écoutez, maison de David : est-ce trop peu pour vous de lasser les hommes que vous lassiez aussi mon Dieu, etc. ? En effet, un signe a été donné non pas à une seule personne, mais à toute la tribu ou maison. Ainsi, parce que [l’ange] devait l’informer à ce sujet, il est ordonné [à Joseph], par la mention de sa lignée, de se remémorer l’annonce du prophète.
130. NE CRAINS PAS. Toute apparition, que ce soit celle d’un ange bon ou d’un ange mauvais, provoque une certaine crainte, et cela, parce qu’une telle apparition est inhabituelle et pour ainsi dire étrangère à la nature de l’homme. Elle met ainsi l’homme comme hors de lui-même. Mais il y a une différence sur ce point, car l’apparition d’un ange mauvais frappe de terreur et laisse l’homme dans la terreur, à savoir qu’elle entraîne plus facilement au péché l’homme pour ainsi dire mis hors de lui-même. Mais l’apparition d’un ange bon, bien qu’elle frappe de terreur, est aussitôt menée à sa conclusion et à la consolation qu’elle entraîne, à savoir que l’homme revienne à lui et porte attention à ce qui lui est dit. D’où Lc 1, [11‑13], où il est dit que l’ange apparut à Zacharie, poursuit aussitôt : Ne crains pas, Zacharie, et de même : Ne crains pas, Marie. Ainsi, après l’apparition à Joseph, la consolation suit aussitôt. Celui-ci avait une double crainte, à savoir, de Dieu et aussi du péché, c’est-à-dire de pécher en cohabitant avec Marie parce qu’il était conscient d’un péché. C’est pourquoi NE CRAINS PAS suit, à savoir : ne crains pas de pécher, DE PRENDRE MARIE COMME ÉPOUSE. Il faut remarquer qu’elle est appelée «épouse», non en raison du mariage, mais en raison des fiançailles C’était en effet la coutume, dans l’Écriture, d’appeler les fiancées épouses, et les épouses, fiancées. Mais on se demande comment il ordonne de la prendre, alors qu’il ne l’a pas encore renvoyée. Et il faut dire que, bien qu’il ne l’eût pas renvoyée corporellement, cependant, dans son âme, il l’avait renvoyée. C’est pourquoi il lui est ordonné de la prendre. Ou bien : NE CRAINS PAS DE LA PRENDRE, pour ce qui est de la solennité et de la célébration des noces.
131. CE QUI EST NÉ EN ELLE VIENT DE L’ESPRIT SAINT. Ici, [Matthieu] dévoile le mystère de l’incarnation. Et remarquez que, alors qu’il y avait trois choses : la Vierge même qui conçoit, le Fils de Dieu conçu et la puissance active de l’Esprit Saint, l’ange exprime bien deux choses, à savoir, celle qui conçoit et l’auteur de la conception, mais n’exprime que de manière imprécise la troisième, le Fils même de Dieu conçu : CE QUI EST NÉ EN ELLE, dit-il. C’était afin de signaler que cela même est ineffable et incompréhensible, non seulement pour l’homme, mais aussi pour les anges eux-mêmes. EN EFFET, il dit : CE QUI EST NÉ EN ELLE (il ne dit pas d’elle, parce que naître d’une mère, c’est venir à la lumière ; mais naître en elle est le fait même d’être conçu), VIENT DE L’ESPRIT SAINT.
132. Tel est le témoignage angélique, qui conduit l’évangéliste à prouver ce qu’il avait dit plus haut : ELLE SE TROUVA ENCEINTE DE L’ESPRIT SAINT. Il faut remarquer que, dans la conception des autres femmes, la puissance formative se trouve dans la semence de l’homme, dont le sujet est la semence, et par cette puissance le fœtus est formé et se développe dans le corps de la femme. Le Saint-Esprit a donc remplacé [cette puissance formative]. C’est pourquoi on trouve parfois que les saints disent que l’Esprit Saint joua là le rôle de la semence, mais parfois il est dit qu’il n’y eut pas de semence. Et la raison en est que, dans la semence de l’homme, il y a deux choses, à savoir la substance corrompue elle-même qui provient du corps de l’homme, et la puissance formative. Il faut donc dire que l’Esprit Saint a joué le rôle de la semence pour ce qui était de la puissance formative ; mais il n’y intervint pas en tant que substance corporelle, parce que la chair du Christ, ou sa conception, ne fut pas produite à partir de la substance de l’Esprit Saint. Et ainsi, il est clair que l’Esprit Saint ne peut pas être appelé le père du Christ parce qu’[Il ne l’est] ni selon la nature divine, ni selon la nature humaine. Selon la nature divine, car même si le Christ possède la même gloire que le Saint-Esprit, le Fils, pour ce qui est de la nature divine, ne reçoit rien du Saint-Esprit. C’est pourquoi il ne peut pas être appelé le Fils [de l’Esprit Saint] : en effet, le Fils reçoit quelque chose du Père. De même [ne l’est-il] pas selon [la nature] humaine, parce que le père et le fils doivent se rejoindre par la substance ; or, le Christ, bien qu’il ait été conçu par la puissance du Saint-Esprit, ne [l’a pas été] cependant à partir de la substance du Saint-Esprit.
133. Or, ce qui est dit en Pr 9, 1 : La sagesse construira sa demeure, est contraire à cela. Il semble donc que la Sagesse divine elle-même, à savoir, le Fils de Dieu, s’est unie à la nature humaine, et ainsi n’a pas été produite par la puissance du Saint-Esprit. Mais à cela il y a une double réponse selon Augustin. La première est que cette parole, qui est écrite en Pr 9, 1, s’entend de l’Église, que le Christ a fondée par son sang. L’autre [réponse] est que les œuvres de la Trinité sont indivises. Et ainsi, ce que fait le Fils, le Saint-Esprit le fait aussi, mais cela est cependant attribué par une certaine appropriation à l’Esprit Saint. Et la raison en a été donnée plus haut.
134. ELLE ENFANTERA UN FILS. [L’ange] annonce ici le service que Joseph rendra à l’enfant lorsqu’il sera né, et il fait trois choses : en effet, il annonce en premier lieu l’enfantement de la Vierge ; en second lieu, il prédit le service qui doit être rendu à l’enfant par Joseph même, lorsqu’il dit : ET TU LUI DONNERAS LE NOM ; en troisième lieu, il dévoile le nom donné à l’enfant lui-même, lorsqu’il dit : JÉSUS.
135. [L’ange] dit donc : ELLE ENFANTERA. Ainsi, elle conçut d’abord du Saint-Esprit, mais elle enfantera un fils. Il ne dit pas : pour toi, car [Joseph] lui-même n’a pas engendré l’enfant. En Lc 1, 13, il est dit à Zacharie : Ton épouse te donnera un fils, parce que Zacharie a engendré celui-ci. Ou bien [l’ange] ne dit pas : pour toi, [afin de montrer] qu’il est né pour tous : elle n’enfantera pas un fils pour lui seul, mais pour l’ensemble du monde, Lc 2, 10 : Voici que je vous annonce une grande joie, car il vous est né aujourd’hui un sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David, etc.
136. Mais Joseph pourrait dire : «Ainsi,
elle a conçu du Saint-Esprit et elle enfantera un fils. Qu’advient-il de
moi ? Je ne suis en rien nécessaire.» C’est pourquoi [l’ange] ajoute le
service : TU LUI DONNERAS LE NOM. C’était la coutume chez les Hébreux, et
ce l’est encore aujourd’hui, qu’on circoncise l’enfant le huitième jour et lui
donne alors un nom, et ceci a été fait par Joseph. Ainsi, il agit comme
serviteur pour cet acte. C’est pourquoi il est dit : ET TU
L’APPELLERAS ; il n’est pas dit : TU DONNERAS, car [le nom] lui est
déjà imposé, Is 42, 2 : Tu
porteras le nom nouveau que t’a donné la bouche du Seigneur.
137. JÉSUS : c’est le nom donné par Dieu.
Et [l’ange] en donne l’explication : CAR IL SAUVERA SON PEUPLE, qu’il
s’est acquis par son sang, qui est donc son peuple. En Dn 9, 26, il
est dit : Il ne sera pas son peuple,
celui qui le rejettera. Ainsi, c’est par la foi [qu’existe] le peuple du
Seigneur, 1 P 2, 9 : Vous
êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis.
138. DE SES PÉCHÉS. Dans le livre des Juges, on dit souvent que tel ou tel a sauvé Israël, mais de qui ? De ses ennemis charnels. Mais ici, [ce sera] de ses péchés, en remettant les péchés, ce qui appartient à Dieu seul, Lc 5, 24 : Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur terre de remettre les péchés. Il faut remarquer que Nestorius est ici confondu, lui qui disait que ce qui appartenait en propre à Dieu, comme exister éternellement, être tout-puissant, et les choses de ce genre, ne convenait pas à cet homme. Voici que ce même homme, qui est né d’une vierge et qui est appelé Jésus, SAUVERA SON PEUPLE DE SES PÉCHÉS. Ainsi, puisque remettre les péchés ne peut être attribué qu’à Dieu seul, il faut dire que cet homme est Dieu et que les choses qui appartiennent à Dieu lui conviennent.
139. L’évangéliste avait dit plus haut que la mère de Dieu avait été trouvée enceinte de l’Esprit Saint, et il avait prouvé cela par la révélation angélique. Ici, il [le] prouve par l’annonce prophétique. Il dit donc : TOUT CECI ARRIVA AFIN QUE S’ACCOMPLÎT CE QUE DIT LE SEIGNEUR PAR LE PROPHÈTE. Et il faut savoir que cette particule peut être utilisée ici de deux façons. En effet, Chrysostome veut que l’ange ait dit : TOUT CECI, et l’ait introduit par la prophétie. Et la raison en est que, pour que ce qu’il annonçait ne parût pas nouveau, il voulut tout de suite montrer que cela avait été annoncé depuis longtemps, Is 43, 3 : Qui a fait ce qui sera, selon une autre traduction. D’autres disent, et, je crois, à plus juste titre, que «TOUT CECI ARRIVA, etc.» sont les mots de l’évangéliste. Car les paroles de l’ange se terminent à : Et il sauvera son peuple, etc. Et l’évangéliste les introduit pour trois raisons : premièrement, afin de montrer que l’Ancien Testament parle du Christ, Ac 10, 43 : Toutes les prophéties lui rendent témoignage que tous ceux qui croient en lui reçoivent la rémission de leurs péchés en son nom ; deuxièmement, afin qu’ils croient plus facilement au Christ, Jn 5, 46 : Si vous croyez à Moïse, vous croirez aussi en moi : c’est en effet à mon sujet qu’il a écrit ; troisièmement, pour montrer la conformité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, Col 2, 17 : Ce qui est l’ombre des choses à venir, le corps du Christ.
140. Mais pour connaître le contenu de cette prophétie, il faut savoir que l’ange annonce trois choses. En effet, il a d’abord dit : EN ELLE EST NÉ, etc. ; deuxièmement : ELLE ENFANTERA ; troisièmement : IL PORTERA LE NOM DE JÉSUS. Ces trois choses sont présentes selon l’ordre dans la prophétie.
Et [l’ange] prouve en premier lieu ce qu’il dit : VOICI QU’UNE VIERGE ; deuxièmement : ELLE ENFANTERA ; troisièmement : IL SERA APPELÉ.
141. Ainsi, ce qu’elle a conçu dans la virginité venait du Saint-Esprit. C’est cela qui est dit dans la prophétie [Is 7, 14] : Voici qu’une vierge enfantera ; Is 35, 2 : Elle se couvre de fleurs, elle exulte de joie et pousse des cris, etc. De plus, une vierge enfantera un fils, car en enfantant, sa virginité n’a en rien été atteinte, Is 11, 1 : Un rejeton sortira de la souche de Jessé, et une fleur poussera de son tronc, etc. En effet, le Christ est une fleur. La virginité [de Marie] n’a en rien été affectée.
142. Vient ensuite : IL SERA APPELÉ EMMANUEL. Mais on se demande pourquoi cela ne concorde pas avec les paroles de l’ange : ET IL SERA APPELÉ JÉSUS ? Il faut dire que cette promesse a été faite aux Juifs, qui allaient obtenir le salut par la venue du Christ. Et Jésus veut dire «sauveur», ce qui est la même chose que Emmanuel, «Dieu avec nous». En effet, Dieu est avec nous de quatre façons : en prenant [notre] nature, Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair ; en se conformant à [notre] nature, car il [nous] est semblable en toutes choses, Ph 2, 7 : Devenu semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme ; par le comportement corporel, Ba 3, 38 : Après cela, il est apparu sur terre et il se mêlait aux hommes ; par le comportement spirituel, plus loin, 28, 20 : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du siècle.
143. Mais, à propos de la lettre, on se demande pourquoi l’évangéliste n’emploie pas les mêmes mots que le prophète, mais emploie le nom de Jésus. Il faut dire qu’il parlait par le même Esprit. Toutefois, Jérôme dit que l’évangéliste a dit : IL AURA, car il parlait d’un fait qui avait déjà eu lieu. De même, il faut se demander pourquoi il est dit dans Isaïe : Et il sera appelé, alors qu’ici il est dit : ET ON L’APPELLERA. Mais Jérôme dit qu’ici on dit : ON L’APPELLERA, parce que ce que les anges l’ont d’abord nommé en l’annonçant, Lc 2, 21, les apôtres l’ont par la suite nommé en prêchant et en glorifiant : Afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse, PH 2, 10.
144. CE QUI SIGNIFIE : «DIEU AVEC NOUS.» Mais on se demande qui a donné cette interprétation de la prophétie, «DIEU AVEC NOUS» : le prophète ou l’évangéliste ? Il semble que ce ne soit pas l’évangéliste, car il n’en avait pas besoin puisqu’il écrivait en hébreu. Mais il faut dire que, d’une certaine façon, [c’est l’évangéliste], car Emmanuel est un nom composé, et donc l’évangéliste l’a interprété même en hébreu. Ou bien il faut dire que c’est celui qui le premier l’a traduit de l’hébreu qui l’a interprété.
145. Il faut remarquer que, dans la Glose, on dit qu’il existe un triple genre de prophétie, à savoir, de prédestination, de prescience et de menace, et qu’elles diffèrent entre elles. En effet, est appelée prophétie l’annonce de ce qui est en avant, c’est-à-dire, des choses à venir. Mais, parmi les choses à venir, il y en a certaines que seul Dieu fait. Par contre, il y en a certaines qui, même si Dieu les fait, sont faites par nous et aussi par d’autres créatures. Il y en a enfin certaines qui ne sont d’aucune façon faites par Dieu, comme les choses qui sont mauvaises. L’annonce des choses que seul Dieu fait est appelée prophétie de prédestination, comme la conception par une vierge, d’où Is 7, 14 : Voici qu’une vierge concevra, est une prophétie de prédestination. Mais les choses qui sont faites par les causes secondes peuvent être envisagées de deux manières. En premier lieu, selon qu’elles existent dans la prescience de Dieu : c’est le cas, par exemple, de Lazare. En effet, si quelqu’un considère les causes secondes, il dira que jamais il ne ressuscitera ; et il dirait vrai, alors qu’il devrait cependant être ressuscité selon l’ordre de la prescience divine. Ainsi, lorsqu’une prophétie est l’annonce de ce qui existe dans la prescience divine, elle s’accomplit toujours ; lorsqu’une [prophétie est l’annonce] selon l’ordre des causes inférieures, elle ne s’accomplit pas toujours, comme il apparaît en Is 38, 1, lorsque Isaïe dit à Ézéchiel : Mets ta maison en ordre, car tu vas mourir et tu ne vivras pas, etc. Mais est-ce que la prophétie impose une nécessité à la prescience ? Il faut dire que non, car la prophétie est un signe de la prescience divine, qui n’impose pas de nécessité aux choses connues par anticipation, puisqu’elle considère les choses à venir dans son propre état présent. En effet, tout ce qui est fait est présent à Dieu, car son regard s’étend à la totalité du temps : ainsi, si je vois quelque chose de présent, mon regard n’impose pas de nécessité, comme lorsque je vois quelqu’un s’asseoir. Et nous avons compris de cette manière les prophéties qui sont présentées dans ce livre.
146. En effet, il faut considérer que trois erreurs ont existé. L’une est celle des manichéens, qui disent que, dans tout l’Ancien Testament, on ne trouve aucune prophétie au sujet du Christ, et que tout ce qui est emprunté à l’Ancien Testament dans le Nouveau vient en totalité d’une corruption. S’oppose à cela Rm 1, 1 : Paul, serviteur du Christ, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu, afin que ce qu’il avait auparavant promis par les prophètes, etc. Et qu’il parle des prophètes des Juifs, cela est clair plus loin, 9, 5 : Dont les pères, de qui vient le Christ selon la chair, etc.
147. Une autre [erreur] fut celle de Théodoret, qui dit que rien de ce qui est tiré de l’Ancien Testament ne s’applique au Christ selon la lettre, mais est adapté, comme ce qui est parfois tiré de Virgile : En se rappelant ces choses, il était en suspens et demeurait immobile, est en effet adapté au Christ. Et ainsi, AFIN QUE S’ACCOMPLISSE doit être expliqué comme si l’évangéliste disait : «Et ceci peut être adapté.» À cela s’oppose Lc 24, 44 : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Il faut savoir que, dans l’Ancien Testament, certaines choses se rapportent au Christ et ne sont dites que de lui, comme : Voici qu’une vierge concevra, et elle enfantera un fils, Is 7, 14, et Ps 21[22], 2 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, etc. ? Et si quelqu’un donnait un autre sens littéral, il serait hérétique, et l’hérésie a été condamnée. Mais parce que, non seulement les paroles de l’Ancien Testament, mais les faits [de l’Ancien Testament] parlent du Christ, parfois certaines [choses] sont dites d’autres personnes selon la lettre, mais se rapportent au Christ pour autant qu’elles sont une figure du Christ, comme il est dit de Salomon : Et il régnera de la mer à la mer, etc. [Ps 71[72], 8]. En effet, cela ne se réalisa pas en lui.
148. La troisième erreur fut celle des Juifs. Car il faut savoir que les Juifs s’opposent d’une manière particulière à ce texte, parce que, en hébreu, il n’est pas question de «vierge», mais de «jeune fille», ce qui est la même chose que «adolescente». Ainsi, selon la lettre, [ces paroles] n’ont pas été dites du Christ, mais de l’Emmanuel, ou du fils d’Isaïe, selon d’autres. Mais Jérôme leur objecte que cela n’a pas pu être dit du fils d’Isaïe, parce que celui-ci était déjà né lorsque cela fut dit. De plus, on ne trouve aucun personnage célèbre de cette époque qui se serait appelé Emmanuel. De même, le fait qu’une jeune fille enfante n’est pas un signe. Jérôme dit donc que «jeune fille» est équivoque et désigne parfois l’âge, parfois «cachée», et alors signifie une vierge préservée avec soin. Et tel est le sens ici. De plus, les Juifs objectent que cela a été donné comme signe, Is 7, 3 : Deux rois s’élèveront contre Achaz, etc., et que cela promettait qu’ils seraient libérés par eux en donnant ce signe à Achaz. Mais il faut dire qu’il donna ce signe non seulement à Achaz, mais aussi à la maison de David, car il dit : Écoute, maison de David, comme si le prophète disait : «Le Seigneur te viendra en aide contre ce roi, car Il fera Lui-même de bien plus grandes choses ; il libérera non seulement lui, mais le monde entier.»
149. Mais revenons à la lettre : OR, TOUT CELA S’ACCOMPLIT. À ceci s’oppose que l’ange avait indiqué plusieurs choses, à savoir, QU’ÉTAIT NÉ EN ELLE, etc., QU’ELLE CONCEVRAIT, etc., et aussi QU’IL SERAIT APPELÉ, etc. Or, tout cela ne s’était pas accompli. Mais, d’une première façon, il faut dire, selon Raban, que TOUT CELA S’ACCOMPLIT se rapporte à des faits passés : que l’ange était apparu à une vierge, qu’il avait dit ces paroles. ET TOUT CELA S’ACCOMPLIT, pour préserver cette vierge, de sorte que l’expression soit interprétée de manière causale. Ou bien cela se rapporte à ce qu’il avait annoncé, et on peut dire que tout cela s’accomplit en raison d’une prédestination. Ou bien il faut dire que l’évangéliste écrivait alors que tout s’était accompli, et que c’est à cela qu’il se réfère. La formule est ainsi interprétée de manière consécutive, parce que Dieu n’a pas voulu s’incarner pour que s’accomplît la prophétie, comme si l’Ancien Testament était plus digne que le Nouveau, mais le fait que le Christ s’est incarné a suivi la prophétie.
150. Plus haut, l’évangéliste a démontré à partir de deux faits que la mère de Dieu a engendré [par l’intervention] du Saint-Esprit : la révélation de l’ange et l’annonce du prophète ; il veut démontrer la même chose par l’obéissance de Joseph, qui n’aurait pas acquiescé aux paroles de l’ange de prendre Marie comme épouse, s’il n’avait appris qu’elle était devenue enceinte [par l’intervention] du Saint-Esprit. À ce sujet, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il présente l’obéissance de l’époux lui-même à l’ange [1, 24] ; deuxièmement, le mode de l’obéissance est décrit, à cet endroit : ET IL LA PRIT [1, 24].
151. Il faut remarquer que, par la désobéissance du premier homme, nous sommes tombés dans le péché, Rm 5, 19 : Par la désobéissance d’un seul homme, nous avons été livrés au péché. C’est pourquoi l’obéissance est placée au début de notre rétablissement.
152. Et nous pouvons noter quatre choses qui sont nécessaires à l’obéissance. Premièrement, il faut qu’elle soit ordonnée. Je dis ordonnée, parce que, d’abord, il faut renoncer aux vices. Ensuite, il faut obéir pour mettre en œuvre les vertus, Jr 4, 3 : Défrichez ce qui est en friche, et ne semez rien parmi les épines, etc. C’est pourquoi il est dit ici : UNE FOIS RÉVEILLÉ, à savoir, de la paresse et du doute, JOSEPH. De ce songe, il est dit en Ep 5, 14 : Réveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts !
153. Deuxièmement, [l’obéissance] doit être prompte. C’est ce qui est dit en Si 5, 8[7] : Ne remets pas de jour en jour, ne tarde pas à te convertir au Seigneur, car sa colère s’abattra tout d’un coup. C’est pourquoi il est dit qu’aussitôt [JOSEPH] FIT COMME [L’ANGE] LUI AVAIT ORDONNÉ. Glose : «Que celui qui est averti par Dieu élimine les retards, s’arrache au sommeil et fasse ce qui est ordonné.»
154. Troisièmement, [l’obéissance] doit être parfaite, de sorte que soit accompli non seulement ce qui est ordonné, mais de la manière dont cela est ordonné et par ceux à qui cela est enjoint. C’est pourquoi il est dit : COMME IL L’AVAIT ORDONNÉ. Glose : «L’obéissance parfaite», Col 3, 20 : Enfants, obéissez à vos parents en toutes choses.
155. Quatrièmement, [l’obéissance] doit être
discrète, de sorte qu’on obéisse à ceux à qui il faut obéir et en quoi [il le
faut], et qu’ainsi rien ne soit fait contre Dieu. C’est pourquoi il dit :
IL FIT COMME L’ANGE LUI AVAIT ORDONNÉ, non pas [un ange] mauvais, mais l’ange
de Dieu, 1 Jn 4, 1 : N’accordez
pas foi à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s’ils viennent de
Dieu, car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde.
156. ET IL PRIT. Ici est montré en quoi [Joseph] obéit, et trois points sont abordés : premièrement, l’obéissance qu’il manifesta envers l’ange ; deuxièmement, le respect qu’il manifesta envers la mère ; troisièmement, le service qu’il rendit au Christ né.
157. L’ange ordonna à Joseph : NE CRAINS PAS DE PRENDRE MARIE COMME TON ÉPOUSE [1, 20]. Et Joseph FIT COMME IL LUI AVAIT PRESCRIT, etc. [1, 24]. Il est donc clair qu’il trouva une femme bonne. Mais ne cohabitait-elle pas avec lui ? Pourquoi donc dit-il : UNE FOIS RÉVEILLÉ..., IL LA PRIT ? Chrysostome répond qu’il ne l’avait pas repoussée de sa maison, mais de son cœur. Ou bien parce qu’elle était d’abord fiancée, mais que, par la suite, les noces devaient être célébrées, et alors elle peut être appelée et elle est épouse.
158. Et pour que personne ne soupçonne que surviendrait une union charnelle, il ajoute : ET IL NE LA CONNUT PAS. À ce sujet, il faut savoir que le verbe «connaître» s’entend de deux manières dans la Sainte Écriture : parfois, de la connaissance, Jn 14, 7 : Et dès à présent, vous l’avez connu et vous l’avez vu ; parfois, de l’union charnelle, Gn 4, 1 : Adam connut son épouse, Ève, etc., à savoir, charnellement.
159. Mais on objecte que [Matthieu] ne dit pas tout simplement : IL NE LA CONNUT PAS, etc., mais : JUSQU’À CE QU’ELLE ENFANTE SON FILS. Donc, par la suite, il [la] connut. C’est ainsi qu’Elvidius dit : «Bien qu’elle ait enfanté le Christ alors qu’elle était vierge, elle eut toutefois par la suite d’autres fils de Joseph.» Et c’est pourquoi Jérôme dit que parfois «jusqu’à ce que» signifie quelque chose de précis et de déterminé, comme si je dis : «Je ne viendrai pas jusqu’à ce que j’aie mangé», parce que je veux dire qu’après, je viendrai ; parfois, [«jusqu’à ce que»] a un sens illimité et indéterminé, par exemple, 1 Co 15, 23 : Il faut que le Fils règne jusqu’à ce qu’il place tous ses ennemis sous ses pieds. Est-ce qu’il ne régnera pas par la suite ? Bien plus, l’Écriture emploie cette façon de parler parce qu’elle veut écarter ce qui peut être douteux. Il pourrait être douteux qu’il régnait alors qu’il n’avait pas placé ses ennemis sous ses pieds. De même, il pouvait être douteux, alors que la bienheureuse Vierge avait conçu, qu’elle ait été connue par Joseph avant l’enfantement, parce que le premier point ne devait pas être mis en doute, à savoir, la raison pour laquelle les anges chantèrent : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime, etc., Lc 2, 14. C’est pourquoi telle était l’intention de l’évangéliste. Et la réplique de Jérôme à Elvidius est excellente : «Tu dis, Elvidius, qu’avant elle ne connut pas Joseph, parce qu’il fut averti en songe par un ange. Si donc l’avertissement en songe n’avait concerné que le fait qu’il ne s’est pas uni à Marie, [n’est-ce pas le cas] à bien plus forte raison de la connaissance des anges et de l’adoration des bergers et des mages ?»
160. Mais Chrysostome entend «connaissance» de la perception intellectuelle. Il ne connut pas, à savoir, quelle était la dignité [de Marie] ; mais après qu’elle eut enfanté, il [la] connut. D’autres disent que [la connaissance] s’entend de la connaissance sensible, et leur opinion est ainsi assez probable. En effet, ils disent que Moïse, lorsque le Seigneur lui parla, en eut le visage tellement éclairé, que les fils d’Israël ne pouvaient regarder son visage, 2 Co 3, 7. Ainsi donc, si cela arriva à Moïse du fait de la présence de Dieu, à bien plus forte raison le visage de cette bienheureuse Vierge, qui l’a porté dans son sein, en fut-il tellement éclairé que Joseph ne la reconnut pas. Mais la première interprétation est plus fidèle à la lettre.
161. De plus, Elvidius affirme que la lettre dit : JUSQU’À CE QU’ELLE ENFANTE SON FILS PREMIER-NÉ. «Premier» se dit par rapport aux suivants. Elle en eut donc d’autres. Jérôme répond que c’est l’usage de l’Écriture que soient appelés premiers-nés ceux que d’autres ne précèdent pas : en Ex 13, 12, il est dit que les premiers-nés des Juifs seront offerts au Seigneur. Jérôme demande : «Est-ce qu’il fallait s’attendre à ce qu’ils ne soient pas offerts jusqu’à ce qu’un second naquît ?» Ainsi, sont appelés premiers-nés ceux que d’autres ne précèdent pas. Et c’est ainsi qu’il faut le comprendre ici.
162. Suit le service [rendu par Joseph]. Lc 2, 21 le décrit plus en détail, mais Matthieu l’aborde brièvement. En effet, le Saint-Esprit a ainsi voulu que ce que l’un disait, l’autre le passe sous silence. IL L’APPELA DU NOM DE JÉSUS [1, 25]. Ce nom ne fut pas peu célèbre et désiré chez les anciens, Gn 49, 18 : J’attendrai ton salut, Seigneur ; et Ha 3, 18 : Je me réjouirai donc dans le Seigneur et j’exulterai en mon Jésus.
Leçon 1
[Matthieu 2, 1-2] 2, 1 Lorsque Jésus fut né à Bethléem de Juda, au temps du roi
Hérode, voici que des mages vinrent d’Orient. Ils arrivèrent à Jérusalem
2, 2 Voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait. Ils
dirent : «Où est [le roi des Juifs] qui vient de naître ? Nous avons
vu son étoile et sommes venus l’adorer.»
Leçon 2
[Matthieu 2, 3-9] 2, 3 L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec
lui. 2, 4 Ayant réuni les grands prêtres et les scribes, il s’enquit du
lieu où devait naître le Christ. 2, 5 «À Bethléem de Juda», lui
dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète :
2, 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des
clans de Juda ; de toi sortira un chef qui conduira mon peuple, Israël.
2, 7 Alors Hérode après
avoir immédiatement fait appeler les mages, s’enquit soigneusement auprès d’eux
du moment où l’étoile leur était apparue, 2 8 et les envoya à Bethléem en
disant : «Allez vous renseigner soigneusement sur l’enfant ; lorsque
vous l’aurez trouvé, informez-moi, afin que je vienne, moi aussi, lui rendre
hommage.» 2, 9 Sur ces paroles du roi, ils partirent ; et
voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce
qu’elle vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.
Leçon 3
[Matthieu 2, 10-12] 2, 10 En voyant l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
2, 11 Entrant alors dans la maison, ils trouvèrent l’enfant avec Marie sa
mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent ; ouvrant leurs cassettes, ils
lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 2, 12
Après avoir appris en songe qu’ils ne devaient pas retourner chez Hérode, ils
prirent une autre route pour retourner dans leur pays.
Leçon 4
[Matthieu 2, 13-23] 2, 13 Après leur départ, voici que l’Ange apparut en songe à Joseph
et lui dit : «Prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et
reste-là jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le
faire périr.» 2, 14 Se levant, il prit avec lui l’enfant et sa
mère, de nuit, et se rendit en Égypte ; 2, 15 et il resta là jusqu’à
la mort d’Hérode, afin que s’accomplît ce que le Seigneur avait dit par le
prophète : «D’Égypte j’ai appelé mon fils.»
2, 16 Alors Hérode, voyant
qu’il avait été joué par les mages, se mit dans une forte colère. Et il envoya
mettre à mort tous les enfants âgés de [moins de] deux ans, selon le temps dont
il s’était enquis auprès des mages, dans Bethléem et tout son territoire.
2, 17 Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : 2, 18 Une
voix se fait entendre dans Rama, un grand cri : c’est Rachel pleurant ses
enfants ; elle ne veut pas être consolée parce qu’ils ne sont plus.
2, 19 Quand Hérode fut
mort, voici que l’Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Égypte,
2, 20 et lui dit : «Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et mets-toi
en route pour la terre d’Israël ; ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant
sont morts.» 2, 21 Se levant, il prit avec lui l’enfant et sa mère,
et rentra dans la terre d’Israël. 2, 22 Mais, apprenant qu’Archélaüs
régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y
rendre ; et averti en songe, il se retira dans la région de Galilée
2, 23 et vint s’établir dans une ville appelée Nazareth, afin que
s’accomplît ce qui avait été dit par le prophète : Il sera appelé
Nazaréen.
163. Plus haut, l’évangéliste a traité de la génération du Christ. Ici, il entend manifester sa naissance. Et en premier lieu, par la témoignage des mages [2, 1s] ; en second lieu, par le témoignage des innocents, à cet endroit : APRÈS LEUR DÉPART [2, 13s].
164. Sur le premier point, trois aspects sont abordés : en effet, en premier lieu, la naissance du Christ est annoncée [2, 1] ; deuxièmement, on s’enquiert du lieu [de sa naissance] ; troisièmement, on s’enquiert de sa personne. Le second aspect [est abordé] en cet endroit : L’AYANT APPRIS, LE ROI HÉRODE [2, 3] ; le troisième, en cet endroit : ALORS, HÉRODE [2, 4s].
165. À propos du premier aspect, [Matthieu] fait trois choses : d’abord est présentée la naissance du Christ, à qui est rendu témoignage [2, 1] ; en deuxième lieu, les témoins sont présentés ; en troisième lieu, le témoignage est présenté. Le deuxième élément [se trouve] en cet endroit : VOICI QUE DES MAGES [2, 1] ; le troisième, en cet endroit : OÙ EST CELUI QUI VIENT DE NAÎTRE ? [2, 2].
166. À propos du premier point, quatre aspects sont abordés : la naissance, le nom de celui qui est né, le lieu et le temps.
167. Le premier point [est abordé] en cet endroit : LORSQUE FUT NÉ. Et il faut remarquer que Luc décrit la naissance de manière plus détaillée, alors qu’en sens inverse, Matthieu décrit plus en détail que Luc l’adoration des mages. Le nom est abordé en cet endroit : JÉSUS [2, 1]. Le lieu, en cet endroit : À BETHLÉEM DE JUDA, et non de Judée, car on appelle Judée toute la région [où habitait] le peuple d’Israël, mais Juda était la terre qui était revenue en partage à Juda. Il est précisé : BETHLÉEM DE JUDA, pour la différencier d’une autre Bethléem, qui se trouve dans la tribu de Juda, dont il est question en Jos 9, 10. Il faut remarquer que ces trois mots : LORSQUE JÉSUS FUT NÉ À BETHLÉEM DE JUDA AU TEMPS DU ROI HÉRODE, sont utilisés de manière appropriée. En effet, Bethléem signifie l’Église, dans laquelle est né Jésus, qui est le pain véritable dont parle Jn 4, 51 : Je suis le pain de vie descendu du ciel. À personne donc n’est donné le salut, si ce n’est dans la maison du Seigneur. Là le sauveur, le Christ, est né, Is 60, 18 : Le salut résidera entre tes murs, et la louange à tes portes, etc.
168. Et [Matthieu] ajoute : LE ROI, pour le différencier d’un autre Hérode. En effet, celui-ci, [Hérode] d’Ascalon, est celui sous lequel le Christ est né ; mais l’autre, qui tua Jean, était le fils de cet Hérode, et il n’était pas roi.
169. Mais on se demande pourquoi l’Écriture fait mention de cette époque. Et il faut dire que c’est pour trois raisons. Premièrement, afin de montrer qu’était accomplie la prophétie de Jacob, dernier chapitre de Gn 49, 10 : Le sceptre ne sera pas enlevé à Juda, et un chef sortira de sa cuisse ; jusqu’à ce qu’apparaisse celui qui doit venir, il sera l’espérance des nations. En effet, Hérode fut le premier étranger à régner en Judée. La deuxième raison est qu’une maladie plus grave requiert un médecin plus grand et meilleur. Or, le peuple d’Israël était alors dans la plus grande affliction sous une domination étrangère, et ainsi il avait besoin du plus grand consolateur. Dans ses autres afflictions, des prophètes lui avaient été envoyés, mais maintenant, en raison de l’ampleur de l’affliction, le Seigneur des prophètes lui était envoyé, Ps 93[94], 19 : Dans la multitude de mes peines, les consolations que tu as données à mon cœur ont réjoui mon âme.
170. Ensuite, les témoins sont présentés, en cet endroit : VOICI QUE DES MAGES. Et ils sont décrits de trois manières : par leur profession, par leur région et par le lieu où ils ont porté témoignage.
171. Sur le premier point, [Matthieu] dit : VOICI QUE DES MAGES, qui, selon la manière commune de parler, sont appelés des magiciens. Mais la langue perse appelle «mages» les philosophes et les sages. Ceux-ci vinrent donc à Jésus, parce qu’ils reconnurent dans le Christ la gloire de la sagesse qu’ils possédaient. Et ils sont les prémices des nations, parce qu’ils ont été les premiers à venir vers le Christ. Selon Augustin, s’est accompli dans leur venue ce que dit Is 8, 4 : Avant que l’enfant ne sache dire père et mère, la puissance de Damas et les dépouilles de Samarie seront enlevées devant le roi des Assyriens, etc.. En effet, avant que le Christ ne parlât, il a arraché la puissance de Damas ainsi que les richesses et les offrandes de Samarie, c’est-à-dire l’idolâtrie. Car ceux-là ont repoussé l’idolâtrie et ont offert des dons. De plus, il faut noter que certains qui sont issus des Juifs sont venus au Christ, à savoir, les bergers ; certains, des nations, à savoir, les mages. En effet, le Christ est la pierre angulaire qui a réuni les deux [Ep 2, 20 ; 1 P 2, 6]. Et pourquoi des mages et des bergers ? Parce que les bergers étaient plus ingénus, et les autres, davantage pécheurs, afin de montrer que le Christ les a accueillis tous les deux. Quel était le nombre de ces mages, l’évangéliste ne le dit pas. Mais, selon les offrandes, il semble qu’ils aient été au nombre de trois, bien que beaucoup d’autres aient été représentés par eux, Is 60, 3 : Les nations marcheront dans la lumière.
172. À propos du second point, à savoir, la région, [Matthieu] dit : D’ORIENT. Et il faut remarquer que certains disent que l’Orient signifie les confins de l’Orient. Mais alors, comment seraient-il venus en si peu de jours ? Comme certains le disent, on répond qu’ils sont venus miraculeusement ; d’autres, qu’ils avaient des dromadaires. Toutefois, Chrysostome dit que l’étoile leur était apparue deux ans avant la naissance, et qu’ainsi ils s’étaient préparés et sont venus à Jérusalem en deux ans et treize jours. Mais on peut l’expliquer autrement en disant que D’ORIENT signifie une région qui était proche de Jérusalem, du côté de l’Orient : on dit en effet que ceux-ci étaient de la secte de Balaam, qui dit en Nb 24, 17 : Une étoile se lèvera de Jacob. Ce Balaam demeurait près de la terre promise, du côté de l’Orient.
173. Suit à propos du lieu : ILS VINRENT À JÉRUSALEM. Mais pourquoi sont-ils venus à Jérusalem ? La raison est double. L’une est que c’était la cité royale. Ainsi, ils cherchaient le roi des Juifs dans une cité royale. De plus, cela s’accomplit par une disposition divine, afin que soit d’abord rendu témoignage au Christ à Jérusalem, pour que s’accomplît la prophétie, Is 2, 3 : De Sion sortira la loi, et la parole du Seigneur de Jérusalem.
174. Ensuite, le témoignage est présenté, en cet endroit : OÙ EST [LE ROI DES JUIFS] QUI VIENT DE NAÎTRE ? Par quoi, ils disent trois choses : premièrement, ils annoncent la naissance d’un roi ; deuxièmement, ils présentent le signe de la naissance en cet endroit : NOUS AVONS VU SON ÉTOILE ; troisièmement, ils professent leur intention pieuse, en cet endroit : ET NOUS SOMMES VENUS L’ADORER.
175. Ils disent donc : OÙ EST ? Il
faut remarquer que ces mages sont les prémices des nations et préfigurent en
eux-mêmes notre état. En effet, ceux-ci supposent quelque chose, à savoir, la
naissance du Christ, et cherchent quelque chose, à savoir, l’endroit. De même,
nous possédons le Christ par la foi, mais nous cherchons quelque chose, à
savoir, par l’espérance : en effet, nous le verrons face à face
[1 Co 13, 12]. 2 Co 5, 7 : Nous avançons dans la foi, et non dans la
claire vision.
176. Mais une question se pose. Puisqu’ils avaient entendu dire que le roi était à Jérusalem, pourquoi disaient-ils cela ? En effet, tous ceux qui affirment qu’un autre roi se trouve dans la cité royale s’exposent à un danger. Mais ils faisaient certainement cela par le zèle de la foi. Ainsi, en eux, était annoncée une foi intrépide, plus loin, 10, 28 : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps.
177. Ensuite, ils présentent le signe de cette naissance : NOUS AVONS VU. À noter que ces mots ont été l’occasion de deux erreurs. Certains, comme les priscillianistes, ont dit que tous les actes des hommes sont posés et régis par le destin. Et ils le confirment par cela : EN EFFET, NOUS AVONS VU SON ÉTOILE. Il était donc né sous une certaine étoile. L’autre erreur est celle des manichéens, qui rejettent le destin et, par conséquent, cet évangile, car ils disaient que Matthieu avait fait appel au destin. Or, ces deux erreurs sont exclues.
178. Mais, avant d’aller plus loin dans l’explication de la lettre, il faut d’abord voir ce qu’est le destin, et comment on peut croire les choses de ce genre et comment on ne doit pas les croire. Il faut remarquer donc que nous voyons que beaucoup de choses se produisent par accident et de manière fortuite dans les choses humaines. Or, il arrive que quelque chose d’accidentel et de fortuit se rapporte à une cause inférieure, qui, si on le met en rapport avec une cause supérieure, n’est pas fortuit. Par exemple, si un maître envoie trois personnes à la recherche de quelqu’un, sans qu’une ne connaisse l’autre, si elles se rencontrent, cela est à leurs yeux accidentel ; mais si on met cela en rapport avec l’intention du maître, cela n’est pas accidentel.
179. Suite à cela, il y a eu deux opinions au sujet du destin. Certains ont dit que les choses accidentelles n’ont pas de rapport avec une autre cause supérieure qui les ordonne, et ceux-ci ont supprimé le destin et, au-delà, toute providence divine. Selon Augustin, telle fut l’opinion de Tullius [Cicéron].
180. Mais nous disons que ces choses accidentelles se ramènent à une cause supérieure qui les ordonne. Cependant, puisque l’étymologie de «destin» [fatum] vient de for, faris [je dis, je révèle], comme si quelque chose était prononcé et exprimé, il existe une différence au sujet de la cause dont vient cet ordonnancement. En effet, certains ont dit qu’il provient de la puissance des corps célestes supérieurs. Ainsi, ils disent que le destin n’est rien d’autre que la disposition des astres. D’autres ramènent ces choses contingentes à une providence divine.
181. Mais, dans le premier cas, le destin doit être nié. En effet, les actes humains ne sont pas régis selon la disposition des corps célestes, ce qui est clair dans le cas présent, puisqu’il y a plusieurs raisons efficientes. D’abord, il est impossible qu’une énergie corporelle agisse sur une énergie incorporelle, parce que rien d’inférieur dans l’ordre de la nature n’agit sur une nature supérieure. Ainsi, il existe dans l’âme certaines puissances plus élevées que le corps, [alors que] certaines puissances sont liées aux organes, à savoir, les puissances sensitives et nutritives. Les corps célestes, bien qu’ils agissent directement sur les corps inférieurs et les changent par eux-mêmes, agissent cependant par accident sur les puissances liées aux organes. Mais, sur les puissances qui ne sont pas liées à des organes, ils n’agissent d’aucune manière en les forçant, mais seulement en les inclinant. Nous disons en effet que tel homme est irascible, c’est-à-dire enclin à la colère, et cela en vertu de causes célestes ; mais, de manière directe, le choix en tant que tel réside dans la volonté. De sorte que ne peut jamais apparaître dans le corps humain une disposition si grande que le jugement du libre arbitre ne la dépasse. Ainsi, celui qui affirmerait que le libre arbitre est soumis aux corps célestes, affirmerait nécessairement que le sens ne diffère pas de l’intellect.
182. Deuxièmement, par cela serait exclu tout culte divin, car tout existerait de manière nécessaire. Et ainsi, même le gouvernement de la société serait démoli, car il ne faudrait ni délibérer, ni prévoir quelque chose, et ainsi de suite.
183. Troisièmement, nous attribuerions de la sorte à Dieu la malice des hommes, ce qui serait déshonorer Celui qui est le créateur des étoiles.
184. Il est donc clair que dire cela est tout à fait contraire à la foi. C’est pourquoi Grégoire dit : «Que le cœur des croyants ne dise pas que le destin est une réalité.» Car si tu veux appeler destin la providence divine, alors il est une réalité. Mais, comme le dit Augustin, puisque nous ne devons rien avoir en commun avec les infidèles, nous ne devons pas utiliser ce mot. Il dit donc : «Corrige ta langue, prends garde à ce que tu penses.»
185. On ne peut donc pas dire : NOUS AVONS VU [SON] ÉTOILE, comme si d’elle dépendait toute la vie [de Jésus], car, selon Augustin, l’étoile ne suivrait pas alors ce qui avait été engendré : on dirait plutôt que le Christ est le destin de l’étoile, que le contraire. Et il faut noter que cette étoile ne faisait pas partie des premières choses causées, ce qui est évident par trois points. D’abord, par le mouvement, car aucune étoile ne se déplace du nord vers le sud. Or, le pays des Perses, d’où venaient ces mages, est situé au nord. De plus, les autres [étoiles] ne se couchent jamais. Or, celle-ci ne se déplaçait pas de manière continue. Troisièmement, par le temps, car, durant le jour, aucune ne brille. Or, celle-ci éclairait les mages pendant le jour. Quatrièmement, par l’endroit, car celle-ci n’est pas [située] au firmament, ce qui est clair puisque, à cause d’elle, [les mages] identifièrent de manière précise une maison. Il faut donc dire que celle-ci fut créée spécialement pour servir le Christ.
186. C’est pourquoi, [Matthieu] dit : NOUS AVONS VU SON ÉTOILE [2, 2], à savoir, créée pour son service. Mais certains disent que cette étoile était le Saint-Esprit, qui, de même qu’il apparut au-dessus de [Jésus lors de son baptême] sous l’aspect d’une colombe, le faisait maintenant sous l’aspect d’une étoile. D’autres disent que c’était un ange. Mais il faut dire que c’était une véritable étoile. Et [Matthieu] a voulu que soit en premier lieu manifesté par le signe d’une étoile que celle-ci convenait [au Christ]. En effet, il est le roi des cieux. C’est pourquoi il a voulu être manifesté par un signe céleste, Ps 18[19], 1 : Les cieux racontent la gloire de Dieu et le firmament, les œuvres de ses mains. Aux Juifs, [il a voulu être manifesté] par des anges, par qui ils ont reçu la loi, Ga 3, 19 : La loi a été donnée par des anges ; aux Gentils, par une étoile, parce qu’ils sont venus à la connaissance de Dieu par les créatures, Rm 1, 20 : Ce qui est invisible de Dieu se laisse voir à l’intelligence par ce qu’Il a créé.
187. Deuxièmement, parce que [l’étoile] convenait à ceux à qui elle était montrée, à savoir, des Gentils, dont l’appel fut promis à Abraham par la ressemblance avec les étoiles, Gn 15, 5 : Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux, etc. Ainsi, aussi bien lors de la naissance [de Jésus] que de [sa] passion, un signe apparut dans le ciel, qui fit connaître le Christ à tous les Gentils. De même, elle convenait à tous, parce que [le Christ] est le sauveur de tous. Mais, [Matthieu] dit : EN ORIENT, ce qui s’explique de deux façons. Selon Raban, de la manière suivante : «L’étoile qui était en Judée apparut aux Gentils en orient.» Ou bien : «Nous avons vu l’étoile à l’orient.» Ceci est une meilleure version. Ainsi, VOICI QUE L’ÉTOILE QU’ILS AVAIENT VUE À L’ORIENT LES PRÉCÉDAIT [2, 9]. De même, il est clair d’après cela que cette [étoile] n’était pas située proche de la terre, car autrement ils n’auraient pas identifié l’endroit. Donc, elle n’a pas pu être vue d’une région aussi éloignée.
188. Ensuite, est présentée l’intention pieuse : NOUS SOMMES VENUS L’ADORER. Ici se pose une double question. En effet, Augustin dit : est-ce que ceux-ci n’étaient pas curieux, qui, du simple fait qu’un certain signe leur était donné par une étoile, se sont mis à la recherche d’un roi ? Cela aurait été stupide. Mais il faut dire qu’ils ne rendaient pas hommage à un roi terrestre, mais céleste, en qui il est montré que se trouvait la puissance divine. Car, autrement, s’ils avaient cherché un roi terrestre, ils auraient perdu toute dévotion lorsqu’ils le trouvèrent enveloppé de viles étoffes. Mais Augustin se demande encore comment ils ont pu apprendre par une étoile que l’homme-Dieu était né ? Et il répond que cela est dû à la révélation par un ange. En effet, Celui qui leur envoya une étoile, leur envoya un ange qui le leur révélerait. Le pape Léon dit que, de même que leurs yeux étaient remplis à l’extérieur de la lumière de cette étoile, de même un rayon divin leur faisait une révélation intérieure.
189. Troisième raison : parce que ceux-ci
étaient de la lignée de Balaam, qui dit : Une étoile se lèvera de Jacob. Ainsi, ils connurent sa prophétie.
Voyant donc que l’étoile était tellement brillante, ils se doutèrent que le roi
céleste était né et se mirent donc à le chercher. Et c’est cela [que veut
dire] : ET NOUS SOMMES VENUS L’ADORER. Et par ceci s’accomplit le
Ps 71[72], 11 : Tous les
rois l’adoreront, toutes les nations le serviront.
190. Une fois annoncée la naissance du Christ par les mages, [Hérode] s’enquiert de l’endroit de la naissance, et trois choses sont présentées : premièrement, est présentée la raison de la recherche ; deuxièmement, la recherche est présentée ; troisièmement, la découverte de la vérité.
191. Le second point se trouve en cet endroit : AYANT RÉUNI [2, 4]. Le troisième, en cet endroit : ILS LUI DIRENT : «À BETHLÉEM DE JUDA»[2, 5].
192. La raison [de la recherche] est le trouble d’Hérode, d’où : L’AYANT APPRIS. Et il appelle soigneusement Hérode roi afin de montrer que c’était un autre que le roi qu’ils cherchaient. Or, celui-ci avait une triple raison d’être troublé. La première venait de l’ambition que [Hérode] avait pour le maintien de son règne, parce qu’il était étranger. En effet, il connaissait ou il avait entendu parler de ce que disait Daniel, 2, 44 : Aux jours du règne d’Israël, Dieu fera surgir un règne du ciel, qui ne disparaîtra pas pour l’éternité, et son royaume ne sera pas livré à un autre peuple, etc. Mais, sur ce point, il se trompait, car ce règne était spirituel, Jn 18, 36 : Mon royaume n’est pas de ce monde. Ainsi, Hérode était-il troublé par la crainte de perdre son royaume, mais le Diable était encore plus troublé par la crainte de la destruction totale de son règne, Jn 12, 31 : Maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. Il faut remarquer, comme le dit Chrysostome, que ceux qui ont une situation élevée sont troublés par une simple parole prononcée contre eux, Ps 87[88], 16 : Alors que j’étais élevé, j’ai été humilié et troublé. Mais les humbles ne craignent jamais.
193. La deuxième [raison] venait de la crainte de l’Empire romain. En effet, l’Empire romain avait décidé que personne ne serait appelé dieu ou roi sans son consentement. En conséquence, il craignait. Mais cette peur appartenait au monde et elle était interdite, Is 51, 12 : Qui es-tu pour craindre l’homme mortel et le fils d’homme qui se dessèche comme l’herbe ?
194. La troisième raison vient de la confusion provoquée par la honte. En effet, [Hérode] rougissait sous le regard du peuple qu’un autre soit appelé roi, semblable en cela à Saül qui disait : J’ai péché, mais maintenant rends-moi hommage devant les anciens du peuple et devant Israël, etc., 1 R [1 S] 15, 30.
195. Mais ce qui suit est étonnant : ET TOUT JÉRUSALEM AVEC LUI. En effet, il semble qu’ils auraient dû se réjouir. Mais il faut savoir qu’ils avaient une triple raison d’être troublés. La première était leur iniquité. En effet, ils étaient iniques ceux pour qui le comportement des justes était regrettable, Pr 13, 19 : Les sots détestent ceux qui fuient le mal. La deuxième [raison] est qu’ils voulaient plaire à Hérode, Si 10, 2 : Tel est le juge du peuple, tels sont ses serviteurs. La troisième [raison] est qu’ils craignaient qu’Hérode, après avoir entendu cela, ne sévisse encore davantage contre la nation des Juifs.
196. Au sens mystique, on veut dire par là
qu’[Hérode] était [un roi] terrestre. Grégoire [écrit] : «Le roi de la
terre fut troublé par la naissance du roi du ciel, parce que l’élévation
terrestre est d’autant plus abaissée que l’élévation céleste est
dévoilée» ; Is 24, 23 : La
lune rougira et le soleil aura honte, car le Seigneur des armées régnera sur la
montagne de Sion et sur Jérusalem. Et il faut remarquer, comme le dit
Augustin : «Qu’en sera-t-il du tribunal du juge, alors que le berceau d’un
enfant effrayait les rois superbes ? Que les rois craignent celui qui est
assis à la droite du Père, et qu’un roi impie a craint alors qu’il tétait le
sein de sa mère.»
197. AYANT RÉUNI. Ici est présentée la recherche. Comme il a été dit, Hérode était soucieux de s’enquérir tant en raison de son règne qu’en raison de la crainte des Romains. Il rechercha donc la vérité. Mais pour avoir une certitude au sujet de quelque chose, trois choses sont nécessaires de la part de ceux qui cherchent. En effet, on accorde foi à un grand nombre [de personnes], à l’autorité et aux gens instruits. C’est ainsi qu’il réunit un grand nombre [de personnes], des gens qui avaient une autorité et des sages. C’est ce que [Matthieu] dit : AYANT RÉUNI TOUS, pour le premier point, Sg 4, 26 : Le grand nombre des sages est la santé de toute la terre. LES GRANDS-PRÊTRES, pour le second point, Ml 2, 7 : Les lèvres des prêtres gardent la connaissance, et on cherche la loi qui vient de leur bouche…ET LES SCRIBES, pour le troisième point : on ne parle pas d’eux seulement parce qu’ils écrivent, mais parce qu’ils interprètent l’écriture de la loi. Par eux, en effet, il voulait chercher la vérité, Si 22, 13 : Ne présume pas de parler au milieu des grands, et là où il y a des anciens, ne parle pas beaucoup.
198. IL S’ENQUIT DU LIEU OÙ DEVAIT NAÎTRE LE CHRIST. Les mages l’avaient appelé roi, mais ils cherchaient le Christ. En effet, ils savaient, pour avoir parlé avec les Juifs, que le roi légitime des Juifs était oint. Mais se pose la question : ou bien [Hérode] croyait à la prophétie, ou bien il n’y croyait pas. S’il y croyait, il savait qu’on ne pouvait empêcher que [le Christ] règne : pourquoi donc tua-t-il les enfants ? S’il n’y croyait pas, pourquoi cherchait-il ? Mais il faut dire qu’il ne croyait pas parfaitement, parce qu’il était ambitieux et que l’ambition des hommes rend aveugle.
199. Ici se trouve la vérité. Et d’abord, la vérité est présentée ; en deuxième lieu, la prophétie [à son sujet] est confirmée, en cet endroit : ET TOI, TERRE DE JUDA [2, 6].
200. Il faut savoir que le Christ a voulu naître à Bethléem pour trois raisons. Premièrement, afin d’éviter la gloire. En effet, pour cette raison, il a choisi deux endroits : l’un où il a voulu naître, à savoir, Bethléem ; l’autre où il a souffert, à savoir, Jérusalem. Et cela va à l’encontre de ceux qui recherchent la gloire, qui veulent naître dans des endroits nobles et ne veulent pas souffrir là où ils sont honorés, Jn 8, 50 : Moi, je ne recherche pas ma gloire. Deuxièmement, afin de confirmer sa doctrine et de montrer sa vérité. En effet, s’il était né dans une grande ville, la puissance de sa doctrine aurait pu être attribuée à une puissance humaine, 2 Co 8, 9 : Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus, le Christ. Troisièmement, afin de montrer qu’il était de la descendance de David, Lc 2, 3 : Joseph et Marie se rendirent à Jérusalem afin de montrer qu’ils étaient de la maison et de la famille de David. Cela est aussi conforme au mystère, car Bethléem veut dire «maison du pain», et le Christ est ce pain vivant descendu du ciel, Jn 6, 51.
201. Ensuite, la vérité est confirmée. On a ainsi : ET TOI, BETHLÉEM, etc. Dans cette prophétie, on pourrait relever deux choses : en effet, les mages avaient annoncé quelque chose, et ils cherchaient quelque chose. Et par cette prophétie, les deux choses sont indiquées, car, pour le premier point, [Matthieu] dit : ET TOI, BETHLÉEM ; pour le second, il dit : DE TOI EN EFFET SORTIRA UN CHEF.
202. Et ainsi, la naissance du Christ est confirmée par un double témoignage, à savoir, celui de l’étoile et celui de la prophétie, car la vérité sort de la bouche de deux ou trois témoins, Dt 19, 15 : Tout ce qu’on dira reposera sur deux ou trois témoins. Il faut remarquer que, lorsque tous étaient des incroyants, des signes corporels ont été donnés ; lorsqu’ils étaient déjà des croyants, une prophétie a été donnée, 1 Co 14, 22 : Ainsi, les langues sont données comme signe non pas aux croyants, mais aux incroyants ; mais les prophéties [sont données] non pas aux incroyants, mais aux croyants. Et il faut savoir que les Juifs ont manqué sur deux points en formulant la prophétie. Car il est dit en cet endroit : Et toi, Bethléem d’Éphrata [Mi 5, 1], mais ne s’y trouve pas : Tu n’es pas la moindre [Mi 5, 1]. On peut donner deux raisons pour lesquelles ils l’ont modifiée. D’abord, on peut dire qu’ils l’ont fait par ignorance. Ensuite, on peut dire qu’ils ont sciemment utilisé d’autres mots. Ils donnent ainsi leur opinion, car, Hérode étant étranger, il n’aurait pas compris l’autorité de la prophétie. C’est pourquoi ils ont dit ce qui était connu d’Hérode. Ils disent donc : Terre de Juda, et : Tu n’es pas la moindre, c’est-à-dire : «Tu n’es pas la plus petite parmi les milliers d’hommes de Juda», ou : «parmi les princes de Juda», c’est-à-dire parmi les principales villes de Juda.
203. DE TOI SORTIRA UN CHEF QUI CONDUIRA MON PEUPLE, ISRAËL. C’est de ce chef dont il est question en Dn 9, 25 : Jusqu’à ce que le chef oint, et Ps 30[31], 5 : Tu seras mon chef. En effet, il conduit le peuple d’Israël, non seulement de manière charnelle, mais aussi de manière spirituelle, Rm 11, 1 : Est-ce que Dieu a repoussé son peuple, etc. ? Ps 79[80], 2 : Toi qui conduis Israël, écoute, toi qui conduis Joseph comme une brebis. Il faut remarquer qu’on coupe la fin de la citation, à savoir : Et son origine remonte au début, aux jours les plus anciens. Par quoi est insinué qu’il ne devait pas être un roi terrestre, mais céleste. Si Hérode l’avait su, il n’aurait pas été impie. Ainsi, ils sont responsables de l’avoir tué. De plus, par cette fin [de la citation], il est clair que l’interprétation des Juifs est fausse, lorsqu’ils disent qu’elle s’applique à Zorobabel, car : Et son origine remonte au début, aux jours les plus anciens ne convient pas à celui-ci. De plus, [Zorobabel] n’était pas né en Judée, mais à Babylone.
204. Ensuite, on s’enquiert de la personne de celui qui est né, lorsque [Matthieu] dit : ALORS HÉRODE, APRÈS AVOIR IMMÉDIATEMENT FAIT APPELER LES MAGES, S’ENQUIT SOIGNEUSEMENT AUPRÈS D’EUX DU MOMENT OÙ L’ÉTOILE LEUR ÉTAIT APPARUE. D’abord, la recherche est présentée [2, 7s] ; en second lieu, la découverte de ce qui était recherché, en cet endroit : ILS LE TROUVÈRENT, etc. [2, 11] ; troisièmement, l’hommage rendu à celui qui avait été trouvé, en cet endroit : ET, SE PROSTERNANT, ILS LUI EN RENDIRENT HOMMAGE [2, 11].
205. [Les mages] avaient été mus par deux choses dans la recherche de la personne : parce qu’ils furent persuadés par Hérode, et parce qu’ils furent conduits par l’étoile. Ainsi, à propos du premier point, est présentée l’exhortation ; en second lieu, [est présentée] l’attention portée par les mages au changement de l’étoile, en cet endroit : SUR CES PAROLES DU ROI, ILS PARTIRENT [2, 9].
206. Sur le premier point, trois choses sont indiquées : premièrement, en effet, [Hérode] s’enquiert du moment ; deuxièmement, il annonce le lieu, en cet endroit : ET LES ENVOYANT À BETHLÉEM [2, 8] ; troisièmement, il confère [aux mages] la charge de rechercher, en cet endroit : ALLEZ VOUS RENSEIGNER SOIGNEUSEMENT SUR L’ENFANT [2, 8].
207. [Matthieu] dit donc : ALORS HÉRODE [2, 7]. Il faut remarquer ici que les Juifs connaissaient l’endroit, mais non le moment. Ainsi, ils sont réprimandés par le Seigneur : Car vous n’avez pas connu le moment de ma visite, et Is 1, 3 : Le bœuf connaît son maître et l’âne la mangeoire de son maître ; mais Israël ne m’a pas connu, et mon peuple ne m’a pas compris. C’est donc sur le moment qu’on s’interroge. Et Chrysostome dit que l’étoile leur était apparue deux ans auparavant. Mais d’autres [disent qu’elle leur était apparue] le jour même de la naissance.
208. [Hérode] leur indique le lieu, en cet endroit : ET EN LES ENVOYANT. Il leur confère la charge de rechercher, en cet endroit : ALLEZ VOUS RENSEIGNER, etc. Puis, il leur donne deux avertissements et, pour qu’ils les suivent, un troisième. Dans le premier, il dit : ALLEZ, etc. [Hérode] cherche de manière insidieuse dans le but de tuer, comme ceux à qui il est dit en Jn 7, 34 : Vous me cherchez, mais vous ne me trouverez pas. Dans le deuxième [avertissement], il dit : LORSQUE VOUS L’AUREZ TROUVÉ, INFORMEZ-MOI. Il disait cela dans une mauvaise intention, Si 13, 14[11] : Par son verbiage, il te mettra à l’épreuve. Dans le troisième, il dit : AFIN QUE JE VIENNE MOI AUSSI LUI RENDRE HOMMAGE, et ainsi il promit par ruse de rendre hommage à Dieu, Jr 9, 8 : Comme une flèche acérée, leur langue a exprimé une ruse ; Ps 27, 3 : Ils parlent de paix avec leur prochain, mais ils entretiennent de mauvais desseins dans leur cœur. Il faut noter que, alors que les mages avaient parlé d’un roi, lui l’appelle ENFANT, car la bouche parle de l’abondance du cœur [Mt 12, 34]. Il faut noter aussi qu’il demande aux Juifs où doit naître le Christ, en voulant se rendre compte et vérifier s’ils s’en réjouissaient.
209. Ensuite, l’effort des mages est présenté. [Hérode] avait enjoint deux choses : qu’ils cherchent et qu’ils reviennent, mais les mages n’en firent qu’une. Ainsi, SUR CES PAROLES DU ROI, ILS PARTIRENT. Mais ils n’exécutèrent pas l’autre chose. Car les auditeurs doivent être tels qu’ils apprennent ce qui est bon et écartent ce qui est mal, plus loin, 23, 3 : Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font, etc.
210. Plus haut, l’évangéliste a indiqué un des motifs des mages : la persuasion par Hérode. Ici, il indique l’autre motif qui a poussé les mages à chercher le Christ, à savoir, la conduite par l’étoile, et, à ce sujet, il fait deux choses : en effet, il indique d’abord la conduite par l’étoile [2, 9] ; deuxièmement, la joie produite par cette conduite, en cet endroit : EN VOYANT L’ÉTOILE, ILS SE RÉJOUIRENT D’UNE TRÈS GRANDE JOIE [2, 10].
211. Il faut remarquer que l’étoile poursuit d’abord son mouvement parce qu’elle conduisait directement les mages au Christ ; de plus, elle manifeste par son état le lieu où se trouve l’enfant, en cet endroit : JUSQU’À CE QU’ELLE VÎNT S’ARRÊTER AU-DESSUS DE L’ENDROIT OÙ ÉTAIT L’ENFANT [2, 9].
212. Ainsi, à propos du premier point,
[Matthieu] a dit : ELLE LES PRÉCÉDAIT [2, 9]. Mais par le fait qu’il
dit : VOICI QUE L’ÉTOILE QU’ILS AVAIENT VUE À L’ORIENT LES PRÉCÉDAIT
[2, 9], il est donné à entendre que, lorsque les mages se sont rapprochés
de Jérusalem, l’étoile disparut ; mais lorsqu’ils s’éloignèrent d’Hérode,
elle apparut. Or, elle disparut pour trois raisons. Premièrement, en raison de
la honte des Juifs, qui, alors qu’ils avaient été instruits par la loi de
rechercher le Christ et que les Gentils n’en avaient pas été instruits,
néanmoins les Gentils le cherchent et les Juifs le méprisent. Ainsi s’accomplit
Is 55, 5 : Les nations qui
ne t’ont pas connu accourront vers toi. Deuxièmement, pour instruire les
mages : en effet, non seulement le Seigneur voulut-il se manifester à eux
par l’étoile, mais aussi par la loi, afin que s’ajoute ainsi à la connaissance
des créatures la connaissance de la loi : Tout ce qu’on dira reposera sur deux ou trois témoins,
Dt 19, 5 ; Is 8, 20 : Pour la loi et pour le témoignage. Troisièmement, pour notre
instruction, et nous sommes instruits de deux choses, selon la Glose.
Premièrement, que ceux qui recherchent l’aide des hommes négligent [l’aide]
divine. En effet, il n’est pas permis de rechercher l’aide des hommes sans
rechercher [l’aide] divine, Is 31, 1 : Malheur à ceux qui se tournent vers l’Égypte pour une aide, en mettant
leur espoir dans les chevaux, en donnant leur confiance aux chars parce qu’ils
sont nombreux et aux cavaliers parce qu’ils sont très robustes, et qui ne
mettent pas leur confiance dans le Saint d’Israël et n’ont pas recherché le
Seigneur. Deuxièmement, nous sommes instruits de ce que nous, qui sommes
croyants, ne devons pas rechercher des signes comme eux, qui, voyant l’étoile, se sont réjouis, etc.;
mais nous devons nous contenter des enseignements des prophètes, parce que les
signes ont été donnés aux incroyants [1 Co 14, 22].
213. En cela, il y a un double mystère. En effet, l’étoile signifie le Christ, Ap 22, 16 : Je suis la souche de David, l’étoile brillante du matin. Ainsi, par cette étoile, nous pouvons entendre la grâce de Dieu, que nous perdons lorsque nous nous approchons d’Hérode, c’est-à-dire du Diable, Ep 5, 8 : Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. De plus, lorsque nous nous éloignons d’Hérode, c’est-à-dire du Diable, nous trouvons l’étoile, c’est-à-dire la grâce du Christ, comme en Ex 13, 21, où il est dit que le Seigneur précédait Israël, lorsque celui-ci sortait d’Égypte, sous l’apparence du feu, etc. Mais ici, il précédait sous l’aspect d’une étoile.
214. JUSQU’À CE QU’ELLE VÎNT S’ARRÊTER AU-DESSUS DE L’ENDROIT OÙ ÉTAIT L’ENFANT. Ici, nous comprenons deux choses. L’une, que cette étoile n’était pas très élevée, autrement elle n’aurait pas mis en évidence la maison de l’enfant. L’autre, qu’une fois achevé son rôle, l’étoile est retournée à sa matière. OÙ ÉTAIT L’ENFANT. Plusieurs fois, [Matthieu] parle de L’ENFANT afin que tu saches que c’est de lui qu’il a été dit, Is 9, 6 : Un enfant nous est né.
215. Ensuite, est indiqué l’effet de la conduite par [l’étoile] pour ce qui concerne les mages. Ainsi, EN VOYANT L’ÉTOILE, ILS SE RÉJOUIRENT D’UNE TRÈS GRANDE JOIE, etc. Ils se sont réjouis en raison de l’espérance qu’ils avaient retrouvée. En effet, ils craignaient, parce qu’ils étaient venus de loin, de perdre ce en quoi ils espéraient, Rm 12, 12 : Réjouissez-vous dans l’espérance. De plus, [Matthieu] ajoute : D’UNE JOIE. En effet, certains se réjouissent, mais ne se réjouissent pas, parce que l’allégresse humaine n’est pas une joie parfaite, Pr 14, 13 : La peine habite la plus grande joie. Car, la joie véritable et parfaite vient de Dieu, Is 61, 10 : Je me réjouirai de tout cœur dans le Seigneur et mon âme exultera en mon Dieu. Troisièmement, il ajoute : GRANDE, parce que [les mages] connaissaient déjà de grandes choses sur Dieu, Dieu incarné et très miséricordieux, Is 12, 6 : Exulte et loue, maison de Sion, car le Saint d’Israël est grand au milieu de toi. Quatrièmement, il ajoute : TRÈS, parce qu’ils se réjouissaient intensément : en effet, ils avaient retrouvé ce qu’ils avaient perdu, Lc 15, 10 : Ce sera une joie pour les anges de Dieu, etc.
216. ENTRANT DANS LA MAISON, ILS TROUVÈRENT L’ENFANT. [Matthieu] aborde trois choses. LA MAISON, qui, si on se demande ce qu’elle était, est décrite en Lc 2, 7. De plus, si on se demande comment était l’enfant, il ne différait en rien des autres, comme le disent les saints. Pour ce qui était de l’apparence, il ne parlait pas, il paraissait faible, et ainsi de suite. De même, si on se demande comment était la mère, on répond : comme est l’épouse d’un charpentier. Et je dis cela, parce que, s’ils avaient cherché un roi terrestre, ils auraient été scandalisés en voyant ces choses ; mais en voyant des réalités humbles et en contemplant les réalités les plus élevées, ils ont été incités à l’admiration et ils l’ont adoré. C’est ce qui [est dit] : ET, SE PROSTERNANT, ILS LUI RENDIRENT HOMMAGE. Mais pourquoi Joseph n’est-il pas mentionné ? Il faut dire que, par une disposition divine, il arriva qu’il n’était pas présent afin qu’à ceux qui étaient les prémices des nations ne soit donnée aucune raison de penser à mal.
217. Ensuite est abordé le respect qu’ils manifestèrent à l’enfant, en cet endroit : SE PROSTERNANT. Et il se produisit trois choses : ils adorèrent, ils offrirent et ils obéirent. [Matthieu] dit donc : ET, SE PROSTERNANT, ILS L’ADORÈRENT, comme Dieu se trouvant dans un homme, Ps 71[72], 9 : Les Éthiopiens se prosterneront devant celui-là. De même, par leur offrande, ils manifestèrent leur respect, d’où : OUVRANT LEURS CASSETTES. C’était en effet la coutume, chez les Perses, de toujours rendre hommage par des présents ; c’est cela [que signifie] : OUVRANT LEURS CASSETTES, ILS LUI OFFRIRENT EN PRÉSENTS DE L’OR, DE L’ENCENS ET DE LA MYRRHE, Ps 71[72], 10 : Les rois de Tarsis et des îles offriront des présents, les rois d’Arabie et de Saba apporteront des dons ; Is 60, 6 : Tous viendront de Saba, apportant de l’or et de l’encens, et annonçant les louanges du Seigneur.
218. Au sens mystique, il faut penser que ceux-ci n’ont pas ouvert leur trésor en cours de route, mais lorsqu’ils s’approchèrent du Christ. De même, nous ne devons pas montrer nos biens en cours de route. Ainsi, cela est blâmé plus loin, [25, 1-13] à propos des vierges, et en 13, 44, il est dit : Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ ; celui qui le découvre le cache et, rempli de joie, il s’en va et vend tout ce qu’il possède et achète ce champ.
219. ILS LUI OFFRIRENT EN PRÉSENTS, etc. Certains donnent à ces présents un sens littéral et disent que [les mages] trouvèrent trois choses : une maison sordide, un faible enfant et une mère pauvre. Et ainsi, ils offrirent de l’or pour aider la mère, de la myrrhe pour aider l’enfant et de l’encens pour enlever les mauvaises odeurs.
220. Mais il faut dire que quelque chose de mystique est ici suggéré, et ces trois choses se rapportent plutôt à trois choses que nous devons offrir à Dieu, à savoir, la foi, l’action et la contemplation. Pour ce qui est de la foi, de deux manières : d’abord, pour les choses qui se retrouvent dans le Christ, à savoir, la dignité royale, Jr 23, 5 : Le roi régnera et il sera sage, etc. Ils lui offrirent donc de l’OR ; la grandeur du sacerdoce, et ainsi [ils lui offrirent] de l’ENCENS en sacrifice ; la mortalité de l’homme, et ainsi [ils lui offrirent] de la MYRRHE. De même, pour ce qui est de la foi en la Trinité, car les personnes de la Trinité nous sont indiquées.
221. En second lieu, [les trois présents] peuvent se rapporter à notre action. En effet, par l’or, peut être signifiée la sagesse, Pr 2, 4 : Si tu la dispenses comme un trésor, tu comprendras alors la crainte de Dieu. Par l’encens, [peut être signifiée] la prière dévote, Ps 140[141], 2 : Que ma prière s’élève, Seigneur, comme l’encens sous ton regard, etc. Par la myrrhe, [peut être signifiée] la mortification de la chair, Col 3, 5 : Mortifiez vos membres qui sont sur terre ; Ct 5, 5 : Mes mains ont répandu la myrrhe.
222. En ce qui concerne la contemplation, par ces trois [présents] peuvent être signifiés les trois sens de la Sainte Écriture, à savoir, [le sens] littéral, qui englobe [le sens] allégorique, anagogique et moral ; ou bien les trois parties de la philosophie, à savoir, la philosophie morale, la logique et la [philosophie] naturelle. En effet, nous devons utiliser toutes ces choses pour le service de Dieu.
223. Ensuite, est indiqué comment ils manifestèrent leur respect par l’obéissance. Ainsi : APRÈS AVOIR APPRIS EN SONGE QU’ILS NE DEVAIENT PAS RETOURNER CHEZ HÉRODE, ILS PRIRENT UNE AUTRE ROUTE POUR RETOURNER DANS LEUR PAYS. Mais comment reçurent-ils une réponse, eux qui n’avaient pas posé de question ? Il faut dire que le Seigneur répond parfois à une interrogation mentale, et ceux-ci se demandaient intérieurement ce qui plairait à Dieu lors de leur retour, Ex 14, 15 : Pourquoi cries-tu vers moi ? Mais est-ce que les révélations ne viennent pas immédiatement de Dieu ? Denys démontre que non, mais [qu’elles viennent] par la médiation d’anges. Pourquoi donc ne nomme-t-il pas l’ange ? Il faut dire que lorsque l’Écriture mentionne Dieu, et non un ange, cela se produit en raison d’une certaine excellence de cette manifestation, Ga 3, 19 : La loi a été promulguée par un ange par l’intermédiaire d’un médiateur ; Ac 7, 37 : Voici Moïse, qui dit aux fils d’Israël : «Dieu suscitera pour vous un prophète parmi vos frères ; vous l’écouterez comme si c’était moi, etc.» C’est pourquoi, lorsque la Glose dit que cela fut produit immédiatement par Dieu, cela se rapporte à la façon de parler de l’Écriture.
224. ILS PRIRENT UNE AUTRE ROUTE POUR RETOURNER DANS LEUR PAYS. Par cela est montré que nous parvenons par l’obéissance à notre pays, le Paradis, dont nous avons été expulsés par le péché, Pr 4, 27 : Le Seigneur connaît les chemins qui mènent à droite ; les chemins qui mènent à gauche sont mauvais. Chrysostome dit ici que [les mages], une fois retournés, menèrent une vie sainte et, par la suite, devinrent les collaborateurs de l’apôtre saint Thomas. Toutefois, on ne trouve rien à leur sujet dans la Sainte Écriture après leur retour chez eux.
225. Plus haut, on a vu comment les mages ont
rendu témoignage au Christ naissant ; maintenant, il s’agit de la façon
dont les innocents rendent témoignage, non pas en parlant, mais en mourant. À
ce propos, l’évangéliste fait trois choses : premièrement, la
dissimulation du Christ est indiquée [2, 13s] ; deuxièmement, le
meurtre des enfants, en cet endroit : ALORS, HÉRODE [2, 16s] ;
troisièmement, le retour du Christ est indiqué, en cet endroit : APRÈS LA
MORT D’HÉRODE [2, 19s].
226. En premier lieu, donc, est indiqué l’avertissement de l’ange ; deuxièmement, l’obéissance de Joseph est montrée ; troisièmement, l’accomplissement de la prophétie, selon ce qui est dit en cet endroit : POUR QUE S’ACCOMPLÎT [2, 15].
227. À propos du premier point, trois choses sont abordées. D’abord, le moment de l’apparition est indiqué ; deuxièmement, l’apparition elle-même est décrite ainsi que le mode de l’apparition, en cet endroit : VOICI QUE L’ANGE ; troisièmement, est indiqué l’avertissement même donné par l’ange, en cet endroit : LÈVE-TOI, PRENDS L’ENFANT.
228. Le moment est décrit en cet endroit : APRÈS LEUR DÉPART. Il faut comprendre que l’apparition n’a pas eu lieu immédiatement après le départ des mages, car il faut insérer [ici] tout ce qui est dit en Lc 2, 6 au sujet de la purification : Après que le temps fut accompli, etc. En effet, Hérode n’envisagea pas immédiatement le meurtre des enfants. Ainsi, lorsque [Matthieu] dit : Après leur départ, tout le récit de la purification doit être inséré.
229. Ensuite, est indiquée l’apparition elle-même, d’où : VOICI QUE L’ANGE APPARUT EN SONGE, etc. On dit [de l’ange] qu’il apparut en songe parce qu’alors les hommes suspendent leurs actes extérieurs et que la révélation par des anges est faite à de tels hommes, Ps 4, 9 : Je dormirai en paix en lui et me reposerai ; Pr 3, 24 : Tu te reposeras et ton sommeil sera doux.
230. Dans cet avertissement, trois choses sont indiquées. Premièrement, en effet, l’ange les convainc de fuir ; deuxièmement, il précise la durée [de leur éloignement] ; troisièmement, il détermine la cause.
231. Il dit donc : LÈVE-TOI. Il faut remarquer, comme le dit Hilaire, que la bienheureuse Vierge est appelée épouse par l’ange avant la naissance, plus haut, 1, 5, mais pas après la naissance. Et cela, pour deux raisons. Premièrement, en hommage à la Vierge : en effet, de même qu’elle conçut alors qu’elle était vierge, de même enfanta-t-elle vierge. Deuxièmement, en raison de sa dignité : en effet, elle était la mère de Dieu, dignité à laquelle nulle autre n’est supérieure et à laquelle on ne peut donner un nom plus digne. De plus, comme le dit Chrysostome, l’enfant n’était pas venu pour la mère, mais c’était plutôt l’inverse. C’est pourquoi il dit : PRENDS L’ENFANT ET SA MÈRE, etc.
232. Mais pourquoi : FUIS EN
ÉGYPTE ? Est-ce que le Ps 18[19], 15 ne dit pas : Le Seigneur est mon soutien et mon
rédempteur ? Mais il faut savoir qu’il fuit pour trois raisons.
Premièrement, pour manifester son humanité : en effet, de même que la
divinité s’est manifestée par l’étoile, de même l’humanité [s’est-elle
manifestée] par la fuite, Ph 2, 7 : Devenu semblable aux hommes. Deuxièmement, pour l’exemple : en
effet, il montre par l’exemple ce qu’il a enseigné par la parole, plus loin,
10, 23 : Lorsqu’on vous
persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. Troisièmement, en raison
du mystère : en effet, de même qu’il a voulu mourir afin de nous ramener à
la vie, de même a-t-il voulu fuir afin de ramener ceux qui fuient son visage à
cause du péché, Ps 138[139], 7 : Où irai-je loin de ton esprit ? Tu seras là.
233. Mais pourquoi de préférence en Égypte, plutôt que dans un autre pays ? Il faut dire que c’est pour deux raisons. La première est qu’il est propre à Dieu de se souvenir de sa miséricorde au milieu de la colère, Ha 3, 8. En effet, le Seigneur était en colère contre les Égyptiens qui poursuivaient les fils d’Israël, parce que les fils d’Israël étaient le premier-né de Dieu. C’est pourquoi il lui fut accordé de rendre hommage au premier-né, Is 19, 1 : Voici que le Seigneur montera sur une nuée légère et entrera en Égypte, etc. ; [dans le même livre], 9, 2 : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; la lumière s’est levée sur ceux qui habitaient la région où s’étendait l’ombre de la mort ; Jn 1, 14 : Nous avons vu sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité.
234. La deuxième raison est qu’Il avait lui-même fait entrer les ténèbres en Égypte. Il voulait donc l’éclairer la première. C’est pourquoi [Joseph] fit bien d’y fuir, Is 9, 2 : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; la lumière s’est levée sur ceux qui habitaient la région où s’étendait l’ombre de la mort. Il faut remarquer que lorsque quelqu’un veut fuir le péché, il doit d’abord secouer sa paresse, Ep 5, 14 : Réveille-toi, toi qui dors et lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. En deuxième lieu, il doit recevoir la confiance de la mère et du fils, c’est-à-dire le Christ, Si 24, 25 : En moi se trouve tout espoir de vie et de vertu. Troisièmement, il doit fuir le péché avec l’aide de la mère et de l’enfant, Ps 54[55], 8 : Voici que je me suis éloigné en fuyant et je suis demeuré dans le désert.
235. [L’ange] indique plus loin la cause de cette fuite : CAR HÉRODE VA RECHERCHER L’ENFANT POUR LE FAIRE PÉRIR. Hérode fut trompé parce qu’il voulut perdre celui qui était venu disposer de son royaume, Lc 22, 29 : Et moi, je dispose pour vous du royaume comme mon Père en a disposé pour moi. Deuxièmement, parce que [Hérode] voulut perdre] celui qui ne cherchait pas la gloire du monde, He 12, 2 : Lui qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, a enduré la croix.
236. SE LEVANT. Ici est indiquée l’exécution de l’ordre de l’ange, et [Matthieu] l’indique quant à la fuite et quant au délai. Ainsi, SE LEVANT, IL PRIT L’ENFANT ET SA MÈRE. Et [Matthieu] mentionne le moment. Il dit donc : DE NUIT, à cause de la crainte et des tribulations, conformément à ce passage d’Is 26, 9 : Mon âme t’a désiré pendant la nuit, c’est-à-dire pendant les tribulations ; en effet, pendant les tribulations, il faut recourir à Dieu, Os 6, 1 : Dans leurs tribulations, ils se tourneront de bon matin vers moi. SE LEVANT. S’accomplit ainsi ce que dit Is 19, 1 : Voici que le Seigneur montera sur une nuée légère et entrera en Égypte. Ce qui s’est accompli selon la lettre.
237. ET IL RESTA LÀ. On dit qu’il resta là pendant sept ans et qu’il demeura dans la ville d’Héliopolis.
238. Pour ce qui est du mystère, par Joseph sont indiqués les prédicateurs, c’est-à-dire les apôtres, qui sont envoyés pour enlever les ténèbres par leur enseignement, et qui, en s’éloignant des Juifs, se sont tournés vers les nations, Ac 13, 16 : Il fallait que la parole de Dieu vous soit d’abord adressée ; mais, parce que vous l’avez rejetée et que vous vous êtes jugés indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les nations.
239. ET RESTE LÀ JUSQU’À CE QUE JE TE LE DISE, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’incroyance des Juifs cesse, Rm 11, 25 : Une partie d’Israël a été frappée de cécité.
240. Ensuite, [Matthieu] présente le témoignage de la prophétie. Il dit ainsi : AFIN QUE S’ACCOMPLÎT CE QUE LE SEIGNEUR AVAIT DIT PAR LE PROPHÈTE. Cela, selon la traduction de Jérôme, Os 11, 1. Mais, dans la traduction de la Septante, il n’en est pas ainsi, mais : D’ÉGYPTE, J’AI APPELÉ MON FILS. Il semble se poser ici une question, car il ne paraît pas faire cela dans cette intention, puisque, plus haut, il est dit en cet endroit : Fils d’Israël, etc. [Os 11, 1]. Ainsi, on semble parler du rappel d’Israël de l’Égypte. Mais il faut dire que, dans toutes les autorités qui sont appliquées au Christ dans les évangiles et les épîtres, il faut faire une distinction : car certaines sont dites spécialement du Christ, comme Is 53, 7 : Comme une brebis, il sera conduit à l’abattoir ; mais certaines sont dites de certaines choses pour autant qu’elles ont conduit à une figure du Christ. Tel est le cas de cette autorité : en effet, il ne s’agissait pas des fils d’Israël, si ce n’est dans la mesure où ils étaient la ressemblance du véritable Fils unique. Ainsi donc : D’ÉGYPTE, J’AI APPELÉ MON FILS, à savoir, le Fils en un sens spécial.
241. ALORS HÉRODE. Ici, il est question du meurtre des enfants. Et, à ce sujet, [Matthieu] fait deux [corr. : trois] choses. Premièrement, l’occasion du meurtre est indiquée ; deuxièmement, le meurtre est indiqué, en cet endroit : ET IL ENVOYA METTRE À MORT TOUS LES ENFANTS ; en troisième lieu, sont signalées des prophéties, en cet endroit : AINSI S’ACCOMPLIT [2, 17].
242. La circonstance fut la colère d’Hérode : ALORS HÉRODE SE MIT DANS UNE FORTE COLÈRE, Jc 1, 20 : La colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu. Et il faut remarquer que, lorsqu’un roi soupçonne qu’il va perdre son royaume, il se met aussitôt en colère et s’enflamme.
243. VOYANT QU’IL AVAIT ÉTÉ JOUÉ PAR LES MAGES, IL SE MIT DANS UNE FORTE COLÈRE [2, 16]. On dit qu’il se mit dans une forte colère pour deux raisons : parce que, lorsque quelqu’un se fâche, il s’enflamme fortement pour une petite occasion. Ainsi, comme il soupçonnait la perte de son royaume et avait été joué par les mages, IL SE MIT DANS UNE FORTE COLÈRE, Si 11, 34[32] : Une étincelle allume un grand brasier.
244. ET IL ENVOYA. Dans cette colère, il y eut
de la cruauté sur trois points : quant au lieu, quant au nombre et quant
au temps. Quant au nombre, parce que, pour en chercher un, il les a tous tués,
d’où : IL ENVOYA METTRE À MORT TOUS LES ENFANTS. Il faut remarquer
qu’Augustin dit qu’ «il n’aurait jamais été servi à la mesure de sa haine».
245. Mais on se demande, puisqu’ils n’avaient pas de libre arbitre, comment on peut dire que [les enfants] sont morts pour le Christ. Mais, comme il est dit en Jn 3, 17 : Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. En effet, Dieu n’aurait jamais permis qu’ils soient tués si cela ne leur avait été utile. Ainsi, Augustin dit que cela revient au même de douter que ce meurtre leur fut utile, que de douter que le baptême est utile aux enfants. En effet, ils ont souffert comme des martyrs et ont confessé le Christ en mourant, bien que cela ne fût pas par la parole, Ap 6, 9 : Je vis sous l’autel les âmes de ceux qui ont été mis à mort pour la parole de Dieu.
246. La deuxième cruauté est qu’il les tua SUR TOUT LE TERRITOIRE. En effet, il craignait que [l’enfant] ne s’enfuie, par exemple, dans une autre ville. Et il arriva [à Hérode] ce qui arrive à une bête blessée, qui ne fait pas attention à celui qu’elle va blesser, Pr 28, 15 : Comme un lion rugissant et un ours affamé, le prince impie s’impose au pauvre peuple.
247. La troisième [cruauté] se rapporte au temps. Ainsi, ÂGÉS DE DEUX ANS. Il faut remarquer que Augustin dit que les innocents ont été tués l’année où le Christ est né. Mais pourquoi [Matthieu] dit-il : ÂGÉS DE MOINS DE DEUX ANS ? Certains disent que l’étoile était apparue deux ans plus tôt, de sorte qu’Hérode se demandait s’il était né au moment où l’étoile [était apparue]. C’est pourquoi [Matthieu] dit : SELON LE TEMPS DONT IL S’ÉTAIT ENQUIS AUPRÈS DES MAGES. D’autres disent que [les innocents] n’ont pas été tués la même année, mais deux ans plus tard. Mais pourquoi [Hérode] a-t-il autant tardé ? Une triple raison est donnée par divers [commentateurs]. La première était qu’au départ, [Hérode] pensait que les mages s’étaient trompés et n’avaient rien trouvé, mais, après avoir entendu les multiples déclarations de Zacharie, de Siméon et d’Anne, il fut alors poussé à chercher. D’autres disent qu’il fit cela par précaution : en effet, il craignait que les parents ne cachent l’enfant qu’il cherchait. Il voulut donc d’abord s’assurer d’eux. D’autres disent qu’il en fut empêché par l’occupation, car il a poursuivi les mages jusqu’à Tarse, en Cilicie, et a fait incendier leurs navires. De même, il fut occupé, car, accusé par ses fils, il fut convoqué à Rome,. Et ainsi, après son retour, il commença à sévir. Et [Matthieu] dit : DE MOINS DE, etc., parce que [Hérode] pensait que [l’enfant] avait une telle puissance qu’il pouvait changer son visage. Par ce meurtre est signifié le meurtre des martyrs, car les enfants [représentent] l’humilité et l’innocence, plus loin, 1, 14 : Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi ; de même, plus loin, 18, 3 : Si vous ne vous convertissez pas et ne devenez comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.
248. DANS BETHLÉEM ET DANS TOUT SON TERRITOIRE, car [les enfants] furent tués dans le monde entier, Ac 1, 8 : Vous serez mes témoins, à savoir, en mourant.
249. Les deux années sont la double charité, celle envers Dieu et celle envers le prochain, car la foi sans les œuvres est une foi morte, Jc 2, 20. Il faut remarquer qu’après la naissance du Christ, la persécution éclata immédiatement, parce que, dès que quelqu’un se convertit au Christ, il commence à être tenté, Si 2, 1 : Mon fils, si tu t’offres au service du Seigneur, prépare-toi a l’épreuve.
250. Une fois présenté le meurtre des enfants, ici, à son habitude, l’évangéliste présente la prophétie qui l’annonçait, Jr 31, 5 : UNE VOIX S’EST FAIT ENTENDRE DANS RAMA, PLAINTE, AFFLICTION ET PLEURS : C’EST RACHEL QUI PLEURE SES FILS ET NE VEUT PAS ÊTRE CONSOLÉE À LEUR SUJET, CAR ILS NE SONT PLUS. Comme le dit Jérôme, il faut noter que, partout où est produite par les apôtres et les évangélistes une autorité de l’Ancien Testament, il ne faut pas toujours la présenter mot à mot, mais comme le leur accorda l’Esprit Saint, et parfois selon le sens en fonction de nos besoins. Ainsi avons-nous Jr 31, 15 : UNE VOIX S’EST FAIT ENTENDRE DANS LES HAUTEURS, LAMENTATIONS, AFFLICTIONS ET PLEURS : C’EST RACHEL QUI PLEURE SES FILS ET NE VEUT PAS ÊTRE CONSOLÉE À LEUR SUJET, CAR ILS NE SONT PLUS. Le sens est le même.
251. Et il faut considérer que, pour ce qui est de cette autorité, elle compte comme l’une de celles qui sont présentées dans l’évangile. Elle a toutefois un sens littéral, qui est la figure de ce qui est arrivé dans le Nouveau Testament. Ainsi, pour la comprendre, il faut tenir compte d’une histoire qu’on lit en Jg 19, où il est raconté qu’en raison d’une faute commise envers l’épouse d’un lévite, toute la tribu de Benjamin fut anéantie. Et on dit qu’il s’y produisit la plus grande des lamentations, au point où elle fut entendue de Gabaa jusqu’à Rama, qui se trouve à douze milles de Bethléem. C’est pour cette raison qu’on dit que Rachel a pleuré, parce qu’elle était la mère de Benjamin, et l’expression a un sens figuré, à savoir qu’elle exprime l’ampleur de la douleur.
252. Mais cette prophétie porte sur le passé. Elle porte aussi d’une autre façon sur l’avenir d’une double manière. D’une manière, elle peut se rapporter à la captivité d’Israël, dont on dit que, alors qu’il était mené en captivité, il pleura en route sur Bethléem. De cette manière, il est dit que Rachel a pleuré parce qu’elle y est enterrée, Gn 35, 19. Cela est dit de la même manière dont on s’exprime lorsqu’on dit qu’un endroit pleure les maux qui y surviennent. Le prophète veut donc dire que, de même que furent très grandes la douleur et l’affliction lorsque fut anéantie la tribu de Benjamin, de même en sera-t-il de celles de l’époque de la captivité.
253. Une troisième explication est [aussi] donnée. L’évangéliste reconnaît le fait du meurtre des innocents et indique l’ampleur de cette douleur de quatre manières : par l’étendue de la douleur, par l’ampleur de la douleur, par son objet et par son caractère inconsolable. Il dit donc : UNE VOIX SE FAIT ENTENDRE DANS RAMA. Il s’agit d’une ville de la tribu de Benjamin, Jos 18, 25, et elle peut être considérée comme la ville de Lia. Ici, [celle-ci] est entendue au sens de «élevée», et peut s’expliquer de deux façons. Premièrement, de cette manière : UNE VOIX, lancée dans les hauteurs, S’EST FAIT ENTENDRE, car une voix qui se fait entendre dans un endroit élevé se répand en long et en large, Is 40, 9 : Monte sur une montagne élevée ; toi qui annonces à Sion, hausse la voix. Ou bien ELLE A ÉTÉ ENTENDUE dans les hauteurs, c’est-à-dire au ciel, auprès de Dieu, Si 35, 21 : La prière de l’humble pénétrera les nuées ; tant qu’elle ne sera pas arrivée, il ne sera pas consolé, et il ne cessera pas avant que le Seigneur ne jette les yeux sur lui. Et encore : Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues et son cri ne s’adresse-t-il pas à ceux qui les provoquent ? PLEURS : cela peut se rapporter aux pleurs des enfants tués. UN GRAND CRI : cela peut se rapporter aux pleurs des mères. Ou bien les deux [peuvent se rapporter] aux enfants : DES PLEURS, lorsqu’ils furent soulevés par les soldats ; DES CRIS, lorsqu’ils furent égorgés. La douleur des mères est plus grande que celle des fils. De même, la douleur des mères était durable, celle des enfants fut brève, en raison de ce que dit Za 12, 10 : Ils se lamenteront sur lui comme sur un fils unique et ils le pleureront comme on pleure un premier-né.
254. De même, [l’évangéliste indique l’ampleur] par l’objet de la douleur, car elle provient de la mort de fils. C’est la raison pour laquelle Rachel pleure. Mais on objecte que Bethléem n’était pas dans la tribu de Benjamin, mais dans la tribu de Juda, qui était le fils de Lia. Il y a une triple solution [à cette objection]. D’abord, Rachel fut ensevelie près de Bethléem, Gn 35, 19. Et ainsi, elle pleura ses enfants à la manière dont on dit d’un endroit qu’il pleure, Jr 2, 12 : Cieux, étonnez-vous de cela ; portes des cieux, soyez-en fortement désolés, dit le Seigneur. Ou bien, autre [interprétation] : on a dit plus haut que Hérode tua les enfants de Bethléem et sur tout son territoire, etc. Or, Bethléem était aux confins de deux tribus, à savoir celles de Juda et de Benjamin. Les enfants tués appartenaient donc à Benjamin, et ainsi tombe l’objection, comme l’explique Jérôme. Mais Augustin donne une autre explication et il dit qu’il est coutumier, lorsque que quelque chose de favorable arrive à quelqu’un, que celui-ci ne s’en plaigne que davantage lorsque survient l’adversité. Lia et Rachel étaient des sœurs, et ceux qui furent tués étaient des fils de Lia. Ainsi, ils furent tués dans leurs corps pour ne pas être punis éternellement, comme ce fut le cas de Gabaa. On dit donc qu’elle pleure en voyant ses fils être tués et condamnés. Ou bien par Rachel, l’Église est signifiée, parce que [Rachel] veut dire «voyant Dieu», et que l’Église voit par la foi : elle pleure ses fils tués, non pas parce qu’ils ont été tués, mais parce qu’elle pouvait en avoir d’autres d’eux. Ou bien elle pleure, non pas en raison de ceux qui sont tués, mais de ceux qui tuent.
255. Ensuite, [l’évangéliste indique
l’ampleur] par le caractère inconsolable de la douleur : ELLE NE VEUT PAS.
Et cela est expliqué de plusieurs façons. Premièrement, on le met en rapport
avec le peuple, tel qu’il était alors. En effet, la consolation n’a de raison
qu’aussi longtemps qu’on espère un remède ; mais, lorsqu’on n’espère pas,
il n’y a pas de consolation, comme cela est clair chez le malade désespéré.
C’est pourquoi il dit, comme si cela se rapportait à l’opinion des mères :
CAR ILS NE SONT PLUS, à savoir, parce qu’ils ne sont plus visibles, Gn 37, 30 :
L’enfant n’est plus là. Ou
bien : ELLE NE VEUT PAS ÊTRE CONSOLÉE PARCE QU’ILS NE SONT PLUS,
c’est-à-dire, comme s’ils n’étaient plus. En effet, la consolation n’a de
raison d’être que lorsqu’il s’agit de maux. De sorte que, selon [cette
explication], cela se rapporte à l’opinion de l’Église qui estime qu’ils
règnent [auprès de Dieu]. Ainsi, comme c’est le cas pour ceux qui règnent, elle
se réjouit à leur sujet, 1 Th 4, 13 : Nous ne voulons pas que vous soyez ignorants au sujet de ceux qui sont
morts ; il ne faut pas que vous vous désoliez comme ceux qui n’ont pas
d’espérance. Ou bien : ELLE NE VEUT PAS ÊTRE CONSOLÉE dans le présent,
mais elle attend une consolation dans l’avenir, plus loin, 5, 5 : Bienheureux ceux qui pleurent, car ils
seront consolés.
256. Ensuite, il est question du retour du Christ : QUAND HÉRODE FUT MORT, VOICI QUE L’ANGE DU SEIGNEUR APPARUT EN SONGE À JOSEPH. En premier lieu, l’apparition de l’ange est présentée ; en second lieu, l’ordre donné par l’ange ; en troisième lieu, l’exécution de l’ordre de l’ange.
257. À propos du premier point, trois choses sont indiquées : premièrement, le moment est présenté ; deuxièmement, la personne ; troisièmement, le mode de l’apparition.
258. [Matthieu] dit donc : QUAND HÉRODE FUT MORT. Il ne s’agit pas de celui qui était là à la mort de Jésus, car celui-ci était le fils de celui-là.
259. VOICI QUE L’ANGE APPARUT. Il faut remarquer que tout bouleversement de l’Église, selon le sens mystique, se termine par la mort des persécuteurs, car la perte des méchants est un cri de joie, Pr 11, 10. De plus, remarque que, une fois terminée l’infidélité des Juifs, le Christ reviendra vers eux, Rm 11, 26 : Et alors, tout Israël sera sauvé. VOICI… APPARUT. Il faut remarquer que l’ordre des anges et des hommes est tel que les illuminations divines ne nous parviennent que par l’intermédiaire des anges, He 1, 14 : Est-ce que tous ne sont pas des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut ? De sorte que même le Christ, en tant qu’il est homme, a voulu être annoncé par les anges.
260. Le mode [est indiqué] en cet endroit : EN SONGE, À JOSEPH, EN ÉGYPTE.
261. L’ordre est indiqué] en cet endroit : LÈVE-TOI, PRENDS L’ENFANT. [L’ange] ne dit pas «[ton] fils», ni «ton épouse», mais l’enfant, afin que soit montrée la dignité de l’enfant et la pureté de la mère. Par cela est signifié que Joseph ne fut pas donné [à celle-ci] en vue de l’union charnelle, mais pour la servir et la protéger.
262. Ensuite, [l’ange] donne la raison : CEUX QUI EN VOULAIENT À LA VIE DE L’ENFANT SONT MORTS. Mais on se demande pourquoi il dit : SONT. En effet, seul Hérode était mort. À cela, il y a une double solution. Premièrement, celui-ci avait fait tant de mal que les Juifs se réjouissaient de sa mort, lui qui, alors qu’il était présent, avait ordonné à sa sœur de son vivant de tuer les nobles parmi les Juifs lorsqu’il mourrait ; et ceux-ci en avaient voulu à la vie de l’enfant avec Hérode. C’est ce que veut dire : CEUX QUI EN VOULAIENT À LA VIE DE L’ENFANT. Ou bien, autre explication, c’est l’usage de la Sainte Écriture de rendre le pluriel pour le singulier, d’où : ILS SONT MORTS, c’est-à-dire, il est mort, etc. De sorte que par le fait qu’il dit : CEUX QUI EN VOULAIENT À LA VIE DE L’ENFANT, l’erreur d’Apollinaire est détruite. Il disait en effet que la divinité occupait dans le Christ la place de l’âme.
263. L’exécution de cet ordre est indiquée par : SE LEVANT, IL PRIT L’ENFANT ET SA MÈRE. Et, à ce sujet, [Matthieu] fait deux [corr. : trois] choses : d’abord, il montre comment [Joseph] est revenu en Israël ; deuxièmement, quelle région il évita ; troisièmement, vers quelle région il se dirigea, en cet endroit : ET, AVERTI EN SONGE, IL SE RETIRA DANS LA RÉGION DE GALILÉE [2, 22-23].
264. [Matthieu] dit donc : SE LEVANT. À noter que l’ange ne dit pas : «Va dans la terre de Juda ou à Jérusalem», mais, d’une manière générale : DANS LA TERRE D’ISRAËL, par laquelle on peut aussi entendre la Galilée. De sorte qu’on peut dire que Joseph franchit les frontières de la terre que Juda habitait. Ensuite, est indiquée la région qu’il évita, en cet endroit : APPRENANT QU’ARCHELAÜS RÉGNAIT SUR LA JUDÉE. Il faut remarquer ici l’histoire d’Hérode. Cet Hérode eut six fils et, avant sa mort, il tua Alexandre et Aristobule. À sa mort, il ordonna qu’Antipater soit tué. Il en restait donc trois, parmi lesquels Archélaüs était l’aîné et usurpa le royaume. Mais, finalement, il fut accusé par les Juifs devant César Auguste, fut écarté, et son royaume fut divisé en quatre parties : Archélaüs en reçut deux ; les autres se répartirent les deux autres, de sorte qu’Hérode eut une tétrarchie et Philippe eut l’autre, comme on le lit en Lc 3, 1. Cet Archélaüs fut exilé après neuf ans de règne.
265. ET, AVERTI EN SONGE, IL SE RETIRA DANS LA RÉGION DE GALILÉE. Or, l’ange lui avait d’abord dit d’aller dans la terre d’Israël. Mais parce que Joseph n’avait pas encore compris, l’ange, qui avait d’abord fait une révélation imprécise, précise maintenant : ET, AVERTI…, IL SE RETIRA DANS LA RÉGION DE GALILÉE. Argument en sens contraire : comme Archélaüs régnait en Judée, ainsi Hérode régnait en Galilée. Mais il faut dire que cela se produisit aussitôt après la mort d’Hérode, alors qu’Archélaüs régnait sur l’ensemble, car, par la suite, une division se produisit. Mais alors on se demande de nouveau pourquoi [Joseph] ne craignait pas Archélaüs. Il faut dire que le siège du royaume se trouvait à Jérusalem, de sorte qu’ [Archélaüs] y résidait presque toujours. Mais on se demande pourquoi en Lc 2, 41, on dit que, chaque année, [ses parents] conduisaient l’enfant à Jérusalem. Augustin donne la solution : ils le conduisaient d’une manière sûre au milieu de la grande foule qui s’y rendait ; mais il aurait été dangereux qu’il y demeurât longtemps. De même, on se demande pourquoi l’évangéliste insinue que Joseph est venu à Nazareth comme par accident, mais, en Lc 2, 39, on dit qu’il avait son propre domicile à Nazareth. Mais il faut dire que l’ange lui avait dit d’aller dans la terre d’Israël, qui, à parler rigoureusement, n’incluait pas la Galilée ni Nazareth. Et c’est ainsi que le comprit Joseph. C’est pourquoi il n’avait pas l’intention d’aller à Nazareth.
266. AFIN QUE S’ACCOMPLÎT CE QUI AVAIT ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE : «IL SERA APPELÉ NAZARÉEN.» On ne trouve pas ceci dans l’Écriture, mais on peut dire qu’on le conclut à partir de plusieurs endroits. Car «nazaréen» veut dire «saint», et parce que le Christ est appelé saint, Dn 9, 24 : Jusqu’à ce que le saint soit oint, on dit à juste titre : PAR LE PROPHÈTE. Ou bien on peut dire que «nazaréen» veut dire «fleuri» ; ceci se trouve dans Is 9, 1 : Une pousse sortira de la souche de Jessé, et une fleur montera de sa souche, etc. Lui convient donc ce qui est dit en Ct 2, 1 : Je suis une fleur des champs et un lis des vallées.
Leçon 1 [Matthieu 3, 1‑12] Matthieu 3, 1 En ces
jours-là, arrive Jean le Baptiste, prêchant le baptême dans le désert de Judée
3, 2 et disant : «Faites pénitence, car le Royaume des Cieux va
s’approcher. 3, 3 C’est lui dont il a été dit par le prophète Isaïe :
Voix qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez
droits ses sentiers.» 3, 4 Jean lui-même était vêtu de poils de
chameau et avait un pagne de peau autour de ses reins ; sa nourriture
était de sauterelles et de miel sauvage. 3, 5 Alors ils sortaient vers lui
de Jérusalem, et de toute la Judée, et de toute la région du Jourdain,
3, 6 et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, en confessant leurs
péchés. 3, 7 Voyant beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir au
baptême, il leur dit : «Engeance de vipères, qui vous a montré à fuir la
colère qui vient ? 3, 8 Produisez donc un fruit digne de la pénitence
3, 9 et ne dites pas en vous-mêmes : “Nous avons Abraham
comme père.” Moi, je vous le dis, Dieu est capable, de ces pierres, de susciter
des enfants à Abraham. 3, 10 Déjà la hache est mise à la racine des
arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et mis
au feu. 3, 11 Moi, je vous baptise dans de l’eau en vue du
repentir ; mais celui qui vient après moi est plus fort que moi, et je ne
suis pas digne de porter ses sandales. Lui-même vous baptisera dans l’Esprit
Saint et le feu. 3, 12 Il tient en sa main son van et va
nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans le grenier ; il
brûlera les balles, dans le feu inextinguible.»
Leçon 2
[Matthieu 3, 13-17] 3, 13 Alors Jésus vint de la Galilée au Jourdain vers Jean, pour
être baptisé par lui. 3, 14 Jean voulait l’en empêcher, en disant :
«C’est moi qui dois être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à
moi !» 3, 15 Mais Jésus répondant lui dit : «Laisse faire
pour l’instant : c’est ainsi qu’il nous faut accomplir toute justice.» Alors
il le laissa faire. 3, 16 Aussitôt baptisé, Jésus remonta de l’eau ;
et voici que pour lui les cieux s’ouvrirent. Et il vit l’Esprit de Dieu
descendant comme une colombe et venant au-dessus de lui. 3, 17 Et voici
une voix du ciel disant : «Lui, c’est mon Fils bien-aimé, en qui je me
suis complu.»
267. Plus haut, l’évangéliste a traité de l’entrée du Christ dans le monde ; maintenant il traite de son parcours, à laquelle il faut porter attention selon la progression de son enseignement, car c’est pour cela qu’il est venu, Jn 18, 37.
268. À propos de son enseignement, deux choses sont considérées : d’abord est présentée la préparation à l’enseignement [Mt 3] ; deuxièmement, l’enseignement lui-même est présenté, au chapitre 5. Or, du docteur de l’enseignement évangélique, deux choses sont requises : premièrement, qu’il soit enveloppé dans les saints mystères ; deuxièmement, qu’il soit de vertu éprouvée. Et ainsi deux choses sont mises avant l’enseignement [du Christ] : son baptême et sa tentation, chapitre 4.
269. À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses : d’abord est introduit le baptême de Jean, en cet endroit : JÉRUSALEM SORTAIT VERS LUI [3, 5] ; deuxièmement, l’instruction des baptisés, en cet endroit : VOYANT BEAUCOUP DE GENS [3, 7]. Ils sont invités par Jean de deux façons : par la parole et par l’exemple. Le second point [se trouve] en cet endroit : JEAN LUI-MÊME AVAIT UN VÊTEMENT EN POILS DE CHAMEAU etc [3, 4].
270. À propos de l’enseignement de Jean, [Matthieu] fait trois choses. D’abord, la personne du docteur est introduite ; deuxièmement, est abordé l’enseignement ; troisièmement, la confirmation. Le deuxième point [se trouve] en cet endroit : FAITES PÉNITENCE [3, 2] ; le troisième, en cet endroit : C’EST DE LUI QU’IL A ÉTÉ DIT [3, 3].
271. À propos de la personne, cinq choses sont abordées : premièrement, le temps ; deuxièmement, la personne ; troisièmement, la fonction ; quatrièmement, l’application, et, cinquièmement, le lieu.
272. Le premier point [se trouve] en cet
endroit : EN CES JOURS-LÀ etc. [3, 1] Et il faut noter que Luc décrit
l’époque de la prédication à partir des gouvernants de l’État et des Juifs.
Donc, ce que dit Luc est exprimé ici quand [Matthieu] dit : EN CES
JOURS-LÀ. Et cela ne doit pas se rapporter aux jours dont il a été fait
mention, c’est-à-dire au temps de l’enfance du Christ, car il ne faut pas
comprendre que cela s’est passé en ces jours-là où le Christ est revenu
d’Egypte. Mais cela est exprimé ainsi parce que le Christ a habité d’une
manière continue à Nazareth, Lc 2, 40 : L’enfant grandissait et se fortifiait, plein
de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui.
273. En deuxième lieu, est mise la personne, en cet endroit : JEAN VINT. Il vint, c’est-à-dire il apparut, lui qui d’abord avait été caché. C’est de lui que parle Jn 1, 7 : Il est venu pour le témoignage, pour témoigner de la lumière. Mais pourquoi le Christ voulut-il son témoignage, alors qu’il avait le témoignage de [ses] œuvres ?
274. Il faut dire que c’est pour trois raisons. D’abord, à cause de nous, qui sommes conduits à la connaissance des choses spirituelles par ce qui est semblable à nous. Jn 1, 7 : Il est venu pour témoigner de la lumière. Et pourquoi ? Pour que par lui tous croient. Deuxièmement, à cause de la méchanceté des Juifs, parce que non seulement le Christ se rend témoignage selon ce qu’eux-mêmes disaient, Jn 8, 13 : Tu te rends témoignage à toi-même, mais un autre aussi [lui rend témoignage], Jn 5, 33 : Vous avez envoyé à Jean des messagers et il a rendu témoignage à la vérité. Troisièmement, pour montrer l’égalité du Christ envers son Père, parce que de même que son Père a eu des messagers avant-coureurs, à savoir les prophètes, de même le Christ, Lc 1, 76 : Toi, enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, tu iras devant le visage du Seigneur pour préparer ses voies.
275. En troisième lieu, est mise la fonction de baptiser. Ce fut la fonction spéciale [de Jean] parce qu’il fut le premier à baptiser. Il fut celui qui mit au point ce baptême en vue du baptême du Christ, parce que si le Christ avait ajouté un nouveau rite, les hommes auraient pu aussitôt être scandalisés. C’est pourquoi Jean vint en précurseur, pour préparer les hommes au baptême, Jn 1, 31 : Pour qu’il soit manifesté en Israël.
276. En quatrième lieu, est mise l’application, parce qu’il est venu pour prêcher consciencieusement. Et c’est EN PRÊCHANT LE BAPTÊME. Le Christ, dans l’intention de baptiser, ajouta ceci, plus loin, 28, 19 : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Jean dans les deux cas a préparé la voie. Et il est à noter que Jean a fait cela dans sa trentième année, à l’âge où David devint roi et où Joseph prit les rênes du pouvoir en Égypte, Gn 41, 46. Par quoi est donné à entendre que personne ne doit être mis dans une fonction avant l’âge mûr.
277.
Cinquièmement, est indiqué le lieu : DANS LE DÉSERT. Il a prêché dans le
désert pour quatre raisons. D’abord, pour qu’ils entendent avec plus de
calme : en ville, de nombreux curieux gênants se rassemblaient, mais dans
le désert, il ne venait que les gens appliqués, Qo 12, 11 : Les paroles des sages sont comme des
aiguillons et comme des piquets fixés profond, qui ont été donnés par un seul
pasteur par le conseil des maîtres. Deuxièmement, parce que [le désert]
convenait à sa prédication, puisque lui-même prêchait la pénitence. C’est ainsi
que doit être un lieu de pénitence, qu’elle soit physique ou morale,
Ps 54, 8 : Voici, je me
suis enfui au loin, et je suis resté dans la solitude. Troisièmement, pour désigner la condition de l’Église qui
est signifiée par le désert : il est donné à entendre que la prédication
du salut n’est pas dans la synagogue mais dans l’Église, Is 54, 1 :
Réjouis-toi, stérile qui n’enfantes pas, chante sans cesse des louanges,
pousse des cris, toi qui n’enfantais pas, car l’abandonnée aura de plus
nombreux fils que celle qui a un mari, dit le Seigneur. Quatrièmement, pour
désigner la condition de la Judée, qui était déjà délaissée par Dieu, plus
loin, 23, 38 : Voici que votre maison sera laissée déserte.
[3, 2]
278. Vient ensuite : FAITES PÉNITENCE etc. Jean annonce une nouvelle vie, comme dit Augustin dans son livre Sur la pénitence : «Nul homme qui est établi arbitre de sa volonté ne peut commencer une nouvelle vie s’il ne se repent de son ancienne vie.» Regarde dans la Glose. C’est pourquoi il exhorte d’abord à la pénitence ; deuxièmement, il annonce le salut, en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX VA S’APPROCHER. De même, FAITES PÉNITENCE, par laquelle est [donnée] la rémission des péchés.
279. Chrysostome [écrit] : «À la naissance du Fils de Dieu, Dieu envoya un crieur public dans le monde ». Et il faut noter que faire pénitence est autre chose que se repentir. Celui qui se repent pleure ses péchés et ne commet pas d’actes qui méritent d’être pleurés. Et il faut savoir que tout se rapporte à une décision de l’esprit, de sorte qu’on dise qu’il ne commet pas d’actes méritant d’être pleurés, c’est-à-dire qu’il se propose de ne pas en commettre : c’est ce que réclame le repentir. Faire pénitence, par contre, c’est donner satisfaction pour ses péchés, Lc 3, 8 : Produisez des fruits dignes de la pénitence.
280. Ici se pose une question : alors que tous les péchés sont remis dans le baptême, pourquoi Jean, annonçant le baptême du Christ, commence-t-il par la pénitence ? Et il est répondu dans la Glose qu’il y a une triple pénitence : avant le baptême, parce qu’il faut qu’on regrette ses péchés quand on s’approche ; après le baptême, [parce qu’il faut qu’on regrette] ses péchés mortels ; [la pénitence pour] ses péchés véniels. Il s’agit ici de la pénitence qui se situe après le baptême. C’est pourquoi Pierre a dit en Ac 2, 38 : Faites pénitence, c’est-à-dire pour être prêts à poursuivre le salut.
281. VA S’APPROCHER. Notez que jamais dans l’Écriture de l’Ancien Testament on ne trouve la promesse du royaume des cieux. Jean est le premier à l’annoncer, ce qui convient à sa dignité.
282.
Dans l’Écriture, le royaume des cieux se comprend de quatre façons. Parfois le
Christ lui-même est dit habiter en nous par grâce, Lc 17, 21 : Le
royaume de Dieu est à l’intérieur de vous. Et on l’appelle royaume des
cieux parce que c’est par la grâce qui habite en nous que commence pour nous la
voie du royaume céleste. Deuxièmement, [on appelle royaume des cieux] la Sainte
Écriture, plus loin, 21, 43 : Le royaume de Dieu sera enlevé de
vous, c’est-à-dire la Sainte Écriture. Et on l’appelle royaume parce que sa
loi conduit vers le royaume. Troisièmement, on appelle ainsi l’Église militante
présente, Mt 13, 47 : Le royaume des cieux est
semblable à un filet jeté dans la mer, et rassemblant toutes sortes de poissons
etc. Et on l’appelle royaume des cieux parce qu’elle a été instituée à la
manière de l’Eglise céleste. Quatrièmement, on appelle royaume des cieux
l’assemblée céleste, Mt 8, 11 : Ils viendront d’orient et
d’occident, et ils se coucheront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume
des cieux.
283.
Avant l’époque de Jean, il n’en était
pas fait mention, si ce n’est du royaume des Jébuséens, Ex 3, 8, mais
désormais le royaume des cieux est promis à son Église.
284. Ensuite
il y a confirmation de cette prédiction : c’est lui dont il a été dit par le prophète Isaïe etc. Et comme dit Augustin, cela peut être
expliqué de deux façons : d’abord le fait que cela, C’EST LUI DONT IL A été ÉCRIT, ce sont les paroles de l’évangéliste, et alors le sens est
assez facile. Deuxièmement, cela est introduit par Matthieu, comme si c’étaient
les paroles de Jean faisant pénitence. D’où C’EST LUI, c’est-à-dire «C’est
moi », et il parle de lui-même comme de quelqu’un d’autre, comme Jn 1
parle d’un autre comme si c’était lui-même. Mais peu importe de qui sont ces
paroles, puisqu’elles ont le même sens.
285. Il
est donc celui de qui il est écrit, Is 40, 3 : La voix de celui qui crie dans le
désert : «Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de
notre Dieu dans la solitude.»
286. Il
y a trois choses par lesquelles sont confirmées trois prédictions. D’abord est
annoncé le lieu de la prédication de Jean, parce que c’est LA VOIX DE CELUI QUI
CRIE DANS LE DÉSERT. Deuxièmement, l’arrivée du royaume des cieux, d’où
PRÉPAREZ LE CHEMIN. Troisièmement, la pénitence, en cet endroit : RENDEZ
DROITS SES SENTIERS.
287. Il dit donc : LA VOIX DE CELUI QUI CRIE DANS LE DÉSERT. Et il dit LA VOIX pour trois
raisons. D’abord parce que, comme dit Grégoire, la voix précède la parole, et
Jean [précède] le Christ, Lc 1, 17 : Il marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Elie. Deuxièmement, parce que c’est par la voix
qu’on connaît la parole, car la voix fait connaître la parole, de même que Jean
[fait connaître] le Christ, Jn 1, 31 : Pour qu’il soit manifesté en Israël, je suis
venu baptiser dans l’eau.
Troisièmement, parce que la voix sans parole ne donne pas de certitude sur le
sentiment, 1 Co 14, 8 : Si la trompette donne un son incertain, qui se préparera à la
guerre ? Et la révélation des
divins mystères n’a pas été faite par Jean, sauf dans la mesure où il a annoncé
le Christ, mais par le Christ Verbe, Jn 1, 18 : Le Fils unique qui est dans le sein du Père
a expliqué lui-même.
288. Donc,
LA VOIX DE CELUI QUI CRIE, et on peut l’entendre de deux façons. D’abord, [la
voix] du Christ qui crie, qui parlait en Jean, 2 Co 13, 3 :
Cherchez-vous une preuve que le
Christ parle en moi ? C’est
ainsi qu’il a aussi crié dans tous les prophètes. C’est pourquoi on dit
toujours : La parole du
Seigneur s’adressa à Jérémie, ou Isaïe, etc. Et pourtant aucun n’est appelé «voix», parce qu’ils n’ont pas
immédiatement précédé le Christ, Ma 3, 1 : Voici que j’envoie mon ange qui préparera le
chemin devant ma face. Et aussitôt il viendra à son temple saint, le
souverain que vous cherchez, et l’ange témoin que vous voulez.
289. Ou LA VOIX DE CELUI QUI CRIE, c’est Jean qui crie. Il faut savoir qu’on crie d’abord [en s’adressant] aux sourds, et tels étaient les Juifs, Is 42, 18 : Sourds, écoutez ! Aveugles, regardez attentivement pour voir ! Qui [est] aveugle, sinon mon serviteur, et qui[est] sourd sinon celui vers qui j’ai envoyé mes messagers ? Deuxièmement, [on crie] d’indignation, Ps 105, 40 : Le Seigneur fut enflammé de colère contre son peuple, il eut en horreur son héritage. Troisièmement, [on crie en s’adressant] aux gens qui sont loin, et eux étaient éloignés de Dieu.
290. PRÉPAREZ
LE CHEMIN DU SEIGNEUR. Il semble qu’il eût été plus convenable qu’il
dise : «Préparez votre chemin pour accueillir le Seigneur.» Et il faut
savoir que nous étions si faibles que nous ne pouvions aller vers le Seigneur
s’il ne venait lui-même à nous. C’est pourquoi plus haut Jean a dit : LE
ROYAUME DES CIEUX VA S’APPROCHER. Et c’est PRÉPAREZ [LE CHEMIN DU SEIGNEUR].
Mais quel est ce chemin ? La foi, qui vient par ce qu’on écoute,
Ep 3, 17 : Que le
Christ habite en vos cœurs par la foi. Grégoire [écrit] : «Le chemin de la foi est une pieuse écoute.»
Am 4, 12 : Prépare-toi
à la rencontre de ton Dieu, Israël.
291. RENDEZ
DROITS [SES SENTIERS]. La foi est commune, elle est une, mais elle [nous]
dirige dans des œuvres diverses. Et c’est pourquoi RENDEZ DROITS [SES
SENTIERS]. Ils sont droits, ces chemins des œuvres, quand ils ne sont pas en
discordance avec la loi divine qui est la règle des actes humains, de même que
pour les vases d’argile, la règle de ce qui est bien est selon la volonté du
potier, comme on peut le constater en Jr 18, 4.
292. Ou
bien cette [expression] PRÉPAREZ [LE CHEMIN DU SEIGNEUR] a pour but la charité,
qui est nécessaire au salut, Is 30, 21 : Ceci est le chemin, marchez-y, et ne vous
détournez ni à droite ni à gauche.
Donc le chemin est compris comme tout ce qui tend au salut commun,
1 Co 12, 31 : Je
vais vous montrer un chemin encore plus excellent. Quant aux sentiers, c’est l’observance des résolutions : on dit
que ces sentiers sont droits parce qu’ils ne doivent pas être suivis pour la
vaine gloire, Mt 6, 1 : Ne pratiquez pas la justice devant les hommes, pour être vus par eux, et Pr 3, 17 : Ses chemins [sont] de beaux chemins, et tous
ses sentiers sont [des sentiers] de paix.
293. Ensuite
il est montré comment Jean a rendu témoignage au Christ dans sa vie, en cet
endroit : JEAN LUI-MÊME.
294. Mais
qui a rendu témoignage à Jean, qui rendait témoignage au Christ ? Il faut
dire que c’est sa vie, parce que, comme dit Chrysostome, «nul n’est capable de
témoigner pour autrui s’il n’est témoin de lui-même, et cela par une vie de
bien», Si 19, 30 : L’habit
d’un homme, son rire, sa démarche, révèlent ce qu’il est.
295. C’est
pourquoi ici est décrite son austérité dans la vie et dans la nourriture, et
c’est : LUI-MÊME ÉTAIT VÊTU DE POILS DE CHAMEAU, etc. D’autres [sont
vêtus] de laine, Jean de poils, car il trouvait au vêtement de laine une
mollesse qui ne convient pas à un prédicateur. En outre, [il était vêtu] d’un
pagne en peau. Cela s’explique de deux façons. Jérôme dit qu’en ce temps-là les
Juifs avaient un pagne de laine, mais Jean, songeant à la mollesse [de la
laine], en prit un de peau, imitant Élie, comme il est dit en
2 R 1, 8. Raban donne cette explication : il dit que Jean
prenait des peaux brutes, non tannées, et les utilisait pour réfréner sa
concupiscence, et c’est [ce qu’il dit] : ET UN PAGNE [DE PEAU]. Mais qu’on
l’explique d’une façon ou de l’autre, dans les deux cas on comprend qu’il
menait une vie austère.
296. SA
NOURRITURE ÉTAIT DE SAUTERELLES ET DE MIEL SAUVAGE. C’est une nourriture non
préparée que la nature lui servait, car les sauterelles sont des animaux
comestibles.
297. ET
DE MIEL SAUVAGE : cela peut se comprendre de deux façons. Au sens propre,
ce miel est dit sauvage [silvestre] parce qu’il n’est pas caché dans des
ruches fabriquées, mais trouvé dans les arbres des forêts [silva]. D’autres disent que c’est de la canne à sucre, quelque chose de très
sucré qu’on trouve dans des roseaux. Cependant, dans tout cela, ce qui est sûr
c’est qu’il se contentait de choses simples, 1 Tm 6, 8 : Nous nous contentons d’avoir à manger et de
quoi nous couvrir.
298. Ensuite
il est question du baptême. C’est pourquoi il est dit : ALORS ILS
SORTAIENT, et [Matthieu] aborde trois choses. D’abord, comment les foules
allaient voir [Jean] ; deuxièmement, comment les foules étaient
baptisées ; et troisièmement, comment ils confessaient leurs péchés.
299.
À propos du premier point, il faut savoir qu’il y avait trois choses qui
incitaient les gens à aller vers Jean. D’abord une prédication nouvelle. Jamais
ils n’avaient entendu parler du royaume des cieux, et c’est pourquoi ils
étaient émerveillés. Jb 38, 33 : Connais-tu les lois du ciel, appliques-tu son organisation sur
terre ? Jean a été le premier à enseigner que l’organisation du
royaume des cieux n’est pas à appliquer sur terre. Deuxièmement, à cause de sa vie. [Matthieu] dit : ALORS ILS
SORTAIENT, à savoir, parce qu’ils voyaient sa vie. Jc 2, 18 : Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi
c’est par mes œuvres que je te montrerai ma foi, etc. Troisièmement, parce que la Judée était
privée d’enseignement prophétique, Ps 73, 9 : Nous ne voyons pas nos signes, il n’y a plus
de prophète. Et c’est pourquoi ils
sortaient de Judée pour le voir. ALORS ILS SORTAIENT.
300. ET
(…) ILS ÉTAIENT BAPTISÉS PAR LUI DANS LE JOURDAIN. Mais pourquoi dans le
Jourdain ? Parce que c’est dans le Jourdain que fut d’abord préfiguré le baptême.
En 2 R 2, 8-11, il est dit qu’Élisée traversa le Jourdain et qu’Élie
fut enlevé au ciel. De plus, c’est là que fut purifié Naaman le lépreux, qui
représente l’homme purifié du péché dans le baptême. C’était aussi parce que la
traduction elle-même [du nom «Jourdain»] convient au baptême : en effet,
il se traduit par «descente», et il représente l’humilité que l’homme doit
avoir dans le baptême, 1 P 2, 2 : Comme des bébés, désirez le lait raisonnable
et non frelaté.
301. Le
troisième point est abordé en cet endroit : CONFESSANT LEURS PÉCHÉS. La
raison pour laquelle la confession a été introduite a été montrée plus
haut : elle est nécessaire au salut, Jc 5, 16 : Confessez vos péchés les uns aux autres. Et la Glose dit qu’elle a été introduite
pour que l’homme ait honte. Mais il faut savoir que la honte est une cause
secondaire, la principale étant le pouvoir des clés, car nul ne pourrait lier
ni délier s’il ne savait ce qui est à lier ou à délier. Donc, de même que nul
ne peut abolir la nécessité des clés, de même nul ne pourrait abolir la
confession vocale.
Mais on se demande si celui qui accède au
baptême est tenu de se confesser. Il semble qu’il n’y ait pas besoin du pouvoir
des clés, puisque tous les péchés sont remis dans le baptême. Mais il faut dire
qu’il est tenu [de le faire], au moins en général, et il le fait quand il
renonce à Satan et à toutes ses pompes : en cela il confesse ouvertement
qu’il est lié à Satan.
302. VOYANT
BEAUCOUP DE GENS. Après avoir montré que beaucoup de gens étaient baptisés par
Jean, [Matthieu] traite ici de leur instruction, et sur ce sujet, il fait deux
choses. D’abord sont présentés les gens qui reçoivent cette instruction ;
deuxièmement est abordée leur instruction, en cet endroit : QUI VOUS A
MONTRÉ À FUIR LA COLÈRE QUI VIENT ?
303.
Il dit donc : VOYANT BEAUCOUP DE
PHARISIENS ET DE SADDUCÉENS. Il faut savoir que chez les Juifs il y a des
sectes, dont les principales étaient ces deux-là. On disait que les Pharisiens
étaient en quelque sorte séparés de la vie commune, à cause de leurs
observances. En beaucoup de choses ils parlaient bien, cependant leur défaut
était, dit-on, de supposer que toutes [ces observances] étaient obligatoires.
D’autres, les Sadducéens, étaient considérés comme justes à cause d’observances
spéciales de la Loi, mais ils n’admettaient pas les prophètes et ne croyaient
ni à la résurrection des âmes après la corruption du corps, ni à l’existence de
l’esprit.
304.
Les uns et les autres étaient connus sous ces noms parce que «pharès» signifie «division»,
qui est le contraire de la charité. Et eux, [les Pharisiens], étaient tout à
fait séparés des autres, comme s’ils avaient le Saint-Esprit en surabondance.
Ce serait bien ! Les autres, les Sadducéens, accaparaient la justice pour
eux-mêmes, c’est contre eux que Rm 10, 3 dit : Ignorant la justice de Dieu, et cherchant à
établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu.
305. Et
pourtant, bien qu’ils apparussent plus justes, ils venaient vers celui qui
enseignait, vers Jean. Is 49, 7 : Les rois verront, les princes se lèveront, et ils adoreront à cause du
Seigneur parce qu’il est fidèle, à cause du Saint d’Israël qui t’a choisi. Eux donc sont ici instruits de manière
appropriée. D’où : QUI VOUS A MONTRÉ À FUIR LA COLÈRE QUI VIENT ?
306. Et il faut noter que l’instruction doit varier suivant la condition des auditeurs. Pour les gens simples, il suffit de dire brièvement ce qui concerne le salut, mais pour les savants, il faut expliquer les choses une par une, ce qu’indique l’Apôtre en 1 Co 3, 1 : Je n’ai pas pu vous parler comme à des hommes spirituels mais comme à des hommes charnels. Ainsi fit Jean : il attira brièvement l’attention des foules sur la pénitence, et leur annonça le royaume des cieux. Mais il explique ces deux choses en détail aux Pharisiens. C’est pourquoi il exhorte d’abord à la pénitence ; en second lieu, il annonce l’approche du royaume des cieux, en cet endroit : MOI JE VOUS BAPTISE etc [3, 11].
307. À propos du premier point, il fait deux choses : d’abord, il présente ce qui induit à la pénitence ; deuxièmement, il écarte ce qui pourrait éloigner de la pénitence, en cet endroit : ET NE DITES PAS ENTRE VOUS : «NOUS AVONS ABRAHAM COMME PÈRE.»
308. À propos du premier point, il fait deux choses : d’abord, il présente l’entrée dans la pénitence ; deuxièmement, il présente le mode de la pénitence parfaite, en cet endroit : PRODUISEZ DONC UN FRUIT DIGNE DE LA PÉNITENCE.
309. Il y a deux choses qui induisent à la pénitence : la reconnaissance de son propre péché, Is 58, 1 : Annonce à mon peuple ses crimes ; deuxièmement, la crainte du jugement divin.
310. Jean annonce ces deux choses. C’est
pourquoi il dit : « ENGEANCE DE VIPÈRES ». Et il faut noter que
dans l’Écriture sainte on dit que le fils de quelqu’un est à son imitation. Ez 16, 45 :
Votre père est amorite, etc. Jn 8, 44 : Vous avez pour
père le diable, et vous voulez faire les désirs de votre père. Eux ressemblaient aux vipères, c’est
pourquoi il dit : « ENGEANCE DE VIPÈRES ».
311. Ils [leur] ressemblent en trois choses, selon Chrysostome. La nature de [la vipère] est, quand elle mord quelqu’un, de retourner vers l’eau, et si elle la trouve elle ne meurt pas, autrement elle meurt. C’est pourquoi Jean, pesant attentivement leurs intentions – pourquoi venaient-ils à l’eau du baptême ?– dit « ENGEANCE DE VIPÈRES ». Mais pourquoi ces êtres venimeux venaient-ils au baptême ? Parce que Jean promettait la rémission des péchés, alors il les faisait entrer dans l’eau qui chassait leurs intentions dépravées. C’est pourquoi il dit : « FAITES PÉNITENCE »…ET ILS ÉTAIENT BAPTISÉS PAR LUI.
La deuxième particularité [de la vipère] est qu’en naissant elle tue ses parents. Ainsi on dit que sa naissance se fait par violence, et eux [les Pharisiens et les Sadducéens] pareillement, Mt 23, 31 : Lequel des prophètes n’avez-vous pas tué ?
La troisième raison est que [la vipère] est belle à l’extérieur, et venimeuse à l’intérieur. Eux aussi sont beaux à l’extérieur par une feinte justice, mais à l’intérieur ils ont des péchés, Mt 23, 27 : Malheur à vous parce que vous êtes semblables à des tombeaux blanchis qui à l’extérieur apparaissent beaux aux hommes, mais à l’intérieur sont pleins d’os de morts et de toute sorte de saleté, et dans cette optique, ENGEANCE DE VIPÈRES a une connotation péjorative.
312.
Ambroise explique autrement : il
dit que la prudence est assignée aux serpents, Mt 10, 16 : Soyez prudents comme les serpents. C’est pourquoi Jean, leur recommandant la
prudence, parce qu’ils venaient au baptême, dit « ENGEANCE DE
VIPÈRES ».
313.
La première chose qui mène à la
pénitence est donc la reconnaissance de son propre péché ; la deuxième est
la crainte du jugement divin, Pr 16, 6 : Par la crainte du Seigneur on
s’éloigne du mal ;
Jb 19, 29 : Sachez
qu’il y a un jugement. Et c’est ce
qu’il dit : QUI VOUS A MONTRÉ À FUIR LA COLÈRE QUI VIENT ? Et il faut
savoir qu’Ambroise et Chrysostome parlent du passé et Raban de l’avenir,
d’où : QUI A MONTRÉ ? Et selon Ambroise : ENGEANCE, etc.,
[c’est] comme s’il disait : «Qui vous a montré à vous éloigner du
mal ?», sous-entendant : «Personne sauf Dieu.»
Ps 84, 8 : Montre-nous,
Seigneur, ta miséricorde, et donne-nous ton salut.
314.
Selon Chrysostome, [Jean dit]
« ENGEANCE DE VIPÈRES », parce qu’ils gardent la volonté du péché.
QUI VOUS A MONTRÉ À FUIR, autrement dit «Voulez-vous [fuir] ?». Non, parce
qu’Isaïe a dit, Is 1, 16 : Lavez-vous et soyez propres, éloignez de mes yeux le mal de vos
pensées. Non, parce que David a
dit, Ps 50, 4 : Lave-moi
davantage, Seigneur, de mon iniquité, et purifie-moi de mon péché, et plus loin [Ps 50, 19] : Le sacrifice à Dieu est un esprit
broyé ; tu ne mépriseras pas, Dieu, un cœur brisé et humilié.
315. Raban parle de l’avenir ainsi : c’est comme si [Jean] disait : «Il est bon que vous fassiez pénitence, car autrement qui montrera ?» Ps 138, 7 : Où irai-je loin de ton esprit, où fuirai-je ton visage ? La colère de Dieu ne se conçoit pas comme une passion [affectus] de l’âme mais comme un acte [effectus] : sa colère est une vengeance.
316. Après avoir posé comme préalables ces deux choses menant à la pénitence, [Jean] conclut ensuite : DONNEZ DONC DES FRUITS DIGNES DE LA PÉNITENCE.
317. Sur un arbre les fruits viennent après les fleurs, et si les fruits ne suivent pas les fleurs, cet arbre ne vaut rien. Une fleur de pénitence apparaît dans la contrition, mais le fruit est dans l’exécution, Si 24, 17 : Mes fleurs sont des fruits d’honneur et de considération. Et il faut noter qu’autre est le fruit de la justice, autre celui de la pénitence : on demande plus au pénitent qu’à celui qui ne pèche pas.
318.
Le fruit digne de la pénitence est triple. Le premier est de punir en soi ce
qu’on a commis, et ce par le jugement du prêtre, Jr 31, 19 : Après
que tu m’as converti, j’ai fait pénitence, et après que tu m’as fait comprendre,
j’ai frappé ma cuisse, c’est-à-dire j’ai affligé ma chair. Le
deuxième est de fuir le péché et les occasions de péché. C’est pourquoi on dit
que donner satisfaction, c’est enlever les causes de péché.
Si 21, 1 : Fils, as-tu péché ? Ne recommence pas,
implore le pardon de tes fautes passées, etc. Si 21, 2 : Fuis
le péché comme [tu fuis] la face du serpent. Le troisième est de
mettre autant de zèle à bien agir qu’on en a mis à pécher.
Rm 6, 19 : Je parle en langage humain à cause de la faiblesse
de notre chair : comme vous avez présenté vos membres pour servir
l’impureté, et au mal en vue du mal, de même maintenant présentez vos
membres pour servir la justice en vue de la sanctification.
319. Ensuite [Jean] n’admet pas d’empêchement à la pénitence quand il dit : ET NE DITES PAS EN VOUS-MÊMES : «NOUS AVONS COMME PÈRE ABRAHAM.»
320. Il y a un double empêchement à la pénitence : la présomption, et la désespérance envers la justice divine. D’abord il écarte le premier ; ensuite le second, en cet endroit : VOICI QUE LA HACHE EST MISE À LA RACINE DES ARBRES.
321. À propos du premier point, il fait deux choses : d’abord il n’admet pas d’empêchement ; deuxièmement, il donne la raison, en cet endroit : MOI, JE VOUS DIS.
322. [Jean] dit donc : NE DITES PAS EN VOUS-MÊMES : «NOUS AVONS COMME PÈRE ABRAHAM.» Ils étaient de la descendance d’Abraham selon la chair, ainsi ils pouvaient croire que s’ils péchaient, même beaucoup, Dieu leur faisait miséricorde à cause d’Abraham, Ex 32, 11 : Pourquoi, Seigneur, ta fureur s’enflammerait-elle [contre ton peuple] ? Et plus loin, Ex 32, 13 : Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Jacob, etc. Et c’est pourquoi Jean n’admet pas cela : NE DITES PAS. C’est une façon de parler, comme s’il disait : «Ne dites pas cela, parce que cela ne vaudra pas pour vous.» Rm 9, 8 : Ce ne sont pas les fils de la chair qui sont fils de Dieu, ce sont les fils de la promesse qui sont comptés comme descendance, etc. Eux se glorifiaient beaucoup d’Abraham, mais le Seigneur dit, Jn 8, 39 : Si vous êtes fils d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. C’est contre de tels hommes que Chrysostome dit : «Celui que ses mœurs défigurent, à quoi lui sert une illustre généalogie ?» Et cela est [vrai] aussi pour les choses spirituelles.
323. Ensuite, [Jean] donne un argument : MOI, JE VOUS DIS, car il est plus grand d’imiter son père que de naître de lui : DIEU EST CAPABLE AVEC CES PIERRES DE SUSCITER DES FILS À ABRAHAM. On lit en Jos 4 que lorsque le peuple d’Israël traversa le Jourdain à pied sec, en mémoire du miracle, Josué ordonna de prendre douze pierres dans le fond du fleuve et de les poser à l’extérieur, et de mettre dans l’eau douze pierres qui dépassaient. Jean, baptisant en ce lieu, les montra.
324. On peut l’entendre de deux façons. D’abord littéralement : c’est le premier fondement de la foi, de croire à la toute-puissance de Dieu, Jb 42, 2 : Je sais que tu peux, et aucune pensée ne t’est cachée. Ou bien nous pouvons entendre par les pierres les païens, qui sont appelés pierres pour deux raisons : d’abord, parce qu’ils adorent des pierres ; deuxièmement, à cause de leur dureté. Les pierres sont dures, mais elles gardent longtemps ce qu’on y imprime. Un bâtiment de pierre est long à faire, mais il est solide et durable. C’est pourquoi les païens, bien que durs à recevoir la foi au Christ, ont tenu vaillamment. Cela est signifié en Ez 11, 19 : Je vous enlèverai le cœur de pierre de votre chair, et je vous donnerai un cœur de chair, et je mettrai mon esprit au milieu de vous.
325.
Selon Jérôme, dans ces paroles, [Jean] paraît ramener à la mémoire la prophétie
d’Is 51, 2 : Regardez Abraham votre père, et Sara qui vous a
enfantés : [il était seul quand je l’ai appelé, mais je l’ai béni
et multiplié].
326. [Jean] appelle Abraham «pierre» à cause de son incapacité à procréer, et Sara à cause de sa stérilité, comme s’il disait : «Dieu, qui a rendu Abraham capable et Sara féconde, EST CAPABLE AVEC CES PIERRES DE SUSCITER DES ENFANTS À ABRAHAM.»
327. DÉJÀ LA HACHE EST MISE À LA RACINE DES ARBRES. Ils pourraient dire : «Nous ne croyons pas qu’une colère quelconque survienne contre nous», et c’est pourquoi [Jean] écarte cet [argument] en disant : DÉJÀ, etc. Ainsi, il aborde en premier le jugement ; deuxièmement, il aborde la sentence du jugement.
328.
Il dit donc : DÉJÀ [LA HACHE EST MISE À LA RACINE DES ARBRES]. Certains
refusent de se repentir, de deux manières : en désespérant du jugement,
parce qu’ils ne croient pas à l’existence du jugement, Si 5, 1 :
Ne dis pas : «La vie me suffit !» Jb 19, 29 : Fuyez
la face de l’épée, parce que le vengeur des iniquités est une épée, et
sachez qu’il y a un jugement. Pour certains autres, c’est à cause du
retard, 2 P 3, 9 : Dieu ne retarde pas sa promesse,
comme certains le pensent, mais il agit patiemment avec nous, ne voulant pas
que certains périssent, mais que tous se tournent vers la pénitence.
Mais Jean refuse ces deux idées, la première quand il dit : DÉJÀ LA HACHE ; la deuxième quand il dit : EST MISE, comme s’il disait : «Elle ne va pas tarder.»
329. Il y a à cela trois sens. Chrysostome dit que par la hache on entend l’exécution du jugement divin, qui est désigné tantôt par la hache, tantôt par l’arc et l’épée, Ps 7, 13 : Si vous ne changez pas, il brandira son épée, il a tendu son arc et l’a préparé. Jérôme [dit] que, par la hache, on entend la prédication de l’évangile, parce que, par la doctrine de l’évangile, certains sont conduits à la vie, et ceux qui le méprisent sont conduits à la mort.
Jr 23, 29 : Mes paroles ne sont-elles pas comme le feu, et comme un marteau qui broie la pierre ? Lc 2, 34 : Voici qu’il est mis pour la ruine et le relèvement de beaucoup en Israël, et en signe de contradiction etc. DÉJÀ LA HACHE EST MISE À LA RACINE DES ARBRES, c’est comme s’il disait : «Cela est évident qu’il vient.» Selon Grégoire, par la hache on entend notre rédempteur qui, comme la hache, est composé d’un manche et d’une lame, d’humanité et de divinité : humanité parce qu’il attend patiemment, comme quelque chose qu’on tient ; divinité, comme une lame qui coupe. Donc, LA HACHE EST MISE À LA RACINE parce que le jugement est fait par [le Christ] Dieu et homme.
330. Et [Jean] dit À LA RACINE, pour deux raisons : dans la racine on fait la coupure totale, même de ce qui est dans les branches. Et parce que ce qui est enlevé de la racine ne germe pas, c’est comme s’il disait : «L’extirpation du mal est totale.» Il continue donc, et indique d’abord l’universalité en disant TOUT ARBRE, comme s’il disait : «Tant juif que païen», Rm 2, 11 : Dieu ne fait pas acception des personnes. Deuxièmement, il aborde la faute. Parce que [la racine] ne produit pas de fruit, pour l’omission seule il y a punition, Mt 25, 42 : J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. Troisièmement, il aborde la double peine. La [peine] temporelle : IL SERA COUPÉ, à savoir, de cette vie, Lc 13, 7 : Voici trois ans que je viens chercher des fruits sur ce figuier et que je n’en trouve pas : coupe-le donc ; et plus loin : Pourquoi occupe-t-il la terre ? Ainsi, IL SERA COUPÉ du bonheur terrestre ; et la peine éternelle, c’est pourquoi il est dit : IL SERA MIS AU FEU, Is 66, 24 : Leur ver ne mourra pas et leur feu ne s’éteindra pas. Et Mt 25, 41 : Allez, maudits, dans le feu éternel.
331.
MOI, JE VOUS BAPTISE. Plus haut, Jean
a exhorté à compléter la pénitence, maintenant son but est de faire ce qu’il
avait souvent dit : annoncer le royaume des cieux, et pour cela, il fait
deux choses. D’abord, il présente la préparation au royaume. Deuxièmement, il
traite de l’annonce du royaume, en cet endroit : CELUI QUI VA VENIR APRÈS
MOI. Ce royaume, c’est le Christ, dont parle Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est au
milieu de vous. La préparation,
c’est le baptême. C’est pourquoi MOI, ce qui est étonnant pour vous, JE BAPTISE
DANS L’EAU seule, parce que je suis pur. C’est pourquoi il ne pouvait que laver
le corps, et il ne pouvait donner le Saint-Esprit, parce que le prix du péché
n’avait pas encore été acquitté, He 9, 22 : Car il n’y a pas de rémission
sans sang.
332.
De même l’Esprit Saint n’était pas
encore descendu, et le Christ n’avait pas encore sanctifié l’eau par le contact
de sa chair. Donc pourquoi baptisait-il ? Pour trois raisons. D’abord,
pour annoncer la venue du Christ en baptisant, Lc 1, 76 : Tu marcheras devant la face du Seigneur pour
préparer ses chemins.
Deuxièmement, pour avoir l’occasion de prêcher sur le Christ aux personnes
rassemblées, Jn 1, 31 : Pour qu’il soit manifesté en Israël, je suis venu baptisant dans l’eau. Troisièmement, pour préparer au baptême du
Christ. D’où l’habitude dans l’Église que les futurs baptisés soient d’abord
catéchumènes, c’est-à-dire qu’ils aient une préparation, et qu’ils reçoivent un
signe par lequel ils sont réputés aptes. Et c’est ce qu’il dit, JE VOUS
BAPTISE, pour que vous sachiez que vous êtes aptes, vous qui désirez être
baptisés par le Christ. Note que le Maître dit dans les Sentences, IV, que les gens baptisés par Jean n’étaient pas baptisés par le
Christ, sauf ceux qui mettaient leur espérance en Jean. Mais c’est faux, c’est
pourquoi [Jean] dit : IL VOUS BAPTISERA LUI-MÊME.
333.
Note aussi qu’Augustin soulève une
question. Si après le baptême de Jean ils étaient rebaptisés, pourquoi ne
rebaptisait-on pas ceux qui avaient reçu le baptême des hérétiques ? Il
faut dire que Jean baptisait dans sa personne, et les hérétiques dans la
personne du Christ, donc on doit considérer [le baptême des hérétiques] comme
baptême du Christ.
334.
Ensuite, il est question du royaume,
dont il a d’abord montré la dignité, et, deuxièmement, le rôle, en cet
endroit : IL VOUS BAPTISERA LUI-MÊME.
335.
Il dit donc : CELUI QUI VIENT
APRÈS MOI, naissant, baptisant, prêchant, mourant, descendant aux enfers. Mais
ici il ne parle que de deux choses, la prédication et le baptême. C’est
pourquoi il dit : CELUI QUI VIENT APRÈS MOI, pour baptiser et enseigner,
Lc 1, 17 : Il
marchera devant lui dans l’esprit et la puissance d’Élie. IL EST PLUS FORT QUE MOI, et son baptême
est plus puissant, 1 R [1 S] 2, 2 : Il n’y a pas de saint comme Dieu. Jb 9, 19 :
Si on recourt à la force, il est le plus fort. Et pour qu’on ne croie pas qu’il y a une comparaison entre eux, il
dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE PORTER SES SANDALES, comme s’il
disait : «Il est si incomparablement plus digne que moi, comme explique
Chrysostome, que je n’ai [même] pas le devoir de lui rendre service.» Mais il
faut savoir que dans les trois autres évangiles, il n’en est pas ainsi :
ils disent «dénouer» et non «porter». Augustin dit que Jean a seulement voulu
montrer sa petitesse et l’excellence du Christ, et alors le sens est le même
partout. C’est pourquoi [Chrysostome] dit que «ce fut par une inspiration du
Saint-Esprit que, sur ce sujet, les évangélistes divergent dans les termes,
pour que nous recevions la leçon que nous ne mentons pas si nous exprimons le
même sens de façon différente, bien que nous ne disions pas les mêmes mots.»
336. Mais s’il a
voulu signifier quelque chose de mystique, alors il y a une différence entre les
paroles de Matthieu et celles des autres, et les lanières des sandales peuvent
avoir deux sens. Les sandales représentent l’humanité,
Ps 59, 10 : Sur
l’Idumée je jetterai ma sandale.
La lanière est l’union par laquelle l’humanité est reliée à la divinité. Et
c’est parce qu’il ne se jugeait pas suffisant à expliquer le mystère de l’union
qu’il dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE PORTER SES SANDALES. Ou bien la
coutume était, chez les Juifs, Dt 25, 9, que si un homme ne voulait
pas recevoir la femme [veuve] de son frère, il devait dénouer la lanière de la
sandale de celui qui la recevait pour épouse. L’épouse du Christ, c’est
l’Église. Jean pensait donc qu’il était indigne de recevoir l’épouse du Christ.
337.
Autre interprétation, selon
Hilaire : ceux qui annoncent l’humanité du Christ dans le monde portent
des sandales, ce qui fut réservé aux apôtres, Is 52, 7 : Qu’ils sont beaux sur les montagnes les
pieds de celui qui annonce et qui prêche la paix, qui annonce le bien, qui prêche
le salut. Jean dit donc qu’il n’est
pas digne de porter les sandales qui étaient réservées aux apôtres : en
effet, leur rôle est plutôt d’évangéliser que de baptiser, 1 Co
1, 17 : Le Christ ne
m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’évangile. Les apôtres sont-ils donc plus grands que Jean ? Par le mérite,
non, mais par leur rôle [au service] de la nouvelle Alliance. Et selon ce sens,
il est dit plus loin, Mt 11, 11 : Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand
que lui.
338.
Autre interprétation, selon Chrysostome :
les pieds sont les apôtres et autres serviteurs de Dieu, parmi lesquels était
Jean. La sandale est leur faiblesse, parce que de même que la beauté des pieds
n’est pas visible quand ils sont cachés par les sandales, de même la beauté des
apôtres, 2 Co 12, 9 : Volontiers je me glorifierai de mes faiblesses, pour qu’habite en moi
la puissance du Christ. JE NE
SUIS PAS DIGNE DE PORTER SES SANDALES, parce que ni lui ni les apôtres ne se
pensaient dignes d’être serviteurs de l’évangile du Christ,
2 Co 3, 4-5 : Telle
est la conviction que nous avons par le Christ auprès de Dieu : ce n’est
pas que de nous-mêmes nous soyons capables de revendiquer quoi que ce soit
comme venant de nous ; non, notre capacité vient de Dieu.
339.
Si ce deuxième mystère a des sens si
divers, lequel d’entre eux Jean a-t-il donc voulu indiquer ? Disons, selon
Augustin, que si les paroles de Jean sont rapportées de [deux] façons
différentes, c’est qu’il a dit les deux. Ou bien que Jean prêchant aux foules a
dit tantôt l’une tantôt l’autre.
340.
Ensuite, [Jean] aborde la fonction du
Christ : d’abord la fonction de baptiser ; deuxièmement, la fonction
de juger, en cet endroit : DANS SA MAIN SON VAN.
341.
Il dit donc : IL VOUS BAPTISERA
DANS L’ESPRIT SAINT ET DANS LE FEU. Beaucoup de manuscrits portent «et au feu»
[et igni], mais ils s’expriment à la façon des Grecs
qui n’ont pas d’ablatif. Et il dit : DANS L’ESPRIT SAINT ET LE FEU, en
quoi est donné à comprendre que le baptême du Christ est plus complet que le baptême
de Jean, parce qu’il ajoute à celui-ci, puisque le Christ [baptise] dans l’eau
et dans l’Esprit, Jn 3, 5 : Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint, il
ne peut pas entrer dans le royaume de
Dieu. Mais note que quand il
dit : IL VOUS BAPTISERA DANS L’ESPRIT SAINT, il fait savoir qu’il va y
avoir une abondance d’Esprit Saint, et que ceux qui la reçoivent sont lavés en
totalité, Ac 1, 5 : Vous serez
baptisés dans l’Esprit Saint. Il
suggère aussi que le changement [sera] facile.
342.
ET DANS LE FEU : cela s’explique
de beaucoup de façons. Jérôme dit que la même chose est désignée par l’Esprit
Saint et par le feu, Lc 12, 49 : Je suis venu mettre le feu (c’est-à-dire le
Saint-Esprit) à la
terre, et qu’est-ce que
je veux sinon qu’il brûle ? Et c’est aussi pour cette raison qu’il est
apparu dans le feu, Ac 2, 3 : Et leur apparurent des sortes
de langues de feu qui se divisaient.
343. Selon Chrysostome, le feu symbolise la tribulation présente qui purifie les péchés, Si 27, 5 : Le four éprouve les vases du potier, l’épreuve du tourment [éprouve] les justes. Mais il faut savoir qu’il dit que ce baptême est nécessaire, parce que le baptême du Saint- Esprit empêche l’âme d’être vaincue par les tentations, mais n’enlève pas totalement les germes charnels ; et c’est pourquoi la tribulation est nécessaire, parce que la chair alors écrasée ne produira pas de germe de concupiscence. Nécessaire est donc le feu pour restaurer la chair. Ou bien par le feu on entend la purification future au purgatoire, 1 Co 3, 13 : C’est le feu qui éprouvera la valeur de l’œuvre.
344. Hilaire parle aussi du feu de l’enfer et dit que [Matthieu] a deux intentions dans ce qu’il dit : LUI-MÊME VOUS BAPTISERA DANS LE SAINT-ESPRIT ET LE FEU : le salut qu’il effectue dans le présent et dans le futur. Dans le futur, il purifiera par le feu de l’enfer, dans la mesure où il y traînera les méchants ; et cela concorde avec ce qui suit : IL BRÛLERA LA BALLE DANS LE FEU INEXTINGUIBLE.
345. Ensuite, il s’agit de son pouvoir de juger : DANS SA MAIN SON VAN. Et d’abord, il présente le pouvoir de juger ; deuxièmement, l’effet du jugement ; troisièmement, le mode de jugement.
346.
Il dit donc : SON VAN, et il
utilise une comparaison. L’aire, c’est l’Église ; les fruits de la récolte
sont les fidèles, qui seront rassemblés par les anges,
Lc 10, 2 : Demandez au maître de la moisson d’envoyer
des ouvriers à sa moisson ; Jn 4, 34 : Celui qui m’a
envoyé pour que j’achève son ouvrage. Le van est le pouvoir
judiciaire du Christ qui triera le blé de la balle, Jn 5, 22 : Le
Père a donné tout jugement au Fils ; Ac 10, 42 : Il
est, lui, celui qui a été constitué par Dieu juge des vivants et des
morts.
347.
IL VA
NETTOYER ENTIÈREMENT, c’est-à-dire nettoyer parfaitement. D’abord, par les
tribulations qui sont comme un vent : s’il n’y en a pas, la balle est avec
le blé. De même aussi, tant qu’ils sont dans l’Église on ne distingue pas les
bons des méchants ; et de même qu’avec la brise les petites balles
s’envolent et par grand vent les grosses, de même dans l’Église, si la
tribulation augmente, même ceux qui paraissaient solides tombent.
Lc 8, 13 : Ils ne croient que pour un moment, et au
moment de l’épreuve, ils font défection. Deuxièmement, par les sentences des
supérieurs, quand ceux-ci excommunient : 1 Co 5, 13 : Enlevez
le mauvais du milieu de vous. Troisièmement, au jour du jugement, quand les bons
seront séparés des méchants, Mt 25, 32. IL RASSEMBLERA DANS SON
GRENIER (le Paradis) LE BLÉ (les élus), Ps 105, 47 : Sauve-nous, Seigneur
notre Dieu, et rassemble-nous du milieu des païens.
348. IL BRÛLERA LA
BALLE. Et note qu’il y a une différence entre la balle et l’ivraie : autre
est la semence de balle, autre celle d’ivraie, parce que la semence de balle
est la même que celle de blé. C’est pourquoi par l’ivraie nous pouvons
comprendre les schismatiques, qui ne communient pas avec nous dans les
sacrements ; par la balle, des fidèles, quoique méchants. Mais les uns et
les autres seront brûlés DANS LE FEU INEXTINGUIBLE. Is 66, 24 : Leur
feu ne s’éteindra pas. Et il dit : INEXTINGUIBLE, à la différence
du feu du Purgatoire. Sur ce feu, voir Mt 25, 41 : Allez,
maudits, dans le feu éternel etc.
349.
Plus haut, l’évangéliste
a introduit Jean Baptiste, maintenant il introduit le Christ venant au baptême
de Jean, et à cet égard il fait deux choses. D’abord, il présente ce qui a
précédé le baptême, deuxièmement, ce qui a suivi le baptême, en cet
endroit : JÉSUS AYANT ÉTÉ BAPTISÉ [3, 16].
350.
À propos du
premier point, il aborde quatre choses : premièrement, l’admirable
humilité du Christ ; deuxièmement, l’étonnement devant cette
humilité ; troisièmement, la justification du Christ devant cet
étonnement ; quatrièmement, Jean admet cette justification. Le deuxième
point [se trouve] en cet endroit : JEAN VOULAIT L’EMPÊCHER [3, 14].
Le
troisième, en cet endroit : MAIS JÉSUS LUI RÉPONDANT [3, 15a].
Le
quatrième, en cet endroit : ALORS IL LE LAISSA FAIRE [3, 15b].
351.
À propos du
premier point, quatre choses sont abordées : premièrement, le temps ;
deuxièmement, les personnes ; troisièmement, les lieux ;
quatrièmement, le rôle.
352.
Le temps,
quand il dit : ALORS, c’est-à-dire quand Jean a sa propre lumière. Car de
même que le soleil se lève quand l’étoile du matin est encore visible, de même
le Christ [apparaît] quand Jean prêche et baptise, Lc 3, 21.
Jb 38, 32 : Produis-tu l’étoile du matin en son temps, et fais-tu
lever l’étoile du soir sur l’horizon ? Ou bien : ALORS, quand le Christ fut dans
sa trentième année, Lc 3, 23, pour donner à comprendre que personne
ne doit assumer la fonction de prédicateur et de supérieur avant l’âge mûr. Ou
bien ALORS, quand, en suivant le parcours des autres, il pouvait avoir commis
beaucoup de péchés. C’est pour cette raison qu’il ne voulut pas être aussitôt
baptisé, mais observa la loi pendant longtemps, comme s’il était établi sous la
loi, et pour que les Juifs n’aient pas de cause de scandale, car il n’est pas
venu abolir la loi, Mt 5, 17. On pourrait objecter que le Christ a
clos la loi pour la raison qu’il n’avait pas pu l’accomplir. C’est pourquoi il
voulut longtemps l’observer ; et c’est pourquoi il ne fut pas baptisé si
vite.
353.
Les
personnes, quand il est dit : JÉSUS VIENT À JEAN, le maître au serviteur,
le créateur à la créature, Mt 11, 29 : Apprenez
de moi que je suis doux et humble de cœur.
354.
Les
lieux : DE GALILÉE. Mystiquement, ces lieux conviennent aux baptisés,
parce que «Galilée» signifie «émigration» : il faut que les baptisés
émigrent des vices aux vertus, 1 P 2, 1 : Déposant
toute méchanceté, toute ruse, hypocrisies, jalousie et toutes médisances. Également, AU
JOURDAIN : «Jourdain» se traduit par «descente», et représente l’humilité
qui doit se trouver chez celui qui reçoit le baptême pour qu’il reçoive la
grâce. Jc 4, 6 : Aux humbles il donne la grâce.
355.
Le
rôle : POUR ÊTRE BAPTISÉ. Dieu a voulu être baptisé par Jean pour quatre
raisons. Pour que le baptême de Jean soit conservé, parce que certains le dénigraient,
Mt 21, 24. Deuxièmement, pour consacrer toute l’eau par son contact,
et c’est pourquoi on dit que le baptême est fait aux sources du Sauveur,
Is 12, 3 : Vous puiserez avec joie les eaux aux sources
du sauveur. Troisièmement, pour montrer qu’en lui il y a la vraie condition
humaine, parce que de même qu’il fut à la ressemblance de la chair pécheresse,
Rm 8, 3, de même il voulut être purifié comme un pécheur.
Quatrièmement, pour imposer à d’autres la nécessité d’être baptisés, il voulut
d’abord observer ce qu’il imposa. Ac 1, 1 : Jésus
commença à faire et à enseigner, contrairement à ceux dont parle
Mt 23, 4 : Ils lient des fardeaux lourds et importables,
et les imposent aux épaules des gens, mais ils ne veulent pas les remuer du
doigt.
356.
Vient ensuite
l’étonnement. Note trois choses : premièrement, Jean récuse l’honneur qui
lui est offert ; deuxièmement, il reconnaît son humilité ;
troisièmement, [il reconnaît] sa faiblesse. Le deuxième point : JEAN
L’EMPÊCHAIT, Si 7, 4 : Ne demande pas à un homme la
première place, ni au roi un fauteuil d’honneur. Le troisième
point : C’EST MOI QUI DOIS ÊTRE BAPTISÉ PAR TOI. Il connaissait l’effet
intérieur du baptême ; c’est pourquoi il dit : ÊTRE BAPTISÉ,
c’est-à-dire purifié du péché originel. Ainsi dit la Glose. [On pourrait dire]
au contraire qu’il avait été sanctifié in utero. Mais il faut
dire qu’avant la venue du Christ, certains ont été en quelque sorte purifiés de
l’impureté personnelle par la circoncision et les choses de ce genre ;
mais quant à la faute et à l’impureté de la nature entière, personne ne fut
purifié avant la Passion du Christ.
357.
ET TOI, TU
VIENS À MOI ! Ps 138, 6 : Merveille de science qui me
dépasse, hauteur où je ne puis atteindre !
358.
Vient ensuite
la justification du Christ. Note que Jean avait fait une chose : IL
L’EMPÊCHAIT, et avait dit deux choses : C’EST MOI QUI DOIS ÊTRE BAPTISÉ
PAR TOI, et C’EST TOI QUI VIENS À MOI !
359.
Et pourtant
le Christ n’a pas répondu à une chose, à C’EST MOI (…) PAR TOI ; mais il a
répondu au refus de Jean, d’où LAISSE FAIRE POUR L’INSTANT.
360.
Et [le
Christ] dit : LAISSE FAIRE POUR L’INSTANT, parce que, selon Chrysostome,
Jean peu après fut baptisé par le Christ, non seulement du baptême du souffle
[de l’Esprit], mais aussi [du baptême] d’eau. Ou bien il dit : LAISSE
FAIRE POUR L’INSTANT, parce que peu après Jean fut baptisé du baptême de
l’Esprit Saint. Ou bien LAISSE FAIRE POUR L’INSTANT : «Que je sois baptisé
du baptême d’eau, parce que j’ai à être baptisé d’un autre baptême, le baptême
de la Passion», Lc 12, 50 : J’ai à être baptisé d’un baptême,
et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Et de ce
[baptême] aussi Jean fut baptisé par le Christ, dans la mesure où il est mort
pour la justice, ce qui est la même chose que de mourir pour le Christ. Ou
bien : «LAISSE-moi POUR L’INSTANT, alors que je prends forme d’esclave,
remplir une fonction d’humilité, parce que lorsque j’apparaîtrai dans la
gloire, je te baptiserai du baptême de gloire.»
361.
Ensuite, le
Christ répond à l’étonnement de Jean et dit : C’EST AINSI QU’IL NOUS
CONVIENT D’ACCOMPLIR TOUTE JUSTICE, ce qui s’explique de trois façons.
362.
D’abord
C’EST AINSI QU’IL NOUS CONVIENT D’ACCOMPLIR TOUTE JUSTICE, par le baptême, car
il devait arriver que le Christ accomplirait toute justice, de la loi et de la
nature, mais il voulut l’accomplir par ce chemin, parce que sans baptême elle
n’est pas accomplie, Jn 3, 3 : Celui qui ne naît
pas de nouveau ne peut voir le royaume de Dieu, etc.
363.
Rémi
explique ainsi : C’EST AINSI QU’IL NOUS CONVIENT D’ACCOMPLIR TOUTE
JUSTICE, il convient que je donne l’exemple de ce sacrement dans lequel est
donnée la plénitude de toute justice parce qu’est donnée la plénitude de la
grâce et des autres vertus, Ps 64, 10 : La
rivière de Dieu est remplie d’eaux, c’est-à-dire de grâces. Ou bien : C’EST
AINSI QU’IL NOUS CONVIENT, etc., c’est-à-dire qu’il faut que j’aie l’humilité
parfaite. Le premier degré [d’humilité], c’est ne pas se mettre au-dessus d’un
égal, et se mettre au-dessous d’un supérieur, du moins en ce qui est
nécessaire. Le deuxième, se mettre au-dessous d’un égal. [L’humilité] parfaite
[existe] lorsqu’un supérieur se met au-dessous d’un inférieur. C’est ce [que
Jésus dit] : C’EST AINSI QU’IL NOUS CONVIENT, etc., à savoir, pour
accomplir l’humilité parfaite. Mais alors qu’il y avait entre eux une telle
émulation, le Christ a gagné, d’où : ALORS IL LE LAISSA FAIRE, etc.,
c’est-à-dire qu’il lui permit de le baptiser. La Glose [dit] : «La vraie
humilité est celle à qui ne manque pas l’obéissance ; résister
opiniâtrement, c’est de l’orgueil.» 1 R [1 S] 15, 23 : Ne
pas vouloir acquiescer, c’est presque un crime d’idolâtrie. C’est ainsi que
sont loués Jérémie et Moïse, qui finalement ont dit oui.
364.
Ensuite
quand il dit : AUSSITÔT BAPTISÉ, JÉSUS REMONTA DE L’EAU, sont abordées
quatre suites du baptême, et il faut savoir que de même que le Christ en son
baptême a donné aux autres l’exemple de se faire baptiser, de même dans les
suites du baptême il a donné à comprendre ce que nous poursuivons.
365.
Les suites
[du baptême] sont quatre : le Christ remonte, le ciel s’ouvre, le
Saint-Esprit apparaît, le Père fait une déclaration.
366. La première [se
trouve] en cet endroit : AUSSITÔT BAPTISÉ, JÉSUS REMONTA DE L’EAU. Et il
dit cela littéralement, parce que le fleuve avait un lit profond. Cependant
cela signifie que ceux qui sont baptisés montent par les bonnes œuvres. Il dit
AUSSITÔT, parce qu’aussitôt baptisés dans le Christ, ils revêtent le Christ, Ga 3, 27 :
Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le
Christ.
367. De plus, ils
obtiennent l’héritage céleste, 1 P 1, 3 : Il
nous a engendrés de nouveau pour une espérance vivante, par la résurrection,
pour l’héritage incorruptible. [Il dit] ainsi : ET LES CIEUX S’OUVRIRENT
POUR LUI. Cela n’est pas à entendre corporellement, mais en vision imaginaire.
ET LES CIEUX S’OUVRIRENT POUR LUI, cela signifie que le ciel était fermé au
genre humain à cause du péché, Gn 3, 24 : Et
il mit devant le paradis de délices les chérubins et la tourbillonnante épée de
flamme pour garder le chemin du bois de vie. Il est dit qu’il mit les séraphins, mais le
ciel fut ouvert à cause du Christ.
368.
Une question
: pourquoi les cieux se sont-ils ouverts pour lui, alors qu’ils lui avaient
toujours été ouverts ? Il faut dire, selon Chrysostome, que l’évangéliste
parle selon la façon ordinaire de parler, parce que, par le mérite de son
baptême, les cieux se sont ouverts pour nous, de même qu’un roi dit à son ami
qui lui demande une faveur pour un autre : «Je vous l’accorde. »
369.
Et il faut
savoir qu’il y a trois sortes de gens qui s’envolent aussitôt au ciel après la
mort : les baptisés, comme ici ; les martyrs, d’où
Ac 7, 56 : Voici que je vois les cieux ouverts et le
Fils de l’Homme debout à droite de la puissance de Dieu ; et ceux qui ont
persévéré jusqu’au bout dans le repentir. Ac 10, 19 dit que le ciel
s’est ouvert pour Pierre en prière.
370.
Ensuite est
abordée l’apparition du Saint-Esprit : ET IL VIT L’ESPRIT DE DIEU
DESCENDANT COMME UNE COLOMBE ET VENANT AU-DESSUS DE LUI. C’est ce qui
appartient aux baptisés qui reçoivent le Saint-Esprit en eux,
Jn 3, 6 : Ce qui est né de l’Esprit est Esprit, c’est-à-dire est
spirituel.
371.
ET IL VIT,
non dans une vision imaginaire, autrement lui seul aurait vu, L’ESPRIT DE DIEU,
c’est-à-dire la colombe. Et il faut savoir que rien de corporel n’est dit de
Dieu selon sa substance, mais soit par vision imaginaire
(Is 6, 1 : J’ai vu le Seigneur assis sur un trône haut
et élevé etc.), soit symboliquement (1 Co 10, 4 : La
pierre était le Christ), soit par assomption dans l’unité de la personne
(Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair). Mais ce n’est
selon aucun de ces modes que l’Esprit Saint est appelé une colombe. Que ce ne
soit pas par vision imaginaire, c’est évident, car elle a été vue par tous
ensemble. Ce n’est pas symbolique, car elle n’était pas là au début. Ce n’est
pas par assomption dans l’unité de la personne. C’est pourquoi il y a un
quatrième mode, qui consiste en ce qu’une espèce est formée à neuf pour la
représentation des effets divins, comme, en Ex 3, 2, le Seigneur est
apparu dans le feu et le buisson ; et lors du don de la loi, dans la
foudre et dans le tonnerre, Ex 19, 16. C’est pourquoi la colombe fut
[chargée] de représenter la venue du Saint-Esprit. [Il dit] donc : ET IL
VIT L’ESPRIT DE DIEU DESCENDANT.
372. Il apparut sous
l’aspect d’une colombe pour quatre raisons. D’abord, à cause de la charité, car
la colombe est un animal affectueux. Chrysostome [dit] : «Le serviteur du
diable a encore d’autres dons, simulés, que le serviteur de Dieu a en vérité.»
Il n’y a que la charité du Saint-Esprit que l’esprit immonde ne puisse imiter.
Ct 5, 2 : Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, mon
immaculée. Deuxièmement, à cause de l’innocence et de la simplicité,
Mt 10, 16 : Soyez prudents comme les serpents, simples
comme les colombes. Troisièmement, parce que son chant est un
gémissement, et que l’homme sanctifié par l’Esprit Saint doit gémir pour ses
péchés, Na 2, 8 : Et ses servantes étaient chassées, gémissant
comme des colombes. Quatrièmement, à cause de sa fécondité ;
c’est pourquoi la loi prescrivait d’offrir une colombe, ce qui convient aux
baptisés car, comme dit Jn 3, 6 : Ce qui est né de l’Esprit, est
Esprit.
373.
DESCENDANT
COMME UNE COLOMBE. L’émanation des dons divins venant de Dieu dans n’importe
quelle créature se fait toujours par descente, parce que la créature ne peut
recevoir en elle sinon par descente, Jc 1, 17 : Tout
don excellent et toute donation parfaite viennent d’en haut, descendant du Père
des lumières.
374.
ET VENANT
AU-DESSUS DE LUI. Note que l’envoi visible est toujours le signe de l’envoi
invisible, et signifie soit une grâce nouvellement reçue, soit une augmentation
de la grâce. De même quand l’Esprit Saint apparut en langues sur les apôtres,
[cet envoi] a signifié une augmentation de la grâce. En outre, un tel envoi
signifie soit une grâce faite à ce moment, soit une grâce faite auparavant.
Mais, chez le Christ, il ne signifie pas un effet nouveau, parce que, depuis
l’instant de sa conception, il fut plein de grâce et de vérité. Mais la grâce,
qui était déjà avant sur lui, y fut en tant qu’[il est] homme, non en tant
qu’[il est] Dieu.
375.
Ensuite
quand il dit : ET VOICI UNE VOIX DU CIEL DISANT, est mise la déclaration
du Père : LUI, C’EST MON FILS. Note que le baptême nous rend non seulement
spirituels, mais aussi enfants de Dieu, Jn 1, 12 : Il
leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Et il faut
savoir que cette voix exprime en quelque sorte ce que la colombe a signifié.
376.
BIEN-AIMÉ,
pas comme les autres créatures, Sg 2, 13, mais comme un fils naturel,
Jn 5, 20 : Le Père aime le Fils, et lui montre tout ce
qu’il fait, et lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, pour que
vous admiriez. C’est aussi ce que veut dire le Ps 2, 7 : Le
Seigneur m’a dit : «Mon fils c’est toi, moi aujourd’hui je t’ai engendré.»
Mais
parce que les saints aussi sont aimés par lui, il ajoute FILS, par quoi il
distingue son fils ‑ compris dans un sens unique ‑ des autres.
377.
EN QUI JE ME
SUIS COMPLU. Partout où brille une qualité de quelqu’un, quelque chose se
complaît en soi-même, comme un artiste se complaît dans la belle œuvre qu’il a
faite, et comme un homme qui voit sa belle image dans un miroir. L’excellence
divine est dans n’importe quelle créature particulière, mais jamais toute
parfaite, sinon dans le Fils et le Saint-Esprit. Et c’est pourquoi il ne se
complaît entièrement que dans le Fils, qui a autant d’excellence que le Père.
[Il dit] donc : EN QUI, c’est-à-dire que moi je me complais en lui,
Jn 3, 35 : Le Père aime le Fils, et il a tout donné dans
la main de celui-ci.
378.
Mais note
qu’il semble y avoir une contradiction entre cet évangéliste et les autres,
parce que Mc 1, 11 et Lc 3, 22 disent : Tu
es mon fils bien-aimé, ‑ mais Matthieu [dit] :
LUI
C’EST MON FILS BIEN-AIMÉ – et : En toi. Mais l’idée est
la même, parce que ce qui est dit : Tu es, paraissait directement
dit au Christ, mais [le Père] le disait à cause des autres, parce que le Christ
était sûr de l’amour de son Père. Et c’est pourquoi Matthieu a exprimé
l’intention de celui qui parle, et il dit : C’EST LUI, etc. «Il montre que
c’est dit en quelque sorte pour les autres», comme a dit Augustin.
379.
En outre, on
se demande pourquoi Matthieu et Marc disent : En qui je me, et Luc : En
toi.
Augustin dit que le Père se complaît dans le Fils et dans les hommes. C’est
donc pour cela que ce qui est dit, EN QUI, signifie qu’il se complaît dans les
hommes. Je me complais dans les autres, c’est-à-dire pour mon honneur, parce
que certains, voyant le Fils, ont glorifié le Père. Ou bien selon l’un et
l’autre sens : EN QUI JE ME SUIS COMPLU, c’est-à-dire que mon plaisir fut
d’accomplir le salut des hommes, et c’est en toi, c’est-à-dire par toi.
380.
Et note que
dans ce baptême sont représentés non seulement la fin et le fruit, mais aussi
la forme du baptême qui est : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, [voir] plus
loin. Car le Fils fut dans la chair, le Père dans la voix, l’Esprit Saint dans
l’apparence de colombe. Et note que ce qui fut séparément ne relève pas d’une
division des opérations selon les personnes de la Trinité, puisque, de même que
son essence est commune, de même son opération. Mais cela est dit pour opérer
une attribution, parce que c’est toute la Trinité qui a créé et cette colombe
et cette chair ; mais ces dernières se rapportent à des personnes
différentes.
Leçon 1 [Matthieu 4, 1‑11] 4, 1 Alors Jésus fut conduit dans le désert par
l’Esprit, pour être tenté par le diable. 4, 2 Et quand il eut jeûné
quarante jours et quarante nuits, ensuite il eut faim. 4, 3 Et
s’approchant le tentateur lui dit : «Si tu es Fils de Dieu, dis que ces
pierres deviennent des pains.» 4, 4 [Jésus] répondit et dit :
«Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que vit l’homme, mais de
toute parole qui sort de la bouche de Dieu.» 4, 5 Alors le diable
l’emporta dans la Ville sainte et l’installa sur le faîte du Temple, 4, 6
et il lui dit : «Si tu es fils de Dieu, jette-toi d’en haut, car il est
écrit : Il te recommandera à ses anges et ils te porteront sur leurs
mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.» 4, 7 Jésus lui
dit : «Il est écrit aussi : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton
Dieu.» 4, 8 À nouveau le diable l’emporta sur une très haute montagne,
lui montra tous les royaumes du monde avec leur gloire, 4, 9 et lui
dit : «Tout cela je te le donnerai, si tombant à terre tu m’adores.» 4, 10
Alors Jésus lui dit : «Va-t’en, Satan. Car il est écrit : Tu
adoreras le Seigneur Dieu, et c’est lui seul que tu serviras.» 4, 11
Alors le diable le quitta. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le
servaient.
Leçon 2 [Matthieu 3, 12-22] 4, 12 Comme Jésus avait appris que Jean avait été
livré, il se retira en Galilée ; 4, 13 et, ayant quitté la ville de
Nazareth, il vint habiter à Capharnaüm la maritime, aux confins de Zabulon et
de Nephtali ; 4, 14 pour que soit accompli ce qui a été dit par le
prophète Isaïe 4, 15 : Terre de Zabulon et terre de Nephtali,
route de la mer au-delà du Jourdain, Galilée des nations ! 4, 16 Le
peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière, et ceux qui
étaient assis dans la région de l’ombre de la mort, une lumière s’est levée
pour eux. 4, 17 Dès lors, Jésus se mit à prêcher et à
dire : «Faites pénitence, car le royaume des cieux s’est approché.» 4, 18
Marchant le long de la mer de Galilée, Jésus vit deux frères, Simon (qu’on
appelle Pierre) et André son frère, jetant le filet dans la mer, car c’étaient
des pêcheurs, 4, 19 et il leur dit : «Venez derrière moi, et je vous
ferai devenir pêcheurs d’hommes.» 4, 20 Eux aussitôt laissèrent les filets
et le suivirent. 4, 21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères,
Jacques de Zébédée, et Jean son frère, dans le bateau avec Zébédée leur père,
réparant leurs filets ; et il les appela. 4, 22 Eux aussitôt, quittant
filets et père, le suivirent.
Leçon 3 [Matthieu 3, 23‑25] 4, 23 Et Jésus faisait le tour de toute la Galilée,
enseignant dans leurs synagogues et prêchant la bonne nouvelle du royaume, et
guérissant toute maladie et toute infirmité dans le peuple. 4, 24 Et sa
renommée s’en alla dans toute la Syrie, et on lui amenait tous les malades, atteints
de divers maux et tourments, et ceux qui avaient un démon, et les lunatiques,
et les paralysés : et il les guérit ; 4, 25 et des foules
nombreuses le suivirent, de Galilée, de Décapole, de Jérusalem, de Judée, et
d’au-delà du Jourdain.
387. Et note cinq raisons pour lesquelles quelqu’un, après avoir reçu une grâce spirituelle, est tenté. La première, pour avoir la preuve expérimentale de sa justice, Si 34, 10 : Celui qui n’a pas été tenté, quelle est la qualité de sa science ? La deuxième, pour rabaisser l’orgueil, 2 Co 12, 7 : Afin que la grandeur des révélations ne m’exalte pas, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me donner des coups de poings etc. La troisième, pour confondre le diable, afin qu’il sache combien est grande la puissance du Christ, et qu’il ne peut le vaincre. À propos de cet exemple, on a Jb 1, 8 : As-tu considéré mon serviteur Job, etc. ? La quatrième, pour être rendu plus fort, comme les soldats sont rendus forts par l’expérience. Jg 3 [explique] pourquoi [le Seigneur] voulut envoyer de tous côtés des ennemis avec les fils d’Israël [Jg 3, 1 : Voici les nations que le Seigneur laissa subsister, pour éprouver par elles tous les enfants d’Israël.] La cinquième, pour connaître sa propre dignité, parce que lorsque le diable attaque quelqu’un, cela tourne à l’honneur [de celui-ci], car le diable attaque les saints. Jb 40, 15 et 23 : Sa nourriture est de l’herbe (…) et il a confiance que le Jourdain se jette dans sa bouche.
388. Ensuite [Matthieu parle] du
lieu : ALORS JÉSUS FUT CONDUIT DANS LE DÉSERT. Cela va bien avec ce qui
précède et avec ce qui va suivre, car il convenait qu’après le baptême il entre
au désert. Cela est signifié dans le peuple d’Israël, qui après la traversée de
la Mer Rouge ‑ qui fut une figure du baptême ‑ vint à la terre
promise en passant par le désert et la solitude. Ainsi les baptisés doivent-ils
chercher une vie solitaire et calme, en abandonnant le monde physiquement ou
mentalement. Os 2, 14 : Je la conduirai au désert et je
parlerai à son cœur ; Ps 54, 8 : Voici, j’ai fui au
loin, et j’ai demeuré dans la solitude. Il convenait qu’il s’en aille dans
le désert, en quelque sorte pour un combat singulier avec le diable.
389. Chrysostome [dit] : «Il
va au désert celui qui sort des frontières ‑ c’est-à-dire de la volonté ‑
de la chair et du monde, où il n’y a pas lieu d’être tenté.» En effet, comment
aurait-il des tentations libidineuses, celui qui est toute la journée avec sa
femme ? Ceux qui ne quittent pas la volonté de la chair et du monde ne
sont pas fils de Dieu mais fils du diable, eux qui, même ayant leur propre
femme, désirent celle d’autrui ; mais les fils de Dieu ayant l’Esprit
Saint sont conduits au désert pour être tentés avec le Christ, et c’est de quoi
parle la suite : il fut conduit PAR L’ESPRIT, comprends SAINT.
390.
391. Hilaire rapporte [ceci] au
Christ, selon qu’[il est] homme, à savoir que l’Esprit Saint expose à la
tentation l’homme qu’il avait rempli.
392. Les hommes sont conduits par
l’Esprit Saint quand ils sont mus par la charité, de sorte qu’ils ne sont pas
mus par leur propre mouvement mais par celui d’un autre, puisqu’ils suivent
l’élan de la charité, 2 Co 5, 14 : L’amour de Dieu nous
presse. Et les fils de Dieu sont conduits par l’Esprit Saint, de sorte
qu’ils traversent victorieusement, grâce à la puissance du Christ, le temps de
cette vie qui est pleine de tentations. Jb 7, 1 : L’épreuve
est la vie de l’homme sur la terre. Car lui-même voulut être tenté, pour
que, de même que par sa mort il a vaincu la nôtre, de même par sa tentation il
vainque toutes nos tentations, He 4, 15 : Nous n’avons pas un
grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en
tout, d’une manière semblable, à l’exception du péché.
393. Grégoire dit qu’il y a trois
degrés dans la tentation : la suggestion, la délectation, le consentement.
La première est extérieure et peut être sans péché. La deuxième est intérieure
et avec elle il commence à y avoir péché. Elle se parachève avec le
consentement. Le premier degré peut se trouver dans le Christ, mais pas les
autres. Et note que le diable n’aurait pas osé aller vers le Christ pour le
tenter, si le Christ n’était d’abord venu vers lui.
[4, 2]
394. Ensuite est abordé le
deuxième préambule : le jeûne : QUAND IL EUT JEÛNÉ, etc., et cela va
avec ce qui précède et avec ce qui suit. Avec ce qui précède, parce qu’il
convient de jeûner après le baptême, bien qu’après le baptême on ne doive pas
se livrer à l’oisiveté mais pratiquer les bonnes œuvres.
Ga 5, 13 : Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté.
La vraie liberté ne doit pas être dévolue à la vie charnelle. De plus, le
jeûne de celui que le diable allait tenter s’accordait avec les choses d’après,
parce que ce genre de démons n’est éjecté que par la prière et le jeûne,
Mt 17, 20.
395. QUARANTE JOURS. Il faut
comprendre cela à la lettre. Et [Matthieu] ajoute : ET NUITS, pour que
personne ne croie qu’il avait le droit de manger la nuit, comme font les
Sarrasins. Et il faut savoir que ce nombre est préfiguré dans l’Ancien
Testament chez Moïse et Élie, Ex 24, 18 et 1 R 19, 8.
En cela est caché un mystère, car ce nombre vient de dix fois quatre. Dix
représente la loi, car dans les dix commandements est contenue toute la loi.
Quatre représente la composition de la chair, car la chair est composée de
quatre éléments. Puisque nous, par la suggestion de la chair, nous
transgressons la loi divine, il est juste que nous affligions notre chair
pendant quarante jours.
396. Selon Grégoire, ce nombre a
été institué par l’Église pour jeûner, parce que grâce à cela nous acquittons
la dîme de l’année entière : car du premier dimanche [de Carême] jusqu’à
Pâques il y a trente-six jours de jeûne, qui sont le dixième de l’année
elle-même, si on enlève six jours. Et c’est pourquoi, depuis l’Antiquité, un
demi-jour fut ajouté par certains, qui jeûnaient jusqu’au milieu de la nuit du
Samedi saint.
397. En troisième lieu, on ajoute qu’ENSUITE IL EUT FAIM.
On ne le dit pas de Moïse ni d’Élie, qui étaient des hommes. Mais le Christ
voulut avoir faim pour montrer son humanité, car autrement le diable n’aurait
pas osé venir le tenter. Ph 2, 7 : Devenant semblable aux
hommes, s’étant comporté comme un homme.
[4,
3]
398. Ensuite il y a l’attaque de
la tentation, et elle est triple. D’abord, la gourmandise ; en deuxième lieu,
la vaine gloire ; en troisième lieu, l’ambition. La deuxième [se trouve]
en cet endroit : ALORS LE DIABLE L’EMPORTA DANS LA VILLE SAINTE. La
troisième, en cet endroit : À NOUVEAU LE DIABLE L’EMPORTA SUR UNE TRÈS
HAUTE MONTAGNE.
399. À propos du premier point,
[Matthieu] fait deux choses : d’abord, il présente l’attaque du
diable ; deuxièmement, comment le Christ répond, en cet endroit : IL
RÉPONDIT etc.
400. S’APPROCHANT, LE TENTATEUR DIT.
Il pouvait arriver que [le Tentateur] vienne lui-même à Jésus sous une forme
corporelle. Et il y a une triple tentation parce que Dieu éprouve pour
instruire, Gn 22, 1 : Dieu éprouva Abraham. Parfois
l’homme [éprouve] pour apprendre quelque chose de plus, de même que la reine de
Saba mit Salomon à l’épreuve, 1 R 10, 1, où il est dit
d’elle : Mais la Reine de Saba, ayant appris la renommée de Salomon,
vint l’éprouver par des énigmes. Le diable tente pour tromper,
1 Th 3, 5 : Pourvu que le Tentateur ne vous ait pas
tentés. Quiconque veut tenter au sujet de la science, tente d’abord sur les
choses ordinaires. Les vices communs à tout le genre humain sont les vices
charnels, et principalement la gourmandise. De même, qui veut assiéger une
place forte commence par la partie la plus faible. Or, l’homme a deux parties,
la charnelle et la spirituelle. Le diable tente toujours par la partie la plus
faible, c’est pourquoi il tente d’abord par les vices charnels, comme il est
évident chez notre premier père, qu’il tenta d’abord de gourmandise.
401. Mais il faut noter
l’admirable astuce de la tentation : SI TU ES FILS DE DIEU. Ainsi il le
tente directement d’une chose et obliquement d’une autre. C’est pourquoi il persuadait
le premier homme de manger de l’arbre, ce qui concernait directement un péché
charnel, à savoir la gourmandise ; mais, d’une façon cachée, il
l’induisait à l’orgueil et à l’avidité, qui sont des péchés spirituels. C’est
pourquoi [le Tentateur] a dit : Et vous serez comme des dieux,
Gn 3, 5. De même avec le Christ : il avait appris que le Christ
allait venir dans le monde, et celui-ci paraissait être fils de Dieu ;
mais il doutait si c’était celui dont les prophètes avaient parlé, car il ne
trouvait rien contre lui, Jn 14, 30 : Il vient, le prince de
ce monde, et il ne peut rien contre moi. C’est pourquoi il suggérait ce qui
est délicieux pour un homme affamé.
402. De plus, il l’induisit à
désirer ce qui appartient à Dieu : SI TU ES FILS DE DIEU, DIS QUE CES
PIERRES DEVIENNENT DES PAINS. Qo 8, 4 : Sa parole est pleine
de puissance, et Ps 32, 6 : Par la parole du Seigneur,
les cieux ont été fortifiés, et par le souffle de sa bouche toute leur
puissance. Donc la pierre peut être transformée par sa parole. [Le diable]
voulait donc l’incliner à cela, parce que s’il le faisait, [le diable] saurait
qu’il était Fils de Dieu, sinon il l’induisait à l’arrogance. Et il faut noter
qu’il y a beaucoup de gens qui consentent à des péchés charnels, croyant que cela
ne va pas leur faire perdre l’état spirituel. Mais si, en consentant à ce qui
le tente, l’homme ne perdait pas ce qui est spirituel, la tentation serait
légère. Ainsi le diable voulut persuader la femme et le Christ, en faisant des
promesses spirituelles.
[4, 4]
403. IL RÉPONDIT ET DIT : IL
EST ÉCRIT : «CE N’EST PAS SEULEMENT DE PAIN QUE VIT L’HOMME.»
Dans cette réponse, [le Seigneur] donne trois leçons que l’homme tenté
doit appliquer. La première est de recourir à la médecine de l’Écriture,
Ps 118, 11 : Dans mon cœur j’ai caché tes paroles,
pour ne pas pécher contre toi etc. C’est pourquoi il dit : IL EST
ÉCRIT. La deuxième leçon est de ne rien faire selon le bon plaisir du diable.
Végèce [dit qu’] « un chef sage ne doit jamais rien faire selon le bon plaisir
de son ennemi, même si cela paraît bon ». Et c’est pourquoi le Seigneur,
alors qu’il pouvait sans péché transformer des pierres en pain, refusa de le
faire parce que l’autre le lui suggérait. La troisième est qu’on ne doit pas
agir sans utilité, pour faire ostentation de sa puissance, car c’est de la
vanité.
404. IL RÉPONDIT ET DIT :
«CE N’EST PAS SEULEMENT DE PAIN QUE VIT L’HOMME.» Il faut noter que le diable
faisait effort vers deux buts : d’abord le conduire à la passion des
choses charnelles, et aussi [à celle] de la présomption. Mais le Christ, contre
l’une et l’autre chose, commence par éviter la vantardise, comme s’il
disait : «Toi tu évoques le Fils de Dieu, moi je parle de l’homme.» Ainsi,
«CE N’EST PAS SEULEMENT DE PAIN QUE VIT L’HOMME.»
405. De plus, le diable l’attire
vers la passion des choses charnelles : DIS QUE CES PIERRES DEVIENNENT DES
PAINS, mais [le Seigneur] est attiré par la passion des choses spirituelles.
MAIS DE TOUTE PAROLE QUI SORT DE LA BOUCHE DE DIEU, comme s’il disait :
«Ce n’est pas seulement la vie corporelle qui doit être recherchée mais la vie
spirituelle, qui est conservée par la nourriture spirituelle». MAIS DE TOUTE
PAROLE QUI SORT DE LA BOUCHE DE DIEU. Jn 6, 69 : Seigneur, à
qui irions-nous ? Tu as les paroles de vie éternelle.
Ps 118, 93 : Pour l’éternité je n’oublierai pas tes
commandements, parce qu’en eux tu m’as vivifié. Et [le Seigneur] dit :
DE TOUTE PAROLE, car tout enseignement spirituel vient de Dieu, qu’il soit dit
par un homme ou par Dieu. Et encore : DE LA BOUCHE, car le prédicateur est
la bouche de Dieu, Jr 15, 19 : Si tu sépares le précieux du
vil, tu seras en quelque sorte ma bouche. Autre [explication de] CE N’EST
PAS SEULEMENT… : l’homme ne vit pas seulement grâce au pain, mais aussi
par la parole, c’est-à-dire que par la puissance de Dieu il peut être maintenu
en vie sans aucune nourriture.
[4, 5]
406. ALORS LE DIABLE L’EMPORTA
DANS LA VILLE SAINTE. Après la première tentation, où le diable fut vaincu,
vient maintenant la deuxième, celle de la vaine gloire. Et l’ordre convient,
car après que le diable s’est vu vaincu sur le vice charnel, il a essayé avec
la vaine gloire ou l’orgueil, car «l’orgueil s’insinue dans les bonnes œuvres,
de sorte qu’elles périssent», [dit] Augustin dans sa Règle.
407. À propos de cette tentation
il fait trois choses : d’abord est présenté le lieu de la tentation ;
deuxièmement, l’attaque ou la tentative de tentation, en cet endroit : SI
TU ES FILS DE DIEU, JETTE-TOI D’EN HAUT ; troisièmement, la résistance du
Christ, en cet endroit : JÉSUS LUI DIT.
408. Il faut savoir que Luc a mis
comme troisième tentation celle qui est ici en deuxième. Mais d’après Augustin,
cela n’a pas de signification, car tout ce qui est raconté ici est raconté
aussi chez Luc, et il n’est dit ni chez Luc ni ici quelle fut la première ni la
deuxième.
409. Raban dit que Luc fait
attention à l’ordre historique, et c’est pourquoi il a suivi cet ordre, selon
les faits. Matthieu, lui, a suivi la nature de la tentation, car après la
tentation de gourmandise et celle de vaine gloire, suit la tentation
d’ambition. Ainsi fut tenté Adam, d’abord de gourmandise,
Gn 2, 17 : Le jour où tu en mangeras, tu mourras de mort ;
deuxièmement, d’orgueil : Vous serez comme des dieux ;
troisièmement, d’avidité ou d’ambition : Connaissant le bien et le mal [Gn 3, 5].
410. Mais pourquoi [Matthieu]
dit-il : ALORS IL L’EMPORTA (assumpsit) ? Ce mot «assomption»
a un sens important. Et Jérôme répond que l’évangéliste dit cela selon
l’opinion du diable, parce que le diable s’est approprié, comme s’il l’avait
fait par son propre pouvoir, le fait que le Christ a tenu en l’air par sa
puissance.
411. Il dit [MONTAGNE] SAINTE,
soit parce que des activités sacrées y avaient lieu, c’est-à-dire des
sacrifices aux dates fixées, et choses de cette sorte ; soit il le dit à
cause de leurs ancêtres qui vécurent là. Ainsi c’est par une ancienne habitude
qu’il l’appelle SAINTE, bien qu’elle ait cessé [de l’être].
Is 1, 21 : Comment est-elle devenue prostituée,
la cité fidèle, pleine de justice ?
Mais, plus loin [Is 1, 26], il dit : Tu seras appelée cité de
justice, ville fidèle etc.
412. Il faut savoir qu’en
Mc 1, 13, il est dit qu’ il fut au désert
quarante jours et quarante nuits, et il
était tenté par Satan, ce qui montre que toutes les
tentations eurent lieu au désert. Ce qui est dit : ALORS LE DIABLE
L’EMPORTA, ne paraît donc pas être vrai. Ici il y a deux réponses. Certains
disent que toutes les tentations eurent lieu au désert, et qu’elles se
produisirent selon une vision imaginaire, c’est-à-dire que le Christ
s’imaginait cela, avec sa propre permission. D’autres disent qu’elles se
produisirent selon une vision corporelle, et que le diable lui apparut sous une
apparence corporelle. Cela paraît être indiqué parce qu’il dit qu’IL L’EMPORTA
DANS LA CITÉ SAINTE. Certains disent que, s’il
est question de désert, c’est parce que Jérusalem était désertée par Dieu. Mais
il est mieux de dire que, dans le texte de Mc 1, 13, il ne faut pas
comprendre que toutes les tentations eurent lieu au désert, et lui-même ne le
dit pas, mais qu’il était tenté par Satan. Et c’est pourquoi il faut savoir que
la première tentation eut lieu dans le désert, et les deux autres hors du
désert.
413. On se demande comment
[Satan] l’emporta. [Certains] disent qu’il le transporta au-dessus de lui.
D’autres ‑ c’est mieux – que, par la persuasion, il l’amena à venir avec
lui, et le Christ par une disposition de sa sagesse alla à Jérusalem.
414. ET IL L’INSTALLA SUR LE
FAÎTE DU TEMPLE. Il faut savoir qu’il est dit en 1 R 6 que Salomon
fit trois étages au Temple avec un toit plat, et juste à côté du Temple, des
faîtes par où les gens pouvaient monter, et c’est de cela qu’il est question
dans : ET IL L’INSTALLA SUR LE FAÎTE DU TEMPLE. Il n’est pas dit ici s’il
est monté au premier, au deuxième ou au troisième [étage], mais il est certain
qu’il a gravi quelque chose.
415. Est-ce que les gens ne
voyaient pas quand le diable portait le Christ ? Il faut dire, selon ceux
qui disent qu’il le portait, que le Christ faisait en sorte, par sa puissance,
de ne pas être vu. Ou bien il faut dire que le diable avait pris figure
humaine, et il était habituel que des gens montent ainsi.
[4, 6]
416. ET IL LUI DIT : «SI TU
ES FILS DE DIEU, JETTE-TOI D’EN HAUT.» Toujours le diable frappe de deux flèches :
d’une part, il induit à la vaine gloire ; d’autre part, à l’homicide, et
c’est [ce qui est dit] : «SI TU ES FILS DE DIEU, etc.» Mais certes cette
conséquence n’est pas dans la logique du Christ ; ce qui lui convient
c’est de monter, Jn 3, 13 : Personne n’est monté au ciel sauf
celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est dans le ciel, etc.
Il dit : JETTE-TOI, car son but est toujours de faire tomber, comme
lui-même a été jeté à bas, Ap 12, 4 : La queue du
dragon entraînait un tiers des étoiles du ciel et les jeta par terre. Le
diable révèle sa faiblesse, car personne n’est vaincu par lui sans le vouloir,
c’est pourquoi il dit : JETTE-TOI, il ne le jette pas.
Is 51, 23 : Courbez-vous, que nous passions !
417. Mais pourquoi sur le
faîte ? La Glose [dit] : «Parce qu’en ce lieu on enseignait.» C’est
pourquoi Matthieu veut dire que le diable tente de vaine gloire les gens
importants. Contre quoi l’Apôtre dit en 1 Th 2, 6 : Ne
cherchant pas la gloire qui vient des hommes, ni auprès de vous ni auprès des
autres. [Le diable] dit : «JETTE-TOI D’EN HAUT, etc.», parce que les
hommes qui cherchent la gloire doivent se persuader que c’est dans l’humilité
en beaucoup de choses qu’ils se montrent fils de Dieu. Et c’est pourquoi
Tullius [Cicéron] dit dans son livre De Officiis : «Il faut
prendre garde au désir de gloire car il arrache du cœur la liberté, vers
laquelle les hommes généreux doivent porter tous leurs efforts.»
418. Ensuite [le diable]
introduit l’autorité : IL EST ÉCRIT, et il l’utilise non pour enseigner
mais pour tromper, et il prend cet argument parce que de même qu’il se déguise
en ange de lumière, de même aussi ses serviteurs, qui utilisent l’autorité de
la Sainte Écriture pour tromper les gens simples.
2 P 3, 16 : Les gens ignorants et instables faussent les
Écritures pour leur propre perdition. C’est pourquoi le diable préfigurait
cela en lui-même, en tant que chef.
419. CAR IL T’A RECOMMANDÉ À SES
ANGES. Note qu’on fausse l’autorité de la Sainte Écriture de trois façons.
Parfois, lorsque ce qui est dit sur un sujet est appliqué à un autre. De même,
si ce qui est dit d’un juste est appliqué au Christ. Exemple : Qui
aurait pu transgresser et n’a pas transgressé, Si 31, 10. Et
aussi Jn 14, 28 : Le Père est plus grand que moi ;
cela est dit du Christ en tant qu’homme. Donc si on le lui applique en tant que
Fils de Dieu, l’autorité est faussée. Ainsi, le diable dit ici : ANGES,
parce que le Ps 90 dit cela d’un membre du Christ qui a besoin de la garde
des anges, ce qui est clair parce que [le psaume] dit ensuite : Pour
que tu ne trébuches [Ps 90, 12], et en effet cela ne peut être
dit du Christ car il ne pouvait trébucher à l’occasion d’un péché.
420. Deuxième façon : on
fausse [l’autorité de l’Écriture] quand on donne autorité à quelque chose qui
n’a pas autorité, ainsi Pr 25, 21 et Rm 12, 20 : Si
ton ennemi a faim, nourris-le [car en agissant ainsi tu amasseras des charbons
ardents sur sa tête]. Car si on fait quelque chose à quelqu’un pour qu’il
soit puni par Dieu, on est en contradiction avec le sens du [texte qui fait]
autorité. Ainsi [fait] le diable, parce que l’Écriture soutient que le juste
est protégé par les anges, de sorte qu’il ne court pas de danger,
Ps 9, 10 : Un aide qui vient à propos dans la tribulation
etc. Le diable, lui, propose que l’homme se jette dans le danger, ce qui
est tenter Dieu.
421. Troisième façon : quand
on accepte l’autorité de ce qui nous arrange et qu’on la délaisse en ce qui ne
nous arrange pas, ce qui est la coutume de l’hérétique. Ainsi fit ici le
diable, car il a enlevé la suite du texte, qui était contre lui : Sur
la vipère et le basilic tu marcheras, tu fouleras le lion
et le dragon [Ps 90, 13]. C’est pourquoi il est devenu le modèle
de tous ceux qui faussent les Écritures.
[4, 7]
422. LE SEIGNEUR LUI DIT. Il ne
se défend pas par la violence mais par la sagesse, Sg 7, 30 : La
méchanceté ne vainc pas la sagesse. Et c’est pourquoi à l’autorité il
oppose une autorité qui explique celle qui a été énoncée auparavant, comme s’il
disait : «Tu me dis de me jeter pour voir si Dieu me tire de là, mais cela
est prohibé dans l’Écriture.» Ainsi, Tu ne tenteras pas le Seigneur ton
Dieu, Dt 6, 16.
Autre explication : «Tu tentes, et en tentant tu agis contre l’autorité ;
celui qui agit contre l’autorité ne doit pas utiliser l’autorité de la Sainte
Écriture. Et l’Écriture dit : TU NE TENTERAS PAS, etc. Mais tu tentes le
Seigneur ton Dieu, que je suis.» Jn 13, 13 : Vous m’appelez
maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis etc.
423. Cependant la première
[explication] est plus conforme à la lettre.
424. Ensuite est
abordée la troisième tentation, celle de l’ambition ou de l’avidité, d’où :
ALORS IL L’EMPORTA. [Premièrement], est abordée l’attaque de tentation, et
deuxièmement, la résistance du Christ : ALORS JÉSUS LUI DIT :
«VA-T-EN, SATAN.» Le diable tente doublement, en fait et en parole, d’où :
«JE TE DONNERAI TOUT CELA, etc.»
425. Dans le fait,
deux choses sont à considérer : d’abord, il l’emporta sur une montagne ;
deuxièmement, il [lui] montra tous les royaumes du monde.
426. Donc
[Matthieu] dit : À NOUVEAU IL L’EMPORTA. De cette assomption on a parlé
plus haut, mais SUR UNE MONTAGNE peut s’expliquer de deux façons. Raban dit que
cette montagne était située dans le désert, car selon lui toutes les tentations
eurent lieu dans le désert. [Cette montagne] est dite HAUTE par comparaison
avec celles qui étaient alentour. Chrysostome dit qu’il l’a emmené sur la
montagne la plus haute du monde, et cela paraît en accord avec le texte
puisqu’il est dit TRÈS HAUTE. En cela est signifié que le diable élève toujours
vers l’orgueil, de même que lui aussi est orgueilleux. Jr 13, 16 :
Avant que vos pieds ne se heurtent aux montagnes ténébreuses. C’est
pourquoi il est question d’une montagne. Jr 1, 15 : Voici que
je convoquerai toutes les familles des royaumes du nord, dit le Seigneur.
427. ET IL LUI
MONTRA TOUS LES ROYAUMES DU MONDE. Il
faut savoir que le royaume du monde se comprend de deux façons. D’abord
spirituellement : et c’est ainsi qu’on dit que le diable règne sur lui, Jn 12, 31 :
Maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. Deuxièmement,
on parle littéralement de royaume de ce monde, selon que l’un règne sur
l’autre. Ce qui est dit ici paraît à certains [être] ce qu’on pourrait dire du
royaume du diable, d’où : IL LUI MONTRA TOUS LES ROYAUMES DU MONDE,
c’est-à-dire sur lesquels il régnait, ET LEUR GLOIRE, etc, parce que quand il
règne parfaitement sur les hommes, il les fait aussi se glorifier, Pr 2, 14 :
Ils se réjouissent quand ils ont fait le mal, et sont fiers des pires
choses, Ps 51, 3 : Pourquoi te vantes-tu de ta méchanceté ?
Et ici c’est l’ultime degré du péché.
428. D’autres
expliquent qu’il s’agit du royaume matériel. Mais alors on se demande comment
il a pu montrer tous les royaumes du monde. Rémi dit : «Miraculeusement,
car il a montré tous les royaumes dans un coup d’œil, de même qu’on dit aussi
du bienheureux Benoît que le monde entier lui fut montré en un seul regard.»
Mais il faut savoir que ces deux explications ne paraissent pas bonnes, parce
qu’il ne faudrait pas dire qu’IL L’EMPORTA SUR UNE TRÈS HAUTE MONTAGNE, car
tout cela aurait pu se passer dans une vallée. C’est pourquoi Chrysostome parle
autrement : IL LUI MONTRA, non qu’il lui ait montré les royaumes un par
un, mais dans quelle direction était chaque royaume ; et non seulement
cela, mais IL MONTRA LEUR GLOIRE, c’est-à-dire il lui exprima la gloire du
royaume temporel. Os 4, 7 : Je changerai leur gloire en
ignominie ; Ph 3, 19 : Ceux qui ont le goût des
choses terrestres, leur gloire est dans leur honte.
429. ET IL LUI DIT :
«TOUT CELA, JE TE LE DONNERAI.» Dans ces paroles, il fait deux choses : il
promet et il réclame. Il est menteur dans la promesse, orgueilleux dans
l’exigence. Le diable a d’abord cherché à savoir si c’était le fils de Dieu ;
croyant seulement avoir déjà découvert qu’il ne l’était pas, il dit :
«TOUT CELA, JE TE LE DONNERAI», et là il ment, car ce n’était pas en son
pouvoir. Pr 8, 15 : Par moi les princes règnent, et les
puissants décrètent le droit. Dn 4, 14 : Jusqu’à
ce que les vivants sachent que le Très-Haut domine sur le royaume des
hommes, et il le donnera à qui il veut. Autrement il n’aurait pas dit :
«TOUT CELA, JE TE LE DONNERAI», car aucun méchant ne règne sans permission
divine, Jb [34, 30 ?] : Celui qui fait régner l’hypocrite à cause
des péchés du peuple.
430. Il a réclamé
autre chose : «SI TOMBANT [A TERRE] TU M’ADORES.» Note trois choses.
D’abord le diable persévère toujours dans ce qu’il a demandé au début, Is 14, 13[‑14] :
J’escaladerai le ciel, au-dessus des étoiles de Dieu, j’élèverai mon trône,
je m’assiérai sur la montagne du testament sur les côtés de l’Aquilon, je
monterai au sommet des nuages, je serai semblable au Très-Haut. À cause de
cela, il conduit les hommes à l’idolâtrie, voulant s’approprier illégalement ce
qui est à Dieu.
431. Note aussi que
personne n’adore le diable sans tomber, comme le diable lui-même est tombé. Dn 3, 7 :
Tombant par terre ils adorèrent la statue d’or. C’est pourquoi il dit :
«SI TOMBANT TU M’ADORES.»
432. Troisièmement,
note l’avidité qui est ici : il promet un royaume qui comprend une
abondance de richesses et de hauts honneurs. Il lui demande de tomber, car les
ambitieux s’humilient toujours plus qu’ils ne doivent. Ambroise [dit] :
«L’ambition comporte en soi un danger, elle se plie à la complaisance pour être
gratifiée d’honneurs, mais en voulant s’élever elle s’abaisse.»
433. Ensuite
l’ennemi se fait prendre : ALORS JÉSUS LUI DIT. Et à cet égard, [le
Seigneur] fait deux choses : d’abord il écarte la tentation ;
deuxièmement, il introduit l’autorité, en cet endroit : IL EST ÉCRIT, etc.
434. Il dit donc :
ALORS JÉSUS LUI DIT. Note que Jésus avait entendu beaucoup d’injures, mais il
ne s’en est pas soucié. Mais cela, «SI TOMBANT TU M’ADORES», il ne l’a pas
supporté, car les premières injures étaient contre lui, mais celle-là [était]
une injure contre Dieu. Chrysostome [dit] : «L’injure personnelle est
tolérable, mais l’injure contre Dieu, il est trop impie de la négliger.» C’est
pourquoi [le Christ] dit : «VA-T’EN, SATAN.» 1 R 19, 10 :
Je suis épris de zèle pour le Seigneur Dieu des armées, car les fils
d’Israël ont abandonné son alliance. Ps 68, 10 : Le zèle
de ta maison me dévore. De plus, il n’est pas au pouvoir du diable de tenter
autant qu’il veut, mais autant que Dieu permet. C’est pourquoi il dit :
«VA-T’EN», comme s’il disait : «Je ne veux pas que tu tentes davantage.» 1 Co 10, 13 :
Le Dieu fidèle qui ne supportera pas que vous soyez tentés au-dessus de ce
que vous pouvez, mais donnera avec la tentation ce qui est nécessaire pour que
vous puissiez la supporter. Jb 38, 11 : Tu viendras
jusqu’ici et tu n’avanceras pas plus loin, et ici tu briseras tes flots
tumultueux. Il faut noter que le Seigneur a dit des paroles presque identiques
à Pierre (Mt 16, 23), mais là il a dit : «En arrière !»
C’est pourquoi l’idée est différente dans l’un et l’autre passage, car «Satan»
se traduit «adversaire». Donc le Seigneur a voulu que Pierre, qui voulait
empêcher la Passion, aille derrière lui ; mais ici il dit seulement :
«VA-T’EN», car le diable ne peut pas le suivre, et c’est pourquoi il dit :
«VA-T’EN», à savoir, en enfer, Mt 25, 41 : Allez, maudits,
dans le feu éternel, qui est préparé pour le diable et ses anges.
435. IL EST ÉCRIT,
Dt 6, 16 : [Vous ne mettrez pas le Seigneur votre Dieu à
l’épreuve]. Et il cite souvent de telles autorités tirées du Deutéronome
pour signifier que l’enseignement du Nouveau Testament est annoncé par
l’intermédiaire du Deutéronome.
436. De la suite
immédiate, LE SEIGNEUR DIEU, on peut tirer deux conclusions, comme s’il disait :
«Toi, le diable, tu me dis de tomber et de t’adorer ; mais la loi dit :
Tu adoreras le Seigneur ton Dieu.» D’où on peut conclure qu’un simple
homme ne doit pas être adoré.
Ou alors, il
faut comprendre que [le Christ] parle de lui-même comme de Dieu : Tu
adoreras le Seigneur Dieu, etc, comme s’il disait : «C’est toi qui
dois m’adorer plutôt que l’inverse, car IL EST ÉCRIT, etc.»
437. La première
[explication] cependant est plus conforme à la lettre.
438. Et note qu’il
dit deux choses : «TU ADORERAS» et «TU SERVIRAS.» Il y a une différence
entre les deux, car on doit se comporter de deux façons envers Dieu : on
doit lui être soumis ; et on doit s’élever jusqu’à lui comme vers sa fin
ultime.
439. Pour le premier
point, nous lui devons toute obéissance, Ac 5, 29 : Il faut
obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Nous lui sommes soumis quand nous
faisons toute sa volonté. Nous nous élevons vers Dieu de deux façons :
parfois nous nous tirons vers lui, Ps 33, 6 : Approchez-vous
de lui et vous serez illuminés, et votre visage sera sans confusion.
Parfois nous tirons les autres vers lui. 1 Co 3, 9 : Nous
sommes les collaborateurs de Dieu. Nous faisons la démonstration sensible
de ces deux choses, car lorsque nous nous prosternons, nous nous remémorons que
nous devons être soumis à Dieu, et c’est pourquoi il
dit : LE SEIGNEUR DIEU. Ps 71, 11 : Toutes les nations
le serviront. En outre, quand nous offrons des sacrifices et des louanges,
nous signifions que nous devons élever notre esprit jusqu’à lui, et la sujétion
tend à cela. Ainsi, C’EST LUI SEUL QUE TU SERVIRAS.
440. Il y a deux façons de
servir ; une qui est due à Dieu seul et s’appelle en grec latria,
et elle est double : l’une est l’adoration qui n’est due qu’à Dieu et qui
consiste à le servir de préférence à tout ; l’autre servitude consiste à
tendre vers lui comme vers notre fin ultime. En effet, il y a une adoration ou
servitude qui est seulement celle des sujets, comme quand des inférieurs servent
des supérieurs. Rm 13, 1 : Que chacun soit soumis aux
autorités supérieures. Mais [un inférieur] ne doit pas obéir [à son
supérieur] par-dessus tout, jamais contre Dieu. Pareillement, il n’y a aucune
créature qui doive être tenue pour une fin ultime, Ps 145, 3 : Ne
mettez pas votre confiance dans les princes ni dans les fils des hommes, en qui
il n’y a pas de salut. Jr 17, 5 : Maudit l’homme qui se
confie en l’homme. Il y a aussi une deuxième servitude, qui est due aux
supérieurs et qui en grec s’appelle doulia.
[4, 11]
441. Ensuite est abordée la
victoire du Christ et elle est montrée en deux choses : dans le départ du
diable : ALORS LE DIABLE LE QUITTA, Jc 4, 7 : Résistez
au diable et il vous fuira. Et de même que c’était la coutume dans
l’Antiquité, que lorsque certains obtenaient une victoire, on leur rendait des
honneurs, de même ici le triomphe du Christ est célébré par les anges,
d’où : ET VOICI QUE DES ANGES S’APPROCHÈRENT ET ILS LE SERVAIENT.
[Matthieu] ne dit pas descendirent, car ils étaient toujours avec lui,
même si au moment voulu ils se sont éloignés, selon sa volonté, afin que le
diable ait l’occasion de le tenter. Ils manifestaient leur service dans les
choses extérieures, par exemple les miracles et autres choses corporelles qui
arrivent par l’intermédiaire des anges, mais pour les choses intérieures il
n’avait pas besoin d’eux. Cela signifie que les hommes qui sont vainqueurs du
diable méritent d’être servis par les anges. Lc 16, 22 : Il
arriva que le mendiant mourut et il fut porté par les anges dans le sein
d’Abraham. Et il faut savoir que le diable laissa le Christ jusqu’au moment
fixé, car plus tard, pour l’attaquer, il utilisa les Juifs comme ses membres,
etc.
442. Plus haut, l’évangéliste montre
comment le Christ a été éprouvé et comment il a réussi la mise à l’épreuve en
étant vainqueur du diable. Ici, il montre comment le Christ a commencé à
enseigner, et à cet égard il fait trois choses. D’abord est décrit l’endroit où
il prêche ; deuxièmement, [Matthieu] montre comment [le Christ] choisit
les serviteurs de sa prédication, en cet endroit : JÉSUS SE PROMENANT LE
LONG DE LA MER DE GALILÉE VIT DEUX FRÈRES ; troisièmement, comment il
amena la foule à l’écouter, en cet endroit : ET JÉSUS FAISAIT LE TOUR DE
TOUTE LA GALILÉE.
443. À propos du premier point,
[Matthieu] décrit le moment, le lieu et la manière de prêcher. Le deuxième
point [se trouve] en cet endroit : IL SE RETIRA EN GALILÉE, etc. Le
troisième, en cet endroit : ET À PARTIR DE LÀ, JÉSUS SE MIT A PRÊCHER.
444. Cette époque de la
prédication publique du Christ eut lieu après l’incarcération de Jean
[Baptiste]. C’est pourquoi [Matthieu] dit : COMME JÉSUS AVAIT APPRIS QUE
JEAN AVAIT ÉTÉ LIVRÉ, c’est-à-dire par Dieu, avec sa permission. Et il faut
noter, pour la compréhension des Evangiles, qu’apparaît ici une contradiction
entre Jean et les trois autres [évangélistes], car ceux-ci disent que le Christ
descendit à Capharnaüm avant l’incarcération de Jean [Baptiste], tandis que
Jean dit qu’il descendit à Capharnaüm après l’incarcération de Jean [Baptiste],
laquelle pourtant eut lieu en Galilée. On répondra que Jean, qui fut le
dernier, a ajouté pour compléter ce que les autres avaient omis. Mais pourquoi
l’ont-ils omis ? Il faut dire que bien que le Christ ait fait des choses
les deux premières années, il en avait quand même fait peu en considération de
ce qu’il a fait la dernière année. Il faut donc dire que Jean parle de ce que
[le Christ] a fait la première et la deuxième année, et certaines choses de la
troisième. Et les autres, de ce qu’il a fait la dernière année.
445. On se demande aussi combien
d’années le Christ a prêché. Certains disent que ce fut deux ans et demi – en
comptant une moitié de l’Épiphanie à Pâques, bien que cela ne fasse pas une
[demi-année] complète. En effet, Jean ne fait mention que de trois Pâques, car
après le baptême il dit que [le Christ] alla à Jérusalem, Jn 2, 13.
Ensuite, il mentionne une Pâque, quand fut accompli le miracle des cinq pains,
et ensuite il y eut une seule année jusqu’à la Passion. Mais cette opinion ne
paraît pas exacte pour autant, car elle ne concorde pas avec l’opinion de
l’Église : en effet, l’Église tient que trois miracles ont été faits le
jour de l’Épiphanie, à savoir, l’adoration des mages, le baptême, le changement
de l’eau en vin. Il faut donc dire que du baptême au changement de l’eau en
vin, il y eut un an. D’où il apparaît que le Christ a prêché trois ans, car
jusqu’au miracle du vin il y eut un an ; de là à Pâques, il y eut la moitié
d’une autre [année] ; de la purification à la Passion, une autre. C’est
l’opinion de l’Église. Et d’après cela, il faut dire que Jean parle peu de la
première année ; de la deuxième il dit quelque chose, à savoir comment [le
Christ] descendit à Capharnaüm, et [il parle] de la discussion qui eut lieu
entre le Christ lui-même et les Juifs, à propos de la purification. Il faut
savoir aussi que Jean [Baptiste] fut exécuté aux environs de la Pâque, car il
est dit en Jn 6, 4 que lorsqu’eut lieu le miracle des cinq pains, la
Pâque était proche, et en Mt 14, 13, il est dit que le Christ, ayant
appris la mort de Jean, se retira en Galilée. Il est donc évident que Jean fut
décapité aux environs de la Pâque, et le Christ ne fit pas de prédication
publique, du moins pendant un an.
446. Ensuite il est question du
lieu, quand il est dit : IL SE RETIRA EN GALILÉE. D’abord [Matthieu]
localise la province, ensuite la ville.
447. Il dit : IL SE RETIRA.
Cette retraite n’est pas la première dont parle Jean, mais elle eut lieu après
un an ou deux car les [autres] évangélistes la taisent.
448. Sa retraite eut deux causes.
D’abord pour différer le temps de sa Passion, Jn 7, 6 : Mon
temps n’est pas encore venu. Deuxièmement, pour nous donner
l’exemple de fuir les persécutions, Jn 15, 20 : S’ils m’ont
persécuté, ils vous persécuteront aussi. Quant au sens mystique, il est
clair : la prédication du Christ était destinée à passer vers les païens,
car les Juifs persécutaient la grâce de Dieu, Ac 13, 46 :
C’est à vous que la parole de Dieu devait être dite en premier, mais puisque
vous l’avez repoussée et que vous êtes jugés indignes de la vie éternelle, eh
bien nous nous tournons vers les païens.
[4, 13]
449. Venant en Galilée, il vint
d’abord à Nazareth comme dit Luc 4, 18s, et là il entra à la synagogue et
enseigna : L’Esprit du Seigneur est sur moi. De là les Juifs
l’emmenèrent sur un escarpement rocheux et voulurent le jeter en bas, après
quoi le Christ s’enfuit et VINT À CAPHARNAÜM, et là aussitôt il guérit un
possédé – il en est question en Mc 1, 23, mais Matthieu n’en parle
pas. «Nazareth» se traduit «fleur». On entend par là les docteurs de la loi qui
n’arrivent pas à maturité. «Capharnaüm» se traduit «ville très belle» et
représente l’Eglise. Ct 6, 3 : Tu es belle, mon amie, etc.
Capharnaüm est MARITIME, littéralement, car elle est au bord d’un lac d’eau
douce – les Juifs appellent en effet «mer» toute étendue d’eau – et
mystiquement, car l’Église est située au bord des tribulations du monde.
450. SUR LES CONFINS DE ZABULON
ET DE NEPHTALI. La Galilée était divisée, et une partie était dans les tribus
de Zabulon et de Nephtali. C’est de là que furent choisis les princes de
l’Église, c’est-à-dire les apôtres.
[4, 14‑15]
451. POUR QUE SOIT ACCOMPLI CE
QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE ISAÏE. Note qu’ici les termes ne sont pas les
mêmes qu’en Is 9, 1, mais le sens est le même. Isaïe [parle]
ainsi [Is 8, 23‑9, 1] : Au premier temps fut
humiliée [litt. allégée] la terre de Zabulon et la terre de Nephtali, et au
dernier temps fut glorifiée [litt. alourdie] la route de la mer, de la Galilée
des nations au-delà du Jourdain. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu
une grande lumière, etc.
452. Selon Jérôme, il y a trois
explications. La première : au premier temps elle fut allégée de ses péchés
par la prédication du Christ, et au dernier temps la route qui longe la mer de
Galilée fut alourdie du poids de ses péchés, car après la prédication du Christ
ils persécutèrent les apôtres. La deuxième : Au premier temps
touche à l’histoire, car le roi des Assyriens, Téglat Phalassar, qui vint le
premier sur la terre des Juifs, fut le premier à emmener leurs tribus en
captivité. Et au dernier, etc., car ensuite tout le peuple fut conduit
en captivité. Mais quel rapport avec le sujet ? Il faut dire que là où la
persécution a commencé en premier, c’est là d’abord que le Seigneur a voulu
donner consolation. La troisième : Au premier temps, c’est-à-dire
au temps de la prédication du Christ, elle fut allégée, etc,
c’est-à-dire elle fut déchargée du poids de ses péchés par la prédication du
Christ, et au dernier elle fut alourdie, c’est-à-dire la
prédication du Christ fut condensée et multipliée par Paul qui prêcha là.
453. L’évangéliste ne s’intéresse
[pas au sens littéral mais] seulement à la signification, dans la phrase :
TERRE DE ZABULON ET TERRE DE NEPHTALI, ROUTE DE LA MER AU-DELÀ DU JOURDAIN,
c’est-à-dire le long de la mer. Il dit : TERRE, c’est-à-dire «peuple»,
pour que tous soient nommés. Il dit : GALILÉE DES NATIONS, car la Galilée
est divisée en deux parties, une de païens, une de Juifs, et à l’époque elle
était divisée selon ce qui est dit, en 1 R 9, 11 [Le roi
Salomon donna à Hiram vingt villes dans le pays de Galilée], que Salomon, à
cause du bois que le roi de Tyr lui envoya pour la construction du Temple, lui
donna vingt villes. [Ce roi], comme il était païen, mit des païens pour y
habiter, et c’est pourquoi on dit : GALILÉE DES NATIONS, et c’était sur le
territoire de Nephtali, bien qu’[il y en ait] d’autres sur le territoire de
Juda. Autre lecture du texte : TRANSJORDANE DE GALILÉE, c’est-à-dire en
face de la Galilée. Mais la première explication est meilleure.
[4, 16]
454. [Is 9, 1] Le
peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Il dit deux
choses : qui marchait, et QUI ÉTAIT ASSIS. En effet celui qui est
depuis le début dans des ténèbres pas très denses et qui n’est pas paralysé par
elles, il marche, surtout quand il espère trouver la lumière ; et quand
les ténèbres le paralysent, il reste immobile. C’est la différence entre les
Juifs et les païens, car les Juifs, bien qu’ils fussent dans les ténèbres,
n’étaient pourtant pas totalement oppressés par elles, car ils n’avaient pas
tous le culte des idoles, mais ils espéraient que le Christ viendrait, et c’est
pourquoi ils marchaient. Is 50, 10 : Qui a marché dans les
ténèbres et ne voit pas de lumière, qu’il espère dans le nom du Seigneur, etc.
Les païens, eux, n’attendaient pas, et c’est pourquoi ils n’avaient pas
d’espoir de lumière. Et eux par contre étaient dans des ténèbres oppressantes,
car ils avaient des cultes idolâtres - car selon le Ps 75, 2 : C’est
en Judée que Dieu est connu, - et c’est pourquoi ils restaient immobiles.
Et c’est ce qui est dit : LE PEUPLE QUI ÉTAIT ASSIS DANS LES TÉNÈBRES A VU
UNE GRANDE LUMIÈRE. La lumière des Juifs n’[était] pas grande,
2 P 1, 19 : Nous tenons la parole prophétique, vous
faites bien de la regarder attentivement comme une lampe qui brille dans un
lieu obscur, mais cette grande lumière était comme celle du soleil,
Mc 3, 20 : Mais pour vous qui craignez le Seigneur, se lèvera
le soleil de justice.
455. ET POUR CEUX (c’est-à-dire
les païens) QUI SONT ASSIS DANS LA RÉGION DE L’OMBRE DE LA MORT.
456. La mort, c’est la damnation
en enfer, Ps 48, 15 : La mort les dévorera. L’OMBRE DE LA
MORT est la ressemblance de la future damnation qui est pour les pécheurs. Le
grand châtiment de ceux qui sont en enfer, c’est la séparation d’avec Dieu. Et
parce que les pécheurs sont déjà séparés de Dieu, ils ont la ressemblance de
leur damnation future, de même que les justes ont la ressemblance de leur
béatitude future, 2 Co 3, 18 : Et nous, réfléchissant la
gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, de clarté en
clarté.
457. Et note que pour les païens
UNE LUMIÈRE S’EST LEVÉE : ils ne sont pas allés eux-mêmes vers la lumière,
mais c’est la lumière qui est venue à eux, Jn 3, 19 : La
lumière est venue dans le monde. S’EST LEVÉE POUR EUX. Cette terre est aux
confins des Juifs et des païens, pour montrer qu’il a appelé les uns et les autres.
Is 49, 6 : C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur
pour relever les tribus de Jacob et ramener les restes d’Israël. Et ensuite
[dans le même verset] : Je t’ai établi comme lumière des nations pour
que tu sois mon salut jusqu’au bout du monde.
[4, 17]
458. Après avoir indiqué le lieu
où Jésus commença en premier à prêcher, [Matthieu] indique ici la façon de
prêcher.
459. DÈS LORS, c’est-à-dire après
la victoire sur la gourmandise, la vaine gloire et l’ambition – ou l’avidité –,
IL SE MIT A PRÊCHER : ce sont de tels [hommes] en effet qui peuvent
convenablement prêcher. Et alors s’accomplit ceci :
Ac 1, 1 : Jésus se mit à faire et à enseigner. Ou
bien : DÈS LORS, c’est-à-dire après l’incarcération de Jean, [JÉSUS] SE
MIT À PRÊCHER en public ; en effet, auparavant, il le faisait secrètement
et à quelques-uns, Jn 1, 38s, c’est-à-dire à Pierre, André, Philippe
et Nathanaël, mais ici il le fait publiquement. Il n’a pas voulu prêcher en
public dès le début, pour laisser la place à la prédication de Jean ;
autrement celle-ci n’aurait pas eu de valeur, de même que la lumière des
étoiles est obscurcie par la lumière du soleil. Est signifié par cela que les
formes légales ont cessé et que la prédication du Christ a commencé :
1 Co 13, 10 : Quand sera venu ce qui est parfait,
ce qui est partiel sera évacué. Jean en effet symbolise la loi.
Mt 11, 13 : La loi et les prophètes [ont prophétisé] jusqu’à
Jean.
460. FAITES PÉNITENCE. Il faut
noter que le Christ dit ici les mêmes paroles que Jean, pour deux raisons.
D’abord il nous exhorte à l’humilité, pour que personne ne dédaigne de prêcher
des paroles dites par d’autres, puisque la Source elle-même de la science
ecclésiastique a prêché les mêmes choses. Deuxièmement, parce que Jean est la
voix, mais Jésus est la parole. La voix et la parole expriment la même chose,
sauf que la parole est exprimée par la voix. A cet égard, [Jésus] fait deux
choses : premièrement, il exhorte ; deuxièmement, il promet.
Premièrement : FAITES PÉNITENCE ; deuxièmement : LE ROYAUME DES CIEUX
VA S’APPROCHER.
461. Mais pourquoi au début de sa
prédication incite-t-il à la pénitence et non à la justice ? Il faut dire
que la cause était qu’auparavant [Dieu] a exhorté à la justice par la loi de la
nature et de l’Écriture, mais qu’ils [l’] avaient transgressée.
Is 24, 5 : Ils ont transgressé les lois, ils ont changé le
droit, ils ont rompu l’alliance éternelle. En cela il donne à comprendre
qu’il trouve tous les hommes pécheurs. 1 Tm 1, 15 : Jésus-Christ
est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs. Rm 3, 23 : Tous
ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu. Ainsi, FAITES PÉNITENCE.
462. Il fait aussi une
promesse : LE ROYAUME DES CIEUX VA S’APPROCHER. Cette promesse a deux
différences avec la promesse de l’Ancien Testament : dans celui-ci elle
concernait les choses temporelles, tandis qu’ici elle concerne les choses
spirituelles et éternelles. Is 1, 19 : Si vous m’écoutez,
vous mangerez les biens de la terre. De plus, là [il s’agit] du royaume des
Cananéens et des Jébuséens, ici du royaume des cieux, d’où : LE ROYAUME
DES CIEUX VA S’APPROCHER de vous. Et c’est pourquoi l’enseignement du Christ
est appelé Nouveau Testament, car une nouvelle alliance a été faite ici entre
nous et Dieu, à propos du royaume des cieux. Jr 31, 31 : Je
conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda un nouveau traité.
463. Deuxième [différence] :
l’ancienne loi comportait, en même temps que la promesse, une menace.
Is 1, 19 : Si vous voulez bien m’écouter, vous mangerez les
biens de la terre ; si vous ne voulez pas et me provoquez à la colère,
l’épée vous dévorera. Et en Dt 28, [15‑68], on a la même
chose : de nombreuses bénédictions sont promises à ceux qui observeront la
loi, mais Moïse menace de nombreuses malédictions les transgresseurs de la loi.
Et c’est pourquoi il y a ce fait que l’ancienne loi était une loi de peur, et
la nouvelle une loi d’amour. Augustin [dit] : «La différence est
brève : peur (timor) et amour (amor).»
He 12, 18 : Vous ne vous êtes pas approchés du feu palpable
et accessible, et du tourbillon, et des ténèbres, et de l’ouragan, et du son de
la trompette, et du bruit de paroles telles que ceux qui l’entendirent prièrent
qu’on ne leur parle pas davantage. Et c’est pourquoi il dit : LE
ROYAUME DES CIEUX VA S’APPROCHER, c’est-à-dire la béatitude éternelle. Et il
dit : VA S’APPROCHER, car celui qui [le] donnait est descendu vers nous,
parce que nous ne pouvions pas monter vers Dieu.
[4, 18]
464. MARCHANT, etc. Quand [le
Seigneur] eut commencé à prêcher, il voulut avoir des serviteurs de sa
prédication ; c’est pourquoi ici il les appelle à lui. Et à cet égard,
[Matthieu] fait deux choses, selon que [le Christ] appelle deux paires de
serviteurs : premièrement, Pierre et André ; deuxièmement, Jacques et
Jean.
465. À propos du premier point,
il présente quatre choses : premièrement, la description du lieu de
l’appel ; deuxièmement, la condition des appelés, en cet endroit :
C’ÉTAIENT DES PÊCHEURS ; troisièmement, l’appel, en cet endroit : ET
IL LEUR DIT ; quatrièmement, leur parfaite obéissance, en cet
endroit : EUX AUSSITÔT LAISSÈRENT LES FILETS ET LE SUIVIRENT.
466. Il dit donc : MARCHANT
LE LONG DE LA MER DE GALILÉE. Lieu adéquat, car, comme dit la Glose, voulant
appeler des pêcheurs, il se promène le long de la mer. Quant au sens mystique,
il faut savoir que se tenir debout signifie l’éternité de Dieu et son
immobilité ; s’il marche, cela signifie sa naissance temporelle. Donc le
fait que c’est en marchant qu’il a appelé les disciples signifie que c’est par
le mystère de son incarnation qu’il nous a attirés à lui. Ps 7, 7[‑8] :
Lève-toi, Seigneur, dans le commandement que tu as confié – c’est-à-dire
que tu as ordonné d’accomplir – et l’assemblée des peuples t’entourera. Il
dit : DE GALILÉE, et par là on entend l’agitation du monde,
Is 57, 20 : Le cœur de l’impie est comme une mer agitée qui
ne peut se calmer, et ses flots débordent en piétinement et en fange. Le
Christ a eu la ressemblance du pécheur, Rm 8, 3 : Dieu a
envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair de péché, etc.
467. Ensuite, [Matthieu] décrit
la condition des appelés : premièrement, leur nombre ; deuxièmement,
leurs noms ; troisièmement, leurs actes ; quatrièmement, leur
fonction.
468. Il dit donc : IL VIT
DEUX [FRÈRES], non seulement avec l’œil du corps mais avec celui de
l’esprit ; car sa vue est le regard de sa miséricorde.
Ex 3, 7 : En regardant, j’ai vu l’affliction de mon peuple
qui est en Égypte, etc. Et note que la même chose est signifiée par DEUX et
par FRÈRES : l’un et l’autre concernent la charité, qui consiste dans
l’amour de Dieu et du prochain. Et c’est pourquoi il a choisi des hommes par
deux, et il a envoyé prêcher des hommes par deux : par là il a voulu que
soit signifiée la charité spirituelle, parce que la charité est renforcée quand
elle est basée sur la nature. Ps 132, 1 : Qu’il est bon,
qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble !
469. SIMON, QU’ON APPELLE PIERRE,
c’est-à-dire maintenant, pas à ce moment-là, car le Christ lui imposa ce nom
plus tard, mais d’abord il le promit, Jn 1, 42 : Tu
t’appelleras Céphas, et il l’imposa, Mt 16, 18 : Tu es
Pierre. ET ANDRÉ. N’importe quel prédicateur doit avoir ces noms, car Simon
se traduit «obéissant», Pierre «celui qui connaît», et André «courage». Et le
prédicateur doit être «obéissant», pour pouvoir y inviter les autres,
Pr 21, 28 : L’homme obéissant dira des victoires. «Celui
qui connaît», pour pouvoir instruire les autres,
1 Co 14, 19 : Je veux dire cinq paroles avec mon
intelligence, pour instruire les autres. «Courageux», pour ne pas être
terrifié par les menaces, Jr 1, 18 : Aujourd’hui je t’ai
établi comme ville fortifiée, colonne de fer et rempart de bronze ;
Ez 3, 8 : J’ai rendu ton visage plus énergique que leurs visages,
et ton front plus dur que leurs fronts, comme le diamant, et j’ai rendu ton
visage comme la pierre.
470. Vient ensuite : JETANT
LE FILET DANS LA MER. Chrysostome cherche pourquoi le Seigneur a choisi ce
moment, et il dit que c’est pour que soit donné l’exemple que jamais nous ne
devons négliger le service de Dieu à cause de nos occupations. Ou bien c’est
parce que cet acte préfigurait l’acte des futurs prédicateurs, car par les
paroles de ceux qui prêchent, les hommes sont tirés comme par des filets.
471. Il aborde leur
fonction : C’ÉTAIENT DES PÊCHEURS. Il faut savoir que parmi tous les
hommes, les pêcheurs sont les plus simples, et le Seigneur voulut avoir des
hommes de cette condition si simple, et choisir ceux-là afin que ce qui fut
fait par leur intermédiaire ne soit pas imputé à la sagesse humaine.
1 Co 1, 26 : Voyez notre appel, frères : il n’y a
pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup
de nobles ; mais Dieu choisit ce qui est inepte dans le monde, pour confondre
les sages. Et c’est pourquoi il n’a pas choisi Augustin ou Cyprien
l’orateur, mais Pierre le pêcheur, et à partir du pêcheur, il a gagné
l’empereur et l’orateur.
[4, 19]
472. ET IL LEUR DIT : [VENEZ
DERRIÈRE MOI]. Ici est abordé l’appel, à propos duquel trois choses sont à
considérer : premièrement, il invite ; deuxièmement, il promet un
rôle de chef ; troisièmement, une récompense.
473. Il dit donc : VENEZ.
Cela vient de la seule libéralité divine, de les amener à lui,
Si 24, 19 : Venez à moi, vous tous qui me désirez, et vous
vous rassasierez de mes produits ; Mt 11, 28 : Venez
à moi, vous tous qui peinez et êtes chargés, et je vous redonnerai des forces.
DERRIÈRE MOI, comme s’il disait : «Moi je vais, et vous, VENEZ DERRIÈRE
MOI, parce que je serai votre chef.» Pr 4, 11[‑12] : Je
te montrerai le chemin de la sagesse, je te conduirai par les sentiers
d’équité ; quand tu y seras entré, tes pas ne seront pas resserrés, et en
courant tu n’auras pas d’obstacle. Ps 138, 17 : J’ai
beaucoup honoré tes amis, Dieu, leur suprématie a été beaucoup confortée.
474. JE VOUS FERAI, c’est
comme : «Je changerai votre fonction en une plus grande.» C’est de cela
que parle Jr 16, 16 : Voici que j’enverrai beaucoup de
pêcheurs, dit le Seigneur, et ils les pêcheront, etc. Et il dit : JE
FERAI, parce que, extérieurement, le travail de prédication est fait en vain,
si la grâce du Rédempteur n’est pas présente à l’intérieur, car ce n’est pas
par leur propre force qu’ils attiraient les hommes, mais par le travail du Christ,
et c’est pourquoi il dit : JE FERAI. Cela est certes la plus grande
dignité et c’est pourquoi Denis [écrit] : «Aucune fonction humaine n’a
plus de dignité que de devenir collaborateur de Dieu». Car la dignité consiste
seulement dans sa clarté. De cette dignité s’approchent davantage ceux qui sont
illuminés de telle façon qu’ils illuminent les autres. Mais bien que les hommes
qui suivent le Christ soient des lumières et fassent de grandes choses en ce
qui concerne la justice, cependant ils ne s’attachent la dignité du Christ que
pour une chose, tandis que la vie des prédicateurs [se l’attache] pour deux
choses : Dn 12, 3 : Ceux qui enseignent la justice à un
grand nombre resplendiront comme des étoiles dans les éternités perpétuelles.
[4, 20]
475. Leur obéissance est
abordée : ET EUX, LAISSANT LES FILETS et le bateau, LE SUIVIRENT. Et il
montre leur obéissance sur trois points. Premièrement pour la promptitude, car
ils n’ont pas différé, d’où : ET EUX, contrairement à ceux dont parle
Si 5, 7 : Ne remets pas de jour en jour ;
Ga 1, 15 : Quand il a plu à Celui qui m’a sélectionné dès le
sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi pour que
je l’annonce parmi les nations, aussitôt je ne me reposai pas sur la chair et
le sang. Is 50, 5 : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille et
moi je ne m’oppose pas, je ne suis pas allé en arrière.
476. Deuxièmement pour la
disponibilité, car ils ont [tout] laissé. En effet, il ne faut pas évaluer la
fortune, mais la disposition de l’âme, car il quitte tout, celui qui quitte
tout ce qu’il peut posséder. Mais pourquoi est-il nécessaire de tout
quitter ? Chrysostome [dit] : «Nul ne peut posséder des richesses et
venir avec perfection au royaume des cieux. Elles sont en effet un obstacle à
la vertu, car elles diminuent le souci des choses éternelles, et à cause de
cela on ne peut rester parfaitement attaché aux choses divines.» Et c’est
pourquoi il faut les quitter, 1 Co 9, 25 : Tout athlète
de compétition s’abstient de tout, etc.
477. Troisièmement pour
l’accomplissement, car ils l’ont suivi. En effet, ce n’est pas trop grand de
tout quitter : la perfection consiste à le suivre, ce qui se fait par la
charité, 1 Co 13, 3 : Si je distribue tous mes biens
pour nourrir les pauvres, si je livre mon corps pour être brûlé, mais que je
n’ai pas la charité, cela ne me sert à rien. La perfection ne consiste pas
dans les choses extérieures seules – pauvreté, virginité, etc – sauf si
celles-ci sont des instruments pour la charité, et c’est pourquoi [Matthieu]
dit : ET ILS LE SUIVIRENT.
[4, 21]
478. Ensuite il est question d’un
autre appel : ET AVANÇANT PLUS LOIN, IL VIT DEUX AUTRES FRÈRES, JACQUES DE
ZÉBÉDÉE ET JEAN SON FRÈRE. Et, en premier lieu, sont décrits les hommes
appelés ; en second lieu, est abordé l’appel, en cet endroit : ET IL
LES APPELA, etc.; en troisième lieu, l’obéissance des appelés, en cet
endroit : ET EUX, LAISSANT FILETS ET PÈRE, LE SUIVIRENT.
479. Les appelés sont décrits
sous quatre aspects : nombre, nom, piété filiale, pauvreté.
480. [Matthieu] dit donc :
AVANÇANT PLUS LOIN, IL VIT DEUX AUTRES FRÈRES. Note que depuis le début il a
appelé des frères. Et bien qu’il ait appelé beaucoup d’autres hommes, il est
pourtant fait mention spéciale de ceux-ci, parce qu’ils étaient les premiers et
qu’il les a appelés par deux, car la loi nouvelle est fondée sur la charité.
C’est pourquoi dans l’Ancien Testament aussi il a appelé deux frères, Aaron et
Moïse, car là aussi était donné commandement d’aimer. Et c’est parce que la
nouvelle [loi] est plus parfaite, qu’au début est appelé un double nombre de
frères.
481. JACQUES DE ZÉBÉDÉE ET JEAN
SON FRÈRE. Ces quatre [appelés] représentent l’enseignement des quatre
évangiles, ou les quatre vertus : Pierre, qui se traduit «celui qui
connaît», représente la vertu de prudence ; André, qui se traduit «viril»
ou «très courageux», la vertu de force ; Jacques, qui se traduit «celui
qui supplante», la vertu de justice ; Jean, à cause de sa virginité, la
vertu de tempérance.
482. Leur piété filiale est
abordée, parce qu’ils étaient AVEC ZÉBÉDÉE LEUR PÈRE. Chrysostome [dit] :
«Il faut admirer leur piété filiale, car étant pauvres ils cherchent leur pain
dans l’art de la pêche, et pourtant ils n’abandonnent pas leur vieux père.»
Si 3, 8 : Qui craint Dieu honore ses parents.
483. Leur pauvreté est montrée
dans le fait qu’ils réparaient leurs filets. Il est vrai aussi que ceux qui
jetaient leurs filets signifient ceux qui dans leur jeunesse s’occupent des
affaires du monde ; et ceux qui les ont déjà jetés et qui les réparaient,
signifient ceux qui se sont longtemps occupés des affaires du monde : ils
sont déjà engloutis par le péché, et appelés vers le Christ.
Lm 3, 27 : Il est bon pour l’homme de porter le joug dès sa
jeunesse. ET IL LES APPELA, intérieurement et extérieurement.
Rm 8, 30 : Ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi
appelés. Appeler intérieurement n’est rien d’autre qu’offrir son aide à
l’âme humaine quand il veut nous convertir.
[4, 22]
484. Vient ensuite, à propos de
l’obéissance : EUX LAISSANT FILETS ET PÈRE LE SUIVIRENT.
485. Note que les deux premiers
n’ont laissé que leur bateau, mais ceux-ci filets, bateau et père, ce qui
signifie qu’à cause du Christ nous devons renoncer à toutes les occupations
terrestres, qui sont représentées par le filet, 2 Tm 2, 4 :
Aucun militant de Dieu ne s’implique dans les affaires du monde ;
aux richesses ou possessions, qui sont représentées par le bateau,
Mt 19, 21 : Si tu veux être parfait, va et vends tout
ce que tu as, et donne[-le] aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, et
viens, suis-moi ; à l’affection charnelle, qui est représentée
par le père, Ps 44, 11 : Oublie ton peuple et la
maison de ton père. Mais mystiquement Zébédée représente le monde, il se
traduit «flot impétueux».
486. Mais ici se pose une
question : il semble qu’ils péchèrent en abandonnant leur père vieux et
pauvre, car les fils sont tenus de subvenir aux besoins de leurs parents. Et
d’une manière générale, on se demande s’il est permis à quelqu’un de laisser
ses parents dans le plus grand besoin en entrant en religion. Il faut dire que
jamais une décision ne porte préjudice à un commandement. Ceci, honore ton
père et ta mère, Ex 20, 12, c’est un commandement, et c’est
pourquoi, si le père ne peut en aucune façon vivre sans le soutien de son fils,
le fils ne doit pas entrer en religion. Mais ce n’était pas le cas pour
Zébédée : il pouvait s’aider lui-même et il avait le nécessaire.
487. Il y a aussi une question
sur le texte : Matthieu paraît ici contredire Jean et Luc, car
Jn 1, 28 dit qu’ils ont été appelés au bord du Jourdain, et ici
[Matthieu] dit [que c’était] au bord de la mer de Galilée. En outre,
Lc 5, 10 dit qu’il appela en même temps Pierre et André [d’une part],
Jacques et Jean [d’autre part], bien qu’[ici] il ne soit pas fait mention des deux
premiers, parce qu’on pense qu’ils étaient là. En outre, il est dit là [chez
Luc] qu’[ils furent appelés] tous en même temps, et ici [chez Matthieu] que [ce
fut] séparément.
488. Mais il faut savoir que
l’appel des disciples fut triple. D’abord ils furent appelés à l’intimité avec
le Christ et cela est dit en Jn 1 [35-50] ; cela [se produisit aussi]
dans la première année de la prédication du Christ. Cela ne s’oppose pas à ce
qui est dit après : Ses disciples montèrent avec lui à Cana de
Galilée [Jn 2, 2], car selon Augustin, à cette époque ils
n’étaient pas disciples, ils étaient futurs [disciples]. C’est comme si on
disait : «L’apôtre Paul est né à Tarse en Cilicie» : pourtant à ce
moment-là, il n’était pas apôtre ! Ou bien il faut dire qu’il parle d’autres
disciples, qui sont tous appelés croyants au Christ. Deuxièmement ils furent
appelés à la condition de disciples, et il en est question au chapitre 5 de
Luc. Le troisième appel fut d’adhérer totalement au Christ, et c’est de
celui-là qu’il est question ici, ce qui est clair, d’après Augustin, car
Lc 5, 11 traite de ce sujet : et ramenant les bateaux à
terre, donc ils avaient un bateau et en prenaient soin comme s’ils allaient
y retourner. Mais ici [Matthieu] dit : EUX LAISSANT TOUT, etc. Et c’est
pourquoi il faut dire qu’il parle ici de suivre jusqu’au bout.
[4, 23]
489. La coutume des rois est de
rassembler une armée avant de partir en guerre. De même le Christ, après avoir
rassemblé une armée d’apôtres, part en guerre contre le diable grâce à sa
fonction de prédicateur, pour l’expulser du monde. C’est pourquoi il s’agit ici
de l’enseignement et de la prédication du Christ.
490. D’abord est présentée la
prédication du Christ ; deuxièmement, l’effet de la prédication, en cet
endroit : ET SA RENOMMÉE SE RÉPANDIT DANS TOUTE LA SYRIE, etc.
491. À propos du premier point,
[Matthieu] touche trois choses : le zèle de l’enseignant, le mode de
l’enseignement et la confirmation de l’enseignement proposé.
492. Et le zèle est montré en
deux choses, car il ne cherchait pas sa propre tranquillité : IL FAISAIT
LE TOUR ; Rm 12, 11 : D’un zèle sans nonchalance,
et, en second lieu, il ne faisait pas acception des personnes, des pays ni des
villes, mais FAISAIT LE TOUR DE TOUTE LA GALILÉE, sans faire de différence,
Mc 1, 38 : Allons dans les villes les plus proches
pour que là aussi je prêche ; Ps 102, 22 : En tout
lieu de son domaine.
Le mode [est abordé] en cet endroit : ENSEIGNANT DANS LES
SYNAGOGUES. [Matthieu] dit deux choses : ENSEIGNANT …ET PRÊCHANT.
ENSEIGNANT ce qu’il faut faire dans le présent, ET PRÊCHANT sur les choses
futures. Ou bien ENSEIGNANT ce qui touche à l’instruction morale,
Is 48, 17 : Moi le Seigneur je t’enseigne les choses utiles,
ET PRÊCHANT les choses futures, Is 52, 7 : Qu’ils sont beaux
sur la montagne, les pieds de celui qui annonce et prêche la paix, qui annonce
le bien, qui prêche le salut. Ou bien ENSEIGNANT les lois naturelles, car
en théologie sont transmises certaines choses – comme la justice, et choses de
ce genre – que dicte la raison
naturelle, et pour celles-là il dit : ENSEIGNANT ; et certaines qui
dépassent la raison – comme le mystère de la Trinité, et autres de ce genre –
et pour celles-là il dit : PRÊCHANT.
493. Mais il y a une objection
tirée de ce que dit la Glose, qu’il enseignait les lois naturelles comme la
chasteté, l’humilité et choses de ce genre. En effet les vertus naturelles ne
paraissent pas pouvoir être appelées des vertus, car les vertus existent par la
grâce. Et il faut dire que l’inclination et le commencement sont naturels, mais
que la perfection, qui rend l’homme précieux, vient par la grâce, par le
soutien de l’ordre social et par l’entraînement personnel.
494. DANS LEURS SYNAGOGUES. Note
deux choses : [le Seigneur] cherchait la foule pour que sa prédication ait
plus d’efficacité, Ps 34, 18 : Je te proclamerai dans la
grande assemblée. De plus, il prêchait aux seuls Juifs,
Ac 13, 46 : C’est à vous d’abord qu’il faut que la parole de
Dieu soit prêchée. ET PRÊCHANT LA BONNE NOUVELLE DU ROYAUME : pas des
fables ou des curiosités, mais ce qui concerne le royaume de Dieu, et ce qui
pouvait être utile aux gens.
495. Ensuite la prédication est
confirmée par des miracles, Mc 16, 20 : Ils partirent prêcher
partout, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la parole par les signes
qui la suivaient. Ainsi, GUÉRISSANT. MALADIE peut se rapporter aux
maladies physiques, FAIBLESSE aux maladies de l’âme, car les maladies de l’âme
ne sont pas moindres que celles du corps. Ou bien MALADIE désigne les maladies
graves et durables, FAIBLESSE les autres sortes, Ps 102, 3 : Celui
qui guérit toutes tes maladies ; Si 10, 10 : Le
médecin coupe une brève faiblesse. Est aussi donné à comprendre que les
prédicateurs doivent confirmer leur enseignement par des œuvres, sinon par des
miracles, [du moins] par une vie vertueuse, Rm 15, 18 : Je
n’ose parler de ce que le Christ ne fait pas par moi, en vue de l’obéissance
des païens, en parole et en actes, par la vertu des signes et des prodiges, par
la vertu de l’Esprit Saint.
[4, 24]
496. ET SA RENOMMÉE SE RÉPANDIT
DANS TOUTE LA SYRIE. Ici est abordé l’effet de la prédication, et il est
triple : la renommée en rapport avec l’exemple ; la confiance que les
gens avaient en lui ; et la dévotion avec laquelle les gens le suivaient.
497. [Matthieu] dit donc :
SA RENOMMÉE SE RÉPANDIT DANS TOUTE LA SYRIE. La Syrie est la région qui va de
Capharnaüm à la mer Méditerranée. Donc même sur la terre des païens il a été
connu. Ceci concerne aussi les prédicateurs, d’avoir un bon témoignage,
Si 41, 12 : Aie souci du bon renom ;
2 Tm 2, 15 : Avec soin soucie-toi de te montrer à Dieu
comme digne d’approbation, un ouvrier irréprochable, maniant droitement la
parole de vérité. Par la Syrie on peut aussi comprendre l’orgueil du monde,
car c’est ainsi que le mot se traduit. Et la renommée du Christ se répandit
dans le monde entier.
498. La confiance [est abordée]
en cet endroit : ET ON LUI AMENA TOUS CEUX QUI AVAIENT UNE MALADIE. Car
ils savaient qu’il pouvait [les] guérir. Jr 17, 14 : Guéris-moi,
Seigneur, et je serai guéri ; sauve-moi et je serai sauvé.
499. Et [Matthieu] dit
d’abord : SA RENOMMÉE SE RÉPANDIT, etc, et ensuite : ON LUI AMENA,
etc, car quand quelqu’un a une réputation de sainteté, on lui dévoile plus
facilement la blessure de sa conscience.
500. ATTEINTS DE DIVERS MAUX ET
TOURMENTS. Par ces graves maladies sont désignées les maladies spirituelles.
Par les MAUX, on peut comprendre les maladies de longue durée ; ils
désignent la maladie qui persiste longtemps, Si 10, 10 : Une
maladie trop longue accable le médecin. Quand il dit : ATTEINTS
DE TOURMENTS, cela signifie que certains sont accablés par la maladie et
d’autres par la violence de la douleur, et cela représente ceux qui sont rongés
par une conscience alourdie, Ps 17, 5 : Les douleurs de la
mort m’ont entouré, les douleurs de l’enfer m’ont entouré.
501. ET CEUX QUI AVAIENT DES
DÉMONS. C’est ce qui est dit en Lc 6, 1 : Et ceux qui étaient
tourmentés par des esprits impurs étaient guéris. On entend par là ceux qui
adoraient les idoles, Ps 95, 5 : Tous les dieux des païens
sont des démons ; 1 Co 10, 20 : Je ne veux
pas que vous deveniez les associés des démons.
502. À proprement parler, on
appelle LUNATIQUES ceux qui souffrent d’une maladie mentale en lune décroissante,
et alors les démons s’emparent d’eux. Et le diable alors frappe davantage, pour
deux raisons : Jérôme en indique une, c’est qu’il déshonore la créature de
Dieu et cela arrive aussi dans les effets de l’art magique, par lequel les
démons sont invoqués sous certaines constellations, et les démons viennent pour
exalter la créature et l’induire à l’idolâtrie. La deuxième raison est
meilleure, car le diable n’a de pouvoir que par les énergies du corps. Il n’est
pas douteux que les corps inférieurs soient modifiés selon les divers
changements des corps supérieurs. Et c’est pourquoi le diable invoqué vient
volontiers quand il voit les corps supérieurs travailler à l’effet pour lequel
il est invoqué. En lune décroissante, à l’évidence, les humidités manquent, et
c’est pourquoi le décours de la lune produit une telle infirmité, quand la
terre n’abonde pas en liquides. C’est la raison pour laquelle le diable
tourmente davantage à ce moment. Ainsi : ET LES LUNATIQUES. Par ceux-ci
nous pouvons comprendre les inconstants, - Si 27, 11 : Le
saint demeure dans la sagesse comme le soleil, mais le sot est changeant comme
la lune –, ceux qui se proposent de vivre chastement mais sont vaincus par
les passions, selon ce que dit Rm 7, 15 : En effet je ne fais
pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais.
503. ET LES PARALYSÉS. Au sens
propre, on appelle PARALYSÉS ceux qui ont les membres amollis, de sorte que
ceux-ci ne peuvent remplir leur fonction de membres. Ils représentent les
ignorants, et ils sont tous guéris par le Christ, d’où : ET IL LES GUÉRIT,
c’est-à-dire parfaitement.
[4, 25]
504. Ensuite est abordé le
troisième effet : la dévotion de ceux qui suivent, d’où : ET DES
FOULES NOMBREUSES LE SUIVIRENT, Ps 7, [7‑]8 : Lève-toi,
Seigneur, tu ordonnes le jugement, et l’assemblée des peuples t’entourera.
505. Il faut savoir qu’ils le
suivaient de diverses manières. Certains, à savoir les apôtres, avec le
désir du salut – spirituel –; d’où, plus haut : Laissant tout, ils le
suivirent, et plus loin, [Mt] 19, 27 : Voici, nous avons
tout quitté et nous t’avons suivi. Certains avec le désir de la santé
physique, Lc 6, 17 : Une abondante foule de peuple venu de
toute la Judée, de Jérusalem, de la côte, de Tyr, de Sidon, qui étaient venus
pour l’écouter et pour être guéris de leurs maladies. Certains seulement
par curiosité de voir des miracles, Jn 6, 2 : Et beaucoup le
suivaient car ils voyaient les signes qu’il faisait sur ceux qui étaient
malades. D’autres pour lui tendre des pièges, comme les Pharisiens et les
scribes, Jr 20, 10 : J’ai entendu les outrages de beaucoup,
et la terreur de tous côtés.
506. DE GALILÉE. C’est la
province où le Christ prêchait principalement, et dont le nom se traduit
«exil». Elle représente ceux qui doivent émigrer des vices aux vertus. DE LA
DÉCAPOLE. C’est une région où il y a dix villes, et elles représentent ceux qui
s’efforcent d’observer les dix commandements. DE JÉRUSALEM. Jérusalem se
traduit «vision de paix», elle représente ceux qui viennent au Christ par désir
de paix, Ps 118, 165 : Grande paix pour ceux qui aiment ton
nom. DE JUDÉE. Judée se traduit «confession», elle représente ceux qui
viennent au Christ grâce à la rémission des péchés,
Ps 113[A], 2 : La Judée devint sa sanctification. ET
D’AU-DELÀ DU JOURDAIN. Cela représente ceux qui viennent au Christ par le
baptême, car le Jourdain est une figure du baptême.
[Leçon 1 :
Matthieu 5, 1-2] 5, 1 Jésus
voyant les foules, monta sur une montagne, et quand il se fut assis, ses
disciples vinrent à lui, 5, 2 et ouvrant sa bouche il les enseignait,
disant :
[Leçon 2 : Matthieu 5, 3-22] 5, 3 «Heureux
les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. 5, 4 Heureux
les doux, car ils posséderont la terre. 5, 5 Heureux ceux qui pleurent,
car ils seront consolés. 5, 6 Heureux ceux qui ont faim et soif de
justice, car ils seront rassasiés. 5, 7 Heureux les miséricordieux, car
ils obtiendront miséricorde. 5, 8 Heureux les cœurs purs, car ils verront
Dieu. 5, 9 Heureux les faiseurs de paix, car ils seront appelés fils de
Dieu. 5, 10 Heureux ceux qui subissent persécution pour la justice, car le
royaume des cieux est à eux.
[Leçon 3 : Matthieu 5, 11-12.
Commentaire de Pierre de Scala] 5, 11 «Heureux
êtes-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera, qu’on dira
mensongèrement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. 5, 12
Réjouissez-vous et sautez de joie, car votre récompense est abondante dans les
cieux. Car c’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes qui furent avant
vous.
[Leçon 4 : Matthieu 5, 13‑14a] 5, 13
«Vous êtes le sel de la terre. Si le sel s’évanouit, dans quoi le
salera-t-on ? Il ne sert plus à rien qu’à être jeté dehors et piétiné par
les gens. 5, 14 Vous êtes la lumière du monde.
[Leçon 5 : Matthieu 5, 14b‑16] «Une
ville située sur une montagne ne peut se cacher. 5, 15 Et on n’allume pas
une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire, pour qu’elle
brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 5, 16 Qu’ainsi brille votre
lumière devant les hommes, de sorte qu’ils voient vos bonnes œuvres, et
glorifient votre Père qui est aux cieux.
[Leçon 6 : Matthieu 5, 17‑19] 5, 17
«Ne pensez pas que je suis venu abolir la loi ou les prophètes : je ne
suis pas venu abolir mais accomplir. 5, 18 Amen, je vous dis, jusqu’à ce
que passent ciel et terre, pas un iota, pas un petit trait ne disparaîtra de la
loi, que tout ne se réalise. 5, 19 Donc qui violera un des plus petits
préceptes et enseignera ainsi aux hommes, sera appelé le plus petit dans le
royaume des cieux ; qui [les] observera et enseignera, sera appelé grand
dans le royaume des cieux. 5, 20 Je vous dis : si votre justice
n’abonde pas plus que celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas
dans le royaume des cieux. 5, 21 Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens :
Tu ne tueras pas. Celui qui tuera sera passible du
tribunal. 5, 22 Mais moi je vous dis que tout [homme]
qui se met en colère contre son frère sera passible du tribunal. Celui qui dira
à son frère : “Raca”, sera passible de l’assemblée. Celui qui dira :
“Idiot” sera passible de la géhenne de feu.
[Leçon 7 : Matthieu
5, 23‑26] 5, 23 «Quand tu présentes ton offrande à
l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
5, 24 laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier
avec ton frère, puis reviens, et alors tu présenteras ton offrande. 5, 25
Accorde-toi vite avec ton adversaire tant que tu es encore avec lui en chemin,
de peur que par hasard l’adversaire te livre au juge, et le juge au garde, et
qu’on te mette en prison. 5, 26 En vérité, je te le dis, tu ne sortiras
pas de là avant d’avoir rendu le dernier quart d’as.
[Leçon 8 : Matthieu
5, 27‑-37] 5, 27 «Vous avez entendu qu’il a été
dit : Tu ne feras pas d’adultère. 5, 28 Mais moi je vous dis : celui
qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son cœur l’adultère
avec elle. 5, 29 Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute,
arrache-le et jette-le loin de toi, car il vaut mieux que tu perdes un de tes
membres plutôt que ton corps entier soit jeté dans la géhenne. 5, 30 Et si
ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de
toi, car il vaut mieux qu’un seul de tes membres périsse plutôt que ton corps
entier aille dans la géhenne. 5, 31 Il a été dit aussi : Qui répudie sa femme, qu’il lui donne un acte de divorce.
5, 32 Mais moi je dis que tout homme qui répudie sa femme, sauf en cas de
débauche, l’expose à l’adultère ; et celui qui épouse une répudiée commet
l’adultère. 5, 33 Vous avez encore entendu qu’il a été dit aux
anciens : Tu ne feras pas de faux
serments, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
5, 34 Mais moi je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car
c’est le trône de Dieu, 5, 35 ni par la terre, car c’est l’escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem, car c’est la ville du Grand Roi. 5, 36 Ne jure pas non plus par ta tête,
car tu ne peux rendre un seul cheveu blanc ou noir. 5, 37 Que votre parole
soit : “Oui ? Oui.” “Non ? Non.” Tout ce qu’on dit de plus vient
du Mauvais.
[Leçon 9 : Matthieu 5, 38‑48] 5, 38
«Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil,
dent pour dent. 5, 39 Mais moi je vous dis de ne pas
résister au méchant (ou : au mal), mais si quelqu’un te frappe sur la joue
droite, tends-lui aussi l’autre ; 5, 40 s’il veut te faire un procès
et prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau ; 5, 41 s’il te
réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. 5, 42 À
qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos.
5, 43 Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi. 5, 44 Mais moi je
vous dis : aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs, 5, 45
pour que vous soyez enfants de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever
son soleil sur les méchants et sur les bons, et pleuvoir sur les justes et sur
les injustes. 5, 46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle
récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas
autant ? 5, 47 Et si vous saluez seulement vos frères, que
faites-vous de plus ? 5, 48 Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas
autant ? Donc vous, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.»
507. JÉSUS VOYANT LES FOULES. Ici le Seigneur expose son enseignement, qui
est divisé en trois parties : dans la première, l’enseignement du Christ
est abordé ; dans la deuxième, est abordée la puissance de
l’enseignement ; dans la troisième, la fin à laquelle il conduit. La
deuxième se trouve au chapitre 13. La troisième, au chapitre 17.
508. La première partie [l’enseignement] se divise en
trois. Dans la deuxième, sont instruits les serviteurs de l’enseignement
(chapitre 10). Dans la troisième, sont confondus les adversaires (chapitre 11).
509.
La première partie
[de cette première partie sur l’enseignement] est divisée en deux :
premièrement, il expose l’enseignement du Christ [chapitres 5, 6, 7] ;
deuxièmement, il le confirme par les miracles (chapitre 8).
510.
Le premier
point se divise en deux : l’introduction d’une sorte de titre pour
l’enseignement [5, 1‑2] ; le développement de l’enseignement
lui-même, en cet endroit : HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT [5, 3].
511.
À propos du
premier point, [Matthieu] fait trois choses : d’abord il décrit le lieu où
l’enseignement fut exposé [5, 1]. Deuxièmement, les auditeurs de
l’enseignement [5, 1]. Troisièmement, il aborde le mode d’enseignement [5,
2].
512.
Le deuxième
point commence en cet endroit : ET QUAND IL SE FUT ASSIS [5, 1].
513.
Le troisième
point commence en cet endroit : ET OUVRANT SA BOUCHE IL LES ENSEIGNAIT [5,
2].
514. [Matthieu] dit donc, après qu’il a été dit qu’ils l’ont suivi,
etc. : JÉSUS VOYANT LES FOULES [MONTA SUR UNE MONTAGNE]. Cette expression
peut avoir deux sens. D’abord celui-ci : IL MONTA pour enseigner les
foules, pas pour [les] fuir. C’est pourquoi Chrysostome dit que « de même
que l’artisan, quand il voit le matériau préparé, se réjouit de travailler, de
même le prêtre se réjouit de prêcher, quand il voit le peuple rassemblé »,
et c’est pourquoi IL MONTA. Ps 34, 18 : Je
te proclamerai dans la grande assemblée. Ou bien : IL MONTA, fuyant les foules,
pour enseigner ses disciples plus tranquillement. Qo 9, 17 : Les
paroles des sages sont entendues dans le silence.
515. Et il faut noter qu’il est dit que le Christ avait trois
refuges : quand il s’enfuyait en montagne, comme il est dit ici et en
Jn 8, 1 : Quant à Jésus, il alla au mont des
Oliviers ; parfois sur un bateau, Lc 5, 1s : Comme
des foules nombreuses se précipitaient vers eux, (…) montant sur un bateau qui
était à Simon, assis il enseignait ; le troisième dans le désert,
Mc 6, 31 : Allons dans le désert à part. Et c’est assez
approprié, car en trois choses on peut avoir refuge auprès de Dieu : dans
la protection de l’élévation de Dieu, qui est représentée par la montagne,
Ps 124, 1 : Ceux qui se fient au Seigneur sont comme le
mont Sion ; dans la société de l’Église, qui est représentée par le bateau,
Ps 121, 3 : Jérusalem, bâtie comme une ville où tout
ensemble fait corps ; dans la solitude de la vie religieuse, qui est
considérée comme un désert, grâce au mépris des choses temporelles,
Os 2, 14 : Je la conduirai au désert, et je parlerai à
son
cœur ; Ps 54, 8 : Voici, j’ai fui, je me suis
éloigné, et j’ai demeuré dans la solitude.
516. IL MONTA SUR UNE MONTAGNE pour cinq raisons. Premièrement, pour
montrer son excellence, car il est lui-même la montagne dont parle le
Ps 67, 16 : Montagne de Dieu, montagne grasse. Deuxièmement, pour montrer que le
docteur de cet enseignement doit mener sa vie vers les hauteurs,
Is 40, 9 : Monte sur une haute montagne, toi qui portes
la bonne nouvelle à Sion. Chrysostome [dit] : «Personne ne peut
s’arrêter dans la vallée et parler du ciel, etc. » Troisièmement, pour
montrer la hauteur de l’Église à qui l’enseignement est exposé,
Is 2, 2 : La demeure du Seigneur sera une montagne au
sommet des montagnes, et sera élevée au-dessus des collines. Quatrièmement, pour montrer la
perfection de cet enseignement, car il est très parfait,
Ps 35, 7 : Ta justice [est] comme les montagnes de Dieu.
Cinquièmement, pour que cet
[enseignement] concorde avec l’ancienne loi, qui fut donnée sur une montagne,
Ex 19 et 24.
517. Ensuite sont présentés les auditeurs : ET QUAND IL SE FUT ASSIS,
SES DISCIPLES VINRENT À LUI. Dans le fait qu’il s’asseye, on peut noter deux
choses : d’abord l’humilité, Ps 138, 2 : Quand
je m’assieds, tu le sais. Quand il était sur les hauteurs de la majesté
divine, son enseignement ne pouvait être capté ; les hommes commencèrent à
[le] capter quand il s’abaissa. On peut noter aussi la dignité de l’enseignant,
Mt 23, 2 : Sur le trône de Moïse se sont assis les
scribes et les pharisiens.
518. Pour l’étude de la sagesse, le calme est requis. LES DISCIPLES VINRENT
À LUI, etc., non seulement de corps mais d’esprit, Ps 33, 6 : Venez
à moi et vous serez illuminés ; Dt 33, 3 : Ceux
qui approchaient de ses pieds recevront de son enseignement. Et note que quand
le Seigneur a prêché aux foules, il est resté debout. Lc 6, 17 :
Jésus, descendant de la montagne, se tint dans un lieu champêtre. Mais ici quand
[il a parlé] aux disciples, il s’est assis. De là s’est implantée l’habitude de
prêcher debout aux foules, assis aux religieux.
519. ET OUVRANT SA BOUCHE IL LES ENSEIGNAIT. On a ici le mode
d’enseignement. Quand [Matthieu] dit : OUVRANT, il veut dire qu’avant, [le
Christ] s’était longtemps tu. Et il montre que Jésus allait faire un grand et
long discours, comme dit Augustin. Ou bien qu’il allait dire des choses grandes
et profondes, car c’est ainsi que les gens ont l’habitude de faire,
Jb 3, 1 : Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le
jour de sa naissance. Et [Matthieu] dit SA [BOUCHE], car avant il a
ouvert la bouche des prophètes, Sg 10, 21 : La
Sagesse a ouvert la bouche des muets, et a rendu éloquente la langue des bébés, car lui-même est
la sagesse du Père.
520.
Mais ici se
pose une question : ce discours, sur beaucoup de points, se trouve aussi
en Lc 6, 20s. Mais entre les deux apparaît une contradiction, comme
il est clair dans le texte. Augustin propose deux solutions : l’une est
que ce discours n’est pas le même que l’autre, car d’abord il est monté sur la
montagne et a fait ce discours à ses disciples, et ensuite en descendant il a
trouvé la foule rassemblée, à qui il a prêché la même chose, avec beaucoup de
considérations nouvelles, et c’est de cela que parle Lc 6, 20s. Ou
bien il faut dire autrement : il y avait une seule montagne, elle avait un
endroit plat sur le côté et un autre monticule exhaussait cet endroit plat.
C’est pourquoi le Seigneur monta sur la montagne, c’est-à-dire sur l’endroit
plat de cette montagne. Et d’abord il monta au sommet et appela les disciples,
et là il choisit douze apôtres, comme on le voit dans Luc
[Lc 6, 12-16] ; et ensuite en descendant, il trouva la foule
rassemblée et s’assit pour les disciples qui arrivaient, et tint ce discours
aux foules et aux disciples. Et cela paraît plus vrai, car Matthieu dit à la
fin du discours que les foules s’étonnaient de son enseignement [Mt 7, 28].
Cependant, quelque sens qu’on prenne, il n’y a pas de contradiction.
521. Plus haut, l’évangéliste a donné une sorte de bref titre à
l’enseignement du Christ ; maintenant il aborde l’enseignement lui-même
[5, 3 ‑ 7, 27], et son effet, c’est-à-dire l’étonnement des
foules [7, 28]. Il faut aussi considérer que selon Augustin, « dans
ce discours du Seigneur, toute la perfection de notre vie est contenue ».
Et par cela, il prouve que le Seigneur ajoute la fin à laquelle il conduit,
c’est-à-dire une promesse. Or, ce que l’homme désire le plus, c’est le bonheur.
C’est pourquoi le Seigneur ici fait trois choses. D’abord il annonce d’avance
la récompense qui attend ceux qui reçoivent cet enseignement [5, 3‑12].
Deuxièmement, il propose des préceptes, en cet endroit : NE PENSEZ PAS QUE
JE SUIS VENU ABOLIR LA LOI, etc. [5, 17]. Troisièmement, il enseigne
comment on peut parvenir à les observer, en cet endroit : Demandez
et vous recevrez [7, 7].
522.
À propos du
premier point, il fait trois choses, car de cet enseignement certains sont
seulement observants, d’autres serviteurs. D’abord, il décrit le bonheur de
ceux qui l’observent [5, 3‑10] ; ensuite de ceux qui sont à son
service, en cet endroit : HEUREUX ÊTES-VOUS QUAND ON VOUS INSULTERA
[5, 11].
523. Il faut noter qu’ici sont abordées un assez grand nombre de
béatitudes, mais jamais on ne pourrait parler sur les paroles du Seigneur avec
assez de finesse pour atteindre au dessein du Seigneur. Cependant il faut
savoir que dans ces paroles est inclus le bonheur plénier et total, car tous
les hommes désirent le bonheur, mais ils diffèrent dans leur avis sur le
bonheur, car l’un désire ceci, l’autre cela.
524.
Nous
trouvons une quadruple opinion sur le bonheur. Certains croient qu’il consiste
seulement dans les choses extérieures, c’est-à-dire dans l’abondance de ces
choses temporelles, Ps 143, 15 : Ils ont dit heureux le peuple à
qui cela appartient. D’autres, que le bonheur parfait consiste à
satisfaire sa propre volonté ; c’est pourquoi on dit : «Heureux celui
qui vit comme il veut.» Qo 3, 12 : Et j’ai su qu’il n’y avait pas
mieux que de vivre dans le plaisir, etc. D’autres disent que le bonheur parfait
consiste dans les vertus de la vie active. D’autres, dans les vertus de la vie
contemplative, c’est-à-dire [dans la contemplation] des choses divines et
intelligibles, comme Aristote.
525. Mais toutes ces opinions sont fausses, bien que pas de la même façon.
C’est pourquoi le Seigneur les critique toutes.
526.
Il critique
l’opinion de ceux qui ont dit que le bonheur consiste dans l’abondance de biens
extérieurs ; c’est pourquoi il dit : HEUREUX LES PAUVRES [5, 3],
c’est-à-dire en quelque sorte : «Pas heureux ceux qui sont abondamment
pourvus.»
527. Il critique
l’opinion de ceux qui mettaient le bonheur dans la satisfaction des appétits,
quand il dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX [5, 7]. Mais il faut savoir
que l’appétit humain est triple. Il existe d’abord l’irascible, qui désire se
venger des ennemis, et [le Seigneur] le critique quand il dit : HEUREUX
LES DOUX [5, 4]. [Il existe ensuite] le concupiscible, dont le bien est le
plaisir et la jouissance. Il le critique quand il dit : HEUREUX CEUX QUI
PLEURENT [5, 5]. Enfin [il existe l’appétit] de la volonté, qui est double,
selon qu’elle cherche deux choses : d’abord qu’aucune de ses volontés ne
soit réprimée par une loi supérieure ; deuxièmement, qu’elle puisse
restreindre les autres comme lui étant soumis. C’est pourquoi [la volonté]
désire dominer et non être soumise. Le Seigneur, lui, montre le contraire sur
l’un et l’autre point. Pour le premier il dit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM
ET SOIF DE JUSTICE [5, 6]. Pour le deuxième, il dit : HEUREUX LES
MISÉRICORDIEUX [5, 7]. Donc, autant ceux qui mettent le bonheur dans
l’abondance extérieure, que ceux qui le mettent dans la satisfaction de
l’appétit, se trompent.
528. Ceux qui mettent le bonheur dans les actes de la vie active,
c’est-à-dire dans la morale, se trompent aussi, mais moins, parce que cela est
une voie vers le bonheur. C’est pourquoi le Seigneur ne critique pas cela comme
si c’était mal, mais il montre que cela est ordonné au bonheur. En effet, ou
bien [les vertus] sont ordonnées à soi-même, comme la tempérance et les choses
de ce genre, et leur fin est la pureté du cœur car elles aident à vaincre les
passions ; ou bien elles sont ordonnées à autrui, et ainsi leur fin est la
paix et les choses de ce genre, car l’œuvre de la justice, c’est la paix. Et
c’est pourquoi ces vertus sont des voies vers le bonheur, et non le bonheur lui-même.
Ainsi, HEUREUX LES CŒURS PURS CAR ILS VERRONT DIEU [5, 8]. Il ne dit pas :
«Ils voient», parce que ce serait la béatitude elle-même. Et encore :
HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX [5, 9], non
parce qu’ils font la paix, mais parce qu’ils tendent vers autre chose. CAR ILS
SERONT APPELÉS FILS DE DIEU.
529. Quant à l’opinion de ceux qui disent que le bonheur consiste dans la
contemplation des choses divines, le Seigneur la critique quant au temps, car autrement
elle est vraie. En effet, le bonheur suprême consiste dans la vision de
l’intelligible optimal, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi il dit : ILS
VERRONT. Et il faut noter que selon le Philosophe, pour que les actes
contemplatifs rendent heureux, deux choses sont requises : l’une
substantiellement, c’est-à-dire ce qui serait l’acte du plus haut intelligible,
qui est Dieu ; l’autre formellement, c’est-à-dire l’amour et le plaisir,
car le plaisir parachève le bonheur, comme la beauté parachève la jeunesse. Et
c’est pourquoi le Seigneur aborde deux choses : ILS VERRONT DIEU, et ILS
SERONT APPELÉS FILS DE DIEU, car cela concerne l’union d’amour,
1 Jn 3, 1 : Voyez quel amour le Père nous a donné, pour
que nous soyons appelés fils de Dieu, et nous le sommes.
530. Il faut noter aussi que dans ces béatitudes, certaines sont présentées
comme des mérites, et d’autres comme des récompenses, et cela dans chacune.
HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT : voilà le mérite. CAR LE ROYAUME DES CIEUX
EST À EUX : voilà la récompense. Et de même pour les autres.
531.
Une remarque
doit aussi être faite sur le mérite en général, et une sur la récompense en
général. Pour le mérite, il faut savoir que le Philosophe distingue deux sortes
de vertu : d’abord une sorte commune, qui parachève l’homme de façon
humaine ; ensuite une spéciale, qu’il appelle héroïque, et qui [le]
parachève de façon supra-humaine. En effet, quand un courageux craint là où il
y a à craindre, c’est de la vertu ; mais s’il n’avait pas peur, ce serait
du vice. Par contre, si, confiant dans l’aide de Dieu, il n’avait peur de rien,
ce serait vertu supra-humaine, et ces vertus sont appelées divines. Donc ces
actes sont parfaits, et la vertu aussi, selon le Philosophe, est une œuvre
parfaite. Ces mérites sont ainsi ou des actes des dons, ou des actes des vertus
selon qu’ils sont parachevés par les dons.
532. Notez aussi que les actes des vertus sont ceux sur lesquels la loi
fait des prescriptions. Or, les mérites de la béatitude sont des actes des
vertus. C’est pourquoi tout ce qui est prescrit et qui est contenu plus loin,
se rapporte à ces béatitudes. C’est pourquoi, de même que Moïse a été le
premier à proposer des commandements et les a exprimés après beaucoup de
[paroles] qui se rapportaient toutes aux commandements proposés, de même le
Christ dans son enseignement a été le premier à annoncer ces béatitudes
auxquelles toutes les autres [paroles] se rapportent.
533. À propos du premier point, il faut aussi noter que Dieu est la
récompense de ceux qui le servent. Lm 3, 24 : Ma
part, c’est le Seigneur, a dit mon âme, c’est pourquoi je l’attendrai ;
Ps 15, 5 : Le Seigneur est ma part d’héritage et ma
coupe ; Gn 15, 7 : C’est moi le Seigneur qui t’ai fait sortir
d’Ur des Chaldéens pour te donner cette terre et pour que tu la possèdes. Et comme dit
Augustin dans le livre 2 des Confessions : «L’âme quand elle
s’éloigne de toi cherche le bonheur en dehors de toi.» Les hommes cherchent des
choses diverses ; mais tout ce qui peut être trouvé dans n’importe quelle
vie, le Seigneur le promet totalement en Dieu.
534. Certains mettent
comme bien suprême l’abondance de richesses, grâce à laquelle ils peuvent
parvenir aux plus grandes dignités. Le Seigneur promet le royaume qui embrasse
ces deux choses, mais il dit qu’on parvient à ce royaume par la voie de la
pauvreté, non par celle des richesses. D’où HEUREUX LES PAUVRES. D’autres
parviennent à ces honneurs grâce aux guerres, mais le Seigneur dit :
HEUREUX LES DOUX, etc. D’autres cherchent consolation dans les plaisirs, mais
le Seigneur dit : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT. Certains ne veulent pas être
subordonnés, mais le Seigneur dit : HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE
JUSTICE. Certains veulent éviter le malheur en opprimant leurs subordonnés,
mais le Seigneur dit : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX, etc. Certains mettent
la vision de Dieu dans la contemplation de la vérité sur le chemin [terrestre],
mais le Seigneur [la] promet dans la patrie [du ciel], d’où : HEUREUX LES
CŒURS PURS, etc.
535. Et il faut noter que ces récompenses dont le Seigneur traite ici
peuvent être considérées de deux façons, à savoir, d’une façon parfaite et
achevée, comme [ce sera] dans la patrie [du ciel] seulement ; et d’une
façon ébauchée et imparfaite, comme [c’est] sur le chemin. C’est pourquoi les saints
ont une amorce de ce bonheur. Et parce que dans cette vie ces choses ne peuvent
être expliquées comme elles le seront dans la patrie, Augustin expose pourquoi
en cette vie sont HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT, non seulement en espérance,
mais aussi réellement. Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est à
l’intérieur de vous.
536. Après ces préliminaires, venons-en au texte.
537.
Dans ces
béatitudes, l’évangéliste fait deux choses. D’abord, les béatitudes sont
exposées ; deuxièmement, la manifestation des béatitudes, en cet
endroit : HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT PERSÉCUTION POUR LA JUSTICE, CAR LE
ROYAUME DES CIEUX EST À EUX : c’est le mode déclaratif de toutes les
béatitudes.
538.
La vertu
fait trois choses : elle éloigne du mal, réalise et fait réaliser le bien,
et dispose au meilleur. Il précise donc au sujet de la première chose, en cet
endroit : HEUREUX LES PAUVRES ; de la deuxième, en cet endroit :
HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ; de la troisième, en cet endroit : HEUREUX
LES CŒURS PURS.
539.
La vertu
éloigne de trois maux : la cupidité, la méchanceté ou l’agitation, et la
volupté dépravée. Le premier point se trouve en cet endroit : HEUREUX LES
PAUVRES ; le deuxième en cet endroit : HEUREUX LES
MISÉRICORDIEUX ; le troisième en cet endroit : HEUREUX CEUX QUI
PLEURENT.
540. [Le Seigneur] dit donc : HEUREUX LES PAUVRES, [ce qui] se lit de
deux façons. D’abord ainsi : HEUREUX LES PAUVRES, c’est-à-dire les
humbles, ceux qui se jugent pauvres, car les vrais humbles sont ceux qui se
jugent pauvres, pas seulement extérieurement, mais aussi intérieurement.
Ps 39, 18 : Moi je suis mendiant et pauvre. Au contraire, Ap 3, 17 : Tu
dis : «Je suis riche et opulent et je ne manque de rien», et tu ne sais
pas que tu es malheureux et misérable, pauvre et aveugle et nu, etc.
541.
Et alors, ce
qu’il dit : EN ESPRIT, peut se lire de trois façons. En effet, ESPRIT (spiritus) est parfois le
nom qu’on donne à l’orgueil humain, Is 2, 22 : Restez
tranquilles loin de l’homme dont le souffle (spiritus) est dans les narines, car il a
été évalué très haut ; Is 25, 4 : Le
souffle des forts est comme un tourbillon heurtant le mur. On appelle
l’orgueil «souffle» parce que les hommes sont gonflés par l’orgueil comme les
outres par le souffle, Col 2, 18 : Gonflé par sa pensée charnelle. Donc, HEUREUX LES
PAUVRES, ceux qui ont peu de souffle (esprit) d’orgueil. Ou bien ESPRIT
(souffle) est pris dans le sens de «volonté humaine». Certains sont humbles par
nécessité, et ce ne sont pas ceux-là qui sont HEUREUX, mais ceux qui
recherchent l’humilité.
542. Troisième acception : l’Esprit Saint. Ainsi, HEUREUX LES PAUVRES
EN ESPRIT, ceux qui sont humbles grâce à l’Esprit Saint. Et ces deux
[choses : l’humilité et la pauvreté,] reviennent presque au même. [Le
Seigneur] dit : PAUVRES EN ESPRIT, parce que l’humilité donne l’Esprit
Saint, Is 66, 2 : Vers qui regarderai-je sinon vers le petit
pauvre à l’esprit brisé, qui tremble à mes paroles ? C’est à ces
pauvres qu’est promis le royaume, par lequel on entend l’excellence suprême. Et
bien qu’il soit la récompense de n’importe quelle vertu, il est tout de même
donné particulièrement à l’humilité, car celui qui s’abaisse sera élevé,
Mt 23, 12 ; et Pr 29, 23 : La
gloire viendra sur l’esprit humble.
543. Autre explication selon Jérôme : PAUVRES EN ESPRIT, littéralement,
par le renoncement aux choses temporelles. Et il dit : EN ESPRIT, car
certains sont pauvres par nécessité, mais le bonheur n’est pas dû à ceux-là,
mais à ceux qui sont pauvres par volonté. Et ils sont de deux sortes :
certains, bien qu’ils aient des richesses, ne les ont pas dans leur cœur,
Ps 61, 11 : Aux richesses, si elles affluent, n’attachez
pas votre cœur. Certains n’ont ni ne recherchent [les richesses], et cela est plus sûr
car l’esprit est attiré par les choses spirituelles loin des richesses, et
ceux-ci sont appelés, au sens propre, des PAUVRES EN ESPRIT, car les actes des
dons [du Saint-Esprit], qui surpassent la manière humaine, appartiennent à
l’homme heureux, et le fait de rejeter toutes les richesses, de façon à n’avoir
aucune sorte de convoitise, surpasse la manière humaine d’agir. Or, c’est à eux
qu’est promis le royaume des cieux, dans lequel on remarque non seulement la
hauteur de l’honneur mais l’abondance de richesses. Jc 2, 5 : Dieu
n’a-t-il pas choisi les pauvres de ce monde comme riches dans la foi ?
544. Et note que Moïse a commencé par promettre des richesses,
Dt 28, 1 : Le Seigneur ton Dieu te fera plus haut que
tous les peuples qui vivent sur la terre, et plus loin [Dt 28, 3] : Béni
seras-tu en ville, et béni à la campagne. Et c’est pourquoi le Seigneur, pour distinguer
la loi ancienne de la nouvelle, a commencé par mettre le bonheur dans le mépris
des richesses temporelles.
545.
De plus,
selon Augustin, note que cette béatitude va avec le don de crainte, car la
crainte, surtout filiale, fait avoir du respect pour Dieu, et à partir de cela
l’homme méprise les richesses.
546.
Isaïe met le
bonheur dans la descendance : Is 11, 1[‑3] : Un
rameau sortira de la racine de Jessé, une fleur montera de la racine de
celui-ci. L’Esprit du Seigneur reposera sur lui, Esprit de sagesse et
d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété,
et l’Esprit de crainte du Seigneur le remplira. Le Christ, au
contraire, [sort] du don de crainte, c’est-à-dire de la pauvreté, car Isaïe a
prédit l’arrivée du Christ sur terre. Le Christ entraînait de la terre vers le
haut.
547. HEUREUX LES DOUX. C’est la deuxième béatitude, mais pour que personne
ne dise que la pauvreté suffit pour le bonheur, il montre qu’elle ne suffit
pas. Au contraire, la douceur est requise, elle qui maîtrise les colères, comme
la tempérance maîtrise les désirs ardents. En effet, est doux celui qui ne
s’irrite pas. Cela pourra se faire par vertu, pour que du moins on ne se mette
pas en colère sans une juste cause. Mais si tu as même une juste cause et que
[ta colère] n’est pas provoquée, cela surpasse la manière humaine, et c’est
pourquoi il dit : HEUREUX LES DOUX. Il y a des conflits à cause de
l’abondance de biens extérieurs, et c’est pourquoi il n’y aurait jamais de
trouble si on ne recherchait pas les richesses. C’est pourquoi ceux qui ne sont
pas doux ne sont pas pauvres en esprit. C’est à cause de cela qu’il ajoute
aussitôt : HEUREUX LES DOUX.
548. Et note que cela consiste en deux choses : d’abord, à ne pas se
mettre en colère ; deuxièmement, si on se met en colère, à la maîtriser.
549.
Ainsi dit
Ambroise : «Le sage maîtrise ses mouvements de colère, et il n’y a pas
moins de vertu à se mettre en colère d’une façon maîtrisée, qu’à ne se mettre
en colère en aucun cas ; et je trouve la deuxième attitude beaucoup plus
facile, et la première plus forte, etc.»
550. Chrysostome dit : «Parmi beaucoup de promesses éternelles, [le
Seigneur] en met une terrestre.» D’où, à la lettre, LES DOUX POSSÉDERONT cette
TERRE. Car beaucoup font des procès pour acquérir des possessions, mais souvent
ils perdent la vie et tous leurs biens ; et souvent ce sont les gens
tranquilles qui possèdent tout. Ps 36, 11 : Les
doux hériteront la terre.
551.
Une
meilleure explication [consiste] à mettre [ces paroles] en rapport avec
l’avenir, et alors on peut les expliquer de plusieurs façons. Hilaire donne
cette [explication] : ILS POSSÉDERONT LA TERRE, à savoir le corps glorifié
du Christ, car dans leur corps, ils seront conformes à sa clarté.
Is 33, 17 : Ses yeux verront le roi dans sa beauté,
distingueront une terre qui s’étend loin. Ph 3, 21 : Il
reformera notre corps d’humilité en le configurant à son corps de clarté. Ou encore :
cette terre, pour le moment, est celle des morts, car elle est sujette à la
corruption, mais elle sera libérée de la corruption, selon l’Apôtre,
Rm 8, 21 [L’espérance d’être elle aussi libérée de la
servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants
de Dieu.] Donc cette terre, quand elle sera clarifiée et libérée de l’esclavage
de la corruption, sera appelée la terre des vivants. Ou bien par LA TERRE on
entend le ciel empyrée, dans lequel sont les bienheureux, et on l’appelle TERRE
parce que la terre a le même rapport avec le ciel, que ce ciel avec le ciel de
la Sainte Trinité. Ou bien ILS POSSÉDERONT LA TERRE, c’est-à-dire leur corps
glorifié. Augustin l’explique métaphoriquement : il dit qu’il faut
entendre par là une certaine fermeté des saints dans la connaissance de la vérité
première. Ps 26, 13 : Je le crois, je verrai les biens du Seigneur
sur la terre des vivants.
552.
Cette
deuxième béatitude va avec le don de piété, car au sens propre, ceux qui se
mettent en colère ne sont pas satisfaits du plan divin.
553. HEUREUX CEUX QUI PLEURENT, etc. Grâce aux deux premières béatitudes
abordées, nous sommes arrachés au mal de la cupidité et de la méchanceté. Voici
la troisième, par laquelle nous sommes arrachés au mal du plaisir coupable, de
la jouissance. Ainsi, HEUREUX CEUX QUI PLEURENT.
554.
Dans
l’Ancien Testament, [le Seigneur] promettait des biens terrestres, la
jouissance terrestre. Jr 31, 12 : Ils afflueront vers les biens
du Seigneur, le froment, le vin et l’huile, etc. ; et plus loin
[Jr 31, 13] : La jeune fille se réjouira dans la danse,
jeunes et vieux ensemble. Le Seigneur, au contraire, met le bonheur dans le
deuil. Il faut noter aussi que ce n’est pas n’importe quel pleur qui peut être
appelé «deuil», mais celui où l’on pleure un mort qu’on aime. Car le Seigneur
parle ici par excès. Comme plus haut HEUREUX LES PAUVRES, de même ici il parle
du plus grand deuil. Car de même que ceux qui pleurent un mort ne reçoivent
aucune consolation, de même le Seigneur veut que notre vie soit dans le deuil.
Jr 6, 26 : Fais-toi un deuil d’enfant unique, une
lamentation amère, etc.
555. Et ce deuil peut s’expliquer de trois façons. D’abord, [nous devons
pleurer] non seulement sur nos propres péchés mais aussi sur ceux des
autres ; car si nous pleurons ceux qui sont morts charnellement, [nous
devons pleurer] bien davantage ceux qui sont morts spirituellement. 1 R [1 S]
16, 1 : Jusqu’à quand pleureras-tu Saül, etc. ?
Jr 8, 23 : Qui donnera de l’eau à ma tête, et une source
de larmes à mes yeux ? Et je pleurerai jour et nuit les tués de la fille
de mon peuple.
556.
Il est assez
pertinent que cette béatitude soit mise après la précédente, car on pourrait
dire : il suffit de ne pas faire le mal. Et c’est vrai au commencement,
avant le péché. Mais après le péché commis, ce n’est pas assez si on ne
satisfait pas.
557. Un deuxième sens est possible : nous pleurons sur l’exil en notre
présente misère, Ps 119, 5 : Hélas pour moi ! Car mon
exil a été prolongé. Ce sont les sources d’en haut et les sources d’en bas dont il est
question en Jos 15, 19. Pleurez sur vos péchés et sur l’exil de la
patrie céleste.
558.
Troisième
sens, selon Augustin : le deuil que les hommes font des joies du siècle,
qu’ils quittent en venant au Christ, car certains meurent aux yeux du monde et
le monde meurt à leurs yeux, Ga 6, 14 : Par
qui le monde est pour moi crucifié, et moi un crucifié pour le monde. Quant à nous, de
même que nous pleurons les morts, de même [ceux qui meurent au monde] pleurent,
car il est impossible qu’en renonçant ils ne sentent quelque douleur.
559. À ce triple deuil répond une triple consolation. Au deuil pour les
péchés est donnée la rémission des péchés que David demandait en disant,
Ps 1, 14 : Rends-moi la joie de ton salut. À la patrie
céleste qui se fait attendre et à l’exil de la misère présente, répond la
consolation de la vie éternelle, dont parle Jr 31, 13 : Je
changerai votre deuil en joie, je les consolerai, je les réjouirai après leur
peine ; et Is 66, 13 : A Jérusalem vous serez
consolés. Au troisième deuil répond la consolation de l’amour divin : quand
on souffre de la perte d’un objet aimé, on reçoit consolation si on acquiert
une chose qu’on aime davantage. C’est pourquoi les gens sont consolés quand, à
la place des choses temporelles, ils reçoivent des réalités spirituelles et
éternelles, ce qui est recevoir l’Esprit Saint. C’est pourquoi on l’appelle
Paraclet, Jn 15, 26 : C’est grâce à l’Esprit Saint, qui est l’amour
divin, que les hommes se réjouiront ; Jn 16, 20 : Votre
tristesse se changera en joie.
560. Et il faut noter que cette béatitude va avec le don de science, car
ceux-là pleurent qui savent les misères des autres. C’est donc de certains qui
n’ont pas une telle science que parle Sg 14, 22 : Alors
qu’ils vivent dans la grande guerre de l’ignorance, ils appellent tant de
grands maux «paix». Qo 1, 18 [dit] au contraire : Qui
ajoute de la science ajoute aussi de la peine.
561. Et il faut noter que ces récompenses sont organisées de façon que
toujours la suivante ajoute à la précédente. En effet, il a dit d’abord :
HEUREUX LES PAUVRES CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST À EUX. Ensuite : CAR ILS
POSSÉDERONT LA TERRE : posséder, c’est plus que seulement avoir. De plus,
ensuite : CAR ILS SERONT CONSOLÉS : être consolé, c’est plus que
posséder, car certains possèdent ces choses mais n’en tirent pas de plaisir.
562. Ensuite, après
les béatitudes qui concernent l’éloignement du mal, est présentée ici la
béatitude qui concerne l’action de faire le bien.
563.
Notre bien
est double : [celui] de la justice et [celui] de la miséricorde. Et c’est
pourquoi [le Seigneur] aborde deux choses. Pour la première, il dit :
HEUREUX CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE.
JUSTICE se prend dans trois sens, selon Chrysostome et le Philosophe.
Quelquefois en effet [on l’emploie] à la place de n’importe quelle vertu, et
toute vertu est dite justice légale, qui donne des prescriptions sur les actes
de vertus. C’est pourquoi en tant qu’on obéit à la loi, on accomplit l’œuvre de
toutes les vertus. Autre sens : en tant qu’elle est une vertu particulière,
[la justice est] celle des quatre vertus cardinales qui s’oppose à la cupidité
ou à l’injustice, et elle concerne les achats, ventes, locations…
564. Ce qu’il dit ici, CEUX QUI ONT FAIM DE JUSTICE, peut donc être compris
en général ou en particulier. Si on le comprend en général, [le Seigneur] dit
cela pour deux raisons. La première [vient] de Jérôme, qui dit qu’il ne suffit
pas de réaliser une œuvre de justice si on ne la réalise avec désir.
Ps 53, 8 : Volontairement je t’offrirai un sacrifice
etc.
Et ailleurs, Ps 41, 3 : Mon âme a eu soif de Dieu, la
source vive, etc. Am 8, 11 : J’enverrai la faim sur cette terre, non la
faim de pain ni la soif d’eau, mais d’entendre la parole de Dieu. Quand on agit
avec désir, c’est donc une faim.
565. Autre raison : la justice est double, une parfaite et une
imparfaite. La parfaite, nous ne pouvons l’avoir en ce monde, car si
nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la
vérité n’est pas en nous, 1 Jn 1, 8 ; et
Is 64, 5 : Toutes nos justices sont comme des linges
souillés. Celle-ci, nous l’avons au ciel, Is 60, 21 : Ton
peuple, tous les justes, hériteront la terre pour l’éternité. Mais le désir de
justice, nous pouvons l’avoir ici, et c’est pourquoi il dit : HEUREUX CEUX
QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE etc. Pythagore a fait la même chose. Au temps
de Pythagore, ceux qui étudiaient étaient appelés sophoi, «sages».
Pythagore, lui, ne voulut pas être appelé sophos mais
«philosophe», «celui qui aime la sagesse». C’est ainsi que le Seigneur veut que
soient les siens, et qu’ils soient appelés «ceux qui aiment la justice».
566. D’autre part, si on comprend [qu’il s’agit] de justice particulière,
qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient, l’expression HEUREUX CEUX
QUI ONT FAIM etc convient bien, car la faim et la soif sont le propre des
avides, car ceux qui désirent posséder injustement les biens d’autrui ne sont
jamais rassasiés. Cette faim dont le Seigneur parle s’oppose donc à celle-ci,
celle des avides. Et le Seigneur veut que nous aspirions tellement à cette
justice, que jamais, pour ainsi dire, nous n’en soyons rassasiés dans cette
vie, de même que l’avide n’est jamais rassasié.
567. HEUREUX, donc, CEUX QUI ONT FAIM ET SOIF DE JUSTICE, CAR ILS SERONT
RASSASIÉS. La récompense adéquate est présentée : ILS SERONT RASSASIÉS, et
premièrement dans la vision éternelle, car ils verront Dieu par essence,
Ps 16, 15 : Je serai rassasié quand ta gloire apparaîtra, car là il ne
restera rien à désirer. Ps 102, 5 : Celui qui remplit de biens ton
désir ; Pr 10, 24 : Ce que désirent les justes leur sera donné. Deuxièmement, dans le présent,
et [cette récompense] est double : l’une est dans les biens spirituels,
c’est-à-dire dans l’accomplissement des commandements de Dieu,
Jn 4, 34 : Ma nourriture est de faire la volonté de
celui qui m’a envoyé, pour que j’achève son œuvre, et c’est
l’explication d’Augustin. L’autre façon de comprendre est à propos du
rassasiement de choses temporelles. Les hommes injustes ne sont jamais
rassasiés, mais ceux dont le but est la justice elle-même ne dépassent pas les
limites. Pr 13, 25 : Le juste mange et se rassasie.
568.
Cette
béatitude, selon Augustin, se ramène au don de force, parce que ce qu’on
réalise avec justice a à voir avec la force. De plus, elle ajoute quelque chose
à la récompense citée précédemment, car être rassasié, c’est assouvir
totalement son désir.
569. De plus, note qu’il dit d’abord : HEUREUX CEUX QUI PLEURENT, car
lorsqu’on est malade, on n’a pas envie de manger : on se met à avoir de
l’appétit quand on commence déjà à guérir. Et il en est de même dans la vie
spirituelle : quand on est dans le péché, on ne ressent pas la faim
spirituelle ; mais quand on quitte le péché, on la ressent. C’est pourquoi
il ajoute aussitôt : HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX, car la justice sans
miséricorde est cruauté, et la miséricorde sans justice engendre la ruine. Et
c’est pourquoi il faut que les deux aillent ensemble, comme dit
Pr 3, 3 : Que miséricorde et vérité ne te quittent
etc. ; Ps 4, 11 : Miséricorde et vérité se sont rencontrées,
etc.
570. HEUREUX LES MISÉRICORDIEUX CAR ILS OBTIENDRONT MISÉRICORDE. Être
miséricordieux, c’est avoir un cœur qui souffre du malheur d’autrui. Nous avons
miséricorde du malheur d’autrui quand nous considérons ce malheur comme si
c’était le nôtre. Nous souffrons de notre malheur, et nous nous appliquons
passionnément à le chasser. Tu es donc vraiment miséricordieux quand tu
t’appliques passionnément à chasser le malheur d’autrui.
571.
Le malheur
du prochain est de deux sortes : le premier dans les choses temporelles,
et pour ce malheur-là nous devons avoir un cœur qui souffre.
1 Jn 3, 17 : Celui qui possède les biens de ce monde et
voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour
de Dieu demeurerait-il en lui ? Le deuxième malheur [est] celui qui rend
malheureux par le péché, car de même que le bonheur est dans les œuvres
vertueuses, de même le malheur au sens propre est dans les vices.
Pr 13, 34 : Le péché rend les peuples misérables. C’est pourquoi, quand
nous exhortons ceux qui tombent à revenir, nous sommes miséricordieux.
Mt 9, 36 : Jésus voyant les foules fut ému de
compassion. Donc HEUREUX ces MISÉRICORDIEUX. Et pourquoi ? CAR ILS
OBTIENDRONT MISÉRICORDE.
572. Et il faut savoir que toujours les dons de Dieu dépassent nos mérites.
Si 35, 10 : Car le Seigneur paie de retour, il te rendra
au septuple. La miséricorde que le Seigneur dépense pour nous est donc beaucoup
plus grande que celle que nous dépensons pour le prochain. Cette miséricorde
commence dans cette vie de deux façons : premièrement parce que les péchés
sont acquittés, Ps 102, 3 : Lui qui pardonne toutes tes
iniquités. Deuxièmement, parce qu’il supprime les défauts temporels, de même
qu’il fait lever son soleil. Mais ce [ne] sera achevé [que] dans le futur,
quand tout disparaîtra, malheur, fautes, peines… Ps 35, 6 : Seigneur,
dans le ciel est ta miséricorde. Ainsi, ILS OBTIENDRONT MISÉRICORDE.
573. Cette béatitude se rapporte au don de conseil, car c’est une sagesse
unique en son genre de suivre la miséricorde au milieu des dangers de ce monde.
1 Tm 4, 8 : La piété est utile pour tout ;
Dn 4, 24 : Que mon conseil plaise au roi.
574.
C’est donc
ainsi qu’ont été présentés les actes vertueux par lesquels nous nous éloignons
du mal et réalisons le bien.
575. Maintenant sont présentés les actes par lesquels nous nous disposons à
ce qui est meilleur. Ainsi, HEUREUX LES CŒURS PURS, etc.
576.
Cette
béatitude consiste en deux choses : la vision de Dieu et l’amour du
prochain. C’est pourquoi [le Seigneur] aborde en premier lieu la béatitude qui
va avec la vision de Dieu, et, en second lieu, la béatitude qui va avec l’amour
du prochain, en cet endroit : HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX, etc.
577. Il dit donc :
HEUREUX LES CŒURS PURS CAR ILS VERRONT DIEU.
578.
Il y a tout
d’abord ici une question sur le texte, car nous savons que Dieu ne peut être
vu, 1 Jn 4, 12 : Dieu, personne ne l’a jamais vu. Et pour que
personne ne dise que, bien qu’on ne le voie pas dans le présent, on le verra
dans le futur, l’Apôtre écarte cette [affirmation] en
1 Tm 6, 16 : Il habite la lumière inaccessible, qu’aucun
humain ne voit ni ne peut voir.
579. Mais il faut savoir qu’à ce sujet les opinions varient. Certains ont
affirmé que Dieu n’est jamais vu par essence, mais dans un reflet de sa clarté.
Mais cette opinion est réprouvée par la Glose sur Ex 33, 20 (Aucun
humain ne me verra et ne vivra), pour deux raisons. D’abord parce que cela
répugne à l’autorité de la Sainte Écriture, 1 Jn 3, 2 : Nous
le verrons comme il est. En outre 1 Co 13, 12 : Nous
voyons maintenant dans un miroir, en énigme, mais alors [nous verrons] face à
face. En outre, pour la raison que le bonheur de l’homme est le bien ultime de
l’homme, dans lequel son désir cesse. Or, c’est un désir naturel, que l’homme,
voyant les effets, recherche la cause. C’est pourquoi l’étonnement des
philosophes fut l’origine de la philosophie, car voyant les effets, ils
s’étonnaient et cherchaient la cause. Donc ce désir ne cessera pas, jusqu’à ce
qu’il parvienne à la cause première qui est Dieu, c’est-à-dire à l’essence
divine elle-même. Il sera donc vu par essence.
580. D’autres se sont
trompés encore davantage en supposant le contraire, car ils ont dit que nous
verrons l’essence de Dieu, non seulement avec l’œil de l’esprit, mais aussi
avec celui du corps, et que le Christ voit l’essence divine avec l’œil
corporel. Mais cela ne convient pas, c’est évident, d’abord en raison de
l’autorité qui est présentée ici, parce qu’il ne dirait pas HEUREUX LES CŒURS
PURS, mais «Heureux les yeux purs». Donc il donne à comprendre que [Dieu] n’est
vu qu’avec le cœur, c’est-à-dire l’intelligence, car CŒUR a ici la même
acception que dans Ep 1, 18 : Illuminer les yeux de votre
cœur. Deuxièmement, parce qu’un sens
corporel ne peut percevoir que son objet. Mais si on dit qu’il aura alors une
plus grande puissance, il faut dire qu’alors ce ne serait pas une vision
corporelle, car « l’œil corporel ne voit que des couleurs, mais [voit]
l’essence par accident », comme dit Augustin dans le dernier livre de La
cité de Dieu, chapitre 19. De même que quand je vois une chose vivante, nous
pouvons dire que je vois la vie, en tant que je vois des indices par lesquels
sa vie m’est indiquée, de même en sera-t-il dans la vision divine, parce que si
grand sera l’éclat dans le ciel nouveau, la terre nouvelle et les corps
glorifiés, que par ceux-ci nous serons dits voir Dieu pour ainsi dire avec les
yeux du corps. Donc HEUREUX LES CŒURS PURS, etc.
581. Quant à la solution de Dieu, personne ne l’a jamais vu, elle est
triple : premièrement parce qu’[on ne le verra] pas par une vision
totale ; deuxièmement, pas avec les yeux corporels ; troisièmement,
pas dans cette vie, car s’il a été donné à quelqu’un de voir Dieu dans cette
vie, ce fut parce qu’il a été totalement sorti de lui-même et élevé au-dessus
des sens corporels. Et c’est pourquoi il est dit : HEUREUX LES CŒURS PURS,
parce que de même que l’œil qui voit la couleur doit être purifié, de même
l’esprit qui voit Dieu. Sg 1, 1 : Dans la simplicité de cœur
cherchez-le, car il est trouvé par ceux qui ne le tentent pas, il apparaît à
ceux qui ont foi en lui, car le cœur est purifié par la foi,
Ac 15, 9 : Purifiant leurs cœurs par la foi. Et c’est parce
que la vision viendra après la foi qu’il est dit : CAR ILS VERRONT DIEU.
582. HEUREUX LES CŒURS PURS, c’est-à-dire ceux qui ont cette absence
générale de pensées étrangères grâce à laquelle leur cœur est le temple sacré
de Dieu, dans lequel ils voient Dieu pour le contempler, car «temple» semble
venir de «contempler» [en fait c’est l’inverse]. Mais, en particulier, HEUREUX
LES CŒURS PURS, ce sont ceux qui ont la pureté de la chair, car rien n’empêche
autant la contemplation spirituelle que l’impureté de la chair. Poursuivez
la paix, et la sanctification sans laquelle personne ne verra Dieu,
He 12, 14. Et c’est pourquoi certains disent que les vertus morales,
surtout la chasteté, profitent à la vie contemplative. Conformément à cela,
HEUREUX LES CŒURS PURS peut être entendu de la vision du chemin, car les saints
qui ont le cœur plein de justice voient plus excellemment que d’autres, qui
voient par des effets corporels. En effet, plus les effets sont proches, plus
Dieu est connu par leur intermédiaire. Les saints qui ont la justice, la
charité et effets de ce genre qui sont très semblables à Dieu, le connaissent
donc mieux que d’autres. Ps 33, 9 : Goûtez et voyez comme le
Seigneur est délicieux.
583. HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX, CAR ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU. Ici
est présentée la septième béatitude et, comme on l’a dit, les vertus qui
disposent au meilleur disposent à deux choses : à la vision de Dieu et à
l’amour. Et de même que la pureté de cœur dispose à la vision de Dieu, de même
la paix dispose à l’amour de Dieu, par lequel nous sommes appelés fils de Dieu,
et nous le sommes. Et ainsi [la paix] dispose à l’amour du prochain, parce que
comme il est dit en 1 Jn 4, 20 : Celui
qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment pourrait-il aimer Dieu qu’il ne
voit pas ?
584. Et il faut noter qu’ici sont présentées deux récompenses de la
béatitude : HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX, et HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT
PERSÉCUTION POUR LA JUSTICE. Et tout ce qui précède se rapporte à ces deux
choses, et celles-ci sont les effets de tout ce qui précède. En effet, de quoi
s’agit-il avec la pauvreté en esprit, le deuil, la douceur, sinon que le cœur
soit gardé pur ? De quoi s’agit-il avec la justice et la miséricorde,
sinon d’avoir la paix ? Is 32, 17 : Le
fruit de la justice est la paix, et l’effet de la justice, silence et sécurité
à jamais. Ainsi, HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX.
585. Mais il faut voir ce qu’est la paix et comment nous pouvons parvenir à
elle. La paix est la tranquillité de l’ordre. L’ordre est la disposition qui
attribue à chacun des êtres semblables et différents sa place. Donc la paix
consiste à ce que chacun soit à sa place. C’est pourquoi l’esprit humain, en
premier lieu, doit être soumis à Dieu. En deuxième lieu, les instincts et
forces inférieures, communs à nous et aux bêtes, doivent être soumis à
l’homme ; l’homme domine les animaux
par la raison, Gn 1, 26 : Faisons l’homme à notre image
et ressemblance, et qu’il domine les poissons de la mer, les volatiles du ciel,
les bêtes de toute la terre, et tout reptile qui se meut sur la terre. En troisième
lieu, que l’homme garde la paix envers autrui, car ainsi tout sera totalement
en ordre. Cet ordre ne peut exister que chez les saints.
Ps 118, 165 : Paix multiple à ceux qui aiment ton
nom ; Is 48, 22 : Ils vivent dans la grande guerre de
l’ignorance, et ils appellent tant de grands maux «paix». Le monde ne peut
donner une telle paix. Jn 14, 27 : Je vous la donne non comme le
monde la donne. De plus, tout cela ne suffit pas ; ils doivent faire la paix
entre ceux qui ne s’entendent pas. Pr 12, 20 : Ceux
qui vont dans les conseils de paix, la joie les suit.
586. Cependant, il faut savoir qu’ici cette paix commence, mais n’arrive
pas à la perfection, car personne ne peut tenir ses bas instincts totalement
soumis à sa raison. Rm 7, 23 : Je vois une autre loi dans mes
membres, qui répugne à la loi de mon esprit et qui cherche à me capter dans la
loi de péché qui est dans mes membres. C’est pourquoi cette paix [ne] sera véritable
[que] dans la vie éternelle. Ps 4, 9 : En
paix aussitôt je dormirai et me reposerai. Ph 4, 7 : La
paix de Dieu surpasse toute intelligence.
587. CAR ILS SERONT APPELÉS FILS DE DIEU, pour trois raisons. La première
est qu’ils exercent la fonction du fils de Dieu, car on dit que le Fils est
venu dans le monde pour rassembler les dispersés, Ep 2, 14 : Car
il est lui-même notre paix ; Col 1, 20 : Pacifiant
dans le sang de sa croix les êtres qui sont sur la terre et ceux qui sont aux
cieux. Deuxièmement, parce que c’est par la paix, avec la charité, qu’on
parvient au royaume éternel, dans lequel tous SERONT APPELÉS FILS DE DIEU.
Sg 5, 5 : Voici comment ils ont été comptés parmi les
fils de Dieu, et leur sort est parmi les saints.
Ep 4, 3 : Appliqués à conserver l’unité de l’Esprit
dans le lien de la paix. Troisièmement, parce que par cela l’homme est
assimilé à Dieu, car là où est la paix, il n’y a pas de résistance. Or,
personne ne peut résister à Dieu. Jb 9, 4 : Qui
lui a résisté et a gardé la paix ?
588. Et il faut noter que ces béatitudes s’ajoutent l’une à l’autre :
obtenir la miséricorde, c’est plus qu’être rassasié, parce qu’être rassasié,
c’est être rempli de ce qui est proportionné à soi, mais la miséricorde nous
dépasse de beaucoup. En outre, ce ne sont pas tous ceux qui reçoivent la
miséricorde qui sont admis par le roi à voir le roi. De plus, être le fils du
roi, c’est plus que de voir le roi. Et pourtant, il faut savoir que toutes ces
expressions désignent une seule récompense.
589.
Mais
pourquoi le Seigneur voulut-il dire la même chose de plusieurs façons
différentes ? Il faut dire que tout ce qui est divisé dans le monde d’en
bas est rassemblé dans celui d’en haut. Et c’est parce que dans les choses
humaines ces choses se trouvent dispersées, et que nous sommes conduits par la
main à travers les choses sensibles, que le Seigneur a représenté cette
récompense éternelle de plusieurs façons.
590.
Cette
septième béatitude va avec le don de sagesse, car la sagesse nous rend fils de
Dieu. Il faut noter aussi que dans la septième béatitude il y a la paix, de
même qu’au septième jour [il y a] le repos, Gn 2, 2.
591. Ensuite est présentée la huitième béatitude, qui représente la
perfection de toutes les précédentes, car on est parfait en elles toutes quand
on n’en délaisse aucune à cause des tribulations. Si 27, 6 : Le
four éprouve les vases d’argile, et l’épreuve de la tribulation les hommes
justes. Ainsi, HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT PERSÉCUTION, etc.
592. Mais peut-être quelqu’un qui entend HEUREUX LES FAISEURS DE PAIX,
dira-t-il que ceux-ci, à cause de la persécution, ne sont pas heureux, car la
persécution trouble la paix, ou la supprime complètement. Mais à coup sûr [il
ne s’agit] pas de la [paix] intérieure, mais de la [paix] extérieure.
Ps 118, 165 : Paix nombreuse à ceux qui aiment ta loi, etc.
Ce
n’est pas la persécution elle-même qui rend heureux, c’est sa cause. C’est
pourquoi il dit : POUR LA JUSTICE. 1 P 3, 14 : Si
vous subissez quelque chose à cause de la justice, heureux [êtes-vous] ! Chrysostome
[dit] : «[Le Seigneur] ne dit pas : “[persécution] par les païens et
pour la foi”, mais “pour la justice”.» Il dit donc : POUR LA JUSTICE, car
il y a martyre non par quelqu’un ni pour une cause quelconque, mais pour la
justice du Père. Si 4, 28 : Combats pour la justice. Les prophètes
ont été tués non parce qu’ils ont renié la foi, mais parce qu’ils ont annoncé
la vérité ; Jean Baptiste, c’est parce qu’il annonçait la vérité qu’il fut
tué et devint martyr.
593. Et il faut noter que cette béatitude est mise à la
huitième place, de même que le huitième jour se faisait la circoncision, qui
préfigure une circoncision générale des martyrs.
594. CAR LE ROYAUME EST À EUX. Cela paraît venir de ce qui est dit dans la première
béatitude, c’est pourquoi les saints l’expliquent de différentes façons.
595.
Certains
disent que ce qui est dit : HEUREUX LES PAUVRES CAR LE ROYAUME, etc., est
la même chose que ce qui est dit ici, et cela pour représenter la perfection de
la patience. Jc 1, 4 [Mais que la constance s’accompagne d’une
œuvre parfaite, afin que vous soyez parfaits, irréprochables, ne laissant rien
à désirer]. Or, la perfection est toujours représentée par ce qui revient à son
commencement, comme nous le voyons dans le cercle. De plus, celui qui subit
PERSÉCUTION POUR LA JUSTICE est pauvre, et tout le reste lui est dû, car il est
doux, miséricordieux, etc. C’est pourquoi lui sont dues non seulement la
première récompense, mais aussi toutes les récompenses.
596. D’autres disent que ce n’est pas pareil. Ainsi Ambroise dit que LE
ROYAUME DES CIEUX concerne la gloire de l’âme et du cœur, car à la vertu de
l’âme répond le royaume des cieux, mais au martyre répond la béatitude qui
consiste dans la glorification des corps, à cause des supplices qu’ils ont
soufferts. Ou encore : aux pauvres, le royaume des cieux est promis en
espérance, parce qu’ils ne s’[y] envolent pas aussitôt, mais aux martyrs [il
est promis] en réalité parce qu’ils s’[y] envolent aussitôt.
597. HEUREUX ÊTES-VOUS [QUAND ON VOUS INSULTERA…]. Ici, [le Seigneur]
touche à la dignité de ceux qui doivent enseigner cette doctrine des apôtres.
Et il faut savoir que toutes les béatitudes se rapportent à trois choses :
les trois premières – HEUREUX LES PAUVRES, HEUREUX LES DOUX, HEUREUX CEUX QUI
PLEURENT – visent à éloigner le mal ; les quatre suivantes à faire le
bien ; la dernière à supporter patiemment le mal. Ces trois choses doivent
être supérieurement présentes chez le docteur en Écriture sainte, car en supportant
les maux, non seulement il devrait les soutenir avec patience mais il devrait
s’en réjouir ; en outre, il devrait éloigner d’autrui le mal ; et
troisièmement, il devrait aussi être une lumière vers le bien. Dans ces trois
choses, [le Seigneur] fait valoir la dignité apostolique, dans l’ordre :
il commence par la persécution parce qu’elle représente la perfection de toutes
les autres et signifie que nul ne doit assumer le rôle de prédicateur s’il
n’est parfait. Pr 19, 11 : La science de l’homme par la
patience ; Ps 91, 15 : Ils feront bien d’être
patients.
598. A cet égard, [le Seigneur] fait trois choses : d’abord, il
énumère les malheurs qu’ils allaient subir ; deuxièmement, il enseigne la
façon de subir : RÉJOUISSEZ-VOUS ET SAUTEZ DE JOIE. Troisièmement, il
donne la raison : CAR VOTRE RÉCOMPENSE. Les malheurs sont ou présents ou
absents. En outre, ils deviennent présents en parole et en acte. [Le Seigneur]
expose donc tout. Il dit donc : HEUREUX ÊTES-VOUS.
599. Mais ici Augustin soulève une question. D’abord il dit : QUAND ON
VOUS INSULTERA, et ensuite : ET [QUAND] ON DIRA TOUTE SORTE DE MAL, ce qui
semble être la même chose. Mais il faut savoir qu’insulter, c’est offenser
quelqu’un qu’on voit, tandis que dire toute sorte de mal, c’est dénigrer un
absent. Insulter, c’est faire beaucoup d’affronts, Jr 15, 10 : Tout
le monde me maudit. 1 P 2, 23 : Lui,
quand il était insulté [il ne rendait pas l’insulte]. Ainsi, HEUREUX
[SEREZ-VOUS] QUAND ON VOUS INSULTERA, c’est-à-dire quand on vous offensera en
parole et en acte. Chrysostome [dit] : «Le mérite de la vie éternelle
consiste en deux choses : faire le bien et supporter le mal. Et de même
qu’aucun acte bon, même minime, n’est dépourvu de mérite, de même toute injure
a sa récompense.»
600. ET [QUAND] ON VOUS
PERSÉCUTERA, c’est-à-dire qu’on vous chassera de ville en ville,
1 Co 4, 12 : On nous maudit et nous bénissons, et
Mt 23, 34 : Voici, j’envoie vers vous des prophètes et
des scribes, et parmi eux vous en pourchasserez de ville [en ville]. ET QU’ON DIRA
[MENSONGÈREMENT TOUTE SORTE DE MAL CONTRE VOUS], c’est-à-dire qu’on vous
accablera, qu’on vous accusera de tous les maux,
2 Co 6, 8 : Tenus pour imposteurs [et pourtant
véridiques] ; 1 P 4, 14 : [Heureux] si vous êtes outragés
pour le nom du Christ, [car l’Esprit de gloire…repose sur vous]. Mais il faut
savoir que ceux dont on dit du mal ne sont pas tous bienheureux : il faut
premièrement que l’accusation soit mensongère et, deuxièmement, que ce soit à
cause du Christ. C’est pourquoi il dit : MENSONGÈREMENT …À CAUSE DE MOI,
et cet À CAUSE DE MOI se rapporte à tout ce qui a été dit avant. Note aussi que
c’est la même chose qu’il dit [ici] : À CAUSE DE MOI, et plus haut : À
cause du Christ.
601. RÉJOUISSEZ-VOUS. Ici, [le Seigneur] enseigne la façon
de supporter les maux. Plus haut, quand il parlait de tout, il a dit :
HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT, c’est-à-dire ceux qui ne se révoltent pas. Mais,
pour les apôtres, ce n’est pas suffisant : il faut en plus qu’ils sautent
de joie, Jc 1, 2 : [Tenez pour] une joie suprême, [mes frères,
d’être en butte à toutes sortes d’épreuves] ;
Ac 5, 41 : Les apôtres s’en allaient tout joyeux
[d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom]. Augustin [dit] au
contraire : «Tu ordonnes de supporter cela, pas de l’aimer.» Il faut dire
qu’ils ne doivent pas se réjouir des épreuves, mais de l’espérance qu’ils ont
en les supportant, de même que celui qui prend un médicament ne se réjouit pas
de l’amertume du médicament, mais de son espoir de guérir.
602. Et il dit : RÉJOUISSEZ-VOUS ET SAUTEZ DE JOIE, et il faut savoir
qu’avoir du plaisir, sauter de joie, se réjouir et être dans l’allégresse sont
une même chose en fait, avec une différence de degré. Le plaisir, au sens
propre, vient de la conjonction de la chose qu’on désire et de celle qui
convient. La joie est non seulement dans cette conjonction mais aussi dans la
perception qu’on en a. L’allégresse intérieure et l’enthousiasme sont des
effets qui suivent la joie et le plaisir, car, par ces derniers, d’abord le
cœur se dilate, donc l’allégresse [laetitia] est pour ainsi dire un élargissement [latitia] ; en outre,
non seulement le cœur se dilate intérieurement, mais quand [l’allégresse] se
manifeste, elle se voit à l’extérieur, et alors on l’appelle exultation [ex-ultation],
pour dire qu’elle apparaît à l’extérieur. Il faut se réjouir parce que ce sera
pour la confusion des infidèles et la joie des fidèles. Ainsi se réjouissait le
bienheureux Laurent sur le gril, d’après ce qu’on lit de lui.
603. Il y a deux causes de joie. Premièrement, la récompense, d’où :
CAR VOTRE RÉCOMPENSE [EST] ABONDANTE DANS LE CIEL, c’est-à-dire l’empyrée, d’où
1 Th 4, 16 : Ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Augustin
[dit] : «Par ce qu’il dit sur le ciel, il nomme l’objet du bonheur et sa
substance, qui ne sera pas dans les choses corporelles mais dans les [réalités]
spirituelles», c’est-à-dire dans la jouissance de Dieu. Et ces biens spirituels
sont symbolisés par les cieux à cause de leur solidité, de leur consistance. Il
dit : ABONDANTE, à cause de la récompense débordante des apôtres,
Lc 6, 38 : [C’est] une bonne mesure […qu’on versera dans
votre sein] ; Gn 15, 1 : Moi Dieu, ta récompense.
604. Deuxième cause [de joie] : parce qu’il faut se réjouir de
l’exemple, d’où : CAR C’EST AINSI. C’est un grand réconfort lorsque
certains sont rendus semblables aux grands ancêtres qui nous ont précédés,
Ac 7, 52 : Lequel des prophètes [vos pères n’ont-ils pas
persécuté] ? ; Jc 5, 10 : Prenez, frères, pour modèles
[de souffrance et de patience les prophètes, etc.]. Note que cela
représente la dignité du Christ, parce qu’il a ses prophètes souffrant pour lui
comme dans l’Ancien Testament, et aussi la dignité des apôtres qui sont
assimilés aux prophètes.
605. VOUS ÊTES LE SEL. Plus haut, le Seigneur a montré la dignité des
apôtres quant au fait que, dans les épreuves, ils devaient non seulement
supporter mais encore se réjouir. Maintenant il dit leur excellence quant au
fait qu’ils doivent maintenir autrui éloigné du mal, et c’est pourquoi il les
compare au sel : VOUS ÊTES [LE SEL DE LA TERRE]. À ce propos, il fait deux
choses. D’abord il détermine leur rôle pour écarter autrui du mal.
Deuxièmement, il montre comment ils doivent s’écarter eux-mêmes du mal, en cet
endroit : SI LE SEL S’ÉVANOUIT.
606. Il dit donc : VOUS ÊTES LE SEL. Il les compare au sel pour quatre
raisons. Premièrement, à cause de la génération du sel qui se fait à partir de
l’eau, grâce au vent et à la chaleur du soleil, car la génération spirituelle
se fait à partir de l’eau du baptême et par la puissance du Saint-Esprit,
Jn 3, 5 : Si quelqu’un ne renaît [d’eau et d’Esprit, il
ne peut entrer dans le royaume de Dieu], et grâce à la chaleur du soleil, c’est-à-dire
à la chaleur de l’amour qui vient du Saint-Esprit, Rm 5, 5 : L’amour
de Dieu [a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit].
607. Deuxièmement, à cause des utilisations du sel, dont la première est
que tout est assaisonné avec du sel. C’est pourquoi il représente la sagesse
que doivent avoir les apôtres, Si 6, 23 : La
sagesse de l’enseignement ; Col 4, 5 :
[Conduisez-vous] avec sagesse envers ceux du dehors.
608. La deuxième raison était [Lv 2, 13] que dans tout sacrifice
on ajoutait du sel, car l’enseignement apostolique doit briller en toute notre
œuvre.
609. La troisième raison est qu’il absorbe l’excès de liquide et préserve
ainsi de la putréfaction. Ainsi les apôtres par leur enseignement dominaient
sur les concupiscences charnelles, 1 P 4, 3 : Il suffit
bien d’avoir accompli dans le passé [la volonté des païens en se prêtant aux
débauches, etc.] ; Rm 13, 13 : Pas
de ripailles [ni d’orgies, etc.].
610. Enfin, le quatrième effet [du sel] est qu’il rend la terre stérile.
C’est pourquoi, dit-on, certains vainqueurs semaient du sel autour de la ville
qu’ils avaient prise, pour que plus rien ne pousse ; de même aussi
l’enseignement évangélique rend la terre stérile pour que les œuvres terrestres
ne poussent pas en nous, Ep 5, 11 : Ne prenez aucune part [aux
œuvres stériles des ténèbres]. Les apôtres sont donc appelés SEL parce qu’ils
ont quelque chose de piquant en éloignant [autrui] du péché,
Mc 9, 50 : Ayez du sel en vous-mêmes.
611. Mais on pourrait
dire : «Il suffit que j’aie du sel.» Non ! Il faut que les vertus du
sel te préservent du péché, et à cela il y a quatre raisons.
612.
La première
vient de l’incorrigibilité, d’où : SI LE SEL S’ÉVANOUIT. Au sens propre,
s’évanouir, c’est perdre sa force, comme le vin fort quand il perd de la force,
de même le sel quand il perd son mordant. Mc 9, 49 : Si
le sel n’est pas salé, avec quoi l’assaisonnerez-vous ? On s’évanouit
donc quand on est soumis au péché, Rm 1, 21 : Ils
se sont évanouis dans leurs cogitations. Si, à cause des épreuves ou autre, tu
t’éloignes de la vertu qui te rend salé, avec quoi donc te salera-t-on,
c’est-à-dire avec quel autre sel [te] salera-t-on ? En effet, si le peuple
pèche, il peut être corrigé, mais si c’est un supérieur, personne ne peut
l’amender. Os 8, 5 : Jusqu’à quand ne pourront-ils [recouvrer
l’innocence ?]. Et il faut noter qu’en Lc 14, 34, il est
dit : Si le sel devient insensé, car il y a une grande stupidité à perdre les
choses éternelles au profit des temporelles.
613. La deuxième raison vient de l’utilité, d’où : [IL NE SERT PLUS] À
RIEN, et Lc 14, 35 explique cela : Ni sur la terre ni sur le
fumier, parce qu’il rend la terre stérile et ne fertilise pas le fumier. De
même les spirituels, quand ils pèchent, ne sont plus bons à rien, car [ils ne
sont pas aptes] aux affaires du monde, comme [le sont] les soldats et autres,
Ez 15, 2 : Fils d’homme, pourquoi le bois de vigne
vaudrait-il [mieux que le bois de toute branche sur les arbres de la
forêt ?]. Ps 13, 3 : Tous ils sont dévoyés.
614. La troisième raison vient du danger qui menace, et elle se ramifie en
deux selon les deux dangers. Le premier est l’expulsion, d’où : QU’À ÊTRE
JETÉ DEHORS, c’est-à-dire hors de l’Église, Ap 22, 15 : Dehors
les chiens. En outre, à ce qu’on lui enlève la dignité du magistère sacerdotal,
Os 4, 6 : Parce que tu as repoussé la science [je te
rejetterai de mon sacerdoce] ; Mt 21, 43 : [Le
royaume de Dieu] vous sera ôté, et ici : A ÊTRE JETÉ DEHORS. Le
deuxième danger est de devenir sans valeur, parce que ceux qui commencent à
vivre de la vie surnaturelle puis l’abandonnent, deviennent méprisables. Ainsi,
À ÊTRE PIÉTINÉ. Lc 14, 30 : [Se moquer de lui en
disant :] Voilà un homme qui a commencé à construire, [et il ne peut
achever !] ; Ml 2, 8 : Vous
vous êtes écartés du chemin et vous en avez fait trébucher beaucoup par
l’enseignement. Et il faut noter que selon Augustin, si des saints sont méprisés comme
il est dit plus haut, 5, 11 : ET QU’ON DIRA TOUTE SORTE DE MAL, etc.,
jamais pourtant ils ne peuvent être piétinés, car ils ont toujours le cœur dans
le ciel et, au sens propre, ceux qu’on piétine sont couchés par terre.
615. VOUS ÊTES LA LUMIÈRE. Ici est présentée la troisième dignité des
apôtres. En effet, de même qu’ils doivent écarter autrui du mal, de même ils
doivent aussi éclairer. À cet égard, [le Seigneur] fait deux choses :
d’abord, il montre leur dignité ; deuxièmement, il écarte la timidité, en
cet endroit : UNE VILLE NE PEUT…
616. Il dit donc : VOUS ÊTES LA LUMIÈRE DU MONDE, sous-entendu, pas
seulement de la Judée ou de la Galilée, mais du monde entier,
Ac 13, 47 : Car ainsi vous l’a ordonné le Seigneur :
«Je t’ai établi lumière des nations.» Chose étonnante, [cette lumière] était à
peine connue dans son propre pays mais parvint à toute la terre.
617.
On objecte
qu’il semble que ce terme LUMIÈRE ne convienne qu’au Christ,
Jn 1, 8 : Lui [Jean Baptiste], il n’était pas la
lumière, et ensuite [Jn 1, 9] : [Le Verbe] était la vraie
lumière. Il faut dire que seul le Christ est lumière par essence, mais les
apôtres sont appelés lumière éclairée, c’est-à-dire par participation, comme
l’œil est lumière éclairante et pourtant éclairée.
618. Et note que ces trois choses – HEUREUX ÊTES-VOUS QUAND ON VOUS
INSULTERA ; VOUS ÊTES LE SEL ; et VOUS ÊTES LA LUMIÈRE – semblent
aller avec les trois dernières béatitudes, c’est-à-dire [la première] avec
HEUREUX CEUX QUI SUBISSENT PERSÉCUTION ; la deuxième avec HEUREUX LES
FAISEURS DE PAIX, car ils font la paix en eux et en autrui ; et la
troisième avec HEUREUX LES CŒURS PURS. Car si les apôtres furent excellents en
ces trois dernières, [ils le furent] beaucoup plus dans celles d’avant.
619.
Le Seigneur
avait dit : HEUREUX ÊTES-VOUS QUAND ON VOUS INSULTERA, et CEUX QUI
SUBISSENT PERSÉCUTION. Ils pourraient donc dire : «Nous allons supporter
tellement de persécutions ! Nous voulons donc nous cacher.» C’est pourquoi
le Seigneur écarte ensuite la timidité, d’où : UNE VILLE [SITUÉE SUR UNE
MONTAGNE] NE PEUT SE CACHER. D’abord il interdit la dissimulation ;
deuxièmement, il montre de quelle façon ils doivent se manifester, en cet
endroit : QU’AINSI VOTRE LUMIÈRE [BRILLE DEVANT LES HOMMES].
620.
Qu’ils ne
doivent pas se cacher, il le prouve par deux raisons. Premièrement, ils ne
ourraient pas, même s’ils voulaient : UNE VILLE SITUÉE SUR UNE MONTAGNE,
etc. ; deuxièmement, ils n’ont pas le droit : ON N’ALLUME PAS [UNE
LAMPE POUR LA METTRE SOUS LE BOISSEAU].
621. Tout d’abord, UNE VILLE [SITUÉE SUR UNE MONTAGNE] NE PEUT [SE CACHER].
La VILLE était le rassemblement des fidèles, c’est-à-dire le groupe des apôtres
lui-même, Ps 86, 3 : Il parle de toi pour ta gloire, [cité de
Dieu]. Elle était SITUÉE SUR UNE MONTAGNE, c’est-à-dire sur le Christ,
Mi 4, 1 : La demeure [du Seigneur] sera une
montagne ; Dn 2, 34 : Une pierre se détacha […et vint frapper la
statue…et la brisa…et la pierre devint une grande montagne]. Ou bien :
SUR UNE MONTAGNE, c’est-à-dire dans la perfection de la justice,
Ps 35, 7 : Ta justice, comme une montagne.
622. UNE VILLE SITUÉE SUR UNE MONTAGNE NE PEUT SE CACHER : ainsi en
est-il des apôtres, dit Chrysostome. Les hommes installés tout en bas, s’ils
pèchent, peuvent se cacher ; mais s’ils sont installés au sommet, ils ne
peuvent pas, 1 R 1, 20 : C’est vers toi [monseigneur le
roi] que les yeux de tout Israël regardent.
623.
Hilaire
donne une autre explication mais c’est presque le même sens : la VILLE SUR
UNE MONTAGNE, c’est le Christ, parce que la ville relève de la nature humaine
qu’il a en commun avec nous, Jr 1, 18 : Aujourd’hui
je t’ai établi comme ville [fortifiée]. Il est SUR UNE MONTAGNE, car [il est] sur la
divinité qui est une montagne, Ps 67, 16 : Montagne
de Dieu, montagne grasse. C’est pourquoi le Christ n’a pu rester invisible,
et c’est pourquoi vous, [mes] apôtres, vous n’avez pas le droit de m’occulter.
624. Le deuxième point commence en cet endroit :
ET ON N’ALLUME PAS [UNE LAMPE POUR LA METTRE SOUS LE BOISSEAU], comme s’il
disait : «Même en supposant qu’on puisse [se] cacher, vous n’avez pas le droit.
Car personne, recevant un bienfait, n’a le droit d’agir contre l’intention du
donateur. Dieu vous a donné la science pour que vous la communiquiez.»
1 P 4, 10 : Chacun selon la grâce reçue, [mettez-vous au
service les uns des autres]. Ainsi, ON N’ALLUME PAS UNE LAMPE. ON, c’est-à-dire
les hommes, ou le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
625. Par LAMPE on peut comprendre d’abord l’enseignement évangélique,
Ps 118, 105 : Une lampe pour mes pieds, [ta parole, une
lumière sur ma route], car la lampe a une lumière incorporée. La lumière
de la vérité a été mise dans l’Écriture sainte ; elle a été allumée par le
Père et le Fils et le Saint-Esprit.
Ou bien par LAMPE
on peut comprendre les apôtres en tant que la lumière de la grâce a été mise en
eux, Jn 5, 35 : Celui-là [Jean Baptiste] était la lampe [qui
brûle et qui luit]. Ps 131, 17 : J’ai
préparé une lampe [pour mon Messie]. Ou bien par LAMPE [on entend] le Christ, car
de même que la lampe est une lumière dans une poterie d’argile, de même la
divinité [est] dans l’humanité, 2 R [2 S] 22, 29 : C’est
toi [Seigneur] ma lampe.
626. La lampe ainsi comprise, par LE BOISSEAU nous pouvons entendre trois
choses. Premièrement, selon Augustin, les choses corporelles, pour deux
raisons : la première est que le boisseau est une mesure,
Dt 25, 15. Or, ce que nous faisons dans le corps nous sera payé de
retour, 2 Co 5, 10 : Car il faut que tous nous
soyons mis à découvert [devant le tribunal du Christ, pour que chacun récupère
ce qu’il aura fait, en bien ou en mal, pendant qu’il était dans son corps]. Ou bien parce que
tous les corps sont mesurables. Or, les choses divines [sont] infinies, car
elles dépassent la mesure. Donc ceux qui mettent LA LAMPE SOUS LE BOISSEAU sont
ceux qui rapportent leur enseignement à l’intérêt temporel, car celui-ci est
plus précieux [pour eux]. À l’encontre de cela, l’Apôtre [dit en]
1 Th 2, 5 : Jamais nous n’avons eu [un mot de flatterie
ni une arrière-pensée de cupidité].
627. En second lieu, selon Chrysostome, on appelle BOISSEAU les gens du monde,
car ils sont vides en haut et consistants en bas. En effet, en haut, ils sont
insensés puisqu’ils ne comprennent rien au Saint-Esprit,
1 Co 2, 14 : L’homme animal [ne perçoit pas ce qui est de
l’Esprit de Dieu]. Mais en bas, pour les affaires du monde, ils sont avisés,
Lc 16, 8 : Les fils de ce monde [sont plus avisés que
les fils de lumière]. Cette interprétation est plus littérale. Ainsi
donc, selon ce [point de vue], la lampe est mise SOUS LE BOISSEAU quand
l’enseignement est occulté par peur mondaine, Is 51, 12 : Qui
es-tu pour craindre l’homme ? 2 Tm 2, 9 : [Pour
lui] je souffre jusqu’à porter des chaînes.
628. En troisième lieu, si par la LAMPE on entend l’enseignement
évangélique ou le Christ, alors par LE BOISSEAU on peut entendre la Synagogue,
car le Christ ne s’est pas incarné pour demeurer caché en Judée, mais pour se
manifester au monde entier, Is 49, 6 : Je
t’ai établi lumière [pour les nations].
629. MAIS SUR LE LAMPADAIRE. Cela peut s’expliquer de trois façons, car LE
LAMPADAIRE peut représenter le corps, et la LAMPE l’enseignement évangélique.
LE BOISSEAU et LE LAMPADAIRE sont donc la même chose. [C’est] comme s’[il
disait] : «L’enseignement évangélique ne doit pas être mis sous les choses
temporelles ; toutes choses doivent être à son service. Donc quand tu
donnes tes biens, ton corps et même ta vie à la mort par amour du Christ, tu
mets la lampe SUR LE LAMPADAIRE.» Ou bien par LE LAMPADAIRE, on entend
l’Église, car ceux qui sont une lampe sont placés en hauteur,
Si 26, 17 : Une lumière brillant [sur un lampadaire
sacré]. Mais si on voit [dans la lampe] l’image du Christ, alors LE LAMPADAIRE
est la croix, Col 1, 20 : [En faisant la paix] par le
sang de sa croix.
630. POUR QU’ELLE BRILLE POUR TOUS. Il y a deux explications à cela :
premièrement, la maison peut représenter l’Église,
1 Tm 3, 15 : Que tu saches comment te comporter [dans la
maison de Dieu] ; deuxièmement, la maison est le monde entier,
He 3, 4 : Car toute maison est construite [par
quelqu’un, et celui qui a tout construit, c’est Dieu].
631. Ensuite est présentée la façon dont ils doivent se manifester.
Premièrement, il aborde la façon dont ils doivent briller DEVANT LES HOMMES en
les éclairant, Ep 3, 8 : Mais à moi, le plus petit de
tous les saints, [a été confiée cette grâce d’annoncer aux païens etc.] ; deuxièmement, il
aborde l’ordre, DE SORTE QU’ILS VOIENT [VOS BONNES OEUVRES],
Jc 2, 18 : Montre-moi [ta foi sans les œuvres, moi]
c’est par les œuvres que [je te montrerai ma foi] ; troisièmement, la fin, car ce
n’est pas pour la gloire personnelle, 2 Co 2, 17 : Nous
ne sommes pas comme la plupart [qui frelatent la parole de Dieu]. Ainsi, ILS
GLORIFIENT [VOTRE PERE QUI EST AUX CIEUX]. Car c’est pour la gloire de Dieu que
nous devons faire le bien, pour que, par une vie bonne, Dieu soit glorifié,
1 Co 10, 31 : Manger, [boire ou autre, tout ce que vous
faites, faites-le pour la gloire de Dieu].
632. NE PENSEZ PAS [QUE JE SUIS VENU ABOLIR LA LOI OU LES PROPHÈTES]. Note
ici que le Seigneur a accompli la loi de cinq façons : premièrement, parce
qu’il a accompli lui-même ce qui était préfiguré, Lc 22, 37 : Il
faut que s’accomplisse [en moi ceci qui est écrit] ; deuxièmement, en
observant les prescriptions légales, Ga 4, 4 :
Quand fut venue la plénitude [du temps, Dieu envoya son Fils] ; troisièmement, en
opérant par la grâce, c’est-à-dire en sanctifiant par l’Esprit Saint, ce que la
loi ne pouvait faire, Rm 8, 3 : Car ce qui était impossible [à
la loi, Dieu en envoyant son Fils, etc.] ; quatrièmement, en
satisfaisant pour les péchés par lesquels nous étions devenus transgresseurs de
la loi : la transgression enlevée, il accomplit la loi,
Rm 3, 25 : Lui que Dieu a exposé comme
propitiation ; cinquièmement, en ajoutant à la loi des
parachèvements qui portaient soit sur le sens de la loi, soit pour une plus
grande perfection de la justice.
633.
Note que la
loi est abolie de trois façons : en la niant totalement, en l’expliquant
mal, ou en n’accomplissant pas la morale.
634. NE PENSEZ PAS…Une fois exposé le bonheur à quoi tend son enseignement,
le Christ commence ici à faire connaître son enseignement. Premièrement, il
découvre son intention ; deuxièmement, il propose la règle et les
préceptes de son enseignement, en cet endroit : CAR JE VOUS DIS, [JUSQU’À
CE QUE PASSENT CIEL ET TERRE, etc.].
635.
À propos du
premier point, il fait deux choses : premièrement, il rejette l’opinion
reçue ; deuxièmement, il établit parallèlement la vérité, en cet
endroit : JE NE SUIS PAS VENU [ABOLIR MAIS ACCOMPLIR].
636. Le Seigneur avait dit aux apôtres [5, 11] : HEUREUX
SEREZ-VOUS QUAND ON VOUS INSULTERA, etc. Les apôtres pouvaient donc se douter
que l’enseignement qu’ils auraient à transmettre serait tel qu’ils devraient se
cacher. Comme si le Christ disait quelque chose contre la loi ! C’est pourquoi
le Seigneur exclut cette [hypothèse] en disant : NE PENSEZ PAS QUE, etc.
En outre, c’est parce qu’on pourrait dire que nul autre prophète, après Moïse
qui l’a donnée, n’a aboli la loi, que le Seigneur a dit que lui allait
l’amplifier, d’où : MAIS L’ACCOMPLIR. Car nul ne l’a accomplie.
637. Note que cette parole est très efficace contre ceux qui condamnent la
loi comme si elle venait du diable, 1 Jn 3, 8 : [C’est
pour détruire les œuvres du diable] que le Fils de Dieu est apparu. Mais lui-même
confesse : JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI. Elle n’est donc pas l’œuvre
du diable. C’est par cet argument que quelqu’un fut converti à la foi et devint
frère prêcheur.
638.
C’est
pourquoi les manichéens détestent beaucoup ce chapitre, et Faustus a fait
beaucoup d’objections, selon Augustin, et toutes les objections se ramènent à
trois. D’abord à partir de l’autorité de la loi, car il est dit en
Dt 4, 2 : On n’ajoutera rien à la parole que je vous
dis, et on ne retranchera rien. Or, le Christ a ajouté. Donc il a agi contre
la loi. Deuxièmement, aussi en He 8, 13 : En
disant «alliance nouvelle» il a rendu caduque la première, etc. Or, le Christ a
dit qu’il instituait une nouvelle loi, Mt 26, 28 : Ceci
est mon sang, [le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en
rémission des péchés]. Donc il a détruit l’ancienne. Troisièmement,
Jn 13, 15 : Je vous ai donné l’exemple [pour que vous
fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous]. Donc toute action
du Christ est un véritable enseignement. S’il accomplit, nous devons donc nous
aussi accomplir : en conséquence, nous devons être circoncis et observer
toutes les prescriptions légales. Cette [objection] est commune aux nazaréens
et aux manichéens. Faustus disait que soit ces paroles n’ont pas été dites par
Jésus mais par Matthieu qui n’a pas assisté au sermon, et que Jean qui y était
n’en a pas parlé ; soit si le Christ [les] a dites et Matthieu écrites,
l’évangile s’explique autrement. Car dans l’Écriture sainte, la loi s’entend de
trois façons : la loi de Moïse, Rm 7, 6 :
Nous sommes libérés de la loi de mort [dans laquelle nous étions détenus, afin
de servir dans la nouveauté de l’Esprit, et non dans la vétusté de la
lettre] ; la loi naturelle, Rm 2, 14 : Quand des païens qui n’ont pas
de loi [font naturellement ce que dit la loi, bien que n’ayant pas de loi ils
sont à eux-mêmes une loi] ; la loi de vérité, Rm 8, 2 : La
loi de l’Esprit [de la vie en Jésus Christ m’a libéré de la loi de péché et de
mort].
639.
Ainsi il y a
donc trois preuves [tirées] de l’ancienne loi, de la loi naturelle,
Tt 1, 12 : L’un d’eux, leur propre prophète, a
dit : «Crétois, [perpétuels menteurs»], etc., [et de la loi]
de vérité, Mt 23, 24 : Voici, j’envoie vers vous [des prophètes,
des sages et des scribes].
640.
Ce qu’il dit
ici, JE NE SUIS PAS VENU, etc., doit donc être compris de la loi naturelle ou
de vérité, qui se trouve aussi chez certains anciens pères. Un signe de cela,
c’est que le Seigneur, quand il parlait des préceptes, paraissait en approuver
certains, et d’autres non, en tout cas ceux qui sont propres à la loi de Moïse,
comme celui-ci : Oeil pour œil, et d’autres du
même genre.
641. Mais voici les objections d’Augustin à ces [arguments]. Premièrement,
quiconque nie quelque chose de l’Evangile, pourra, avec une raison égale, nier
n’importe quoi d’autre et ainsi annuler l’Écriture ; mais un homme de foi
doit croire tout ce qui est dans l’Écriture. Deuxièmement, ce que dit
[Faustus] : «Il parle d’une autre loi et [d’autres] prophètes», est faux
car, dans tout le Nouveau Testament, il est question partout de la loi,
comprise comme la loi de Moïse, Rm 9, 4 : À
qui appartiennent [l’adoption filiale, la gloire, les alliances], la
législation, [le culte, les promesses] ? Le Seigneur, lui aussi, parle donc d’elle.
Par conséquent, il faut voir d’abord comment le Christ est venu accomplir la
loi et ensuite nous résoudrons les arguments.
642. Il faut donc savoir que le Christ a accompli la loi et les prophètes
de cinq façons. Premièrement, parce que ce qui était préfiguré dans la loi et
les prophètes à propos du Christ, il l’a accompli en acte,
Lc 24, 44 : Il faut que s’accomplisse [tout ce qui est
écrit de moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes] ; deuxièmement, en
observant les prescriptions légales à la lettre, Ga 4, 4 :
Quand vint la plénitude [du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né
sujet de la loi] ; troisièmement, en faisant grâce, ce que la loi
naturelle ne pouvait faire, car toute loi est faite pour que nous soyons rendus
justes, mais le Christ a fait cela par l’Esprit Saint, Rm 8, 3 :
Car ce qui était impossible à la loi, [impuissante du fait de la chair,
Dieu en envoyant son Fils avec une chair semblable à celle du péché,
etc.] ; quatrièmement, selon Augustin, en satisfaisant pour les péchés par
lesquels nous étions devenus transgresseurs de la loi, et par conséquent, en
enlevant la transgression, on dit qu’il a accompli la loi,
Rm 3, 25 : Lui que Dieu a exposé comme propitiation,
etc. ; cinquièmement, en ajoutant à la loi des parachèvements, soit sur le
sens de la loi, soit pour une plus grande perfection de la justice,
He 7, 19 : [Car la loi] n’a [amené] personne à la
perfection.
643.
Et telle
paraît être l’intention du Christ, car après avoir mentionné toutes les
prescriptions légales, il a ajouté : SOYEZ PARFAITS COMME VOTRE PÈRE
CÉLESTE EST PARFAIT (5, 48).
644. Donnons donc aux arguments de Faustus la même solution qu’Augustin. À
[l’argument] : On n’ajoutera pas de parole (Dt 4, 2),
il faut dire que le Christ n’a pas ajouté mais expliqué. En effet, eux
comprenaient [que Dieu parlait] de l’acte d’homicide quand il a dit : Tu
ne tueras pas, mais le Christ a expliqué qu’il a interdit aussi la haine et la
colère. Et à [cet argument] : En disant «alliance nouvelle», il rend
caduque la première (He 8, 13), il faut dire que cette
«nouvelle» [alliance] est la même, car celle-là était la figure et celle-ci
[est] l’accomplissement des figures. À [l’argument] que nous devons respecter
les observances, il faut dire qu’on peut signifier quelque chose par des façons
de parler et des figures, mais que, quel que soit le mode d’expression, le sens
n’est pas différent. Avant que le Christ naisse, on a pu dire : « Le
Christ va naître et mourir», et maintenant on dit : «Le Christ est né», et
des choses de ce genre, et pourtant cela est exprimé sous forme de figure,
parce que le fait passé et le fait futur sont énoncés avec des mots différents.
C’est pourquoi ce qui est signifié en images comme devant avoir lieu, une fois
que cela a eu lieu, on l’exprime en tant que fait présent par des images
nouvelles, c’est-à-dire les sacrements de la nouvelle loi. C’est pourquoi le
Christ, bien qu’il ait accompli [la loi], cependant, parce que la vérité est
déjà venue, quiconque [l’observerait] ferait injure à la vérité. C’est donc ainsi
que se comprend : JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR.
645. AMEN, JE VOUS DIS, [AVANT QUE PASSENT CIEL ET TERRE, PAS UN IOTA, PAS
UN PETIT TRAIT NE DISPARAÎTRA DE LA LOI, QUE TOUT NE SE RÉALISE.] Ici est abordée la raison de
l’accomplissement, et elle paraît donner trois justifications : la
première, à cause de l’immuabilité de la loi ; la deuxième, à cause de la
peine encourue par ceux qui la violent ; la troisième, à cause de la
récompense de ceux qui l’accomplissent. Le second point [se trouve] en cet
endroit : QUI VIOLERA. Le troisième, en cet endroit : QUI FERA ET
ENSEIGNERA.
646. [Le Seigneur] dit donc : AMEN, et il faut savoir que dans
l’ancienne loi furent préfigurés tous les mystères du Christ, mais, comme dit
Am 3, 7 : Le Seigneur ne fait rien dont il n’ait
révélé [le secret à ses serviteurs les prophètes]. Les mystères du
Christ dureront donc jusqu’à la fin ultime, Mt 28, 20 : Voici,
je suis avec vous [pour toujours jusqu’à la fin du monde]. Les mystères des
prophètes n’ont donc pas été tous accomplis par la première venue du
Christ ; non, ils s’accompliront jusqu’à la fin du monde. Et ce qu’il a
dit ne peut être changé, Nb 23, 19 : Est-ce le Seigneur qui a dit et
ne fait pas ? Si la loi a prédit ce qui va arriver, il faut aussi que cela arrive nécessairement.
C’est pourquoi il dit : AMEN, JE VOUS DIS, c’est-à-dire tout s’accomplira
successivement jusqu’à la fin du monde. Il faut savoir qu’AMEN est de l’hébreu,
et aucun traducteur, par respect pour ce mot que le Seigneur employait souvent,
n’a osé le changer. Tantôt il est pris comme nom, AMEN, « en
vérité » ; tantôt, comme ici, il est un adverbe, «vraiment» ;
tantôt il signifie «ainsi soit-il», comme dans le psaume, Ps 40, 14,
où, au lieu de «ainsi soit-il», nous [disons] en hébreu amen. C’est pourquoi
on dit ce vers : Pour « vrai, vraiment, ainsi
soit-il », on dit : Amen.
Ici, le Seigneur
éveille donc l’attention de l’auditoire.
647. JUSQU’À CE QUE PASSENT, non selon la substance mais selon la
disposition, 1 Co 7, 31 : Car elle passe, la figure [de
ce monde] ; 2 P 3, 12 : [L’avènement du jour de Dieu
où] les cieux enflammés [se dissoudront et où les éléments embrasés se
fondront].
JUSQU’ À CE
QUE : jusqu’à la fin du monde.
648. IOTA. Iota en grec est la lettre que nous appelons i. En
hébreu, on l’appelle yod. Iota en grec représente le i, et c’est la neuvième
lettre (car chaque lettre représente quelque nombre). Elle tend donc à la
perfection du décalogue, et c’est peut-être pour cela qu’il a mis IOTA plutôt
que yod, de l’avis des saints.
649.
On met de
petits signes au-dessus des lettres, tant en hébreu qu’en grec, mais pour des
raisons différentes, car en hébreu, aleph se prononce tantôt a tantôt é, et on s’y
reconnaît grâce à des points, et c’est eux qu’on appelle [en latin] apex
[« petit
trait »]. En grec, les signes qu’on met au-dessus des lettres servent à
distinguer les aspirations et les accents [toniques], et ces signes s’appellent
aussi apex pour les Grecs. Le Seigneur veut donc dire qu’il n’y a rien, même minime,
qui ne doive être accompli.
650. QUI VIOLERA. Ici est abordée la deuxième raison, elle est prise du
châtiment de ceux qui violent la loi, comme [s’il disait] : «Quiconque la
violera sera passible de châtiment comme transgresseur de l’observance divine.»
Or, ce sont de très petits commandements, selon Chrysostome, que les
commandements du Christ. Ainsi, QUI VIOLERA UN DE CES TRÈS PETITS PRÉCEPTES que
je vais dire. Et il continue ainsi : «La loi ne peut être abolie, donc
puisque je ne l’abolis pas, quiconque l’abolira sera passible de châtiment.»
651. Et on les appelle TRÈS PETITS d’abord à cause de leur humilité, de
même qu’il s’appelle lui-même très petit, Mt 18, 3 : Si
vous ne devenez [comme les tout petits, vous n’entrerez pas, etc.]. Ou bien on les
appelle TRÈS PETITS par rapport à la transgression, car celui qui les viole
pèche moins, mais les préceptes du Christ sont plus grands que la loi en ce qui
concerne l’observance, car la loi prescrit : Tu ne tueras pas, et le Christ de
ne pas se mettre en colère.
652.
Augustin et
Jérôme parlent autrement : c’est littéralement qu’il parle des TRÈS PETITS
PRÉCEPTES qui sont dans la loi, parce qu’il dit : UN IOTA et UN PETIT
TRAIT, et on les appelle TRÈS PETITS parce que les principaux sont : Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu, et ton prochain. Certaines observances sont donc appelées
TRÈS PETITS PRÉCEPTES, comme beaucoup [de ceux du chapitre] 19 du Lévitique. Et il dit cela
pour se moquer des pharisiens, car les pharisiens à cause de leurs observances
en transgressaient beaucoup, Mt 15, 6 :
Vous avez annulé [la parole de Dieu au nom de votre tradition].
653.
La loi est
violée de trois façons : premièrement, en entier, lorsqu’on la
refuse ; deuxièmement, en l’interprétant mal ; troisièmement, en n’en
accomplissant pas les prescriptions.
654. ET ENSEIGNERA. Celui qui agit mal est en tort, mais encore plus en
tort celui qui enseigne aux autres à mal agir, Ap 2, 14 : Tu
en as qui tiennent la doctrine de Balaam. C’est pourquoi il dit : QUI VIOLERA ET
ENSEIGNERA, à savoir, à violer les commandements. Et d’après cela, il semble
que celui qui les viole sera AU ROYAUME DES CIEUX. Mais il faut savoir que,
selon Augustin, le ROYAUME DES CIEUX signifie ici la vie éternelle, et le
Seigneur a voulu donner à comprendre que nul n’y sera QUI VIOLERA ET
ENSEIGNERA, etc., car il n’y aura là que du grand, Rm 8, 30 : Ceux
qu’il a rendus justes, [il les a aussi glorifiés]. C’est pourquoi
celui qui est trop petit n’entrera jamais.
655. Deuxièmement, selon Raban, c’est ainsi : les hommes cherchent la
renommée auprès des hommes parce que c’est une gloire d’être réputé grand au
royaume des hommes ; mais QUI VIOLERA (…) SERA APPELÉ LE PLUS PETIT AU
ROYAUME DES CIEUX…en n’y étant pas ! Car y est considéré comme petit celui
qui transgresse les commandements, et comme LE PLUS PETIT celui qui enseigne à
les transgresser. Cette [explication] est assez bonne.
656.
Chrysostome
[explique] autrement : parfois l’Écriture appelle ROYAUME DES CIEUX le
jugement final, comme dit le psaume, Ps 96, 1 : Le
Seigneur a régné, etc., et là il y aura des classes diverses, et, dans la
plus petite, celui qui enseigne à transgresser les commandements, parce que
dans cette optique, même ceux qui sont en enfer sont concernés par le royaume
des cieux.
657.
Grégoire [dit]
que [le royaume des cieux signifie] l’Église, d’où : IL SERA APPELÉ LE
PLUS PETIT dans l’Église, parce que celui dont la vie est méprisée, ce qui
l’attend, c’est que sa prédication soit dédaignée.
658. QUI FERA ET ENSEIGNERA. Grand celui qui agit bien, plus grand celui
qui fait et enseigne. Il aura donc une plus grande gloire,
Mt 10, 32 : Qui se déclarera pour moi [devant les hommes,
moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père]. Sg 19, 22 :
De toutes les manières, Seigneur, tu as magnifié ton peuple [et tu l’as
glorifié].
659. MAIS JE VOUS DIS : «SI VOTRE JUSTICE N’ABONDE PAS PLUS [QUE CELLE
DES SCRIBES ET DES PHARISIENS].» Plus haut, le Seigneur a montré que son
intention n’était pas d’abolir la loi mais de l’accomplir. Ici il commence donc
à l’accomplir.
660.
Dans la loi
il y avait quatre choses : des préceptes moraux, des prescriptions
légales, des symboles, et des promesses. Le Seigneur accomplit en paroles trois
de ces choses : la morale, les promesses et les dispositions légales, c’est-à-dire
qu’il enseigne à les accomplir ; quant aux symboles, il les a accomplis en
actes dans sa Passion. C’est pourquoi cette partie se divise en trois :
premièrement, il accomplit la loi quant aux préceptes moraux ;
deuxièmement quant aux promesses ; troisièmement quant aux prescriptions
légales.
661.
Les
préceptes moraux sont de deux espèces : des interdictions et des
permissions. Premièrement, il accomplit les premiers ; deuxièmement, les
seconds, en cet endroit : IL A ÉTÉ DIT : [QUI RÉPUDIERA, etc.],
Mt 5, 31.
662.
À propos du
premier point, il fait deux choses : premièrement, il interdit
l’homicide ; deuxièmement, l’adultère, en cet endroit : VOUS AVEZ ENTENDU
[QU’IL A ÉTÉ DIT] : «TU NE FERAS PAS D’ADULTÈRE» [5, 27].
663.
À propos du
premier point, il fait deux choses : d’abord il présente la
nécessité ; deuxièmement l’accomplissement, en cet endroit : VOUS
AVEZ ENTENDU.
664. Il dit donc : JE VOUS DIS [ : «SI VOTRE JUSTICE N’ABONDE PAS
PLUS].» Notez que JUSTICE est pris dans deux sens : parfois elle est une
vertu particulière, une des quatre cardinales, et elle a une matière
déterminée, c’est-à-dire des biens variables qui servent à l’usage de la
vie ; ailleurs on l’appelle une vertu générale, qui est la vertu commune
que le Philosophe appelle justice légale et qui concerne l’accomplissement de
la loi. C’est l’acception qu’elle a ici.
665. PLUS QUE CELLE DES SCRIBES. Et il dit : DES SCRIBES ET DES
PHARISIENS, car ceux-ci étaient supérieurs en justice légale parce qu’ils
rajoutaient encore des observances. Pour indiquer l’excellence du Nouveau
Testament, [le Seigneur] montre donc que celui-ci surpasse même leur justice.
C’est pourquoi on dit qu’il est plus petit dans le royaume des cieux,
c’est-à-dire que l’Église est plus grande que lui. Le sens est donc : SI
VOTRE JUSTICE N’ABONDE PAS PLUS (c’est-à-dire n’est pas plus parfaite) QUE
CELLE DES SCRIBES ET DES PHARISIENS, VOUS N’ENTREREZ PAS, etc.
666. Et il faut savoir que le statut de l’Evangile est intermédiaire entre
le stade de la loi et [celui] de la gloire, et cela est évident, car en
Ga 4, 3, l’Apôtre compare le stade de la loi à l’enfance et
l’Evangile à l’âge adulte, et il dit [Ga 4, 3‑4] : Tant
que nous étions enfants [nous étions asservis aux éléments du monde, mais quand
vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, etc.], et avant
[Ga 3, 24] : La loi nous servit de pédagogue [jusqu’au
Christ], et en 1 Co 13, 11 : Quand j’étais enfant, [je
parlais en enfant, etc.]. Il y a donc un état intermédiaire, et cela est
naturel, car nul ne peut parvenir à un but sans en dépasser un autre. En effet,
nul ne peut arriver à la vieillesse sans passer par l’enfance. Ainsi le
Seigneur dit qu’on ne peut parvenir au stade du royaume des cieux sans passer
par, etc. De plus, la récompense est gagnée avec une plus grande peine,
2 Co 9, 6 : Qui sème chichement [moissonnera aussi
chichement ; qui sème largement moissonnera aussi largement]. Or, dans la loi,
il y avait des promesses temporelles et terrestres, Is 1, 19 : Si
vous voulez bien [obéir, vous mangerez les produits du terroir], mais ici les
promesses sont célestes. La justice doit donc abonder en nous parce que la
récompense attendue est plus grande.
667. Une objection se pose à propos de ce que dit le Seigneur : SI VOTRE
JUSTICE N’ABONDE PAS PLUS, etc. La justice de la loi consiste à accomplir le
décalogue. Or, qui accomplit les préceptes du décalogue aura la vie éternelle,
Mt 19, 17 : Si tu veux entrer dans la vie, [observe les
commandements]. Première solution : on dit généralement que ceux qui observent le
décalogue n’ont jamais pu entrer, sinon par la foi et par la rédemption du sang
du Christ, Ga 2, 21 : Car si la justice vient de la loi, [c’est
donc que le Christ est mort pour rien]. Et c’est pourquoi il faut dire que
ceci : Si tu veux entrer dans la vie, [observe les
commandements], est à comprendre en supposant la foi. Or, les scribes et les
pharisiens n’avaient pas la foi, Rm 9, 31[‑32] : Tandis
qu’Israël qui poursuivait la loi de justice n’a pas atteint la loi.
Pourquoi ? Parce qu’[au lieu de recourir à la foi, ils comptaient sur les
œuvres]. Et cette solution est assez bonne.
668. Une autre [solution est donnée par] Augustin : il dit que tous
ces accomplissements que le Christ fait sont tous contenus dans l’ancienne loi,
parce que là aussi la colère est interdite, Lv 19, 17 :Tu
n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère. Qu’est-ce que le
Seigneur a donc ajouté ? Il faut dire qu’il ajoute quant à la mauvaise
compréhension des scribes et des pharisiens, qui croyaient que dans le
précepte : Tu ne tueras pas, n’étaient
interdits que les actes d’homicide, exception faite de ceux [causés] par la
peur. Le Seigneur a donc expliqué cela, et c’est pourquoi il ne dit pas
simplement : « Si votre justice n’abonde pas plus que la loi »,
mais SI VOTRE JUSTICE N’ABONDE PAS PLUS QUE CELLE DES PHARISIENS.
669. Encore une autre solution d’Augustin : le Christ avait dit :
QUI FERA ET ENSEIGNERA..., et QUI VIOLERA... Or, les scribes et les pharisiens
ne font pas et enseignent, Mt 23, 3 : Car
ils disent [et ne font pas]. SI VOTRE JUSTICE N’ABONDE PAS PLUS, etc. signifie
donc : «Ce que vous dites, faites-le aussi.»
VOUS N’ENTREREZ
PAS [DANS LE ROYAUME DES CIEUX].
670. Mais il reste une autre question, car le Seigneur a dit : DONC
QUI VIOLERA… SERA APPELÉ LE PLUS PETIT DANS LE ROYAUME DES CIEUX, et qui ne
surpasse pas n’entrera pas. Donc qui viole y sera.
671.
Chrysostome
donne cette solution : être dans le royaume, c’est autre chose que d’y entrer,
car, à proprement parler, ceux-là entrent qui ont part à la propriété du
royaume, mais ceux qui y sont, sont ceux qui s’arrêtent à un stade quelconque.
Ainsi, même de ceux qui sont détenus en prison, on peut dire qu’ils sont dans
le royaume. Il en est de même des cieux, car ceux qui sont condamnés à une
peine sont dans le royaume, mais ils ne participent pas au règne.
672.
Augustin
explique autrement : il dit que nous pouvons comprendre par là que le
royaume des cieux est de deux sortes : un où n’entrent que ceux qui ont la
justice, et un autre où entrent ceux qui la violent, et c’est l’Église
présente.
673. VOUS AVEZ ENTENDU [QU’IL A ÉTÉ DIT AUX ANCÊTRES : «TU NE TUERAS
PAS. CELUI QUI TUE SERA PASSIBLE DU TRIBUNAL].» Ici est abordé l’accomplissement
du commandement, et à ce propos [le Seigneur] fait trois choses :
premièrement, il présente les commandements ; deuxièmement, il les
accomplit ; troisièmement, il exhorte à observer l’accomplissement. Le
deuxième point [se trouve] en cet endroit : MOI JE VOUS DIS : [QUI SE
MET EN COLÈRE CONTRE SON FRÈRE], [5, 22], et le troisième, en cet
endroit : DONC SI TU PRÉSENTES TON OFFRANDE [5, 23].
674.
À propos du
premier point, il fait deux choses : il présente d’abord les commandements
sur l’interdiction de l’homicide ; deuxièmement, le châtiment de
l’homicide.
675. Il dit donc : VOUS AVEZ ENTENDU [QU’IL A ÉTÉ DIT AUX
ANCÊTRES : «TU NE TUERAS PAS]», Ex 20, 13 et Dt 5, 17.
Et il dit : AUX ANCÊTRES, car, selon Chrysostome, de même que si un maître
dit à un de ses élèves : «Il y a longtemps que je t’ai enseigné
l’alphabet, il est temps maintenant que tu apprennes des choses plus
importantes», de même le Seigneur [dit], He 5, 12 : Alors
qu’[avec le temps vous devriez être devenus] des maîtres, [vous avez de nouveau
besoin qu’on vous enseigne les premiers rudiments des oracles de Dieu].
676. Et il faut noter que, sur ce commandement, on fait trois erreurs.
Premièrement, certains ont dit qu’il n’était pas permis de tuer même de petits
animaux, mais cela est faux, car ce n’est pas péché d’utiliser ce qui est
soumis au pouvoir humain, puisque c’est l’ordre naturel que les plantes soient
pour la nourriture des animaux, certains animaux pour la nourriture d’autres
animaux, et tous pour la nourriture de l’homme, Gn 9, 3 : [Tout
ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture ; je vous
donne tout cela] au même titre que la verdure des plantes. Et le Philosophe
aussi dit, dans La politique, que la chasse est
comme une guerre juste.
677. Deuxièmement, il y a l’erreur de ceux qui ont dit : TU NE TUERAS
PAS, sous-entendu : l’homme. Et ils appellent homicides tous les juges
séculiers, qui condamnent selon certaines lois. Contre quoi Augustin dit que
Dieu ne s’est pas privé du pouvoir de tuer, d’où Dt 32, 39 : C’est
moi qui fais mourir et qui fais vivre, etc. Il est donc permis [aux juges] de tuer par
mandat de Dieu, car alors c’est Dieu qui agit. Or, toute loi est mandat de
Dieu, Pr 8, 15 : C’est par moi que les rois règnent ;
Rm 13, 4 : Car ce n’est pas sans cause que [l’autorité
porte] l’épée, [elle est un instrument de Dieu pour faire justice et châtier
celui qui fait le mal]. Il faut donc comprendre : TU NE TUERAS PAS de
ta propre autorité.
678. La troisième erreur est que certains ont cru : TU NE TUERAS PAS
autrui, mais le suicide est permis. En effet, on trouve cela à propos de
Samson, de Caton, et de certaines vierges qui se sont jetées dans les flammes,
suivant ce que cite Augustin. Mais Augustin répond que qui se tue, tue un
homme, et qu’on ne doit ni tuer autrui sans l’autorité de Dieu, ni se tuer
soi-même, sinon par la volonté de Dieu ou par l’impulsion du Saint-Esprit, et
c’est l’excuse de Samson.
679. QUI TUE. Ici est abordé le châtiment : SERA PASSIBLE DE JUGEMENT,
c’est-à-dire du châtiment que la loi lui adjugera, Ex 21, 12 [Qui
frappe quelqu’un et cause sa mort sera mis à mort].
680. MAIS MOI JE DIS, etc. Une fois présenté le commandement de l’ancienne
loi, ici le Seigneur l’accomplit, et cet accomplissement n’évacue pas la loi
mais au contraire la complète, car celui qui se met en colère est enclin à
l’homicide, mais quand il se met en colère, il ne commet pas d’homicide. D’une
certaine façon, cet [accomplissement] est contenu dans ce commandement, car
cette loi a été donnée par Dieu, et il y a une différence entre la loi humaine
et la loi divine, car l’homme est juge des actes extérieurs, et Dieu des actes
intérieurs, 1 R [1 S] 6, 7 : L’homme regarde à l’apparence
mais Dieu regarde au cœur. TU NE TUERAS PAS inclut donc aussi le mouvement
qui pousse à tuer.
681. Mais il y a deux mouvements qui poussent à nuire au prochain : la
colère et la haine. En effet, la haine n’est pas la même chose qu’une colère
enracinée, mais à partir de la cause on peut prévoir [l’effet], car la haine
naît d’une colère enracinée. Il y a donc une différence, car la colère ne
désire pas de mal au prochain, sauf dans la mesure où elle veut se
venger ; puis quand la vengeance a eu lieu, la colère se calme. Mais dans
la haine, le préjudice est voulu pour lui-même, et jamais ce désir ne se calme.
Il est donc plus grave d’être mû par la haine que par la colère. Or, Dieu
interdit d’être mû, non seulement par la haine, mais aussi par la colère, qui
est pourtant moins grave. 1 Jn 2, 11 : Celui
qui hait son frère [est dans les ténèbres].
682. [Le Seigneur] indique trois degrés de la colère. Premier degré :
la colère latente dans le cœur ; deuxième degré : la colère qui
paraît à l’extérieur ; troisième degré : [la colère] sort avec
violence et cause préjudice. Le premier [se trouve] en cet endroit : MAIS
MOI JE VOUS DIS : [QUI SE MET EN COLÈRE CONTRE SON FRÈRE], et Augustin dit
qu’on doit lire «sans cause» : que QUI SE MET EN COLÈRE sans cause SERA
PASSIBLE DU TRIBUNAL. Jérôme dit que «sans cause» n’est pas dans le texte,
parce qu’alors une place serait laissée à la colère, mais que le Seigneur ne
laisse aucune place à la colère.
683. Mais toute colère est-elle contraire à la vertu ? Il faut savoir
que, comme dit Augustin, sur ce sujet les philosophes ont eu deux opinions. Les
stoïciens ont dit que nulle passion de l’âme ne convient au sage ; au
contraire ils voulaient qu’[il ait] la vertu véritable. Les péripatéticiens,
eux, ont dit que la colère convient au sage, mais modérée. Et cette opinion est
plus vraie, cela est clair selon l’autorité de l’Écriture, car dans les
Evangiles, nous trouvons ces passions attribuées dans une certaine mesure au
Christ, en qui fut la plénitude de la sagesse ; et selon la raison, car si
toutes les passions étaient contraires à la vertu, il y aurait certaines
puissances de l’âme qui seraient consacrées à nuire, parce qu’elles n’auraient
pas d’actes qui leur soient conformes, et alors l’irascible et le concupiscible
auraient été donnés pour rien aux hommes. Et c’est pourquoi il faut dire que la
colère est quelquefois une vertu, et quelquefois non.
684. La colère s’entend de trois façons. Premièrement, dans la mesure où
elle est dans le seul jugement de la raison en l’absence d’émotion de
l’âme ; alors, on ne l’appelle pas colère mais jugement. Ainsi le Seigneur,
quand il punit les méchants, paraît en colère, Mi 7, 9 : Je
dois porter la colère du Seigneur.
685. Deuxièmement, dans la mesure où [la colère] est une passion, elle est
dans l’appétit sensitif et elle est double, car parfois elle est ordonnée à la
raison, contenue dans les limites de la raison, du moins quand on se met en
colère autant qu’on doit, contre qui on doit, etc. C’est alors un acte de
vertu, et on l’appelle colère par zèle. C’est pourquoi le Philosophe dit aussi
que la douceur ne consiste pas à ne se mettre en colère en aucune circonstance.
Et c’est pourquoi Chrysostome dit que si toute colère était supprimée, on
supprimerait aussi l’éducation, etc. [La colère] n’est donc pas un péché.
686. La troisième colère est celle qui échappe au jugement de la raison et
celle-ci est toujours péché, mais tantôt véniel tantôt mortel, et on dira qu’il
vient du mouvement le plus mauvais. En effet, quelque chose est péché mortel ou
véniel de deux façons : d’après l’espèce ou les circonstances, ou par l’acte
et avec le consentement. Par exemple, l’homicide est un acte de péché mortel à
cause de son espèce, car il s’oppose directement au commandement divin, et
c’est pourquoi le consentement à l’homicide est un péché mortel, parce que si
l’acte [est péché] mortel, le consentement aussi, et les choses de ce genre.
Or, parfois le péché est mortel par son espèce, mais pourtant le mouvement
n’est pas péché mortel, car il n’y a pas consentement, de même que s’il s’élève
un mouvement de concupiscence qui pousse à la fornication, mais qu’on n’y
consent pas, ce n’est pas mortel. De même la colère est un mouvement qui pousse
à venger une injure subie : cela, c’est la colère au sens propre. Si ce
mouvement, par exemple dans l’homicide, est seulement dans la passion, de sorte
que même la raison soit séduite, c’est donc alors un péché mortel ; mais
si la raison n’est pas pervertie, alors il est véniel. Mais si le mouvement
n’est pas péché mortel par son genre, alors [même] s’il y a consentement, ce
n’est pas [un péché] mortel.
687. Donc ce que dit le Seigneur, QUI SE MET EN COLÈRE CONTRE SON FRÈRE
SERA PASSIBLE DU TRIBUNAL, est à comprendre du mouvement qui tend à nuire,
lequel mouvement est péché mortel lorsque c’est avec consentement,
Qo 12, 14 : [Dieu] amènera [en jugement] toutes les
actions [de l’homme, tout ce qui est caché, que ce soit bien ou mal].
688. Ainsi, MAIS MOI JE VOUS DIS. Et note que nul
prophète parlant de la loi de Moïse n’a parlé ainsi : MAIS MOI JE VOUS
DIS, etc. Ils ne faisaient qu’inciter les gens à observer la loi de Moïse. D’où
il est visible que le Seigneur montre qu’il a autorité, montre qu’il est
législateur quand il dit : MAIS MOI, etc.
689. Ensuite est
abordé le deuxième degré de colère, quand elle paraît extérieurement, sans acte
préjudiciable. RACA, selon certains, n’est pas un mot ayant un sens précis,
c’est une exclamation de colère.
690.
Selon
Augustin, c’est comme l’exclamation de douleur «aïe», et cela exprime un
sentiment. C’est pourquoi quand enfin la colère éclate extérieurement, ce n’est
pas dans l’intention de nuire. Selon Chrysostome, c’est une exclamation de
mépris, elle a un accent de mépris. L’un et l’autre de ces comportements est
interdit, à savoir manifester de l’amertume envers son frère, comme dit
l’Apôtre, Ep 4, 31 : Aigreur, [emportement, colère, clameurs,
outrages, tout cela doit être extirpé de chez vous], et le mépriser,
Ml 2, 10 : Pourquoi donc sommes-nous méprisants [l’un
envers l’autre] ?
691. Selon d’autres,
c’est un mot ayant un sens précis, et là-dessus il y a deux opinions, car,
selon Augustin, ce mot signifie «déguenillé» et vient de rakos [«manteau
grossier»], et cette opinion concorde avec celle de Chrysostome.
692. Selon Jérôme, RACA signifie «vide». Un RACA serait
donc un homme sans cervelle, et c’est une grande injure, bien plus, c’est une
injure au Saint-Esprit quand on traite de «vide» un sage frère rempli du
Saint-Esprit. Ac 2, 4 : Nous sommes tous remplis du
Saint-Esprit. Mais Chrysostome demande : si «vide» [vacuus] est la même
chose que «idiot» [fatuus], pourquoi le Seigneur a-t-il dit
ensuite : QUI DIRA : «IDIOT» ? Et il a dit que dans toutes les
langues il y a des termes qui ont un sens injurieux, mais que l’injure, à
l’usage, devient une façon de parler. RACA, bien qu’il signifie «fou», n’a
pourtant pas le même usage, car RACA se dit familièrement, et il est péché
quand il est dit avec colère.
693. PASSIBLE DE L’ASSEMBLÉE. Augustin [dit] : «Pour Dieu, c’est plus
d’être accusé à l’assemblée qu’au tribunal, parce que le tribunal, [c’est]
quand le procès de l’accusé est en cours et qu’on ne sait pas encore s’il est
coupable », 1 Tm 5, 21[Observe ces règles avec
impartialité sans rien faire par favoritisme], mais une fois
qu’il est convaincu de crime, on ne débat plus avec l’accusé ; les juges
se réunissent en assemblée pour fixer la peine.
694.
Hilaire
[dit] : «Il est PASSIBLE DE L’ASSEMBLÉE des saints parce que qui a fait
injure à l’Esprit Saint mérite d’être condamné par les saints.» Chrysostome dit
que les apôtres ont donné cette explication : PASSIBLE DE L’ASSEMBLÉE,
c’est-à-dire qu’il est connu pour être de ceux qui se sont assemblés contre le
Christ.
695. QUI DIRA : «IDIOT». Ici [est présenté] le troisième degré [de la
colère] : lorsqu’on nuit en paroles. Et de même que celui qui traite de
RACA profère une injure contre l’Esprit Saint, de même IDIOT injurie le Fils de
Dieu, qui est devenu pour nous sagesse [1 Co 1, 30].
696.
SERA
PASSIBLE DE LA GÉHENNE DE FEU. C’est le premier endroit où il est fait mention
de la géhenne, de sorte que personne avant n’a jamais utilisé ce mot.
Jr 19 : aux environs de Jérusalem, il y avait une vallée de délices
appelée vallée de Topheth ou des fils d’Ennon. Dans cette vallée, les fils
d’Israël pratiquèrent le culte des idoles et Dieu leur fit la menace, par
l’intermédiaire de Jérémie, que dans cette vallée leurs cadavres devaient être
couchés, d’où Jr 19, 6 : Ce lieu ne sera plus appelé
[Tophèt ni vallée de Ben Hinnom, mais bien vallée du carnage]. «Géhenne», en
hébreu, veut dire «vallée de Hinnom». En effet, c’est dans cette vallée que
beaucoup furent couchés et tués par Nabuchodonosor alors qu’ils descendaient de
Jérusalem. C’est pourquoi le Seigneur appelle le lieu infernal GÉHENNE. Car de
même qu’il a changé en biens célestes et éternels les promesses terrestres qui
étaient dans l’ancienne loi, de même il a commué en peines éternelles les
peines temporelles que l’ancienne loi infligeait.
697. Or, de même qu’il en va pour les fautes, car montrer sa colère extérieurement
est plus que la garder à l’intérieur, et porter préjudice est encore beaucoup
plus, de même il y a d’abord le tribunal, deuxièmement l’assemblée,
troisièmement la peine fixée. Et tout cela – tribunal, assemblée, géhenne –
signifie la peine de l’enfer. Il cite plusieurs [noms de lieux] pour montrer la diversité des peines, car
ceux qui font du tort seront punis davantage.
698. HEUREUX ÊTES-VOUS QUAND ON VOUS INSULTERA, etc. Plus haut, à partir de
cet endroit : HEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT, etc., [le Seigneur] a donné
des instructions générales sur la perfection. Ici, il adresse la parole aux
disciples. Il les exhorte premièrement à supporter les souffrances, car [la
constance] s’accompagne d’une oeuvre parfaite [Jc 1, 4) ; deuxièmement, à
exécuter consciencieusement leur devoir, en cet endroit : VOUS ÊTES LE SEL
DE LA TERRE.
699.
De plus, le
premier point se divise en trois : d’abord, il exhorte à supporter les
persécutions en considérant la cause pour laquelle ils souffrent ; puis il
en considère la récompense qu’ils obtiennent par leurs souffrances, en cet
endroit : RÉJOUISSEZ-VOUS ET SAUTEZ DE JOIE, CAR VOTRE RÉCOMPENSE EST
ABONDANTE DANS LES CIEUX. Enfin, ils l’obtiennent à l’exemple des prophètes
qu’ils imitent en souffrant ainsi, en cet endroit : CAR C’EST AINSI QU’ILS
ONT PERSÉCUTÉ LES PROPHÈTES.
700. Il exhorte à supporter trois choses :
deux en leur présence – injures verbales, actes injurieux –, une en leur
absence – diffamations, morsures faites par des cœurs pleins de haine.
701.
Il dit
donc : HEUREUX ÊTES-VOUS, c’est-à-dire que la cause de la réception du
bonheur est avec vous ; QUAND ON (c’est-à-dire les pécheurs) VOUS
INSULTERA. La Glose [dit] : «À partir de la haine de leur cœur, ils diront
des injures en pleine figure.» Jérôme [dit] : «Là où le Christ est en
cause, l’insulte est à souhaiter.» 1 P 4, 14 : Heureux
si vous êtes outragés pour le nom du Christ.
702. QU’ON VOUS PERSÉCUTERA par la violence et les insultes, selon la
Glose. ET QU’ON DIRA MENSONGÈREMENT TOUTE SORTE DE MAL CONTRE VOUS, en blessant
votre réputation en votre absence par toutes sortes de mauvais propos. Et ainsi
il y a une triple persécution : sentiments, actes, paroles.
MENSONGÈREMENT : il dit cela parce que ce n’est pas une gloire si le mal
qui est dit est vrai ! À CAUSE DE MOI, c’est-à-dire à propos de moi à qui
vous adhérez. Chrysostome [écrit] : «Celui qui est faussement calomnié, et
à cause de Dieu, est bienheureux ; mais si une de ces deux choses manque,
il n’y a pas la récompense de la béatitude.»
703. RÉJOUISSEZ-VOUS ET SAUTEZ DE JOIE, CAR VOTRE RÉCOMPENSE EST ABONDANTE
DANS LES CIEUX. Voici le deuxième point, à savoir la considération de la
récompense qu’ils obtiennent. C’est pourquoi il dit : RÉJOUISSEZ-VOUS
(Glose : mentalement) ET SAUTEZ DE JOIE (dans votre cœur), CE JOUR-LÀ,
c’est-à-dire quand vous aurez supporté cela.
704.
Raban
[dit] : «Je ne sais qui de nous pourrait accomplir cela, de voir notre
réputation lacérée d’outrages et de sauter de joie dans le Seigneur. Cela,
celui qui poursuit la vaine gloire ne peut l’accomplir, car dans un livre
distingué nous lisons : Si tu ne cherches pas la gloire, tu ne
souffriras pas quand tu seras sans gloire.»
705.
Chrysostome
[dit] : «Autant on se réjouit de la louange des hommes, autant on
s’attriste de l’outrage.» Et plus loin : «Qui a cherché la gloire
seulement auprès de Dieu ne craint pas d’être confondu dans le mépris des
hommes.»
706. Mais il y a ici une question : pourquoi ce conseil est-il ajouté
de cette façon, quand il dit : RÉJOUISSEZ-VOUS ET SAUTEZ DE JOIE, etc., et
pas dans les béatitudes précédentes ? Réponse : cette béatitude
concerne le fait de supporter les souffrances, ce qui est très difficile en
comparaison d’autres choses citées plus haut. C’est pourquoi le conseil est
absent [de celles-là]. Ou bien il ajoute cela pour ne pas épouvanter tout de
suite les apôtres, qui sont en somme des novices, et à qui il parle quand il
dit : HEUREUX ÊTES-VOUS, etc.
707. CAR VOTRE RÉCOMPENSE (à savoir, Dieu en lui-même) EST ABONDANTE DANS
LES CIEUX. Gn 15, 1 : Moi (…) ta récompense très grande. De plus, [elle
est] ABONDANTE par comparaison, Rm 8, 18 : Les
souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se
révéler en nous ; 2 Co 4, 17 : La légère
tribulation d’un instant nous prépare, jusqu’à l’excès, une masse éternelle de
gloire. EST ABONDANTE, car la quantité de consolations sera proportionnée à la
quantité de tribulations, Ps 93[94], 19 : Dans
la foule de mes douleurs, tes consolations ont réjoui mon âme ;
2 Co 1, 5 : De même que les souffrances du Christ
abondent pour vous, ainsi par le Christ abonde aussi votre consolation.
708. Luc dit : Est nombreuse dans le ciel, mais [Matthieu]
dit : DANS LES CIEUX, au pluriel, à cause de la multitude de joies. La
Glose [dit] : «Dans les parties supérieures du monde.» Bède dit au
contraire : «Je pense que LES CIEUX ne désignent pas ici les parties
supérieures de l’air.» Réponse : on appelle ici «monde» le ciel empyrée
avec toute la machine du monde, et pas seulement ce qui est inclus dans le
moteur premier, comme le voulaient les philosophes. C’est pourquoi on appelle
[le ciel] « parties supérieures du monde »,
parce qu’il est au-dessus de ce monde.
709. CAR C’EST AINSI QU’ILS ONT PERSÉCUTÉ LES PROPHÈTES. Ici [est abordé]
le troisième point : ils doivent supporter les souffrances à l’exemple des
prophètes, d’où : C’EST AINSI (par outrages, injures et paroles méchantes)
QU’ILS ONT PERSÉCUTÉ LES PROPHÈTES, Jc 5, 10 : Frères,
prenez pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au
nom du Seigneur.
QUI FURENT AVANT
VOUS : c’est pourquoi leurs exemples vous invitent. Grégoire [dit] :
«Si nous passons en revue les actions de nos prédécesseurs, les [maux] que nous
supportons ne sont pas graves.» He 12, 1 : C’est
pourquoi, ayant une si grande nuée de témoins, déposons tout fardeau et le
péché qui nous assiège, et courons avec constance vers le combat qui nous est
proposé.
710. VOUS ÊTES LE SEL DE LA TERRE, etc. Voici la deuxième partie, où il
[les] exhorte à mettre leurs soins à exécuter leur devoir. Premièrement, dans
la forme de cette poursuite, forme qui leur est montrée sous la méthode d’un
exemple descriptif ; deuxièmement, dans le mode d’enseignement qui leur
est prescrit, en cet endroit : QU’AINSI BRILLE VOTRE LUMIÈRE.
711. L’exemple descriptif est représenté dans la variété des comparaisons
dont deux sont [exprimées] sous une forme affirmative, là où est montré à quoi
ils doivent servir : à assaisonner par l’exemple de leur vie, en cet
endroit : VOUS ÊTES LE SEL DE LA TERRE ; deuxièmement, à briller ou
éclairer par leur parole d’enseignement, en cet endroit : VOUS ÊTES LA
LUMIÈRE DU MONDE. Parmi les assaisonnements, aucun n’est plus utile que le sel.
Parmi les choses visibles, aucune n’est plus claire que la lumière.
712. Deux autres [comparaisons] sont exprimées négativement, dans
lesquelles est montré à quoi ils ne doivent pas servir : à cacher leur vie
ou leur personne, et c’est pourquoi il dit : UNE VILLE SITUÉE SUR UNE
MONTAGNE NE PEUT SE CACHER ; à cacher la doctrine ou la grâce, et c’est
pourquoi il dit : ON N’ALLUME PAS UNE LAMPE POUR LA METTRE SOUS LE
BOISSEAU. Parmi les moyens de protection, aucun n’est plus manifeste qu’une
ville. Parmi les ustensiles, aucun n’est plus utile qu’une lampe.
713.
Ils doivent
donc être SEL par [leurs] vie et mœurs, LUMIÈRE par [leurs] enseignements et
prédications, VILLE par [leurs effets]de protection et de défense, LAMPE par
leurs éclairages.
714. Bède enseigne qu’avec le sel on assaisonne les âmes pour une santé
incorruptible ; qu’on fait la lumière pour l’intelligence de la
vérité ; qu’on défend ses gens contre l’ennemi ; qu’on embrase de
l’amour de Dieu les personnes qu’on a défendues.
715.
Il dit
donc : VOUS ÊTES (c’est-à-dire vous devez être) LE SEL DE LA TERRE. La
Glose [dit] : «Le meilleur sel assaisonne les habitants de la terre par
son exemple de vie.» Jérôme [écrit] : «Les apôtres sont appelés SEL parce
que par eux tout le genre humain est assaisonné.»
716.
Trois choses
sont notées ici. Premièrement, leur devoir et celui de tous les apôtres, quand
il dit : VOUS ÊTES LE SEL DE LA TERRE ; deuxièmement leur péril,
quand il dit : SI LE SEL S’ÉVANOUIT ; troisièmement leur supplice,
quand il dit : IL NE SERT PLUS À RIEN.
717. Ils sont comparés au sel en raison de sa force, en raison de son
origine, et en raison de l’habitude. En raison de sa force, car il a d’abord la
vertu de donner du goût en assaisonnant les aliments. De même, la conversation
des apôtres donnait du goût aux esprits insipides, Col 4, 6 : Que
votre langage soit toujours plein de grâce et de sel [de sorte que vous sachiez
comment il faut répondre à chacun]. Deuxièmement, [le sel] a la vertu de
dessécher. Augustin [dit] ainsi : «Le sel rend la terre stérile.» De même
les apôtres, ayant détruit le royaume du péché, réprimaient le germe des vices,
Sg 3, 13 : Heureuse la stérile qui est sans souillure,
qui n’a pas connu de lit coupable : elle aura du fruit à l’examen des âmes
saintes.
718. Troisièmement, il a une vertu astringente. Augustin [dit] ainsi :
«Le sel dessèche les chairs.» De même, les hommes charnels eux-mêmes
restreignaient leurs désirs, 1 P 2, 11 : Je
vous en conjure, abstenez-vous de désirs charnels. Quatrièmement, [le sel] a une
vertu purifiante. Augustin [écrit] : «Le sel préserve des vers et de la
putréfaction.» De même la prédication de la parole divine détourne de la
putréfaction des vices, Rm 6, 12 : Que le péché ne règne pas dans
votre corps mortel de sorte que vous obéissiez à ses désirs. Cinquièmement, il
a une vertu guérissante. Par exemple, on voit en 2 R 2, 19‑22
qu’Élisée, ayant mis du sel dans un vase neuf, assainit les eaux de Jéricho. De
même le sel de la sagesse céleste ayant été répandu dans le cœur des apôtres,
les eaux – c’est-à-dire les peuples – ont été assainies.
Ps 106, 20 : Il a envoyé sa parole, et il vous a guéris.
719. Ils sont comparés au sel en raison de son origine, car le sel est fait
à partir de l’eau de mer et avec la chaleur du feu ou du soleil, et les apôtres
ont été faits à partir de l’eau de la tribulation, et avec la chaleur de
l’amour, Ps 5, 12 : Nous sommes passés par le feu et par
l’eau ; Lm 1, 13 : Du ciel il a envoyé le feu dans mes os. [Ils sont
comparés au sel aussi] en raison de l’habitude, car on l’utilisait dans tous
les sacrifices. Lv 2, 13 : Tu saleras toute oblation que
tu offriras. Ainsi c’était un usage honorable, en secret ou ouvertement, devant
Dieu et devant le prochain. Rm 12, 17 : Veillant
au bien non seulement devant Dieu mais aussi devant les hommes.
720. SI LE SEL S’ÉVANOUIT, DANS QUOI LE SALERA-T-ON ? Ici est montré
leur péril. Il dit : SI LE SEL (c’est-à-dire le prédicateur, ou le
supérieur, ou le docteur) S’ÉVANOUIT. On dit que LE SEL S’ÉVANOUIT de trois
façons : [premièrement] par la liquéfaction, qui arrive par l’humide et le
froid ; deuxièmement, par l’affadissement ; troisièmement, il
s’évanouit quand il est totalement absent.
721. Expose donc les trois façons ainsi. S’IL S’ÉVANOUIT, c’est-à-dire s’il
se dissout dans le froid, dans la peur de l’adversité, ou dans l’humidité de la
prospérité, DANS QUOI LE SALERA-T-ON ? C’est-à-dire, avec quoi le peuple
sera-t-il informé sur les bonnes mœurs ? Ou bien, S’IL S’ÉVANOUIT, c’est-à-dire
s’il devient fade, en déviant de la vérité, DANS QUOI, c’est-à-dire par qui le
peuple sera-t-il instruit, selon Bède ? Lm 4, 4 : Les
petits enfants ont demandé du pain et il n’y avait personne pour leur en
rompre. Ou bien, S’IL S’ÉVANOUIT, c’est-à-dire s’il est complètement absent,
DANS QUOI LE SALERA-T-ON ? C’est-à-dire, de quelle sorte de pénitence le
peuple sera-t-il assaisonné ? Jr 30, 12 : Incurable
ta fracture, très grave ta plaie !
722.
Sur tout
cela, Jérôme [dit] : «Le sel s’évanouit en s’écoulant dans la cupidité, en
succombant à la timidité, en détruisant par l’erreur, exalté par la prospérité,
déprimé par l’adversité.»
723. IL NE SERT PLUS À RIEN. Ici est noté leur supplice. Trois choses sont
abordées. Premièrement, l’annihilation de leur valeur par la soustraction de la
grâce, 1 Co 15, 10 : C’est par la grâce de Dieu que
je suis ce que je suis, [et sa grâce à mon égard n’a pas été stérile]. Et à ce propos il
dit : IL NE SERT PLUS À RIEN, parce que, comme dit Bède, «par son onction,
il empêche la germination et ne permet pas la fertilité.»
Lc 14, 35 : Il n’est utile ni sur la terre, ni sur le
fumier. Deuxièmement, la perte de leur gloire par la défaillance et la
négligence ; c’est pourquoi est ajouté : QU’À ÊTRE JETÉ DEHORS,
c’est-à-dire hors de l’Église, ou hors du paradis, ou privé de la fonction
d’enseigner. Ap 22, 15 : Dehors les chiens, les
sorciers, les impudiques, les homicides, les idolâtres, et tous ceux qui aiment
et pratiquent le mensonge ; Jn 15, 6 : Il
sera jeté dehors comme le sarment et il se dessèchera, [on les ramasse, on les
jette au feu et ils brûlent]. Troisièmement, la condamnation à la géhenne à
cause de l’accumulation de mauvaises actions. C’est pourquoi il ajoute :
ET À ÊTRE PIÉTINÉ PAR LES HOMMES, c’est-à-dire par les démons, car le démon est
parfois appelé «homme», comme en Ps 117[118], 6 : [Dieu
est pour moi], plus de crainte. Que me fait l’homme, à moi ? La Glose
[dit] : «C’est-à-dire le diable.» Ou bien À ÊTRE PIÉTINÉ PAR LES HOMMES,
c’est-à-dire à être piétiné en même temps que les autres, ou projeté
par-dessous les autres dans le profond de l’enfer. Ml 3, 21 :
Vous piétinerez les méchants, car ils seront de la cendre sous la plante de vos
pieds. Jb 20, 25 : Ils vont et viennent sur lui, horribles. Ou bien À ÊTRE
PIÉTINÉ PAR LES HOMMES, c’est-à-dire à être moqué par les hommes charnels,
Os 4, 9 : Il en sera du prêtre comme du peuple. La Glose
[dit] : «À être moqué par les hommes.» Or, celui qui souffre persécution
est moqué par les hommes ; il est donc piétiné.
724.
À
l’encontre, Augustin et Raban [disent] : «Celui qui souffre persécution
n’est pas piétiné.» Réponse : être piétiné ne se dit que pour celui qui
est inférieur, et c’est pourquoi celui qui souffre persécution, bien que sur
terre il subisse beaucoup d’épreuves en son corps et soit moqué par les
méchants, cependant comme il est établi au ciel par le cœur, on ne dit pas
qu’il est piétiné. Ainsi parlent Augustin et Raban.
725. VOUS ÊTES LA LUMIÈRE DU MONDE, etc. Ici est montré qu’ils doivent
éclairer par la parole de l’enseignement, en laquelle on peut noter trois
[qualités] que doit avoir le prédicateur de la parole divine :
premièrement, la stabilité, pour ne pas dévier de la vérité ;
deuxièmement, la clarté, pour ne pas enseigner avec obscurité ; troisièmement,
l’utilité, pour chercher la gloire de Dieu et non la sienne.
726. Le premier point est indiqué quand il est dit : VOUS, séparément,
à savoir : vous qui êtes dérivés de moi qui suis la première lumière,
Jn 8, 12 : Je suis la lumière du monde. VOUS ÊTES,
c’est-à-dire « vous devez être ». Voici la stabilité, qui se remarque
dans le verbe substantif qui exclut le manque de lumière, contre ceux qui
prêchent la fausseté ; la lumière feinte, contre ceux qui se déguisent en
ange de lumière, 2 Co 11, 14 ; et la diminution de lumière,
contre ceux qui par timidité ou flatterie ne blâment pas les vices.
727. Ensuite la clarté est indiquée, lorsqu’il dit : LA LUMÈRE. La
Glose [dit] : «C’est par eux que tous sont éclairés, sortant ainsi des
ténèbres de l’ignorance.» Ils sont comparés à la lumière, en premier lieu en
raison de l’essence, en deuxième lieu en raison de l’acte, en troisième lieu en
raison de la vertu ou efficacité. En effet, en premier lieu, son essence est
céleste ; c’est pourquoi Basile [écrit] dans l’Hexaméron : «La lumière est
par nature semblable en tout à elle-même et simple.» Si 24, 5 : Moi
j’ai fait que dans les cieux se lève la lumière inépuisable ; et [les
prédicateurs] eux-mêmes doivent être célestes par leur conduite,
Ph 3, 20 : Notre habitation est dans les cieux. En outre, elle
n’est pas souillée par les ordures, Sg 7, 25 : Rien
de souillé ne s’introduit en elle ; et eux-mêmes doivent être purs,
Si 9, 8 : En tout temps, que tes vêtements soient
blancs. De plus, elle est communicable à tous. Jb 5, 3 : Sur
qui ne resplendit pas sa lumière ? Et les prédicateurs doivent être disponibles
à tous, Lc 6, 30 : À qui te demande, donne.
728. En second lieu, [ils sont comparés à la lumière] en raison de l’acte,
qui, selon Basile, est d’illuminer les ténèbres, de rendre les routes droites,
de découvrir les choses cachées, de montrer les différences. Et les
prédicateurs eux-mêmes doivent éclairer dans les choses à croire, rectifier
dans les choses à faire, découvrir les choses à éviter et, tantôt menaçant
tantôt exhortant, prêcher aux hommes.
729.
En troisième
lieu, [ils sont comparés à la lumière] en raison de son efficacité, car la
lumière procure le plaisir (Si 11, 7 : Douce
est la lumière, et voir le soleil est délicieux pour les yeux), la fécondité de
la terre (Si 43, 4 : Exhalant des vapeurs brûlantes, [dardant ses
rayons, il éblouit les yeux]), et [elle permet] aux vivants de connaître. Le
Philosophe [dit] : «L’homme engendre l’homme, le soleil aussi.»
730. En outre, selon Basile, «quand vient la lumière du jour, les chagrins
sont allégés, les hommes s’éveillent de leur sommeil, les oiseaux gazouillent,
les bêtes sauvages fuient vers leurs cachettes». Ainsi, à la lumière des
apôtres, le monde est édifié par leurs exemples, enflammé par leurs enseignements,
fécondé par leurs bonnes œuvres, allégé de ses péchés, réveillé de ses
négligences, disposé à la contemplation des choses célestes, arraché au pouvoir
des démons.
731. Troisièmement, l’utilité en est ensuite présentée, quand il dit DU
MONDE, c’est-à-dire universellement. Ps 18, 5 : Sur
toute la terre est partie leur parole.
732.
Ici se pose
une question : pourquoi le sel a-t-il été mis avant la lumière ?
Réponse de Chrysostome : «Parce que la vie [vient] avant la doctrine, car
la vie conduit à la science de la vérité.»
733. UNE VILLE SITUÉE SUR UNE MONTAGNE NE PEUT SE CACHER. Voici la partie
où est montré qu’ils ne doivent pas vivre cachés. C’est pourquoi il dit :
UNE VILLE… NE PEUT SE CACHER. La Glose [dit] : «C’est-à-dire la solidité
de la doctrine apostolique, ou leur vie sainte fortifiée de vertus»,
Jr 1, 18 : Je t’ai établi comme une ville fortifiée. SE CACHER,
c’est-à-dire rester secrète. SITUÉE SUR UNE MONTAGNE, c’est-à-dire située sur
le Christ ou sur l’Église.
734.
Pourquoi ne
peut-elle se cacher ? Parce que la montagne elle-même la met en évidence,
selon la glose de Chrysostome : «Les exemples des œuvres sont plus
éclatants que n’importe quelle trompette, et la vie pure elle-même est plus
brillante que la lumière et ne pourra être obscurcie, même s’il y a
d’innombrables contradicteurs.»
735.
À noter qu’à
partir du sens de l’expression SUR UNE MONTAGNE, trois choses se
remarquent : [la ville] est sûre, ce qui indique la constance ; elle
est inexpugnable, ce qui indique la patience ; elle est située en un lieu
ferme et immobile, ce qui indique la persévérance.
736. Ensuite [le Seigneur] indique qu’ils ne doivent pas cacher leur
doctrine. C’est pourquoi il dit : ET ON (c’est-à-dire les hommes saints)
N’ALLUME PAS UNE LAMPE, c’est-à-dire la doctrine de prédication, ou la chaleur
de la doctrine, car dans la lampe il y a feu et lumière. De même aussi dans la
prédication, il doit y avoir la chaleur de l’Esprit à l’intérieur, et la
lumière du bon exemple à l’extérieur. C’est ainsi qu’on dit que Jean [Baptiste]
était la lampe qui brûle et qui brille [Jn 5, 35].
737. SOUS LE BOISSEAU, c’est-à-dire dans le secret, MAIS SUR LE LAMPADAIRE,
c’est-à-dire en évidence. Glose de Bède : «C’est-à-dire sur l’Église »,
comme s’il disait : «La doctrine de prédication n’a pas été donnée pour
être sous le boisseau de la timidité ou du confort de la vie présente »,
car un boisseau, selon Isidore (Livre des étymologies, 17), c’est à la
fois le récipient dans lequel on mesure, et la chose qu’on mesure.
738.
Selon Bède,
au sens mystique, le Christ n’a pas enfermé la lampe de son Incarnation SOUS LE
BOISSEAU, c’est-à-dire sous la mesure de la loi, ni dans les limites d’une seule
nation, MAIS SUR LE LAMPADAIRE, c’est-à-dire sur l’Église, POUR QU’ELLE BRILLE
POUR TOUS CEUX QUI SONT DANS LA MAISON, c’est-à-dire dans l’Église ou dans le
monde.
739. Mais ici se pose une question : pourquoi les apôtres, ou la doctrine
apostolique, sont-ils appelés UNE VILLE, alors qu’ils sont plutôt les
fondations, et l’Église, la ville dont ils sont les fondations ?
Réponse : on les appelle UNE VILLE parce que sous le Christ, ils ont été
les fondateurs de l’Église. Ou bien dans le nom du tout on entend la
partie : sous le nom de VILLE [on entend] les fondations. Car la montagne
sur laquelle la ville est située, c’est le Christ, de qui [parle]
Is 2, 2 : Il arrivera dans les derniers jours que la
montagne de la maison du Seigneur sera établie en tête des montagnes et
s’élèvera au-dessus des collines, alors toutes les nations afflueront vers
elle.
740. Ensuite il dit : QU’AINSI BRILLE VOTRE LUMIÈRE DEVANT LES HOMMES,
ce qui est la suite du passage : VOUS ÊTES LE SEL DE LA TERRE, etc.
Là, il les informe
de la manière d’enseigner, et il décrit cette manière en trois points.
Premièrement, par la manifestation de la doctrine, et il dit : QU’AINSI
BRILLE VOTRE LUMIÈRE, à savoir la doctrine, DEVANT LES HOMMES,
Rm 12, 17 : Préparant le bien non seulement devant Dieu
mais aussi devant tous les hommes.
741. Deuxièmement, par la confirmation de la doctrine manifestée, grâce aux
bonnes œuvres, et il ajoute : DE SORTE QU’ILS VOIENT VOS BONNES ŒUVRES. La
Glose [dit] : «Je demande que les œuvres se voient et qu’ainsi
l’enseignement soit confirmé », Jc 2, 12 : Parlez,
et agissez en fonction. Chrysostome : «Le nom de Dieu est blasphémé
par ceux qui ne font pas ce qu’ils enseignent.» Mais ce qui est dit plus loin
paraît contredire cela : Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche
ignore ce que fait ta main droite [Mt 6, 3]. Et aussi : Prie
ton Père dans le secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te rendra [Mt 6, 6].
Réponse : il interdit que les bonnes œuvres soient mises en évidence en ce
qui concerne les louanges des hommes, mais ici il demande qu’elles soient
faites pour confirmer l’enseignement et glorifier Dieu, selon la Glose. Car si
l’enseignement est bon et le prédicateur méchant, alors il est lui-même
occasion de blasphème contre la doctrine de Dieu. Bernard [dit] ainsi :
«Langue parlant à merveille et main oisive, doctrine lumineuse et vie
ténébreuse, c’est une chose monstrueuse.»
742. Troisièmement, par l’intention droite. C’est pourquoi il ajoute :
ET GLORIFIENT VOTRE PÈRE. La Glose [dit] : «En vous, et non vous, car
c’est son œuvre.» QUI EST AUX CIEUX. Grégoire [écrit] : «Qu’ainsi l’œuvre
soit faite en public, bien que l’intention reste dans le secret, pour que nous
offrions au prochain un exemple de bonne œuvre, et pourtant, dans l’intention
de chercher à plaire à Dieu seul, souhaitons toujours le secret.»
743. NE PENSEZ PAS QUE JE SUIS VENU ABOLIR LA LOI. Voici la seconde partie
depuis le début de ce chapitre, où il répond à une question tacite. Bède [dit]
ainsi : «Parce qu’ils pouvaient penser qu’il voulait abolir les anciens
commandements, il prévint les questions en disant : NE PENSEZ PAS, etc.»
En cet endroit, [le Seigneur] fait trois choses : premièrement, il dit
qu’il ne veut pas détruire la loi mais l’accomplir ; deuxièmement, il
enseigne qu’elle va être accomplie, en cet endroit : AMEN, JE VOUS DIS,
etc. ; troisièmement, il commence à inciter autrui à cet accomplissement,
en cet endroit : QUI VIOLERA, etc.
744. Premièrement, il dit : NE PENSEZ PAS, c’est-à-dire ne croyez pas,
QUE JE SUIS VENU, c’est-à-dire que je sois venu, ABOLIR LA LOI OU LES
PROPHÈTES. Par ces deux [éléments], il englobe tout le contenu de l’ancienne
loi, car la loi était surtout pour s’éloigner du mal, et la prophétie pour
faire le bien, l’une pour les choses à faire et l’autre pour celles à croire.
ABOLIR : d’une certaine façon, selon Bède, c’est ne pas faire ce que dit
cette loi selon l’esprit. Ou bien ABOLIR, c’est ne pas comprendre ce qu’elle a
exprimé, selon la Glose. Donc le Christ n’est pas venu abolir, car il a
accompli selon l’esprit. Voilà pourquoi il dit : JE NE SUIS PAS VENU
ABOLIR LA LOI, MAIS L’ACCOMPLIR, c’est-à-dire la remplir parfaitement.
745. Il a accompli premièrement les prescriptions morales, avec
l’assaisonnement de la douceur de son amour, car la plénitude de la loi, c’est
l’amour, Rm 13, 10 ; Jn 15, 11 : C’est
mon commandement que vous vous aimiez mutuellement, comme je vous ai aimés. Deuxièmement les
prescriptions rituelles, en enlevant le voile des figures,
Mt 27, 51 : Le rideau du Temple se déchira ;
Ap 5, 9 : L’agneau est digne d’ouvrir le livre et d’en
briser les sceaux, c’est-à-dire l’observance des figures dans la loi. Troisièmement les
prophéties, en montrant qu’elles s’accomplissent en lui,
Lc 24, 25 : Il faut que s’accomplisse ce qui a été écrit
de moi dans les prophètes. Quatrièmement les promesses, en les confirmant,
Ga 3, 16 : Les promesses ont été faites à Abraham. Cinquièmement les
préceptes juridiques, en les tempérant par la miséricorde,
Jn 8, 11 : Moi non plus je ne te condamne pas, [dit-il] à la
femme adultère. Sixièmement, en ajoutant des conseils,
Mt 19, 21 : Va et vends tout, etc. Septièmement, en
s’acquittant de toutes promesses à eux faites à propos de l’envoi du Saint-Esprit,
de l’incarnation du Fils, etc., He 8, 8 : J’accomplirai
une alliance nouvelle, etc. ; Jn 19, 30 : Tout est accompli.
746. AMEN, JE VOUS DIS, etc. Voici le deuxième point, où il montre que [la
loi] doit être accomplie en partie par lui ; c’est pourquoi il dit :
AMEN, qui est une affirmation de la vérité. Selon Augustin, c’est un mot
hébreu, qui se traduit par «c’est vrai» ou «vraiment». Selon Jérôme,
«vraiment», ou «c’est sûr», ou «ainsi soit-il». JE VOUS DIS : JUSQU’À CE
QUE (c’est-à-dire avant que) PASSENT CIEL ET TERRE. À l’encontre de cela,
Qo 1, 4 : La terre tient pour toujours. Réponse : on
ne dit pas que le ciel et la terre passent selon la substance, mais selon la
forme, 2 P 3, 10 : Le jour du Seigneur viendra
comme un voleur : en ce jour les cieux se dissiperont avec fracas, les
éléments embrasés se dissoudront. Ainsi, JUSQU’À CE QUE PASSENT CIEL ET TERRE,
c’est-à-dire jusqu’à ce que les éléments de cette forme sujette au changement
accèdent à l’immuabilité, selon la Glose.
747. UN SEUL IOTA. Un iota, c’est la dixième [en fait, la neuvième] lettre
grecque. «C’est la plus petite de toutes les lettres, comme dit Augustin, car
on la trace avec un seul trait.» UN PETIT TRAIT est un signe, distinct de la
lettre elle-même, une espèce de virgule qu’on met au-dessus. Les Hébreux
représentent diverses lettres par le même signe, mais ils les distinguent par
des points placés au-dessus ou au-dessous. Ces points sont appelés [en latin] apex. Selon Raban,
IOTA représente le décalogue. Selon Jérôme, il représente ce qu’on peut
imaginer de plus petit dans la loi, comme peut-être l’étaient certaines
figures. L’ apex représente la plus petite particule de
commandement, ou le plus petit signe de la loi, selon Raban. Il veut donc dire
que PAS UN IOTA, c’est-à-dire un des dix commandements, PAS UN PETIT TRAIT,
c’est-à-dire le plus petit signe dans la loi, NE DISPARAÎTRA DE LA LOI, QUE
TOUT NE SE RÉALISE, c’est-à-dire ne subsistera sans être accompli et parachevé.
La Glose [dit] : «Dans la tête ou dans le corps.»
Is 28, 22 : Je l’ai entendu : c’est irrévocablement
décidé par le Seigneur.
748. DONC QUI VIOLERA, etc. Ici, [Le Seigneur] appelle à accomplir [la loi]
en disant : DONC QUI VIOLERA (ou ABOLIRA) UN SEUL DE CES TRÈS PETITS
COMMANDEMENTS. À l’encontre de cela, [on lit] en Jn 10, 35 : L’Écriture
ne peut être abolie. Réponse : il ne s’agit pas d’abolition pure et
simple, mais partielle. Raban [écrit] : «Il abolit les commandements en
lui-même, et non en eux-mêmes.» Ils sont abolis de trois façons : en ne
[les] observant pas, en n’y croyant pas, en induisant autrui en erreur.
749. Les TRÈS PETITS COMMANDEMENTS sont les prescriptions morales, ou
certaines prescriptions légales qui ont une signification peu importante. Ou
bien TRÈS PETITS en ce qui concerne la récompense, en comparaison avec les
[commandements] que le Christ a donnés. Chrysostome [écrit] : «Les
commandements de Moïse sont faciles en acte (exemple : ne pas tuer) ;
et ils sont donc petits en récompense et grands en péché. Mais les commandements
du Christ (exemple : ne pas se mettre en colère) sont difficiles en
acte ; c’est pourquoi ils sont grands en récompense et très petits en
péché.»
750. SERA APPELÉ LE PLUS PETIT DANS LE ROYAUME DES CIEUX. À l’encontre de
cela, Cassiodore [dit] : «Celui qui aura la présomption d’enseigner en
négligeant les choses plus importantes, il est logique qu’il ne soit plus
considéré comme LE PLUS PETIT DANS LE CIEL, mais comme le plus grand dans le
supplice de la géhenne.» Réponse : il ne sera pas «considéré» (comme dit
Cassiodore), mais il SERA APPELÉ, parce qu’il en sera indigne, comme dit
Augustin. D’où SERA APPELÉ LE PLUS PETIT DANS LE ROYAUME DES CIEUX,
c’est-à-dire égal à zéro, car il n’y sera pas ! Ou bien n’étant pas dans
le royaume, il SERA APPELÉ LE PLUS PETIT, le plus méprisé, le plus vil, par
ceux qui sont dans le royaume. Ou bien, selon la Glose, LE PLUS PETIT, c’est le
plus méprisé dans l’Église.
751.
Objection :
non, LE PLUS PETIT est celui qui fait le mal et enseigne le mal. Réponse :
qui fait le mal et enseigne le mal n’est pas dans l’Église, en raison de cette
œuvre, et c’est pourquoi, dans le royaume des cieux, il n’est appelé ni grand
ni petit. Mais qui fait le mal et enseigne le bien est dans l’Église en raison
d’une œuvre, mais il y [est] le plus petit.
752. QUI FERA (c’est-à-dire observera) ET ENSEIGNERA qu’il faut agir ainsi,
SERA APPELÉ GRAND, grand par le mérite dans l’Église militante, et grand par la
récompense DANS LE ROYAUME DES CIEUX, c’est-à-dire dans l’Église triomphante.
Augustin [écrit] : «Il ne dit pas d’une manière déterminée “qui fera les
plus petites choses”, mais [il parle] d’une manière indéterminée, pour montrer
que celui qui veut être grand dans le royaume des cieux doit faire les grandes
et les petites choses.»
753. DONC SI TU PRÉSENTES. Ici, [le Seigneur] interdit la colère enracinée,
d’où naît la haine, et il conclut du plus [au moins], selon Raban : «S’il
ne t’est pas permis de te mettre en colère contre ton frère, il t’est encore moins
permis de garder une colère d’où peut naître une haine.»
754.
DONC SI TU
PRÉSENTES (c’est-à-dire te proposes de présenter) À L’AUTEL.
Cela s’explique de
plusieurs façons, selon que l’autel est entendu tantôt comme le temple
matériel, comme en Ps 25, 6 : Je laverai mes mains parmi les
innocents, et je ferai le tour de ton autel, Seigneur ; tantôt comme le
Christ, Lm 2, 7 : Le Seigneur a repoussé son autel, c’est-à-dire le
Christ, dans sa Passion ; tantôt comme la dévotion du cœur, et c’est le
temple intérieur, selon Augustin.
755.
Pour la
première [interprétation], SI TU PRÉSENTES TON OFFRANDE, en oblation, À L’AUTEL
matériel, littéralement. Ou bien l’offrande d’une bonne œuvre, selon la Glose,
À L’AUTEL, c’est-à-dire au Christ. Ou bien, selon Augustin, TON OFFRANDE,
prières, psaumes, hymnes et choses de ce genre, À L’AUTEL, c’est-à-dire dans
ton cœur, qui est le temple où tu vas faire ton offrande.
756. ET LÀ, dans
l’église ou dans ton cœur, SI TU TE SOUVIENS QUE TON FRÈRE A QUELQUE CHOSE CONTRE
TOI. Cela peut se comprendre de deux points de vue : celui de l’offenseur
et celui de l’offensé. Du point de vue de l’offenseur, selon Augustin : SI
TU TE SOUVIENS, c’est-à-dire s’il te vient à la pensée, à la conscience, que
TON FRÈRE que tu as offensé A QUELQUE CHOSE CONTRE TOI, sentiment d’outrage,
blessure physique, vol de biens matériels, atteinte à sa réputation, LAISSE
LÀ (devant l’autel ou devant Dieu) TON
OFFRANDE ET VA : s’il est absent, n’[y va] pas avec les pieds du corps,
comme dit Augustin, mais, d’un cœur humble, prosterne-toi sous le regard de
Celui à qui tu vas faire une offrande ; s’il est présent, il faut le
rappeler à l’amitié, en lui demandant pardon.
757. Ou bien SI TON FRÈRE qui t’a offensé A QUELQUE CHOSE CONTRE TOI, une
raison pour laquelle il t’en veut, VA TE RÉCONCILIER AVEC TON FRÈRE, pour qu’il
renonce à sa rancune. Car en disant : SI TON FRÈRE A QUELQUE CHOSE CONTRE
TOI, il n’ajoute pas «à juste titre», il donne à comprendre que même celui à
qui une injure a été faite doit chercher l’amitié. Chrysostome [dit] : «Si
pour la gloire de ton salut le Seigneur t’ordonne de faire amitié, tu dois bien
davantage solliciter [ton ami], de façon à obtenir une double gloire, l’une
parce que tu es innocent, l’autre parce que tu as fait le premier pas.»
758. ET ENSUITE VIENS : en quelque sorte fais
plaisir au Seigneur, toi qui auparavant ne lui faisais pas plaisir, ET TU
PRÉSENTERAS TON OFFRANDE. Chrysostome [écrit] : «Si tu as offensé en
pensée, fais la réconciliation en pensée ; en parole, [fais-la] en
parole ; en actes, [fais-la] en actes.» Et encore : «Si tu n’apaises
pas par des actes celui que tu as offensé en actes, c’est sans motif que tu
adresses des prières au Seigneur, sans motif que tu fais des aumônes avec les
biens dont tu as dépouillé autrui. Quel intérêt que l’un prie le Seigneur pour
toi et qu’un autre interpelle le Seigneur contre toi ?»
Si 34, 23 : Le Très-Haut n’agrée pas les cadeaux des
méchants.
759. Et note ici les quatre choses requises pour un don ou une offrande. Premièrement,
la bonne humeur, c’est pourquoi il dit : SI TU PRÉSENTES,
Si 35, 8 : Chaque fois que tu fais une offrande, montre
un visage joyeux ; deuxièmement, être propriétaire de l’objet, c’est
pourquoi il dit : TON OFFRANDE, Pr 3, 9 : Honore
Dieu de tes biens ; troisièmement, un lieu convenable : À
L’AUTEL ; quatrièmement, l’amour du prochain, c’est pourquoi il dit :
ET SI TU TE SOUVIENS, 1 Co 13, 3 : Si
je distribue tous mes biens pour nourrir les pauvres mais que je n’ai pas
l’amour, cela ne me sert à rien. Il faut être stupide pour gaspiller une
abondance de nourriture à la place d’un sou de sel, c’est-à-dire d’amour, qui
donne à toutes choses saveur et beauté, comme l’or aux autres métaux.
760. ACCORDE-TOI AVEC TON ADVERSAIRE. Plus haut, [le Seigneur] a interdit
d’avoir de la colère, ou de la discorde avec ses frères ; ici, il
déconseille d’avoir de la discorde avec un adversaire, quand il dit :
ACCORDE-TOI (c’est-à-dire « sois bienveillant ou bon, d’après le sens du
[terme employé dans le texte] grec [eunoôn] », comme dit Jérôme) AVEC TON
ADVERSAIRE. Objection : l’adversaire, c’est le diable. C’est donc avec lui
qu’il faut s’accorder. Réponse : [le Seigneur] parle de celui qui est avec
nous en chemin, mais le diable n’est pas sur le chemin, il ne peut y être, il
est éternellement hors du droit chemin. Donc, AVEC TON ADVERSAIRE, selon
Chrysostome, c’est avec l’homme qui n’est pas d’accord avec nous, ou bien avec
un ennemi au sens propre, Rm 12, 18 : S’il
se peut, étant en paix avec tout le monde.
761. TANT QUE, c’est-à-dire aussi longtemps que, TU ES AVEC LUI EN CHEMIN,
c’est-à-dire en situation de gagner, Jn 9, 4 : Vient
le temps où on ne peut travailler. Ou bien notre adversaire est Dieu, comme dit
Ex 23, 7 : Moi, le Seigneur, qui suis opposé à l’impie. Ou bien la parole
divine, qui s’oppose à ceux qui veulent pécher,
2 Tm 3, 16 : Toute Écriture divinement inspirée est utile
pour enseigner, pour réfuter. Ou bien le remords de conscience dont parle
Ps 49, 21 : Je te dénonce et m’explique devant toi.
762.
Et ainsi à
nouveau cela s’explique de toutes ces façons. D’où ACCORDE-TOI AVEC TON
ADVERSAIRE, c’est-à-dire Dieu et la parole divine (selon Augustin et Bède),
avec lesquels il faut s’accorder dans l’espérance de ce qui est promis, dans la
crainte du supplice, dans la mise en œuvre de ce qui est prescrit, dans
l’éloignement de ce qui est interdit.
763. VITE, c’est-à-dire sans retard, Si 5, 8 : Ne
tarde pas à te tourner vers le Seigneur. TANT QUE TU ES AVEC LUI, celui avec qui tu
marches tout droit, EN CHEMIN, celui du Christ, ou de la pénitence, ou du
monde, Ps 118[119], 32 : J’ai couru sur le chemin de tes
commandements, car tu as dilaté mon cœur.
DE PEUR QUE PAR
HASARD IL TE LIVRE. Selon Augustin, DE
PEUR QUE PAR HASARD, d’aventure, ce soit la cause que tu sois livré. [Le
Seigneur] dit PAR HASARD, selon la Glose, de peur que l’occasion de te repentir
[te] soit ôtée, car si un adversaire était mort avant de s’accorder ou d’être
bien disposé, il semble qu’il serait damné, si on disait simplement : DE
PEUR QUE L’ADVERSAIRE – la parole divine, ou Dieu, ou le remords de conscience
– TE LIVRE AU JUGE. La Glose [dit] : «Aux mains du Christ»,
Jn 5, 22 : Il a donné tout jugement au Fils.
QUE LE JUGE -
c’est-à-dire le Christ, Jr 29, 23 : Moi je suis le juge et le
témoin - TE LIVRE AU GARDE. La Glose [dit] : «À l’ange qui ramasse les
mauvaises herbes pour les emporter » (Mt, chapitre 13,[30]).
Ps 103, 4 : Qui a fait des vents ses anges. Ou bien AU GARDE,
c’est-à-dire à l’exécuteur du diable, Is 14, 4 : Comment
a fini l’exacteur ? ET QU’ON TE METTE EN PRISON, c’est-à-dire dans les
abîmes de l’enfer, Is 24, 22 : Ils seront enfermés en
prison ; Ap 20, 3 : Il l’a jeté dans l’abîme et il l’a enfermé.
764. AMEN, JE TE DIS, c’est-à-dire sache avec certitude, que TU NE SORTIRAS
PAS DE LÀ JUSQU’À CE QUE (Glose : «C’est-à-dire jamais»). Augustin
[écrit] : «JUSQU’À CE QUE ne signifie pas ici la fin de la peine mais la
continuation du malheur.» Comme s’il disait : «Toujours tu paieras et
jamais tu n’auras fini de payer», comme dans Ps 109[110], 1 : Siège
à ma droite, jusqu’à ce que je mette tes ennemis comme un petit banc pour tes
pieds, c’est-à-dire tu siégeras toujours.
TU RENDES LE
DERNIER QUART D’AS, c’est-à-dire les plus petits péchés, selon Bède et Raban,
car rien ne restera impuni. Le quart d’as est une monnaie qui vaut deux petites
pièces. Ou bien, selon Augustin et Jérôme, par le QUART D’AS, il faut
comprendre les péchés terrestres, car LE DERNIER QUART D’AS est la terre, qui
est l’un des quatre éléments de ce monde, et ce dernier [quart] vient du feu,
comme s’il disait : «Puisque tu n’as pas voulu être feu par la charité,
aérien par l’empressement aux bonnes œuvres, aquatique par la sanctification du
baptême, mais que tu as été terrestre en t’attachant aux choses terrestres, TU
NE SORTIRAS PAS DE LÀ, parce que jamais tu n’auras fini de payer les péchés que
tu as tirés de la terre.»
765. VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT AUX ANCIENS : «TU NE COMMETTRAS
PAS D’ADULTÈRE, etc.» Plus haut, [le Seigneur] a ordonné l’irascible en
considération de sa passion ; ici, il ordonne le concupiscible en
considération de la passion qui est dans la racine, c’est-à-dire dans la
puissance générative.
766.
Il aborde
ici eux choses : premièrement, l’ordonnancement du concupiscible par
rapport à son mouvement ; deuxièmement, la confirmation du mariage
lui-même, qui lui est donné comme remède, en cet endroit : IL A ÉTÉ
DIT : «QUI RENVERRA SON ÉPOUSE [Mt 5, 32].
767.
De plus, dans
la première [partie], il rappelle d’abord le mouvement désordonné de la
concupiscence ; deuxièmement, il supprime l’occasion ou ce qui encourage
ce [mouvement], en cet endroit : SI TON ŒIL DROIT EST UNE OCCASION DE
CHUTE POUR TOI [Mt 5, 29].
768.
La première
partie contient deux choses : d’abord la justice de l’ancienne loi, qui
consistait seulement en œuvre extérieure ; ensuite l’explication de la
nouvelle, qui consiste aussi en [œuvre] intérieure, en cet endroit : MAIS
MOI JE VOUS DIS, etc.
769. [Le Seigneur] dit donc : VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT AUX
ANCIENS, c’est-à-dire aux Juifs qui vivaient sous les préceptes de la loi il y
a très longtemps. Chrysostome [écrit] : «En disant : AUX ANCIENS, il
montre le long temps écoulé depuis qu’ils ont reçu ce commandement : TU NE
FERAS PAS D’ADULTÈRE, c’est-à-dire tu ne t’uniras pas illégitimement à une
femme. Car l’adultère, au sens propre, est l’union illégitime d’un homme et
d’une femme.»
770.
Chrysostome
soulève ici une question : pourquoi ne parle-t-il pas du premier
commandement ? Réponse : parce qu’il commence par les passions les
plus générales, comme il a été dit plus haut.
771. MAIS MOI JE VOUS DIS, c’est-à-dire j’ajoute à ce commandement, qui,
croyez-vous, doit être observé seulement en acte, et j’explique qu’il faut
l’observer dans la volonté, selon Augustin.
PARCE QUE CELUI
QUI REGARDE UNE FEMME, c’est-à-dire qui fixe son regard sur une femme.
772.
Ici se pose
aussi une question : pourquoi parmi tous les sens nomme-t-il seulement la
vue ? Réponse : parce que la vue est [le sens] le plus utilisé. Ou
bien, selon Bède, dans la vue il comprend tout ce qui meut l’âme au plaisir.
773. Encore une autre question : pourquoi ne dit-il pas : «Celui
qui désire», mais CELUI QUI REGARDE ? Réponse : parce que désirer est
quelquefois subit et involontaire, et ainsi c’est véniel, c’est un début de
passion selon Jérôme. Mais regarder pour désirer, c’est volontaire, donc mortel
et, selon Jérôme, c’est une passion.
774.
Encore une
question sur ce sujet : pourquoi ne dit-il pas «pour commettre
l’adultère», mais seulement POUR DÉSIRER ? Réponse : pour faire
comprendre que ce qui est condamnable, ce n’est pas seulement l’action ou le
consentement à l’action, mais aussi l’intention ou le consentement au plaisir.
775.
POUR LA
DÉSIRER, c’est-à-dire, selon Augustin et Jérôme, la regarder afin de la désirer
intérieurement, afin de passer à l’action si la possibilité s’offrait.
776. IL EST DÉJÀ ADULTÈRE DANS SON CŒUR, c’est-à-dire qu’il est coupable
d’adultère, car il est déjà passé à la passion du cœur, selon Raban. Grégoire
[écrit] : «Il n’est pas permis de regarder ce qu’il n’est pas permis de
désirer.» Lm 3, 51 : Mon œil a pillé mon âme, [pour toutes les
filles de ma cité]. Selon Augustin, sous le nom d’ADULTÈRE il comprend
toute espèce de plaisir charnel, et quand il dit : QUI REGARDE, la vue est
citée pour tout mouvement qui mène au plaisir, [la vue] non seulement physique
mais aussi intérieure, qui est dans la concupiscence, comme dit Bède.
777. SI TON ŒIL, etc. [Le Seigneur] écarte ici ce qui incite à ce mouvement
lui-même, et ce sont principalement deux choses : la vue et le toucher.
778.
Il écarte la
première quand il dit : SI TON ŒIL DROIT EST POUR TOI UNE OCCASION DE
CHUTE ; puis le second, en cet endroit : ET SI TA MAIN DROITE EST
POUR TOI UNE OCCASION DE CHUTE.
779.
Il dit
donc : SI TON ŒIL DROIT EST POUR TOI UNE OCCASION DE CHUTE, comme s’il
disait : «Plus haut, je vous ai interdit l’adultère en acte et en
volonté ; mais j’interdis aussi davantage, à savoir toute occasion
incitant à l’adultère. C’est pourquoi je dis : SI TON ŒIL DROIT, etc.»
Cela est expliqué de plusieurs façons par les saints. Selon Jérôme, Bède et
Hilaire, il appelle ŒIL la vue et l’affect mental, d’où [ce qu’écrit] Jérôme :
«Parce que plus haut il avait parlé du désir de femme, à bon droit maintenant
il appelle ŒIL la pensée qui tourne aussi sa perception dans tous les sens.»
Hilaire [dit] : «Par l’ŒIL (et le DROIT) on entend un affect de n’importe
quels sentiments.» Selon Augustin, Raban et Chrysostome, l’ŒIL DROIT peut ici
être compris comme les amis et conseillers, qui, en quelque sorte, nous
montrent le chemin dans les choses à faire. Chrysostome [écrit] : «Il a
ajouté DROIT pour que tu apprennes que ce propos ne concerne pas les membres
mais les personnes que nous rencontrons dans la vie ordinaire.» De plus, selon
Augustin, Bède et Jérôme, l’ŒIL DROIT peut être interprété comme les parents et
les proches. Ou bien, selon la Glose, comme la vie contemplative.
780. Il faut donc comprendre ainsi : SI TON ŒIL, c’est-à-dire tes sens
et ta pensée, DROIT, c’est-à-dire sous l’apparence d’une bonne intention, EST
POUR TOI UNE OCCASION DE CHUTE en désirant des choses illicites, ARRACHE-LE, à
savoir en brisant son mauvais usage, ET JETTE-LE LOIN DE TOI, en l’anéantissant
entièrement.
781.
Chrysostome
[écrit] : «Il y avait une religieuse, je l’ai regardée et j’ai dit :
“Je dois lui faire des visites régulières pour l’instruire et la confirmer dans
le bien.” C’est un bon regard, un œil droit. Mais, au cours de mes visites
assidues, je suis tombé dans le piège du désir d’elle. Voici que le bon regard,
l’œil droit, est devenu pour moi une occasion de chute. J’arracherai donc ce
bon regard qui est sur le point d’engendrer le mal.» Et plus loin, il
conclut : «Donc tout bien qui est occasion de chute pour nous ou pour
autrui, nous devons le séparer de nous.»
782. De plus, SI TON ŒIL DROIT, c’est-à-dire ton ami, ton conseiller
spirituel, EST UNE OCCASION DE CHUTE, en t’entraînant à l’hérésie, un tel [œil]
doit être arraché en le réprouvant, jeté en le contredisant ouvertement. De
plus, si les parents sont occasion de chute, empêchant la sainteté de vie, un
tel œil doit être arraché en résistant, jeté en le séparant de soi. Et encore,
si la vie contemplative est occasion de chute, menant à l’ennui ou à
l’arrogance, il faut quelquefois l’arracher en la diminuant, la jeter en
passant à la vie active.
783. CAR IL VAUT MIEUX POUR TOI, c’est-à-dire il est plus nécessaire et
plus utile pour toi de PERDRE UN DE TES MEMBRES, tel sens, tel conseiller, tel
proche, ou la contemplation. Ainsi la Glose [dit] : «Celui que tu
considères comme un membre.» PLUTÔT QUE TON CORPS ENTIER AILLE DANS LA GÉHENNE,
c’est-à-dire que tu sois envoyé en enfer en totalité, âme et corps. La Glose
[dit] : «Il vaut mieux être amputé de celui-ci et sauvé, que damné avec
lui.»
784. Objection : selon les canons, quiconque en une telle occasion se
sera coupé un membre est irrégulier. En outre, une autre glose de Chrysostome
et Augustin : «Il n’est pas recommandé d’arracher un membre
littéralement.» Mais, à l’encontre, dans les Vies des Pères, on lit que cela
a été fait. Réponse à la première objection : l’intention [du Seigneur]
n’est pas qu’un membre doive être coupé à cause de cela, mais il appelle à
couper ou arracher, à éloigner de soi cette sorte d’usage ou d’acte par le zèle
d’un pieux labeur, comme il a été dit plus haut. Réponse à la deuxième
objection sur les Vies des Pères : cela est
excusé par l’Esprit Saint, sous l’inspiration de qui on croit que ce fut fait,
comme dit Augustin à propos de Samson, dans son livre La
cité de Dieu : «Ce qui ne s’excuse que par le fait que l’ordre en
a été donné en secret par l’Esprit Saint, qui faisait des miracles par son
intermédiaire.»
785. ET SI TA MAIN DROITE, c’est-à-dire le travail, ou le contact extérieur
avec bonne intention, ou l’ami qui t’aide à faire le bien ; ou bien, selon
Chrysostome, la MAIN DROITE [est] la volonté de l’âme, la main gauche la
volonté du corps. Or, cette [main] corporelle, selon le même auteur, est
l’instrument de cette main-là.
786.
Question :
pourquoi n’a-t-il pas mentionné l’œil gauche ni la main gauche, alors qu’il
arrive que ceux-ci aussi soient occasion de chute ? Réponse : en
ôtant une chose qui paraissait fournir une occasion plus petite, il ôte aussi
celle qui donne une occasion plus grande. Ou bien, selon Chrysostome, pour que
tu comprennes qu’il ne s’agit pas de membres corporels mais des relations
familiales ou amicales, comme il a été dit plus haut.
787. EST POUR TOI UNE OCCASION DE CHUTE, c’est-à-dire de ruine ou de
scandale, COUPE-LA, en la quittant ou en fuyant. Chrysostome [écrit] : «Il
n’est recommandé de couper aucun membre humain au sens littéral, mais avec le
zèle d’un travail de piété, s’il est nuisible, il faut l’écarter, l’éloigner,
et aussi le tenir loin de soi pour ne pas l’avoir en mémoire. C’est pourquoi il
ajoute : ET JETTE-LE LOIN DE TOI, en le quittant totalement.»
788.
Car il vaut mieux pour toi perdre un de tes membres plutÔt que ton corps
entier aille Dans la GÉHENNE. La Glose [dit] : «Il est meilleur pour toi d’être sauvé
en étant amputé de celui-ci, que d’être damné avec lui.»
789. IL A ÉTÉ DIT, etc. Ici est abordé le deuxième point, la confirmation
du mariage donné comme remède à la concupiscence. Alors que plus haut il a
écarté l’union illégitime contraire à la loi du mariage, ici il écarte la
séparation illicite de ceux qui sont unis, et par cela c’est une confirmation
du mariage contre les hérétiques.
790.
Deux choses
sont dites ici : d’abord la permission [accordée] par la loi de
Moïse ; ensuite la justice et l’interdiction de la nouvelle loi, en cet
endroit : MAIS MOI JE VOUS DIS.
791. [Le Seigneur] dit donc : IL A ÉTÉ DIT. Il ne précise pas l’auteur ou les auteurs de
cette parole, signifiant par là qu’ils sont en quelque sorte étrangers à Dieu,
ceux-là même par qui cela a été dit, Dt 24, 1, où Moïse a écrit que
si l’épouse déplaisait au mari à cause d’une laideur repoussante, il pourrait
la renvoyer.
QUI RENVERRA SON
ÉPOUSE, c’est-à-dire voudra la renvoyer. De la part de Moïse, c’était une
permission, non un commandement, d’où Mc 10, 4 : Moïse
a permis d’écrire un acte de divorce, et de répudier.
QU’IL LUI DONNE UN
ACTE DE DIVORCE. Ce fut un commandement sous cette condition s’il la renvoyait.
Et dans l’acte de divorce, comme on l’appelle, étaient écrites la cause du
divorce, la dot qu’il lui donnait, et la permission qu’elle avait de se marier
avec un autre. Ainsi, selon Chrysostome, il renonçait à elle, de sorte qu’il n’était
plus en son pouvoir de retourner à elle.
792. Question : pourquoi Moïse a-t-il permis cela, qui ne lui avait
pas été indiqué par le Seigneur ?
Réponse, selon Ambroise et Chrysostome : il l’a permis pour éviter
que, par haine ou autre motif que [le mari] pouvait avoir contre l’épouse, il
n’arrive un mal plus grand, à savoir qu’il la tue. Ambroise [dit] : «En
effet, mieux vaut une séparation qu’une effusion de sang causée par la haine.»
793. Mais il faut noter qu’il y a plusieurs sortes de permissions.
Premièrement, la concession licite, quand le prieur t’accorde d’aller voir tes
parents. Deuxièmement, la dispense, quand il te permet de manger ce qui ne
t’est pas autorisé, par exemple, manger de la viande. Troisièmement, la
tolérance, comme lorsque, entre deux maux, on permet le moindre mal, pour
éviter qu’il n’en arrive un plus grand, et telle fut la permission donnée par
Moïse. Car on dit qu’il a permis, parce qu’il a toléré afin qu’ils ne fassent
un mal plus grand comme l’homicide, comme il a été dit plus haut. Et c’est
pourquoi le Seigneur dit que Moïse a prescrit cela en raison de la dureté
de leur cœur, Mt 19, 8. Et une telle permission n’est pas pour autoriser
le péché, car elle agit ainsi pour éviter un plus grand mal. Quatrièmement,
l’indulgence, quand quelque chose est permis, dont le contraire serait
meilleur : ainsi les apôtres ont permis le remariage,
1 Co 7, 39, alors que pourtant la continence des veuves aurait
été meilleure. Cinquièmement, la patience à supporter, ainsi Dieu permet le mal
pour en faire sortir le bien.
794. MAIS MOI JE VOUS DIS, etc., en déterminant qu’il ne faut renvoyer son
épouse pour aucune sorte de raison. [Cela avait été] toléré par Moïse pour
éviter un mal plus grand, l’homicide. C’est ainsi que je résume, et je
développe : PARCE QUE QUI RÉPUDIE SA FEMME, SAUF POUR CAUSE DE DÉBAUCHE
(corporelle, de l’homme ou de la femme), L’EXPOSE À L’ADULTÈRE, car elle se
marie avec un autre, et ce n’est pas un mariage mais un adultère. C’est
pourquoi il ajoute : ET CELUI QUI ÉPOUSE UNE RÉPUDIÉE COMMET L’ADULTÈRE,
parce qu’elle doit rester non mariée ou se réconcilier avec son mari, comme dit
la Glose. S’il la répudie POUR CAUSE DE DÉBAUCHE, comme dit Augustin, ce n’est
pas lui qui la rend adultère, car c’est sa faute à elle. En la renvoyant ainsi,
il ne peut pas, elle vivante, en épouser une autre, comme nous voyons en
1 Co 7, 39.
795. Note que celui qui renvoie ou répudie fait quatre mauvaises actions,
comme dit Chrysostome : premièrement, quant à Dieu, il se montre homicide ;
deuxièmement, il renvoie une épouse non débauchée ; troisièmement, il la
rend adultère ; et quatrièmement, il rend adultère celui qui se marie avec
elle.
796.
De plus, la
femme adultère commet quatre péchés : elle prive ses enfants d’héritage, viole
la fidélité, renvoie son mari, et l’adultère la mène à la débauche. C’est
pourquoi il est dit en Is 50, 1 : Quel est ce papier de divorce
de votre mère, par lequel je l’ai renvoyée ?
Si 23, 32 : Toute femme qui quittera son mari péchera.
797. Note aussi, sur ce sujet : SAUF POUR CAUSE DE DÉBAUCHE, etc., la
glose d’Augustin et de Chrysostome : c’est une CAUSE DE DÉBAUCHE si
l’épouse l’oblige à l’idolâtrie, à l’avarice, ou à d’autres concupiscences
illicites, car la débauche n’est pas seulement sexuelle, mais, d’une façon
générale, ce qui conduit à s’égarer loin de la loi de Dieu. Donc la débauche
spirituelle dissout le mariage.
798. Objection de Jérôme : «Si la femme pèche contre sa propre âme,
elle n’est pas impure pour son mari.» Autrement dit : puisqu’elle pèche
seulement contre son âme, elle n’a pas péché contre son mari. Et ainsi le
mariage ne doit pas être dissout pour cela. Réponse : le lien du mariage
est considéré de trois façons : quant à la mutuelle continence, quant au
devoir charnel qui est à rendre, quant à la cohabitation de service mutuel. Le
premier lien n’est rompu que par la mort de l’un ou l’autre, car le mariage une
fois consommé, l’un ne peut s’engager [ailleurs] tant que l’autre est vivant.
Le deuxième lien est rompu dans la débauche charnelle, avec une distinction
cependant : il y a une débauche spirituelle qui corrompt seulement celui
qui la fait, par exemple l’orgueil, la colère et les choses semblables ;
une autre sorte corrompt le conjoint, par exemple l’hérésie, le vol et les choses
semblables. Donc, dans le premier cas, le lien de la cohabitation ne doit pas
être rompu. Dans le second, il doit être rompu si cette débauche spirituelle
demeure, par exemple si la femme disait qu’elle ne veut pas habiter avec son
mari à moins qu’il ne commette un vol ou des choses de ce genre.
799. Il y a six [en fait, sept] cas qui sont contenus dans ces vers :
Semblable,
prostituant, violence, mort, erreur sur la personne,
Si
conversion, après avoir su : il ne
peut renvoyer.
Dans ces cas il n’est pas permis de renvoyer
l’épouse qui a forniqué.
800.
Le premier
est la similitude, à savoir si le mari lui-même est convaincu de fornication.
Le deuxième la prostitution, si le mari lui-même la prostitue. Le troisième est
la violence, quand l’une est opprimée par la violence de l’autre, et il s’agit
de violence absolue, et non de celle qui vient de la peur. Le quatrième est
l’erreur sur la personne, quand elle est connue par un autre qui a l’apparence
de son mari et qu’elle croit être son mari.
801. Le cinquième est
la mort, quand elle croit probable que son mari est mort et qu’elle se marie
avec un autre ; si soudain son mari revient, elle se sépare du précédent.
Le sixième est la conversion, quand le fidèle est renvoyé par l’infidèle selon
le rite de sa secte ; ensuite, si l’un et l’autre sont convertis à la foi,
il est obligé par l’Église de la reprendre. Le septième est la réconciliation,
quand il s’est réconcilié avec elle après qu’elle a commis l’adultère, ou quand
il l’a gardée alors qu’elle était publiquement adultère.
802.
Dans ces
cas, le mari ne peut répudier, c’est-à-dire renvoyer son épouse qui a forniqué.
C’est ainsi que se comprend la glose d’Augustin et de Chrysostome.
803. Question : y a-t-il une cause semblable pour les hommes, s’ils
sont renvoyés par leurs épouses pour cause de fornication ? Réponse de
Jérôme : «Tout ce qui est dit aux hommes est valable aussi pour les
femmes. Il n’est pas question que la femme adultère soit répudiée et que
l’homme adultère soit gardé. Autres sont les lois de César, autres les lois du
Christ. Dans les premières, pour les hommes les freins de la pudeur sont
lâchés ; mais, dans le Christ, ce qui n’est pas permis aux femmes n’est
pas permis non plus aux hommes, parce que la même servitude est prescrite dans
une égalité de condition.»
804. De plus, [se pose] une question sur IL L’EXPOSE À L’ADULTÈRE :
pourquoi ne dit-il pas : «Et si la femme se marie avec un autre, elle est
adultère» ? Réponse : la femme, comme dit Chrysostome, est en
position de faiblesse. Donc par les menaces que [le Seigneur] fait au mari qui
la renvoie, il veut corriger la stupidité de celui-ci. De même celui qui a un
fils dépensier l’invective en renvoyant ceux qui le rendent tel, et en les
empêchant de se réunir avec lui et de le rencontrer.
805. VOUS AVEZ ENCORE ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT AUX ANCIENS
[Mt 5, 33]. Plus haut, il a ordonné l’irascible et le concupiscible
quant à leurs passions ; ici, il ordonne le raisonnable à l’égard de la
vérité.
806.
Il y a deux
sortes de vérité, la créée et l’incréée. Il ordonne la vertu raisonnable
premièrement à la vérité incréée, par le respect et l’honneur qui lui sont
dus ; deuxièmement, à la vérité créée, par l’interprétation droite, en cet
endroit : QUE VOTRE PAROLE SOIT : OUI ? OUI. NON ? NON
[Mt 5, 37].
807. Dans le premier point, deux choses sont dites.
D’abord, il présente la justice de la loi, qui consiste en deux choses :
éviter le parjure, s’acquitter du serment prêté, en cet endroit : TU
T’ACQUITTERAS ENVERS LE SEIGNEUR DE TES SERMENTS [Mt 5, 33]. Ensuite
il montre la justice de l’évangile, qui consiste en deux choses :
l’interdiction de jurer continuellement, quand il dit : MAIS MOI JE VOUS
DIS DE NE PAS JURER DU TOUT [Mt 5, 34] ; et l’interdiction de
développer, quand il dit : NI PAR LE CIEL…NI PAR LA TERRE, etc.
[Mt 5, 34‑35].
808. [Le Seigneur] dit donc : VOUS AVEZ ENCORE ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT
AUX ANCIENS : «TU NE FERAS PAS DE FAUX SERMENTS», c’est-à-dire tu ne
commettras pas de parjure, Lv 19, 12 : Tu
ne te parjureras pas, pour ne pas souiller le nom de ton Dieu.
809.
Question de
Chrysostome : pourquoi, négligeant le vol, passe-t-il au faux
témoignage ? Réponse : parce que le voleur est parfois menteur, mais
pas l’inverse. En effet, celui qui ne veut ni mentir ni jurer ne choisira jamais
de voler, et c’est pourquoi il y porte attention. Ou bien il faut dire que le
vol était puni par la loi, mais pas le mensonge. Donc, pour qu’on ne s’imagine
pas que [le mensonge] est permis, il l’interdit ici.
810. TU T’ACQUITTERAS ENVERS LE SEIGNEUR DE TES SERMENTS. Jérôme
[dit] : «C’est-à-dire que, s’il t’arrive de jurer, tu jureras par la
création, non par la créature.» C’est pourquoi il dit : ENVERS LE
SEIGNEUR, non envers une idole ou une créature, parce que, comme dit
Chrysostome, «celui qui ne s’acquitte pas de ses serments envers le Seigneur
mais envers les éléments pèche doublement : premièrement, parce qu’il ne
rend pas à Dieu son droit ; deuxièmement, parce qu’il déifie ce par quoi
il jure, et ainsi il commet une idolâtrie.» Glose de Jérôme : de même
qu’il a ordonné d’immoler des victimes à Dieu pour ne pas les immoler aux
idoles, de même jurer par Dieu est une concession faite aux plus petits. Donc,
si c’est pour les plus petits, cela n’est pas permis aux parfaits.
811. Objection : l’Apôtre a juré, Rm 1, 9 : Dieu
m’est témoin, etc., et l’ange en Ap 10, 6 [L’Ange jura par Celui qui vit
dans les siècles des siècles, qui créa le ciel, etc.] Réponse : il
appelle tout-petits ceux qui disent la vérité, ou les humbles qui craignent
Dieu. Ou bien il s’agit des toutes petites choses, c’est-à-dire des choses
temporelles.
812. MAIS MOI JE VOUS DIS, c’est-à-dire : «J’interdis même les
serments, occasions de parjures, je vous ordonne DE NE PAS JURER DU TOUT, pour
quelque raison que ce soit, ou sans raison légitime», parce que quand on jure
sans raison, l’attestation de la vérité première est méprisée parce qu’elle est
prise en vain, ce qui est interdit, Ex 20, 7 : Tu
ne prendras pas en vain le nom de ton Dieu.
813.
Objection :
Ps 109, 4 : Le Seigneur a juré et ne se repentira
pas ; He 6, 16 : La garantie du serment met un terme à toute
contestation. Réponse : [le Seigneur] ordonne DE NE PAS JURER DU TOUT,
continuellement. Ou bien DU TOUT au sens composé, c’est-à-dire dans tous les
cas. Dans le serment, il doit y avoir trois choses : la matière due,
c’est-à-dire la vérité ; la forme due, c’est-à-dire la justice ; et
la fin droite. Selon Augustin, Grégoire et Origène, il n’a pas interdit le
serment d’une façon absolue, mais il a enseigné ce qui est plus parfait qu’une
occasion de parjure. Selon Alexandre, cette prescription est seulement pour les
apôtres de la primitive Église, pour qu’ils ne soient pas tenus pour
imparfaits. Ou bien quand il dit DE NE PAS JURER DU TOUT, est interdite la
passion de jurer, non l’effet, comme en Jc 5, 12 : Avant
tout, frères, ne jurez [ni par le ciel ni par la terre], c’est-à-dire ne
convoitez pas. Jérôme [écrit] : «Le Christ interdit tout à fait de jurer,
pour éviter qu’on ne désire le serment comme un bien, et qu’avec l’habitude de
jurer on tombe dans le parjure.» De plus, Augustin dit, dans son livre sur Le
mensonge : «NE PAS JURER DU TOUT : c’est-à-dire, autant que cela dépend de
toi, n’aime pas cela, ne le désire pas avec quelque délectation.» Et aussi,
encore Augustin : «Le serment n’est pas bon, mais pas mauvais non plus
quand il est nécessaire.»
814. Objection : Augustin [dit], dans le Sermon sur le danger : «Le faux serment
est pernicieux, vraiment dangereux, nullement sûr. S’[il est] dangereux, [il
est] donc mauvais. » Réponse : il est dit dangereux si on considère
celui qui jure, non que [le serment soit] mauvais, mais parce qu’une condition
du serment peut facilement être oubliée, et elles sont trois, selon
Jr 4, 2 : Tu jureras par le Seigneur vivant, en vérité,
droiture et justice. Jurer en vérité, c’est [jurer] selon la vérité du
fait et de sa conscience ; en justice, [jurer] licitement ; en
droiture, [jurer] pour une cause suffisante.
815. NI PAR LE CIEL. Chrysostome [dit] : «Celui qui jure PAR LE CIEL
déifie le ciel, et on entend par LE CIEL toute créature naturelle d’en haut.»
La Glose [dit] : «Ne jurons pas par les créatures.»
816.
Objection :
Joseph a juré par le salut de Pharaon, Gn 2, 15. Réponse : il a juré
en sachant que la puissance et le salut de Pharaon venaient de Dieu. Donc, ce
ne fut pas jurer par une créature mais jurer par Dieu, dans la main de qui est
le salut de tous.
PARCE QUE C’EST LE TRÔNE DE DIEU,
Is 66, 1 : Le ciel est mon trône.
817.
NI PAR LA
TERRE, par laquelle on entend toute créature naturelle d’en bas, PARCE QUE
C’EST L’ESCABEAU DE SES PIEDS, Isaïe, au même endroit [66, 1] : La
terre est l’escabeau de mes pieds. Et comme dit Augustin, «on dit que Dieu est
assis dans le ciel et qu’il marche sur la terre, non qu’il ait des membres
ainsi localisés, mais parce que, dans le corps du monde, c’est le ciel qui a la
plus grande allure et la terre le moins ; c’est pourquoi on dit qu’il est
assis dans le ciel parce qu’il resplendit dans sa grande puissance.»
818.
Ensuite, il
prend la créature artificielle, en disant : NI PAR JÉRUSALEM. L’habitude
des Juifs était de jurer par Jérusalem, par le Temple et les choses de ce
genre.
PARCE QUE C’EST LA
CITÉ DU GRAND ROI, Ps 76, 14 : Quel Dieu est grand comme
notre Dieu ?
819. TU NE JURERAS PAS NON PLUS PAR TA TÊTE. Par là on entend toute
créature qui est comme nous. Augustin [écrit] : «Quand quelqu’un jure par
mon salut, il rattache son salut à Dieu. Quand [il jure] par mes enfants, il
les donne en gage à Dieu, de sorte qu’arrive sur leur tête ce qui sort de sa
bouche.»
CAR TU NE PEUX
RENDRE UN SEUL CHEVEU BLANC OU NOIR, du moins naturellement. Comme s’il
disait : «Ce n’est pas ton affaire mais celle de Dieu.» Augustin [écrit] :
«Jurer par des créatures quelconques, c’est traiter le Créateur en témoin de
celles-ci.»
820.
C’est pour
toutes ces raisons qu’il est dit en Si 23, 9 : N’accoutume
pas ta bouche à faire des serments. Chrysostome [écrit] : «Personne ne peut
jurer fréquemment sans se parjurer parfois.»
821. QUE VOTRE PAROLE SOIT : OUI ? OUI. NON ? NON. Voici la
seconde partie, où il ordonne la vérité raisonnable créée par une
interprétation droite, à savoir quand la vérité est exprimée par la parole,
selon ce qui est conçu dans l’esprit. C’est pourquoi il dit : «Ainsi j’ai
interdit de jurer, même quand il faut parler.» MAIS QUE VOTRE PAROLE
SOIT : OUI ? OUI. NON ? NON, c’est-à-dire votre parole ayant une
existence réelle, QU’ELLE SOIT : OUI ? OUI, c’est-à-dire qu’elle soit
proférée selon la vérité de la conscience. NON ? NON : d’une chose
qui n’est pas, qu’on dise qu’elle n’est pas. Raban [écrit] :
« OUI ? OUI, NON ? NON : il le dit deux fois, pour que ce
que tu dis avec la bouche, tu l’approuves par tes œuvres, et que ce que tu nies
en paroles, tu ne le confirmes pas dans les faits.»
822. TOUT CE QU’ON DIT DE PLUS, c’est-à-dire ce qui est affirmé ou nié
au-delà de la simple vérité de la chose, par exemple par le serment, VIENT DU
MAUVAIS. Il ne dit pas que «c’est mauvais», comme dit Augustin, mais que cela
VIENT DU MAUVAIS, c’est-à-dire non de toi, mais de ceux qui par faiblesse ou
par incrédulité te poussent à jurer.
823. Note qu’il est permis de jurer pour beaucoup de raisons. Premièrement,
pour confirmer la vérité aux incrédules, 2 Co 1, 18 : Aussi
vrai que Dieu est fidèle, notre langage avec vous n’est pas «oui et non» ; deuxièmement pour rétablir la
paix, comme Jacob a juré à Laban, Gn 31, 53 ; troisièmement,
pour resserrer une amitié, Gn 26, 28 : Les
hommes de Gérar dirent à Isaac :» Qu’il y ait un serment entre
nous» ; quatrièmement, pour faire éclater la vérité,
Dt 19, 15 : Dans la bouche de deux ou trois témoins se
tient toute parole ; cinquièmement, pour garder la fidélité, 2 R [2 S]
5, 3 : Les anciens d’Israël vinrent auprès du roi et
il conclut un pacte avec eux ; sixièmement, pour l’obéissance et la
reconnaissance de sujétion, ainsi les hommes de Galaad à Jephté ;
septièmement, pour observer la coutume de l’Église, par exemple [dans le cas]
des chanoines. De même les fils d’Israël jurèrent qu’ils serviraient le
Seigneur. Et ces sept motifs sont en vue d’amener le bien.
824. De plus, deux autres motifs sont en vue d’éloigner le mal, à savoir
les témoins qui prêtent serment dans un procès pour faire taire une calomnie,
He 6, 16 : La garantie du serment met un terme à toute
contestation. Et un autre motif : pour se justifier d’une mauvaise réputation,
Dt 21, 1[‑8] : Quand on découvrira le cadavre d’un homme
assassiné et qu’on ignorera qui est coupable du meurtre, les anciens et les
juges sortiront (…) et diront : «Nos mains n’ont pas versé ce sang et nos
yeux n’ont rien vu. Pardonne à ton peuple Israël que tu as racheté, Seigneur.»
825. VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT : ŒIL POUR ŒIL. C’est la
seconde partie depuis cet endroit : MAIS MOI JE VOUS DIS, etc., et [le
Seigneur] y exhorte à la perfection de l’accomplissement, en ajoutant des
conseils. Premièrement, il présente des conseils d’ordre judiciaire ;
deuxièmement, d’ordre moral, en cet endroit : VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A
ÉTÉ DIT : «TU AIMERAS TON PROCHAIN» [Mt 5, 43].
826.
Le premier
point [se divise] en deux : d’abord, la justice de l’ancienne loi ;
ensuite la perfection de la nouvelle loi, qui consiste en deux choses : endurer
jusqu’au bout le mal qu’on nous fait ; faire le bien, en cet
endroit : À QUI TE DEMANDE, DONNE [Mt 5, 42].
827.
Endurer le
mal qu’on nous fait de deux façons : dans notre corps ou dans nos biens,
en cet endroit : SI QUELQU’UN VEUT TE FAIRE UN PROCÈS
[Mt 5, 40]. Bien agir, en cet endroit : SI QUELQU’UN TE
RÉQUISITIONNE POUR FAIRE MILLE PAS [Mt 5, 41].
828. Il nous exhorte à deux degrés différents à supporter le mal reçu dans notre corps : premier degré, ne pas désirer se venger ; deuxième degré, être prêt à en supporter davantage, en cet endroit : SI QUELQU’UN TE FRAPPE SUR LA JOUE DROITE [Mt 5, 39].
829. [Le Seigneur] dit donc : VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT. Il ne
dit pas à qui, pour indiquer que ceux-là avaient le cœur dur : ŒIL POUR
ŒIL, DENT POUR DENT, en quoi la loi du talion avait été établie pour le tort
subi, comme dit Augustin, Ex 21, 24 et Dt 19, 21.
830.
Question :
pourquoi Moïse a-t-il concédé la loi du talion ? Réponse : Moïse les
a vus se lancer sans réfléchir dans des injures et des vengeances, et c’est
pourquoi, comme il ne pouvait les ramener autrement, il voulut tempérer la
vengeance pour éviter qu’ils n’exercent des vengeances démesurées par rapport
aux torts subis, et pour qu’ils rendent, dans la plupart des cas, le talion, c’est-à-dire
une vengeance équivalente au tort subi. Il y a aussi une glose d’Augustin sur
ce sujet : «La loi constitue la mesure de la vengeance.»
831. Objection : Lv 19, 18 : Ne
cherche pas la vengeance, ne te souviens pas de l’injure de tes concitoyens. Réponse :
la loi du talion était dans un commandement adressé au juge, pour qu’il
l’exerce avec la passion de la justice, et non avec la passion de la vengeance,
et pour empêcher les méchants d’agir. C’est ainsi qu’Augustin l’entend. Mais,
comme il était permis de faire un tort égal, les Juifs croyaient qu’on pouvait
se venger, et c’est pourquoi la vengeance est interdite dans le Lévitique.
Encore Augustin, au même endroit : «C’est la
justice des injustes, car une vengeance établie par la loi n’est pas injuste.»
Donc la vengeance était licite. Réponse : la vengeance était permise au
juge lui-même par amour de la justice, non par amour de la vengeance. La Glose
se comprend donc ainsi : la juste vengeance des injustes, c’est-à-dire de
ceux qui exigent injustement une vengeance.
832. MAIS MOI [JE VOUS DIS], sous-entendu «cette concession leur a été
faite ». MAIS MOI JE VOUS DIS, c’est-à-dire, je vous exhorte en disant de
NE PAS RÉSISTER AU MÉCHANT (ou AU MAL), c’est-à-dire, ne repoussez pas
l’injustice reçue en vous vengeant ou en ayant l’intention de vous venger.
Quand il dit : AU MAL, il entend le mal temporel, ou la souffrance, comme
disent Augustin et Jérôme, et non pas le mal de la faute, auquel il faut
résister jusqu’à la mort. Chrysostome [écrit] : «Il prescrit cela, non
pour que nous nous arrachions mutuellement les yeux, mais plutôt pour que nous
protégions les innocents, ou que nous contenions nos mains, et ainsi il a
freiné l’élan d’injure par une telle menace.» Encore le même : «La colère
n’est pas réprimée par la colère.»
833.
Au sujet du
châtiment du méchant, il faut comprendre qu’il est triple, comme dit
Augustin : le supplice corporel, la confiscation des biens, les travaux
forcés.
834. Question : NE PAS RÉSISTER AU MAL, est-ce un commandement ou un
conseil ?
Réponse : le
dommage qu’il appelle ici MAL est ou particulier et privé, ou public. S’il est
public, alors il doit être repoussé sur ordre du prince,
Rm 13, 4 : Il est le serviteur de Dieu, pour faire
justice et châtier celui qui fait le mal. Augustin [écrit] : «Le courage qui
défend la patrie contre les barbares, ou défend les faibles à la maison, ou les
compagnons contre les voleurs, est la pleine justice. Et ainsi c’est un
commandement pour les sujets, et pas seulement pour les princes.» Ou bien le
dommage peut être particulier, et alors il peut être repoussé de trois façons.
Premièrement, en l’empêchant, comme Paul qui empêcha à l’aide de soldats les
injures des Juifs. Deuxièmement, en donnant des arguments, comme le Seigneur a
fait à celui qui lui donnait une gifle, Jn 22, 23, et de cette façon
c’est permis à tous, parfaits et imparfaits.Troisièmement, ou bien on le
repousse en cas de nécessité urgente, par exemple, quand une blessure ne peut
être évitée ni par la fuite ni par autre parade, et alors, on le repousse soit
sans armes, et de cette façon c’est permis aux clercs comme aux laïcs, soit
avec armes, et ainsi ce n’est pas permis aux clercs, même si pour les laïcs
cela est occasionnellement permis par «dommage manifeste avec protection
contrôlée irréprochable», comme dit la loi. Et ainsi, c’est un commandement
pour les clercs, un conseil pour les laïcs. Ou bien on le repousse avec esprit
de vengeance, ou désir de revanche, et ainsi c’est interdit à tout le monde, et
c’est un commandement.
835.
Et ainsi il
y a plusieurs façons de comprendre NE PAS RÉSISTER AU MAL : cela est soit
un commandement, soit un conseil.
836. SI QUELQU’UN TE FRAPPE SUR LA JOUE DROITE, au sens littéral,
PRÉSENTE-LUI AUSSI L’AUTRE, c’est-à-dire sois prêt à supporter avec patience.
Raban [dit] : «Non seulement tu ne rends pas la gifle, mais s’il veut
frapper l’autre, supporte patiemment.» C’était logique pour les apôtres à cette
époque-là, car, comme ils allaient fonder l’Église, il voulut qu’ils aient à
supporter les premières attaques des persécuteurs, pour que les hommes voyant
leur patience se convertissent à la foi. Chrysostome [écrit] : «Si tu
examines avec soin comment ils furent auditeurs de la loi, en quelle compagnie
ils passèrent leur vie et quand ils reçurent ces commandements, tu comprendras
facilement, tu admireras hautement la sagesse du législateur.» Ou bien
PRÉSENTE-LUI AUSSI L’AUTRE. La Glose [dit] : «Le corps entier à frapper.»
Jérôme [écrit] : «L’AUTRE, c’est-à-dire la droite, car le juste est
entièrement droit.» Ambroise [dit] : «Quoi de plus admirable que de
présenter sa joue à celui qui frappe ? Tout élan d’indignation n’est-il
pas brisé, la colère calmée, et, grâce à cette patience, l’agresseur n’est-il
pas ramené au repentir ?»
837. ET S’IL VEUT TE FAIRE UN PROCÈS (Glose Altercationis : «Faire un
procès, c’est-à-dire porter plainte»), ET TE PRENDRE TA TUNIQUE, c’est-à-dire les
vêtements sans valeur, LAISSE-LUI MÊME TON MANTEAU, c’est-à-dire les vêtements
plus précieux ou de dessus, plutôt que de porter plainte, [surtout]
frauduleusement. Et selon cela, il est interdit à tous d’engager un procès
contre quelqu’un avec mauvaise foi et agressivité. C’est pourquoi, à propos de
ce procès, Chrysostome dit : «Tout procès est irritation du cœur ;
une fois que tu es engagé dans un procès, ta préoccupation n’est plus de voir
la vérité apparaître, mais de gagner par n’importe quel moyen.» Ou bien
l’exhortation peut être pour les parfaits, parce que, bien qu’il soit permis
aux faibles de faire un procès contre le prochain devant un juge, du moment que
c’est sans fraude, pourtant il n’est pas permis aux parfaits d’avoir un litige
avec le prochain. Chrysostome [écrit] : «Celui qui aurait dû te vénérer à
cause de la dignité du Fils, te juge pour les besoins du procès, et tu perds la
dignité du Christ à cause des affaires du monde. C’est pourquoi on a coutume de
dire ces vers :
C’est bon pour les faibles,
c’est permis sans ruse, sans litige,
Et c’est permis aux supérieurs.
Ce n’est pas bon pour l’anachorète :
Ce n’est pas permis que les
biens soient par lui réclamés en justice.
838. Il y a trois causes qui font que les biens enlevés peuvent être
réclamés par certains à la place des parfaits. Premièrement, pour la répression
des méchants, Jb 29, 17 : Je brisais les crocs de l’homme
inique, d’entre ses dents j’arrachais sa proie. Grégoire
[écrit] : «Le souci ne doit pas seulement être qu’ils ne prennent pas nos
biens, mais qu’ils ne se perdent pas eux-mêmes en volant ce qui n’est pas à
eux». Deuxièmement, pour la conservation de la paix, Is 32, 17 :
Le fruit de la justice sera la paix. Troisièmement, pour la consolation des
pauvres, à qui ces biens temporels ont été donnés pour leur nourriture.
839. ET S’[IL TE RÉQUISITIONNE]. Voici le troisième point :
l’exhortation aux œuvres de réquisition. Une réquisition, c’est l’exigence d’un
service indu ou d’un travail en propre personne. Ainsi il dit : S’IL TE
RÉQUISITIONNE, c’est-à-dire t’oblige à lui rendre un service corporel, par
exemple, à FAIRE MILLE PAS avec lui, FAIS-EN DEUX MILLE AVEC LUI, c’est-à-dire,
sois encore prêt à en supporter davantage. Augustin [écrit] :
«Historiquement, nous ne trouvons cela accompli ni en Jésus ni dans les siens.»
Selon Augustin, l’explication [est] donc : «Va, non pas tant avec les
pieds qu’avec un cœur et un esprit prêts », autrement dit, si quelqu’un
t’oblige à lui rendre service et à lui dispenser du réconfort, sois prêt à
dépenser beaucoup plus, avec un grand sentiment de compassion.
840. À QUI TE DEMANDE, DONNE. Ici est présentée la manière parfaite de se
montrer serviable, ce qui se fait de deux façons : premièrement, sans
espoir de rémunération, quand on donne aux pauvres ; deuxièmement, sans
intérêts, quand on accorde un prêt à ceux qui le demandent. À propos du premier
point, [le Seigneur] dit : À QUI TE DEMANDE, DONNE un objet ou une
remontrance. La Glose [dit] : «Ce qui peut être donné avec honnêteté et
justice.» Elle dit «avec honnêteté» car une chose pourrait être nécessaire,
mais sans pouvoir être donnée honnêtement. «Avec justice», parce que le bien
d’autrui ne peut être donné avec justice. Augustin [écrit] : «Donne de
façon que cela ne nuise ni à toi ni à autrui.»
841. Il y a trois dons que nous devons surtout faire. Premièrement, [le
don] qui vient du cœur : la compassion, Is 58, 10 : Si
tu répands ton âme pour l’affamé et si tu rassasies l’opprimé, etc. Grégoire
[écrit] : «Compatir avec son cœur, c’est davantage que donner, car celui
qui compatit donne de lui-même, celui qui donne de l’argent donne d’autrui.»
Deuxièmement, le [don] qui vient de la bouche : de douces paroles de
consolation, Si 18, 16 : La rosée ne calme-t-elle pas la
chaleur ? Ainsi la parole vaut mieux que le cadeau. Troisièmement,
[celui] qui vient de la main : des ressources matérielles,
Dt 15, 11 : J’ordonne que tu ouvres ta main à ton frère
qui est pauvre.
842. Question : tout le monde est-il tenu à cela, et toujours ?
Réponse : le don peut être matériel ou spirituel. S’il est matériel, soit
il consiste en actions serviables, et ainsi n’importe qui est tenu envers le
pauvre, Ex 23, 5 : Si tu vois l’âne de ton ennemi tomber sous sa
charge, tu ne passeras pas ton chemin mais tu l’aideras à le relever ; soit il consiste
en biens, superflus ou nécessaires. Les clercs sont tenus [de donner les biens]
superflus. Ambroise [dit] : «Enlever à celui qui possède n’est pas un plus
grand crime que refuser aux pauvres alors que tu peux.» Mais en cas [de
besoin], c’est-à-dire dans une extrême nécessité, tout un chacun est tenu de
[donner les biens] nécessaires ou superflus. Sur ce sujet Jérôme [cite]
Rm 12, 20 : Si ton ennemi a faim, [donne-lui à manger
(…), ce faisant tu amasseras des charbons ardents sur sa tête]. Celui qui dans
une nécessité quelconque peut secourir quelqu’un en danger de mort, s’il ne le
fait pas il le tue. Mais s’il n’est pas riche, comme il ne peut donner de biens
matériels, il est tenu de [donner] de l’affection. La Glose [dit] : «Si
les ressources te manquent, donne de l’affection.»
843. Si [le don] est spirituel, il consiste soit en compassion [venue] du
cœur, soit en douces paroles [venues] de la bouche, soit en sagesse [venue] de
l’intelligence, et [ce don] oblige autant les pauvres que les riches. Jérôme
[écrit] : «La plupart des pauvres n’ont pas [d’argent], mais même les
riches, s’ils en distribuent toujours, ne pourront pas en donner
toujours ». Donc ce commandement se comprend de cet argent, selon Jérôme,
qui ne disparaît pas quand on en donne, à savoir la sagesse : au
contraire, plus on en donne, plus elle se multiplie.
844. À QUI VEUT T’EMPRUNTER, NE TOURNE PAS LE DOS. Voici la deuxième sorte
d’aide, selon Chrysostome : c’est-à-dire quand nous prêtons à quelqu’un
qui rendra. C’est pourquoi il dit : À QUI VEUT T’EMPRUNTER, c’est-à-dire à
qui veut recevoir de toi un prêt, NE TOURNE PAS LE DOS. La Glose [dit] :
«C’est-à-dire ne détourne pas ta bonne volonté.» Chrysostome [écrit] :
«L’argent d’un usurier est semblable à la morsure d’une vipère. Celui qui est
frappé par la vipère s’endort comme charmé ; dans la suavité de cet
engourdissement, il meurt, parce qu’alors le venin parcourt secrètement tous
ses membres. De même celui qui emprunte à intérêt ressent sur le moment comme
un bienfait, mais les intérêts envahissent tous ses moyens et changent tout en
dette.»
845. VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT : «TU AIMERAS TON PROCHAIN,
etc.» Ici [le Seigneur] présente les conseils concernant la morale. Et parce
que les conseils moraux s’accomplissent dans l’amour du prochain,
Rm 13, 8 : Qui aime son prochain a accompli la loi, il exhorte à
aimer n’importe quelle personne proche de toi et de semblable nature, comme
sont même les ennemis. Ici trois choses sont dites : premièrement, la
désapprobation de l’ancienne loi ; deuxièmement, la tradition établie par
les Juifs, en cet endroit : ET TU HAÏRAS TON ENNEMI [5, 43] ;
troisièmement, la perfection de la loi évangélique, en cet endroit : MAIS
MOI JE VOUS DIS : «AIMEZ VOS ENNEMIS» [5, 44].
846. Il touche à quatre points : premièrement, l’amour des
ennemis ; deuxièmement, le motif de son exhortation, en cet endroit :
POUR QUE VOUS SOYEZ ENFANTS DE VOTRE PÈRE [5, 45] ; troisièmement, la
preuve de son motif, en cet endroit : CAR SI VOUS AIMEZ CEUX QUI VOUS
AIMENT, QUELLE RÉCOMPENSE AUREZ-VOUS ? [5, 46] ; quatrièmement,
en conclusion, la perfection, en cet endroit : DONC VOUS, SOYEZ PARFAITS
[5, 48].
847. Il dit donc : VOUS AVEZ ENTENDU QU’IL A ÉTÉ DIT : «TU
AIMERAS TON PROCHAIN», affectivement et effectivement, ET TU HAÏRAS TON ENNEMI.
Cette phrase ne se trouve nulle part dans la loi ; elle a été ajoutée par
une partie des Juifs, car ils pensaient que peut-être il fallait l’ajouter à
cause de nombreuses paroles dites dans la loi. Ainsi Dieu a ordonné de détruire
les Amalécites, et en Ex 23, 22 il est dit : Je
serai l’ennemi de tes ennemis, et il y a d’autres exemples. C’est pourquoi, à
l’opposé de cette opinion, il y a la perfection évangélique qui consiste en
trois choses : en actes du cœur, en œuvres et en paroles.
848. Pour l’acte du cœur, il dit : MAIS MOI JE VOUS DIS : «AIMEZ
VOS ENNEMIS», au sens littéral, en veillant sur eux, en les aidant, en donnant
de larges bienfaits. «Qu’est-ce qui
nuira à celui qui peut faire bon usage même de son ennemi ? Il ne craint
pas les inimitiés, avec la protection et le mérite de Celui par le commandement
et le don de qui il aime ses ennemis» (Augustin, Sur la vraie religion).
849.
Question :
tous sont-ils tenus à cela ? Réponse : tous sont tenus à cela
affectivement, et même effectivement en cas de nécessité, comme il a été dit
plus haut. Mais les parfaits doivent, au-delà du nécessaire, aimer leurs
ennemis parfaitement, affectivement et effectivement. Affectivement, ils peuvent
aimer les ennemis de l’Église en général. FAITES DU BIEN, en œuvres effectives,
À CEUX QUI VOUS HAÏSSENT, tantôt à cause de l’identité de nature [avec eux],
Is 58, 7 : Ne pas te dérober devant celui qui est ta
propre chair, tantôt à cause de l’amour de Dieu et du prochain,
Rm 12, 20 : Si ton ennemi a faim, nourris-le, etc. Chrysostome
[dit]: «Si tu as fait du bien à ton ennemi, tu t’en es fait davantage à
toi-même.»
850. ET PRIEZ, oralement, POUR CEUX QUI VOUS PERSÉCUTENT en vous injuriant
ouvertement, ET VOUS CALOMNIENT par des injustices visibles. Ou bien CEUX QUI
VOUS PERSÉCUTENT en actes, ET VOUS CALOMNIENT, c’est-à-dire qui vous
incriminent par des paroles mensongères. C’est ce qu’ont fait Étienne,
Ac 7, 59, et le Christ, Lc 23, 34 : Père,
pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font.
851. POUR QUE VOUS SOYEZ ENFANTS DE VOTRE PÈRE. Ici est abordée la raison
de l’exhortation avec un double exemple : divin et humain. Pour l’exemple
divin, [le Seigneur] dit : «Vous devez aimer ainsi POUR QUE VOUS SOYEZ
ENFANTS DE VOTRE PÈRE, c’est-à-dire à son imitation.» Raban [écrit] : «Des
enfants non dégénérés ». Les fils charnels, s’ils ressemblent à leur père,
ne mériteront aucune louange, s’ils sont différents, aucun blâme, car il n’est
pas au pouvoir de l’homme [de choisir] ses caractéristiques physiques. Mais les
fils spirituels, s’ils ressemblent [à leur Père], sont dignes d’éloges, et
s’ils sont différents sont dignes de blâme, car il est au pouvoir de n’importe
qui de donner la mesure de sa justice.
QUI EST AUX CIEUX,
à cause de la splendeur grandiose de son œuvre. Ou bien AUX CIEUX, selon la
Glose, «à cause de la grâce parmi les élus et les saints».
852.
QUI FAIT
LEVER SON SOLEIL : voici l’exemple humain. Et il dit clairement :
SON, [le soleil] qu’il a fait lui-même, contrairement à [ce que disent] les
hérétiques.
IL FAIT LEVER SUR
LES BONS ET SUR LES MÉCHANTS, au sens littéral, selon Raban. ET PLEUVOIR SUR
LES JUSTES ET SUR LES INJUSTES, également au sens littéral. Ou bien le SOLEIL
peut signifier l’influence de la bonté divine, la manifestation de la vérité,
comme s’il disait : «Si tu ressembles à ton Père du ciel, tu feras du bien
aux bons et aux méchants.»
853. CAR SI VOUS AIMEZ CEUX QUI VOUS AIMENT, etc. Ici, [le Seigneur] prouve
sa raison et son exhortation par l’exemple des publicains, comme s’il
disait : «Ce n’est pas la perfection d’aimer seulement ses amis, parce que
SI VOUS AIMEZ CEUX QUI VOUS AIMENT, QUELLE RÉCOMPENSE AUREZ-VOUS ?»
Sous-entendu : «Aucune.» Mt 6, 2 : Vous
avez reçu votre récompense.
LES PUBLICAINS
EUX-MÊMES N’EN FONT-ILS PAS AUTANT ? Quelle perfection y aura-t-il en
vous, si vous ne surpassez en amour l’exemple des publicains, qui sont
imparfaits ? Selon Raban, « on
appelle publicains ceux qui courent après les impôts publics, les affaires du
monde ou les profits ». Et comme dit le même, «le publicain tire son nom
du roi Publius, qui a été le premier à les organiser».
854. ET SI VOUS SALUEZ SEULEMENT VOS FRÈRES, c’est-à-dire si vous priez
seulement pour ceux qui vous sont unis par quelque parenté ou par l’amitié, car
«la salutation, comme dit la Glose, est une forme de prière», QUE FAITES-VOUS
DE PLUS ? Que ferez-vous de plus que les païens ou les barbares, qui
agissent ainsi par une affection humaine ? Sous-entendu : en cela
vous ne serez pas plus parfaits que les païens.
CAR MÊME LES
PAÏENS (ou GENTILS, ethnici, «c’est-à-dire les nations ou ceux qui sont
dévoués à ceux de leur peuple, ethnos en grec, gens en latin», dit
Raban) FONT CELA, c’est-à-dire ont compassion des leurs par affection humaine,
et prient pour eux. «S’il est honteux
qu’un homme du même rang que toi te méprise, combien il est plus honteux que
Dieu soit méprisé par toi !», dit Chrysostome.
855. SOYEZ DONC. Ici [est présentée] la conclusion, comme s’il
disait : «Je vous ai exhortés à la perfection évangélique, donc SOYEZ
PARFAITS.» La Glose [dit] : «Dans l’amour de Dieu et du prochain.»
COMME VOTRE PÈRE
DU CIEL EST PARFAIT. La Glose [dit] : «COMME indique l’imitation, non
l’égalité, comme s’il disait : ‘Faites ce que j’ai dit, pour mériter
d’être les fils du Père céleste par grâce d’adoption’.»
856.
Et note que
la perfection est double : [celle] de la gloire, et [celle] du chemin. Sur
la première, Ep 4, 13 : Jusqu’à ce que nous parvenions
tous ensemble (…) à constituer cet homme parfait [dans la force de l’âge, qui
réalise la plénitude du Christ]. La perfection du chemin vient soit de la
nature, c’est d’elle que [parle] Gn 2, 1 :
Parfaits sont les cieux et la terre et toute leur parure ; soit de la
grâce, et celle-ci est double : d’état ou de mérite. La perfection du
mérite est multiple.
857. La première [est
la perfection] du cœur, Is 38, 3 : Souviens-toi comment j’ai
marché devant toi en vérité et avec un cœur parfait. La deuxième [est
celle] de la bouche, Jc 3, 2 : Si quelqu’un ne fait pas
d’offenses en paroles, c’est un homme parfait. La troisième [est
celle] de l’œuvre et celle-ci est multiple. La première [est celle] de
l’innocence, Si 31, 8 : Heureux homme qui a été trouvé
sans faute, etc., et plus loin, [Si 31, 10] : Qui a subi cette épreuve et a
été trouvé parfait ; la deuxième [est celle] de l’excellence de vie,
Gn 6, 9 : Noé était un homme juste et parfait parmi ses
contemporains, [et il marchait avec Dieu] : c’est à celle-ci
que sont tenus les clercs, plus que les laïcs ; la troisième [est celle]
de l’obéissance, Gn 17, 1 : Marche en ma présence, sois
parfait ; la quatrième [est celle] de la patience, Jc 1, 4 : La
constance s’accompagne d’une œuvre parfaite ; la cinquième [est
celle] de la persévérance, 1 P 1, 13 :
Soyez sobres et espérez parfaitement [en la grâce qui doit vous être apportée].
La
Glose [dit] : «En persévérant avec constance» ; la sixième [est celle] de la charité,
1 Jn 4, 18 : La charité parfaite bannit la crainte, et à celle-ci,
tout le monde est tenu.
858. La perfection a trois stades. Premièrement, l’ordre ; en
Dt 33, 8, il est dit à la tribu de Lévi : Ta
perfection et ton enseignement à ton saint. Deuxièmement, la préférence,
Lc 6, 40 : Tout disciple sera parfait s’il est comme son
maître. Troisièmement, la religion, Mt 19, 21 : Si
tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres
etc.
Leçon 1
[Matthieu 6, 1‑4] 6, 1 «Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes,
afin d’être vus par eux ; autrement, vous n’aurez pas de récompense auprès
de votre Père qui est dans les cieux. 6, 2 Quand donc tu fais l’aumône, ne
le claironne pas devant toi comme le font les hypocrites, dans les synagogues
et les bourgs, afin d’être honorés par les hommes ; en vérité, je vous le
dis, ils ont déjà reçu leur récompense. 6, 3 Lorsque tu fais l’aumône, que
ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite, 6, 4 afin que ton
aumône soit secrète, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
Leçon 2
[Matthieu 6, 5‑8] 6, 5 «Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites :
ils aiment, pour prier, se camper dans les synagogues et les carrefours, afin
qu’on les voie. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense.
6, 6 Pour toi, quand tu pries, entre dans ta chambre et en fermant la
porte, prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit
dans le secret, te le rendra.
6, 7 «Quand vous priez, ne
rabâchez pas comme les Gentils, ne leur ressemblez pas. Ils pensent qu’en
parlant beaucoup ils seront écoutés. 6, 8 N’allez pas faire comme
eux ; en effet, votre Père sait bien ce dont vous avez besoin, avant que
vous le demandiez.
Leçon 3
[Matthieu 6, 6‑12] 6, 9 «Vous, priez donc ainsi : “Notre Père qui es aux cieux,
que ton Nom soit sanctifié, 6, 10 que ton Règne vienne, que [ta Volonté]
soit faite sur la terre comme au ciel. 6, 11 [Donne-nous] aujourd’hui
notre pain supersubstantiel quotidien. 6, 12 Remets-nous nos dettes comme
nous-mêmes remettons à nos débiteurs.
Leçon 4
[Matthieu 6, 13‑18] 6, 13 “Et ne nous soumets pas à la tentation ; mais
délivre-nous du mal.” 6, 14 Si vous remettez aux hommes leurs manquements,
votre Père céleste vous remettra aussi ; 6, 15 mais si vous ne
remettez pas aux autres, votre Père non plus ne vous remettra pas vos
manquements. 6, 16 Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre
comme font les hypocrites : ils deviennent tristes, ils prennent une mine
défaite afin de paraître jeûner aux yeux des hommes. En vérité, je vous le dis,
ils ont déjà reçu leur récompense. 6, 17 Mais toi, quand tu jeûnes,
parfume ta tête et lave ton visage, 6, 18 afin de ne pas paraître jeûner
aux yeux des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret ; et ton
Père, qui est là dans le secret, te le rendra.
Leçon 5
[Matthieu 6, 19‑34] 6, 19 «Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, ni des choses
inutiles, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et
cambriolent. 6, 20 Mais amassez-vous des trésors dans le ciel : là,
point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et
cambriolent. 6, 21 Là où est ton trésor, là est ton coeur.
6, 22 «La lampe du corps,
c’est l’oeil. Si ton oeil est sain, tout ton corps sera sain, lumineux.
6, 23 Si ton oeil ne l’est pas, ton corps tout entier sera dans les
ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles seront les
ténèbres !
6, 24 Personne ne peut
servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il en
supportera l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.
6, 25 C’est pourquoi je
vous dis : ne vous inquiétez pas pour votre âme de ce que vous mangerez,
ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. L’âme n’est-elle pas plus que la
nourriture, et le corps plus que le vêtement ? 6, 26 Regardez les
oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent dans
des greniers, et cependant votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas
plus qu’eux ? 6, 27 Qui d’entre vous d’ailleurs peut, en s’en
inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? 6, 28
Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs,
comme ils poussent : ils ne travaillent ni ne filent. 6, 9 Or, je
vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme
l’un d’eux. 6, 30 Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs, qui existe
aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous,
hommes de peu de foi ! 6, 31 Ne vous inquiétez donc pas en
disant : “Qu’allons-nous manger ? Qu’allons-nous boire ? De quoi
allons-nous nous vêtir ?” 6, 32 Ce sont là les choses que les païens
recherchent. En effet, votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin.
6, 33 Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous
sera donné par surcroît. 6, 34 Ne vous inquiétez donc pas du
lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa
peine.»
859. GARDEZ-VOUS DE PRATIQUER VOTRE JUSTICE DEVANT LES HOMMES [6, 1]. La seconde partie commence en cet endroit : VOILÀ POURQUOI JE VOUS DIS [6, 25], dans laquelle, après avoir invité à la perfection évangélique, il invite à une intention droite. Et celle-ci se divise en deux [parties] : d’abord, il invite à la simplicité d’une sainte intention [6, 25s] ; en second lieu, à la pureté d’un saint comportement, en cet endroit : MÉFIEZ-VOUS DES FAUX PROPHÈTES [7, 15].
860. La simplicité d’une sainte intention est affaire de cœur et d’action. Si 2, 14[12] s’oppose à la duplicité de l’action : Malheur au pécheur qui emprunte deux voies; Jc 1, 8 [s’oppose] à la duplicité du cœur : L’homme à l’âme partagée est inconstant dans ses actions. [Le Seigneur] écarte la première dans le présent chapitre [6, 1‑18], et il écarte la duplicité de l’action en cet endroit : NE VOUS AMASSEZ PAS DES TRÉSORS SUR LA TERRE [6, 19].
861. La duplicité du cœur existe lorsque, pour obtenir la faveur du monde, on fait une chose qui est bonne en elle-même. En premier lieu, [Jésus] écarte donc la recherche de la faveur du monde dans toutes les actions d’une manière générale [6, 1] ; en second lieu, d’une manière spéciale, en cet endroit : QUAND DONC TU FAIS L’AUMÔNE [6, 2]. De plus, il présente en premier lieu l’exclusion de la faveur du monde ; en second lieu, il en donne la raison, en cet endroit : SINON, VOUS N’AUREZ PAS DE RÉCOMPENSE AUPRÈS DE VOTRE PÈRE [6, 1].
862. Il dit donc : GARDEZ-VOUS [6, 1], c’est-à-dire soyez prudents et attentifs, DE PRATIQUER VOTRE JUSTICE (la Glose dit : «À savoir, les œuvres de votre justice») dans ce but (selon la Glose) : DEVANT LES HOMMES, AFIN D’ÊTRE VUS PAR EUX, c’est-à-dire de manière à rechercher la faveur des hommes. Augustin [écrit] : «Il n’interdit pas d’être vu afin que Dieu soit loué, mais afin d’être eux-mêmes louangés.» Chrysostome [écrit] : «De même qu’on ne peut cacher des lampes, de même il n’est pas nécessaire de cacher l’œuvre de la justice.»
863. AUTREMENT, comme s’il disait : «Si vous ne faites pas cela, VOUS N’AUREZ PAS DE RÉCOMPENSE AUPRÈS DE VOTRE PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX. [Commentaire] de la Glose : «Car la faveur des hommes vous est accordée, pour l’amour de laquelle vous accomplissez [la justice]», Ag 1, 6 : Il a amassé son salaire et l’a placé dans une bourse percée. Jérôme [écrit] : «Ce n’est pas la vertu, mais la cause de la vertu qui est récompensée par Dieu.»
864. Voici la seconde partie, dans laquelle [Jésus] écarte d’une manière spéciale la recherche de la faveur des hommes pour les bonnes œuvres. Ainsi, Augustin [écrit] dans la Glose : «Du tout il passe aux parties.» Or, il existe principalement trois bonnes œuvres : l’aumône, la prière et le jeûne. L’aumône, contre la concupiscence des yeux ; la prière, contre l’orgueil de la vie ; le jeûne, contre la concupiscence de la chair. La première concerne le prochain ; la seconde, Dieu ; la troisième, soi-même.
865. [Jésus] écarte donc en premier lieu la recherche de la faveur des hommes par l’aumône [6, 2s] ; en second lieu, par la prière, en cet endroit : LORSQUE VOUS PRIEZ, etc. [6, 5s] ; en troisième lieu, par le jeûne, en cet endroit : LORSQUE VOUS JEÛNEZ, etc. [6, 16s].
866. Dans la première partie, [Jésus] dit quatre choses : premièrement, il présente l’exclusion de la faveur [6, 2] ; deuxièmement, la raison de [cette exclusion], en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, ILS ONT DÉJÀ REÇU LEUR RÉCOMPENSE [6, 2] ; troisièmement, la manière et la discrétion dans le don, en cet endroit : POUR TOI, QUAND TU [FAIS L’AUMÔNE] [6, 4] ; quatrièmement, la promesse faite à celui qui donne : TON PÈRE, QUI VOIT DANS LE SECRET, TE LE RENDRA [6, 4].
867. [Jésus] dit donc : QUAND DONC TU FAIS L’AUMÔNE [6, 2], c’est-à-dire des œuvres de miséricorde, NE LE CLAIRONNE PAS DEVANT TOI. Au sens littéral, selon Anselme, peut-être sonnaient-ils le cor pour que tous viennent au spectacle lorsqu’ils faisaient l’aumône. Ou bien sonner le cor, c’est rechercher la pompe de la vaine gloire. Ainsi Raban [écrit] : «Celui-là sonne le cor qui veut être louangé devant les autres.» Ou bien, comme le dit Chrysostome : «Le cor est tout acte ou toute parole par lesquels est indiquée la vanité dans le comportement. Et ainsi, même le fait de cacher est parfois un cor.» COMME LE FONT LES HYPOCRITES. «Est hypocrite, comme le dit Augustin, celui qui simule ce qui n’existe pas.» [Le mot] vient de hypo, c’est-à-dire «sous» ou «au-dessous», et crisis, «doré», comme s’il était doré à l’extérieur et fangeux à l’intérieur. DANS LES SYNAGOGUES, afin d’être vus par les sages, ET DANS LES BOURGS, afin d’être vus par la foule. Et par cela est désignée leur vaine intention. AFIN D’ÊTRE HONORÉS PAR LES HOMMES, c’est-à-dire dans le but que les hommes les honorent. Voici la recherche de la vaine pompe. Chrysostome [écrit] : «L’aumône qui est vue par les hommes ne déplaît pas à Dieu, mais celle qui est faite afin d’être vue par les hommes.» EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, ILS ONT REÇU LEUR RÉCOMPENSE [6, 2]. La Glose [dit] : «À savoir, que leur récompense est la louange humaine.»
868. En troisième lieu, la manière de faire l’aumône est montrée ici. Ainsi, [Jésus] dit : LORSQUE TU FAIS L’AUMÔNE, c’est-à-dire lorsque tu fais une œuvre de miséricorde, QUE TA MAIN GAUCHE NE SACHE PAS. Par la gauche, est désignée l’intention mauvaise de la vaine gloire ; par la droite, l’intention sainte d’accomplir les commandements de Dieu, comme le dit Augustin. Ainsi, QUE TA MAIN GAUCHE NE SACHE PAS, c’est-à-dire que n’intervienne pas la recherche mauvaise de la louange, d’un contentement inconvenant ou de l’arrogance. CE QUE FAIT TA MAIN DROITE, à savoir, lorsque vous vous efforcez d’accomplir les commandements de Dieu, comme s’il disait : «Ce que fait la vertu, que l’arrogance ou la vaine gloire l’ignore.»
869. AFIN QUE TON AUMÔNE SOIT SECRÈTE, c’est-à-dire dans le secret de la conscience, selon la Glose. On dit que l’aumône est faite à l’intérieur de la conscience lorsqu’elle est faite pour Dieu, et non parce qu’elle est parfois cachée des hommes. Ainsi, Chrysostome [écrit] : «Celui qui fait l’aumône pour Dieu ne voit personne dans son cœur que Dieu pour qui il la fait ; à l’opposé, il se peut que personne ne soit présent, mais, dans son cœur, il suscite des personnes devant lesquelles il veut s’enorgueillir. L’aumône est faite dans le secret lorsqu’elle n’est pas mélangée aux ténèbres ; la lumière est intérieure, les ténèbres sont extérieures.»
870. ET TON PÈRE. Voilà le quatrième point, à savoir, la promesse faite à celui qui fait [l’aumône]. Ainsi, il dit : ET TON PÈRE QUI VOIT DANS LE SECRET, c’est-à-dire qui est juge des intentions, He 4, [12], et 1 R [1 S] 16, 7 : L’homme voit ce qui paraît à l’extérieur, mais Dieu scrutera le cœur. TE LA RENDRA, c’est-à-dire la récompense, Si 5, 4 : Le Très-Haut est un débiteur patient. Chrysostome [écrit] : «Il est impossible que Dieu laisse cachée une bonne œuvre, car elle est sa gloire. Ainsi donc, si tu veux voir où tu vas, cache-les. En effet, si tu t’efforces de les cacher maintenant, Dieu les proclamera glorieusement en présence de toute la terre.»
880. ET QUAND VOUS PRIEZ, NE SOYEZ PAS COMME LES HYPOCRITES. [Jésus] écarte ici, en second lieu, la recherche de la faveur humaine par la prière, et il s’y trouve trois choses. Premièrement, il écarte la recherche de la faveur humaine [6, 5] ; deuxièmement, il enseigne la manière de prier, en cet endroit : POUR TOI, QUAND TU PRIES [6, 6] ; troisièmement, il ajoute un modèle approprié de prière, en cet endroit : VOUS PRIEREZ DONC AINSI [6, 9].
881. Le premier élément contient trois choses. Premièrement, [le Seigneur] écarte de la prière l’ostentation des hypocrites [6, 5] ; deuxièmement, le genre et le but de l’ostentation, en cet endroit : ILS AIMENT POUR PRIER SE CAMPER DANS LES SYNAGOGUES ET LES CARREFOURS [6, 5] ; troisièmement, il ajoute leur condamnation, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, ILS ONT REÇU LEUR RÉCOMPENSE [6, 5].
882. [Jésus] dit donc : QUAND VOUS PRIEZ, à savoir, par la disposition de votre esprit. Mais ici se présente une question à propos de la lettre : pourquoi [Jésus] n’a-t-il pas dit : «Lorsque tu pries (au singulier, comme auparavant) et lorsque tu fais, etc. ?» Il dit : LORSQUE VOUS PRIEZ, au pluriel, parce qu’il revient à tous de prier, car, pour le faire, aucune chose temporelle n’est requise, mais seulement l’intention du cœur ; mais il ne revient pas à tous de faire l’aumône. Ou bien il faut dire que la prière se fait de deux manières : en commun, comme [c’est le cas] au chœur, et de manière solitaire, etc.
883. NE SOYEZ PAS COMME LES HYPOCRITES, qui brillent à l’extérieur et empestent à l’intérieur, plus loin, 23, 27. ILS AIMENT. Mais on se demande pourquoi [Jésus] ne dit pas : «Ils prient.» La réponse de Chrysostome [est] qu’ «ils ne prient pas vraiment, mais aiment paraître prier». À ce propos, on se demande pourquoi [Jésus] n’a pas parlé de l’aumône de la même façon. La réponse [est] que, bien qu’ils fassent l’aumône dans une mauvaise intention, ils donnent quand même quelque chose. DANS LES SYNAGOGUES, où se réunissent les sages pour prier afin d’être vus. SE CAMPENT : [Jésus] dit cela parce que c’est la coutume des Juifs de prier en se tenant debout, car ils ont reçu la loi debout, Ex 19, 17 : Ils se tinrent debout au pied de la montagne, etc. ET DANS LES CARREFOURS, ajoutez : «Ils aiment prier.» Chrysostome [écrit] : «Ils essaient de se cacher afin d’être doublement louangés : d’abord, parce qu’ils prient ; deuxièmement, parce qu’ils prient secrètement.» AFIN D’ÊTRE VUS PAR LES HOMMES. Voici l’intention vaine. Chrysostome [écrit] : «Ils ne cherchent pas à être exaucés, mais paraître l’être. Quelle folie que la vanité ! Ils ne veulent pas être ce qu’ils désirent paraître : ils prient dans le mensonge, alors qu’ils ne prient pas ; et ils sont louangés dans le mensonge, alors qu’ils ne sont pas dignes de louanges. Ils vendent une forme vide de religion, et ils achètent la parole vide de la louange. Quand ils ont fini de parler, le bien qu’ils se proposaient en parlant disparaît.» [Jésus] ajoute donc à juste titre : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, comme s’il disait : «Tenez pour certain.» ILS ONT REÇU LEUR RÉCOMPENSE. La Glose [dit] : «La louange humaine, mais ils ont reçu de moi une peine éternelle.»
884. POUR TOI, QUAND TU PRIES, etc. Voici la deuxième partie, où [Jésus] présente la manière de prier. Premièrement, il montre la manière appropriée ; deuxièmement, il écarte de cette manière le comportement des Gentils, à savoir, le bavardage, en cet endroit : QUAND VOUS PRIEZ, NE RABÂCHEZ PAS COMME LES GENTILS [6, 7].
885. Le premier point comporte deux [parties] : premièrement, il présente la manière de prier ; deuxièmement, il ajoute une promesse, en cet endroit : ET TON PÈRE, QUI VOIT DANS LE SECRET, TE LE RENDRA [6, 6].
886. La manière de prier comporte trois éléments. Le premier, le secret de la méditation ; le second, l’exclusion d’un mauvais désir, en cet endroit : ET EN FERMANT LA PORTE [6, 6] ; le troisième, la rectitude d’intention, en cet endroit : ET PRIE TON PÈRE DANS LE SECRET [6, 6].
887. [Jésus] dit donc : QUAND TU PRIES, RETIRE-TOI DANS TA CHAMBRE, c’est-à-dire dans le secret de ton esprit, et dans ta retraite, comme disent Augustin et Raban Maur, par l’acte d’une méditation secrète. Chrysostome [écrit] : «Il ne faut pas chercher à émouvoir Dieu par une voix criarde, mais il doit être apaisé par une conscience droite ; car Il n’écoute pas la voix, mais le cœur.» Ou bien : ENTRE DANS TA CHAMBRE, au sens littéral. Et il dit à dessein «chambre», car alors l’âme doit se reposer des choses extérieures lorsqu’elle prie, et c’est là le moment le plus approprié et le lieu plus secret. Chrysostome [écrit] : «Au cours de la journée, mille choses t’ont sollicité et ne t’ont pas permis d’être dans le secret pour prier. Mais lorsque tu atteins ton lit, dis à ton âme : “Mon âme, comment avons-nous passé la journée ? Qu’avons-nous fait de bien ou de mal ?” Prie Dieu d’abord, puis permets à ton âme de s’endormir.» Ainsi faisait Judith, 8, 6 ; ainsi, Pierre, Ac 10, 9, et Tobie, 3, 10. ET EN FERMANT LA PORTE, c’est-à-dire en écartant tout désir mauvais et terrestre, ou en fermant les sens extérieurs, comme le dit la Glose, Is 26, 20 : Va, mon peuple, dans ta chambre, et ferme ta porte sur toi. PRIE TON PÈRE. La Glose [dit] : «Celui qui prie en esprit et en vérité, Jn 4, 23.» Ne prie pas pour les choses de ce monde. Isidore [écrit] : «C’est une chose de raconter à celui qui ne sait pas ; c’en est une autre de prier celui qui sait ; à celui-là, on fournit des indications, à celui-ci, on rend hommage.» DANS LE SECRET, c’est-à-dire dans l’intimité du cœur. Chrysostome [écrit] : «Que celui qui prie ne fasse rien d’étrange que puissent apercevoir les hommes, qu’il n’élève pas la voix, ni n’étende les mains, ni ne lève impudemment les yeux vers le ciel afin de se faire remarquer.»
888. ET TON PÈRE, QUI VOIT DANS LE SECRET, TE LE RENDRA. Voilà qu’il ajoute la promesse, en disant : ET TON PÈRE QUI VOIT DANS LE SECRET, c’est-à-dire qui regardera ton cœur, He 4, 13 : Tout est à nu et à découvert à ses yeux. TE LE RENDRA. Il ne dit pas : «Il te donnera», car Il s’est déjà constitué débiteur, c’est-à-dire qu’il te donnera certainement une récompense. Chrysostome [écrit] : «Vois la philanthropie de Dieu, c’est-à-dire l’amour qu’Il a pour les hommes, et considère avec admiration la miséricorde de Dieu, puisque, pour ces biens mêmes que nous Lui demandons, Il promet de donner une récompense.»
889. QUAND VOUS PRIEZ, NE RABÂCHEZ PAS. Ici, il écarte le bavardage : premièrement, il présente l’interdiction du bavardage ; deuxièmement, la raison de l’interdiction, en cet endroit : NE LEUR RESSEMBLEZ PAS [6, 8].
890. Il dit donc : QUAND VOUS PRIEZ, NE RABÂCHEZ PAS, c’est-à-dire ne mettez pas votre confiance dans les mots. En sens contraire, 1 Th [5], 17 : Priez sans cesse. De plus, le Seigneur a consacré beaucoup de temps à la prière, plus loin, 26, 36s et Lc 6, 12. [Voici] la réponse d’Augustin : «Il condamne le bavardage qui vient du manque de foi, mais non les prières que font les saints dans la pureté de leur cœur.» Ainsi, Anselme [écrit] : «Ce n’est pas un péché de prier par une profusion de mots avec la dévotion au cœur.» AINSI FONT LES GENTILS : en effet, les Gentils multipliaient les paroles en priant. En premier lieu, ils indiquaient ainsi leur intention aux démons qu’ils adoraient, car autrement [ceux-ci] n’auraient pas pu la connaître ; ainsi Augustin [écrit] : «La multiplicité des paroles était nécessaire pour les Gentils en raison des démons.» En second lieu, ils attiraient ainsi sur eux l’attention des démons absents ; c’est à cette raison qu’Élie fait allusion en 3[1] R 18, 27, en disant aux prêtres, qui priaient depuis longtemps : Criez plus fort pour le réveiller, car c’est votre dieu ; peut-être est-il en train de parler, ou se trouve-t-il ailleurs, ou peut-être dort-il. En troisième lieu, par la persuasion des paroles, ils cherchaient à les influencer dans le sens de la miséricorde. C’est pourquoi, [Jésus] ajoute : ILS PENSENT QU’EN PARLANT BEAUCOUP, ILS SERONT ÉCOUTÉS [6, 7], c’est-à-dire ils pensent que, par la multitude des paroles persuasives, leurs prières obtiendront leur effet.
891. Et parce qu’eux agissent ainsi, VOUS DONC, mes fidèles, NE FAITES PAS COMME EUX, à savoir, par la multiplication des paroles, parce que vous croiriez que Dieu est influencé par des paroles persuasives. Isidore [écrit] : «Ce n’est pas par le bavardage que les hommes sont écoutés, comme s’ils cherchaient à influencer Dieu par des paroles persuasives.» De même, afin que vous ne pensiez pas que votre Dieu ignore ce que vous demandez : EN EFFET, VOTRE PÈRE SAIT BIEN CE DONT VOUS AVEZ BESOIN. Voici la raison de l’interdiction, comme s’il disait : «Il n’est pas nécessaire que vous priiez avec une multitude de paroles, mais en vérité et avec la simplicité du sentiment qui vient du cœur», comme le dit Raban. Car VOTRE PÈRE SAIT CE DONT VOUS AVEZ BESOIN, c’est-à-dire ce qui vous est nécessaire, AVANT QUE VOUS LE DEMANDIEZ. Pourquoi alors faut-il prier ? La réponse est [la suivante] : non pas pour que tu l’informes, mais pour que tu le fléchisses, pour que tu lui deviennes proche, pour que tu t’humilies, pour que tu te rappelles tes péchés. Et [Jésus] dit délibérément : VOTRE PÈRE. Chrysostome [écrit] : «En disant “Père”, il a indiqué d’un seul mot le pardon des péchés, l’abolition des peines, la justification, la sanctification, la libération et l’adoption des fils, l’héritage de Dieu et la fraternité associée au Fils unique, ainsi que les dons les plus généreux du Saint-Esprit.»
892. Ici, Jérôme et Raban [Maur] posent la question : si Dieu sait avant que nous ne demandions, pourquoi demandons-nous à Celui qui sait ? La réponse est qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles nous parlons à Celui qui sait et le prions. La première, afin que nous confessions et sachions que nous recevons de Lui ce que nous demandons ; ainsi Raban [écrit] : «Il n’est pas nécessaire de raconter, mais de supplier. » La seconde, afin que soit donné l’exemple ; ainsi Raban [écrit] : «Dieu veut qu’on lui adresse des demandes pour que sa bonté apparaisse aux peuples.» La troisième, afin que notre esprit soit stimulé ; ainsi Jérôme [écrit] : «Nous nous stimulons au moment de la prière.» La quatrième, afin que la dévotion de ceux qui sont présents soit stimulée. Ainsi, Jérôme [écrit] : «Nous parlons, non pas pour faire part de notre volonté, mais pour stimuler l’expression d’une pieuse dévotion.» La cinquième, afin que le désir soit enflammé. La sixième, afin que le cœur soit purifié. La Glose interlinéaire parle de ces deux points : «Le cœur est enflammé par les paroles et est apaisé par les prières.» La septième, afin que l’esprit occupé à des paroles saintes soit éloigné de pensées superflues.
893. VOUS PRIEREZ DONC AINSI. Plus haut, le Seigneur a enseigné la manière de prier, à savoir, en évitant la vanité des hypocrites et le bavardage des Gentils ; ici, il enseigne ce que nous devons demander dans la prière, et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente le titre de la prière ; deuxièmement, il présente la prière.
894. [Le Seigneur] poursuit donc ce qu’il avait dit auparavant : «J’ai dit : “Quand vous priez, ne rabâchez pas, etc.” Donc, pour employer peu de mots, VOUS PRIEREZ AINSI.» Et remarque que le Seigneur ne dit pas : «Vous direz cela», mais : «Vous prierez ainsi». En effet, il n’interdit pas que nous puissions prier en utilisant d’autres mots, mais il enseigne la manière de prier. Ainsi, Augustin [écrit] dans le Livre à Proba sur la prière : «Personne ne prie comme il le doit s’il ne demande pas quelque chose qui se trouve dans la prière du Seigneur.» Car, il convient que nous priions par ces mots parce que, comme le dit Cyprien dans le livre sur la prière du Seigneur : «C’est une prière amicale et familière que de demander au Seigneur ce qui lui appartient.» Et il donne un exemple : c’est l’usage, en effet, chez les avocats de mettre dans la bouche de certaines personnes ce qu’elles doivent dire lors d’un procès. Ainsi, cette prière est la plus sûre, comme si elle avait été formulée par notre avocat, qui est le plus sage, en qui se trouvent tous les trésors [de la sagesse et de la science], Col 2, 3. Cyprien dit donc : «Puisque nous avons le Christ auprès du Père comme avocat pour nos péchés, quel plaisir pour nous que de demander en exprimant les paroles de notre avocat !» 1 Jn 2, 1 : Nous avons un avocat. C’est pourquoi il est dit en He 4, 16 : Approchons-nous avec confiance, etc. Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi.
895. Et cette prière comporte trois éléments : la brièveté, la perfection et l’efficacité. La brièveté, pour deux raisons : d’abord, afin que tous l’apprennent facilement, les petits comme les grands, car Celui-là même qui est le Seigneur de tous est riche, Rm 10, 12 ; en deuxième lieu, afin de donner confiance en la facilité de demander. Elle est aussi parfaite, d’où Is 10, 23 : Une parole brève, et, comme le dit Augustin, «tout ce qui peut être compris dans les autres prières est entièrement compris dans celle-ci». Il dit ainsi que «si nous prions convenablement et correctement, quels que soient les mots que nous disions, nous ne disons rien d’autre que ce qui est présent dans la prière du Seigneur». Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Elle est efficace, car «la prière, selon [Jean] Damascène, est la demande à Dieu de ce qui convient». Jc 4, 3 : Vous demandez et vous ne recevez pas. Or, savoir ce qu’il faut demander est très difficile, de même que ce qu’il faut désirer, Rm 8, 26 : Car nous ne savons pas comment prier, mais Lui. Et parce que Dieu a enseigné cette prière, elle est donc la plus efficace ; c’est pourquoi il est dit en Lc 11, 1 : Seigneur, enseigne-nous.
896. Or, dans cette prière, le Seigneur fait deux choses : premièrement, il présente la prière ; deuxièmement, il donne la raison de la prière, en cet endroit : EN EFFET, SI VOUS REMETTEZ [6, 14].
897. Car il faut savoir qu’en tout discours, même dans celui des rhéteurs, [on s’efforce] de gagner la bienveillance avant [de présenter] une demande. Ainsi, comme c’est le cas dans le discours qui est adressé aux hommes, de même doit-il en être dans le discours qui est adressé à Dieu, mais avec une intention différente, car, chez l’homme, on gagne la bienveillance en fléchissant son esprit, mais, chez Dieu, en élevant notre esprit vers Lui.
898. Le Seigneur présente donc deux choses qui sont nécessaires pour que celui qui prie obtienne la bienveillance : en effet, il est nécessaire qu’il croie en celui à qui il fait une demande et que (celui-ci) veuille et puisse donner. Et ainsi, [Jésus] dit : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX. Or, il dit PÈRE pour cinq raisons. Premièrement, pour l’enseignement de la foi : en effet, la foi est nécessaire à celui qui prie. Car la prière a été écartée par trois erreurs, dont deux détruisaient complètement la prière, et la troisième lui accordait plus qu’il ne fallait. Ces [erreurs] sont écartées par le fait que [Jésus] dit : NOTRE PÈRE. Car, certains ont dit que Dieu ne s’occupe pas des choses humaines, Ez 9, 9 : Dieu a abandonné, de sorte que, selon [cette opinion], c’est en vain qu’on demande quelque chose à Dieu. D’autres ont dit que Dieu possède une providence, mais que cette providence impose une nécessité aux choses. La troisième erreur allait plus loin, car elle disait que Dieu dispose de tout par sa providence, mais que, par la prière, la providence divine est changée. Or, ces erreurs sont écartées par le fait que [Jésus] dit : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX., car, s’Il est PÈRE, Il possède une providence, Sg 14, 3 : Et toi, Père. De même, la seconde (erreur) est écartée : en effet, on parle de père par rapport à un fils et de seigneur par rapport à un serviteur. Ainsi, par le fait que nous disons «Père», nous nous disons enfants. Car on ne trouve presque jamais dans la Sainte Écriture que Dieu soit appelé Père des créatures insensibles, bien qu’il en soit autrement en Jb 38, 28 : Qui est le père de la pluie ? On parle de père par rapport au fils et, pour cette raison, nous nous appelons fils. En effet, être fils comporte d’être libres. Il ne nous est donc pas imposé de contrainte. En disant : QUI ES AUX CIEUX, on écarte une attitude changeante. La prière fait donc en sorte que nous croyions que Dieu dispose toutes choses d’une manière qui convient à leur nature. En effet, la providence veut que l’homme atteigne sa fin par ses actes. Ainsi, la prière ne change pas la providence et elle n’échappe pas à la providence, mais elle lui est soumise.
899. [La prière] est donc d’abord faite en vue de l’éducation de la foi. En deuxième lieu, [elle est faite en vue] de l’élévation de l’espérance. En effet, si [Dieu] est PÈRE, il veut donner, car, comme il est dit plus loin, 7, 11, si vous, qui êtes mauvais, etc. Troisièmement, [elle est faite] en vue de stimuler la charité : en effet, il est naturel qu’un père aime son fils, et inversement, Ep 5, 1 : Soyez les imitateurs. En cela, nous sommes donc appelés à l’imitation, car le fils doit imiter le père autant qu’il le peut, Jr 3, 19 : Tu m’appelleras père. Quatrièmement, [par la prière] nous sommes appelés à l’humilité, Ml 1, 6 : Si moi, qui suis père. Cinquièmement, par cela nos sentiments s’orientent vers le prochain, Ml 2, 10 : N’existe-t-il pas un seul père pour tous. Mais pourquoi ne disons-nous pas : «Mon Père» ? Il existe une double raison : en premier lieu, le Christ a voulu se réserver cela en propre parce qu’ils est Fils par nature, et nous, par adoption, ce qui est commun à tous, Jn 20, 17 : Je monte vers mon Père, etc. ; en second lieu, parce que, selon Chrysostome, le Seigneur nous enseigne non pas à faire des prières individuelles, mais à prier collectivement pour tout le peuple, cette prière étant mieux accueillie par Dieu. Chrysostome [écrit donc] : «Aux yeux de Dieu, la prière est plus douce, non pas si elle fait part d’une nécessité, mais si elle est [suscitée] par la charité, etc.»
900. La seconde chose qui se rapporte à l’obtention de la bienveillance est [exprimée par] : QUI ES AUX CIEUX. Ceci comporte une double explication. Premièrement, selon la lettre, en comprenant les cieux corporels, non pas que [Dieu] y soit enfermé, car Jr 23, 24 dit : [Est-ce que je ne remplis pas] les cieux ?, mais [le mot] est utilisé en raison de l’éminence même de cette créature, d’après le dernier chapitre d’Is [56, 1] : Le ciel est mon trône. De plus, ceux qui ne peuvent s’élever au-dessus des choses corporelles sont ainsi informés ; c’est pourquoi Augustin dit que c’est la raison pour laquelle nous adorons tournés vers l’orient, parce que le ciel se lève à l’orient, et autant le ciel est supérieur à notre corps, autant Dieu [l’est] à notre esprit. Il est donc donné à entendre que notre esprit doit se convertir à Dieu lui-même, comme notre corps est tourné vers le ciel quand nous prions. Il dit donc : QUI ES AUX CIEUX, afin que ton intention soit détournée des choses terrestres, 1 P 1, 4 : En vue d’un héritage incorruptible. Ou bien par CIEUX, sont signifiés les saints, selon ce que dit Is 1, 2 : Cieux, écoutez ; Ps [21, 4] : Toi, tu habites le saint, etc. Et il dit cela en vue d’une plus grande confiance d’obtenir, car Il n’est pas loin de nous, Jr 14, 9 : Tu es en nous, Seigneur.
901. QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ. Ici sont présentées les demandes. Parlons d’abord des [demandes] d’une manière générale, et ensuite, d’une manière particulière. Dans ces demandes, nous devons considérer trois choses. En effet, la demande est au service du désir, car nous demandons ce que nous voulons posséder. Or, dans cette prière, tout ce que nous pouvons désirer est inclus. En second lieu, s’y trouve l’ordre selon lequel nous devons désirer. En troisième lieu, ces demandes correspondent aux dons et aux béatitudes.
902. Car il faut savoir que l’homme désire naturellement deux choses, à savoir, obtenir le bien et éviter le mal. Or, quatre biens qui doivent être désirés sont ici présentés. Car le désir s’oriente d’abord vers la fin, plutôt que vers ce qui est ordonné à cette fin. Or, la fin ultime de toutes choses est Dieu. En conséquence, la première chose désirable doit être l’honneur de Dieu, 1 Co 10, 31 : Faites tout pour l’honneur de Dieu. Et c’est cela que nous demandons en premier lieu, en cet endroit : QUE TON NOM SOIT SANCTIFIÉ. Parmi les choses qui nous concernent, la fin ultime est la vie éternelle, et c’est cela que nous demandons lorsque nous disons : QUE TON RÈGNE VIENNE. La troisième chose que nous devons demander concerne ce qui est ordonné à la fin, à savoir, que nous ayons la vertu et de bons mérites, et c’est cela [qui est exprimé] en cet endroit : QUE TA VOLONTÉ [SOIT FAITE]. Et ce que nous demandons à propos des vertus n’est rien d’autre que cela. Ainsi, notre béatitude est ordonnée à Dieu, et les vertus à la béatitude. Mais il est nécessaire de recevoir une aide temporelle ou spirituelle, tels les sacrements de l’Église, et nous le demandons en cet endroit : [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN, soit [le pain] extérieur, soit [le pain] sacramentel.
903. Dans ces quatre choses, tout le bien est inclus. Mais l’homme évite le mal dans la mesure où [celui-ci] empêche le bien. Or, le premier bien, à savoir, l’honneur de Dieu, ne peut être empêché, car si la justice [survient], Dieu est honoré, mais si le mal [survient], il est aussi honoré par le fait qu’Il le punit, bien qu’Il ne soit pas honoré par le fait qu’Il est dans celui qui pèche. Or, le péché empêche la béatitude. C’est pourquoi [le Seigneur] l’écarte, en premier lieu, lorsqu’il dit : PARDONNE-NOUS. Le bien des vertus s’oppose à la tentation ; nous demandons donc : ET NE NOUS [SOUMETS PAS À LA TENTATION]. Tout ce qui rend défaillant [s’oppose] à ce qui est nécessaire à la vie ; c’est cela [qu’il dit] : MAIS DÉLIVRE-NOUS [DU MAL].
904. Il est donc clair que tout ce qui est désiré, la prière du Seigneur l’inclut. Et il faut savoir que les dons du Saint-Esprit peuvent être appliqués à ces demandes, mais de manière différente, en montant et en descendant. En montant, de sorte que la première demande soit appliquée à la crainte, qui donne la pauvreté en esprit et fait rechercher la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous disons : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ. En descendant, de sorte que nous disions que le dernier don, à savoir, la sagesse qui rend fils de Dieu, est appliqué à cette demande.
905. Mais il faut s’occuper de cette demande, car elle semble inconvenante. En effet, le nom de Dieu est toujours saint. Et il faut savoir que ceci est expliqué de diverses façons par les saints. D’abord, par Augustin, et je crois que [son explication] est plus littérale : QUE SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire que le nom qui est toujours saint apparaisse saint aux hommes, et c’est cela honorer Dieu. En effet, la gloire de Dieu n’augmente pas de ce fait, mais la connaissance de celle-ci, Si 36, 4 : Comme à nos yeux, etc. Et c’est d’une manière assez convenable que, après : NOTRE PÈRE QUI ES AUX CIEUX, [le Seigneur] dit : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, car rien ne démontre autant qu’on est fils de Dieu. En effet, le bon fils manifeste l’honneur de son père. Selon Chrysostome, QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, par nos œuvres, comme s’il disait : «Fais-nous vivre de manière que ton nom apparaisse saint par nos œuvres», 1 P 3, 15. Ou bien, selon Cyprien : QUE [TON NOM] SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire : «Sanctifie-nous dans ton nom», Jn 17, 17 : Sanctifie-les dans ton nom ; Is 8, 14 : Et il sera pour vous. Et il faut savoir que : QUE SOIT SANCTIFIÉ est d’abord entendu au sens où ceux qui ne sont pas saints deviennent saints. En effet, cette prière est faite pour tout le genre humain. En deuxième lieu, QUE SOIT SANCTIFIÉ, c’est-à-dire qu’ils persévèrent dans la sainteté. En troisième lieu, QUE SOIT SANCTIFIÉ [soit entendu] au sens où si quelque chose est mêlé à la sainteté, cela soit enlevé. En effet, nous avons besoin tous les jours de sanctification en raison des péchés quotidiens.
906. QUE [TON RÈGNE] VIENNE. Cette demande peut correspondre soit au don d’intelligence, qui purifie le cœur, soit [au don] de piété. QUE [TON RÈGNE] VIENNE. Selon Chrysostome et Augustin, le règne de Dieu, c’est la vie éternelle, et je crois que c’est là l’explication littérale. Nous demandons donc : QUE [TON RÈGNE] VIENNE, c’est-à-dire : «Fais-nous parvenir et participer à la vie éternelle», plus loin, 25, 34 : Venez, les bénis ; Lc 22, 39 : Et moi, je dispose pour vous [du royaume]. Ou bien d’une autre façon, toujours selon Augustin : QUE [TON RÈGNE] VIENNE, [c’est-à-dire] que le Christ a commencé à régner à partir du moment où il a racheté le monde, Jn [Mt 28, 18] : Le pouvoir m’a été donné. QUE VIENNE donc [TON RÈGNE], c’est-à-dire la consommation de ton règne. Et cela adviendra lorsqu’il placera ses ennemis sous ses pieds. Ainsi, QUE VIENNE, c’est-à-dire : «Seigneur, viens juger afin qu’apparaisse la gloire de ton règne», Lc 21, 28 : Lorsque ces choses commenceront, etc. Et les saints désirent la venue du Christ, parce qu’alors ils posséderont une gloire parfaite, 2 Tm 4, 8 : Non seulement pour moi, mais aussi pour eux. Mais, en sens contraire, il est dit [Am 5, 18] : Malheur à ceux qui désirent le jour du Seigneur, car, selon Jérôme, c’est le propre de la conscience tranquille de ne pas craindre un si grand juge. Ou bien QUE VIENNE, c’est-à-dire : «Que soit détruit le règne du péché, et toi, Seigneur, règne sur nous». En effet, autant nous servons la justice, autant Dieu règne ; autant [nous servons] le péché, autant le Diable [règne], Rm 6, 12 : Qu’il ne règne donc pas parmi vous ; 1 R[S] 8, 7 : Ils ne t’ont pas repoussé. Et il faut remarquer que ceux qui s’étaient montrés des fils en disant : NOTRE PÈRE, etc. pouvaient assez justement demander : QUE TON RÈGNE VIENNE. En effet, l’héritage revient aux fils ; mais ce règne se trouve dans les cieux, et tu ne peux y aller si tu ne deviens pas céleste.
907. C’est pourquoi [Jésus] ajoute ensuite : QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE, c’est-à-dire fais de nous des imitateurs des choses célestes, 1 Co 15, 49 : Comme nous avons porté. Et remarque qu’il ne dit pas : QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE au sens de : «Que Dieu fasse notre volonté», mais au sens de : «Que sa volonté s’accomplisse en nous, elle qui veut que tous les hommes soient sauvés», 1 Tm 2, 4 ; 1 Th 4, 3 ; Ps 142[143], 10 : Enseigne-moi à faire [ta volonté]. Par là est détruite l’erreur de Pélage qui disait que nous n’avions pas besoin du secours de Dieu. COMME AU CIEL : cela est expliqué de plusieurs façons par Augustin. Premièrement, de cette manière : COMME AU CIEL, c’est-à-dire comme les anges font au ciel ta volonté, que nous sur terre accomplissions ta volonté. Il est dit au sujet des anges, au Ps 102[103], 21 : Vous, ses serviteurs, qui faites, par quoi est détruite l’erreur d’Origène, qui affirmait que l’ange peut pécher. Ou bien autrement : QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE SUR LA TERRE COMME AU CIEL, c’est-à-dire dans l’Église comme dans le Christ. En effet, la terre est fécondée par le ciel. C’est pourquoi les Gentils disaient que les dieux du ciel étaient de sexe masculin, ceux de la terre, de sexe féminin. Jn 6, 38 : Je suis descendu du ciel. Ou bien par CIEUX sont signifiés les saints dont la vie est dans les cieux [Ph 3, 20]. Or, le rapport du ciel à la terre ressemble à celui des saints aux pécheurs, comme [s’il disait] : «Seigneur, convertis les pécheurs afin qu’ils fassent ta volonté.» Ou bien : QUE [TA VOLONTÉ] SOIT FAITE, etc. : en effet, comme le ciel se compare à la terre dans le monde, l’esprit se compare à la chair dans l’homme. L’esprit, pour ce qui relève de lui, fait la volonté de Dieu, mais la chair résiste, Rm 7, 23 : Je vois [une autre loi dans mes membres] ; Ps 50[51], 12 : [Crée en moi] un cœur pur. Toutes ces demandes sont en partie ébauchées, mais elles seront accomplies dans l’avenir. Mais Chrysostome met ceci, à savoir, COMME AU CIEL, en rapport avec tout ce qui précède. En conséquence, [il interprète] : QUE TON RÈGNE VIENNE, SUR LA TERRE COMME AU CIEL, et ainsi de suite. De même, selon Chrysostome, il faut remarquer que [le Seigneur] ne dit pas : «Sanctifions», ni «Sanctifie», mais il utilise un moyen terme. Il ne dit pas non plus : ENTRONS DANS LE ROYAUME, mais QUE TON RÈGNE [VIENNE]. [Le Seigneur] s’en est ainsi tenu à un moyen terme, et cela, parce que deux choses sont nécessaires pour notre salut : la grâce de Dieu et le libre arbitre. Ainsi, s’il avait dit : «Sanctifie», il n’aurait pas fait place au libre arbitre ; s’il [avait dit] : «Faisons», il aurait tout accordé au libre arbitre. Mais il a parlé en termes moyens, et ainsi : QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE, etc.
908. [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN. Après que Jésus eut enseigné à demander la gloire de Dieu, la vie éternelle et l’opération des vertus par lesquelles nous méritons la vie éternelle, il enseigne ici à demander tout ce qui est nécessaire pour la vie présente. Or, ceci : [DONNE-NOUS] NOTRE PAIN, est interprété de quatre façons. En effet, on peut l’interpréter par rapport au quadruple pain. [En premier lieu], par rapport au pain qui est le Christ, Jn 6, 35 : Je suis le pain, etc., qui est le pain principalement selon qu’il est contenu dans le sacrement de l’autel, Jn 6, 52 : Le pain que je vous donnerai, et aussi [Jn 6, 56] : Ma chair est vraiment une nourriture. Et [Jésus] dit : NOTRE, car il n’appartient pas à n’importe qui, mais aux fidèles, Is 10, 5 : En effet, un enfant [vous] a été donné. Car, par le fait que quelqu’un devient membre du Christ par le baptême, il peut participer à ce pain. C’est pourquoi il ne peut aucunement être donné à des infidèles non baptisés.
909. SUPERSUBSTANTIEL.
Jérôme dit que le grec porte épiousion,
et Symmaque traduit par «principal» ou «qui sort de l’ordinaire». Mais
l’ancienne traduction porte : QUOTIDIEN. Qu’il soit SUPERSUBSTANTIEl,
c’est-à-dire supérieur à toutes les substances, cela est clair dans
Ep 1, 20 : L’établissant
au-dessus de toutes les principautés, etc. [Jésus] dit : QUOTIDIEN,
parce qu’il doit être reçu tous les jours, mais non par tous. C’est pourquoi il
est dit dans le Livre sur les dogmes de
l’Église : «Je ne loue ni ne blâme cela.» Mais il doit être pris
chaque jour dans l’église, ou, tout au moins, il doit être pris chaque jour
spirituellement par la foi. Dans l’Église orientale, il n’est pas pris chaque
jour dans l’église, parce que la messe n’est pas célébrée chaque jour, mais
plutôt une fois par semaine. Mais parce que l’Église supplée, il est suffisant
qu’ils le prennent chaque jour spirituellement, et non pas sacramentellement.
DONNE-NOUS. S’il est nôtre, pourquoi dit-il : DONNE-NOUS ? Cyprien
[explique] : «Donne-nous, c’est-à-dire fais-nous vivre de telle manière
que nous puissions recevoir ce pain pour notre bien.» Ainsi, celui qui demande
cela ne demande rien d’autre que la persévérance dans le bien, à savoir que rien
de contraire ne soit mélangé à la sainteté, 1 Co 11, 29 : Car celui qui[mange] indignement, etc.
910. [DONNE-NOUS AUJOURD’HUI] NOTRE PAIN. Augustin soulève ici l’objection que cette prière est dite à toute heure du jour, même à complies. Demandons-nous donc qu’Il nous donne alors ce pain ? Mais il faut dire que AUJOURD’HUI s’entend de deux façons. En effet, parfois cela signifie un jour déterminé, parfois toute la vie présente. He 3, [7] parle d’un AUJOURD’HUI déterminé. Ainsi : «Donne-nous de pouvoir participer à ce pain pendant toute la vie présente.» Et c’est avec raison qu’il dit : DONNE-NOUS AUJOURD’HUI, car ce pain sacramentel n’est nécessaire que durant cette vie, car, lorsque nous Le verrons comme Il est [1 Jn 3, 2], nous n’aurons pas besoin de sacrements et de signes. Ainsi, ce pain singulier et particulier n’est nécessaire que [dans la vie] présente, et c’est maintenant que nous le prenons d’une manière spéciale, mais alors, d’une manière continuelle.
911. En deuxième lieu, par le pain, c’est Dieu qu’on entend, à savoir, la divinité elle-même, Lc 14, 15 : Bienheureux celui qui mangera le pain ; Ps [77[78], 25 : Il a mangé le pain des anges. Ainsi, DONNE LE PAIN SUPERSUBSTANTIEL AUJOURD’HUI, à savoir que nous puissions en jouir selon le mode de la vie présente.
912. En troisième lieu, on peut entendre les commandements de Dieu qui sont le pain de la sagesse, Pr 9, 5 : Venez, mangez. En effet, celui-là mange qui observe les commandements de la sagesse, Jn 4, 34 : Ma nourriture est… Ces commandements divins sont maintenant un pain, car ils sont rompus avec une certaine difficulté dans leur examen et leur mise en œuvre, mais, par la suite, ils seront un breuvage parce qu’ils restaureront sans difficulté.
913. En quatrième lieu, [le pain] est entendu du pain corporel au sens littéral. En effet, le Seigneur aurait dit : QUE TA VOLONTÉ, et il aurait voulu que nous soyons célestes par l’accomplissement de la volonté divine ; mais, se rappelant notre fragilité, il enseigne de demander même les choses temporelles qui sont nécessaires pour soutenir notre vie. Ainsi, il n’enseigne pas de demander des choses magnifiques et superflues, mais [les choses] nécessaires, 1 Tm 6, 8 : Ayant de quoi [vous] nourrir. Ainsi Jacob demande, dans Gn 28, 20 : Si tu me donnes du pain à manger. [Jésus] dit NOTRE pour deux raisons : afin que personne ne s’approprie les choses temporelles, selon Chrysostome, d’abord, parce que personne ne doit manger le pain [qui vient] du vol, mais de son propre travail ; ensuite, parce que nous devons recevoir les biens temporels, qui sont donnés pour [répondre aux] besoins, de manière à les partager avec les autres, Jb 31, 17 : Ai-je mangé seul mon morceau de pain ? Et Augustin dit dans le Livre à Proba sur la prière que, parlant de ce qui est le meilleur et le principal parmi toutes les choses particulières, [le pain] signifie l’ensemble de nos biens. En effet, le pain est ce qu’il y a de plus nécessaire à l’homme, Si 29, 28[21] : La première chose pour vivre, [c’est l’eau, le pain, le vêtement et une maison]. Et cela est SUPERSUBSTANTIEL, parce que cela concerne principalement les choses nécessaires. Mais si tu dis : QUOTIDIEN, il y a alors une double raison, selon Cyprien. Premièrement, afin que tu ne cherches pas longtemps les choses temporelles, car autrement tu agirais à l’encontre de toi-même. En effet, tu as dit : QUE TON RÈGNE VIENNE ; mais aussi longtemps que nous sommes dans ce corps, nous vivons loin du Seigneur, 2 Co 5, 6. Ainsi, en disant : QUE TON RÈGNE VIENNE, et en demandant une longue vie, tu vas à l’encontre de toi-même. Ou bien [Jésus] dit : QUOTIDIEN, à l’encontre des prodigues qui dépensent de manière superflue et n’utilisent pas le pain quotidien qui suffit à la nourriture d’une seule journée.
914. Mais si [ce pain] est nôtre, pourquoi dit-il : DONNE-NOUS ? Pour deux raisons, selon Chrysostome. Premièrement, parce que les biens temporels sont donnés aux bons et aux méchants, mais de manière différente : aux bons, pour leur bien ; aux mauvais, pour leur condamnation parce qu’ils les utilisent mal. Ainsi, [le pain] n’est pas donné aux méchants parce qu’ils abusent, et cela est le fait non pas de Dieu, mais du Diable. Et [Chrysostome] dit que cela serait comme si quelqu’un offrait un pain au prêtre pour qu’il le sanctifie et le lui réclamait par la suite. Il pourrait dire : «Donne-moi le pain qui m’appartient en propre, donne-le à sanctifier.» [Jésus] dit AUJOURD’HUI, parce qu’il n’a pas voulu que nous demandions pendant longtemps.
915. Mais Augustin soulève une question, car le Seigneur enseigne par la suite qu’il ne faut pas se soucier des choses temporelles : Ainsi, ne vous inquiétez pas, etc. [Mt 6, 25]. Il semble donc qu’il ne faille pas prier pour les choses temporelles. Et il répond que nous pouvons prier pour ce qui est désirable et légitime, car nous attendons de Dieu ce qui est désirable, et ce que nous attendons de Dieu, nous pouvons le demander. Et cela, non pas seulement dans l’extrême nécessité, mais aussi en fonction de l’état qui nous convient. Une chose est de désirer, une autre de s’inquiéter de quelque chose comme de la fin ultime, car le Seigneur interdit cela, comme il sera dit plus loin [6, 25s].
916. Mais, de nouveau, on s’interroge sur DONNE-NOUS AUJOURD’HUI, car il semble que nous ne devions désirer que pour un seul jour. Ainsi, tous ceux qui désirent autrement pèchent, et alors la vie humaine périra, car personne ne fera la moisson l’été afin de manger pendant l’hiver. Et il faut dire que le Seigneur n’a pas l’intention d’interdire qu’on pense à l’avenir, mais il interdit qu’on s’abandonne à l’inquiétude avant le temps. En effet, si survient maintenant un sujet d’inquiétude, tu dois t’en occuper, mais non pas de celui qui pourrait survenir avant le temps.
917. REMETS-NOUS [NOS DETTES]. [Le Seigneur] commence ici à présenter les demandes qui concernent l’éloignement du mal. Et il présente en premier lieu celle par laquelle est éloigné le mal principal, à savoir, la faute, d’où : REMETS-NOUS [NOS DETTES]. Il est contradictoire que l’homme qui vit des choses de Dieu vive opposé à Dieu. Les péchés sont des dettes parce que, en raison des péchés, nous avons contracté une dette envers Dieu. En effet, si tu as reçu injustement quelque chose de quelqu’un, tu seras obligé de le rendre. Et parce que, lorsque tu pèches, tu usurpes ce qui appartient à Dieu (car il appartient à Dieu que toute volonté soit dirigée conformément à la volonté de Dieu), tu soustrais donc ce qui appartient à Dieu et tu es tenu de [le lui] restituer. Or, tu t’en acquittes lorsque tu supportes conformément à la volonté de Dieu quelque chose qui est contre ta volonté, plus loin 18, 32 : Je t’ai tout remis.
918. REMETS-NOUS donc NOS DETTES, c’est-à-dire nos péchés, Ps 38[39], 14 : Remets-moi afin que je respire. Par ces mots, deux hérésies sont réfutées, celles de Pélage et de Novatien. Pélage disait que certains hommes parfaits en cette vie pouvaient vivre sans péché et accomplir ce qui est dit en Ep 5, 27 : Afin de te présenter une Église glorieuse. Mais si tel était le cas, nous ne dirions pas : REMETS-NOUS, Pr 24, 16 : Il tombe sept fois ; 1 Jn 1, 8 : Si nous disons que nos péchés. Novatien disait que l’homme qui pèche mortellement après le baptême ne peut faire pénitence. Mais si tel était le cas, nous dirions inutilement : REMETS-NOUS, Jn 1, 12 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu, à savoir par l’adoption de la grâce.
919. COMME
NOUS REMETTONS À NOS DÉBITEURS. Des débiteurs peuvent exister de deux
façons : soit qu’ils aient péché contre nous, soit qu’ils nous doivent de
l’argent. Or, [le Seigneur] ne nous avertit pas de remettre ces dernières
dettes, mais tous les péchés, même [ceux qui ont pris la forme] de l’enlèvement
de biens temporels. En effet, il serait indigne de demander pardon à Dieu et de
ne pas l’accorder à un autre, Si 28, 3 : Il pardonne à son prochain ; Si 29, 2 : Et remets encore à ton prochain, etc.
920. Mais que faut-il dire de ceux qui ne veulent pas remettre et disent cependant : NOTRE PÈRE ? Il semble qu’ils ne devraient jamais le dire parce qu’ils mentent. Ainsi, on dit que certains supprimaient cette section : COMME NOUS [REMETTONS]. Mais ceci est démontré par Chrysostome de deux façons : premièrement, parce qu’il ne respecte pas la manière de prier de l’Église ; deuxièmement, parce que sa prière n’est pas acceptée par Dieu, puisqu’elle ne respecte pas ce que le Christ a ordonné. Ainsi, il faut dire qu’il ne pèche pas en disant : NOTRE PÈRE, bien qu’il ait de la rancœur et [commette] un péché grave, parce que de telles personnes devraient accomplir tout le bien qu’elles peuvent, les aumônes, les prières et les choses de ce genre, qui disposent au recouvrement de la grâce. Et il ne ment pas, car cette prière ne s’appuie pas sur une personne privée, mais sur celle de toute l’Église, et il est clair que l’Église remet les dettes à tous ceux qui sont dans l’Église. Toutefois, cette personne perd le fruit [du pardon], car seuls ceux qui remettent reçoivent ce fruit.
921. Mais il semble que ce ne sont pas seulement ceux qui remettent les offenses qui reçoivent le fruit. Il faut savoir qu’Augustin donne la solution de [la difficulté] présente, car on a dit plus haut, à propos de l’amour des ennemis, que Dieu veut que nous remettions les offenses dans la mesure où Lui-même nous remet nos fautes. Or, Il ne les remet qu’à ceux qui le demandent. Et ainsi, quiconque est ainsi disposé qu’il est prêt à accorder le pardon à celui qui le demande ne perd pas le fruit, aussi longtemps qu’il ne porte pas à quelqu’un une haine générale, comme on l’a dit plus haut.
922. ET NE NOUS [SOUMETS PAS]. [Le Seigneur] propose ici une autre demande. Une autre version [dit] : ET NE NOUS CONDUIS PAS ; une autre encore : ET NE NOUS LAISSE PAS. En effet, Dieu ne tente personne, bien qu’il permette que l’on soit tenté. Et [le Seigneur] ne dit pas : NE PERMETS PAS QUE [NOUS SOYONS] TENTÉS, car la tentation est utile, et l’on est tenté afin que celui qui est connu de Dieu soit connu de lui-même et des autres, Si 34, 9 : Celui qui n’est pas tenté. Mais [le Seigneur] dit : NE NOUS, c’est-à-dire ne permets pas que nous succombions, comme si quelqu’un disait : «Je veux être réchauffé, mais non pas brûlé par le feu.» 1 Co 10, 13 : Dieu est fidèle qui ne supportera pas. Dans ce récit, l’erreur de Pélage est réfutée sur deux points : il disait en effet que l’homme pouvait se maintenir par le libre arbitre sans l’aide de Dieu, ce qui n’est rien d’autre que de ne pas succomber à la tentation ; il disait aussi qu’il n’appartient pas à Dieu de changer les volontés des hommes. Mais si tel était le cas, [le Seigneur] ne dirait pas : ET NE NOUS [SOUMETS PAS], ce qui est la même chose que : «Fais que nous ne consentions pas.» Il est donc au pouvoir [de Dieu] de changer ou de ne pas changer la volonté, Ph 2, 13 : C’est Dieu qui agit en vous.
923. MAIS DÉLIVRE-NOUS. Voici la dernière demande : DÉLIVRE-NOUS du mal passé, présent et futur, [du mal] de faute et de peine, et de tout mal. Augustin [écrit] : «Tout chrétien, en quelque tribulation qu’il se trouve, verse des larmes et pousse des cris par ces paroles», Ps 58[59], 2 : Arrache-moi à mes ennemis ; Is 51, 12 : Qui donc es-tu pour craindre ?
924. AMEN, c’est-à-dire «qu’il en soit ainsi». Personne n’a voulu traduire [ce mot], par respect, car le Seigneur l’employait fréquemment. Par [ce mot] est donnée l’assurance d’obtenir, à condition que soit observé ce qui a été dit. Il faut savoir qu’en hébreu trois mots sont ajoutés que Chrysostome interprète. Le premier est : CAR C’EST À TOI QU’APPARTIENT LE RÈGNE, puis : LA PUISSANCE ET LA GLOIRE. AMEN. Et ils semblent correspondre aux trois [mots] employés plus haut : À TOI APPARTIENT LE RÈGNE, à ceci : QUE TON RÈGNE VIENNE ; LA PUISSANCE, à : QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE ; LA GLOIRE, à : NOTRE PÈRE et à tout ce qui est pour l’honneur de Dieu. Ou bien autrement, comme si [on disait] : «Tu peux faire toutes ces autres choses parce que Tu es roi, et c’est pourquoi personne d’autre ne le peut; parce que la puissance T’appartient, et donc Tu peux donner le règne ; parce que la gloire T’appartient, et donc, Ps 103[104], 1 : Non pas à nous, non pas à nous, Seigneur, etc.»
925. SI
VOUS NE REMETTEZ PAS [AUX AUTRES]. Dans la prière, le Seigneur avait ajouté une
condition, à savoir : REMETS-NOUS. Or, cette condition pourrait sembler
lourde à quelqu’un. C’est pourquoi le Seigneur en montre la raison et, à ce
propos, fait deux choses : premièrement, il montre que cette condition est
utile ; deuxièmement, qu’elle est nécessaire. Elle est utile parce que,
par elle, nous obtenons la rémission des péchés. C’est cela [qui est
dit] : SI VOUS NE REMETTEZ PAS LEURS PÉCHÉS AUX HOMMES qui ont péché
contre vous, [VOTRE PÈRE NE] REMETTRA [PAS], etc. les fautes que vous avez
commises contre lui, Si 28, 2 : Remets à ton prochain. Mais il faut remarquer ce qu’il dit :
EN EFFET, SI VOUS REMETTEZ AUX HOMMES. Car, aussi longtemps qu’ils vivent dans
l’innocence, les hommes sont des dieux ; mais quand ils pèchent, ils
tombent dans la condition humaine. Ps 81[82], 6 : J’ai dit, etc. ;
Ps 81[82], 7 : Mais vous,
etc. Ainsi, vous qui êtes des dieux et des spirituels, vous remettrez à des
HOMMES pécheurs.Il faut remarquer aussi qu’il dit : VOTRE PÈRE, etc. En
effet, les offenses qui sont faites aux hommes le sont pour quelque chose de
terrestre ; au contraire, les hommes célestes, qui ont un Père dans les
cieux, ne doivent avoir aucune discorde au sujet d’une chose terrestre,
Lc 6, 36 : Soyez
miséricordieux [comme votre Père céleste].
926. Cette condition est aussi nécessaire, car, sans elle, il n’existe pas de rémission des péchés, d’où : SI VOUS, etc. Et cela n’est pas étonnant, car jamais un péché ne peut être remis sans la charité, Pr 10, 12 : Toutes les fautes. En effet, celui qui hait quelqu’un ne demeure pas dans la charité, et c’est pourquoi le péché ne lui est pas remis, Si 28, 3 : L’homme rend service à l’homme ; Jc 2, 13 : Le jugement sans la miséricorde.
927. Mais on pourrait croire que, du fait que l’offense doit être ainsi remise, l’Église pèche lorsqu’elle ne remet pas. Il faut dire que si celui-là demande pardon, elle pécherait si elle ne remettait pas ; mais s’il ne le demande pas, alors elle ne remet pas en raison de la haine, et ainsi elle pèche. Ou bien [elle ne remet pas] pour le bien de celui-ci ou d’autres, à savoir qu’on ne fréquente pas le méchant, et ainsi elle ne pèche pas.
928. QUAND VOUS JEÛNEZ, etc. Ceci est la troisième partie de la section qui commence par : QUAND VOUS FAITES L’AUMÔNE [6, 2], dans laquelle [le Seigneur] écarte du jeûne la recherche de la faveur humaine. En premier lieu, il y écarte du jeûne une manière inappropriée [de jeûner] ; en second lieu, il ajoute la manière appropriée, en cet endroit : LORSQUE TU JEÛNES, etc. [6, 17].
929. Dans la première partie, [le Seigneur] fait trois choses. En premier lieu, il décourage le faux-semblant des hypocrites [6, 15] ; en deuxième lieu, l’intention perverse de leur ostentation, en cet endroit : ILS DEVIENNENT TRISTES [6, 16] ; en troisième lieu, il ajoute leur condamnation, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, ILS ONT DÉJÀ REÇU LEUR RÉCOMPENSE [6, 16].
930. [Le Seigneur] dit donc : QUAND VOUS JEÛNEZ, NE FAITES PAS COMME LES HYPOCRITES. Par le fait qu’il dit : NE FAITES PAS, il interdit non seulement de faire, mais de vouloir [faire], car c’est dans la volonté que se trouve la source du mérite et du démérite. TRISTES : il dit délibérément : ILS DEVIENNENT TRISTES, et non pas : ILS SONT TRISTES, parce que cette tristesse ou simulation n’est qu’apparente. Chrysostome [écrit] : «Alors qu’ils font semblant de jeûner, ils ne sont pas tristes, mais ils le deviennent.»
931. ILS PRENNENT UNE MINE DÉFAITE. Voilà l’intention perverse, parce qu’ils prennent une mine défaite, c’est-à-dire, selon Augustin et Raban, qu’ils offrent l’aspect des limites propres à la condition humaine. LEURS VISAGES, par lesquels ils paraissent plutôt bons. Augustin [écrit] : «De même qu’ils s’enorgueillissent de la blancheur de leurs vêtements, de même [le font-ils] de leur pâleur et de leur maigreur.» AFIN DE PARAÎTRE JEÛNER, c’est-à-dire d’être abstinents. AUX YEUX DES HOMMES, qui ne voient que l’extérieur, 1 R [1 S] 16, 7. Isidore [écrit] dans son commentaire d’Amos : «Ceux qui s’abstiennent de nourriture et se comportent mal imitent les démons, qui pèchent et ne se nourrissent pas.» Chrysostome [écrit] : «Si quelqu’un jeûne et se rend triste, il est hypocrite. Combien plus méchant est celui qui ne jeûne pas, mais, par certains signes de son visage, feint une pâleur empruntée !»
932. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS. Ici est ajoutée leur condamnation. Ainsi, [le Seigneur] dit : EN VÉRITÉ, c’est-à-dire : VRAIMENT, JE VOUS LE DIS, ILS ONT REÇU LEUR RÉCOMPENSE, mais non pas de Dieu, la louange qu’ils recherchaient. Grégoire [écrit] dans ses homélies : «La chair est inutilement affaiblie si l’âme ne met pas un frein à ses voluptés.»
933. MAIS TOI, QUAND TU JEÛNES, PARFUME TA TÊTE. Ici, [le Seigneur] ajoute la véritable manière de jeûner. Et, en premier lieu, il y exhorte ; en second lieu, il présente ce qui est promis, en cet endroit : ET TON PÈRE, etc. [6, 18].
934. À propos du premier point, il dit : MAIS TOI, LORSQUE TU JEÛNES, PARFUME TA TÊTE, et cela en quatre sens. Premièrement, [parfume] ta tête, c’est-à-dire ton esprit, de l’huile de la pureté de la conscience, de sorte que le Diable ne la tienne pas par les cheveux, c’est-à-dire par les pensées. Est 2, 12, où les jeunes filles sont ointes de l’huile de myrrhe. Deuxièmement, [parfume ta tête] de l’huile de la charité. Les lutteurs, c’est-à-dire les gens bons et actifs, étaient ainsi oints, plus loin, 25, 4 : Les vierges sages prirent de l’huile dans leurs vases avec les lampes. De même, [parfume ta tête] de l’huile de la compassion et de la miséricorde, dont les prélats doivent être oints. Qo 9, 8 : Que le parfum ne manque pas sur ta tête. Chrysostome [écrit] : «Ta tête est le Christ. Nourris celui qui a faim, désaltère celui qui a soif, et ainsi tu auras oint ta tête de l’huile de la miséricorde, [car Il] proclame dans l’évangile : “Ce que vous avez fait aux plus petits des miens, c’est à moi que vous l’avez fait”.» Et encore, [parfume ta tête] de l’huile de la joie, dont les rois sont oints, c’est-à-dire les contemplatifs. Ex 17, 19 : Tu sanctifieras par l’huile les vases du tabernacle. C’est pourquoi Jérôme et Augustin [disent] que c’était l’usage pour les Palestiniens d’oindre leur tête.
935. PARFUME
donc TA TÊTE, c’est-à-dire montre-toi souriant et joyeux. ET LAVE TON VISAGE.
Chrysostome [écrit] : «Le visage, c’est la conscience.» Lave donc ton
visage par une quadruple ablution. Premièrement, par la vraie contrition,
Jr 4, 14 : Lave ton cœur
de sa malice, Jérusalem, afin d’être sauvée. Deuxièmement, par la
confession, Is 1, 16 : Lavez-vous,
purifiez-vous, etc. Troisièmement, par le courage à endurer les
tribulations, Ap 7, 14 : Ils
ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau.
Quatrièmement, par la prière dévote, Gn 18, 4 : J’apporterai un peu d’eau pour vous laver
les pieds. Ou bien : LAVE TON VISAGE, c’est-à-dire ton intelligence,
de la curiosité, et ton cœur de l’amour illicite. AFIN DE NE PAS PARAÎTRE
JEÛNER AUX YEUX DES HOMMES. [Le Seigneur] ne défend pas simplement qu’ils
soient vus, mais qu’ils veuillent être vus, comme s’il disait : «Ne
cherche pas à capter la faveur ou la louange des hommes.» MAIS DE TON PÈRE, par
la création, la recréation et la conservation, QUI EST LÀ DANS LE SECRET. La
Glose [dit] : «À savoir dans le cœur par la foi,
Is 45, 15 : Vraiment, tu
es un Dieu caché.» ET TON PÈRE (voilà ce qui est promis), QUI VOIT DANS LE
SECRET, c’est-à-dire dans la conscience humble et pure, TE LE RENDRA,
Sg 10, 17 : Dieu
récompensera le labeur de ses saints.
935. Après nous avoir donné son enseignement sur le jeûne, [le Seigneur] nous donne son enseignement sur l’aumône, et il dit : NE VOUS AMASSEZ PAS DES TRÉSORS SUR LA TERRE. Or, il semble que cela ne soit pas vrai, car il convient aux rois d’amasser des trésors. Mais il faut dire que, par trésors, [le Seigneur] entend l’abondance, et celle-ci est double : celle qui est nécessaire et celle qui est superflue, car ce qui n’est pas nécessaire à l’un est nécessaire à l’autre. Ainsi, comme un roi a besoin de beaucoup, il peut amasser beaucoup. Serait péché pour un individu ce qui ne l’est pas pour le roi, parce qu’il doit défendre son royaume. De même, il défend [cela] à ceux qui semblent mettre leur confiance dans [ces trésors].» Ainsi, en 1 Tm [6], 17 : Aux riches de ce monde, recommande de ne pas juger de haut ni de mettre leur confiance dans des richesses précaires ; Ba 3, 16 : Où sont les princes des Gentils, qui fabriquent (ou thésaurisent) de l’argent et de l’or dans lesquels les hommes mettent leur confiance ? De même, il l’interdit en raison de leur instabilité, car ils disparaissent soudainement. Et il présente trois choses qui se retrouvent dans les richesses : les métaux, et ceux-ci sont consumés par la rouille ; les vêtements, et ceux-ci [sont consumés] par les mites ; et certaines choses qui n’appartiennent à aucun des deux, comme les pierres précieuses. Une autre version porte : NI LES CHOSES INUTILES. Ainsi, ils sont détruits de trois façons : soit par un principe intrinsèque, et il en est ainsi des mites qui apparaissent dans les vêtements ; soit par les débordements de celui qui les possède, et il en est ainsi des choses inutiles ; et parfois par des agents de l’extérieur, et c’est pourquoi il dit : OÙ LES VOLEURS NE CREUSENT PAS. Si quelqu’un dit que ces choses n’arrivent pas, il faut dire que, même si elles n’arrivent pas, elles se sont cependant souvent produites. Et si elles ne se produisent pas, il est cependant possible qu’elles le fassent. Il affirme donc que [ces choses] sont incertaines.
936. De même, cela s’interprète mystiquement. La rouille se manifeste, les mites se cachent. Ainsi, par la rouille [sont indiqués] les péchés corporels, et par les mites, les [péchés] spirituels. De même, il existe des péchés que certains hommes font par eux-mêmes, et certains avec un autre, et les premiers sont plus nuisibles. [Le Seigneur] dit : [OÙ] LES VOLEURS NE CREUSENT PAS. Ou bien il parle de trésors cachés. De même, [il désigne] par la rouille les orgueilleux, Si 12, 10 : De même que l’airain se rouille, de même leur méchanceté. Les mites rongent les vêtements, et elles signifient les actions extérieures qui sont rongées par l’envie, Pr 25, 20 : Comme les mites aux vêtements et les vers au bois, la tristesse nuit au cœur de l’homme. De même, les voleurs [les prennent] par la vaine gloire. Les voleurs, c’est-à-dire les démons, puisqu’ils ne peuvent pas tromper les hommes par d’autres péchés, les trompent par la vaine gloire.
937. De même, il présente la stabilité des richesses célestes, là où il dit : AMASSEZ-VOUS DES TRÉSORS DANS LE CIEL, non pas dans un endroit corporel, mais dans le ciel, c’est-à-dire en biens spirituels, à savoir : «Acquérez une abondance de bons mérites.» Et [le Seigneur] dit : [POUR] VOUS, et non pas POUR DIEU, parce que rien ne peut être ajouté [à Dieu], Jb 35, 7 : Si tu as agi justement, que lui donneras-tu ou que recevra-t-il de ta main ? Or, le Seigneur enseigne comment ceci s’acquiert, à savoir, par l’aumône, lorsqu’il dit en Lc 18, 22 : Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. En effet, LÀ, c’est-à-dire dans le ciel, il n’y a pas de corruption, car ce qui était corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, 1 Co 15, 53.
938. Vient ensuite : LÀ OÙ EST TON TRÉSOR, LÀ EST TON CŒUR. [Le Seigneur] enseigne que la conclusion contraire est nuisible, et cela parce qu’elle comporte une distraction du cœur, car, si tu aimes les choses terrestres, là sera ton cœur. En effet, là où est l’amour, là sont les yeux : Les yeux des insensés [se portent] sur les confins de la terre [Pr 17, 24].
939. Mais parce que ceux qui prennent ceci en compte sont peu nombreux, [le Seigneur] montre l’importance du danger par un exemple : LA LAMPE DE TON CORPS. Et ceci est d’abord interprété en rapport avec l’œil corporel. En effet, comme la lampe dirige les pas de l’homme, de même en est-il de l’œil. Ainsi, SI TON ŒIL EST SAIN, c’est-à-dire possède une vision puissante, TON CORPS TOUT ENTIER SERA DANS LA LUMIÈRE, c’est-à-dire sera dirigé dans l’action.
940. SI [TON ŒIL] NE L’EST PAS, c’est-à-dire s’il est chassieux et voilé, TON CORPS TOUT ENTIER SERA DANS LES TÉNÈBRES, c’est-à-dire que toutes tes oeuvres se feront dans les ténèbres. SI DONC LA LUMIÈRE QUI EST EN TOI EST TÉNÈBRES, QUELLES SERONT LES TÉNÈBRES ! La lumière qui est en toi, ce sont le cœur et l’esprit. Si donc ils sont tournés vers la terre, tous les sens de l’homme seront aussi tournés vers la terre.
941. Une autre interprétation y voit l’œil spirituel. En effet, on fait appel à la lumière pour vérifier, comme c’est le cas pour la raison de l’homme. Pr 20, 27 : La lampe du Seigneur, c’est l’esprit de l’homme. Ainsi, SI TON ŒIL EST SAIN, de sorte que ta raison est orientée vers Dieu, TOUT TON CORPS SERA SAIN, c’est-à-dire que tous tes membres seront protégés du péché ; si tel n’est pas le cas, ils seront impliqués dans les œuvres des ténèbres. Ou bien : [TON CORPS SERA] LUMINEUX, lors de la résurrection des morts, plus loin, 13, 43 : Alors, les justes resplendiront comme le soleil. De même, par l’œil, est signifiée l’intention. Ainsi, celui qui veut agir a l’intention de quelque chose. De sorte que si ton intention est éclairée, c’est-à-dire tournée vers Dieu, tout ton corps, c’est-à-dire toutes tes actions seront éclairées. Et ceci s’entend de ce qui est bon tout simplement. De même, par l’œil, on entend la foi. Ainsi, si elle est saine, de sorte qu’elle s’oriente vers Dieu, à savoir qu’elle ne vacille pas, etc., Rm 14, 23 : Ce qui ne vient pas de la foi est péché. De même, par l’œil est signifié le prélat, qui est l’œil des sujets. Ainsi, lorsque de bons prélats dirigent les peuples, tout l’ensemble du peuple resplendit de vertus, etc. Si 10, 2 : Tel est le juge du peuple, tels sont ses ministres.
942. Vient ensuite : PERSONNE NE PEUT SERVIR DEUX MAÎTRES, etc. Puisque [le Seigneur] avait dit que la thésaurisation distrait de Dieu, il avait donc dit qu’elle devait être évitée, car non seulement elle distrait, mais elle éloigne de Dieu. En effet, PERSONNE NE PEUT SERVIR DEUX MAÎTRES. Est serviteur celui dont l’être appartient à un autre. Or, il est impossible que l’âme soit portée vers deux fins en même temps et au même moment (je parle de [fins] contraires et opposées). De même, il faut remarquer que certains exercent le pouvoir afin que les sujets soient dirigés ; d’autres, afin de se faire craindre. Le Seigneur et la richesse sont des maîtres opposés. Ainsi, VOUS NE POUVEZ SERVIR DIEU ET MAMMON. Mais il faut remarquer qu’il y a une différence entre posséder des richesses en maître et en serviteur. En effet, celui-là les possède en maître, qui en fait bon usage et ainsi produit du fruit ; mais celui-là en serviteur de la richesse, qui n’en tire pas de fruit. Qo 5, 12 : Voilà un autre mal que je vois sous le soleil : la richesse possédée au détriment de celui qui en est maître. Or, tout ce en quoi quelqu’un place sa fin est son dieu. Ainsi, celui qui fait de la richesse sa fin l’a pour dieu, comme on parle de ceux dont le ventre est leur dieu, Ph 3, 19.
943. VOUS NE POUVEZ SERVIR DIEU ET MAMMON. Par Mammon, on peut entendre le Diable, qui est à la tête de la richesse et l’a comme dieu ; non pas parce qu’il peut la donner, mais parce qu’il lui faut tromper les hommes par la richesse. Ainsi, comme il existe un esprit de fornication, de même existe-t-il un esprit de richesse. Augustin a donné une autre interprétation : PERSONNE NE PEUT [SERVIR DEUX MAÎTRES], etc., c’est-à-dire [deux maîtres] opposés. Mais Dieu et le Diable sont opposés, 2 Co 6, 15 : Quelle entente entre le Christ et Bélial ? ; 1 R [1 S] 18, 21 : Pourquoi boitez-vous des deux côtés ?
944. Puis vient ensuite : OU IL EN SUPPORTERA UN, c’est-à-dire le Diable. Et il ne dit pas : «Il en aimera [un]», parce que le Diable ne peut être aimé par nature. Dieu est aimé naturellement, mais le Diable est supporté, comme Augustin en donne un exemple : «Si quelqu’un désire la servante d’un autre, il le sert par amour de la servante, et non de lui-même ; il supporte donc le service du maître pour la servante. Ainsi quelqu’un supporte-t-il le service du Diable pour la richesse.»
945. De même, quelqu’un pourrait dire : «Je ne place pas ma fin dans la richesse superflue, mais dans celle qui est nécessaire.» Et le Seigneur interdit cela. C’EST POURQUOI JE VOUS DIS : «NE VOUS INQUIÉTEZ PAS POUR VOTRE ÂME, etc.», non pas que l’âme mange, mais parce que [manger] convient à l’homme qui possède une âme. Ou bien : [VOTRE] ÂME, c’est-à-dire pour la vie de votre âme. Et il détruit ici l’erreur des euthychiens, qui disaient que les hommes apostoliques ne devaient pas travailler. Mais Paul le leur reproche en disant, en 2 Th 3, 10 : Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas ! Ainsi, selon l’Apôtre, tous sont tenus [de travailler].
946. Mais je pose la question : est-ce un conseil ou un commandement ? Si c’est un commandement, tous y sont tenus ; si c’est un conseil, il est clair que tous ne le sont pas, car seuls les parfaits sont tenus [d’observer] les conseils. Je dis qu’une chose est un commandement par soi, et une autre en raison d’autre chose : comme lorsque quelqu’un a pris la croix pour aller outre-mer, il est tenu d’aller outre-mer, mais il ne peut y aller qu’en cherchant un navire ; il est donc nécessaire pour lui de chercher un navire. Ainsi, tous sont tenus de conserver [leur] vie, à savoir qu’ils sont tenus de faire tout ce qu’ils font pour cette fin ; de sorte que quiconque n’a pas ce qu’il faut pour conserver [sa] vie est tenu de travailler pour la conserver. Que dit donc [le Seigneur] lorsqu’il dit : NE VOUS INQUIÉTEZ PAS, etc. ? Il faut dire que l’inquiétude désigne une prévoyance accompagnée d’un effort. Or, l’effort est une application intense de l’esprit. Ainsi, dans cette application intense, il peut y avoir péché, à savoir, lorsque l’âme s’applique comme s’il s’agissait de sa fin. Et ainsi ne devons-nous pas être inquiets. C’est pourquoi on lit en Pr 11, 7 : L’espoir de ceux qui s’inquiètent sera anéanti. De même, il peut arriver que l’esprit cherche à acquérir des choses superflues ; et cela est défendu, comme on le voit en Qo 2, 1 : J’ai dit en mon cœur : «J’irai et je serai comblé de richesses.» De même, l’inquiétude peut exister parce que l’esprit s’inquiète trop d’acquérir les choses temporelles et nécessaires ; et c’est de cela qu’il est question en 1 Co 2. De même, certains s’inquiètent avec une certaine crainte et un certain désespoir, car ils craignent le manque, et cette inquiétude est défendue.
947. Vient ensuite : L’ÂME N’EST-ELLE PAS PLUS QUE LA NOURRITURE ? [Le Seigneur] a enseigné d’éviter l’inquiétude même pour les choses nécessaires. Il en donne les raisons. Et la première : que celui qui a donné les grandes choses, donnera [aussi] les petites. Or, Dieu a donné l’âme et le corps. Celui donc qui a donné ces choses pourvoira aux autres.
948. REGARDEZ LES OISEAUX DU CIEL, etc. Et voilà une autre raison. Celui qui pourvoit aux petites choses pourvoira aux grandes. Or, Dieu s’occupe des animaux sans raison. Donc, etc. En premier lieu, [le Seigneur] tire la conclusion pour la nourriture ; en second lieu, pour le vêtement. Il enseigne donc d’éviter l’inquiétude en disant : REGARDEZ, c’est-à-dire considérez, LES OISEAUX DU CIEL, car il y a en cela une sagesse ; ainsi Jb 12, 7 : Interroge les animaux sauvages et ils t’enseigneront. Ainsi, puisqu’ils n’ont pas d’activités pour obtenir du pain, et que cependant, etc.
949. Et [le Seigneur] fait trois observations à propos des trois choses qui sont nécessaires, à savoir tisser, moissonner et amasser. Et à propos de ces trois choses, [le Seigneur] dit : ILS NE SÈMENT, NI NE MOISSONNENT, NI NE RECUEILLENT DANS DES GRENIERS, ET CEPENDANT VOTRE PÈRE CÉLESTE LES NOURRIT. Et il dit : VOTRE, et non : LEUR, car, à proprement parler, Il est le Père de la créature rationnelle. IL LES NOURRIT, à ce sujet Ps 140[141], 9 : Lui qui donne aux bêtes leur nourriture, etc.
950. NE VALEZ-VOUS PAS PLUS QU’EUX ? C’est-à-dire n’avez-vous pas une plus grande valeur ? En effet, l’homme préside à toutes les choses, comme le dit Gn 1, 26 : Faisons l’homme, etc., en poursuivant : afin qu’il domine les poissons de la mer et les oiseaux du ciel. Et il ne faut pas entendre que les hommes apostoliques ne doivent pas cueillir, mais il faut comprendre que Dieu, dans l’action même de cueillir, libère les justes de la tribulation, comme il a libéré Daniel de la fosse aux lions et les trois enfants de la fournaise [Dn 3, 51s]. Et je ne dis pas que ceux qui sont dans la tribulation ne doivent pas faire en sorte d’en être délivrés, car le Seigneur leur a enseigné de fuir d’une ville à une autre [Mt 10, 23] ; mais il faut comprendre que si les justes font ce qui est en leur pouvoir, le Seigneur les délivrera. Et ces exemples sont proposés pour montrer que le Seigneur s’occupe de tout et donne à chacun selon ses besoins. En effet, aux oiseaux il donne la façon d’acquérir ce qui est nécessaire, puisqu’il leur a donné l’instinct naturel par lequel ils se déplacent pour chercher ce dont ils vivront. Ainsi ne devons-nous pas être trop inquiets.
951. Ici, [le Seigneur] montre, en faisant appel à l’expérience, que, de même que [Dieu] prend soin des oiseaux, de même [il prend soin de nous]. En effet, il existe une partie de l’âme qui est soumise à la raison, comme [la partie] motrice et sensitive ; [mais il en existe une] qui ne l’est pas, comme [la partie] qui assure la croissance et la nutrition. L’homme a cela en commun avec les animaux. Et de même que [Dieu] s’occupe des animaux pour ce qui est de leur croissance et de leur nourriture, de même [s’occupe-t-il] des hommes. Ainsi, nous ne nous donnons pas à nous-même la croissance, mais elle nous est donnée par Dieu. Nous ne devons donc pas désespérer de la providence de Dieu.
952. OBSERVEZ LES LIS DES CHAMPS, etc. [Le Seigneur] nous a donné son enseignement au sujet de la nourriture et du vêtement. Ainsi, si vous avez de quoi vous nourrir et de quoi vous vêtir, soyez-en satisfaits.
953. Il dit donc : OBSERVEZ LES LIS DES CHAMPS. L’observation des créatures doit exister pour la gloire de Dieu, Ps 142[143], 5 : Je méditerai sur toutes tes œuvres, etc. ILS NE TRAVAILLENT NI NE FILENT. En effet, pour le vêtement, le travail des hommes et des femmes est nécessaire. Ainsi, pour écarter le travail des hommes, il dit : ILS NE TRAVAILLENT ; pour exclure le travail des femmes, il dit : NI NE FILENT.
954. OR, JE VOUS DIS QUE SALOMON LUI-MÊME DANS TOUTE SA GLOIRE N’A PAS ÉTÉ VÊTU COMME L’UN D’EUX, car même si l’art imite la nature, l’inverse n’est pas vrai. Ainsi, jamais l’art ne fera des couleurs aussi pures que celles qu’on trouve dans la nature sur les fleurs. Et il dit : DANS SA GLOIRE, parce que, parmi les gens connus chez les Juifs, Salomon fut le plus glorieux, et cependant ses vêtements ne pouvaient pas se comparer au lis. De même, Chrysostome dit que «le lis possède cela sans inquiétude ; mais Salomon dut tout au moins l’ordonner.» Jérôme réplique que «c’est le cas lors de la résurrection, car, par les lis, les anges sont désignés; et de même que les anges n’ont pas besoin de vêtements, de même en est-il pour la résurrection qui renouvellera notre corps et s’occupera de le vêtir».
955. SI DIEU HABILLE AINSI L’HERBE DES CHAMPS, etc. Ici, [le Seigneur] passe du lis à l’herbe des champs, et il raisonne [ainsi] : si [notre Père céleste] s’occupe des choses inférieures, Il s’occupera aussi de nous, qui sommes plus importants par la dignité de notre substance, car nous leur sommes supérieurs. De même, [nous sommes plus importants] par la durée, car nous sommes éternels par notre âme, mais [l’herbe], QUI EXISTE AUJOURD’HUI ET, DEMAIN, SERA JETÉE AU FOUR, etc., Is 40, 7 : L’herbe s’est desséchée et la fleur est tombée. De même, [sommes-nous plus importants] pour ce qui est de la fin, car l’homme existe pour la béatitude, mais l’herbe pour l’usage de l’homme (Ps 146[147], 8 : Qui produit sur les montagnes le foin et l’herbe au service des hommes, etc.) et pour un usage méprisable, à savoir, pour qu’elle soit jetée au four dans le cas de certaines terres où l’on brûle les tiges. Et S’IL HABILLE AINSI, c’est-à-dire s’il donne la parure nécessaire, NE FERA-T-IL PAS BIEN PLUS POUR VOUS, HOMMES DE PEU DE FOI ! Ou alors, par l’herbe, on peut entendre les infidèles. Si donc [Il s’occupe] des infidèles, qui se préparent à être jetés au four, combien plus des élus !
956. Ici, [le Seigneur] tire la conclusion de ces deux choses. Et tu dois interpréter l’inquiétude de quatre façons, comme il a été dit auparavant. Si tu vis dans une communauté, ne t’inquiète pas d’avoir plus de nourriture ou plus de vêtements [que les autres] ; au contraire, sois parmi eux comme l’un d’entre eux.
957. CE SONT LÀ LES CHOSES QUE LES PAÏENS RECHERCHENT, car en elles ils placent leur fin, parce qu’ils croient qu’en elles se trouve la béatitude. Et s’ils ne croient pas cela, ils leur attachent une grande inquiétude, parce qu’ils ne croient pas à la providence divine. Et parce que pour s’ordonner à la fin il faut deux choses, à savoir, la connaissance et la volonté, il dit : EN EFFET, VOTRE PÈRE SAIT CE DONT VOUS AVEZ BESOIN. Ainsi, Il sait parce qu’Il est Dieu ; Il veut aussi parce qu’il est Père.
958. Que ferez-vous donc ? Il parle de trois choses : CHERCHEZ D’ABORD LE ROYAUME DE DIEU, comme fin, parce que le royaume est la béatitude. «Règne» vient de «régner» : en effet, le règne s’exerce sur l’homme lorsqu’il est soumis à la volonté de celui qui règne. Or, cela se réalisera au ciel, selon Lc 14, 15 : Bienheureux celui qui mange du pain dans le royaume de Dieu. De même, la justice mène au royaume, Pr 8, 20 : Je marcherai dans les voies de la justice, au milieu des sentiers du jugement, pour enrichir ceux qui m’aiment et remplir leurs trésors, etc. C’est pourquoi il dit : ET SA JUSTICE. Et il dit : ET SA, et non pas celle de l’homme, car personne ne veut accéder au royaume par sa propre justice. Troisièmement, il dit : ET TOUT CELA VOUS SERA DONNÉ PAR SURCROÎT, comme [s’il disait] : «Tout cela sera ajouté en plus», Pr 10, 3 : Le Seigneur n’afflige pas l’âme du juste par la faim.
959. Nous ne devons donc pas chercher ces choses temporelles, et cela ni comme fin, ni comme récompense. Ainsi, nous ne devons pas évangéliser afin de manger, mais plutôt l’inverse. Mais, à cela Augustin objecte ce que dit Paul : J’ai travaillé dans la faim, dans la soif et dans le dénuement [2 Co 11, 27]. Et il répond que, de même que le médecin soustrait parfois la nourriture et la boisson à un malade afin de le soigner, de même le Seigneur, à qui il revient de pourvoir, permet que l’homme souffre, soit pour qu’il soit soigné, s’il doit être soigné de certaines choses, soit pour que les autres en prennent exemple.
960. NE VOUS INQUIÉTEZ DONC PAS DU LENDEMAIN. Mais cela n’est pas évident, car personne n’est tenu à une plus grande perfection que le Christ et les apôtres. Or, le Christ a eu de petites retraites et les apôtres se réunissaient. Augustin interprète ainsi LENDEMAIN, à savoir, l’avenir : en pensant trop aux choses temporelles, c’est-à-dire en y mettant sa fin, ou encore en accumulant les choses superflues. Ou bien, selon Jérôme, NE VOUS INQUIÉTEZ PAS DU LENDEMAIN est vrai pour ce qui relève de Dieu, alors que nous aurons fait ce qui est en notre pouvoir. En effet, nous ne devons pas éviter de travailler, alors que nous craignons la pluie et les choses de ce genre qui relèvent de Dieu. Ou bien [on peut l’interpréter encore] de cette manière : n’ayez pas pour le présent l’inquiétude que vous devez avoir pour l’avenir, comme il ne convient pas de s’occuper des vendanges à l’époque des moissons. Pourquoi ? À CHAQUE JOUR SUFFIT SA PEINE, c’est-à-dire les tribulations et les angoisses que l’homme a au cours de la journée doivent lui suffire, et il ne doit pas y ajouter celles qu’il doit avoir pour l’avenir, etc.
Leçon 1
[Matthieu 7, 1‑16] 1 «Ne jugez pas, afin de n’être pas jugés ; 2
car, du jugement que vous porterez, vous serez jugés, et de la mesure dont vous
mesurerez, il vous sera rendu selon cette mesure. 3 Qu’as-tu à regarder la
paille qui est dans l’oeil de ton frère et à ne pas voir la poutre qui est dans
ton œil ? 4 Ou bien comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi
ôter la paille de ton oeil”, et voilà que la poutre est dans ton oeil ! 5
Hypocrite, enlève d’abord la poutre qui est dans ton oeil, et alors tu verras
clair pour ôter la paille de l’oeil de ton frère. 6 «Ne donnez pas aux chiens
ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les porcs, de crainte qu’ils
ne les piétinent, puis se retournent contre vous pour vous déchirer.
7 «Demandez et l’on vous
donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira.
8 Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe
on ouvrira. 9 Quel est d’entre vous l’homme à qui son fils demandera du pain,
et qui lui remettra une pierre ? 10 Ou encore, [s’il lui demande] un
poisson, lui donnera un serpent ? 11 Si donc vous, qui êtes mauvais, savez
donner de bonnes choses à vos fils, combien plus votre Père qui est dans les
cieux en donnera-t-il à ceux qui l’en prient !
12 «Tout ce que vous voulez que
les hommes vous fassent, faites-le pour eux : voilà la Loi et les Prophètes.
13 «Entrez par la porte étroite. Car large et ouverte est la porte, et spacieux
le chemin qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui
l’empruntent ; 14 mais étroite est la porte et resserré le chemin qui
conduit à la Vie, et il en est peu qui le trouvent. 15 «Méfiez-vous des faux
prophètes. Ils viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans, ils sont des
loups rapaces. 16 À leurs fruits vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des
raisins sur des épines ? Ou des figues sur des chardons ? 17 Tout
arbre bon produit de bons fruits, et l’arbre mauvais produit de mauvais fruits.
18 Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre gâté porter de
bons fruits. 19 Tout arbre qui ne donne pas de fruit sera coupé et jeté au feu.
20 C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.
21 «Ce ne sont pas ceux qui
disent : “Seigneur, Seigneur !”, qui entreront dans le royaume des
cieux, mais celui qui aura fait la volonté de mon Père des cieux. 22 Beaucoup
me diront ce jour-là : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que
nous avons prophétisé ? En ton nom que nous avons chassé les démons ?
En ton nom que nous avons fait bien des miracles ?” 23 Alors je leur dirai
en face : “Je ne vous ai jamais connus ; écartez-vous de moi, vous
qui commettez l’iniquité”.
24 «Quiconque écoute ces
paroles que je viens de dire et les met en pratique sera comparé à un homme
avisé qui a bâti sa maison sur le roc. 25 Et la pluie vient, les torrents sont
venus, les vents ont soufflé et ils se sont déchaînés contre cette maison, et
elle ne s’est pas écroulée parce qu’elle avait été fondée sur le roc. 26
Quiconque écoute mes paroles et ne les met pas en pratique sera semblable à un
sot qui a bâti sa maison sur le sable. 27 La pluie est tombée, les torrents
sont venus, les vents ont soufflé et ils assaillent cette maison, et elle s’est
écroulée et grande fut sa ruine !»
28 Et il advint, comme Jésus
achevait ces paroles, que la foule était frappée d’étonnement, 29 car il les
enseignait comme un homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes.
961. [Le Seigneur] a accompli la loi pour ce qui était des commandements et des promesses ; maintenant, il l’accomplit pour ce qui est des jugements.
962. Premièrement, il ordonne donc qu’il n’y ait pas de jugement téméraire, et il dit : NE JUGEZ PAS, etc., à savoir, selon l’amertume de votre cœur, Am 4, 13 ; Tu as changé le jugement en amertume. Ou bien : NE [JUGEZ] PAS, pour ce qui est des choses qui ne sont pas soumises à notre jugement. Le jugement appartient au Seigneur ; à nous, il a confié de juger des réalités extérieures, mais Il s’est réservé les réalités intérieures. NE JUGEZ donc PAS de celles-ci, 1 Co 4, 5 : Ne jugez pas avant le temps ; Jr 17, 9 : Le cœur de l’homme est mauvais, mais qui le connaîtra ? En effet, personne ne doit juger qu’un homme est mauvais, car les choses douteuses doivent être interprétées de la manière la plus favorable. De même, le jugement doit s’accorder à la personne de celui qui juge. Ainsi, si tu te trouves dans le même péché ou dans un plus grand, tu ne dois pas juger, Rm 2, 1 : Par le fait que tu en juges un autre, tu te condamnes toi-même. De même, [le jugement] n’est pas interdit aux prélats, mais aux sujets. [Les prélats] ne doivent donc juger que leurs sujets. Mais Chrysostome [écrit] : «NE JUGEZ PAS, etc., c’est-à-dire ne jugez pas vous-mêmes en vous vengeant. Si vous pardonnez, vous ne serez pas jugés pour cette raison ; bien plutôt, vous obtiendrez miséricorde en raison de cette miséricorde.»
963. Vient ensuite la raison : DU JUGEMENT QUE VOUS PORTEREZ, VOUS SEREZ JUGÉS, c’est-à-dire vous serez jugés de la manière dont vous aurez jugé, Ps 7, 17 : Sa peine se retournera contre lui, etc. Et plus loin, 26, 52 : Celui qui aura frappé par le glaive, périra par le glaive. Ou encore : ceux qui jugent doivent craindre que le Seigneur ne permette qu’ils soient punis par le même jugement, comme en Is 33, 1 : Prends garde, toi qui détruis, de n’être pas détruit !
964. DE LA MESURE, etc. Ici, [le Seigneur] donne la raison sous la forme de l’exemple d’un jugement. En effet, le juge est comme une règle vivante. Lorsque tu veux établir l’égalité entre deux choses, tu t’en rapportes à une règle, et tu enlèves ce qui est en excédent chez l’une. Ainsi, si quelqu’un veut obtenir d’un autre plus qu’il ne doit avoir, [le juge] supprime cela et rend à chacun ce qui lui appartient. C’est [ce que veut dire] : IL NOUS SERA RENDU SELON CETTE MESURE.
965. Mais on soulève une objection : quelqu’un pèche de manière temporaire, et il est puni éternellement. Il semble que le jugement ne soit pas équitable. Je dis que, dans le péché, deux choses doivent être prises en considération : la durée et l’offense. Dans l’offense, deux choses [doivent être considérées], à savoir, l’aversion et la conversion. Du point de vue de la conversion, la faute est finie ; mais du point de vue de l’aversion, elle est infinie, car on se détourne de Dieu qui est infini. Lorsque quelqu’un se détourne de l’infini, il doit être puni de manière infinie. De même, du point de vue de la durée, il faut considérer deux choses, à savoir, l’acte et la souillure. L’acte est momentané, mais la souillure est infinie, c’est-à-dire éternelle. Ainsi, il doit être puni de manière infinie, c’est-à-dire éternelle. De sorte que si la souillure pouvait être effacée chez les démons, ils pourraient être libérés et de la peine et de la souillure. De même, du point de vue de la peine, il y a une âpreté, et celle-ci est finie. Il y a aussi une durée, et celle-ci est infinie.
966. QU’AS-TU À REGARDER LA PAILLE QUI EST DANS L’ŒIL DE TON FRÈRE, ET À NE PAS VOIR LA POUTRE QUI EST DANS TON ŒIL ? Ici, [le Seigneur] dit qu’il ne faut pas poser de jugement désordonné. En effet, [un jugement] est désordonné lorsqu’il est lancé sans que la cause ou la gravité du délit ait été pleinement examinée. Car, dans le jugement, deux choses sont nécessaires : la connaissance de la cause et le jugement. C’est de la première que parle Job, 29, 16 : La cause que je ne connaissais pas, je l’examinais très attentivement, etc.
967. QU’AS-TU À REGARDER LA PAILLE, une faute légère, DANS L’ŒIL, c’est-à-dire dans la conscience [de ton] frère, ET À NE PAS VOIR LA POUTRE, c’est-à-dire le péché grave, DANS TON ŒIL ? Par la paille et la poutre, [le Seigneur] enseigne à prendre en considération l’importance des péchés. En effet, souvent ceux qui commettent des péchés graves reprennent ceux qui [en commettent] de légers, comme il arrive lorsqu’on juge les religieux : certains, qui commettent [des péchés] graves, jugent graves [les péchés] légers qu’ils aperçoivent chez les religieux, alors que [ces péchés] sont comme une goutte d’eau dans une grande quantité de vin. De même, il arrive que quelqu’un, par faiblesse, pèche légèrement et qu’un juge mauvais et mal disposé, qui cherche à le punir par haine, regarde la paille dans l’œil de celui-ci, [sans apercevoir] la poutre dans son œil.
968. COMMENT donc, c’est-à-dire de quel front peux-tu dire : «FRÈRE, LAISSE-MOI ENLEVER LA PAILLE DE TON ŒIL» ? Tu dois avoir honte. Chrysostome [écrit] : «Comment un homme en aime-t-il un autre plus que lui-même ? En effet, si tu en corriges un autre dans un esprit de correction, tu te corrigeras d’abord toi-même ; mais [si] tu fais cela par haine ou par vaine gloire, etc.»
969. Mais on se demande si celui qui est dans le péché mortel peut en corriger un autre. Je dis que soit il a déjà été dans le péché, soit il ne l’a pas été. S’il n’a jamais été dans le péché, il doit craindre d’y tomber ; il doit donc corriger à contrecœur. S’il a déjà été dans le péché, il doit corriger avec mansuétude. Et c’est pourquoi peut-être le Seigneur a-t-il permis que Pierre tombe, lui qui devait être le pasteur de l’Église, afin qu’il se comporte avec plus de douceur avec les pécheurs. Et Paul dit du Christ, en He 4, 15 : Nous n’avons pas un grand-prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, puisqu’il a été éprouvé en tout d’une manière semblable, sauf le péché. Si [quelqu’un] est soumis au péché, celui-ci est soit public, soit occulte. S’il est occulte, il peut venir de la faiblesse ; il déplaît donc à celui qui pèche, et alors [celui qui est soumis au péché] peut corriger, car ce qu’il corrige chez un autre, il le corrige chez lui-même ; ou bien [le péché] peut venir de la malice, [et alors celui qui est soumis au péché] ne doit jamais corriger. Mais si [le péché] est public, [celui qui est soumis au péché] ne doit pas reprendre avec sévérité, mais se joindre [au pécheur] avec mansuétude. Ainsi, il ne faut pas blâmer les pécheurs avec dureté.
970. Vient ensuite : HYPOCRITE, ENLÈVE D’ABORD LA POUTRE QUI EST DANS TON ŒIL. Le Seigneur commence à dénoncer, comme il le fait plus loin, le mauvais serviteur, etc. Augustin [écrit] : «Il montre qu’il a l’intention de réprimander celui qui se donne une autorité qui ne lui appartient pas», Ps 49[50], 16 : Mais Dieu a dit au pécheur : «Pourquoi racontes-tu ma justice et as-tu mon alliance à la bouche ? Tu as détesté mon enseignement, etc.» ENLÈVE D’ABORD, en jeûnant et en priant, LA POUTRE QUI EST DANS TON ŒIL, et alors tu pourras voir la paille qui est dans l’œil de ton frère.
971. Vient ensuite : NE JETEZ PAS AUX CHIENS CE QUI EST SACRÉ. Par quoi [le Seigneur] montre que le jugement doit être pondéré. Il faut donc remarquer ce que veulent dire SACRÉ et PERLES. Augustin [écrit] : «Les choses saintes doivent être préservées inviolées et immaculées ; et les perles ne doivent pas être méprisées.» Par les CHIENS, qui déchirent de leurs dents, sont signifiés les hérétiques ; par les PORCS, qui foulent de leurs pieds, les gens impurs. DONNER AUX CHIENS LES CHOSES SAINTES, c’est donc administrer les choses saintes aux hérétiques. De même, si quelque chose de spirituel est exprimé et que cela est méprisé, cela est donné aux porcs. Ou bien par les choses saintes, [sont signifiés] les sacrements de l’Église ; par les perles, les mystères de la vérité. Le chien est un animal totalement impur ; le porc est en partie impur, et en partie il ne l’est pas. Par les chiens, [sont signifiés] les infidèles ; par les porcs, les mauvais fidèles.
972. NE JETEZ DONC PAS AUX CHIENS CE QUI EST SACRÉ, c’est-à-dire ne donnez pas les sacrements aux infidèles. Les PERLES, c’est-à-dire les sens spirituels, ne doivent pas être donnés aux porcs, 1 Co 2, 14 : L’homme [sous son aspect] animal ne perçoit pas les choses de Dieu, de crainte qu’il ne les méprise. Pr 27, 7 : L’âme rassasiée foule aux pieds le rayon de miel. C’est pourquoi les convertis s’en prennent aux péchés ou lancent des calomnies. Mais pourquoi ? Le Christ n’a-t-il pas dit beaucoup de bonnes choses aux infidèles et ceux-ci ne s’en prenaient-ils pas à ses paroles ? Je dis qu’il a fait cela pour les bons qui se trouvaient parmi les méchants, et qui ainsi progressaient.
973. DEMANDEZ ET L’ON VOUS DONNERA. [Le Seigneur] a livré son enseignement, qui est complet et parfait ; ici, il enseigne comment [cet enseignement] peut être observé. Or, pour cela, la prière est nécessaire ainsi qu’une attention diligente. Il enseigne donc d’abord à demander [7, 7] ; ensuite, il donne l’assurance d’être exaucé, en cet endroit : LEQUEL D’ENTRE VOUS, etc. [7, 9].
974. Et par ceci, vois comment deux fausses opinions sont écartées. La première est celle des orgueilleux, qui pensent accomplir les commandements par leurs propres forces. Mais [le Seigneur] dit qu’il est nécessaire de [le] demander à Dieu : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? 1 Co 4, 7. De même, [le Seigneur] écarte l’opinion de plusieurs qui disent que Dieu ne tient pas compte des prières et qu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils demandent. C’est pourquoi il ajoute : ET VOUS RECEVREZ. Et ceci s’interprète, premièrement, de façon que rien ne soit ajouté à ces deux choses, mais que seule la manière soit exprimée. En effet, pour demander, il faut une attention concentrée, de même qu’une dévotion fervente. Et [le Seigneur] indique ces deux choses lorsqu’il dit : CHERCHEZ, c’est-à-dire priez. Ou bien : DEMANDEZ, comme ceux qui cherchent quelque chose lui accordent toute leur attention. C’est de celui-là que parle l’épouse dans le Cantique, 3, 1 : J’ai cherché celui qu’aime mon âme. ET VOUS TROUVEREZ, Ps 26[27], 4 : J’ai demandé une seule chose au Seigneur, c’est celle-là que je chercherai. De même : CHERCHEZ à la façon de celui qui frappe à la porte, car celui qui frappe à la porte, s’il n’est pas entendu, frappe fort, Ct 7, 12 : Viens, mon bien-aimé, sortons au champ, demeurons dans les villages.
975. Deuxièmement, ceci s’interprète, selon Augustin, par rapport à ce que le Christ dit de lui-même : «Je suis la voie, la vérité et la vie» [Jn 14, 6]. Si tu veux suivre cette voie, demande-lui d’orienter tes voies, en disant avec le psalmiste, 24[25], 4 : Seigneur, montre-moi tes voies et enseigne-moi tes sentiers. Si tu veux connaître la vérité, cherche et tu trouveras. Mais il ne suffit pas de connaître la voie et de chercher la vérité si tu ne parviens pas à la vie. Pour y entrer, frappe, comme le dit Ex 15, 17 : Il les fera entrer et les plantera sur la montagne de ton héritage. Mais, encore selon [Augustin] et beaucoup mieux, tout ceci se rapporte à une demande très insistante. On l’interprète aussi autrement en le mettant en rapport avec divers actes : DEMANDEZ, en priant ; CHERCHEZ, en étudiant ; FRAPPEZ, en agissant.
976. CAR QUICONQUE DEMANDE REÇOIT, etc. Quelqu’un dira : «Tu nous dis de demander. Je crois que cela est dit aux saints, mais je n’en fais pas partie.» C’est pourquoi [le Seigneur] dit : QUICONQUE DEMANDE REÇOIT, etc. Mais il semble que ce soit faux, car il est écrit, Jn 9, 31 : Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs. Augustin donne la solution : si Dieu n’écoute pas les pécheurs, comment a-t-on rapporté, à propos du publicain, qu’il disait : «Seigneur, aie pitié du pécheur que je suis», [Lc 18, 13] ? [Augustin] ajoute donc : «[Dieu] n’écoute pas les pécheurs, à savoir, ceux qui veulent demeurer dans leurs péchés.» Mais il faut savoir que la prière est méritoire et impétratoire, et qu’elle peut être méritoire même si elle n’est pas impétratoire.
977. Mais que veut dire ce qu’il dit : QUICONQUE DEMANDE REÇOIT ? Il semble que ce soit faux, car on ne reçoit pas toujours ce qu’on demande. Je dis que l’homme demande et ne reçoit pas dans quatre cas. Ou il demande ce qui ne convient pas, plus loin, 20, 22 : Vous ne savez pas ce que vous demandez ; il faut donc demander ce qui est nécessaire au salut. En deuxième lieu, parce qu’il ne demande pas bien, Jc 4, 3 : Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous ne demandez pas bien ; il faut donc demander pieusement, c’est-à-dire avec foi. De même, [il faut demander] humblement, selon Lc 1, 48 : Il a regardé l’humilité de sa servante, et de même, pieusement, c’est-à-dire avec dévotion. De plus, [l’homme] n’est pas écouté parce qu’il demande pour un autre dont les mérites vont en sens contraire, Jr 15, 1 : Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, mon cœur ne serait pas avec ce peuple. Et encore, [l’homme] n’est pas écouté parce qu’il ne persévère pas, Lc 18, 1 : Car il faut toujours prier, avec persévérance; en effet, le Seigneur veut que s’accroisse le désir. De même, il arrive que le Seigneur exauce, mais sans le paraître, parce que le Seigneur donne eu égard à l’utilité, et non à la volonté, comme cela est arrivé à Paul. Augustin [écrit] : «Le Seigneur est bon, lui qui n’accorde pas souvent ce que nous demandons, pour accorder ce que nous ne voulons pas ; et parce que nous l’appelons Père, Il nous accorde ce qu’un père accorde à son fils.»
978. QUEL EST D’ENTRE VOUS L’HOMME, À QUI SON FILS DEMANDE DU PAIN, ET QUI LUI REMETTRA UNE PIERRE ? Par le pain, on entend le Christ, Jn 6, 51 : Je suis le pain vivant descendu du ciel, etc. De même, le pain est l’enseignement sacré, Si 15, 3 : Je le nourrirai du pain de vie et d’intelligence. De même, [on entend] la charité, Is 30, 23 : Le pain de la terre sera abondant et riche. Au contraire, la pierre est le Diable, Jb 41, 15 : Son cœur s’endurcira comme la pierre. De même, [la pierre] signifie l’endurcissement, selon Ez 36, 26 : J’enlèverai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. De même, elle signifie la fausse doctrine, Jb 28, 3 : Le torrent écarte la pierre cachée et l’ombre de la mort, etc. [On peut aussi comprendre] : si quelqu’un demande à Dieu du pain comme à un père, c’est-à-dire le Christ, [Dieu] ne lui donnera pas le Diable.
979. De même, [S’IL LUI DEMANDE] UN POISSON. Le poisson vit dans l’eau et il [représente] l’intelligence au sein des dogmes, Jn 4, 13 : Celui qui boira de cette eau n’aura plus jamais soif. Et, au même endroit : Il y aura une source d’eau vive jaillissant en vie éternelle. De même, par les eaux, sont signifiées les tribulations. Ainsi, par les poissons, [sont signifiés] ceux qui vivent au milieu des tribulations. Ou bien le poisson veut dire la foi, qui se cache sous l’eau, à savoir par la garde de l’esprit. Mais par le serpent [est signifiée] la fausse doctrine des hérétiques.
980. [Le Seigneur] dit donc : S’IL LUI DEMANDE UN POISSON, LUI DONNERA-T-IL UNE PIERRE ? Un autre évangéliste ajoute une troisième chose : un œuf. De sorte que, par le pain [est indiquée] la charité, par le poisson, la foi, et par l’œuf, l’espérance.
981. [Le Seigneur] conclut : SI DONC VOUS, ALORS QUE VOUS ÊTES MAUVAIS, SAVEZ DONNER DE BONNES CHOSES À VOS FILS, COMBIEN PLUS VOTRE PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX EN DONNERA-T-IL À CEUX QUI L’EN PRIENT ? Mais quelqu’un dira : «Il a dit cela aux apôtres, qui n’étaient pas mauvais.» Et Chrysostome donne la solution : [le Seigneur fait] une comparaison avec la bonté divine, Is 64, 6 : Toutes nos bonnes actions sont comme du linge souillé. Jérôme dit : «Et si tous n’étaient pas mauvais par leurs actes, ils étaient cependant tous mauvais par leur tendance au mal.» Ainsi, on lit en Gn 6, 5 : Parce que toutes les pensées du cœur de l’homme sont toujours tournées vers le mal. Et Jr 16, 12 : Voici en effet que chacun suivait la méchanceté de son cœur. Augustin [écrit] : «Si donc, alors que vous êtes mauvais. Il n’est pas dit : “Vous êtes mauvais”, mais alors que vous êtes mauvais, donnez à vos fils temporels des biens temporels que vous estimez bons, combien plus votre Père qui est parfaitement bon !» Et c’est ce qui suit : COMBIEN PLUS VOTRE PÈRE QUI EST AUX CIEUX EN DONNERA-T-IL À CEUX QUI L’EN PRIENT, si vous voulez les recevoir !
982. TOUT CE QUE VOUS VOULEZ QUE LES HOMMES VOUS FASSENT, FAITES-LE POUR EUX, c’est-à-dire pardonnez, si vous voulez qu’il vous soit pardonné. Certains ont ajouté : TOUS LES BIENS, mais cela n’est pas nécessaire, car [le Seigneur] dit : [CE QUE] VOUS VOULEZ. Or, la volonté est le désir de biens, et la cupidité celui de maux. Il n’est donc pas nécessaire d’ajouter : LES BIENS. Ainsi, ce que tu veux qu’on te fasse, fais-le aux autres. VOILÀ LA LOI ET LES PROPHÈTES, et [le Seigneur] ne dit pas : toute la loi et les prophètes, comme lorsqu’il s’agit des préceptes premiers : Toute la loi et les prophètes tiennent en ces deux choses [Mt 22, 40].
983. ENTREZ PAR LA PORTE ÉTROITE. Afin qu’on ne croie pas que, parce qu’il avait dit : DEMANDEZ ET VOUS RECEVREZ, l’homme recevrait tout de Dieu sans de bonnes œuvres, [le Seigneur] enseigne donc que cela se fait aussi par les bonnes œuvres. Il donne donc en premier lieu un avertissement ; en second lieu, la raison.
984. [Le Seigneur] dit donc : ENTREZ, c’est-à-dire : efforcez-vous d’entrer. Augustin interprète cela de deux façons. Le Christ est la porte, Jn 10, 9 : Je suis la porte, parce que sans lui on n’accède pas au royaume. Cette porte est ÉTROITE en raison de l’humilité, car il s’est humilié jusqu’à la mort [Ph 2, 8]. Car, le Seigneur donnera une parole diminuée à la terre [Is 10, 22‑23 ; Rm 9, 28]. Ainsi, ENTREZ PAR LA PORTE ÉTROITE, c’est-à-dire par l’humilité du Christ, Lc [24, 26] : Il fallait que le Christ souffre pour entrer dans sa gloire ; de même en est-il pour nous. Ainsi, il nous faut passer par de multiples tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu. De même, cette porte signifie la charité, Ps 117[118], 20 : Voici la porte du Seigneur, les justes y entreront. Celle-ci est resserrée par la loi divine, et nous devons entrer par cette porte en observant la loi et les prophètes.
985. Ensuite, il donne la raison : CAR LARGE OUVERTE EST LA PORTE ET SPACIEUX LE CHEMIN QUI CONDUIT À LA PERDITION. Et il décrit deux portes : l’une large ouverte, l’autre étroite. Celle qui est large ouverte est le Diable, la présomption de l’orgueil, [Mt] 16, 18 : Les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur elle. Cette PORTE est LARGE OUVERTE parce qu’elle accueille tous : en effet, personne ne peut la combler. De même, cette porte signifie l’iniquité ou le vice ; et celle-ci est large ouverte parce que [le vice] existe sous plusieurs formes. En effet, la vertu n’a qu’une forme, mais le vice en a plusieurs. Os 4, 2 : La malédiction, le mensonge, l’homicide, le vol et l’adultère ont abondé, et le sang a rejoint le sang, etc. De même, existe-t-il un CHEMIN LARGE OUVERT, et c’est l’œuvre du péché, Jr 2, 18 : Pourquoi veux-tu aller en Égypte ? De même, il existe UN CHEMIN SPACIEUX, parce qu’au début, il semble large ouvert, mais par la suite il se rétrécit, car son issue est LA PERDITION. En effet, le salaire du péché, c’est la mort [Rm 6, 23]. ET NOMBREUX SONT CEUX QUI L’EMPRUNTENT. Ici, il indique le nombre, car, selon la lettre, le nombre des fous est infini [Qo 1, 15].
986. ÉTROIT
EST LE CHEMIN ET RESSERRÉ LE SENTIER QUI CONDUIT À LA VIE. Voilà le contraire
de ce qui précède. Et ce [chemin] est étroit, car il se rétrécit par la règle
de la loi, et il s’agit d’un choix entre deux voies, Pr 4, 27 : Le chemin qui est à droite, le Seigneur le
connaît ; mais mauvais sont les chemins qui mènent à gauche, etc.
987. Mais
on peut se demander pourquoi le chemin de la charité est étroit, car il semble
qu’il est large, Pr 4, 11 : Je
te mènerai par les sentiers de la justice ; lorsque tu y seras entré, tes
pas ne seront pas limités. Or, le chemin des pécheurs est un chemin
étroit ; c’est pourquoi Sg 5, 7 [dit] : Nous avons emprunté des chemins difficiles. Il
faut dire qu’il existe un chemin de la chair et [un chemin] de la raison. Le
chemin de la charité sur la voie de la chair est un chemin étroit ; [mais
c’est] le contraire sur la voie de la raison. Il en existe un exemple chez le
pédagogue, car plus [celui-ci] aime l’enfant, plus il restreint ses pas. Ainsi,
les chemins de la charité sur la voie de la chair sont étroits, [mais c’est] le
contraire sur la voie de la raison, Ps 118[119], 120 : Transperce ma chair de ta crainte.
988. ET IL EN EST PEU QUI LE TROUVENT. [Le Seigneur] fait ici mention de la découverte rare et difficile sur la voie de l’esprit, alors qu’elle ne l’est pas sur la voie de la chair. Et la raison [en est la suivante] : la voie de la chair est le plaisir, et celui-ci se présente facilement, mais la voie de l’esprit est cachée ; c’est pourquoi Ps 30[31], 20 [dit] : Comme est grande ta douceur, Seigneur, que tu as cachée pour ceux qui te craignent ! En effet, parce qu’elle est cachée, peu la trouvent. Mais certains la trouvent, et reviennent cependant sur leurs pas ; il est dit d’eux en Lc 9, 62 : Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au royaume de Dieu.
989. [Le Seigneur] enseigne de prendre garde à ce qui doit être évité. Or, cela est décrit par la profession, puisqu’il s’agit des prophètes. Mais on peut se demander de quels prophètes, car la loi et les prophètes [ont duré] jusqu’à Jean. Ainsi, en ce temps-là, il n’y avait pas de prophètes qui parlaient du Christ, parce qu’ils s’achevaient en lui. C’est pourquoi il faut dire que les prophètes sont les docteurs et les prélats dans l’Église.
990. Mais que veut-il dire par FAUX ? Sont appelés faux ceux qui ne sont pas envoyés. C’est d’eux que parle Jr 23, 21 : Je ne les envoyais pas, et ils couraient. De même, sont appelés FAUX ceux qui disent un mensonge ; ainsi, Jr 2, 8 : Ses prophètes ont prophétisé au nom de Baal. Ainsi y eut-il beaucoup de pseudo-prophètes parmi le peuple, comme il y aura parmi nous des maîtres menteurs.
991. MÉFIEZ-VOUS, c’est-à-dire évitez avec soin, car ils sont cachés, et il faut éviter les pièges cachés. Ainsi, leur malice se cache à l’intérieur. [Le Seigneur] dit donc : ILS VIENNENT À VOUS DÉGUISÉS EN BREBIS, etc. Les brebis sont les fidèles : Nous sommes son peuple et les brebis qu’il fait paître, Ps 109[110], 3. Leurs vêtements sont le jeûne et les aumônes dont ils se couvrent, 2 Tm 3, 5 : Ils ont l’apparence de la piété, mais ils en récusent la puissance. Mais il faut savoir que, si les loups se couvrent de peaux de brebis, la brebis n’en perd pas pour autant sa peau. Ainsi, bien que ces méchants se couvrent de bonnes œuvres, les bons progressent pourtant beaucoup. MAIS AU-DEDANS, ILS SONT DES LOUPS RAPACES. Ceci s’entend principalement des hérétiques et ensuite des mauvais prélats. Ainsi, on trouve à ce sujet en Jn 10, 11 : Je suis le bon pasteur. On appelle pasteur celui qui gouverne et régit, loup, celui recherche la perdition, et mercenaire, celui qui recherche son propre avantage. Ainsi, il faut aimer le pasteur, fuir le loup et supporter le mercenaire. De sorte que ce qui est dit : AU-DEDANS, ILS SONT DES LOUPS RAPACES, s’entend de ceux qui ont l’intention de pervertir le peuple, et ils doivent être appelés des loups. De même, les mercenaires, à savoir, les mauvais chrétiens qui propagent le mauvais exemple et qui ont une mauvaise vie, ressemblent au loup par l’effet [qu’ils produisent], Ac 20, 29 : Car des loups rapaces viendront après mon départ, qui n’épargneront pas le troupeau, etc. Et [le Seigneur] dit : AU-DEDANS, parce qu’ils ont la mauvaise intention de tuer le peuple.
992. À LEURS FRUITS VOUS LES RECONNAÎTREZ, etc. À LEUR FRUITS, c’est-à-dire à leurs œuvres. Mais il semble que ce soit le contraire, car ils sont habillés comme des brebis, et les habits sont les œuvres. Ils seront donc reconnus par celles-ci. Chrysostome [écrit] : «Le fruit est la confession de la foi. S’il confesse la foi, il n’est donc pas hérétique, Ep 5, 9 : En effet, les fruits de la lumière sont la bonté, la justice et la vérité en toutes choses, etc.» Mais si on l’interprète des gens fourbes, on l’interprète alors ainsi : par les vêtements [sont désignées] les œuvres extérieures. Ainsi, en Ga 5, 22 : Le fruit de l’Esprit est la charité, la joie et la paix, etc. Mais tu te demanderas comment ils peuvent être reconnus. Il faut dire qu’un hypocrite peut difficilement se présenter sans qu’apparaisse quelque chose de mauvais soit dans ses paroles, soit dans ses actes, Pr 27, 19 : Comme sont réfléchis dans l’eau les visages de ceux qui regardent, ainsi les cœurs des hommes seront révélés aux sages. Et Sénèque [écrit] : «Personne ne peut longtemps jouer un personnage.» Ils se révèlent surtout par deux choses : dans ce qui doit être fait soudainement, parce que dans les choses que quelqu’un fait de manière délibérée, il prend garde à lui-même ; de même, dans les tribulations, Si 6, 8 : Il est un ami lorsque cela lui plaît, mais il ne sera pas là au jour de la tribulation. De même, ils se révèlent lorsqu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent ou lorsqu’ils l’ont déjà obtenu. C’est ainsi que l’exercice du pouvoir manifeste ce qu’est un homme.
993. CUEILLE-T-ON DES RAISINS SUR DES ÉPINES ? Par les RAISINS, dont est fait le vin, on entend la joie spirituelle, car le vin réjouit le cœur de l’homme, Ps 103[104], 15. Par les FIGUES, [s’entend] la douceur de la paix de l’Église, qui est la charité. Celles-ci ne peuvent apparaître dans les CHARDONS, c’est-à-dire chez les pécheurs, car il produira sur toi des épines et des chardons, Gn 3, 18.
994. Et [le Seigneur] démontre cela par un exemple : TOUT ARBRE BON PRODUIT DE BONS FRUITS, ET L’ARBRE MAUVAIS PRODUIT DE MAUVAIS FRUITS. En se fondant sur cela, les manichéens ont supposé qu’il existait deux natures, la bonne et la mauvaise. Mais cela n’est pas vrai, car nous voyons chez une mauvaise créature de bons fruits, et l’inverse [existe aussi]. Ainsi, tu dois comprendre que l’arbre est le principe du fruit. Mais le principe est double : le principe de la nature et le principe du comportement. Le principe de la nature est l’âme ; et ainsi, tout ce qui est produit naturellement est entièrement bon. Mais le principe du comportement est la volonté ; c’est pourquoi, si la volonté est bonne, l’action sera bonne puisqu’elle sera issue d’une volonté bonne ayant une intention bonne, car si on voulait voler pour faire l’aumône, même si la volonté est bonne, l’intention n’est cependant pas droite.
995. Mais
qu’adviendra-t-il de l’arbre mauvais ? TOUT ARBRE QUI NE PORTE PAS DE
FRUITS SERA COUPÉ, car s’il n’en produit pas ou s’il omet d’en produire alors
qu’il le peut, il sera coupé. C’est [ce que dit] Jn 15, 6 : Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il sera
jeté dehors comme des branches, il se desséchera et on le ramassera pour
l’envoyer au feu, et il brûlera. C’est pourquoi, en Lc 13, 7, il
est dit du figuier que le maître a ordonné de couper et d’arracher : Que l’impie soit enlevé afin qu’il ne voie
pas la gloire de Dieu !
996. [Le Seigneur] conclut : AINSI DONC, C’EST À LEUR FRUITS QUE VOUS LES RECONNAÎTREZ.
997. CE NE SONT PAS TOUS CEUX QUI ME DISENT : «SEIGNEUR, SEIGNEUR !», etc. Une fois présentée la doctrine, [le Seigneur] montre qu’il faut l’observer, car rien d’autre ne suffit au salut. En ce qui concerne le commandement ou la doctrine de Dieu, quatre choses sont nécessaires ou louables : que nous confessions de bouche, qu’elle soit confirmée par des miracles, que soit écoutée la parole de Dieu et qu’elle soit mise en pratique.
998. À propos du premier point, Rm 10, 10 [dit] : C’est par le cœur qu’on croit en vue de la justice et par la bouche que l’on confesse en vue du salut. À propos du deuxième, Mc [16, 20] [dit] : Le Seigneur aidant et confirmant la parole par les signes suivants. Il faut aussi qu’elle soit écoutée, Jn 8, 47 : Celui qui est de Dieu écoute la parole de Dieu. De même, quatrièmement, il est nécessaire qu’on la mette en pratique, Jc 1, 22 : Mettez en pratique la parole de Dieu et ne vous contentez pas de l’entendre. [Le Seigneur] veut donc montrer que les trois [premières] choses ne sont pas utiles sans la quatrième. C’est pourquoi il dit : CE NE SONT PAS TOUS CEUX QUI ME DISENT : «SEIGNEUR, SEIGNEUR !» etc.
999. Mais cela semble contredire ce que dit l’Apôtre : Personne ne peut dire «Seigneur Jésus», si ce n’est dans l’Esprit Saint [1 Co 12, 3], Mais celui qui possède l’Esprit Saint entre dans le royaume des cieux. Augustin donne la solution. On peut employer «dire» de plusieurs façons : en un sens général, et en un sens rigoureux propre. En un sens rigoureux, ce n’est rien d’autre que de manifester son sentiment et sa volonté ; c’est ainsi qu’il est dit de l’Apôtre : Personne ne peut dire : «Seigneur Jésus», si ce n’est dans l’Esprit Saint, etc. Et cela n’est rien d’autre que de croire le Seigneur et de lui obéir. De même, [on peut l’employer] en un sens général, c’est-à-dire exprimer de n’importe quelle façon par la bouche : c’est de cela que parle Jr 26, 13 : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est très éloigné de moi. Ou bien ceci : CE NE SONT PAS TOUS CEUX QUI ME DISENT : «SEIGNEUR, SEIGNEUR !», etc.
1000. [Le Seigneur] répète le mot : SEIGNEUR, SEIGNEUR, afin d’indiquer qu’il existe une double confession, à savoir, par la voix et par la louange, dont aucune n’est suffisante. C’est pourquoi Is 26, 13 [dit] : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est très éloigné de moi.
1001. Qui donc entrera ? Non pas celui qui dit : «SEIGNEUR, SEIGNEUR !», MAIS CELUI QUI AURA FAIT LA VOLONTÉ DE MON PÈRE, etc., Jn 3, 13 : Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, etc. Ainsi, personne ne peut monter à moins qu’il ne descende comme le Christ, dont il est dit en Jn 6, 38 : Je suis descendu du ciel, non pas pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Il faut donc faire la volonté de Dieu, 1 Th 4, 3 : La volonté de Dieu, c’est votre sanctification. C’est ainsi que David disait, Ps 142[143], 10 : Enseigne-moi à faire ta volonté. Et aussi, le Seigneur a enseigné à prier : Que ta volonté soit faite [Mt 6, 10].
1002. Mais il faut remarquer que, par le fait qu’il dit : ROYAUME, la récompense céleste est abordée. C’est pourquoi il dit : ENTRERA. En effet, ce royaume consiste dans les biens spirituels, et non dans les biens extérieurs. Il dit donc : ENTRERA. C’est pourquoi Ct 1, 4 [dit] : Le roi m’a introduite dans sa chambre. Il dit aussi : DES CIEUX, car, même si quelqu’un possède ici-bas des richesses ou des honneurs, ils sont entièrement ordonnés à cela. Ainsi, la récompense se trouve dans les réalités élevées.
1003. Mais quelqu’un pourrait dire que faire des miracles est suffisant pour le salut. [Le Seigneur] écarte cela, car BEAUCOUP ME DIRONT CE JOUR-LÀ : «SEIGNEUR, N’AI-JE PAS PROPHÉTISÉ EN TON NOM», etc. ? Et il dit : BEAUCOUP, pour indiquer ceux qui s’écartent de l’unité, car ils sont une multitude : Le nombre des fous est infini, Qo 1, 15. De même, il introduit cela pour éclairer ce qu’il avait dit : TOUT ARBRE QUI NE PORTE PAS DE FRUITS SERA COUPÉ. Mais il n’avait pas dit par qui. C’est pourquoi il dit : ME, comme à un juge établi, car le Père a donné au Fils de tout juger, Jn 5, 22. Il dit aussi : CE JOUR-LÀ. [Le mot] indique un terme, mais non selon la qualité du temps, car le jour du jugement est parfois appelé nuit. En effet, il est parfois appelé jour, et parfois, nuit, car le moment de sa venue est incertain. Ainsi [est-il dit] plus loin, 25, 6 : Au milieu de la nuit, un cri s’est élevé : «Voici que vient l’époux, sortez à sa rencontre !». L’Apôtre parle de jour, 1 Co 4, 3, et [il est dit] dans Ps 36, 6 : Et une lumière éclairera ma justice et mon jugement sera comme le midi.
1004. SEIGNEUR,
SEIGNEUR ! Il répète pour indiquer une grande confusion et la crainte,
Sg 5, 2 : Ils seront
troublés par une horrible crainte. N’AVONS-NOUS PAS CHASSÉ LES DÉMONS EN
TON NOM ? C’est là un pouvoir surnaturel, Jb 41, 24 : En effet, il n’existe pas de pouvoir sur
terre qui puisse se comparer à lui, à savoir, au pouvoir du Diable.
1005. Mais on se demande alors comment ceux qui chassent les démons deviennent réprouvés. Chrysostome répond qu’ils mentent. Une autre réponse est qu’à un certain moment ils étaient bons et ont fait des miracles ; par la suite, ils sont devenus mauvais. Mais ceci ne peut pas être exact, car le Seigneur dit : JE NE VOUS AI JAMAIS CONNUS. D’une autre façon, on doit dire qu’ils disent : EN TON NOM, et non au nom de l’Esprit Saint. En effet, certains [agissent] au nom de l’Esprit Saint, d’autres non. Ainsi, on lit, en Jr 2, 8, que certains ont prophétisé au nom de Baal. De même, certains [agissent] en recourant aux arts de la magie. Mais on se demande comment les démons font des miracles. Je dis qu’ils ne le peuvent pas, mais qu’ils font certaines choses qui semblent être des miracles, mais ne sont cependant pas des miracles. On dit qu’il y a miracle lorsque les effets sont manifestes, alors que les causes sont cachées. Ainsi, il se peut que quelque chose soit étonnant pour ceux qui sont moins instruits, mais ne le soit pas pour les sages. De sorte que, puisque les démons connaissent les choses naturelles d’une manière plus vraie, ils peuvent accomplir ce qui nous semble être des miracles. Autre [interprétation], selon Jérôme : comme il le dit, parmi les dons de l’Esprit Saint, certains sont des charismes ; seule la charité réalise une distinction entre les fils de Dieu et les fils du Diable, 1 Co 12, 7 : À chacun est donnée la manifestation [de l’Esprit] en vue du bien, soit pour l’accroissement de son bien propre, soit de celui de l’Église, afin que la foi qu’il prêche soit manifestée. Et ainsi, parfois même un prélat qui a une mauvaise vie peut faire des miracles.
1006. ALORS JE LEUR DIRAI EN FACE : «JE NE VOUS AI JAMAIS CONNUS», c’est-à-dire : «Je ne vous ai pas approuvés, même lorsque vous faisiez des miracles», 2 Tm 2, 19 : Le Seigneur connaît les siens. Il dit : «JE NE VOUS AI PAS CONNUS», puisqu’il dit : ÉCARTEZ-VOUS DE MOI, car vous n’avez jamais été approuvés.
1007. QUICONQUE ÉCOUTE, etc. [Le Seigneur] montre que, sans les œuvres, rien ne suffit, pas même l’écoute de la parole de Dieu, car l’écoute est ordonnée à la foi, Rm 10, 17 : La foi vient de l’écoute. En effet, l’écoute ne suffit pas. Et il monte cela de deux façons, car il présente sous forme de comparaison la situation de celui qui écoute et accomplit, et [celle de] celui qui écoute et n’accomplit pas. À propos du premier, il fait trois choses. Premièrement, il présente la construction [7, 24] ; deuxièmement, l’assaut, en cet endroit : ET LA PLUIE VIENT, etc. [7, 25] ; troisièmement, l’immuabilité, en cet endroit : ET [LA MAISON] NE S’EST PAS ÉCROULÉE [7, 25].
1008. [Le
Seigneur] dit donc que l’écoute ne suffit pas. En effet, l’écoute est
nécessaire, Jn 8, 47 : Car
celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu, mais elle ne suffit pas,
Rm 2, 13 : En effet, ce ne
sont pas ceux qui écoutent la parole de Dieu qui seront justifiés, mais ceux
qui l’accomplissent. De même, il dit à juste titre : CES PAROLES, car
tout ce qui concerne le salut y est contenu. Ainsi, CELUI QUI ÉCOUTE CES
PAROLES ET LES MET EN PRATIQUE SERA COMPARÉ À UN HOMME SAGE. Et il ne dit pas
qu’il est un homme sage, mais qu’il SERA COMPARÉ [à un homme sage]. Et cette
comparaison peut s’entendre d’un constructeur corporel, et ainsi la lettre est
claire. Ou bien on peut l’entendre spirituellement, et ainsi cet homme est le
Christ, Qo 7, 29 : J’ai
trouvé un homme entre mille. La maison du Christ est l’Église : en
effet, il sait comment il faut la construire. À ce sujet, Pr 9, 1
[dit] : La sagesse s’est édifié une
maison. Et Pr 14, 1 : La
femme sage construit sa maison sur le roc. 1 Co 10, 1 :
La pierre était le Christ. Ainsi, le
Christ construit sur lui-même. En effet, lui-même est le fondement ; pour
cette raison, 1 Co 3, 11 [dit] : Personne ne peut établir un autre fondement en-dehors de celui qui a
été établi, qui est le Christ Jésus. En effet, tel est le fondement de la
vérité éternelle. [Ce fondement] est tout à fait immuable,
Ps 124[125], 4 : Ceux qui
mettent leur confiance dans le Seigneur comme dans le mont Sion.
[7, 25]
1009. Suit l’assaut contre cette maison : ET LA PLUIE VIENT. Par la PLUIE, on entend la doctrine, et il y a une bonne et une mauvaise pluie. Ainsi donc, celle qui se jette [contre la maison] est la mauvaise doctrine, Gn 19, 24 : Le Seigneur a fait pleuvoir sur Sodome du soufre et du feu. De même, il existe des TORRENTS bons et [d’autres] qui ne sont pas bons, Is 18, 2 : Les torrents ont envahi sa terre. Et par cela sont signifiés les sages qui s’estiment être sages. Ces torrents sont engendrés par les pluies. Par les VENTS sont signifiés les démons. Ainsi, dans la [lettre] canonique de Jude 12 : Des nuées sans eau, que le vent fait circuler, etc. ET ILS SE SONT DÉCHAÎNÉS CONTRE CETTE MAISON, c’est-à-dire contre l’Église, ET ELLE NE S’EST PAS ÉCROULÉE. En effet, ses cordes ne seront jamais rompues, Is 33, 20. Et pourquoi ? PARCE QU’ELLE AVAIT ÉTÉ FONDÉE SUR LE ROC, c’est-à-dire le Christ.
1010. Ensuite, il présente la comparaison de celui qui écoute et n’accomplit pas. Et, à ce sujet, il présente en premier lieu la construction [7, 26] ; en second lieu, l’assaut, en cet endroit : ET VIENT LA PLUIE, etc. [7, 27] ; en troisième lieu, la ruine, en cet endroit : ET ELLE S’EST ÉCROULÉE, etc. [7, 27].
1011. [Le Seigneur] dit : QUICONQUE ÉCOUTE MES PAROLES ET NE LES MET PAS EN PRATIQUE SERA SEMBLABLE À UN SOT, qui est tombé du haut de la lumière de la sagesse. Ainsi, Qo 4, 13 [dit] : Mieux vaut un serviteur sage qu’un vieillard infatué. De même, le sot est le Diable. La maison qu’il édifie est le rassemblement des fidèles. Ainsi, Ps 73[74], 30 [dit] : La terre est remplie de maisons d’iniquité. Et celui-ci [la construit] SUR LE SABLE. Par le SABLE, on entend les fidèles qui ne portent pas de fruits. De même, en raison du nombre : Le nombre des fous est infini, Qo 1, 15. De même, le sable ne colle pas : ainsi, ceux-ci sont toujours à contester. Il la fonde donc sur le sable, c’est-à-dire qu’il fixe sa fin, qui est le fondement, à savoir son intention, sur un bien temporel. LA PLUIE VIENT, c’est-à-dire la bonne doctrine, LES TORRENTS, c’est-à-dire les saints docteurs, LES VENTS SOUFFLENT, c’est-à-dire les anges, Ps 103, 4 : Qui fait des vents ses anges. ET ILS ASSAILLENT CETTE MAISON, ET ELLE S’EST ÉCROULÉE, Ap 14, 8 : Elle s’est écroulée, elle s’est écroulée, Babylone, à savoir, par la prédication. ET GRANDE FUT SA RUINE.
1012. Si l’on veut adapter la comparaison, il faut dire ceci : que l’homme doit construire comme le Christ. Et c’est cela qu’enseigne l’Apôtre, 1 Co 3, 10 : Que chacun voit comment il construit. En effet, l’un construit la résidence de Dieu ; un autre [fait] le contraire, comme [il est dit] plus loin ; et comme on le trouve en 1 Co 3, 12, certains construisent sur la paille. En effet, le fondement est ce sur quoi quelqu’un fixe son intention. Or, certains écoutent afin de savoir, et ceux-ci construisent sur l’intelligence, et c’est là une construction sur le sable, comme [le dit] Jc 1, 23 : Celui qui écoute, et ne met pas en pratique, est semblable à l’homme qui regarde son visage dans un miroir. Ainsi, ils construisent sur ce qui peut changer : ceux-là construisent sur le sable. Mais un autre écoute afin de mettre en pratique et d’aimer ; et celui-ci construit sur le roc, car [il construit] sur ce qui est solide et stable, Pr 22, 6 : L’adolescent qui suit son chemin, même lorsqu’il vieillira, ne s’en écartera pas. En effet, ce fondement repose sur la charité, selon l’Apôtre, Rm 8, 35 : Qui nous séparera de la charité du Christ ?
1013. Mais ici on peut se demander pourquoi le fondement qui repose sur l’intelligence est instable, et non pas solide, alors que [celui qui repose sur] l’amour l’est. La raison en est que l’intelligence porte sur ce qui est universel. En effet, elle ne peut pas savoir beaucoup de choses en dehors de l’universel. C’est pourquoi on ne trouve pas la stabilité en évoluant autour de l’universel. Mais les actions et les sentiments se rapportent à des choses particulières et à une bonne habitude, de sorte que si la tentation vient, on adhère à ce dont on avait l’habitude, à savoir la bonne action, et c’est pourquoi on résiste.
1014. Mais alors on se demande ce qu’on entend par la PLUIE. Il faut donc dire que le Diable, pour commencer, ne tente jamais dans les choses plus importantes, mais d’abord dans les choses moins importantes, puis il progresse vers les plus importantes. Ainsi, par la PLUIE, on comprend une pensée mauvaise. [Le Diable] tente donc par une pensée mauvaise. Puis, si [celui qui est tenté] consent, [le Diable] tente ensuite par une chose plus importante, et il intensifie ainsi par après. Et, à partir de là, des TORRENTS apparaissent, et ils L’ASSAILLENT DE TOUTES LEURS FORCES, et il S’ÉCROULE nécessairement. Si 19, 1 : Celui qui néglige les petites choses tombe peu à peu. Ou bien, autre interprétation : la PLUIE est la tentation de la chair ; les TORRENTS sont la tentation du monde ; les VENTS sont la tentation du Diable. Ou bien, selon Augustin, «la pluie est la doctrine superstitieuse ; celui qui y adhère tombe très lourdement, et cela devient une grande ruine ; mais celle-ci n’est pas grande lorsqu’il vacille mais ne tombe pas, parce que, lorsque se présente la tentation, il craint et se repent.» Mais certains [s’écroulent] totalement, Ps 136[137], 7 : À bas ! À bas ! Rasez-la jusqu’aux assises. Ou bien on parle de GRANDE RUINE parce que le cœur est impénitent, Jb 21, 13 : Leur vie s’achève dans le bonheur et ils descendent tout à coup en enfer.
1015. ET IL ADVINT, COMME JÉSUS ACHEVAIT CES PAROLES, QUE LA FOULE ÉTAIT FRAPPÉE D’ÉTONNEMENT. [Matthieu] présente l’effet. En effet, il y avait trois sortes de gens qui suivaient le Seigneur Jésus. Certains s’étonnaient et étaient scandalisés, comme les pharisiens, dont il est question plus loin, [Mt] 15. Certains s’étonnaient, mais n’étaient pas scandalisés, comme la foule. Mais certains, comme les parfaits, ne s’étonnaient pas.
1016. Mais il faut se demander pourquoi [Matthieu] dit : LA FOULE, car il n’y avait pas là de foule. Et l’on peut dire que le discours a été fait à la foule et aux disciples, mais que, sur la montagne, au pied du sommet, se trouvait un terrain plat. Les disciples étaient donc sur le sommet avec le Christ, mais la foule [occupait] le terrain plat. Ou bien on peut dire que [Jésus parla] d’abord aux disciples, et après, à la foule. Ou bien on peut dire qu’une foule de disciples l’avait suivi.
1017. Mais quelle était la raison de l’étonnement ? Parce que [Jésus] ENSEIGNAIT COMME UN HOMME QUI A AUTORITÉ. De sorte que s’accomplit en lui ce qui est dit en Qo 8, 4 : Sa parole est remplie de puissance. Ainsi, QUI A AUTORITÉ, parce qu’il parlait comme le Seigneur ou comme le législateur. Ou bien : COMME UN HOMME QUI A AUTORITÉ, par la capacité de pénétrer le cœur. Ainsi, il est dit, Ps 67[68], 34 : Il fera de sa voix une voix puissante. Ou bien [parce qu’il parlait] avec la puissance de faire des miracles, car ce qu’il disait, il le confirmait par des miracles.
1018. Augustin dit que tout ce qui est dit dans ce discours doit être ramené aux sept dons et aux béatitudes, car ce qui est d’abord dit : «Tu ne tueras pas», se rapporte au don de crainte et à la béatitude de la pauvreté. Et ce qui suit : «Sois conciliant envers ton ennemi», se rapporte au don de piété, par lequel se réalise la douceur. Et ceci : «Tu ne commettras pas l’adultère, etc.», se rapporte au don de science, par lequel se réalise la béatitude des pleurs. Et lorsqu’on [dit] de supporter, [cela se rapporte] au don de force, par lequel cela se réalise, et à la béatitude : «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, etc.» Et ceci : «Aimez vos ennemis», au don de conseil, par lequel se réalise la béatitude sur la miséricorde. Mais par ce qui suit au chapitre VI : ne pas avoir d’inquiétude [6, 25s], jusqu’à : ENTREZ PAR LA PORTE ÉTROITE [7, 13], [le Seigneur] cherche à purifier le cœur. Cela se rapporte donc au don d’intelligence et à la béatitude qui porte sur la pureté de cœur : «Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu» [5, 8]. Tout ce qui suit [se rapporte] au don de sagesse.
Leçon 1
[Matthieu 8, 1-4] 8, 1 Quand il fut descendu de la montagne, des foules le suivirent.
8, 2 Voici qu’un lépreux s’approcha et se prosterna devant lui en
disant : «Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier.» 8, 3
Jésus, étendant la main, le toucha et lui dit : «Je le veux, sois purifié.»
Et aussitôt sa lèpre fut purifiée. 8, 4 Et [Jésus] lui dit : «N’en
parle à personne. Va, montre-toi aux prêtres et offre ton présent comme Moïse
l’a ordonné et ce sera un témoignage à leurs yeux.»
Leçon 2
[Matthieu 8, 5-13] 8, 5 Comme il était entré dans Capharnaüm, un centurion s’approcha
de lui en le suppliant : 8, 6 «Seigneur, dit-il, mon enfant gît
paralysé à la maison, et souffrant atrocement.» 8, 7 Et Jésus lui
dit : «Je vais aller le guérir» 8, 8 Le centurion
répondit : «Seigneur, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit ;
mais dis seulement une parole et mon enfant sera guéri. 8, 9 Car moi, qui
ne suis qu’un subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un :
“Va !” et il va, et à un autre : “Viens !” et il vient, et [je
dis] à mon serviteur : “Fais ceci !” et il le fait.» 8, 10
Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le
suivaient : «En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une telle foi
en Israël. 8, 11 Je vous dis que beaucoup viendront de l’orient et de l’occident,
et ils s’étendront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux,
8, 12 Les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres
extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents.» 8, 13
Et Jésus dit [au centurion] : «“Va ! Qu’il t’advienne selon ta
foi !” Et l’enfant fut guéri.»
Leçon 3
[Matthieu 8, 14-27] 8, 14 Et lorsque Jésus fut arrivé dans la maison de Simon Pierre,
il vit sa belle-mère alitée, avec la fièvre. 8, 15 Il lui toucha la main,
la fièvre la quitta, elle se leva et elle le servait.
8, 16 Le soir venu, on lui
apporta de nombreux démoniaques ; il chassa les esprits d’un mot, et il
guérit tous les malades, 8, 17 afin que s’accomplît ce qui a été dit par le
prophète Isaïe : Il a pris nos infirmités, il a porté nos maladies.
8, 18 Mais, voyant les
foules, Jésus donna l’ordre de s’en aller sur l’autre rive. 8, 19 Et
s’approchant, un scribe lui dit : «Maître, je te suivrai où que tu
ailles.» 8, 20 Jésus lui dit : «Les loups ont des tanières et
les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme n’a pas où reposer la
tête.» 8, 21 Un autre des disciples lui dit : «Seigneur,
permets-moi d’abord d’aller enterrer mon père.» 8, 22 Mais Jésus lui
dit : «Suis-moi, et laisse les morts ensevelir les morts.»
8, 23 Et, montant dans la
barque, Jésus partit suivi de ses disciples. 8, 24 Et voici qu’une grande
agitation se produisit dans la mer, au point que la barque était couverte par
les vagues. Lui cependant dormait. 8, 25 Les disciples s’approchèrent, ils
le réveillèrent en disant : «Seigneur, sauve-nous, nous périssons !»
8, 26 Et Jésus leur dit : «Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu
de foi ?» Alors il se leva et commanda aux vents et à la mer, et il se fit
un grand calme. 8, 27 Alors, saisis d’étonnement, les hommes se dirent
alors : «Quel est celui-ci, que même les vents et la mer lui
obéissent ?»
Leçon 4
[Matthieu 8, 28-34] 8, 28 Lorsque Jésus eut atteint l’autre rive, au pays des
Gadaréniens, deux démoniaques, sortant des tombeaux, vinrent à sa rencontre,
des êtres si sauvages que personne ne pouvait passer par cette route.
8, 29 Ils se mirent à crier : «Que nous veux-tu, Fils de Dieu ?
Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps ?» 8, 30
Or, il y avait non loin d’eux un gros troupeau de porcs en train de paître.
8, 31 Et les démons suppliaient Jésus : «Si tu nous chasses,
envoie-nous dans ce troupeau de porcs.» 8, 32 «Allez», leur dit-il.
Sortant alors, ils s’en allèrent dans les porcs, et voilà que, dans une grande
ruée, tout le troupeau se précipita du haut de l’escarpement dans la mer et
périt dans les eaux. 8, 33 Les gardiens prirent la fuite et s’en furent à
la ville tout rapporter, avec l’affaire des démoniaques. 8, 34 Et voilà
que toute la ville sortait au-devant de Jésus ; et l’ayant aperçu, ils lui
demandèrent de quitter leur territoire.
1019. Il pourrait sembler que le Seigneur parlait par vantardise. C’est pourquoi il confirme son autorité par des signes.
1020. En premier lieu, sont donc présentés des signes par lesquels les hommes sont libérés de dangers corporels ; en deuxième lieu, de dangers spirituels, chapitre IX.
1021. À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il présente des signes par lesquels les hommes sont libérés de dangers provenant de causes intérieures [8, 1s] ; en deuxième lieu, de causes extérieures, comme la tempête, en cet endroit : ET MONTANT DANS LA BARQUE [8, 23].
1022. [Le Seigneur] confirme son autorité par le caractère subit, par [son] absence, par le caractère total et par le nombre. Par le caractère subit, dans le cas du lépreux ; par son absence, dans celui du serviteur du centurion ; par le caractère total, dans celui de la belle-mère de Pierre ; par le nombre, dans de nombreux autres [cas].
1023. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, les témoins des miracles sont présentés [8, 1] ; deuxièmement, le malade est présenté, en cet endroit : OR, VOICI QU’UN LÉPREUX [8, 2] ; troisièmement, l’aide est apportée, en cet endroit : ET JÉSUS, ÉTENDANT LA MAIN, LE TOUCHA ET LUI DIT : «JE LE VEUX, SOIS PURIFIÉ» [8, 3].
1024. [Matthieu] dit donc : QUAND JÉSUS FUT DESCENDU DE LA MONTAGNE, etc. Cette montagne est le ciel, Ps 67[68], 17 : La montagne où Dieu s’est plu à habiter. Ainsi, lorsqu’il fut descendu du ciel, LES FOULES LE SUIVIRENT, Ph 2, 7 : Il se dépouilla en prenant la forme de l’esclave, et il fut reconnu à son aspect comme un homme, etc. Ou bien[est signifiée] par la montagne l’élévation de [sa] doctrine, Ps 35[36], 7 : Ta justice est comme les montagnes de Dieu. Lorsqu’il était sur la montagne, c’est-à-dire lorsqu’il menait une vie élevée, ses disciples l’ont suivi. ET LORSQU’IL FUT DESCENDU, LES FOULES LE SUIVIRENT, 1 Co 3, 1 : Je ne pouvais vous parler comme à des spirituels.
[8, 2]
1025. Deuxièmement, la personne du malade est présentée, et deux choses sont exposées : premièrement, la maladie est montrée ; deuxièmement, l’empressement est exprimé. La maladie, car [le malade] était lépreux ; et ceci signifie les maladies spirituelles. En effet, certaines maladies sont cachées au-dedans, comme les fièvres ; mais certaines, même si elles viennent de l’intérieur, montrent leurs effets à l’extérieur, comme la lèpre. Celui-là est donc lépreux dont la volonté mauvaise est manifestée par un acte mauvais, Is 53, 4 : Et nous, nous l’avons considéré comme un lépreux. Mais une question se pose, car, dans Luc, on trouve que, lorsqu’il vint à Capharnaüm, il purifia un lépreux. Il faut dire que Matthieu suit l’histoire, car, alors que [Jésus] se rendait à Capharnaüm, un lépreux se présenta en chemin.
1026. Ensuite, vient l’empressement [du lépreux], car d’abord, il vint, et, en second lieu, il adora. [Matthieu] dit donc : VOICI QU’UN LÉPREUX. Le pécheur s’approche ainsi par la foi, mais il adore par l’humilité, Ps 33[34], 19 : Dieu sauvera les humbles d’esprit. De même, il confesse la puissance du Christ, lorsqu’il dit : SEIGNEUR, SI TU LE VEUX, TU PEUX ME PURIFIER. Aussi l’appelle-t-il : SEIGNEUR. S’il est le Seigneur, il peut sauver, selon Ps 99[100], 3 : Sachez que le Seigneur est Dieu. De même, il eut confiance dans la miséricorde de Dieu. Il n’est pas nécessaire de demander à celui qui est miséricordieux, mais seulement de lui montrer son indigence. Ainsi, [le lépreux dit] : SEIGNEUR, SI TU LE VEUX, TU PEUX ME PURIFIER. C’est pourquoi Ps 37[38], 10 [dit] : Seigneur, à tes yeux s’exprime tout mon désir et mon gémissement ne t’est pas caché. De même, il montre la sagesse du Christ, puisqu’il ne demande que sa volonté, car [le Christ] sait mieux que toi-même ce dont tu as besoin. C’est pourquoi [le lépreux] s’en remet à la sagesse du Christ.
1027. Ensuite, [le Seigneur] apporte une aide. Premièrement, il guérit [8, 3] ; deuxièmement, il instruit [8, 4].
1028. Premièrement, l’action est abordée [8, 3] ; deuxièmement, l’effet [de l’action], en cet endroit : ET AUSSITÔT SA LÈPRE FUT GUÉRIE [8, 3].
1029. Le Christ fait trois choses pour guérir. Il étend la main lorsqu’il vient au secours, Ps 143[144], 7 : Tends ta main depuis les hauteurs et enlève-moi. Parfois, il étend la main mais ne touche pas, Is 65, 2 : J’ai étendu mes mains tout le jour vers un peuple incrédule, etc. Parfois, il touche, et c’est là qu’il provoque un changement, comme dans Ps 143[144], 5 : Touche les montagnes (c’est-à-dire les orgueilleux) et elles donneront de la fumée, par la componction.
1030. Mais pourquoi [Jésus] a-t-il touché, alors que cela est interdit par la loi ? Il a fait cela pour montrer qu’il est au-dessus de la loi. On lit à propos d’Élisée qu’il ne toucha pas Naaman [2 Sm 5, 1s], mais qu’il l’envoya au Jourdain. Ainsi, celui qui a touché semble avoir aboli la loi. Mais, à vrai dire, il ne l’a pas abolie, car cela avait été interdit en raison de la contagion. Ainsi donc, parce qu’il ne pouvait être infecté, il pouvait toucher. De même a-t-il touché afin de montrer son humanité ; car il ne suffit pas que le pécheur se soumette à Dieu pour ce qui est de sa divinité, mais aussi pour ce qui est de son humanité.
1031. JE LE VEUX, SOIS PURIFIÉ [mundare]. Jérôme dit que certains interprètent [cela] mal. En effet, ils veulent que SOIS PURIFIÉ soit au mode infinitif [mundare], mais cela n’est pas vrai. Au contraire, [à] celui qui avait dit : SI TU LE VEUX, [Jésus] répond : JE LE VEUX, et SOIS PURIFIÉ est au mode impératif [mundare]. Ainsi, celui qui a parlé a ordonné, et cela s’est réalisé. De même, il a touché afin d’enseigner la puissance qui se trouve dans les sacrements, car ce n’est pas seulement le contact qui est nécessaire, mais les paroles. En effet, lorsque la parole est jointe à l’élément, le sacrement est réalisé. Et [Jésus] a écarté trois erreurs lorsqu’il a touché. En effet, il a montré, à l’encontre des manichéens, qu’il avait un vrai corps. Lorsqu’il dit : JE LE VEUX, il le dit contre Apollinaire. Par le fait qu’il dit : SOIS PURIFIÉ, il montre qu’il est véritablement Dieu à l’encontre de Photin.
1032. Puis, suit l’effet : ET AUSSITÔT SA LÈPRE FUT PURIFIÉE, et il fut guéri. Chrysostome dit que [cela se produisit] aussitôt qu’il put dire cette parole : SOIS PURIFIÉ, car [cette parole] prend un certain temps, mais [la guérison] se réalise dans l’instant.
1033. ET [JÉSUS] LUI DIT. Ici, [Jésus] instruit [le lépreux]. En effet, ce serait peu de chose de [le] guérir s’il ne l’instruisait pas, Ps 31[32], 8 : Je te donnerai de comprendre et je t’instruirai. Premièrement, il lui enjoint de se taire : N’EN PARLE À PERSONNE. Chrysostome [écrit] : «Parce qu’il savait que les Juifs le calomniaient pour ce qu’il faisait, il lui dit donc : “N’en parle à personne.”» Ou bien, autre interprétation : parce qu’il dit cela en exemple. En effet, parce qu’il avait enseigné plus haut qu’il fallait cacher ses bonnes œuvres, il donne l’exemple que personne ne doit se glorifier de ses bonnes oeuvres.
1034. Vient ensuite : VA ET MONTRE-TOI AUX PRÊTRES. Et pourquoi [Jésus] dit-il cela ? Parce qu’il avait touché un lépreux, de sorte qu’il ne parût pas avoir désobéi aux lois. [Le lépreux] est envoyé aux prêtres, comme on le trouve en Lv 14, 2 : Et offre ton présent, etc. Pourquoi ? Parce que cela était un précepte de la loi que celui qui était guéri de la lèpre offre deux petits de tourterelles. Mais, d’après cela, il semble que, puisque le Seigneur l’a ordonné, il fallait continuer à le faire. Il faut dire que les figures ne devaient pas cesser avant que la vérité ne soit entièrement manifestée. Mais ceci ne se réalisa qu’après la résurrection.
1035. ET CE SERA UN TÉMOIGNAGE À LEURS YEUX. Et par ceci, [le Seigneur] enseigne que les préceptes de Moïse étaient un témoignage en faveur du Christ, comme on le trouve en Jn 5, 46 : Si vous croyez à Moïse, peut-être croirez-vous en moi. Ou bien autre interprétation : UN TÉMOIGNAGE À LEURS YEUX, c’est-à-dire du fait que tu es guéri. Parce qu’ils auront reçu ton offrande, ils ne pourront nier.
1036. De même, selon le sens mystique, trois choses sont ordonnées par le Christ. [D’abord], qu’il ait honte de son péché, contre ceux dont il est dit en Is 3, 9 : Ils ont annoncé son péché comme s’il s’agissait de Sodome, et ils ne se sont pas cachés. Ainsi, Si 4, 25[21] [dit] : Car il y a une honte qui conduit au péché, et il y a une honte qui conduit à la gloire et à la grâce. De même, il doit SE MONTRER AU PRÊTRE, Jc 5, 16 : Confessez-vous les uns aux autres vos péchés. Et ici, le Seigneur semble enjoindre la confession. Et aussitôt IL FUT GUÉRI, car, par la contrition même, lorsqu’il se repent et se propose de se confesser et de s’abstenir, le péché est remis, selon Ps 31[32], 5 : J’ai dit : «Je confesserai contre moi-même mon injustice, et tu m’as remis l’injustice de mon péché.» De même, est ordonnée la satisfaction, lorsque [Jésus] dit : OFFRE TON PRÉSENT. De même, il enseigne d’observer les commandements, lorsqu’il dit : COMME MOÏSE L’A ORDONNÉ.
1037. COMME IL ÉTAIT ENTRÉ DANS CAPHARNAÜM. Ici est montrée la puissance du Christ, même en son absence. Premièrement, est indiquée la piété du centurion associée à la foi [8, 5s] ; deuxièmement, son humilité, en cet endroit : LE CENTURION RÉPONDIT, etc. [8, 8].
1038. À propos du premier point, il y a deux choses, car, en premier lieu, la piété du centurion est signalée [8, 5] ; en second lieu, la bonté du Christ est montrée [8, 10].
1039. Et, à propos du premier point, il y a trois choses. Premièrement, le lieu est indiqué [8, 5] ; deuxièmement, la prière est décrite, en cet endroit : SEIGNEUR, MON ENFANT GÎT PARALYSÉ À LA MAISON [8, 6] ; troisièmement, l’exaucement [de la prière] est indiqué, en cet endroit : ET JÉSUS LUI DIT [8, 7].
1040. Premièrement,
le lieu : COMME IL ÉTAIT ENTRÉ À CAPHARNAÜM, qui veut dire «maison de la
moelle», c’est-à-dire maison des nations, qui déborde de la moelle de la
dévotion, Ps 62[63], 6 : Mon
âme est remplie de graisse et de moelle.
1041. Ensuite, IL S’APPROCHA. Mais ici on peut se poser une question, car Luc indiquait que [le centurion] avait envoyé des prêtres [Lc 7, 3]. Augustin dit que [le centurion] n’était pas venu personnellement, mais que, lorsqu’on dit qu’il est venu, on parle de son intention, car celui-là accomplit une chose par l’autorité de qui elle est accomplie. Chrysostome [interprète] autrement, car il dit que ce [centurion] avait autorité sur cent soldats ; il était donc un dirigeant. De sorte que les Juifs, afin d’être flattés en retour de leur bienveillance, lui dirent : «Seigneur, nous irons et nous implorerons pour vous.» Alors, pour leur donner satisfaction, il leur permit de faire la démarche. Mais, par la suite, il les suivit.
1042. Ce miracle diffère du premier sur trois points. En effet, le premier fut fait en faveur d’un Juif, le second en faveur d’un Gentil ; par quoi il faut comprendre que le Christ est venu, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour les nations. De même, dans le premier, le Juif s’approche par lui-même, mais non ce [Gentil]. Et cela, parce que le Seigneur a pitié de certains en raison de leur propre dévotion, et de certains en raison de l’intercession des autres. De même, ce centurion peut signifier un ange qui préside au salut des nations ou les prémices des nations. De même, celui-là était un lépreux, chez qui l’impureté était au repos : en effet, sont paralytiques ceux qui ne peuvent pas bouger leurs membres. Les lépreux sont les intempérants et les paralytiques sont les incontinents. Et sont paralytiques ceux qui pèchent par faiblesse, mais lépreux [ceux qui pèchent] par une malice certaine. Par le centurion, on peut entendre le jugement, Ep 4, 23 : Soyez renouvelés en esprit dans votre jugement.
1043. Et ce [centurion] dit : SEIGNEUR, MON ENFANT, c’est-à-dire mon serviteur. Et par cela est montrée la bonté du centurion, car il prie pour un serviteur ; il accomplit donc ce qui est dit en Si 33, 31 : Si tu possèdes un serviteur fidèle, il sera comme ton âme. Et ce serviteur signifie la partie inférieure de l’âme. [Le centurion] dit donc qu’il gît et souffre atrocement, et il parle par affection, car lorsque quelqu’un en aime un autre, il pense qu’une maladie bénigne est très grave. La partie inférieure de l’âme gît donc lorsqu’elle ne peut se lever, Ga 5, 17 : La chair désire à l’encontre de l’esprit, et souffre. Les hommes lascifs se réjouissent : En effet, ils se réjouissent lorsqu’ils ont fait le mal et ils exultent des choses les plus mauvaises, [Pr 2, 14]. Mais ceux-ci souffrent atrocement parce que, péchant par faiblesse, lorsqu’ils tombent, ils sont affligés. Et ainsi, ils souffrent atrocement d’une douleur.
1044. ET JÉSUS LUI DIT : «JE VAIS ALLER LE GUÉRIR», c’est-à-dire : «Je ne parlerai pas.» Ainsi, il faut remarquer que personne n’oserait demander autant que le Seigneur donne. [Jésus] dit : «JE VAIS ALLER LE GUÉRIR», car la présence du Christ est la cause du salut. Mais il faut remarquer qu’il n’a pas voulu se rendre auprès du fils du fonctionnaire [Jn 4, 46s], et il s’est pourtant rendu auprès du serviteur, ce qui s’opposerait à ceux qui ne veulent visiter que les grands, à l’encontre de Si 4, 7 : Gagne la sympathie de l’assemblée des pauvres.
1045. Vient ensuite : LE CENTURION RÉPONDIT. La bonté du centurion associée à la foi avait été présentée ; maintenant, est abordée l’humilité associée à la foi. Premièrement, [Matthieu] présente donc l’humilité et la foi [8, 8‑9] ; deuxièmement, la bonté du Christ, en cet endroit : ENTENDANT CELA, JÉSUS FUT DANS L’ADMIRATION [8, 10].
1046. À propos du premier point, [le centurion] fait trois choses : premièrement, il confesse son indignité, en cet endroit : MAIS DIS SEULEMENT UNE PAROLE [8, 8] ; deuxièmement, [il confesse] la puissance du Christ [8, 9] ; ensuite, il apporte une comparaison, en cet endroit : CAR MOI QUI NE SUIS QU’UN SUBALTERNE [8, 9].
1047. Le Seigneur s’était montré bienveillant. Mais parce que [le centurion] était un Gentil, il s’estimait indigne, disant : SEIGNEUR, JE NE MÉRITE PAS, etc. Pierre aussi avait dit, Lc 5, 8 : Éloigne-toi de moi, car je suis un pécheur. Et Augustin dit qu’ «en se reconnaissant indigne, il s’est rendu digne.» Et ce qu’a dit celui-là, nous aussi nous devons le dire : «Je ne suis pas digne que tu entres dans mon corps.»
1048. Ensuite, est abordée la foi du centurion qui confesse la puissance du Christ : DIS SEULEMENT UNE PAROLE ET MON ENFANT SERA GUÉRI, car, comme le dit Sg 16, 12 : Ce n’est ni une herbe ni un émollient qui leur a rendu la santé, mais ta parole, Seigneur. Et en Ps 106[107], 20 : Il a envoyé sa parole et il les a guéris.
1049. Ensuite, [le centurion] apporte une comparaison, et il démontre a minori. Et, en premier lieu, il décrit l’ordre ; en second lieu, la puissance, lorsqu’il dit : CAR MOI JE NE SUIS QU’UN SUBALTERNE, etc. [8, 9]. L’ordre est abordé, car certains sont supérieurs au point de ne pas avoir de supérieur par rapport à eux ; certains sont supérieurs, en ayant toutefois un supérieur ; certains sont inférieurs, qui n’ont pas d’inférieurs par rapport à eux. Certains ont donc une position intermédiaire, et ce [centurion] faisait partie de ceux-là, car il était subordonné à un tribun, mais il avait sous lui des soldats. En effet, il avait sous lui des gens dont il était le dirigeant, et ceux-ci étaient des soldats. C’est pourquoi il dit : JE DIS À L’UN : «VA !», ET IL VA ; ET À UN AUTRE : «VIENS !», ET IL VIENT, ce par quoi il fait pour nous l’éloge de l’obéissance, He 13, 17 : Obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis. De même, il avait des serviteurs auxquels il fournissait la nourriture, Si 33, 25 : La nourriture, le bâton et la charge pour l’âne ; le pain, la correction et le travail pour le serviteur. ET [JE DIS] À MON SERVITEUR : «FAIS CECI», ET IL LE FAIT. Ainsi donc, il veut raisonner a minori, car «si moi, qui possède un pouvoir, je peux faire ces choses, combien plus le Seigneur des puissances, etc.!» [Dt 10, 17].
1050. Mais il faut voir que les créatures raisonnables sont libres et ressemblent à des soldats, Jb 25, 3 : Peut-on dénombrer ses soldats ? C’est pourquoi il est appelé le Seigneur des armées [1 Sm 15, 2 ; Is 2, 12 ; 6, 3 ; Jr 7, 3 ; 10, 16…]. Mais la créature non raisonnable a une soumission servile parce qu’elle n’a pas la faculté du libre arbitre. [Le centurion] veut donc dire : «Puisque la nature t’obéit, parle à la nature et elle t’obéira, parce que ton discours est plein de jugement.» Il faut voir que ce double pouvoir se trouve dans l’âme. En effet, l’âme préside au corps, et la raison à l’irascible et au concupiscible. La première est une puissance souveraine, car le corps se meut sur l’ordre de l’âme. La seconde préside aux autres choses par une certaine puissance souveraine ou royale de commandement ; [ces autres] gardent ainsi quelque chose du mouvement [que la nature imprime]. Et elles ressemblent ainsi à des soldats, Jc 4, 1 : D’où viennent les batailles et les conflits en vous ? N’est-ce pas des désirs qui combattent dans vos membres ? 1 P 2, 11 : Je vous exhorte à vous abstenir des désirs charnels qui combattent l’âme. Nous devons donc dire : «VA», [en nous adressant] aux mauvaises mœurs ; et : «VIENS», [en nous adressant] aux bonnes mœurs, et à ce SERVITEUR : «FAIS CELA.» Nous devons donc appliquer le corps au travail, de sorte que, de même que nous avons laissé nos membres servir l’impureté en toute iniquité, de même maintenant nous laissions nos membres servir la justice en vue de la sainteté, comme on le lit en Rm 6, 19.
1051. ENTENDANT CELA, JÉSUS FUT DANS L’ADMIRATION, etc. Ici est abordée la bonté du Christ. Mais que veut dire : IL FUT DANS L’ADMIRATION ? Car l’admiration n’a pas sa place en Dieu. En effet, celle-ci n’existe qu’en raison de l’ignorance de la cause, ce qui ne peut exister en Dieu. De même, [l’admiration] est la perception de la grandeur d’un effet, ce qui se fait par l’imagination et la représentation d’un grand effet, et ainsi elle peut exister aussi dans le Christ. Ainsi, IL FUT DANS L’ADMIRATION, c’est-à-dire qu’il estima [cela] grand et le montra aux foules qui suivaient. Et il louangea [le centurion] ; ainsi, il dit à ceux qui le suivaient : JE N’AI PAS TROUVÉ UNE TELLE FOI EN ISRAËL. Mais qu’est-ce que cela [veut dire] ? Est-ce qu’il n’y eut pas une plus grande foi chez Abraham, Isaac et Jacob ? Ce fut certainement le cas ; mais ce qui est dit ici doit être entendu de l’époque. Mais alors, on pose la [même] question pour les apôtres, Marthe et Marie. Et il faut dire que [le centurion] eut une plus grande foi parce qu’il n’avait eu aucune préparation, comme ceux qui avaient vu les miracles. De même, Pierre vint à l’appel d’André, et André à l’appel de Jean. De même, il y eut un peu de doute dans la parole de Marthe, car elle dit : Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort [Jn 11, 21], comme si [Jésus] ne pouvait pas [agir] en étant absent. Mais, dans la parole de celui-ci, il n’y eut aucun doute. Chrysostome l’interprète autrement, car «grand» et «petit» s’emploient parfois de manière non pas absolue, mais comparative, comme on dit qu’il y a beaucoup de gens dans la maison et peu de gens au théâtre. Ainsi, JE N’AI PAS TROUVÉ UNE TELLE FOI EN ISRAËL, à savoir, par comparaison avec la foi des Gentils, Dt 28, 43 : L’étranger qui demeurera dans ta terre s’élèvera au-dessus de toi et te sera supérieur.
1052. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS. En cette occasion, [le Seigneur] parle de la comparaison entre les Juifs et les Gentils : en premier lieu, [il parle] de la vocation des Gentils ; en second lieu, de la réprobation des Juifs. JE VOUS LE DIS : BEAUCOUP VIENDRONT DE L’ORIENT ET DE L’OCCIDENT, etc. Cela est dit par comparaison, car nombreux sont les appelés, mais peu nombreux les élus, plus loin, 20, 16. DE L’ORIENT ET DE L’OCCIDENT, de sorte qu’on entende par cela l’ensemble du monde. Ou bien : DE L’ORIENT, au temps de la prospérité ; ET DE L’OCCIDENT, à savoir, au temps de l’adversité. Ou bien : DE L’ORIENT, au temps de la jeunesse ; ET DE L’OCCIDENT, au temps de la vieillesse. ET ILS S’ÉTENDRONT. Le fait de se coucher ainsi indique l’abondance des choses spirituelles, à savoir, dans la contemplation, Lc 22, 29 : Voici que je vous prépare un royaume pour que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume. Et Is 65, 13 : Voici que mes serviteurs mangeront et que vous aurez faim ; voici que mes serviteurs boiront, et que vous aurez soif, etc. Mais pourquoi : AVEC ABRAHAM, ISAAC ET JACOB ? Parce que les Gentils sont justifiés par la foi, comme les Juifs, comme on le lit en Rm 4, 12 et Gn 12. De même, c’est à ceux-ci que la promesse a été faite, car en ta descendance seront bénies toutes les nations, Gn 15, 18. Ainsi, ceux-ci s’étendront avec leurs pères.
1053. Vient
ensuite : LES FILS DU ROYAUME SERONT JETÉS DANS LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES.
Ici, [Jésus] montre la réprobation des Juifs et il décrit la peine du dam, car
ils perdront les biens et encourront les maux. Il dit : LES FILS DU
ROYAUME, car Dieu régnait chez eux, Ps 75[76], 2 : Dieu est connu en Judée, son nom est grand
en Israël. De même, étaient-ils esclaves des figures de la loi. De même,
c’est à eux que la promesse a été faite, comme on le lit en Rm 4, 13.
SERONT JETÉS DANS LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES. Voilà la peine du dam. En
conséquence, il énumère les maux qu’ils encourront, car ceux qui auront d’abord
encouru les ténèbres intérieures pour ce qui est de l’intelligence seront par
la suite jetés dans les ténèbres extérieures, car ils seront alors devenus
totalement étrangers à Dieu, qui est la lumière véritable. Et c’est cela qui
est dit en Tb 4, 11 : L’aumône
libère de tout péché et de la mort, et elle ne souffrira pas que les âmes s’en
aillent dans les ténèbres. De même, pour ce qui est de la volonté, LÀ
SERONT LES PLEURS. Les pleurs expriment la douleur, Is 65, 14 : Voici que mes serviteurs se réjouiront et
que vous serez confondus. De même, est montrée la souffrance du corps, car
il y aura des GRINCEMENTS DE DENTS. En effet, ils auront un corps lors de la
résurrection. Pr 19, 29 : Un
jugement est préparé aux railleurs, le marteau et le fer : ces
jugements se rapportent au concupiscible, les grincements [se rapportent] à
l’irascible. Ou bien, selon Jérôme, les deux se rapportent à la peine
corporelle, puisque la résurrection n’affectera pas seulement l’âme, mais aussi
le corps, car il fera très chaud et très froid, Jb 24, 19 : Ils passeront de l’eau glacée à une chaleur
excessive.
1054. La bonté de Dieu est montrée lorsque [Matthieu] dit : ET JÉSUS DIT : «VA ET QU’IL T’ADVIENNE SELON TA FOI.» Mais suit l’effet : ET L’ENFANT FUT GUÉRI, car la parole [de Dieu] est pleine de puissance, Qo 8, 4.
1055. ET LORSQUE JÉSUS FUT ARRIVÉ DANS LA MAISON DE SIMON PIERRE, etc. La puissance du Christ a été mise en évidence par la guérison du lépreux ; elle a aussi été mise en évidence par la guérison du serviteur du centurion. Ici, elle est mise en évidence par une guérison totale. [Matthieu] décrit donc, en premier lieu, le lieu de la guérison [8, 14] ; en deuxième lieu, le genre d’infirmité ; en troisième lieu, il déclare l’aide apportée par le Christ ; en quatrième lieu, l’effet de la guérison.
1056. [Matthieu] dit donc : ET LORSQU’IL FUT ARRIVÉ, etc. L’évangéliste ne précise pas quand cela se produisit ; même Luc et Marc passent à autre chose. Mais il faut savoir que, là où les évangélistes indiquent un état ou quelque chose se rapportant à l’ordre, c’est un signe qui se rapporte à la continuation de l’histoire ; là où [ils n’en indiquent pas], c’est un signe qui se rapporte à la continuation de la mémoire. Ainsi, ils écrivaient comme ils se rappelaient.
1057. [Jésus] vient DANS LA MAISON DE PIERRE. Et nous pouvons considérer trois choses : l’honneur qu’il fait à ses disciples, car il n’a pas voulu aller à la maison du centurion, mais il se rendit à la maison d’un pauvre pêcheur, selon Ps 138[139], 17 : Dieu, tes amis ont été par trop honorés. De même, il enseigne l’humilité, car rien ne plaît davantage au Seigneur, Jc 1, 21 : Recevez la parole qui peut sauver vos âmes avec douceur, etc. Troisièmement, par là est montré le respect que le Seigneur avait pour Pierre, car il prit l’initiative, même si Pierre ne l’avait pas demandé. IL VIT SA BELLE-MÈRE. Il vit par l’œil de l’esprit, Ex 3, 7 : J’ai vu l’affliction de mon peuple en Égypte. LA BELLE-MÈRE DE PIERRE. On peut entendre par cela la synagogue : [Celui qui a agi] en Pierre pour en faire l’apôtre de la circoncision, à savoir, des Juifs, a également agi en moi en faveur des nations, Ga 2, 8. Celle-ci, c’est-à-dire la synagogue, AVAIT LA FIÈVRE, à savoir, la fièvre de l’envie. Ou bien par cette belle-mère, on entend l’âme qui brûle du feu de la concupiscence.
1058. IL LUI TOUCHA LA MAIN. Ici, [Matthieu] aborde la guérison. Chrysostome se demande pourquoi [Jésus] guérit le serviteur du centurion par la seule parole, et celle-ci en la touchant. Et il répond que c’est en raison de la familiarité. Par là, [Jésus] montrait aussi son humilité. Ainsi, il apporta son aide en touchant, Ps 72[73], 23 : Tu as tenu ma main droite. Vient ensuite : ELLE SE LEVA. D’habitude, ceux qui ont de la fièvre, lorsqu’ils commencent à être guéris, sont plus faibles que durant leur maladie. Mais telle ne fut pas la guérison par le Seigneur ; bien plus, il rendit la pleine santé, car les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4. En effet, le Seigneur guérit d’une façon, la nature d’une autre. On poursuit donc : ET ELLE SERVAIT.
1059. LE SOIR VENU. Ici, la puissance de Dieu est confirmée par la multitude de ceux qui sont guéris. En premier lieu, l’évangéliste aborde donc la multitude [8, 16] ; en second lieu, il ajoute l’autorité de l’Écriture, en cet endroit : AFIN QUE S’ACCOMPLÎT CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE ISAÏE [8, 17].
1060. [Matthieu] dit donc que [Jésus] guérit des démoniaques et des malades. On peut entendre par les démoniaques ceux qui pèchent par malice, et par les malades ceux qui pèchent par ignorance. Ainsi, [Matthieu] dit : LE SOIR VENU : c’est la raison pour laquelle ceci ne s’est pas produit le jour du sabbat, où [les Juifs] estimaient inconvenant de guérir, mais plutôt une fois que le sabbat fut terminé, ON LUI APPORTA DE NOMBREUX DÉMONIAQUES. Ou bien on parle du soir parce que notre Sauveur est venu le soir : Le soleil se lève et se couche, c’est-à-dire le Christ, Qo 1, 5. IL LES CHASSA par le seul commandement ; ainsi, les démons s’enfuyaient par le seul fait d’entendre sa voix. Et aussi, LES MALADES, afin que lui convienne ce qui est dit en Ac 10, 38 : Il a libéré tous ceux qui étaient opprimés par le Diable. Il faut ainsi remarquer que les évangélistes n’ont pas indiqué tous les miracles du Christ, mais les plus connus.
1061. Et parce qu’il paraissait étonnant que [Jésus] en guérît un si grand nombre, [Matthieu] apporte la confirmation qui se trouve en Is 53, 4 : Il a pris sur lui nos infirmités et il s’est chargé de nos maladies. Et bien que cela ne se trouve pas dans la suite du texte, exposons-le tel que cela se présente : IL A PRIS NOS INFIRMITÉS, c’est-à-dire qu’il les a effacées, de sorte que par les infirmités soient compris les péchés légers. Et IL A PORTÉ, c’est-à-dire qu’il a enlevé, NOS MALADIES, à savoir, les péchés plus importants. Ou bien puisqu’il est lui-même la puissance et la sagesse de Dieu, [il a enlevé] NOS INFIRMITÉS, à savoir, celles de la souffrance et de la mort. Ainsi, il a pris [notre] vulnérabilité afin d’enlever notre infirmité et notre maladie, etc., 1 P 2, 24 : Lui qui a porté nos péchés dans son corps, afin que, morts à nos péchés, nous vivions par la justice. Mais, puisque Isaïe avait parlé des péchés, on se demande pourquoi on parle [ici] des infirmités corporelles. La raison en est que souvent, par les péchés spirituels, sont causées des maladies corporelles.
1062. MAIS JÉSUS, VOYANT LES FOULES. Parce qu’ont été abordés les miracles contre les péchés intérieurs, ici [Matthieu] aborde les miracles contre les péchés extérieurs, à savoir, la tempête. Et [Matthieu] présente d’abord un préambule au miracle : la montée à bord du bateau [8, 23] ; ensuite, le miracle, en cet endroit : S’ÉTANT LEVÉ, IL COMMANDA AUX VENTS ET À LA MER [8, 26] ; troisièmement, il présente l’effet, en cet endroit : ET IL SE FIT UN GRAND CALME [8, 26].
1063. À propos du premier point, [Matthieu] présente l’ordre ; en second lieu, l’accomplissement de l’ordre.
1064. À propos du premier point, [il fait] trois choses. Premièrement, il ordonne d’accomplir ; deuxièmement, il repousse quelqu’un qui se met de l’avant ; troisièmement, il répond à un autre disciple.
1065. [Matthieu] dit donc : JÉSUS, VOYANT LES FOULES, etc. Mais pourquoi [Jésus] monta-t-il dans la barque ? Il fit cela pour deux raisons : premièrement, afin de montrer la faiblesse de la nature humaine ; deuxièmement, pour faire plaisir aux disciples. Ainsi, parfois, il monte sur une montagne avec les disciples, parfois, il [va] au désert, parfois, [il monte] dans une barque. De même, [il est monté] pour nous donner un exemple, afin que nous ne cherchions pas la faveur des hommes. De même, afin d’écarter l’envie des Juifs, Is 42, 3 : Il n’éteindra pas la mèche qui fume.
1066. ET S’APPROCHANT, UN SCRIBE. Il semble que celui-ci s’approcha avec une grande dévotion. Et pourquoi [Jésus] le repousse-t-il ? Jérôme [écrit] : «Parce qu’il n’était pas de bonne foi.» Et cela est clair, car non seulement appelle-t-il [Jésus] Maître, mais les vrais disciples l’appelaient Seigneur. Ainsi, en Jn 13, 13 : Vous m’appelez Maître et Seigneur. De même, [le scribe] voulait le suivre avec une mauvaise intention, car il avait entendu dire qu’un signe avait été fait ; il voulait [le] suivre afin de faire des signes, comme on le rapporte de Simon le magicien [Ac 8, 9s]. De même, Chrysostome dit qu’il a péché sur un autre point, l’orgueil, car il s’est mis de l’avant. Il se croyait donc plus digne que les autres. Hilaire lit [cela] sous une forme interrogative : «Maître, est-ce que je te suivrai ? [Sa] faute est d’avoir interrogé sur ce qui était certain et d’avoir douté de ce qu’il devait faire.»
1067. Vient ensuite : LES LOUPS ONT DES TANIÈRES. Jérôme interprète littéralement que «Dieu répond à ce dont on a l’intention, comme Il le fait souvent». [Le scribe] voulait suivre, mais il voulait en tirer un gain, et le Seigneur allègue contre ceci sa [propre] pauvreté. C’est pourquoi il dit : LES LOUPS ONT DES TANIÈRES ET LES OISEAUX DU CIEL DES NIDS ; MAIS LE FILS DE L’HOMME N’A PAS OÙ POSER SA TÊTE, comme on trouve en 2 Co 8, 9 : Lui qui s’est fait pauvre alors qu’il était riche, etc. Selon Augustin, [le Seigneur] lui impute trois vices : le vice de fourberie, car il parlait avec douceur, mais son cœur était plein de venin, Ps 13[14], 3 ; de même, il lui a attribué de l’orgueil, lorsqu’il dit : LES OISEAUX DU CIEL, par lesquels est signifié l’orgueil. Ou bien LES OISEAUX : les démons, comme on le lit plus loin, 13, 4, où il est dit : Et les oiseaux vinrent, et ils les mangèrent. De même, [le Seigneur lui imputa] de l’infidélité, car il n’était pas dans la charité qui habite en nous par la foi.
1068. Vient ensuite : UN AUTRE DES DISCIPLES LUI DIT. Le premier s’était mis de l’avant, mais l’autre s’était excusé. Et le rejet de celui qui s’excusait est présenté en cet endroit : MAIS JÉSUS LUI DIT, etc. [8, 22].
1069. SEIGNEUR, PERMETS-MOI D’ABORD D’ALLER ENTERRER MON PÈRE. Il y a une grande différence entre celui-ci et le précédent. Le dernier appelle [Jésus] Seigneur ; [le précédent] l’avait appelé Maître. De même, celui-ci avait mis de l’avant une ruse, mais celui-là mettait de l’avant la piété, car c’était un précepte que l’honneur dû à son père. C’est la raison pour laquelle il demanda un sursis. On trouve la même chose en 2 R [2 S] 19, 20, à propos d’Élisée.
1070. Vient ensuite le reproche qui lui est adressé : SUIS-MOI, car celui qui veut suivre le Christ ne doit pas tarder à le suivre en raison d’une affaire temporelle. Ainsi, en Ps 44[45], 11, il est dit : Oublie ton peuple et la maison de ton père. De même, [Jésus] lui ordonna cela parce qu’il y en avait d’autres qui pouvaient enterrer. C’est pourquoi il dit : LAISSE LES MORTS ENSEVELIR LES MORTS. De même, parce qu’il arrive souvent que celui qui est empêché de faire une chose parce qu’une autre l’attire se précipite dans autre chose. Ainsi, s’il était allé ensevelir son père, il aurait peut-être par la suite pensé au testament de son père, et ainsi il se serait peut-être totalement retiré, Is 5, 18 : Malheur à vous qui tirez l’iniquité des fils de la vanité. Ainsi, ce ne fut pas par cruauté [que le Seigneur s’y opposa], mais comme si, voyant que quelqu’un est trop bouleversé par la mort de son père, on lui interdit de participer aux funérailles en raison du danger, comme on le lit en Si 30, 25 : La tristesse en fait périr plusieurs. Mais [Jésus] dit MORTS au pluriel, parce qu’il était mort d’une double mort : la mort de l’infidélité et la mort du corps. Il était donc mort dans son corps et dans son âme.
1071. [Jésus] donne ainsi quatre enseignements. Le premier est que celui qui est appelé à l’état de perfection n’accorde pas à son père charnel une affection désordonnée, plus loin, 23, 9 : Il n’y a qu’un seul Père qui est dans les cieux. Le deuxième est que le sentiment fraternel soit écarté [des rapports] entre les fidèles et les infidèles, ainsi, Lc 14, 26 : Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, son épouse et ses fils, ses frères et ses sœurs, et même sa propre âme, il ne peut être mon disciple. Et cela est vrai là où le père et la mère s’écartent de Dieu. Le troisième [enseignement] est qu’il ne faut pas faire mémoire des infidèles défunts chez les saints. Le quatrième, que «tous ceux qui vivent en-dehors du Christ sont morts, car il est lui-même la vie», selon Grégoire.
1072. ET MONTANT DANS UNE BARQUE. Le commandement donné par le Seigneur de traverser a été indiqué ; ici est indiqué l’accomplissement du commandement. En effet, les miracles [faits] sur la terre avaient été montrés ; [Jésus] veut maintenant montrer [des miracles] sur les eaux, afin d’indiquer qu’il est le maître de la terre et de la mer. Par cette barque, l’Église est signifiée, ou la croix du Christ. Ainsi, on peut dire d’elle ce qui est dit en Sg 14, 5 : Ils confient leurs âmes à un bois fragile. Les disciples du Seigneur le suivent dans l’Église par l’observance de ses commandements. De même, ils le suivent en montant sur la croix, Ga 6, 14 : Par qui le monde a été crucifié pour moi, et moi pour le monde.
1073. Ensuite, le miracle est ajouté. Premièrement, le danger imminent est présenté [8, 24] ; deuxièmement, l’interpellation par les disciples, en cet endroit : ET ILS S’APPROCHÈRENT [8, 25] ; troisièmement, l’exaucement qui leur [est accordé], en cet endroit : ET JÉSUS LEUR DIT [8, 26].
1074. Le danger est signalé par la tempête et par le sommeil du Christ : ET VOICI QU’UNE GRANDE AGITATION SE PRODUISIT. Comme le disent les saints, la tempête ne fut pas soulevée par la bourrasque de l’air, mais elle était apparue sur un ordre de Dieu. Et ceci se produisit pour plusieurs raisons. Premièrement, afin que les disciples, qui avaient été particulièrement aimés et appelés, apprécient l’humilité et ne s’enorgueillissent pas ; et cela signifiait le danger à venir, qui devait se présenter au moment de la passion et par la suite, comme le dit l’apôtre Paul, 2 Co 1, 8 : Nous sommes écrasés au-delà de nos forces, de sorte que la vie même nous rebute. De même, [cela se produisit] pour une autre cause : afin que [les disciples] sachent vivre au milieu des dangers et l’emporter, comme on le lit en Rm 8, 37 : Dans tout cela, nous l’emportons à cause de Celui qui nous a aimés. De même, Chrysostome explique que ceux-là devaient prêcher ce qu’ils avaient vu chez le Christ. Ainsi, afin qu’ils connaissent mieux les miracles et soient plus assurés, le Seigneur a voulu qu’ils en fassent l’expérience. Ps 65[66], 16 : Venez, et je vous raconterai les œuvres du Seigneur. En effet, ils pouvaient ainsi garder un souvenir plus vif de ce qui leur était arrivé.
1075. LUI CEPENDANT DORMAIT. Et cela, afin de montrer qu’il était vraiment homme. En effet, [Jésus] s’est comporté en tout de manière à ce que, là où il voulait montrer sa divinité, il montrât toujours quelque chose de son humanité. Il dormait, parce qu’il a été reconnu à son aspect comme un homme, Ph 2, 7. En effet, selon la divinité, il ne dormait pas. Ps 120[121], 4 : Il ne dort pas et il ne dormira pas Celui qui garde Israël. De même, il dormait afin que [les disciples] soient partagés entre la crainte et l’espoir. De même, afin de montrer son caractère singulier, car, au milieu d’une telle tempête, il restait sans inquiétude. Pr 8, 28 : Quand il condensait les sources d’eau, quand il fixait une limite à la mer et imposait une loi aux eaux.
1076. Vient
ensuite l’interpellation par les disciples : LES DISCIPLES S’APPROCHÈRENT,
etc. En effet, le vent était si fort qu’il fallut réveiller [le Seigneur]. Et
tout cela a été dit en figure à propos de Jonas, car Jonas dormait dans la
barque et les matelots l’éveillèrent pour l’interpeller [Jon 1, 5],
mais [les disciples] pour qu’il [les] sauve. C’est pourquoi [les disciples]
disent : SEIGNEUR, SAUVE-NOUS, NOUS PÉRISSONS. Et d’abord, ils confessent
sa puissance, lorsqu’ils disent : SEIGNEUR, Ps 88[89], 10 :
Tu en imposes à la puissance de la mer et
tu changes le mouvement de ses vagues. De même, ils demandent de l’aide,
parce qu’ils savaient qu’il était le Sauveur, Is 35, 4 : Lui-même viendra, et il nous sauvera. De
même, ils expriment le danger dans lequel se trouvent [les hommes] sur la
terre. Et ici, par le sommeil, est indiquée la mort du Christ, dont il fut
réveillé par la résurrection. Ou bien on dit qu’il dort en raison des
tribulations et des tentations des saints, et ainsi il s’éveille à la prière
des saints. C’est pourquoi il est dit, Ps 43[44], 23 : Réveille-toi, pourquoi dors-tu,
Seigneur ? De même, il dort chez les paresseux. C’est pourquoi
[celui-ci] doit être réveillé, comme en avertit Paul, Ep 5, 14 :
Réveille-toi, toi qui dors, réveille-toi
d’entre les morts, et le Christ l’illuminera.
1077. Vient ensuite la manière dont [Jésus les] secourt : POURQUOI AVEZ-VOUS PEUR, HOMMES DE PEU DE FOI ? Il semble qu’ils n’aient pas été de peu de foi, puisqu’ils disaient : SAUVE-NOUS. Mais ils étaient vraiment de peu de foi, parce qu’ils ne croyaient pas que, même endormi, [le Seigneur] pouvait [les] sauver. Ou bien : PEU DE FOI, parce que, s’ils avaient eu une grande foi, ils auraient pu eux-mêmes commander à la mer.
1078. ALORS IL SE LEVA ET COMMANDA AUX VENTS. En effet, la tempête naît des vents comme d’une cause efficiente, et des eaux comme d’une cause matérielle, et il commanda aux deux. Ainsi, Ps 106[107], 25 : Il parla, et le souffle de la tempête s’apaisa. Et c’est cela qui est dit : ET IL SE FIT UN GRAND CALME. Mais d’habitude, lorsqu’il y a une tempête, la mer n’est pas totalement calme pendant deux jours. Ainsi, pour qu’apparaisse un miracle parfait, il se fit aussitôt un grand calme, car les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4.
1079. ALORS, SAISIS D’ÉTONNEMENT, etc. Ici est indiqué l’effet, à savoir, l’étonnement des foules. Lorsque [Matthieu] dit : LES HOMMES, il ne faut pas comprendre les apôtres, car jamais les apôtres ne sont ainsi désignés ; mais, par hommes, il faut entendre les matelots. Ou bien, selon Jérôme, «même si tu entends par hommes les apôtres, il se peut que ce soit parce qu’ils pouvaient douter en tant qu’hommes, en disant : QUEL EST CELUI-CI ?» Ici, Chrysostome ajoute «homme». En effet, parce qu’ils le voyaient endormi, ils l’appelaient homme ; parce qu’ils avaient vu un signe de la divinité, ils doutaient donc. QUE MÊME LES VENTS ET LA MER LUI OBÉISSENT, parce que toute créature obéit à son créateur, Ps 148[149], 8 : Le feu, la grêle, la neige, la glace, le souffle des tempêtes qui obéissent à sa parole, etc. Non pas parce que [ces créatures] ont une âme raisonnable, mais parce qu’elles se comportent à la manière de celui qui obéit : comme les mains et les membres obéissent à l’âme, parce qu’ils se meuvent selon sa volonté, ainsi tout obéit à Dieu.
1080. Vient ensuite : LORSQUE JÉSUS EUT ATTEINT L’AUTRE RIVE. Parce qu’ont été présentés les miracles par lesquels le Seigneur en a libéré plusieurs de dangers extérieurs, ici sont présentés des miracles par lesquels se réalise la libération de dangers intérieurs, c’est-à-dire spirituels. Premièrement, le miracle est présenté [8, 28] ; deuxièmement, son effet, en cet endroit : SORTANT ALORS, ILS S’EN ALLÈRENT DANS LES PORCS [8, 32].
1081. À propos du premier point, la malice des démons est d’abord montrée par les sévices qu’ils infligent aux hommes [8, 28] ; deuxièmement, par [leur] impatience, en cet endroit : ET VOICI QU’ILS SE MIRENT À CRIER, etc. [8, 29] ; troisièmement, par leur méchanceté, parce qu’ils causèrent du tort à des animaux sans raison, en cet endroit : ET LES DÉMONS DEMANDAIENT À JÉSUS, etc. [8, 31].
1082. À propos du premier point, l’endroit est d’abord décrit ; en second lieu, les sévices des démons sont indiqués.
1083. Il y avait donc une région dite des Géraséniens. Gérasa veut dire «chassant le fermier» ou «étranger qui approche», parce qu’elle est proche des Gentils. DEUX DÉMONIAQUES S’APPROCHÈRENT. Les sévices sont indiqués, d’abord par le fait que [les démons] les opprimaient ; deuxièmement, parce qu’ils tentaient de tromper les hommes. Mais on se demande pourquoi les autres évangélistes n’en mentionnent qu’un seul, et [Matthieu], deux. Il faut dire qu’il y en avait sans aucun doute deux, mais que l’un était plus connu. Et [les démons] étaient violents, car ils affectaient non seulement le corps, mais aussi l’esprit. Ainsi, ils demeuraient dans des tombeaux afin d’infliger de la terreur aux hommes. De là vient l’erreur, formulée par certains, que les démons ramenaient une âme dans le corps des morts, comme on lit à propos de Simon le magicien [Ac 8, 9s]. Mais cela n’était rien, car les démons faisaient semblant afin de tromper les hommes. Ainsi, Porphyre dit que l’engeance des démons est trompeuse. De sorte que ces magiciens utilisent surtout les corps des morts, car les démons habitaient dans les sépulcres, Is 65, 4 : Ceux qui habitent dans les sépulcres et dorment dans les sanctuaires des idoles. En effet, ils étaient si violents, QUE PERSONNE NE POUVAIT PASSER PAR CETTE ROUTE, car sur la route où je marchais les orgueilleux, c’est-à-dire les démons, ont caché un piège, Ps 141[142], 4.
1084. Mais on montre leur impatience, parce qu’ils ne supportaient pas la présence du Christ. C’est pourquoi il est dit : ILS SE MIRENT À CRIER. Par là est montrée leur impatience, Is 65, 14 : Vous crierez à cause de la douleur de votre cœur et vous hurlerez à cause de la contrition de votre esprit. De même, ils affirment la puissance de Dieu, en disant : QUE NOUS VEUX-TU, JÉSUS, FILS DE DIEU ? Rien, à la vérité, car il n’y a aucun rapport entre le Christ et Bélial. Mais pourquoi disaient-ils cela ? Parce qu’ils punissaient gravement les hommes et avaient entendu dire que le Christ devait leur enlever leur pouvoir. Ainsi, ils voulaient dire : «Même si nous nuisons à d’autres, nous ne te nuisons pas. Pourquoi dois-tu nous accabler ?» De même, [les démons] confessent le Fils de Dieu. Et, par cela, les ariens sont confondus, car s’ils ne croient pas les saints, qu’ils croient au moins les démons. Mais, en sens contraire, il semble qu’ils n’ont pas reconnu [le Fils de Dieu], car [on lit] en 1 Co 2, 8 : S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le roi de gloire, etc. Mais il faut dire que, lorsque le Seigneur le voulait, il montrait son humanité, de sorte qu’il demeurait caché pour eux.
1085. ES-TU VENU NOUS TOURMENTER AVANT LE TEMPS ? Les démons savent qu’au jour du jugement, les démons doivent subir un tourment plus grand, alors qu’on leur dira : Allez, maudits, au feu éternel [25, 41]. De même, certains croient que, jusqu’au jour du jugement, les démons ne souffrent pas de la peine du sens, mais de la peine du dam, et cela, en raison de cette parole : TU ES VENU AVANT LE TEMPS. Mais à cela s’oppose ce que dit [Jean] Damascène : «Ce qui est pour les anges une chute est la mort pour les hommes.» Mais les hommes, lorsqu’ils meurent, reçoivent aussitôt la peine du sens ; de même, les anges qui ont chuté. Certains disent que [les anges] portent toujours avec eux leur propre feu. Mais comment cela peut-il se faire, car le feu est corporel ? Il faut dire que, bien que ce feu soit corporel, il comporte cependant quelque chose de spirituel. Ainsi, il cause la souffrance par une sorte d’association. En effet, l’esprit déborde la nature du corps, mais Dieu associe les esprits aux corps ; comme lorsque l’âme est liée au corps, elle fait que le corps se meut selon la volonté de l’âme, comme lorsqu’une prélature est donnée à quelqu’un dans une église, alors qu’il n’y réside pas. De même, bien que le feu soit corporel, il peut agir en raison d’un certain caractère spirituel. NOUS TOURMENTER, etc. [Les démons] estiment que c’est un grand tourment qu’ils ne puissent pas nuire aux hommes. Mais, s’ils étaient en enfer, ils ne pourraient nuire ainsi ; et ainsi, c’est pour eux un grand tourment que d’entrer dans l’enfer.
1086. OR, IL Y AVAIT NON LOIN D’EUX UN GROS TROUPEAU DE PORCS EN TRAIN DE PAÎTRE. Ici est abordée la malice, car [les démons] nuisent non seulement aux hommes, mais aussi aux bêtes. UN TROUPEAU DE PORCS : il est donc clair par ceci qu’ils n’étaient pas en Judée, car les Juifs ne font pas usage des porcs.
1087. «SI TU NOUS CHASSES, ENVOIE-NOUS DANS LES PORCS.» Mais pourquoi n’ont-ils pas demandé d’être envoyés dans les hommes ? Parce qu’ils voyaient que [le Seigneur] se préoccupait du sort des hommes. Mais pourquoi dans un troupeau de porcs ? Parce qu’ils étaient plus proches. Et aussi parce que c’est un animal très impur. Ainsi, pour indiquer l’impureté, [Jésus] permit que [les démons] entrent dans les porcs. Et cela semble être le sens de Jb 40, 22 : Ne multipliera-t-il pas les prières à ton endroit ou ne t’adressera-t-il pas des paroles émouvantes ?
1088. «ALLEZ», LEUR DIT-IL, etc. Mais le Seigneur semble avoir écouté les démons. Il faut dire qu’il ne les a pas écoutés, mais, dans sa sagesse, il a permis et ordonné que cela arrive afin que soit montrée la malice des démons, car, si le Seigneur ne les en avait pas empêchés, ils se seraient précipités sur les hommes comme ils l’ont fait sur les porcs. Mais lorsque le Seigneur permet quelque chose aux démons, il ne le leur permet pas totalement, mais il leur impose un frein, comme en Jb 2, 6. Ainsi, c’est pour indiquer cela que [le Seigneur] leur a permis de se précipiter sur les porcs. [C’était] aussi pour montrer que [les démons] ne peuvent rien sans la permission de Dieu. [C’était] pour que l’homme reconnaisse sa dignité, puisque, pour le salut d’un seul homme, [Jésus] permit que tant de milliers de porcs fussent tués.
1089. Vient ensuite : ET VOILÀ QUE, DANS UNE GRANDE RUÉE, TOUT LE TROUPEAU SE PRÉCIPITA DU HAUT DE L’ESCARPEMENT DANS LA MER, par quoi est signalé que personne ne peut être entièrement éliminé à moins qu’il ne soit comme un porc, c’est-à-dire entièrement impur. On lit ainsi en Ap 18, 21 : Babylone, la grande cité, sera emportée dans un grand souffle ; 2 P 2, 13 : Ceux-là périront comme des animaux sans raison et recevront le salaire de l’injustice, etc.
1090. Vient ensuite : LES GARDIENS PRIRENT LA FUITE ET ANNONCÈRENT TOUT CELA. Ainsi, eux qui s’en étaient allés annoncèrent quelque chose de triste et quelque chose de joyeux : de triste, au sujet des porcs, mais de joyeux, au sujet du démoniaque guéri. Par ces gardiens, sont désignés les dirigeants de la synagogue qui, pour des fins temporelles, contredisent le Christ autant qu’ils le peuvent.
1091. En conséquence, vient l’étonnement de tout le peuple : ET VOILÀ QUE TOUTE LA VILLE SORTAIT AU-DEVANT DE JÉSUS ET, L’AYANT APERÇU, ILS LUI DEMANDÈRENT DE QUITTER LEUR TERRITOIRE. Et pourquoi ? Parce qu’il leur avait causé de grands dommages, ils craignaient que, s’il restait plus longtemps, il leur fasse encore plus de dommages. Certains craignent ainsi d’être avec le Christ par crainte de dommages temporels, comme on le trouve en Is 30, 11 : Écarte-toi de mon chemin ; que le Saint d’Israël s’éloigne de notre visage. Ou bien, autre [interprétation] : [ils ne le firent pas] par malice, mais par dévotion, car ils se jugeaient indignes. Pierre dit quelque chose de semblable : Éloigne-toi de moi, car je suis un pécheur [Lc 5, 8].
Leçon 1 [Matthieu 9, 1-8] 9, 1 Étant monté sur la barque, Jésus traversa et
il vint dans la ville. 9, 2 Et voici qu’on lui apportait un paralytique
étendu sur un lit. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : «Aie
confiance, mon enfant, tes péchés sont remis.» 9, 3 Voici donc que
quelques scribes disaient par-devers eux : «Celui-là blasphème.» 9, 4
Et comme Jésus connaissait leurs pensées, il leur dit : «Pourquoi ces
pensées mauvaises dans vos coeurs ? 9, 5 Quel est le plus facile, de
dire : “Tes péchés sont remis”, ou de dire : “Lève-toi et
marche” ? 9, 6 Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le
pouvoir sur la terre de remettre les péchés, lève-toi (dit-il au paralytique),
prends ton grabat et va-t-en chez toi .» 9, 7 Et se levant, il
partit. 9 8 À cette vue, les foules furent saisies de crainte. Elles
glorifiaient Dieu qui avait donné un tel pouvoir aux hommes.
Leçon 2 [Matthieu 9, 9-13] 9, 9 Étant sorti, il vit un homme assis au bureau
de la douane, portant le nom de Matthieu, et [Jésus] lui dit : «Viens,
suis-moi.» Se levant, il le suivit.
9, 10 Comme il était à table dans la maison, voici
que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent se mettre à table avec Jésus
et ses disciples. 9, 11 Ce que voyant, les Pharisiens disaient à ses
disciples : «Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les
pécheurs ?» 9, 12 Mais Jésus, ayant entendu cela, dit : «Les
bien-portants n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui ne se portent pas
bien. 9, 13 Allez donc apprendre ce que signifie : “C’est la miséricorde
que je veux, et non le sacrifice.” Je ne suis pas venu appeler les justes, mais
les pécheurs.»
Leçon 3 [Matthieu 9, 14-17] 9, 14 Alors les disciples de Jean s’approchent de
lui en disant : «Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, et tes
disciples ne jeûnent-ils pas ?» 9, 15 Et Jésus leur dit : «Les
compagnons de l’époux peuvent-ils pleurer lorsque l’époux est avec eux ?
Viendront des jours où l’époux leur sera enlevé ; et alors ils jeûneront.
9, 16 Personne ne rajoute une pièce de drap nouveau à un vieux
vêtement ; car le morceau rapporté tire sur le vêtement et la déchirure
s’aggrave. 9, 17 Et on ne met pas de vin nouveau dans de vieilles
outres ; autrement, les outres éclatent, le vin se répand et [les outres]
sont perdues. Mais on verse le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et
l’autre se conservent.»
Leçon 4 [Matthieu 9, 18-26] 9, 18 Tandis qu’il leur parlait, voici qu’un chef
s’approche, et il se prosterne en disant : «Seigneur, ma fille se
meurt ; mais impose-lui ta main, et elle vivra.» 9, 19 Et Jésus se
levant, le suivit ainsi que ses disciples. 9, 20 Et voici qu’une femme,
qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans, s’approcha et toucha par-derrière
la frange de son manteau. 9, 21 Elle se disait en elle-même : «Si
seulement je touche son manteau, je serai sauvée.» 9, 22 Mais Jésus se
tournant vers elle la vit et lui dit : «Aie confiance, ma fille, ta foi
t’a sauvée.» Et la femme fut sauvée à partir de ce moment. 9, 23 Arrivé à
la maison du chef et voyant les joueurs de flûte et la foule en tumulte, Jésus
dit : 9, 24 «Retirez-vous ; car elle n’est pas morte, la jeune
fille, mais elle dort.» Et ils se moquaient de lui. 9, 25 Mais,
quand on eut mis la foule dehors, il entra, il lui prit la main et la jeune fille
se leva. 9, 26 Le bruit s’en répandit dans toute cette contrée.
Leçon 5 [Matthieu 9, 27‑34] 9, 27 Alors que Jésus s’en allait de là, deux
aveugles le suivirent. Ils criaient et disaient : «Fils de David, aie
pitié de nous !» 9, 28 Lorsque Jésus fut arrivé à la maison, les
aveugles s’approchèrent de lui et Jésus leur dit : «Croyez-vous que je
puis faire cela pour vous?» – «Oui, Seigneur», lui disent-ils. 9, 29 Alors
il leur toucha les yeux en disant : «Qu’il vous advienne selon votre foi.»
9, 30 Et leurs yeux s’ouvrirent. Jésus s’adressa alors à eux
sévèrement : «Prenez garde que personne ne le sache !» 9, 31
Mais eux, étant sortis, répandirent sa renommée dans toute cette contrée.
9, 32 Comme ils sortaient, voilà qu’on lui présenta
un muet. 9, 33 Et le démon une fois expulsé, le muet parla et les foules
furent dans l’admiration : «Y a-t-il jamais eu quelque chose de
semblable en Israël !» 9, 34 Mais les Pharisiens disaient :
«C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons !»
Leçon 6 [Matthieu 9, 35-38] 9, 35 Jésus parcourait toutes les villes et les
villages. Il enseignait et prêchait dans leurs synagogues, proclamant la Bonne
Nouvelle du Royaume, guérissant toute maladie et toute infirmité. 9, 36 A
la vue des foules, Jésus eut pitié d’elles, car ces gens gisaient las et
prostrés comme des brebis qui n’ont pas de berger. 9, 37 [Jésus] dit alors
à ses disciples : «La moisson est abondante, les ouvriers peu
nombreux ; 9, 38 Demandez au maître de la moisson d’envoyer des
ouvriers pour sa moisson.»
1092. [Matthieu] a présenté plus haut des miracles contre les dangers corporels ; ici, il présente des miracles contre les dangers spirituels. À cette fin, il fait deux choses : premièrement, il montre comment [le Seigneur] intervint en faveur de ceux qui accouraient vers lui [9, 1s] ; deuxièmement, comment il cherche ceux qu’il peut sauver, en cet endroit : ET JÉSUS PARCOURAIT TOUTES LES VILLES ET LES VILLAGES [9, 35s].
1093. À propos du premier point, il présente le remède contre le péché [9, 1‑17] ; deuxièmement, contre la mort, en cet endroit : TANDIS QU’IL LEUR PARLAIT, etc. [9, 18s].
1094. À propos du premier point, [Matthieu] présente d’abord le remède contre le péché par la rémission [9, 1-9] ; deuxièmement, par le fait que [le Seigneur] attirait à lui les pécheurs, en cet endroit : COMME IL ÉTAIT À TABLE DANS LA MAISON, etc. [9, 10s].
1095. Et premièrement, [Matthieu] présente une sorte de préambule à la faveur [9, 1‑5] ; deuxièmement, il présente la faveur elle-même, en cet endroit : AFIN QUE VOUS SACHIEZ, etc. [9, 6s].
1096. Et, premièrement, le lieu est présenté [9, 1] ; deuxièmement, la dévotion de ceux qui apportaient [le malade], en cet endroit : ET VOICI QU’ON LUI APPORTAIT UN PARALYTIQUE [9, 2].
1097. [Matthieu] dit donc : ÉTANT MONTÉ DANS LA BARQUE, JÉSUS TRAVERSA. Cette partie est une suite, parce qu’on avait demandé [à Jésus] de s’éloigner. C’est pourquoi il monta dans une barque. Il fait donc comprendre que si certains disent : Éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas suivre tes commandements, Jb 21, 14, il se retire aussitôt. Ainsi, IL MONTA DANS UNE BARQUE. Cette barque signifie la croix ou l’Église. ET IL VINT DANS SA VILLE, à savoir, la «ville des nations», qui lui ont été données. C’est pourquoi [on lit] en Ps 2, 8 : Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage.
1098. Mais une question se pose : pourquoi Marc et Luc disent-ils que cela arriva à Capharnaüm, et qu’ici on trouve que [cela est arrivé] à Nazareth, qui était sa ville ? Il faut dire que l’une était la ville du Christ en raison de sa naissance : c’était Bethléem ; l’autre, en raison de son éducation : c’était Nazareth ; et une autre, en raison de son séjour et de son action : c’était Capharnaüm. C’est donc à juste titre qu’il est dit : DANS SA VILLE. Ainsi, il est dit en Lc 4, 23 : Ce que nous avons entendu dire qu’il est arrivé à Capharnaüm, fais-le de même ici dans ta patrie. Augustin donne une autre solution : parmi les villes de Galilée, Capharnaüm était la plus célèbre. Elle était donc comme une métropole. Et de même que, si quelqu’un résidait dans un village près de Paris, on dirait qu’il est de Paris en raison de la célébrité de l’endroit, ainsi, parce que le Seigneur venait de Capharnaüm, disait-on qu’il en venait. Ou bien, autrement, parce que les évangélistes omettent quelque chose, à savoir que [Jésus] était passé par Nazareth et était venu à Capharnaüm.
1099. Et ainsi, on lui présenta [un paralytique] : ET VOICI QU’ON LUI APPORTAIT UN PARALYTIQUE. On indique ici la dévotion de ceux qui apportent. C’est pourquoi, en Marc, il est indiqué que, comme on ne pouvait pas passer, on le posa sur les tuiles [Mc 2, 4 ; Lc 5, 19]. Ce paralytique signifie le pécheur qui gît dans son péché ; ainsi, comme le paralytique ne peut se mouvoir, celui-ci ne [le peut] pas non plus. Ceux qui le portent sont ceux qui, par leurs avertissements, le portent à Dieu.
1100. JÉSUS, VOYANT LEUR FOI, etc. [Matthieu] indique la faveur, dans laquelle nous pouvons considérer trois choses : premièrement, ce qui a ému Jésus ; deuxièmement, ce qui est exigé ; troisièmement, la controverse au sujet de la faveur.
1101. Le Seigneur guérit parfois quelqu’un en raison de sa foi, parfois en raison de ses prières et de celles des autres. VOYANT AINSI LEUR FOI : c’est pourquoi il est dit en Mc 11, 24 : Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous le recevrez et que cela vous sera accordé. AIE CONFIANCE, MON ENFANT. Qu’est-ce qui est exigé ? La foi, Ps 124[125], 1 : Ceux qui ont confiance dans le Seigneur comme dans le mont Sion ; celui qui habite à Jérusalem ne sera pas ébranlé pour l’éternité. Et Ac 15, 9 : Purifiant leurs cœurs par la foi. TES PÉCHÉS TE SONT REMIS. Ici est indiquée la faveur. Mais qu’est-ce que celui-ci demandait ? La santé du corps, et le Seigneur lui donne la santé de l’âme. La raison en est que le péché était la cause de la maladie, comme dans Ps 15[16], 4 : Leurs maladies se sont multipliées en raison de leurs iniquités. C’est pourquoi le Seigneur a agi comme un bon médecin qui guérit la cause.
1102. Ensuite, [Matthieu] présente la controverse au sujet de la faveur, en cet endroit : ET COMME JÉSUS CONNAISSAIT LEURS PENSÉES, etc. [Mt 9, 4].
1103. [Matthieu] dit donc : VOICI QUE QUELQUES SCRIBES DISAIENT PAR-DEVERS EUX : «CELUI-CI BLASPHÈME.» Et pourquoi s’étonnaient-ils ? Parce qu’ils voyaient un homme et ne voyaient pas Dieu, car il appartient à Dieu seul de remettre les péchés. C’est pourquoi ils disaient que [Jésus] blasphémait, selon Jb 34, 18 : Celui qui dit au roi «apostat» et appelle les chefs «impies», etc.
1104. ET
COMME JÉSUS CONNAISSAIT LEURS PENSÉES, IL LEUR DIT : «POURQUOI CES PENSÉES
MAUVAISES DANS VOS CŒURS ?» Ici, [Jésus] les réfute de trois façons :
par la pensée, par la parole et par le geste. Par la pensée, parce que, de même
qu’il appartient à Dieu seul de remettre les péchés, de même [en est-il] pour
les secrets du cœur, Ps 7, 10 : Dieu qui scrute les reins et les cœurs. COMME IL CONNAISSAIT, car
seul Il connaît les pensées des hommes. Et d’abord, il leur reproche la
méchanceté de leurs cœurs : «POURQUOI CES PENSÉES MAUVAISES DANS VOS
CŒURS ?» Car ils disaient qu’il blasphémait, Is 1, 16 : Écartez le mal de vos pensées.
1105. QUEL EST LE PLUS FACILE, etc. ? Ici, [Matthieu] présente la réfutation. Mais le Seigneur semble mal raisonner, car il raisonne a minori en affirmant : «Il paraît plus facile de guérir le corps que de guérir l’âme.» Mais Jérôme donne cette interprétation : «Il est plus facile de dire que de faire ; il est vrai que, pour ce qui est du geste posé, une plus grande force [est requise] pour guérir l’âme que le corps ; mais, pour ce qui est de la puissance, la même puissance [est à l’œuvre] dans les deux cas.»
1106. Mais, si on se reporte à ce qui est dit, on voit que les menteurs mentent dès qu’ils ne peuvent pas être découverts. En effet, ils peuvent être pris en faute dans les choses qui sont apparentes, mais non dans celles qui sont cachées. Ainsi, ils parlent avec audace des choses sur lesquelles ils ne peuvent pas être pris en faute. Il [leur] est donc plus facile de parler si vous ne pouvez pas savoir.
1107. C’est pourquoi, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE LE FILS DE L’HOMME A LE POUVOIR SUR LA TERRE DE REMETTRE LES PÉCHÉS. [Jésus le] montre par un geste. Premièrement, [Matthieu] présente la fin de l’opération ; deuxièmement, le mode ; troisièmement, l’efficacité.
1108. [Jésus] dit donc : POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE LE FILS DE L’HOMME A LE POUVOIR SUR LA TERRE DE REMETTRE LES PÉCHÉS, IL DIT AU PARALYTIQUE : «LÈVE-TOI, PRENDS TON GRABAT ET VA-T’EN CHEZ TOI.» Par cela, il montre qu’il est Dieu, plus haut, 1, 21 : C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Il dit : LE FILS DE L’HOMME, et il dit : SUR LA TERRE. Il rejette ainsi une double erreur, à savoir, celle de Nestorius et de Photin. Nestorius disait que le Fils de l’homme et le Fils de Dieu étaient deux personnes, et qu’on ne pouvait dire de l’une ce qu’on disait de l’autre. Ainsi, on ne pouvait dire : «Cet enfant a créé les étoiles.» C’est pourquoi [Jésus] dit : DE L’HOMME, car il appartient à Dieu de remettre les péchés. De même, contre Photin, qui disait que le Christ avait pris origine de la Vierge Marie et avait acquis la divinité par son [propre] mérite ; et il se fondait sur ce qui est dit plus loin, 28, 18 : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. C’est pourquoi Jésus dit : SUR LA TERRE. De là vient qu’il est dit en Ba 3, 38 : Après cela, il apparut sur terre et il vivait au milieu des hommes. A LE POUVOIR : il semble que cela ne soit pas une preuve, car même les apôtres avaient ce pouvoir. Mais il faut dire que ceux-ci l’avaient par voie d’administration, et non d’autorité. Ce qui est dit : AFIN QUE VOUS SACHIEZ, etc., peut se lire de deux manières : ou bien il s’agit des paroles de l’évangéliste, et cela avait donc un caractère narratif ; ou bien il s’agit de paroles du Christ, disant : AFIN QUE VOUS SACHIEZ, etc., et c’est une manière imparfaite de s’exprimer, car ceux-là doutaient. C’est pourquoi, AFIN QUE VOUS SACHIEZ QUE MOI, J’AI LE POUVOIR DE REMETTRE LES PÉCHÉS, IL DIT AU PARALYTIQUE : «LÈVE-TOI, etc.». Ainsi, il a guéri par la parole, ce qui est propre à Dieu, conformément au Ps 32[33], 9 : Il dit, et cela arriva. Le malade avait trois traits : il gisait sur son grabat ; il était porté par d’autres ; il ne pouvait se déplacer. Ainsi donc, parce qu’il gisait, [Jésus] dit : LÈVE-TOI ; parce qu’il était porté, il lui ordonna de porter son grabat : PRENDS TON GRABAT ; parce qu’il ne pouvait se déplacer, il dit : MARCHE. En effet, les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4. De même, au pécheur gisant dans le péché, il est dit : LÈVE-TOI du péché par la contrition ; PRENDS TON GRABAT, par la satisfaction, Mi 8, 9 : Je porterai la colère du Seigneur, car j’ai péché contre lui ; ET VA-T’EN CHEZ TOI, dans la demeure de l’éternité ou dans ta propre conscience, Sg 8, 16 : Entrant dans ma maison, je m’y reposerai.
1109. Vient ensuite la réalisation : ET, SE LEVANT, IL PARTIT.
1110. À CETTE VUE, LES FOULES, non les scribes, parce que ceux-ci méprisaient [Jésus], FURENT SAISIES DE CRAINTE, Ha 3, 2 : Seigneur, j’ai entendu ce qu’on disait de toi, et j’ai craint. Mais de quelle crainte ? ELLES GLORIFIAIENT DIEU, car elles rapportaient tout à Dieu, Ps 113[114], 1 : Non pas à nous, Seigneur, mais à ton nom donne gloire. QUI AVAIT DONNÉ UN TEL POUVOIR AUX HOMMES. Ainsi, ceux-ci ne sont pas méprisants comme les scribes. Mais parce qu’il est dit : AUX HOMMES, Hilaire donne cette interprétation : «Qui a donné aux hommes le pouvoir de devenir fils de Dieu», comme en Jn 1, 12 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu.
1111. Premièrement, la conversion des pécheurs est ici présentée [9, 9‑10] ; deuxièmement, la controverse avec les Pharisiens, en cet endroit : CE QU’AYANT VU, LES PHARISIENS DISAIENT À SES DISCIPLES [9, 11].
1112. Premièrement, [Matthieu] dit comment [Jésus] appela quelqu’un à devenir [son] disciple [9, 9] ; deuxièmement, comment il en appela plusieurs à devenir ses familiers, en cet endroit : COMME IL ÉTAIT À TABLE DANS LA MAISON, etc. [9, 10].
1113. [Matthieu]
dit donc : ÉTANT SORTI, JÉSUS. Pourquoi [Jésus] s’en alla-t-il ?
Parce qu’on intriguait contre lui. C’est pourquoi il fuyait les foules, comme
il est dit en Si 8, 13[10] : Ne
mets pas le feu aux charbons du pécheur. IL VIT UN HOMME, un homme, à coup
sûr, car il était pécheur, Ps 81[82], 7 : Vous, vous mourrez comme des hommes et vous tomberez comme l’un des
princes. ASSIS AU BUREAU DE LA DOUANE, au bureau des impôts. C’était donc
un endroit où on acquittait ses impôts. Il était donc dans un état où un homme
peut difficilement être sans péché. PORTANT LE NOM DE MATTHIEU. D’autres
l’appelaient Lévi, pour préserver son honneur, afin qu’on ne sache pas qu’il était
un pécheur ; mais lui-même se désigne sous le nom de Matthieu, car le
juste commence par s’accuser. Il donnait ainsi à entendre que le Seigneur ne
fait pas acception de personnes. ET [JÉSUS] LUI DIT : «VIENS, SUIS-MOI.»
Et cela est grand que le Seigneur invite à le suivre. SE LEVANT, IL LE SUIVIT.
Ainsi, il pouvait dire ce que [dit] Jb 23, 11 : Mon pied a suivi ses pas, j’ai suivi son
chemin et ne m’en suis pas écarté.
1114. Mais on objecte que cela n’a pas pu se produire que, sur une seule parole, celui-ci ait suivi [Jésus]. Il faut dire que la renommée de Jésus s’était tellement répandue que déjà celui qui le suivait s’estimait heureux. C’est pourquoi, sur une seule parole, celui-ci le suivit. Ainsi est montrée l’obéissance, car il le suivit aussitôt. Mais pourquoi [Jésus] ne l’a-t-il pas appelé dès le début ? Il faut dire que celui-ci était sage de la sagesse du siècle [1 Co 1, 20]. Le Seigneur tarda donc à l’appeler jusqu’à ce que les miracles l’interpellent. Ou bien il faut dire que cela est dit par mode de rappel, car celui-ci était présent lors de la prédication du Seigneur sur la montagne. Mais pourquoi Matthieu [le] présente-t-il ainsi ? Je dis que c’est en raison de [son] humilité. En effet, il considérait son appel comme un miracle. C’est pourquoi il le raconta parmi les miracles. Mais pourquoi est-il fait davantage mention de l’appel de Pierre, d’André et de Matthieu que des autres ? Il faut dire qu’ils étaient des pêcheurs, parmi les hommes les plus méprisables. De même comptaient parmi les pécheurs ceux qui percevaient l’impôt. C’est pourquoi il en est fait spécialement mention afin qu’il soit connu que Dieu ne fait pas acception de personnes [2 Ch 19, 7 ; Rm 2, 11 ; Ep 6, 9 ; Col 3, 25 ; 1 P 1, 17].
1115. Vient ensuite : IL ARRIVA, COMME IL ÉTAIT À TABLE DANS LA MAISON, QUE BEAUCOUP DE PUBLICAINS ET DE PÉCHEURS VINRENT SE METTRE À TABLE AVEC JÉSUS ET SES DISCIPLES. Ici est abordée la manière dont [Jésus] en a appelé plusieurs à être ses familiers. Ainsi, [Matthieu] dit : IL ARRIVA, etc. D’autres disent que [Matthieu] fit un festin pour [Jésus] ; mais [l’évangéliste Matthieu] n’en parle pas. Et il est vrai que [Matthieu] le fit et en invita plusieurs afin qu’il soient attirés à Dieu, car la tenture attire la tenture, Ex 36. Ainsi, c’est un signe que quelqu’un est fermement converti au Seigneur qu’il en attire d’autres qu’il aime davantage. [Matthieu] dit donc QUE BEAUCOUP DE PUBLICAINS ET DE PÉCHEURS VINRENT SE METTRE À TABLE AVEC JÉSUS, car, si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai et je mangerai avec lui et lui avec moi, Ap 3, 20.
1116. CE QUE VOYANT, LES PHARISIENS, etc. On a dit comment le Seigneur invite les pécheurs à le suivre et [comment] il les a accueillis à un festin. Ici est présentée la controverse : premièrement, au sujet de [ses] fréquentations [9, 11‑13] ; deuxièmement, au sujet du festin, en cet endroit : ALORS DES DISCIPLES DE JEAN S’APPROCHÈRENT DE LUI [9, 14].
1117. À propos du premier point, une question est d’abord posée [9, 11] ; en second lieu, une réponse [est donnée], en cet endroit : JÉSUS DIT, etc. [9, 12‑13].
1118. [Matthieu]
dit donc : CE QUE VOYANT, LES PHARISIENS DISAIENT À SES DISCIPLES. Il faut
remarquer que ces pharisiens étaient malicieux. C’est pourquoi ils voulaient
provoquer un schisme entre les disciples et Jésus. Ainsi, ils accusaient Jésus
auprès des disciples, et les disciples auprès de Jésus. Cherchant donc à
accuser Jésus auprès des disciples, ils disent : POURQUOI VOTRE MAÎTRE
MANGE-T-IL AVEC LES PUBLICAINS ET LES PÉCHEURS ? Ceux-ci sont au nombre de
ceux dont il est dit en Pr 6, 16 : Il y a six choses que déteste le Seigneur, et mon âme en déteste une
septième, à savoir, celui qui sème la
discorde entre des frères.
1120. Mais on se demande pourquoi Luc dit que cela a été dit des disciples. Augustin répond que «l’opinion est la même aux deux endroits, bien que les mots diffèrent, parce que les enseignements du maître faisaient entrer l’ensemble en ligne de compte». Luc rapporte donc les paroles, mais Matthieu [s’en tient] à l’opinion. Mais il semble que ceux-ci dénonçaient à juste titre, car il faut éviter la compagnie des pécheurs. Il faut remarquer que, parfois, il faut éviter la compagnie des pécheurs en raison de l’orgueil et du mépris, comme c’est le cas de ceux dont il est question en Is 65, 5 : Tu ne t’approcheras pas de moi, car tu es impur. D’autres doivent être évités pour le bien des pécheurs afin qu’ils aient honte et se convertissent ; c’est le cas dont Paul parle en 1 Co 6, 5: Je le dis pour votre honte : il n’y a pas de sage parmi vous. De même, quelqu’un peut éviter [le pécheur] par précaution pour lui-même, de crainte d’être perverti, Si 13, 1 : Qui touche à la poix s’englue ; et en Ps 17, 27 : Tu seras perverti par le pervers. En sens contraire, certains vivent avec les pécheurs pour se mettre à l’épreuve : la tentation est ainsi leur mise à l’épreuve, comme on le trouve en Si 27, 6 et 2 P 2, 8 : En voyant et en entendant, le juste demeurait au milieu d’eux ; et Ct 2, 2 : Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi les filles. Et la Glose dit en cet endroit : «Celui-là n’était pas bon qui n’a pas pu tolérer les méchants.» De même, certains vivent au milieu des méchants pour les convertir, comme le dit Paul, 1 Co 9, 19 : Je me suis fait tout à tous pour les gagner tous. Mais il y a une différence, car il ne faut pas entretenir de rapports avec les pécheurs qui persévèrent [dans leurs péchés] et ne veulent pas s’en repentir ; mais, dans le cas de ceux dont on espère [qu’ils se repentiront], il faut faire une distinction chez celui qui demeure [parmi eux], car soit il est solide, soit il est faible : s’il est faible, il ne doit pas habiter avec eux ; s’il est solide, il est convenable qu’il habite avec eux afin de les convertir à Dieu. De même, Jésus était assurément un médecin ; c’est pourquoi, lorsqu’il était avec eux, il ne craignait pas le danger ; ainsi, etc.
1121. Mais la réponse de Jésus vient ensuite. Et il donne trois raisons. Premièrement, à partir d’une comparaison : MAIS JÉSUS, ENTENDANT CELA, DIT : «LES BIEN PORTANTS N’ONT PAS BESOIN DE MÉDECIN.» Et le Seigneur se dit médecin, et à juste titre, Ps 102[103], 3 : Lui qui guérit toutes nos maladies, à savoir, celles de l’âme comme celles du corps. C’est pourquoi il aborde les maladies de l’âme comme celles du corps. C’est la raison pour laquelle il dit : «LES BIEN PORTANTS N’ONT PAS BESOIN DE MÉDECIN, etc.» Les bien portants sont ceux qui pensent bien se porter par orgueil ; d’eux il est dit dans Ap 3, 17 : Tu dis : «Je suis riche et bien pourvu et n’ai besoin de rien» ; et tu ne sais pas que tu es malade et misérable, pauvre, aveugle et nu. Et ceux-ci n’ont pas besoin de médecin, MAIS CEUX QUI NE SE PORTENT PAS BIEN, c’est-à-dire, qui reconnaissent leur péché, comme le disait David, Ps 1, 5 : Je connais ma faute, etc.
1122. Deuxièmement, [Jésus] allègue une autorité, en disant : ALLEZ DONC APPRENDRE CE QUE SIGNIFIE, comme s’il disait : «Vous ne comprenez pas les Écritures, mais allez apprendre ce que signifie : C’EST LA MISÉRICORDE QUE JE VEUX, ET NON LE SACRIFICE.» Ceci est écrit dans Os 6, 6. Et on l’interprète de deux façons. Premièrement, de sorte qu’une chose soit préférée à l’autre, car «je veux plutôt la miséricorde que le jugement». Ainsi le sacrifice est préféré au sacrifice. Le sacrifice est l’agneau. De même en est-il de la miséricorde : Dieu est apaisé par de telle victimes. Qu’y a-t-il de mieux qu’elles ? Pr 21, 3 : Faire miséricorde et justice plaît davantage à Dieu que les victimes. Ou bien [on l’interprète] de sorte que l’un soit accepté, l’autre refusé : «Je veux la miséricorde, mais non le sacrifice que vous accomplissez.» Ainsi, Is 1, 15 : Je n’ai pas d’holocaustes, parce que vos mains sont couvertes de sang. Ou bien, autre [interprétation] : Je veux la miséricorde, et non le sacrifice. En effet, on dit que quelqu’un veut quelque chose lorsqu’il le veut en soi, et non en vue d’autre chose, comme si le médecin disait : «Je veux la santé.» Et ainsi, dans les œuvres que nous offrons à Dieu, nous en offrons certaines pour elles-mêmes, comme aimer Dieu et le prochain ; mais d’autres, en vue de ces dernières, Mi 6, 8 : Je t’indiquerai, ô homme, ce qui est bien et ce que le Seigneur te demande : rien d’autre que d’accomplir la justice et d’aimer la miséricorde.
1123. Troisièmement, le Seigneur donne une autre raison à partir de sa fonction : ainsi, si un légat était envoyé et faisait appel à sa fonction, s’il était empêché par un autre, il dirait : «Tu es insensé d’empêcher ce qui relève de moi.» Le Seigneur était venu pour sauver les pécheurs. C’est pourquoi il est dit : Tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés [Mt 1, 21]. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : JE NE SUIS PAS VENU APPELER LES JUSTES, MAIS LES PÉCHEURS. Luc ajoute : À LA PÉNITENCE. Et cet ajout est correct, car il n’est pas venu appeler les pécheurs pour qu’ils demeurent dans leurs péchés, mais pour qu’ils se soustraient à eux.
1124. Mais on peut se poser une question à propos des justes, car personne n’est juste sinon Dieu. En effet, nous sommes tous pécheurs. De même, il semble que ce qui est dit est faux, car Jean était juste, Siméon était juste, Zacharie était juste ; et cependant, il les a appelés. Il faut dire qu’une distinction doit être faite à propos de la justice : on peut dire de quelqu’un qu’il est juste lorsqu’il n’est pas enchaîné au péché, et ainsi personne n’est juste, car tous sont enchaînés [au péché] mortel, véniel ou originel, à tout le moins pour ce qui est de la faute ; et [le Seigneur] a entièrement détruit celui-ci, Jn 5, 40 : Il est venu pour que vous ayez la vie. Ainsi, il n’est pas venu appeler les justes pour autant qu’ils sont justes, mais pour autant qu’ils sont pécheurs. De même, on appelle juste celui qui n’est pas enchaîné au péché mortel. Ainsi, JE NE SUIS PAS VENU APPELER LES JUSTES à la pénitence, mais à une plus grande justice. Ou bien, [selon l’interprétation suivante] : JE NE SUIS PAS VENU APPELER LES JUSTES, à savoir, ceux qui ont confiance dans leur propre justice, MAIS LES PÉCHEURS, qui se repentent en ignorant leur propre justice.
1125. Ici est posée une question au sujet du festin [9, 14] ; et la réponse suit, en cet endroit : ET JÉSUS DIT [9, 15].
1126. Mais alors se pose une question sur la lettre : pourquoi, en Mc 2, 18 et Lc 5, 29, semble-t-il que la question ait été posée par d’autres, là où il est dit, Mc 2, 18 : Pourquoi les disciples de Jean et les Pharisiens jeûnent-ils, et tes disciples ne jeûnent-ils pas ? Ce ne sont donc pas les disciples [de Jean] qui ont parlé. La solution d’Augustin est que la situation était telle que les Pharisiens tendaient une embûche au Christ. Ainsi, ils entraînaient parfois des hérodiens avec eux, mais, cette fois, ils avaient fait appel à des disciples de Jean. La demande pouvait ainsi être venue à la fois d’autres et des disciples. Mais d’où vient qu’ils jeûnaient ? La réponse est [la suivante] : de leurs traditions ou de la loi, comme on lit que, le jour de la propitiation, ils étaient tenus de jeûner. Za 8, 19 : Le jeûne du quatrième [mois], le jeûne du cinquième, le jeûne du septième et le jeûne du dixième [mois] seront pour la maison de Juda joie et allégresse, et fêtes magnifiques. De même, les disciples de Jean jeûnaient à l’exemple de leur maître, qui était d’une grande austérité, mais les disciples du Christ ne jeûnaient pas.
1127. ET JÉSUS LEUR DIT. Ici, Jésus répond, et de manière subtile. Premièrement, il donne la cause de son point de vue ; ensuite, du point de vue des apôtres.
1128. À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il précise le moment de manger [9, 15] ; deuxièmement, le moment de jeûner, en cet endroit : VIENDRONT DES JOURS OÙ L’ÉPOUX LEUR SERA ENLEVÉ, ET ALORS ILS JEÛNERONT [9, 15].
1129. [Jésus] dit donc : LES COMPAGNONS DE L’ÉPOUX PEUVENT-ILS PLEURER LORSQUE L’ÉPOUX EST AVEC EUX ? Alors que [Matthieu] dit : PLEURER, un autre dit : JEÛNER. Bien que le jeûne comporte une certaine joie spirituelle, toutefois, comme on le lit dans He 12, 11 : Toute correction, sur le moment, ne paraît pas être un sujet de joie, mais de tristesse. Ainsi, il s’agit d’un jeûne [qui entraîne] une joie spirituelle, comme on lit dans Dn 9, 3 : J’ai décidé de tourner mon visage vers mon Dieu pour le prier, pour le supplier par le jeûne, le sac et la cendre. De même, s’agit-il [d’un jeûne] de deuil et d’affliction, parfois en raison des douleurs. Le Seigneur répond sur les deux points. En effet, l’époux est le Christ : celui qui a l’épouse est l’époux. Lui-même, en effet, est l’époux de l’Église entière, et [aussi] son origine. La loi ancienne et la loi nouvelle ont eu une origine différente, car la loi ancienne a pris origine de la crainte, et la loi nouvelle, de l’amour. Ainsi, en Rm 8 15 : En effet, vous n’avez pas reçu de nouveau un Esprit d’esclavage dans la crainte, mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils de Dieu. He 12, 22 : Vous êtes parvenus au mont Sion et à la cité du Dieu vivant, Jérusalem. Ainsi donc, parce que l’origine de la loi nouvelle se trouve dans l’amour, [Jésus] devait nourrir ses disciples d’un certain amour. C’est pourquoi il s’appelle l’époux, et [appelle] ses disciples, les compagnons de l’époux, car ce sont là des noms d’amour. Ainsi, «il est bon que je les garde ; je ne veux donc pas leur imposer quelque chose de lourd, de crainte qu’ils n’aient de l’aversion et ne s’éloignent à cause de cela». Et semblablement, ceux qui sont nouveaux dans les ordres religieux ne doivent pas être écrasés. C’est pourquoi Ambroise, dans le Livre sur les similitudes, reprend ceux qui chargent lourdement les novices. Et c’est cela que dit le Christ : LES COMPAGNONS DE L’ÉPOUX PEUVENT-ILS PLEURER, etc. ? comme s’il disait : «Il ne faut pas qu’ils jeûnent, mais qu’ils vivent plutôt dans une certaine douceur et dans l’amour, afin qu’ils accueillent ainsi ma loi dans l’amour», comme on lit en Rm 6, 4 : Comme le Christ est ressuscité des morts pour la gloire du Père, de même devons-nous avancer dans une vie nouvelle. C’est pourquoi de Pâques à la Pentecôte on ne jeûne pas, car l’Église célèbre alors la nouveauté de la loi.
1130. VIENDRONT LES JOURS, etc. Et cela, à la lettre. VIENDRONT LES JOURS, lorsque, par vos soins, L’ÉPOUX LEUR SERA ENLEVÉ, ET ALORS ILS JEÛNERONT. Et [Jésus] leur prédit cela lorsqu’il dit, Jn 16, 20 : Vous pleurerez, mais le monde se réjouira. En effet, ceux qui ont vécu avant le Christ ont désiré la présence du Christ, tels Abraham, Isaïe et les autres prophètes. De même, après sa mort, [sa présence] fut désirée par les apôtres. C’est pourquoi Pierre fut comme continuellement attristé de l’absence du Christ ; et Paul disait : Je désire disparaître et être avec le Christ [Ph 1, 23]. Ainsi, c’était alors le temps de jeûner. Une autre raison pour laquelle ils ne sont pas tenus de jeûner en la présence [du Christ] est qu’il faut choisir de jeûner parce que [le jeûne] châtie la chair pour qu’elle ne s’élève pas contre l’esprit. Mais, alors que [Jésus] était présent, il les gardait de l’excès. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’ils jeûnent, selon Jn 17, 12 : Père, alors que j’étais avec eux, je les protégeais. Mais Jean Baptiste n’avait pas cette puissance. C’est pourquoi ses disciples devaient jeûner. Mais lorsque le Christ fut enlevé, il devint nécessaire que [les disciples] jeûnent, selon ce que dit Paul, 1 Co 9, 7 : Je châtie mon corps et le soumets à la servitude, etc.
1131. PERSONNE NE RAJOUTE UNE PIÈCE DE DRAP NOUVEAU À UN VIEUX VÊTEMENT. Ici, [Jésus] donne une autre raison du point de vue des disciples, et il donne deux exemples : l’un, selon Augustin, l’autre, selon Jérôme.
1132. Ainsi, selon Augustin, [Jésus] veut dire : il a été dit qu’en présence du Christ, les disciples ne devaient pas jeûner, et pas davantage en raison de leur condition, car on ne doit pas imposer de fardeaux aux imparfaits. Comme [les disciples] sont imparfaits, on ne doit donc pas leur imposer de jeûne. Pour indiquer cela, [Jésus] l’aborde sous la métaphore du vêtement et du vin. Parce que la justice consiste dans des œuvres extérieures et dans le renouvellement intérieur, [Jésus] donne donc deux exemples. Il dit ainsi : PERSONNE NE RAJOUTE, etc., comme si on voulait ajouter une nouvelle pièce, on ne ferait pas UNE REPRISE. UNE PIÈCE DE DRAP NOUVEAU, à savoir, [d’une étoffe] nouvelle et du vieux vêtement, parce que cela en enlèverait la beauté. Ainsi, si quelqu’un d’imparfait a une certaine habitude de vie, si tu veux lui imposer un autre joug, il s’éloigne de ce qu’il avait coutume [de faire], ET LA DÉCHIRURE S’AGGRAVE, comme il est dit plus loin [9, 16]. ET ON NE MET PAS DE VIN NOUVEAU DANS DE VIEILLES OUTRES. [Jésus] donne ici un autre exemple, celui du vin, comme s’il disait : «Mes disciples sont comme de vieilles outres. Le vin nouveau est la loi nouvelle en raison de sa nouveauté.» Ainsi, lorsqu’ils reçurent l’Esprit Saint, on dit qu’ils étaient pleins de vin doux, Ac 2, 13. ON NE VERSE DONC PAS LE VIN NOUVEAU DANS DE VIEILLES OUTRES, AUTREMENT, LES OUTRES ÉCLATENT. Ainsi, si tu imposes une nouvelle façon de vivre à un homme âgé, qui parfois a une autre habitude, il a le cœur brisé par l’intolérance. De même, LE VIN SE RÉPAND, c’est-à-dire qu’il n’est pas conservé, ET LES OUTRES SONT PERDUES, parce qu’on a foulé aux pieds les commandements de Dieu, et c’est pourquoi ELLES SONT PERDUES. MAIS ON VERSE LE VIN NOUVEAU DANS DES OUTRES NEUVES, en renouvelant la doctrine spirituelle dans son coeur, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 2, 13 : Exprimant des choses spirituelles en termes spirituels ; Pr 2, 10 : Si la sagesse entre dans ton cœur et si la science fait les délices de ton âme, elle te gardera, et la sagesse sera à ton service pour t’écarter du mauvais chemin et de l’homme qui raconte des choses perverses, etc.
1133. Jérôme donne une autre interprétation, car, par le vieux vêtement, [Jésus] désigne les usages des Pharisiens, et par le nouveau, la doctrine évangélique. Comme s’il disait : «Il n’est pas bon qu’ils suivent vos enseignements parce qu’alors ils feraient des déchirures anciennes, et ainsi ne pourraient accueillir la doctrine nouvelle, comme nous constatons que celui qui n’est pas imbu de la doctrine contraire accueille plus facilement une nouvelle doctrine, que celui qui en est imbu. Et ainsi, il n’est pas bon qu’ils soient imbus de votre doctrine.»
1134. [Matthieu] a présenté les miracles par lesquels sont apportés des remèdes aux dangers du péché ; ici, il présente [les miracles] par lesquels sont apportés des remèdes aux dangers de mort. Et cela est divisé en deux parties : en premier lieu, il raconte comment [Jésus] a redonné la vie [9, 19-26] ; en second lieu, comment [il a redonné] les fonctions de la vie, en cet endroit : COMME JÉSUS S’EN ALLAIT DE LÀ [9, 27s].
1135. À propos du premier point, l’invitation à faire un miracle est d’abord présentée ; deuxièmement, [est présentée] une indication, en cet endroit : VOICI QU’UNE FEMME, etc. [9, 20] ; troisièmement, [est présentée] la préparation du miracle, en cet endroit : MAIS QUAND ON EUT CHASSÉ LA FOULE [9, 25].
1136. À propos du premier point, [Matthieu] fait quatre choses. En premier lieu, le moment de l’invitation est décrit ; deuxièmement, la personne qui invite ; troisièmement, l’invitation ; quatrièmement, l’acceptation de l’invitation.
1137. [Matthieu] dit donc : TANDIS QU’IL PARLAIT, c’est-à-dire, dans la maison de Matthieu. Mais il y a une objection, car Marc et Luc présentent [les choses] dans un autre ordre, à savoir que [le chef de la synagogue] s’approcha de Jésus après qu’il eut traversé. Augustin donne la solution : lorsque, chez les évangélistes, est mentionné quelque chose qui se rapporte au moment, s’il est indiqué que cela [se passait] immédiatement, cela indique l’ordre de l’histoire. Ainsi, lorsqu’on dit ici : TANDIS QU’IL PARLAIT, l’ordre de l’histoire est indiqué. Mais, chez Marc et chez Luc, on s’en rapporte à l’ordre dans lequel ils se sont souvenus. Ou bien on peut dire qu’il y eut un endroit intermédiaire où ceci se produisit. En effet, parfois [les évangélistes] ne disent pas si une chose s’est passée aussitôt après ou quand [elle s’est passée].
1138. Vient ensuite : VOICI QU’UN CHEF. Ici est présentée la personne qui invite, à savoir, le chef de la synagogue, et Jaïre veut dire «éclairant» ou «illuminé», Gn 23, 6 : Le prince de Dieu est parmi nous. Vient ensuite l’invitation, et [le chef] fit deux choses : premièrement, il manifesta du respect, car il S’APPROCHA en personne ; de plus, IL SE PROSTERNA. De même, il confesse le pouvoir [de Jésus], car il dit : SEIGNEUR. Ce chef signifie les pères anciens, car ceux-ci se sont approchés par le désir et se sont prosternés en croyant que le Christ allait venir, Ps 131[132], 7 : Nous nous prosternerons à l’endroit où ses pieds se sont posés. De même, ils confessaient : Sachez que le Seigneur lui-même est Dieu ; Ps 99[100], 3.
1139. Vient ensuite le danger : MA FILLE VIENT DE MOURIR. On trouve le contraire en Lc 8, 41 et en Mc 5, 22, car il est dit en cet endroit : Ma fille se meurt. Et alors qu’ils faisaient route, des serviteurs vinrent à leur rencontre, etc. Augustin donne la solution : lorsque ce Jaïre était parti, elle était déjà à la dernière extrémité et il croyait qu’il ne la retrouverait pas vivante ; c’est pourquoi il demanda plutôt [à Jésus] de venir pour la ressusciter que pour la guérir. Ainsi, [le chef] dit : MA FILLE VIENT DE MOURIR, etc., comme s’il disait : «Je crois qu’elle est déjà morte.» Les autres [Marc et Luc] ont raconté ce qui est arrivé, mais Mathieu s’en rapporte à l’intention. Ainsi, Augustin donne le bon enseignement qu’«il n’est pas nécessaire que les mêmes paroles soient rapportées, mais qu’il suffit que seule l’intention soit formulée».
1140. Mais pourquoi les serviteurs dirent-ils : NE DÉRANGE PAS LE MAÎTRE ? Il semble que ceci ait été un manque de foi. Il faut dire que cela serait vrai s’ils avaient exprimé l’intention du maître ; mais ils ne connaissaient pas son intention. Chrysostome l’interprète ainsi : «Certains ont coutume d’exagérer le mal, lorsqu’ils veulent susciter la compassion.» Ainsi, afin d’émouvoir [Jésus] davantage, [le chef] dit : ELLE EST MORTE. Cette fille est la synagogue, qui est la fille du chef, à savoir, Moïse, qui est morte à cause de son infidélité, Lc 19, 42 : Maintenant est cachée à tes yeux, etc. Mais il semble y avoir de la foi mêlée à l’infidélité, car le fait qu’il croyait qu’elle ressusciterait relevait de la foi, mais le fait qu’il croyait que [Jésus] ne pourrait pas [la ressusciter], s’il était absent, relevait de l’infidélité. Ainsi, ce [chef] paraît ressembler à Naaman, qui disait : Je pensais qu’il viendrait vers moi et que, debout, il invoquerait le nom de son Dieu, et qu’il toucherait de sa main l’endroit couvert de lèpre et me guérirait, etc., 4 R [2 R] 5, 11. MAIS VIENS, IMPOSE-LUI TA MAIN, ET ELLE VIVRA. Au sens mystique, ceci indique le désir qu’avaient les pères de la venue du Christ ; ainsi, ils disaient : VIENS, IMPOSE TA MAIN. Il s’agit du Christ, comme dans Ps 143[144], 7 : Étends ta main d’en haut.
1141. ET JÉSUS, SE LEVANT, LE SUIVIT. SE LEVANT, à savoir, du repas. Ici, on a un enseignement sur la miséricorde de Dieu, car, à la demande [du chef], il se leva aussitôt, comme il est dit dans Is 30, 19 : Dès qu’il entend, le Seigneur te répond. De même, [Jésus] donne un exemple de sollicitude aux prélats, afin qu’ils viennent au secours des péchés dès qu’ils sont sollicités. De même, il donne un enseignement sur l’obéissance, car il amena ses disciples avec lui, comme il est dit en He 13, 7 : Obéissez à vos supérieurs. Mais il n’amena pas Matthieu, parce qu’il était encore faible.
1142. ET VOICI QU’UNE FEMME. [Jésus] donne un exemple de puissance, et il fait trois choses : premièrement, la maladie [de la femme] est décrite [9, 20] ; deuxièmement, la louange de la femme, en cet endroit : ELLE SE DISAIT, etc. [9, 21] ; troisièmement, la bonté du Christ qui guérit, en cet endroit : ET JÉSUS, S’ÉTANT RETOURNÉ, etc. [9, 22]
1143. [Matthieu] dit donc : ET VOICI QU’UNE FEMME. Comme on le lit en Lv 12, la femme qui souffrait d’hémorragie était impure et n’habitait pas avec les hommes. C’est pourquoi elle ne s’approcha pas de la maison, mais sur la route. Et elle signifie les Gentils, qui sont entrés dans la plénitude des Juifs, comme on le trouve en Rm 11, 25 : L’aveuglement est survenu pour une partie d’Israël jusqu’à ce que la plénitude des Gentils entre. Celle-ci, à savoir, la synagogue, a une hémorragie, à savoir, l’erreur du sang des [animaux] immolés. Ou bien on pourrait mettre cela en rapport avec les péchés de la chair. Ainsi la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, 1 Co 15, 50.Cette femme SOUFFRAIT DEPUIS DOUZE ANS, et la fille du chef [de synagogue] avait douze ans. Elle avait ainsi commencé à souffrir lorsque la fille du chef était née.
1144. ELLE APPROCHA PAR DERRIÈRE ET TOUCHA LA FRANGE DE SON VÊTEMENT. Ici est indiqué l’éloge de la femme en raison de son humilité et de la foi qui est la plus importante pour être exaucé. ELLE S’APPROCHA ET TOUCHA LA FRANGE PAR DERRIÈRE. Pourquoi par derrière ? Parce qu’elle était considérée comme impure. Ainsi, tout ce qu’elle touchait étant impur selon la loi, elle craignait que [Jésus] ne la repousse. De même, elle n’osa toucher que la frange. Dans la loi, il était prescrit de porter des franges aux quatre coins du vêtement, et on y mettait une clochette pour se rappeler les commandements de Dieu et pour que ceux-ci soient reconnus par les autres ; et le Christ portait ce vêtement. Au sens mystique, cela signifie les Gentils, qui ont eu accès à la foi. Mais, PAR DERRIÈRE, parce que [cela ne se produisit pas] du vivant [de Jésus]. De même, [les Gentils] touchèrent le vêtement, c’est-à-dire l’humanité, et seulement la frange, car [ils n’y eurent accès] qu’à travers les apôtres.
1145. ELLE SE DISAIT EN ELLE-MÊME : «SI SEULEMENT JE TOUCHE SON MANTEAU, JE SERAI SAUVÉE.» Hilaire dit : «Grande est la puissance du Christ, car elle n’existe pas seulement dans l’âme, mais à partir de l’âme dans le corps, et à partir du corps elle se répand dans les vêtements.» Ainsi, nous devons avoir du respect pour tout ce qui a touché le corps du Christ, Ps 132[133], 2 : Comme l’huile qui coule sur la barbe, sur la barbe d’Aaron, qui coule sur le bord de son vêtement, etc. Qui coule sur la barbe, à savoir, la divinité sur la chair ; et sur le bord du vêtement, à savoir, sur les apôtres. Si nous agissons ainsi et nous attachons à lui, nous serons sauvés : Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés [Jl 2, 32].
1146. MAIS JÉSUS, SE TOURNANT VERS ELLE, LA VIT ET LUI DIT : «AIE CONFIANCE…». Ici est présentée la bonté du Christ. En premier lieu, elle est montrée par un geste, car SE TOURNANT VERS ELLE. Et pourquoi ? Afin qu’elle ne se méfie pas. En effet, comme elle s’était approchée en cachette, elle ne pensait pas qu’il se retournerait vers elle. De même, afin que soit donnée comme exemple la foi de celle-ci. Aussi, pour montrer qu’il était Dieu. Ainsi, il se tourna, comme celui qui se tourne par miséricorde, et la regarda d’un œil plein de bonté, Za 1, 3 : Tournez-vous vers moi, et je me tournerai vers vous. De même, sa bonté est montrée par la parole, lorsqu’il dit : AIE CONFIANCE. Comme elle s’était approchée dans la crainte, il lui parle donc avec délicatesse, Is 30, 15 : Si vous revenez et vous reposez, vous serez sauvés. Aussi, [Jésus] l’appelle FILLE, afin qu’elle ne se méfie pas, Jn 1, 12 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. De même, [Jésus] lui donne espoir : TA FOI T’A SAUVÉE. Ainsi, notre salut vient de la foi, comme on le trouve en Rm 3, [22].
1147. Vient ensuite l’effet : ET LA FEMME FUT SAUVÉE À PARTIR DE CE MOMENT, non pas à partir du moment où le Christ a parlé, mais à partir du moment où elle a touché.
1148. ARRIVÉ À LA MAISON DU CHEF ET VOYANT LES JOUEURS DE FLÛTE, etc. Ici est présenté le rappel à la vie, et [Jésus] fait quatre choses : premièrement, les symptômes de la mort sont décrits [9, 23] ; deuxièmement, l’espoir est donné, en cet endroit : RETIREZ-VOUS, etc. [9, 24] ; troisièmement, le rappel à la vie est présenté ; quatrièmement, l’effet est présenté.
1149. [Matthieu]
dit donc : ARRIVÉ À LA MAISON ET VOYANT, etc. Et pourquoi les joueurs de
flûte étaient-ils venus ? Une foule était venue, comme c’est parfois la
coutume lorsqu’il y a des morts, mais des joueurs de flûte, parce que c’était
la coutume que viennent des joueurs de flûte, qui chantaient aussi des chants
de deuil pour inciter les autres à pleurer, comme on le voit dans
Jr 9, 17 : Regardez et
appelez les pleureuses, et qu’elles viennent. Ces joueurs de flûte sont les
faux docteurs : En effet, leur
langue et leurs inventions sont opposées au Seigneur et elles provoquent le
regard de sa majesté. La foule est le peuple juif :
Ex 33, 2 : Ne suis pas la
foule en faisant le mal.
1150. Le Seigneur a rappelé cette [jeune fille] à la vie dans la maison. En effet, le Seigneur a rappelé trois [personnes] à la vie : une jeune fille à la maison, un jeune homme près d’une porte et Lazare au sépulcre. Car certains meurent par le péché, mais ne sont pas portés dehors : cela se produit lorsqu’ils consentent au péché, mais ne sortent pas à l’extérieur par des œuvres. Un autre est porté à l’extérieur par l’acte : et celui-ci est indiqué par celui qu’il rappelle à la vie près de la porte. Mais un autre repose au sépulcre par l’habitude : il est signifié par Lazare. Cette jeune fille signifie donc le pécheur dont le péché est occulte, c’est-à-dire dans l’esprit. Les joueurs de flûte sont ceux qui l’incitent au péché, Ps 10, 3 : Le pécheur est loué pour les désirs de son âme. La foule, ce sont les pensées.
1161. Le Seigneur guérit cette [jeune fille]. Il dit donc : RETIREZ-VOUS, CAR ELLE N’EST PAS MORTE. Ici, il donne l’espoir : ELLE N’EST PAS MORTE, à savoir, pour lui, MAIS ELLE DORT, parce qu’il lui est aussi facile de la rappeler à la vie que de tirer quelqu’un du sommeil. On a quelque chose de semblable dans Jn 11, 11 : Notre ami Lazare dort, etc. ELLE N’EST PAS MORTE. Et pourquoi [Jésus] parle-t-il de cette façon ? Parce qu’ILS SE MOQUAIENT DE LUI. Mais pourquoi voulut-il qu’on se moquât de lui ? Cela arriva afin qu’ils ne puissent parler contre le miracle. C’est pourquoi il fit d’abord en sorte que les adversaires confessent, afin qu’ils ne puissent s’opposer par la suite.
1152. MAIS, QUAND ON EUT MIS LA FOULE DEHORS, IL ENTRA. Et pourquoi la foule fut-elle écartée ? Parce qu’elle n’était pas digne de voir. La foule, ce sont les Juifs qui ne se convertissent pas. Au sens moral, pour que l’âme soit rappelée à la vie, il faut qu’elle écarte la foule des pensées, et alors entre le Seigneur. IL ENTRA ET LUI PRIT LA MAIN, etc. Ps 117[118], 16 : La droite du Seigneur a déployé sa force. [Le Seigneur] tient la main du pécheur lorsqu’il lui apporte [son] aide. ET LA JEUNE FILLE SE LEVA, à savoir, pour vivre. De même [nous relevons-nous] du péché avec l’aide de Dieu.
1153. Vient ensuite la divulgation dans toute la région.
1154. On a montré plus haut comment [le Seigneur] a redonné la vie ; ici, on indique comment il a donné les fonctions de la vie. Premièrement, on indique comment il a redonné la vue [9, 27s] ; deuxièmement, comment [il a redonné] la parole, en cet endroit : MAIS EUX, ÉTANT SORTIS, etc. [9, 31].
1155. Et, en premier lieu, [Matthieu] fait quatre choses. Premièrement, la demande des aveugles est présentée [9, 27] ; deuxièmement, l’examen des croyants, en cet endroit : ET [JÉSUS] LEUR DIT, etc. [9, 28] ; troisièmement, l’exaucement, en cet endroit : ALORS, IL LEUR TOUCHA LES YEUX [9, 29] ; quatrièmement, l’enseignement à ceux qui voyaient, en cet endroit : ET [JÉSUS] S’ADRESSA À EUX SÉVÈREMENT [9, 30].
1156. À propos de la demande de ces [aveugles], nous pouvons relever cinq choses, qui rendent la demande susceptible d’être exaucée. Premièrement, [les aveugles] choisirent un moment propice pour demander : ALORS QUE JÉSUS S’EN ALLAIT DE LÀ. Et, par cela, est signifié le temps de l’incarnation, qui est le temps de la miséricorde. Ainsi, en Ps 101[102] 14 : Car le temps de faire miséricorde est venu. Et ainsi, ils furent mieux écoutés, comme on lit dans He 5, 7 : Il a été entendu en raison du respect qu’il a montré. De même, afin d’obtenir, ILS LE SUIVIRENT. En effet, ceux qui ne suivent pas Dieu dans l’obéissance n’obtiennent pas. DEUX AVEUGLES. Ces deux aveugles sont deux peuples, celui des Juifs et celui des Gentils. Sont en effet aveugles ceux qui n’ont pas la foi. À leur sujet, il est dit dans Is 59, 10 : Nous avons tâté le mur comme des aveugles. De même, la ferveur de la dévotion est nécessaire. On dit ainsi qu’ils CRIAIENT, comme on lit dans Ps 119, 1 : J’ai crié vers le Seigneur dans mes tribulations, et il m’a écouté. [Est aussi requise] l’humilité de ceux qui demandent, lorsqu’on dit : ILS DISAIENT : «FILS DE DAVID, AIE PITIÉ DE NOUS.» Dn 9, 17 : Ô notre Dieu, écoute la prière de ton serviteur. De même, est indiquée leur foi, parce qu’ils l’appellent fils de David, et celle-ci est nécessaire, comme on lit dans Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi et sans hésitation.
1157. Ensuite, [Jésus] examine les demandeurs. Premièrement par un geste : en reportant leur exaucement. En effet, c’est lorsqu’elle n’est pas immédiatement exaucée qu’une foi solide est manifestée. Ha 2, 3 : S’il tarde, attends-le, car il viendra.
1158. Ainsi, il les conduisit jusqu’à la maison : LORSQUE JÉSUS FUT ARRIVÉ À LA MAISON, etc. Par cette maison, est signifiée l’Église, car celle-ci est la maison de Dieu ou le ciel. Ps 113, 16 : Les cieux pour le Seigneur.
1159. De même, [Jésus] les examine par la parole : CROYEZ-VOUS QUE JE PEUX FAIRE CELA POUR VOUS ? Et il ne demande pas cela comme s’il l’ignorait, mais afin que leur mérite soit accru. Rm 10, 10 : Car la foi du cœur obtient la justice et la confession des lèvres, le salut. De même, [Jésus] leur pose la question afin que [leur] foi soit montrée aux autres et que ceux-ci sachent qu’il les a éclairés. De même, il leur pose la question pour les conduire à des choses plus grandes. En effet, ils avaient confessé une grande chose, qu’il était le fils de David. Mais cela ne suffisait pas. C’est pourquoi il leur demande davantage : CROYEZ-VOUS QUE JE PEUX FAIRE CELA ? à savoir, par mon propre pouvoir, qui appartient à Dieu seul. ILS LUI DIRENT : «OUI, SEIGNEUR.» Ainsi, ils l’appellent seulement Seigneur, ce qui est propre à Dieu seul.
1160. Vient ensuite l’exaucement : premièrement, la guérison est indiquée [9, 29] ; deuxièmement, l’effet de la guérison, en cet endroit : ET LEURS YEUX S’OUVRIRENT [9, 30].
1161. La guérison est présentée : IL TOUCHA LEURS YEUX EN DISANT. Ainsi, il toucha et il parla. Les deux choses suffisaient par elles-mêmes ; toutefois, il fit les deux afin qu’il soit indiqué que la cécité était éclairée par le Verbe incarné, Jn 1, 14 : Le Verbe est devenu chair et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire. Ainsi, [Jésus] dit : QU’IL VOUS ADVIENNE SELON VOTRE FOI, car sont à juste titre éclairés ceux qui étaient aveugles sans la foi.
1162. Vient ensuite l’effet : ET LEURS YEUX S’OUVRIRENT. Premièrement, [Jésus] donne donc la lumière ; et ainsi, la vie était la lumière des hommes [Jn 1, 4]. Is 35, 4 : Lui-même viendra et nous sauvera.
1163. Vient ensuite l’enseignement. C’est pourquoi [Matthieu] dit : ET IL S’ADRESSA À EUX SÉVÈREMENT. Et pourquoi cela ? En effet, ailleurs, il est dit : Va vers les tiens et annonce le royaume de Dieu. Chrysostome [écrit] : «Dans ce que nous faisons de bien, nous pouvons considérer deux choses : ce qui est de Dieu et ce qui est de nous. Ce qui est de nous, nous devons le cacher ; ce qui est de Dieu, nous devons le révéler», comme Paul, Ph 2, [4] ; plus haut, [Mt] 5, 16 : Afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. [Jésus] leur dit donc : PRENEZ GARDE QUE PERSONNE NE SACHE, afin d’enseigner à éviter la vaine gloire.
1164. Mais ceux-ci, se rappelant le bienfait reçu, RÉPANDIRENT SA RENOMMÉE, comme on le lit dans Is 63, 7 : Je rappelle les bienfaits du Seigneur. Mais est-ce que ceux-ci n’ont pas péché en agissant contre le commandement du Seigneur ? Je dis que non, car ils ont agi de bonne foi et pour montrer combien la sainteté du Seigneur était grande.
1165. COMME ILS SORTAIENT, VOILÀ QU’ON LEUR PRÉSENTA UN MUET. Plus haut, le Seigneur a rendu la vue à un aveugle ; maintenant, il rend la parole à un muet. Et cela est suffisamment relié, car la parole est le signe de la vision intérieure. Is 35, 4 : Il viendra et il nous sauvera. Et alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds entendront. Et sur ce point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, le malade est décrit [9, 32] ; deuxièmement, la guérison est indiquée, en cet endroit : ET LE DÉMON UNE FOIS EXPULSÉ, LE MUET PARLA [9, 33] ; troisièmement, [est décrit] l’effet de la guérison, en cet endroit : ET LES FOULES ÉTAIENT DANS L’ADMIRATION [9, 33].
1166. [Matthieu] dit donc : COMME ILS SORTAIENT, etc. La foi n’est pas exigée de ce [malade], comme pour les précédents, parce qu’il était possédé du Démon ; il n’était donc pas maître de lui-même. C’est pourquoi [Jésus] ne s’enquit pas de sa foi. Ce [malade] signifie le peuple des Gentils, qui était muet pour la louange. Ps 78[79], 6 : Répands ta colère sur les nations qui ne t’ont pas reconnu. De même, ceux-ci ont un démon, parce qu’ils immolent aux démons, Ps 95[96], 5 : Tous les dieux des nations sont des démons. Ainsi donc, comme un bon médecin, [Jésus] guérit d’abord la cause, et ensuite la maladie, car il chasse d’abord le démon, et ainsi, LE DÉMON UNE FOIS CHASSÉ, LE MUET PARLA. Ainsi, le Gentil, libéré de l’esclavage des idoles, parla comme le muet, à savoir [qu’il proclama] la gloire de Dieu : Afin que toute langue confesse que le Seigneur Jésus, le Christ, est dans la gloire du Père, etc., Ph 2, 11.
1167. ET LES FOULES ÉTAIENT DANS L’ADMIRATION. Ainsi, elles s’émerveillaient de ce qu’elles voyaient. Et parce qu’elles s’émerveillaient, elles disaient : «Y A-T-IL JAMAIS EU QUELQUE CHOSE DE SEMBLABLE EN ISRAËL !» Il est vrai que Moïse a fait des miracles, et aussi d’autres ; mais il n’y en eut pas de tels, à savoir, qui en firent autant. De même, [il n’y eut personne qui fit de tels miracles] seulement en touchant ou de manière immédiate, de telle sorte que ceci convienne [au Seigneur] : Qui est semblable à toi parmi les puissants, Seigneur, qui est semblable à toi ? comme on le lit dans Ex 15, 11 et Jn 10, 25 : Les œuvres que je fais témoignent en ma faveur. De même, [le Seigneur] guérit par la foi, ce que la loi ne peut pas faire, comme on le lit dans Rm 8, 2 : La loi est l’Esprit de vie qui m’a libéré dans le Christ Jésus de la loi du péché, ce qui est impossible pour la loi.
1168. MAIS LES PHARISIENS DISAIENT. Les Pharisiens, mot qui signifie «séparés», parce qu’ils interprétaient de manière perverse, comme dans Si 11, 33 : Ils transforment le bien en mal. C’est pourquoi ils disaient : «C’EST PAR LE PRINCE DES DÉMONS QU’IL CHASSE LES DÉMONS.» Ici, Augustin dit qu’il faut remarquer que le Christ a fait le même miracle deux fois. Et cela est clair, car les évangélistes s’expriment de manière différente. Ainsi, lorsque nous trouvons que certaines choses se contredisent presque, nous pouvons les rapporter à l’un ou à l’autre [miracle], en disant qu’il s’agit d’un autre miracle.
1169. On a montré comment [Jésus] était venu au secours de ceux qui accouraient ; ici, [Matthieu] montre qu’il allait vers eux, et il fait ici deux choses. Premièrement, [il montre] comment il accordait à certains un résultat [9, 35] ; deuxièmement, comment [il exprimait] son affection, en cet endroit : À LA VUE DES FOULES, IL EN EUT PITIÉ [9, 36].
1170. À propos du premier point, [Matthieu] montre premièrement l’endroit où [Jésus] a apporté une aide ; deuxièmement, ce que [Jésus] enseigna ; troisièmement, ce qu’il fit.
1171. [Matthieu] dit donc : JÉSUS PARCOURAIT TOUTES LES VILLES ET LES VILLAGES. En cela, un exemple est donné aux prédicateurs, de sorte qu’ils ne se satisfassent pas de prêcher en un seul endroit. Jn 15, 16 : Je vous ai établis afin que vous alliez et portiez du fruit, etc. TOUTES LES VILLES ET LES VILLAGES. Cela est cohérent par rapport à ce qui précède. Parce que [les Pharisiens] disaient qu’il chassait les démons par le prince des démons, [Jésus] montre donc qu’il n’a pas de démon qui lui soit rattaché. Ps 119[110], 7 : Avec ceux qui haïssaient la paix, j’étais pacifique ; lorsque je leur parlais, ils s’en prenaient à moi sans raison.
1172. Vient
ensuite ce que [Jésus] annonçait. En effet, il faisait deux choses : IL
ENSEIGNAIT ET PRÊCHAIT DANS LEURS SYNAGOGUES. IL ENSEIGNAIT, pour ce qui se
rapportait à la foi ; IL PRÊCHAIT, pour ce qui se rapportait aux mœurs. De
même, [il agissait] ainsi devant un grand nombre, car [il le faisait] DANS
LEURS SYNAGOGUES. Ps 39[40], 10 : J’ai annoncé ta justice dans une grande assemblée. En quoi il se
distingue de l’enseignement des hérétiques, qui se fait de manière occulte. Il
en est autrement de l’enseignement du Christ, Jn 18, 0 : Je ne vous ai pas parlé en secret. De même, [Matthieu] aborde ce que
[Jésus] enseigne : LA BONNE NOUVELLE DU ROYAUME.
Jn 18, 37 : Je suis né et
je suis venu dans le monde afin de porter témoignage à la vérité, etc.
[Jésus] enseignait donc des réalités célestes. Is 48, 17 : Moi, le Seigneur, qui t’enseigne des choses
utiles.
1173. Ensuite, on montre par un geste ce que [Jésus] faisait : GUÉRISSANT TOUTE MALADIE ET TOUTE INFIRMITÉ. MALADIES, pour ce qui est des infirmités sérieuses ; INFIRMITÉS, pour les légères. Ps 102[103], 3 : Lui qui pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes infirmités. Et pourquoi cela ? Afin de confirmer par un miracle ce qu’il disait en parole, comme en Mc [16], 20 : Le Seigneur agissant avec eux et confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient. Afin aussi de donner aux prédicateurs l’exemple pour qu’ils agissent et enseignent. Ac 1, 1 : Jésus se mit à faire et à enseigner.
1174. Ici, [Matthieu] montre comment le Seigneur a manifesté son affection à certains, et cela, à l’encontre d’autres : on pensait en effet qu’aucun sentiment ne suffisait, mais qu’un résultat était nécessaire. Mais ici, [Matthieu] dit : À LA VUE DES FOULES, JÉSUS EUT PITIÉ D’ELLES. Et, en premier lieu, il aborde la manière dont [Jésus] avait pitié ; deuxièmement, il donne un exemple.
1175. En premier lieu, [Matthieu] présente la miséricorde du Christ ; en second lieu, [sa] cause.
1176. [Matthieu] dit donc : À LA VUE, etc., c’est-à-dire en les considérant avec compassion, IL EUT PITIÉ D’ELLES, car il lui est propre d’être miséricordieux, Ps 144[145], 9 : Sa miséricorde dépasse toutes ses œuvres. David désirait ce regard, lorsqu’il dit dans Ps 24[25], 16 : Regarde-moi et aie pitié de moi. Et de qui eut-il pitié ? De ceux qui étaient LAS des démons, et qui GISAIENT, c’est-à-dire, qui étaient PROSTRÉS par leurs infirmités. Ou bien encore, LAS de [leurs] erreurs, et PROSTRÉS à cause de leurs péchés, COMME DES BREBIS QUI N’ONT PAS DE BERGER. Ainsi, Pr 11, 14 : Là où il n’y a pas de chef, le peuple s’effondrera, etc. Et Ez 34, 5 : Les brebis ont été dispersées parce qu’elles n’avaient pas de pasteur ; et, chez le même, [34, 2] : Malheur aux pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Et Za 11, 17 : Malheur au pasteur et à l’idole qui délaisse son troupeau.
1177. [JÉSUS] DIT ALORS À SES DISCIPLES. Ici, [Jésus] en incite certains à prendre pitié, et il précise en premier lieu la cause [9, 37], puis, en second lieu, l’effet, en cet endroit : DEMANDEZ AU MAÎTRE DE LA MOISSON D’ENVOYER DES OUVRIERS POUR SA MOISSON [9, 38].
1178. Et [Jésus] donne deux causes : premièrement, la multitude de ceux qui cherchent le bien [9, 37] ; deuxièmement, le petit nombre de docteurs, en cet endroit : LES OUVRIERS SONT PEU NOMBREUX [9, 37].
1179. Nombreux étaient ceux qui s’étaient rassemblés. C’est pourquoi [Jésus] dit : LA MOISSON EST ABONDANTE. On ne parle pas de moisson lorsque le blé fleurit ou lorsqu’il est sur l’épi, mais lorsqu’il est déjà prêt à être cueilli. Ainsi les hommes étaient-ils déjà prêts à croire par l’œuvre des prédicateurs. On lit quelque chose de semblable en Jn 4, 35 : Levez les yeux et voyez le pays : comme la moisson est déjà blanche ! LES OUVRIERS SONT PEU NOMBREUX, c’est-à-dire les bons. C’est pourquoi l’Apôtre [dit], 1 Co 3, 9 : Nous sommes les collaborateurs de Dieu, accomplissant ce qui vous concerne.
1180. Et quoi ? DEMANDEZ AU MAÎTRE DE LA MOISSON D’ENVOYER DES OUVRIERS POUR SA MOISSON. Lorsque nous ne suffisons pas, nous devons recourir à Dieu, puisque la fonction de la prédication n’est pas efficace sans la prière. En effet, celui qui envoie des ouvriers, c’est le Seigneur. Ainsi, il est dit : Je vous ai envoyés [Lc 10, 3]. Et il demande qu’on le prie afin que notre mérite s’accroisse lorsque nous prions pour le salut des autres. De même, [le Seigneur] a fait en sorte que la sainteté des uns soit utile aux autres, 1 P 4, 10 : Chacun, selon la grâce reçue, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons intendants de la grâce multiforme de Dieu, etc. Ainsi, [le Seigneur] veut que tout ce qu’ils ont reçu en fait de grâce et de sainteté, ils le dispensent aux autres, et lui, à qui on demande, exauce. Il demande en effet qu’on lui demande de les envoyer. Rm 10, 15 : Comment prêcheront-ils s’ils ne sont pas envoyés ? L’autorité est obtenue ; de même en est-il de la grâce : La charité du Christ nous pousse [2 Co 5, 14]. De même, DEMANDEZ AU MAÎTRE DE LA MOISSON D’ENVOYER DES OUVRIERS, non pas des profiteurs qui corrompent par le mauvais exemple, POUR SA MOISSON, à savoir, la moisson de Dieu. Les profiteurs ne sont pas envoyés pour la moisson de Dieu, mais pour leur propre moisson, parce qu’ils ne cherchent pas la gloire de Dieu, mais leur propre profit.
Leçon 1
[Matthieu 10, 1‑15] 10, 1 Ayant appelé à lui ses douze disciples,
Jésus leur donna pouvoir de chasser les ennemis impurs, de façon à les expulser
et de guérir toute maladie et toute langueur. 10, 2 Les noms des douze
apôtres sont les suivants : le premier, Simon appelé Pierre, et André son
frère ; puis Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; 10, 3
Philippe et Bartholomée ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques,
fils d’Alphée, et Thaddée ; 10, 4 Simon le Cananéen et Judas
l’Iscariote, celui-là même qui l’a livré.
10 5 Ces douze, Jésus les
envoya en mission et il leur donna les prescriptions suivantes et leur
dit : «Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville
de Samaritains, 10, 6 Mais allez plutôt vers les brebis perdues de la
maison d’Israël. 10, 7 Chemin faisant, proclamez que le Royaume des Cieux
est proche. 10, 8 Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez
les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez
gratuitement. 10, 9 Ne possédez pas d’or, d’argent, ni de menue monnaie
pour vos ceintures, 10, 10 n’apportez pas de besace pour la route, ne
portez pas deux tuniques, ni sandales, ni bâton : car l’ouvrier mérite sa
nourriture.
10, 11 «En quelque ville
ou bourg que vous entriez, faites-vous indiquer qui en est digne et demeurez-y
jusqu’à ce que vous partiez. 10, 12 En entrant dans la maison,
saluez-la : 10, 13 si cette maison en est digne, votre paix viendra
sur elle ; si elle n’est pas digne, votre paix vous reviendra. 10, 14
Et si quelqu’un ne vous accueille pas et n’écoute pas vos paroles, sortez de
cette maison et de cette ville, secouez la poussière de vos pieds. 10, 15
En vérité, je vous le dis : le sort de Sodome et de Gomorrhe sera plus
supportable au jour du jugement que celui de cette ville-là.
Leçon 2 [Matthieu 10, 16‑37] 10, 16 «Voici que je vous
envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez prudents comme les
serpents et simples comme les colombes. 10, 17 Méfiez-vous des
hommes : ils vous livreront à leurs conseils [sanhédrins] et ils vous flagelleront
dans leurs synagogues ; 10, 18 et vous serez traduits devant des
gouverneurs et des rois, à cause de moi, et cela leur sera un témoignage contre
ceux-là et contre les païens. 10, 19 Mais, lorsqu’ils vous livreront, ne
cherchez pas avec inquiétude comment parler ou quoi dire : ce que vous
devrez dire vous sera donné sur le moment, 10, 20 car ce n’est pas vous
qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous.
10, 21 «Le frère livrera
son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront
contre leurs parents et les feront mourir. 10, 22 Et vous serez haïs de
tous à cause de mon nom, mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé.
10, 23 Si vous êtes pourchassés dans une ville, fuyez dans une autre, et
si l’on vous pourchasse dans celle-là, fuyez dans une troisième. En vérité, je
vous le dis : vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes d’Israël
avant que ne vienne le Fils de l’homme. 10, 24 «Le disciple n’est pas plus
grand que le maître, ni le serviteur plus grand que son patron. 10, 25 Il
suffit pour le disciple de ressembler à son maître, et le serviteur à son
patron. S’ils ont appelé Béelzéboul le maître de maison, que ne diront-ils pas
de sa maisonnée !
10, 26 «Ne les craignez
donc pas ! Il n’y a rien, en effet, de caché qui ne sera révélé, ni rien
de secret qui ne sera connu. 10, 27 Ce que je vous dis dans les ténèbres,
dites-le au grand jour ; et ce que vous entendez à votre oreille,
annoncez-le sur les toits. 10, 28 Je vous dis qu’il ne faut pas craindre
ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt qui
peut perdre et le corps et l’âme dans la géhenne. 10, 29 Ne vend-on pas
deux passereaux pour un as ? Et pas un d’entre eux ne tombera au sol à
l’insu de votre Père ! 10, 30 Et vous donc ! Les cheveux de
votre tête sont tous comptés ! 10, 31 Ne craignez donc pas ;
vous valez plus qu’un grand nombre de passereaux.
10, 32 «Quiconque
témoignera pour moi devant les hommes, moi aussi je témoignerai pour lui devant
mon Père qui est dans les cieux ; 10, 33 mais celui qui m’aura renié
devant les hommes, à mon tour je le renierai devant mon Père qui est dans les
cieux.
10, 34 «Ne croyez pas que je
sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la
paix, mais le glaive. 10, 35 Car je suis venu opposer l’homme à son père,
et la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : 10, 36 et on aura
pour ennemis les gens de sa famille. 10, 37 Celui qui aime son père ou sa
mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus
que moi n’est pas digne de moi.
Leçon 3,
[Matthieu 10, 38‑42] 10, 38 «Qui ne prend pas sa croix et ne me
suit pas n’est pas digne de moi. 10, 39 Qui a trouvé son âme la perdra et
qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.
10, 40 «Qui vous accueille
m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. 10, 41 Qui
accueillera un prophète en tant que prophète recevra une récompense de
prophète. Qui accueille un juste au nom d’un juste recevra une récompense de
juste. 10, 42 Et quiconque donnera à boire à l’un des plus petits, une
coupe d’eau fraîche, en tant qu’il est un disciple, en vérité je vous le dis,
il ne perdra pas sa récompense.»
1181. [Le Seigneur] avait proposé plus haut son enseignement ; ici, il établit [ses] ministres. Et ceux-ci sont décrits par leur nombre, par leur puissance et par l’ordre de leurs noms. Par leur nombre ; il dit ainsi : En AYANT APPELÉ DOUZE [10, 1]. Et pourquoi dit-il DOUZE ? Afin que soit montrée la conformité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, car, dans l’Ancien, il y eut douze patriarches ; de même, [les ministres] sont-ils douze. Seconde raison : afin que soit montrée leur puissance et leurs réalisations à venir. En effet, ce nombre est composé de la multiplication de quatre et de trois, quatre fois trois ou trois fois quatre. Par le nombre trois, la Trinité est désignée ; par le nombre quatre, le monde [est désigné]. Ainsi, il est indiqué que leur prédication devait s’étendre dans le monde entier. C’est pourquoi le Seigneur [dit], Mc 16, 15 : Allez dans le monde entier, prêchez l’évangile à toute créature, etc. C’était aussi pour indiquer la perfection, car le nombre douze est composé de deux fois six. En effet, le nombre six est un nombre parfait, puisqu’il est composé de toutes [ses] parties, car il vient d’un, de deux ou de trois, et ces parties, jointes les unes aux autres, donnent six. Ainsi, [le Seigneur] a appelé ce nombre [de disciples] pour indiquer la perfection, ci-haut, 5, 48 : Soyez parfaits comme votre Père est parfait.
1182. Il est ensuite question de leur puissance, car IL LEUR DONNA POUVOIR, etc. [10,1], afin qu’ils fassent ou puissent faire comme lui avait fait. Et non seulement ce qu’il avait fait, mais des choses encore plus grandes, Jn 14, 12. En effet, il n’est pas écrit que des malades étaient guéris par l’ombre du Christ, comme il est écrit que, par l’ombre de Pierre, nombreux étaient ceux qui étaient guéris, Ac 5, 15. DE CHASSER LES ENNEMIS IMPURS [10, 1]. [Le Seigneur] n’a donc pas voulu que ceux-ci [les chassent] comme lui, car lui [les] chassait en son propre [nom], et eux au nom du Christ. Ainsi [est-il écrit] en Mc 16, 17 : En mon nom ils chasseront les démons, etc. Et [il leur donna le pouvoir], non seulement de chasser les démons, mais aussi DE GUÉRIR TOUTE MALADIE [10, 1], comme on le lit en Mc 16, 18 : Ils imposeront les mains aux malades, et ceux-ci se trouveront bien. Mais si tu demandes pourquoi une telle puissance n’a pas été donnée aux prédicateurs, Augustin répond que le plus grand miracle a été manifesté, à savoir que le monde entier a été converti. Ainsi donc, ou bien des miracles se sont produits, et alors j’obtiens ce qui a été dit ; sinon, c’est le plus grand [miracle] que, par douze pêcheurs de la plus basse condition, le monde entier ait été converti.
1183. Vient ensuite l’ordre des noms. Et pourquoi ? Afin que, s’il se trouvait un pseudo-prophète qui se dirait apôtre, on ne le croie pas. C’est pour cette raison que la Lettre sur le fondement de Manès a été rejetée. Et il faut remarquer que [le Seigneur] les associe toujours par deux. Et pourquoi ? Parce que le nombre deux est le nombre de la charité. Aussi, partout où [le Seigneur] indique quelqu’un qui porte deux noms, il indique quelque chose qui le différencie. De même, il faut savoir que [le Seigneur] ne respecte pas l’ordre de dignité ; cependant, Pierre est toujours placé en premier, lui qui se nomme aussi SIMON [Mt 10, 2], c’est-à-dire «celui qui obéit» – c’est pourquoi il est dit en Pr 21, 28 : L’homme obéissant l’emportera. PIERRE vient de «pierre», en raison de sa faiblesse, et Céphas est un nom syriaque, et non hébreu. ANDRÉ [signifie] «ce qui est viril». Ainsi, il est dit en Ps 6[27], 14 : Agis avec force et ton cœur sera réconforté. PHILIPPE veut dire «ouverture de la lampe», et tel doit être le prédicateur, Ps 118[119], 140 : Ta parole est puissamment enflammée. BARTHOLOMÉE [signifie] «fils de celui qui retient les eaux», et c’est ainsi que s’appelle le Christ, dont [il est dit] en Jb 26, 8 : Lui qui retient les eaux dans ses nuées. JACQUES, FILS DE ZÉBÉDÉE, qui fut tué par Hérode, et qui signifie «celui qui supplante». JEAN, qui signifie «grâce», 1 Co 15, 10 : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. [Matthieu] ne suit pas l’ordre de dignité, comme Marc.
1184. De même, THOMAS ET MATTHIEU. Les autres [évangélistes] ne précisent pas «le publicain», mais [Matthieu] le précise par humilité. De même, les autres placent Matthieu avant Thomas ; [Matthieu] fait le contraire. THOMAS signifie «abîme», en raison de la profondeur de sa foi. MATTHIEU [signifie] «donné», comme on lit en Ep 4, 32 : Donnez-vous les uns aux autres comme le Christ vous a donné. JACQUES, FILS D’ALPHÉE, pour le distinguer de l’autre. Celui-ci est appelé le frère du Seigneur parce qu’il était son cousin germain. Et THADDÉE, le frère de Jacques. Et on l’appelle Jude, l’auteur de la lettre, et on lui donne le sens de «cœur». Pr 4, 23 : Mets tout ton soin à garder ton cœur.
1185. SIMON LE CANANÉEN, du village de Cana. Et JUDAS L’ISCARIOTE, pour le distinguer de l’autre Judas [Jude], et son nom vient soit d’un village, soit d’une famille de la tribu d’Issachar, et il signifie «mort». CELUI QUI L’A LIVRÉ. Et pourquoi [Matthieu] précise-t-il ? Afin d’enseigner que l’état conféré par une dignité ne sanctifie pas un homme. Il y a aussi une autre raison : afin de signaler qu’il ne se trouve guère de groupe sans méchant. Cette précision est donnée pour montrer que parfois il n’y a pas de bons sans méchants. Ct 2, 2 : Comme le lis parmi les épines, telle est mon amie parmi les filles. Et Augustin [écrit] : «Ma maison n’est pas meilleure que celle du Seigneur.»
1186. Dieu choisit CES DOUZE et les établit comme dispensateurs de la Sainte Écriture. IL LEUR DONNA LES PRESCRIPTIONS SUIVANTES ET LEUR DIT, etc. Ici, [le Seigneur] présente l’enseignement qu’il leur donne. Et d’abord, il les instruit par la parole [10, 5s] ; en second lieu, par l’exemple, en cet endroit : ET IL ADVINT, QUAND JÉSUS EUT TERMINÉ, etc. [11, 1].
1187. [Il les instruit] par la parole de trois façons : premièrement, au sujet de leur fonction ; deuxièmement, au sujet de [leurs] frais ; troisièmement, au sujet des dangers. Le second point [se trouve] en cet endroit : NE VOUS PROCUREZ NI OR, NI ARGENT [10, 9] ; le troisième, en cet endroit : VOICI QUE JE VOUS ENVOIE COMME DES BREBIS AU MILIEU DES LOUPS [10, 16].
1188. Au sujet de [leur] fonction, [le Seigneur] ordonne quatre choses. Premièrement, l’endroit où ils doivent aller [10, 5-6] ; deuxièmement, ce qu’ils doivent dire, en cet endroit : ALLEZ DONC PRÊCHER, etc. [10, 7] ; troisièmement, ce qu’ils doivent faire, en cet endroit : GUÉRISSEZ LES MALADES, etc. [10, 8] ; quatrièmement, dans quel but, en cet endroit : VOUS AVEZ REÇU GRATUITEMENT, DONNEZ GRATUITEMENT [10, 8].
1189. Et il dit d’abord où ils ne doivent pas aller [10, 5] ; deuxièmement, où ils doivent aller, en cet endroit : ALLEZ PLUTÔT VERS LES BREBIS PERDUES DE LA MAISON D’ISRAËL [10, 6].
1190. À propos du premier point, il dit deux choses. Premièrement, NE PRENEZ PAS LE CHEMIN DES PAÏENS ET N’ENTREZ PAS DANS UNE VILLE DE SAMARITAINS [10, 5]. Ceux-ci étaient à mi-chemin entre les Gentils et les Juifs. Il en est question dans 4 R [2 R], 17, 24s : ils avaient conservé en partie les rites des Juifs, en partie ceux des Gentils, et ils étaient très opposés aux Juifs. Ainsi, [le Seigneur] défend [aux apôtres] de se rendre chez ceux qui sont entièrement gentils, et chez eux qui le sont à moitié. Mais cela semble contraire à ce qu’il leur a dit : Allez, enseignez toutes les nations [Mt 8, 19], et Is 40, 5 : Et toute chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. Que veut-il donc dire par : NE PRENEZ PAS LE CHEMIN DES PAÏENS ?
1191. Il faut dire qu’ils ont été envoyés aux deux, mais un ordre devait être respecté. Car [ils furent envoyés] d’abord aux Juifs. Une raison en est qu’il faut d’abord faire ce que la justice exige plutôt que ce qui vient de la miséricorde. Or, il était juste qu’ils prêchent d’abord aux Juifs, car cela revenait [à ceux-ci] en vertu d’une promesse, comme on le lit en Rm 15, 8 : Je dis donc que le Christ a été le ministre de la circoncision en vertu de la véracité de Dieu en vue de confirmer les promesses faites aux pères. Ainsi, [le Christ] n’était redevable aux Gentils qu’en vertu de la miséricorde, comme on lit en effet dans Rm 11, 17 ; les Gentils étaient un rejeton d’olivier issu d’un olivier, à savoir, de la foi des pères anciens. C’est pourquoi il est dit en cet endroit : Tandis que toi, rejeton d’olivier, greffé sur [les branches], tu es joint aux racines pour bénéficier avec elles de la sève de l’olivier. L’olivier devait donc d’abord être alimenté pour qu’il en sorte quelque chose, et ensuite le rejeton d’olivier devait être greffé, Rm 11, 17. De même, comme il voulait que les croyants entrent dans la foi des pères, [le Christ] voulut d’abord que la foi soit prêchée aux Juifs.
1192. Une seconde raison était que le Seigneur déverse sur tous ce à quoi ils sont disposés. Mais beaucoup de Juifs étaient déjà disposés par la foi. Et comme le feu agit d’abord sur ce qui est proche, de même le Seigneur voulut par charité [s’adresser] d’abord à ceux qui étaient proches. C’est ainsi qu’il est dit en Is 57, 19 : Ils viendront annoncer la paix à ceux qui sont proches, et la paix à ceux qui sont éloignés. De même, s’il était d’abord allé vers les Gentils, les Juifs, qui haïssaient beaucoup les Gentils, le lui auraient reproché avec indignation. C’est pourquoi, [il est dit] dans Ac 13, 46 : C’est à vous que le royaume de Dieu devait d’abord être annoncé. Ainsi, [le Seigneur] dit : NE PRENEZ PAS LE CHEMIN DES PAÏENS, c’est-à-dire, ne vous approchez pas de la route qui mène aux païens, afin qu’on ne parle pas de vous. Mais il ne dit pas : [NE PRENEZ PAS] LE CHEMIN DES SAMARITAINS.
1193. Au sens mystique, ceux qui sont disciples de Dieu ne doivent pas prendre le chemin des païens, ni celui des hérétiques. Ainsi, Jr 2, 18 : Pourquoi empruntes-tu la route de l’Égypte, pour boire une eau trouble ?
1194. MAIS ALLEZ PLUTÔT VERS LES BREBIS PERDUES DE LA MAISON D’ISRAËL. Pourquoi les brebis ? Parce qu’elles ont péri plutôt par la faute des Pharisiens que par leur propre faute. Ainsi, Ps 99[100], 3 : Nous sommes son peuple et les brebis de son bercail. Et 1 P 2, 25 : Vous étiez comme des brebis errantes ; mais vous êtes revenus vers le pasteur et le gardien de vos âmes. Mais que feront-ils sur la route ? ALLEZ DONC PRÊCHER. Jn 15, 16 : Je vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure, etc. Et il les envoya comme lui-même avait été envoyé, à savoir, pour prêcher.
1195. Ainsi, REPENTEZ-VOUS, etc. Comme Jésus avait commencé en disant : Repentez-vous, il leur prescrivit la même chose. Il avait commencé [en disant] : Repentez-vous, le royaume des cieux est proche [Mt 4, 17] ; Ps 118[119], 155 : Le salut est loin pour les pécheurs ; mais désormais il est proche par la passion du Christ. He 9, 12 : Par son propre sang, il est entré une seule fois dans le saint des saints, après avoir obtenu la rédemption éternelle.
1197. C’est ainsi qu’il dit : [LE ROYAUME DES CIEUX] EST PROCHE, à savoir, par ma passion. C’est pourquoi il est établi en eux par participation à la grâce : Le royaume de Dieu est en vous [Lc 17, 21].
1198. Mais ils auraient pu dire : «Comment confirmerons-nous ce que nous disons ?» Assurément par des miracles, comme il le fit lui-même. [Le Seigneur] dit donc : GUÉRISSEZ LES MALADES, etc.
1199. Mais si quelqu’un disait : «Pourquoi l’Église ne fait-elle pas maintenant des miracles ?» Il faut dire que les miracles ont été faits pour confirmer la foi. Or, la foi a déjà été confirmée. C’est pourquoi, comme une autre preuve ne serait pas nécessaire de la part de celui qui aurait fait une démonstration pour prouver une conclusion, il en est de même ici. Ainsi, le plus grand miracle est la conversion du monde en sa totalité. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait des miracles. Et, de même que furent accomplis certains miracles corporels, des miracles spirituels sont accomplis tous les jours, car les malades sont guéris spirituellement. En effet, les malades sont ceux qui sont tourmentés par le péché, qui sont portés au péché. Rm 14, 1 : Soutenez celui est faible dans la foi. Ceux-ci sont guéris par le Seigneur. Ceux qui consentent sont morts, parce qu’ils sont séparés de Dieu ; et ceux-ci sont ressuscités par le Seigneur, comme [il est dit] en Ep 5, 14 : Debout, toi qui dors, et lève-toi d’entre les morts. De même, LES LÉPREUX SONT GUÉRIS : en effet, on appelle lépreux ceux qui peuvent en infecter d’autres, car la lèpre est une maladie contagieuse, et ceux-ci sont parfois guéris. En 4 R [2 R] 5, 27, il est dit que la lèpre de Naam se transmit à Giézi. De même, LES DÉMONS SONT CHASSÉS : en effet, les démons sont ceux dont le péché a déjà produit son effet, dont il est dit en Pr 2, 14 : Ils se réjouissent, alors qu’ils ont fait le mal, et ils exultent dans leurs pires agissements. Et comme on le trouve à propos de Judas en Jn 13, 27 : Satan entra en eux, etc. Et parfois ceux-ci sont guéris. Et parce que les apôtres pourraient dire : «Maintenant, nous serons riches ; si nous faisons des miracles, nous posséderons beaucoup de choses» – pour cette raison, Simon le magicien voulut faire des miracles –, le Seigneur écarte cette idée en disant : VOUS AVEZ REÇU GRATUITEMENT ; DONNEZ GRATUITEMENT. C’est une grande chose de faire des miracles, mais c’en est une plus grande de bien vivre. Il écarte donc d’eux l’orgueil, car l’orgueil peut survenir de deux manières : soit de la cupidité, soit du mérite. En effet, c’est un très grand orgueil pour un homme de s’attribuer un bien qu’il a reçu. C’est pourquoi [le Seigneur] écarte [cela] en disant : VOUS AVEZ REÇU. 1 Co 4, 7 : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? De même, vous ne devez pas vous enorgueillir, car vous ne l’avez pas mérité, mais [reçu] GRATUITEMENT. En effet, celui qui a reçu en raison de ses mérites n’a pas reçu gratuitement. Il écarte aussi la cupidité : DONNEZ GRATUITEMENT, à savoir, non pas pour un [profit] temporel. En effet, le prix d’une chose est soit plus grand, soit égal. Ce que tu cèdes pour un certain montant n’est pas davantage ancré dans ton cœur que le montant que tu reçois. Or, rien n’égale le don de Dieu ou n’est plus grand que lui. Sg 7, 9 : Je lui ai comparé une pierre précieuse, car tout l’or est négligeable en regard d’elle.
1200. Parce qu’ils pourraient dire : «De quoi allons-nous vivre ?», [le Christ] leur donne donc son enseignement sur leurs frais. En premier lieu, il leur interdit d’apporter des fonds [10, 9] ; en second lieu, il leur enseigne de qui ils doivent recevoir, en cet endroit : EN QUELQUE VILLE OU VILLAGE QUE VOUS ENTRIEZ, etc. [10, 11].
1201. Il dit donc : NE POSSÉDEZ PAS D’OR. Il faut noter les paroles qui suivent, car il dit : NI DE CHAUSSURES. Mais Marc dit : [Ne portez que] des sandales. Il dit aussi : NI BÂTON. Mais Marc dit : [Ne portez qu’]un bâton. Ainsi, ces paroles sont douteuses et difficiles. En effet, ce qu’il dit : NE… PAS, etc. est soit un précepte, soit un conseil. Or, il est certain que cela est un précepte, car il est dit : JÉSUS LEUR DONNA CES PRESCRIPTIONS, etc. Mais les apôtres furent à la fois des apôtres et des fidèles. Ainsi donc, ou bien cela leur fut prescrit en tant que fidèles, ou en tant qu’apôtres. Si ce fut en tant qu’ils étaient des fidèles, tous y sont donc obligés ; ce fut là une hérésie, comme le dit Augustin, laquelle disait que personne ne pouvait être sauvé à moins de ne rien posséder. Ce fut là l’hérésie des «apostoliques». Il y eut de même une autre hérésie, [à savoir] que personne ne serait sauvé à moins qu’il ne se promène en sandales. Et ce furent des hérésies, non pas parce qu’elles prescrivaient quelque chose de mal, mais parce qu’elles écartaient de la voie du salut ceux qui ne les pratiquaient pas.
1202. Mais si cela leur était prescrit en tant qu’apôtres, alors tous les prélats, qui sont les successeurs des apôtres, y sont tenus. Mais à supposer que ceux-ci n’agirent pas mal, est-ce que Paul n’a pas mal agi, lui qui portait et recevait [ce qui venait] de certaines personnes pour le donner aux autres ? Ces paroles comportent donc une difficulté. C’est pourquoi il faut dire qu’il y a une issue, d’après Jérôme, dans son explication du texte, selon laquelle [le Christ] prescrivit quelque chose en raison de la fonction de l’apostolat, et non parce que cela était nécessaire purement et simplement, mais compte tenu de l’époque. Ainsi, [le Christ] prescrivit de ne rien porter avant la passion. Mais, durant la passion, [il dit], Lc 22, 35 : Lorsque je vous ai envoyés sans bâton ni bourse, est-ce que vous avez manqué de quelque chose ? Et la suite [du texte] dit : Mais maintenant, que celui qui a une bourse achète aussi une besace. Et celui qui n’en a pas, qu’il vende son manteau et achète un glaive. Ainsi, avant la passion, ils furent envoyés vers les Juifs. Or, c’était la coutume chez les Juifs qu’ils prennent soin de leurs maîtres. De sorte qu’il leur prescrivit de ne rien emporter puisqu’il les envoyait vers les Juifs. Mais telle n’était pas la coutume chez les païens. Ainsi, lorsqu’ils furent envoyés vers les païens, il leur fut permis d’apporter des fonds. Ils les apportaient donc lorsqu’ils prêchaient à d’autres qu’aux Juifs.
1203. Et parce que certains [fonds] sont nécessaires et d’autres servent à acheter le nécessaire, il dit que certaines richesses sont le résultat de l’art, tels les vêtements et les chaussures. C’est pourquoi il interdit les deux. [Le Seigneur] dit donc : NE [POSSÉDEZ] PAS, etc. Car toute monnaie est soit d’or, soit d’argent, soit de cuivre. Il interdit donc qu’ils possèdent de l’or ou de l’argent. C’est ainsi que Pierre disait : Je n’ai ni or, ni argent ; ce que je possède, je te le donne [Ac 3, 6]. Et pourquoi Dieu a-t-il ordonné cela ? La raison était que le Seigneur envoyait des pauvres prêcher. Ainsi, on aurait pu penser qu’ils ne prêcheraient qu’en vue d’un gain. Pour écarter ce soupçon, il leur prescrit donc de ne rien emporter. De même, [c’était] afin d’écarter les soucis, car s’ils étaient trop préoccupés à ce sujet, la parole de Dieu serait entravée.
1204. Il interdit de même les richesses qui pourvoient à ce qui est nécessaire. Et parce qu’ils pourraient dire : «Nous n’apportons pas d’or, ni d’argent, mais ne pouvons-nous pas [apporter] une besace, dans laquelle nous apporterons des œufs et du pain, qui sont nécessaires pour se nourrir ?» Et il interdit cela : [N’APPORTEZ PAS] DE BESACE POUR LA ROUTE. Et pourquoi a-t-il interdit cela ? Chrysostome dit que c’est afin qu’il leur montre sa puissance, car il pouvait les envoyer sans ces choses. Ainsi, en Lc 22, 35 : Lorsque je vous ai envoyés sans bâton ni besace, est-ce que vous avez manqué de quelque chose ? Il agit donc ainsi afin de montrer sa puissance. De même, pour le vêtement, [NE PORTEZ PAS] DEUX TUNIQUES : non pas qu’ils ne dussent posséder qu’une seule tunique, mais ils ne devaient pas avoir deux ensembles de vêtements, de sorte qu’ils en cachent un et portent l’autre. Ainsi, par l’expression UNE SEULE TUNIQUE, il entend un seul vêtement, Lc 3, 11 : Celui qui a deux tuniques, qu’il en donne une à celui qui n’en a pas. NI DE SANDALES. Et pourquoi l’a t-il interdit ? Il y a une double cause, pour la même raison que pour l’or et l’argent. Le Seigneur les envoyait pour qu’ils soient reconnus pauvres auprès de tous. Ainsi, l’Apôtre [écrit], 1 Co 1, 26 : Dieu a choisi ceux qui n’étaient pas très puissants. C’est pourquoi il a voulu qu’ils soient méprisés. En effet, en Orient, les pauvres vont nu-pieds. Cependant, certains utilisaient ce qu’on appelle des sandales, puisqu’elles sont faites de paille. Ainsi, il voulait qu’ils se déplacent comme les pauvres de leur pays. Une autre raison est que, comme Platon avait enseigné que les hommes ne devaient pas se couvrir beaucoup les pieds ni la tête afin de les renforcer pour qu’il soient plus robustes et plus résistants, [le Seigneur] leur a prescrit d’aller déchaussés. NI UN BÂTON. Et pour quelle raison ? En effet, certains utilisent des chevaux, d’autres s’appuient sur un bâton. C’est pourquoi il leur interdit même ce qui est infime, afin qu’ils mettent entièrement en lui leur confiance, selon Ps 22[23], 4 : Ton bâton et ta houlette sont là qui me consolent. Ainsi, le fait qu’il leur dise ailleurs de porter un bâton n’était pas un précepte, si ce n’est pour qu’il fût observé en un certain endroit et à un certain moment.
1205. Augustin emprunte une autre voie en disant qu’il ne s’agit pas de préceptes, ni de conseils, mais de permissions, de sorte que s’en abstenir relève plus du conseil que les accomplir. Ainsi, le sens est : NE [POSSÉDEZ] PAS, etc., c’est-à-dire qu’il n’est pas question que vous possédiez d’autres chaussures que celles dont vous êtes chaussés. NI DE BÂTON, c’est-à-dire, [que vous possédiez] rien de ce qui est dit, pas même un fétu de paille. Et pourquoi ? CAR L’OUVRIER MÉRITE SON SALAIRE, etc. Car il vous est possible de recevoir des autres. Il ne vous est donc pas nécessaire d’apporter [des fonds]. De sorte, lorsque quelque chose est permis, ce n’est pas un péché de ne pas le faire ; tout ce qui est fait en plus est facultatif. Ainsi, Paul, bien qu’il ait pu recevoir des autres, n’acceptait rien, et cela était facultatif, comme le dit Augustin, car «ne pas utiliser ce qui est permis est facultatif». Ainsi, Paul [écrit] en 1 Co 9, 15 : Plutôt mourir que perdre mon titre de gloire. Et pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas recours à ce qui était permis : L’OUVRIER MÉRITE SON SALAIRE, etc.
1206. Mais que signifie qu’il leur dise ailleurs de porter un bâton ? Augustin dit qu’il n’est pas incohérent que certaines choses soient parfois exprimées de manière mystique, et parfois de manière littérale. Ainsi, ce que Matthieu dit ici, il le dit selon la lettre, [à savoir] qu’ils ne doivent pas porter de bâton ; mais ce que dit Marc s’entend au sens mystique, à savoir qu’ils n’apportent pas de [biens] temporels, mais aient le pouvoir d’en recevoir des autres. CAR L’OUVRIER MÉRITE SA NOURRITURE. En effet, cela n’est pas dit là par hasard. Ces ouvriers sont ceux dont il est question plus haut : Priez le Seigneur d’envoyer des ouvriers pour sa moisson [9, 38].
1207. Une troisième interprétation est : NE POSSÉDEZ PAS D’OR, c’est-à-dire la sagesse du siècle, D’ARGENT, l’éloquence du siècle, DE BESACE, c’est-à-dire de préoccupation, NI DEUX TUNIQUES, c’est-à-dire de duplicité, NI DE CHAUSSURES, c’est-à-dire d’attachement aux choses terrestres. En effet, les chaussures sont faites avec des peaux d’animaux morts.
1208. EN QUELQUE VILLE OU VILLAGE QUE VOUS ENTRIEZ, etc. Plus haut, le Seigneur a ordonné que les apôtres n’apportent pas de vivres avec eux, et il l’a justifié par le motif que L’OUVRIER MÉRITE SON SALAIRE. Maintenant, il précise la manière dont ils doivent recevoir. En premier lieu, il indique la manière, car ils doivent recevoir de ceux qui veulent donner ; en second lieu, [il indique] ce qui doit être fait pour ceux qui [le] veulent.
1209. À propos du premier point, [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il enseigne à choisir ses hôtes ; deuxièmement, il interdit de changer de lieu d’accueil ; troisièmement, il ordonne que l’hôte soit salué.
1210. [Le Seigneur] dit donc : «Il a été dit plus haut : L’OUVRIER MÉRITE SON SALAIRE, afin que vous sachiez de qui vous devez recevoir, de sorte que vous ne croyiez pas que n’importe quelle demeure vous est permise. C’est pourquoi, EN QUELQUE VILLE OU BOURG OÙ VOUS ENTRIEZ, FAITES-VOUS INDIQUER QUI EN EST DIGNE.» Et cela, afin que la prédication ne soit pas méprisée en raison de la mauvaise réputation de l’hôte, comme on le trouve en 1 Tm 3, 7 : Car il faut que vous receviez un témoignage favorable de la part de ceux du dehors.
1211. La seconde raison est que, s’il existe quelqu’un de bon, il vous distribuera plus facilement le nécessaire. Et par cela, [le Seigneur] prend soin d’eux.
1212. La troisième raison est d’écarter le soupçon de la recherche d’un profit, car lorsque les gens voyaient que ces hommes pauvres ne recevaient que d’hommes bons, c’était pour eux un signe qu’ils ne prêchaient pas pour un profit.
1213. Chrysostome présente ces deux dernières interprétations ; Jérôme [présente] la première. Et c’est cela que dit l’Apôtre, 1 Th 2, 5 : Jamais nous n’avons eu un mot de flatterie et une arrière-pensée de cupidité. Il dit de même : QUI EN EST DIGNE. Et cela, parce que c’est une grande chose pour quelqu’un d’accueillir de tels hôtes. C’est ainsi qu’Abraham fut loué d’avoir accueilli ses hôtes, comme on le lit en He 13, 2 : N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est par elle que certains ont [à leur insu] accueilli des anges.
1214. Ici, il enseigne la stabilité de l’hospitalité. DEMEUREZ-Y, c’est-à-dire, n’allez pas d’une maison à l’autre. Et pourquoi ? Afin qu’il n’y ait pas de tristesse pour celui qui accueille. S’il est digne, il vous accueillera volontiers et il vous laissera partir avec tristesse. Jr 18, 20 : Rend-on le mal pour le bien ? La seconde raison est qu’ils ne doivent pas encourir une réputation de légèreté, qui ne convient pas au prédicateur. Je te louerai au milieu d’un peuple sérieux, Ps 34[35], 15. De même, afin qu’ils évitent une réputation de gloutonnerie, car, s’ils abandonnaient une maison peu accueillante pour une [maison] accueillante, cela serait attribué à la gloutonnerie.
1215. C’est pourquoi le Seigneur dit qu’avant d’entrer, ils doivent demander qui est digne chez elle : EN ENTRANT DANS LA MAISON, SALUEZ-LA. Ici est signalée la salutation de l’hôte. D’abord, [Le Seigneur] indique la salutation [10, 12] ; en second lieu, l’effet, en cet endroit : ET SI CETTE MAISON EST DIGNE, VOTRE PAIX VIENDRA SUR ELLE [10, 13]. En effet, il fallait qu’ils distribuent des [biens] spirituels à ceux qui distribuaient des [biens] temporels, et non seulement des biens spirituels, mais ce qui est nécessaire au salut, en disant : PAIX À CETTE MAISON, etc. C’était là une manière appropriée de saluer, car le monde était en guerre. Or, le monde est réconcilié dans le Christ. En effet, ceux-ci étaient des envoyés du Christ, et pour quelle raison ? Assurément en vue de la paix. Ainsi, cette salutation était appropriée.
1216. Vient ensuite l’effet pour les bons et pour les méchants : SI CETTE MAISON EST DIGNE, VOTRE PAIX VIENDRA SUR ELLE, etc. Nous pouvons dire que cette maison possédera en elle une force de bénédiction. C’est pourquoi les apôtres et les évêques, lorsqu’ils se tournent pour la première fois vers le peuple, disent : LA PAIX SOIT AVEC VOUS. Ainsi, il est dit en Nb 6, 27 : Ils invoqueront mon nom sur les fils d’Israël, et je les bénirai, etc. SI [CETTE MAISON] N’EST PAS DIGNE, VOTRE PAIX VOUS REVIENDRA. Mais que dit-il là ? N’avait-il pas d’abord dit qu’ils devaient d’abord s’enquérir ? Il montre ainsi que, dans de telles enquêtes, les hommes se trompent : En effet, l’homme voit ce qui est apparent, mais le Seigneur regardera à l’intérieur du cœur, 1 R [1 S]16, 7. En effet, ils n’étaient pas encore assez parfaits pour pouvoir savoir qui était digne. VOTRE PAIX VOUS REVIENDRA. Cela montre que parfois quelqu’un prie et travaille au salut d’un autre, sans cependant l’obtenir ; toutefois, ce qu’il fait, il ne le perd pas, mais cela lui revient. D’où, [VOTRE PAIX] REVIENDRA VERS VOUS, à savoir que le fruit vous en reviendra.
1217. ET SI QUELQU’UN NE VOUS ACCUEILLE PAS. Ici, il est question de ceux qui n’accueillent pas. D’abord, [le Seigneur] enseigne [aux apôtres] ce qu’ils doivent faire [10, 14] ; en second lieu, ce qu’ils recevront de Dieu [10, 15].
1218. [Le Seigneur] dit donc : SI QUELQU’UN NE VOUS ACCUEILLE PAS. Et il indique deux fautes : l’une, qu’ils ne les accueillent pas ; l’autre, qu’ils n’écoutent pas la parole de Dieu, puisque [les apôtres] avaient été envoyés pour prêcher. Ainsi, SORTEZ DE CETTE MAISON ET DE CETTE VILLE, car parfois ils accueillaient dans la ville, mais non dans [leur] maison, et parfois pas même dans la ville, comme on le voit dans les Actes des apôtres. Que doivent-ils donc faire ? SECOUEZ LA POUSSIÈRE DE VOS PIEDS. On lit que c’est ce que firent à la lettre Paul et Barnabé, comme on le voit dans Ac 14, 51. Et pourquoi le Seigneur ordonne-t-il cela ? La poussière colle aux pieds ; il a donc ordonné cela pour montrer que [les apôtres] avaient supporté en vain les fatigues de la route. Et c’était là la peine [des hôtes], comme s’il disait : «Vous êtes donc condamnables.» Toutefois, l’Apôtre dit, Ph 2, 16 : Je n’ai pas travaillé en vain. Il y a aussi une autre raison, car la poussière est le moins qu’on puisse obtenir. C’est pourquoi il a voulu qu’ils secouent [la poussière] pour montrer qu’ils n’avaient rien à faire avec eux. La troisième raison est que, par la poussière, les choses temporelles sont signifiées et par les pieds, le désir, pour montrer que, dans leurs désirs, rien de temporel ne doit subsister. La quatrième raison relève du mystère. Leurs pieds sont leurs désirs. En effet, aussi saints que soient les prédicateurs, il est inévitable que leurs désirs soient mus par quelque poussière ou par la vaine gloire, etc., comme on le lit en Jn 13, [8-10], où il est dit que le Seigneur a lavé les pieds des disciples et a dit : Celui qui est pur n’a pas besoin de se laver les pieds, car il est entièrement pur. Ainsi, ils avaient besoin d’un lavage pour ce qui était des [fautes] vénielles. Et pourquoi le Seigneur a-t-il ordonné cela ? Pour montrer que le prédicateur se met en danger. Ainsi, s’ils ne croient pas en lui, cela se retourne contre eux pour leur damnation.
1219. Mais qu’est-ce que cela ? N’auront-ils pas un sort pire ? Effectivement : JE VOUS LE DIS : LE SORT DE SODOME ET DE GOMORRHE SERA PLUS SUPPORTABLE AU JOUR DU JUGEMENT QUE CELUI DE CETTE VILLE. Car, comme on le lit en Jn 15, 22 : Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, il n’y aurait pas de péché en eux. En effet, ceux qui entendent et n’accomplissent pas pèchent davantage que ceux qui n’ont jamais entendu. Ainsi, peut-être parce que les gens de Sodome n’avaient pas entendu, leur sort sera-t-il plus supportable. De même, ceux-ci, bien qu’impurs, avaient cependant pratiqué l’hospitalité. Pour cette raison, leur sort sera plus tolérable. Mais on trouve le contraire dans Gn 19, à savoir que, parmi les péchés de la chair, celui-ci était le plus grave. Mais [le péché] qui est directement contre Dieu, comme l’idolâtrie, est plus grave que ce dernier. Ou bien il faut dire qu’il ne compare pas un péché à l’autre, mais au contexte ; car ceux-ci, à qui la prédication avait été adressée, avaient péché, ce qui n’était pas le cas des autres. De même, il réfute certains hérétiques qui disaient que tous les péchés étaient égaux, ainsi que toutes les peines, tous les mérites et toutes les récompenses. Il écarte donc cela lorsqu’il dit : SERA PLUS SUPPORTABLE, etc., car [le sort] de certains pécheurs sera pire.
1220. Plus haut, le Seigneur a instruit [les apôtres] sur leur fonction et sur ce qui [leur] était nécessaire pour vivre. Maintenant, il les instruit de dangers imminents. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, l’enseignement est présenté sous forme imagée [10, 16] ; deuxièmement, [le Seigneur] explique cette image en cet endroit : MÉFIEZ-VOUS DES HOMMES [10, 17].
1221. À propos du premier point, il annonce d’abord les dangers [10, 16] ; deuxièmement, [il enseigne] comment [les apôtres] doivent se comporter au milieu des dangers, en cet endroit : SOYEZ PRUDENTS COMME DES SERPENTS ET SIMPLES COMME DES COLOMBES [10, 16].
1222. [Le Seigneur] dit donc : VOICI QUE JE VOUS ENVOIE. Parce qu’il avait dit : DANS TOUTES LES VILLES OÙ VOUS ENTREREZ, etc., puis : L’OUVRIER MÉRITE D’ÊTRE NOURRI, on aurait pu croire que tous devaient les accueillir. C’est pourquoi il écarte cela, comme s’il disait : «Il n’en sera pas ainsi. VOICI QUE JE VOUS ENVOIE AU MILIEU DES LOUPS. Je vous envoie donc au-devant de dangers.» Et il dit cela pour deux raisons : afin qu’on n’attribue pas à l’ignorance ou à l’impuissance qu’il ne pouvait pas les protéger. De même, il leur dit [cela] afin qu’ils ne croient pas qu’ils ont été trompés. Et il les compare à des brebis en raison de la douceur ; [il compare] les persécuteurs à des loups en raison de leur rapacité. En effet, le Christ lui-même fut une brebis, dont parle Is 53, 7 : Il sera mené à l’abattoir comme une brebis. Et les disciples sont des brebis, Ps 94[95], 7 : Nous sommes son peuple et les brebis de son bercail. Mais pour que vous ne croyiez pas que cela arrive contre ma volonté, JE VOUS ENVOIE AU MILIEU DES LOUPS. Jn 20, 21 : Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Et pourquoi Dieu a-t-il voulu [les] envoyer ainsi au-devant des dangers ? C’était en vue de la manifestation de sa puissance, car s’il les avait envoyés armés, cela aurait été imputé à une violence de sa part, et non à la puissance de Dieu. C’est pourquoi il a envoyé des pauvres. En effet, ce fut une grande chose qu’un si grand nombre ait été converti par des pauvres, des méprisés et des gens sans armes, comme le dit l’Apôtre en 1 Co 1, 26 : Dieu n’a pas choisi des gens très puissants et nobles, mais Dieu a choisi ce qu’il y a de fou dans le monde, etc.
1223. SOYEZ DONC PRUDENTS COMME DES SERPENTS ET SIMPLES COMME DES COLOMBES. Ici, [le Seigneur] montre comment ils doivent se comporter. Et parce que deux maux pouvaient leur advenir – si les apôtres étaient d’accord avec eux, un mal pouvait leur advenir ; s’ils les contredisaient, il en était de même –, il leur donne donc un avertissement sur deux points : la prudence et la simplicité. Sur la prudence, afin qu’ils évitent les maux qui leur seraient faits ; sur la simplicité, afin qu’ils ne fassent pas de mal. Ainsi, parce que je vous envoie, SOYEZ PRUDENTS. [Le Seigneur] veut qu’ils aient la prudence du serpent. La prudence du serpent consiste en ce que le serpent cherche à défendre sa tête. La tête est le Christ, qu’il ordonne de protéger. Ainsi, en 2 Tm 4, 7 : J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai conservé la foi. De même, doivent-ils protéger la tête, 1 Co 11, 3, qui est le principe du tout. Pr 4, 23 : Garde ton cœur avec toute ta vigilance. Il existe aussi une autre prudence du serpent, car lorsqu’il vieillit, il passe par une ouverture étroite et se dépouille de son vêtement ou de sa peau. De même, devons-nous agir dans notre comportement. L’Apôtre dit, Col 3, 9 : Nous dépouillant du vieil homme et de ses actes, etc. De même, devons-nous avoir la prudence du serpent dans la prédication, car, comme on le lit en Gn 3, 1s, le genre humain a été perdu par l’astuce du serpent, qui s’en est pris au sexe faible ; de même, [le serpent] lui montra-t-il un arbre. Ainsi, les prédicateurs doivent-ils convertir les pécheurs par le truchement des plus capables. De même, doivent-ils convaincre du bois de la croix, de sorte que, comme [le serpent] a tiré profit de l’arbre pour le mal, ceux-ci [en] tirent profit pour le bien.
1224. ET SIMPLES COMME DES COLOMBES. [Le Seigneur] les avait comparés à une brebis parce que celle-ci ne proteste pas, et aussi parce qu’elle ne fait pas de mal. Ici, il [les] compare à une colombe parce que celle-ci n’a pas de colère dans son cœur. De même, SOYEZ SIMPLES, par opposition à la tromperie, qui propose une chose dans le cœur et une autre dans la bouche, selon ce que dit Ps 37[38], 3 : Ils parlent de paix avec leur prochain, mais ils ont le mal dans leur cœur. [Le Seigneur leur enseigne] à être patients et simples dans les souffrances. Pr 11, 3 : La simplicité des justes les guidera.
1225. Ensuite, il explique les dangers en disant : MÉFIEZ-VOUS DES HOMMES, etc. Et d’abord, d’une manière générale [10, 17] ; deuxièmement, d’une manière particulière.
1226. Parce que ceux-ci étaient simples, ils auraient pu croire que [le Seigneur] les envoyait au milieu des loups au sens littéral. C’est pourquoi il explique : MÉFIEZ-VOUS DES HOMMES. En effet, tout doit être désigné selon ce qui y est le principal. Il faut ainsi voir ce qui est le principal moteur chez l’homme : si c’est la raison, il est un homme ; si c’est la colère, il est un ours ou un lion ; si c’est la concupiscence, il n’est plus désormais un homme, mais un porc ou un chien. Ainsi, bien qu’ils soient des hommes par nature, ils sont cependant des loups par le désir, selon Ps 48[49], 13 : L’homme, lorsqu’il était dans les honneurs, ne comprenait pas ; il ressemble aux bêtes sans raison et il leur devient semblable, etc. Et ailleurs, Ps 31[32], 9 : Ne devenez pas comme le cheval ou l’âne, chez qui ne se trouve aucune intelligence.
1227. ILS VOUS LIVRERONT, etc. Premièrement, il aborde ceux à qui ils seront livrés [10, 17s] ; deuxièmement, ceux par qui ils seront livrés, en cet endroit : LE FRÈRE LIVRERA LE FRÈRE, etc. [10, 21s].
1228. En premier lieu, il montre ce qui a été dit [10, 17‑18] ; en second lieu, il les encourage, en cet endroit : LORSQU’ILS VOUS LIVRERONT, etc. [10, 19‑20].
1229. En premier lieu, il indique ceux à qui ils doivent être livrés [10, 17] ; en second lieu, ce qui découlera de cette trahison, en cet endroit : ET ILS VOUS FLAGELLERONT DANS LEURS SYNAGOGUES [10, 17].
1230. Sur le premier point, voici [ce qu’il en est]. C’était la coutume chez les Juifs que, si quelqu’un parlait ou agissait contre la loi, il était d’abord convoqué devant le conseil et était réprimandé. La deuxième fois, il était flagellé en même temps que réprimandé. La troisième fois, il était tué, lorsqu’ils en avaient le pouvoir, ou il était livré pour être tué à celui à qui appartenait le pouvoir. Et cela eut lieu, comme il est dit en Ac 4, 1s et 5, 16 : là, en effet, il est raconté que, alors que les apôtres parlaient au peuple, ils furent menacés par eux ; et, par la suite, comme ils parlaient toujours, ils leur firent savoir, en les frappant, qu’ils ne devaient pas parler, et, troisièmement, ils lapidèrent Étienne et livrèrent Jacques à Hérode. Ainsi donc, MÉFIEZ-VOUS, car ILS VOUS LIVRERONT À LEURS CONSEILS. Ps 25[26], 4 : Je n’ai pas siégé au conseil de vanité et je ne m’introduirai pas parmi ceux qui font le mal.
1231. ET VOUS SEREZ TRADUITS DEVANT DES GOUVERNEURS ET DES ROIS, comme devant Hérode et plusieurs autres. Mais vous devez recevoir une grande consolation, car ce sera À CAUSE DE MOI, que vous aimez. Augustin [écrit] : «L’amour rend tout négligeable et irréel.» De même : Bienheureux ceux qui seront persécutés pour la justice, etc., Mt 5, 10. Et qu’en découlera-t-il ? Cela LEUR [SERA] UN TÉMOIGNAGE, à savoir, contre eux, les Juifs et les païens. En effet, parce qu’ils vous auront livrés à leurs conseils, cela sera un témoignage contre eux. De même, parce qu’ils [l’auront fait] devant des rois et des gouverneurs, cela se retournera aussi contre eux. Ainsi, plus loin, 23, 34 : Voici que je vous envoie des sages et des scribes, et vous les tuerez et les flagellerez dans vos synagogues, etc. Ou bien, [autre interprétation] : UN TÉMOIGNAGE CONTRE CEUX-LÀ, à savoir les Juifs, ET CONTRE LES PAÏENS, car je vous envoie vers eux comme des témoins de la foi en moi. Ainsi, «martyr» veut dire la même chose que «témoin», car, par votre passion, vous serez les témoins de ma passion, Ac 1, 8.
1232. LORSQU’ILS VOUS LIVRERONT, NE CHERCHEZ PAS COMMENT PARLER OU QUOI DIRE, etc. Les apôtres auraient pu dire : «Nous sommes de simples pécheurs, nous serons figés.» Et cela n’est pas étonnant, car Moïse, qui connaissait la loi, lorsqu’il reçut l’ordre du Seigneur d’aller voir Pharaon, dit : Je ne suis pas doué pour la parole, Ex 4, 10.
1233. C’est pourquoi, afin d’écarter cela, [le Seigneur] dit : LORSQU’ILS VOUS LIVRERONT, etc. Et il fait trois choses : premièrement, il écarte la stupeur [10, 19] ; deuxièmement, il promet le don de sagesse, en cet endroit : CE QUE VOUS DEVREZ DIRE VOUS SERA DONNÉ SUR LE MOMENT [10, 19] ; troisièmement, [il indique] l’auteur du don, en cet endroit : CAR CE N’EST PAS VOUS QUI PARLEZ, MAIS L’ESPRIT DE VOTRE PÈRE QUI PARLE EN VOUS [10, 20].
1234. NE CHERCHEZ PAS, etc. Et il écarte deux choses : ce qui doit être dit et la manière de parler. La première relève de la sagesse ; la seconde, de l’éloquence. Mais il semble que cela soit contraire à ce que l’apôtre Pierre dit dans sa lettre canonique : Soyez toujours prêts à rendre compte à quiconque vous le demande de la foi et de l’espérance qui sont les vôtres [1 P 3, 15]. Chrysostome donne la solution : «Lorsque quelqu’un doit répondre et a le temps de réfléchir, il ne doit pas compter sur une aide divine. Mais, lorsqu’ils étaient dans la tribulation, les apôtres n’avaient pas le temps ; c’est pourquoi ils devaient s’en remettre au Fils de Dieu.» Ainsi, lorsque quelqu’un en a la possibilité, il doit faire ce qu’il peut ; mais, assurément, s’il n’a pas le temps, il doit s’en remettre au Fils de Dieu. Mais il ne doit pas tenter Dieu s’il a le temps de réfléchir. C’est pourquoi le Seigneur n’a pas dit seulement : NE CHERCHEZ PAS, mais il dit : LORSQU’ILS VOUS LIVRERONT… NE CHERCHEZ PAS, etc.
1235. Et il découle de cette promesse : CE QUE VOUS DEVREZ DIRE VOUS SERA DONNÉ SUR LE MOMENT, car toutes les paroles sont dans la main du Seigneur, Sg 7, 16. Ex 4, 12 : Je serai dans ta bouche et je t’enseignerai ce que te devras dire. Lc 21, 15 : Je vous donnerai la parole et la sagesse.
1236. Et qui est l’auteur ? Assurément, le Saint-Esprit : CAR CE N’EST PAS VOUS QUI PARLEZ, MAIS L’ESPRIT DE VOTRE PÈRE QUI PARLE EN VOUS. Ce qui est dit en 2 Co 13, 3 est semblable : Cherchez-vous une preuve que le Christ parle en moi ? Mais qu’est-ce que cette apparence de possession chez [les apôtres] ? Il faut remarquer que toute action qui est causée par deux choses, dont l’une est l’agent principal et l’autre [l’agent] instrumental, doit être désignée à partir de [l’agent] principal. [Les apôtres] agissaient de manière instrumentale, et l’Esprit Saint de manière principale. Ainsi, toute l’action doit être désignée à partir de l’Esprit Saint. Mais il faut voir que parfois un esprit agit en perturbant la raison, parfois il meut [celle-ci] en l’appuyant. Ainsi, telle est la différence entre un mouvement venu du Diable et [un mouvement venu] de l’Esprit Saint. En effet, l’homme n’est maître que par la raison, par laquelle il est libre. Lors donc que l’homme n’est pas mû selon la raison, il s’agit d’un mouvement de possession. Lorsqu’il [est mû] par la raison, on dit alors que le mouvement [provient] de l’Esprit Saint. En effet, le mouvement du Diable perturbe la raison. Bien qu’ils aient parlé par l’Esprit Saint, la raison était néanmoins à l’œuvre chez [les apôtres]. Et ainsi, ils parlaient aussi par eux-mêmes, et non comme des possédés. [Le Seigneur] les ramène ainsi à la vérité prophétique, comme on le voit en 2 P 1, 19 : Et nous avons une parole prophétique plus ferme.
1237. Mais les apôtres auraient pu dire : «Qui nous livrera ? Nous n’avons pas d’ennemis.» [Le Seigneur] montre donc, en premier lieu, par qui ils seront livrés [10, 21] ; en second lieu, il apporte une consolation, en cet endroit : CELUI QUI PERSÉVÉRERA JUSQU’À LA FIN SERA SAUVÉ [10, 22].
1238. Quelqu’un peut à tort se méfier d’une persécution qui lui est annoncée d’une manière générale ; c’est pourquoi [le Seigneur] l’annonce d’une manière particulière. Et, à propos du premier point, il dit deux choses. LE FRÈRE LIVRERA LE FRÈRE. À la lettre, il arrive parfois que le père livre le fils et, en sens contraire, le frère, le frère, soit par crainte, soit par haine ; car la puissance de la foi est telle que, parmi les hommes qui ne sont pas de la même foi, il existe rarement d’amitié solide. C’est ce que dit [le Seigneur] : LE FRÈRE LIVRERA LE FRÈRE, etc. Ainsi, il est dit en Jr 9 4 : Que personne n’ait confiance dans son frère. Pour cette raison, il est nécessaire qu’ils se méfient, en raison de la blessure qu’un homme peut recevoir et en raison de la perte de l’amitié, Ps 54[55], 13 : Si mon ennemi m’a maudit, je l’ai supporté.
1230. D’autant plus que vous n’irez pas vers des proches, mais vers des gens de l’extérieur. Et cela n’aura pas d’importance, car VOUS SEREZ HAÏS DE TOUS. Ainsi, en Jn 16, 2 : L’heure vient où tous ceux qui vous tueront auront la conviction de rendre hommage à Dieu. Mais cela eut-il vraiment lieu ? N’y en a-t-il pas eu beaucoup qui les accueillaient ? C’est pourquoi [le Seigneur] dit : LES HOMMES, ceux qui vivaient de manière humaine. Mais les autres, qui étaient de Dieu, les accueillaient. Et la cause de cela est indiquée en Jn 15, 18 : Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartient ; mais, comme vous n’êtes pas du monde, le monde vous hait.
1231. De même, le Seigneur promit une consolation, car [cela aura lieu] À CAUSE DE MON NOM. Il dit qu’il est doux pour vous de souffrir à cause de mon nom, comme on le lit en 1 P 4, 14 : Si vous êtes outragés à cause de mon nom, heureux serez-vous ! Il les réconforte aussi pour une autre raison, car leur tribulation devait produire beaucoup de fruit. En effet, comme il prévoit que beaucoup tomberont, il les avertit d’être persévérants, car CELUI QUI AURA PERSÉVÉRÉ JUSQU’À LA FIN, CELUI-LÀ SERA SAUVÉ. Ainsi, 2 Tm 4, 7 : J’ai livré un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ; pour le reste, une couronne de justice m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra ce jour-là. C’est pourquoi il est dit dans le Lévitique que la queue était offerte, à savoir la fin.
1232. Plus haut, [le Seigneur] a donné son enseignement sur les dangers, dans lequel il a exposé ce qu’il avait dit : VOICI QUE JE VOUS ENVOIE, etc. Maintenant, il enseigne comment ils doivent se comporter. Et cette partie est divisée, car, en premier lieu, il enseigne à éviter les maux et le danger par la prudence [10, 23-25] ; en second lieu, il enseigne à avoir l’égalité d’âme au milieu des dangers, en cet endroit : NE CRAIGNEZ DONC PAS [10, 26].
1233. À propos du premier point, il enseigne en premier lieu à éviter le danger corporel [10, 23] ; en second lieu, le [danger] spirituel, en cet endroit : LE DISCIPLE N’EST PAS PLUS GRAND QUE LE MAÎTRE [10, 24].
1234. À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il insinue le mal que sont les dangers [10, 23] ; deuxièmement, il répond à une objection tacite, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. [10, 23].
1235. [Le Seigneur] dit donc : «Il a donc été dit que CELUI QUI AURA PERSÉVÉRÉ JUSQU’À LA FIN, CELUI-LÀ SERA SAUVÉ. Mais n’allez pas vous exposer pour cela aux tentations ; bien plutôt, SI VOUS ÊTES POURCHASSÉS DANS UNE VILLE, FUYEZ DANS UNE AUTRE.» Et cela convient à ceux qui sont faibles, afin qu’ils ne viennent pas à manquer en s’exposant imprudemment. Pr 14, 15 : L’homme prudent pèse ses pas, le sot continuera avec confiance. Mais [le Seigneur] enseigne aussi aux parfaits, sinon pour eux-mêmes, du moins pour le salut des autres, comme on le voit en Ph 1, 24 : Il m’est nécessaire de rester dans la chair à cause de vous. Or, le Seigneur montre cela lorsqu’il fuit en Égypte à cause d’Hérode, comme on le trouve en [Mt] 2, 14. De même, c’est ce qu’ont fait les disciples, comme on le voit en Ac 8, 1. Mais à cela s’oppose ce qu’on trouve en Jn 10, 12 : Le mercenaire s’enfuit et abandonne les brebis. Il semble donc que cela ne les concerne pas, mais [plutôt] les mercenaires. Augustin répond que la persécution, ou bien menace de près une personne en particulier, et alors il faut que ceux par qui le salut se réalise s’en écartent et s’en éloignent ; mais si elle concerne toute l’Église, il faut que toute l’Église fuie vers des endroits plus sûrs, ou que certains fuient et d’autres demeurent fermes, ou que le pasteur reste avec son troupeau.
1236. Vient ensuite : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : VOUS N’AUREZ PAS ACHEVÉ DE PARCOURIR LES VILLES D’ISRAËL AVANT QUE NE VIENNE LE FILS DE L’HOMME. Il répond à une objection tacite. [Les apôtres] pourraient dire : «Tu nous envoies en Judée ; si on nous chasse, où irons-nous ?» «Je dis que, si on vous chasse d’une ville, FUYEZ DANS UNE AUTRE, et vous ne pourrez parcourir les villes de Judée, AVANT QUE NE VIENNE LE FILS DE L’HOMME, c’est-à-dire avant qu’il ne ressuscite des morts, et alors il vous enverra vers les païens», comme on le voit en [Mt] 28, 19 : Allez, enseignez à toutes les nations.
1237. Hilaire donne une autre interprétation. En effet, il dit que [le Seigneur] parle de la seconde mission, lorsqu’il dit : Lorsqu’ils vous pourchasseront, fuyez la Judée pour [aller chez] les païens, comme on le trouve en Ac 13, 46 : Il fallait que le royaume de Dieu soit d’abord annoncé à vous ; mais comme vous le rejetez et que vous vous estimez indignes de la vie éternelle, nous nous tournons donc vers les païens.
1238. Mais [les apôtres] pourraient dire : «Pourquoi veux-tu que nous écartions les nôtres ?» Parce que vous ne pourrez aller jusqu’au bout, les fils d’Israël seront rejetés. Le sens mystique est le suivant : lorsque les hérétiques vous pourchasseront avec leurs autorités, repoussez-les par des autorités ; en effet, ils ne seront pas rejetés avant que la vérité n’éclate.
1239. En effet, LE DISCIPLE N’EST PAS PLUS GRAND QUE SON MAÎTRE. Ici, [le Seigneur] les prévient de ne pas faire défection : premièrement, en faisant appel à l’exemple [10, 24] ; deuxièmement, à la récompense, en cet endroit : NE CRAIGNEZ DONC PAS [10, 26] ; troisièmement, au jugement divin, en cet endroit : NE CRAIGNEZ DONC PAS CEUX QUI TUENT LE CORPS [10, 28].
1241. Premièrement, il les exhorte par l’exemple à ne pas faire défection : en premier lieu, il propose une comparaison [10, 24] ; en second lieu, il l’applique à ce qui est en cause [10, 25].
1242. Premièrement, il signale ce qui ne convient pas [10, 24] ; deuxièmement, ce qui est parfait [10, 25].
1243. [Le
Seigneur] dit donc : LE DISCIPLE N’EST PAS PLUS GRAND QUE SON MAÎTRE. En
effet, [les apôtres] pourraient dire : «Tu dis que tous les hommes nous
haïront ; comment pourrons-nous supporter une telle haine ?» Le
Seigneur leur avait donné une grande sagesse et une grande puissance. Or, la
sagesse doit être honorée et la puissance respectée. C’est pourquoi le Seigneur
se donne en exemple sur les deux points. LE DISCIPLE N’EST PAS PLUS GRAND QUE
LE MAÎTRE, en tant qu’il est disciple ; ainsi, s’ils ne m’ont pas
manifesté l’honneur qui est dû à un maître, [ils ne le feront pas] non plus
pour vous. Et aussi : LE SERVITEUR N’EST PAS PLUS GRAND QUE SON MAÎTRE, et
cela par rapport au maître. Ainsi, en Jn 13, 13 : Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous
avez raison : je le suis en effet, etc.
1244. Car
chacun doit se glorifier d’être comme son Seigneur ou son maître. C’est
pourquoi il ajoute : IL SUFFIT POUR LE DISCIPLE DE RESSEMBLER À SON
MAÎTRE. En effet, de même que quelqu’un est vraiment parfait lorsqu’il peut en
engendrer un autre qui lui est semblable, de même le disciple est-il parfait
lorsqu’il est semblable au maître ; de même en est-il pour le serviteur.
C’est pourquoi cela ne doit pas être pour vous un fardeau d’être semblable à
moi. On lit ainsi en 1 P 2, 1 : Le Christ a souffert pour nous, vous laissant ainsi un exemple afin que
vous suiviez ses traces. Et Qo 2, 12 : Qui pourra suivre son maître ?
1245. Ensuite, [le Seigneur] les appelle ses familiers : S’ILS ONT APPELÉ BÉELZÉBOUL LE MAÎTRE DE LA MAISON, QUE NE DIRONT-ILS PAS DE SA MAISONNÉE ? Et il les appelle des membres de sa maisonnée en raison d’une plus grande familiarité. C’est donc un grand don de souffrir pour le Christ, comme on le lit en Jc 1, 2 : Frères, tenez pour une grande joie d’être soumis à toutes sortes d’épreuves, en sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la constance. Et Ac 5, 41 : Les apôtres allaient en se réjouissant à la vue du conseil, car ils avaient été dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus. Ce n’est donc pas grand-chose pour un familier de souffrir pour un ami, Ep 2, 19 : Vous êtes les concitoyens des saints et de la maison de Dieu. Ainsi, S’ILS APPELLENT BÉELZÉBOUL LE MAÎTRE DE LA MAISON, il n’est pas étonnant qu’ils vous adressent des insultes.
1246. Mais pourquoi est-il appelé Béelzéboul ? Il faut savoir que Ninus veut dire «fils de Béli» ; ainsi, il fit honorer l’image de son père, qu’il appela Bel. Ensuite, cela fut traduit en une autre langue, et il fut appelé Béelzéboul. Zéboul, c’est-à-dire «mouche» : en effet, ceux-ci offraient des sacrifices très sanglants, autour desquels s’attroupaient de nombreuses mouches.
1247. NE LES CRAIGNEZ DONC PAS, etc. Ici, il les exhorte, en vue de la récompense, à ne pas faire défection au milieu des tribulations. Premièrement, il les encourage [10, 26] ; deuxièmement, il fait appel à une image [10, 26] ; troisièmement, il l’applique à ce qui est en cause [10, 27].
1248. [Le
Seigneur] dit donc : ILS VOUS PERSÉCUTERONT, MAIS NE CRAIGNEZ PAS, car
vous ne devez craindre que le mal ; mais c’est un grand bien de supporter
ce que le Seigneur a supporté. Ainsi, Paul [écrit] dans
Ga 6, 17 : Je porte dans
ma chair les marques du Christ.
1249. IL N’Y A RIEN DE CACHÉ QUI NE SERA RÉVÉLÉ. Cela peut se rapporter à ce qui précède ou à ce qui suit. À ce qui précède, dans le sens suivant : ils vous appelleront Béelzéboul, mais il ne faut pas y prendre garde, car, à la fin, leur malice sera révélée. Ainsi, ne craignez pas, car IL N’Y A RIEN DE CACHÉ QUI NE SERA RÉVÉLÉ, comme on le lit en 1 Co 4, 5 : Ne jugez pas avant le moment où viendra le Seigneur, qui révélera ce qui est caché dans les ténèbres et mettra à nu les desseins des cœurs. [RIEN DE] SECRET. Il y a une différence entre ce qui est caché et ce qui est secret, car ce qui est secret signifie quelque chose qui n’est pas manifeste, comme ce qu’un autre a dans le cœur, selon ce qui est dit plus haut, [Mt] 9, 4 : Pourquoi entretenez-vous de mauvaises pensées dans vos cœurs ? Mais ce qui est caché est quelque chose qui, même s’il est manifeste, est occulté par quelque chose d’autre. Ou bien on peut donner l’interprétation suivante : NE CRAIGNEZ PAS, car, même si votre véracité ne se révèle pas immédiatement, elle se révélera toutefois par la suite.
1250. Ensuite, le Seigneur les instruit comme un avoué est instruit, car celui-ci est d’abord instruit de ce qu’il doit alléguer avant de l’exprimer devant d’autres. Le Seigneur avait ainsi choisi ses disciples pour qu’ils sèment sa parole chez tout le peuple ; c’est pourquoi il voulait d’abord les instruire en disant : CE QUE JE VOUS DIS DANS LES TÉNÈBRES, DITES-LE AU GRAND JOUR. Il y a deux sens qui contribuent à l’enseignement : l’ouïe et la vue. Ce qui est dit dans les ténèbres est secret ; de même en est-il de ce qui est dit à l’oreille. CE QUE JE VOUS DIS DANS LES TÉNÈBRES, DITES-LE AU GRAND JOUR, car tout devient clair au grand jour. De même, ce qui est entendu par l’oreille est secret ; c’est pourquoi il dit : ET CE QUE VOUS ENTENDEZ À L’OREILLE, ANNONCEZ-LE SUR LES TOITS. Mais ce qui est dit en Jn 18, 20 est contraire à cela : Je n’ai rien dit en secret. Il faut comprendre cela de la manière suivante : «Je n’ai rien dit dans le secret qui ne puisse être dit en clair.» Ou de la manière suivante : CE QUE JE VOUS DIS DANS LES TÉNÈBRES, c’est-à-dire parmi les Juifs, qui sont ténèbres. Ainsi, Ep 5, 8 : Vous étiez autrefois ténèbres. Ou bien : CE QUE JE DIS À VOUS, qui êtes ténèbres, DITES-LE AU GRAND JOUR. 1 Co 4, 5 : Lui qui éclairera les profondeurs des ténèbres et mettra à nu les desseins des cœurs.
1251. ET CE QUE VOUS ENTENDEZ À L’OREILLE, ANNONCEZ-LE SUR LES TOITS. Pr 10, 14 : Les sages cachent la sagesse ; et Jb 5, 27 : Ce qui a été entendu en y portant attention. SUR LES TOITS, car dans certains pays, c’est la coutume que les toits soient plats, de sorte qu’on puisse y parler en s’adressant à tous. Au sens mystique, celui-là prêche sur les toits, qui, en soumettant sa chair, prêche aux autres.
1252. [Le Seigneur] a montré plus haut qu’ils ne devaient pas s’écarter de la confession de la vérité tant par l’exemple qu’en vue de la récompense ; maintenant, il montre qu’ils ne doivent pas s’écarter du jugement divin, car les actes sont soumis à la justice divine.
1253. Ou bien on peut établir la séquence suivante. Il a enseigné comment les persécutions doivent être évitées ; maintenant, il leur enseigne de ne pas s’écarter de l’accomplissement de leur fonction pour une quelconque raison. Car trois choses pouvaient l’empêcher : les outrages, la crainte de la mort et l’affection charnelle. Il a donc enseigné qu’ils ne s’en écartent pas en raison des outrages ; mais, maintenant, [qu’ils ne s’en écartent pas] par crainte de la mort ; ensuite, [qu’ils ne s’en écartent pas] en raison d’une affection charnelle, en cet endroit : NE PENSEZ PAS QUE JE SOIS VENU APPORTER LA PAIX SUR LA TERRE [10, 34].
1254. Dans cette ligne, il enseigne, en premier lieu, QU’IL NE FAUT PAS CRAINDRE CEUX QUI TUENT LE CORPS [10, 28], afin que la prédication de la vérité ne soit pas écartée ; en deuxième lieu, qu’il ne faut pas les craindre, parce qu’ils sont peu de chose, en cet endroit : MAIS ILS NE PEUVENT TUER L’ÂME [10, 28] ; troisièmement, il montre quels sont ceux qui doivent être craints parce qu’ils peuvent beaucoup de choses.
1255. [Le Seigneur] dit donc en premier lieu : NE CRAIGNEZ PAS CEUX QUI TUENT LE CORPS. Et pourquoi ? Parce que le corps possède en lui-même la nécessité de la mort. Il ne fait donc pas en sorte que [celle-ci] ne surviendra pas à l’avenir. Rm 8, 10 : Si le Christ est en vous, le corps est mort au péché. Aussi, parce que la mort donnée au corps en vue de la gloire est souhaitable ; ainsi Rm 7, 24 : Qui me délivrera de ce corps de mort ? De même, parce que [la mort] est brève et momentanée, 2 Co 4, 11 : Nous qui vivons, nous sommes toujours livrés à la mort. C’est pourquoi, NE CRAIGNEZ PAS. Is 51, 12 : Qui es-tu pour craindre un homme mortel et un fils d’homme, qui se dessèche comme l’herbe ?
1256. MAIS ILS NE PEUVENT TUER L’ÂME. Ici, [le Seigneur] indique qu’ils peuvent peu de chose, puisqu’ils ne peuvent tuer l’âme. Ainsi l’esprit est toujours vivant, Si 15, 18 : La vie et la mort sont proposées à l’homme, le bien et le mal : il lui sera donné ce qui lui plaît. En effet, comme le corps vit par l’âme, l’âme vit par Dieu. Ainsi, Dieu est la vie de l’âme.
1257. NE
LES CRAIGNEZ DONC PAS, car ils peuvent peu de chose, MAIS CRAIGNEZ PLUTÔT QUI
PEUT PERDRE ET LE CORPS ET L’ÂME DANS LA GÉHENNE. Si vous dites qu’il faut
craindre ceux qui tuent le corps, à plus forte raison faut-il craindre celui
qui peut perdre l’âme. Il faut remarquer que le mot GÉHENNE, comme le dit
Jérôme, ne se trouve pas dans l’Écriture ; il est cependant emprunté par le
Sauveur à Jr 19, 6 : Voici
que viennent des jours où cet endroit ne sera plus appelé la vallée des fils
d’Ennon, mais la vallée de la mort. Ainsi, la vallée d’Ennon était au pied
de la montagne de Jérusalem, qui était une vallée de grande abondance, et elle
était appelée la vallée d’Ennon. Mais il arriva que cet endroit fut consacré à
une idole. C’est pourquoi, après qu’ils se furent convertis aux plaisirs, le
Seigneur les a menacés de mort et l’endroit ne fut plus appelé Ennon, mais
«coriandre», c’est-à-dire «sépulcre des morts». Il appelle donc cet endroit la
géhenne. Il dit donc : NE CRAIGNEZ PAS SEULEMENT CEUX QUI TUENT LE CORPS,
MAIS PLUTÔT CELUI QUI PEUT PERDRE LE CORPS ET L’ÂME DANS LA GÉHENNE, car on ne
peut servir Dieu par crainte de la peine, mais par amour de la justice, comme
on le lit en Rm 8, 15 : En
effet, vous n’avez pas reçu un Esprit d’esclavage pour [vivre dans la] crainte,
mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils de Dieu.
1258. Il faut remarquer qu’il écarte ici deux erreurs. En effet, certains disaient que l’âme, une fois le corps mort, mourait. Il détruit cela lorsqu’il dit : CELUI QUI PEUT PERDRE L’ÂME DANS LA GÉHENNE. Il est donc clair que [l’âme] demeure après le corps. Il y avait aussi la position de ceux [qui disaient] qu’il n’y aura pas de résurrection, comme on le trouve en 1 Co 15, 12. Et il écarte cela, car si le corps et l’âme sont envoyés dans la géhenne, il est clair qu’il y aura une résurrection. Et on lit ceci en Ap 20, 10 : Ils seront envoyés lors de la résurrection dans l’étang de feu et de soufre.
1259. Ainsi, on a dit QU’IL NE FALLAIT PAS CRAINDRE CEUX QUI NE PEUVENT, etc. De même, ne faut-il pas [les] craindre, car le peu qu’ils peuvent, ils ne le peuvent que par la providence divine. En premier lieu, il montre la providence divine par rapport aux oiseaux [10, 29] ; en deuxième lieu, par rapport aux hommes, en cet endroit : LES CHEVEUX DE VOTRE TÊTE SONT TOUS COMPTÉS [10, 30] ; en troisième lieu, il leur signifie de se sentir en sécurité : SOYEZ DONC SANS CRAINTE, etc. [10, 31].
1260. [Le Seigneur] dit donc : [NE VEND-ON PAS] DEUX PASSEREAUX POUR UN AS ? Par passereaux, il donne à entendre tous les petits oiseaux. Par cela, il indique leur caractère négligeable, puisqu’ils sont vendus pour un as, car, de même que l’unité est le nombre le plus petit, de même en est-il de l’as pour ce qui est du poids. Mais il faut remarquer que, selon Augustin, on dit que quelque chose a une valeur de deux façons : soit selon la dignité de sa nature, et ainsi un passereau est plus digne qu’un denier ; soit qu’on le mette en rapport avec l’usage que nous en faisons, et ainsi le denier est plus digne. Mais on peut objecter que Lc 12, 6 indique cinq passereaux et deux as. Il faut dire qu’il y a peu de différence : si deux [passereaux] sont obtenus pour un as et cinq pour deux, il n’y a pas une grande différence.
1261. ET PAS UN D’ENTRE EUX NE TOMBERA AU SOL À L’INSU DE VOTRE PÈRE, [c’est-à-dire à l’insu] de la providence de votre Père. Et pourquoi dit-il cela ? Parce que cette parole est conforme à la parole de la Loi, Lv 14, selon laquelle, lorsqu’on était guéri de la lèpre, on offrait deux passereaux, dont l’un était immolé et l’autre était plongé dans le sang de celui qui avait été tué, avec du bois de cèdre et de l’hysope, et l’on aspergeait celui qui devait être purifié, avant qu’il ne soit relâché vivant. [La loi] veut donc que l’on en prenne deux et que l’un d’eux ne soit pas tué, et cela n’arrive pas à l’insu de la providence de Dieu. Hilaire donne l’interprétation suivante : «Par les deux passereaux, on comprend le corps et l’âme, et ils sont vendus pour un as, c’est-à-dire pour un petit plaisir.» Is 1, 1 : Voilà que vous avez été vendus à cause de vos iniquités, et j’ai renvoyé votre mère à cause de ses crimes. Et [de ces deux], un seul tombe au sol, à savoir, le corps, mais l’âme se tourne vers le jugement.
1262. Mais on objecte : «Dieu ne s’occupe pas des bœufs. Il ne s’occupe donc pas des passereaux.» Il faut dire que Dieu prend soin de toutes les [choses], comme on le lit en Sg 12, 13 : Il n’y a pas d’autre Dieu que toi, qui prends soin de toutes choses. Mais il faut savoir qu’il s’occupe de toutes les choses selon le mode de leur nature. Or, il existe une diversité dans les choses créées, selon laquelle certaines sont libres, et d’autres ne le sont pas. Une créature est dite libre lorsqu’elle a le pouvoir de faire ce qu’elle veut ; n’est pas libre celle qui n’a pas ce [pouvoir]. Ainsi, [Dieu] prend soin des [créatures] raisonnables selon qu’elles sont libres, mais Il prend soin des autres selon qu’elles sont des servantes, de la même manière que le maître de maison prend soin de ses enfants d’une autre manière que de ses serviteurs : il prend soin de ses enfants pour eux-mêmes, mais [il prend soin] de ses serviteurs selon qu’ils sont au service des maîtres, et même selon que chacun est plus apte à rendre service. Ainsi, la miséricorde divine pourvoit aux [créatures] raisonnables pour elles-mêmes, parce que tout est fait en fonction de leur bien ou de leur mal. En conséquence, tout est pour elles récompense ou peine en fonction de leurs mérites. Ce qui arrive aux [créatures] non raisonnables arrive soit pour le salut des hommes, soit pour l’achèvement de l’univers, comme on lit en 3 R [1 R] 13 qu’un prophète fut tué par un lion, et cela en raison de sa faute. La souris est tuée par le chat pour le bien de l’univers. En effet, tel est l’ordre de l’univers qu’un animal vive d’un autre.
1263. Ainsi donc, [le Seigneur] montre que [le Père] prend soin des hommes et des animaux sans raison d’une manière différente, lorsqu’il dit : MAIS LES CHEVEUX DE VOTRE TÊTE SONT TOUS COMPTÉS. Il montre qu’il y a une différence dans la providence par laquelle Dieu prend soin de diverses manières. Il avait dit qu’un seul des passereaux ne tombait au sol sans que le Père [ne le veuille] ; mais ici, il dit que «non seulement vous ne tomberez pas, mais pas même vos cheveux [ne tomberont]». Et ici, il signale que la providence s’occupe des actes les plus infimes, car tout ce qu’il y a en eux est ordonné à eux, et le Seigneur prend soin de ceux-ci. Mais il faut remarquer qu’il dit : SONT COMPTÉS. La raison en est que, d’habitude, ce que quelqu’un veut conserver pour lui, il le compte ; ce qu’il veut distribuer, il le donne aux autres. Ainsi, la différence entre la providence pour les [créatures] raisonnables et pour les autres est que [la créature raisonnable] est ordonnée par Dieu de manière immédiate, parce qu’une telle créature est capable de Dieu, mais que les autres ne le sont pas. De même, ce que nous comptons, nous voulons le conserver pour nous. C’est pourquoi il n’a pas dit plus haut que les passereaux étaient comptés, car ils ne durent pas toujours ; mais les hommes le sont afin de durer éternellement, car l’âme a une durée perpétuelle.
1264. Mais ici se pose une question : si les cheveux sont comptés, tout ce qui a été coupé des cheveux ne sera-t-il pas rétabli lors de la résurrection ? Et si tel est le cas, leur longueur sera indécente. Certains disent que la matière ne périt pas, mais qu’elle sera superflue sous un aspect, et déficiente sous l’autre. Mais étant donné que rien n’aura été éliminé, qu’est-ce que cela sera devenu ? Il faut donc comprendre qu’il y a eu à ce sujet trois opinions. Certains ont dit que ne ressuscitera que ce qui appartient à la vérité de la nature humaine. D’autres, que ne ressuscitera que ce qui s’est ajouté depuis Adam et s’est ainsi multiplié d’une manière aussi considérable. Mais d’autres, [que ressuscitera] non seulement ce qui s’est ajouté depuis Adam, mais aussi ce qui s’est ajouté depuis un proche parent. Ainsi, tout ce qui a été ajouté, et qui appartient à la vérité de la nature humaine, ressuscitera ; mais ce qui relève de la quantité des parties ne ressuscitera pas. Mais à cela semble s’opposer que la chaleur qui agit sur l’élément nutritif humide agit aussi sur ce qui est dans les racines, et ainsi l’homme ne consomme pas l’un sans consommer l’autre, puisqu’ils sont mélangés. C’est pourquoi il semble qu’il faille dire autre chose, à savoir que tout ce qui appartient à la vérité [de la nature humaine] ne demeurera que dans la mesure où cela se rapporte à l’achèvement. Or, j’appelle ce qui appartient à la vérité de la nature humaine la chair selon son espèce ; le reste, la chair selon la matière. La chair selon son espèce ressuscitera, mais non [la chair] selon la matière. Mais qu’est-ce que cela veut dire : la chair selon son espèce ? Il faut dire que les parties de l’homme peuvent être considérées soit selon la forme, soit selon la matière. Selon la forme, elles durent toujours. Mais si nous considérons la matière qui est sous-jacente, [elle] évolue dans un sens et dans l’autre, comme on le voit par le feu. Car si on ajoute du bois au feu, le feu demeure le même selon son espèce ; toutefois, la matière évolue selon que le bois diminue. Ainsi, ressuscitera ce qui est plus parfait. C’est pourquoi [le Seigneur] ne dit pas : «Vos cheveux ont été pesés», mais ONT ÉTÉ COMPTÉS. Ils ne ressusciteront donc pas quant à leurs poids, mais quant à leur forme.
1265. Ici, [le Seigneur] indique la sécurité venant du fait que [les adversaires des apôtres] ne peuvent faire que peu de chose ; et ce qu’ils peuvent, ils ne le peuvent que par la providence de Dieu. NE CRAIGNEZ DONC PAS : VOUS VALEZ PLUS QU’UN GRAND NOMBRE DE PASSEREAUX. Tu as tout soumis à leurs pieds, tous les bœufs et les brebis, et tous les animaux des champs, comme on le lit dans Ps 8, 8. Et Gn 1, 26 : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; vient ensuite : Qu’il domine sur les oiseaux du ciel, les poissons de la mer et les bêtes de toute la terre, de même que sur tout reptile qui rampe sur la terre.
1266. QUICONQUE TÉMOIGNERA POUR MOI DEVANT LES HOMMES, JE TÉMOIGNERAI POUR LUI DEVANT MON PÈRE. Ici, [le Seigneur] aborde ce qui se rappporte au témoignage qui lui est rendu [10, 32] ; en second lieu, le dommage qui provient de son reniement, en cet endroit : CELUI QUI M’AURA RENIÉ DEVANT LES HOMMES, JE LE RENIERAI DEVANT MON PÈRE [10, 33]. Il dit donc : «Je veux donc que vous mouriez et que vous souffriez. Et pourquoi ? Assurément, pour votre bien.» Car CELUI QUI TÉMOIGNERA POUR MOI DEVANT LES HOMMES, etc. Il écarte ainsi l’erreur de celui qui disait qu’il n’était pas nécessaire de confesser la foi, sauf aux yeux de Dieu en son cœur, et non de bouche devant les hommes, ce qui apparaît ici faux, car c’est par le cœur qu’on croit en vue de la justice, mais c’est par la bouche qu’on confesse en vue du salut, Rm 10, 10.
1267. JE TÉMOIGNERAI EN SA FAVEUR DEVANT MON PÈRE, à savoir, lorsque j’aurai accès à mon Père, alors qu’il dira : Venez, les bénis de mon père, etc. [Mt 25, 34]. Mais [les apôtres] pourraient alors dire : «Tu es sur terre, cela ne peut pas être de grande valeur.» Il ajoute donc : QUI EST AUX CIEUX, et celui-là a la puissance.
1268. MAIS CELUI QUI M’AURA RENIÉ en paroles, comme Pierre, ou en actes, comme ceux dont il est question en Tt 1, 16 : Certains confessent qu’ils connaissent Dieu, mais le nient par leurs actes. JE LE RENIERAI, lorsqu’il dira, comme on le lit plus haut, 7, 23 : Je ne vous ai jamais connus, c’est-à-dire, je ne vous ai jamais reconnus.
1269. NE CROYEZ PAS QUE JE SOIS VENU APPORTER LA PAIX SUR LA TERRE, etc. Plus haut, [le Seigneur] a averti ses disciples de ne renoncer à la prédication de la vérité ni à cause des outrages, ni par crainte de la mort. Maintenant, il les avertit de ne pas y renoncer en raison d’une affection charnelle. En premier lieu, il montre qu’une séparation de l’affection charnelle est sur le point de se produire [10, 34s] ; en second lieu, comment ils doivent se comporter, en cet endroit : CELUI QUI AIME SON PÈRE ET SA MÈRE PLUS QUE MOI N’EST PAS DIGNE DE MOI [10, 37s].
1270. À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il écarte une intention qu’on lui attribuerait [10, 34] ; deuxièmement, il met de l’avant son intention ; troisièmement, il l’explique. La deuxième [partie se trouve] en cet endroit : JE NE SUIS PAS VENU APPORTER LA PAIX [10, 34] ; la troisième, en cet endroit : JE SUIS VENU OPPOSER L’HOMME À SON PÈRE, etc. [10, 35-36].
1271. [Le Seigneur] dit donc : «On pourrait se demander pourquoi, Seigneur, tant de choses nous arrivent. Nous croyions que, par ta venue, nous aurions la paix.» C’est pourquoi il dit : NE CROYEZ PAS, etc. Mais que veut-il dire ? Ne trouve-t-on pas en Lc 2, 14 que, après la naissance du Seigneur, les anges annoncèrent : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ? Et l’évêque lui-même, lorsqu’il se tourne pour la première fois vers le peuple, ne dit-il : «La paix soit avec vous», et, plus haut, le Seigneur n’a-t-il pas annoncé la paix ?
1272. C’est
pourquoi il faut dire qu’il existe une double paix, à savoir, une bonne et une
mauvaise. Le mot «paix» signifie la concorde. Il est question de la mauvaise
paix en Sg 14, 22 : Alors
que l’ignorance les fait vivre en pleine guerre, ils donnent à de tels maux le
nom de paix. Cette paix est celle des affections charnelles. «Je ne suis
pas venu établir celle-ci.» Ainsi, en Ap 6, 14 : Il lui a été donné d’enlever la paix de la
terre. Mais il y a une bonne paix, dont il est question en
Ep 2, 14 : Celui-là est
notre paix qui des deux n’a fait qu’un. Et c’est pourquoi les anges ont
annoncé, Lc 2, 14 : …et sur
la terre aux hommes de bonne volonté. Ainsi, JE NE SUIS PAS VENU APPORTER
LA PAIX, MAIS LE GLAIVE. Il est de la nature du glaive de diviser. Ce glaive
est la parole de Dieu, He 4, 12 : La parole de Dieu est vivante et efficace, et plus incisive qu’un glaive
à deux tranchants. Et encore : Le
glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu, Ep 6, 17. Ce
glaive a été envoyé sur terre. Certains ont cru, d’autres non. C’est pourquoi
il y a guerre, comme on trouve en Ga 4, 9 : Comment vous êtes-vous convertis de nouveau aux éléments sans force et
sans valeur, auxquels vous voulez de nouveau vous asservir ? Ainsi,
[le Seigneur] est venu ouvrir cette division. Il est donc VENU APPORTER LE
GLAIVE, etc., à savoir, la parole, mais, pour une part, parce que certains ont
cru, et cela est son œuvre, et certains [n’ont pas cru], et cela est le fait de
leur malice. Cependant, cela aussi est causé par lui, car il l’a permis, comme
on le trouve en Rm 1, 26 : Pour
cette raison, Dieu les a abandonnés à leurs passions honteuses.
1273. Mais quelqu’un pourrait dire : «Tu es venu séparer. Mais qui es-tu venu [séparer] ? Ne sont-ce pas ceux qui sont différents et étrangers ?» Et il montre que tel n’est pas le cas, mais [qu’il est venu séparer] ceux qui sont les plus unis. Car JE SUIS VENU OPPOSER L’HOMME À SON PÈRE, etc. En effet, il existe une double union très étroite : l’union naturelle et l’union domestique ou économique. Ainsi donc, c’est contre les deux qu’il porte le glaive. L’amitié naturelle est fondée sur un acte naturel, et celui-ci est la génération ; l’union de l’homme et de la femme, domestique ou économique, [est fondée] sur la parenté par alliance. Ainsi donc, contre la première, JE SUIS VENU OPPOSER L’HOMME À SON PÈRE.
1274. Mais une question se pose. Il a été dit plus haut : Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir [Mt 5, 17]. Or, la loi enseigne : Honore ton père et ta mère, etc. [Ex 20, 12 ; Dt 5, 16 ; Mt 19, 19 ; Ep 6, 2]. La solution [est la suivante]. Je dis que tu dois obéir à qui ne se soustrait pas à l’amour de Dieu ; mais lorsqu’il s’y soustrait, tu n’es pas tenu d’obéir. ET LA FILLE À SA MÈRE, et cela, par rapport à la génération. ET LA BRU À SA BELLE-MÈRE. Et la loi nouvelle a ceci en commun avec la loi ancienne, Ex 32, où il est dit : Si quelqu’un appartient au Seigneur, qu’il se joigne à moi. Et tous les fils de Lévi se rassemblèrent autour de lui, et il leur dit : «Que l’homme place son épée sur sa cuisse.» Vient ensuite : Que chacun tue son frère et son ami. Et cela est considéré comme glorieux pour les lévites, comme on le lit en Dt 33, 8, où il est dit : Et Lévi dit : «Ta perfection et ton enseignement [sont ceux] d’un saint homme.»
1275. Vient ensuite : CELUI QUI A DIT À SON PÈRE ET À SA MÈRE : «JE NE VOUS CONNAIS PAS», ET À SES FRÈRES : «JE VOUS IGNORE», ET [CEUX QUI] N’ONT PAS RECONNU LEURS FILS. Mais ici se pose une question, car il énumère ici six personnes ; mais, en Lc 12, 53, il n’y en a que trois qui sont énumérées. Et il faut dire que c’est la même chose aux deux endroits, car la mère et la belle-mère de sa femme sont la même personne.
1276. De même, il aborde ce qui concerne les liens familiaux, là où il dit : ET ON AURA POUR ENNEMIS LES GENS DE SA FAMILLE, etc. Et on trouve en Jr 20, 10 : Et j’ai entendu les outrages d’un grand nombre, et les menaces de mon entourage : «Persécutez ! Persécutons-le !», de la part de ceux qui étaient en paix avec moi. Et voyez comment tout cela se trouve en Mi 7, 6 : Le fils outrage le père, et le fils s’élève contre sa mère, la bru contre sa belle-mère, et chacun a pour ennemis les membres de sa maison.
1277. Ici, [le Seigneur] montre comment, dans cette division, [les apôtres] doivent se comporter. Si tu veux recevoir le glaive du Seigneur, il faut que tu te sépares de ceux qu’il a mentionnés. Mais on pourrait dire : «Je ne veux pas être séparé de mon père», et ainsi de suite. C’est pourquoi il dit : CELUI QUI AIME SON PÈRE ET SA MÈRE PLUS QUE MOI N’EST PAS DIGNE DE MOI.
1278. Le Seigneur exhorte à le placer au-dessus de tout amour charnel. D’abord, il présente l’exhortation [10, 37] ; en second lieu, le bien qui en découle, en cet endroit : QUI VOUS ACCUEILLE M’ACCUEILLE [10, 40]. Et il présente trois degrés. En effet, il est naturel qu’un homme aime son père, mais il est plus naturel qu’un père aime son fils ; de même est-il plus naturel qu’il s’aime lui-même. Pourquoi un père aime-t-il davantage son fils que l’inverse ? Certains donnent la raison que le père en connaît plus sur le fils, puisqu’il est [lui-même] fils, que le fils sur le père. De même, plus longtemps quelqu’un est lié à un autre, plus il s’enracine dans l’amour qu’il a pour lui. Il y a aussi une autre raison : chacun s’aime davantage qu’un autre. Mais le fils est une partie séparée [du père], alors que le père n’est pas une partie du fils. De même, il est naturel que chacun aime ce qu’il a fait. Mais il existe une différence selon certains, car le fils aime davantage le père sous un certain aspect : en effet, le père descend d’une certaine manière dans le fils, et cependant le fils est soumis au père. C’est pourquoi le père aime naturellement son fils, et même un père spirituel, comme on le lit en 1 Co 4, 14 : Ce n’est pas pour vous confondre que j’écris cela, mais je vous avertis comme des fils très chers. Or, les fils sont naturellement soumis à leur père. C’est pourquoi ils honorent leur père, ils s’irritent davantage de l’injure faite à leur père qu’à eux-mêmes et désirent davantage la gloire pour leur père que pour eux-mêmes, Pr 17, 6 : Les pères sont la gloire des fils. Ainsi, QUI AIME SON PÈRE OU SA MÈRE PLUS QUE MOI, car [le Seigneur] est lui-même Dieu. Or, Dieu doit être aimé plus que tout. Jb 32, 21 : Je ne prendrai la place de personne et je n’égalerai pas Dieu à un homme. En effet, Dieu est la bonté même ; c’est pourquoi il doit être aimé davantage.
1279. CELUI QUI AIME SON PÈRE ET SA MÈRE PLUS QUE MOI N’EST DONC PAS DIGNE DE MOI. QUI AIME SON FILS OU SA FILLE, etc. Pourquoi le fils aime-t-il le père ? Il faut dire que tout ce que le fils a, il le tient du père. En effet, il reçoit du père la nourriture et l’enseignement. Et le fils ne peut pas donner cela à son père. Mais ce que le fils reçoit de son père, il le reçoit plus abondamment de Dieu. En effet, Lui-même nous enseigne, comme on le lit en Jb 35, 11 : Lui qui nous enseigne plus que les animaux de la terre et nous instruit plus que les oiseaux du ciel, etc. De même, il nous paît, comme il est dit de Jacob dans la Genèse. De même, il nous conserve à jamais. Et cela, l’homme le tient davantage de Dieu que de son père. Ainsi donc, Dieu doit toujours être davantage aimé. Je sais que mon sauveur est vivant et que je ressusciterai au dernier jour, et que je serai revêtu de ma peau et que je verrai mon Dieu dans ma chair, Jb 19, 25.
1280. Il
a donc été dit que QUI AIME SON PÈRE, etc. ; je dis encore
davantage : «Qui s’aime plus que moi n’est pas digne de moi.» Car rien ne
peut combler la totalité du désir que Dieu. C’est pourquoi,
Dt 6, 5 : Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, de toutes tes forces. De
sorte que [le Seigneur] dit : QUI NE PREND PAS SA CROIX ET NE ME SUIT PAS
N’EST PAS DIGNE DE MOI. Il veut dire que celui qui n’est pas prêt à supporter
la mort pour la vérité, et surtout cette mort, celle de la croix, N’EST PAS
DIGNE DE MOI. Bien plus, il doit se glorifier de la croix, comme on le lit en
Ga 6, 14 : Que je ne me
glorifie que dans la croix du Seigneur. Et par cela, il annonce d’avance sa
mort et son genre de mort, 1 P 2, 1 : Le Christ a souffert pour nous, vous laissant ainsi un exemple pour que
vous suiviez ses traces.
1281. On donne aussi une autre interprétation. Car celui-là accueille la croix qui afflige sa chair, comme on lit en Ga 5, 24 : Ceux qui appartiennent au Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses désirs, etc. De même la croix est portée dans le cœur lorsque celui-ci est attristé par le péché, comme le disait l’Apôtre, 2 Co 11, 29 : Qui chutera sans qu’un feu ne me brûle ? De même, cela ne suffit pas si on ne suit pas le Seigneur. D’où : ET NE ME SUIT. «Si tu jeûnes, si tu compatis avec le prochain, mais non pas à cause de moi, tu n’es pas digne [de moi].» Il est grand de suivre le Seigneur, comme on le lit en Si 23, 38 : Ma gloire, c’est de suivre le Seigneur.
1282. QUI
A TROUVÉ SON ÂME, LA PERDRA. Or, l’âme s’entend de la vie. Lorsque quelqu’un
est en danger de perdre des deniers, il a coutume de dire : «J’ai perdu
des deniers» ; et s’il est sauvé du danger, il dit qu’il a trouvé ses
deniers. De la même manière, si quelqu’un fait face à un danger corporel et est
par chance sauvé, il dit qu’il a trouvé sa vie. «Ainsi donc, celui qui trouve
sa vie et se trouve en danger à cause de moi, et me renie pour trouver sa vie,
il n’est pas digne de moi.» QUI AURA PERDU SON ÂME, à savoir sa vie,
c’est-à-dire, s’il s’est exposé à la mort à cause de moi, [IL] LA TROUVERA.
Pr 8, 35 : Celui qui me
trouve trouvera la vie et recevra le salut du Seigneur.
1283. QUI VOUS ACCUEILLE M’ACCUEILLE. Ici, [le Seigneur] indique le remède. «Tu dis que nous devons faire cela pour vivre ? Fais-nous indulgence.» Comme le pape donne aux légats le pouvoir d’accorder des indulgences, ainsi le Seigneur accorde une récompense à ceux qui l’accueillent. Et il indique trois choses, dont deux concernent les petites gens.
1284. Il dit donc : QUI VOUS ACCUEILLE M’ACCUEILLE, car ils auront Dieu, puisque vous êtes mes membres, et parce que vous êtes membres les uns des autres. Ainsi, [IL] M’ACCUEILLE. Mais on pourrait dire : «Tu es pauvre ; il n’y a rien de grand à accueillir un pauvre ou toi-même.» Ainsi donc, QUI M’ACCUEILLE ACCUEILLE CELUI QUI M’A ENVOYÉ, car, comme on lit en Jn 5, 23 : Celui qui honore le Fils honore aussi le Père. Il est grand d’accueillir Dieu comme hôte, comme Abraham en fut louangé, ainsi qu’on le lit en He 13, 2.
1285. De même, une autre chose en découlera, à savoir, la récompense du prophète. Ainsi, QUI ACCUEILLERA UN PROPHÈTE AU NOM D’UN PROPHÈTE RECEVRA UNE RÉCOMPENSE DE PROPHÈTE. Deux choses excellentes se rencontrent dans un prophète : la prophétie, Jl 2, 28 : Je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront ; et aussi le don de justice, 1 Co 1, 30 : Vous venez de celui qui s’est fait sagesse et justice pour nous.
1286. QUI ACCUEILLE UN PROPHÈTE AU NOM D’UN PROPHÈTE. On peut comprendre cela de la manière suivante : QUI ACCUEILLE UN PROPHÈTE AU NOM D’UN PROPHÈTE, c’est-à-dire parce qu’il est un prophète, RECEVRA UNE RÉCOMPENSE DE PROPHÈTE. Ou bien, autre [interprétation] : «Tu dis que nous accueillons les apôtres ; mais des pseudo-prophètes ou des pseudo-apôtres se présenteront.» [Le Seigneur] dit donc : «Je n’insiste pas sur la vérité, mais sur le nom.» Car celui qui accueille au nom d’un prophète recevra une récompense. Et quelle [récompense] ? La même que celle que tu recevrais si tu accueillais un vrai prophète. C’est pourquoi il dit : UNE RÉCOMPENSE DE PROPHÈTE, c’est-à-dire celle qu’aurait un prophète. De même, il n’insiste pas sur l’identité de celui-ci, sur le fait qu’il s’agisse de tel ou tel. Qui accueille un prophète reçoit une récompense de prophète, car le prophète est ainsi rendu plus enclin à exercer sa fonction. En effet, non seulement ceux qui [le] font reçoivent-ils une récompense, MAIS AUSSI CEUX QUI SONT D’ACCORD AVEC CEUX QUI LE FONT, comme on le lit en Rm 1, vers la fin [1, 32]. De sorte que si tu coopères au bien, tu reçois une récompense pour ce bien ; si tu procures ce qui est nécessaire pour vivre, tu reçois une récompense, car, autrement, la fonction ne pourrait être exercée. Et c’est la même chose qui suit : QUI ACCUEILLE UN JUSTE AU NOM D’UN JUSTE RECEVRA UNE RÉCOMPENSE DE JUSTE.
1287. Mais
quelqu’un pourrait dire : «Si Pierre venait, ou Élie, je l’accueillerais
volontiers.» C’est pourquoi il ajoute : ET QUICONQUE DONNERA À BOIRE À
L’UN DES PLUS PETITS, c’est-à-dire aux fidèles, comme on le trouve plus loin,
5, 40 : En vérité, je vous le
dis, ce que vous avez fait à l’un des plus petits de mes frères que voici, vous
l’avez fait pour moi, etc., comme s’il disait : «Je ne porte pas
attention au fait qu’il soit grand ou petit.» Quelqu’un pourrait dire :
«Je suis pauvre ; je n’ai pas de quoi donner.» [Le Seigneur] ajoute donc :
UNE COUPE D’EAU. Il ne dit pas d’eau chaude, en raison du manque de bois, afin
que celui-là ne puisse s’excuser. [Le Seigneur] veut donc dire : «La
moindre chose que vous ferez sera récompensée.» Et il confirme ceci en
disant : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, IL NE PERDRA PAS SA RÉCOMPENSE ;
Is 40, 10 : Voici que le
Seigneur viendra, et vient ensuite : Et il aura sa récompense, et il aura son action sous les yeux.
Leçon 1
[Matthieu 11, 1‑5] 11, 1 En ce temps-là, quand Jésus eut achevé
de donner ces consignes à ses douze disciples, il partit de là pour enseigner
et prêcher dans leurs villes. 11, 2 Lorsque Jean entendit parler des
oeuvres du Christ dans sa prison, il envoya deux de ses disciples pour lui
dire : 11, 3 «Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre
un autre ?» 11, 4 Jésus leur répondit : «Annoncez à Jean ce que
vous avez entendu et ce que vous avez vu : 11, 5 les aveugles voient
et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les
morts ressuscitent et les pauvres sont évangélisés ; 11, 6 et heureux
celui qui ne trébuchera pas à cause de moi !»
11, 7 Tandis que ceux-ci
s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules au sujet de Jean :
«Qu’êtes-vous allés contempler dans le désert ? Un roseau agité par le
vent ? 11, 8 Mais qu’êtes-vous allés voir ? Un homme portant des
vêtements délicats ? Mais ceux qui portent des habits délicats se trouvent
dans les demeures des rois. 11, 9 Alors qu’êtes-vous allés voir ? Un
prophète ? Je vous le dis : et plus qu’un prophète. 11, 10 C’est
de lui qu’il est écrit : Voici que moi j’envoie devant mon visage mon
messager qui prépare la voie devant toi. 11, 11 «En vérité je vous le dis,
parmi les enfants des femmes, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean
Baptiste. Mais le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui.
11, 12 Depuis les jours de Jean Baptiste jusqu’à présent, le règne des
Cieux souffre violence, et des violents s’en emparent. 11, 13 Tous les
prophètes en effet, ainsi que la Loi, ont prophétisé jusqu’à Jean. 11, 14
Jean est cet Élie qui doit revenir, si vous voulez m’en croire. 11, 15 Que
celui qui a des oreilles entende !
Leçon 2
[Matthieu 11, 16‑19] 11, 16 «Mais à qui vais-je comparer cette
génération ? Elle ressemble à des enfants assis sur une place, qui
crient : 11, 17 “Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas
dansé ! Nous nous sommes plaints, et vous n’avez pas gémi !”
11, 18 Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : “Il
est possédé par un démon !” 11, 19 Vient le Fils de l’homme, mangeant
et buvant, et l’on dit : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des
publicains et des pécheurs !” Et justice a été rendue à la Sagesse par ses
oeuvres.»
Leçon 3
[Matthieu 11, 20‑30] 11, 20 Il se mit alors à invectiver contre les
villes qui avaient vu ses plus nombreux miracles mais n’avaient pas fait
pénitence. 11, 21 «Malheur à toi, Chorazeïn ! Malheur à toi,
Bethsaïde ! Car si les prodiges qui ont eu lieu chez vous avaient été
faits à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties sous le
sac et dans la cendre. 11, 22 En vérité, je vous le dis, pour Tyr et
Sidon, il y aura plus d’indulgence au jour du Jugement que pour vous.
11, 23 Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu’au ciel ?
Jusqu’à l’Hadès tu descendras. Car si les prodiges qui ont eu lieu chez toi
avaient été faits à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. 11, 24
Aussi bien, je vous le dis, pour le pays de Sodome il y aura moins de rigueur,
au Jour du Jugement, que pour toi.»
11, 25 En ce temps-là
Jésus répondit : «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu
as caché cela aux sages et aux prudents et tu l’as révélé aux petits. 11, 26
Car, Père, tel a été ton bon plaisir. 11, 27 Tout m’a été remis par mon
Père, et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et personne ne connaît le
Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.
11, 28 «Venez à moi, vous
tous qui peinez et qui ployez sous le fardeau, je vous soulagerai. 11, 29
Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble
de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. 11, 30 Car mon joug
est doux et mon fardeau léger.»
1288. Après avoir ainsi parlé, le Seigneur passe à l’enseignement et à la prédication. Et cela, pour trois raisons. Première raison : afin que ce qu’il avait dit en paroles, il le montre par l’exemple. Ac 1, 1 : Jésus commença à agir et à enseigner. De même, afin de montrer qu’il faut prêcher même aux impies. Ainsi, en Rm 1, 14 : Je suis redevable aux sages et aux insensés. De même, afin de donner à d’autres l’occasion de prêcher, comme on le lit en 1 Co 14, 30 : Si quelque chose a été révélé à celui qui est assis, que le précédent se taise.
1289. LORSQUE JEAN ENTENDIT PARLER DES ŒUVRES DU CHRIST DANS SA PRISON. L’enseignement du Christ a été présenté et confirmé, et les prédicateurs ont été formés ; ici, les opposants sont réfutés. Et d’abord, [Jésus] réfute les disciples de Jean [11, 2s] ; deuxièmement, les scribes, en cet endroit : TANDIS QUE CEUX-LÀ S’EN ALLAIENT, etc. [11, 7s].
1290. À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il réfute ceux qui doutent [11, 2] ; deuxièmement, il s’adresse aux foules, en cet endroit : À QUI VAIS-JE COMPARER CETTE GÉNÉRATION ? [11, 16] ; troisièmement, il rend grâce pour la foi des apôtres, en cet endroit : EN CE TEMPS-LÀ, JÉSUS PRIT LA PAROLE ET DIT, etc. [11, 25].
1291. À propos du premier point, une question est posée [11, 2] ; deuxièmement, la solution donnée à la question [est présentée], en cet endroit : JÉSUS LEUR RÉPONDIT [11, 4].
1292. [Jésus] dit donc : LORSQUE JEAN ENTENDIT PARLER DES ŒUVRES DU CHRIST DANS SA PRISON. L’occasion où [Jean] envoya [ses disciples] est présentée. On lit la même chose en Lc 7, 18, selon un autre ordre, toutefois. [Matthieu] dit donc que [Jean] était en prison, comme plus haut, [Mt] 4. Jésus commença alors à faire des miracles. Et cela convenait, comme lorsque le soleil ne paraîtrait pas quand il y aurait des nuages. Plus loin : La loi et les prophètes vont jusqu’à Jean. LES ŒUVRES, c’est-à-dire des miracles DU CHRIST. IL ENVOYA DEUX DE SES DISCIPLES POUR LUI DIRE.
1293. Certains veulent condamner Jean à cause de cela, car il a eu des doutes sur le fait que [Jésus] était le Christ, et il est clair que celui qui doute en matière de foi est infidèle. Ambroise dit, en commentant Luc, que «cette question n’était pas due à l’infidélité, mais à la piété.» En effet, il ne parle pas de la venue [de Jésus] dans le monde, mais de sa venue en vue de la passion. De sorte qu’il s’étonne qu’il soit venu pour souffrir, comme le dit Pierre : Fais-moi miséricorde, Seigneur. Mais, par contre, Chrysostome dit que Jean l’avait su depuis le début, puisqu’il dit : Voici l’agneau de Dieu, Jn 1, 29. Il est donc clair qu’il savait que [Jésus] était une victime qui devait être immolée. C’est pourquoi le Seigneur fait ici son éloge en disant qu’il est plus qu’un prophète. Or, les prophètes connaissaient l’avenir. Une autre explication est celle de Grégoire, à savoir qu’il n’est pas question de la venue dans le monde ni de la passion, mais de la descente aux enfers, car Jean était près de descendre aux enfers. Il voulait donc être rassuré : ES-TU CELUI QUI DOIT VENIR, etc. ? Mais à cela s’objecte Chrysostome. Chez ceux qui sont aux enfers, il n’existe pas d’état de pénitence. Il semble donc que [Jean] dirait cela en vain. Mais cela ne s’oppose pas à Grégoire, car il entendait, non pas que [le Christ] annoncerait la conversion aux captifs, mais aux justes afin qu’ils se réjouissent. Autre réponse : nous lisons que le Seigneur a souvent interrogé, non pas parce qu’il avait des doutes, mais pour écarter la calomnie, comme en Jn 11, 34, il posa la question au sujet de Lazare : Où l’avez-vous déposé ? Non pas qu’il l’ignorât, mais pour que ceux qui allaient lui montrer le sépulcre ne pussent nier ni calomnier.
1294. Il en fut donc ainsi pour Jean. Parce que ses disciples exprimaient des calomnies au sujet du Christ, il les envoya, non parce que lui-même avait des doutes, mais afin que ceux-ci ne calomnient pas [le Christ] et pour qu’ils [le] reconnaissent. Mais pourquoi ne [les] a-t-il pas envoyés plus tôt ? Parce que plus tôt, [le Christ] était toujours avec eux ; il les rassurait donc. Mais lorsqu’il voulut s’éloigner d’eux, il voulut qu’ils soient rassurés par le Christ.
1295. [Jean] dit donc : ES-TU CELUI QUI DOIT VENIR OU DEVONS-NOUS EN ATTENDRE UN AUTRE ? Il est vrai que nos pères t’ont attendu, comme on trouve en Ex 4.
1296. JÉSUS LEUR RÉPONDIT, etc. Ici est présentée la réponse du Christ. Jean avait eu plusieurs disciples, comme on trouve en Jn 4. Il y avait donc un désaccord entre eux, car, voyant les œuvres du Christ, ils préféraient le Christ à Jean. De même, voyant l’abstinence de Jean, ils préféraient Jean au Christ. [Jean] pose donc d’abord une question [11, 3] ; en second lieu, [Jésus] fait l’éloge de Jean [11, 4].
1297. À propos du premier point, [Jésus] répond dans la perspective de [sa] venue en vue de la passion. Viendra le temps où Dieu souffrira et plusieurs seront scandalisés, car il était un scandale pour les Juifs, 1 Co 1, 23. Sa réponse porte donc sur le moment où ceci arrivera. Selon Chrysostome, il veut montrer que c’est celui que les prophètes avaient annoncé qui est venu. Ainsi, trois choses étaient promises par les prophètes. Parfois, la venue de Dieu était promise ; dans certains cas, la venue d’un nouveau docteur ; dans certains [cas], l’avènement de la sanctification et de la rédemption.
1298. Comment donc saurons-nous que celui-ci est venu ? Et il répond comme il est répondu en Is 35, 4 : Voici que Dieu viendra et nous sauvera, etc. Vous verrez donc ces miracles. ALLEZ donc ANNONCER À JEAN CE QUE VOUS AVEZ ENTENDU, dans [mes] enseignements, ET CE QUE VOUS AVEZ VU, dans [mes] miracles. De même, un docteur était promis, Jl 2, 22 : Fils de Sion, exultez ; vient ensuite : Car Il vous a donné un docteur de justice.
1299. LES AVEUGLES VOIENT, etc. Et ceci, à la lettre. De même, si tu te demandes quand il viendra, Is 51, 1 : L’Esprit du Seigneur est sur moi, Il m’a envoyé pour que j’annonce aux doux, ou pour que j’évangélise. Et c’est ce qui est signifié lorsqu’on dit : ET LES PAUVRES SONT ÉVANGÉLISÉS. Il a voulu signifier quelque chose qui lui est propre, comme s’il disait : «Il viendra présenter une nouvelle doctrine.» LES PAUVRES SERONT ÉVANGÉLISÉS, à savoir que la pauvreté est évangélisée. Ainsi, plus haut, 5 3 : Bienheureux les pauvres en esprit. Lc 4, 18 : L’Esprit du Seigneur est sur moi ; c’est pour cela qu’il m’a oint et m’a envoyé évangéliser les pauvres. De même, quelqu’un de saint viendra sanctifier les pécheurs. Ainsi, Is 8, 13 : Le Seigneur des armées, sanctifiez-le.
1300. Ainsi donc, la sanctification était promise à certains, et d’autres étaient scandalisés par la sanctification de ceux-ci. Il est donc dit : Bienheureux celui qui ne sera pas scandalisé à cause de moi. De sorte qu’[on lit] en He 13, 12 : Parce que Jésus devait sanctifier le peuple par son sang, il a souffert hors de la porte. C’est pourquoi il montre les signes de [sa] venue.
1301. Et si nous prenons le sens moral, tout le déroulement de la sanctification de l’homme est signifié par cela. En effet, la cécité frappe d’abord le pécheur lorsque [sa] raison est obscurcie. Ps 57[58], 9 : Le feu est tombé, ils n’ont pas vu le soleil ; et Is 43, 8 : Chasse au dehors le peuple aveugle, alors qu’il a des yeux. On dit de quelqu’un qu’il est boiteux lorsque [son] esprit est entraîné vers toutes sortes de choses, comme il est dit en 3 R [1 R] 18, 21 : Pourquoi boitez-vous des deux côtés ? De même, il devient couvert de plaies dans les embûches, et lépreux parce qu’il ne peut pas en sortir et infecte les autres. Puis, il devient sourd, parce qu’il n’entend pas la correction. Enfin, il meurt. Ep 5, 14 : Debout, toi qui dors ; lève-toi d’entre les morts ! Et le Seigneur guérit tous ceux-là. En dernier lieu, [le pécheur] devient pauvre en esprit, au point où il n’existe plus de santé en lui. Ps 37[38], 8 : Parce que mes reins ont été remplis d’illusions et qu’il n’existe plus de santé en ma chair, etc. Et le Seigneur guérit ceux-là, et ceux qui sont guéris s’élèvent à une certaine fermeté d’esprit, dans laquelle se trouve la véritable paix : Une grande paix pour ceux qui aiment ta loi, et il n’y a pas d’occasion de chute pour eux, Ps 118[119], 165.
1302. TANDIS QUE CEUX-CI S’EN ALLAIENT, etc. Ici, [Jésus] répond au doute des foules. Car les foules avaient entendu le témoignage de Jean au sujet du Christ ; mais maintenant elles semblaient douter. En effet, elles pouvaient avoir trois choses dans le cœur, car quelqu’un change sa parole pour trois raisons : par légèreté d’esprit, pour un profit personnel ou à cause de l’esprit humain, puisque celui-ci [d’abord] ne connaît pas la vérité, puis la connaît. Ps 93, 11 : En effet, Dieu sait que les pensées des hommes sont vaines. C’est pourquoi, il écarte en premier lieu la légèreté ; en second lieu, le désir de son propre profit ; en troisième lieu, il montre que [Jean] possède la vérité prophétique.
1303. [Matthieu] dit donc : TANDIS QUE CEUX-CI S’EN ALLAIENT, etc. Le Seigneur nous enseigne un grand sens des rapports de cour, car il n’a pas voulu louer Jean en présence de ses disciples, ni personne en sa présence, comme on lit en Pr 27, 2 : Que l’étranger te loue, mais non ta propre bouche ; l’étranger, mais non tes propres lèvres. Car si celui qui louange est bon, [celui-là] rougit ; s’il est méchant, il est flatté.
1304. JÉSUS
SE MIT À DIRE AUX FOULES : «QU’ÊTES-VOUS ALLÉS VOIR DANS LE DÉSERT ?»
Êtes-vous allés voir UN ROSEAU ? Non. Mais vous êtes allés voir un homme
fort. Le roseau plie facilement ; ainsi, l’esprit qui change facilement
est considéré comme du vent, Ep 4, 14 : Ne soyons pas comme des enfants changeants et ne nous laissons pas
ballotter à tout vent.
1305. De même, [Jean] ne fait pas preuve de légèreté pour son propre profit. MAIS QU’ÊTES-VOUS ALLÉS VOIR ? Toutes les richesses se rapportent à une certaine utilité corporelle, que ce soit pour la nourriture ou le vêtement, et il est clair que [Jean] n’a accordé d’importance à aucune de ces choses. Il ne faut donc pas croire qu’il dise cela pour un certain profit. [Jésus] dit donc : QU’ÊTES-VOUS ALLÉS VOIR ? UN HOMME PORTANT DES VÊTEMENTS DÉLICATS ? Et pourquoi ne mentionne-t-il pas la nourriture ? Parce qu’il ne pouvait y avoir aucun doute [à ce sujet], car [Jean] était vêtu de poils de chameau. Ainsi, CEUX QUI PORTENT DES VÊTEMENTS DÉLICATS ne vivent pas dans le désert, MAIS DANS LES MAISONS DES ROIS.
1306. Chrysostome donne une autre interprétation. Certains deviennent légers par nature, d’autres par les plaisirs, comme dans Os 4, 11 : La fornication, le vin et l’ivresse enlèvent le cœur. [Jésus] écarte la première chose par ce qu’il a dit auparavant ; la seconde, par le fait qu’il dise : PORTANT DES VÊTEMENTS DÉLICATS. [Jean] n’est donc pas changeant en raison des plaisirs de la vie.
1307. Mais on peut soulever ici une question au sujet des plaisirs des vêtements : s’agit-il d’un péché ? Car, si ce n’est pas un péché, on ne l’imputerait pas à ce riche qui portait chaque jour de la pourpre et du lin fin, Lc 16, 19. Augustin répond qu’il ne faut pas prendre en considération de telles choses, mais le sentiment de celui qui les porte. En effet, chacun doit se vêtir à la manière de ceux qui vivent avec lui ; pour cette raison, c’est l’usage lui-même qui doit être déraciné. Car, dans certains pays, beaucoup de gens portent de la soie. De sorte que certains s’habillent plus rigoureusement, et d’autres de manière plus relâchée. Et il faut faire une double distinction : [s’ils s’habillent] plus rigoureusement, [ils le font] soit avec une bonne intention, et cela est bien, ou par vaine gloire, et cela est mal ; [s’ils s’habillent] de manière plus relâchée, ou bien [ils le font] par orgueil, et cela est mal, ou bien en raison d’une signification, comme le pontife et le prêtre, et cela est bien.
1308. Au
sens mystique, les flatteurs sont dénotés par les hommes qui portent des
vêtements délicats. En effet, celui-là porte des vêtements délicats qui est
ébranlé par des paroles flatteuses, de sorte que les orgueilleux recherchent la
gloire en paroles. Pr 29, 12 : Le prince qui écoute volontiers les paroles mensongères, tous ses serviteurs
sont impies.
1309. Mais [certains] pourraient dire : «Il n’est pas changeant, mais il parle avec un esprit humain.» C’est pourquoi [Jésus] écarte cela en disant : ALORS, QU’ÊTES-VOUS ALLÉS VOIR ? UN PROPHÈTE, etc. Il porte donc témoignage que [Jean] ne parlait pas avec un esprit humain, mais avec [un esprit] prophétique. Il montre donc en premier lieu qu’il est un prophète [11, 9] ; en second lieu, plus qu’un prophète [11, 9].
1310. [Jean] fut en effet un prophète, comme on le lit en Lc 1, 76 : Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, etc. De même, [Jésus] l’élève au-dessus des prophètes, lorsqu’il dit : JE VOUS LE DIS : ET PLUS QU’UN PROPHÈTE. Et cela, sous trois aspects. Premièrement, parce que c’est le propre du prophète de prédire le futur. Or, celui-ci ne montre pas seulement l’avenir, mais aussi le présent, lorsqu’il dit : Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde [Jn 1, 29]. De même, il n’est pas appelé seulement prophète, mais aussi le Baptiste, comme on le voit plus haut, 3, 1. De même, il est le précurseur, comme on le lit en Lc 1, 76 : En effet, tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer les voies. De même, pour ce qui est de la manière : en effet, il a agi de manière plus miraculeuse qu’un prophète, car il a prophétisé depuis le sein, mais non pas les autres, comme on le lit en Lc 1, 44 : Or, voici que lorsque mes oreilles ont entendu la salutation, l’enfant a bondi de joie en mon sein.
1311. C’EST DE LUI QU’IL EST ÉCRIT. Ici, le Seigneur démontre l’excellence de Jean : premièrement, par une autorité [11, 10] ; deuxièmement, par ses privilèges spéciaux, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. [11, 11].
1312. [Le Seigneur] dit donc : «Je vous ai dit qu’il est plus qu’un prophète, ce dont il est question en Ml 3, 1 : Voici que j’envoie mon ange, qui prépara la voie devant toi, etc.» Par cette autorité, est indiquée l’excellence de Jean, car [le Seigneur] l’appelle d’abord un ange. Or, un ange est supérieur à un prophète, car, de même que le prêtre est à mi-chemin entre le prophète et le peuple, de même le prophète l’est entre les anges et les prêtres. Car l’ange se situe entre Dieu et les prophètes. Ainsi Zacharie dit : L’ange qui m’a parlé, Za 1, 9. «Ange» est un nom de fonction, et non de nature. De sorte que Jean est appelé ange en raison de sa fonction. En effet, la différence entre l’ange et le prophète est que les anges voient clairement, car on lit plus loin, 18, 10 : En vérité, je vous le dis, leurs anges voient sans cesse le visage de mon Père qui est dans les cieux. Les anges voient toujours le visage de Dieu, mais non les prophètes. Ainsi, de même que les anges voient toujours le visage du Père, de même Jean voit le Christ d’une manière spéciale. Et à cause de cette manière spéciale, [le Seigneur] dit : MON [PÈRE].
1313. Il dit aussi : DEVANT MON VISAGE. Lorsque le roi se déplace, plusieurs le précèdent, mais les plus familiers précèdent son visage. De même, Jean est d’autant plus digne d’honneur qu’il a été envoyé devant le visage [du Seigneur] : il est d’autant plus digne d’honneur qu’il est plus proche. De même, [Jean] préparait la voie parce qu’il baptisait. [Le Seigneur] dit ainsi : QUI PRÉPARE LA VOIE DEVANT TOI.
1314. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. Plus haut, le Seigneur a fait l’éloge de Jean en se référant à une autorité. Maintenant, il veut en faire l’éloge par ses propres paroles, et il explique l’autorité du prophète. Et il fait trois choses. Premièrement, il en fait l’éloge par rapport à la différence qui existe entre tous les ordres et les états : en premier lieu, par rapport à la différence entre les êtres célestes et les terrestres ; en deuxième lieu, par rapport à la différence entre la loi et l’évangile ; en troisième lieu, par rapport à différence entre le temps présent et l’avenir.
1315. Premièrement, il montre que [Jean] est excellent par rapport aux êtres terrestres ; deuxièmement, il montre qu’il est inférieur aux êtres célestes, en cet endroit : LE PLUS PETIT DANS LE ROYAUME DES CIEUX EST PLUS GRAND QUE LUI [11, 11].
1316. [Le Seigneur] dit donc : «Il a été dit que Jean est un ange et, pour le résumer brièvement : JE VOUS DIS QUE, PARMI LES ENFANTS DES FEMMES, IL NE S’EN EST PAS LEVÉ DE PLUS GRAND.» [Le Seigneur] a parlé correctement lorsqu’il a dit : IL NE S’EN EST PAS LEVÉ, car tous naissent fils de la colère, comme on le lit en Ep 2, 3 : Nous étions de naissance fils de la colère, comme les autres. Quiconque peut donc parvenir à l’état de grâce, se lève. Ainsi donc, PARMI LES ENFANTS DES FEMMES, etc. Et [le Seigneur] parle de manière précise, de sorte que le Christ est exclu de cet ensemble, car le mot femme [mulier] laisse entendre la corruption, mais la femme [foemina] laisse entendre le sexe. Ainsi, partout où l’on trouve «fils de la femme» [mulier], comme en Jn 19, 26 : Femme, voilà ton fils, on désigne le sexe, et non la corruption.
1317. Mais que veut-il dire par : PARMI LES ENFANTS DES FEMMES, IL NE S’EN EST PAS LEVÉ DE PLUS GRAND ? N’est-il pas pour cette raison plus grand que tous ? Jérôme dit qu’il est plus grand que tous. Donc, selon la première interprétation, je dis que cet argument, pour les anges chez qui il y a un ordre, signifie que celui à qui personne n’est supérieur est le plus grand ; mais, pour les hommes, il n’est pas vrai, car il n’y a pas d’ordre selon la nature, mais seulement selon la grâce. De même, si on dit qu’il est plus grand que tous les pères de l’Ancien Testament, cela est inconvenant. En effet, celui-là est plus grand et plus excellent qui est choisi pour une fonction plus grande. Or, Abraham est le plus grand parmi les pères pour ce qui est de la mise à l’épreuve de sa foi ; mais Moïse pour ce qui est de la fonction de prophétie, comme on le lit en Dt 34, 10 : Il ne s’est plus levé de prophète comme Moïse en Israël. Tous ceux-là furent des précurseurs du Seigneur ; mais aucun n’eut une telle excellence et une telle faveur [que Jean]. Celui-ci a donc été appelé à une fonction plus grande, Lc 1, 15 : Il sera grand devant le Seigneur.
1318. LE PLUS PETIT DANS LE ROYAUME DES CIEUX EST PLUS GRAND QUE LUI. À propos de ces paroles, certains ont trouvé l’occasion de calomnier. En effet, ils veulent condamner tous les pères de l’Ancien Testament, car, si [Jean] est plus grand que les autres, il en découle que les autres font partie de ceux qui doivent être sauvés, car l’Église est désignée par «royaume des cieux». Si donc Jean n’a pas fait partie de l’Église présente, il n’a pas fait partie du nombre des élus ; il fut donc plus petit qu’un autre. Et cette opinion est erronée, car il est clair que ce que dit le Seigneur est mis de l’avant pour l’éloge de Jean. Cette expression peut donc être interprétée de trois façons. Premièrement, en comprenant que «royaume des cieux» s’entend de l’ordre des bienheureux, et que celui qui est le plus petit parmi eux, est plus grand que quiconque est encore en chemin. C’est pourquoi le Seigneur appelle l’état présent enfance. Ainsi, 1 Co 13, 11 : Lorsque je suis devenu un homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. C’est la raison pour laquelle il appelle ceux qui sont en route des enfants. Et cela est vrai si l’on parle de ce qui est plus grand présentement. En effet, est plus grand en acte celui qui comprend entièrement [comprehensor]. Il en est autrement de ce qui est plus grand virtuellement, comme on dit qu’une herbe de petite dimension est plus grande virtuellement, bien qu’une autre soit plus grande par la quantité.
1319. On peut donner une autre interprétation : par «royaume des cieux», l’Église présente est désignée ; et que [Jean] soit appelé le plus petit ne s’entend pas de manière universelle, mais [du fait] qu’il est plus petit dans le temps, plus haut, [Mt] 3 et Jn 1, 15 : Celui qui vient après moi, voilà qu’il est passé devant moi. Ainsi, celui qui est plus petit est plus grand que lui. Ou bien on peut donner une autre interprétation : on dit de quelqu’un qu’il plus petit de deux façons : soit par rapport au mérite, et ainsi les patriarches sont plus grands que certains sous le Nouveau Testament, comme Augustin dit que le célibat de Jean n’est pas plus grand que le mariage d’Abraham ; soit en comparant un état à l’autre, comme les vierges sont meilleures que les gens mariés ; et cependant, ce ne sont pas toutes les vierges qui sont meilleures que tous les gens mariés. Ainsi donc, Jean a cette dignité de se trouver comme à une frontière, car il est plus grand que ceux qui sont en marche, mais plus petit que ceux qui comprennent entièrement. Il occupe donc une position intermédiaire.
1320. DEPUIS LES JOURS DE JEAN LE BAPTISTE JUSQU’À MAINTENANT, etc. Ici, [Jean] est louangé par rapport à la distinction entre le Nouveau et l’Ancien Testament. Et l’excellence de Jean est signalée, lui qui est le début du Nouveau Testament et la fin de l’Ancien. «J’ai donc dit : LE PLUS PETIT DANS LE ROYAUME DES CIEUX EST PLUS GRAND QUE LUI, et cela se rapporte au fait qu’il est le début du Nouveau Testament ; mais DEPUIS LES JOURS DE JEAN BAPTISTE, c’est-à-dire depuis la prédication de Jean, LE RÈGNE DES CIEUX SOUFFRE VIOLENCE.»
1321. Ceci s’interprète de trois façons. Vous savez que, dans le rapt, s’exercent une certaine violence et un certain effort. Ainsi, il faut que le pécheur, pour parvenir au royaume des cieux, s’élève vers les réalités spirituelles et fasse un grand effort. On donne [aussi] une interprétation. Vous savez que l’enlèvement existe lorsque quelque chose qui n’est pas sien est pris sans l’accord du maître. La prédication du salut a été envoyée aux Juifs, et par le Christ, partout. Lui-même dit plus loin, 15, 24 : Je n’ai pas été envoyé aux seules brebis perdues de la maison d’Israël. Et lorsqu’il leur fut envoyé, ils ne l’ont pas reçu. Cependant, ceux à qui il n’était pas envoyé l’ont enlevé à cause de leur humilité. Ainsi, plus haut, 7, 12 : Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et s’étendront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux ; mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures, etc. Et, plus loin, 21, 43 : Le royaume vous sera enlevé et sera donné à une race qui le fera fructifier. Ainsi donc, ceux-ci [l’]enlèvent par la violence. Telle est l’interprétation d’Hilaire. Il existe une troisième interprétation. Ce qui est enlevé est pris rapidement. Ainsi Job : Comme un torrent qui traverse rapidement les vallées, et cela à cause de la rapidité du mouvement. Et parce que la prédication bouleversait tellement le cœur de tous, elle ressemblait à une course rapide. C’est pourquoi il dit : SOUFFRE VIOLENCE, parce qu’ils tendent vers le royaume avec une certaine précipitation. De sorte qu’avec [Jean] a commencé l’évangile, et il est la fin de la loi.
[11, 13]
1322. Le Christ dit donc : TOUS LES PROPHÈTES AINSI QUE LA LOI ONT PROPHÉTISÉ JUSQU’À JEAN, car tous les prophètes [ont existé] pour le Christ, et ils ont commencé à s’accomplir par la prédication de Jean. Ainsi, Lc 24, 44 : Il faut que s’accomplisse ce qui a été écrit à mon sujet. Et cela, JUSQU’À JEAN. Mais qu’est-ce que cela ? N’y a-t-il pas eu des prophètes après Jean ? Ne lisons-nous pas plus loin, 23, 34 : Voici que je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes, etc. ? Il faut dire que le prophète est envoyé pour deux choses : pour affermir la foi et pour corriger les mœurs. Pr 29, 18 : Lorsque la prophétie fait défaut, le peuple se débande. Pour affermir la foi, comme on lit en 1 P 1, 10 : Sur ce salut ont porté les investigations et les recherches des prophètes, qui ont prophétisé au sujet de la grâce qui vous était destinée, en cherchant à découvrir quel temps et quelles circonstances avait en vue l’Esprit du Christ qui parlait en eux. La prophétie servait donc à ces deux choses. Mais la foi est déjà établie, car ce qui avait été promis s’est accompli par le Christ. Or, la prophétie n’a jamais manqué et ne manquera jamais pour corriger les mœurs. Jean a donc une excellence parce qu’il est au milieu de l’ancienne et de la nouvelle loi. Il a donc été envoyé devant la face, presque en même temps que le Christ.
1323. Ici, [le Seigneur] présente l’excellence de Jean par rapport à la distinction entre le présent et l’avenir. En effet, Élie fut, comme Jean, un précurseur du Seigneur. Ainsi Ml 4, 5 : Voici que je vous enverrai Élie le prophète, etc. JEAN EST CET ÉLIE. Mais que dit donc le Seigneur ? Interrogé à savoir s’il était Élie, Jean dit qu’il ne l’était pas. Par cela est écartée une hérésie qui proposait la transmigration des âmes, à savoir que l’âme sortait d’un corps et entrait dans un autre corps. Ainsi, l’âme d’Élie était entrée dans Jean, comme disait [cette hérésie]. Mais cette opinion est fausse, car lui-même a nié être Élie. Mais le Christ a dit que Jean était Élie pour trois raisons. Premièrement, parce que, de même qu’on dit qu’un ange est semblable à un autre parce qu’ils sont égaux par la fonction, de même en est-il des deux précurseurs, Lc 1, 76 : Il marchera devant la face du Seigneur pour préparer ses voies, etc. [Deuxièmement], en raison du comportement, parce qu’il avait mené une vie austère, comme on trouve en 3 R [1 R] 19, 6s. [Troisièmement], en raison de la persécution, car, de même que celui-là fut persécuté par Jézabel, de même celui-ci le fut par Hérode. Ainsi, SI VOUS VOULEZ ME CROIRE, comme il faut le comprendre, IL EST CET ÉLIE.
1324. Et afin qu’ils comprennent que ceci était dit au sens mystique, il ajoute : QUE CELUI QUI A DES OREILLES ENTENDE ! c’est-à-dire, que celui qui a des oreilles au sens spirituel entende et comprenne.
1325. MAIS À QUI, etc. Ici, [le Seigneur] s’engage dans des reproches adressés aux foules. Premièrement, il pose une question ; deuxièmement, [il propose] une comparaison ; troisièmement, il l’explique.
1326. Il procède donc de la manière suivante. «Jean a été comparé à Élie en raison de sa fonction, mais à qui comparerai-je cette génération ?» Et pourquoi dit-il cela ici ? Il dit cela comme lorsque quelqu’un qui a fait tout le bien qu’il pouvait à un autre, sans en tirer une reconnaissance, ne sait à qui le comparer. Le Seigneur avait ainsi donné tous les biens à cette génération, d’où Is 5, 4 : Qu’aurais-je dû faire de plus pour ma vigne, que je n’ai pas fait ? «À quoi donc pourrais-je comparer tant de malice ?» Il faut remarquer que «génération» désigne parfois dans les Écritures le rassemblement des bons, parfois le rassemblement des méchants, et parfois les deux. Rassemblement des bons, comme dans Ps 111[112], 2 : La génération des justes sera bénie. Congrégation des méchants, plus loin, 12, 39, où il est dit : Génération mauvaise et perverse ! Les deux, Si 1, 4 : Une génération va, une génération vient, mais la terre demeure pour toujours.
1327. ELLE RESSEMBLE À DES ENFANTS ASSIS SUR UNE PLACE, etc. Ici, [le Seigneur] propose une comparaison, et celle-ci peut être interprétée au pied de la lettre, ou selon le sens mystique. Premièrement, il propose une comparaison avec des enfants [11, 16] ; deuxièmement, il l’adapte, en cet endroit : JEAN EST VENU, NE MANGEANT NI NE BUVANT, etc. [11,18].
1328. En effet, il faut remarquer qu’il est naturel pour l’homme de rechercher les plaisirs, et il les recherche toujours ; et à moins qu’il ne soit retenu par des préoccupations, il se précipite aussitôt dans les plaisirs mauvais. Or, les enfants n’ont pas de préoccupations. Ils vaquent donc aux choses qui leur conviennent, c’est-à-dire à jouer. De même faut-il remarquer que l’homme est naturellement sociable, et cela parce que l’un a naturellement besoin de l’autre. Il prend donc plaisir au repas pris en commun. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Politique, I : «Tout homme qui est solitaire est soit meilleur qu’un homme, et il est un dieu ; soit pire qu’un homme, et il est une bête.»
1329. On dit donc : ASSIS SUR LA PLACE, car personne ne veut jouer seul, mais SUR LA PLACE, où se réalise le rassemblement d’un grand nombre. Il faut aussi remarquer qu’il est naturel pour l’homme de prendre plaisir à une certaine représentation. Ainsi, si nous voyons une belle sculpture, qui représente ce qu’elle doit, nous prenons plaisir. C’est pourquoi les enfants qui prennent plaisir aux jeux jouent toujours en se donnant une certaine représentation de la guerre et de choses de ce genre. Il faut aussi remarquer que tous les sentiments de l’âme aboutissent à deux passions : la joie ou la peine.
1330. QUI CRIENT, etc. Il faut voir les choses ainsi. Supposons qu’il y a des enfants d’un côté et d’autres [enfants] de l’autre, de sorte que les uns doivent chanter et les autres danser, que les uns doivent faire une chose et les autres leur répondre. Si les uns chantent et que les autres ne leur répondent pas selon la partition, [les premiers] les invectiveront. Ils disent ainsi : NOUS AVONS JOUÉ ET VOUS N’AVEZ PAS DANSÉ. De même, rien n’émeut tellement l’âme que le chant. Ainsi, Boèce raconte, dans son ouvrage sur la musique, le cas de quelqu’un qui se disputait avec un autre devant Pythagore, alors que les autres parlaient de chant. Pythagore fit alors changer de chant, et celui-là se tut, puis tous s’adonnèrent à la musique. Il faut donc remarquer que certains chants sont dus à la joie, comme on le lit en Si 40, 20 : Le vin et la musique réjouissent le cœur. C’est pourquoi on dit : NOUS AVONS JOUÉ, c’est-à-dire, nous avons chanté un chant de joie, ET VOUS N’AVEZ PAS DANSÉ. C’est aussi la coutume que, de même que certains passent à la joie, d’autre passent aux larmes, d’où Jr 9, 17 : Appelez les pleureuses, et qu’elles se lamentent sur nous, etc. C’est pourquoi on dit : NOUS NOUS SOMMES PLAINTS, c’est-à-dire, nous avons chanté un chant funèbre, ET VOUS N’AVEZ PAS GÉMI.
1331. Au sens mystique, le peuple de l’ancienne loi est signifié par les enfants, parmi lesquels certains invitaient à la joie spirituelle, comme David, Ps 32[33], 1 : Justes, exultez dans le Seigneur, et d’autres à la peine, comme Joël, 2, 13 : Convertissez-vous au Seigneur de tout votre cœur, dans le jeûne, les pleurs et les gémissements, etc. Ils peuvent donc dire : NOUS AVONS JOUÉ, c’est-à-dire, nous vous avons incités à la joie spirituelle, et vous ne nous avez pas accueillis ; NOUS NOUS SOMMES PLAINTS, c’est-à-dire, nous [vous] avons invités à la pénitence, et vous ne l’avez pas accepté.
1332. JEAN EST VENU, etc. Ici, [le Seigneur] adapte la comparaison. Premièrement, il l’adapte ; deuxièmement, il en donne les raisons.
1333. Les hommes sont attirés à une bonne vie de deux façons : certains, par le reflet de la sainteté ; d’autres, par la voie de la familiarité. Le Seigneur et Jean se sont réparti les deux voies. Jean, ou plutôt le Seigneur en la personne de Jean, a choisi la voie de l’austérité ; quant [au Seigneur], il a choisi la voie de la douceur. Et cependant, ils n’ont été convertis par aucun des deux. Il dit donc : JEAN EST VENU, NE MANGEANT NI NE BUVANT. Et cela, à la lettre, car il fut un grand abstinent, ET ILS DISENT : «IL EST POSSÉDÉ PAR UN DÉMON», comme les hypocrites transforment le bien en mal.
1334. VIENT LE FILS DE L’HOMME, MANGEANT ET BUVANT, c’est-à-dire utilisant la nourriture avec indifférence, et cela ne lui vaut rien, car vous ne croyez pas ; vous dites plutôt : «VOILÀ UN GLOUTON, UN IVROGNE, UN AMI DES PUBLICAINS !» À l’encontre de cela, [il est écrit] en Pr 23, 20 : Ne vous comportez pas en ivrognes dans les banquets, etc. Ici, il faut remarquer que celui qui tiendrait compte de ce que disent les hommes, ne ferait jamais rien de bien. Qo 11, 4 : Celui qui observe le vent ne sème pas et celui qui examine les nuages ne moissonne pas.
1335. Mais une question se pose ici. Pourquoi le Seigneur a-t-il choisi pour lui-même une vie plus douce et a-t-il montré en Jean [une vie] plus rude ? La raison en est que le Seigneur confirmait ses actes par des miracles, mais Jean n’en faisait pas. C’est pourquoi, s’il n’avait eu aucune excellence, son témoignage n’aurait pas été confirmé, comme on le voit chez les saints, car l’un possède une excellence sur un point et l’autre sur un autre. Ainsi, Augustin a excellé par l’enseignement, Martin par les miracles. Il y a aussi une autre raison, à savoir que Jean n’était qu’un homme ; il s’abstenait donc des désirs charnels. Mais le Christ était Dieu, de sorte que, s’il s’était comporté d’une manière austère, cela n’aurait pas montré qu’il était homme. Il a donc plutôt assumé une vie humaine. De même, Jean était le terme de l’Ancien Testament, auquel de lourdes [charges] avaient été imposées ; mais le Christ était le début de la loi nouvelle, qui évolue dans le sens de la douceur.
1336. ET JUSTICE A ÉTÉ RENDUE. Cela peut se lire de deux manières. D’une première manière, comme une réplique aux deux choses qui ont été dites de Jean et du Christ. Le sens est alors : lorsque l’homme fait ce qu’il doit et qu’un autre n’est pas corrigé, il sauve alors son âme et justice est rendue à ce qu’il dit. JUSTICE A ÉTÉ RENDUE, à savoir, le Fils de Dieu, ou le Christ, c’est-à-dire qu’elle est apparue juste à ses fils, parce qu’elle a montré aux Juifs ce qu’elle devait : l’abstinence chez Jean et la douceur chez le Christ. Ou bien on peut donner une autre interprétation. Que les fils du Diable disent que [le Seigneur] est glouton et ivrogne ; mais les fils de la sagesse comprennent que la vie n’est pas dans la nourriture et la boisson, mais dans l’égalité d’âme, en recourant à la nourriture en temps et lieu, et en [s’en] abstenant aussi lorsque cela convient, de sorte qu’ils ne commettent pas de grands excès et ne manquent de peu, comme dit l’Apôtre, Ph 4, 12 : Partout et en toutes choses, je me suis initié à la satiété et à la faim, à supporter l’abondance comme le dénuement. Il n’aurait donc pas paru montrer une pleine justice s’il avait pratiqué une abstinence complète, car on aurait cru que la justice complète se trouvait dans l’abstinence. Or, elle ne consiste pas en cela, mais dans l’égalité d’âme. Et il faut remarquer qu’il dit : LA SAGESSE, car utiliser la nourriture et s’en abstenir relèvent de la modération de la sagesse, de sorte qu’on doive s’abstenir lorsqu’il le faut et où il le faut.
1337. Plus haut, [le Seigneur] a donné satisfaction aux disciples de Jean ; maintenant, il invective ceux qui ne croient pas. Et [Matthieu] fait deux choses : premièrement, le comportement du Seigneur est décrit [11, 20] ; deuxièmement, ses paroles, en cet endroit : MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN, etc. [11, 21].
1338. [Matthieu]
dit donc en premier lieu : IL SE MIT ALORS À INVECTIVER LES VILLES, etc.
L’invective porte sur les bienfaits et les dons. En effet, le Seigneur avait
accordé un grand bienfait, car il les avait illuminés de sa présence ; ils
étaient donc ingrats, et donc dignes d’invectives. Ainsi
Mi 6, 3 : Ô mon peuple,
que t’ai-je fait, en quoi t’ai-je molesté ? Comme s’il disait :
«En rien.» Et il ne les a pas invectivés parce qu’ils avaient commis des
péchés, mais parce qu’ils ne faisaient pas pénitence. Ce que dit
Job, 24, 3, leur convenait donc : Il lui a donné l’occasion de se repentir, et il s’est retourné contre
lui. Et Rm 2, 4 : Ignores-tu
que la patience de Dieu te conduit à la pénitence ?
1339. Mais ici se pose une question à propos du texte, car Luc présente cela dans un autre ordre. En effet, il le présente lors de la mission des disciples, et [Matthieu] ici. Augustin répond qu’il semble que Luc respecte davantage l’ordre de l’histoire, mais [Matthieu], la séquence du souvenir. Mais on objecte alors qu’il est dit ici : ALORS. Il semble donc que c’est plutôt la séquence de l’histoire qui est ici nouée. Augustin répond que ALORS exprime un temps indéfini. Ou bien on peut dire autrement que [le Seigneur] a dit ces paroles à deux reprises, et ainsi il pouvait s’agir d’ALORS selon [Matthieu] et d’ALORS selon Luc.
1340. MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN, etc.! Ici, les paroles du Seigneur sont présentées. Premièrement, il parle des villes environnantes [11, 21-22] ; deuxièmement, de la métropole, en cet endroit : ET TOI, CAPHARNAÜM, etc. [11, 23-24].
1341. En premier lieu, il compare une faute à l’autre ; en second lieu, une peine à l’autre, en cet endroit : AUSSI BIEN, JE VOUS LE DIS, etc. [11, 23].
1342. [Le Seigneur] dit donc : MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN, etc.! Or, il s’agit de villes ou de villages de Galilée, où le Seigneur avait fait beaucoup de signes, et qui ne s’étaient pourtant pas convertis. C’est pourquoi il dit : MALHEUR À TOI, etc. Mais qu’est-ce que fait le Seigneur ? Car il est écrit en Rm 12, 14 : Ne maudissez pas, etc. Il faut dire qu’il y a maudire de manière formelle et [maudire] de manière matérielle. Personne ne doit maudire de manière formelle, mais il le peut de manière matérielle. Ainsi, il faut remarquer que certaines choses sont associées par les sens, qui peuvent cependant être séparées par l’intellect, comme, dans le fruit, il y a l’odeur et la saveur, qui ne peuvent être séparées par les sens, bien qu’elles puissent l’être par l’intellect. De la même façon, vouloir que quelqu’un ne soit pas puni et vouloir l’ordre de la justice ne peuvent exister simultanément, si ce n’est par l’intelligence. De sorte que si je maudis quelqu’un parce que je prends plaisir au mal qui l’affecte, cela est mal. Mais [si je le maudis], non pas à cause du mal qui l’affecte, mais en raison de l’ordre de la justice, c’est alors bien. Ainsi, la parole du Seigneur n’était pas la parole de celui qui prend plaisir, mais de celui qui annonce l’accomplissement de la justice.
1343. MALHEUR À TOI, CHORAZEÏN ! CHORAZEÏN veut dire «service qui lui est rendu». Bethsaïde [veut dire] «maison des fruits». De qui a plus bénéficié, on exige davantage. Et pourquoi [le Seigneur] lui a-t-il manifesté davantage [sa bienveillance] ? Parce qu’il y a accompli son ministère. C’est pourquoi la colère de Dieu se manifestera depuis le ciel sur toute impiété et injustice des hommes qui retiennent la vérité de Dieu dans la justice, Rm 1, 18. Bethsaïde [veut dire] «maison des fruits». Si le Seigneur y a donc produit beaucoup de fruits et s’ils ne font pas pénitence, qu’en sera-t-il d’eux ? Is 5, 4 : Je m’attendais à ce qu’elle porte des raisins, et elle a produit du verjus.
1344. MALHEUR À TOI…, CAR SI LES PRODIGES QUI ONT LIEU CHEZ VOUS AVAIENT ÉTÉ FAITS À TYR ET À SIDON, IL Y A LONGTEMPS QU’ELLES SE SERAIENT REPENTIES SOUS LE SAC ET LA CENDRE. IL Y A LONGTEMPS, c’est-à-dire, depuis longtemps. Et remarquez la forme de la pénitence, car [elles se seraient repenties] SOUS LE SAC ET LA CENDRE, parce que les deux incitent à la pénitence. L’un, par le souvenir des fautes : cela est signifié par le sac, qui est fait de poil de chameau, car cet animal était immolé pour un péché. L’autre, par la considération de la mort et de la fragilité de la condition humaine ; ainsi, il est dit en Gn 3, 19 : Tu es poussière et tu retourneras en poussière. Et Jb 42, 6 : Aussi je me rétracte et je me repens dans la poussière et la cendre.
1345. EN
VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, POUR TYR ET SIDON, IL Y AURA PLUS D’INDULGENCE AU JOUR
DU JUGEMENT QUE POUR VOUS. Ici, [le Seigneur] compare une peine à l’autre, car,
si on les trouve plus chargés de fautes, ce sera pire pour eux, parce qu’ils
n’ont pas fait ce qu’ils ont entendu. Ainsi, ce sera plus lourd, selon ce qui
est dit en Jn 15, 22 : Si
je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils ne seraient pas en
faute.
1346. Il faut remarquer que, par ces paroles, il écarte trois erreurs. Certains disaient que tous les péchés étaient égaux et qu’il en était de même des châtiments. [Le Seigneur] écarte ceci lorsqu’il dit que ce sera pire pour eux que pour Tyr et Sidon. De même, certains ont dit que n’étaient sauvés que ceux que [le Seigneur] avait prédestinés, car, si on leur avait prêché, ils se seraient convertis. Il écarte cela lorsqu’il dit que Tyr et Sidon seront mises à mal, mais que ce sera pire pour ceux à qui le royaume de Dieu a été annoncé. Aussi Augustin dit-il, dans le Livre sur la persévérance : «Le Seigneur ne récompense pas pour ce qu’il aurait fait, mais pour ce qu’il fait.» De même, [le Seigneur] repousse une troisième erreur, car certains disaient que le Seigneur a envoyé des prophètes et des prédicateurs aux Juifs, et non pas aux autres, parce qu’Il savait que les autres ne [les] accueilleraient pas. Mais il écarte cela, car s’il leur avait été prêché, ils se seraient convertis.
1347. Mais il reste alors une question : si les Juifs ne croyaient pas, il semblerait que le Seigneur n’aurait pas bien agi en ne leur envoyant pas [des prophètes et des prédicateurs], puisqu’ils auraient cru. Grégoire dit qu’«il n’appartient pas à l’homme de connaître les secrets de Dieu ; toutefois, selon ce qui apparaît, parce qu’une promesse avait été faite aux pères, [le Seigneur] prêcha d’abord aux Juifs pour confirmer les promesses faites aux pères». Cela [se produisit] aussi afin que soit montré que leur condamnation était plus juste. Il leur prêcha donc et, par la suite, il envoya ses disciples aux autres. Rémi donne cette solution : bien que, à Tyr et à Sidon, plusieurs aient cru au sein d’une multitude plus grande, il y avait cependant parmi eux certains qui étaient pervers et qui n’étaient pas encore prêts à croire. C’est pourquoi il n’envoya pas d’abord vers eux [ses disciples]. Augustin propose une troisième interprétation : le Seigneur savait que, «s’ils avaient cru, ils n’auraient pas persévéré au moment de la passion. » C’est pourquoi Il n’a pas envoyé [ses disciples] vers eux. Augustin donne aussi une autre interpétation : «La prédestination est la connaissance anticipée des bienfaits de Dieu.» Ainsi, tout ce qui se rapporte au salut est l’effet de la prédestination chez les prédestinés. Le Seigneur a ainsi distribué différemment ses dons, car il donne à certains un cœur docile et un penchant à bien agir ; mais cela ne suffit pas s’Il n’est pas le maître. De même, Il est parfois le maître, mais le cœur est dur ; de même que la facilité à croire ne leur suffit pas, de même le cœur endurci leur nuit. De sorte que chercher à savoir pourquoi Il a choisi l’un et non pas l’autre est sans objet. Augustin dit ainsi : «Pourquoi Il attire l’un et non pas l’autre, n’en juge pas si tu ne veux pas te tromper.» Il est donc mieux que tout se déroule selon ce que Dieu a disposé que selon les mérites humains.
1348. ET TOI, CAPHARNAÜM, CROIS-TU QUE TU SERAS ÉLEVÉE JUSQU’AU CIEL ? Dans cette partie, [le Seigneur] invective une ville plus importante. D’abord, il invective l’orgueil, car les grands s’enorgueillissent davantage ; en second lieu, il invective leur impénitence, en cet endroit : CAR SI LES PRODIGES AVAIENT ÉTÉ FAITS À SODOME, etc. [11, 23].
1349. À propos du premier point, il invective d’abord l’orgueil [11, 33] ; en second lieu, il menace d’un châtiment [11, 24].
1350. [Le Seigneur] dit donc : ET TOI CAPHARNAÜM, etc. Et il y a ici un double texte. L’un sous une forme interrogative : ET TOI, CAPHARNAÜM, CROIS-TU QUE TU ES ÉLEVÉE JUSQU’AU CIEL ? Car elle a été élevée par le Seigneur, par la présence du Seigneur et par de nombreux mérites. Lc 4, 23 : Ce que nous avons entendu dire que tu as accompli à Capharnaüm, accomplis-le dans ta patrie. De même, «tu t’es toi-même élevée ; seras-tu élevée par l’orgueil ou par mon enseignement ?». Bien que tu aies été élevée, tu descendras cependant aux enfers [Ez 31, 14]. Jb 20, 28 : Il est renversé au jour de la colère du Seigneur ; tel est le sort réservé par Dieu à l’impie. De sorte que «toi, qui sembles toucher le ciel, tu seras jetée en enfer». Le châtiment qui convient à l’orgueilleux est donc le rejet. Is 14, 14, contre celui qui disait : Je monterai jusqu’aux astres du ciel, poursuit : Tu seras jeté en enfer.
1351. Ensuite, [le Seigneur] dénonce l’impénitence. Premièrement, il fait une comparaison portant sur la faute ; deuxièmement, sur le châtiment.
1352. Il dit donc : CAR SI LES PRODIGES AVAIENT ÉTÉ FAITS À SODOME, etc. Et pourquoi dit-il cela ? Pour indiquer le libre arbitre, car l’homme a devant lui la vie et la mort. Personne n’a averti [les gens de Sodome], car, bien que Lot se soit trouvé parmi eux, il ne fit cependant pas de miracles. Mais ceux-ci ont vu le Seigneur enseigner. C’EST POURQUOI, etc. Capharnaüm veut dire «ville très douce», et par elle est signifiée Jérusalem.
1353. EN
VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : au jour du jugement, ton châtiment sera plus
grand que celui de la terre qui a été bouleversée. Ou bien on peut l’entendre
des habitants. Lc 12, 47 : Le
serviteur qui connaît la volonté du maître et ne la fait pas sera durement
châtié.
1354. EN CE TEMPS-LÀ, JÉSUS RÉPONDIT : «JE TE BÉNIS, PÈRE, etc.» Plus haut, le Seigneur avait invectivé l’infidélité des foules ; maintenant, il rend grâce pour la fidélité des disciples et de tous les autres croyants. Premièrement, il rend grâce au Père comme à l’auteur [11, 25] ; deuxièmement, il montre qu’il a le même pouvoir, en cet endroit : TOUT M’A ÉTÉ REMIS PAR MON PÈRE [11, 27].
1355. [Matthieu] dit donc : EN CE TEMPS-LÀ, c’est-à-dire, au moment où [cela] arriva, etc., IL RÉPONDIT. Mais à qui répondait-il ? Ce qui est dit en Jb 15, 2 lui convient : Est-ce que le sage répond par des raisons en l’air ? Non. Il répond donc à une objection tacite. En effet, quelqu’un pourrait dire : «Ceux à qui tu as prêché ne croient pas ; d’autres auraient cru si on leur avait prêché.» Il répond donc et en réfute certains qui ont cherché les raisons du choix, à savoir, pourquoi certains ont été élevés jusqu’au ciel et d’autres ont été jetés dans l’abîme. C’était le cas d’Origène, qui affirmait que l’élection relevait du mérite. Mais ici, [le Seigneur] réfute cela en montrant qu’on ne doit pas l’attribuer à la volonté divine.
1356. Il dit donc : JE TE BÉNIS, PÈRE, etc. Il faut remarquer qu’il y a une triple confession. [Une confession] de la foi, ainsi qu’il est dit en Rm 10, 10 : On croit en son cœur en vue de la justice, et on confesse de bouche pour son salut. [Il y a] aussi une confession des péchés, Jc 5, 16 : Confessez vos péchés les uns aux autres. Et aussi une confession d’action de grâce, dont il est question en Ps 105[106], 1 : Confessez au Seigneur, car il est bon, etc. C’est de celle-ci que s’entend : JE TE BÉNIS, PÈRE, DU CIEL ET DE LA TERRE. Deux hérésies sont écartées. Celle de Sabellius, qui ne distingue pas le Fils du Père. [Le Seigneur] dit donc : JE TE BÉNIS, PÈRE, etc. ; il confesse donc l’autorité du Père, etc. Il parle aussi de SON PÈRE, contre Arius. Et il est vraiment le Seigneur, le Père du ciel et de la terre. Ps 99[100], 3 : Sachez que le Seigneur lui-même est Dieu, qu’Il nous a faits et que nous ne l’avons pas fait. Et Il est appelé Père, non pas parce qu’Il a créé [le Seigneur], mais parce qu’Il l’a engendré. Ps 88[89], 27 : Il m’a prié : «Tu es mon Père.»
1357. Et pourquoi [le Seigneur] rend-il grâce ? Il rend grâce en raison d’une certaine différence, qu’il présente ainsi : TU AS CACHÉ CELA AUX SAGES ET AUX PRUDENTS, ET TU L’AS RÉVÉLÉ AUX PETITS. Il faut donc examiner qui sont les petits, qui sont les sages et qui sont les prudents. Or, on dit de certains qu’ils sont petits de trois façons. D’une manière littérale, on appelle petits ceux qui sont méprisables, ainsi en Ab 2 : Voilà que je te fais petit et très méprisable. On parle aussi de petit en raison de l’humilité, car il a une faible opinion de lui-même. Ainsi, le Seigneur, plus loin, [18, 3] : Si vous ne vous convertissez pas et ne devenez semblables à des petits, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Et aussi, en raison de la simplicité ; ainsi, l’Apôtre, en 1 Co 14, 20 : Soyez des petits pour ce qui est de la malice. On peut donc comprendre cela [de la manière suivante] : parce que tu as révélé cela à des petits et à des pêcheurs méprisables. Et pourquoi ? L’Apôtre en donne la raison en disant que Dieu a choisi ce qui était méprisé par le monde afin de confondre ce qui est fort [1 Co 1, 27]. Augustin interprète : aux petits, c’est-à-dire aux humbles, qui ne présument pas d’eux-mêmes. En effet, là où est l’humilité, là est la sagesse. Hilaire l’interprète des gens simples : Cherchez [la sagesse] dans la simplicité, Sg 1, 1, au contraire des sages et des gens avisés, qui s’appliquent à la sagesse charnelle, Jr 9, 23 : Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse. [Le Père] n’a pas révélé [ces choses] à ceux-ci, mais à des gens simples qui ne mettent pas leur confiance dans leur propre sagesse. Qo 7, 24 : J’ai dit : «Je deviendrai sage, et la sagesse s’est éloignée de moi encore plus qu’auparavant.» C’est pourquoi l’Apôtre [dit] en Rm 10, 3 : Ignorant la justice de Dieu et cherchant à affirmer la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. De même, il entend par sages les orgueilleux qui se glorifient eux-mêmes. [Le Père] n’a pas révélé [ces choses] à de telles gens, Rm 1, 22 : Alors qu’ils se disaient sages, ils sont devenus insensés. Il appelle aussi sages ceux qui vivent selon la chair, qui cherchent ce qui est de la chair, et non ce qui est de Dieu, Ph 2, 21. Et aussi, ils sont sages pour faire le mal, et ils ne savent pas faire le bien, Jr 4, 22.
1358. TU AS RÉVÉLÉ. Ep 4, 17 : Afin que vous ne vous comportiez pas comme se comportent les païens dans la vanité de leur jugement. Tu as donc caché [cela] aux sages pour le révéler aux petits. Il cache la sagesse aux sages en ne l’accompagnant pas de la grâce. C’est ainsi qu’il est dit en Rm 1, 28 : Il les a livrés à leur esprit sans jugement.
1359. Mais
pourquoi rend-il grâce pour le fait que [le Père] a caché ? Je dis qu’il
ne fait pas cela parce qu’il se réjouit de leur aveuglement, mais du jugement
de Dieu qui en dispose ainsi sagement. Et pourquoi ? Ici, il ne fait pas
chercher de cause. En effet, dans de telles choses, la volonté de Dieu sert de
cause : CAR, PÈRE, TEL A ÉTÉ TON BON PLAISIR. L’artisan peut bien donner
la raison pour laquelle il a placé certaines pierres à la base et d’autres plus
haut ; mais qu’il ait posé telle [pierre] ici et telle autre là n’a pas
d’autre cause que sa volonté. Ainsi, que le Seigneur en sauve certains, c’est
l’effet de sa miséricorde ; qu’il en condamne d’autres, c’est l’effet de
sa justice. Mais pourquoi agit-il avec miséricorde à l’égard de celui-ci plutôt
que de celui-là ? Cela relève seulement de sa volonté. Ainsi, en
Rm 9, 18 : Il fait
miséricorde à qui Il veut, et il endurcit qui Il veut. Il agit donc ainsi
selon son bon plaisir. Ps 118[119], 108 : Que ton bon plaisir, Seigneur, etc.
1360. TOUT M’A ÉTÉ REMIS PAR MON PÈRE. Il avait rendu grâce au Père d’avoir révélé [ses secrets] aux petits. On pourrait croire qu’il ne pouvait lui-même [les révéler]. Écartant cela, [le Seigneur] aborde donc la grandeur de sa puissance [11, 27] ; en second lieu, il invite à lui, comme s’il disait : «Je suis puissant. VENEZ donc À MOI, etc.» [11, 28].
1361. À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente l’égalité du Fils et du Père [11, 27] ; deuxièmement, il l’applique de manière spirituelle à ce dont il était question, en cet endroit : ET NUL NE CONNAÎT LE FILS SI CE N’EST LE PÈRE [11, 27]. Portez attention à l’égalité, mais néanmoins au fait qu’il tire son origine du Père, ce qui s’oppose à Sabellius. Mais pourquoi dit-il : TOUT ? On peut l’interpréter de trois façons. TOUT, c’est-à-dire par-delà toute créature. Plus loin, 28, 18 : Tout pouvoir m’a été remis au ciel et sur la terre. Ou bien TOUT, c’est-à-dire les élus et les prédestinés, qui ont été remis de manière spéciale, Jn 17, 6 : Ils étaient à toi et tu me les as donnés. Aussi TOUT, c’est-à-dire ce qui est intrinsèque [au Père], à savoir toute la perfection de la divinité, Jn 5, 26 : Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même. Et nous ne devons pas le comprendre de manière charnelle, car si [le Père] l’a donnée, Il l’a cependant gardée pour Lui-même. Et cette interprétation est celle d’Augustin et d’Hilaire. Mais on pourrait dire : comment [le Père] a-t-il donné ? [Le Seigneur] ajoute donc la manière lorsqu’il dit : PAR MON PÈRE. Il a donc reçu cela par génération.
1362. ET PERSONNE NE CONNAÎT LE FILS SI CE N’EST LE PÈRE. Maintenant, il adapte [cela] d’une manière particulière à ce qui a déjà été dit, et non seulement par rapport à l’égalité avec le Père, mais aussi par rapport à la consubstantialité. En effet, la substance du Père dépasse toute intelligence, puisque l’essence même du Père est inconnaissable, comme [c’est le cas pour] la substance du Fils. Ainsi, l’égalité est ici indiquée et Arius est confondu, qui dit que le Père est invisible, mais le Fils visible.
1363. ET PERSONNE NE CONNAÎT LE FILS SI CE N’EST LE PÈRE. Mais qu’est-ce que cela ? Est-ce que les saints ne l’ont pas connu ? Il faut dire qu’ils l’ont atteint par la foi, mais ne le connaissent pas en le comprenant. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que l’Esprit Saint ne [le] connaît pas ? Assurément. Mais il faut remarquer que des expressions exclusives sont parfois ajoutées aux noms divins désignant l’essence [divine] et parfois aux noms désignant les personnes [divines]. Lorsqu’elles sont ajoutées aux noms personnels, elles n’excluent pas ce qui est identique par la nature. Ainsi, ce qui est ajouté au Père n’exclut pas le Fils. Donc, lorsqu’on dit : Au roi immortel, invisible, à Dieu seul honneur et gloire ! 1 Tm 1, 17, un autre à l’intérieur de cette nature n’est pas exclu. De la même manière, lorsqu’il dit ici : SI CE N’EST LE FILS, le Saint-Esprit n’est pas exclu, qui est identique par la nature. Mais lorsqu’il dit : PERSONNE NE CONNAÎT, etc., on comprend : «Aucun homme, si ce n’est le Fils.» Et ainsi en est-il du Fils qui connaît le Père. Mais cela s’oppose à Origène. En effet, [le Fils] connaît par mode de compréhension. Ainsi donc, parce qu’il connaît parfaitement et qu’il est parfaitement connaissable, il a le pouvoir de révéler comme le Père. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : À QUI LE FILS VEUT LE RÉVÉLER. En effet, la manifestation se fait par le Verbe, Jn 17, 6 : Père, tu as manifesté ton nom aux hommes, etc. ; et encore, [Jn] 1, 18 : Dieu, personne ne l’a vu. Mais lui [le Verbe] l’a connu ; il pouvait donc le manifester. Donc, ce qu’il avait dit du Père, il se l’attribue. En effet, il avait dit : TU AS CACHÉ CES CHOSES AUX SAGES ET TU LES AS RÉVÉLÉES AUX PETITS. De même, le Fils peut-il le faire du fait qu’il a le même pouvoir.
1364. VENEZ À MOI, VOUS TOUS, etc. «Venez à mes bienfaits.» Premièrement, l’invitation est présentée ; deuxièmement, la nécessité de l’invitation ; troisièmement, [son] utilité.
1365. [Le Seigneur] dit donc : VENEZ À MOI, ce qui est aussi une parole de la Sagesse, Si 24, 26[19] : Venez vers moi, vous tous qui me cherchez et vous serez comblés de mes fruits. Ainsi, «approchez-vous de moi, vous qui êtes sans savoir», parce qu’elle veut se communiquer. Mais pourquoi est-ce nécessaire ? Parce que sans moi les hommes peinent trop : VOUS QUI PEINEZ. Cela peut convenir d’une manière spéciale aux Juifs, qui peinaient sous le poids des lois et des commandements, comme on le lit en Ac 15, 10 : C’est un joug que ni nous, ni nos pères n’ont pu porter. Il en est de même, d’une manière générale, pour tous ceux qui peinent en raison de la fragilité humaine, Ps 87[88], 16 : Je suis pauvre et je peine depuis ma jeunesse. ET QUI PLOYEZ SOUS LE FARDEAU, à savoir, sous le fardeau des péchés. Ps 37, 5 : Mes fautes m’écrasent comme une lourde charge. «Et qu’obtiendrons-nous si nous venons vers toi ?» JE VOUS SOULAGERAI. Jn 7, 37 : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne vers moi et boive.
1366. Ensuite, il présente l’invitation. Premièrement, il la présente [11, 29] ; deuxièmement, il en donne la raison en cet endroit : CAR MON JOUG EST DOUX [11, 30].
1367. Voici [ce qu’il en est] du premier point. Il avait présenté l’invitation et son motif ; maintenant, il veut montrer quelle est cette invitation, en disant : PRENEZ MON JOUG. Mais de quoi s’agit-il ? «Tu dis que tu veux nous soulager et écarter notre labeur, et aussitôt tu prescris de porter un joug ? Nous croyions que nous étions sans joug.» Je dis que cela est vrai, [à savoir] sans le joug du péché. Is 9, 4 : Car tu as brisé le joug qui pesait sur elle, la barre qui était posée sur ses épaules et le bâton de son oppresseur. Non pas que vous soyez sans la loi de Dieu, mais sans le joug du péché. Ps 2, 3 : Jetons loin de nous leur joug. Os 14, 2 : Tourne-toi, Israël, vers le Seigneur ton Dieu, car tu es tombé dans l’iniquité, etc. Rm 6, 18 : Libérés du péché, vous êtes devenus les serviteurs de la justice. PRENEZ DONC MON JOUG, à savoir, les enseignements évangéliques. Et il dit JOUG : en effet, de même que le joug attache et lie le cou des bœufs pour labourer, de même la doctrine évangélique attache les deux peuples à son joug.
1368. Et que veut dire : ET APPRENEZ DE MOI QUE JE SUIS DOUX ET HUMBLE DE CŒUR ? Toute la loi nouvelle tient en deux choses : dans la douceur et l’humilité. Par la douceur, l’homme est ordonné au prochain. Ps 131[132], 1 : Seigneur, souviens-toi de David et de toute sa douceur. Par l’humilité, [l’homme] est ordonné à lui-même et à Dieu. Is 66, 2 : Sur qui reposera mon esprit si ce n’est sur l’homme paisible et humble ? L’humilité rend donc l’homme capable de Dieu. Il avait aussi dit : JE VOUS SOULAGERAI. Quel est ce soulagement ? VOUS TROUVEREZ LE REPOS DE VOS ÂMES. En effet, le corps n’est pas soulagé lorsqu’il est affligé, et lorsqu’il n’est plus affligé, on dit qu’il est soulagé. Et ce qu’est la faim pour le corps, le désir l’est pour l’esprit. C’est pourquoi l’accomplissement des désirs est un soulagement. Ps 102, 5 : Lui qui remplit de biens ton désir. Et ce repos est le repos de l’âme. Si 51, 35 : J’ai travaillé un peu et j’ai trouvé un grand repos. Ainsi, dans le monde, les doux n’ont pas de repos, de sorte que vous trouverez [en moi] le repos éternel, à savoir, l’accomplissement de vos désirs. Mais ne soyez pas étonnés si je vous invite à porter un joug, car mon joug n’est pas un fardeau. Pourquoi ? MON JOUG EST DOUX et agréable. Ps 118[119], 103 : Que tes paroles sont douces à ma bouche ! ET MON FARDEAU LÉGER. Et [ces paroles] pourraient viser deux choses. Les bœufs sont attachés à un joug, mais le fardeau est porté. Ainsi, le joug vise les préceptes négatifs et le fardeau les préceptes positifs.
1369. Mais
il semble que cela soit faux, car le fardeau de la loi nouvelle paraît plus
lourd, comme il a été dit plus haut, 5, 21 : Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : «Tu ne tueras
pas...» Moi, je vous dis que quiconque se fâche contre son frère méritera
d’être jugé. Il semble donc qu’il s’agisse d’un fardeau plus lourd. De
même, il a été dit plus haut, 7, 14 : Le chemin qui conduit à la vie est étroit. De même, l’Apôtre
[écrit], 2 Co 11, 23 : Par
beaucoup d’efforts. Le joug semble donc très lourd. Il faut donc considérer
deux choses : l’effet de l’enseignement et les circonstances de l’acte.
Or, en toutes choses, l’enseignement du Christ est léger par ses effets, car il
change le cœur, fait que nous n’aimions pas les réalités temporelles, mais
plutôt les spirituelles – pour celui qui aime les réalités temporelles,
renoncer à un peu est plus lourd que pour celui qui aime les choses
spirituelles en perdre beaucoup. La loi ancienne n’interdisait pas les choses
temporelles ; il était donc plus lourd d’y renoncer. Mais, maintenant,
même si cela est un peu lourd au début, c’est peu de chose par la suite.
Pr 4, 11 : Je te mènerai
par les sentiers de la justice ; lorsque tu t’y seras engagé, tes pas ne
seront plus enrayés. De même, en ce qui concerne l’acte, la loi accablait
d’actes extérieurs. Mais notre loi réside dans la volonté seulement. Ainsi,
Rm 14, 11 : Le règne de
Dieu n’est pas dans la nourriture et la boisson. Aussi, la loi du Christ
rend joyeux. Ainsi, l’Apôtre [dit], Rm 14, 17 : La justice, la paix et la joie se trouvent
dans l’Esprit Saint. De même, en ce qui concerne les circonstances, car il y
a beaucoup d’épreuves. Ainsi, ceux qui
veulent vivre dans le Christ Jésus subiront la persécution, etc.,
2 Tm 3, 12. Mais celles-ci ne sont pas lourdes, car elles sont
assaisonnées du condiment de l’amour. En effet, lorsqu’on aime quelqu’un, ce
qu’on endure pour lui n’est pas lourd. Ainsi, l’amour rend léger tout ce qui
est lourd et impossible. De sorte que si quelqu’un aime bien le Christ, rien
n’est lourd pour lui, et c’est pourquoi la loi nouvelle n’est pas un fardeau.
Leçon 1
[Matthieu 12, 1‑22] 12, 1 En ce
temps-là, Jésus vint à passer, un jour de sabbat, à travers les moissons. Ses
disciples eurent faim et se mirent à manger des épis. 12, 2 Ce que voyant,
les Pharisiens lui dirent : «Voilà que tes disciples font ce qu’il n’est pas
permis de faire pendant le sabbat !» 12, 3 Mais il leur dit :
«N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il eut faim, lui et ses
compagnons ? 12, 4 Comment il entra dans la demeure de Dieu et
comment ils mangèrent les pains d’oblation, qu’il ne lui était pas permis de
manger, ni à ses compagnons, mais aux prêtres seuls ? 12, 5 Ou
n’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le
Temple violent le sabbat sans être en faute ? 12, 6 Or, je vous le
dis, il y a ici plus grand que le Temple. 12, 7 Et si vous aviez compris
ce que signifie : “C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice”,
vous n’auriez pas condamné des gens qui sont sans faute. 12, 8 Car le Fils
de l’homme est maître du sabbat.»
12, 9 Parti de là, il vint dans leur synagogue.
12, 10 Et voici, un homme ayant une main sèche s’approcha. Ils
l’interrogèrent pour savoir s’il était permis de guérir, le jour du sabbat,
afin de l’accuser. 12, 11 Mais il leur dit : «Quel sera parmi vous
l’homme qui aura une seule brebis, et si elle tombe dans un trou, le jour du
sabbat, n’ira la prendre et la relever ? 12, 12 Or, combien un homme
vaut plus qu’une brebis ! Ainsi donc, il est permis de faire une bonne
action le jour du sabbat.» 12, 13 Alors il dit à l’homme : «Étends ta
main.» Il l’étendit et elle fut remise en état, saine comme l’autre.
12, 14 Étant sortis, les Pharisiens tinrent conseil contre lui, en vue de
le perdre. 12, 5 L’ayant su, Jésus se retira de là. Beaucoup le suivirent
et il les guérit tous 12, 16 et il leur enjoignit de ne pas le faire
connaître, 12, 17 pour que s’accomplît ce qui a été dit par le prophète
Isaïe : 12, 18 «Voici mon enfant que j’ai choisi, mon Bien-Aimé qui a
plu en tout à mon coeur. Je placerai sur lui mon Esprit et il annoncera le droit
aux nations. 12, 19 Il ne fera point de querelles. Il ne poussera pas de
cris et nul n’entendra sa voix sur les places. 12, 20 Il ne brisera pas le
roseau froissé, et il n’éteint pas la mèche qui fume, il ne l’éteindra pas,
avant d’avoir mené le jugement à la victoire : 12, 21 les nations
mettront leur espérance en son nom.»
Leçon 2
[Matthieu 12, 22‑37] 12, 22
Alors on lui présenta un démoniaque aveugle et muet ; et il le guérit, si
bien que le muet pouvait parler et voir. 12, 23 Et toutes les foules,
frappées de stupeur, disaient : «Celui-là n’est-il pas le Fils de
David ?» 12, 24 Mais les Pharisiens, entendant cela, dirent :
«Celui-ci n’expulse les démons que par Béelzéboul, le prince des démons.»
12, 25 Connaissant leurs pensées, il leur dit : «Tout royaume divisé
contre lui-même courra à la ruine ; et nulle ville, nulle maison, divisée
contre elle-même, ne saurait se maintenir. 12, 26 Or, si Satan expulse
Satan, il s’est divisé contre lui-même : dès lors, comment donc son
royaume se maintiendra-t-il ? 12, 27 Et si moi, c’est par Béelzéboul
que je chasse les démons, par qui vos fils les expulsent-ils ? Ainsi
seront-ils eux-mêmes vos juges. 12, 28 Mais si c’est par l’Esprit de Dieu
que je chasse les démons, c’est donc que le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous.
12, 29 Ou alors, comment quelqu’un peut-il pénétrer dans la maison d’un
homme fort et s’emparer de ses affaires, s’il n’a d’abord lié cet homme
fort ? Et alors il pillera sa maison.
12, 30 «Qui n’est pas avec moi est contre moi, et
qui n’amasse pas avec moi dissipe. 12, 31 Aussi je vous le dis, tout péché
et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera
pas remis. 12, 32 Or je vous le dis, quiconque aura dit une parole contre
le Fils de l’homme, cela lui sera remis ; mais quiconque aura dit contre
l’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce siècle ni dans le siècle à
venir.
12, 33 «Observez un arbre bon : son fruit sera
bon ; observez un arbre gâté : son fruit sera gâté. Car c’est au
fruit qu’on reconnaît l’arbre. 12, 34 Engeance de vipères, comment
pourriez-vous tenir un bon langage, alors que vous êtes mauvais ? Car la
bouche parle du trop-plein du coeur. 12, 35 L’homme bon tire de bonnes
choses de son bon trésor ; et l’homme mauvais, de son mauvais trésor en
tire de mauvaises. 12, 36 Or je vous le dis : de toute parole vaine
que les hommes auront prononcée, ils rendront compte au jour du Jugement.
12, 37 Car c’est d’après tes paroles que tu seras justifié, et c’est
d’après tes paroles que tu seras condamné.»
Leçon 3
[Matthieu 38, 45] 12, 38 Alors quelques-uns des
scribes et des Pharisiens prirent la parole et lui dirent : «Maître, nous
désirons que tu nous fasses voir un signe.» 12, 39 Il leur répondit :
«Engeance mauvaise ! Elle réclame un signe. Génération adultère, de signe,
il ne lui sera donné que le signe de Jonas, le prophète. 12, 40 Comme
Jonas fut dans le ventre de la baleine pendant trois jours et trois nuits, de
même en sera-t-il pour le Fils de l’homme au coeur de la terre durant trois
jours et trois nuits. 12, 41 Les hommes de Ninive se dresseront lors du
Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à
la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas ! 12, 42 La
reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la
condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de
Salomon, et il y a ici plus que Salomon ! 12, 43 Lorsque l’esprit
impur est sorti de l’homme, il erre par des lieux arides en quête de repos, et
il n’en trouve pas. 12, 44 Il dit alors : “Je vais retourner dans ma
demeure, d’où je suis sorti.” Étant venu, il la trouve libre, balayée, décorée.
12 45 Alors il s’en va prendre avec lui sept autres esprits plus mauvais
que lui ; ils entrent chez lui et y habitent. Et l’état final de cet homme
devient pire que le premier. Ainsi en sera-t-il de cette génération mauvaise.»
Leçon
[Matthieu 12, 46-50] 12, 46 Comme il parlait encore
aux foules, voici que sa mère et ses frères se tenaient dehors, cherchant à lui
parler. 12 48 Quelqu’un lui dit : «Voici, ta mère et tes frères se
tiennent dehors, cherchent à te parler. » Mais, lui répondant, en tendant
la main vers ses disciples, il dit : «Qui est ma mère et qui sont mes
frères ?» 12, 49 «Voici ma mère et mes frères. 12, 50 Car
quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est mon
frère, ma soeur et une mère.»
1370. Plus haut, vous avez entendu comment le Seigneur a contenté les disciples et leur a fait des reproches ; ici, [le Seigneur] montre comment les Pharisiens sont refrénés. Et [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il montre comment [Jésus] réplique aux Pharisiens ; deuxièmement, comment les disciples sont louangés.
1371. À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il montre comment sont réfutés ceux qui dénigrent les disciples ; deuxièmement, comment [sont réfutés] ceux qui dénigrent le Christ, en cet endroit : PARTI DE LÀ, etc. [12, 9].
1372. À propos du premier point, l’occasion du reproche est d’abord présentée [12, 1] ; en deuxième lieu, le reproche, en cet endroit : CE QUE VOYANT LES PHARISIENS, etc. [12, 2] ; en troisième lieu, la défense du Christ, en cet endroit : MAIS IL LEUR DIT, etc. [12, 3].
1373. Or, une double occasion est présentée : l’une, concernant le Christ [12, 1] ; l’autre, concernant les disciples, en cet endroit : SES DISCIPLES EURENT FAIM ET SE MIRENT À MANGER DES ÉPIS [12, 1].
1374. Pour ce qui est du Christ, [Matthieu] dit : EN CE TEMPS-LÀ, JÉSUS VINT À PASSER, UN JOUR DE SABBAT, À TRAVERS LES MOISSONS. Le Seigneur savait que ses disciples allaient faire cela, et cependant le Seigneur choisit que cela arrive, puisqu’il avait déjà commencé à abolir le sabbat, comme on le trouve plus haut, 11, 13 : La loi et les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean.
1375. Mais il faut remarquer que [Matthieu] dit : EN CE TEMPS-LÀ, car le fait qu’une indication de temps soit ici donnée semble se rapporter à l’ordre historique ; mais Lc 6, 1 et Mc 2, 23 suivent un autre ordre. Ainsi, après que le Seigneur eut répondu aux disciples de Jean, ceci est présenté. Tout ce qui précède semble donc être arrivé avant la mort de Jean, mais ceci, après. Et cela est clair par tout ce qui suit jusqu’au chapitre 14, où la mort de Jean Baptiste est mentionnée. C’est pourquoi il faut comprendre que, alors que la passion se rapprochait, Jean envoya ses disciples, puis on lui coupa la tête, et alors [ce dont il est ici question] se produisit après sa mort.
1376. JÉSUS VINT À PASSER, LE JOUR DU SABBAT, À TRAVERS LES MOISSONS. Par ces moissons, il faut entendre les Saintes Écritures. Le semeur est le Christ, plus loin, 13, 37 : C’est lui qui sème. Il faut aussi entendre le peuple des croyants.
1377. SES DISCIPLES EURENT FAIM ET SE MIRENT À MANGER DES ÉPIS. Ici, il faut considérer deux choses. Premièrement, la nécessité, car ILS AVAIENT FAIM. Et pourquoi ? Parce qu’ils étaient pauvres. Ainsi, en 1 Co 4, 11 : Jusqu’à cette heure, nous avons faim et nous avons soif, etc. La seconde raison est que, chaque jour, ils étaient en butte aux foules ; ils avaient donc à peine un endroit pour manger, comme on le lit en Mc 6, 31. Mais comment ont-ils apaisé [leur faim] ? Il nous est donné un exemple d’abstinence ; ainsi, ceux-ci n’ont pas cherché de grands mets, mais des épis, selon ce que dit 1 Tm 6, 8 : Nous nous contentons d’avoir de quoi manger et nous vêtir.
1378. Au
sens mystique, par l’arrachement des épis est signifiée la multiplicité des
sens des Écritures ou la conversion des pécheurs.
1379. Ensuite, [Matthieu] présente le reproche adressé par les Pharisiens : CE QUE VOYANT, LES PHARISIENS LUI DIRENT : «VOILÀ QUE TES DISCIPLES FONT CE QU’IL N’EST PAS PERMIS DE FAIRE LE JOUR DU SABBAT !» Les disciples faisaient deux choses mauvaises : premièrement, ils arrachaient des épis qui appartenaient à d’autres ; deuxièmement, ils enfreignaient le sabbat. Mais les Pharisiens ne leur faisaient pas de reproches sur le premier point, car ceci était permis par la loi, Dt 33. Ainsi, parce que cela était permis, ils ne [les] calomniaient pas, mais, parce que c’était le sabbat, ils [les] calomniaient. Par cela, est détruite l’hérésie des Hébreux, qui disaient que la loi devait être observée en même temps que l’évangile. Et parce que Paul s’oppose à cette position, ils font des reproches à Paul. Jérôme s’objecte à ceux-ci, car même les disciples ne l’observaient pas.
1380. MAIS IL LEUR DIT. Ici est présentée l’exemption. Premièrement, par des exemples ; deuxièmement, par l’autorité, en cet endroit : ET SI VOUS AVIEZ COMPRIS [12, 7].
1381. À propos du premier point, [Jésus] fit deux choses. Premièrement, il donne un exemple dans lequel certains sont exemptés pour cause de nécessité ; deuxièmement, dans lequel [certains le sont] pour cause de sainteté, en cet endroit : ET N’AVEZ-VOUS PAS LU DANS LA LOI, etc. [12, 4].
1382. [Matthieu] dit donc : MAIS IL LEUR DIT, etc. On lit, en Lv 24, 5, que douze pains étaient faits avec la farine la plus pure et que ceux-ci étaient déposés sur la table d’oblation, le jour du sabbat, et qu’ils en étaient retirés le sabbat suivant ; d’autres [y] étaient déposés et les premiers étaient mangés par les fils d’Aaron. De même, on trouve en 1 R [1 Sm] 21, 6 que, alors que David fuyait Saül, Abimélech leur distribua ces pains. C’est de cela que [Jésus] parle : N’AVEZ-VOUS PAS LU CE QUE FIT DAVID LORSQU’IL EUT FAIM ? En effet, ce David était un homme bon, dont le Seigneur dit qu’il avait trouvé un homme selon son cœur, 1 R [1 Sm] 13, 8. Mais quelqu’un pourrait dire : «Ce David était un prophète ; il pouvait donc [les] accepter.» [Le Seigneur] ajoute donc : ET CEUX QUI ÉTAIENT AVEC LUI. On appelait [ces pains] des pains d’oblation, offerts le jour du sabbat ; selon la loi, il n’était pas permis de les utiliser, comme on le lit en Lv 24, 5. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec ce qui est en cause ? Lorsque [Abimélech] agit ainsi, c’était le sabbat. Et cela est clair, car il est dit en cet endroit : Je n’ai pas d’autres pains que ceux que j’ai pris de la table du Seigneur, et [Abimélech] ne faisait cela que le jour du sabbat. De même, le premier jour du mois, se tenait la fête de la néoménie ; c’est pourquoi, si elle tombait le jour du sabbat, celui-ci était forcément enfreint.
1383. Mais il semble que [David] ne l’a pas enfreint, car manger le jour du sabbat n’est pas un péché. Il semble donc qu’il ne l’ait pas enfreint. Mais Chrysostome dit qu’il a plutôt enfreint le jour du sabbat parce qu’il a accepté par nécessité les pains qui ne devaient appartenir à personne. On trouve aussi que le sabbat a été enfreint par les Macchabées par nécessité. De même, il faut remarquer ce que dit Chrysostome, à savoir qu’«il existe certains préceptes qui existent pour eux-mêmes, et ceux-ci ne peuvent être enfreints par nécessité ; mais certains n’existent pas pour eux-mêmes, mais parce qu’ils sont une figure, et ceux-ci peuvent être [enfreints] en raison du lieu et du temps, comme le jeûne peut être repoussé par nécessité.» Or, ce pain était la figure d’un autre pain, à savoir, le pain de l’autel, qui est mangé non seulement par le prêtre, mais aussi par le reste du peuple. C’est pourquoi David représente ici le peuple. Ainsi, dans Ap 5, 10 : Tu as fait de nous un royaume et des prêtres pour notre Dieu.
1384. Dans le Lévitique, il avait été prescrit que l’oblation, qu’on avait coutume de faire les autres jours, fût faite deux fois le jour du sabbat, et cependant elle était faite dans le temple et le jour du sabbat, parce qu’elle était faite pour le service du temple et de Dieu. Les prêtres étaient donc exemptés. Ainsi, cet exemple s’applique, car les apôtres se consacraient entièrement à quelque chose de plus grand que le temple, à savoir, le Christ. [Le Seigneur] dit donc : N’AVEZ-VOUS PAS LU QUE LES PRÊTRES ENFREIGNAIENT LE JOUR DU SABBAT ? Mais c’était seulement pour [le service du] temple.
1385. Ici est utilisé un adverbe de lieu, par égard pour lequel ils agissent ainsi. Et qu’il y ait plus grand que le temple, cela est clair, car le temple est le corps [du Seigneur] [Jn 2, 19]. Il faut aussi voir que, dans le premier exemple, [le Seigneur] n’affirme pas qu’il n’y a pas eu faute. Dans le second, il affirme que, si quelqu’un enfreint le sabbat par nécessité, il n’est toutefois pas exempt de toute faute pour cette raison. Mais si quelqu’un [l’enfreint] pour Dieu, il est entièrement exempt de faute.
1386. Ensuite, [le Seigneur] raisonne à partir d’exemples. En premier lieu, parce qu’il se comporte avec miséricorde envers ses disciples, car, SI VOUS AVIEZ COMPRIS CE QUE SIGNIFIE : «C’EST LA MISÉRICORDE QUE JE VEUX, ET NON LE SACRIFICE », VOUS N’AURIEZ PAS CONDAMNÉ DES GENS INNOCENTS, Os 6, 6. Et comment il faut entendre cela, on l’a dit plus haut. Pr 21, 3 : Faire miséricorde et justice plaît davantage au Seigneur que les victimes, etc.
1387. Il y a aussi un autre argument qui les innocente, à savoir, l’obéissance, puisque je [le] leur prescris, car LE FILS DE L’HOMME (il avait coutume de s’appeler ainsi) EST MAÎTRE DU SABBAT, et le législateur n’est pas soumis à la loi. Is 33, 22 : Il est notre législateur ; il possède donc le pouvoir puisqu’il a l’autorité.
1388. PARTI DE LÀ, IL VINT DANS LEUR SYNAGOGUE, etc. Plus haut, on a montré comment le Seigneur repoussa les Pharisiens qui s’en prenaient aux disciples ; ici, [on montre] comment il les repousse alors qu’ils s’en prenaient à lui. En effet, ils s’en prenaient à lui d’abord par des insinuations ; en deuxième lieu, en le rabaissant ; en troisième lieu, en le mettant à l’épreuve. Ainsi, il les repousse de trois manières. Le second point [se trouve] en cet endroit : ALORS, ON LUI PRÉSENTA UN DÉMONIAQUE [12, 22] ; le troisième, en cet endroit : ALORS QUELQUES-UNS DES SCRIBES ET DES PHARISIENS [12, 38].
1389. À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses. En premier lieu, il montre comment ils tendaient des pièges à l’enseignement du Christ ; en second lieu, au comportement du Christ, en cet endroit : ÉTANT SORTIS, LES PHARISIENS TINRENT CONSEIL CONTRE LUI [12, 14].
1390. Sur le premier point, une interrogation insidieuse est présentée ; en second lieu, la réponse du Christ, en cet endroit : MAIS IL LEUR DIT, etc. [12, 11].
1391. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, le lieu est décrit ; deuxièmement, l’occasion ; troisièmement, l’interrogation.
1392. [Matthieu] dit donc : PARTI DE LÀ, IL VINT DANS LEUR SYNAGOGUE. Selon le texte, les disciples avaient arraché des épis, et Jésus les avait innocentés. Ainsi, lorsque [Matthieu] dit : PARTI DE LÀ, il semble qu’il soit parti le même jour. Mais cela est écarté par Lc 6, 1, puisque [cela] se passa lors d’un autre sabbat. Pour cette raison, il ne faut pas comprendre que [cela arriva] immédiatement. [Matthieu] dit donc : IL VINT DANS LEUR SYNAGOGUE, afin de prêcher le salut, comme en Jn 18, 20 : J’ai toujours enseigné dans le temple et dans la synagogue, où tous les Juifs se rassemblent, et je n’ai rien dit en secret. Et en Ps 39[40], 10 : J’ai annoncé ta justice dans une grande assemblée.
1393. ET VOICI UN HOMME AYANT UNE MAIN SÈCHE. Vient ensuite l’occasion de l’interrogation, car ILS L’INTERROGÈRENT, etc. On dit que celui-ci était un tailleur de pierre et qu’il avait une main sèche. Par lui est signifié le genre humain, dont la main s’est desséchée par le péché originel, ou n’importe quel pécheur, dont la main et la puissance d’action se sont desséchées ; parfois, il s’agit de la droite, parce qu’ils sont impuissants à faire le bien, tout en étant capables de faire le mal.
1394. La question est alors présentée et, en second lieu, la réponse. [Matthieu] dit donc : ET ILS L’INTERROGÈRENT POUR SAVOIR S’IL ÉTAIT PERMIS DE GUÉRIR LE JOUR DU SABBAT. Ils voyaient un homme puissant ; ils lui demandèrent donc s’il était permis de guérir le jour du sabbat. Et ils demandaient cela pour le mettre à l’épreuve, comme on lit en Si 13, 14 : Il te mettra à l’épreuve par sa faconde. En effet, ils n’interrogeaient pas avec l’intention d’apprendre, mais plutôt d’accuser, comme on trouve dans Ps 37[38], 3 : Ils parlaient de paix avec leur prochain, mais le mal habitait leur cœur.
1395. Mais ici se pose une question, car, en Mc 3, 4, on voit que le Seigneur [lui-même] a posé la question ; ici, on dit qu’ils l’ont interrogé. Augustin répond que les deux choses se sont produites, car, lorsque [cet homme] se présenta et demanda d’être guéri, [les Pharisiens] posèrent leur question, et le Seigneur le fit lever, puis l’interrogea. Ou bien, autre [interprétation], parce que [les Pharisiens] l’observaient. Ils se préparaient donc à poser leur question, et alors [le Seigneur] posa la question, car il savait qu’ils [la] posaient en vue de l’accuser.
1396. MAIS IL LEUR DIT, etc. Ici est présentée la réponse. Et, en premier lieu, il répond par la parole ; en second lieu, par un geste, en cet endroit : IL DIT ALORS À L’HOMME : «ÉTENDS TA MAIN» [12, 13].
1397. À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il allègue la coutume ; deuxièmement, [il présente] une comparaison, en cet endroit : COMBIEN UN HOMME VAUT PLUS QU’UNE BREBIS ! [12, 12] ; troisièmement, il en tire une conclusion, en cet endroit : AINSI DONC, IL EST PERMIS DE FAIRE UNE BONNE ACTION LE JOUR DU SABBAT [12, 12].
1398. [Le Seigneur] dit donc en premier lieu : QUEL SERA PARMI VOUS L’HOMME QUI AURA UNE SEULE BREBIS, ET SI ELLE TOMBE DANS UN TROU, LE JOUR DU SABBAT, N’IRA LA PRENDRE ET LA RELEVER ? C’était la coutume chez eux que, si une brebis tombait dans un trou, ils l’en retiraient le jour du sabbat. En effet, ils s’adonnaient tellement à l’avarice qu’ils plaçaient un dommage temporel au-dessus d’un dommage spirituel. Ce qui est dit en Si 10, 9 leur convenait donc : Il n’y a rien de plus infâme qu’un avare. Et, peu après, [le texte] poursuit : Son âme est à vendre, puisqu’il s’expose à un danger et à un dommage éternels pour un faible gain temporel.
1399. COMBIEN UN HOMME VAUT PLUS QU’UNE BREBIS ! Il n’y a pas de comparaison, car tout existe en vue de l’homme. En effet, la domination sur toutes choses a été donnée à l’homme, comme on le trouve en Gn 1, 26 : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, puis vient ensuite : Et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre. Et ainsi, par le fait qu’il est à l’image [de Dieu], il domine, comme [c’est le cas de] l’homme par rapport à la brebis. De cela, [le Seigneur] conclut : AINSI DONC, IL EST PERMIS DE FAIRE UNE BONNE ACTION [LE JOUR DU SABBAT], c’est-à-dire d’être utile aux hommes. Is 1, 16 : Cessez de mal agir, apprenez à bien agir, car il est écrit en Ex 20, 10 : Vous ne ferez pas d’œuvre servile [ce jour-là]. L’œuvre servile, c’est le péché ; il est donc permis de faire une bonne action.
1400. Mais se pose alors une question : est-il permis de faire n’importe quelle bonne action le jour du sabbat ? Il serait alors permis de labourer. Il faut donc dire que l’œuvre servile peut être comprise au sens littéral et que, au sens mystique, l’œuvre servile est le péché, Jn 8, 34 : Celui qui pèche est l’esclave du péché. De même, une œuvre est servile lorsque le corps plus que l’âme est mis à contribution. En effet, il relève de l’âme de dominer le corps. Ainsi, conseiller n’est pas une œuvre servile.
1401. Nous pouvons donc voir ce qui exempte du sabbat. En effet, le Seigneur exempte ses disciples pour cause de nécessité. Il en est de même pour tout ce qui est immédiatement ordonné au culte de Dieu, comme d’encenser, etc. De même, pour ce qui concerne la santé du corps, comme de préparer un remède, des emplâtres, etc. Ainsi donc, [les Pharisiens] sont blâmés parce qu’ils rendent plus sévère le précepte de la loi.
1402. IL DIT ALORS À L’HOMME : «ÉTENDS TA MAIN.» Dans cette partie, [le Seigneur] répond par un geste qui consiste à le guérir. En effet, il ne le guérirait pas si cela n’était pas permis. Vient ensuite la guérison : ELLE FUT REMISE EN ÉTAT, SAINE COMME L’AUTRE.
1403. Au
sens mystique, l’homme qui a une main sèche, c’est-à-dire incapable de bien
agir, ne peut être mieux guéri qu’en étendant la main pour soulager les
pauvres. Ainsi, Dn 4, 24 : Rachète
tes péchés par l’aumône. Et Si 3, 33 : L’eau éteint le feu qui brûle, l’aumône tient tête aux péchés. Et,
dans le même, 4, 36 : Ne tends
pas la main pour recevoir, mais pour donner ce que tu as amassé. Et il faut
remarquer qu’au départ sa main gauche était saine et qu’elle a été remise en
état comme l’autre, je veux dire, la droite. Et cela arrive parce que, d’abord
les hommes sont capables de mal agir, comme on le trouve en
Is 5, 22 : Malheur à vous
qui êtes en mesure de mal agir ! Mais, par la suite, ils sont guéris
par la grâce et sont alors enclins à faire le bien. Rm 6, 19 : De même que vous avez mis vos membres au
service de l’impureté et de l’iniquité, de même mettez-[les] maintenant au
service de la justice et de la sanctification, etc.
1404. ÉTANT SORTIS, LES PHARISIENS, etc. Ici, [Matthieu] montre comment ils lui tendaient des embûches. En premier lieu, sont présentées les embûches ; en deuxième lieu, leur évitement, en cet endroit : L’AYANT SU, JÉSUS SE RETIRA DE LÀ [12, 15] ; en troisième lieu, l’autorité, en cet endroit : POUR QUE S’ACCOMPLÎT CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE ISAÏE [12, 17s].
1405. [Matthieu] dit donc : ÉTANT SORTIS, à savoir, de la synagogue, afin que s’accomplît ce qu’on trouve dans Ps 53[54], 3 : L’assemblée des puissants s’est mise à la poursuite de mon âme. Ils sortirent donc afin de mal agir, comme en Jb 1, 12 : Satan s’est retiré de la face du Seigneur. ILS TINRENT CONSEIL, c’est-à-dire qu’ils se réunirent en vue de le perdre et de le tuer, parce qu’ils ne pouvaient l’emporter sur ce qu’il disait, Ps 1, 1 : Bienheureux l’homme qui ne se joint pas au conseil des impies.
1406. Ici est présentée la manière dont Jésus évita les embûches. En premier lieu, l’évitement est présenté ; en second lieu, le résultat.
1407. [Jésus] se retira donc, et pourquoi ? Parce que le temps de souffrir n’était pas encore venu. De même, il se retira afin de donner aux siens la possibilité de fuir, comme il a été dit plus haut, [Mt] 10. Aussi, afin de montrer qu’il était un homme. Il les a aussi quittés afin de ne pas les provoquer. En effet, c’est le propre du bon prédicateur de renvoyer les gens, lorsqu’il constate qu’ils sont émus et irrités, comme on le voit en Si 8, 13 : N’attise pas le feu des pécheurs en discutant avec eux, et n’allume pas la flamme de ces pécheurs.
1408. BEAUCOUP LE SUIVIRENT. Il se dirigea donc vers ceux qui l’aimaient et qui l’écoutaient volontiers. Ainsi, Jn 10, 3 : Mes brebis écoutent ma voix. ET IL LES GUÉRIT. La guérison est présentée, Sg 16, 12 : Ce n’est ni l’herbe ni un cataplasme qui les a guéris, mais ta parole qui guérit tout. Ps 106[107], 20 : Il a envoyé sa parole, et il les a guéris.
1409. ET IL LEUR ENJOIGNIT DE NE PAS LE FAIRE CONNAÎTRE. Et pourquoi ? Afin de nous donner un exemple d’évitement de la vaine gloire, comme on trouve plus haut, 6, 1. Aussi, afin d’épargner les Pharisiens, qui le calomniaient au sujet de ses gestes.
1410. POUR QUE S’ACCOMPLÎT CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE ISAÏE. Ici, [Matthieu] introduit l’autorité, qui se trouve en Is 42, 1.
1411. Et
il faut savoir que certains apôtres présentent les autorités dans leur version
hébraïque, d’autres dans la version des Septante, et que d’autres ne formulaient
que le sens des paroles. [Isaïe] fait trois choses : premièrement, il
décrit la nature humaine, lorsqu’il dit : VOICI MON ENFANT, car [Jésus] a
été un enfant, Lc 2, 43 : Mais
l’enfant Jésus resta au temple. Il est appelé enfant, soit en raison de la
pureté, car il n’a pas commis de péché et
sa bouche n’a pas proféré de tromperie, etc., 1 P 2, 22 ;
soit parce qu’on appelle enfant un serviteur. Ainsi, VOICI MON ENFANT, [mon]
serviteur par sa condition servile, Ph 2, 7 : Il s’abaissa jusqu’à prendre la forme d’un
esclave.
1412. L’élu QUE J’AI CHOISI. Il faut remarquer qu’en chaque homme saint se trouvent trois choses : l’élection divine, l’amour et l’effet, qui est la grâce, et cela, de manière différente chez l’homme et chez Dieu. Chez l’homme, la grâce précède ; en deuxième lieu, il aime ; en troisième lieu, il choisit. Chez Dieu, c’est l’inverse. Et cela vient de ce que, chez l’homme, la volonté ne cause pas cet effet, qui est la grâce, mais que l’amour et la volonté de Dieu sont la cause de la grâce. C’est pourquoi Il choisit d’abord celui qu’Il veut être bon ; en deuxième lieu, Il l’aime et, ensuite, Il lui ajoute la grâce. Ainsi donc, conformément à cela, [Isaïe] présente trois choses. Premièrement, l’élection, etc. Dans l’original, on ne trouve pas CHOISI.
1413. [Isaïe] dit donc : VOICI MON ENFANT QUE J’AI CHOISI, etc., et cela, en raison d’une double élection, qui convient tout à fait au Christ selon sa nature humaine. En effet, il a été choisi pour deux choses, à savoir, pour être le Fils de Dieu, comme on lit en Rm 1, 4 : Qui a été prédestiné comme Fils de Dieu, etc., et Ps 64[65], 5 : Bienheureux celui qui tu as choisi et assumé. Il a aussi été choisi en vue de l’œuvre de la rédemption des hommes, comme [on lit] en Jn 3, 16 : Dieu a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique, etc. De même, il [l’]a choisi afin de l’aimer ; c’est pourquoi il est dit : MON BIEN-AIMÉ. En effet, s’Il en aime d’autres, Il aime encore plus son Fils unique. Ainsi, Jn 3, 34 : L’Esprit ne lui a pas été compté. Et s’Il en aime d’autres, [Il aime] cependant celui-ci d’un amour particulier. [Isaïe] dit donc : QUI A PLU EN TOUT À MON CŒUR, c’est-à-dire à ma volonté. Et cela est un amour particulier, car la volonté ne se repose que là où elle trouve ce qui lui plaît. Or, rien ne plaît que par l’effet de la grâce, et aucune grâce n’a fait défaut au Christ. Ainsi, plus haut, 3, 17 : Voici mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu.
1414. Ensuite, [Isaïe] présente le don de la grâce : Je placerai sur lui mon Esprit, comme on lit en Jl 2, 28 : Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Mais, dans le Christ, Il a répandu non seulement de l’Esprit, mais tout l’Esprit, comme on lit en Jn 3, 34 : L’Esprit ne lui a pas été compté, et Is 11, 2 : L’Esprit du Seigneur reposera sur lui. Et cela, pour autant qu’il a la forme de l’esclave. Et que fera-t-il ? Aura-t-il une fonction ? IL ANNONCERA LE DROIT AUX NATIONS, c’est-à-dire qu’il enseignera aux nations les jugements de Dieu. Dans le passé, les Juifs s’enorgueillissaient d’être le peuple particulier de Dieu ; ils disaient donc : Il n’a pas agi ainsi pour toutes les nations, et Il ne leur a pas manifesté ses jugements. Mais cela a été dit aux nations. Ainsi, IL ANNONCERA AUX NATIONS, d’une manière matérielle, car il a reçu le pouvoir de juger les nations. Ac 10, 42 : C’est lui que Dieu a établi comme juge des vivants et des morts, et Jn 5, 22 : Le Père a confié tout jugement au Fils.
1415. Aussi n’y est-il pas apte ? Car, pour le jugement, deux choses sont nécessaires : la clémence et la justice. Et [Isaïe] montre les deux choses. Et parce que la clémence peut exister dans les paroles et aussi dans le comportement, car même si certains ne peuvent quelque chose, ils le déplorent par la parole, [Isaïe] écarte cela de [Jésus]. Il dit donc : IL NE FERA POINT DE QUERELLES, 1 P 2, 23 : Alors qu’on le maudissait, il ne maudissait pas. Et cela convient bien à ce qui est dit en Pr 20, 23 : Il est honorable pour un homme de se soustraire aux querelles. De même, certains ne chicanent pas, mais murmurent. Mais celui-ci ne le fera pas, car [IL NE POUSSERA] PAS DE CRIS. Ainsi, Is 53, 7 : Il sera conduit à l’abattoir et il restera muet comme un agneau et n’ouvrira pas la bouche. Les cris proviennent du cœur. L’Apôtre prescrit donc, dans Ep 4, 31 : Que tout emportement et tout cri soient extirpés de chez vous. Certains ne crient pas mais se lamentent ; et ceci est écarté : ET NUL N’ENTENDRA SA VOIX SUR LES PLACES. Ceux-là donnent de la voix sur les places qui suivent le chemin des pécheurs. Lm 4,1 : Les pierres du sanctuaire ont été dispersées. Pr 1, 20 : La sagesse fait entendre sa voix sur les places. Cependant, CELUI-CI NE SERA PAS ENTENDU CHEZ EUX. Ou bien, autre [interprétation] : par les places, nous entendons les nations, parce qu’elles sont en-dehors du sanctuaire. Et bien que le Christ appuie la prédication aux nations, il ne leur a cependant pas prêché en personne. Ainsi, il ne sera pas entendu sur les places, c’est-à-dire chez les Gentils.
1416. Il sera donc patient en parole comme dans son comportement : IL NE BRISERA PAS LE ROSEAU FROISSÉ. Et cela, de deux façons : en effet, on peut lire cela à propos des Juifs d’une manière particulière ; [et on peut le lire] d’une manière générale à propos de tous. Pour ce qui est de Juifs, il y avait deux choses chez eux : le pouvoir royal et la dignité sacerdotale. Le pouvoir royal est signifié par le roseau, qui était déjà froissé parce qu’ils étaient soumis aux Romains ; il lui était donc facile de briser le roseau. Et cela est bien indiqué par le roseau, car le roseau est mobile, comme on le lit plus haut, 11, 7 : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent ?
1417. ET IL N’ÉTEINT PAS LA MÈCHE QUI FUME. Par la mèche fumante, le sacerdoce est signifié ; c’est pourquoi les prêtres portaient des vêtements en fil de lin. FUMANTE : la fumée est éliminée par le feu. De même, la fumée est provoquée par un feu faible, qui consume plus qu’il ne brûle, et engendre ainsi une mauvaise odeur. Ceux-ci ressemblaient donc à une mèche fumante parce qu’ils n’avaient pas totalement perdu la foi ; toutefois, ils n’avaient pas de quoi de soustraire au mal. Ainsi, bien que [le Seigneur] eût pu à juste titre [les] éteindre, cependant IL N’ÉTEINDRA PAS LA MÈCHE QUI FUME.
1418. De même, donne-t-on une autre interprétation se rapportant à tous, de sorte que, par le roseau froissé, on entende les pécheurs. Par la mèche qui fume, qui parfois dégage de la chaleur, on entend ceux qui sont sans péché, mais sont tièdes pour les bonnes actions et possèdent quelque chose de la grâce. [Isaïe] veut donc dire que [le Seigneur] n’interdit pas la voie du salut aux pécheurs. [Le Seigneur] lui-même dit donc en Ez 18, 23 : Est-ce que je veux la mort du pécheur ? De même, si quelqu’un a la grâce, [le Seigneur] n’éteindra pas celle-ci. Nous est donc donné par cela l’exemple que nous ne devons pas éteindre la grâce de celui à qui le Seigneur l’a donnée, mais plutôt l’entretenir. De même, il ne portera pas de jugement AVANT D’AVOIR MENÉ LE JUGEMENT À LA VICTOIRE. Et ceci peut s’entendre des Juifs d’une manière particulière, à savoir, lorsqu’il les aura tous vaincus, parce qu’ils affirmaient qu’il chassait les démons par Béelzéboul ; il les a réfutés et a donc porté un jugement sur eux. Et ceci a été accompli par Titus et Vespasien.
1419. Et non seulement ceci arrivera, mais, lorsqu’ils auront été détruits, LES NATIONS METTRONT LEUR ESPÉRANCE EN SON NOM. Ainsi, Gn 49, 10 : C’est lui qu’attendront les nations. Ou bien, autre [interprétation] : il supporte ainsi [leur] volonté et ne juge personne, mais, lorsque la mort ennemie sera détruite, toutes les nations se rallieront à lui, et ce sera le jour du jugement.
1420. Plus haut, le Seigneur a repoussé ceux qui calomniaient son enseignement et sa vie ; mais ici, il repousse ceux qui rabaissent ses miracles. Premièrement, un miracle est présenté ; deuxièmement, la perversité de ceux qui [le] rabaissent ; troisièmement, leur réfutation. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET TOUTES [LES FOULES] ÉTAIENT FRAPPÉES DE STUPEUR, etc. [12, 23] ; le troisième, en cet endroit : MAIS JÉSUS, etc. [12, 25].
1421. Au sujet du miracle, deux choses sont présentées : premièrement, une maladie multiple est présentée [12, 22] ; deuxièmement, la guérison totale, en cet endroit : ET IL LE GUÉRIT, SI BIEN QUE LE MUET POUVAIT PARLER ET VOIR.
1422. [Matthieu] dit donc : ALORS, ON LUI PRÉSENTA UN DÉMONIAQUE. Il est question de cela en Lc 11, 14 en d’autres termes. Mais cela n’est pas incorrect que ce qui est exprimé chez l’un soit tu chez l’autre. Par [ce malade], les Gentils sont signifiés ou le pécheur, qui est habité par un démon en étant esclave, car celui qui commet le péché est l’esclave du péché, Jn 8, 34. Celui-ci est un aveugle privé de la lumière de la grâce. Ainsi Is 59, 10 : Nous avons tâté le mur comme des aveugles, et nous avons titubé comme si nous n’avions pas d’yeux, etc. De même, il est un muet pour ce qui est de la confession de la foi, Ps 38[39], 3 : Je me suis tu et j’ai gardé silence parmi les bons, etc. Et ailleurs : Parce que je me suis tu, ils ont affaibli mes os.
1423. Vient ensuite la guérison totale : ET IL LE GUÉRIT, en chassant son incapacité de parler, SI BIEN QU’IL POUVAIT PARLER ; et en chassant sa cécité, [SI BIEN QU’]IL POUVAIT VOIR. Ainsi donc, une santé parfaite lui est donnée. Ps 102[103], 3 : Lui qui pardonne toutes mes iniquités, qui guérit toutes mes infirmités. [Le Seigneur] ne le renvoya donc pas aveugle ni muet.
1424. Vient ensuite l’effet du miracle, à savoir, l’étonnement des foules : ET TOUTES LES FOULES ÉTAIENT FRAPPÉES DE STUPEUR, etc. Et aussi leur confession : ET ELLES DISAIENT, c’est-à-dire qu’elles confessaient : CELUI-LÀ N’EST-IL PAS LE FILS DE DAVID ? Il avait été promis par les prophètes que le Christ naîtrait de la semence de David, Jr 23, 5 : Je susciterai pour David une descendance juste. Mais ceci paraît s’être réalisé, car il a été dit plus haut, 11, 25 : Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et tu les as révélées aux petits, etc. Les foules confessaient donc.
1425. MAIS LES PHARISIENS, ENTENDANT CELA, DIRENT : «CELUI-CI N’EXPULSE LES DÉMONS QUE PAR BÉELZÉBOUL», le dieu d’Éqrôn, comme on le voit en 4 R [2 R] 1, 16, qui est appelé le dieu des mouches en raison du rite honteux du sang de la victime, alors qu’une multitude de mouches se rassemblaient. On croyait donc que ce démon était le prince des démons. C’est pourquoi on croyait que par son pouvoir les démons pouvaient être chassés. Jr 5, 5 : J’irai auprès des grands et je leur parlerai. Et, un peu plus loin : Et voici que ceux-ci rejetèrent le joug d’un même mouvement, et ils enlevèrent leurs liens.
1426. MAIS JÉSUS, CONNAISSANT LEURS PENSÉES, etc. Dans cette section, le Seigneur repousse ceux qui le rabaissent. Premièrement, il réfute ce qui est dit ; deuxièmement, ceux qui le disent, en cet endroit : AUSSI, JE VOUS LE DIS [12, 31].
1427. [Le Seigneur] réfute ce qui est dit par un quadruple argument. Le deuxième, en cet endroit : SI SATAN [EXPULSE] SATAN, etc. [12, 26] ; le troisième, en cet endroit : COMMENT DONC, etc. [12, 29] ; le quatrième, en cet endroit : QUI N’EST PAS AVEC MOI, etc. [12, 30].
1428. Le premier [argument] est présenté de la manière la plus explicite : TOUT ROYAUME DIVISÉ CONTRE LUI-MÊME COURRA À LA RUINE.
1429. En premier lieu, [le Seigneur] présente la majeure, lorsqu’il dit : TOUT ROYAUME, etc. Il existe une triple communauté : celle du ménage ou de la famille, celle de la cité et celle du royaume. Le ménage est la communauté composée de ceux qui posent des actes qui leur sont communs. Elle comporte donc un triple lien : celui du père et du fils, celui du mari et de l’épouse, et celui du seigneur et du serviteur. La communauté de la cité contient tout ce qui est nécessaire à la vie de l’homme ; elle est donc une communauté parfaite pour ce qui est du strict nécessaire. La troisième communauté est celle du royaume, qui est la communauté achevée. En effet, si l’on craignait des ennemis, une seule cité ne pourrait à elle seule subsister. C’est pourquoi, à cause de la crainte des ennemis, une communauté de plusieurs cités est nécessaire, qui constitue un seul royaume. Ainsi, ce qu’est la vie pour chaque homme, la paix l’est pour le royaume. Et, de même que la santé n’est rien d’autre que l’équilibre des humeurs, de même la paix vient de ce que chacun reste dans son ordre. Et de même que, par le retrait de la santé, l’homme s’oriente vers la mort, s’il se soustrait au royaume, il s’oriente vers la mort. C’est pourquoi le but ultime qu’on recherche est la paix. Le Philosophe écrit ainsi : «Ce qu’est le médecin par rapport à la santé, le défenseur de la communauté l’est par rapport à la paix.» C’est pourquoi [le Seigneur] dit : TOUT ROYAUME DIVISÉ CONTRE LUI-MÊME COURRA À LA RUINE. Is 3, 5 : Le jeune s’agitera contre le vieillard, et le manant contre le noble.
1430. ET SI SATAN EXPULSE SATAN, IL EST DIVISÉ CONTRE LUI-MÊME. L’expulsion comporte une action violente. C’est pourquoi il est inévitable que, là où il y a contradiction, il y ait division, car il y a toujours des conflits entre les orgueilleux, Pr 13, 10. Toutefois, on pourrait dire : «Ce n’est pas une expulsion puisque [le démon] sort volontairement.» Or, ce n’est pas ce qui arrive, car une telle sortie n’est pas une expulsion, mais elle s’est accomplie par obéissance à un autre qui ordonnait. Elle serait donc une sortie volontaire. Mais le fait que [les démons] soient sortis involontairement apparaît par ce qui a été dit plus haut [8, 29], [à savoir] qu’ils se mirent à gémir et à crier : QUE NOUS VEUX-TU, FILS DE DIEU ? TU ES VENU AVANT L’HEURE POUR NOUS METTRE À LA TORTURE. Il y a donc division. COMMENT DONC SON ROYAUME SE MAINTIENDRA-T-IL ? Comme s’il disait : «Le royaume du Diable se maintient dans les pécheurs jusqu’au jour du jugement, car alors il sera vidé de tout pouvoir.» Ainsi, si tel était le cas, ce serait déjà la fin du monde. Raban [commente] ainsi : «COMMENT DONC SON ROYAUME SE MAINTIENDRA-T-IL ? S’il combat contre lui, il est en chute ; vous ne devez donc pas lui porter attention.» Hilaire [commente] : «COMMENT SON ROYAUME SE MAINTIENDRA-T-IL ? Comme s’il disait : «Il est de mon pouvoir que je fasse en sorte que l’un expulse l’autre. Je détruis donc le royaume du Diable et pour cette raison, vous devez vous rallier à moi.»
1431. ET SI MOI, C’EST PAR BÉELZÉBOUL. Ici est présentée la seconde raison : «Je chasse [les démons] : je fais cela par la puissance du Démon ou par la puissance du Saint-Esprit, lequel des deux ? Vous ne devez pas me dénigrer.» Et d’abord, il continue à parler de la première [affirmation] [12, 27], puis, en second lieu, de la deuxième, en cet endroit : MAIS SI C’EST PAR L’ESPRIT DE DIEU QUE JE CHASSE LES DÉMONS, etc. [12, 28].
1432. [Le Seigneur] dit donc : SI C’EST PAR BÉELZÉBOUL QUE JE CHASSE LES DÉMONS, PAR QUI VOS FILS LES EXPULSENT-ILS ? Jérôme interprète [ceci] de deux façons : premièrement, à propos des exorcistes, dont il est question en Ac 19, 13, où des exorcistes chassaient les démons au nom de Jésus, le Christ. Ainsi, SI C’EST PAR BÉELZÉBOUL QUE JE CHASSE LES DÉMONS, PAR QUI VOS FILS LES EXPULSENT-ILS ? Comme s’il disait : «Vos fils chassent [les démons]. Si vous ne les calomniez pas, vous ne devez pas non plus me calomnier. Vous faites donc acception de personne.» AUSSI SERONT-ILS VOS JUGES. «Parce que moi je chasse [les démons] par la puissance de Dieu, ceux-ci [vous] jugeront», comme il est question plus loin que la reine du Midi jugera. Ou bien cela peut s’interpréter des apôtres. VOS FILS, c’est-à-dire les apôtres. [Le Seigneur] appelle ceux-ci leurs fils, et non [leurs] disciples, afin qu’ils soient davantage attirés vers eux. De même, afin que, après les avoir diminués, ils se réfutent eux-mêmes, car si ceux-là, qui sont vos fils, chassent [les démons], vous ferez la même chose si vous vous [y] préparez. Ainsi donc, parce que ceux-ci savent que je fais cela par le pouvoir qui m’a été confié, ils ne seront donc pas vos juges par Béelzéboul, non seulement en vertu de la comparaison, mais en vertu de l’autorité, comme on trouve plus loin, 19, 28 : Vous siégerez sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël.
1433. MAIS SI C’EST PAR L’ESPRIT DE DIEU QUE JE CHASSE LES DÉMONS, C’EST DONC QUE LE ROYAUME DE DIEU EST ARRIVÉ JUSQU’À VOUS. Comme s’il disait : «Celui qui écarte de lui ce qui lui arrive de bien est insensé ; mais cela, chasser les démons, tourne à votre bien. Vous pouvez donc en conclure que [cela arrive] dans l’Esprit Saint, car le doigt de Dieu, c’est l’Esprit Saint, comme [sa] main est le Fils.» Et il n’y a en cela aucune invocation, mais cela est fait par la seule autorité. Ainsi, SI JE CHASSE LES DÉMONS, etc.
1434. Mais pourquoi dit-on que les démons sont chassés par l’Esprit Saint ? Parce que l’amour et la bonté lui sont appropriés. C’est pourquoi chasser les démons ne convient aussi bien à nulle autre qu’à la personne de l’Esprit Saint. [LE ROYAUME DE DIEU] EST ARRIVÉ JUSQU’À VOUS. Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est parmi vous. Et qu’il arrive par le Christ, vous pouvez le savoir, et cela est votre bien. C’est pourquoi il dit : JUSQU’À VOUS. Ou bien, autre [interprétation] : LE ROYAUME DE DIEU, c’est-à-dire le pouvoir de Dieu sur les hommes, 1 Co 15, 25 : Mais il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait placé ses ennemis sous ses pieds. Si donc les démons commencent à être contrôlés, c’est que le règne et le pouvoir de Dieu sont déjà parvenus jusqu’à vous.
1435. OU ALORS, COMMENT QUELQU’UN PEUT-IL PÉNÉTRER DANS LA MAISON D’UN HOMME FORT, etc. ? Ici est présentée la troisième raison par laquelle le Seigneur entend réfuter ce que disent les Pharisiens, et il s’agit d’un argument emprunté à ce qui arrive chez les hommes. Car, lorsque quelqu’un est fort dans sa maison, il ne peut en être expulsé et ses vases ne peuvent être fracassés, à moins qu’un plus fort ne survienne. Mais le Christ enlève les vases du Diable en le chassant des hommes, chez qui il demeure comme dans ses propres vases. Le Christ est donc plus fort que lui. Et [le Seigneur] donne cette raison dans ces paroles.
1437. FORT : celui-ci est le Diable, qui est dit fort en raison de sa puissance. Jb 41, 24 : Il n’existe pas de puissance qui puisse lui être comparée. Et il devient plus fort par le consentement, car celui qui consent donne des forces à plus grand que lui. Is 19, 2 : L’homme combattra son frère, la cité une autre cité, et je livrerai l’Égypte aux mains de maîtres cruels. Cette demeure est le monde ou le rassemblement des pécheurs, non pas parce que [le Diable] a créé le monde, mais parce que celui-ci lui a obéi par consentement. Ainsi, il est dit en Jn 12, 31 : Le prince de ce monde. Les vases sont les hommes. On entend vase en deux sens. On parle du vase de quelqu’un lorsqu’il [en] est rempli, comme on dit un vase d’eau, parce qu’il est rempli d’eau, ou un vase d’huile, parce qu’il est rempli d’huile. Ainsi certains sont-ils des vases du Diable parce qu’ils sont remplis du Diable dans leur corps, comme les possédés du Diable, ou dans leur âme, comme ceux dont les cœurs sont entièrement en la volonté du Diable, comme on le dit de Judas. Parfois, on appelle vases tous les instruments réservés à une fonction. Ainsi, on appelle vase du Diable celui qui donne aux autres une occasion de pécher. Quelle que soit la façon dont on l’entende, le Christ enlève les vases du Diable, Col 2, 15 : Il a dépouillé les Principautés et les Puissances et les a données en spectacle en les traînant avec lui, etc. Mais cela ne suffit pas, s’il ne lie pas l’homme fort. Ainsi, S’IL N’A PAS D’ABORD LIÉ CET HOMME FORT. En quoi consiste cette action de lier ? Dans le fait que le pouvoir de nuire, que [le Diable] a en lui-même, est enrayé par Dieu. Ainsi, par la puissance de sa nature, il peut faire beaucoup de choses, mais il est enrayé par la puissance de Dieu, comme un homme attaché est empêché de faire ce qu’il veut. Ainsi, Ps 149[150], 8 : Pour attacher leurs rois par des entraves. ET ALORS IL PILLERA SA MAISON, car, après que celui-ci a été attaché, les hommes qui étaient attachés sont libérés, Is 49, 25 : Le fort sera libéré, et ce qui aura été enlevé au fort sera sauvé.
1438. Ici est présentée la quatrième raison et elle renforce toutes les autres. En effet, quelqu’un pourrait dire : «Si tu enlevais par la victoire, la raison serait valable ; mais tu ne [le] fais pas par la violence, mais par la passion. Ainsi, ce n’est pas un signe que tu [l’]as lié.» C’est pourquoi [le Seigneur] présente une quatrième raison. Elle est la suivante : ceux qui s’entendent sur une chose agissent de la même manière. Ainsi, ceux qui agissent de la même manière ne se font pas obstacle les uns aux autres. Mais moi, j’agis contrairement à eux. C’est pourquoi, CELUI QUI N’EST PAS AVEC MOI EST CONTRE MOI. En premier lieu, il présente la raison d’une manière générale ; en second lieu, d’une manière particulière.
1439. [Le Seigneur] dit donc : CELUI QUI N’EST PAS AVEC MOI, etc. Et il est clair que le Diable n’est pas avec moi, car il s’oppose à ce que je fais, 2 Co 6, 15 : Qu’y a-t-il de commun entre le Christ et Bélial ? Qu’il lui soit opposé, on le trouve en Si 33, 15 : La mort s’oppose à la vie, et le pécheur à l’homme juste. Ainsi le Diable agit-il contre l’homme, lui qui est le père du péché. Mais en quoi s’oppose-t-il [au Seigneur] ? ET QUI N’AMASSE PAS AVEC MOI DISSIPE. En effet, le Seigneur rassemble, Is 40, 11 : Il rassemblera les agneaux dans ses bras et il les soulèvera contre sa poitrine ; il portera les brebis qui ont mis bas. Mais le Diable dissipe ; ainsi, Jn 10, 12 : Le loup s’en empare et les disperse.
1440. Mais, en Lc 9, 50, on lit : Celui qui n’est pas contre vous est avec vous, etc. Il semble donc qu’on dise ici le contraire. Chrysostome dit que les deux choses ont été dites dans un sens particulier. On n’interprète donc pas dans un sens général, mais en fonction d’une situation particulière et d’une manière spéciale, que celui qui n’a pas d’entente avec moi est contre moi. C’est pourquoi [le Seigneur] parlait là des disciples, et ici du Diable. Ou bien nous pouvons dire autrement qu’il en va différemment de Dieu et de l’homme. Il est clair que Dieu est la fin naturelle vers laquelle tous tendent. C’est pourquoi celui qui n’est pas avec Dieu doit nécessairement être séparé de Lui. Ainsi, 3 R [1 R] 18, 21 : Pourquoi boitez-vous des deux jambes ? Si le Seigneur est Dieu, suivez-le. Mais il n’en est pas de même des rapports d’un homme avec un autre homme, car celui qui n’est pas avec moi n’est pas pour cette raison contre moi.
1441. AUSSI JE VOUS LE DIS : TOUT PÉCHÉ ET BLASPHÈME SERA REMIS AUX HOMMES, etc. Après avoir réfuté leurs paroles, [le Seigneur] s’élève ici contre eux. Premièrement, en raison de la gravité de [leur] péché ; deuxièmement, de leur mauvaise intention ; troisièmement, du jugement à venir. Le second point [se trouve] en cet endroit : PRENEZ UN ARBRE BON, etc. [12, 33] ; le troisième, en cet endroit : OR, JE VOUS LE DIS, etc. [12, 36].
1442. À propos du premier point, [le Seigneur] fait deux choses. Premièrement, il présente d’abord des idées générales ; deuxièmement, il explique, en cet endroit : QUICONQUE AURA DIT UNE PAROLE CONTRE LE FILS DE L’HOMME, etc. [12, 32].
1443. [Le
Seigneur] dit donc : «Il est arrivé ce que vous dites ; AUSSI JE VOUS
LE DIS, etc.» Et il présente deux idées. Premièrement, au sujet de la rémission
du péché d’une manière générale : JE VOUS DIS : TOUT PÉCHÉ, à savoir,
en action, ET TOUT BLASPHÈME, à savoir, en paroles, SERA REMIS AUX HOMMES, à
savoir, s’ils font pénitence. Ainsi, Ps 102[103], 3 : Lui qui pardonne toutes tes fautes et qui
guérit toutes tes maladies. Et ailleurs, Ps 31[32], 1 : Bienheureux ceux dont les fautes sont
remises et dont les péchés sont acquittés. Et, par cela, l’opinion de
Novatien est détruite, qui disait que tous les péchés ne sont pas
rémissibles ; ici, il est dit que tout péché est rémissible. Deuxièmement,
[le Seigneur] présente quelque chose de particulier qui n’est pas remis,
lorsqu’il dit : MAIS L’ESPRIT DE BLASPHÈME NE SERA PAS REMIS, c’est-à-dire
la volonté de blasphémer, à savoir, lorsqu’on blasphème avec une malice certaine.
Et ces choses ont été dites d’une manière générale.
1444. Ensuite, [le Seigneur] en vient à une chose particulière, et il l’explique. Premièrement, il explique la première chose qu’il a dite. «Il a donc été dit : TOUT PÉCHÉ, etc. Et que cela soit vrai, je le montre par le fait que le blasphème contre le Fils est rémissible.» Ainsi, QUICONQUE AURA PARLÉ CONTRE LE FILS DE L’HOMME, CELA LUI SERA REMIS, à savoir, s’il fait pénitence. MAIS QUICONQUE AURA DIT une parole CONTRE L’ESPRIT SAINT, CELA NE LUI SERA REMIS NI EN CE SIÈCLE NI DANS LE SIÈCLE À VENIR. Et, comme le dit Augustin, «ces paroles sont tellement difficiles qu’il n’y a pas de paroles plus fortes dans l’évangile».
1445. Il faut donc dire qu’il y a une triple manière de les interpréter. Certains les interprètent à la lettre, car [les Juifs] le voyaient accomplir des miracles et les œuvres de l’Esprit Saint, et disaient qu’il avait un esprit impur. Ils blasphémaient donc contre l’Esprit. Et, sur ce point, les interprétations divergent. Certains disent que les deux choses doivent être mises en rapport avec la personne du Fils. Mais, dans le Fils, il existe une double nature, la divine et l’humaine. Selon [la nature] divine, il est esprit et il est saint. Le Fils est donc appelé un esprit saint, mais pas selon ce qu’on entend par cette seule expression ; c’est là l’interprétation d’Hilaire. La position [est donc la suivante] : quiconque aura dit un mot contre le Fils et contre [sa] nature humaine, parce qu’il était influencé par l’infirmité [de celle-ci], a une excuse ; mais quiconque aura parlé contre [sa nature] divine, celui-là n’a pas de raison d’être pardonné.
1446. D’autres l’interprètent de l’Esprit Saint, selon que celui-ci est la troisième personne de la Trinité. Ainsi, quiconque aura parlé contre le Fils de l’Homme, à savoir, contre [sa] nature humaine, sera pardonné ; mais quiconque [aura parlé] contre le Saint-Esprit à l’œuvre, celui-là n’est pas pardonné. Cette [interprétation] semble être une interprétation complète et le texte semble la formuler. Mais Augustin fait l’objection suivante : il est clair que tous les païens blasphèment, parce qu’ils ne croient pas que l’Esprit Saint est dans l’Église. Il y a aussi beaucoup d’hérétiques, et pourtant le chemin de la vie ne leur pas fermé. De même, il y a beaucoup de Juifs, etc. Mais on pourrait dire : il faut l’entendre [de la situation qui existe] après l’accueil de la foi. Cependant, on répond : s’il en est ainsi, la pénitence ne lui est-elle pas refusée, s’il se repent ? [Le Seigneur] ne dit pas non plus : «chrétien», mais, d’une manière générale, QUICONQUE.
1447. Quelle sera donc la solution ? Augustin donne une double solution. L’une est l’interprétation qu’il donne du sermon sur la montagne, et il la rétracte. Il présente l’autre dans le Livre sur les paroles du Seigneur. Vous devez donc comprendre que le péché contre l’Esprit Saint ne s’appelle pas blasphème contre l’Esprit Saint, mais s’entend de la manière de pécher. La bonté, la charité et l’amour sont attribués à l’Esprit Saint. À la bonté répond la malice, à la charité, l’envie. Ainsi donc, si quelqu’un qui connaît la vérité déroge à la vérité par malice, il pèche contre l’Esprit Saint. De même, si quelqu’un voit les œuvres de la sainteté chez un autre et s’en écarte par envie, car l’envie de la sainteté, et non de la personne, est un péché irrémissible, non pas parce qu’il est impossible qu’il soit remis, mais parce que la chute [de ce] péché est telle que la justice divine fait que [ce pécheur] ne se repent pas. Ainsi, ceux qui disaient que [Jésus] chassait les démons par Béelzéboul ne péchaient pas contre l’Esprit, comme le dit Augustin, parce qu’ils n’avaient pas atteint une malice profonde, etc. Mais [le Seigneur] a commencé à en parler, non pas parce qu’ils l’avaient commis, mais afin que ceux qui avaient commencé évitent d’en venir à cet état.
1448. Augustin rejette ce sens et se rétracte, car il y aurait ainsi un état pour lequel il ne faudrait pas prier, ce qui n’est pas vrai pendant qu’on est en chemin. C’est pourquoi il donne une autre interprétation dans le Livre sur les paroles du Seigneur, et c’est la suivante. Veuillez remarquer que [le Seigneur] n’a pas dit : «Quiconque a dit une parole blasphématoire», mais : «[Quiconque] a dit une parole», de manière indéfinie. Mais ce qui est ainsi présenté de manière indéfinie ne s’applique pas universellement, mais parfois de manière particulière, comme en Jn 15, 22 : Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas péché, non pas simplement ou de manière universelle, mais ils n’auraient pas commis le péché d’infidélité. De même en est-il lorsqu’il dit : «[Quiconque] a parlé.» Il ne s’agit pas de n’importe quelle parole, mais d’une parole qui, si elle est prononcée, est irrémissible. Quelle est cette parole, Augustin le dit. L’Esprit Saint est la charité par laquelle les membres de l’Église sont unis au Christ tête, et tout péché est remis par l’Esprit Saint. Même si c’est toute la Trinité qui remet, cela est néanmoins approprié à l’Esprit Saint en raison de l’amour. Celui qui a un cœur impénitent parle donc contre l’Esprit Saint, de sorte que l’impénitence elle-même s’oppose à la charité de l’Esprit Saint. Ainsi donc, il ne s’agit pas de quiconque aurait prononcé une parole, mais cette parole, à savoir, une parole d’impénitence : celle-là est irrémissible. Et [le Seigneur] dit : UNE PAROLE, et non pas des paroles, parce que c’est la coutume, dans l’Écriture, de parler de plusieurs paroles comme d’une parole. Ainsi, dans Isaïe, le Seigneur dit souvent : Tu diras ma parole, bien qu’Il lui dise plusieurs paroles. Il n’y a donc pas de contradiction avec ce qui a été dit plus haut, en cet endroit : JE VOUS LE DIS : TOUT PÉCHÉ ET TOUT BLASPHÈME, etc., parce que celui qui aura dit une parole contre l’Esprit Saint blasphème. De sorte qu’un maître interrogé sur ce qu’était le péché contre l’Esprit Saint, a dit : «L’impénitence s’attire la colère.»
1449. Mais que veut-il dire lorsqu’il dit : CELA NE LUI SERA PAS REMIS NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR ? Est-ce que certains péchés seront remis dans le monde à venir ? Augustin dit que non. On ne dit donc pas que certaines choses seront remises en ce monde et d’autres dans le monde à venir, mais que le péché est remis ici de telle manière que cela vaut pour le monde à venir. Ou bien, autre interprétation : certains péchés, à savoir, [les péchés] mortels, sont remis dans le monde présent, mais d’autres, à savoir, les véniels, dans le monde à venir, comme lorsque quelqu’un meurt avec un péché véniel, il est clair qu’il lui sera remis. Il y aura donc une certaine miséricorde dans le monde à venir, parce que [cette personne] sera encore en chemin.
1450. Chrysostome donne une interprétation très claire en disant qu’ici, [le Seigneur] parle d’un double blasphème : contre le Fils de l’Homme et contre l’Esprit Saint. Ceux-ci blasphémaient contre le Fils de l’Homme parce qu’ils disaient qu’il était un buveur de vin. De même, ils blasphémaient encore d’une autre façon contre l’Esprit Saint parce qu’ils disaient qu’il chassait les démons par un esprit démoniaque. Ils étaient excusés pour le premier [blasphème], parce qu’ils ne savaient pas ; mais ils n’avaient pas d’excuse d’avoir parlé contre l’Esprit Saint, parce qu’ils savaient par les Écritures, et donc cela ne leur sera pas remis.
1451. Mais que veut dire : NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR ? Cela est dit parce qu’un certain péché est pardonné en ce monde, un autre dans l’autre, et un autre en ce monde et dans l’autre. L’un est pardonné seulement en ce monde, comme cela est manifeste chez les pénitents. L’autre dans le monde à venir seulement, comme ceux dont il est question en Jb 21, 13 : Ils passent leur vie à faire le bien, et subitement ils descendent en enfer. [Le péché qui ne sera pardonné] ni dans ce monde ni dans l’autre, c’est le péché contre l’Esprit Saint. IL NE SERA donc REMIS NI EN CE MONDE NI DANS LE MONDE À VENIR, non pas parce qu’il existe une rémission dans le monde à venir, mais parce que la peine surviendra dans le monde à venir. Le sens est donc que [ce péché] ne sera pas remis sans qu’une peine ait été subie en ce monde et dans le monde à venir.
1452. Ainsi parlent les saints de ce péché. Mais il faut remarquer que le maître [Pierre Lombard], dans Sentences, d. 43, l. 2, fait une distinction et précise six espèces de péchés contre l’Esprit Saint : le désespoir, la présomption, l’impénitence, l’obstination, la résistance à une vérité connue et l’envie de la grâce d’un frère. Ainsi, on dit que pèchent contre l’Esprit Saint ceux qui pèchent contre ce qui est approprié au Saint-Esprit. Au Père, on approprie la puissance, au Fils la sagesse, à l’Esprit Saint la bonté. On dit donc que pèche contre le Père celui qui pèche par faiblesse ; contre le Fils, celui [qui pèche] par ignorance ; contre l’Esprit Saint, celui [qui pèche] par malice. Mais il faut savoir que pécher par malice, c’est pécher volontairement, ce qui vient d’une malice avérée, et cela d’une double façon : ou parce qu’on a une inclination au péché, ou parce qu’on n’en a pas. En effet, lorsqu’un homme commet de nombreux péchés, il reste en lui une habitude de pécher ; il pèche ainsi par choix. De même, quelqu’un pèche parce que lui est enlevé ce qui le retenait de pécher. Or, il est retenu de pécher par l’espérance de la vie éternelle. Ainsi, celui qui n’espère pas dans la vie éternelle pèche avec une malice avérée, Ep 4, 19 : Ceux qui n’ont pas d’espérance se sont livrés à l’impureté. De sorte que celui qui pèche par inclination pèche contre l’Esprit Saint, à savoir, par le fait qu’il s’écarte de ce qui le retient du péché. Or, cela arrive de six manières. En effet, la miséricorde et la justice existent en Dieu. Le désespoir vient du mépris de la miséricorde [de Dieu] ; la présomption, du mépris de la justice [de Dieu]. Il en est de même pour ce qui est de la conversion, car il se tourne vers un bien fragile, et ainsi apparaît l’obstination. De même, pour ce qui est de se détourner, car il ne se propose pas de revenir à Dieu, et ainsi apparaît l’impénitence. De même, pour ce qui est du remède, à savoir, l’espérance et la charité, [et ainsi] apparaissent la résistance à la vérité connue et l’envie de l’amour fraternel. Tels sont les péchés contre l’Esprit Saint. S’il existe donc une impénitence réelle, elle n’est donc pas remise, non pas parce qu’elle n’est d’aucune manière remise, mais parce qu’elle n’est pas facilement remise, puisqu’il n’existe pas de raison de la remettre, mais que cela vient de la seule grâce de Dieu, comme si quelqu’un avait une fièvre tierce, il peut être guéri, mais s’il a une maladie incurable [imimetrion], il ne peut être guéri par lui-même, puisqu’il ne peut être guéri que par l’aide divine.
1453. Vient ensuite : OBSERVEZ UN ARBRE BON : SON FRUIT SERA BON ; OBSERVEZ UN ARBRE GÂTÉ : SON FRUIT SERA GÂTÉ. Plus haut, le Seigneur a réfuté les rites des Pharisiens parce qu’ils étaient en contradiction avec leur manière d’agir, et il a montré la gravité de leur péché. Maintenant, [il s’élève] contre eux parce qu’ils disent que son enseignement est mauvais.
1454. Premièrement, il présente une comparaison ; deuxièmement, il applique [celle-ci] ; troisièmement, il en donne l’explication. Le second point [se trouve] en cet endroit : ENGEANCE DE VIPÈRES, etc. [12, 34] ; le troisième point, en cet endroit : CAR LA BOUCHE PARLE DU TROP-PLEIN DU CŒUR, etc. [12, 34].
1455. À propos du premier point, [le Seigneur] fait deux choses : premièrement, il présente la comparaison ; deuxièmement, il amène la démonstration, en cet endroit : C’EST AU FRUIT QU’ON RECONNAÎT L’ARBRE [12, 33].
1456. [Le
Seigneur] dit donc : OBSERVEZ UN ARBRE BON, etc. Ceci s’interprète de deux
façons : une interprétation vient de Chrysostome et de Jérôme ;
l’autre, d’Augustin. Selon Jean Chrysostome, l’interprétation est la suivante.
[Le Seigneur] veut montrer que leur blâme est déraisonnable. Il compare donc
l’acte à la vie, comme le fruit à l’arbre. Si quelqu’un voit un bon fruit, il
juge que l’arbre est bon. Il en est de même, en sens contraire, [s’il voit] un
mauvais [fruit]. Ceux-ci voyaient les actes du Christ, par exemple, l’expulsion
des démons, et cela était bon. «Ce que vous dites est donc tout à fait
déraisonnable.» Et il passe admirablement de l’effet à la cause, comme dit
l’Apôtre, Rm 1, 20 : Ce
qu’il y a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à
l’intelligence à travers ses œuvres, etc.
1457. Il veut donc dire : «Ou bien VOUS, c’est-à-dire les Pharisiens, OBSERVEZ, c’est-à-dire, concédez, que, SI LE FRUIT EST BON, L’ARBRE EST BON ; ou bien vous PORTEZ ATTENTION, c’est-à-dire, vous dites que LE FRUIT EST MAUVAIS, ET ainsi L’ARBRE EST MAUVAIS. Et vous ne pouvez pas dire cela.» Mais Augustin s’en rapporte à l’intention. Ceux-ci disaient qu’il chassait les démons par Béelzéboul. Il veut donc montrer de quelle source [le comportement des Pharisiens] provenait, la malice du cœur. C’est pourquoi il dit : OBSERVEZ. Ici, deux choses sont présentées : l’une méritoire, l’action, «OBSERVEZ, etc., et portez soin et attention à être un arbre bon, ce que l’homme ne peut être sans préparation. Ainsi, faites en sorte d’être un arbre bon, et alors [votre] fruit sera bon et [vos] actions bonnes.» Ce qui suit [a été dit] afin qu’ils prennent garde, à savoir : «OBSERVEZ COMMENT UN ARBRE MAUVAIS PORTERA UN FRUIT GÂTÉ. Vous vous appliquerez à la malice, et vous serez ainsi un arbre mauvais et [votre] fruit [sera] mauvais», Jr 2, 21 : Je t’ai plantée comme ma vigne de prédilection ; comment es-tu devenue pour moi une vigne mauvaise et étrangère ?
1458. Selon les deux interprétations, la démonstration qui suit est probante : CAR C’EST AU FRUIT QU’ON RECONNAÎT L’ARBRE, etc., car au fruit bon [est reconnu] l’arbre bon, et au mauvais, le mauvais.
1459. ENGEANCE
DE VIPÈRES, etc. Et cela s’articule différemment à ce qui a été dit selon les
diverses interprétations. Selon Augustin, il s’agit d’une application à la
question en cause de la manière suivante. Il a été dit : «OBSERVEZ,
etc. ; et vous agissez mal. Vous êtes un arbre mauvais, vous agissez mal,
parce que vous ne pouvez pas tenir un bon langage.» Selon l’interprétation des
autres, [le Seigneur] montre d’où vient cette malice, et il appelle les
Pharisiens «engeance de vipères», parce que ceux qui ont de la malice depuis
leur enfance la conservent plus fermement. C’est pourquoi il est dit que leur
malice est une malice de vipère. Pr 22, 6 : L’adolescent qui suit son chemin ne s’en écartera pas lorsqu’il
vieillira. C’est pourquoi nombreux sont ceux qui sont davantage portés au
mal parce qu’ils ont de mauvais parents. Jr 14, 20 : Nous avons connu les iniquités de nos pères.
Il est donc bon qu’un homme s’oblige à bien agir par habitude. De même, il
est de la nature des serpents qu’en émettant du venin par leur langue, ils en
rendent d’autres mauvais. Jb 20, 16 : La langue de vipère le tue. Et Ps 139[140], 4 : Ils ont aiguisé leurs langues comme des
serpents.
1460. [Le Seigneur] dit donc : COMMENT POURRIEZ-VOUS TENIR UN BON LANGAGE ? Il ne dit pas : «faire le bien», mais «tenir un bon langage», parce que vous êtes des fils de vipère, qui fait du mal par sa langue. Ainsi, comme vous êtes les imitateurs de vos pères par vos scélératesses, comment pourriez-vous tenir un bon langage ? Comme s’il disait : «Vous ne [le] pouvez pas.» Et il en donne la raison, d’abord, d’une manière générale, et, en second lieu, d’une manière particulière en cet endroit : L’HOMME BON TIRE DE BONNES CHOSES DE SON TRÉSOR, etc. [12, 35].
1461. Il
dit donc : «Vous ne pouvez parler ainsi.» D’où cela vient-il ? Parce
que vous êtes mauvais. Pourquoi ? PARCE QUE LA BOUCHE PARLE DU TROP-PLEIN
DU CŒUR, car la voix est le signe de l’intellect. Il dit : DU TROP-PLEIN
DU CŒUR, car, selon Chrysostome, lorsque quelqu’un parle par malice, c’est le
signe qu’il y a une plus grande malice dans son cœur, car il ne craint personne
en raison de ce qu’il garde à l’intérieur. Ainsi donc, lorsque quelqu’un
s’exprime par malice, c’est le signe qu’il en a davantage à l’intérieur, qu’il
n’ose exprimer. C’est pourquoi il dit : [LA BOUCHE] PARLE DU TROP-PLEIN DU
CŒUR. Et la bouche parle du trop-plein de malice à l’intérieur, et cela pour le
bien ou pour le mal. Ainsi, Jr 20, 9 : La parole de Dieu devint comme un feu en moi, etc. De même,
semblablement, pour le mal, car certains conçoivent quelque chose par malice,
qu’ils ne peuvent pas garder à l’intérieur. Jb 32, 18 : Mon esprit est oppressé en mon sein, etc.
1462. L’HOMME
BON TIRE DE BONNES CHOSES DE SON TRÉSOR. Ce qu’il avait dit : LA BOUCHE
PARLE DU TROP-PLEIN DU CŒUR, il l’explique d’une manière particulière. La
parole, qui est issue de la pensée, est comme un don qui est tiré d’un trésor.
De sorte que, si la pensée est bonne, la parole est bonne, et inversement. Le
bon trésor est la science de la vérité et la crainte du Seigneur,
Is 33, 6 : Les richesses
qui sauvent sont la sagesse et la science ; la crainte du Seigneur est
elle-même un trésor. De même, le mauvais trésor est la pensée mauvaise, et
d’elle ne vient que le mal. Pr 10, 2 : Les trésors d’impiété ne donneront rien.
1463. Voyez : ce qui est dit ici des paroles s’entend aussi des actions. Comme la pensée est la source de la parole, l’intention [est la source] de l’action. C’est pourquoi, si l’intention est bonne, l’action est bonne. C’est la raison pour laquelle la Glose dit en cet endroit : «Tu agis comme tu en as l’intention.» Il semble exister une sorte d’application au bien. À supposer que quelqu’un veuille voler pour faire l’aumône, l’acte est mauvais et l’intention est bonne. Par conséquent, etc. L’intention et la volonté sont parfois distinguées, à savoir, lorsque chez l’unique et même personne la volonté et l’intention sont différentes. La volonté porte sur l’objet voulu, l’intention, sur la fin. La volonté, c’est comme si je veux aller à une fenêtre afin de voir les passants – ceci est l’intention, comme une impulsion vers quelque chose d’extérieur. Il faut donc que la volonté et l’intention soient une seule chose. En un sens large, nous pouvons donc considérer [comme une seule chose] l’intention et la volonté, et tel est le cas ici. Si la volonté est mauvaise, l’acte est mauvais. Toutefois, si on fait une distinction et si on l’entend au sens propre, cela n’est pas vrai.
1464. Mais, à supposer que l’intention et l’acte de la volonté soient une seule chose, qu’en résulte-t-il ? Il faut dire que l’essentiel du mérite consiste dans la charité, et, de manière dérivée, dans le mérite des autres vertus. En effet, le mérite concerne la récompense essentielle, qui est affaire de charité. Ainsi, toute action qui est faite avec une plus grande charité possède un plus grand mérite. Seule la charité a Dieu comme objet et comme fin, de sorte que le mérite de la charité correspond à la récompense essentielle, et le mérite des autres vertus au mérite accidentel. Ainsi donc, parce que la charité donne sa forme à l’intention, plus quelqu’un a l’intention de quelque chose avec une plus grande charité, plus [le mérite] est grand ; mais il n’en est pas de même de la récompense accidentelle.
1465. OR,
JE VOUS LE DIS, etc. Le Seigneur les a repris en raison de la gravité de leur
péché et de leur malice ; maintenant, [il le fait] en raison du jugement
futur, auquel nous croyons. En effet, il est dit en Jb 19, 29 : Fuyez devant le glaive, car le glaive est le
vengeur des iniquités, et sachez qu’il y aura un jugement ;
Qo 12, 14 : Tout ce qui
est fait, le Seigneur le fera venir en jugement, que ce soit bon ou mauvais.
De même, 1 Co 5, 10 : Il
faut que nous soyons présentés devant le tribunal du Christ afin qu’il rende à
chacun ce qui lui revient, soit en bien, soit en mal. Ainsi, il y aura alors
une mise en examen, car chacun rendra compte de ses actes. C’est pourquoi [le
Seigneur] parle aussi des paroles, en disant : OR, JE VOUS LE DIS :
DE TOUTE PAROLE VAINE QUE LES HOMMES AURONT PRONONCÉE, ILS RENDRONT COMPTE AU
JOUR DU JUGEMENT. Et cela est dit dans Sg 1, 8 : Celui qui dit des choses iniques, il ne
pourra pas se cacher.
1466. Vient
ensuite : La parole secrète ne
demeurera pas secrète. Mais que veut dire ce qu’il dit : PAROLE
VAINE ? Une parole vaine s’entend en deux sens. En un sens, toute parole
mauvaise est vaine, car on appelle vain ce qui ne poursuit pas une fin, comme
lorsque quelqu’un en cherche un autre et ne le trouve pas, on dit qu’il a
cherché en vain. Car la parole est donnée pour renseigner. Lorsqu’elle sert à
quelque chose, elle n’est pas vaine. Ep 4, 29 : Qu’aucune parole mauvaise ne sorte de votre
bouche ; mais si quelqu’un a quelque chose [à dire] pour l’édification de
la foi et pour le bien des auditeurs, etc. Selon Chrysostome, cela concerne
le sujet en cause, parce qu’ils avaient dit qu’[IL CHASSAIT LES DÉMONS] PAR
BÉELZÉBOUL, etc. «Cette parole était pernicieuse, et donc aussi vaine», selon
Jérôme. Toutefois, il y a une différence entre être pernicieux et être vain,
parce qu’est pernicieux ce qui cherche à nuire, mais est vain ce qui n’apporte
rien d’utile. Grégoire dit qu’«est vain ce qui ne se soucie pas d’une pieuse
utilité ou de la nécessité. Ainsi, toute parole qui est exprimée avec légèreté
est dite vaine, à moins qu’elle n’ait une pieuse utilité ou une pieuse nécessité».
Mais il est clair que ceux-ci avaient exprimé une parole pernicieuse. Pourquoi
donc [le Seigneur] ne mentionne-t-il que [la parole] vaine ? Parce qu’il
raisonne a minori, car, s’il faut
rendre compte de [la parole] vaine, à bien plus forte raison de [la parole]
pernicieuse.
1467. Ensuite, [le Seigneur] donne l’explication : CAR C’EST D’APRÈS TES PAROLES QUE TU SERAS JUSTIFIÉ, etc. Dans un jugement du monde, parfois les innocents sont punis et les méchants libérés, parce que le jugement est porté selon ce que disent les témoins ; dans le jugement de Dieu, [le jugement est porté] selon l’homme qui s’accuse lui-même, à savoir, selon ce qu’il confesse à son propre sujet. Ainsi, pour qu’on ne croie pas que tu seras jugé par ce que les autres diront à ton sujet, mais par ce que tu diras de toi, [le Seigneur] dit : CAR D’EST D’APRÈS TES PAROLES QUE TU SERAS JUSTIFIÉ ET C’EST D’APRÈS TES PAROLES QUE TU SERAS CONDAMNÉ. Comme en Lc 19, 22 : Je te juge d’après ce que tu dis, mauvais serviteur.
1468. Plus haut, le Seigneur a réfuté ceux qui dénigraient ses miracles et son enseignement ; ici, il convainc d’erreur ceux qui [le] mettent à l’épreuve. Et il fait ici deux choses : premièrement, l’interrogation qui [le] met à l’épreuve est présentée ; deuxièmement, la récusation, en cet endroit : IL LEUR RÉPONDIT [12, 39].
1469. [Le Seigneur] dit donc : ALORS [ILS] PRIRENT LA PAROLE. Cela se produisit après qu’ils eurent vu beaucoup de miracles et eurent entendu beaucoup de paroles de sagesse, afin que s’accomplît en lui ce qui est dit en Si 22, 9 : Il parle à quelqu’un d’endormi celui qui expose la sagesse à un insensé.
1470. MAÎTRE,
NOUS DÉSIRONS QUE TU NOUS FASSES VOIR UN SIGNE. MAÎTRE, disent-il pour le
mettre à l’épreuve. Ps 27[28], 3 : Ils parlent de paix, mais le mal occupe leurs cœurs. NOUS VOULONS
QUE TU NOUS FASSES VOIR UN SIGNE. N’avaient-ils pas vu beaucoup de
signes ? Assurément, mais un autre évangéliste présente les choses
autrement en disant, Lc 11, 16 : Nous voulons voir un signe venu du ciel, comme on lit, en
1 R [1 Sm] 12, 18, que Samuel provoqua le tonnerre et Élie
fit descendre le feu, 4 R [2 R] 1, 10. Il est propre
aux Juifs de demander des signes, comme on le dit en 1 Co 1, 22 :
Les Juifs demandent un signe. Mais,
après qu’il leur eut donné des signes terrestres, ils ne croyaient pas ;
même s’il leur avait donné des signes célestes, ils n’auraient pas cru.
Jn 3, 12 : Si je vous
parle de choses de la terre, vous ne croyez pas ; comment croirez-vous si
je vous parle de choses du ciel ?
1471. IL LEUR RÉPONDIT, etc. Ensuite, [le Seigneur] les repousse, et il fait deux choses : premièrement, il refuse leur demande ; deuxièmement, il manifeste [son] indignation, en cet endroit : LES HOMMES DE NINIVE, etc. [12, 41].
1472. Premièrement, [Matthieu] indique ce qu’ils avaient demandé ; deuxièmement, [le Seigneur] le refuse.
1473. [Matthieu] dit donc : IL LEUR RÉPONDIT : «ENGEANCE MAUVAISE ET ADULTÈRE ! ELLE RÉCLAME UN SIGNE.» [Le Seigneur] appelle mauvais ceux qui posent des embûches. On dit de quelqu’un qu’il est mauvais parce qu’il nuit à son prochain. GÉNÉRATION MAUVAISE, donc, et fils méchants ! Elle est appelée GÉNÉRATION ADULTÈRE. Is 57, 3 : Approchez-vous ici, fils de la magicienne, race issue d’une adultère et d’une prostituée. Cette génération était à ce point soumise à l’iniquité qu’ELLE RÉCLAME UN SIGNE ET QU’IL NE LUI SERA DONNÉ QUE LE SIGNE DE JONAS, LE PROPHÈTE. Is 7, 11 : Demande un signe pour toi, un signe de la part du Seigneur depuis les profondeurs de l’enfer ou depuis les hauteurs, etc. Ils demandaient donc un signe venu du ciel, mais ils n’étaient pas dignes de le voir. [Le Seigneur] accorda ceci à ses apôtres, qui l’ont vu monter au ciel, eux qui avaient vu la gloire de Dieu sur la montagne. Mais il ne sera donné à ceux-là qu’un signe venu de l’enfer, pour ce qui est de l’âme, et de la terre, pour ce qui est du corps. IL NE LEUR SERA donc DONNÉ QUE LE SIGNE DE JONAS, LE PROPHÈTE. Il indique ainsi la mort du Christ, et la charité de Dieu est manifestée, comme le dit l’Apôtre, Rm 5, 8 : Alors que vous étiez pécheurs, le Christ est mort pour nous dans le temps, etc. De même, la puissance de celui qui ressuscite est montrée, comme on le lit en 1 Co 15, 20s. Tels sont les signes de ce qui doit exister en nous. Par la mort du Christ, il nous est indiqué que nous devons mourir au péché ; mais, par [sa] résurrection, [il nous est indiqué] que nous devons sortir du péché.
1474. COMME JONAS FUT DANS LE VENTRE DE LA BALEINE PENDANT TROIS JOURS ET TROIS NUITS, comme cela est arrivé, DE MÊME EN SERA-T-IL POUR LE FILS DE L’HOMME AU CŒUR DE LA TERRE. Par cela, l’erreur des manichéens est confondue, selon laquelle [le Seigneur] n’est pas vraiment mort. Et il dit : AU CŒUR DE LA TERRE, car, de même que le cœur de l’homme se trouve dans les profondeurs, de même le Christ est-il dans les profondeurs de la terre. Ou bien AU CŒUR DE LA TERRE, c’est-à-dire au sein des gens terrestres et des disciples, qui désespéraient à son sujet, comme on le lit en Lc 24, 21 : Nous espérions qu’il rachèterait Israël.
1475. TROIS JOURS ET TROIS NUITS. Mais il y a ici une question à propos du texte. Il semble que ceci soit faux, car il a rendu l’âme à la neuvième heure et a été enterré le soir [de ce même jour] ; mais il est ressuscité au matin du troisième jour. Augustin dit que certains veulent dire qu’il faut compter à partir de l’heure à laquelle il a été crucifié. Ils disent donc que la première nuit est cette obscurité qui est apparue, la seconde fut la nuit du vendredi, et la troisième, celle du jour du sabbat. Mais, selon Augustin, cela ne tient pas ; cela pourrait toutefois nous être utile si [le Seigneur] avait passé toute la journée du dimanche dans le sépulcre.
1476. Il faut donc plutôt dire que le jour naturel, comportant jour et nuit, couvre une période de vingt-quatre heures. Mais, comme le dit Augustin, parfois, dans l’Écriture, la partie est prise pour le tout. Il faut donc dire que, par synecdoque, [le Seigneur] fut dans le sépulcre trois jours et trois nuits, parce que le vendredi compte pour toute la journée et aussi pour la nuit précédente ; pour le second jour, il n’y a pas de doute ; mais le troisième jour [compte] pour la nuit et le jour suivants. Toutefois, si nous examinons [les faits] selon la vérité, [le Seigneur fut au sépulcre] deux nuits et un jour entier, pour indiquer que ce qui est simple pour lui est double pour nous. Chez nous, il y avait la peine et la faute ; chez lui, seulement la peine. C’est pourquoi, etc.
1477. LES HOMMES DE NINIVE SE DRESSERONT LORS DU JUGEMENT AVEC CETTE GÉNÉRATION. Ici, [le Seigneur] présente [leur] indignité. Il y a ici une question à propos du texte. N’a-t-il pas fait beaucoup de miracles ? N’a-t-il pas ressuscité Lazare et [fait] beaucoup d’autres choses ? Que veut donc dire : IL NE LEUR SERA DONNÉ QUE LE SIGNE DE JONAS, LE PROPHÈTE ? Je réponds que ne [leur] sera pas donné le signe qu’ils cherchaient, ou que ne [leur] sera pas donné un signe pour leur bien. En effet, [le Seigneur] savait qu’ils ne reviendraient pas parce qu’ils étaient endurcis. Mais il a fait des signes pour les fidèles et les élus, qui furent nombreux par la suite.
1478. LES HOMMES DE NINIVE, etc. Voilà l’indignité ! Premièrement, les Gentils [leur] sont préférés ; deuxièmement, la raison [en] est donnée, en cet endroit : LORSQUE L’ESPRIT IMPUR EST SORTI DE L’HOMME, etc. [12, 43].
1479. Voyez : quelqu’un est bon soit parce qu’il ne pèche pas, soit parce qu’il se repent. [Le Seigneur leur] préfère donc ceux qui se sont repentis, à savoir, les Gentils ; en second lieu, ceux qui n’ont pas commis de péché, en cet endroit : LA REINE DU MIDI SE LÈVERA LORS DU JUGEMENT AVEC CETTE GÉNÉRATION [12, 42].
1480. Le Seigneur avait comparé sa résurrection à Jonas. Ils pouvaient donc croire qu’il leur arriverait ce qui était arrivé aux gens de Ninive, qui furent libérés. Mais ceux-ci ne furent pas seulement libérés ; ils furent aussi dispersés. Ainsi, LES HOMMES DE NINIVE SE DRESSERONT. Par ces paroles, une erreur des Juifs est écartée, à savoir que la résurrection aura lieu avant le jugement et que Jérusalem sera reconstruite au centre. Et ils font valoir en leur faveur ce qui est dit en Is 25, 6 : Le Seigneur fera sur la montagne un banquet de viandes grasses. D’autres ont dit que les justes et les martyrs ressusciteront mille ans avant les autres, et ils font valoir en leur faveur ce qui est dit en Ap 20, 1 : J’ai vu un ange descendre du ciel avec la clé de l’abîme, ainsi qu’une grande clé dans sa main ; vient ensuite : Et il saisit le dragon, ce serpent ancien, qui s’appelle le Diable, et il le ligota pour qu’il ne trompe plus les nations, jusqu’à ce que s’accomplissent mille ans. Les deux choses sont écartées lorsque [le Seigneur] dit : SE LÈVERONT AVEC CETTE GÉNÉRATION, les bons et les méchants ensemble. ET ILS LA CONDAMNERONT, par mode de comparaison et non d’autorité, car ils se dresseront parmi ceux qui doivent être condamnés. Ez 5, 5‑6 : C’est Jérusalem que j’ai placée au milieu des nations, environnée de pays étrangers. Elle a méprisé mes jugements avec plus d’impiété que les nations, et mes lois plus que les pays qui l’entourent. Et pourquoi condamneront-ils ? PARCE QU’ILS ONT FAIT PÉNITENCE, mais [les Juifs] n’ont pas voulu faire pénitence. Le Seigneur a commencé sa prédication par [l’appel] à la pénitence ; de même [en fut-il] pour Jean [Baptiste]. Mais ils n’ont pas écouté. Jr 8, 6 : Personne ne fait pénitence pour son péché. De même, ceux-là firent pénitence à la suite d’une seule prédication par Jonas ; mais Jésus leur avait adressé de nombreuses prédications, et cependant ils ne se convertirent pas. Jn 15, 24 : Si je n’avais pas fait des actions que personne d’autre n’a faites, ils ne seraient pas en faute. De même, ceux-là se convertirent à la suite de la prédication d’un seul prophète, mais ceux-ci n’ont pas eu un prophète seulement, mais le Fils de Dieu. On lit ainsi en He 1, 1 : Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux pères par les prophètes, Dieu, en ces derniers temps, nous a parlé par [son] Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui il a fait les siècles, etc. Vient ensuite : IL Y A ICI PLUS QUE JONAS, comme on lit dans He 3, 3 : En effet, celui-ci est digne d’une plus grande gloire que Moïse. Les gens de Ninive [leur] sont donc préférés parce qu’ils ont fait pénitence.
1481. LA
REINE DU MIDI SE LÈVERA LORS DU JUGEMENT AVEC CETTE GÉNÉRATION ET ELLE LA
CONDAMNERA, à savoir, par la sagesse que ceux-ci n’ont pas voulu accueillir. Il
est raconté de [cette reine], dans 3 R [1 R] 10, 24,
qu’elle est venue écouter la sagesse de Salomon. Par elle, l’Église composée de
fidèles est signifiée. Ps 44[45], 10 : La reine siège à ta droite habillée d’une robe d’or, entourée d’une
variété, etc. Elle est appelée LA REINE parce qu’elle doit se diriger
elle-même. Pr 20, 8 : Le
roi qui siège sur son trône de justice éloigne tout mal par son regard, etc. Et
elle est appelée [LA REINE] DU MIDI en raison de l’Esprit Saint.
Ct 4, 16 : Lève-toi,
aquilon, accours, vent du midi, souffle sur mon jardin, etc. Cette reine SE
LÈVERA LORS DU JUGEMENT AVEC CETTE GÉNÉRATION. Il faut remarquer qu’on ne dit
pas qu’elle n’a pas péché, mais elle ne fut pas rebelle, Pourquoi ? CAR
ELLE EST VENUE DES EXTRÉMITÉS DE LA TERRE POUR ÉCOUTER LA SAGESSE DE SALOMON,
comme on lit en 3 R [1 R], 10, 24. Et vous n’avez pas
été obligés de venir des extrémités de la terre, parce qu’il est ici.
Ainsi : IL Y A ICI PLUS QUE SALOMON, car ce roi temporel était un pécheur,
mais celui-ci est innocent et éternel. Dn 7, 14 : Sa puissance est une puissance éternelle qui
ne lui sera pas enlevée, et son règne est éternel et ne sera pas détruit.
1482. LORSQUE L’ESPRIT IMPUR EST SORTI DE L’HOMME, etc. [Le Seigneur] a montré plus haut que les Gentils étaient meilleurs que les Juifs. Ici, il veut le confirmer par un exemple : premièrement, il présente l’exemple ; deuxièmement, il l’applique, en cet endroit : AINSI EN SERA-T-IL DE CETTE GÉNÉRATION MAUVAISE [12, 45].
1483. Il présente l’exemple d’un esprit impur. Vous devez remarquer que parfois l’exemple est tiré d’une action, parfois d’une parabole. Lorsqu’il est tiré d’une action, il faut que chaque aspect soit expliqué, de sorte que chaque a besoin d’être expliqué, comme a été ici présenté l’exemple de Jonas. Parfois, l’exemple est tiré d’une parabole, comme lorsqu’il est dit : Le royaume des cieux est semblable, etc. Ici, il n’est pas nécessaire de présenter en quoi consiste le royaume des cieux. Nous pouvons donc dire, en suivant Jérôme, qu’il s’agit ici d’une comparaison sous forme de parabole et qu’ainsi le sens est unique. Ou bien, selon Augustin, [il s’agit d’une comparaison] tirée d’une action, et ainsi le sens est double. L’esprit impur sort de l’homme d’une double façon, car parfois il tourmente corporellement, et parfois spirituellement. Il faut donc voir [premièrement] comment l’homme est rempli d’un esprit impur ; [deuxièmement,] comment [il l’est] corporellement et spirituellement ; troisièmement, comment cela se rapporte à ce qui est en cause. Quatre choses sont donc exprimées. Premièrement, la délivrance d’un esprit impur ; deuxièmement, l’assaut renouvelé ; troisièmement, la gravité ; quatrièmement, l’occasion du second assaut.
1484. [Le Seigneur] dit donc : LORSQU’UN ESPRIT IMPUR EST SORTI DE L’HOMME. Tout ce qui est mêlé à ce qui lui est inférieur est appelé impur ; [ce qui est mêlé] à ce qui est plus pur, est dit plus pur. Ainsi, si l’argent est mêlé au plomb, il devient de qualité inférieure. De même, l’esprit créé, s’il se joint à ce qui lui est inférieur, est-il appelé un esprit impur. Et celui-ci sort parfois de l’homme qu’il tourmente corporellement, parfois [de celui] qu’il tourmente spirituellement, comme lors du baptême.
1485. Ensuite, sont présentés l’assaut renouvelé et l’occasion : premièrement, du point de vue du Démon ; deuxièmement, du point de vue de ceux qui sont assaillis. Du point de vue du Démon, premièrement, pour ce qui est des autres ; deuxièmement, pour ce qui est de ceux-ci. C’est en effet l’habitude du Démon de ne pouvoir prendre aucun répit s’il peut nuire, parce qu’il a aimé le péché dès le départ. Ainsi, lorsqu’il est chassé de quelqu’un, il cherche qui il pourrait tourmenter. [Le Seigneur] dit donc : IL ERRE PAR DES LIEUX ARIDES EN QUÊTE DE REPOS, ET IL N’EN TROUVE PAS. Ainsi, parfois il ne trouve pas de repos. De ceux chez qui il en trouve, il est dit en Jb 40, 16 : Il dort dans l’ombre, dans le secret des roseaux, dans les lieux humides. Les lieux humides sont les cœurs qui s’adonnent à la volupté ; les lieux arides sont ceux qui méprisent la volupté, qui s’éloignent des richesses. C’est d’eux que parle Ez 37, 11 : Nos os se sont desséchés et notre espoir a disparu. [Le Seigneur] dit : IL ERRE, et cherche tout homme qu’il pourrait tromper. Ainsi, par le fait qu’il dit : IL ERRE, il montre la préoccupation [du Démon], 1 P 5, 8 : Soyez sobres et veillez, car votre adversaire, le Diable, comme un lion rugissant, se promène en cherchant qui dévorer. EN QUÊTE DE REPOS, ET IL N’EN TROUVE PAS, sinon dans les lieux humides. Ainsi en fut-il pour les Juifs : sortant des Juifs, [le Démon] alla vers les Gentils, qui sont asséchés par l’écoulement de la grâce divine ; mais il ne trouve pas de repos, puisqu’il a été chassé, car ils ont accueilli la parole de Dieu.
1486. IL DIT ALORS : «JE VAIS RETOURNER DANS MA DEMEURE, D’OÙ JE SUIS SORTI.» Vous pouvez conclure de cette parole que, si parfois le Diable est chassé de quelqu’un, parce que celui-ci fait pénitence, il ne le quitte pas totalement, comme on lit à propos du Christ, Lc 4, 13, qu’il l’éloigna pour un temps. Il faut donc comprendre que les hommes doivent toujours être inquiets qu’il ne revienne. Et c’est cela qu’il dit : «JE VAIS RETOURNER, etc.»
1487. ÉTANT VENU, IL LA TROUVE LIBRE. Ici est présentée l’occasion du point de vue de celui qui est assailli pour la deuxième fois. Si nous voulons riposter aux Juifs, il est clair que, après avoir été chassé des Gentils, [le Démon] est revenu vers les Juifs. Ainsi, une triple occasion est présentée. D’abord, l’oisiveté ; c’est pourquoi [le Seigneur] dit LIBRE. Si 33, 29 : L’oisiveté a enseigné bien des méchancetés. C’est ainsi que Jérôme [écrit] : «Occupe-toi sans cesse à quelque chose de bien afin que le Diable ne te trouve pas inoccupé.» LIBRE, c’est-à-dire oisif. Lm 1, 7 : Les ennemis l’ont vue et ils ont tourné son oisiveté en dérision. BALAYÉE, car ce qui est nettoyé au balai n’est pas purifié ; en effet, celui-ci n’adhère que faiblement. Ainsi balayer est la même chose que nettoyer légèrement, et le balayage est un nettoyage imparfait. De même, DÉCORÉE, à savoir, superficiellement embellie. La purification parfaite doit être faite par le feu, comme on lit dans la loi que les récipients devaient être purifiés par le feu. De même, ce qui est décoré possède une beauté par soi-même, et une autre du fait de la décoration seulement, dont il est question en Ps 143[144], 12 : Leurs filles sont habillées et embellies à l’image du temple, etc. Mais ceux qui veulent être en sécurité doivent avoir une beauté intérieure, Ps 94[95], 14 : Toute la gloire de la fille du roi vient de l’intérieur, vêtue d’étoffes dorées et de multiples couleurs, etc. Mais lorsqu’on est embelli seulement par des choses extérieures, on n’est pas quitté par les démons. Ainsi en est-il des Juifs, car ils observaient le sabbat, pendant lequel ils s’éloignaient davantage du bien que du mal. De même accordaient-ils tous leurs soins aux plus petits points de la loi.
1488. ALORS, IL S’EN VA PRENDRE AVEC LUI SEPT AUTRES ESPRITS PLUS MAUVAIS QUE LUI. Ici, il est question du second assaut, plus sérieux, et il est montré qu’il est plus sérieux que le premier pour ce qui est du nombre ; deuxièmement, pour ce qui est de la durée ; troisièmement, pour ce qui est du résultat.
1489. Pour ce qui est du nombre, car IL PREND AVEC LUI SEPT [AUTRES ESPRITS]. Selon Chrysostome, cela s’interprète de manière littérale, car lorsque quelqu’un tombe et ne prend pas garde, ce qui lui arrive est pire. Jn 5, 14 : Voilà que tu es guéri ; ne pèche plus pour éviter qu’il ne t’arrive pire. Selon Augustin, [le Diable] en prend sept, et cela de deux façons. En effet, celui qui se repent fait parfois pénitence, mais il se montre négligent et il devient alors plus vulnérable. Rm 1, 28 : C’est pourquoi le Seigneur les a livrés à leur esprit sans jugement. Et par le fait que [le Seigneur] parle de sept, l’ensemble des vices est indiqué. Une autre [interprétation] est donnée par Augustin : certains commettent un péché, et ils y ajoutent un simulacre de l’état de pénitence. Et de même qu’il existe sept dons du Saint-Esprit, de même existe-t-il sept simulacres.
1490. Il y avait donc au départ sept vices simples ; s’y ajoutent maintenant sept simulacres de vices, qui sont pires. Et on parle de sept, soit en raison de l’ensemble des vices, soit en raison du sabbat. Et ceux qui pèchent de cette manière se montrent plus persévérants dans le mal. Il dit donc : ILS ENTRENT CHEZ LUI ET Y HABITENT, parce qu’ils ne veulent pas s’en retirer. Jr 8, 5 : Le peuple de Jérusalem s’est détourné par une aversion obstinée, ils se sont adonnés aux mensonges et n’ont pas voulu revenir. Si on l’interprète des Juifs, il est clair qu’il habite chez eux et ne veut pas s’éloigner d’eux.
1491. ET L’ÉTAT FINAL DE CET HOMME EST PIRE QUE LE PREMIER. Ici est présenté l’alourdissement du point de vue de l’effet. Au sens littéral, celui qui est davantage puni est davantage chargé. Ainsi, en 2 P 2, 21 : Il était mieux de ne pas connaître le chemin de la vérité que de s’en retourner après l’avoir connu. De même, pour ce qui était des Juifs, car ils ont agi plus mal en blasphémant le Christ qu’en rendant un culte à des idoles.
1492. Vient ensuite : AINSI EN SERA-T-IL DE CETTE GÉNÉRATION MAUVAISE, car il leur arrivera pire qu’il leur est jamais arrivé lorsqu’ils étaient en Égypte.
1493. Dans la section précédente, le Seigneur a réfuté ses adversaires ; maintenant, il fait l’éloge des disciples qui croient [en lui], etc., en tenant compte de la présence de sa mère et de ses frères.
1494. Premièrement, [cette] présence est exposée ; deuxièmement, la dénonciation [de cette présence] ; troisièmement, l’éloge des disciples.
1495. [Matthieu] dit donc : COMME IL PARLAIT ENCORE. Mais ici se pose une question à propos du texte : pourquoi Lc 8, 19, où sont rapportées les mêmes paroles qui sont dites [ici], ne présente-t-il pas les mêmes paroles qui suivent, mais poursuit : Or, il arriva que, alors qu’ils parlait, une femme éleva la voix, etc. ? Et il semble y avoir une contradiction. Augustin donne la solution : sans aucun doute, ce que Matthieu raconte a-t-il été dit, à savoir que, alors qu’il parlait encore, c’est-à-dire alors qu’il faisait le récit, etc. Mais il se peut que ce que Luc dit soit arrivé et [aussi] ce que Matthieu dit ; et il se peut que Luc anticipe ou s’en remette à l’ordre de ses souvenirs.
1496. VOICI QUE SA MÈRE ET SES FRÈRES SE TENAIENT DEHORS, etc. Pour ce qui est de [sa] mère, il n’y a aucun doute qu’il s’agit de celle dont il a été question au chapitre I. Mais, au sujet des frères, il peut se poser une question. Et parce qu’il est fait mention des frères, cela a été l’occasion d’une hérésie, à savoir que, lorsque Marie eut engendré Jésus, Joseph connut Marie et lui engendra des fils, ce qui est hérétique, car, après l’enfantement, elle demeura intouchée. Il y a eu aussi une autre opinion, à savoir que [ces frères] étaient les fils que Joseph avait eux d’une autre épouse. Mais cela n’a aucune valeur, car nous croyons que, de même que la mère de Jésus était vierge, de même [en était-il] de Joseph, parce que [Dieu] présenta à une vierge quelqu’un qui était vierge, et ce qui existait à la fin existait aussi au départ.
1497. Qui donc sont ces frères ? Jérôme a dit qu’on parle de frères de multiples façons. Certains sont frères par la naissance, comme [il est dit] plus haut, [Mt] 1 : Jacob engendra Juda et ses frères. Parfois sont [dits] frères ceux qui sont de la même lignée, Dt 17,15 : Tu ne pourras pas établir comme moi celui qui ne sera pas ton frère. Parfois [on parle de frères] par la religion, comme dans le cas de tous les chrétiens, comme plus loin, 23, 8. Ainsi s’est établie la coutume que les hommes d’une même religion s’appellent frères. Parfois [sont appelés frères] les hommes appartenant à une même parenté, comme en Jos 2, 12 : Et donnez-moi un signe que vous allez sauver mon père, ma mère et mes frères. Parfois [sont appelés frères] tous les hommes, qui viennent d’un même père, à savoir, Dieu, Ml 2, 10 : Tous n’ont-ils pas un seul père ? Est-ce que le Dieu unique ne nous a pas créés ? Pourquoi donc chacun méprise-t-il son frère ? Il n’est ici question des frères du Seigneur en aucun de ces sens ; ils sont donc appelés frères parce qu’ils sont [ses] consanguins. Ainsi, en Gn 13, 8, Abraham dit-il à Lot : Nous sommes frères, bien que Lot ait été le neveu d’Abraham. Ainsi ceux-ci étaient-ils les frères [de Jésus], parce qu’ils étaient [ses] cousins.
1498. QUELQU’UN LUI DIT : «VOICI QUE TA MÈRE ET TES FRÈRES SE TIENNENT DEHORS ET CHERCHENT À TE PARLER.» La raison pour laquelle [cette personne] lui dit cela et dans quel but, est expliquée en Lc 8, 19 : la foule était si grande qu’ils ne pouvaient entrer.
1499. Au sens mystique, la synagogue est signifiée par la MÈRE. Ainsi, en Ct 3, 11 : Sortez et voyez le roi Salomon portant le diadème dont sa mère l’a couronné. ET SES FRÈRES, c’est-à-dire les Juifs, qui se tiennent au dehors en abandonnant le Christ, Jb 6, 15 : Mes frères m’ont abandonné. Ils cherchent, mais ils ne trouvent pas, comme on lit en Rm 9, 31 : Israël, en suivant la loi de justice, n’est pas parvenu à la loi de justice.
1500. MAIS, EN LUI RÉPONDANT, etc. La réponse du Christ est présentée, et il fait deux choses : premièrement, il réfute celui qui l’interroge ; deuxièmement, il fait l’éloge de ses disciples, en cet endroit : EN TENDANT LA MAIN VERS SES DISCIPLES, etc. [12, 49].
1501. [Jésus] dit donc : QUI EST MA MÈRE ET QUI SONT MES FRÈRES ? À partir de ce passage, certains ont nié que le Christ se soit incarné d’une manière véritable, mais [ont affirmé qu’il l’a fait] d’une manière imaginaire. Ils donnaient donc l’interprétation suivante : «Celle-ci n’est pas ma mère, ni ceux-ci mes frères.» Ce qui est contraire à ce que dit l’Apôtre, Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils né d’une femme, etc. De même, Rm 1, 3 : Lui qui est né de la semence de David selon la chair. De même, le Seigneur a reconnu [sa mère] alors qu’il était sur la croix : Femme, voilà ton fils ! Jn 19, 26. Chrysostome [écrit] : «Pourquoi le Seigneur dit-il : “Qui est ma mère et qui sont mes frères ?”» [Le Seigneur] dit deux choses, dont l’une est saine et l’autre, non. En effet, il dit que sa mère et ses frères ont ressenti quelque chose d’humain, car, voyant Jésus prêcher et la foule qui le suivait, ils se réjouirent. Ils voulurent donc en retirer une certaine gloire. C’est pourquoi le Seigneur a voulu montrer que ce qu’il faisait, il ne le faisait pas en vertu de ce qu’il avait reçu de sa mère, mais [de ce qu’il avait reçu] de son Père. Cette position est partiellement saine, car, pour ce qui est des frères, elle est saine, car on lit en Jn 8, 5 : En effet, même ses frères ne croyaient pas en lui. Mais, pour ce qui est de la mère du Seigneur, elle n’est pas saine, car on croit qu’elle n’a jamais péché, ni mortellement, ni véniellement. En effet, il est dit d’elle dans Ct 4, 7 : Tu es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de tache en toi ! Et Augustin dit : «Lorsqu’il est question du péché, je ne veux pas qu’on fasse mention d’elle.»
1502. Jérôme donne donc une autre solution : celui qui informa [le Seigneur] l’informa de manière insidieuse. En effet, il voulait vérifier si [Jésus] se concentrait à ce point sur les réalités spirituelles qu’il ne s’occupait pas des réalités temporelles. C’est pourquoi la réponse [de Jésus] porte sur les sentiments : il n’aurait pas davantage aimé sa mère si elle n’avait eu autant de consistance spirituelle. Il dit donc : QUI EST MA MÈRE ? Il ne nie pas que celle-ci soit sa mère, mais il veut interdire une affection désordonnée. Ainsi, plus haut, 10, 37 : Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi.
1503. En conséquence, [le Seigneur] fait l’éloge de ses disciples. Premièrement, il fait l’éloge de ses disciples ; deuxièmement, de tous ceux qui croient.
1504. [Matthieu] dit donc : ET TENDANT LA MAIN VERS SES DISCIPLES, IL DIT : «VOICI MA MÈRE», comme s’il disait : «J’aime plus ceux-ci que je n’aime ma mère et mes frères.» En effet, l’amour du Saint-Esprit doit l’emporter.
1505. Et il n’étend pas [cela] seulement à ceux-ci, mais à tous. C’est pourquoi il dit : QUICONQUE FAIT LA VOLONTÉ DE MON PÈRE QUI EST AUX CIEUX, CELUI-LÀ EST MON FRÈRE, MA SŒUR ET MA MÈRE. En effet, il était issu d’une génération céleste et temporelle ; il place donc [la génération] céleste au-dessus de la temporelle. Car ceux qui font la volonté de mon Père, ceux-là se rattachent à lui selon la génération céleste ; ainsi, Jn 8, 39 : Si vous êtes les fils d’Abraham, agissez comme Abraham. En effet, lui-même est venu pour faire la volonté [de son Père], comme on le lit en Jn 4, 34 et 6, 38. Il parle de FRÈRES, pour les plus solides, et de SŒURS, pour les plus faibles. Mais que veut-il dire par MA MÈRE ? Il faut dire que tout fidèle qui fait la volonté du Père, c’est-à-dire qui obéit simplement, est [son] frère, car il lui ressemble, lui qui a accompli la volonté du Père. Mais celui qui non seulement accomplit [la volonté du Père], mais en convertit d’autres, engendre le Christ en d’autres, et il devient ainsi [leur] mère. De la même manière que, au contraire, celui-là tue le Christ dans les autres, qui les provoque au mal. L’Apôtre [dit] en Ga 4, 19 : Mes petits enfants, que j’engendre de nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous.
Leçon 1, [Matthieu 13, 1‑23] 13, 1 En ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord
de la mer. 13, 2 Et des foules nombreuses s’assemblaient auprès de lui, si
bien qu’il monta dans une barque et s’assit ; et toute la foule se tenait
sur le rivage. 13, 3 Et il leur parla de beaucoup de choses en paraboles.
Il disait : «Voici que le semeur est sorti pour semer. 13, 4 Et comme
il semait, des grains sont tombés au bord du chemin. Les oiseaux sont venus
tout manger. 13, 5 D’autres sont tombés sur les endroits rocheux où ils
n’avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu’ils
n’avaient pas de profondeur de terre ; 13, 6 mais une fois le soleil
levé, ils ont été brûlés et, parce qu’ils n’avaient pas de racine, ils se sont
desséchés. 13, 7 D’autres sont tombés sur les épines, et les épines ont monté
et les ont étouffés. 13, 8 D’autres sont tombés dans la bonne terre et ont
donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. 13, 9 Que celui qui a des oreilles entende !»
13, 10 Les disciples s’approchant lui dirent : «Pourquoi leur
parles-tu en paraboles» 13, 11 Répondant, il dit : «Parce qu’à vous
il a été donné de connaître le mystères du Royaume des Cieux, tandis qu’à ces
gens-là cela n’a pas été donné. 13, 12 Car celui qui a, on lui donnera et
il aura du surplus, mais celui qui n’a pas, même ce qu’il a, on le lui
enlèvera. 13, 13 C’est pour cela que je leur parle en paraboles :
parce qu’ils voient sans voir et entendent sans entendre ni comprendre.
13, 14 Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe qui disait : Vous
entendrez, mais vous ne comprendrez pas ; vous verrez, mais vous ne
comprendrez pas.
13, 15
«C’est que le coeur de ce peuple s’est endurci : ils se sont bouché les
oreilles, ils ont fermé les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs
oreilles n’entendent, que leur esprit ne comprenne, qu’ils ne se convertissent,
et que je ne les guérisse. 13, 16 Mais vous, heureux sont vos yeux parce
qu’ils voient ; et vos oreilles parce qu’elles entendent. 13, 17 En
vérité je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce
que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont
pas entendu ! 13, 18 Écoutez donc, vous, la parabole du semeur.
13, 19 Celui qui entend la parole du Royaume sans la comprendre, arrive le
Mauvais qui s’empare de ce qui a été semé dans le coeur de cet homme : tel
est celui qui a été semé au bord du chemin. 13, 20 Celui qui a été semé
sur les endroits rocheux, c’est l’homme qui, entendant la Parole, l’accueille
aussitôt avec joie ; 13, 21 mais il n’a pas de racine en lui-même, il
est l’homme d’un moment : survienne une tribulation ou une persécution à
cause de la parole, aussitôt il succombe. 13, 22 Celui qui a été semé dans
les épines, c’est celui qui entend la parole, mais le souci du monde et la
séduction de la richesse étouffent cette parole, qui demeure sans fruit.
13, 23 Et celui qui a été semé dans la bonne terre, c’est celui qui entend
la parole et la comprend : celui-là porte du fruit et produit tantôt cent,
tantôt soixante, tantôt trente.»
Leçon 2, [Matthieu 13, 24‑30] 13, 24 Il leur proposa une autre parabole : «Il en va du
Royaume des Cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
13, 25 Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu, il a semé
à son tour de l’ivraie, au milieu du blé, et il s’en est allé. 13, 26
Quand le blé est monté en herbe, puis en épis, alors l’ivraie est apparue
aussi. 13, 27 S’approchant, les serviteurs du propriétaire lui
dirent : «Maître, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton
champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ?» 13, 28
Il leur dit : «C’est un ennemi qui a fait cela». Les serviteurs lui
disent : «Veux-tu donc que nous allions la ramasser ?» 13, 29 Et
il leur dit : «Non, de crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous n’arrachiez
aussi le blé. 13, 30 Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la
moisson ; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs :
“Ramassez d’abord l’ivraie et attachez-la en bottes pour les brûler ;
quant au blé, recueillez-le dans mon grenier.”»
Leçon 3, [Matthieu 13, 31‑43] 13, 31 Il leur dit une autre parabole : «Le Royaume des
Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son
champ. 13, 32 C’est bien le plus petit de tous les grains, mais quand
il a poussé, il devient la plus grande des plantes potagères, un arbuste même,
au point que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses branches.»
13, 33 Il
leur dit une autre parabole : «Le Royaume des Cieux est semblable à du
levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce
que le tout ait levé.»
13, 34 Tout
cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans
parabole ; 13, 35 afin que s’accomplît ce qui est dit par le prophète :
J’ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je clamerai des choses cachées
depuis la fondation du monde.
13, 36
Alors, laissant les foules, il vint à la maison ; et ses disciples
s’approchant lui dirent : «Explique-nous la parabole de l’ivraie dans le
champ.» 13, 37 En réponse, il leur dit : «Celui qui sème le bon
grain, c’est le Fils de l’homme ; 13, 38 le champ, c’est le
monde ; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; l’ivraie, ce
sont les mauvais fils ; 13, 39 l’ennemi qui l’a semée, c’est le
Diable ; la moisson, c’est la fin du temps ; et les moissonneurs, ce
sont les anges. 13, 40 De même donc qu’on enlève l’ivraie et qu’on la
consume au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde : 13, 41 le
Fils de l’homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales
et tous les fauteurs d’iniquité, 13, 42 et les jetteront dans la fournaise
ardente : là il y aura des pleurs et des grincements de dents. 13, 43
Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père.
Que celui qui a des oreilles entende !
Leçon 4, [Matthieu 13, 44‑58] 13, 44 «Le Royaume des Cieux est encore semblable à un trésor qui
était caché dans un champ et qu’un homme vient à trouver : il le cache à
nouveau, ravi de joie, il s’en va vendre tout ce qu’il a, et achète ce champ.
13, 45 «Le
Royaume des Cieux est encore semblable à un négociant en quête de perles
fines : 13, 46 en ayant trouvé une de grand prix, il s’en est allé
vendre tout ce qu’il possédait et il l’a achetée.
13, 47 «Le
Royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu’on jette en mer et qui
ramène toutes sortes de choses. 13, 48 Quand le filet est plein, les
pêcheurs le tirent sur le rivage, puis ils s’asseyent, ils choisissent les bons
pour les mettre dans des contenants, et ils rejettent ce qui ne vaut rien.
13, 49 Ainsi en sera-t-il à la fin du temps : les anges se
présenteront et ils sépareront les méchants d’entre les justes 13, 50 et
ils les jeteront dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les
grincements de dents.» 13, 51 «Avez-vous compris tout cela ?» Ils
répondirent «Oui.»
13, 52 Et il
leur dit : «Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux
est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux.»
13, 53 Et il
advint, quand Jésus eut terminé ces paraboles, qu’il partit de là ;
13, 54 et s’étant rendu dans sa patrie, il enseignait les gens dans leur
synagogue, de telle sorte qu’ils étaient étonnés et disaient : «D’où lui
viennent cette sagesse et ces miracles ? 13, 55 Celui-là n’est-il pas
le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie ? Et
ses frères ne sont-ils pas Jacques, Joseph, Simon et Jude ? 13, 56 Et
ses soeurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui vient donc tout
cela ?» 13, 57 Et ils étaient scandalisés à son sujet. Mais Jésus
leur dit : «Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et chez lui.»
13, 58 Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur manque de
foi.
Plus haut, l’enseignement évangélique a été proposé et les adversaires ont été réfutés. Ici, [Matthieu] montre la puissance de l’enseignement évangélique : premièrement, par la parole ; deuxièmement, par les gestes, au chapitre XIV.
1506. À propos du premier point, sont d’abord présentées les circonstances de l’enseignement ; deuxièmement, l’enseignement du Christ ; troisièmement, ses effets. Le second point [se trouve] en cet endroit : VOICI QUE LE SEMEUR EST SORTI POUR SEMER [13, 3] ; le troisième, en cet endroit : AVEZ-VOUS COMPRIS TOUT CELA ? [13, 51].
1507. Premièrement, [Matthieu] présente quatre circonstances : le lieu, le temps, l’attitude des auditeurs et l’attitude de celui qui parle.
1508. Il
aborde le temps lorsqu’il dit : EN CE JOUR-LÀ. Par cela, il laisse
entendre qu’il aborde l’ordre de ce qui est arrivé. En effet, on ne pourrait
comprendre autrement que le mot JOUR ne soit pas considéré comme le temps.
Ensuite, la circonstance du lieu est abordée : [JÉSUS] S’ASSIT AU BORD DE
LA MER, etc. Et cela peut être interprété selon une interprétation littérale et
[selon une interprétation] mystique. Chrysostome aborde [l’interprétation]
littérale. En effet, [Matthieu] avait dit plus haut que, en parlant aux foules,
[Jésus] disait : VOICI TA MÈRE, etc. À cette occasion, Chrysostome avait
expliqué qu’ils avaient éprouvé quelque chose d’humain ; c’est pourquoi le
Seigneur voulut sortir afin de réprimer leur malice, à savoir, celle de ses
frères. Et il était aussi sorti afin de manifester du respect envers sa mère.
Ainsi, Ex 20, 12 : Honore
ton père et ta mère.
1509. Au sens mystique, la Judée est signifiée par la maison, de laquelle il est sorti en raison de [son] infidélité pour aller vers la mer, à savoir, vers les païens, qui étaient tourmentés par l’infidélité, plus loin, 23, 38 : Voilà que votre maison sera désertée ; comme dans Jr 12, 7 : J’ai abandonné ma maison, j’ai rejeté mon héritage, j’ai livré ma bien-aimée aux mains de mes ennemis. La mer signifie le monde, Ps 103[104], 25 : Cette mer est grande et large ; en elle se trouvent des reptiles sans nombre, etc. Ou bien, autre interprétation : la maison signifie l’esprit intérieur. Sg 8, 16 : Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle. Ainsi, [l’esprit intérieur] sort parfois du secret de la contemplation pour aller vers le public de l’enseignement.
1510. ET DES FOULES NOMBREUSES S’ASSEMBLAIENT AUPRÈS DE LUI. Ici, [Matthieu] présente les auditeurs. En effet, lorsque l’esprit sort pour aller vers le public de l’enseignement, beaucoup peuvent alors entendre et en profiter. Si 51, 31 : Approchez-vous de moi, vous qui êtes ignorants, et rassemblez-vous dans la maison de l’enseignement.
1511. Ensuite sont présentées les dispositions de celui qui enseigne et des auditeurs. [Matthieu] dit donc : SI BIEN QU’IL MONTA DANS UNE BARQUE ET S’ASSIT. Et pourquoi DANS UNE BARQUE ? Il peut y avoir une raison littérale, car les auditeurs étaient nombreux ; [Jésus] voulait donc les avoir face à lui pour qu’ils comprennent mieux. En effet, toutes choses sont devant lui. Jb 13, 1 : Voilà que mes yeux voient tout. Il y a une autre raison mystique, car, par la barque, est signifiée l’Église rassemblée parmi les païens, [barque] dans laquelle elle est assise par la foi et enseigne ceux qui sont sur le rivage, c’est-à-dire les catéchumènes, qui sont prêts à croire. Ou bien, autre interprétation : Jésus se trouve sur la mer, mais les auditeurs sur le rivage ; il donne par cela un exemple aux prédicateurs, à savoir, qu’ils n’exposent pas ceux qui leur sont soumis à des dangers. Et cela est signifié en Ex 13, 17s : lorsque Moïse conduisit son peuple, il ne lui fit pas traverser le pays des Philistins, pensant qu’ils pourraient regretter et retourner en Égypte. C’est la raison pour laquelle Jésus s’assit au milieu de la tempête [Mt 8, 25], mais renvoya les autres. C’est la raison pour laquelle il est dit : ET TOUTE LA FOULE SE TENAIT SUR LE RIVAGE.
1512. ET IL LEUR PARLA DE BEAUCOUP DE CHOSES EN PARABOLES. La raison [de ceci] est double. L’une est que, par ces paraboles, les choses sacrées sont cachées aux infidèles pour éviter qu’ils ne blasphèment. En effet, il est dit plus haut : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens [Mt 7, 6]. Parce que beaucoup blasphémaient, [le Seigneur] a donc voulu parler en paraboles. Ainsi, Lc 8, 10 : Il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais aux autres [il n’est connu] qu’en paraboles. La seconde raison est que, par ces paraboles, les gens sans instruction sont mieux enseignés. Ainsi, lorsque les choses divines sont expliquées sous forme de comparaisons, les gens sans instruction [les] saisissent et les retiennent mieux. C’est pourquoi le Seigneur a voulu parler en paraboles afin que [celles-ci] soient mieux mémorisées. En effet, parce qu’il savait que ceux qui en étaient dignes accueilleraient son enseignement, il voulut le livrer ainsi afin qu’ils le mémorisent mieux. Ps 77[78], 2 : Je parlerai en paraboles. Et pourquoi [le Seigneur] a-t-il proposé plusieurs paraboles ? Une raison est que, parmi la multitude des hommes, les uns sont touchés différemment des autres ; il a donc dû diversifier [ses paraboles] afin que celles-ci conviennent à toutes les dispositions. Une autre raison est que les choses spirituelles sont toujours cachées ; elles ne peuvent donc pas être pleinement manifestées par des choses temporelles. Elles doivent donc être manifestées diversement. Jb 11, 5 : Si seulement Dieu voulait parler et ouvrir ses lèvres pour toi, afin de te montrer les secrets de la sagesse.
1513. IL DISAIT : «VOICI QUE LE SEMEUR EST SORTI POUR SEMER, etc.» Ici est présenté l’enseignement sous forme de paraboles. [Le Seigneur] vise trois buts : premièrement, il présente un empêchement à l’enseignement évangélique ; deuxièmement, [son] développement ; troisièmement, [sa] dignité. Le second point [se trouve] en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À DU LEVAIN, etc. [13, 33] ; le troisième, en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À UN HOMME EN QUÊTE DE PERLES FINES, etc. [13, 45].
1514. À propos du premier point, [le Seigneur] présente d’abord les empêchements intérieurs ; en second lieu, [les empêchements] extérieurs, dans la parabole suivante.
1515. La première [partie se divise] en trois : car, en premier lieu, la parabole est présentée ; en deuxième lieu, elle est appliquée ; en troisième lieu, elle est expliquée. Le second point [se trouve] en cet endroit : LES DISCIPLES S’APPROCHANT, etc. [13, 10] ; le troisième point, en cet endroit : VOUS, ÉCOUTEZ DONC LA PARABOLE DU SEMEUR [13, 18].
1516. Dans la première [partie], [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, l’effort du semeur est décrit ; deuxièmement, l’obstacle à la semence ; troisièmement, le fruit. La seconde [partie se trouve] en cet endroit : ET COMME IL SEMAIT, DES GRAINS SONT TOMBÉS AU BORD DU CHEMIN, etc. [13, 4] ; la troisième, en cet endroit : D’AUTRES SONT TOMBÉS SUR LA BONNE TERRE, etc. [13, 8].
1517. [Le Seigneur] dit donc : VOICI QUE LE SEMEUR EST SORTI POUR SEMER. Celui qui sort est le Christ. En effet, il sort de trois façons : du secret du Père, sans changer de lieu ; de la Judée, pour aller vers les païens ; de la profondeur de la sagesse vers le public de son enseignement. VOICI donc QUE LE SEMEUR, à savoir, de la semence de l’enseignement. Ainsi, le Christ sème en baptisant, comme on lit en Jn 4. En effet, la semence est le principe du fruit. De sorte que toute bonne action vient de Dieu. Ph 1, 6 : Celui qui a commencé à réaliser en nous le bien l’achèvera, etc. Et, par cela, est écartée l’erreur de ceux qui disent que l’amorce du bien vient de nous, ce qui est faux. Grégoire [écrit] donc : «C’est en vain que travaille le prédicateur, si la grâce intérieure du Sauveur n’est pas présente.» [Le Seigneur] dit donc : VOICI QUE LE SEMEUR EST SORTI POUR SEMER, etc. Il semble embrouiller ces mots, mais il ne les embrouille pas, car parfois le semeur sort pour semer, et parfois pour moissonner. Ainsi, au départ, le Christ sort pour semer. Pr 11, 18 : À qui sème la justice, la récompense est assurée. VOICI donc QUE LE SEMEUR EST SORTI POUR SEMER. [Pour semer] quoi ? SA SEMENCE. En effet, certains sortent pour semer l’iniquité. Jb 4, 8 : J’ai vu ceux qui font l’iniquité : ils sèment les souffrances et les récoltent. Mais celui-ci sort pour semer sa semence. Cette semence est le Verbe de Dieu, qui procède selon l’essence. Il est donc le Verbe du Père. Si 1, 5 : La parole de Dieu est la source de la sagesse. Mais que fait-il ? [Il en fait] de semblables à Celui de qui il procède, car il fait des fils de Dieu. Ps 81[82], 6 : J’ai dit : «Vous êtes des dieux et tous des fils du Très-Haut.» Jn 10, 35 : Il a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée ; et, chez le même, 1, 12 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. IL SORT, donc, etc.
1518. Mais
voyons l’obstacle à la semence. Celle-ci rencontre un triple obstacle, car
trois choses sont nécessaires. En effet, il est nécessaire qu’elle soit
conservée par la mémoire ; ainsi, Pr 6, 21 : Fixe-les solidement dans ton cœur. En
deuxième lieu, il est nécessaire qu’elle prenne racine par l’amour.
Ps 118[119], 140 : Ta
parole est puissamment enflammée, et ton serviteur l’a aimée. Troisièmement,
il est nécessaire d’en prendre soin. 1 Tm 6, 11 : Adonnez-vous à la justice, à la piété, à la
foi, à la charité, à la patience, à la douceur, etc. Ces trois réalités
sont écartées par trois choses : la mémoire, par la vanité ; l’amour,
c’est-à-dire la charité, par la dureté ; l’application, par le
bourgeonnement des vices. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : ET COMME IL
SEMAIT, DES GRAINS SONT TOMBÉS AU BORD DU CHEMIN. Le chemin est accessible à
tous ceux qui sont en route ; ainsi en est-il du cœur qui est ouvert à
toute pensée. Ez 16, 25 : Au
départ de chaque chemin, tu as établi un signalement de ta prostitution, et tu
as rendu ta parure abominable. Ainsi, lorsque la parole de Dieu tombe dans
un cœur vain et instable, elle tombe sur le bord du chemin et rencontre un
double danger. Mais Matthieu n’en présente qu’un, à savoir : LES OISEAUX
SONT VENUS LA MANGER. Mais Luc en présente deux, à savoir qu’elle est foulée
aux pieds et aussi volée par les oiseaux. Ainsi, lorsque ceux qui sont vains
reçoivent la parole de Dieu, celle-ci est foulée aux pieds par de vaines
pensées ou par de mauvaises fréquentations. C’est pourquoi le Diable éprouve
une grande joie lorsqu’il peut enlever cette semence et la fouler aux pieds.
Ha 1, 13 : Pourquoi
regardes-tu ceux qui méprisent et te tais-tu devant l’impie qui foule aux pieds
un plus juste que lui ?
1519. Le deuxième [obstacle] est la dureté de cœur. Jb 41, 15[16] : Son cœur deviendra dur comme la pierre et résistera comme l’enclume du forgeron. Et cela s’oppose à la charité, car c’est le propre de l’amour de faire fondre. Ct 5, 6 : Mon âme a fondu alors que mon bien-aimé parlait, etc. En effet, est dur ce qui est refermé sur soi et ramené à ses propres limites. L’amour fait passer celui qui aime dans celui qui est aimé ; ainsi il se répand. [Le Seigneur] dit donc : D’AUTRES SONT TOMBÉS SUR LES ENDROITS ROCHEUX, etc. Ez 36, 26 : J’enlèverai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. En effet, certains ont un cœur tellement privé d’amour qu’ils manquent totalement de chair. Mais d’autres ont des sentiments bons, mais faibles. Celui-là donc a un amour profond qui aime tout à cause de Dieu et ne place rien au-dessus de l’amour de Dieu. Ainsi, certains se délectent bien en Dieu, mais davantage dans d’autres choses ; ceux-là ne fondent pas et N’ONT PAS BEAUCOUP DE TERRE. Par TERRE est signifiée la sensibilité. Cela veut donc dire un esprit endurci.
1520. Vient
ensuite : ET AUSSITÔT ILS ONT LEVÉ, etc. Car ceux qui pensent
profondément, pensent longuement ; mais ceux qui ne [pensent] pas
profondément, se précipitent aussitôt vers l’action. Ils sortent donc
rapidement. Is 18, 5 : Car,
avant la moisson, quand la floraison est achevée. En effet, tout a fleuri avant
la moisson, et un fruit inachevé a poussé. Ils écoutent donc aussitôt, mais
ils ne s’enracinent pas en elle, parce qu’ils n’ont pas une épaisseur de terre
d’amour et de charité. Ep 3, 17 : Enracinés et fondés dans la charité, etc.
1521. En troisième lieu, [est présentée] la destruction du fruit, car celui qui aime davantage les richesses, lorsque vient le temps de la tribulation, reçoit ce qu’il aime davantage. Ainsi, UNE FOIS LE SOLEIL LEVÉ, ILS ONT ÉTÉ BRÛLÉS, etc., à savoir, par l’impuissance. Ap 13, 10 : Celui qui aura tué par le glaive, il faut qu’il soit tué par le glaive : telle est la patience des justes. ET PARCE QU’ILS N’AVAIENT PAS DE RACINE, ILS SE SONT DESSÉCHÉS, parce que Dieu n’était pas la racine. Ps 21[22], 16 : Ma puissance s’est desséchée comme la terre cuite. Parfois, dans l’Écriture, la pierre est considérée comme quelque chose de bon, parfois, comme quelque de mauvais. De même en est-il pour la terre et pour le soleil. Certains ont ainsi de bons sentiments, mais par la suite se comportent négligemment. Il n’en était pas ainsi de Paul, qui disait : Je châtie mon corps et je le réduis en esclavage, etc. [1 Co 9, 27].
1522. D’AUTRES SONT TOMBÉS SUR LES ÉPINES. Les épines sont les préoccupations, les colères, les chicanes et les choses de ce genre. Jr 4, 3 : Ne semez pas dans les épines. Pr 24, 30 : J’ai traversé le champ d’un paresseux ; vient ensuite : Et les épines en avaient recouvert la surface. ET LES ÉPINES ONT POUSSÉ ET LES ONT ÉTOUFFÉS. Mais on pourrait dire : «C’est à cause de la stupidité du semeur.» On peut dire que, si cela est dit d’une terre sensible, cela serait vrai ; mais on parle d’une [terre] spirituelle. Cela n’est donc pas valable parce qu’on répond à des questions différentes.
1523. Une fois présentés les obstacles, il est question du fruit de la semence : D’AUTRES SONT TOMBÉS DANS LA BONNE TERRE ET ONT DONNÉ DU FRUIT. Un sol qui n’est pas en-dehors du chemin, qui n’est pas rocailleux, qui n’est pas couvert d’épines est une bonne terre, et si on y sème, elle donne du fruit. Ps 84[85], 13 : Le Seigneur donnera sa bonté et notre terre donnera son fruit. Mais quel [fruit] ? L’UN CENT, L’AUTRE SOIXANTE, L’AUTRE TRENTE. Certains répliquent que cela [se rapporte] à la récompense du ciel, car [la récompense] de certains [sera multipliée] par cent, etc. Sg 3, 15 : Le fruit des lèvres bonnes est glorieux. D’autres répliquent que le fruit [multiplié] par trente [se rapporte] à la foi en la Trinité, par soixante, au fruit d’une bonne action, et par cent, à la contemplation des réalités célestes. Mais cela ne peut pas être le cas, car c’est l’auditeur qui porte du fruit. De même, [c’est lui] qui reçoit la récompense.
1524. Il faut donc répondre que [cela se rapporte] à la perfection de la justice. Le fruit est donc ce qui à proprement parler est attendu en dernier d’un arbre ; de même [en est-il] du fruit de la justice qui s’obtient par la prédication. Et celui-ci est cent fois [plus grand], etc., car il existe une triple perfection : une petite, une moyenne et une grande, de sorte que [cent fois plus grande] est celle des martyrs, soixante fois celle des vierges et trente fois celle des gens mariés. Et pourquoi ? QUE [CELUI QUI A DES OREILLES ENTENDE !]. Mais la perfection des vierges est soixante fois [plus grande] parce qu’elles doivent alors s’abstenir du mal ; c’est là la perfection des vierges et de ceux qui sont au repos, qui sont séparés du monde. La perfection des militants [est multipliée] par trente en cette vie parce que ceux-ci sont prêts au combat. D’autres l’attribuent au calcul sur la main, etc., comme on le trouve dans la Glose.
1525. Vous pouvez [l’interpréter] autrement selon un nombre de nombres. En effet, la semence fructifie dans la perfection. Voyez donc que la semence est le commandement de Dieu ; le nombre trente est composé du nombre trois et du nombre dix, soixante du [nombre] six et du [nombre] dix, [le nombre] cent de la multiplication du [nombre] dix par lui-même. Trois est un nombre complet et possède une perfection commune ; de même six est un nombre parfait parce que rien ne lui manque : en effet, [il possède] la perfection de l’intégrité ; dix est un nombre parfait parce qu’il est la première limite des nombres, ce pour quoi il possède la perfection de la fin. Il y a ainsi une triple perfection. Une justice commune : c’est la perfection du nombre trois, qui se trouve dans le nombre trois cents. Mais lorsque la [perfection] commune est dépassée, on dit alors que le fruit est multiplié par soixante. Mais lorsqu’on est parfait, on goûte par anticipation la douceur et on atteint alors à un fruit [multiplié par] cent.
1526. Ou bien, autre [explication], selon Augustin, selon que les hommes ont un triple rapport avec les tentations. En effet, certains sont gravement tentés, mais résistent avec force, et ceux-là portent un fruit [multiplié par] trente. Certains sont peu tentés, mais se tiennent debout, et ceux-là portent un fruit [multiplié par] soixante. Ceux-là portent un fruit [multiplié par] cent qui sont établis dans une paix tranquille.
1527. Et parce que ceci est dit en parabole, [le Seigneur] ajoute : QUE CELUI QUI A DES OREILLES, à savoir, à l’intérieur du cœur, ENTENDE, par l’intelligence.
1528. LES DISCIPLES S’APPROCHANT DE LUI, etc. Plus haut a été présentée la parabole ; ici, l’explication en est donnée et, à ce propos, deux choses sont présentées ici : premièrement, l’interrogation des disciples est présentée ; deuxièmement, la réponse, en cet endroit : LEUR RÉPONDANT, etc. [13, 11].
1529. [Matthieu] dit donc : LES DISCIPLES S’APPROCHANT DE LUI LUI DIRENT. Une question sur le texte surgit, car [le Seigneur] était dans la barque ; comment donc s’approchèrent-ils de lui ? Il faut savoir qu’ils étaient dans la barque avec le Christ. Mais ils s’approchèrent donc par l’attention de [leur] esprit ou même corporellement, car, puisqu’ils étaient peu éloignés de lui, ils se rapprochèrent. Ou bien comme ils étaient à l’extérieur, ils vinrent vers lui. Ainsi, si nous voulons nous approcher de lui, serons-nous éclairés. Ps 33, 6 : Approchez-vous de lui et vous serez illuminés. Et on relève deux choses. Premièrement, un exemple est donné de ne pas interroger de manière importune ; ainsi, alors qu’il enseignait les foules, ils ne l’ont pas interrogé. Qo 3, 7 : Il y a un temps pour se taire, et un temps pour parler. «POURQUOI LEUR PARLES-TU EN PARABOLES ?» Il faut aussi considérer qu’il faut toujours faire ce qui est favorable au salut des hommes.
1530. La réponse vient donc ensuite : LEUR RÉPONDANT, IL LEUR DIT. Et d’abord, l’ordre voulu par Dieu est présenté ; deuxièmement, une certaine explication en est donnée. [Le Seigneur] dit donc : «Je dis donc que je parle en paraboles PARCE QU’À VOUS IL A ÉTÉ DONNÉ DE CONNAÎTRE LE MYSTÈRE DU ROYAUME DES CIEUX, TANDIS QU’À EUX CELA N’A PAS ÉTÉ DONNÉ.»
1531. Dans ces paroles, trois choses sont présentées. Premièrement, que certains comprennent, et d’autres non ; et cela ne doit pas être attribué à quiconque, car c’est Dieu qui l’a voulu. Ainsi, cela vous a été donné, mais pas à d’autres. Il s’agit donc d’un ordre voulu par Dieu. De même, cela est d’une grande utilité, car il s’agit d’une certaine annonce de la béatitude : cela est donc très utile, dans la mesure où cela vous donne une connaissance des mystères divins. Jr 9, 12 : Qui est le sage qui comprend cela et à qui la parole est-elle adressée pour annoncer cela ? C’est aussi un signe de l’amour divin. Jn 15, 15 : Je vous ai appelés mes amis parce que tout ce que j’ai entendu de la part de mon Père, je vous l’ai fait connaître. De même, cela est le résultat d’un don, et non du mérite. Ph 1, 29 : Car cela vous a été donné en vue du Christ, non seulement que vous ayez la foi, mais aussi que vous souffriez pour lui. Et cela est LE MYSTÈRE DU ROYAUME DES CIEUX de Dieu, et cela vient de Dieu, 1 Co 4, 7 : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?
1532. CAR À CELUI QUI A, ON DONNERA ET IL AURA DU SURPLUS. Il y a en effet quelque chose que possède l’homme à qui on donne.
1533. Et qu’est-ce que cela ? Il faut dire qu’il y a quatre choses préparatoires à ce que quelque chose soit donné. Premièrement, il y a le désir. Ainsi, si tu veux avoir la science, il y a d’abord le désir de l’avoir. Sg 6, 21 : Le désir de la sagesse conduit au royaume perpétuel. Et, plus haut, 7, 7 : Demandez et vous recevrez. Ainsi, À CELUI QUI A le désir, ON DONNERA ET IL AURA DU SURPLUS, car [Dieu] lui-même donne à tous généreusement, et sans récriminer, Jc 1, 5. MAIS À CELUI QUI N’A PAS, et s’il semble avoir quelque aptitude à la sagesse ou à la justice, mais qu’il est tiède, ce qu’il semble avoir, sans l’avoir, ON LE LUI ENLÈVERA. Chrysostome [écrit] ainsi : «Si tu vois quelqu’un qui est tiède, tu dois l’avertir de cesser ; et s’il ne veut pas, renvoie-le.» Ap 3, 16 : Puisses-tu être chaud ou froid, mais parce que tu es tiède, et ni froid ni chaud, je commencerai à te vomir de ma bouche.
1534. La seconde chose requise est l’effort, et telle est l’explication de Rémi. Ainsi, celui qui a un bon talent mais n’étudie pas, ne fera pas de progrès. Mais celui qui étudie recevra la sagesse et AURA DU SURPLUS. Pr 2, 4 : Si tu la cherches comme de l’argent et si tu la fouilles comme un trésor, tu comprendras la crainte de Dieu et tu trouveras la connaissance de Dieu. MAIS CELUI QUI N’A PAS d’application, ce qu’il semble avoir, à savoir, un talent naturel, ne progressera pas, mais lui sera enlevé.
1535. La troisième chose requise est la charité, car la charité est la racine de toutes les vertus et de toutes les bonnes actions. L’Apôtre [écrit] dans Ep 3, 17 : Enracinés et fondés dans la charité. Ainsi, si tu l’as, à savoir, la charité, tu t’élanceras vers toutes sortes de bonnes œuvres. L’Apôtre [écrit] dans 1 Co 13, 4 : La charité est patiente, elle est douce. Mais si tu ne la possèdes pas, tout est desséché. De sorte que tout ce qu’un homme possède sans la charité n’est rien, car celui qui n’aime pas demeure dans la mort, 1 Jn 3, 14.
1536. La quatrième chose requise est la foi, car pour ceux qui n’ont pas la foi, les autres biens valent peu de chose, Sg 1, 2 : Il apparaît à ceux qui ont foi en lui. Et Rm 10, 10 : Il croit en son cœur en vue de la justice, et il confesse de bouche en vue du salut. Et celui qui n’a pas la justice de la foi, ce qu’il semble avoir, que ce soit de naturel ou de moral, lui sera enlevé. L’Apôtre [écrit] dans Rm 14, 23 : Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché. Je dis donc que cela vous a été donné parce que vous avez la foi, mais aux autres cela n’a pas été donné.
1537. Mais ici il faut prendre garde à une erreur, car il semble que, par l’effort et les bonnes œuvres, nous puissions acquérir la gloire éternelle. Mais Paul dit : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? [1 Co 4, 7]. Ainsi, le désir, l’effort, la charité et la foi, tout cela vient de Dieu.
1538. C’EST POUR CELA QUE JE LEUR PARLE EN PARABOLES, etc. Ici, [le Seigneur] applique [la parabole] à ce qui est en cause. Et il fait deux choses : premièrement, il l’applique aux Juifs ; deuxièmement, aux apôtres, en cet endroit : QUANT À VOUS, HEUREUX SONT VOS YEUX PARCE QU’ILS VOIENT, etc. [13, 16].
1539. Et à propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il l’applique de manière à ce qu’il ne semble pas dire cela par l’effet de la haine ; deuxièmement, il apporte une autorité, en cet endroit : ET CE QUE DIT LE PROPHÈTE ISAÏE S’ACCOMPLIT EN EUX [13, 14].
1540. Remarquez qu’en donnant un avertissement en vue du salut, il manifeste son enseignement par ses actes. Ainsi, en Ac 1, 1 : Jésus commença à agir et à enseigner. Et Jn 15, 24 : Si je n’avais pas fait des œuvres que personne d’autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché. De même : Si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché. Ainsi, auparavant, il leur a parlé sans paraboles, mais maintenant, après avoir accompli des miracles, JE LEUR PARLE EN PARABOLES, PARCE QU’ILS VOIENT SANS VOIR. Ils voient les miracles, mais ne voient pas leur effet. Ou bien l’interprétation suivante : ILS VOIENT, à savoir, à l’extérieur, mais ne voient pas à l’intérieur. Is 43, 8 : Chasse le peuple aveugle, mais qui a des yeux, [le peuple] sourd, mais qui a des oreilles, etc. ET ILS ENTENDENT SANS ENTENDRE NI COMPRENDRE. Ils entendent les paroles par lesquelles ils devraient être incités au bien, et cependant ils n’entendent pas, c’est-à-dire qu’ils ne leur donnent pas suite. Ez 2, 7 : S’ils pouvaient écouter et s’apaiser. Et, chez le même, 33, 31 : [Mon peuple] écoute les paroles de sa bouche, mais il ne les met pas en pratique. Et qu’est-ce qu’ils ne voient pas ? ILS NE COMPRENNENT PAS. Ps 81[82], 5 : Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, ils marchent dans les ténèbres.
1541. Ensuite, [le Seigneur] apporte une autorité du prophète Isaïe : ET CE QUE DIT LE PROPHÈTE ISAÏE S’ACCOMPLIT EN EUX : «VOUS AUREZ BEAU ENTENDRE, VOUS NE COMPRENDREZ PAS, etc.», qui se trouve en Is 6, 9 ; mais là, cela est dit sous forme impérative, ici, sous forme d’annonce, en cet endroit : Écoutez, mais ne comprenez pas, regardez, mais ne voyez pas !
1542. Et [le Seigneur] aborde trois choses : premièrement, l’endurcissement des Juifs ; deuxièmement, sa cause ; troisièmement, l’effet de la cause. Le second point se trouve en cet endroit : EN EFFET, LE CŒUR DE CE PEUPLE S’EST ENDURCI [13, 15] ; le troisième, en cet endroit : DE PEUR QUE LEURS YEUX NE VOIENT, etc. [13, 15].
1543. Et parce qu’il avait parlé de deux choses, de l’audition et de la vue, il dit deux choses : VOUS ENTENDREZ, à savoir, d’une audition extérieure, VOUS ENTENDREZ l’enseignement du Christ, MAIS VOUS NE COMPRENDREZ PAS les mystères. Ps 35, 4 : Il n’a pas voulu comprendre afin de bien agir ; Os 4, 6 : Parce que tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai de mon sacerdoce. VOUS VERREZ, MAIS VOUS NE COMPRENDREZ PAS sa puissance. Nous avons tâté le mur comme des aveugles et nous avons avancé comme si nous n’avions pas d’yeux, etc., Is 49, 10.
1544. Vient ensuite la raison : LE CŒUR DE CE PEUPLE S’EST ENDURCI, etc. En effet, parce qu’il avait mentionné l’ouïe et que c’est le propre de l’esprit de comprendre, [il dit] : LE CŒUR DE CE PEUPLE, c’est-à-dire, [son] esprit, S’EST ENDURCI, c’est-à-dire, a été aveuglé. Pourquoi ? Parce que, de même que la pureté est nécessaire pour la vision corporelle, de même [en est-il] pour [la vision] spirituelle. Aussi l’intelligence est-elle appelée une puissance supérieure, parce qu’elle est tout à fait spirituelle. L’intelligence s’appesantit lorsqu’elle s’applique à des choses grossières et terrestres, mais lorsqu’elle s’abstrait, elle devient plus déliée, comme chez les apôtres. 2 Co 4, 18 : Alors que nous contemplons non pas les choses visibles, mais les invisibles. Ainsi, ceux-là ne considéraient que les choses terrestres. L’homme [en tant qu’il est] animal ne perçoit pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu, [comme le dit] l’Apôtre, 1 Co 2, 14. Dt 32, 1 : Endurci, engraissé, dispersé, il a abandonné Dieu, son créateur et s’est éloigné de Dieu, son sauveur. Il faut aussi savoir que lorsque l’homme entend des choses qui ne lui plaisent pas, il ne peut pas comprendre facilement. Ceux-là, donc, comprenaient mal, parce que les paroles [du Seigneur] ne leur plaisaient pas. C’est pourquoi il est dit : ILS SE SONT BOUCHÉ LES OREILLES. Jn 6, 61 : Cette parole est dure, et qui peut l’entendre ? ILS ONT FERMÉ LES YEUX, etc. Il arrive que quelqu’un ait des yeux et ne voie pas parce qu’il ferme les yeux ; il se met donc lui-même un obstacle. Mais certaines choses sont à ce point cachées qu’on ne peut les voir à moins de les regarder avec intensité. Mais si les choses se présentent d’elles-mêmes, comme un mur, un homme ne peut pas ne pas les voir à moins de se fermer les yeux. Ainsi, si le Seigneur n’avait pas ouvertement fait des miracles, il ne serait pas étonnant qu’ils ne croient pas ; mais il [en] a fait très ouvertement, de sorte que ceux-là devaient les connaître, à moins de se fermer les yeux. Dn 13, 9 : Ils ont détourné les yeux pour ne pas voir le ciel, etc. Il faut donc remarquer que, dans cet endurcissement, la cause directe est l’homme, mais que Dieu n’endurcit qu’en ne donnant pas la grâce. Dieu endurcit donc parce qu’Il ne donne pas la grâce, mais l’homme parce qu’il place un obstacle entre lui et la lumière. C’est pourquoi il leur est imputé d’avoir fermé les yeux.
1545. DE PEUR QUE LEURS YEUX NE VOIENT. Ici est présenté le dommage qu’ils encourent. On peut donc l’entendre de deux manières. De manière que l’expression DE PEUR se rapporte à tout ce qui suit et que le sens soit : ILS ONT FERMÉ LES YEUX DE PEUR QUE, etc., et, de cette manière, on comprend que c’est à cause de leur malice. En effet, certains pèchent par faiblesse, certains par exprès ou par une malice incontestable. Ainsi, en constatant [ces choses], ceux-là ont fermé les yeux pour ne pas comprendre. Leur malice est donc sous-entendue. [DE PEUR] QU’ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE, à savoir, s’ils se convertissent. Jr 3, 14 : Convertissez-vous, fils rebelles, etc. Et cette interprétation est celle de Chrysostome. Et trois choses sont présentées : [DE PEUR] QU’ILS NE VOIENT, QU’ILS N’ENTENDENT ET QUE LEURS CŒURS NE COMPRENNENT, et elles correspondent aux trois choses dites plus haut.
1546. Augustin l’interprète autrement en disant : DE CRAINTE QU’ILS NE VOIENT, puisqu’ils ne voient pas de leurs yeux, ET N’ENTENDENT DE LEURS OREILLES, ET NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE LES GUÉRISSE. Augustin dit donc que ces paroles pourraient avoir un double sens, car parfois DE CRAINTE est employé pour indiquer ce qui peut arriver, comme on le lit en 2 Tm 2, 25 : De crainte que Dieu ne leur donne de se repentir et de connaître la vérité. Mais parfois il est employé pour indiquer ce qui ne peut pas arriver, à savoir que cela n’arriverait que si nous supposions, etc.
1547. Et que signifie donc : [LEUR CŒUR] S’EST ENDURCI ? Augustin donne la solution qu’il arrive parfois que l’homme soit orgueilleux et que cela lui semble être très bon ; et le Seigneur permet qu’il tombe dans d’autres péchés pour le guérir de son orgueil. Tels sont les présomptueux, dont il est question en Rm 10, 3 : Ignorant la justice de Dieu et essayant d’affirmer la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu. Ainsi donc, parce que ceux-là étaient orgueilleux, j’ai donc permis qu’ils soient aveuglés, afin qu’ils voient et entendent, et que je les guérisse. Et cette interprétation est tirée du texte même de Mc 4, 12. Mais le texte de Jn 12, 40 va en sens contraire, car il dit en cet endroit : Ils ne pouvaient pas croire pour la raison que donne Isaïe : «Il a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs afin qu’ils ne voient pas et ne comprennent pas, et ne se convertissent pas afin que je les guérisse.» Ils n’ont donc pas été aveuglés afin qu’ils croient, mais afin qu’ils ne croient pas.
1548. Mais, selon Augustin, c’est là une question sérieuse qu’ils aient été aveuglés afin qu’ils ne croient pas. Cela ne peut donc leur être imputé. Augustin donne la solution : nous pouvons dire que le fait qu’ils aient été aveuglés, ils l’ont mérité par leurs péchés antérieurs. Rm 1, 21 : Leur cœur insensé s’est obscurci ; en effet, alors qu’ils se disaient sages, ils sont devenus insensés, puis suit : Pour cette raison, Dieu les a livrés, etc. Il les a donc endurcis à cause de leur péchés et Il a puni leurs oreilles, non pas en les endurcissant, mais en ne leur accordant pas la grâce à cause de leurs péchés. Et nous pouvons parler autrement, selon Augustin : LE CŒUR DE CE PEUPLE S’EST ENDURCI, de sorte qu’ils ne voient pas et ne se convertissent pas, à savoir, immédiatement, mais que, persistant [dans leur endurcissement], ils crucifient le Christ et, par la suite, voyant les miracles, se convertissent. Et Augustin dit qu’il semble que cette opinion soit forcée, si nous ne voyons pas qu’elle se réalise dans les faits. En effet, certains ne sont ramenés à l’humilité que s’ils tombent dans un péché gave ; c’est ce que le Seigneur leur a fait.
1549. MAIS VOUS, HEUREUX SONT VOS YEUX PARCE QU’ILS VOIENT, ET VOS OREILLES PARCE QU’ELLES ENTENDENT, etc. Plus haut, le Seigneur a montré la misère des Juifs qui regardaient sans voir ; ici, il montre le bonheur des apôtres qui voyaient et entendaient. Premièrement, il montre leur bonheur ; deuxièmement, il donne un signe, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. [13, 17].
1550. [Le Seigneur] dit donc que [les Juifs] regardaient sans voir, MAIS HEUREUX SONT VOS YEUX. Mais si cela se rapporte aux yeux et aux oreilles extérieurs, les yeux des Juifs sont dits heureux aussi bien que ceux des apôtres. C’est pourquoi Jérôme dit qu’il faut comprendre les deux genres d’yeux : extérieurs, avec lesquels tous voient, et [Jésus] ne parle pas de ceux-ci ; ou intérieurs, avec lesquels seuls les apôtres voyaient. Ep 1, 17 : Qu’Il vous donne l’esprit de sagesse et de révélation et des yeux du cœur éclairés par la connaissance. De même y a-t-il des oreilles extérieures et [des oreilles] intérieures, dont [il est dit] plus haut : Que celui qui a des oreilles entende ! [Mt 13, 9]. Is 1, 5 : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille, je ne m’opposerai pas, je ne retournerai pas en arrière. Il accorde le bonheur par la vision, parce que cette béatitude en cours de route ne consiste que dans la participation à la béatitude éternelle, qui consiste dans la vision : en effet, la gloire de l’homme est dans la vision de Dieu. Jr 9, 23 : Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse ; puis vient ensuite : Mais que celui qui se glorifie se glorifie d’avoir de l’intelligence et de me connaître.
1551. Ensuite,
[le Seigneur] donne un signe : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. Augustin
dit : «Bienheureux celui qui possède tout ce qu’il veut. Sont donc
bienheureux ceux à qui est donné tout ce que les anciens voulaient, à savoir,
les prophètes et les justes.» En effet, quiconque est juste est roi, comme on lit
en Pr 20, 8 : Le roi qui
siège sur son trône fait disparaître tout mal. Et cela, parce QU’ILS ONT
DÉSIRÉ VOIR CE QUE vous avez déjà reçu : une certaine participation à la
béatitude. Mais que veut-il dire lorsqu’il dit : ET ILS NE L’ONT PAS
VU ? Ne lit-on pas en Jn 8, 56 : Abraham a désiré voir mon jour ; il l’a vu et s’est réjoui ?
De même, en Is 6, 1 : Il
vit le Seigneur assis sur un trône haut et élevé. Et le même, lorsqu’il
parle de la passion, 53, 2 : Nous
l’avons vu et il n’avait pas l’aspect…Une solution est que certains ont vu
et d’autres, non. Mais, comme le dit Jérôme, il est dangereux de dire cela.
Autre interprétation : ils ont vu, mais pas aussi clairement.
Ep 3, 5 : Ce qui n’a pas
été connu des fils des hommes au cours des autres générations, comme cela a
maintenant été révélé aux saints apôtres. Ou bien, autre
interprétation : [il faut] mettre tout en rapport avec la vision et
l’audition de la présence corporelle, car les justes avaient désiré le voir
dans la chair. On en a un exemple dans Siméon, Lc 2, 10. Ainsi,
HEUREUX SONT VOS YEUX QUI VOIENT, etc. Et les Juifs n’ont-ils pas vu ? Je
dis à leur sujet qu’ils ne voient pas, parce qu’ils ne voient que l’extérieur.
Mais on lit le contraire en Jn 20, 29, où il est dit : Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont
cru. Il faut dire qu’il y a la béatitude effective, qui s’obtient par la
participation, et la béatitude de l’espérance, qui s’obtient par le mérite.
Ainsi, bienheureux de la béatitude de l’espérance ou du mérite sont ceux qui
n’ont pas vu, et bienheureux de la béatitude effective ou par participation
ceux qui voient ! C’est ainsi qu’il est dit d’Abraham,
Jn 8, 56 : Il s’est réjoui
de voir mon jour ; il l’a vu et s’est réjoui.
1552. ÉCOUTEZ DONC, VOUS, LA PARABOLE DU SEMEUR, etc. Ici est présentée l’explication. Premièrement, [le Seigneur] conclut sur le fait qu’ils étaient dignes ; deuxièmement, il explique.
1553. Il
dit donc : «ÉCOUTEZ DONC, etc., car vous, vous êtes dignes d’entendre, et
non seulement d’entendre, mais de l’entendre de moi.» Pr 1, 5 : Celui qui écoute avec sagesse deviendra plus
sage.
1555. CELUI QUI ENTEND LA PAROLE DU ROYAUME, etc. Ici, [le Seigneur] explique. Et parce qu’il avait mentionné une double terre, il explique d’abord ce qu’il avait dit de la mauvaise terre et, en second lieu, de la bonne terre, en cet endroit : ET CELUI QUI A ÉTÉ SEMÉ DANS LA BONNE TERRE, etc. [13, 23]. De même, il avait précisé trois différences pour la mauvaise terre, car [des grains] sont tombés en dehors du chemin, certains [dans une terre] épineuse. Et il explique cela. Pour le comprendre, vous devez savoir qu’écouter la parole de Dieu ne doit avoir qu’un seul effet : qu’elle pénètre le cœur. Ainsi : Bienheureux celui qui médite sur la loi du Seigneur nuit et jour, Ps 1, 2. Ailleurs : J’ai caché tes paroles dans mon cœur afin de ne pas pécher contre toi. De même, un autre effet est qu’elle soit mise en pratique.
1556. Effectivement, chez certains, le premier effet est empêché, chez d’autres, le second. Le premier est présenté. Il faut savoir que le texte comporte une inversion et doit se comprendre ainsi : QUICONQUE ENTEND LA PAROLE DU ROYAUME SANS LA COMPRENDRE, ARRIVE LE MAUVAIS QUI S’EMPARE DE CE QUI A ÉTÉ SEMÉ DANS SON CŒUR. C’est là CELUI QUI A ÉTÉ SEMÉ AU BORD DU CHEMIN. Et pourquoi n’a-t-il pas compris ? Parce qu’UN HOMME MAUVAIS EST VENU, etc. Ainsi, QUICONQUE ENTEND LA PAROLE DU ROYAUME, c’est-à-dire, du Christ prêchant le royaume des cieux, car le Christ n’a annoncé que le royaume de Dieu. En effet, Moïse avait annoncé un royaume terrestre. Ainsi, Pierre [dit-il] en Jn 6, 69 : Seigneur, vers qui irions-nous ? Tu possèdes les paroles de la vie éternelle. Certains, comme les infidèles, n’entendent pas. Is 65, 12 : J’ai parlé, et vous n’avez pas écouté, etc. Certains entendent : Bienheureux ceux qui entendent la parole de Dieu, Lc 11, 28. MAIS IL N’A PAS ENTENDU. La Glose [dit] : «Parce qu’il a entendu sans y mettre son cœur ; il ne l’a donc pas gardée dans son cœur». Ps 35, 4 : Il n’a pas voulu entendre afin de bien agir. Et que lui arrivera-t-il ? Il est enlevé par les voleurs, parce que son esprit est retenu par des pensées, et il est ainsi enlevé. C’est ce qu’il veut dire lorsqu’il dit : VIENT LE MAUVAIS, à savoir, le Diable, car il est mauvais non par nature, mais par sa perversité. ET IL ENLÈVE, à savoir, de manière occulte, en séduisant et en suscitant une pensée vaine, CE QUI A ÉTÉ SEMÉ DANS SON CŒUR, c’est-à-dire, le grain. TEL EST CELUI QUI A ÉTÉ SEMÉ AU BORD DU CHEMIN. Être semé désigne parfois ce qui est semé, et parfois le champ qui est ensemencé. Ainsi, lorsqu’il dit : CE QUI A ÉTÉ SEMÉ, on l’entend de la semence ; mais lorsqu’il dit : CELUI QUI A ÉTÉ SEMÉ, on entend du champ. En effet, l’homme est appelé champ, champ dont il est question en Pr 24, 27 : Occupe-toi avec soin de ton champ, etc. Et comment [est-il semé] au bord du chemin ? Parce qu’il n’est pas protégé, contrairement à ce que dit Pr 4, 23 : Garde ton cœur avec grand soin, car la vie vient de lui. On dit donc qu’un homme est ensemencé en dehors de la route parce qu’il a accueilli la parole, mais ne l’a pas gardée.
1557. Le second effet est de mettre [la parole] en pratique ; ainsi Jc 1, 22 : Mettez la parole en pratique, et n’en soyez pas seulement les auditeurs. Or, cet effet est empêché à la fois par la prospérité et l’adversité. De l’empêchement par la prospérité, [le Seigneur] dit : CELUI QUI A ÉTÉ SEMÉ SUR LES ENDROITS ROCAILLEUX, etc. Il présente donc le principe du bien ; en deuxième lieu, l’occasion de mal, en cet endroit : MAIS ILS N’ONT PAS DE RACINE [13, 21] ; en troisième lieu, le mal, en cet endroit : SURVIENNE UNE TRIBULATION, etc. [13, 21].
1558. La pierre est le cœur mauvais en cela que la parole ne peut le pénétrer, comme UNE TERRE ROCAILLEUSE, sur laquelle il n’y a pas beaucoup de terre. Ainsi, certains présentent un cœur impénétrable. Celui-ci est dit pénétrable lorsqu’il ne place rien au-dessus de la parole, de sorte qu’il ait la parole comme racine principale. Ainsi, Ez 11, 19 : J’enlèverai votre cœur de pierre, etc.
1559. IL ENTEND LA PAROLE ET L’ACCUEILLE AUSSITÔT AVEC JOIE ; c’est pourquoi il se délecte de la justice et est disposé au bien. Ga 3, 5 : Celui qui vous a donné l’Esprit Saint suscite en vous les vertus.
1560. Et ainsi, celui-là se délecte, mais IL NE PEUT ÊTRE BIEN ÉTABLI, PUISQU’IL N’A PAS DE RACINE, car il est semé sur la pierre. En effet, la racine est la charité. Ep 3, 17 : Enracinés et fondés dans la charité, etc. IL EST L’HOMME D’UN MOMENT, et il se réjouit pendant un moment. Si 6, 10 : L’ami partage la table, mais il ne sera pas là quand on aura besoin de lui. Cela est l’occasion : le fait qu’il n’ait pas de racine. Et comment cela se fait-il ? Parce qu’il est mal établi. [Le Seigneur] dit donc : SURVIENNE UNE TRIBULATION OU UNE PERSÉCUTION À CAUSE DE LA PAROLE, etc., comme lorsqu’il y en a qui s’opposent à la foi, ainsi que les tribulations intérieures et extérieures qui surgissent à cause de l’enseignement de la foi ou à cause de la foi, AUSSITÔT ILS TRÉBUCHENT, car ils s’éloignent de la foi. Ps 108[109], 165 : Une grande paix pour ceux qui aiment ta loi, et il n’y a pas d’occasion de chute pour eux. Celui qui persévère est un ami. Et [le Seigneur] dit : AUSSITÔT, car, même s’ils ont la charité, ils pourraient trébucher en raison de nombreuses tribulations. Mais lorsque quelqu’un trébuche aussitôt à l’occasion d’une petite tribulation, il n’est pas enraciné dans la charité ainsi, 1 Co 10, 13 : Dieu est fidèle et il ne permet pas qu’un homme soit tenté au-delà de ses forces, mais il donnera avec la tentation le moyen d’y faire face. Et He 12, 4 : Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang. Selon Jérôme, [il est dit] AUSSITÔT, car il y a un écart entre celui-ci et l’autre.
1561. Ici
est présenté un empêchement à bien fructifier, qui vient parfois de la
prospérité, et parfois de l’adversité. [Le Seigneur] dit donc : CELUI QUI
A ÉTÉ SEMÉ DANS LES ÉPINES, C’EST CELUI QUI ENTEND LA PAROLE DE DIEU. Ces
épines sont les soucis de ce temps. en effet, de même que les épines piquent et
ne laissent pas de repos à un homme, de même en est-il de ces soucis. Ainsi
donc, ne semez pas dans les épines. LES SOUCIS DE CE TEMPS ET LA SÉDUCTION DES
RICHESSES ÉTOUFFENT LA PAROLE. LES SOUCIS, pour ce qui est de l’avenir, LA
SÉDUCTION DES RICHESSES, pour ce qui est du présent. Ainsi lorsque les
richesses abondent, elles sont trompeuses. 1 Tm 6, 17 : Il ne faut pas donner beaucoup de valeur aux
richesses de ce temps ni mettre son espérance dans des richesses incertaines. De
même, lorsqu’elles sont désirées, elles ne réussissent pas à satisfaire, parce
qu’elles ne comblent pas. De même, elles provoquent l’inquiétude. C’est
pourquoi le Seigneur les interdit à ses apôtres : Ne vous préoccupez pas de ce que vous mangerez ni de ce que vous
boirez, plus haut, 6, 31. ÉTOUFFENT LA PAROLE. Plus haut, il a dit
qu’elle se dessèche ; ici, [il dit] qu’ELLE EST ÉTOUFFÉE. En effet, vous
savez qu’une chandelle peut s’éteindre soit par le manque d’humidité, et alors
elle se dessèche, soit par l’excès [d’humidité], et alors elle est étouffée. De
même la vie naturelle, qui est fondée sur le chaud et l’humide, peut-elle
dépérir en raison de l’abondance ou du manque d’humidité. De la même façon, les
tribulations enlèvent parfois l’humidité de la consolation présente, et alors
[la parole] est rendue instable et se dessèche ; et parfois elles
l’augmentent, et alors [la parole] est étouffée. C’est la raison pour laquelle
la semence ne donne pas de fruit. [Le Seigneur] dit donc : ET ELLE DEMEURE
SANS FRUIT. Rm 6, 21 : Quel
fruit avez-vous donc porté de ce dont vous rougissez maintenant ? Vient
ensuite : Devenus serviteurs de
Dieu, vous portez du fruit par la sanctification. Ep 5, 9 : En effet, les fruits de la lumière sont
toutes les formes de bonté, de justice et de vérité.
1562. MAIS CELUI QUI A ÉTÉ SEMÉ DANS LA BONNE TERRE, etc. Après avoir expliqué la triple différence pour ce qui du mal, [le Seigneur] continue pour ce qui est du bien. Il fait une distinction selon trois effets : premièrement, [celui-là] ENTEND, bien plus, IL COMPREND ; de même, IL PORTE DU FRUIT ET PRODUIT TANTÔT CENT, TANTÔT SOIXANTE, TANTÔT TRENTE. L’explication est la même que ci-dessus. Il faut cependant savoir qu’Augustin, La cité de Dieu, II, c. 23, présente l’interprétation de certains qui voulaient donner l’interprétation suivante : «Le jour où le Seigneur viendra pour le jugement, beaucoup de saints prieront pour beaucoup ; et il leur en sera accordé d’autant plus qu’ils seront meilleurs. Ainsi, à certains [saints], il en sera donné trente, à d’autres soixante et à d’autres cent.» Mais cela va contre la foi : en effet, les péchés mortels ne seront pas remis, car ils ne peuvent être remis sans la charité. De sorte que les [péchés] mortels sont contraires à la charité, et les véniels ne le sont pas. C’est pourquoi, etc.
1563. Plus haut, [le Seigneur] a présenté une parabole, dans laquelle les obstacles à l’enseignement évangélique venus de l’extérieur étaient montrés. Ici, est présentée une autre parabole, dans laquelle sont présentés les obstacles à l’écoute de l’enseignement qui viennent de l’intérieur, car, dans cette [parabole], sont présentées les choses dont les esprits ont coutume de se préoccuper. [Le Seigneur] traite donc d’abord de l’origine du bien et du mal ; deuxièmement, de [leur] évolution ; troisièmement, de [leur] aboutissement. Le second point se trouve en cet endroit : QUAND LE BLÉ EST MONTÉ EN HERBE, etc. [13, 26] ; le troisième, en cet endroit : AU MOMENT DE LA MOISSON, JE DIRAI AUX MOISSONNEURS, etc. [13, 30].
1564. [Le Seigneur traite] donc d’abord de l’origine du bien ; deuxièmement, [de l’origine] du mal, en cet endroit : PENDANT QUE LES GENS DORMAIENT, etc. [13, 25]
1565. [Matthieu] dit donc : IL LEUR PROPOSA UNE AUTRE PARABOLE. Et à qui ? À eux. Je dis : non pas aux seuls apôtres, mais aussi aux foules. Ainsi, après avoir donné ses explications aux apôtres, [Jésus] se tourna vers les foules. UNE AUTRE [PARABOLE], une deuxième, car [le Seigneur] n’a pas proposé seulement deux paraboles, mais plusieurs. On parle de deuxième lorsqu’il s’agit d’une de deux choses. Il en a présenté plusieurs afin de venir au secours de plusieurs dispositions. En effet, certains sont touchés par l’une, d’autres par une autre.
1566. LE ROYAUME DES CIEUX RESSEMBLE À UN HOMME QUI A SEMÉ DU BON GRAIN DANS SON CHAMP. Dans un royaume, il y a un roi et ceux qui sont gouvernés, et ceux-ci sont les hommes célestes, qui sont devenus semblables aux anges. Ps 90[91], 11 : Il a ordonné à ses anges de te protéger dans toutes tes démarches, etc. À UN HOMME QUI A SEMÉ DU BON GRAIN.
1567. Trois paraboles portant sur la semence sont présentées à la file. La première, au sujet du grain qui est semé ; la deuxième, au sujet du grain qui est emporté ; la troisième, au sujet du grain qui est multiplié. Selon l’intention du texte, le grain est considéré d’une manière différente que plus haut. En effet, le grain est celui qui est semé dans l’homme, et c’est la parole de Dieu, comme on lit en Lc 22. Ici, il est pris pour l’homme lui-même, dans lequel il est semé. Et cela est clair, car, plus loin, [le Seigneur] dit que le grain, ce sont les fils du royaume ; il ne faut donc pas en donner une autre explication que celle que le Seigneur a donnée. Et il dit : GRAIN, car de même que le grain est le principe de la dissémination, de même les hommes bons sont le fondement de toute la foi. C’est ainsi que l’Église s’est multipliée à partir des apôtres. Ainsi, en Is 1, 9 : Si le Seigneur ne nous avait laissé une semence, nous serions devenus comme Sodome. Et cette semence fut une bonne semence, dont il est question en Is 6, 13 : Il y aura une sainte semence qui subsistera en elle. Le Christ l’a semée, et où ? DANS SON CHAMP, c’est-à-dire, dans le monde. En effet, le monde est appelé un champ, dans lequel il y a des bons et des méchants, et que le Seigneur a établi par la création Jn 1, 10 : Le monde a été fait par lui. Et Ps 49[50], 11 : La beauté de mon champ m’accompagne.
1568. PENDANT QUE LES GENS DORMAIENT, etc. Après avoir traité de l’origine du bien, il traite ici de l’origine du mal. Et d’abord, il présente l’occasion du mal qui est fait ; deuxièmement, l’ordre [dans lequel il est fait].
1569. En premier lieu, une double occasion est présentée : l’une, du point de vue des gardiens ; l’autre, du point de vue du semeur.
1570. Du point de vue des gardiens, il dit : PENDANT QUE LES GENS DORMAIENT, etc., c’est-à-dire les responsables du genre humain, qui ont été établis pour surveiller, DORMAIENT, à savoir, du sommeil de la mort. Les saints apôtres savaient que des hérétiques se mêleraient au blé dans l’Église ; ainsi, Paul [dit] : Je sais qu’après mon départ, des loups rapaces s’en prendront à vous et n’épargneront pas le troupeau [Mt 7, 15].
1571. Ensuite, une autre occasion est présentée. Il dit ainsi : SON ENNEMI EST VENU, etc., à savoir, le Diable. Ps 73[74], 23 : L’orgueil de ceux qui te haïssent augmente sans cesse. De ceux qui te haïssent, c’est-à-dire, des démons. Mais cette inimitié vient de la perversité de [leur] volonté.
1572. Mais une question se pose. Est-il vrai qu’un être hait Dieu ? Il faut dire que l’amour ne porte que sur une chose connue. Or, Dieu peut être connu de deux manières : en lui-même, ou dans ses effets. [S’il est connu] en lui-même, il est impossible qu’il ne soit pas aimé : en effet, tout ce qui est aimé est aimé sous l’aspect du bien. Comme Il est la bonté première, il ne peut être haï. [S’Il est connu] dans ses effets, il n’est pas impossible [qu’il ne soit pas aimé]. En effet, les démons, dans la mesure où ils sont, aiment celui par qui ils sont ; mais certains effets leur déplaisent, à savoir qu’ils soient punis contre leur volonté, qu’ils ne puissent pas punir les hommes à leur volonté, et des choses semblables.
1573. Ensuite, l’ordre est abordé : [SON ENNEMI] A SEMÉ DE L’IVRAIE. Tous les mots ont beaucoup de sens. Voyons donc ce qui est semé et dans quel ordre. Ce qui est semé, c’est ce qu’on appelle de l’ivraie, qui ressemble au blé. Qu’est-ce qui est signifié par l’ivraie ? Les mauvais fils et tous ceux qui aiment l’iniquité, en particulier, les hérétiques. Il y a trois genres de méchants : les mauvais catholiques, les schismatiques et les hérétiques. Les mauvais catholiques sont signifiés par la paille, dont il a été question plus haut, 3, 12 : La paille sera consumée par le feu. Les schismatiques [sont signifiés] par les épis, et les hérétiques, par l’ivraie. Ils sont donc semés dans le champ, c’est-à-dire, dans ce monde. De même, l’ivraie ressemble au blé, de sorte que ceux-ci présentent l’aspect du bien, comme [on lit] en 1 Tm 1, 7 : Ils veulent être des docteurs de la loi, et ils ne comprennent pas ce dont ils parlent, ni ce qu’ils affirment. Et il faut remarquer que, plus haut, il a été dit : IL A SEMÉ, et ici, on ne le dit pas, car ils ont été catholiques avant d’être hérétiques. En effet, le Diable, voyant l’Église s’étendre, en a conçu de l’envie ; il a semé un agent de corruption et a poussé le cœur des hérétiques à nuire. Ainsi [dit-on] que les hérétiques étaient parmi nous, comme on lit dans la première lettre canonique de Jn 2, 19 : Mais ils ne faisaient pas partie de nous, parce que, s’ils avaient fait partie de nous, ils seraient restés avec nous. [Le Seigneur] dit aussi : AU MILIEU DU BLÉ. Le Diable n’a cure que certains soient hérétiques au milieu des païens, parce qu’il les possède tous, mais [il se préoccupe qu’ils soient] au milieu du blé et du peuple fidèle. Et c’est ce que dit Jb 4, 18 : Et il trouve de la méchanceté chez ses anges. Et Augustin dit qu’«aucune société n’est si bonne que ne s’y trouve quelque dépravé». Ainsi, dans la société des apôtres, il y eut un dépravé, Judas. [Le Seigneur] dit aussi : ET IL S’EN EST ALLÉ, c’est-à-dire qu’il s’est fait secret. En effet, lorsqu’il incite, il n’obtient pas toujours une coopération, car s’il réussissait tout à sa volonté, il pourrait facilement être identifié. C’est pourquoi il renonce parfois à sa malice Ps 9, 9 : Il se met en embuscade en secret, comme un lion dans sa caverne.
1574. Ensuite, il est question de l’évolution du bien et du mal. QUAND LE BLÉ A POUSSÉ. Et afin que vous saisissiez, trois choses sont abordées : premièrement, la manifestation des bons par opposition aux méchants est présentée ; deuxièmement, le zèle des bons contre les méchants ; troisièmement, la tolérance.
1575. [Le
Seigneur] dit donc : QUAND LE BLÉ A POUSSÉ, PUIS A PRODUIT DES ÉPIS, ALORS
L’IVRAIE EST APPARUE AUSSI, etc. En effet, lorsqu’on a semé au départ, elle
n’était pas apparue, mais lorsque [le blé] a poussé. Et cela peut se rapporter
aux deux : au blé et à l’ivraie. Augustin l’interprète du blé :
lorsque l’homme est petit, il ne peut discerner ; mais lorsqu’il grandit,
produit du fruit et devient spirituel, alors il connaît.
1 Co 2, 15 : L’homme
spirituel discerne toutes choses. Chrysostome l’interprète de
l’ivraie : en premier, elle n’apparaît pas, parce que les hérétiques
cachent au départ leur connaissance ; ils disent d’abord de bonnes choses
et prêchent aux laïcs, puis ils insinuent des choses mauvaises à propos des
clercs, qui sont volontiers écoutées ; et ainsi ils détournent le peuple
de l’amour des clercs et, par la suite, de l’Église. Mais, par la suite, lorsqu’on
a accueilli leur enseignement, ils révèlent leur malice. En effet, au départ,
ils ne disent que des choses de peu d’importance, mais, par après, ils se
révèlent ainsi que leur enseignement, qui sont représentés par le vin. Il est
question de ce vin en Pr 23, 31 : Il entre sournoisement, mais il mordra par derrière comme un serpent.
1576. S’APPROCHANT, LES SERVITEURS DU PROPRIÉTAIRE, etc. Ici, le zèle des bons contre les méchants est présenté. Premièrement, ils s’enquièrent de l’origine du mal ; deuxièmement, ils sont poussés par le zèle à extirper les maux, en cet endroit : LES SERVITEURS LUI DIRENT, etc. [13, 28].
1577. Premièrement, il faut voir qui sont ces serviteurs. Plus loin, [le Seigneur] parle des moissonneurs ; mais ceux-ci ne sont pas les serviteurs, mais les anges. [Les serviteurs] sont les hommes bons, et cela n’est pas inapproprié, puisque le Seigneur est appelé à la fois la porte et le portier. LES SERVITEURS S’APPROCHANT, par la foi. Ps 33[34], 6 : Approchez-vous de lui et vous serez illuminés. DIRENT : «MAÎTRE, N’EST-CE PAS DU BON GRAIN QUE TU AS SEMÉ DANS TON CHAMP ?» Les apôtres n’ont-ils pas semé la bonne doctrine ? En effet, le Seigneur vit tout ce qu’il avait fait, et c’était très bon, Gn 1, 31. D’OÙ VIENT DONC QU’IL S’Y TROUVE DE L’IVRAIE ? Une question semblable se trouve dans Jr 2, 21 : J’ai planté ma vigne préférée : comment est-elle devenue imbuvable, une vigne étrangère ?
1578. Le Seigneur leur répond : IL LEUR DIT : «C’EST UN ENNEMI QUI A FAIT CELA.» Et remarquez que cela ne vient pas de la première origine, mais de ce qui se trouve chez les hommes par l’intervention du Diable. Sg 2, 24 : La mort a fait son entrée sur terre par l’envie du Diable. On dit qu’un homme est un diable pour avoir manqué à la divinité. Ps 9, 20 : Lève-toi, Seigneur, et que l’homme ne soit pas encouragé. Ici, l’homme est appelé UN ENNEMI en raison d’une malice consommée. Gn 3, 15 : Je mettrai une inimitié entre toi et lui.
1579. LES SERVITEURS LUI DIRENT. Il est dit ici que les serviteurs sont poussés par zèle à extirper le mal : VEUX-TU QUE NOUS ALLIONS LA RAMASSER ? Ici, on dit d’eux deux choses louables : ils sont poussés à détruire le mal, 1 Co 5, 13 : Enlevez le mal parmi vous ; l’autre chose louable est qu’ils ne veulent pas le faire de leur propre initiative, mais sur l’ordre du Seigneur. Ainsi Tb 4, 20 : Bénissez Dieu en tout temps, et que tes pensées portent toujours sur lui.
1580. ET IL LEUR DIT. Il faut remarquer que c’est la troisième fois qu’il parle de supporter le mal. À ce propos, on lit dans Qo 8, 1 : Parce qu’un jugement n’est pas immédiatement porté contre les méchants, les fils des hommes s’adonnent sans crainte au mal. Premièrement, il met son objectif en lumière ; deuxièmement, il en donne la raison ; troisièmement, il présente le moment jusqu’où il supportera, car il ne supportera pas toujours.
1581. [Le Seigneur] dit donc : «NON, c’est-à-dire, je ne veux pas que vous la ramassiez tout de suite.» 2 P 3 9 : Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de sa promesse, mais il attend avec patience. DE CRAINTE : ici, il donne la raison. Dès le départ, vous devez remarquer que le bien est grand et l’emporte sur le mal, car le bien peut exister sans le mal, mais le mal [ne peut exister] sans le bien. C’est pourquoi le Seigneur supporte beaucoup de maux afin qu’arrivent ou même ne disparaissent pas beaucoup de biens. Il dit donc : DE CRAINTE QU’EN ARRACHANT L’IVRAIE, c’est-à-dire les méchants ou les hérétiques, etc., VOUS N’ARRACHIEZ AUSSI LE BLÉ.
1582. C’est pour quatre raisons qu’il arrive que les méchants ne doivent pas être arrachés au profit des bons. Une raison est que les bons sont mis à l’épreuve par les méchants. 1 Co 11, 19 : Il importe qu’il y ait des hérésies afin que ceux qui ont été mis à l’épreuve se mettent en évidence parmi vous. Pr 9, 29 : Celui qui est insensé sera au service du sage. S’il n’y avait pas eu d’hérétiques, la science des saints ne se serait pas illustrée, [celle] d’Augustin et d’autres. Ainsi, celui qui voudrait déraciner les méchants déracinerait aussi beaucoup de choses bonnes.
1583. Il arrive de même que quelqu’un qui est mauvais maintenant devienne bon par la suite, comme Paul. Si Paul avait été tué, l’enseignement d’un si grand maître nous ferait donc défaut, ce qu’à Dieu ne plaise. Si tu veux donc déraciner, tu déracineras en même temps le blé, à savoir celui qui sera le blé. Ps 67[68], 23 : Le Seigneur a dit : «Je fais revenir de Basan, je fais revenir du fond de la mer.»
1584. La troisième raison est que certains semblent mauvais et ne le sont pas. C’est pourquoi, si tu voulais arracher les mauvais, tu arracherais en même temps plusieurs qui sont bons. Et cela est montré par le fait que Dieu n’a pas voulu qu’ils soient ramassés avant qu’ils ne soient parvenus à maturité. 1 Co 4, 5 : Ne jugez pas avant le temps.
1585. La quatrième raison est que parfois quelqu’un possède une grande puissance ; s’il est écarté, il en entraîne donc plusieurs avec lui, et ainsi plusieurs périssent avec ce méchant. C’est pourquoi une communauté n’est pas excommuniée ni le dirigeant d’une peuple, afin d’éviter que plusieurs ne tombent à cause d’un seul. C’est de cela que parle ce qui est dit en Ap 12, 4, que le dragon a entraîné le tiers des étoiles avec lui, etc. Et Gn 18, 25 : Loin de toi que tu fasses cela et que tu tues le juste en même temps que l’impie.
1586. Mais
est-ce qu’ils seront toujours épargnés ? Non, mais pendant un certain
temps. [Le Seigneur] dit ainsi : LAISSEZ L’UN ET L’AUTRE CROÎTRE ENSEMBLE
JUSQU’À LA MOISSON, etc. On trouve une position semblable dans
Ap 22, 11 : Celui qui
nuit, qu’il nuise encore ; celui qui est sale, qu’il se souille encore.
1587. LAISSEZ L’UN ET L’AUTRE CROÎTRE ENSEMBLE JUSQU’À LA MOISSON. Il y a une objection contre cette position, car il est dit en Is 1, 16 : Supprimez le mal de vos pensées, etc. De même, 1 Co 5, 7 : Purifiez-vous du vieux ferment pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes, etc. Pourquoi donc dit-il : LAISSEZ, etc. ? Chrysostome dit qu’il parle de la mise à mort. Les hérétiques ne doivent donc pas être tués, car beaucoup de maux sortiraient de cela. Augustin dit, dans une lettre, qu’il lui était apparu à un certain moment qu’ils ne devaient pas être tués ; mais, à l’expérience, il avait appris que beaucoup étaient convertis par la violence. En effet, le Seigneur en attire beaucoup d’une manière violente, comme il a attiré Paul. De sorte que celui-ci, converti par la force, a produit plus de fruits que tous ceux qui ont cru volontairement. Et Augustin a traité de cette opinion ou question. Ainsi, selon l’opinion de Chrysostome, si [tuer les hérétiques] ne peut être fait sans danger, cela ne doit pas être fait, mais seulement là où on craint un plus grand danger. Et cela est clair en l’appliquant à tous, car, même s’ils sont mauvais, ils sont utiles pour la mise à l’épreuve [des bons]. Cependant, il faut craindre davantage que l’enseignement évangélique ne s’éteigne chez les autres par la faute [des hérétiques]. En conséquence, etc. De même, certains qui sont maintenant mauvais deviennent bons par la suite. Il est vrai qu’ils ne doivent pas être tués immédiatement, mais, comme on le lit dans Tt 3, 10 : Évite l’hérétique après un premier et un deuxième avertissement. À ce qui est objecté en troisième lieu, à savoir que plusieurs semblent mauvais qui sont bons, cela est vrai, si [on les tuait] sans discrimination, comme on le lit en 1 Tm 4. De même, à propos de ce qui a été dit, à savoir que le dirigeant d’un peuple ne doit pas être excommunié, si tu vois qu’il y a un plus grand scandale à ce qu’il soit excommunié que dans le fait qu’il pèche, il ne doit pas être excommunié ; mais s’il avait fait quelque chose qui était dangereux pour la foi, il doit sans aucun doute être excommunié, quel que soit le dommage qui en sorte.
1588. ET AU MOMENT DE LA MOISSON, JE DIRAI AUX MOISSONNEURS, etc. Plus haut, le Seigneur a exposé sous forme de parabole l’origine du bien et du mal, et l’évolution des deux ; ici, il est question de la ressemblance entre les deux. Premièrement, le moment de la fin est présenté ; deuxièmement, les serviteurs ; troisièmement, le mode et l’ordre selon lesquels chaque élément est ordonné à la fin.
1589. Le temps est abordé lorsqu’il est dit : AU MOMENT DE LA MOISSON, etc. Le temps de la moisson est le temps de la cueillette des fruits qui sont attendus des semences. Or, il y a une double cueillette : l’une dans l’Église présente, l’autre dans [l’Église] céleste. Il y a donc une double moisson : une certaine cueillette des fruits dans le présent, dont il est question en Jn 4, 35 : Levez les yeux, et voyez les champs, car ils sont blancs pour la moisson. Il y aura aussi un temps pour la moisson dans l’Église triomphante. Ainsi, il est dit, plus loin, chez le même, que [le moment de] la moisson est la fin du temps. Elle est donc reportée jusqu’à ce moment.
1590. Qui
sont les serviteurs ? Les moissonneurs. Ainsi : JE DIRAI AUX
MOISSONNEURS. Les moissonneurs de la première moisson furent les apôtres. En
effet, ce sont eux qui ont cueilli et converti le monde entier, dont on dit en Jn 4, 38 :
Je vous ai envoyés cueillir ce que vous
n’avez pas semé. Dans la seconde moisson, les serviteurs sont les anges.
Dans Ap 14, 15, il est dit à un ange : Sors ta faux et moissonne, car l’heure est venue de moissonner, car la
moisson de la terre s’est desséchée, etc. Ce que l’on croit survenir par
l’intermédiaire de Dieu, il faut croire que cela arrive par le ministère des
anges. Il est ainsi dit des anges, Ps 102[103], 21 : Vous, ses serviteurs, qui faites sa volonté.
1591. Mais voyons l’ordre et le mode selon lequels la fin est atteinte, et quelle fin. Et d’abord, pour ce qui est des mauvais ; deuxièmement, pour ce qui est des bons.
1592. À propos des mauvais, il faut savoir qu’ils sont d’abord cueillis ; deuxièmement, qu’ils sont attachés ; troisièmement, qu’ils sont brûlés.
1593. En
premier lieu, il y a d’abord la séparation des bons et des méchants. Aussi
longtemps que dure le temps présent, l’ivraie est mêlée au blé, les lis aux
épines, comme on lit dans Ct 2, 2, et plus loin,
[Mt] 25, 31 : Lorsque
viendra le Fils de l’homme, il séparera les bons des méchants, les boucs des
agneaux. [Le Seigneur] dit donc : RAMASSEZ D’ABORD L’IVRAIE, etc.
Maintenant, les biens et les maux arrivent presque sans discrimination aux bons
et aux méchants. C’est ce qui est dit en Qo 9, 3, que le pire de tout
ce qui arrive sous le ciel, c’est que les mêmes choses arrivent à tous. Mais,
alors, les biens seront donnés aux bons, et les maux aux méchants. Afin donc
qu’ils ne soient mêlés, il faut qu’ils soient séparés et attachés. Ainsi :
ET ATTACHEZ-LES. Par le fait de lier, le caractère perpétuel de la peine est
signifié. Ps 149[150], 8 : Pour
attacher leurs rois dans les fers, etc. ; plus loin,
22, 13 : Après lui avoir lié
les mains et les pieds, jetez-le dans les ténèbres extérieures, ce qui
signifie l’impénitence et le caractère irrévocable de la peine éternelle. EN
BOTTES. Tous seront séparés de la vision de Dieu : la peine du dam sera
égale pour tous ; ils seront donc mis en bottes, comme on lit en
Lv 13, où on enseigne à distinguer sangs et
lèpres [Lv 13, 47s]. Et en Is 27, 8 : Mesure contre mesure. Et pourquoi ?
POUR LES BRÛLER, c’est-à-dire qu’ils seront jetés au feu éternel. On parle de
celui-ci en Lc 16, 24 : Je
souffre dans ce feu.
1594. Ensuite, lorsqu’il est dit : MAIS AMASSEZ LE BLÉ DANS MON GRENIER, la fin des bons est présentée et, en sens inverse, trois choses sont présentées : la pureté, l’unité et la tranquillité. La pureté, lorsqu’il est dit : LE BLÉ. Mais remarquez que l’ivraie a été cueillie ; elle ne fut donc pas vannée, mais le blé fut vanné. Et cela signifie que les méchants, avec leurs impuretés, seront jetés en enfer ; mais les bons seront totalement purifiés. Is 35, 8 : Le chemin sera appelé saint, celui qui est souillé ne l’empruntera pas. De même l’unité existe-t-il entre eux : ainsi, RASSEMBLEZ. Entre les méchants, il y a toujours des querelles ; ils n’ont donc pas l’unité, mais les bons sont rassemblés. Ps 49[50], 5 : Rassemblez-y ses saints, qui appliquent ses ordonnances à propos des sacrifices, etc. ; et plus loin, [Mt] 24, 28 : Là où est le corps, là se rassembleront les aigles. De même y aura-t-il chez eux la tranquillité. Il dit donc : DANS MON GRENIER. Le grenier est destiné à la conservation de la moisson. Ainsi, cette patrie sera le grenier des saints, où ils vivront dans la louange et la joie éternelles, comme on lit en Is 35, 10.
1595. [Le Seigneur] montre par deux [paraboles] les obstacles à l’enseignement évangélique. Mais parce que quelqu’un pourrait dire : «S’il en est ainsi empêché, puisque du grain tombe en dehors du chemin, d’autre sur la pierre, etc., il semble qu’il ne puisse se développer», il poursuit donc en parlant du développement, à savoir que [le grain] se développe en raison de deux choses. Premièrement, en raison de la petitesse apparente ; deuxièmement, en raison de son caractère caché. Il présente donc deux paraboles. La seconde se trouve en cet endroit : IL LEUR DIT UNE AUTRE PARABOLE [13, 33]. En troisième lieu, il confirme le mode [du développement] par l’autorité d’un prophète, en cet endroit : TOUTES CES CHOSES, JÉSUS LES DIT EN PARABOLES [13, 34‑35].
1596. À propos du premier point, il traite d’abord de l’acte de semer ; deuxièmement, de la petitesse de la graine ; troisièmement, de la grandeur du fruit. Le second point se trouve en cet endroit : C’EST BIEN LA PLUS PETITE DE TOUTES LES GRAINES [13, 32] ; le troisième, en cet endroit : QUAND ELLE A POUSSÉ, ELLE DEVIENT LA PLUS GRANDE DE TOUTES LES PLANTES POTAGÈRES, UN ARBUSTE MÊME, [13, 32].
1597. [Le Seigneur] dit donc : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À UN GRAIN DE SENEVÉ, etc. Dans le royaume, il y a un roi, un prince et des sujets, et même des prisonniers. De même, pour les richesses, etc. On peut donc assimiler le royaume de Dieu à tout cela. Qu’il dise que LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À UN GRAIN DE SENEVÉ peut être interprété, comme le dit Jérôme, par le fait que, par le grain de sénevé, on entend l’enseignement évangélique. Et pourquoi ? Parce que ce grain est très fort ; il repousse aussi le venin. Et c’est cela qui est signifié, car l’enseignement évangélique rend brûlant par la foi, plus loin, 17, 19 : Si vous aviez ne serait-ce qu’un grain de sénevé de foi, vous diriez à cette montagne : «Déplace-toi là !», et elle se déplacerait, et rien ne vous serait impossible. De même écarte-t-il les erreurs. Il est donc utile pour convaincre d’erreur, comme on lit en 2 Tm 3, 16 : La recevant, l’homme l’a semée. Cet homme est le Christ qui a semé ce grain, ou tout homme qui sème l’enseignement évangélique. DANS SON CHAMP, c’est-à-dire dans son cœur, lorsqu’il lui donne son assentiment. Le Christ a semé parce qu’il a donné la foi par laquelle nous sommes sauvés. Ep 2, 8 : Vous avez été sauvés par grâce en vertu de la foi, et non par vous-mêmes : elle est en effet un don de Dieu. De même, quiconque obéit, sème dans son champ, à savoir, dans son cœur, Pr 24, 27 : Travaille ton champ avec soin. Dans ce champ, il y a divers grains, qui sont les divers enseignements. Les enseignements de Jérôme et d’Augustin paraissent grands et sont confirmés par de grands arguments ; de même, l’enseignement de la loi. Mais l’enseignement de la loi évangélique apparaissait peu de chose, car il annonçait un Dieu souffrant, crucifié et ainsi de suite. Et qui pouvait croire cela ? 1 Co 1, 18 : La parole de la croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu.
1598. [Le
Seigneur] dit donc : C’EST BIEN LE PLUS PETIT DE TOUS LES GRAINS. Au
départ, il apparaissait donc comme le plus petit. Puis, il grandit.
Premièrement, [sa] grandeur est présentée ; deuxièmement, elle est
confirmée, en cet endroit : QUAND IL A POUSSÉ, c’est-à-dire, qu’il s’est
multiplié, IL DEVIENT LA PLUS GRANDE DES PLANTES POTAGÈRES, UN ARBUSTE MÊME,
car l’enseignement évangélique a porté plus de fruits que l’enseignement de la
loi, puisque l’enseignement de la loi n’a porté de fruits que parmi les Juifs.
C’est pourquoi on disait, Ps 147[148], 20 : Il n’a pas fait la même chose pour tous les peuples et il ne leur a pas
manifesté ses jugements. En effet, il n’y a eu aucun philosophe qui ait pu
convertir tout un pays à son enseignement, car si un philosophe, tel Platon,
avait dit que tel ou tel allait venir, on ne l’aurait pas cru.
Ps 118[119], 85 : Les
méchants m’ont raconté des mensonges, mais il n’y a rien comme ta loi.
1599. Il est donc plus grand par sa solidité, par son étendue et son utilité. Par sa solidité, IL DEVIENT UN ARBUSTE, car les autres doctrines sont des plantes flexibles, qui n’ont aucune fermeté, du fait qu’elles sont soumises à la raison. Sg 9, 14 : En effet, les pensées des mortels sont hésitantes et nos prévisions incertaines. Mais celle-ci est un arbuste solide. Ps 118[119], 89 : Ta parole, Seigneur, demeure pour l’éternité. Lc 21, 33 : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Ainsi, comme cet arbuste se compare aux autres arbustes, cette doctrine se compare-t-elle aux autres. AU POINT QUE LES OISEAUX DU CIEL VIENNENT S’ABRITER DANS SES BRANCHES.
1600. De même la doctrine évangélique l’emporte-t-elle par son étendue, car cette science a de multiples rameaux et montre aux hommes ce qui est nécessaire à la vie. Ainsi, s’ils sont mariés, ils apprennent de celle-ci comment ils doivent se diriger ; s’ils sont des clercs, comment ils doivent vivre, et ainsi de suite pour les autres. De sorte que les divers enseignements sont les divers rameaux.
1601. [La
doctrine évangélique] l’emporte aussi par [son] utilité, car LES OISEAUX
S’ABRITENT DANS SES RAMEAUX, à savoir, tous ceux dont l’âme est au ciel.
Ph 3, 20 : Pour nous,
notre vie est au ciel. Ces [oiseaux] viennent pour méditer et se reposer.
En effet, ceux qui vivent sur la terre ne sont pas des oiseaux.
2 Co 4, 18 : Nous ne
contemplons pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas : ce qui se
voit appartient au temps, mais ce qui ne se voit pas appartient à l’éternité.
Chrysostome interprète [ceci] des apôtres, qu’il a comparés au grain de sénevé
parce qu’ils ont un esprit brûlant. Et UN HOMME L’A SEMÉ, à savoir, le Christ,
DANS SON CHAMP, à savoir, dans l’Église, d’où provient toute la fructification
de l’Église. Ils étaient peu de chose et méprisables, car aucune science n’a
été diffusée par des hommes aussi méprisables. Ainsi l’Apôtre [dit],
1 Co 1, 27 : Il n’y
avait pas beaucoup de sages, de puissants ou de nobles ; mais Dieu a
choisi ce qui était insensé dans le monde pour confondre les sages, etc. Mais
QUAND IL A POUSSÉ, IL DEVIENT LA PLUS GRANDE, c’est le résultat, DE TOUTES [LES
PLANTES POTAGÈRES], car les apôtres ont porté plus de fruits. Alexandre a
converti à lui une partie du monde, de même Rome ; mais jamais autant que
ceux-là, qui ont tant fait. AU POINT QUE LES OISEAUX DU CIEL, c’est-à-dire les
bons, SE REPOSENT DANS SES BRANCHES, c’est-à-dire dans leurs enseignements.
Za 8, 23 : Ils saisiront
la frange d’un Juif en disant : «Nous irons avec vous, car nous avons
entendu que Dieu est avec vous.»
1602. Hilaire l’interprète du Christ, qui fut un grain de sénevé par sa ferveur, rempli qu’il était de l’Esprit Saint, qu’il a SEMÉ ensuite par sa mort, DANS SON CHAMP, c’est-à-dire, le peuple. LE [GRAIN] PLUS PETIT, en raison du mépris des infidèles. Is 53, 2 : Nous l’avons vu sans beauté, et nous l’avons attendu, défiguré et le plus vil des hommes, homme des douleurs et éprouvant la faiblesse. ET IL EST PLUS GRAND QUE TOUTES LES PLANTES POTAGÈRES, à savoir, que tous les parfaits. On ne lui comparera pas l’or [Jb 28, 17]. Et les parfaits sont comparés à des plantes potagères, car on donne aux malades des plantes potagères : Celui qui est malade, qu’il mange des plantes potagères [Rm 14, 2]. Mais l’enseignement du Christ est donné aux parfaits, et il devient ainsi un arbuste. C’est cela qui est signifié par l’arbuste, dont parle Dn 4, 7s.
1603. Ici est présentée une parabole sur le développement, et celui-ci apparaît étonnant car il vient d’une source cachée. [Le Seigneur] dit donc : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À DU LEVAIN QU’UNE FEMME A PRIS ET ENFOUI DANS TROIS MESURES DE FARINE, JUSQU’À CE QUE LE TOUT AIT LEVÉ. Remarquez qu’il n’est pas inapproprié d’interpréter la même chose parfois en bien, parfois en mal, comme on parle de pierre parfois pour le Christ, parfois pour son contraire, la dureté. Ez 36, 26 : J’enlèverai de votre chair votre cœur de pierre. De même, on parle de levain parfois pour le mal, pour autant qu’il comporte corruption, 1 Co 5, 7 : Purifiez-vous du vieux levain, etc. De même, au même endroit : Non par du vieux levain ni par un levain de malice et d’impiété, mais par des azymes de sincérité et de vérité. Mais, pour autant que [le levain] comporte une chaleur et une capacité d’expansion, il s’accorde au bien. 1604. Qu’est-ce donc qui est signifié par lui ? Quatre choses sont signifiées. Chrysostome dit que ce levain, ce sont les apôtres. UNE FEMME, la Sagesse divine, les ENFOUIT DANS TROIS MESURES DE FARINE, c’est-à-dire qu’elle les écrase de tribulations. Mais d’abord, elle le prend, Jn 15, 19 : Je vous ai tirés du monde afin que vous alliez. Ceux qu’il a envoyés parmi les fidèles, il les place DANS TROIS MESURES DE FARINE (c’est une mesure de capacité qui équivaut à un muid et demi), donc DANS TROIS MESURES DE FARINE. Et pourquoi dans trois [mesures] ? Un nombre déterminé est utilisé pour [signifier un nombre] indéterminé, car [ils furent envoyés] à plusieurs nations. Ou bien [on parle de trois] en raison des trois parties du monde, car ils ont été envoyés à tous ; ou bien en raison des peuples, car ils sont issus des trois fils de Noé. JUSQU’À CE QUE LE TOUT AIT LEVÉ, c’est-à-dire jusqu’à ce que tous aient été convertis à Dieu. Ps 18, 5 : Leur voix a été entendue par toute la terre et leurs paroles jusqu’aux confins de la terre. Ou bien, autre interprétation selon Augustin, par le levain est signifiée la ferveur de la charité, car, de même que le levain prend de l’expansion, de même [en est-il] de la charité. Ps 118[119], 32 : J’ai parcouru le chemin de tes commandements, alors que tu élargissais mon cœur. UNE FEMME, la raison ou l’âme, L’ENFOUIT DANS TROIS, c’est-à-dire dans tout le cœur, dans toute l’âme et dans toutes les forces. Ou bien, par les trois mesures, [sont signifiés] trois états, à savoir, celui des prélats, des contemplatifs et des actifs, qui sont représentés par Noé, Job et Daniel. Ou bien [les trois mesures] peuvent être mises en rapport avec les fruits multipliés par cent, par soixante et par trente. Jérôme donne de l’enseignement évangélique l’interprétation qu’UNE FEMME, à savoir, la Sagesse, L’ENFOUIT DANS TROIS MESURES, qui sont l’esprit et l’âme, ou l’irascible, le concupiscible et la raison. Ou bien, d’une autre façon, la foi est représentée par la femme ; par les trois mesures, les trois personnes en Dieu. Hilaire interprète cela du Christ, qui est le levain, qui a été enfoui par la providence du Père dans une triple loi : la loi de la nature, la loi mosaïque et la loi évangélique.
1605. TOUT CELA, JÉSUS LE DIT AUX FOULES EN PARABOLES, etc. Après avoir présenté diverses paraboles aux foules, ici, [le Seigneur les] confirme ou [les] démontre par l’autorité d’un prophète. Et cela est divisé en trois : premièrement, l’habitude qu’avait le Christ d’enseigner en paraboles est présentée ; deuxièmement, l’autorité est proposée ; troisièmement, l’explication de ce qui précède est présentée. Le second point [se trouve] en cet endroit : AFIN QUE S’ACCOMPLÎT CE QUI EST DIT PAR LE PROPHÈTE [13, 35] ; le troisième, en cet endroit : ALORS, LAISSANT LES FOULES, IL VINT À LA MAISON [13, 36].
1606. [Matthieu] dit donc : TOUT CELA, JÉSUS LE DIT AUX FOULES EN PARABOLES. La raison pour laquelle il parlait aux foules en paraboles est double. Dans la foule, les croyants et les incroyants étaient mêlés, ainsi que les bons et les méchants ; il parlait ainsi pour les méchants et les incroyants, afin qu’ils ne comprennent pas, comme on l’a dit plus haut : Afin qu’en regardant, ils ne voient pas ; mais aux fidèles, afin qu’ils comprennent mieux et retiennent davantage. Et on lit cela chez Mc 4, 33s. Paul [dit] en 1 Co 3, 1 : Je ne pouvais pas vous parler comme à des spirituels, mais à des charnels.
1607. ET IL NE LEUR DISAIT RIEN SANS PARABOLE. Cela semble faux, car, dans le sermon du Seigneur sur la montagne et en beaucoup d’autres occasions, il ne parlait pas en paraboles. Chrysostome donne la solution [suivante] : cela est vrai de tout ce discours, car il a adressé toute cette prédication aux foules sous forme de paraboles. Augustin [donne l’interprétation suivante] : il ne parlait pas sans parabole, car il n’adressait aucun discours aux foules sans y mêler quelque parabole. Ainsi a-t-il introduit [une parabole] dans le sermon sur la montagne, là où il dit : Ta gauche ne sait pas ce que fait ta droite. Et il dit que, s’il arrive qu’il [y ait des discours] sans parabole, il faut dire que les évangélistes n’ont pas raconté dans l’ordre, de sorte que, même si elle n’est pas mise par écrit, il faut comprendre qu’il y a eu une parabole, pour la raison qu’il donne là, à savoir qu’il ne leur parlait pas sans introduire des paraboles.
1608. POUR QUE S’ACCOMPLÎT CE QU’A DIT LE PROPHÈTE : «J’OUVRIRAI LA BOUCHE POUR DIRE DES PARABOLES.» Le Seigneur a parlé au genre humain de deux façons. Premièrement, par les prophètes ; deuxièmement, par lui-même. Is 52, 6 : C’est moi qui parle, je suis là. Des deux manières, il a parlé en paraboles : par les prophètes à de nombreuses reprises, et par lui-même aussi. En effet, ce qui a été accompli par les prophètes a été le signe de ce qui devait être fait par le Christ. Il dit donc : «Moi, le Seigneur, qui ai ouvert la bouche des prophètes pour qu’ils disent des paraboles, je l’ouvrirai pour moi-même : Je ferai jaillir ce qui était caché depuis la création du monde» [Mt 13, 35]. La révélation de secrets se fait en ouvrant la bouche, comme [il est dit] plus haut : Le jaillissement vient des profondeurs. Il fait donc jaillir lorsqu’il exprime la profondeur de la sagesse. Ps 44[45], 2 : Mon cœur a fait jaillir des paroles belles. La sagesse du Seigneur est cachée, Jb 28, 2 : Elle est cachée au regard de tous les vivants . Jn 1, 18 : Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui l’a fait connaître, etc. Il a fait jaillir ce qui est caché et ce qui était caché depuis la création du monde. Ep 3, 5 : Ce qui avait été caché aux autres générations de fils d’hommes a été maintenant révélé à ses saints apôtres et prophètes dans l’Esprit. Ou bien, autre [interprétation] : Je ferai jaillir ce qui existe depuis la création du monde, et qui est caché. Et pourquoi ? Parce qu’il existe lui-même avant la création du monde et qu’il s’est lui-même révélé à nous par ce qu’il a fait. Rm 1, 20 : Ce qui est invisible de Dieu se laisse voir à l’intelligence par ce qui a été créé.
1609. Ici, une des paraboles précédentes est expliquée. Premièrement, le lieu est décrit ; deuxièmement, l’interrogation des disciples ; troisièmement, l’explication.
1610. [Matthieu] dit donc : ALORS, LAISSANT LES FOULES, IL VINT À LA MAISON. En cela, un exemple nous est donné : si nous voulons approfondir des choses secrètes, nous devons entrer dans le secret. Sg 8, 16 : Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle. Si 32, 15[11] : Cours à la maison, ne t’attarde pas ; là, divertis-toi et fais ce qui te plaît, mais ne pèche pas en parlant avec insolence, etc.
1611. ET SES DISCIPLES S’APPROCHANT DE LUI DIRENT : «EXPLIQUE-NOUS LA PARABOLE DE L’IVRAIE DANS LE CHAMP, etc.», parce que c’est surtout à propos de celle-là qu’ils avaient des doutes. Parfois, ils n’osaient pas s’approcher par respect, comme on lit, en Jn 4, 27, que personne ne lui fit la remarque qu’il parlait à une femme, etc. Mais, ils eurent une audace particulière parce qu’ils avaient entendu : À VOUS IL A ÉTÉ DONNÉ DE CONNAÎTRE LES MYSTÈRES DU ROYAUME DES CIEUX. Ainsi, si nous voulons obtenir quelque chose de mystique, nous devons nous approcher de lui. Ps 33[34], 6 : Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés.
1612. EN RÉPONSE, IL LEUR DIT. Ici est présentée l’explication de la parabole de l’ivraie : premièrement, pour ce qui est du premier ensemencement ; deuxièmement, pour ce qui est d’un nouvel ensemencement ; troisièmement, pour ce qui est des deux.
1613. Premièrement, [le Seigneur] explique ce qu’il en est du semeur, du champ et de la semence. CELUI QUI SÈME DU BON GRAIN EST LE FILS DE L’HOMME. Il s’appelle Fils de l’homme à la fois par humilité et pour écarter les hérétiques futurs. En effet, certains ont nié qu’il était Dieu, et certains [qu’il était] homme. Il se dit donc Fils de l’homme, ce qui se rapporte [au fait qu’il] était homme ; et l’ensemencement spirituel relève de Dieu. Ps 4, 7 : La lumière de ton visage s’est posée sur nous, Seigneur, etc.
1614. LE CHAMP EST LE MONDE, qu’il a créé. C’est pourquoi il a dit plus haut : DANS SON CHAMP. Jn 1, 11 : Il est venu chez les siens, etc. De même, au même endroit : Le monde a été fait par lui. LA BONNE SEMENCE, CE SONT LES FILS DU ROYAUME, à partir desquels d’autres se multiplient, et qui sont de bons fils : Si vous êtes des fils, vous êtes aussi des héritiers, Rm 8, 17.
1615. Ensuite, il explique ce qui concerne le nouvel ensemencement, et il dit quelle était la semence. L’IVRAIE, CE SONT LES MAUVAIS FILS. Is 1, 4 : Malheur au peuple coupable, à la race mauvaise, aux fils pervertis !
1616. Ensuite, [il explique] qui est le semeur, en disant : MAIS L’ENNEMI, QUI L’A SEMÉE, C’EST LE DIABLE, qui incite au péché. Sg 2, 24 : C’est par l’envie du Diable que la mort est entrée dans le monde.
1617. Ensuite, il traite d’une distinction, et il fait trois choses : premièrement, il indique le moment ; deuxièmement, les serviteurs ; troisièmement, la distinction. Il indique le moment : LA MOISSON, C’EST LA FIN DU TEMPS. Comme on l’a dit, la première récolte a été faite par les apôtres ; il en est question en Jn 4, 35 : Levez les yeux et voyez les champs, comme ils sont blancs pour la moisson. Mais l’autre [est celle] où l’on fera la récolte des fruits ; il en est question en Ga 6, 8 : Ce que l’homme a semé, il le récoltera. ET LES MOISSONNEURS, CE SONT LES ANGES. En effet, de même que, dans l’Église présente les serviteurs sont les hommes bons, de même en sera-t-il alors des anges.
1618. En conséquence, il présente la fin des deux en cet endroit : DE MÊME DONC QU’ON ENLÈVE L’IVRAIE, etc. Premièrement, en ce qui concerne les méchants ; deuxièmement, les bons ; troisièmement, il oriente vers le sens spirituel.
1619. [Le Seigneur] dit donc : DE MÊME DONC QU’ON ENLÈVE L’IVRAIE ET QU’ON LA BRÛLE AU FEU, DE MÊME EN SERA-T-IL À LA FIN DU TEMPS…
1620. LE FILS DE L’HOMME ENVERRA SES ANGES (ces paroles montrent qu’il est homme et Dieu) ET ILS RAMASSERONT DE SON ROYAUME TOUS LES SCANDALES. Il répond à propos des péchés qui sont faits contre le prochain. Ce qui suit : ET CEUX QUI S’ADONNENT À L’INIQUITÉ, se rapporte aux autres péchés. Ce qu’il appelle : ROYAUME, s’entend de l’Église présente, car dans [l’Église] triomphante, il n’y a pas de scandales et, par la tribulation antérieure, l’homme connaîtra le jugement final. Augustin dit : «Nous ne lisons pas que les mauvais existent afin que les bons soient récompensés, mais qu’il arrive parfois que des bons punissent les méchants.» Lorsqu’il dit : TOUS, il faut l’entendre de l’Église présente, en y incluant les tribulations par lesquelles les bons comme les méchants sont punis. Chrysostome interprète le royaume comme étant la patrie céleste. Et ce qui est dit : TOUS LES SCANDALES, ne s’entend pas de ceux qui s’y produiraient, mais du fait qu’il n’y en aura pas. [Les anges] ramasseront ainsi et sépareront les méchants des bons, afin que ceux-ci ne se trouvent pas avec eux.
1621. ET ILS LES JETTERONT DANS LA FOURNAISE ARDENTE : la peine du dam et la privation de la vision de Dieu. Mais la peine du sens est abordée lorsqu’il est dit : ET ILS LES JETTERONT DANS LA FOURNAISE ARDENTE. Ap 21, 27 : Personne de souillé n’y entrera. ET IL, c’est-à-dire, le Fils de l’homme en vertu de son pouvoir judiciaire, LES JETTERA DANS LA FOURNAISE ARDENTE. C’est pourquoi on dira : Allez, maudits, au feu éternel [Mt 25, 41]. LÀ, IL Y AURA DES PLEURS ET DES GRINCEMENTS DE DENTS. Cela a été expliqué. Toutefois, on peut conclure de cela que les damnés seront punis et dans leur corps et dans leur âme. Ainsi, plus haut, 10, 28 : Craignez celui qui peut envoyer l’âme et le corps dans la géhenne. Les pleurs font référence aux yeux, les grincements aux dents. Or, les yeux et les dents sont des membres corporels, ce par quoi est signifiée la vérité de la résurrection. De même, par les pleurs, qui sont immédiatement provoqués par la fumée, est signifiée la peine du feu ; par le grincement des dents, le froid. Jb 24, 19 : Il passera des eaux de la neige fondue à une chaleur excessive. Ou bien, autre [interprétation], les pleurs viennent de la tristesse, et les grincements, de la colère. Ainsi, en Ac 7, 54, il est dit : Ils grinçaient des dents contre lui. Is 65, 14 : Mes serviteurs se réjouiront et leur cœur exultera, et vous crierez la douleur de votre cœur et hurlerez de votre cœur brisé. Lc 6, 25 : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez. De même, par les grincements, sont indiquées l’impatience et les querelles. Ap 16, 10 : Ils ont mordu leur langue parce qu’ils étaient incapables de supporter.
1622. ALORS, LES JUSTES RESPLENDIRONT COMME LE SOLEIL DANS LE ROYAUME DE LEUR PÈRE. Ici, [le Seigneur] donne une explication au sujet des justes. Il y aura en eux un double resplendissement, à savoir, dans leur âme du fait qu’ils verront Dieu. Ps 35[36], 10 : Dans ta lumière nous verrons la lumière incréée. Is 58, 11 : Et il remplira ton âme d’éclat. Et cela rejaillira sur le corps, Ph 3, 21 : Il transformera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire ; Sg 3, 7 : Les justes resplendiront, et ils courront comme des étincelles à travers le chaume, etc. Le fait qu’il dise LE SOLEIL, ne doit pas être entendu au sens absolu et selon une égalité totale ; en effet, ils auront une splendeur plus grande. Mais, pour ce qui est des choses sensibles, ce qui resplendit le plus est le soleil. Or, cela est approprié au soleil, car, de même que le soleil ne change pas, de même en est-il pour le juste. Si 27, 12 : Le saint demeure dans la sagesse comme le soleil ; mais l’insensé change comme la lune.
1623. Ensuite, [le Seigneur] oriente vers le sens spirituel : QUE CELUI QUI A DES OREILLES, à savoir, intérieures, ENTENDE, par l’intelligence. Is 1, 5 : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille.
1624. Plus haut, le Seigneur a montré sous forme de paraboles les obstacles et le développement de l’enseignement évangélique ; maintenant, il montre sa dignité par quelques paraboles qu’il a expliquées aux apôtres. La dignité [de l’enseignement évangélique] est montrée par trois choses : sa richesse, sa beauté et son caractère universel. Le second point [se trouve] en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX EST ENCORE SEMBLABLE À UN NÉGOCIANT, etc. [13, 45] ; le troisième, en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX EST ENCORE SEMBLABLE À UN FILET QU’ON JETTE EN MER, etc. [13, 47].
1625. «Je dis donc que la richesse de l’enseignement évangélique ressemble à un trésor, car, de même qu’un trésor est une abondance de richesses, de même en est-il de l’enseignement évangélique.» Is 33, 6 : La richesse du salut, ce sont la sagesse et la science ; la crainte du Seigneur est elle-même un trésor. À ce sujet, il procède de la manière suivante. Premièrement, il présente un trésor caché ; deuxièmement, la découverte de ce trésor ; troisièmement, sa prise de possession, etc. Le second point [se trouve] en cet endroit : QU’UN HOMME VIENT À TROUVER, etc. [13, 44] ; le troisième, en cet endroit : RAVI DE JOIE, IL VA, etc. [13, 44].
1626. Ce trésor peut être interprété de plusieurs façons. Selon Chrysostome, c’est l’enseignement évangélique, dont il est question en 2 Co 4, 7 : Nous possédons ce trésor dans des vases fragiles, qui est caché dans le champ de ce monde, c’est-à-dire, des yeux des gens impurs, plus haut, 11, 25 : Tu as caché cela aux sages et aux prudents. Selon Grégoire, on parle du désir céleste. Is 33, 6 : La crainte du Seigneur est son trésor. Celui-ci est caché dans le champ de l’entraînement spirituel, car, à l’extérieur, il semble méprisable, mais, à l’intérieur, il possède une douceur. Pr 24, 27 : Occupe-toi de ton champ avec soin. [Col 2, 3] : En qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science, cachés qu’ils étaient dans le champ de son corps, car il était gardé caché dans la chair. Is 2, 7 : Et ses trésors sont sans fin. De même, on l’entend autrement de la Sainte Écriture, qui est cachée dans le champ de l’Église. Sg 8, 14 : En effet, c’est un trésor inépuisable pour les hommes.
1627. QU’UN HOMME VIENT À TROUVER, ET IL LE CACHE À NOUVEAU. Il se trouve chez tous par la foi. En effet, il ne peut exister chez quelqu’un que par la foi. Sg 1, 2 : Il est trouvé par ceux qui ne le cherchent pas ; il se révèle à ceux qui ont foi en lui. Mais il faut qu’il soit caché, selon ce qui est dit, Ps 118, 11 : J’ai caché tes paroles en mon cœur. Qu’on le cache, cela ne doit pas venir de l’envie, mais de la prudence. Mais les raisons pour le cacher sont multiples. Une première est qu’il fructifie et progresse, afin qu’il réchauffe davantage. En effet, un feu enfermé donne plus de chaleur. Ainsi en est-il de la parole lorsqu’elle est cachée. Jr 20, 9 : La parole du Seigneur est devenue un feu brûlant enfermé dans mes os, et je défaille et ne peux pas le supporter. Et dans Ps 38[39], 4 : Mon cœur s’est réchauffé et, quand je médite, un feu brûle en moi. De même est-il caché en raison de la vaine gloire. En effet, s’il se répand à l’extérieur, il est exposé au danger. C’est pourquoi le Seigneur [dit] plus haut, 6, 6 : Prie ton Père dans le secret. De même, parce qu’il est ainsi plus sûrement gardé. En effet, lorsqu’il est rendu public, quelqu’un viendra le voler. Is 39, 4 : Celui qui montre son trésor aux envoyés du roi de Babylone, puis vient ensuite : Voici venir les jours où tout ce qui est dans ta maison sera enlevé. Mais qu’en est-il de ce qui a été dit plus haut, 5, 15 : Que vos bonnes oeuvres brillent ? La solution se trouve dans la distinction entre les moments : lorsqu’il est trouvé pour la première fois, il est bon qu’il soit caché ; mais lorsqu’un homme est affermi, il est alors bon qu’il soit mis en lumière. Si 41, 17 : Le trésor invisible et la sagesse cachée : de quelle utilité sont-ils ? Grégoire dit qu’«il doit être accessible dans son effet, mais caché dans le cœur». Il dit donc : «Il est nécessaire qu’il ait un caractère public, bien que l’intention reste à l’intérieur du cœur. »
1628. RAVI DE JOIE, IL S’EN VA VENDRE TOUT CE QU’IL A. Ceci est le troisième point à propos de l’acquisition, car il se réjouit. Jb 3, 21 : Alors qu’ils creusaient à la recherche d’un trésor et se réjouissent intensément d’avoir trouvé un sépulcre. Lorsque par la foi il a trouvé, IL S’EN VA RAVI DE JOIE, et commence à en tirer profit, ET IL VEND TOUT, c’est-à-dire qu’il méprise [tout], afin d’avoir les [biens] spirituels, ET IL ACHÈTE CE CHAMP. Ou bien, il se donne ainsi une bonne compagnie, ou il s’achète un loisir qu’il n’a pas, à savoir, la paix spirituelle. Ph 3, 8 : J’ai estimé que tout n’était que rebuts, afin de gagner le Christ. Ct 8, 7 : Si un homme donne tous les biens de sa maison par amour, il le considérera comme rien, etc.
1629. LE ROYAUME DES CIEUX EST ENCORE SEMBLABLE À UN NÉGOCIANT, etc. Ici est montrée la beauté ou la charité. LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE. Cette parabole s’interprète de plusieurs manières. Chrysostome et Jérôme l’interprètent de l’enseignement évangélique. Les doctrines fausses sont nombreuses. Celles-ci ne sont pas des perles. Ainsi donc, l’homme qui explore diverses doctrines n’en trouve qu’une, à savoir, la doctrine évangélique, qui soit unique en raison de sa vérité. En effet, les vertus sont multiples, mais la vérité est unique. Ainsi Denys dit-il que «la vertu divise, mais que la vérité donne l’unité». Pour indiquer la vérité [de la doctrine évangélique], [le Seigneur] dit donc qu’elle est unique. Elle est aussi dite unique en raison des divers enseignements des prophètes.
1630. IL
S’EN VA VENDRE, c’est-à-dire qu’il écarte toutes les doctrines des prophètes
comme des philosophes pour celle-ci. Pr 25, 12 : Un anneau d’or, un joyau d’or fin, telles
sont une sage réprimande et une oreille obéissante, etc. Grégoire dit qu’«il
s’agit de la gloire céleste, car le bien est naturellement désirable et l’homme
veut toujours échanger un bien inférieur pour un bien plus grand». Le bien
suprême de l’homme est la gloire céleste ; lorsqu’il l’a trouvée, il doit
renoncer à tous les autres [biens] pour elle. Ps 26[27], 4 : J’ai demandé une seule chose au Seigneur, je
la réclamerai, c’est d’habiter dans sa maison tous les jours de ma vie.
1631. Augustin donne une triple interprétation. LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE, etc., c’est-à-dire à celui qui cherche des hommes bons par qui il soit influencé, car l’un excelle dans une vertu, l’autre dans une autre. Et lorsqu’il l’a trouvé, à savoir, le Christ, en qui se trouve la perfection de toutes les vertus, IL VA, etc. De même, par les perles fines sont signifiées les divers commandements et tout ce qui est nécessaire à la vie. Et lorsqu’il en trouve une, c’est-à-dire, un commandement, celui de la charité, IL VA, etc., Jn 13, 34 : Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ; à la manière dont vous vous aimerez les uns les autres, etc. Et l’Apôtre [dit] en Rm 13, 10 : La plénitude de la loi, c’est l’amour. Par les perles, on entend aussi les diverses sciences : en les explorant, nous trouvons le principe de toutes les sciences, à savoir, la parole de Dieu, de qui [il est écrit] en Si 1, 5 : La source de la sagesse, c’est la parole de Dieu. Tu dois donc tout vendre pour elle, ton âme comme ton corps, car lorsque tu vends ceux-ci, tu te possèdes et tu es le maître de toi-même. Ph 3, 8 : J’ai estimé que tout était rebut afin de gagner le Christ. Tu dois donc tout donner en échange de ce gain, comme le faisait Paul. 2 Co 5, 14 : Un seul est mort pour tous afin que ceux qui vivent ne vivent pas pour eux, mais pour lui, qui est mort et ressuscité pour eux.
1632. LE ROYAUME DES CIEUX EST ENCORE SEMBLABLE À UN FILET QU’ON JETTE EN MER, etc. Ici est présentée une autre parabole ; en second lieu, une explication en est donnée, non pas en totalité, mais en partie, en cet endroit : AINSI EN SERA-T-IL À LA FIN DU TEMPS [13, 49]. Et, dans cette [parabole], on fait deux choses : premièrement, le caractère universel de cet enseignement est présenté ; deuxièmement, le tri, en cet endroit : QUAND [LE FILET] EST PLEIN, etc. [13, 48].
1633. [Le Seigneur] dit donc : LE ROYAUME DES CIEUX EST ENCORE SEMBLABLE À UN FILET. Ce filet est un instrument qui entoure une grande partie de la mer. Par lui peut donc être signifié soit l’enseignement, soit l’Église, car les premiers docteurs furent des pêcheurs, plus haut, 4, 18 : En effet, ils étaient des pêcheurs. Ce [filet] est lancé dans la mer, c’est-à-dire dans le monde. Ps 103[104], 18 : Voici la mer grande et spacieuse, etc. ET [CE FILET] RAMÈNE TOUTES SORTES DE POISSONS. Voilà le caractère universel. En effet, la loi n’avait été donnée qu’à une nation. Ps 147[148], 20 : Il n’a pas agi de la sorte pour toutes les nations, et il ne leur a pas manifesté ses jugements. La loi évangélique rassemble tous les hommes. Rm 1, 14 : Je suis redevable aux Grecs comme aux barbares, aux sages et aux insensés. Et Mc 16, 15 : Allez annoncer l’évangile à toute créature.
1634. Mais est-ce que tous auront la même fin ? Maintenant, tous sont dans le filet, mais, à la fin, tous seront triés. [Le Seigneur] dit donc : QUAND IL EST PLEIN, c’est-à-dire lorsque suffisamment d’élus y seront entrés pour compléter le nombre des élus, LES PÊCHEURS LE TIRENT SUR LE RIVAGE, PUIS ILS S’ASSEYENT, etc. Par le rivage, la fin du monde est signifiée, car il n’y aura pas d’agitation chez les saints, mais ils seront dans un état de bon repos. Et il dit : ILS S’ASSEYENT, ce qui convient au pouvoir judiciaire, plus loin, 19, 28 : Vous qui m’avez suivi, lors de la résurrection, lorsque le Fils de l’homme siégera sur son trône de majesté lors de la résurrection, vous siégerez vous aussi sur douze sièges pour juger les douze tribus d’Israël. ILS CHOISISSENT LES BONS POUR LES METTRE DANS DES CONTENANTS, c’est-à-dire dans des demeures éternelles, Jn 14, 2 : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Et il dit : CONTENANTS, au pluriel, en raison de la diversité des récompenses. Lc 16, 9 : Qu’ils vous accueillent dans les demeures éternelles. ET ILS REJETTENT LES MÉCHANTS, car tous les impurs seront rejetés.
1635. Ici,
[le Seigneur] explique la parabole. Et il faut remarquer qu’il l’explique
seulement pour ce qui est des méchants. Mais se pose alors une question :
pourquoi l’explique-t-il pour les méchants plutôt que pour les bons ? Il
faut dire qu’il avait parlé d’un filet à cause duquel, lorsque des poissons
sont pris, les mauvais sont rejetés et continuent à vivre, et les bons sont
tués et sont mangés. Ainsi, quelqu’un pourrait dire qu’il en était ainsi dans
ce cas. C’est pourquoi, afin d’écarter cela, il explique en disant : LES
ANGES SORTIRONT, non pas des profondeurs de la contemplation, puisque, où
qu’ils soient, ils contemplent Dieu, mais parce qu’ils se présenteront pour un
ministère extérieur. En Dn 9, 22, il est dit d’un ange : Je suis venu t’enseigner. ET ILS
SÉPARERONT LES MÉCHANTS D’ENTRE LES JUSTES. Maintenant, les méchants sont mêlés
aux bons, l’ivraie au blé, la fleur aux épines, mais ils seront séparés de la
communion des bons. Et, pour cette raison, l’excommunication est un mal ;
mais celle-ci est le signe de celle-là, différente cependant, car l’Église est
souvent trompée, mais alors il n’y aura pas de duperie. C’est d’elle que parle
l’Apôtre, 1 Co 16, 22 : Si
quelqu’un n’aime pas notre Seigneur Jésus, le Christ, qu’il soit anathème. Il
dit donc : Que l’impie soit empêché
de voir la gloire de Dieu.
1636. Vient ensuite la peine du sens : ET ILS LES JETTERONT DANS LA FOURNAISE ARDENTE. Ceci s’interprète comme plus haut. Mais il se pose une question : pourquoi le Seigneur a-t-il répété cela, car cela semble la même chose que la parabole de l’ivraie ? Il faut dire que c’est la même chose sous un aspect, car ici, par le filet, on entend les bons et les méchants ; il signifie donc ceux qui ne sont pas retranchés de l’Église. Mais, par l’ivraie, sont signifiés ceux qui sont retranchés par la diversité de leurs croyances, et ceux-ci ne font pas partie de l’Église.
1637. AVEZ-VOUS COMPRIS TOUT CELA ? ILS RÉPONDIRENT : «OUI.» Après avoir terminé l’enseignement sous forme de paraboles, [Matthieu en] précise ici l’effet : premièrement, pour ce qui est des disciples ; deuxièmement, des foules, en cet endroit : ET IL ADVINT, etc. [13, 53].
1638. Chez les apôtres, l’effet fut leur compréhension. Trois choses sont donc présentées : premièrement, l’examen ; deuxièmement, la profession ; troisièmement, leur assignation à une fonction future.
1639. Mais il faut remarquer que, comme il avait dit beaucoup de choses aux foules et aux disciples, parce qu’ils devaient devenir des maîtres, il fallait qu’ils aient compris. Et il faut remarquer que l’examen porte sur trois choses. Premièrement, sur leur compréhension : AVEZ-VOUS COMPRIS TOUT CELA ? Aussi, sur l’amour, Jn 21, 15 : Simon, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? De même, sur leur capacité de souffrir, plus loin, 20, 22 : Pouvez-vous boire le calice que je vais boire ? Ps 91[92], 15 : Ils étaient capables de souffrir afin d’annoncer. Mais bien qu’il relève de l’humilité que l’homme ne s’enorgueillisse pas, il est cependant ingrat s’il ne reconnaît pas un bienfait. Is 63, 7 : Je me souviendrai de la miséricorde du Seigneur. Ils répondent donc en disant : «OUI.» Ici est présentée la profession de ceux qui acceptent la parole du Christ. Ps 118[119], 130 : La révélation de tes paroles éclaire et permet aux petits de comprendre.
1640. AINSI DONC, TOUT SCRIBE DEVENU DISCIPLE, etc. Ici, [le Seigneur] montre la fonction qui allait bientôt être la leur, comme s’ils avaient déjà passé l’examen. Et cette conclusion peut découler de deux manières de ce qui précède. Premièrement, comme un retour sur ce qui a été dit au sujet du trésor. Le sens selon lequel le Seigneur a voulu expliquer cela peut donc être [le suivant] : «Vous dites que vous comprenez. Si vous comprenez, vous pouvez savoir que le trésor est la sainte doctrine. De ce trésor, vous pourrez tirer du neuf et du vieux.» Et il faut remarquer que [les disciples] sont appelés SCRIBES, parce qu’ils peuvent aussi s’entretenir dans le royaume des cieux de la sainte doctrine, qui contient du neuf et du vieux. Et ils sont appelés des SCRIBES en raison de leurs capacités, car les scribes sont des gens instruits. Dn 12, 10 : Ayant reçu l’enseignement, ils comprendront ; plus loin, [Mt] 23, 34 : Voici que je vois envoie des sages et des scribes. Ils sont aussi appelés des SCRIBES en raison de leur fonction, parce qu’ils sont des notaires du Christ, puisqu’ils ont écrit ses commandements sur les tablettes de leur cœur. Pr 6, 21 : Fixe-les pour toujours sur ton cœur. De même, [parce qu’ils ont écrit ses commandements] dans le cœur des autres. Ainsi, l’Apôtre [dit], 1 Co 3, 2 : Vous êtes une lettre écrite dans nos cœurs. IL EST SEMBLABLE À UN PROPRIÉTAIRE, à savoir, le Christ. En effet, il est lui-même le Seigneur, comme on le lit plus haut, 13, 52. QUI TIRE DE SON TRÉSOR DU NEUF ET DU VIEUX. [Il s’agit] des fonctions de la loi nouvelle. En effet, la loi nouvelle ajoute des sens nouveaux à [la loi] ancienne, et le Christ les a expliqués ; c’est pourquoi il doit nous suffire d’être semblables au Christ, comme plus haut, 10, 25 : Il suffit que le disciple ressemble à son maître. Ou bien on peut dire : cela ressemble à n’importe quel autre père, qui tire de la science qui lui a été divinement donnée du neuf et du vieux. Il n’était pas ainsi des manichéens, qui ne proposaient pas du vieux. Ct 7, 13 : Je t’ai donné du neuf et du vieux. Cela peut donc se rapporter à l’interprétation de la parabole.
1641. Selon Augustin, l’interprétation est la suivante : AINSI, TOUT SCRIBE DEVENU DISCIPLE, etc. «Vous avez compris comment j’ai parlé aux foules en paraboles ; et vous avez appris à comprendre selon le sens spirituel ce qui a été dit en parabole. Vous devez donc comprendre ce qu’on lit dans la loi ancienne, pour que vous puissiez l’expliquer par la [loi] nouvelle.» Ainsi, ce qui est dit dans l’Ancien [Testament] est une figure du Nouveau Testament. L’Apôtre [dit] donc, 1 Co 10, 11 : Tout cela leur est arrivé comme une figure. Et cela a été révélé dans la passion. Plus loin, [Mt] 27, on dit donc que, alors que le Seigneur souffrait, le voile du temple se déchira. Le Christ a donc parlé en paraboles avant la passion afin qu’en entendant cela, ils comprennent que ce qui avait été dit dans l’Ancien Testament l’avait été comme une figure d’autres choses, bien que cela soit [effectivement] arrivé. TOUT SCRIBE DEVENU DISCIPLE DU ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À UN PROPRIÉTAIRE, QUI TIRE DE SON TRÉSOR DU NEUF ET DU VIEUX.
1642. Ou bien, selon Grégoire, le vieux désigne tout ce qui se rapporte au péché ; le neuf, [tout ce qui se rapporte] à la grâce du Christ. On appelle donc neuves les récompenses de la vie éternelle, et ancienne la peine de l’enfer. Celui-là tire donc du neuf et du vieux qui considère non seulement les récompenses, mais aussi la peine de l’enfer.
1643. ET IL ADVINT, QUAND JÉSUS EUT TERMINÉ CES PARABOLES, etc. Ici est présenté l’effet pour ce qui est des foules, et celui-ci est double : l’étonnement et le scandale. Premièrement, le lieu est décrit ; deuxièmement, l’étonnement ; troisièmement, les reproches.
1644. [Matthieu] dit donc : ET IL ADVINT, QUAND JÉSUS EUT TERMINÉ CES PARABOLES, QU’IL PARTIT DE LÀ. Il faut remarquer qu’il ne semble pas qu’il soit parti immédiatement ; [Matthieu] ne respecte donc pas l’ordre historique. Mais [le Seigneur] partit parce qu’ils n’étaient pas disposés à comprendre. C’est pourquoi il s’en alla ailleurs, selon ce qui est [dit] en Si 32, 6 : Là où on n’écoute pas, ne parle pas, et en 22, 9 : Il parle avec quelqu’un qui dort, celui qui expose la sagesse à un insensé.
1645. ET S’ÉTANT RENDU DANS SA PATRIE. Parfois, on dit que sa patrie est Nazareth, où il a été élevé et a fait peu de miracles ; parfois, Bethléem, où il est né ; parfois, Capharnaüm, parce qu’il y a fait des miracles. ET IL ENSEIGNAIT DANS LEURS SYNAGOGUES, etc.
1646. Vient ensuite l’étonnement. Premièrement, l’étonnement est présenté ; deuxièmement, l’effet se produit. [Matthieu] dit : DE TELLE SORTE QU’ILS ÉTAIENT ÉTONNÉS. Il n’était pas étonnant qu’ils fussent étonnés. Ps 118[119], 129 : Tes témoignages sont étonnants. Ils s’étonnaient [en se demandant] d’où venait cette puissance : en effet, l’étonnement vient du fait qu’on voit l’effet sans en connaître la cause. Ceux-là voyaient l’effet évident, mais n’en connaissaient pas la cause. Ils disaient donc : D’OÙ LUI VIENNENT CETTE SAGESSE ET CES MIRACLES ? Mais c’est là un étonnement insensé, car on lit, en 1 Co 1, 24, qu’il est lui-même la puissance et la sagesse de Dieu. Mais ils ne le savaient pas. C’est pourquoi ils s’étonnaient.
1647. Et ils expriment leur étonnement et ce qu’ils connaissent. Ils disaient donc : CELUI-LÀ N’EST-IL PAS LE FILS DU CHARPENTIER ? En effet, on pensait qu’il était le fils de Joseph, qui n’était pas un forgeron, mais un charpentier, bien qu’on puisse dire qu’il était le fils d’un artisan qui a fait l’aurore et le soleil, Ps 73[74], 16. SA MERE NE S’APPELLE-T-ELLE PAS MARIE ? Ils connaissaient tout ce qui relevait de son humanité. Il est question de Marie plus haut, 1, 18 : Alors que la mère de Jésus était fiancée à Joseph, etc. ET SES FRÈRES NE SONT-ILS PAS JACQUES, JOSEPH, SIMON ET JUDE ? Elvidius a vu en ceux-ci les fils de Marie. Mais cela est faux, car ils étaient ses cousins. Ou bien on les appelle frères parce qu’ils étaient de la parenté de Joseph, dont on pensait qu’il était le père de Jésus. Gn 13, 8 : Qu’il n’y ait pas de conflit entre moi et toi, car nous sommes frères, dit Abraham à Lot, alors que Lot était le fils du frère [d’Abraham].
1648. Et il faut comprendre de la même façon ce qui suit : ET SES SŒURS NE SONT-ELLES PAS TOUTES PARMI NOUS ? Ainsi donc, à partir de ce qui relevait de la chair, ils étaient frappés d’étonnement et disaient : D’OÙ LUI VIENT DONC TOUT CELA ? Mais il faut remarquer que l’étonnement a parfois un résultat approprié, à savoir, la gloire rendue à Dieu, comme plus haut, 3, 5, mais parfois le scandale.
1649. [Matthieu] dit donc : ET ILS ÉTAIENT SCANDALISÉS À SON SUJET. Mais pour quelle raison l’étonnement engendre-t-il parfois la glorification, et parfois le scandale ? La raison est que certains interprètent en mal ce qu’ils entendent, et sont donc ainsi nécessairement scandalisés. [On lit] dans la lettre canonique de Jude, 10 : Ils blasphèment ce qu’ils ignorent. Mais certains qui sont bien disposés interprètent toujours en bien. Ceux-ci faisaient partie des premiers. Il les reprend donc, d’abord en parole, puis en acte, lorsque [Matthieu] dit : MAIS JÉSUS LEUR DIT : «UN PROPHÈTE N’EST MÉPRISÉ QUE DANS SA PATRIE.» Le Seigneur s’appelle lui-même un prophète, et cela n’est pas étonnant, car il avait appelé Moïse lui-même un prophète. Dt 18, 15 : Il suscitera un prophète issu de ta nation et de tes frères, etc. On peut dire qu’on appelle prophète celui qui peut dire quelque chose qui dépasse l’intellect humain par une révélation ; et ainsi Jésus est-il appelé prophète, car son esprit a été illuminé par les anges et par Dieu. Ou bien on peut dire que quelqu’un est prophète au sens [étymologique] d’illumination [phanos] de loin [procul]. En ce sens, Jésus ne peut pas être appelé prophète : Si l’un d’entre vous est le prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision, etc. [Nb 12, 6]. C’est ce que dit [ici] le texte. Mais si quelqu’un est prophète, il parlera sous forme énigmatique, et le Christ n’a pas été ainsi, car il a parlé de ce qu’il connaissait vraiment. Si 34, 9 : Celui qui a beaucoup appris, exposera ce qu’il sait. Parmi les prophètes de l’Ancien Testament, nous n’en trouvons pas qui ait été honoré par les siens, mais plutôt par les étrangers, comme on le lit dans Jérémie, qui fut fait prisonnier par les siens, mais, après la prise de la ville, fut libéré par des étrangers. Il en fut de même du Christ, qui fut honoré par des étrangers, mais repoussé par les siens. Et quelle est la raison pour laquelle aucun [prophète] n’est honoré dans sa patrie ? Une raison est que, lorsqu’il est dans sa patrie, beaucoup qui connaissent ses faiblesses se rappellent toujours ce qui est faible. En effet, la malice des hommes fait en sorte qu’ils pensent plutôt aux faiblesses qu’à ce qui est parfait. Une autre [raison] peut être donnée : le Philosophe dit que les gens extrapolent fréquemment, car ils croient que ceux qui sont égaux dans certains domaines le sont en tout. Ainsi, lorsque quelqu’un est dans sa patrie et qu’ils voient qu’il est leur égal sous un aspect ou l’autre ou d’une manière générale, ils croient qu’il ne peut être plus grand. [Le Seigneur] dit donc avec raison : UN PROPHÈTE N’EST MÉPRISÉ QUE DANS SA PATRIE ET CHEZ LUI.
1650. Vient donc ensuite : ET IL NE FIT PAS LÀ BEAUCOUP DE MIRACLES, non pas parce qu’il ne le pouvait pas, car il était tout-puissant, mais il n’en fit pas parce qu’il en faisait afin qu’on croie en lui. Or, ceux-ci le méprisaient, car ils interprétaient en mal. Ils n’étaient donc pas disposés à la foi. Il en fit cependant quelques-uns afin qu’ils soient rendus inexcusables. Il dit donc : PAS BEAUCOUP, c’est-à-dire, quelques-uns. Et cela, À CAUSE DE LEUR MANQUE DE FOI.
Leçon 1
[Matthieu 14, 1‑14] 14, 1 En ce
temps-là, Hérode le tétrarque entendit parler de la renommée de Jésus.
14, 2 Il dit à ses serviteurs : «Celui-ci est Jean Baptiste ! Le
voilà ressuscité des morts : d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient
en sa personne !» 14, 3 En effet, Hérode avait fait arrêter,
enchaîner et emprisonner Jean, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère
Philippe. 14, 4 Car Jean lui disait : «Il ne t’est pas permis de
l’avoir.» 14, 5 Il avait même voulu le tuer, mais il craignait le peuple,
parce qu’on le tenait pour un prophète. 14, 6 Or, lors de la célébration
de son anniversaire de naissance, la fille d’Hérodiade dansa en public et plut
à Hérode 14, 7 au point qu’il s’engagea par serment à lui donner ce
qu’elle demanderait. 14, 8 Avertie par sa mère, elle lui dit :
«Donne-moi ici la tête de Jean le Baptiste sur un plat.» 14 9 Le roi fut
contristé à cause de son serment et des convives, il commanda de la lui donner.
14, 10 Il envoya décapiter Jean dans la prison. 14, 11 Et sa tête fut
apportée sur un plateau et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère.
14, 12 Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre et
l’ensevelirent ; puis ils allèrent informer Jésus. 14, 13 L’ayant
appris, Jésus se retira en barque dans un lieu désert, à l’écart ; ce
qu’apprenant, les foules le suivirent à pied en dehors des villes. 14, 14
En revenant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié ; et il guérit
leurs infirmes.
Leçon 2
[Matthieu 14, 15‑34] 14, 15 Le
soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : «L’endroit est
désert et l’heure est déjà passée ; renvoie donc les foules afin qu’elles
aillent dans les villages s’acheter de la nourriture.» 14, 16 Mais Jésus
leur dit : «Il n’est pas besoin qu’elles y aillent ; donnez-leur
vous-mêmes à manger.» 14, 17 «Mais, lui disent-ils, nous n’avons ici que
cinq pains et deux poissons.» Il dit : 14, 18 «Apportez-les moi.»
14, 19 Et, après avoir ordonné que la foule s’assoie sur l’herbe, il prit
les cinq pains et les deux poissons, levant les yeux au ciel, il bénit, rompant
les pains, il les donna à ses disciples, qui les donnèrent aux foules.
14, 20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta les
restes : douze paniers remplis de morceaux ! 14, 21 Or, ceux qui
mangèrent étaient au nombre d’environ cinq mille hommes, sans compter les
femmes et les enfants. 14, 22 Et aussitôt Jésus obligea ses disciples à
monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il
renverrait les foules.
14, 23 Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit
la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul.
14, 24 La barque, elle, se trouvait déjà éloignée de la terre de plusieurs
stades, harcelée par les vagues, car le vent était contraire. 14, 25 À la
quatrième veille de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer.
14, 26 Les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés :
«C’est un fantôme», disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier.
14, 27 Mais aussitôt Jésus leur parla en disant : «Ayez confiance, c’est
moi, ne craignez pas.» 14, 28 Pierre lui répondit : «Seigneur, si
c’est bien toi, ordonne-moi de venir à toi sur les eaux !». 14, 29
«Viens», dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher sur
les eaux et vint vers Jésus. 14, 30 Mais, voyant la force du vent, il prit
peur et, commençant à couler, il s’écria : «Seigneur, sauve-moi !»
14, 31 Aussitôt Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant :
«Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?»
14, 32 Et quand ils furent montés dans la barque, le
vent tomba. 14, 33 Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant
lui, en disant : «Vraiment, tu es Fils de Dieu !» 14, 34 Ayant
achevé la traversée, ils touchèrent terre à Gennésaret. 14, 35 L’ayant
reconnu, les gens de l’endroit annoncèrent la nouvelle à tout le voisinage, et
on lui présenta tous les malades : 14, 36 ils lui demandèrent
seulement de pouvoir toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui
touchèrent furent sauvés.
1651. Plus haut, le Seigneur a montré la puissance de l’enseignement évangélique par des paraboles ; ici, il [la] montre par des actes, et il fait trois choses : premièrement, il montre quels effets il peut produire en comparant des faits ; deuxièmement, il montre la suffisance de l’enseignement évangélique ; troisièmement, [il montre] comment celui-ci doit être conservé dans sa pureté. Le second point [se trouve] au chapitre XV ; le troisième, au chapitre XVI.
1652. À propos du premier point, il présente une fausse opinion ; deuxièmement, l’occasion ; troisièmement, [cette] opinion est rejetée. Le second point [se trouve] en cet endroit : EN EFFET, HÉRODE AVAIT FAIT ARRÊTER JEAN, etc. [14, 3] ; le troisième, en cet endroit : L’AYANT APPRIS, JÉSUS SE RETIRA [14, 13].
1653. [Matthieu]
dit donc : EN CE TEMPS-LÀ, HÉRODE LE TÉTRARQUE ENTENDIT PARLER DE LA
RENOMMÉE DE JÉSUS. Et il ne faut pas s’arrêter à ce jour-là, mais à un certain
moment, d’une manière générale, car Mc 6, 1 et Lc 4, 16 ne
présentent pas [les choses] dans le même ordre, puisqu’ils les racontent après
l’envoi des disciples, comme on le trouve en Mc 6. On ne sait donc pas
avec certitude qui suit l’ordre historique. Toutefois, ce qui est dit : EN
CE TEMPS-LÀ, est dit pour signaler la négligence d’Hérode, car il avait d’abord
entendu parler de la renommée de Jésus après les miracles. Une telle indolence
se rencontre habituellement chez les riches qui ne s’occupent pas des petites
choses. 1 Tm 6, 17 : Ne
mettez pas votre cœur dans les richesses de ce temps et ne mettez pas votre
espérance dans des richesses incertaines, etc.
1654. HÉRODE
LE TÉTRARQUE ENTENDIT PARLER, à la différence d’Hérode le roi, sous lequel le
Christ était né, comme on le lit plus haut, [Mt] 2. Après la mort de
celui-ci, le Christ est revenu d’Égypte. Le présent Hérode était le fils de
celui-là et il était tétrarque. Son père avait été établi roi par les Romains.
Il avait eu six fils. Il en tua deux pendant sa vie ; il en tua un autre à
sa mort, car celui-ci avait fait en sorte de se faire nommer roi alors que son
père vivait encore. Après la mort de ce dernier, Archélaüs reçut la royauté et,
suivant la malice de son père, il ne put être supporté par les Juifs. Ceux-ci
firent donc des démarches auprès des Romains, et le royaume fut divisé en
quatre parties : deux parties furent données à Archélaüs, une à Hérode et
une autre à Philippe. [Hérode] était donc tétrarque et dirigeant du quart du
royaume. [HÉRODE] ENTENDIT PARLER DE LA RENOMMÉE DE JÉSUS. Il était
répréhensible que [Jésus] ait vécu si longtemps et ait fait des miracles, et
que pourtant [Hérode] en entendît alors parler pour la première fois. Ainsi
s’accomplit ce qui [se lit] en Jb 28, 22 : La perdition et la mort ont dit : «La rumeur de sa renommée est
parvenue à nos oreilles.»
1655. ET IL DIT À SES SERVITEURS : «CELUI-CI EST JEAN BAPTISTE, etc.» Certains ont dit qu’il partageait la croyance en la transmigration des âmes. En effet, Platon et Pythagore ont affirmé que, lorsque l’âme sort d’un corps, elle entre dans un autre. Puisque Hérode partageait cette opinion, disent-ils, il croyait que l’âme de Jean était devenue l’âme du Christ. Mais cela ne peut pas être le cas, car il l’avait tué peu auparavant. Or, Jésus avait trente ans. Il ne croyait donc pas cela. De même, [Jésus] avait déjà fait des miracles avant la décollation et l’emprisonnement [de Jean], comme on le lit en Jn 3. Il faut cependant louer Hérode d’avoir cru en la résurrection, dont il est question en Jb 14, 14 : Penses-tu qu’un homme mort vivra de nouveau ? [Hérode] avait aussi une autre bonne qualité : il croyait que la résurrection aboutissait à un meilleur état. Il croyait donc que [Jean] faisait des miracles, ce qu’il n’avait pas fait avant sa résurrection. Il dit donc : VOILÀ QU’IL FAIT DES MIRACLES EN SA PERSONNE, parce qu’il a accédé à un état meilleur. Les hommes ressusciteront donc dans un état meilleur. L’Apôtre dit ainsi, 1 Co 15, 43 : Il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la puissance.
1656. Mais ici se pose une question, car Luc dit que [Hérode] entendit une rumeur et se mit à douter. [Hérode] dit donc : «J’ai fait couper la tête à Jean.» Mais [Matthieu] dit que [Hérode] n’a pas hésité lorsqu’il dit : CELUI-CI EST JEAN BAPTISTE. Augustin donne la solution : il ne l’a pas fait de lui-même, mais parce qu’il en entendit parler par d’autres. Ainsi, lorsqu’il en entendit d’abord parler, il eut des doutes, mais, comme la rumeur augmentait, il tomba d’accord. Ainsi, Luc a raconté le premier aspect, et Matthieu, le second. Ou bien on peut interpréter [cela] autrement, à savoir que même Matthieu aborde le doute d’Hérode, de sorte qu’on peut lire [le passage] sous une forme interrogative : EST-CE QUE CELUI-CI EST JEAN ?
1657. EN EFFET, HÉRODE AVAIT FAIT ARRÊTER JEAN. Ceci était arrivé auparavant. On ne suit donc pas l’ordre [historique], mais, au passage, [Matthieu] précise la mort de Jean.
1658. Mais une question se pose : pourquoi les évangélistes précisent-ils au passage quelque chose au sujet de Jean ? Chrysostome examine cette question. Mais il la résout [ainsi] : [les évangélistes] ont surtout porté attention à ce que le Christ a fait, et au reste dans la mesure où cela se rapportait au Christ. C’est pourquoi ici [Matthieu] précise la mort de Jean. En premier lieu, il précise son incarcération ; en second lieu, sa mort, en cet endroit : OR, LORS DE LA CÉLÉBRATION DE SON ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE, etc. [14, 6].
1659. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, il présente l’incarcération ; deuxièmement, la raison [de celle-ci] ; troisièmement, la décollation.
1660. EN EFFET, HÉRODE AVAIT FAIT ARRÊTER, ENCHAÎNER ET EMPRISONNER JEAN. [Matthieu] aborde l’ordre, car d’abord il le fit arrêter, [puis] il l’enchaîna, pour [enfin] le faire emprisonner. Il en fut de même pour le Christ.
1661. [Matthieu] aborde la cause, lorsqu’il dit : À CAUSE D’HÉRODIADE, LA FEMME DE SON FRÈRE [PHILIPPE]. Hérode et Philippe étaient frères. Philippe avait pris la fille d’Aréthas, roi des Arabes. Il était l’ennemi de ce roi des Arabes, et aussi de son [propre] frère, de sorte que le roi des Arabes, par haine de Philippe, prit sa fille et la donna à Hérode.
1662. Vous devez comprendre que ce Jean était un homme d’une grande puissance. Il est donc dit de lui : Il viendra avec la puissance d’Élie [Mt 1, 17]. Vous devez encore remarquer qu’il est aussi appelé martyr, car il est mort pour la défense de la foi puisqu’il [est mort] pour la vérité. Et le Christ est la vérité. [Jean] disait en effet à Hérode : IL NE T’EST PAS PERMIS DE L’AVOIR. Il faut savoir qu’Antipater, le père du roi Hérode, était un étranger, mais il était un prosélyte ; ses fils furent donc des Juifs. Mais c’était un commandement de la loi que, du vivant du frère, un autre [frère] ne devait pas avoir comme épouse la femme de [son] frère. Soucieux de la loi, Jean disait donc : IL NE T’EST PAS PERMIS DE L’AVOIR.
1663. Il arrive parfois que, lorsque quelqu’un ne veut pas éviter le péché, il commet [un péché] plus grand. Os 4, 2 : Ils ont accumulé l’homicide, le vol et l’adultère, et le sang a couvert le sang. Ainsi, comme [Hérode] ne voulait pas éviter l’adultère, il commit un homicide. Et comme il voulait [le commettre], IL CRAIGNAIT LE PEUPLE. Les mouvements de foule sont très à craindre. Si 26, 5 : Trois choses me font peur : une calomnie qui court la ville, une émeute populaire et une fausse accusation. De même, la crainte du Seigneur écarte un mauvais dessein, mais ce n’est pas le cas de [la crainte] de l’homme, bien qu’elle le fasse reporter. Ainsi, parce que [Hérode] ne put pas [le commettre] à cause de la crainte du peuple, il le reporta.
1664. OR, LORS DE LA CÉLÉBRATION DE SON ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE, etc. Ici, à propos de la mise à mort, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, ce qui l’a précédée est présenté ; deuxièmement, la mise à mort [est présentée] ; troisièmement, ce qui suivit.
1665. À propos du premier point, trois choses qui ont précédé sont présentées : la danse, la promesse, la demande.
1666. [Matthieu] dit donc : OR, LORS DE LA CÉLÉBRATION DE SON ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE, etc. C’était la coutume, chez les anciens, de célébrer l’anniversaire de la naissance, contrairement à ce qui est dit en Qo 7, 2 : Le jour de la mort est plus important que le jour de la naissance. On ne lit pas que d’autres que celui-ci et Pharaon, le roi d’Égypte, aient célébré l’anniversaire de leur naissance. Ainsi, LORS DE LA CÉLÉBRATION DE SON ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE, SA FILLE HÉRODIADE (c’était son nom) dansa en public, c’est-à-dire, dans la salle à manger ; elle se rendit ainsi coupable, car, par lascivité, elle oublia la salle royale, dans laquelle cela ne devait pas se faire. Et elle plut à Hérode, à l’encontre de Si 9, 4 : Ne fréquente pas une danseuse.
1667. Vient ensuite : AU POINT QU’IL S’ENGAGEA PAR SERMENT, etc. Voilà une promesse imprudente et un serment téméraire ! Si 23, 9 : N’habitue pas ta bouche à prononcer des serments, car plusieurs sont tombés à cause d’eux.
1668. AVERTIE PAR SA MÈRE, ELLE LUI DIT : «DONNE-MOI ICI LA TÊTE DE JEAN BAPTISTE SUR UN PLAT.» Ici est présentée la demande d’une femme. Les femmes sont parfois tendres et ont des sentiments changeants. Ainsi, lorsqu’elles sont tendres, elle le sont beaucoup ; mais, lorsqu’elles sont cruelles, elles le sont au plus haut point. Si 25, 22[15] : Il n’y a pire venin que le venin du serpent, il n’y a pire haine que la haine d’une femme. Et il est dit au même endroit : Par rapport à la malice d’une femme, toute malice est de brève durée. En effet, un homme penserait difficilement à ce à quoi pense une femme perverse. La mère a donc proposé une demande qui assouvirait sa colère. Elle craignait aussi qu’à cause des paroles de Jean, Hérode ne se convertisse et ne la renvoie.
1669. LE ROI FUT CONTRISTÉ À CAUSE DE SON SERMENT. Ici est précisé comment [Jean] fut tué. Chrysostome [dit] : «Ici est donné un exemple de ce que l’honnêteté est respectée même par les impies», comme on le lit en Sg 5, 1s. Jérôme dit que celui-là est contristé qui auparavant avait voulu tuer, mais avait craint le peuple. Pourquoi [Matthieu] dit-il donc que [le roi] est contristé ? [Jérôme donne] la solution : c’est la coutume parmi les hommes de raconter ce qui est vu des hommes, comme ils disaient que le Christ était le fils de Joseph, parce qu’ils le pensaient, ainsi qu’on le lit en Lc 3. [Matthieu] dit donc qu’IL FUT CONTRISTÉ, parce qu’il le parut aux hommes.
1670. Vient ensuite l’exécution. Premièrement, l’ordre [de l’exécuter] est présenté ; deuxièmement, l’exécution. À CAUSE DE SON SERMENT ET DES CONVIVES. En cela, [Hérode] fut insensé, car on ne doit pas craindre d’avoir fait serment à propos d’une chose mauvaise, car par le fait même d’avoir juré, je suis parjure. Jr 4, 2 : Vous jurerez avec jugement (c’est-à-dire avec discernement), avec justice et vérité. De même, s’il avait fait serment, il fallait qu’il soit entendu que ce qu’il ferait de lui-même porterait sur ce qui est bien. Ainsi, ce qu’il ne devait pas faire de lui-même, il ne devait pas ordonner à un autre [de le faire]. Za 8, 17 : N’aimez pas un serment mensonger. ET AUSSI À CAUSE DES CONVIVES, afin de les rendre complices de l’homicide. En effet, tous appuyaient la jeune fille. IL COMMANDA DE LA LUI DONNER.
1671. ET IL ENVOYA DÉCAPITER JEAN. Ici est présentée l’exécution. Ici s’accomplit ce que [Jean] avait dit : Il faut que celui-ci grandisse et que je diminue, car le Christ a été étendu sur la croix, mais [Jean] eut la tête coupée. De même, la décollation de Jean fut le signe que, à cause de l’autorité de la loi, ils devaient perdre le Christ et la loi.
1672. En conséquence, les suites de la décollation sont présentées. Premièrement, l’accomplissement de la promesse est présenté ; deuxièmement, la sépulture [de Jean]. [Matthieu] dit donc : ET SA TÊTE FUT APPORTÉE SUR UN PLATEAU. En ceci, Hérode fut répréhensible, car il a manifesté de la cruauté au milieu des plaisirs. On dit ainsi qu’un fonctionnaire aimait une courtisane et, alors qu’elle était sur ses genoux, elle lui dit qu’elle n’avait jamais vu tuer un homme. Et, alors qu’on était en train de manger, il fit amener quelqu’un qui méritait la mort et le fit décoller devant elle. Les Romains l’apprirent et il fut exilé de Rome. De même, [Hérode] fut-il exilé.
1673. Il s’agit ici de la sépulture de Jean et elle est considérée comme une œuvre de miséricorde. Toutefois, il semble que la miséricorde ne concerne pas un mort, car, si elle le concernait, il semble que ce que dit le Seigneur ne serait pas vrai : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps [Mt 10, 28]. Pourquoi donc est-elle considérée comme une œuvre de miséricorde ? Il faut dire que, même si [la sépulture] n’est pas utile [au mort] quant à l’effet, qu’il obtient immédiatement, elle lui est utile quant à l’affection qu’on porte présentement au mort. ILS PRIRENT donc SON CORPS ET L’ENSEVELIRENT : on dit que ce fut à Sébaste, puisque c’est proche de là. Lorsque Julien l’Apostat constata que beaucoup s’approchaient de [ses] reliques, il le fit brûler, à l’exception de la tête.
1674. PUIS
ILS ALLÈRENT INFORMER JÉSUS. Les disciples de Jean, qui avaient d’abord
calomnié Jésus, revinrent vers Jésus après la mort de Jean et en devinrent des
proches. Ainsi, certains, au moment de la tribulation, se convertissent au
Christ. Os 6, 1 : Dans
leurs tribulations, le matin venu, ils se tourneront vers moi.
1675. L’AYANT APPRIS, JÉSUS SE RETIRA EN BARQUE DANS UN LIEU DÉSERT. Plus haut, l’opinion qu’avait Hérode de Jésus a été présentée et, à cette occasion, le récit au sujet de Jean a été introduit. Maintenant, il est montré que l’opinion d’Hérode était fausse. Il avait dit deux choses : que Jésus était Jean, qu’il avait tué ; que, ressuscité, [Jean] faisait des miracles.
1676. [Matthieu] dit donc : L’AYANT APPRIS, JÉSUS SE RETIRA EN BARQUE, etc. Pourquoi se retira-t-il ? Jérôme en donne quatre raisons. La première, afin d’épargner ses ennemis, de crainte qu’ils ne se précipitent d’homicide en homicide. Os 4, 2 : Le sang rejoint le sang. Aussi, afin de repousser la passion ; c’est pourquoi il dit lui-même en Jn 7, 6 : Mon heure n’est pas encore venue. De plus, afin de nous donner un exemple pour que nous ne cédions pas à nos passions : en effet, ce n’est pas vertu que de céder à ses passions, mais présomption. Ainsi, [on lit] plus haut, 10, 33 : Si on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre. Et encore, pour montrer avec quelle dévotion les foules écoutaient la parole de Dieu, parce que, même dans le danger, elles le suivaient. Dt 13, 3 : Le Seigneur votre Dieu vous met à l’épreuve pour vérifier que vous l’aimez.
1677. Il faut aussi remarquer qu’il présente quatre choses qui vont empêcher la foule de suivre le Christ. La première est qu’il se retire sur une BARQUE ; puis, dans UN LIEU DÉSERT ; ensuite, qu’il n’y avait là aucune futaie, car c’était désert ; enfin, que cela n’était pas le long d’une route que les gens pouvaient aisément prendre. Mais [Jésus] SE RETIRA À L’ÉCART. Il fit cela pour que l’attachement de la foule se manifeste encore davantage. Chrysostome dit aussi qu’il se retira pour mettre l’homme à l’épreuve. Il ne voulut donc pas se retirer avant que ne soit annoncée la mort de Jean.
1678. Vient ensuite : CE QU’APPRENANT, LES FOULES, etc. Il s’agit ici de choses étonnantes. Premièrement, l’attachement des foules est abordé ; deuxièmement, les choses étonnantes sont abordées.
1679. [Matthieu]
dit donc : CE QU’APPRENANT, LES FOULES LE SUIVIRENT À PIED EN DEHORS DES
VILLES, où est abordé l’attachement des foules et des pauvres, qui, par
attachement, suivent le Seigneur. Os 6, 1 : Dans leurs tribulations, le matin venu, ils se tourneront vers moi,
etc.
1680. EN REVENANT, IL VIT UNE FOULE NOMBREUSE, etc. Ici, [Matthieu] aborde les choses étonnantes que le Seigneur a faites en sortant du désert, et à juste titre, car, alors qu’il était au ciel, les foules ne le suivaient pas. Jn 16, 28 : Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde. IL VIT UNE FOULE. Il est ainsi incité à la miséricorde. Suit donc : ET IL EN EUT PITIÉ. En conséquence, il leur manifesta aussitôt de la miséricorde. Ps 85[86], 15 : Seigneur, tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein de miséricorde et de vérité. Vient ensuite l’effet de cette miséricorde : ET IL GUÉRIT LEURS MALADES, à savoir, de sa propre initiative et sans qu’on le lui ait demandé. Ps 106, 20 : Il a envoyé sa parole et il les a guéris.
1681. Après que [le Christ] eut écarté l’opinion d’Hérode, [Matthieu] aborde ici la puissance de l’enseignement du Christ. En effet, sa puissance est triple : il redonne des forces, il délivre et il guérit les malades. La première puissance est montrée dans le fait qu’il nourrit les foules ; la seconde, dans le fait qu’il délivre les disciples des dangers de la mer ; la troisième, dans le fait qu’il guérir beaucoup de malades. La seconde [se trouve] en cet endroit : ET AUSSITÔT, IL OBLIGEA LES DISCIPLES À MONTER DANS LA BARQUE [14, 22] ; la troisième, en cet endroit : AYANT ACHEVÉ LA TRAVERSÉE, etc. [14, 34].
1682. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, la volonté de redonner des forces est présentée ; deuxièmement, la distribution de la nourriture ; troisièmement, le rassasiement. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS JÉSUS LEUR DIT, etc. [14, 16] ; le troisième, en cet endroit : TOUS MANGÈRENT, etc. [14, 20].
1683. [Matthieu] dit donc : LE SOIR VENU, c’est-à-dire au coucher du soleil, par quoi est signifiée la mort du Christ, car il livra alors son corps en nourriture. 1 Co 11, 24 : Faites ceci en mémoire de moi, et : Vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne [1 Co 11, 26]. Ensuite, [Matthieu] suggère la nécessité en raison du lieu : L’ENDROIT EST DÉSERT. Ici semble posée la même question qu’on trouve en Ps 77[78], 19. Car comment le Seigneur pouvait-il dresser la table dans le désert ? De même, si l’endroit avait été proche d’un village, on aurait pu croire qu’il y avait pris la nourriture, mais l’endroit était désert. Le besoin est aussi indiqué en raison de l’heure, car [Matthieu] dit : ET L’HEURE EST DÉJÀ PASSÉE, à laquelle ils auraient pu se procurer de la nourriture. RENVOIE LES FOULES. On voit par cela que les disciples étaient tellement attentifs à la douceur de la parole du Christ qu’ils prenaient davantage plaisir à écouter le Christ qu’à se procurer à manger. Ils ne s’occupaient donc pas beaucoup de restaurer leur corps. En effet, on lit en Lc 21, 37 : Le jour, il enseignait dans le temple, et la nuit il demeurait dans le désert. Il y a aussi une autre circonstance, car c’était LE SOIR. On lit au sujet d’une telle faim, en Am 8, 11 : J’enverrai la faim sur la terre, non pas une faim de pain, ni une soif [ordinaire], mais celles de la parole du Seigneur. Par cela, l’attachement des foules est signifié, de même que leur amour et leur respect pour le Christ, car elles ne le quittaient pas, bien que ce fût le soir.
1684. Mais ici se pose une question à propos du texte, car, chez Jean, on lit que Jésus a interrogé Philippe ; mais ici, on lit que les disciples ont interrogé le Christ. Augustin donne la solution : cela n’est pas inapproprié que ce que l’un a écarté, l’autre le dise. Ils ont donc d’abord parlé au Christ ; en second lieu, Jésus, ayant levé les yeux, interrogea les disciples.
1685. Ici, [Matthieu] présente la distribution de la nourriture et, à ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’ordre du Christ ; deuxièmement, la quantité de nourriture ; troisièmement, le mode et l’ordre de la distribution. Le second point [se trouve] en cet endroit : ILS LUI RÉPONDIRENT, etc. [14, 17] ; le troisième, en cet endroit : APPORTEZ-LES MOI, etc. [14, 18].
1686. [Les disciples] avaient dit deux choses : que [Jésus] renvoie les foules et qu’elles aillent se chercher à manger. Le Christ répond à ces deux choses : «Vous dites : “Renvoie les foules !”, mais IL N’EST PAS NÉCESSAIRE QU’ELLES PARTENT, car voici celui qui donne sa nourriture à toute chair.» Ps 135[136], 25. «Vous dites aussi : “Qu’elles aillent se chercher à manger !”, mais CELA N’EST PAS NÉCESSAIRE, car vous pouvez leur donner des nourritures célestes.» [Le Seigneur] dit donc : DONNEZ-LEUR À MANGER. Il donne ainsi l’exemple que les nourritures spirituelles doivent passer avant les [nourritures] charnelles.
1687. Vient ensuite la quantité de nourriture : MAIS CEUX-CI RÉPONDIRENT : «NOUS N’AVONS ICI QUE CINQ PAINS ET DEUX POISSONS.» Nous pouvons relever par cela que les apôtres étaient tellement concentrés sur la parole de Dieu qu’ils ne se préoccupaient même pas de chercher de la nourriture. Rm 13, 14 : Et ne prenez pas soin de la chair.
1688. Au sens mystique, l’enseignement de la loi [est signifié] par les cinq pains. Si 15, 3 : Il les a nourris du pain de la vie et de l’intelligence. L’enseignement des psaumes et des prophètes est souligné par les deux poissons. Ou bien, selon Hilaire, l’enseignement des prophètes et de Jean Baptiste [est signifié] par les deux poissons, en tant que ceux-ci sont deux très grands personnages à l’intérieur de la loi, à savoir, un [personnage] royal et un [personnage] sacerdotal.
1689. IL LEUR DIT : «APPORTEZ-LES MOI.» Ici est présenté le mode de la distribution. Premièrement, la présentation est faite ; deuxièmement, l’installation des foules ; troisièmement, la prière ; quatrièmement, la distribution.
1690. [Matthieu] dit donc : IL LEUR DIT. Lui, qui est tout-puissant, aurait pu créer de nouveaux pains ; mais il a voulu redonner des forces à partir des pains qui existaient. Mais pour quelle raison ? La raison donnée par le texte, selon Chrysostome, est qu’il voulait réfuter l’hérésie des manichéens, qui disaient que ces créatures avaient été faites par le Diable, à l’encontre de ce qui est écrit en 1 Tm 4, 4 : Toute créature de Dieu est bonne. Si donc elles venaient du Diable, il n’aurait pas fait de si grands miracles par elles. De même, [c’était] pour montrer qu’il était le Seigneur de la terre et de la mer. Celui qui, dans Gn 1, 11, a dit : Que la terre fasse pousser l’herbe ! et qui a dit : Que les eaux produisent des reptiles doués d’une âme vivante, etc.!, celui-là même multiplie les pains. [C’était] aussi pour indiquer qu’il ne rejetait pas la loi ancienne, mais la transformait en une nouvelle. Il dit donc : «APPORTEZ-LES MOI !», car ce qui a été écrit dans la loi ancienne doit être mis en rapport avec la [loi] nouvelle. Ainsi donc, lui-même a dit, Jn 5, 46 : Si vous croyez à Moïse, vous croirez peut-être en moi.
1691. ET APRÈS AVOIR ORDONNÉ QUE LA FOULE S’ASSOIE SUR L’HERBE, etc. Ici est présentée l’installation des gens, car il les fit asseoir sur l’herbe. Is 40, 6 : Toute chair est comme l’herbe. S’asseoir sur l’herbe n’est donc rien d’autre que de mortifier sa chair. Col 3, 5 : Mortifiez vos membres terrestres. De même, la loi est signifiée par l’herbe. Parce que ceux-ci étaient juifs, ils étaient élevés par la loi. Il ne voulut donc pas qu’ils s’assoient par terre.
1692. IL PRIT LES CINQ PAINS ET LES DEUX POISSONS, etc. Il faut remarquer que le Seigneur, lorsqu’il fait des miracles, parfois prie et parfois ne prie pas. Parfois il prie, comme ici, afin de montrer qu’il est vraiment un homme ; parfois aussi il fait des choses plus grandes et ne prie pas, afin de montrer qu’il est Dieu.
1693. LEVANT
LES YEUX AU CIEL, IL BÉNIT. AU CIEL, c’est-à-dire vers son Père.
Ps 120[121], 1 : J’ai levé
les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours. IL BÉNIT, car tout
est béni par la parole de Dieu. Il faut remarquer que notre bénédiction n’est
pas créatrice, mais a valeur de signe ; mais la bénédiction de Dieu est
créatrice. Ainsi, la bénédiction a un rapport avec la multiplication.
Gn 1, 22 : [Dieu] bénit et
dit : «Croissez et mutipliez-vous, et remplissez la terre.»
1694. ROMPANT LES PAINS, IL LES DONNA À SES DISCIPLES. Par cela est signifié que la première distribution a été faite aux disciples par le Christ tête. 1 Co 11, 3 : Le Christ est la tête de tous les hommes. Mais il a rompu [le pain] afin d’indiquer sa distribution. Is 58, 7 : Romps ton pain avec celui qui a faim. IL LES DONNA AUX DISCIPLES, en tant qu’ils sont médiateurs, plus loin, 26, 20 : Prenez et mangez. 1 Co 11, 28 : Et que l’homme se montre digne de manger ce pain et de boire cette coupe, etc. QUI LES DONNÈRENT AUX FOULES, en tant qu’ils sont les dispensateurs.
1695. Mais comment [les pains] ont-ils été multipliés ? Il faut dire que les morceaux ont été multipliés. Certains disent que cela peut être fait naturellement : en effet, le rapport de la matière à la forme est semblable à celui qu’elle a avec la quantité. Mais il est insensé que la matière ait un rapport avec n’importe quelle quantité, car ceci ne pourrait se faire que par raréfaction. Or, une telle raréfaction est limitée dans les choses naturelles. Certains disent que [Jésus] multiplie [les pains] à la manière dont un grand nombre de grains proviennent d’un petit nombre, mais là par la nature, et ici par l’action du Christ. Les mains du Christ étaient donc comme la terre, et les morceaux comme des grains. Ainsi, de même que les grains se multiplient, de même [en fut-il] des morceaux. Toutefois, ce miracle n’a pas consisté seulement en cela, mais en la conversion d’une autre matière en celle-ci.
1696. Vient ensuite le rassasiement, et sur deux points : par rapport au rassasiement comme tel, et par rapport aux restes. [Matthieu] dit donc : TOUS MANGÈRENT ET FURENT RASSASIÉS, conformément à Ps 21[22], 27 : Les pauvres mangeront et seront rassasiés, etc. ET L’ON EMPORTA LES RESTES : DOUZE PANIERS REMPLIS DE MORCEAUX. Ici est abordé le rassasiement du point de vue de l’abondance des restes. Mais pourquoi le Seigneur a-t-il voulu que les restes soient ramassés ? La cause factuelle est celle que propose Chrysostome : il a d’abord voulu que les disciples ramassent pour que cela ne semble pas un rêve, et aussi pour qu’ils ne l’oublient pas. Le fait qu’ils aient ramassé douze paniers était en rapport avec le nombre des douze apôtres, de sorte que chacun prît le sien et qu’ainsi tous se rappellent.
1697. Au sens mystique, les morceaux signifient le sens spirituel, qui n’est pas saisi par les foules, mais [est déposé] dans les paniers, c’est-à-dire chez les sages. 1 Co 1, 26 : Frères, voyez votre appel : il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui était insensé afin de confondre les sages, etc.
1698. Ensuite, le nombre de ceux qui ont mangé : OR, CEUX QUI MANGÈRENT ÉTAIENT AU NOMBRE D’ENVIRON CINQ MILLE HOMMES, de sorte que mille [pains] sont venus d’un seul pain, selon Hilaire. Cela se produisit aussi après l’ascension, lorsque, à l’appel des apôtres, cinq mille se convertirent en un seul jour. SANS COMPTER LES FEMMES ET LES ENFANTS, qui sont ignorants et ne méritent pas d’être comptés. On trouve quelque chose de semblable dans les livres des Macchabées : les enfants et les femmes ne sont pas comptés dans la guerre. Remarquez aussi que ce miracle a été fait immédiatement après la mort de Jean et qu’on était proche de la Pâque : le Christ avait déjà prêché pendant une année et, encore une autre année, et le Christ connaîtra sa passion.
1699. ET AUSSITÔT, JÉSUS OBLIGEA SES DISCIPLES. Ici est représentée la puissance de l’enseignement du Christ, car elle libère des dangers, puisqu’elle a libéré les disciples de dangers. [Matthieu] fait donc trois choses : premièrement, l’occasion d’encourir un danger est présentée ; deuxièmement, le danger ; troisièmement, la délivrance. Le deuxième point [se trouve] en cet endroit : ET QUAND IL EUT RENVOYÉ LES FOULES, etc. [14, 23] ; le troisième, en cet endroit : À LA QUATRIÈME VEILLE DE LA NUIT, IL VINT VERS EUX EN MARCHANT SUR LA MER [14, 25].
1700. L’occasion
du danger fut l’ordre du Christ. En effet, il arrive fréquemment que ceux qui
veulent obtempérer à la volonté de Dieu soient exposés à des dangers, comme le
dit l’Apôtre, 1 Co 11, 26 : Dangers des torrents, dangers des voleurs, dangers de tout genre,
dangers des païens, dangers dans les villes, dangers dans le désert, dangers de
la mer, dangers des faux frères. ET AUSSITÔT, JÉSUS OBLIGEA donc SES
DISCIPLES À MONTER DANS LA BARQUE. Immédiatement après avoir fait le miracle,
[Jésus] a donc voulu que ses disciples soient séparés des foules. Et il a fait
cela pour trois raisons. Premièrement, pour montrer la vérité des miracles, de
sorte qu’on ne dise pas que cela était arrivé à cause de sa présence. Lui-même
en effet est la vérité, comme on le lit en Jn 14, 6. Deuxièmement,
afin de nous enseigner à éviter la vaine gloire. Il se retira donc après avoir
fait des miracles. Jn 8, 50 : Moi, je ne cherche pas ma gloire, etc. Aussi, afin de montrer la
puissance de la discrétion : la discrétion consiste en effet à se retirer
et à se tenir tranquille. Sg 8, 16 : Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle. Mais il faut
remarquer que [le Seigneur] recourt à une impulsion, car il était difficile
pour eux d’être séparés du Christ, comme le dit Pierre,
Jn 6, 69 : Seigneur, à qui
irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Il montre aussi
l’attachement des foules, à savoir, l’ardeur avec laquelle elles le suivaient.
Ct 1, 2 : Ton nom est
comme l’huile qu’on verse ; c’est pourquoi les jeunes filles t’ont aimé.
1701. ET QUAND IL EUT RENVOYÉ LES FOULES, IL GRAVIT LA MONTAGNE, SEUL, POUR PRIER. Il est ensuite parlé du danger, et le danger est indiqué par le moment, par le lieu et par le vent.
1702. En premier lieu, l’absence du Christ est présentée, car, alors qu’il était avec les disciples, IL GRAVIT LA MONTAGNE, SEUL, POUR PRIER. En effet, il était venu pour semer notre foi. C’est pourquoi il agissait parfois humainement, parfois divinement. Le fait d’avoir multiplié les pains, cela venait de Dieu ; le fait qu’il ait prié, cela était humain, non pas qu’il en eût besoin, mais pour donner l’exemple. En effet, toute action du Christ est un enseignement pour nous. Jn 13, 15 : Je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez comme j’ai fait. Et il nous donne l’exemple comment prier : pour prier, le repos de l’esprit, l’élévation et la solitude sont nécessaires. Le repos est indiqué : QUAND IL EUT RENVOYÉ LA FOULE, qui représente les pensées troublantes avec lesquelles un homme ne peut pas prier. C’est pourquoi [le Seigneur] enseigne à fermer les portes de notre cœur, plus haut, 6, 6 : Lorsque tu pries, entre dans ta chambre, etc. Aussi, l’élévation. Lm 3, 28 : Il siégera seul et s’élèvera au-dessus de lui-même. Aussi, la solitude. Os 2, 14 : Je la mènerai au désert et je parlerai à son cœur. Par la montagne, on entend le ciel. En effet, il n’y a rien de plus élevé que le ciel. Après avoir renvoyé les foules, c’est-à-dire après avoir renvoyé ce qui est mortel, il alla vers le ciel, et lui seul y monta, et par sa propre puissance. Mi 2, 13 : Il est monté devant pour ouvrir le chemin. De même, il est monté pour prier. He 7, 25 : Montant de lui-même.
1703. Mais ici semble se poser une question, car Jean semble dire qu’il mena les foules sur la montagne, comme on lit en Jn 6, 3 ; mais ici, on dit qu’après avoir nourri les foules, il gravit la montagne. La réponse est qu’il mena [les foules] vers la montagne, mais qu’après, il monta vers un endroit plus élevé. Se pose aussi une autre question, car on trouve en Jn 6, 15 qu’il s’enfuit, parce qu’on voulait le faire roi. Mais ici, on dit qu’il monta pour prier. Augustin dit que ce peut être la même cause qui le fit fuir et [le conduisit] à prier.
1704. Ensuite, le danger est décrit par le moment, car c’était la nuit, et, la nuit, la mer est plus dangereuse. [Matthieu] dit donc : LE SOIR VENU. Et cela signifie sa passion, car il monta seul vers sa passion. Ac 1, 9 : Sous leurs yeux, il s’éleva et la nuée le déroba à leurs yeux.
1705. MAIS
LA BARQUE ÉTAIT SECOUÉE PAR LES VENTS AU MILIEU DE LA MER. Par la barque,
l’Église est représentée, par la mer, le monde.
Ps 103[103], 25 : Voici la
grande mer aux vastes bras. Et, alors que le Christ montait, cette Église
restait sur la mer, dans les dangers de la mer du monde. En effet, lorsque
quelque grand s’en prend à l’Église, celle-ci est alors agitée par les flots.
Ps 87[88], 8 : Et tu as
versé tous tes flots sur moi. Mais parce que le Christ prie, elle ne peut
être submergée, bien qu’elle chevauche les vagues et s’élève.
Gn 7, 17 : Et ils
élevèrent une arche bien au-dessus de la terre. De même est-elle agitée par
le vent : ce vent est l’impulsion de l’incitation diabolique.
Jb 1, 19 : Car le vent est
venu de la région du désert et a frappé les quatre coins de la maison.
Is 25, 4 : L’esprit des
forts est comme un tourbillon qui fait pression sur un mur.
1706. À LA QUATRIÈME VEILLE DE LA NUIT, IL VINT VERS EUX EN MARCHANT SUR LA MER. Après la présentation du danger, la délivrance du danger est présentée. À ce propos, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il présente le secours ; deuxièmement, son effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : CEUX QUI ÉTAIENT DANS LA BARQUE SE PROSTERNÈRENT DEVANT LUI [14, 33].
1707. [Matthieu] avait présenté trois dangers : d’abord, la noirceur de la mer, [puis] le danger de la mer, [enfin] le danger du vent. Contre le premier, il présente la visite [de Jésus] ; contre le deuxième, l’assurance qu’il exprime, en cet endroit : MAIS AUSSITÔT JÉSUS LEUR PARLA, etc. [14, 27] ; contre le troisième, [Jésus] tend la main : ET AUSSITÔT JÉSUS TENDIT LA MAIN ET LE SAISIT [14, 31]. De même, [Matthieu présente] l’apaisement de la mer : ET QUAND IL FUT MONTÉ DANS LA BARQUE, LE VENT CESSA [14, 32].
1708. À propos du premier point, [Matthieu] présente la visite [de Jésus] ; deuxièmement, l’effet de sa visite, en cet endroit : LE VOYANT MARCHER SUR LA MER, ILS FURENT TROUBLÉS [14, 26].
1709. [Matthieu] dit donc : À LA QUATRIÈME VEILLE DE LA NUIT, IL VINT VERS EUX. Ici est abordée la venue [de Jésus] et le moment, car c’était À LA QUATRIÈME VEILLE. Jérôme dit que les anciens divisaient la nuit en quatre parties. Au cours de la première, certains veillaient ; au cours de la deuxième, de la troisième et de la quatrième, d’autres [veillaient], et ceux qui avaient veillé allaient se reposer. [Matthieu] dit ainsi : À LA QUATRIÈME VEILLE, etc., parce qu’ils avaient été en mer toute la nuit. IL VINT VERS EUX EN MARCHANT SUR LA MER. Et pourquoi ? Chrysostome donne une raison tirée du texte lorsqu’il dit qu’il avait tellement tardé afin de se faire davantage désirer. Is 26, 9 : Mon âme t’a désirée pendant la nuit. Aussi, afin qu’ils apprennent que s’ils ne reçoivent pas immédiatement de secours, ils ne doivent pas abandonner, car il faut toujours prier.
1710. Au sens mystique, les quatre états sont représentés par les quatre heures : premièrement, l’état de la loi ; deuxièmement, l’état des prophètes ; troisièmement, l’état de la grâce ; quatrièmement, la montée au ciel, état dans lequel la tempête a cessé. [Jésus] vint donc à la quatrième veille comme vers la fin de la nuit. Ainsi, Jc 5, 8 : Soyez patients vous aussi et affermissez vos cœurs, car la venue du Seigneur approche.
1711. Mais comment vient-il ? EN MARCHANT SUR LES EAUX. Et pourquoi a-t-il voulu venir ainsi ? Afin de montrer qu’il était le Seigneur de la mer. Ps 88[89], 10 : Tu domines la puissance de la mer, tu changes le mouvement de ses vagues. Aussi, afin de mettre en lumière les tromperies du pouvoir de ce siècle. En effet, le Diable trompe toujours le pouvoir de ce siècle. Ps 103[104], 26 : Ce dragon que tu as créé pour te jouer de lui. Mais le Seigneur a brisé ce pouvoir. Ps 73[74], 14 : Tu as brisé la tête du dragon. Et cela signifie que l’Église ne peut supporter de tribulations qu’il n’ait lui-même voulues.
1712. Il y a eu à ce sujet l’opinion que, dans cette vie, le Seigneur a pris quatre qualités : la subtilité lors de sa naissance ; l’impassibilité lorsqu’il jeûna quarante jours ou lors de la transsubstantiation du sacrement de l’eucharistie ; l’agilité ici et la clarté lors de la transfiguration. Mais je ne le crois pas. Je crois en effet qu’il a agi ainsi miraculeusement.
1713. [LES DISCIPLES], LE VOYANT. Ici est présenté l’effet de la présence du Christ, à savoir, le trouble des disciples. Le trouble est donc présenté, [puis] la cause du trouble, [enfin] le signe.
1714. [Matthieu] dit : [LES DISCIPLES], LE VOYANT, FURENT TROUBLÉS, etc. Vous devez savoir que lorsque l’aide de Dieu se rapproche, le Seigneur permet qu’on soit plus affligé afin que son aide soit accueillie avec une plus grande dévotion et davantage d’action de grâce. Aussi, la crainte augmenta-t-elle, car fréquemment les hommes se convertissent par crainte. Et pourquoi ? Parce que [les disciples] croyaient que c’était un fantôme ; aussi DISAIENT-ILS : «C’EST UN FANTÔME !», ne croyant pas qu’il s’agissait du corps véritable né de la Vierge.
1715. Au
sens mystique, cela signifie qu’avant la venue du Christ, beaucoup diront bien
des choses imaginaires, comme on le lit plus loin, 24, 23s. PRIS DE PEUR,
ILS SE MIRENT À CRIER. Le cri est en effet le signe de la peur. Ainsi
devons-nous en toute tribulation crier vers le Seigneur.
Ps 119[120], 1 : Dans mes
tribulations, j’ai crié vers le Seigneur et il m’a entendu.
1716. MAIS AUSSITÔT JÉSUS LEUR PARLA, etc. Ici est présenté le secours. Parce qu’ils étaient dans l’obscurité, il leur donne donc l’assurance. Et [Jésus] fait trois choses : premièrement, il les rassure par des paroles ; deuxièmement, Pierre demande un signe par des gestes ; troisièmement, cela lui est accordé.
1717. [Matthieu]
avait présenté trois choses : le trouble de la crainte, la fausseté de
[leur] opinion et [leur] désespoir. Contre ces trois choses, [Jésus] fait trois
choses. En effet, AUSSITÔT JÉSUS LEUR PARLA. Ainsi, lorsque quelqu’un crie vers
le Seigneur, il vient aussitôt, si cela est nécessaire.
Is 30, 19 : En entendant
ton cri, il te répondra dès qu’il aura entendu. De même, parce qu’ils
désespéraient, il leur dit : NE CRAIGNEZ PAS. On trouve la même chose en
Jn 16, 23 : Vous aurez à
souffrir dans le monde, mais ayez confiance, car j’ai vaincu le monde :
en moi [se trouve] le repos. De même, parce qu’ils croyaient qu’il s’agissait
d’un fantôme, il leur dit : «C’EST MOI !» Et pourquoi parle-t-il
ainsi ? Parce qu’ils pouvaient être rassurés par sa manière de parler.
Jn 10, 3 : Mes brebis
entendent ma voix. De même, afin de montrer qu’il était vraiment Dieu. Il y
a quelque chose de semblable en Ex 3, 13 : Celui qui est m’a envoyé, dit Moïse. De même, contre le fait qu’ils
étaient troublés, il dit : NE CRAIGNEZ PAS. Is 51, 12 : Qui es-tu pour craindre un homme mortel et
un fils d’homme qui se dessèche comme l’herbe ? Et
Pr 28, 1 : Le juste, comme
un lion sûr de lui, sera sans crainte.
1718. PIERRE LUI RÉPONDIT : «SEIGNEUR, SI C’EST BIEN TOI, ORDONNE-MOI DE VENIR À TOI SUR LES EAUX !» Parce qu’il avait porté secours par des paroles, Pierre demande donc un signe par des gestes. Or, Pierre adresse sa demande au nom de tous, et il dit : «SI C’EST BIEN TOI, ORDONNE-MOI DE VENIR À TOI !» Voilà une grande confiance de la part de Pierre ! Il ne dit pas : «Prie pour moi», mais il dit : «ORDONNE-MOI DE VENIR À TOI», car lui-même avait confessé : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant [Mt 16, 16]. Ainsi, par la foi qu’il avait déjà conçue, il s’en remet à sa puissance avec audace. Est 13, 9 : Seigneur, tout relève de ta puissance et nul ne peut résister à ta volonté. Et il dit cela par son seul désir, et non pour mettre [Jésus] à l’épreuve, ni par infidélité. 1 Th 1, 3 : Me rappelant votre foi, votre comportement et vos efforts, etc.
1719. Ensuite, le signe est présenté. [Jésus] dit donc : «VIENS.» ET PIERRE, DESCENDANT DE LA BARQUE, SE MIT À MARCHER SUR LES EAUX. Et ceci va contre les manichéens, qui disaient que le Christ n’avait pas un vrai corps, car si le Christ n’en avait pas, puisqu’il marchait sur les eaux, ainsi en était-il de Pierre.
Le
fait qu’un danger était toujours imminent après la quatrième veille signifie
que, lors du quatrième avènement, qui servira à purifier, les élus seront
purifiés. Ps 94[95], 3 : Le feu
le précédera, et il entourera de flammes ses ennemis.
1720. MAIS, VOYANT LA FORCE DU VENT, etc. Ici est présenté le troisième secours, car il délivra Pierre de la noyade. Premièrement, la cause est présentée ; deuxièmement, la demande de Pierre ; troisièmement, le secours du Christ.
1721. MAIS, VOYANT LA FORCE DU VENT, [PIERRE] PRIT PEUR. Sur mer, le vent n’a pas toujours une force continue, pas davantage que sur terre.[Jésus] fut donc interpellé lorsque Pierre débarqua sur la mer, mais lorsque [celui-ci] fut sur la mer, [le vent] souffla fortement, et [Pierre] prit peur. Et il faut remarquer ce que [Matthieu] dit, [à savoir] qu’il y avait plus de danger sur la mer que dans la barque. C’est pourquoi le Seigneur permet parfois que ceux qui sont forts soient submergés par les dangers de la mer. Ainsi, l’Apôtre [dit], 1 Co 10, 12 : Celui qui estime se tenir debout, qu’il craigne de ne pas tomber. Mais pourquoi [le Seigneur] permit-il que [Pierre] soit en danger ? D’abord, il [lui] ordonna de venir, afin que sa puissance soit manifestée, car les deux marchaient, et les disciples ont vu cela. Mais il fit en sorte de permettre que Pierre s’enfonce afin qu’on constate ce qu’il pouvait accomplir par lui-même. Ainsi, ce fut par la puissance du Christ qu’il marcha sur la mer ; mais ce fut à cause de la faiblesse de Pierre qu’il se mit à s’enfoncer, comme [le dit] Paul, 2 Co 12, 7 : Afin que la grandeur de ces révélations ne m’enorgueillissent pas, il m’a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter. Le Seigneur a aussi permis que Pierre s’enfonce parce qu’il devait devenir le pasteur. Il voulut donc manifester à la fois la vérité et [sa] puissance. Il a aussi fait cela afin de refréner la rivalité entre les disciples. En effet, voyant le danger qui menaçait [Pierre], la rivalité entre eux cessa.
1722. ET,
COMMENÇANT À COULER, IL S’ÉCRIA : «SEIGNEUR, SAUVE-MOI !» [On lit] la
même chose dans Ps 68[69], 2 : Sauve-moi, Seigneur, car les eaux ont pénétré jusqu’en mon âme.
1723. AUSSITÔT, JÉSUS TENDIT LA MAIN ET LE SAISIT, etc. Le Christ fait deux choses, car il lui porte secours et lui reproche son manque de foi. Il lui porte secours, car il tend la main. Ps 143[144], 7 : Étends la main depuis là-haut et tire-moi des grandes eaux ; et Jb 14, 15 : Tu étendras la main sur l’œuvre de tes mains. Ensuite, [Jésus] lui reproche son manque de foi et il lui dit : «HOMME DE PEU DE FOI, POURQUOI AS-TU DOUTÉ ?» Par là est indiqué que, si [Pierre] avait eu une foi assurée, il n’aurait pas pu couler. Nous devons donc être solides dans la foi. [On lit] la même chose plus haut, 8, 26 : Pourquoi êtes-vous hésitants, hommes de peu de foi ?
1724. Ici est présentée la quatrième aide contre le vent. Ps 106[107], 25 : Il parla, et les vents de la tempête s’apaisèrent. C’est donc le signe que, lorsque le Christ est avec les siens, ils ne sont affectés par rien de mauvais. Ainsi, [il est dit] en Ap 7, 16 : Ils n’auront plus faim ni soif.
1725. Vient ensuite l’effet de la délivrance : CEUX QUI ÉTAIENT DANS LA BARQUE SE PROSTERNÈRENT DEVANT LUI, c’est-à-dire, les disciples ou les marins, plus haut, 8, 27 : Quel est celui-ci pour que les vents et la mer lui obéissent ?
«VRAIMENT,
TU ES LE FILS DE DIEU !» Il est indiqué par cela que, lorsque le Seigneur
est avec ses fidèles, ils croient vraiment. 1 Jn 2, 28 : Mes petits enfants, afin que, lorsqu’il
paraîtra, nous ayons l’assurance et que nous ne soyons pas confondus par lui
lors de son avènement.
1726. Ici est présentée la puissance du Christ. Premièrement, le lieu est décrit ; ensuite, l’attachement des hommes ; puis, la puissance de [son] action.
[Matthieu] dit donc : AYANT ACHEVÉ LA TRAVERSÉE, ILS TOUCHÈRENT TERRE À GÉNÉSARETH, qui est un endroit de l’autre côté de la mer et signifie «le lever». Ainsi, après le danger, ils connurent le soulagement.
1727. Puis, vient ensuite l’attachement des foules : L’AYANT RECONNU, LES GENS DE L’ENDROIT ANNONCÈRENT LA NOUVELLE À TOUT LE VOISINAGE ET ON LUI PRÉSENTA TOUS LES MALADES, etc., car ils présentèrent non seulement leurs malades, mais ils firent venir ceux de l’extérieur. Ainsi, lorsqu’ils apprirent la renommée et l’enseignement [de Jésus], ils envoyèrent chercher les malades et les lui présentèrent. Ils croyaient donc tous en lui, tant était grande la puissance de sa parole. Et cela est indiqué dans Is 66, 19 : J’en enverrai, parmi ceux qui ont été sauvés, aux nations qui sont sur le bord de la mer, etc. Aussi, leur attachement est-il de même montré, car non seulement demandaient-ils qu’il impose les mains, mais ILS LUI DEMANDAIENT SEULEMENT DE POUVOIR TOUCHER LA FRANGE DE SON MANTEAU. Par la frange sont signifiés les plus petits commandements, ou la chair du Christ, ou le sacrement du baptême. ET TOUS CEUX QUI TOUCHÈRENT, à savoir, par la foi, FURENT SAUVÉS. [On lit] ainsi en Mt 28, 16 : Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé.
Leçon 1 [Matthieu 15, 1‑20] 15, 1 Alors des pharisiens et des scribes de
Jérusalem s’approchent de Jésus et lui disent : 15, 2 «Pourquoi tes
disciples transgressent-ils les traditions des anciens ? En effet, ils ne
se lavent pas les mains lorsqu’ils mangent» 15, 3 Mais il leur
répondit : «Et vous, pourquoi transgressez-vous un commandement de Dieu au
nom de votre tradition ? 15, 4 Car Dieu a dit : “Honore ton père
et ta mère”, et “Que celui qui maudit son père ou sa mère soit puni de mort.”
15, 5 Mais vous, vous dites : “Quiconque dira à son père ou à sa
mère : ‘Les biens dont j’aurais pu t’assister, je les consacre’,
15, 6 celui-là sera quitte de ses devoirs envers son père ou sa mère.” Et
vous avez annulé le commandement de Dieu au nom de votre tradition. 15, 7
Hypocrites ! Isaïe a bien prophétisé de vous, quand il a dit :
15, 8 “Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi. 15,
9 Vain est le culte qu’ils me rendent : les doctrines qu’ils enseignent ne
sont que préceptes humains.”»
15, 10 Et ayant appelé les gens près de lui, il leur
dit : «Écoutez et comprenez ! 15, 11 ce n’est pas ce qui entre
par la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà
ce qui souille l’homme.» 15, 12 Alors s’approchant les disciples lui
disent : «Sais-tu que les Pharisiens se sont scandalisés de t’entendre
parler ainsi ?» 15, 13 Il répondit : «Tout plant que n’a point
planté mon Père céleste sera arraché. 15, 14 Laissez-les : ce sont
des aveugles qui guident des aveugles ! Or si un aveugle guide un aveugle,
tous les deux tomberont dans un trou.»
15, 15 Pierre répondit : «Explique-nous la
parabole.» 15, 16 Il dit : «Vous aussi, êtes-vous encore sans intelligence ?
15, 17 Ne comprenez-vous pas que tout ce qui pénètre dans la bouche passe
dans le ventre, puis s’évacue aux lieux d’aisance, 15, 18 tandis que ce
qui sort de la bouche procède du coeur, et c’est cela qui souille
l’homme ? 15, 19 Du coeur en effet procèdent mauvais desseins,
meurtres, adultères, fornications, vols, faux témoignages, diffamations.
15, 20 Voilà les choses qui souillent l’homme ; mais manger sans
s’être lavé les mains, cela ne souille pas l’homme.»
Leçon 2 [Matthieu 15, 21‑28] 15, 21 En sortant de là, Jésus se retira dans la
région de Tyr et de Sidon. 15, 22 Et voici qu’une femme cananéenne, étant
sortie de ce territoire, criait en disant : «Aie pitié de moi, Seigneur,
fils de David : ma fille est fort malmenée par un démon.» 15, 23 Mais
il ne lui répondit pas un mot. Ses disciples, s’approchant, le priaient :
«Fais-lui grâce, car elle nous poursuit de ses cris.» 15, 24 À quoi il
répondit : «Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison
d’Israël.» 15, 25 Mais la femme s’approcha et se prosterna devant lui en
disant : «Seigneur, viens à mon secours !» 15, 26 Il lui
répondit : «Il ne convient pas de prendre le pain des enfants et de le
donner aux petits chiens» 15, 27 Mais celle-ci lui dit : «Oui, Seigneur !
Mais même les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table des
maîtres !» 15, 28 Alors Jésus lui répondit : «Ô femme, grande
est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ce que tu désires !» Et à partir
de ce moment sa fille fut guérie.
Leçon 3 [Matthieu 15, 29‑38] 15, 29 Étant parti de là, Jésus vint au bord de la
mer de Galilée. Il gravit la montagne, et là il s’assit. 15, 30 Et des
foules nombreuses s’approchèrent de lui. Elles avaient avec elles des muets,
des aveugles, des boiteux et des infirmes, et de nombreux autres encore, qu’ils
déposèrent à ses pieds ; et il les guérit. 15, 31 Et les foules
s’émerveillaient en voyant ces muets qui parlaient, ces estropiés qui
redevenaient valides, ces boiteux qui marchaient et ces aveugles qui
recouvraient la vue ; et ils bénissaient le Dieu d’Israël.
15, 32 Jésus, cependant, appela ses disciples et
leur dit : «J’ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu’ils
restent auprès de moi. Ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas les
renvoyer à jeun de crainte qu’ils ne défaillent en route.» 15, 33 Les
disciples lui disent : «Où trouverons-nous, dans un désert, assez de pains
pour rassasier une telle foule ?» 15, 34 Jésus dit : «Combien de
pains avez-vous ?» «Sept, dirent-ils, et quelques petits poissons.»
15, 35 Alors il ordonna à la foule de s’étendre à terre ; 15, 36
puis il prit les sept pains et les poissons. En rendant grâce, il les rompit et
il les donna à ses disciples, et les disciples les donnèrent à la foule.
15, 37 Et tous mangèrent. Ils furent rassasiés, et des morceaux qui
restaient on ramassa sept pleines corbeilles ! 15, 38 Or, ceux qui
mangèrent étaient quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
1728. Plus haut, le Seigneur a montré la puissance de son enseignement par des figures. Mais il montre maintenant que [celui-ci] se suffit. Cela est montré de deux façons : premièrement, il ne requiert pas l’observance de la loi ; deuxièmement, il n’a pas été donné au seul peuple des Juifs, mais aussi aux Gentils, en cet endroit : EN SORTANT DE LÀ, JÉSUS SE RETIRA DANS LA RÉGION DE TYR ET DE SIDON [15, 21].
1729. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, les circonstances de l’accusation sont abordées ; deuxièmement, l’accusation elle-même ; troisièmement, l’explication. Le second point [se trouve] en cet endroit : POURQUOI TES DISCIPLES TRANSGRESSENT-ILS LES TRADITIONS DES ANCIENS ? [15, 2] ; le troisième, en cet endroit : EN EFFET, ILS NE SE LAVENT PAS LES MAINS LORSQU’ILS MANGENT [15, 2].
1730. Car
la malice [de ces pharisiens] est aggravée par trois choses. Premièrement, en
raison du moment, parce que, alors que [le Seigneur] faisait ces signes et ces
miracles, eux produisaient des signes d’iniquité, de sorte qu’ils montraient de
la malice, plus haut, 11, 25 : Tu
as caché ces choses aux sages et aux prudents, etc. De même, l’aggravation
vient du lieu, car, alors que les Juifs étaient dispersés en Judée, ceux-ci
étaient cependant à Jérusalem ; ils étaient sages, et cependant moins
bons. Is 26, 10 : Il a mal
agi sur la terre des saints, il ne verra pas la gloire du Seigneur.
L’aggravation vient encore de la condition des personnes, car les scribes
étaient issus des grands, qui étaient plus instruits, ainsi que les Pharisiens,
qui étaient réputés plus saints. Jr 5, 5 : J’irai chez les grands et je leur parlerai ; en effet, ils ont eu
connaissance du chemin du Seigneur.
1731. Ensuite, l’accusation qu’ils portaient est présentée : POURQUOI TES DISCIPLES TRANSGRESSENT-ILS LES TRADITIONS DES ANCIENS ? Il s’agissait d’un commandement, comme on le trouve en Dt 4, 2 : Vous n’ajouterez ni n’enlèverez rien à ce que je vous dis. En ajoutant des traditions, ils agissaient donc contre la loi, non pas qu’il ne fût pas permis d’établir quelque chose, mais [il leur était interdit] de l’imposer comme une loi du Seigneur.
1732. EN EFFET, ILS NE SE LAVENT PAS LES MAINS, etc. Ici est expliqué quelles étaient leurs traditions. Toutefois, cela est davantage expliqué en Mc 7, 2 : il y est dit, en effet, que, voyant certains de ses disciples manger des pains avec des mains ordinaires, c’est-à-dire, non lavées, ils critiquaient. Et il se peut que cela ait eu lieu à la lettre, car ils ne se lavaient pas les mains. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient tellement pris par la parole de Dieu qu’ils n’en avaient même pas le temps. Ainsi, en raison de l’intérêt qu’ils portaient aux réalités spirituelles, ils ne se lavaient pas à la manière des Juifs, comme on lit en Mc 7, 4 que tous les Juifs, à moins de se laver fréquemment les mains, ne mangeaient pas. Ainsi, les disciples ne se lavaient pas selon leurs rites. [Les Pharisiens] comprenaient ainsi de manière charnelle ce qui est dit en Is 1, 16 : Vous vous êtes lavés, vous êtes propres. Ils interprétaient donc de manière littérale en lavant ce qui était extérieur, mais non pas l’intérieur.
1733. MAIS [JÉSUS] LEUR RÉPONDIT. Le Seigneur fait deux choses : il ne répond pas en accusant les apôtres, mais [en disant] que ceux qui les reprenaient n’étaient pas dignes d’eux, plus haut, 7, 5 : Hypocrite, enlève d’abord la poutre qui est dans ton œil. Il est clair que transgresser un commandement de Dieu est plus grave que [transgresser] des traditions humaines ; c’est pourquoi eux, qui transgressaient des commandements de Dieu, péchaient en des matières plus importantes. Ainsi, il montre d’abord qu’ils transgressaient la loi ; deuxièmement, qu’ils transgressaient un commandement. [Le Seigneur] dit : POURQUOI TRANSGRESSEZ-VOUS UN COMMANDEMENT DE DIEU, et ne l’observez-vous pas, AU NOM DE VOTRE TRADITION ? Rm 10, 3 : Ignorant la justice de Dieu et recherchant la leur, ils ne se soumettent pas à la justice de Dieu ; Is 3, 8 : Leurs langues et leurs inventions vont contre le Seigneur, de sorte qu’elles attirent les yeux de sa majesté, etc.
1734. Ensuite, lorsqu’il dit : CAR DIEU A DIT, etc., [le Seigneur] montre quel est ce commandement, à savoir, celui qui porte sur l’honneur dû aux parents. Et d’abord, il présente le commandement ; deuxièmement, le châtiment.
Il dit donc : CAR DIEU A DIT : «HONORE TON PÈRE ET TA MÈRE.» Et il faut remarquer que l’honneur n’est rien d’autre que le respect manifesté en témoignage rendu à la vertu En effet, celui-là manifeste du respect qui fait ce qui est nécessaire. Ainsi, l’homme n’est pas seulement tenu de se lever, mais aussi de faire le nécessaire. Si 2, 21 : Ceux qui craignent le Seigneur observeront ses commandements. Et qu’un tel honneur soit dû, cela est clair, car Tobie paya Gabel, ce que le Seigneur avait ordonné de faire [Tb 12, 3]. Ex 20, 12 ajoute tout de suite après : Afin d’avoir une longue vie sur terre. De même, Lv 20, 9 ajoute le châtiment des transgresseurs : Celui qui aura maudit son père et sa mère périra par la mort. Ainsi, par la bénédiction, on n’entend pas seulement que tu bénisses de bouche, mais que tu donnes un bienfait. Pr 20, 20 : Celui qui a maudit son père et sa mère, sa lumière s’éteindra en pleines ténèbres.
1735. Mais, alors qu’il a présenté une incitation pour ce qui est du châtiment, pourquoi n’a-t-il pas [présenté] une récompense pour l’obéissance ? Parce que les hommes sont plus effrayés par le châtiment qu’ils ne désirent la récompense, car même un animal est effrayé par le châtiment. Et c’est cela qu’on a, à savoir que, si certains méprisent leur père et leur mère, ils sont dignes de mort. Ainsi donc, ceux qui en incitent d’autres à les mépriser sont dignes de mort. Ils ne sont donc pas dignes d’accuser. «Vous n’êtes donc pas dignes d’accuser.»
1736. MAIS VOUS, VOUS DITES, etc. Ici, [le Seigneur] aborde la manière dont [les Pharisiens] ont transgressé [un commandement]. Et d’abord, il le montre ; en second lieu, il apporte une autorité. À propos du premier point, il montre quel était leur rite ; en second lieu, ce que lui faisait.
[Le Seigneur] dit : VOUS, VOUS DITES : «QUICONQUE DIRA À SON PÈRE OU À SA MÈRE, etc.» Cela se lit de plusieurs façons. Première façon : la construction [de la phrase] est parfaite, et [on la lit] ainsi : QUICONQUE, c’est-à-dire, n’importe qui, dira, c’est-à-dire, aura pu dire. Autre façon : [la construction de la phrase] est imparfaite, [et on la lit] ainsi : QUICONQUE DIRA, etc., il faut ajouter : …observe le commandement et est exempt de châtiment. Qu’est-ce qui est dit ainsi ? On l’explique de trois façons. Raban disait que le bien spirituel doit être préféré au [bien] temporel ; ceux-là qui avaient des pères pauvres leur disaient donc : «Père, ne t’en déplaise, si je ne te donne pas le nécessaire, car l’offrande que je fais t’est spirituellement profitable.» Mais cela n’était pas vrai, conformément à ceci : Le Très-Haut n’accepte pas les dons des impies [Si 34, 23]. Et Pr 28, 24 : Celui qui enlève quelque chose à son père et à sa mère et dit que cela n’est pas péché, prend part à un homicide. Ainsi, si quelqu’un a un père et une mère et qu’ils ne peuvent vivre sans lui, celui qui lui dirait : «Va outre-mer et entre en religion», tomberait sous le coup de ce jugement.
1737. Il existe une autre interprétation. En effet, Jérôme lit [ce passage] sous une forme interrogative : Est-ce que cela te servira à quelque chose ? On lit dans Lv 22, 2 qu’un étranger ne pouvait prendre ce qui avait été consacré au Seigneur ; c’est pourquoi on avertissait les fils qui avaient des pères pauvres de l’offrir à Dieu. Et si les pères voulaient s’en servir pour leur subsistance, [les fils] leur diraient : «Si tu prends une partie de ce que je dois offrir à Dieu, est-ce que cela sera pour ton bien ? Non, bien plutôt, cela sera pour ta damnation.» Augustin donne l’interprétation suivante. Les Juifs disaient que les enfants, aussi longtemps qu’ils étaient sous la tutelle de leur père, étaient tenus à ces choses. De sorte que, lorsque les fils sont petits, les pères font des offrandes pour leurs fils, et cela comptait pour eux. Mais lorsque [les fils] ont l’exercice du libre arbitre, la dévotion d’un autre ne compte plus. Ils disaient donc que quiconque peut parvenir à cet état et dire à son père : «Le don qui vient de moi te sera utile», n’avait pas d’obligation envers son père. Mais, de cette doctrine, découlent deux [conclusions] inappropriées : l’une, contre le prochain ; l’autre, contre le Seigneur. Contre le prochain, parce celui qui dirait cela et qui aurait reçu une telle directive n’honore pas son père. Ainsi, [on lit] dans Rm 1, 30 : Ingénieux pour le mal, rebelles à leurs parents. Vient ensuite : Ceux qui agissent ainsi méritent la mort.
1738. De même, contre Dieu. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : VOUS AVEZ ANNULÉ LE COMMANDEMENT DE DIEU AU NOM DE VOTRE TRADITION, comme s’il disait : «Non seulement avez-vous agi contre votre prochain, mais VOUS AVEZ aussi ANNULÉ LE COMMANDEMENT DE DIEU AU NOM DE VOTRE TRADITION.»
1739. HYPOCRITES ! Au sens propre, étaient appelés hypocrites ceux qui entraient sur le théâtre en se présentant comme un personnage et en en simulant un autre sous des masques. Ceux-ci sont donc hypocrites parce qu’ils prétendent être à l’extérieur autre chose que ce qu’ils sont à l’intérieur. Ainsi, à l’intérieur, ils recherchaient le profit, mais, à l’extérieur, ils incitaient les gens à faire des offrandes. Jb 36, 13 : Les simulateurs et les fourbes soulèvent la colère de Dieu et ne crient pas à l’aide quand il sont enchaînés.
1740. ISAÏE A BIEN PROPHÉTISÉ DE VOUS. Ici est cité Is 29, 13. Premièrement, il présente leur duplicité [15, 8] ; deuxièmement, l’inutilité de leur culte, en cet endroit : VAIN EST LE CULTE QU’ILS ME RENDENT [15, 6].
1741. Il dit donc : CE PEUPLE M’HONORE DES LÈVRES, MAIS LEUR CŒUR EST LOIN DE MOI. Et ceci, à la lettre, car ils honoraient des lèvres, mais leur cœur était loin de Dieu, car ils n’accueillaient pas le Christ qui venait au nom de Dieu. Ou bien, [autre interprétation], CE PEUPLE M’HONORE DES LÈVRES, etc. En effet, du fait qu’ils disent que l’homme doit faire des offrandes à Dieu, il semble qu’ils honorent Dieu, MAIS LEUR CŒUR EST LOIN, car ils ne recherchent pas l’honneur de Dieu, mais la cupidité. Ainsi, plus grande est la cupidité, moindre est la charité. C’est ce que dit Jr 12, 2 : Tu es proche de leur bouche, mais loin de leurs reins.
1742. Mais est-ce que ce simulacre leur sert à quelque chose ? Non, car il ne plaît pas au Seigneur. Vient donc ensuite : VAIN EST LE CULTE QU’ILS ME RENDENT. Le jeûne relève de l’enseignement des hommes, et les canons sont des traditions humaines. Est-ce que ceux qui les enseignent rendent à Dieu un vain culte ? Il faut comprendre [qu’ils le font s’ils agissent] au préjudice des commandements de Dieu. Jb 32, 21 : Je n’égalerai pas l’homme à Dieu ; Ac 5, 29 : Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas tromper Dieu. Is 1, 13 : N’offrez pas de sacrifice en vain. De cela nous pouvons conclure que l’homme doit en conscience accorder plus d’importance à la transgression d’un commandement [de Dieu] qu’à la transgression d’une constitution ecclésiastique.
1743. ET AYANT APPELÉ LES GENS PRÈS DE LUI, IL LEUR DIT, etc. Plus haut, le Seigneur a montré comment les Pharisiens qui calomniaient étaient indignes de reprendre les disciples, parce qu’ils étaient impliqués dans de plus grands péchés. Maintenant, les laissant de côté, il donne son enseignement à d’autres, afin que s’accomplisse ce qui est dit plus haut, 11, 25 : Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et tu les as révélées aux petits. Premièrement, il donne son enseignement aux foules ; deuxièmement, aux disciples, en cet endroit : ALORS S’APPROCHANT, LES DISCIPLES, etc. [15, 12].
1744. À propos du premier point, [le Seigneur] prépare à l’écoute ; deuxièmement, il livre son enseignement. Le second point [se trouve] en cet endroit : NE COMPRENEZ-VOUS PAS QUE CE N’EST PAS CE QUI ENTRE PAR LA BOUCHE QUI SOUILLE L’HOMME ? [15, 11].
1745. Il faut remarquer que, pour en écouter un autre, il faut l’attention, par laquelle l’homme est ramené vers les choses intérieures et est rappelé à lui-même. Et c’est cela que fait [le Seigneur], lorsque [Matthieu] dit : AYANT APPELÉ LES GENS PRÈS DE LUI, car il faut qu’ils soient rassemblés autour de lui. Ps 33, 6 : Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés. En second lieu, il faut prendre soin d’écouter ; c’est pourquoi il dit : ÉCOUTEZ ! Pr 1, 5 : C’est en écoutant que le sage devient plus sage. De même, l’intelligence est nécessaire ; c’est pourquoi il dit : ET COMPRENEZ ! Ps 93[94], 8 : Comprenez, vous les ignorants et les insensés parmi le peuple, et pour une fois saisissez !
1746. Ensuite, [le Seigneur] propose un enseignement très élevé, qui est la perfection de la vie morale. Il faut ainsi remarquer que certaines choses sont changées de l’extérieur, comme l’eau est réchauffée par le feu, et d’autres, de l’intérieur, comme lorsque l’homme est changé par le péché. En effet, aussi souvent que l’homme est mû de l’extérieur, il n’y a pas péché, à moins que l’homme ne consente intérieurement. Jb 37, 9 : La tempête vient de l’intérieur. Il montre donc en premier lieu que [le péché] ne vient pas de l’extérieur ; en second lieu, [qu’il vient] de l’intérieur.
1747. [Le Seigneur] dit donc : CE N’EST PAS CE QUI ENTRE PAR LA BOUCHE QUI SOUILLE L’HOMME. On objecte à cela ce qu’on lit dans la loi ancienne : en effet, on lit, en Lv 11, que plusieurs aliments sont interdits, par lesquels les hommes étaient rendus impurs. Augustin répond contre Faustus en disant que quelque chose est dit impur de deux façons. En premier lieu, par sa nature, et ainsi rien n’est impur, conformément à ce [qui est dit] en 1 Tm 4, 4 : Toute créature de Dieu est bonne et rien de ce qui est pris avec action de grâce ne doit être rejeté. De même, quelque chose peut être impur en raison de sa signification. Et ainsi, une chose peut être le signe de l’impureté ou de la pureté. Par exemple, si l’on considère le porc et l’agneau dans leur nature, les deux sont bons ; toutefois, par sa signification, le porc signifie l’impureté, et l’agneau, l’innocence. C’est pourquoi, du point de vue de la signification, une chose est pure et une autre est impure. Et parce que, avant la venue du Christ, c’était l’époque où l’on vivait sous des figures, puisque la vérité n’était pas encore claire, c’est la raison pour laquelle ces observances devaient être respectées et tombaient sous un précepte. Mais parce que, par la venue du Christ, la vérité a été manifestée, la figure a cessé. C’est pourquoi, etc.
1748. Mais il reste encore une autre question, car on lit, en Ac 15, 20, que les apôtres ordonnèrent que les convertis s’abstiennent de l’animal étouffé et du sang. Il semble donc que, bien que la vérité fût en vigueur, ces observances devaient être suivies. Les anciens disaient que cela devait être entendu au sens littéral, à savoir qu’il fallait s’abstenir de ces choses parce qu’elles sont impures. Mais cela n’a aucune valeur, car cela est en contradiction avec l’autorité de l’Apôtre, Tt 1, 15 : Tout est pur pour les purs. Certains ont dit que cela devait s’entendre en partie au sens littéral et en partie au sens moral : en effet, ce qui est dit de la fornication, [les apôtres] l’interdirent au sens littéral ; mais ce qui est dit du sang, cela doit s’entendre du fait que le sang ne devait pas être versé impunément. Ce qui est dit de l’animal étouffé devait s’entendre de cette manière, afin que personne n’en calomnie un autre. Mais il ne faut pas l’interpréter ainsi, bien que cette interprétation soit vraie. En effet, la question posée était de savoir si les Gentils convertis étaient tenus d’observer ce que les apôtres avaient interdit. Ainsi donc, il faut le comprendre en tenant compte du fait que cela était la coutume chez les Juifs. C’est pourquoi il faut dire autre chose, à savoir que les apôtres examinaient quelque chose et l’interdisaient, soit parce que cela était illicite en soi, soit parce que cela était une occasion de scandale. Ainsi, ils interdirent la fornication parce qu’elle était illicite ; mais ils interdirent le sang afin qu’on ne provoque pas de scandale aux yeux des autres, c’est-à-dire, afin que le scandale soit écarté. Et cela concorde avec les paroles de l’Apôtre, 1 Co 8, 9 : Prenez garde que votre liberté ne devienne pour les faibles une occasion de chute. De même, si l’on objecte ceci : si quelqu’un mange de la viande pendant le carême, n’est-il pas impur ? Il faut dire que ce n’est pas à cause de la viande, mais en raison de la violation d’un précepte. Rm 14, 17 : Le royaume de Dieu n’est pas affaire de nourriture et de boisson.
1749. MAIS CE QUI SORT DE SA BOUCHE, VOILÀ CE QUI SOUILLE L’HOMME ! Ici, on ne semble aborder que les péchés qui viennent de la bouche, et ceux-ci souillent. Lc 19, 22 : Je te juge à ce que tu dis, mauvais serviteur, et plus haut, [Mt] 7, 2 : Tu seras jugé d’après ce que tu dis. Mais il faut dire que la fonction propre de la bouche est de parler. Or, il existe une double parole : extérieure, par la bouche corporelle, et intérieure, par la bouche de l’esprit. Ps 13[14], 1 : L’insensé dit dans son cœur : «Il n’y a pas de Dieu.» Ainsi, par la bouche, on peut entendre la bouche du cœur, à savoir, l’esprit de l’homme, et, de cette manière, tout péché vient de la bouche, car il n’y a jamais péché à moins qu’il ne provienne d’une intention de l’esprit. De cette manière, CE QUI VIENT DE LA BOUCHE, à savoir, de la bouche du cœur, VOILÀ CE QUI SOUILLE, car le péché est à ce point volontaire que, s’il n’est pas volontaire, il n’est pas un péché.
1750. ALORS S’APPROCHANT, LES DISCIPLES, etc. Ici, [le Seigneur] donne un enseignement sur l’évitement du scandale et sur la question principale, en cet endroit : PIERRE, PRENANT LA PAROLE [15, 15].
En premier lieu, la question des disciples est présentée ; en second lieu, la réponse du Christ.
1751. Ici, il faut comprendre que les Pharisiens et les disciples ont entendu cette parole, par laquelle ils comprenaient que [Jésus] renversait toutes les traditions [des Pharisiens], et non les préceptes du Seigneur. C’est pourquoi, offusqués, [les Pharisiens] ne dirent rien, mais ils furent troublés Ainsi, les disciples dirent : SAIS-TU QUE LES PHARISIENS SONT SCANDALISÉS DE T’ENTENDRE PARLER AINSI ? Ce mot «scandale» se rencontre fréquemment dans l’Écriture ; il faut donc voir ce qu’il signifie. «Scandale», en grec, est la même chose que «occasion de chute», comme une pierre sur la route. On parle donc d’occasion de chute là où il y a occasion de tomber. Mais parfois on scandalise de manière active, et parfois de manière passive. On parle de scandale au sens actif lorsqu’on fait quelque chose qui, non seulement est mal en soi, mais est une occasion de chute pour d’autres. Ainsi, on appelle scandale ce qui est dit ou fait d’une manière moins correcte et représente une occasion de tomber. Et on ne dit pas : ce qui est pensé, car il faut que cela soit clair. De même, on ne dit pas quelque chose de mal, mais de moins correct, car il faut qu’il y ait apparence de mal. 1 Th 5, 22 : Abstenez-vous de toute apparence de mal. Il existe aussi un scandale passif, comme lorsque, alors que l’on parle ou prie bien, un autre y trouve une occasion de chute. Ainsi, le Seigneur n’a pas scandalisé, mais [les Pharisiens] ont trouvé une occasion [de scandale]. Les disciples disent donc qu’à cause de cela les Pharisiens ont été scandalisés, et cela avait été annoncé par Is 8, 14 : Et il viendra pour votre sanctification, mais il sera une pierre qui fait tomber, une pierre d’achoppement.
1752. MAIS LUI RÉPONDIT. Ici est présentée la réponse du Seigneur, et il montre qu’il ne faut pas faire de cas de leur scandale, en premier lieu, parce qu’ils sont étrangers à Dieu, et, en second lieu, parce qu’ils nuisent aux hommes, en cet endroit : LAISSEZ-LES ! CE SONT DES AVEUGLES QUI GUIDENT DES AVEUGLES ! [15, 14].
1753. [Matthieu] dit donc : MAIS LUI RÉPONDIT : «TOUT PLANT QUE N’A PAS PLANTÉ MON PÈRE CÉLESTE SERA ARRACHÉ.» À partir de ces paroles, ceux qui ont proposé deux natures ont voulu confirmer leur erreur, car ils disaient que la nature mauvaise venait d’un Dieu mauvais. Ils disent donc : «Si quelqu’un appartient à la création mauvaise, même s’il semble faire de bonnes choses, il ne peut persévérer.» Mais il n’en est pas ainsi, car, comme le dit Jérôme, on trouve le contraire en Jr 2, 21 : Je t’ai plantée comme ma vigne préférée, avec de bonnes graines ; comment donc es-tu devenue amère ? Il est clair que ce n’est pas à cause de Dieu. Elle a donc été changée en ce plant. On comprend que ce n’est pas la nature mais quelque chose d’autre qui est survenu, et cela est une volonté perverse. Ainsi, la nature demeure toujours, mais la volonté perverse est arrachée. De sorte que ce plant peut s’entendre de la tradition des hommes, qui doit être arrachée si elle est contre Dieu ; mais la tradition qui vient de Dieu ne doit jamais être arrachée. En conséquence, TOUT PLANT, c’est-à-dire toute tradition qui ne vient pas de Dieu, mon Père, SERA ARRACHÉ. On lit cela dans Ac 5, 39, à propos de Gamaliel qui dit : Si cela vient de Dieu, vous ne pourrez pas vous y opposer. Cela est clair aussi chez tous. Tu verras quelqu’un qui fait des œuvres bonnes fondées sur la charité, Ep 3, 17 : Enracinés et fondés dans la charité, et celles-ci ne peuvent être arrachées. Mais d’autres [œuvres bonnes] qui n’ont pas un bon fondement, comme faire l’aumône par vanité, sont arrachées. C’est ainsi que Si 14, 20 [19] dit : Toute œuvre corruptible périt et son auteur s’en va avec elle. Il faut donc comprendre de cette manière Sg 4, 3 : Les plantes étrangères ne feront pas de longues racines. On trouve le contraire en 1 Co 3, 6, où Paul dit : J’ai planté, Apollon a arrosé. Paul sera donc arraché. Je dis que Paul n’a pas planté comme [jardinier] principal, mais comme serviteur.
1754. Vient ensuite : LAISSEZ-LES : CE SONT DES AVEUGLES. Ici, [le Seigneur] montre qu’il ne faut pas faire de cas de leur scandale parce qu’ils nuisent aux hommes. Premièrement, il montre qu’il ne faut pas en faire de cas ; deuxièmement, [il montre] leur présomption ; troisièmement, comment ils nuisent.
1755. À
propos du premier point : «Vous dites qu’ils sont ainsi scandalisés ;
LAISSEZ-LES, et ne vous en occupez pas.» Mais ne doit-on pas s’occuper d’un
scandale ? Le Seigneur, afin d’éviter un scandale, n’a-t-il pas envoyé
Pierre vers la mer afin d’acquitter le tribut ? [Mt 17, 24s]. Il
faut dire que parfois le scandale vient de la vérité. Il faut donc éviter le
scandale qui peut être évité sans préjudice pour la vérité, la vie, la doctrine
ou la justice. Ainsi, le juge ne doit pas reporter le jugement si quelqu’un en
est scandalisé. Il faut cependant distinguer, car certains sont scandalisés par
faiblesse, et certains par une malice avérée. Le scandale des petits doit être
évité, la vérité étant sauve ; et cependant un homme peut reporter ou remettre.
Mais si [le scandale] vient de la malice, il ne faut pas [l’éviter]. [Les
Pharisiens] sont scandalisés de cette manière. De sorte que s’ils n’avaient pas
été scandalisés à cause de leur malice, le Seigneur n’aurait pas dit :
LAISSEZ-LES, mais plutôt : «Enseignez-leur.» Tt 3, 10 : Après un second avertissement, évite
l’hérétique ; Jr 51, 9 : Nous avons soigné Babylone, et elle n’est pas guérie.
1756. Et pourquoi : CE SONT DES AVEUGLES ? Au sens spirituel, les aveugles sont les ignorants. Is 56, 10 : Ses guetteurs sont tous des aveugles. Et parce que cela vient d’une malice avérée, ils ne sont pas seulement aveugles, mais aussi des guides d’aveugles et des maîtres. Jb 19, 4 : Si je m’égare, mon égarement restera en moi seul. Qu’ils soient des guides d’aveugles, cela est bien ; mais qu’ils soient aveugles, cela est mal.
OR, SI UN AVEUGLE GUIDE UN AVEUGLE, TOUS LES DEUX TOMBERONT DANS UN TROU. Jb 40, 8 : Cache-les dans la poussière, à savoir, pour ce qui est de leur corps.
1757. [Le Seigneur] leur donne ici son enseignement sur la question principale. Il fait à ce sujet trois choses : premièrement, une question est présentée ; deuxièmement, un reproche ; troisièmement, l’enseignement. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET IL DIT : «VOUS AUSSI, ÊTES-VOUS ENCORE SANS INTELLIGENCE ?» [15, 16] ; le troisième, en cet endroit : «NE COMPRENEZ-VOUS PAS, etc.» [15, 17].
1758. [Matthieu]
dit donc : PIERRE RÉPONDIT : «EXPLIQUE-NOUS LA PARABOLE.» Pierre
avait l’habitude d’entendre beaucoup de paraboles de la part [du
Seigneur] ; il croyait donc ce qu’il disait sous forme de paraboles. Ou
encore, Pierre avait été élevé dans les observances de la loi, comme il le dit
dans Ac 10, 14 : Loin de
moi, Seigneur, que rien d’impur ne soit jamais entré dans ma bouche. C’est
pourquoi il croyait que [le Seigneur] ne parlait pas au sens littéral, mais par
mode de parabole. Pr 1, 6 : Fais
attention à la parabole et à son interprétation, aux dits des sages et à leurs
énigmes.
1759. ET IL DIT : «VOUS AUSSI, ÊTES-VOUS ENCORE SANS INTELLIGENCE ?» En effet, le Seigneur répondit à Pierre au nom de tous. Ici, il leur fait un reproche. Mais pourquoi ? Une raison, proposée par Jérôme, est qu’ils pensaient que ce qui avait été dit ouvertement était dit en parabole. En effet, de même qu’il faut reprendre celui qui révèle ce qui est occulte, de même, inversement, celui qui cache ce qui est manifeste. Ps 31[32], 9 : Ne devenez pas comme le cheval et le mulet, chez qui il n’y a pas d’intelligence, etc. L’autre raison est celle de Chrysostome : [le Seigneur] paraissait aimer ardemment les Juifs parce qu’il avait été élevé dans l’enseignement de la loi ; il paraissait donc en être attristé.
1760. Ensuite, [le Seigneur] explique. En premier lieu, il explique ce qu’il avait dit, c’est-à-dire : CE QUI ENTRE DANS LA BOUCHE ; en deuxième lieu, la seconde chose qu’il avait dite : MAIS CE QUI SORT DE LA BOUCHE, C’EST CELA QUI SOUILLE L’HOMME ; en troisième lieu, il précise son intention.
1761. Il dit donc : NE COMPRENEZ-VOUS PAS QUE TOUT CE QUI PÉNÈTRE DANS LA BOUCHE PASSE PAR LE VENTRE ET EST ÉVACUÉ AUX LIEUX D’AISANCE ? Et pourquoi le Seigneur parle-t-il ainsi ? Chrysostome dit que [le Seigneur] leur parle comme à des gens qui sont habitués aux observances de la loi. Car l’intention de la loi était que, aussi longtemps que la nourriture n’était pas prise par la bouche, elle était impure ; mais, une fois prise, elle était pure. Ainsi, il est toujours dit dans la loi : Elle sera impure jusqu’au soir [Lv 11, 24]. C’est pourquoi, à supposer que ces observances doivent être observées, elles ne rendent cependant l’homme impur que pour un temps. Ainsi, ce qui passe ne peut les rendre impurs. Ou bien, autre interprétation : rien de ce qui n’atteint pas l’âme ne peut la rendre impure. Or, la nourriture n’atteint pas l’âme : le signe en est qu’ELLE PASSE PAR LE VENTRE ET EST ÉVACUÉE AUX LIEUX D’AISANCE.
1762. Mais, comme dit Jérôme, certains s’objectent à cela en disant que le Seigneur ignore la science de la nature, car [la nourriture] n’est pas entièrement évacuée aux lieux d’aisance. Ainsi, certains, voulant entendre que la totalité en est évacuée, entendent que rien d’elle n’est convertie en la nature humaine, mais qu’est seulement multiplié ce qui est tiré d’Adam, et que cela ressuscitera. De sorte que ce qui vient de la nourriture ne ressuscitera pas. Ainsi, les artisans mêlent du plomb à l’or afin que le plomb soit consumé et que l’or soit préservé. De même en est-il de la nourriture, afin que la chaleur ne la consume pas, ce qui appartient à la puissance de la nature. Mais cela semble impossible, car quelque chose ne peut devenir plus grand que par raréfaction, puisque la raréfaction n’est rien d’autre que le fait de prendre une plus grande quantité. De même l’homme a-t-il en commun avec les animaux [l’âme] sensitive et nutritive, et avec les plantes [l’âme] végétative. Or, il arrive que celles-ci soient augmentées par la nourriture. Les hommes augmentent donc de la même façon.
Que veut donc dire ce qu’il dit : ELLE EST ÉVACUÉE AUX LIEUX D’AISANCE ? Jérôme dit que cela ne signifie pas seulement l’excédent impur, mais quelle que soit la façon dont cela se produit, que ce soit par les selles ou d’une autre façon. Et cela est conforme à ce que dit le Philosophe, car, bien que [l’homme] reste le même par son espèce, il évolue cependant selon sa matière, comme lorsque le feu garde son espèce, mais que la matière est consumée. On peut aussi dire : tout ce qui entre dans la bouche va dans la bouche, en sorte que l’Écriture prend parfois le tout pour la partie.
1763. MAIS CE QUI SORT DE LA BOUCHE. On a déjà dit que la bouche signifie l’esprit. CE QUI SORT DE LA BOUCHE PROCÈDE DU CŒUR, C’EST CELA QUI SOUILLE L’HOMME, car les péchés du cœur sont des pensées et des sentiments. Is 1, 16 : Ôtez de ma vue vos pensées mauvaises.
1764. Il présente aussi les péchés qui sont contraires aux préceptes de la seconde table [de la loi] : MEURTRES, ADULTÈRES, FORNICATIONS, VOLS. [Il présente] encore les péchés de la bouche contre le prochain, les FAUX TÉMOIGNAGES, et les BLASPHÈMES, qui [sont contraires] aux préceptes de la première table.
1765. Ainsi, VOILÀ LES CHOSES QUI SOUILLENT L’HOMME, parce c’est cela qui procède de l’esprit ; MAIS MANGER SANS S’ÊTRE LAVÉ LES MAINS, CELA NE SOUILLE PAS L’HOMME. Ici, [le Seigneur] conclut en présentant cette conclusion de manière qu’elle corresponde à l’intention principale. Ainsi, parce que les disciples ne comprenaient pas, il conclut qu’il parlait seulement contre la tradition.
1766. Plus haut, la suffisance de l’enseignement [du Seigneur] a été montrée, car il n’exige pas l’observance de la loi. Ici, [le Seigneur] montre que [son enseignement] ne se limite pas à un seul peuple, mais qu’il suffit aussi au salut des Gentils. Or, il est montré qu’il a un triple effet chez les Gentils. Premièrement, par la libération du pouvoir du Démon ; deuxièmement, [par la libération] des maladies que sont les péchés ; troisièmement, par l’alimentation spirituelle. Le second point [se trouve] en cet endroit : ÉTANT PARTI DE LÀ, JÉSUS VINT AU BORD DE LA MER DE GALILÉE [15, 29] ; le troisième, en cet endroit : JÉSUS, CEPENDANT, APPELA SES DISCIPLES ET LEUR DIT… [15, 32].
1767. La libération du pouvoir des démons est donc montrée par le fait que [le Seigneur] a libéré une femme possédée par le Diable. Premièrement, le lieu est décrit ; deuxièmement, l’insistance de la femme ; troisièmement, l’exaucement. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET VOICI QU’UNE FEMME CANANÉENNE, etc. [15, 22] ; le troisième, en cet endroit : À QUOI JÉSUS RÉPONDIT, etc. [15, 24].
1768. [Matthieu] dit donc : EN SORTANT DE LÀ, JÉSUS SE RETIRA DANS LA RÉGION DE TYR ET DE SIDON. Tyr et Sidon sont deux villes des Gentils. Parce qu’il était rejeté par les Juifs, il se retira donc chez les païens, conformément à Ac 13, 46 : Il fallait d’abord que nous vous parlions du royaume de Dieu ; mais parce que vous rejetez celui-ci et vous vous estimez indignes de la vie éternelle, voilà que nous nous tournons vers les païens. Premièrement, le Seigneur montre que la conversion de ceux qui observent la loi est au premier plan ; deuxièmement, le passage aux païens, qui fut indiqué en Ac 10, 15, où il est dit que, alors que Pierre était chez Corneille, il vit un drap, etc., et qu’il lui fut dit que ce que Dieu rend pur, tu ne l’appelles pas impur, etc.
1769. ET VOICI QU’UNE FEMME. Ici est présentée l’insistance de la femme. Au sujet de la demande de celle-ci, trois choses sont exprimées : premièrement, sa piété ; deuxièmement sa foi ; troisièmement, son humilité, et ces choses sont nécessaires pour être exaucé. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS LA FEMME ÉTAIT ARRIVÉE ET SE TENAIT PROSTERNÉE DEVANT LUI [15, 25] ; le troisième, en cet endroit : MAIS CELLE-CI DIT : «OUI, SEIGNEUR…» [15, 27].
1770. En premier lieu, l’interpellation est présentée ; en second lieu, l’aide des disciples, en cet endroit : SES DISCIPLES, S’APPROCHANT, LE PRIAIENT [15, 23].
1771. À propos du premier point, la piété de la femme est d’abord présentée ; deuxièmement, le silence du Christ, en cet endroit : MAIS IL NE LUI RÉPONDIT PAS UN MOT [15, 23].
1772. [Matthieu]
dit donc : ET VOICI QU’UNE FEMME CANANÉENNE. Nous pouvons relever six
choses. Premièrement, la conversion de celle qui demande.
Si 18, 23 : Avant de
prier, prépare ton âme et ne sois pas comme l’homme qui met Dieu à l’épreuve. Elle
prépare en effet son âme lorsqu’elle se purifie de ses vices.
Is 1, 15 : Alors même que
vous multiplieriez les prières, je ne vous écouterai pas, car vos mains sont
pleines de sang. Et cela est indiqué par ce nom : CANANÉENNE, qui est
la même chose que «changée». Ps 76[77], 11 : Tel est le changement [apporté] par la main du Très-Haut. De même,
celui qui se convertit doit non seulement éviter le péché, mais aussi
l’occasion du péché. Si 21, 2 : Fuis le péché comme la face du serpent. Deuxièmement, il faut
relever l’attachement, car elle criait. Le cri indique un grand sentiment.
Ps 119[120], 1 : J’ai crié
vers le Seigneur dans mes tribulations. Troisièmement, la piété est
signalée, car elle considérait comme sienne la misère d’un autre ; c’est
pourquoi elle dit : AIE PITIÉ DE MOI, et cela est une grande miséricorde.
Jb 30, 25 : Je pleurais
sur celui qui était affligé et mon âme compatissait avec le pauvre. De
même, l’humilité est abordée, car elle adresse sa demande avec confiance en la
miséricorde de Dieu. Dn 9, 4 : Toi qui gardes ton alliance et ta miséricorde envers ceux qui t’aiment
et qui observent tes commandements. Quatrièmement, la foi est touchée, elle
qui est nécessaire pour demander. Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi et sans hésiter. Aussi, elle confesse la
nature divine en lui par le fait de dire : SEIGNEUR !
Ps 99[100], 3 : Sachez que
le Seigneur est Dieu. [Elle confesse aussi la nature] humaine : FILS
DE DAVID, lui qui descend de David. Rm 1, 3 : Lui qui est issu de la lignée de David selon
la chair. De même, elle expose son besoin particulier : MA FILLE SE
TROUVE MAL, à savoir, gravement ; ELLE EST MALMENÉE PAR LE DÉMON. Et elle
peut être le type de toute l’Église des Gentils ou de toute autre pour ce qui
est de sa conscience, qui est malmenée par le Démon, lorsqu’elle agit contre sa
conscience. Lc 6, 18 : Et
ceux qui étaient malmenés par des esprits impurs étaient guéris. Et elle
dit : SE TROUVE MAL, du fait qu’elle aggrave son péché.
2 Ch 36 : J’ai péché
Seigneur, j’ai péché et je reconnais ma faute ; ne me condamne pas avec
toutes mes iniquités.
1773. Ensuite, le fait que le Christ se taise est présenté : MAIS IL NE LUI RÉPONDIT PAS UN MOT. Mais cela semble étonnant que la source de la compassion se soit tue. On en donne une triple raison. Première [raison] : afin qu’il ne semble pas aller contre ce qu’il avait dit plus haut : N’allez pas du côté des païens [10, 5]. C’est pourquoi il n’a pas voulu écouter immédiatement. Toutefois, comme elle insistait beaucoup, il acquiesça à ce qu’elle demandait. Il faut donc comprendre qu’elle est exaucée en raison de son insistance, ce qui va au-delà de la loi. En effet, selon la loi, seuls les Juifs devaient être sauvés ; mais celle-ci, par son insistance, obtint ce qui allait au-delà de la loi. Deuxième raison : afin qu’augmente la dévotion. Ha 1, 2 : Jusqu’à quand appellerai-je au secours sans que tu écoutes, crierai-je vers toi : «À la violence !», sans que tu me sauves ? Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité et la souffrance, me fais-tu voir la rapine et l’injustice qui sévissent contre moi ? Troisième raison : afin de donner aux disciples l’occasion d’intercéder eux-mêmes pour elle, car, aussi bon que soit quelqu’un, il a besoin des prières des autres.
1774. L’intercession des apôtres suit immédiatement. Premièrement, leur demande est présentée ; deuxièmement, la réponse du Christ. [Matthieu] dit donc : SES DISCIPLES, S’APPROCHANT, LE PRIAIENT. Pourquoi se sont-ils approchés ? Une première raison est qu’ils ne savaient pourquoi [le Seigneur] tardait tant ; une deuxième, qu’ils furent poussés par la miséricorde ; aussi, ils ne pouvaient par supporter l’insistance de la femme. Lc 11, 8 : S’il continue à frapper, je vous dis que, s’il ne se lève pas pour répondre parce qu’il est son ami, il se lèvera à cause de son insistance, et il lui donnera tout ce qui lui est nécessaire. Les disciples ne disent pas : Guéris-la, mais : RENVOIE-LA, c’est-à-dire : Dis-lui : «Je ne ferai rien pour toi.» C’est là une manière de parler, car lorsque nous désirons une chose, nous disons son contraire. Mais il y a une objection, car, en Mc 7, 25, il est dit qu’elle entra dans la maison et y adressa sa demande. Que veut donc dire ce qui est dit ici : CAR ELLE CRIE APRÈS NOUS ? Augustin dit que, sans aucun doute, elle entra d’abord dans la maison et, là, dit : AIE PITIÉ DE MOI, puis que Jésus se retira. Mais elle le suivit.
1775. Suit alors la réponse du Christ : MAIS LUI RÉPONDIT, etc. La femme semblait avoir montré suffisamment de piété, mais celle-ci paraissait naturelle. C’est pourquoi le Seigneur exigeait une profession de foi. Il la repoussa donc en disant : JE N’AI ÉTÉ ENVOYÉ QU’AUX BREBIS PERDUES DE LA MAISON D’ISRAËL. Il appartenait en propre aux Hébreux ; c’est pourquoi ceux-ci disaient : Nous, son peuple, et ses brebis [Ps 99[100], 3]. Et ces brebis étaient perdues parce qu’elles avaient été égarées par les diverses observances ; ainsi, plus haut, 9, 36 : Voyant les foules, il eut pitié d’elles, parce qu’elles étaient fatiguées et gisaient comme des brebis sans berger. Ps 118[119], 176 : J’ai erré comme une brebis égarée.
1776. Mais que veut-il dire lorsqu’il dit : JE N’AI ÉTÉ ENVOYÉ QU’AUX BREBIS PERDUES DE LA MAISON D’ISRAËL ? Ne lit-on pas en Is 49, 6 : Je t’ai donné comme lumière aux nations, afin que tu sois mon salut jusqu’aux confins de la terre ? Il n’a donc pas été envoyé aux seuls Juifs, mais aussi aux païens. Il faut dire qu’il a été envoyé à tous, afin de tous les rassembler, mais il a été envoyé d’abord aux Juifs, afin de faire passer les Juifs chez les Gentils. Rm 15, 8 : Je dis que le Christ a été le ministre des circoncis en raison de la fidélité de Dieu, afin de confirmer les promesses faites aux pères.
1777. MAIS LA FEMME S’APPROCHA ET SE PROSTERNA DEVANT LUI ; elle s’élança donc [vers lui]. Premièrement, [sa profession] est présentée ; deuxièmement, la réponse [du Christ].
1778. La
profession [de la femme] est présentée, car elle reconnut Dieu : elle
l’adora donc. En effet, bien qu’elle eût essuyé un refus de la part des
apôtres, elle s’élança néanmoins et se prosterna. Par cela, elle reconnut Dieu.
Dt 8, 19 : Tu adoreras ton
Dieu et ne serviras que lui. Ps 65[66], 4 : Que toute la terre t’adore, Dieu, etc.«SEIGNEUR, VIENS À MON
SECOURS !» Elle ne dit pas : «Prie pour moi», mais : «Toi, VIENS
À MON SECOURS, car tu le peux.» Ps 120[121], 2 : Mon secours est dans le nom du Seigneur qui
a fait le ciel et la terre, etc.
1779. IL LUI RÉPONDIT : «IL NE CONVIENT PAS DE PRENDRE LE PAIN DES ENFANTS ET DE LE DONNER AUX CHIENS.» Cela est ajouté afin de mettre l’humilité [de la femme] à l’épreuve, car sa foi était déjà manifeste et montrait l’excellence des Juifs par rapport aux païens. En effet, [son] humilité est mise à l’épreuve lorsqu’elle supporte que des reproches soient adressés à son peuple. C’est pourquoi [le Christ] dit : «IL NE CONVIENT PAS, etc.» Les Juifs étaient appelés fils : J’ai nourri et élevé des fils, mais ils m’ont bafoué, car ils avaient été instruits des commandements de Dieu, Jn 10, 34. Le pain est l’enseignement. Si 15, 3 : Il les a nourris du pain de la vie et de l’intelligence. Les miracles du Seigneur ou les enseignements de la loi peuvent être appelés un pain. Ce pain est donc dû aux fidèles, à savoir, les Juifs. «IL NE CONVIENT PAS DE PRENDRE LE PAIN DES ENFANTS, c’est-à-dire, des Juifs, qui jusqu’alors étaient les enfants, ET DE LE DONNER AUX CHIENS», c’est-à-dire, aux Gentils, car, de même que le chien est un animal impur, de même le sont les Gentils. Ainsi, [il est dit] plus haut, 7, 6 : Ne jetez pas aux chiens ce qui est saint. Ils ne l’ont donc pas encore totalement rejeté, mais, comme le dit Jérôme, il est approprié que les Juifs soient appelés des chiens, conformément à ce qu’on lit en Ps 21[22], 17 : De nombreux chiens m’ont encerclé. Et Ep 4, 28 : Mais nous, nous sommes des fils.
1780. MAIS CELLE-CI LUI DIT : «OUI, SEIGNEUR !» Ici sont abordées l’humilité et la sagesse admirables de la femme. [Jésus] avait semblé faire un affront à son peuple, mais c’est avec humilité qu’elle accepte l’affront. Elle dit donc : «OUI, SEIGNEUR !» De même, elle manifeste une plus grande humilité, car le Seigneur lui-même avait dit : CHIENS, mais elle dit : PETITS CHIENS. Elle dit ainsi : «MAIS MÊME LES PETITS CHIENS MANGENT LES MIETTES.» De même, le Seigneur avait appelé les Juifs des enfants, mais elle les appelle des MAÎTRES. C’est pourquoi elle dit : [LES MIETTES] QUI TOMBENT DE LA TABLE DES MAÎTRES. Et elle sut ainsi humblement forcer le Seigneur, comme si elle disait : «Seigneur, je ne demande pas que tu me donnes autant de bienfaits qu’aux Juifs, mais donne-moi des miettes.». Si 35, 21 : La prière de l’humble pénètre les cieux ; et Ps 101[102], 18 : Il a regardé la prière des humbles.
1781. Ainsi donc, le Seigneur l’exauça : ALORS, JÉSUS LUI RÉPONDIT, etc. Et il fait trois choses : premièrement, l’éloge [de la femme] est présenté ; deuxièmement, son exaucement ; troisièmement, l’effet.
Comme elle s’humilie, il dit : GRANDE EST TA FOI. GRANDE, parce qu’elle a cru de grandes choses. Aussi, en raison de sa rectitude. Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi sans hésiter. GRANDE aussi en raison de la ferveur. Ainsi : Si vous aviez ne serait-ce qu’un grain de sénevé de foi, vous diriez à cette montagne : «Va là !», et elle y irait [Mt 17, 19] Vient donc ensuite l’exaucement : «QU’IL T’ADVIENNE SELON CE QUE TU DÉSIRES !» Ps 144[145], 19 : Il fera comme le veulent ceux qui le craignent. Vient ensuite l’effet : ET, À PARTIR DE CE MOMENT, SA FILLE FUT GUÉRIE. Ainsi, comme il avait dit au commencement, Gn 1, 3 : Que la lumière soit, et elle fut, il est dit ici : «QU’IL T’ADVIENNE…» Cette parole était le Verbe éternel. Si 8, 4 : Sa parole est remplie de puissance.
1782. Plus haut, l’enseignement évangélique a été confirmé par la libération des Gentils du pouvoir des démons par la puissance du Christ. Maintenant, il le confirme par la libération des maladies spirituelles par le fait qu’il en guérit un grand nombre. Et [Matthieu] fait trois choses : premièrement, le lieu est présenté ; deuxièmement, [les malades] sont présentés ; troisièmement, la libération. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET DES FOULES NOMBREUSES S’APPROCHÈRENT DE LUI [15, 30] ; le troisième, en cet endroit : ET IL LES GUÉRIT [15, 30].
1783. Premièrement, le lieu est décrit en termes généraux : ÉTANT PARTI DE LÀ, à savoir, du pays des Gentils, JÉSUS VINT AU BORD DE LA MER, qui se trouvait en Judée, et qui parfois était appelé [la mer de] Génésareth, parfois la mer de Galilée. Le fait que [Jésus] revienne vers les Juifs signifie que les restes d’Israël seront sauvés. Rm 11, 5 : Ainsi donc, en ce temps-là, les restes issus de l’élection de la grâce de Dieu ont été sauvés. Ensuite, le lieu est décrit d’une manière particulière, lorsque [Matthieu] dit : IL GRAVIT LA MONTAGNE ET S’ASSIT. Par la montagne, est signifiée l’élévation du Verbe. Ps 35[36], 7 : Ta justice est comme les montagnes de Dieu. Mais Jésus ne se tenait pas debout ; il était assis, car, s’il n’était pas descendu, nous ne l’aurions pas connu, selon ce qui est dit en Ps 143[144], 5 : Seigneur, incline tes cieux et descends. Aussi, par la montagne, [est signifiée] l’élévation de la gloire, comme on le lit en Gn 19, 17 : Qu’il te sauve sur la montagne, etc., pour indiquer que là se trouve le véritable repos, et non pas ici. He 13, 14 : Nous n’avons pas ici une demeure permanente, mais nous recherchons la demeure à venir, c’est-à-dire que nous attendons [la demeure] à venir.
1784. Vient ensuite la présentation [des malades] : ET DES FOULES NOMBREUSES S’APPROCHÈRENT DE LUI. Premièrement, l’ampleur des foules est présentée ; deuxièmement, la présentation des malades ; troisièmement, la façon d’agir.
1785. À propos du premier point, [il est dit] : ET DES FOULES NOMBREUSES S’APPROCHÈRENT DE LUI. Ps 85[86], 9 : Toutes les nations que tu as faites viendront vers toi pour t’adorer, Seigneur. Et elles ne vinrent pas les mains vides, car ELLES AVAIENT AVEC ELLES DES MUETS, DES AVEUGLES, DES BOITEUX, etc. Et par cela est signifié que ceux qui se convertissent au Seigneur doivent en offrir d’autres au Seigneur. C’est ce que [Matthieu] dit : ELLES AVAIENT AVEC ELLES DES MUETS, DES AVEUGLES, DES BOITEUX ET DES INFIRMES. «INFIRME» veut dire en latin «qui manque de puissance», mais, en grec, «qui a une main faible» : en effet, de même qu’on appelle «boiteux» celui qui a un pied estropié, de même [appelle-t-on] «infirme» celui qui a une main inerte. Par ceux-là sont signifiés les divers genres de maladies spirituelles. Par les muets sont signifiés ceux qui ne peuvent louer Dieu, dont [il est dit] en Is 56, 10 : Des chiens muets qui ne peuvent aboyer. Sont appelés boiteux ceux qui ne marchent jamais fermement vers le bien, mais se tournent tout de suite vers le mal. 3 R [1 R] 18, 21 : Pourquoi boitez-vous des deux côtés ? Si le Seigneur est Dieu, suivez-le. Par les aveugles sont signifiés les infidèles, qui sont privés de la lumière de la foi. Is 59, 9 : Nous avons tâté les ténèbres. Par les infirmes qui ont une main inerte sont désignés ceux qui ont le cœur faible. Ps 21, 16 : Ma puissance s’est desséchée comme la terre cuite. ET DE NOMBREUX AUTRES. Par cela, [les foules] montraient une grande foi, car [elles apportaient] non seulement les leurs, mais aussi les autres.
1786. De même, elles montrent leur dévotion par leur façon d’agir. En effet, elles avaient parfois demandé que [Jésus] impose la main, comme plus haut, [Mt] 9, et parfois de toucher la frange [de son vêtement], comme plus haut, [Mt] 9 et 14. Mais maintenant, il suffisait de les déposer à ses pieds. Et par cela, il nous est donné à comprendre, au sens mystique, que nous ne devons pas nous soumettre les pécheurs que nous convertissons, conformément à ce qu’on lit en 1 Co 4, 1 : Que l’homme nous considère comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu.
1787.Vient ensuite la guérison. Premièrement, la guérison est présentée ; deuxièmement, l’admiration ; troisièmement, l’effet.
[Matthieu]
dit donc : ET IL LES GUÉRIT. Ps 106[107], 20 : Il envoya sa parole et il les guérit, et il
les arracha à la mort. Et ailleurs, Ps 102[103], 3 : Lui qui pardonne toutes nos fautes, qui
guérit toutes nos infirmités.
1788. Puis vient l’admiration : ET LES FOULES S’ÉMERVEILLAIENT EN VOYANT CES MUETS, etc. Ici est présenté l’effet. Cela avait été annoncé par Is 35, 5 : Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds se déboucheront ; et en Ps 138[139], 3 : Que tes œuvres sont admirables ! Mais une question se pose : pourquoi n’est-il pas fait mention des infirmes ? Parce qu’il n’y avait pas d’acte contraire auquel il aurait pu répondre. Mais voyez comment certains, en voyant les miracles, blasphémaient, comme on le lit plus haut, [Mt] 14, alors que ceux-ci s’unissent pour louer ! Ainsi, ILS BÉNISSAIENT LE DIEU D’ISRAËL.
1789. JÉSUS, CEPENDANT, APPELA SES DISCIPLES, etc. Ici est montré par l’alimentation des bons à quel point l’enseignement du Christ est louable. Premièrement, le motif est indiqué ; deuxièmement, la matière ; troisièmement, la distribution ; quatrièmement, l’alimentation. Le second point [se trouve] en cet endroit : LES DISCIPLES LUI DISENT, etc. [15, 31] ; le troisième, en cet endroit : ET IL ORDONNA À LA FOULE DE S’ÉTENDRE À TERRE [15, 35] ; le quatrième, en cet endroit : TOUS MANGÈRENT ET FURENT RASSASIÉS [15, 37].
1790. Il faut remarquer que le motif en question est présenté après ce qui vient d’être dit, car les malades ne peuvent être nourris, puisque leur âme éprouve de la répulsion pour toute nourriture, Ps 106[107], 18. Il faut donc qu’avant d’être nourris, ils soient guéris. Il en est de même pour les réalités spirituelles. Augustin [écrit] : «Pour le palais malade le pain est une souffrance, alors qu’il est délectable pour celui qui est en santé, etc.» C’est pourquoi le Seigneur nourrit après avoir guéri. Et il faut remarquer que, d’abord, il appelle les disciples pour les rendre attentifs, afin qu’ils se souviennent du miracle. De même, [il appelle les disciples] afin de nous donner en exemple comment, si grand que soit un homme, il doit se comporter envers les inférieurs. Si 3, 20 : Humilie-toi d’autant que tu es plus grand.
1791. Ainsi, JÉSUS APPELA LES DISCIPLES ET LEUR DIT : «J’AI PITIÉ DE LA FOULE, etc.» Tel fut le motif : il montre ainsi comment l’humanité convient à la divinité. La miséricorde est une passion, car le miséricordieux est celui qui a un cœur compatissant et considère la misère d’un autre comme la sienne. Mais la miséricorde convient au plus haut point à Dieu. Ps 102[103], 8 : Le Seigneur est compatissant et miséricordieux, longanime et plein de miséricorde. Et [la misère] qu’il considère comme la sienne, il doit l’écarter comme la sienne. Ainsi, pour autant qu’il écarte la misère, le Seigneur est appelé miséricordieux.
1792. Mais un triple motif de miséricorde est proposé. Premièrement, [le Seigneur] présente la persévérance ; deuxièmement, le dénuement ; troisièmement, le danger imminent.
1793. Premièrement, la persévérance est présentée lorsqu’il est dit : CAR VOILÀ DÉJÀ TROIS JOURS QU’ILS RESTENT AUPRÈS DE MOI. Par cela vous pouvez apprendre que ceux qui restent avec le Christ sont nourris de son pain, car celui qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé [Mt 10, 22]. Par les trois jours, vous pouvez entendre la confession de la Sainte Trinité. Ainsi, plus loin, 28, 19 : Allez par tout le monde et baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ou [vous pouvez entendre] le triple acte du cœur, de la bouche et de l’action. De même, [vous pouvez entendre] les trois époques du temps : l’époque de la loi de la nature, celle de la loi mosaïque et celle de la loi de la grâce et de la gloire finale. Ps 16[17], 15 : Je serai rassasié lorsque paraîtra ta gloire. Ou bien, par les trois jours, [vous pouvez entendre] les trois jours de la mort du Christ. Ainsi, ceux-là sont restés trois jours avec le Seigneur, qui se sont conformés à sa mort. Os 6, 3 : Il nous ranimera après trois jours, et le troisième il nous ressuscitera. Ainsi, nous attendons la justification par la mort du Christ. Ga 6, 17 : Portant toujours dans notre chair la mise à mort de Jésus.
1794. Deuxièmement,
le dénuement est abordé. [Le Seigneur] dit ainsi : ILS N’ONT PAS DE QUOI
MANGER. Mais pourquoi a-t-il attendu trois jours ? Afin qu’ils ne puissent
être calomniés du fait qu’ils auraient été alimentés par la nourriture qu’ils
avaient apportée avec eux. Au sens mystique, il a pitié de ceux qui
reconnaissent leur misère. Ap 3, 17 : Il ne sait pas que tu es dépourvu et misérable, pauvre, aveugle et nu,
etc.
1795. Troisièmement, le danger [est présenté] : JE NE VEUX PAS LES RENVOYER À JEUN DE CRAINTE QU’ILS NE DÉFAILLENT EN ROUTE. Défaillent en route ceux qui ne sont pas nourris de la parole de Dieu. Dt 8, 3 : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui vient de Dieu. Si 15, 3 : Il les a nourris du pain de la vie et de l’intelligence.
1796. LES DISCIPLES LUI DISENT, etc. Ici est présentée la matière : premièrement, comment il donne ; deuxièmement, quelle était la matière disponible.
1797. [Matthieu] dit donc : [LES DISCIPLES] LUI DISENT : «OÙ TROUVERONS-NOUS, DANS UN DÉSERT, ASSEZ DE PAIN ?» Ici, la lenteur et l’oubli des disciples sont blâmés, car, auparavant, le Seigneur avait rassasié cinq mille personnes avec cinq pains. Ils sont donc blâmés pour leur lenteur et leur oubli. Au sens mystique sont signifiées par cela la grâce et la miséricorde de Dieu, lui qui révèle ses mystères à ceux qui en sont indignes et administre par eux les sacrements. Jr 1, 6 : Je ne sais pas parler, Seigneur, car je suis un enfant. Et le Seigneur lui répond : Ne dis pas : «Je suis un enfant.» Ex 4, 10 : J’ai la langue malhabile et pesante, etc. Is 3, 7 : Je ne suis pas un mendiant et il n’y a pas de pain dans ma maison : ne faites pas de moi un prince du peuple.
1798. Ensuite est présentée la quantité de matière disponible. Ainsi JÉSUS DIT : «COMBIEN DE PAINS AVEZ-VOUS ?» Et il ne pose pas la question parce qu’il l’ignore, mais afin qu’un miracle soit montré. Ainsi, plus haut [14, 18], lors d’un autre miracle, il avait fait en sorte que soit signalé le petit nombre de poissons. Et il est dit qu’ils n’avaient que cinq pains et deux poissons, par lesquels est signifié l’enseignement de la loi. Et ces pains étaient faits d’orge. Ici, il y en a sept, et on ne dit pas qu’ils sont faits d’orge. Par là est signifiée la loi nouvelle façonnée par la grâce septiforme de Dieu. De même, dans le miracle antérieur, il n’y avait que deux poissons ; ici, il a plusieurs petits poissons. Le Seigneur vous a choisis comme des pauvres aux yeux du monde, mais riches de foi [Jc 2, 5] ; et Ps 8, 9 : Les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, qui suivent les sentiers de la mer, c’est-à-dire, de ce monde.
1799. ALORS, IL ORDONNA À LA FOULE DE S’ÉTENDRE À TERRE. Ici est présentée la disposition. Premièrement, la disposition est présentée ; deuxièmement, il prend la matière ; troisièmement, il rend grâce, la rompt et la distribue.
1800. [Matthieu]
dit donc : ALORS, IL ORDONNA. Dans l’autre repas, on lit qu’il les fit
s’étendre sur l’herbe. Par l’herbe, on entend les réalités temporelles ;
ainsi, en Is 40, 6 : Toute
chair est comme l’herbe, et toute gloire comme la fleur des champs. Ainsi,
dans la loi ancienne, les réalités temporelles étaient le fondement ; dans
[la loi] nouvelle, [le fondement ne repose que sur] la solidité de la gloire.
Qo 1, 4 : La terre est
établie pour l’éternité. Ou bien, par l’herbe, il est indiqué que nous
devons nous asseoir sur les réalités temporelles. De sorte que leur possession
n’est pas interdite, mais l’amour ou l’affection [à leur endroit].
1 Jn 2, 15 : N’aimez
pas ce qui est dans le monde.
1801. PUIS IL PRIT LES SEPT PAINS. Par cela est signifié que tout ce qui a été administré de spirituel aux autres s’est d’abord trouvé dans le Christ. Ainsi, Ac 1, 1 : Jésus se mit à agir et à enseigner. Toutes les réalités spirituelles étaient en lui. C’est pourquoi [il est dit] en Jn 3, 34 : Dieu ne lui a pas mesuré l’Esprit. EN RENDANT GRÂCE, IL LES ROMPIT ET LES DONNA AUX DISCIPLES. Il nous a ainsi donné un exemple afin que nous rendions grâce. 1 Th 5, 18 : Rendant grâce en toute chose. Ensuite, tout n’est pas donné à tous, comme on le lit en 1 Co 14, et aussi en 1 Co 12, 4 : Il y a diversité des dons spirituels.Ensuite vient la distribution ordonnée : IL LES DONNA À SES DISCIPLES, ET LES DISCIPLES LES DONNÈRENT À LA FOULE. D’abord, [il les donna] aux disciples, qui étaient des médiateurs. Dt 5, 5 : J’ai été en ce temps-là celui qui servait d’intermédiaire et de médiateur entre Dieu et vous afin de vous annoncer ce qu’il disait, etc. Et 1 Co 4, 5 : Que l’on nous considère comme des ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu.
1802. Ensuite, [Matthieu] présente la plénitude du repas du fait de l’abondance des restes et de ceux qui ont mangé. ET TOUS MANGÈRENT. Quelqu’un pourrait dire que beaucoup peuvent partager le même pain en en prenant chacun un peu. Mais il n’en est pas ainsi ; bien au contraire, ILS FURENT RASSASIÉS. Ils mangèrent donc à satiété. Ps 77, 29 : Ils ont mangé et tous furent rassasiés. Il y eut aussi beaucoup de restes, puisqu’ils portèrent sept corbeilles. Mais pourquoi, puisqu’il avait un petit nombre de pains, en resta-t-il beaucoup de restes, après qu’il eut rassasié cinq mille personnes avec cinq pains ? On peut dire que sept corbeilles sont la même chose que sept paniers ou davantage. Chrysostome dit que [le Seigneur] a accompli divers miracles et de manière diverse afin que les disciples s’en souviennent davantage. Dans le premier miracle [de la multiplication des pains], il y eut autant de restes que d’apôtres. Ici, [il y eut autant de restes] que de pains, par quoi est signifié que les hommes spirituels doivent être alimentés par la grâce septiforme de Dieu. 1 Co 2, 14 : L’homme en tant qu’animal ne perçoit pas ce qui vient de Dieu.
1803. Vient ensuite le nombre de ceux qui ont mangé : OR, CEUX QUI MANGÈRENT ÉTAIENT QUATRE MILLE HOMMES. Plus haut, ils étaient cinq mille, parce qu’ils s’adonnaient aux cinq sens, ou en raison des cinq livres de Moïse. Mais ici, ils sont quatre [mille] en raison des quatre vertus cardinales ou des quatre évangélistes. SANS COMPTER LES FEMMES ET LES ENFANTS. Mais pourquoi fait-on exception de ceux-ci ? Parce que les imparfaits et les faibles sont exclus du véritable enseignement. Ep 4, 13 : Jusqu’à ce que tous atteignent l’état d’homme accompli, etc.
Leçon 1 [Matthieu 15, 39‑16, 12] 15, 39 Après avoir renvoyé les foules, Jésus monta
dans une barque et s’en vint dans le territoire de Magadan. 16, 1 Les
Pharisiens et les Sadducéens s’approchèrent alors pour le mettre à l’épreuve et
lui demandèrent de leur faire voir un signe venant du ciel. 16, 2 Il leur
répondit : «Au crépuscule vous dites : “Il va faire beau : le
ciel est rouge vif” ; 16, 3 et à l’aurore : “Mauvais temps
aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre.” Ainsi pour le visage du ciel
vous savez l’interpréter, mais pour les signes des temps vous n’en êtes pas
capables ! 16, 4 Génération mauvaise et adultère ! Elle réclame
un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas.» Et les
laissant, il s’en alla.
16, 5 Alors que les disciples passaient sur l’autre
rive, ils avaient oublié de prendre des pains. 16, 6 Or Jésus leur
dit : «Ouvrez l’oeil et méfiez-vous du levain des Pharisiens et des
Sadducéens !» 16, 7 Et eux de faire en eux-mêmes cette
réflexion : «C’est que nous n’avons pas pris de pains.» 16, 8 Le
sachant, Jésus dit : «Gens de peu de foi, pourquoi faire en vous-mêmes
cette réflexion, que vous n’avez pas de pains ? 16, 9 Vous ne
comprenez pas encore ? Ne vous rappelez-vous pas les cinq pains pour les
cinq mille hommes, et le nombre de paniers que vous en avez recueillis ?
16, 10 Ni les sept pains pour les quatre mille hommes, et le nombre de
corbeilles que vous en avez retirées ? 16, 11 Comment ne comprenez-vous
pas que ma parole ne visait pas des pains ? Méfiez-vous, dis-je, du levain
des Pharisiens et des Sadducéens !» 16, 12 Alors ils comprirent qu’il
avait dit de se méfier, non du levain dont on fait le pain, mais de l’enseignement
des Pharisiens et des Sadducéens.
Leçon 2 [Matthieu 16, 13‑19] 16, 13 Jésus se rendit dans la région de Césarée de
Philippe, et il posa à ses disciples cette question : «Au dire des gens,
qui est le Fils de l’homme ?» 16, 14 Ils dirent : «Pour les uns,
Jean Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie
ou quelqu’un des prophètes» 16, 15 Mais Jésus leur dit : «Mais vous,
qui dites-vous que je suis ?» 16, 16 Pierre répondit : «Tu es le
Christ, le Fils du Dieu vivant !» 16, 17 Jésus lui répondit :
«Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui
t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. 16, 18 Et moi, je
te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les
portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur elle. 16, 19 Je te donnerai les
clefs du Royaume des cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera aussi
lié dans les cieux, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera délié dans les
cieux.»
Leçon 3 [Matthieu 16, 20‑28] 16, 20 Alors il ordonna aux disciples de ne dire à
personne qu’il était le Christ. 16, 1 À partir de ce jour, Jésus commença
de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir
beaucoup de la part des anciens, des scribes et des princes des prêtres, être
tué et ressusciter le troisième jour. 16, 22 Pierre, le prenant à part, se
mit à le morigéner en disant : «Dieu t’en préserve, Seigneur ! Cela
ne t’arrivera pas !» 16, 23 Mais lui, se retournant, dit à
Pierre : «Passe derrière moi, Satan ! Tu m’es un scandale, car tes
pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !»
16, 24 Alors Jésus dit à ses disciples : «Si
quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il prenne sa
croix, et qu’il me suive. 16, 25 En effet, qui voudra sauver son âme la
perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera. 16, 26 Car que
sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il encourt la ruine de son
âme ? Et que pourra donner l’homme en échange de son âme ?
16, 27 En effet, le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père,
avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres. 16, 28 En
vérité, je vous le dis : il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la
mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume.»
1804. Plus haut, le Seigneur a montré la suffisance de l’enseignement évangélique, par le fait qu’il n’a pas besoin des observances de la loi et aussi qu’il n’est pas nécessaire à un seul peuple. Ici, il montre sa pureté et son excellence. Premièrement, [le Seigneur] montre qu’il doit être préservé pur de toute tradition ; deuxièmement, qu’il dépasse toutes les opinions par l’élévation de la foi, en cet endroit : ARRIVÉ DANS LA RÉGION DE CÉSARÉE DE PHILIPPE [16, 13].
1805. À propos du premier point, une mise à l’épreuve calomnieuse est décrite ; deuxièmement, [le Seigneur] la repousse ; troisièmement, il enseigne à l’éviter. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS IL LEUR RÉPONDIT [16, 2] ; le troisième, en cet endroit : COMME LES DISCIPLES PASSAIENT SUR L’AUTRE RIVE, etc. [16, 5].
1806. À propos du premier point, [Matthieu] rappelle d’abord le lieu ; deuxièmement, l’interrogation pour mettre [Jésus] à l’épreuve est présentée.
1807. Il faut remarquer que, de même que plus haut, après avoir nourri les foules avec cinq pains, [Jésus] se retira, il en est de même ici. Par cela, un exemple est d’abord donné aux prédicateurs de ne pas s’imposer, mais de revenir. Jb 39, 5, à propos de l’âne : Qui a libéré l’âne et a rompu ses liens, etc. ?
1808. [JÉSUS]
MONTA DANS LA BARQUE, afin que la foule ne le suive pas. C’est pourquoi un
obstacle empêchant [la foule] de suivre est indiqué. Ainsi, IL MONTA DANS UNE
BARQUE, c’est-à-dire dans l’esprit qui est agité par les vagues de ce monde.
Sg 14, 3 : Car tu as tracé
une route dans la mer et un sentier à travers les vagues, pour montrer
qu’il devait entrer là où il puisse se reposer. ET IL S’EN VINT DANS LE
TERRITOIRE DE MAGADAN. Madagan veut dire «pomme» et, par cet endroit, est
signifiée la Sainte Écriture, où la pomme pousse avec les autres fruits.
Ct 6, 11 : Je suis
descendu voir les jeunes pousses de la vallée.
1809. Vient ensuite la question pour [le] mettre à l’épreuve : LES PHARISIENS ET LES SADDUCÉENS S’APPROCHÈRENT ALORS DE LUI POUR LE METTRE À L’ÉPREUVE ET LUI DEMANDÈRENT... Si 19, 23 : Il se présente humblement, mais son cœur est plein de ruse. DE LEUR FAIRE VOIR UN SIGNE VENANT DU CIEL. Et ils lui demandèrent un signe venant du ciel. On lit en Jn 6, 49 : Vos pères ont mangé la manne dans le désert ; il leur a donc donné un pain venu du ciel. Et 1 Co 1, 22 : Les Juifs demandent des signes ; et Ps 73[74], 9 : Nous ne voyons pas nos signes, etc.
1810. Alors, il leur fait des reproches, et d’abord à propos de leur apathie à croire ce qui vient de Dieu. En effet, si quelqu’un a une déficience en raison de la condition de ses sens, il a une excuse ; mais lorsqu’il est sage pour les réalités terrestres et apathique pour les réalités spirituelles, on doit lui faire des reproches. Sg 13, 1 : Tous les fils des hommes sont vains ; on ne trouve pas en eux la science de Dieu. Premièrement, [le Seigneur] montre qu’ils sont ingénieux pour les réalités terrestres ; deuxièmement, qu’ils sont apathiques pour les réalités spirituelles.
[Matthieu] dit donc : IL LEUR RÉPONDIT : «AU CRÉPUSCULE, etc.» Ceci possède un sens littéral et un sens mystiques. [Un sens] littéral, car, à partir d’une certaine disposition, ils pouvaient connaître un indice de beau temps : VOUS DITES : «IL VA FAIRE BEAU : LE CIEL EST ROUGE VIF.»
1811. Il en est de même pour la tempête, puisque VOUS DITES : «MAUVAIS TEMPS, AUJOURD’HUI, CAR LE CIEL ET ROUGE SOMBRE», car celui-ci indique la tristesse. En effet, lorsque l’air est agité, les hommes ne sont pas aussi heureux, car le rouge du soir est signe de calme. Ceci s’explique, selon le Philosophe, par la diffusion des rayons du soleil au-dessus des vapeurs. En effet, lorsque les vapeurs sont abondantes, les rayons ne peuvent pas pénétrer, et alors le noir apparaît dans l’air ; mais lorsqu’elles sont légères, [les rayons les] pénètrent. Mais lorsque ce qui est enflammé l’emporte, alors apparaît la couleur rouge, comme elle apparaît dans la flamme, car plus celle-ci s’élève, plus apparaît la couleur rouge en elle. Cela signifie donc que les vapeurs ne sont pas abondantes et indique le calme. Mais, au matin, lorsque [la vapeur] se condense en rosée ou en pluie, c’est un signe de tempête.
Au sens mystique, la passion du Christ est signifiée par le soir. Le soir, le soleil se couche, comme le Christ a souffert au soir du monde. Ml 3, 2 : Qui pourra penser au jour de sa venue et qui restera-t-il pour le voir ? Car il est comme un feu attisé. Ps 29[30], 6 : Au soir, les pleurs ; mais, au matin, la joie. C’est pourquoi il est apparu brillant le soir, et il signifiait la tranquillité. Tb 3, 22 : Après la tempête, tu rétablis la tranquillité, et, après les lamentations et les pleurs, tu donnes la joie. Lors de la résurrection, qui est signifiée par le matin, le rouge est apparu dans les martyrs, et il signifie la tempête pour les pécheurs. Ou bien, par le matin, le matin du jugement est signifié, précédé par le rouge. Ps 96[97], 3 : Le feu le précédera.
1812. «Ainsi donc, vous êtes connaissants pour ces réalités terrestres : POUR LE VISAGE DU CIEL, VOUS SAVEZ L’INTERPRÉTER, MAIS, POUR LES SIGNES DES TEMPS, VOUS N’EN ÊTES PAS CAPABLES !» Il existe deux temps : l’un qui correspond au premier avènement ; l’autre, au second avènement. Certains signes ont précédé le premier avènement. Is 45, 8 : Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice ; que la terre s’ouvre et produise le salut, etc. Et en [Is] 45, 15 : Vraiment, tu es un Dieu caché. Mais, à la fin, Dieu viendra de manière manifeste et il n’y aura pas de signes dans le ciel. Mais ce ne sera plus le temps. Ou bien, [autre interprétation] : «VOUS SAVEZ INTERPRÉTER LE VISAGE DU CIEL, etc.», comme si [le Seigneur] disait : «Vous cherchez un signe de l’avènement. Il est superflu de chercher un signe, là où il y a de nombreux signes», plus haut, 11, 5 : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, etc. Is 35, 4, avait donné ce signe : Le Seigneur lui-même viendra et nous sauvera. Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, etc.
1813. À partir de cette autorité, certains soutiennent que nous devons nous efforcer de connaître le second avènement. Mais Augustin l’interprète du premier avènement : «Le premier est tout à fait assuré, car il existe pour le salut, le salut par la foi et la foi par la connaissance. Il est donc nécessaire qu’il soit reconnu. Mais le second est en vue de la récompense. Il est donc caché afin que les hommes s’en préoccupent davantage.»
1814. Ensuite, [le Seigneur] refuse ce qui a été demandé. Il dit donc : «GÉNÉRATION MAUVAISE ET ADULTÈRE ! ELLE RÉCLAME UN SIGNE.» Cette génération est appelée mauvaise parce qu’elle s’éloigne de Dieu ; est mal, en effet, ce qui s’éloigne de Dieu : Elle a abandonné Dieu, son créateur, et s’est éloignée de Dieu, son salut, comme on lit en Dt 32, 15. Mais elle est appelée adultère, car elle s’est unie à un autre. Ps 26[27] : Si je t’abandonne au cours de ma vie. Is 55, 7 : Que l’impie abandonne sa route et l’homme injuste ses pensées.
1815. ELLE DEMANDE UN SIGNE, et elle ne doit pas en recevoir, car IL NE LUI SERA DONNÉ QUE LE SIGNE DE JONAS. En effet, comme Jonas passa trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi, etc., comme on l’a vu plus haut, [Mt] 12.
1816. Mais pourquoi [le Seigneur] donne-t-il le signe de la résurrection plutôt qu’un autre signe ? Il faut dire que le salut nous est venu par la résurrection. Rm 10, 9 : Si tu crois en ton cœur que le Christ est ressuscité, tu seras sauvé, car en ressuscitant, il a restauré la vie, puisque nous ressusciterons par la résurrection du Christ. C’est pourquoi ce signe a été donné aux fidèles, et tous les autres orienteront vers celui-ci, car il a ressuscité Lazare, etc. C’est pourquoi il n’a pas été donné d’autre signe [aux Pharisiens et aux Sadducéens]. Mais il a donné à ses disciples un signe venu du ciel lorsqu’il leur a montré sa gloire, comme on le trouve plus loin, [Mt] 17. [Le Seigneur] montre donc ainsi l’apathie [des Pharisiens et des Sadducéens].
1817. Vient ensuite la section dans laquelle il refuse par un geste en s’éloignant d’eux : ET LES LAISSANT, IL S’EN ALLA [16, 4]. En effet, il n’habite pas avec les méchants. Sg 1, 3 : Il se sépare des méchants. Après leur avoir refusé [un signe], il enseigne à les éviter. Premièrement, l’occasion est présentée ; deuxièmement, l’enseignement ; troisièmement, l’incompréhension des disciples ; quatrièmement, le reproche ; cinquièmement, l’effet.
1818. [Matthieu] dit : ALORS QUE LES DISCIPLES PASSAIENT SUR L’AUTRE RIVE, etc. Nous devons admirer sur ce point l’esprit des disciples, car les hommes n’ont l’habitude d’oublier que ce à quoi ils accordent peu d’importance. Ainsi, en oubliant les pains, ils leur accordaient peu d’importance, mais [ils en accordaient] seulement aux réalités spirituelles.
1819. OR, JÉSUS LEUR DIT : «OUVREZ L’ŒIL ET MÉFIEZ-VOUS, etc.» Ici est présenté l’enseignement. Par LEVAIN, il entend l’enseignement dénaturé. Il n’entend donc pas l’enseignement de la loi, mais les traditions des Pharisiens, qui sont appelées un levain, car, de même que l’ensemble est corrompu par un peu de levain, de même toute la vie est corrompue par une petite erreur, comme lorsqu’un homme s’écarte un peu de la route, par la suite il s’en éloigne beaucoup. Ainsi, dans Sur le ciel, livre I, le Philosophe dit qu’«une petite erreur au départ devient grande à la fin». L’intelligence spirituelle est un pain, et non un levain. Ainsi donc, par le pain, on entend l’enseignement vrai. Si 15, 3 : Il les a nourris du pain de la vie et de l’intelligence. Ainsi, il est dit : OUVREZ L’ŒIL ET MÉFIEZ-VOUS ! car l’enseignement faux est dangereux. Aussi longtemps que demeure la foi chez l’homme, il n’y a pas de danger ; mais lorsque le fondement a été enlevé, il n’y a plus d’espoir. Ps 136[137], 7 : Détruisez-la jusqu’au fondement. Le fondement est la foi. Tt 3, 10 : Après un premier puis un second avertissement, évite l’hérétique. Parce que l’enseignement faux a une couleur, il dit donc : OUVREZ L’ŒIL, c’est-à-dire examinez avec soin. Pr 4, 25 : Tes yeux voient correctement et tes paupières précèdent tes pas.
1820. Ensuite est présenté ce que comprenaient les disciples : ET EUX DE FAIRE EN EUX-MÊMES CETTE RÉFLEXION, etc. Parce que, auparavant, ils avaient ramassé sept corbeilles de restes mais ne les avaient pas apportées avec eux, ils croyaient qu’il disait : «Vous n’avez pas pris les pains ; mais je ne veux pas que vous acceptiez de pains des Pharisiens, parce qu’ils sont des hommes vivant selon leur nature, et que l’homme en tant qu’animal ne perçoit pas les réalités divines», 1 Co 2, 14.
1821. On pouvait leur faire des reproches sur deux points de ce qu’ils comprenaient : premièrement, ils ne comprenaient pas ; aussi, ils n’avaient pas confiance en la puissance de Dieu. [Le Seigneur] ne leur fait pas de reproches sur le premier point, mais sur le second. Il dit donc : GENS DE PEU DE FOI, POURQUOI FAIRE EN VOUS-MÊMES CETTE RÉFLEXION QUE VOUS N’AVEZ PAS DE PAINS ?
1822. Comme s’il disait : «Vous comprenez charnellement ce que vous devez comprendre spirituellement. NE VOUS RAPPELEZ-VOUS PAS LES CINQ PAINS POUR LES CINQ MILLE HOMMES ET LE NOMBRE DE PANIERS QUE VOUS AVEZ RECUEILLIS ? Si j’en ai nourri un aussi grand nombre, est-ce que je ne peux pas vous nourrir ?»
1823. COMMENT NE COMPRENEZ-VOUS PAS QUE MA PAROLE NE VISAIT PAS DES PAINS, à savoir, [le pain] matériel, mais plutôt [le pain] spirituel, qui porte le nom d’enseignement en Jn 6, 64 : Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.
1824. ALORS ILS COMPRIRENT, etc. Ici est présentée la correction. Ils ont donc été corrigés par sa parole, Ps 118[119],130 : Ta parole en se découvrant illumine et les simples comprennent.
1825. Plus haut, le Seigneur a enseigné que la doctrine évangélique doit être gardée pure du levain des Juifs ; mais ici, il enseigne l’éminence de [cette] doctrine : premièrement, pour ce qui est de la foi dans les deux natures, à savoir, celles de la divinité et de l’humanité ; deuxièmement, pour ce qui est de la foi en la passion, en cet endroit : À PARTIR DE CE JOUR, JÉSUS COMMENÇA À MONTRER À SES DISCIPLES, etc. [16, 21] ; troisièmement, pour ce qui est de la foi en [son] pouvoir judiciaire : EN EFFET, LE FILS DE L’HOMME DOIT VENIR DANS LA GLOIRE DE SON PÈRE [16, 27].
1826. À propos du premier point, on s’enquiert d’abord de l’opinion des foules au sujet du Christ ; deuxièmement, de la foi des disciples, en cet endroit : MAIS POUR VOUS, QUI SUIS-JE ? [16, 15].
1827. À propos du premier point, le lieu est d’abord présenté ; deuxièmement, l’interrogation par le Christ, en cet endroit : AU DIRE DES GENS, QUI EST LE FILS DE L’HOMME ? ; troisièmement, la réponse de Pierre, en cet endroit : MAIS EUX DIRENT, etc. [16, 14].
1828. [Matthieu] dit donc : JÉSUS SE RENDIT DANS LA RÉGION DE CÉSARÉE, et non seulement cela, mais il ajoute : DE PHILIPPE, car il y avait deux Césarée, à savoir, Césarée de Trachonitide, où Pierre a été envoyé à Corneille [Ac 10, 1], et une autre, qui portait aussi le nom de Panée. La première avait été établie en l’honneur de César Auguste ; Philippe construisit cette dernière en l’honneur de Tibère.
Mais pourquoi le Seigneur a-t-il posé ici cette question ? Il faut dire que cette ville était située aux frontières des Juifs ; ainsi, avant qu’elle ne puisse poser des questions sur la foi, il la tira du milieu des Juifs. On lit de même que le Seigneur, alors qu’il tirait les Juifs de l’Égypte, ne leur fit pas prendre la route des Philistins, comme on lit en Ex 13, 17.
1829. Ensuite, l’interrogation est présentée : ET IL POSA À SES DISCIPLES CETTE QUESTION, etc. «Lorsque le sage interroge, il enseigne», comme le dit Jérôme. Nous recevons donc un enseignement sur plusieurs points : être attentifs à ce qu’on nous dit ; corriger ce qui est mal ; préserver et accroître ce qui est bien. Ainsi, prends soin de ta réputation, car elle te restera plus longtemps que mille grands trésors précieux, Si 41, 15. Le Christ demanda donc ce qu’on disait de lui. De même, ceux qui connaissent la divinité sont appelés dieux. Ps 81[82], 6 : J’ai dit : «Vous êtes des dieux», et ceux qui connaissent l’humanité sont appelés hommes. Il est donc dit : AU DIRE DES GENS, QUI EST LE FILS DE L’HOMME ? Mais, comme le dit Hilaire, «le Christ ne se présentait pas seulement comme un homme ; c’est pourquoi il voulut qu’ils sachent qu’il était autre chose qu’un simple homme». Il donne donc lui-même à entendre par là qu’il y a autre chose en lui. De même, l’humilité du Christ est montrée, car il confesse qu’il est fils d’homme, selon ce [qui est dit] plus haut, 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur.
1830. Ensuite est présentée l’opinion des foules : ET ILS DIRENT : «POUR LES UNS, JEAN BAPTISTE, etc.» Les opinions variaient selon les individus. Les Pharisiens blasphémaient le Christ, mais les foules l’appelaient prophète. Ainsi, Lc 7, 16 : Un grand prophète est apparu parmi nous, etc. On disait qu’il était Jean en raison de son autorité, car Jean prêchait la pénitence, plus haut, 3, 2 : Faites pénitence, car le royaume des cieux approche. Ils croyaient donc qu’il était Jean parce que le Christ avait débuté d’une manière semblable : Faites pénitence, le royaume des cieux est proche, comme plus haut, 4, 17. Ils avaient aussi du respect pour le prophète Élie. Ml 3, 5 : Voici que je vais vous envoyer le prophète Élie, avant que n’arrive le grand et redoutable jour du Seigneur. Ils croyaient donc qu’il était Élie en raison de la force de sa parole et de la puissance de sa prédication. Si 48, 1 : Et le prophète Élie s’éleva comme le feu, car sa parole brûlait comme une torche. Et plus haut, [Mt] 7, 29, il est dit du Christ qu’il enseignait en homme qui a autorité. De même, en raison de l’élévation de sa vie, ils croyaient qu’il était Jérémie, dont le Seigneur dit : Avant de te former dans le sein, je t’ai connu, et avant que tu ne sortes du ventre, je t’ai sanctifié, Jr 1, 5. Et on lit, [dans le chapitre] 40 du même [livre], qu’il était honoré par les Gentils. Le Christ était de même considéré avec respect par les étrangers, mais les Juifs blasphémaient à son sujet. C’est pourquoi ils le comparaient à Jérémie.
1831. Mais pourquoi disaient-il qu’il était Élie ? On lit en effet, dans 4 R [2 R] 2, 11, que celui-ci a été enlevé mais qu’il revivrait, et il était promis aux Juifs comme salut, ainsi qu’on le lit en Ml 3, 5. Parce que certains ont proposé le passage d’un corps à l’autre, selon cette opinion, il aurait pu ainsi arriver que l’âme d’Élie soit entrée dans un autre corps.
1832. MAIS JÉSUS LEUR DIT : «MAIS VOUS, QUI DITES-VOUS QUE JE SUIS ?» Ici, la foi des apôtres est examinée : premièrement, la question est posée ; deuxièmement, la réponse [est donnée] ; troisièmement, elle est approuvée. Le second point [se trouve] en cet endroit : PIERRE RÉPONDIT [16, 16] ; le troisième, en cet endroit : JÉSUS LUI RÉPONDIT, etc. [16, 17].
1833. MAIS JÉSUS LEUR DIT : «MAIS VOUS, QUI DITES-VOUS QUE JE SUIS ?» Comme s’il disait : «Les foules disent une chose. Mais parce qu’on vous a confié davantage, davantage est exigé de vous. Vous avez vu les miracles ; vous devez donc avoir une meilleure opinion.» Mais pourquoi a-t-il posé cette question ? Bien sûr, il savait, mais il voulait qu’ils méritent par leur confession. Rm 10, 10 : On croit de cœur pour la justice et on confesse de bouche pour le salut. Ainsi, ce qui est mis à part est d’autant plus méritoire, et les foules qui ne connaissent que les plus petites choses ne sauraient répondre de grandes choses. C’est pourquoi, etc.
1834. PIERRE RÉPONDIT : «TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT.» [Pierre] répond pour lui-même et pour les autres, mais il répond plus souvent, et par là est signalée [sa] foi parfaite, car [sa] foi porte sur la nature humaine [du Christ]. TU ES LE CHRIST, c’est-à-dire l’Oint. Et il est clair que celui-ci a été oint de l’huile du Saint-Esprit. L’onction ne lui convient pas selon [sa] divinité, car elle procède de celle-ci, mais selon [son] humanité. [Pierre] dit donc cela afin que [les disciples] considèrent l’humanité du Christ autrement que les foules.
1835. On se demande pourquoi ils l’appelaient un prophète. Le prophète était oint, comme on le voit pour Élisée. Les rois étaient oints, comme on le voit pour Saül. De même en était-il des prêtres, comme on le lit dans le Lévitique. Et tout cela se rapporte au nom de Christ, car il est appelé roi, comme en Jr 23, 5 : Le roi régnera et il sera sage ; [il est aussi appelé] prêtre, Ps 109[110], 4 : Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ; [il est aussi appelé] prophète : Dieu suscitera un prophète dans ta descendance et parmi tes frères, etc., Dt 18, 15.
1836. De
même, [Pierre] n’a pas confessé seulement l’humanité [du Christ], mais,
pénétrant la coquille, il alla jusqu’à la divinité en disant : TU ES LE
FILS DE DIEU. En effet, d’autres disaient que [le Christ] blasphémait ;
ainsi en Jn 10, 33 : Nous
ne te lapidons pas pour tes bonnes œuvres, mais pour ton blasphème, car, alors
que tu es un homme, tu te fais Dieu. Mais [Pierre] le reconnut comme Fils
de Dieu. Et il dit : [DU DIEU] VIVANT, afin d’écarter l’erreur des
Gentils, qui appelaient dieux certains hommes morts, comme Jupiter, etc., comme
on le lit en Sg 13, 2s. De même, certains [appelaient dieux] les
éléments et d’autres choses mortes, comme la terre, le feu, etc., comme on le
lit en Sg 13. Mais [Pierre] l’appelle FILS DU DIEU VIVANT. Or, il faut
savoir que, lorsqu’on dit FILS DU DIEU VIVANT, et homme vivant, cela est dit de
l’homme par participation à la vie ; mais, de Dieu, cela est dit parce
qu’il est la source de la vie. Ps 35[36], 10 : La source de vie est en toi. Et en
Jn 14, 6 : Je suis le
chemin, la vérité et la vie.
1837. JÉSUS LUI RÉPONDIT, etc. Ici, il approuve d’abord la confession ; en second lieu, il ordonne [aux disciples] de la taire, en cet endroit : ALORS, IL ORDONNA AUX DISCIPLES DE NE DIRE À PERSONNE QU’IL ÉTAIT LE CHRIST [16, 20].
1838. À propos du premier point, il approuve d’abord cette confession en faisant l’éloge de celui qui confesse ; deuxièmement, en le récompensant, en cet endroit : ET MOI JE TE DIS QUE TU ES PIERRE, etc. [16, 18].
1839. [Matthieu] dit donc : JÉSUS RÉPONDIT : «HEUREUX ES-TU, SIMON FILS DE JONAS.» Bar est la même chose que «fils» ; Jonas, que «colombe» : c’est son nom. Ainsi, FILS DE JONAS, c’est-à-dire fils de la colombe. Et la réponse du Christ semble répondre à la confession de Pierre. Parce que celui-ci avait confessé qu’il était le Fils de Dieu, Jésus l’appelle donc «fils de la colombe», c’est-à-dire de l’Esprit Saint, car cette confession n’a pu être faite que par le Saint-Esprit. On croit qu’il s’appelait d’abord Bar-Jonas, c’est-à-dire fils de Jean, mais qu’il était appelé ainsi en raison d’une corruption de l’Écriture.
1840. Mais qu’en est-il ? Est-ce que d’autres n’ont pas confessé le Fils de Dieu ? À coup sûr, on le lit à propos de Nathanaël, Jn 1, 49. De même [en fut-il] de ceux qui se trouvaient dans la barque, plus haut, [Mt] 9. Pourquoi donc Pierre est-il dit ici bienheureux, et non les autres ? Parce que les autres [ont confessé] le fils adoptif, mais celui-ci, le Fils par nature. C’est la raison pour laquelle il est dit plus heureux que les autres, parce qu’il fut le premier à confesser la divinité. Origène dit : «Il semble qu’auparavant on ne l’avait pas confessée. Mais comment [le Christ] les envoya-t-il prêcher ?» Il répond qu’«au départ ils ne prêchaient pas qu’il était le Christ, mais ils prêchaient la pénitence». Il peut aussi être arrivé qu’ils prêchaient le Christ, mais celui-ci fut le premier [à confesser] qu’il était le Fils de Dieu.
1841. [Le Seigneur le] récompense d’une manière spéciale : HEUREUX ES-TU, SIMON, etc., car la béatitude est dans la connaissance. Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu. Mais il existe une double connaissance : l’une qui se fait par la raison naturelle, l’autre qui dépasse la raison. La première n’assure pas la béatitude parce qu’elle est douteuse ; elle ne satisfait donc pas l’intelligence. Or, la béatitude doit satisfaire l’appétit naturel, et cela sera obtenu dans la patrie. Is 64, 4 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu ce que le Seigneur a préparé pour ceux qui l’aiment. Dans la vie présente, donc, plus quelqu’un peut recevoir de cette connaissance, plus il participe à la béatitude. Pr 3, 13 : Bienheureux l’homme qui trouve la sagesse. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : HEUREUX ES-TU, car [Pierre] commence à participer à la béatitude.
1842. CAR CE NE SONT PAS LA CHAIR ET LE SANG QUI T’ONT RÉVÉLÉ CELA. On peut l’interpréter dans le sens où la chair et le sang signifient les amis charnels. Ga 1, 16 : Aussitôt je n’ai consulté ni la chair ni le sang. Ainsi, CE NE SONT PAS LA CHAIR ET LE SANG QUI T’ONT RÉVÉLÉ CELA, c’est-à-dire que tu ne l’as pas reçu de la tradition des Juifs, mais de la révélation de Dieu. De même, il y avait dans le Christ chair, sang et divinité. De sorte que parce que Pierre n’a pas considéré la chair et le sang, il lui est dit : «HEUREUX ES-TU, car tu ne juges pas selon ce que la chair et le sang révèlent, mais selon ce que mon Père [révèle].» Ou encore : «Tu ne tiens pas cela d’une application naturelle, mais de mon Père» : Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, Lc 10, 22. En effet, c’est à celui à qui il appartient de connaître qu’il appartient de manifester. Ainsi, personne ne [l’]a connu que celui à qui le Père a voulu le révéler. Dn 2, 28 : Il y a un Dieu au ciel qui révèle des mystères.
1843. ET MOI, JE TE DIS : «TU ES PIERRE, etc.» Ici, [le Seigneur] donne la récompense de la confession. [Pierre] avait confessé l’humanité et la divinité ; c’est pourquoi le Seigneur lui donne une récompense. Premièrement, il [lui] donne un nom ; deuxièmement, un pouvoir.
1844. À propos du premier point, il donne en premier lieu un nom ; deuxièmement, la raison du nom, en cet endroit : ET SUR CETTE PIERRE JE BÂTIRAI MON ÉGLISE [16, 18].
1845. [Le Seigneur] était venu dans le monde pour fonder son Église. Is 28, 16 : Et voici, je poserai dans Sion comme pierre angulaire une pierre éprouvée et précieuse, placée à la base. Celle-ci fut représentée par la pierre que Jacob plaça sous sa tête et sur laquelle il répandit de l’huile, Gn 28, 18. Cette pierre est le Christ et c’est en vertu de cette onction que tous ont été appelés chrétiens. Ainsi, non seulement les chrétiens sont-ils ainsi nommés à partir du Christ, mais à partir de la pierre. C’est pourquoi [le Christ] donne un nom de manière particulière : TU ES PIERRE, à partir de la pierre qu’est le Christ, bien que, selon Augustin, il semble que [ce nom] ne lui ait pas été alors donné, mais [qu’il le portait] depuis le début, Jn 1, 42 : Tu t’appelleras Céphas. Ou l’on peut dire que [ce nom] avait alors été promis et qu’il était maintenant donné. Comme signe de cette réalité, SUR CETTE PIERRE JE BÂTIRAI MON ÉGLISE. Le propre de la pierre est qu’elle est placée à la base et qu’elle donne aussi une solidité, plus haut, 7, 24 : Il ressemble à l’homme qui construit sa maison sur le roc. On peut donc l’entendre du Christ : SUR CETTE PIERRE, c’est-à-dire le Christ, afin qu’il soit le fondement et que [l’Église] ainsi fondée en reçoive de la solidité. Dans le livre des Rétractations, Augustin dit qu’il l’a interprété de diverses manières et qu’il laisse aux auditeurs le soin d’accepter [l’interprétation] qu’ils veulent. CETTE PIERRE peut désigner le Christ, 1 Co 10, 4 : Mais la pierre était le Christ. [On lit] ailleurs, 1 Co 3, 11 : Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, à savoir, le Christ Jésus. Autre interprétation : SUR CETTE PIERRE, c’est-à-dire : «Sur toi, la pierre, parce que de moi, la pierre, tu reçois d’être pierre. Et comme je suis la pierre, de même je bâtirai sur toi, etc.»
1846. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que le Christ et Pierre sont le fondement ? Il faut répondre que le Christ l’est par lui-même, mais Pierre pour autant qu’il confesse le Christ, à titre de vicaire de celui-ci. Ep 2, 20 : Édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, le Christ Jésus demeurant la pierre angulaire, etc. Ap 21, 12 : La ville avait douze bases sur lesquelles étaient inscrits les noms des douze apôtres et celui de l’Agneau. Ainsi donc, le Christ est fondement par lui-même, mais les apôtres ne le sont pas par eux-mêmes, mais par une concession de la part du Christ et par l’autorité que [leur] a donnée le Christ. Ps 86[87], 1 : Ses fondements sont posés sur les montagnes saintes. Mais, d’une manière spéciale, la maison de Pierre, qui est fondée sur le roc, ne sera pas emportée, comme [on le lit] plus haut, 7, 25. Ainsi, celle-ci peut être assiégée, mais elle ne peut être abattue.
1847. ET LES PORTES DE L’ENFER NE L’EMPORTERONT PAS SUR ELLE. Jr 1, 19 : Ils te feront la guerre, mais ils ne l’emporteront pas. Et que sont les portes de l’enfer ? Les hérétiques, car de même que [l’hérétique] entre dans la maison par la porte, de même entre-t-on par eux en enfer. Aussi les tyrans, les démons et les péchés. Et bien que les autres églises puissent être stigmatisées par les hérétiques, l’Église romaine n’a cependant pas été corrompue par les hérétiques, car elle est fondée sur la pierre. Ainsi, il y a eu des hérétiques à Constantinople et le travail des apôtres [y] avait été perdu ; seule l’Église romaine est demeurée inviolée. De sorte que Lc 22, 32 [dit] : J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas. Et cela ne se rapporte pas seulement à l’Église de Pierre, mais à la foi de Pierre et à toute l’Église occidentale. Je crois donc que les Occidentaux doivent un plus grand respect à Pierre qu’aux autres apôtres.
1848. «JE TE DONNERAI LES CLEFS DU ROYAUME DES CIEUX.» Ici est présenté le second don que le Christ, selon son humanité, fit à Pierre. En effet, [le Christ] a fondé [son] Église sur terre et a fait de Pierre son vicaire, afin de laisser entrer au ciel. He 10, 19 : Ayant l’assurance voulue pour l’accès des saints par le sang du Christ. Le Christ a donc fait de Pierre son vicaire pour que celui-ci fasse entrer au ciel ; il lui a donc donné un ministère, il lui a donné les clefs. En effet, la clef permet d’entrer. Pierre a donc comme ministère de faire entrer. Et [le Christ] fait deux choses : premièrement, il [lui] confie les clefs ; deuxièmement, il [lui] en enseigne l’usage : TOUT CE QUE TU LIERAS SUR LA TERRE SERA LIÉ AU CIEL, etc.
1849. Mais voyons en quoi consistent les clefs. Lorsque la maison est fermée à clef, l’entrée en est empêchée ; en effet, la clef supprime l’obstacle. Il existait un obstacle à l’accès au royaume des cieux, mais non de son côté, Ap 4, 1 : J’ai vu, et la porte était ouverte ; mais l’obstacle était de notre côté, à savoir, le péché, car rien d’impur n’entrera dans celle-ci [Ap 21, 27]. Le Christ a enlevé ces obstacles par sa passion, car il nous a lavés de nos péchés dans son sang, Ap 1, 5. Et il a fait partager celle-ci, de sorte que, par un ministère, les péchés soient enlevés, ce qui est accompli par la puissance du sang du Christ. C’est ainsi que les sacrements agissent par la puissance de la passion du Christ. Ainsi, JE TE DONNERAI UN MINISTÈRE, etc. Is 22, 22 : Je te donnerai les clefs de David.
1850. Mais [le Seigneur] dit : JE TE DONNERAI. En effet, [les clefs] n’avaient pas encore été forgées : une chose ne peut pas être donnée avant d’exister. Ces clefs devaient être forgées dans la passion. C’est ainsi que [leur] efficacité fut tirée de la passion. C’est pourquoi ici [le Seigneur] promit et, après la passion, il donna, lorsqu’il dit : Pais mes brebis [Jn 21, 17]. Mais pourquoi dit-il : LES CLEFS ? Parce que absoudre, c’est enlever un obstacle. Il y a deux choses, car deux choses sont requises : le pouvoir et la science. Mais de quoi s’agit-il ? N’existe-t-il pas des prêtres qui n’ont pas la science ? Comprenez qu’ils ont la science, car personne d’autre que le prêtre n’a la clef de la science. On ne parle pas ici de la science, habitus intellectuel, etc., mais on veut dire l’autorité de décider. Ainsi, il peut exister un juge qui n’a pas la science dans le premier sens, mais qui a cependant la science dans le second sens, parce qu’il a l’autorité ; mais un autre a la science dans le premier sens et non dans le second, parce qu’il n’a pas l’autorité. Ainsi donc, science veut dire ici autorité de décider, et tout prêtre possède celle-ci afin de trancher par l’absolution.
1851. Ensuite, [le Seigneur] présente l’usage des clefs : TOUT CE QUE AURAS LIÉ SUR LA TERRE SERA LIÉ DANS LES CIEUX. Mais il semble que cela ait été présenté d’une manière inappropriée, car l’usage des clefs n’est pas de lier mais d’ouvrir. Je dis que cet usage convient aux clefs. En effet, le ciel a été ouvert. Ap 4, 1 : Je vis la porte ouverte. Il n’est donc pas nécessaire qu’il soit ouvert, mais celui qui doit y entrer et qui est lié doit être délié.
1852. Mais ici il faut éviter certaines erreurs. La première est abordée dans la Glose, car certains ont prétendu à tort que tous pouvaient délier ceux qu’ils voulaient et les faire entrer dans le royaume des cieux. Mais ceci ne peut être soutenu, car il appartient à Dieu seul de changer les volontés. Une autre erreur est que le prêtre ne lie pas, mais montre que [quelqu’un] est délié. Mais ceci va à l’encontre de l’efficacité du sacrement, du fait que les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils représentent, mais non les sacrements de la loi ancienne. De sorte que si [le sacrement] ne réalisait rien, il ne serait pas un sacrement de la loi nouvelle. Troisièmement, certains disent qu’il y a trois choses dans le péché : la faute, la culpabilité et la peine. L’homme se libère lui-même de deux choses par la contrition ; mais lorsque l’homme est libéré de ces choses, il demeure lié par une peine temporelle, que l’homme ne suffit pas par lui-même à écarter et à éviter. C’est pourquoi les clefs sont données : elle diminuent quelque peu cette peine et elles lient par une peine.
1853. Mais il me semble que cela n’est pas bien exprimé, car le sacrement de la loi nouvelle donne la grâce. Or, la grâce ne s’oppose pas à la peine, mais à la faute. C’est pourquoi je dis qu’il en est de ce sacrement de la confession comme du sacrement du baptême : il possède une efficacité instrumentale en vertu de laquelle il purifie de la faute. C’est pourquoi Augustin [écrit] : «Quelle est la puissance de l’eau, qu’elle lave la chair et enlève la faute ?» Je dis donc que, dans le prêtre, il existe une certaine puissance spirituelle instrumentale, en vertu de laquelle il est appelé ministre, et qu’il réalise ainsi la rémission, comme l’eau du baptême. Mais, ici, cela fait difficulté, car, maintenant, seuls les enfants viennent au baptême, et si un adulte s’en approche, ou bien il le fait par feinte, ou bien non. Si c’est par feinte, alors qu’il n’existe pas de transformation de l’esprit, la faute n’est pas remise ; si [ce n’est pas par feinte], alors qu’il s’en approche avec le propos de se confesser, la grâce est requise ou le propos de la conversion, et cela vient de la grâce. Or, la grâce enlève la faute. De sorte que, dans le sacrement de baptême, l’adulte qui s’approche, s’il se prépare, reçoit la rémission de la faute. De même, dans le sacrement de la pénitence, duquel seuls les adultes peuvent s’approcher, il n’y a pas contrition si on ne se propose pas de se soumettre à la décision et au jugement du prêtre. S’il n’est pas contrit, il n’obtient pas l’effet, pas plus que dans le baptême. Mais il peut arriver que quelqu’un s’approche sans être entièrement contrit, mais qu’il devienne contrit par la puissance de la grâce conférée par la mise en œuvre du sacrement. Il faut donc entendre : TOUT CE QUE TU LIERAS, c’est-à-dire si tu exerces le ministère de l’absolution. Et [le Seigneur] dit : TOUT, car [cela vaut] non seulement pour la peine, mais pour la faute. SERA DÉLIÉ DANS LES CIEUX, c’est-à-dire que cela sera considéré comme délié dans les cieux, comme c’est le cas pour le baptême. C’est pourquoi le prêtre doit dire : Je t’absous, comme il dit : Je te baptise.
1854. Mais on peut se demander pourquoi il lie. Il faut savoir que le prêtre est le ministre de Dieu et que l’action du ministre dépend de l’acte du Seigneur. Le prêtre [lie donc et délie] de manière ministérielle selon que le Seigneur lie et délie. Dieu délie en infusant la grâce ; il lie en ne l’infusant pas. De même, le prêtre délie dans le sacrement en administrant le sacrement, mais il lie en ne l’administrant pas. On donne [aussi] une autre interprétation : par les cieux, l’Église présente est désignée. Ainsi, QUICONQUE SERA LIÉ, par l’excommunication, OU SERA DÉLIÉ ou LIÉ, par l’administration des sacrements de l’Église. On veut donc que cette administration, cette ligature et cette absolution se réalisent sur terre, de sorte qu’elles ne s’appliquent pas aux morts. Mais cela est repoussé, car elles s’étendent non seulement aux vivants, mais aussi aux morts.
1855. Ainsi donc, si l’on tient compte des deux choses, le sens est : TOUT CE QUE TU AURAS LIÉ SUR LA TERRE (je parle alors de ce qui existe sur terre) SERA LIÉ AUSSI DANS LES CIEUX. Mais ici, il dit cela à Pierre seulement. Il faut dire que [le Seigneur] l’a donné immédiatement à Pierre, mais que les autres le reçoivent de Pierre. C’est pourquoi, afin qu’on ne croie pas que cela a été dit seulement à Pierre, [le Seigneur] dit : Ceux à qui vous remettrez, etc. [Jn 20, 23]. Et, pour cette raison, le pape, qui tient la place de Pierre, a un pouvoir plénier, et les autres [tiennent ce pouvoir] de lui.
1856. Plus haut, la confession de la divinité du Christ par Pierre a été présentée. Ici, [le Seigneur] ordonne qu’on la taise pour un temps, à savoir, que [les disciples] ne disent pas qu’il était le Christ.
Mais ici se présente une question. Car, plus haut, le Seigneur avait envoyé ses disciples prêcher le royaume de Dieu ; pourquoi le défend-il ici ? Superficiellement, selon la lettre, on pourrait dire que [le Seigneur] n’a pas ordonné auparavant qu’ils annoncent le Christ, mais le royaume de Dieu. Mais, parce que l’annonce du règne de Dieu comporte l’annonce du Christ, ce qu’il avait ordonné plus haut, il semble l’interdire ici. Jérôme dit que «ce qu’il avait prêché auparavant, il ne l’interdit pas, car, auparavant, il avait ordonné d’annoncer Jésus, et ici il ordonne qu’ils ne disent pas qu’il était le Christ ; en effet, Christ est un nom de dignité, et Jésus le nom du Sauveur». Ainsi, [on lit] plus haut, 1, 21 : Et tu l’appelleras Jésus. Origène répond que «les apôtres parlaient auparavant du Christ comme d’un grand homme ; mais [le Seigneur] voulut qu’on passe sous silence [qu’il était le Christ], afin que, après eux, cela devienne plus clair». Parfois, l’enseignement est ainsi anticipé afin qu’ils aient le temps de comprendre. Ou bien il faut dire que : Allez prêcher ne doit pas être reporté avant la passion, mais après. C’est pourquoi il est là question qu’ils soient traînés devant les rois et les autorités, etc., et cela n’eut pas lieu avant la passion.
1857. Mais pourquoi le Seigneur a-t-il maintenant ordonné que cela soit tu ? En effet, le peuple allait le voir souffrir et lorsque certains voient l’abaissement d’un grand personnage, ils sont davantage incités au scandale. C’est pourquoi, etc. Chrysostome dit : «Si ce qu’on a planté est arraché, on ne peut le replanter immédiatement.» Ainsi, si la foi avait été plantée et avait été arrachée lors de la passion, elle n’aurait pas été plantée aussi rapidemen après. De sorte que beaucoup de choses ne doivent pas être dites afin d’éviter le scandale.
1858. Et il est clair que cela est la cause, car il annonce tout de suite après sa passion. C’est pourquoi [Matthieu] ajoute : À PARTIR DE CE JOUR, JÉSUS COMMENÇA À MONTRER À SES DISCIPLES QU’IL DEVAIT ALLER À JÉRUSALEM, Y SOUFFRIR BEAUCOUP… Et, à ce sujet, [le Seigneur] fait trois choses : premièrement, il annonce à l’avance sa passion ; deuxièmement, il rabroue un disciple, en cet endroit : MAIS, SE TOURNANT VERS PIERRE, etc. [16, 23] ; troisièmement, il enseigne la foi, en cet endroit : ALORS, JÉSUS DIT À SES DISCIPLES, etc. [16, 24].
Car, en premier lieu, il annonce à l’avance sa passion ; en second lieu, sa résurrection, en cet endroit : ET RESSUSCITER LE TROISIÈME JOUR [16, 21].
À propos du premier point, il aborde le lieu, les auteurs et la fin.
1859. [Matthieu]
dit donc : À PARTIR DE CE JOUR, JÉSUS COMMENÇA À MONTRER À SES DISCIPLES.
[Le Seigneur] a parlé ici de sa passion, ainsi qu’aux chapitres XVII et XX.
Mais, avant ce moment, il ne l’avait pas annoncée d’avance. Mais pourquoi
a-t-il commencé maintenant [à le faire] ? Parce qu’il l’a révélée aux
disciples. Mais pourquoi pas plus tôt ? Parce que, s’il avait annoncé à
l’avance sa passion avant que la foi ne soit affermie chez eux, ils l’auraient
peut-être abandonné ; mais, maintenant, ils croyaient qu’il était le vrai
Dieu. C’est pourquoi, etc. Et [Matthieu] dit : À MONTRER, et non
pas : à dire, parce que ce qui est manifesté visiblement est dit,
ce qui est compris est montré. C’est pourquoi il parlait aux Juifs et il montrait
aux disciples. Lc 24, 26 : Ne
fallait-il pas que le Christ souffrît et entrât ainsi dans sa gloire ?
1860. Lorsqu’il dit : IL FAUT, il aborde le lieu. Et pourquoi JÉRUSALEM ? Il donne la raison. Mais la première raison pour laquelle il dit : JÉRUSALEM est que là se trouvait le temple de Dieu, où les sacrifices étaient offerts. Or, les sacrifices de l’ancienne loi étaient la figure de ce sacrifice qui s’accomplit sur l’autel de la croix. Il voulut donc que, là où avait été la figure, la vérité soit manifestée. Ep 5, 2 : Et il se livra lui-même en sacrifice et en victime pour Dieu dans une odeur suave. Une autre raison est que des prophètes avaient souffert à Jérusalem, comme [on le lit] plus loin, 23, 37 : Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues et lapides les prophètes que je t’ai envoyés ! Il a donc voulu souffrir [à Jérusalem] afin que leur mort soit le signe de la passion du Christ. De même, Jérusalem veut dire «vision de paix». Or, la passion elle-même a amené la paix. Col 1, 20 : Établissant la paix entre ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre. Ce fut aussi pour que, par ce chemin, nous accédions à la Jérusalem d’en haut. Ga 4, 26 : Car cette Jérusalem qui est d’en haut, notre mère, est libre.
1861. Mais
par qui [devait-il souffrir] ? DE LA PART DES ANCIENS. Et cela parce qu’il
a souffert par leur intervention. Celui-là fait une chose par l’autorité de qui
elle est faite. Ils l’ont donc davantage tué que les soldats. Par cela, la
malice du peuple est donc signifiée, car ceux qui paraissent meilleurs se
révèlent les pires. Un homme est empêché de pécher en raison de l’âge, un
autre, de la science, un autre, de la dignité. Toutefois, l’âge ne les a pas
empêchés, car c’est DE LA PART DES ANCIENS [qu’il allait souffrir] ; ni la
science, car c’est DE LA PART DES SCRIBES [qu’il allait souffrir] ; ni la
dignité, car c’est DE LA PART DES PRÊTRES [qu’il allait souffrir].
Jr 5, 5 : J’irai chez les
grands et je leur parlerai : en effet, eux ont connu le chemin du Seigneur
et le jugement de son Dieu. Et ce sont eux qui ont le plus secoué le joug.
De même, il y eut une certaine abjection et humiliation, car, lorsque quelqu’un
souffre de la part des gens du peuple, ce n’est pas grand-chose ; mais
[lorsqu’il souffre] de la part des sages et de la part de ceux qui paraissent
bons, c’est une grande abjection. Ainsi, Jn 18, 35 : Ta nation et [ses] dirigeants t’ont livré à
moi. De même, il a souffert jusqu’à la mort. C’est pourquoi il dit :
ÊTRE TUÉ. Ac 10, 39 : Celui
qu’ils ont tué en le suspendant à la croix . Dn 9, 26 :
Le Christ sera tué, et le peuple qui le
reniera ne sera pas là.
1862. Mais la joie de la résurrection est ajoutée : ET RESSUSCITER LE TROISIÈME JOUR. Os 6, 3 : Le troisième jour, il nous relèvera.
1863. PIERRE, LE PRENANT À PART, SE MIT À LE MORIGÉNER. Ici, [le Seigneur] rabroue un disciple qui fait opposition. Premièrement, l’opposition est présentée ; deuxièmement, la réponse du Christ, en cet endroit : MAIS LUI, SE RETOURNANT, DIT À PIERRE, etc. [16, 23].
1864. [PIERRE,] LE PRENANT À PART, soit par le regard, soit en le tirant vers lui, pour ne pas paraître présomptueux en reprenant le Seigneur devant les autres, dit : «DIEU T’EN PRÉSERVE, SEIGNEUR ! CELA NE T’ARRIVERA PAS !» Le Seigneur avait louangé sa confession et lui avait donné pouvoir, car, puisqu’il avait reconnu le Fils de Dieu, [Pierre] pensait que, si [Jésus] était tué, sa foi était vaine et que celui-ci n’était pas Dieu. C’est pourquoi [le Seigneur] le rabroua. Il tenait dans son cœur qu’il était le Fils de Dieu et il ne prenait pas garde qu’il ne faut pas rabrouer Dieu, comme il est dit en Jb 15, 3 : Tu fais des reproches à Celui qui n’est pas ton égal et tu parles comme il ne te convient pas. Mais [Pierre] gardait une certaine foi dans la divinité [de Jésus], car on lit en Marc : Prends soin de toi, Seigneur, et ne te livre pas à la mort.
1865. MAIS LUI, SE RETOURNANT, DIT À PIERRE : «PASSE DERRIÈRE MOI, SATAN !» Ici est présentée la réponse [de Jésus]. Hilaire explique ce passage de la manière suivante : le Diable, voyant que [Jésus] lui-même avait annoncé sa passion et connaissant les témoignages des prophètes, incita Pierre à l’en dissuader. Le Seigneur, donc, voyant que [Pierre] ne parlait pas de sa propre initiative, le rabroua. C’est pourquoi il dit à Pierre : PASSE DERRIÈRE MOI !, de sorte qu’il y a là un point. Et il dit à Satan : SATAN, TU M’ES UN SCANDALE ! Jérôme dit qu’il ne croit pas que Pierre ait parlé sous l’initiative du Diable, mais par un sentiment de piété. Il a donc parlé par ignorance.
1866. [Le Seigneur] fait donc trois choses : premièrement, il avertit ; deuxièmement, il rabroue ; troisièmement, il en donne la raison.
1867. L’avertissement [est ainsi formulé] : PASSE, Pierre. C’est donc la même formule qui a été employée plus haut pour le Diable : PASSE DERRIÈRE MOI, SATAN ! Ou [encore] : PASSE DERRIÈRE MOI, suis-moi. Satan veut dire «adversaire». De sorte que celui qui s’oppose à une décision divine est appelé Satan. TU M’ES UN SCANDALE, c’est-à-dire : «Tu veux faire obstacle à ce que je veux.» Mais est-ce qu’il n’y a pas de scandale pour ceux qui aiment Dieu ? Origène dit qu’«il n’y a pas de scandale pour les parfaits». Ils ne sont donc pas scandalisés. Mais quelqu’un peut leur poser un obstacle. Pierre a donc été scandalisé, mais non pas le Christ. Ou encore, [autre interprétation] : il estime que le scandale de ses membres est le sien. C’est ainsi que Paul dit : Qui est scandalisé que je ne le sois ? [2 Co 11, 29]. Parce qu’il pourrait être un scandale pour d’autres, [le Seigneur] dit : TU M’ES UN SCANDALE, non pas à cause de moi, mais à cause de mes membres.
1868. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? [Le Seigneur] avait dit plus haut : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai [mon Église] [Mt 16, 18]. Mais ici, il l’appelle Satan. Jérôme dit que [Pierre] n’avait pas encore ce que le Seigneur [lui] avait promis. Mais parce que, dans l’avenir, il l’eut, [le Seigneur] pouvait pour cette raison l’appeler Satan. Chrysostome dit que [le Seigneur] a voulu montrer ce que l’homme pouvait [faire] par lui-même, et ce qu’[il pouvait faire] par la grâce de Dieu, car, plus haut, [Pierre] reconnut la divinité du Christ par la grâce de Dieu, mais, là où Dieu lui a retiré sa grâce, son humanité et ses déficiences sont apparues, au point où [le Seigneur] l’appela Satan. Le Seigneur veut ainsi que certains hommes parfaits tombent afin qu’ils reconnaissent leur humanité. Et qu’il faille l’entendre ainsi s’accorde assez bien avec ce qui suit.
1869. [Le Seigneur] donne ainsi la cause : CAR TES PENSÉES NE SONT PAS CELLES DE DIEU, MAIS CELLES DES HOMMES ! Auparavant, [Pierre] avait dit : «Tu es le Fils de Dieu» : il pensait alors comme Dieu. Mais ici, il pense comme un homme. 1 Co 2, 14 : En effet, l’homme en tant qu’animal ne perçoit pas les réalités divines. Pr 13, 16 : Le sot étale sa folie. Pierre fuit la mort de la chair, mais l’Esprit de Dieu [ne le fait pas]. Ainsi, Jn 15, 13 : Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.
1870. ALORS JÉSUS DIT À SES DISCIPLES. Ici, [le Seigneur] exhorte à imiter sa passion. Premièrement, il présente son exhortation ; deuxièmement, [il en donne] la raison ; troisièmement, il la confirme. Le second point [se trouve] en cet endroit : QUI VEUT SAUVER SON ÂME LA PERDRA [16, 25] ; le troisième, en cet endroit : QUE SERT À L’HOMME DE GAGNER LE MONDE ENTIER, etc. [16, 26].
1871. Pierre voulait donc empêcher la passion, mais [le Seigneur] invite [ses disciples] : SI QUELQU’UN VEUT VENIR À MA SUITE, QU’IL SE RENIE LUI-MÊME, QU’IL PRENNE SA CROIX ET QU’IL ME SUIVE. Comme s’il disait : «Il faut que vous soyez prêts à imiter la passion du Christ.» Les martyrs l’imitent d’une manière particulière, corporellement, mais les hommes spirituels [l’imitent] d’une manière spirituelle, en mourant spirituellement pour le Christ. On peut donc entendre [ce qu’il dit] de la croix corporelle. Chrysostome [écrit] : «Ainsi donc, lorsqu’il dit : “Pierre, passe derrière moi”, comprenez qu’il a dit cela au seul Pierre ; mais lorsqu’il dit : “Si quelqu’un veut venir après moi, etc.”, il veut que tous les hommes viennent vers lui.» Et [le Seigneur] dit : VEUT, car celui qui est attiré par volonté est davantage attiré que celui qui l’est de manière violente. Ps 53, 8 : Je sacrifierai de tout cœur.
1872. [Le Seigneur] dit donc trois choses : QU’IL SE RENIE LUI-MÊME ; QU’IL PRENNE SA CROIX et QU’IL ME SUIVE. Chrysostome dit que [le Seigneur] parle par mode de comparaison. Si tu as un fils et que tu vois qu’il est maltraité, si tu n’en prenais pas soin, tu le renierais. Ainsi, si tu veux suivre la passion du Seigneur, il faut que tu te renies et que tu te considères comme rien. Ps 37, 15 : Et je suis devenu comme un sourd, qui n’a rien à répliquer. Et Pr 23, 35 : On m’a battu, et je n’ai point de mal ; on m’a roué de coups, et je n’ai rien senti. QU’IL PRENNE SA CROIX ET QU’IL ME SUIVE : il faut qu’il soit prêt à endurer la croix ou à mourir d’une mort très pénible et très humiliante. Sg 2, 20 : Condamnons-le à la mort la plus humiliante. L’homme doit donc être prêt à subir n’importe quelle mort pour Dieu. Souffrir pour ses fautes est honteux, mais [souffrir] pour Dieu ne l’est pas. Ainsi, 1 P 4, 15‑16 [dit] : Que personne n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur ou pour avoir convoité les biens des autres. Mais, si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas honte, mais qu’il glorifie Dieu de porter ce nom.
1873. Selon Grégoire, cela s’entend de la mise à mort spirituelle. En effet, il existe un triple reniement de soi. Premièrement, lorsqu’on renie l’état d’un péché antérieur. Rm 6, 11 : Considérez-vous comme morts au péché. De même, si l’on n’est pas dans le péché, mais qu’on passe à un état parfait. Ph 3, 11‑12 : Afin de parvenir à la résurrection d’entre les morts, non pas que j’aie déjà atteint le but ou que je sois devenu parfait, mais je poursuis ma course pour tâcher d’y parvenir, ayant été moi-même saisi par le Christ Jésus. De même, celui qui renie son propre désir. Ga 2, 9 : Mais moi je suis mort à la loi par la loi afin de vivre pour Dieu : j’ai été attaché à la croix avec le Christ. Et 2 Co 5, 14 : Si un seul est mort, tous sont morts.
1874. QU’IL PRENNE SA CROIX. La croix tire son
nom de «supplice» [cruciatus]. Est
supplicié spirituellement celui dont l’esprit est tourmenté par la compassion
envers le prochain, comme l’Apôtre, Rm 12, 15 : Pleure avec ceux qui pleurent. De même,
quelqu’un est-il supplicié par la pénitence. Ga 5, 24 : Ceux qui appartiennent au Christ ont
crucifié leur chair avec ses vices et ses désirs. ET QU’IL ME SUIVE.
Plusieurs compatissent, mais ils ne suivent pas. Celui qui compatit et est dans
le péché ne suit pas, car le Christ est venu pour détruire les péchés. De même,
si tu t’affliges par vaine gloire, tu ne suis pas Dieu, plus haut,
6, 16 : Lorsque vous jeûnez, ne
devenez pas tristes comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite
pour paraître jeûner aux yeux des hommes, etc.
1876. Ou
bien [on peut l’interpréter] ainsi : QUI VOUDRA SAUVER SON ÂME et la
conduire au salut éternel. Is 51, 6 : Mon salut durera pour l’éternité, LA PERDRA, soit en endurant la
mort, soit en refusant ce qui est charnel. QUI LA PERDRA À CAUSE DE MOI,
c’est-à-dire qu’il aura abandonné les désirs charnels, LA TROUVERA, à savoir,
la vie. 2 Co 13, 4 : Mais
nous, nos sommes faibles en lui, mais nous vivrons avec lui.
1877. Ici, [le Seigneur] confirme par une raison. Quelqu’un peut dire : «Je n’ai cure : je veux cette vie plus qu’une autre.» Et [le Seigneur] exclut cela : premièrement, à cause de cette [autre] vie sans prix ; deuxièmement, à cause d’un dommage irréparable pour l’âme.
Il dit donc :
QUE SERT, etc., c’est-à-dire, à quoi te servent ces réalités temporelles si tu
perds ton âme ? Il est naturel pour l’homme d’aimer davantage la fin que
ce qui est ordonné à la fin, comme le corps plutôt que les richesses. Il est
donc naturel que tout soit risqué pour sauver le corps. Si l’on agit en sens
contraire, c’est une perversion due à la passion. Ainsi est-il plus naturel
d’aimer son âme que son corps. Celui-là est donc plus sage qui préférerait
souffrir corporellement que de supporter une grande humiliation. S’il en est
donc ainsi, il faut donc souhaiter davantage le salut de l’âme que celui du
corps, même si l’on pouvait posséder le monde entier. MAIS QUE SERT A L’HOMME
DE GAGNER LE MONDE ENTIER S’IL ENCOURT LA RUINE DE SON ÂME ? Comme s’il
disait : «Le dommage de l’âme est inestimable.»
1878. [Quelqu’un] pourrait aussi dire : «Si je [la] possède et si je [la] perds, je pourrai la récupérer.» Aussi le Seigneur écarte-t-il cela : ET QUE POURRA DONNER L’HOMME EN ÉCHANGE DE SON ÂME ? Comme s’il disait : «Rien.» Pr 6, 35 : Il n’acceptera pas en rachat une multitude de dons. Mais [l’âme] ne peut-elle pas être rachetée ? Dn 4, 24 : Rachète tes péchés par des aumônes. Il faut dire que [le Seigneur] parle ici d’une perte totale, car on ne pourrait la récupérer que si on la trouvait. Or, lorsqu’un homme est contrit, il trouve à nouveau [son âme]. Grégoire [interprète] d’une autre manière : «Le temps de l’Église est double : celui de l’adversité et celui de la prospérité. Au temps de l’adversité, l’adversité ; au temps de la prospérité, la prospérité.»
1879. Ici, [le Seigneur] traite de [son] pouvoir judiciaire. Premièrement, le pouvoir judiciaire est présenté ; deuxièmement, il répond à une objection tacite.
1880. Peut-être diras-tu : «Pourquoi suivrais-je et porterais-je ma croix, etc. ?» Parce que le jugement et le pouvoir appartiennent au Fils de l’homme. Jn 5, 27 : Il lui a donné le pouvoir de juger, car il est le Fils de l’homme. Ne te plains donc pas de souffrir, car IL VIENDRA DANS LA GLOIRE. Ne te plains pas qu’il soit repoussé par les anciens, car IL VIENDRA DANS LA GLOIRE DE SON PÈRE. [Ne te plains pas] non plus [qu’il soit repoussé] devant un grand nombre, car [IL VIENDRA] AVEC SES ANGES. Ph 2, 11 : Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus, le Christ, est dans la gloire de Dieu le Père. Et plus loin, 25, 31 : Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, avec tous les anges, il siégera sur son trône de majesté, etc. Alors, IL RENDRA, il restituera, À CHACUN SELON SES ŒUVRES.
1881. Ensuite, [le Seigneur] répond à une objection tacite : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, comme s’il disait : «Je vous ai dit que le Fils de l’homme viendrait, etc. Mais ne vous étonnez pas.» Pourquoi ? «Je veux vous montrer qu’IL Y EN A D’ICI PRÉSENTS QUI NE GOÛTERONT PAS LA MORT.» Les pécheurs seront absorbés par la mort, mais les justes goûtent la mort. Ces derniers sont Pierre, Jean et Jacques. AVANT D’AVOIR VU LE FILS DE L’HOMME VENANT DANS SON ROYAUME : cela fut le signe de la gloire future. Il ne les nomma pas à cause de l’envie des autres : [ceux-ci] auraient pu être envieux, car [il sera donné] davantage à ceux-là qu’à eux. [Il ne les nomma pas non plus] pour éviter d’être talonné, car ils l’auraient talonné s’il ne leur avait rien montré.
On peut interpréter cela d’une autre façon en disant que le royaume de Dieu est l’Église. C’est pourquoi il y en aura qui ne goûteront pas la mort, comme Jean, AVANT D’AVOIR VU LE FILS DE L’HOMME VENANT DANS SON ROYAUME, c’est-à-dire avant que l’Église ne se soit élargie, car il a vécu si longtemps qu’il a vu l’Église s’élargir et plusieurs églises se construire.
Leçon 1 [Matthieu 17, 1‑13] 17, 1 Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre,
Jacques, et Jean, son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne.
17, 2 Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme
le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige. 17, 3 Et
voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
17, 4 Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus : «Seigneur, il
est heureux que nous soyons ici ; si tu le veux, faisons ici trois tentes,
une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie.» 17, 5 Comme il parlait
encore, voici qu’une nuée lumineuse les couvrit, et voici qu’une voix disait de
la nuée : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais,
écoutez-le.» 17, 6 À cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces
et furent effrayés. 17, 7 Mais Jésus s’approcha, les toucha et leur
dit : «Relevez-vous, et n’ayez pas peur.» 17, 8 Et eux, levant les
yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul. 17, 9 Comme ils
descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : «Ne parlez à
personne de cette vision, avant que le Fils de l’homme ne ressuscite d’entre
les morts.» 17, 10 Et les disciples lui posèrent cette question : «Que
disent donc les scribes, qu’Élie doit venir d’abord ?» 17, 11 Il
répondit : «Oui, Élie doit venir et tout rétablir ; 17, 12 or,
je vous le dis, Élie est déjà venu, et ils ne l’ont pas reconnu, mais l’ont
traité à leur guise. De même, le Fils de l’homme aura lui aussi à souffrir
d’eux.» 17, 13 Alors les disciples comprirent que ses paroles visaient
Jean Baptiste.
Leçon 2 [Matthieu 17, 14‑27] 17, 14 Comme ils rejoignaient la foule, un homme
s’approcha de lui et, s’agenouillant, lui dit : 17, 15 «Seigneur, aie
pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal : parfois il tombe
dans le feu, et souvent dans l’eau. 17, 16 Je l’ai présenté à tes
disciples, et ils n’ont pas pu le guérir» 17, 17 Jésus répondit :
«Engeance incrédule et pervertie, jusqu’à quand serai-je avec vous ?
Jusqu’à quand ai-je à vous supporter ? Apportez-le-moi ici.» 17, 18
Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l’enfant qui, de ce moment, fut
guéri. 17, 19 Alors les disciples, s’approchant de Jésus dans le privé,
lui demandèrent : «Pourquoi nous autres, n’avons-nous pu
l’expulser ?» 17, 20 «Parce que vous avez peu de foi, leur dit-il.
Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de
sénevé, vous direz à cette montagne : “Déplace-toi d’ici à là !”, et
elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible.» 17, 21 [Cette espèce
de démon ne peut se chasser que par la prière et le jeûne.]
17, 22 Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus
leur dit : «Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes,
17, 23 et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera.» Et ils
en furent tout consternés.
17, 24 Comme il était venu à Capharnaüm, les collecteurs
du didrachme s’approchèrent de Pierre et lui dirent : «Est-ce que votre
maître ne paie pas le didrachme ?» 17, 25 «Mais si», dit-il. Quand il
fut arrivé à la maison, Jésus devança ses paroles en lui disant : «Qu’en
penses-tu, Pierre ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils le tribut
ou le cens ? De leurs fils ou des étrangers ?» 17, 26 Et comme
il répondait : «Des étrangers», Jésus lui dit : «Par conséquent, les
fils sont donc libres. 17, 27 Cependant, pour ne pas les scandaliser, va à
la mer, jette l’hameçon, saisis le premier poisson qui montera, prends-le et
ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère ; prends-le et
donne-le leur, pour moi et pour toi.»
1882. Dans la section précédente, [Matthieu] montre la puissance de l’enseignement évangélique, etc. Ici, la fin est montrée : la gloire future. À ce propos, il montre deux choses : premièrement, il fait voir comment elle a été démontrée dans la transfiguration ; deuxièmement, comment on peut y parvenir, au chapitre 18, 1 : À CE MOMENT, etc.
1883. À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, la gloire future est démontrée ; deuxièmement, il [leur] ordonne de garder le silence ; troisièmement, il présente un doute. Le second point [se trouve] en cet endroit : COMME ILS DESCENDAIENT DE LA MONTAGNE, etc. [17, 9] ; le troisième, en cet endroit : ET LES DISCIPLES LUI POSÈRENT CETTE QUESTION, etc. [17, 10].
1884. À propos du premier point, [il fait] trois choses. Premièrement, les circonstances de la transfiguration sont présentées ; deuxièmement, la transfiguration ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET IL FUT TRANSFIGURÉ DEVANT EUX [17, 2] ; le troisième, en cet endroit : À CETTE VOIX, LES DISCIPLES TOMBÈRENT SUR LEURS FACES [17, 6].
1885. [Matthieu] présente trois circonstances, à savoir, le temps, les disciples [concernés] et le lieu. Il présente le temps lorsqu’il dit : SIX JOURS APRÈS. Mais ici se pose une question à propos du texte : pourquoi, aussitôt après avoir dit : IL Y EN A ICI PRÉSENTS, etc., n’a-t-il pas été transfiguré ? Chrysostome donne la solution. Premièrement, [c’était] pour enflammer le désir des apôtres ; deuxièmement, afin de minimiser l’envie des autres, car peut-être furent-ils troublés après cette parole. Mais pourquoi lit-on ici : SIX JOURS APRÈS, et lit-on en Luc : Huit jours après ? Il est clair que Luc compte le jour où [le Seigneur] a parlé et le jour de la transfiguration, mais Matthieu, seulement les jours intermédiaires. De sorte que, si l’on enlève le premier et le dernier [jour], il ne reste que six jours. Par les six jours sont signifiés les six âges, après lesquels nous espérons parvenir à la gloire future. De même, [le Seigneur] a-t-il accompli ses œuvres en six jours. C’est pourquoi le Seigneur veut-il se montrer après six jours, car si nous ne sommes pas élevés vers Dieu par-delà les créatures, que le Seigneur a créées en six jours, nous ne pouvons pas parvenir au royaume de Dieu.
1886. [JÉSUS] PRIT AVEC LUI PIERRE, JACQUES ET JEAN. Pourquoi pas tous ? Afin de montrer que ce ne sont pas tous ceux qui sont appelés qui atteindront le terme. C’est pourquoi [il dit] plus loin, 20, 16 : Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. Et pourquoi seulement trois ? Afin d’indiquer que personne n’atteindra le terme si ce n’est par la foi en la Trinité. Mc 16, 16 : Celui qui aura cru et aura été baptisé, celui-là sera sauvé. Mais pourquoi ceux-ci plutôt que d’autres ? La raison en est que Pierre était plus fervent. Jean [fut choisi] parce qu’il était aimé d’une manière spéciale. De même Jacques, parce qu’il était le principal combattant contre les adversaires de la foi. C’est pourquoi Hérode le tua en premier, parce qu’il croyait faire quelque chose d’important pour les Juifs, comme [on lit] dans Ac 12, 2 : Il tua Jacques, etc., puis vient ensuite : Car il lui semblait que cela plairait aux Juifs, etc.
1887. ET IL LES AMENA À L’ÉCART SUR UNE HAUTE MONTAGNE, etc. Pourquoi SUR UNE MONTAGNE ? Afin d’indiquer que seul celui qui gravit la montagne est amené à contempler, comme en Gn 19, 17, au sujet de Lot : Qu’il te sauve sur la montagne. Et [Matthieu] dit : HAUTE, en raison de l’élévation de la contemplation. Is 2, 2 : Il s’élèvera au-dessus des collines, et tous les païens viendront à lui, et les peuples viendront et diront : «Venez, gravissons la montagne du Seigneur.» Car, cette élévation de la gloire dépassera toute élévation de la science et de la vertu. De même, À L’ÉCART, parce qu’ils se séparèrent des méchants, plus loin, 25, 32 : Ils les sépareront, comme on sépare les agneaux des boucs.
1888. Vient ensuite la transfiguration : ET IL FUT TRANSFIGURÉ DEVANT EUX. Premièrement, la transfiguration est présentée ; deuxièmement, le témoignage [rendu à Jésus], en cet endroit : COMME IL PARLAIT ENCORE, etc. [17, 5].
1889. À propos du premier point, [Matthieu] présente la transfiguration ; deuxièmement, [son] mode ; troisièmement, l’admiration de Pierre.
1890. [Matthieu] dit donc : ET IL FUT TRANSFIGURÉ, c’est-à-dire qu’il changea de visage, DEVANT EUX. Être transfiguré est la même chose que changer d’aspect, comme on lit, en 2 Co 11, que Satan se change en ange de lumière. Il n’est donc pas étonnant que les justes soient transfigurés en visage de gloire. [Jésus] fut donc transfiguré parce qu’il enleva ce qui lui appartenait.
1891. Certains ont dit qu’il prit un autre corps, ce qui est faux. Mais, pour ce qui est de l’aspect, on dit que quiconque change d’aspect extérieur est transfiguré, comme lorsque quelqu’un est en santé, il est rougeaud, et lorsqu’il est malade, il est pâle. On dit ainsi qu’il est transfiguré. De même en fut-il du Christ parce qu’il se présenta sous une autre forme que celle sous laquelle il était apparu, car son corps n’était pas lumineux, mais il avait pris tant d’éclat qu’on le dit transfiguré.
1892. ET SON VISAGE RESPLENDIT COMME LE SOLEIL : là est abordé le mode. En premier lieu, il est mis en lumière par l’éclat du visage ; en second lieu, par la blancheur des vêtements ; troisièmement, par le témoignage.
[Matthieu] dit donc : ET SON VISAGE RESPLENDIT COMME LE SOLEIL. Ici, [le Seigneur] révéla la gloire future, dans laquelle les corps seront éclatants et resplendissants. Et cet éclat ne venait pas de son essence, mais de l’éclat de l’âme intérieure remplie de charité. Is 58, 8 : Alors surgira ta lumière comme le matin, et vient ensuite : Et la gloire du Seigneur t’emportera. Il y avait donc un certain resplendissement dans [son] corps. En effet, l’âme du Christ voyait Dieu, et [plus clairement] que toute clarté depuis le début de sa conception. Jn 1, 14 : Nous avons vu sa gloire.
Si donc, chez les autres bienheureux, l’éclat découle de l’âme dans le corps, pourquoi n’était-ce pas le cas dans le Christ qui était Dieu et homme ? Il faut dire que, parce qu’il était Dieu, l’ordre de la nature humaine était en son pouvoir. Or, cet ordre veut que les parties communiquent entre elles, de sorte que, si le corps est blessé, l’âme souffre avec lui, et que le corps soit affecté par l’âme. Mais cet ordre était soumis au Christ. Ainsi, la joie qui existait dans la partie supérieure était tellement parfaite qu’elle ne se manifestait pas à l’extérieur. Il possédait donc à la fois parfaitement la condition de voyageur [viator] et parfaitement celle de voyant [comprehensor]. De sorte que, lorsqu’il le voulait, il ne reflétait pas [cet éclat], mais, lorsqu’il le voulait, il le reflétait et apparaissait resplendissant.
1893. Mais cela n’était-il pas un attribut [dos : attribut propre à l’état de ressuscité] chez le Christ ? Certains disent que oui et qu’il reçut tous les attributs alors qu’il était dans la condition de voyageur : l’attribut de subtilité pour la nativité, d’agilité pour la marche sur l’eau, d’éclat ici, d’impassibilité pour l’administration du sacrement de l’autel. Mais moi, je ne crois pas cela, car l’attribut est une propriété de la gloire elle-même. De sorte que le fait qu’il ait marché sur l’eau, qu’il ait resplendi, tout cela venait de la puissance divine, puisque l’attribut lié à la gloire s’oppose à la condition de voyageur ; mais il en eut une certaine similitude, car SON VISAGE RESPLENDIT COMME LE SOLEIL. Ap 1, 16 : Son visage resplendira comme le soleil par sa puissance. Mais on peut objecter que les justes brilleront comme le soleil. Le resplendissement du Christ ne sera donc pas plus grand que celui des autres. Je dis qu’il le sera. Mais parce que, dans les réalités sensibles, il n’y a rien de plus brillant à quoi on puisse le comparer, on le compare au soleil.
1894. ET
SES VÊTEMENTS DEVINRENT BLANCS COMME LA NEIGE. Il est ici question des vêtements.
Il semble que cela ne fut pas le fait d’un changement dans le Christ, ni d’un
attribut, car ses vêtements n’étaient pas sujets aux attributs. Par les
vêtements, les saints sont signifiés. Is 49, 18 : Je vis, dit le Seigneur, et tu seras revêtu
de tous ceux-là comme d’un vêtement.
Et [Matthieu] dit : ET SES VÊTEMENTS DEVINRENT BLANCS COMME LA NEIGE. La neige possède à la fois blancheur et froideur. De même, les saints ont-ils la blancheur éclatante de la gloire. Sg 3, 7 : Les justes brilleront et courront comme des étincelles dans l’herbe, etc. Ils seront aussi rafraîchis de l’ardeur de la concupiscence. Ps 67[68], 15 : Ils deviendront blancs comme la neige sur le mont Selmon. Ou bien on entend par les vêtements le texte de la Sainte Écriture.
1895. ET VOICI QUE LEUR APPARURENT MOÏSE ET ÉLIE. Et pourquoi apparurent-ils ? Chrysostome en donne les raisons. Première raison : afin d’affermir la foi des disciples. Plus haut, [le Seigneur] avait demandé : Au dire des gens, qui est le fils de l’homme, etc. ? Et ils répondirent : Certains [disent] que c’est Élie, etc. [16, 13s]. Afin de leur démontrer qu’il était différent, il voulut donc faire venir [Moïse et Élie]. Ps 85[86], 8 : Il n’y en a pas de semblable parmi les dieux, Seigneur, etc. Deuxième raison : pour réfuter les Juifs. En effet, ils disaient que [Jésus] transgressait la loi ; ils disaient aussi qu’il était un blasphémateur, comme on le lit en Jn 10, 33 : Nous ne te lapidons pas pour une bonne œuvre, mais pour un blasphème. Puis donc qu’Élie était plus saint que tous les prophètes et que Moïse était le législateur, il montra devant Moïse et Élie qu’il ne s’opposait pas à Dieu et qu’il ne transgressait pas la loi. Troisième raison : pour montrer qu’il était le juge des vivants et des morts, car Élie était vivant et Moïse était mort. Quatrième raison : pour rassurer Pierre, car Pierre avait rabroué le Seigneur au sujet de sa mort ; il montra donc qu’il ne faut pas rabrouer ceux qui s’exposent à la mort en faisant appel [à Moïse et à Élie], car Élie s’était exposé à la mort devant Jézabel et Moïse s’y était aussi exposé pour la loi. Cinquième raison : il y avait deux choses que [le Seigneur] voulait montrer par [Moïse et Élie], à savoir, la mansuétude qu’il manifesta dans Moïse et l’exemple de zèle qu’il montra dans Élie, dont il est dit : Élie se leva comme le feu et sa parole brûlait comme une torche [Si 48, 1]. Une sixième raison est donnée par la Glose : «Toute la loi ainsi que le témoignage des prophètes ont parlé du Christ.» Ainsi, Lc 24, 44 : Tout ce qui est dit de moi dans la loi et les prophètes doit s’accomplir.
1896. Mais il y a une question. Il n’est pas étonnant qu’Élie ait été là, puisqu’il est vivant ; mais on se demande comment Moïse y était. Certains ont dit qu’un ange y était à sa place. Mais cela ne vaut rien, car Moïse y fut par son âme seulement. Mais comment l’a-t-on vu ? Il faut dire que ce fut de la même manière que sont vus les anges.
1897. Vient ensuite la réaction émotive de Pierre : PIERRE ALORS, PRENANT LA PAROLE, DIT, etc. Et nous pouvons l’expliquer en nous tournant soit vers sa condition charnelle, soit vers sa dévotion. Chrysostome se tourne vers sa condition charnelle. Plus haut, le Christ avait dit qu’il allait souffrir et Pierre l’avait rabroué lorsqu’il l’avait repris. Moïse et Élie apparurent donc en train de parler de la passion [du Christ]. C’est pourquoi lorsque Pierre [les] entendit s’y référer, il ne put l’entendre. Il ne voulait pas s’y opposer. Il pensait donc que, s’il restait là, il éviterait la mort. Ainsi, pour qu’ils ne partent pas immédiatement, il dit : FAISONS ICI TROIS TENTES. Et pourquoi dit-il : UNE POUR MOÏSE, UNE POUR ÉLIE ? Parce qu’il voyait que [le Seigneur] était affecté par la mort, il voulait que ceux-ci [l’]empêchent de mourir. On lit au sujet d’Élie, en 4 R [2 R] 1, 10, que lorsque le roi envoya la cinquantaine, [Élie] fit descendre le feu du ciel. On lit aussi de Moïse, [au même endroit], 16, 32, que lorsqu’un conflit surgit dans le tabernacle, il descendit des nuées. [Pierre] pensait donc que les nuées pouvaient écouter Moïse et le feu, Élie.
D’autres se tournent vers la dévotion de Pierre. À ce sujet, [Matthieu] fait deux choses. Premièrement, il aborde la réaction émotive [de Pierre] ; deuxièmement, sa suggestion, en cet endroit : SI TU LE VEUX, etc.
1898. [Pierre] dit donc : SEIGNEUR, IL EST HEUREUX QUE NOUS SOYONS ICI. Voyant la gloire dans le trop grand éclat de la neige, [Pierre] fut tellement ému qu’il ne voulut jamais en être séparé, si Dieu le voulait. Et qu’en sera-t-il de ceux qui seront dans une gloire parfaite ! Ainsi donc, ceux qui seront dans cette béatitude ne voudront jamais en être séparés. Ps 72, 28 : Il est bon pour moi d’être attaché à Dieu, etc. En second lieu, il fait une suggestion et, comme le dit Lc 9, 23, sans savoir ce qu’il disait. Il dit donc : SI TU LE VEUX, DRESSONS ICI TROIS TENTES, car nous devons soumettre notre volonté à la volonté de Dieu, comme plus haut, 6, 10 : Que ta volonté soit faite, etc. En cela, Pierre a donc bien parlé ; mais, sous un autre aspect, il a mal parlé, parce qu’il a cru qu’on pouvait obtenir la gloire sans la mort, ce qui va à l’encontre de 2 Co 5, 1 : En effet, nous savons que, si la demeure terrestre où nous habitons est détruite, nous avons une maison qui n’est pas construite de main d’homme, mais qui est éternelle dans les cieux. [Il a aussi mal parlé] parce qu’il a cru que la gloire des saints se trouvait en ce monde, elle qui n’est pas ici, mais dans les cieux, plus haut, 5, 12 : Réjouissez-vous et exultez, car votre récompense est grande dans les cieux. [Il a aussi mal parlé] parce qu’il a cru qu’ils avaient besoin de tentes ; mais ils n’en avaient pas besoin ici, car ils en ont dans les cieux. Ap 21, 3 : Voici la tente de Dieu au milieu des hommes. [Il a encore mal parlé] parce qu’il a voulu dresser trois tentes : en effet, une seule suffit pour le Père, le Fils et l’Esprit Saint. De même, il a comparé le Christ aux autres. Or, il ne faut pas agir ainsi. Jb 32, 21 : Je n’égalerai pas Dieu à l’homme. Pierre, tous n’ont qu’une seule tente, qui est la foi !
1899. Vient ensuite le témoignage : COMME
IL PARLAIT ENCORE, VOICI QU’UNE NUÉE LUMINEUSE LES COUVRIT, etc. Pierre avait parlé à la légère ; il ne méritait donc
pas de réponse. Il voulait un témoignage matériel : il voulait donc que le
Seigneur montre que les saints n’ont pas besoin [de lui]. De même, [le
Seigneur] a voulu se manifester par la nuée. Ps 67[68], 35 : Sa grandeur est dans les cieux. Mais
parfois apparaît une nuée claire, parfois des nuées ténébreuses. Il est dit, en
Ex 19, 18, qu’une nuée ombrageuse apparut. Mais ici, elle apparaît
lumineuse parce qu’elle signifie la consolation de la gloire, car ils seront
alors protégés de toute chaleur. Ap 21, 4 : Dieu essuiera toutes les larmes des yeux des saints, et il n’y aura
plus de mort, ni de pleurs, ni de cri, et n’y aura plus de souffrance, car ce
qui précédait a disparu.
1900. Vient ensuite le témoignage de la voix du Père : ET VOICI QU’UNE VOIX DISAIT DE LA NUÉE, etc. Mais pourquoi : DE LA NUÉE ? Pour signifier qu’elle est la voix du Père. Le Seigneur habite dans la nuée. CELUI-CI EST MON FILS BIEN-AIMÉ, EN QUI JE ME COMPLAIS. La dignité du Christ est abordée à partir de la propriété de la filiation, de la perfection de l’amour et de la conformité de l’opération. [La voix] dit donc : CELUI-CI, comme pour un fils unique. Les autres sont fils par adoption. Ps 81[82], 6 : J’ai dit : «Vous êtes des dieux et vous êtes tous des fils du Très-Haut.» Mais celui-ci est le vrai Fils, à savoir, d’une manière unique, comme [le dit] 1 Jn 5, 20 : Le Fils de Dieu est venu et il nous a donné l’intelligence afin que nous connaissions le vrai Dieu. De même, d’une autre façon : BIEN-AIMÉ. Notre amour vient de la bonté des créatures : en effet, une chose n’est pas bonne parce que je l’aime, mais parce que la chose est bonne, je l’aime. Mais l’amour de Dieu est la cause de la bonté des choses. Et de même que Dieu a versé la bonté dans les créatures par la création, de même le fait-il par la génération, parce qu’il communique toute sa bonté au Fils. Ainsi, les créatures sont rendues bonnes par participation, mais Il donne tout au Fils. Jn 3, 35 : Le Père aime le Fils et a tout livré entre ses mains. Ainsi l’amour lui-même procède du Père qui aime le Fils et du Fils qui aime le Père.
1901. Mais il arrive que quelque chose soit donné à quelqu’un et qu’il n’en fasse pas un bon usage : cela ne plaît donc pas à celui qui a donné. Mais Dieu a donné [au Fils] la plénitude et [celui-ci] en a fait bon usage. Il lui a donc plu. [Le Père] dit donc : EN QUI JE ME COMPLAIS. On lit la même chose en [Mt] 12, 18 : En qui je me complais et sur qui repose mon Esprit. Parce qu’il est ainsi, ÉCOUTEZ-LE. [Le Père] insinue ainsi qu’il a été donné à tous comme docteur. Dt 18, 15 : Le Seigneur suscitera un prophète de votre lignée ; écoutez-le comme s’il était moi. Ou encore : ÉCOUTEZ-LE, non pas Moïse, non pas Élie, si ce n’est dans la mesure où ils enseignent le Christ ou la doctrine du Christ. Remarquez que le Christ a reçu un témoignage venu du ciel de la part du Père, de l’enfer de la part de Moïse, du paradis de la part d’Élie et de la terre de la part des disciples : Afin que tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers, Ph 2, 10.
1902. Il faut aussi remarquer qu’il existe une double régénération : l’une par le baptême ; l’autre, lorsque nous serons purifiés de toute souillure. C’est la raison pour laquelle, lors du baptême, Jésus a été signalé par la colombe, qui est un animal simple, afin d’indiquer la simplicité ; elle est aussi un animal fécond, afin d’indiquer l’autre régénération.
[Le Seigneur] est apparu dans une nuée lumineuse afin d’indiquer la clarté et l’extinction de toute concupiscence. Is 4, 5 : Et le Seigneur créera partout sur la montagne de Sion et, là il sera invoqué, [il créera] une nuée pendant le jour et de la fumée avec l’éclat d’un feu flamboyant pendant la nuit.
1903. À CETTE VOIX, LES DISCIPLES TOMBÈRENT SUR LEURS FACES ET ILS FURENT EFFRAYÉS. Après avoir présenté la transfiguration, son effet sur les disciples est ici présenté. Premièrement, la crainte est présentée ; deuxièmement, le réconfort donné par le Christ contre la peur ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS JÉSUS S’APPROCHA, etc. [17, 7] ; le troisième, en cet endroit : ET EUX, LEVANT LES YEUX, NE VIRENT PLUS PERSONNE [17, 8].
1904. Ils entendirent la voix venue de la
nuée, comme il est dit en 2 P 1, 18 : Nous avons entendu cette voix alors que nous étions sur la montagne. Et
[Matthieu] présente un signe de [leur] crainte, car ILS TOMBÈRENT SUR LEURS
FACES. Vient ensuite la crainte : ET ILS FURENT EFFRAYÉS. Mais pourquoi
eurent-ils peur ? Jérôme en donne trois raisons. La première, parce qu’ils
se rendirent compte qu’ils s’étaient trompés, comme il est dit d’Adam,
Gn 3, 10 : Seigneur, j’ai
entendu ta voix et j’ai eu peur, car je suis nu. De même, parce qu’il
étaient entourés d’une nuée, ils connurent la présence de la majesté divine,
Ex 13, 21 : Le Seigneur
les précédait pour leur montrer le chemin durant le jour par une colonne de
nuées, etc. Et il est naturel pour n’importe qui d’être stupéfait de ce
qu’il ne connaît pas. De même, [ils eurent peur] à cause de la voix venue de la
nuée. Dt 5, 26 : Est-il un
être de chair qui puisse entendre la voix du Dieu vivant ? Et, à cause
de cela, la force leur manqua, car ILS TOMBÈRENT SUR LEURS FACES. Mais il faut
remarquer que les impies tombent différemment des saints. Les impies tombent à
la renverse, comme on le lit en 1 R [1 Sm] 4, 18 d’Éli,
qui, après avoir entendu des bruits dans l’arche du Seigneur et s’être brisé la
nuque, tomba de son siège et expira. Mais les saints tombent sur leurs faces.
Ap 7, 11 : Ils tombèrent
sur leurs faces. La raison en est que nous ne voyons pas ce qui est
derrière nous. Qo 2, 14 : Les
yeux du sage sont dans son visage.
1905. Ensuite est présenté le réconfort donné par le Christ. Il les réconforte par le geste et par la parole. Par le geste, contre la peur et la chute. Contre la peur, par sa présence, car IL S’APPROCHA D’EUX. Ps 22[23], 4 : Je ne craindrai aucun mal, car tu es avec moi. Et plus haut, 14, 27 : C’est moi, ne craignez pas. Il réconforte aussi en les touchant, car il donne de la force à celui qui est fatigué, Is 40, 29 ; et on lit dans Daniel : Sa main m’a touché et m’a relevé [comp. 1 R 19, 5‑7]. Il les protège aussi contre la chute ; c’est pourquoi il dit : LEVEZ-VOUS. Ep 5, 14 : Debout, toi qui dors, et relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. [Il les réconforte] aussi contre la peur : NE CRAIGNEZ PAS. Cette peur était de la pusillanimité, et ceux qui se relèvent du péché se débarrassent de la peur, car la charité parfaite chasse la peur, 1 Jn 4, 18.
1906. Vient ensuite l’effet du réconfort : ET EUX, LEVANT LES YEUX, NE VIRENT PLUS PERSONNE QUE LUI, JÉSUS, SEUL. Voilà l’effet du réconfort divin, car, réconfortés par le Christ, ils ne virent que Jésus et ils ne se réjouirent ni ne furent réconfortés qu’en lui. Ph 1, 21 : Vivre pour moi, c’est le Christ, et mourir m’est un gain. Ainsi, ILS NE VIRENT PLUS PERSONNE QUE LUI, JÉSUS, SEUL, car, l’ombre de la loi se retirant ainsi que l’enseignement des prophètes, qui sont indiqués par Moïse et Élie, seul l’enseignement du Christ est conservé. Ou bien, selon une autre version, IL DEMEURA SEUL, afin que la voix ne parût pas avoir été adressée à Moïse et à Élie. De sorte que, comme ceux-ci n’étaient plus présents, il était certain que la voix lui avait été adressée.
1907. Ensuite, l’ordre de reporter la
révélation de cette vision est présenté. Ainsi, [Matthieu] dit : COMME ILS
DESCENDAIENT DE LA MONTAGNE, JÉSUS LEUR DONNA CET ORDRE : «NE PARLEZ À
PERSONNE DE CETTE VISION…» Mais pour quelle raison ? Elle est triple. La
première : comme le dit Jérôme, la passion du Christ était à venir et les
Juifs se scandalisaient. 1 Co 1, 23 : Pour les Juifs, un scandale. S’ils avaient entendu cela, ils
auraient été scandalisés encore davantage et l’auraient considéré comme rien.
C’est la raison pour laquelle ils tardèrent tellement à croire à la
résurrection. Rémi donne cette explication : si [le Seigneur] l’avait
annoncé, il n’aurait jamais accompli ce qu’il désirait, et il aurait ainsi été
privé de ce qu’il désirait, car on lit en Lc 22, 15 : J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec
vous. Hilaire donne cette explication : il convenait que la gloire
spirituelle ne soit annoncée que par des hommes spirituels, mais ceux-ci
n’étaient pas encore spirituels. Jn 7, 39 : L’Esprit ne leur avait pas encore été donné.
1908. ET LES DISCIPLES LUI DEMANDÈRENT, etc. Dans cette section, il répond à une question des disciples. Premièrement, la question est présentée ; deuxièmement, la réponse ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : IL RÉPONDIT, etc. [17, 11] ; le troisième, en cet endroit : ALORS LES DISCIPLES COMPRIRENT, etc. [17, 13].
1909. En le voyant se transformer, les apôtres croyaient qu’il commencerait alors à régner. En effet, ils avaient compris qu’Élie devait d’abord venir, Ml 3, 5. Parce qu’ils l’avaient vu, ils croyaient que celui-ci était déjà venu et que son règne se rapprochait, comme on lit en Ml 3, 1 : Voici que le jour viendra, etc. Et, au même endroit, 3, 5 : Je vous enverrai le prophète Élie avant que ne vienne le grand et terrible jour du Seigneur, etc. Or, ils n’avaient pas appris cela par l’Écriture, mais par ce que disaient les scribes. C’est pourquoi ils disent : «QUE DISENT DONC LES SCRIBES, QU’ÉLIE DOIT D’ABORD VENIR… ?» Les scribes, qui l’avaient appris par la loi, parlaient ainsi, mais ils pervertissaient l’Écriture. En effet, il y a un double avènement du Christ : l’avènement dans la gloire, et c’est de ce dernier avènement qu’on comprend qu’Élie le précédera ; mais il y a un autre avènement dans la chair : en pervertissant [l’Écriture], ceux-ci l’expliquaient de ce dernier.
1910. Le Seigneur répond à ce doute. Premièrement, il aborde l’avènement à venir deuxièmement, celui qui est du passé. [Matthieu] dit donc : IL RÉPONDIT : «ÉLIE DOIT VENIR.» Il parle donc d’un double Élie, car [il parle] d’Élie qui viendra en personne, et celui-là viendra annoncer le chemin de la justice ET RÉTABLIRA TOUT, convertira les cœurs des hommes au Christ, convertira les Juifs à la foi des patriarches qui crurent dans le Christ, car, comme on le lit en Rm 11, 25 : L’aveuglement a atteint une partie d’Israël jusqu’à ce que l’ensemble des païens entrent, puis tout Israël sera sauvé. Augustin donne une autre explication : IL RÉTABLIRA TOUT, car, lorsque l’Antéchrist viendra, tous seront séduits, mais, une fois l’Antéchrist mort, tous seront rétablis dans la foi par la prédication d’Élie. Origène [donne l’explication suivante] : RÉTABLIRA, car si quelqu’un doit quelque chose qu’il ne rembourse pas, il doit restituer. Or, tous sont débiteurs de la mort. Et parce qu’Élie n’est pas encore mort, lorsqu’il viendra, il rétablira tout et remboursera la mort.
1911. Il est question d’un autre Élie : OR, JE VOUS LE DIS, ÉLIE EST DÉJÀ VENU. Qui est celui-ci ? Jean Baptiste, non pas qu’il le soit en personne, comme on le lit en Jn 1, 21, lorsqu’on lui demanda : Es-tu Élie ? Il répondit : «Non.» Mais [il l’était] en esprit et par la puissance, car de même que l’Élie du second avènement sera un précurseur, de même Jean [l’a-t-il été] du premier avènement. Et encore, de même qu’Élie s’opposa à Jézabel, Jean s’opposa à Hérodiade, et comme Élie fut un adepte du désert, Jean [le fut aussi]. Il est ainsi dit de lui, Lc 1, 7 : Celui-ci précédera en esprit et par la puissance. En esprit, non pas que l’esprit d’Élie soit passé dans Jean, comme certains l’ont affirmé, mais il aura la même puissance.
1912. ET ILS NE L’ONT PAS RECONNU,
c’est-à-dire qu’ils ne l’ont pas accepté, comme on le lit plus loin,
21, 25, où le Seigneur demande si le baptême de Jean vient du ciel ou de
la terre, car, s’ils avaient dit [qu’il venait] du ciel, ils auraient dû
croire. MAIS ILS L’ONT TRAITÉ À LEUR GUISE, car ils l’ont maltraité, et non
comme l’exigeait la justice, mais ils l’ont emprisonné. On lit la même chose au
sujet de Jérémie, Si 49, 9 : Mais
ils ont maltraité celui qui avait été consacré prophète dès le ventre de sa
mère.
1913. DE MÊME, LE FILS DE L’HOMME AURA LUI AUSSI À SOUFFRIR D’EUX. Jean fut le précurseur du Christ pour ce qui est de la naissance, car, de même que Jean [est né] d’une femme âgée et stérile d’une manière qui dépasse la nature, de même le Christ [est-il] né d’une vierge d’une manière qui dépasse la nature. [Jean fut aussi précurseur] pour ce qui est de la prédication, car il commença à prêcher [en disant] : Faites pénitence ; de même [le fit] le Christ. [Il fut aussi précurseur] pour ce qui est du baptême. Il fallait donc qu’il soit précurseur pour ce qui est de la passion, car, de même qu’il a été tué pour la justice, de même [en a-t-il été] du Christ. Ainsi, LE FILS DE L’HOMME AURA-T-IL LUI AUSSI À SOUFFRIR D’EUX. Mais qui sont EUX ? Il semble que ce ne soit pas ceux par qui Jean fut tué, car Jean [fut tué] par Hérode, et le Christ par les scribes. Mais on peut dire que c’est par les mêmes, car Jean [l’a été] par Hérode et par les Juifs consentants, mais le Christ, par les scribes, avec le consentement d’Hérode. Ainsi, il était dans cette région et il lui fut livré. Ps 2, 2 : Les rois de la terre siégeaient et les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ. Ou bien, [autre interprétation] : IL AURA À SOUFFRIR D’EUX, en sorte que le EUX indique un simple rapport, car ils faisaient tous partie d’une seule génération dont ont souffert Jean et le Christ.
1914. Ensuite, l’effet de cette réponse est présenté : ALORS LES DISCIPLES COMPRIRENT QUE SES PAROLES VISAIENT JEAN BAPTISTE. ALORS : lorsque le Seigneur leur parla. L’expression de tes paroles éclaire et donne l’intelligence aux petits, Ps 118[119], 130.
1915. COMME IL REJOIGNAIT LA FOULE. Ici, [le Seigneur] annonce à l’avance la tranquillité de la gloire, qui est attaquée par l’oppression des démons et le bouleversement des hommes. Premièrement, il annonce d’avance que [l’oppression des démons] cessera en guérissant un épileptique ; deuxièmement, que le second [cessera].
À propos du premier point, [Matthieu] présente d’abord la guérison de l’épileptique ; deuxièmement, [le Seigneur] annonce d’avance la passion, en cet endroit : COMME ILS SE TROUVAIENT EN GALILÉE, etc. [17 22] ; troisièmement, [Matthieu] présente l’acquittement du tribut, en cet endroit : COMME IL ÉTAIT VENU À CAPHARNAÜM, etc. [17, 24].
1916. À propos du premier point, [le Seigneur] opère d’abord la guérison ; puis il répond à un doute, en cet endroit : JÉSUS LEUR DIT, etc. [17, 20].
À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, [Matthieu] présente la demande du père ; deuxièmement, la réponse favorable, en cet endroit : APPORTEZ-LE-MOI ICI [17, 17].
À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, le moment est présenté ; deuxièmement, le signalement du malade ; troisièmement, la demande.
1917. Le moment est présenté lorsque Matthieu dit : COMME IL REJOIGNAIT LA FOULE. Pierre, attiré par la douceur de la gloire, aurait voulu être toujours sur la montagne. Mais le Christ, à cause de la charité qu’il avait pour les foules (car la charité ne recherche pas son intérêt, 1 Co 13, 5), voulut descendre de la montagne, afin que les foules puissent s’approcher de lui.
Ainsi, COMME IL REJOIGNAIT LA FOULE, UN HOMME S’APPROCHA DE LUI ET, S’AGENOUILLANT. Si le Christ n’était pas descendu, cet homme ne se serait pas approché de lui. Il s’approcha humblement, puisqu’il S’AGENOUILLA, car Dieu écoute la prière des humbles, Ps 101[102], 18. Le genre humain peut être signifié par cet [homme]. Ph 2, 10 : Afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers, etc.
1918. Ensuite, la demande est présentée. [L’homme] ne demande pas mais expose la maladie. En effet, il suffit d’exposer sa misère à celui qui est miséricordieux. Premièrement, il expose la maladie ; deuxièmement, ce qui l’entoure ; troisièmement, qu’il n’a pas trouvé de remède.
Il dit donc : SEIGNEUR, AIE PITIÉ DE
MON FILS, QUI EST LUNATIQUE… Il faut remarquer que beaucoup demandent pour
eux-mêmes, comme c’était le cas plus haut de la femme qui avait une
hémorragie ; parfois, quelqu’un demande pour un autre, comme c’est le cas
ici ;
parfois, [le Seigneur] guérit sans qu’il en ait été prié, dans le cas d’une
maladie spirituelle, par exemple, comme on le lit à propos du publicain,
Lc 18, 12s. Mais parfois quelqu’un est guéri à la demande d’un autre,
comme on le lit en Jc 5, 16 : Priez les uns pour les autres afin d’être sauvés ; parfois,
sans qu’il y ait prière, comme dans la conversion de Paul, Ac 9, 4s.
1919. Mais que veut-il dire lorsqu’il est dit que
[son fils] est lunatique ? Un lunatique est celui qui change selon l’état
de la lune. Or, il semble que celui-ci n’était pas lunatique, mais démoniaque,
car on lit plus loin que le Démon est sorti de lui. On peut dire que ce n’est
pas le terme utilisé par l’évangéliste, mais par le père qui était dans
l’erreur et croyait que [son fils] était lunatique. Ou bien que, comme on le
lit plus haut, 4, 24, [le Seigneur] a guéri des lunatiques, alors que
ceux-ci étaient démoniaques. Certains disent, tels certains médecins, qu’ils
n’étaient pas aliénés par le Démon, mais en raison d’une mauvaise complexion ou
d’une certaine disposition du corps, et cela parce que, à mesure que croît la
lune, tout ce qui est humide augmente. Ainsi, le cerveau étant ce qu’il y a de
plus humide, lorsque la lune décroît, celle-ci est affectée d’une déficience,
ainsi que le cerveau lui-même. De sorte que ceux qui souffrent d’une telle
déficience en souffrent lorsque la lune décroît. Mais cela est contre la foi,
car l’Écriture dit expressément qu’ils étaient des démoniaques. Et cela se
manifeste par le fait qu’ils parlent en esprit, car beaucoup d’ignorants
souffrent de cela, et cependant parlent des Écritures. Il faut donc dire que
les esprits mauvais tentent de nuire aux hommes de plusieurs façons et veulent
les déshonorer. C’est pourquoi certains démons provoquent des maladies et des
souffrances lorsqu’ils voient que l’influence des étoiles convient à cela, afin
d’induire les hommes en erreur et de leur faire croire qu’il ne leur arrive de
souffrir qu’à cause de l’influence des étoiles.
1920. IL VA TRÈS MAL. Ici est présenté ce qui
entoure [la maladie]. Dans chaque maladie, il y a différents états, car
certains ont une fièvre plus forte, d’autres, plus faible ; ainsi,
celui-ci allait très mal. PARFOIS, IL TOMBE DANS LE FEU, ET SOUVENT, DANS
L’EAU. Il était donc en grand danger. Il faut donc remarquer que le Seigneur ne
retire pas sa main devant les dangers. [Le fils] serait donc déjà mort si Dieu
n’avait étendu sa main, comme on le lit à propos de Job, 2, 6 : bien
que Satan l’ait beaucoup fait souffrir, le Seigneur lui ordonna cependant de ne
pas lui enlever son âme. Par [la lune] est signifiée la raison instable, dont
il est question en Si 27, 12 : L’insensé est changeant comme la lune. IL TOMBE PARFOIS DANS LE
FEU, à savoir, dans le feu de la colère. Dt 32, 22 : Le feu s’est enflammé dans ma colère et il
brûlera aussi longtemps que durera l’enfer. PARFOIS, [IL TOMBE] DANS L’EAU,
à savoir, de la cupidité. Tu t’es répandu
comme l’eau, de sorte que tu ne grandis pas, Gn 49, 4.
1921. Ici est présentée la méchanceté de [cet
homme], car il a voulu accuser les disciples. Ainsi, Si 11, 33 :
Lui qui salit les élus.
1922. Le Seigneur le rabroue donc : «ENGEANCE
INCRÉDULE ET PERVERTIE», RÉPONDIT JÉSUS… [Le Seigneur] présente donc sa
réponse, et il fait deux choses : premièrement, il reproche un vice ;
deuxièmement, il manifeste un bienfait.
[Matthieu]
dit donc : JÉSUS RÉPONDIT, etc. [Cet homme] voulait diffamer les disciples
et même Jésus auprès des foules, sous prétexte qu’il n’avait pas ce pouvoir, et
beaucoup étaient d’accord avec cela. C’est pourquoi Jésus s’emporte contre
toute cette engeance et l’accuse d’infidélité, en disant : ENGEANCE
INCRÉDULE, car cela n’était pas dû à l’impuissance des disciples, mais à leur
incrédulité. Il en était de même de [sa] perversité : [ENGEANCE] PERVERSE,
car elle attribuait sa faute aux apôtres. Dt 32, 5 : Engeance mauvaise et perverse, est-ce là ce
que vous rendez au Seigneur, peuple insensé et dénué de sagesse ? Jusqu’à
quand demeurerai-je avec vous ? Et le Christ présente deux
choses : premièrement, leur impénitence ; deuxièmement, la patience
divine, car la fréquentation de l’injuste par le juste n’est pas appropriée.
Si 13, 21 : Comme le loup
l’agneau, ainsi le pécheur fréquente-t-il le juste. 2 Co 6, 15 : Pourquoi
mêler le Christ à Bélial ? Il veut donc dire : «Vous jouissez de
ma présence, et cependant vous ne cessez de me dénigrer ainsi que mes
disciples.» Comme le dit Jérôme, le Seigneur ne dit pas cela parce qu’il est en
colère, mais il parle à la manière d’un médecin qui s’approche d’un malade qui
ne veut pas suivre ses ordres, et lui dit : «Pourquoi continuerais-je à te
visiter alors que tu ne veux pas suivre mes ordres ?» Il donne donc un
exemple aux dirigeants que, même si les hommes les contrarient, ils doivent
cependant leur accorder des bienfaits, comme lui-même, qui a guéri le fils de
celui qui le dénigrait ainsi que ses disciples.
1923. Il dit donc : APPORTEZ-LE-MOI ICI.
Premièrement, la façon de guérir est présentée ; deuxièmement, l’effet.
Premièrement,
l’agent est présenté, à savoir, le Christ. Il dit donc : APPORTEZ-LE-MOI
ICI. Les hommes pèchent de multiples façons : certains par ignorance,
certains par faiblesse, certains par malice. Celui [qui pèche] par ignorance
peut être enseigné par l’homme. Celui qui pèche par faiblesse, à savoir, celui
qui pèche par incontinence, qui regrette son péché et est mené par les
passions, celui-là ne peut être guéri par n’importe qui, mais il est nécessaire
qu’il soit amené à Jésus, qui guérit toutes nos infirmités.
1924. Tel est le chemin [à suivre]. En effet, IL LE
MENAÇA, car cela lui était arrivé à cause de son péché.
Pr 6, 2 : Tu es ligoté par
les paroles de ta bouche et pris au piège par tes propres discours. Ou bien :
IL LE MENAÇA, à savoir, le Démon.
Vient
ensuite l’effet : ET LE DÉMON SORTIT DE L’ENFANT, QUI, À PARTIR DE CE
MOMENT, FUT GUÉRI, car il dit et cela
fut, Ps 148[149], 5.
1925. ALORS, LES DISCIPLES, S’APPROCHANT DE JÉSUS
EN SECRET, etc. Plus haut, le Seigneur a guéri un lunatique. Ici, il répond à
une question des disciples. Premièrement, la question est présentée ;
deuxièmement, la réponse, en cet endroit : JÉSUS LEUR DIT, etc.
[17, 20].
Pour
que vous compreniez la demande, vous devez savoir que, plus haut, 10, 8,
[le Seigneur] leur avait donné le pouvoir de chasser les démons ; ils
craignaient donc d’avoir perdu par leur faute la grâce qui leur avait été
donnée. C’est pourquoi LES DISCIPLES, S’APPROCHANT DE JÉSUS, etc.
Mais
pourquoi EN SECRET ? Non pas à cause de la honte, mais parce qu’ils
devaient entendre quelque chose de grand et que les secrets ne devaient pas
être livrés à tous, plus haut, 13, 11 : Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux,
mais, à eux, cela n’a pas été donné.
1926. Ici, [Jésus] répond. Premièrement, il répond
[à leur question] ; deuxièmement, il propose un enseignement de portée
générale, en cet endroit : CETTE ESPÈCE [DE DÉMONS], ON NE PEUT LA CHASSER
QUE PAR LA PRIÈRE ET LE JEÛNE [17, 21].
À
propos du premier point, il répond d’abord à la question et, en second lieu, il
éclaire sa réponse, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc.
[17, 20].
1927. [Les disciples] avaient demandé :
POURQUOI, NOUS AUTRES, N’AVONS-NOUS PAS PU L’EXPULSER ? Le Seigneur
répond : À CAUSE DE VOTRE PEU DE FOI. Il faut donc considérer que, avant
qu’ils n’aient reçu l’Esprit Saint avec une telle plénitude (car il furent tous
remplis de l’Esprit Saint, Ac 2, 4), ils souffraient de quelques
faiblesses. Le Seigneur les rabroue donc, Lc 24, 25 : Ô insensés et lents à croire ! Et
cela n’est pas étonnant, car, alors que le Seigneur était sur la montagne, ceux
qui avaient été les plus avancés dans la foi, Pierre, Jacques et Jean, étaient
absents. En effet, la cause de [leur] incapacité à faire des miracles était la
faiblesse de [leur] foi, puisque l’accomplissement de miracles vient de la
toute-puissance, car la foi s’appuie sur la toute-puissance [divine]. De sorte
que là où la foi est faible, il y a absence de miracles. On lit ainsi plus
haut, 13, 58, que le Christ n’a fait que peu de miracles dans sa patrie en
raison du peu de foi [de celle-ci]. Parfois des miracles sont accomplis en
raison de l’insistance de celui qui demande, comme on le lit plus haut, 15, 22s,
au sujet de la Cananéenne ; parfois, afin de manifester la sainteté de
quelque saint, et on trouve ceci en 4 R [2 R] 13, 20s,
où il est dit qu’alors que des voleurs venus de Syrie s’étaient introduits dans
la terre d’Israël, ils lancèrent un cadavre près d’Élisée et qu’il reprit vie,
non pas parce que le mort le méritait, mais afin de manifester la sainteté
d’Élisée.
1928. CAR JE VOUS LE DIS, EN VÉRITÉ, SI VOUS AVEZ
DE LA FOI GROS COMME UN GRAIN DE SÉNEVÉ, etc. Ici, [Jésus] éclaire sa réponse.
Et il présente une conditionnelle, dont l’antécédente est : SI VOUS AVEZ,
etc., et la conséquente est : VOUS DIREZ À CETTE MONTAGNE :
«DÉPLACE-TOI», ET ELLE SE DÉPLACERA. Certains disent que la foi comparée au
grain de sénevé est une faible foi, comme si [Jésus] disait : «Si vous
aviez une certaine foi, vous diriez, etc.» Mais Jérôme récuse cela, car
l’Apôtre dit : Si j’avais une foi à
déplacer les montagnes [1 Co 13, 2]. Une foi parfaite est
donc nécessaire pour déplacer les montagnes. Lorsque [Jésus] dit : COMME
UN GRAIN DE SÉNEVÉ, une triple perfection de la foi est indiquée. En effet, on
trouve dans [ce] grain la chaleur, la fécondité et la petitesse. Ce grain,
avant d’être écrasé, semble n’avoir aucune chaleur, mais, lorsqu’il est écrasé,
il commence à brûler. De même, le croyant, avant d’être mis à l’épreuve, semble
être méprisable, mais, lorsqu’il est écrasé, alors apparaît sa sainteté.
1 P 1, 7 : Il faut
que vous soyez maintenant un peu attristés afin que votre foi se révèle
beaucoup plus précieuse que l’or que l’on vérifie par le feu. On trouve
aussi dans [ce] grain la fécondité, plus haut, [Mt] 13, car, bien qu’il soit petit, il se développe
en un grand arbuste, de sorte que les oiseaux du ciel y habitent.
He 2, où l’on raconte les œuvres de la foi, poursuit : Les saints ont vaincu des royaumes par la
foi, etc. De même y trouve-t-on une petitesse, et, par là, l’humilité de la
foi peut être indiquée. En effet, est reconnu humble dans la foi celui qui
accepte la parole de Dieu. 1 Tm 6, 3 : Si quelqu’un n’accepte pas la parole de Dieu, c’est un orgueilleux.
Ainsi, en sens contraire, celui qui accepte [cette] parole, est humble. Il veut
donc dire : «Si vous aviez eu la foi, et une foi fervente, indéfectible,
féconde par ses œuvres, si [vous aviez eu une foi] petite et humble, vous
auriez dit à cette montagne : “Déplace-toi !”, et elle se serait
déplacée.»
1929. Ici se pose une question que soulèvent les
incroyants : on ne voit jamais que les apôtres aient fait cela.
Chrysostome répond que si on ne le trouve pas chez les apôtres, on le trouve
chez les hommes apostoliques. On lit en effet, dans le livre des Dialogues du bienheureux Grégoire,
qu’alors que quelqu’un voulait construire une église, comme il n’avait pas
d’endroit pour la construire, il ordonna à une montagne de se déplacer, et elle
se déplaça. Ou alors, [les apôtres] l’ont fait, mais cela n’est pas écrit. Ou
bien, on peut dire que, s’ils ne l’ont pas fait, ce ne fut pas à cause d’une
impossibilité, mais parce qu’aucune occasion ne s’est offerte. Ainsi, les
miracles sont accomplis parfois par nécessité, parfois par utilité, et parce
que cela n’était pas nécessaire, ils n’en accomplirent pas. Ou bien, on parle
d’une montagne [pour désigner] le Diable. DÉPLACE-TOI LÀ !, c’est-à-dire
hors de ce corps, ET IL SE DÉPLAÇA. Ou bien, selon Augustin, on l’entend de
l’esprit d’orgueil.
1930. ET RIEN NE VOUS SERA IMPOSSIBLE. Qu’est-ce
que cela veut dire ? Seront-ils tout-puissants ? Non, car seul est
vraiment tout-puissant Celui qui peut tout faire par sa propre puissance. Or,
ceux-ci [agissent], non par leur propre puissance, mais comme agissent
différemment un roi et un serviteur, car le roi agit en son nom propre, et le
serviteur au nom du roi.
1931. CE GENRE DE DÉMONS. Le mot CE ne vise pas
seulement le genre du lunatique, mais tous les genres de démons. N’EST CHASSÉ
QUE PAR LA PRIÈRE ET PAR LE JEÛNE. Chrysostome dit que «plus une âme est
élevée, plus les démons la craignent». En effet, le Christ lui-même est
terrible pour les démons. De sorte que ceux qui sont unis au Christ sont
terribles pour eux. Mais l’élévation de l’esprit est empêchée par la lourdeur
de la chair, elle est empêchée par l’ivresse et l’ébriété. Ainsi, [on lit] en
Lc 21, 34 : Que votre cœur
ne s’appesantisse pas dans l’ivresse et l’ébriété, etc. Celui-là donc ne
peut avoir un esprit tourné vers Dieu qui est alourdi par l’ébriété. C’est
pourquoi le jeûne est nécessaire pour l’élévation de l’esprit ; ainsi, [on
lit] dans Tb 12, 8 : La
prière accompagnée du jeûne est bonne. De même, en Dn 9, 3 :
Moi, Daniel, j’ai voué mon cœur à la
prière accompagnée de jeûne. C’est pourquoi, comme le dit Origène, «pour
que l’esprit soit chassé, il ne faut pas s’adonner aux festins, mais à la
prière et au jeûne.» Ou bien, par le lunatique, l’instabilité de la chair est
désignée, ou celui qui est entraîné par divers désirs. Celui qui tombe souvent
dans le feu et dans l’eau n’est guéri que par le jeûne et la prière.
Ga 5, 17 : La chair désire
à l’encontre de l’esprit et l’esprit à l’encontre de la chair.
1932. Il faut donc que tu affaiblisses la chair
pour renforcer l’esprit. Or, l’esprit est renforcé par la prière, car la prière
est la montée de l’esprit vers Dieu, mais la chair est affaiblie par le jeûne.
Ou alors, l’esprit ne cesse [d’aller] à l’encontre de la chair. C’est pourquoi,
afin que cesse un tel combat, les bonnes actions sont nécessaires, qui sont
exprimées par la prière, et l’abstention des mauvaises, qui est signifiée par
le jeûne.
1933. COMME ILS SE TROUVAIENT RÉUNIS EN GALILÉE,
etc. Plus haut, une figure de la tranquillité de la gloire a été donnée par la
libération du pouvoir des démons. Cette libération a été réalisée par la mort
du Christ. He 2, 14 : Par
la mort, il détruira celui qui avait pouvoir sur la mort, c’est-à-dire le
Diable, et il libérera ceux qui, par crainte de la mort, ont été pendant toute
leur vie soumis à l’esclavage. C’est pourquoi [le Seigneur], immédiatement
après, annonce à l’avance la passion. Premièrement, l’annonce anticipée est
présentée ; deuxièmement, l’effet, en cet endroit : ET ILS EN FURENT
TOUT CONSTERNÉS [17, 23].
1934. Notre Seigneur avait auparavant annoncé à
l’avance sa passion et [il le fait] maintenant encore et [le fera] par la
suite. Et pourquoi à autant de reprises ? Parce que ce qui est prévu
bouleverse moins. Comme les disciples allaient être scandalisés à l’avenir par
la mort du Seigneur, il voulut donc la leur annoncer d’avance à plusieurs
reprises afin qu’ils soient moins scandalisés. Mais il ajoute toujours quelque
chose. Auparavant, il avait abordé la mise à mort, mais non la trahison ;
ici, il aborde la trahison, en disant : LE FILS DE L’HOMME SERA LIVRÉ AUX
MAINS DES HOMMES. Et c’est à juste titre qu’il dit : LE FILS DE L’HOMME,
car même si celui qui est livré est le Seigneur de gloire, il est cependant livré
comme Fils de l’homme. Ainsi, Augustin [écrit] : «Bien que certains choses
soient dites du Fils de Dieu et du Fils de l’homme, il y a cependant une
différence, car ce qui est faible est dit de sa nature humaine et ce qui est
solide, de sa nature divine.» Mais [le Seigneur] ne dit pas par qui il est
livré, car il s’est livré. Ga 2, 20 : Lui qui s’est livré lui-même pour moi. Il a été livré par le Père, qui n’a pas épargné son propre Fils, mais
l’a livré pour nous tous, Rm 8, 32. De même, il a été livré par
Judas, plus haut, 10, 4 : [Judas]
qui le livra. Aussi par les démons. On lit, en Jn 13, que le Diable
avait décidé que Judas le livrerait. Et Sg 2, 12 : Venez, tuons le juste.
1935. ET LE TROISIÈME JOUR, IL RESSUSCITERA.
Os 6, 3 : Il nous fera
revivre après deux jours, et, le troisième, il nous ressuscitera et nous
vivrons sous son regard.
Vient
ensuite l’effet : ET ILS EN FURENT CONSTERNÉS. Ils portaient attention à
la mort et à la résurrection, mais ils n’en voyaient pas l’utilité.
Jn 16, 6 : Parce que je
vous ai dit ces choses, votre cœur est rempli de tristesse.
1936. COMME IL ÉTAIT VENU À CAPHARNAÜM. Une fois
atteinte la tranquillité de la gloire, [Matthieu] présente l’acquittement du
tribut. Is 14, 4 : Il a
acquitté le tribut. Jb 3, 19 : Le serviteur est libéré par son maître. [Matthieu] fait donc trois
choses. Premièrement, il présente l’exigence du tribut ; deuxièmement, la
liberté des fils ; troisièmement, l’acquittement du tribut.
1937. [Matthieu] dit : COMME IL ÉTAIT VENU,
etc. On appelle didrachme le double drachme. Ainsi, chaque Juif devait chaque
année un double drachme. Mais d’où venait ce tribut ? Certains disent
[qu’il venait] de la loi, Ex 13, car, parce que le Seigneur avait tué les
premiers-nés des Égyptiens, il décida que tous les premiers-nés lui
appartenaient et que les fils seraient rachetés. Par la suite, il ordonna
qu’ils soient élevés pour assurer le service comme lévites. Puis, il ordonna
que soient comptés les lévites. Et on découvrit qu’il y avait plus de premiers-nés
que de lévites. Il ordonna donc que, pour leur rachat, un prix soit acquitté.
Jérôme
dit que cela ne vient pas de la loi de Dieu, mais de l’empereur : depuis
quelque temps, la Judée était tributaire des Romains, de sorte qu’elle acquittait
une capitation. Et cela semble plus vrai, car il est dit plus loin : De qui les rois de la terre reçoivent-ils le
tribut ? [Mt 17, 25]. [Matthieu] parle donc du tribut
impérial. Mais pourquoi à Capharnaüm ? Parce que [le tribut] était perçu
de chacun dans sa propre ville, mais que Capharnaüm était une ville principale
de la Galilée. Mais parce qu’ils avaient du respect pour le Christ, [les
collecteurs] ne s’approchent donc pas de lui, mais de Pierre, et ils ne lui
posèrent la question qu’avec douceur : VOTRE MAÎTRE NE PAIE-T-IL PAS LE
DIDRACHME ?
1938. Ensuite est présentée la réponse de
Pierre : «MAIS SI», DIT-IL, c’est-à-dire : «Il est vrai qu’il ne
l’acquitte pas.» Chrysostome dit que, pour ne pas être inquiété, il
répondit : «MAIS SI, il le paie.»
Vient
ensuite l’interrogation du Christ, puis la réponse de Pierre. Dans
l’interrogation, deux choses doivent être considérées, à savoir que [Jésus] ne
craignit pas l’aveu de [Pierre], car, puisqu’il était dans une telle situation,
il était passible d’une certaine punition. Certains sont dans une telle
disposition que, lorsqu’ils voient quelque chose de faible chez un grand, ils
sont aussitôt scandalisés. Afin donc qu’ils ne soient pas scandalisés, [Jésus]
DEVANÇA SES PAROLES. Ainsi, il ajouta à la faiblesse quelque chose de grand, à
savoir que, bien qu’absent, il savait ce qui avait été dit à Pierre : Tout est à nu et à découvert à ses yeux, He 4, 13.
1939. Il faut aussi remarquer qu’il confie le
jugement à Pierre, parce que celui-ci parlait plus souvent, en lui
disant : «QU’EN PENSES-TU, PIERRE ?» Jb 12, 11 : Est-ce que l’oreille ne juge pas des
paroles ? «LES ROIS DE
LA TERRE, DE QUI REÇOIVENT-ILS LE TRIBUT OU LE CENS ?» Il y a une
différence entre le tribut et le cens : en effet, le tribut [était levé]
sur les champs et les vignes, mais le cens était levé par tête. Ainsi, en signe
de sa soumission, celui qui est soumis doit quelque chose, et cela s’appelle le
cens. À partir de cela, [le Seigneur] veut argumenter que, puisque les fils des
rois n’acquittent pas le cens, lui-même n’y est pas tenu : en effet, il
est lui-même le roi des rois, par qui tous règnent. De même, selon la chair, il
était de lignée royale : Lui qui est
de la descendance de David selon la chair, Rm 1, 3. Chrysostome
dit que nous pouvons conclure de cela qu’il est le Fils par nature, car celui
qui est [fils] par nature est nommé en premier.
1940. [PIERRE] RÉPONDIT : «DES ÉTRANGERS.»
Ensuite est présentée la réponse du Christ, car les rois font exception pour
leurs fils. Is 3, 15 : Pourquoi
écrasez-vous mon peuple et broyez-vous le visage des pauvres ? En
effet, cela est juste, car celui qui préside doit s’occuper de ceux qui sont
soumis ; ceux qui sont soumis doivent le servir comme des membres. De même
que les membres du corps servent tout le corps par ce qui est leur, de même
tout sujet doit servir la communauté de ses propres biens. Le Seigneur conclut
ainsi : LES FILS SONT DONC LIBRES. Origène [écrit] : «Seulement de
cette façon.» Les fils des rois de la terre sont donc libres, mais les fils de
Dieu sont libres au regard de Dieu.
1941. Mais quel rapport cela a-t-il avec la
question en cause ? Ou bien il parle des fils selon la chair, et, de cette
manière, il n’était pas un fils selon la chair ; mais s’il parle [des
fils] selon l’esprit, alors tous les chrétiens seront libres. Mais cela va à
l’encontre de [ce que dit] l’Apôtre : Rendez
à chacun ce qui lui est dû, à qui est dû le tribut, le tribut [Rm 13, 7].
Je dis que cela était vrai de celui qui était Fils par nature. En effet,
celui-là était vraiment libre. Mais ceux qui sont libres selon l’esprit
possèdent la liberté de la même manière que la filiation, par conformité au
Christ, qui est le premier-né de nombreux
frères, Rm 8, 29. Dans la mesure où il sont conformes au
Premier-né, ils sont libres. Ph 3, 21 : Il réformera le corps de notre bassesse en le rendant semblable à son
corps de gloire.
1942. CEPENDANT, POUR NE PAS LES SCANDALISER, etc.
Il est vrai que le Seigneur est libre, mais parce qu’il a pris la forme du
serviteur, comme on le lit en Ph 2, [7], [le Seigneur] ne refusa pas
l’acquittement, et, en cela, il donna un exemple d’humilité. Dans cette
conclusion, trois choses sont dignes d’éloge et d’admiration. Premièrement, sa
douceur, car il est doux, comme il l’atteste lui-même plus haut,
11, 29 : Apprenez de moi
que je suis doux et humble de cœur. Celui-là est dit doux à juste titre qui
ne veut offenser personne. 1 Co 10, 32 : N’offensez ni les Juifs, ni les païens, ni
l’Église de Dieu. Mais on objecte à cela qu’on lit plus haut, 15, 12,
que les disciples ont dit : Seigneur,
tu sais que les Juifs sont scandalisés par cette parole ? Et le
Seigneur dit : Laissez-les, ils sont
des aveugles et des guides d’aveugles. Il ne s’occupa pas alors du
scandale, mais ici il s’en occupe. Il faut donc dire que parfois le scandale
vient de la vérité, et il ne faut pas alors s’en occuper ; parfois, de la
faiblesse ou de l’ignorance, et de celui-là il faut s’occuper. En effet, s’il ne
s’était pas lui-même acquitté [du tribut], leur scandale serait venu de
l’ignorance, car ils ne connaissaient pas Dieu.
1943. De même, il faut admirer la pauvreté du
Christ, car il était si pauvre qu’il n’avait pas de quoi acquitter.
2 Co 8, 9 : Alors qu’il
était riche, il s’est fait pauvre, afin que vous soyez riches de sa pauvreté. Quelqu’un
pourrait objecter : «N’avait-il pas une cassette ?» Cela est vrai,
mais tout avait été donné au service des pauvres. On estimait que c’était voler
que de détourner vers un autre usage ce qui était pour l’usage des pauvres.
Chrysostome dit qu’il acquitta afin de montrer, d’une part, sa puissance en
acquittant le tribut et, d’autre part, un mystère.
1944. VA À LA MER, JETTE L’HAMEÇON, SAISIS LE
PREMIER POISSON QUI MONTERA, PRENDS-LE ET OUVRE-LUI LA BOUCHE : TU Y
TROUVERAS UN STATÈRE. Sur ce statère, il y avait l’image de César, et elle
signifiait le Diable qui ne pouvait rien contre lui. Jn 14, 30 :
Le prince de ce monde approche et il ne
peut rien contre moi. Ainsi, parce qu’il ne possédait rien en propre, il ne
voulut pas s’acquitter à même ce qui lui appartenait. [Cela montre aussi] sa
providence. Il dit donc que nous devons admirer comment il pouvait savoir ce
qui arrivait aussitôt au poisson qui avait un statère dans la bouche. S’il n’y
en avait pas eu mais qu’il l’avait créé de rien, il faudrait admirer ;
mais s’il conduisit [le poisson] à l’hameçon, cela fut le fait d’une grande
providence. Par ce premier poisson qui s’approcha de l’hameçon, et qui avait
dans la bouche un statère qui valait un didrachme, et un double [didrachme], on
entend le premier martyr, le bienheureux Étienne, et [le double didrachme]
signifie Étienne lui-même, qui vit la divinité et l’humanité [du Christ]. Ou
bien, on peut entendre Adam. Il faut aussi remarquer que, si quelqu’un parle
souvent de richesse et d’argent, il a un statère dans la bouche. De sorte que
celui qui convertit une telle personne prend un poisson qui a un statère dans
la bouche. Cela signifie aussi l’humilité.
1945. C’est pourquoi PRENDS-LE ET DONNE-LE LEUR,
POUR MOI ET POUR TOI. Et par le fait que le tribut acquitté valait pour Pierre
et pour lui-même, il est signifié que, par la passion du Christ, il s’est
acquis la gloire de la résurrection. Ph 2, 9 : Pour cette raison, Dieu l’a exalté. Pierre
et les autres ont été rachetés de la peine et de la faute. Ou bien, autre
[interprétation] : il a souffert pour lui-même afin d’obtenir la gloire de
la résurrection ; pour le peuple, afin de le laver de ses péchés. En
effet, il nous a lavés de nos péchés dans
son sang [Ap 1, 5].
Leçon 1 [Matthieu 18, 1‑11] 18, 1 À ce moment les disciples s’approchèrent de
Jésus et dirent : «Qui donc est le plus grand dans le Royaume des
Cieux ?» 18, 2 Il appela à lui un petit enfant, le plaça au milieu
d’eux 18, 3 et dit : «En vérité, je vous le dis, si vous ne retournez
à la condition de ce petit enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume des
Cieux. 18, 4 Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est
le plus grand dans le Royaume des Cieux. 18, 5 Quiconque accueille un
petit enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille.
18, 6 Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits. Mais celui qui
scandalisera l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour
lui qu’une de ces meules d’âne soit suspendue à son cou et qu’il soit jeté au
fond de la mer. 18, 7 Malheur au monde à cause des scandales ! Il est
nécessaire, certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le
scandale arrive !
18, 8 «Si ta main ou ton pied te scandalise, coupe-le et
jette-le loin de toi ! Mieux vaut pour toi entrer dans la vie manchot ou
estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu
éternel. 18, 9 Si ton oeil te scandalise, arrache-le et jette-le loin de
toi : mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie que d’être jeté avec
tes deux yeux dans la géhenne de feu.
18, 10 «Gardez-vous de mépriser aucun de ces
petits : en vérité, je vous le dis, leurs anges aux cieux voient constamment
la face de mon Père qui est aux cieux. 18, 11 [Car le Fils de l’homme est venu
sauver ce qui était perdu.]
Leçon 2 [Matthieu 18, 12‑22] 18, 12 «Que vous semble : si un homme possède
cent brebis et qu’une d’elles vient à s’égarer, ne va-t-il pas laisser les
quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes pour s’en aller à la recherche
de l’égarée ? 18, 13 Et s’il parvient à la retrouver, en vérité, je
vous le dis, il tire plus de joie d’elle que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne
se sont pas égarées. 18, 14 Ainsi votre Père des cieux ne veut pas qu’un
seul de ces petits périsse.
18, 15 «Si ton frère a péché contre toi, va le
trouver et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.
18, 16 S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres,
pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.
18, 17 S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église. Et s’il refuse
d’écouter même l’Église, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain.
18, 18 En vérité, je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la
terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera
délié dans le ciel. 18, 19 De même, je vous le dis, si deux d’entre vous
sur terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera
accordé par mon Père qui est aux cieux. 18, 20 De même, je vous le dis,
lorsque deux ou trois, en effet, sont réunis en mon nom, je suis là au milieu
d’eux.»
18, 21 Alors Pierre, s’avançant, lui dit :
«Seigneur, combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je
lui pardonner ? Irai-je jusqu’à sept fois ?» 18, 22 Jésus lui
dit : «Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept
fois sept fois.
Leçon 3 [Matthieu 18, 23‑35] 18, 23 «Il en va du Royaume des Cieux comme d’un
roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. 18, 24 Comme on
commençait à lui rendre compte, on lui en amena un qui devait dix mille
talents. 18, 25 Cet homme n’ayant pas de quoi rendre, le maître donna
l’ordre de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, et
d’éteindre ainsi la dette. 18, 26 Le serviteur se jeta alors à ses pieds
et lui demanda : “Consens-moi un délai, et je te rendrai tout.” 18, 27
Apitoyé, le maître de ce serviteur le relâcha et lui remit sa dette.
18, 28 En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui
devait cent deniers ; il le prit à la gorge, il le serra à l’étrangler, en
lui disant : “Rends tout ce que tu dois.” 18, 29 Son compagnon alors
se jeta à ses pieds et il le suppliait en disant : “Consens-moi un délai,
et je te rendrai.” 18, 30 Mais l’autre n’y consentit pas et il le fit
mettre en prison, jusqu’à ce qu’il eût remboursé sa dette. 18, 31 Voyant
ce qui s’était passé, ses compagnons en furent navrés, et ils allèrent raconter
toute l’affaire à leur maître. 18, 32 Alors son maître le fit venir et,
irrité, lui dit : “Mauvais serviteur, toute cette somme que tu me devais,
je t’en ai fait remise, parce que tu m’as supplié ; 18, 33 ne
devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi j’ai eu pitié
de toi ?” 18, 34 En colère, le maître le livra aux tortionnaires,
jusqu’à ce qu’il eût remboursé toute sa dette. 18, 35 C’est ainsi que vous
traitera aussi mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère
du fond du coeur.»
1946. Plus haut, le Seigneur a montré la gloire à venir dans sa transfiguration ; ici, il traite du cheminement vers cette gloire. Et cela se divise en deux : premièrement, il enseigne comment parvenir à celle-ci ; deuxièmement, certains, qui demandent de manière inappropriée une place d’honneur dans la gloire, sont rabroués, en commençant au chapitre XX.
À propos du premier point, [le Seigneur] enseigne comment parvenir à cette gloire par la voie commune ; deuxièmement, comment [y parvenir] par la voie de la perfection, en commençant au chapitre XIX.
1947. Tout d’abord, parce qu’on parvient à la gloire par l’humilité, il montre en premier lieu la manière d’être humble ; deuxièmement, il interdit de provoquer un scandale, en cet endroit : MAIS SI QUELQU’UN SCANDALISE L’UN DE CES PETITS, etc. [18, 6] ; troisièmement, il enseigne à écarter [le scandale] provoqué, en cet endroit : SI TA MAIN OU TON PIED EST UNE OCCASION DE PÉCHÉ, COUPE-LE ET JETTE-LE LOIN DE TOI [18, 8].
1948. À propos du premier point, l’interrogation des disciples est présentée ; deuxièmement, la réponse du Christ.
L’occasion de l’interrogation s’offre par le fait que [le Seigneur] a dit à Pierre d’aller vers la mer et d’acquitter le statère trouvé dans le poisson pour lui et pour Pierre. Il paraissait donc avoir donné préséance à Pierre. Et parce qu’ils étaient encore faibles, ils souffraient d’une certaine animosité et d’un mouvement d’envie. Mais remarquez comment, lorsqu’il en prit trois seulement sur la montagne, ils ne furent pas affectés comme c’est le cas ici, alors qu’il donne la préséance à un seul.
1949. Ils s’interrogeaient donc : QUI
DONC EST LE PLUS GRAND DANS LE ROYAUME DES CIEUX ?, alors qu’on n’y
parvient pas par la grandeur mais par l’esprit d’humilité.
Ph 2, 3 : S’estimant
supérieurs les uns aux autres par l’humilité, etc. Dans cette demande, il
faut imiter le fait qu’ils ne désiraient pas des réalités terrestres, mais des
réalités célestes. 2 Co 4, 18 : Nous ne contemplons pas ce qui est visible, mais ce qui n’est pas
visible, etc.
Mais de quoi s’agit-il ? Ne faut-il pas rechercher l’excellence dans le royaume des cieux ? Il faut dire qu’on possède l’excellence dans le royaume des cieux de deux manières : soit que nous nous en estimions dignes, et cela est de l’orgueil et va à l’encontre des apôtres. Ph 1, 3 : S’estimant supérieurs les uns aux autres par l’humilité, etc. ; mais désirer une grâce plus grande afin que nous soit [donnée] une gloire plus grande n’est pas mal, comme en 1 Co 12, 31 : Recherchons les grâces les meilleures. De même, les apôtres savaient que, dans la gloire, il y a diverses demeures, comme une étoile diffère d’une autre par la clarté. Ils s’enquéraient donc parce qu’ils croyaient qu’une était meilleure que l’autre, à l’encontre de certains hérétiques qui ont affirmé le contraire.
1950. Ensuite, la réponse du Christ est présentée, et [Matthieu] présente un geste et une parole du Christ. Il dit donc : IL APPELA À LUI UN PETIT ENFANT. Qui est ce petit enfant, on l’explique de trois façons. Chrysostome l’interprète d’un enfant vraiment petit, car il était dépourvu de passions, afin de donner un exemple d’humilité, comme plus loin, 19, 14 : Laissez les petits enfants venir à moi. Et l’on dit que celui-ci était le bienheureux Martial. On donne [aussi] une autre interprétation : le Christ, s’estimant petit, se plaça au milieu en disant : SI VOUS NE RETOURNEZ PAS À LA CONDITION DE CE PETIT ENFANT, VOUS N’ENTREREZ PAS DANS LE ROYAUME DES CIEUX. Lc 20, 27 : Je suis au milieu de vous comme celui qui sert. Autre [interprétation] : par petit enfant, on entend l’Esprit Saint, qui [nous] rend petits enfants, car il est un Esprit d’humilité. Ez 36, 27 : Je placerai mon Esprit au milieu de vous.
1951. Il faut aussi remarquer la parole du Seigneur. Premièrement, il aborde la nécessité ; deuxièmement, le résultat. Il dit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, SI VOUS NE RETOURNEZ PAS À LA CONDITION DE CE PETIT ENFANT, c’est-à-dire, si vous ne devenez pas dépourvus de prétention. Za 1, 3 : Convertissez-vous à moi, etc., et devenez comme ce petit enfant, non pas par l’âge, mais par la simplicité. 1 Co 14, 20 : Ne soyez pas des enfants pour ce qui est de l’intelligence, mais des enfants pour ce qui est de la malice. L’état des enfants est varié. Ils ne désirent pas de grandes choses, plus haut, [Rm 12, 10] : Ne recherchant pas ce qui est élevé. Ils sont dépourvus de concupiscence, plus haut, [Mt] 5, 28 : Celui qui, en regardant une femme, la désire a déjà commis l’adultère dans son cœur. Les enfants n’ont pas une telle concupiscence. De même, ils ne se rappellent pas les inimitiés. Ainsi, SI VOUS NE DEVENEZ PAS COMME CE PETIT ENFANT, c’est-à-dire, si vous n’imitez pas les caractéristiques des petits enfants, VOUS N’ENTREREZ PAS DANS LE ROYAUME DES CIEUX. En effet, personne n’y entrera s’il n’est pas humble : La gloire emportera les humbles d’esprit, Pr 29, 23. Ou bien : VOUS N’ENTREREZ PAS DANS LE ROYAUME DES CIEUX, c’est-à-dire dans l’enseignement évangélique, comme [il est dit] plus loin, 21, 43 : Le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à un peuple qui produit des fruits. En effet, l’entrée s’y fait par la foi. Donc, SI VOUS NE DEVENEZ PAS, si vous n’avez pas la foi, COMME DES PETITS ENFANTS, VOUS N’ENTREREZ PAS DANS LE ROYAUME DES CIEUX, car Mc 16, 16 [dit] : Celui qui ne croira pas sera condamné. Pr 29, 33 : La gloire emportera l’humble d’esprit.
1952. QUICONQUE ACCUEILLE UN ENFANT COMME CELUI-CI, c’est-à-dire, quiconque imite l’innocence des enfants, CELUI-LÀ EST LE PLUS GRAND, car plus il est humble, plus il est grand. En effet, celui qui s’humilie sera exalté, Lc 18, 14.
Mais il peut y avoir une question : en effet, il semble que ce ne soit pas vrai, car la perfection est dans la charité. Là donc où est la plus grande charité, là est une plus grande perfection. Il faut dire que l’humilité accompagne nécessairement la charité. Et vous pouvez le constater si vous considérez qui est humble. De même que, dans l’orgueil, il y a deux choses : un sentiment désordonné et une estimation désordonnée de soi, de même en est-il, en sens contraire, dans l’humilité, car on n’y a cure de sa propre excellence et on ne s’estime pas digne. Cela découle nécessairement de la charité. Tout homme désire l’excellence qu’il aime. Ainsi, plus un homme a d’humilité, plus il aime Dieu et plus il méprise sa propre excellence et moins il se l’attribue. De sorte que plus un homme a de charité, plus il a aussi d’humilité.
1953. QUICONQUE ACCUEILLE UN ENFANT COMME CELUI-CI À CAUSE DE MON NOM, C’EST MOI QU’IL ACCUEILLE. Parce que les enfants sont si bien disposés, ils ne doivent pas être scandalisés. Ainsi, MAIS CELUI QUI SCANDALISERA, etc.
Premièrement, il montre qu’ils ne doivent pas être scandalisés en raison du châtiment [qui en découlera] ; deuxièmement, en raison de la providence divine. Le second point [se trouve en cet endroit] : GARDEZ-VOUS DE MÉPRISER AUCUN DE CES PETITS [18, 10].
1954. Premièrement, [le Seigneur] dit qu’il ne faut pas scandaliser les petits ; deuxièmement, qu’il ne faut pas éviter [de le faire] par négligence, en cet endroit : SI TA MAIN, etc. [18, 8].
Premièrement, il présente un châtiment de manière spéciale ; deuxièmement, de manière générale, en cet endroit : MALHEUR AU MONDE À CAUSE DES SCANDALES, etc. [18, 7].
1955. Il faut voir qu’il y a un double châtiment : la peine du dam et la peine du sens. [Le Seigneur] aborde les deux : QUICONQUE ACCUEILLE UN ENFANT COMME CELUI-CI, non pas pour lui-même, mais À CAUSE DE MOI, C’EST MOI QU’IL ACCUEILLE. Vient ensuite : MAIS CELUI QUI SCANDALISERA L’UN DE CES PETITS, etc.
1956. Si [le petit enfant] est tel, il est clair qu’il est plus grand. Et comment celui qui est plus grand sera-t-il scandalisé ? En effet, les parfaits ne sont pas scandalisés. Chrysostome dit que «scandaliser est la même chose que porter un coup, et cela peut atteindre celui qui est parfait comme celui qui est imparfait». Origène dit que certains sont devenus petits, et d’autres sont en train de le devenir : ceux qui sont devenus petits sont ceux qui sont parvenus à la perfection, et ceux-ci ne peuvent être scandalisés ; ceux qui sont en train de le devenir, parce qu’ils sont imparfaits, peuvent être scandalisés, comme le sont ceux qui viennent de se convertir. Jérôme dit que, bien qu’ils ne puissent pas être scandalisés, quelqu’un peut cependant les scandaliser, car il existe un scandale actif et un scandale passif. Le Seigneur semble viser tous les apôtres, et il vise particulièrement Judas, comme on le voit plus loin, 26, 31 : Vous tous, vous serez scandalisés, etc.
1957. Et quel est le châtiment ? IL SERAIT PRÉFÉRABLE QU’UNE DE CES MEULES QUE TOURNENT LES ÂNES SOIT SUSPENDUE À SON COU. De même, comme le dit Jérôme, le Seigneur parle à la façon des gens de la Palestine, qui n’avaient pas de meules [actionnées] par l’eau, mais avaient des meules [actionnées] par des chevaux. La meule que fait tourner un âne est donc celle qu’un cheval ou un âne peut entraîner. ET QU’IL SOIT JETÉ AU FOND DE LA MER. Telle était la peine à laquelle était condamné celui qui avait commis un vol, car une meule de cette sorte était suspendue à son cou et il était jeté à la mer. C’est ce qui est arrivé au bienheureux Clément, bien que ce ne fût pas parce qu’il était voleur, etc. [Celui-là] mérite donc une peine éternelle. Il est donc mieux d’encourir une peine temporelle dans le présent que d’encourir une peine éternelle. He 10, 31 : Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, et Dn 13, 23 : Il est mieux que je tombe entre les mains des hommes en ne faisant rien que de pécher sous le regard de Dieu.
1958. Autre [interprétation] mystique : elle est triple. En un premier sens, on entend par la meule l’aveuglement des païens, car les animaux qui sont affectés à entraîner cette meule sont aveugles. En Jg 16, 21, il est écrit qu’on arracha les yeux de Samson et qu’on le fit moudre. Il conviendrait donc que les Juifs n’aient jamais vu le Christ et aient été jetés au fond de la mer, c’est-à-dire au plus profond de l’infidélité. Ainsi, 2 P 2, 21 [dit] : Il aurait été mieux pour eux de ne pas connaître la voie de la justice que de retourner en arrière après l’avoir connue. Autre [interprétation] : par la meule de l’âne, on entend la vie active. Il arrive que quelqu’un passe à la vie contemplative et, lorsqu’il y est, scandalise la contemplation parce qu’elle ne lui plaît pas. Il convient donc que SOIT ATTACHÉE À SON COU UNE MEULE D’ÂNE ET QU’IL SOIT JETÉ AU FOND DE LA MER, c’est-à-dire au creux des affaires temporelles. Augustin dit ainsi : «Il faut, c’est-à-dire il convient et c’est une peine proportionnée, qu’une meule, c’est-à-dire la cupidité du siècle, soit suspendue à son cou, c’est-à-dire dans son cœur, et qu’il soit jeté au fond, c’est-à-dire [au fond] de la cupidité.»
1959. MALHEUR AU MONDE À CAUSE DES SCANDALES ! Après que le châtiment a été présenté d’une manière particulière, il est présenté d’une manière générale. Et [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il fait à l’avance une annonce générale ; deuxièmement, il ajoute la nécessité ; troisièmement, il écarte l’excuse, car pour ceux qui scandalisent, il convient qu’une meule soit suspendue à leur cou, etc.
MALHEUR AU MONDE À CAUSE DES SCANDALES ! Par le monde, on entend ceux qui aiment le monde, car, plus quelqu’un est uni au monde, plus il subit le scandale. Le Seigneur [dit] donc : En moi vous aurez la paix, dans le monde, les tribulations, Jn 16, 33. MALHEUR AU MONDE et à ceux qui aiment le monde.
1960. IL EST NÉCESSAIRE, CERTES, QU’IL ARRIVE DES SCANDALES. Certains hérétiques ont cru qu’il était de nécessité absolue que se produisent des péchés et que cette nécessité était entraînée par la prescience divine et par la nature des étoiles. Mais cela est faux, car on [les] imputerait ainsi à Dieu, qui est l’auteur de la nature. Chrysostome dit qu’il est nécessaire que cela arrive, au sens où la nécessité de la providence divine est une nécessité conditionnelle. Ainsi, si [Dieu] a prévu qu’un tel allait pécher, il péchera, mais il n’en découle pas pour autant qu’il péchera nécessairement. Origène dit que la nécessité présuppose la malice des démons et la faiblesse des hommes. Ainsi, IL EST NÉCESSAIRE QU’IL ARRIVE DES SCANDALES, parce qu’il est nécessaire que le Diable trompe les hommes et que l’homme lui obéisse, de sorte que cette nécessité vient de la supposition de la malice des démons et de la faiblesse des hommes. D’autres expliquent IL EST NÉCESSAIRE au sens d’utile, car les hommes sont mis à l’épreuve par les scandales,. 1 Co 11, 19 : Car il faut que se produisent des hérésies, afin que ceux qui ont été mis à l’épreuve soient mis en lumière parmi nous. Ou bien, selon Haymon, [le Seigneur] parle du scandale de la croix. 1 Co 1, 23 : Nous annonçons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens.
1961. Mais on objecte : «Si cela est nécessaire, [ceux par qui cela arrive] sont donc exempts de péché, puisqu’il est nécessaire que cela arrive.» Je ne dis pas que cela est nécessaire de manière absolue, car MALHEUR AU MONDE À CAUSE DES SCANDALES ! Ainsi, bien que les démons y poussent, [celui qui le cause] encourt cependant une peine. Rm 6, 13 : Ne faites pas de vos membres des instruments d’iniquité. Cela est dit d’une manière spéciale de Judas qui livra [le Seigneur].
1962. Tu dis : MALHEUR À L’HOMME PAR QUI LE SCANDALE ARRIVE ! Il ne faut donc pas scandaliser les tout-petits. Et bien qu’il ne faille pas les scandaliser, ils ne doivent cependant pas se montrer négligents à éviter le scandale ; au contraire, quelqu’un peut l’éviter par ce qui est utile à l’action, à la connaissance ou au soutien. C’est pourquoi [le Seigneur] présente [la chose] sous forme de comparaison avec les membres du corps : SI TA MAIN OU TON PIED TE SCANDALISE, COUPE-LE ET JETTE-LE LOIN DE TOI ! Vous ne devez pas comprendre qu’ils doivent couper les membres de leur corps, mais, par membres, on entend les amis et les proches. En effet, l’homme est nécessaire à l’homme pour l’action, pour le soutien et pour l’enseignement. Ce qui le corrige dans l’action, c’est la main ; ce qui le soutient, c’est le pied. Ainsi Jb 29, 15 [dit] : J’ai été un œil pour l’aveugle et un pied pour le boiteux. De sorte que SI TA MAIN, c’est-à-dire celui qui dirige ton action, OU TON PIED, c’est-à-dire celui qui te soutient, TE SCANDALISE, c’est-à-dire qu’ils sont une occasion de péché pour toi, COUPE-LE ET JETTE-LE LOIN DE TOI ! Et [le Seigneur] en donne la raison : MIEUX VAUT POUR TOI, etc., car supporter n’importe quel mal temporel est mieux que d’encourir une peine éternelle.
1963. De même, quelqu’un t’est nécessaire pour l’enseignement : il est donc un œil pour toi. Ainsi, SI TON ŒIL TE SCANDALISE, ARRACHE-LE. Et [le Seigneur] en donne la raison : MIEUX VAUT POUR TOI, etc.
Ou bien, on peut mettre cela en rapport avec toute l’Église, car les yeux sont les prélats, les mains, les diacres, le pied, les hommes ordinaires. De sorte qu’il vaut mieux déposer un prélat ou retrancher un diacre que de scandaliser l’Église. Ou bien, par l’œil, on entend la contemplation, par la main, l’action, par le pied, la procession. De sorte que si tu vois que telle contemplation, telle action ou telle procession sont pour toi une occasion de péché, retranche-la et jette-la loin de toi.
1964. GARDEZ-VOUS DE MÉPRISER AUCUN DE CES PETITS. Plus haut, [le Seigneur] avait enseigné à éviter le scandale en raison du châtiment. Mais ici, il enseigne à l’éviter en prenant en compte la providence divine. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il le propose ; deuxièmement, il en donne la raison, en cet endroit : EN EFFET, JE VOUS LE DIS, etc. [8, 10].
Ainsi, [le Seigneur] avait dit : CELUI QUI SCANDALISE UN DE CES PETITS, MIEUX VAUDRAIT QU’UNE MEULE D’ÂNE SOIT SUSPENDUE À SON COU, etc. GARDEZ-VOUS DE MÉPRISER AUCUN DE CES PETITS. En effet, la petitesse incite aussitôt au mépris : Voici que je t’ai fait petit parmi les nations, méprisable aux yeux des hommes, Jr 49, 15.
1965. Mais on se demande de quels petits [le Seigneur] parle ici. Il faut dire [qu’il parle] des petits qui sont petits dans l’opinion des hommes, mais grands aux yeux de Dieu ; ceux-ci sont les amis de Dieu, Lc 10, 16 : Celui qui vous méprise me méprise. Mais à cela on objecte que ceux-ci ne sont pas scandalisés ni ne sont perdus, et cependant on lit plus loin, dans ce chapitre, que le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu. Il faut dire, selon la solution donnée par Origène, qu’on entend par petits les humbles, qui sont parfaits ; ceux-ci ne sont pas scandalisés, et cependant ils tombent parfois. Ou alors, bien que tous ne soient pas scandalisés, l’un [d’entre eux] est cependant scandalisé. Selon Jérôme, cela s’entend de ceux qui sont petits dans le Christ, des convertis récents, par exemple. Puis, on enchaîne avec la section précédente. On a donc dit que le membre qui scandalise doit être coupé, puisque les petits, les faibles et les pécheurs, même s’ils ne doivent pas être scandalisés, ne doivent pas être méprisés.
1966. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, LEURS ANGES VOIENT CONSTAMMENT LA FACE DE MON PÈRE. Ici est donnée la raison de la providence divine : premièrement, pour ce qui est du ministère des anges ; deuxièmement, pour ce qui est du ministère du Christ, en cet endroit : CAR LE FILS DE L’HOMME EST VENU SAUVER CE QUI ÉTAIT PERDU. Ainsi, il a été dit de ne pas [les] mépriser, car ceux dont le Seigneur prend un tel soin ne doivent pas être méprisés. JE VOUS DIS QUE LEURS ANGES. Pourquoi LEURS [ANGES] ? Parce qu’ils sont assignés à leur garde, car, comme le dit Jérôme, «un ange a été assigné à la garde de chaque homme». Ps 90[91], 11 : Il t’a envoyé de ses anges afin qu’ils te gardent dans toutes tes démarches. He 1, 14 : Ce sont tous des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut. Ils ont comme fonction de transmettre les réalités divines et de nous les annoncer. De même, ils portent et présentent nos prières à Dieu. Ap 8, 4 : La fumée de l’encens s’élève vers Dieu avec les prières des saints. De sorte que si Dieu s’occupe tant [des petits] qu’Il veut les voir servis par des anges, il ne faut pas les mépriser. Dans Si 35, 18s, il est dit d’une veuve que ses larmes montent de sa joue vers le ciel.
1967. [Autre interprétation] : LEURS ANGES, car ils sont leurs concitoyens, puisqu’il n’y a qu’une seule communauté des anges et des hommes. Ils sont donc concitoyens de la cité céleste. Leur dignité est donc si grande qu’ILS VOIENT CONSTAMMENT LE VISAGE DE MON PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX. Ici, quatre choses peuvent être indiquées : la continuité de [leur] vision, puisqu’ils voient CONSTAMMENT. Quelqu’un pourrait dire que [les anges] sont parfois envoyés en service et qu’à cause de cela ils ne voient pas constamment le visage de Dieu. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : CONSTAMMENT. L’élévation de leur vision est aussi indiquée. Nous voyons quelque chose des réalités les plus élevées, mais dans une certaine obscurité et à travers les créatures, comme on lit en Rm 1, 20 : Ce qui est invisible en lui depuis la création du monde se laisse voir par l’intelligence à travers ce qui a été créé. Mais les anges [voient]] avec une certaine élévation. Le Seigneur dit donc : DANS LES CIEUX. De même, la vision claire est indiquée, car nous voyons comme en énigme dans un miroir, mais alors [nous le verrons] face à face, 1 Co 13, 10. Il ne faut pas dire que [Dieu] a un visage corporel, mais on appelle face à face la vision claire qu’on a de lui. En effet, lorsque quelqu’un regarde dans un miroir, il ne voit pas d’une vision claire ; mais lorsqu’il voit face à face, alors il voit clairement. Dieu est ainsi vu dans un miroir lorsqu’il est vu a travers les créatures ; mais lorsqu’il [sera vu] en lui-même et par lui-même, alors ce sera une vision face à face. Chrysostome dit qu’une certaine allégresse joyeuse excellente est signalée, car ceux-ci sont des hommes parfaits : si les anges sont leurs serviteurs, une allégresse plus grande que celle des anges existe en eux. Ils le voient donc se tenir près d’eux. Ainsi, non seulement la vision est-elle un don, mais aussi la saisie. Ph 3, 20 : Je continue afin de saisir.
1968. Mais pourquoi [le Seigneur] dit-il : DE MON PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX ? Afin d’écarter l’erreur de ceux qui affirmaient que les anges [en question] sont les démons. Ils disaient ainsi que les anges sont dans le ciel, les démons au centre ; ceux-ci sont donc des intermédiaires et nos serviteurs. Afin donc d’écarter cela, [le Seigneur] dit : ILS VOIENT CONSTAMMENT LE VISAGE DE MON PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX. De même, une autre raison était de stimuler notre désir, car si eux [le] voient, nous aussi nous [le verrons], car nous devons l’espérer.
1969. Mais afin que cela ne paraisse pas peu de chose que des anges soient assignés à la garde des hommes, [le Seigneur] le démontre par le ministère du Christ. Premièrement, il démontre cela ; deuxièmement, il présente une comparaison. Il dit donc que les tout-petits ne doivent pas être méprisés, car LE FILS DE L’HOMME EST VENU SAUVER CE QUI ÉTAIT PERDU. 1 Tm 1, 15 : Le Christ Jésus est venu dans ce monde afin de sauver les pécheurs. Plus haut, [Mt] 1, 21 : Il sauvera son peuple de ses péchés.
1970. QUE VOUS EN SEMBLE ? Ici est présentée la comparaison. Premièrement, une question sérieuse est posée ; deuxièmement, la joie d’avoir trouvé la brebis [est présentée].
[Le Seigneur] dit donc : QUE VOUS EN SEMBLE ? Il avait été dit que le Fils de l’homme était venu sauver ce qui était perdu, car le pasteur recherche la brebis perdue. SI UN HOMME POSSÈDE CENT BREBIS. Par le nombre cent est signifié l’ensemble des créatures raisonnables. Quatre-vingt-dix-neuf est le même nombre que neuf, mais seulement multiplié, car neuf multiplié par dix donne quatre-vingt-dix. À ce nombre, à savoir, neuf, manque une unité. Ainsi donc, par ces brebis, [le Seigneur] signifie toutes les créatures raisonnables. Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix. Ps 94[95], 7 : Nous sommes son peuple et les brebis de son bercail. Par la brebis égarée, le genre humain est signifié. Et pourquoi [le Seigneur] l’a-t-il signifié par la brebis qui s’est égarée ? Parce que par un seul homme tous ont été égarés. 1 P 2, 25 : Vous étiez comme des brebis errantes.
1971. NE VA-T-IL PAS LAISSER LES QUATRE-VINGT-DIX-NEUF AUTRES SUR LES MONTAGNES ? Le texte ne porte pas : dans le désert, mais : SUR LES MONTAGNES, comme on le trouve en grec. Cela s’explique de trois manières. Premièrement, parce que ces quatre-vingt-dix-neuf signifient les anges qui ont été laissés sur les montagnes, c’est-à-dire dans les cieux. Ez 34, 13 : Je les ferai paître sur les montagnes d’Israël. Ou bien, par les quatre-vingt-dix-neuf sont signifiés les justes, et par la brebis perdue, les pécheurs. Ainsi, [l’homme] les abandonna sur les montagnes, c’est-à-dire dans la solitude de la justice. Ps 35, 7 : Mes jugements sont comme les montagnes de Dieu. Ou bien, par les quatre-vingt-dix-neuf [sont signifiés] les orgueilleux, et par la brebis [égarée], les humbles. Ainsi, NE VA-T-IL PAS LAISSER LES QUATRE-VINGT-DIX-NEUF AUTRES SUR LES MONTAGNES, c’est-à-dire dans leur orgueil, et il s’en va chercher l’autre qui s’est égarée ? Ps 118[119], 176 : J’ai erré comme une brebis qui s’est égarée ; va à la recherche de ton serviteur, Seigneur.
1972. Ensuite, [le Seigneur] parle de la joie : ET S’IL PARVIENT À LA RETROUVER, etc. Ici encore, une triple raison peut être donnée. Que le Seigneur se réjouisse des bons, on le lit en So 3, 17 : Ton Dieu se réjouira à ton sujet dans l’allégresse. Que par les quatre-vingt-dix soient signifiés les anges et par la brebis, l’homme, l’explication en est claire, car l’homme était digne d’être rétabli. He 2, 16 : Ce ne sont pas les anges qu’il a pris, mais il a pris la descendance d’Abraham. Si par les quatre-vingt-dix nous entendons les justes, l’explication en est également claire, car le général aime davantage le soldat qui tombe au combat et par la suite se comporte toujours courageusement, que celui qui n’est jamais tombé et se bat avec tiédeur. De même, lorsque quelqu’un a péché, se relève avec force et se montre toujours courageux, [le Seigneur] l’aime davantage. 2 Co 7, 9 : Je me réjouis de ce que la tristesse vous ait conduits au repentir, c’est-à-dire que le Seigneur se réjouit davantage de celui, etc., lorsqu’il montre plus de zèle. Toutefois, il ne faut pas étendre cela à tous, car il peut se trouver un juste qui ait tant de zèle qu’il plaise davantage à Dieu que celui qui se repent. Selon la troisième interprétation aussi l’explication est claire, car [le Seigneur] se réjouit davantage de celui qui reconnaît son péché, comme cela est manifeste à propos du publicain et du pharisien.
1973. Il conclut donc : AINSI VOTRE PÈRE DES CIEUX NE VEUT PAS QU’UN SEUL DE CES PETITS PÉRISSE. [Le Seigneur] dit moins pour signifier plus, car sa volonté est qu’ils soient sauvés. 1 Tm 2, 4 : Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés. S’il ne le voulait pas, il n’enverrait pas des anges. Ez 18, 23 : Est-ce que je veux la mort de l’impie, dit le Seigneur ?
1974. SI DONC TON FRÈRE A PÉCHÉ, etc. Ici, il s’agit d’écarter le scandale. Premièrement, l’ordre est présenté ; deuxièmement, le nombre, en cet endroit : ALORS, PIERRE S’AVANÇANT, etc. [18, 21].
À propos du premier point, [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il formule un avertissement ; deuxièmement, [il présente] le témoignage, en cet endroit : S’IL NE T’ÉCOUTE PAS, etc. [18, 16] ; troisièmement, la divulgation, en cet endroit : S’IL REFUSE DE LES ÉCOUTER, DIS-LE À L’ÉGLISE [18, 17].
À propos du premier point, [le Seigneur] formule son enseignement ; deuxièmement, il donne la raison [de l’enseignement] formulé, en cet endroit : S’IL T’ÉCOUTE, TU AURAS GAGNÉ TON FRÈRE.
1975. J’ai donc dit qu’il ne fallait pas mépriser les tout-petits, mais que faut-il faire si quelqu’un scandalise ? [Le Seigneur] l’enseigne ici. SI TON FRÈRE A PÉCHÉ CONTRE TOI, VA LE TROUVER ET REPRENDS-LE SEUL À SEUL. Remarquez d’abord que [le Seigneur] dit : A PÉCHÉ. Il parle donc d’un péché déjà commis. Il faut donc procéder différemment pour un péché commis et pour un péché qui va être commis, car [le péché] commis ne peut pas ne pas avoir été commis. Ainsi, dans le cas [du péché] qui va être commis, il faut s’efforcer qu’il n’arrive pas. Is 58, 6 : Délie les liens de l’impiété, détache les nœuds qui retiennent, etc. De sorte que pour le péché qui va être commis, il n’est pas nécessaire de respecter un tel ordre, mais, dans le cas [du péché] commis, cela est nécessaire.
1976. Il dit aussi : CONTRE TOI. La Glose
[dit] : «S’il t’a causé une offense ou un outrage.» Il veut donc dire que
nous devons remettre le péché commis contre nous ; mais nous ne pouvons
pas remettre le péché commis contre Dieu, comme le dit la
Glose.1 R 2, 25 : Celui
qui a péché contre Dieu, qui priera pour lui ? De même, tu dois
d’abord t’occuper des offenses commises par celui qui fait partie de la même
communauté que toi ; il faut aussi s’occuper des autres, mais pas autant.
1 Co 5, 12 : En quoi
nous appartient-il de juger ceux du dehors ?
1977. VA ET REPRENDS-LE SEUL À SEUL. Le Seigneur guide ses disciples vers la sollicitude et la correction parfaites. Plus haut, 5, 23, le Seigneur avait dit que si quelqu’un offense un frère, il doit laisser son offrande devant l’autel, etc. ; ici, il va plus loin, car il s’agit non seulement de celui qui t’a blessé, mais de celui qui a été blessé. Ainsi, SI TON FRÈRE A PÉCHÉ CONTRE TOI, VA LE TROUVER, etc. Ps 119[120], 7 : Avec ceux qui détestent la paix, il était pacifique. Ne remettras-tu pas d’abord ? Non, mais tu dois d’abord [le] reprendre. Il n’ordonne donc pas de remettre à n’importe qui, mais à celui qui se repent. De même, il dit : REPRENDS-LE, et non : «Rabroue-le ou irrite-le», et montre-lui brièvement [sa faute]. S’il [la] reconnaît, tu dois alors [la lui] remettre. C’est pourquoi [il est dit] : Instruisez-les dans un esprit de douceur, Ga 6,1. Mais est-ce que celui qui néglige de corriger pèche ? Augustin [écrit] : «Si tu ne [le] corriges pas, tu deviens pire par ton silence que lui en péchant.»
1978. Mais comme il est vrai que tous sont tenus de corriger, quelqu’un pourrait dire que cela revient aux seuls prélats en vertu de leur fonction, et aux autres en vertu de la charité. Parfois le Seigneur permet que les bons soient punis avec les méchants. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas corrigé les méchants. Toutefois, Augustin dit que «parfois nous devons nous abstenir, si nous craignons que, par cette intervention, ils ne soient pas corrigés, mais rendus plus mauvais». De même, si tu crains d’entraîner une persécution de l’Église, tu ne pèches pas [en ne reprenant pas]. Mais si tu t’abstiens pour ne pas être affecté dans [tes biens] temporels, pour éviter que ne t’arrive un désagrément ou pour quelque chose du genre, tu pèches. Pr 9, 8 : Reprends le sage et il t’aimera.
1979. REPRENDS-LE SEUL À SEUL. Et pourquoi ? Parce que cette correction vient de la charité. Or, la charité est l’amour de Dieu et du prochain. Si tu aimes, tu dois aimer le salut [du prochain]. Mais, à ce sujet, il faut prendre en considération deux choses, à savoir, la conscience et la bonne réputation. Si tu veux le sauver, tu dois sauver sa bonne réputation. Tu feras cela en le REPRENANT SEUL À SEUL. Si tu le reprends devant tout le monde, tu [lui] enlèves sa réputation. Toutefois, la conscience doit avoir préséance sur la réputation. Cependant, il arrive fréquemment que, lorsqu’un homme voit son péché rendu public, il devienne tellement impudent qu’il s’expose à tous les péchés. Jr 2, 20 : Tu te prosternais devant toute branche fleurie, prostituée. Si 4, 25 : C’est une honte qui mène au péché. Mais ce qu’on lit en 1 Tm 5, 20 s’oppose à cela : Reprends le pécheur devant tout le monde. Et cela est vrai, s’il a commis une faute publiquement. En effet, lorsque quelqu’un pèche publiquement, il doit être repris publiquement ; mais si quelqu’un [pèche] secrètement, il doit alors être repris secrètement. Et cela est clair, car Augustin dit que «si tu es le seul à savoir qu’il a péché, reprends-le seul à seul.»
1980. S’IL T’ÉCOUTE, TU AURAS GAGNÉ TON FRÈRE.
Pourquoi [le Seigneur] dit-il cela ? Pour trois [raisons]. Afin que tu
saches pour quelle raison reprendre, car, si tu reprends pour toi-même, tu ne
fais rien ; en effet, là où la correction est privée, la correction n’est
pas méritoire. Mais si tu reprends à cause de Dieu, [la correction] a alors de
la valeur. De même est-ce vers cela que tu dois tendre, à savoir, implanter la
correction et l’enseignement. De même, quelqu’un pourrait dire que perdre son
frère n’est pas juste. Mais, s’il en était ainsi, il n’aurait pas dit : TU
AURAS GAGNÉ TON FRÈRE. De même, TU AURAS GAGNÉ, car il est un membre comme toi et,
comme le membre compatit avec le membre, de même toi avec ton frère. De même,
TU AURAS GAGNÉ, car tu auras gagné ton salut. Jc 4, 11 : Celui qui juge son frère renverse la loi et
juge la loi. Ainsi, au même endroit, [Jc] 5, 20 : Celui qui fait que le pécheur se détourne de
son chemin a sauvé son âme de la mort et a couvert une multitude de péchés.
1981. Ici, il apporte le témoignage : PRENDS AVEC TOI UN OU DEUX AUTRES, etc. Dt 19, 15 : Que toute parole repose sur deux ou trois témoins. Mais il se pose ici une question : pourquoi ne fait-il pas appel tout de suite aux témoins ? Il faut dire que la conscience doit être purifiée sans que la réputation soit endommagée. Ainsi, s’il peut [corriger] en premier lieu et par lui-même, cela est bien ; mais [s’il ne le peut] pas, qu’il fasse alors appel à des témoins. Et Jérôme dit [qu’il doit faire appel] d’abord à un, puis à deux [témoins]. Et pourquoi ? Afin qu’ils soient témoins de la correction faite, car si [celui qui est corrigé] continue, cela ne doit pas t’être imputé. Jérôme dit que cela est aussi pour autre chose, à savoir, afin qu’il le convainque de péché, car certains sont tellement obstinés qu’ils ne reconnaissent pas [leur péché]. Tu dois donc faire appel à des témoins afin de le convaincre du fait, ou alors il répétera peut-être l’offense. Ou bien, selon Augustin, [il faut faire appel à des témoins] pour le convaincre.
1982. Mais cela semble être contraire à ce qu’Augustin dit que, «avant de le montrer à deux autres, il doit le montrer à son supérieur, et c’est cela le montrer à l’Église». [Le Seigneur] semble donc inverser l’ordre. Je dis qu’il peut être montré au supérieur, soit en vertu de la procédure judiciaire, soit à titre de personne privée. Augustin veut donc qu’il soit d’abord montré au supérieur à titre de personne privée, afin que, à titre de personne privée, celui-ci s’occupe de la correction.
1983. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : S’IL NE LES ÉCOUTE PAS, DIS-LE À L’ÉGLISE. Ici est présentée la dénonciation. Premièrement, il dénonce ; deuxièmement, la sentence est présentée ; troisièmement, l’efficacité [de la sentence]. Le second point [se trouve] en cet endroit : S’IL N’ÉCOUTE PAS L’ÉGLISE, etc. [18, 17] ; le troisième, en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. [18, 18].
[Le Seigneur] dit : S’IL NE LES ÉCOUTE PAS, DIS-LE À L’ÉGLISE, c’est-à-dire à toute la communauté, afin qu’il soit confondu, pour que celui qui n’a pas voulu être corrigé sans honte soit corrigé par la honte. Il y a une honte qui entraîne le péché, et une honte qui entraîne la gloire et la grâce, Si 4, 25[21]. Ou bien, À L’ÉGLISE, c’est-à-dire aux juges, afin qu’il soit corrigé. Dt 21, 18 : Si quelqu’un a un fils entêté et effronté, qui n’écoute par le commandement de son père et de sa mère et qui, contraint, montre du mépris, ils s’en saisiront et l’amèneront devant les anciens de cette cité et à la porte du jugement, etc.
1984. Ensuite, la peine est ajoutée : ET S’IL N’ÉCOUTE PAS L’ÉGLISE, QU’IL SOIT POUR TOI COMME UN PAÏEN ET UN PUBLICAIN. Les païens sont les Gentils et les infidèles ; les publicains, ceux qui perçoivent le tribut, et qui sont des pécheurs publics. Ainsi donc, qu’ils soient excommuniés et séparés par la sentence de l’Église, parce qu’ils n’ont pas écouté l’Église. De sorte qu’un homme ne peut être excommunié qu’en raison de l’entêtement seulement.
1985. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. Ici est présentée l’efficacité de cette sentence. Car quelqu’un pourrait dire : «Que m’importe ce que dit l’Église et que j’aie été excommunié ?» [Le Seigneur] montre donc cette efficacité : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : TOUT CE QUE VOUS AUREZ LIÉ SUR LA TERRE SERA LIÉ DANS LE CIEL, ET TOUT CE QUE VOUS AUREZ DÉLIÉ SUR LA TERRE SERA DÉLIÉ DANS LE CIEL. Plus haut, cela a été dit à Pierre ; mais ici, cela est dit à toute l’Église. Et on dit LIER, soit parce qu’elle ne délie pas, soit parce qu’elle excommunie. Origène dit que [le Seigneur] dit ici : DANS LE CIEL, mais que lorsqu’il parla à Pierre, il dit : DANS LES CIEUX, pour montrer que Pierre avait un pouvoir universel. Ici, [le Seigneur] dit : DANS LE CIEL, puisque leur pouvoir n’est pas universel, car le pouvoir universel a été donné à Pierre.
1986. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. Ici est présentée l’efficacité de la prière. Premièrement, [le Seigneur] la présente ; deuxièmement, il en donne la raison, en cet endroit : LORSQUE DEUX OU TROIS [SONT RÉUNIS], etc. [18, 20].
1987. [Le Seigneur] dit donc : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. Mais à cela tu peux objecter que nous demandons beaucoup de choses que nous n’obtenons pas. Cela arrive premièrement en raison de l’indignité de ceux qui demandent ; c’est pourquoi il dit : DEUX D’ENTRE VOUS, c’est-à-dire parmi vous qui vivez selon l’évangile. Jc 4, 3 : Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal. De même, parce qu’ils ne s’entendent pas, puisqu’il n’ont pas le lien de la paix : en effet, il est impossible que les prières d’un grand nombre ne soient pas entendues si leurs nombreuses prières n’en deviennent en quelque sorte qu’une seule. 2 Co 1, 11 : Afin que ce bienfait qu’un grand nombre de personnes nous auront obtenu soit pour un grand nombre un motif d’action de grâce à notre sujet. C’est aussi parce qu’ils demandent certaines choses qui ne conviennent pas à leur salut : la demande doit en effet porter sur quelque chose d’utile, plus loin, 20, 22 : Vous ne savez pas quoi demander.
CELA LEUR SERA ACCORDÉ PAR MON PÈRE QUI EST DANS LES CIEUX, c’est-à-dire dans les hauteurs. Ou bien : DANS LES CIEUX, c’est-à-dire, en nous.
1988. LORSQUE DEUX OU TROIS SONT RÉUNIS EN MON NOM, JE SUIS LÀ AU MILIEU D’EUX, dans l’assemblée des saints, et non dans celle des gens de la terre. Ps 110[111], 1 : Au sein de la réunion et de l’assemblée des justes, grandes sont les œuvres du Seigneur. LÀ donc OÙ DEUX OU TROIS. La charité n’existe pas là où il n’y en a qu’un seul, mais [là où il y en a] plusieurs. Ainsi, 1 Jn 4, 16 : Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. «Je suis donc au milieu d’eux.»
1989. ALORS PIERRE, S’AVANÇANT, LUI DIT : «SEIGNEUR, COMBIEN DE FOIS MON FRÈRE POURRA-T-IL PÉCHER CONTRE MOI ET DEVRAI-JE LUI PARDONNER ?» Plus haut, [le Seigneur] a enseigné selon quel ordre il faut pardonner, après une correction et une réprimande ; ici, il traite du nombre de fois qu’il faut pardonner.
1990. Premièrement, la question de Pierre est donc présentée ; deuxièmement, la réponse du Christ ; troisièmement, une comparaison. Le second point [se trouve] en cet endroit : JÉSUS LUI DIT, etc. [18, 22] ; le troisième, en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE [18, 23].
1991. [Matthieu] dit donc : ALORS PIERRE, S’AVANÇANT. ALORS, c’est-à-dire après avoir entendu cette parole : Si ton frère a péché contre toi, etc., Pierre fut amené à [demander s’il devait pardonner] une seule fois ou plusieurs, et il dit : CHAQUE FOIS QUE MON FRÈRE AURA PÉCHÉ CONTRE MOI, ETC., DEVRAI-JE LUI PARDONNER JUSQU’À SEPT FOIS ?, comme s’il disait : «Jusqu’à sept fois, c’est qu’[il aura péché] par faiblesse, mais davantage, c’est [qu’il aura péché] par malice.» Il demandait donc s’il lui fallait pardonner jusqu’à sept fois. Il connaissait aussi ce qui avait été dit en 4 R [2 R] 5, 10, qu’Élisée avait ordonné à Naaman d’aller se laver sept fois dans le Jourdain. Il pensait donc qu’il devait pardonner sept fois.
1992. JÉSUS LUI DIT : «JE NE TE DIS PAS JUSQU’À SEPT FOIS, MAIS JUSQU’À SOIXANTE-DIX-SEPT FOIS SEPT FOIS.» D’une part, on peut soutenir qu’il dit : SEPT FOIS au sens cumulatif, de sorte que le sens serait : non pas sept fois, mais soixante-dix fois. Ou bien, on peut l’entendre au sens d’une multiplication : sept fois soixante-dix [fois], et ainsi l’interprète Jérôme. Selon la première interprétation, qui est celle d’Augustin, il est donné à entendre que nous devons pardonner tout, comme le Christ a tout pardonné. Col 3, 13 : Vous pardonnant les uns aux autres, si vous avez un grief contre quelqu’un. Comme le Seigneur nous a pardonné, de même devez-vous le faire. Ou bien, on peut dire qu’un nombre déterminé est donné pour [indiquer] un nombre infini, comme dans les Psaumes : La parole qu’il a envoyée pour mille générations [Ps 104[105], 8]. Selon Jérôme, l’explication est la même ; cependant, il y est ajouté la raison du nombre. En effet, la perfection est signifiée par six, et par cent, qui résulte d’une multiplication par dix, qui signifie le décalogue. Le premier nombre qui s’écarte de dix est onze. Et parce que la totalité est signifiée par six, la totalité des péchés est signifiée, comme s’il disait : «Tous les péchés que ton frère aura commis contre toi, pardonne-les lui.» Selon Jérôme, il semble donc que [le Seigneur] veuille dire qu’il peut remettre davantage qu’on a pu l’offenser.
1993. IL EN VA [DU ROYAUME DES CIEUX], etc. Ici est présentée une comparaison, et [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il montre la miséricorde divine ; deuxièmement, il aborde l’ingratitude, en cet endroit : EN SORTANT, CE SERVITEUR, etc. [18, 28] ; troisièmement, la punition de l’ingratitude, en cet endroit : VOYANT CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ, SES COMPAGNONS, etc. [18, 31].
1994. À propos du premier point, l’examen des serviteurs est d’abord présenté ; en second lieu, la grandeur de la dette, en cet endroit : COMME ON COMMENÇAIT À LUI RENDRE COMPTE, ON LUI EN AMENA UN QUI DEVAIT DIX MILLE TALENTS [18, 24] ; en troisième lieu, la justice de la reddition des comptes, en cet endroit : CET HOMME N’AYANT PAS DE QUOI RENDRE, etc. [18, 25] ; en quatrième lieu, la remise de la dette, en cet endroit : APITOYÉ, LE MAÎTRE DE CE SERVITEUR, etc. [18, 27].
1995. [Le Seigneur] dit donc : «Parce que vous devez toujours être prêts à remettre, vous devez donc comprendre cette comparaison.» LE ROYAUME DES CIEUX est la loi du royaume : la parole même de Dieu est justice et vérité. 1 Co 1, 30 : Lui qui est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification et rédemption. Lorsque le Verbe s’est fait chair, cela a donc ressemblé à un roi. Ou bien, par le royaume, l’Église présente est désignée, comme plus haut, 13, 41 : Ils ramasseront dans son royaume tous les scandales. Et c’est à juste titre qu’il dit ROYAUME, si nous considérons tout ce qui existe dans le royaume. Dans le royaume, il y a un roi, des serviteurs et les choses de ce genre. À UN ROI. Ce roi est Dieu, qu’on l’entende du Père, du Fils ou de l’Esprit Saint. QUI VOULUT RÉGLER SES COMPTES AVEC SES SERVITEURS. Par les serviteurs du maître, il faut entendre les prélats de l’Église, à qui a été confié le soin des âmes. Lc 12, 42 : Un serviteur sage et fidèle, que le maître a établi sur sa famille. Que veut dire RENDRE COMPTE de leur administration, si ce n’est qu’il les oblige à rendre des comptes ? He 13, 47 : Ceux-ci veillent comme s’ils devaient rendre compte de vos âmes. En effet, comme l’âme de chacun lui a été confiée, chacun peut être appelé serviteur. Jb 1, 8 : N’as-tu pas regardé ton serviteur Job, etc. ? Ainsi, chacun a été mis en situation de rendre compte pour tout, car il faudra rendre compte même d’une parole oiseuse, plus haut, 12, 36.
1996. COMME ON COMMENÇAIT À LUI RENDRE COMPTE. Le terme de cette reddition de comptes sera le jour du jugement ; le début, lorsque [le maître] commencera à infliger une peine. 1 P 4, 19 : Ainsi, ceux qui souffrent selon la volonté de Dieu recommanderont leurs âmes au Créateur fidèle. Ez 9, 6 : Commencez par mon sanctuaire. L’examen attentif des mérites est aussi abordé. Lm 3, 40 : Examinons nos voies, par quoi l’on entend l’examen de [nos] consciences. Et, pendant cet examen, ON LUI EN AMENA UN QUI LUI DEVAIT DIX MILLE TALENTS. Si nous mettons ces talents en rapport avec les prélats, nous comprenons [qu’il s’agit des] péchés des sujets, car, chaque fois qu’un sujet pèche à cause de sa négligence, [le prélat] devient débiteur de [ses] talents. C’est pourquoi il est dit en 3 R [1 R] 20, 39 : Ce sera ton âme contre son âme. Ou bien on peut dire que le nombre mille est parfait parce que c’est un nombre carré. De même, on entend par dix le nombre du décalogue. De même, [on entend] par talent la gravité d’un péché. Za 5, 7 : Et voici qu’un talent de plomb fut apporté, etc. Est donc ainsi signifié celui qui a une multitude de crimes, car, lorsque Dieu veut qu’un compte soit rendu et examiner sa conscience, il trouve un amas de crimes. 1 [Ch] 29 : J’ai commis plus de péchés que le sable de la mer.
1997. Lorsque cet examen de la dette est fait, trois choses sont demandées : premièrement, la raison de l’examen ou du châtiment est présentée ; deuxièmement, le châtiment est décrit ; troisièmement, le résultat du châtiment.
Quelqu’un est puni lorsqu’il n’a pas avec lui de quoi dédommager. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : CET HOMME N’AYANT PAS DE QUOI RENDRE, puisque tout ce qu’il a ne suffit pas. Ainsi dit Mi 6, 6 : Qu’offrirai-je de digne au Seigneur, etc. ? Donc, CET HOMME N’AYANT PAS DE QUOI RENDRE, LE MAÎTRE DONNA L’ORDRE DE LE VENDRE, etc., car, lorsque le Seigneur fait rendre des comptes à l’homme et que l’homme n’a pas ce qu’il faut pour acquitter et qu’on prend en compte la justice de Dieu, qui est le châtiment, il ordonne qu’il soit vendu. Lorsqu’il est vendu, le prix du péché est le châtiment : le prix est ce que quelqu’un reçoit comme [châtiment]. Il est donc vendu lorsque le châtiment est infligé. Is 1, 1 : Vous avez été vendus pour vos iniquités. AINSI QUE SA FEMME ET SES FILS. [L’homme] engendre des fils de sa femme. Or, les fils sont [ses] actions, sa femme, la concupiscence ou la source du péché. ET TOUT CE QU’IL AVAIT : ce sont les dons de Dieu. Os 2, 8 : J’ai donné ma récolte, mon vin et mon huile, et j’ai entassé l’argent et l’or pour lui, etc. Il est donc puni pour la femme, les fils et les dons qui lui ont été donnés. Sg 14, 9 : Dieu a également en haine l’impie et son impiété. Ps 108[109] 9 : Que ses fils deviennent orphelins et que sa femme devienne veuve.
1998. LE SERVITEUR SE JETA ALORS À SES PIEDS ET LUI DEMANDA. Ici est présentée la miséricorde du Seigneur. Et d’abord, ce qui incite à la miséricorde est présenté, car ce qui incite à la miséricorde est la prière. Ainsi, lorsque l’homme se sent en danger, il doit recourir à la prière. Si 21, 1 : Mon fils, tu as péché. N’en ajoute pas, mais prie pour ce que tu as fait afin que cela te soit pardonné. Or, l’humilité de [cet homme] est louangée, ainsi que sa justice : l’humilité, car IL SE PROSTERNA À SES PIEDS, Ps 101[102], 18 : Le Seigneur regarde la prière des humbles. En conséquence, IL LUI DEMANDA. Origène écrit : IL LE PRIA. De même, sa prudence est-elle abordée, car il ne demanda pas une remise complète de sa dette, mais demanda seulement du temps. Il dit donc : CONSENS-MOI UN DÉLAI, pour que je puisse rembourser. C’est ce que demandait Job, 10, 20 : Remets-moi un peu pour que je pleure ma souffrance. De même, la justice est abordée : ET JE TE RENDRAI TOUT. Ps 1, 21 : Alors je placerai des veaux sur ton autel.
1999. La pitié du maître qui relâche [le serviteur] est aussi présentée : APITOYÉ, LE MAÎTRE DE CE SERVITEUR LE RELÂCHA ET LUI REMIT SA DETTE. Ainsi donc, ce n’est pas la douleur de celui qui se repent mais la miséricorde du Seigneur qui cause la rémission. C’est pourquoi [il est dit] en Rm 9, 26 : Cela n’est pas dû à celui qui court, mais au Dieu qui prend pitié. APITOYÉ, LE MAÎTRE, etc. Remarquez que le Seigneur donne plus que l’homme n’ose demander, comme il est dit dans cette prière : «Toi qui dépasses les mérites et les vœux de ceux qui [te] supplient.» IL LE RELÂCHA donc, c’est-à-dire qu’il l’absout, ET LUI REMIT LA DETTE de son péché. En effet, la contrition peut être telle que tout est remis.
2000. EN SORTANT, CE SERVITEUR, etc. Cinq choses qui aggravent son ingratitude sont présentées. Premièrement, en effet, elle est aggravée par le moment, car si cela était arrivé cinq ou dix ans plus tard, cela ne serait pas étonnant ; mais parce qu’il pèche le même jour, il devient ingrat, comme c’est le cas du pécheur qui, alors que ses péchés ont été remis, retourne à ses [péchés] le même jour. Il dit donc : EN SORTANT. Jc 1, 24 : Il s’examina, puis s’en alla et oublia aussitôt ce qu’il était. De même, [il aggrava son péché] par la simulation, car il fut humble sous le regard du maître, mais, EN SORTANT, il montra aussitôt qui il était. 3 R [1 R] 22, 22 : Je sors et je serai un esprit mensonger dans la bouche de tous ses prophètes. Cela est aussi montré par ses affinités, car IL RENCONTRA UN DE SES COMPAGNONS. Si 28, 3 : L’homme manifeste de la colère à l’homme et il demande la guérison à Dieu. De même, par la petitesse de la dette, car IL LUI DEVAIT CENT DENIERS. Il y avait donc une différence dans le nombre, car lui en devait dix mille, et dans le poids, car celui-là [devait] des deniers, et lui-même [devait] des talents. Les péchés qui sont commis envers Dieu sont donc plus nombreux et plus graves que les péchés [qui sont commis] envers l’homme, qui sont plus légers, car ils viennent de la faiblesse. Il y a donc ici une différence de gravité, comme entre les talents et les deniers. En effet, il serait plus grave de frapper le roi qu’un serviteur. De même, [sa] cruauté est montrée par son exigence, car IL LE PRIT, parce qu’il le traîna en procès et le secoua, et IL LE SERRA À L’ÉTRANGLER, et il ne le laissait pas respirer.
2001. [Il agit] encore par cruauté parce qu’il ne voulut pas remettre. Premièrement, la supplication du débiteur est donc présentée ; deuxièmement, la cruauté [du serviteur], en cet endroit : MAIS L’AUTRE NE VOULUT PAS, etc. [18, 30]. Il faut remarquer que tout ce que ce serviteur a fait auprès du maître, [le débiteur] l’a fait auprès du [serviteur]. Ainsi, IL SE JETA À SES PIEDS ET LUI DEMANDA. Plus haut, on disait : Il le supplia ; ici, IL LUI DEMANDAIT, parce que, plus haut, il rendait l’honneur qui est dû à Dieu, mais, ici, il aborde l’honneur qui est dû à l’homme. C’est pourquoi il dit : IL LUI DEMANDAIT.
2002. Mais cela ne compta pour rien. On dit
donc : MAIS CELUI-CI NE VOULUT PAS. Pr 12, 10` : Les entrailles des impies sont cruelles. ET
IL LE FIT METTRE EN PRISON, c’est-à-dire dans la misère, JUSQU’À CE QU’IL EÛT
REMBOURSÉ SA DETTE, c’est-à-dire afin qu’il rembourse sa dette.
Pr 6, 34 : La colère et la
fureur d’un homme n’épargnent rien au jour de sa vengeance.
2003. VOYANT CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ, SES COMPAGNONS. Ici sont abordées quatre choses. Premièrement, le reproche contre ce péché est présenté ; deuxièmement, la réprimande pour le péché de la part de Dieu, en cet endroit : ALORS SON MAÎTRE LE FIT VENIR [18, 32] ; troisièmement, le châtiment : ET, IRRITÉ, SON MAÎTRE LE LIVRA AUX BOURREAUX [18, 34] ; quatrièmement, la comparaison est appliquée, en cet endroit : C’EST AINSI QUE VOUS TRAITERA MON PÈRE CÉLESTE, etc. [18, 35].
[Le Seigneur] dit donc : VOYANT CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ, SES COMPAGNONS, etc. En effet, nous voyons que si un membre souffre, les autres souffrent avec lui. Voyant donc un homme affligé, [ses compagnons] souffrent avec lui naturellement. Ps 118[119], 158 : J’ai vu les pécheurs et j’ai fondu. ILS FURENT donc NAVRÉS. Il faut se réjouir avec ceux qui se réjouissent et pleurer avec ceux qui pleurent. Rm 12, 15. ET ILS ALLÈRENT EN INFORMER LEUR MAÎTRE, c’est-à-dire qu’ils implorèrent la justice divine : J’ai entendu le désir des pauvres, Seigneur, ton oreille a entendu les démarches de leurs cœurs, Ps 10[11], 17.
2004. Ensuite est présentée la réprimande : ALORS LE MAÎTRE LE FIT VENIR, etc. Le Seigneur appelle par la mort. Jb 19, 16 : Tu m’appelleras et je te répondrai. ET IL LUI DIT. Premièrement, il lui reproche sa malice ; deuxièmement, [il rappelle] le bienfait accordé ; troisièmement, il rappelle ce qu’il aurait dû faire.
[Le maître] dit donc : MAUVAIS SERVITEUR. Plus haut, lorsque [le serviteur] avait une dette envers lui, il ne [lui avait pas fait] de reproche ; mais maintenant, alors qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire, il dit : MAUVAIS SERVITEUR, car le fait que l’homme pèche est humain, mais qu’il continue [à pécher], cela est diabolique.
JE T’AI REMIS TOUTE TA DETTE. Ici, [le maître lui] reproche le bienfait accordé, ce qu’il n’avait pas fait plus haut.
2005. NE DEVAIS-TU PAS, TOI AUSSI, AVOIR PITIÉ DE TON COMPAGNON ? Comme s’il disait : «Tu as reçu de grandes choses, et tu ne veux pas en donner de petites ?»
2006. EN COLÈRE, LE MAÎTRE, etc. Et d’abord, il traite du châtiment par lequel se réalise la séparation d’avec Dieu. Lorsque plus haut le maître ordonna de [le vendre], [Matthieu] ne dit pas qu’il était en colère, car les avertissements ne viennent pas de la justice, mais de la miséricorde divines. Mais la réprimande vient de la colère de Dieu. Pr 19, 12 : Comme le grondement du lion, ainsi est la colère du roi. En second lieu, [il est réprimandé] parce qu’il est soumis aux démons. IL LE LIVRA donc AUX TORTIONNAIRES. Si 33, 14 : Il leur rendra selon sa justice. La perpétuité du châtiment est aussi abordée : JUSQU’À CE QU’IL EÛT REMBOURSÉ TOUTE SA DETTE. Et cela sera infini. En effet, si le châtiment ne doit pas cesser avant que la dette soit acquittée, et que personne ne peut l’acquitter sans la grâce, celui qui meurt sans la charité ne pourra l’acquitter.
2007. C’EST AINSI QUE VOUS TRAITERA MON PÈRE CÉLESTE. Ici, [le Seigneur] adapte la comparaison. Le Père est Dieu, comme plus haut, 6, 9 : Notre Père qui es aux cieux. VOUS TRAITERA, c’est-à-dire qu’il ne remettra pas vos péchés, SI CHACUN DE VOUS NE PARDONNE PAS À SON FRÈRE DU FOND DU CŒUR. Ici, il semble indiquer que les péchés remis reviendront, ainsi qu’Origène veut que les péchés remis reviennent chez certains, comme dans le cas d’apostasie et aussi si l’on regrette de s’être repenti. Mais tel ne semble pas être le cas, étant donné que la rémission tire son efficacité des sacrements. Ainsi donc, les péchés manifestes comme les [péchés] occultes sont remis. On dit qu’ils reviennent en raison de l’ingratitude.
Leçon 1 [Matthieu 19, 1‑19] 19, 1 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces
discours, qu’il quitta la Galilée pour le territoire de la Judée au-delà du
Jourdain. 19, 2 Des foules nombreuses le suivirent, et là il les guérit.
19, 3 Des Pharisiens s’approchèrent de lui pour le mettre à l’épreuve et
lui dirent : «Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour n’importe
quel motif ?» 19, 4 Il répondit : «N’avez-vous pas lu que celui
qui a fait l’homme l’a fait, dès l’origine, homme et femme ? 19, 5 Et
il a dit qu’à cause de cela l’homme quitte son père et sa mère pour s’attacher
à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. 19, 6 Ainsi ils ne
sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme
ne doit point le séparer.» 19, 7 Ceux-ci lui dirent : «Pourquoi donc
Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce avant de répudier ?»
19, 8 Et il leur dit : «C’est en raison de votre dureté de votre coeur
que Moïse vous a permis de répudier vos épouses ; mais il n’en était pas
ainsi à l’origine. 19 9 Je vous le dis : quiconque répudie sa femme –
sauf pour prostitution – et en épouse
une autre, commet un adultère.» 19, 10 Les disciples lui disent : «Si
telle est la condition de l’homme par rapport à son épouse, il n’est pas
expédient de se marier.» 19, 11 Il leur dit : «Tous ne comprennent
pas ce langage, mais ceux à qui cela a été donné. 19, 12 Il y a, en effet,
des eunuques qui sont eunuques depuis le sein de leur mère ; il y a des
eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes ; et il y a des
eunuques qui se sont castrés eux-mêmes à cause du Royaume des Cieux. Qui peut
saisir, qu’il saisisse !»
19, 13 Alors des petits enfants lui furent présentés,
pour qu’il leur imposât les mains en priant ; mais les disciples les
rabrouèrent. 19, 14 Jésus dit alors : «Laissez les petits enfants
venir à moi ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des
Cieux.» 19, 15 Puis il leur imposa les mains et il s’éloigna de là.
19, 16 Et voici qu’un homme s’approcha et lui
dit : «Bon Maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ?»
19, 17 Il lui dit : «Qu’as-tu à m’interroger sur ce qui est
bon ? Seul Dieu est le Bon. Si tu veux entrer dans la vie, observe les
commandements» 19, 18 Il lui dit : «Lesquels ?». Jésus
reprit : «Tu ne commettras pas d’homicide, tu ne commettras pas
d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage,
19, 19 honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme
toi-même.»
Leçon 2 [Matthieu 19, 20‑30] 19, 20 Le jeune homme lui dit : «Tout cela, je
l’ai observé depuis mon enfance. Que me manque-t-il encore ?» 19, 21
Jésus lui déclara : «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes
et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis
viens, suis-moi.» 19, 22 Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla
contristé, car il avait de grands biens. 19, 23 Jésus dit alors à ses
disciples : «En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche
d’entrer dans le Royaume des Cieux. 19, 24 Je vous le répète, il est plus
facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer
dans le Royaume des Cieux.» 19, 25 Entendant cela, les disciples restèrent
tout interdits et ils disaient : «Qui donc peut être sauvé ?»
19, 26 Les regardant, Jésus leur dit : «Pour les hommes, c’est
impossible, mais pour Dieu tout est possible.» 19, 27 Alors, prenant la
parole, Pierre lui dit : «Voici que nous, nous avons tout abandonné et
nous t’avons suivi, quelle sera donc notre part ?» 19, 28 Jésus leur
dit : «En vérité, je vous le dis, à vous qui m’avez suivi dans la
régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous
siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël.
19, 29 Et quiconque aura laissé sa maison ou ses frères, ses soeurs, son
père et sa mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra le centuple et
aura en héritage la vie éternelle. 19, 30 Beaucoup de premiers seront
derniers, et des derniers seront premiers.»
2008. On a montré plus haut comment on peut atteindre la vie éternelle par la voie commune. Ici, [le Seigneur] enseigne comment on peut l’atteindre par la voie de la perfection, qui est abordée sous deux aspects : la continence et la pauvreté volontaire.
À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses. Premièrement, il traite de La venue [du Seigneur] ; deuxièmement, de la continence, en cet endroit : SES DISCIPLES LUI DISENT, etc. [Mt 19, 10].
À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, la mise à l’épreuve par les Pharisiens est présentée ; deuxièmement, la solution apportée par le Christ ; troisièmement, l’objection contre la solution. Le second point [commence] à : IL RÉPONDIT [Mt 19, 4] ; le troisième à : POURQUOI DONC MOÏSE A-T-IL PRESCRIT DE DONNER UN ACTE [DE DIVORCE] [Mt 19, 7].
À propos du premier point, [il fait] trois choses : premièrement, l’endroit est décrit ; deuxièmement, l’occasion de le mettre à l’épreuve ; troisièmement, la mise à l’épreuve.
2009. [Matthieu] dit donc : ET IL ADVINT, parce que ce que [le Seigneur] avait dit s’était produit. En effet, il parle et cela est, il commande et cela existe, Ps 32[33], 9. QUAND [JÉSUS] EUT ACHEVÉ CES DISCOURS, à savoir, sur l’évitement du scandale, IL QUITTA LA GALILÉE POUR LE TERRITOIRE [DE LA JUDEE] AU-DELÀ DU JOURDAIN. La Judée est parfois entendue de tout le territoire que les Juifs habitent, et parfois du territoire qui était revenu en héritage à la tribu de Juda. En ce [dernier sens], elle est distincte des autres [territoires], et c’est ainsi qu’elle est entendue ici. En effet, il fallait que celui qui voulait aller à Jérusalem passe par la Judée, [Jérusalem] étant dans la tribu de Benjamin, aux confins de la Judée.
2010. Mais pourquoi [Jésus] passa-t-il en Galilée ? Pour trois raisons. Afin de donner l’exemple aux prédicateurs qu’il ne faut pas prêcher en un seul endroit, mais en plusieurs. Ainsi Lc 4, 43 [dit] : Car il faut que j’aille dans les autres villes annoncer le royaume de Dieu. Aussi, parce que le temps de la passion approchait, il voulait se rapprocher du lieu où il devait souffrir. Ep 5, 2 : Il s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur, etc. Ou bien, il voulut revenir chez les Juifs afin d’indiquer que, à la fin, il se tournait vers la conversion des Juifs.
2011. DES FOULES LE SUIVIRENT. C’était un signe de l’attachement des foules qu’elles l’aient suivi, comme les fils suivent un père qui se déplace. Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix. Et IL LES GUÉRIT. Os 1, 2 : Il frappera et les guérira. Parfois, le Seigneur guérissait, parfois il faisait des signes. [Il faisait] des signes pour étayer. Ac 1, 1 : Jésus se mit à agir et à enseigner. On pourrait croire, parce qu’il était passé chez les Juifs, qu’il avait abandonné les Gentils. Aussi pour montrer qu’il ne [les] avait pas abandonnés, [Matthieu] dit : [DES FOULES] LE SUIVIRENT, à savoir, vers le salut, car, alors qu’ils étaient des sauvageons d’olivier, ils ont été greffés et sont devenus des oliviers, Rm 11, 17. Ou bien, le fait qu’elles l’aient suivi au-delà du Jourdain signifie que, par le baptême, les péchés ont été remis.
2012. DES PHARISIENS S’APPROCHÈRENT POUR LE METTRE À L’ÉPREUVE. Et, pour cela, ils sont réprimandés, car, alors que des foules l’avaient suivi, les Pharisiens lui tendaient des pièges. Jr 5, 5 : J’irai chez les grands et je leur parlerai. [Les Pharisiens] s’approchèrent donc en disant : EST-IL PERMIS À UN HOMME DE RÉPUDIER SA FEMME POUR N’IMPORTE QUEL MOTIF ? En cela apparaît leur astuce mauvaise, parce qu’ils étaient venus vers le Christ afin de le calomnier, car ou bien il disait qu’elle devait être renvoyée, ou non. S’il disait oui, il paraîtrait se contredire, car il était un prédicateur de la chasteté. S’il disait non, «nous l’accuserons, car cela va contre Moïse, le législateur». Comme dit Chrysostome, «ils démontrent leur incontinence, car si quelqu’un écoute volontiers parler de la séparation de l’épouse, il est un incontinent». Ainsi, parce que ceux-ci parlaient de divorce, ils se montraient incontinents. Le Seigneur avait donné une raison pour laquelle elle pouvait être renvoyée, à savoir, la turpitude. Mais ceux-ci ne demandaient pas seulement [si elle pouvait être renvoyée] pour cette raison, mais pour n’importe quelle raison. Ils voulaient donc avoir plein pouvoir de renvoyer l’épouse.
2013. La réponse vient donc ensuite : [LE SEIGNEUR] RÉPONDIT. Le Seigneur montre la meilleure façon de répondre car, lorsque quelqu’un pose une question pour apprendre, il faut lui dire immédiatement la vérité. Mais à celui qui interroge afin de calomnier, il ne faut pas dire immédiatement la vérité ; il faut d’abord dire certaines choses qui ne peuvent être niées. Le Seigneur pose donc d’abord une question au sujet de la loi : il utilise ainsi en premier lieu les paroles de l’Écriture ; en second lieu, il dit comment il [les] relie à son propos ; troisièmement, il conclut au sujet de son propos.
2014. À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il met en évidence la communauté du mari et de la femme que Dieu a instituée ; deuxièmement, l’affection qu’Il y a greffée ; troisièmement, le mode selon lequel Il [les] a unis.
[Le Seigneur] a l’intention de démontrer que l’union du mari et de la femme a été instituée par Dieu. N’AVEZ-VOUS PAS LU QUE CELUI QUI A FAIT L’HOMME L’A FAIT DÈS L’ORIGINE HOMME ET FEMME ? Ceci se lit dans Gn 1, 27 : Et Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance. Il ne faut pas comprendre ceci comme certains l’ont compris, à savoir qu’il créa d’abord l’homme et, par la suite, la femme, puis qu’il les sépara, mais que, d’abord, il créa un seul homme et qu’il lui donna ce de quoi la femme serait faite.
2015. Mais pourquoi le Seigneur a-t-il ainsi voulu que la multitude des hommes vienne de l’homme et de la femme ? Je réponds que c’est afin d’indiquer que la forme du mariage vient de Dieu. C’était aussi afin qu’ils s’aiment davantage. Mais alors Chrysostome demande pourquoi [Dieu] ne fait pas toujours en sorte que l’homme et la femme naissent en même temps. Il répond que, s’il en était ainsi, apparaîtrait la nécessité d’user du mariage. Et parce que le Seigneur entend qu’il soit légitime d’user ou de ne pas user du mariage, et non pas nécessaire [d’en user], il créa d’abord un homme et une femme afin de montrer que le mariage était légitime ; ensuite, [il a fait en sorte] qu’un homme naisse indépendamment d’une femme et inversement, afin [de montrer] qu’ils avaient la libre faculté d’user ou de ne pas user le mariage.
2016. Par là est écartée une double erreur. En effet, certains disaient que le mariage ne venait pas de Dieu, et cela est écarté car, s’il les a faits homme et femme et s’il est clair qu’il n’a rien fait en vain, il n’a donc rien fait d’eux en vain, et cela, en vue de la société du mariage. D’autres ont dit que si l’homme n’avait pas péché, Dieu n’aurait pas fait la femme, et donc que les hommes se multiplieraient d’une autre façon. Mais cela ne vaut rien, car ils ont été créés avant le péché. Et il emploie homme et femme au singulier afin qu’un seul [homme] ne possède qu’une seule [femme].
2017. ET IL A DIT QU’À CAUSE DE CELA, L’HOMME QUITTE SON PÈRE ET SA MÈRE. Ici est indiqué quelle affection [Dieu] y a greffée. ET IL A DIT. Qui a dit ? Celui qui a créé. Mais il ne semble pas que ce soit le cas, car il semble que ce soit Adam qui l’ait dit. Augustin dit que [Dieu] plongea Adam dans le sommeil et prit une de ses côtes. Ce sommeil fut une extase. [Dieu] y révéla donc de grandes choses. Le Seigneur a donc révélé aussi ce qui est dit ici. Ainsi, plus haut, 10, 20, il est dit : Ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père parle en vous. Parce qu’Adam l’a dit sur l’ordre de Dieu, on dit donc que Dieu l’a dit. Ainsi, Esd 2, 4 : L’homme quitte le père qui l’a nourri et s’attache à son épouse. Quelle en est la raison ? Le frère et la sœur naissent d’une seule personne et se séparent ; mais le mari et la femme [naissent] de personnes différentes, et cependant ils ne se séparent pas. Chrysostome dit que cela vient d’une disposition divine. De même, toute cause retourne naturellement à son effet, comme la sève passe de la racine aux branches. C’est pourquoi les pères aiment davantage leurs fils que l’inverse. Ainsi donc, le mari et la femme, même s’ils viennent de [personnes] différentes, sont cependant unis en un seul effet.
2018. ET LES DEUX NE FERONT QU’UNE SEULE CHAIR. Jérôme [dit] que cela se réalise dans la chair de l’enfant. C’est là le fruit du mariage. Chrysostome donne l’explication [suivante] : EN UNE SEULE CHAIR, c’est-à-dire dans une seule affection charnelle, ainsi que l’unité se réalise dans l’affection spirituelle, comme en Ac 4, 32 : Et tous les croyants n’avaient qu’un seul cœur et une seule âme. Ou bien, LES DEUX NE FERONT QU’UNE SEULE CHAIR, à savoir, dans une seule œuvre charnelle. Le Philosophe dit que l’homme et la femme, dans cette œuvre, se trouvent toujours dans la situation de la force active et de la force passive qui s’unissent en vue d’un effet. De même, dans cet acte, l’action et la passion sont-elles unies.
2019. AINSI, ILS NE SONT PLUS DEUX, MAIS UNE SEULE CHAIR. Ensuite, [le Seigneur] tire la conclusion en ce qui concerne son intention principale : CE QUE DIEU A UNI, QUE L’HOMME NE LE SÉPARE PAS ! Car cela a été fait par la volonté de Dieu. Si cela vient de Dieu, l’homme ne peut [le] séparer : si Dieu l’a uni, que Dieu le sépare ! En effet, la séparation peut être faite par Dieu ou par l’homme, soit en raison de la volupté ou pour prendre une autre [femme], et cela n’est pas valable ; ou par consentement mutuel, afin de servir Dieu plus librement, et ainsi, cela vient de Dieu.
2020. CEUX-CI LUI DISENT : «POURQUOI DONC MOÏSE A-T-IL PRESCRIT DE DONNER UN ACTE DE DIVORCE AVANT DE RÉPUDIER ?» Ici est présentée leur objection contre la loi générale. En effet, ils dévoilent ce qu’ils avaient à l’esprit : «POURQUOI DONC MOÏSE A-T-IL PRESCRIT DE DONNER UN ACTE DE DIVORCE AVANT DE RÉPUDIER ?» Moïse n’a pas ordonné de répudier, mais il a voulu l’interdire indirectement, car Moïse a voulu que [l’épouse] ne soit pas répudiée sans qu’on lui donne un acte de divorce. Et cela se rapportait davantage à une interdiction, car cet acte n’était rédigé que d’une main commune. On le remettait donc à des sages afin qu’ils voient s’il y avait une raison pour laquelle ils devraient les répudier.
2021. ET IL LEUR DIT. Ici, [le Seigneur] répond à l’objection. Il donne d’abord la réponse ; en deuxième lieu, il la confirme, car le Seigneur démontre que [l’épouse] ne doit pas être répudiée, en vertu de l’autorité divine qui est plus grande. L’autorité de Moïse ne tient donc pas contre l’autorité divine. Mais, en sens contraire, le Seigneur n’a-t-il pas donné la loi par le truchement de Moïse ? Voyez, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 7, 25 : Je n’ai pas de précepte du Seigneur au sujet des vierges, mais je donne un conseil. Il disait donc que parfois il avait reçu [un ordre] du Seigneur, et parfois que cela venait d’un zèle inspiré. De même en avait-il été de Moïse. Il avait permis cela, non pas parce qu’il l’avait entendu du Seigneur, mais sous l’inspiration divine, sans que cela ait été confirmé par l’autorité.
2022. C’EST
EN RAISON DE LA DURETÉ DE VOTRE CŒUR QUE MOÏSE VOUS A PERMIS DE RÉPUDIER VOS
ÉPOUSES. Ceux-ci disaient que Moïse l’avait ordonné. Or, il ne l’avait pas
ordonné mais permis. Il est question de la dureté de leurs cœurs en
Ac 7, 51 : Nuques raides,
oreilles et cœurs incirconcis, vous résistez toujours à l’Esprit Saint !
On a ainsi l’habitude de demander si ceux qui répudiaient leurs femmes péchaient mortellement. Certains ont dit que ceux qui [les] répudiaient péchaient mortellement. En effet, une permission est reçue de quatre façons. On dit que quelque chose est permis lorsque son contraire n’est pas prescrit ; ainsi un bien moindre est permis parce qu’un bien plus grand n’est pas ordonné, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 7, 6 : Je vous le dis par concession. Mais parfois [cela est permis] en raison de l’absence d’empêchement ; et ainsi, on dit parfois que tous les maux qui sont faits dans le présent sont permis parce qu’ils ne sont pas châtiés. Certaines choses, qui étaient des péchés mortels, furent ainsi permises aux Juifs, parce que des châtiments ne leur ont pas été infligés. Or, cela arrive dans les choses terrestres ; en effet, nous voyons ainsi que, selon les lois humaines, la simple fornication n’est pas punie. De sorte que, la loi ancienne ne concernant que la vie présente, cette réponse est bonne. Mais parce que, selon l’enveloppe, elle concerne la vie présente, mais, selon la moelle, elle concerne aussi la vie éternelle (Ex 15, 23 : Je leur ai donné mes commandements, et le Seigneur dit au jeune homme plus loin :Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements [Mt 19, 17]), d’autres disent qu’on avait mal pris soin de ce peuple s’il ignorait que quelque chose était péché, alors qu’il avait été écrit, Is 58, 1 : Fais connaître ses péchés au peuple. Chrysostome dit donc que «cela enlevait du péché le châtiment du péché». Et bien que cela fût quelque chose de désordonné, [le Seigneur] ne voulut cependant pas que cela leur fût imputé comme une faute, comme le Seigneur ordonna à Osée d’engendrer des fils par fornication. La permission ne venait donc pas d’un commandement, mais elle [avait été donnée] afin d’éviter un mal plus grand.
MAIS IL N’EN ÉTAIT
PAS AINSI À L’ORIGINE. Cela était donc le résultat d’un acte, mais n’avait pas
été institué à l’origine. Ainsi, après de nombreuses années, personne ne
renvoya son épouse.
2023. JE VOUS LE DIS, etc. Ici, [le Seigneur] rappelle la loi : en premier lieu, pour le mari ; en second lieu, pour l’épouse.
Il dit donc : QUICONQUE RÉPUDIE SA FEMME, etc. Mais exception est faite de la fornication. Or, notez qu’il existe une double fornication, à savoir, corporelle et spirituelle. Pour les deux, [le mari] peut donc répudier [sa femme], comme on le lit en 1 Co 7, 11 : Si l’un est fidèle et l’autre infidèle, celui qui est fidèle peut renvoyer l’infidèle. Il faut remarquer que le lien du mariage ne peut être dissout par aucun empêchement subséquent, car il signifie l’union du Christ et de l’Église. Ainsi, comme l’union du Christ et de l’Église ne peut pas être dissoute, l’union du mariage non plus. Mais, en raison de la fornication, [le mari] peut rompre la vie commune et il n’est pas tenu de garder [sa femme] avec lui, comme s’il ne semblait pas être au courant de la turpitude. Mais il ne peut [la renvoyer] pour d’autres turpitudes, par exemple, l’ébriété. De même, si [l’épouse] veut induire l’homme à l’infidélité, celui-ci peut la renvoyer.
2024. Mais pourquoi est-il davantage fait mention de la fornication corporelle que de la [fornication] spirituelle ? Parce qu’elle est contre la fidélité du mariage et que la fidélité ne doit pas être maintenue envers celle qui l’a rompue. Une autre raison est celle proposée par Origène, car, plus haut, 5, 32, le Seigneur a dit : Celui qui répudie sa femme, sauf cas de fornication, la pousse à l’adultère ; il lui donne donc une occasion d’adultère. Mais, après que celle-ci a péché, il ne lui donne pas d’occasion d’adultère. Après, il peut donc la répudier, mais non avant.
2025. ET CELUI QUI EN ÉPOUSE UNE AUTRE COMMET UN ADULTÈRE. Mais pourquoi [n’en commet-il pas] s’il n’en épouse pas une autre ? Car la raison pour laquelle [le mariage] est rompu est la même que celle pour laquelle [le lien] est formé. Ainsi, lorsqu’un homme est séparé de sa femme et [n’en épouse] pas une autre, il reste encore un espoir qu’ils puissent être unis, que ce soit en raison d’un péché semblable ou en raison d’un accord des âmes. Mais lorsqu’il en épouse une autre, alors il a totalement éloigné d’elle son cœur et son consentement. Une autre raison [est] que s’il pouvait répudier son épouse, sauf cas de fornication, il arriverait parfois qu’un homme attribuerait à son épouse une faute grave afin de se séparer d’elle et de s’unir à une autre. C’est pourquoi le Seigneur a voulu qu’il n’en ait pas d’autre. Il interdit donc expressément qu’un homme ait plusieurs épouses, de sorte qu’en en répudiant une et en en prenant une autre, il commet un adultère.
2026. ET CELUI QUI ÉPOUSE [UNE FEMME] RÉPUDIÉE COMMET UN ADULTÈRE. Ici, il présente la loi pour ce qui est de l’épouse. Il ne veut donc pas qu’une épouse répudiée ait un mari. Mais pourquoi interdit-il à un homme de l’épouser ? Je réponds que les femmes sont plus enclines au mal. Jr 3, 3 : Il t’est venu un front de prostituée. Par cette interdiction, elle serait donc précipitée dans des maux plus grands. Il ordonne donc à l’homme de ne pas l’épouser, et il ne l’interdit pas seulement à la femme. Mais pourquoi ? N’était-il pas permis à celle qui avait été répudiée de prendre un autre [homme] ? Certains disent que non parce que le lien demeurait, et ils mettent de l’avant ce qu’on lit en Dt 24, qu’[un homme] ne pouvait revenir à [sa] première [femme] parce qu’elle était souillée ; mais il pouvait lui revenir si elle n’avait pas péché. D’autres disent qu’elle pouvait en épouser un autre, mais non celui-ci, car si elle pouvait lui revenir, il pourrait la répudier plus facilement. Que dis-tu donc : parce qu’elle a été souillée ? Je dis qu’elle est souillée pour lui parce qu’elle ne peut lui revenir. Ou bien on peut l’entendre de l’impureté selon la loi, car un prêtre ne pouvait pas la prendre [comme épouse].
2027. LES DISCIPLES LUI DIRENT : «SI TELLE EST LA CONDITION DE L’HOMME PAR RAPPORT À SON ÉPOUSE, IL N’EST PAS EXPÉDIENT DE SE MARIER.» Après que le Seigneur eut traité de l’indissolubilité du mariage, il traite ici de la perfection des continents. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, [Matthieu] présente l’opinion des disciples ; deuxièmement, la position du Christ, en cet endroit : IL LEUR DIT, etc. [19, 11].
2028. [Matthieu] dit donc : LES DISCIPLES LUI DIRENT : «SI TELLE EST LA CONDITION DE L’HOMME PAR RAPPORT À SON ÉPOUSE, IL N’EST PAS EXPÉDIENT DE SE MARIER.» Ils furent poussés à dire cela parce qu’ils avaient entendu que l’épouse ne pouvait pas être répudiée, si ce n’était pour une seule raison, alors que beaucoup d’autres raisons rendent le mariage onéreux, comme une certaine saleté, la lèpre et les choses de ce genre, de sorte que s’accomplisse ce qui est dit en Si 25, 23 : Il est plus facile pour le lion et l’ours de demeurer ensemble que [pour l’homme] de demeurer avec une mauvaise femme. De même, [le mariage] apporte beaucoup de préoccupations. 1 Co 7, 34 : Si une vierge se marie, elle pense à ce qui appartient au monde. [Les disciples] en concluent qu’il est expédient pour tous les hommes de ne pas se marier. Le Seigneur apporte donc une nuance, car il arrive que quelque chose soit meilleur de deux façons : simplement ou relativement. Ainsi, il est expédient pour certains de pratiquer la continence, et pour d’autres non, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 7, 9 : Mieux vaut se marier que brûler.
2029. IL LEUR DIT. [Le Seigneur] approuve l’opinion des disciples : premièrement, par des paroles, deuxièmement, par des actes, en cet endroit : ALORS DES PETITS ENFANTS LUI FURENT PRÉSENTÉS [19, 13].
Premièrement, il approuve la continence ; deuxièmement, il précise des différences entre les continents, en cet endroit : IL Y A, EN EFFET, DES EUNUQUES, etc. [19, 12] ; troisièmement, [il précise] une difficulté, en cet endroit : QUI PEUT SAISIR, QU’IL SAISISSE ! [19, 12].
2030. [Matthieu] dit donc : IL LEUR DIT : «TOUS NE COMPRENNENT PAS CE LANGAGE.» Ainsi, vous dites qu’il n’est pas expédient de se marier ; cela est vrai pour certains, mais cela n’est pas vrai pour tous, car tous ne possèdent pas une vertu telle qu’ils puissent s’abstenir. MAIS CEUX À QUI CELA A ÉTÉ DONNÉ, car cela a été donné a certains, non pas de leur propre fait, mais par un don de la grâce. Sg 8, 21 : Je savais que je ne peux demeurer continent que si Dieu me l’accorde. En effet, qu’un homme vive dans la chair au-delà de la chair ne vient pas de l’homme. 1 Co 7, 7 : Je veux que tous les hommes soient comme moi, mais chacun reçoit de Dieu sa propre demeure, l’un de telle manière, l’autre d’une autre manière.
2031. Et parce qu’ils pourraient croire que tous peuvent s’abstenir, il dit donc : IL Y A DES EUNUQUES, etc. Il fait donc une distinction entre la continence qui, chez certains, vient de la nature, parfois de la violence, et parfois de la volonté. Il aborde donc trois genres d’eunuques. Certains le sont naturellement : ILS SONT EUNUQUES DEPUIS LE SEIN DE LEUR MÈRE. Comme certains naissent monstrueux en raison d’un défaut de la main, de même certains [naissent] sans organes génitaux. Et cela est le fait de la providence de Dieu, car si tout arrivait selon le cours commun de la nature, cela serait attribué à la nature, et non à la divine providence. Ainsi, Sg 8, 8 : Il connaît les prodiges et les monstres avant qu’ils n’arrivent. De même, certains [sont eunuques] par violence, comme ceux qui sont castrés par des tyrans ou des barbares, ou ceux qui sont castrés parce qu’ils veillent sur des femmes : IL Y A DES EUNUQUES QUI LE SONT DEVENUS PAR L’ACTION DES HOMMES, à savoir, ceux que la cruauté des hommes a castrés ou la protection de femmes. Et Jérôme dit qu’il sait que des enfants étaient pris et castrés pour être placés dans la maison de Nabuchodonosor. Mais certains [le sont] par volonté. Il dit ainsi : IL Y A DES EUNUQUES QUI SE SONT CASTRÉS EUX-MÊMES À CAUSE DU ROYAUME DES CIEUX.
2032. Certains ont mal compris ce discours en disant qu’il fallait couper les organes génitaux, et on lit que certains l’ont fait, parmi lesquels on dit qu’Origène se trouvait. Mais cela a été condamné, et ceux-ci doivent être écartés du clergé, chapitre Ex parte et chapitre Significavit, extra de corp. Vit. Cela a été l’occasion de l’erreur des manichéens, qui disaient que la créature corporelle était la cause du mal. De même, cela a été l’occasion d’une erreur des Gentils, car certains se sont castrés au cours de leurs sacrifices. De même, cela n’a donné rien d’utile, car ces gens, même s’ils ne peuvent passer à l’acte, ne sont pas exempts de concupiscence. Ainsi, Si 20, 2 : La concupiscence de l’eunuque déflorera une jeune fille. Il est donc mieux qu’un homme s’impose un frein que de se couper un membre afin de refréner ses pensées et ses désirs mauvais. Is 1, 16 : Enlevez les pensées mauvaises de vos cœurs.
2033. QUI SE SONT CASTRÉS EUX-MÊMES : qui se sont voués à la chasteté continuelle, et cela, À CAUSE DU ROYAUME DES CIEUX. En effet, on entend parfois par le membre l’acte, comme plus haut, 18, 9 : Si ton œil te scandalise, arrache-le et jette-le loin de toi ! De la même façon, ici, on entend par les organes génitaux l’acte. Ainsi, celui qui se voue à la chasteté se castre. Ou bien, selon Jérôme, [il faut entendre] que ceux qui gardent la chasteté sont nés frigides, c’est-à-dire [qu’ils le sont] par nature, de sorte qu’ils ne sont pas amenés à cet acte. Ils sont donc appelés eunuques en raison du comportement des eunuques qu’ils possèdent par la nature qu’ils ont reçue dès le sein [de leur mère]. Car certains ont naturellement une certaine disposition pour une vertu, comme Job pour la miséricorde, qui dit au chapitre 20, 18 : La miséricorde s’est développée en moi depuis ma naissance. Certains le font par volonté ou par feinte, ou bien quelqu’un fera ce qui lui a été enseigné par les hérétiques. 2 Tm 3, 5 : Ils ont l’apparence de la piété, mais ils en répudient la vertu. Mais certains [se font eunuques] à cause de la récompense de la vie éternelle. Les deux premiers, c’est-à-dire ceux qui le sont naturellement ou ceux qui sont castrés de force, ne méritent pas la vie éternelle, mais seulement les troisièmes. Mais est-il vrai que les deux premiers ne méritent pas [la vie éternelle] ? Je dis qu’ils [la] méritent pour ce qui est de la volonté, bien qu’ils ne [la] méritent pas pour ce qui est de l’acte ; car, bien qu’ils ne puissent pas poser l’acte, ils peuvent vouloir être capables de le poser.
2034. QUI PEUT SAISIR, QU’IL SAISISSE ! Une fois présentées les différences dans la continence, une exhortation est ici présentée, comme le dit Jérôme. Le Seigneur fait ce que fait un chef d’armée, qui, lorsqu’une ville doit être prise, dit : «Celui qui entrera dans la ville, il lui sera donné ceci ou cela», comme David dit à Joab. Ainsi, QUI PEUT SAISIR, et pratiquer la continence, QU’IL SAISISSE, et ne s’y soustraie pas. L’Apôtre [dit] en 1 Co 12, 31 : Désirez les grâces les meilleures. Mais que veut dire ce qu’il dit ? Est-ce que tous ne sont pas tenus de garder la virginité ? Il semble que tel est le cas, car l’homme est tenu à ce qui est meilleur. Il faut dire que cela n’est pas un précepte, mais un conseil, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 7, 25 : Je n’ai pas de commandement du Seigneur au sujet des vierges, mais je donne un conseil. Mais en quoi consiste-t-il ? L’homme n’est-il pas tenu à ce qui est meilleur ? Je dis qu’il faut faire une distinction entre ce qui est meilleur pour ce qui est de l’acte ou [ce qui est meilleur] pour ce qui est du désir. [L’homme] n’est pas tenu à ce qui est meilleur pour ce qui est de l’acte, mais pour ce qui est du désir, car toute règle et tout acte sont déterminés pour une chose précise et certaine, et si [l’homme] était tenu à ce qui est meilleur, il serait tenu à ce qui est incertain. Ainsi, pour ce qui est des actes extérieurs, parce qu’il n’est pas tenu à ce qui est incertain, il n’est pas tenu à ce qui est meilleur ; mais, pour ce qui est du désir, il est tenu à ce qui est meilleur. De sorte que celui qui ne voudrait pas toujours être meilleur ne pourrait vouloir sans mépris.
2035. Mais que veut dire : QUI PEUT SAISIR, QU’IL SAISISSE ? Ou bien, il le peut par un pouvoir naturel, et ainsi personne ne le peut ; ou bien, [il le peut] par le pouvoir de la grâce, et ainsi tous le peuvent, car il est dit en Lc 11, 9 : Demandez et vous recevrez. De même, la grâce de Dieu peut tout. Je dis que PEUT comporte le pouvoir de la volonté. En effet, il existe une volonté ferme et [une volonté] faible. Or, il est clair que l’homme, lorsqu’il a une volonté ferme, ne craint pas les nombreuses impulsions ; mais lorsqu’il n’a pas [une volonté ferme], il tombe facilement sous le coup d’une impulsion. Ainsi, QUI PEUT SAISIR, par fermeté de la volonté, QU’IL SAISISSE, non pas par la nature, mais par Dieu. Ainsi, celui qui tient cela de Dieu, nous estimons qu’il peut saisir et s’abstenir. Ou bien, celui qui le peut selon que le temps le permet ou selon la condition de l’époque, comme Abraham. C’est ainsi que le célibat de Jean n’est pas préféré au mariage d’Abraham. De même, selon [son] état, car celui qui est marié ne peut pas être continent. Cela est donc exclu soit en raison du temps, soit en raison de l’état.
2036. ALORS DES PETITS ENFANTS LUI FURENT PRÉSENTÉS. Ici, [le Seigneur] éclaire par son comportement ce qu’il a dit. Premièrement, la présentation de petits enfants est faite ; deuxièmement, le zèle des disciples [est montré] ; troisièmement, la satisfaction du Christ. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS LES DISCIPLES LES RABROUÈRENT [19, 13] ; le troisième, en cet endroit : MAIS JÉSUS LEUR DIT, etc. [19, 14].
2037. [Matthieu] dit donc : ALORS DES PETITS ENFANTS LUI FURENT PRÉSENTÉS. Le Seigneur avait fait l’éloge de la chasteté, et parce qu’on trouve la chasteté et la pureté chez les enfants, voyant que la pureté lui plaisait, on lui présenta des petits enfants POUR QU’IL LEUR IMPOSÂT LES MAINS EN PRIANT. Il faut remarquer que c’était la coutume chez les anciens que des enfants soient présentés, et ils les bénissaient et priaient pour montrer que la bénédiction venait de Dieu. De même, ayant fait l’expérience que [le Seigneur] possédait un toucher bienfaisant, puisqu’il avait guéri le lépreux et beaucoup d’autres, c’est pourquoi, etc. De même, ils offraient des petits enfants parce qu’ils croyaient que ceux qui avaient été touchés par lui ne seraient plus atteints par les démons. C’est pourquoi l’Église a pris coutume de donner les sacrements de l’Église aux enfants afin de les affermir.
2038. MAIS LES DISCIPLES LES RABROUÈRENT. Ici est abordé le zèle des disciples. Mais pourquoi [les] rabrouèrent-ils ? Parce qu’ils croyaient que, vrai homme, le grand nombre des hommes le fatiguait. C’est pourquoi, voulant alléger son travail, etc. Une autre raison est qu’ils avaient une haute opinion du Christ. Il leur semblait donc qu’il était inconvenant que de petits enfants s’approchent de lui. Origène [écrit] : «Par cela est signifié que, dans l’Église, il y en a qui sont de petits enfants incultes.» Par les disciples, les parfaits sont signifiés. Ainsi, ceux-ci s’irritaient de voir les petits enfants, c’est-à-dire les incultes, s’approcher du Christ, ignorant qu’il veut que tous les hommes soient sauvés [1 Tm 2, 4]. L’Apôtre [dit], Rm 1, 14 : Je suis redevable aux Grecs et aux barbares.
2039. Ensuite, il répond aux deux : premièrement, au zèle pour la justice ; deuxièmement, à l’attachement de ceux qui [les] présentaient.
[Le Seigneur] dit donc : LAISSEZ LES PETITS ENFANTS VENIR À MOI, c’est-à-dire les humbles ou le petit nombre. 1 Co 14, 20 : Ne soyez pas des petits enfants pour ce qui est des sens, mais soyez des petits enfants pour ce qui est de la malice. NE LES EMPÊCHEZ PAS, à savoir, le petit nombre en raison de leur innocence. En effet, il ne faut pas empêcher les imparfaits d’accéder à la perfection. CAR C’EST À LEURS PAREILS QU’APPARTIENT LE ROYAUME DES CIEUX. Il dit : LEURS PAREILS, et non : ceux-ci, c’est-à-dire [à ceux] qui sont purs par leur innocence. Plus haut, 18, 3 : Si vous ne devenez pas semblables à ce petit enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Jb 22, 29 : Celui qui aura été humilié obtiendra la gloire.
2040. Ensuite, il répond donc à leur attachement : PUIS IL LEUR IMPOSA LES MAINS ET S’ÉLOIGNA DE LÀ. Par cela, il renforce les vertus. Is 40, 29 : Lui qui donne de l’énergie à celui qui est las. IL S’ÉLOIGNA DE LÀ. Parfois, le Christ impose les mains et ne s’éloigne pas de là ; parfois, il [les impose] et s’éloigne, car certains sont si forts qu’ils ne reculent pas. Et il appela Pierre et André et demeura avec eux, Jn 1, 38s. Parce que ceux-ci étaient encore imparfaits et incapables de le suivre, IL S’ÉLOIGNA donc DE LÀ.
2041. ET VOICI QU’UN HOMME S’APPROCHA, etc. Ici, [le Seigneur] traite de la perfection de la pauvreté et, parce qu’il existe une double voie : la voie commune et une voie particulière, comme l’est la continence (la première voie est celle du salut, la seconde, celle de la perfection), [il traite] donc d’abord de la première, puis de la seconde.
Premièrement, une question est présentée ; deuxièmement, la réponse du Christ ; troisièmement, l’explication de la réponse.
2042. Une
question est posée : ET VOICI QU’UN HOMME S’APPROCHA ET LUI DIT :
«BON MAÎTRE…» Il existe sur ce point diverses opinions, car Jérôme dit que [cet
homme] avait un cœur pervers, et cela est évident par le fait qu’IL REPARTIT
CONTRISTÉ. S’il s’était approché avec un cœur bon, il ne serait pas reparti
contristé. Chrysostome dit qu’il était possédé par la passion de
l’avarice ; il ne put donc pas supporter [la réponse du Christ]. Cela est
clair, car il n’était pas venu dans le but de mettre [le Christ] à l’épreuve ;
en effet, lorsque certains venaient vers Jésus dans le but de le mettre à
l’épreuve, le Seigneur répondait toujours à la malice : «Pourquoi me
mettez-vous à l’épreuve ?», ou quelque chose du genre. Mais il n’y a rien
de ce genre ici. Il est donc clair qu’il ne mettait pas [le Seigneur] à
l’épreuve, mais qu’il était un imparfait qui s’approchait de Dieu afin de
devenir parfait. Ps 33, 6 : Approchez-vous
de lui et vous serez éclairés.
2043. MAÎTRE, etc. Il l’appelle MAÎTRE, parce que [le Seigneur] possède la connaissance : en effet, celui-là doit être maître qui a la connaissance. De même, il l’appelle BON, car il est de l’essence du bien de se communiquer. Ainsi, Sg 7, 13 : Je communique sans jalousie. En effet, il est bon, Ps 118[119], 68 : Tu es bon et, dans ta bonté, enseigne-moi ta justice.
QUE DOIS-JE FAIRE POUR OBTENIR LA VIE ÉTERNELLE ? Il avait entendu beaucoup de choses au sujet de la vie éternelle. Il avait bien entendu, Ps 36[37], 27 : Écarte-toi du mal et fais le bien. Mais, dans la loi, il n’avait pas entendu que la vie éternelle ait été promise, mais seulement des biens temporels. Is 1, 9 : Tu mangeras des biens de la terre.
2044. IL LUI DIT : «QU’AS-TU À M’INTERROGER ?» Ici, [le Seigneur] donne sa réponse. Premièrement, il répond, comme on le trouve chez Marc : Pourquoi dis-tu que je suis bon ? Ici, [il répond] : «QU’AS-TU À M’INTERROGER ?» On peut comprendre les deux [réponses]. Mais ce que Matthieu dit : «QU’AS-TU À M’INTERROGER ?» ne porte pas à la calomnie. Mais, de ce que dit Marc, les ariens ont tiré une erreur, en disant que le Père est bon par essence, mais le Fils par participation. Ils disaient donc que le Fils était inégal au Père. Mais il faut remarquer ce que [le Seigneur] dit : SEUL DIEU EST BON. Mais, par le nom de Dieu, on entend le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De sorte que toute créature en est exclue, car elle n’est pas bonne par essence.
2045. Mais pourquoi [le Seigneur] répond-il ainsi ? Jérôme dit qu’il répond selon l’esprit de celui qui louait la bonté qu’on a coutume de trouver chez l’homme, car ils s’attachaient davantage aux traditions des hommes qu’à celle de Dieu, comme plus haut, 15, 6 : Vous avez annulé un commandement de Dieu à cause de vos traditions. Il le reprend donc parce qu’il s’adressait à lui comme à un homme bon, et non comme à Dieu.
2046. Mais que signifie ce qu’il dit : «QU’AS-TU À M’INTERROGER SUR CE QUI EST BON ?» Il dit cela parce qu’il connaît son cœur, car celui-ci n’avait pas le cœur à obéir au bien et tout bien temporel est imparfait et comme une ombre en regard du bien divin. Is 64, 6 : Toute votre justice est comme le linge souillé d’une femme menstruée. Tous ces biens viennent donc de Dieu. Si donc tu veux les posséder, adresse-toi à lui : en effet, lui seul est bon. Ps 135[136], 1 : Confessez que le Seigneur est bon. Tourne-toi donc vers lui.
2047. SI TU VEUX ENTRER DANS LA VIE, OBSERVE LES COMMANDEMENTS. En effet, certains ont une vie imparfaite, certains, une [vie] parfaite et d’autres sont complètement hors du chemin, comme ceux qui sont dans le péché ou sont infidèles, car le juste vit de la foi, He 10, 38. Certains ont donc une amorce de vie imparfaite, comme les justes de ce monde ; mais ceux-là [ont une vie] parfaite qui sont déjà dans la vie éternelle. Ainsi, SI TU VEUX ENTRER DANS LA VIE, OBSERVE LES COMMANDEMENTS, car l’homme [y] est introduit par les commandements. Ez 20, 11 : Je leur ai donné mes commandements et je leur ai montré mes jugements. Mais est-ce que les commandements suffisaient au salut ? Je dis que non, à moins que ce n’ait été par le moyen de la foi et de la charité. L’Apôtre [dit] ainsi en Ga 2, 21 : Si la justice vient de la loi, alors le Christ est mort en vain. De même, Pr 7, 2 : Observe mes commandements et tu vivras.
2048. IL LUI DIT : «LESQUELS ?» Vient ensuite l’explication de la réponse, dans laquelle il reprend les commandements. Premièrement, [le Seigneur] présente les commandements ; deuxièmement, leur racine, en cet endroit : TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME [19, 19].
[Matthieu] dit donc : JÉSUS LUI DIT : «TU NE COMMETTRAS PAS D’HOMICIDE, etc.» Et pourquoi ne mentionne-t-il pas les commandements de la première table ? Parce qu’il le voyait disposé à l’amour de Dieu ; cela n’était donc pas nécessaire. De même, ce sont des préalables à l’amour. En premier lieu, il présente [les commandements] de forme négative ; en second lieu, [ceux] de forme positive.
Il commence par le plus grand : «TU NE COMMETTRAS PAS D’HOMICIDE», ce qui est opposé à la vie existante. «TU NE COMMETTRAS PAS D’ADULTÈRE», ce qui est opposé à la vie en puissance. «TU NE VOLERAS PAS», ce qui est opposé aux biens d’une personne. «TU NE PORTERAS PAS DE FAUX TÉMOIGNAGE», ce qui est opposé à la personne.
2049. De même présente-t-il [les commandements] de forme positive : «HONORE TON PÈRE.» Ensuite, il présente la racine : «TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME.» Rm 13, 8 : Celui qui aime le prochain accomplit la loi.
2050. LE JEUNE HOMME LUI DIT : «TOUT CELA, JE L’AI OBSERVÉ DEPUIS MON ENFANCE.» Après avoir transmis son enseignement sur le salut commun, le Seigneur transmet ici son enseignement sur la perfection. Premièrement, il transmet son enseignement ; deuxièmement, la nécessité de cet enseignement ; troisièmement, la récompense de son observance. Le second point [se trouve] en cet endroit : JÉSUS DIT ALORS À SES DISCIPLES [19, 23] ; le troisième, en cet endroit : ALORS, PRENANT LA PAROLE, PIERRE, etc. [19, 27].
Premièrement, l’occasion de donner cet enseignement est présentée ; deuxièmement, la formulation ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : JÉSUS LUI DIT, etc. [19, 21] ; le troisième, en cet endroit : ENTENDANT CETTE PAROLE, LE JEUNE HOMME REPARTIT CONTRISTÉ [19, 22].
2051. L’occasion de formuler cet enseignement est la demande du jeune homme. Premièrement, il confesse qu’il observe les [commandements] de la loi ; deuxièmement, il demande en quoi consiste la perfection à laquelle il pourrait accéder, en cet endroit : «QUE ME MANQUE-T-IL ENCORE ?"
2052. [Le jeune homme] dit donc : «TOUT CELA, JE L’AI OBSERVÉ DEPUIS MON ENFANCE.» Il dit : «TOUT CELA», car il ne suffit pas de faire une seule chose, si toutes ne sont pas observées. Jc 2, 10 : Celui qui commet une offense sur un point devient coupable de tout. Il dit aussi : DEPUIS MON ENFANCE. Pr 22, 6 : Mets le jeune homme sur sa voie et, lorsqu’il vieillira, il ne s’en écartera pas. Lui convenait donc de ce qui est dit en Jb 23, 12 : Je ne me suis pas écarté de la voie tracée par tes lèvres. Disait-il la vérité ? On peut se le demander. Jérôme dit qu’il a menti, ce qui est clair, car, immédiatement avant cela, il avait été dit : «TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME.» S’il avait aimé de cette façon, il ne serait pas reparti triste lorsque le Seigneur dit : «VA, VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES ET DONNE-LE AUX PAUVRES.» Chrysostome dit qu’il avait dit la vérité pour ce qui était de l’observance des [commandements] de la loi, et cela est confirmé par ce qu’on trouve en Mc 10, 21, que lorsque Jésus le regarda, il l’aima, ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’avait pas été bon. En effet, il existe une double voie : l’une qui suffit au salut, et elle consiste dans l’amour de Dieu et du prochain, avec le bénéfice qu’il comporte, mais sans sa lourdeur, comme on le trouve en 1 Co 8, 3 : Celui qui aime Dieu est connu de lui, etc., et cette voie, [le jeune homme] l’avait suivie ; l’autre, qui est celle de la perfection, comme aimer son prochain avec les inconvénients que cela comporte, et cette voie, [le jeune homme] ne l’avait pas suivie. C’est pourquoi, lorsqu’elle lui fut proposée, IL REPARTIT CONTRISTÉ. Il n’était pas satisfait de la première ; il demanda donc : «QUE ME MANQUE-T-IL ENCORE ?» Tous sont tenus de se poser cette question, selon ce qui est dit : Seigneur, fais-moi connaître ma fin et le nombre de mes jours afin que je sache ce qui me manque [Ps 38[39], 5]. En effet, Lui seul sait ce qui nous manque. Tes yeux ont vu ce qui était imparfait en moi, Ps 138[139], 16.
2053. JÉSUS LUI DIT : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, VA, etc.» Premièrement, l’effort est présenté ; deuxièmement, la voie ; troisièmement, parce que celle-ci est difficile, la récompense est présentée ; quatrièmement, l’accomplissement de la perfection.
2054. [Le Seigneur] dit donc : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, VA, VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES ET DONNE-LE AUX PAUVRES.» Nous devons en effet nous efforcer à la perfection. He 6, 1 : Laissant l’enseignement élémentaire du Christ, élevons-nous à ce qui est parfait. Mais Origène pose une question : la perfection de la loi est l’amour. Or, [le Seigneur] avait dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Pourquoi donc a-t-il dit : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT», alors qu’il était déjà parfait ? Certains disent que, dans certains livres, n’apparaît pas : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et cela est clair, car cela n’apparaît pas chez Marc. Mais on peut [l’expliquer] autrement : [le Seigneur] a dit cela, mais non dans cet ordre, car dans l’évangile des Nazaréens, [le texte] est le suivant : Le Seigneur dit : «Tu ne commettras pas d’adultère, etc.», jusqu’à ce qui porte sur l’amour. Puis suit : «Tout cela, etc.», et vient ensuite : «Tu aimeras ton prochain, etc.» Toutefois, la solution est simple, car il existe un double amour du prochain, à savoir, l’amour selon la voie commune et l’amour selon [la voie] de la perfection. [Le Seigneur] dit donc : «VA, VENDS TOUT, etc.», non pas une partie, tel que le firent Ananias et Saphire, comme on le lit dans Ac 5, 2, ET DONNE-LE AUX PAUVRES», et non aux riches. 1 Co 13, 3 : Si je distribue mes biens aux pauvres pour les nourrir. Ps 111[112], 9 : Il a distribué, il a donné aux pauvres. Et non pas à un seul pauvre, mais à plusieurs.
2055. Mais que signifie cela ? Est-ce que celui-ci ne serait pas aussitôt parfait ? Il semble que non, car il y a encore des passions en lui. Il n’est donc pas parfait dans la vertu. Origène dit qu’il est devenu aussitôt parfait, comme sont aussitôt parfaits ceux à qui il a distribué ses biens. 2 Co 8,14 : Que votre abondance comble leurs besoins, et que leur abondance vienne au secours de vos besoins. De sorte que leur perfection est passée en lui, comme celui qui accueille un prophète en tant que prophète recevra la récompense d’un prophète, etc., plus haut, 10, 41. De sorte que la voie de la perfection n’est pas dans : «VA ET VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES», mais seulement dans ce qui suit : «DONNE-LE AUX PAUVRES.» Une autre réponse pour : «SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT», est que tu ne seras pas immédiatement parfait, mais tu auras une certaine amorce de la perfection, parce que, déchargé de [ces biens], tu pourras plus facilement contempler les réalités célestes. Augustin dit que «les veilles et les choses de ce genre sont des instruments de la perfection, mais que la perfection se trouve dans ce qui suit : “Suis-moi”». Ainsi, [on lit] plus haut, 4, 20 : Pierre et André, ayant tout abandonné, le suivirent. De même en a-t-il été de Matthieu, plus haut, 9, 9. Mais lorsque tu écartes toutes ces choses, tu en fais meilleur usage en le donnant aux pauvres, et en cela il faut prendre en considération le prochain.
2056. Dès lors, si la perfection ne consiste pas en cela, en quoi consiste-t-elle ? Il faut dire [qu’elle consiste] dans la perfection de la charité. Col 3, 14 : Ayez par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection. De sorte que l’amour de Dieu est la perfection, mais la liquidation de ses biens est la voie vers la perfection. Et comment ? Augustin, dans le Livre sur les quatre-vingt-trois questions, dit que «l’accroissement de la charité diminue la cupidité, et que la perfection de la charité est l’élimination de la cupidité. Celui-là donc est parfait dans la charité, qui aime Dieu jusqu’au mépris de soi et de ce qui lui appartient». Ainsi, il est difficile et presque impossible que quelqu’un possède des richesses sans y être attaché. Et cela est clair par le cas de Grégoire dont on lit que, «alors qu’il pensait se mettre davantage au service du Christ sous une forme séculière, on se mit à l’écraser sous tant de [biens temporels] qu’il fut absorbé, non pas seulement par ce qu’ils étaient en réalité, [mais par ce qu’ils étaient] en esprit». C’est pourquoi rien ne rend l’esprit aussi libre que de ne pas avoir à s’occuper des richesses, et telle est la voie de la perfection.
2057. C’est donc une chose d’être parfait, et une autre d’être dans l’état de perfection. Quiconque a une charité parfaite allant jusqu’au mépris de soi et de ce qui lui appartient possède la perfection. L’état de perfection est double : celui des prélats et celui des religieux, mais d’une manière équivoque, car l’état des religieux vise l’acquisition de la perfection (c’est pourquoi il fut dit [au jeune homme] : SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT, si tu veux accéder à l’état de perfection) ; mais l’état des prélats ne vise pas à l’acquérir pour eux-mêmes, mais à communiquer [la perfection] possédée (ainsi le Seigneur, en Jn 21, 17, dit à Pierre : «Pierre, si tu m’aimes, paix mes brebis», et ne dit pas : «Si tu veux être parfait, etc.»). Il y a donc entre la perfection des religieux et celle des prélats la même différence qu’entre un disciple et un maître. On dit ainsi au disciple : «Si tu veux apprendre, entre à l’école et apprends.» Au maître on dit : «Enseigne et perfectionne.» L’état des religieux est ainsi plus sûr, car l’ignorance ne leur est pas imputée comme elle l’est au prélat. De même donc qu’il serait ridicule qu’un maître ne sache rien, ainsi, etc. Mais, à supposer que chacun fasse ce qui lui revient et fasse bon usage de sa fonction, je dis qu’il n’y a pas de comparaison, si ce n’est comme entre un disciple et un maître. De sorte que le prélat est dans un état plus parfait, même s’il s’agit d’Élie ou de n’importe quel autre.
2058. Mais une question se pose : si le prélat est parfait, n’est-il pas tenu de tout vendre ? Je dis que cela serait la conséquence si la perfection se trouvait dans le fait d’ALLER ET DE VENDRE TOUT CE QUE TU POSSÈDES. Or, tel n’est pas le cas, mais cela est un préambule à l’acquisition de la perfection. Il n’est donc pas nécessaire qu’il vende ce qu’il possède. Mais parce que cela arrive rarement que quelqu’un soit parfait alors qu’il possède des richesses, tout doit être abandonné par celui qui s’oriente vers la perfection. Le Seigneur indique donc ce qui est plus facile. Je dis donc que si un prélat a les qualités requises et assure bien le soin [des fidèles], je dis qu’il serait plus parfait, comme quelqu’un pourrait dire : «Je veux entrer à l’école pour apprendre», mais, puisqu’il ne sait rien, il est présomptueux [pour lui] de dire qu’il veut être maître. Ainsi, dans La cité de Dieu, Augustin dit : «L’état supérieur, sans lequel le peuple ne peut être bien dirigé, même s’il est exercé convenablement, est cependant désiré de manière inconvenante.» De même, c’est autre chose d’être prélat et d’être dans l’état de prélat. Les prêtres de rang inférieur et les curés seraient-ils dans l’état de perfection ? Je dis qu’ils ne sont pas dans cet état parce qu’ils n’ont pas ce qui fait l’état. Tout état est conféré avec une certaine solennité, comme l’ordre de l’épiscopat et [l’état] religieux. Mais lorsqu’une fonction de rang inférieur est conférée, elle n’est pas conférée avec solennité. [Ceux qui la reçoivent] n’ont donc pas l’état de perfection. Ce qui est clair, car à certains sont confiés une charge et l’exercice [de la charge], et s’ils ne sont pas promus, ils peuvent les quitter et se marier, et parfois ils deviennent religieux. Mais l’évêque ne saurait quitter l’épiscopat, sauf par autorisation d’un supérieur ; le curé le peut en entrant en religion. Mais s’il était déjà dans un état supérieur, il déchoirait de son état et ainsi pécherait. Il peut donc posséder la perfection pour ce qui est de l’acte, mais non pour ce qui est de l’état, parce que l’état n’est conféré qu’avec une solennité.
2059. VA ET VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES, ET DONNE-LE AUX PAUVRES, car, pour cela, tu auras une grande récompense, la récompense étant proportionnée au mérite. ET TU AURAS UN TRÉSOR DANS LE CIEL. Dans un trésor, il y a deux choses : la stabilité et l’abondance. Tu auras un trésor et les réalités spirituelles en abondance. Ps 111[112], 3 : Gloire et richesses sont dans sa maison. Is 33, 6 : Et ce sera la sécurité pour tes jours : sagesse et connaissance sont les richesses qui sauvent.
PUIS
VIENS ET SUIS-MOI. Ici se trouve la fin de la perfection. De sorte que ceux-là
sont parfaits qui suivent Dieu de tout leur cœur. Ainsi, en
Gn 17, 1 : Marche devant
moi et sois parfait. SUIS-MOI, c’est-à-dire : «Imite la vie du
Christ.» Ainsi, plus haut, 16, 24 : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même.
L’imitation se trouve dans le souci de prêcher, d’enseigner et de prendre soin.
Ainsi, Chrysostome [dit] : «Il a été dit à Pierre : “Suis-moi”, à
savoir, en prenant soin du monde entier.» Jb 23, 11 : Mon pied a suivi ses traces.
2060. ENTENDANT CETTE PAROLE, LE JEUNE HOMME S’EN ALLA CONTRISTÉ. Ses sentiments sont montrés, car IL S’EN ALLA CONTRISTÉ. Cela arrive lorsque nous désirons une chose et que nous ne pouvons l’avoir telle que nous la désirons. Ainsi, celui-ci désirait la perfection et avait entendu ce qui devait lui venir d’elle. Et parce qu’il était cupide, IL S’EN ALLA CONTRISTÉ. Et pourquoi ? CAR IL AVAIT DE GRANDS BIENS. Augustin [dit] : «Celui qui a abandonné la volonté de posséder a un grand mérite, car on lui impute ce qu’il aurait pu posséder. Mais c’est un mérite encore plus grand d’abandonner ce qu’on a déjà acquis, car il est plus difficile de séparer ce qui est déjà uni que ce qui n’est pas encore uni.» Et cela est clair, car celui-ci, qui possédait [de grands biens], ne put s’en séparer.
2061. JÉSUS DIT ALORS À SES DISCIPLES. Ici est donnée la raison de l’enseignement qui précède. Premièrement, la raison est donnée ; deuxièmement, il répond à l’étonnement des disciples, en cet endroit : ENTENDANT CELA, LES DISCIPLES RESTÈRENT TOUT INTERDITS [19, 25].
[Matthieu] dit donc : JÉSUS DIT ALORS À SES DISCIPLES, etc. L’occasion de parler était cette parole : IL S’EN ALLA CONTRISTÉ, car [le Seigneur] avait dit : VA, VENDS CE QUE TU POSSÈDES, etc. IL SERA DIFFICILE À UN RICHE D’ENTRER DANS LE ROYAUME DES CIEUX. Il ne dit pas impossible. Et il dit UN RICHE : non pas celui qui possède des richesses, car certains en possèdent et ne les aiment pas ; mais certains en possèdent et les aiment, et ils mettent en elles leur confiance. Ceux qui en possèdent sans les aimer peuvent entrer dans le royaume des cieux. En effet, si ce n’était pas le cas, Paul ne dirait pas : Aux riches de ce monde, ordonne de ne pas juger de haut, de ne pas placer leur confiance en des richesses précaires [1 Tm 6, 17]. Mais celui qui en possède et les aime, il [lui] est difficile, etc. Plus haut, 13, 22 : Les préoccupations de ce monde et la séduction des richesses étouffent la parole. Pr 28, 20 : Celui qui s’empresse de s’enrichir ne sera pas innocent. Si 31, 8 : Bienheureux le riche qui sera trouvé sans faute, qui ne court pas après l’or, etc. Mais cela est difficile. C’est pourquoi vient ensuite : Qui est-il : nous en ferons l’éloge ? Il a accompli des prodiges durant sa vie.
2062. [Le Seigneur] ajoute quelque chose qui semble se rapporter à la difficulté. Il dit donc : JE VOUS LE RÉPÈTE, IL EST PLUS FACILE À UN CHAMEAU DE PASSER PAR LE TROU D’UNE AIGUILLE QU’À UN RICHE D’ENTRER DANS LE ROYAUME DES CIEUX. Plus haut, le Seigneur avait dit qu’il était difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux ; ici, [il dit] que cela est impossible, comme IL EST IMPOSSIBLE À UN CHAMEAU DE PASSER PAR LE TROU D’UNE AIGUILLE. Ainsi, prenez un riche qui possède des richesses et ne les aime pas : cela est difficile ; mais à celui qui les aime et met en elles sa confiance, il est impossible d’entrer dans le royaume des cieux. En effet, qu’un chameau ne puisse passer par le trou d’une aiguille, cela est dans la nature des choses ; qu’un riche qui aime les richesses ne puisse entrer dans le royaume des cieux, cela vient de la justice divine, mais tout pourrait d’abord être bouleversé avant que la justice divine ne soit changée.
2063. D’autres, tel Jérôme, [disent] que ce n’est pas l’impossibilité mais la difficulté [qui est indiquée]. On trouve dans une glose, dont on ignore l’auteur, qu’il y avait à Jérusalem une porte qui s’appelait le «trou d’aiguille», que ne pouvaient franchir les chameaux chargés. De même le riche ne peut entrer dans le royaume des cieux que s’il se décharge de l’amour des richesses. Mais il est plus facile de décharger un chameau que pour un riche d’abandonner [cet] amour.
2064. Chrysostome donne une interprétation mystique : par le chameau, sont signifiés les païens, qui sont chargés du péché d’idolâtrie, et par les richesses, les Juifs ; l’aiguille est le Christ, et le trou de l’aiguille est la passion. Ainsi, il fut plus facile pour le peuple païen de passer par la passion du Christ que pour les Juifs, car ceux-ci ne pouvaient y venir qu’en abandonnant les cérémonies de la loi, et ils ne le feraient pas d’eux-mêmes. De sorte qu’on demanda au Démon quel était le péché le plus grave, et il répondit que c’était de posséder le bien d’autrui. On lui répondit : «Tu mens.» Bien plus, il dit : «J’abandonne souvent les autres pécheurs, mais ceux-ci, je ne les abandonne pas.» Ou bien : IL EST PLUS FACILE, etc., de sorte qu’on entende par le riche l’orgueilleux, par le chameau, le Christ, par le trou de l’aiguille, la passion du Christ. Ainsi, il était plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour un orgueilleux de s’humilier.
2065. ENTENDANT CELA, LES DISCIPLES RESTÈRENT TOUT INTERDITS, ET ILS DISAIENT : «QUI DONC PEUT ÊTRE SAUVÉ ?» Plus haut, le Seigneur a donné la raison de son enseignement ; ici, il répond à l’étonnement des disciples. Premièrement, l’étonnement [des disciples] est présenté ; deuxièmement, la réponse [de Jésus], en cet endroit : [LES] REGARDANT, JÉSUS LEUR DIT [19, 26].
[Matthieu] dit
donc : ENTENDANT CELA, LES DISCIPLES RESTÈRENT TOUT INTERDITS, ET ILS
DISAIENT : «QUI DONC PEUT ÊTRE SAUVÉ ?» Mais ici se pose une question
à propos du texte. Comme il y a plus de pauvres que de riches et qu’il est
difficile pour les riches d’être sauvés, comment [les disciples]
disent-ils : «QUI DONC PEUT ÊTRE SAUVÉ ?» La réponse est qu’ils
avaient compris que [Jésus] parlait aussi des pauvres qui sont riches par la
volonté, car il y a beaucoup de pauvres qui sont riches par la volonté. De
même, [les disciples] étaient déjà devenus préoccupés par le monde entier.
C’est pourquoi s’abattait sur eux cette préoccupation qu’on trouve en 2 Co 11, 28,
de sorte qu’ils étaient des responsables soucieux de toutes les créatures.
2066. [LES] REGARDANT, JÉSUS LEUR DIT : «POUR LES HOMMES, C’EST IMPOSSIBLE, etc.» Ici, [le Seigneur] répond à leur étonnement : «POUR LES HOMMES, C’EST IMPOSSIBLE, MAIS POUR DIEU TOUT EST POSSIBLE.» Mais que veut-il dire ? En effet, il semble que le libre arbitre disparaît si cela est impossible pour les hommes. Il est vrai que l’homme possède par lui-même le pouvoir de pécher ; mais il ne possède pas en lui-même de pouvoir ressusciter ou accomplir les œuvres du salut sans l’aide de la grâce de Dieu. En effet, c’est Dieu lui-même qui peut accomplir cela. Rm 9, 16 : Cela n’est pas le fait de celui qui court ou qui veut, mais de Dieu qui prend pitié. Ainsi, Jb 42, 1 : Je sais que tu peux tout et que rien n’est impossible pour toi. De sorte qu’il est impossible que l’homme soit sauvé selon la puissance humaine, car la puissance humaine ne change pas la volonté, mais il appartient à Dieu seul de la changer, comme on le lit en Ph 2, 13 : Lui qui opère en nous le vouloir et l’action.
2067. Ensuite, [le Seigneur] précise la récompense des parfaits. Premièrement, une question est posée ; deuxièmement, la réponse [est présentée], en cet endroit : JÉSUS LEUR DIT [19, 28].
Pierre avait entendu l’éloge de la pauvreté et avait entendu : «VA, VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES ET DONNE-LE AUX PAUVRES.» Il avait aussi entendu qu’il est difficile pour les riches d’entrer dans le royaume des cieux. C’est pourquoi Pierre estimait qu’il avait fait une grande chose parce qu’il avait tout abandonné. [Matthieu] dit donc : PIERRE LUI DIT : «VOICI QUE NOUS AVONS TOUT LAISSÉ.» Et parce qu’il n’avait pas entendu seulement cela : «VA, VENDS…», mais en plus : «ET SUIS-MOI, etc.», Pierre ajoute : «ET NOUS T’AVONS SUIVI.» Tout quitter ne réalise pas la perfection, mais tout quitter et suivre le Christ, car beaucoup de philosophes ont tout quitté. Or, Pierre avait quitté sa barque et ses filets. Mais Pierre est davantage loué pour son sentiment que pour le fait d’avoir [tout] quitté, car il avait quitté avec une volonté si empressée qu’il aurait tout quitté s’il l’avait possédé. De même, il savait que le Christ connaissait sa volonté. Il dit donc : VOICI QUE NOUS, etc. Par quoi il donna l’exemple qu’on ne doit pas considérer que ceux qui ont quitté ce qu’ils avaient ont quitté peu, même s’ils avaient peu.
2068. Et Jérôme dit que quitter ne constitue pas la perfection, mais suivre le Seigneur. Et quelqu’un suit Dieu de plusieurs façons. En esprit, par la contemplation. Os 6, 3 : Connaissons, appliquons-nous à connaître le Seigneur. Ainsi ceux-là suivent Dieu qui ont Dieu sous les yeux et connaissent Dieu par mode de contemplation. De même, on suit Dieu par l’observance des commandements. Jn 10, 17 : Mes brebis entendent ma voix et me suivent. De même, par l’imitation de ses œuvres. Jb 33, 11 : Mon pied suit ses traces. De même, par le mépris de soi et des siens, plus haut, 16, 24 : Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se renie lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. De même, par la pureté de l’esprit et du corps. Ap 14, 4 : Ceux-là sont ceux qui ne se sont pas souillés avec des femmes : en effet, ils sont vierges et suivent l’Agneau partout où il va. La pauvreté volontaire dispose à suivre ainsi [Dieu].
2069. JÉSUS LEUR DIT : «EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc.» Ici, il s’agit de la récompense de la perfection. Premièrement, [Jésus] présente la récompense de la perfection des apôtres ; deuxièmement, de la perfection des autres ; troisièmement, il écarte une objection.
. [Le Seigneur] dit donc : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. En effet, parce qu’il voulait que ce qu’il avait dit soit [considéré comme] certain, il affirme donc avoir dit la vérité en disant : EN VÉRITÉ. Et pour montrer que la perfection ne réside pas dans ceci : VA, VENDS TOUT CE QUE TU POSSÈDES, mais dans ceci : SUIS-MOI, il dit donc : VOUS QUI M’AVEZ SUIVI, DANS LA RÉGÉNÉRATION… VOUS SIÉGEREZ, VOUS AUSSI, SUR DOUZE TRÔNES, etc. La régénération est double. L’une est celle de l’esprit, qui est réalisée par la grâce dans le baptême, dont il est question en 1 P 1, 3 : Il nous a régénérés pour une vivante espérance. Il y a aussi une régénération du corps : de même en effet que l’âme est régénérée par la grâce, de même, lors de la résurrection, [Dieu] ressuscitera nos corps. Ph 3, 21 : Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. Certains interprètent selon la première régénération et adoptent la ponctuation suivante : VOUS QUI M’AVEZ SUIVI DANS LA RÉGÉNÉRATION, c’est-à-dire, qui avez été régénérés par la grâce, VOUS SIÉGEREZ, etc. Chrysostome [interprète] de la même façon, mais n’adopte pas cette ponctuation. Il dit donc que la récompense qu’il leur a promise dans la vie présente sera que VOUS QUI M’AVEZ SUIVI…, VOUS SIÉGEREZ.
2070. L’Église présente est la foi au Christ. Dans cette Église, il existe divers états chez les hommes. Et bien que toutes les vertus soient nécessaires au salut, toutefois l’un est plus louable par l’exercice d’une vertu que [par celui] d’une autre : certains par la foi, d’autres par la chasteté, d’autres par la charité. De même que c’est le cas entre les divers fidèles, de même [était-ce le cas] entre les apôtres, car Pierre fut le plus fervent promoteur de la foi, mais Jean excella dans la chasteté. Ainsi, ceux qui sont enflammés par la foi sont le siège de Pierre, par la chasteté, celui de Jean, et ainsi pour les autres. Mais tous sont le siège du Christ, car toutes les vertus se trouvaient en eux. C’est pourquoi [le Seigneur] leur promit qu’ils seraient les futurs pasteurs de l’Église.
2071. Autre [interprétation] : selon Augustin, il s’agit de la régénération, à savoir, de la résurrection. EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, DANS LA RÉGÉNÉRATION, c’est-à-dire lors de la résurrection, lorsqu’ils seront rappelés dans leur corps et dans leur âme, VOUS SIÉGEREZ, à savoir, sur le siège de majesté, c’est-à-dire que vous aurez le pouvoir judiciaire, POUR JUGER LES DOUZE TRIBUS D’ISRAËL, car de même que Dieu a confié le jugement au Fils, de même [le jugement] est-il donné à ceux qui l’ont suivi.
2072. Mais que veut-il dire par : LES DOUZE TRIBUS D’ISRAËL ? Ne jugeront-ils pas les autres ? Pourquoi donc parle-t-il davantage des DOUZE TRIBUS D’ISRAËL ? On comprend [qu’il s’agit] de tout le peuple des fidèles du monde entier, car les Gentils auront profité de l’abondance de l’olivier et auront partagé la promesse faite aux pères. Mais ceux qui sont infidèles ne seront pas jugés, car Grégoire dit que «certains sont damnés et ne sont pas jugés, comme les infidèles ; certains sont damnés et sont jugés, comme ceux qui ont cru et ont été retournés». Et, comme l’affirme Jérôme, «les ennemis subissent une condamnation différente de celle de celui qui est demeuré dans la foi, car les ennemis sont condamnés par contumace, mais les autres alors qu’ils sont présents».
2073. VOUS JUGEREZ DONC LES DOUZE TRIBUS D’ISRAËL. Parce que les apôtres ont vécu parmi les Juifs, on dit donc qu’ils jugeront les douze tribus. Et comment ? En les comparant, car ils les avaient averties. Elles pourraient dire : «Comment aurions-nous cru que tu étais Dieu, toi qui es vivant comme un mortel parmi nous, etc. ?» Mais le Seigneur dira : «Vous étiez sages selon la loi, et vous n’avez pas cru ; ceux-ci étaient des pêcheurs, et ils ont cru.»
Chrysostome se demande ce qui a été donné de grand aux apôtres. Cela n’a-t-il pas été donné aux Ninivites et à la reine du Midi, plus haut, 12, 41 ? Chrysostome dit que la manière même montre que l’autorité pour juger a été donnée aux apôtres, car ceux qui jugent d’autorité jugent assis, les avocats et les accusateurs condamnent debout. Pour montrer que les apôtres jugeront d’autorité, [le Seigneur] dit : VOUS SIÉGEREZ. Mais, à projet des Ninivites, il dit : Les Ninivites se lèveront lors du jugement en même temps que cette génération et la condamneront [12, 41].
2074. Mais ici se pose une question, car certains seront condamnés sans être jugés, et de même certains seront sauvés sans être jugés, tels les apôtres et les hommes apostoliques ; mais d’autres qui doivent être sauvés seront jugés : leurs mérites seront mis en évidence.
Et comment jugeront-ils ? Certains disent [que ce sera] par comparaison. Mais cela ne suffit pas, car la reine du Midi jugera de cette façon. Certains disent que ce sera selon le jugement du Christ. Mais cela ne suffit pas, car tous les saints approuveront de cette façon. Ps 57[58], 11 : Le juste se réjouira lorsqu’il verra le châtiment. De même, certains disent que ce sera par une justice imposante, car les justes seront élevés dans les airs au-devant du Christ et seront les assesseurs du Christ. Mais cela ne suffit pas encore, car il dit : VOUS SIÉGEREZ POUR JUGER. Certains disent qu’ils jugeront comme un livre juge : en effet, celui-ci juge, car là sont écrites les lois qui jugent [un homme], comme les cœurs des apôtres et des justes, qui ont observé les commandements de Dieu, seront le livre qui condamnera [les tribus d’Israël]. Les morts ont été jugés à livre ouvert, Ap 20, 12.
2075. Mais il y a plus, car [les apôtres] feront autre chose. Ainsi, en Ps 149[150], 6 : Les glaives à deux faces seront entre leurs mains. Comment donc jugeront-ils ? Voyez. Il y aura un jugement intérieur, car il adviendra par la puissance divine que tous ses péchés reviendront à la mémoire de chacun. De sorte que Lactance s’est trompé lorsqu’il affirme que la résurrection aura lieu mille ans avant le jugement. Ce jugement sera donc intérieur parce que, par la puissance divine, sera rappelé à la mémoire tout ce que chacun a fait. Mais il n’est pas inapproprié que quelqu’un reçoive une lumière d’un autre, car les anges en reçoivent de Dieu, et les hommes des anges. Il n’est donc pas étonnant que les hommes soient éclairés par les apôtres qui sont remplis [de lumière]. Ainsi, non seulement ils jugeront, mais les autres justes recevront aussi d’eux une certaine lumière. Mais cela sera différent chez les Christ et chez les apôtres, car le Christ le fera d’autorité, mais eux à titre de promulgateurs. Comme la loi a été donnée par les anges, la mise en œuvre du jugement sera faite par les anges, car voici qu’il est dit que les anges (Jb 36, 6 : Le jugement sera donné aux pauvres) ont obtenu justice et ont tout abandonné.
2076. Et pourquoi jugeront-ils ? Une raison est que les péchés appartiennent au monde. Ainsi, ceux qui doivent juger doivent être hors du monde, et tels sont les apôtres et les hommes apostoliques. De sorte que Jn 15, 9 [dit] : Je vous ai choisis parmi le monde. De même, le Philosophe dit que l’homme vertueux est le juge de tous les hommes, comme le goût l’est de tout ce qui peut être dégusté. De même donc que celui qui veut goûter quelque chose le donne à goûter à quelqu’un qui a un goût sain, de même, puisque l’homme vertueux a un goût sain, est-il la règle de tous les actes. Ainsi donc, les hommes parfaits jugeront comme une règle [juge]. Il y a aussi une autre explication : certains sont étrangers au monde, et ils suivent donc le Christ avec plus de ferveur. Ceux-là donc doivent d’autant plus juger qu’ils sont enflammés par les réalités à contempler. Ps 38[39], 4 : Mon cœur s’échauffe en moi, et un feu brûle alors que je médite. Aussi, parce qu’ils en ont plus l’habitude, ils sont plus fervents. C’est aussi parce qu’ils étaient pauvres et plus méprisables, mais que le mérite du mépris est l’élévation. [Le Seigneur] dit donc : VOUS SIÉGEREZ POUR JUGER, etc.
2077. Mais est-ce que Judas jugera ? Non, car ces promesses sont toutes conditionnelles. C’est pourquoi le Seigneur dit : VOUS QUI M’AVEZ SUIVI, etc. Ainsi, celui qui [l’]aura suivi et aura persévéré jugera, etc. Mais si ceux-ci jugent, que fera Paul ? Si les sièges sont déjà occupés, où [s’assoira] Paul ? Augustin dit que par [le nombre] douze est signifiée la totalité, qui est composée de sept. Le nombre douze vient donc de la multiplication de sept, car le nombre sept vient de trois et de quatre, et trois fois quatre (ou quatre fois trois) donnent douze. C’est ainsi que par ce nombre est signifié l’ensemble des élus.
2078. ET QUICONQUE AURA LAISSÉ SA MAISON OU SES FRÈRES, etc. Après avoir présenté la récompense des apôtres, ici [est présentée celle] des autres, et des questions se posent ici.
La première : pourquoi [le Seigneur] n’a-t-il promis aux apôtres rien de temporel, et aux autres quelque chose de temporel, car IL RECEVRA AU CENTUPLE, ETC. [19, 29] ? Et cela est clair, car, chez Marc, on lit qu’il s’agit du centuple dans la vie présente [Mc 10, 30]. Selon Chrysostome, quelque chose de temporel a été promis aux apôtres : le jugement dans l’Église de Dieu, comme il a été dit auparavant. Ou bien, autre [interprétation] : chacun est attiré par ce qui l’attire. Ainsi, celui qui a abandonné le monde et ce qui fait partie du monde n’est pas attiré par ce qui est dans le monde. Mais d’autres, qui sont attachés aux choses séculières, sont attirés par elles. Ainsi, [le Seigneur] n’a rien promis de temporel aux apôtres qui avaient tout abandonné ; mais, aux autres, [il a promis quelque chose de temporel] parce qu’ils aiment les réalités temporelles. Il a donc promis le jugement aux apôtres. Ou bien, selon Origène, ce qui a été dit : DANS LA RÉGÉNÉRATION, est la récompense de ceux qui ont tout abandonné pour le Christ. Mais quelqu’un pourrait dire : «Je ne veux pas tout abandonner pour toi, mais j’abandonnerai une maison, un champ, etc.» Je dis que si tu abandonnes quelque chose, tu auras quelque chose, mais si [tu abandonnes] tout, tu seras juge.
2079. Mais il y a une autre question. [Le Seigneur] a dit : SA MAISON, et, à ce sujet, il n’y a aucun doute ; mais il dit : SON PÈRE ET SA MÈRE, etc. Celui qui ordonne d’abandonner son père et sa mère ordonne un péché. De même, lui-même a ordonné de ne pas répudier son épouse et d’honorer ses parents. Il faut dire qu’en cela deux choses sont prises en considération : l’affinité naturelle, et celle-ci ne doit pas être méprisée, car il faut faire du bien à ceux qui en font partie s’ils en ont besoin. Mais parfois ils éloignent du service de Dieu. Ils sont alors comme le membre qui scandalise et ce membre doit alors être coupé. C’est ainsi qu’il a ordonné de les abandonner. Il y a aussi une autre explication : le Seigneur a prévu qu’au moment de la persécution à venir, le frère se dresserait contre son frère. Il veut donc qu’un homme se sépare d’eux.
2080. Une autre question se pose lorsqu’il dit : IL RECEVRA AU CENTUPLE, etc. Comment faut-il l’entendre ? Certains ont dit que les saints ressusciteront mille ans avant le jugement et que le règne du Christ sera alors achevé, et alors celui qui aura abandonné une maison en recevra cent. Jérôme désapprouve [cela], car il ne recevra pas cent pères, etc. De même, on exprime une turpitude, car il ne recevra pas cent épouses. C’est pourquoi Augustin dit qu’il faut l’entendre des réalités spirituelles. Ainsi le Seigneur nous a choisis pauvres en ce monde et héritiers du royaume. Il faut donc l’entendre de la grâce de Dieu, qu’il mesure selon tout ce que tu abandonnes et sans limite. Il donne donc quelque chose d’infini en échange de quelque chose de fini. IL RECEVRA LE CENTUPLE, c’est-à-dire quelque chose qui vaut le centuple. Origène dit qu’il faut aussi comprendre cela au sens littéral. Tu abandonnes un champ : par la providence divine, tu en trouveras plusieurs à ton service. De sorte que s’adressera à eux ce [qui est dit] en 2 Co 6, 10 : N’ayant rien, mais possédant tout. De même, tu trouveras des frères, c’est-à-dire tous les hommes spirituels. De même, par-delà cette [vie], la vie éternelle. Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix et je les connais, et elles me suivent, et moi je leur donne la vie éternelle.
2081. Ensuite, [le Seigneur] introduit une incidente : BEAUCOUP DE PREMIERS SERONT DERNIERS, ET DE DERNIERS SERONT PREMIERS. Ceux qui abandonnent quelque chose ou tout pour le Christ, s’ils vivent de manière négligente, recevront-ils cette récompense ? Je dis que non, parce qu’ils l’auront imparfaitement reçue, et ils ne seront pas premiers, mais derniers. Ou bien, autre [explication], ils pourraient dire : «VOUS QUI AVEZ TOUT ABANDONNÉ, etc., nous jugerons donc ainsi.» Ceux qui sont emportés par l’orgueil sont les derniers. Origène dit que cela peut s’entendre de ceux qui viennent au Christ et vivent dans la tiédeur. Ensuite, il en vient d’autres qui sont fervents et qui dépassent les autres par leur ferveur. Ou bien, [le Seigneur] appelle premiers ceux qui sont nés de chrétiens, mais sont devenus derniers par rapport aux autres qui sont nés de païens ou de Juifs. Ou bien, cela peut se rapporter aux hommes ou aux anges, car ceux qui sont les premiers dans l’ordre des anges sont devenus les derniers par leur faute, et les derniers, c’est-à-dire les hommes, deviendront premiers et supérieurs.
Leçon 1 [Matthieu 20, 1‑16] 20, 1 «Car il en va du Royaume des Cieux comme d’un
propriétaire qui sortit de bon matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa
vigne. 20, 2 Il convint avec les ouvriers d’un denier pour la journée et
les envoya à sa vigne. 20, 3 Sorti vers la troisième heure, il en vit
d’autres qui se tenaient sur la place, désoeuvrés. 20, 4 Il leur
dit : “Allez, vous aussi, à la vigne, et je vous donnerai un salaire
équitable.” 20, 5 Ceux-ci y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième
heure, et vers la neuvième heure, il fit de même. 20, 6 Vers la onzième
heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur
dit : “Pourquoi restez-vous ici tout le jour désoeuvrés ?” 20, 7
“Parce que personne ne nous a embauchés”. Il leur dit : “Allez, vous
aussi, à ma vigne.” 20, 8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à
l’intendant : “Appelle les ouvriers. Remets-leur leur salaire, en
remontant des derniers aux premiers.” 20, 9 Lorsque ceux de la onzième
heure furent venus, ils reçurent chacun un denier. 20, 10 Les premiers
venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient recevoir davantage, mais ils
reçurent aussi chacun un denier. 20, 11 En le recevant, ils murmuraient
contre le maître en disant : 20, 12 “Ces derniers venus n’ont fait
qu’une heure, et tu les as traités comme nous, qui avons porté le fardeau de la
journée, avec sa chaleur !” 20, 13 Mais il répliqua à l’un d’eux et
dit : “Mon ami, je ne te lèse en rien : n’est-ce pas d’un denier que
nous sommes convenus ? 20, 14 Prends ce qui t’appartient et va-t’en.
Il me plaît de donner à ce dernier venu autant qu’à toi. 20, 15 Ne suis-je
pas libre de disposer de mes biens comme il me plaît ? Ou faut-il que tu
sois jaloux parce que je suis bon ?” 20, 16 Voilà comment les
derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.»
Leçon 2 [Matthieu 20, 17‑34] 20, 17 Montant à Jérusalem, Jésus prit avec lui
douze disciples en secret et il leur dit pendant la route : 20, 18
«Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux
grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort 20, 19 et
le livreront aux païens pour être bafoué, pour être flagellé et pour être
crucifié ; et le troisième jour, il ressuscitera.»
20, 20 Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha
de lui, avec ses fils, se prosternant pour lui demander quelque chose.
20, 21 «Que veux-tu ?», lui dit-il. Elle lui dit : «Ordonne que
mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans
ton Royaume.» 20, 22 Jésus répondit : «Vous ne savez pas ce que vous
demandez. Pouvez-vous boire le calice que je vais boire ?» Ils lui
disent : «Nous le pouvons» 20, 23 «Soit, leur dit-il, vous boirez ma
coupe ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas
de vous l’accorder, mais c’est pour ceux à qui mon Père l’a préparé.»
20, 24 Entendant cela, les dix autres s’indignèrent contre les deux
frères. 20, 25 Mais Jésus les appela et dit : «Vous savez que les
dirigeants des païens les traitent en maîtres et que les grands leur font
sentir leur pouvoir. 20, 26 Il n’en doit pas être ainsi parmi vous :
au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur,
20, 27 et celui qui voudra être le premier parmi vous, qu’il soit votre
esclave. 20, 28 C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour
être servi, mais pour servir et donner son âme en rançon pour un grand nombre.»
20, 29 Comme ils sortaient de Jéricho, une foule
nombreuse les suivit. 20, 30 Et voici que deux aveugles étaient assis au
bord du chemin ; quand ils apprirent que Jésus passait, ils
s’écrièrent : «Seigneur ! Aie pitié de nous, fils de David !»
20, 31 La foule les rabrouait pour leur imposer silence ; mais ils
criaient de plus en plus fort : «Seigneur ! Aie pitié de nous, fils
de David !» 20, 32 Jésus, s’arrêta, il les appela et dit : «Que
voulez-vous que je fasse pour vous ?» Ils lui disent : 20, 33 «Seigneur,
que nos yeux s’ouvrent !» 20, 34 Pris de pitié, il toucha leurs yeux
et aussitôt ils virent. Et aussitôt, ils le suivirent.
2082. Plus haut, le Seigneur a traité de l’accès au royaume par la voie du salut commun et par la voie de la perfection, et parce que certains croient y parvenir indûment, ils sont repoussés. Et d’abord, ceux qui veulent y parvenir en raison de l’ancienneté dans le temps ; deuxièmement, ceux qui [le veulent] en raison de leur origine selon la chair. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET MONTANT À JÉRUSALEM, JÉSUS, etc. [20, 17].
2083. En premier lieu donc, cela est présenté sous la forme de la parabole du propriétaire et des ouvriers. Premièrement, [le Seigneur] présente la parabole ; deuxièmement, il tire la conclusion utile de la parabole, en cet endroit : VOILÀ COMMENT LES DERNIERS SERONT LES PREMIERS, ET LES PREMIERS SERONT LES DERNIERS [20, 16].
Premièrement, il traite de l’embauche ; deuxièmement, du salaire. Le second point [se trouve] en cet endroit : LE SOIR VENU, etc. [20, 8].
2084. À propos du premier point, quatre engagements sont présentés, qui sont des invitations à des ouvriers à travailler. Le second [se trouve] en cet endroit : SORTI VERS LA TROISIÈME HEURE, etc. [20, 3]. Le troisième, en cet endroit : SORTI DE NOUVEAU VERS LA SIXIÈME HEURE, etc. [20, 5]. Le quatrième, en cet endroit : VERS LA ONZIÈME HEURE, IL SORTIT [20, 6].
2085. À propos du premier point, il aborde trois choses. Premièrement, il aborde celui qui emploie ; deuxièmement, les ouvriers ; troisièmement, la manière d’embaucher. Le second point [se trouve] en cet endroit : QUI SORTIT DE BON MATIN AFIN D’EMBAUCHER DES OUVRIERS [20, 1]. Le troisième, en cet endroit : APRÈS AVOIR CONVENU, etc. [20, 2].
2086. Ce propriétaire est Dieu, dont la famille est le monde entier, mais, d’une manière particulière, la créature raisonnable. Il est appelé propriétaire en raison de la ressemblance pour ce qui est du gouvernement. Sg 14, 3 : Mais toi, Père, tu gouvernes tout avec sagesse.
IL SORTIT DE BON MATIN AFIN D’EMBAUCHER DES OUVRIERS POUR SA VIGNE. Ici, il traite de ceux qui sont embauchés. Premièrement, on se demande quelle est la vigne, qui sont les ouvriers, qui sont ceux qui sont embauchés.
2087. Quelle est cette vigne ? Selon Chrysostome, c’est la justice, et autant elle produit de vertus, autant elle fait pousser de branches. Ct 8, 12 : Ma vigne est devant moi. Grégoire [dit] : «Par la vigne est signifiée la sainte Église.» Is 5, 7 : La vigne du Seigneur des armées est la maison d’Israël. Et les diverses branches sont les ouvriers qui sont issus d’Adam, tous les hommes donc. Gn 2, 15 : Le Seigneur plaça Adam au paradis afin qu’il y travaille et le surveille. En effet, chacun doit œuvrer dans la justice, la cultiver et prendre soin du prochain. Si 17, 12 : Dieu a confié à chacun son prochain. De même, les ouvriers sont-ils les prélats, Is 61, 3 : Et il les appellera puissance, justice, plantation dont se glorifiera le Seigneur.
2088. On appelle embauchés ceux qui doivent œuvrer pour mériter et sont comme des mercenaires. Jb 7, 1 : La vie de l’homme sur terre est un combat et ses jours sont comme ceux d’un mercenaire. En effet, de même que le mercenaire ne reçoit pas immédiatement sa récompense mais l’attend, de même en est-il de nous en cette vie. Mais pour qu’il soit un bon mercenaire, il faut qu’il travaille comme le veut son maître. Ainsi, si nous travaillons dans la vigne de l’Église, nous devons tout rapporter à Dieu. 1 Co 10, 31 [dit] ainsi : Faites tout pour la gloire de Dieu. De même, d’abord il cultive, puis il mange ; de même devons-nous d’abord cultiver et préparer le salut des autres, et ensuite chercher les réalités temporelles, plus haut, 6, 33 : Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout cela vous sera donné de surcroît. Lc 17, 8 : Ceins-toi et sers-moi jusqu’à ce que j’aie mangé et bu, puis tu mangeras et boiras. De même, en troisième lieu, est-il nécessaire qu’il soit occupé à travailler toute la journée ; ainsi, celui qui cultive la vigne du Seigneur consacre peu de temps à ce qui le concerne, mais il est nécessaire que nous consacrions tout notre temps au service de Dieu. 1 Co 15, 58 : Vous adonnant totalement à l’œuvre du Seigneur. De même, il n’oserait pas paraître devant le maître s’il n’avait bien agi ; ainsi, celui-là ne doit se présenter devant le Seigneur qu’avec de bonnes œuvres. Ex 23 et 25, 20 : Tu ne te présenteras pas devant moi les mains vides.
2089. Mais voyons ce que signifie DE BON MATIN. Tout le temps de ce siècle est un seul jour. Ps 89[90], 4 : Mille ans sont comme hier, déjà passé. Les diverses heures sont les divers âges. Le premier [va] d’Adam à Noé et, en ce temps-là, le Seigneur a averti par des messagers et des apparitions d’aller dans la vigne de la justice. Ou bien, on peut dire que toute la vie de l’homme est un seul jour. Le matin de ce [jour] est l’enfance. En effet, l’enfance est verdoyante comme l’herbe. Ainsi, certains sont-ils appelés dès l’enfance, comme ont été appelés dès l’enfance Jérémie, Daniel et Jean Baptiste. [Le Seigneur] dit donc : IL SORTIT DE BON MATIN, etc.
2090. Ensuite, [le Seigneur] précise le mode de l’embauche. Il dit donc : IL CONVINT DONC AVEC LES OUVRIERS D’UN DENIER POUR LA JOURNÉE. Par ce denier, est signifiée la vie éternelle, car ce denier valait dix deniers courants. De même, [ce denier] portait l’effigie du roi. Ainsi donc, ce qui est signifié par ce denier consiste dans l’observance du décalogue, plus haut, 19, 17 : Si tu veux accéder à la vie, observe les commandements. De même, il a une ressemblance avec Dieu. 1 Jn 3, 2 : Lorsqu’il apparaîtra, nous lui serons semblables.
2091. Ensuite, il traite de la seconde embauche : IL SORTIT VERS LA TROISIÈME HEURE, etc. Si nous pensons que tout le siècle n’est qu’un seul jour, de même que la première heure signifie l’époque qui va d’Adam à Noé, de même la seconde [signifie l’époque qui va] de Noé jusqu’à Abraham. Avant que ne soient faites des promesses au sujet du Christ, [le Seigneur] en avertit beaucoup par des anges, et il en envoya plusieurs pour avertir les autres.
Mais si [nous estimons] qu’il ne représente que la vie d’un seul homme, la troisième heure est l’adolescence : de même que le soleil commence à réchauffer à la troisième heure, de même le soleil de l’intelligence commence à répandre ses rayons à l’adolescence. De même, il commence à faire chaud. Jc 1, 11 : [Le soleil] brûlant s’est levé. Et il les trouva SUR LA PLACE, DÉSŒUVRÉS. Cette place est la vie présente. On appelle PLACE [forum] l’endroit où se tiennent les débats ; on appelle foire [forum] l’endroit où l’on vend et achète, et cela signifie la vie présente, qui est pleine de conflits en raison des achats et des ventes. 1 Jn 5, 19 : Le monde a été placé en entier dans les mains du Malin. Et ceux-ci étaient DÉSŒUVRÉS, car ils avaient déjà perdu une partie de leur vie. En effet, on appelle désœuvrés non seulement ceux qui agissent mal, mais aussi ceux qui ne font pas le bien. Et de même que les désœuvrés n’obtiennent pas la fin, de même en est-il de ceux-ci. La fin de l’homme est la vie éternelle. Celui-là donc qui agit comme il le doit l’obtiendra, s’il n’est pas désœuvré. Si 33, 29 : L’oisiveté a enseigné beaucoup de choses mauvaises.
2092. IL LEUR DIT : «ALLEZ, VOUS AUSSI, À LA VIGNE.» En effet, Dieu récompense selon la justice. 1 R [1 Sm] 26, 23 : Dieu récompensera selon la justice. Avec ceux-là, il ne convint pas d’un denier. Pourquoi [l’a-t-il fait] avec les premiers, et non avec ceux-ci ? La raison dépend de la manière dont on établit le rapport avec l’âge du siècle. Car Adam devait pécher ; il pouvait donc être excusé de ne pas connaître sa rémunération, mais il [la] connut, car il a goûté [au fruit de l’arbre défendu]. De même, celui qui a des sens meilleurs connaît davantage la vérité. Comme Adam a eu des sens meilleurs, [la rémunération] fut donc connue [par lui] avec plus de vérité. Mais cela ne s’accorde pas avec les autres, car [le maître] donne toujours plus qu’il n’avait promis. Is 64, 4 et 1 Co 2, 9 : L’œil n’a pas vu sans que tu n’interviennes ce que tu as préparé pour ceux qui t’aiment. De même, les premiers furent embauchés pour toute la journée. Ils doivent donc recevoir tout le salaire. Il leur fut donc promis un denier par jour, qui sera le plein salaire. Mais Dieu ne donne pas autrement le plein salaire : aussi ne fait-il pas d’entente avec ce [dernier], car il pouvait arriver qu’il travaille avec plus d’ardeur et soit ainsi davantage rétribué, ou qu’il travaille si négligemment qu’il ne soit pas rémunéré. C’est pourquoi il dit : JE VOUS DONNERAI UN SALAIRE ÉQUITABLE, car s’ils reprennent le temps perdu, ils auront un plein salaire. 1 Co 3, 13 : Le travail de chacun sera rendu manifeste, le jour du Seigneur [le] mettra en lumière.
2093. De même, [le maître] avait invité les premiers [à se rendre à sa vigne], mais CEUX-CI Y ALLÈRENT spontanément, car, chez les enfants, il n’y a pas de jugement : s’ils font quelque chose de bon, il semble que cela vienne davantage de l’Esprit Saint que de leur jugement. Mais, à l’adolescence, l’homme se meut par son propre jugement. De même, il est dit des premiers que [le maître] les y envoya, mais, de ces derniers, qu’ils y allèrent spontanément.
2094. SORTI DE NOUVEAU VERS LA SIXIÈME HEURE ET VERS LA NEUVIÈME HEURE. Si l’on dit que le jour est le siècle, la sixième heure fut [l’époque] d’Abraham jusqu’à David, et la neuvième, de David jusqu’au Christ. Mais pourquoi [le Seigneur] a-t-il regroupé ces deux heures ? Parce qu’alors il y eut des peuples distincts, le peuple juif et celui des Gentils. On peut donc dire que la sixième heure est la jeunesse, car, de même que le soleil atteint sa perfection au milieu du jour, de même l’homme en sa jeunesse. La neuvième heure est la vieillesse. Et [le Seigneur] regroupe ces deux heures parce que la manière de vivre est la même dans les deux.
2095. VERS LA ONZIÈME HEURE, IL SORTIT. La quatrième embauche est présentée, et [le Seigneur] fait trois choses : premièrement, il reprend ; deuxièmement, il excuse ; troisièmement, [les ouvriers] sont invités. Le second point [se trouve] en cet endroit : ILS LUI DIRENT : «PARCE QUE PERSONNE NE NOUS A EMBAUCHÉS» [20, 7] ; le troisième, en cet endroit : «ALLEZ, VOUS AUSSI, À MA VIGNE» [20, 7].
[Le Seigneur] dit donc : VERS LA ONZIÈME HEURE, IL SORTIT. La neuvième heure est l’époque du Christ. Ainsi, en 1 Jn 2, 18, il est dit : Mes petits enfants, c’est la dernière heure. Et dans He 1, 1 : Autrefois, Dieu a parlé aux pères par les prophètes ; en ces derniers jours, il nous a parlé par le Fils. Is 52, 6 : Voici que moi qui parlais, je suis présent. Ou bien, [cette heure] est celle de la vieillesse ou l’âge de la décrépitude, car certains persistent dans le péché jusqu’à l’âge de la décrépitude. Ps 89[90], 6 : Le soir venu, [l’herbe] est coupée, elle se flétrit et sèche. IL EN TROUVA D’AUTRES QUI SE TENAIENT LÀ. Il en avait trouvé d’autres sur la place, mais pas ceux-ci. La raison en est, selon le Philosophe, qu’«il existe une différence entre les adolescents et les vieillards, car les adolescents sont entièrement tournés vers l’espoir, mais les vieillards, non pas vers l’espoir, mais vers leurs souvenirs». Ainsi, les premiers qui se trouvent sur la place se comportent comme s’ils voulaient obtenir [quelque chose], mais ceux-ci se tiennent là, non pas comme s’ils voulaient l’obtenir, mais pour observer ce qui est obtenu. De même, [le maître] vit les premiers et ne leur fit pas de reproches. Mais il vit ces derniers et leur fit des reproches, parce que d’abord ils sont malades et que les passions dominent chez eux ; ils doivent donc être excusés de ne pas passer leur temps au service de Dieu. Mais les vieillards s’adonnent entièrement à leurs sens. C’est pourquoi il leur fait des reproches : POURQUOI RESTEZ-VOUS ICI TOUT LE JOUR DÉSŒUVRÉS ? Pr 12, 11 : Celui qui s’adonne à l’oisiveté est un insensé, et 28, 19 : Celui qui s’adonne à l’oisiveté sera rempli de besoins.
2096. ILS LUI DIRENT : «PERSONNE NE NOUS A EMBAUCHÉS.» Si nous mettons cela en rapport avec l’état du siècle, ceux-ci signifient le peuple des Gentils, qui ne servent pas Dieu, mais les idoles. Mais ils sont excusés, car ils n’ont pas eu de prophètes comme les Juifs. Ps 147[148], 20 : Il n’a agi ainsi pour aucune autre nation, et il ne leur a pas manifesté ses jugements. Ou bien, si on met cela en rapport avec l’âge de l’homme, cela signifie que l’occasion de se tourner vers Dieu n’est pas donnée à certains avant la vieillesse. Et la raison en est que chaque chose a son temps. Ou bien, cela peut arriver par une disposition divine, car tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu [Rm 8, 28]. Ainsi, le Seigneur savait que s’il les avait appelés plus tôt, ils ne se seraient pas levés. Ils sont donc embauchés lorsqu’ils y consentent et se lèvent alors d’une manière effective. [Le maître] dit donc : ALLEZ, VOUS AUSSI, À LA VIGNE. Ainsi, même s’ils sont décrépits, [le Seigneur] veut néanmoins que tous soient sauvés, 1 Tm 2, 4. De plus, aux premiers [le maître] promit un salaire, à ces derniers, non, parce que [les premiers] ont été à son service depuis le matin ; [aux derniers], cela n’est dû que par pure miséricorde. Sg 4, 13 : Devenu parfait en peu de temps, il a parcouru une longue carrière.
2097. LE SOIR VENU, etc. Ici, [le Seigneur] traite du salaire. Premièrement, le salaire est présenté ; deuxièmement, la protestation ; troisièmement, la réponse.
À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, le moment est présenté ; deuxièmement, la personne qui donne ; la personne à qui on donne.
Le moment est indiqué : LE SOIR VENU, etc. Et on peut l’entendre soit de la fin d’une époque, soit de la fin des temps. Ps 29[30], 6 : Les pleurs accompagneront le soir, car la lumière du monde fait défaut. Et il est dit : LE SOIR, parce que le jugement adviendra en ce monde.
2098. LE
MAÎTRE DE LA VIGNE DIT À SON INTENDANT. Le Seigneur est la Trinité entière.
[ELLE] DIT À L’INTENDANT, c’est-à-dire au Christ. Le pouvoir de ressusciter et
le pouvoir de juger lui sont donnés, et l’ordre du jugement est abordé. Le
pouvoir est abordé : APPELLE LES OUVRIERS, c’est-à-dire : «Ressuscite
les morts.» Jn 5, 28 : Tous
ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu. Le
pouvoir de juger [est donné] : REMETS-LEUR LEUR SALAIRE, c’est-à-dire :
«Sois le juge.» Le pouvoir de juger est donc donné. Jn 5, 27 : Il lui a donné le pouvoir de juger, car il
est le Fils de l’homme.
Ensuite, l’ordre est abordé : EN REMONTANT DES DERNIERS AUX PREMIERS, c’est-à-dire, à partir de ceux qui ont été imprégnés des sacrements. Ainsi, une grâce plus grande leur a été donnée qu’aux premiers. Ep 3, 5 : Cela n’a pas été communiqué aux autres générations comme cela a maintenant été révélé aux saints apôtres. [La grâce] leur a donc été donnée de manière plus abondante, bien que, dans l’Ancien Testament, une personne ait pu avoir une grâce plus grande sous un aspect. Jn 7, 39 : L’Esprit n’avait pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié, non pas que l’Esprit Saint n’ait pas été donné, mais parce qu’[il le fut] alors plus abondamment.
2099. Ou bien, on peut rattacher cela à l’âge de l’homme, car ceux qui sont à l’âge de la décrépitude meurent plus rapidement et sont récompensés plus rapidement. Ou bien, il se peut qu’ils retrouvent par leur ferveur une chose perdue plus tôt, comme on le lit à propos du voleur. Sur ces deux points, Chrysostome dit que «l’homme fait plus volontiers ce qu’il fait par miséricorde que [ce qu’il fait] d’une autre façon». Une certaine gratification et une certaine joie sont donc indiquées. Lc 15, 10 : C’est une joie au ciel qu’un seul pécheur fasse pénitence.
2100. Ensuite vient l’exécution : LORSQUE
CEUX DE LA ONZIÈME HEURE FURENT VENUS, les chrétiens ou les hommes à l’âge de
la décrépitude, ILS REÇURENT CHACUN UN DENIER. L’Apôtre [dit] en
1 Co 3, 8 : Chacun
recevra le salaire proportionné à son travail.
2101. LES PREMIERS, VENANT À LEUR TOUR (ne les mettez pas en rapport avec le temps du siècle, parce qu’il s’agit des Juifs), PENSAIENT QU’ILS ALLAIENT RECEVOIR DAVANTAGE, du fait qu’ils empiétaient davantage sur un autre siècle. MAIS ILS REÇURENT AUSSI CHACUN UN DENIER, car ils n’avaient chacun qu’une seule tunique. Mais de quoi s’agit-il ? Est-ce que tous ne posséderont pas également la gloire ? Je dis que, sous un aspect, la récompense sera égale et, sous un autre, non, car la béatitude peut être envisagée selon son objet, et ainsi la béatitude est unique pour tous, ou selon la participation à l’objet, et ainsi tous n’y participeront pas également, car ils ne verront pas aussi clairement. Jn 14, 2 : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. C’est comme si tous allaient vers l’eau et que l’un avait un contenant plus grand qu’un autre : la rivière s’offre en entier [à tous], mais tous n’y puisent pas également. Ainsi, celui qui a une âme plus élargie par la charité recevra davantage, etc. Si 11, 24[22] : La bénédiction de Dieu se hâte pour récompenser le juste ; ses pas portent rapidement fruit.
2102. EN LE RECEVANT, ILS MURMURAIENT CONTRE LE MAÎTRE, EN DISANT : «CES DERNIERS VENUS N’ONT FAIT QU’UNE HEURE, etc.» Plus haut, la rémunération a été présentée. Ici est présentée la protestation de certains.
Mais ici se pose une double question, car [le Seigneur] dit qu’EN RECEVANT CHACUN UN DENIER, ILS MURMURAIENT. Par le denier, on entend la vie éternelle. Faut-il croire qu’en recevant [une telle] rémunération quelqu’un murmurera ? En effet, il ne semble pas [que ce soit le cas], car alors il y aurait là péché, comme on lit en 1 Co 10, 10 : Ne murmurez pas. Chrysostome dit qu’il ne faut pas s’arrêter à ce qui est dit, mais à l’intention avec laquelle cela est dit. Il faut donc comprendre qu’aussi grande que pût être la rémunération, ils murmuraient. Ou bien, on peut l’entendre de ce monde-ci. Grégoire dit que «cette énumération n’est rien d’autre que le report de la rémunération, car les saints qui sont venus en dernier ont aussitôt reçu leur récompense, mais les premiers l’ont longtemps attendue». Ainsi, en 2 Co 6, 13 : Je dis que vous avez la même récompense que les fils ; ouvrez donc tout grand votre cœur, vous aussi, etc. Hilaire et Jérôme disent : «Parfois l’Écriture parle de l’ensemble du peuple, parfois des bons, parfois des méchants», comme il est dit, en Jr 26, 8, que tout le peuple se saisit de lui et que tout le peuple le libéra. Ici tout le peuple signifie une partie du peuple. Ainsi, dans les premiers temps, certains furent bons, mais pas tous ; c’est pourquoi quelque chose est donné aux bons et quelque chose aux mauvais, non pas qu’ils aient murmuré à ce moment-là, mais auparavant, car le peuple de Juifs murmura contre le peuple des Gentils parce que celui-ci était considéré comme son égal.
2103. Il se pose aussi une question. Que veut dire [le Seigneur] lorsqu’il dit : [NOUS] QUI AVONS PORTÉ LE FARDEAU DU JOUR ET LA CHALEUR ? Car ils ne l’ont supporté que pour autant qu’ils ont vécu, et de même en est-il des derniers. Que signifie ce qui est dit ? Il y a une triple réponse. La première réponse est que l’espoir qui est différé afflige l’âme. Il y en eut certains qui, au début du monde, ont porté le fardeau, car ils savaient que leur récompense était différée. On dit donc qu’ils ont porté le fardeau du jour. Ou bien, on peut mettre cela en rapport avec les Juifs qui ont porté le fardeau de la loi, fardeau dont Pierre dit, Ac 15, 10 : C’est un fardeau que ni nous ni nos pères n’avons pu porter. Mais les Gentils n’ont pas porté un tel fardeau, car ils n’ont pas été soumis à la loi. Ou bien, selon Grégoire, parce que les premiers hommes ont vécu plus longtemps, puisqu’ils vivaient neuf cents ans, ils ont porté un fardeau plus lourd.
2104. MAIS IL RÉPLIQUA À L’UN D’EUX. Ici est présentée la réplique. Premièrement, [le maître] montre sa justice et sa miséricorde ; deuxièmement, l’équité de la rémunération.
À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il nie l’injustice ; deuxièmement, il rappelle l’entente ; troisièmement, il rappelle la rétribution accordée.
2105. [Le Seigneur] dit donc : MAIS IL RÉPLIQUA À L’UN D’EUX, et ajoute : À TOUS, car ils avaient tous la même cause. IL DIT : «MON AMI.» Il l’appelle ami parce qu’il l’avait attiré à lui. Dt 4, 37 : Il a choisi leur descendance après eux. «JE NE TE LÈSE EN RIEN, parce que je donne à celui-ci ce qui m’appartient, et non ce qui t’appartient ; je ne te fais donc aucun tort.» Jb 8, 3 : Est-ce que le Tout-puissant renverse la justice ? Ensuite, il rappelle l’entente : N’EST-CE PAS D’UN DENIER QUE NOUS SOMMES CONVENUS ? À savoir, pour obtenir le salut. Gn 15, 1 : Moi, le Seigneur, grande est ta récompense !
2106. PRENDS CE QUI T’APPARTIENT, c’est-à-dire ce que tu as reçu conformément à ma promesse, ET VA-T’EN dans la gloire. 2 Tm 1, 12 : Je sais en qui j’ai cru et je suis certain, car il a le pouvoir de préserver mon dépôt pour ce jour-là. Certains l’interprètent de la manière suivante : PRENDS CE QUI T’APPARTIENT, c’est-à-dire la condamnation en raison du murmure, ET VA-T’EN au feu éternel. Mais cela n’est pas possible, car il dit qu’ils ont reçu chacun un denier.
Ensuite, il présente la miséricorde manifestée : IL ME PLAÎT DE DONNER À CE DERNIER VENU AUTANT QU’À TOI. À ce propos, [le propriétaire] fait deux choses : premièrement, il présente la miséricorde ; deuxièmement, sa capacité de prendre en pitié.
IL ME PLAÎT [DE DONNER] À CE DERNIER, c’est-à-dire, au Gentil, AUTANT QU’À TOI. Rm 3, 9 : Quoi donc ? Avons-nous la préséance ? Pas du tout.
2107. Mais ceux-ci pourraient dire : «Tu ne le peux pas.» Il insiste donc : «NE SUIS-JE PAS LIBRE DE FAIRE CE QUE JE VEUX ?» Car il est permis à chacun de faire ce qu’il veut de ce qui lui appartient. En effet, s’il était le débiteur d’un autre, il n’aurait pas le droit de le faire ; de même, s’il dépendait d’un autre. Mais il est le maître ; il peut donc donner davantage. Le bailli ne peut donner quelque chose, si ce n’est en fonction du mérite ; mais le roi le peut sans tenir compte du mérite. De même Dieu le peut-il, qui est le maître de tous. Ps 113[114], 11 : Il a fait tout ce qu’Il voulait. Rm 9, 19 : Qui résiste à sa volonté ? Ici, il faut remarquer qu’il n’y a pas d’acception de personnes du fait que cela est donné par miséricorde, car, de ce qui m’appartient en propre, je peux donner à qui je veux sans acception de personne.
2108. OU FAUT-IL QUE TU AIES L’ŒIL MAUVAIS PARCE QUE SUIS BON ? Il est clair que le murmure précédent ne venait pas d’une défaillance de la part du maître, mais de la miséricorde manifestée à un autre ; il était donc dû à la miséricorde et à la bonté. Mais celui-là est vraiment mauvais qui s’afflige de la bonté. Il dit donc : «FAUT-IL QUE TU AIES L’ŒIL MAUVAIS PARCE QUE SUIS BON, parce que j’ai montré ma justice envers toi et ma miséricorde envers un autre ?» Il est clair que cela vient de la bonté. Plus haut, 6, 22 : Si ton œil est sain, tout ton corps est éclairé. [Il est question] de la bonté du Seigneur dans Ps 72[73], 1 : Que le Dieu d’Israël est bon pour ceux qui ont un cœur droit !
2109. VOILÀ COMMENT LES DERNIERS SERONT LES PREMIERS, ET LES PREMIERS SERONT LES DERNIERS. [Le Seigneur] apporte ici la conclusion de ce qui était l’objet de la parabole. Premièrement, il présente la conclusion ; deuxièmement, il écarte une fausse opinion.
Il dit : LES DERNIERS SERONT LES PREMIERS. On peut lire cela de deux façons selon Chrysostome : les derniers deviendront les égaux des premiers, de sorte qu’il n’y aura pas de différence (et cela correspond à ce qui a été, à savoir que chacun a reçu un denier) et qu’il n’y aura pas de différence dans le temps ; ou bien, d’une autre façon, à savoir que ceux qui sont les derniers seront les premiers. Dt 28, 44 : L’étranger passera devant toi et sera en tête, et toi à la queue. Ou bien, ceux qui étaient les premiers deviendront les derniers à cause de leur négligence ; et cela correspond à ce qui précède, car [l’intendant] a commencé par les derniers.
Mais quelqu’un pourrait dire : «Est-ce que tous ceux qui étaient les premiers ne seront pas sauvés ?» [Le Seigneur] dit : BEAUCOUP SONT APPELÉS, MAIS PEU SONT ÉLUS, car ceux qui croient ont tous été appelés ; mais ceux qui sont élus, qui font de bonnes œuvres, sont peu nombreux, comme [il est dit] plus haut, 7, 14 : Le chemin qui conduit à la vie est étroit et peu nombreux sont ceux qui le trouvent.
2110. Dans la section précédente, le Seigneur a repoussé ceux qui voulaient accéder à la gloire en raison de l’ancienneté dans le temps ; ici, il repousse celui qui veut y accéder en raison de l’origine charnelle. Premièrement, l’occasion de la demande est donc présentée ; deuxièmement, la demande ; troisièmement, la réponse.
L’occasion fut l’annonce de la passion du Christ. Premièrement, [le Seigneur] annonce le lieu ; deuxièmement, la passion ; troisièmement, la résurrection.
2111. [Matthieu] dit : MONTANT À JÉRUSALEM, etc. Plus haut, 19, 1, on a dit qu’après avoir quitté la Galilée, il était venu en Judée ; il ne monta pas immédiatement à Jérusalem, mais plus tard, alors que la passion était imminente. C’est pourquoi il dit : MONTANT, c’est-à-dire alors qu’il était sur le point de monter. Jérusalem était un endroit élevé.
IL PRIT AVEC LUI DOUZE DISCIPLES EN SECRET, etc. Et pourquoi EN SECRET ? Pour deux raisons. Premièrement, parce qu’il voulait leur montrer de grandes choses, celles-ci ne devaient pas être communiquées à tous, plus haut, 13, 11 : À vous il a été donné de connaître le mystère du royaume des cieux. C’était aussi pour éviter un scandale, car les hommes qui n’étaient pas encore parfaits se seraient détournés de lui s’ils avaient entendu parler de sa mort, et les femmes auraient été portées à pleurer. Il faut aussi savoir que Judas n’avait pas encore conçu le mal ; c’est pourquoi le Seigneur ne l’a pas écarté du groupe.
2112. ET IL LEUR DIT : «VOICI QUE NOUS MONTONS À JÉRUSALEM, etc.» Ici est signalée la fermeté de son intention. Il dit] donc : «VOICI», c’est-à-dire : «J’ai cette intention et cette volonté, car je n’en serai pas écarté. Si 27, 12 : L’insensé est changeant comme la lune ; mais le sage demeure dans la sagesse comme le soleil. [Il le fit] aussi de sa propre volonté. Is 53, 7 : Il fut offert parce qu’il le voulut.
2113. [Le Seigneur] aborde le lieu : À JÉRUSALEM. Lc 13, 33 : Il ne convient pas qu’un prophète meure hors de Jérusalem. Et pourquoi ? Parce que c’était le lieu de la loi et du sacerdoce, et que les deux convenaient au Christ, car, de même que le véritable prêtre devait offrir pour le peuple, de même le Christ offrit une victime pour le monde. De même, par la passion, il acquit le royaume. Aussi, Jérusalem veut dire «vision de paix». Col 1, 20 : Apportant la paix par le sang de sa croix à ce qui est sur terre ou dans les cieux.
2114. Ensuite la passion est annoncée. Il a annoncé sa passion à plusieurs reprises afin de la remettre en mémoire. Il aborde trois choses se rapportant à la passion, car il a souffert une trahison de la part d’un disciple : ET LE FILS DE L’HOMME SERA LIVRÉ, à savoir, par un disciple. Il est question de cette trahison plus loin, 27, 10, et dans Ps 40[41], 10 : Celui qui mangeait mon pain s’est élevé à mes dépens. De même, [il a enduré] la condamnation par les dirigeants des prêtres et les scribes : ILS LE CONDAMNERONT À MORT. Jb 34, 17 : Comment peux-tu tellement condamner celui qui est juste ? Sg 2, 20 : Condamnons-le à la plus humiliante des morts.
2115. ET ILS LE LIVRERONT AUX PAÏENS, car les Juifs le livrèrent aux mains des païens. C’est pourquoi Pilate dit : Ta nation et tes grands prêtres t’ont livré à moi [Jn 18, 35].
Et il aborde les trois choses qu’ils lui firent, à l’encontre des trois choses que désirent par-dessus tout les hommes : l’honneur, le repos et la vie. À l’encontre de l’honneur, on rit de lui ; c’est pourquoi il dit : POUR ÊTRE BAFOUÉ. Jr 20, 7 : J’ai été la risée pendant toute la journée ; et dans Ps 37[38], 12 : Mes amis et mes proches se sont ligués et levés contre moi. À l’encontre du repos, il fut flagellé ; c’est pourquoi [il dit] : POUR ÊTRE FLAGELLÉ. Is 1, 6 : J’ai présenté mon visage à ceux qui frappaient et mes joues à ceux qui me souffletaient. De même, à l’encontre de la troisième chose, il fut tué ; c’est pourquoi [il dit] : POUR ÊTRE CRUCIFIÉ. Ph 2, 8 : Le Christ s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix.
2116. Ensuite, il traite de la résurrection : ET LE TROISIÈME JOUR, IL RESSUSCITERA. C’est le Père qui a fait cela. Ainsi, en Ac 2, 24 : Lui que Dieu a ressuscité, en le délivrant des souffrances de l’enfer, puisqu’il était impossible qu’il soit gardé par lui. ET LE TROISIÈME JOUR. Selon Augustin, cela signifie que ce qui est simple chez lui a détruit ce qui est double chez nous. Os 6, 2 : Il nous redonnera vie après deux jours, et le troisième jour, il nous ressuscitera.
2117. ALORS LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE S’APPROCHA DE LUI. Ici est présentée la demande qui fut occasionnée [par ce qui précède]. Premièrement, la demande est présentée d’une manière générale ; deuxièmement, elle est explicitée, en cet endroit : MAIS EUX, etc. [20, 29].
[Matthieu] dit donc : ALORS LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE S’APPROCHA DE LUI. Ces fils étaient Jean et Jacques ; leur mère était Salomé. Salomé était donc le nom de la femme. Chez Marc, on lit que les fils firent la demande ; ici, on lit que ce fut la mère. Mais la vérité est que la mère la fit poussée par ses fils. SE PROSTERNANT, car elle fit la demande avec humilité. En effet, elle savait que la prière humble plaît toujours à Dieu. Ps 101[102], 18 : Il a regardé la prière des humbles. Jdt 9, 1 : Se prosternant devant le Seigneur, elle criait vers le Seigneur. POUR LUI DEMANDER QUE QUELQUE CHOSE lui soit accordé, c’est-à-dire : «Je demande que tu m’accordes ce que je veux.» Et cette demande ne doit pas être acceptée, et c’est folie pour celui qui l’accepte de l’accepter. On lit à propos d’Hérode qu’il accorda cela à la fille d’Hérodiade. Salomon l’accorda à sa mère, mais parce qu’il était sage, il revint sur sa promesse imprudente.
2118. C’est pourquoi le Christ, plus sage, ne voulut pas y donner suite avant qu’elle ne soit explicitée, plus haut, 12, 42 : Il y a ici plus que Salomon. Suit donc l’explicitation de la demande : ORDONNE QUE MES DEUX FILS QUE VOICI SIÈGENT, L’UN À TA DROITE, L’AUTRE À TA GAUCHE, DANS TON ROYAUME.
Mais une question se pose : où cette femme avait-elle pris cette idée ? Elle avait entendu parler de la passion et de la résurrection ; elle en avait donc conçu quelque chose de charnel, qui devait se réaliser immédiatement à Jérusalem. Elle voulut donc demander que ses fils soient avantagés. Elle avait aussi entendu dire que les Douze devaient juger ; elle voulait donc que les siens aient préséance. Elle comprenait donc au sens littéral. Et il faut savoir que Jacques et Jean étaient les plus honorés par le Christ après Pierre. Ils voulaient donc écarter Pierre.
2119. Chrysostome donne une autre interprétation : cette [femme] demanda quelque chose de spirituel, et elle doit être louée pour cela, car les mères demandent ce qui est temporel plutôt que ce qui est spirituel. De sorte que la mère, si elle voit son fils pécher, ne s’en afflige pas autant que si elle le voit malade. Ainsi, par la droite, sont signifiées les réalités spirituelles, et, par la gauche, les réalités terrestres. Ou bien, nous pouvons comprendre par la droite et la gauche la vie active et la vie contemplative. [La mère] demande donc que [ses fils] soient parfaits dans les deux vies. Ct 2, 6 : Sa gauche sera sous ma tête et sa droite m’enlacera.
2120. JÉSUS LUI RÉPONDIT. Ici est présentée la réponse ; ensuite, les murmures des autres, en cet endroit : LES DIX AUTRES, QUI AVAIENT ENTENDU CELA, S’INDIGNÈRENT CONTRE LES DEUX FRÈRES.
À propos du premier point, [le Seigneur] fait trois choses : premièrement, il blâme leur sottise ; deuxièmement, il soumet leur empressement à un examen, en cet endroit : POUVEZ-VOUS BOIRE LE CALICE QUE JE VAIS BOIRE ? ; troisièmement, il repousse leur demande, en cet endroit : IL NE M’APPARTIENT PAS D’ACCORDER QUE VOUS SIÉGIEZ À MA DROITE ET À MA GAUCHE.
2121. Mais de quoi s’agit-il ? Eux-mêmes ne le demandaient pas, mais leur mère. Le Seigneur savait que celle-ci le demandait à leur instigation. Il leur répond donc, comme il avait répondu plus haut, 16, 23, à Pierre : Tu ne sais pas ce que tu dis. VOUS NE SAVEZ PAS CE QUE VOUS DEMANDEZ, comme s’il disait : «Vous ne devez pas demander des choses temporelles, mais l’excellence spirituelle.» Ou alors, s’ils l’entendaient [de choses] spirituelles, ils demandaient d’être placés au-dessus de toutes les créatures, car siéger à la droite ne convient à aucune créature, comme on le trouve en He 1, 13 : Auquel des anges a-t-il dit un jour : «Siège à ma droite ?» Ainsi donc, siéger à la droite dépasse toute créature. Autre interprétation, selon Hilaire : VOUS NE SAVEZ PAS CE QUE VOUS DEMANDEZ, car je vous ai déjà accordé ce que vous demandez. En effet, il a été dit plus haut, 19, 28 : Vous siégerez sur douze trônes, etc. Ou bien, autre [interprétation] : VOUS NE SAVEZ, car je vous ai appelés à la droite, et vous demandez qu’un soit à la gauche ? Ou bien, le Diable, comme il avait attiré l’homme à la gauche par le truchement d’une femme, voulait ramener ceux-ci à gauche par le truchement d’une femme. Mais il n’y réussit pas, puisque le salut est venu par une femme.
2122. Ou
bien : VOUS NE SAVEZ PAS, car vous vous disputez une récompense sans
qu’elle ait été précédée par un mérite. Vous devez donc considérer que l’on
n’accède à la récompense que par le mérite. Je veux donc d’abord vous soumettre
à un examen [afin de savoir] si vous pouvez souffrir, etc. [Le Seigneur] dit
donc : POUVEZ-VOUS BOIRE LE CALICE QUE JE VAIS BOIRE ? Ici, il les
soumet à un examen et les oriente délicatement vers la passion, car il appelle
la passion un calice. Il est question de celui-ci en
Ps 115]116], 13 : Je
prendrai le calice du salut, puis vient ensuite : La mort de ses saints est précieuse au regard du Seigneur. [La
passion] est appelée un calice, parce qu’elle enivre. Il dit aussi : QUE
JE VAIS BOIRE. 1 P 2, 21 : Le Christ a souffert pour nous, en vous laissant un exemple pour que
vous suiviez ses traces.
2123. ILS LUI RÉPONDIRENT : «NOUS LE POUVONS.» Pourquoi répondent-ils ainsi ? Pour trois raisons. Premièrement, par amour du Christ, car ils étaient tellement attachés au Christ que la mort ne pourrait les séparer de lui, comme le dit Pierre, plus loin, 26, 35 : Même si je devais mourir avec toi, je ne te renierai pas. Aussi, par ignorance, parce qu’ils ne tenaient pas compte de leurs forces, car ceux à qui [une chose] paraît parfois légère avant le fait défaillent [devant] la réalité. Ils répondirent aussi par cupidité d’obtenir ce qu’ils avaient demandé. Ils croyaient ainsi obtenir aussitôt ce qu’ils demandaient ; ils affirment donc aussitôt : NOUS LE POUVONS, par cupidité.
2124. Ensuite, [le Seigneur] repousse leur demande. Premièrement, il annonce la passion à venir ; deuxièmement, il répond à la demande.
Il dit donc : VOUS BOIREZ MON CALICE. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Il est vrai que Jacques l’a bu. Ainsi, en Ac 12, 2 : Mais il tua par le glaive Jacques, le frère de Jean. Mais Jean est mort sans [avoir bu] le calice de la passion. Mais il faut dire qu’il ne l’a pas bu jusqu’à la mort ; il fut cependant flagellé, plongé dans l’huile et exilé. De même a-t-il supporté bien des souffrances, et ainsi il ne lui fut pas épargné de boire le calice.
2125. QUE VOUS SIÉGIEZ À MA DROITE. Ici, il répond à la demande de la gloire. Si le Seigneur avait dit : «Je vous l’accorderai», les autres auraient été contristés. S’il avait refusé, [Jacques et Jean] auraient été contristés. C’est pourquoi il leur dit : IL NE M’APPARTIENT PAS D’ACCORDER QUE VOUS SIÉGIEZ À MA DROITE ET À MA GAUCHE, MAIS C’EST POUR CEUX À QUI MON PÈRE L’A PRÉPARÉ. À partir de ce passage, les ariens ont soutenu que la dignité du Père et du Fils n’est pas égale. Jérôme et d’autres expliquent que [le Seigneur] lui-même donne en même temps que le Père. Il veut donc dire : IL NE M’APPARTIENT PAS DE VOUS ACCORDER, comme s’il disait : «L’éminence de la dignité n’est pas donnée à la personne, mais au mérite, et cela selon la prédestination divine.» 1 Co 2, 9 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, ni n’est apparu dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment. Jn 14, 3 : Si je m’en vais, je vous préparerai un endroit, etc. Par cela, [on voit] que le Père et lui-même préparent [un endroit]. Ou bien : IL NE M’APPARTIENT PAS D’ACCORDER, sans le mérite, mais pour les personnes qui l’obtiennent par le mérite ; mais cela m’appartient par la prédestination, qui me vient de mon Père. Augustin [dit] ceci : «Salomé était la sœur de la mère du Christ, et parce qu’ils croyaient obtenir davantage par l’intercession d’une personne plus proche [du Seigneur], ils croyaient qu’il devait le leur accorder, parce qu’ils étaient unis selon la chair. Mais en lui, en une seule personne, existaient deux natures. Il dit donc : «IL NE M’APPARTIENT PAS, à savoir, selon le pouvoir que je tiens du Père. Je vous accorderai donc selon que mon Père en aura disposé.»
2126. EN ENTENDANT CELA, LES DIX AUTRES S’INDIGNÈRENT CONTRE LES DEUX FRÈRES. Plus haut, le Seigneur a repoussé une demande indiscrète de disciples. Ici, il présente l’indignation des autres. Premièrement, l’indignation est présentée ; deuxièmement, elle est réprimée par la parole ; troisièmement, par un geste. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS JÉSUS LES APPELA ET DIT… [20, 25] ; le troisième, en cet endroit : LE FILS DE L’HOMME N’EST PAS VENU POUR ÊTRE SERVI, MAIS POUR SERVIR [20, 28].
Il faut observer que, de même que les deux frères voulaient être supérieurs par un certain orgueil, de même ceux-ci se sont indignés par un certain orgueil. Pr 1, 10 : Entre les orgueilleux, il y a toujours des querelles. Mais pourquoi : CONTRE LES DEUX FRÈRES ? Parce ce ne sont pas ceux-ci qui avaient demandé, mais leur mère. Mais les disciples avaient compris par les paroles du Seigneur que la mère avait demandé à titre de porte-parole. Mais pourquoi ne se sont-ils pas indignés plus tôt ? Chrysostome dit qu’ils vénéraient le maître ; ils attendaient donc sa décision. Mais lorsqu’ils entendirent le maître reprendre [les deux frères], alors ils s’indignèrent.
2127. Ensuite, [le Seigneur] reprend [les disciples]. Premièrement, il fait état de l’exemple des païens ; deuxièmement, il enseigne que cet exemple ne doit pas être suivi, en cet endroit : VOUS SAVEZ QUE LES DIRIGEANTS DES PAÏENS LES TRAITENT EN MAÎTRES [20, 25] ; troisièmement, il propose ce qui doit être imité, en cet endroit : IL N’EN DOIT PAS ÊTRE AINSI PARMI VOUS [20, 26].
2128. [Matthieu] dit donc : JÉSUS LES APPELA, en donnant un exemple d’humilité, plus haut, 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. ET IL DIT : VOUS SAVEZ QUE LES DIRIGEANTS DES PAÏENS LES TRAITENT EN MAÎTRES. Pour les Juifs, les païens étaient abominables, comme on le voit plus haut, 18, 17 : Qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain. [Le Seigneur leur] inspire donc de l’horreur : LES DIRIGEANTS DES PAÏENS LES TRAITENT EN MAÎTRES, afin d’indiquer que cet exemple ne doit pas être imité. Mais il faut remarquer qu’il existe une double prééminence : celle de la dignité et celle du pouvoir, et il aborde les deux lorsqu’il dit : LES DIRIGEANTS DES PAÏENS LES TRAITENT EN MAÎTRES, etc. Il s’agit des dirigeants dont la prééminence vient de la fonction.
Mais qu’est-ce que cela ? Est-ce que se comporter en maître est mal ? Se comporter en maître est employé parfois pour gouverner, et ce n’est pas en ce sens que [l’expression] est employée ici. Mais parfois [cela indique] le rapport avec le serviteur, et cela veut alors dire la même chose que traiter un serviteur en esclave, et c’est en ce sens que [l’expression] est employée ici. En effet, les dirigeants ont été établis afin d’assurer le bien des sujets ; s’ils veulent les réduire en esclavage, alors ils abusent, parce qu’ils font d’hommes libres des esclaves. En effet, est libre celui qui est cause par lui-même ; est esclave celui qui est cause par un autre. Et parce que cela était courant chez les païens et que cela l’est encore chez certains, il dit donc, Ex 22, 27 : Tes dirigeants seront chez lui comme des loups rapaces. De même, certains ont une élévation non pas par la dignité, mais par le pouvoir, comme c’est le cas de certains nobles. Or, il est courant que ceux qui possèdent le pouvoir n’en usent pas pour le bénéfice [de leurs sujets], mais LEUR FONT SENTIR LEUR POUVOIR, à savoir, pour les opprimer, et non en vue de la justice.
2129. Mais le Seigneur ne veut pas de cette coutume dans son Église. C’est pourquoi il dit : IL N’EN DOIT PAS ÊTRE AINSI PARMI VOUS, c’est-à-dire, il ne doit pas y en avoir un qui se comporte en maître. 1 P 5, 3 : Non pas en vous comportant en maîtres à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage. À l’encontre de cela, il fait deux choses : CELUI QUI VOUDRA DEVENIR GRAND PARMI VOUS, et cela se rapporte à ce qui est dit en second lieu ; ET CEUX QUI VOUDRONT ÊTRE LES PREMIERS PARMI EUX, c’est-à-dire si quelqu’un désire être premier dans l’Église du Saint-Esprit, QU’IL SOIT COMME UN ESCLAVE. 1 P 4, 10 : Chacun selon la grâce reçue, mettez-vous au service les uns des autres, comme de bons intendants, de sorte que plus tu possèdes, plus tu dispenses sous forme de service. Ainsi, CELUI QUI VOUDRA DEVENIR GRAND PARMI VOUS, à savoir, dans l’Église, QU’IL DEVIENNE COMME UN SERVITEUR, c’est-à-dire qu’il se mette au service des besoins des autres.
2130. Quant à ce qui est dit : LES DIRIGEANTS DES PAÏENS LEUR FONT SENTIR LEUR POUVOIR, il dit : CELUI QUI VOUDRA ÊTRE LE PREMIER PARMI VOUS, QU’IL SOIT VOTRE ESCLAVE, à savoir si quelqu’un désire obtenir la primauté dans l’Église, qu’il sache que cela ne signifie pas posséder une domination, mais une servitude. En effet, il revient au serviteur de se consacrer entièrement au service du maître ; de même, les prélats de l’Église doivent à leurs sujets tout ce qu’ils ont, tout ce qu’ils sont. 1 Co 9, 19 : Alors que j’étais libre à l’égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous ; 2 Co 4, 5 : Mais nous, vos serviteurs par Jésus. Ainsi, selon Chrysostome, «c’est une condition misérable».
2131. On a donc dit qu’il ne faut pas agir selon la coutume des païens. Parce que [les disciples] pourraient dire : «Qui suivrons-nous ?», [le Seigneur] dit : «Suivez-moi.» Et il montre qu’il est un serviteur en disant : C’EST AINSI QUE LE FILS DE L’HOMME N’EST PAS VENU POUR ÊTRE SERVI, MAIS POUR SERVIR. Cependant, ne lit-on pas plus haut, 4, 11 que les anges s’approchèrent et le servaient ? Ainsi, en Jn 12, 2, il est dit que Marthe servait. Je dis que, bien qu’on l’ait servi, il n’est cependant pas venu pour cela. Mais pour quoi ? Afin de servir, c’est-à-dire de dispenser l’abondance de [sa] gloire aux autres. L’Apôtre dit en Rm 15, 8 : Je dis que le Christ Jésus a été le serviteur des circoncis. Et [on lit] en Lc 22, 27 : Je suis parmi vous comme celui qui sert. Mais tu diras : «N’est-il pas serviteur tout en étant prince ?» Oui. En effet, on appelle serviteur celui qui est acquis à un certain prix, et lui-même s’est fait le prix et s’est donné en rançon pour un grand nombre. IL EST donc VENU SERVIR ET DONNER SON ÂME, c’est-à-dire sa vie corporelle, EN RANÇON POUR UN GRAND NOMBRE. Il ne dit pas : pour tous, car, du point de vue de la suffisance, [il s’est donné] pour tous, et du point de vue de l’efficacité, pour un grand nombre, c’est-à-dire pour les élus. Aussi Jn 15, 13 [dit] : Personne n’a une charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis. Jr 12, 7 : Ma précieuse vie, je l’ai livrée aux mains de mes ennemis.
2132. COMME ILS SORTAIENT DE JÉRICHO, UNE FOULE NOMBREUSE LES SUIVIT. L’indignation des disciples a été réprimée par la parole ; ici, il la réprime par un geste, [le Seigneur] exerçant un service à l’égard de certains. Premièrement, l’attachement de [ces] autres est présentée ; deuxièmement, la compassion du Christ, en cet endroit : JÉSUS, S’ARRÊTANT, LES APPELA [20, 12].
À propos du premier
point, l’attachement de la foule est présentée en premier lieu ; en second
lieu, celui des aveugles, en cet endroit : VOICI QUE DEUX AVEUGLES, etc.
[20, 30].
2133. [Matthieu] dit donc : COMME ILS SORTAIENT DE JÉRICHO, UNE FOULE NOMBREUSE LES SUIVIT, car nombreux étaient ceux qui [les] suivaient. Le Seigneur était donc préoccupé, comme une récolte abondante est la préoccupation du moissonneur. Mais, au sens mystique, Jéricho veut dire «manquement», et signifie «manquement du monde». Ainsi, si le Seigneur n’était pas venu pour ces manquements, les hommes ne seraient pas venus vers lui. Les foules le suivaient donc comme ses brebis. Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix et me suivent.
2134. Vient ensuite l’attachement des aveugles : ET VOICI QUE DEUX AVEUGLES, etc. Premièrement, l’attachement est présenté ; deuxièmement, la constance, en cet endroit : LA FOULE LES RABROUAIT POUR LEUR IMPOSER SILENCE [20, 31].
Mais ici se pose une question, car en Lc 18, 35, on lit qu’un seul aveugle s’élança vers lui, et ici, on dit qu’il y en eut deux qui s’élancèrent vers le Seigneur qui sortait de Jéricho. Mais Marc est d’accord avec Luc qu’il n’y en avait qu’un, et ainsi Matthieu s’écarte des deux. Augustin dit que cet aveugle, à propos duquel Luc écrit, était un autre que [ces deux-là], car il courut vers lui avant qu’il n’entrât à Jéricho. Or, Marc et Matthieu disent que [Jésus] sortait de Jéricho. Mais la raison pour laquelle Marc n’a pas parlé de deux [aveugles], comme Matthieu, est qu’un d’eux était plus connu et plus renommé et que, en raison de sa renommée, le miracle était plus connu. Et cela est clair, car [Marc] donne son nom, Bartimée [Mc 10, 46], et ne sont nommés dans l’Écriture que des hommes très connus.
2135. Par ces aveugles sont signifiés deux peuples, à savoir, le peuple des Juifs et le peuple des Gentils, QUI ÉTAIENT ASSIS AU BORD DU CHEMIN, qui est le Christ. Is 30, 21 : Voici le chemin : prenez-le ! Ou bien sont signifiés les convertis des deux peuples, QUI SONT ASSIS AU BORD DU CHEMIN, à savoir, le Christ. Jn 14, 6 : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Ils avaient entendu par la prédication que Jésus passerait selon [sa] nature humaine afin de subir la mort et qu’il guérirait les malades. ILS S’ÉCRIÈRENT donc : SEIGNEUR, AIE PITIÉ DE NOUS, FILS DE DAVID. La cause de [leur] exaucement ne fut pas la force de leur voix, mais la ferveur de leur attachement. Ps 119[120], 1 : J’ai crié vers le Seigneur dans mes tribulations et il m’a exaucé. De même, ils proclament qu’il est Dieu et homme. Dieu, car ils disent : SEIGNEUR. Ps 119[120], 3 : Sachez que le Seigneur est Dieu. Et ils demandent ce qui est propre à Dieu, à savoir : AIE PITIÉ DE NOUS. Ps 149[150], 9 : Sa compassion s’étend à toutes ses œuvres. Ils disent aussi qu’il est de la descendance de David, et, en cela, ils confessent [son] humanité.
2136. Ensuite, leur constance est présentée : premièrement, l’obstacle est présenté ; deuxièmement, [leur] constance.
[Matthieu] dit donc : LA FOULE LES RABROUAIT POUR LEUR IMPOSER SILENCE, dans la mesure du possible, car, parmi cette foule, il y en avait qui vénéraient le Christ, et ceux-ci rabrouaient [les aveugles], car ils estimaient méprisable que des personnes méprisables s’approchent d’un tel homme. Mais ceux qui s’écartaient du Christ [les] rabrouaient parce qu’ils entendaient ce qu’ils ne voulaient pas entendre. En effet, ils se plaignaient que [les aveugles] l’appelaient Fils de David. Jr 23, 5 : Je susciterai David, mon serviteur.
2137. Au sens mystique, cela signifie que certains, qui sont aveuglés par le péché, crient vers le Seigneur : «Aie pitié de nous.» Mais la foule des pensées charnelles et des hommes charnels les rabroue pour qu’ils ne viennent pas vers le Christ. Jb 20, 2 : Ainsi, des pensées diverses se succèdent et l’esprit s’oriente vers diverses choses. Mais, contre cela, l’homme doit être constant, combattre et travailler virilement, comme l’enseigne l’Apôtre, 2 Tm 2, 3 : Œuvre comme un bon soldat du Christ Jésus. Mais la parole de Dieu n’est pas liée aux paroles des hommes. C’est pourquoi vient ensuite : MAIS ILS CRIAIENT DE PLUS EN PLUS FORT.
2138. JÉSUS S’ARRÊTA. Ici est présentée la miséricorde de Jésus et on montre qu’IL S’ARRÊTA. Et pourquoi s’arrêta-t-il ? Parce que le chemin était pierreux et troué ; il voulut donc s’arrêter, car s’ils avaient continué, ils se seraient peut-être blessés. Au sens mystique, [il s’arrêta] parce que, en venant dans le monde, il poussa à demander, mais il donna le salut en s’arrêtant. Ainsi, par l’incarnation, les hommes sont mus vers l’avant, mais, par l’enseignement et la persévérance [du Christ], ils sont guéris.
2139. Vient ensuite : IL LES APPELA. Mais pourquoi les appela-t-il ? Pour que les autres leur laissent un passage. Il indique ainsi ceux que le Seigneur appelle par la prédestination. Rm 8, 29 : Ceux qu’il a connus d’avance et qu’il a prédestinés. De même, il s’enquiert de leur désir : QUE VOULEZ-VOUS QUE JE FASSE POUR VOUS ? Il ne demande pas afin de connaître, mais afin de laisser entendre qu’il répond avec tendresse à ceux qui demandent. Ps 144[145], 19 : Il fera la volonté de ceux qui le craignent.
2140. ILS LUI DISENT : «SEIGNEUR, QUE NOS YEUX S’OUVRENT !» Et il est juste que tous les pécheurs demandent cela. Ps 118[119], 18 : Découvre nos yeux et j’observerai tes merveilles. Et ailleurs, Ps 12[13], 4 : Éclaire mes yeux ! Ils confessaient Dieu en disant : SEIGNEUR, et l’homme, en l’appelant FILS DE DAVID.
2141. C’est pourquoi, IL EUT PITIÉ D’EUX. En effet, il fait tout par sa miséricorde. Lm 3, 22 : C’est par la miséricorde du Seigneur que nous n’avons pas été consumés. IL TOUCHA LEURS YEUX ET AUSSITÔT ILS VIRENT. Par le fait qu’il toucha leurs yeux et qu’ils virent aussitôt, sont abordées l’humanité et la divinité du Christ : le fait de toucher relevait de son humanité ; mais le fait de rendre immédiatement la vue était l’œuvre de la divinité. Le Seigneur lui-même touche par la grâce, mais il illumine par la gloire. Ps 143[144], 5 : Touche les montagnes, et elles fument.
Vient ensuite : ET ILS LE SUIVIRENT. Ils ne furent donc pas ingrats. En effet, beaucoup, avant d’obtenir un bienfait, suivent le Seigneur, mais, une fois le bienfait reçu, le quittent, à l’encontre de ce que [dit] Si 23, 38 : C’est une grande gloire de suivre le Seigneur.
Leçon 1 [Matthieu 21, 1‑22] 21, 1 Quand ils approchèrent de Jérusalem et furent
arrivés à Bethphagé, en vue du mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux de
ses disciples 21, 2 en leur disant : «Allez-vous en au bourg qui est
devant vous ; vous trouverez une ânesse attachée, avec son petit près
d’elle ; détachez-la et amenez-les-moi. 21, 3 Et si quelqu’un vous
dit quelque chose, vous direz : “Le Seigneur en a besoin, mais il les renverra
aussitôt.”» 21, 4 Tout cela est arrivé, afin que s’accomplît ce qui a été
dit par le prophète : 21, 5 Dites à la fille de Sion : «Voici
que ton Roi vient à toi ; doux, assis sur une ânesse, et un ânon, petit
d’une bête de somme.» 21, 6 Les disciples allèrent donc et firent
comme le leur avait ordonné Jésus, 21, 7 ils amenèrent l’ânesse et l’ânon.
Puis ils placèrent sur eux leurs manteaux. Et ils le firent asseoir dessus.
21, 8 Alors les gens, en très grand nombre, étendaient leurs manteaux sur
le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient le
chemin. 21, 9 Les foules qui le précédaient et le suivaient
criaient : «Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au
nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux !» 21, 10 Comme
il entrait dans Jérusalem, toute la ville fut agitée. On disait : «Qui
est-ce ?», 21, 11 et les foules disaient : «C’est le prophète
Jésus, de Nazareth en Galilée.»
21, 12 Puis Jésus entra dans le Temple et chassa
tous les vendeurs et acheteurs qui s’y trouvaient : il culbuta les tables
des changeurs et les sièges de marchands de colombes, dans le Temple.
21, 13 Il leur dit : «Il est écrit : “Ma maison sera appelée une
maison de prière. Mais vous, vous en faites un repaire de brigands !”»
21, 14 Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui s’approchèrent de
lui dans le Temple, et il les guérit. 21, 15 Voyant les prodiges qu’il
avait faits, les enfants se mirent à crier dans le Temple : «Hosanna au
fils de David !» Les grands prêtres et les scribes furent indignés
21, 16 et ils lui dirent : «Tu entends ce qu’ils disent,
ceux-là ?» Mais Jésus leur dit : «Bien sûr, n’avez-vous jamais lu ce
texte : Tu as mis ma louange dans la bouche des enfants et des
nourrissons ? 21, 17 Et les laissant, il sortit de la ville pour
aller à Béthanie, et il y demeura.
21, 18 Comme il rentrait en ville de bon matin, il
eut faim. 21, 19 Voyant un figuier près du chemin, il s’en approcha, mais
n’y trouva rien que des feuilles. Il lui dit : «Jamais plus tu ne porteras
de fruit !» A l’instant même le figuier se dessécha. 21, 20 À cette
vue, les disciples dirent tout étonnés : «Comment, en un instant, le
figuier est-il devenu sec ?» 21, 21 Mais Jésus leur répondit :
«En vérité, je vous le dis, si vous avez une foi qui n’hésite pas, non
seulement vous ferez ce que je viens de faire au figuier, mais même si vous
dites à cette montagne : “Soulève-toi et jette-toi dans la mer !”,
cela se fera. 21, 22 Et tout ce que vous demanderez dans une prière pleine
de foi, vous l’obtiendrez.»
Leçon 1 [Matthieu 21, 23‑46] 21, 23 Comme il était entré dans le Temple et
enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent et
lui dirent : «Par quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t’a donné
cette autorité ?» 21, 24 Jésus leur répondit : «Je vais vous
poser, moi aussi, une seule question ; si vous m’y répondez, moi aussi je
vous dirai par quelle autorité je fais cela. 21, 25 D’où venait le baptême
de Jean ? Du ciel ou des hommes ?» Mais ils se faisaient en eux-mêmes
ce raisonnement : «Si nous disons : “Du ciel”, il nous dira :
“Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ?” 21, 26 Et si nous
disons : “Des hommes”, nous avons à craindre la foule, car tous tiennent
Jean pour un prophète.» 21, 27 Et ils répondirent : «Nous ne savons
pas.» De son côté, il répliqua : «Moi non plus, je ne vous dis pas par
quelle autorité je fais cela.»
21, 28 Jésus leur dit : «Que vous en
semble ? Un homme avait deux fils. S’adressant au premier, il dit :
“Mon enfant, va travailler aujourd’hui à ma vigne.” 21, 29 Celui-ci
répondit : “Je ne veux pas.” Ensuite pris de remords, il y alla.
21, 30 S’adressant au second, il dit la même chose. Mais l’autre
répondit : “J’y vais, Seigneur.” Mais il n’y alla pas. 21, 1 Lequel
des deux a fait la volonté du père ?» Ils répondirent : «Le premier.»
Jésus leur dit : «En vérité, je vous le dis, les publicains et les
prostituées vous précèderont dans le Royaume de Dieu. 21, 32 Jean est venu
à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui ; mais
les publicains et les prostituées ont cru en lui. Mais vous, en voyant cela,
vous n’avez même pas eu de remords tardif qui vous fît croire en lui.»
21, 33 «Écoutez une autre parabole. Un homme était
propriétaire, et il planta une vigne. Il l’entoura d’une clôture, il y creusa
un pressoir et il y bâtit une tour ; ensuite, il la loua à des vignerons
puis il partit en voyage. 21, 34 Quand approcha le moment des fruits, il
envoya ses serviteurs aux vignerons pour en recevoir les fruits. 21, 35 Mais
les vignerons se saisirent de ses serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre,
en lapidèrent un troisième. 21, 36 De nouveau, il envoya d’autres
serviteurs, plus nombreux que les premiers, et ils les traitèrent de la même
façon. 21, 37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant :
“Ils respecteront peut-être mon fils.” 21, 38 Mais les vignerons, en
voyant le fils, se dirent par-devers eux : “Celui-ci est l’héritier :
venez ! Tuons-le, et nous aurons son héritage !” 21, 39 Et, s’en
emparant, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. 21, 40 Quand
viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ?»
21, 41 Ils lui disent : «Il fera périr misérablement ces misérables,
et il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui livreront les fruits en
leur temps.»
21, 42 Jésus leur dit : «N’avez-vous jamais lu
dans les Écritures : La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs, c’est
elle qui est devenue pierre angulaire ; c’est là l’oeuvre du Seigneur et
elle est admirable à nos yeux. 21, 43 En vérité, je vous le dis :
le Royaume de Dieu vous sera enlevé et sera confié à un peuple qui lui fera
produire ses fruits. Celui qui achoppera sur cette pierre s’y fracassera et
celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera.
21, 45 Les grands prêtres et les Pharisiens, en
entendant ses paraboles, comprirent qu’il parlait d’eux. 21, 46 Mais, tout
en cherchant à l’arrêter, ils craignaient les foules, car elles le tenaient
pour un prophète.
2142. Plus haut, l’évangile de Matthieu a été divisé en trois parties : dans la première, [Matthieu] présente l’entrée du Christ dans le monde jusqu’au troisième chapitre ; dans la seconde, son parcours ; dans la troisième, sa sortie. Une fois achevées les deux premières parties, il s’agit ici de la troisième. Et elle comporte des divisions, car il s’agit en premier lieu de certains préambules ; en second lieu, de la passion du Christ, et cela, dans le chapitre XXVI.
2143. Premièrement, la provocation des persécuteurs est présentée ; deuxièmement, le réconfort donné aux disciples, et cela, au chapitre XXVI.
[Le Seigneur] avait réconforté les disciples en prédisant l’avenir. Certains avaient été provoqués par sa gloire, qu’ils enviaient : c’est de cela qu’il est question dans le présent chapitre. Certains l’avaient été par sa science, et de cela il s’agit dans le chapitre XXII.
La première partie se divise en deux, car, en premier lieu, il est question de la gloire du Christ ; en second lieu, de l’indignation des persécuteurs, en cet endroit : LES GRANDS PRÊTRES ET LES SCRIBES, etc. [21, 45].
2144. À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, il présente la gloire du Christ manifestée pendant qu’il était en route ; deuxièmement, celle [qu’il manifesta] alors qu’il était dans la ville ; troisièmement, [il parle] de celle qu’il reçut de [son] pouvoir dans le temple. Le second point [se trouve] en cet endroit : QUAND IL ENTRA DANS JÉRUSALEM, etc. [21, 10] ; le troisième, en cet endroit : ET JÉSUS ENTRA DANS LE TEMPLE, etc. [21, 12].
En cours de route, la gloire lui fut apportée par deux choses : les disciples et [son] ministère auprès des foules. Le second point [se trouve] en cet endroit : ALORS UNE FOULE TRÈS NOMBREUSE ÉTENDIT SES VÊTEMENTS SUR LE CHEMIN [21, 8].
2145. À propos du premier point, [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il donne un ordre au sujet de son ministère ; deuxièmement, il en donne la raison ; troisièmement, [Matthieu] présente l’exécution de l’ordre. Le second point [se trouve] en cet endroit : TOUT CELA ARRIVA, etc. [21, 4] ; le troisième, en cet endroit : LES DISCIPLES ALLÈRENT DONC, etc. [21, 6]
À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, le lieu est présenté ; deuxièmement, les personnes à qui cela est arrivé ; troisièmement, l’ordre.
2146. Le lieu est présenté lorsque [Matthieu] dit : QUAND ILS APPROCHÈRENT DE JÉRUSALEM, etc. L’évangéliste a raconté en détail l’arrivée du Christ à Jérusalem. Premièrement, il a raconté comment il était venu de Galilée et comment il était passé par Jéricho et y avait redonné la vue à des aveugles qui se trouvaient tout proches. Ensuite, il dit : QUAND ILS APPROCHÈRENT DE JÉRUSALEM ET FURENT ARRIVÉS À BETHPHAGÉ, EN VUE DU MONT DES OLIVIERS. [Ce mont] porte ce nom parce que s’y trouvent beaucoup d’oliviers, et il est à un mille de Jérusalem. Bethphagé était une bourgade sacerdotale, car les prêtres accomplissaient leur service au temple selon un rythme hebdomadaire. Mais le jour du sabbat, le prêtre revenant du temple s’y rendait, car il ne devait pas faire plus de mille pas. Ceux qui s’étaient rendus au temple le jour du sabbat [précédent] en revenaient. Ou bien, Bethphagé est la même chose que «maison des mâchoires», car l’offrande des mâchoires était réservée au prêtre. Au sens moral, Jérusalem veut dire «vision de paix», et elle signifie la société des bons. Ps 121[122], 3 : Jérusalem, bâtie comme une ville, où tout ensemble fait corps.
2147. Ainsi, voulant se rapprocher de Jérusalem, [Jésus] passa par Bethphagé et par le don de la confession. Rm 10, 10 : On croit de cœur pour la justice, et on confesse de bouche pour le salut. Bethphagé est située sur le mont des Oliviers, où il y avait beaucoup d’oliviers. Is 5, 1 : La vigne a donné une abondance d’huile. Par l’huile, la miséricorde est signifiée, car elle a la propriété de réjouir. Ps 103[104],15 : Afin que son visage se réjouisse de l’huile. Ainsi réjouit la miséricorde : Dieu aime celui qui donne en riant, 2 Co 9, 7. L’huile sert aussi à allumer les lampes. Le Seigneur a ordonné qu’une huile très pure lui soit offerte. De même, [l’huile] est utile pour guérir les douleurs, et elle signifie la grâce du Saint-Esprit qui guérit. Ainsi, il est dit, en Lc 10, 34, que le Samaritain versa de l’huile dans le vin.
2148. ALORS IL ENVOYA DEUX de ses DISCIPLES EN LEUR DISANT. [Le Seigneur] signifiait la mission des apôtres dans le monde. Jn 20, 21 : Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Mais [il en envoya] DEUX afin de signifier la charité, qui exige au moins deux [personnes]. [On lit] ainsi ailleurs, Lc 10, 1 : Il les envoya deux à deux. Ou bien, [le nombre deux] signifie la vie active et la vie contemplative. Ou encore, les deux ordres de prédicateurs, à savoir, celui des Juifs et celui des Gentils. Ainsi, l’Apôtre [dit] en Ga 2, 8 : Celui qui a agi en Pierre pour en faire un apôtre a aussi agi en moi en faveur de Gentils. Ou encore, DEUX, qui devaient être envoyés vers les païens, Pierre et Philippe.
2149. Et [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il leur adresse un discours salutaire ; deuxièmement, il leur donne un ordre à propos du salut ; troisièmement, [un ordre] au sujet de l’opposition.
Il dit donc : ALLEZ AU BOURG QUI EST DEVANT VOUS. Au sens littéral, il y avait un bourg qui était devant eux, pour signifier le monde dans lequel le Seigneur les envoyait. Mc 16, 15 : Allant par tout le monde, prêchez l’évangile à toute créature. Et ce [monde] s’opposera. Jn 15, 19 : Je vous ai choisis au sein du monde ; c’est pourquoi le monde vous hait. Il dit donc : ALLEZ AU BOURG QUI EST DEVANT VOUS. [Le Seigneur] ordonne quelque chose et annonce à l’avance quelque chose. Il ordonne : ALLEZ etc. ; il annonce à l’avance : VOUS TROUVEREZ UNE ÂNESSE ATTACHÉE, AVEC SON PETIT. Les autres [évangélistes] ne mentionnent pas l’ânesse.
2150. Au sens moral, sont signifiés par l’ânesse et son petit les hommes qui vivent comme des animaux, parce qu’ils sont en cela semblables à des bêtes. Ps 48, 13 : L’homme, alors qu’il vivait dans le luxe, ne comprenait pas ; il se rapprochait de bêtes sans intelligence et leur devenait semblable. Par l’ânesse est signifiée la Judée ; par le petit, le peuple des Gentils. Et pourquoi le peuple juif est-il signifié par l’ânesse ? Parce que l’âne a une triple caractéristique. Premièrement, il est un animal stupide ; c’est pourquoi on l’appelle âne [a-sinus], c’est-à-dire insensé. Ainsi l’homme insensé abandonne-t-il la loi du Seigneur. Dt 32, 6 : Peuple stupide et insensé ! De même, [l’âne] est-il assigné aux fardeaux ; de la même façon, [le peuple] juif est-il accablé sous le poids de la loi, comme le dit Pierre, Ac 15, 10 : C’est un fardeau que ni nous ni nos pères n’avons pu porter. De même l’âne est-il un animal vil ; ainsi dit-on que ceux qui méprisent les commandements du Seigneur sont vils. Mais [une ânesse] ATTACHÉE, à savoir, par les liens de l’ignorance. Sg 17, 17 : Ils étaient tous attachés par la même chaîne de ténèbres. De même étaient-ils attachés par le lien du péché. Pr 5, 22 : Ses iniquités retiennent l’impie.
2151. DÉTACHEZ-LES ET AMENEZ-LES-MOI. Ici, [le Seigneur] indique le salut du peuple. Détachez-les des liens de l’ignorance par l’enseignement. Ps 106[107], 14 : Il les arracha aux ténèbres et à l’ombre de la mort. De même, [détachez-les] des liens des péchés ; ainsi il dit plus haut à Pierre, 16, 19 : Tout ce que tu auras délié sur la terre sera aussi délié dans le ciel. Et en Ps 31[32], 19 : Bienheureux ceux dont les fautes ont été remises et dont les péchés ont été couverts. Ainsi, [les apôtres], en convertissant le peuple, l’ont conduit à Jésus. 1 Co 1, 13 : Est-ce que Paul a été crucifié ? Is 56, 19 : Ils annonceront ma gloire aux païens. Mais, comme le dit l’Apôtre dans Tt 1, 9, il faut que l’évêque possède la doctrine, afin d’être en mesure d’exhorter dans la saine doctrine.
2152. Lorsque [le Seigneur] dit : DÉTACHEZ-LES, cela se rapporte donc à l’enseignement. Mais ce qui suit : SI QUELQU’UN VOUS DIT QUELQUE CHOSE, etc., cela se rapporte à [son] pouvoir. Ainsi, SI QUELQU’UN VOUS DIT QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, si on veut s’y opposer, VOUS DIREZ : «LE SEIGNEUR EN A BESOIN, ET IL LES RENVERRA AUSSITÔT.» Par cela est montrée la puissance du Christ, car ce n’est pas à cause des apôtres que [les gens] ont laissé faire, mais cela s’est produit par l’action du Christ qui change le cœur de manière invisible. Il laissait donc entendre qu’il était Dieu, car il appartient à Dieu seul de changer le cœur. Ainsi, le cœur des hommes est dans sa main. De même, lorsqu’il dit : AUSSITÔT, il laisse entendre que, de même que ceux-là ont aussitôt laissé faire, ceux-ci le rapporteraient de même aussitôt. Ou bien, au sens littéral, il ne le gardera qu’une journée et le renverra aussitôt, car il n’en a besoin que pour une journée.
Mais une question se pose à propos de l’interprétation mystique. Ne dit-il pas qu’il n’a pas besoin de nos biens ? Je dis qu’il n’en a besoin que pour nos besoins et pour sa gloire. Jl 2, 32 : Quiconque aura invoqué le nom du Seigneur sera sauvé. Tout ce qui invoque mon nom.
2153. TOUT CELA EST ARRIVÉ, etc. Ici est présentée la raison du commandement. Afin qu’on ne croie pas que cela avait été fait sans raison, [Matthieu] en donne la raison : AFIN QUE S’ACCOMPLÎT CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE, etc. Cela est dit par Zacharie, 9, 9. Mais AFIN n’a pas un sens final, mais consécutif. En effet, [le Seigneur] n’a pas fait cela parce que le prophète l’avait dit, mais c’est plutôt l’inverse, car la fin de la prophétie est le Christ.
2154. DITES À LA FILLE DE SION, etc. Annoncez à la fille de Sion : ainsi s’appelle le peuple de Jérusalem qui est aux pieds de la montagne de Sion. Cela signifie aussi l’Église entière, car Sion veut dire «lieu élevé». Annoncez ses exploits parmi les nations, Ps 9, 12. Sa dignité est annoncée à l’avance : VOICI QUE TON ROI. Ces Juifs avaient longtemps supporté des tyrans ; ils attendaient donc un roi, comme il est dit en Jr 23, 5 : Un roi régnera et il sera sage. Et il présente quatre traits qui mettent en lumière la dignité du roi et, ensuite, les quatre traits qui se trouvent chez les tyrans. Premièrement, l’affinité, car l’homme est plus affecté par ceux qui lui sont plus unis. Dt 17, 15 : Tu ne pourras établir un roi sur toi que s’il est ton frère. Il dit donc : VOICI QUE TON ROI, c’est-à-dire qu’il est de ta race. Mais parfois les rois se transforment en tyrans parce qu’ils recherchent leur propre bien, ce qui est opposé au comportement du roi. Il dit donc : IL VIENT À TOI, à savoir, pour ton bien. Ha 3, 13 : Tu es allé vers le salut avec ton Christ. DOUX : la douceur appartient au roi, car l’infliction d’une peine relève de la férocité. Pr 20, 28 : La miséricorde et la justice garderont le roi. Ainsi David fut-il aimé du peuple parce qu’il était doux. De même, l’humilité est nécessaire, car le Seigneur rejette les orgueilleux ; c’est pourquoi il dit : ASSIS SUR UNE ÂNESSE. Plus haut, 9, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur.
2155. LES DISCIPLES ALLÈRENT DONC ET, COMME LE LEUR AVAIT ORDONNÉ JÉSUS. Après que l’ordre a été présenté, ici est présentée l’exécution de l’ordre. Premièrement, d’une manière générale : LES DISCIPLES ALLÈRENT. Voici qu’est donné l’ordre d’obéir. Ex 29, 35 : Nous ferons tout ce que le Seigneur a ordonné.
2156. Ensuite, d’une manière
particulière : ILS AMENÈRENT L’ÂNESSE ET L’ÂNON. Par cela est signifié
qu’ils ont converti les Juifs et les Gentils, comme on le trouve en
Rm 1, 14 : Je suis le
débiteur des Grecs et des barbares, des sages et des insensés.
PUIS ILS PLACÈRENT SUR EUX LEURS MANTEAUX. Les manteaux sont leurs vertus. Col 3, 12 : Revêtez-vous donc, comme des saints élus et aimés de Dieu, des entrailles de la miséricorde. Ils placèrent leurs manteaux parce qu’ils étaient un exemple pour les autres, comme il est dit en Ph 3, 7 : Frères, soyez mes imitateurs et observez ceux qui progressent, comme vous en avez eu un exemple en nous. ET ILS LE FIRENT ASSEOIR DESSUS. D’après le texte, il est dit plus haut qu’il y en avait deux, car [il s’est imposé] aux cœurs des Juifs et des Gentils.
2157. ALORS LES GENS EN TRÈS GRAND NOMBRE ÉTENDIRENT LEURS MANTEAUX SUR LE CHEMIN. Après avoir précisé le service des disciples, [Matthieu] précise la gloire [manifestée à Jésus] par les foules. Et, en premier lieu, la gloire qu’elles lui manifestent par leurs actes ; en second lieu, qu’elles lui manifestent par la parole, en cet endroit : ET LES FOULES… CRIAIENT [21, 9].
En premier lieu, ILS ÉTENDAIENT LEURS MANTEAUX ; en second lieu, DES BRANCHES D’ARBRES. Et pourquoi ? Pour lui rendre honneur, comme la route suivie par les grands hommes est recouverte. Aussi, parce que c’est un chemin pierreux ; ainsi, pour qu’il ne se blesse pas, ils recouvraient [le chemin].
2158. Au sens mystique, les disciples étendirent leurs manteaux sur l’ânesse. Ceux-ci signifient les vertus qu’ils avaient reçues de Dieu et qu’ils ont communiquées aux Gentils et aux Juifs. Mais les manteaux des foules sont les dispositions de la loi qui ont été enlevées à cause du Christ. Ph 3, 7 : Ce qui était pour moi un profit, je l’ai estimé un préjudice à cause du Christ. De même, par les manteaux [sont signifiés] les corps. Ap 3, 4 : À Sardes, quelques-uns des tiens n’ont pas souillé leurs vêtements. Les premiers qui étendirent leurs manteaux sur le chemin furent donc les premiers martyrs. Rm 12, 19 : Ne vous défendez pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez la colère s’exercer.
D’AUTRES
COUPAIENT DES BRANCHES AUX ARBRES. Celles-ci sont les branches qui devaient
fructifier, par lesquelles les saints pères sont signifiés. Celui-là donc coupa
des branches qui les convertit au Christ. Ps 1, 3 : Il sera comme un arbre planté sur le bord
d’un cours d’eau.
2159. LES FOULES QUI LE PRÉCÉDAIENT ET LE SUIVAIENT CRIAIENT. Ici est présenté l’honneur qui lui fut rendu par la parole. Mais par qui ? Par ceux qui le précédaient et le suivaient, à savoir, par ceux qui ont vécu avant sa venue et après. Et les deux demandent le salut et l’obtiennent du Christ. 2 Co 6, 13 : Ayant la même récompense. Or, les foules demandaient le salut. ELLES CRIAIENT DONC EN DISANT : «HOSANNA AU FILS DE DAVID, etc.» Ce salut est commencé dans le temps présent et s’accomplit dans l’avenir, plus haut, 1, 21 : Il sauvera son peuple de ses péchés.
2160. ELLES DISAIENT donc : «HOSANNA, etc.» Plusieurs disent que cela signifie la rédemption. Mais c’est la même chose que : «Je t’en prie : sauve-moi.» Anne exprime le sentiment de celui qui supplie [Lc 2, 36‑38]. Ps 11, 2 : Sauve-moi ! Et elles demandent [ce salut] au fils de David. Ainsi est-il écrit en Jr 23, 5 : Je susciterai David, un juste descendant, puis suit : En ces jours, Juda sera sauvé. Et il aurait pu faire cela parce qu’il était le fils de David ? Non, mais parce qu’IL EST VENU AU NOM DU SEIGNEUR. Pourquoi ? Parce qu’il est venu en confessant le Seigneur. Jn 5, 43 : Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas accueilli. Il n’existe donc qu’un seul salut : la libération des péchés. Is 35, 4 : Celui-là viendra et il nous sauvera. Il existe aussi un autre salut par lequel nous sommes libérés de toute peine. Is 51, 8 : Mon salut sera éternel et ma justice ne défaillira pas. Et cela, AU PLUS HAUT DES CIEUX, c’est-à-dire : «Donne d’abord le salut sur terre, puis ensuite au ciel.»
2161. COMME IL ENTRAIT DANS JÉRUSALEM, etc. Ici, il s’agit de la gloire manifestée dans la ville. Premièrement, l’admiration de la foule est présentée : TOUTE LA VILLE FUT AGITÉE, à savoir, dans l’admiration. Is 60, 5 : Alors, tu verras et seras radieuse, ton cœur s’émerveillera et se dilatera. Ps 59[60], 4 : Tu as ébranlé la terre et l’as troublée.
ON DISAIT : «QUI EST CELUI-CI ?» Il n’est pas étonnant que ceux-ci soient étonnés, car même les anges s’étonnent dans leur ascension en disant : Qui est celui-ci qui vient d’Édom, de Bosra en habits éclatants ?, Is 63, 1.
2162. La réponse est donnée : LES FOULES DISAIENT : «C’EST LE PROPHÈTE JÉSUS, DE NAZARETH EN GALILÉE.» «Prophète» signifie l’acte d’annoncer. DE NAZARETH, car c’est là qu’il avait été élevé et par cela qu’il était le mieux connu. On l’appelait donc le Nazaréen.
2163. PUIS, JÉSUS ENTRA DANS LE TEMPLE ET CHASSA TOUS LES ACHETEURS ET LES VENDEURS. Plus haut, l’évangéliste a montré la gloire qui avait été manifestée au Christ en cours de route et dans la ville ; maintenant, [il s’agit] de la gloire pour ce qui arriva dans le temple. Trois choses se produisirent dans le temple, qui se rapportent à la gloire du Christ : premièrement, il purifia le temple ; deuxièmement, il guérit les malades ; troisièmement, il fit parler les enfants. L’évangéliste précise successivement ce qu’il en est de chacune.
À propos de la première, il présente d’abord la visite au temple ; deuxièmement, sa purification ; troisièmement, le reproche adressé aux Juifs. Le second point [se trouve] en cet endroit : IL CHASSA TOUS LES VENDEURS ET LES ACHETEURS ; le troisième, en cet endroit : IL LEUR DIT, etc. [21, 13].
2164. [Matthieu] dit donc : PUIS, JÉSUS ENTRA DANS LE TEMPLE, etc. Mais pourquoi, en entrant dans la ville, se rendit-il immédiatement au temple ? Une raison est qu’il était venu comme la victime qui doit être immolée ; il se rendit donc d’abord au lieu de l’immolation, et c’était le jour déterminé pour que l’agneau soit présenté, comme on lit, en Ex 12, 6, que l’agneau devait être présenté à la dixième lune et devait être tué à la quatorzième lune. Mais [Jésus] fut tué le jeudi soir. L’offrande devait donc être faite le jour des Rameaux. La seconde raison était qu’il se montrât le Fils du Père qui devait être révéré : afin de montrer sa révérence envers le Père, il vint à la maison de son Père. Ml 1, 6 : Si je suis le père, où est mon honneur ? Par cela nous est donné un exemple de religion, de sorte que, lorsque nous arrivons dans une ville, nous nous rendions d’abord au temple. Ps 5, 8 : J’adorerai dans son saint temple. Il agit aussi comme un bon médecin, qui s’adresse d’abord à la cause de la maladie. Ainsi, la maladie et la cause de la corruption spirituelle viennent du temple, car si le prêtre est corrompu, le peuple sera aisément corrompu. Il se rendit donc d’abord au temple afin de donner d’abord la guérison autour du temple. Ez 9, 6 : Commencez par mon temple.
2165. Pour comprendre cela, vous devez comprendre, comme on le lit en Ex 23, 15, que tous les fils d’Israël devaient se présenter une fois par an devant le Seigneur, et ils ne devaient pas se présenter les mains vides, mais ils devaient donner leurs offrandes. Ainsi, ceux qui demeuraient loin amenaient avec eux leurs animaux afin d’en tirer profit. De même, parce que certains n’avaient pas d’argent, on disposait de menue monnaie qui conviendrait à ceux qui n’en avaient pas, afin qu’ils ne puissent ainsi être exemptés de l’offrande. Mais parce qu’il était défendu de s’adonner à l’usure, on n’acceptait pas d’usure, mais des petits présents appelés coliba, à savoir, des raisins secs ou des choses de ce genre. De même, parce que certains étaient pauvres et ne pouvaient posséder de gros animaux, et parce qu’on ne leur faisait pas crédit, il y avait des serviteurs qui vendaient des colombes et des tourterelles, afin que l’offrande ne fasse défaut à personne.
2166. Le Seigneur ne reprochait donc pas les offrandes, mais leur cupidité. Il dit donc : IL CHASSA LES VENDEURS ET LES ACHETEURS, au sens propre. Les vendeurs étaient des serviteurs des prêtres. Ils avaient aussi de la menue monnaie : c’est pourquoi IL CULBUTA LES TABLES DES CHANGEURS ET LES SIÈGES DE MARCHANDS DE COLOMBES, c’est-à-dire les bancs sur lesquels ils étaient assis.
2167. Au sens mystique, DANS LE TEMPLE, c’est-à-dire dans l’Église, il y en a qui soupirent après les avantages temporels, et qui sont chassés de l’Église, car ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et les pièges du Diable, 1 Tm 6, 9. On peut dire que les changeurs sont les diacres, à qui est confiée l’administration des biens temporels, comme on le trouve en Ac 6, 2. Ainsi, lorsqu’ils transforment leur fonction de dispensation en collecte, ils doivent être chassés de l’Église. On entend par la colombe l’Esprit Saint ; les vendeurs de colombes sont donc les prélats qui vendent les dons spirituels, comme l’ordre et les choses de ce genre. Ac 8, 20 : Ton argent te mènera à la perdition. De même, on peut l’interpréter au sens où chacun est le temple de Dieu. 1 Co 3, 16 : Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu ? Ainsi donc, chacun doit chasser de soi la vente et l’achat, de sorte qu’il ne serve pas Dieu pour des richesses. De même en est-il pour l’avarice, qui est [signifiée] par les changeurs. De même pour le délit de simonie, [chacun doit-il] chasser même le désir de simonie de son cœur, qui est signifié par les sièges.
2168. Mais ici se pose une question sur le texte, car on trouve, en Jn 2, 14s, que ce miracle fut réalisé avant que Jean ne fût livré. Or, ici, on trouve que cela s’est produit alors que la passion était imminente. Augustin dit que ce miracle a été fait à deux reprises. Ils sont donc plus coupables, puisqu’ils avaient déjà été repris. De même, comme [Jésus] était un homme respectueux et humble, comment a-t-il pu faire cela contre la volonté des prêtres et des grands ? Jérôme dit que c’est «un très grand miracle que le Seigneur l’ait fait, et qu’une puissance émanait de son regard par laquelle il terrifiait les hommes lorsqu’il le voulait».
2169. ET IL LEUR DIT : «IL EST ÉCRIT, etc.» Ici, [le Seigneur] les reprend : premièrement, pour ce qui concerne la dignité du temple ; deuxièmement, pour ce qui est de son usage.
IL EST ÉCRIT, à savoir, en Is 56, 7 : Ma maison est une maison de prière..L’explication de ceci se trouve en 3 R [1 R] 8, 27, où il est dit : Alors que les hauteurs des cieux ne peuvent te recevoir, combien plus cette maison que je t’ai construite ? Elle n’est donc pas appelée la maison du Seigneur parce qu’il y habiterait corporellement, mais parce que le lieu est destiné à prier Dieu. De même qu’un seigneur possède un endroit où il reçoit les demandes et les entend favorablement, de même le temple est-il le lieu où le Seigneur entend les souhaits des fidèles. Notre Église est appelée une maison d’une manière particulière parce le Christ Dieu y habite corporellement dans le sacrement [de l’eucharistie]. Ps 147[148], 20 : Il n’a rien fait de tel pour une autre nation. Ainsi, Augustin dit dans la Règle : «Qu’on ne fasse rien dans l’oratoire que ce à quoi il est destiné.»
Ensuite, il les reprend pour ce qui est de l’usage [qu’ils font du temple] : MAIS VOUS, VOUS EN FAITES UN REPAIRE DE BRIGANDS, parce qu’ils tournent en collecte ce qui relève de la religion, et que les brigands habitent des grottes afin de voler les passants et empochent ce qui ne leur appartient pas.
2170. IL Y EUT AUSSI DES AVEUGLES ET DES BOITEUX. Ici est présenté ce qui se rapporte à la gloire du Christ du fait de la guérison des malades. Les aveugles qui se trouvent dans le temple signifient ceux qui ont été aveuglés par l’ignorance. Is 59, 10 : Nous avons tâté le mur comme des aveugles. Sont appelés boiteux ceux qui suivent le chemin des impies. 3 R [1 R] 17, 28 : Pourquoi boitez-vous des deux côtés ? Et ceux-ci s’approchent du Christ dans le temple et il les guérit. Le lieu convient à ce geste, par lequel il est signifié que les maladies spirituelles ne sont guéries que dans l’Église. [Le Seigneur] pose un geste [parlant], car les enfants se sont écriés plus haut : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Is 35, 4 : Voici que le Seigneur viendra et nous sauvera. Alors leurs yeux s’ouvriront.
2171. Vient ensuite l’indignation des prêtres. [Matthieu] dit donc : CE QUE VOYANT LES GRANDS PRÊTRES ET LES SCRIBES FURENT INDIGNÉS. Il est dit à leur sujet, en 2 Tm 3, 13 : Ils ne font qu’empirer ! Premièrement, le reproche est présenté ; deuxièmement, l’interrogation ; troisièmement, la réponse.
À propos du premier
point, [Matthieu] fait trois choses. Premièrement, la cause de l’indignation
est présentée ; deuxièmement, l’indignation est présentée ;
troisièmement, la réfutation est présentée.
2172. Ainsi, VOYANT LES PRODIGES QU’IL AVAIT FAITS, à savoir, redonner la vue aux aveugles, etc., et le fait qu’il avait chassé les acheteurs et les vendeurs ne comptait pas pour moins. En effet, voyant cela, ils dirent en se tournant vers lui : Tes témoignages sont étonnants ; aussi mon âme les a-t-elle scrutés, Ps 118[119], 129. De même, voyant LES ENFANTS CRIER : «HOSANNA, etc.», ils auraient dû être poussés à la révérence, plus haut, 11, 15 : Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et tu les as révélées aux tout-petits. Mc 4, 12 : Afin qu’ils voient sans voir.
2173. Ces enfants louaient donc, mais [les grands prêtres et les scribes] étaient indignés, et ils lui dirent : TU ENTENDS CE QU’ILS DISENT ? Comme s’ils disaient : «Il n’est pas juste qu’un simple homme supporte d’être loué comme Dieu», Ac 12, 22s. Mais Hérode a supporté d’être loué comme Dieu. C’est pourquoi il fut frappé par un ange et expira rongé par les vers. Par cela nous est donné l’exemple que, si nous sommes loués au-delà de ce que nous [sommes], nous ne devons pas le supporter. Mais [le Seigneur] ne pouvait pas être loué au-delà de ce qu’il était, car il était Dieu.
2174. Vient ensuite le reproche. Premièrement, ils sont rabroués en parole ; deuxièmement, par le geste.
MAIS JÉSUS LEUR DIT : «BIEN SÛR !» Le Seigneur répond très sagement. Ils avaient en tête que, s’il empêchait les enfants, ils auraient gagné leur point ; s’il ne le faisait pas, ils pourraient l’accuser. Mais le Seigneur répond avec tant de sagesse qu’il ne rabroua pas les enfants et que [les grands prêtres et les scribes] non plus ne purent le calomnier. Il dit donc : «ASSURÉMENT, je l’entends, mais ils ne disent rien contre moi.» Mais David dit : TU AS MIS LA LOUANGE DANS LA BOUCHE DES ENFANTS ET DES NOURRISSONS [Ps 8, 3]. Il ne dit pas : Tu as dit, mais : TU AS MIS DANS LA BOUCHE, puisque le fait que ces enfants louent Dieu vient de l’inspiration divine. Car les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4. Cela ne vient donc pas de l’initiative [des enfants], mais du Saint-Esprit. Sg 10, 21 : Lui qui rend éloquente la langue des enfants.
2175. Mais pourquoi dit-il : ENFANTS ? Car ceux-ci ne peuvent pas parler ; ils ne peuvent donc pas louer. Je dis qu’ils ne sont pas appelés enfants en raison de leur âge, mais de leur simplicité, parce qu’ils sont exempts de malice. L’Apôtre [dit] en 1 Co 14, 20 : Ne devenez pas des enfants pour ce qui est de l’intelligence, mais soyez des tout-petits pour ce qui est de la malice. Ils sont aussi appelés des nourrissons parce qu’ils ont été émus par les miracles. On est ému par les miracles comme s’il s’agissait de lait, car le lait se boit sans difficulté ; de même ceux-ci sont-ils menés à la foi avec douceur par un miracle. He 5, 12 : Vous aviez besoin de lait, et non de nourriture solide.
2176. ET LES LAISSANT, IL SORTIT DE LA VILLE POUR ALLER À BÉTHANIE. Ici, [Jésus] réfute par un geste : premièrement, par un geste qui le concerne ; deuxièmement, par un geste qui concerne le figuier.
[Matthieu] dit donc : LES LAISSANT, IL SORTIT [DE LA VILLE]. Le fait de les quitter ainsi était un signe qu’eux-mêmes l’avaient quitté. Jr 51, 9 : Nous avons guéri Babylone, et elle n’est pas guérie. POUR ALLER À BÉTHANIE, dans la «maison de l’obéissance». Là, en effet, demeure Jésus, Rm 6. ET IL Y DEMEURA, car il demeure en ceux qui lui obéissent. Ac 5, 29 : Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Et non seulement à Béthanie, mais en tous ceux qui lui obéissent. Ainsi, Jn 14, 15 : Si quelqu’un m’aime, il observera mes commandements, puis vient ensuite : Et nous ferons en lui notre demeure.
2177. COMME IL RENTRAIT EN VILLE DE BON MATIN, IL EUT FAIM. Ici est présentée une réfutation par un geste qui a valeur de figure. Premièrement, le geste est présenté ; deuxièmement, l’admiration des disciples.
À propos du premier point, l’occasion de faire un miracle est présentée ; deuxièmement, la stérilité de l’arbre ; troisièmement, la malédiction ; quatrièmement, l’effet.
[Matthieu] dit donc : COMME IL RENTRAIT EN VILLE DE BON MATIN, IL EUT FAIM. Par cela est signifiée la préoccupation qu’il avait du salut des Juifs. Ainsi, il vint donc de bon matin comme un ouvrier préoccupé de se nourrir, comme [il est dit] plus haut, 20, 1, que le royaume des cieux est semblable au maître qui sort de bon matin pour embaucher des ouvriers pour sa vigne. IL EUT FAIM, corporellement et spirituellement, car il désire toujours faire la volonté du Père. Jn 4, 34 : Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé. [Il eut faim] aussi corporellement. Mais comment ? Puisqu’il était Dieu, tout était en son pouvoir. Aussi pouvait-il jeûner quand il le voulait. Ainsi, plus haut, 4, 2 : Il jeûna quarante jours et quarante nuits. Mais, lorsqu’il le voulut, IL EUT FAIM.
2178. VOYANT UN FIGUIER. Mais pourquoi a-t-il fait un miracle particulièrement à propos du figuier ? Parce que c’est un arbre très humide. Aussi le fait qu’il se dessécha fut-il un miracle très manifeste. Et [le figuier] signifie la Judée pour deux raisons : il produit des figues qui mûrissent rapidement, et ceux-ci étaient les apôtres, qui sont les premiers [fruits] ; et aussi, ce fruit compte plusieurs graines sous une seule enveloppe, comme beaucoup étaient sous la même loi.
Et [ce figuier] se trouvait PRÈS DU CHEMIN, à savoir, le Christ, parce qu’il était en attente et ne voulait pas venir jusqu’au chemin. En effet, [le Christ] était le chemin. Jn 14, 6 : Je suis le chemin, la vérité et la vie ; et Is 36, 21 : Voici le chemin : suivez-le !
2179. IL S’EN APPROCHA. Chez Marc, on lit qu’il s’approcha pour voir s’il y trouverait quelque chose. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Ce n’était pas alors le temps des figues. Il faut dire que parfois l’Écriture présente une chose, non pas comme elle est en réalité, mais en raison de son effet. Ainsi, il ne s’est pas approché pour chercher, mais il s’est approché en raison de la suspicion des disciples. Il s’approcha donc en vue de faire un miracle. Il s’approcha d’elle, lorsqu’il visita la Judée. Lc 1, 78 : L’Astre d’en haut nous a visités. [Ce figuier] avait des feuilles, c’est-à-dire des observances légales, mais pas de fruit. De même certains ont-ils parfois une certaine apparence d’honnêteté, bien qu’ils soient mauvais et pervers à l’intérieur.
2180. Vient ensuite la malédiction : IL LUI DIT : «JAMAIS PLUS TU NE PORTERAS DE FRUIT !» Il semble qu’il ait mal agi, car ce n’était pas le temps des figues. De même, il semble qu’il ait causé du tort au propriétaire [du figuier]. Observe comment les paroles du Seigneur sont une figure, comme le sont ses gestes. Parfois, le Seigneur veut mettre en lumière son enseignement, et alors il le met en lumière chez les hommes ; parfois, [il veut mettre en lumière] sa puissance punitive, et alors il la met en lumière dans d’autres choses. Il exerça donc là son pouvoir pour montrer que la Judée serait stérile, comme on le trouve en Rm 11. Ainsi, il arrive parfois que certains, qui sont mauvais à l’intérieur, mais sont florissants à l’extérieur, sont desséchés par le Seigneur afin qu’ils ne corrompent pas les autres. 2 Tm 3, 8 : Des hommes à l’esprit corrompu et peu fiables en matière de foi, mais ils n’iront pas plus loin. Lc 13, 7 : Voici trois ans que je viens vérifier qu’il y a des fruits dans ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le !
2181. Vient ensuite l’effet : À L’INSTANT MÊME, LE FIGUIER SE DESSÉCHA. Ps 21[22], 16 : Ma puissance s’est desséchée comme une coquille, car, au temps des apôtres, le judaïsme se dessécha et après, les dispositions légales se desséchèrent à mesure que crût l’évangile. Et ils sont devenus abominables, une terre féconde s’est desséchée par la malice de ses habitants, Ps 106[107], 34.
2182. À CETTE VUE, LES DISCIPLES FURENT TOUT ÉTONNÉS. Ici, en premier lieu, l’étonnement est présenté ; en second lieu, la réponse à l’étonnement.
[Matthieu] dit : À CETTE VUE, LES DISCIPLES FURENT TOUT ÉTONNÉS, comme les hommes s’étonnent lorsqu’on voit un bon esprit se dessécher d’un coup. Ainsi [les disciples] s’étonnent de voir [le figuier] se dessécher si rapidement.
2183. MAIS JÉSUS LEUR RÉPONDIT, etc. Ici, [Jésus] répond [à l’étonnement des disciples] : premièrement, en montrant la puissance de la foi, ce pourquoi il dit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS. Plus haut, il a présenté la même position, mais ici il l’explique. Il dit donc : SI VOUS AVEZ UNE FOI QUI N’HÉSITE PAS. La foi doit donc être ferme et sans hésitation. Jc 1, 6 : Qu’il le demande avec foi sans hésiter. NON SEULEMENT VOUS FEREZ CE QUE JE VIENS DE FAIRE AU FIGUIER : en effet, lui-même habite en l’homme et agit en l’homme par la foi. Ainsi, comme lui-même agit, de même agit celui en qui il habite. SI VOUS DITES À CETTE MONTAGNE : «SOULÈVE-TOI ET JETTE-TOI DANS LA MER !», CELA SE FERA. Certains disent que cela n’est jamais arrivé. Jérôme dit que les apôtres ont fait beaucoup de choses qui ne sont pas écrites. De même, si on ne lit pas qu’ils l’ont fait, on lit que d’autres hommes apostoliques l’ont fait, comme le raconte Grégoire à propos de l’un [d’eux], ainsi qu’il a été dit plus haut. De même, le Seigneur n’a pas dit que cela arriverait, mais que cela pourrait [arriver], si cela était nécessaire. Mais la nécessité ne s’en est pas présentée.
2184. Au sens spirituel, nous entendons par la montagne le Diable. Ainsi, si vous dites au Diable : «JETTE-TOI À LA MER !», c’est-à-dire dans l’enfer, CELA SE FERA. Ou bien : [JETTE-TOI] DANS LA MER, c’est-à-dire dans les hommes mauvais. Ou bien, [on entend] par la mer l’orgueil. Ps 89[90], 2 : Avant que les montagnes n’apparaissent et que la terre et le monde ne soient formés, de toujours à toujours tu es Dieu. Ainsi, SI VOUS DITES à l’orgueilleux : «DÉPLACE-TOI» de chez les justes, ET JETTE-TOI À LA MER, c’est-à-dire chez les hommes mauvais. Ou bien, [on entend] par la montagne le Christ. Ainsi, SI VOUS DITES À CETTE MONTAGNE, c’est-à-dire au Christ, DÉPLACE-TOI, à savoir, de chez les Juifs, ET JETTE-TOI À LA MER, c’est-à-dire chez les Gentils, qui sont une mer par leur turbulence. Ac 13, 46 : Parce que vous vous êtes estimés indignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les païens.
[21, 22]
2185. De même, il aborde la puissance de la prière : TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ LORSQUE VOUS PRIEREZ AVEC FOI, VOUS LE RECEVREZ. Plus haut, 2, 7 : Demandez et vous recevrez.
2186. COMME IL ÉTAIT ENTRÉ [DANS LE TEMPLE]. Ici, [les grands prêtres et les scribes] reprennent [Jésus]. Premièrement, [leur] interrogation est présentée ; deuxièmement, la réfutation, en cet endroit : JÉSUS LEUR RÉPONDIT [21, 24].
À propos du premier point, [Matthieu fait] deux choses. Premièrement, des questions sont posées ; deuxièmement, les réponses du Christ [sont données].
Premièrement, la question des Juifs est posée ; deuxièmement, celle du Christ, en cet endroit : JÉSUS LEUR RÉPONDIT : «DE MON CÔTÉ, JE VAIS VOUS POSER UNE QUESTION, etc.»
2187. [Les grands prêtres et les scribes] disent donc : PAR QUELLE AUTORITÉ FAIS-TU CELA ? [Jésus] avait chassé les acheteurs et les vendeurs du temple, il avait aussi fait des miracles. Ils demandent donc en vertu de quel pouvoir il fait ces choses. Chrysostome dit qu’il y avait dans le monde deux pouvoirs : le pouvoir sacerdotal et le pouvoir royal. Ils l’interrogent donc sur le premier : «En vertu de quoi affirmes-tu que tu as ce pouvoir ?» [Ils l’interrogent] aussi sur le second : «Qui t’a donné ce pouvoir ? Le tiens-tu d’un prêtre ou de Dieu ?» En effet, la situation était que leurs fils succédaient aux prêtres pour le pouvoir. «Qui te l’a donné ? Tu ne le tiens pas de César, ni d’un prêtre.» Chrysostome dit donc que «tout homme estime qu’un autre est ce qu’il pense de lui». Ainsi, comme ceux-ci n’avaient pas une bonne opinion du Christ, etc.
2188. Ou bien, on peut mettre cela en rapport avec le fait des miracles. Il existe un pouvoir de Dieu et un pouvoir du Diable. Jb 41, 24 : Il n’existe pas sur terre de pouvoir qui puisse lui être comparé. Ainsi : PAR QUELLE AUTORITÉ FAIS-TU CELA ? Celle de Dieu ou celle du Diable ? Mais Origène objecte que s’il le faisait par l’autorité du Diable, il ne le dirait pas. Il donne donc une autre interprétation : il dit que le pouvoir de Dieu est multiple, l’un général, l’autre particulier, l’un se rapportant à telle chose, l’autre, à telle autre. Ils demandent donc en vertu de quel pouvoir, c’est-à-dire de quel degré de pouvoir, comme dans le cas des prophètes. En effet, certains avaient un pouvoir, d’autres, un autre.
2189. Selon Chrysostome, lorsque quelqu’un
interroge pour apprendre, il faut alors lui répondre la vérité ; mais
lorsqu’il [le fait] pour mettre à l’épreuve, il faut alors le reprendre et le
réfuter. Ainsi le Seigneur, comme il savait qu’ils le mettaient à l’épreuve,
dit : JE VAIS VOUS POSER, MOI AUSSI, UNE SEULE QUESTION : «D’OÙ
VENAIT LE BAPTÊME DE JEAN : DU CIEL OU DES HOMMES ?» Pierre a
baptisé, mais on ne parle pas du baptême de Pierre. Jean aussi a baptisé, et on
parle du baptême de Jean, parce que, dans le baptême de Jean, tout était le
fait de l’homme ; mais, dans le baptême de Pierre, les péchés étaient
remis, ce qui ne pouvait être fait par l’homme. Jn 1, 33 : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre
et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Bien que Jean ait
baptisé, il ne l’a pas fait de lui-même. Jn 1, 33 : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a
dit, etc.
2190. Ensuite, il est question des réponses : premièrement, de la réponse des Juifs ; deuxièmement, de celle du Christ.
Il est vrai que les petits ont cru, mais les Pharisiens étaient indignés. Car s’ils disaient que [le baptême de Jean] venait des hommes, ils seraient confondus. De même, tous considéraient Jean comme un prophète, plus haut, 11, 7 : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert, etc. ? ILS RÉPONDIRENT : «NOUS NE SAVONS PAS.» Ils mentent. Ps 26[27], 12 : L’iniquité se ment à elle-même.
La réponse du Christ est ensuite présentée : MOI NON PLUS, JE NE VOUS LE DIRAI PAS. En cela nous avons un exemple de ce que le Seigneur cache le reste à celui qui ne veut pas dire ce qu’il sait. Ainsi, dans Sg 7, 13 : J’ai appris sans feinte et je transmets sans envie.
2191. MAIS QUE VOUS EN SEMBLE ? UN HOMME AVAIT DEUX FILS, etc. Plus haut, le Seigneur a repoussé une question par son interrogation ; ici, il rabroue ceux qui avaient posé la question : premièrement, au sujet de leur malice, et cela dans deux paraboles, dont il explique et rend claire la seconde.
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente une parabole ; deuxièmement, l’explication, en cet endroit : JÉSUS LEUR DIT, etc. [21, 31].
À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il laisse le jugement aux auditeurs ; deuxièmement, il raconte le fait ; troisièmement, il demande un jugement.
2192. QUE VOUS EN SEMBLE ? Le fait qu’il laisse à ses adversaires de juger est un grand témoignage. Jb 6, 29 : Répondez, je vous en prie, sans contestation, et jugez de ce qui est juste.
Ensuite, il propose les faits : UN HOMME AVAIT DEUX FILS, etc. Cet homme est Dieu ; les deux fils sont les deux peuples. Si 33, 15 : Observez toutes les œuvres du Très-Haut, deux à deux, l’une face à l’autre. Ou bien, les deux genres d’hommes, les justes et les pécheurs. On ne parle pas de tous les justes, mais de ceux qui se reconnaissent justes ; et on ne parle pas de tous les pécheurs, mais de ceux qui font pénitence. Ou bien, ces deux fils sont les clercs et les laïcs.
2193. Il est donc question de l’obéissance. Premièrement, l’ordre est présenté ; deuxièmement, le refus ; troisièmement, l’exécution. S’ADRESSANT AU PREMIER. Le premier est le peuple des Gentils, qui commence avec Noé, comme le peuple des Juifs commence avec Abraham. De même, est appelé premier le peuple des laïcs, car les clercs existent pour les laïcs afin de les former. [L’homme] S’ADRESSA donc AU PREMIER, c’est-à-dire au peuple des Gentils, par une inspiration intérieure ou par la manifestation d’anges. IL DIT : «MON ENFANT, VA TRAVAILLER AUJOURD’HUI À MA VIGNE.» La vigne de Dieu est la justice. «Va travailler à la vigne», c’est-à-dire : «Fais des œuvres de justice.» Et il dit : AUJOURD’HUI, comme s’il s’agissait de toute la durée de ta vie. Et quand dit-il cela ? Lorsqu’il inspira intérieurement en donnant la lumière de la raison. Ps 4, 6 : Beaucoup disent : «Qui nous montrera de bonnes choses ?» La lumière de ton visage s’est imprimée en nous, Seigneur.
2194. Vient ensuite le refus : CELUI-CI RÉPONDIT : «JE NE VEUX PAS.» Ceci n’est rien d’autre que de mépriser les commandements de Dieu. Jb 21, 14 : Nous ne voulons pas connaître tes chemins.
Puis, suit l’exécution : ENSUITE, PRIS DE REMORDS, IL Y ALLA. Jr 31, 19 : Après que tu m’as converti, j’ai fait pénitence.
2195. Vient ensuite la désobéissance du second : premièrement, l’ordre est présenté ; deuxièmement, la transgression.
[Le Seigneur] dit : S’ADRESSANT AU SECOND. Celui-ci est le peuple juif ou le clergé, ou ceux qui se disent justes. IL LUI DIT LA MÊME CHOSE. MAIS L’AUTRE RÉPONDIT : «J’Y VAIS, SEIGNEUR.» Il professe qu’il observera la justice. Ainsi, le peuple juif dit : «Tout ce qu’ordonnera le Seigneur, nous le ferons.» Les clercs et certains religieux parlent de la même manière. Il promit donc d’y aller, MAIS IL N’Y ALLA PAS. Ml 2, 8 : Vous vous êtes écartés du chemin et avez été pour beaucoup cause de scandale ; vous avez rompu l’alliance, dit le Seigneur des armées.
2196. [Le Seigneur] précipite alors la conclusion : LEQUEL DES DEUX A FAIT LA VOLONTÉ DU PÈRE ? Le premier n’a pas promis, mais il l’a faite ; le second a promis, mais ne l’a pas faite. LEQUEL D’ENTRE EUX A FAIT LA VOLONTÉ DU PÈRE ? ILS RÉPONDENT : «LE PREMIER», car il est mieux de ne pas promettre que de ne pas accomplir ce qui a été promis après l’avoir promis, Qo 5, 4, et 2 P 2, 21 : Il est mieux de ne pas connaître le chemin de la vérité que de retourner en arrière après l’avoir connu. Il existe en effet un double péché : le péché de désobéissance et la transgression d’une promesse.
[Le Seigneur] applique ensuite la parabole : premièrement, il présente la prééminence des Gentils sur les Juifs, ou des laïcs sur les clercs ; deuxièmement, il en donne la raison.
2197. Il leur dit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, LES PUBLICAINS ET LES PROSTITUÉES VOUS PRÉCÉDERONT DANS LE ROYAUME DE DIEU. Une chose semblable a été dite plus haut, 20, 16 : Les derniers seront les premiers. Chrysostome se demande pourquoi [le Seigneur] a fait état des publicains et des prostituées plutôt que d’autres. Il répond que, par les publicains, il entend les pécheurs. Le péché des publicains est l’avarice, car, lorsqu’ils reçoivent les taxes, il en gardent beaucoup pour eux et raflent plus qu’il ne leur est concédé. Car le péché des hommes est l’avarice, et le péché des femmes est la luxure, parce qu’elles sont oisives et que l’oisiveté a enseigné beaucoup de fautes. Ez 16, 49 : La faute de Sodome, ce fut l’abondance de pain et des loisirs. ILS VOUS PRÉCÉDERONT DANS LE ROYAUME DE DIEU, c’est-à-dire qu’ils sont plus proches du royaume, plus haut, 12, 41 : Les Ninivites vous précéderont, etc.
2198. Vient ensuite la raison : premièrement, [le Seigneur] dit que les Juifs ont été désobéissants ; deuxièmement, que les publicains ont obéi ; troisièmement, qu’ils ne l’ont pas suivi.
Il dit : JEAN EST VENU À VOUS DANS LA VOIE DE LA JUSTICE, car il a suivi la voie de la justice. Ou bien : DANS LA VOIE DE LA JUSTICE, parce qu’il a observé la voie de la justice, à savoir, la voie de la pénitence, ET VOUS N’AVEZ PAS CRU EN LUI. En effet, ils lui disaient : «Es-tu Élie ?» Et lorsqu’il eut répondu, ils ne dirent pas : «Pourquoi baptises-tu ?» MAIS LES PUBLICAINS ET LES PROSTITUÉES ONT CRU EN LUI. Et cela se trouve au chapitre III, qu’ils vinrent à Jean pour être baptisés. MAIS VOUS, EN VOYANT CELA, à savoir, que d’autres se convertissaient et accomplissaient ce qu’il avait ordonné, VOUS N’AVEZ MÊME PAS EU DE REMORDS TARDIF QUI VOUS FÎT CROIRE EN LUI. En effet, celui-là est le pire qui ne se repent pas de ce qu’il a fait. Jr 8, 6 : Il n’y a personne qui se repente de son péché en disant : «Qu’est-ce que j’ai fait ?».
2199. ÉCOUTEZ UNE AUTRE PARABOLE. Le Seigneur avait posé une question au sujet du baptême [de Jean] et [les Pharisiens et les scribes] n’avaient pas voulu répondre. Maintenant, il interroge sans en avoir l’air afin qu’ils ne s’en rendent pas compte. Il raconte donc une parabole et il fait deux choses : premièrement, il présente la parabole ; deuxièmement, il demande leur jugement, en cet endroit : LORS DONC QUE VIENDRA LE MAÎTRE DE LA VIGNE, QUE FERA-T-IL À CES VIGNERONS ? [21, 40].
À propos du premier
point, il fait trois choses : premièrement, il présente le service
accompli ; deuxièmement, la demande de compensation, en cet endroit :
QUAND APPROCHA LE MOMENT DES FRUITS, etc. [21, 34] ; troisièmement,
il présente l’ingratitude, en cet endroit : MAIS LES VIGNERON SE SAISIRENT
DE SES SERVITEURS, etc. [21, 35].
À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, la plantation de vigne est présentée ; deuxièmement, son embellissement ; troisièmement, sa location.
2200. Il dit donc : UN HOMME ÉTAIT PROPRIÉTAIRE, ET IL PLANTA UNE VIGNE, etc. La même chose est présentée en Is 5, 1, où il est dit : Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau riche en huile. Mais ici, il dit que le propriétaire plante une vigne. Certains disent que [dans Isaïe] il s’élève contre sa vigne ; il dit donc : Qu’aurais-je pu faire de plus pour ma vigne ? Ici, [il s’en prend] aux vignerons. C’est pourquoi il y a une double interprétation, selon Jérôme et selon Chrysostome. La vigne est le peuple juif. Is 5, 7 : La vigne du Seigneur est la maison d’Israël. [Il s’en prend] aux vignerons parce que, à l’heure présente, la malice de celui-ci ne vient pas du peuple, mais des dirigeants. Jn 7, 48 : Est-ce que quelques-uns des dirigeants ont cru en lui ? [Il ne s’en prend] donc pas à la vigne. Cette vigne n’est pas la maison d’Israël, mais la justice de Dieu, qui a été transmise de manière cachée dans la Sainte Écriture. Il dit donc : UN HOMME ÉTAIT PROPRIÉTAIRE, ET IL PLANTA UNE VIGNE, à savoir, le peuple juif. Ps 79[80], 9 : J’ai fait venir ma vigne d’Égypte. Ou bien, il a présenté la justice dans l’enseignement de la loi.
IL L’ENTOURA D’UNE CLÔTURE, pour protéger la vigne ; de sorte que ceux qui sont placés pour la défendre, qu’il s’agisse des prières des saints ou de la garde des anges, sont appelés une clôture. Ainsi, Os 2, 6 : Je borderai ton chemin d’épines. Si on dit que la vigne est la justice, [le Seigneur] dit que les paroles cachées de l’Écriture sont la clôture.
2201. Au sens mystique, les choses cachées de l’Écriture ne doivent pas être livrées à n’importe qui, car il ne faut pas donner une chose sacrée aux chiens, plus haut, 7, 6. IL Y CREUSA UN PRESSOIR. Le rôle du pressoir est d’extraire le vin de la charité. Si on entend par la vigne le peuple juif, on entendra par le pressoir l’autel des holocaustes. De même, on entend les martyrs, qui ont versé leur sang pour la foi. Is 63, 3 : J’ai fait tourner seul le pressoir. Ou bien l’on peut aussi entendre l’ordre des prophètes, chez qui le vin de la sagesse est extrait. Ou bien, l’on peut entendre la profondeur de la Sainte Écriture. De même, tout le fruit de la vigne est-il recueilli dans le pressoir ; ainsi, l’âme doit-elle recueillir tout ce qu’elle peut pour la gloire de Dieu.
ET IL Y BÂTIT UNE TOUR. Par la tour, on entend le temple. Mi 4, 8 : Et toi, la tour du troupeau dans la nuée, à toi va revenir la souveraineté d’antan. Ou bien, [l’on peut entendre] la connaissance de Dieu. Pr 18, 10 : Le nom du Seigneur est la tour la plus forte.
2202. Ensuite, [il est question] de la location : PUIS IL LA LOUA À DES VIGNERONS, c’est-à-dire qu’il la céda en contrepartie d’un certain prix. Les vignerons sont Moïse et Aaron, qui eurent la responsabilité de gouverner. Jb 31, 39 : Si j’ai contristé l’âme de ses vignerons. Grégoire [dit qu’il s’agit] de ceux qui sont donnés comme dirigeants au peuple. PUIS IL PARTIT EN VOYAGE : le Seigneur, sans changer de lieu, mais en laissant l’homme à son libre arbitre. Si 15, 14 : Dieu créa l’homme à l’origine et le laissa entre les mains de son conseil, c’est-à-dire qu’il le laissa à son libre arbitre. On dit donc que [le maître] part en voyage lorsqu’il n’inflige pas une peine pour toutes les fautes. Ou bien, il n’apparut pas de manière aussi claire qu’auparavant, à savoir, lorsqu’il apparut dans la nuée ardente, Ex 3, 2.
2203. QUAND APPROCHA LE TEMPS DES FRUITS. Quiconque produit du fruit en attend un bénéfice. Ainsi, le Seigneur s’attend à ce qu’on lui retourne un bénéfice à sa gloire. S’il s’agit d’un homme, le fruit ne se trouve pas dans l’enfance, mais à l’âge adulte. Ainsi, lorsqu’il atteint l’adolescence, on réclame du fruit. De même, lorsque le peuple fut planté et la loi donnée, [le Seigneur] demande du fruit, mais ils ne le connurent pas. Jr 8, 7 : La cigogne dans le ciel connaît la saison, mais mon peuple n’a pas connu le jugement du Seigneur.
IL
ENVOYA SES SERVITEURS, c’est-à-dire les prophètes, AUX VIGNERONS, c’est-à-dire
aux Juifs, POUR EN RECEVOIR LES FRUITS, à savoir, pour qu’ils incitent les
hommes à bien agir. Plus loin, 28, 34 : Je leur ai envoyé des prophètes, des sages et des scribes, et vous les
avez tués, etc.
2204. Après cela, il est question de la méchanceté [des vignerons] : premièrement, des premiers ; deuxièmement, des seconds ; troisièmement, des troisièmes.
MAIS LES VIGNERONS SE SAIRIRENT DE SES SERVITEURS, EN FRAPPÈRENT UN, comme Michée, EN TUÈRENT UN AUTRE, comme Isaïe, EN LAPIDÈRENT UN TROISIÈME, comme Naboth. He 11, 37 : Ils ont été lapidés, sciés, ils ont péri par le glaive.
2205. DE NOUVEAU, IL ENVOYA D’AUTRES SERVITEURS. De même, [Dieu] a envoyé d’une manière particulière des prophètes, tels Moïse, Aaron et les autres ; mais, après l’époque de David, il a envoyé plusieurs groupes de prophètes. En effet, le Seigneur veut opposer sa miséricorde à leur malice. ILS LES TRAITÈRENT donc DE LA MÊME FAÇON. Dt 31, 27 : Vous avez toujours agi avec obstination contre le Seigneur.
2206. Vient ensuite, en troisième lieu : FINALEMENT, IL LEUR ENVOYA SON FILS, etc. Ce fut à cause d’une méchanceté consommée. Et [le Seigneur] fait trois choses : premièrement, la miséricorde du Seigneur est présentée ; deuxièmement, leur méchanceté ; troisième, la mise en œuvre de leur mauvais dessein.
IL LEUR ENVOYA donc SON FILS. He 1, 1 : Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils. IL LEUR ENVOYA SON FILS EN SE DISANT : «ILS RESPECTERONT PEUT-ÊTRE MON FILS.» Mais que veut-il dire par PEUT-ÊTRE ? Est-ce qu’il l’ignorait ? Jérôme dit que «cette manière dubitative de parler signifie le libre arbitre afin de montrer qui ils devaient être, car celui qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père». Ou bien, [le Seigneur] parle de cette manière parce que certains lui sont revenus.
2207. Ensuite leur mauvais dessein est présenté. Premièrement, leur interrogation est présentée ; deuxièmement, leur dessein ; troisièmement, leur méchanceté.
MAIS LES VIGNERONS, EN VOYANT LE FILS, SE DIRENT PAR DEVERS EUX : «CELUI-CI EST L’HÉRITIER. VENEZ, TUONS-LE, ET NOUS AURONS SON HÉRITAGE !» Le Fils lui-même est l’héritier du Père, car ce qu’il demande, il l’obtient. Ps 2, 8 : Fais-m’en la demande, et je te donnerai les nations en héritage. Il est aussi l’héritier, car tout ce qu’a le Père, lui-même l’a. En effet, il n’est pas appelé héritier comme un autre qui, à la mort de son père, reçoit l’héritage, mais parce que tout ce qui appartient au Père lui appartient aussi toujours. Mais on peut objecter : S’ils l’avaient connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire, 1 Co 2, 8. Cela est vrai s’ils l’avaient vraiment connu, mais ils l’ont connu en conjecturant.
Vient ensuite leur dessein : VENEZ, TUONS-LE ! Sg 2, 20 : Nous le condamnerons à la mort la plus honteuse. Et quel est ce dessein ? NOUS AURONS SON HÉRITAGE. Ils savaient en effet qu’il devait diriger le peuple juif. Ils craignaient donc qu’il ne leur impose le joug de la loi et ne détruise leurs traditions. Ils ne voulurent donc pas supporter le joug du Christ ; ils portèrent donc le joug des Romains. Ainsi, Jn 11, 48 : De crainte que les Romains ne viennent détruire notre pays et notre nation.
2208. Ensuite, l’exécution est présentée : ET S’EN EMPARANT, ILS LE JETÈRENT HORS DE LA VIGNE ET LE TUÈRENT, car ils le crucifièrent hors des portes de la ville et le tuèrent donc comme s’il était un étranger à la vigne. Is 53, 7 : Comme une brebis, il a été mené à l’abattoir, etc. Qu’ils l’aient jeté hors de la vigne, on le lit en Jean, car tous ceux qui confessaient le nom du Christ étaient chassés de la synagogue.
2209. Ensuite, [le Seigneur] leur demande leur opinion : QUAND VIENDRA LE MAÎTRE DE LA VIGNE, QUE FERA-T-IL À CES VIGNERONS ? Le Seigneur leur demande ainsi subtilement de porter un jugement contre eux-mêmes, comme Nathan le fit pour David, lorsque celui-ci pécha avec Bersabée.
2210. Leur opinion est présentée : IL
FERA PÉRIR MISÉRABLEMENT CES MISÉRABLES, c’est-à-dire en les condamnant dans le
présent et dans le futur. Et ils disent : MISÉRABLEMENT, c’est-à-dire
péniblement. Plus haut, [Mt] 7, 2 : Il vous sera remis dans la même mesure où vous aurez remis. Sg 6, 7 :
Les puissants endureront de puissants
tourments.
IL
FERA MISÉRABLEMENT PÉRIR CES MISÉRABLES, ET IL LOUERA SA VIGNE, c’est-à-dire
son peuple, À D’AUTRES VIGNERONS, c’est-à-dire aux apôtres, QUI LUI LIVRERONT
LES FRUITS EN LEUR TEMPS. Ps 1, 3 : Et ce sera comme un arbre planté près d’un cours d’eau, qui donnera son
fruit en son temps. Jb 34, 24 : Il les détruira en quantité innombrable et les remplacera par d’autres.
2211. Ici
se pose une question : pourquoi, dans Marc, le Seigneur répond-il ici que
ce sont les Juifs [qui parlent] ? Réponse : je dis que le Seigneur
l’a d’abord dit, mais qu’ensuite [les Juifs] ont parlé. On trouve la même chose
chez Luc : après que le Seigneur eut parlé, eux dirent : Que non ! La réponse est vraie, car
ils ont d’abord parlé, puis, comprenant que cela allait contre eux, ils
dirent : Que non ! De même,
il est vrai que les dirigeants l’ont dit. Mais, bien qu’ils se soient rendu
compte que cela allait contre eux, ils ne dirent pas le contraire, mais le
peuple dit : Que non !
2212. JÉSUS LEUR DIT. Ici est présentée la confirmation. Premièrement, une autorité est présentée ; deuxièmement, son explication.
[Le Seigneur]
dit : N’AVEZ-VOUS JAMAIS LU DANS LES ÉCRITURES (on lit cela dans
Ps 117[118], 22) : «LA PIERRE QU’AVAIENT REJETÉE LES BÂTISSEURS,
C’EST ELLE QUI EST DEVENUE LA PIERRE ANGULAIRE ?» Et il présente quatre
choses : premièrement, il formule un reproche ; deuxièmement, la
dignité ; troisièmement, la cause ; quatrièmement, l’admiration.
2213. [Le Seigneur] dit : LA PIERRE, etc. La pierre est le Christ, dont on dit qu’il est la pierre en raison de multiples similitudes. Is 28, 16 : Voici que je te place comme la pierre angulaire des fondements de Sion, etc. Les BÂTISSEURS sont les apôtres. Que chacun voie comme il construit. Ainsi, cette pierre QU’ILS ONT REJETÉE, c’est-à-dire repoussée, C’EST ELLE QUI EST DEVENUE, c’est-à-dire [qu’elle a été] posée, LA PIERRE ANGULAIRE, c’est-à-dire [placée] à la tête des Juifs et des Gentils. Lui-même est ainsi devenu la tête de l’Église. Mais on pourrait dire : «Il s’est fait lui-même la tête.» Il dit donc : C’EST LÀ L’ŒUVRE DU SEIGNEUR. Ps 117[118], 16 : La droite du Seigneur a montré sa force, etc. Et quelle est cette élévation ? ELLE EST ADMIRABLE À NOS YEUX. Ha 1, 5 : Regardez les païens, voyez, admirez et soyez stupéfaits, car il s’est produit quelque chose à votre époque que personne ne croira lorsqu’on le lui racontera. En effet, [sa] dignité était telle que cela ne s’est produit que parce que la grâce de Dieu l’a accompli. Ep 2, 8 : C’est par grâce que vous avez été sauvés dans le Christ.
2214. Ensuite, [le Seigneur] explique et tire deux conclusions : en premier lieu, de ce qui est dit dans la parabole ; deuxièmement, [une conclusion] est tirée de ce qui a été dit dans l’autorité.
On dit donc : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : LE ROYAUME DE DIEU VOUS SERA ENLEVÉ, à savoir, la Sainte Écriture, parce que vous avez négligé de comprendre la Sainte Écriture. Jn 12, 40 : Il a rendu leurs yeux aveugles et endurci leurs cœurs, de sorte qu’ils ne voient pas de leurs yeux et ne comprennent pas par leur cœur, et qu’ils ne se convertissent pas et que je ne les sauve pas. Ou bien, [il s’agit] de la charge de gouverner l’Église des fidèles, car leur gloire a été transférée. [LE ROYAUME DE DIEU] SERA CONFIÉ À UN PEUPLE QUI LUI FERA PRODUIRE SES FRUITS. Is 55, 4 : Voici que je l’ai donné en témoignage pour les peuples, comme chef et maître des nations. Voici que tu appelleras une nation que tu ne connaissais pas et des nations qui ne t’ont pas connu accourront vers toi. Mais comment leur a-t-il été donné ? Plus haut, on disait qu’il le leur avait loué, mais ici, qu’il leur est donné. Car celui qui ne porte pas de fruits est appelé ouvrier ou salarié ; mais lorsqu’il reçoit à titre de don, alors il porte des fruits.
2215. [Le Seigneur] présente une double peine : CELUI QUI ACHOPPERA SUR CETTE PIERRE S’Y FRACASSERA. Jérôme en donne l’interprétation suivante : celui qui achoppe sur la pierre qui est le Christ, est celui qui reçoit de lui, c’est-à-dire du Christ, la foi, mais il achoppe par le péché qui est contre [le Christ]. Ce sont donc les pécheurs qui tombent, parce qu’ils n’ont pas la charité. ET CELUI SUR QUI ELLE TOMBERA, ELLE L’ÉCRASERA. Car le Christ tombe sur les infidèles. La différence est celle-ci : lorsqu’un vase tombe sur la pierre, le vase n’est pas fracassé à cause de la pierre, mais à cause du mode de la chute, selon qu’elle tombe de plus haut ; mais lorsque la pierre tombe sur le vase, elle le brise selon la grosseur de la pierre. Ainsi l’homme, lorsqu’il tombe sur la pierre [qui est] le Christ, se fracasse selon la grandeur du péché ; mais lorsqu’il devient infidèle, il est totalement brisé. Ou bien, quelqu’un achoppe sur la pierre lorsqu’il pèche délibérément ; mais la pierre tombe sur lui lorsque le Christ le punit, car il est alors entièrement réduit en miettes. Ps 17, 43 : Je les disperserai comme la poussière dans le vent.
2216. Vient ensuite le moment de la méchanceté : [LES GRANDS PRÊTRES ET LES PHARISIENS], EN ENTENDANT, COMPRIRENT QU’IL PARLAIT D’EUX.
2217. Puis suit la méchanceté : TOUT EN CHERCHANT À L’ARRÊTER, ILS CRAIGNAIENT LES FOULES, CAR ELLES LE TENAIENT POUR UN PROPHÈTE. Et cela est clair.
Leçon 1 [Matthieu 22, 1‑14] 22, 1 Il leur dit en paraboles : 22, 2
«Le Royaume de Dieu est semblable à un roi qui fit un festin de noces pour son
fils. 22, 3 Il envoya ses serviteurs convier les invités aux noces, mais
eux n’en eurent cure. 22, 4 De nouveau, il envoya d’autres serviteurs avec
ces mots : “Dites aux invités : ‘Voici que j’ai préparé mon repas,
mes taureaux et mes bêtes grasses ont été tués, tout est prêt, venez aux
noces.’ 22, 5 Mais ceux-ci refusèrent, l’un allait à sa vigne, l’autre à
son commerce ; 22, 6 les autres, s’emparèrent de ses serviteurs, les
maltraitèrent et les tuèrent. 22, 7 En entendant cela, le roi fut pris de
colère et envoya ses troupes qui firent périr ces meurtriers et incendièrent
leurs villes. 22, 8 Alors il dit à ses serviteurs : “La noce est
prête, mais ceux qui avaient été invités n’en étaient pas dignes. 22, 9
Allez donc à la sortie des chemins, et conviez aux noces tous ceux que vous
pourrez trouver.” 22, 10 Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins, rassemblèrent
tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noces
fut remplie de convives. 22, 11 Le roi entra alors pour examiner les
convives, et il vit un homme qui ne portait pas la tenue de noces. 22, 12
“Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de
noces ?” L’autre resta muet. 22, 13 Alors le roi dit aux
valets : “Liez-leur les mains et les pieds et jetez-les dans les ténèbres
extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents.
22, 14 Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.”»
Leçon 2: [Matthieu 22, 15‑22] 22, 15 Alors les Pharisiens allèrent se concerter
en vue de surprendre Jésus en parole. 22, 16 Et ils lui envoient leurs
disciples, accompagnés des Hérodiens : «Maître, nous savons que tu es
véridique et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité. Tu ne te préoccupes de
personne, car tu ne regardes pas au rang des personnes. 22, 17 Donne-nous
donc ton avis : est-il permis ou non de payer le cens à César ?»
22, 18 Mais Jésus, connaissant leur perversité, répondit :
«Hypocrites ! Pourquoi me tendez-vous un piège ? 22, 19
Montrez-moi la monnaie de l’impôt.» Ils lui présentèrent un denier 22, 20
et il leur dit : «De qui est l’effigie et l’inscription que voici ?»
Ils disent : 22, 21 «De César.» Alors il leur dit : «Rendez donc
à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.» 22, 22 À ces
mots ils furent tout surpris et, le laissant, ils s’en allèrent.
Leçon 3 [Matthieu 2, 23‑33] 22, 23 Ce jour-là, des Sadducéens, gens qui disent
qu’il n’y a pas de résurrection, s’approchèrent de lui et l’interrogèrent en
disant : 22, 24 «Maître, Moïse a dit : “Si quelqu’un meurt sans
avoir d’enfants, son frère épousera la femme, sa belle-soeur, et suscitera une
descendance à son frère. 22, 25 Or, il y avait chez nous sept frères. Le
premier se maria, puis mourut sans postérité, laissa son épouse à son frère.
22, 26 Pareillement, le deuxième, puis le troisième, jusqu’au septième.
22, 27 Finalement, après eux tous, la femme mourut. 22, 28 À la
résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme ? Car
pareillement, tous l’ont eue comme épouse.» 22, 29 Jésus leur
répondit : «Vous êtes dans l’erreur, vous ne connaissez pas les Écritures
ni la puissance de Dieu. 22, 30 À la résurrection, en effet, on n’épouse
pas et on n’est pas épousée, mais on est comme des anges dans le ciel.
22, 31 Quant à ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu
l’oracle dans lequel le Seigneur vous dit : 22, 32 “Je suis le Dieu
d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Ce n’est pas de morts
qu’il est le Dieu mais de vivants !»
Leçon 1 [Matthieu 22, 33‑46] 22, 33 En l’entendant, les foules étaient frappées
de son enseignement. 22, 34 Apprenant qu’il avait fermé la bouche aux
Sadducéens, les Pharisiens se réunirent, 22, 35 et l’un d’eux l’interrogea
pour le mettre à l’épreuve : 22, 36 «Maître, quel est le plus grand
commandement de la Loi ?» 22, 37 Jésus lui dit : «Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de
toutes tes forces : 22 38 voilà le plus grand et le premier
commandement. 22, 39 Le second lui est semblable : tu aimeras ton
prochain comme toi-même.» 22, 40 À ces deux commandements se rattache
toute la Loi, ainsi que les Prophètes.»
22, 41 Comme les Pharisiens se trouvaient réunis,
Jésus leur posa cette question : 22, 42 «Quelle est votre opinion au
sujet du Christ ? De qui est-il fils ?» Ils lui disent : «De
David» 22, 43 «Comment donc David, parlant sous l’inspiration, l’appelle-t-il
Seigneur quand il dit : 22, 44 Le Seigneur a dit à mon
Seigneur :“Siège à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis un
escabeau pour tes pieds ?” 22, 45 Si donc David l’appelle
Seigneur, comment est-il son fils ?» 22, 46 Et nul ne fut capable de
lui répondre un mot. Et à partir de ce jour personne n’osa plus l’interroger.
2218. Il a été dit plus haut que les persécuteurs du Christ ont été entraînés à le tuer pour trois raisons : [en raison] de la sa gloire ; de sa sagesse, par laquelle il les réfutait ; de sa justice, par laquelle il les rabrouait. Comment ils y ont été entraînés par la gloire du Christ, on l’a dit. Mais maintenant il dit comment [ils y ont été entraînés] par sa sagesse. Premièrement, parce qu’il annonce à l’avance leur damnation ; deuxièmement, parce qu’il les réfute en débattant [avec eux], en cet endroit : ALORS LES PHARISIENS ALLÈRENT SE CONCERTER EN VUE DE LE SURPRENDRE EN PAROLE [22, 15].
2219. Dans cette parabole, où il est statué de la réprobation des Juifs et de la vocation des païens, l’enseignement du festin de noces est d’abord présenté ; en second lieu, [il est question] de la vocation des Juifs et de leur refus ; troisièmement, de la vocation des païens. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET IL ENVOYA SES SERVITEURS CONVIER LES INVITÉS [22, 3] ; le troisième, en cet endroit : ALORS IL DIT À SES SERVITEURS, etc. [22, 8].
À qui [le Seigneur] répondit-il ? Il n’est pas dit qu’il ait parlé à quelqu’un. Mais comme ils voulaient l’arrêter, il répond, non pas à leurs paroles, mais à leur méchanceté.
2220. Ainsi donc : IL LEUR DIT EN PARABOLE : «LE ROYAUME DE DIEU EST SEMBLABLE À UN HOMME QUI FIT UN FESTIN DE NOCES POUR SON FILS.» Ici est présentée la parabole des noces. Une parabole semblable est présentée en Lc 14, 16. Mais, selon Grégoire, elle ne semble pas être la même, car là on mentionne un repas, mais ici, des noces. De même, personne n’est exclu de ce repas ; mais ici quelqu’un est exclu. Il s’agit donc d’une autre parabole. Par celle-là, on entend le repas céleste ; par celle-ci, le festin qui se réalise sur terre. Celui-là est donc appelé un repas parce que personne n’en est exclu ; mais quelqu’un est exclu de ce dernier.
On peut dire, selon certains, qu’il s’agit de la même parabole, car, anciennement, le repas du midi et le repas du soir portaient le même nom, car les gens n’avaient pas l’habitude de manger avant la neuvième heure. Ou bien, l’on peut dire que Luc dit ce que Matthieu passe sous silence. Mais je crois qu’il s’agit d’une autre parabole.
2221. À
propos d’elle, voyons qui est le roi. On dit que celui-ci est Dieu, et on
entend la personne du Père, car [le Seigneur] dit : POUR SON FILS. Mais
pourquoi [le Seigneur] dit-il : [SEMBLABLE] À UN [HOMME QUI ÉTAIT]
ROI ? La raison en est, comme le dit Origène, que «roi» vient de régner
[regere]. Nous, nous ne sommes pas aptes à son règne tel qu’il est, mais
lui règne sur nous à notre façon. Dt 32, 11 : Comme un aigle qui incite ses petits à
voler. Il est donc dit : [SEMBLABLE] À UN [HOMME QUI ÉTAIT] ROI, car
il règne sur nous à la manière humaine. Mais lorsqu’on le verra tel qu’il est,
alors il sera roi, car il régnera tel qu’il est. C’est pourquoi l’Apôtre [dit],
1 Co 13, 12 : Nous
voyons maintenant comme en énigme, mais alors [nous le verrons] face à face.
Il dit : LE ROYAUME DE DIEU EST SEMBLABLE À UN [HOMME QUI ÉTAIT] ROI. En effet, comme dans le royaume, il existe plusieurs choses : le roi, le royaume et ceux qui servent dans ce royaume, [LE ROYAUME DE DIEU] EST SEMBLABLE À UN ROI QUI FIT UN FESTIN DE NOCES POUR SON FILS. Le fils est le Christ, dont il est dit en 1 Jn 5, 20 : Afin que nous soyons en son véritable Fils. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle.
2222. Quelles sont ces noces, on peut l’interpréter de quatre manières. Premièrement, par l’unité de la nature humaine avec la nature divine, en sorte que la nature humaine soit l’épouse et que le lit nuptial ait été le sein de la Vierge. Ps 18, 6 : En effet, l’époux s’avance depuis son lit. Cette interprétation est quelque peu douteuse, car on pourrait croire que la personne du Père n’est pas différente de celle du Fils. On peut donc dire que cet époux est le Verbe incarné, et l’épouse, l’Église. L’Apôtre [dit] ainsi, Ep 5, 32 : Ce mystère est grand : je parle du Christ et de l’Église. [On peut l’interpréter] aussi [de l’union] du Verbe avec notre âme. En effet, l’âme devient partie prenante de la gloire de Dieu par la foi, et ainsi se réalisent nos noces. Os 2, 20 : Je t’épouserai dans la foi. De même, les noces auront lieu dans la résurrection générale. Or, le Christ est la voie vers cette résurrection. Jn 14, 6 : Je suis le chemin. Les noces auront alors lieu lorsque ce qui est mortel en nous sera absorbé par la vie, comme on le lit en 2 Co 5, 4. Mais si nous suivons ce que dit Grégoire, il faut l’interpréter de la vie présente, selon que le Christ épouse l’Église et Dieu, notre âme.
2223. Il est ensuite question de l’appel des Juifs. Premièrement, un double appel est présenté ; deuxièmement, le refus, en cet endroit : MAIS EUX N’EN EURENT CURE, etc. [22, 5].
À propos du premier
point, [le Seigneur] fait deux choses en fonction des deux appels.
Il dit donc : IL ENVOYA SES SERVITEURS CONVIER LES INVITÉS. Selon ce que dit Origène sur ce passage, il existe ici un double texte, car un texte porte : IL ENVOYA SON SERVITEUR, et un autre : SES SERVITEURS.
Si le texte est : SON SERVITEUR, il faut alors considérer trois choses. Premièrement, l’invitation, deuxièmement, l’appel ; troisièmement, une autre invitation.
2224. Les Juifs furent invités avec les patriarches. Ainsi, il a été dit à Abraham : Dans ta descendance seront bénies toutes les nations. Ga 3, 16 : C’est à Abraham et à sa descendance que furent faites ses promesses, etc. D’abord, Moïse fut envoyé, Nb 12, 7 : Il n’y a personne de semblable à mon serviteur Moïse, qui a été le plus fidèle de toute ma maison ; vient ensuite : Pourquoi ne l’avez-vous pas craint ? ET ILS NE VOULURENT PAS VENIR. Dt 31, 27 : Alors que je vivais encore et que je sortais avec vous, vous avez toujours agi avec obstination envers le Seigneur. Le second appel fut fait par les prophètes, dont [il est dit] en Am 3, 7 : Le Seigneur n’accomplira pas sa parole sans avoir révélé son secret à ses serviteurs, les prophètes.
2225. Ou bien, le texte peut être : SES SERVITEURS. Dans ce cas, les prophètes sont signifiés par les premiers [serviteurs], envers lesquels les Juifs se montrèrent toujours rebelles. Ac 7, 51 : Vous avez toujours résisté à l’Esprit Saint. Par les seconds [serviteurs], on entend les apôtres, à qui il a été dit plus haut, 10, 5 : N’allez pas chez les païens. Ou bien, par les premiers [serviteurs], on entend les prophètes et les premiers apôtres ; par les seconds, les successeurs des apôtres.
2226. DE NOUVEAU, IL ENVOYA D’AUTRES SERVITEURS. Ici est présentée une autre invitation, et l’accroissement de générosité est montré de la part de celui qui invite, et l’accroissement de méchanceté de la part de celui qui se récuse. Dans la première invitation, [le roi] n’avait rien promis ; mais, dans celle-ci, il promet, car il dit : DITES AUX INVITÉS : «VOICI QUE J’AI PRÉPARÉ MON REPAS.» Ce repas est la réfection spirituelle. Pr 9, 2 : La sagesse a immolé des victimes, à préparé le vin et a apprêté la table ; elle a envoyé ses servantes afin d’inviter dans les hauteurs.
2227. MES TAUREAUX ET MES BÊTES GRASSES ONT ÉTÉ TUÉS. Selon Origène, cela peut s’entendre d’une disposition de la sagesse de Dieu. Taureaux signifient «fortes raisons». Is 8, 11 : Il m’a enseigné par sa main forte. Bêtes grasses signifient «bien nourries». Au sens propre, les bêtes grasses sont des bêtes engraissées, qui sont nourries et engraissées, et elles signifient les sens subtils. Elles sont engraissées lorsqu’elles se développent en sens sacrés, par lesquels l’âme est engraissée. Ps 62[63], 6 : Mon âme est comme remplie de graisse et de moelle. En effet, tout ce qui est nécessaire se trouve dans la Sainte Écriture. C’est pourquoi, TOUT EST PRÊT. Ps 18[19], 8 : La loi du Seigneur est immaculée et convertit les âmes. Telle est l’invitation de la Sagesse. Pr 9, 5 : Venez, mangez mon pain et buvez mon vin que je vous ai préparés.
Ou bien, [ce repas] signifie la réfection spirituelle et, par les taureaux, sont signifiés les exemples des saints, que le Seigneur a préparés en exemples. Jc 5, 10 : Accueillez les prophètes comme des exemples de renoncement au mal, de longanimité, d’effort et de patience. [Le Seigneur] présente donc les tribulations des saints comme un exemple.
2228. Grégoire [dit que], par les taureaux, sont signifiés les pères de l’Ancien Testament, car le taureau combat avec ses cornes et, à l’époque des pères, on cherchait toujours à se venger et l’on ordonnait de rendre œil pour œil. Par les bêtes grasses, [sont signifiés] les pères du Nouveau Testament, qui ont tout quitté pour le Christ et sont engraissés de la sagesse de Dieu, qui ont été tués pour Dieu. Et les deux ont été tués.
TOUT EST PRÊT, VENEZ AUX NOCES. Le Christ a souffert, il a ouvert le ciel, il a envoyé les apôtres. Ou bien, par les taureaux, on entend les prêtres de l’Ancien Testament, car le taureau est l’animal immolé ; par les bêtes grasses, [on entend] les prophètes qui ont été engraissés de la sagesse de Dieu.
2229. MAIS EUX, à savoir, ceux qui sont endurcis dans le mal, REFUSÈRENT. Certains refusent par négligence, d’autres par méchanceté et ils persécutent les prédicateurs. Il dit donc : MAIS CEUX-CI REFUSÈRENT. Et quelle en était la cause ? Parce que L’UN ALLAIT À SA VIGNE, L’AUTRE, À SON COMMERCE. De l’extérieur, ils semblaient avoir une bonne raison, mais le Seigneur ne l’accepte pas, car aucune réalité temporelle ne peut empêcher de venir vers Dieu. Selon Hilaire, par le fait qu’il dit : À SA VIGNE, il exprime un désir de gloire humaine. Jn 12, 43 : Ils ont aimé davantage la gloire des hommes que la gloire de Dieu. Jr 5, 4 : J’ai dit : «Peut-être sont-ils pauvres et insensés, ignorent-ils la route du Seigneur et le jugement de leur Dieu.» Par le fait qu’il dit : L’AUTRE, À SON COMMERCE, un désir d’avarice est signifié. Jr 6, 13 : Du plus grand au plus petit, ils s’adonnent tous à l’avarice. Selon Chrysostome, certains sont occupés à travailler de leurs mains, d’autres, au commerce, c’est-à-dire à leur propre service.
2230. LES AUTRES S’EMPARÈRENT DE SES SERVITEURS, c’est-à-dire des apôtres, LES MALTRAITÈRENT ET LES TUÈRENT, car ils en ont tué plusieurs dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Ainsi, plus loin, 23, 34 : Je vous envoie des sages et des scribes, et vous en tuerez parmi eux, etc. Et [le Seigneur] ne mentionne pas ici sa propre mort, mais seulement celle de ses disciples, parce qu’il en avait suffisamment parlé plus haut.
2231. Vient ensuite leur punition : EN ENTENDANT CELA, LE ROI FUT PRIS DE COLÈRE, etc. Plus haut, il avait présenté la peine spirituelle. Ici, il présente la peine temporelle. C’est pourquoi il disait : À UN HOMME [QUI ÉTAIT] ROI, et ici il dit : À UN ROI, car le mot «homme» semble se rapporter à la bienveillance, et celui de «roi» à la punition. C’est pourquoi il dit ici seulement «roi». Sg 14, 17 : Des hommes qui ne pouvaient l’honorer en personne, parce qu’ils habitaient à distance, firent une image visible qu’ils voulaient honorer, afin de rendre un culte en le flattant comme s’il était présent à celui qui était absent.
LE ROI FUT PRIS DE COLÈRE. Il faut remarquer que lorsque la colère est attribuée à Dieu, elle ne signifie pas un bouleversement, mais une punition, car les gens en colère ont l’habitude de punir. C’est pourquoi la punition est appelée colère. Il faut le relever à l’encontre de certains hérétiques, car ils ont coutume d’objecter que le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas bon puisqu’il ordonne de punir, etc.
2232. IL ENVOYA SES TROUPES QUI FIRENT PÉRIR CES MEURTRIERS. Ces armées sont les esprits angéliques ou les citoyens romains qui, sous Titus et Vespasien, en tuèrent beaucoup. Ps 23[24], 1 : La terre et tout ce qu’elle contient appartiennent au Seigneur. ET ILS INCENDIÈRENT LEURS VILLES, car elles furent brûlées. Is 1, 7 : Le feu consumera vos villes.
Ou bien, on peut l’entendre au sens mystique : leurs corps ou les rassemblements d’hérétiques.
2233. Vient ensuite l’appel des païens et l’examen [par le roi] est présenté. Il fait trois choses : premièrement, [son] ordre est présenté ; deuxièmement, l’exécution [de l’ordre] ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : SES SERVITEURS S’EN ALLÈRENT, etc. [22, 10] ; le troisième, en cet endroit : ET LA SALLE DES NOCES FUT REMPLIE DE CONVIVES [22, 10].
À propos du premier
point, il fait deux choses : premièrement, il donne la raison de son
ordre ; deuxièmement, il formule son ordre.
[Le
Seigneur] dit donc : ALORS IL DIT À SES SERVITEURS : «LA NOCE EST
PRÊTE, MAIS CEUX QUI Y AVAIENT ÉTÉ INVITÉS EN SONT INDIGNES.» LA NOCE EST
PRÊTE, c’est-à-dire, le Fils s’est incarné, selon ce [qui est dit] en
Is 5, 4 : Qu’aurais-je pu
faire de plus pour toi, ô ma vigne ? MAIS CEUX QUI Y AVAIENT ÉTÉ
INVITÉS EN SONT INDIGNES, c’est-à-dire qu’ils s’en sont rendus indignes. Et
comment ? Comme il est dit en Rm 10, 3 : Ignorant la volonté de Dieu et voulant
imposer la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ; et
Ac 13, 46 : Mais parce que
vous l’avez rejeté et que vous vous êtes jugés indignes de la vie éternelle,
nous nous tournons vers les païens. Ainsi, par la faute des Juifs, le salut
a été apporté aux païens. Ap 3, 11 : Conserve ce que tu as, de crainte qu’un autre ne reçoive ta couronne.
2234. ALLEZ DONC À LA SORTIE DES CHEMINS, etc. Par les chemins sont signifiés les divers enseignements, car ils sont des chemins qui nous conduisent à la vérité. Les Gentils sont donc à la sortie des enseignements. Ainsi, ALLEZ À LA SORTIE DES CHEMINS, c’est-à-dire vers ceux qui adhèrent à des enseignements erronés. Ou bien, autrement, Is 9, 2 : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu la lumière. Par les chemins, on entend donc les bonnes actions, dont [parle] Pr 4, 27 : Le Seigneur connaît les chemins qui sont à droite. Par les sorties, [on entend] tout ce qui peut concourir aux actions.
ET
CONVIEZ AUX NOCES TOUS CEUX QUE VOUS POURREZ TROUVER. Ainsi, plus loin,
28, 19 : Allez, enseignez à
toutes les nations, etc.
2235. Vient ensuite l’exécution : CES SERVITEURS S’EN ALLÈRENT PAR LES CHEMINS, RASSEMBLÈRENT [TOUS CEUX QU’ILS TROUVÈRENT]. Mc 16, 20 : Ceux-ci partirent prêcher partout, avec l’assistance du Seigneur. Mais pourquoi dit-il : LES MAUVAIS COMME LES BONS ? On peut dire que ceux-là, qui étaient d’abord mauvais, sont devenus ensuite bons. Ou bien, on peut dire que, lorsqu’il dit : LES BONS ET LES MAUVAIS, il parle de manière comparative et que, parmi eux, certains sont bons par les vertus civiles. Ou bien : LES BONS ET LES MAUVAIS, parce que, après qu’ils ont été rassemblés, les bons et les mauvais sont mêlés.
ET LA SALLE DES NOCES FUT REMPLIE DE CONVIVES, c’est-à-dire de fidèles. Quelque chose de semblable est présenté plus haut, 13, 48 : Lorsque [le filet] fut rempli, ils le sortirent et, s’asseyant sur le rivage, choisirent les bons pour les contenants et rejetèrent les mauvais.
2236. LE ROI ENTRA ALORS, etc. Ici est présenté l’examen de ceux qui sont rassemblés. Premièrement, celui qui examine est présenté ; deuxièmement, l’examen ; troisièmement, la condamnation.
Celui qui examine est entré. En effet, il entre lorsqu’il exerce son jugement sur eux, Gn 18, 21 : J’entrerai et je verrai, et cela, lors du jugement final. De même, à la mort. Aussi, lorsque des tribulations sont imminentes pour l’Église.
2237. Mais qui est celui qui est examiné ? IL VIT UN HOMME QUI NE PORTAIT PAS LA TENUE DE NOCES. Quelle est cette tenue ? Le Christ. Nous qui appartenons au Christ, revêtons le Christ, [comme dit] l’Apôtre, Rm 13, 14 : Vous avez revêtu le Seigneur Jésus, le Christ. En effet, certains revêtent le Christ par le sacrement, Ga 3, 27 : Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Certains sont dans le Christ par la charité et l’amour. Col 3, 15 : Par-dessus tout, ayez la charité, qui est le lien de la perfection. Et que la paix du Christ exulte dans vos cœurs, par laquelle vous avez été appelés dans un seul corps. De même, [certains sont dans le Christ] par le rappel de la mort. Aussi, par la ressemblance de leur comportement. Rm 13, 14 : Vous avez revêtu le Seigneur Jésus, le Christ. Porter la tenue nuptiale, c’est donc revêtir le Christ par un bon comportement, par une vie sainte, par une vraie charité, et si une seule chose manque, cela est mal.
2238. [Le Seigneur] dit donc : MON AMI. Il l’appelle ami à cause de la foi ou parce qu’il l’aimait. Ou l’on peut dire que partout où [le Seigneur] dit «ami», il le dit pour faire des reproches. Ainsi, il lui reproche l’amour dont il l’a aimé.
COMMENT ES-TU ENTRÉ
SANS AVOIR LA TENUE DE NOCES ? Mais quelqu’un pourrait dire : «Pour
quelle faute l’a-t-il puni, puisqu’il a convié les bons et les mauvais ?»
Mais il ne voulait pas que les mauvais viennent, à moins qu’ils ne se soient
préparés afin d’être bons.
Ensuite
vient la façon dont il a manqué. Vient donc ensuite : L’AUTRE RESTA MUET,
car le pécheur ne peut pas avoir de raison suffisante de mépriser la tenue
nuptiale. Jb 9, 3 : S’il
veut disputer avec lui, il ne trouvera rien à lui répondre.
2239. Et il conclut sur le sens de la parabole. Une double peine est présentée, la peine du dam et la peine du sens. Car, dans le monde, on atteint la perfection de trois façons : en pensant par l’intelligence, en tendant vers le bien suprême par la volonté et, de même, par l’action. Ainsi donc, LE ROI DIT À SES SERVITEURS : «LIEZ-LEUR LES MAINS ET LES PIEDS ET JETEZ-LES DANS LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES.» Par les pieds, on entend les désirs. Les méchants en ce monde ont des pieds, mais qui ne sont pas liés, car ils peuvent devenir bons. Mais, par la suite, ils seront liés, car ils ne pourront revenir par après. Qo 9, 10 : Tout ce que peut faire ta main, fais-le tout de suite, car il n’y aura ni action, ni connaissance dans l’enfer dont tu te rapproches. De même, l’homme peut maintenant progresser dans la connaissance des vérités, mais alors, non. Il est donc dit : JETEZ-LES DANS LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES. En effet, maintenant, certains pécheurs ne sont pas dans les ténèbres pour ce qui est de la connaissance extérieure, bien qu’ils le soient pour ce qui est de la connaissance intérieure. Mais alors, ils seront dans les ténèbres extérieures. Ou bien, au sens littéral, parce qu’ils le seront non seulement quant à l’âme, mais aussi quant au corps, parce qu’ils seront séparés de la compagnie des saints.
2240. Vient ensuite la peine du sens : LÀ SERONT LES PLEURS ET LES GRINCEMENTS DE DENTS. Les pleurs viennent de la tristesse, les grincements, de la colère. Ac 7, 54 : Ils grinçaient des dents contre lui. Certains pleurent à cause de leurs péchés, s’humilient et sont purifiés. Là, il y aura la tristesse, mais non en vue de l’humilité, car [cette tristesse] tournera à la colère. De même, les grincements proviennent de l’impatience, car l’orgueil de ceux qui te haïssent augmente sans cesse, Ps 73[74], 23. Ou l’on peut dire que cela arrivera lors de la résurrection, car ils seront punis non seulement dans leur âme, mais dans leur corps, ou bien parce qu’ils seront soumis à la chaleur et au froid. Jb 24, 19 : Ils passeront des eaux de neige à une chaleur excessive.
2241. Ensuite, il conclut : BEAUCOUP SONT APPELÉS, MAIS PEU SONT ÉLUS, car certains ne veulent pas venir et certains n’ont pas la tenue nuptiale. Ainsi, plus haut, 7, 14 : Le chemin qui conduit à la vie est étroit et peu le trouvent.
2242. Plus haut, le Seigneur a réfuté les Pharisiens par une parabole ; en second lieu, il éclaire ici en discutant. Premièrement, il répond ; deuxièmement, il formule une objection, en cet endroit : COMME LES PHARISIENS SE TROUVAIENT RÉUNIS, [JÉSUS] LEUR POSA CETTE QUESTION, etc. [22, 34].
Le Seigneur répond à
trois questions : la première, à propos de l’acquittement du tribut ;
la deuxième, de la résurrection ; la troisième, de la loi. La deuxième [se
trouve] en cet endroit : CE JOUR-LA, DES SADDUCÉENS… [22, 23] ;
la troisième, en cet endroit : LES PHARISIENS, APPRENANT, etc.
[22, 34].
2243. À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, une question est posée ; deuxièmement, la réponse [est donnée] ; troisièmement, l’effet [est décrit]. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAIS JÉSUS, CONNAISSANT LEUR PERVERSITÉ [22, 18] ; le troisième, en cet endroit : EN ENTENDANT CELA, ILS FURENT TOUT SURPRIS [22, 22].
Dans cette question, trois choses doivent être considérées : premièrement, l’intention de ceux qui interrogent ; deuxièmement, les agents qui interrogent ; troisièmement, la question. L’intention de ceux qui interrogent est révélée lorsqu’il est dit : ILS ALLÈRENT SE CONCERTER, entre eux, c’est-à-dire qu’ils eurent l’idée stupide DE SURPRENDRE JÉSUS EN PAROLE. Et cela est stupide, car lui-même était la Parole de Dieu, et la Parole de Dieu ne peut être saisie. Si 43, 29 : Nous parlons beaucoup, mais nous manquons de mots. Mais ce fut un dessein impie. Ps 1, 1 : Bienheureux l’homme qui ne se joint pas au conseil des impies et ne se tient pas sur la voie des péchés. Et Gn 49, 6 : Que mon âme ne se joigne pas à leur conseil !
2244. Les agents sont décrits lorsque [Matthieu] dit : ET ILS LUI ENVOIENT LEURS DISCIPLES ACCOMPAGNÉS DES HÉRODIENS. Mais pourquoi n’y sont-ils pas allés [eux-mêmes] ? La raison est qu’ils voulaient l’interroger par ruse. S’ils y étaient allés, il n’y aurait donc pas eu ruse. Mais ceux [qui y allèrent] étaient leurs disciples. Si 10, 2 : Tel est le gouvernant, tels ses subordonnés.
AVEC DES HÉRODIENS. Qui sont ces Hérodiens ? Selon ce qui est abordé en Luc, la Judée est devenue tributaire des Romains sous Hérode. Ce fils d’Antipater, un étranger, avait été établi roi par les Romains ; il voulut donc forcer les Juifs à payer le cens aux Romains. Les Hérodiens, c’est-à-dire les agents assignés à collecter ce qui avait été instauré par Hérode. Mais celui-ci était déjà mort et il avait laissé trois fils. L’un [s’appelait] Hérode (c’est de celui-ci qu’il est question ici), dont il est dit, en Lc 22, qu’il fut aussi présent lors de la mort du Seigneur. Il était donc facile pour ses serviteurs de se joindre aux autres.
2245. Mais pourquoi y allèrent-ils avec les Hérodiens ? Une raison est que les Hérodiens étaient des partisans de l’empereur. Les disciples des Pharisiens les amenèrent donc avec eux, de sorte que si [Jésus] disait que le tribut devait être acquitté, ils l’accuseraient auprès des Pharisiens ; mais s’il disait qu’[il ne devait pas l’être], alors les Hérodiens s’empareraient de lui. De même, ceux-ci n’étaient pas connus ; ils croyaient donc que [Jésus] ne s’en apercevrait pas. Ils allaient ainsi à l’encontre de Ps 25[26], 4 : Je ne me suis pas assis avec le fourbe, je n’entrerai pas chez l’hypocrite. Autre interprétation : lorsque la Judée était devenue tributaire des Romains, ils étaient divisés, car certains disaient que le peuple voué à Dieu ne devait pas payer le tribut à un homme ; mais d’autres disaient que, parce qu’il travaillait à la paix universelle, tous devaient payer le tribut à César. Ainsi, ceux qui disaient que le tribut devait être payé à César s’appelaient les Hérodiens.
2246. Une fois les agents présentés, la question est présentée. Premièrement, on flatte [Jésus] ; deuxièmement, on l’interroge, en cet endroit : DONNE-NOUS TON AVIS [22, 17].
Les hommes mauvais commencent par la flatterie. Ils ont de bonnes paroles, mais le mal est dans leurs cœurs, Ps 23[24], 3. En premier lieu, ils font l’éloge de [sa] personne ; en second lieu, de [son] enseignement ; en troisième lieu, de [sa] constance.
2247. Ils font l’éloge de sa personne en raison de son autorité et de sa puissance. En raison de son autorité, lorsqu’ils disent : MAÎTRE. Et ils mentent dans leurs cœurs, car ils ne le considéraient pas comme un maître, mais comme un séducteur, comme on le trouve plus loin, 27, 63 : Nous nous sommes rappelé que ce séducteur a dit qu’il ressusciterait le troisième jour, etc. Toutefois il était véritablement un maître, comme [on le lit] plus loin : Vous n’avez qu’un maître, etc. [23, 8]. De même, NOUS SAVONS QUE TU ES VÉRIDIQUE. Celui-là est véridique qui dit la vérité, et cela est propre à Dieu et à celui qui est associé à Dieu. Ps 115[116], 11 : J’ai dit dans mon débordement : «Tout homme est menteur.» Rm 3, 4 : Dieu est véridique, mais tout homme est menteur. Or, le Christ est associé à Dieu par union. Il est donc véridique.
2248. On fait ainsi son éloge en raison de son autorité. Ensuite, on le fait en raison de sa puissance : ET TU ENSEIGNES LA VOIE DE DIEU EN VÉRITÉ. Premièrement, [celui qui enseigne la vérité] doit savoir ce qu’il enseigne. Sg 7, 13 : [La sagesse] que j’ai enseignée sans tromperie et que je transmets sans envie. De même, certains enseignent, mais ce qui n’est pas utile. Or, celui-ci enseigne ce qui est utile, à savoir, le chemin de Dieu. Is 48, 17 : Moi, je suis ton Dieu qui t’enseigne ce qui est utile. De même, certains enseignent ce qui concerne Dieu, mais non pas en vérité, car ils sont hérétiques. Or, celui-ci enseigne en vérité. [Il est question] de cela en Ps 24[25], 4 : Seigneur, montre-moi ta route et enseigne-moi tes sentiers. Conduis-moi dans ta vérité, etc.
2249. De même, ils font l’éloge de sa constance. Ils disent ainsi : «TU NE TE PRÉOCCUPES DE PERSONNE, tu n’omets pas de dire ce que tu dois dire ou faire par crainte de quelqu’un.» Is 51, 12 : Qui es-tu pour craindre un homme mortel ? Et pourquoi ? CAR TU NE TIENS PAS COMPTE DU RANG DES PERSONNES, à savoir, à l’encontre de Dieu. Celui-là tient compte du rang des personnes qui, en raison d’un individu, s’abstient de dire la vérité qu’il doit dire. Dt 1, 17 : Vous ne ferez acception de personne. Et voyez comme ils sont mauvais. La question comportait deux membres : ne pas acquitter [le tribut] concernait l’honneur de Dieu ; l’acquitter, la faveur des hommes. Ils voulaient donc qu’il recherche la faveur de Dieu et enseigne le chemin du Seigneur. S’il répondait [qu’il ne fallait pas acquitter le tribut], ce qu’ils souhaitaient, il aurait aussitôt été saisi par les Hérodiens.
2250. Vient ensuite l’interrogation : DONNE-NOUS DONC TON AVIS : EST-IL PERMIS OU NON DE PAYER LE CENS À CÉSAR ? Le cens était le tribut qui était versé par tête.
2251. La réponse suit : MAIS JÉSUS, CONNAISSANT LEUR PERVERSITÉ, RÉPONDIT. Premièrement, il répond à ce qu’ils ont en tête ; deuxièmement, à ce qu’ils disent, en cet endroit : RENDEZ [À CÉSAR] [22, 21].
Parce qu’il appartient à l’homme de répondre aux paroles et à Dieu de répondre à ce qu’on a en tête, et parce que le Christ est Dieu et homme, il répond donc aux deux choses. Dieu scrute les reins et les cœurs, Ps 7, 10. HYPOCRITES. Et [le Seigneur] dit à juste titre : HYPOCRITES, car sont précisément hypocrites ceux qui pensent une chose et en disent une autre. POURQUOI ME TENDEZ-VOUS UN PIÈGE ? En effet, cela est défendu. Dt 6, 16 : Tu ne mettras pas ton Dieu à l’épreuve. De même, ceux-ci s’étaient adressés au Christ en le flattant, mais le Christ répond de façon mordante, parce qu’il répond à ce qu’ils ont dans le cœur, et non à leurs paroles. Il nous donne ainsi l’exemple que nous ne devons pas croire les flatteurs. Pr 29, 12 : Le dirigeant qui écoute volontiers les paroles mensongères n’a que des impies comme serviteurs. De même, lorsqu’il veut répondre quelque chose, il ne peut mieux réfuter un adversaire que selon ses propres paroles.
2252. En premier lieu, donc, il pose une question ; en second lieu, il tire la vérité de la réponse.
Premièrement, il s’enquiert de la pièce de monnaie ; en second lieu, de l’effigie (il voulait en effet montrer ce qu’il pensait au moyen des sens). Pr 14, 6 : L’enseignement des sages est facile.
[Le Seigneur] dit : MONTREZ-MOI LA MONNAIE DE L’IMPÔT, c’est-à-dire le denier qui était donné en impôt. Ce denier valait dix deniers courants et chacun acquittait un denier.
2253. Ensuite, il s’enquiert de l’effigie : DE QUI EST L’EFFIGIE ET L’INSCRIPTION QUE VOICI ? En effet, à chaque effigie du denier public est jointe une inscription. Il en était de même pour celui-ci.
ILS RÉPONDENT : «DE CÉSAR.» Comprenez, non pas de César Auguste, mais de Tibère César. Et vous devez comprendre que, si le Seigneur interrogeait, ce n’était pas par ignorance, mais plutôt par une disposition de sa part. Il était assez âgé et avait suffisamment vécu parmi les hommes pour connaître l’effigie du denier, mais il en demande la signification. En conséquence, il conclut par la vérité : RENDEZ DONC À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR, ET À DIEU CE QUI EST À DIEU, comme s’il disait : «Vous appartenez à Dieu et à César, et vous utilisez ce qui appartient à Dieu et à César. Vous tenez des richesses naturelles de Dieu, à savoir, le pain et le vin, et vous en donnez à Dieu ; vous tenez de César ces choses artificielles que sont les deniers ; rendez ces choses à César.»
2254. Le sens mystique est le suivant : nous avons une âme qui est à l’image de Dieu ; nous devons donc la rendre à Dieu. Pour ce qui est des choses que nous tenons du monde, nous devons être en paix avec le monde. Même les saints hommes qui sont maintenant au-dessus du monde, parce qu’ils vivent dans le monde avec les autres, doivent cependant chercher la paix avec Babylone, comme on le trouve en Ba 1, 10s. Et cela veut dire que tout ce qui vient de la chair, ce qui vient du monde ou des hommes avec lesquels ils vivent, ils doivent le rendre à Dieu.
2255. Vient ensuite l’effet : À CES MOTS, ILS FURENT TOUT SURPRIS ET, LE LAISSANT, ILS S’EN ALLÈRENT. Cela était étonnant, car, après avoir constaté sa sagesse, ils auraient dû aussitôt se convertir. Mais ils ne purent pas comprendre et ils s’en allèrent. Ps 138[139], 6 : Tu as une science qui me dépasse, d’une hauteur que je ne puis atteindre.
2256. CE JOUR-LÀ. Ici est présentée la deuxième interrogation, et [Matthieu] fait trois choses : premièrement, l’interrogation est présentée ; deuxièmement, la réponse ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : JÉSUS LEUR RÉPONDIT, etc. [22, 29] ; le troisième, en cet endroit : ET LES FOULES QUI AVAIENT ENTENDU ÉTAIENT ÉTONNÉES [22, 33].
À propos du premier point, les dispositions et la condition de ceux qui interrogent sont d’abord présentées ; en second lieu, l’interrogation.
2257. [Matthieu] dit donc : CE JOUR-LÀ. Et pourquoi : CE JOUR-LÀ ? La question n’est pas oiseuse, car, voyant [les Pharisiens et les Hérodiens] confondus, ce n’est pas sans présomption qu’ils l’interrogèrent. Mais, selon Chrysostome, ils s’étaient rappelé qu’ils l’avaient entrepris en parole et tous voulaient l’honneur de la victoire. C’est pourquoi, ceux-là confondus, ceux-ci voulurent s’approcher. Jb 19, 12 : Et des brigands se sont approchés et ils se sont ouvert un chemin vers moi. En effet, il y avait deux sectes : les Pharisiens, c’est-à-dire les séparés, et les Sadducéens, c’est-à-dire les justes. Ceux-ci avaient des positions erronées, car ils n’accueillaient pas les prophéties et ne croyaient pas à la résurrection. Ils croyaient aussi qu’avec la mort du corps, tout l’homme mourait. C’est ce que [Matthieu] dit : QUI DISENT QU’IL N’Y A PAS DE RÉSURRECTION.
2258. Vient ensuite l’interrogation. Premièrement, [celui qui interroge] présente la loi ; deuxièmement, le cas [particulier] ; troisièmement, l’interrogation.
Ils disent
donc : ILS L’INTERROGÈRENT EN DISANT : «MAÎTRE, MOÏSE DIT QUE SI
QUELQU’UN MEURT SANS AVOIR D’ENFANTS, etc.» Dt 25, 5s. Quelle fut la
raison de la loi ? Le peuple était charnel ; il ne cherchait donc
rien d’autre que les choses temporelles. La loi promettait donc celles-ci. En
effet, il est clair que l’homme ne peut durer en lui-même ; c’est donc une
consolation pour lui de durer en quelqu’un qui lui ressemble, c’est-à-dire dans
un fils. Et la nature désire que ce qui ne peut être sauvé en soi soit sauvé en
son semblable. Il arrivait donc que quelqu’un mourût sans fils. Moïse avait
donc prévu ce cas par cette loi : le frère [de celui qui n’avait pas de
fils] prenait la femme [de son frère] comme épouse. Il n’était pas question
d’un étranger, car celui-ci ne le concernerait en rien ; [un étranger] ne
prendrait pas non plus autant soin de la maison et de la famille comme le
frère. C’est ce qu’il dit : ET IL SUSCITERA UNE DESCENDANCE À SON FRÈRE,
c’est-à-dire qu’il engendrera un fils qui recevra l’héritage [du frère mort].
2259. Une fois rappelée la loi, ils présentent le cas : OR, IL Y AVAIT CHEZ NOUS SEPT FRÈRES. LE PREMIER SE MARIA, PUIS MOURUT. COMME IL N’AVAIT PAS DE DESCENDANCE, IL LAISSA SON ÉPOUSE À SON FRÈRE, etc. Il se peut qu’un tel cas soit arrivé ou qu’ils l’aient inventé. Toutefois, selon Augustin, les sept frères représentent les hommes mauvais, qui, au cours des sept âges, meurent sans fruit. L’apôtre [dit] en Rm 6, 21 : Quel fruit recueillez-vous (ou avez-vous porté) d’actions dont aujourd’hui vous rougissez ? Cette femme est le comportement du monde. Ps 101[103], 27 : Eux périront, mais toi tu demeureras, et tous s’useront comme des vêtements.
2260. Ils demandent donc : «Tous [les frères] sont morts, ET TOUS L’ONT EUE COMME ÉPOUSE. LORS DE LA RÉSURRECTION, DUQUEL SERA-T-ELLE L’ÉPOUSE ?» Car elle ne pouvait l’être de tous. Cette opinion n’est pas bonne et s’oppose à celle des Pharisiens, car ils croyaient que la résurrection se rapportait à la vie présente, et que chacun retrouverait son épouse et ses biens, etc. C’est pourquoi ils disent : DE QUI SERA-T-ELLE L’ÉPOUSE ? Car elle ne peut être l’épouse de tous. Cette opinion est repoussée en Jb 7, 10 : Il ne reviendra pas dans sa maison. Il ne ressuscitera donc pas pour le même mode de vie.
2261. La réponse vient ensuite. Premièrement, [le Seigneur] montre l’erreur et la raison de celle-ci ; deuxièmement, il suggère la vérité.
[Matthieu] dit donc : JÉSUS LEUR RÉPONDIT : «VOUS ÊTES DANS L’ERREUR, c’est-à-dire, vous avez une mauvaise opinion. Sg 2, 21 : Ils pensaient et se trompaient. En effet, il les aveugla dans leur malice. Et quelle est la cause de l’erreur ? [VOUS] NE CONNAISSEZ PAS LES ÉCRITURES. Ils ne méditaient donc pas les commandements de Dieu. Ps 118[119], 100 : J’ai dépassé les anciens en intelligence, parce que j’ai cherché tes commandements. Celui qui médite les commandements de Dieu peut donc éviter les erreurs. Ainsi, Jn 5, 39 : Vous avez scruté les Écritures. Mais ceux-ci ne les scrutaient pas ; ils se trompaient donc, comme le font certains qui comprennent mal. De même, certains qui ne connaissent pas la puissance de Dieu et veulent mesurer la puissance de Dieu à l’aune des choses inférieures. Rm 1, 20 : Ce qui est invisible de Dieu se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres.
2261. À LA RÉSURRECTION, ON N’ÉPOUSE PAS ET ON N’EST PAS ÉPOUSÉE. [Le Seigneur] clarifie ce qui est en cause. Et parce qu’il avait dit deux choses, à savoir qu’ils ne connaissaient pas les Écritures ni la puissance de Dieu, il déclare donc, en premier lieu, qu’ils ignoraient la puissance de Dieu, et, en second lieu, [qu’ils ignoraient] les Écritures. Et alors qu’il avait d’abord parlé des Écritures, pourquoi cela est-il clarifié en second lieu ? Chrysostome répond que, lorsque quelqu’un discute avec un autre qui se trompe par malice, il doit d’abord alléguer une autorité ; lorsqu’il discute avec [un autre qui se trompe] par ignorance, il doit d’abord mettre de l’avant une justification, puis ensuite une autorité. Ainsi fait le Seigneur.
2262. Premièrement, il met de l’avant une justification. Il dit donc : À LA RÉSURRECTION, ON N’ÉPOUSE PAS ET ON N’EST PAS ÉPOUSÉE. Tout d’abord, cela est vrai au sens littéral : ON N’ÉPOUSE PAS, etc., car cela ne sera pas alors nécessaire comme ce l’est maintenant. Jérôme [dit] qu’épouser s’entend différemment en latin et en grec, car, au sens propre, épouser, en latin [nubere], est le fait des femmes ; on dit donc qu’il s’agit d’un neutre passif. Mais, en grec, ce sont les hommes qui épousent, c’est-à-dire, qui prennent femme ; les femmes sont épousées, elle n’épousent pas. Il dit donc : ON N’ÉPOUSE PAS, à savoir, les hommes [n’épousent pas] ; ET ON N’EST PAS ÉPOUSÉE, à savoir, les femmes [ne sont pas épousées]. En effet, comme les noces sont destinées à la procréation d’une postérité, afin que l’homme continue à exister en son semblable, alors qu’il ne peut être conservé en lui-même, et comme la résurrection vise l’immortalité, les noces ne seront pas alors nécessaires. Ceux-ci se trompaient donc et ignoraient la puissance de Dieu.
2263. MAIS ON EST COMME DES ANGES DANS LE CIEL. Cet état est l’état de la récompense et la fin de la vie présente. Jb 14, 14 : Penses-tu que l’homme mort vivra de nouveau ? Tous les jours où je me bats, j’attends que vienne ma transformation, et cette transformation sera la récompense. Cette vie-là sera celle de ceux qui brillent par l’intelligence. Mais pourquoi seront-ils semblables aux anges ? Parce qu’ils seront sans passions, car maintenant l’homme a une intelligence liée aux sens et, en cela, il est différent des anges ; mais alors, il sera purifié. Ils seront donc semblables aux anges. 2 R [2 Sm] 14, 17 : En effet, le Seigneur mon roi est comme l’ange du Seigneur, de sorte qu’il ne sera troublé ni par la bénédiction ni par la malédiction. Ainsi, ceux qui ont un esprit élevé au-dessus des passions sont semblables aux anges. Or, les passions qui rendent les hommes les plus semblables aux animaux sont les passions relatives aux choses sexuelles, qui sont mises en œuvre dans le mariage. Ainsi donc, alors, ON N’ÉPOUSERA PAS NI NE SERA ÉPOUSÉE.
2264. De même, certains ont dit que tous ne ressusciteront pas, mais seulement les hommes. Mais Augustin démolit cela en disant que le sexe ressuscitera. Or, le sexe n’est pas sauvé chez l’homme seulement. [Le Seigneur] écarte cette opinion lorsqu’il dit : ON N’ÉPOUSERA NI NE SERA ÉPOUSÉE. Par cela, il est donné à entendre que les deux sexes [ressusciteront], mais ils n’épouseront ni ne seront épousés.
2265. POUR CE QUI EST DE LA RÉSURRECTION DES MORTS, etc. Après avoir montré qu’ils ignoraient la puissance de Dieu, ici [le Seigneur] montre qu’ils ignoraient les Écritures. Ainsi, N’AVEZ-VOUS PAS LU L’ORACLE DANS LEQUEL LE SEIGNEUR VOUS DIT : «JE SUIS LE DIEU D’ABRAHAM, D’ISAAC ET DE JACOB ?» Cela est écrit en Ex 3, 6. Mais puisque d’autres autorités parlent plus expressément de la résurrection, comme on le trouve en Is 6, Ez 33 et Dn 12, Jérôme se demande pourquoi [le Seigneur] a présenté celle-ci, qui est ambiguë ? Il répond qu’ils n’acceptaient pas les prophètes, mais les cinq livres de Moïse.
2266. Et comment s’occupe-t-il à la question en cause ? Il dit : JE SUIS LE DIEU D’ABRAHAM, D’ISAAC ET DE JACOB. [On dit de Dieu] qu’il est le Dieu de certains en raison du culte que ceux-ci lui rendent. [Abraham, Isaac et Jacob] rendent donc un culte [à Dieu]. Or, les morts ne rendent pas de culte à Dieu, mais les vivants. Abraham, Isaac et Jacob sont donc vivants, mais non selon leurs corps. Ils le sont donc selon leur âme. Mais en quoi cela appuie-t-il la résurrection ? Cela l’appuie parce que [ceux qui interrogeaient] disaient que l’âme n’existe pas. Or, [le Seigneur] montre que l’âme subsiste. Si donc l’âme subsiste, la résurrection aussi, car l’âme a une inclination naturelle au corps.
2267. Mais que signifie ce qu’il dit : CE N’EST PAS DE MORTS [QU’IL EST LE DIEU] ? Cela est vrai selon le corps. Cependant, il est aussi le Dieu des morts, parce qu’ils vivent selon l’esprit. Rm 14, 8 : Que nous vivions ou que nous mourions, nous appartenons au Seigneur. Cela est aussi contre les hérétiques qui condamnent les pères de l’Ancien Testament, parce qu’il dit ici qu’ils vivent dans leur âme. De même, il parle au singulier parce que chez les autres nations, chacun avait son dieu. Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est unique, Dt 6, 4.
2268. Vient ensuite l’effet, car il furent étonnés : EN L’ENTENDANT, LES FOULES ÉTAIENT ÉTONNÉES DE SON ENSEIGNEMENT. Ps 118[119], 129 : Tes témoignages sont admirables, Seigneur, etc.
2269. Plus haut, le Seigneur a répondu à une question posée au sujet de l’acquittement du tribut, ainsi qu’à une question sur la résurrection. Mais ici, il répond à une question sur la comparaison entre les commandements de Dieu, et il fait deux choses : premièrement, la question est posée ; deuxièmement, la réponse [est donnée], en cet endroit : JÉSUS LEUR DIT, etc. [22, 37].
À propos du premier point, [Matthieu] décrit la perversité de ceux qui interrogent ; deuxièmement, l’interrogation, en cet endroit : «MAÎTRE, QUEL EST LE PLUS GRAND COMMANDEMENT DE LA LOI ?» [22, 36].
Il décrit [leur] perversité par trois traits. Premièrement, par leur effronterie ; deuxièmement, par leur méchanceté délibérée ; troisièmement, par leur fourberie.
2270. Par leur effronterie, lorsque [Matthieu] dit : APPRENANT QU’IL AVAIT FERMÉ LA BOUCHE [AUX SADDUCÉENS]. [JÉSUS] avait déjà réfuté les disciples des Pharisiens et les Sadducéens ; ils auraient pu pour cette raison croire en lui et rougir. De sorte que Chrysostome [dit] : «L’envie et la colère entretiennent et causent l’effronterie.» Mais ceux-ci n’en démordirent pas sans l’avoir interrogé. Is 56, 11 : Les chiens effrontés n’ont pas reconnu qu’ils étaient rassasiés. Et cela signifie que, bien qu’ils aient entendu cela, ils ne se turent pas. On garde le silence délibérément : c’est là le fait de l’homme prudent. De même, quelqu’un garde le silence parce que le silence lui est imposé, et cela est le fait de l’homme imprudent. Si 3, 7 : Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler.
2271. De même, leur méchanceté délibérée est abordée, car, afin de mieux le convaincre, ils se rassemblent. Ps 2, 2 : Les princes se sont rassemblés contre le Seigneur. ILS SE RÉUNIRENT. On peut dire que les Pharisiens et les Sadducéens se réunirent. Bien qu’ils fussent divisés en sectes, cependant ils se réunirent pour mettre le Seigneur à l’épreuve. Ou bien, les Pharisiens se regroupèrent contre le Seigneur.
De même, leur fourberie est indiquée, car, alors qu’ils étaient regroupés dans une foule, ils ne voulurent pas que tous l’interrogent, mais un seul, de sorte que si celui-ci était vaincu, les autres ne soient pas réfutés, et si celui-ci l’emportait, tous se glorifient en lui.
2272. ET L’UN D’EUX L’INTERROGEA POUR LE METTRE À L’ÉPREUVE, et non dans le but de s’instruire. Jb 16, 11 : Ils ont ouvert la bouche contre moi et ceux qui m’adressaient des reproches m’ont frappé à la mâchoire. On peut soulever ici une objection sur le texte, car Marc dit : Le Seigneur, l’ayant vu, lui dit : «Tu n’es pas loin du royaume de Dieu.» Et comment peut-il dire ceci alors qu’il le met à l’épreuve ? Augustin donne la solution : d’abord, il se présente avec l’intention de [le] mettre à l’épreuve, mais, comme le Christ lui a répondu de manière satisfaisante, il lui donna son accord. Ainsi, le fait qu’il l’ait mis à l’épreuve doit être mis en rapport avec le début ; le fait qu’il n’était pas loin du royaume de Dieu doit être mis en rapport avec la fin. Il n’est pas étonnant que les paroles du Seigneur lui aient remué l’âme.
2273. Mais il faut savoir que certains mettent à l’épreuve parce qu’ils ne sont pas certains, car, selon ce que dit le sage, Si 19, 4, celui qui croit rapidement a un cœur frivole. Celui-ci, après avoir entendu beaucoup de choses au sujet du Christ, voulut vérifier si elles étaient vraies, et cette mise à l’épreuve n’est pas mauvaise. C’est pourquoi il dit : MAÎTRE, QUEL EST LE PLUS GRAND COMMANDEMENT DE LA LOI ? Toutefois, cette question semblait calomnieuse et présomptueuse : calomnieuse, parce que tous les commandements de Dieu sont grands. Pr 6, 23 : Les commandements sont la lampe, et la loi, la lumière. Aussi, il posa une question de manière indéterminée, car tous sont grands, de sorte que si [le Seigneur] répondait au sujet d’un [commandement], il pourrait soulever une objection au sujet d’un autre. [Sa question] était aussi présomptueuse, car celui-là ne devrait pas s’enquérir du plus grand qui n’a pas accompli le plus petit. Jb 15, 12 : Pourquoi t’enorgueillis-tu, imagines-tu de grandes choses et tournes-tu les yeux ?
2274. Il se peut qu’il y ait eu controverse entre eux sur cette question, car certains disaient que le salut se trouvait dans certaines choses extérieures. Ainsi, Is 29, 13 : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est pourquoi vient ensuite la réponse : JÉSUS LUI DIT : «TU AIMERAS LE SEIGNEUR TON DIEU, etc.» Et il ne répond pas seulement à la question posée, mais il enseigne la vérité. Premièrement, il enseigne quel est le premier [commandement] ; deuxièmement, quel est celui qui lui ressemble ; troisièmement, il en donne la raison. Le second point [se trouve] en cet endroit : LE SECOND LUI EST SEMBLABLE, etc. [22, 39] ; le troisième, en cet endroit : À CES DEUX COMMANDEMENTS SE RATTACHENT TOUTE LA LOI AINSI QUE LES PROPHÈTES [22, 40].
2275. [Le Seigneur] dit donc : «TU AIMERAS LE SEIGNEUR TON DIEU, etc.» Ceci est écrit en Dt 6, 5. De même, le Seigneur dit par la bouche de Moïse, Dt 10, 14 : Le Seigneur ne t’a-t-il pas demandé de le craindre et de l’aimer ? Il commande donc deux choses : la crainte et l’amour. Et pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas répondu au sujet de la crainte, mais de l’amour ? Il faut dire que certains craignent Dieu parce qu’ils craignent d’être punis par Lui, comme ceux qui craignent la peine de la géhenne, ou comme ceux qui craignent de perdre quelque chose qu’ils tiennent de Dieu : cela est la crainte servile, car on aime [alors] ce par quoi l’on peut être puni.
2276. Il existe une autre crainte qui craint Dieu pour Lui-même, qui craint de l’offenser : une telle crainte vient de l’amour, et l’on craint ce que l’on aime. Elle est donc le principe de l’amour. 1 Jn 4, 16 : Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : TU AIMERAS LE SEIGNEUR ; non pas tu le craindras, car Dieu doit être aimé comme le premier objet susceptible d’être aimé, puisqu’il est la fin première, alors que tout le reste est aimé en vue de la fin. Celui-là donc qui aime Dieu comme la fin l’aime de tout son cœur. Jl 2, 12 : Convertissez-vous à moi de tout votre cœur. Et autant que vous vous y efforciez, vous ne pourrez le saisir, car Dieu est plus grand que tout [votre] cœur.
2277. Mais pourquoi dit-il : DE TOUT TON CŒUR, DE TOUTE TON ÂME ET DE TOUT TON ESPRIT ? Chrysostome l’explique ainsi : dans l’amour, il y a deux choses, l’une qui en est le principe, l’autre qui est l’effet de l’amour et la conséquence de l’amour. Le principe de l’amour est double. En effet, l’amour peut venir de la passion et du jugement de la raison : de la passion, lorsque l’homme ne peut vivre sans ce qu’il aime ; de la raison, lorsqu’il aime selon ce que dicte la raison. Il dit donc que celui-là aime de tout son cœur qui aime de manière charnelle, et que celui-là aime de [toute] son âme, qui [aime] selon le jugement de sa raison. Et nous devons aimer Dieu des deux façons. Charnellement, de sorte que [notre] cœur soit affecté par Dieu. Ps 83[84], 3 : Mon cœur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant. Troisièmement, il y a la conséquence de l’amour, car celui que j’aime, je le vois volontiers, je pense à lui volontiers, je fais volontiers ce qui lui plaît. Jn 14, 23 : Celui qui m’aime suivra ce que je dis, et je rapporte tout à lui, Ps 83[84], 2 : Comme tes demeures sont désirables, Seigneur des puissances ! Mon âme soupire et languit après le parvis du Seigneur. Et nous pouvons ajouter ce que Marc ajoute : ET DE TOUTES TES FORCES, car celui qui aime Dieu se transporte totalement en Lui et se dépense pour Lui.
2278. Augustin
fait une distinction entre le cœur, l’âme et l’esprit en fonction des trois
choses qui viennent d’eux. Du cœur
sortent les pensées, comme on le trouve plus haut, 15, 19 ; de
l’âme procède la vie ; de l’esprit, la science et l’intelligence. Ainsi,
lorsque [le Seigneur] dit : DE TOUT TON CŒUR, il faut comprendre que nous
rapportons à Lui toutes [nos] pensées ; DE TOUTE TON ÂME, que [nous lui
rapportons] toute [notre] vie ; DE TOUT TON ESPRIT, que toute science lui
est rapportée, c’est-à-dire que tu acquiers la science pour le servir.
2 Co 10, 5 : [Nous]
rendons captive toute intelligence pour qu’elle serve le Christ.
Une glose magistrale explique que l’âme est l’image de Dieu par ses puissances, selon la mémoire, l’intelligence et la volonté, de sorte que lorsqu’on dit : DE TOUT TON CŒUR, cela se rapporte à l’intelligence ; DE TOUTE TON ÂME, [cela se rapporte] à la volonté ; DE TOUT TON ESPRIT, [cela se rapporte] à la mémoire, de sorte que l’on vive parfaitement pour Dieu.
2279. Origène explique ainsi : TU AIMERAS DIEU DE TOUTE TON ÂME, de sorte que tu sois prêt à donner ta vie pour lui si cela est nécessaire. Jn 13, 37 : Je donnerai ma vie pour toi. Mais il y a une différence entre l’esprit et l’âme. En effet, «esprit» [mens] vient de metior [répartir, distribuer]. Le cœur s’entend de la simplicité de l’intellect, mais l’esprit, de son étalement, car l’intellect ou la pensée distribue par le discours. Cela veut donc dire que nous devons aimer Dieu totalement dans nos paroles et nos méditations.
2280. Une fois ceci affirmé, [le Seigneur] ajoute : VOILÀ LE PLUS GRAND ET LE PREMIER COMMANDEMENT. Le plus grand par sa capacité : en effet, c’est celui dans lequel tout est contenu, car en celui-ci l’amour du prochain est contenu, selon ce que dit 1 Jn 4, 21 : Celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Il est donc le plus grand. Il est aussi le premier par l’origine, le plus grand en dignité et en capacité. Non pas le premier dans l’Écriture, car, dans l’Écriture, le premier commandement fut : Le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu, Dt 6, 4. Et pourquoi ? Parce que toute inclination de la puissance affective se trouve dans l’amour. Nous avons donc un commandement en vertu duquel nous rendons un culte à Dieu dans l’amour. Rm 13, 10 : La plénitude de la loi, c’est l’amour. Ep 3, 17 : Enracinés et fondés dans la charité.
2281. En second lieu, [le Seigneur] présente le second commandement : LE SECOND LUI EST SEMBLABLE : «TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME.» Il a voulu montrer qu’il y a un ordre dans les commandements. Et quelle en est la raison ? Il est clair que les commandements portent sur les actes des vertus, Or, les vertus ont un ordre, car l’une dépend de l’autre. Il en est des commandements comme il en est des vertus.
Mais pourquoi dit-il qu’IL EST SEMBLABLE AU PREMIER ? Parce que, lorsque l’homme est aimé, Dieu est aimé en lui, puisque l’homme est l’image de Dieu. [Le second commandement] est donc semblable au premier commandement, qui porte sur l’amour de Dieu.
2282. Mais qu’entend-il par «prochain», lorsqu’il dit : TU AIMERAS TON PROCHAIN ? Cela est suffisamment indiqué dans la parabole de Lc 10, 36, où la question est posée : Que t’en semble ? Qui a été son prochain ? Et il est répondu : Celui qui lui a montré de la compassion. Ainsi, celui qui doit nous montrer de la compassion ou nous-mêmes sommes compris dans le mot «prochain». Mais il n’existe aucune créature rationnelle à qui nous ne devions montrer de la compassion et inversement. Ainsi, sous le mot de «prochain», sont compris l’homme et l’ange.
2283. Et ce qu’il dit : COMME TOI-MÊME, ne s’entend pas au sens de : «autant que toi-même», car cela serait contre l’ordre de la charité, mais au sens de : «comme toi-même», c’est-à-dire comme la fin pour laquelle tu [t’aimes] ou à la manière dont tu [t’aimes]. Pour la fin, car tu ne dois pas t’aimer pour toi-même, mais pour Dieu ; de même en est-il pour le prochain, [comme dit] l’Apôtre, 1 Co 10, 31 : Faites tout pour la gloire de Dieu. De même, dans le fait de t’aimer, tu t’aimes du fait que tu te veux du bien, et un bien qui te convienne et soit conforme à la loi de Dieu, et cela est le bien de la justice. Aussi dois-tu souhaiter une bonne justice pour le prochain. Tu dois donc l’aimer soit parce qu’il est juste, soit parce qu’il est rendu juste.
De même, tu dois l’aimer à la manière dont tu t’aimes, car, lorsque je dis que j’aime celui-ci, je dis que je lui veux du bien. Ainsi, l’acte de l’amour porte sur deux choses : ou bien sur celui qui est bon, ou bien sur le bien lui-même que je lui veux. De sorte que j’aime celui-ci parce que je veux qu’il soit un bien pour moi. Quelqu’un aime les biens temporels parce qu’il sait qu’ils sont bons pour lui ; certains aiment quelque chose parce que cela est bon en soi. Ainsi dois-tu t’aimer toi-même et le prochain.
2284. Ensuite, [le Seigneur] donne la raison pour laquelle ces deux commandements sont les plus grands : À CES DEUX COMMANDEMENTS SE RATTACHENT TOUTE LA LOI AINSI QUE LES PROPHÈTES. Tout l’enseignement de la loi et des prophètes se rattache à ceux-ci. La fin, dans les choses désirables, ressemble au principe dans les choses spéculatives. En effet, la science passe des principes aux conclusions, de sorte que toute science est jugée selon les principes, comme dans tout ce qui relève de l’action tout dépend de la fin. Ainsi donc, parce que l’amour est la fin, 1 Tm 1, 5 : La fin du commandement, c’est l’amour, tout dépend de ces [commandements]. Telle est l’interprétation d’Augustin.
Origène l’interprète de la manière suivante : de [ces deux commandements], c’est-à-dire de l’observance de ceux-ci, dépend l’intelligence de la loi et des prophètes, car celui qui les observe méritera de comprendre la loi et les prophètes. Si 2, 10 : Vous qui craignez le Seigneur, vous l’aimez, et vos cœurs seront éclairés. Ps 118[119], 104 : J’ai compris par tes commandements ; à cause de cela, j’ai haï le chemin de l’injustice.
2285. COMME LES PHARISIENS SE TROUVAIENT RÉUNIS, JÉSUS LEUR POSA CETTE QUESTION. Après leur avoir répondu, [le Seigneur] a voulu [leur] poser une objection, et il fait deux choses : premièrement, il pose une question ; deuxièmement, l’effet [est présenté], en cet endroit : NUL NE FUT CAPABLE DE LUI RÉPONDRE UN MOT [22, 46].
À propos du premier point, il pose en premier lieu une question ; en second lieu, la réponse [est présentée] ; troisièmement, il réplique par une objection.
[Matthieu] dit donc : COMME LES PHARISIENS SE TROUVAIENT RÉUNIS, JÉSUS LEUR POSA CETTE QUESTION. Ils étaient réunis pour le mettre à l’épreuve.
2286. Il leur pose donc une question : «QUELLE EST VOTRE OPINION AU SUJET DU CHRIST ? DE QUI EST-IL LE FILS ?» Cette question était très difficile et appropriée. Très difficile, car on lit en Is 53, 8 : Qui racontera sa génération ? Elle était aussi appropriée, car ils étaient d’avis qu’il était un simple homme et ils ne croyaient pas qu’il était Dieu, car alors ils ne l’auraient pas mis à l’épreuve, puisqu’il est écrit en Dt 6, 16 : Tu ne mettras pas le Seigneur ton Dieu à l’épreuve. Aussi, pour montrer qu’il était Dieu, il dit : QUELLE EST VOTRE OPINION AU SUJET DU CHRIST ?
Vient ensuite la réponse : ILS LUI DISENT : «DE DAVID.» En effet, il existait une double génération dans le Christ : l’une selon la chair, l’autre selon la divinité, selon laquelle il est le Fils de Dieu le Père, dont il est dit, Ps 2, 7 : Le Seigneur m’a dit : «Tu es mon Fils, etc.» Ainsi, ils répondent par la génération selon la chair lorsqu’ils disent : DE DAVID. Jr 23, 5 : Je donnerai à David une juste descendance. Et Rm 1, 3 : Issu de la lignée de David selon la chair. Et ceux-ci donnèrent une réponse insatisfaisante parce qu’ils ne le connaissaient pas suffisamment.
2287. Alors [le Seigneur] leur pose une objection pour leur faire comprendre l’autre génération : COMMENT DONC DAVID, PARLANT DANS L’ESPRIT, L’APPELLE-T-IL SEIGNEUR QUAND IL DIT : «LE SEIGNEUR A DIT À MON SEIGNEUR : SIÈGE À MA DROITE », Ps 109[110] ? On trouve dans la loi que le père est plus grand que le fils. Le fils n’est donc pas le seigneur du père. Donc, ou bien le Christ n’est pas le fils de David, ou bien il y a en lui quelque chose de plus grand que David, puisque celui-ci l’appelle Seigneur. Mais ils pourraient dire que David s’est trompé, ce qu’il écarte, car il a dit cela DANS L’ESPRIT. Ainsi les hommes parlaient dans l’Esprit Saint, 2 P 1, 21.
2288. Nous pouvons voir trois choses dans cette autorité tirée du psaume : premièrement, la prééminence sur les saints ; deuxièmement, l’égalité par rapport au Père ; [troisièmement], la domination sur les rebelles. La prééminence sur les saints, lorsqu’il dit : LE SEIGNEUR A DIT À MON SEIGNEUR. LE SEIGNEUR, c’est-à-dire le Père, [a dit] À MON SEIGNEUR], c’est-à-dire au Fils : en effet, le Fils lui-même a autorité sur tous les saints, car aucun saint n’est éclairé que par la vraie lumière, et lui est la lumière véritable. Jn 1, 4 : La vie était la lumière des hommes. Donc, s’il est celui par la participation auquel tous les saints reçoivent la lumière, il a la prééminence sur tous les saints en vertu de ce qui est dit : Avec toi est le principe au jour de ta puissance, parmi les splendeurs des saints, etc. Il est donc par son origine la splendeur de tous les saints.
2289. De même, l’égalité avec le Père est
abordée lorsqu’on dit : SIÈGE À MA DROITE, non pas qu’il s’agisse de
sièges au sens physique, mais au sens métaphorique, car il est plus honorable
de siéger à droite. En effet, dire, c’est émettre une parole. Le fait que le
Seigneur dit : «SIÈGE À MA DROITE, qu’est-ce sinon qu’en m’engendrant, le
Verbe, il m’a donné puissance, égalité et autorité ?» On peut aussi
l’interpréter des réalités temporelles, à savoir, pour ce qui est des biens les
plus importants, mais ce n’est pas ce qui est en cause. En effet, le Seigneur
est toujours vu à droite, comme en Mc 16, 5 : Ils virent un jeune homme assis à la droite.
Et Étienne, Ac 7, 55 : Il
vit Jésus assis à la droite de la puissance de Dieu.
2290. Et que fera-t-il de ses ennemis ? Tous seront soumis. Il dit donc : JUSQU’À CE QUE J’AIE FAIT DE TES ENNEMIS UN ESCABEAU POUR TES PIEDS. Ceux-ci sont soit ceux qui sont totalement infidèles, soit ceux qui n’ont pas voulu obéir et se soumettre. Il en fera donc UN ESCABEAU POUR TES PIEDS. En effet, un escabeau est ce qui est placé sous les pieds. Or, ce qui est sous les pieds est totalement soumis, non ce qui est dans la main. Certains sont présentés comme un escabeau en punition, d’autres, pour le salut : en punition, ceux qui ne veulent pas faire sa volonté ; pour le salut, ceux qui font sa volonté.
2291. Mais les ariens objectent : donc, il n’est pas égal au Père. Je dis qu’il faut lire les deux : qu’il est soumis au Père et qu’il est égal au Père. 1 Co 15, 25 : Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il place ses ennemis sous ses pieds. De même, le Christ se soumettra tout. Ph 3, 21 : Il transformera notre corps de misère en lui donnant la forme de son corps de gloire. Il dit donc cela afin de démontrer l’unité de puissance. Ainsi, tout ce que peut le Père, le Fils le peut aussi.
Mais que signifie : JUSQU’À CE QUE J’AIE FAIT DE TES ENNEMIS UN ESCABEAU POUR TES PIEDS ? Il semble donc que lorsqu’il aura placé ses ennemis sous [ses pieds], il ne siégera plus à droite. Il faut dire que parfois «jusque» implique un moment déterminé, parfois, [un temps] infini. Ici, il implique un temps infini. Mais quelqu’un pourrait dire : est-ce que beaucoup ne se rebelleront pas contre le Christ ? Il est vrai que beaucoup se rebelleront, et ainsi on pourrait avoir des doutes sur le temps où beaucoup se rebelleront. C’est ce que le Christ a voulu exprimer.
2292. SI DONC DAVID L’APPELLE SEIGNEUR, COMMENT EST-IL SON FILS ? Le Seigneur est donc à la fois [son] fils, parce qu’il est [son] fils selon la chair, ayant pris origine de lui, et [son] Seigneur selon la divinité.
2293. ET NUL NE FUT CAPABLE DE LUI RÉPONDRE UN
MOT. Ici est présenté l’effet, et il est double, car le Christ était à la fois
celui qui répond et qui s’oppose. Celui qui s’oppose : NUL NE FUT CAPABLE
DE RÉPONDRE. Jb 9, 3 : S’il
veut discuter avec lui, il ne pourra répondre une fois sur mille. De même,
parce qu’en répondant, il les réfute. C’est pourquoi vient ensuite : ET À
PARTIR DE CE JOUR, PERSONNE N’OSA PLUS L’INTERROGER. Vous pouvez donc voir que
ceux-ci n’interrogeaient pas pour qu’il les enseigne, mais pour le mettre à
l’épreuve. Dt 32, 7 : Interroge
ton père et il t’informera.
Leçon 1 [Matthieu 23, 1‑12] 23, 1 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses
disciples en disant : 23, 2 «Les scribes et les Pharisiens se sont
assis sur la chaire de Moïse : 23, 3 tout ce qu’ils vous diront,
faites-le donc et observez-le, mais n’agissez pas comme ils font : car ils
disent et ne font pas. 23, 4 En effet, ils lient aux épaules des gens des
fardeaux pesants et insupportables, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du
doigt. 23, 5 Mais en tout ils agissent pour être vus des hommes. En effet,
ils agrandissent leurs phylactères et font bien longues leurs franges.
23, 6 Ils aiment à occuper les premiers divans dans les repas et les
premiers sièges dans les synagogues, 23, 7 à recevoir les salutations sur
les places publiques et on les appelle Rabbi.
23, 8 «Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi.
Vous n’avez donc qu’un seul maître, et tous vous êtes frères. 23, 9
N’appelez personne votre Père sur la terre : car vous n’avez qu’un seul
père, le Père céleste. 23, 10 Ne vous faites pas non plus appeler «maître» :
car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. 23, 11 Le plus grand parmi
vous sera votre serviteur. 23, 12 Quiconque s’élèvera sera abaissé, et
quiconque s’abaissera sera élevé.
Leçon 2 [Matthieu 23, 13‑32] 23, 13 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens
hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux ! Vous n’entrez pas
vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient.
23, 14 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens
hypocrites, qui dévorez les maisons des veuves tout en faisant de longues
prières. Vous subirez de ce fait une condamnation plus sévère !
23, 15 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens
hypocrites, qui parcourez mers et continents pour gagner un seul prosélyte, et,
quand il a été gagné, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que
vous !
23, 16 «Malheur à vous, guides aveugles, qui
dites : “Si l’on jure par le temple de Dieu, cela ne compte pas ;
mais si l’on jure par l’or du temple, on est tenu.” 23, 17 Insensés et
aveugles ! Quel est donc le plus digne : l’or ou le temple qui a
rendu cet or sacré ? 23, 8 Vous dites encore : “Si l’on jure par
l’autel, cela n’est rien ; mais si l’on jure par l’offrande qui est
dessus, on est débiteur.” 23, 19 Aveugles ! Quel est le plus digne :
l’offrande ou l’autel qui rend cette offrande sacrée ? 23, 20 Aussi
bien, celui qui aura juré par l’autel, aura juré par lui et par tout ce qui est
dessus ; 23, 21 Celui qui jure par le temple jure par lui et par
Celui qui est en lui ; 23, 22 Celui qui jure par le ciel, jure par le
trône de Dieu et par Celui qui y siège.
23, 23 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez les dîmes de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la loi, la justice, la miséricorde et la foi ; c’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela. 23, 24 Guides aveugles, qui passez difficilement un moustique et avalez un chameau !
23, 25 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites,
qui purifiez l’extérieur de la coupe et de l’écuelle, mais qui, à l’intérieur
êtes remplis de rapine et d’impureté ! 23, 26 Pharisien
aveugle ! Purifie d’abord l’intérieur de la coupe et de l’écuelle, afin
que l’extérieur aussi devienne pur.
23, 27 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens
hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis ! Au-dehors ils ont
belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et de
toute pourriture. 23, 28 Vous de même, au-dehors vous offrez l’apparence
de justes, mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’impureté.
23, 29 «Malheur à vous, scribes et Pharisiens
hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux
des justes, 23, 30 et vous dites : “Si nous avions vécu du temps de
nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des
prophètes.” 23, 31 Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes, vous êtes
les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes ! 23, 32 Eh
bien ! Vous comblez la mesure de vos pères ! 23, 33 Serpents,
engeance de vipères ! Comment pourrez-vous échapper à la condamnation de
la géhenne ?
Leçon 3 [Matthieu 23, 34‑39] 23, 34 C’est pourquoi, voici que je vous envoie des
prophètes, des sages et des scribes, et vous en tuerez, vous en mettrez en
croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et pourchasserez de ville en
ville. 23, 36 En vérité, je vous le dis, tout cela va retomber sur cette
génération 23, 35 pour que retombe sur vous tout le sang innocent répandu
sur la terre, depuis le sang innocent d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, fils de
Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel !
23, 37 «Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les
prophètes et qui lapides ceux qui t’ont été envoyés ! Combien de fois
ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses
poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu ! 23, 38 Voici que
votre maison sera laissée déserte. 23, 39 Je vous le dis, en effet,
désormais vous ne me verrez plus, jusqu’à ce que vous disiez : “Béni soit
celui qui vient au nom du Seigneur !”»
2294. Plus haut, on a montré comment les
Pharisiens et les scribes ont été défiés au sujet de la gloire du Christ et
aussi de sa sagesse, par lesquelles il les avait heurtés ; maintenant,
[Matthieu] montre comment [le Seigneur] leur faisait des reproches en raison de
sa justice.
Premièrement, il les instruit ;
deuxièmement, il leur fait des reproches. Le second point [se trouve] en cet
endroit : MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS [23, 13].
À propos du premier point, il fait deux choses :
premièrement, il montre leur dignité ; deuxièmement, il dévoile leur
intention en recourant à une autorité, en cet endroit : EN TOUT ILS
AGISSENT POUR ÊTRE VUS DES HOMMES [23, 5].
À propos du premier point, il fait trois
choses. Premièrement, il fait l’éloge de leur autorité ; deuxièmement, il
enseigne de leur obéir avec précaution ; troisièmement, il en donne la
raison. Le second point [se trouve] en cet endroit : TOUT CE QU’ILS VOUS
DIRONT, FAITES-LE ET OBSERVEZ-LE, etc. [23, 3] ; le troisième, en cet
endroit : CAR ILS DISENT ET NE FONT PAS [23, 3].
2295. [Matthieu]
dit donc : ALORS JÉSUS S’ADRESSA AUX FOULES, etc. Il faut ainsi
poursuivre : «Le Seigneur les a si bien réfutés qu’ils n’osaient ni
l’interroger ni lui répondre.» Mais, selon ce que dit Chrysostome, «la parole
qui réfute sans instruire est inutile». [Le Seigneur] se tourne donc vers les
foules et vers ses disciples pour les instruire. Il faut savoir que certains
l’écoutent comme les disciples, et certains comme les foules. Comme les disciples :
ce sont ceux qui comprennent par l’esprit. Jn 8, 31 : Si vous demeurez dans ma parole, vous serez
vraiment mes disciples. Comme les foules : ce sont ceux qui ne peuvent
saisir la vérité par leur esprit. C’est pourquoi il adresse parfois ses paroles
aux foules et parfois aux disciples, et parfois aux deux, mais d’une manière
différente, car [il s’adresse] aux disciples en leur parlant de réalités
élevées, comme on le lit en Jn 15, 15 : Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Mais
parfois il adresse aux foules des paraboles, comme on le trouve plus haut. Mais
aux deux, il parle de la nécessité du salut, et telles sont les paroles
présentes.
2296. LES SCRIBES ET LES PHARISIENS SE SONT ASSIS
SUR LA CHAIRE DE MOÏSE. La chaire appartient en propre aux maîtres. Ainsi, on
dit que ceux-là se sont assis sur la chaire, qui ont succédé à Moïse.
Si 24, 33 : Moïse a
promulgué la loi selon des commandements pleins de justice. Ainsi, ceux qui
enseignaient la loi de Moïse étaient assis sur la chaire de Moïse. Dans la loi,
on trouvait certaines choses qui se rapportaient à la foi, et certaines aux
bonnes mœurs. Se rapportaient à la foi celles par lesquelles le Christ était
préfiguré. [Le Seigneur] lui-même dit donc, Jn 5, 46 : Si vous aviez cru à Moïse, vous auriez
peut-être cru en moi. Si 24, 33 : Moïse a promulgué la loi selon des commandements pleins de justice.
Mais il faut remarquer que sont assis sur la
chaire [de Moïse] les scribes, les Pharisiens et les disciples du Christ :
les scribes, qui ne tiennent compte que de la seule lettre ; les
Pharisiens, qui parfois [tiennent compte] de son sens intérieur ; les
disciples du Christ, qui évaluent tout avec soin, et qui ne sont pas appelés
les disciples de Moïse, mais ceux du Christ. Lc 24, 27 : En commençant par la loi et les prophètes,
il leur expliqua toutes les Écritures qui parlaient de lui.
2297. Ensuite, [le Seigneur] les prévient d’obéir
[aux scribes et aux Pharisiens] avec précaution, et il fait deux choses :
premièrement, il les exhorte à [leur] obéir ; deuxièmement, à [les]
éviter.
TOUT CE QU’ILS VOUS DIRONT, OBSERVEZ-LE, à
savoir, dans [votre] cœur, ET FAITES-LE, dans vos actes.
Dt 17, 9 : Tu viendras
vers les prêtres de la famille de Lévi et vers le juge, puis : Tu feras tout ce qu’ils diront ;
vient ensuite : Tu suivras leur
décision. Et l’Apôtre [dit] : Obéissez
à vos supérieurs [Rm 13, 1].
Et cela va à l’encontre des manichéens qui disaient que la loi ancienne n’était
pas bonne. Il est clair qu’elle est bonne, puisque le Seigneur a ordonné de
l’observer.
2298. Mais
quelqu’un pourrait objecter : «Nous devons donc observer les dispositions
de la loi, ce qui est contraire à l’enseignement des apôtres,
Ac 15, 29.» Il faut savoir qu’il faut toujours respecter l’autorité du
législateur selon son intention. Or, le législateur dit que certaines choses
doivent toujours être observées, et celles-ci doivent toujours être
observées ; mais il dit de certaines choses qu’elles ne sont qu’une ombre,
comme on le lit en Col 2, 17 : Qui sont l’ombre des choses à venir. Les dispositions morales sont
donc des commandements qui, selon l’intention du législateur, doivent être
toujours observés ; mais les dispositions légales [ne doivent être
observées] que pour un temps, à savoir, pour le temps qui précède le Christ.
Ainsi, avant cette époque, elles doivent être observées, après, non, car celui
qui les observerait ferait injure au Christ. Et Augustin donne un exemple. Si
quelqu’un disait : «Je ne mangerai pas demain», cette parole est le signe
de cette réalité ; et si, après avoir mangé, il disait la même chose, il
ne parlerait pas correctement. De même, comme ces dispositions légales étaient
les signes du Christ qui devait venir, celui qui les observerait après la venue
du Christ ne les observerait pas correctement. Ainsi, TOUT CE QU’ILS VOUS
DIRONT, conformément à l’intention du législateur, FAITES-LE.
2299. MAIS
N’AGISSEZ PAS COMME ILS LE FONT. Ici, [le Seigneur] enseigne à [les suivre]
avec précaution. Vous devez savoir que le prélat est promu non seulement pour
que sa doctrine enseigne, mais aussi sa vie. Nous devons donner notre accord à
ce qu’il enseigne, car, comme il est dit en Ga 1, 9 : Si quelqu’un vous annonce autre chose que ce
que vous avez reçu, qu’il soit anathème. De même, devons-nous nous
conformer à sa vie. En effet, sa vie doit être pour nous un exemple, comme la
vie du Christ. C’est pourquoi [il est dit] en 1 Co 4, 16 : Soyez mes imitateurs comme je le suis du
Christ. Or, [les Pharisiens et les scribes] ne sonnent pas faux dans [leur]
doctrine, mais dans [leur] vie. Il faut donc suivre leur doctrine, mais
s’écarter de leur vie.
2300. CAR
ILS DISENT, ET NE FONT PAS. Ici, [le Seigneur] donne la raison. Premièrement,
il présente la raison ; deuxièmement, il l’explique, en cet endroit :
ILS LIENT DES FARDEAUX PESANTS, etc. [23, 4]. Tu dis : «CE QU’ILS
VOUS ONT DIT, FAITES-LE, car ils disent : “Vous devez bien agir”, mais ILS
NE FONT PAS. C’est pourquoi vous ne devez pas agir comme ils le font, car toi
qui enseignes qu’il ne faut pas voler, tu voles.»
Ps 49[50], 16 : Dieu a dit
au pécheur : «Pourquoi racontes-tu mes jugements et as-tu mon alliance à
la bouche ?"
2301. EN EFFET, ILS LIENT [AUX ÉPAULES DES GENS]
DES FARDEAUX PESANTS ET INSUPPORTABLES, etc. En effet, le Seigneur veut
accentuer leur malice, car ILS DISENT, ET NE FONT PAS. S’ils disaient et ne
faisaient pas tout simplement, cela serait encore tolérable ; mais cela ne
leur suffit pas, puisqu’ils ajoutent aux commandements de Dieu des fardeaux
très lourds. Leur présomption est donc signalée, puisqu’ils lient d’autres
fardeaux aux fardeaux imposés par Dieu, car ils proposent de nouvelles
observances, comme on lit, en Mc 7, 2, qu’ils interdisaient de manger
du pain sans se laver les mains fréquemment, à l’encontre ce que [dit]
Is 58, 6 : Détachez les
liens injustes, déliez les liens oppressants ! De même, la cruauté de
ceux qui imposent des fardeaux est indiquée, à l’encontre de ce [que dit]
1 Jn 5, 3 : Car les
commandements de Dieu sont légers. En effet, mon joug est doux et mon fardeau
léger, plus haut, 11, 30. Leur manque de jugement est donc relevé, car
s’ils imposaient [un fardeau] pesant à celui qui est fort, ce ne serait pas
grand-chose ; mais ils imposent des fardeaux insupportables aux faibles.
En effet, ne peut pas être porté ce qui dépasse les forces de celui qui porte.
Ac 15, 10 : C’est un joug
que ni nous, ni nos pères n’avons pu porter. De même est indiquée leur trop
grande sévérité, car s’ils imposaient un fardeau et se montraient indulgents,
cela suffirait encore ; mais ils ordonnent avec une certaine violence.
2302. ILS
[LES] IMPOSENT AUX ÉPAULES DES HOMMES. Ils dépassent donc la mesure dans ce
qu’ils disent. Ils la dépassent aussi en NE FAISANT PAS, car il y a des hommes
qui ne veulent pas tout faire, mais veulent faire quelque chose. De même, il y
en a qui, même s’ils ne veulent pas faire quelque chose de difficile, veulent
toutefois faire quelque chose de léger. De même, il y en a qui, même s’ils
n’agissent pas, ont cependant la volonté d’agir. Mais ceux qui ne veulent rien
de cela font preuve d’une malice excessive. [Le Seigneur] dit donc :
EUX-MÊME SE REFUSENT À LES REMUER DU DOIGT. Ainsi, non seulement ne
faisaient-ils pas, mais ils ne voulaient pas au moins LES REMUER DU DOIGT,
c’est-à-dire [qu’ils ne voulaient pas] commencer. De même, [ils ne voulaient
pas] faire même des choses légères, ce qui est signifié par le doigt.
Vous devez faire ce qu’ils enseignent, mais
vous ne devez pas les suivre dans leurs actions, parce qu’ils ne font pas même
la plus petite chose. Chrysostome dit : «Ces gens disent de grandes
choses, mais en font de petites. Ils ressemblent aux collecteurs de taxes, qui
obligent les autres à en acquitter de plus grandes que ne l’exigent les
tributs, mais eux-mêmes n’en acquittent pas. Que je ne te voie pas enseigner de
grandes choses et en faire de petites ! Ainsi, le Seigneur t’épargnera
davantage si tu penches vers la miséricorde que vers la sévérité.»
2303. MAIS EN TOUT ILS AGISSENT POUR ÊTRE VUS DES
HOMMES. Ici, [le Seigneur] présente [leur] intention, et il fait deux
choses : premièrement, il dévoile leur intention ; deuxièmement, il
avertit ses disciples de les éviter.
En premier lieu, il présente [leur]
intention ; deuxièmement, il l’explique, en cet endroit : EN EFFET,
ILS AGRANDISSENT LEURS PHYLACTÈRES, etc. [23, 5].
Quelle est la raison pour laquelle ILS DISENT
ET NE FONT PAS ? Parce qu’ils sont incorrigibles. La raison pour laquelle
l’homme est si difficile à corriger ou est incorrigible est la recherche de sa
propre gloire. Ainsi, Chrysostome [dit] : «Enlève la vaine gloire chez les
clercs, et tu élagueras tous les autres vices.» C’est pourquoi [le Seigneur]
commence par cela : MAIS EN TOUT ILS AGISSENT POUR ÊTRE VUS DES HOMMES. Jn 12, 43 :
Ils ont aimé davantage la gloire qui
vient des hommes que la gloire qui vient de Dieu. [Le Seigneur] dit
donc : MAIS EN TOUT ILS AGISSENT, car [ils ne posent] pas un seul geste,
MAIS ILS FONT TOUT POUR ÊTRE VUS DES HOMMES, à l’encontre de ce qui est dit
plus haut, 6, 16 : Ne vous
comportez pas comme des hypocrites. Ne leur ressemblez donc pas.
Vient ensuite l’explication : EN EFFET,
ILS AGRANDISSENT LEURS PHYLACTÈRES, etc. [Le Seigneur] fait deux choses :
premièrement, il dit ce qu’ils font ; deuxièmement, ce qu’ils
recherchent : ILS AIMENT À OCCUPER LES PREMIERS DIVANS, etc. [23, 6].
2304. Que
font-ils ? Ils ne font pas ce qui est pesant, mais ils font bien certaines
choses qui paraissent à l’extérieur : ils portent une tenue sacrée, et
cela n’est pas lourd, qu’ils déploient sous forme de phylactères et de franges.
En effet, il est dit en Dt 6, 8 : Tu attacheras [les commandements] à ta main et devant tes yeux. À
TA MAIN, c’est-à-dire à l’accomplissement d’une action, ET DEVANT TES YEUX,
c’est-à-dire à ton examen attentif. Comme ceux-ci recherchaient la gloire en
paraissant épris des commandements de Dieu, ils écrivaient les commandements
sur des bouts de papier et les plaçaient devant leurs yeux, en les appelant des
phylactères, et ils les agrandissaient afin qu’ils soient plus visibles des
hommes. C’est pourquoi il est dit : EN EFFET, ILS AGRANDISSENT LEURS
PHYLACTÈRES. On lit aussi au sujet des franges, en Nb 15, 38, que le
Seigneur a ordonné de fabriquer des franges, car il voulait que le peuple juif
se distingue des autres peuples. Afin de se montrer plus religieux, [les
scribes et les Pharisiens] allongeaient les franges et les attachaient avec des
épingles afin de paraître se piquer, pour rappeler qu’ils étaient juifs. Ils ne
montrent donc que des choses extérieures, plus haut, 7, 15 : Ils viennent vers vous habillés comme des
brebis.
Et que cherchent-ils ? AFIN D’ÊTRE VUS
DES HOMMES. Or, cette gloire se manifeste par trois choses : par la
préséance, par le respect exprimé et par l’éloge de leur nom. En effet, celui
qui recherche la gloire recherche une de ces choses ou toutes.
2305. Ceux-ci
recherchaient la préséance dans le lieu saint et dans les endroits ordinaires.
Ainsi, pour les endroits ordinaires, [le Seigneur] dit donc : ILS AIMENT À
OCCUPER LES PREMIERS DIVANS LORS DES REPAS. En effet, ils voulaient occuper les
premières places à table, à l’encontre de Lc 14, 8 : Lorsque tu seras invité aux noces, cherche
la dernière place. Et il dit : ILS AIMENT, car ce n’est pas l’autorité
qui est reprochée, mais sa recherche désordonnée. Car certains occupent la
première place de corps, mais, de cœur, ils sont cependant assis à la dernière
place. Inversement, quelqu’un s’assoit à la dernière place afin qu’on
dise : «Voyez comme il est humble», et ainsi, etc., mais [il s’assoit] de
cœur à la première [place], parce qu’il cherche en cela la gloire. Ils
cherchent aussi la préséance dans le lieu saint, dans l’église. [Le Seigneur]
dit donc : ET LES PREMIERS SIÈGES DANS LES SYNAGOGUES, à l’encontre de Si 7, 4 :
Ne demande pas à l’homme la première
place ni au roi un siège glorieux.
2306. Ils désirent aussi qu’on les respecte. [Le
Seigneur] dit donc : ET À RECEVOIR LES SALUTATIONS SUR LES PLACES
PUBLIQUES, c’est-à-dire à être salués et honorés par les hommes, qu’on enlève
son capuce en leur présence et qu’on fléchisse le genou devant eux. Et ils
désirent qu’ON LES APPELLE «RABBI», c’est-à-dire être louangés comme des
maîtres.
Origène met ceci en rapport avec ceux qui
désirent des dignités dans l’Église. En effet, il existe une certaine dignité
pour les archidiacres, les diacres, les prêtres et les évêques. La fonction des
diacres est de présider aux tables, Ac 6, 2. Ceux qui désirent la
fonction de diacres désirent donc les premiers divans. De même, le siège
appartient en propre aux prêtres. C’est pourquoi ceux qui désirent le poste de
prêtre aiment les sièges. Ce sont les évêques qui, à proprement parler, doivent
être les maîtres. Ainsi, ce sont ceux qui désirent être évêques qui veulent
être appelés «Rabbi».
2307. POUR VOUS, NE VOUS FAITES PAS APPELER
«RABBI». Dans cette section, [le Seigneur] repousse l’imitation de la
gloire ; en second lieu, il invite à l’humilité, en cet endroit : LE
PLUS GRAND PARMI VOUS SERA VOTRE SERVITEUR [23, 11]. Il faut remarquer que
celui qui a préséance doit instruire et gouverner : la première fonction
est celle du maître, la seconde, celle des pères. C’est pourquoi [le Seigneur]
interdit la vaine gloire pour les deux. Le second point [se trouve] en cet
endroit : N’APPELEZ PERSONNE «PÈRE» SUR LA TERRE [23, 9].
À propos du premier point, il présente un
enseignement ; deuxièmement, il en donne la raison.
2308. Il
dit donc : POUR VOUS, NE VOUS FAITES PAS APPELER «RABBI». S’oppose à cela
ce [qui est dit] en 1 Tm 5, 17 : Que les anciens qui assurent bien la direction reçoivent un double
honneur, surtout ceux qui œuvrent à la parole et à l’enseignement. On peut
dire que NE VOUS FAITES PAS veut dire : «Ne sollicitez pas.» Et il en
donne plus loin la raison : CAR VOUS N’AVEZ QU’UN MAÎTRE, etc., à savoir,
Dieu. Ps 84[85], 9 : J’écouterai
ce que le Seigneur Dieu dira en moi. Mais que veut-il dire ? Il faut
dire qu’on appelle «maître» à proprement parler celui qui tient de lui-même
l’enseignement, et non pas celui qui dispense aux autres [l’enseignement]
transmis par un autre. Il n’existe ainsi qu’un seul maître, à savoir, Dieu, qui
possède à proprement parler l’enseignement. Mais nombreux sont les maîtres à
titre ministériel. Si tu cherches l’autorité, tu recherches ce qui relève de
Dieu ; mais si tu cherches un ministère, tu cherches ce qui relève de
l’humilité. C’est pourquoi il est dit plus loin : LE PLUS GRAND PARMI VOUS
SERA VOTRE SERVITEUR [23, 11], c’est-à-dire qu’il se considérera comme un
serviteur. Chrysostome dit que, de même qu’il n’existe qu’un seul Dieu par
nature, et plusieurs par participation, de même il n’existe qu’un seul maître
par nature, mais plusieurs à titre ministériel.
2309. Mais comment un homme peut-il savoir qu’il
ne tient pas de lui-même l’enseignement ? Cela est clair, car il
dépendrait alors de sa volonté de dispenser l’enseignement à qui il
voudrait ; mais il ne le peut pas, bien plus, cela relève de Dieu seul,
qui illumine le cœur de l’intérieur. Il existe de cela un exemple manifeste
pour la santé : le médecin guérit en administrant certaines choses
extérieures ; mais c’est la nature qui guérit à titre principal, alors que
le médecin apporte une certaine aide, et le médecin guérit comme la nature,
c’est-à-dire en revenant à un équilibre. De même en est-il de la science, car
[son] principe nous vient de la nature, à savoir, l’intelligence ; celui
qui enseigne propose certaines aides par l’enseignement, comme le médecin pour
la santé, mais seul Dieu agit à l’intérieur de l’intelligence. VOUS N’AVEZ DONC
QU’UN SEUL MAÎTRE, de sorte que vous ne devez pas être appelés «maître».
2310. [Le Seigneur] montre aussi que [les
disciples] ne doivent pas désirer l’autorité du père : VOUS ÊTES TOUS
FRÈRES [23, 8], et il montre cela par l’égalité de leur condition. Pour le
maître, il n’a pas fait de différence pour la qualité de leur condition, mais,
pour la paternité, il joint la condition. Il dit donc : VOUS ÊTES TOUS
FRÈRES, car vous êtes issus de moi, le Père. Ml 3, 5 : Voici que je vous enverrai Élie le prophète,
puis : Et il tournera le cœur
des pères vers les fils, et le cœur des fils vers leurs pères. Vous êtes de
même mes fils par la régénération. 1 P 1, 3 : Lui qui nous a régénérés pour une vivante
espérance par la résurrection de Jésus, le Christ. Ainsi, l’un n’a pas
autorité sur l’autre.
2311. Vient
ensuite : N’APPELEZ PERSONNE VOTRE PÈRE SUR LA TERRE. En effet, vous êtes
les fils du Père éternel ; vous ne devez donc pas avoir de père sur la
terre. On dit à proprement parler de quelqu’un qu’il a un père sur la terre
lorsqu’il recherche un héritage sur la terre ; et celui-là a un Père dans
les cieux, qui recherche un héritage dans les cieux.
1 P 1, 4 : Lui qui
nous a régénérés en vue d’un héritage incorruptible, non souillé et impérissable
dans les cieux. Pourquoi donc, dans les monastères, les anciens sont-ils
appelés «pères» ? Il faut dire que c’est en raison de l’autorité.
Ep 3, 4 : Vous pouvez
comprendre ma prudence dans le service du Christ, etc. CAR VOUS N’AVEZ
QU’UN SEUL PÈRE. Plus haut, 6, 9 : Notre Père qui es aux cieux.
2312. De même, NE VOUS FAITES PAS APPELER
«MAÎTRE», CAR VOUS N’AVEZ QU’UN SEUL MAÎTRE, LE CHRIST. Le Christ s’attribue
donc le magistère parce qu’il est le Verbe de Dieu. Il lui appartient donc
d’enseigner, car personne n’enseigne que par la parole. De même, il est le
maître quant à sa nature humaine, car il a été envoyé pour enseigner.
Jn 1, 18 : Dieu, personne
ne l’a jamais vu. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui nous l’a
fait connaître. De même, [Jn] 13, 13 : Vous m’appelez «Maître» et «Seigneur».
2313. LE PLUS GRAND PARMI VOUS SERA VOTRE
SERVITEUR. Après [les] avoir détournés de l’orgueil, [le Seigneur] les exhorte
à l’humilité. Premièrement, il présente [son] exhortation] ; deuxièmement,
il en donne la raison.
Et cela peut s’enchaîner ainsi. Chrysostome
[dit] : «Vous ne devez pas être appelés pères ni maîtres ; vous ne
devez donc pas solliciter cela, mais plutôt l’humilité.» Ainsi, LE PLUS GRAND
PARMI VOUS SERA VOTRE SERVITEUR, c’est-à-dire qu’il doit se comporter comme un
serviteur. 1 Co 4, 1 : Qu’on
nous considère donc comme les serviteurs du Christ. Ou bien, il avait
dit : NE VOUS FAITES PAS APPELER «RABBI». Ils lui dirent donc : «Tu
veux donc qu’il n’y ait pas de direction sur terre ?» Le Seigneur
dit : «Ce n’est pas ce que je veux, mais je veux que LE PLUS GRAND PARMI
VOUS SOIT [VOTRE] SERVITEUR, c’est-à-dire qu’il ne se considère pas comme un
supérieur, mais comme un serviteur.» 2 Co 4, 5 : Mais nous, nous sommes vos serviteurs par
Jésus. C’est cela qui est dit en Lc 22, 27 : Qui est le plus grand ? Celui qui
assure le service ou celui qui est étendu, etc. ?
2314. Ensuite, il donne la raison : QUICONQUE
S’ÉLÈVERA SERA ABAISSÉ, ET QUICONQUE S’ABAISSERA SERA ÉLEVÉ. Ainsi, [on lit]
dans le cantique de la Vierge, Lc 1, 52 : Il a déposé les puissants de leurs sièges et a exalté les humbles.
2315. Après avoir éclairé ses disciples et les
foules sur les précautions qu’ils devaient prendre au sujet de l’enseignement
des Juifs, ici [le Seigneur] oriente son discours vers les scribes en les
rabrouant.
Premièrement, il [les rabroue] à propos de
leur simulacre de religion, alors qu’ils sont irréligieux ; deuxièmement,
de leur simulacre de pureté, alors qu’ils sont impurs ; troisièmement, de
leur simulacre de piété, alors qu’ils sont impies. Le second point [se trouve]
en cet endroit : MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS, QUI PURIFIEZ
L’EXTÉRIEUR DE LA COUPE, etc. [23, 25]. Le troisième, en cet
endroit : MALHEUR À VOUS, QUI BÂTISSEZ LES SÉPULCRES DE PROPHÈTES, etc.
[23, 29].
En ce qui concerne la religion, les prêtres
doivent faire certaines choses pour le peuple, et inversement. Premièrement,
[le Seigneur] présente donc leur malice pour ce qui relève des prêtres ;
deuxièmement, pour ce qui relève du peuple, en cet endroit : MALHEUR À
CELUI QUI DIT : «SI L’ON JURE, etc.» [23, 16].
2316. Le
prêtre doit quelque chose au sujet déjà converti, et quelque chose à celui qui
n’est pas converti. À celui qui n’est pas converti, [il doit] de le
convertir ; à celui qui est converti, [il doit] l’enseignement.
Ml 2, 7 : Les lèvres du
prêtre enseignent la sagesse. Il lui doit aussi [ses] prières.
He 5, 1 : Tout grand
prêtre, pris d’entre les hommes, est établi en faveur des hommes pour leurs
relations avec Dieu. [Les scribes] se comportaient mal dans les deux cas.
Ainsi, en premier lieu, [le Seigneur] les rabroue-t-il à propos du premier
cas ; en second lieu, au sujet du deuxième, en cet endroit : MALHEUR
À VOUS QUI DÉVOREZ LES MAISONS DES VEUVES, etc. [23, 14].
2317. Dans
tous ces reproches, il montre qu’il est le Fils de Celui qui a donné l’ancienne
loi. En Dt 26 et 28, sont formulées des malédictions contre ceux qui ne
seront pas demeurés dans la loi, puis sont formulées des bénédictions. Mais
parce que [le Seigneur] était venu afin d’abolir les malédictions de la loi,
les bénédictions ont donc d’abord été présentées plus haut, là où il est
dit : Bienheureux les pauvres,
bienheureux les doux, etc. [5, 3s]. Mais, vers la fin de son
enseignement, il formule une malédiction. C’est pourquoi ceux qui rabrouent
l’ancienne loi parce qu’y apparaissaient des malédictions rabrouent à tort, car
il en est [à ce sujet] de l’ancienne loi comme de la nouvelle. En effet, dans
la loi, ne sont maudits que ceux qui s’écartaient de la loi. Il en est de même
ici. Pr 3, 11 : Ne rejette
pas l’enseignement du Seigneur.
2318. Mais
que veut-il dire par : VOUS FERMEZ AUX HOMMES LE ROYAUME DES CIEUX ?
Le royaume des cieux est la béatitude de la vie éternelle. Plus haut,
5, 20 : À moins que votre
justice ne dépasse celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas
dans le royaume des cieux. De même, l’Écriture est appelée un royaume, plus
haut, 21, 43 : Le royaume de
Dieu vous sera enlevé, c’est-à-dire la compréhension de la Sainte Écriture.
Le Christ est la porte des deux royaumes. Jn 10, 9 : Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira,
et il trouvera un pâturage. Que signifie donc : FERMER LE ROYAUME, si
ce n’est que ceux-ci [le] fermaient par leur mauvais enseignement et leur
mauvaise vie ? N’est fermé que ce qui a été ouvert. Les enseignements du
Christ sont ouverts, mais ceux-ci les fermaient parce qu’ils les rendaient
obscurs. [On lit] en Is 35, 5 : Le Seigneur lui-même viendra et nous sauvera. Alors seront ouverts les
yeux des aveugles et seront débouchées les oreilles des sourds. Lorsque le
Seigneur faisait ces miracles, cette Écriture était ouverte, mais eux [la]
fermaient lorsqu’ils disaient : C’est
par Béelzébut qu’il chasse les démons, Lc 11, 15.
2319. De même, ceux-ci [la] fermaient par leur
mauvaise vie lorsque, par le mauvais exemple, ils induisaient [les gens] à
pécher. Ps 1, 1 : Bienheureux
l’homme qui ne se joint pas au conseil des impies, ne se tient pas sur la route
des pécheurs et ne s’assoit pas dans la chaire malodorante. Celui-là
s’assoit à proprement parler dans la chaire malodorante, qui reçoit la fonction
d’enseigner et corrompt le peuple par une mauvaise vie. Le juge fait encore
périr un homme par une sentence injuste. Toutefois, c’est en vain qu’il
prononce une sentence injuste. En effet, «le pouvoir de lier et de délier a été
donné pour construire, et non pour détruire». On peut donc dire à leur sujet :
MALHEUR À VOUS… QUI FERMEZ AUX HOMMES LE ROYAUME DES CIEUX !
De même, on ne peut douter que quiconque
empêche l’entrée dans le royaume agit mal. Vient donc ensuite : VOUS
N’ENTREZ PAS VOUS-MÊMES, ET VOUS NE LAISSEZ PAS ENTRER CEUX QUI LE VOUDRAIENT,
c’est-à-dire, [vous ne laissez pas] les autres se convertir. Ainsi,
Ml 2, 8 : Vous vous êtes
écartés du chemin et en avez scandalisé un grand nombre.
2320. MALHEUR À VOUS… QUI DÉVOREZ LES MAISONS DES
VEUVES, TOUT EN FAISANT DE LONGUES PRIÈRES. Ceci est la deuxième malédiction,
dans laquelle est abordé le simulacre dans la prière.
Premièrement, [le Seigneur les] rabroue au sujet de leur voracité,
lorsqu’il dit : QUI DÉVOREZ LES BIENS DES VEUVES, parce que tout ce qu’ils
faisaient, ils le transformaient en gloutonnerie, de sorte que leur convient ce
qui est dit en 2 M 6, 4, que tout le temple était plein de
débauches et d’orgies.
2321. LES MAISONS DES VEUVES, c’est-à-dire les
biens des veuves. Mais pourquoi les maisons des veuves plutôt que celles des
autres ? La raison en est qu’ils cherchent davantage à séduire les femmes,
car les hommes sont plus sages et prudents et ne sont pas si facilement
trompés. De même, les femmes ont une affectivité qui les incline davantage à
donner. 1 Tm 2, 10 : Mais
ce qui convient à des femmes, qui s’engagent à la piété par de bonnes œuvres, car
une femme qui a un mari l’a comme chef et conseiller. C’est pourquoi elle n’est
pas ainsi dupée. De même, la femme mariée n’a pas pouvoir sur sa maison, mais
la veuve l’a ; elle peut donc donner davantage que la femme mariée. Ils
quêtaient donc davantage auprès d’elles qu’auprès des autres, puisqu’on pouvait
leur donner davantage. Leur convient donc bien ce [qui est dit] en
Ps 93[94], 6 : Ils ont tué
la veuve et l’étranger. Et cela, par [leur] prière : TOUT EN FAISANT
DE LONGUES PRIÈRES, par simulacre de sainteté. Ainsi, ils transformaient la
prière en quête, et la quête en gloire. Ils pouvaient donc être rabroués, car
ils étaient gloutons, déprédateurs et simulaient la sainteté.
2322. Vient donc ensuite : VOUS SUBIREZ DE CE
FAIT UNE CONDAMNATION PLUS SÉVÈRE, à savoir, vous avez péché davantage. Et
pourquoi ? Parce que si quelqu’un pille par les armes du Diable, il
pèche ; s’il pille par les armes de Dieu, il pèche doublement, car il
pèche contre Dieu et contre le prochain. Ou bien : PLUS [SÉVÈRE], etc.,
parce que vous aurez reçu de ceux à qui vous deviez donner. Ou bien : PLUS
SÉVÈRE, comme on trouve en Lc 12, 47 : Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’aura rien
fait recevra un plus grand nombre de coups.
2323. MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS, QUI
PARCOUREZ MERS ET CONTINENTS POUR GAGNER UN SEUL PROSÉLYTE. Ceci s’interprète
de deux manières : par référence à l’époque postérieure au Christ et [à
l’époque] antérieure au Christ. Si [on se réfère] à l’époque postérieure, [le
Seigneur] parle ainsi des choses à venir et présentes. En effet, il a prévu que
les Juifs devaient être dispersés à la grandeur du monde et qu’ils
chercheraient à convertir à leur loi, en détournant du Christ ceux qu’ils
pourraient. On dit donc : QUI PARCOUREZ MERS ET CONTINENTS, etc. On
appelle prosélytes ceux qui, parmi les Gentils ou les chrétiens, se
convertissent à leur foi, et c’est parce qu’il prévoyait ceux qui se convertiraient
à leur foi parmi les chrétiens qu’il dit cela. Et il dit : UN SEUL, parce
que très peu se sont [ainsi] convertis. Ils ont donc encouru cette malédiction
qu’on trouve en Os 9, 10 : Comme
des raisins dans le désert, j’ai trouvé Israël.
2324. ET QUAND IL A ÉTÉ GAGNÉ, c’est-à-dire quand
il est devenu juif, VOUS LE RENDEZ DIGNE DE LA GÉHENNE DEUX FOIS PLUS QUE VOUS,
car il était d’abord un Gentil, puis [est devenu] par la suite un Juif. Il
commet donc des péchés doubles, à savoir ceux des Gentils et ceux des Juifs,
puisque, comme Juif, il participe à la mort du Christ. S’il avait été d’abord
chrétien, puis par la suite juif, il aurait été deux fois pire, car il aurait
souillé le don du Saint-Esprit qu’il avait reçu par les sacrements. De même
participe-t-il aux péchés des Juifs. Jn 8, 44 : Vous tenez de votre père, le Diable.
On peut aussi mettre [ce qui est dit] en
rapport avec l’époque antérieure au Christ, car, avant le Christ, [les Juifs]
en convertissaient un certain nombre à leur foi. Et cela est clair, car chacun
s’aime davantage qu’un autre. S’ils en avaient converti en vue du salut de leur
âme, ils auraient donc dû s’occuper de leur propre salut, mais ils n’en avaient
cure. Ils faisaient tout cela pour collecter, car ils voulaient que les offrandes
augmentent. Leur enseignement est donc futile.
2325. ET
QUAND IL A ÉTÉ GAGNÉ, VOUS LE RENDEZ DIGNE DE LA GÉHENNE DEUX FOIS PLUS QUE
VOUS, car d’abord il s’était converti au judaïsme et avait chuté, puis, par la
suite, il s’est converti de nouveau. Ainsi il est dit,
2 P 2, 21 : Mieux
vaut ne pas connaître le chemin de la justice que de revenir sur ses pas après
l’avoir connu. [On peut aussi l’interpréter] autrement. Avant d’être juif,
il s’abstenait du mal, du moins pour être louangé par les hommes, mais, après,
non. De sorte que Rm 2, 14 [dit] : En effet, alors que les païens, qui n’ont pas de loi, font
naturellement ce qui relève de la loi, tout en n’ayant pas de loi, ils sont une
loi pour eux-mêmes. Ils prenaient donc exemple sur les méchants.
2326. MALHEUR À VOUS, GUIDES AVEUGLES. Par cela,
[le Seigneur] montre comment il y a des simulateurs de sainteté pour ce qui
doit être rendu aux prélats : premièrement, pour ce qui est des
offrandes ; deuxièmement, des dîmes, en cet endroit : MALHEUR À VOUS…
QUI ACQUITTEZ LA DÎME DE LA MENTHE, etc.
Voyez : en premier lieu, [le Seigneur] présente leur
tradition ; en second lieu, il [la] réfute par trois arguments.
La première partie, où est présentée [leur]
tradition avec sa justification, comporte deux parties. La seconde [se trouve]
en cet endroit : QUICONQUE AURA JURÉ SUR L’AUTEL, etc. [23, 18].
2327. [Les
scribes et les Pharisiens] orientaient toute la religion vers la collecte afin
d’amener les hommes à faire des offrandes. Dans le temple, beaucoup d’or était
étalé. Ils disaient donc que, si quelqu’un jurait par le temple, il ne devait
rien ; mais celui qui jurait par l’or s’obligeait à la quantité d’or pour
laquelle il jurait. De même, la seconde tradition était qu’il y avait là un
autel et que beaucoup de choses étaient offertes sur l’autel. Ils disaient donc
que celui qui jurait par l’autel n’avait rien à acquitter, mais celui [qui
jurait] par l’offrande s’obligeait à la valeur de l’offrande. Et
pourquoi ? Afin de profiter des peines et d’augmenter l’offrande par son
caractère sacré, et d’inciter les hommes à offrir davantage.
2328. Premièrement, [le Seigneur] présente la
première partie ; deuxièmement, la seconde.
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il
présente la tradition ; deuxièmement, son désaveu, en cet endroit :
AVEUGLES ET INSENSÉS, etc. [23, 17].
[Le Seigneur] dit donc : MALHEUR À VOUS,
GUIDES AVEUGLES, etc. On trouve la même chose plus haut, 15, 14 : Ils sont des aveugles et des guides
d’aveugles. Is 56, 10 : Ses
guetteurs sont tous aveugles. QUI DITES : «SI L’ON JURE PAR LE TEMPLE
DE DIEU, CELA NE COMPTE PAS», car il est impossible que [celui qui jure]
construise un autre temple. «MAIS SI L’ON JURE PAR L’OR DU TEMPLE, c’est-à-dire
par l’or, [CELUI QUI JURE] EST DÉBITEUR», à savoir, de cet or.
2329. INSENSÉS ET AVEUGLES ! QUEL EST DONC LE
PLUS DIGNE : L’OR OU CE TEMPLE QUI A RENDU CET OR SACRÉ ? Il est
clair que ce qui est dans le temple est rendu sacré en raison du temple, de
sorte que celui qui vole quelque chose dans le temple commet un sacrilège.
Ainsi, il est plus digne de jurer par le temple que par l’or [qui s’y trouve].
Chrysostome [dit] : «Cela s’oppose à ceux qui disent que jurer par Dieu
n’est rien.» Ceux qui jurent par Dieu croient donc ne rien jurer ; mais
lorsqu’ils jurent par les saints évangiles, ils croient que cela est grand. On
peut donc leur dire : «Qu’est-ce qui est plus grand : Dieu ou
l’évangile ?» Il est clair que c’est Dieu. Et cela est vrai de manière
absolue, sauf lorsqu’on y ajoute une circonstance qui aggrave le péché. Car
celui qui jure par les saints évangiles de Dieu a juré avec une certaine
délibération et une certaine solennité. Il pèche donc plus gravement.
2330. Ensuite, [le Seigneur] présente la seconde
partie de la tradition : SI L’ON JURE PAR L’AUTEL, CELA N’EST RIEN ;
MAIS SI L’ON JURE PAR L’OFFRANDE QUI EST DESSUS, ON EST DÉBITEUR.
2331. Puis, il présente la réfutation :
AVEUGLES ! QUEL EST LE PLUS DIGNE : L’OFFRANDE OU L’AUTEL QUI REND
L’OFFRANDE SACRÉE ? En effet, l’offrande n’est rendue sacrée que par
l’autel.
2332. AUSSI BIEN, CELUI QUI AURA JURÉ PAR L’AUTEL
AURA JURÉ PAR LUI ET PAR TOUT CE QUI EST DESSUS. Ici, [le Seigneur] donne une
autre raison. Le temple contient de l’or, et non l’inverse. De même, l’autel
porte l’offrande, et non l’inverse. De sorte que celui qui jure par le temple
jure par l’or qui est dans le temple ; et celui qui jure par l’autel jure
par ce qui est sur celui-ci.
2333. Vient de même ensuite une autre raison :
CELUI QUI JURE PAR LE TEMPLE JURE PAR LUI ET PAR CELUI QUI EST EN LUI. Ceux-ci
disaient : «Celui qui jure par le temple ne jure rien.» Mais [le Seigneur]
veut montrer que celui qui jure par le temple jure par Dieu, car il ne jure par
le temple que dans la mesure où celui-ci est sacré, et il n’est sanctifié que
par Dieu. Celui-là donc qui jure par le temple jure par Dieu.
2334. Ensuite est présentée une autre
raison : CELUI QUI JURE DANS LE CIEL, c’est-à-dire par le ciel, NE JURE
PAR CELUI-CI QUE PARCE QU’IL EST LE TRÔNE DE DIEU, et parce que s’y manifeste
la puissance de Dieu. Ainsi, CELUI QUI JURE PAR LE CIEL JURE PAR LE TRÔNE DE
DIEU ET PAR CELUI QUI Y SIÈGE. Ps 10, 5 : Dieu dans son saint temple et le Seigneur dans le ciel qui est son
trône. Et cela est amené par mode de comparaison.
2335. Mais,
au sens mystique, selon Origène, [le Seigneur] mentionne le temple, l’or et
l’autel par lesquels est signifiée la vie contemplative et glorieuse. Par l’or
est signifiée [la vie] contemplative, du fait qu’est signifié un sens subtil et
bien réfléchi de l’Écriture même, car autant que celui-ci paraît raisonnable,
rien n’existe que dans le temple, c’est-à-dire à moins que ce ne soit confirmé
par la Sainte Écriture. Par l’autel est signifié le cœur, dans lequel doit
exister le feu de la dévotion. Lv 6, 12 : Le feu ne s’éteindra pas sur mon autel. Par les offrandes [sont
signifiés] les services et les offrandes qui n’ont pas de valeur s’ils ne
viennent d’un cœur saint ou d’un autel sacré, plus haut, 6, 22 : Si ton œil est pur, tout ton corps sera pur.
Par le trône est indiquée la vie glorieuse : là se trouve Dieu qui
dépasse toutes choses. Ou bien, par l’autel et le temple, nous entendons le
Christ : en effet, lui-même s’appelle temple. Jn 2, 19 : Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en
trois jours. De même, il est appelé autel. He 13, 10 : Nous avons un autel, à même lequel ne
peuvent se nourrir ceux qui assurent le service dans le temple. Ainsi, tout
ce que nous faisons de bien, si cela n’est pas sanctifié dans ce temple, à
savoir, le Christ, ne vaut rien. Cela est donc totalement méprisable si cela ne
se rapporte pas au Christ.
2336. MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS
HYPOCRITES, QUI ACQUITTEZ LA DÎME DE LA MENTHE, DU FENOUIL ET DU CUMIN. Ici,
[le Seigneur] les reprend au sujet des dîmes, et il fait trois choses :
premièrement, il présente leur coutume ; deuxièmement, il suggère un
enseignement ; troisièmement, il présente une comparaison. Le second point
[se trouve] en cet endroit : C’EST CECI QU’IL FALLAIT FAIRE
[23, 23] ; le troisième, en cet endroit : GUIDES AVEUGLES, QUI
PASSEZ DIFFICILEMENT UN MOUSTIQUE, etc. [23, 24].
Il dit donc : MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS, et il
ajoute : HYPOCRITES, car leur intention principale était la simulation,
QUI APPLIQUEZ LA DÎME DE LA MENTHE, DU FENOUIL ET DU CUMIN. On peut entendre
soit «qui donnez les dîmes», soit «qui exigez les dîmes». Il y avait donc de
très nombreux prêtres et lévites, à qui il revenait d’exiger les dîmes qui leur
étaient dues, comme on le trouve en Nb 18, 21 et Dt 14, 22.
Ils mettaient donc beaucoup de soin à exiger ; c’est pourquoi ils
exigeaient jusqu’à la plus petite chose, comme le cumin et le fenouil.
2337. APRÈS AVOIR NÉGLIGÉ LES POINTS LES PLUS
GRAVES DE LA LOI : LA JUSTICE, LA MISÉRICORDE ET LA FOI. En effet,
certaines choses étaient dues aux prêtres pour eux-mêmes, telles les dîmes dont
ils devaient vivre ; mais à certaines, on était tenu pour Dieu, comme de
pratiquer la justice et la miséricorde. C’est pourquoi le Seigneur exigeait ces
choses d’eux, à savoir, la justice et la miséricorde. Ps 100[101],
1 : Je chanterai ta justice et ta
miséricorde, Seigneur. De même, [le Seigneur] veut la foi en vue de sa
gloire. Ils n’accordaient pas d’importance à ce à quoi ils étaient tenus pour
Dieu. [Le Seigneur] dit donc : APRÈS AVOIR NÉGLIGÉ LES POINTS LES PLUS
GRAVES DE LA LOI : LA JUSTICE, LA MISÉRICORDE ET LA FOI. Mais il
accordaient beaucoup d’importance aux dîmes auxquelles on était tenu pour
eux-mêmes, selon ce qui [est dit] en Ph 2, 21 : Tous recherchent ce qui leur revient, et non
[ce qui revient] à Dieu. La charité fait le contraire, elle qui ne
recherche pas ce qui est sien, mais ce
qui appartient à Jésus, le Christ, 1 Co 13, 5.
2338. De même, on pourrait dire : MALHEUR À
VOUS QUI ACQUITTEZ LES DÎMES, car vous donnez les plus petites choses, la
menthe, le cumin et les choses de ce genre, afin de paraître religieux ;
mais vous n’accordez pas d’importance aux réalités intérieures, car vouz
n’aimez ni la miséricorde, ni la justice, ni la foi, plus haut,
12, 7 : Si vous saviez ce que
cela veut dire : «Je veux la miséricorde, et non le sacrifice», jamais
vous n’auriez condamné des innocents. Origène dit que, par la menthe et le
cumin, etc., on peut entendre certaines choses qui se rapportent à la beauté de
la religion. De sorte que la miséricorde, la justice et la foi sont comme les
aliments, et les autres petites choses sont comme un condiment. Ainsi, comme
ils insistaient davantage sur le condiment dans la préparation de la
nourriture, de même insistaient-ils davantage sur le fait qu’on fléchisse le
genou devant eux, que sur ce qui se rapportait à Dieu.
2339. IL
FALLAIT FAIRE CECI, SANS NÉGLIGER CELA. Parce qu’il avait dit : MALHEUR À
VOUS QUI ACQUITTEZ LES DÎMES, on aurait pu dire que le Seigneur interdisait de
donner des dîmes. Il dit donc le contraire, lorsqu’il dit : IL FALLAIT
FAIRE CECI, SANS NÉGLIGER CELA, comme s’il disait : «Vous ne péchez pas en
faisant cela, mais en omettant ce à quoi vous êtes davantage tenus.» Ainsi, IL
FALLAIT FAIRE CECI, c’est-à-dire exiger les dîmes, ET NE PAS OMETTRE CELA,
c’est-à-dire la justice et la foi.
2340. Mais
on peut soulever ici une question à propos des dîmes. Le Seigneur semble
affirmer la nécessité d’acquitter les dîmes, de sorte que, dans tout le Nouveau
Testament, il n’en est nulle part fait mention d’une manière aussi expresse
qu’ici. Mais cela ne vient-il pas d’un précepte de la loi ? Non, car, dans
la loi, se trouvent des [préceptes] moraux, des [préceptes] cérémoniels et
d’autres [qui sont] judiciaires. Les [préceptes] moraux doivent être observés
en tout temps et par tous ; les [préceptes] cérémoniels [doivent l’être]
par certains hommes et à des moments déterminés, comme c’est le cas de la
circoncision, et ceux-ci n’avaient valeur que de figure. De même, pour certains
[préceptes] judiciaires, comme l’obligation de rendre le quadruple pour celui
qui avait volé une brebis.
2341. À propos des dîmes, on demande donc si les
dîmes relevaient d’un précepte moral. Et il semble que non, car les [préceptes]
moraux relèvent de la loi naturelle. Or, seul relève de la loi naturelle ce
dont peut convaincre la raison. Mais celle-ci ne convainc pas plus de donner la
dîme [la dixième partie] que la neuvième ou la onzième, etc. Elle ne relève
donc pas du droit naturel. De même, si les dîmes sont cérémonielles, ceux qui
ne les acquittent pas ne pèchent pas. À ce sujet, ceux qui nous ont précédés
ont dit que certains [préceptes] étaient purement moraux, certains purement
cérémoniels, mais que certains sont en partie moraux et en partie cérémoniels.
«Tu ne tueras pas» est un [précepte] purement moral. De même : «Tu
adoreras le Seigneur ton Dieu», etc. Si tu dis : «Tu offriras un agneau à la quatorzième lune», cela est [un précepte] purement
cérémoniel. Mais si on dit : «Rappelle-toi de sanctifier le jour du
sabbat», cela comporte quelque chose de naturel et quelque chose de cérémoniel.
De moral, à savoir que la raison naturelle suggère qu’il y ait un temps pour
s’y adonner, pendant lequel on s’adonne à prier Dieu. Mais que ce soit le
samedi ou le dimanche, etc., cela est affaire de jugement.
2342. Ils
disent donc que le précepte sur les dîmes est en partie cérémoniel et en partie
moral. En effet, elles existent pour l’entretien des pauvres et de ceux qui
s’adonnent au service de Dieu ou à la prédication. En effet, il convient que
celui qui est au service de la communauté vive de la communauté, et cela est de
droit naturel ; mais qu’il [reçoive] le dixième [des biens], cela est
d’ordre cérémoniel. Mais n’est-on pas tenu au mode ? Je dis que la
détermination [du mode] relève de n’importe quel dirigeant qui a le pouvoir
d’établir la loi. Ainsi, il relève du pouvoir de l’Église de prescrire le
dixième, le neuvième ou quelque chose de cet ordre. On y est donc tenu, non par
le droit naturel, mais par une décision de l’Église.
2343. GUIDES AVEUGLES QUI PASSEZ DIFFICILEMET UN
MOUSTIQUE, ET AVALEZ UN CHAMEAU ! Dans cette section, [le Seigneur]
propose une comparaison. Il dit donc : QUI PASSEZ DIFFICILEMENT UN
MOUSTIQUE. Celui qui passe difficilement avale avec difficulté. [Le Seigneur]
veut donc dire qu’ils accordent le plus grand soin aux plus petites choses, et
peu de soin aux grandes. Ou bien, on entend par moustique les tout petits
péchés, et par chameau les grands. Ils insistent donc sur les petits péchés.
C’est cela qu’il dit : VOUS AVALEZ UN CHAMEAU !
2344. MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS, QUI
PURIFIEZ L’EXTÉRIEUR DE LA COUPE ET DE L’ÉCUELLE ! Plus haut, le Seigneur
a rabroué les Pharisiens au sujet de la simulation qu’ils offraient à
l’extérieur de ce qu’ils n’avaient pas dans le cœur et du détournement vers la
collecte. Ici, [il les rabroue] à propos de la simulation de la pureté qu’ils
manifestaient à l’extérieur : en premier lieu, pour ce qui concernait leur
désir de biens temporels ou les péchés de la chair ; en second lieu, pour
ce qui concernait les [biens] spirituels.
En premier lieu, il traite du premier
point ; en second lieu, du second, en cet endroit : MALHEUR À VOUS…
QUI RESSEMBLEZ À DES SÉPULCRES BLANCHIS ! [23, 27].
À propos du premier point, il fait deux
choses. Premièrement, en effet, il [leur] reproche leur simulation ;
deuxièmement, il présente un enseignement saint, en cet endroit :
PHARISIEN AVEUGLE ! etc. [23, 26].
2345. [Le
Seigneur] dit donc : MALHEUR À VOUS, SCRIBES ET PHARISIENS, QUI PURIFIEZ
L’EXTÉRIEUR DE LA COUPE, etc. Remarquez que ceci peut s’entendre de deux
façons. D’une façon, il s’agirait d’un langage au sens propre, et il veut
toucher le comportement des Pharisiens qui accordaient une grande curiosité à
la purification extérieure, comme on voit plus haut qu’ils scrutaient la pureté
des cruches et des vases. Ainsi, MALHEUR À VOUS, qui montrez un grand soin à purifier
les vases, mais non les cœurs. Vient donc ensuite : MAIS QUI, À
L’INTÉRIEUR, c’est-à-dire dans le cœur, ÊTES REMPLIS DE RAPINE ET D’IMPURETÉ.
2346. Jérôme
veut que cela soit une manière imagée de parler. Il veut donc qu’on comprenne
la pureté de tout ce qui est étalé à l’extérieur. Dans l’écuelle, on présente
la nourriture, et dans la coupe, la boisson. Or, l’homme est appelé une
écuelle, mais la nourriture dont Dieu se délecte, ce sont les bonnes œuvres que
[l’homme] fait. Jn 4, 34 : Ma
nourriture, c’est que je fasse la volonté de mon Père. Il est clair que
l’utilisation de la coupe et de l’écuelle ne se réalise pas par leur surface
extérieure, mais par ce qui est à l’intérieur. Celui donc qui purifie
l’extérieur de la coupe est celui qui orne son corps à l’extérieur. «Vous êtes
ainsi : À L’INTÉRIEUR, VOUS ÊTES REMPLIS DE RAPINE ET D’IMPURETÉ.» [Le
Seigneur] précise deux points : la rapine et l’impureté, parce qu’il y a
deux genres de péchés : les péchés de la chair, qui se réalisent dans le
plaisir de la chair, comme la gourmandise et la luxure ; et les autres,
qui se réalisent dans le plaisir de l’esprit, comme l’orgueil et l’avarice, car
l’avarice, pour ce qui est de son objet, se range du côté du péché de la chair,
mais, pour ce qui est de son achèvement, parce qu’elle s’achève dans un plaisir
de l’esprit, à savoir, le désir effréné de l’argent, se range parmi les
[péchés] de l’esprit.
2347. [Le Seigneur leur] reproche donc leur
avarice lorsqu’il dit : RAPINE. Au sens propre, la rapine consiste à prendre
le bien d’autrui, de même que l’avare, au sens propre, garde le bien d’autrui.
Elle s’oppose donc à la justice. Is 3, 34 : La rapine à l’endroit des pauvres habite votre maison. Ils sont
aussi REMPLIS D’IMPURETÉ, par la gourmandise et la luxure. L’âme est rendue
impure par la passion, et aucune passion n’avilit autant la raison que la
gourmandise et la luxure. Ep 5, 3 : Que ni la fornication ni l’impureté ne soient évoquées parmi vous,
comme il convient à des saints.
2348. Puis, [le Seigneur] revient à un
enseignement saint : PHARISIEN AVEUGLE ! PURIFIE D’ABORD L’INTÉRIEUR
DE LA COUPE ET DE L’ÉCUELLE. Toute la pureté extérieure vient de la pureté
intérieure, comme on le trouve plus haut, 6, 22 : Si ton œil est clair, tout ton corps sera
éclairé, etc. Il enseigne donc à purifier d’abord le cœur, et ainsi tout
sera pur. Il dit donc : PHARISIEN AVEUGLE, etc. Sg 2, 21 : Leur malice les a aveuglés. PURIFIE
D’ABORD L’NTÉRIEUR, car tout ce qui est fait à l’extérieur, pourvu que cela
vienne d’une bonne intention, est entièrement bon. Pr 4, 23 : Surveille ton cœur avec toute ton attention.
On peut aussi interpréter cela de la parole
de l’homme. Ainsi, ce qui est à l’intérieur peut s’entendre de la compréhension
de la Sainte Écriture. Si 15, 3 : Il l’a nourri du pain de la vie et de l’intelligence, car il est
nourri de sagesse. Le pain de la sagesse est la parole de vie. Ainsi, certains
veulent embellir extérieurement leurs paroles, mais ne prennent pas garde à
leur façon de penser. Et ceux-ci purifient ce qui est à l’extérieur.
2349. MALHEUR À VOUS… QUI RESSEMBLEZ À DES
SÉPULCRES BLANCHIS ! Ici, [le Seigneur] leur fait des reproches pour ce
qui concerne les péchés spirituels. Premièrement, il présente une
comparaison ; deuxièmement, il l’explique.
On appelle sépulcre l’endroit où repose un
corps mort. Les corps des saints qui sont morts sont le temple de Dieu, dans
lequel Dieu habite. 1 Co 3, 17 : Le temple de Dieu que vous êtes est saint. Le corps est la demeure
de l’âme et l’âme est le siège de Dieu. Ainsi, de même que le corps est la
demeure de l’âme, de même l’âme l’est-elle de Dieu. Ps 10, 5 : Le Seigneur dans son saint temple, etc. Mais
le corps du pécheur est un sépulcre parce qu’il contient un mort, puisque l’âme
meurt par le péché. C’est pourquoi les méchants sont appelés un sépulcre.
Ps 13[14], 3 : Leur bouche
est un sépulcre. Dans le sépulcre, le corps mort est à l’intérieur et,
parfois, il n’y a à l’extérieur qu’une image, qui semble être vivante par le
visage. Ap 3, 1 : On te
dit vivant, mais tu es mort. [Le Seigneur] dit donc : AU DEHORS, ILS
ONT BELLE APPARENCE, à cause de l’ornementation extérieure, MAIS, AU-DEDANS,
ILS SONT PLEINS D’OSSEMENTS DE MORTS ET DE TOUTE POURRITURE, c’est-à-dire de
toute pourriture et impureté.
2350. Après cela, [le Seigneur] explique :
VOUS DE MÊME, AU-DEHORS, VOUS OFFREZ L’APPARENCE DE JUSTES, c’est-à-dire que
les hommes vous estiment justes, MAIS, AU-DEDANS, VOUS ÊTES PLEINS D’HYPOCRISIE
ET D’IMPURETÉ. Il englobe les péchés de la chair, l’avarice et la gourmandise,
comme on l’a dit plus haut, sous lesquels est comprise la vaine gloire.
Jn 12, 43 : Ils ont aimé
davantage leur propre gloire que celle de Dieu. De même, sous l’iniquité,
[sont compris] tous les péchés spirituels.
2351. Lorsqu’il dit : MALHEUR À VOUS… QUI
BÂTISSEZ LES SÉPULCRES DES PROPHÈTES !, il leur reproche de simuler la
piété, et il fait deux choses : premièrement, il expose leur
simulation ; deuxièmement, leur cruauté, en cet endroit : VOUS
TÉMOIGNEZ DONC CONTRE VOUS-MÊMES, etc. [23, 31].
Ils simulent aussi de deux façons : par les gestes et par la parole.
Ainsi, [le Seigneur] les rabroue, en premier lieu, à propos de leurs
gestes ; en second lieu, à propos de leurs paroles. Le second point [se
trouve] en cet endroit : ET VOUS DITES : «SI NOUS AVIONS VÉCU, etc.»
[23, 30].
2352. [Le
Seigneur] dit donc : MALHEUR À VOUS QUI BÂTISSEZ LES SÉPULCRES DES
PROPHÈTES ! Mais que signifie cela ? Est-ce que ceux-ci n’agissaient
pas mal ? N’agissons-nous pas bien en déposant les corps des saints dans
des châsses en argent et en or ? Certains disent qu’ils ne sont pas
rabroués en raison de [leur] action, mais de [leur] intention, car leur
intention était mauvaise. En effet, ils agissaient de manière à ce que le souvenir
du crime de leurs pères soit rappelé à la mémoire des hommes. Ainsi, c’était la
coutume que, lorsque quelque chose de nouveau survenait, on érigeait quelque
chose pour en garder le souvenir. Ils voulaient donc que l’audace de leurs
parents soit rappelée à tous, car [ceux-ci] avaient osé tuer des prophètes.
Mais cette interprétation n’est pas en accord avec le texte. Il faut donc dire
autre chose : ils n’étaient pas rabroués à cause de cela, mais ils ne
faisaient cela que pour montrer à l’extérieur des signes de piété, de la même
façon dont il a été dit plus haut qu’ils acquittaient les dîmes de la menthe et
du cumin.
2353. De
même, VOUS DÉCOREZ LES TOMBEAUX DES JUSTES. Ils décoraient les tombeaux par
simulation, alors qu’ils étaient décidés à les tuer. «De même, dit Chrysostome,
en est-il à notre époque, si quelqu’un fait beaucoup de bien, décore les
tombeaux, fait preuve de générosité, et ainsi de suite ; s’il bâtit avec
des pierres, recherche la vaine gloire et ne marche pas dans les chemins du Seigneur,
cela ne lui sert en rien.»
2354. De même, VOUS DITES : «SI NOUS AVIONS
VÉCU DU TEMPS DE NOS PÈRES, NOUS NE NOUS SERIONS PAS JOINTS À EUX POUR VERSER
LE SANG DES PROPHÈTES.» Il est courant que, lorsqu’il s’agit des actions des
autres, tous soient des juges sévères. Ainsi, si nous voyons quelqu’un pécher,
nous estimons qu’il s’agit d’un grand péché, mais nous atténuons notre péché.
C’est pourquoi ces fils connaissaient la méchanceté de leurs pères, mais non la
leur, plus haut, 7, 5 : Enlève
d’abord la poutre de ton œil, puis tu verras pour enlever la paille de l’œil de
ton frère.
2355. Puis [le Seigneur] présente leur
cruauté : premièrement, d’une manière générale ; deuxièmement, d’une
manière particulière. Et il présente la peine temporelle, en cet endroit :
C’EST POURQUOI, VOICI QUE JE VOUS ENVOIE DES PROPHÈTES, DES SAGES ET DES
SCRIBES [23, 34].
À propos du premier point, il décrit l’origine ; deuxièmement,
[leur] imitation du mal ; troisièmement, il menace de condamnation.
2356. [Le
Seigneur] dit : AINSI, VOUS TÉMOIGNEZ CONTRE VOUS-MÊMES QUE VOUS ÊTES LES
FILS DE CEUX QUI ONT TUÉ LES PROPHÈTES. Mais en quoi agissaient-ils mal,
puisque cela ne dépendait pas d’eux ? Il semble que [le Seigneur] n’aurait
pas dû le leur imputer. Voyez : parfois le fils n’imite pas les péchés de
son père, mais parfois il imite la méchanceté paternelle. S’il ne suit pas la
méchanceté paternelle, elle ne lui est pas imputée. Il arrive parfois que [le
fils] ait un père bon et une mère méchante, et inversement, et qu’il suive la
bonté du père ou de la mère. Mais si les deux sont méchants, il est rare qu’il
n’imite pas leur malice. La raison en est que les fils des méchants s’habituent
au mal dès le départ, et s’ils s’habituent à quelque chose pendant leur
jeunesse, ils l’embrassent plus fortement et sont donc davantage enclins au
mal. De même, lorsque des parents mauvais voient leurs fils faire quelque chose
de mal, ils ne les corrigent pas ; c’est pourquoi leur péché est aggravé
au point que les péchés des parents retombent sur les fils.
Ex 20, 5 : Je suis un Dieu
jaloux qui venge les fautes des pères sur leurs fils. C’est pourquoi [le
Seigneur] dit : «VOUS ÊTES LES FILS DE CEUX…, parce que vous avez leur
malice.» Sg 3, 12 : Vous
êtes les mauvais fils de ceux-là. Vous êtes donc des fils par l’imitation.
2357. Et c’est cela qui vient ensuite : VOUS
COMBLEZ LA MESURE DE VOS PÈRES ! Il ne s’agit pas d’un ordre, mais d’une
annonce : «Vous comblez, c’est-à-dire, vous comblerez», comme s’il parlait
comme un homme, à savoir, «vous me tuerez.» Jn 13, 27 : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Ou
bien, il se peut que cela soit [dit] sous forme d’une permission, à
savoir : «Vous ne serez pas empêchés par moi», c’est-à-dire que «parfois
vous l’avez voulu, mais je ne l’ai pas permis, mais, par la suite, je ne
l’empêcherai pas». Ainsi, VOUS COMBLEZ LA MESURE DE VOS PÈRES !
2358. Mais
que veut-il dire par : VOUS COMBLEZ ? Il faut voir que tout ce qui
arrive se produit par un jugement certain de Dieu. Mais, dans ce jugement certain
de Dieu, la peine n’est pas immédiatement acquittée avant qu’elle n’ait atteint
toute son ampleur et ne soit parvenue à son comble. De sorte que, selon le
jugement de Dieu, leur faute n’avait pas encore atteint toute son ampleur. «Ils
ont donc tué les prophètes, mais leur faute n’est pas encore complète, car elle
sera achevée en moi.» C’est pourquoi VOUS COMBLEZ LA MESURE DE VOS PÈRES.
Is 27, 8 : Lorsqu’elle
aura été abaissée à une juste mesure, je la jugerai. Vos pères ont péché,
mais vous les égalez. Quelqu’un égale [ses pères] lorsqu’il fait autant que ses
pères. Ainsi, vos pères ont tué les prophètes, et vous égalez [vos pères]. Ou
bien, on peut dire que ceux-là ont péché en tuant les serviteurs, mais ceux-ci
en tuant le Fils. Ils ont donc porté à son comble la méchanceté de leurs pères.
Mais le Seigneur s’est volontairement offert et il ne s’est pas opposé. Aussi
ne leur reproche-t-il pas leur péché, mais seulement celui [de leurs pères],
car c’est le propre d’un bon pasteur de considérer comme sienne la faute des
siens.
2359. Puis, il poursuit : «SERPENTS, ENGEANCE
DE VIPÈRES, etc. !» Il semble qu’il parle de leur faute de manière assez
appropriée. Le serpent est un animal venimeux et il tue par son venin. Ils sont
ainsi appelés serpents parce qu’ils ont tué les prophètes. On dit aussi de la
vipère qu’elle meurt en donnant naissance, car le fœtus ronge les entrailles de
la mère. Ainsi, alors qu’eux-mêmes étaient mauvais, ils blâmaient leurs pères.
Aussi, vous-mêmes, COMMENT POURREZ-VOUS ÉCHAPPER À LA CONDAMNATION DE LA
GÉHENNE ? Selon le jugement des hommes, vous y échapperez, mais, selon le
jugement de Dieu, comment vous en sauverez-vous ? Il faut donc avoir un
cœur pur. Jb 19, 29 : Soustrayez-vous
au fil de l’épée !
2360. VOICI QUE J’[ENVOIE]. Dans cette partie, [le
Seigneur] présente la cruauté [des scribes et des Pharisiens] et ajoute la
peine temporelle. Premièrement, il fait la première chose ; deuxièmement,
il ajoute la peine.
Premièrement, il présente le bienfait ; deuxièmement, la
faute ; troisièmement, la grandeur de la peine.
Il dit donc : VOICI QUE J’ENVOIE VERS
VOUS DES PROPHÈTES, DES SAGES ET DES SCRIBES, etc. Ceci peut être mis en
rapport avec ce qui suit immédiatement ou avec tout ce qui suit. Si [on le met
en rapport] avec tout ce qui suit, cela a alors un sens plus clair. «Je dis
donc que vous allez achever [ce que vos pères ont fait] et que vous êtes des
serpents, etc. VOICI QUE J’ENVOIE VERS VOUS DES PROPHÈTES, DES SAGES ET DES
SCRIBES, ET VOUS EN TUEREZ, car vous avez l’habitude de tuer.»
2361. Ou bien, [en mettant ceci en rapport] avec
tout ce qui suit, le Seigneur veut que le jugement soit non seulement juste,
mais qu’il paraisse juste, afin que les autres en prennent exemple. Ainsi, si
quelqu’un a une bonne intention, le Seigneur le récompense pour sa bonne
intention et [lui] donne la volonté de faire une bonne œuvre. De même, à
l’opposé, lorsque quelqu’un a une mauvaise intention et est plein de mauvaise
volonté, conformément à ce qui est dit en Os 2, 6 : Je borderai le chemin d’épines, il
excite la colère de Dieu, et la manifestation de sa méchanceté vient de la
colère de Dieu.
2362. VOICI
QUE J’ENVOIE VERS VOUS DES PROPHÈTES, DES SAGES ET DES SCRIBES, ET VOUS EN
TUEREZ. Il dit : VOICI, car cela est évident puisqu’il a envoyé [ses]
apôtres. Ainsi, Ac 1, 8 [dit] : Vous serez mes témoins à Jérusalem et dans toute la Judée et la
Samarie, et jusqu’aux confins de la terre. Mais lorsqu’il dit : VOICI
QUE J’ENVOIE VERS VOUS DES PROPHÈTES, DES SAGES ET DES SCRIBES, il signifie
divers dons du Saint-Esprit. À l’un est
donné le don de la sagesse, à un autre diverses langues, etc., 1 Co 12, 10.
Les apôtres ont possédé tous ces dons. Ils eurent le don de prophétie en
prédisant l’avenir. Jl 2, 28 : Je répandrai de mon Esprit sur toutes les nations, et vos fils et vos
filles prophétiseront. [Ils eurent aussi le don de la] sagesse, car ils
connaissaient tout. Lc 21, 15 : Je vous donnerai une sagesse à laquelle vos adversaires ne pourront
résister ni s’opposer. Ils furent aussi des scribes, car ils eurent
l’intelligence de l’Écriture. Lc 24, 45 : Il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures.
2363. Et
pourquoi annonce-t-il cela à l’avance ? Afin que les disciples, en pensant
à ce qu’ils avaient entendu, le préservent plus facilement. [C’était] aussi
afin de convaincre [les scribes et les Pharisiens] de leur malice, car, de même
que leurs pères avaient tué les prophètes, de même ceux-ci [tueront-ils] les
apôtres. Ainsi, VOUS EN TUEREZ, comme on lit, en Ac 12, 2, que Hérode tua par le glaive Jacques, le frère
de Jean, en voyant que cela plairait aux Juifs. D’autres furent crucifiés.
[Il dit] donc : VOUS EN METTREZ EN CROIX. En effet, cette mort était la
plus honteuse ; c’est pourquoi ils tuèrent le Christ de cette mort, selon
ce [que dit] Sg 2, 20 : Ils
le condamnèrent à la mort la plus honteuse. ET VOUS EN FLAGELLEREZ. En
Ac 5, 40, il est dit qu’après
les avoir frappés, ils leur ordonnèrent de ne plus du tout parler au nom de
Jésus. ET VOUS LES POURCHASSEREZ. La manière dont ils ont pourchassé Paul
est claire. Et plus haut, 10, 23 : Si l’on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre.
2364. Ensuite est présentée la condamnation, car
elle paraissait lourde. [Le Seigneur la] confirme donc : EN VÉRITÉ, JE
VOUS LE DIS, TOUT CELA VA RETOMBER SUR CETTE GÉNÉRATION [23, 36].
[Le Seigneur] dit : POUR QUE RETOMBE SUR
VOUS TOUT LE SANG INNOCENT, DEPUIS LE SANG DE L’INNOCENT ABEL JUSQU’AU SANG DE
ZACHARIE, FILS DE BARACHIE. Cet Abel est connu, car c’est lui qui a été tué par
Caïn, son frère. Mais on ne sait pas qui est ce Zacharie. On lit que Zacharie a
eu trois fils. L’un était le fils de Barachie, qui était le onzième des
prophètes. Mais on ne peut entendre cela de celui-ci, car il n’y avait pas
encore d’autel. Un autre fut le père de Jean, et on ne trouve pas de qui il
était le fils. Mais Chrysostome dit qu’il fut tué à cause du Christ, car, dans
le temple, il y avait un endroit pour les vierges et, alors que la Vierge Marie
était assise à l’endroit des vierges, les Juifs voulurent l’expulser de cet
endroit, ce à quoi s’opposa Zacharie en la défendant, et c’est pour cela qu’il
fut tué. Un autre est appelé fils de Ioiadas, que Joas tua sur le parvis du
temple, à savoir, entre le temple et
l’autel. L’endroit concorde donc, mais le nom est en désaccord. Mais Jérôme
dit que [le nom] veut dire «béni du Seigneur» et désigne la sainteté de son
père, le prêtre Ioiadas. Il dit avoir lui-même vu l’Évangile des Nazaréens
et que le texte portait : Fils de Ioiadas.
2365. Mais la raison pour laquelle [le Seigneur]
commence par ce Zacharie soulève une question sur le sens du texte. La raison
semble en être que, même si ce qui précède se présente plus fréquemment, on
trouve cependant ce genre de choses dans l’Écriture. Ou bien, Abel était
pasteur et Ioiadas, prêtre. Ainsi, par ces deux, sont signifiés les laïcs et
les clercs. De sorte que toute condamnation pour avoir tué un homme retombera
sur vous. Ou bien, [sont signifiés] les actifs et les contemplatifs. De sorte
que les deux sont indiqués par [ceux qui sont mentionnés].
2366. Mais EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, TOUT CELA VA
RETOMBER SUR CETTE GÉNÉRATION. Mais cela peut-il se faire que tout cela retombe
sur cette génération ? Est-ce que l’un est puni pour l’autre ?
Ez 18, 20 : Le fils ne portera pas la faute du père. Comment
donc [cela retombera-t-il] sur cette génération ? Jérôme donne la
solution : l’Écriture a l’habitude de prendre toute une génération de bons
comme une seule génération. Ainsi en Ps 111[112], 2 : La
génération des justes sera bénie. Au sujet de la génération des méchants,
on dit plus haut, 12, 39 : Cette génération mauvaise cherche un signe.
Chrysostome s’exprime ainsi : «Certains pèchent, mais Dieu ne [les] punit
pas immédiatement.» Ainsi, en Ps 7, 12 : Est-il en colère
tous les jours ? Certains, alors qu’ils ont péché, ne sont jamais
corrigés, mais empirent. 2 Tm 3, 13 : Les méchants et
les séducteurs empirent. Le Seigneur attend alors que leur malice soit à
son comble. Ceux dont la malice aura atteint son comble portent le poids de
tous pour ce qui est de la peine temporelle, mais chacun [porte] lui-même sa
peine éternelle. Elle sera donc telle qu’il semblera souffrir pour tous. Ainsi,
en Ex 32, 34, il est dit que ce péché durera jusqu’au jour de la
vengeance. De même que ceux qui croient au Christ reçoivent une plénitude de
dons, de même ceux qui ont tué le Christ reçoivent-ils une plénitude de maux.
[Le Seigneur] dit donc : TOUT CELA VA RETOMBER SUR CETTE GÉNÉRATION.
2367. Mais quelle est cette peine ? La
destruction de la ville de Jérusalem. Et parce que [le Seigneur] veut parler de
la destruction de Jérusalem, il se tourne donc vers la ville, en disant :
JÉRUSALEM, JÉRUSALEM ! Premièrement, il présente [sa] faute ;
deuxièmement, il rappelle les bienfaits [dont elle a bénéficié] ;
troisièmement, il annonce à l’avance [sa] condamnation. Le second point [se
trouve] en cet endroit : COMBIEN DE FOIS AI-JE VOULU RASSEMBLER TES
ENFANTS… ET TU N’AS PAS VOULU ? [23, 37] ; le troisième, en cet
endroit : VOICI QUE VOTRE MAISON SERA LAISSÉE DÉSERTE [23, 38].
2368. [Le
Seigneur] dit donc : JÉRUSALEM, JÉRUSALEM ! Ce couple exprime
l’affection de celui qui prend pitié. Ainsi est-il dit, en Lc 19, 41,
que, regardant la ville, il pleura sur elle. TOI QUI TUES LES PROPHÈTES.
Ac 7, 52 : Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas
persécuté ? Il dit : TOI QUI TUES, et non : «Toi qui as
tué», parce qu’ils persévéraient encore dans leur malice. C’est cette Jérusalem
dont il est question en Ez 5, 6 : Voici Jérusalem ! Je
l’ai placée au centre des nations et je l’ai entourée de terres. Et elle a
méprisé mes jugements. Ils pourraient se donner une excuse : «Nous
n’avons eu personne pour nous le dire.» C’est pourquoi il dit : ET QUI
LAPIDES CEUX QUI T’ONT ÉTÉ ENVOYÉS ! «J’ai donc envoyé des prophètes et
bien des secours, mais vous ne les avez pas reconnus.»
2369. COMBIEN DE FOIS AI-JE VOULU RASSEMBLER TES
ENFANTS COMME UNE POULE RASSEMBLE SES POUSSINS, ET TU N’AS PAS VOULU ? Par
cela est indiquée l’éternité de sa divinité, selon ce que lui-même dit,
Jn 8, 58 : Avant qu’Abraham n’existe, Je Suis. Ainsi, le
Christ lui-même a envoyé les prophètes, les patriarches et les anges. Chaque
fois qu’il en a envoyé, IL A VOULU RASSEMBLER, etc. Ceux-là sont rassemblés qui
se convertissent au Seigneur, car les pécheurs sont unis en lui ; mais
ceux-là sont dispersés qui sont séparés de l’unité. Ainsi, AI-JE VOULU
RASSEMBLER COMME UNE POULE RASSEMBLE SES POUSSINS. On dit qu’il n’y aucun
animal aussi compatissant envers ses poussins que la poule. La poule [les]
défend contre le vautour, expose sa vie pour eux et les rassemble sous ses
ailes. De même le Christ est-il compatissant envers nous : Vraiment, il
a porté nos faiblesses, Is 53, 4. De même, s’est-il exposé au
vautour, c’est-à-dire au Diable. Dt 31, 27 : Alors même que
je vivais et que je marchais avec vous, vous vous êtes toujours comportés avec
obstination envers le Seigneur. Mais, en sens contraire, le Seigneur a
voulu, et eux n’ont pas voulu. Leur mauvaise volonté l’a donc emporté sur la
volonté de Dieu. Il faut donc dire que «chaque fois que je l’ai voulu, je l’ai
fait, mais, lorsque tu t’opposais, je l’ai fait lorsque je l’ai fait. Ta
volonté a donc empêché que je ne le fasse.» Ou bien, le fait qu’il ait envoyé
des prophètes était le signe qu’il voulait rassembler, ET TU N’AS PAS VOULU.
2370. Vient ensuite la condamnation : VOICI
QUE VOTRE MAISON SERA LAISSÉE DÉSERTE. Tout le peuple était honoré à cause de
Jérusalem, et Jérusalem [l’était] à cause du temple. [Le Seigneur] dit
donc : VOTRE MAISON SERA LAISSÉE, c’est-à-dire le temple ou [votre]
maison. Ps 68[69], 26 : Que leur maison soit désertée !
Ou bien, la maison est dite déserte lorsqu’un résident approprié lui fait
défaut. Ps 10, 5 : Le Seigneur dans son temple.
2371. Il dit donc qu’il partira selon le mode
d’habitation. C’est pourquoi VOUS NE ME VERREZ PLUS, ni corporellement, à
savoir, après la passion, ni spirituellement. Mais est-ce qu’il est vrai
qu’aucun Juif ne l’a vu après la passion, puisque beaucoup se sont convertis à
lui ? Il dit donc : JUSQU’À CE QUE VOUS DISIEZ : «BÉNI SOIT
CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR !», car lorsque vous [le] confesserez,
vous [le] verrez par la foi. Ou bien [autre interprétation], il indique de manière
cachée le second avènement : ils le voyaient dans son corps, mais ils
n’allaient pas avoir cette vision jusqu’au second avènement, lors duquel «vous
pourrez dire et reconnaîtrez que je suis [CELUI QUI EST] BÉNI, [QUI] VIENT AU
NOM DU SEIGNEUR».
Leçon 1 [Matthieu 24, 1‑14] 24, 1 Comme Jésus sortait du Temple et s’en allait,
ses disciples s’approchèrent pour lui faire voir les constructions du Temple.
24, 2 Mais il leur répondit : «Vous voyez ces choses magnifiques,
n’est-ce pas ? En vérité, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur
pierre qui ne soit jetée bas.» 24, 3 Et, comme il était assis sur le mont
des Oliviers, les disciples s’approchèrent de lui, en particulier, et
demandèrent : «Dis-nous quand cela aura lieu, et quel sera le signe de ton
avènement et de la fin des temps.» 24, 4 Et Jésus leur répondit :
«Prenez garde qu’on ne vous abuse. 24, 5 Car il en viendra beaucoup sous
mon nom, qui diront : “C’est moi le Christ !”, et ils abuseront bien
des gens. 24, 6 Vous entendrez aussi parler de guerres et de rumeurs de
guerres. Voyez, ne vous alarmez pas : car il faut que cela arrive, mais ce
n’est pas encore la fin. 24, 7 On se dressera, en effet, nation contre
nation et royaume contre royaume. Il y aura par endroits des pestes, des
famines et des tremblements de terre. 24, 8 Et tout cela ne fera que
commencer les douleurs de l’enfantement. 24, 9 «Alors on vous livrera aux
tourments et on vous tuera ; vous serez haïs de toutes les nations à cause
de mon nom. 24, 10 Et alors beaucoup succomberont ; il y aura des
trahisons mutuelles et ils se haïront mutuellement. 24, 11 Et beaucoup de
faux prophètes surgiront et en abuseront un grand nombre. 24, 12 Par suite
de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre.
24, 13 Mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé.
24, 14 Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde
entier, en témoignage devant toutes les nations. Et alors viendra la fin.
Leçon 2 [Matthieu 24, 15‑22] 24, 15 «Lors donc que
vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel,
installée dans le saint lieu (que le lecteur comprenne !) 24, 16
alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes, 24, 17 que
celui qui sera sur le toit ne descende pas dans sa maison pour y prendre
quelque chose, 24, 18 et que celui qui sera aux champs ne revienne pas
prendre son manteau ! 24, 19 Malheur à celles qui seront enceintes et
qui allaiteront en ces jours-là ! 24, 20 Priez donc pour que votre
fuite ne tombe pas en hiver, ni un sabbat. 24, 21 Car il y aura alors une
grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement du monde
jusqu’à ce jour, et qu’il n’y en aura jamais plus. 24, 22 Et si ces
jours-là n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve ; mais à
cause des élus, ils seront abrégés, ces jours-là.
Leçon 3 [Matthieu 24, 23‑41] 24, 23 «Alors si quelqu’un vous dit :
“Voici : le Christ est ici !”, ou bien : “Il est là !”,
n’en croyez rien. 24, 24 Il surgira, en effet, des faux Christs et des
faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point
d’abuser, s’il était possible, même les élus. 24, 25 Voici que je vous ai
prévenus. 24, 26 Si on vous dit : “Voici au désert !”, n’y allez
pas. Si on vous dit : “Le voici dans les lieux retirés !”, n’en
croyez rien. 24, 27 Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à
l’occident, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. 24, 28
Là où il y a un cadavre, là se rassembleront les aigles.
24, 29 «Aussitôt après la tribulation de ces
jours-là, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les
étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.
24, 30 Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ;
et alors toutes les races de la terre gémiront et se frapperont la
poitrine ; et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel
avec puissance et grande gloire. 24, 31 Et il enverra ses anges avec une
trompette et une voix forte, et, quant aux élus, ils seront rassemblés des
quatre vents du ciel, du plus haut des cieux jusqu’à leurs extrémités.
24, 32 « Apprenez du figuier cette parabole. Dès que
ses pousses sont tendres et que ses feuilles sont sorties, vous savez que l’été
est proche. 24, 33 Ainsi vous, lorsque vous verrez tout cela, sachez qu’Il
est proche, aux portes. 24, 34 En vérité, je vous le dis, cette génération
ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. 24, 35 Le ciel et la terre
passeront, mais mes paroles ne passeront pas. 24, 36 Quant à ce jour et à
cette heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils,
personne que le Père, seul.
24, 37 «Comme aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il
de l’avènement du Fils de l’homme. 24, 38 En ces jours qui précédèrent le
déluge, on mangeait et on buvait, on s’adonnait aux ripailles et aux orgies, à
la luxure et à la débauche, on prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé
entra dans l’arche, 24, 39 on ne se doutait de rien jusqu’à l’arrivée du
déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme.
24, 40 Alors deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre
laissé ; 24, 41 deux femmes seront en train de moudre : l’une
sera prise, l’autre laissée.
Leçon 4
[Matthieu 24, 42‑51] 24, 42 «Veillez donc,
parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre maître. 24, 43
Comprenez-le bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le
voleur devait venir, il aurait été éveillé à cette heure et n’aurait pas laissé percer sa maison. 24, 44 Ainsi donc, vous
aussi, soyez prêts, car le Fils de
l’homme va venir à l’heure que vous ne pensez
pas.
24, 45 «Qui, penses-tu, est le serviteur fidèle et prudent, que le maître a établi sur sa famille, pour lui donner sa nourriture en temps
voulu ? 24, 46 Bienheureux celui que, lorsqu’il viendra, le seigneur trouvera ainsi occupé ! 24, 47 En
vérité je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens. 24, 48 Mais si ce
mauvais serviteur dit en son coeur : “Mon maître tarde à venir”, 24, 49 et qu’il se mette
à frapper ses compagnons, à manger et à boire en compagnie des ivrognes,
24, 50 le maître de ce serviteur arrivera au jour où celui-ci ne l’attend pas et à l’heure qu’il
ne connaît pas ; 24, 51 il le
retranchera et attribuera sa part aux hypocrites :
il y aura là des pleurs et des grincements de dents.
2372. Plus haut, on a présenté les multiples
provocations des Juifs. Maintenant est présentée la préparation [à l’avènement
du Christ] par les instructions données aux disciples du Christ. Car ils sont
instruits des dangers : premièrement, l’interrogation des disciples ;
deuxièmement, la réponse du Christ, en cet endroit : MAIS IL LEUR RÉPONDIT
[24, 2].
À propos du premier point, [Matthieu] fait
deux choses : premièrement, l’occasion de l’interrogation est
présentée ; deuxièmement, l’interrogation, en cet endroit : COMME IL
ÉTAIT ASSIS SUR LE MONT DES OLIVIERS, etc. [24, 3].
L’occasion fut double : l’annonce à
l’avance de la destruction du temple, que [le Seigneur] fit par des gestes et
par la parole, car IL SORTIT DU TEMPLE.
2373. Dans
le chapitre qui précède immédiatement, [on avait dit] : VOICI QUE VOTRE
MAISON SERA LAISSÉE DÉSERTE, et il montra cela en sortant. Ainsi, en sortant
corporellement, il montra [qu’il sortait] spirituellement.
Jn 8, 59 : Mais Jésus se cacha et sortit du temple. Lorsque
le pécheur ne veut pas être corrigé, le Seigneur sort de lui.
Lm 1, 6 : Toute la beauté de la fille de Sion l’a abandonnée.
L’interrogation est alors [présentée], en cet
endroit : LES DISCIPLES S’APPROCHÈRENT DE LUI EN SECRET
[24, 3] ; en second lieu, la réponse [est donnée], en cet
endroit : ET JÉSUS LEUR RÉPONDIT, etc. [24, 4].
2374. Ainsi,
IL S’EN ALLAIT. Mais alors, LES DISCIPLES S’APPROCHÈRENT POUR LUI FAIRE VOIR
LES CONSTRUCTIONS DU TEMPLE, à savoir, à quel point la demeure était grande et
belle. De sorte que, dans un autre endroit, à savoir, Mc 13, 1, on
lit : Regarde quelles pierres et quelles constructions ! Mais
Origène demande : «N’y était-il pas allé en d’autres occasions et ne le
savait-il pas déjà ?» Il répond [en disant] que [les disciples] ne
l’interrogeaient pas pour l’instruire ou comme s’il l’ignorait, mais afin qu’il
trouve un remède à la destruction. Ainsi, le chrétien est le temple de Dieu,
comme on le trouve en Ph 2, et les disciples sont des intercesseurs afin
que ce temple ne soit pas détruit.
2375. Alors le Seigneur répond : VOUS VOYEZ
CES CHOSES MAGNIFIQUES ? Is 23, 9 : Le Seigneur des
armées a pensé à cela afin de renverser l’orgueil de toute gloire, etc. Il
ajoute donc : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, IL NE RESTERA PAS PIERRE SUR
PIERRE. Est-ce que cela est vrai ? Au temps du Christ, selonChrysostome,
tout cela n’était pas encore arrivé, mais on espérait que cela arrive. Ou bien,
on peut dire qu’il veut dire : «À moins qu’il ne soit détruit.» Ou bien,
on doit dire que de même que, par disposition de Dieu, le temple a été à
l’occasion rétabli, de même, par disposition de Dieu, alors que débutait
l’établissement de la loi nouvelle, le temple a été détruit afin qu’il n’y ait
pas de sacrifices dans le temple. De sorte que s’il n’avait pas été détruit,
beaucoup de ceux qui étaient devenus chrétiens y auraient pratiqué des
cérémonies et seraient retournés au temple. C’est donc par une disposition
divine qu’il a été détruit. C’est ce qu’on trouve en Lc 21, 6, où il
est dit à propos du temple : Des jours viendront où il ne restera
pierre sur pierre, jusqu’à ce qu’il soit détruit. De la même façon, il
arrive ainsi que quelqu’un est édifié par de bonnes vertus, et s’il tombe par
un péché mortel, s’il est négligent et ne prend pas garde, il s’écroule
totalement et est détruit. Ps 136[137], 7 : Disparaissez,
disparaissez jusqu’à ses fondements. Il veut donc dire que [serait
détruit], non seulement le temple, mais aussi ce qui s’y rattachait, et qui
était une ombre, comme on le lit en He 10, 1 : La loi n’était
que l’ombre des biens à venir.
2376. Une fois présentée l’occasion,
l’interrogation est présentée. Et nous devons remarquer que [le Seigneur]
sortit et s’en alla au mont des Oliviers, qui signifie l’Église, dans laquelle
des oliviers prolifiques sont plantés. Ps 51[52], 10 : Je suis
comme un olivier prolifique. Ensuite, [le Seigneur] instruit ses disciples.
Il avait dit que le temple allait être détruit. [Les disciples] posent donc
trois questions : premièrement, au sujet du temple ; deuxièmement, du
[second] avènement ; troisièmement, de la fin des temps.
2377. [Les
disciples] dirent donc : DIS-NOUS QUAND CELA AURA LIEU, à savoir,
l’accomplissement de ta menace, et [quand se produiront] ton avènement :
ET QUEL SERA LE SIGNE DE TON AVÈNEMENT, et la fin des temps : ET LA FIN
DES TEMPS. Chez Luc, on n’aborde qu’une seule question, à savoir, la
destruction de Jérusalem, parce qu’ils ne croyaient pas qu’elle n’allait être
détruite qu’après le second avènement. Ils disaient donc, Ac 1, 6 : Est-ce
maintenant le temps où tu vas rétablir la royauté en Israël ? En
Mc 13, 3, il est dit qu’ils envoyèrent seulement Pierre, Jean,
Jacques et André, car ils avaient été les premiers à être appelés et ils
avaient davantage confiance d’avoir accès [au Seigneur]. Nous avons en cela des
exemples que ceux qui sont plus attachés à Dieu par la contemplation sont plus
proches de Dieu. Dt 33, 3 : Ceux qui s’approcheront de ses
pieds recevront son enseignement.
2378. Ces disciples s’enquirent de [son]
avènement, et celui-ci est double. Le dernier, qui aura pour objet le jugement,
et celui-ci adviendra à la fin des temps. Vous trouvez à son sujet, en
Ac 1, 11 : Comme vous l’avez vu monter au ciel, il viendra de
la même façon. L’autre est l’avènement qui réconforte les esprits des
hommes, vers qui il vient spirituellement. Plus loin, [on lit] : Ils
verront le Fils de l’homme venir sur les nuées, c’est-à-dire par les
prédicateurs, car Dieu vient dans l’esprit des hommes par les prédicateurs. On
peut donc se demander auquel [des deux] on doit se référer. Car Augustin dit
que tout doit être mis en rapport avec l’avènement spirituel. Mais certains
[disent qu’il faut mettre tout en rapport] avec le second avènement. Mais
d’autres l’interprètent de la destruction de Jérusalem et du dernier avènement.
2379. [Le Seigneur] répond donc [aux disciples],
en premier lieu, au sujet de la destruction [de Jérusalem] ; en second
lieu, au sujet du second avènement, en cet endroit : COMME L’ÉCLAIR PART
DE L’ORIENT [24, 27].
À propos du premier point, il annonce d’abord à l’avance ce qui précèdera
la destruction ; en second lieu, la destruction elle-même, en cet
endroit : LORSQUE VOUS VERREZ L’ABOMINATION DE LA DÉSOLATION, etc.
[24, 15].
Ces préambules visaient à la fois ceux de
l’extérieur et ceux qui sont à l’intérieur de l’Église. En premier lieu, donc,
ceux de l’extérieur ; en second lieu, ceux qui sont à l’intérieur de
l’Église, en cet endroit : DE NOMBREUX FAUX PROPHÈTES SURGIRONT ET EN
ABUSERONT UN GRAND NOMBRE [24, 11].
2380. À propos du premier point, il fait deux
choses : en premier lieu, il présente d’abord les dangers
spirituels ; en second lieu, les [dangers] corporels, en cet
endroit : VOUS ENTENDREZ AUSSI PARLER DE GUERRES ET DE RUMEURS DE GUERRES
[24, 6].
2381. [Le
Seigneur] dit donc : «Vous vous enquérez de la fin ; toutefois, vous
devez d’abord prendre garde qu’on ne vous abuse.» Il dit donc : PRENEZ
GARDE QU’ON NE VOUS ABUSE. Ep 5, 15 : Frères, prenez garde de
marcher avec précaution. IL EN VIENDRA BEAUCOUP EN MON NOM, QUI
DIRONT : «C’EST MOI LE CHRIST !» Quelqu’un vient comme envoyé du
Christ ; ainsi sont venus les disciples. On dit que d’autres viennent au
nom du Christ parce qu’ils disent qu’ils sont le Christ, en usurpant le nom qui
n’est donné à aucun autre. Ph 2, 9 : Le nom qui est au-dessus
de tout nom lui a été donné. Beaucoup de séducteurs viendront donc en leur
propre nom, mais le Christ ne vient pas de lui-même, mais de Dieu. Ainsi,
Jn 7, 28 : Je ne suis pas venu de moi-même. Bien que cela
soit dit d’une manière particulière de l’Antéchrist, on peut cependant le dire
de plusieurs autres. Parce qu’ils n’ont pas adhéré à la vérité, ils se sont
adonnés aux erreurs. Ceci est arrivé à Simon le Mage, qui a écrit des livres et
se donnait le nom de Livre de Dieu, Grand Dieu, Tout-Dieu, et il en a abusé
beaucoup. En effet, c’est le propre de ceux qui sont divisés par les erreurs
d’être abusés, car le nombre des insensés est infini [Si 1, 15].
La vérité rassemble donc, mais l’erreur divise, et cela est un danger.
On peut aussi mettre cela en rapport avec le
second avènement, car cela arrive aux alentours du jour du jugement.
2382. VOUS ENTENDREZ AUSSI PARLER DE GUERRES, etc.
Ici, [le Seigneur] présente d’abord les dangers ; en second lieu, il
réconforte.
Il dit donc : «On a donc dit :
“PRENEZ GARDE QUE PERSONNE NE VOUS ABUSE…, CAR VOUS ENTENDREZ AUSSI PARLER DE
GUERRES, etc.”» Et cela, aussitôt après la passion. En effet, l’empereur a
aussitôt envoyé en Judée les pires tyrans, qui les ont opprimés de manière
extraordinaire, au point qu’ils ne purent presque pas le supporter. Dès lors,
VOUS ENTENDREZ AUSSI PARLER DE GUERRES ET DE RUMEURS DE GUERRES, car, pendant
les guerres, les rumeurs circulent beaucoup. Il arrive ainsi qu’un petit nombre
s’attaque à un grand nombre. Jr 8, 16 : Depuis Dan, on
perçoit le hennissement de ses chevaux ; au cri retentissant de ses
combattants toute la terre est bouleversée. Voyez : certains
pourraient croire que ce serait immédiatement la fin du monde. On dit donc
qu’il y avait des tribulations telles qu’ils croyaient que la fin du monde
était arrivée. Il dit donc : VOYEZ, NE VOUS ALARMEZ PAS, CAR IL FAUT QUE
CELA ARRIVE, MAIS CE N’EST PAS ENCORE LA FIN, comme c’était le cas pour la
destruction de Jérusalem, car, après la passion, sa destruction se fit attendre
pendant cinquante ans.
2383. Mais quelqu’un pourrait dire : «Tu dis
que nous devons entendre parler de guerres ; il y a toujours eu des
guerres.» Il répond : «Vous n’en avez jamais vu de telles.» ON SE
DRESSERA, EN EFFET, NATION CONTRE NATION, à savoir, la nation des Romains
contre la nation des Juifs, ET ROYAUME [CONTRE ROYAUME], à savoir, celui des
Romains contre le royaume des Juifs.
IL Y AURA DES PESTES, etc. On pourrait dire : «Ces guerres
surviennent par hasard et ne sont pas des punitions de Dieu.» Mais qu’elles
soient des punitions de Dieu, cela est clair, car ces maux ne sont pas infligés
par le peuple seulement, mais par Dieu, car IL Y AURA PAR ENDROITS DES PESTES,
qui proviennent de la corruption de l’air, DES FAMINES ET DES TREMBLEMENTS DE
TERRE. Et tout cela est arrivé avant la destruction de Jérusalem.
2384. On pourrait dire : «Tout cela est
arrivé par hasard et n’indique pas les douleurs [de l’enfantement].» Au
contraire ! C’est pourquoi il dit : «Tout cela ne sera que le début
des douleurs de l’enfantement.» Is 13, 8 : Ils gémiront comme
des femmes en train d’accoucher. Ainsi l’interprète Chrysostome.
2385. Mais,
si on le met en rapport avec la fin des temps, Origène l’interprète ainsi. Nous
devons considérer le monde comme un seul homme, car, lorsqu’il s’approche de la
mort, ses forces vitales commencent à décliner. Mais, dans la manifestation de
l’universel changement, le Seigneur enverra un changement particulier, de sorte
que [les hommes] n’auront plus aucune force. Il y aura alors des pestes, car
l’air qui nous sert à deux choses sera corrompu. De même, sera corrompue la terre,
elle qui sert à nous nourrir, car elle fait pousser les herbes et les graines
dont provient la nourriture, et [cette terre] sera tellement affaiblie que la
famine s’établira sur la terre. De même, la terre nous soutient, et il se
produira des bouleversements contre cette terre. Il y aura donc des
tremblements de terre. Les deux premières choses seront universelles, mais
cette dernière sera particulière, car elle surviendra localement. Et pourquoi
ne surviendra-t-elle pas à la grandeur du monde ? Afin que les hommes, en
la constatant, rentrent dans leur cœur et se convertissent. De même arrive-t-il
que, par la pénurie des choses, survienne une famine, et alors, en raison de la
famine, une nation se lèvera contre une autre, et cela pourra arriver vers la
fin du monde. Toutefois, il peut parfois arriver qu’une nation se lève contre
une autre nation, non pas en raison de la pénurie, mais en raison de la vaine
gloire. Parfois, [la guerre] arrive en raison des injustices des hommes.
Parfois, Dieu a pitié et retient les anges mauvais par l’intermédiaire des
anges bons, comme en Ez 13, 5 : Vous n’êtes pas montés aux
brèches, vous n’avez pas construit une enceinte pour la maison d’Israël, pour
tenir ferme dans le combat au jour du Seigneur. Le monde se maintient donc
par la prière des bons.
2386. Et
alors, c’est-à-dire à la fin du monde, L’AMOUR SE REFROIDIRA CHEZ UN GRAND
NOMBRE [24, 12]. Il y aura alors bien des maux, car les anges bons
repousseront les démons dont le rôle est de nuire à la terre et à la mer. Comme
la terre et la mer sont en leur pouvoir, ils bouleverseront toute la terre.
Qu’ils puissent faire cela, on le trouve en Jb 1, 7s.
Jérôme dit qu’on peut dire que l’avènement du
Seigneur se produit tous les jours dans l’Église. En effet, lorsque les hérétiques
font obstacle aux biens mêmes de l’Église, des PESTES spirituelles arrivent, et
DES FAMINES, c’est-à-dire le manque d’un bon enseignement. Am 5 ou 7, des
tremblements de terre, à savoir que des hommes qui sont solides seront
ébranlés.
2387. ALORS, ON VOUS LIVRERA AUX TOURMENTS. [Le
Seigneur] présente alors certains préambules qui doivent arriver dans l’Église.
Dans l’Église à venir, il y aura à la fois des réussites et des obstacles.
Premièrement, il présente les obstacles ; deuxièmement, les succès, en cet
endroit : CETTE BONNE NOUVELLE DU ROYAUME SERA PROCLAMÉE DANS LE MONDE
ENTIER [24, 14]. Mais il annonce des obstacles venus de deux
directions : de l’extérieur et de l’intérieur. Dt 32, 25 : Au-dehors,
l’épée les emportera, au-dedans régnera l’épouvante. Et il aborde trois
dangers : les tourments, le meurtre et la haine.
2388. [Les disciples] pourraient dire : «Il
est vrai que le monde doit endurer cela, mais en quoi cela nous
concerne-t-il ?» Beaucoup, dit [le Seigneur]. C’est pourquoi il dit :
VOUS, comme s’il disait : «Vous ne serez pas épargnés, mais vous serez
tourmentés», au sens littéral. 2 Co 6, 4 : Au sein des
tribulations, des nécessités, etc. De même, ILS VOUS TUERONT, comme il
s’est avéré qu’ils ont tué Étienne et Jacques. C’est pourquoi il dit,
Ps 43, 22 : Nous avons été considérés comme des brebis
destinées à être immolées. À CAUSE DE MON NOM, VOUS SEREZ HAÏS DE TOUTES
LES NATIONS, c’est-à-dire des Juifs. Ou bien, TOUTES [les nations] qui sont
répandues dans le monde entier, plus haut, 5, 10 : Bienheureux
ceux qui supportent des tourments pour la justice. Et il présente une
consolation, car, alors que tous souffrent, vous supportez cela À CAUSE DE MON
NOM. Jr 45, 4 : Voici que ceux que j’ai élevés, je les
détruis, et ensuite : Et toi, tu cherches à te réjouir ?
2389. Origène
dit que cela doit être mis en rapport avec le second avènement, car il y aura
une telle persécution que tous les méchants persécuteront les bons, et, à cause
de cela, il dit : ALORS. En effet, lorsque des maux arrivaient, on avait
coutume de dire que c’était à cause du péché des chrétiens. On s’en prenait
donc à eux. Ainsi, ON VOUS LIVRERA AUX TOURMENTS.
2390. ET BEAUCOUP SUCCOMBERONT. Ici, [le Seigneur]
présente les dangers venus de l’intérieur. En effet, vous serez exposés à un
triple scandale : celui des faibles, les blessures mutuelles, la lâcheté.
Il dit donc : ALORS BEAUCOUP SUCCOMBERONT, car même beaucoup de parfaits
succomberont, comme [il est dit] plus haut, 18, 7 : Il est
nécessaire qu’il y ait des scandales. Partant, même les élus sont troublés
lorsqu’ils voient les scandales. C’est pourquoi Paul disait,
2 Co 11, 29 : Qui tombe, que je ne brûle ? IL Y
AURA DES TRAHISONS MUTUELLES. Par cela se manifeste la tribulation, plus haut,
10, 21 : Le frère livrera son frère à la mort, etc. Et non
seulement corporellement, mais aussi spirituellement, car certains sont à la
source de l’erreur, et il en découlera qu’ILS SE HAÏRONT MUTUELLEMENT.
2391. ET BEAUCOUP DE FAUX PROPHÈTES SURGIRONT ET
EN ABUSERONT UN GRAND NOMBRE. Tels sont ceux qui, dans l’Église, en abusent un
grand nombre. 2 P 2, 1 : Il y eut de faux prophètes
parmi le peuple. De même, 1 Jn 2, 18 : Beaucoup
d’antichrists sont apparus ; ils étaient issus de nos rangs, mais ils
n’étaient pas de nous. De sorte que de tels maux arriveront pour corrompre
les frères, qu’ILS EN ABUSERONT BEAUCOUP.
2392. De même, en troisième lieu, ils ne feront
pas seulement cela, mais ils corrompront au point que [les frères]
abandonneront : L’INIQUITÉ CROÎTRA TELLEMENT QUE L’AMOUR SE REFROIDIRA
CHEZ UN GRAND NOMBRE. Ap 2, 4 : Mais je te reproche seulement
que tu aies abandonné ta charité première. On peut parler de refroidir,
car, lorsqu’ils en voient d’autres délaisser la charité, eux-mêmes sont refroidis,
bien que [celle-ci] ne disparaisse pas totalement. CHEZ UN GRAND NOMBRE :
ce ne sera pas chez tous, car elle fut toujours fervente chez les apôtres.
Rm 8, 35 : Qui nous séparera de la charité du Christ ?
Les tribulations, les angoisses, la faim, le dénuement, les dangers, la
persécution, l’épée ?
2393. Il en sera donc ainsi chez un grand nombre,
mais pas chez tous, car CELUI QUI AURA TENU BON JUSQU’À LA FIN, à savoir, de la
vie présente, CELUI-LÀ SERA SAUVÉ. On trouve la même chose plus haut,
10, 22.
2394. CETTE BONNE NOUVELLE DU ROYAUME SERA
PROCLAMÉE DANS LE MONDE ENTIER. Plus haut, le Seigneur a prédit les obstacles
dans l’Église à venir ; maintenant, il prédit les réussites, car les
apôtres, qui étaient issus des Juifs, rivalisaient avec ceux de leur chair.
Rm 9, 2 : C’est pour moi une grande tristesse et une douleur
continuelle pour mon cœur. Pour les consoler, car un beaucoup plus grand
nombre devait être amené à la foi, [le Seigneur] dit donc : CETTE BONNE
NOUVELLE DU ROYAUME SERA PROCLAMÉE DANS LE MONDE ENTIER. En effet, lui-même, au
début de sa prédication, a dit : Faites pénitence : le royaume des
cieux est proche ! Car cela SERA PRÊCHÉ DANS LE MONDE ENTIER. Car la
loi nouvelle n’a pas été réservée à un seul peuple, comme la loi ancienne.
Mc 16, 15 : Prêchez l’évangile à toute créature.
2395. Chrysostome dit que cela s’est réalisé avant
la destruction de la ville de Jérusalem, et il démontre cela par l’Apôtre qui
dit, en Rm 10, 18 : Leur voix s’est fait entendre dans le
monde entier. L’enseignement évangélique semblait donc s’être répandu dans
le monde entier. [Il le démontre] aussi par une autre autorité qui se trouve en
Col 1, 6 : La prédication de l’évangile porte fruit. Et
cela n’est pas étonnant, car un seul apôtre, Paul, s’est tellement répandu
qu’il a atteint Rome et l’Espagne. Ainsi s’est accompli ce qu’on lit en
Is 57, 9 : Tu as envoyé tes émissaires au loin.
Chrysostome dit donc qu’en cela doit être admirée la puissance du Christ, qu’en
l’espace de quarante ans, son enseignement s’est tellement répandu qu’il a
rempli le monde entier. C’est donc à juste tire qu’il dit : CETTE BONNE
NOUVELLE DU ROYAUME SERA PROCLAMÉE DANS LE MONDE ENTIER.
2396. Mais
est-ce que tous croiront ? Non, mais certains, oui, certains, non. Le fait
que certains croiront sera un témoignage contre ceux qui ne croiront pas, comme
le dit Jérôme. EN TÉMOIGNAGE DEVANT TOUTES LES NATIONS.
Rm 1, 5 : Nous avons reçu la grâce et l’apostolat en vue de
l’obéissance de la foi chez toutes les nations, de sorte qu’elles soient
inexcusables.
2397. ET ALORS, c’est-à-dire lorsque toutes les
nations croiront, VIENDRA LA FIN, c’est-à-dire la destruction de Jérusalem. On
peut interpréter de cette manière ce qui est dit en Ez 7, 3 : La
fin est imminente pour toi, et je laisserai s’abattre ma fureur contre toi. En
effet, [le Seigneur] a accompli des signes, a diffusé l’évangile, mais ils
n’ont pas voulu croire. Il leur arrive donc ce qui est dit en
Ml 1, 10 : Je ne recevrai pas d’offrande de vos mains.
Augustin ne veut pas que cela soit mis en rapport avec la fin de Jérusalem,
mais avec celle du monde. Il dit donc : «[LA BONNE NOUVELLE] SERA PRÊCHÉE,
à savoir, avant la fin du monde, EN TÉMOIGNAGE DEVANT TOUTES LES NATIONS, parce
que toutes ne croiront pas ; ET ALORS VIENDRA LA FIN, c’est-à-dire la fin
du monde.» Et cela est un signe, à savoir que, jusqu’à ce que la prédication de
l’évangile soit diffusée dans le monde entier, la fin ne viendra pas.
2398. Mais, comme le dit Augustin, [la prédication
de l’évangile] n’avait pas encore atteint certains barbares d’Afrique. Et il
répond à cela que leur voix s’est fait entendre dans le monde entier, Ps 18[19],
5 (il emploie ici le passé pour le futur). Et, à propos de ce qui est écrit en
Col 1, 6, il dit que [la prédication de l’évangile] n’a pas encore
porté tous ses fruits, mais qu’elle a commencé à le faire. On peut ainsi faire
une distinction, selon que la diffusion de l’évangile peut être comprise de
deux façons : selon ce qu’on en dit seulement, et ainsi elle a été achevée
avant la destruction de la ville, car, bien que certains ne l’aient pas
accueillie, il n’existait aucune nation qui n’en ait entendu parler ; mais
si l’on entend la diffusion de manière à y inclure le résultat, alors ce que
dit Augustin est vrai, qu’elle n’avait pas atteint toutes les nations.
2399. [Le Seigneur] a déjà présenté la destruction
[de Jérusalem]. Dans cette partie, il expose que la fin viendra. Il présente
d’abord certains préambules : premièrement, il présente une prophétie ;
deuxièmement, un avertissement, en cet endroit : ALORS QUE CEUX QUI SONT
EN JUDÉE FUIENT DANS LES MONTAGNES [24, 16] ; troisièmement, la
raison de l’avertissement, en cet endroit : CAR IL Y AURA ALORS UNE GRANDE
TRIBULATION [24, 21].
2400. [Le
Seigneur] a donc dit : ALORS VIENDRA LA FIN. LORS DONC QUE VOUS VERREZ
L’ABOMINATION DE LA DÉSOLATION, etc. Qu’appelle-t-il abomination ? On peut
dire qu’est appelée abomination l’armée des Romains et que ceux-ci sont appelés
abominations de la désolation parce qu’ils ont ravagé la terre. Ou bien, [on
entend] par abominations les idoles, et on peut l’entendre de deux idoles. On
lit que Pilate a introduit dans le temple un aigle (c’était l’emblème des
Romains), que les Juifs appelaient une abomination. Lorsqu’ils virent une idole
placée dans le lieu saint, vous pouvez alors comprendre que la prophétie de
Daniel au sujet de la destruction de Jérusalem s’était accomplie. Ou bien, on
peut dire que Jérusalem a été détruite deux fois. Premièrement, par Titus et Vespasien,
et alors le temple fut incendié et certains furent aussi dispersés. Par la
suite, certains se sont encore rebellés, et alors Hadrien, qui avait succédé à
Trajan, la détruisit entièrement et établit une loi selon laquelle aucun Juif
ne devait plus y habiter, puis il donna son nom à la ville. Il installa ainsi
une idole dans le lieu saint. Cette idole qu’installa Hadrien peut être appelée
une abomination, De sorte que LORSQUE VOUS VERREZ, etc. Lm 2 parle de
manière appropriée de cette déchéance.
2401. QUE
LE LECTEUR COMPRENNE ! Pourquoi [le Seigneur] dit-il cela ? Parce
que, dans cette prophétie de Daniel [Dn 9, 27], il est beaucoup parlé
de la passion du Christ. Il faut donc porter attention à ces paroles. Il y est
donc dit : Le Christ sera tué..., et il y aura dans le temple une
abomination de la désolation, et la désolation durera jusqu’à la consommation
et à la fin. Celui-là donc qui voit, qu’il comprenne que ces choses sont
arrivées !
2402. ALORS, QUE CEUX QUI SONT EN JUDÉE FUIENT DANS
LES MONTAGNES. [Le Seigneur] donne un avertissement utile : premièrement,
il le donne ; deuxièmement, il écarte l’empêchement à la fuite. En effet,
certains empêchements sont évitables et certains sont inévitables.
[Le Seigneur] dit : ALORS, QUE CEUX QUI
SONT EN JUDÉE FUIENT DANS LES MONTAGNES. ALORS, c’est-à-dire à l’époque de
Vespasien. En ce temps-là, un nommé Agrippa contrôlait les montagnes, il
obéissait aux Romains et ne se rebellait pas contre eux. Ainsi, alors que
d’autres nations étaient en guerre, lui et son clan étaient en paix. Par la
providence divine, les croyants qui étaient en Judée furent donc avertis de se
retirer et d’aller dans le royaume de cet Agrippa. C’est ce qu’ils firent. En
conséquence, QUE CEUX QUI SONT EN JUDÉE, c’est-à-dire les croyants, FUIENT DANS
LES MONTAGNES. Za 2, 6 : Fuyez la terre de l’aquilon, etc.
2403. [Le Seigneur] enlève alors les empêchements
à la fuite. Et parce que certains empêchements peuvent être évités et certains
autres ne le peuvent pas, il expose d’abord les empêchement évitables et, en
second lieu, ceux qui sont inévitables, en cet endroit : MALHEUR À CELLES
QUI SERONT ENCEINTES, etc. [24, 19].
[Les empêchements] évitables sont les affaires des gens du monde, et certaines
[de leurs affaires] se produisent en ville, et d’autres, en dehors. Il expose
donc les deux [cas], le second [se trouvant] en cet endroit : QUE CELUI
QUI SERA AUX CHAMPS NE REVIENNE PAS PRENDRE SON MANTEAU ! [[24, 18].
2404. [Le
Seigneur] dit donc : QUE CELUI QUI SERA SUR LE TOIT NE DESCENDE PAS DANS
SA MAISON POUR Y PRENDRE QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire que quiconque habite en
ville, même s’il est dans sa maison, ne revienne pas y prendre quelque chose,
etc. ; et QUE CELUI QUI SERA AUX CHAMPS NE REVIENNE PAS à la maison POUR
PRENDRE SON MANTEAU, à savoir tout ce qui pourrait être nécessaire, car tout ce
qu’un homme possède, il le donnera en échange de sa vie. Et pourquoi dit-il
cela ? Parce que, à l’approche de la fête de la Pâque, beaucoup s’étaient
rassemblés à Jérusalem. Sachant cela, Titus assiégea la ville alors qu’ils
étaient ainsi rassemblés. [Le Seigneur] veut donc dire que le mal surviendra si
rapidement que personne ne pourra s’en mettre à l’abri.
2405. Il expose aussi les empêchements
inévitables. Parce que certains étaient inévitables par la puissance de l’homme
et tout simplement, et certains [étaient] inévitables [par la puissance de
l’homme], mais cependant évitables par la puissance de Dieu, [il parle] donc
d’abord des premiers, puis des seconds, en cet endroit : PRIEZ, etc.
[24, 20].
Ce qui ne peut d’aucune façon être évité,
lorsque cela existe, c’est la charge d’enfants. En effet, bien qu’on puisse
dire à quelqu’un : «Sauve ta vie !», celui-ci pourrait dire :
«Comment pourrais-je abandonner mon fils ?» [Le Seigneur] explique
donc : MALHEUR À CELLES QUI SERONT ENCEINTES ET QUI ALLAITERONT, parce que
celles-ci ne pourront pas fuir, puisqu’on ne pouvait leur dire qu’elles
pouvaient avorter et, à celles qui allaitaient, qu’elles tuent leur enfant.
Ainsi s’accomplit ce qui est dit en Lc 23, 29 : Bienheureux
les mamelles qui n’auront pas allaité !
Il existe aussi d’autres empêchements
auxquels l’homme ne peut porter remède que par Dieu. En effet, il existe une
saison inappropriée, soit à cause de la nature, soit en raison de la loi :
à cause de la nature, comme durant l’hiver, car l’homme est alors empêché de
fuir à cause de l’âpreté du temps ; et aussi en raison de la loi, comme
lorsque cela arrive le jour du sabbat, car Dieu avait ordonné qu’ils ne
parcourent pas plus d’un mille.
2406. Et parce que cela ne relève pas de notre
pouvoir mais de celui de Dieu, PRIEZ DONC POUR QUE VOTRE FUITE NE TOMBE PAS EN
HIVER, NI UN SABBAT, car, en de telles circonstances, il ne reste qu’à recourir
à Dieu. Ainsi, Os 6, 1 : Venez et retournons vers le
Seigneur, car lui nous a frappés et [lui] nous sauvera. PRIEZ POUR QUE
VOTRE FUITE NE TOMBE PAS EN HIVER, car celui-ci empêche la fuite à cause des
risques de la route. NI UN SABBAT, parce que celui-ci l’empêche en raison d’une
loi de Dieu. Remarquez aussi qu’il dit SABBAT, car par là il indique qu’ils
furent à juste titre tués un jour de fête.
2407. D’où vient la nécessité de fuir ? De la
grandeur de la tribulation. [Le Seigneur] présente donc d’abord la tribulation
et la grandeur de la tribulation ; en second lieu, il en présente la
cause, en cet endroit : ET SI CES JOURS N’AVAIENT PAS ÉTÉ ABRÉGÉS, etc.
[24, 22].
Il dit donc : IL Y AURA ALORS UNE GRANDE
TRIBULATION, TELLE QU’IL N’Y EN A PAS EU DEPUIS LE COMMENCEMENT DU MONDE. Celui
qui lit l’histoire de Josèphe peut suffisamment en juger. Beaucoup sont morts
de faim. Il y eut aussi des soulèvements dans la ville, au point qu’on se tuait
les uns les autres. Ainsi, alors que Titus, qui était très doux, voulait les
épargner, eux ne le voulaient pas. Il y avait aussi des voleurs parmi eux, qui
en tuèrent un grand nombre. Une femme a mangé son fils. Il y eut donc une
tribulation telle qu’on n’en avait jamais vue. C’est ce que dit Lc 21, 23s :
Il y aura une tribulation et ils tomberont devant l’épée. Mais [la
tribulation] ne sera-t-elle pas plus grande à l’époque de l’Antéchrist ?
Oui, mais elle n’aura pas lieu entre les Juifs.
2408. Chrysostome demande en raison de quel péché
elle est arrivée, car le châtiment de Sodome ne fut pas si grand, de sorte
qu’il n’y aurait pas de châtiment plus grave si le péché n’était pas plus
grave. Et parce qu’on pourrait dire que cela était arrivé à cause des péchés
des chrétiens, [le Seigneur] dit donc que ce n’est pas le cas. De sorte que SI
CES JOURS N’AVAIENT PAS ÉTÉ ABRÉGÉS, NUL N’AURAIT EU LA VIE SAUVE. Augustin dit
que certains ont ainsi interprété que les jours sont alors devenus plus courts,
comme [le jour] s’était allongé à l’époque de Josué. Mais, en sens contraire,
le Ps 118[119], 91 dit : Les jours durent comme tu en as
disposé.
2409. On peut donc dire cela de deux façons.
Premièrement, que les jours ont été abrégés en nombre. Si ce temps avait duré,
tous auraient donc été tués, car personne n’aurait survécu. Pourquoi ?
Parce que les Romains dominaient la terre entière et que les Juifs ont été
dispersés dans le monde entier. Si donc ce temps avait duré, ils auraient été
tués par toute la terre. Ou bien, on dit que les jours ont été abrégés lorsque
les maux ont été abrégés. Et pourquoi sont-ils abrégés ? À CAUSE DES ÉLUS,
afin que ne manque pas la parole de Dieu. En effet, un grand nombre a été
converti parmi ce peuple, et [ceux-ci] demandaient qu’il reste une semence pour
ce peuple. Is 1, 9 : Si le Seigneur ne nous avait laissé une
semence, nous serions comme Sodome, etc.
2410. Chrysostome
présente alors deux remarques sur la raison pour laquelle cela a été dit, car
il y avait là des disciples, et la vie de [l’apôtre] Jean s’est aussi étendue
au-delà. Il dit donc que Jean n’a pas mentionné cela dans son évangile parce
qu’il a vécu après les faits ; il aurait [ainsi] parlé de choses passés.
Mais Matthieu et Luc, qui ont écrit avant [l’événement], l’ont mentionné parce
qu’il était alors à venir. Il dit donc que ce fut un miracle évident, lorsque
les Romains assaillirent les Juifs et que presque toute la nation des Juifs
subit l’extinction, que si peu de Juifs purent aller par toute la terre pour
convertir pour ainsi dire le monde entier, et cela fut le fait de l’admirable
puissance du Christ.
2411. Hilaire
explique que ces paroles se rapportent à la fin du monde. LORSQUE VOUS VERREZ
cette ABOMINATION désigne l’Antéchrist. 1 Th 2, 2 : Ne
soyez effrayés ni par un esprit, ni par un discours annonçant que le jour du
Seigneur est imminent, afin que personne ne vous séduise d’aucune façon. QUE
CEUX QUI SONT EN JUDÉE FUIENT DANS LES MONTAGNES, car les Juifs feront
défection. Ils fuiront donc le pays des Juifs et se dirigeront vers les
montagnes du christianisme. ET QUE CELUI QUI SERA SUR LE TOIT NE DESCENDE PAS
PRENDRE QUELQUE CHOSE DANS SA MAISON. Il veut dire que les parfaits ne doivent
pas être détournés de leur perfection. [Le Seigneur] touche donc à la vie
contemplative, qui est désignée par le toit. Ceux-ci ne doivent donc pas
s’écarter de leur contemplation. De même, QUE CEUX QUI SONT AUX CHAMPS :
il touche à la vie active. Que ceux-là ne reviennent pas à leur vie antérieure,
mais persévèrent dans leur propos. Et que veut-il dire par LES FEMMES QUI ALLAITENT ?
Les hommes chargés de péchés. Les hommes qui allaitent sont les hommes
imparfaits. Il veut donc dire : «Malheur aux hommes chargés de péchés et
non affermis !» Selon Augustin, les femmes enceintes sont ceux qui
envisagent de mal agir ; ceux qui allaitent [sont ceux] qui accomplissent
en acte. Et que veut-il dire par EN HIVER ET LE JOUR DU SABBAT ? L’hiver
indique la tristesse, et le sabbat, la joie. Que cela ne se produise donc pas
en hiver en raison d’une tristesse absorbante, ou le jour du sabbat en raison
d’une joie qui soulève l’esprit. Ou bien, par le sabbat, [il indique] le loisir
d’une bonne action, et par l’hiver, le refroidissement de la charité. ET SI CES
JOURS N’AVAIENT PAS ÉTÉ ABRÉGÉS, car cela durera peu ; en effet, si cela
durait, NUL N’AURAIT EU LA VIE SAUVE, c’est-à-dire tout [homme] charnel.
2412. On peut mettre aussi cela en rapport avec
l’avènement du Christ par l’Église. Origène dit ainsi que, de même que la
parole de l’évangile a été diffusée par son avènement, de même la fausse doctrine
sera-t-elle diffusée par l’avènement de l’Antéchrist. Et de même que le Christ
a eu ses prophètes, de même [en sera-t-il] pour l’Antéchrist. Alors, QUE CEUX
QUI SONT DANS LES VILLES FUIENT DANS LES MONTAGNES, [à savoir], [celles] de la
justice parfaite. On appelle FEMMES ENCEINTES ceux qui parcourent encore la
parole du salut ; CELLES QUI ALLAITENT, ceux qui ont déjà fait quelque
chose.
2413. PRIEZ DONC afin qu’ils n’en soient pas
empêchés par l’indolence et l’apathie. IL Y AURA ALORS UNE GRANDE TRIBULATION,
car l’enseignement chrétien sera perverti par un faux enseignement. ET SI CES
JOURS N’AVAIENT PAS ÉTÉ ABRÉGÉS, à savoir, par l’enseignement de la doctrine,
par l’accroissement de la vraie doctrine, NUL N’AURAIT EU LA VIE SAUVE,
c’est-à-dire que tous se seraient convertis à la fausse doctrine.
2414. Après que le Seigneur a répondu à
l’interrogation des disciples au sujet de la destruction du temple, il commence
ici à répondre à ce qui se rapporte au second avènement. Cet avènement est
l’avènement en vue du jugement. [La réponse] est divisée, car, en premier lieu,
il présente les signes et le mode de [sa] venue ; en second lieu, il
traite du jugement, plus loin, 25, 1 : LE ROYAUME DES CIEUX EST
SEMBLABLE À DIX VIERGES.
À propos du premier point, il fait deux
choses : premièrement, il présente à l’avance les signes qui précéderont
la venue du Christ ; deuxièmement, il traite de lui-même, en cet
endroit : ET ON VERRA LE FILS DE L’HOMME, etc. [24, 30].
2415. À
propos du premier point, [il y a] deux choses, car deux choses
précéderont : premièrement, pour ce qui est des hommes et des élus ;
deuxièmement, pour ce qui est des éléments, en cet endroit : AUSSITÔT
APRÈS LA TRIBULATION DE CES JOURS-LÀ, LE SOLEIL S’OBSCURCIRA, etc.
[24, 29].
À propos du premier point, il fait deux
choses : premièrement, il donne d’abord un avertissement ;
deuxièmement, la raison de cet avertissement, en cet endroit : EN EFFET,
DES FAUX CHRISTS ET DES FAUX PROPHÈTES SURGIRONT [24, 24].
2416. [Le
Seigneur] dit donc : ALORS, SI QUELQU’UN VOUS DIT : «VOICI LE CHRIST
ICI, etc. !» [24, 23]. Il faut remarquer que ALORS n’indique pas un
temps déterminé, mais un temps imprécis, car cela n’est pas arrivé
immédiatement après la destruction de Jérusalem, mais on l’attend dans l’avenir
au moment de la fin. On trouve quelque chose de semblable plus haut,
[Mt] 2, où [il est dit] que le Seigneur a vécu à Nazareth (c’est pourquoi
on l’appelait le Nazaréen), puis vient ensuite : Alors vint Jean le
Baptiste qui prêchait dans le désert de Judée. Non pas qu’il vint alors,
car il y a eu peut-être vingt ans entre les deux moments. On l’interprète donc
comme un moment imprécis. Il en est de même ici. En effet, il arrivera dans
l’avenir que beaucoup de séducteurs viendront et diront que l’Antéchrist est
Dieu. ALORS, SI QUELQU’UN VOUS DIT : «VOICI LE CHRIST ICI OU LÀ !»,
N’EN CROYEZ RIEN. 2 Th 2, 2 : Ne soyez effrayés ni par
un esprit, ni par un discours, ni par une lettre qui se présenterait comme
envoyée par nous, comme si le jour du Seigneur était imminent.
2417. Ensuite, lorsqu’il dit : IL SURGIRA, EN
EFFET, DES FAUX CHRISTS ET DES FAUX PROPHÈTES, il donne la raison de
l’avertissement. Premièrement, il donne la raison tirée d.une nécessité ;
deuxièmement, de la fausseté de la doctrine, en cet endroit : EN EFFET,
COMME L’ÉCLAIR PART DE L’ORIENT, etc. [24, 27].
À propos du premier point, il fait trois
choses. Premièrement, il présente les séducteurs ; deuxièmement,
l’intensité de la séduction ; troisièmement, un avertissement.
2418. Il
dit donc : «Tu dis qu’il y en a qui diront qu’ils sont le Christ ;
mais y en aura-t-il d’autres ?» Oui : DE FAUX CHRISTS SURGIRONT,
c’est-à-dire qu’ils diront qu’ils sont des Christs, et cela est arrivé avant la
destruction de Jérusalem. 1 Jn 2, 18 : Mais vous avez
entendu dire que l’Antéchrist est venu, et déjà de nombreux antéchrists sont
survenus. ET DES FAUX PROPHÈTES. En effet, comme le Christ a eu de vrais
prophètes qui l’ont annoncé à l’avance, de même l’Antéchrist [aura] ses faux
[prophètes]. C’est ce qui est dit en 1 Jn 4, 1 : Beaucoup
de faux prophètes ont surgi dans le monde. Mais ceux-ci feront-ils des
signes et des miracles ? Ainsi, ILS FERONT DES SIGNES ET DES PRODIGES.
2 Th 2, 9 : Son avènement vient de l’intervention de
Satan. Ap 16, 13 : Et je vis sortir de la bouche du
dragon, de la bouche de la bête et de la bouche du faux prophètes trois esprits
impurs ayant la forme de grenouilles.
2419. Mais
une question se pose : est-ce que les démons peuvent faire des miracles ?
Il faut dire que non, si on entend miracle au sens propre, car le miracle n’est
pas à proprement parler ce qui est fait en dehors de l’ordre d’une cause
particulière, mais hors de l’ordre de toute créature, et cela arrive par la
seule puissance divine. Mais il est bien possible qu’une créature supérieure ne
soit pas limitée par l’ordre d’une créature inférieure. De sorte que quelque
chose est produit par la puissance de [créatures] supérieures, qui n’est pas
produit par la puissance des éléments. Ainsi, chez les hommes, quelqu’un
produit quelque chose en recourant à un artifice, et cela semble étonnant pour
d’autres. Il en est de même pour les démons, car ils possèdent une intelligence
plus subtile, de sorte que comme des gens habiles produisent quelque chose qui
paraît étonnant pour les autres, de même les démons produisent naturellement
certaines choses qui nous paraissent étonnantes.
2420. Mais
comment cela se fera-t-il ? C’était l’opinion d’Avicenne que la nature
corporelle obéit au bon vouloir de la [nature] intelligente. Ainsi le corps est
mû pour saisir. Mais Augustin écarte cela, car [la nature corporelle] n’obéit
pas au bon vouloir d’une quelconque créature, mais à celle de Dieu seul. Il
faut donc dire que, dans les choses naturelles, il existe des capacités
déterminées en vue d’en procréer d’autres, comme des grenouilles et des choses
de ce genre ; mieux que les autres, les démons connaissent mieux ces
capacités. Et Augustin prouve cela, car le feu qui s’abattit sur les brebis de
Job était naturel. En effet, [le feu] peut exciter les corps et les rassembler,
de sorte que se produisent de tels miracles. Mais on ne peut pas faire les
miracles qui ne procèdent pas de la puissance d’une chose naturelle, par
exemple, ressusciter un mort. On ne fait donc de telles choses que par des
tours, comme Simon le Mage fit bouger une tête. Ainsi, on ne peut pas [faire]
ce qui n’est pas produit par la puissance de la nature. ILS FERONT DONC DE
GRANDS SIGNES, c’est-à-dire [des signes] que les hommes considéreront comme
grands.
2421. Mais quel en sera l’effet ? AU POINT
D’ABUSER, SI POSSIBLE, MÊME LES ÉLUS. Origène dit que cette parole a été dite
avec exagération, car tout homme qui est en cette vie, si on le considère en
lui-même, peut être abusé. Toutefois, si on met ceci en rapport avec l’élection
de Dieu et qu’on lui donne le sens qu’un élu peut être abusé, cela est
impossible. Ainsi, en exagérant, [le Seigneur] dit que la force [des
séducteurs] sera telle que, s’ils n’étaient pas préservés par la prédestination
divine, [les élus] seraient abusés. Ou bien, il faut dire qu’il ne n’agit pas
des vrais élus, mais de ceux qui sont élus en apparence.
1 Tm 1, 19 : Pour s’être affranchis [de la foi et de la
bonne conscience], certains ont fait naufrage dans la foi. Is 19, 14 :
Le Seigneur a introduit un esprit qui les a étourdis et a fait s’égarer
l’Égyptien.
2422. VOICI QUE JE VOUS AI PRÉVENUS, car, selon
Grégoire, «les javelots qu’on voit venir sont moins dangereux».
Am 3, 7 : Le Seigneur ne mettra pas en œuvre sa parole sans
avoir révélé son secret.
2423. De sorte que SI ON VOUS DIT : «VOICI AU
DÉSERT, etc.!», N’Y ALLEZ PAS. Après avoir présenté la nécessité d’une manière
générale, il la présente d’une manière plus particulière : SI ON VOUS
DIT : «VOICI AU DÉSERT !», N’Y ALLEZ PAS. Il faut remarquer que
l’enseignement vrai se donne en public, plus haut, 10, 27 : Ce que
je vous dis en secret, dites-le sur les toits. Mais [l’enseignement] faux
cherche toujours les recoins, Pr 1, 20 : La sagesse s’exprime
sur les places publiques. La vérité est donc lumière et elle cherche à être
vue dans la lumière ; mais la doctrine perverse cherche le secret.
Pr 9, 14 : La sagesse s’assoit sur les places, puis vient
ensuite : Les eaux secrètes sont plus douces. Ainsi, le désert est
un lieu secret car il y manque les hommes ou il est fermé.
2424. Ainsi donc, SI ON VOUS DIT : «VOICI AU
DÉSERT !», N’Y ALLEZ PAS. Et que veut-il dire ? Ces infidèles et ces
hérétiques, lorsqu’ils sont des fidèles à l’intérieur de la société ou de
l’assemblée, ne peuvent tromper, mais ils s’efforcent de séparer [des fidèles]
de la société, et alors ils [les] trompent. C’est ce que [le Seigneur] veut
dire : SI ON VOUS DIT : «VOICI AU DÉSERT !», N’Y ALLEZ PAS. «Ne
soyez pas séparés de la bonne société et [de la bonne] assemblée.» De même, [SI
ON VOUS DIT] : «[VOICI] DANS DES LIEUX RETIRÉS !», car ils cherchent
toujours un endroit secret et ils n’osent pas donner leur enseignement en
public. Ainsi, en Jn 18, 20 : J’ai parlé au monde ouvertement.
Si 19, 4 : N’accordez pas foi, car celui qui accorde tout
de suite foi a un cœur léger. Selon Jérôme, cela peut se rapporter à
l’époque d’avant la destruction [du temple], mais il est mieux de le mettre en
rapport avec la fin. On peut aussi l’entendre de la séduction qui est faite à
l’intérieur de l’Église. Les faux christs donnent un enseignement [documentum]
mensonger, et on l’appelle un document [documentum] parce que tout y est
relié, et tout mensonge a ses prophètes.
2425. Ils
disent donc : LE CHRIST EST ICI OU LÀ. Ez 13, 6 : Ils
ont continué d’appuyer leur discours. Parfois ils veulent le confirmer par
des Écritures apocryphes, parfois par des sens cachés de l’Écriture. Lorsqu’ils
[le font] par des apocryphes, ils disent qu’il est dans le désert ;
lorsqu’ils [le font] par des sens cachés, ils disent qu’il est dans les lieux
retirés. Ou bien, selon Augustin, la vraie doctrine possède deux traits. La
même chose doit être dite en tout lieu et publiquement, et ces traits font
défaut à l’hérésie. Elle dit donc : LE CHRIST EST ICI, c’est-à-dire sur
cette terre, et non sur une autre. De même, parce que leur enseignement n’est
pas public, ils disent qu’il se trouve DANS DES LIEUX RETIRÉS. N’Y CROYEZ donc
PAS.
2426. EN EFFET, COMME L’ÉCLAIR PART DE L’ORIENT,
etc. Ici, [le Seigneur] donne une autre explication. Ils disent faussement que
le Christ viendra en secret, car cela n’est pas vrai ; bien plus, il
viendra ouvertement. Et il en donne deux explications : l’une prise de la
manifestation du Christ ; l’autre, du rassemblement des saints.
Il dit : NE CROYEZ PAS qu’il ne viendra
pas ouvertement. COMME L’ÉCLAIR PART DE L’ORIENT ET BRILLE JUSQU’À L’OCCIDENT,
AINSI EN SERA-T-IL DE L’AVÈNEMENT DU FILS DE L’HOMME.
Ps 49[50], 3 : Dieu viendra de manière manifeste. Mais
viendra-t-il comme l’éclair qu’on voit maintenant ici, puis du côté de
l’orient ? Ne comprenez donc pas qu’il se manifestera seulement du côté de
l’orient, mais partout.
2427. Si
on veut mettre cela en rapport avec un mystère, l’éclair est l’avènement de la
vérité. Ne recherchez donc pas un enseignement secret, car la vérité est
manifestée dans le monde entier. Ou bien, l’orient est le début, l’occident, la
fin. La vérité d’un enseignement concorde donc toujours du début à la
fin : en effet, l’enseignement vrai reçoit toute l’Écriture. Certains ne
reçoivent pas l’Ancien Testament, d’autres ne reçoivent pas les prophètes, et
ainsi ils ne pourraient être confirmés par les autres Écritures. Mais la vraie
doctrine sera confirmée depuis le début de l’Église naissante jusqu’à la fin.
C’est pourquoi il est dit plus loin, 28, 20 : Voici que je suis
avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.
2428. PARTOUT OÙ IL Y A UN CADAVRE, LÀ SE
RASSEMBLERONT LES AIGLES. Quelqu’un pourrait dire : «Ceux-ci disent :
“Le Christ est ici ou là.” Comment saurons-nous quand il viendra ?» [Le
Seigneur] montre qu’il ne sera pas nécessaire de chercher, car son avènement
sera manifeste puisque les autres se rassembleront. Cela ressemblera à ce qui arrive
lorsque quelqu’un demande à son seigneur, qui lui cache soigneusement son
intention de déplacer son camp fortifié : «Quand déplaceras-tu ton
camp ?» Et [le seigneur] répond : «N’as-tu pas entendu la
trompe ? Pourquoi demandes-tu cela ?» On dit la même chose ici :
«Tu dis qu’il sera ici ou là ; je sais que LÀ OÙ IL Y A UN CADAVRE, LÀ SE
RASSEMBLERONT LES AIGLES.» Remarquez qu’en hébreu on trouve anathe, qui
est la même chose que «cadavre». [Le Seigneur] a donc voulu indiquer la passion
du Christ, car alors viendra le Christ montrant les signes de sa passion. Et il
parle en employant une comparaison : LÀ OÙ IL Y A UN CADAVRE, etc.
1 Th 4, 16 : Nous accourrons comme une nuée vers le
Christ. Mais certains sont des aigles, d’autres des vautours ou des
corbeaux, mais il ne dit pas des vautours ou des corbeaux, mais des AIGLES, par
lesquels les saints sont indiqués. Is 40, 31 : Leurs plumes
pousseront comme celles des aigles, ils prendront leur envol et ne tomberont
pas. Ainsi, comme le dit Jérôme, partout où est fait mémoire de la passion
du Christ, les hommes saints doivent être rassemblés par le souvenir perpétuel
de sa passion. He 10, 32 : Rappelez-vous les premiers jours
où, après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand combat contre les
souffrances.
2429. Et parce que ces choses ne seront pas
manifestées par les tribulations, il dit donc : AUSSITÔT APRÈS LA
TRIBULATION DE CES JOURS-LÀ, LE SOLEIL S’OBSCURCIRA, etc. Il traite alors des
signes tirés des autres réalités qui sont au-dessus de nous. Premièrement, il
présente les signes ; deuxièmement, [leur] effet. Le second point [se
trouve] en cet endroit : ET ALORS, TOUTES LES TRIBUS DE LA TERRE GÉMIRONT
[24, 30].
Dans ce qu’il montre des réalités qui sont
au-dessus de nous, il y a un triple ordre : les corps célestes, les anges
et le Christ. Ep 1, 21 : Il l’a établi au-dessus de toutes
les puissances et les principautés, etc.
2430. À
propos du premier point, il dit donc : AUSSITÔT APRÈS LA TRIBULATION DE
CES JOURS-LÀ, à savoir, lorsque viendra l’Antéchrist. AUSSITÔT, et non pas peu
après, car beaucoup seraient en danger. Et cela va à l’encontre de ceux qui
proposent la fable des mille ans. LE SOLEIL S’OBSCURCIRA ET LA LUNE NE DONNERA
PLUS SA LUMIÈRE. Qu’est-ce que cela ? Ces paroles ont un sens littéral et
[un sens] mystique. Si on les met en rapport avec le dernier avènement, elles
ont un sens littéral ; si [on les met en rapport] avec un autre
[avènement], [elles ont] un sens mystique.
2431. Mais
le fait qu’il dise : LE SOLEIL S’OBSCURCIRA semble s’opposer à ce qui est
dit en Is 30, 26 : La lumière de la lune sera comme la
lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus brillante. À
ce sujet, vous devez donc distinguer trois époques : l’époque avant
l’avènement, l’époque de l’avènement et [l’époque] après l’avènement. Avant
l’avènement du Christ, on observera des choses de ce genre, dont il est dit
ici, en Jl 2, 31 : Le soleil se changera en ténèbres et la
lune en sang, avant que ne vienne le jour grand et terrible du Seigneur. Lors
de l’avènement du Christ, ils ne seront pas changés dans leur substance, mais
par mode de comparaison, car l’éclat du Christ et des saints sera si grand que
l’éclat même [du soleil et de la lune] ne ressortira pas.
Is 24, 23 : La lune rougira et le soleil sera confondu. Mais,
après le jour du jugement, l’éclat de la lune et des étoiles sera accru. Alors
sera vrai ce qui est dit en Is 30, 25, que la lumière du soleil
sera sept fois plus brillante, comme la lumière de sept jours.
2432. Mais
ce qui est dit de la chute des étoiles depuis le ciel semble faux, car une
seule étoile est plus grande que toute la terre. Raban donne la solution en se
référant au texte de Mc 13, 25, à l’effet que les étoiles
déclineront en lumière, c’est-à-dire qu’elles seront diminuées quant à leur
lumière, que ce soit par elle-même, ou que ce soit par quelque chose qui se
sera interposé, comme si des nuages s’étaient interposés, comme lorsque la
lumière est diminuée lorsque la lune est éclipsée. Origène dit donc que cela
peut se comprendre de deux façons. Premièrement, que ce qui s’interposera sera
le feu, qui précédera le Christ et consumera tout jusqu’au milieu de l’air, à
savoir, jusqu’au point où se sont élevées les eaux du déluge ; et une
vapeur abondante viendra après ce feu, au point où les luminaires du ciel
seront obscurcis. Ou bien, l’on peut dire que certains pensaient que ces corps
sont corruptibles, et comme les éléments seront changés, ainsi en sera-t-il [de
ces corps]. Il est question de ces trois choses en Ap 6, 12 : Le
soleil devint noir comme un sac de crin, et la lune devint tout entière comme
du sang, et les étoiles du ciel tombèrent.
2433. LES
ÉTOILES TOMBERONT DU CIEL. Les étoiles sembleront tomber lorsqu’elles seront
privées de leur lumière. Il y aura donc ainsi un changement dans les corps
célestes. De même en sera-t-il pour les anges. C’est pourquoi il dit : ET
LES PUISSANCES DES CIEUX SERONT ÉBRANLÉES, c’est-à-dire les puissances qui sont
au service de Dieu. Augustin dit que tous les corps sont servis par l’esprit de
vie ; on dit ainsi qu’ils sont effectivement mus parce que, lors de
l’avènement du Seigneur, le mouvement du ciel cessera. On dit donc que ces
[puissances] sont mues lorsque ce qui se rapporte à leur service est changé en un
autre état. Ou bien, les anges seront mus non par un mouvement de crainte, mais
d’admiration, parce qu’ils admireront la puissance du Christ. Ou bien, ils
seront mus d’un mouvement de joie au sujet de la glorification des saints. On
peut entendre en ce sens ce qui est dit en Jb 25, 11 : Les
colonnes du ciel seront ébranlées et seront effrayées par son mouvement.
2434. ET ALORS APPARAÎTRA DANS LE CIEL LE SIGNE DU
FILS DE L’HOMME. Ici est présenté le signe du Fils de l’homme établi au-dessus
des anges. LE SIGNE DU FILS, c’est-à-dire le signe de la victoire du Christ,
car, lorsque le monde entier sera renouvelé, il sera signifié qu’il a remporté
la victoire sur toutes choses par sa passion, ce qui maintenant n’est pas
manifeste. Ou bien apparaîtra le signe de la croix pour montrer que toute cette
gloire vient de sa passion. Jb 36, 29 : S’il a voulu étendre
les nuages comme sa tente, etc., puis vient ensuite : En effet,
c’est par cela que le peuple juge. Il apparaîtra aussi pour confondre les
méchants qui n’ont pas voulu suivre le Christ. De même, le signe de la croix
sera plus brillant que le soleil.
2435. Mais quel en sera l’effet ? ALORS
GÉMIRONT TOUTES LES RACES DE LA TERRE, en voyant un si grand pouvoir du Christ
qu’ils ont méprisé, une si grande sagesse à laquelle ils n’ont pas obéi et un
si grand éclat des saints. On dira donc ce que Sg 5, 3 [dit] :
Voilà ceux que nous avons jadis tournés en dérision et dont nous avons fait un
objet d’outrage. Nous, insensés, nous avons tenu leur vie pour folie et leur
fin pour infâme. Comment donc sont-ils comptés au nombre des fils de Dieu et
partagent-ils le sort des saints ? De même, les tribus du ciel,
c’est-à-dire ceux qui ont porté l’image du ciel, Is 40, 18 : À
qui avez-vous comparé Dieu ou quelle image en avez-vous donnée ? Ils
s’imputeront à eux-mêmes de supporter cela. Ap 1, 7 : Alors
tout œil verra, ainsi que ceux qui l’ont transpercé, et tous les confins de la
terre pleureront sur lui. Et Za 12, 10 : Ils me
regarderont, moi qu’ils ont transpercé, et ils le pleureront comme un fils
unique, et gémiront sur lui comme on a coutume de gémir à la mort d’un
premier-né.
2436. Telle
est l’interprétation littérale. Mais si on met cela en rapport avec le second
avènement, alors on ne l’interprète qu’au sens mystique. Origène [dit] que, par
le soleil, le Diable est signifié et, par la lune, l’Antéchrist. On parle de
cela en Jb 31, 26‑27 : À la vue du soleil dans son
éclat et de la lune radieuse dans sa course, mon cœur s’est-il réjoui en
secret ? J’ai vu, c’est-à-dire que j’ai approuvé le soleil, à savoir,
ce qui paraît avoir éclat et sainteté, et ceux qui [paraissent] être vertueux
apparaîtront alors. 1 Co 4, 5 : Il éclairera ce qui est
caché dans les ténèbres, et il rendra manifestes les desseins des cœurs. De
sorte que la doctrine dans son entier, l’éclat dans son entier paraîtront
alors, car l’image du Christ apparaîtra en tous. Ou bien, par le soleil,
l’Église est signifiée. Ainsi, à cause des tribulations, l’Église semblera ne
pas avoir d’éclat. Et pourquoi dit-il : APRÈS LES TRIBULATIONS ?
Origène répond que ce sera après et en même temps. De même, LES ÉTOILES,
c’est-à-dire ceux qui paraissaient briller. LES PUISSANCES DU CIEL,
c’est-à-dire les saints, SERONT ÉBRANLÉES.
2437. ET
L’ON VERRA LE FILS DE L’HOMME VENANT SUR LES NUÉES DU CIEL, etc. Plus haut, le
Seigneur avait annoncé ce qui devait arriver avant le second avènement ;
ici, il annonce à l’avance l’avènement lui-même. À ce sujet, il fait trois
choses : premièrement, il présente son avènement ; deuxièmement, la
certitude de son avènement ; troisièmement, l’incertitude de l’heure ou du
jour. Le second point [se trouve] en cet endroit : DU FIGUIER APPRENEZ
CETTE PARABOLE [24, 32] ; le troisième, en cet endroit : QUANT À
CE JOUR ET À CETTE HEURE, PERSONNE NE LES CONNAÎT [24, 36].
À propos du premier point, il fait deux
choses : premièrement, il présente l’avènement ou l’apparition du Fils de
l’homme ; deuxièmement, le rassemblement des saints lors de celui-ci, en
cet endroit : ET IL ENVERRA SES ANGES, etc. [24, 31].
2438. Remarquez
que là où il mentionne l’avènement, il fait état de deux choses :
l’avènement sera manifeste et les saints seront rassemblés. Il dit donc :
ET COMME L’ÉCLAIR…, AINSI SERA L’AVÈNEMENT DU FILS DE L’HOMME. Cela, pour la
manifestation. Il dit aussi : LÀ OÙ IL Y A UN CADAVRE, LÀ SE RASSEMBLENT
LES AIGLES. Et il entend expliquer davantage ces deux choses. Comment
viendra-t-il donc ? ON VERRA LE FILS DE L’HOMME VENANT SUR LES NUÉES DU
CIEL. Et qui verra ? Tous les hommes, car il viendra pour juger. En effet,
il possède la nature humaine et la nature divine. Selon sa nature divine, il ne
sera vu que par ceux qui ont un cœur pur, etc., selon ce qui est dit
plus haut, 5, 8 : Bienheureux les cœurs purs, car ils verront
Dieu. Mais, selon sa nature humaine, les méchants aussi le verront.
Lc 3, 6 : Toute chair verra le salut de notre Dieu. ON
VERRA DONC LE FILS DE L’HOMME. Jn 5, 27 : Il lui a donné de
juger, car il est le Fils de l’homme.
2439. Mais
il peut se poser une question : est-ce que les bons comme les méchants le
verront sous son apparence glorieuse ? Il faut dire que oui. Et la raison
en est donnée en Is 26, 10, où, alors que le Seigneur discute avec le
prophète, il dit : Ne verra-t-il pas la gloire du Seigneur ?
Et le prophète répond : Seigneur, ta main se lèvera pour qu’ils ne
voient pas. Et le Seigneur lui répond : Et soient confondus. De
sorte que les bons verront pour leur joie et les mauvais pour leur tourment et
leur tristesse. En effet, lorsque quelqu’un craint d’être puni, plus le pouvoir
du juge qui lui fait face semble grand, plus il est affligé. Ainsi, plus le
Christ apparaîtra glorieux, plus les mauvais seront tourmentés. Cela est
indiqué lorsqu’il est dit : VENANT SUR LES NUÉES DU CIEL. Et cela
correspond à ce qu’il avait dit plus haut, que L’AVÈNEMENT DU FILS DE L’HOMME…
SERA COMME L’ÉCLAIR. Dans l’éclair, il y a deux choses : l’éclat et la
peur. L’éclat représente une certaine joie, mais la terreur provient du bruit,
alors que les nuées servent à rafraîchir. Is 18, 4 : Comme un
nuage de rosée au jour de la moisson, qui sera alors joyeuse. De même, les
nuées s’accompagnent d’obscurité et, lorsqu’elles sont épaisses, elles sont
terribles en raison des éclairs et des pluies qui viennent des nuées. Cela
s’accorde à la terreur des impies. Ps 96[97], 2 : Les nuées
et l’obscurité l’entourent. 2440.
De même, il convient qu’il vienne sur les nuées pour indiquer la divinité du
Christ, car la majesté de Dieu est apparue dans une nuée. Ex 16, 10.
Il est ainsi dit en 3 R [1 R] 8, 12 : Le Seigneur
a dit qu’il habiterait la nuée. Il viendra donc sur les nuées. Cela
convient aussi afin de montrer son humanité, car, comme il est dit en
Ac 1, 9 : Alors qu’ils regardaient, il s’éleva, et une nuée
le déroba à leurs yeux, et ils entendirent des anges qui disaient : «Comme
vous l’avez vu s’en aller au ciel, ainsi viendra-t-il.» Afin donc de
montrer que celui-ci est le même que celui qui a été enlevé dans une nuée, il
apparaîtra sur une nuée. Cela convient encore afin de montrer sa glorification.
En effet, lorsqu’il fut transfiguré, une nuée resplendissante apparut, mais il
n’y en avait qu’une seule. Mais [lors du second avènement], il y en aura
plusieurs, car, [lors de la transfiguration], [la nuée] n’est apparue qu’à
trois, mais elle apparaîtra alors à un grand nombre. Ap 1, 7 : Il
viendra sur des nuées du ciel, et tous les yeux le verront. Et que seront
ces nuées ? Elles ne seront que certains éclats rejaillissant du corps du
Christ et des autres saints.
2441. Origène dit qu’il y aura des anges qui le
soutiendront, non seulement de manière intelligible, mais en le servant
vraiment. En effet, lors du premier avènement, il est venu dans l’humilité.
Za 9, 9 : Voici que ton roi vient à toi dans la douceur.
Mais, par la suite, il viendra SUR LES NUÉES DU CIEL AVEC GRANDE PUISSANCE ET
MAJESTÉ. En effet, dans le premier avènement, il y avait deux choses : il
y avait faiblesse et ignominie. Faiblesse, car l’Apôtre dit,
2 Co 13, 4 : Il a été crucifié à cause de sa faiblesse. Ignominie,
selon ce qu’on trouve en Is 52, 14 : Son aspect sera sans
gloire aux yeux des hommes et son apparence sera celle des fils des hommes. Eu égard à ces deux choses, [le
Seigneur] dit deux choses. Eu égard à la faiblesse, il présente la
puissance ; de celle-ci, il a été dit : Toute puissance m’a été
donnée au ciel et sur la terre, et celle-ci lui a été donnée par
génération, en tant que Fils de Dieu. Mais il l’a méritée en tant qu’homme, et
cela sera manifesté lorsque tous les anges et tous les éléments seront à son
service. Eu égard à l’ignominie, il dit aussi qu’il viendra en majesté, en tant
que juge des vivants et des morts.
2442. Il viendra alors, ET IL ENVERRA SES ANGES
AVEC UNE TROMPETTE ET UNE VOIX FORTE. Ici, il traite du rassemblement des
saints, et il présente trois choses : premièrement, il présente les
serviteurs ; deuxièmement, ceux qui sont rassemblés ; troisièmement,
d’où ils seront rassemblés.
2443. Les
serviteurs sont les anges, comme on le lit en Ps 102[103], 21 : Vous,
ses serviteurs, qui faites sa volonté. Mais il dit : AVEC UNE VOIX
FORTE ET UNE TROMPETTE. Lors de la résurrection, une triple puissance sera à
l’œuvre. Premièrement, la puissance divine. En second lieu, la puissance de
l’humanité du Christ, car sa résurrection est la cause de notre résurrection,
comme le dit l’Apôtre en 1 Co 15, 22 : Comme tous sont
morts en Adam, de même nous ressusciterons tous dans le Christ. Sera aussi
à l’œuvre la puissance angélique pour ce qui est de certains préliminaires, à
savoir, la collecte des cendres. Et il aborde ces trois choses. La puissance
angélique, lorsqu’il dit : IL ENVERRA SES ANGES ; la puissance de
Dieu, lorsqu’il dit : AVEC UNE TROMPETTE ; la puissance de l’humanité
[du Christ], lorsqu’il dit : AVEC UNE VOIX FORTE. Il est question de
celle-ci en Jn 5, 25 : Tous ceux qui ont écouté la voix du
Fils de Dieu vivront. Et il faudra que cette voix soit forte, car il
fera de sa voix une voix puissante, Ps 67[68], 34. Par la
trompette, la divinité est bien indiquée, car le son de la trompette est plus
fort que la voix humaine. Ap 11, 12 : Et ils entendirent une
grande voix venant du ciel, qui disait : «Montez ici», et peu
après : Et le septième ange sonna de la trompette et de grands cris
s’élevèrent dans le ciel. Remarquez que la trompette lui convenait assez
bien, car, en Nb 10, 2, le Seigneur ordonna à Moïse que deux
trompettes soient fabriquées, et on sonnait la trompette pour le rassemblement,
les fêtes, le combat et la levée du camp. Et il en sera de même lors du
jugement, car il y aura alors un rassemblement, à savoir, une réunion de tous
les saints, puisque les impies ni les pécheurs ne se lèveront pas au jour du
jugement dans l’assemblée des justes, Ps 1, 5. 2444. Aussi, on tiendra alors une célébration
perpétuelle. Il y aura encore un combat contre les mauvais, comme on le trouve
en Za 14, 14 : Juda se battra contre Jérusalem. Il y aura
aussi une levée de camp, car les saints seront conduits à la vie des saints.
Za 2, 11 : Ce jour-là, de nombreuses nations s’approcheront
du Seigneur. De même, maintenant, certains sont rassemblés, mais alors tous
[le seront], plus loin, 25, 32 : Toutes les nations seront
rassemblées devant lui. Ici, les élus seulement sont rassemblés, car ils ne
sont rassemblés que pour régner avec lui. Ps 49[50], 5 : Rassemblez
ses saints autour de lui. Il dit donc : ET ILS RASSEMBLERONT SES ÉLUS.
2445. Mais
d’où seront-ils rassemblés ? DES QUATRE VENTS DU CIEL, DU PLUS HAUT DES
CIEUX JUSQU’À LEURS EXTRÉMITÉS. Les vents du ciel sont distingués selon les
quatre parties du monde. De l’orient, vient le vent d’est ; de l’occident,
le zéphyr ; du nord, l’aquilon ; du sud, le vent du midi. Tous les
autres sont compris dans ceux-ci. Ils seront donc rassemblés DES QUATRE VENTS
DU CIEL, c’est-à-dire de toutes les parties du monde. Vient ensuite : DU
PLUS HAUT DES CIEUX JUSQU’À LEURS EXTRÉMITÉS. Ceci peut être interprété de deux
façons. Origène l’interprète ainsi. ILS SERONT RASSEMBLÉS : on pourrait
dire que ce rassemblement n’affectera que les vivants, et non les morts.
[Origène] écarte cela en montrant que même les morts seront rassemblés.
2446. [Le Seigneur] dit donc : DU PLUS HAUT
DES CIEUX, etc. Vous savez que les saints montent au ciel ; certains sont
moins élevés, d’autres plus élevés, car le mode de la récompense sera
proportionné à celui des mérites. C’est ce que dit Augustin : DES QUATRE
VENTS, à cause des corps ; DU PLUS HAUT DES CIEUX, à cause des âmes. Rémi
[donne l’interprétation suivante], qui se trouve dans la Glose : JE
RASSEMBLERAI, etc. On pourrait croire que le rassemblement n’atteindra que les
confins de la terre, mais qu’en sera-t-il du milieu de la terre ? Ainsi,
JUSQU’À LEURS EXTRÉMITÉS. Il veut dire que le rassemblement n’atteindra pas
seulement les confins de la terre, mais le ciel, c’est-à-dire le milieu du
monde.
2447. APPRENEZ DU FIGUIER CETTE PARABOLE. Ici, [le
Seigneur] livre un enseignement sur la certitude de son avènement. Il avait dit
de grandes choses, incroyables pour certains. Maintenant, il en montre la
certitude de trois façons : premièrement, par une comparaison ;
deuxièmement, par une affirmation ; troisièmement, par une raison. Le
second point [se trouve] en cet endroit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc.
[24, 34] ; le troisième, en cet endroit : LE CIEL ET LA TERRE,
etc. [24, 35].
2448. Il
dit donc : APPRENEZ DU FIGUIER CETTE PARABOLE. Chrysostome dit que lorsque
Dieu veut montrer quelque chose, il apporte toujours une comparaison tirée de
la nature. Les arbres sont vivants durant l’hiver, mais de manière cachée. Ils
ne produisent donc pas de feuilles ni de fruits. Mais, au début du printemps,
ils commencent à produire, et ainsi la vie apparaît. De même en est-il
maintenant des saints qui ne sont pas manifestés, comme on trouve en
Col 3, 3 : Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le
Christ en Dieu. Mais, alors, la vie des saints se manifestera, à savoir,
celle de ceux qui ne seront pas séduits à l’époque de l’Antéchrist. Puis
viendra l’été, c’est-à-dire la récompense éternelle.
Ps 125[126], 6 : Ils s’en allaient en pleurant sur leurs
semences, puis vient ensuite : Mais ils reviendront en portant
leurs gerbes dans la joie.
2449. Il dit donc : APPRENEZ DU FIGUIER CETTE
PARABOLE. Par le figuier, est indiquée la synagogue, dont il est dit en
Lc 13, 6 : Il avait un figuier planté dans sa vigne. DÈS
QUE SES POUSSES SONT TENDRES ET QUE SES FEUILLES SONT SORTIES, VOUS SAVEZ QUE
L’ÉTÉ EST PROCHE. Cela peut être interprété de la façon suivante : la
pousse tendre est l’Antéchrist, dont le pouvoir durera peu de temps, et comme
les feuilles y sont attachées, son pouvoir sera alors manifesté. Ou bien, on
peut l’interpréter en bien. Par les pousses, [sont signifiées] la puissance et
la force des saints. Lorsque l’Église s’approchera de son terme, la puissance
du Christ et des saints se manifestera pour la soutenir. Ct 2, 13 :
Le figuier a porté ses fruits.
2450. AINSI VOUS, LORSQUE VOUS VERREZ TOUT CELA,
c’est-à-dire lorsque vous verrez se produire les signes annonciateurs, SACHEZ
QU’IL EST PROCHE, AUX PORTES, comme on dit que quelque chose est proche lorsque
cela est aux portes,. Jc 5, 4 : Voici que crie le salaire de
vos ouvriers qui vous a été retiré, et leur cri est parvenu aux oreilles du
Seigneur des armées. Remarquez qu’Augustin insiste sur le fait qu’il
dit : TOUT, lorsqu’il dit : LORSQUE VOUS VERREZ TOUT CELA, etc. Plus
haut, il avait dit que le Seigneur était proche.
2451. Mais qu’est-ce que cela ? En effet, le
Seigneur est toujours proche. Il dit donc : «Si nous le voulons, disons
que rien ne se rapporte à la fin du monde, mais à l’avènement du Christ par
l’Église.» Ainsi, ce qui a été dit : ILS VERRONT LE FILS DE L’HOMME VENANT
SUR LES NUÉES, c’est-à-dire dans les prédicateurs, AVEC UNE GRANDE PUISSANCE,
car le Seigneur donne une grande puissance à ceux qui annoncent la
parole ; et alors il viendra EN MAJESTÉ, parce qu’ils lui manifestent du
respect.
Toutefois, selon l’interprétation de certains autres, nous pouvons mettre
cela en rapport avec la fin du monde et dire autre chose. Selon
l’interprétation que donne Augustin, [le Seigneur] laisse entendre quelque
chose qui est proche, à savoir qu’il y a des signes que cela est proche. De
sorte que ce qui a été dit : ILS VERRONT, etc., se rapporte à tout ce qui
précède, à savoir, aux signes, aux éclairs et aux tremblements de terre.
2452. [Le Seigneur] a donc éclairé par une
comparaison ; maintenant, il éclaire par une affirmation accompagnée d’un
serment, lorsqu’il dit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, c’est-à-dire que cela
est infailliblement vrai, CETTE GÉNÉRATION NE PASSERA PAS QUE TOUT CELA NE SOIT
ARRIVÉ. Origène dit : «Ce que vous entendrez est sur le point d’arriver.»
En effet, quelqu’un pourrait croire que cela a été dit de la destruction de
Jérusalem et que cela s’est achevé avec la destruction, car beaucoup ont
survécu jusqu’à ce moment. Ainsi, CETTE GÉNÉRATION NE PASSERA PAS, c’est-à-dire
les hommes qui vivent maintenant, QUE TOUT CELA NE SOIT ARRIVÉ.
2453. Mais
il serait surprenant que tout ce qui a été dit se rapporte à la destruction de
Jérusalem. Il faut donc dire que tous les fidèles ne constituent qu’une seule
génération. Ps 23, 6 : Voici la génération de ceux qui
cherchent le Seigneur, et il avait dit auparavant : La terre
appartient au Seigneur. Il veut donc dire : CETTE GÉNÉRATION NE
PASSERA PAS, c’est-à-dire que la foi de l’Église ne cessera pas jusqu’à la fin
du monde, à l’encontre de certains qui disaient qu’elle durerait jusqu’à un
certain moment, ce que le Seigneur réfute en disant, plus loin,
28, 20 : Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin
des temps.
2454. Puis, il en présente la raison : LE
CIEL ET LA TERRE PASSERONT, MAIS MES PAROLES NE PASSERONT PAS, comme s’il
disait : «Il est plus facile pour le ciel et pour la terre de passer que
pour mes paroles.» Is 40, 8 : Ma parole demeure pour
l’éternité. Et Ps 32, 6 : Les cieux ont été établis par
la parole du Seigneur. [Sa] parole est donc la cause du ciel, et la cause
est toujours plus forte que son effet. C’est pourquoi, etc. Il ne dit pas que
le ciel et la terre passeront au sens où ils cesseront d’exister, mais au sens
où ils passeront à un autre état. Ap 21, 1 : J’ai vu des
cieux nouveaux et une terre nouvelle. Selon Origène, les bons sont
signifiés par le ciel et les mauvais par la terre. Is 1, 2 : Cieux,
écoutez, terre, prête l’oreille. Les deux passeront, les bons vers la vie
éternelle, les mauvais vers le feu éternel. Il est dit que la parole de Dieu ne
passera pas : il n’est pas dit qu’elle ne passera pas selon la substance
du Verbe, mais selon ce dont il procède. Selon Origène, le Verbe de Dieu a donc
en propre, au-delà de tous les autres, de ne pas passer. Les paroles de Moïse
et des autres ont passé ; les paroles de Moïse sont donc des signes de
l’Église présente. Mais les paroles du Christ annoncent à l’avance l’état de la
vie éternelle. Ainsi donc, les paroles de Moïse passent, c’est-à-dire que ce
que Moïse a promis passe ; mais ce que le Christ [a promis] ne [passe]
pas, car il a promis la gloire à venir, qui ne passe pas. De même, la parole du
Christ, pour autant qu’elle porte sur des réalités terrestres et temporelles,
passe.
2455. QUANT À CE JOUR ET À CETTE HEURE, PERSONNE
NE LES CONNAÎT. Dans cette section, [le Seigneur] tranche à propos de
l’incertitude du moment. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement,
il présente l’incertitude du moment ; deuxièmement, il exhorte par une
comparaison ; troisièmement, il montre l’avènement à venir. Le second
point [se trouve] en cet endroit : COMME LES JOURS DE NOÉ, etc.
[24, 37] ; le troisième, en cet endroit : ALORS DEUX HOMMES SONT
AUX CHAMPS [24, 40].
2456. Il
dit : ILS VERRONT LE FILS DE L’HOMME. «Tu parles de manière indéterminée.
Dis-nous de façon précise si cela est vrai.» QUANT À CE JOUR ET À CETTE HEURE,
PERSONNE NE LES CONNAÎT, NI LES ANGES DES CIEUX. Ce qu’il dit au sujet des
anges des cieux est clair et ne comporte pas grand doute, car il existe une
connaissance naturelle chez eux et elle ne s’étend qu’à ce qui arrive selon le
cours de la nature. Mais le jugement n’arrivera que selon la volonté de Dieu.
Il existe aussi une autre connaissance, celle de la gloire, et, de cette
manière, ceux-là seuls savent à qui le Seigneur a voulu le révéler, et cela, il
l’a gardé pour lui. Ml 3, 2 : Voici que le Seigneur viendra,
et qui pourra connaître son avènement ? 1 Th 5, 2 :
Le jour du Seigneur est comme un voleur dans la nuit : il viendra de
cette manière.
2457. Mais
une question se pose ici, selon Jérôme, car Mc 13, 26 dit : Pas
même le Fils de l’Homme. Ce sur quoi Arius semble avoir appuyé son hérésie,
car si le Père sait ce que le Fils ne sait pas, il est donc plus grand que lui.
On peut donc dire que le Fils sait et que le jour du jugement a été déterminé
selon une certaine raison, et que ce qui a été déterminé par Dieu a été
déterminé par son Verbe éternel. Il est donc impossible que le Fils ne sache
pas. Mais pourquoi [le Seigneur] dit-il qu’il ne sait pas ? Augustin et
Jérôme disent que, selon la façon habituelle de parler, on dit ne pas connaître
quelque chose lorsqu’on ne le fait pas connaître. Ainsi, il est dit en
Gn 22, 12 : Maintenant, je sais que tu crains Dieu, c’est-à-dire :
«J’ai fait connaître.» On dit ainsi que le Fils ne sait pas parce qu’il ne fait
pas savoir. D’une autre façon, Origène dit que le Christ et l’Église sont comme
la tête et le corps, car, de même que la tête et le corps sont comme une seule
personne, de même en est-il du Christ et de l’Église. Mais le Christ prend
parfois la forme de l’Église, comme en Ps 21, 2 : Dieu, mon
Dieu, regarde-moi, de sorte que lorsqu’on dit que le Christ ne sait pas, on
entend que l’Église ne sait pas. Le Seigneur dit donc en
Ac 1, 7 : Il ne vous appartient pas de connaître les temps et
les moments, etc.
2458. Remarquez ce que dit Augustin : [le
Seigneur] voulait montrer par certains signes que l’avènement du jugement ne
peut être connu de manière précise, parce qu’il ne fixe aucun moment. La
démonstration dit que [l’avènement du jugement] ne peut être connu parce qu’il
en est des âges du monde comme des âges de l’homme. Comme l’âge ultime d’un
homme n’a pas de fin déterminée, mais se prolonge parfois davantage qu’un
autre, il faut parler de la même façon de l’étape ultime du monde, qui n’a pas
de fin déterminée, et pourra durer plus que toutes les autres étapes.
2459. COMME AUX JOURS DE NOÉ, AINSI EN SERA-T-IL
DE L’AVÈNEMENT DU FILS DE L’HOMME. Plus haut, le Seigneur a présenté
l’incertitude de l’heure de son avènement ; maintenant, il propose une
comparaison. Premièrement, il la présente ; deuxièmement, il l’explique,
en cet endroit : EN CES JOURS QUI PRÉCÉDÈRENT LE DÉLUGE, etc. [24, 38].
2460. Il
présente une comparaison appropriée, car, alors qu’il parlait de la fin du
monde, il se reposa à la fin du monde. Il propose donc une comparaison. En
effet, on lit qu’il y eut une double fin. L’une par l’eau,
1 P 2, 5 : Il n’a pas épargné l’ancien monde. Tout en
préservant huit personnes, dont Noé, héraut de la justice, il a amené le déluge
sur un monde d’impies. C’est de manière assez appropriée qu’il est dit que
la première fin arriva pour diminuer les péchés de la chair. C’est ainsi qu’il
est dit en Gn 6, 2 : Les fils de Dieu, voyant que les filles
des hommes étaient belles, prirent des épouses parmi toutes celles qu’ils
avaient choisies. C’est ainsi qu’il fallut mettre fin à une telle
concupiscence par l’eau.
2461. Mais, à la fin du monde, il y aura péché,
car la charité se refroidira, comme on l’a dit plus haut. C’est pourquoi le feu
sera un châtiment approprié. Il dit donc : COMME AUX JOURS DE NOÉ, à
savoir, à une époque où la fin était incertaine, comme on le lit en Gn 6, 13 :
La fin de toute chair se présente devant moi. De même que ceux qui
étaient attachés à Noé furent sauvés, de même, lors de l’avènement du Fils de
l’homme, ceux qui seront attachés au Fils, le Christ, seront-ils sauvés.
2462. En second lieu, [le Seigneur] explique cette
comparaison sous l’aspect de son incertitude : EN EFFET, LES JOURS QUI
PRÉCÉDÈRENT LE DÉLUGE, ON MANGEAIT ET ON BUVAIT, etc. Par ces paroles, il
semble aborder deux choses : le désespoir par rapport à un avènement
futur, et la cause [de ce désespoir]. La cause pour laquelle un homme n’espère
pas d’avènement futur est qu’il s’adonne aux préoccupations de la chair,
puisqu’il marche selon sa concupiscence. Jc 5, 5 : Vous vous
êtes repus sur la terre, et vous avez nourri vos cœurs de luxure. Ils s’adonnaient
donc à la licence, qui comporte deux aspects : Ripailles et orgies,
luxure et débauche, Rm 13, 13. À propos du premier aspect, il
dit : ON MANGEAIT ET ON BUVAIT, non pas que manger et boire soit péché,
mais en faire sa fin est péché. À propos du second aspect, il dit : ON
PRENAIT FEMME ET MARI, etc.
2463. Vient ensuite : ON NE SE DOUTAIT DE
RIEN JUSQU’À L’ARRIVÉE DU DÉLUGE, QUI LES EMPORTA TOUS, à savoir, ceux qui
n’étaient pas attachés à Noé, figure du Christ.
TEL SERA AUSSI L’AVÈNEMENT DU FILS DE
L’HOMME. Mais on lit en Lc 21, 26 : Les hommes sècheront de
frayeur. Et plus haut, on y trouve la même chose, à savoir, LE SOLEIL
S’OBSCURCIRA. Comment donc les hommes seront-ils en sécurité pour manger et
s’adonner à la luxure ? Il y a une double réponse. Jérôme dit qu’il est
vrai que, vers l’époque de l’Antéchrist, il y aura beaucoup de tribulations, et
cela, pour la mise à l’épreuve des élus ; et, par la suite, ils seront
rétablis dans la tranquillité, et, dans cette tranquillité, les mauvais se
laisseront aller à la joie. Luc parle donc de l’état de tribulation ; mais
Matthieu, de l’époque qui précédera immédiatement l’avènement de Dieu. De même,
autre interprétation : certains sont bons, d’autres mauvais. L’Église
supportera les tribulations de manière universelle, et les bons seront punis
par les mauvais. Ainsi, il est dit plus haut, 10, 22 : Tous vous
haïront à cause de mon nom. Ce seront donc les bons qui souffriront ;
ceux qui causeront ces tribulations, ce seront les mauvais. Ce qui est dit
ici : ON MANGEAIT ET ON BUVAIT, etc., s’entend des mauvais ; mais ce
qui est dit en Luc : Les hommes sècheront de frayeur, s’entend des
bons. Ou bien, [on l’interprète] ainsi : comme il arrive souvent que les
bons soient corrigés par les tribulations, alors que les mauvais ne le sont
pas, les mauvais se dessécheront donc, mais les bons ne [se dessécheront] pas.
2464. ALORS DEUX HOMMES SERONT DANS UN
CHAMP : L’UN SERA PRIS, L’AUTRE LAISSÉ. Dans cette section, [le Seigneur] présente
le résultat de cette incertitude. Quel sera-t-il ? Car il arrivera que,
chez des hommes retenus pour une fonction, l’un soit choisi et l’autre laissé
de côté. Cela peut être interprété, selon Chrysostome, au sens où, ne voulant
rien dire d’autre, certains seront rejetés et d’autres choisis pour toutes les
conditions et toutes les fonctions exercées par les hommes. Comment cela ?
Comme il a été dit plus haut, 13, 41, les anges viendront et retiendront
les bons pour le Christ. De même, certains vivent dans les plaisirs, mais
d’autres exercent des fonctions.
2465. De même, chez ceux qui travaillent,
certaines fonctions se rapportent aux hommes, et certaines aux femmes. Le
travail des hommes s’exerce à proprement parler dans les champs. ALORS DEUX
HOMMES SERONT DANS UN CHAMP. Au sens littéral, ils y travailleront. L’UN SERA
PRIS, comme élu, L’AUTRE LAISSÉ, comme réprouvé. De même, DEUX FEMMES SERONT EN
TRAIN DE MOUDRE : L’UNE SERA PRISE, L’AUTRE LAISSÉE. Cela est le rôle des
femmes. C’était la coutume que les femmes moulent, et [le Seigneur] parle selon
l’usage d’un pays où il n’y a pas d’eau ; maintenant, on mout avec des
chevaux ou avec des hommes, mais alors c’était le rôle des femmes.
Is 47, 2 : Prends la meule et mouds la farine. Il y avait
donc DEUX FEMMES EN TRAIN DE MOUDRE, c’est-à-dire en train d’exercer leur rôle.
L’UNE SERA PRISE : cela s’interprète comme [ce qui a été dit] auparavant.
De même, DEUX SERONT DANS LE MÊME LIT : L’UN SERA PRIS, L’AUTRE LAISSÉ.
Chrysostome dit que les riches ne travaillent pas mais se reposent ; ils
sont donc indiqués par ceux qui sont couchés dans un lit. Parmi eux, un seul
sera pris, et l’autre sera laissé.
2466. On
peut aussi interpréter cela allégoriquement, et telle est l’interprétation
d’Hilaire. Par le champ est désigné le monde, comme on l’a dit plus haut. Par
les deux hommes, le peuple des fidèles et des infidèles. Parmi eux, un seul
sera pris, à savoir, le peuple des fidèles, et l’autre sera laissé, à savoir,
le peuple des infidèles. De même, la loi ancienne est désignée par la meule,
qui est lourde et pesante. Ac 15, 10 : C’est un poids que ni
nous, ni nos pères n’avons pu porter, etc. Parmi ceux qui acceptent la loi
ancienne, certains acceptent le Christ, et d’autres non. On dit de tous ceux
qui acceptent la loi ancienne qu’ils moulent avec une meule, et ceux qui
acceptent la loi ancienne avec la loi nouvelle sont retenus, mais ceux qui ne
l’acceptent pas sont laissés. De même, ceux qui acceptent le Christ ressemblent
à ceux qui sont couchés dans un lit, car, par le lit, le souvenir de la passion
est indiqué, et parmi ceux-ci, certains seront pris, d’autres seront laissés.
En effet, certains se conforment à la passion par leurs bonnes œuvres,
d’autres, non.
2467. On peut interpréter cela autrement, de sorte
que cela se rapporte aux trois états des fidèles, car il y a trois genres
d’hommes : les contemplatifs, les prélats et les actifs. Aucun état n’est
sûr puisque certains seront damnés dans chaque état. L’état de contemplation
est signifié par le lit. Il en est question en Ct 1, 15 : Notre
lit est couvert de fleurs. Cependant, certains qui font partie de cet état
seront damnés. L’état des actifs est désigné par ceux qui moulent avec une
meule, car ils portent quelque chose de lourd et sont préoccupés.
Lc 10, 41 : Marthe, Marthe, tu te soucies et t’agites pour
beaucoup de choses. Ils sont donc impliqués dans les choses du siècle.
Parmi eux, il y en aura donc qui seront damnés. Par le champ, vers lequel les
hommes se dirigent pour travailler, sont indiqués les prélats.
Ct 7, 11 : Viens, mon bien-aimé, allons au champ. Parmi
ceux-ci, certains sont pris, et certains sont laissés.
2468. Après avoir présenté l’incertitude de
l’heure, le Seigneur avertit de veiller. Premièrement, il avertit tous ;
deuxièmement, [il avertit] d’une manière particulière les prélats, en cet
endroit : QUI, PENSES-TU, EST LE SERVITEUR FIDÈLE ET PRUDENT, etc. ?
[24, 45].
À propos du premier point, il fait trois
choses : premièrement, il présente l’avertissement ; deuxièmement,
une comparaison ; troisièmement, il conclut son propos. Le second point
[se trouve] en cet endroit : COMPRENEZ-LE BIEN, etc. [24, 43] ;
le troisième, en cet endroit : VOUS AUSSI., SOYEZ PRÊTS, etc.
[24, 44].
2469. Il
dit donc : «Je dis que le jour est incertain et que personne ne peut
mettre sa confiance dans son état, car, dans chacun, l’un est pris et l’autre
est laissé. Vous devez donc prendre garde et vous préoccuper.» VEILLEZ DONC.
Comme le dit Jérôme, «le Seigneur a voulu présenter une fin tellement
incertaine que l’homme soit sans cesse en attente». En effet, l’homme pèche sur
trois points : parce qu’il s’adonne à ses sens, parce qu’il néglige de
bouger, et aussi parce qu’il est couché. Ainsi donc, VEILLEZ, afin que vos sens
soient élevés par la contemplation. Ct 5, 2 : Je dors, mais
mon cœur veille. De même, VEILLEZ, de sorte que vous ne soyez pas engourdis
dans la mort : en effet, celui-là veille qui s’exerce aux bonnes œuvres.
1 P 5, 8 : Soyez sobres et veillez, car votre
adversaire, le Diable, rôde comme un lion rugissant cherchant qui dévorer. De
même, VEILLEZ, afin de ne pas être couché par négligence.
Pr 6, 9 : Jusqu’à quand dormiras-tu, paresseux ?
2470. Mais
que dit [le Seigneur] ? CAR VOUS NE SAVEZ PAS À QUELLE HEURE VIENDRA VOTRE
MAÎTRE [dominus]. Il disait cela aux apôtres et on ne trouve nulle part
ailleurs qu’il se soit appelé aussi expressément «Maître», comme ici et en
Jn 13, 13 : Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous parlez
justement, car je le suis. Mais quelqu’un pourrait dire que le Seigneur
parlait aux apôtres. Or, les apôtres n’allaient pas vivre jusqu’à la fin du
monde. Comment donc peut-il dire : VEILLEZ, CAR VOUS NE SAVEZ PAS À QUELLE
HEURE VIENDRA VOTRE MAÎTRE ? Augustin dit que cela était nécessaire même
pour les apôtres, pour ceux qui nous ont précédés et pour nous, car le Seigneur
vient de deux manières. Il viendra à la fin du monde pour tous d’une manière
générale ; il viendra aussi vers chacun lors de sa propre fin,
c’est-à-dire de sa mort. Jn 14, 18 : Je ne vous laisserai pas
orphelins, je viendrai à vous.
2471. Il y a donc un double avènement : à la
fin du monde et à la mort, et il a voulu que les deux soient incertains. Et ces
avènements sont en rapport l’un avec l’autre, car on se retrouvera au second comme
on aura été au premier. Augustin [dit] : «Celui qui n’était pas prêt à son
dernier jour ne sera pas prêt au dernier jour du monde.» On peut aussi
l’interpréter d’un autre avènement, à savoir, [de l’avènement] invisible,
lorsque [le Seigneur] vient dans l’esprit. Jb 9, 11 : Si tu
viens à moi, je ne m’en apercevrai pas. Ainsi, il vient chez plusieurs,
mais ils ne s’en aperçoivent pas. Vous devez donc veiller avec attention, de
sorte que, s’il frappe, vous lui ouvriez. Ap 3, 20 : Je me
tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez lui et je
dînerai avec lui.
2472. COMPRENEZ-LE BIEN : SI LE MAÎTRE DE
MAISON AVAIT SU À QUELLE HEURE LE VOLEUR DEVAIT VENIR, IL AURAIT ÉTÉ ÉVEILLÉ À
CETTE HEURE ET N’AURAIT PAS LAISSÉ PERCER SA MAISON. Mais comme il ne connaît
pas l’heure, il faut qu’il reste éveillé pendant toute la nuit. Qui est ce
maître ? La maison est l’âme. L’homme doit se reposer en elle.
Sg 8, 16 : Entrant dans ma demeure, c’est-à-dire dans ma
conscience, je me reposerai avec elle. Le maître est la raison.
Pr 20, 8 : Le roi assis sur son trône écarte tout mal par son
regard. Parfois le voleur perce sa propre demeure, c’est-à-dire sa
conscience. Le voleur est celui qui convainc d’une fausse doctrine, ou bien une
tentation. On l’appelle voleur, comme on trouve en Jn 10, 1 : Celui
qui n’entre pas par la porte du bercail est un voleur et un brigand. Au
sens propre, c’est la connaissance naturelle ou le droit naturel qui est appelé
«porte». Quiconque entre par la raison entre donc par la porte ; mais
celui qui entre par la porte de la concupiscence, de la colère ou de quelque
chose de ce genre, est un voleur. Les voleurs ont l’habitude de venir la nuit.
Ab, 5 : Si des voleurs entraient chez toi, si des pillards [entraient]
la nuit, resterais-tu tranquille ? S’ils venaient le jour, on ne les
craindrait pas. Ainsi, lorsque l’homme est en contemplation des réalités
divines, la tentation ne survient pas ; mais lorsqu’il est détendu, alors
elle se présente. Le prophète dit donc à juste titre,
Ps 70[71], 9 : Lorsque ma puissance fait défaut, ne
m’abandonne pas. Nous devons donc veiller, car nous ne savons quand viendra
le Seigneur pour le jugement. Ou bien, nous pouvons mettre ceci en rapport avec
le jour de la mort. 1 Th 5, 3 : Alors qu’ils
diront : «Paix, sécurité», la mort s’abattra subitement sur eux.
2473. AINSI DONC, VOUS AUSSI, SOYEZ PRÊTS, CAR LE
FILS DE L’HOMME VIENDRA À L’HEURE QUE VOUS NE PENSEZ PAS. Chrysostome dit que
les hommes préoccupés par les choses temporelles veillent la nuit. S’ils
veillent pour des choses temporelles, ils devraient bien davantage veiller pour
les réalités spirituelles. Ap 3, 3 : Alors que tu ne
veilleras pas, je viendrai à toi comme un voleur.
2474. QUI, PENSES-TU, EST LE SERVITEUR FIDÈLE ET
PRUDENT, QUE LE MAÎTRE A ÉTABLI SUR SA FAMILLE ? Ici, [le Seigneur]
avertit d’une manière particulière les prélats de veiller : premièrement,
en faisant miroiter les récompenses ; deuxièmement, en les menaçant de
tourments.
À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il
présente la compétence du bon prélat ; deuxièmement, sa fonction ;
troisièmement, la récompense.
2475. La compétence [du prélat] consiste en ce
qu’il soit fidèle et prudent. En chaque bonne œuvre, deux choses sont
nécessaires : que l’intention vise la fin nécessaire, et qu’elle emprunte
les voies appropriées vers cette fin. Dans la fonction du prélat, ces deux
choses sont donc nécessaires. Premièrement, il doit fixer son intention sur la
fin nécessaire, alors que certains la fixent sur eux-mêmes.
Ez 34, 2 : Malheur aux pasteurs qui se paissent
eux-mêmes ! Car ceux qui visent une fin correcte ne recherchent pas ce
qui leur est utile, mais [ce qui est utile] à un grand nombre, afin d’être
sauvés, et ils font tout cela pour la gloire de Dieu. Mais celui qui cherche
son propre bien ne le fait pas. Il faut donc que [le prélat] soit fidèle.
1 Co 4, 2 : On attend du serviteur qu’il soit fidèle.
Il doit aussi être prudent, car il peut arriver
que quelqu’un recherche la gloire de Dieu, mais sans la science. En effet, il
appartient au prélat de corriger les vices. Il pourrait donc faire tant de
reproches qu’il pourrait induire au péché. Il faut donc qu’il soit prudent,
plus haut, 10, 16 : Soyez prudents comme des serpents.
2476. Remarquez qu’il dit «serviteur», car la
différence entre l’homme libre et le serviteur est que toutes les actions du
serviteur sont tournées vers son maître, mais pas celles de l’homme libre.
Toutes les actions du prélat doivent ainsi se rapporter à Dieu. Paul s’appelle
ainsi serviteur, lorsqu’il dit, 2 Co 4, 5 : Nous, nous
sommes vos serviteurs dans par Jésus.
Mais pourquoi dit-il : QUI, PENSES-TU,
EST LE SERVITEUR FIDÈLE ET PRUDENT ? Parce que peu sont fidèles. Ph 2,21 :
En effet, ils recherchent tous leur bien, et non celui de Jésus le Christ. Pr 20, 6 :
Qui trouvera un homme fidèle ? Et s’il y a peu d’hommes fidèles, il
y en a encore moins de prudents. C’est ce que dit le Seigneur en soulignant la
rareté.
2477. Ensuite,
il aborde leur fonction : QUE LE MAÎTRE A ÉTABLI SUR SA FAMILLE. Et il
fait trois choses : premièrement, il parle de l’institution par lui de la
fonction du [serviteur], lorsqu’il dit : QUE LE MAÎTRE A ÉTABLI, et non le
[serviteur] s’est procuré par des cadeaux ou par des prières.
He 5, 4 : Que personne ne prenne sur lui cet honneur, sinon
celui qui est appelé par Dieu, comme Aaron. Ensuite, il aborde ce sur quoi
[le serviteur] est établi : SUR SA FAMILLE, c’est-à-dire son Église, et
non sur ce qui est extérieur à l’Église. 1 Co 5, 12 : Que
nous importe ce qui est à l’extérieur ? De même, il aborde la fonction
du prélat : POUR LUI DONNER LA NOURRITURE EN TEMPS VOULU, à savoir, la
nourriture de l’enseignement, du bon exemple et de l’aide temporelle. C’est
pourquoi le Seigneur a dit par trois fois à Pierre : Pais, pais, pais
mes brebis. Pais par la parole, pais par l’exemple, pais par l’aide
temporelle, qui vient en dernier lieu, mais toutefois EN TEMPS VOULU.
Qo 3, 1 : Chaque chose a son temps. De même,
Jn 16, 12 : J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne
pouvez pas les accepter maintenant. Si [le prélat] veut dire des paroles,
alors que cela ne convient pas, il perd [la famille].
2478. [Le Seigneur] parle ensuite de la
récompense : premièrement, il dit ce qu’elle est ; deuxièmement, en
quoi elle consiste.
Quelle est la récompense ? La béatitude.
C’est pourquoi il dit : BIENHEUREUX, qu’il s’agisse de la mort ou de la
fin du monde, CELUI QUE, LORSQU’IL VIENDRA, LE SEIGNEUR TROUVERA AINSI OCCUPÉ,
à savoir, en service, comme il a été dit. Ps 118[119], 1 : Bienheureux
ceux qui marchent sans tache dans la loi du Seigneur.
2479. Et pourquoi sont-ils bienheureux ? EN
VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, IL L’ÉTABLIRA SUR TOUS SES BIENS. Cela s’interprète de
trois façons. Première [interprétation] : il est montré en quoi consiste
toute béatitude. En effet, la béatitude consiste en un certain bien. Mais tous
les biens appartiennent à Dieu. Est-ce que la béatitude se trouve dans l’un de
ceux-ci ? La béatitude se trouve dans le bien qui est au-dessus de tout
bien. En effet, l’on n’est bienheureux que par ce bien qu’est Dieu. Ainsi, IL
L’ÉTABLIRA SUR TOUS SES BIENS, c’est-à-dire qu’il sera rendu bienheureux par ce
[bien], à savoir, par Dieu, qui est au-dessus de toutes choses.
2480. Cela
peut s’interpréter d’une deuxième façon : [le Seigneur] dit cela pour
montrer la prééminence qu’auront les bons prélats. En Lc 12, 37, on
lit qu’il les fera mettre à table ; mais ici, on lit qu’IL LES
ÉTABLIRA SUR TOUS SES BIENS, car, de toutes les récompenses, celle du bon
prélat est la plus grande, plus haut, 24, 19 : Celui qui fera et
enseignera, celui-là sera appelé grand. Dn 12, 3 : Ceux
qui auront reçu l’enseignement brilleront comme le firmament, et ceux qui en
instruisent un grand nombre en vue de la justice sont comme des étoiles qui
durent pour l’éternité. C’est le sens de SUR TOUS SES BIENS, c’est-à-dire
au-dessus de toutes les récompenses des saints.
2481. Cela
peut s’interpréter d’une troisième façon : de l’union au Christ. Car, de
même qu’en ce monde, [l’homme] ne parviendra pas à un état de perfection à
moins de suivre les traces du Christ, de même en sera-t-il alors, sauf pour
ceux qui auront été unis au Christ. Ils auront pouvoir sur toutes choses pour
autant que leur volonté sera conforme à la volonté divine.
Lc 22, 29 : Je dispose pour vous du royaume comme mon Père en
a disposé pour moi. Et Ap 2, 28 : Je donnerai au
vainqueur l’étoile du matin.
2482. MAIS SI UN MAUVAIS SERVITEUR DIT EN SON
CŒUR, etc. Après avoir intéressé [les disciples] à être vigilants par des
récompenses, [le Seigneur] les effraie ici par des tourments. Premièrement, il
présente la faute ; deuxièmement, la peine, en cet endroit : LE
MAÎTRE VIENDRA, etc. [24, 50].
Dans la faute, il y a deux aspects : la
cause de la faute, et la faute elle-même ; toutefois, les deux aspects
constituent une seule faute.
La cause de la faute est le désespoir au
sujet de l’avènement : S’IL DIT : «MON MAÎTRE TARDE À VENIR, etc.»
Augustin dit que quelqu’un pourrait dire cela en raison d’un trop grand désir,
et celui-là le montrait qui disait : Quand parviendrai-je à voir la
face de mon Dieu ? Parfois on parle ainsi parce qu’on désespère qu’il
vienne bientôt. Ez 12, 22 : Fils d’homme, quel est ce dicton
en terre d’Israël de ceux qui disent : «Les jours sont beaucoup reportés
et toute vision périra» ? 2 P 3, 9 : Le
Seigneur ne retarde pas ce qu’il a promis. Ce [désespoir] est la source de
toutes [les fautes].
2483. Mais quelles en sont les conséquences ?
L’une est celle de la cruauté, l’autre celle de la volupté. À propos de la
première, il dit : ET QU’IL SE METTE À FRAPPER SES COMPAGNONS, car il
estime qu’ils lui sont soumis comme des serviteurs, à l’encontre de
1 P 5, 3 : Avec l’élan du cœur, et non en faisant les
seigneurs à leur égard. Et cela ne lui suffit pas, mais IL LES FRAPPE
VIOLEMMENT. Mi 3, 10 : Vous qui bâtissez Sion dans le sang. Ou
bien, ils frappent par le mauvais exemple leurs frères, qu’ils estiment être
des serviteurs. De même, cela ne leur suffit pas, mais ils se tournent vers les
plaisirs : Il mange et il boit en compagnie des ivrognes [Mc 2, 16].
2484. Qu’en sortira-t-il ? [Le Seigneur]
présente le jugement. En effet, il présente en premier lieu le jugement en
regard de ce qu’on n’espérait plus ; deuxièmement, la peine.
Il dit : LE MAÎTRE DE CE SERVITEUR
ARRIVERA AU JOUR OÙ CELUI-CI NE L’ATTEND PAS, car l’homme croit parfois être en
sécurité pour une longue vie, mais cependant meurt subitement.
1 Th 5, 2 : Le jour du Seigneur viendra comme un voleur .
Is 30, 13 : Subitement, alors qu’il ne l’attendait pas, il
sera broyé.
2485. Et qu’en sortira-t-il ? Suit donc une
triple peine. IL LE RETRANCHERA, non pas, comme le dit Jérôme, qu’il le
tranchera par l’épée, mais il le séparera de la société des bons, plus loin,
25, 32 : Et il les séparera, comme le pasteur sépare les brebis
des boucs. Et cela est la plus grande peine. Origène dit ceci : «Il y
a trois choses dans l’homme : il y a l’âme, le corps et le don spirituel.
Et ces choses ne seront pas séparées chez le bon prélat, mais chez les mauvais
prélats. Le don spirituel sera séparé, car [le Seigneur] reprendra le don
spirituel qu’il leur avait donné ; mais le corps et l’âme seront envoyés
au feu.»
2486. De même, une autre peine est annoncée aux
mauvais [prélats]. Il dit donc : ET IL ATTRIBUERA SA PART AUX HYPOCRITES.
Les hypocrites sont les simulateurs qui professent une chose et en font une
autre. Il attribuera donc sa part à ceux-là. Ainsi l’entend le
Ps 10[11], 6 : Soufre et vent de tempête, c’est la coupe
qu’ils auront en partage. Et cela ne suffit pas encore, car il y aura une
autre peine : IL Y AURA LÀ DES PLEURS ET DES GRINCEMENTS DE DENTS.
Jb 24, 19 : Ils passeront du froid de la neige à une trop
grande chaleur. Les pleurs proviennent donc de la fumée, les grincements de
dents, du froid. Origène dit que nous pouvons comprendre par cela que ceux qui
disent que les mauvais prélats ne sont pas des prélats parlent incorrectement. 2487. Remarquez une certaine comparaison présentée
par Augustin : «Éloignez de votre regard le serviteur dont on a parlé et
remplacez-le par trois serviteurs, qui aiment l’avènement du Seigneur. L’un
dit : “Mon maître viendra bientôt ; je veillerai donc.” L’autre
dit : “Mon maître tardera, mais je veux veiller.” Le [troisième]
dit : “Je ne sais pas quand il viendra, c’est pourquoi je veux veiller.”
Lequel des trois a le mieux parlé ?» Augustin répond que le premier s’est
complètement trompé, car s’il pense que [son maître] viendra rapidement et que
celui-ci tarde, il est en danger de s’endormir par ennui. Le deuxième peut se
tromper, mais il n’est pas en danger. Mais le troisième se comporte bien, car,
dans le doute, il est toujours en attente. Ainsi, le mal consiste à préciser un
moment.
Leçon 1 [Matthieu 25, 1‑13] 25, 1 «Le Royaume des Cieux est semblable à dix
vierges qui, munies de leurs lampes, allèrent à la rencontre de l’époux et de
l’épouse. 25, 2 Cinq d’entre elles étaient sottes et cinq étaient sages.
25, 3 Les cinq insensées prirent leurs lampes, mais sans apporter d’huile
avec elles ; 25, 4 tandis que les sensées, en même temps que leurs
lampes, prirent de l’huile dans les fioles. 25, 5 Comme l’époux se faisait
attendre, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. 25, 6 Au milieu de
la nuit, un cri retentit : “Voici l’époux qui vient ! Sortez à sa
rencontre !” 25, 7 Alors toutes ces vierges se réveillèrent et
apprêtèrent leurs lampes. 25, 8 Et les vierges insensées dirent aux
sages : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
25, 9 Mais les vierges sages répondirent : “Allez plutôt chez les
marchands et achetez-en pour vous de crainte qu’il n’y en ait pas assez pour
nous et pour vous.” 25, 10 Alors qu’elles allaient en acheter, l’époux
arriva. Elles allèrent à la rencontre de l’époux et de l’épouse. Celles qui
étaient prêtes entrèrent avec lui pour les noces, et la porte fut aussitôt
fermée. 25, 11 Puis les autres vierges arrivèrent finalement et
dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !” 25, 12 Mais il
répondit : “En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas !”
25, 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
Leçon 2 [Matthieu 25, 14‑30] 25, 14 «C’est comme un homme qui, partant en
voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens. 25, 15 À l’un il
donna cinq talents, à un autre deux, à un troisième un seul, à chacun selon ses
capacités. Et il partit aussitôt. 25, 16 Celui qui avait reçu les cinq
talents partit. Il leur fit produire et en gagna cinq autres. 25, 17 De
même, celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres. 25, 18 Mais celui
qui n’en avait reçu qu’un s’en alla creuser un trou dans la terre et enfouit
l’argent de son maître. 25, 19 Longtemps après, le maître de ces
serviteurs revint. Et il décida de régler ses comptes avec eux. 25, 20
Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha. Il lui en offrit cinq
autres : “Maître, dit-il, tu m’as remis cinq talents : voici cinq
autres talents que j’ai gagnés.” 25, 21 “C’est bien, serviteur bon et
fidèle, lui dit son maître, tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai
sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.” 25, 22 Vint ensuite
celui qui avait reçu deux talents : “Seigneur, dit-il, tu m’as remis deux
talents : voici deux autres talents que j’ai gagnés.” 25, 23 “C’est
bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été
fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton maître.”
25, 24 Vint enfin celui qui n’avait reçu qu’un talent. Et il dit :
“Maître, je sais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas
semé, et tu récoltes où tu n’as pas répandu. 25, 25 Aussi, pris de peur,
je suis allé cacher ton talent dans la terre : voici ce qui t’appartient.”
25, 26 Mais son maître lui répondit et lui dit : “Serviteur mauvais
et paresseux ! Tu savais que je moissonne où je ne sème pas, et que je
ramasse où je n’ai rien répandu. 25, 27 Tu aurais dû placer mon argent
chez les banquiers, et à mon retour j’aurais retrouvé mon bien et plus.
25, 28 Enlevez-lui son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents.
25, 29 Car à tout homme qui a, l’on donnera et il aura du surplus ;
mais à celui qui n’a pas, on enlèvera ce qu’il a. 25, 30 Et ce
propre-à-rien de serviteur, jetez-le dans les ténèbres extérieures : là
seront les pleurs et les grincements de dents.
Leçon 3 [Matthieu 25, 31‑46] 25, 31 «Lorsque le Fils de l’homme viendra en
majesté, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de
majesté. 25, 32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il
les séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.
25, 33 Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.
25, 34 Alors le roi dira à ceux de droite : “Venez, les bénis de mon
Père, prenez possession du Royaume qui vous a été préparé depuis le
commencement du monde. 25, 35 J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger,
j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez
accueilli, 25, 36 j’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade et vous
m’avez visité, j’étais prisonnier et vous êtes venus me voir.” 25, 37
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé
et t’avons-nous nourri, assoiffé et t’avons-nous désaltéré, 25, 38 étranger
et t’avons-nous accueilli, nu et t’avons-nous vêtu, 25, 39 malade ou
prisonnier et sommes-nous venus te voir ?” 25, 40 Et le roi leur fera
cette réponse : “En vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait à l’un
de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
25, 41 Alors le roi dira encore à ceux qui seront à sa gauche :
“Écartez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le
Diable et ses anges. 25, 42 J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à
manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, 25, 43 j’étais
un étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu,
malade et prisonnier et vous ne m’avez pas visité.” 25, 44 Alors ceux-ci
lui demanderont : “Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé ou assoiffé,
étranger ou nu, malade ou prisonnier, et ne t’avons-nous point secouru ?”
25, 45 Alors il leur répondra : “En vérité, je vous le dis, chaque fois
que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne
l’avez pas fait.” 25, 46 Alors ils s’en iront, ceux-ci au tourment
éternel, et les justes s’en iront à une vie éternelle.»
2488. Il a été question plus haut de l’avènement du Seigneur en vue du jugement ; ici, il s’agit du jugement même. Ce chapitre se divise donc en deux parties. Dans la première partie, [le Seigneur] parle du jugement sous forme de paraboles ; dans la seconde, il montre de façon claire et explicite la forme du jugement, en cet endroit : QUAND LE FILS DE L’HOMME VIENDRA, etc. [25, 31].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, des paraboles sont présentées, par lesquelles certains sont exclus du royaume en raison d’un manque intérieur ; dans la seconde partie, certains sont exclus en raison d’une négligence dans l’action extérieure, en cet endroit : C’EST COMME UN HOMME QUI, PARTANT EN VOYAGE, etc. [25, 14].
2489. La première [parabole] est celle des vierges, qui d’habitude mettent à l’épreuve l’esprit des hommes. Dans celle-ci, trois choses doivent être considérées : premièrement, est présentée la préparation de certains qui se mettent en position de régner avec le Christ ; deuxièmement, l’incitation au jugement est présentée ; troisièmement, l’arrivée du jugement. La deuxième partie [se trouve] en cet endroit : MAIS, AU MILIEU DE LA NUIT, etc. [25, 6] ; la troisième, en cet endroit : ALORS QU’ELLES ÉTAIENT PARTIES, etc. [25, 10].
2490. À propos du premier point, [le Seigneur] aborde d’abord l’application de celles qui se préparent ; deuxièmement, leur sommeil, en cet endroit : COMME [L’ÉPOUX] TARDAIT, etc. [25, 5].
À propos du premier
point, il fait deux choses : premièrement, il présente ce qui est commun à
toutes celles qui se préparent ; deuxièmement, ce qui distingue ici [les
vierges] qui se préparent, en cet endroit : CINQ D’ENTRE ELLES, etc.
[25, 2].
À propos du premier point, on aborde quatre choses communes à toutes : le nombre, l’état, la fonction et la fin visée.
2491. Le nombre est abordé [lorsqu’il dit] qu’elles étaient dix : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE À DIX VIERGES. Mais pourquoi dix ? Il y a une triple raison. L’une, que dix est le nombre de la totalité : lorsque nous comptons, nous allons jusqu’à dix, puis nous recommençons à un. Ainsi, par dix, un et cent, la totalité est indiquée. Ou bien, selon Hilaire, toutes s’opposent à l’observance des dix commandements ou y sont obligées. Ou bien, [il est question de dix] en raison des cinq sens multipliés par deux. En effet, ils sont multipliés d’une première façon, selon Grégoire, parce qu’il y en a cinq chez les hommes et cinq chez les femmes, ce qui donne dix. Selon Jérôme, ils sont multipliés selon qu’on se réfère aux divers sens. En effet, il y a des sens extérieurs et [des sens] intérieurs. De la vision intérieure, il est dit en Jn 4, 12 : Dieu, personne ne l’a jamais vu. Du goût, il est dit en Ps 33[34], 9 : Goûtez et voyez comme est doux le Seigneur. De l’odorat, il est dit en Ct 1, 3 : Nous accourons vers tes parfums. Et il en est de même des dix [sens] qui aboutissent au jugement.
2492. L’état est touché lorsqu’on dit : VIERGES. Mais pourquoi sont-elles dites VIERGES ? Il existe une triple raison. Selon Chrysostome, cela s’entend de celles qui préservent l’intégrité de leur chair. Mais pourquoi mentionne-t-il plutôt des vierges ? [Chrysostome] dit que, plus haut, 19, 12, [le Seigneur] a parlé des vierges, lorsqu’il disait que certains étaient eunuques parce qu’ils s’étaient castrés en vue du royaume des cieux. Comprenne qui pourra ! Ainsi, parce que la virginité est un si grand bien qu’elle ne tombe pas sous les commandements, mais sous un conseil, selon ce qu’on lit en 1 Co 7, 25 : Au sujet des vierges, je n’ai pas [reçu] de commandement, mais je donne un conseil, si ceux-ci sont condamnés, à bien plus forte raison les autres [le seront-ils]. Ou bien, on appelle VIERGES ceux qui s’abstiennent des séductions des cinq sens. Selon Jérôme et Origène, on appelle vierges les fidèles qui n’admettent pas la dépravation, selon ce que dit l’Apôtre, 2 Co 11, 2 : Je vous ai fiancés à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ.
2493. Vient ensuite le soin [qu’elles apportent] : [DIX VIERGES], MUNIES DE LEURS LAMPES. Les lampes sont des vases de lumière. Selon Hilaire, nous pouvons donc entendre les âmes illuminées par la lumière de la foi qu’elles ont reçue au baptême. Is 58, 8 : Alors surgira ta lumière comme au matin. Ou bien, selon Augustin, par les lampes sont signifiées les œuvres : «Vos oeuvres sont comme une lampe», plus haut, 5, 16 : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. Prendre des lampes, c’est donc préparer son âme ou se disposer aux bonnes œuvres.
2494. Quatrièmement, ce qui est exposé, c’est qu’ELLES ALLÈRENT À LA RENCONTRE DE L’ÉPOUX ET DE L’ÉPOUSE. Qui est l’époux et qui est l’épouse ? Il y a une double interprétation selon un double mariage. L’un, de la divinité avec l’humanité, qui a été célébré dans le sein de la Vierge : Car il s’avance comme un époux depuis sa couche, Ps 18[10], 6. L’époux est le Fils lui-même, l’épouse, la nature humaine. Ainsi, sortir pour aller au-devant de l’époux et de l’épouse n’est rien d’autre que de servir le Christ. Il y aussi le mariage du Christ et de l’Église. Jn 3, 29 : Celui qui a l’épouse est l’époux. Ainsi donc, ceux qui préparent des lampes ont l’intention de plaire à l’époux, c’est-à-dire au Christ, et à l’épouse, c’est-à-dire à la mère Église.
2495. Sur ces points, [les dix vierges] s’accordent donc.
2496. Deux choses sont aussi présentées par lesquelles elles se distinguent : elles se distinguent par le jugement intérieur et par leurs préoccupations extérieures.
Sur le premier point, [le Seigneur] dit : CINQ D’ENTRE ELLES ÉTAIENT SOTTES ET CINQ ÉTAIENT SAGES. Pr 10, 23 : La sagesse est prudence pour l’homme. Cet homme prudent, c’est celui qui ne veut perdre pour aucune raison ce qu’il fait. C’est pourquoi il a été dit plus haut, 10, 16 : Soyez prudents comme des serpents. Ou bien, ceux-là se montrent ainsi insensés qui se détournent de Dieu, soit par une intention mauvaise et non droite, soit par une fausse doctrine. Pr 9, 13 : Femme insensée et criarde, remplie de désirs et ignorante, elle s’assoit sur le perron de sa maison. Selon Origène, «celui qui possède une seule vertu les possède toutes». De sorte qu’il ne peut y avoir un sens qui soit désordonné alors que les autres sont ordonnés. De même, comme il est encore dit en Jc 2, 10 : Celui qui pèche sur un point devient coupable de tout.
2497. Elles se distinguent aussi par leurs préoccupations extérieures, car LES CINQ INSENSÉES PRIRENT LEURS LAMPES, MAIS SANS APPORTER D’HUILE AVEC ELLES. Celles-ci voulaient toutes que leurs lampes soient allumées, car Celui qui est la lumière veut qu’on le serve avec la lumière. Mais la lumière ne peut être alimentée sans huile : celui-là serait en effet insensé qui croirait conserver de la lumière dans sa lampe sans y mettre de l’huile.
2498. Par l’huile, quatre choses sont signifiées.
Selon Jérôme, par l’huile sont signifiées les bonnes œuvres. Et pourquoi ?
La foi est la lumière des âmes par laquelle les lampes sont éclairées. La foi
est alimentée par les bonnes œuvres. 1 Tm 1, 18 : Je te
donne cet avertissement, mon fils Timothée, en accord avec les prophéties
prononcées sur toi, afin que, pénétré de celles-ci, tu mènes le bon combat,
possédant foi et bonne conscience ; pour s’en être affranchis, certains
ont fait naufrage dans la foi. On peut comprendre ainsi ce qui est dit en
Pr 21, 20 : C’est un trésor désirable et une huile dans la
maison du juste, et l’homme insensé l’a dissipé. D’une autre façon, la
miséricorde est indiquée par l’huile : c’est ce que dit Chrysostome. On
lit ainsi, en Lc 10, 34, que le Samaritain versa du vin et de
l’huile. Par le vin, la rigueur est indiquée, par l’huile, l’œuvre de
miséricorde. [Le Seigneur] veut donc dire que celui qui a l’intention
d’observer la continence sans faire miséricorde est un insensé. Ainsi parle
Jc 2. 13 : La justice sans miséricorde pour celui qui n’a pas
montré de miséricorde.
2499. De même, par l’huile est indiquée la joie intérieure, dont [il est question] en Ps 103[104], 15 : Afin de réjouir [ton] visage par l’huile. Et ailleurs, Ps 44[45], 8 : Dieu t’a oint de l’huile d’allégresse. Nombreux sont ceux qui s’abstiennent extérieurement et recherchent intérieurement la joie, à savoir, [celle] de la conscience, et ils possèdent de l’huile. Selon Origène, la doctrine sainte est indiquée par l’huile. Ct 1, 2 : Ton nom est comme une huile répandue. L’huile de la justice indique une doctrine juste, Ps 118[119], 11 : J’ai caché tes paroles dans mon cœur. On appelle donc vierges ceux qui observent la continence, qui font miséricorde, qui recherchent intérieurement la joie, qui possèdent une doctrine juste.
2500. Il est ensuite question du sommeil imprévu. La cause du sommeil est présentée, puis le sommeil.
La cause de l’assoupissement est le retard [de l’époux]. Lorsqu’on attend quelqu’un, surtout la nuit, on s’assoupit rapidement. Par cet intervalle est donc indiqué l’intervalle entre l’avènement du Christ dans la chair et son avènement pour le jugement. [Le Seigneur] dit donc : COMME L’ÉPOUX SE FAISAIT ATTENDRE, ELLES S’ASSOUPIRENT TOUTES ET S’ENDORMIRENT. Selon tous les interprètes, on interprète ceci de la mort.
Mais pourquoi la mort est-elle appelée un sommeil ? C’est en raison de l’espérance de la résurrection. De même que celui qui dort a l’intention de s’éveiller, de même celui qui dort [du sommeil de] la mort a-t-il l’intention de ressusciter. 1 Th 4, 12 : Nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne soyez pas attristés comme les autres qui n’ont pas d’espérance.
2501. Mais quelle est la différence entre le sommeil et l’assoupissement ? Grégoire l’explique : «L’assoupissement est à proprement parler la route vers le sommeil.» Nous pouvons donc entendre par l’assoupissement une vie plus longue, et par le sommeil, la mort. Selon Origène, on entend le sommeil de la paresse. Pr 6, 9 : Jusqu’à quand dormiras-tu, paresseux, quand sortiras-tu de ton sommeil ? Ainsi, COMME L’ÉPOUX SE FAISAIT ATTENDRE, qu’il s’agisse du jugement ou de la mort, ELLES S’ASSOUPIRENT TOUTES ET S’ENDORMIRENT. En effet, peu nombreux sont ceux qui vivent longtemps sans tomber dans la torpeur. Ou bien, ceux qui ne se font aucun souci s’endorment ; mais ceux qui, d’une certaine manière, abandonnent leur ferveur première s’assoupissent.
2502. Puis suit le réveil ; en second lieu, l’effet [du sommeil] ; en troisième lieu, la demande des vierges insensées ; en quatrième lieu, la réponse des [vierges] sages.
[Le Seigneur] dit donc : AU MILIEU DE LA NUIT, UN CRI RETENTIT : «VOICI L’ÉPOUX QUI VIENT !» Origène parle de ceci autrement que les autres, et d’une manière plus littérale. Tous les autres interprètent le réveil en le mettant en rapport avec le jugement dernier. Selon [cette interprétation], ce cri est la trompette ou la voix du Christ. 1 Th 4, 15 : Car le Seigneur lui-même, par le commandement et la voix de l’Archange et la trompette de Dieu, descendra du ciel. 1 Co 15, 52 : La trompette sonnera…et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront les premiers.
2503. Et pourquoi À MINUIT ? Jérôme dit que le texte hébreu dit que, de même que l’ange descendit au milieu de la nuit pour tuer les premiers-nés d’Égypte, de même le Seigneur viendra-t-il au milieu de la nuit. C’était donc la coutume chez eux que le peuple ne se retire pas avant le milieu de la nuit. Augustin dit que ce n’est pas pour une question de temps, mais seulement pour se cacher. 1 Th 5, 2 : Le jour du Seigneur est comme un voleur pendant la nuit.
2504. Mais
que veut dire : VOICI L’ÉPOUX QUI VIENT ! SORTEZ À SA
RENCONTRE ? C’est que tous ressusciteront devant lui.
Jn 5, 25 : L’heure vient où tous ceux qui sont dans les
tombeaux entendront sa voix. Am 4, 12 : Prépare-toi,
Israël à l’arrivée de ton Dieu. Origène met cela en rapport avec la vie
présente, et cela, lorsque l’homme est retenu par la vaine gloire et que le
prédicateur lance un cri, ou à la suite d’une inspiration intérieure. Alors, il
revient au Christ. Is 40, 9 : Élève la voix avec force, toi
qui annonces à Jérusalem.
2505. Suit alors l’effet : ALORS TOUTES CES VIERGES SE RÉVEILLÈRENT ET APPRÊTÈRENT LEURS LAMPES. Au sens littéral, lorsque la sonnerie de la trompette retentira ou la voix du Christ, tous ressusciteront. Ainsi, Jn 5, 25 : En effet, tous ceux qui sont dans les tombeaux ressusciteront. Mais qu’ont fait [les vierges] ? ELLES APPRÊTÈRENT LEURS LAMPES. Mais que signifie cela ? Aura-t-on le temps ? Il faut dire qu’apprêter les lampes n’est rien d’autre que relever ce qu’on a fait, de sorte qu’on puisse en rendre un compte exact. On se montrera donc attentif lorsqu’on entendra la voix du Fils de Dieu, comme [il est dit] plus loin : QUAND T’AVONS-NOUS VU AVOIR FAIM ET T’AVONS-NOUS NOURRI, AVOIR SOIF ET T’AVONS-NOUS DONNÉ À BOIRE, etc. ? Selon Origène, le sens littéral est plus clair. Si on met cela en rapport avec la vie présente, lorsque se fait entendre le cri d’un prédicateur ou à la suite d’une inspiration intérieure, on sort du laisser-aller et on commence à corriger ses actes.
2506. Vient ensuite la demande des [vierges] insensées : ET LES [VIERGES] INSENSEÉS DE DIRE AUX SAGES : «DONNEZ-NOUS DE VOTRE HUILE, CAR NOS LAMPES S’ÉTEIGNENT.» Celles-ci étaient insensées sur un point et non sur l’autre, car elles possédaient quelque chose de la lumière de la foi. Elles disent donc : CAR NOS LAMPES S’ÉTEIGNENT. En effet, si elles ne possédaient rien de la foi, elles diraient : ELLES SONT ÉTEINTES. Elles savent donc qu’elles ne peuvent maintenir le feu sans huile.
2507. Que dit-on là ? Qu’on entende par l’huile l’œuvre de miséricorde ou de justice, le sens est le même, car ceux qui ressuscitent sans posséder en abondance ces œuvres demandent que leur manque soit comblé par ceux qui en posséderont en plus grande abondance. Mais cela ne pourra se faire, car chacun aura ce qui lui revient. Ga 6, 5 : Chacun portera son fardeau. Et parce qu’elles voyaient que la lumière de la foi ne pouvait suffire sans l’œuvre de miséricorde, elles s’adressaient aux autres qui avaient accompli des œuvres de miséricorde.
2508. Augustin donne l’interprétation suivante. D’habitude lorsque quelqu’un est préoccupé par quelque chose, il a coutume de recourir à ce en quoi il espère. Celles-ci mettaient leur confiance à l’extérieur, car elles cherchaient à être louangées par d’autres. Elles disent donc : «DONNEZ-NOUS DE VOTRE HUILE, c’est-à-dire, de votre louange, louangez-nous pour ce que nous avons fait.» Mais cela ne leur servira à rien, conformément à ce qu’on lit en Rm 2, 15 : Leur propre conscience leur rend témoignage. Jb 16, 20 : En effet, mon témoin est dans le ciel et celui qui me connaît est dans les hauteurs. Elles mettent donc leur confiance dans la faveur humaine qui ne peut être utile.
2509. Selon Origène, il arrive que certains passent leur vie à des choses vaines, et lorsqu’ils le reconnaissent, ils recourent aux autres et leur demandent de prier et de leur rendre service. En cela, ils ne sont pas insensés s’ils commencent à revenir au Seigneur.
2510. MAIS LES [VIERGES] SAGES RÉPONDIRENT. Ici est présentée la réponse des [vierges] sages et, dans cette réponse, deux choses sont exposées : premièrement, le refus est présenté ; deuxièmement, un conseil est proposé, en cet endroit : ALLEZ PLUTÔT CHEZ LES MARCHANDS. Et pour quelle raison ? DE CRAINTE QU’IL N’Y EN AIT PAS ASSEZ POUR NOUS ET POUR VOUS.
2511. Ainsi, parce que l’huile de la miséricorde ou la joie intérieure, ou les œuvres extérieures, ne suffisent pas pour nous et pour vous, il est dit en 1 P 4, 18 : Si le juste est sauvé de justesse, que feront l’impie et le pécheur ? Et l’Apôtre [dit], Rm 8, 19 : Les souffrances présentes ne se comparent pas à la gloire qui sera révélée en nous. Et Is 54, 6 : Toute votre justice est comme le vêtement souillé d’une femme menstruée. Puis donc que cela ne suffit pas pour nous et pour vous, ALLEZ PLUTÔT CHEZ LES MARCHANDS ET ACHETEZ-EN POUR VOUS. Mais auront-elles le temps d’aller chercher de l’huile ? Il faut donc comprendre que ceci est dit plutôt comme un reproche que comme un conseil, comme si elles disaient : «Vous auriez dû y aller.» Selon Chrysostome, ces marchands sont des pauvres, car ils font commerce du royaume. Lc 16, 9 : Faites-vous des amis avec l’argent de l’iniquité. Elles disent dont : ALLEZ, c’est-à-dire : «Vous auriez dû y être allées.» En effet, selon Augustin, cela est exprimé comme un reproche. Les marchands d’huile sont les flatteurs. Voyant donc que [les insensés] demandent de l’aide, ils disent : ALLEZ CHEZ LES MARCHANDS ET ACHETEZ-EN POUR VOUS, comme s’ils disaient : «Vous n’avez jamais recherché que de l’huile, c’est-à-dire la gloire humaine ; maintenant allez vers le monde et achetez ce témoignage que vous avez toujours recherché.»
2512. Selon Origène, le sens littéral est clair, car il veut que tout cela se produise en ce monde. Il arrive parfois qu’un pécheur voie un juste et lui demande ce qu’il doit faire. Mais certains sont tellement sages que leur sagesse leur suffit, mais ne suffit pas à eux-mêmes et aux autres. De sorte que ceux-là disent à ceux qui leur demandent conseil : «Nous ne possédons pas la doctrine spirituelle en si grande abondance que nous puissions suffire à nous et à vous ; allez donc vers les docteurs de l’Église et vers les marchands qui vous en vendront.» On lit à leur sujet en Is 55, 1 : Vous tous qui avez soif, approchez-vous de l’eau, et vous qui n’avez pas d’argent, approchez-vous, achetez et mangez. Mais comment vend-on sans argent ? Je dis que la sagesse n’est pas vendue sans argent. Et quel est son prix ? Que l’homme s’y applique volontiers : tel est le prix de la sagesse. Pr 2, 4 : Si tu la recherches comme de l’argent et si vous la fouillez comme un trésor, alors tu comprendras la crainte [de Dieu] et tu trouveras la connaissance de Dieu.
2513. ALORS QU’ELLES ÉTAIENT PARTIES EN ACHETER, L’ÉPOUX ARRIVA. Augustin dit que certains mettent ceci en rapport avec l’état de la vie présente ; mais cela ne peut s’accorder avec ce qui est dit : ET LA PORTE FUT FERMÉE. C’est pourquoi Origène interprète cela par rapport à l’avènement futur. [Le Seigneur] fait trois choses : premièrement, l’avènement du juge est présenté ; deuxièmement, l’accueil des bons ; troisièmement, l’exclusion des mauvais.
2514. Il dit donc : ALORS QU’ELLES ALLAIENT EN ACHETER, L’ÉPOUX ARRIVA, c’est-à-dire, alors qu’elles se préoccupaient de savoir comment elles s’excuseraient lors du jugement, le Seigneur arriva pour le jugement. Mais Origène dit qu’il y en a qui viendront pour demander conseil ou vers les prêtres avec l’intention de se convertir, puis ils meurent lors de l’avènement. Le Seigneur arrive donc lorsque l’homme meurt. Mais que veut dire ce qui est dit ici : L’ÉPOUX ARRIVA, alors qu’il avait dit plus haut : ELLES ALLÈRENT À LA RENCONTRE DE L’ÉPOUX ET DE L’ÉPOUSE ? L’explication est que, lors du jugement, l’épouse, c’est-à-dire la chair du Christ, sera emportée par la glorification. Ou bien, si on le met en rapport avec l’Église, celle-ci sera alors parfaitement unie à l’Époux lui-même par une adhésion. Ainsi l’Apôtre [dit-il] en 1 Co 6, 17 : Celui qui adhère à Dieu ne fait qu’un avec Lui.
2515. Vient ensuite : CELLES QUI ÉTAIENT PRÊTES ENTRÈRENT AVEC LUI POUR LES NOCES. Ces noces sont le royaume des cieux, dont il est dit en Ap 17, 14 : Car il est le Seigneur des seigneurs, le Roi des rois, ainsi que ceux qui ont été appelés et choisis avec lui et lui sont fidèles. ET LA PORTE FUT aussitôt FERMÉE, car elle ne sera par la suite ouverte à personne. Maintenant, elle est ouverte. Ps 23[24], 7 : Princes, ouvrez vos portes ! Ap 4, 1 : Après cela, je vis, et voici qu’une porte s’ouvrit dans le ciel. Mais, alors, elle sera fermée.
2516. Ensuite, l’expulsion des mauvais est présentée, et on dit trois choses. Premièrement, la négligence est signalée, car [les vierges insensées] sont arrivées en retard. On dit donc : PUIS, ELLES ARRIVENT FINALEMENT. [Le Seigneur] indique donc ceux qui font tardivement pénitence. Sg 5, 3 : Ils parleront entre eux, saisis de regrets et gémissant, le souffle oppressé. [Leur] désir est abordé lorsqu’ils disent : SEIGNEUR, OUVRE-NOUS ! Par le fait qu’ils disent : SEIGNEUR ! ils disent quelque chose qui devrait les faire exaucer. Mais par le fait qu’ils gémissent, on indique qu’ils demandent parce qu’ils sont oppressés. Aussi est-il dit plus haut, 7, 21 : Ce ne sont pas tous ceux qui diront : «Seigneur, Seigneur !» qui entreront dans le royaume des cieux. Leur désir est abordé lorsqu’il est dit : OUVRE-NOUS !
2517. Vient ensuite leur exclusion : MAIS IL RÉPONDIT : «En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas !», c’est-à-dire, je ne vous approuve pas (Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, 2 Tm 2, 19), comme l’artisan ne connaît pas l’œuvre qui est en désaccord avec son art.
2518. En conséquence, [le Seigneur] conclut : VEILLEZ DONC, CAR VOUS NE SAVEZ NI LE JOUR NI L’HEURE.
2519. Plus haut, le Seigneur a proposé la parabole du jugement, dans laquelle des reproches sont adressés à celui qui ne conserve pas un bien spirituel reçu intérieurement ; ici, [le Seigneur] présente une parabole dans laquelle quelqu’un ne fait pas fructifier les biens reçus. Elle se divise donc : premièrement, il est question de la distribution des dons ; deuxièmement, de l’usage qui en est fait ; troisièmement, du jugement de ceux qui en font usage. Le second point [se trouve] en cet endroit : CELUI QUI AVAIT REÇU CINQ TALENTS S’EN ALLA, etc. [25, 16] ; le troisième, en cet endroit : APRÈS UN LONG TEMPS, etc. [25, 19].
2520. À propos du premier point, [le Seigneur] fait trois choses : premièrement, il présente la nécessité de distribuer ; deuxièmement, la distribution ; troisièmement, le départ de celui qui distribue.
Il montre la nécessité par ce qu’il dit : C’EST COMME UN HOMME, QUI PARTANT EN VOYAGE, APPELA SES SERVITEURS ET LEUR REMIT SES BIENS. Vous devez remarquer ici que cet homme est le Christ. Nous pouvons dire qu’il est parti en voyage de trois manières : parce qu’il se dirigeait vers un endroit où, bien que [celui-ci] lui appartînt en propre par [sa] divinité, à savoir, le ciel, il se rendait comme pèlerin selon [sa] chair, car aucune chair n’y était montée. Ainsi, Jn 3, 13 : Personne ne monte au ciel que celui qui descend du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel. De même, il partait vers le ciel puisque, pèlerin dans le monde, il partait vers le ciel. Jr 14, 8 : Pourquoi es-tu comme un étranger sur la terre et comme un voyageur qui refuse de rester ? On peut aussi l’entendre spirituellement : maintenant, il s’éloigne de nous parce que nous nous éloignons de lui. 2 Co 5, 6 : Alors que nous sommes dans notre corps, nous cheminons loin du Seigneur. Mais lorsque nous le verrons, alors nous ne serons plus comme des pèlerins, mais comme des citoyens et des familiers de Dieu.
2521. Et il faut remarquer que, comme le dit Origène, là où on dit COMME, il faut ajouter quelque chose, pour que cela soit une comparaison, tel qu’on le lit plus haut, 24, 27 : Comme l’éclair surgit de l’orient, de même en sera-t-il de l’avènement du Fils de Dieu. Mais ici, cela n’est pas présenté comme une comparaison et, par la suite, rien d’autre n’est présenté. Pour cette raison, il faut le lire ainsi : un homme, partant en voyage en tant qu’homme, car le Christ est Dieu et homme. De sorte que, en tant que Dieu, il ne part pas en voyage, car tout est à nu et accessible à ses yeux, He 4, 13. Mais il part en voyage en tant qu’homme. Jn 1, 14 : Nous l’avons vu, le Fils unique issu du Père, c’est-à-dire comme un Fils unique issu du Père.
2522. Et parce qu’il partait en voyage, il lui était nécessaire de confier ses biens. Il fait cela lorsqu’il dit : IL APPELA SES SERVITEURS ET LEUR REMIT SES BIENS. Premièrement, la générosité du donateur est abordée ; deuxièmement, la diversité des biens, ainsi que la liberté de donner.
2523. La générosité de celui qui donne est
abordée sous deux aspects : il prend les devants auprès de ceux à qui il
donne ; de même, il donne avec largesse. Il prend les devants, car celui
qui attend pour donner, diminue sa générosité. Mais le Seigneur n’agit pas
ainsi. Ps 20[21], 4 : Seigneur, tu es allé au-devant de lui
par tes douces bénédictions. IL APPELA DONC SES SERVITEURS : ce ne
sont pas eux qui l’ont [appelé]. Ainsi, en Jn 15, 16 : Vous
ne m’avez pas choisi, mais moi je vous ai choisis.
Rm 8, 29 : Ceux qu’il a connus à l’avance, il les a aussi
prédestinés. Sa générosité est aussi abordée, car [il remet] ce qui lui
appartient : IL LEUR REMIT SES BIENS, et non pas ceux d’un autre. Certains
sont généreux avec les biens des autres, mais non avec les leurs ; lui
l’est avec ce qui lui appartient. On peut ainsi entendre de lui ce qui est dit
en Ps 67[68], 19 : Tu as gravi les hauteurs, pris des captifs,
tu as donné des dons aux hommes.
2524. Ensuite, la diversité des dons est présentée : À L’UN IL DONNA CINQ TALENTS, À UN AUTRE DEUX, À UN TROISIÈME UN SEUL. Il distribue ceux-ci en trois : le trentième, le soixantième et le centième, car toute multitude se répartit entre ce qui est meilleur, ce qui est moins bon et ce qui est moyen. Ces talents sont les divers dons des grâces : en effet, de même qu’un certain poids de métal est appelé talent, de même la grâce est-elle un poids qui fait pencher l’âme elle-même. C’est ainsi que l’amour est le poids de l’âme. L’Apôtre [dit] en 1 Co 12, 4 : Les grâces sont réparties. Ces dons sont donc répartis, de sorte qu’ils ne sont pas donnés également à tous. Ep 4, 7 : À chacun de nous la grâce a été donnée en proportion du don du Christ. Et c’est ce qu’il dit : À L’UN IL DONNA CINQ TALENTS, À UN AUTRE DEUX, À UN TROISIÈME UN SEUL.
2525. Quelle
est la raison de ce nombre ? Nous pouvons dire que quelqu’un [bénéficie]
d’une telle surabondance qu’il reçoit le double, mais un autre, plus du double.
De sorte que celui qui reçoit deux [talents] est, par rapport à celui qui en
reçoit un seul, dans une proportion du double ; mais celui qui en reçoit
cinq, dans une proportion qui dépasse le double. [Le Seigneur] veut donc dire
que celui-là en reçoit cinq qui en reçoit dans une mesure incomparable. Nous
pouvons aussi dire que ces dons sont les paroles de Dieu, des paroles de
sagesse. En effet, la sagesse est fréquemment comparée aux richesses.
Is 33, 6 : La sagesse, c’est la richesse du salut.
2526. Que veut-il dire lorsqu’il dit : À L’UN IL DONNA CINQ TALENTS, À UN AUTRE DEUX, À UN TROISIÈME UN SEUL ? Origène dit qu’il a donné cinq talents à celui qui met en rapport avec l’intelligence spirituelle tout ce qui est dit dans l’Écriture ; comme il y a cinq sens corporels, il y a aussi cinq [sens] spirituels. Ainsi le Seigneur a-t-il donné aux apôtres. En Lc 24, 45, il est dit qu’il leur ouvrit l’intelligence afin qu’ils comprennent les Écritures. Et en Dn 1, 17, il est dit que Dieu donna aux enfants de comprendre toute l’Écriture.
2527. Qui sont ceux qui reçoivent deux [talents] ? Selon Origène, la dualité est le nombre de la matière. Ainsi tout nombre est composé de deux et d’un. De sorte que la matière est attribuée au nombre deux, et la forme à l’unité. On dit donc que ceux-là en reçoivent deux qui reçoivent moins, car ils ne savent pas se conduire en tout, mais ils sont experts en quelque chose : ils sont de bons constructeurs ou quelque chose de ce genre. Ainsi, selon Origène, celui qui en reçoit un reçoit davantage que celui qui en reçoit deux. Selon Grégoire et Jérôme, c’est l’inverse, car, par les cinq talents, les cinq sens sont signifiés. De sorte que celui-là reçoit cinq talents qui reçoit une grâce de Dieu se rapportant aux choses temporelles, sur lesquelles porte l’action des sens. Par les deux [talents], on entend les sens et l’intelligence. Par un seul [talent], seule l’intelligence est soulignée. Celui-là donc reçoit un seul talent qui reçoit une grâce pour comprendre, et non pour agir. Selon Hilaire, celui-là reçoit cinq [talents] qui trouve le Christ dans les cinq livres de Moïse ; [en reçoit] deux celui qui vénère la grâce du Nouveau et de l’Ancien Testament, et qui vénère dans le Christ la nature divine et [la nature] humaine ; [en reçoit] un seul le Juif, qui trouve sa gloire dans les seules [dispositions] de la loi.
2528. Vient ensuite la raison : À CHACUN SELON SES CAPACITÉS. Si cela est en rapport avec le fait que les talents sont les paroles [de Dieu], l’interprétation est claire, car elles doivent être données en proportion de la plus grande capacité. Jn 16, 12 : Toutefois, j’ai beaucoup de choses à vous dire, que vous ne pouvez pas porter maintenant. Et l’Apôtre [dit] en 1 Co 3, 2 : Comme à des petits enfants, je vous ai donné à boire du lait, et non de la nourriture solide. Il a donc donné aux plus déliés des [dons] plus subtils.
2529. Mais si nous mettons ceci en rapport avec les biens des grâces, il faut savoir que certains ont dit que [le Seigneur] donnerait des biens gratuits en proportion des biens naturels, de sorte que l’homme qui a plus de biens naturels a aussi davantage de biens gratuits. Cela a été vrai pour les anges, mais ne l’est pas pour les hommes. Et pour quelle raison ? Parce que, chez les anges, il n’existe que la seule nature spirituelle ; ils sont mus selon la totalité de leur puissance vers ce vers quoi ils sont mus. Ainsi, ils reçoivent autant que le permet leur capacité. Mais l’homme est constitué de deux natures contraires, dont l’une est éloignée de l’autre par son corps. De sorte qu’il ne lui est donné que dans la mesure où l’homme s’applique à ce bien naturel.
2530. Il y a eu aussi une autre erreur : elle disait que l’amorce de la grâce venait de nous. À cela s’oppose Augustin conformément à la parole de l’Apôtre, 2 Co 3, 5, qui dit que nous ne sommes pas capables de penser à quelque chose de nous comme si cela venait de nous. Or, y a-t-il un principe antérieur à la pensée ? Et si la pensée ne vient pas de nous, l’action non plus [ne vient] donc pas [de nous]. De sorte que plus on fait d’effort, plus on a de grâce, mais plus on fait d’effort, plus on a besoin d’une cause supérieure. Lm 5, 21 : Convertis-nous à toi, et nous serons convertis. Mais si tu te demandes pourquoi l’un a plus de grâce qu’un autre, je dis qu’il y a à cela une cause prochaine et une cause première : [la cause] prochaine est l’effort plus grand de l’un plutôt que de l’autre ; la cause première est l’élection divine. Si 33, 7 : Pourquoi un jour dépasse-t-il l’autre, une lumière une autre, une année une autre, et un soleil un autre soleil ? Ils ont été répartis par la connaissance du Seigneur. Et quelle en est la raison ? Voyez comme il en va autrement d’un agent universel et [d’un agent] particulier. L’agent particulier suppose qu’il y a quelque chose avant lui et, sous cet aspect, il agit diversement, comme lorsqu’un artisan donne une forme à une matière et une autre à une autre. Mais s’il pouvait faire la matière, on dirait qu’un tel a fait telle matière, de sorte qu’il produirait la forme conformément à sa volonté. Ainsi le Seigneur, puisqu’il est le créateur de toutes choses, a créé celui-ci pour le faire tel. On comprend donc que la capacité de la nature s’entend en tenant compte de l’effort.
2531. Puis, le départ de celui qui donne est présenté, lorsque [le Seigneur] dit : ET IL PARTIT AUSSITÔT. On peut comprendre que celui-ci est parti en voyage, car, lorsqu’il eut dit aux apôtres : Recevez le Saint-Esprit, Jn 21, 22, et à Pierre, Jn 21, 17 : Pais mes brebis, il partit immédiatement. C’est pourquoi il disait, Jn 13, 33 : Mes petits enfants, je suis avec vous pour un peu de temps encore, et il monta [au ciel] immédiatement. Ou bien, on peut dire qu’il partit sans se retirer, parce qu’il les livra à leur libre arbitre, car il ne les force pas à utiliser les dons qu’il a donnés.
2532. CELUI QUI AVAIT REÇU CINQ TALENTS, etc. Ici est présentée l’utilisation des dons et cela, pour les trois serviteurs : premièrement, pour le premier ; deuxièmement, pour le deuxième, troisièmement, pour le troisième.
Il dit donc : CELUI QUI AVAIT REÇU CINQ TALENTS PARTIT. Le progrès de la vertu est indiqué ici. Ps 83[84], 8 : Ils iront de vertu en vertu. Et on lit cela en Gn 26, 13 : Il allait croissant et se développant. En effet, la vertu se développe par l’exercice de l’acte, car si l’on n’agit pas, elle s’éteint. C’est pourquoi il dit : IL [LEUR] FIT PRODUIRE. On dit ainsi en Pr 13, 4 : L’âme de ceux qui agissent se développe.
2533. IL EN GAGNA CINQ AUTRES. Et comment ? On profite de deux façons : d’une manière, pour soi-même ; d’une autre manière, pour un autre. Pour soi-même, si on a l’intelligence des Écritures, de sorte qu’on profite ; si [on a] la charité, de sorte qu’on soit utile aux autres. Celui-là a fait en sorte de profiter à un autre en communiquant ce qu’il a reçu. 1 P 4, 10 : Chacun mettant au service les uns des autres la grâce qu’il a reçue. Ainsi, si tu communiques ce que tu as reçu, tu en gagnes autant. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : IL EN GAGNA CINQ AUTRES, car il est rare que quelqu’un apporte à un autre ce qu’il n’a pas. 1 Co 11, 23 : Moi, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. Il fait un profit à partir de ce qu’il a. L’Apôtre dit : Sa grâce n’a pas été vaine en moi. Selon Hilaire, celui-là en a gagné cinq qui progresse dans les cinq livres de Moïse, afin de gagner le Christ.
2534. DE MÊME, CELUI QUI EN AVAIT REÇU DEUX, à savoir, qui progresse en intelligence et en action, EN GAGNA-T-IL DEUX AUTRES, à savoir, un supplément par rapport aux deux choses. Ou bien, DEUX, parce qu’il n’a pas seulement fait fructifier en prêchant aux hommes, mais aussi aux femmes, selon Grégoire. Selon Origène, ce qu’il avait reçu selon la raison naturelle se rapporte à l’intelligence.
2535. MAIS CELUI QUI N’EN AVAIT REÇU QU’UN
S’EN ALLA CREUSER UN TROU DANS LA TERRE, etc. Qu’est-ce que CREUSER DANS LA
TERRE ? Cela s’interprète de trois façons, selon Grégoire. Celui-là cache
le trésor qui cache le don reçu dans les péchés de la chair ou dans ce qui est
temporel. Ainsi, celui qui peut progresser dans les choses temporelles et se
tourne vers les réalités terrestres cache l’argent de son maître dans la terre.
C’est d’eux que parle le Ps 16[17], 11 : Ils ont décidé de
porter leurs yeux vers la terre. Selon Origène, quelqu’un possède le don
d’intelligence, mais veut vivre religieusement et vivre seulement pour
lui-même, alors qu’il pourrait être utile à un grand nombre. Celui-ci cache
dans la terre. Tb 12, 7 : C’est un honneur de révéler et de
confesser les œuvres de Dieu. En effet, cet argent est destiné à être
multiplié, non à être caché. Hilaire [dit] : «Qui sont ceux qui n’en
reçoivent qu’un ? Les Juifs, qui n’acceptent que le seul sens littéral.»
Ceux-là cachent l’argent dans la terre, c’est-à-dire dans la chair du Christ,
qui, à cause de la chair, ne peuvent croire qu’il est lui-même Dieu. Ainsi,
l’Apôtre [dit], 1 Co 1, 23 : Mais nous, nous annonçons
le Christ Jésus, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils.
2536. LONGTEMPS APRÈS, LE MAÎTRE DE CES SERVITEURS REVINT. Ici, il s’agit du jugement. Premièrement, la raison de l’avènement du jugement est présentée ; deuxièmement, [il est question] du jugement, en cet endroit : ET IL DÉCIDA DE RÉGLER SES COMPTES AVEC EUX [25, 19].
Il
faut remarquer que nous devons rendre compte de nos œuvres et de nos dons à
Dieu, plus haut, 12, 36 : De toute parole que vous aurez dite,
vous devrez rendre compte. Et plus haut, 18, 23 : Le royaume
des cieux est semblable à un homme qui voulut régler ses comptes avec ses
serviteurs.
2537. Premièrement,
cela est présenté d’une manière particulière : ET IL DÉCIDA DE RÉGLER SES
COMPTES AVEC EUX, car chacun est tenu de rendre compte d’abord lors de sa mort,
et, en second lieu, au jour du jugement, lorsque nous devrons nous tenir devant
le tribunal du Christ. Lorsque [le Seigneur] dit : LONGTEMPS APRÈS, LE
MAÎTRE REVINT, cela peut être mis en rapport avec les deux. En effet, si on le
met en rapport avec le jour du jugement, on laisse entendre qu’il y a un long
intervalle entre l’avènement du Christ et le jour du jugement, à l’encontre de
ce que certains ont cru à l’époque de l’Apôtre, 2 Th 2, 2 :
Ne vous laissez pas effrayer comme si le jour du Seigneur était déjà là.
2538. Mais si [cela est mis en rapport] avec
le jour de la mort, Origène dit : «Voyez comme celui qui a peu vécu a été
à peine utile à l’Église.» Pierre montre cela, à qui le Seigneur a dit,
Jn 21, 18 : Lorsque tu auras pris de l’âge, tu étendras ta
main et un autre t’attachera. De même [en a-t-il été] de Paul, qui était
adolescent lors de sa conversion, puis a vieilli ; il dit ainsi à
Philémon, 9 : Paul, âgé, etc. Lorsqu’il est dit : LONGTEMPS
APRÈS, il faut donc comprendre que le Seigneur a laissé une longue période de
temps pour qu’on agisse bien. C’est de cela que parle Pr 3, 2 : Il
t’apportera de longs jours et de nombreuses années de vie, ainsi que la paix.
2539. CELUI QUI AVAIT REÇU CINQ TALENTS S’APPROCHA ET EN OFFRIT CINQ AUTRES, etc. Il est question ici des trois serviteurs : premièrement, du premier ; deuxièmement, du deuxième ; troisièmement, du troisième.
En premier lieu, la
reddition des comptes est présentée ; en second lieu, la récompense due,
en cet endroit : SON MAÎTRE LUI DIT, etc. [25, 21].
2540. Pour ce qui est de ce premier [serviteur], [le Seigneur] fait état de son assurance, de sa fidélité, de son humilité, de ses efforts ou de son application. Il aborde son assurance, car il ne s’attendait pas à ce que le maître l’appelât, mais il alla au-devant [de lui]. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : IL S’APPROCHA. Paul avait cette assurance par le sang du Christ. He 10, 19 : Ayant l’assurance d’entrer avec les saints dans le sang du Christ. 2 Co 3, 12 : Possédant une telle espérance, nous faisons preuve d’une grande assurance. Sa fidélité est aussi soulignée, car IL [LUI] EN OFFRIT CINQ AUTRES. Celui-là serait infidèle qui s’attribuerait quelque chose des biens du Seigneur. Aussi celui-ci en offrit-il la totalité au maître. Ainsi donc, si tu fais quelque chose de bien, si tu convertis quelqu’un et te l’attribues, et non à Dieu, tu n’es pas fidèle. 1 Ch 29, 14 : Tout t’appartient, et ce que nous avons reçu de ta main, nous te l’avons donné. De même, l’humilité de sa reconnaissance du don est signalée, car il reconnaissait qu’il avait reçu de lui. 1 Co 4, 7 : Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Celui-ci confesse donc le don : MAÎTRE, TU M’AS REMIS CINQ TALENTS, etc. De même, il aborde son effort ou son application : VOICI CINQ AUTRES TALENTS QUE J’AI GAGNÉS. Il disait donc à juste titre avec l’Apôtre : La grâce de Dieu n’a pas été vaine en moi [1 Co 15, 10].
2541. Vient ensuite la récompense appropriée, et, à propos de celle-ci, [le Seigneur] fait quatre choses. Premièrement, [le maître] félicite [ce serviteur] ; deuxièmement, il fait l’éloge de [ses] mérites ; troisièmement, l’équité du jugement [est présentée] ; quatrièmement, la grandeur de la récompense.
[Le maître] félicite [ce serviteur] lorsqu’il dit : LE MAÎTRE LUI DIT : «C’EST BIEN, SERVITEUR BON ET FIDÈLE, etc.» Ainsi est-il dit en Is 62, 5 : Voici que l’époux se réjouira à cause de l’épouse et que le Seigneur se réjouira à cause de toi. Aussi l’accueille-t-il avec exultation, lorsqu’il dit : C’EST BIEN ! C’est là une expression d’exultation.
2542. Vient ensuite l’éloge. Premièrement, [le maître] loue l’humilité, lorsqu’il dit : SERVITEUR, parce qu’il reconnaissait qu’il était son serviteur. Lc 17, 10 : Lorsque vous aurez tout bien accompli, dites : «Nous sommes des serviteurs inutiles.» Il loue aussi [sa] bonté par le fait de dire : BON, car le bien à proprement parler se diffuse lui-même. Ainsi, celui qui était bon a multiplié le bien. Il loue aussi [sa] fidélité, car il n’a rien retenu pour lui-même, mais a tout offert au maître. [Celui-ci] dit donc : [SERVITEUR] FIDÈLE. 1 Co 4, 2 : Déjà cherche-t-on parmi les dispensateurs s’il s’en trouve un qui soit fidèle. Et, plus haut, 24, 45 : Qui penses-tu est le serviteur fidèle et sage ? [Le maître] l’approuve donc en disant : FIDÈLE. En effet, ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé ; c’est celui que le Seigneur recommande, 2 Co 10, 18.
2543. [Le maître] présente ensuite l’équité afin de montrer l’équité du jugement, lorsqu’il dit : TU AS ÉTÉ FIDÈLE EN PEU DE CHOSES ; JE T’ÉTABLIRAI SUR BEAUCOUP. Ce peu de choses est tout ce qui fait partie de la vie présente, car cela n’est pour ainsi dire rien en comparaison des réalités célestes. Il veut donc dire : «Parce que tu as été fidèle à rendre compte des biens qui font partie de la vie présente, JE T’ÉTABLIRAI SUR BEAUCOUP, c’est-à-dire que je te donnerai [les biens] spirituels, qui dépassent tous ces biens.» Lc 16, 10 : Celui qui est fidèle pour la plus petite chose est fidèle pour une plus grande.
2544. Vient
ensuite la grandeur de la récompense : ENTRE DANS LA JOIE DE TON MAÎTRE.
En effet, la joie est une récompense. Jn 16, 22 : Je vous verrai, et votre cœur se réjouira. Quelqu’un
pourrait dire : «La vision n’est-elle pas la récompense, ou quelque autre
bien ?» Je dis que, si quelque chose d’autre est la récompense, la joie
est cependant la récompense finale. Comme je pourrais dire que le lieu
inférieur est la fin de ce qui est lourd, de même en est-il du fait de reposer
dans ce lieu, et cela est encore plus important. Ainsi la joie n’est rien
d’autre que le repos de l’âme dans le bien obtenu, de sorte qu’on parle de joie
en raison de la fin. Et pourquoi [le maître] dit-il : ENTRE DANS LA
JOIE ? Il faut dire qu’il existe une double joie : [celle qui porte]
sur les biens extérieurs, et [celle qui porte] sur les biens intérieurs. Celui
qui se réjouit des biens extérieurs n’entre pas dans la joie, mais la joie
entre en lui ; mais celui qui se réjouit des biens spirituels entre dans
la joie. Ct 1, 5 : Le roi
m’a introduit dans sa chambre.
2545. Ou bien, autre [interprétation] : ce qui existe dans un autre est contenu par celui-ci, et ce qui contient est plus grand. Ainsi donc, lorsque la joie porte sur quelque chose qui est plus petit que ton cœur, alors la joie entre dans ton cœur. Mais Dieu est plus grand que le cœur. Ainsi, celui qui se réjouit à propos de Dieu entre dans la joie. De même, il entre DANS LA JOIE DU SEIGNEUR, c’est-à-dire à propos du Seigneur, car le Seigneur est vérité. De sorte que la béatitude n’est rien d’autre que la joie de la vérité. Ou bien, [autre interprétation] : ENTRE DANS LA JOIE DE TON MAÎTRE, c’est-à-dire réjouis-toi de ce qu’il se réjouit et de ce dont se réjouit ton maître, à savoir, de la jouissance de lui-même. L’homme se réjouit donc comme le Seigneur lorsqu’il possède la jouissance du Seigneur. C’est ainsi que le Seigneur dit aux apôtres : J’ai établi que vous boirez et mangerez à ma table dans mon royaume, c’est-à-dire que vous serez heureux de cela même dont je suis heureux.
2546. VINT ENSUITE CELUI QUI AVAIT REÇU DEUX TALENTS. Plus haut, il a été question du jugement concernant le premier serviteur qui avait reçu cinq talents ; ici, il est question du jugement concernant le deuxième serviteur qui avait reçu deux talents.
Pour le sens littéral, il ne diffère en rien du premier et il n’y a rien d’autre à dire que ce qui a été dit du premier. Il n’est donc pas nécessaire de le répéter, car ce [deuxième serviteur] reçoit les mêmes éloges et la même récompense que celui qui avait reçu cinq talents. Par cela il faut comprendre, selon Origène, que celui qui a reçu un petit don de Dieu et en fait bon usage selon ses capacités, reçoit et mérite autant que [celui qui en a reçu] un grand. En effet, le Seigneur exige seulement de tout homme qu’il le serve de tout son cœur, comme on le lit en Dt 6, 5.
2547. Mais de ceci on peut douter. Supposons que quelqu’un possède une large mesure de biens, et un autre, une petite. Si ce dernier agit selon le peu de charité qu’il a reçue, il méritera autant que celui qui en a davantage reçu, ce qui semble ne pouvoir exister, car ainsi celui qui a moins de charité mérite autant ou plus que celui qui en a davantage. Il faut donc faire une distinction : certaines choses sont bonnes, qui donnent la perfection, suscitent et inclinent l’acte de la volonté ; certaines ne le font pas. Le don qui incline la volonté et suscite l’acte est la charité. Il ne peut donc arriver que quelqu’un ait davantage de charité sans en faire un usage plus grand et meilleur. Mais il existe d’autres dons dont quelqu’un peut faire usage selon une charité plus ou moins grande, comme la science et les choses de ce genre. Pour ces dons, celui qui fait usage d’un plus grand effort mérite davantage une récompense. C’est ainsi qu’il est dit en Lc 21, 3s, qu’une pauvre femme a déposé davantage dans le trésor que ceux qui y avaient déposé plus, car elle en a fait usage selon tout ce qu’elle pouvait.
2548. VINT ENFIN CELUI QUI N’AVAIT REÇU QU’UN SEUL TALENT, ET IL DIT. Ici est précisé le jugement du mauvais serviteur. Premièrement, une justification est présentée ; deuxièmement, la condamnation qu’il reçoit, en cet endroit : MAIS SON MAÎTRE LUI RÉPONDIT [25, 26].
2549. [Ce serviteur] a présenté une justification étonnante. En effet, il a d’abord exprimé un blasphème ; à cause de cela, il est tombé dans la négligence ; troisièmement, il en conclut à son innocence. Mais un tel syllogisme n’était pas valable. [Il exprime] un blasphème lorsqu’il dit : MAÎTRE, JE SAIS QUE TU ES UN HOMME DUR. [Il est tombé dans] la négligence lorsqu’il dit : JE SUIS ALLÉ CACHER TON TALENT, etc. [Il conclut à] son innocence lorsqu’il dit : VOICI CE QUI T’APPARTIENT. Remarquons que [le Seigneur] dit qu’IL S’APPROCHA. Il a été dit plus haut de celui qui avait reçu cinq talents qu’il s’approcha, c’est-à-dire qu’il avait confiance. Mais celui-ci ne s’est pas approché avec confiance, mais avec violence. Ou bien, [autre interprétation] : certains, lorsqu’ils agissent mal, semblent en tirer profit. Pr 26, 16 : Le paresseux semble plus sage à ses propres yeux que sept hommes qui parlent avec sagesse. Il lui avait donc semblé qu’il avait bien agi. Selon Origène, il semble qu’il s’agisse de celui qui pense que Dieu est dur comme un homme dur, en raison de quoi il s’en éloigne à cause de la dureté. Si 9, 18 : Reste loin de l’homme qui a le pouvoir de tuer. De même donc que celui qui sait qu’un homme est dur ne veut pas le servir, de même certains pensent-ils de Dieu qu’il est un homme dur.
2550. Sur ce point, ce serviteur partageait trois opinions inexactes au sujet de Dieu : la première, que Dieu n’est pas miséricordieux ; la deuxième, qu’on pourrait lui ajouter quelque chose par nos biens ; la troisième, que tout ne vient pas de Dieu. Et toutes ces opinions inexactes venaient d’une seule source mauvaise : il pensait que Dieu était comme un homme. Cela est indiqué lorsqu’il dit : JE SAIS QUE TU ES UN HOMME DUR, c’est-à-dire : «Je pense que tu es un homme», ce qui n’est pas vrai, comme on le lit en Nb 23, 19 : Dieu n’est pas comme l’homme. Is 55, 9 : Comme les cieux sont supérieurs à la terre, ainsi mes sentiers dépassent-ils vos sentiers. Et [le serviteur] dit DUR, parce qu’un homme dur ne plie pas. Jb 41, 15 en dit : Son cœur s’endurcira comme l’enclume sous les coups du marteau. Mais le Seigneur n’est pas ainsi, car le Seigneur fait miséricorde et il est miséricordieux, Ps 110[111], 4.
2551. La dureté vient habituellement de l’avarice. Pr 29, 4 : Le roi juste relève le pays, [le roi] avare le détruira. [Le serviteur] estime donc que [le maître] est dur, et donc avare. Il lui attribue donc ce qui est le propre de l’avare : TU MOISSONNES OÙ TU N’AS PAS SEMÉ, ET TU RÉCOLTES OÙ TU N’AS PAS RÉPANDU, c’est-à-dire que «tu es si dur que tu ne cesses de prendre ce qui appartient à un autre». Toutefois, cela est faux. Jb 35, 7 : Au surplus, si tu agis justement, que lui donneras-tu ou que recevra-t-il de ta main ? Et en Ps 15[16], 2 : Tu n’as pas besoin de mes biens. Il disait donc de Dieu qu’Il avait besoin de nos biens.
2552. La troisième [opinion] était qu’il existait un bien qui ne venait pas de Dieu, comme certains disent qu’ils ne tiennent pas de Dieu ce qu’ils possèdent comme patrimoine ou par suite de leurs efforts. C’est ce qu’il dit : LÀ OÙ TU N’AS PAS SEMÉ. S’oppose à cela Jc 1, 17 : Tout don excellent, ton don parfait vient d’en-haut et provient du Père des lumières. De même, certains, estimant qu’Il est dur, se retirent de son service. De sorte que certains, qui peuvent apporter beaucoup, disent : «Si j’entendais les confessions et prêchais, peut-être que cela tournerait mal pour moi.» Ceux-là disent que Dieu est dur. De même, certains disent : «Si j’entrais en religion, peut-être que je pécherais et serais plus mauvais.» Ceux-ci disent de Dieu qu’il est dur, qui croient que, s’ils s’attachaient à Dieu, Il leur ferait défaut. Ceux-là sont semblables à ceux qui désespèrent de la miséricorde de Dieu. C’est ce qu’alléguait ce serviteur.
2553. Et cependant, ces choses sont vraies et s’appuient sur une autorité. En effet, [Dieu] est dur envers les pécheurs et tendre avec ceux qui recourent à Lui. Sg 11, 11 : Comme un père qui avertit, tu as mis ceux-ci à l’épreuve ; comme un roi dur qui interroge, tu as condamné ceux-là. Lm 3, 25 : Le Seigneur est bon pour l’âme qui le cherche. 2 Ch 30, 18 : Le Seigneur dans sa bonté exaucera tous ceux qui cherchent de tout leur cœur le Seigneur, le Dieu de leurs pères. Il est donc dur envers les pécheurs et miséricordieux envers les bons. Et il n’est pas douteux qu’il doive être craint, de peur qu’on ne le méprise. Ainsi, He 10, 31 : Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. Mais, comme il est miséricordieux, nous devons espérer que, si quelqu’un se donne à son service, il ne tombera pas, et s’il tombe, il se relèvera. De même, lorsque [le serviteur] dit : TU MOISSONNES OÙ TU N’AS PAS SEMÉ, bien que cela soit faux, cela peut être vrai en un certain sens, car il n’exige pas pour lui-même, mais pour notre utilité. Il moissonne sa propre gloire qu’il n’a pas semée. De même, TU RÉCOLTES OÙ TU N’AS PAS RÉPANDU. En effet, celui qui moissonne prend largement ; mais celui qui récolte reçoit de plusieurs. Ainsi le Seigneur veut-il que sa gloire soit accrue par divers hommes. Aussi l’Apôtre [dit-il], 2 Co 1, 14 : Nous sommes votre gloire, comme vous êtes la nôtre, au jour de notre Seigneur Jésus, le Christ.
2554. De même, lorsqu’il dit : TU MOISSONNES OÙ TU N’AS PAS SEMÉ, cela est vrai dans une certaine mesure, car l’homme sème et Dieu récolte. Jn 4, 37 : Autre est celui qui sème, autre celui moissonne. Je vous ai envoyés moissonner là où vous n’avez pas travaillé. En effet, l’homme sème ses œuvres, et Dieu récolte sa gloire. Ga 6, 8 : Ce que l’homme sème, il le récolte. Et le Seigneur dit, Jn 14, 3 : Je viendrai et je vous prendrai avec moi. En effet, si tu fais l’aumône, tu sèmes, et le Seigneur moissonne, car il considère peut-être que cela lui appartient. Aussi lui-même dit-il, plus loin dans ce chapitre : Ce que vous avez fait à l’un des plus petits des miens, c’est à moi que vous l’avez fait [Mt 25, 40]. De même, comme il a été dit plus haut : La semence est la parole de Dieu. Ainsi, Dieu recueille parfois les fruits d’une bonne œuvre là où la prédication n’a pas été semée. Rm 2, 14 : Les hommes qui n’ont pas de loi sont une loi pour eux-mêmes.
2555. Troisièmement, certaines choses mauvaises sont faites par l’homme, comme [les actions] mauvaises de la chair, dont le mal sera récolté. À ce propos, Ga 6, 8 [dit] : Celui qui sème dans la chair, récolte de la chair la corruption. Cependant, Dieu fait tourner cela en un certain bien, comme le bien de la justice, de l’humilité ou des choses de ce genre.
2556. Ce serviteur a donc d’abord été un blasphémateur. Ensuite, sa négligence est abordée : PRIS DE PEUR, JE SUIS ALLÉ. Ps 13[14], 5 : Ils ont tremblé de peur, alors qu’il n’y avait rien à craindre. Il est vrai qu’il faut craindre Dieu afin d’éviter le péché, selon ce qu’on lit en Jb 31, 23 : En effet, j’ai toujours craint Dieu, comme si les flots s’agitaient au-dessus de moi. Mais ne pas pécher, l’homme doit faire cela par amour, et non par crainte. Vient donc ensuite : J’AI CACHÉ TON TALENT DANS LA TERRE, par crainte, car la crainte servile fait beaucoup de mal.
Il conclut alors : VOICI CE QUI T’APPARTIENT. Il a donc conservé la science et ne l’a pas multipliée. Et cela ne suffit pas, car il faut la multiplier. 1 Co 9, 16 : Si je n’évangélise pas, ce n’est pas une gloire pour moi.
2557. MAIS SON MAÎTRE LUI RÉPONDIT ET LUI DIT. Ici est présentée la condamnation du serviteur. Comme, pour les autres serviteurs, [le Seigneur] avait d’abord fait leur éloge, avait précisé l’équité du jugement, puis la récompense, de même, pour celui-ci, lui fait-il d’abord des reproches, puis lui indique, en deuxième lieu, l’équité du jugement, et, en troisième lieu, la condamnation. Le second point [se trouve] en cet endroit : MAUVAIS SERVITEUR, TU SAVAIS QUE JE MOISSONNE OÙ JE NE SÈME PAS, etc. [25, 26] ; le troisième, en cet endroit : ENLEVEZ-LUI DONC LE TALENT [25, 28].
2558. [Le maître] dit donc : SERVITEUR MAUVAIS ET PARESSEUX. Il l’appelle SERVITEUR, car il avait mis de côté par crainte, et c’est le propre des serviteurs de craindre d’une manière servile. C’est pourquoi [il est dit] en Rm 8, 15 : Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude pour retomber dans la crainte. De même, il l’appelle MAUVAIS parce qu’il avait mal parlé de son maître, plus haut, 12, 35 : L’homme mauvais tire le mal du mauvais trésor de son cœur. De même, l’appelle-t-il aussi PARESSEUX, parce qu’il n’a pas voulu travailler. Pr 20, 4 : Le paresseux n’a pas voulu labourer à cause du froid. À cause du froid, c’est-à-dire de la crainte.
2559. TU SAVAIS QUE JE MOISSONNE OÙ JE NE SÈME PAS, etc. Maintenant, [le maître] le reprend pour sa faute : premièrement, il présente ce qu’il savait ; deuxièmement, ce qu’il fallait faire ; troisièmement, ce qui en découlerait.
Il dit donc : «TU SAVAIS QUE JE MOISSONNE OÙ JE NE SÈME PAS, et cependant, tu ne faisais rien», bien qu’on dise en Lc 12, 47 : Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne la fait pas sera roué de coups. De même, [le serviteur] avait dit que [le maître] était dur et qu’il récoltait là où il n’avait pas semé. Le Seigneur reconnaît bien qu’il moissonne ce qu’il n’a pas semé, mais il ne reconnaît pas qu’il soit dur, car ce qu’il exige de l’homme, il ne le demande pas par dureté, mais par miséricorde, afin que son bien soit multiplié.
2560. TU AURAIS PLACÉ MON ARGENT CHEZ LES BANQUIERS. Puis vient ensuite : «Tu dis que je moissonne où je n’ai pas semé et que je récolte où je n’ai pas répandu. Mais parce que j’agis ainsi, je veux bien davantage que mon argent se multiplie.» Il parle selon la comparaison qu’on utilise : on confie de l’argent [à un banquier] afin qu’il se multiplie. Cet argent, ce sont les paroles de Dieu. C’est pourquoi, en grec, on lit argyria : en effet, par l’argent, qui produit un son, est indiquée la parole de Dieu. Ps 11[12], 7 : Les paroles du Seigneur sont des paroles sincères, comme de l’argent épuré au feu.
2561. On peut entendre les banquiers de deux
manières, en raison de leur double fonction, car ils ont la fonction de
vérifier que l’argent est bon, et aussi celle de gagner l’argent qui est
présenté. Selon la première [fonction], les banquiers sont les auditeurs qui
doivent éprouver ce qu’ils entendent. Jb 12, 11 : Est-ce que l’oreille ne juge pas des
paroles ? De même, [ce sont] ceux qui multiplient, comme les apôtres,
qui ont donné aux autres le don de l’Esprit Saint et établissent des évêques,
etc. Tt 1, 5 : Je t’ai
envoyé en Crète afin que tu établisses des anciens dans les villes, etc.
2562. ET, À MON RETOUR, J’AURAIS RETROUVÉ MON BIEN ET PLUS. Ce bien en aurait donc découlé. Et quel est ce bien ? Il est triple. Comme le Seigneur te donne l’intelligence et que tu t’efforces d’agir, tu multiplies. Jc 1, 22 : Mettez la parole en pratique et ne vous limitez pas à l’écouter. De même, comme le Seigneur [te] donne une capacité et que tu t’efforces de bien l’utiliser. 1 P 2, 2 : Comme des enfants nouveau-nés, désirez le lait non frelaté de la parole, afin que, par lui, vous croissiez en vue du salut. De même, ce que tu as en toi-même, efforce-toi de le communiquer aux autres.
2563. Ensuite il présente la peine et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente la peine du dam ; deuxièmement, [la peine] du sens.
À propos du premier
point, il présente d’abord la peine du dam ; en second lieu, la sentence
générale, en cet endroit : CAR À TOUT HOMME QUI A, L’ON DONNERA, ET IL
AURA DU SURPLUS [25, 29].
2564. Il dit donc : ENLEVEZ-LUI SON TALENT ET DONNEZ-LE À CELUI QUI A LES DIX TALENTS. Comme dit Grégoire, «celui qui avait reçu cinq talents est celui qui possède la science des choses terrestres, qui sont soumises aux cinq sens ; celui qui en a un seul est celui qui possède l’intelligence sans l’action. Il arrive donc que celui qui a l’intelligence s’y exerce». Ps 118[119], 104 : J’ai compris tes commandements ; c’est pourquoi j’ai haï le chemin de l’injustice. En sens inverse, il arrive parfois que quelqu’un ait le don d’intelligence, mais s’adonne aux choses terrestres et le perde totalement. Ap 3, 11 : Garde bien ce que tu as, de crainte qu’un autre ne reçoive ce que tu as. Ou bien, on peut dire que celui qui reçoit cinq talents a reçu davantage et que, plus il a travaillé, plus il a reçu. L’un a donc reçu le talent de l’autre, parce que l’homme saint ne se réjouira pas seulement de ses biens, mais de tous ceux qui ont été faits par tous, et ainsi il recevra la couronne de l’autre et son talent.
2565. Ensuite est présentée la sentence générale : CAR À TOUT HOMME QUI A, L’ON DONNERA, ET IL AURA DU SURPLUS.
Cela peut être interprété de quatre manières. Première [interprétation] : selon Grégoire, on ne peut enlever à quelqu’un ce qu’il n’a pas. Mais il arrive que quelqu’un possède des dons gratuits et n’ait pas la charité. Ainsi, tout lui sera enlevé, car il ne possède pas pour son bien. 1 Co 13, 1 : Quand je posséderais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je deviens comme l’airain qui sonne et la cymbale qui retentit. Ainsi, si l’homme possède la charité, beaucoup de dons lui sont donnés, car il recevra le bien d’un autre, puisqu’il se réjouira du bien de l’autre comme du sien propre.
2566. Chrysostome interprète cela de l’enseignement : celui qui possède la grâce de l’enseignement et ne s’y exerce pas, la perd. Un autre qui ne la possède pas mais s’y exerce, l’acquiert, au point de devenir docteur.
Jérôme donne l’interprétation suivante : quelqu’un qui a du talent et se livre à l’oisiveté devient inculte et engourdi ; quelqu’un qui n’a pas de talent mais s’y exerce acquiert le talent. Et ainsi, la science et le talent sont donnés à celui qui étudie ; et même ce qu’il possède, à savoir, le talent, sera enlevé à celui qui ne l’a pas. De même, selon Jérôme, on interprète cela de la foi, car, à celui qui a la foi, la grâce est donnée. Ep 2, 8 : Vous êtes sauvés par la grâce en vertu de la foi. De sorte que celui qui n’aurait pas la foi, même s’il possédait d’autres choses, celles-ci ne vaudraient rien sans la foi.
Mais Hilaire l’interprète du peuple des Juifs et de Gentils, car les Juifs paraissaient posséder la loi de Dieu et n’ont pas voulu obéir ; ils sont donc devenus des étrangers. Mais le peuple des Gentils a reçu ce qu’il n’avait pas et a partagé la bénédiction de l’olivier.
2567. Ensuite, il est question de la peine du sens. Il y a deux sens : la vue et le toucher. [Le Seigneur] présente donc d’abord la peine de la vue ; en second lieu, [celle] du toucher, lorsqu’il dit : JETEZ DANS LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES CE SERVITEUR INUTILE.
Remarquez qu’il n’est pas puni à cause du mal qu’il a fait, mais à cause du bien qu’il a omis [de faire]. Ainsi, plus haut, 7, 19 : Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé. Et ailleurs, Jb 15, 2 : Il enlèvera tout palmier qui ne porte pas de fruit. Il est appelé SERVITEUR INUTILE parce que le bien qu’il possède, il ne le dépense pas pour le bien des autres : il aura eu l’intelligence et ne l’aura pas dépensée pour un bon usage en enseignant aux autres ; il aura eu de l’argent, et n’aura pas fait d’œuvres de miséricorde.
2568. JETEZ-LE
DANS LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES. Origène dit que certains avant lui ont dit que
les damnés seront jetés complètement hors du monde. Ils disent donc que l’enfer
se trouve à l’extérieur de l’ensemble du monde. Ils s’appuyaient sur ce qu’a
dit Jb 18, 18 : Dieu les
enlève du monde. [Origène] lui-même donne l’interprétation suivante :
DANS LES TÉNÈBRES, car ils sont dans l’ignorance. Ps 81[82], 5 :
Ils n’ont pas su ni compris, ils marchent
dans les ténèbres
Puis suit la peine du toucher : LÀ SERONT LES PLEURS ET LES GRINCEMENTS DE DENTS. Cela a été expliqué plus haut, [Mt] 24.
2569. Plus haut, le Seigneur a proposé diverses paraboles se rapportant au jugement ; mais ici, il traite ouvertement de son jugement, et il fait trois choses : premièrement, il traite de l’avènement du juge ; deuxièmement, du rassemblement de ceux qui doivent être jugés ; troisièmement, du jugement. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET TOUTES LES NATIONS SERONT RASSEMBLÉES DEVANT LUI [25, 32] ; le troisième, en cet endroit : ALORS LE ROI DIRA, etc. [25, 34].
2570. À propos du premier point, quatre choses doivent être prises en considération. Premièrement, la condition du juge qui vient est abordée ; deuxièmement, [sa] dignité ; troisièmement, [ses] ministres ; quatrièmement, [son] autorité judiciaire.
2571. Quand [le Seigneur] dit : LORSQUE LE FILS DE L’HOMME VIENDRA, il n’y a pas de doute qu’il est le même que le Fils de Dieu. Mais pourquoi dit-il plutôt le Fils de l’homme que le Fils de Dieu ? Une raison est qu’il jugera en tant que Fils de l’homme. Jn 5, 27 : Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme. Et cela, pour trois raisons. Premièrement, afin qu’il soit vu de tous : en effet, sous la forme de la divinité, il ne pourra être vu que des bons, de sorte que, s’il doit être vu de tous, il doit être vu sous la forme d’un homme. Ap 1, 7 : Tout œil le verra. C’est aussi en raison du mérite du Christ : en effet, il a mérité cela par sa passion. Ph 2, 8 : Il s’est humilié en devenant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix ; c’est pourquoi Dieu l’a élevé. C’est encore pour qu’il paraisse juger sous la forme où il a été jugé. Jb 16, 22 : Que l’homme soit jugé par Dieu comme le Fils de l’homme est jugé par son semblable. C’est aussi en raison de la clémence divine, afin que les hommes soient jugés par un homme. He 4, 15 : Nous n’avons pas un grand prêtre qui ne puisse pas compatir à nos faiblesses. Celui [qui viendra] sera donc le Fils de l’homme.
2572. Et quelle sera sa dignité ? Il viendra EN MAJESTÉ. Lc 21, 27 : On verra le Fils de l’homme venir sur une nuée avec grandes puissance et majesté. Mais que peut-on entendre par majesté ? Il faut dire que [sa] divinité, bien qu’elle apparaisse sous la forme d’un homme, apparaîtra cependant comme la divinité. C’est pourquoi l’Apôtre [dit], 1 Th 4, 15 : Le Seigneur, au commandement et à la voix de l’archange et [au son de] la trompette de Dieu, descendra du ciel. On parle aussi de cela en Ac 9. Ou bien, EN MAJESTÉ, c’est-à-dire, avec gloire, car son corps sera glorieux, et il viendra accompagné d’une société glorieuse. Ainsi, plus haut, 16, 27 : Le Fils de l’homme viendra dans la gloire.
2573. C’est pourquoi il ajoute : ESCORTÉ DE TOUS LES ANGES. Ici, il traite des ministres. On peut l’entendre des esprits célestes. Ps 103[104], 4 : Qui fait des esprits ses anges. Et pourquoi viendra-t-il avec ceux-ci ? Parce qu’ils sont les gardiens des hommes. Ps 90[91], 11 : Dieu t’a envoyé ses anges. Ils seront donc présents comme témoins, car les bons ont été placés sous leur garde, mais non les mauvais, puisqu’ils les ont repoussés. Is 1, 7 : Nous avons guéri Babylone, mais elle n’est pas en santé. Ou bien, TOUS LES ANGES, c’est-à-dire les prédicateurs ou les docteurs de la vérité. Ml 2, 7 : Les lèvres du prêtre gardent la science et on cherche la justice dans sa bouche. À eux revient le pouvoir judiciaire, comme le dit Augustin. Is 3, 14 : Le Seigneur viendra pour juger et tous ses saints avec lui. Pr 31, 23 : Aux portes de la ville, son mari est connu, et il siège parmi les anciens du pays.
2574. Vient ensuite le pouvoir judiciaire : ALORS IL PRENDRA PLACE SUR SON TRÔNE DE MAJESTÉ. Nous ne devons pas entendre cela d’un trône corporel, mais son trône, ce sont les hommes saints et les anges. En eux il trônera, car il exercera le jugement par eux. Au sujet des hommes, il est dit plus haut, 19, 28, qu’ils siégeront sur douze trônes, etc. Au sujet des anges, il est dit en Col 1, 16 : Soit les Trônes, soit les Dominations, etc., et dans Ps 79[80], 3 : Tu trônes au-dessus des Chérubins, et Ps 9, 5 : Tu t’es assis sur le trône, toi qui juges avec justice.
2575. Ensuite, le rassemblement est présenté et, en second lieu, la séparation.
[Le Seigneur] dit donc : DEVANT LUI SERONT RASSEMBLÉES TOUTES LES NATIONS. Par NATIONS, ce ne sont pas seulement les nations qui sont indiquées, mais tous les hommes qui sont nés depuis Adam jusqu’à la fin du monde. 2 Co 5, 10 : Nous tous devrons nous tenir devant le tribunal du Christ, afin que chacun rende compte de ce qu’il a fait, en bien ou en mal, alors qu’il était dans la chair. Parmi ceux-ci [se trouveront] même les tout-petits qui sont nés, car, même s’ils n’ont aucun mérite personnel, ils ont cependant quelque chose, à savoir, la faute due au péché du premier homme, ou la grâce issue du sacrement du Christ.
2576. Il faut donc remarquer que tous ceux-là ne seront pas rassemblés au même [endroit], mais il y aura quatre groupes parmi ceux qui comparaîtront en jugement. En effet, certains comparaîtront afin d’être jugés selon l’évaluation de leurs mérites ; certains d’entre eux seront condamnés, d’autres seront sauvés. Certains [comparaîtront] afin de recevoir leur sentence sans évaluation [de leurs mérites]. En effet, on dit de quelqu’un qu’il est jugé de deux façons : soit pour recevoir sa sentence, car tous seront soit récompensés, soit punis ; ou bien, [on dit] qu’il est jugé, à savoir, pour rendre compte selon l’évaluation de ses mérites. Et cette évaluation ne sera pas nécessaire pour tous, car seront surtout évalués les péchés et les mérites de ceux qui ont été unis au Christ par la foi. En effet, ceux qui sont totalement étrangers au Christ n’ont pas besoin d’évaluation, selon ce qui est dit en Jn 3, 18 : Celui qui ne croit pas a déjà été jugé. Grégoire donne un exemple : «Celui qui s’occupe de son ennemi dans une guerre n’attend pas que [celui-ci] soit jugé, car il a déjà été jugé ; de même, etc.» De même, il y en a certains qui n’ont rien de commun avec le monde, car ils ont tout abandonné pour le Christ, et ceux-ci se présenteront comme des juges. Ainsi, plus haut, 19, 28 : Vous qui m’avez suivi, vous siégerez sur douze trônes de la tribu d’Israël. Quels sont ceux qui seront jugés ? Les fidèles qui sont impliqués dans les questions séculières, dont certains font un bon usage, comme on lit en 1 Tm 6, 18 : Ordonne aux riches de bien agir, de devenir riches en bonnes œuvres, de donner facilement et de partager, etc. Mais ceux qui sont retenus [par elles] et y sont impliqués seront condamnés.
2577. Mais en quoi est-ce nécessaire ? Est-ce que tous ne reçoivent pas, à leur mort, ce qu’ils ont mérité ? Pourquoi seront-ils jugés ? Il faut remarquer que la récompense qui est donnée aux hommes par le juste jugement de Dieu est double : la première est le vêtement de l’âme ; la seconde est le vêtement du corps. Pour ce qui est du vêtement de l’âme, il est reçu à la mort, mais alors on recevra en même temps la gloire du corps. Ainsi, pour ce qui est de l’âme, tous reçoivent en même temps leur corps, mais, pour ce qui est de la peine, tous seront condamnés en même temps. Is 24, 22 : Ils seront rassemblés en une seule gerbe, parce qu’ils sont unis dans le péché.
2578. Nous pouvons comprendre ce rassemblement comme un rassemblement dans un lieu, car tous seront rassemblés dans un seul lieu. Jl 3, 2 : Je rassemblerai toutes les nations et je les mènerai dans la vallée de Josaphat, car ceux qui sont sauvés sont sauvés par la passion du Christ, et ceux qui sont condamnés sont condamnés à cause de leur mépris de sa passion. C’est pourquoi là aura lieu le jugement où a eu lieu la passion du Christ. Et il faut comprendre que les bons viendront au-devant de lui dans les airs, mais que certains demeureront sur terre. Selon Origène, ce rassemblement ne se fera pas dans un lieu, on sera éparpillé et rassemblé en divers endroits. C’est ce que laisse entendre ce qui est dit plus haut, 24, 27 : Comme l’éclair surgit de l’orient et se rend jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme, car où qu’on soit, on sera présent là. [Origène] veut donc que ce soit un rassemblement spirituel, car maintenant certains sont éloignés [du Seigneur], et d’autres se tiennent avec lui ; mais alors tous seront rassemblés. Is 40, 5 : Toute chair verra le salut de notre Dieu.
2579. Ensuite, il traite de la séparation : ET IL LES SÉPARERA LES UNS DES AUTRES, COMME LE BERGER SÉPARE LES BREBIS DES BOUCS. Premièrement, [la séparation] est présentée en fonction du nom ; deuxièmement, en fonction du lieu, en cet endroit : IL PLACERA LES BREBIS À SA DROITE, etc. [25, 33].
2580. Il dit donc : IL LES SÉPARERA LES UNS DES AUTRES. Remarquez qu’aussi longtemps que dure le monde, les mauvais sont mêlés aux bons. Il n’existe pour ainsi dire pas de société où ne se trouvent des mauvais. Ct 2, 2 : Comme un lis parmi les épines, ainsi est mon amie parmi les filles. Mais, lors de ce jugement, les mauvais seront d’un côté et les bons de l’autre. Si 35 : Il séparera les brebis des boucs.
2581. Mais pourquoi appelle-t-il les bons des brebis ? C’est pour quatre raisons. En effet, on trouve chez les brebis l’innocence. 2 R [Sm] 24, 17 : Ceux qui sont des brebis, qu’ont-ils fait ? [On trouve] aussi la patience. Is 53, 7 : Comme une brebis, il sera conduit à l’abattoir, et comme un agneau, il se taira devant celui qui le tond, et il n’ouvrira pas la bouche. De même, Ps 43[44], 22 : Nous avons été considérés comme des brebis destinées à l’abattoir. [On trouve] encore l’obéissance, car elles se rassemblent à la voix du pasteur. Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix. [On trouve] aussi une abondance de fruits : comme nous recevons plusieurs fruits d’une seule brebis, ainsi abondent les fruits des bons. Ez 34, 3 : Vous buviez du lait et vous étiez habillés de laine.
De même, par les boucs, [le Seigneur] désigne les pécheurs, car c’est un animal qui se promène dans les précipices. Il est aussi ardent à l’accouplement et possède un caractère revêche. De même était-il offert pour le péché.
2582. Ensuite est présentée la séparation en fonction du lieu : IL PLACERA LES BREBIS À SA DROITE, ET LES BOUCS À SA GAUCHE. Qu’entend-on par la droite et par la gauche ? On peut dire que cela se produira à la lettre, que les bons seront placés à droite, et les mauvais ailleurs. Ou bien, [on dit cela] parce que la droite est plus noble. Ainsi, ceux qui sont bons auront une situation plus noble, car ils viendront vers le Christ dans les airs.
Origène repousse cela vers la récompense finale, car ceux qui ont orienté leur intention vers Dieu seront à droite, c’est-à-dire qu’ils auront une récompense éternelle. Qo 10, 2 : Le cœur du sage est à droite, et le cœur de l’insensé, à gauche. Aussi Pr 4, 27 : Le Seigneur connaît les sentiers qui vont à droite ; ceux qui vont à gauche sont détournés.
2583. ALORS LE ROI DIRA À CEUX QUI SONT À DROITE, etc. Ici, il est question du jugement : premièrement, la sentence touchant les bons est prononcée ; deuxièmement, [la sentence touchant] les mauvais ; troisièmement, il propose un complément.
À propos du premier
point, [le roi] fait trois choses : premièrement, la sentence est
présentée ; deuxièmement, l’admiration de ceux qui doivent être
sauvés ; troisièmement, la satisfaction. Le second point [se trouve] en
cet endroit : ALORS LES JUSTES LUI RÉPONDRONT [25, 37] ; le
troisième, en cet endroit : ET LE ROI LEUR RÉPONDRA [25, 40].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il invite à la récompense ; deuxièmement, il [la] compare au mérite.
2584. [Le Seigneur] dit donc : ALORS LE ROI DIRA. [Le Seigneur] l’appelle ROI, car il appartient au roi de juger. Pr 20, 8 : Le roi qui siège sur son trône dissipe tout mal par son regard. Mais une question se pose : cela se fera-t-il par une sentence orale ? Certains disent que cela se fera oralement et que le jugement prendra beaucoup de temps. C’est ce que disait Lactance, qu’il durerait mille ans. Mais cela n’est pas vrai. Cela doit être mis en rapport avec une parole intérieure qui conduit à la connaissance des hommes, car les bons sont dignes de gloire et les mauvais, de peine. Ce qu’ils diront ne se fera donc pas par voie orale, mais selon une inspiration intérieure. C’est ce que dit Augustin : «Par la puissance divine, ce que chacun a fait lui apparaîtra.» Cela est clair par ce que dit l’Apôtre, Rm 2, 15 : Leur conscience leur rendra témoignage et leurs pensées les accuseront ou les défendront, le jour où le Seigneur jugera les secrets des hommes, etc. Il faut donc mettre ceci en rapport avec une parole intérieure.
2585. Et [le Seigneur] semble toucher trois choses, car l’invitation est présentée, la raison de la sentence et la récompense. L’invitation : VENEZ, LES BÉNIS DE MON PÈRE. Mais pourquoi dit-il : LES BÉNIS DE MON PÈRE ? Parce qu’il n’en adviendra pas selon notre mérite, mais selon que cela sera confirmé par le mérite du Christ. Ainsi, Ap 3, 21 : Celui qui aura vaincu, je lui donnerai de s’asseoir avec moi sur mon trône, comme moi-même j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. Lc 22, 29 : Voici que je dispose pour vous du royaume comme mon Père en a disposé pour moi. Moi, en tant qu’homme, en tant que je jouis du Verbe. Aussi, en ce qui concerne le corps. Ph 3, 21 : Il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. VENEZ, c’est-à-dire devenez conformes. 1 Jn 3, 2 : Lorsqu’il paraîtra, nous lui seront semblables. Mais est-ce que les bons ne sont pas maintenant unis à Dieu ? Je dis qu’il en est ainsi en vertu d’une charité qui n’est pas totale, et aussi par une foi énigmatique ; mais alors, ils seront rassemblés dans une charité totale et dans une foi sans énigme, car le corps qui se corrompt alourdit l’âme et notre demeure terrestre écrase l’esprit qu’habitent de nombreuses pensées, Sg 9, 15.
2586. La cause de cette récompense est double : la cause de la damnation vient de l’homme ; la cause du salut vient de Dieu. Os 13, 9 : De toi vient ta perte, Israël ; en moi seul est ton secours. Nous trouvons donc une cause temporelle et une cause éternelle du salut : [la cause] temporelle est l’ajout de la gloire, et cela est touché : VENEZ, LES BÉNIS DE MON PÈRE. Pour lui, dire, c’est faire. Ainsi, Ps 32[33], 9 : Il parla, et cela fut. De sorte que pour lui, bénir, c’est infuser la grâce. Aussi dit-il : [DE MON] PÈRE, car cela ne vient pas de nous, mais de Dieu. Jc 1, 17 : Tout don excellent, tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières. De même, une autre cause est la prédestination de Dieu, et cela est signalé lorsqu’il dit : UN ROYAUME VOUS A ÉTÉ PRÉPARÉ. Aussi l’Apôtre [dit-il] en Rm 8, 30 : Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés. Is 64, 4 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Et il dit : DEPUIS LE COMMENCEMENT DU MONDE.
2587. Mais comment cela peut-il se faire ? Ne les a-t-il pas choisis depuis l’éternité ? Il nous a choisis avant l’établissement du monde, Ep 1, 4. Il faut dire qu’il a choisi depuis l’éternité, mais qu’il l’a manifesté depuis l’établissement du monde. Mais quelle est cette récompense qu’il indique : PRENEZ POSSESSION DU ROYAUME QUI VOUS A ÉTÉ PRÉPARÉ ? Et quel est ce royaume ? Ce royaume est le royaume des cieux. Ps 144[145], 13 : Ton royaume, Seigneur, est un royaume pour tous les siècles. Celui qui possède Dieu possède le royaume. Ap 5, 10 : Tu as fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres. Mais quelqu’un pourrait dire : «Je ne veux pas régner ; il me suffit de ne pas être damné.» Cela ne peut se faire. Ou bien tu seras roi et tu posséderas le royaume ; ou bien tu seras damné.
2588. Et il dit : PRENEZ POSSESSION, c’est-à-dire entrez en possession. Entrer en possession convient à celui qui avait un droit. Nous avions ce droit en vertu d’une disposition divine ; aussi, en vertu de l’acquisition par le Christ, et aussi, de sa grâce. Ep 1, 14 : Ce sont les arrhes de notre héritage. On appelle encore possession le fait de détenir paisiblement ; la pleine maîtrise est donc indiquée. Maintenant, nous possédons Dieu, mais non pas d’une manière paisible, car l’homme est troublé de bien des façons ; mais alors, la possession sera paisible. 1 P 3, 9 : Vous avez été appelés à posséder en héritage la bénédiction. Plus haut, 18, 29 : Il possédera la vie éternelle.
2589. CAR J’AI EU FAIM, ET VOUS M’AVEZ DONNÉ À MANGER, etc. Plus haut, on a présenté la sentence pour ce qui est de la récompense ; ici, on présente le mérite. Par cela, nous devons considérer que la cause de la béatitude est double : l’une, du côté de Dieu, c’est-à-dire la bénédiction de Dieu ; l’autre, de notre côté, c’est-à-dire le mérite qui vient du libre arbitre. En effet, les hommes ne doivent pas être négligents, mais [ils doivent] coopérer à la grâce de Dieu, comme il est dit en 1 Co 15, 10 : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et la grâce de Dieu n’a pas été vaine en moi.
2590. Mais il existe de nombreux bons mérites,
[et pourtant] il n’est fait mention que des œuvres de miséricorde. À cause de
cela, certains ont pris occasion de se tromper en disant qu’on n’est sauvé que
par les oeuvres de miséricorde ou qu’on est damné en raison de leur omission,
de sorte que si quelqu’un a commis beaucoup de péchés et qu’il s’applique aux
œuvres de miséricorde, il sera sauvé, conformément à ce que [dit]
Dn 4, 24 : Rachète tes
péchés par des aumônes, et tes injustices en témoignant de ta compassion aux
pauvres, à l’encontre de ce qu’on lit en Rm 1, 32 : Ceux qui agissent ainsi, à savoir, qui
commettent des péchés, sont dignes de
mort. Et Ga 5, 21, après l’énumération des péchés charnels,
dit : Ceux qui font de telles choses
ne posséderont pas le royaume de Dieu.
Il ne faut donc pas adopter [cette position]. Mais il pourrait arriver que quelqu’un fasse abstinence et pénitence, et ainsi il peut être libéré par l’aumône. En effet, l’homme doit commencer par se faire l’aumône à lui-même. Si 30, 24 : Avoir pitié de ton âme, cela plaît à Dieu. Et pourquoi mentionne-t-on davantage ces œuvres que d’autres ? Selon Grégoire, il faut dire que [le Seigneur] propose celles-ci parce qu’elles sont les plus petites : en effet, si on ne fait pas celles-ci, qui sont dictées par la nature, à bien plus forte raison ne fera-t-on pas les autres. Cela est conforme aux paroles de l’évangile, car [les Pharisiens] disent : Comment ? Nous t’avons vu manger et nous avons été frappés de stupeur, etc., comme s’ils disaient : «Cela est peu de chose.» Et comme ils estiment que cela est peu de chose, le Seigneur relève [ces œuvres] en disant : CE QUE VOUS AVEZ FAIT À L’UN DE MES FRÈRES, C’EST À MOI QUE VOUS L’AVEZ FAIT [25, 40].
2591. Augustin dit que tous pèchent dans le monde, mais que tous ne sont pas damnés, mais seulement ceux qui ne se repentent pas et ne satisfont pas. Mais celui qui pèche et promet de satisfaire par des œuvres de miséricorde est sauvé. Origène dit que, sous les œuvres de miséricorde, tout ce qui est bon est exprimé ou omis en raison de l’omission de ces œuvres. Et il est indiqué que l’aumône n’est pas faite seulement au prochain, mais à soi-même : en effet, si nous nourrissons celui qui a faim, à bien plus forte raison devons-nous nous nourrir nous-mêmes qui avons faim, et il en va ainsi des autres œuvres. De même, il n’y a pas que les aumônes temporelles, mais aussi les spirituelles. Ainsi, tout ce que l’homme fait soit pour son propre bien, soit pour celui du prochain, est inclus dans les œuvres de miséricorde. De sorte que tout est inclus soit sous celles-ci, soit sous leur contraire.
2592. Il existe sept œuvres de miséricorde, mais six seulement sont abordées. Ces sept se trouvent dans le vers : «Je visite, je donne à boire, je nourris, je rachète, je couvre, je recueille, j’ensevelis.» Mais la sépulture n’est pas touchée ici. Pourquoi ? Pour écarter l’erreur de certains qui disent que les âmes ne trouvent pas le repos avant que le corps ne soit enseveli. Mais cela n’est pas vrai, car l’âme ne reçoit rien du corps lorsqu’elle en est séparée. [Le Seigneur] présente donc les six qui sont consacrées aux carences. Et parce qu’il y a une carence générale et une carence particulière, il traite en premier lieu de [la carence] générale et, en second lieu, de [la carence] particulière. Et parce que [la carence] générale peut venir soit de l’extérieur, soit de l’intérieur, il aborde d’abord la carence venant de l’intérieur et, en second lieu, de l’extérieur.
2593. Il dit donc : J’AI EU FAIM, ET VOUS M’AVEZ DONNÉ À MANGER. On lit cela en Is 58, 7 : Romps le pain avec celui qui a faim. J’AI EU SOIF, ET VOUS M’AVEZ DONNÉ À BOIRE, car vous avez donné au prochain en mon nom. Ainsi, plus haut, 10, 42 : Celui qui aura donné une coupe d’eau fraîche à l’un des plus petits des miens ne manquera pas d’être récompensé. [Il est question] de ces deux choses en Pr 25, 21 : Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui de l’eau à boire. Il existe aussi des carences venues de l’extérieur, et elles sont au nombre de deux, à savoir, la couverture portée ou [l’abri] partagé. Il dit donc : J’ÉTAIS UN ÉTRANGER, ET VOUS M’AVEZ ACCUEILLI. He 13, 2 : N’oubliez pas l’hospitalité : grâce à elle, certains ont accueilli des anges.
2594. En ce qui concerne la couverture portée,
il dit : J’ÉTAIS NU, ET VOUS M’AVEZ VÊTU. Jb 31, 19 : Je n’ai pas rejeté le passant parce qu’il
n’avait pas de vêtement, puis vient ensuite : Lorsque tu vois qu’il est nu, couvre-le.
Il existe aussi des carences particulières et, parmi celles-ci, certaines sont naturelles, et d’autres viennent de l’extérieur. La carence naturelle venue de l’intérieur est la maladie. C’est pourquoi il dit : J’ÉTAIS MALADE, ET VOUS M’AVEZ VISITÉ. Pour ce qui est de la carence extérieure, il dit : J’ÉTAIS PRISONNIER, ET VOUS ÊTES VENU ME VOIR. On peut entendre par la prison toute tribulation. He 10, 34 : Car maintenant vous avez supporté les liens.
2595. ALORS LES JUSTES LUI RÉPONDRONT. Ici est présentée la réponse intérieure. C’est le propre des esprits bons que ce qu’ils font pour Dieu, ils l’estiment peu de chose. Lc 17, 10 : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : «Nous sommes des serviteurs inutiles.» Rm 8, 18 : J’estime que les souffrances du présent ne sont pas comparables à la gloire future qui sera révélée en nous. Ils disent donc qu’ils l’ont fait sans le savoir et ils disent cela en estimant qu’il s’agissait de peu de chose. [Ils disent] donc : QUAND T’AVONS-NOUS VU ET T’AVONS-NOUS NOURRI, etc. ? Ils diront cela en s’étonnant.
2596. ET LE ROI LEUR RÉPONDRA. [Le Seigneur]
répond à cet étonnement, car lorsque l’homme s’humilie, Dieu l’élève, et
lorsque l’homme se considère comme peu de chose, Dieu le louange. Ainsi, CHAQUE
FOIS QUE VOUS L’AVEZ FAIT POUR L’UN DES PLUS PETITS DE MES FRÈRES, C’EST POUR
MOI QUE VOUS L’AVEZ FAIT. Plus haut, 10, 40 : Celui qui vous accueille m’accueille, car la tête et les membres ne
forment qu’un seul corps. Et il dit À MES FRÈRES, car ceux qui font la volonté
de Dieu sont des frères. Ainsi, il est dit plus haut, 12, 48, qu’en
étendant la main vers les disciples, [le Seigneur] dit : Voici mes frères. Par cela est indiqué
qu’il faut donner aux bons. Si 12, 4 : Donne au bon, et n’accueille pas le pécheur.
Mais ne faut-il pas donner au pécheur ? Il faut donner lorsqu’il est dans un besoin extrême, mais aux justes d’abord, avant lui. C’est pourquoi [le Seigneur] dit : À MES FRÈRES. En effet, beaucoup se présentent qui ne sont pas des frères en Dieu. 1 Jn 4, 3 : Tout esprit qui se détache de Jésus ne vient pas de Dieu. Ainsi, toutes choses étant égales, nous devons d’abord donner aux bons ; toutefois, en cas d’indigence, il faut aussi donner aux mauvais en temps de nécessité, non pas pour encourager le péché, mais [pour encourager] la nature. Est-ce que tous sont les frères de Dieu ? Oui, mais certains selon la nature, et certains selon la grâce : selon la nature, tous les bons et les mauvais. 2 Co 11, 26 : Les faux frères sont un danger ; selon la grâce, seuls les bons [le sont]. Rm 8, 29 : Il est le premier-né de nombreux frères. À ceux-là il faut principalement montrer de la compassion et subvenir. Ainsi, l’Apôtre [dit] en Ga 6, 10 : Lorsque nous en avons le temps, faisons du bien à tous, et surtout à ceux qui nous sont proches par la foi.
Mais pourquoi [le Seigneur] dit-il : AUX PLUS PETITS ? Il dit cela selon l’opinion des gens ordinaires. Il est clair que les hommes qui sont petits à cause de Dieu sont considérés comme les plus petits, Jc 3. Ils sont aussi les plus petits par l’humilité, plus haut, 11, 25 : Tu as caché cela aux sages et aux prudents, et tu l’as révélé aux petits. Et il parle a minori, car certains pourraient dire : «Si j’ai fait cela pour un égal ou pour un grand, je crois que cela me sera rendu.» C’est pourquoi le Seigneur dit [que cela ne doit pas être fait] seulement pour les grands, mais pour les imparfaits. Il dit donc : AUX PLUS PETITS.
2597. ALORS LE ROI DIRA À CEUX QUI SERONT À SA GAUCHE. Ici est présentée la condamnation des mauvais. Premièrement, la condamnation est présentée ; deuxièmement, leur justification ; troisièmement, leur réfutation.
À propos du premier
point, il présente [d’abord] la sentence ; en second lieu, la peine.
2598. Il dit donc : ÉCARTEZ-VOUS DE MOI, MAUDITS. Cette sentence est différente de la première, car, dans la première, il disait : VENEZ, LES BÉNIS DE MON PÈRE ; mais ici, il ne dit pas : MAUDITS DE MON PÈRE, car notre bénédiction vient de Dieu, mais la malédiction vient de nous. En He 5 et Dt 23, 5, il change la bénédiction en malédiction. La différence est aussi que, plus haut, il a dit : PRENEZ POSSESSION DU ROYAUME PRÉPARÉ POUR VOUS, etc. ; mais ici, il dit : ALLEZ AU FEU ÉTERNEL QUI A ÉTÉ PRÉPARÉ POUR LE DIABLE ET SES ANGES. Pour quelle raison ? Origène dit qu’«il n’a pas donné de peines à cause des hommes, mais qu’eux-mêmes se donnent la mort de leurs propres mains». Is 31, 7 : En ce jour-là, l’homme rejettera les idoles faites avec son or et son argent, que vous aviez faites de vos propres mains. Mais quelqu’un peut dire : «Est-ce que le Seigneur n’a pas fait le Diable bon ?» Remarquez que le Seigneur parle de la préparation selon que celle-ci se manifeste aux origines du monde. Or, le Diable a péché dès l’origine. [Le Seigneur] n’a donc pas préparé [un feu éternel] pour l’Ange, qui, pour ce qui est de sa nature, a été créé bon, mais en raison du péché.
2599. J’AI EU FAIM. Ici, il n’y a rien d’autre
à dire qu’il parle différemment aux bons et aux mauvais, car, plus haut, il a
dit chaque chose explicitement, mais ici, il regroupe plusieurs choses. Ainsi,
[il dit] : [J’ÉTAIS] MALADE ET EN PRISON. Et parce qu’il regroupe ces deux
choses, il faut dire qu’il procède comme un bon juge qui condamne malgré lui et
récompense généreusement. Ainsi, il amplifie les paroles de récompense et
abrège [les paroles] de condamnation.
2600. ALORS CEUX-CI LUI RÉPONDRONT. Remarquez que, de même que les bons diminuent le bien [qu’ils ont fait], de même les mauvais [diminuent-ils] leurs fautes. Ils disent donc : SEIGNEUR, QUAND T’AVONS-NOUS VU AFFAMÉ ET ASSOIFFÉ, etc. ? Ils disent tout en même temps, par quoi il faut comprendre qu’ils n’examinent pas volontiers leurs consciences, à l’encontre de Is 46, 8 : Prévaricateurs, revenez à votre cœur ! Ainsi, lorsqu’il faut [y] revenir, ils [y] reviennent très brièvement.
2601. Vient ensuite la réfutation : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, CHAQUE FOIS QUE VOUS NE L’AVEZ PAS FAIT, etc. On lit quelque chose de semblable en Lc 10, 16 : Celui qui vous méprise me méprise. Za 2, 8 : Celui qui vous aura touchés a touché à la pupille de mes yeux.
2602. ALORS ILS S’EN IRONT AU TOURMENT ÉTERNEL, etc. Une fois présentée la sentence, l’effet est présenté. ALORS ILS S’EN IRONT AU TOURMENT ÉTERNEL. Il avait dit plus haut : AU FEU ÉTERNEL, car il pourrait se faire qu’il y ait un feu éternel, qui cependant ne torturerait pas éternellement. C’est pourquoi il dit : AU TOURMENT. ET LES JUSTES [S’EN IRONT] À UNE VIE ÉTERNELLE. Jn 17, 3 : Telle est la vie éternelle : qu’ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus, le Christ. Qu’il existe un tourment éternel, on le lit en Dn 12, 2 : Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, certains pour une vie éternelle, d’autres pour leur honte, afin de voir pour toujours. Ap 20, 15 : Il fut envoyé dans un étang de feu et de soufre, où étaient tourmentés nuit et jour les bêtes et les faux prophètes pour les siècles des siècles. Is 66, 24 : Les vers [qui les rongent] ne mourront pas et le feu [qui les brûle] ne s’éteindra pas. Quelle est la cause de ce tourment ? Certains, comme Origène, ont voulu qu’il n’y ait pas de tourment éternel. Ils affirment donc que tout tourment cessera. [Origène] dit donc que ce qui a été dit ici l’a été par exagération. Mais Augustin le réfute : s’il en est ainsi, lorsqu’on dit que les justes iront dans une vie éternelle, on le dit également par exagération. Mais cela est dit en raison de la longue durée, comme même Origène le concède. Et cela est détestable qu’il y ait une telle diversité dans la même Écriture. Que cela ne puisse être, on le voit clairement de la manière suivante : la justice exige qu’une peine égale réponde à la faute. En effet, de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous, 7, 1.
2603. Mais comment, après la mort, le tourment éternel sera-t-il autant reporté ? Grégoire répond en disant que Dieu est juge de la volonté, de sorte que celui qui n’a pas retenu [sa] volonté de pécher jusqu’à la mort a péché pour l’éternité. Il mérite donc d’être puni pour l’éternité. Augustin dit ceci : «Nous voyons que la peine doit être égale à la faute. Il en est ainsi selon la justice humaine : si quelqu’un pèche contre la société civile, le juge n’a la mort comme but que pour [le] séparer de la société de la cité d’une manière perpétuelle. Mais celui [qui pèche] contre Dieu, [Dieu] entend l’exclure de la société de la cour céleste.» Selon Hilaire, la peine est due pour la faute. Or la peine n’est détruite que par la charité. Donc, aussi longtemps que l’homme n’a pas la charité, il est juste qu’il soit toujours dans la peine. Du fait qu’il n’a pas eu la charité en cette vie, il est donc nécessaire qu’il demeure toujours dans la peine. On objecte aussi que les saints prieront et qu’ils seront exaucés. Donc, etc. Grégoire dit qu’alors qu’ils sont en route, les saints sont exaucés pour eux, mais non après. De même, on objecte : Dieu ne se délecte pas de la peine ; comment donc affligera-t-il sans fin ? Il faut dire que, même s’il ne [s’en] délecte pas, il fait cependant cela pour maintenir sa justice.
Leçon 1 [Matthieu 26, 1‑16] 26, 1 Et il arriva, quand Jésus eut achevé tous ces
discours, qu’il dit à ses disciples : 26, 2 «Vous savez que la Pâque
aura lieu dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être
crucifié.» 26, 3 Alors les grands prêtres et les anciens du peuple se
réunirent dans le palais du Grand Prêtre, qui s’appelait Caïphe, 26, 4 et
se concertèrent afin d’arrêter Jésus par ruse et de le tuer. 26, 5 Ils
disaient toutefois : «Mais non pas le jour de la fête, afin d’éviter un
tumulte parmi le peuple !»
26, 6 Comme Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon
le lépreux, 26, 7 une femme s’approcha de lui, avec un flacon d’albâtre
d’un parfum précieux, et elle le versa sur sa tête, pendant qu’il était à
table. 26, 8 À cette vue, les disciples furent indignés : «Pourquoi
ce gaspillage ?» dirent-ils. 26, 9 «Cela pouvait être vendu bien cher
et donné à des pauvres.» 26, 10 Jésus s’en aperçut et leur dit :
«Pourquoi tracassez-vous cette femme ? Elle a accompli une bonne action pour
moi. 26, 11 Car il y aura toujours des pauvres parmi vous, mais moi, vous
ne m’aurez pas toujours. 26, 12 En versant ce parfum sur mon corps, c’est
pour l’ensevelir qu’elle l’a fait. 26, 13 En vérité, je vous le dis,
partout où sera proclamé cet évangile dans le monde entier, sera redit à sa
mémoire ce qu’elle vient de faire.»
26, 14 Alors, l’un des Douze, qui s’appelait Judas
Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres 26, 15 et il leur
dit : «Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ?»
Ceux-ci lui versèrent trente pièces d’argent. 26, 16 Et à partir de ce
moment-là, il cherchait une occasion favorable pour le livrer.
Leçon 2 [Matthieu 26, 17‑25] 26, 17 Le premier jour des Azymes, les disciples
s’approchèrent de lui et lui dirent : «Où veux-tu que nous te préparions de
quoi manger la Pâque ?» 26, 18 Il dit : «Allez à la ville, chez
un tel, et dites-lui : “Le Maître te fait dire : ‘Mon temps est
proche, c’est chez toi que je vais faire la Pâque avec mes disciples.’”»
26, 19 Les disciples firent comme Jésus le leur avait ordonné et
préparèrent la Pâque.
26, 20 Le soir venu, il était à table avec les
Douze. 26, 21 Et tandis qu’ils mangeaient, il dit : «En vérité, je
vous le dis, l’un de vous me livrera.» 26, 22 Ils furent attristés. Chacun
se mit à lui dire : «Serait-ce moi, Seigneur ?» 26, 23 Il
répondit : «Celui qui met avec moi la main dans le plat, celui-là me
trahira ! 26, 24 Le Fils de l’homme s’en va comme il est écrit de
lui ; mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme est livré !
Il aurait mieux valu qu’il ne fût pas né !» 26, 25 Judas, celui qui
le trahissait, lui répondit : «Serait-ce moi, Seigneur ?» Le Seigneur
lui répondit : «Tu l’as dit».
Leçon 3 [Matthieu 26, 26] 26, 26 Tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du
pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples. Il dit : «Prenez,
mangez, ceci est mon corps.»
Leçon 4 [Matthieu 26, 27‑29] 26, 27 Puis, prenant une coupe, il rendit grâce et
la leur donna en disant : «Buvez-en tous ; 26, 28 car ceci est
mon sang, le sang d’une nouvelle alliance, qui va être répandu pour un grand
nombre en rémission des péchés. 26, 29 Je vous le dis, je ne boirai plus
désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai avec vous de
nouveau dans le Royaume de mon Père.»
Leçon 5 [Matthieu 26, 30‑46] 26, 30 Après avoir dit l’hymne, ils partirent vers
le mont des Oliviers. 26, 31 Alors Jésus leur dit : «Vous tous, vous
allez succomber à cause de moi, cette nuit même. En effet, il est écrit :
“Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées.” 26, 32
Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée.» 26, 33 Prenant
la parole, Pierre lui dit : «Même si les autres sont scandalisés à cause
de toi, moi je ne serai jamais scandalisé.» 26, 34 Jésus lui dit :
«En vérité, je te le dis : en cette nuit même, avant que le coq ne chante,
tu me renieras trois fois.» 26, 35 Pierre lui dit : «Dussé-je mourir
avec toi, non, je ne te renierai pas.» Et tous les disciples parlèrent de même.
26, 36 Alors, Jésus se dirigea avec eux vers un domaine appelé Gethsémani,
et il dit aux disciples : «Restez ici, tandis que je m’en irai là-bas pour
prier.» 26, 37 Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il
commença à ressentir tristesse et angoisse. 26, 38 Alors il leur
dit : «Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi.»
26, 39 Étant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant
cette prière : «Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de
moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux.» 26, 40 Puis
il vint vers les disciples et les trouva endormis, et il dit à Pierre :
«Ainsi, vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ! 26, 41
Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : car l’esprit est
ardent, mais la chair est faible.» 26, 42 À nouveau, pour la deuxième
fois, il s’en alla prier : «Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut
passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite !» 26, 43 Puis
il vint et les trouva à nouveau endormis ; car leurs yeux étaient appesantis.
26, 44 Il les laissa et s’en alla de nouveau prier une troisième fois, en
tenant le même langage. 26, 45 Alors il vient vers les disciples et leur
dit : «Désormais vous pouvez dormir et vous reposer : voici
qu’approche l’heure où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs.
26, 46 Levez-vous ! Allons ! Voici qu’approche celui qui me
livrera.»
Leçon [Matthieu 26, 47‑56] 26, 47 Comme il parlait encore, voici que vint
Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande nombreuse, armée de glaives et de
bâtons. Ils étaient envoyés par les grands prêtres et les anciens du peuple.
26, 48 Or, celui qui le trahissait leur avait donné ce signe : «Celui
à qui je donnerai un baiser, c’est lui ; arrêtez-le.» 26, 49 Et il
s’approcha aussitôt de Jésus en disant : «Salut, Rabbi», et il l’embrassa.
26, 50 Mais Jésus lui dit : «Ami, pourquoi es-tu venu ?» Alors,
s’avançant, ils mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent. 26, 51 Et voilà
qu’un des compagnons de Jésus, portant la main à son glaive, le sortit. Il
frappa le serviteur du grand prêtre et lui amputa l’oreille. 26, 52 Alors
Jésus lui dit : «Remets ton glaive à sa place ; car tous ceux qui
prennent le glaive périront par le glaive. 26, 53 Penses-tu donc que je ne
pourrais pas faire appel à mon Père ? Et il me fournirait immédiatement
plus de douze légions d’anges ? 26, 54 Comment alors s’accompliraient
les Écritures d’après lesquelles il doit en être ainsi ?» 26, 55 À ce
moment-là Jésus dit aux foules : «Vous êtes venus pour vous emparer de moi
avec des glaives et des bâtons comme si j’étais un brigand ? Chaque jour
j’étais parmi vous dans le temple à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté.»
26, 56 Or, tout ceci arriva pour que s’accomplissent les Écritures des
prophètes. Alors les disciples l’abandonnèrent tous et prirent la fuite.
Leçon 7 [Matthieu 26, 57‑75] 26, 57 Ceux qui avaient arrêté Jésus le menèrent à
Caïphe le grand prêtre, où se réunirent les scribes et les anciens. 26, 58
Mais Pierre le suivait de loin, jusqu’au palais du grand prêtre ; il
pénétra à l’intérieur et s’assit avec les serviteurs pour voir le dénouement.
26, 59 Mais les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un
faux témoignage contre Jésus, afin de le faire mourir ; 26, 60 et ils
n’en trouvèrent pas, bien que de nombreux faux témoins se présentèrent.
Finalement, il s’en présenta deux, 26, 61 qui dirent : «Cet homme a
dit : “Je puis détruire le temple de Dieu et le relever en trois
jours !”» 26, 62 Alors le grand prêtre lui dit se levant : «Tu
ne réponds rien à ce que ces gens attestent contre toi ?» 26, 63 Mais
Jésus se taisait. Le grand prêtre lui dit : «Je t’adjure par le Dieu
vivant de me dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu» 26, 64 Jésus lui
dit : «Tu l’as dit. D’ailleurs, je vous le déclare : vous verrez bientôt
le Fils de l’homme siégeant à droite de la puissance de Dieu et venant sur les
nuées du ciel.» 26, 65 Alors le grand prêtre déchira ses vêtements en
disant : «Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de
témoins ? Là, vous venez d’entendre le blasphème ! 26, 66 Que
vous en semble ?» Ils répondirent : «Il mérite la mort.» 26, 67
Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres lui
donnèrent des coups 26, 68 en disant : «Fais le prophète pour nous,
Christ, dis-nous qui t’a frappé !»
26, 69 Cependant, Pierre était assis dehors, dans la
cour. Une servante s’approcha de lui en disant : «Toi aussi, tu étais avec
Jésus le Galiléen !» 26, 70 Mais lui nia devant tous en disant :
«Je ne sais pas de quoi tu parles.» 26, 71 Comme il sortait de la porte,
une autre servante le vit et dit à ceux qui étaient là : «Celui-là était
avec Jésus le Nazaréen.» 26 72 Et de nouveau il nia avec serment :
«Je ne connais pas cet homme.» 26, 73 Peu après, ceux qui se tenaient là
s’approchèrent et dirent à Pierre : «Sûrement, toi aussi, tu en es :
et d’ailleurs ton langage te trahit.» 26, 74 Alors, il se mit à jurer avec
force imprécations : «Je ne connais pas cet homme.» Et aussitôt un coq
chanta. 26, 75 Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait
dite : «Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois.» Et, sortant
dehors, il pleura amèrement.
2604. Après avoir exposé [les événements] préparatoires à la passion, l’évangéliste en vient à la passion du Christ. Et [son récit] se divise en deux parties : en premier lieu, il raconte la passion quant à ce qu’ont fait les Juifs ; en second lieu, quant à ce qu’ont fait les Gentils, au chapitre 27, 1 : Or, le matin venu, etc.
À propos du premier point, il fait deux choses : d’abord, il expose d’avance la passion du Seigneur ; en second lieu, il raconte la passion et son déroulement, à cet endroit : Alors [l’un des Douze, celui qui s’appelait Judas IscariotE], sortit [26, 14].
La passion est annoncée d’avance de trois manières : par la parole du Christ, par la délibération de ses ennemis et, en troisième lieu, par un événement et un hommage. Le second point : ALORS [LES GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS DU PEUPLE] SE RÉUNIRENT [26, 3] ; le troisième : Mais comme Jésus était [à Béthanie] [26, 6].
2605. À propos du premier point, [Matthieu] expose d’abord l’ordre de l’annonce, puis l’annonce elle-même. L’ordre : Et il arriva, quand jésus eut achevé. Et [l’évangéliste] s’exprime ainsi, parce que [le Christ] lui-même est le seul qui puisse achever. Nous, nous pouvons commencer, mais non pas achever, selon cette parole de Qo 4 : Nous parlons beaucoup, mais nous défaillons. Il dit aussi : ces discours, c’est-à-dire ceux que [le Seigneur] avait prononcés depuis le début de sa prédication, depuis qu’il avait dit : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche [4, 17]. Ou bien, les discours qu’il avait tenus pour annoncer sa gloire, car la passion fut une élévation à la gloire : C’est pourquoi Dieu l’a exalté, et il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, aux cieux, sur terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Jésus le Christ est Seigneur dans la gloire de Dieu le Père, Ph 2, 9. C’est pourquoi il ne dit pas seulement : TOUS, mais tous ces [discours], parce qu’il a dit tout cela pour l’utilité des croyants et de la foi.
2606. Vous savez que la Pâque aura lieu dans deux jours. Par cette annonce à l’avance, [le Seigneur] ne fait pas qu’annoncer d’avance, mais il dit : LA PÂQUE AURA LIEU DANS DEUX JOURS. Et ceci est arrivé pour signifier que la passion du Christ n’est pas n’importe quelle passion, mais celle qui est désignée par le sacrifice pascal. Et il dit : dans deux jours. D’après cette indication, on doit considérer que ces paroles ont été prononcées la treizième lune, c’est-à-dire le mardi, car c’est à la quinzième lune que l’on célébrait la Pâque.
2607. Mais on lit, en Jn 12, 1, que le Seigneur vint à Béthanie, et cela, le samedi ; et un autre jour, il vint à Jérusalem, et là il chassa [du temple] les marchands et les acheteurs, et le jour de la lune, il revint et vit que le figuier qu’il avait maudit était desséché. Et selon Marc, il revint le mardi, et alors, en ce jour, il formula toutes ses paraboles. Et ce jour-là, ayant achevé ces paroles, il dit : Vous savez que dans deux jours aura lieu la Pâque.
2608. Ce nom de Pâque, selon Jérôme, vient de pascere, mais signifie à proprement parler «phase», c’est-à-dire «passage». En effet, il y a quatre passages, selon les quatre sens du mot «passage». Au sens historique, la Pâque a été célébrée quand l’[ange] exterminateur a frappé les premiers-nés d’Égypte ; alors le Seigneur ordonna [aux fils d’Israël] de manger la [Pâque], la «phase». Ensuite, au sens allégorique, il s’agit du passage du Christ par la mort, et c’est de [ce passage] qu’il s’agit en Jn 13, 1 : Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, etc. En troisième lieu, [il y a un passage] moral ou typique, pour autant qu’on passe d’une conduite charnelle à une conduite spirituelle : Passez vers moi, vous tous qui me désirez, Si 24, 26. Enfin, il y a un passage général, pour autant qu’on dit : Le ciel et la terre passeront, etc.
2609. Deux jours après, à savoir, après l’enseignement de la loi ancienne et de la loi nouvelle. Selon le grec, [le mot «Pâque»] vient de pasci, qui veut dire «paître». Aussi est-ce à juste titre que le Christ, sachant qu’il passait de ce monde à son Père, dit : ET LE FILS DE L’HOMME SERA LIVRÉ POUR ÊTRE CRUCIFIÉ. Il ne dit pas par qui il a été livré, car il a été livré par le Père. Rm 8, 32 : Lui qui n’a pas épargné son Fils, mais qui l’a livré pour nous tous. Il s’est aussi livré lui-même : Il nous a aimés, et il s’est livré pour nous, Ep 5, 2. De même, [a-t-il été livré] par Judas : Que voulez-vous me donner pour que je vous le livre ? Et aussi par les Juifs à Pilate : Ta nation et tes prêtres t’ont livré à moi, Jn 18, 35, et par Pilate aux païens. Aussi est-il dit en Jn 19, 16 : Il le leur livra pour être crucifié. Alors les chefs des prêtres se réunirent, etc.
2610. Dans cette partie, est d’abord présenté
le dessein pervers des Pharisiens : d’abord on expose leur dessein
concernant la passion du Christ ; en second lieu, concernant le report [de
celle-ci], à cet endroit : Ils
disaient en effet : «Non pas le jour de la fête» [26, 5].
À propos du premier point, nous pouvons noter que le péché des Juifs est aggravé par le moment. Alors, la fête de Pâque étant imminente. Is 58, 13 : Si tu retiens ton pied pendant le sabbat, pour ne pas faire ta volonté en mon saint jour… Mais, à mon avis, [Matthieu] ne se réfère pas au jour lui-même, mais aux environs de ce moment. Car on lit en jn 11, 13 : Ils réunirent un conseil, et à partir de ce moment-là ils résolurent de le faire mourir. On dit que Jésus se retira alors dans une région proche du désert. Aussi cela ne se passa-t-il pas immédiatement. Ou bien, on peut dire que cela eut lieu deux fois.
2611. [Leur péché] est aussi aggravé par leur grand nombre. C’est pourquoi on dit : Les Grands prêtres et les anciens du peuple se réunirent. Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos fêtes ; [elles me sont à charge ; je suis las de les supporter. Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux ; quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas :] vos mains sont pleines de sang, Is 1, 14-15. [Leur péché est aussi aggravé] par la condition des pécheurs, car ils faisaient partie des notables. C’est pourquoi on dit : Les grands prêtres. Jr 5, 5 : J’irai vers les grands et je leur parlerai, et ensuite : Et voici que ceux-ci ont d’un coup secoué le joug et arraché leurs liens. Et Ps 2, 2 : Les rois de la terre se sont réunis et les dirigeants se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ.
2612. [Leur péché est encore aggravé] par le lieu, car [il s’est produit] dans la cour du chef des prêtres. Ceux-ci devaient donc empêcher la malice des autres, mais eux-mêmes la commirent. Dn 13, 5 : L’iniquité est venue des anciens.
Mais les grands prêtres étaient-ils nombreux ? En effet, le Seigneur avait ordonné qu’il n’y ait qu’un seul grand prêtre, mais cela ne leur suffisait pas. Ils avaient donc divisé le sacerdoce par cupidité. De même, ils l’avaient déjà perdu et avaient acheté le sacerdoce aux Romains. Ou bien, il appelle dirigeants ceux qui avaient été chefs avant [le grand prêtre] et celui qui avait été chef cette année-là.
2613. On aborde aussi ce dont ils s’entretenaient : AFIN D’ARRÊTER JÉSUS PAR RUSE. Il était impertinent de croire qu’ils l’arrêteraient par ruse, car il savait tout. Jr 9, 8 : Leur langue est comme une flèche aiguisée, elle raconte une ruse.
2614. ILS DISAIENT TOUTEFOIS : «MAIS NON PAS LE JOUR DE LA FÊTE !» Ici, il s’agit du report : la décision est présentée, puis la raison.
ILS DISAIENT TOUTEFOIS : «MAIS NON PAS LE JOUR DE LA FÊTE !» On pourrait dire qu’ils disaient cela par dévotion. [Jésus] l’écarte donc en disant : POUR ÉVITER UN TUMULTE PARMI LE PEUPLE. En effet, ils savaient que beaucoup considéraient [Jésus] comme un prophète et certains, comme le Christ. Il y avait ainsi une dissension parmi le peuple, comme on le lit en Jn 7, 30s et 9, 8s. Ils craignaient donc qu’on ne l’enlève de leurs mains. [Les conspirateurs] pensaient cela, mais le Christ pensait autre chose. Ils pensaient donc à deux choses : qu’ils voulaient le tuer, et qu’il ne devait pas être crucifié le jour de la fête, pour montrer que cette immolation succédait à l’immolation de l’agneau pascal.
2615. COMME JÉSUS SE TROUVAIT À BÉTHANIE. Ici est présentée l’annonce anticipée par le geste d’une femme. Premièrement, le geste est présenté ; deuxièmement, un reproche ; troisièmement, une excuse. Le second point [se trouve] en cet endroit : À CETTE VUE, LES DISCIPLES FURENT INDIGNÉS [26, 8] ; le troisième, en cet endroit : JÉSUS S’EN APERÇUT [26, 10].
À propos du premier point, [Matthieu] fait quatre choses : premièrement, le lieu est décrit ; deuxièmement, la personne ; troisièmement, la capacité ; quatrièmement, l’acte.
Premièrement, un double lieu est présenté : général et particulier. Général, lorsqu’il dit : COMME JÉSUS SE TROUVAIT À BÉTHANIE ; particulier, lorsqu’il dit : CHEZ SIMON LE LÉPREUX. Remarquez que [Simon] n’était pas alors lépreux, car il avait été guéri par le Christ. En effet, s’il ne l’avait pas été, le Christ ne serait pas demeuré chez lui, puisque cela est interdit par la loi. Cependant, les deux choses se rattachent à un mystère. Béthanie veut dire «maison de l’obéissance». Par cela est donc signifiée l’obéissance [du Christ]. Ph 2, 8 : Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort. Il est donc approprié qu’il se trouve dans la maison d’un lépreux. Is 53, 4 : Et nous, nous l’avons considéré comme un lépreux. C’est pour cette raison qu’il est venu là.
2616. Une autre raison peut être [tirée du] texte même, à savoir que cette [femme] ait la confiance nécessaire pour s’approcher du Christ, car [Simon] était un parent de Marie et avait été guéri de la lèpre corporelle, alors que celle-ci s’approchait pour être guérie de la lèpre spirituelle. Et il faut remarquer qu’on ne dit de personne d’autre qu’il s’est approché du Christ en vue de la santé spirituelle, sauf de celle-là. Elle était donc digne d’éloge.
2617. UNE FEMME S’APPROCHA DE LUI. Voici la personne. Matthieu et Marc disent que cela est arrivé dans le même endroit, mais non pas Jean et Luc. En effet, Luc parle de celle-ci en 7, 37s, et Jean en 12, 3s. Certains sont donc d’avis, comme ce fut le cas d’Origène, qu’il y a eu plusieurs femmes. Parlons des deux premières. Jérôme dit expressément que celle dont parle Luc n’était pas la sœur de Lazare, car on dit de celle-là qu’elle oignit les pieds [de Jésus], mais de celle-ci [qu’elle lui oignit] les pieds et la tête. Ambroise, dans son commentaire de Luc, affirme qu’on peut dire les deux choses : qu’elle était la même et qu’elles étaient différentes. Si nous disons qu’elle était la même, nous pouvons dire que, bien qu’elle ait été la même, elle n’avait pas le même mérite, car, alors qu’elle était pécheresse, elle n’osa pas oindre la tête [de Jésus], mais, par la suite, ayant pris confiance, elle lui oignit la tête. Augustin démontre que c’était la même, car, en Jn 11, 5, avant d’en venir à ce geste, on dit : Marie était la sœur de Lazare, qui oignit le Seigneur d’une huile parfumée et lui essuya les pieds de ses cheveux. Il semble donc que celle dont Luc parle soit la même que celle qui était la sœur de Lazare. Origène dit qu’elle n’est pas la même que celle dont parle Luc et celle dont parle Jean. Et on peut le démontrer à cause du moment, car on lit qu’elle a posé ce geste avant que [Jésus] ne se rende à Jérusalem. Cela est arrivé lorsqu’il dit : VOUS SAVEZ QUE LA PÂQUE TOMBE DANS DEUX JOURS. [On peut le démontrer aussi] par l’endroit, car celle dont parle Jean [posa son geste] dans la maison de Marthe, mais celle-ci, dans la maison de Simon. [On peut le démontrer encore] par le fait que, là, elle oignit ses pieds, et ici, sa tête. Quatrièmement, là, Judas dit : POURQUOI UN TEL GASPILLAGE ? Mais ici, ce sont tous les disciples [qui le dirent] [26, 8].
Augustin dit que c’était la même femme, et il répond aux arguments d’Origène. Au premier, il répond que Matthieu ne respecte pas l’ordre historique, mais raconte, car Judas trouva dans cette circonstance une occasion de pécher. Augustin n’apporte pas de solution à ce qu’[Origène] objecte au sujet du lieu, mais on peut apporter la solution suivante : cet homme possédait une grande autorité et [un grand] pouvoir, et leur maison n’en faisait qu’une, car il était parent [avec elle]. Autrement, comment serait vrai ce qui est dit : Ils firent un grand repas… et Lazare était l’un des convives ? [Jn 12, 2].
2618. UNE FEMMES S’APPROCHA DE LUI AVEC UN FLACON D’ALBÂTRE CONTENANT DU PARFUM. L’albâtre est une sorte de marbre qui est translucide et dont on fait des fenêtres. Avec cette pierre, on faisait certains vases dans lesquels étaient conservés des parfums, comme on le fait maintenant avec de la terre broyée, car ils étaient aptes à la conservation par leur fraîcheur. Ainsi, UN FLACON [D’ALBÂTRE], c’est-à-dire [un vase] d’albâtre rempli de parfum. Et on dit ici [D’UN PARFUM] PRÉCIEUX, et ailleurs de nard pur. Pistis en grec veut dire «fidèle» en latin. Ainsi, pur, c’est-à-dire non frelaté.
2619. L’effet est ensuite présenté : ET ELLE LE VERSA SUR SA TÊTE PENDANT QU’IL ÉTAIT À TABLE. Mais ici se pose une double question. Comment le Christ a-t-il supporté cela, car cela semble avoir un rapport avec la débauche ? Augustin répond à cela dans Sur la doctrine chrétienne. «On juge d’une manière différente lorsqu’il s’agit d’une personne ordinaire et lorsqu’il s’agit d’une personne prophétique, car, pour une personne ordinaire, [on juge] selon le geste, et pour une personne prophétique, selon la signification de celui-ci. Pour une personne ordinaire, cela indiquerait la débauche ; pour une personne prophétique, [cela aurait] une signification.»
2620. L’interprétation allégorique [est la suivante] : cela signifie la sépulture du Christ, car, anciennement, on avait coutume d’oindre les corps. En Mc 14, [8], on lit qu’elle oignit le corps [du Christ] en prévision de sa sépulture. De même, au sens mystique, le parfum signifie toute bonne action. Cette [bonne action] peut être faite de deux manières : elle peut être faite, non pas pour Dieu, mais en vue de la justice naturelle, comme une œuvre païenne, et cela est un parfum, mais qui n’est pas précieux. Si [elle est faite] pour Dieu, alors elle est précieuse. Ainsi, on oint les pieds lorsqu’on fait une bonne action pour l’utilité du prochain ; mais lorsqu’elle est faite pour la gloire de Dieu, on oint alors la tête.
Mais pourquoi Jean dit [qu’elle oignit] les pieds, et Matthieu, la tête ? Augustin dit qu’elle [oignit] les deux. Mais pourquoi Marc dit-il qu’elle brisa [le vase] d’albâtre ? Augustin dit que, «de même qu’il arrive parfois que quelqu’un verse de manière à ce qu’il ne reste rien, puis brise [le vase], celle-ci a-t-elle agi de même : elle versa, puis brisa [le vase]». Ou bien, si quelqu’un veut [la] calomnier, on peut dire qu’elle oignit d’abord les pieds, puis la tête.
2621. Ensuite viennent les reproches adressés à la femme : À CETTE VUE, LES DISCIPLES FURENT INDIGNÉS.
Mais il y a une objection à cela, car, en Jn 12, [5], on dit que seul Judas parla, alors que [Matthieu] dit que tous [s’indignèrent]. Selon Jérôme, il y a une double réponse. Lorsqu’on dit ici que les disciples parlèrent, c’est par synecdoque : LES DISCIPLES, c’est-à-dire un disciple, et cette manière [de parler] est courante dans l’Écriture. He 11, 37 : Ils ont été sciés, c’est-à-dire qu’un seul a été scié, à savoir seulement Isaïe. Ou bien, on peut dire que tous [ont parlé], car, comme le dit Augustin, Judas les a tous poussés [à parler]. De même, les autres [y] ont été poussés par le dénuement des pauvres, mais celui-ci a été mû par l’avarice.
Ils disent donc : POURQUOI CE GASPILLAGE ? Mais pourquoi disaient-ils cela ? Ils avaient entendu le Seigneur recommander beaucoup la miséricorde, plus haut, 19, 21 : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres.
2622. JÉSUS S’EN APERÇUT ET LEUR DIT. Ici est présentée l’excuse de la femme, et [Jésus] fait deux choses : premièrement, il l’excuse ; deuxièmement, il aborde sa récompense : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, etc. [26, 13].
En premier lieu, il l’excuse ; deuxièmement, il répond à l’objection des disciples ; troisièmement, il explique ce qu’il avait dit.
2623. Il dit donc : POURQUOI TRACASSEZ-VOUS CETTE FEMME ? Le Seigneur est toujours le défenseur de cette femme, car, en Lc 7, 39, le Pharisien l’accusait de péché en disant : Si celui-ci était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche et ce qu’elle est, etc., et le Seigneur l’a excusée en raison de son amour. De même, en Lc 10, 40, Marthe l’a accusée et le Seigneur lui a donné l’excuse de la contemplation. Ici, les disciples [lui reprochent] d’avoir répandu le parfum, et le Seigneur lui donne l’excuse de sa dévotion lorsqu’il dit : POURQUOI TRACASSEZ-VOUS CETTE FEMME ? Jb 6, 27 : Vous vous en prenez à un orphelin, et vous cherchez à renverser votre ami. ELLE A ACCOMPLI UNE BONNE ACTION POUR MOI. Pr 3, 27 : N’empêche pas quelqu’un de bien agir ; si tu le peux, toi aussi fais le bien. Chrysostome [dit] : «Il arrive parfois que quelqu’un fasse une bonne action d’une manière générale, et peut-être aurait-il pu faire mieux. Aussi faut-il agir autrement avant le fait et après le fait. Après le fait, il doit être loué pour ce qu’il a fait ; mais s’il se présente avant le fait, il faudrait lui conseiller de faire ce qui est mieux.» De sorte qu’il faut croire que si elle avait demandé au Seigneur avant de prendre sa décision, il lui aurait dit de donner [le parfum] aux pauvres.
2624. CAR IL Y AURA TOUJOURS DES PAUVRES PARMI VOUS, etc. Ici est présentée la réponse à l’objection [des disciples], car ceux-ci disaient que [la femme] aurait pu le donner aux pauvres. MAIS MOI, VOUS NE M’AUREZ PAS TOUJOURS. Cela est vrai selon [sa] présence corporelle, mais il est toujours présent selon [sa] présence spirituelle. Ainsi, plus bas, 28, 20, il dit : Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles.
2625. Et qu’a-t-elle fait ? EN VERSANT CE PARFUM SUR MON CORPS, C’EST POUR L’ENSEVELIR QU’ELLE L’A FAIT. Mais qu’est-ce à dire ? Avait-elle l’intention d’ensevelir le Christ ? Non, mais, comme le dit Augustin, «de même que l’Esprit Saint pousse à parler, de même [pousse-t-il] parfois à agir». Aussi est-il écrit en Rm 8, 14 : Ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu ne sont pas sous la loi. Il arrive donc que quelqu’un soit mû par l’Esprit Saint dans un sens qu’il ne prévoyait pas. Ainsi, cette [femme] avait l’intention de faire une bonne action, mais l’Esprit Saint mit celle-ci en rapport avec la sépulture. [Le Seigneur] dit : ELLE A ACCOMPLI UNE BONNE ACTION ENVERS MOI.
2626. On pourrait dire que donner au prochain est une bonne action. Cela est vrai, mais pas au point où celle-ci doive être publiée à la grandeur du monde. C’est pourquoi il dit : EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : PARTOUT OÙ SERA PROCLAMÉ CET ÉVANGILE DANS LE MONDE ENTIER, [CELA] SERA REDIT À SA MÉMOIRE, à savoir, pour faire son éloge. Jérôme dit que lui qui devait être crucifié annonce à l’avance que l’évangile sera annoncé dans le monde entier, alors que [celui-ci] n’était pas encore divulgué au moment où Matthieu écrivait. Remarquez aussi que nombreux sont ceux qui ont voulu que sa naissance soit divulguée dans le monde entier et dont le souvenir a été effacé, alors que ce fait n’a pas été effacé. Pr 10, 7 : Le souvenir des justes est entouré de louanges. Ps 111[112], 7 : Le souvenir des justes durera éternellement.
2627. ALORS L’UN DES DOUZE PARTIT. Plus haut, [Matthieu] a présenté une triple annonce de la passion du Seigneur ; ici, il se tourne vers le récit. Premièrement, il [le] fait précéder des événements préparatoires ; deuxièmement, il traite de la passion elle-même, en cet endroit : COMME IL PARLAIT ENCORE, etc. [26, 47].
Il y a trois événements préparatoires : premièrement, l’entente en vue de la trahison est présentée ; deuxièmement, l’institution de la communion au Seigneur ; troisièmement, la prière du Christ. Le second point [se trouve] en cet endroit : LE PREMIER JOUR DES AZYMES, etc. [26, 17] ; le troisième, en cet endroit : ALORS JÉSUS VINT AVEC EUX DANS UN DOMAINE APPELÉ GETHSÉMANI [26, 36].
En premier lieu, la personne de celui qui l’a trahi est décrite ; en second lieu, l’entente concernant la trahison ; en troisième lieu, la préoccupation [de Judas est décrite].
2628. [Matthieu] dit donc : ALORS. Comprenez que cela ne se rapporte pas à ce qui précède immédiatement, car il avait été question de cette femme par mode de transposition. Mais cela répond à ce qui avait été dit : ALORS, LES GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS… EN VUE D’ARRÊTER JÉSUS PAR RUSE ET DE LE TUER [26, 3].
2629. ALORS L’UN DES DOUZE, QUI S’APPELAIT JUDAS ISCARIOTE. Sa personne est décrite par trois traits. Par sa fonction, car il était l’un des Douze, non seulement l’un des disciples, mais l’un des Douze spécialement appelés. Jn 6, 71 : Ne vous ai-je pas choisis, vous, les Douze, et l’un de vous est le Diable ? Mais pourquoi [le Seigneur] a-t-il voulu choisir un méchant et un traître ? La première raison peut avoir été qu’il voulait indiquer qu’il ne condamne ou ne sauve personne en raison de sa prédestination, mais en raison de sa justice présente. De sorte que si quelqu’un était condamné en raison de sa prédestination, on ne le lui imputerait pas. De même, [c’était] pour la consolation des hommes : en effet, il savait que, dans l’avenir, beaucoup seraient égarés dans leurs choix, comme il arriva à Philippe, qui choisit Simon le Mage. C’est pourquoi le Seigneur a permis qu’il y ait un traître parmi les disciples. Une autre raison peut être que personne ne soit blâmé pour le fait qu’il y ait un méchant, puisqu’il y eut un méchant dans le premier collège.
2630. La
personne du traître est aussi décrite par son nom : QUI S’APPELAIT JUDAS.
Parmi les disciples, deux portaient ce nom, et cependant un seul fut mauvais,
ce qui signifie que certains qui confessent Dieu sont bons, et certains,
mauvais. [Il est question] des bons en Ps 113[114], 2 : La Judée l’a rendu saint ; des
bons, en Tt 1, 16 : Ils
confessent qu’ils connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs actes.
De
même, [le traître est-il décrit] par son lieu d’origine. ISCARIOTE est un
village, et on lui donne le sens de «souvenir de mort», car on garde à la
mémoire le péché de Judas. On peut mettre ceci en rapport avec ce que dit
Jérémie, 17, 1 : Le péché de
Judas a été inscrit avec un stylet de fer sur un ongle dur comme le fer.
2631. [JUDAS
SE RENDIT] AUPRÈS DES GRANDS PRÊTRES, qui avaient l’intention de tuer le
Christ, en oubliant ce qui est dit en Ps 1, 1 : Bienheureux l’homme qui ne s’est pas joint
au conseil des impies, etc. Et
en Gn 49, 6, Jacob dit : Que
mon âme ne descende pas vers leur conseil.
2632. ET IL LEUR DIT. Ici est présentée l’entente en vue de la trahison. Premièrement, l’entente est présentée ; deuxièmement, la mise en œuvre.
Premièrement, il faut considérer la cupidité [de Judas] ; deuxièmement, sa présomption. Sa cupidité, lorsqu’il dit : QUE VOULEZ-VOUS ME DONNER ET MOI, JE VOUS LE LIVRERAI ? Il a renié toute amitié pour de l’argent. Si 10, 10 : Rien n’est plus funeste que d’aimer l’argent. En effet, celui-ci a une âme vénale. Lui qui n’a pas réfréné sa cupidité tombe ainsi dans la trahison. Car, voyant qu’il avait été privé du prix du parfum, il voulut donc le récupérer en trahissant le Christ. La trahison est aussi touchée lorsqu’il dit : ET MOI, JE VOUS LE LIVRERAI. Ce fut une grande présomption que de livrer [le Christ], lui qui savait tout. De même, [Judas] parle comme quelqu’un qui a une mauvaise opinion de Dieu, car lorsque quelqu’un veut vendre [à un autre] quelque chose qu’il aime, il lui propose un prix ; mais lorsqu’il a quelque chose dont il veut se débarrasser, il dit : «Donnez-moi ce que vous voulez !» Ainsi s’exprime [Judas] : QUE VOULEZ-VOUS ME DONNER ?, c’est-à-dire : «Donnez ce que vous voulez.» Ils ont obtenu pour rien une terre désirable, Ps 105[106], 24.
2633. CEUX-CI LUI VERSÈRENT TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Origène dit que ceux qui rejettent Dieu pour un avantage temporel agissent de la même façon. En effet, Il habite en nous par la foi, mais nous Le rejetons lorsque nous nous attachons trop fortement aux réalités temporelles. [Matthieu] dit donc : CEUX-CI LUI VERSÈRENT TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Mais pourquoi s’est-il exprimé ainsi ? Parce que cela avait été exprimé par Za 11, 12 : Et ils ont estimé mon prix à trente pièces d’argent. Et il ne faut pas dire que Joseph a été vendu pour trente deniers, mais l’Écriture indique seulement [qu’il le fut] pour vingt pièces d’argent, c’est-à-dire des deniers. Mais que veut-il dire par TRENTE ? Il faut [bien] comprendre : ce nombre se compose de cinq et de six ; ainsi cinq fois six donnent trente. Par cinq, sont indiqués les livres de Moïse, ou bien les réalités temporelles qui sont soumises aux cinq sens. Ainsi est-il indiqué que le salut arriverait au sixième âge après la loi de Moïse.
2634. ET À PARTIR DE CE MOMENT, IL CHERCHAIT UNE OCCASION FAVORABLE POUR LE LIVRER. Ici est présentée la préoccupation [de Judas]. Et pourquoi agissait-il ainsi ? Afin d’accomplir son crime plus facilement et de manière plus cachée, comme c’est le cas de ceux qui pèchent, car celui qui agit mal craint la lumière, Jn 3, 20. Et Jb 24, 15 : L’œil de l’adultère épie la noirceur.
2635. LE PREMIER JOUR DES AZYMES. [Matthieu] traite alors de l’institution du sacrement et, parce que les réalités nouvelles succèdent aux anciennes (comme il est dit en Lv 26, 10 : Lorsque des réalités nouvelles arriveront, vous rejetterez les anciennes), il traite d’abord de l’ancien et, en second lieu, du nouveau.
À propos du premier
point, il fait deux choses : premièrement, la préparation de la Pâque est
présentée ; deuxièmement, l’annonce anticipée d’un traître est présentée,
en cet endroit : TANDIS QU’ILS MANGEAIENT, etc. [26, 21].
À propos du premier point, [Matthieu] indique d’abord le temps ; en second lieu, la préparation du repas ; en troisième lieu, l’institution du sacrement.
2636. [Matthieu] dit donc : LE PREMIER JOUR DES AZYMES. Ici pourrait être soulevée une objection, car ce jour était le premier jour de la Pâque, et il semble que cela s’oppose à ce qui est dit en Jn 13, 1 : Avant le jour de la Pâque, etc. Les Grecs disent que Matthieu, Luc et Marc se sont trompés et que Jean les a corrigés, car [la préparation] se fit avant le jour de la Pâque. Ils disent donc que le Seigneur a souffert à la quatorzième lune et qu’il fit le repas à la treizième. Ils disent ainsi que le Seigneur a [utilisé] non pas du pain azyme, mais du pain avec du levain. Et ils essaient de justifier cela par de nombreux arguments. Premièrement, il est dit, en Jn 18, 28, qu’ils n’entrèrent pas afin de ne pas être contaminés et de pouvoir manger la Pâque, de sorte qu’ils devaient manger la Pâque le jour de la passion. Un autre de leurs arguments est que les femmes préparèrent les aromates ; ainsi, etc. Mais cela ne peut pas être le cas, car le Seigneur n’a pas enfreint les cérémonies : en effet, on ne trouve pas qu’il ait anticipé la Pâque, mais on trouve que celle-ci ait été prolongée. Et à supposer qu’elle ait été anticipée, cela ne va pas dans le sens des Grecs, car il est écrit que la Pâque devait être mangée avec des azymes et des herbes des champs. Si donc il avait agi autrement, il aurait agi contre la loi. Ainsi donc, selon ce que disent les trois évangiles, cela a eu lieu à la quatorzième lune, et il était alors nécessaire de manger la Pâque.
2637. Que faut-il donc répondre à ce que dit Jean : Avant la fête de la Pâque ? Il faut dire que c’était la coutume qu’on fasse débuter le jour à partir du soir [précédent], et ainsi le jour de la Pâque commençait le soir [précédent]. On lit ceci en Ex 12, 18 : Le quatorzième jour, le soir, vous célébrerez la Pâque. Et, à partir de ce moment-là, on ne trouvait plus de pain avec du levain dans les maisons des Juifs jusqu’au vingt et unième jour. De sorte que si nous comptons à partir du soir de la quatorzième lune, la préparation fut faite avant le jour de la Pâque, mais c’était cependant la quatorzième lune. Jean appelle donc ce jour [le jour] des azymes, et le jour de Pâque, la quinzième lune.
2638. Si tu dis en second lieu qu’ils n’entrèrent pas au prétoire, etc., Chrysostome en apporte ainsi la solution : il dit que le Seigneur n’a rien omis des observances de la loi. Il a donc mangé la Pâque à la quatorzième lune. Mais ces grands [prêtres] désiraient ardemment tuer le Christ ; pour cette raison, ils reportèrent [de manger la Pâque]. Ils ne [la] célébrèrent donc pas, et cela, à l’encontre de la loi. Ou bien, par la Pâque, on entend les pains azymes, ce qu’on disait à propos des femmes, selon Augustin, parce qu’elles faisaient beaucoup de solennités. Mais le sabbat était une célébration plus solennelle. C’est pourquoi il n’était pas permis de préparer des aliments le jour du sabbat, ce qui était cependant permis aux autres fêtes, mais non pas le jour du sabbat. Ainsi, il arriva alors que la fête de la Pâque tomba un vendredi, puis suivit le sabbat. Ils [la] préparèrent donc et ils se reposèrent le jour du sabbat. Nous pouvons donc dire que [le Seigneur] célébra la Pâque à la quatorzième lune.
2639. La préoccupation des disciples suit : LES DISCIPLES S’APPROCHÈRENT DE LUI ET LUI DIRENT : «OÙ VEUX-TU QUE NOUS TE PRÉPARIONS DE QUOI MANGER LA PÂQUE ?» Premièrement, l’interrogation est présentée ; deuxièmement, l’ordre [de Jésus] ; troisièmement, l’accomplissement [de l’ordre].
[Matthieu]
dit : LES DISCIPLES S’APPROCHÈRENT. Mais quels disciples ? Rémi dit
que Judas [s’approcha] docilement afin de cacher sa trahison. Toutefois, le
pape Léon dit que les autres aussi. «OÙ VEUX-TU QUE NOUS TE PRÉPARIONS DE QUOI
MANGER LA PÂQUE ?» Par cela, il est indiqué que le Christ n’avait pas là
de maison, ni aucun membre de son entourage ; sa pauvreté est donc
signalée. Ainsi, plus haut, 8, 20 : Le Fils de l’homme n’a aucun endroit où poser sa tête.
2640. IL DIT. Ici est présenté l’ordre [de Jésus] : premièrement, il annonce l’hôte ; deuxièmement, la passion ; troisièmement, il demande un endroit pour tenir le repas.
[Le
Seigneur] dit donc : ALLEZ À LA VILLE, CHEZ UN TEL. Vous devez remarquer
qu’il n’était pas reçu dans une ville, mais à Béthanie. Mais que veut dire :
UN TEL ? Augustin dit que le Seigneur a donné un nom précis, mais parce
qu’il n’était pas nécessaire de le nommer, Matthieu a omis de le nommer.
Chrysostome dit que [le Seigneur] dit : «Allez chez un tel», c’est-à-dire chez n’importe qui, car il
voulait montrer sa puissance afin que [les disciples] ne soient pas troublés
par [sa] passion. En effet, sa renommée était si répandue qu’il était déjà
décidé que celui qui le recevrait le ferait en-dehors de la synagogue. Il
voulait donc laisser entendre qu’on ne le recevrait pas sans changer son cœur.
Pr 21, 1 : Le cœur du roi
est dans la main du Seigneur, et celui-ci l’orientera dans le sens qu’il
voudra.
2641. ET DITES-LUI, etc. Il annonce d’avance la passion afin que [les disciples] ne soient pas troublés. C’est pourquoi il dit : [MON] TEMPS, non pas n’importe lequel, mais celui qui a été déterminé par le Père. Il parle de cette manière en Jn 7, 6 : Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps est toujours prêt. «C’EST CHEZ TOI QUE JE VAIS FAIRE LA PÂQUE», c’est-à-dire que je célébrerai le repas pascal chez toi. Et il ajoute : AVEC MES DISCIPLES, pour montrer qu’il ne le ferait pas d.une manière cachée, mais publique. Selon Chrysostome, il dit cela parce qu’il voulait qu’on prépare suffisamment de nourriture pour lui-même et les disciples.
Mais pourquoi lui-même a-t-il célébré [la Pâque], alors que nous ne devons pas la célébrer ? Parce qu’il est dit en Jn 13, 15 : Je vous ai donné un exemple afin que ce que j’ai fait, vous le fassiez vous aussi. À cela Augustin répond que, «de même que le Christ a souffert afin de nous racheter de la mort, de même a-t-il a voulu observer la loi afin de nous délier de la loi».
2642. LES
DISCIPLES FIRENT COMME JÉSUS LE LEUR AVAIT ORDONNÉ, etc. On trouve quelque chose
de semblable en Ex 24, 3 : Nous
ferons tout ce que le Seigneur a ordonné.
2643. Ensuite, il est question du repas : LE SOIR VENU, IL ÉTAIT À TABLE AVEC SES DOUZE DISCIPLES. Il est dit : LE SOIR, parce que, comme l’ordonne Ex 12, 18 : À la quatorzième lune, le soir, vous célébrerez la Pâque. Ou bien, LE SOIR, parce que [Jésus] allait vers son couchant, Za 14, 7 : Et au moment du soir, il y aura de la lumière. Ou bien, la véritable mort du Christ est indiquée, c’est-à-dire sa fin : en effet, le soir est la fin du jour.
2644. ET TANDIS QU’ILS MANGEAIENT, IL DIT…, etc. Ici est présentée l’annonce anticipée de celui qui le trahirait : premièrement, il le désigne par son entourage ; deuxièmement, d’autorité ; troisièmement, de sa propre voix. Le second point [se trouve] en cet endroit : IL RÉPONDIT, etc. [26, 23] ; le troisième, en cet endroit : TU L’AS DIT [26, 25].
À propos du premier point, l’annonce anticipée est présentée ; deuxièmement, l’effet : ILS FURENT ATTRISTÉS [26, 22].
Il dit donc : ALORS QU’ILS MANGEAIENT, IL LEUR DIT : «EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, L’UN DE VOUS ME LIVRERA.» EN VÉRITÉ : il affirme, car il disait quelque chose d’important : «L’UN DE VOUS, que j’ai choisis pour être les colonnes de l’Église.» Si 6, 10 : L’ami partage la table, et il n’est pas là au jour du besoin. Et en Jr 9, 4 : Ne fais confiance à aucun de tes frères.
2645. Puis
vient ensuite l’effet, et il y a un double effet : la tristesse et le
doute. Pour ce qui est de la tristesse, [Matthieu] dit : ILS FURENT
ATTRISTÉS. Pourquoi ? Ils s’attristaient de la mort du Christ, car il
était amer pour eux d’être privés d’un tel chef, d’un tel patron. Ils
s’attristaient aussi d’un tel crime à venir. Jr 9, 1 : Qui donnera une fontaine de larmes à mes yeux ?
Ensuite est présenté le doute : CHACUN SE MIT À DIRE. Mais pourquoi doutaient-ils ? Est-ce que chacun n’était pas certain de lui-même ? Réponse : les disciples avaient reçu l’enseignement que les hommes sont très prompts au péché. Ainsi l’Apôtre dit en 1 Co 10, 12 : Celui qui est debout, qu’il prenne garde de tomber ! Ils doutaient aussi parce qu’ils croyaient davantage en lui qu’en leur propre conscience. Cela ressemble à ce qui est dit en 1 Co 4, 4 : Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour autant.
2646. IL RÉPONDIT : «CELUI QUI MET LA MAIN DANS LE PLAT, CELUI-LÀ ME TRAHIRA.» Ici est présentée l’annonce anticipée sous forme de prophétie. Premièrement, [Matthieu] présente l’annonce prophétique anticipée ; deuxièmement, la nécessité de la passion ; troisièmement, la condamnation du traître.
2647. [Matthieu] dit donc : IL RÉPONDIT. On peut interpréter ainsi Ps 40[41], 10 : Celui qui mangeait mon pain a accumulé contre moi les manœuvres. CELUI QUI MET LA MAIN DANS LE PLAT [paropsis]. Marc dit : Dans le bassin. On appelle «plat» [paropsis] un contenant carré, ayant pour ainsi dire des côtés égaux [paria]. Le «bassin» est un récipient de terre cuite pour recueillir les breuvages. Ainsi, dans les «bassins» étaient déposés les breuvages, et dans les «plats», les [aliments] solides. Les deux pouvaient donc se trouver là. Ou bien, l’on parlait d’un plat, qu’on appelait bassin en raison de sa fonction.
2648. Et pourquoi dit-il : CELUI QUI MET LA MAIN DANS LE PLAT ? Il faut dire que c’était la coutume chez les anciens que plusieurs mangent dans un même plat, et peut-être utilisaient-ils un récipient. Étonnés, tous retirèrent donc la main, sauf Judas, afin de se disculper davantage. C’était donc une façon de parler qui prêtait au doute, car il mettait la main en même temps que tous les autres. [Le Seigneur] ne voulut donc pas le mettre à découvert de crainte qu’il ne devienne davantage pécheur. Ou bien, on peut dire qu’ils étaient assis deux à deux, et que [Judas] s’était placé près de lui pour l’amener. Mais plusieurs ne sont pas amenés par l’amitié.
2649. LE FILS DE L’HOMME S’EN VA COMME IL EST ÉCRIT DE LUI. «Pourquoi dis-tu que tu l’as livré ?» [Le Seigneur] dit : «LE FILS DE L’HOMME S’EN VA», à savoir, de sa propre volonté. Il s’est offert parce qu’il l’a voulu, comme il est écrit en Is 53, 7. La passion avait donc été prédite par les prophètes, comme on le lit en Lc 24, 27 : En commençant par Moïse et tous les prophètes, il leur expliqua toutes les Écritures qui parlaient de lui. Et ainsi, rien ne nuit au Fils de l’homme, car il arrive ce qu’il a lui-même décidé. Mais on dira : «S’il s’en va de sa propre volonté, il ne faut donc pas l’imputer à Judas.» Bien au contraire, faut-il répondre, car il faisait par une volonté mauvaise ce que le Fils faisait volontairement.
2650. C’est pourquoi viennent ensuite les peines : MALHEUR À L’HOMME PAR QUI LE FILS DE L’HOMME EST LIVRÉ ! Comme plus haut, 17, 7 : Il est nécessaire qu’arrivent des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! La grandeur de la peine est abordée : IL AURAIT MIEUX VALU QU’IL NE FÛT PAS NÉ. De cela vient une occasion d’erreur. En effet, certains disent qu’une peine n’est pas imposée à qui n’existe pas ; ils disent donc qu’il aurait été tout simplement mieux qu’il n’existe pas, ce qui va à l’encontre de l’Apôtre, Rm 9. De sorte que, selon Jérôme, il faut dire que [le Seigneur] parle selon la manière commune de parler : il aurait moins nui, il subirait un moindre tourment s’il n’était pas né. Cela semble correspondre à ce qui est dit en Qo 4, 2 : J’ai fait l’éloge des morts plutôt que des vivants. Mais cela va à l’encontre d’Augustin, dans le livre Sur le libre arbitre. Du fait qu’il n’y a rien, cela ne peut être choisi. De même, le fait que nous choisissions est plus proche de la félicité. Mais le fait qu’on n’existe pas n’est pas plus proche de la félicité.
2651. Que faut-il donc dire ? Est-ce que quelqu’un peut choisir plutôt de ne pas exister que d’être soumis à une peine ? Ne pas exister peut donc s’entendre de deux façons : en soi ou par comparaison à autre chose. En soi, je dis que cela ne peut être choisi, comme le dit Augustin, mais par comparaison à autre chose, cela peut être choisi, comme le dit Jérôme. En effet, [ne pas exister] n’est pas quelque chose [qui existe] par nature, mais est perçu comme quelque chose par la perception de l’âme, comme le fait de ne pas être assis. Or, le choix porte sur ce qui est perçu. De sorte qu’être privé d’un mal est perçu comme un bien. Ainsi, si on choisit [cela] non pas en soi, mais en tant que cela exclut le mal, on choisit donc, comme le dit le Philosophe. Par cela, la réponse au second point est claire. [Le Seigneur] dit donc que ce qui s’éloigne le plus du mal est perçu comme plus rapproché de la félicité. Ainsi, pour un homme pris de fièvre, être exempt de fièvre semble être une félicité, car il semble ne pas être dans les souffrances. Il est donc mieux de ne pas être que d’être dans les souffrances.
2652. JUDAS, CELUI QUI LE TRAHISSAIT, LUI
RÉPONDIT : «SERAIT-CE MOI, MAÎTRE ?» Il faut remarquer qu’il dit cela
par simulation ; ainsi, en tardant à poser la question, il avait indiqué
qu’il était triste, mais il simulait. De même, les autres l’appellent
«Seigneur», mais lui, «Maître». Toutefois, [Jésus] était les deux,
Jn 13, 13 : Vous m’appelez
Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis.
[LE SEIGNEUR] LUI RÉPONDIT : «TU L’AS DIT.» Remarquez la mansuétude du Seigneur. Plus haut, 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et cela, afin de nous donner un exemple de mansuétude. Il dit donc : «TU L’AS DIT», à savoir : «Tu l’as confessé.» Ou bien : «Tu dis cela, je ne l’affirme pas ; mais toi, tu le dis.» Ce n’est donc pas la parole de qui affirme. En effet, il ne voulait pas le dévoiler, comme s’il disait : «Je ne l’affirme pas, mais toi, tu le dis.»
2653. Plus haut, l’évangéliste a présenté la célébration de l’ancienne Pâque ; ici, l’institution du sacrement de l’autel est présentée : premièrement, le sacrement est institué ; deuxièmement, le scandale à venir des disciples [est présenté], en cet endroit : ALORS JÉSUS LEUR DIT : «VOUS TOUS, VOUS ALLEZ SUCCOMBER À CAUSE DE MOI» [26, 31].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, le sacrement pascal est institué ; deuxièmement, [il prononce] l’hymne d’action de grâce, en cet endroit : APRÈS AVOIR DIT L’HYMNE, ILS PARTIRENT VERS LE MONT DES OLIVIERS [26, 30].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, l’institution du sacrement est présentée sous l’espèce du pain ; deuxièmement, sous l’espèce du vin, en cet endroit : PRENANT UNE COUPE, IL RENDIT GRÂCE, etc. [26, 27].
2654. À propos du premier point, [Matthieu] aborde d’abord les gestes du Christ ; en second lieu, ses paroles, en cet endroit : PRENEZ ET MANGEZ : CECI EST MON CORPS [26, 26].
Pour ce qui est des gestes, cinq choses doivent être notées : premièrement, le moment est présenté ; deuxièmement, la matière [du sacrement] est désignée ; troisièmement, la bénédiction ; quatrièmement, la fraction ; cinquièmement, la communion ou distribution.
2655. Le moment est abordé lorsqu’il dit : TANDIS QU’ILS MANGEAIENT, etc., c’est-à-dire tandis qu’ils étaient en train de prendre le repas du soir, qu’ils dînaient. Et pourquoi l’a-t-il institué durant le repas lui-même, et non avant ? Il y a une double raison. Parce que le Seigneur voulait que celui-ci succède à l’ancien sacrement, comme la vérité à la figure. C’est pourquoi il a institué le nouveau [sacrement] après l’institution de l’ancien sacrement. Lv 26, 10 : À l’arrivée du neuf vous rejetterez l’ancien. C’était aussi pour une autre raison : il voulait qu’il soit fixé dans [leur] mémoire. En effet, ce qu’on entend au dernier moment se fixe plus nettement dans la mémoire. Lm 3, 19 : Souviens-toi de ma pauvreté et de ma faute, de l’absinthe et du fiel.
2656. Pourquoi donc l’Église a-t-elle établi que les hommes devaient recevoir ce sacrement à jeun ? Il faut dire que c’est par respect pour le sacrement. En effet, il est convenable qu’il soit reçu avant la nourriture. Et cela doit s’entendre du même jour. En effet, comme le jour commence au milieu de la nuit, on ne doit rien prendre depuis le milieu de la nuit jusqu’à la réception de ce sacrement. Mais certains se sont demandé si, en entrant dans la bouche, quelque chose empêche l’absorption du sacrement, par exemple, si l’on boit de l’eau. Il faut comprendre qu’il y a un double jeûne : le jeûne de l’Église et le jeûne naturel. Boire de l’eau ne rompt pas le jeûne de l’Église, mais rompt le jeûne naturel, car même si l’eau ne nourrit pas par elle-même, elle nourrit avec d’autres choses. Et vous devez comprendre qu’on prend de l’eau et on boit si on se lave la bouche et avale une goutte par accident. Il ne faut cependant pas la rejeter pour cette raison ; elle est plutôt considérée comme de la salive.
À propos de la nourriture, je dis la même chose : si l’on mange de l’anis et qu’il en reste quelque chose entre les dents, et si on l’avale par accident, il ne faut pas pour autant le rejeter. De même, certains se font une obligation de conscience de ne pas le recevoir s’ils n’ont pas dormi. Cela n’a pas sa place, car cela ne vient pas d’une disposition de l’Église. Aussi cela n’a-t-il pas d’importance qu’on dorme ou qu’on ne dorme pas.
2657. JÉSUS PRIT DU PAIN, etc. Ici est touchée la matière [du sacrement]. Il faut remarquer que, sous un aspect, ce sacrement se rattache à l’Ancien Testament comme la vérité à la figure. Le sacrement [de l’Ancien Testament] était pris comme nourriture parce que le commandement était qu’on devait manger un agneau ; le sacrement [nouveau], qui est pris à sa place, doit se prendre comme une nourriture. De même que cet agneau-là était une véritable nourriture, de même cet agneau-ci [l’est-il]. Jn 6, 56 : Ma chair est vraiment une nourriture. L’opinion de ceux qui affirmaient que le Christ n’était là que sous un signe est donc fausse, car, s’il en était ainsi, qu’est-ce que ce signe aurait de plus qu’un autre ? Le signe [de l’Ancien Testament] n’était qu’un signe, mais celui-ci est à la fois figure et vérité.
2658. Mais n’est-ce pas un manque de respect de la part de quelqu’un de manger le corps du Christ ? Il faut dire que cette nourriture diffère des autres nourritures, car les autres nourritures sont changées en notre corps ; ce serait donc un manque de respect si le Christ était ainsi changé. Mais il n’en est pas ainsi ; c’est plutôt le contraire, comme dit Augustin : «Tu ne me changeras pas en toi, mais tu seras changé en moi.»
Ce sacrement est donc la fin et la perfection de tous les sacrements. La raison en est que l’être par essence est la fin et la perfection des choses qui existent par participation : les autres sacrements contiennent le Christ par participation, mais dans celui-ci le Christ existe selon sa substance. C’est pourquoi Denys dit qu’il n’y a aucun sacrement qui ne soit accompli dans l’eucharistie. Si un adulte est baptisé, on doit lui donner l’eucharistie. [Le Christ] doit être pris en nourriture afin que la vérité réponde à la figure.
2659. Et pourquoi [n’est-il] pas pris sous sa propre espèce ? Une raison tient au mérite de la foi, car la foi à laquelle la raison humaine apporte l’expérience n’a pas de mérite. C’est aussi pour que soient épargnés ceux qui le prennent, car ce n’est pas la coutume de manger de la chair humaine. De même, c’est pour le défendre contre la dérision des infidèles.
Et pourquoi sous une telle espèce ? Parce qu’il a voulu qu’il soit célébré par tous partout dans le monde. Il a donc voulu leur donner une matière qui soit commune à tous. Or, la nourriture commune des hommes est le pain, et la boisson commune est le vin. C’est ainsi que le pain et le vin constituent la nourriture principale, et qu’une autre [nourriture] est plutôt comme une préférence particulière. De même, en est-il pour les autres sacrements : pour l’onction, on ne prend pas n’importe quelle huile, mais [une huile] commune, qu’on dit être l’huile de plusieurs oliviers. Ainsi l’unité de l’Église [se réalise-t-elle] par la multitude des fidèles. Il apparaît aussi que nos sacrements sont plus anciens que les sacrements de l’ancienne loi, car les sacrements de l’ancienne loi ont débuté avec Moïse et Aaron, mais les sacrements de la nouvelle loi ont débuté avec Melchisédech, qui offrit à Abraham du pain et du vin. C’est pourquoi on dit que le Christ est devenu prêtre selon l’ordre de Melchisédech, Ps 109[110], 4.
2660. Ensuite, il est question de la bénédiction, et cette bénédiction porte sur trois choses : sur la matière, car il a béni le fruit de la terre, par quoi est signifié que la malédiction d’Adam a été annulée par le Christ, alors que [le Seigneur] lui avait dit, Gn 3, 17 : Que la terre soit maudite pour ton travail…Elle te donnera des épines et des chardons. De même porte-t-elle sur ce qui était contenu [dans ce sacrement], c’est-à-dire le Christ, plus haut, 21, 9 : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Elle porte encore sur le fruit du sacrement, car par lui seront bénis les fidèles, et l’on passe ainsi de la tête aux membres. Pr 10, 6 : La bénédiction du Seigneur descend sur la tête du juste.
2661. Ensuite est abordée la fraction [du pain] : IL LE ROMPIT, et cela signifie trois choses. Premièrement, cela signifie le mystère de la passion à venir, car, dans la passion, les membres ont été percés, conformément à Ps 21[22], 17 : Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Et ceci a eu lieu parce qu’il l’a lui-même voulu. Is 53, 7 : Il a été immolé parce qu’il l’a voulu. Cela signifie aussi que, rompue, [la matière] passe de l’unité à la multiplicité ; elle signifie donc l’incarnation, car, alors que le Verbe de Dieu était simple, il est venu dans cette multiplicité, sans abandonner sa simplicité. De même indique-t-il l’effet qu’il entraîne pour chacun, car, selon l’Apôtre, 1 Co 12, 4, les grâces sont réparties, mais l’Esprit est unique.
2662. La distribution est aussi présentée : IL LE DONNA À SES DISCIPLES. Si 29, 33 : Avec ce que tu as en main, nourris chacun. Et il dit : [SES] DISCIPLES, car ce sacrement ne doit être donné à personne qui ne soit baptisé. De même que ne l’accomplirait pas un prêtre s’il n’était consacré, de même [ce sacrement] ne doit-il être administré qu’à un baptisé. Aussi ne doit-il être donné qu’aux fidèles ; bien plus, il ne doit pas être permis aux infidèles de voir ce sacrement. C’est ainsi que, dans l’Église primitive, alors que les catéchumènes étaient nombreux, ils étaient accueillis dans l’église jusqu’à l’évangile, puis ils en étaient renvoyés.
2663. De même, lorsqu’il dit : À SES DISCIPLES, on se demande si Judas y était. Tous disent que [le Seigneur] le donna en même temps à tous, même à Judas, et cela afin de le ramener du péché par sa douceur. C’était aussi afin de donner à l’Église l’enseignement que, aussi longtemps qu’un pécheur est occulte, il ne doit pas être empêché de recevoir ce sacrement : en effet, les hommes n’ont pas à juger des choses occultes. Hilaire dit ici que Judas n’était pas là, puisqu’il était déjà parti. Il veut le démontrer par ce qui est dit en Jn 13, 25, lorsque les disciples demandèrent : Qui te trahira ? [Jésus] leur répondit : Celui à qui je donnerai la bouchée que je trempe. [Hilaire] montre donc que [Judas] était déjà parti. Mais il faut plutôt accepter ce que les autres disent.
2664. IL DIT : «PRENEZ ET MANGEZ, CECI EST MON CORPS.» Ici sont présentées les paroles, et par ces paroles, il fait trois choses : premièrement, il exhorte à recevoir ; deuxièmement, à manger ; troisièmement, il fait connaître la vérité.
[Le Seigneur] dit : PRENEZ ET MANGEZ. Ce qu’il dit : PRENEZ, doit être mis en rapport avec la réception spirituelle, car [ce sacrement] ne doit être pris qu’avec foi et charité. Jn 6, 55 : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Il incite aussi à manger : MANGEZ, non seulement spirituellement, mais aussi sacramentellement. Ct 5, 1 : Amis, mangez et buvez ! Il indique aussi la réalité : CECI EST MON CORPS. La forme du sacrement est contenue dans ces paroles, qui sont des paroles du Seigneur, car le sacrement se réalise par les paroles du Seigneur. De sorte que si la parole d’Élie a eu une telle puissance qu’elle fit descendre le feu du ciel, à bien plus forte raison la parole de Dieu pourra-t-elle changer un corps en un autre.
2665. On se demande alors si la puissance se trouve dans les paroles. Il n’est pas douteux qu’il en soit ainsi. Aussi est-il dit en Ps 57[58], 34 : Il a fait de sa voix une voix puissante. Qo 8, 4 : Sa parole est remplie de puissance. Le prêtre agit donc au nom du Christ et n’emploie pas [ces] paroles en son nom propre, mais au nom du Christ. Mais quelle est cette efficacité ? Comment est-elle si grande ? Certains disent qu’il n’y a là aucune efficacité, mais seulement la puissance du Christ, qui est là présent. Mais il ne semble pas, car les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils représentent. Mais quelle efficacité a-t-il exercée ? Il faut dire qu’il existe une cause active principale, qui agit par une efficacité qui se trouve en elle-même. Il existe aussi une cause instrumentale, et celle-ci n’agit pas par une efficacité qui se trouve en elle-même, mais [par une efficacité] qui passe en elle à partir d’un autre. Ainsi les sacrements sont des causes, non pas comme des causes principales, mais comme des causes instrumentales par lesquelles passe [la puissance] d’un autre.
2666. Mais alors se pose une question sur ce qui est accompli : est-ce que ce PRENEZ ET MANGEZ fait partie de la forme du sacrement ? Il faut dire que seulement CECI EST MON CORPS fait partie de la forme du sacrement. Il faut donc comprendre qu’il en va autrement de ce sacrement et des autres sacrements, car la consécration de la matière fait parfois nécessairement partie du sacrement, et parfois non. Ainsi, dans le baptême, la consécration de la matière ne fait pas nécessairement partie du baptême, mais, dans le cas des onctions, aucune onction n’est pratiquée sans que l’huile ait été bénite. Dans les autres sacrements, le sacrement n’est pas reçu par le fait de bénir, mais de répandre, car l’huile et l’eau, puisqu’elles sont inanimées, ne contiennent pas la grâce. De sorte que, puisque la grâce est la fin du sacrement, celle-ci ne peut être apportée que par la réception du sacrement. Mais, dans le sacrement [de l’eucharistie], celui qui est la plénitude de la grâce est contenu. Il ne s’accomplit donc pas en nous, mais par la consécration de la matière. Ainsi, à supposer que personne ne le reçoive, ce ne serait pas moins un sacrement. Son usage découle donc [de la réalité du sacrement] et n’en fait pas nécessairement partie. Ainsi, dans les autres [sacrements], ce qui se rapporte à l’usage fait partie de la forme ; mais [le sacrement de l’eucharistie] ne se rapporte pas à l’usage, mais à la sainteté de la matière. De sorte que ce qui est dit : PRENEZ ET MANGEZ, qui se rapporte à l’usage, ne fait pas partie de la forme.
2667. De même, on a l’habitude de soulever la question de savoir si le Seigneur a réalisé le sacrement par ces paroles. Il semble que non, car il est dit en cet endroit : IL PRIT DU PAIN, LE BÉNIT. Il semble donc qu’il l’ait consacré par la bénédiction. Certains ont donc dit qu’il ne l’avait pas consacré d’abord principalement par les paroles, mais par une efficacité spirituelle. Et il a pu faire cela en raison de sa puissance d’excellence, car il pouvait conférer la réalité du sacrement sans le sacrement, puisqu’il n’avait pas lié sa puissance aux sacrements. Il pouvait donc faire cela par sa puissance d’excellence. D’autres disent qu’il a dit [les paroles] d’abord de manière cachée et, par la suite, en public. Il est mieux de dire qu’il [les] a dites une seule fois, et non deux, et qu’il a consacré par ces paroles. Il faut donc lire que ce qui est dit : IL DIT : «PRENEZ ET MANGEZ», se rapporte à ce qui précède. Parlant ainsi, il dit : CECI EST MON CORPS.
2668. Ici on se demande ce qu’indique ce pronom : CECI. Certains ont dit qu’il montre, non pas pour les sens, mais pour l’intelligence, car cela ne se rapporte qu’à la substance du pain et qu’en vue de la signification. Le sens est donc : CECI EST MON CORPS, c’est-à-dire ce qui est désigné par cela est mon corps. Et cela n’est pas acceptable, car les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils signifient. Il ne fait donc rien d’autre que ce qu’il désigne, et il désigne le corps du Christ. Et ainsi, il n’y a que le corps du Christ sous le signe.
2669. D’autres disent que le CECI indique la substance même du corps. Mais comment cela peut-il être ? Est-ce le corps du Christ dès qu’il dit : CECI ? Il est clair que non, car si le prêtre mourait, [le pain] ne serait pas consacré à moins qu’il n’ait terminé. C’est pourquoi certains disent que le CECI retarde sa signification et indique ce qui existera après que ce mot : MON [CORPS] aura été proféré. Cela non plus ne convient pas, car, de la sorte, il semblerait dire la même chose que s’il disait : «Mon corps est mon corps.» Et cela ne convient pas à Dieu.
D’autres disent que les paroles sont proférées matériellement, mais non selon [leur] sens. Et cela n’est pas acceptable, car Augustin dit : «La parole atteint l’élément, et le sacrement apparaît.»
2670. De quoi s’agit-il donc ? Il faut dire que [ces paroles] dont dites sous forme de récit et, simultanément, sous forme de récit et selon [leur] sens. Pourquoi ? Parce que le prêtre] parle au nom du Christ et agit comme si le Christ était présent ; autrement, [ses] paroles n’atteindraient pas leur propre matière. De quoi donc s’agit-il ? Il faut dire qu’il en va autrement dans les paroles sacramentelles et dans les autres paroles humaines, car la parole humaine ne fait qu’indiquer le sens, mais la [parole] divine indique le sens et le réalise. De sorte que les paroles sacramentelles ont une efficacité divine en vertu de la puissance divine. Ainsi, elle dit et, par la puissance divine, elle réalise. C’est pourquoi cette parole n’indique pas seulement un sens, mais est réalisatrice. Elle réalise d’abord, puis signifie. En effet, dans une réalisation matérielle, il se fait que quelque chose de commun préexiste à toute transmutation, et ce qui est commun se retrouve sous un terme de la transmutation et, à la fin, sous un autre. Par exemple, supposons que de noire une chose devienne blanche : lors de cette transmutation, il existait un corps, mais, au départ, il se trouvait sous le noir et, par la suite, sous la blancheur. Ainsi, pour une part, elle est semblable, à savoir qu’il y a quelque chose de commun ; mais [elle est aussi] dissemblable, car [elle n’existe pas] de la même façon. Car, dans les autres transmutations matérielles, le sujet est commun et la forme, différente. Mais, ici, c’est le contraire, car l’accident est commun et la substance est différente. La substance est donc changée, l’accident commun demeure. Qu’indique donc le CECI ? Il faut dire que le sens est : CECI EST MON CORPS, c’est-à-dire que mon corps est contenu sous l’accident. Ou bien, il se fait que ce qui est contenu sous les accidents est mon corps. C’est pourquoi à la fin [le Seigneur] a employé le nom, mais, au début, le pronom, qui signifie une substance indéterminée, alors que par le nom [est signifiée] une forme déterminée. Ainsi, au départ, il n’y a pas de forme, mais [il y en a] à la fin.
2671. Mais comment le corps du Christ est-il là ? Il y a eu une opinion selon laquelle, en même temps que le corps du Christ, la substance du pain demeurait. De sorte que lorsqu’il dit : CECI EST MON CORPS, cela se rapporte au seul corps. D’autres disent que la substance du pain passe dans la matière préexistante, et qu’apparaît là le corps du Christ en raison du fait que la substance du pain est transformée dans le corps du Christ. Ceci est écarté de la manière suivante : il semble ainsi que commence à exister une réalité qui n’existait pas auparavant, ce qui ne peut se produire que s’il y a changement selon le lieu ou si quelque chose est changé en elle. Comme si on disait : «Il n’y a pas de feu ici. Si donc il y en a par la suite, cela ne peut être que parce que quelqu’un l’y a apporté ou que quelque chose qui était là a été changé en feu.» Mais, selon cette opinion, le mode de la conversion est écarté. Il ne reste donc que le changement local. Or, il est impossible que le même corps soit dans des lieux différents. Ainsi donc, etc.
Il faut donc dire autre chose, à savoir que le corps commence à y être, non par mouvement local, mais par conversion d’un autre en lui-même, et, en celui-ci, la forme demeure, mais le sujet change. Le changement se produit donc d’un sujet à [un autre] sujet, qui est le principe d’individuation, non pas parce que le corps du Christ existe en même temps que la substance du pain ou qu’est annihilée la substance du pain, mais par le fait qu’elle est changée en lui par conversion.
2672. Mais comment cela peut-il se faire en un si petit espace ? Il faut dire que quelque chose se trouve là par l’efficacité du sacrement, et il s’agit principalement [du corps du Christ], mais quelque chose s’y trouve par concomitance. S’y trouve par l’efficacité du sacrement ce à quoi aboutit la conversion. Et parce que le pain est converti en corps du Christ, ce qui est signifié est le corps du Christ, et celui-ci n’existe pas sans âme ni divinité. Toutefois, le pain n’est pas non plus converti en âme et en divinité, mais [ces réalités] sont là par concomitance. De sorte que si quelqu’un avait célébré durant le triduum [pascal], alors que l’âme [du Christ] était séparée de [son] corps, l’âme n’y serait pas. En effet, dans le pain, il y a deux choses : la substance et les accidents. Les accidents demeurent, la substance change. Cela donc s’y trouve principalement à quoi aboutit la conversion. Or, elle aboutit à la substance. La substance s’y trouve donc principalement, mais les accidents [s’y trouvent] par concomitance. Or, les dimensions sont des accidents. Et le corps du Christ dans le sacrement ne se compare pas au lieu par ses dimensions propres, mais par les dimensions du pain préexistant.
2673. De même, IL LE ROMPIT. Mais est-ce que tout le corps se trouve en chaque parcelle ? Je dis que oui. Vous devez comprendre qu’on dit que [le corps du Christ] est présent dans un lieu d’une manière différente de celle d’un objet dans un lieu, car l’objet se compare au lieu par ses dimensions, mais ce n’est pas le cas [pour le corps du Christ]. C’est pourquoi il faut remarquer que partout où il y a une différence de quantité, cela ne fait pas de différence pour la substance ; mais s’il existe quelque chose qui découle de la quantité, cela se divise selon la quantité. Mais l’âme ne reçoit pas de la quantité de recevoir sa totalité, mais elle reçoit sa totalité en chacune de ses parties. Donc, le corps du Christ ne se compare pas à ce corps [que sont les parcelles] selon la quantité, mais seulement selon la substance. De même donc que l’âme existe dans toutes les parties du corps, de même le Christ [existe-t-il] dans chaque parcelle d’hostie. Qu’arrivera-t-il de ces accidents ? Il faut dire qu’ils demeurent sans sujet par la puissance divine. Et comment cela peut-il se produire, puisque les accidents dépendent de la substance ? Il faut dire que Dieu est le principe de l’être. Il peut donc produire un effet séparé d’un sujet et sans [ses] principes. Ainsi, comme le principe de la substance est de conserver les accidents dans l’existence, Dieu peut [les] conserver sans leurs principes. Si tu demandes si cela est vrai de tous les accidents, il faut dire que tous les accidents se rapportent à la substance par l’intermédiaire des dimensions, par lesquelles ils sont d’une certaine manière individués. C’est pourquoi les dimensions existent sans sujet, mais la qualité existe dans les dimensions comme dans un sujet.
Le sens est donc : CECI, à savoir, ce qui est contenu sous ces accidents, lesquels accidents demeurent avec leurs dimensions, car la substance, qui était d’abord sous-jacente à ces accidents, est transformée en corps du Christ.
2674. Plus haut, il a été question de l’institution d’un sacrement nouveau pour ce qui est du sacrement du corps du Seigneur. Ici, il est question de l’institution du même [sacrement] pour ce qui est du sacrement du sang. À ce sujet, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, les gestes du Christ sont présentés ; deuxièmement, [ses] paroles, en cet endroit : BUVEZ-EN TOUS.
À propos du premier point, trois gestes sont présentés : premièrement, il prend la coupe ; deuxièmement, il rend grâce ; troisièmement, il la donna à ses disciples.
2675. [Matthieu] dit donc : PUIS PRENANT UNE COUPE, etc. Il est indiqué par cela que [le sacrement] ne fut pas institué pour être réalisé sous une seule espèce, mais sous deux. Et quelle est la raison de cela ? Une raison est qu’il y a trois choses dans le sacrement : l’une, le sacrement seul ; une autre, la réalité seule ; une autre, le sacrement et la réalité. Le sacrement seul, ce sont les espèces du pain et du vin. La réalité seule, c’est l’effet spirituel. La réalité et le sacrement, c’est le corps contenu [dans le sacrement].
2676. Si donc nous considérons le sacrement seul, il convient tout à fait que le corps soit ainsi signifié sous l’espèce du pain et le sang sous l’espèce du vin, car ils sont signalés comme une indication de la réfection spirituelle. Or, la réfection relève à proprement parler de la nourriture et de la boisson. Donc, etc. De même, si l’on considère la réalité et le sacrement, il revient à ce sacrement de rappeler la passion du Seigneur. Et il ne pouvait mieux la signifier qu’en indiquant que le sang était répandu et séparé du corps. De même, si on l’envisage sous l’aspect de la réalité seule, car le sang est en rapport avec l’âme, non pas que le sang soit l’âme, mais parce que la vie est conservée par le sang. Il est donc indiqué que, puisque ce sacrement est destiné au salut des fidèles, le pain soit offert pour le salut du corps, mais le vin pour le salut de l’âme. Pr 9, 5 : Venez manger mon pain et boire le vin que j’ai mêlé pour vous, car cette réfection se trouve dans le pain et dans le vin.
2677. Il y a aussi une autre raison, car tout le Christ est contenu dans le corps. Pourquoi donc est-il nécessaire que le sang soit à part ? Il faut donc comprendre ce qui a été dit plus haut, à savoir qu’une chose s’y trouve directement par l’efficacité du sacrement, et une autre en vertu d’une concomitance naturelle. Sous l’espèce du pain, le corps du Christ est contenu par l’efficacité du sacrement, mais le sang par concomitance. Mais, dans le sang, c’est l’inverse, car le sang s’y trouve par l’efficacité du sacrement, mais le corps par concomitance. De sorte que si on avait célébré le sang du Christ répandu à terre, il ne se serait agi que du sang considéré séparément. Comme certains n’ont pas compris cela, ils ont donc dit que ces formules se répètent sans interruption. Ils disent donc que, lorsque le corps est consacré, le sang n’y est pas avant que le vin ne soit consacré. Mais tel n’est pas le cas, car si le prêtre mourait avant d’avoir consacré le vin, il y aurait dans l’hostie et le corps et le sang.
2678. [Matthieu] dit aussi : PRENANT UNE COUPE, et il ne dit pas : Prenant du vin. Pour cette raison, certains ont dit qu’il devait faire cela avec de l’eau. Mais cela est exclu, car vient ensuite : JE NE BOIRAI DU PRODUIT DE LA VIGNE, etc. [26, 29]. En second lieu, il est clair qu’il s’agissait de vin et d’eau mêlés. La raison de cela vient du sacrement, car il doit être célébré comme le Seigneur l’a institué. Or, dans les pays chauds, c’est la coutume que le vin ne soit pas bu sans eau. Il ne faut donc pas croire que [le Seigneur] l’a fait avec du vin seulement. Cela convient aussi à ce qui est contenu [dans le sacrement], car ce sacrement est un mémorial de la passion du Seigneur. Or, du côté du Christ, sont sortis du sang et de l’eau, comme on le lit en Jn 19, 34. C’était aussi pour signifier les effets, et cela de deux façons : parce que [ce sacrement] signifie le rappel de la passion du Christ, il doit donc entraîner en nous les effets de la passion du Christ. Or, l’effet est double : laver et racheter. Il nous a rachetés par son sang. Ap 5, 9 : Il nous a rachetés pour Dieu dans son sang. Il a aussi lavé nos souillures. Ap 1, 5 : Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés dans son sang. Or, l’eau et le sang étaient nécessaires pour laver et racheter. L’ablution est signifiée par l’eau et la rédemption par le vin. De même, par l’eau est signifié le peuple. Ap 17, 1 : Les grandes eaux, un peuple nombreux. Or, par ce sacrement, le peuple est uni au Christ. Ainsi, par ce mélange, on signifie que le peuple est uni au Christ. Mais que devient cette eau ? Certains disent qu’elle demeure. D’autres disent qu’elle est changée en vin, car lorsqu’on en ajoute un peu, l’espèce est changée, et ainsi l’ensemble est changé. Et, de cette façon, cela se rapporte au mystère, car en cela l’unité de l’Église est contenue.
2679. De
même, par le fait que [Matthieu] dit : IL PRIT, il indique qu’il a
souffert la passion volontairement. Ainsi, en Ps 115[116], 13 : Je prendrai la coupe du salut et
j’invoquerai le nom du Seigneur. De même, IL RENDIT GRÂCE. Et pour
quoi ? Pour deux choses : pour le signe et pour ce qui est signifié.
Pour le signe, car [il rendit grâce] pour [son] effet ; pour ce qui est
signifié, car [il rendit grâce] pour [sa] passion. Par cela est indiqué que
nous devons rendre grâce non seulement pour les biens, mais aussi pour les maux
et pour l’adversité. 1 Th 5, 18 : Rendant grâce en toutes choses. Rm 8, 28 : Tout
concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. Il rendit aussi grâce pour l’institution de ce sacrement, parce
qu’il faisait cela par la puissance divine. Ainsi, en Jn 5, 30 :
Je ne fais rien de moi-même. Il rend
ainsi grâce à Dieu, le Père. Jn 11, 41 : Je te rends grâce parce que tu m’as écouté. Par cela, un exemple
nous est donné, car si le Christ rend grâce, lui qui était égal au Père, nous
devons nous aussi rendre grâce. Il rend aussi grâce pour l’effet, car cet effet
est le salut du monde. Et il ne peut faire cela qu’en vertu de [sa] divinité.
Jn 6, 64 : C’est l’Esprit
qui vivifie, mais la chair ne sert à rien.
2680. Vient
ensuite : IL LEUR DONNA, afin qu’ils participent au sacrement. Et par cela
il signifiait que les fruits de sa passion devaient être distribués aux autres
par d’autres. Les apôtres peuvent donc être ainsi comparés aux petits de
l’aigle, dont on dit en Dt 32, 11 : Comme un aigle qui incite ses petits à voler en voletant au-dessus
d’eux.
Puis, il en ordonne l’usage. Premièrement, il en propose l’usage ; deuxièmement, [il propose] les paroles de la consécration du sang ; troisièmement, il annonce à l’avance [sa] résurrection. Il dit donc : BUVEZ-EN TOUS. Ct 5, 1 : Buvez et enivrez-vous, mes très chers. Il est indiqué par là que les chrétiens peuvent communier dans l’espace et dans le temps.
2681. CAR CECI EST MON SANG, etc. Ce sont les paroles de la consécration. Et remarquez qu’il y a une différence entre ces paroles et celles qu’utilise l’Église. L’Église ajoute : Ceci est la coupe. De même, là où il dit : DE LA NOUVELLE ALLIANCE, l’Église ajoute : De l’alliance nouvelle et éternelle. De même, là où il dit : QUI [SERA RÉPANDU POUR UN GRAND NOMBRE, l’Église ajoute : Qui [sera répandu] pour un grand nombre, etc. D’où l’Église tient-elle cette forme ? Il faut dire, comme le dit Denys, que ce n’était pas l’intention des évangélistes de transmettre les formes des sacrements, mais de les garder secrètes ; ils n’avaient donc comme but que de raconter l’histoire. D’où l’Église les tient-elle donc ? D’une décision des apôtres. C’est ainsi que Paul dit, 1 Co 11, 34 : Pour le reste, lorsque je viendrai, j’en déciderai.
2682. Mais
une question se pose. Pourquoi dit-il : CECI EST MON CORPS, ou : CECI
EST MON SANG ? Pourquoi ne dit-il pas : «Ceci est changé en mon corps
ou en mon sang, etc. ?» Il y a une double raison. La première est que les
formes des sacrements doivent signifier ce qu’elles réalisent. Ce qu’elles
réalisent, c’est que cela soit changé en corps du Christ. Mais l’effet ultime
est que cela devienne le corps [du Christ]. Il faut donc que l’effet ultime
soit indiqué. Il faut ainsi qu’il soit indiqué que cela est le corps, et non
que cela est changé en corps [du Christ]. Mais, dans cette forme, il y a
quelque chose de semblable avec [le sacrement] ancien, et quelque chose de
dissemblable. De semblable par le fait que, comme on le lit en
Ex 24, 8, lorsque Moïse eut lu la loi, il immola des veaux et en
offrit le sang en disant : Voici le
sang de l’alliance du Seigneur. De
même le sang [du Seigneur] fut-il offert pour le salut du peuple. En
He 9, 7, il est dit : Une
fois par an, le grand prêtre seul entrait avec du sang qu’il offrait à cause de
son ignorance et de celle du peuple.
2683. Mais la différence est montrée sur quatre points. Premièrement, par le fait que le sang était alors celui de veaux, mais ici c’est le sang du Christ. Celui-ci est donc efficace pour remettre [les péchés]. He 9, 13 : En effet, si le sang des boucs et des taureaux et les cendres des veaux répandues sanctifiaient les pécheurs par la purification de la chair, à combien plus forte raison le sang du Christ purifiera-t-il notre conscience des œuvres de mort afin qu’elles servent Dieu ! De même, on disait que le sang [d’autrefois] était le sang de l’alliance, mais le sang [du Christ] est l’alliance. De même, on entend alliance au sens général et au sens propre. Au sens général, [on l’entend] de n’importe quel geste, car c’était la coutume que, pour tout geste, on présente des témoins. Au sens propre, on parle d’alliance lorsque quelque chose est légué à la mort, conformément à ce que dit l’Apôtre, que l’alliance est confirmée à la mort du testateur. Cela s’applique ici dans les deux sens, car l’alliance avait été contractée alors, et elle se réalisait dans le sang, parce que, lors d’une alliance de paix, on présentait autrefois du sang ; c’est pourquoi on parlait du sang de l’alliance. [Cela s’applique aussi] au sens où en parle pour les morts. Il existait ainsi une certaine alliance entre Dieu et les hommes sous l’ancienne et sous la nouvelle loi, mais de manière différente : dans le premier cas, celui de l’ancienne loi, elle portait sur des réalités temporelles, comme on voit clairement que [Dieu] leur avait promis le pays des Amorréens. Elle était ainsi ancienne, car les hommes n’en étaient pas renouvelés, mais plutôt vieillis. Mais l’alliance présente porte sur les réalités célestes et d’en haut. [On lit] ainsi plus haut, 4, 17 : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche. Il dit donc : DE LA NOUVELLE ALLIANCE. On disait autrefois : «Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a contractée avec vous par toutes ces paroles, etc.» Jr 31, 31 : Fête pour la maison d’Israël et pour la maison de Judas que cette nouvelle alliance !
2684. Ainsi donc : CAR CECI EST MON SANG, CELUI D’UNE ALLIANCE NOUVELLE, c’est-à-dire consacré pour une alliance nouvelle, dans laquelle nous devons mettre notre confiance. He 10, 19 : Nous mettons notre confiance dans le sang du Christ. Cela convient aussi pour la mort [du Christ], car, par la mort du Christ, la promesse a été accomplie. Il existe aussi une autre différence, car [l’Église] ajoute : De l’alliance nouvelle et éternelle, qui peut être mis en rapport soit avec l’héritage éternel, soit avec le Christ, qui est éternel. Une autre différence est que [dans l’alliance ancienne], on lit : Que j’ai contractée avec vous. Cette alliance se limitait donc seulement à eux. Mais celle-ci [concerne] toutes les nations. Is 52, 15 : Celui-ci asperge de son sang de nombreuses nations. POUR UN GRAND NOMBRE et pour tous, car, si l’on envisage la capacité [du Christ], il est lui-même propitiation pour nos péchés, et non pas seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. Mais si nous en considérons l’effet, elle n’a d’effet que pour ceux qui sont sauvés, et cela par la faute des hommes. Mais l’Église ajoute : Pour vous, c’est-à-dire pour les apôtres, car il sont eux-mêmes ministres de ce sang et, à travers eux, il parvient à toutes les nations. Il est aussi dit : EN RÉMISSION DES PÉCHÉS, parce que [le sang de l’ancienne alliance] ne pouvait remettre les péchés.
2685. JE VOUS LE DIS. Ici est présentée une consolation, selon Chrysostome. Parce que [le Seigneur] avait parlé du sang, par lequel était indiquée la passion, il console donc [ses disciples] et [leur] annonce sa gloire à l’avance.
On peut interpréter
cela de quatre façons. Chrysostome en donne l’interprétation suivante :
parce que le Seigneur avait annoncé à l’avance [sa] passion, il veut donc leur
donner de la joie. JE NE BOIRAI PLUS DÉSORMAIS DU PRODUIT DE LA VIGNE,
c’est-à-dire de vin, JUSQU’AU JOUR OÙ…, etc. Il appelle ce royaume le royaume
de la résurrection. Il a alors reçu un royaume nouveau, c’est-à-dire d’une
nouvelle manière. Qu’il ait bu avec eux par la suite, cela apparaît clairement
en Ac 10. Mais pourquoi parle-t-on de nouvelle manière ? Parce
qu’auparavant, il mangeait par nécessité ; mais, après la résurrection,
[il n’a pas mangé] par nécessité, mais afin de démontrer la réalité de la
résurrection.
2686. Jérôme parle ainsi : par la vigne est indiqué le peuple des Juifs. Is 5, 7 : La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël. Jr 2, 21 : Je t’ai planté comme un cep de choix, tout entier d’excellente semence. JE VOUS DIS QUE JE NE BOIRAI PLUS, c’est-à-dire que mon âme ne se réjouira plus à cause de ce peuple, JUSQU’AU JOUR OÙ JE LE BOIRAI DE NOUVEAU AVEC VOUS DANS LE ROYAUME DE MON PÈRE. Le ROYAUME désigne l’Église présente. NOUVEAU, c’est-à-dire renouvelé par la foi, car alors [les Juifs] se convertiront, et alors je me réjouirai avec eux. En effet, beaucoup ont été convertis et beaucoup se convertiront.
2687. Rémi donne l’interprétation suivante et dit que cela doit être mis en rapport avec les cérémonies pascales : «Je ne célébrerai plus ces cérémonies jusqu’à l’établissement de l’Église, alors que je me réjouirai du renouvellement de l’Église.»
Augustin
l’interprète de la manière suivante : en disant NOUVEAU, on l’oppose à
l’ancien. La vétusté est double : celle de la peine et celle de la faute,
et celle-ci découle d’Adam, comme on le lit en Rm 5, 12s. Or, le
Christ a connu la vétusté de la peine, mais non celle de la faute. De sorte que
ce qui est simple chez lui remet ce qui est double chez nous. Il dit
donc : JE NE BOIRAI PLUS, de la vétusté de la peine, JUSQU’AU JOUR, etc.,
parce qu’il devait déposer ce corps et a reçu par la résurrection un corps
glorieux, et il promet aux apôtres qu’eux-mêmes en recevront [un semblable]. Et
il indique que [ces corps] ne sont pas de nature différente, car le corps qu’il
prendra sera d’une même nature, mais d’une gloire différente.
2688. Une fois présentée l’institution du sacrement nouveau, [le Seigneur] annonce ici à l’avance le scandale des disciples. Premièrement, le lieu est indiqué à l’avance ; deuxièmement, son annonce à l’avance, en cet endroit : ET IL LEUR DIT. Et cela convient à ce qui a été dit auparavant et à ce qui suit, de sorte qu’on peut le mettre en rapport avec les deux.
2689. [Matthieu]
dit donc : APRÈS LE CHANT DE L’HYMNE. Par là, il nous donne un double
exemple. La cène a d’abord eu lieu ainsi que le repas matériel, après lequel
nous devons rendre grâce à Dieu et le louer. Ps 21, 27 : Les pauvres mangeront et seront rassasiés,
et ceux qui le cherchent loueront le Seigneur. De même, après ce repas, il y eut une cène sacramentelle, après
laquelle nous devons aussi rendre grâce. Aussi [le Seigneur] a-t-il récité un
hymne après ce [repas]. C’est ainsi que ce qui est dit à la messe après la
communion représente cet hymne. Les fidèles doivent donc attendre jusqu’à la
fin de la messe afin d’entendre cet hymne. C’est ce qui est dit en
Jn 17, 1 : Père, glorifie
ton Fils afin que ton Fils te glorifie.
2690. Cela dit, ILS PARTIRENT POUR LE MONT DES OLIVIERS. Le mont des Oliviers signifie l’abondance, car les olives sont riches. Il signifie donc l’abondance spirituelle. Gn 49, 20 : Son pain est abondant. Il indique par conséquent l’abondance de la grâce et de la gloire vers laquelle il est élevé. Ps 47[48], 16 : La montagne du Seigneur est une montagne généreuse. L’huile repose les membres fatigués, apaise la douleur, alimente le feu et lui donne son éclat. Ainsi en sera-t-il dans cette gloire, car tout labeur et toute peine auront disparu, et tout sera éclatant. De même, le fait que [Matthieu] dise : VERS LE MONT DES OLIVIERS, convient à l’annonce anticipée. La miséricorde est désignée par l’huile : en effet, de même que [celle-ci] flotte sur les autres liquides, de même en est-il de la miséricorde. Ps 144[145], 9 : Sa compassion s’étend à toutes ses œuvres. De même, le scandale est montré par le mont, comme la miséricorde est indiquée par ce qui précède. Lorsque le juste tombera, il ne se brisera pas, car le Seigneur le soutient de sa main, Ps 36[37], 24.
2691. ALORS IL LEUR DIT… : «VOUS TOUS, VOUS ALLEZ SUCCOMBER À CAUSE DE MOI.» Ici est présenté le scandale : premièrement, d’une manière générale ; deuxièmement, d’une manière particulière, en cet endroit : PRENANT LA PAROLE, PIERRE DIT [26, 33].
À propos du premier
point, [le Seigneur] fait deux choses : premièrement, il annonce à
l’avance ; deuxièmement, afin que cela ne paraisse pas dû au hasard, il
apporte une autorité, en cet endroit : EN EFFET, IL A ÉTÉ ÉCRIT : «JE
FRAPPERAI LE PASTEUR, ET LES BREBIS SERONT DISPESÉES» [26, 31].
2692. Par cette parole, le péché des disciples est aggravé pour plusieurs raisons. Premièrement, en raison de son caractère universel : VOUS TOUS. Is 1, 6 : De la plante des pieds au sommet de la tête, il ne se trouve rien de sain en lui, etc. De même, l’objet [du scandale] est abordé. 1 Co 1, 23 : Nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs. Parce qu’ils ne recherchaient que la faiblesse de la chair, les Juifs étaient sujets au scandale. De même, le péché est aggravé par l’approche du moment, car c’était après tant d’avertissements et après qu’ils eurent reçu le sacrement. Ils oubliaient donc déjà ce qu’il avait fait pour eux. C’est donc à juste titre qu’ils ont été comparés à un homme qui regarde dans un miroir le visage qu’il a reçu à la naissance : Il s’est regardé, puis s’en est allé et a aussitôt oublié qui il était, Jc 1, 24. De même, parce que c’était pendant la nuit, car ceux qui sont ivres s’endorment pendant la nuit, 1 Th 5, 7. Il en est de même de ceux qui sont scandalisés.
2693. Il ajoute alors une autorité : EN EFFET, IL EST ÉCRIT : «JE FRAPPERAI LE PASTEUR, ET LES BREBIS SERONT DISPERSÉES.» Il est écrit en Za 13, 7 et il est dit là : Frappe le pasteur, et les brebis seront dispersées ; mais ici on dit : JE FRAPPERAI, et de manière assez juste, car le prophète désirait que ceci arrive. C’est pourquoi il a dit : JE FRAPPERAI LE PASTEUR. Mais le Christ parle de lui-même et, ce jour-là, il annonce à l’avance d’abord sa passion et, en second lieu, le scandale [des disciples], lorsqu’il dit : JE FRAPPERAI LE PASTEUR. Ce pasteur est le Christ. Jn 10, 11 : Je suis le bon pasteur. Et 1 P 2, 25 : Vous vous êtes tournés vers le pasteur et le surveillant de vos âmes. Et celui-ci a été frappé parce que Dieu l’a livré, car Il n’a pas épargné son propre Fils, Rm 8, 32, et cela, à cause de nos péchés. Is 53, 8 : Je l’ai frappé à cause du crime de mon peuple. Il annonce aussi à l’avance le scandale : ET LES BREBIS SERONT DISPERSÉES. Les brebis sont les fidèles. Jn 10, 27 : Mes brebis entendent ma voix. Ainsi Dieu a-t-il enduré qu’elles soient dispersées afin de les rassembler par la suite. Ps 146[147], 2 : Il rassemblera [les tribus] dispersées d’Israël. Jn 10, 16 : J’ai d’autres brebis qui ne font pas partie de ce bercail, et il me faut les y amener.
2694. Puis, il annonce à l’avance les joies de la résurrection : MAIS APRÈS MA RÉSURRECTION, JE VOUS PRÉCÉDERAI EN GALILÉE, car, bien que le Père l’ait ressuscité, comme il est dit ailleurs (Ac 2, 24 : Lui que Dieu a ressuscité, en l’arrachant aux douleurs de l’enfer), il est cependant ressuscité par sa propre puissance, puisque la puissance du Père est la puissance du Fils. 2 Co 13, 4 : Mais s’il a été crucifié à cause de notre faiblesse, il vit cependant par la puissance de Dieu. De même, par opposition à ce qu’il avait dit : LES BREBIS SERONT DISPERSÉES, il dit : JE VOUS PRÉCÉDERAI EN GALILÉE. En effet, les brebis suivent le pasteur ; c’est ainsi que le pasteur les rassemble en les appelant chacune par leur nom. Il dit donc : JE VOUS PRÉCÉDERAI. Ou bien, on peut mettre cela en rapport avec ce qu’il dit : APRÈS MA RÉSURRECTION. Parce que certains pourraient croire qu’il se passera beaucoup de temps jusqu’à sa résurrection, il dit donc qu’il ne s’en passera pas beaucoup, car JE VOUS PRÉCÉDERAI EN GALILÉE. Il lui était coutumier de résider peu de temps en Judée, mais de passer en Galilée. Il veut donc dire : «Avant que je ressuscite pour que vous puissiez venir en Galilée», afin de montrer qu’il serait bien celui qui leur apparaîtrait. Ils pouvaient donc être suffisamment rassurés. De même, le fait qu’il dise qu’il [les] précéderait donne de l’assurance. Parce qu’ils supportaient la persécution en Judée, il dit donc qu’il [les] précéderait en Galilée afin de les soustraire à la crainte. Chrysostome dit qu’il ne faut pas comprendre qu’il apparaîtrait d’abord en Galilée, mais qu’il est apparu là, bien que non en premier, puisque ce fut à Jérusalem. Pourquoi donc dit-il : EN GALILÉE ? Galilée veut dire «passage». Cela signifie donc que, par la résurrection, nous passerons de la vie mortelle à [une vie] immortelle, et que dans celle-ci il nous précède, car le Christ est le premier de ceux qui se sont endormis. De même, le passage des disciples aux Gentils est indiqué et, en cela, le Christ [les] a précédés en motivant le cœur de [ceux-ci].
2695. PRENANT LA PAROLE, PIERRE [LUI DIT]. Ici est annoncé à l’avance le scandale de Pierre : premièrement, l’occasion en est présentée ; deuxièmement, l’annonce à l’avance ; troisièmement, la protestation [de Pierre]. Le second point [se trouve] en cet endroit : JÉSUS LUI DIT, etc. [26, 34] ; le troisième, en cet endroit : PIERRE LUI DIT, etc. [26, 35].
2696. Ici se pose une question à propos du texte, car il semble que Pierre ait dit cela après qu’ils eurent quitté le cénacle ; mais Luc 22, 34-39 semble dire que ce fut avant qu’ils ne l’eussent quitté, et Jean 13, 36-38 est d’accord avec cela. Augustin donne la solution : Pierre dit cela trois fois, et ainsi tous sont d’accord, etc., car si nous considérons le récit, il dit cela pour plusieurs raisons. Ici, il fut poussé par le fait que [Jésus] avait annoncé à l’avance le scandale. Le Seigneur avait dit, selon Lc 22, 32 : Pierre, j’ai prié pour que ta foi ne défaille pas, puis Pierre avait dit : Seigneur, je suis prêt à te suivre jusqu’en prison et à aller jusqu’à la mort. Mais, en Jean, cela fut dit pour une autre raison, car, en Jn 13, 33, le Seigneur dit : Là où je vais, vous ne pouvez venir maintenant. Alors Pierre dit : J’exposerai ma vie pour toi. C’est pourquoi il répéta cela par trois fois. Il se peut donc qu’il l’ait dit deux fois dans le cénacle, mais qu’il l’ait dit une seule fois à l’extérieur, comme on le dit ici. Et il se peut qu’il l’ait dit par ferveur et sans tenir compte de ses capacités. Toutefois, il a manqué en trois choses. Premièrement, parce qu’il n’a pas davantage accordé foi au Seigneur qu’à lui-même, alors qu’il est cependant écrit en Rm 3, 4 : Seul Dieu dit la vérité, tout homme est menteur. De même, il se mit de l’avant par rapport aux autres. Il dit ainsi : MÊME SI LES AUTRES SONT SCANDALISÉS À CAUSE DE TOI, MOI, JE NE SERAI JAMAIS SCANDALISÉ. Il se considérait donc comme plus solide, et il tomba dans ce qui est dit en Lc 18, 11 : Je ne suis pas comme les autres hommes, etc. De même, il s’attribuait ce qu’il ne devait pas, alors qu’il était écrit en Jn 15, 5 : Sans moi vous ne pouvez rien faire. Parce qu’il avait parlé de manière arrogante, [le Seigneur] permit donc qu’il tombe plus lourdement. Et Dieu fait cela, car Dieu porte une grande haine à l’orgueil. Jb 40, 6 : Il jette un regard sur tous les arrogants et les humilie.
2697. JÉSUS LUI DIT : «EN VÉRITÉ, JE TE LE DIS, EN CETTE NUIT MÊME, AVANT QUE LE COQ NE CHANTE, TU ME RENIERAS TROIS FOIS.» «Car tu aurais pu penser que je disais cela en menace. Je te dis donc : “EN VÉRITÉ, c’est-à-dire, je te dis avec [mon] cœur, EN CETTE NUIT MÊME, AVANT QUE LE COQ NE CHANTE, TU ME RENIERAS TROIS FOIS.”» Et sa faute est aggravée par l’approche du moment, car, EN CETTE NUIT. Elle est de même aggravée par le nombre, car TROIS FOIS : comme il s’était montré présomptueux trois fois, ainsi a-t-il nié par trois fois après sa présomption. Jb 31, 27 : Si mon cœur s’est réjoui en secret.
2698. Mais une question se pose à propos de : AVANT QUE LE COQ NE CHANTE, TU ME RENIERAS TROIS FOIS, car, en Mc 14, 30, on lit que, avant que le coq ne chante, il l’aura renié deux fois. Selon Augustin, cela peut être résolu par le fait que, selon l’histoire, ce que Marc dit est vrai. Et ce que Matthieu dit peut être ainsi résolu : on dit qu’un homme accomplit [quelque chose] lorsqu’il en a l’intention, comme plus haut, 5, 28 : Celui qui regarde une femme et la désire a déjà commis l’adultère dans son cœur. Ainsi, en intention, Pierre a renié trois fois ou même plusieurs fois, d’où lui vint la crainte qu’il suffisait de protester trois fois ou plus. [Matthieu] dit donc qu’il nia par trois fois parce qu’il avait conçu de renier trois fois ou plus. Ainsi, Matthieu a dit ce dont [Pierre] avait l’intention intérieurement, mais Marc, ce qu’il a accompli extérieurement. Ou bien, l’on peut dire que lorsque je dis : «Je ferai cela avant tel délai», il n’est pas nécessaire que cela soit fait à l’intérieur de ce délai, mais il suffit que cela soit commencé. Ainsi, lorsque [le Seigneur] dit que [Pierre] allait le renier trois fois, il n’était pas nécessaire que cela soit accompli avant le chant du coq.
2699. Vient ensuite la protestation de
Pierre : PIERRE LUI DIT, etc. Pierre se justifie [en disant] :
DUSSÉ-JE MOURIR AVEC TOI, JE NE TE RENIERAI PAS. Et cependant, il eut peur, car
il renia après avoir entendu la servante. Jérôme dit qu’il ne savait pas ce
qu’il disait, car seul le Christ devait mourir afin d’être le seul rédempteur.
Is 63, 3 : J’ai foulé seul
le pressoir.
Ensuite, [Matthieu]
présente l’affirmation des autres : TOUS LES DISCIPLES PARLÈRENT DE MÊME.
Ils dirent donc la même chose que Pierre ; cependant, les autres avaient
une meilleure raison que Pierre de protester, car les autres [le faisaient]
sans avoir affirmé.
2700. ALORS JÉSUS SE DIRIGEA AVEC EUX VERS UN DOMAINE APPELÉ GETHSÉMANI. Dans cette section, la préparation [de la passion] est présentée, car elle se fait par trois choses. [Matthieu] fait donc trois choses : premièrement, l’intention [de Jésus] de prier est présentée ; deuxièmement, la nécessité de prier ; troisièmement, la différence. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET PRENANT AVEC LUI PIERRE, etc. [26, 37] ; le troisième, en cet endroit : ÉTANT ALLÉ UN PEU PLUS LOIN, IL TOMBA FACE CONTRE TERRE [26, 39].
À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, le lieu est présenté ; deuxièmement, [le Seigneur] annonce à l’avance son intention : ET IL DIT À SES DISCIPLES [26, 38].
2701. [Matthieu]
dit donc : ALORS JÉSUS SE DIRIGEA AVEC EUX VERS UN DOMAINE APPELÉ
GETHSÉMANI. Le contraire semble être dit en Jn 18, 1, [à savoir] que
Jésus, après être sorti, traversa le torrent du Cédron. Il faut donc remarquer
que ce domaine se trouvait au pied du mont des Oliviers et que l’endroit était
le même. Il vint là après le repas comme pour se promener. Puis, il annonça à
l’avance son intention de prier : ET IL DIT À SES DISCIPLES : «RESTEZ
ICI PENDANT QUE J’IRAI LÀ-BAS POUR PRIER.» On lit la même chose en
Gn 22, 5 : Abraham dit à ses enfants : «Attendez ici
avec l’âne ; moi et l’enfant irons là-bas afin d’adorer, puis nous reviendrons
vers vous.»
2702. Mais [Jean] Damascène soulève ici une question. La prière est une ascension vers Dieu. Or, l’intellect du Christ était uni à Dieu. Comment donc Dieu, qui était à l’œuvre, avait-il besoin [de s’élever vers Dieu] ? Disons qu’il priait non pas pour lui-même, mais pour notre utilité. Et celle-ci est double, car il a prié pour nous donner l’exemple que, dans les tribulations, nous devons recourir au Seigneur. Ps 119[120], 1 : J’ai crié vers le Seigneur dans mes tribulations. [Il l’a fait] aussi afin de montrer qu’il venait d’un autre et qu’il était ce qu’il était par un autre. C’est pourquoi il dit : Le Fils ne peut rien faire de lui-même. Et au même endroit, [Mt] 8, 28 : Je ne fais rien de moi-même. C’était aussi afin d’écarter l’erreur, car certains disaient que la puissance du Père et du Fils n’était pas la même. Jn 8, 49 : Moi, j’honore mon Père.
2703. Il donne donc l’exemple de la prière et de la manière de prier. En effet, la première condition de la prière est que ce doit être une prière humble, ce qui est signifié par le fait qu’il se dirigea vers une vallée. Jdt 9, 16 : La prière des humbles et des doux t’a toujours plu. [La prière] doit aussi être dévote ; c’est pourquoi [il se dirigea] vers Gethsémani, à savoir, vers un domaine riche. Ps 62[63], 6 : Que mon âme soit comblée de graisse et d’abondance ! Il faut aussi qu’elle soit solitaire, comme [il a été dit] plus haut, 6, 6 : Entre dans ta chambre et, après avoir fermé la porte, prie ton Père.
2704. ET PRENANT AVEC LUI PIERRE ET LES DEUX FILS DE ZÉBÉDÉE, etc. Ici, il annonce à l’avance la nécessité de la prière, et [cette nécessité] était la tristesse. Premièrement, [Matthieu] présente les témoins de la tristesse ; deuxièmement, il montre la tristesse ; troisièmement, il l’écarte. Le second point [se trouve] en cet endroit : IL COMMENÇA À RESSENTIR TRISTESSE ET ANGOISSE [26, 37] ; le troisième, en cet endroit : DEMEUREZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI [26, 38].
2705. Il dit donc : ET PRENANT AVEC LUI PIERRE ET LES DEUX FILS DE ZÉBÉDÉE, etc. [Le Seigneur] en prit trois avec lui. Et pourquoi ceux-ci plutôt que d’autres ? Une raison est que ceux-ci étaient plus solides et que la faiblesse [du Seigneur] les scandalisait tous. Il voulut donc montrer sa faiblesse à ceux-ci plutôt qu’aux autres. De même, il leur avait montré [sa] gloire. Il voulait donc que, de même qu’ils avaient vu sa gloire, de même ils voient aussi sa faiblesse, afin qu’ils sachent que ni la faiblesse n’absorberait la gloire, ni la gloire la faiblesse.
Vient ensuite la
manifestation de [sa] faiblesse : premièrement, par un geste ;
deuxièmement, par la parole. Et, en rapport avec cela, [Matthieu] fait trois
choses : premièrement, il indique selon quoi le Christ était
attristé ; deuxièmement, pourquoi il était attristé ; troisièmement,
comment il était attristé.
2706. Premier point : IL COMMENÇA À RESSENTIR TRISTESSE ET ANGOISSE. Ici, deux erreurs doivent être évitées, car certains ont dit qu’il a été attristé selon [sa] divinité. Or, cela ne peut pas être le cas, car il a été attristé parce qu’il était susceptible de souffrir. Or, la divinité n’est pas susceptible de souffrir. De même, l’erreur des ariens ou d’Eunomius voulait que le Christ n’eût pas d’âme, mais que le Verbe tînt lieu d’âme. Et pourquoi [Arius] disait-il cela ? Afin que tout ce qui se rapportait à un manque soit mis en rapport avec le Verbe, en montrant ainsi que celui-ci était inférieur au Père. Cela est faux. [Le Christ] a donc souffert selon qu’il pouvait souffrir, c’est-à-dire dans son âme.
2707. ALORS IL LEUR DIT : «MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR, etc.» Il ne dit pas : «Je suis triste», car le mot «je» indique la personne. Or, il n’était pas triste en tant que Verbe, mais dans son âme. L’erreur d’Arius comme celle d’Apollinaire est donc écartée ; de même, celle de Manès, qui affirmait qu’il n’avait pas vraiment souffert. On voit donc clairement selon quoi il était attristé.
2708. Mais pourquoi était-il attristé ? Les interprétations des saints varient. Hilaire et plusieurs autres ont dit qu’il n’était pas triste à cause de lui-même, ni à cause de sa mort, mais à cause du scandale de ses disciples. Et il veut démontrer cela par le fait qu’il les prit avec lui. [Jean] Damascène dit qu’il s’attristait sur lui-même. Et pourquoi ? Parce que la tristesse nous habite lorsque nous fait défaut ce que nous aimons naturellement. L’âme veut naturellement être unie au corps, et cela habitait l’âme du Christ, car il a mangé, bu et a eu faim. La séparation [de son âme] allait donc contre le désir naturel. La séparation lui causait donc de la tristesse. Toutefois, nous pouvons comprendre qu’une chose existe dans l’âme selon ce qu’est [cette chose], et une chose existe dans l’âme selon qu’on la compare à autre chose. Ainsi, une potion amère, considérée en elle-même, est douloureuse, mais, mise en rapport avec la fin qu’est notre santé, elle est cause de joie, comme quelque chose appartient à la raison en tant que nature, et quelque chose [appartient] à la raison en tant qu’elle est raison. Ainsi, cette mort du Christ était un sujet de tristesse selon qu’elle était considérée en elle-même ; mais, selon qu’elle était mise en rapport avec [sa] cause, en la mettant en rapport avec [sa] fin, [le Christ] s’en réjouissait. Les paroles d’Hilaire et de Jérôme se comprennent donc par rapport à la fin [de la mort].
2709. On se demande aussi comment la tristesse s’est abattue sur le Christ. Il faut donc remarquer que parfois la tristesse survient comme une passion, parfois, comme une propassion. Comme une passion, lorsqu’on est affecté et changé ; mais lorsqu’on est affecté sans être changé, on a alors une propassion. Mais parfois les choses de ce genre nous affectent au point que la raison est changée, et alors il s’agit de passions complètes ; mais parfois la raison n’est pas changée, et alors il s’agit d’une propassion. Or, dans le Christ, la raison ne fut jamais changée. Il s’agissait donc de propassion, et non de passion. C’est pourquoi l’évangéliste dit d’une manière spécifique : IL COMMENÇA À RESSENTIR DE LA TRISTESSE.
2710. Augustin dit aussi que nous connaissons la tristesse en tant qu’elle a été contractée, mais le Christ [l’a connue] en tant qu’elle est assumée. En effet, on contracte ce qu’on reçoit d’origine en naissant, mais le Christ a assumé notre nature comme il l’a voulu. Ainsi, il n’était pas nécessaire qu’il reçoive la capacité de souffrir, telle la tristesse, mais [il l’a assumée] volontairement. Il faut aussi remarquer ce que dit [Jean] Damascène : chez nous, le mouvement de la passion vient avant la raison, car il y a parfois en nous passion et parfois propassion. Mais, dans le Christ, il n’y avait que propassion, et jamais un mouvement des puissances inférieures de l’âme ne s’est produit chez le Christ ; bien au contraire, les puissances inférieures étaient entièrement soumises à la raison et, lorsqu’il le voulait, il permettait aux puissances inférieures d’agir comme il leur était naturel. Ainsi, un autre évangéliste a dit qu’il se troubla, car ces mouvements n’auraient pu se produire que dans la mesure où il l’a voulu.
2711. ALORS IL LEUR DIT : «MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR.» Remarquez qu’il dit : «À EN MOURIR, par quoi je réparerai ce scandale et les autres.» Ou bien, selon une autre interprétation : «Ne croyez pas que cela doive durer éternellement, mais aussi longtemps que [mon] corps sera susceptible de souffrir, c’est-à-dire jusqu’à la mort MON ÂME EST TRISTE, puis elle sera glorifiée.»
Puis, il écarte les autres : DEMEUREZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI.
2712. ÉTANT ALLÉ UN PEU PLUS LOIN, IL TOMBA FACE CONTRE TERRE EN FAISANT CETTE PRIÈRE. Plus haut, on a abordé la cause de la tristesse ; ici, il s’agit du déroulement de la prière du Christ. Et parce qu’il a prié par trois fois, cette section se divise donc en trois parties selon les trois prières.
À propos de la première, [Matthieu] présente la prière de celui qui prie ; deuxièmement, [le Christ] reproche aux disciples leur faute, en cet endroit : ET IL VINT VERS LES DISCIPLES, etc. [26, 40].
Dans la première partie, [Matthieu] présente d’abord la condition de celui qui prie ; deuxièmement, le contenu de sa prière.
Une triple condition est mise en évidence, car, en premier lieu, [Matthieu] relève sa préoccupation ; en second lieu, son humilité ; troisièmement, sa dévotion.
2713. [Il relève] sa préoccupation : IL S’EN ALLA UN PEU PLUS LOIN, car il se sépara même de ceux qu’il avait choisis. Plus haut, 6, 6 : Lorsque tu pries, entre dans ta chambre et, après avoir fermé la porte, prie ton Père dans le secret. Mais remarquez [que Matthieu dit qu’il ne s’est pas éloigné] beaucoup, mais UN PEU, afin de souligner qu’il n’est pas loin de ceux qui l’invoquent. Ps 144[145], 18 : Le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent. De même, [c’était] afin qu’ils le voient prier et en apprennent la manière. C’est pourquoi l’humilité vient ensuite : IL TOMBA FACE CONTRE TERRE, par quoi il donna un exemple d’humilité. En premier lieu, en raison de l’humilité commune, car l’humilité est nécessaire à la prière. Si 35, 21 : La prière de celui qui s’humilie traversera les nuées. Aussi en raison d’une humilité particulière, à savoir, celle de Pierre, car celui-ci avait dit : DUSSÉ-JE MOURIR AVEC TOI, JE NE TE RENIERAI PAS. Le Seigneur se prosterne donc afin d’indiquer qu’il ne fallait pas avoir confiance en sa propre puissance, plus haut, 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. De même la piété ou la dévotion est indiquée comme condition, lorsqu’il dit : MON PÈRE. En effet, il est nécessaire pour celui qui prie de prier avec dévotion. C’est pourquoi il dit : MON PÈRE, car il est Fils d’une manière unique, et nous [le sommes] par adoption. Jn 21, 17 : Je monte vers mon Père et votre Père, comme s’il était mon Père d’une certaine manière, et votre Père d’une autre façon.
2714. Ensuite, [Matthieu] ajoute le contenu de la prière : S’IL EST POSSIBLE, QUE CETTE COUPE PASSE LOIN DE MOI. Cette prière peut être interprétée de trois façons et, de quelque façon qu’on l’interprète, il faut prendre deux choses en considération.
Premièrement, vous devez la considérer d’une manière générale et pour tous, car, selon [Jean] Damascène, «la prière est une ascension de l’esprit vers Dieu. La prière est donc le fait de l’esprit ou de la raison supérieure ; elle est cependant inférieure à Dieu, mais, toutefois, supérieure à la nature humaine, ou soumise à la volonté divine». Que faut-il donc comprendre ? Que la prière est le fait de la raison supérieure qui descend vers ces choses, comme il convient ; toutefois, qu’elle est toujours soumise à la raison divine. Et cela est indiqué lorsqu’il est dit : CEPENDANT, NON PAS COMME JE VEUX, MAIS COMME TU VEUX, car la raison supérieure suit la volonté de la nature, mais, toutefois, non pas de manière absolue, à savoir que, si elle est en rapport avec [une nature] supérieure, elle ne s’y oppose pas. [Le Christ] veut donc dire : «Je veux que s’accomplisse ce que je veux si cela ne s’oppose pas à ta justice, car je veux que ta justice s’accomplisse.» Par cela, il donne un exemple de la manière dont nous devons mettre de l’ordre dans nos affections, car nous devons les ordonner de telle manière qu’elles ne soient pas en désaccord avec la règle divine. Il n’est donc pas grave que l’on fuie ce qui est lourd à porter par nature, dans la mesure où on l’ordonne par rapport à la volonté divine.
2715. Selon Chrysostome et Origène, on peut aussi donner l’interprétation suivante : par la coupe, la passion du Christ est signifiée, ce dont il est question en Ps 115[116], 13 : Je prendrai la coupe du salut, etc. Il est clair que le Christ a possédé la volonté naturelle de l’homme. Or, celle-ci est de fuir la mort. Afin de montrer qu’il était homme, [le Christ] demande donc que la coupe s’éloigne de lui. Cela est tellement naturel qu’il n’écarte pas de lui la demande. De même, il dit : «S’IL EST POSSIBLE, QUE LA COUPE PASSE [LOIN DE MOI], c’est-à-dire la passion ; je ne le dis cependant pas de manière absolue, mais si cela est possible.» Et parce qu’on pourrait croire que cela était possible pour Dieu, il montre donc que cela est possible, car tout est possible pour toi, Mc 14, 36.
2716. CEPENDANT, NON PAS COMME JE VEUX, MAIS COMME TU VEUX, c’est-à-dire : «Je le veux si cela est conforme à ta justice.» C’est pourquoi il dit : NON PAS COMME JE VEUX. Il touche donc à deux volontés : l’une qu’il tenait du Père comme Dieu, qu’il avait en commun avec le Père ; et par cela, l’erreur de beaucoup est confondue. De même, [il avait] une autre volonté en tant qu’homme, et il soumettait en tout cette volonté au Père, nous donnant en cela l’exemple que nous soumettions notre volonté à la volonté de Dieu. Jn 6, 38 : Je suis descendu du ciel, non pas pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé, le Père.
2717. Selon Jérôme, il ne demandait pas de manière absolue que cette coupe s’éloigne de lui. Il voyait qu’il allait souffrir par les Juifs ; il voulait donc que [la coupe] passe, c’est-à-dire racheter le monde au point qu’il n’y aurait pas de faute de la part de Juifs. Rm 11, 11 : La faute des Juifs est le salut pour les Gentils. Mais Hilaire donne l’interprétation suivante : le Seigneur ne demande pas de ne pas mourir, mais il demande que la coupe passe aux autres, comme s’il disait : «Je prendrai la coupe avec confiance. Je demande que mes disciples la prennent sans méfiance.»
Mais pourquoi dit-il : S’IL EST POSSIBLE ? Car cela semble être contre nature qu’ils accueillent la mort sans douleur. Il veut donc dire : «Moi, je voudrais que les autres ne souffrent pas, si cela était possible ; mais qu’il soit fait comme Tu veux, c’est-à-dire comme Tu en as disposé.»
2718. PUIS, IL VINT VERS SES DISCIPLES. Ici, [le Seigneur] reproche à ses disciples leur manquement. Premièrement, le manquement est présenté ; deuxièmement, le reproche ; troisièmement, l’avertissement ; quatrièmement, la raison de l’avertissement.
Après avoir prié, IL VINT VERS LES DISCIPLES ET LES TROUVA ENDORMIS. Cela était justifié selon le sens littéral, car déjà une partie de la nuit avait passé. [Les disciples] étaient donc lourds de sommeil. La cause en était aussi qu’ils étaient tristes, et que le sommeil surprend facilement ceux [qui sont dans cet état]. Pr 17, 22 : Un esprit triste dessèche les os. De même, il est indiqué qu’alors que le Christ montait vers sa passion pour nous, beaucoup dormaient, puisque toutes s’assoupirent et s’endormirent, plus haut, 25, 5.
ET IL DIT À PIERRE : «AINSI, VOUS N’AVEZ PAS PU VEILLER UNE HEURE AVEC MOI ?» Mais pourquoi s’est-il adressé plutôt à Pierre ? La raison en est que Pierre s’était davantage vanté qu’il l’aiderait dans le besoin. C’était donc déjà un présage de sa chute. VOUS N’AVEZ PAS PU VEILLER UNE HEURE AVEC MOI ? Et pour quelle raison s’est-il ensuite adressé à tous par après ? Parce que tous avaient promis en même temps que Pierre. C’est pourquoi il est dit plus haut : TOUS [LES DISCIPLES] EN DIRENT AUTANT.
2719. VEILLEZ ET PRIEZ POUR NE PAS ENTRER EN TENTATION ! Dans cette section, un avertissement est ajouté : «Vous avez confiance en vous-mêmes ; mais vous devez chercher refuge dans les suffrages de la prière. Ainsi donc, PRIEZ POUR NE PAS ENTRER EN TENTATION !» C’est pourquoi auparavant, 6, 13, dans la prière commune, il enseigne à demander cela : Ne nous induis pas en tentation. Et il fait précéder la préparation par la vigilance. Si 18, 23 : Avant de prier, prépare ton âme, c’est-à-dire que la prudence est nécessaire, plus haut, 10, 16 : Soyez prudents comme des serpents. CAR L’ESPRIT EST ARDENT, MAIS LA CHAIR EST FAIBLE, comme s’il disait : «Ce que vous promettez vient de l’empressement de l’esprit ; toutefois, la prière n’est pas nécessaire à cause de l’esprit, mais à cause de la chair qui est faible. Il faut donc veiller.» 2720. Cela ressemble à ce que l’Apôtre dit, Rm 8, 10 : Le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justification. Mais il faut remarquer que la chair de tous est faible, mais que l’esprit de tous n’est pas empressé. Chez les méchants, l’esprit est aussi faible que la chair ; chez les bons, c’est le contraire, car ils ont un esprit empressé, et ainsi, lors de la résurrection, l’esprit revient avec empressement vers le corps. Ou bien, il peut exister une double faiblesse : l’une, mauvaise, qui incline au péché, ce pourquoi l’Apôtre dit en Rm 7, 18 : Le bien n’habite pas dans ma chair ; l’autre est une bonne faiblesse, par laquelle [l’homme] charnel cède rapidement, selon ce qui est dit en Ct 5, 8 : Dites à mon bien-aimé que je me languis d’amour. Pour cette raison, l’homme doit veiller, selon Origène, comme celui qui possède un grand trésor veille attentivement afin de le garder.
2721. À NOUVEAU, POUR LA DEUXIÈME FOIS, IL
S’EN ALLA PRIER. Ici, [le Christ] prie pour la deuxième fois. Selon
Chrysostome, il prie pour la deuxième fois afin de montrer avec plus de fermeté
la vérité de sa nature humaine. Ainsi, en Gn 41, 32 : Ce que tu as vu une deuxième fois est un
signe qui confirme.
Ce
qu’il dit : SI CETTE COUPE NE PEUT PASSER SANS QUE JE LA BOIVE, QUE TA
VOLONTÉ SOIT FAITE !, peut être interprété de trois façons. La première
[interprétation] est la suivante : auparavant, il avait demandé sous
condition ; mais ici, parce qu’il avait reçu l’assurance qu’il ne pouvait
pas ne pas la boire, il demande donc que la volonté [du Père] soit faite, comme
s’il disait : «S’il n’est pas possible que je passe à la gloire de
l’immortalité, bien que [ma] mortalité n’ait pas été contractée, mais assumée.»
Ainsi, qu’il souffre ou non, il devait passer à la gloire de l’immortalité.
Mais il ne pouvait s’éloigner de lui-même et de [ses] membres. S’il ne buvait
pas [la coupe], il ne s’éloignerait donc pas de [ses] membres. Il veut donc
dire : «Si cela ne peut être éloigné de moi et de mes membres, QUE TA
VOLONTÉ SOIT FAITE !» Ps 39[40], 9 : J’ai voulu faire ta volonté, mon Dieu.
2722. Jérôme interprète POUR LA DEUXIÈME FOIS de la manière suivante. «S’il n’est pas possible que la vérité passe aux Gentils sans que les Juifs s’égarent, QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE.» En effet, c’est à cause de la faute [des Juifs] que le salut est parvenu aux Gentils. Hilaire l’interprète ainsi : «S’il est impossible que les autres saints boivent la coupe de la passion sans mon exemple, QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE !», car les autres saints ont pris exemple sur le Christ. Il veut donc dire : «S’il est impossible que cela passe de moi à mes disciples sans que je boive, afin qu’ils deviennent plus forts pour boire, QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE !»
2723. Ensuite est présenté le second
endormissement des disciples : PUIS IL VINT ET LES TROUVA DE NOUVEAU
ENDORMIS, CAR LEURS YEUX ÉTAIENT APPESANTIS de sommeil, c’est-à-dire par le
sommeil et à cause de la tristesse. Ps 30, 10 : Mon œil a été troublé par la colère.
2724. IL LES LAISSA ET S’EN ALLA DE NOUVEAU PRIER UNE TROISIÈME FOIS. Ici, il est question de la troisième prière, et [Matthieu] fait deux choses : il présente en premier lieu le déroulement de la prière ; en second lieu, la permission de dormir, en cet endroit : ALORS IL VINT VERS LES DISCIPLES, etc. [26, 45].
[Matthieu]
dit : IL LES LAISSA ET S’EN ALLA DE NOUVEAU PRIER UNE TROISIÈME FOIS EN
TENANT LE MÊME LANGAGE. Mais que signifie qu’il ait prié trois fois ? Il a
prié trois fois pour nous libérer des maux passés, présents et à venir. Aussi,
afin de nous enseigner à orienter notre prière vers le Père, le Fils et le
Saint-Esprit. C’est pourquoi, dans les prières de l’Église, on dit
toujours : «Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit.» C’était aussi
pour délivrer du triple reniement de Pierre par une triple prière.
Lc 22, 32 : J’ai prié pour
toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas.
2725. Il a aussi prié contre les trois peurs. En effet, la crainte s’oppose à la concupiscence. Or, il existe trois concupiscences : celles de la curiosité, de l’orgueil et de la chair, et cette triple [concupiscence] est abordée en 1 Jn 2, 16 : Tout ce qui existe dans le monde est soit concupiscence de la chair, concupiscence des yeux ou orgueil de la vie. À cette triple concupiscence répond une triple crainte : à la concupiscence de la chair, la crainte de la souffrance ; à la concupiscence des yeux, la crainte de la pauvreté ; à la concupiscence de l’orgueil, la crainte du rejet et de l’humiliation. Et le Christ les a souffertes, non pas parce qu’il en avait besoin, mais pour nous.
2726. ALORS IL VINT VERS SES DISCIPLES ET IL LEUR DIT. Premièrement, il [leur] permet de dormir ; deuxièmement, il les réveille, en cet endroit : LEVEZ-VOUS ! ALLONS ! [26, 46].
En premier lieu, il donne la permission [de dormir] ; en second lieu, il en indique la raison, en cet endroit : VOICI QUE’APPROCHE L’HEURE OÙ LE FILS DE L’HOMME SERA LIVRÉ [26, 45].
2727. Le Christ les a trouvés une première fois endormis et leur a adressé des reproches ; la seconde fois, il les a trouvés endormis et a gardé le silence ; la troisième fois, il les a trouvés endormis et leur a permis de dormir. Pour quelle raison ? La raison littérale est qu’il voulait donner au prélat une forme de correction, car, lorsqu’on vient vers quelqu’un et le trouve endormi, on ne sait si cela lui est arrivé par négligence ou par faiblesse. Et on peut le permettre. Aussi, parce que, après la résurrection, il les a trouvés endormis et le leur a reproché, Lc 24, 25 : Ô cœurs sans intelligence et lents à croire ! De même, il les a visités après qu’ils eurent reçu le Saint-Esprit, et alors il n’a rien dit, parce qu’ils étaient encore faibles, car ils observaient encore les [prescriptions] de la loi, comme le dit Pierre en Ga 2, 11. Mais il [les] visitera lors de son dernier avènement et les enverra à un repos saint et paisible. Ps 4, 9 : Je m’endormirai en lui et me reposerai.
2728. Selon Augustin, il le leur a permis alors qu’auparavant il le leur avait défendu. Mais il s’agit ici d’un autre sommeil qu’auparavant, car il s’agissait [auparavant] d’un sommeil d’accablement, et il en parle plus haut. Il dit donc, 26, 43 : LEURS YEUX ÉTAIENT APPESANTIS PAR LE SOMMEIL, et il faut blâmer cela. Mais ici, il s’agit d’un sommeil de repos, et celui-ci est permis. De même, il existe un sommeil troublé, et celui-ci est défendu. Il est dit de celui-ci en Ep 5, 14 : Debout, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts ! En effet, il y a parfois un sommeil qui repose le corps, alors que l’âme veille : Je dors, mais mon cœur veille ! [Ct 5, 2]. Aussi, parce qu’ils allaient souffrir ; il fallait donc qu’ils soient apaisés.
2729. Ensuite, il indique la cause : VOICI QU’APPROCHE L’HEURE. Il n’avait pas à faire cela par nécessité, mais en vertu d’une disposition divine. Jn 7, 30 : Ils cherchaient à mettre la main sur lui, mais son heure n’était pas encore venue. Mais cette heure était venue. Jn 13, 1 : Jésus, sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son Père. Mais on pourrait dire : «Si l’heure relève d’une disposition divine, alors ceux qui le tuent ne pèchent pas.» C’est pourquoi il présente en même temps le péché : OÙ LE FILS DE L’HOMME SERA LIVRÉ AUX MAINS DES PÉCHEURS, c’est-à-dire qu’ils ne font pas cela en vertu d’une disposition divine, mais pour faire leur volonté. Jr 12, 7 : J’ai livré mon âme chérie aux mains de ses ennemis.
2730. Ensuite, [Matthieu] présente le réveil : d’abord, il le présente, en cet endroit : VOICI, etc. Par le fait de dire : LEVEZ-VOUS !, [le Seigneur] montre son empressement. C’est ainsi qu’il est dit, en Jn 18, 3, qu’il vint vers eux. Et pourquoi ? VOICI QU’APPROCHE CELUI QUI ME LIVRERA ! Il était proche, non pas qu’il le vît de son œil corporel, mais par son esprit, à savoir, par l’œil de la divinité. Mais pourquoi leur dit-il : LEVEZ-VOUS !, alors qu’il leur avait permis de dormir ? Augustin donne la solution : il avait parlé en faisant un reproche, comme s’il disait : «Dormez tant que vous voulez, VOICI QU’APPROCHE L’HEURE, etc.» Et Augustin dit que cela suffirait, s’il n’arrivait rien de mieux. Il dit donc autre chose : ceux-ci avaient dormi un peu, et, alors qu’ils s’étaient endormis, il dit : LEVEZ-VOUS ! ALLONS !
2731. Plus haut, les événements préparatoires à la passion ont été présentés, à savoir, l’institution du sacrement et la prière du Christ ; mais ici, [Matthieu] présente la passion du Christ quant à ce qui est fait par les Juifs. Premièrement, il montre comment on s’empare [du Christ] ; deuxièmement, comment il est jugé ; troisièmement, comment il est condamné. Le second point [se trouve] en cet endroit : LES GRANDS PRÊTRES, etc. [26, 59] ; le troisième, en cet endroit : CEPENDANT, LES GRANDS PRÊTRES, etc. [27, 20].
À propos du premier
point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, il traite de la
trahison ; deuxièmement, de la capture ; troisièmement, de la manière
dont il a été amené après la capture. Le second point [se trouve] en cet
endroit : ALORS ILS S’APPROCHÈRENT [26, 50] ; le troisième, en
cet endroit : MAIS EUX, SE SAISISSANT DE LUI, etc. [26, 51].
2732. À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, [Matthieu] décrit la personne du traître ; deuxièmement, le signe de la trahison ; troisièmement, il ajoute quelque chose. Le second point [se trouve] en cet endroit : OR CELUI QUI LE TRAHISSAIT, etc. [26, 48] ; le troisième, en cet endroit : ET AUSSITÔT, etc. [26, 49].
[Matthieu] décrit le traître par trois traits : premièrement, par son nom ; deuxièmement, par sa dignité ; troisièmement, par son entourage.
2733. Par son nom : COMME IL PARLAIT ENCORE, VOICI QUE JUDAS, etc. [26, 47]. Alors qu’il prononçait ces paroles, auxquelles il accordait foi, VOICI QUE JUDAS, qui veut dire «celui qui confesse». Il y avait deux Judas, dont l’un était mauvais et l’autre bon, pour indiquer que certains confesseurs dans l’Église seraient bons, Rm 10, 10 : La confession de bouche est faite en vue du salut, et d’autres seraient mauvais, Tt 1, 16 : Ils confesseront qu’ils connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs actes.
2734. Ensuite, [Judas] est décrit par sa dignité : L’UN DES DOUZE, car bien qu’il ait été établi dans une telle dignité, il a commis un aussi grand crime. L’exemple est ainsi donné que personne ne doit mettre sa confiance en son état. L’Apôtre [dit], 1 Co 10, 12 : Que celui qui est debout prenne garde de tomber ! Jn 6, 27 : Ne vous ai-je pas choisis, vous, les Douze, alors que l’un de vous est le Diable ? Et pourquoi l’a-t-il choisi, alors qu’il savait qu’il serait mauvais ? Une raison était de donner un exemple aux prélats, afin qu’ils ne se désolent pas.
2735. De même, [Judas] est décrit par son entourage : ET AVEC LUI UNE BANDE NOMBREUSE, etc. De même que [Judas] avait une âme cruelle, de même avait-il un entourage cruel, car tout animal en désire un autre semblable à lui-même. Et c’est cela qui est décrit, car [LA BANDE] ÉTAIT NOMBREUSE. Par cela est indiqué qu’ils étaient insensés : nombreux en effet sont les insensés. Qo 1, 15 : Le nombre des insensés est infini. Et ceux-ci étaient vraiment insensés, car ils s’opposaient à la Sagesse. Ils étaient aussi armés : ARMÉE DE GLAIVES ET DE BÂTONS. Et pour quelle raison ? Origène dit que beaucoup croyaient en lui ; ils craignaient donc que la foule ne le leur enlève. De même, ils disaient, plus haut, [Mt] 11, qu’il chassait les démons par Béelzéboul. Afin qu’aucune puissance ne le protège, ils vinrent donc armés. [Cette bande] est aussi décrite par l’autorité [qui l’envoyait] : ILS ÉTAIENT ENVOYÉS PAR LES GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS DU PEUPLE. Ils avaient donc reçu des directives de leur autorité, de sorte qu’aucun d’entre eux ne s’oppose à elle, afin que s’accomplisse ce qui est dit en Ps 2, 2 : Le rois de la terre se sont levés et les chefs se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ.
2736. Il est ensuite question du signe de la
trahison : OR, CELUI QUI LE TRAHISSAIT LEUR AVAIT DONNÉ CE SIGNE, EN
DISANT, etc. Mais ici se pose une question. Comme [Jésus] était connu en Judée,
pourquoi demandaient-ils un signe ? Il peut y avoir deux raisons. L’une,
que Judas avait entendu dire que le Christ avait été transfiguré sur la
montagne, et il croyait que cela s’était produit par l’art de la magie. Il
voulut donc prévenir cela par le signe du baiser, avant qu’il ne puisse être
transfiguré. Jérôme donne cette interprétation. Mais Origène dit ce qui
suit : «De même que chacun goûtait la manne au désert selon l’opinion
qu’il en avait, de même le Christ apparaissait à chacun selon l’opinion qu’on
avait de lui.» Il était donc nécessaire que [Judas] donne un signe. Il donna un
signe étonnant : CELUI À QUI JE DONNERAI UN BAISER, C’EST LUI ;
ARRÊTEZ-LE ! Le signe de l’amitié devint le signe de la trahison.
Pr 27, 6 : Les blessures
données par l’ami sont meilleures que les baisers trompeurs de l’ennemi.
2737. ET IL S’APPROCHA AUSSITÔT DE JÉSUS EN DISANT : «SALUT, RABBI !», ET IL L’EMBRASSA. Ici est présenté l’accomplissement de la trahison. Premièrement, [Judas] en donna des signes ; deuxièmement, il commença à agir.
Et il le montre par ce qu’il dit en premier lieu : «SALUT, RABBI !» ; en second lieu, par un geste : ET IL L’EMBRASSA. On trouve quelque chose de semblable en 2 R [2 Sm] 10, 1, où Joab prit le menton d’Amasa et le tua. Mais pourquoi ne se dirigea-t-il pas tout de suite vers lui, mais le salua-t-il d’abord ? Une raison est le respect envers le maître. Il le salua donc d’abord parce qu’il craignait qu’avant de pouvoir le signaler, il pourrait auparavant se transfigurer.
2738. MAIS JÉSUS LUI DIT : «AMI, POURQUOI ES-TU VENU ?» Cela peut être lu comme une interrogation ou comme de l’indulgence. Si [on le lit] comme une interrogation, on peut alors lire que cela a été dit comme un reproche, comme s’il disait : «Tu manifestes de l’amitié par un baiser et tu es venu me perdre ?», conformément à Ps 27[28], 3 : Ils ont la paix à la bouche, mais le mal est dans leur cœur. Et [Le Seigneur] dit : «AMI !» Chaque fois qu’il en appelle un autre : «Ami !», il exprime un reproche. Ainsi a-t-il été dit plus haut, 22, 12 : Ami, comment es-tu entré ici sans porter le vêtement de noces ? Et ailleurs, 20, 13 : Ami, je ne te fais pas de tort, etc. 1 Jn 4, 19 : Ce n’est pas nous qui l’avons aimé en premier lieu, mais lui qui nous a d’abord aimés. Ou bien, on peut lire cela comme [une expression] d’indulgence. Il ne s’agit pas alors d’une parole de reproche, mais d’indulgence : AMI, POURQUOI ES-TU VENU ? Selon Jn 13, 27 : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Et il l’appelle «ami» pour ce qui le concerne, car avec ceux qui haïssaient la paix, j’ai été pacifique, Ps 119[120], 7. Et bien qu’il sût qu’il devait l’embrasser, il s’avança cependant vers lui.
2739. ALORS, S’AVANÇANT, ILS MIRENT LA MAIN SUR JÉSUS. Maintenant, il s’agit de la capture : premièrement, la rudesse de la capture est présentée ; deuxièmement, le témoignage ; troisièmement, le reproche adressé à un disciple.
À propos du premier
point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, il dit comment les
serviteurs s’emparèrent de lui ; deuxièmement, comment un disciple voulut
l’empêcher ; troisièmement, comment le Christ le lui reprocha.
[Matthieu] dit donc : ALORS, S’AVANÇANT, ILS MIRENT LA MAIN SUR JÉSUS. Is 1, 15 : Vos mains sont pleines de sang. [Le Seigneur] se livra lui-même. Jr 12, 7 : J’ai livré mon âme chérie aux mains de ses ennemis.
2740. Puis, on présente comment un disciple s’en prit aux agresseurs : ET VOILÀ QU’UN DES COMPAGNONS DE JÉSUS, PORTANT LA MAIN À SON GLAIVE, LE SORTIT. Qui était celui-ci ? Il faut dire que c’était Pierre. Ainsi, comme il avait voulu auparavant, 16, 22, empêcher la passion du Christ, de même en est-il ici. Comment en eut-il l’occasion ? Du fait de ce qu’on lit en Lc 22, 36, où le Seigneur leur ordonna d’acheter des glaives, et qu’ils crurent comprendre que des glaives étaient nécessaires. Ils avaient ainsi des couteaux pour tuer l’agneau. C’est pourquoi Pierre en avait un.
2741. IL FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE ET LUI AMPUTA L’OREILLE. Ne croyez pas qu’il ait eu le temps de décider qu’il lui amputerait l’oreille, mais il lui porta un coup et, alors qu’il voulait le frapper à mort, il arriva qu’il lui amputa l’oreille. Le nom de ce [serviteur] était Malchus, qui veut dire «roi». Il indique l’enlèvement du royaume au peuple juif, et cependant il est devenu le serviteur des grands prêtres, c’est-à-dire des Romains. C’est à lui que Pierre a coupé l’oreille. Par l’oreille, on entend l’ouïe, et celle-ci est double : celle de droite, par laquelle est indiquée la vie éternelle ; celle de gauche, par laquelle [est indiquée la vie] temporelle. IL LUI AMPUTA L’OREILLE, car il enleva au peuple des Juifs l’enseignement spirituel. Ce fut l’occasion par laquelle les Gentils reçurent l’ouïe de droite, car Pierre prêcha d’abord aux Gentils et leur amputa ainsi celle de droite, en amenant les Gentils à la foi.
2742. ALORS JÉSUS LUI DIT : «REMETS TON GLAIVE À SA PLACE.» Ici est présenté le reproche : premièrement, il fait un reproche à Pierre ; deuxièmement, aux serviteurs : À CE MOMENT-LÀ, JÉSUS DIT AUX FOULES, etc. [26, 55].
En premier lieu, [le Seigneur] formule le reproche ; en second lieu, il donne la raison de l’avertissement : CAR TOUS CEUX QUI PRENNENT LE GLAIVE PÉRIRONT PAR LE GLAIVE.
Il est dit : ALORS JÉSUS LUI DIT : «REMETS TON GLAIVE À SA PLACE.» Il était venu pour souffrir volontairement ; il ne voulait donc pas être défendu. Par cela, il donnait aux martyrs souffrant pour le Christ l’exemple de ne pas se défendre eux-mêmes.
2743. Ensuite, il donne la raison : premièrement, à cause de la peine ; deuxièmement, en raison de la volonté du Christ ; troisièmement, à partir d’une autorité. Le second point [se trouve] en cet endroit : PENSES-TU QUE JE NE POURRAIS PAS FAIRE APPEL À MON PÈRE, etc. ? [26, 53] ; le troisième, en cet endroit : COMMENT ALORS S’ACCOMPLIRAIENT LES ÉCRITURES ? [26, 54].
2744. En premier lieu, [le Seigneur] radoucit [Pierre] en évoquant la crainte de la peine : TOUS CEUX QUI PRENNENT LE GLAIVE PÉRIRONT PAR LE GLAIVE. Mais Augustin soulève une question, car ce ne sont pas tous ceux qui portent le glaive qui périssent par le glaive, mais [ils périssent] parfois de la fièvre. On peut donc interpréter cela de trois façons, selon qu’il existe un triple glaive. [Un glaive] matériel, dont il est question en Ps 36, 14 : Les pécheurs ont sorti le glaive. Aussi, celui de la sentence divine, dont il est question en Jr 19, 7 : Je les renverserai par le glaive. Encore, celui de la parole divine : Ep 6, 17 : Prenez le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu. Cela peut s’entendre de tous ces [glaives]. Du glaive matériel, car celui qui sort le glaive périra par le glaive, à savoir, le sien, et non celui d’un autre. Ainsi, Ps 36[37], 15 : Que leur glaive transperce leur cœur ! On peut aussi l’interpréter du glaive de la condamnation, dont il est dit, en Gn 3, 24, que le Seigneur plaça un glaive de feu à l’entrée du Paradis. Aussi, ceux qui condamnent les autres seront condamnés par le jugement divin. Ou bien, certains prennent de leur propre autorité ce qu’ils n’ont pas reçu d’une autre, et ceux-là périront par le glaive.
2745. PENSES-TU QUE JE NE POURRAIS PAS DEMANDER À MON PÈRE, etc. ? Ici, il donne la raison de radoucir l’âme de Pierre, en laissant entendre qu’il souffrait volontairement et qu’il aurait pu s’enfuir. Et parce qu’il voyait que [Pierre] prenait les devants, il dit donc : [PENSES-TU QUE] JE NE POURRAIS PAS DEMANDER À MON PÈRE ? Il ne dit pas : «Je peux faire appel ou faire venir», mais «demander» : en effet, il utilise des paroles d’homme, car il appartient à l’homme de prier. ET IL ME FOURNIRAIT IMMÉDIATEMENT PLUS DE DOUZE LÉGIONS D’ANGES. Cela a été dit à cause de la faiblesse de l’esprit de Pierre. Pierre se trouvait dans une telle situation qu’il devait le défendre et avait besoin de l’aide des hommes. C’est pourquoi [le Seigneur] veut dire que s’il avait besoin d’être défendu par l’aide des hommes, à combien plus forte raison par celle des anges ! Mais cela n’était pas nécessaire, car les anges sont plutôt maintenus dans l’existence par lui.
2746. Mais
que veut dire : DOUZE LÉGIONS D’ANGES ? Il faut dire que «société»,
chez les Grecs, se dit «phalange», et, chez les Romains, «légion», et celle-ci
comportait six mille hommes. De sorte que douze légions donnent soixante-douze
mille [hommes], et tel est le nombre de langues chez les hommes, comme on le
lit en Gn 11. Il veut donc dire : «Si tous les hommes se soulevaient
contre moi, le Seigneur pourrait envoyer mille anges contre n’importe quelle
langue » ; et si un seul ange en détruisait tant de milliers, comme
il est clair en Is 37, à bien plus forte raison mille [anges]
pourraient-ils détruire une seule langue ! Jb 25, 3 : Quel est le nombre de ses soldats ? Dn 7, 10 : Des milliers de milliers le servaient, et
des dizaines de milliers de centaines de milliers l’aidaient. Rémi dit ce
qui suit : «Tous ceux qui font la volonté de Dieu peuvent être appelés des
anges, c’est-à-dire des messagers.» Is 18, 2 : Allez, anges rapides, vers une nation
perturbée et déchirée. En effet, tous ceux qui servent Dieu sont appelés
des anges. Ps 103[104], 4 : Lui
qui a fait des esprits ses anges et de ses serviteurs un feu ardent.
2747. On peut encore entendre par «légion» la légion des Romains. Le Seigneur pourrait ainsi faire venir et appeler les légions des Romains afin de détruire les Juifs, comme cela est arrivé par la suite sous Titus et Vespasien. Par ce texte, certains ont démoli l’opinion de ceux qui disaient que le Seigneur ne pouvait faire que ce qu’il fait, car, s’il pouvait faire appel à des légions, auxquelles il n’avait pas fait appel, il est clair qu’il peut faire beaucoup de choses qu’il ne fait pas.
2748. COMMENT ALORS S’ACCOMPLIRAIENT LES ÉCRITURES ? Ici est présentée la troisième raison pour laquelle [Pierre] ne devait pas s’opposer, car les Écritures l’ont dit, et donc, il faut que cela s’accomplisse. [Le Seigneur] ne dit pas quelles Écritures parce que tous les prophètes l’ont dit de manière occulte ou claire. Ainsi, Lc 24, 26 : Ne fallait-il pas que le Christ souffrît pour entrer dans sa gloire ?
2749. À CE MOMENT-LÀ, JÉSUS DIT AUX FOULES. Dans cette partie, [le Seigneur] fait des reproches aux serviteurs, et il fait deux choses : premièrement, il rappelle un fait ; deuxièmement, le caractère déraisonnable du fait, lorsqu’il dit : VOUS ÊTES VENUS POUR VOUS EMPARER DE MOI AVEC DES GLAIVES ET DES BÂTONS COMME SI J’ÉTAIS UN BRIGAND. Jb 16, 10 : Il s’en est pris à moi avec ses dents, car ils étaient venus comme s’il était un brigand. Or, eux-mêmes venaient comme des brigands. Le brigand se cache pour ne pas être pris, mais le Christ s’offre ouvertement. Et les brigands, s’ils veulent nuire, ne nuisent pas en public. Or, le Christ s’offrait.
Il dit donc : CHAQUE JOUR, J’ÉTAIS PARMI VOUS DANS LE TEMPLE À ENSEIGNER, ET VOUS NE M’AVEZ PAS ARRÊTÉ. Vous êtes donc venus comme des brigands. En effet, afin de leur donner une occasion, il était sorti de la ville. CHAQUE JOUR, J’ÉTAIS PARMI VOUS DANS LE TEMPLE. Il y a quelque chose de semblable dans Jn 17, 20 : Je n’ai rien dit en secret. Et il dit : À ENSEIGNER DANS LE TEMPLE. C’était son habitude de toujours enseigner dans le temple. ET VOUS NE M’AVEZ PAS ARRÊTÉ. Il est donc clair que vous êtes venus comme des brigands.
2750. Ensuite un témoignage est présenté : OR, TOUT CECI ARRIVA POUR QUE S’ACCOMPLISSENT LES ÉCRITURES DES PROPHÈTES. [Matthieu] ne dit pas de quels [prophètes], car on le lit chez presque tous. Ps 21, 17 : Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont compté tous mes os. Et Is 53, 3 : Nous l’avons considéré comme le moindre des hommes, comme un homme de douleurs. Et [Matthieu] dit : AFIN QUE S’ACCOMPLISSENT. «Afin» peut être entendu comme une indication de cause, et tel n’est pas le sens ici ; ou bien, on peut l’entendre de manière consécutive, et tel est le sens ici. En effet, cela n’est pas arrivé parce que les prophètes l’ont dit, mais ils l’ont prédit parce que cela devait arriver. Le sens est donc : AFIN QUE S’ACCOMPLISSENT, c’est-à-dire que, de ce fait, s’est accompli ce qui avait été prédit par les prophètes.
2751. ALORS LES DISCIPLES L’ABANDONNÈRENT TOUS ET PRIRENT LA FUITE, pour que s’accomplît ce qui est dit en Ps 37[38], 12 : Mes amis et mes proches m’ont abandonné. Mais pourquoi ne l’ont-ils pas abandonné dès le début ? Jérôme répond qu’il est écrit en Jn 7, 30 : Ils le recherchaient, et personne ne mit la main sur lui, car son heure n’était pas venue. Ils croyaient donc qu’il pouvait se libérer et se défendre. Mais, lorsqu’ils virent qu’il avait été pris et qu’il ne voulait pas se défendre, ils s’enfuirent et l’abandonnèrent.
2752. Il a été question plus haut de la capture du Christ.
Maintenant, il est question de l’endroit où il a été conduit. L’endroit ainsi
que l’entourage de ceux qui rassemblèrent en ce lieu sont décrits.
2753. [Matthieu] dit donc : MAIS EUX,
c’est-à-dire ceux qui l’avaient capturé, LE MENÈRENT À CAÏPHE. Ce Caïphe était
grand prêtre cette année-là, d’après Jérôme, selon ce qui est dit en
Jn 11, 49 : Alors qu’il
était grand prêtre pour cette année-là. En effet, déjà, le sacerdoce n’était plus exercé selon le
précepte de la loi. Le Seigneur avait ordonné qu’Aaron et ses fils soient
prêtres par droit d’héritage, de sorte que, lorsqu’un prêtre mourait, un autre
demeurait prêtre. Mais par la suite, en raison d’une ambition croissante, ils
ne purent pas le supporter, mais, après la soumission de la Judée aux Romains,
ce Caïphe avait acheté des Juifs le sacerdoce : il l’avait acheté de
Pilate. C’était donc un grand [prêtre] injuste. Et il n’est pas étonnant qu’un
juge injuste ou un grand [prêtre injuste] porte un jugement injuste. Cela
s’accorde au mystère, car, de même que la passion du Christ était l’offrande du
sacrifice véritable, de même le lieu devait convenir, de sorte que le Christ,
qui est prêtre pour l’éternité, fût offert dans la maison du grand prêtre.
Caïphe veut dire «chercheur», et cela peut être mis en rapport avec la
méchanceté par laquelle il a condamné le Christ.
2754. Mais ici se pose une question, car il est dit
en Jn 18, 13 que [le Christ] fut d’abord conduit chez Anne. Et on
doit comprendre que cela est vrai : ils s’étaient rendus chez Anne et s’y
étaient réunis. Par cela se manifeste leur méchanceté, car, alors qu’ils
devaient assister à la célébration [de la Pâque], ils s’adonnaient à leur
malice, de sorte que s’appliquait à eux ce qui est dit en
Is 1, 14 : Mon âme a haï
vos célébrations. Ainsi s’accomplit ce qui est dit en
Ps 2, 2 : Ils se sont
ligués contre Dieu et contre son Christ.
2755. MAIS PIERRE LE SUIVAIT DE LOIN. Il a été
question du lieu. Maintenant, il est question de Pierre qui y accède.
Premièrement, [le Christ] y est conduit ; deuxièmement, Pierre y arrive.
[Matthieu] fait trois choses : premièrement, il aborde la manière ;
deuxièmement, comment [Pierre] y arriva en suivant.
Qu’il y soit arrivé, cela fut le fait de la
ferveur ; qu’[il ait suivi] de loin, cela fut le fait de la peur, car le
Christ a souffert pour l’Église, et non pour lui-même ; mais Pierre et
l’Église ont souffert pour eux-mêmes. De même, le lieu est abordé, car [Pierre
le suivit] JUSQU’AU PALAIS DU GRAND PRÊTRE. En effet, il n’osa pas entrer dans
la maison afin de ne pas paraître faire partie des disciples de Jésus. Comment
il entra, Matthieu n’en parle pas, mais Jean 18, 15 le raconte, car un disciple était connu du grand prêtre et
fit entrer Pierre.
2756. Vient ensuite l’entourage : IL PÉNÉTRA À
L’INTÉRIEUR ET S’ASSIT AVEC LES SERVITEURS POUR VOIR LE DÉNOUEMENT. Il faisait
cela soit par curiosité, soit par attachement. Et ces trois choses préparaient
d’une certaine façon la chute de Pierre. Le fait qu’il suivait de loin y
préparait, car cela signifiait qu’il n’était pas solide : en effet, celui
qui est solide doit s’approcher. Ainsi est-il dit en Jc 4, 8 : Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera
de vous. Car, dans la
maison de Dieu se trouve le trône de Dieu et de l’Agneau, Ap 22, 3.
En effet, dans la maison, se trouve la charité parfaite. Pierre ne s’est donc
pas approché de la charité du Christ. De même, il n’allait pas jusqu’à la
méchanceté des Juifs. Il était donc tiède, et il lui arriva ce qui est dit en
Ap 3, 16 : Parce que tu es
tiède, je te cracherai de ma bouche.
De même, les serviteurs étaient mauvais. Si 10, 2 : Comme est le juge du peuple, ainsi sera son
serviteur. Il n’y a donc
pas à s’étonner qu’il soit tombé, car il était en mauvaise compagnie. C’est
pourquoi Ps 17[18], 16 [dit] : Tu seras saint avec les saints.
2757. Puis suit le procès du Christ :
premièrement, selon les témoins ; deuxièmement, selon sa propre
confession, en cet endroit : SE LEVANT ALORS, LE GRAND PRÊTRE LUI DIT,
etc. [26, 62].
À propos du premier point, [Matthieu] fait
trois choses : premièrement, les efforts pervers des grands prêtres sont
indiqués ; deuxièmement, leur échec ; troisièmement, le faux
témoignage.
2758. [Matthieu] dit donc : MAIS LES GRANDS
PRÊTRES CHERCHAIENT UN FAUX TÉMOIGNAGE CONTRE JÉSUS, AFIN DE LE FAIRE MOURIR.
Mais une question se pose : pourquoi ne le mirent-ils pas à mort sans
faire appel à un témoignage ? Une raison est que les hypocrites
recherchent ce qui paraît bien, mais ne recherchent pas la vérité. Ainsi,
ceux-ci cherchaient à donner l’impression qu’ils ne le faisaient pas
d’eux-mêmes. Ils agissaient donc contre la loi. Ex 20, 16 : Ne porte pas de faux témoignage contre ton
prochain. S’il n’est pas
permis d’en porter, il n’est pas [non plus permis] d’en rechercher. Une autre
raison est qu’ils n’avaient pas le pouvoir de mettre à mort : ils
cherchaient donc comment le livrer au gouverneur.
2759. ET ILS N’EN TROUVÈRENT PAS, BIEN QUE DE
NOMBREUX FAUX TÉMOINS SE SOIENT PRÉSENTÉS. Voici leur échec, par lequel est
indiquée l’innocence du Christ, de sorte qu’il puisse dire : Moi, j’ai marché comme l’innocent que je
suis. En effet, ils ont toujours tendu des embûches au Christ, mais ils
n’ont rien trouvé de mal. Il a donc accompli ce qu’on lit en
1 P 2, 5 : Ceux qui
font le bien font taire l’imprudence des ignorants.
2760. Vient ensuite le faux témoignage :
FINALEMENT, DEUX FAUX TÉMOINS SE PRÉSENTÈRENT, QUI DIRENT. Mais ici se pose une
question : pourquoi les appelle-t-on des faux témoins ? Le Christ
avait pourtant parlé ouvertement, Jn 2, 19. Selon Jérôme, on
n’appelle pas seulement «faux» celui qui parle de ce qu’il ne connaît pas, mais
qui met ce qui a été dit en rapport avec une mauvaise interprétation. CET HOMME
A DIT : «JE PUIS DÉTRUIRE LE TEMPLE DE DIEU ET LE RELEVER EN TROIS JOURS.»
Or, [Jésus] ne l’entendait pas du temple matériel, mais du temple de son corps.
Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’un faux témoignage pour ce qui est du sens,
mais pour ce qui est des paroles, car [Jésus] avait dit : «Détruisez ce
temple», et il n’avait pas
dit : «Je peux détruire le temple de Dieu», comme s’il disait : «Vous
les Juifs, détruisez le temple, à savoir, le Christ, et je le relèverai en
trois jours.» Il n’a pas dit : «Je le rebâtirai dans trois jours», car
«rebâtir» se rapporte plutôt à un temple matériel, mais «relever» [se rapporte]
davantage au corps. Ainsi, les témoins étaient faux tant pour ce qui était des
paroles que pour ce qui était du sens.
2761. Il y a aussi une [autre] question :
pourquoi ne l’accusent-ils pas d’avoir enfreint le sabbat ? Chrysostome
répond que souvent ils l’ont accusé de cela, mais il s’était toujours justifié
et avait confirmé sa justification par des miracles. Ils pensaient donc que
cela ne leur serait pas favorable. De plus, le juge n’était pas juif ; ils
savaient donc qu’il n’accepterait pas cette accusation.
2762. Suit alors le procès par sa propre confession.
Premièrement, on présente l’interrogation sur les témoignages ;
deuxièmement, sur la question principale. Le second point [se trouve] en cet
endroit : ALORS LE GRAND PRÊTRE LUI DIT, etc. [26, 65].
[Matthieu] dit donc : SE LEVANT, LE
GRAND PRÊTRE LUI DIT : «TU NE RÉPONDS RIEN À CE QUE CES GENS ATTESTENT
CONTRE TOI ?» Qu’il se soit levé, cela fut le fait de l’impatience et de
la colère [du grand prêtre] qui comprenait que le Christ n’était pas convaincu
[de ce dont on l’accusait]. Ce qu’il dit : TU NE RÉPONDS RIEN,
etc. ?, il ne le dit pas pour l’excuser, mais pour le prendre au piège de
son discours. Is 32, 6 : L’insensé
racontera des choses dénuées de sens, et son cœur commettra l’injustice.
2763. MAIS JÉSUS SE TAISAIT. Mais pourquoi se
taisait-il ? Pour trois raisons. Afin de nous enseigner la prudence :
en effet, il savait que quoi qu’il dise, cela serait transformé en calomnie,
et, dans une telle situation, il faut se taire devant ceux qui tendent des
pièges. Ps 38[39], 2 : J’ai
gardé ma bouche, lorsque le pécheur m’assiégeait. Une autre raison était
que ce n’était pas le temps d’enseigner, mais d’avoir de la patience. Ainsi
s’accomplit ce qui est dit en Is 53, 7 : Comme un agneau devant celui qui le tond, il se tait et n’ouvre pas la
bouche. La troisième
raison, c’était pour nous enseigner la constance, lorsque nous sommes
injustement accusés. Is 51, 7 : Ne craignez pas l’outrage des hommes.
2764. Vient ensuite la question sur le point
principal : LE GRAND PRÊTRE LUI DIT : «JE T’ADJURE PAR LE DIEU VIVANT
DE ME DIRE SI TU ES LE CHRIST, LE FILS DE DIEU.» Premièrement, l’enquête est
présentée ; deuxièmement, la réponse du Seigneur.
Le grand prêtre, voyant qu’il ne pouvait pas
le piéger, l’adjura, et cela, afin de le piéger par la parole. On lit cela en
Jn 10, 24 : Jusqu’à quand
vas-tu nous tenir en haleine ? Si tu es le Christ, dis-le-nous maintenant.
Chez les Juifs, on accorde beaucoup d’importance à l’adjuration, car,
adjurer, c’est imposer un serment. En effet, comme les chrétiens ne doivent pas
jurer sans nécessité, de même ne doivent-ils pas recourir à l’adjuration, mais,
plutôt qu’à l’adjuration, ils doivent recourir à la prière.
2765. Suit alors la réponse : JÉSUS LUI
DIT : «TU L’AS DIT.» Remarquez que lorsque quelque chose lui était
contraire, il s’est tu ; mais aussitôt qu’on recourut à une adjuration
mettant en cause le pouvoir de son Père, il répond. Il a donc toujours cherché
la gloire de son Père. Jn 8, 50 : Moi, je ne recherche pas ma gloire. À ce propos, [Jésus] donne d’abord sa réponse ; en second
lieu, il l’explique.
[Matthieu] dit donc : JÉSUS LUI
DIT : «TU L’AS DIT.» Cela peut s’interpréter comme si le Christ
n’affirmait pas, mais laissait planer un doute, plus haut, 7, 6 : Ne donnez pas aux chiens une chose sainte. Ou
bien, on peut lire cela d’une manière affirmative : TU L’AS DIT,
c’est-à-dire : «Cela est vrai.» Et cela est clair, car il est dit en
Mc 14, 62 : Je le suis.
2766. [Jésus] en donne ensuite l’explication :
D’AILLEURS, JE VOUS LE DÉCLARE : VOUS VERREZ BIENTÔT LE FILS DE L’HOMME
SIÉGEANT À LA DROITE DE LA PUISSANCE DE DIEU. Il veut manifestement montrer qu’il
est lui-même le Fils de Dieu en recourant à deux autorités. L’une se trouve
dans Ps 109[110], 1 : Le
Seigneur a dit à mon Seigneur : «Siège à ma droite.» Par celle-ci, il
avait montré auparavant, 22, 42‑46, que le Christ était le Fils de
Dieu. L’autre [autorité] est Dn 7, 7 : Je vis comme une vision nocturne. Et voici que le fils de l’homme
venait sur les nuées, etc. «Je dis
donc qu’il l’a dit, à savoir : TU L’AS DIT, mais tu ne reconnais pas la
vérité.» Remarque que la vérité sera manifestée, car VOUS VERREZ LE FILS DE
L’HOMME SIÉGEANT À LA DROITE DE LA PUISSANCE DE DIEU. Parce qu’il a dit :
SIÉGEANT À LA DROITE, Chrysostome explique que s’asseoir à la droite dénote une
dignité royale. Is 9, 7 : Il siégera sur le trône de David et sur son royaume. Ou bien, siéger à la droite, c’est être en
pleine jouissance d’une puissance ou de biens plus importants : en effet,
la droite est la partie la plus noble ; elle signifie donc une plus grande
dignité, non pas parce qu’elle a une plus grande puissance, mais [une
puissance] égale, plus loin, 28, 18 : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. [Le Christ] dit encore au sujet de sa
puissance : VENANT SUR LES NUÉES DU CIEL.
2767. Mais que veut-il
dire lorsqu’il dit : VOUS VERREZ BIENTÔT, etc. ? Il faut remarquer
que ce qu’il dit : SUR LES NUÉES, peut se rapporter au dernier avènement
ou à [l’avènement] quotidien. Le dernier avènement se fera sur une nuée.
Ac 1, 11 : Comme
vous l’avez vu monter au ciel, et il est dit plus
haut, [Mt] 24, qu’il
viendra sur les nuées. On peut
l’interpréter autrement de l’avènement quotidien, dont il est question en
Jb 9, 11 : S’il
vient à moi, je ne le verrai pas. Et cet avènement
se fait sur les nuées, c’est-à-dire par les apôtres et par les saints docteurs.
Il en est question en Is 60, 8 : Quels
sont ceux-ci qui volent comme des nuées ? Ceux-ci sont
appelés «nuées» parce qu’ils s’élèvent dans les hauteurs. De même, les nuées
sont fécondes. Le premier point se rapporte à l’élévation de [leur] vie ;
le second, à la fécondité de [leur] enseignement. Et ce sont des NUÉES DU CIEL,
c’est-à-dire célestes, parce qu’ils ont apporté une image céleste.
2768. Que veut
dire : VOUS VERREZ BIENTÔT ? [Cela veut dire] qu’immédiatement après
la passion, il en a converti certains à la foi, et d’autres par le témoignage
des œuvres. Ainsi certains ont été convertis à cause de leur foi, d’autres à
cause de leurs bonnes actions. De même, si on met cela en rapport avec le
dernier avènement, Origène dit : «L’ensemble du temps du monde, comparé à
l’éternité, n’est rien : il est comme un instant.»
Ps 89[90], 4 : Mille
ans à tes yeux sont comme hier qui est passé. Il dit donc :
BIENTÔT, car, en regard de l’éternité, le temps qui précède le jugement n’est
rien. «Cependant, après que vous vous serez éloignés de moi, il ne vous reste
plus qu’à me reconnaître, car je viendrai sur les nuées du ciel. Et alors vous
saurez que je suis le Fils de l’homme.» On trouve une manière semblable de
parler plus haut, 23, 39 : Bientôt,
vous ne me verrez plus, jusqu’à ce que vous disiez : «Béni soit celui qui
vient au nom du Seigneur !»
2769. ALORS LE GRAND
PRÊTRE DÉCHIRA SES VÊTEMENTS. Ici est présentée la condamnation. Premièrement,
on présente comment [Jésus] a été condamné ; deuxièmement, comment il a
été renié par un disciple.
En premier lieu,
il est question de la condamnation ; en second lieu, de la dérision.
À propos du
premier point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, le grand prêtre
le condamne ; deuxièmement, il s’enquiert de la sentence.
2770. Celui qui [le]
condamne montre sa faute par le geste et par la parole : par le geste, car
il déchire ses vêtements. Il a déchiré ses vêtements avec la même fureur qui le
fit plus tôt se lever de son trône : c’était en effet la coutume que ceux
qui entendaient un blasphème déchirent leurs vêtements pour montrer qu’ils ne
voulaient pas écouter. Il est vrai qu’en faisant ces deux choses il signifiait
quelque chose : par le fait de se lever de son trône, il montrait qu’il
abandonnait le sacerdoce ; et par le fait de déchirer ses vêtements, il
signifiait que [le sacerdoce] devait être transféré. He 7, 12 : Une
fois transféré le sacerdoce, il est nécessaire que la loi soit transférée. Le vêtement du
Christ ne fut pas déchiré. Jn 19, 24 : Ne
le séparons pas, mais tirons-le au sort pour savoir à qui il appartiendra. Cela signifie donc
l’abolition [du sacerdoce et de la loi]. Et cela est indiqué en
1 R [1 Sm] 15, 28 : Aujourd’hui,
le Seigneur a séparé de toi le royaume d’Israël. Ainsi [le
sacerdoce] a-t-il été séparé des Juifs et donné aux membres du Christ.
2771. Ensuite, [le grand
prêtre] l’inculpe : IL A BLASPHÉMÉ ! Parce que [Jésus] avait dit
cela, il estimait qu’il était un blasphémateur. Ainsi,
Jn 10, 33 : Nous
ne te lapidons pas à cause de ta bonne action, mais à cause de ton blasphème,
car, d’homme que tu es, tu t’es fait Fils de Dieu. Or, un tel
[coupable] méritait la mort.
Ensuite, le grand
prêtre met la faute en évidence : QU’AVONS-NOUS ENCORE BESOIN DE
TÉMOINS ?
2772. Ensuite, il
s’enquiert de la sentence : QUE VOUS EN SEMBLE ? ILS
RÉPONDIRENT : «IL MÉRITE LA MORT !», au jugement de la loi. Et cela serait vrai
s’il était un blasphémateur. Mais il ne l’était pas. Ils ont donc porté un
mauvais jugement, car ils condamnent à mort l’auteur de la vie.
1 Co 15, 22 : En effet, comme la mort est venue à tous les hommes
par Adam, de même la vie par Jésus.
2773. ALORS, ILS LUI CRACHÈRENT AU VISAGE, etc. Après la condamnation du
Christ, il est question de la dérision. Et cela convient assez, car le Christ a
porté nos péchés, comme [le dit] Is 53. Or, l’homme a été livré à la mort
par le péché lorsqu’il lui a été dit, Gn 2, 17 : Dès que vous en aurez mangé, vous serez condamnés à
la mort. Aussi a-t-il perdu son propre honneur, car l’homme, alors qu’il possédait l’honneur, n’a pas
compris ; il est devenu semblable aux animaux sans raison, Ps 48[49], 13. C’est pourquoi le Christ rédempteur a d’abord
supporté la mort et l’opprobre par des gestes ; en second lieu, par la
parole, en cet endroit : FAIS-LE PROPHÈTE POUR NOUS, CHRIST !
[26, 68].
2774. En premier lieu, on crache sur lui et on le gifle ; en second
lieu, on le frappe au visage. À propos du premier point, on dit : ILS LUI
CRACHÈRENT ET LE FRAPPÈRENT AU VISAGE. Comme on le voit par les paroles, cela
eut lieu pour montrer le mépris du commandement de Dieu. On lit ainsi en
Dt 25, 5s, que si quelqu’un ne voulait pas prendre la femme de son
frère, on lui crachait au visage. [C’était aussi pour montrer] le mépris du
commandement paternel. Tel fut le cas de Marie, la sœur de Moïse : on lui
cracha au visage parce qu’on estimait qu’elle blasphémait.
Is 1, 6 : Je n’ai pas détourné le visage de ceux qui
m’insultaient et crachaient sur moi. De même, ILS LE GIFLÈRENT, comme un homme ivre ou insensé.
Is 53, 3 : Nous l’avons considéré comme le dernier des hommes,
c’est-à-dire
qu’il semblait méprisé comme s’il était le dernier de tous les hommes. D’AUTRES
LE GIFLÈRENT par irrespect. Lm 3, 30 : Il offrait sa joue à celui qui le frappait.
2775. Au sens mystique, selon Augustin, certains font encore cela, car
cracher au visage n’est rien d’autre que mépriser la présence de la grâce du
Christ. He 10, 29 : D’un châtiment combien plus grave sera jugé digne,
ne pensez-vous pas, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, aura profané
le sang de l’alliance par lequel il a été sanctifié, et outragé l’Esprit de la
grâce ! Mais, au sens propre, celui-là soufflette qui soumet la tête à la
main : tels sont ceux qui recherchant davantage leur propre dignité que
l’honneur du Christ. Il est dit de ceux-là : Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière. Or, ceux qui soufflettent sont ceux qui s’efforcent d’une certaine
façon d’anéantir sa présence, comme c’est le cas des Juifs. Is 30, 11
[dit] à leur sujet : Que le Saint d’Israël disparaisse de notre
vue !
2776. Ils [lui] adressent ensuite des insultes en paroles : FAIS LE
PROPHÈTE POUR NOUS, CHRIST ! QUI T’A FRAPPÉ ? Ils disaient cela pour
rire de lui, car aucun d’eux ne le considérait comme un prophète, et cela n’était
pas nécessaire, car leur infamie était évidente. Aussi [le Christ] n’a-t-il pas
voulu leur répondre. Jb 16, 11 : En l’insultant, ils le frappaient au visage.
2777. CEPENDANT PIERRE ÉTAIT ASSIS DEHORS. Ici, il s’agit du reniement de
Pierre. Lc 19, 53 suit un autre ordre, car il présente le reniement
de Pierre avant la dérision à l’endroit du Christ ; mais Matthieu fait le
contraire. Il ne s’agit pas là d’une contradiction, car, alors qu’on riait du
Christ, [le reniement] avait lieu simultanément. Cela n’a donc pas d’importance
qu’on le présente avant ou après.
Il faut noter que, pendant que [le Christ] était amené, [Pierre] ne
[le] renie pas ; mais [il le fait] lorsqu’on rit [du Christ]. [Pierre]
renie afin de signifier que certains craignent davantage l’humiliation que les
coups, à l’encontre de Is 51, 7 : Ne craignez pas les insultes des hommes et ne
redoutez pas leurs blasphèmes !
2778. À ce propos, le reniement est d’abord présenté ; en second lieu,
le repentir de Pierre : ET AUSSITÔT UN COQ CHANTA. ET PIERRE SE SOUVINT DE
LA PAROLE QUE JÉSUS AVAIT DITE [26, 74‑75].
La première partie est divisée en trois, selon les trois reniements. La
seconde [se trouve] en cet endroit : COMME IL SORTAIT DE LA PORTE, etc.
[26, 71] ; la troisième, en cet endroit : PEU APRÈS, CEUX QUI SE
TENAIENT LÀ, etc. [26, 73].
Premièrement, le lieu est présenté ; deuxièmement,
l’occasion ; troisièmement, le reniement.
2779. [Matthieu] dit donc : CEPENDANT PIERRE ÉTAIT ASSIS DEHORS, à
savoir, en dehors de l’endroit où le Christ souffrait. En effet, ceux qui
s’éloignent du Christ sont aussitôt confondus. Jr 17, 13 : Seigneur, tous ceux qui t’abandonnent seront
confondus. En sens contraire, Ps 33[34], 6 : Approchez-vous de lui et vous serez illuminés, et
vos visages ne seront pas confondus. Car celui qui est à l’extérieur de la passion du Christ tombe
facilement.
2780. Ensuite une incitation au reniement est présentée : UNE SERVANTE
S’APPROCHA DE LUI EN DISANT : «TOI AUSSI, TU ÉTAIS AVEC JÉSUS LE
GALILÉEN !» Et la chute de Pierre se rapproche de celle du premier homme.
Si 25, 33 : Le péché a commencé par une femme. De même, Pierre a-t-il renié le Christ en entendant une femme. Par
cela, le Seigneur a voulu rabaisser sa présomption, car [il n’a pas renié] en
entendant un homme, mais une femme. TOI AUSSI, TU ÉTAIS AVEC JÉSUS LE
GALILÉEN ! Cela était d’habitude un titre de gloire pour lui, mais
maintenant cela est un sujet de crainte.
2781. Il nia donc : MAIS LUI NIA DEVANT TOUS EN DISANT : «JE NE
SAIS PAS DE QUOI TU PARLES.» Si nous voulons aggraver la faute de Pierre, nous
pouvons l’aggraver pour trois raisons. Elle est aggravée parce qu’à l’occasion
d’une petite peur, il a nié. Lv 26, 36 : Une feuille dans le vent les effrayera. De même, il ne rougit pas devant tous. Aussi, il mentit, car il
dit : JE NE SAIS PAS DE QUOI TU PARLES et JE NE CONNAIS PAS CET HOMME, à
l’encontre de Si 4, 24 : Ne crains pas de dire la vérité.
2782. COMME IL SORTAIT DE LA PORTE, UNE AUTRE SERVANTE LE VIT ET DIT À CEUX
QUI ÉTAIENT LÀ : «CELUI-LÀ ÉTAIT AVEC JÉSUS LE NAZARÉEN.» Et [Pierre] nia
de nouveau. Ici est présenté le deuxième reniement : premièrement, le lieu
est présenté ; deuxièmement, l’incitation ; troisièmement, le
reniement.
Pour ce qui est de
l’histoire, selon Mc 14, 66, le coq chanta après le premier
reniement, puis [Pierre] franchit la porte, une servante le vit, et il nia.
Mais Marc semble dire le contraire des autres, car les autres semblent dire que
ce furent ceux qui étaient assis qui parlèrent, et Lc 22, 55 dit que
ce fut l’un de ceux qui étaient assis. Pourquoi donc dit-on ici que ce fut une
servante ? Selon Augustin, il faut remarquer qu’après avoir nié, [Pierre]
sortit, et alors qu’il était en train de sortir, une servante lui dit, etc.,
puis il nia. En entendant cela, Pierre revint à l’intérieur. Alors ceux qui
avaient entendu la servante posèrent la même question. Et il se peut que
quelqu’un qui le connaissait ait insisté davantage auprès de lui.
2783. ET DE NOUVEAU IL NIA AVEC SERMENT : «JE NE CONNAIS PAS CET HOMME»,
à l’encontre de Si 23, 9 : N’habitue pas ta bouche à jurer.
2784. Vient ensuite le troisième reniement : premièrement, le moment est
décrit ; deuxièmement, l’incitation ; troisièmement, le reniement.
[Matthieu] dit donc : PEU APRÈS. Luc dit qu’il se passa un intervalle d’environ une heure. Le Diable faisait en sorte que [Pierre] ne puisse pas souffler. Ils
lui disent donc : TOI AUSSI, TU EN ES ! Et ils le prouvent :
D’AILLEURS TON LANGAGE TE TRAHIT. Or, il est clair que tous étaient juifs.
Comment donc dit-on : D’AILLEURS TON LANGAGE TE TRAHIT ? Jérôme
répond en disant que, dans une même langue, il y a souvent des manières
différentes de parler, comme on le voit clairement en France, en Picardie et en
Bourgogne, et cependant il s’agit d’une seule langue. Ainsi les Galiléens
différaient-ils des gens de Jérusalem. On peut donc dire à chacun :
D’AILLEURS TON LANGAGE TE TRAHIT. En effet, comme il est dit en
Lc 6, 45 : La bouche parle de l’abondance du cœur, car lorsqu’un homme est charnel, il s’adonne aussitôt à des discours
charnels, mais lorsqu’il est spirituel, à des discours spirituels.
2785. ALORS IL SE MIT À JURER AVEC FORCE IMPRÉCATIONS, etc. Il y en a qui
veulent excuser Pierre en disant qu’il n’a pas péché. Ainsi, lorsqu’il
dit : JE NE CONNAIS PAS CET HOMME, il est vrai qu’il s’agit d’un homme,
mais d’un homme et de Dieu. Et cela n’est pas bien, car il attribue un mensonge
au Christ, car le Christ avait dit : Tu me renieras. Il est donc mieux de dire que Pierre a menti, plutôt que le Christ. Il
faut aussi noter qu’il n’a pas seulement renié le Christ, mais a nié qu’il
était chrétien. Ainsi, en un seul reniement, il a dit : JE NE LE CONNAIS
PAS, c’est-à-dire que je ne suis pas un chrétien. Il faut encore noter que
celui qui ne se rétracte pas s’oriente vers pire encore.
Si 19, 1 : Celui qui néglige les petites choses décline peu à
peu. Ainsi a-t-il ajouté le parjure au reniement et le blasphème au parjure.
Grégoire [dit] : «Le péché qui n’est pas éliminé par la pénitence entraîne
vers un autre par son propre poids.»
2786. De même faut-il remarquer que la triple tentation par laquelle un homme
est tenté est signalée. Celui-ci est tenté par la concupiscence de la chair.
Jc 1, 14 : Chacun est tenté par ce qu’il désire. Il est tenté aussi par la cupidité à l’égard des [biens] terrestres.
Sg 14, 2 : Car cela a été conçu par la soif du gain. De même [est-il tenté] par les démons, et cela est indiqué par cette
dénégation où il est dit : PEU APRÈS, CEUX QUI ÉTAIENT LÀ S’APPROCHÈRENT.
Ep 6, 12 : Ce n’est pas contre des adversaires de chair et de
sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés et les Puissances,
contre les Princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui
habitent les espaces célestes. On lit à propos de ces trois choses, en
1 Jn 2, 6 : Tout ce qui est dans le monde est soit
concupiscence de la chair, soit concupiscence des yeux, soit orgueil de la vie.
2787. Ou bien, selon Augustin, il faut dire que, par ces trois reniements,
l’erreur de tous les hérétiques est indiquée. En effet, certains niaient la
divinité du Christ, comme Photin ; mais d’autres, son humanité, comme
Eunomius ; et certains, les deux, comme Arius, qui disait que le Fils
n’est pas égal au Père. De même, selon Origène, la persécution que devait
connaître l’Église est signalée. La première fut le fait des Juifs : dans
celle-là, beaucoup moururent. La seconde vint des Gentils : dans celle-là,
beaucoup sont devenus martyrs. La troisième est venue des hérétiques, qui en
ont séduit beaucoup ; certains même en sont morts.
2788. Il faut encore noter qu’il existe certains écrits qui semblent excuser
Pierre, qui n’aurait pas péché mortellement, car Bernard dit : «Chez lui,
la charité était assoupie, mais non éteinte.» Il faut dire qu’il a péché mortellement.
Ce ne fut cependant pas par malice, mais par crainte de la mort. C’est ce qu’a
voulu dire Bernard, que «sa charité était assoupie, etc.».
2789. ET AUSSITÔT UN COQ CHANTA. Il s’agit ici du repentir de Pierre.
Premièrement, le motif en est présenté ou l’incitation ; deuxièmement, son
repentir, en cet endroit : ET, SORTANT DEHORS, IL PLEURA AMÈREMENT
[26, 75].
Deux choses sont abordées qui contribuèrent à l’incitation.
Premièrement, un coq chanta : ET AUSSITÔT UN COQ CHANTA. Par le coq, le
prédicateur est indiqué, qui incite les hommes au repentir. Ainsi l’Apôtre
[dit], 1 Co 15, 34 : Veillez, vous les justes, et ne péchez pas ; et Ep 5, 14 : Éveille-toi, toi qui dors, et lève-toi d’entre les
morts, et le Christ l’illuminera.
2790. Le second point est le souvenir de Pierre : ET PIERRE SE SOUVINT
DE LA PAROLE QUE JÉSUS AVAIT DITE, etc. Ps 21[22], 28 : Ils se souviendront, et tous les confins de la
terre se tourneront vers le Seigneur. Et ces deux choses se produisent souvent à l’appel du prédicateur, car
celui qui oublié Dieu par les péchés revient par la voix du prédicateur. Il est
question de ce coq en Jb 38, 36 : Qui a donné l’intelligence au coq ?
Luc ajoute aussi une troisième chose : Le Seigneur regarda Pierre. L’Apôtre [dit] en Rm 3, 24 : [Vous avez été] justifiés gratuitement par sa
grâce. Lm 5, 21 : Convertis-nous à toi, Seigneur, et nous serons
convertis.
2791. Ensuite, il est question du repentir de Pierre : ET, SORTANT
DEHORS, IL PLEURA AMÈREMENT. C’est un repentir louable pour trois raisons.
Premièrement, il se produit immédiatement, car dès que [Pierre] fut sorti.
Si 5, 8 : Ne tarde pas à te convertir au Seigneur. Il est aussi prudent, car il s’est écarté de la compagnie des autres
qui l’avaient incité à nier. Les pécheurs doivent ainsi éviter l’occasion de
pécher. 2 Co 6, 17 : Écartez-vous d’eux, et vous serez mis à part, dit
le Seigneur ; ne touchez pas à ce qui est impur, et je vous accueillerai. Aussi, [ce repentir] a été effectif et vrai. Jr 6, 26 : Pleure d’une plainte amère comme pour un fils
unique. Is 38, 15 : Je te rappellerai toutes mes années dans l’amertume
de mon âme.
Leçon 1 [Matthieu 27, 1‑26] 27, 1 Le matin étant arrivé, tous les grands prêtres
et les anciens du peuple tinrent un conseil contre Jésus, en sorte de le faire
mourir. 27, 2 Et, après l’avoir ligoté, Jésus fut emmené en présence de
Pilate le gouverneur. 27, 3 Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il
avait été condamné, fut pris de repentir. Il rapporta les trente deniers aux
grands prêtres et aux anciens : 27, 4 «J’ai péché, dit-il, en livrant
un sang innocent.» Mais ceux-ci dirent : «Que nous importe ? A toi de
voir !» 27, 5 Jetant alors les pièces dans le Temple, il s’en alla se
pendre. 27, 6 Ayant ramassé l’argent, les grands prêtres dirent : «Il
n’est pas permis de le verser dans le trésor, car c’est le prix du sang.»
27, 7 Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le «champ du
potier» comme lieu de sépulture pour les étrangers. 27, 8 Voilà pourquoi
ce champ-là s’est appelé jusqu’à ce jour le «Champ du sang.» 27, 9 Alors
s’accomplit ce qui a été dit par le prophète Jérémie : Et ils prirent les
trente pièces d’argent, le prix du Précieux qu’ont apprécié des fils d’Israël,
27, 10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a
ordonné le Seigneur.
27, 11 Jésus fut amené en présence du gouverneur et
le gouverneur l’interrogea : «Tu es le Roi des Juifs ?» Jésus lui
dit : «Tu le dis.» 27, 12 Il ne répondit rien. 27, 13 Alors
Pilate lui dit tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les
anciens : «N’entends-tu pas tout ce qu’ils attestent contre toi ?»
27, 14 Et il ne lui répondit sur aucun point, si bien que le gouverneur
était fort étonné.
27, 15 À chaque fête, le gouverneur avait coutume de
relâcher pour le peuple un prisonnier, celui qu’elle voulait. 27, 16 On
avait alors un prisonnier fameux, nommé Barabbas. 27, 17 Après les avoir
rassemblés, Pilate dit aux gens : «Qui voulez-vous que je vous relâche :
Barabbas, ou Jésus que l’on appelle Christ ?» 27, 18 En effet, il
savait que c’était par jalousie qu’ils l’avaient livré. 27, 19 Alors qu’il
siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : «Ne t’occupe pas de ce
juste ; car aujourd’hui j’ai été très affectée par un songe à cause de
lui.» 27, 20 Cependant, les grands prêtres et les anciens persuadèrent les
foules de demander Barabbas et de perdre Jésus. 27, 21 Prenant la parole,
le gouverneur leur dit : «Lequel des deux voulez-vous que je vous
relâche ?» Ils dirent : «Barabbas.» 27, 22 Pilate leur
dit : «Que ferai-je donc de Jésus que l’on appelle Christ ?» Ils
disent tous : «Qu’il soit crucifié !» 27, 23 Il reprit :
«Quel mal a-t-il donc fait ?» Mais ils criaient plus fort : «Qu’il
soit crucifié !» 27, 24 Pilate, voyant alors qu’il n’aboutissait à
rien, mais qu’il s’ensuivait plutôt du tumulte, prit de l’eau et se lava les
mains en présence de la foule, en disant : «Je suis innocent du sang de ce
juste ; à vous de voir !» 27, 25 Et tout le peuple
répondit : «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants !»
27, 26 Alors il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, après l’avoir
fait flageller, il le livra pour être crucifié.
Leçon 2 [Matthieu 27, 27‑56] 27, 27 Alors les soldats du gouverneur prirent avec
eux Jésus dans le prétoire et ameutèrent sur lui toute la cohorte. 27, 28
L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate, 27, 29 puis, ayant
tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête. Ils
placèrent un roseau dans sa main droite. Et, s’agenouillant, ils se moquaient
de lui en disant : «Salut, roi des Juifs !» 27, 30 Et, crachant
sur lui, ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête. 27, 31 Puis,
quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde, lui remirent
ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier.
27, 32 En sortant, ils trouvèrent un homme de
Cyrène, nommé Simon, et le requirent pour porter sa croix. 27, 33 Ils
arrivèrent à un endroit appelé Golgotha, lieu dit du Calvaire, 27, 34 ils
lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ; et lorsqu’il eut goûté, il
n’en voulut point boire. 27, 35 Quand ils l’eurent crucifié, ils se
partagèrent ses vêtements en tirant au sort. 27, 36 Puis, s’étant assis,
ils restaient là à le garder. 27, 37 Ils placèrent au-dessus de sa tête le
motif de sa condamnation ainsi libellé : «Celui-ci est Jésus, le roi des
Juifs.» 27, 38 Alors furent crucifiés avec lui deux brigands, un à droite
et un autre à gauche. 27, 39 Mais les passants l’injuriaient. Ils hochaient
la tête : 27, 40 «Alors, toi qui détruis le Temple de Dieu en trois
jours et le rebâtis, sauve-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends
maintenant de la croix !» 27, 41 De même, les grands prêtres se
gaussaient et disaient avec les scribes et les anciens : 27, 42 «Il
en a sauvé d’autres mais il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi
d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en
lui ! 27, 43 Il a compté sur Dieu ; que Dieu le délivre maintenant,
s’il le veut ! Il a bien dit : “Je suis fils de Dieu !”»
27, 44 Même les brigands crucifiés avec lui
l’insultaient de la sorte. 27, 45 À partir de la sixième heure,
l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure. 27, 46
Et vers la neuvième heure, Jésus poussa un grand cri : «Éli, Éli, lema
sabachtani ?», c’est-à-dire : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné ?» 27, 47 Certains de ceux qui se tenaient là disaient en
l’entendant : «Il appelle Élie, celui-ci !» 27, 48 Aussitôt l’un
d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigre et, l’ayant mise au
bout d’un roseau, il lui donnait à boire. 27 49 Mais les autres lui
dirent : «Laisse ! Que nous voyions si Élie va venir le
sauver !» 27, 50 Or, Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit
l’esprit.
27, 51 Et voilà que le voile du Temple se déchira en
deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent,
27, 52 les tombeaux s’ouvrirent et les corps de saints qui dormaient
ressuscitèrent, 27, 53 et, sortant des tombeaux après sa résurrection, ils
entrèrent dans la Ville sainte et apparurent à beaucoup des gens. 27, 54
Mais le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus, en voyant le
tremblement de terre et ce qui arrivait, furent saisis d’une grande crainte et
dirent : «Vraiment celui-là était fils de Dieu !» 27, 55 Il y
avait là de nombreuses femmes qui regardaient à distance, elles l’avaient suivi
depuis la Galilée en le servant, 27, 56 parmi lesquelles se trouvaient
Marie Madeleine et Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de
Zébédée.
Leçon 3 [Matthieu 27, 57‑66] 27, 57 Le soir venu, il vint un homme riche
d’Arimathie, du nom de Joseph, qui s’était fait, lui aussi, disciple de Jésus.
27, 58 Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. Alors Pilate
ordonna qu’on le lui remît. 27, 59 Joseph prenant le corps, l’enveloppa
dans un linceul propre 27, 60 et il le mit dans un tombeau neuf, en
pierre, qu’il s’était fait tailler ; puis il roula une grande pierre à
l’entrée du tombeau et s’en alla. 27, 61 Or, il y avait là Marie Madeleine
et l’autre Marie, assises en face du sépulcre. 27, 62 Le lendemain, qui
était le jour après la Parascève, alors les grands prêtres et les Pharisiens se
rendirent en corps chez Pilate 27, 63 et lui dirent : «Seigneur, nous
nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, de son vivant : “Je
ressusciterai le troisième jour !” 27, 64 Ordonne donc que le tombeau
soit gardé jusqu’au troisième jour, de crainte que ses disciples ne viennent,
ne le volent et ne disent au peuple : “Il est ressuscité des morts !”
Cette dernière imposture serait pire que la première.» 27, 65 Pilate leur
dit : «Vous avez une garde ; allez et prenez vos sûretés comme vous
l’entendez.» 27, 66 Ils partirent donc et s’assurèrent du sépulcre, en
scellant la pierre et en postant des gardes.
2792. Plus haut, l’évangéliste a raconté ce que le Christ a souffert de la part des Juifs ; ici, il raconte ce qu’il a souffert de la part des Gentils, et il fait quatre choses : premièrement, il aborde la façon dont il a été livré aux païens ; deuxièmement, dont il a été interrogé ; troisièmement, dont il a été condamné ; quatrièmement, dont il a souffert. Le deuxième point [se trouve] en cet endroit : JÉSUS FUT AMENÉ EN PRÉSENCE DU GOUVERNEUR, etc. [27, 11] ; le troisième, en cet endroit : À CHAQUE JOUR DE FÊTE, LE GOUVERNEUR AVAIT COUTUME, etc. [27, 15] ; le quatrième, en cet endroit : ALORS LES SOLDATS DU GOUVERNEUR AMENÈRENT JÉSUS AVEC EUX DANS LE PRÉTOIRE, etc. [27, 27].
2793. À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il raconte l’assignation en vertu de laquelle [Jésus] fut livré aux mains des Gentils ; deuxièmement, la mort et la faute de celui qui l’avait livré, en cet endroit : ALORS JUDAS, QUI L’AVAIT LIVRÉ, VOYANT QU’IL AVAIT ÉTÉ CONDAMNÉ [27, 5].
À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, il donne la raison ; deuxièmement, la façon ; troisièmement, [il raconte] le fait.
2794. La cause [de l’assignation de Jésus devant les Gentils] fut la décision prise au sujet de sa mort et, en fonction de cela, [Matthieu] aborde trois choses qui aggravaient le péché [des Juifs]. Premièrement, en raison de leur zèle. Il aborde ceci lorsqu’il dit : LE MATIN ÉTANT ARRIVÉ, ILS SE RÉUNIRENT, car, alors qu’ils s’étaient appliqués durant toute la nuit à ridiculiser [Jésus], ils se réunirent cependant au matin. Ils étaient donc bien zélés. Jb 24, 14 : Le meurtrier se lève au petit matin. [Leur péché] est aussi aggravé par leur entourage, car TOUS LES GRANDS PRÊTRES [SE RÉUNIRENT]. S’il y en avait eu un ou deux, cela aurait été excusable, mais tous se réunirent. Is 1, 6 : De la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, on ne trouve en lui rien de sain. [Matthieu] dit donc : TOUS LES GRANDS PRÊTRES. Ez 11, 2 : Fils d’homme, ce sont des gens qui ruminent l’injustice et tiennent le pire conseil. [Leur péché] fut aussi aggravé en raison de leur cruauté, car ils auraient pu penser à bien d’autres choses, mais ils pensaient COMMENT ILS LE LIVRERAIENT À LA MORT. Pr 1, 16 : Leurs pieds courent et se pressent vers le mal afin de verser le sang.
2795. Mais comment [l’assignèrent-ils] ? ILS L’AMENÈRENT LIGOTÉ. Telle était la coutume que les gens ainsi ligotés étaient amenés et signalés comme condamnés à mort. [Le Seigneur] a indiqué que, de même qu’il a détruit notre mort, de même il a défait les liens du péché par ses liens.
ILS LE LIVRÈRENT À PILATE LE GOUVERNEUR. Et pourquoi ? Il y a trois raisons. L’une tient à la lettre, car il était le vicaire de l’empereur et les Juifs n’avaient pas le droit de condamner à mort. C’est pourquoi ils disent en Jn 18, 31 : Il ne nous est pas permis de mettre à mort. Cela relevait aussi de leur intention : en effet, ils ne voulaient pas [le] mettre à mort de manière cachée, mais ouvertement, afin que le bruit s’en répandît, selon ce qu’on lit en Sg 2, 20 : Condamnons-le à la mort la plus honteuse ! La troisième raison est qu’il a voulu mourir pour tous. Il a donc voulu que tous se réunissent, Juifs comme Gentils, afin que s’accomplît cette [parole] du Ps 2, 2 : Les rois de la terre se sont levés et les dirigeants se sont rassemblés.
2796. ALORS JUDAS, QUI L’AVAIT LIVRÉ, VOYANT QU’IL AVAIT ÉTÉ CONDAMNÉ, etc. Il s’agit ici du repentir et de la mort de Judas. À ce sujet, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il raconte [sa] trahison ; deuxièmement, ce que [Judas] a fait de l’argent reçu, en cet endroit : MAIS LES GRANDS PRÊTRES, PRENANT L’ARGENT LUI DIRENT [27, 4].
À propos du premier point, il est d’abord question du repentir [de Judas] ; deuxièmement, de son désespoir, en cet endroit : JETANT ALORS LES PIÈCES DANS LE TEMPLE, IL S’EN ALLA [27, 5].
2797. À propos du premier point, le motif est présenté ; deuxièmement, le repentir ; troisièmement, l’effet.
Le motif [est le suivant] : VOYANT ALORS QU’IL AVAIT ÉTÉ CONDAMNÉ, PRIS DE REPENTIR, IL RAPPORTA LES TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Il se peut que Judas ait cru, en vendant [Jésus], qu’il ne serait pas tué, mais qu’il serait flagellé. C’est pourquoi, lorsque [Jésus] fut condamné, il se repentit.
2798. Mais une question se pose : lorsque [Jésus] fut livré au gouverneur, comment [Judas] a-t-il pu voir qu’il avait été condamné ? Jérôme dit qu’«il vit cela par l’œil de son esprit, car, en voyant qu’il avait été condamné par les Juifs et livré à Pilate, il pensa que Pilate le jugerait selon leur volonté», c’est-à-dire selon celle des Juifs. Origène dit que certains ont dit que Judas, voyant qu’il (c’est-à-dire Judas lui-même) avait été condamné, celui-ci avait été amené à se repentir. Ainsi, PRIS DE REPENTIR, IL RAPPORTA LES TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Ce repentir n’est pas un véritable repentir ; il comportait cependant quelque chose du repentir, car le repentir doit être à mi-chemin entre l’espoir et la crainte. Or, Judas avait connu la crainte et la douleur, car il se repentit d’un péché passé, mais il n’avait pas d’espérance. Tel est le repentir des impies, Sg 5, 3 : Ceux qui se repentent et gémissent dans l’angoisse de leur esprit.
2799. Et pourquoi [Judas] fut-il conduit au repentir ? Il faut remarquer qu’Origène dit qu’il arrive parfois que le Diable pousse un homme à pécher, et que parfois l’homme [s’y pousse] lui-même, mais de manière différente, car l’homme cherche à assouvir son désir, et le Diable [cherche] à le perdre. Si c’est le Diable qui s’est immiscé, l’homme [n’a donc pas péché] dès la création. Il pouvait donc se repentir. Cela va à l’encontre des manichéens, qui disent qu’il y a une double création : une bonne et une mauvaise, et que ceux qui appartiennent à la mauvaise création ne peuvent pas bien agir, et inversement. Selon eux, Judas appartenait à la mauvaise création. Comment donc pouvait-il se repentir ? Il dit donc que le fait qu’il désespéra venait seulement du fait qu’il s’était montré négligent.
2800. Vient ensuite l’effet du repentir. L’effet du repentir est que le pécheur s’efforce de se corriger. Il avait péché parce qu’il avait vendu le Christ. En effet, il avait agi selon ce qu’il était. IL RAPPORTA LES TRENTE DENIERS. Premièrement, sa rétractation est présentée ; deuxièmement, son repentir, en cet endroit : J’AI PÉCHÉ EN LIVRANT UN SANG INNOCENT. IL RAPPORTA donc LES TRENTE PIÈCES D’ARGENT. Et il se rétracta en disant : J’AI PÉCHÉ, c’est-à-dire que j’ai vraiment défailli. En disant : EN LIVRANT UN SANG INNOCENT, même s’il s’exprime correctement, il ne le fait cependant pas complètement, car cela peut retomber sur un homme juste. Ainsi Jr 26, 15 [dit] : Si vous me tuez, vous livrerez un sang innocent contre vous-mêmes. Jérôme dit donc que si [Judas] avait eu une foi correcte, il n’aurait pas désespéré. En effet, il devait dire : «En livrant Dieu.» En disant : EN LIVRANT UN SANG INNOCENT, il a diminué la puissance [de celui-ci] et a montré qu’il n’avait pas une foi correcte.
2801. Puis l’entêtement des Juifs est présenté : MAIS CEUX-CI DIRENT : «QUE NOUS IMPORTE ?» [Judas] confessait ce qui était juste, mais ceux-ci disent : «QUE NOUS IMPORTE ?» Jr 8, 7 : Mon peuple n’a point reconnu le jugement du Seigneur. À TOI DE VOIR !, c’est-à-dire : «Nous ne suivons pas ta conscience.» Rémi [dit] : «“Que nous importe ?”» Tu vends d’abord, puis tu confesses ce qui est juste. Que nous importe que tu changes ainsi ta décision ?» En effet, passer du mal au bien est bon, mais [passer] du mal au mal est mauvais. Si 27, 12 : La justice demeure éternellement, mais l’insensé change comme la lune.
2802. Puis le désespoir est présenté. En effet, celui qui désespère des biens temporels ne s’intéresse plus à rien. [Judas] agit ainsi : JETANT ALORS LES PIÈCES DANS LE TEMPLE, IL SE RETIRA (il ne s’intéressait plus à l’argent) ET S’EN ALLA SE PENDRE. On lit ainsi en Ac 1, 18 qu’il se pendit et éclata par le milieu. Et pourquoi ? Origène dit qu’il arrive que le Diable précipite quelqu’un dans le péché, et qu’en lui laissant de l’espace, il veut encore le précipiter dans un autre. C’est ce qu’a voulu éviter l’Apôtre lorsqu’il dit, en 2 Co 2, 7 : De crainte que cet homme-là ne sombre dans une tristesse encore plus grande. Ainsi Judas a-t-il tellement sombré qu’IL S’EN ALLA SE PENDRE. Ps 68, 16 : Que je ne sombre pas dans l’abîme ! Origène rappelle l’opinion de certains qui disaient que, parce que Judas avait entendu parler de la résurrection, il croyait aller au-devant du Christ, et que ce fut la raison pour laquelle il se pendit.
2803. Augustin cherche à savoir quand cela se produisit. Car, si on veut bien examiner la chose, on trouvera difficilement un moment avant la passion où cela aurait pu arriver, car les grands prêtres s’occupèrent toute la journée de la mort du Christ. De même, le jour suivant était le sabbat, et ils n’auraient pas pris d’argent le jour même. C’est pourquoi Augustin semble vouloir dire que cela arriva après la résurrection. Toutefois, on peut dire que, si certains approchèrent Pilate et s’occupèrent de la mort du Christ, certains étaient néanmoins demeurés dans le temple, et c’est à eux que Judas donna les trente deniers.
2804. AYANT RAMASSÉ L’ARGENT, LES GRANDS PRÊTRES DIRENT, etc. [Matthieu] montre ce qu’on a fait de l’argent de Judas. Premièrement, on montre comment il a été écarté du trésor ; deuxièmement, on dit comment il a été dépensé.
[Matthieu] dit donc : AYANT RAMASSÉ L’ARGENT, LES GRANDS PRÊTRES DIRENT : «IL N’EST PAS PERMIS DE LE VERSER DANS LE TRÉSOR, etc.» Il faut noter qu’on plaçait les offrandes d’action de grâce et les dons gratuits dans le trésor. Certaines des offrandes étaient donc volontaires, et d’autres étaient des dettes : les [offrandes] volontaires étaient placées dans le trésor, et les autres ailleurs. Si 34, 23 : Le Très-Haut n’approuve pas les dons des impies. IL N’EST PAS PERMIS DE LE VERSER DANS LE TRÉSOR, CAR C’EST LE PRIX DU SANG. Et par là est confirmée la parole que le Seigneur a dite plus haut, 23, 24 : Ils avalent un chameau et filtrent un moustique. Ils ne voulaient pas verser cet argent dans le trésor, mais ils s’entretenaient volontiers de la mort du Fils de Dieu.
2805. [Matthieu] raconte ensuite ce qu’on en fit. Il raconte en premier lieu le fait ; deuxièmement, ce qu’on en a fait.
Il dit : APRÈS DÉLIBÉRATION, etc. Pourquoi agirent-ils ainsi ? Il faut dire que Dieu s’est ainsi assuré que ce fait soit gardé en mémoire. Ainsi, ILS ACHETÈRENT LE CHAMP DU POTIER COMME LIEU DE SÉPULTURE POUR LES ÉTRANGERS, non pas pour ceux qui étaient leurs compatriotes, mais pour les étrangers.
Cela était approprié selon le mystère, car, par le sang du Christ, non seulement la justification était-elle accélérée, mais le repos de la mort. Ap 14, 13 : Maintenant l’Esprit dit qu’ils doivent se reposer de leurs efforts. Ou bien, il se peut que les étrangers soient ceux qui n’ont pas là leur propre demeure. Ps 119[120], 5 : Malheur à moi, car mon séjour à l’étranger a été prolongé ! Mais ceux-ci sont ensevelis avec le Christ. L’Apôtre [dit] en Rm 6, 4 : Vous êtes ensevelis avec le Christ. Ce champ est la sainte Église. Ainsi, [il est dit] plus haut, 13, 44 : Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. Ce potier est le Christ. On lit ainsi en Jr 18, 6 : Comme la glaise dans la main du potier, ainsi en est-il de vous dans ma main, maison d’Israël.
2806. Le fait est ensuite confirmé : premièrement, par le nom : VOILÀ POURQUOI CE CHAMP EST APPELÉ JUSQU’À CE JOUR, c’est-à-dire jusqu’au jour où cet évangile a été écrit, LE CHAMP DU SANG.
2807. [Matthieu] le confirme ensuite par une autorité : ALORS S’ACCOMPLIT CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE JÉRÉMIE.
Mais une question se pose : pourquoi [Matthieu] dit-il : CE QUI A ÉTÉ DIT PAR LE PROPHÈTE JÉRÉMIE, alors que les paroles, telles qu’on les trouve là, n’existent pas dans toute l’Écriture ? On lit cependant quelque chose de semblable en Za 11, 12 : Ils pesèrent mon salaire : trente pièces d’argent ! La question est donc de savoir pourquoi on attribue cela à Jérémie, alors que cela a été dit par Zacharie. Augustin dit qu’on trouve ailleurs que cela a été écrit par un prophète, et non par Jérémie, mais il semble toutefois que ce prophète soit Jérémie, comme on le lit dans le texte. Jérôme donne une solution : les prophètes ont écrit certains livres qui ont été canonisés chez les Juifs. Il y a donc certains livres des prophètes qui ne font pas partie du canon de la Bible, comme Jude en nomme certains dans sa lettre canonique, et même tous les apôtres les ont aussi reçus. Il dit ainsi que quelqu’un lui a apporté un livre de Jérémie dans lequel ces paroles sont écrites mot à mot, et que l’évangéliste a écrit selon ce qu’il a trouvé dans l’apocryphe.
2808. Augustin donne la solution [suivante] : il arrive parfois qu’en voulant donner le nom d’un auteur, se présente le nom d’un autre. Il se peut donc que voulant écrire Zacharie, [Matthieu] ait écrit Jérémie. Mais ceux qui connaissaient la loi étaient alors nombreux : pourquoi ne l’ont-ils pas corrigé ? Parce qu’ils croyaient que cela avait été dicté par Dieu, car tous les prophètes ont parlé par l’Esprit Saint, et les paroles d’un prophètes ne sont efficaces que par l’Esprit Saint. Afin donc d’insinuer ce mystère, on ne l’a pas corrigé. Une autre solution qu’il suggère est que, bien ce ne soient pas les paroles de Jérémie, on trouve cependant chez lui un fait semblable. On lit ainsi, en Jr 32, 6s, qu’il reçut l’ordre d’acheter un champ.
2809. Ou bien, l’Esprit Saint a suggéré à Matthieu le même fait qu’à Jérémie. Mais, si nous le voulons, nous pouvons accepter les paroles de Jérôme, dans son livre sur la meilleure façon d’interpréter, où il dit qu’«on ne peut attribuer à un disciple du Christ aucun signe de fausseté : en effet, la fonction d’un bon interprète n’est pas de considérer les mots, mais le sens». Ainsi, [Matthieu] a-t-il donné le sens de certaines choses écrites par Jérémie et de certaines [écrites] par Zacharie, comme on lit en Marc qu’il a attribué une autorité à Isaïe, alors qu’une partie était de Malachie et une autre d’Isaïe. De même Matthieu a-t-il combiné deux phrases, dont l’une a été écrite par Zacharie et l’autre par Jérémie, 32, 6. En effet, ce qu’on lit chez Zacharie, à savoir qu’ils lui donnèrent (c’est-à-dire lui enlevèrent) trente pièces d’argent, ne se trouve pas chez Jérémie ; mais [s’y trouve] le fait qu’on ait acheté un champ, ce qui indiquait le fait pour tout le peuple. Comme me l’a ordonné le Seigneur : cela se lit expressément là où [le Seigneur] a ordonné à Jérémie d’acheter un champ. Ainsi, on trouve la première partie chez Zacharie, et la seconde chez Jérémie.
2810. JÉSUS FUT AMENÉ EN PRÉSENCE DU GOUVERNEUR, ET LE GOUVERNEUR L’INTERROGEA. L’évangéliste a raconté plus haut comment le Seigneur a été livré aux mains des Gentils ; ici, il traite de l’enquête, et, à ce propos, il fait trois choses : premièrement, il raconte comment [le Seigneur] est mis en présence d’un juge terrestre ; deuxièmement, comment il est interrogé ; troisièmement, comment il est accusé.
[Matthieu] dit donc qu’on a déjà parlé de la manière dont Judas avait livré Jésus. JÉSUS FUT donc AMENÉ EN PRÉSENCE DU GOUVERNEUR, à savoir, comme un coupable et un accusé. Jb 36, 17 : Ta cause a été jugée comme celle d’un impie, et tu accepteras ta cause et ton jugement. Car, par cela, [Jésus] a mérité d’être le juge des vivants et des morts.
2811. Puis vient l’interrogation. Premièrement, l’interrogation est présentée ; deuxièmement, la réponse, en cet endroit : JÉSUS LUI DIT [27, 11].
Les grands prêtres l’accusaient de beaucoup de choses, à savoir, de renverser la loi et de se dire roi. Pilate ne se soucia pas de s’enquérir de la transgression de la loi, mais plutôt de ce qui semblait atteindre sa majesté, à savoir : TU ES LE ROI DES JUIFS ? Car on lit en Jn 19, 12 : Quiconque se dit roi va à l’encontre de César.
2812. Vient ensuite la réponse : JÉSUS LUI RÉPONDIT : «TU LE DIS.» Jérôme dit que le Christ adoucit à ce point son discours qu’il n’affirme pas ni ne nie, mais dit : TU LE DIS. Pr 17, 27 : Celui qui adoucit ses paroles est prudent. Remarque aussi, selon Hilaire, que plus haut, 27, 63, au roi des Juifs qui lui demandait : ES-TU LE CHRIST, LE FILS DE DIEU ?, Jésus répondit : TU L’AS DIT. Il répond par le passé, mais, lorsqu’il répond à un Gentil, il répond au présent. Cela signifie que la confession du Christ par la Judée est chose du passé, car elle a été faite par les prophètes. Jr 33, 5 : Le roi régnera et sera sage. Mais, en parlant à un Gentil, [Jésus] dit : TU LE DIS, parce que les Gentils [le] confessaient.
2813. Ensuite, il est question de l’accusation. Premièrement, l’accusation est présentée ; deuxièmement, l’incitation à répondre, en cet endroit : ALORS PILATE LUI DIT [27, 13].
[Matthieu] dit donc : TANDIS QU’IL ÉTAIT ACCUSÉ PAR LES GRANDS PRÊTRES, IL NE RÉPONDAIT RIEN. Matthieu garde le silence au sujet des accusations, mais Luc en parle en 23, 1s. Telle est la coutume des évangélistes : ce que l’un omet, l’autre le raconte. On dit donc à cet endroit qu’il séduisait les foules, etc., et qu’il interdisait de verser le tribut à César. [On affirmait] aussi qu’il se disait roi. Or, cela était faux compte tenu de son intention, car ils entendaient cela d’un royaume temporel. Mais [Jésus] dit en Jn 18, 36 : Mon royaume n’est pas de ce monde. Mais le Christ NE RÉPONDAIT RIEN. Alors s’accomplit ce qui est dit par Is 53, 7 : Il se tait comme un agneau devant ceux qui le tondent, et il n’ouvrira pas la bouche. Et en [Is] 42, 2 : Vous n’entendrez pas sa voix au dehors.
2814. ALORS PILATE LUI DIT. À partir de ce moment, Pilate cherchait à le libérer. Il essayait donc de le faire répondre. Il disait ainsi : N’ENTENDS-TU PAS TOUS LES TÉMOIGNAGES QU’ON DONNE CONTRE TOI ?
En premier lieu, l’incitation [à parler] est présentée : N’ENTENDS-TU PAS, etc. ? [Pilate] disait cela parce qu’il voulait le relâcher, car ses accusateurs étaient aussi les témoins. Mais Jésus ne voulut pas répondre. Pourquoi ne répondait-il pas ? Du point de vue du Christ, la raison peut avoir été qu’il ne voulait pas refuser sa passion : en effet, il aurait pu la refuser en parlant. Il ne voulait donc pas parler. Il s’est offert parce qu’il l’a voulu, Is 53, 7. De même, [il se taisait] afin de nous donner un exemple, car alors qu’on lui adressait des malédictions, lui n’adressait pas de malédictions. C’était aussi parce que les Juifs avaient vu tant de signes qu’ils auraient pu se convertir. Il les jugeait donc indignes. Si 32, 6 : Là où on n’écoute pas, ne verse pas ta parole ! Il faut remarquer qu’il parle sur beaucoup de sujets et que sur beaucoup il se tait, parce que s’il parlait toujours, il se justifierait, et s’il se taisait toujours, il paraîtrait entêté. Parfois donc il répond à Pilate, et parfois non. Mais aux Juifs il ne répond jamais, car Pilate était dans l’ignorance : il disait donc parfois la vérité ; mais les Juifs étaient obstinés.
2815. Puis est présenté l’étonnement de Pilate : SI BIEN QUE LE GOUVERNEUR ÉTAIT FORT ÉTONNÉ. Et pourquoi était-il étonné ? Parce qu’il avait entendu dire que [Jésus] parlait beaucoup, et c’est ce que dit David, Ps 37[38], 14 : Moi, je n’entendais pas, comme si j’étais sourd, et comme un muet je n’ouvrais pas la bouche, c’est-à-dire comme si j’étais ignorant. Remarquez qu’il dit : FORT [ÉTONNÉ]. En effet, qu’un sage ne réponde pas, cela est étonnant ; mais qu’en une telle cause, où l’on décide de [sa] mort, il ne réponde pas, cela est très étonnant. [Pilate était aussi très étonné] parce qu’il voyait que [Jésus] n’était pas effrayé, car, dans un tel cas, les hommes ont aussi coutume d’être terrifiés.
2816. Puis, il est question de la condamnation. Premièrement, les divers efforts de ceux qui voulaient l’épargner sont présentés ; deuxièmement, les efforts de ceux qui voulaient le voir condamner, en cet endroit : CEPENDANT, LES GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS PERSUADÈRENT LES FOULES DE DEMANDER BARABBAS ; troisièmement, la condamnation, en cet endroit : ALORS IL LEUR RELÂCHA BARABBAS [27, 26].
À propos du premier point, [Matthieu] présente d’abord les efforts de Pilate pour libérer [Jésus] ; deuxièmement, l’effort des grands prêtres pour le faire condamner.
À propos du premier point, [Matthieu] présente certaines possibilités ; deuxièmement, il traite de sa libération ; troisièmement, il en donne la cause. Le second point [se trouve] en cet endroit : APRÈS LES AVOIR RASSEMBLÉS, PILATE DIT [27, 17] ; le troisième, en cet endroit : EN EFFET, IL SAVAIT QUE C’ÉTAIT PAR JALOUSIE QU’ILS L’AVAIENT LIVRÉ [27, 18].
2817. Dans la première partie, [Matthieu] présente deux possibilités. Il dit donc : À CHAQUE FÊTE, LE GOUVERNEUR AVAIT COUTUME DE RELÂCHER POUR LE PEUPLE UN PRISONNIER. Cette coutume ne venait pas de la loi impériale, mais de sa volonté, afin de s’attacher davantage le peuple, car, lors d’une fête, [celui-ci] devait être plus joyeux et il ne voulait pas qu’il y ait une raison d’être triste ce jour-là. Ainsi, à Rome, le jour où l’empereur faisait son entrée, personne n’était condamné à mort. Aussi, il venait d’être nommé préfet ; il voulait donc que le peuple s’attache à lui. On lit toutefois quelque chose de semblable dans l’Ancien Testament, à savoir, que Saül libéra Jonathan, qui avait été condamné à mort, 1 R [1 Sm] 14, 44s.
2818. Ensuite, [Matthieu] présente l’occasion fournie par un prisonnier appelé Barabbas, ce qui veut dire «fils du père», à savoir, du Diable. Jn 8, 44 : Vous, vous venez de votre père, le Diable.
2819. APRÈS LES AVOIR RASSEMBLÉS, PILATE DIT : «QUI VOULEZ-VOUS QUE JE VOUS RELÂCHE ?» Ici, Pilate va à l’encontre de la coutume des Juifs, car il n’avait pas l’habitude de leur demander ; c’étaient plutôt eux qui lui demandaient. Mais il faisait cela parce qu’il cherchait à renvoyer [Jésus], et il semble y inciter, car il lui semblait qu’ils devraient choisir le Christ plutôt que Barabbas, puisque celui-ci était coupable de lèse-majesté et avait nui à un grand nombre. De même, [il y incitait] par le fait de nommer le Christ : OU JÉSUS, QUE L’ON APPELLE LE CHRIST ? Christ veut dire «Oint». Il l’appelait donc roi. Il croyait ainsi qu’ils devaient accueillir le Christ. Si 15, 18 : La vie et la mort sont placées devant l’homme. Ainsi Pilate a-t-il placé devant eux le bien et le mal, et ceux-ci ont choisi le mal, parce que le mal les suit partout.
2820. Ensuite, [Matthieu] présente la raison : EN EFFET, IL SAVAIT QUE C’ÉTAIT PAR JALOUSIE QU’ILS L’AVAIENT LIVRÉ. Et comment le savait-il ? En effet, il avait entendu beaucoup de bien à son sujet et il voyait qu’il était courageux. Ainsi, IL SAVAIT QUE C’ÉTAIT PAR JALOUSIE QU’ILS L’AVAIENT LIVRÉ. Car, de même que la jalousie du Diable a été l’ennemie du premier homme, de même leur jalousie devait-elle être l’ennemie du Christ. C’est ainsi que Joseph a été livré par ses frères par jalousie, Gn 37, 28.
2821. ALORS QU’IL SIÉGEAIT AU TRIBUNAL, SA FEMME LUI FIT DIRE. Plus haut, l’évangéliste a présenté une raison pour laquelle Pilate s’efforçait de renvoyer [Jésus] ; mais ici, il présente une autre raison, à savoir, l’avertissement de sa femme.
Premièrement, l’avertissement est présenté ; deuxièmement, la raison de l’avertissement, en cet endroit : CAR AUJOURD’HUI J’AI ÉTÉ TRÈS AFFECTÉE PAR UN SONGE À CAUSE DE LUI.
2822. ALORS QU’IL SIÉGEAIT AU TRIBUNAL. Comme le dit une glose, «le tribunal est le siège des juges». Pr 20, 8 : Le roi qui siège sur son trône dissipe tout mal par son regard. La chaire appartient en propre aux docteurs, plus haut, 23, 2 : Les scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Et on parle [de tribunal] en rapport avec les tribuns, car les tribuns ont d’abord été élus à Rome pour rendre la justice. [Matthieu] dit : AU TRIBUNAL. C’est là une façon grecque de parler, car [le mot utilisé], pro, signifie parfois devant, comme lorsqu’on dit que l’armée est devant [pro] le retranchement, et parfois dans [le retranchement]. Ainsi, AU TRIBUNAL, c’est-à-dire dans le tribunal.
2823. SA FEMME LUI FIT DIRE. Cette femme était une païenne, et elle indique l’Église des Gentils qui a accueilli le Christ, comme en 1 Co 1. NE T’OCCUPE PAS DE CE JUSTE, c’est-à-dire qu’«il ne t’appartient pas de juger ; c’est plutôt lui qui doit être ton juge.» Ac 10, 42 : Lui qui a été établi comme juge pour les vivants et pour les morts.
CAR
AUJOURD’HUI J’AI ÉTÉ TRÈS AFFECTÉE PAR UN SONGE À CAUSE DE LUI. Ici est
présentée la raison. C’est une manière de parler : en effet, lorsque
quelqu’un est soustrait à ses sens, certaines choses lui apparaissent en
imagination, et on a l’habitude de mettre la vision en rapport avec ce qui
apparaît alors qu’on est étranger à ses sens. Cela se produit parfois à l’état
de veille, et parfois pendant le sommeil. Lorsque cela arrive à l’état de
veille, on dit que c’est une vision. Ainsi, il est dit en
Nb 12, 6 : S’il y a un prophète du Seigneur parmi vous, je
lui apparaîtrai dans une vision ou je lui parlerai pendant son sommeil. Ici,
on parle de prophète dans les deux cas. Il faut remarquer que, parfois, la
cause de ceci est [une cause] corporelle intrinsèque, comme lorsque le sang est
trop abondant, survient une apparition d’[objets] rouges, et ainsi de suite
pour les autres [conditions]. Mais parfois, cela vient d’une [cause]
extrinsèque, comme lorsque, à cause du froid, quelqu’un rêve qu’il se trouve
dans la neige. Mais parfois, cela vient d’une cause spirituelle, soit de Dieu
par l’intermédiaire d’un ange bon (à ce propos, Jb 33, 15
[dit] : Il ouvre les oreilles des vivants par un songe au cours d’une
vision nocturne), et cela est bon et comporte une vérité. Toutefois, on ne
doit pas y accorder trop confiance. Si 34, 7 : Ne livre pas
ton cœur à ces choses, car les songes en ont induit beaucoup en erreur. Mais
parfois, cela vient des démons, qui peuvent faire pression sur l’imagination,
puisqu’elle est une puissance corporelle. C’est pourquoi les divinations et les
choses de ce genre sont interdites dans la loi. Dt 18, 10 : Qu’on
n’en trouve pas chez toi qui examine les songes et les augures, etc.
2824. On peut dire de la présente vision qu’elle venait de Dieu par l’intermédiaire des anges bons ou du Diable, car son but était de faire obstacle à la passion : en effet, c’est un péché de meurtre qui se commettait dans la passion. Et ainsi, [le songe] se faisait par l’intermédiaire d’anges bons. Mais la passion produit un fruit. C’est ainsi que le Diable, voyant que [Jésus] était Dieu et craignant d’être dépouillé de son pouvoir par la passion, de même qu’il avait mis dans l’esprit de Judas de livrer [le Christ], de même voulait-il maintenant empêcher [qu’il soit tué], non pas parce qu’il voulait empêcher un péché, mais plutôt pour [empêcher] le fruit de la passion.
2825. Ensuite, [Matthieu] présente les efforts des Juifs qui voulaient tuer le Christ : CEPENDANT, LES GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS PERSUADÈRENT LES FOULES DE DEMANDER BARABBAS. En effet, dans les deux cas, ils se montrent détestables, car ils étaient des chefs qui devaient corriger les autres. Pr 17, 15 : Celui qui justifie l’injustice est abominable ; de même, ils étaient des anciens. Dn 13, 5 : L’injustice vient des anciens du peuple.
2826. PRENANT LA PAROLE, LE GOUVERNEUR LEUR DIT. Ici est présenté l’effort que fait Pilate pour renvoyer [Jésus]. Premièrement, [Matthieu] montre quelles paroles il a employées en vue de la libération ; deuxièmement, quels gestes, en cet endroit : VOYANT ALORS QU’IL N’ABOUTISSAIT À RIEN [27, 24].
[Pilate] s’est efforcé de le libérer de trois façons : premièrement, par une comparaison ; deuxièmement, en raison de la dignité [de Jésus] ; troisièmement, de son innocence.
Par une comparaison, car [Pilate] le compara à un malfaiteur, en répondant à la demande du peuple ou aux grands prêtres qui l’incitaient [à mettre Jésus à mort] : «LEQUEL DES DEUX VOULEZ-VOUS QUE JE VOUS RELÂCHE ?» ILS DIRENT : «BARABBAS.» C’est ce que Pierre reproche au peuple en Ac 3, 13, en parlant du Christ : Celui que vous avez livré et renié devant Pilate qui voulait le relâcher, vous, vous avez renié celui qui était saint et juste, et vous avez demandé qu’un meurtrier vous soit livré, etc.
2827. PILATE LEUR DIT DONC : «MAIS QUE FERAI-JE DONC DE JÉSUS, QU’ON APPELLE LE CHRIST ?» Ici, [Pilate] allègue la dignité [de Jésus] : QUE FERAI-JE DE JÉSUS ?, comme s’il disait : «Vous commettrez une faute si vous le tuez.» QU’ON APPELLE LE CHRIST. Mais ceux-ci ne purent pas être atteints par la crainte ; bien au contraire, ils disent tous : «QU’IL SOIT CRUCIFIÉ !» C’était la mort la plus honteuse. Ainsi s’accomplit ce que dit Sg 2, 20 : Condamnons-le à la mort la plus honteuse ! Is 3, 8 : Leur langue et leurs inventions s’opposent au Seigneur.
2828. MAIS LE GOUVERNEUR LEUR DIT : «QUEL MAL A-T-IL DONC FAIT ?» Ici, [le gouverneur] allègue l’innocence [de Jésus], avec l’intention de le libérer, comme s’il recourait à ce qui est dit en Jr 2, 5 : Quelle injustice vos pères ont-ils trouvée en moi ? Et Jn 8, 46 : Qui d’entre vous me convaincra de péché ?
MAIS IL CRIAIENT PLUS FORT : «QU’IL SOIT CRUCIFIÉ !» Ils ne pouvaient donc être fléchis, selon ce que dit Jr 8, 5 : Ils se sont engagés dans le mensonge et n’ont pas voulu en revenir. Ils s’entêtaient donc dans la méchanceté.
2829. PILATE, VOYANT ALORS QU’IL N’ABOUTISSAIT À RIEN. Ici, [Pilate] recherche la libération [de Jésus] par un geste : premièrement, le geste est présenté ; deuxièmement, l’obligation faite par le peuple de condamner [Jésus].
[Matthieu]
dit : PILATE, VOYANT ALORS QU’IL N’ABOUTISSAIT À RIEN. Par cela, il laisse
entendre qu’il a dit beaucoup d’autres choses, mais que cela n’avait servi à
rien. PILATE PRIT DE L’EAU ET SE LAVA LES MAINS. C’était la coutume que,
lorsque quelqu’un voulait montrer qu’il était innocent, il se lavait les mains.
C’est ce que [Pilate] fait. Il dit donc : JE SUIS INNOCENT DU SANG DE CE
JUSTE, etc. De la même façon, on lit en Ps 25, 6 : Je me
laverai les mains au milieu des innocents. Et vraiment, [Pilate] aurait été
innocent s’il avait persisté dans la sentence par laquelle il déclarait que
[Jésus] était juste. À VOUS DE VOIR !, à savoir, ce qui doit vous arriver.
Ainsi, il est dit en Jn 18, 31 : Prenez-le vous-mêmes, et
jugez-le selon votre loi !
2830. Suit alors l’obligation de le condamner : QUE SON SANG RETOMBE SUR NOUS ET SUR NOS ENFANTS ! Et il arrivera ainsi que le sang du Christ sera réclamé par eux jusqu’à aujourd’hui, et ce qui a été dit en Gn 4, 10 leur convient bien : Le sang de ton frère Abel crie vers moi depuis la terre. Mais le sang du Christ est plus efficace que le sang d’Abel. L’Apôtre [dit], He 12, 24 : Nous avons un sang qui crie plus fort que le sang d’Abel. Jr 26, 15 : En vérité, si vous me tuez, vous échangerez un sang innocent contre vous-mêmes.
2831. ALORS IL LEUR RELÂCHA BARABBAS. RELÂCHA, c’est-à-dire qu’il le libéra de la sentence de mort.
QUANT À JÉSUS, APRÈS L’AVOIR FAIT FLAGELLER, IL LE LEUR LIVRA POUR ÊTRE CRUCIFIÉ. Et pourquoi l’avoir fait flageller ? Jérôme dit que c’était la coutume des Romains que le condamné à mort soit d’abord flagellé. Et comme il est dit en Jn 19, 1, [Pilate] lui-même le flagella. S’accomplit donc en lui ce qu’on lit en Ps 37, 18 : Je me prépare au fouet. Certains disent que [Pilate] l’a flagellé afin de susciter leur pitié et qu’ils le relâchent après qu’il eut été flagellé.
2832. Après avoir parlé de la condamnation, ici il est question de la passion et de la mort ; en second lieu, de la sépulture, en cet endroit : LE SOIR VENU, etc. [27, 57].
À propos du premier
point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il raconte ce que
[Jésus] a ignominieusement enduré ; deuxièmement, ce qu’il a accompli avec
magnificence, en cet endroit : À PARTIR DE LA SIXIÈME HEURE, L’OBSCURITÉ
SE FIT [27, 45].
La première partie [se divise] en trois : dans la première, il traite de la dérision par les soldats ; en second lieu, de la crucifixion ; en troisième lieu, de la dérision du crucifié par les Juifs. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET QUAND ILS SE FURENT MOQUÉS DE LUI [27, 31] ; le troisième, en cet endroit : LES PASSANTS L’INJURIAIENT [27, 39].
2833. À propos du premier point, les moqueurs sont d’abord décrits ; en second lieu, leur moquerie.
[Matthieu] dit donc : LES SOLDATS RASSEMBLÈRENT ALORS TOUTE LA COHORTE. Un groupe de soldats s’appelle une cohorte, et tous ceux qui avaient un pouvoir judiciaire avaient une cohorte de soldats pour exercer la justice. On appelle prétoire l’endroit où s’exerce la justice. Ainsi donc, les Gentils et les Juifs se rassemblèrent autour de [Jésus], de sorte que personne ne soit épargné, car il devait les racheter tous. Ce qu’on lit en Rm 11, 32 est donc approprié : Dieu les a tous enfermés dans l’infidélité afin d’avoir pitié de tous. Et en Ps 117[118], 10 : Ils m’ont entouré comme des abeilles.
2834. L’AYANT DEVÊTU, ILS LUI MIRENT UNE CHLAMYDE ÉCARLATE. Ici est décrite la dérision : premièrement, pour ce qui est du vêtement ; deuxièmement, de l’honneur ; troisièmement, de l’insulte. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET S’AGENOUILLANT DEVANT LUI, ILS SE MOQUAIENT DE LUI [27, 29] ; le troisième, en cet endroit : EN SORTANT, ILS TROUVÈRENT UN HOMME DE CYRÈNE, NOMMÉ SIMON, etc. [27, 32].
2835. Il faut remarquer que, bien qu’ils l’eussent accusé de plusieurs choses, il n’eut cependant à subir la passion que parce qu’il se disait roi, comme on lit en Jn 19, 12 : Si tu le relâches, tu n’es pas l’ami de César» C’est donc cela que [Pilate] craignait le plus. Voulant donc rire de [Jésus], ils lui accordent les insignes du roi. C’était en effet la coutume que les rois portent la pourpre et, à la place de celle-ci, ils mirent à Jésus un vêtement écarlate. De même, [les rois] avaient coutume de porter une couronne et, à la place de celle-ci, ils lui firent une couronne d’épines. De plus, [les rois] avaient coutume de porter un sceptre et, à la place de celui-ci, ils lui donnèrent un roseau.
2836. [Matthieu] dit donc : ILS LUI MIRENT UNE CHLAMYDE ÉCARLATE, c’est-à-dire rouge. Mais que veut dire Marc, en 15, 17, [lorsqu’il dit] qu’ils le revêtirent de pourpre ? Augustin donne la réponse : il a dit cela à cause de la ressemblance de la couleur. Ou bien, on peut dire que, bien que [la chlamyde] ait été écarlate, elle comportait cependant un peu de pourpre. Par le fait qu’il ait été dépouillé de ses propres vêtements et qu’on lui en ait mis d’autres, sont réfutés les hérétiques qui ont dit qu’il n’était pas un homme véritable. Cette chlamyde peut signifier la chair du Christ ensanglantée par son propre sang : En effet, il a lui-même été transpercé à cause de nos fautes : il a été broyé à cause de nos crimes, Is 53, 5. Ou bien, elle signifie le sang des martyrs, qui ont lavé leurs tuniques dans le sang de l’Agneau. Ou bien, [elle signifie] le péché des Gentils.
2837. PUIS, AYANT TRESSÉ UNE COURONNE D’ÉPINES, ILS LA PLACÈRENT SUR SA TÊTE. Ainsi, à la place de la couronne de gloire, ils lui mirent une couronne injurieuse. Is 22, 18 : Couronnez-le d’une couronne de tribulations. Par ces épines, sont signifiés les aiguillons des péchés par lesquels la conscience est blessée. Le Christ les a acceptés à notre place, car il est mort pour nos péchés. Ou bien, on peut mettre cela en rapport avec la malédiction d’Adam, lorsqu’il est dit : Il te donnera des épines et des chardons. Il a ainsi été indiqué que cette malédiction était écartée.
2838. Et, pour remplacer le sceptre, ILS PLACÈRENT UN ROSEAU DANS SA MAIN DROITE. Selon Origène, le pouvoir du Diable, que le Christ a arraché de leurs mains, est ainsi indiqué. 4 R [2 R] 18, 21 : Ne mets pas ta confiance dans une tige de roseau ! En effet, la futilité des païens, que le Christ a cependant assumée, peut être signalée. Ps 2, 8 : Demande-le-moi, et je te donnerai les nations en héritage. La comparaison avec un roseau est bonne, car, de même que le roseau est emporté à tous les vents, de même les païens le sont-ils par toutes les erreurs. Aussi, on utilisait le roseau pour écrire. De plus, [on l’utilisait] pour tuer ce qui était empoisonné. Ainsi le Christ attire-t-il à lui et s’attribue-t-il les fidèles, mais [il conduit] les persécuteurs à la mort.
2839. Puis, il est question de l’honneur dérisoire [rendu au Christ], et [les soldats] l’exprimaient par un geste. Il est donc dit : ET S’AGENOUILLANT, ILS SE MOQUAIENT DE LUI. Bien qu’ils aient fait cela pour se moquer, cela indiquait toutefois que tout genou devait fléchir devant lui. Ph 2, 10 : Que tout genou fléchisse au nom de Jésus ! Ils se moquaient encore de lui en paroles, en disant : SALUT, ROI DES JUIFS ! Par ceux-ci, sont indiqués ceux qui confessent en paroles qu’ils connaissent Dieu, mais le nient par leurs actes, Tt 1, 16.
2840. De même, ils lui adressaient diverses insultes, car ils lui crachaient au visage. Is 1, 6 : Je n’ai pas détourné mon visage de ceux qui crachaient sur moi. DE MÊME, ILS LE FRAPPAIENT À LA TÊTE, comme s’il avait été un idiot. Et qui sont ceux qui frappent la tête du Christ ? La tête du Christ est Dieu, comme on le lit en 1 Co 11, 3. Ceux-là donc frappent la tête du Christ, qui blasphèment contre la divinité du Christ. La Sainte Écriture est indiquée par le roseau. Ceux-ci confirment leur erreur par la Sainte Écriture.
2841. EN SORTANT, ILS TROUVÈRENT UN HOMME DE CYRÈNE, NOMMÉ SIMON. Après la dérision, il est question de la crucifixion, et, à ce propos, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il précise le lieu de la crucifixion ; deuxièmement, [il parle] de la tunique [de Jésus] et de ce qui a été fait à cet endroit.
En premier lieu, il raconte comment Jésus a été conduit à cet endroit ; en second lieu, comment la croix a été portée ; en troisième lieu, comment on arriva à la passion.
2842. ET, APRÈS S’ÊTRE MOQUÉS DE LUI, ILS LUI ENLEVÈRENT la chlamyde qu’ils lui avaient mise. Remarquez qu’on rit de lui alors qu’il porte le vêtement d’un autre, mais qu’il est emmené dans son propre [vêtement]. Par cela est indiqué qu’il ne lui revenait pas d’être ridiculisé, mais d’être tué, car, comme on le lit en Ph 2, 8, il s’est humilié, en se faisant obéissant jusqu’à la mort. Là en effet est apparue sa puissance. Ps 117[118], 16 : La droite du Seigneur a manifesté sa puissance. Is 53, 7 : Il sera emmené comme une brebis pour être tué.
2843. EN SORTANT, ILS TROUVÈRENT UN HOMME DE CYRÈNE. Ici, il s’agit du transport de la croix. Il est indiqué par cela qu’il ne voulait pas souffrir dans la ville, mais en dehors. La raison en est donnée en He 13, 12, où il est dit : Pour cette raison, afin que Jésus sanctifie le peuple par son sang, il a souffert hors de la porte [de la ville]. Cela est approprié à la figure, car, comme on lit, en Lv 16, 19s, que le bouc, qui devait être immolé pour le péché, était envoyé en dehors des murs, de même [en fut-il pour] le Christ, parce qu’il était l’offrande pour le peuple. [Cela est aussi arrivé] pour notre édification. He 13 : Ils portaient ce qui lui était reproché. Il a aussi souffert en dehors de la porte afin que la puissance de sa passion ne soit pas limitée à une seule nation. Jn 11, 52 : Il est mort afin que toutes les nations soient rassemblées.
2844. ET ILS LE REQUIRENT POUR PORTER LA CROIX. Il semble y avoir ici une discordance, car, en Jn 19, 17, on lit que [Jésus] sortit en portant sa croix. Voici la réponse selon Jérôme : d’abord [Jésus] porta [la croix], mais, par la suite, alors qu’ils cheminaient, ils rencontrèrent Simon et le requirent, etc. Origène dit que c’est le contraire qui se produisit : Simon porta d’abord [la croix], et, par la suite, le Christ. Et il existe une raison mystique pour laquelle [Simon] porta d’abord la croix. Ainsi, plus haut, 16, 24 : Celui qui veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive, etc. Il faut noter que ce Simon était un étranger et qu’il indique le peuple des Gentils, qui a porté la croix du Christ. 1 Co 1, 18 : La parole de la croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu. Simon signifie «obéissant», et le peuple des Gentils a obéi. Ps 17[18], 45 : Le peuple que je ne connaissais pas m’a servi, il m’a obéi en m’entendant. Et il venait d’un village. «Village» se dit pagos en grec. Ainsi, celui-ci venait d’un village, parce qu’il venait du paganisme. Ce que dit [Matthieu], qu’il venait de Cyrène, est approprié, car [Cyrène] signifie «héritage précieux». Ps 2, 8 : Demande-le-moi, et je te donnerai les nations en héritage. Lorsque [Matthieu] dit qu’ils le forcèrent, il indique ceux qui portent extérieurement la croix, mais la portent de force à l’intérieur, parce qu’[ils ne la portent] pas à cause de Dieu, mais du monde. Ga 5, 24 : Ceux qui appartiennent au Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses désirs.
2845. Ensuite, l’endroit est présenté : ILS ARRIVÈRENT À UN ENDROIT APPELÉ GOLGOTHA, LE LIEU DIT DU CALVAIRE. On parle de calvitie à propos des hommes chauves, comme on le voit clairement dans les cimetières. En grec, on dit donc cranios. Certains disent qu’Adam a été enterré en cet endroit. Jérôme repousse cela, car il a été enterré à Hébron, comme on le lit en Jos 14. Et pourquoi [le Christ] a-t-il subi là sa passion ? Il faut noter qu’en toute ville, il y a un endroit où l’on a l’habitude de supplicier les condamnés. C’était donc là l’endroit des condamnés.
2846. Puis, on raconte ce qui est arrivé lors de sa crucifixion : premièrement, comment on le fit boire ; deuxièmement, sa crucifixion ; troisièmement, d’autres choses qui sont arrivées.
À propos du premier
point, on présente d’abord ce qui lui est offert ; deuxièmement, comment
[Jésus] se comporta par rapport à ce qu’on lui offrait.
2847. [Matthieu] dit donc : ILS LUI DONNÈRENT À BOIRE DU VIN MÊLÉ DE FIEL. On voulait que tous ses sens souffrent : la vue souffrit par les crachats et les veilles ; l’ouïe, par les blasphèmes et les paroles de dérision ; le toucher, parce qu’il fut flagellé. On voulut donc que le goût aussi souffre. Ce qui est dit en Ps 58[59], 22 s’est accompli : Ils m’ont donné du fiel comme nourriture, et ils m’ont donné du vinaigre pour apaiser ma soif. Et Jr 2, 21 : Comment es-tu devenue mauvaise, une vigne étrangère ?
2848. Mais une question se pose, car, en Mc 15, 23, on dit qu’on lui donna du vin assaisonné de myrrhe. Il faut dire que la myrrhe est très amère, et que le vin mêlé de fiel est amer. Or, on a coutume de donner à tout ce qui est amer le nom de fiel. À la vérité, le vin était donc assaisonné de myrrhe, mais on dit que cela ressemblait à du fiel. Par cela était signifié que [le Christ] portait l’amertume de nos péchés.
2849. Ensuite est présentée la manière dont [Jésus] se comporta : LORSQU’IL LUI EUT GOÛTÉ, IL NE VOULUT POINT LE BOIRE. Mais que veut dire Marc lorsqu’il dit qu’IL LE PRIT, alors que [Matthieu] dit qu’IL LE GOÛTA ? On peut dire qu’il ne le prit que pour le goûter. Cela indique qu’il a goûté à la mort : il est aussitôt ressuscité, il a donc à peine goûté à la mort, puisqu’il était libre parmi les morts, Ps 87[88], 6.
2850. QUAND ILS L’EURENT CRUCIFIÉ, etc. Mais on peut se demander pourquoi il a plutôt voulu mourir de cette mort. Une raison vient de ceux qui le crucifiaient, car ils voulaient qu’il soit diffamé par cela, selon ce que dit Sg 2, 20 : Condamnons-le à la mort la plus honteuse, etc., et celle-ci est [la mort sur] la croix. Aussi, cela [vient] d’une disposition de Dieu, car le Christ a voulu être notre maître afin de nous donner un exemple de la manière de supporter la mort. Il a donc souffert la mort afin de nous libérer par la mort, comme on le lit en He 2, 14s. Or, nombreux sont ceux qui veulent endurer la mort, mais ils fuient une mort honteuse. C’est pourquoi le Seigneur a donné l’exemple afin qu’ils ne fuient aucun genre de mort. De même, cela était approprié à la rédemption, car c’était en satisfaction pour le péché du premier homme. Or, le premier homme a péché par le bois. Le Seigneur a donc voulu souffrir par le bois. Sg 14, 7 : Béni soit le bois par lequel est rétablie la justice ! De même, le Christ devait être élevé par sa passion. Il a donc voulu être élevé par la passion sur la croix. Il voulait aussi s’attirer nos cœurs. Jn 12, 32 : Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. C’était aussi afin que nos cœurs soient élevés.
2851. ILS SE PARTAGÈRENT SES VÊTEMENTS. Ici est présenté ce qui a été fait pour outrager le crucifié : premièrement, le partage de ses vêtements est présenté ; deuxièmement, l’apposition d’une inscription ; troisièmement, l’association [à des malfaiteurs].
À propos du premier point, [Matthieu] présente le fait ; deuxièmement, la prophétie.
Il dit donc : ILS SE PARTAGÈRENT. Chrysostome dit que c’était là une grande insulte. C’était en effet la coutume que le condamné ne soit pas dénudé, à moins qu’il ne s’agît d’un homme de la plus basse condition. Afin donc de lui infliger un grand outrage, ils le dépouillèrent, pour que nous recevions l’enseignement que nous devons nous dépouiller de tous les effets des actes charnels. Comment cela s’est-il fait, Matthieu glisse [sur la question], mais Jean raconte, 19, 23s, que chaque soldat reçut une partie d’un autre vêtement. Mais, pour ce qui est de la tunique sans couture, ils la tirèrent au sort. Puis la prophétie est présentée : Afin que s’accomplît ce qui est dit par le prophète. AFIN n’a pas un sens causal, mais consécutif, car, du fait que le Christ a souffert, il arrive que s’est accompli ce qui avait été dit.
2852. PUIS, S’ÉTANT ASSIS, ILS RESTÈRENT LÀ À LE GARDER, etc., afin qu’il ne soit pas enseveli. Ps 21[22], 18 : Mais ils me regardaient et me surveillaient.
2853. Puis vient ensuite l’inscription : ILS PLACÈRENT AU-DESSUS DE SA TÊTE LE MOTIF DE SA CONDAMNATION AINSI LIBELLÉ, etc. Et il faut remarquer que ce qu’ils avaient fait sur ordre pour sa honte a tourné à son honneur. Ainsi, ILS PLACÈRENT AU-DESSUS DE SA TÊTE LE MOTIF DE SA CONDAMNATION, c’est-à-dire la raison pour laquelle il subissait la passion. On trouve écrit en Ap 19, 16 : Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Ce que [le gouverneur] dit : ROI DES JUIFS, est en rapport avec l’honneur [du Christ], car il allait devenir le roi de toutes les nations. Ps 2, 6: Car moi, j’ai été établi par lui roi sur Sion, sa sainte montagne.
2854. Ensuite est présentée l’association : ALORS FURENT CRUCIFIÉS AVEC LUI DEUX BRIGANDS. Tels furent ceux avec qui il fut associé, car il [se retrouva] entre deux brigands, comme un malfaiteur. Ainsi Is 53, 12 : Et il a été mis au rang des méchants. Mais il y en avait UN À DROITE, ET UN AUTRE À GAUCHE. Il accueillit la croix comme un juge : en effet, comme certains se trouvent à droite et d’autres à gauche lors d’un jugement, de même [en est-il] ici. Par cela est donc indiqué qu’il est le juge des vivants et des morts. Ph 2, 9 : C’est pourquoi Dieu l’a élevé, et il lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers. Jb 36, 17 : Ta cause a été jugée comme si c’était celle d’un impie ; ta cause sera revue et tu recevras justice. De même, par le fait que l’un était à droite et l’autre à gauche, est-il indiqué que le Christ a souffert pour tous. Cependant, certains croient, et d’autres ne croient pas. 1 Co 1, 23 : Mais nous, nous annonçons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. Ou bien, on peut dire que certains supportent la croix pour Dieu, et ceux-là se trouvent à droite ; mais d’autres [ne la supportent] pas pour Dieu, mais pour le monde, et ceux-là sont à gauche.
2855. Ensuite, il est question de la dérision à l’endroit du crucifié : MAIS LES PASSANTS L’INJURIAIENT. Premièrement, il est question de ce qui a été fait par le peuple ; deuxièmement, par les grands prêtres ; troisièmement, de ce qui [a été fait] par les brigands.
À propos du premier,
[Matthieu] décrit d’abord ceux qui insultent ; deuxièmement, leurs
insultes.
En premier lieu, il décrit donc LES PASSANTS, c’est-à-dire ceux qui passaient sur la route. Il est question de ceux-ci en Is 30, 11 : Écartez-vous de mon chemin, que le saint d’Israël s’éloigne de notre vue. Ils sont aussi décrits, car ILS HOCHAIENT LA TÊTE, et ils faisaient cela en dérision. La tête signifie la raison, les pieds, les sentiments. En premier lieu, [leurs] sentiments les ont donc poussés au mal ; ensuite, ils hochent la tête, car ils s’enorgueillissent de leurs péchés.
2856. Ils rient de lui de trois manières : premièrement, en paroles ; deuxièmement, par les actes qu’ils ont posés ; troisièmement, par la dignité qu’ils se sont appropriée.
À propos du premier point, ils disent : ALORS, TOI QUI DÉTRUIS LE TEMPLE DE DIEU, etc. ALORS est [ici] une interjection de dérision. Cela avait déjà été révélé, et ils ne voulaient pas [le] croire. C’est d’eux que Jr 8, 5 dit : Ils ont accepté un mensonge, et ils n’ont pas voulu revenir. Comme s’ils disaient : «Si tu veux rebâtir le temple, rebâtis-toi !» Mais [le Christ] ne pouvait [le] rebâtir s’il n’était pas d’abord détruit. Il voulut donc d’abord qu’il soit détruit, car c’est de son corps qu’il avait dit cela.
Ensuite, [ils rient de lui] par leurs actes : SAUVE-TOI-MÊME !, comme s’ils disaient : «Tu as sauvé les autres, sauve-toi toi-même ! Mais tu n’en as pas vraiment sauvé d’autres. Tu ne peux donc pas te sauver toi-même !»
2857. [Ils rient aussi de lui] pour ce qui est de sa dignité : «SI TU ES LE FILS DE DIEU, DESCENDS MAINTENANT DE LA CROIX !» Cette [proposition] conditionnelle n’est pas bonne, car, s’il est le Fils de Dieu, il doit plutôt obéir au Père. Car il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, Ph 2, 8. Ils auraient donc plutôt dû dire : «Si tu es le Fils de Dieu, monte et ne descends pas !» Jn 3, 13 : Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel. Ils emploient la même expression que le Diable a utilisée lorsqu’il le tentait, plus haut, 4, 6 : Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ! En effet, il n’appartient pas au Fils de Dieu de descendre. Ils parlaient donc sous l’incitation du Diable, et ils voulaient empêcher sa passion.
2858. Puis vient ensuite la dérision des
grands prêtres : DE MÊME, LES GRANDS PRÊTRES SE GAUSSAIENT, etc. Ainsi,
non seulement le peuple, mais aussi les grands prêtres riaient de lui. On ne
fait pas de cas d’être condamné par les plus petits, mais on ne peut supporter
la dérision des grands. L’homme désire naturellement être honoré. Or, l’honneur
vient du témoignage rendu à la vertu. La dérision est donc faite en vue de
l’humiliation. Et ceux-ci sont décrits par leur autorité, car ils sont des
grands. [Ils sont aussi décrits] par leur enseignement, car ils sont des
scribes. [Ils sont encore décrits] par leur vie, car ils sont des Pharisiens,
qui étaient éminents par leur vie. Jr 5, 5 : J’irai vers les
grands et je leur parlerai, car ils ont connu la voie de Dieu et le jugement de
leur Dieu. Mais voilà que ce sont plutôt eux qui ont secoué le joug et rompu
leurs liens.
2859. Ils disent trois choses : premièrement, ils repoussent les miracles qu’il a faits ; deuxièmement, sa dignité royale ; troisièmement, [ils lui reprochent] de s’être fait Fils de Dieu.
À propos du premier point, ils disent : IL EN A SAUVÉ D’AUTRES, MAIS IL NE PEUT SE SAUVER LUI-MÊME ! Ils voulaient dire : «S’il en a sauvé d’autres, il pourra se sauver. Mais il ne peut se sauver lui-même. Il n’a donc pas sauvé les autres.» Mais nous devons au contraire riposter : «Il en a sauvé d’autres, il peut donc se sauver lui-même. Or, il pouvait se sauver en ressuscitant. Il pouvait donc nous sauver, nous aussi.» He 5, 9 : Il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel. Ainsi, ceux-ci ne visaient que le salut temporel. Or, le Christ a voulu montrer que le salut éternel doit avoir préséance.
2860. Ils disent donc : IL EST ROI
D’ISRAËL. QU’IL DESCENDE MAINTENANT DE LA CROIX ! Ici ils repoussent sa
dignité royale et formulent une fausse promesse. Ils tirent ainsi une mauvaise
conclusion, car s’il est le roi d’Israël, il ne doit pas descendre, mais il
doit être élevé par la croix. Ps 95[96], 10 : Le Seigneur a
régné par le bois, et Is 9, 6 : Le pouvoir, à savoir,
la croix, a reposé sur ses épaules. De même, il a fait quelque chose de
plus grand, car il a ressuscité du tombeau, et cependant ils n’ont pas cru. Ils
étaient donc des menteurs. Jr 23, 16 : N’écoutez pas les
paroles des prophètes qui prophétisent pour vous, et vous trompent, puis
vient ensuite : Ils vous disent ce que voient leurs cœurs.
2861. De même, ils lui reprochent de s’être
dit le Fils de Dieu : IL A COMPTÉ SUR DIEU ; QUE DIEU LE DÉLIVRE S’IL
LE VEUT ! Ps 21[22], 9 : Il a espéré dans le Seigneur.
Qu’Il le délivre, qu’Il le sauve, s’Il le veut ! [Dieu] aurait pu le
libérer s’il l’avait voulu. Mais il ne le voulait pas, car il voulait l’exposer
à la mort pour un temps, afin de nous assurer le salut et de lui [rendre]
honneur. Ainsi s’accomplit ce qui est dit en Jr 15, 10 : Tous
ont mal parlé de moi.
2862. MÊME LES BRIGANDS L’INSULTAIENT. Mais comment se fait-il qu’on dise ici que les deux brigands l’insultaient, mais, en Lc 23, 39, qu’un seul [le faisait] ? Augustin donne une solution : parfois, c’est la coutume, dans l’Écriture, d’employer le pluriel pour le singulier, comme en He 2, 33 : Ils ont fermé la gueule des lions, c’est-à-dire qu’il, à savoir, Daniel, [l’]a fermée. C’est une manière de parler, comme lorsque quelqu’un dit : «Ces campagnards m’embêtent !», même si un seul l’embête. C’est la manière de parler de Matthieu. Ou bien, selon Jérôme, au départ les deux l’insultaient, mais l’un [des deux], voyant les miracles qu’il faisait, se repentit. Et cela, comme le dit Chrysostome, est arrivé par une disposition divine. Ils signifient donc ceux qui reviennent au Christ après de nombreuses fautes.
2863. À PARTIR DE LA SIXIÈME HEURE, L’OBSCURITÉ SE FIT SUR TOUTE LA TERRE. Plus haut, l’évangéliste a raconté comment le Seigneur a subi la passion sur la croix ; ici, [il raconte] comment il a réalisé des choses grandioses. Premièrement, il présente ce qu’il a fait avant de mourir ; deuxièmement, après sa mort, en cet endroit : OR JÉSUS, POUSSANT DE NOUVEAU UN GRAND CRI, RENDIT L’ESPRIT [27, 50].
À propos du premier point, [Matthieu] fait deux choses : premièrement, il raconte l’obscurcissement qui s’est produit ; deuxièmement, le cri [de Jésus], en cet endroit : VERS LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS POUSSA UN GRAND CRI [27, 46].
2864. [Matthieu] dit donc : À PARTIR DE LA SIXIÈME HEURE, L’OBSCURITÉ SE FIT SUR TOUTE LA TERRE. Comme le raconte Origène, les païens, entendant que l’évangéliste racontait cela comme un miracle, riaient de lui, et disaient que cela s’était produit naturellement. Ils croyaient donc qu’il parlait comme un ignorant, puisque le soleil s’était caché naturellement.
2865. Mais ce ne fut pas une éclipse naturelle, mais miraculeuse. Si vous voulez comprendre, écoutez ce que Denys dit, alors qu’il avait vingt-quatre ans et étudiait les astres dans la ville d’Héliopolis. Lorsqu’ils virent [cela], lui-même et Apollonius furent étonnés, car il leur semblait que ce n’était pas [une éclipse] naturelle, et ils observèrent quatre miracles. Premièrement, en raison du moment, car alors que c’était le jour où la Pâque devait être célébrée, on était à la quinzième lune, alors que la lune est en opposition par rapport au soleil. Or, une éclipse naturelle se produit du fait de la conjonction de la lune par rapport au soleil. Le deuxième miracle fut que, alors que le soleil était au couchant, la lune devait être à l’orient. Or, ici le cours de la lune a été changé. De même, le troisième consiste dans le fait que l’obscurcissement commence toujours du côté du couchant, car toutes les planètes ont un double mouvement : l’un propre, l’autre commun. La lune, pour ce qui est de son mouvement propre, est plus rapide, et lorsqu’elle atteint le corps du soleil, elle vient du couchant. Mais, ici, il n’en était pas ainsi, car elle venait de l’orient. Le quatrième miracle est que l’obscurcissement débute dans la même partie où l’illumination revient. Or, il n’en fut pas ainsi alors, puisque [le soleil] a finalement quitté la partie qu’il avait d’abord occupée, car la lune a atteint le corps du soleil, puis elle a reculé, de sorte que cette première partie fut d’abord illuminée. Ainsi, observant cela, il se convertit à l’arrivée de Paul, puis convertit son compagnon. Le cinquième miracle, qui est plus grand, comme il le dit, est que, lorsqu’une éclipse est naturelle, elle dure peu de temps. En effet, le soleil n’est pas caché, mais il se produit un obscurcissement par interposition de la lune. Or, le corps de la lune n’est pas plus grand que celui du soleil. Cela ne dure donc pas longtemps. Mais [cette] éclipse a duré trois heures.
2866. Ce fut donc un grand miracle. Mais Origène pose la question : si ce fut un si grand miracle, pourquoi un des astrologues ne l’a-t-il pas décrit ? Il répond en disant que cet obscurcissement ne fut pas universel, mais se limita au territoire d’Israël. Ou bien, SUR TOUTE LA TERRE [signifie] la Judée. C’est une manière semblable de parler lorsqu’on dit : «La nation ou le royaume, etc.». Il faut comprendre alors : «Cette nation.» Il en est de même ici. Mais Chrysostome dit que SUR TOUTE LA TERRE [veut dire] sur le monde entier, car [le Christ] mourait pour le monde entier. Il a donc voulu le faire savoir à tous par un signe de sa passion. Mais Denys dit qu’il était en Égypte et qu’il a lui-même vu [l’éclipse]. On pouvait ainsi comprendre qu’elle s’étendait jusqu’en Asie. Il faut donc lui accorder plus de crédit. Un astronome raconte une éclipse survenue à l’époque de Tibère, mais il ne dit pas quand ni combien de temps elle a duré, ni comment [elle s’est produite]. Toutefois, on peut dire que, comme ce n’était pas le moment d’une éclipse, on n’en a pas évalué le mode avec soin. Aussi certains disent-ils que des nuages épais se sont interposés entre nous et le soleil ; mais d’autres ont dit que le soleil a retiré ses rayons. Ainsi, en Am 8, 9 : Le soleil se coucha pour eux à l’heure du midi.
2867. Mais ici se pose une question, car il est dit ici que [le Christ] a été crucifié à la sixième heure. Or, Marc dit qu’il le fut à troisième heure, 15, 25. Il faut dire que Matthieu raconte l’histoire : il a été crucifié à la sixième heure et il est mort à la neuvième. Et cela est approprié au mystère, car, à l’heure du midi, le soleil est au milieu du ciel. Cela est donc approprié pour le Fils de Dieu, qui est le véritable soleil. Ml 4, 2 : Pour vous qui craignez le nom de Dieu, le soleil de justice se lèvera. Cela est approprié aussi à la transgression du premier homme, car Adam a péché après l’heure du midi, Gn 3, 8. Le Christ a donc voulu satisfaire pour cette heure. Pourquoi alors Marc parle-t-il de la troisième heure ? Il faut dire qu’il a été crucifié à la troisième heure par la langue des Juifs, mais à la sixième par les mains des soldats. De même, les ténèbres s’étendirent sur trois heures, et cela avait été indiqué en figure par ce qui est écrit en Ex 10, 22 : Moïse étendit les mains vers le ciel pendant trois heures, et les ténèbres s’étendirent sur tout le pays d’Égypte pendant trois jours. De même le Christ en croix a-t-il étendu ses mains et les ténèbres sont-elles apparues pendant trois heures, pour indiquer qu’on avait été privé de la lumière de la Trinité.
2868. ET VERS LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS POUSSA UN GRAND CRI. Ici, [Matthieu] présente le cri du Christ. Premièrement, le cri est présenté ; deuxièmement, son effet, en cet endroit : CERTAINS DE CEUX QUI SE TENAIENT LÀ, etc. [27, 47].
[Matthieu] dit donc : ET VERS LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS POUSSA UN GRAND CRI. Selon Origène, le Christ pousse un grand cri et indique [par là] la multitude des mystères. Is 4, 3 : Les Séraphins se criaient les uns aux autres : «Saint, Saint, Saint, le Seigneur, le Dieu des armées !» Ainsi, celui qui veut comprendre par cela qu’il a crié par dégoût de la mort n’a pas compris le mystère. Il ne faut donc pas l’entendre ainsi ; il a plutôt voulu laisser entendre qu’il était égal au Père. En hébreu, il a dit : ÉLI, ÉLI, LAMMA SABACTHANI ? Il a aussi voulu indiquer que [sa mort] avait été annoncée par les prophètes. Il a donc dit ce que dit le Ps 21[22], 2 : Mon Dieu, jette ton regard sur moi : pourquoi m’as-tu abandonné ? Jérôme dit donc que ceux-là sont impies qui veulent interpréter ce psaume autrement que de la passion du Christ.
2869. Remarquez
que certains l’ont mal compris. Ainsi, vous devez savoir qu’il y a eu deux
hérésies. L’une ne reconnaissait pas dans le Christ le Verbe uni [à la nature
humaine], mais [affirmait] que le Verbe tenait la place de l’âme : c’est
ce qu’affirmait Arius. D’autres [ont dit] que le Verbe n’était pas uni [à la
nature humaine] selon la nature, mais par grâce, comme c’est le cas dans un
juste, par exemple, chez les prophètes : c’est ce que Nestorius
[affirmait]. Ils interprétaient donc : MON DIEU, MON DIEU, POURQUOI
M’AS-TU ABANDONNÉ ? en disant que le Verbe de Dieu disait cela, et qu’il
dit Dieu parce qu’il est la créature [de Dieu], et on en concluait qu’il fit
s’unir à lui ce Verbe et, par la suite, l’abandonna. Mais cela est une
interprétation impie, car il est toujours avec [ce Verbe]. Ainsi donc, [sa]
divinité n’a abandonné ni la chair ni l’âme. Jn 7, 29 : Celui
qui m’a envoyé est avec moi.
2870. De quoi s’agit-il donc ? Il faut dire que, par la manière même de parler, il est clair qu’il faut l’entendre du Christ. En effet, il est dit de lui, Jn 21, 17 : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Il l’appelle Père parce qu’il est Dieu ; il l’appelle Dieu parce qu’il est homme. Ainsi, lorsqu’il dit : MON DIEU, MON DIEU, etc., il est clair qu’il parle comme homme. Il gémit donc afin d’indiquer la grandeur de son affection humaine. Lorsqu’il dit : [POURQUOI] M’AS-TU ABANDONNÉ ? il parle par mode de comparaison, car ce que nous avons, nous le tenons de Dieu. De même donc que, lorsque quelqu’un est exposé à un mal, on dit qu’il est abandonné, de même, lorsque le Seigneur abandonne l’homme qui tombe dans un mal de peine ou de faute, dit-on que [celui-ci] est abandonné. De sorte qu’on dit du Christ qu’il est abandonné non pas selon l’union, ni selon la grâce, mais quant à la souffrance. Is 54, 7 : Un court instant je t’ai délaissé.
2871. Et il dit : POURQUOI ? Non pas par dégoût, mais cela peut indiquer [sa] compassion envers les Juifs. C’est pourquoi il ne le dit qu’après que les ténèbres sont apparues. Il veut donc dire : «Pourquoi as-tu voulu que je sois livré à la passion et que ceux-ci soient couverts par les ténèbres ?» Il montre aussi de l’admiration, car la charité de Dieu est admirable. Rm 5, 8 : La preuve de la charité de Dieu à notre endroit, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous.
2872. Puis vient ensuite l’effet : CERTAINS DE CEUX QUI SE TENAIENT LÀ, etc. Premièrement, l’effet général est présenté ; deuxièmement, l’effet sur l’un d’entre eux, en cet endroit : ET AUSSITÔT L’UN D’EUX COURUT, etc. [27, 48].
[Matthieu] dit
donc : CERTAINS DE CEUX QUI SE TENAIENT LÀ DISAIENT EN L’ENTENDANT :
«IL APPELLE ÉLIE !» Qui étaient-ils ? Jérôme croit que c’étaient les
soldats, qui ne connaissaient pas l’hébreu et croyaient à cause de cela qu’il
appelait Élie, car Élie était très célèbre puisqu’il avait été enlevé au ciel,
comme on le lit en 4 R [2 R] 2, 11. Ou bien, on peut
dire que ce sont les Juifs, et qu’ils veulent par là montrer que le Christ est
un homme, et non Dieu, qui demande l’aide d’un autre.
2873. Puis, on montre l’effet sur l’un d’entre eux : premièrement, on dit ce que celui-ci a fait ; deuxièmement, ce que les autres [ont fait].
[Matthieu] dit donc : ET AUSSITÔT L’UN D’EUX COURUT PRENDRE UNE ÉPONGE QU’IL IMBIBA DE VINAIGRE. Pourquoi il fit cela, on ne le dit pas ici, mais en Jn 19, 28, car Jésus, voyant que tout était consommé, dit : J’ai soif ! Voulant donc le soulager, celui-ci lui donna le breuvage des condamnés. Ainsi s’accomplit ce qui est dit en Ps 68[69], 22 : Ils m’ont donné du fiel comme nourriture, et alors que j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre. Il faut noter que c’était du vinaigre assaisonné de myrrhe, mais qu’on parle de fiel et de vinaigre parce que c’était amer.
Au sens mystique, par le vin assaisonné de myrrhe, sont signifiés ceux qui n’ont aucune foi. Ou bien, par le vinaigre, qui provient de la corruption du vin, est indiquée la corruption de la nature humaine, car le Christ a pris ce breuvage amer. Ou bien, par le vinaigre est indiquée la méchanceté des Juifs. Le vinaigre s’introduit dans l’éponge parce que celle-ci est trouée, et elle indique les ruses et les fourberies des Juifs.
Mais IL MIT [L’ÉPONGE] AU BOUT D’UN ROSEAU. Par le roseau, la Sainte Écriture est indiquée. Ils veulent donc confirmer leur méchanceté par l’Écriture.
2874. Il se peut que celui-ci ait été mû par la compassion ; en faisant cela, il voulait donc venir en aide [à Jésus], mais les autres ne le voulaient pas. Ils disaient donc : LAISSE ! VOYONS SI ÉLIE LE LIBÉRERA !
2875. OR JÉSUS, POUSSANT DE NOUVEAU UN GRAND CRI, RENDIT L’ESPRIT. Il s’agit ici de ce qui est arrivé après la mort [du Christ]. Premièrement, la mort du Christ est présentée ; deuxièmement, ce qui est arrivé ; troisièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : VOILÀ QUE LE VOILE DU TEMPLE SE DÉCHIRA [27, 51] ; le troisième, en cet endroit : MAIS LE CENTURION, etc. [27, 54].
À propos du premier point, la mort est abordée et le mode de la mort
2876. La cause de la mort est triple. Une cause avait pour but de montrer à quel point il nous aimait. Augustin [écrit] : «Il n’y a pas de plus grande raison d’aimer que d’être précédé dans l’amour.» Rm 5, 8 : La preuve de la charité de Dieu pour nous, c’est que, alors que nous étions pécheurs, le Christ est mort pour nous. De même, c’était pour nous enseigner à mépriser la mort. Par la mort, il a détruit tous les péchés. C’était aussi pour enlever la peine du péché d’Adam, c’est-à-dire pour nous libérer du péché d’Adam. En effet, il avait été dit [à Adam], Gn 2, 17 : Dès que vous en aurez mangé, vous mourrez. [Le Christ] nous a libérés de cette mort. C’était aussi parce que le Diable, qui est fauteur de mort, s’était jeté sur lui, qui ne le méritait pas. [Le Christ] lui enleva ainsi [son] pouvoir sur les autres. Il livra donc son âme à la mort pour nous libérer.
2877. La condition de la mort est aussi indiquée : POUSSANT UN GRAND CRI, IL RENDIT L’ESPRIT. Certains ont dit que la divinité était morte, mais cela est faux, car la vie ne peut pas mourir. Or, Dieu est non seulement vivant, mais il est la vie. Certains ont dit que l’âme [du Christ] est morte avec le corps, ce qui est impossible, car elle ne pourrait alors posséder l’immortalité. Il faut aussi remarquer que tous meurent par nécessité, mais que le Christ [est mort] de sa propre volonté. [Matthieu] ne dit donc pas qu’il est mort, mais qu’IL RENDIT [SON ESPRIT], car [il le fit] de sa propre volonté. Et cela indique [sa] puissance, comme on le dit ailleurs, Jn 10, 18 : J’ai le pouvoir de déposer mon âme, et j’ai aussi le pouvoir de la reprendre. Et il voulut mourir dans un grand cri pour indiquer qu’il mourait volontairement, et non par nécessité. Il a donc déposé son âme lorsqu’il l’a voulu et l’a reprise lorsqu’il l’a voulu. Il a donc été plus facile pour le Christ de déposer son âme et de la reprendre que pour un autre de s’endormir et de se réveiller. Mais pourquoi [cette mort] leur a-t-elle été imputée ? Parce qu’ils ont fait ce qui était en leur pouvoir.
2878. VOILÀ QUE LE VOILE DU TEMPLE SE DÉCHIRA, etc. Dans cette section, il s’agit de l’effet. Premièrement, il est question de ce qui est arrivé au temple ; deuxièmement, de ce qui [est arrivé] aux éléments ; troisièmement, de ce qui [est arrivé] aux hommes.
2879. Il faut voir que Matthieu raconte dans un ordre différent de celui de Luc. Augustin dit que Matthieu raconte selon le déroulement historique, et cela est clair, car il dit : VOILÀ QUE LE VOILE DU TEMPLE SE DÉCHIRA. Chez Luc, on ne trouve rien de tel. Il faut noter qu’il y avait un double voile dans le temple, comme dans un tabernacle, car il y avait un voile à l’intérieur du saint des saints, et il y avait un autre voile qui n’était pas dans le saint des saints. Ces deux [voiles] indiquaient une double dissimulation, car le voile qui était à l’intérieur signifiait la dissimulation des mystères célestes qui nous seront révélés : Alors, nous [lui] serons semblables, lorsqu’il apparaîtra dans sa gloire [1 Jn 3, 2]. L’autre [dissimulation], celle qui était à l’extérieur, signifiait la dissimulation des mystères qui concernent l’Église. Ainsi donc, [ce voile] fut déchiré, mais pas l’autre, pour indiquer que les mystères qui concernaient l’Église étaient manifestés ; mais l’autre [voile] ne fut pas déchiré parce que les secrets célestes demeurent encore voilés. L’Apôtre [dit] ainsi en 2 Co 3, 16 : Lorsque Israël sera converti à Dieu, le voile sera enlevé. Ainsi, par la passion, tous les mystères qui avaient été écrits dans la loi et les prophètes ont été dévoilés, comme on le lit en Lc 24, 27 : En partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur montrait ce qui se rapportait à lui dans toutes les Écritures. Ou bien, [la déchirure du voile] signifie la dispersion du peuple des Juifs, et parce qu’ils mettaient leur gloire dans le voile, qui fut déchiré lors de la passion du Christ, il était ainsi signifié que toute gloire leur était enlevée.
2880. LA TERRE TREMBLA ET LES ROCHERS SE FENDIRENT, etc. On a présenté plus haut le miracle survenu dans [l’enceinte] sacrée du temple ; ici est présenté le miracle survenu dans les éléments. Cela est approprié premièrement pour ce qui est de la puissance de la passion ; deuxièmement, pour ce qui est de l’effet du salut ; troisièmement, pour ce qui est du pouvoir judiciaire que le Christ a mérité par sa passion.
Il était approprié que LA TERRE TREMBLE, etc., car elle ne pouvait soutenir la présence d’une si grande majesté sans tremblement. Ainsi, en Ps 103[104], 32 : Lui qui regarde la terre et la fait trembler. ET LES ROCHERS SE FENDIRENT, par quoi est indiqué qu’aucune puissance ne peut lui résister, 3 R [1 R] 19, 11 : Le Seigneur passe en renversant les montagnes et en broyant les pierres.
2881. LES TOMBEAUX S’OUVRIRENT. Les tombeaux sont des enclos pour les corps morts. Il est ainsi indiqué que [le Christ] a brisé les liens de la mort. Os 13, 14 : Ô mort, je serai ta mort ! Ô enfer, je t’égorgerai ! De même, 1 Co 15, 54 : La mort a été absorbée dans [sa] victoire.
2882. Cela est aussi approprié pour ce qui est de l’effet. La terre tremble lorsque tout ce qui est terrestre est rejeté. Ps 59[60], 4 : Tu as fait trembler la terre et l’as bouleversée. Guéris ses blessures, car elle a été bouleversée. De même, les pierres se fendent lorsque la dureté des cœurs est émue par la compassion. Jr 23, 29 : Mes paroles, à savoir, [celles de] la passion, sont comme le feu et comme un marteau qui broie les pierres. De plus, par le fait que LES TOMBEAUX S’OUVRIRENT, il indique que ceux qui sont morts à cause de leurs péchés doivent ressusciter Ep 5, 14 : Réveille-toi, toi qui dors, et lève-toi d’entre les morts ! Cela est aussi approprié pour celui qui vient juger, car, lorsqu’il viendra, la terre tremblera. Ag 2, 7 : Encore un peu de temps, et je déplacerai le ciel et la terre. De même, les pierres se fendent, car toute élévation des hommes sera abaissée. De même, les tombeaux s’ouvriront, car les morts se présenteront au jugement. Jn 5, 28 : L’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu.
2883. Ensuite le miracle pour ce qui est des hommes est abordé. Premièrement, [Matthieu] aborde la résurrection ; deuxièmement, la manifestation.
Il dit donc : ET LES CORPS DES SAINTS QUI DORMAIENT RESSUSCITÈRENT. À leur sujet, on a coutume de se demander si ceux qui sont ressuscités mourront de nouveau ou ne mourront pas. Il est clair que certains sont ressuscités et sont morts par la suite, comme Lazare. Mais de ceux [dont il est question ici] on peut dire qu’ils sont ressuscités pour ne plus mourir, car ils sont ressuscités pour manifester la résurrection du Christ. Or, il est certain que le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus. De même, s’ils étaient ressuscités [et devaient mourir], cela ne serait pas leur apporter un bienfait, mais plutôt un préjudice. Ils sont donc ressuscités pour entrer au ciel avec le Christ.
2884. ET, SORTANT DES TOMBEAUX, ILS ENTRÈRENT DANS LA VILLE SAINTE. Il faut noter que, bien que ceci soit dit à l’occasion de la mort du Christ, il faut comprendre que cela a été dit par anticipation, car cela est arrivé après la résurrection [du Christ]. En effet, le Christ est le premier-né d’entre les morts, Ap 1, 5. ILS ENTRÈRENT DANS LA VILLE SAINTE, non pas qu’elle fût maintenant sainte, mais elle l’avait été. Is 1, 21 : Comment la ville fidèle est-elle devenue une prostituée, prête pour le jugement ? Ou bien, on l’appelle sainte parce que des choses saintes y étaient accomplies. Ou bien, selon Jérôme, DANS LA VILLE SAINTE, c’est-à-dire céleste, parce qu’ils ont accompagné le Christ dans la gloire. ET ILS APPARURENT À BEAUCOUP DE GENS. De même que le Christ a le pouvoir de se manifester à qui il veut, de même faut-il comprendre [la même chose] des corps des saints.
2885. MAIS LE CENTURION, etc. Ici il s’agit de l’effet des miracles : premièrement, sur les païens ; deuxièmement, sur les femmes, en cet endroit : IL Y AVAIT DE NOMBREUSES FEMMES [27, 55].
À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, un examen attentif est présenté ; deuxièmement, une crainte ; troisièmement, une véritable confession de foi issue de la crainte.
2886. [Matthieu] dit donc : LE CENTURION ET CEUX QUI AVEC LUI GARDAIENT JÉSUS, EN VOYANT LE TREMBLEMENT DE TERRE ET CE QUI ARRIVAIT, FURENT SAISIS D’UNE GRANDE CRAINTE. Chez Luc, il est dit que cette frayeur venait du fait que le Christ avait expiré en criant. Ici, on dit que c’est EN VOYANT LE TREMBLEMENT DE TERRE. Augustin dit qu’il n’est pas facile d’apporter une solution, à moins qu’on ne dise : ET CE QUI ARRIVAIT. Ce [centurion] signifie le peuple païen qui, par suite d’une crainte salutaire, a confessé le Seigneur. Ainsi Os 2, 24 : Je dirai à celui qui n’était pas mon peuple : «Tu es mon peuple.» Et lui me dira : «Tu es mon Dieu.» Is 26, 18 : Devant ta face, Seigneur, nous avons conçu et engendré un esprit de salut.
2887. Puis
une vraie confession est présentée, en cet endroit : VRAIMENT, CELUI-LÀ
ÉTAIT LE FILS DE DIEU ! Par cela Arius est confondu, lui qui ne confesse
pas que celui qui réside au ciel est vraiment le Fils de Dieu, lui que le
centurion a confessé lors de sa mort. 1 Jn 5, 20 : Celui-ci
est vraiment le Fils de Dieu et la vie éternelle.
2888. Vient ensuite la dévotion des femmes : IL Y AVAIT LÀ DE NOMBREUSES FEMMES, etc. Elles sont d’abord décrites par référence au passé, puis, au présent.
À ce propos, il faut considérer qu’alors que les gens se retiraient, les femmes restèrent, si bien que s’accomplit ce qui est dit, Is 1, 2 : Il n’est pas resté un homme avec moi. Mais il fait remarquer qu’il est dit qu’elles restèrent loin. Jn 19, 25 dit qu’elles se tenaient près de la croix, etc. Augustin dit qu’il se peut qu’il y ait eu d’autres femmes qui se tenaient près et d’autres, loin, si ce n’était qu’il est dit aux deux endroits que Marie Madeleine en faisait partie. Il faut donc dire autre chose : de même qu’on parle de peu et de beaucoup de manière relative, de même [en est-il] pour ce qui est proche et éloigné, et de même qu’on peut parler de peu et de beaucoup par rapport à des choses diverses, de même [en est-il pour] ce qui est proche et éloigné. Il faut donc considérer que le centurion et les païens étaient proches de la croix, mais que les femmes venaient après eux, et les foules [étaient] beaucoup plus éloignées. Ainsi, selon qu’on les compare diversement, elles étaient [à la fois] proches et éloignées : éloignées, si on les compare au centurion et aux païens ; proches, si on les compare aux foules. Ou bien, on peut dire qu’elles se tinrent d’abord près, mais que, lorsque [Jésus] rendit l’esprit, elles se tinrent éloignées.
2889. Notez aussi que [Matthieu] dit qu’ELLES L’AVAIENT SUIVI DEPUIS LA GALILÉE EN LE SERVANT. En effet, lui, que les anges servaient, a permis que des femmes le servent. En cela, il a donné un enseignement aux apôtres qui viendraient après lui, qu’ils devaient recevoir des biens temporels de ceux à qui ils administraient des biens spirituels. Telle était anciennement la coutume que les docteurs reçoivent le nécessaire des gens bons à qui ils enseignaient. Mais Paul, parce qu’il prêchait aux païens, chez qui on ne trouvait pas cette coutume, afin de ne pas paraître prêcher pour de l’argent, ne voulut pas recevoir [de biens temporels].
2890. PARMI LESQUELLES SE TROUVAIENT MARIE MADELEINE ET MARIE, MÈRE DE JACQUES, etc. Elvidius a pris occasion de ce texte pour errer, lui qui dit que Jésus était né de la semence de Joseph. À cela Jérôme répond qu’il y a eu deux Jacques : [Jacques] le Majeur, qui est appelé le frère de Jean, et [Jacques] le Mineur, qui était le fils d’Alphée, dont la mère était aussi la mère de Joseph. Ainsi, celle qui était la mère de Jacques le Majeur n’était pas la mère de Jacques le Mineur, car on ajoute aussitôt : ET LA MÈRE DES FILS DE ZÉBÉDÉE.
2891. Mais que veut dire : « Marie de Cléophas » et « Marie d’Alphée » ? Jérôme donne la solution : il se peut que cette Marie ait eu un mari qui portait deux noms ; il s’appelait donc Cléophas et Alphée. Ou bien, on peut dire que [Marie] épousa d’abord Cléophas et, après la mort de celui-ci, épousa Alphée. Ou bien, on peut dire que Cléophas était le père et que la mère était appelée Salomé, car Marc dit : Et de Salomé. Salomé est donc un nom de femme. L’erreur du maître dans la Glose sur [l’épître] aux Galates, chapitre 2, est donc claire, car il dit que c’est un nom d’homme, de même que [l’erreur] du maître de l’Histoire, car le grec porte Salômê, une terminaison féminine qui ne se rencontre nulle part au masculin.
2892. LE SOIR VENU, etc. Dans cette section, il est d’abord question de la sépulture ; deuxièmement, de la vénération ; troisièmement, de la garde. Le second point [se trouve] en cet endroit : PRENANT LE CORPS, IL L’ENVELOPPA DANS UN LINCEUL PROPRE [27, 59] ; le troisième point, en cet endroit : LE LENDEMAIN, etc. [27, 62].
À propos du premier point, la condition de celui qui fit la sépulture est présentée ; deuxièmement, sa demande.
2893. Quatre
traits sont présentés : LE SOIR VENU (car il fallait que [le corps] soit
enlevé pour ne pas rester [sur la croix] le jour du sabbat), SE PRÉSENTA UN
HOMME RICHE D’ARIMATHIE. Il est décrit par sa richesse, car il était riche.
Si 31, 8 : Bienheureux le riche qui s’est trouvé sans tache,
qui n’a pas couru après l’or et qui n’a pas mis son espérance dans des réserves
d’argent ! Mais pourquoi [Matthieu] dit-il qu’il était RICHE ? Il
faut dire qu’il ne le dit pas pour en faire l’éloge et par vantardise, mais
parce qu’il pouvait ainsi obtenir de Pilate ce qu’un pauvre n’aurait pas pu
[obtenir]. Il est aussi décrit par son lieu de naissance, car il était
D’ARIMATHIE, qui est la même chose que Ramatha, qui était la ville de Samuel.
Celle-ci indique ce qui est élevé, et [cet homme] était élevé. [Il est aussi
décrit] par son nom, JOSEPH, qui signifie «celui qui grandit». [Il est encore
décrit] par sa religion : IL ÉTAIT LUI AUSSI UN DISCIPLE DE JÉSUS, car il
n’avait pas abandonné la foi. Jn 13, 31 : Si vous demeurez
dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples.
2894. Il est ensuite question de la demande : premièrement, la demande est présentée ; deuxièmement, l’exaucement.
IL ALLA TROUVER
PILATE ET LUI RÉCLAMA LE CORPS DE JÉSUS. Il est félicité d’être allé trouver
[Pilate].
Vient ensuite l’exaucement : ALORS PILATE ORDONNA QU’ON LUI REMÎT LE CORPS.
2895. Suit la sépulture : JOSEPH PRIT DONC LE CORPS ET L’ENVELOPPA DANS UN LINCEUL PROPRE. Il est question du culte et de la sépulture. Du culte : ce fut un culte simple, car [il l’enveloppa] d’une simple linceul. Ainsi, selon Jérôme, un culte funéraire trop élaboré est blâmable.
Selon le mystère, trois choses sont indiquées par ce linceul. Premièrement, il est indiqué que la chair du Christ est pure. En effet, [ce linceul] était fait de lin, qui était blanchi à la suite de plusieurs passages au pressoir. De même, la chair du Christ est-elle parvenue à la pureté de la résurrection en passant par beaucoup de souffrances. Lc 24, 46 : Il fallait ainsi que le Christ souffre et ressuscite le troisième jour. Ou bien, il indique l’Église qui n’a ni tache ni ride [Ep 5, 27]. Et cela est indiqué par ce linceul qui est tissé de plusieurs fils. De même, [ce linceul] indique la conscience pure dans laquelle le Christ repose.
2896. ET IL LE MIT DANS UN TOMBEAU NEUF. [Matthieu] dit quatre choses à propos de ce tombeau. Premièrement, il appartenait [à Joseph d’Arimathie]. Il était plutôt approprié que celui qui était mort pour les péchés des autres soit enseveli dans le tombeau des autres. [Matthieu] dit aussi : NEUF, car si d’autres corps y avaient été déposés, on n’aurait pas su qui était ressuscité. Il dit aussi qu’il était EN PIERRE, et non pas un tombeau construit de plusieurs pierres, afin que soit écartée toute calomnie. Mais pourquoi n’[était-il pas] sous terre ? C’était pour éviter qu’on ne crût que les disciples avaient retiré [le corps] en passant par des cavernes souterraines. Il dit encore qu’IL ROULA UNE GRANDE PIERRE : grande au point qu’elle ne pouvait être roulée par un petit nombre [de personnes], surtout alors que des gardes se trouvaient présents.
2897. Vient ensuite la dévotion des femmes. Ainsi, les femmes, qui l’aimaient plus intensément, l’avaient suivi jusqu’au sépulcre. On dit donc : IL Y AVAIT LÀ MARIE MADELEINE ET UNE AUTRE MARIE. Marie de Zébédée, qui n’était pas là, n’est pas nommée, parce qu’elle ne [l’]aimait pas aussi intensément.
2898. LE LENDEMAIN, etc. Ici, il est question de la garde du sépulcre. [Matthieu] fait trois choses : premièrement, la demande est formulée ; deuxièmement, la permission ; troisièmement, l’exécution.
À propos du premier point, le moment est présenté, la cause, puis la demande et le danger menaçant.
2899. Le moment est présenté : LE LENDEMAIN, QUI ÉTAIT LE JOUR APRÈS LA PARASCÈVE. Parascève veut dire «préparation». Ainsi, parce que les Juifs ne faisaient rien durant le sabbat, ils faisaient la préparation le jour précédent, qu’on appelait donc «parascève». De sorte que, même si elle avait un certain caractère solennel, c’était cependant une observance moins grande que le sabbat. Ils ne préparaient donc rien le jour du sabbat conformément au commandement, Ex 16, 22, par lequel le Seigneur ordonna de cueillir le vendredi de la manne pour deux jours.
2900. ALORS LES GRANDS PRÊTRES, etc. Ils étaient donc nombreux à vouloir le persécuter, car il ne leur suffisait pas de l’avoir persécuté jusqu’à la mort, mais aussi après la mort. Ils voulaient donc empêcher la résurrection.
2901. Mais pourquoi SE RÉUNIRENT-ILS ? La cause vient ensuite : SEIGNEUR, NOUS NOUS SOMMES SOUVENUS QUE CET IMPOSTEUR. Ils l’appellent IMPOSTEUR. Jn 7, 12 : Certains parmi eux disaient qu’il était bon, mais les autres, non, qu’il séduisait les foules. JE RESSUSCITERAI LE TROISIÈME JOUR. Ils tenaient cela de ce que [Jésus] avait dit plus haut, 12, 40 : Comme Jonas a été pendant trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, de même le Fils de l’homme sera-t-il trois jours et trois nuits au cœur de la terre. La partie est prise pour le tout, comme on l’a expliqué plus haut [des trois jours et des trois nuits].
2902. Une demande est aussi présentée : ORDONNE DONC QUE LE TOMBEAU SOIT GARDÉ. Cette préoccupation des Juifs vient au service de notre certitude. Ainsi donc, plus ils avaient l’intention de nuire, plus cela profitait au salut des croyants. Jb 5, 13 : Il a emprisonné les sages dans leur astuce, parce que ce qu’ils projettent, le Seigneur le change en autre chose.
Ensuite, l’intention
de la demande est présentée : DE CRAINTE QUE SES DISCIPLES NE VIENNENT, NE
LE VOLENT ET NE DISENT AU PEUPLE : «IL EST RESSUSCITÉ DES MORTS.» En cela
ils ont prophétisé. Ils ont donc davantage péché, car ils avaient vu des choses
étonnantes, et cependant ils ne croyaient pas qu’il pouvait ressusciter.
2903. Vient ensuite la permission : PILATE LEUR DIT : «VOUS AVEZ UNE GARDE», c’est-à-dire : «Placez une garde», comme s’il disait : «Il vous appartient de le garder.»
2904. Suit l’exécution : ILS PARTIRENT
DONC ET S’ASSURÈRENT DU SÉPULCRE EN SCELLANT LA PIERRE ET EN PLAÇANT DES
GARDES. Il ne suffit donc pas qu’ils placent des gardes, mais il fallait qu’ils
scellent [la pierre]. Et il ne leur suffisait pas que les soldats le
fassent : il fallait qu’eux-mêmes scellent [la pierre].
Ps 21, 17 : Le conseil des méchants m’a assiégé.
Leçon unique [Matthieu 28, 1‑20] 28, 1 Après le soir du sabbat, alors que le jour
commençait à poindre, Marie Madeleine et l’autre Marie vinrent donc visiter le
tombeau. 28, 2 Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre :
l’ange du Seigneur descendit du ciel. Il s’approcha et roula la pierre et il
s’assit sur elle. 28, 3 Il ressemblait à l’éclair, et ses vêtements
étaient comme la neige. 28, 4 En le voyant, les gardes furent saisis
d’effroi et ils devinrent comme morts. 28, 5 Mais l’ange prit la parole et
dit aux femmes : «Ne craignez pas, vous : je sais bien que vous
cherchez Jésus, qui a été crucifié. 28, 6 Il n’est pas ici, car il est
ressuscité comme il l’a dit. Venez et voyez l’endroit où le Seigneur avait été
déposé, 28, 7 et allez vite dire à ses disciples qu’il est ressuscité. Il
vous précédera en Galilée. C’est là que vous le verrez, comme il vous l’a
annoncé.» 28, 8 Elles quittèrent aussitôt le tombeau, dans la crainte et
dans la joie. Aussitôt, elles coururent porter la nouvelle aux disciples.
28, 9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre : «Je vous salue»,
dit-il. Elles s’approchèrent et étreignirent ses pieds en se prosternant devant
lui. 28, 10 Alors Jésus leur dit : «Ne craignez pas ; allez
annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée, et là ils me
verront.»
28, 11 Tandis qu’elles s’en allaient, voici que quelques
hommes de la garde vinrent en ville rapporter aux grands prêtres tout ce qui
s’était passé. 28, 12 Ils tinrent une réunion avec les anciens et, après
avoir délibéré, ils donnèrent aux soldats une forte somme d’argent, 28, 13
avec cette consigne : «Vous direz ceci : “Ses disciples sont venus de
nuit et l’ont dérobé tandis que nous dormions.” 28, 14 Si cela vient aux
oreilles du gouverneur, nous l’amadouerons et nous vous épargnerons tout
ennui.» 28, 15 Mais eux, ayant pris l’argent, agirent comme on le leur
avait dit et cela a été rapporté parmi les Juifs jusqu’à ce jour.
28, 16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en
Galilée, à la montagne que Jésus leur avait désignée. 28, 17 Et quand ils
le virent, ils se prosternèrent ; d’autres cependant doutèrent.
28, 18 S’avançant, Jésus leur dit : «Tout pouvoir m’a été donné au
ciel et sur la terre. 28, 19 Allez donc faire des disciples de toutes les
nations, en les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
28, 20 en leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Voici
que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du temps.»
2905. Après avoir achevé les sacrements de la passion du Seigneur, l’évangéliste traite du triomphe de la résurrection du Seigneur. [Cette section comporte] des divisions : premièrement, il montre comment les disciples ont appris la résurrection par l’ouïe ; deuxièmement, comment [ils l’ont apprise] par la vue, de sorte que, par l’ouïe et la vue, ils en donnent un témoignage certain.
À propos du premier point, on présente comment [ils l’ont apprise] en écoutant les femmes ; deuxièmement, comment [ils l’ont apprise] des gardes. Le second point [se trouve] en cet endroit : TANDIS QU’ELLES S’EN ALLAIENT, VOICI QUE QUELQUES GARDES VINRENT EN VILLE [28, 11].
2906. À propos du premier point, [l’évangéliste] fait deux choses : premièrement, il dit comment les femmes l’ont apprise de l’ange ; deuxièmement, comment [elles l’ont apprise] en voyant le Christ, en cet endroit : ELLES SORTIRENT AUSSITÔT DU TOMBEAU [28, 8].
À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, les personnes à qui la révélation a été faite sont présentées ; deuxièmement, l’ange qui fait la révélation ; troisièmement, la révélation. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET VOILÀ QU’IL SE FIT UN GRAND TREMBLEMENT DE TERRE [28, 2] ; le troisième, en cet endroit : MAIS L’ANGE RÉPONDIT ET DIT [28, 5].
En premier lieu, [l’évangéliste] indique le moment ; en second lieu, les personnes.
2907. [Il indique] le moment : LE SOIR DU SABBAT. À ce sujet, il existe un double doute. Le premier [porte] sur le fait que [l’évangéliste] dit : LE SOIR ; le second, sur le fait qu’il dit : [LE JOUR] COMMENÇAIT À POINDRE. Sur ce point, il y a un doute, car Matthieu et Jean semblent se contredire, puisque Jean dit qu’il faisait encore noir.
Que veut donc dire [Matthieu] par : LE SOIR DU SABBAT ? Il y a ici une triple solution. La première est celle de Jérôme : [les femmes] sont venues le soir et le matin. Que l’un dise : LE SOIR, et l’autre : LE MATIN, cela n’est pas le fait d’une discordance, mais de l’empressement des saintes femmes. Bède donne la solution suivante : [les femmes] se mirent en route le soir et arrivèrent le matin. Mais est-ce qu’il y avait une telle distance ? Il dit que non, mais on dit que quelqu’un fait [quelque chose] lorsqu’il se prépare à le faire. On lit cela en Lc 23, 55 : Voyant le tombeau et la façon dont le corps y reposait, elles revinrent préparer des aromates. Elles achetèrent les aromates à la Parascève, se reposèrent le jour du sabbat et, le soir, elles se préparèrent à [utiliser les aromates]. La troisième solution est celle d’Augustin : il dit que c’est la coutume dans la Sainte Écriture de prendre la partie pour le tout. On entend donc par : LE SOIR, toute la nuit du sabbat. Ainsi, LE SOIR DU SABBAT, c’est-à-dire [le soir] qui suivait le sabbat, donc, le soir qui est le commencement du jour qui suivait le sabbat. On lit quelque chose de semblable en Gn 1, 5, lorsqu’on rappelle les œuvres de Dieu : IL Y EUT UN SOIR ET IL Y EUT UN MATIN : PREMIER JOUR. Elles vinrent donc LE SOIR, car c’était la première partie de la nuit. C’est ce que veut dire : ALORS QUE LE JOUR COMMENÇAIT À POINDRE. Le jour ne point pas le soir, car, le soir, il fait noir. Elles vinrent donc lorsque le jour commença à poindre, c’est-à-dire à la première lueur du jour. Notez que les Juifs comptent tous les jours à partir du sabbat. Le jour après le sabbat était donc un dimanche. Et si tu demandes à Augustin pourquoi Matthieu utilise une telle façon de parler, il dit que, le soir, elles préparèrent les aromates et qu’elles vinrent le matin. Cela revient donc au même que [ce que dit] Bède. Mais, selon Jérôme, comment faut-il comprendre ce que [l’évangéliste] dit : ALORS QUE LE JOUR COMMENÇAIT À POINDRE ? Parce que le soir, il fait noir. Il faut savoir que, chez les Juifs, le jour commence le soir [précédent]. La raison en est qu’ils comptaient le jour à partir de la lune. Or, la lune commence à briller le soir. Ce jour commence donc le soir, mais il brille le jour qui suit le sabbat. [On trouve] la même façon de s’exprimer en Lc 23, 54 : Or, c’était la Parascève, et le sabbat pointait.
2908. Cette manière de parler est appropriée au mystère. Premièrement, [pour exprimer] la solennité de la résurrection du Seigneur, car cette nuit fut radieuse. Ps 138[139], 12 : Et la nuit brillera comme le jour. De même, cela convient au rétablissement de l’homme qui a été accompli par le Christ : en effet, dans le premier homme, on était passé du jour à la nuit, à savoir, celle du péché ; et son état a été changé, à savoir qu’il est passé de la nuit au jour. Ep 5, 8 : Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Il est aussi indiqué que tout ce qui était obscur dans la loi et les prophètes a été totalement éclairé par la résurrection du Christ. Une eau ténébreuse dans les nuées de l’air, Ps 17, 12. Cela est éclairé par la résurrection, comme on le lit en Lc 24, 27 : En commençant par Moïse et tous les prophètes, il leur expliqua tout ce qui se rapportait à lui dans les Écritures.
2909. Ensuite, [l’évangéliste] traite des personnes : MARIE MADELEINE ET L’AUTRE MARIE (il faut comprendre : la mère de Jacques). Marc en ajoute une troisième : Et Salomé. Salomé est donc un nom de femme.
Mais ce ne fut pas sans mystère que deux du même nom vinrent [au tombeau]. [Le Seigneur] a donc voulu apparaître d’abord à une femme parce que, de cette manière, le sexe féminin était d’une certaine manière rétabli, car, de même que la femme avait été la première à entendre la mort dans le premier lieu de vie, de même, par une disposition divine, elle fut la première à voir la vie dans un lieu de mort. Si 25, 33 : Le péché est d’abord venu d’une femme. Elles portaient le même nom, car l’unité de l’Église est indiquée par elles : en effet, l’une était issue de Juifs, l’autre de païens, mais maintenant ils sont tous dans l’Église. Ct 6, 8 : Ma colombe est unique. Elles s’appellent aussi Marie : en effet, de même que Marie a conçu un enfant en son sein clos, de même celles-ci ont-elles mérité de voir [le Christ] sortir d’un tombeau fermé.
2910. [ELLES] VINRENT DONC VISITER LE TOMBEAU : par cela, leur dévotion est indiquée, car elles ne pouvaient apaiser leur soif. Comme elles ne pouvaient le voir, elles voulaient au moins voir le tombeau. Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur, plus haut, 6, 21.
2911. ET VOILÀ QU’IL SE FIT UN GRAND TREMBLEMENT DE TERRE. Il est ici question de l’ange qui fait une révélation. Premièrement, la venue de l’ange est abordée ; deuxièmement, son action ; troisièmement, son attitude ; quatrièmement, l’effet. Le second point [se trouve] en cet endroit : IL S’APPROCHA ET ROULA LA PIERRE [28, 2] ; le troisième, en cet endroit : ET IL S’ASSIT SUR ELLE [28, 2] ; le quatrième, en cet endroit : EN LE VOYANT, LES GARDES FURENT SAISIS D’EFFROI [28, 4].
À propos du premier point, la venue de l’ange est d’abord indiquée ; deuxièmement, la cause de sa venue est abordée, en cet endroit : L’ANGE DU SEIGNEUR DESCENDIT DU CIEL [28, 2].
2912. [Matthieu] dit donc : ET VOILÀ QU’IL SE FIT UN GRAND TREMBLEMENT DE TERRE. Cela était approprié et était dû à une cause liée au texte. Selon Chrysostome, la raison était que [les femmes] étaient venues de nuit ; il se peut donc qu’elles se soient endormies. Pour les réveiller, IL SE FIT UN GRAND TREMBLEMENT DE TERRE, afin de les réveiller. Jérôme dit qu’on avait touché quelque chose de l’humanité [du Christ] ; il fallait donc toucher quelque chose de [sa] divinité. Ainsi, après qu’il a été question du tombeau, qui relève de [son] humanité, un tremblement de terre se fit afin d’indiquer que celui qui était mort ne pouvait pas être retenu sous terre. Il était libre parmi les morts, Ps 87[88], 6.
2913. Au sens mystique, il y eut deux tremblements de terre, afin que par le premier soit signifié le mouvement des cœurs, car nous avons été libérés du péché par [sa] mort, et par l’autre, le passage à la gloire. Rm 4, 25 : Il a été livré à cause de nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. Et en Ps 59[60], 4 : Tu as ébranlé la terre et tu l’as bouleversée. De même, la résurrection [du Christ] est une certaine préfiguration de la résurrection à venir, car, dans [la résurrection] à venir, la terre tremblera. Ps 75[76], 9 : La terre a tremblé puis s’est calmée, lorsque Dieu s’est levé pour juger.
2914. Et pourquoi ? On ajoute : L’ANGE DU SEIGNEUR DESCENDIT DU CIEL. Si la terre n’a pu supporter un ange, elle pourra encore moins [supporter] l’avènement du Christ pour le jugement. Et [Matthieu] dit : [L’ANGE] DESCENDIT, car, même si l’ange n’est par circonscrit dans un lieu, il est cependant défini par un lieu pour ce qui est de son action. Un certain mouvement lui convient donc. Il convient aussi que la résurrection soit annoncée par un ange, tant pour la gloire de celui par qui elle arrive, comme le dit Paul en Ac 13, 30 : Dieu l’a ressuscité des morts (car les anges sont des serviteurs), que pour indiquer la dignité de celui qui ressuscite. Il est dit de lui, plus haut, 4, 11, que les anges s’approchèrent et le servaient. Cela convient aussi, car, par la résurrection, les réalités célestes étaient unies aux réalités terrestres.
2915. Ensuite, l’action de l’ange est présentée : IL S’APPROCHA ET ROULA LA PIERRE. Et ceci, à la lettre, afin d’ouvrir la voie aux femmes, car, en réalité, le Christ était déjà ressuscité. En effet, de même qu’il était sorti d’un sein clos, de même [était-il sorti] d’un tombeau scellé. Cela a donc été fait pour que ce soit mis en évidence pour les femmes. IL ROULA donc, c’est-à-dire qu’il roula de nouveau, afin de montrer la gloire de celui qui ressuscitait. Ce roulement signifiait la manifestation de la loi, qui avait été écrite sur des tables de pierre.
2916. Ensuite, l’attitude [de l’ange] est présentée : premièrement, par sa position assise ; deuxièmement, par son aspect ; troisièmement, par son vêtement.
Par sa position assise, car IL S’ASSIT, non pas parce qu’il était fatigué, mais pour indiquer qu’il était le docteur de la résurrection du Seigneur. Être assis est aussi le propre de ceux qui se reposent. Par là est indiqué le repos que [le Christ] obtint par sa résurrection dans la gloire. Rm 6, 9 : Le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus : la mort n’aura plus de prise sur lui. De même, s’asseoir est le propre de celui qui domine. Ps 109[110], 1 : Le Seigneur dit à mon Seigneur : «Siège à ma droite.» Et cet [ange] s’assied SUR LA PIERRE, c’est-à-dire sur le Diable, pour indiquer que [le Christ] dominait déjà la mort et le Diable.
2917. IL RESSEMBLAIT À L’ÉCLAIR. Ici, [l’ange] est décrit par son aspect et, par là, il est clair qu’il est apparu sous la forme d’un corps qu’il avait pris. Mais pourquoi : À L’ÉCLAIR ? Parce que de même que l’éclair brille, de même les anges ont-ils la connaissance. Dn 10, 6 : Et ses yeux sont comme des torches. Or, c’est le Christ qui illumine tout homme qui vient dans ce monde, Jn 1, 9. Aussi, l’éclair est terrifiant ; de même en est-il de l’aspect de l’ange. Ainsi, en Lc 1, 9, il est dit que Zacharie fut effrayé à la voix de l’ange.
2918. Il est aussi décrit par son vêtement : SES VÊTEMENTS ÉTAIENT COMME LA NEIGE, par quoi [est signifiée] la pureté des justes. Au sens mystique, la gloire de la résurrection est indiquée. Ap 3, 5 : Le vainqueur sera revêtu de vêtements blancs. La pureté de la vie [est] aussi indiquée. Si 9, 8 : Ses vêtements sont toujours blancs. Remarque aussi que [Matthieu] dit que SON ASPECT RESSEMBLAIT À L’ÉCLAIR ET SES VÊTEMENTS À LA NEIGE, parce que, lors du jugement, il sera terrible pour les méchants et bienveillant pour les bons. Jn 16, 22 : Je vous verrai, et votre cœur se réjouira.
2919. EN LE VOYANT, LES GARDES FURENT SAISIS
D’EFFROI. Ici est présenté l’effet de l’apparition, car la crainte s’est
emparée de leur cœur, et à juste titre, car ils servaient avec une mauvaise
conscience, et la malice est toujours craintive, Sg 17, 10. ET
ILS DEVINRENT COMME MORTS, eux qui voulaient retenir le Christ dans la mort
autant qu’ils le pouvaient. Is 33, 3 : Les gens s’enfuirent à
la voix de l’ange.
2920. MAIS L’ANGE RÉPONDIT ET DIT AUX FEMMES, etc. Vient ensuite l’annonce de la résurrection. Premièrement, [l’ange] réconforte les femmes ; deuxièmement, il les loue de leurs efforts ; troisièmement, il indique la joie ; quatrièmement, il leur donne l’ordre d’annoncer [la résurrection].
2921. [Matthieu] dit donc : MAIS L’ANGE PRIT LA PAROLE, etc. Mais à quoi répond-il ? À l’intention des femmes. On ne lit pas qu’elles aient dit quoi que ce soit à cause de la crainte : en effet, il se fait que l’homme est toujours troublé par l’apparition d’un ange, que ce soit un ange bon ou un [ange] mauvais qui apparaisse, car la nature humaine est fragile. Mais comme le dit le bienheureux Antoine, si l’ange est bon, il laisse toujours l’homme consolé, comme il est clair, dans l’apparition à Zacharie et à la Vierge Marie, qu’il a été dit aux deux : Ne crains pas, Lc 1, 30. [L’ange] réconforte donc celles-ci de la même manière. Si [l’ange] laisse l’homme désolé, il est clair que ce n’était pas un ange bon.
2922. [L’ange] dit donc : NE CRAIGNEZ PAS, VOUS, comme s’il disait : «Vous n’avez pas à craindre, car vous aimez le Christ.» Vous n’avez pas reçu un Esprit de crainte, Rm 8, 15. En effet, [l’ange] ne réconforte pas les gardes parce qu’ils n’en étaient pas dignes. JE SAIS BIEN QUE VOUS CHERCHEZ JÉSUS, QUI A ÉTÉ CRUCIFIÉ. Mais est-ce que les anges connaissent les pensées ? Il semble que non. Jr 17, 9 : Le cœur de l’homme est mauvais et impénétrable : qui le connaîtra ? Moi, le Seigneur, qui scrute les reins et mets les cœurs à l’épreuve. Il faut dire que [les anges] ne connaissent pas [les pensées], sinon par une révélation divine ou par un signe, car on signale fréquemment sa volonté par des gestes corporels. VOUS CHERCHEZ JÉSUS. [L’ange] le nomme pour montrer qu’il s’agit du même. De même : QUI A ÉTÉ CRUCIFIÉ. Par là, il insinue leur peu de foi, car elles le cherchaient dans le lieu de sa mort, et elles croyaient qu’il pouvait être retenu par la mort.
2923. Alors, [l’ange] annonce la résurrection : IL EST RESSUSCITÉ, à savoir, par sa propre puissance. Ps 3, 6 : J’ai dormi et je me suis reposé, puis je me suis levé parce que le Seigneur m’a accueilli. [L’ange] prouve cela en rappelant la parole de Dieu : COMME IL L’A DIT, car, plus haut, 20, 19, il avait dit : Je ressusciterai le troisième jour. En effet, la parole du Seigneur ne peut faire défaut. [L’ange] [l’]indique aussi par la vue : VENEZ ET VOYEZ L’ENDROIT OÙ LE SEIGNEUR AVAIT ÉTÉ DÉPOSÉ. Elles virent donc la pierre qui avait été roulée, mais elles ne virent pas le Christ, parce qu’il était ressuscité, alors que le tombeau était fermé.
2924. Puis, [l’ange] leur confie la charge de l’annoncer : ALLEZ VITE DIRE À SES DISCIPLES QU’IL EST RESSUSCITÉ. Il indique trois choses : premièrement, qu’elles annoncent la résurrection [aux disciples] ; deuxièmement, l’endroit ; troisièmement, qu’elles promettent [aux disciples] qu’ils le verront.
2925. Et comme la première femme s’était d’abord adressée au Diable, de même la première s’est-elle adressée à l’ange, afin que tout soit rétabli. Deuxièmement, [l’ange] indique le lieu : IL VOUS PRÉCÉDERA EN GALILÉE. Et pourquoi d’abord en Galilée ? Car il n’a pas d’abord été vu en Galilée, mais à Jérusalem. Mais pourquoi [l’ange] parle-t-il plutôt de Galilée ? Pour montrer que [Jésus] était le même que celui qui avait eu l’habitude de vivre en Galilée. C’était aussi afin qu’ils soient délivrés de la crainte, car ils étaient plus en sécurité en Galilée qu’en Judée. Ou bien, au sens mystique, Galilée signifie «passage», et [la Galilée] peut indiquer le passage aux païens.
2926. VOUS LE VERREZ donc EN GALILÉE, c’est-à-dire que «vous annoncerez mon nom aux païens». Ils n’auraient pas fait cela si [le Seigneur] ne les avait pas précédés. C’EST LÀ QUE VOUS LE VERREZ, COMME IL VOUS L’A ANNONCÉ. Ainsi, la parole du Seigneur est tellement puissante qu’il ne pouvait pas en être autrement.
2927. Mais ici se pose une question sur le texte, car on dit ici que [les femmes] virent [l’ange] assis sur la pierre ; chez un autre évangéliste, qu’après être entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite. Augustin donne une solution : elle eurent deux fois la vision d’un ange. Il est donc possible qu’elles en aient vu un à l’extérieur et un autre à l’intérieur. Ou bien, on peut dire qu’il ne s’agit pas seulement d’une pierre taillée, mais qu’il y avait là un matériau qui faisait partie du tombeau. Ainsi, ce que dit Marc : Après être entrées dans le tombeau, ne doit pas s’entendre de la pierre [qui avait été roulée], mais de l’espace qui faisait partie [du tombeau]. Et cela est clair, car il est dit ici qu’ELLES QUITTÈRENT AUSSITÔT LE TOMBEAU DANS LA CRAINTE ET DANS LA JOIE, etc.
2928. Plus haut, la résurrection a été annoncée aux femmes ; ici, elle est confirmée par le Christ, et l’évangéliste fait trois choses : premièrement, les femmes sont décrites ; deuxièmement, l’arrivée du Christ ; troisièmement, la charge d’annoncer [la résurrection] est confiée. Le second point [se trouve] en cet endroit : ET VOICI QUE JÉSUS VINT À LEUR RENCONTRE [28, 9] ; le troisième, en cet endroit : NE CRAIGNEZ PAS, etc. [28, 10].
Dans la première partie, il faut relever trois choses dignes d’intérêt : premièrement, l’état des femmes ; deuxièmement, leurs sentiments ; troisièmement, leur intention.
2929. Leur état est abordé lorsqu’il est dit : ELLES QUITTÈRENT AUSSITÔT LE TOMBEAU. Pour ce qui est du sens littéral, le tombeau ne signifie pas une pierre taillée, mais un espace renforcé d’une certaine protection. Selon le sens mystique, le tombeau est le lieu des morts, et par là est indiqué l’état de péché. Ps 87[88], 6 : Blessés, ils dormaient dans les tombeaux. De sorte que quitter le tombeau, c’est sortir du péché. 2 Co 6, 17 : À cause de cela, éloignez-vous d’eux, etc. Et remarquez que [l’évangéliste] dit : AUSSITÔT, car il faut aussitôt sortir du péché. Si 5, 8 : Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, et ne reporte pas de jour en jour.
2930. Un
double sentiment est aussi touché : la crainte et la joie. La crainte, à
cause de la vision de l’ange ; la joie, à cause de la résurrection. La
crainte vient de la fragilité humaine, la joie, de la vision divine.
Ps 29[30], 6 : Le soir, les pleurs se sont installés ;
mais, au matin, la joie. Le pécheur doit ainsi craindre. Si 5,
5 : Ne sois pas sans craindre à la suite du péché pardonné. Mais il
doit se réjouir de l’espérance de la résurrection. Ps 2, 11 : Servez
le Seigneur dans la crainte, et exultez en tremblant.
2931. Puis,
[Matthieu] aborde les sentiments [des femmes] : ELLES COURURENT PORTER LA
NOUVELLE AUX DISCIPLES, etc. Et cela convient aux pécheurs, car ils doivent
courir et se hâter de progresser dans le bien. 1 Co 9, 24 :
Courez donc afin d’obtenir [la couronne]. Et He 4, 11 : Hâtons-nous
d’entrer dans ce repos.
[Matthieu]
aborde aussi leur bonne intention, car [le Seigneur] a voulu que ce qu’elles
avaient reçu, elles le communiquent aux autres. 1 P 4, 10 :
Que chacun communique aux autres la grâce qu’il a reçue.
2932. ET VOICI QUE JÉSUS VINT À LEUR RENCONTRE. Ici est présentée l’apparition du Christ : premièrement, l’apparition est présentée ; deuxièmement, la salutation ; troisièmement, la révérence des femmes.
2933. [Matthieu] dit donc : ET VOICI QUE JÉSUS VINT À LEUR RENCONTRE. C’est à juste titre qu’il dit : IL VINT À LEUR RENCONTRE, car il se présente sans qu’on l’ait espéré en donnant la grâce. Sg 6, 14 : Il s’établit d’avance chez ceux qui le désirent, afin de se montrer à eux en premier. Is 64, 5 : Tu es venu au-devant de celui qui se réjouissait et accomplissait la justice. [Jésus] les salue aussi : JE VOUS SALUE. En grec, «Je vous salue» [khairété] indique la joie. C’est ainsi qu’on a dit plus haut qu’elles allaient dans la joie. La joie spirituelle sera donc toujours accrue chez les justes, et cela, par la conversation spirituelle. Ps 84[85], 5 : J’écouterai ce que Dieu dira en moi. C’étaient là des paroles de consolation, car de même que la première femme avait entendu la malédiction, de même ces femmes ont-elles entendu la bénédiction, et la bénédiction répond à la malédiction.
2934. Puis,
ELLES S’APPROCHÈRENT ET ÉTREIGNIRENT SES PIEDS EN SE PROSTERNANT DEVANT LUI.
Elles s’approchèrent donc, étreignirent ses pieds et l’adorèrent. Ainsi, l’âme
du pécheur ne doit pas recevoir la grâce de Dieu en vain, et cela est indiqué
par le fait qu’ELLES S’APPROCHÈRENT. Ps 33[34], 6 : Approchez-vous
de lui, et vous serez illuminés. Ils doivent aussi s’attacher à lui
solidement, et cela est indiqué par le fait qu’ELLES ÉTREIGNIRENT SES PIEDS.
Dt 33, 3 : Ceux qui s’approchent de ses pieds recevront son
enseignement. [Matthieu] aborde aussi la révérence [des femmes] lorsqu’il
dit : ELLES SE PROSTERNÈRENT DEVANT LUI, car elles le reconnurent comme Dieu.
Ps 131[132], 7 : Nous nous prosternerons à l’endroit que ses
pieds ont touché.
2935. Mais une question peut se poser, car, en Jn 21, 12, il est dit : Ne me touchez pas ! mais ici il est dit qu’ELLES ÉTREIGNIRENT SES PIEDS. Il faut donc comprendre qu’elles l’ont vu deux fois, et qu’une fois elles ont vu un seul ange, comme le dit Augustin, et, une autre fois, deux. Mais ce fut aussi le cas pour le Christ. En premier lieu, Marie Madeleine éplorée le vit, comme on le lit en Jn 20, 14. Mais, par la suite, il vint au-devant d’elles alors qu’elles s’approchaient. Mais Marie Madeleine n’a pas pu d’abord le tenir. Selon Augustin, c’est parce qu’elle douta d’abord et n’en était donc pas digne. Mais, une fois rassurée, elle devint digne de toucher le Christ, afin que son contact extérieur concorde avec [son contact] intérieur.
2936. Ensuite, [le Seigneur] leur confie la charge d’annoncer [sa résurrection]. Au moment où il fait cela, il inspire d’abord la crainte et, en second lieu, il confie la charge, en cet endroit : ALLEZ ANNONCER À MES FRÈRES [28, 10].
[Matthieu] dit donc : ALORS JÉSUS DIT : «NE CRAIGNEZ PAS.» Cela est arrivé de manière appropriée, car ceux qui sont assignés à la fonction de prêcher ne doivent pas craindre. Ainsi, en envoyant ses disciples, le Seigneur leur dit : NE CRAIGNEZ PAS. Il existe une double crainte : [la crainte] servile et [la crainte] initiale, et cette dernière est bonne. Ps 118[119], 120 : Perce ma chair de ta crainte. [Le Seigneur] dit donc : JE VOUS SALUE, afin d’accroître en eux la charité. Mais parce que la charité parfaite rejette la crainte, 1 Jn 4, 18, il dit donc : NE CRAIGNEZ PAS.
2937. En premier lieu, il confie la charge d’annoncer ; deuxièmement, il montre la charité parfaite qu’il a à leur endroit.
La charge d’annoncer [la résurrection] est confiée à des femmes de sorte que, comme la femme a apporté à l’homme des paroles de mort, en sens inverse, il convenait que la femme fût l’annonciatrice du salut. En premier lieu, l’annonce est abordée ; en second lieu, l’endroit de l’apparition.
2938. [Le Seigneur] dit donc : ALLEZ ANNONCER À MES FRÈRES. Et pourquoi dit-il : À MES [FRÈRES] ? Pour démonter la vérité de sa nature. En effet, comme il était sorti du tombeau et était apparu glorieux, on aurait pu croire qu’il n’avait pas pris une chair véritable. Il dit donc : À MES FRÈRES. C’était aussi en raison de la similitude de grâce, car il a voulu être notre frère en vue de notre justification. Rm 8, 29 : Afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Frères, et donc cohéritiers : Héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. Rm 8, 17. Ainsi, une fois qu’ils ont acquis l’héritage, il les appelle frères.
2939. ILS DOIVENT SE RENDRE EN GALILÉE. Ces paroles semblent vouloir dire qu’il est d’abord apparu en Galilée. [Matthieu] ne mentionne pas les autres apparitions, mais Bède dit qu’il est apparu dix fois. [Il est apparu] cinq fois le jour même de la résurrection : en premier lieu, à Marie Madeleine, Jn 20, 14 ; en second lieu, les deux fois que Matthieu aborde ici ; en troisième lieu, il est apparu à Pierre : comment et quand, on ne le dit pas, mais le fait n’est pas passé sous silence, Lc 24, 12 ; en quatrième lieu, [il est apparu] aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs ; en cinquième lieu, il est apparu à tous les disciples, sauf Thomas. Après ces [apparitions], il y en eut encore cinq autres : la première après celles-là eut lieu lorsqu’il apparut le huitième jour [après la résurrection] à tous les disciples ainsi qu’à Thomas ; la seconde , lorsqu’il est apparu à l’occasion de la pêche, quand Pierre dit : Je vais pêcher, Jn 21, 3 ; une autre fois, dont il est fait mention ici ; une autre, lorsqu’il leur reproche leur manque de foi ; la dernière, au mont des Oliviers, lorsqu’il monta au ciel, Mc 16, 14. Il y eut cependant d’autres [occurrences], comme le raconte Paul en 1 Co 15, 5‑8.
2940. Mais que signifie le fait que l’ange comme le Christ disent : IL VOUS PRÉCÉDERA EN GALILÉE ? Chrysostome dit qu’il dit cela parce qu’ils avaient l’habitude de vivre là. C’était aussi pour qu’ils s’y sentent en sécurité et l’attendent en sécurité. Toutefois, Augustin dit que, selon le mystère, Galilée signifie «passage». [Le Seigneur] indique donc le passage aux païens, ou [le passage] de ce monde à la gloire. L’Apôtre [dit] en 2 Co 5, 6 : Alors que nous sommes dans ce corps, nous cheminons loin du Seigneur.
2941. ALORS QU’ELLES S’EN ALLAIENT, VOICI QUE QUELQUES [HOMMES], etc. Il s’agit ici de l’annonce qui a été faite par les gardes. Premièrement, [Matthieu] présente l’annonce ; deuxièmement, l’empêchement, en cet endroit : ILS TINRENT UNE RÉUNION AVEC LES ANCIENS, etc. [28, 12].
[Matthieu] dit donc : ALORS QU’ELLES S’EN ALLAIENT, etc. Pourquoi [les gardes] attendirent-ils si longtemps ? Il faut dire ce qu’on a déjà dit : LES GARDES FURENT TERRIFIÉS DE PEUR. Peut-être le Seigneur a-t-il fait cela pour qu’ils ne molestent pas les femmes.
VOICI QUE QUELQUES GARDES VINRENT EN VILLE POUR ANNONCER AUX GRANDS PRÊTRES [CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ]. Et pourquoi aux grands prêtres ? Parce qu’ils les connaissaient bien, et aussi parce qu’ils avaient été payés par eux. Néanmoins, ils portèrent la nouvelle à Pilate. À Pilate, etc. POUR ANNONCER. Il avait déjà été indiqué que la résurrection du Christ serait manifestée par la bouche des Gentils.
2942. Puis, la malice de ceux qui font obstacle est présentée. Premièrement, la malice des grands prêtres est présentée ; deuxièmement, la corruption des gardes ; troisièmement, celle du peuple.
À propos du premier point, quatre choses contribuent à accroître la malice [des grands prêtres]. Premièrement, leur réunion. [Matthieu] dit donc : CEUX-CI SE RÉUNIRENT AVEC LES ANCIENS, etc., car il n’y en pas seulement un seul. Dn 12, 5 : L’iniquité est venue des anciens du peuple. De même, leur malice est accrue par le fait qu’ils ne firent pas cela par faiblesse, mais par malice ou après avoir méchamment délibéré. Tel est le conseil des impies, dont parle Ps 1, 1 : Bienheureux l’homme qui ne s’est pas joint au conseil des impies. Ils ont aussi pratiqué la fraude, car ils ont dépensé l’argent offert en proférant un mensonge. Ils savaient donc ce [que dit] Qo 10, 19 : L’argent fait obéir tout le monde. Comme le dit Jérôme, ceux-ci sont semblables à ceux qui vendent les biens ecclésiastiques pour se donner du plaisir.
2943. [Ils ont aussi accru leur malice] en les persuadant de mentir : premièrement, ils les persuadent ; deuxièmement, ils leur promettent l’impunité.
Ils les persuadent de mentir : DITES : «SES DISCIPLES SONT VENUS DE NUIT ET L’ONT DÉROBÉ.» Jr 9, 5 : Ils ont enseigné à leur langue à mentir. Ps 26[27], 12 : L’iniquité se ment à elle-même. Et, à la vérité, comme le dit Jérôme, ils ont menti, car les disciples étaient tellement sous le choc qu’ils n’avaient pas osé se rendre [au tombeau]. De même, s’ils avaient dû s’y rendre, ils s’y seraient rendus le premier jour, alors qu’il n’y avait pas de gardes. Cela est aussi clair, puisqu’ils laissèrent le linceul : s’ils l’avaient dérobé, ils n’auraient pas laissé [le linceul]. Il apparaît aussi que, puisqu’il avait été enseveli avec des aromates, le linceul adhérait comme [sous l’effet] de la colle ; ils auraient donc pu difficilement l’enlever. De plus, la pierre était grande ; ils n’auraient donc pas la dégager sans beaucoup d’aide et beaucoup de bruit. Augustin argumente de la manière suivante : «Ou bien ils sont venus alors que vous étiez de garde, ou alors que vous dormiez. Si vous étiez de garde, pourquoi ne les avez-vous pas repoussés ? Si vous dormiez, comment les avez-vous vus ?» Il apparaît ainsi que c’était un mensonge.
2944. [Les grands prêtres] promettent ensuite l’impunité. [Les gardes] auraient pu dire : «Nous serons punis si le gouverneur en entend parler.» On dit donc : SI CELA VIENT AUX OREILLES DU GOUVERNEUR, NOUS L’AMADOUERONS ET NOUS VOUS ÉPARGNERONS TOUT ENNUI. Et comment pouvaient-ils faire cela ? Il faut dire que le gouverneur ne s’intéressait pas beaucoup [à cela]. Ils savaient aussi qu’il ne punirait [les gardes] que sur leur demande. Ils savaient donc, etc. Par là est indiquée la prévoyance du Diable.
2945. MAIS EUX, AYANT PRIS L’ARGENT, AGIRENT COMME ON [le] LEUR AVAIT DIT. Il n’est pas étonnant que les soldats aient été corrompus par l’argent, car un des disciples [du Seigneur] avait été corrompu. Si 10, 9 : Pour l’avare, rien n’est plus désirable que l’argent. ET CELA A ÉTÉ RAPPORTÉ : et non seulement jusqu’au moment où cela fut écrit, mais jusqu’à maintenant.
2946. QUANT AUX ONZE DISCIPLES, ILS SE RENDIRENT EN GALILÉE, etc. Plus haut, on a entendu comment les disciples avaient appris la résurrection par la révélation des femmes ; ici, [comment ils l’ont apprise] en voyant [le Seigneur]. Et [le texte] se divise, car, en premier lieu, l’apparition du Christ est présentée ; en second lieu, la consigne de celui qui apparaissait. Le second point [se trouve] en cet endroit : S’AVANÇANT, JÉSUS LEUR DIT [28, 18].
À propos du premier point, [Matthieu] fait trois choses : premièrement, l’endroit où la vision eut lieu est décrit ; en deuxième lieu, la vision ; en troisième lieu, la charge.
2947. [Matthieu] dit donc : QUANT AUX ONZE DISCIPLES, car, obéissant au Christ, ILS SE RENDIRENT EN GALILÉE. Il faut comprendre qu’il dit : ONZE, parce que Judas était parti. Jn 6, 71 : Je vous ai choisis, vous les Douze, et l’un d’entre vous est le Diable.
2948. Mais il faut remarquer deux choses : le Christ est vu en Galilée, et [il est vu] sur la montagne. La Galilée signifie «passage». Il est indiqué par cela que personne ne peut voir Dieu à moins d’opérer un double passage : celui du vice à la vertu, plus haut, 5, 8 : Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ; celui de la mortalité à l’immortalité, comme le dit l’Apôtre, Ph 1, 23 : Je suis partagé entre deux désirs : le désir de mourir et d’être avec le Christ. De même [le Seigneur] a-t-il été vu sur la montagne pour indiquer que celui qui veut voir Dieu doit tendre à l’élévation de la justice. Ps 83[84], 3 : Ils iront de vertu en vertu. Le fait que [le Seigneur] soit sur la montagne signifie aussi l’excellence à laquelle il a été élevé par sa résurrection, car, alors qu’il était dans le monde, il était dans la vallée de la mortalité, et il a escaladé la montagne de l’immortalité par la résurrection. Is 2, 2 : Il sera élevé sur le pic des montagnes, et les nations afflueront vers lui. Notez qu’il leur apparaît À L’ENDROIT QU’IL AVAIT DÉSIGNÉ, par quoi est indiquée l’obéissance, car seuls ceux qui obéissent accèdent à la vision divine. Jn 14, 15 : Si vous m’aimez, vous observerez mes commandements, puis vient ensuite : Et je vous aimerai, et je me manifesterai à vous. Ps 118[119], 104 : Tes commandements m’ont fait comprendre, c’est-à-dire grâce à l’observance des commandements. Ainsi, sous la loi ancienne, personne n’avait pu escalader cette montagne, mais la [loi] nouvelle compense. Et il était nécessaire qu’il leur apparût parce que, en tant que témoins, on devait en prendre un si grand soin. Mais [le Seigneur] a fourni des témoins qui non seulement ont entendu, mais ont vu. 1 Jn 1, 2 : Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu…, nous l’attestons.
2949. Mais une question se pose : quand cette apparition a-t-elle eu lieu ? Selon ce que dit Augustin, ce ne fut pas le premier jour où il est ressuscité, car, le soir, il y eut une vision à laquelle Thomas n’était pas présent. De même, ce ne fut pas au cours de l’octave ou le huitième jour, car [les disciples] demeurèrent à Jérusalem pendant huit jours. Nous ne pouvons pas dire non plus que ce fut aussitôt après les huit jours, car nous contredirions Jean, qui dit que, lorsqu’il se manifesta au lac de Tibériade, Jésus s’était déjà manifesté trois fois. Or, [l’apparition] présente n’est pas la troisième, mais elle a eu lieu après cette troisième [apparition].
2950. ET QUAND ILS LE VIRENT. Il faut remarquer que, parmi ceux qui contemplent les grandes œuvres de Dieu, il y en a deux sortes. Certains les considèrent avec respect. Ainsi Abraham dit, Gn 18, 27 : Je parlerai à mon Seigneur, même si je suis cendre et poussière. Et Jb 9, 14 : Qui suis-je pour lui répondre et parler avec lui avec mes mots ? Vient ensuite : Je me reprends donc, et je fais pénitence dans la poussière et dans la cendre. Ce respect se trouve aussi chez les anges. Ap 7, 1 : Tous les anges se prosternaient face contre terre devant son trône, et ils adoraient Dieu. Cela s’explique par le fait que, plus quelqu’un le connaît, plus il le révère. Mais certains se tournent vers l’infidélité : en effet, ils veulent que tout soit égal à leur intelligence, de sorte que ce qu’ils ne comprennent pas, ils le blasphèment.
Il en fut donc ainsi des disciples, car, QUAND ILS LE VIRENT, ILS SE PROSTERNÈRENT. Ps 31[32], 7 : Nous adorerons à l’endroit où ses pieds se sont posés. D’AUTRES CEPENDANT DOUTÈRENT, à savoir que le Seigneur se laissa toucher, comme il est dit en Lc 24, 39.
2951. S’AVANÇANT, JÉSUS LEUR DIT. Ici est présentée une instruction donnée par le Christ. Trois choses doivent être considérées : premièrement, il annonce son pouvoir ; deuxièmement, il leur confie une fonction ; troisièmement, il promet son aide à venir. Le second point [se trouve] en cet endroit : ALLEZ DONC FAIRE DES DISCIPLES DE TOUTES LES NATIONS [28, 19] ; le troisième, en cet endroit : VOICI QUE JE SUIS AVEC VOUS TOUS LES JOURS [28, 20].
2952. [Matthieu] dit donc : S’AVANÇANT, JÉSUS LEUR DIT. Les disciples étaient divisés, car certains révéraient [le Seigneur], mais d’autres doutaient. Ils avaient donc besoin des deux choses : qu’il se manifeste à eux et qu’il les réconforte. Il s’est ainsi avancé vers tout le peuple. Is 9, 2 : Le peuple des Gentils qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. [Le Seigneur] a aussi annoncé son pouvoir : TOUT POUVOIR M’A ÉTÉ DONNÉ AU CIEL ET SUR LA TERRE. Comme le dit Jérôme, «le pouvoir a été donné à celui qui avait auparavant été crucifié par le peuple».
2953. Or, la puissance de Dieu n’est rien d’autre que sa toute-puissance, et celle-ci n’a pas été donnée au Christ, car elle ne convient pas au Christ selon son humanité. Quelque chose lui convient selon qu’il est homme et quelque chose selon qu’il est Dieu. Ainsi, dans le Christ, selon qu’il est homme, se trouvent la science, la volonté et le libre arbitre. De même en est-il selon qu’il est Dieu. Il y a donc une double volonté dans le Christ : [une volonté] créée et [une volonté] incréée. On peut donc soutenir qu’il existe en lui une double puissance, une double science, etc. La question est donc : pourquoi, alors que toute connaissance lui a été communiquée, la toute-puissance ne le [lui] a-t-elle pas été ?
2954. La raison est la suivante. La science et la connaissance se réalisent par l’assimilation de celui qui connaît à ce qui est connu, car il suffit que les espèces des choses connues soient d’une certaine manière dans celui qui connaît, soit qu’il les connaisse par leur essence, soit qu’elles soient infuses, soit qu’elles soient reçues des choses. Quel que soit le mode, cela suffit à la connaissance. Il n’est donc pas nécessaire que [celui qui connaît] soit l’essence de toutes choses, mais qu’il soit capable de toutes. Telle est la façon d’exister d’une réception infinie, comme c’est le cas de la matière première. Mais la puissance active suit l’acte, car elle agit dans la mesure où elle est en acte. Ainsi, celui qui possède la toute-puissance active possède une puissance portant sur l’acte de toutes choses. Or, cela n’existe pas à moins qu’il ait une puissance infinie, ce qui ne convient pas au Christ en tant qu’homme, mais seulement en tant qu’il est Dieu.
2955. Que veut-il donc dire lorsqu’il dit : TOUT POUVOIR M’A ÉTÉ DONNÉ AU CIEL ET SUR LA TERRE ? Il faut noter, selon Hilaire, que le don peut être interprété soit quant à la divinité, car le Père a de toute éternité communiqué son essence au Fils ; et parce que son essence est sa puissance, Il lui a donc donné sa puissance. Ou bien, [le don] peut être mis en rapport avec le Christ selon son humanité. Mais il faut comprendre que l’humanité du Christ a reçu quelque chose en vertu de la grâce de l’union, et toutes ces choses sont propres à Dieu ; mais elle a [aussi] reçu quelque chose qui découle de l’union, comme la plénitude de la grâce et les choses de ce genre, et cela est comme un effet de l’union. Jn 1, 14 : Nous l’avons vu, le Fils unique du Père plein de grâce et de vérité. Pour tout ce qui se trouve dans le Christ en vertu de la grâce de l’union, il ne faut donc pas qu’on parle de tout d’une manière double, mais [c’est le cas] des autres choses qui en découlent. Je dis donc que la puissance est donnée, non pas parce qu’une autre puissance [lui] a été donnée, mais parce qu’elle lui a été donnée selon qu’elle est unie au Verbe en tant que Fils de Dieu par nature, mais au Christ en vertu de la grâce de l’union.
2956. Mais pourquoi [le Seigneur] dit-il : TOUT POUVOIR M’A ÉTÉ DONNÉ, après la résurrection plutôt qu’avant la résurrection ? Il faut dire que, dans l’Écriture, on dit que quelque chose arrive lorsqu’on en prend connaissance pour la première fois. Ainsi donc, avant la résurrection, [sa] toute-puissance n’était pas aussi manifeste, bien qu’il l’eût possédée ; mais, [après la résurrection], elle fut manifestée au plus haut point, alors qu’il pouvait convertir le monde entier.
2957. Nous pouvons donner une autre interprétation : la puissance signifie un honneur lié à la préséance, comme nous le disons des hommes qui exercent les fonctions de podestats. La puissance s’entend ici de cette façon. Car il est clair que le Christ qui, depuis l’éternité, exerçait [sa] royauté sur le monde en tant que Fils de Dieu en a reçu la mise en œuvre par [sa] résurrection, comme s’il disait : «Maintenant, je la possède effectivement.» On lit à ce sujet en Dn 7, 26 : Il siégera en jugement, afin que la puissance disparaisse, qu’elle soit broyée et dépérisse jusqu’à la fin du monde. Que le règne, le pouvoir et l’élargissement du royaume soient donnés au peuple des saints du Très-Haut, dont le règne est éternel, et que tous les rois le servent et lui obéissent ! On comprend donc qu’il s’agit d’une présidence effective, comme si le Fils était élevé à l’exercice d’un pouvoir qu’il possédait naturellement. Ap 5, 12 : Parce qu’il a été immolé, l’Agneau est digne de recevoir la puissance et la divinité.
2958. ALLEZ DONC ENSEIGNER À TOUTES LES NATIONS. Ici, [le Seigneur] confie une charge, et il confie une triple charge : premièrement, celle d’enseigner ; deuxièmement, celle de baptiser ; troisièmement, la charge de former les mœurs.
2959. [Le Seigneur] dit donc : ALLEZ DONC ENSEIGNER À TOUTES LES NATIONS. Ceci s’enchaîne de la manière suivante, comme s’il disait : «Tout pouvoir m’a été donné par Dieu, afin que, non seulement les Juifs, mais aussi les Gentils soient convertis à moi. Puisque c’est maintenant le moment, ALLEZ DONC ENSEIGNER À TOUTES LES NATIONS.» Jn 20, 21 : Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Et Lc 22, 29 : Moi, je dispose pour vous du royaume comme mon Père en a disposé pour moi. Il dit : ALLEZ ENSEIGNER, car c’est la première chose dont nous devons être instruits, à savoir, la foi : en effet, sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu, He 11, 6. De là vient que, dans l’Église, on catéchise d’abord ceux qui doivent être baptisés, c’est-à-dire qu’on les instruit de la foi. Après avoir reçu tout pouvoir, [le Seigneur] envoie [ses disciples] vers toutes les nations. C’est ce qu’il dit : ENSEIGNEZ TOUTES LES NATIONS. Is 49, 6 : Je t’ai donné comme lumière des nations, afin que tu sois mon salut jusqu’aux extrémités de la terre.
2960. Et après qu’ils ont été instruits de la foi, il donne la charge de les baptiser : EN LES BAPTISANT, etc., comme s’il disait : «Celui qui est promu à [cette dignité], il faut d’abord qu’on lui fasse connaître cette dignité, afin que, par la suite, il ait du respect à son endroit.» Ga 3, 27 : Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, revêtez le Christ. Mais quelle est la forme du baptême ? AU NOM DU PÈRE ET DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT. Dans le Christ, il y a deux choses : l’humanité et la divinité. L’humanité est le chemin, et non la fin. Jn 14, 6 : Je suis le chemin, la vérité et la vie, la vérité, comme fin de la vie contemplative, la vie, comme fin de la vie active. «Je ne veux pas que vous vous arrêtiez en route, c’est-à-dire à l’humanité, mais que vous poursuiviez jusqu’à la divinité.» Il fallait donc que deux choses soient indiquées : l’humanité et la divinité. Par le baptême, l’humanité [était signifiée]. Rm 6, 4 : En effet, nous sommes ensevelis avec lui dans la mort par le baptême. Et par la forme des paroles, la divinité [est signifiée], en sorte que la sanctification se réalise par la divinité. C’est pourquoi il dit : «AU NOM DU PÈRE ET DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT ».
2961. La raison en est que, par le baptême, s’opère une régénération et que, pour une régénération, trois choses sont nécessaires. Premièrement, pour qui elle se réalise ; deuxièmement, par qui [elle se réalise] ; troisièmement, comment [elle se réalise].
Pour qui ? Pour Dieu le Père, comme le dit l’Apôtre, Rm 8, 29 : Ceux qu’il a prédestinés, il a prédestiné qu’ils seraient conformes à l’image de son Fils. Et Jn 1, 12 : Il a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu à ceux qui croient en son nom. Par qui ? Par le Fils. Ga 4, 4 : Il a envoyé son Fils…afin que nous recevions l’adoption des fils, car, par l’adoption, nous sommes fils à l’image de celui qui est Fils par nature. Comment ? Nous avons reçu le don de l’Esprit Saint. Rm 8, 15 : Nous n’avez pas reçu un Esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu l’Esprit d’adoption des fils de Dieu. Il fallait donc que soient mentionnés le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ceux-ci se trouvaient au baptême du Christ, car le Fils était celui par qui, le Père celui de qui, et le Saint-Esprit était [représenté] par la colombe.
2962. [Le Seigneur] dit : AU NOM, c’est-à-dire par l’invocation du nom et par la puissance du nom, car [celui-ci possède une puissance]. Jr 14, 9 : Car tu es en nous, Seigneur, et ton nom a été invoqué sur nous pour que tu ne nous abandonnes pas. Il dit aussi : AU NOM, et non : «Aux noms.» Sont ainsi confondues les hérésies qui n’accordent pas d’importance au fait qu’il dise : AU NOM DU PÈRE ET DU FILS. Or, Arius est confondu par le fait qu’il dise au singulier : AU NOM. Il faut noter que, dans l’Église primitive, on était baptisé au nom du Christ, et cela afin de rendre le nom vénérable. Mais est-ce que maintenant cela suffirait ? Je crois que non, car l’invocation expresse de la Trinité est requise. Dans le Christ, la Trinité est contenue implicitement. Il a ainsi introduit [cette formule] pour les instruire en vue du baptême.
2963. Mais l’Apôtre dit à l’encontre de cela que Dieu ne l’a pas envoyé baptiser, mais évangéliser, en baptisant par l’intermédiaire d’autres, comme le Christ ne baptisait pas [lui-même], mais [par] ses disciples.
2964. EN LEUR APPRENANT À OBSERVER TOUT CE QUE JE VOUS AI PRESCRIT. Mais suffit-il au salut de croire et d’être baptisé ? Non, car l’instruction portant sur les mœurs est aussi nécessaire. [Le Seigneur] dit donc : EN LEUR APPRENANT À OBSERVER TOUT CE QUE JE VOUS AI PRESCRIT. Ps 118[119], 4 : Tu as prescrit d’observer rigoureusement tes commandements. Et il dit : QUE JE VOUS AI PRESCRIT, et non : Que je vous ai conseillé. C’est ce qu’[il dit] plus haut, 10, 27 : Ce que je vous dis, je le dis pour tous.
2965. Puis
il présente le troisième point : VOICI QUE JE SUIS AVEC VOUS TOUS LES
JOURS JUSQU’À LA CONSOMMATION DU TEMPS. Ici il promet une aide, comme s’il
répondait à eux qui disaient : «Tu ordonnes que nous enseignions à tous,
mais nous ne suffisons pas.» «Ne craignez pas, JE SUIS AVEC VOUS.» Remarquez
que, de même que l’ordre d’aller vers tous est formulé, de même une aide
est-elle offerte, car il promet aux apôtres et aux autres qui font la même
chose. Ainsi, lui-même dit en priant le Père : «Je ne le demande pas
seulement pour eux, c’est-à-dire les disciples, mais aussi pour ceux qui
croiront en moi à cause de leur parole.» Il promet donc d’une manière
générale à tous, Jn 14, 12 : Celui qui croit en moi fera lui
aussi les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes.
2966. [Son aide s’étend] aussi à l’ensemble du temps ; c’est pourquoi il dit : TOUS LES JOURS JUSQU’À LA CONSOMMATION DU TEMPS. Il ne dit pas cela comme si, ensuite, il ne sera avec nous que jusqu’à la consommation du temps, mais parce que, par la consommation, nous serons alors dans la gloire. Ap 21, 3 : Voici la demeure de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux. Et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera leur Dieu. Ainsi est-il dit, en Is 7, 14, que son nom sera Emmanuel, qui veut dire «Dieu parmi nous», jusqu’à la consommation du temps, comme s’il disait : «La génération des fidèles est plus forte que le monde.» En effet, le monde ne périra pas avant que tout ne soit accompli, à savoir, que l’Église des fidèles soit achevée et que le nombre des élus soit complété par Dieu en vue de la vie éternelle, auquel [appartiennent] honneur et puissance dans tous les siècles des siècles. Amen.
Fin du commentaire de saint Thomas
Alexandre (de
Halès) : 813.
Ambroise (saint
Ambroise de Milan, Docteur) : 22. 30. 31. 34. 46. 72. 73. 75. 76. 103. 104.
117. 312. 313. 432. 549. 596. 792. 836. 842. 1129. 1293. 2617.
Anselme (saint
Anselme de Cantorbéry, Docteur) : 867. 889.
Apollinaire :
20.
262. 1031. 2707.
Apollonius : 2865.
Aristote : 529. 531. 563.
664. 676. 685. 729. 1328. 1429. 1649. 1762. 1811. 1819. 2018. 2076. 2095. 2649.
Arius : 579. 1084.
1356. 1362. 2044. 2125. 2291. 2457. 2706. 2707. 2708. 2786. 2869. 2887.
Augustin (Saint
Augustin, Docteur) : 27. 54. 62. 72. 88. 96. 111. 116. 119. 133. 171.
179. 184. 185. 188. 244. 245. 247. 254. 265. 278. 284. 333. 335. 339. 378. 379.
406. 408. 463. 471. 488. 519. 520. 521. 533. 535. 545. 558. 567. 568. 580. 599.
601. 603. 614. 626. 641. 642. 652. 654. 668. 669. 672. 677. 678. 682. 683. 690.
691. 693. 717. 718. 724. 746. 747. 750. 752. 754. 756. 762. 763. 764. 771. 775.
779. 784. 794. 797. 802. 813. 814. 817. 819. 822. 829. 830. 831. 832. 833. 834.
839. 840. 848. 862. 864. 868. 887. 890. 894. 895. 900. 905. 906. 907. 910. 913.
915. 921. 923. 931. 934. 943. 944. 959. 960. 970. 971. 975. 976. 977. 984. 999.
1014. 1018. 1041. 1047. 1067. 1098. 1120. 1126. 1131. 1132. 1137. 1139. 1168.
1182. 1185. 1201. 1205. 1206. 1231. 1235. 1260. 1307. 1319. 1335. 1339. 1346.
1357. 1395. 1444. 1446. 1447. 1448. 1449. 1457. 1459. 1475. 1476. 1483. 1489.
1495. 1501. 1526. 1546. 1547. 1548. 1551. 1562. 1573. 1575. 1582. 1587. 1597.
1604. 1607. 1620. 1631. 1641. 1656. 1684. 1703. 1737. 1747. 1774. 1790. 1813.
1845. 1853. 1910. 1934. 1958. 1977. 1978. 1979. 1981. 1982. 1992. 2017. 2055.
2056. 2060. 2071. 2077. 2080. 2116. 2125. 2134. 2168. 2169. 2259. 2264. 2272.
2278. 2284. 2298. 2378. 2397. 2398. 2411. 2420. 2425. 2433. 2446. 2450. 2451.
2458. 2470. 2471. 2482. 2487. 2493. 2503. 2508. 2511. 2513. 2530. 2573. 2584.
2591. 2602. 2603. 2617. 2619. 2620. 2621. 2625. 2638. 2640. 2641. 2650. 2651.
2658. 2669. 2687. 2696. 2698. 2710. 2710. 2728. 2730. 2744. 2775. 2782. 2787.
2803. 2807. 2808. 2836. 2862. 2876. 2879. 2886. 2888. 2927. 2935. 2949.
Avicenne : 2420.
Basile (saint
Basile de Césarée, Docteur) : 727. 728. 730.
Bède (saint Bède le
Vénérable, Docteur) 708. 714. 721. 723. 737. 738. 743. 744. 761. 772. 776.
779. 2907. 2939.
Bernard (saint
Bernard de Clervaux, Docteur) : 741. 2788.
Cassiodore : 750.
Chrysostome (Saint
Jean Chrysostome, Docteur) : 30. 62. 72. 93. 94. 99. 105. 118. 139. 157. 160. 172.
192. 207. 224. 231. 279. 294. 311. 314. 322. 329. 335. 338. 343. 360. 368. 372.
389. 426. 428. 434. 470. 476. 482. 514. 516. 550. 563. 592. 598. 622. 627. 650.
656. 671. 675. 684. 689. 694. 702. 705. 732. 734. 741. 749. 757. 758. 760. 769.
770. 779. 781. 784. 785. 786. 787. 791. 795. 796. 801. 804. 809. 810. 815. 820.
828. 837. 844. 849. 862. 869. 870. 883. 886. 888. 899. 904. 906. 913. 914. 920.
924. 930. 930. 934. 935. 954. 962. 968. 981. 992. 1005. 1032. 1033. 1040. 1051.
1058. 1066. 1074. 1079. 1140. 1163. 1204. 1213. 1234. 1292. 1297. 1306. 1383.
1440. 1450. 1456. 1461. 1466. 1489. 1501. 1508. 1533. 1545. 1574. 1587. 1601.
1604. 1607. 1620. 1626. 1629. 1658. 1669. 1677. 1690. 1696. 1709. 1759. 1761.
1802. 1857. 1868. 1871. 1872. 1885. 1895. 1897. 1929. 1931. 1938. 1939. 1943.
1950. 1956. 1960. 1967. 2012. 2015. 2016. 2018. 2022. 2042. 2052. 2059. 2064.
2069. . 2073. 2078. 2087. 2099. 2102. 2109. 2119. 2126. 2130. 2187. 2189. 2197.
2200. 2257. 2261. 2270. 2277. 2295. 2302. 2303. 2308. 2313. 2329. 2353. 2364.
2366. 2375. 2384. 2395. 2408. 2410. 2448. 2464. 2465. 2473. 2492. 2498. 2511.
2566. 2623. 2638. 2639. 2641. 2685. 2694. 2715. 2721. 2761. 2766. 2851. 2861.
2866. 2912. 2940.
Cicéron :
178.
417.
Clément (saint
Clément de Rome, pape) : 1957.
Cyprien (saint
Cyprien de Carthage, Docteur) : 893. 903. 909. 912.
Damascène (saint
Jean Damascène, Docteur) : 885. 1085. 2702. 2707.
2709. 2714.
Denis (pseudo saint Denis l’Aréopagite) : 214, 474, 2865.
Elvidius: 108. 159. 161. 1647. 2890.
Eunomius : 2706.
2787. 1193.
1219.
1238.
1501.
1573s.
1613.
1949.
1960.
2231.
2267.
Euthychès :
945.
Faustus (Fauste)
: 638. 640. 644. 1746.
La glose
interlinéaire sur l’Ecriture Sainte (auteurs divers) : 2. 46. 55. 77.
126. 145. 212. 223. 277. 280. 301. 356. 466. 493. 579. 702. 741. 779. 749. 755.
761. 783. 794. 854. 862. 863. 869. 886. 1118. 1463. 1524. 1852. 1895. 1976.
2445. 2891.
Grégoire (Saint
Grégoire le Grand, pape et Docteur) : 11. 55. 69.
184. 196. 287. 290. 329. 393. 396. 657. 709. 742. 776. 812. 838. 841. 932.
1071. 1292. 1347. 1466. 1517. 1626. 1627. 1630. 1642. 1873. 1878. 1929. 2055.
2072. 2087. 2102. 2103. 2183. 2202. 2220. 2222. 2228. 2422. 2491. 2501. 2527.
2534. 2535. 2564. 2565. 2576. 2590. 2603. 2603. 2785.
Haymon (de Faversham) : 1960.
Hérétiques : Paul de Samosate 23 ; Valentin 23. 89 ;
Elvidius 107.
161.
1647.
2890 ; Théodoret 147 ; priscillianistes 177 ; Pélage 907. 918.
922 ; Novatien 918. 1443 ; euthychiens 945 ; Apollinaire
23.
1031.
2707 ; ariens 1084. 1362. 2044. 2125. 2291. 2457. 2702. 2706. 2707. 2787. 2869. 2887. 2962 ; Porphyre 1083 ; Nestorius 90. 138. 1108.
2869 ; Photin 23. 1031. 1108. 2787 ; « apostoliques »
1201 ; Sabellius 23. 1356. 1361 ; Eunomius 2706. 2787. 1193. 1219. 1238. 1501. 1573s. 1613. 1949. 1960. 2231. 2267.
Hilaire (saint
Hilaire de Poitiers, Docteur) : 231. 337. 344. 391. 551. 623. 694.
779. 1066. 1110. 1145. 1237. 1261. 1334. 1356. 1360. 1430. 1445. 1602. 1604.
1688. 1698. 1829. 1865. 1907. 2102. 2121. 2229. 2411. 2466. 2491. 2493. 2527.
2533. 2535. 2563. 2603. 2663. 2705. 2707. 2717. 2722. 2812. 2955.
Ignace (saint Ignace
d’Antioche, martyr) : 106.
Isidore (Saint
Isidore de Séville) : 736. 886. 891. 930.
Jérôme (Saint
Jérôme, Docteur) : 1. 3. 4. 17. 22. 31. 41. 47. 63. 72. 75. 88. 95. 97.
102. 108. 110. 120. 143. 148. 159. 161. 240. 250. 254. 295. 325. 329. 342. 410.
452. 502. 543. 564. 652. 682. 692. 701. 715. 722. 746. 747. 760. 764. 773. 775.
779. 798. 803. 810. 813. 832. 836. 842. 843. 863. 892. 906. 909. 934. 954. 960.
981. 1005. 1031. 1053. 1066. 1067. 1079. 1105. 1131. 1133. 1202. 1213. 1257.
1317. 1379. 1432. 1456. 1466. 1483. 1487. 1497. 1502. 1550. 1551. 1560. 1597.
1604. 1629. 1669. 1676. 1709. 1737. 1753. 1759. 1762. 1779. 1829. 1856. 1865.
1868. 1904. 1907. 1922. 1928. 1937. 1956. 1957. 1965. 1966. 1980. 1992. 2018.
2031. 2033. 2034. 2042. 2045. 2052. 2063. 2068. 2072. 2080. 2102. 2125. 2168.
2183. 2200. 2206. 2215. 2262. 2265. 2346. 2364. 2366. 2386. 2396. 2424. 2428.
2457. 2463. 2469. 2485. 2491. 2492. 2498. 2503. 2527. 2566. 2608. 2617. 2621.
2626. 2650. 2651. 2686. 2699. 2708. 2717. 2722. 2736. 2751. 2753. 2760. 2784.
2798. 2800. 2807. 2809. 2812. 2831. 2844. 2845. 2862. 2868. 2872. 2884. 2890.
2891. 2895. 2907. 2912. 2942. 2943. 2952.
Lactance : 2075.
Léon (saint Léon le
Grand, pape et Docteur) : 187. 2639.
Maître des Sentences (Pierre Lombard) : 332. 1452.
Mani (Manès): 23. 1183. 2707.
Manichéens : 147. 177. 637. 638. 641. 789. 852. 994. 1031. 1474. 1640. 1690. 1719. 1753. 2032. 2297. 2799.
Martin (saint Martin de Tours) : 1333.
Origène :
120.
812. 906. 1355. 1363. 1840. 1856. 1867. 1909. 1930. 1940. 1955. 1959. 1965.
1985. 1998. 2007. 2024. 2032. 2038. 2054. 2055. 2075. 2079. 2081. 2188. 2221.
2223. 2227. 2279. 2283. 2306. 2335. 2338. 2374. 2385. 2389. 2412. 2421. 2432.
2436. 2441. 2445. 2452. 2454. 2456. 2485. 2486. 2496. 2499. 2501. 2502. 2504.
2505. 2509. 2512. 2513. 2514. 2521. 2526. 2527. 2534. 2535. 2538. 2546. 2549.
2568. 2578. 2582. 2591. 2598. 2602. 2617. 2633. 2720. 2735. 2736. 2768. 2786.
2798. 2799. 2802. 2838. 2844. 2864. 2866. 2868.
Paul de Samosate : 23.
Péripatéticiens : 683.
Photin : 23. 1031.
1108. 2786.
Platon 1203. 1598.
1655.
Pythagore :
565. 1330. 1655.
Raban (Maur) :
118, 120. 149. 181, 187. 295. 311. 315. 409. 426. 655. 704. 723. 744. 748.
753. 776. 779. 821. 836. 851. 852. 853. 886. 891. 892. 930. 1430. 1736. 2432.
Rémi (saint) : 17. 99. 108. 363. 428. 428. 1347.
1534. 1907. 2446. 2639. 2687. 2746. 2801.
Sabellius 21. 1356.
1361.
Sénèque : 992.
Stoïciens : 683.
Symmaque :
908.
Théodoret :
147.
Tullius
(Cicéron) : 178. 417.
Végèce : 403.
Vies des Pères : 784.
Virgile :
147.
-----------------------
ANCIEN TESTAMENT -----------------------
Genèse
1781>Gn 1,3 2907>Gn 1,5 1690>Gn 1,11 1693>Gn 1,22
585>Gn 1,26 950>Gn 1,26
1399>Gn 1,26 1265>Gn 1,26
2014>Gn 1,27 1577>Gn 1,31
2087>Gn 2,15 2876>Gn 2,17
2773>Gn 2 816>Gn 2,15 590>Gn 2,2
856>Gn 2,1 409>Gn 2,17
1223>Gn 3,1s 401>Gn 3,5
2867>Gn 3,8 1904>Gn 3,10
1578>Gn 3,15 2660>Gn 3,17
993>Gn 3,18 1344>Gn 3,19
2744>Gn 3,24 367>Gn 3,24
158>Gn 4,1 2830>Gn 4,10
915>Gn 5,1 857>Gn 6,9
981>Gn 6,5 2460>Gn 6,2
2461>Gn 6,13 1705>Gn 7,17
676>Gn 9,3 2746>Gn 11
17 1052>Gn 12 35>Gn 12,4
1497>Gn 13,8 1647>Gn 13,8
2105>Gn 15,1 707>Gn 15,1
603>Gn 15,1 187>Gn 15,5
533>Gn 15,7 Gn 15,18 2059>Gn 17,1 935>Gn 18,4
1585>Gn 18,25 2236>Gn 18,21
2950>Gn 18,27 1219>Gn 19
1783>Gn 19,17 1887>Gn 19,17
1009>Gn 19,24 21>Gn 20,7
33>Gn 21 2701>Gn 22,5
400>Gn 22,11 2457>Gn 22,12
22>Gn 22,18 1138>Gn 23,6
41>Gn 25,16 2532>Gn 26,13
1845>Gn 28,18 913>Gn 28,20
823>Gn 31,53 254>Gn 35,19
252>Gn 35,19 2820>Gn 37,28
255>Gn 37,30 31>Gn 38,24 1034>Gn 38,27s
2721>Gn 41,32 276>Gn 41,46
68>Gn 41,51 1920>Gn 49,4
169>Gn 49,10 162>Gn 49,18
1419>Gn 49,10 2243>Gn 49,6
2631>Gn 49,6 2690>Gn 49,20
2202>Ex 3,2 371>Ex 3,2 2265>Ex 3,6 1057>Ex 3,7
468>Ex 3,7 283>Ex 3,8
1717>Ex 3,13 1797>Ex 4,10
1232>Ex 4,10 1235>Ex 4,12
2867>Ex 10,22 2164>Ex 12,6
2164>Ex 12,6 2637>Ex 12,18
2643>Ex 12,18 161>Ex 13,12
1828>Ex 13,17 1511>Ex 13,17s
40>Ex 13,18 213>Ex 13,21
1904>Ex 13,21 223>Ex 14,15
1167>Ex 15,11 975>Ex 15,17
2022>Ex 15,23 2440>Ex 16,10
2899>Ex 16,22 934>Ex 17,19
883>Ex 19,17 1899>Ex 19,18
104>Ex 20,2 63>Ex 20,5
2356>Ex 20,5 812>Ex 20,7
1399>Ex 20,10 1734>Ex 20,12
486>Ex 20,12 1508>Ex 20,12
1274>Ex 20,12 675>Ex 20,13
2758>Ex 20,16 679>Ex 21,12
829>Ex 21,24 2128>Ex 22,27
2088>Ex 23 842>Ex 23,5
2165>Ex 23,15 847>Ex 23,22
761>Ex 23,72 2642>Ex 24,3 2682>Ex 24,8
395>Ex 24,18 2088>25,20
2155>Ex 29,35 322>Ex 32,11
2366>Ex 32,34 579>Ex 33,20
1149>Ex 33,2
608>Lv 2,13 719>Lv 2,13 2335>Lv 6,12
20>Lv 8,11 1761>Lv 11,24
1143>Lv 12 1593>Lv 13
1034>Lv 14,2 2843>Lv 16,19s
808>Lv 19,12 668>Lv 19,17
831>Lv 19,18 1734>Lv 20,9
1737>Lv 22,2 1382>Lv 24,5
1382>Lv 24,5 2635>Lv 26,10
2655>Lv 26,10 2781>Lv 26,36
Nombres
40>Nb 1,7 1216>Nb 6,27 2443>Nb 10,2
126>Nb 12,6 2823>Nb 12,6
1649>Nb 12,6 2224>Nb 12,7
2304>Nb 15,38 2336>Nb 18,21
646>Nb 23,19 2550>Nb 23,19
172>Nb 24,17 86>Nb 36,6s
Deutéronome
2249>Dt 1,17 638>Dt 4,2 1731>Dt 4,2 644>Dt 4,2
2105>Dt 4,37 1801>Dt 5,5
1274>Dt 5,16 1904>Dt 5,26
2280>Dt 6,4 2267>Dt 6,4
2546>Dt 6,5 1280>Dt 6,5
2275>Dt 6,5 2304>Dt 6,8
422>Dt 6,16 2286>Dt 6,16
435>Dt 6,16 675>Dt 5,17
2251>Dt 6, 16 1795>Dt 8,3
1778>Dt 8,19 1049>Dt 10,17
1676>Dt 13,3 2336>Dt 14,22
841>Dt 15,11 2297>Dt 17,9
2154>Dt 17,15 1497>Dt 17,15
1835>Dt 18,15 1649>Dt 18,15
2823>Dt 18,10 1901>Dt 18,15
212>Dt 19,5 1981>Dt 19,15
202>Dt 19,15 823>Dt 19,15
829>Dt 19,21 824>Dt 21,1
1983>Dt 21,18 48>Dt 23,3
2598>Dt 23,5 2026>Dt 24
791>Dt 24,1 2774>Dt 25,5s
2258>Dt 25,5s 29>Dt 25,5-10
626>Dt 25,15 336>Dt 25,9
544>Dt 28,1 1051>Dt 28,43
2109>Dt 28,44 2224>Dt 31,27
2205>Dt 31,27 2369>Dt 31,27
1544>Dt 32,1 1108>Dt 32,4
2174>Dt 32,4 1078>Dt 32,4
1058>Dt 32,4 895>Dt 32,4
1922>Dt 32,5 2150>Dt 32,6
2293>Dt 32,7 2680>Dt 32,11
2221>Dt 32,11 1814>Dt 32,15
1920>Dt 32,22 2387>Dt 32,25
677>Dt 32,39 1379>Dt 33
2377>Dt 33,3 518>Dt 33,3
2934>Dt 33,3 1274>Dt 33,8
858>Dt 33,8 1317>Dt 34,10
Josué
1497>Jos 2,12 253>Jos 18,25 557>Jos 15,19 44>Jos 2,21
167>Jos 9,10
387>Jg 3,1
1958>Jg 16,21
Ruth
46>Rt 4,21 49>Rt 4,22
1 Samuel
622>1S1,20 335>1S2,2 1976>1S2,25
1904>1S 4,18 680>1S6,7
906>1S8,7 453>1S9,11
20>1S10,1 400>1S10,1
49>1 S,11,1 1470>1S
12,18 1382>1S 13,8 2770>1S
5>1S13,14 2817>1S
14,44s 363>1S15,23 555>1S16,1
870>1S16,7 931>1S16,7
1216>1S16,7 194>1S15,30
20>1S16,13 943>1S18,21
890>1S18,27 1905>1S19,5‑7
395>1S19,8 434>1S19,10
20>1S19,16 1382>1S
21,6 2092>1S 26,23
2 Samuel
295>2 R 1,8 300>2 R 2,8-11 718>2
R 2,19‑22 21>2 R [2 S] 2,4 31>2 R [2 S] 11,2s 55>2
R [2 S] 12 67>2 R [2 S] 22,2 625>2 R [2 S] 22,29 823>2
R [2 S] 5,3 1030>2 S 5,1s 1069>2 S 19,20 2263>2
R [2 S] 14,17 2737>2 R [2 S] 10,1
1 Rois
2440>1R 8,12 2169>1R 8,27 1481>1R
10,24 1262>1R 13 2170>1R
17,28 1301>1R 18,21 1440>1R 18,21 1323>1R
19,6s 1785>1R 18,21 2880>1R 19,11 1996>1R
20,39 2000>1R 22,22
1470>2R 1,10 1425>2R
1,16 2872>2R 2,11 1831>2R
2,11 1991>2R 5,10 1140>2R
5,11 1199>2R 5,27 1927>2R
13,20s 1897>2R 1,10 1897>2R 16,32 1190>2R
17,24s 2838>2R 18,21
61>1Ch 3,11 77>1Ch 3,17
1996>1Ch 29 2540>1Ch 29,14
1114>2Ch 19,7 2553>2Ch 30,18
1772>2Ch 36 72>2Ch 36,1s
Esdras
2017>Esd 2,4
887>Tb 3,10 1811>Tb 3,22 1053>Tb 4,11
1579>Tb 4,20 1734>Tb 12,3
2535>Tb 12,7 1931>Tb 12,8
887>Jdt
8,6 2117>Jdt 9,1 2703>Jdt 9,16
934>Est 2,12
1718>Est 13,9
2320>2 M 6,4
Job
2386>Jb 1,7s 387>Jb 1,8 1995>Jb 1,8 1405>Jb 1,12
1705>Jb 1,19 1920>Jb
2,6 1088>Jb 2,6 519>Jb 3,1 1936>Jb 3,19
1628>Jb 3,21 1517>Jb 4,8
1573>Jb 4,18 727>Jb 5,3
2902>Jb 5,13 1251>Jb 5,27
1499>Jb 6,15 2623>Jb 6,27
2192>Jb 6,29 392>Jb 7,1
2088>Jb 7,1 2260>Jb 7,10
2105>Jb 8,3 2238>Jb 9,3
2293>Jb 9,3 587>Jb 9,4
2471>Jb 9,11 2767>Jb 9,11
2950>Jb 9,14 335>Jb 9,19
1998>Jb 10,20 1512>Jb 11,5
948>Jb 12,7 1939>Jb 12,11
2561>Jb 12,11 40>Jb 12,16
1511>Jb 13,1 1655>Jb 14,14
2263>Jb 14,14 1723>Jb 14,15
1355>Jb 15,2 2567>Jb 15,2
1864>Jb 15,3 2273>Jb 15,12
2749>Jb 16,10 2776>Jb 16,11
2272>Jb 16,11 2508>Jb 16,20
2571>Jb 16,22 2568>Jb 18,18
1756>Jb 19,4 2257>Jb 19,12
2004>Jb 19,16 1279>Jb 19,25
2359>Jb 19,29 1465>Jb 19,29
313>Jb 19,29 328>Jb 19,29
1459>Jb 20,16 2137>Jb 20,22 723>Jb 20,25 1350>Jb 20,28
1451>Jb 21,13 1014>Jb 21,13
1097>Jb 21,14 2194>Jb 21,14
2039>Jb 22,29 1113>Jb 23,11
2059>Jb 23,11 2052>Jb 23,12
2794>Jb 24,14 2634>Jb 24,15
2486>Jb 24,19 1621>Jb 24,19
1053>Jb 24,19 2240>Jb 24,19
2746>Jb 25,3 2433>Jb 25,11
1050>Jb 25,31 1183>Jb 26,8
1608>Jb 28,2 978>Jb 28,3
1602>Jb 28,17 1654>Jb 28,22
1962>Jb 29,15 966>Jb 29,16
838>Jb 29,17 1772>Jb 30,25
913>Jb 31,17 2594>Jb 31,19
2697>Jb 31,27 2556>Jb 31,23
2202>Jb 31,39 1461>Jb 32,18
1742>Jb 32,21 1898>Jb 32,21
1278>Jb 32,21 2068>Jb 33,11
2210>Jb 34,24 2436>Jb 31,26‑27
2114>Jb 34,17 1103>Jb 34,18
2551>Jb 35,7 937>Jb 35,7
1279>Jb 35,11 2075>Jb 36,6
1739>Jb 36,13 2810>Jb 36,17
2854>Jb 36,17 2434>Jb 36,29
1746>Jb 37,9 434>Jb 38,11
898>Jb 38,28 352>Jb 38,32
299>Jb 38,33 2790>Jb 38,36
1807>Jb 39,5 2696>Jb 40,6
1756>Jb 40,8 387>Jb 40,15
1485>Jb 40,16 1087>Jb 40,22
978>Jb 41,15 2550>Jb 41,15
1519>Jb 41,15[16] 2188>Jb 41,24 1437>Jb 41,24
1004>Jb 41,24 2066>Jb 42,1
324>Jb 42,2 1344>Jb 42,6
1405>Ps 1,1 2243>Ps 1,1 2319>Ps 1,1 2631>Ps 1,1
2942>Ps 1,1 1555>Ps 1,2
2158>Ps 1,3 2210>Ps 1,3
1121>Ps 1,5 2443>Ps 1,5
559>Ps 1,14 1998>Ps 1,21
1913>Ps 2,2 2735>Ps 2,2
2271>Ps 2,2 2611>Ps 2,2
2795>Ps 2,2 2754>Ps 2,2
1367>Ps 2,3 2853>Ps 2,6
376>Ps 2,7 2286>Ps 2,7
1097>Ps 2,8 2207>Ps 2,8
2844>Ps 2,8 2838>Ps 2,8
2930>Ps 2,11 1183>Ps 6[2],14
2923>Ps 3,6 2193>Ps 4,6
1613>Ps 4,7 229>Ps 4,9
586>Ps 4,9 2727>Ps 4,9
2164>Ps 5,8 569>Ps 4,11
719>Ps 5,12 466>Ps 7,7
504>Ps 7,[7‑]8 1104>Ps 7,10 2251>Ps 7,10
2366>Ps 7,12 329>Ps 7,13
963>Ps 7,17 2174>Ps 8,3
2627>Ps 8,8 1798>Ps 8,9
2574>Ps 9,5 1573>Ps 9,9
122>Ps 9,10 420>Ps 9,10
2154>Ps 9,12 1578>Ps 9,20
1150>Ps 10,3 2349>Ps 10,5
2334>Ps 10,5 2370>Ps 10,5
2486>Ps 10[11],6 2003>Ps 10[11],17 2160>Ps 11,2
2560>Ps 11[12],7 2140>Ps 12[13],4 1749>Ps 13[14],1
2349>Ps 13[14],3 613>Ps 13,3 1067>Ps 13[14],3
2556>Ps 13[14],5 533>Ps 15 2551>Ps 15[16],2
1101>Ps 15[16],4 2535>Ps 16[17],11 567>Ps 16,15
82>Ps 17[18],2 1793>Ps 16[17],15 500>Ps 17,5
2908>Ps 17,12 2494>Ps 18[10],62756>Ps 17[18],16 1120>Ps 17,27
2215>Ps 17,43 2844>Ps 17[18],45
186>Ps 18[19],1 731>Ps 18,5 2398>Ps 18[19],5
1604>Ps 18,5 2222>Ps 18,6
2227>Ps 18[19],8 232>Ps 18[19],15 147>Ps 21[22],2
2523>Ps 20[21],4 2457>Ps 21,2 2868>Ps 21[22],2
2861>Ps 21[22],9 2181>Ps 21[22],16 1779>Ps 21[22],17
1521>Ps 21[22],16 1785>Ps 21,16 2661>Ps 21[22],17
2750>Ps 21,17 2904>Ps 21,17
2852>Ps 21[22],18 1696>Ps 21[22],27 2689>Ps 21,27
2790>Ps 21[22],28 1204>Ps 22[23],4 1905>Ps 22[23],4
2232>Ps 23[24],1 2246>Ps 23[24],3 2453>Ps 23,6
2515>Ps 23[24],7 2248>Ps 24[25],4 1176>Ps 24[25],16
754>Ps 25,6 2829>Ps 25,6
974>Ps 26[27],4 1230>Ps 25[26],4 2245>Ps 25[26],4
551>Ps 26,13 1814>Ps 26[27]
1470>Ps 27[28],3 1630>Ps 26[27],4 80>Ps 26[27],9
2190>Ps 26[27],12 2943>Ps 26[27],12 208>Ps 27,3
2738>Ps 27[28],3 Ps 29[30],6 2097>Ps 29[30],6 2930>Ps 29[30],6
203>Ps 30[31],5 2723>Ps 30,10 82>Ps 30[31],15
988>Ps 30[31],20 1443>Ps 31[32],1 1036>Ps 31[32],5
1033>Ps 31[32],8 1226>Ps 31[32],9 2454>Ps 32,6
2950>Ps 31[32],7 1759>Ps 31[32],9 2151>Ps 31[32],19
1331>Ps 32[33],1 402>Ps 32,6 2009>Ps 32[33],9
1108>Ps 32[33],9 439>Ps 33,6 2042>Ps 33,6
2779>Ps 33[34],6 518>Ps 33,6 1529>Ps 33,6
582>Ps 33,9 2586>Ps 32[33],9
2934>Ps 33[34],6 123>Ps 33[34],8 494>Ps 34,18
514>Ps 34,18 1214>Ps 34[35],15
1026>Ps 33[34],19 2491>Ps 33[34],9 1577>Ps 33[34],6
1745>Ps 33,6 1611>Ps 33[34],6
1543>Ps 35,4 1556>Ps 35,4
572>Ps 35,6 516>Ps 35,7
621>Ps 35,7 1024>Ps 35[36],7
1971>Ps 35,7 1003>Ps 36,
1783>Ps 35[36],7 1622>Ps 35[36],10 1836>Ps 35[36],10
550>Ps 36,11 2744>Ps 36,14
1224>Ps 37[38],3 1394>Ps 37[38],3 1365>Ps 37,5
2043>Ps 36[37],27 2744>Ps 36[37],15 2690>Ps 36[37],24
2115>Ps 37[38],12 1872>Ps 37,15 1301>Ps 37[38],8
1026>Ps 37[38],10 2751>Ps 37[38],12 2815>Ps 37[38],14
2831>Ps 37,18 2763>Ps 38[39],2
1422>Ps 38[39],3 1627>Ps 38[39],4 2076>Ps 38[39],4
2052>Ps 38[39],5 918>Ps 38[39],14 2721>Ps 39[40],9
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2114>Ps 40[41],10 2647>Ps 40[41],10 646>Ps 40,14
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Ecclésiaste
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941>Pr 20,27 2154>Pr 20,28
2640>Pr 21,1 1122>Pr 21,3
1356>Pr 21,3 1386>Pr 21,3
2498>Pr 21,20 1183>Pr 21,28
469>Pr 21,28 1459>Pr 22,6
1012>Pr 22,6 2052>Pr 22,6
1334>Pr 23,20 1334>Pr 23,20
1575>Pr 23,31 1872>Pr 23,35
918>Pr 24,16 1556>Pr 24,27
1597>Pr 24,27 1626>Pr 24,27
1522>Pr 24,30 1630>Pr 25,12
936>Pr 25,20 420>Pr 25,21
2593>Pr 25,21 2549>Pr 26,16
1303>Pr 27,2 1303>Pr 27,2
2736>Pr 27,6 972>Pr 27,7
992>Pr 27,19 1717>Pr 28,1
246>Pr 28,15 2095>28,19
2061>Pr 28,20 1736>Pr 28,24
2551>Pr 29,4 1308>Pr 29,12
2251>Pr 29,12 1308>Pr 29,12
1322>Pr 29,18 1322>Pr 29,18
542>Pr 29,23 1951>Pr 29,23
1951>Pr 29,33 2573>Pr 31,23
1700>Ct 1,2 2499>Ct 1,2 2491>Ct 1,3 1002>Ct 1,4
2544>Ct 1,5 266>Ct 2,1
1120>Ct 2,2 1593>Ct 2,2
1185>Ct 2,2 2580>Ct 2,2
2119>Ct 2,6 2449>Ct 2,13
3974>Ct 3 1499>Ct 3,11
1501>Ct 4,7 1481>Ct 4,16
2664>Ct 5,1 2680>Ct 5,1
372>Ct 5,2 2728>Ct 5,2
2469>Ct 5,2 221>Ct 5,5
1519>Ct 5,6 2720>Ct 5,8
449>Ct 6 2909>Ct 6,8
1808>Ct 6,11 2467>Ct 7,11
1974>Ct 7,12 1640>Ct 7,13
1628>Ct 8,7 2087>Ct 8,12
2467>Ct 1,15
Sagesse
1357>Sg 1,1 581>Sg 1,1 1536>Sg 1,2
1627>Sg 1,2 1817>Sg 1,3
113>Sg 1,4 1465>Sg 1,8
1934>Sg 2,12 376>Sg 2,13
1872>Sg 2,20 2114>Sg 2,20
2363>Sg 2,20 2795>Sg 2,20
2827>Sg 2,20 2850>Sg 2,20
2261>Sg 2,21 1616>Sg 2,24
2207>Sg 2,20 2348>Sg 2,21
1578>Sg 2,24 1622>Sg 3,7
1894>Sg 3,7 2356>Sg 3,12
717>Sg 3,13 1523>Sg 3,15
1753>Sg 4,3 2096>Sg 4,13
197>Sg 4,26 1669>Sg 5,1s
1004>Sg 5,2 2435>Sg 5,3
2516>Sg 5,3 2798>Sg 5,3
587>Sg 5,5 987>Sg 5,7
2210>Sg 6,7 2933>Sg 6,14
1533>Sg 6,21 1199>Sg 7,9
2043>Sg 7,13 2190>Sg 7,13
2248>Sg 7,13 1235>Sg 7,16
727>Sg 7,25 422>Sg 7,30
2031>Sg 8,8 1626>Sg 8,14
1108>Sg 8,16 1509>Sg 8,16
1610>Sg 8,16 1700>Sg 8,16
2472>Sg 8,16 2030>Sg 8,21
1599>Sg 9,14 2585>Sg 9,15
519>Sg 10,2 935>Sg 10,17
2174>Sg 10,21 2553>Sg 11,11
1262>Sg 12,13 1810>Sg 13,1
1836>Sg 13,2s 2786>Sg 14,2
898>Sg 14,3 1808>Sg 14,3
2086>Sg 14,3 1072>Sg 14,5
2850>Sg 14,7 1997>Sg 14,9
2231>Sg 14,17 1272>Sg 14,22
1560>Sg 14,22 1048>Sg 16,12
1408>Sg 16,12 2919>Sg 17,10
2150>Sg 17,17 658>Sg 19,22
1325>Si 1,4 1517>Si 1,5 1631>Si 1,5
2381>Si 1,15 2249>Si 2,1
2284>Si 2,10 860>Si 2,14
1734>Si 2,21 2270>Si 3,7
482>Si 3,8 1790>Si 3,20
1403>Si 3,33 1044>Si 4,7
2781>Si 4,24 1036>Si 4,25[21]
1983>Si 4,25[21] 1979>Si 4,25 592>Si 4,28
328>Si 5,1 870>Si 5,4
2930>Si 5,5 475>Si 5,7
153>Si 5,8 763>Si 5,8
2791>Si 5,8 2929>Si 5,8
992>Si 6,8 1560>Si 6,10
2644>Si 6,10 607>Si 6,23
356>Si 7,4 1781>Si 8,4
1113>Si 8,13 1407>Si 8,13
2918>Si 9,8 2305>Si 7,4
1666>Si 9,4 727>Si 9,8
2549>Si 9,18 195>Si 10,2
941>Si 10,2 2244>Si 10,2
2756>Si 10,2 1398>Si 10,9
2945>Si 10,9 495>Si 10,10
500>Si 10,10 2632>Si 10,10
729>Si 11,7 2101>Si 11,24[22]
1168>Si 11,33 1921>Si 11,33
243>Si 11,34[3 936>Si 12,10 2596>Si 12,41
1120>Si 13,1 208>Si 13,14
1394>Si 13,14 1922>Si 13,21
1753>Si 14,20 779>Si 15,3
978>Si 15,3 1688>Si 15,3
1795>Si 15,3 1819>Si 15,3
2348>Si 15,3 2348>Si 15,3
2202>Si 15,14 1256>Si 15,18
2819>Si 15,18 2087>Si 17,12
841>Si 18,16 79>Si 18,23
1772>Si 18,23 2719>Si 18,23
1014>Si 19,1 2785>Si 19,1
2421>Si 19,4 2273>Si 19,4
1809>Si 19,23 294>Si 19,30
318>Si 21,1 2032>Si 20,2
1998>Si 21,1 318>Si 21,2
1772>Si 21,2 1469>Si 22,9
197>Si 22,13 1667>Si 23,9
2783>Si 23,9 820>Si 23,9
796>Si 23,32 1281>Si 23,38
2147>Si 23,38 727>Si 24,5
317>Si 24,17 473>Si 24,19
Si 24,25 1365>Si 24,26[19] 2608>Si 24,26 2287>Si 24,33
2287>Si 24,33 1668>Si 25,22[15]
2028>Si 25,23 2780>Si 25,33
2909>Si 25,33 1663>Si 26,5
629>Si 26,17 328>Si 27,5
591>Si 27,6 1120>Si 27,6
502>Si 27,11 1622>Si 27,12
1920>Si 27,12 2112>Si 27,12
2801>Si 27,12 925>Si 28,2
919>Si 28,926>Si 28,3
2000>Si 28,3 919>Si 29,2
913>Si 29,28 2662>Si 29,33
2590>Si 30,24 1070>Si 30,25
857>Si 31,10 857>Si 31,8
2061>Si 31,8 2893>Si 31,8
419>Si 31,10 1644>Si 32,6
2814>Si 32,6 1610>Si 32,15
2530>Si 33,7 2006>Si 33,14
1439>Si 33,15 2192>Si 33,15
1049>Si 33,25 1487>Si 33,29
2091>Si 33,29 1043>Si 33,31
2823>Si 34,7 922>Si 34,9
1649>Si 34,9 387>Si 34,10
758>Si 34,23 1736>Si 34,23
2804>Si 34,23 759>Si 35,8
572>Si 35,10 1966>Si 35,18s
253>Si 35,21 2713>Si 35,21
11780>Si 35,21905>Si 36,4
1330>Si 40,20 497>Si 41,12
1829>Si 41,15 1627>Si 41,17
729>Si 43,4 2243>Si 43,29
19>Si 46,1 1830>Si 48,1
1895>Si 48,1 1912>Si 49,9
1510>Si 51,31 1368>Si 51,35
Isaïe
14>Is 1,1 64>Is 1,1 1261>Is 1,1
1997>Is 1,1 900>Is 1,2
2454>Is 1,2 2888>Is 1,2
207>Is 1,3 1615>Is 1,4
1550>Is 1,5 1623>Is 1,5
2692>Is 2115>Is 1,6
2774>Is 1,6 2840>Is 1,6
2794>Is 2573>Is 1,7
2232>Is 1,7 1567>Is 1,9
2043>Is 1,9 2409>Is 1,9
1742>Is 1,13 2754>Is 1,14
1122>Is 1,15 1772>Is 1,15
2611>Is 1,14-15 314>Is 1,16 1104>Is 1,16
935>Is 1,16 1399>Is 1,16
1587>Is 1,16 1732>Is 1,16
1763>Is 1,16 2032>Is 1,16
2739>Is 1,15 462>Is 1,19
463>Is 1,19 666>Is 1,19
411>Is 1,21 2884>Is 1,21
411>Is 1,26 516>Is 2,2
739>Is 2,2 1887>Is 2,2
2948>Is 2,2 173>Is 2,3
1626>Is 2,7 1050>Is 2,12
541>Is 2,22 1429>Is 3,5
1797>Is 3,7 1733>Is 3,8
2827>Is 3,8 1036>Is 3,9
2573>Is 3,14 1940>Is 3,15
2347>Is 3,34 2868>Is 4,3
1902>Is 4,5 2147>Is 5,1
2200>Is 5,1 1326>Is 5,4
1343>Is 5,4 2233>Is 5,4
2087>Is 5,7 2200>Is 5,7
2686>Is 5,7 2966>Is 7,14
1070>Is 5,18 1403>Is 5,22
371>Is 6,1 1551>Is 6,1
1541>Is 6,9 1567>Is 6,13
148>Is 7,3 1473>Is 7,11
129>Is 7,13 120>Is 7,14
141>Is 7,14 145>Is 7,14
147>Is 7,14 171>Is 8,4
2227>Is 8,11 1299>Is 8,13
905>Is 8,14 1751>Is 8,14
212>Is 8,20 451>Is 8,23
266>Is 9,1 451>Is 9,1
454>Is 9,1 76>Is 9,2
233>Is 9,2 234>Is 9,2
2234>Is 9,2 2952>Is 9,2
1367>Is 9,4 214>Is 9,6
2860>Is 9,6 51>Is 9,7
2766>Is 9,7 908>Is 10,5
895>Is 10,23 984>Is 10,22‑23
136>Is 11,1 120>Is
11,1 546>Is 11,1 1414>Is 11,2 355>Is 12,3
215>Is 12,6 2384>Is 13,8
763>Is 14,4 1936>Is 14,4
430>Is 14,13 55>Is 14,14
1350>Is 14,14 47>Is 16,1
1009>Is 18,2 2746>Is 18,2
2439>Is 18,4 1520>Is 18,5
236>Is 19,1 233>Is 19,1
1437>Is 19,2 2421>Is 19,14
2837>Is 22,18 1849>Is 22,22
2375>Is 23,9 763>Is 24,22
2577>Is 24,22 196>Is 24,23
2431>Is 24,23 461>Is 24,51 541>Is 25,4 1705>Is 25,4
1480>Is 25,6 236>Is 26,9
1709>Is 26,9 2435>Is 26,10
1730>Is 26,10 1000>Is 26,13
2886>Is 26,18 887>Is 26,20
56>Is 27,6 1593>Is 27,8
2358>Is 27,8 1845>Is 28,16
2213>Is 28,16 747>Is 28,22
1740>Is 29,13 2274>Is 29,13
1091>Is 30,11 2775>Is 30,11
2855>Is 30,11 2484>Is 30,13
1146>Is 30,15 1141>Is 30,19
1717>Is 30,19 292>Is 30,21
2135>Is 30,21 978>Is 30,23
2431>Is 30,25 2431>Is 30,26
212>Is 31,1 2598>Is 31,7
2762>Is 32,6 838>Is 32,17
584>Is 32,17 963>Is 33,1
2919>Is 33,3 1462>Is 33,6
1625>Is 33,6 1626>Is 33,6
2059>Is 33,6 2525>Is 33,6
60>Is 33,16 551>Is 33,17
1009>Is 33,20 93>Is 33,22
1387>Is 33,22 136>Is 35,2
1076>Is 35,4 1165>Is 35,4
1162>Is 35,4 1298>Is 35,4
1812>Is 35,4 2170>Is 35,4
2160>Is 35,4 1788>Is 35,5
2318>Is 35,5 1594>Is 35,8
1594>Is 35,10 2178>Is 36,21
43,3 Is 38,1 857>Is 38,3 36>Is 38,15 2791>Is 38,15
1627>Is 39,4 285>Is 40,3
1190>Is 40,5 2578>Is 40,5
1691>Is 40,6 1800>Is 40,6
955>Is 40,7 2454>Is 40,8
253>Is 40,9 2504>Is 40,9
516>Is 40,9 1287>Is 40,10
1439>Is 40,11 2435>Is 40,18
2040>Is 40,29 1905>Is 40,29
51>Is 40,31 2428>Is 40,31
1410>Is 42,1 38>Is 42,1
136>Is 42,2 1065>Is 42,3
289>Is 42,18 1301>Is 43,8
1540>Is 43,8 46>Is 43,24
1812>Is 45,8 935>Is 45,15
2600>Is 46,8 2465>Is 47,2
492>Is 48,17 1172>Is 48,17
2248>Is 48,17 585>Is 48,22
43>Is 49,2 457>Is 49,6
628>Is 49,6 1776>Is 49,6
2959>Is 49,6 305>Is 49,7
1543>Is 49,10 1894>Is 49,18
1437>Is 49,25 796>Is 50,1
1299>Is 51,1 325>Is 51,2
475>Is 50,5 454>Is 50,10
1876>Is 51,6 2777>Is 51,7
2763>Is 51,7 2160>Is 51,8
923>Is 51,12 193>Is 51,12
627>Is 51,12 1255>Is 51,12
1717>Is 51,12 2249>Is 51,12
416>Is 51,23 1608>Is 52,6
337>Is 52,7 492>Is 52,7
2095>Is 52,6 2441>Is 52,14
2684>Is 52,15 1602>Is 53,2
2750>Is 53,3 2774>Is 53,3
1025>Is 53,4 1061>Is 53,4
2369>Is 53,4 2615>Is 53,4
2836>Is 53,5 39>Is 53,7
240>Is 53,7 1222>Is 53,7
1415>Is 53,7 2649>Is 53,7
2763>Is 53,7 2112>Is 53,7
2208>Is 53,7 2581>Is 53,7
2661>Is 53,7 2813>Is 53,7
2814>Is 53,7 2842>Is 53,7
45>17>Is 53,8 2286>Is 53,8 2693>Is 53,8
37>Is 53,12 2854>Is 53,12
277>Is 54,1 44>Is 54,2 2511>Is 54,6 2870>Is 54,7
2512>Is 55,1 1473>Is 57,3
2214>Is 55,4 193>Is 55,5
1814>Is 55,7 2550>Is 55,9
1785>Is 56,10 2169>Is 56,7
1756>Is 56,10 2328>Is 56,10
2270>Is 56,11 2151>Is 56,19
2395>Is 57,9 1192>Is 57,19
466>Is 57,20 309>Is 58,1
2022>Is 58,1 1975>Is 58,6
1694>Is 58,7 2593>Is 58,7
1892>Is 58,8 2493>Is 58,8
841>Is 58,10 849>Is 58,7
1622>Is 58,11 2610>Is 58,13
2301>Is 58,61 1785>Is 59,9
1156>Is 59,10 1422>Is 59,10
2170>Is 59,10 171>Is 60,3
2161>Is 60,5 217>Is 60,6
2767>Is 60,8 167>Is 60,18
565>Is 60,21 2087>Is 61,3
215>Is 61,10 2541>Is 62,5
2161>Is 63,1 2699>Is 63,3
2201>Is 63,3 1164>Is 63,7
1639>Is 63,7 2046>Is 64
1841>Is 64,4 2092>Is 64,4
2586>Is 64,4 565>Is 64,5
2933>Is 64,5 981>Is 64,6
1029>Is 65,2 1083>Is 65,4
1120>Is 65,5 1556>Is 65,12
1052>Is 65,13 1053>Is 65,14
1084>Is 65,14 816>Is 66,1
542>Is 66,2 559>Is 66,13
1621>Is 65,14 1368>Is 66
2602>Is 66,2 1727>Is 66,19
330>Is 66,24 348>Is 66,24
1830>Jr 1,5 1797>Jr 1,6 426>Jr 1,15
469>Jr 1,18 2733>Jr 1,18
623>Jr 1,18 1847>Jr 1,19
2828>Jr 2,5 1005>Jr 2,8
990>Jr 2,8 254>Jr 2,12
1193>Jr 2,18 985>Jr 2,18
1979>Jr 2,20 1457>Jr 2,21
1753>Jr 2,21 1577>Jr 2,21
2686>Jr 2,21 2847>Jr 2,21
2026>Jr 3,3 1545>Jr 3,14
899>Jr 3,19 814>Jr 4,2
1670>Jr 4,2 152>Jr 4,3
1522>Jr 4,3 935>Jr 4,14
1357>Jr 4,22 2229>Jr 5,4
1425>Jr 5,5 1730>Jr 5,5
1861>Jr 5,5 2012>Jr 5,5
2611>Jr 5,5 2858>Jr 5,5
2229>Jr 6,13 554>Jr 6,26
2791>Jr 6,26 1050>Jr 7,31
1490>Jr 8,5 2828>Jr 8,5
2856>Jr 8,5 1480>Jr 8,6
2198>Jr 8,6 2203>Jr 8,7
2801>Jr 8,7 2382>Jr 8,16
555>Jr 8,23 2645>Jr 9,1
1238>Jr 9,4 2644>Jr 9,4
2943>Jr 9,5 208>Jr 9,8
2613>Jr 9,8 1531>Jr 9,12
1149>Jr 9,17 1330>Jr 9,17
1357>Jr 9,23 1550>Jr 9,23
1741>Jr 12,2 1509>Jr 12,7
2131>Jr 12,7 2729>Jr 12,7
2739>Jr 12,7 35>Jr 12,17
426>Jr 13,16 2520>Jr 14,8
900>Jr 14,9 2962>Jr 14,9
1459>Jr 14,20 977>Jr 15,1
599>Jr 15,10 2861>Jr 15,10
405>Jr 15,19 981>Jr 16,12
474>Jr 16,16 44>Jr 16,19
440>Jr 17,5 962>Jr 17,9
2779>Jr 17,13 2922>Jr 17,9
498>Jr 17,14 291>Jr 18,4
2805>Jr 18,6 1214>Jr 18,20
696>Jr 19 1257>Jr 19,6
696>Jr 19,6 2744>Jr 19,7
2115>Jr 20,7 1627>Jr 20,9
1461>Jr 20,9 462>Jr 20,10
1276>Jr 20,10 72>Jr 22,24
72>Jr 22,28 76>Jr 22,30
51>Jr 23,5 220>Jr 23,5
1835>Jr 23,5 1424>Jr 23,5
2136>Jr 23,5 2154>Jr 23,5
2160>Jr 23,5 2286>Jr 23,5
2860>Jr 23,16 990>Jr 23,21
900>Jr 23,24 329>Jr 23,29
2882>Jr 23,29 2102>Jr 26,8
999>Jr 26,13 2800>Jr 26,15
2830>Jr 26,15 763>Jr 29,23
721>Jr 30,1 250>Jr 31,5
554>Jr 31,12 554>Jr 31,13
559>Jr 31,13 250>Jr 31,15
318>Jr 31,19 2194>Jr 31,19
462>Jr 31,31 2683>Jr 31,31
2808>Jr 32,6s 2812>Jr 33,5
2388>Jr 45,4 1964>Jr 49,15
1755>Jr 51,9 2176>Jr 51,9
2373>Lm 1,6 1487>Lm 1,7 719>Lm 1,13
754>Lm 2,7 2655>Lm 3,19
2141>Lm 3,22 533>Lm 3,24
2553>Lm 3,25 483>Lm 3,27
1702>Lm 3,28 2774>Lm 3,30
1996>Lm 3,40 776>Lm 3,51
1415>Lm 4,1 721>Lm 4,4
2530>Lm 5,21 2790>Lm 5,21
Baruch
2254>Ba 1,10s 935>Ba 3,16 142>Ba 3,38
1108>Ba 3,38
128>Ez 2,1 1540>Ez 2,7 469>Ez 3,8
1480>Ez 5,5‑6 2368>Ez 5,6 2397>Ez 7,3
1996>Ez 9,6 2164>Ez 9,6
898>Ez 9,9 2791>Ez 111558>Ez 11,19 324>Ez 11,19
2482>Ez 12,22 2385>Ez 13,5
2425>Ez 13,6 613>Ez 15,2
1518>Ez 16,25 310>Ez 16,45
2197>Ez 16,49 2366>Ez 18,20
68>Ez 18,21 1973>Ez 18,23
1418>Ez 18,23 2047>Ez 20,11
1350>Ez 31,14 2475>Ez 34,2
2581>Ez 34,3 1971>Ez 34,13
1176>Ez 34,5 1603>Ez 36,26
1519>Ez 36,26 978>Ez 36,26
1950>Ez 36,27 1485>Ez 37,11
Daniel
621>Dn 2,34 2526>Dn 1,17 1842>Dn 2,28
431>Dn 3,7 950>Dn 3,51s
1602>Dn 4,7s 429>Dn 4,14
1403>Dn 4,24 1878>Dn 4,24
2590>Dn 4,24 573>Dn 4,24
2766>Dn 7,7 2746>Dn 7,10
1481>Dn 7,14 2957>Dn 7,26
1129>Dn 9,3 1931>Dn 9,3
1772>Dn 9,4 1156>Dn 9,17
1635>Dn 9,22 266>Dn 9,24
203>Dn 9,25 1861>Dn 9,26
137>Dn 9,26 2401>Dn 9,27
2917>Dn 10,6 2602>Dn 12,2
2480>Dn 12,3 474>Dn 12,3
2942>Dn 12,5 1640>Dn 12,10
2825>Dn 13,5 2612>Dn 13,5
1544>Dn 13,9 1957>Dn 13,23
Osée
2011>Os 1,2 1702>Os 2,14 1997>Os 2,8
388>Os 2,14 515>Os 2,14
2222>Os 2,20 2200>Os 2,6
2361>Os 2,6 2886>Os 2,24
985>Os 4,2 1663>Os 4,2
1676>Os 4,2 614>Os 4,6
1543>Os 4,6 428>Os 4,7
723>Os 4,9 1306>Os 4,11
236>Os 6,1 1674>Os 6,1
1679>Os 6,1 2406>Os 6,1
2116>Os 6,2 1793>Os 6,3
1862>Os 6,3 1935>Os 6,3
2068>Os 6,3 1122>Os 6,6
1386>Os 6,6 612>Os 8,5
2323>Os 9,10 240>Os 11,1
240>Os 11,1 69>Os 11,32
2586>Os 13,9 2881>Os 13,14
1367>Os 14,2
2578>Jl 3,2 2276>Jl 2,12 1330>Jl 2,131297>Jl 2,22 2362>Jl 2,28
1414>Jl 2,28 1285>Jl 2,28
2431>Jl 2,31 1145>Jl 2,32
2152>Jl 2,32
Amos
2224>Am 3,7 2422>Am 3,7 646>Am 3,7
2504>Am 4,12 290>Am 4,12
962>Am 4,13 906>Am 5,18
2866>Am 8,9 564>Am 8,11
1683>Am 8,11
Jonas
1076>Jon 1,5
Michée
1702>Mi 2,13 2483>Mi 3,10 621>Mi 4,1
2201>Mi 4,8 202>Mi 5,1
202>Mi 5,1 1338>Mi 6,3
1997>Mi 6,6 1122>Mi 6,8
684>Mi 7,9 1276>Mi 7,6
1108>Mi 8,9
372>Na 2,8
1773>Ha 1,2 2213>Ha 1,5 1518>Ha 1,13
128>Ha 2,1 1157>Ha 2,3
1110>Ha 3,2 2154>Ha
3,13 162>Ha 3,18 233>Ha 3,8
Sophonie
1972>So 3,17
863>Ag 1,6 2882>Ag 2,7
1951>Za 1,3 1146>Za 1,3 2402>Za 2,6
2601>Za 2,8 2444>Za 2,11
19>Za 3,1 1996>Za 5,7
1126>Za 8,19 1312>Za 1,9
1670>Za 8,17 1601>Za 8,23
2441>Za 9,9 2633>Za 11,12
2807>Za 11,12 1176>Za 11,17
2435>Za 12,10 253>Za 12,10
2693>Za 13,7 2643>Za 14,7
2444>Za 14,14
Malachie
899>Ml 1,6 2164>Ml 1,6 2397>Ml 1,10
2316>Ml 2,7 197>Ml 2,7
2573>Ml 2,7 614>Ml 2,8
2195>Ml 2,8 2319>Ml 2,8
690>Ml 2,10 1497>Ml 2,10
899>Ml 2,10 288>Ml 3,1
1312>Ml 3,1 1909>Ml 3,1
2456>Ml 3,2 1811>Ml 3,2
723>Ml 3,21 1830>Ml 3,5
1831>Ml 3,5 1909>Ml 3,5
2310>Ml 3,5 2867>Ml 4,2
1323>Ml 4,5
----------------------- NOUVEAU TESTAMENT
-----------------------
Evangile selon Marc
378>Mc 1,11 412>Mc 1,13 412>Mc 1,13
449>Mc 1,23 492>Mc 1,38
1099>Mc 2,4 2483>Mc 2,16
1126>Mc 2,18 1126>Mc 2,18
1375>Mc 2,23 1395>Mc 3,4
454>Mc 3,20 2172>Mc 4,12
1547>Mc 4,12 1606>Mc 4,33s
1139>Mc 5,22 1653>Mc 6
1653>Mc 6,1 515>Mc 6,31
1377>Mc 6,31 1732>Mc 7,2
2301>Mc 7,2 1732>Mc 7,4
1774>Mc 7,25 612>Mc 9,49
610>Mc 9,50 791>Mc 10,4
2052>Mc 10,21 2078>Mc 10,30
2134>Mc 10,46 1101>Mc 11,24
2374>Mc 13,1 2377>Mc 13,3
2432>Mc 13,25 2457>Mc 13,26
2698>Mc 14,30 2715>Mc 14,36
2765>Mc 14,62 2782>Mc 14,66
2289>Mc 16,5 1181>Mc 16,15
1633>Mc 16,15 2149>Mc 16,15
1182>Mc 16,17 1886>Mc 16,16
1951>Mc 16,16 1182>Mc 16,18
1173>Mc [16],20 495>Mc 16,20
2235>Mc 16,20 2848>Mc 15,23
2939>Mc 16,14 2394>Mc 16,15
Evangile selon Luc
123>Lc 1,6 1911>Lc 1,7 2917>Lc 1,9
35>Lc 1,10 130>Lc 1,11‑13
135>Lc 1,13 1317>Lc 1,15
287>Lc 1,17 335>Lc 1,17
111>Lc 1,35 1310>Lc 1,44
977>Lc 1,48 2314>Lc 1,52
274>Lc 1,76 332>Lc 1,76
1310>Lc 1,76 1310>Lc 1,76
1323>Lc 1,76 2179>Lc 1,78
2921>Lc 1,30 228>Lc 2,6
1551>Lc 2,10 200>Lc 2,3
87>Lc 2,4 216>Lc 2,7
135>Lc 2,10 159>Lc 2,14
1272>Lc 2,14 1271>Lc 2,14
143>Lc 2,21 162>Lc 2,21
329>Lc 2,34 2160>Lc 2,36‑38
265>Lc 2,39 58>Lc 2,40
272>Lc 2,40 265>Lc 2,41
1411>Lc 2,43 1204>Lc 3
1669>Lc 3 264>Lc 3,1
2407>Lc 3,6 279>Lc 3,8
77>Lc 3,27 1486>Lc 4,13
1653>Lc 4,16 1299>Lc 4,18
449>Lc 4,18s 352>Lc 3,21
377>Lc 3,22 352>Lc 3,23
1098>Lc 4,23 23>Lc 4,39
2010>Lc 4,43 120>Lc 5,8
1047>Lc 5,8 1091>Lc 5,8
1099>Lc 5,19 138>Lc 5,24
1126>Lc 5,29 1392>Lc 6,1
1375>Lc 6,1 1772>Lc 6,18
1350>Lc 4,23 515>Lc 5,1s
487>Lc 5,10 488>Lc 5,11
2>Lc 5,27 501>Lc 6,1
890>Lc 6,12 520>Lc 6,12-16
518>Lc 6,17 505>Lc 6,17
520>Lc 6,20s 520>Lc 6,20s
1621>Lc 6,25 727>Lc 6,30
57>Lc 6,36 925>Lc 6,36
603>Lc 6,38 858>Lc 6,40
2784>Lc 6,45 1041>Lc 7,3
1830>Lc 7,16 1292>Lc 7,18
2623>Lc 7,39 1512>Lc 8,10
347>Lc 8,13 1495>Lc 8,19
1498>Lc 8,19 1139>Lc 8,41
1898>Lc 9,23 1440>Lc 9,50
988>Lc 9,62 2148>Lc 10,1
346>Lc 10,2 1180>Lc 10,3
1965>Lc 10,16 2601>Lc 10,16
66>Lc 10,22 1842>Lc 10,22
2147>Lc 10,34 2498>Lc 10,34
2282>Lc 10,36 2623>Lc 10,40
2467>Lc 10,41 895>Lc 11,1
1774>Lc 11,8 2035>Lc 11,9
1422>Lc 11,14 2318>Lc 11,15
1470>Lc 11,16 1556>Lc 11,28
50>Lc 11,22 1260>Lc 12,6
2480>Lc 12,37 1995>Lc 12,42
1353>Lc 12,47 2322>Lc 12,47
2559>Lc 12,47 342>Lc 12,49
360>Lc 12,50 1275>Lc 12,53
2449>Lc 13,6 330>Lc 13,7
995>Lc 13,7 2180>Lc 13,7
2113>Lc 13,33 2305>Lc 14,8
911>Lc 14,15 958>Lc 14,15
2220>Lc 14,16 1071>Lc 14,26
614>Lc 14,30 535>Lc 14,34
723>Lc 14,35 613>Lc 14,35
215>Lc 15,10 2099>Lc 15,10
627>Lc 16,8 2511>Lc 16,9
2543>Lc 16,10 1307>Lc 16,19
441>Lc 16,22 1593>Lc 16,24
2088>Lc 17,8 2542>Lc 17,10
1197>Lc 17,21 2595>Lc 17,10
535>Lc 17,21 1434>Lc 17,21
282>Lc 17,21 331>Lc 17,21
977>Lc 18,1 1634>Lc 16,9
2696>Lc 18,11 1918>Lc 18,12s
976>Lc 18,13 1952>Lc 18,14
937>Lc 18,22 2134>Lc 18,35
2368>Lc 19,41 1467>Lc 19,22
1749>Lc 19,22 1140>Lc 19,42
2777>Lc 19,53 1950>Lc 20,27
906>Lc 21 2375>Lc 21,6
2547>Lc 21,3s 1235>Lc 21,15
2362>Lc 21,15 2407>Lc 21,23s
2463>Lc 21,26 2572>Lc 21,27
1599>Lc 21,33 1931>Lc 21,34
1683>Lc 21,37 1567>Lc 22
1907>Lc 22,15 51>Lc 22,26
2131>Lc 22,27 2313>Lc 22,27
235>Lc 22,29 1052>Lc 22,29
2481>Lc 22,29 2585>Lc 22,29
2959>Lc 22,29 1847>Lc 22,32
2696>Lc 22,32 2724>Lc 22,32
2696>Lc 22,34 1204>Lc 22,35
1202>Lc 22,35 2740>Lc 22,36
632>Lc 22,37 906>Lc 22,39
2777>Lc 22,55 2405>Lc 23,29
850>Lc 23,34 37>Lc 23,34
2862>Lc 23,39 2907>Lc 23,54
2907>Lc 23,55 2939>Lc 24,12
1474>Lc 24,21 745>Lc 24,25
1927>Lc 24,25s 2727>Lc 24,25 1859>Lc 24,26
2748>Lc 24,26 2287>Lc 24,27
2649>Lc 24,27 2879>Lc 24,27
2908>Lc 24,27 2950>Lc 24,39
147>Lc 24,44 642>Lc 24,44
1322>Lc 24,44 1895>Lc 24,44
2362>Lc 24,45 2526>Lc 24,45
2895>Lc 24,46
Evangile selon Jean
284>Jn 1
111>Jn 1,1 287>Jn 1,1
2948>Jn 1,2 1162>Jn 1,4
2288>Jn 1,4 273>Jn 1,7
274>Jn 1,7 617>Jn 1,8
918>Jn 1,8 617>Jn 1,9
2917>Jn 1,9 1567>Jn 1,10
375>Jn 1,12 918>Jn 1,12
1146>Jn 1,12 1614>Jn 1,11
1110>Jn 1,12 2961>Jn 1,12
142>Jn 1,14 233>Jn 1,14
371>Jn 1,14 1161>Jn 1,14
1892>Jn 1,14 2521>Jn 1,14
2955>Jn 1,14 1319>Jn 1,15
95>Jn 1,17 1363>Jn
1,18 1608>Jn 1,18 2312>Jn 1,18 1911>Jn 1,21
487>Jn 1,28 1293>Jn 1,29
1310>Jn 1,29 8332>Jn 1,31
275>Jn 1,31 287>Jn 1,31
2189>Jn 1,33 2189>Jn 1,33
459>Jn 1,38s 2040>Jn 1,38s
390>Jn 1,40s 469>Jn 1,42
1845>Jn 1,42 1840>Jn 1,49
894>Jn 2,1 488>Jn 2,2
2786>Jn 2,6 2168>Jn 2,14s
445>Jn 2,13 1800>Jn 2,15
2391>Jn 2,18 1573>Jn 2,19
2335>Jn 2,19 2760>Jn 2,19
1385>Jn 2,19 579>Jn 3,2
6910>Jn 3,2 362>Jn 3,3
341>Jn 3,5 606>Jn 3,5
370>Jn 3,6 372>Jn 3,6
1470>Jn 3,12 416>Jn 3,13
1001>Jn 3,13 2520>Jn 3,13
2857>Jn 3,13 1535>Jn 3,14
81>Jn 3,16 111>Jn 3,16
1413>Jn 3,16 245>Jn 3,17
2576>Jn 3,18 457>Jn 3,19 2634>Jn 3,20
2492>Jn 3,29 1413>Jn 3,34
1414>Jn 3,34 1801>Jn 3,34
377>Jn 3,35 1900>Jn 3,35
1296>Jn 4 1517>Jn 4
2596>Jn 4,3 2491>Jn 4,12
979>Jn 4,13 1988>Jn 4,16
1905>Jn 4,18 81>Jn 4,21
887>Jn 4,23 1611>Jn 4,27
346>Jn 4,34 567>Jn 4,34
912>Jn 4,34 1505>Jn 4,34
2346>Jn 4,34 2177>Jn 4,34
1179>Jn 4,35 1589>Jn 4,35
1617>Jn 4,35 2554>Jn 4,37
1590>Jn 4,38 1044>Jn 4,46s
167>Jn 4,51 2505>Jn 5
2301>Jn 5,3 1489>Jn 5,14
1900>Jn 5,20 376>Jn 5,20
59>Jn 5,22 346>Jn 5,22
763>Jn 5,22 1003>Jn 5,22
1414>Jn 5,22 1284>Jn 5,23
1480>Jn 15,24 2443>Jn 5,25
2504>Jn 5,25 1361>Jn 5,26
2407>Jn 5,27 1880>Jn 5,27
2098>Jn 5,27 2571>Jn 5,27
2098>Jn 5,28 2882>Jn 5,28
2679>Jn 5,30 274>Jn 5,33
625>Jn 5,35 736>Jn 5,35
2261>Jn 5,39 1124>Jn 5,40
2160>Jn 5,43 139>Jn 5,46
1035>Jn 5,46 1690>Jn 5,46
2287>Jn 5,46 2679>Jn 6
505>Jn 6,2 1703>Jn 6,3
445>Jn 6,4 908>Jn 6,5
1703>Jn 6,15 2738>Jn 6,27
908>Jn 6,35 39>Jn 6,38
907>Jn 6,38 1001>Jn 6,38
2716>Jn 6,38 1809>Jn 6,49
200>Jn 6,51 1978>Jn 6,51
908>Jn 6,52 2664>Jn 6,55
2657>Jn 6,56 1544>Jn 6,61
1823>Jn 6,64 405>Jn 6,69
1556>Jn 6,69 1700>Jn 6,69
2629>Jn 6,71 2947>Jn 6,71
448>Jn 7,6 1676>Jn 7,6
2641>Jn 7,6 2901>Jn 7,12
2381>Jn 7,28 2869>Jn 7,29
2614>Jn 7,30 2729>Jn 7,30
2751>Jn 7,30 208>Jn 7,34
1365>Jn 7,37 1907>Jn 7,39
2098>Jn 7,39 2200>Jn 7,48
515>Jn 8,1 1501>Jn 8,5
745>Jn 8,11 726>Jn 8,12
274>Jn 8,13 2295>Jn 8,31
30>Jn 8,33 1422>Jn 8,34
1400>Jn 8,34 322>Jn 8,39
1505>Jn 8,39 46>Jn 8,44
2321>Jn 8,44 310>Jn 8,44
2818>Jn 8,44 2828>Jn 8,46
998>Jn 8,47 1008>Jn 8,47
200>Jn 8,50 1700>Jn 8,50
2765>Jn 8,50 1551>Jn 8,56
1551>Jn 8,56 2369>Jn 8,58
2373>Jn 8,59 976>Jn 9,3
761>Jn 9,4 2472>Jn 10,1
1408>Jn 10,3 1717>Jn 10,3
2318>Jn 10,9 984>Jn 10,9
991>Jn 10,11 2693>Jn 10,11
1235>Jn 10,12 1439>Jn 10,12
2693>Jn 10,16 2068>Jn 10,17
2877>Jn 10,18 2764>Jn 10,24
1167>Jn 10,25 1970>Jn 10,27
2011>Jn 10,27 2693>Jn 10,27
2080>Jn 10,27 2133>Jn 10,27
2581>Jn 10,27 1836>Jn 10,33
1895>Jn 10,33 2771>Jn 10,33
1779>Jn 10,34 748>Jn 10,35
1517>Jn 10,35 2617>Jn 11,5
1161>Jn 11,11 2610>jn 11,13
1051>Jn 11,21 71>Jn 11,25
80>Jn 11,26 1293>Jn 11,34
2679>Jn 11,41 2207>Jn 11,48
2753>Jn 11,49 2843>Jn 11,52
2607>Jn 12,1 2122>Jn 12,2
2617>Jn 12,2 192>Jn 12,31
427>Jn 12,31 1437>Jn 12,31
2850>Jn 12,32 1547>Jn 12,40
2214>Jn 12,40 2350>Jn 12,43
2229>Jn 12,43 2303>Jn 12,43
2636>Jn 13,1 2608>Jn 13,1
2729>Jn 13,1 1218>Jn 13,8-10
422>Jn 13,13 79>Jn 13,13
1243>Jn 13,13 1066>Jn 13,13
2470>Jn 13,13 2652>Jn 13,13
638>Jn 13,15 1702>Jn 13,15
2641>Jn 13,15 23>Jn 13,21
2663>Jn 13,25 1199>Jn 13,27
2357>Jn 13,27 2738>Jn 13,27
2893>Jn 13,31 2696>Jn 13,33
2531>Jn 13,33 1631>Jn 13,34
2279>Jn 13,37 71>Jn 14,2
1634>Jn 14,2 2101>Jn 14,2
2125>Jn 14,3 2554>Jn 14,3
975>Jn 14,6 1700>Jn 14,6
1836>Jn 14,6 2135>Jn 14,6
2178>Jn 14,6 2222>Jn 14,6
2960>Jn 14,6 158>Jn 14,7
1182>Jn 14,12 2965>Jn 14,12
2176>Jn 14,15 2948>Jn 14,15
2277>Jn 14,23 585>Jn 14,27
419>Jn 14,28 2470>Jn 14,18
401>Jn 14,30 1944>Jn 14,30
2295>Jn 15 2696>Jn 15,5
995>Jn 15,6 723>Jn 15,6
2076>Jn 15,9 745>Jn 15,11
1869>Jn 15,13 2131>Jn 15,13
1531>Jn 15,15 1171>Jn 15,16
1194>Jn 15,16 2523>Jn 15,16
1230>Jn 15,18 1604>Jn 15,19
2149>Jn 15,19 448>Jn 15,20
1448>Jn 15,22 1219>Jn 15,22
1345>Jn 15,22 1540>Jn 15,24
559>Jn 15,26 1230>Jn 16,2
1935>Jn 16,6 2477>Jn 16,12
2528>Jn 16,12 559>Jn 16,20
1130>Jn 16,20 2544>Jn 16,22
2918>Jn 16,22 1680>Jn 16,28
1717>Jn 16,23 1959>Jn 16,33
2689>Jn 17,1 1841>Jn 17,3
2602>Jn 17,3 1363>Jn 17,6
1361>Jn 17,6 1130>Jn 17,12
905>Jn 17,17 2749>Jn 17,20
2701>Jn 18,1 2730>Jn 18,3
1172>Jn 18,10 2754>Jn 18,13
1250>Jn 18,20 1392>Jn 18,20
2421>Jn 18,20 2636>Jn 18,28
2795>Jn 18,31 2829>Jn 18,31
1861>Jn 18,35 2115>Jn 18,35
2609>Jn 18,35 192>Jn 18,36
2813>Jn 18,36 1172>Jn 18,37
267>Jn 18,37 2678>Jn 19
2831>Jn 19, 1 2811>Jn 19,12
2835>Jn 19,12 2609>Jn 19,16
2844>Jn 19,17 2888>Jn 19,25
1316>Jn 19,26 1501>Jn 19,26
2770>Jn 19,24 2873>Jn 19,28
745>Jn 19,30 2939>Jn 20,14
2935>Jn 20,14 899>Jn 20,17
1222>Jn 20,21 2148>Jn 20,21
2959>Jn 20,21 1855>Jn 20,23
124>Jn 20,24‑29 1551>Jn 20,29 2939>Jn 21,3
2935>Jn 21,12 1639>Jn 21,15
1850>Jn 21,17 2057>Jn 21,17
2531>Jn 21,17 2713>Jn 21,17
2870>Jn 21,17 2538>Jn 21,18
2531>Jn 21,22 834>Jn 22,23
355>Ac 1,1
459>Ac 1,1 1173>Ac 1,1
1288>Ac 1,1 1540>Ac 1,1
1801>Ac 1,1 2011>Ac 1,1
341>Ac 1,5 2377>Ac
1,6 2456>Ac 1,7 248>Ac 1,8 1231>Ac 1,8
2362>Ac 1,8 1704>Ac 1,9
2440>Ac 1,9 2378>Ac 1,11
2767>Ac 1,11 342>Ac 2,3
692>Ac 2,4 1927>Ac 2,4
1132>Ac 2,13 2802>Ac 1,18
2116>Ac 2,24 2694>Ac 2,24
21>Ac 2,30 280>Ac 2,38
1203>Ac 3,6 2826>Ac 3,13
1230>Ac 4,1 2018>Ac 4,32
2054>Ac 5,2 1182>Ac 5,15
439>Ac 5,29 1742>Ac 5,29
2176>Ac 5,29 1753>Ac 5,39
2363>Ac 5,40 601>Ac 5,41
1245>Ac 5,41 2167>Ac 6,2
2306>Ac 6,2 223>Ac 7,37
2022>Ac 7,51 2424>Ac 7,51
604>Ac 7,52 2368>Ac 7,52
1621>Ac 7,54 2240>Ac 7,54
2289>Ac 7,55 369>Ac 7,56
850>Ac 7,59 1235>Ac 8,1
1066>Ac 8,9s 1083>Ac 8,9s
2167>Ac 8,20 1918>Ac 9,4s
1828>Ac 10,1 887>Ac 10,9
1758>Ac 10,14 1768>Ac 10,15
369>Ac 10,19 1060>Ac 10,38
1861>Ac 10,39 346>Ac 10,42
1414>Ac 10,42 2823>Ac 10,42
139>Ac 10,43 1886>Ac 12,2
2124>Ac 12,2 2363>Ac 12,2
2173>Ac 12,22s 238>Ac 13,16 369>Ac 13,46
2914>Ac 13,30 75>Ac 13,46
494>Ac 13,46 1192>Ac 13,46
1237>Ac 13,46 1768>Ac 13,46
2184>Ac 13,46 2233>Ac 13,46
616>Ac 13,47 1218>Ac 14,51
2150>Ac 15,10 2301>Ac 15,10
2466>Ac 15,10 581>Ac 15,9
1101>Ac 15,9 1365>Ac 15,10
2103>Ac 15,10 1748>Ac 15,20
2298>Ac 15,29 1432>Ac 19,13
991>Ac 20,29
811>Rm 1
146>Rm 1,1 23>Rm 1,3
1501>Rm 1,3 1939>Rm 1,3
1772>Rm 1,3 2286>Rm 1,3
1413>Rm 1,4 2396>Rm 1,5
1288>Rm 1,14 1633>Rm 1,14
2038>Rm 1,14 2156>Rm 1,14
1343>Rm 1,18 186>Rm 1,20
1456>Rm 1,20 1608>Rm 1,20
1967>Rm 1,20 2261>Rm 1,20
612>Rm 1,21 1548>Rm 1,21
1357>Rm 1,22 1272>Rm 1,26
1358>Rm 1,28 1488>Rm 1,28
1737>Rm 1,30 117>Rm 1,32
2590>Rm 1,32 962>Rm 2,1
1338>Rm 2,4 330>Rm 2,11
1114>Rm 2,11 1008>Rm 2,13
638>Rm 2,14 2325>Rm 2,14
2554>Rm 2,14 2508>Rm 2,15
2584>Rm 2,15 2247>Rm 3,4
2696>Rm 3,4 2106>Rm 3,9
55>81>Rm 3,22 30>Rm 3,23 461>Rm 3,23
2790>Rm 3,24632>Rm 3,25
641>Rm 3,25 5>Rm 4,11
36>Rm 4,11 1052>Rm 4,12
1053>Rm 4,13 28>Rm 4,25
2913>Rm 4,25 606>Rm 5,5
1473>Rm 5,8 2871>Rm 5,8
2876>Rm 5,8 2687>Rm 5,12s
37>Rm 5,10 151>Rm 5,19
1129>Rm 6,4 2805>Rm 6,4
2960>Rm 6,4 2916>Rm 6,9
1873>Rm 6,11 718>Rm 6,12
906>Rm 6,12 1961>Rm 6,13
1367>Rm 6,18 318>Rm 6,19
1050>Rm 6,19 1403>Rm 6,19
1561>Rm 6,21 2259>Rm 6,21
985>Rm 6,23 638>Rm 7,6
502>Rm 7,15 2720>Rm 7,18
586>Rm 7,23 907>Rm 7,23
1255>Rm 7,24 638>Rm 8,2
1167>Rm 8,2 28>Rm 8,3
54>Rm 8,3 355>Rm 8,3
466>Rm 8,3 632>Rm 8,3
641>Rm 8,3 1255>Rm 8,10
2720>Rm 8,10 2625>Rm 8,14
1257>Rm 8,15 2558>Rm 8,15
2922>Rm 8,15 2961>Rm 8,15
1614>Rm 8,17 2938>Rm 8,17
707>Rm 8,18 2595>Rm 8,18
2511>Rm 8,19 551>Rm 8,21
895>Rm 8,26 2679>Rm 8,28
2096>Rm 8,28 2139>Rm 8,29 2523>Rm 8,29
2596>Rm 8,29 2938>Rm 8,29
2961>Rm 8,29 1941>Rm 8,29
483>Rm 8,30 654>Rm 8,30
2586>Rm 8,30 1934>Rm 8,32
2609>Rm 8,32 2693>Rm 8,32
1012>Rm 8,35 2392>Rm 8,35
1074>Rm 8,37 2394>Rm 9,2
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1547>Rm 10,3 1733>Rm 10,3
1816>Rm 10,9 >Rm 10,10 1159>Rm 10,10 1356>Rm 10,10
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2022>1Co 7,6 2030>1Co 7,7
2028>1Co 7,9 2023>1Co 7,11
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2028>1Co 7,34 794>1Co 7,39
2052>1Co 8,3 1748>1Co 8,9
1130>1Co 9,7 1205>1Co 9,15
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1601>2Co 4,1 2130>2Co 4,5
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1949>2Co 4,18 1898>2Co 5,1
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1873>2Co 5,14 81>2Co 6,1
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1943>2Co 8,9 666>2Co 9,6
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1236>2Co 13,3 1876>2Co 13,4
2441>2Co 13,4 2694>2Co 13,4
2299>Ga 1,9 475>Ga 1,15 1842>Ga 1,16
2727>Ga 2,11 1057>Ga 2,8
2148>Ga 2,8 1873>Ga
2,9 1934>Ga 2,20 667>Ga 2,21 2047>Ga 2,21
1559>Ga 3,5 745>Ga 3,16
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2237>Ga 3,27 666>Ga 4,3‑4
89>Ga 4,4 641>Ga 4,4
666>Ga 4,3 632>Ga 4,4
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1272>Ga 4,9 1505>Ga 4,19
1860>Ga 4,26 394>Ga 5,13
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1072>Ga 6,14 1280>Ga 6,14
1248>Ga 6,17 1793>Ga 6,17
2587>Ep 1,4 105>Ep 1,10 2588>Ep 1,14
1550>Ep 1,17 580>Ep 1,18
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1272>Ep 2,14 1245>Ep 2,19
75>Ep 2,20 171>Ep 2,20
1846>Ep 2,20 2311>Ep 3,4
1551>Ep 3,5 1608>Ep 3,5
2098>Ep 3,5 631>Ep 3,8
290>Ep 3,17 1520>Ep 3,17
1535>Ep 3,17 1753>Ep 3,17
1560>Ep 3,17 2280>Ep 3,17
587>Ep 4,3 2524>Ep 4,7
81>Ep 4,8 856>Ep 4,13
1803>Ep 4,13 1304>Ep 4,14
1358>Ep 4,17 1452>Ep 4,19
1042>Ep 4,23 1779>Ep 4,28
1466>Ep 4,29 690>Ep 4,31
1415>Ep 4,31 1184>Ep 4,32
899>Ep 5,1 70>Ep 5,2
1860>Ep 5,2 2003>Ep 5,2
2609>Ep 5,2 2347>Ep 5,3
80>Ep 5,4 213>Ep 5,8
1250>Ep 5,8 2908>Ep 5,8
1561>Ep 5,9 992>Ep 5,9
610>Ep 5,11 1076>Ep 5,14
152>Ep 5,14 234>Ep 5,14
1199>Ep 5,14 1301>Ep 5,14
1905>Ep 5,14 2728>Ep 5,14
2789>Ep 5,14 2882>Ep 5,14
2381>Ep 5,15 79>Ep 6,19
918>Ep 5,27 2895>Ep 5,27
2222>Ep 5,32 1274>Ep 6,2
1114>Ep 6,9 2786>Ep 6,12
1437>Col 2,15 1272>Ep 6,17
2744>Ep 6,17
1949>Ph 1,3 1517>Ph 1,6 1906>Ph 1,21
1130>Ph 1,23 2948>Ph 1,23
1235>Ph 1,24 1531>Ph 1,29
1949>Ph 2,3 1163>Ph 2,[4]
142>Ph 2,7 232>Ph 2,7
397>Ph 2,7 1024>Ph 2,7
1074>Ph 2,7 1411>Ph 2,7
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2566>Ph 2,8 2615>Ph 2,8
2842>Ph 2,8 2857>Ph 2,8
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1901>Ph 2,10 2839>Ph 2,10
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1218>Ph 2,16 1357>Ph 2,21
2337>Ph 2,21 2153>Ph 3,7
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1631>Ph 3,8 1873>Ph 3,11‑12
9>Ph 3,12 428>Ph 3,19
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586>Ph 4,7 1336>Ph 4,12
2395>Col 1,6 2398>Col 1,6 2574>Col 1,16
587>Col 1,20 1860>Col 1,20
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7>Col 2,14 139>Col 2,17
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1626>Col 2,3 2298>Col 2,17
2448>Col 3,3 221>Col 3,5
1691>Col 3,5 1223>Col 3,9
2153>Col 3,12 1992>Col 3,13
2056>Col 3,14 2237>Col 3,15
154>Col 3,20
1718>1Th 1,3 2411>1Th 2,2 626>1Th 2,5
1213>1Th 2,5 417>1Th 2,6
400>1Th 3,5 907>1Th 4,3
1001>1Th 4,3 2500>1Th 4,12
2502>1Th 4,15 2572>1Th 4,15
603>1Th 4,16 2428>1Th 4,16
2456>1Th 5,2 2484>1Th 5,2
2503>1Th 5,2 2472>1Th 5,3
2692>1Th 5,7 890>1Th [5],17
1801>1Th 5,18 2679>1Th 5,18
1751>1Th 5,22
2 Thessaloniciens
2416>2Th 2,2 2537>2Th 2,2945>2Th 3,10
2418>2Th 2,9
1 Timothée
77>1Tm 1, 4 2284>1Tm 1,5 1573>1Tm 1,7
1969>1Tm 1,15 1363>1Tm 1,17
2498>1Tm 1,18 2421>1Tm 1,19
81>1Tm 1,51 907>1Tm 2,4
1973>1Tm 2,4 2038>1Tm 2,4
2321>1Tm 2,10 1210>1Tm 3,7
630>1Tm 3,15 1690>1Tm 4,4
1747>1Tm 4,4 573>1Tm 4,8
2308>1Tm 5,17 693>1Tm 5,21
297>1Tm 6,8 913>1Tm 6,8
1377>1Tm 6,8 2167>1Tm 6,9
1518>1Tm 6,11 578>1Tm 6,16
935>1Tm [6],17 1561>1Tm 6,17 1653>1Tm 6,17
2061>1Tm 6,17
2106>2Tm 1,12 485>2Tm 2,4 627>2Tm 2,9
497>2Tm 2,15 1006>2Tm 2,19
2517>2Tm 2,19 1546>2Tm 2,25
2180>2Tm 3 2033>2Tm 3,5
1369>2Tm 3,12 2366>2Tm 3,13
2171>2Tm 3,13 1597>2Tm 3,16
1223>2Tm 4,7 1231>2Tm 4,7
906>2Tm 4,8
2561>Tt 1,5 2151>Tt 1,9 1587>Tt 3,10
1755>Tt 3,10 1819>Tt 3,10
639>Tt 1,12 1748>Tt 1,15
2630>Tt 1,16 2733>Tt 1,16
2839>Tt 1,16 1268>Tt 1,16
1480>He 1,1 2121>He 1,1 2206>He 1,1
57>He 1,5 1194>He 9,12
2095>He 1,12 259>He 1,14
1966>He 1,14 35>He 2,10
1933>He 2,14 2850>He 2,14s
1972>He 2,16 2862>He 2,33
1480>He 3,3 630>He 3,4
910>He 3,[7]1 2931>He 4,11
1272>He 4,12 870>He 4,12
40>He 4,13 888>He 4,13
1938>He 4,13 2521>He 4,13
392>He 4,15 969>He 4,15
2566>He 4,15 894>He 4,16
2316>He 5,1 2477>He 5,4
79>He 5,7 1156>He 5,7
2859>He 5,9 675>He 5,12
2175>He 5,12 2054>He 6,1
824>He 6,16 813>He 6,16
2770>He 7,12 33>He 7,14
641>He 7,19 1702>He 7,25
745>He 8,8 638>He 8,13
644>He 8,13 2682>He 9,7
2683>He 9,13 331>He 9,22
2375>He 10,1 1848>He 10,19
2684>He 10,19 2540>He 10,19
2775>He 10,29 1957>He 10,31
2428>He 10,32 2553>He 10,31
2594>He 10,34 2047>He 10,38
2959>He 11,6 2204>He 11,37
2621>He 11,37 709>He 12,1
19>He 12,2 235>He 12,2
1560>He 12,4 1129>He 12,11
582>He 12,14 463>He 12,18
1129>He 12,22 2830>He 12,24
1213>He 13,2 1284>He 13,2
2593>He 13,2 1141>He 13,7
2335>He 13,10 1300>He 13,12
2843>He 13,12 1783>He 13,14
1049>He 13,17 1995>He 13,47
1
354>1P 2,1 1244>1P 2,1
1280>1P 2,1 300>1P 2,2
2562>1P 2,2 2460>1P 2,5
2759>1P 2,5 75>1P 2,6
171>1P 2,6 51>1P 2,9
137>1P 2,9 718>1P 2,11
599>1P 2,23 1411>1P 2,22
1415>1P 2,23 1061>1P 2,24
1194>1P 2,25 2693>1P 2,25
1970>1P 2,25 2588>1P 3,9
592>1P 3,14 901>905>1P 3,15
1234>1P 3,15 609>1P 4,3
2533>1P 4,10 2931>1P 4,10
624>1P 4,10 1180>1P 4,10
2129>1P 4,10 600>1P 4,14
701>1P 4,14 1231>1P 4,14
2511>1P 4,18 1996>1P 4,19
2129>1P 5,3 2483>1P 5,3
1485>1P 5,8 2469>1P 5,8
2Pierre
1904>2P 1,18 454>2P 1,19
1236>2P 1,19 1120>2P 2,8
2391>2P 2,11 1089>2P 2,13
1491>2P 2,21 1958>2P 2,21
2196>2P 2,21 2325>2P 2,21
328>2P 3,9 2482>2P 3,9
1581>2P 3,9 746>2P 3,10
647>2P 3,12 418>2P 3,16
3
2121>3P 2, 21
1 Jean
565>1Jn 1,8 681>1Jn 2,11 2725>1Jn 2,16
2095>1Jn 2,18 2418>1Jn 2,18
857>1Jn 4,18 1725>1Jn 2,28
367>1P 1,3 2069>1P 1,3
2310>1P 1,3 900>1P 1,4
2311>1P 1,4 57>1P 1,13
1322>1P 1,10 1928>1P 1,7
14>1P 1,17 529>1Jn 3,1
2585>1Jn 3,2 2879>1Jn 3,2
2090>1Jn 3,2 637>1Jn 3,8
571>1Jn 3,17 2418>1Jn 4
155>1Jn 4,1 578>1Jn 4,12
2276>1Jn 4,16 2936>1Jn 4,18
2738>1Jn 4,19 583>1Jn 4,20
2280>1Jn 4,21 2091>1Jn 5,19
2221>1Jn 5,20 2887>1Jn 5,20
270>2Jn 8,49
Jacques
601>Jc 1,2 1245>Jc 1,2 595>Jc 1,4
698>Jc 1,4 857>Jc 1,4
1533>Jc 1,5 894>Jc
1,6 1156>Jc 1,6 1772>Jc 1,6 1781>Jc 1,6
2183>Jc 1,6 2091>Jc 1,11
2786>Jc 1,14 373>Jc 1,17
2552>Jc 1,17 2586>Jc 1,17
242>Jc 1,20 1057>Jc 1,21
1557>Jc 1,22 2562>Jc 1,22
998>Jc 1,22 1012>Jc 1,23
2000>Jc 1,24 2692>Jc 1,24
860>Jc 1,86 1798>Jc 2,5
543>Jc 2,5 2052>Jc 2,10
2496>Jc 2,10 741>Jc 2,12
926>Jc 2,13 631>Jc 2,18
299>Jc 2,18 249>Jc 2,20
857>Jc 3,2 1980>Jc 4,1
895>Jc 4,3 977>Jc 4,3
1987>Jc 4,3 354>Jc 4,6
441>Jc 4,7 2756>Jc 4,8
1050>Jc 4,11 2450>Jc 5,4
2462>Jc 5,5 1710>Jc 5,8
2227>Jc 5,10 604>Jc 5,10
709>Jc 5,10 813>Jc 5,12
36>Jc 5,16 301>Jc 5,16
1036>Jc 5,16 1356>Jc 5,16
1918>Jc 5,16
1849>Ap 1,5 1945>Ap 1,5 2678>Ap 1,5
2884>Ap 1,5 2435>Ap 1,7
2440>Ap 1,7 2566>Ap 1,7
1893>Ap 1,16 2392>Ap 2,4
654>Ap 2,14 2479>Ap 2,28
2349>Ap 3,1 2473>Ap 3,3
2158>Ap 3,4 2918>Ap 3,5
2233>Ap 3,11 2564>Ap 3,11
1533>Ap 3,16 2756>Ap 3,16
540>Ap 3,17 1121>Ap 3,17
1794>Ap 3,17 1115>Ap 3,20
2471>Ap 3,20 2585>Ap 3,21
1849>Ap 4,1 1851>Ap 4,1
2515>Ap 4,1 11>Ap 4,7
745>Ap 5,9 2678>Ap 5,9
1383>Ap 5,10 2587>Ap 5,10
2957>Ap 5,12 245>Ap 6,9
2432>Ap 6,12 1272>Ap 6,14
2950>Ap 7,1 1904>Ap 7,11
935>Ap 7,14 1724>Ap 7,16
1966>Ap 8,4 2443>Ap 11,12
106>Ap 12 1107>Ap 12,1
416>Ap 12,4 1585>Ap 12,4
1521>Ap 13,10 2068>Ap 14,4
1011>Ap 14,8 2805>Ap 14,13
1590>Ap 14,15 2418>Ap 16,13
1621>Ap 16,10 2678>Ap 17,1
2515>Ap 17,14 1089>Ap 18,21
2853>Ap 19,16 1480>Ap 20,1
763>Ap 20,3 1258>Ap 20,10
2074>Ap 20,12 2602>Ap 20,15
2454>Ap 21,1 1898>Ap 21,3
2966>Ap 21,3 1899>Ap 21,4
1846>Ap 21,12 1621>Ap 21,27
1849>Ap 21,27 2756>Ap 22,3
1586>Ap 22,11 614>Ap 22,15
723>Ap 22,15 213>Ap 22,16
Admiration : 2161.
Adoration : des idoles 63 ; de Jésus 216s ; à Dieu seul 442 ; 1026.
Aimer : 845, 846, 848 ; ses ennemis
849 ; 851, 853, 854 ; aimer Dieu 2274-2280 ; Dieu nous aime 2876.
Alliance : nouvelle 462 ; 2683-2684.
Amour : 111, 745, 759; origine de la loi
nouvelle 1129 ; rend léger ce qui est lourd 1369 ; de Dieu pour son
Fils 1413 ; opposé à la dureté et à la faiblesse 1519 ; pour le
Christ 1683, 1700, 2934 ; procède du Père et du Fils 1900 ; du
prochain 2054, 2281-2283 ; se refroidira 2392 ; amitié 2738.
Ange : 122s,
155s, 186s, 223, 229s, 259, 441, 907, 1967, 2075 ; voient clairement 1312
; gardiens 1966; voient Dieu 1971-1973 ; sont sans passions 2263 ;
2441-2442, 2456, 2529, 2745s, 2914-2922, 2950.
Antéchrist : 2381,
2407, 2411-2412, 2416, 2418, 2430, 2436, 2463.
Apparition : du Christ
ressuscité 2939, 2948-2949.
Art
: inférieur à la nature 954 ; musique 1330.
Astres : 2865-2866 ; étoile de
Noël 185s, 205, 207, 211-215, 247 ; astrologie 177s, 1919, 1960.
Aumône : 868-869,
937.
Avènement : dernier
2767, 2768 ; quotidien 2767 ; 2914.
Baptême
: 275, 280, 298, 300, 301, 331-333, 341, 354, 355, 360, 362, 375, 380,
388, 394, 2011, 2189, 2959-2962.
Bénédiction : 1693,
1734, 2037, 2589s, 2660, 2933 ; /malédiction 2317 ; pour lui, bénir
c’est infuser la grâce 2586 ; vient de Dieu mais pas la malédiction 2598.
Bonheur : 523s;
est dans la connaissance 1841 ; 2479.
Bonté
: du Christ 1044, 1051-1054.
Capharnaüm : 444, 449, 1098.
Carême
: 396.
Charité : 36, 37 ; essence de la justice
81 ; 249, 392, 468, 477, 480, 926, 1183, 1192, 1535 ; va avec l’humilité
1952 ; 1988, 2056, 2237, 2565 ; sera totale au ciel 2585.
Charismes : dons du Saint-Esprit 1005.
Chasteté : 2029-2035 ; don de Dieu
2030 ; va nécessairement avec la miséricorde 2498.
Cause : chercher la 579 ; première ou
prochaine 2530.
Christ (oint) :
20, 91 ; l’onction concerne l’humanité du Christ 1834 ;
prêtre, prophète et roi 1835.
Chronologie : comparée 444-445 ; 1137,
1375 ; de l’évangile 2416 ; 2607, 2636-2639.
Ciel : 708, 815, 817, 900, 907 ;
stabilité des biens célestes 937 ; 1024, 1158.
Colère : 547, 680s ; et vertu 683, 684,
753s, 2231 ; de Dieu 2361.
Commandements : de Dieu ont priorité sur ceux des
hommes 1742 ; doivent être gardés 1753, 2964 ; 2047-2048, 2340-2342.
Compassion : du Christ 2871.
Conception : de Jésus 131-132.
Confession : 301, 1036, 1356 ; pouvoir des
clés 1848-1855.
Consolation : 559 ; sera proportionnée aux
tribulations 707.
Consubstantialité : 1362.
Contemplation : 1887, 1958 ; rend proche de
Dieu 2377 ; protège de la tentation 2472.
Conversion : à son heure 2096 ; Dieu seul
change le cœur 2152 ; 2323, 2325, 2371 ; des Juifs 2686.
Crainte : 130 ; souvent motif de
conversion 1714 ; servile 2275, 2556s ; causée par l’amour
2276 ; pour respecter Dieu 2553 ; 2725, 2886, 2919, 2936.
Croix : 1072, 1280s, 1871-1874 ; signe
glorieux à la fin du monde 2434 ; la porter 2844 ; Croisades 946.
Démons : 890, 965, 1199 ; Jésus les chasse 1004-1005, 1060 ; méchants et trompeurs 1081-1085 ; font de faux miracles 1005 ; les chasser 1171, 1182, 1425s ; font-ils des miracles ? 2419-2420.
Désirer : est la faim de l’esprit 1368 ;
nécessaire pour recevoir 1533 ; Dieu tarde afin de se faire désirer
1709 ; 1968 ; désir/acte 2034 ; 2139 ; concupiscence 2725.
Destin : 177-185.
Diable : 103, 130, 213, 387, 388, 394, 397,
400-406, 410, 412, 413, 415-421, 426, 427, 429-436, 441, 637, 723, 760, 763,
906-914, Mammon 943-944 ; 985, 1166, 1236, 1485 ; l’oisiveté favorise
son attaque 1487 ; devient plus fort par le consentement 1437 ;
enlève la semence 1518, 1556 ; 1572-1573 ; Jésus a brisé son pouvoir
1711 ; 2436.
Dignité : humaine 1088 ;
/humiliation 2857 ; 2914.
Divorce : 789-804, 2012, 2020s ; et
remariage 2025-2026 ; ne pas répudier ? 2079.
Donner : 840s ; Dieu est généreux
2523 ; ses dons 2524, 2531 ; les dons peuvent se perdre 2564-2566.
Douceur : 547-550 ; compatible avec la
colère 685 ; 1335, 1368 ; du Christ 1942 ; 2154.
Ecriture : fausser son autorité 418-421 ;
autorité de l’ 422, 683 ; croire à toute l’ 641 ; 2748 ; son
interprétation 2809.
Eglise : symbolisée par Rahab 44, par
Bersabée 55, par la montagne 733s, par la reine de Saba 1481, par la barque
1511, 1705 ; rassemble des pécheurs 46-47 ; les apôtres sont ses
fondations 739 ; Eglise des Gentils symbolisée par la Cananéenne 1772 ;
orientale 909, 1847 ; épouse du Verbe 2222 ; sa foi durera jusqu’à la
fin du monde 2453 ; 920, 927, 1008, 1072, 1158, 1983s, 2070.
Endurcissement : 1544-1548.
Enfants : saints Innocents 225, 241s; 1950s,
2018, 2037s, 2093, 2175.
Enfer : 344, 348, 434, 456, 656, 697, 723,
763, 783, 1085, 1593-1594, 1621, 1636, 2239-2240, 2485, 2567 ; où est-il
2568 ; éternel 2602.
Enseignement : Dieu le seul enseignant 2308-2309,
2312 ; fausses doctrines enseignées en secret 2423-2425.
Eschatologie : 1812-1813, 1881, 1909-1910, 1996,
2006-2007, 2071-2073, 2097-2098, 2100-2101, 2371, 2378 ; sur les
catastrophes 2385-2386.
Espérance : 601 ; /la désespérance est la
source de toutes les fautes 2462, 2482, 2552 ; désespérance 2802.
Esprit Saint : 111, 131s, 186, 335, 341, 342, 360,
370-374, 389-392, 542, 559, 606, 627, 642, 678, 736, 745, 784, 999, 1005, 2174
; parle par les apôtres 1236 ; 1363, 1414, 1431s ; blasphème contre
l’ 1444s ; péché contre l’ 1447-1452 ; Simon bar Yona, fils de la
colombe 1839 ; ses dons 2362 ; 2625, 2961.
Etre : ou ne pas être 2650-2651 ;
essence 579-580, 2954-2955.
Eucharistie : 2169, 2657-2687.
Evangile : correspond à l’âge adulte et la loi
à l’enfance 666 ; son enseignement est utile 1600-1601 ;
l’évangélisation est-elle finie ou pas 2398 ; évangile des Nazaréens 2054,
2364.
Excommunication : d’un chef
d’Etat 1585-1587 ; 1635, 1984-1985.
Faiblesse : chair/esprit 2720.
Femmes : leur psychologie 1668, 2111,
2321 ; pécheresses dans la généalogie du Christ 31, 47, 55 ;
plus enclines au mal 2026 ; femme au parfum 2615s ; au tombeau
2890-2891, 2907, 2909.
Foi : 36, 291, 667, 1051, 1101, 1140,
1144, 1156-1157, 1191-1192, 1238, 1536, 2183 ; de Pierre 1718,
1834s ; doit être solide 1723 ; parfaite 1928 ; sera sans énigme
au ciel 2585 ; 2959.
Frères : 2938 ; correction fraternelle 1974-1984.
Géhenne : 696, 723, 750, 1257, 2275.
Généalogie de Jésus : 60, 71, 75-76, 84, trois groupes de quatorze 91s.
Génération : humaine et divine chez Jésus 17,
2286.
Gentils (païens) : 187, 453-455, 457, 854, 890, 907,
1042, 1051s, 1083, 1143-1144, 1166, 1190-1191, 1415 ; l’enseignement du
Christ suffit à les sauver 1766 ; impurs 1779 ; 2011, 2193, 2234,
2323s, 2722, 2741, 2941.
Gloire : de Dieu 631 ; 1892-1893, 1949,
2101 ; avènement du Christ 2434, 2437-2441 ; 2572, 2690, 2914.
Grâce : don de Dieu 83 ;
symbolisée par l’étoile 213 ; 282, 354, 363, 374, 387, 474, 493, 856,
907, 1412 ; ne pas l’éteindre
1418 ; pas donnée aux sages 1358 ; fonde la supériorité humaine 1317 ;
2035, 2098, 2213 ; ne vient pas de nous 2530 ; rendre grâce 2679,
2689.
Grandeur : le plus grand est celui qui sert
2129-2130.
Haïr : peut-on haïr Dieu ? 1572.
Hérésies : hérésie des Hébreux 1379 ;
sont des enseignements occultes 1172 ; 2016.
Hérétiques : Paul de Samosate 23 ;
Valentin 23, 89 ; Elvidius 107, 161, 1647, 2890 ; Théodoret
147 ; priscillianistes 177 ; Pélage 907, 918, 922 ; Novatien
918, 1443 ; euthychiens 945 ; Apollinaire 23, 1031, 2707 ;
ariens 1084, 1362, 2044, 2125, 2291, 2457, 2702, 2706, 2707, 2787, 2869,
2887, 2962 ; Porphyre 1083 ; Nestorius 90, 138, 1108, 2869 ; Photin
23, 1031, 1108, 2787 ; « apostoliques » 1201 ; Sabellius
23, 1356, 1361 ; Eunomius 2706, 2787 ;
1193, 1219, 1238, 1501, 1573s, 1613,
1949, 1960, 2231, 2267 ; peuvent être sauvés 1446 ; sont les portes
de l’enfer 1847.
Hérode : le père 168, 190s, 241-247, 258,
262, 1183, 1230-1231, 2173, 2244 ; le fils 1653s.
Humanité : de Jésus 23, 1030, 1074, 1084,
1335, 1413, 2954 ; des enfants 237 ; supériorité de l’homme sur les
animaux 1399 ; l’homme naturellement sociable 1328 ; Matthieu
s’attache à l’humanité de Jésus 11, 29 ; Dieu veut que certains parfaits
tombent afin de reconnaître leur humanité 1868.
Humilité : du Christ 28,
1037, 1829 ; de sa naissance 192 ; de Matthieu 1114, 1184 ; 52,
300, 354, 363, 417, 460, 517, 540-542, 756, 899, 984, 1026, 1057s, 1074, 1144,
1157, 1357, 1368, 1779-1780 ; accepte la parole de Dieu 1928 ; 1950s,
2313, 2542.
Hypocrisie : 867, 883, 930s, 992, 1333 ;
définition 1739 ; 2251, 2758.
Ignorance : 2150-2151, 2170 ; idées
fausses sur Dieu 2550s.
Incarnation : 466, 738, 2138, 2233, 2661.
Irascible et
concupiscible :
527, 683, 765, 805, 1050, 1053, 1604.
Jean Baptiste : 1289s, 1309s, 1375 ; fin de la loi
et début de l’évangile 1321; sa puissance 1662 ; comparable à Elie
1911 ; sa mort 1913 ; 2189s.
Jérusalem : 172, 412, 445, 506, 696, 818,
412-414,1860 ; sa destruction 2367-2368, 2395-2396, 2400.
Jésus : signification de ce nom 19 ;
attribution de ce nom 134 ; vrai homme 23 ; Oint 20 ; issu de la
tribu de Juda 35 ; 40 ; fort 49s ; pacifique 55s ; pierre
d’angle 75 ; fils de Joseph 86 ; deux natures 90 ; a voulu
naître d’une vierge 111 ; vrai Dieu 185s ; naissance à Bethléem
198 ; nourrisson
211s ; de Nazareth 259 ; son autorité 688 ; est le pain
908 ; 1008 ; est la puissance et la sagesse de Dieu 1061 ;
bon médecin 1120s, 1166, 2164 ; époux de l’Eglise 1129 ; guérit par
la foi 1167 ; guérit les pécheurs 1301 ; aucune grâce ne lui a manqué
1413 ; ses frères 1496-1497, 1647 ; plus fort que le diable
1436 ; envoyé aux païens 1776 ; guérit avant de nourrir 1790 ;
l’imiter 1871s ; voyageur et voyant 1892 ; réconforte 1905 ;
prêtre 2113 ; serviteur 2131 ; humble 2154 ; compatissant
2369 ; innocent 2759 ; courageux 2820 ; toujours avec nous 2966.
Jeûne : 394-397, 928s ; être joyeux
933-934 ; 1126-1130 ; pour élever l’esprit et chasser les démons
1931 ; eucharistique 2656.
Joie : dans les épreuves 601 ; 602 ; causes de joie 603, 604 ; spirituelle 993 ; 1967, 1972, 2099, 2544, 2930, 2933.
Joseph : père de Jésus 85, 88 ; fiancé
de Marie 105 ; fils de David 127 ; époux de Marie 86-87 ; juste
119s ; soupçons sur Marie 116s ; sagesse 122-129.
Jourdain : 300, 323, 354, 506.
Judaïsme : shabbat 2146, 2761 ;
2179-2181, 2304, 2323s, 2405, 2606, 2636s ; parascève 2899.
Jugement : dernier 188, 327, 346, 347,
656, 1003, 1634-1635, 2069-2077, 2236, 2569s ; ne pas juger autrui
962s ; divin 1252, 1359 ; se fera selon l’homme qui s’accuse lui-même
1467 ; nécessite clémence et justice 1415 ; jour du 1353, 1419,
1996 ; intérieur 2075 ; où aura-t-il lieu 2578 ; se fera par
parole intérieure 2584.
Justice : 118, 563s ; et miséricorde
569 ; et martyre 592, 632, 664, 665 ; n’est pas la vengeance
830 ; inconvénients des procès 837 ; 958, 1124 ; a priorité sur
la miséricorde 1191 ; spéciale et générale 118 ; de Dieu 1997-1998,
2603.
Justification : ses six éléments 36 ; ses
trois états 43, 81 ; 154 ; par
la foi 1052 ; 2805.
Légitime défense : 834.
Liberté : filiale 898 ; libre arbitre
245, 907, 922, 1050, 1262, 1352, 2066, 2202, 2206, 2531, 2589 ; coopère à
la grâce 83 ; du chrétien 1941 ; par la pauvreté volontaire 2056.
Loi : 352, 459-463, 632s, 738 ;
accomplir la 743s ; ancienne / nouvelle 768, 807, 826, 845, 1129, 1369,
1382s, 1640, 1690, 1800 ; du talion 829s ; Jésus au-dessus de la loi
1030, 1034 ; les Juifs accablés par son poids 2150 ; l’observer
2297 ; respecter l’intention du législateur 2298.
Luc (comparaison
avec Matthieu) :
26-31, 272, 408-409, 487, 520, 708, 1339, 1495.
Lumière : 615s ; dans l’Ecriture
625 ; son essence 727, 2493 ; le Christ vrai soleil 2867.
Mage : 170s, 198s, 205, 209s ; magie
1005, 2736 ; la divination est interdite
2823.
Mariage : 2014-2019 ; ses inconvénients
2028 ; du Verbe avec notre âme 2222 ; 2262-2263 ; 2494.
Marie : vierge 87-88, 107, 157s, 231 ;
fiancée à Joseph 102 ; enceinte 111 ; mère de Dieu 106 ; épouse
de Joseph 130 ; immaculée 1501 ; Marie et Joseph 123, 1496, 1647.
Martyrs : 2124, 2158, 2742.
Mérite : 531, 1355 ; augmenté par la
charité de l’intention 1464 ; 1996 ; nécessaire pour la récompense
2122 ; 2589.
Miracles : les démons font de faux 1005 ;
ne sont plus nécessaires 1199 ; montrent qu’il est le Messie 1298 ;
1420, 1692 ; la foi est nécessaire pour qu’ils arrivent 1927 ;
2865-2866.
Miséricorde : 569-573, 588 ; de Dieu 1141,
1146, 1174s, 1359, 1386, 1680 ; est une passion 1791 ; 1998s, 2621.
Moindre mal : 793, 1962-1963, 2022.
Mort : des persécuteurs 262 ; peine de
677 ; durée de celle du Christ 1475-1476 ; la sépulture comme signe
d’affection 1673 ; Pierre refuse celle du Christ 1897 ; heure de la
mort 2470-2471 ; du Christ 2708, 2875s ; de Judas 2802s ; le
Christ est mort pour nous libérer 2876.
Mystères : 646 ; leur dévoilement 2879.
Nature : deux natures dans le Christ 90,
1829, 2125, 2135, 2141, 2438, 2960.
Obéissance : 150s, 217, 823, 1049, 1079 ;
de Matthieu 1114 ; 1141, 1274, 1387, 2193, 2615, 2948.
Œuvres : doivent confirmer la doctrine
741 ; les œuvres de miséricorde ne suffisent pas au salut 2590 ;
œuvres de miséricorde envers soi-même 2591.
Offrande : 759.
Oint : voir Christ.
Ordre : source de paix 585 ; en mettre
dans nos affections 2714.
Orgueil : 426, 427, 497, 541, 1348s,
1357 ; tomber dans un péché grave peut permettre d’en guérir
1547-1548 ; 1952, 2126, 2696 ; vanité 2303-2306.
Paix : 583-587, 823, 838 ; a deux
sens différents 1272 ; vient de l’ordre 1429 ; 2254 ; notre possession
de Dieu sera paisible au ciel 2588.
Pâque : sens du mot 2608.
Paraboles : raisons de leur emploi 1512,
1606s ; 2295.
Pardon : le donner pour le recevoir 919-921,
925-926, 982, 1976, 1989, 1992, 2007.
Parole de Dieu : guérit 1108 ; est une nourriture
1795 ; puissante 2664, 2670.
Passion : Jean Baptiste la sait d’avance
1293 ; Jésus parle dans cette perspective 1297 ; Jésus en repousse le
moment 1676 ; efficace car nature divine unie à nature humaine 19 ;
symbolisée par le ciel du soir 1811 ; le Christ l’annonce 1858-1862,
2641 ; il l’annonce plusieurs fois 1934, 2114-2115 ; les passions
2095, 2277, 2347, 2709 ; Passion du Christ 2428 ; il aurait pu la
refuser 2814.
Paternité : 8, 79, 1278 ; de Dieu
57 ; de Joseph 85.
Pauvreté : 69, 476 ; apostolique
1200-1207 ; du Christ 1943 ; détachement 2060-2067.
Péché : 55, 119, 151, 1923, 2322 ;
originel 113 ; fuir le 224 ; 427 ; pleurer le 555, 557 ;
mortel / véniel 686, 773, 1449 ; 749, 764, 903 ; sont des dettes
917 ; sont remis 1443 ; sont un fardeau 1365s ; 936, 965 ;
sa punition 965 ; 967 ; blâmer les pécheurs avec douceur 969 ;
éviter leur compagnie 1120 ; péché cause de maladies 1061, 1101 ;
Matthieu pécheur 1113 ; 1099, 1199, 1219, 1418 ; les 6 espèces de
péché contre l’Esprit 1452 ; 1393 ; mortels ne peuvent être remis
sans la charité 1563 ; vient de l’intérieur 1746 ; est toujours
volontaire 1749 ; ne reviennent pas une fois remis 2007 ; les
pécheurs tombent 2215 ; de la chair et de l’esprit 2346, 2350 ; péché
d’omission 2567 ; pécheur occulte 2663.
Pénitence : 279, 313-320, 1344, 1480, 2516.
Père : lui ressembler 851 ; Dieu est
père 898, 977-981, 1356-1361s ; honorer ses parents 1734, 2079 ;
communique sa bonté au Fils 1900 ; pères 2017 ; 2207, 2221, 2288,
2310-2311 ; influence des parents 2356 ; 2713, 2716, 2765 ;
Barabbas fils du père 2818 ; 2870.
Perfection : 595, 597 ; évangélique 847,
853-858 ; plusieurs degrés 1524 ; représentée par des nombres
1525 ; 2008 ; perfection/imperfection 2039-2042, 2046-2047,
2055 ; définition 2050.
Permissions : différentes sortes 793 ;
pourquoi Dieu permet que les forts soient submergés 1721 ; 2022, 2727s.
Persécutions : 591s, 699s, 723, 724 ; prier
pour ses persécuteurs 850 ; 1230-1248 ; 1323 ; 2363.
Pharisiens : 303, 304, 306, 505, 652, 659,
665s ; mal intentionnés 1118, 1388s ; 1379 ; attachés aux rites
extérieurs 1732 ; 2294, 2610-2614.
Pierre : le Christ et l’Eglise 1845s ;
Pierre fut le premier à confesser sa divinité 1840 ; sa chute 2780.
Politique : soutien de la vertu 493 ;
tyrans 2128, 2154, 2382.
Pratique (mettre
en) : la
doctrine 997s, 1010s ; suivre Dieu 2068.
Prédestination : 1347, 2139, 2421, 2629.
Prédicateur : ses qualités 725s, doit être stable
1214, confiant en Dieu 1204, prudent 1223, patient et simple 1224 ; est en
danger 1218 ; 1407 ; 2010 ; incite au repentir 2789, 2790 ;
bénévole ou non 2889.
Prière : 880s, 886s ; brève
889-891 ; de demande 901s ; bonne et humble 974, 977, 1045, 2117,
2713 ; confiante 898-900, 1026 ; discrète 887 ; insistante 974s,
1709, 1773 ; sans inquiétude 915-916 ; demander le nécessaire
913 ; utiliser les mots du Christ 894 ; pour les autres 899, 1042,
1773s ; pourquoi prier 892 ; est exaucée 974 ; 1180 ; Jésus
donne l’exemple 1702 ; piété, foi et humilité nécessaires pour être exaucé
1769 ; intercession signe de foi 1785 ; son efficacité
1986-1987 ; incite Dieu à la miséricorde 1998 ; celle des bons
maintient le monde 2385 ; du Christ 2702 ; humble, dévote, solitaire
2703 ; 2713s.
Promesse : 2078-2081, 2226, 2478.
Prophètes : 989, 1285s, 1424, 2204-2205, 2225,
2750 ; faux 990s, 1183 ; personne prophétique 2619.
Prophétie : 144s, 240, son accomplissement
745 ; son rôle 1322 ; définition 1649 ; sa fin est le Christ
2153 ; de Daniel 2401 ; 2807s.
Providence : 898, lui faire confiance
951 ; les païens n’y croient pas
957 ; 1944, 1960, 1964, 2031, 2402.
Prudence : 2719, 2763.
Puissance : du Christ 1026, 1037, 1046s, 1055s,
1059, 1076, 1138, 1142, 1145, 1159,
1204, 1727 ; affirmée par les démons 1084 ; de l’enseignement
du Christ 1699 ; de la divinité et de la grâce 28 ; se manifeste dans
la faiblesse des apôtres 1222 ; des sacrements 1031 ; l’exercice du
pouvoir révèle ce qui est dans l’homme 1013 ; des apôtres 1181s ;
pouvoir de juger les nations 1414 ; pouvoir sacerdotal et royal
2187 ; de Dieu ou du diable 2188 ; 2443 ; toute-puissance du
Christ 2953-2957 ; puissance du nom de Dieu 2962.
Punition : des méchants 2366 ; 2461.
Pureté : 582, 1747s, 1761s, 2895.
Quarante : signification du chiffre 97, 395,
Raison : 585 ; 1050 ; perturbée
par le diable 1236 ; obscurcie par le péché 1301 ; 2277, 2341 ;
affectée par les passions 2709 ; celle du Christ domine les passions 2710.
Récompense : 2544, 2577.
Réconciliation : 756-758.
Réincarnation : 1323, 1655, 1831.
Renoncement : 476, 477, 485, 543 ; est
douloureux 558.
Repentir : 763, 836, 2791, 2797, 2800.
Responsabilité : 1961 ; des prélats envers les
sujets 1996, 2131, 2299 ; 2057, 2065, 2202.
Résurrection : 1076, 1258, 1655 ; ses
modalités 1264 ; du Christ 1473 ; théories diverses 1480 ; une
preuve 1621 ; donne le salut 1816 ; 2069-2071 ; il l’annonce
2116 ; 2260s ; 2443, 2504s, 2685, 2687, 2694, 2860, 2881-2884, 2896,
2900-2902, 2905s, 2943.
Royaume : 282, 299, 331, 462, 654s, 666, 671, 672, 750-752, 906,
1002, 1318s, 1995, 2113, 2318, 2587, 2741.
Royauté de Jésus : 189, 2154, 2221, 2813, 2819, 2835,
2853, 2860, 2957.
Sacrements : 902, 908-910, 971-972, 1031, 2237,
2324 ; agissent par la puissance de la Passion 1849 ; réalisent ce
qu’ils représentent 1852, 2665 ; donnent la grâce 1853 ; leur
efficacité 2007 ; aux enfants 2037 ; 2635, 2655s.
Sadducéens : 303, 304, 2257.
Sainteté : 905, 907, 909, 1180, 1335, exemples
des saints 2228.
Sang : du Christ 2830.
Sauveur : 137-138 ; salut par le
renoncement 1875s ; salut impossible par la puissance humaine 2066 ;
2159-2160.
Scandale : définition 1751 ; faut-il s’en
occuper ? 1755 ; 1857, 1867, 1939s, 1953-1965, 2390, 2691s.
Serment : 808-824, 2329, 2764.
Serviteur : le prélat, serviteur fidèle et
prudent 2475.
Signes : réservés aux incroyants 126,
212 ; demander des 1470 ; à la
fin il n’y en aura plus 1812 ; de Jonas 1815-1816 ; pour étayer 2011.
Songe : de Joseph 125-126 ; des mages
223 ; de madame Pilate 2823-2824.
Souffrance : 250s, 1053 ; le Christ ne
souffre pas en tant que Dieu 2706 ; 2870.
Soumission : à Dieu 439.
Temple : 414, 2164, 2167, 2169,
2327-2329 ; le chrétien temple de Dieu 2374 ; utilité de sa
destruction 2375.
Ténèbres : 454, 2863-2867.
Tentation : 249, 385, 387, 389, 392, 393, 398-402, remède à la 403-405 ; 434 ; est utile 922 ; 1013-1014 ; ne pas tenter Dieu 1234 ; 1526,
Travail : est un commandement 945-946 ;
pour Dieu 2088.
Tribulation : 343, 347, 449, supporter le mal
827-835 ; 950, 979, 984, 992, 1231, 1560-1561, 2407.
Trinité : 8, 220, 380, 1181, 1448 ; le
Père et le Fils sont égaux 2457 ; 2961-2962.
Tristesse : du Christ 2706s ; est une
passion 2709.
Tuer : des animaux 676 ; peine de
mort 677 ; suicide 678 ; faut-il tuer les hérétiques ? 1587.
Veiller : 2487.
Verbe : connaît le Père 1363 ;
1517 ; 2955.
Vérité : créée ou incréée 806 ; 821s,
2013 ; Dieu est véridique 2247 ; est lumière 2423 ; elle
rassemble mais l’erreur divise 2381 ; 2766, 2960.
Vertus : 152, 481 ; naturelle ?
493 ; 528, 531, 538, 539, 547, 549,
563, 582, 683, 685, 902, 2281 ; une
seule vertu mais plusieurs vices 985 ; diverses 2070 ; 2532 ;
fidélité, bonté 2542.
Vêtements : morale de l’habillement 1307 ;
vêtements du Christ 2836, 2851 ; de l’ange 2918.
Vices : paresse à connaître les choses
spirituelles 1810, 1816 ; éviter soigneusement l’erreur 1819 ;
tiédeur 1418, 1533, 2756 ; l’inquiétude est défendue 945-960 ;
avarice 2042, 2197, 2229, 2551 ; cupidité 2123, 2166-2167, 2632 ;
luxure 2197 ; mensonge 2247 ; concupiscence 2460, 2462.
Vierge : Jésus a voulu naître d’une vierge
112s ; enfantera 148 ; Marie vierge 88 ; 159s, 231, 108 ;
vierges 2492.
Violence : ses conséquences 2744.
Vivant : Dieu 1836 ; Dieu est la vie
2877.
Voir Dieu : 567, 578-581, 1967 ; ne voir
que Jésus 1906.
Volonté : est le désir de biens 982 ; de
Dieu 1359 ; celle de Dieu est que tous soient sauvés 1973 ; 2033,
2035, 2649, 2714-2716 ; la mort du Christ est volontaire 2877.